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Full text of "Revue historique"

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REVUE 


HISTORIQUE 


REVUE 


HISTORIQUE 


DIRIGEE   PAR   MM. 


G.    MONOD   et  G.   FAGNIEZ 


Ne  quid  falsi  aucleat,  ne  quid  veri  non  audeal  hislorin 
CicÉRON,  de  Ornt-,  II,   i5. 


DEUXIEME     ANNEE. 


TOME   CINQUIEME 


Septembre-Décembre  1877. 


PARIS 

LIBRAIRIE  GERMER  BAILLIÈRE  et  O' 

108,  BOULEVARD  SAINT-GERMAIN 

AU      COIN      DE      LA      RUE      H  A  UTEFEU I L  L  E. 


2) 

/ 


CLÉOPHON  D'ATHENES 


Dans  un  passage  de  la  République-,  Cicéron  cite  le  nom  de 
Cléophon  à  côté  de  ceux  de  Cléon  et  d'Hyperbolos;  il  les  qualifie 
tous  les  trois  de  la  même  façon,  ce  sont  des  flatteurs  du  peuple, 
de  mauvais  citoyens,  des  fauteurs  de  désordres,  bien  dignes  des 
attaques  dont  la  comédie  les  a  poursuivis.  Déjà,  dans  son  discours 
sur  la  Paix^  Isocrate  avait  rapproché  Cléophon  d'Hyperbolos, 
pour  les  opposer  l'un  et  l'autre  aux  Aristide,  aux  Thémistocle, 
aux  Miltiade,  à  tous  ces  grands  hommes  d'état  qui  avaient  fondé 
autrefois  la  puissance  d'Athènes.  Cléon  et  Hyperbôlos  sont  assez 
connus  ;  Cléophon  l'est  beaucoup  moins.  Il  n'a  laissé  dans  l'his- 
toire d'Athènes  qu'un  souvenir  assez  confus,  et  très-probablement 
il  ne  méritait  pas  d'arrêter  davantage  l'attention  de  la  postérité. 
Il  n'est  peut-être  pas  inutile  cependant  de  chercher  à  définir  avec 
plus  de  netteté  le  rôle  qu'a  joué  Cléophon  dans  les  événements 
auxquels  il  a  été  mêlé.  Le  personnage,  par  lui-même,  n'est  pas 
très-intéressant,  mais  cette  étude  ne  sera  pas  complètement  super- 
flue, si,  comme  je  le  crois,  eUe  nous  fournit  l'occasion  de  recueillir 
quelques  renseignements  sur  la  politique  athénienne  et,  en  parti- 
culier, sur  l'état  des  esprits  dans  les  derniers  temps  de  la  guerre 
du  Péloponnèse. 

I. 

Platon,  le  poète  comique,  avait  composé  une  pièce  intitulée 
Cléophon  ^  dans  laquelle  notre  démagogue  était  vivement  atta- 
qué. Gomme  Platon  avait  donné  pour  titre  à  une  autre  de  ses 

1.  Sur  Cléophon,  v.  Meineke,  Hisf.  crit.  Com.  p.  171-173;  Bergk,  De  l'eliqum 
Corn.  AU.  ant.  p.  385  sqq.  ;  Ruhnkenius,  Hist.  crit.  orat.  ijr.  v.  VIII,  p.  128 
des  Orat.  de  Reiske. 

2.  IV,  10. 

3.  Disc,  sur  la  Paix,  75. 

4.  Fr.  Com.  Gr.  (éd.  Didot),  p.  230-231. 

ReV.    HiSTOR.    y.    i«'"   FASC.  1 


2  R.    LALLIER. 

pièces  le  nom  même  d' Hyperboles  S  nous  pouvons  en  conclure 
que,  dans  l'opinion  des  anciens,  les  deux  orateurs  étaient  placés 
à  peu  près  sur  la  même  ligne,  puisque  nous  trouvons  une  fois  de 
plus  le  rapprochement  que  nous  avions  déjà  signalé  dans  les  pas- 
sages de  Cicéron  et  d'Isocrate.  Il  n'y  a,  d'ailleurs,  aucune  infor- 
mation précise  à  retirer  des  fragments  de  la  comédie  de  Platon, 
qui  sont  venus  jusqu'à  nous.  Le  premier  semble  être  dirigé  contre 
la  mère  de  Qéophon  : 

Telle  est,  du  moins,  l'opinion  de  Meinecke,  et  ce  qui  doit  nous 
porter  à  l'admettre,  c'est  qu'elle  est  autorisée  par  les  habitudes 
constantes  des  comiques  athéniens.  En  mettant  sur  la  scène  la 
mère  de  Cléophon,  Platon  agit  comme  Aristophane,  qui  n'est  pas 
plus  respectueux  avec  la  mère  d'Euripide^.  Dans  le  deuxième 
fragment  : 

ïv'  àxaXXaYiï>[jL£V  àvSpbç  àpizoïr^i.a'zà'zoïi^, 
et  dans  le  troisième  : 

àW  aùioq  àxapTi  ~.àXX6ipi  olxr,Gei  çépiov^, 

c'est  le  démagogue  lui-même  qui  est  pris  à  partie.  Mais  ces  accu- 
sations de  vénalité  sont  devenues  banales,  à  force  d'être  répétées 
par  les  comiques.  N'attachons  donc  pas  trop  d'importance  à  ces 
deux  vers,  surtout  quand  nous  avons  à  leur  opposer  une  phrase 
très-nette  de  Lysias,  qui  reconnaît  hautement  l'intégrité  de 
Cléophon^.  Un  passage  d'Andocide  (de  Myst.  146)  montre  Cléo- 
phon installé  en  maitre  dans  la  maison  de  l'orateur,  pendant 
que  celui-ci  était  en  exil,  sans  permettre  cependant  de  rien  pré- 
ciser sur  la  part  que  notre  démagogue  aurait  pu  prendre  à  l'af- 
faire de  la  mutilation  des  Hermès  et  aux  événements  qui  l'ont  suivie. 
Nous  trouvons  un  texte  beaucoup  plus  intéressant  dans  le  dis- 
cours d'Eschine  sur  les  Prévarications  de  l'ambassade'.  «  Nous 
«  devions  aussi  nous  garder  de  renouveler  ce  dernier  acte  de  folie 

1.  Frag.  comicorum  grxc,  p.  248-250. 

2.  Fr.  1.  «  Je  t'aurais  envoyée  habiter  avec  les  poissons  de  toute  espèce  (mot 
«  à  mot,  les  orphes,  les  poissons  cartilagineux  et  les  pagres)  et  tu  leur  aurais 
<i  servi  de  nourriture.   » 

3.  Les  fêtes  de  Cérès,  v.  387. 

4.  Fr.  2.  «  Pour  nous  débarrasser  du  plus  rapace  de  tous  les  hommes.  » 

5.  Fr.  3.  «  Bien  loin  de  là,  tu  t'en  iras  en  emportant  le  bien  d'autrui.  » 

6.  XIX,  48. 

7.  ITepl  TrapaTipEdésiai;,  76. 


CLEOPHON    D  ATHENES.  3 

«  que  nos  pères  ont  commis,  quand,  vaincus  dans  les  combats, 
«  alors  que  les  Lacédémoniens  leur  proposaient  la  paix  en  leur 
«  laissant,  outre  l'Attique,  Lemnos,  Imbros  et  Scyros,  et  en  leur 
«  permettant  de  conserver  leurs  lois  et  le  régime  démocratique, 
«  ils  n'ont  point  voulu  consentir  à  ces  conditions  et  ont  préféré 
«  continuer  une  lutte  désormais  impossible.  Gléophon,  le  fabri- 
«  cant  de  lyres,  que  beaucoup  d'Athéniens  se  souvenaient  d'avoir 
«  vu  les  fers  aux  pieds  et  qui  s'était  fait  inscrire  sur  la  liste  des 
«  citoyens  par  des  manœuvres  honteuses,  en  corrompant  le  peuple 
«  à  prix  d'argents  Cléophon  criait  bien  haut  que  de  son  épée  il 
«  trancherait  la  gorge  du  premier  qui  parlerait  de  la  paix.  » 
Pour  donner  plus  de  force  à  l'accusation  qu'il  porte  contre  le 
démagogue,  Eschine  continue  en  énumérant  les  conséquences 
funestes  entraînées  par  l'intervention  impétueuse  de  Cléophon 
dans  un  si  grave  débat  :  «  Qu'en  est-il  résulté  ?  Ils  ont  réduit  la 
«  ville  à  une  teUe  extrémité  qu'elle  s'est  estimée  heureuse  de  con- 
«  dure  la  paix  en  abandonnant  toutes  ses  possessions;  en  détrui- 
«  sant  ses  murailles,  en  recevant  une  garnison  et  un  harmoste 
«  lacédémoniens,  et  en  laissant  renverser  la  démocratie  par  les 
«  Trente  tyrans,  qui  ont  fait  périr,  sans  jugement,  quinze  cents 
«  citoyens.  » 

Le  même  fait  est  rapporté  par  le  scholiaste  d'Aristophane  2,  qui 
place  après  la  bataille  des  Arginuses  les  propositions  pacifiques 
faites  par  Lacédémone,  et  qui  ajoute  quelques  détails  au  récit 
d'Eschine.  D'après  lui,  Cléophon  se  serait  précipité  dans  l'assem- 
blée du  peuple,  «  ivre,  revêtu  d'une  cuirasse,  et  déclarant  qu'il 
«  ne  laisserait  pas  conclure  le  traité,  si  les  Spartiates  ne  rendaient 
«  pas  aux  Athéniens  toutes  les  villes  qu'ils  leur  avaient  enlevées.  » 
Nous  avons  encore  sur  ce  point  le  témoignage  de  Diodorede  Sicile. 

1.  De  même,  dans  les  Grenouilles  (v.  681),  l'expression  de  ©pTjxta  yjXtSwv, 
appliquée  à  Cléophon,  semble  lui  reprocher  son  origine  étrangère.  Sur  ce  point,  il 
est  difficile  de  se  prononcer.  On  sait  les  plaisanteries  d'Aristophane  sur  la  nais- 
sance de  Cléon;  c'est  encore  là,  comme  l'accusation  de  vénalité,  une  sorte  de  lieu 
commun  de  la  comédie  athénienne. 

2.  Grenouilles,  v.  1532.  On  verra  plus  loin  que  cette  assertion  du  scholiaste 
est  inexacte,  bien  qu'elle  s'appuie  sur  l'autorité  d'Aristote,  et  que  ces  faits  doivent 
être  placés,  comme  le  veut  Diodore,  après  la  bataille  de  Cyzique.  Il  est  possible 
que  le  scholiaste  n'ait  pas  compris  le  témoignage  d'Aristote.  L'affaire  de  Cyzique 
fut  bien  plus  considérable  que  celle  des  Arginuses,  mais  cette  dernière,  suivie  de 
si  près  par  le  procès  et  la  mort  des  généraux  victorieux,  marquée  par  cette 
grande  faute  de  la  démocratie  athénienne,  était  restée,  sans  aucun  doute,  beaucoup 
plus  célèbre.  Cette  circonstance  suffirait,  je  crois,  à  expliquer  la  confusion  qui 
a  été  commise  par  le  scholiaste  d'Aristophane. 


II.     i.AI.LIKK. 


Il  donne  le  nom  du  chef  de  l'ambassade  lacédéraonienne,  Endios, 
et  il  affirme  que  c'est  par  l'influence  néfaste  deCléophon,  alors 
tout  puissant,  \).i-^\.<sxoq  wv  tote  ori\myi,)'(hq,  qu'Athènes  a  été  rejetée 
dans  une  guerre  où  elle  devait  succombera  Seulement,  suivant 
Diodore,  ces  événements  auraient  eu  lieu,  non  pas  à  la  suite  de 
la  bataille  des  Arginuses,  mais  après  la  victoire  remportée  à 
Cyzique  par  Alcibiade  sur  la  flotte  péloponnésienne. 

La  date  donnée  par  Diodore  est  la  date  vraies  Un  fragment 
de  Philochore,  cité  par  le  scholiaste  d'Euripide,  décide  la  ques- 
tion :  «  Deux  ans  avant  la  représentation  de  la  tragédie  d'Oreste, 
«  Cléophon  empêcha  les  Athéniens  de  traiter  avec  les  Lacédémo- 
«  niens,  à  ce  que  rapporte  Philochore^.  »  La  tragédie  d'Oreste 
ayant  été  jouée  pour  la  première  fois  en  408,  nous  nous  trouvons 
ainsi  reportés  à  l'année  410,  où  fut  livrée  la  bataille  de  Cyzique. 
En  suivant  les  indications  du  scholiaste,  nous  pourrions  chercher 
un  portrait  de  Cléophon  dans  les  vers  902-906  de  la  pièce  d'Euri- 
pide :  «  Ensuite  se  lève  un  homme  à  la  langue  intempérante,  qui 
«  n'avait  d'autre  mérite  que  son  audace,  un  Argien  de  mauvais 
«  aloi,  entré  de  vive  force  dans  la  cité,  ayant  cette  confiance  que 
«  donne  l'ignorance  ^  dont  les  conseils  ne  pouvaient  qu'entraîner 
«  les  Argiens  dans  de  nouveaux  malheurs  ^  »  Les  mots  «  'ApYsTo; 
oùy.  'ApYetoç  »  seraient  une  allusion  à  l'origine  étrangère  de  Cléo- 
phon et  viendraient  à  l'appui  du  passage  d'Eschine,    que  nous 

1 .  Diodore  de  Sicile,  XIII,  52,  53. 

2.  Je  crois  avec  Grote  {Hist.  de  la  Grèce,  vol.  XII,  p.  3,  trad.  fr.)  que  le  scholiaste 
d'Aristophane  s'est  trompé  en  prenant  la  bataille  des  Arginuses  pour  celle  de 
Cyzique.  Il  n'est  guère  vraisemblable  que  les  Lacédémoniens  aient  fait,  à  deux 
reprises  ditférentes,  les  mêmes  propositions  pacifiques.  Si  l'on  s'explique  ([u'ils 
aient  pu  être  découragés  au  lendemain  de  leur  défaite  de  Cyzique,  on  ne  com- 
prendrait pas  qu'ils  eussent  été  si  profondément  troublés  par  l'aflaire  des  Argi- 
nuses, qui  fut  beaucoup  moins  décisive.  Tous  ces  points  sont  fort  bien  établis 
par  Grote.  En  revanche,  il  me  paraît  impossible  d'accepter  le  jugement  qu'il  porte 
sur  la  conduite  de  Cléophon.  Il  est  bien  près  de  croire  que  Périclès,  s'il  eût 
encore  vécu,  aurait  agi  comme  Cléophon  et  rejeté  les  propositions  de  Lacédémone 
(vol.  XI,  p.  203).  Ici,  comme  dans  beaucoup  d'autres  passages,  Grote  est  trop 
disposé  à  excuser  de  parti  pris  les  fautes  et  les  témérités  de  la  démocratie  athé- 
nienne. 

3.  Sch.  Eurip.  Or.  v.  771  :  «  'lato;  atvtTTETat  Tipô?  Tàç  xaô'  aÛTÔv  Sr,[xaYWYÎaç, 
{j.y|7:oTH  2è  £1;  K),£o?wvTa  •  t.ço  ètwv  yàp  ôvo  t^î  SiSaaxaXia;  toû  'OpÉffTOu  ouxoç 
[je  suis  la  leçon  de  M.  Weil,  au  lieu  de  la  leçon  vulgaire  aùxô;,  qui  est  évidem- 
ment fautive]  iaxw  à  xcoWaa;  (nrovSà;  yEvsaOai  'Aôrivaioiç  upôç  AaxeÔaifAoviouç,  wç 
4>i),6xopo;  t<7TopeT.  »  Cf.  Sch.  Eurip.  Or.  v.  372. 

4.  Cf.  Thucydide,  II,  40  «  à(xa9ia  [j.èv  âpàco;,  loyia[Loz  ôè  ôxvov  tpépet.  » 

5.  Il  me  parait  diflicile  d'accepter  l'interprétation  de  M.  Weil,  qui  donne  à 
a  TtiQavéç  »  le  sens  passif. 


CLEOPHON    D  ATHENES. 


avons  cité  plus  haut.  Quant  aux  autres  détails  de  ce  portrait,  on 
les  appliquerait  volontiers  à  Cléophon.  C'est  bien  ainsi  qu'on  se 
représente  son  éloquence  tout  extérieure,  «  parlant  au  corps,  » 
pour  employer  une  expression  bien  connue,  cette  parole  retentis- 
sante, cette  assurance  présomptueuse,  cette  effronterie  qui  tranche 
sans  embarras  les  questions  les  plus  graves,  et  décide  de  tout  sans 
avoir  rien  étudié. 

Quelle  que  soit  la  valeur  de  cette  conjecture,  il  est  certain  que 
nous  pouvons  ajouter  foi  au  témoignage  de  Diodore,  fortifié  par 
celui  de  Philochore,  et  je  ne  crois  pas  que  le  silence  de  Xénophon 
en  affaiblisse  l'autorité.  Si  l'on  veut  cependant  s'expliquer  com- 
ment l'auteur  des  Helléniques  n'a  rien  dit  de  cette  négociation, 
on  admettra  l'opinion  de  GroteS  qui  pense  qu'Endios  a  bien  été 
envoyé  auprès  des  Athéniens,  mais  sans  caractère  officiel,  pour 
connaître  leurs  intentions  plutôt  que  pour  leur  proposer  dans  les 
formes  un  traité  de  paix.  Il  reste  toujours  acquis  qu'Endios  est 
venu  à  Athènes,  à  un  titre  quelconque,  pour  tâcher  de  mettre  un 
terme  aux  hostilités,  et  que  ses  efforts  ont  échoué  par  suite  de 
l'influence  de  Cléophon.  Il  y  a  eu  un  moment,  après  la  bataille 
de  Cyzique,  où  Athènes  pouvait  obtenir  une  convention  très- 
honorable  ;  si  la  guerre  a  été  poussée  jusqu'aux  plus  terribles 
extrémités,  si  eUe  ne  s'est  terminée  que  par  le  désastre  d'^gos- 
Potamos  et  la  prise  de  la  ville,  la  faute  en  retombe  tout  entière 
sur  Cléophon  et  sur  les  citoyens  qui  lui  avaient  laissé  prendre 
parmi  eux  un  ascendant  si  considérable  et  si  peu  justifié. 

Il  serait  assez  inutile  de  revenir  sur  ces  événements,  si  la  per- 
sonne seule  de  Cléophon  était  en  jeu  ;  mais  dans  cette  circons- 
tance il  n'a  fait  que  représenter,  en  l'exagérant,  la  politique  de 
la  démocratie  athénienne.  Expliquer  les  motifs  qui  ont  dicté  sa 
résolution  et  les  passions  qui  l'ont  entraîné,  c'est  se  rendre  compte 
des  causes  qui  ont  amené  l'issue  funeste  de  la  guerre  du  Péloponnèse. 
L'aristocratie  athénienne,  si  eUe  était  restée  à  la  tête  des 
affaires,  n'aurait  jamais  engagé  la  lutte  avec  Lacédémone.  Elle 
pensait,  comme  Cimon,  que  l'intérêt  général  de  la  Grèce  et  l'inté- 
rêt bien  entendu  d'Athènes  exigeaient  que  la  puissance  fût  parta- 
gée entre  les  deux  peuples  rivaux.  Pour  employer  les  expressions 
mêmes  dont  se  servait  Cimon,  «  il  ne  fallait  pas  que  la  Grèce  devînt 
«  boiteuse,  et  que  la  ville  fût  privée  de  sa  compagne  d'attelage  ^  » 

1.  Hht.  de  la  Grèce,  vol.  XI,  p.  200.  —  2.  Plutarque,   Vie  de  Cimon,  C.  16. 


n.    LALLIEU. 


La  politique  de  l'aristocratie  était  une  politique  d'équilibre, 
aussi  resjiectueuse,  pour  le  moins,  des  droits  de  Lacédèmone  que 
jalouse  de  maintenir  ceux  d'Athènes,  tenant  les  deux  cités  en 
échec  l'une  par  l'autre,  et  leur  assurant,  par  leur  union,  la  pré- 
pondérance dans  toute  la  Grèce. 

La  politique  démocratique,  au  contraire,  repose  sur  cette  idée 
que  la  prééminence  appartient  à  Athènes,  qu'elle  est  la  récom- 
pense légitime  des  exploits  accomplis  pendant  les  guerres  mé- 
diques  et  des  services  rendus  à  l'indépendance  nationale.  Elle 
répudie  la  sagesse  un  peu  timide  des  conseils  aristocratiques  pour 
s'élever  à  cette  conception  plus  généreuse  et  plus  noble  :  à  Mara- 
thon, à  Salamine  et  à  Platées,  les  Athéniens  ont  conquis  le  droit 
de  commander  à  toute  la  Grèce  ;  ce  droit  leur  est  indispensable 
pour  soutenir  le  rôle  qu'ils  se  sont  attribué  de  défenseurs  des 
Grecs,  et  jamais,  en  aucune  circonstance,  ils  ne  doivent  y  renon- 
cer. Cette  conviction  qu'Athènes  est  supérieure  aux  autres  villes, 
qu'elle  est  comme  établie  dans  un  poste  d'honneur  qu'elle  ne  peut 
pas  déserter,  c'est  elle,  pour  ne  citer  que  les  deux  exemples  prin- 
cipaux, qui  inspire  la  conduite  de  Périclès  et  celle  de  Démos- 
thène.  Chez  Périclès,  elle  s'appuie  sur  la  connaissance  approfondie 
des  ressources  de  la  république  ;  chez  Démosthène,  elle  n'a  pas 
moins  de  grandeur.  C'est  au  nom  d'un  passé  glorieux  que  l'ora- 
teur presse  ses  concitoyens  de  faire  leur  devoir  en  face  de  Philippe, 
et,  quand  ses  espérances  ont  été  trahies,  c'est  encore  au  nom  de 
ce  passé  qu'il  proteste  contre  les  caprices  injustes  de  la  fortune. 

Tempérée  par  la  ferme  raison  d'un  Périclès,  cette  politique 
inspirait  aux  Athéniens  une  confiance  magnanime  dans  les  des- 
tinées de  leur  patrie  ;  dès  qu'elle  tombait  aux  mains  d'un  Cléon 
ou  d'un  Cléophon,  elle  n'était  bonne  qu'à  engendrer  la  présomp- 
tion et  la  témérité.  Platon,  dans  le  Ménéxène,  se  moque  avec 
beaucoup  d'esprit  des  flatteries  que  les  orateurs  prodiguaient  au 
peuple,  quand  ils  faisaient  l'éloge  des  soldats  tombés  sur  le  champ 
de  bataille.  C'était  comme  un  enchantement  qui  transportait  les 
esprits  hors  d'eux-mêmes  ;  pendant  plusieurs  jours,  on  était 
presque  incapable  de  reprendre  pied  sur  la  terre,  on  pensait 
avoir  été  emporté  dans  les  Champs-Elysées,  dans  une  région 
supérieure,  d'où  l'on  regardait  avec  mépris  les  autres  hommes. 
J'imagine  que  Cléophon  était  dupe  d'une  illusion  de  ce  genre, 
quand  il  s'opposait  aussi  hautement  à  ce  que  le  peuple  écoutât  les 
conseils  de  la  prudence.   A  force  de  vanter  à  ses  auditeurs  la 


CLEOPHON   D  ATHENES. 


puissance  de  leur  cité,  à  force  de  leur  répéter  qu'ils  étaient  nés 
pour  vaincre  et  pour  dominer  partout  et  toujours,  il  se  le  persua- 
dait à  lui-même.  Il  lui  arrivait  ce  qui  était  arrivé  à  Cléon,  lors 
de  l'affaire  de  Pylos^  Tout  n'était  pas  affecté  dans  les  paroles  de 
Cléon,  lorsqu'il  s'écriait  qu'il  ne  craignait  point  les  Lacédémo- 
niens.  S'il  ne  pensait  pas  tout  ce  qu'il  disait,  il  se  faisait  une 
opinion  assez  exagérée  et  de  sa  propre  valeur  et  des  ressources 
d'Athènes  pour  en  penser  au  moins  une  partie.  La  seule  différence, 
c'est  que  ces  bravades  étaient  moins  dangereuses  à  une  époque 
où  les  forces  de  la  ville  n'étaient  pas  encore  entamées,  tandis  que, 
au  lendemain  de  la  bataille  de  Cyzique,  quand  le  désastre  de 
Sicile  avait  porté  aux  Athéniens  un  coup  si  terrible,  elles  devaient 
avoir  les  conséquences  les  plus  graves.  Cléophon  n'a  pas  été  plus 
téméraire  que  Cléon,  mais  il  a  été  plus  coupable,  parce  qu'il  a 
été  téméraire  dans  un  moment  où  la  situation  de  sa  patrie  ne 
comportait  pas  ces  audaces. 

Les  événements  prouvèrent  bientôt  aux  Athéniens  qu'ils  avaient 
eu  tort  d'écouter  les  avis  de  Cléophon.  La  fortune,  qui  avait  paru 
un  instant  leur  revenir,  les  abandonna.  La  bataille  desArginuses 
retarda  le  triomphe  des  Péloponnésiens,  mais  elle  n'était  pas  de 
nature  à  le  remettre  en  question.  Avec  un  chef  tel  que  Lysandre, 
avec  un  allié  tel  que  le  jeune  Cyrus,  qui  s'était  engagé  résolu- 
ment dans  leur  parti,  il  était  impossible  que  la  victoire  ne  restât 
pas  aux  Lacédémoniens.  La  flotte  athénienne  fut  anéantie  à 
^gos-Potamos,  et  la  ville  elle-même  ne  tarda  pas  à  être  assié- 
gée. Dans  cette  circonstance,  Cléophon,  dont  rien  ne  pouvait 
corriger  la  présomption,  reprit  le  rôle  qu'il  avait  joué  quelques 
années  auparavant.  «  C'était,  dit  Lysias,  à  l'époque  où  se 
«  tenait  la  première  assemblée  au  sujet  de  la  paix  ;  ceux  qui 
«  arrivaient  du  camp  lacédémonien  venaient  de  dire  à  quelles 
«  conditions  nos  ennemis  consentaient  à  traiter  ;  il  fallait  détruire 
«  les  Longs-Murs  sur  une  longueur  de  dix  stades  de  chaque  côté. 
«  Alors,  Athéniens,  vous  n'avez  pu  supporter  d'entendre  parler 
«  de  la  destruction  des  remparts,  et  Cléophon,  prenant  la  parole 
«  pour  vous  tous,  déclara  qu'il  était  impossible  de  consentir  en 
«  aucune  façon  à  cette  exigence  2.  » 

On  serait  peut-être  tenté  de  croire  que  Cléophon  représentait 


1.  Thucydide,  IV,  passim  et  particulièrement  c.  28. 

2.  XIII,  8. 


[\.    LALLIEH. 


alors  le  parti  de  l'honneur  et  de  la  fierté  nationale,  en  face  de 
Théraniène  oX  des  autres  partisans  de  l'oligarchie,  qui  voulaient 
livrer  la  ville  aux  ennemis  et  renverser  avec  leur  concours  le 
gouvernement  démocratique.  Si  l'on  examine  l'ensemhle  du  dis- 
cours contre  Agoratos,  je  ne  crois  pas  que  le  texte  se  prête  à 
cette  interprétation.  Lysias,  en  effet,  semble  établir  une  distinc- 
tion entre  Cléophon  et  les  chefs  raisonnables  de  la  démocratie.  Si 
je  comprends  bien  la  suite  de  sa  narration,  il  y  aurait  eu  trois 
partis  en  présence  dans  la  ville  assiégée  :  d'un  côté,  les  aristo- 
crates, avec  Théramène  à  leur  tête,  qui,  jugeant  le  moment  con- 
venable pour  instituer  le  régime  de  leur  choix,  se  faisaient  les 
complices  et  les  agents  de  Lysandre*;  d'un  autre,  Strombichidès, 
Dionysodore  et  les  amis  modérés  du  gouvernement  démocratique, 
qui  comprenaient  les  nécessités  de  la  situation,  qui  ne  se  révol- 
taient pas  contre  elles,  mais  qui,  tout  en  se  résignant  à  la  paix, 
auraient  voulu  obtenir  les  conditions  les  moins  défavorables ^  ; 
enfin  Cléophon,  qui  entraînait  à  sa  suite  les  esprits  exagérés, 
incapables,  comme  lui,  de  se  plier  aux  circonstances  et  de  pren- 
dre les  résolutions  qu'imposait  la  détresse  de  la  ville.  Il  était 
encore,  après  vEgos-Potamos,  ce  qu'il  avait  été  après  la  bataille 
de  Cyzique.  On  connaît  le  mot  de  Tite-Live^  :  «  stultorum  even- 
«  tus  magister  est;  »  il  me  paraît  condamner  durement,  mais  en 
toute  justice,  l'aveuglement  du  démagogue,  qui  n'a  même  pas  su 
avoir  cette  sagesse  que  les  leçons  de  l'expérience  donnent  aux 
moins  clairvoyants. 

Ce  qui  est  plus  grave,  c'est  que,  dans  ce  moment  suprême, 
Cléophon  semble  avoir  conservé  une  influence  prépondérante 
dans  les  assemblées  athéniennes.  Xénophon,  complétant  le  récit 
de  Lysias,  nous  dit  qu'on  mit  en  prison  un  sénateur,  Archestra- 
tos,  qui  avait  conseillé  d'accepter  les  exigences  des  Lacédémo- 
niens  ;  on  rendit  même  un  décret  qui  interdisait  de  faire  à  l'avenir 
aucune  motion  de  ce  genre ^.  Ainsi,  il  se  trouvait  encore  une 
majorité  pour  s'associer  aux  témérités  de  Cléophon.  C'est  qu'il 
était  pénible  aux  Athéniens  de  s'avouer  à  eux-mêmes  l'impuis- 
sance à  laquelle  ils  étaient  réduits.  Un  peuple,  habitué  à  vaincre 
et  à  commander,  n'accepte  pas  facilement  son  abaissement.  Les 

1.  XIII,  6,  9  sqq. 

2.  Ibid.  13-16. 

3.  XXII,  39. 

4.  Hellén.  II,  2,  15. 


CLEOPHON    DATHEJfES. 


orateurs  avaient  flatté  trop  longtemps  la  foule,  ils  lui  avaient 
trop  souvent  répété  qu'elle  devait  mépriser  tous  ses  ennemis  ;  elle 
ne  pouvait  renoncer  en  un  instant  à  cette  haute  opinion  qu'elle 
avait  d'elle-même.  De  plus,  la  confusion  était  portée  à  son  comble 
par  le  décret  de  Patroclide,  qui  effaçait  les  condamnations  anté- 
rieures et  rétablissait  dans  leurs  droits  politiques  les  citoyens  qui 
en  avaient  été  privés  ^  Il  avait  été  dicté  par  un  sentiment  géné- 
reux ;  on  voulait  faire  disparaître  les  traces  des  anciennes  dis- 
cordes et  intéresser  tout  le  monde  à  la  défense  de  la  ville.  Mais 
n'était-il  pas  dangereux  de  ramener  dans  les  assemblées  des 
hommes  qui  n'y  entraient  plus  depuis  longtemps?  Ne  risquait-on 
pas  de  rendre  les  délibérations  plus  difficiles  et  plus  tumultueuses? 
Sans  condamner  entièrement  une  mesure  qui  peut  avoir  eu  quel- 
ques bons  effets,  il  est  permis  de  penser  qu'elle  est  encore  venue 
accroître  le  désordre.  Ce  sont  d'ordinaire  les  assemblées  les  plus 
nombreuses  qui  se  portent  le  plus  volontiers  aux  partis  extrêmes  ; 
en  grossissant  le  nombre  des  citoyens  actifs,  le  décret  de  Patro- 
clide aidait  au  triomphe  de  la  politique  d'aventures,  soutenue  par 
Cléophon. 

Du  reste,  à  quelque  résolution  que  les  Athéniens  se  fussent 
arrêtés,  il  était  impossible  de  conjurer  la  ruine  de  la  ville.  Les 
bravades  de  Cléophon,  dans  cette  circonstance,  étaient  plus  insen- 
sées qu'au  lendemain  de  la  victoire  de  Cyzique;  elles  sont  un 
triste  et  curieux  témoignage  de  cette  présomption  irréfléchie  qui 
enivrait  encore  une  partie  des  Athéniens  au  milieu  même  de  leur 
défaite;  en  réalité,  elles  n'ont  eu  et  ne  pouvaient  avoir  aucune 
influence  sur  la  suite  des  événements.  C'est  à  ^gos-Potamos  que 
la  puissance  d'Athènes  avait  été  brisée;  tout  ce  qui  est  arrivé  plus 
tard,  la  prise  de  la  ville,  la  destruction  des  murs,  l'établissement 
des  Trente  tyrans,  n'a  été  qu'une  conséquence  inévitable  du 
désastre  de  la  flotte.  Aussi,  les  partisans  de  l'oligarchie  auraient 
pu  laisser  vivre  Cléophon  et  ne  point  se  souiller  d'une  cruauté 
inutile.  Soutenus  par  Ly sandre  et  toutes  les  forces  des  Pélopon- 
nésiens,  ils  étaient  assurés  de  réussir.  Ils  paraissent,  cependant, 
avoir  redouté  l'ascendant  que  Cléophon  exerçait  sur  le  peuple  ; 
ou  plutôt,  ils  ont  voulu,  en  frappant  un  grand  coup,  effrayer  les 
défenseurs  de  la  démocratie.  Pendant  que  Théramène,  envoyé 
auprès  des  Lacédémoniens,  faisait  traîner  les  négociations  en 

1.  Sur  ce  décret,  v.  Andoc.  de  Mysteriis,  76-80.  Cf.  Xén.  ffell.  II,  2,  11. 


40  K.    LALLIER. 

longueur,  ceux  de  ses  amis  qui  étaient  restés  dans  la  ville  inten- 
tent un  procès  à  Cléophon.  On  l'accusait  de  n'avoir  pas  rempli 
ses  devoirs  de  soldat,  —  si  elle  était  fondée,  l'accusation  était 
assez  piquante,  dirigée  contre  l'homme  qui  avait  toujours  inter- 
dit k  ses  concitoyens  de  poser  les  armes;  —  le  motif  véritable, 
c'est  qu'il  s'était  opposé  à  la  destruction  des  murailles.  Traduit 
en  jugement,  il  fut  condamné  à  mort*. 

Afin  d'atteindre  plus  sûrement  son  ennemi,  la  faction  aristo- 
cratique viola  dans  ce  procès  toutes  les  règles  de  la  justice  athé- 
nienne. Elle  préludait  ainsi  aux  illégalités  sans  nombre  que  les 
Trente  tyrans  devaient  commettre.  Jugé  par  un  jury  populaire, 
Cléophon  aurait  peut-être  été  acquitté,  et  ses  ennemis  étaient 
décidés  à  ne  pas  subir  cet  échec.  Il  fallait  donc  composer  un  tri- 
bunal dont  la  sentence  ne  fût  pas  douteuse  ;  c'est  ce  qu'ils  firent 
avec  l'aide  du  sénat,  dont  ils  s'étaient  ménagé  la  complicité^  et 
d'un  certain  Nicomaque.  Ce  Nicomaque  était  un  scribe,  qui  se 
trouvait  alors  avoir  des  fonctions  importantes.  Après  la  chute  des 
Quatre-Cents,  on  avait  confié  à  des  nomothètes  le  soin  de  réviser 
et  de  coordonner  les  anciennes  lois^  et  il  paraît  établi  que  ce  fut 
Nicomaque  qui  dirigea  ce  travail  ^  Il  y  était  encore  occupé  à 
l'époque  du  siège  de  la  ville,  et  tenait  ainsi  entre  ses  mains  une 
part  considérable  de  la  puissance  publique.  Presque  sans  titre 
officiel,  dans  une  situation  modeste  en  apparence,  il  pouvait  à  son 
gré  produire  telle  ou  telle  loi.  Il  n'était  pas  irresponsable;  une 
fois  son  œuvre  terminée,  il  devait  la  soumettre  à  la  sanction  du 


1.  Lysias,  XIII,  12.  —  Xéiiophon  raconte  différemment  la  mort  de  Cléophon 
[HeUén.  I,  7,  35).  Il  le  fait  mourir  dans  une  sédition,  dont  il  nïndique  pas  la  date 
et  à  la  faveur  de  laquelle  Callixène  aurait  pris  la  fuite  avecc[uatre  autres  citoyens, 
qui  auraient  contribué,  de  concert  avec  lui,  à  faire  périr  les  généraux  vainqueurs 
aux  Arginuses,  et  qui,  comme  lui,  auraient  été  jetés  en  prison  par  le  peuple, 
bientôt  revenu  de  son  erreur.  Il  est  certain  que  Cléophon  vivait  encore  à  l'époque 
du  siège  d'Athènes  par  Lysandre;  or,  l'affaire  des  Arginuses  est  de  407  et  Grote 
(vol.  XII,  p.  23)  fait  remarquer  très-justement  qu'il  n'est  guère  vraisemblable  ni 
conforme  aux  habitudes  athéniennes  c[ue  Callixène  ait  été  retenu  si  longtemps  en 
prison  sans  être  jugé.  D'ailleurs,  cette  indication  vague  de  Xénophon  n'est  pas  de 
nature  à  infirmer  le  témoignage  très-net  et  très-détaillé  de  Lysias. 

2.  V.  Lysias,  XIII,  23,  un  autre  exemple  de  cet  empressement  du  sénat  à  servir 
les  desseins  du  parti  aristocratique. 

3.  V.  Thucydide  VIII,  97  et  les  notes  de  l'édition  Poppo. 

4.  Lysias,  XXX.  Nicomaque  fut  encore  investi  des  mêmes  fonctions,  à  la  suite 
du  décret  de  Tisamène,  qui  ordonna  une  seconde  révision  des  lois,  qiiand  la  ville 
eut  été  délivrée  des  Trente  tyrans  (Andoc.  de  Mysteriis,  83-84). 


CLÉOPHON   DATHÈNES.  i\ 

peuple,  et  chacun,  à  ce  moment,  était  autorisé  à  lui  demander 
compte  de  ses  actes.  En  attendant,  il  possédait  une  arme  qui  de- 
venait dangereuse,  s'il  voulait  en  abuser  et  la  mettre  au  service 
d'un  parti.  Ce  fut  lui  qui  prépara  la  condamnation  de  Cléophon, 
en  fournissant  le  moyen  d'adjoindre  les  sénateurs  au  tribunal 
appelé  à  le  juger.  Le  récit  de  Lysias  expose  clairement  toutes  ces 
intrigues  :  «  Après  la  défaite  de  notre  flotte,  au  moment  où  les 
«  aristocrates  se  préparaient  à  changer  la  forme  du  gouverne- 
«  ment,  Cléophon  s'élevait  contre  le  sénat,  lui  reprochant  de 
«  conspirer  et  de  tramer  des  desseins  funestes  à  la  république. 
«  Satyros  de  Céphise,  qui  était  au  nombre  des  sénateurs,  per- 
«  suada  à  ses  collègues  de  l'emprisonner  et  de  le  faire  passer  en 
«justice.  Ceux  qui  voulaient  le  perdre,  craignant  de  ne  pas 
«  obtenir  du  tribunal  une  sentence  de  mort,  engagent  Nicomaque 
«  à  produire  une  loi  en  vertu  de  laquelle  les  sénateurs  devaient 
«  siéger  avec  les  juges  ordinaires.  Voyez  la  perfidie  incroyable 
«  de  cet  homme  !  il  se  fit  si  bien  leur  complice  que,  le  jour  même 
«  du  jugement,  il  produisit  la  loi  qu'on  lui  demandait*.  »  Dès 
lors,  l'issue  du  procès  était  certaine.  Cléophon,  en  comparaissant 
devant  ses  juges,  pouvait  apercevoir  au  milieu  d'eux  ses  accu- 
sateurs, Satyros  et  Chrémon^,  et  leur  présence  seule  lui  annon- 
çait assez  hautement  que  sa  condamnation  était  inévitable. 

C'est  encore  à  Lysias  que  nous  demanderons  de  nous  indiquer 
le  jugement  qu'il  convient  de  porter  sur  l'ensemble  de  la  vie  poli- 
tique de  Cléophon.  Je  n'ai  pas  seulement  en  vue  le  passage  du 
discours  sur  les  biens  d'Aristophane,  où  Lysias  parle  du  désinté- 
ressement de  Cléophon,  qui  serait  mort  pauvre,  après  avoir  dirigé 
longtemps  les  affaires  publiques 3.  Ce  texte  est,  je  crois,  une 
réponse  victorieuse  à  l'accusation  de  vénalité,  que  nous  avons 
relevée  dans  un  fragment  de  la  comédie  de  Platon.  Bien  que  le 
témoignage  des  orateurs  athéniens  soit  souvent  suspect,  je  ne  vois 


1.  Lysias,  XXX,  10-11. 

2.  11  faut,  en  effet,  comme  l'indique  Westermann  dans  la  préface  de  son  édi- 
tion de  Lysias  (p.  xxxj) ,  rétablir  le  nom  de  Chrémon  dans  le  texte  de  Lysias 
(ibid.  12),  au  lieu  de  celui  de  Cléophon,  qui  ne  peut  être  qu'une  erreur  de  copiste. 
Chrémon  est  nommé  plus  loin  à  côté  de  Satyros  (14);  il  figure  également  dans  la 
liste  des  Trente  tyrans,  que  donne  Xénophon  (Hell.  II,  3,  2). —  Pour  apprécier  la 
gravité  de  l'acte  que  Lysias  impute  à  Nicomaque  et  par  lequel  celui-ci  confondait 
entre  les  mains  des  sénateurs  le  pouvoir  politique  et  le  pouvoir  judiciaire,  v.  l'ou- 
vrage de  M.  G.  Perrot,  Essai  sur  le  droit  public  d'Athènes,  p.  327. 

3.  Lysias,  XIX,  48. 


K.    LALLIEK. 


pas  ici  de  raisons  suffisantes  pour  contredire  l'assertion  de  Lysias. 
On  se  tigure  volontiers  Cléophon  comme  un  esprit  exalté,  inca- 
pable de  garder  aucune  mesure,  partageant  lui-même  les  passions 
qu'il  excitait  chez  les  autres,  égaré  tout  le  premier  et  de  bonne 
foi  par  ces  déclamations  violentes  avec  lesquelles  il  flattait  le 
jieuple  ;  on  n'aperçoit  guère  dans  sa  conduite  la  trace  de  calculs 
personnels.  Il  a  été  un  mauvais  citoyen,  funeste  à  sa  patrie,  qu'il 
prétendait  servir;  je  ne  pense  pas  qu'il  ait  été  un  malhonnête 
homme. 

J'attacherais  beaucoup  plus  d'importance  aux  paroles  dont 
Lysias,  dans  le  discours  contre  Nicomaque,  fait  suivre  le  récit 
qui  a  été  traduit  plus  liaut.  L'orateur  appartient,  comme  Cléo- 
phon, au  parti  démocratique,  pour  lequel  il  a  souffert  et  qu'il  a 
soutenu  de  toutes  ses  forces  à  la  suite  de  Thrasybule  et  d' Anytos  ; 
il  a  tout  intérêt,  afin  d'obtenir  la  condamnation  de  Nicomaque,  k 
exalter  celui  qui  a  été  victime  de  ses  intrigues,  et  l'on  sait  que, 
en  pareille  circonstance,  les  avocats  d'Athènes  ne  se  croyaient 
pas  obligés  de  respecter  scrupuleusement  la  vérité.  Que  lisons- 
nous  cependant?  Malgré  ses  opinions  personnelles,  malgré  les 
exigences  du  procès,  qui  sembleraient  devoir  lui  dicter  un  éloge 
sans  restrictions,  Lysias  ne  parle  de  Cléophon  qu'avec  une  gêne 
visible.  «  Cléophon  n'est  pas  sans  reproches  ;  mais  il  est  évident 
«  que,  de  tous  les  citoyens,  c'était  celui  dont  les  ennemis  du 
«  peuple  tenaient  le  plus  à  se  débarrasser  ;  il  est  évident  qu'en 
«  l'accusant,  Satyros  et  Chrémon,  qui  ont  été  plus  tard  au  nom- 
«  bre  des  Trente,  étaient  poussés,  non  par  le  soin  de  vos  inté- 
«  rets,  mais  par  le  désir  de  vous  nuire  à  vous-mêmes  après  l'avoir 

«  fait  périr Juges,  s'il  en  est  parmi  vous  qui  pensent  que 

«  Cléophon  était  un  mauvais  citoyen ,  qu'ils  considèrent  que 
«  peut-être,  au  nombre  des  victimes  de  la  tyrannie,  il  se  trouvait 
«  plus  d'un  homme  qui  n'était  pas  complètement  innocent  ;  cepen- 
«  dant,  vous  avez  reproché  aux  Trente  toutes  ces  exécutions, 
«  parce  qu'ils  les  ont  tués,  non  pour  les  punir  de  leurs  fautes, 
«  mais  à  la  faveur  des  troubles  publics*.  »  Assurément,  ce  n'est 
pas  ainsi  qu'on  déplore  la  mort  violente  d'un  homme  qu'on  estime 
et  qu'on  respecte.  Au  lieu  du  panégyrique  qu'on  attendait,  Lysias 
a  l'air  de  plaider  pour  Cléophon  les  circonstances  atténuantes. 
Grote  n'a  pas  tenu  assez  de  compte  de  ces  réserves,  quand  il  s'est 

1.  Lysias,  XXX,  12-13. 


CLÉOPHON    d'aTHÈXES.  ^3 

étudié  à  présenter  sous  un  jour  favorable  toutes  les  actions  de 
Gléophon.  Il  n'est  pas  difficile  de  deviner  que,  dans  cette  démo- 
cratie plus  sage  rétablie  par  Tlirasybule,  le  souvenir  du  turbulent 
démagogue  était  considéré  comme  importun.  On  ne  renonçait  pas 
à  invoquer  son  nom,  du  moment  qu'il  s'agissait  de  poursuivre  un 
des  survivants  détestés  de  la  faction  aristocratique,  —  toutes  les 
armes  sont  bonnes  contre  un  ennemi;  —  mais  alors  même  on 
prenait  mille  précautions,  on  avait  soin  de  marquer  les  points  sur 
lesquels  on  se  séparait  de  lui.  On  le  traitait  comme  un  allié  com- 
promettant, qu'on  n'ose  pas  et  qu'on  ne  peut  pas  complètement 
répudier,  mais  dans  la  compagnie  duquel  on  ne  veut  point  trop 
se  commettre.  C'est  là,  il  me  semble,  ce  qui  condamne  avec  le 
plus  de  force  la  politique  de  Gléophon.  Il  n'a  pas  trouvé  grâce, 
même  devant  les  hommes  de  son  parti,  et  les  réserves  que  marque 
Lysias,  pèsent  bien  plus  lourdement  sur  sa  mémoire  que  les  sar- 
casmes du  poète  Platon  ou  les  accusations  de  Satyros. 

Pour  achever  d'énumérer  les  témoignages  qui  nous  sont  par- 
venus sur  la  vie  publique  de  Gléophon,  il  resterait  à  citer  un 
passage  d'Aristote  :  «  Gléophon  se  servit  des  élégies  de  Solon  pour 
«  prouver  que,  de  tout  temps,  la  maison  de  Gritias  était  l'asile 
«  de  la  débauche  ;  autrement ,  jamais  Solon  n'aurait  écrit  ce 
«  vers. 

Dis  au  blond  Gritias  qu'il  doit  obéir  à  son  père*. 

Si  ce  propos  a  été  tenu  dans  une  discussion  politique,  il  est 
vraisemblable  que  c'est  à  l'époque  où  Gritias  a  été  condamné  à 
l'exil  2.  G'est  la  seule  circonstance  dans  laquelle  ces  deux  hommes 
aient  pu  se  heurter.  Jusqu'à  ce  moment,  Gritias  semble  ne  s'être 
mêlé  aux  affaires  que  pour  proposer  le  rappel  d'Alcibiade  ^,  et 
cette  initiative  n'était  pas  de  nature  à  déplaire  au  parti  démocra- 
tique. Exilé  peu  de  temps  après,  il  ne  rentra  pas  dans  sa  patrie 
avant  la  mort  de  Gléophon.  Je  n'oserais  pas  d'ailleurs  insister  sur 
cette  conjecture  ;  il  est  possible,  et  même  cette  dernière  supposi- 
tion est  la  plus  probable,  que  les  paroles  citées  par  Aristote  aient 
été  prononcées,  non  dans  un  débat  public,  mais  dans  une  con- 

1.  Rhét.  I,  15. 

2.  La  date  précise  de  cet  exil  ne  nous  est  pas  connue;  il  est  probable  qu'il  a  été 
prononcé  en  même  temps  ou  à  peu  près  en  même  temps  que  le  second  exil  d'Al- 
cibiade. Un  seul  fait  est  certain,  c'est  que  Gritias  n'était  pas  à  Athènes  au 
moment  de  l'affaire  des  Arginuses  (Xén.  Hell.  II,  3,  36). 

3.  Phitarque.  Vie  d'Alcibiade,  33:  Gritias,  fr.  4  (éd.  Bergk). 


44  R      LALLIER. 

versation  particulière.  Dès  lors,  il  serait  inutile  de  chercher  à 
fixer  une  date.  On  peut  les  tenir  poui"  authentiques,  puisqu'elles 
sont  conformes  au  caractère  du  personnage,  mais  elles  ne  nous 
apprennent  rien  de  nouveau  sur  son  compte;  on  n'avait  pas 
besoin  de  ce  témoignage  pour  savoir  que  Cléophon  était  l'ennemi 
de  l'aristocratie. 

IL 

Il  y  a  cependant  un  côté  par  lequel  il  se  rapproche  de  Critias. 
Comme  lui,  il  a  composé  des  tragédies  et  cherché  des  succès  litté- 
raires. Je  n'hésite  pas,  en  effet,  à  suivre  l'opinion  de  Welcker 
(  Trag.  Gr.  p.  1011),  qui  veut  que  Cléophon  le  démagogue  soit  le 
même  que  le  poète  tragique  du  même  nom,  dont  parlent  Aristote 
et  Suidas  ^  Ce  n'est  pas  que  toutes  les  preuves  données  par 
Welcker  soient  également  fortes.  Ainsi,  d'après  lui,  s'il  fallait 
établir  une  distinction  entre  l'orateur  et  le  poète  tragique,  Aristote 
aurait  pris  soin  de  la  marquer  lui-même,  comme  il  a  fait  pour 
Antiphon  {Rhét.,  Il,  6),  qu'il  appelle 6  TrotYîXYiç,  pour  qu'il  n'y  ait 
pas  moyen  de  le  confondre  avec  le  fils  de  Sophilos.  Mais  Aristote 
n'est  pas  toujours  aussi  exact  à  avertir  ses  lecteurs.  Dans  ce 
même  ouvrage  de  la  Rhétorique,  il  mentionne  par  deux  fois- 
Sophocle,  qui  fut  un  des  npc6ou>.oi  nommés  après  le  désastre  de 
Sicile,  sans  se  mettre  en  peine  de  nous  dire  qu'il  n'a  rien  de  com- 
mun avec  l'auteur  de  YAntigone. 

Tout  au  moins,  si  l'argumentation  de  Welcker  laisse  parfois 
à  désirer,  l'opinion  qu'il  soutient  est  très-vraisemblable.  EUe  est 
d'accord  avec  ce  que  nous  savons  de  l'histoire  de  la  poésie  tragi- 
que à  cette  époque.  Cléophon  ne  serait  pas  le  seul  homme  poli- 
tique que  le  théâtre  aurait  attiré.  Critias,  Théognis,  qui  fut  plus 
tard  un  des  Trente  tyrans ^  ont  écrit  des  tragédies.  Désireux  de 
se  faire  connaître,  épris  des  choses  de  la  littérature,  comme  tous 
les  Athéniens  de  ce  temps,  ils  choisissaient  le  genre  qui  était  alors 


1.  Otf.  Mùller  (vol.  11,  p.  547  de  la  trad.  fr.)  rattache  Cléophon,  le  poète  tra- 
gique, à  l'école  de  Théodecte,  qui  vivait  au  temps  de  Philippe  de  Macédoine  ;  mais 
il  ne  donne  cette  opinion  que  comme  une  hypothèse  et  ne  l'appuie  d'aucune 
preuve. 

2.  I,  14;  III,  18. 

3-  Sur  Théognis,  v.  Fr.  Trag.  Gr.  (éd.  Didot),  p.  92  et  le  recueil  de  Nauck, 
p.  597. 


CLÉOPHON    d'aTHENES.  15 

le  plus  en  faveur  et  qui  devait  les  mener  le  plus  rapidement  à  la 
renommée.  En  même  temps,  si  l'on  peut  en  juger  par  les  tragédies 
d'Euripide  et  le  Sisyphe  de  Critias  %  ils  s'en  servaient  pour  pro- 
pager leur  idées.  La  scène  était  pour  eux  une  seconde  tribune,  où 
ils  disaient  leur  avis  sur  tout  ce  qui  touchait  à  la  politique  ou  à 
la  philosophie.  Pourquoi  Cléophon  n'aurait-il  pas  eu  les  mêmes 
ambitions  et  n'aurait-il  pas  cédé  au  même  entraînement? 

Ce  qui  porte  encore  à  le  penser,  c'est  la  nature  même  des  atta- 
ques dont  Aristophane  le  poursuit  dans  les  Grenouilles  ^.  A  côté 
d'allusions  évidentes  à  la  politique  de  Cléophon,  à  l'exagération 
et  à  l'intolérance  de  ses  opinions  démocratiques  ^  à  son  humeur 
belliqueuses  on  trouve  certains  traits  qui  paraissent  dirigés 
contre  le  style  de  ses  tragédies.  «  Sur  les  lèvres  bavardes  de 
«  Cléophon  gazouille  d'une  manière  insupportable  l'hirondelle  de 
«  Thrace^.  »  Il  est  difficile  d'admettre  que  ces  mots  s'appliquent 
uniquement  à  l'éloquence  bruyante  de  Cléophon  dans  les  assem- 
blées ;  ils  ont  bien  l'air  de  s'appliquer  aussi  à  l'écrivain  et  de 
railler  la  facilité  négligée  de  ses  vers  et  leur  sonorité  vide  de  sens. 
C'est  presque  avec  les  mêmes  termes,  /eXtSôvwv  ixouceTa,  qu'Aris- 
tophane caractérise,  dans  un  autre  passage  S  la  nombreuse  troupe 
des  successeurs  dégénérés  d'Eschyle  et  de  Sophocle.  Enfin,  lorsque 
Platon,  renvoyant  Eschyle  sur  la  terre,  le  charge  d'avertir  Cléo- 
phon qu'il  ait  à  descendre  au  plus  vite  dans  le  séjour  des  morts'', 
est-ce  seulement  d'un  mauvais  citoyen  qu'Aristophane  veut  déli- 
vrer sa  patrie  ?  Ne  songe-t-il  pas,  au  contraire,  à  débarrasser  la 
scène  d'un  mauvais  poète,  qui  l'encombre  de  ses  productions  ?  Ou 
plutôt,  toutes  ces  plaisanteries  ont  un  double  sens  et  comme  une 
double  portée;  c'est  à  la  fois  delà  critique  littéraire  et  delà  satire 
politique.  Aristophane  a  eu  la  bonne  fortune  de  rencontrer  un 
adversaire  de  ses  idées,  qui  était  en  même  temps  un  méchant  écri- 
vain ;  il  n'a  pas  laissé  échapper  l'occasion  qui  lui  était  offerte,  et 


1.  V.  le  long  fragment  qui  nous  est  parvenu  du  Sisyphe  et  que  Sextus  Enipi- 
ricus  nous  a  conservé  (fr.  1  de  l'édition  de  Nauck). 

2.  Cléophon  est  également  nommé  dans  les  fêtes  de  Cérès,  v.  805. 

3.  Par  exemple,  v.  689  sqq.,  où  le  poète  conseille  aux  Athéniens  de  se  récon- 
cilier avec  les  membres  de  la  faction  aristocratique,  qui  avaient  été  bannis  après 
la  chute  des  Quatre-Cents. 

4.  V.  1532. 

5.  V.  678  sqq. 

6.  V.  93. 

7.  V.  1504. 


46  tl.     LALLIKIl. 

sa  raillerie  impitoyable,  faisant  l'office  d'une  arme  à  deux  tran- 
chants, frappe  du  même  coup  la  témérité  de  Cléophon  dans  la 
ronduite  des  affaires  publiques  et  ses  prétentions  littéraires. 

De  tout  ce  ^<  bavardage  »  tragique,  qui  aurait  retenti  avec  tant 
de  fracas  sur  la  scène  athénienne,  rien  n'est  vçnu  jusqu'à  nous. 
Nous  connaissons  seulement,  par  Suidas,  les  titres  de  dix  tragé- 
dies que  Cléophon  aurait  composées:  'Axxaitov,  'A[jLcptàpao<;,  'XyjXkéjq, 
lîâxxai,  A£Ça[j.£vbç,  ^Epi-^érq,  ôuécTYjç,  Aeûxizzoç,  Flspaiç,  TrjXsçoç  ^ 
Encore  faut-il  remarquer  que,  sur  ces  dix  pièces,  six  se  retrouvent 
dans  la  liste  des  tragédies  attribuées  à lophon.  Il  est  possible  qu'il  se 
soit  produit  quelque  confusion  entre  deux  noms  presque  sembla- 
bles et  qu'ainsi,  par  l'inadvertance  d'un  copiste,  on  ait  donné  à 
Cléophon  plus  de  pièces  qu'il  n'en  a  fait.  Dans  ce  cas,  il  ne  reste- 
rait, comme  appartenant  vraiment  à  notre  auteur,  que  VAm- 
'phiaraûs,  YErigone,\e  Thyeste ei\e Leucippe ,  les  autres  tragé- 
dies devant  être  restituées  à  lophon,  le  fils  de  Soi^hocle,  qui  fut 
un  poète  de  profession.  On  hésitera  pourtant  à  trancher  ainsi  la 
question,  si  l'on  considère  que  les  tragiques  athéniens  ne  se 
faisaient  aucun  scrupule  de  reprendre  des  sujets  déjà  traités  par 
leurs  prédécesseurs.  C'est  chez  eux  une  pratique  constante,  et  il 
serait  téméraire  de  déposséder  Cléophon  de  la  plus  grande  partie 
de  ses  titres  littéraires,  quand  nous  n'avons  contre  lui  aucune 
preuve  certaine.  Tout  ce  que  l'on  peut  dire,  c'est  que  ce  nombre 
de  dix  tragédies  parait  bien  considérable  pour  un  homme  que  la 
politique  occupait  presque  tout  entier.  Très-probablement  il  y 
aurait  lieu  d'effacer  quelques  noms  sur  la  liste  donnée  par  Suidas, 
mais  nous  ne  saurions  affirmer  quels  sont  les  noms  qui  doivent 
être  supprimés,  ni  à  quel  chiffre  la  liste  doit  être  ramenée  pour 
être  exacte-. 


1.  Suidas,  p.  270. 

2.  Aristote  (IIïpl  (toçjkttixwv  iléy/u>w,  p.  174,  B  27,  éd.  Bekker)  parle  d'un  autre 

ouvrage  de  Cléophon  :  «  otov  6  K).eo?wv  iroisï  èv  xS»  Mavôpo6oûXw.  »  Quel  était 

cet  ouvrage?  Il  est  impossible  de  le  dire,  et  même  il  est  difficile  de  faire  des 
conjectures  à  ce  sujet.  Ce  nom  de  Mandroboulos  ne  nous  est  connu  que  par  Suidas 
et  les  parœmiographes,  qui  nous  ont  conservé  un  fragment  du  livre  d'Éphore  sur 
les  Inventions,  Ilepi  £upYi|j.àTwv.  «  Mandroboulos  ayant  trouvé  dans  l'île  de  Samos 
«  un  filon  de  métal  précieux  (yswçâvtov),  aurait  offert  à  Jupiter,  la  première 
a  année,  un  bélier  d'or,  la  seconde,  un  bélier  d'argent,  la  troisième,  un  bélier 
«  d'airain,  mais  plus  petit,  et  ensuite  ne  lui  aurait  plus  fait  aucune  offrande  » 
(Éphore,  fr.  161,  éd.  Didot).  On  ne  voit  pas  comment  Cléophon  aurait  tiré  une 
tragédie  de  cette  histoire:  je  croirais  plus  volontiers,  comme  le  veut  Guillaume 


CLÉOPHON   d'aTHÈIYES.  >|7 

Nous  sommes  mieux  renseignés  sur  la  valeur  de  ces  composi- 
tions poétiques  de  Cléophon.  Elles  ne  se  recommandaient  ni  par 
l'élévation  des  pensées,  ni  par  le  mérite  de  l'expression.  Les 
caractères  étaient  vulgaires,  le  style  était  faible;  le  plus  grand 
éloge  qu'on  en  pourrait  faire,  c'est  qu'il  avait  une  certaine  clarté. 
Sur  ces  deux  points,  Aristote  exprime  son  opinion  d'une  manière 
très-précise  :  «  Homère,  dit-il,  a  représenté  les  hommes  meilleurs 
«  qu'ils  ne  sont,  Cléophon  tels  qu'ils  sont  ;  Hégémon  de  Thasos, 
«  le  premier  auteur  de  parodies,  et  Nicocharès,  qui  a  composé  la 
«  Déliade,  les  ont  représentés  pires  qu'ils  ne  sont^  »  Et  ailleurs: 
«  C'est  une  qualité  du  style  d'être  clair  sans  être  bas.  On  écrit 
«  très-clairement,  quand  on  emploie  les  mots  dans  leur  sens 
«  propre,  mais  alors  on  manque  d'élévation  ;  on  en  voit  la  preuve 
«  dans  les  vers  de  Cléophon  et  de  Sthénélos  2.  »  Quelquefois, 
cependant,  sur  le  fond  monotone  de  ce  style  terne  et  plat  se  déta- 
chaient quelques  expressions  ambitieuses,  qui  par  le  contraste 
même  paraissaient  plus  ridicules.  C'est  encore  Aristote  qui  nous 
l'apprend.  En  parlant  delà  convenance  du  style,  il  recommande 
de  ne  pas  dire  les  choses  grandes  avec  bassesse  ni  les  choses  sim- 
ples avec  emphase;  «  sinon,  ajoute-t-il,  on  tombe  dans  le  comique, 
«  comme  il  arrive  à  Cléophon  ;  il  y  a  chez  lui  certains  passages 
«  qui  rappellent  cette  expression  :  une  figue  vénérable  ^.  » 

Un  Athénien  de  naissance  ne  se  serait  guère  permis  une  alliance 
de  mots  aussi  bizarre.  La  finesse  instinctive,  le  bon  sens  délicat 
de  l'esprit  attique  auraient  reculé  devant  une  pareille  faute  de 
goût  et,  s'il  n'était  pas  excessif  d'établir  une  conjecture  sur  une 
base  aussi  fragile,  on  serait  presque  tenté  d'y  voir  une  preuve  de 
l'origine  étrangère  de  Cléophon.  Quant  aux  autres  défauts  que 
relève  Aristote,  ce  sont  bien  ceux  de  l'école  à  laquelle  apparte- 
nait notre  auteur.  Déjà,  chez  Euripide,  quand  on  le  compare  à 
ses  devanciers,  on  voit  que  les  caractères  ont  moins  de  grandeur; 
Sophocle  en  avait  fait  la  remarque,  en  disant  qu'il  peignait  les 
hommes  tels  qu'ils  devaient  être,  tandis  qu'Euripide  les  repré- 
sentait tels  qu'ils  étaient  4,  Le  style  aussi  a  changé  ;  moins  hardi, 

Wagner,  qu'il  aurait  fait  à  ce  sujet  une  sorte  de  fable  à  la  manière  d'Ésope  {Fr. 
Trag.  Gr.,  p.  100). 

1.  Poétique,  ch.  2. 

2.  Poétique,  ch.  22. 

3.  Bhét.,  III,  7. 

4.  Aristote,  Poétique,  ch.  25. 

ReV     HiSTOR.     V.   l^""  FASC.  2 


^8  11.    LAMJKU. 

moins  éclatant,  il  a  un  courant  plus  abondant  et  plus  iiacile  et  se 
rapproche  de  la  prose  des  orateurs.  Ces  différences,  pour  ne  pas 
dire  ces  défauts,  sont  rachetées  chez  Euripide  par  les  qualités  qui 
lui  sont  propres  ;  dans  les  œuvres  de  ses  imitateurs  maladroits, 
—  et  c'est  à  ce  groupe  qu'il  faut  rattacher  Cléophon,  —  les 
défauts  apparaissent  seuls.  Entre  leurs  mains,  la  tragédie  perd  sa 
force  et  sa  noblesse  ;  elle  s'amoindrit  au  point  de  se  confondre 
presque  avec  la  comédie.  Pouvait-il  en  être  autrement?  Eschyle 
et  Sophocle  ne  vivaient  que  pour  leur  art  ;  il  les  occupait  tout 
entiers.  Les  habitudes  mêmes  de  leur  esprit,  les  pensées  dont  ils 
l'entretenaient  sans  cesse,  leur  donnaient,  pour  ainsi  dire,  droit 
de  cité  dans  ce  monde  idéal  où  ils  allaient  chercher  leurs  person- 
nages, si  bien  qu'ils  s'élevaient  sans  effort  aux  conceptions  les 
plus  sublimes  et  parlaient  naturellement  la  langue  des  héros  et 
des  dieux.  Mais,  pour  des  hommes  tels  que  Cléophon,  la  poésie 
n'était  qu'une  distraction  ou  une  affaire  de  vanité.  Passant  leur 
existence  sur  la  place  publique,  occupés  de  leurs  intérêts  ou  de 
leur  ambition,  perpétuellement  en  contact  avec  les  réalités 
vulgaires  de  la  vie,  comment  se  seraient-ils  transportés  dans  ces 
régions  supérieures  qu'habitait  sans  peine  l'âme  d'un  Eschyle  ou 
d'un  Sophocle?  Il  leur  aurait  fallu  rompre  avec  leurs  pensées 
habituelles  ;  l'effort  eût  été  trop  pénible  et  ils  ne  songeaient  même 
pas  à  le  tenter.  Ils  mettaient  dans  la  bouche  de  leurs  personnages 
le  langage  qu'ils  parlaient  eux-mêmes,  quand  ils  s'adressaient  au 
peuple,  et  leur  donnaient  des  sentiments  en  rapport  avec  ce  lan- 
gage. 

Ainsi ,  nous  pouvons  conclure  des  paroles  d'Aristote  que 
Cléophon  a  été  un  poète  médiocre  et  sans  originalité.  Nous  avons 
déjà  vu  qu'il  a  été  un  politique  imprudent  et  incapable.  N'ayant 
aucun  souci  et  même  aucune  conscience  de  la  responsabilité  qu'as- 
sume un  orateur  quand  il  s'érige  eu  chef  de  parti  et  en  con- 
seiller du  peuple,  il  ne  s'est  jamais  servi  de  son  influence  que  pour 
pousser  ses  concitoyens  aux  résolutions  les  plus  téméraires,  égaré 
lui-même  par  les  illusions  qu'il  entretenait  et  surexcitait  chez  les 
autres.  Au  milieu  des  circonstances  les  plus  difficiles,  alors  qu'il 
aurait  fallu  une  extrême  prudence  et  une  extrême  habileté  pour 
diriger  les  affaires  d'Athènes,  il  s'est  abandonné  à  la  passion,  et 
emporté  par  une  vaine  jactance,  fermant  les  yeux  sur  les  dangers 
de  la  situation,  sur  les  forces  des  ennemis,  sur  l'épuisement  de  la 
république,  il  a  conservé  jusqu'à  la  fin  cette  audace  par  laquelle 


CLÉOPHON    d'aTHÈNES.  ^9 

il  plaisait  au  peuple,  mais  qui  ne  lui  a  pas  permis  de  saisir  la 
dernière  chance  de  salut  qui  s'offrait  aprèsla  bataille  de  Cyzique, 
ni  de  se  résigner  à  sa  défaite  après  ^gos-Potamos.  Il  n'a  qu'une 
seule  excuse,  la  sincérité  de  ses  convictions  ;  il  est  mort  fidèle  à 
son  parti  et  à  la  politique  qu'il  avait  toujours  soutenue.  Mais  la 
fidélité  à  soutenir  une  pareille  politique,  aussi  irréfléchie  et  aussi 
funeste,  qu'est-ce  autre  chose  qu'une  obstination  aveugle?  Ce 
n'est  pas  là,  si  l'on  considère  le  tort  que  Cléophon  a  fait  à  sa  patrie, 
une  excuse  qui  suffise  à  protéger  sa  mémoire. 

Elle  ne  mériterait  pas  d'être  tirée  de  l'oubli,  si  l'on  ne  songeait 
qu'à  la  valeur  personnelle  de  l'homme.  Les  détails  que  Ton  peut 
réunir  sur  les  actes  de  Cléophon  ne  prennent  un  peu  d'intérêt 
que  par  les  renseignements  qu'ils  fournissent  sur  la  démocratie 
athénienne.  Elle  s'est  livrée  pendant  plusieurs  années  aux  conseils, 
ou  plutôt  aux  emportements  de  Cléophon.  Depuis  l'expulsion  des 
Quatre-Cents  jusqu'à  la  fin  de  la  guerre,  de  411  au  commence- 
ment de  404  s  il  a  exercé  un  ascendant  considérable.  Il  ne  le 
devait  ni  à  l'éclat  des  services  rendus,  ni  à  la  supériorité  de  ses 
talents;  la  foule  l'avait  adopté  parce  qu'elle  retrouvait  en  lui 
ses  propres  instincts,  parce  qu'il  exprimait,  plus  bruyamment  que 
les  autres,  ce  que  tous  pensaient.  Les  peuples,  comme  les  souve- 
rains absolus,  ont  leurs  caprices,  et  l'on  peut  répéter  à  propos  de 
Cléophon  un  mot  fameux  du  xvii®  siècle  :  c'était  «  un  favori  sans 
mérite  »  que  ces  mêmes  Athéniens,  qui  jadis  avaient  su  obéir  à 
Périclès,  trouvaient  commode  de  se  donner,  maintenant  qu'ils 
étaient  gâtés  par  l'exercice  d'un  pouvoir  illimité  et  dépravés  par 
les  flatteries  de  leurs  orateurs.  C'est  à  ce  titre  que  le  nom  de 
Cléophon  vaut  la  peine  d'être  mentionné.  L'histoire  de  la  démo- 
cratie athénienne  resterait  incomplète,  si  au-dessous^  bien  au- 
dessous  des  hommes  d'état  qui  l'ont  dirigée,  on  ne  rappelait  pas, 
au  moins  en  passant,  les  démagogues  qui  l'ont  égarée  et  pervertie. 

R.  Lallier. 

1 .  On  a  vu  que  Cléophon  est  déjà  nommé  dans  les  fêtes  de  Cérès,  qui  sont  de 
411.  Il  est  permis  d'en  conclure  qu'il  commençait  à  acquérir  cette  influence  qui 
se  marquera,  l'année  suivante,  par  le  rôle  prépondérant  qu'il  jouera  dans  l'affaire 
des  propositions  de  paix  apportées  par  Endios. 


LA  FRONDE  EN  PROVENCE 


SECONDE  PARTIE 

SABREURS  ET  CANIVETS^ 


Rappel  du  comte  d'Alais  (22  août  1649  —  Décembre  1650). 

«  Lorsque  les  hommes,  écrit  le  cardinal  de  Retz,  ont  balancé 
longtemps  à  entreprendre  quelque  chose  par  la  crainte  de  n'y 
pas  réussir,  l'impression  de  cette  crainte  fait,  pour  l'ordinaire, 
qu'ils  vont  ensuite  trop  vite  dans  la  conduite  de  leurs  entreprises.  » 
Ceci  est  vrai  surtout  des  gens  faibles  comme  Alais.  Une  fois 
emportés  par  la  fureur,  ils  ne  savent  ou  ne  peuvent  plus  s'arrêter. 
Ils  se  perdent  par  l'exagération  après  s'être  compromis  par  la 
timidité.  Le  comte  d' Alais  aUait  prouver  une  fois  de  plus  que  la 
colère  d'un  homme  faible  est  la  pire  des  conseillères. 

Aussitôt  après  la  paix  de  Saint-Aignan,  le  gouverneur  de 
Provence  s'était  retiré  à  Toulon,  sans  accorder  audience  à  une 
députation  du  Parlement  et  de  tous  les  ordres  de  la  ville,  qui 
venaient  lui  présenter  leurs  excuses.  Une  nouvelle  ambassade 
plus  solennelle  encore  le  suivit  dans  sa  nouvelle  résidence  : 
Alais  ne  put  cette  fois  se  dispenser  de  la  recevoir,  mais,  comme 
il  ne  croyait  pas  à  la  sincérité  de  ces  excuses,  il  se  renferma  dans 
un  silence  méprisant.  Il  voulait  montrer  de  la  sorte  qu'il  n'avait 
accepté  qu'à  contre-cœur  la  paix  de  Saint-Aignan,  et  n'attendait 
qu'une  occasion  favorable  pour  la  rompre,  et  se  venger  enfin  de 

1.  Voy.  Revue  historique,  t.  II,  p.  60  et  436. 


LA   FRONDE    EN"   PROVENCE.  24 

ses  humiliations  répétées.  On  se  le  tint  pour  dit,  et,  des  deux 
côtés,  on  se  prépara  à  la  prochaine  lutte  avec  une  sombre 
ardeur. 

Ce  fut  au  milieu  des  fêtes  du  mariage  de  la  fille  unique  du 
comte,  Anne-Marie  de  Valois,  avec  Louis  de  Lorraine,  duc  de 
Joyeuse,  grand  chambellan  de  France,  que  la  guerre  civile  faillit 
éclater  de  nouveau.  La  noblesse  des  deux  partis  avait  été  conviée 
à  cette  cérémonie,  et  3^  assista  (octobre  1649),  mais  sans  jamais 
se  mêler  :  on  eût  dit  deux  bandes  ennemies  prêtes  à  en  venir  aux 
mains.  Bientôt  même,  pour  de  futiles  motifs,  de  nombreuses  que- 
relles s'engagèrent,  qui  prouvèrent  l'exaspération  des  esprits. 

A  Saint-François,  dans  le  ComtatYenaissin,  terrain  neutre, 
choisi  tout  exprès  pour  éviter  les  poursuites  de  la  justice,  se  ren- 
contrèrent trois  Parlementaires,  le  baron  de  Saint-Marc,  Astier, 
Arquier,  et  trois  partisans  du  Semestre,  MM.  de  Vins,  de  Senaset 
Chais.  Saint-Marc  blessa  M.  de  Vins  qui  mourut  deux  jaurs  après  : 
Astier  désarma  Senas,  et  le  força  à  demander  la  vie;  mais 
Arquier  fut  tué  par  Chais.  La  victoire  restait  donc  en  définitive 
aux  Parlementaires.  Ils  furent  encore  vainqueurs  dans  une  autre 
rencontre,  sur  la  grand'route  d'Aubagne  à  Toulon,  lieu  qu'on 
avait  choisi  pour  faire  croire  à  une  rencontre  fortuite  ^  Du  Canet 
désarma  Tourville ,  Melan  blessa  à  la  cuisse  Lamastro ,  mais 
le  chevalier  de  Saint-Marc  fut  désarmé  par  du  Luc.  Toute  cette 
bravoure  était  inutile  :  on  comprenait  néanmoins  qu'Alais  et 
le  Semestre  avaient  une  revanche  à  prendre  et  qu'ils  s'y  prépa- 
raient en  silence. 

Aussi  bien  le  comte  d'Alais  ne  cachait  pas  ses  intentions  de 
rompre  au  plus  vite  la  paix  de  Saint-Aignan.  Tout  en  restant 
fidèle,  en  apparence,  à  la  lettre  du  traité,  il  en  laissa  exécuter 
certains  articles  au  détriment  du  pays,  avec  le  secret  espoir  d'en- 
courager ses  partisans  et  de  les  indemniser  de  leurs  fatigues  et  de 
leurs  espérances  déçues.  En  vertu  des  articles  II  et  X  de  la  paix 
de  Saint-Aignan,  les  troupes  levées  par  le  comte  devaient  vider 
la  province,  et  se  rendre  en  Piémont.  Elles  s'y  dirigèrent  en 
eff'et,  mais  en  pillant  tout  sur  leur  passage  ^.  «  Le  régiment  de 
cavalerie  Saint-Aunay  traînait  plus  de  chevaux  pour  porter  les 
choses  dérobées  que  pour  servir  au  port  des  choses  militaires.  » 


1.  Anonyme,  p.  200-202. 

2.  Bouche,  l.  II,  p.  961. 


22  P.    GAFFAREL. 

Cliemin  faisant,  ces  bandits  déîiîuisés  en  soldats  rencontrèrent  un 
conseiller  au  Parlement,  le  soumirent  à  mille  vexations,  et  ne  le 
relâchèrent  que  lorsque  l'évêque  de  Senez,  son  parent,  l'eut  ra- 
cheté pour  deux  cents  pistoles*.  Le  Parlement  lança  contre  ces 
pillards  une  ordonnance,  et  Alais  lui-même  se  prononça  contre 
eux  (3  et  13  septembre).  Mais  les  soldats  ne  tenaient  aucun 
compte  des  ordres  du  Parlement  et  ils  connaissaient  les  secrets 
sentiments  de  leur  ancien  général.  Aussi,  comme  les  communautés 
n'avaient  pas  assez  de  forces  à  leur  disposition  pour  leur  résister, 
continuèrent-ils  leurs  exactions.  Nous  trouvons  un  curieux 
témoignage  de  ces  violences  dans  les  mémoires  trop  peu  connus 
du  chevalier  de  Pontis.  Cet  officier  avait  reçu  l'ordre  de  former 
avec  les  troupes  disponibles  un  régiment,  et  de  le  conduire  en 
Catalogne.  Il  n'eut  pas  de  peine  à  réunir  sous  ses  enseignes  un 
grand  nombre  de  ces  soldats,  véritables  routiers,  qui  ne  cher- 
chaient que  les  aventures,  et  ne  vivaient  que  de  la  guerre.  Mais 
il  fut  bien  vite  désappointé.  «  Je  trouvai  ^  dit-il,  une  grande 
différence  entre  ces  troupes  et  celles  que  j'avais  commandées  sous 
le  feu  roi.  Car,  au  lieu  que  la  discipline  exacte,  que  ce  prince 
faisait  observer,  me  donnait  une  autorité  absolue  sur  mes  soldats, 
je  ne  recevais  tous  les  jours  que  des  plaintes  continuelles  qu'on 
me  faisait  de  ceux-ci,  qui  étaient  accoutumés  au  libertinage  et 
au  vol,  et  qui  se  croyaient  autorisés  à  secouer  toute  sorte  de  joug 
par  le  désordre  qui  accompagne  ordinairement  les  guerres  civiles. 
Comme  je  n'étais  point  d'humeur  à  souffrir  cette  licence,  et  que 
je  ne  me  voyais  point  en  état  de  réduire  ces  brutaux  sans  une 
exacte  discipline  comme  autrefois,  étant  si  peu  soutenu  et  très 
mal  payé,  j'aimai  mieux  enfin  abandonner  le  métier  que  de  ne 
pas  le  faire  avec  honneur,  et  je  me  défis  de  mon  régiment  entre 
les  mains  d'un  officier  de  mes  amis,  qui  paraissait  un  peu  moins 
scrupuleux  que  moi.  »  Un  Provençal  déterminé  fait  à  propos  de 
ces  ravages  d'amères  réflexions  ^  :  «  On  pouvait  dire  en  ce  temps- 
là  de  la  Provence,  ce  qu'autrefois  on  a  dict  de  la  Sicile,  qu'à  la 
voir  sur  le  départ  des  troupes  si  vuide,  si  exténuée,  si  défaite,  et 
les  troupes  si  puissantes  et  si  pleines,  il  sembloit  que  ces  troupes 
estoient  la  Provence.  » 


1.  Anonyme,  p.  198. 

2.  Mémoires  de  Pontis,  t.  II,  liv.  7,  p.  446.  —  Anonyme,  p.  200. 

3.  Pitton,  p.  444-5. 


LA    FRONDE   EN   PROVENCE.  23 

Ce  qui  se  passa  dans  la  petite  ville  de  Figanières  nous  donnera 
une  idée  du  désordre  et  de  l'anarchie  qui  régnaient  alors  dans  le 
pays^  Le  seigneur  de  Figanières,  Gaspard  de  Vintimille,  un 
ami  du  comte  d'Alais,  avait  appelé  dans  son  château  une  partie 
du  régiment  de  cavalerie  la  Cornette  Blanche.  Pendant  quatre 
mois  ces  bandits,  qui  se  croyaient  assurés  de  l'impunité,  se  livrè- 
rent à  tous  les  excès,  à  tel  point  que  la  population  émigra 
(décembre  1649).  Plus  de  cent  familles  se  réfugièrent  à  Dragui- 
gnan.  La  municipalité  décida  qu'on  poursuivrait  Vintimille 
en  réparation  des  dommages  causés,  et  un  des  consuls  fut  député 
à  Aix  afin  d'obtenir  justice.  En  effet,  le  10  janvier  1650,  le  con- 
seiller d'André  vint  solennellement  réintégrer  les  consuls  dans 
leur  ville  et  les  habitants  dans  leurs  maisons.  Mais  la  garnison 
n'avait  pas  délogé,  et  le  seigneur  était  toujours  dans  son  château. 
Malgré  la  publication  de  la  paix,  la  guerre  continua.  Les  soldats 
pillaient  et  volaient  de  plus  belle;  ils  s'emparaient  même  des 
habitants,  et  les  enfermaient  dans  les  noires  et  profondes  oubliettes 
du  château.  Un  jour,  dix  d'entre  eux  attaquèrent  l'un  des  consuls 
dans  la  chapelle  du  couvent  de  Saint-Pons,  et  ils  l'auraient  laissé 
sur  la  place,  s'il  ne  leur  avait  échappé  en  sautant  par  la  fenêtre 
et  en  fuyant  à  travers  champs,  poursuivi  par  la  fusillade. 

Bientôt  l'arrogance  cie  Gaspard  de  Vintimille  et  les  excès  de 
ses  soldats  réduisirent  la  population  à  émigrer  pour  la  seconde 
fois,  et  en  masse.  Mais  cette  fuite  fit  du  bruit.  Par  arrêté  du 
10  novembre  1650,  le  roi  engagea  les  habitants  de  Figanières  à 
rentrer  dans  leurs  pénates  :  mais  ils  reçurent  un  singulier 
accueil.  A  peine  les  consuls  avaient-ils  repris  possession  de  leurs 
sièges,  qu'ils  furent  entourés  par  les  soldats  de  Vintimille  et 
menacés  d'être  assassinés.  Les  cris  de  fouero  consuls  !  fouero 
tailhos  et  gabellos!  Viva  la  libertat!  retentissaient  à  leurs 
oreilles,  poussés  par  les  créatures  du  seigneur.  C'était  en  petit  la 
scène  d'intimidation  que  Condé  répétera  en  grand  à  Paris  quel- 
ques mois  plus  tard,  lors  des  massacres  de  l'Hôtel  de  Ville,  après 
la  bataille  du  faubourg  Saint-Antoine.  Mais  rien  ne  put  ébranler 
la  courageuse  attitude  des  consuls.  Ils  ne  sortirent  de  leur 
«  forum  »  qu'après  avoir  soutenu  un  siège,  dans  lequel  l'un 
d'entre  eux  fut  blessé.  On  ne  sait  comment  se  termina  la  lutte. 
Très-probablement,  à  Figanières  comme  ailleurs,  force  resta  à 

i.  Cf.  Echo  du  Var,  n°  86,  17  décembre  1865.  Éphémérides  provençales. 


1'.    (ÎAFKAREL. 


la  loi.  L'énergique  vitalité  de  la  commune  dut  triompher  des  pré- 
tentions surannées  de  ce  gentilhomme,  qui  se  croyait  encore  en 
pleine  féodalité. 

Des  scènes  analogues  se  produisirent  ailleurs.  Ainsi  derrière  la 
Ciotat,  dans  tout  le  terroir,  on  voit  encore  dans  les  grands  bois, 
qui  forment  un  bel  amphithéâtre  autour  du  port,  une  quantité  de 
nuirailles  en  ruines.  C'étaient  jadis  de  fertiles  coteaux  réputés 
pour  leurs  vins  muscats.  La  tradition  locale  rapporte  qu'ils 
furent  ravagés  du  temps  de  Valois.  Quel  est  ce  Valois,  sinon 
Mais,  ou  du  moins  les  bandits  qui,  de  son  temps,  pillèrent  et 
ruinèrent  la  province? 

Tel  était  en  effet  le  résultat  de  la  guerre  civile  :  tout  le  monde 
avait  souffert;  nul  n'avait  gagné.  Les  communautés  étaient 
foulées  par  les  contributions  et  les  brigandages  ;  le  Parlement  et 
les  autres  cours  souveraines  voyaient  leur  autorité  s'affaiblir 
dans  l'esprit  du  peuple,  qui  s'était  soulevé  à  leur  voix  et  sur  qui 
retombait  tout  le  poids  de  la  guerre.  Alais  surtout  sentait  le 
terrain  manquer  sous  ses  pas,  lui  que  la  cour  avait  à  deux 
reprises  arrêté  dans  ses  projets.  Le  malaise  était  général,  la 
confiance  avait  disparu,  et  l'avenir  était  gros  d'orages. 

Les  événements  dont  Marseille  fut  le  théâtre  envenimèrent 
encore  les  haines.  Marseille,  au  début,  s'était  prononcée  en  faveur 
du  comte  d' Alais.  Elle  lui  avait  fourni  des  secours  dans  sa  der- 
nière campagne.  Aussi  le  comte  tenait-il  beaucoup  à  la  possession 
de  cette  ville.  Mais  il  y  comptait  de  nombreux  ennemis,  et,  à 
leur  tête,  Valbelle,  lieutenant  général  de  l'amirauté,  qui  venait 
de  conclure  avec  le  Parlement  et  les  consuls  d'Aix  une  ligue 
offensive  et  défensive.  Le  nombre  de  ses  ennemis  avait  singuliè- 
rement augmenté  depuis  que  Mazarin,  en  nommant  lui-même  les 
consuls  de  1650,  avait  porté  atteinte  aux  privilèges  de  la  vieille 
ville  ligueuse.  Car  «  on  était  très-jaloux  dans  toute  la  province  du 
droit  d'élire  annuellement  les  magistrats  municipaux,  et  on  peut 
dire  qu'à  Marseille  on  était  plus  jaloux  de  ce  droit  que  partout 
ailleurs,  la  ville  ayant  toujours  conservé  un  esprit  républicain»*. 
Une  peste  terrible  avait  éclaté  en  Provence  ^  A  Marseille,  elle 
exerçait  de  redoutables  ravages,  surtout  dans  les  sales  et  étroites 
rueUes  du  quartier  Saint-Jean.  A  Aix,  le  Parlement  avait  donné 


1.  Anonyme,  p.  207-208. 

2.  Bertulus.  Intendance  sanitaire   Bouche,  II,  963. 


LA   FRONDE    EN   PROVENCE. 


25 


un  mauvais  exemple  en  fuyant  devant  le  fléau.  Il  s'était  retiré  à 
Salon,  après  avoir  chargé  le  baron  de  Bras  et  le  consul  Pelicot 
de  veiller  à  la  police  de  la  ville.  Ce  départ  avait  fait  une  mau- 
vaise impression.  Alais  voulut  profiter  de  la  faute  des  Parle- 
mentaires. Il  envoya  à  Marseille  son  gendre,  le  duc  de  Joyeuse 
(13  février  1650),  et  l'engagea  à  visiter  les  malades.  Mais  on  fit 
peur  à  ce  jeune  homme,  dont  on  redoutait  l'influence.  Pour  se 
débarrasser  de  lui,  on  parla  plus  que  jamais  de  l'épidémie,  et  on 
atfecta  de  transporter  le  long  de  son  hôtel  les  cadavres  et  les  ma- 
lades*. Les  jeunes  seigneurs  du  temps  risquaient  galamment  leur 
vie  sur  les  champs  de  bataille,  mais  ils  ne  pratiquaient  pas  toujours 
ce  courage  civil  qui,  de  nos  jours,  cloue  le  fonctionnaire  à  son  poste. 
Joyeuse  eut  peur  et  s'enfuit.  Son  départ  passa  pour  une  lâcheté. 
Les  ennemis  du  comte  en  profitèrent,  et  organisèrent  contre  lui 
une  vaste  insurrection.  Le  peuple  s'empare  des  postes  fortifiés, 
chasse  de  l'hôtel  de  viUe  les  consuls  nommés  par  la  cour,  et 
nomme  tumultueusement  d'autres  magistrats  municipaux,  Félix 
de  Reinarde,  Pierre  du  Pont,  Mazet  et  Henry  de  Courtron.  En 
même  temps  on  envoie  des  lettres  justificatives  au  roi,  et  on 
s'apprête  à  la  résistance. 

Sans  Marseille ,  Alais  ne  pouvait  plus  se  soutenir  qu'avec 
peine.  Il  résolut  d'y  rentrer  à  tout  prix.  Les  galères  de  Marseille 
s'étaient  réfugiées  à  Toulon,  pour  éviter  la  contagion 2.  Il  donna 
l'ordre  à  vingt  d'entre  elles  d'aborder  aux  environs  de  la  viUe, 
tandis  qu'avec  les  troupes  dont  il  pourrait  disposer  il  tâcherait 
de  la  surprendre  par  terre  ^.  Le  plan  était  bien  combiné  :  mais 
les  Marseillais  étaient  sur  leurs  gardes;  il  échoua  misérablement. 
A  la  nouvelle  de  la  marche  du  comte  (18  mars  1650),  les  consuls 
du  Pont,  Mazet  et  de  la  Reinarde  lui  adressèrent  une  lettre  fort 
respectueuse,  dans  laquelle,  tout  en  l'assurant  de  leur  obéissance, 
ils  lui  annonçaient  qu'ils  étaient  disposés  à  ne  pas  le  laisser  entrer 
dans  la  ville,  car  ils  craignaient  «  d'être  forcés  par  la  chaleur  du 
grand  peuple  qui  compose  Marseille  »^.  Alais  ne  tint  nul 
compte  de  ce  prudent  avis,  et,  à  la  tête  de  600  hommes,  se  pré- 
senta à  la  Porte  Royale^.  11  fut  reçu  à  coups  de  canon,  et  vit 

1.  Papon,  p.  530. 

2.  Bulletin  de  la  société  de  Toulon,  p.  31. 

3.  Anonyme,  p.  209. 

4.  Anonyme,  p.  213.  Bouche,  t.  II,  p.  966. 

5.  Auj.  plaine  Saint-Michel. 


26  p.    GAFFAREL. 

tomber  près  de  lui,  tué  raide,  son  capitaine  des  gardes  Mathan, 
et,  dangereusement  blessé,  son  ami  de  Villages.  «  Retirons-nous, 
dit-il  alors,  il  ne  fait  pas  bon  ici.  »  La  surprise  était  manquée  *. 
Les  Marseillais,  exaltés  par  la  victoire,  le  poursuivirent  jus- 
qu'à Roquevaire.  Durement  reçus  par  les  gens  du  comte,  ils  se 
vengèrent  en  jetant  en  prison  tous  ses  amis  et  les  anciens  consuls. 
Dès  lors  la  grande  ville  échappait  à  Alais.  Elle  se  tournait  tout 
entière  du  côté  des  Parlementaires,  et  le  second  consul  d'Aix, 
Pelicot,  député  pour  les  féliciter  de  leur  conduite,  était  reçu  avec 
enthousiasme.  De  juillet  1649  à  mars  1650,  en  neuf  mois,  quels 
singuliers  revirements!  Aix  et  Marseille  étaient  jadis  en  guerre, 
et  maintenant  les  deux  villes  avaient  formé  une  alliance  étroite 
contre  leur  ennemi  commun. 

La  cour  fut  très-embarrassée  quand  elle  apprit  ces  événements. 
Mazarin  venait  alors  de  faire  un  coup  d'État  contre  les  princes 
en  les  emprisonnant  (janv.  1650),  mais  il  savait  que  leurs  amis 
étaient  puissants,  et  il  ne  voulait  pas  en  augmenter  le  nombre  en 
se  déclarant  contre  Alais.  D'un  autre  côté  il  ne  se  dissimulait 
pas  que  toutes  les  sympathies  du  comte  devaient  être  pour  les 
princes.  Il  n'était  donc  pas  fâché  de  lui  donner,  sinon  une  leçon, 
au  moins  un  avertissement.  Aussi  lorsque  les  députés  de  Marseille 
eurent  fait  observer  au  cardinal  qu'ils  avaient  écrit  au  comte 
d' Alais  pour  le  prier  de  ne  pas  approcher  de  Marseille,  Mazarin 
se  décida  à  leur  donner  raison.  Des  lettres  patentes  de  mai  1650 
portèrent  abolition  de  tout  ce  qui  s'était  passé  à  Marseille  «  bien 
que  notre  dit  cousin  le  comte  d' Alais  fût  le  plus  offensé,  et  qu'il 
eût  grand  sujet  d'en  demander  la  réparation;  néantmoins  il  nous 
a  écrit  en  leur  faveur,  et  témoigné  désirer  que  nous  ayons 
agréable  de  leur  pardonner  »^. 

Le  plan  de  Mazarin  était  admirablement  conçu.  Il  avait  déjà 
réussi  à  rendre  le  comte  d' Alais  impopulaire.  Il  chercha  ensuite 
à  le  mettre  dans  son  tort,  à  le  pousser  dans  l'iUégalité,  afin  de 
trouver  l'occasion  tant  recherchée  de  lui  enlever  son  gouverne- 
ment. Alais  tomba  dans  le  piège.  Pour  la  seconde  fois  il  chercha 
à  rentrer  dans  cette  viUe  rebelle,  qui  était  déjà  la  vraie  tête  de  la 
Provence.  Quelques-uns  de  ses  soldats,  commandés  par  un  certain 
Gaze,  s'emparèrent  par  surprise  du  fort  Notre-Dame  de  la  Garde 


1.  Pitton,  p.  449.  Anonyme,  p.  215. 

2.  Bouche,  t.  II,  p.  965. 


LA    FRONDE   EN    PROVENCE.  27 

qui  dominait  la  ville.  Aussitôt  Valbelle  demanda  au  Parle- 
ment l'autorisation  d'assiéger  le  fort,  qui  fut  lestement  enlevé, 
malgré  les  renforts  que  lui  envoya  Alaise  Les  Marseillais 
députèrent  alors  à  Paris  Antoine  de  Félix,  qui  avait  mission  de 
se  plaindre  du  gouverneur,  et  de  demander  son  rappel. 

D'ordinaire  on  ne  tenait  nul  compte  de  semblables  demandes. 
Mais  la  pétition  des  Marseillais  servait  trop  bien  les  intérêts  de 
Mazarin,  pour  qu'il  laissât  échapper  une  si  belle  occasion.  Seule- 
ment il  était  trop  habile  pour  dévoiler  ses  secrets  desseins  :  il  se 
contenta  de  les  laisser  entrevoir,  par  une  lettre  royale,  datée  de 
Libourne  23  août  1650,  en  réponse  à  la  députation  d'Antoine  de 
Félix  2.  «  Nous  avons  appris  que  quelques  gens,  par  un  dessein 
caché,  s'estoient  emparés  par  surprise  du  fort  Notre-Dame  de  la 
Garde,  et  que  vous  l'avez  repris  pour  le  remettre   entre  nos 

mains Nous  ne  sçaurions  que  louer  et  approuver  ce  que  vous 

avez  fait  en  ce  rencontre Vous  asseurons  que  nous  sçaurons 

si  bien  pourvoir  à  votre  repos  et  conservation  par  les  soins  que 
nous  prenons  de  calmer  la  Provence  que  vous  serez  bientôt  déli- 
vrés de  toute  crainte  et  appréhension  etc.  »  Cette  dépêche  était 
habilement  conçue,  en  termes  fort  vagues.  Elle  ne  désignait  ni 
ne  menaçait  personne,  mais  tout  le  monde  était  libre  de  l'inter- 
préter à  sa  guise,  et  les  Marseillais,  comme  le  comte  lui-même, 
y  lurent  le  prochain  rappel  du  gouverneur. 

A  ces  griefs  particuliers  des  Marseillais  contre  le  comte  se 
joignaient  aussi  les  griefs  des  Parlementaires,  non  pas  seulement 
à  cause  de  la  conduite  qu'il  avait  tenue  lors  du  Semestre,  mais 
plus  encore  à  cause  du  grand  nombre  d'évocations  qu'il  accordait. 
On  appelait  évocation  le  droit  que  le  souverain  accordait  à  l'un 
des  plaideurs  de  traduire  son  adversaire  devant  un  autre  tribunal 
que  celui  dont  la  compétence  était  déjà  déterminée  par  le  domi- 
cile du  défendeur  et  la  nature  du  litige.  Ce  droit  avait  été 
accordé  aux  partisans  d'Alais  pour  cause  de  suspicion  légitime 
contre  le  Parlement  de  Provence.  Seulement  Alais  en  abusa. 
Il  donnait,  à  tous  ceux  qui  lui  en  demandaient,  des  certi- 
ficats pour  obtenir  des  évocations,  souvent  conçus  en  termes 
fort  injurieux  pour  le  Parlement.  De  la  sorte  il  arrachait  à  la 
juridiction  de   la   cour   bon   nombre  de  justiciables.    Celle-ci 


1.  Pitlon,  p.  451. 

2.  Bouche,  t.  II,  p.  966. 


28  r.    GAFFAREL. 

so  plaignit  amôrcnient  de  cet  alnis  qui  la  ruinait  et  la 
déshonorait.  Elle  envoya  le  conseiller  Thêroult  })()rter  à  Paris 
ses  doléances.  Voici  comment  s'exprimait  à  ce  propos  le 
député  d'Aix  '  :  «  Ils  sollicitent  par  promesses  et  forcent  par 
menaces  des  gens  de  guerre  la  plupart  des  communautés  et 
des  particuliers  à  demander  des  évocations  et  une  chambre  sou- 
veraine pour  les  juger  dans  la  province,  sous  ce  prétexte  chari- 
table de  leur  épargner  la  peine  et  la  dépense  d'aller  plaider  plus 
loin  :  mais  véritablement  c'est  pour  affaiblir  l'autorité  de  la  cour, 
pour  en  rendre  son  parti  indépendant,  pour  l'augmenter  de  tous 
ceux  qui  veulent  éviter  ou  reculer  la  punition  de  leurs  crimes,  et 
les  mauvais  payeurs  qui  taschent  de  se  desrober  à  la  poursuite  de 
leurs  créanciers,  pour  remmettre  dessus  le  trône  les  officiers  du 
Semestre,  et  pour  rendre  les  divisions  éternelles  dans  la  Province, 
afin  d'en  être  le  maître  plus  facilement.  » 

Alais  fit  rédiger  par  un  des  écrivains  anonymes,  qu'il  paraît 
avoir  eus  à  son  service,  une  brochure  ^  intitulée  :  «  Très-hwnble 
supplication  faite  à  mo7iseigneur  le  garde  des  sceaux  par 
un  Provençal  qui  a  servy  le  roy  sous  les  ordres  de  Monsieur  le 
comte  d' Alais  au  dernier  mouvement  de  Provence,  demandant  les 
évocations.  »  L'emphase  l'idicule  du  morceau  prouve  que  cette 
déclamation  ne  reposait  sur  rien  de  sérieux.  Est-il  vrai  par 
exemple  que  60,000  familles  «  voient  couler  de  leurs  yeux  une  si 
grande  abondance  de  larmes  qu'on  peut  dire  librement  qu'elles 
font  un  torrent  capable  d'emporter  toutes  les  difficultés  qui  s'y 
opposent?  »  Aussi,  malgré  la  protestation  d'Alais  contre  le 
Parlement  qui  «  parle  et  ment  »,  Mazarin,  d'ailleurs  enchanté  de 
jouer  un  nouveau  tour  au  gouverneur,  fit  rendre  un  arrêt,  du 
18  mars  1650,  qui  limitait  le  nombre  des  évocations.  Dorénavant 
il  fallait  s'adresser,  pour  les  obtenir,  au  Conseil  et  non  plus  au 
gouverneur.  On  ne  pouvait  évoquer  les  procès  intentés  pour 
paiement  de  sommes  au-dessous  de  200  livres  ;  on  n'accordait  que 
trois  mois  à  ceux  qui  avaient  des  procès  pendants  pour  obtenir 
des  évocations  ;  on  cassait  toutes  celles  qui  avaient  été  accordées 
parles  arrêts  du  27  avril,  15  juin  et  29  novembre  1649;  enfin 
l'instruction  des  procès  criminels  était  réservée  au  Parlement. 

Le  coup  était  rude  pour  Alais.  Il  fut  profondément  blessé  de 
cette  décision  ministérielle.  La  noblesse  en  fut  aussi  très-irritée, 

l.  Bibl.  Marseille,  Dek.  24,  p.  82.  —  2.  Mazarinade  3825. 


LA    FRONDE    EN    PROVENCE.  29 

surtout  à  cause  de  l'instruction  criminelle,  qu'on  réservait  aux 
Parlementaires.  A  l'instigation  d'Alais,  quelques  seigneurs  se 
réunirent,  et  rédigèrent  une  protestation  intitulée  :  «  Remon- 
trance des  évêques,  ecclésiastiques,  gentilhomme  s  et  com- 
munautés de  Provence.  »  Cette  pièce  portait  la  signature  du 
marquis  des  Arcs,  de  Gaspard  de  Vintimille  et  des  députés  des 
villes  de  Toulon,  Tarascon,  Hyères,  Brignolles  et  Lorgnes.  Mais 
ces  nobles  s'étaient  compromis  dans  la  guerre,  et  avaient  intérêt 
à  obtenir  des  évocations,  et  ces  villes  étaient  celles  où  dominaient 
les  partisans  du  comte.  Cette  protestation  n'exprimait  donc  que 
les  sentiments  d'une  minorité  très-restreinte.  Aussi  fut -elle  désa- 
vouée, et  le  Parlement  s'en  vengea,  en  envoyant  à  Paris  le  con- 
seiller de  Gallifet,  avec  mission  de  se  plaindre  du  comte  et  de 
demander  pour  la  seconde  fois  son  rappel. 

Gallifet  était  jeune,  audacieux,  plein  d'ambition.  Peut-être 
était-il  réellement  irrité  contre  le  comte,  peut-être  ne  cherchait- 
il  que  l'occasion  défaire  du  bruit.  Toujours  est-il  que  la  harangue 
qu'il  prononça  contre  Alais  est  une  philippique  passionnée  qui 
eut  un  grand  retentissement.  Il  débute  par  des  protestations  de 
fidélité,  et  énumère,  par  une  habile  prétention,  tous  les  crimes  du 
comte.  «  Je  ne  dirai  rien  des  sacrilèges,  des  incendies  et  des 
cruautés,  que  ses  troupes  ont  fait  treize  mois  après  la  paix  sous 
la  faveur  de  ses  ordres.  Je  ne  parlerai  pas  des  arrêts  qu'il  a  cassés 
par  ses  ordonnances,  ni  de  ceux  dont  il  a  empêché  l'exécution, 
ni  de  la  protection  qu'il  a  donnée  dans  Toulon  à  tous  les  criminels 
du  pays,  ni  des  assassinats  commis  par  ses  partisans  en  la  per- 
sonne même  des  principaux  magistrats...  il  me  suffira  de  dire  à 
y.  M.  que,  par  le  cahier  des  plaintes  de  3  à  400  villes  ou  vil- 
lages, on  a  vérifié  depuis  la  paix  plus  de  2,000,000  de  rançon- 
.nements  publics,  par  où  l'on  peut  juger  facilement  des  désordres 
particuliers.  »  Gallifet  rappelle  aussi  les  scandaleux  abus  faits 
du  nom  et  de  l'autorité  royale.  Il  donne  au  roi  de  pédantesques 
conseils  sur  l'utilité  des  bons  choix  et  finit  par  demander  instam- 
ment qu'on  vienne  en  aide  à  la  Provence  en  changeant  son  gou- 
verneur. GaUifet  avait  été  si  violent  dans  l'exposé  de  ses 
plaintes,  que  Condé,  tout  indigné  de  l'audacede  cerobin,  menaça 
publiquement  de  le  faire  mourir  sous  le  bâton,  pour  avoir  ainsi 
traité  son  cousin  ^  Mais  la  cour  ne  pensait  pas  ainsi.  Elle  n'était 

1.  Anquetil,  Espril  de  la  Fronde,  III,  35. 


30  P-    r.AFFAREL. 


pas  tâchée  de  voir  traiter  de  la  sorte  un  prince  du  sang.  Aussi 
le  cardinal  promit-il  sa  protection  à  l'orateur  en  l'assurant  qu'il 
allait  tout  do  suite  s'occuper  des  troubles  de  Provence. 

La  harangue  de  Galliiet  excita  de  véritables  tempêtes  en  Pro- 
vence. Alais,  indigné,  pria  ses  amis  de  répondre.  Une  nouvelle 
guerre  de  plume  commença.  On  a  conservé  quelques  pièces  de  ce 
curieux  débat,  qui  s'engageait  devant  l'opinion  publique,  à  une 
époque  où,  timidement  encore,  commençait  la  liberté  delà  presse. 
Un  de  ces  pamphlets  est  intitulé  ^  :  «  Harangue  faite  au  roy 
et  à  la  reine  régente,  par  le  sieur  Girau,  officier  de  S.  M.,  pour 
la  réforme  du  Parlement  d'Aix.  »  Ce  Girau  attaque  surtout 
Gallifet  :  «  C'est  ce  jeune  homme,  sire,  dit-il,  qui,  se  faisant 
porter  la  queue  jusques  dans  votre  chambre  pour  y  réciter  quel- 
ques périodes  de  ces  déclamations  qu'il  donne  au  public  pour 
essay  de  son  éloquence,  s'imagine  qu'il  ravit  V.  M.,  et  que,  par 
l'artifice  d'une  rhétorique  où  il  croit  exceller,  il  est  capable  de 
diffamer  le  comte  d' Alais...  Son  jeune  esprit,  éblouy  du  faux 
brillant  d'une  faveur  estrangère,  le  faisait  courir  après  le  fan- 
tôme d'une  chimérique  fortune.  »  Girau,  emporté  par  la  colère, 
va  jusqu'à  lui  reprocher  son  origine,  et  le  prétend  issu  d'un 
Turc  :  ce  qui  était  alors  une  bien  grave  injure.  Il  cherche  aussi 
à  prouver  le  néant  de  ses  accusations.  Ainsi  les  quatre  cents  villes 
au  nom  desquelles  il  a  parlé  se  réduisaient  à  cent.  «  Les  cahiers 
des  plaintes  des  dictes  villes  n'existèrent  jamais  que  dans  la 
cervelle  de  cet  ingénieux  député,  et,  s'il  y  en  a  eu  quelques-unes 
en  effet,  ce  ne  sont  que  pièces  fabriquées  dans  la  boutique  des 
vieux  rentiers  de  sa  compagnie,  qui  abusent  de  son  peu  d'expé- 
rience, et,  le  connaissant  capable  de  beaucoup  d'emportement, 
fournissent  à  son  esprit  esvanté  de  semblables  chimères  pour 
exercer  son  caprice.  » 

Montée  à  un  tel  diapason,  la  querelle  ne  pouvait  que  s'éter- 
niser, d'autant  plus  que  la  cour  ne  décidait  rien.  Mazarin  per- 
mettait de  tout  dire,  mais  se  réservait  d3  trancher  la  question 
quand  elle  serait  «  à  point  »  ;  c'est-à-dire  quand  elle  se  résou- 
drait en  sa  faveur.  Il  donnait  à  tout  le  monde  de  bonnes  paroles, 
et  laissait  les  deux  partis  se  ruiner  mutuellement.  «  Cette  con- 
duite ambiguë  et  indéterminée  tenait  les  esprits  en  mouvement  2, 


1.  Mazarinade  1589.  Marseille,  Dek.  24,  p.  140. 

2.  Anonyme,  p.  241. 


LA    FRONDE    EN   PROVENCE.  Si 

et  ne  servait  qu'à  faire  prendre  de  fausses  mesures  à  tous  ceux 
qui  n'étaient  pas  instruits  et  à  former  de  vains  projets  pour  leur 
fortune  particulière.  » 

Les   pamphlets  continuaient.    L'un  d'entre  eux,  encore  en 
faveur  d'Alais  S  est  intitulé  :    «  Les  pensées  du  Provençal 
solitaire  sur  les  affaires  du  temps.  »  Ce  solitaire  se  répand 
en  violentes  invectives  contre  Gallifet.  Il  parle  avec  amertume 
de  sa  vanité,  de  ses  prétentions  à  tout  connaître  et  à  tout  régir. 
Il  justifie  pleinement  le  comte  des  reproches  qu'on  lui  adresse, 
et  s'étend  tout  au  long  sur  sa  magnanimité.  Il  accuse  aussi  le 
Parlement,  entre  autres  peccadilles,  d'avoir  introduit  la  peste  en 
Provence,  et  d'avoir  voulu  brûler  les  galères  de  Marseille.  Ce 
solitaire  est  encore  un  partisan  déterminé  des  princes.  Il  fait  de 
Condéun  éloge  emphatique,  et  s'étonne  que  le  Parlement  de  Paris 
ait  suivi  l'exemple  du  Parlement  d'Aix.  On  répondit  à  cette  bro- 
chure^  «  La  response  du  fidèle  Provençal  au  calomniateur 
sur  les  troubles  de  Provence  »  est  la  contre-partie  de  la  pré- 
cédente. L'auteur  s'attache  à  justifier  le  Parlement  de  tous  les 
crimes  dont  on  l'accuse.  Il  n'a  pas  grand'peine  à  démontrer 
l'inanité  de  la  plupart  de  ces  accusations,  mais,  quand  il  veut 
aussi  défendre  les  personnes,  ses  arguments  sont   bien  faibles. 
Sa  verve  est  intarissable   toutes  les  fois  qu'il  prend  à  partie 
Alais  et  ses  partisans.  Il  les  compare  à  ces  enfants  réduits,  pour 
se  défendre,  à  cracher  au  nez  de  leurs  adversaires,  et  montre 
combien  le  Parlem.ent,  qu'on  accusait  de  lancer  au  hasard  des 
mandats  d'amener,  avait  au  contraire  raison  de  traduire  à  sa 
barre  des  hommes  chargés   de  crimes,   tels   que  Vintimille, 
Meaux,  etc.  Quant  à  Alais,  il  lui  reproche  d'avoir  fait  pour 
quatre  millions  de  dégâts  vérifiés,  de  n'exécuter  aucun  des  ordres 
de  la  justice,  et  de  se  préparer  ouvertement  à  la  guerre. 

Cette  dernière  accusation  était  vraie.  Alais  était  sorti  de  son 
calme  habituel.  L'accusation  de  concussion  l'avait  blessé,  parce 
qu'elle  l'attaquait  dans  son  honneur  de  gentilhomme.  Au  même 
moment  le  Parlement  venait  encore  de  lancer  un  arrêt  contre 
lui  pour  avoir  permis  à  ses  créatures  de  sortir  des  blés  de  Pro- 
vence, malgré  les  ordres  formels  du  roi  ^,  et  de  s'être  enrichi 
de  la  famine  publique.  Alais  s'emporta  en  paroles  grossières 


1.  Mazarinade  2744.  Marseille,  Dek.  24,  p.  108. 

2.  Mazarinade  3429.  Marseille,  Dek.  24,  p.  113. 


32  P.    r.AFFAREL. 

contre  ses  ennemis.  Il  dit  et  répéta  qu'il  ne  désirait  que  la  ven- 
geance. Aussi  ses  partisans,  autorisés  par  ses  déclarations,  se 
crurent-ils  tout  permis  contre  leurs  adversaires.  Il  n'y  eut  bien- 
tôt plus  de  sûreté  sur  les  routes.  On  ne  se  rencontrait  plus  qu'à 
coups  de  pistolet.  M.  de  Sessan  tue,  à  Lorgnes,  Vitalis,  avocat 
général  à  la  Cour  des  Comptes  :  il  est  à  son  tour  assailli  sur  le 
chemin  de  Salon,  reçoit  plusieurs  coups  de  pistolet,  et  est  jeté 
en  prison.  Le  comte  ordonne  de  le  délivrer  :  personne  n'obéit,  et 
il  meurt  des  suites  de  ses  blessures.  D'autres  Parlementaires  sont 
assassinés,  Melan  à  Saint-Maximin,  Rougier  à  Pertuis'.  Le  Par- 
lement se  venge  en  condamnant  à  mort  les  auteurs  présumés  du 
crime,  Meaux  et  Vintimille.  L'exaspération  était  à  son  comble. 
Il  fallait  que  la  cour  intervînt  à  tout  prix ,  à  moins  d'éterniser 
dans  le  pays  une  guerre  terrible. 

Mazarin  se  décida  alors  à  envoyer  secrètement  en  Provence 
Varennes,  gentilliomme  de  la  chambre  du  roi,  avec  mission 
d'étudier  la  situation,  et  surtout  de  sonder  les  sentiments  d'Alais. 
Yarenues  se  rendit  en  effet  à  Salon,  où  le  Parlement  avait  cherché 
un  asile  contre  la  peste,  et  à  Pertuis  où  étaient  les  procureurs  du 
pays.  Dès  qu'il  se  fut  convaincu  de  leurs  sentiments  royalistes, 
et  surtout  de  leurs  sympathies  ministérielles,  il  se  rendit  à  Mar- 
seille, et  y  fut  témoin  d'une  de  ces  scènes  dramatiques,  qui  mon- 
trent parfois  sous  un  si  beau  jour  nos  populations  méridionales. 
On  venait  d'apprendre  que  l'Espagne  avait  dirigé  contre  la  ville 
un  armement  formidable.  Aussitôt  tout  le  monde  avait  pris  les 
armes,  et  offert  ses  services  au  lieutenant  de  l'amirauté  ^. 
Varennes  comprit  qu'une  population  aussi  dévouée,  aussi  patrio- 
tique, ne  se  révolterait  jamais  contre  le  roi.  Il  se  dirigea  donc 
vers  Toulon,  où  se  tenait  le  comte.  Mais  celui-ci  soupçonnait  le 
but  de  son  voyage.  Il  le  reçut  fort  mal  ^,  s'en  fit  un  ennemi ,  et  le 
renvoya  presque  à  Paris. 

Varennes  avait  la  confiance  du  cardinal.  Lorsqu'il  lui  ren- 


1.  Mazarinade  3816.  Supplique  du  Parlement  de  Provence  au  roi. 

2.  Anonyme,  p.  217. 

3.  Ce  qui  excitait  encore  la  fureur  du  comte,  c'est  que  le  Parlement  venait  de 
lui  iniliger  un  nouvel  affront.  Un  de  ses  gendarmes,  Senez  L'Olive,  avait  été  con- 
damné aux  galères  par  le  Parlement,  et  retenu  dans  la  prison  d'Aix,  parce  que 
les  galères  étaient  à  Toulon,  alors  tonte  dévouée  au  comte.  Alais  avait  en  vain 
intercédé  pour  celui  qu'il  appelait  son  martyr,  il  n'avait  pu  obtenir  son  élargis- 
sement. De  là  son  irritation. 


LA   FRONDE    EN   PROVENCE.  33 

dit  compte  de  sa  mission  *,  il  lui  parla  avec  éloges  de  la  fidélité  du 
Parlement  et  du  patriotisme  des  Marseillais.  Au  contraire  il  lui 
dépeignit  sous  les  couleurs  les  plus  noires  le  comte  d'Alais,  le 
représenta  comme  très  attaché  au  parti  des  princes,  et  sur  le  point 
de  se  déclarer  avec  eux  contre  le  cardinal.  Il  n'en  fallait  pas 
tant  pour  décider  ce  dernier,  d'autant  plus  qu'Alais  était  dans 
son  tort,  puisqu'il  n'exécutait  pas  les  conditions  de  la  paix  de 
Saint-Aignan.  Le  roi,  ou  plutôt  Mazarin,  donna  donc  l'ordre  au 
comte  d'Alais  de  venir  à  Paris,  pour  y  donner  des  explications 
sur  sa  conduite.  On  se  contentait  de  le  rappeler,  sans  lui  ôter 
son  rang  de  gouverneur  de  province,  et,  en  même  temps,  pour 
lui  montrer  que  la  cour  n'avait  pas  dans  la  question  de  parti  pris, 
on  citait  à  comparaître  le  comte  de  Garces.  Les  deux  chefs  mili- 
taires s'expliqueraient  en  présence  du  gouvernement,  et,  une  fois 
qu'on  les  aurait  réconciliés,  on  les  renverrait  en  Provence. 

Tel  était  le  prétexte  allégué  :  mais  Mazarin  comptait  bien 
ne  jamais  permettre  au  comte  de  revenir  en  Provence.  Celui-ci  le 
comprenait  sibien  qu'il  prétexta  mille  empêchements  avantd' obéir. 
Quelques  gentilshommes,  excités  par  lui,  allèrent  même  à  Paris 
supplier  le  roi  de  laisser  Alais  dans  son  gouvernement.  «  Mais 
à  ces  députés  il  ne  fut  répondu  autre  chose,  mais  qu'il  falloit 
obéir  au  roy  ^  ».  Comme  néanmoins  Alais  ne  se  pressait  pas, 
Mazarin  nomma  en  son  lieu  et  place,  pour  commander  en 
son  absence,  le  marquis  d'Aiguebonne.  Une  seconde  lettre  du 
roi,  du  18  octobre  1650,  ordonnait  de  ne  plus  le  reconnaître 
comme  gouverneur,  si,  au  bout  de  huit  jours,  il  n'était  pas 
parti.  Alais  effrayé  se  décida.  Mais  il  obtint  auparavant  un 
arrêt  du  conseil,  portant  défense  au  Parlement  d'entreprendre 
aucune  affaire  contre  ses  partisans  avant  quatre  mois.  Quelques 
jours  après  il  apprenait  aussi  avec  satisfaction  que,  dans  une 
assemblée  des  communautés  tenue  à  la  Valette  près  Toulon  (nov. 
1650),  on  avait  rendu  justice  à  son  désintéressement,  et  on  l'avait 
complètement  lavé  du  soupçon  d'avoir  trafiqué  de  son  pouvoir. 
Son  honneur  de  gentilhomme  restait  donc  sain  et  sauf  ^. 

Alais,  malgré  ce  témoignage  honorable,  se  sentait  perdu.  Il 
se  voyait  forcé  d'accepter  la  volonté  d'un  ministre  odieux.  Un 


1.  Anonyme,  p.  218. 

2.  Bouche,  t.  II,  p.  966. 

3.  Anonyme,  p.  202-204. 

ReV.    HiSTOR.     V.     l^''    FASC. 


;iî  1'.    r.AFFAREL. 

instant  il  t'ut  la  tontation  d'écouter  ses  cousins,  les  Gondé,  et  de 
se  jeter  lui  aussi  dans  les  hasards  de  la  guerre  civile.  Mais  il  fal- 
lait un  caractôiv  autrement  trempé  que  le  sien,  et  une  tout  autre 
résolution  pour  imiter  leur  exemple.  D'ailleurs  il  était  découragé 
par  ses  échecs  continuels,  et  se  croyait  condamné  à  ne  jamais 
réussir.  Il  prit  donc  tristement  la  route  de  Paris. 

Déjà  Garces  l'y  avait  précédé.  A  la  première  invitation  du 
roi,  il  avait  obéi  sur  le  champ.  Il  est  vrai  que  le  Parlement  lui 
avait  offert  10,000  livres  pour  les  frais  de  ce  voyage  imprévu, 
et  l'avait  assuré  de  toutes  ses  sympathies.  Garces  était  parti 
sans  résistance ,  car  il  savait  à  l'avance  qu'il  serait  bien  ac- 
cueilli, et  reviendrait  bientôt.  Alais  au  contraire  renonçait  avec 
peine  à  sa  vice-royauté  du  midi.  Garces  laissait  derrière  lui 
de  nombreux  amis.  Les  partisans  d' Alais  étaient  rares,  fati- 
gués par  leurs  échecs,  et  ne  pouvaient  plus  se  maintenir  que  par  la 
guerre  civile.  La  cause  d' Alais  était  donc  une  cause  perdue.  Il 
ne  lui  restait  plus  qu'à  subir  la  loi  du  vainqueur,  et  à  ses  amis 
à  obtenir  de  bonnes  conditions  avant  de  se  soumettre. 

II. 
Sabreurs  et  Canivets  (21  Décembre  1650 —  9  Novembre  1651). 

Le  marquis  d'Aiguebonne,  délégué  au  gouvernement  de  Pro- 
vence en  l'absence  du  comte  d' Alais,  était  Dauphinois.  Il  appar- 
tenait à  une  famille  honorablement  connue  en  Provence.  Mais, 
dans  les  circonstances  présentes,  il  eût  fallu  un  homme  d'une 
rare  énergie  pour  contenir  les  factions,  et  le  nouveau  comman- 
dant semblait  au  contraire  effrayé  de  la  lourde  responsabilité 
qui  pesait  sur  lui.  Dans  un  poste  secondaire  il  eut  fort  bien  tenu 
sa  place,  car  il  avait  du  courage  et  de  l'intelligence  :  mais,  à  la 
tête  d'une  province  en  désordre,  il  ne  pouvait  qu'augmenter 
l'anarchie.  Régusse  accuse  même  *  Mazarin  de  l'avoir  choisi  en 
connaissance  de  cause,  afin  de  perpétuer  les  divisions.  Ge  que 
nous  savons  de  la  politique  du  cardinal  rendrait  cette  hypothèse 
plausible. 

Aiguebonne  entra  à  Aix  le  21  décembre  1650.  On  lui  rendit 

l.  Régusse,  80. 


LA    FRONDE    EN   PROVENCE.  35 

les  honneurs  qu'on  avait  accordés  jadis  au  maréchal  de  Vitry  * . 
A  la  porte  Saint-Jean  on  avait  dressé  en  son  honneur  un  arc  de 
triomphe  avec  cette  pédantesque  inscription  : 

Quam  hona  se  nostris  haec  Aqua  miscet  Aquis  ! 

Malgré  ces  témoignages  empressés,  le  nouveau  commandant  ne 
resta  pas  longtemps  à  Aix.  Soit  que,  par  orgueil,  il  ne  voulut  point 
résider  dans  une  capitale,  dont  un  autre  que  lui  était  le  gouverneur 
titulaire,  soit  que,  par  antipathie  instinctive  pour  les  mœurs  bru- 
yantes et  le  caractère  démonstratif  des  Aixois,  ilait  cherchéà  vivre 
loin  d'eux,  il  ne  parut  plus  dans  cette  ville  qu'à  de  rares  inter- 
valles. Sa  résidence  habituelle  fut  la  terre  d'Aiguës.  Dès  lors,  les 
Aixois,  livrés  à  eux-mêmes,  se  crurent  tout  permis;  les  autres 
villes  comprirent  bien  vite  que,  sous  un  pareil  chef,  elles  pou- 
vaient agir  à  leur  guise  ;  l'anarchie  gagna  promptement  les 
campagnes;  la  guerre  civile  continua  avec  un  acharnement 
extraordinaire,  et  les  partis,  désignés  dorénavant  sous  le  nom  de 
Sabreurs  et  de  Canivets,  s'entre-déchirèrent  mutuellement. 

Quelle  est  l'origine  de  ce  nom  de  Sabreurs?  Un  des  députés  que 
le  parlement  d' Aix  avait  envoyés  à  Paris  pour  y  solliciter  le  ren- 
voi d'Alais,  était  le  baron  de  Saint-Marc ,  premier  consul  d'Aix. 
Il  accusait  de  tiédeur  les  membres  du  Parlement,  et,  avec  son 
emphase  méridionale,  répétait  à  tout  venant  qu'il  les  sabrerait 
tous.  De  là  le  nom  de  Sabreurs  qui  resta  attaché  à  ce  parti.  Les 
véritables  chefs  du  parti  étaient  le  prince  de  Gonti,  auquel  Anne 
d'Autriche  avait  presque  promis  le  gouvernement  de  la  Provence, 
et  son  frère  le  prince  de  Condé.  L'un  et  l'autre,  pour  mieux  asseoir 
leur  autorité  future,  cherchèrent  à  se  faire  des  partisans  dans  le 
pays.  Saint-Marc  était  pauvre  et  intéressé.  Dès  que  Condé  lui  eut 
promis  une  compagnie  de  carabins  dans  son  régiment  de  cavale- 
rie, il  devint  un  des  plus  fermes  soutiens  des  princes  ^  Le  second 
député ,  Gallifet  de  Tholonet ,  se  laissa  aussi  séduire  par  la 
promesse  de  la  première  présidence  au  parlement  d'Aix.  Vif, 
turbulent,  ambitieux,  il  profita  de  son  séjour  à  Paris  «  pour 
écrire  souvent  des  lettres  au  Parlement,  qui  contenaient  les  avan- 
tages de  M.  le  prince,  et  les  faiblesses  de  la  cour^  »  Un  de  ses 


1.  Bouche,  II,  967. 

2.  Régusse,  75. 

3.  Id.  77. 


3G  V-    r.AFFAUEL. 

émissaires,  lîarbeutane ,  porteur  de  nombreuses  lettres  de 
créance  des  princes,  s'installa  à  Aix,  et  promit  monts  et  merveil- 
les en  leur  nom.  Le  capitaine  des  gardes  de  Conti,  Duménil,  vint 
aussi  dans  le  pays.  Il  s'arrêta  à  la  Tour  d'Embouc,  puis  à  Berre, 
et  fit  savoir  qu'il  avait  de  nombreuses  connuissions  en  blanc.  Ces 
tentatives  ne  furent  pas  inutiles,  et  quelques  membres  du  Parle- 
ment eurent  le  tort  de  s'engager  dans  ce  parti,  et  bientôt  d'entrer 
en  révolte  ouverte  contre  l'autorité  royale. 

Le  plus  influent  de  ces  parlementaires  Sabreurs  fut  le  prési- 
dent d'Oppède  ;  voici  comment  il  fut  amené  à  trahir  ses  devoirs. 

Le  premier  président  de  Mesgrigny  avait  annoncé  son  désir  de 
quitter  la  place.  Il  s'agissait  de  lui  donner  un  successeur.  Deux 
candidats  étaient  en  présence.  Tous  deux  également  apparte- 
naient à  de  vieilles  familles  parlementaires;  tous  deux  étaient 
riches,  bien  posés  dans  le  pays,  et  paraissaient  avoir  les  mêmes 
droits.  C'étaient  Oppède  et  Régusse.  Le  premier,  plus  impa- 
tient ou  plus  ambitieux,  jugea  que  le  meilleur  moyen  d'arriver  à 
cette  haute  position  était  de  vendre  son  appui  à  l'un  des  partis 
qui  se  disputaient  le  pouvoir.  Il  fit  demander  à  Conti  quelles 
étaient  ses  intentions,  et  dès  qu'il  eut  appris  que  le  prince  lui 
sacrifiait  non  seulement  Régusse,  mais  encore  Gallifet,  il  n'hé- 
sita plus,  et  se  mit  résolument  à  la  tête  des  Sabreurs.  Sa  déci- 
sion fut  bientôt  connue,  et  donna  une  singulière  force  à  ce 
parti.  Il  entraîna  avec  lui  l'avocat  général  de  Chasteuil,  le  pré- 
sident la  Roque,  les  conseillers  de  Boyer,  d'Escalis,  et  d'Autome. 
D'abord  tout  sembla  leur  réussir.  Comme  premier  gage  de  leur 
alliance  avec  les  princes,  ils  déterminèrentle  Parlement  à  rendre, 
à  l'exemple  du  Parlement  de  Paris,  un  arrêt  contre  Mazarin, 
alors  exilé  volontaire  auprès  de  son  ami  l'archevêque  de  Cologne. 
De  la  sorte  les  deux  Parlements  de  Paris  et  d'Aix  faisaient  cause 
commune  :  les  Sabreurs,  s'unissant  aux  Frondeurs,  entraî- 
naient le  pays  avec  eux,  et  détachaient  une  nouvelle  province  de 
la  cause  royale. 

Mais  les  Sabreurs  avaient  en  face  d'eux  des  ennemis  détermi- 
nés, qui  venaient ,  il  est  vrai,  d'avoir  le  dessous  dans  ce 
premier  engagement ,  mais  semblaient  résolus  à  ne  pas 
céder  de  nouveau.  On  les  nommait  les  Canivets  ou  taille- 
plumes.  Ce  surnom  ironique  leur  avait  été  donné  par  mépris, 
parce  qu'on  les  supposait  incapables  de  se  servir  d'une  autre  arme 
que  de  leurs  canifs  à    tailler  leurs  plumes.  Le  chef  du  parti 


LA   FRONDE    EX    PROVENCE.  37 

était  Régusse  ,  le  rival  d'Oppède.  Le  président  de  Régusse 
s'était  toujours  prononcé  contre  les  mesures  violentes.  Forcé  par 
sa  position  de  se  déclarer  contre  Alais,  il  s'était  rapproché  de 
lui  aussitôt  que  l'honneur  l'avait  permis,  et  avait  prêché  la  con- 
ciliation. Le  cardinal  de  Mazarin  lui  tenait  compte  de  cette  sage 
conduite,  et  Régusse  était  son  partisan  dévoué.  Il  lui  prouva 
la  sincérité  de  son  dévouement  par  des  actes,  qui  paraîtraient 
désintéressés,  s'ils  n'eussent  été  profondément  habiles.  Il  avait  sur 
le  cardinal  de  Sainte  Cécile  une  créance  de  60,000  francs,  à  pro- 
pos de  l'entreprise  manquée  d'Orbitello.  Quand  Mazarin  fut  en 
exil  à  Cologne,  les  ennemis  du  ministre  tombé  proposèrent  à 
Régusse  d'acheter  cette  créance,  afin  de  s'indemniser  sur  les  biens 
que  le  cardinal  possédait  en  Provence.  Or,  non  seulement  il 
refusa  de  réclamer  ^  ce  qui  lui  était  dû,  mais  encore  offrit  au 
proscrit  sa  bourse  et  son  crédit.  Il  lui  rendit  un  plus  grand  ser- 
vice, en  soutenant  ses  amis  de  Provence,  et  en  ralliant  peu  à  peu 
autour  de  lui  tous  ceux  qu'effrayait  la  perspective  de  longues 
guerres  civiles.  Le  lendemain  même  du  jour  où  Oppède  se 
croyait  assuré  du  triomphe ,  après  avoir  obtenu  du  Parle- 
ment un  arrêt  contre  Mazarin,  Régusse  lui  enlevait  les  fruits 
de  sa  victoire  en  provoquant  un  revirement  inattendu.  Il 
avait  effrayé  ses  collègues  sur  les  conséquences  de  cet  acte 
qu'il  présenta  comme  une  déclaration  de  guerre,  et,  sur  ses  ins- 
tances le  Parlement  envoya  au  duc  d'Orléans  une  explication  de 
son  arrêt  contre  Mazarin  ^.  Cette  manœuvre  était  habile.  Elle 
atténuait  tout  l'effet  de  la  première  déclaration.  Elle  prouvait  que 
les  Canivets,  déconcertés  un  instant,  s'étaient  vite  rassurés,  et 
se  montraient  disposés  à  soutenir  l'attaque. 

Dès  lors  en  effet  les  progrès  des  Canivets  sont  constants.  Leur 
nombre,  leur  importance,  leurs  ressources  augmentent  tous  les 
jours.  En  vain  Oppède,  Gallifet,  Saint  Marc,  et  les  autres  chefs 
des  Sabreurs  multipliaient  leurs  promesses.  L'instinct  de  la  léga- 
lité, toujours  vivace  en  France,  avertissait  les  Provençaux  que 
la  bonne  cause  n'était  pas  de  leur  côté.  On  les  considéra  peu  à 
peu  comme  des  factieux,  on  s'éloigna  d'eux,  on  les  méprisa. 

Duménil,  l'agent  de  Conti,  avait  d'abord  assez  bien  réussi  : 
bientôt  ses  avances  devinrent  inutiles  ^  Il  eut  beau  se  rendre 

1.  Id.  114-115. 

2.  Papon,  p.  535. 

3.  Anonyme,  258. 


:{S  p.    r.AFFAREL. 

;\  Marseille  et.  promettre  h  Valbolle,  an  nom  des  princes,  qu'il  lui 
accorderait  tout  ce  qu'il  demanderait,  si  Marseille  était  livrée 
aux  Sabreurs;  Valbelle  répondit  à  ces  propositions  en  en- 
voyant h  Aix  le  second  consul,  Mazenod  et  offrit  aux  Canivets 
les  secours  des  Marseillais  contre  leurs  ennemis.  Duménil  décou- 
ragé revint  alors  en  Guyenne,  où  les  princes  soutenaient  la 
guerre  contre  le  roi,  et  ne  rougissaient  pas  d'être  à  la  solde  de 
l'étranger.  Ce  départ  éclairait  la  situation.  Dès  lors  les  Sabreurs, 
qui  taisaient  cause  commune  avec  les  princes,  et  par  conséquent 
avec  les  Espagnols,  n'étaient  plus  seulement  des  factieux;  ils 
étaient  aussi  des  ennemis  publics.  Régusse  fut  enchanté  de  ce 
départ,  qui,  du  jour  au  lendemain,  doublait  les  forces  de  son 
parti*. 

Mais  les  Sabreurs  n'étaient  pas  hommes  à  renoncer  aussi  faci- 
lement à  leurs  projets.  Ruinés  dans  leur  influence  politique,  ne 
pouvant  plus  espérer  réussir  par  les  voies  légales,  ils  voulurent 
essayer  de  la  violence.  La  grande  affaire  pour  eux  était  de  s'em- 
parer d'Aix  et  de  Marseille.  A  Marseille  le  maître  de  la  situation 
était  Valbelle.  Il  n'avait  jamais  dévié  dans  ses  sentiments  de 
fidélité  au  Parlement.  Il  l'avait  soutenu  contre  Alais,  il  le  sou- 
tenait maintenant  contre  ses  nouveaux  ennemis  :  aussi  le 
Semestre  et  les  Sabreurs  le  haïssaient-ils  cordialement.  Pour  se 
débarrasser  de  sa  gênante  opposition,  on  eut  recours  à  l'assassi- 
nat. Un  patron  pêcheur  de  la  Ciotat  lui  remit  un  jour  une  petite 
caisse  qui  était  censée  renfermer  des  raretés  du  Levant.  Par 
hasard  cette  caisse  fut  déposée  sur  la  balustrade  du  perron  de  la 
maison.  Valbelle  l'ouvrit,  et  voyant  aussitôt  briller  des  flam- 
mes, il  eut  la  présence  d'esprit  de  jeter  la  caisse  dans  la  cour,  oîi 
elle  éclata  avec  un  bruit  terrible  ^  Il  en  fut  quitte  pour  avoir  la 
paume  de  la  main  et  une  partie  du  visage  brûlés.  Deux  person- 
nes, alors  près  de  lui,  furent  légèrement  blessées.  Cet  affreux 
attentat  excita  l'indignation  générale.  Les  Marseillais  se  dispo- 
saient à  courir  sus  à  tous  ceux  qu'on  soupçonnait  dans  la  ville 
d'appartenir  au  parti  du  Semestre  ou  à  celui  des  Sabreurs.  Il  fal- 
lut que  Valbelle  se  montrât  au  public,  pour  arrêter  le  mouve- 

1.  Mazarinade,  3164.  «  Relation  envoyée  par  un  gentilhomme  de  Provence  à 
un  de  ses  amis  de  Paris  sur  ce  qui  s'est  passé  en  la  ville  d'Aix  au  sujet  de 
quelques  factieux  qui  voulaient  causer  du  désordre,  et  de  Varrêt  du  Parle- 
ment donné  contre  eux.  » 

2.  20  septembre,  d'après  l'anonyme,  27  d'après  Bouche. 


LA    FRONDE    Ei\    PROVENCE.  30 

ment.  On  remarqua  qu'il  avait  dit  avec  sang  froid  :  «  Cette 
entreprise  fera  plus  de  tort  à  ses  auteurs  qu'elle  ne  m'a  fait  de 
mal  à  moi  ^  »  En  effet,  dès  ce  moment,  Marseille  resta  fidèle  à 
ses  sentiments  dévoués  pour  le  Parlement.  L'entreprise  avait 
avorté. 

Les  Sabreurs  ne  furent  pas  plus  heureux  à  Aix.  Le  3  sep- 
tembre 1651,  après  une  discussion  entre  Chasteuil  et  Saint 
Marc^  ce  dernier  se  rendait  au  Palais,  suivi  de  ses  adhérents 
qui  criaient  :  «  Vive  le  Roi  !  vive  Monsieur  le  prince  !  »  Mais  il 
ne  rassembla  pas  beaucoup  de  monde.  Il  rangea  ses  hommes 
sur  la  place  des  Prêcheurs,  et  attendit  les  Canivets^  Ceux- 
ci  n'étaient  pas  restés  inactifs.  La  dame  de  Venel,  que  le 
peuple  aimait  avec  passion,  depuis  qu'elle  s'était  dévouée  à  soi- 
gner les  pestiférés,  se  présenta  une  épée  à  la  main,  un  pistolet 
de  l'autre,  en  criant  :  «  Viva  lou  Rei!  Fouero  lou  Sabro^!  » 
A  cette  vue,  le  peuple  excité  court  aux  armes.  Les  passions  s'al- 
lument; les  cris  redoublent.  Régusse,  Antelmi,  Guérin  se  met- 
tent à  la  tête  des  ouvriers,  et  courent  à  la  place  des  Prêcheurs. 
Le  régiment  de  Vendôme,  de  passage  à  Aix,  leur  offre  son  con- 
cours. En  un  clin  d'œil  l'hôtel  de  ville  est  pris,  les  postes  occupés, 
les  principales  portes  gardées,  et  les  Sabreurs  forcés  de  souscrire 
un  arrangement  que  leur  ménagèrent  l'archevêque  d'Arles  et  le 
prieur  de  Grand-Bois.  Ils  sortirent  de  la  ville,  et  reçurent  une 
escorte  pour  s'éloigner  avec  sûreté.  Régusse,  Antelmi  et  Guérin 
commandèrent  cette  escorte.  Eux  seuls  pouvaient  empêcher 
tout  excès,  et  faire  observer  la  capitulation. 

Les  Sabreurs  se  retirèrent  à  Toulon,  dont  la  garnison  appar- 
tenait au  comte  d'Akis.  Ils  y  attendirent  l'occasion  de  reprendre 
la  lutte.  Les  Canivets,  fiers  de  leurs  succès,  ordonnèrent,  après  le 
départ  de  leurs  ennemis,  la  levée  de  plusieurs  compagnies  bour- 
geoises; ils  firent  murer  toutes  les  portes  sauf  trois,  et  en  con- 
fièrent la  garde  à  des  magistrats  qui  recevaient  un  mot  d'ordre 
du  plus  ancien  des  présidents,  M.  de  la  Roquette.  Le  roi  et 
Anne  d'Autriche  témoignèrent  à  ce  dernier  leur  satisfaction. 
La  reine  mère  s'avança  même  jusqu'à  dire  que  le  Parlement 
et  la   Provence  avaient  affermi  la  couronne  sur  la  tête  de  son 

1.  Bouche,  II,  98. 

2.  Anonyme,  247. 

3.  Id.  254. 

4.  Vive  le  roi  !  Hors  la  vill«  le  Sabre. 


(lAFPAHKI,. 


fils'.  En  effet  la  Savoie  et  l'Espagne  se  prêj)araient  déjh  à  envahir 
la  Provence,  pour  peu  qu'elle  se  fût  déclarée  pour  les  princes. 

Malgré  leur  insuccès  de  Marseille  et  leur  défaite  d'Aix,  malgré 
l'hostilité  de  la  cour,  les  Sabreurs  n'avaient  pas  renoncé  à  leurs 
projets.  Ils  trouvèrent  un  auxiliaire  inattendu  dans  la  personne 
du  marquis  d'Aiguebonne.  Soit  insouciance,  soit  impuissance, 
soit  habileté,  Aiguebonne  ne  s'était  prononcé  jusque  là  pour 
aucun  parti.  Mais  les  Sabreurs  surent  exciter  sa  jalousie.  Le 
comte  de  Carces  venait  de  rentrer  à  Aix  (6  octobre  1651).  Per- 
sonne ne  l'y  attendait.  Il  rassura  les  Aixois  en  leur  déclarant 
qu'il  n'avait  quitté  Paris  que  par  ennui,  et  qu'il  ne  désirait  plus 
qu'une  chose,  rester  tranquille  ^.  En  effet  il  se  contenta  dès  lors 
d'observer  la  plus  stricte  neutralité.  Mais  les  Sabreurs  représen- 
tèrent au  marquis  d'Aiguebonne  combien  il  était  honteux  au 
lieutenant  du  roi  d'habiter  une  méchante  résidence,  tandis 
qu'un  rebelle  recevait  à  Aix  tous  les  honneurs.  Aiguebonne 
se  laissa  prendre  à  ces  perfides  insinuations.  Il  annonça  qu'il 
rentrerait  dans  sa  capitale  à  la  tête  de  ses  troupes,  dont  les 
Sabreurs  exilés  s'apprêtèrent  à  grossir  les  rangs  (9  novembre 
1651). 

Régusse  3  effrayé  supplia  le  marquis  de  ne  point  poursuivre 
sa  marche  :  il  ne  l'assurait  pas  d'une  bonne  réception.  Aigue- 
bonne, qui  avait  réfléchi  aux  conséquences  de  sa  détermination, 
s'arrêta  en  effet.  Mais,  poussé  à  bout  par  les  railleries  des  Sa- 
breurs, il  marcha  en  avant.  Pour  la  seconde  fois  Régusse  le 
supplia  de  ne  pas  aller  plus  loin,  et  lui  rappela  sa  promesse. 
Aiguebonne ,  qui  semblait  sur  ce  point  élevé  à  l'école  de 
Lysandre  et  deMazarin,  lui  répondit  «  qu'en  matière  de  volonté, 
comme  de  testament,  la  dernière  révoquait  la  première.  »  Mais, 
s'il  avait  la  duplicité,  il  n'avait  ni  le  talent  ni  le  bonheur  de  ses 
maîtres  en  politique.  Au  moment  où  il  franchissait  enfin  la  porte 
de  la  ville,  et  écoutait  les  harangues  des  corps  constitués,  quel- 
ques gentilhommes  firent  lever  le  pont  levis,  et  un  coup  de  pisto- 
let partit  par  hasard.  Aiguebonne  croit  qu'on  en  veut  à  sa  vie. 
Il  ordonne  à  ses  soldats  de  décharger  leurs  fusils,  et  s'enfuit, 
poursuivi  par  les  huées  et  les  pierres  de  la  populace.  A  peine  hors 


1.  Pitton,  456. 

2.  Anonyme,  259. 

3.  Régusse,  91. 


LA    FRONDE    EN    PROVENCE.  4^ 

de  la  ville  il  compose  et  publie  un  violent  manifeste  contre  le 
Parlement,  et  s'apprête  à  recommencer  contre  Aix  le  siège  qui 
avait  failli  réussir  au  comte  d'Alais.  Régusse  répondit  par  un 
autre  manifeste,  et  envoya  le  conseiller  de  Canet  à  Paris  pour 
demander  un  gouverneur^.  La  cour,  dont  la  politique  était  déci- 
dément d'éterniser  les  troubles,  répondit  d'abord  très-sévèrement 
à  la  lettre  de  Régusse  :  mais,  dans  une  autre  lettre  de  la  reine 
mère  adressée  au  président  de  la  Roquette,  cette  dernière  lui 
annonçait  qu'Alais  ne  reviendrait  jamais  en  Provence,  et  qu'on 
lui  donnerait  bientôt  un  remplaçant. 


m. 


Union  des  Sabreurs  et  du  Semestre  (9  novembre  1651  — 
13  novembre  1652). 

Les  Canivets  triomphaient  pour  la  seconde  fois.  L'entrée  man- 
quée  d'Aiguebonne  à  Aix  l'avait  ridiculisé  ;  les  Sabreurs  battus 
et  chansonnés  semblaient  perdus.  Mais  comme  ils  comptaient 
sur  le  secours  des  princes,  ils  résolurent,  malgré  leur  double 
échec,  de  continuer  la  lutte.  L'arrivée  de  Gallifet  vint  très  à 
propos  relever  leur  courage.  Gallifet,  remplacé  à  Paris  par  Vil- 
leneuve, s'était  enfin  décidé  à  rentrer  en  Provence,  mais  il  était 
tout  dévoué  au  prince  de  Conti  et  à  Condé,  avec  lesquels  il  avait 
eu  une  dernière  entrevue  à  Montrond.  Comme  il  savait  que  le 
Parlement  d'Aix  désapprouvait  sa  conduite,  il  n'osa  pas  rendre 
compte  en  personne  de  sa  mission,  mais  s'arrêta  dans  sa  terre  du 
Tholonet,  et,  de  là,  instruisit  le  Parlement  de  tout  ce  qu'il  avait 
fait  à  Paris.  C'était  un  manque  de  procédés.  Le  Parlement  s'en 
offensa,  et  le  somma  de  venir  se  justifier  en  personne.  Gallifet 
refusa.  Aussitôt  on  le  décréta  de  corps,  et  deux  membres  de  la 
cour  furent  chargés  d'exécuter  le  mandat.  Ils  auraient  bien  voulu 
s'en  dispenser,  mais  le  Parlement  déclara  «  que  les  magistrats 
seraient  à  l'avenir  obligés  de  vaquer  au  fait  des  commissions  qui 
leur  seraient  données,  à  peine  d'être  privés  de  leurs  gages,  sauf 
toutefois  une  légitime   excuse  ^    »    Gallifet,   prévenu  à  temps, 

1.  Anonyme,  263. 

2.  Bouche,  II,  971. 


p.    «-.AFFAIIKL. 


s'échappa  et  se  rendit  à  Toulon,  où  l'attendaient  déjà  les  princi- 
paux Sabreurs. 

Sur  ces  entrefaites  (fin  1651),  on  apprit  que  Mazarin  venait 
de  rentrer  en  France  avec  une  armée  levée  à  ses  frais,  et  qu'il 
avait  rejoint  la  cour  à  Poitiers.  Cette  audace  du  ministre  pros- 
crit ct)mbla  de  joie  Rêgusse  et  les  Canivets.  Ils  la  célébrèrent 
par  des  épigrammes  contre  leurs  ennemis  anciens  ou  nouveaux  ^  : 

Le  cardinal  est  à  la  porte  : 
Frondeurs,  n'êtes-vous  pas  surpris? 
Vous  avez  mis  sa  tête  à  prix, 
Et  lui-même  la  vous  apporte. 
Il  est  de  bien  loin  revenu 
Pour  gaigner  le  prix  convenu. 
Tenez  la  récompense  prête. 
Si  vous  voulez  sauver  un  corps 
Malade  dedans  et  dehors, 
Vous  avez  besoin  de  sa  tête. 

Ils  condamnèrent  même  à  être  publiquement  brûlée  une  bro- 
chure qui  depuis  longtemps  circulait  dans  le  pays.  C'était  une 
justification  et  une  apologie  du  comte  d'Alais  intitulée  :  «  La 
vérité  manifestée  su?"  les  nouveaux  sujets  de  division  du 
Parlement  et  du  comte  d'Alais.  »  Le  lendemain  de  cette  exé- 
cution (4  janvier  1652),  quelques  Sabreurs,  la  Roque,  Ségui- 
ran,  l'abbé  d'Oppède  et  Chasteuil,  étaient  entrés  à  Aix,  chacun 
dans  son  carrosse,  et  étaient  descendus  chez  eux.  Les  précautions 
dont  ils  s'entouraient  parurent  suspectes.  La  dame  de  Venel  fit 
sonner  le  tocsin,  et  les  Aixois  investirent  les  maisons  désignées 
aux  cris  de  fouero  Sabruns!'^  qui  avaient  déjà  retenti  trois 
mois  auparavant.  Le  Parlement  s'assembla  d'urgence,  et  décréta 
que  les  nouveaux  venus  seraient  priés  de  quitter  Aix,  non  qu'ils 
fussent  coupables,  mais  pour  éviter  le  tumulte.  Tous  obéirent, 
sauf  La  Roque,  qui  attendit  qu'on  lui  eut  signifié  l'arrêt. 

Ce  ne  furent  point  les  seules  humiliations  que  les  Canivets 
vainqueurs  firent  subir  à  leurs  ennemis.  Le  conseiller  de  Ville- 
neuve était  revenu  de  Paris  avec  les  félicitations  de  la  cour  sur 
la  conduite  du  Parlement.  Il  apportait  aussi  sept  lettres  de  cachet 
contre  MM.  d'Oppède,  de  La  Roque,  deGallifet,  de  Boyer,  de  Glan- 


1.  Bouche,  II,  973. 

2.  Hors  la  ville  les  Sabreurs  I 


LA    FRONDE    EN    PROVENCE.  43 

devès,  d'Escalis,  d'Antoine ^  Ces  lettres  leur  furent  envoyées  par 
huissier,  comme  à  de  vulgaires  criminels.  Les  Canivets  abusaient 
de  leur  victoire.  Us  allaient  pousser  à  bout  leurs  adversaires  et 
attirer  contre  eux  des  représailles. 

La  nouvelle,  du  retour  de  Mazarin  n'avait  pas  en  effet  été 
accueillie  dans  tout  le  royaume  aussi  bien  que  par  le  Parlement 
d'Aix.  A  Paris,  le  Parlement  avait  renouvelé  ses  arrêts  contre 
le  cardinal.  Gaston  d'Orléans  le  déclarait  perturbateur  du  repos 
public.  Les  princes  continuaient  la  guerre  civile,  et  presque  tout 
le  Midi  était  en  leur  pouvoir.  Le  retour  du  cardinal  eut  encore 
pour  conséquence  de  rapprocher  les  Sabreurs  des  Semestres, 
ainsi  qu'on  appelait  les  partisans  du  comte  d'Alais,  et  de  les 
fondre  en  un  seul  parti.  Ces  anciens  ennemis  avaient  également 
à  se  plaindre  du  Parlement  d'Aix.  Ils  oublièrent  leurs  griefs 
réciproques,  et  associèrent  leurs  espérances  et  leurs- haines.  Une 
première  conférence,  à  la  bastide  de  la  Baume,  sur  le  terroir  de 
Marseille,  fut  inutile.  Une  seconde  s'ouvrit  à  la  Roque,  près  de  Bri- 
gnolles.  Du  côté  des  Semestres,  MM.  duLuc,  deVinsetdePiolenc^; 
du  côté  des  Sabreurs,  MM.  de  Séguiran,  de  Gallifet  et  d'Oppède 
signèrent  une  sorte  d'alliance  offensive  et  défensive,  et  promirent 
de  mettre  en  commun  leurs  troupes  et  leurs  ressources.  Cette  assem- 
blée avait  été  tenue  du  consentement  du  comte  d'Alais,  auquel 
on  avait  écrit  à  ce  sujet,  et  qui  annonçait  son  prochain  retour  en 
Provence  (fév.  1652). 

Les  nouveaux  alliés  avaient  l'intention  de  reprendre  les  deux 
grandes  villes  de  la  province,  Aix  et  Marseille,  dont  la  possession 
eût  assuré  leur  triomphe.  Ils  s'attaquèrent  d'abord  à  Aix.  Trois 
cents  soldats  environ  du  régiment  d'Angoulême,  auxquels  on 
avait  fait  la  leçon,  sortirent  de  Toulon  sous  prétexte  de  lever  des 
contributions,  se  réunirent  à  quelques  Sabreurs  qui  les  atten- 
daient, et  poussèrent  jusqu'à  Rians  et  Yauvenargues,  rendez- 
vous  assigné  aux  troupes  rebelles.  Leur  projet  était  de  s'emparer 
de  la  ville  par  surprise.  Ils  devaient,  comme  plus  tard  les  troupes 
du  prince  Eugène  à  Crémone,  s'introduire  dans  la  ville  par  un 
égout  qui  allait  du  fossé  des  Cordeliers  à  la  maison  d'Oppède  ^. 
Mais  le  maçon  qui  avait  promis  d'ouvrir  le  fossé  ne  fut  pas  pré- 


1.  Anonyme,  273. 

2.  Bouche,  II,  975.  Anonyme,  374. 

3.  Régusse,  94. 


44  I'      r.AKKAREL. 

venu  k  temps.  Quelques  soldats,  effrayés  de  l'acte  qu'ils  allaient 
commettre,  rentrèrent  dans  la  ville,  et  apprirent  la  conspiration. 
On  prit  aussitôt  toutes  les  mesures  nécessaires  pour  prévenir  le 
retour  ou  la  possibilité  d'une  attaque  semblable  * .  Cette  fois  encore 
la  surprise  était  manquée. 

Les  Sabreurs  et  les  Semestres  essayèrent  de  se  venger  de  cette 
déception  par  l'assassinat.  Deux  lettres  empoisonnées  partirent 
de  Toulon,  l'une  adressée  à  Régusse,  l'autre  à  Decormis.  Mais 
ils  n'en  ressentirent  l'un  et  l'autre  qu'une  légère  incommodité 
qui  se  dissipa  quelques  heures  après.  «  L'ouverture  de  ces  lettres 
fit  voir  une  couleur  sale  et  jaunâtre,  l'odeur  qui  en  sortit  avait 
répandu  une  puanteur  insupportable  dans  le  logis;  elles  furent 
jugées  empoisonnées  par  le  rapport  des  médecins  »^ 

Les  Sabreurs  ne  furent  pas  plus  heureux  dans  une  tentative 
pour  s'emparer  de  la  Sainte-Baume.  On  connaît  la  réputation  de 
cet  antique  monastère,  qui,  d'après  la  tradition,  fut  le  refuge  de 
Sainte  Madeleine.  D'énormes  richesses  y  étaient  entassées.  Une 
fois  en  possession  de  ce  sanctuaire,  qui  domine  la  Basse  Provence, 
on  aurait  pu  ravager  impunément  tout  le  pays,  et  trouver  k  la 
Sainte-Baume  une   retraite  assurée.   Un  prêtre  de  la  Giotat, 
Alègre,  résolut  de  s'en  emparer.  C'était  un  libertin,  accusé  de 
plusieurs  crimes,  et  qui  n'avait  d'un  ecclésiastique  que  l'habit. 
Un  jour  l'évêque  de  Marseille  l'avait  rencontré  l'épée  au  côté,  et 
manifestait  son  étonnement.   «  Monseigneur,  avait-il  répondu, 
en  montrant  son  épée,  voici  saint  Pierre,  puis  tirant  un  bréviaire 
de  sa  poche,  voilà  saint  Paul  ».  »  Alègre  raccola  sans  peine  trois 
bandits  de  sa  trempe,  mais  il  commit  l'imprudence  de  commu- 
niquer son  dessein  à  un  ermite  voyageur,  qu'il  envoya  en  avant 
pour  préparer  les  lieux.  Celui-ci,  effrayé  et  honteux  du  rôle 
qu'il  jouait,  révéla  le  complot.  Aussitôt  les  moines  de  la  Sainte- 
Baume  prirent  les  armes.  Les  deux  premiers  brigands  qui  se 
présentèrent  furent   immédiatement  saisis.   Quand  Alègre,  qui 
s'était  déguisé  en  femme,  frappa  à  la  porte  du  couvent  avec  son 
prétendu  mari,  on  les  prit  tous  les  deux,  non  sans  peine,  et  on 
conduisit  les  quatre  malfaiteurs  à  Nice.  Le  prêtre  fut  pendu,  et 
des  trois  autres,  deux  condamnés  aux  galères  perpétuelles,  et  le 
quatrième  à  l'exil. 

1.  Anonyme,  275. 

2.  Régusse,  95-96. 

3.  Anonyme,  280. 


LA    FRONDE    EN    PROVENCE.  45 

Cette  affaire  fit  du  bruit  dans  le  pays.  A  tort  ou  à  raison,  on 
accusa  les  Sabreurs  d'avoir  lancé  en  avant  ce  malheureux  Alègre. 
Les  Sabreurs  s'en  défendirent  toujours,  mais  pendant  son  procès 
et  jusqu'à  la  dernière  heure,  Alègre  espéra  qu'il  allait  être  déli- 
vré. Il  ne  nomma  jamais,  il  est  vrai,  ses  futurs  libérateurs,  mais 
tout  porte  à  croire  que  les  Sabreurs,  s'ils  n'inspirèrent  pas  ce 
projet,  au  moins  eussent  été  disposés  à  en  profiter. 

Les  Sabreurs,  en  effet,  se  voyaient  réduits  aux  derniers  expé- 
dients. Ils  résolurent  de  jouer  le  tout  pour  le  tout,  et  cherchèrent 
à  surprendre  Marseille  (17  janvier  1652).  Le  marquis  de  Mari- 
gnane ^  réussit  à  s'emparer  de  l'hôtel  de  ville  et  à  y  renfermer  les 
consuls.  Mais  Valbelle,  ce  zélé  défenseur  des  libertés  munici- 
pales, s'empare  de  la  Porte  Royale  et  des  postes  dominants,  et 
menace  de  tout  canonner.  En  même  temps  il  députe  à  Aix  pour 
y  demander  du  secours  ;  M.  de  Félix,  Decormis  et  quelques  autres 
Canivets  partent  aussitôt.  On  chasse  sans  peine  les  Sabreurs,  et 
Marseille  reprend  sa  tranquillité.  Quelques  jours  plus  tard,  les 
députés  des  deux  villes  se  réunissaient  à  Aix  (25  février  1652), 
et  y  rédigeaient  une  lettre  qu'ils  envoyaient  à  Paris,  pour 
demander  un  gouverneur  en  remplacement  du  comte  d'Alais  qui 
était  devenu  impossible,  et  du  marquis  d'Aiguebonne,  dont  la 
nullité  n'était  un  mystère  pour  personne. 

Le  résultat  du  traité  de  La  Roque  entre  les  Sabreurs  et  les 
Semestres  avait  donc  été  de  précipiter  la  réaction  royaliste.  Les 
Canivets,  devenus  les  plus  chauds  partisans  de  Mazarin,  s'adres- 
saient directement  à  la  cour  pour  lui  demander  un  chef,  et 
paraissaient  décidés  à  lui  obéir.  Ils  donnèrent  bientôt  une  preuve 
nouvelle  de  leurs  sentiments  royalistes.  Condé  avait  publié  un 
manifeste  contre  le  cardinal.  Gaston  d'Orléans  et  le  Parlement 
de  Paris  y  avaient  joint  des  lettres  plus  qu'énergiques.  On  avait 
envoyé  le  tout  au  Parlement  d'Aix.  Mais  la  cour  «  délibéra  de 
ne  point  ouvrir  le  paquet  qui  renfermait  toutes  les  pièces,  et  de 
le  renvoyer  au  roi  par  un  courrier  exprès,  ce  qui  fut  exécuté  »  -. 

Si  donc  les  Sabreurs  et  les  Semestres  avaient  cru  doubler  leurs 
forces  en  s'unissant,  les  Canivets,  de  leur  côté,  en  se  déclarant 
royalistes,  avaient  singulièrement  amélioré  leur  cause  :  car  ils 
représentaient  la  légalité  et  leurs  adversaires  n'étaient  que  des 


1.  Anonyme,  237-38. 

2.  Anonyme,  281. 


46  !'•    r.AFFAREL. 

factieux.  La  victoire  n'était  plus  douteuse  :  aussi  la  cour,  heu- 
reuse de  voir  ce  différend  se  terminer  à  sou  avantage,  s'empressa 
d'accéder  aux  vœux  des  Canivets.  Elle  rappela  Aiguebonne,  et 
lui  donna  pour  successeur  un  prince  du  sang,  le  nouveau  neveu 
de  Mazarin,  le  duc  de  Mercœur. 

Les  Sabreurs  et  les  Semestres,  malgré  cette  nomination  qui 
anéantissait  leurs  dernières  espérances,  ne  perdirent  pas  courage. 
Ils  écrivirent  a  Alais  pour  qu'il  vînt  prendre  le  commandement 
de  ses  troupes  concentrées  à  Toulon,  et  soutenir  ses  droits  par  la 
force  armée.  Alais,  qui  avait  promis  de  revenir  en  Provence, 
ne  pouvait  pas  ne  pas  le  faire  sans  manquer  à  l'honneur.  Mais 
son  voyage  à  Paris  l'avait  éclairé  sur  bien  des  points.  D'abord  il 
avait  compris  que  Mazarin  et  Anne  d'Autriche  ne  voulaient  plus 
de  lui  à  aucun  prix  en  Provence.  Si  donc  il  persistait  dans  ses 
projets,  il  se  déclarait  leur  ennemi.  D'un  autre  côté,  il  avait  bien 
vite  pénétré  les  secrets  desseins  de  Condé  et  de  son  frère  Conti. 
Condé  lui  avait  même  demandé  de  donner  sa  démission,  et  lui 
avait  offert  une  magnifique  compensation*.  Alais  riposta  en 
disant  qu'il  ne  se  démettrait  qu'en  faveur  de  son  gendre,  le  duc 
de  Joyeuse.  Dès  lors  abandonné  par  les  princes,  sans  crédit  auprès 
de  la  reine  et  du  cardinal,  tout  était  perdu  pour  lui.  Il  le  savait. 
Il  avait  même  appris  qu'on  avait  adressé  des  félicitations  à  Conti 
sur  son  futur  gouvernement,  et  que  la  cour  n'avait  pas  démenti 
ces  bruits,  .\lais  sembla  se  résigner:  mais  au  moins  voulut-il 
avoir  les  honneurs  de  la  guerre,  et,  puisqu'il  s'était  engagé  à 
revenir  en  Provence,  il  se  décida  à  rejoindre  ses  partisans. 

Le  départ  du  comte  simplifiait  la  question.  Il  désobéissait  aux 
ordres  formels  du  roi,  et  se  révoltait  contre  lui  :  on  avait  donc  le 
droit  de  lui  reprendre  son  gouvernement,  mais  il  fallait  avant 
tout  s'assurer  de  sa  personnel  Le  maréchal  de  Clérambault  fut 
donc  envoyé  à  sa  poursuite;  il  l'atteignit  à  Saint-Benoît-du- 
Sault,  en  Poitou  \  Alais  était  devenu  fort  gros  :  il  ne  pouvait 
voyager  qu'à  petites  journées  ;  peut-être  aussi,  du  moins  on  l'en 
accusa,  avait-il  averti  la  cour  de  son  départ.  De  la  sorte  il  passait 


1.  Anonyme,  239. 

2.  Anonyme,  298.  Pilton,  452.  Régusse,  94.  Bouche,  U,  980. 

3.  D'après  des  nouvelles  à  la  main,  en  date  du  5  juillet  1652,  insérées  dans  la 
Bévue  rétrospective,  t.  XX,  p.  130,  «  on  eut  nouvelle  que  le  duc  d'Angoulême 
s'en  allant  en  Provence  avait  été  arrêté  vers  Argentan  en  Berry,  par  ordre  de 
la  cour.  On  a  su  depuis  que  ce  duc  avait  été  conduit  prisonnier  à  Loches.  » 


LA    FRONDE    EN    PROVENCE.  47 

aux  yeux  des  Provençaux  pour  n'avoir  point  failli  à  ses  engage- 
ments, et  son  honneur  était  mis  hors  de  cause. 

Mazarin  aurait  pu  enlever  sur-le-champ  à  Alais  son  gou- 
vernement, car  la  situation  politique  s'améliorait  singulièrement. 
Sauf  à  Bordeaux  où  le  parti  démocratique  de  l'Ormée  préludait 
aux  scènes  de  1792  et  1871  en  adoptant  le  drapeau  rouge  et  en 
établissant  un  tribunal  révolutionnaire,  partout  ailleurs  le  mou- 
vement se  dessinait  en  faveur  de  la  royauté.  Le  Parlement  de 
Rennes  suspendait  les  arrêts  contre  Mazarin  ;  celui  de  Toulouse 
se  soumettait.  Montrond  en  Berry,  la  citadelle  de  Condé,  se  ren- 
dait. En  Bourgogne  il  ne  restait  aux  rebelles  que  Bellegarde. 
Néanmoins  le  cardinal  ne  voulut  pas  exaspérer  le  parti  des 
princes,  en  frappant  si  rudement  l'un  d'entre  eux.  Il  chercha 
donc  à  obtenir  la  démission  du  comte.  Alais,  par  orgueil, 
repoussa  les  offres  du  cardinal,  qui  s'adressa  alors  à  la  comtesse. 
Il  la  savait  avare,  et  lui  fit  espérer  une  grosse  indemnité  pécu- 
niaire. Il  gagna  aussi  à  prix  d'argent  le  valet  de  confiance  du 
comte,  nommé  Duval^  Alais  céda  à  ces  influences  domestiques, 
et,  moitié  par  lassitude,  moitié  par  peur,  finit  par  consentir  et 
donna  sa  démission.  Mais  il  en  devint  malade  de  chagrin  et 
mourut  quelque  temps  après,  le  13  novembre  1653.  Guy  Patin 
fait  de  lui  une  singulière  oraison  funèbre  2.  Il  prétend  qu'il  fut 
emporté  par  l'antimoine.  «  Il  n'a  été  que  trois  jours  malade  : 
ainsi,  par  poison  chimique,  passent  les  princes  en  l'autre  monde, 
mais  il  n'y  a  pas  de  quoi  les  regretter  bien  fort,  puisqu'ils  le 
veulent  bien.  » 

En  effet  la  perte  du  comte  d'Alais  n'était  pas  bien  regrettable. 
Ses  partisans  seuls,  enfermés  à  Toulon,  pouvaient  et  devaient  le 
regretter.  Le  nouveau  gouverneur  n'avait  plus  qu'à  aplanir  les 
dernières  difficultés,  et  à  terminer  cette  longue  guerre  civile. 


IV. 


Entrée  de  Mer  cœur  en  Provence  (Avril  1652  — 
27  août  1652.) 

Le  duc  de  Mercœur  appartenait  à  une  des  premières  familles 

1.  Anonyme,  321. 

2.  Guy  Patin.  Lettre  à  Spon  de  Lyon,  II,  82. 


.',S  p.    GAFFAREL. 

du  royaume.  11  naquit  en  1612  de  César  de  Vendôme  et  de  Fran- 
çoise de  Lorraine  *.  C'était  un  homme  de  mœurs  douces,  plein  de 
bonnes  intentions,  jaloux  du  bien  public,  et  qui  détestait  les 
cabales.  11  avait  fait  la  guerre  avec  succès.  En  1630  il  assiégeait 
et  prenait  Montmelian,  il  se  faisait  remarquer  par  sa  vaillance  à 
la  bataille  d'Avein.  Lors  du  siège  d'Arras,  il  avait  commandé  les 
volontaires,  et  battu  le  cardinal  infant.  Aussi  la  faveur  qu'on  lui 
accorda,  en  le  nommant  en  1650  vice-roi  de  Catalogne,  parut-elle 
méritée.  Mercœur  n'avait  pourtant  aucune  ambition.  Il  se  conten- 
tait de  faire  modestement  son  devoir.  Appelé  par  sa  naissance  à 
jouer  un  grand  rôle,  il  aurait  pu,  comme  son  frère  cadet  Beaufort, 
le  roi  des  halles,  se  faire  un  nom  dans  la  Fronde,  mais  il  n'y  son- 
gea même  pas.  Personne  ne  semblait  se  soucier  de  ce  petit-fils  de 
Henri  IV.  Le  cardinal  Mazarin,  qui  cherchait  à  s'abriter  der- 
rière des  noms  glorieux,  pensa  à  lui  pour  lui  donner  une  de  ses 
nièces,  Laure  Mancini,  qui  justement  avait  été  élevée,  et  fort 
bien,  par  cette  dame  de  VeneP,  que  nous  avons  déjà  rencontrée 
à  Aix.  Lorsqu'il  parla  pour  la  première  fois  de  ce  mariage,  il  n'y 
eut  pas  dans  la  cour  assez  de  cris  d'indignation  contre  ce  par- 
venu, qui  voulait  aUier  une  de  ses  nièces  au  sang  royal.  Mais  il 
promettait  monts  et  merveilles  ;  le  vieux  duc  de  Vendôme  finit  par 
donner  son  consentement  «  à  cause  des  grands  avantages  qu'il 
espérait  de  cette  alliance  pour  toute  sa  maison,  qui  en  avait 
besoin  ^.  »  Gaston  d'Orléans  et  le  prince  de  Condé  consentirent 
aussi  à  cette  mésalliance.  Seul,  le  duc  de  Beaufort  se  refusa  obsti- 
nément à  donner  sa  parole. 

On  a  conser^^é  dans  les  manuscrits  de  Conrart^  la  copie  du 
contrat  de  mariage  qui  se  fit  au  Louvre  en  présence  du  roi,  de  la 
reine  mère,  du  duc  d'Anjou,  d'Anne  Martinozzi  et  de  Marie 
Mancini,  le  29  mars  1651.  Le  cardinal  assurait  en  dot  à  sa 
nièce  600,000  livres  en  deniers  comptants,  et  le  roi  don- 
nait aux  époux  100,000  livres.  Ce  mariage  fit  grand  bruit. 
Il   fut    aussitôt    attaqué    par    plusieurs    Mazarinades^    Guy 


1.  Anselme,  ouv.  cit.  I,  200. 

2.  Âmédée  Renée,  Nièces  de  Mazarin,  90- 

3.  Mémoires  d'Ormesson,  1,  745. 

4.  T.  VIII,  p.  313. 

5.  N°  2635.  L'outrecuidante  présomption  du  cardinal  de  Mazarin  dans  le 
mariage  de  sa  nièce.— La  réponse  de  l'antinocier  ou  le  blâme  des  noces  de  Mgr 
le  duc  de  Mercœur  avec  la  nièce  de  Mazarin.  —  3408.  Lettre  de  M.  de  Beau- 


LA    FRONDE    EN    PROVENCE.  49 

Patin  s  l'enragé  Frondeur,  ne  peut  s'en  consoler.  «  Toutes  ces 
infâmes  alliances,  écrit-il  à  Falconet,  me  font  avoir  pitié  des 
princes  qui  sont  si  lâches  et  si  peu  courageux  qu'ils  ne  dédai- 
gnent pas  se  soumettre  à  la  dive  fortune,  et,  pour  un  peu  de  cré- 
dit, adorer  le  veau  d'or.  » 

Mazarin  avait  fait  un  bon  choix.  Son  neveu  par  alliance  devint 
le  plus  ferme  et  le  plus  fidèle  de  ses  amis,  même  dans  la  mauvaise 
fortune.  Heureux  de  voir  son  père  amiral  et  gouverneur  de  Bre- 
tagne, heureux  surtout  d'avoir  épousé  une  femme  charmante,  il 
ne  rougit  jamais  d'un  choix  librement  consenti.  Lorsque,  à  la 
première  fuite  de  Mazarin,  on  poursuivit  ses  parents  et  ses  amis, 
Mercœur  fut  cité  devant  le  Parlement,  pour  y  rendre  compte  de 
sa  conduite.  «  Il  répondit  d'abord,  comme  l'aurait  fait  JeanDou- 
cet,  dont  il  avait  effectivement  toutes  les  manières  :  à  force  d'être 
harcelé, il  s'échauffa  si  bien  qu'il  embarrassa  cruellement  Monsieur 
et  monsieur  le  Prince,  en  soutenant  au  premier  qu'il  l'avait  solli- 
cité trois  mois  de  suite  à  ce  mariage,  et  au  second  qu'il  y  avait 
consenti  positivement  et  expressément 2.  »  Mercœur  était  donc  ce 
qu'on  appelait  un  Mazarin  prononcé.  Lorsque  le  cardinal  revint 
en  France,  il  voulut  récompenser  ce  dévouement,  d'autant  plus 
qu'il  était  sincère  et  désintéressé.  Il  songea  donc  à  Mercœur  pour 
le  gouvernement  intérimaire  de  la  Provence.  Dès  qu'on  apprit 
dans  le  pays  les  intentions  de  la  cour,  le  marquis  de  Castellane 
et  madame  de  Venel  travaillèrent  les  esprits  en  faveur  du  duc  ; 
le  Parlement  d'Aix  se  déclara  aussi  pour  lui,  et  le  demanda 
formellement.  Dès  lors  Mazarin  n'hésita  plus  à  le  nommer 
(8  avril  1652). 

Cette  nomination  fut  très-bien  accueillie  en  Provence,  surtout 
par  la  bourgeoisie.  La  majorité  du  pays,  lasse  d'une  guerre  inter- 
minable et  sans  but,  se  rallia  avec  plaisir  au  nouveau  gouver- 
neur, ce  «Dieu  Mercure»,  ainsi  que  l'appelaient  méchanament  ses 
ennemis,  qui  allait  être  un  messager  de  paix  et  d'union.  La  bour- 
geoisie avait  promptement  perdu  ses  illusions,  et  renoncé  à  ses 


fort  à  Mgr  le  duc  de  Mercœur  son  frère,  et  la  réponse.  —  1941.  Lettre  de  la 
prétendue  madame  de  Mercœur  envoyée  à  M.  de  Beaufort.  —  1238.  Entretien 
de  M.  le  duc  de  Vendôme  avec  M",  les  ducs  de  Vendôme  et  de  Beaufort  ses 
enfants. 

1.  Guy  Patin,  II,  519. 

2.  Retz.  Petitot,  II,  395. 

ReV.    HiSTOR.    V.    le*"   FASC.  4 


50  P.    GAFFAREL. 

aspirations  d'indépendance.  Elle  n'avait  rien  gagné,  et  pouvait 
tout  perdre  à  la  continuation  des  troubles.  La  catastrophe  de 
Charles  I  Stuart  l'avait  épouvantée.  Tous  les  écrits  postérieurs  à 
la  fatale  nouvelle  marquent  une  peur  servile  de  toute  comparai- 
son avec  tous  les  auteurs  de  cet  attentat,  «  ainsi  qu'il  arrive 
aux  gens  passionnés  qui  voient  près  d'eux  les  effets  effrayants  de 
passions  plus  fortes  que  les  leurs'.  »  D'ailleurs,  avec  le  bon  sens 
qui  lui  est  naturel,  et  cet  instinct  de  la  grandeur  nationale  qui  ne 
l'a  jamais  abandonné,  la  bourgeoisie  comprenait  qu'en  continuant 
la  lutte  elle  mettait  la  patrie  en  danger.  Déjà  les  Espagnols  pro- 
fitaient de  nos  désordres  intérieurs  pour  reprendre  ce  qu'ils 
avaient  perdu.  La  Catalogne  était  reconquise,  le  Roussillon 
menacé,  et  les  soldats  de  Philippe  IV,  désormais  commandés 
par  Condé,  se  massaient  à  la  frontière  du  nord.  Il  était  temps  que 
la  guerre  civile  finit,  et  qu'on  s'occupât  de  l'ennemi  extérieur. 
Aussi  les  partisans  de  Mazarin  furent-ils  accueillis  avec  faveur 
dans  toutes  les  provinces.  Ils  virent  les  bourgeois  se  grouper 
autour  d'eux,  et  les  aider  à  rétablir  l'ordre  et  à  comprimer  les 
dernières  résistances.  C'est  ce  qui  arriva  à  Mercœur,  dès  qu'il 
entra  en  Provence. 

Le  cardinal  avait  donné  de  sages  instructions  à  son  neveu. 
«<  Il  lui  avait-  conseillé  de  ne  rebuter  personne,  de  tâcher  de  s'ac- 
quérir la  bienveillance  de  chacun  pour  être  mieux  en  état  de  ter- 
miner toutes  les  divisions  par  la  voie  de  la  douceur  et  par  celle  de 
la  négociation,  qui  étaient  alors  l'esprit  et  la  méthode  de  la  cour.» 
Mercœur  se  conforma  de  point  en  point  à  ses  excellents  conseils. 
Il  chercha  avant  tout  à  s'assurer  le  Parlement  d'Aix.  Son  pre- 
mier soin  fut  d'envoyer  son  secrétaire  au  président  de  Régusse, 
et,  dès  lors,  comme  le  remarque  avec  une  satisfaction  visible  le 
vaniteux  président  3,  «  il  me  demanda  avis  de  sa  conduite,  et  ne 
se  contenta  pas  de  le  prendre,  mais  s'y  abandonna.  Aussi  reçoit- 
il  tous  les  jours  des  marques  de  ma  passion  pour  son  établisse- 
ment, et  j'en  reçois  de  sa  confiance.  »  Ainsi  patronné  il  ne  pouvait 
que  réussir  ;  car  le  Parlement  avait  conservé  une  grande  influence 
sur  l'esprit  du  peuple.  Aussi  l'auteur  anonyme  d'une  Mazarinade, 


1.  Henri  Martin,  XI,  324. 

2.  Anonyme,  285. 

3.  Régusse,  98. 


LA    FRONDE    EN    PROVENCE.  5i 

intitulée  «  Le  courrier  Provençal  sur  l'arrivée  du  duc  de 
Mercœur  en  Provence  '■  »,  s'exprime-t-il  non  avec  sincérité 
mais  avec  dépit,  lorsqu'il  écrit:  «Leszélés  de  ce  Parlement  s'estu- 
dient  à  publier  partout  les  bonnes  qualités  de  ce  prince,  et  le 
faire  estimer  du  peuple  ;  ils  ont  bien  de  la  peine  à  y  réussir  :  le 
bourgeois  n'est  point  Mazarin,  et,  pour  un  visage  gai  qu'on  ren- 
contre, on  en  trouve  cent  de  tristes  qui  appréhendent  les  malheurs 
que  cette  arrivée  doit  causer.  »  Il  se  trouvait  bien  à  Aix  quelques 
fanatiques  de  guerre  civile,  quelques  ennemis  acharnés  du  cardi- 
nal qui  voyaient  avec  déplaisir  l'arrivée  en  Provence  de  son 
neveu;  mais  ils  étaient  en  bien  petit  nombre,  et  l'auteur  de  la 
Mazarinade  devait  être  lui-même  fort  affligé,  puisqu'il  croyait 
tout  le  monde  dans  les  mêmes  dispositions  que  lui. 

Ce  qui  l'affligeait  sans  doute,  c'est  que  la  noblesse,  elle  aussi, 
se  ralliait  à  Mercœur.  Le  duc,  en  passant  à  Avignon,  était  allé 
rendre  visite  à  Carces-  qui  avait  obtenu  de  s'y  fixer.  Cette 
prévenance  flatteuse  avait  produit  le  meilleur  effet,  d'abord  parce 
que  la  noblesse  provençale,  vaniteuse  plus  encore  qu'orgueilleuse, 
se  trouva  honorée  dans  la  personne  d'un  de  ses  représentants  par 
cet  acte  de  déférence  délicate,  et  en  second  lieu  parce  que  Mer- 
cœur s'annonçait  de  la  sorte  comme  ayant  oublié  les  événements 
passés,  et  se  présentait  en  Provence  avec  l'intention  de  ne  trou- 
ver dans  le  pays  que  des  sujets  fidèles  du  roi,  et  non  plus  des 
Sabreurs  et  des  Canivets.  De  plus  les  nobles  provençaux 
n'étaient  pas  riches  en  général,  La  dernière  guerre  avait  achevé 
de  les  ruiner.  Beaucoup  d'entre  eux  se  rapprochèrent  du  duc  avec 
l'espoir  d'obtenir  auprès  de  lui  quelque  fonction  importante.  Par 
vanité  et  par  intérêt,  la  noblesse,  sauf  quelques  exceptions  bien 
rares,  prit  donc  parti  dès  le  début  pour  le  remplaçant  du  marquis 
d'Aiguebonne  et  du  comte  d'Alais. 

Soutenu  par  la  bourgeoisie,  appuyé  par  la  noblesse  et  le  Par- 
lement, Mercœur  n'avait  plus  que  quelques  villes  à  réduire,  et  la 
Provence  était  pacifiée.  Il  se  mit  tout  de  suite  à  l'œuvre,  et  s'ef- 
força de  faire  rentrer  dans  le  devoir  les  derniers  rebelles. 

Les  Sabreurs  et  les  Semestres,  dont  la  seule  politique  était 
dorénavant  de  perpétuer  la  discorde,  et  dont  les  espérances  étaient 
réduites  à  néant  par  l'arrivée  de  Mercœur,  s'apprêtèrent  à  le 


1.  Mazarinade,  824. 

2.  Anonyme,  284. 


52  p.    GAFFAREL. 

mal  recevoir.  Un  instant  ils  espérèrent  que  le  défaut  d'argent 
arrêterait  le  nouveau  gouverneur.  Mercœur  n'avait  pas  une 
grande  fortune,  et  c'était  un  honneur  peu  lucratif  que  celui  de 
gouverner  une  importante  province.  Les  frais  de  représentation, 
l'entretien  d'un  nombreux  domestique,  et  une  prodigalité  pour 
ainsi  dire  nécessaire,  absorbèrent  vite  de  grosses  sommes.  Heureu- 
sement la  dot  énorme  de  sa  femme  et  les  libéralités  du  roi  suffi- 
rent aux  premières  dépenses,  et,  dans  la  suite,  Mazarin  vint  sou- 
vent au  secours  de  son  neveu.  De  curieuses  lettres  de  Colbert, 
alors  sous-intendant  du  cardinal,  en  font  foi  ^  Mercœur  ne  fut 
donc  jamais  au  dépourvu  sous  le  rapport  pécuniaire,  et  l'espoir  de 
ses  ennemis  fut  en  cela  déçu. 

Les  Sabreurs  et  les  Semestres  essayèrent  aussi  de  l'intimider. 
Lorsqu'il  passa  à  Lyon  on  cria  sur  lui  au  Mazarin,  et  on  tira  six 
coups  de  fusil  contre  le  bateau  sur  lequel  il  descendait  le  Rhône. 
A  Carpentras,  où  il  se  rendait  pour  visiter  le  cardinal  Bichi,  un 
accident  peut-être  amené  par  un  crime  emporta  sa  voiture  dans  un 
précipice.  A  Aix  enfin,  le  jour  de  son  entrée,  des  querelles  de 
préséance,  soulevées  à  dessein  entre  le  Parlement  et  la  Cour  des 
Comptes  avec  le  chapitre  de  l'église  métropolitaine,  entre  les 
huissiers  du  Parlement  et  les  procureurs  du  pays,  excitèrent 
une  telle  confusion,  que  le  duc  ne  put  se  faire  voir  qu'aux  flam- 
beaux. Les  Sabreurs  et  les  Semestres  usèrent  aussi  de  la  calom- 
nie, mais  d'une  façon  ridicule.  Ainsi  n'accusèrent-ils  pas  le  duc 
de  vouloir  livrer  le  pays  au  Turc  ^  !  Ils  dépeignaient  aussi  sous 
les  plus  tristes  couleurs  les  partisans  du  duc.  «  Le  chevalier  de 
Janson  qui  faisait  le  philosophe,  écrivaient-ils,  ^,  s'est  laissé  cor- 
rompre par  cette  espérance,  et  a  gaigné  son  frère  au  Mazarin 
pour  une  compaignie  de  chevaux  légers  qui  dévore  le  pauvre 
peuple.  Vala voire  est  assez  connu  par  tant  de  plaintes  qui  ont 
été  faites  pai  la  plupart  de  nos  communautés.  Cavet  et  Beudos 
pensent  à  de  nouvelles  commissions.  Ce  sont  des  lyons  qui  veil- 
lent à  leur  proie,  et  qui  muguettent  quelques  coins  de  la  Pro- 
vence. » 

Mais  ces  calomnies  furent  sans  portée.  Il  ne  restait  plus  aux 


1.  Lettres  de  Colbert  (du   16  sept.  1651,  et  du  12  juillet  1655)  adressées  à 
Mazarin,  insérées  dans  sa  Correspondance,  édit.  P.  Clément,  I,  127-236. 

2.  Mazarinade,  874. 

3.  Id. 


LA   FRONDE   E.\   PROVENCE.  53 

Sabreurs  ni  aux  Semestres  que  la  guerre;  ils  s'y  préparèrent. 
La  grande  ville  de  Toulon  était  en  leur  pouvoir.  Tarascon,  la 
clef  du  Rhône,  la  tour  d'Embouc,  Antibes  et  Saint-Tropez,  ports 
secondaires.  Saint  Maximin,  BrignoUes,  Sisteron  et  quelques  au- 
tres villes  ou  villages,  étaient  aussi  déclarés  pour  eux.  Mais  toutes 
ces  places  allaient  être  successivement  occupées  par  Mercœur, 

Sisteron  et  la  tour  d'Embouc  ne  firent  qu'un  semblant  de  résis- 
tance. Les  commandants  de  ces  places  entrèrent  tout  de  suite  en 
composition.  Ils  reconnurent  le  nouveau  gouverneur,  à  condi- 
tion '  qu'on  payerait  à  eux  et  à  leurs  soldats  l'arriéré  de  leur 
solde,  et  qu'on  les  indemniserait  de  leurs  pertes. 

Saint-Tropez  résista  plus  longtemps.  Le  gouvernement  de  cette 
ville  était  la  propriété  particulière  du  comte  d'Alais.  Il  avait 
nommé  commandant  de  la  place  un  certain  Ardenty,  qui  répon- 
dit aux  sommations  du  duc  qu'il  se  défendrait  tant  qu'une  goutte 
de  sang  coulerait  dans  ses  veines.  Attaqué  par  le  régiment  d'En- 
tragues  et  par  les  milices  du  pays  commandées  par  Cogolin  et 
Ramatuelle,  il  soutint  l'attaque  avec  bonheur;  mais  les  Toulon- 
nais,  dont  il  espérait  le  secours,  ne  parvinrent  seulement  pas  à 
débarquer.  Ardenty,  retranché  dans  le  donjon,  ne  se  rendit 
qu'à  la  dernière  extrémité,  et  avec  tous  les  honneurs  de  la  guerre 
(27  août  1652).  A  Saint-Maximin,  un  certain  Desgranges  avait 
voulu  faire  soulever  la  ville  en  faveur  d'Alais.  Il  fut  condamné  à 
avoir  la  tête  tranchée  (18  fév.  1651),  mais  son  exécution  n'ar- 
rêta pas  les  troubles  :  ils  avaient  surtout  pour  cause  les  jalousies 
municipales.  Chaque  parti  voulait  avoir  des  magistrats  de  sa  fac- 
tion, et  ils  se  chassaient  de  la  ville  à  tour  de  rôle.  Le  refuge  des 
vaincus  était  le  couvent  des  Dominicains,  qui  restaient  neutres, 
et  cherchaient  à  les  pacifier.  Ils  y  réussirent  enfin,  et  la  ville  se 
soumit  à  Mercœur  ^. 

Le  gouverneur  de  Tarascon,  Lacau,  ne  reconnut  pas  sans 
résistance  le  duc  de  Mercœur.  Garces,  nommé  général  par  le 
duc,  avait  dirigé  contre  Tarascon  une  armée  composée  surtout 
d'Arlésiens  qui  désiraient  se  venger  sur  la  garnison  de  la  place 
de  tous  les  ravages  qu'elle  leur  avait  fait  souffrir.  La  ville  se 
rendit  tout  de  suite,  mais  le  château  ferma  ses  portes.  Il  existe 
encore  :  c'est  un  grand  bâtiment  carré  en  pierre  de  taille ,  qui 


1 .  Anonyme,  285. 

2.  Anonyme,  309. 


:i4 


r.    r.AFFAIlKI-. 


peut,  résistor  au  canon.  Il  commande  le  Rhône,  qui  lui  sert  de 
fossé.  L'approvisionnement  de  ce  fort  est  très-facile,  et,  de  plus, 
on  n'a  qu'à  traverser  le  liliône  pour  entrer  en  Languedoc.  Mer- 
cœur  voulait  à  tout  prix  empêcher  ces  communications,   qui 
eussent  éternisé  la  guerre  civile.  Il  pria   Carces  de   pousser 
vivement  le  siège.  Ce  dernier  avait  beaucoup  à  faii-e  oublier  ;  il 
cherchait  à  prouver  au  duc  qu'il  était  capable  de  lui  rendre  un 
service.  Le  siège  commença  le  10  juin  1652.  La  cause  défendit 
jusqu'au  25  du  même  mois,  et  il  ne  capitula  que  parce  que  les 
munitions  commençaient  à  manquer.  La  garnison  devait  sortir 
avec  les  honneurs  de   la   guerre ,    chaque  homme    emportant 
de  ses  hardes  ce  qu'il  pouvait  charger  sur  son  dos.  Le  comman- 
dant avait  de  plus  le  droit  de  faire  sortir  une  charrette  chargép. 
Les  meubles  du  comte  d'Alais  devaient  être  inventoriés  et  rendus. 
L'aumônier  avait  le  droit  d'emporter  tous  les  ornements  de  la 
chapelle*.  La  garnison  se  rendit  à  Toulon,  et  Mercœur,  maître 
désormais  du  cours  du  Rhône,  put  prévoir  le  moment  où  la  Pro- 
vence tout  entière  lui  obéirait. 


Soumission  de  Toulon  (17  septembre  1650,  —  4  sept.  1652). 

Toulon  devait  opposer  au  gouverneur  une  plus  longue  et  plus 
sérieuse  résistance.  Dans  cette  ville  s'étaient  réfugiés  les  plus 
chauds  partisans  du  comte  d'Alais  et  tous  ceux  qui  s'étaient 
compromis  par  leurs  actes  ou  leur  attitude.  Ainsi  qu'il  arrive 
souvent,  les  anciens  ennemis  s'étaient  réconciliés.  Les  Parle- 
mentaires, bannis  d'Aix  comme  chefs  des  Sabreurs,  et  les  anciens 
membres  du  Semestre,  faisaient  maintenant  cause  commune, 
rapprochés  qu'Us  étaient  par  le  malheur.  Il  y  avait  encore  à 
Toulon  des  gens  de  guerre,  surtout  les  officiers  et  soldats  du  régi- 
ment d'Angoulême,  trèsen  retard  pour  le  payeraentde  leursolde,  et 
déterminés  à  se  payer,  au  besoin,  de  leurs  propres  mains.  Aussi 

1.  Anonyme,  285-288. 

2,  M.  Henry,  un  de  ces  modestes  savants  de  province  ffiii  enrictiissent  d'excel- 
lentes publications  les  annuaires  des  sociétés  savantes  départementales,  a  réuni, 
en  1855,  dans  le  Bulletin  semestriel  de  la  Société  des  sciences,  lettres  et  arts  de 
Toulon,  un  certain  nombre  de  curieux  documents,  qui  nous  ont  beaucoup  servi 
pour  la  rédaction  de  ce  chapitre. 


LA    FRONDE    EN    PROVENCE. 


la  ville  de  Toulon ,  remplie  par  les  proscrits  et  par  les  déclassés 
de  la  guerre  civile,  présentait-elle  alors  le  plus  singulier  des 
spectacles.  Le  comte  d'Alais  y  était  fort  populaire.  Il  avait  long- 
temps résidé  dans  cette  ville,  dont  il  aimait  les  habitants,  et  ses 
largesses,  sa  bonhomie  lui  avaient  attiré  beaucoup  de  partisans. 
Le  conseil  de  la  commune  était  composé  presque  entièrement  de 
ses  créatures.  Lorsque  ce  conseil  apprit  qu'on  rappelait  le  comte 
à  Paris  (17  septembre  1650),  il  écrivit  à  la  reine  mère  pour  la 
supplier  de  le  laisser  en  Provence  ^  Mais  la  régente  leur  répondit 
que  le  retour  du  comte  était  indispensable  (27  septembre  1650). 
Elle  profita  néanmoins  de  l'occasion  pour  assurer  le  conseil  et 
les  Toulonnais  de  ses  bonnes  dispositions  ^  Les  ordres  de  la  cour 
furent  très  mal-reçus  :  Alais  ne  se  pressait  pas  d'obéir.  Il  res- 
tait à  Toulon;  il  continuait  même  à  y  rendre  des  ordonnances. 
Ainsi,  le  19  octobre  1650,  il  flétrissait  la  conduite  des  Parlemen- 
taires qui  avaient  fui  devant  la  peste  ^.  Le  7  décembre  il  donnait 
à  tous  ses  partisans  des  lettres  d'évocation  pour  faire  juger  leurs 
procès  devant  une  autre  cour  que  celle  d'Aix^.  Les  Toulonnais, 
encouragés  par  son  exemple,  commençaient  à  se  départir  de  leur 
antique  fidélité.  Des  troubles  éclataient.  Les  nombreuses  délibé- 
rations du  conseil  municipal  roulent  toujours  sur  des  meurtres 
journaliers,  des  coups  de  pistolet  qui  troublent  la  tranquillité  des 
nuits.  Un  jour  il  est  obligé  d'intervenir  pour  renforcer  les  pa- 
trouilles, et  protéger  MM.  de  Varennes  et  de  Galibaud  envoyés  à 
Toulon  par  le  gouvernement,  ou  bien  il  enjoint  sous  des  peines 
très-sévères  ^  «  à  tous  cabaretiers  et  tabaquiers  de  fermer  leurs 
cabarets  et  boutiques  après  la  retraite»  (28  novembre  1650.) 
Mais  il  paraît  que  ces  injonctions  étaient  inutiles,  puisque,  quel- 
ques semaines  après  (2  janvier  1651)  il  était  obligé  de  les  renou- 
veler® «  attendu  qu'il  y  a  plusieurs  habitants  mal  intentionnés 
au  service  du  roy  et  repos  de  la  ville  qui  s'attroupent  dans  icelle, 
et  tiennent  des  discours  capables  d'émouvoir  le  peuple  à  sédition, 
en  sorte  qu'il  y  a  grand  danger  qu'il  n'arrive  dans  la  dite  ville 
quelque  désordre.  » 


1.  Bulletin  de  la  Société  de  Toulon,  32. 

2.  Id.  35. 

3.  Id.  39. 

4.  Id.  43. 

5.  Id.  41. 

6.  Id.  43. 


S6  I'.    C.AFFAREL. 

L'agitation  prit  un  caractère  inquiétant  lorsque  Alais  se  fut 
décidé  à  partir,  et  que  le  faible  Aiguebonne  administra  la  pro- 
vince h  sa  place.  Les  privilèges  municipaux  violés  servirent 
de  prétexte  aux  rebelles.  Par  concession  du  comte  Louis  II,  en 
date  du  20  juillet  1402,  les  consuls  de  Toulon  étaient  en  même 
temps  gouverneurs  de  la  place.  Henri  IV  avait  restreint  ce  pri- 
vilège au  seul  cas  où  le  gouverneur  nommé  par  lui  serait 
absent.  Or  Mazarin  avait  été  nommé  gouverneur  de  la  place, 
maisilétaiten  ce  moment  exilé.  LesToulonnaisdemandèrent  auroi 
un  autre  gouverneur  ^  Le  roi  leur  répondit  en  nommant  le  duc  de 
"Vendôme,  le  fils  de  Henri  IV  et  de  Gabrielle  d'Estrées,  qui 
devait  être  accompagné  de  son  régiment,  mais  en  lui  permettant 
de  se  substituer  un  remplaçant  en  cas  d'absence^.  Cette  restric- 
tion, qui  détruisait  totalement  le  privilège  du  comte  Louis  II, 
irrita  fort  les  consuls  auxquels  cet  honneur  revenait  de  droit,  et 
qui,  désormais,  ne  le  tiendraient  plus  que  du  caprice  de  leur  gou- 
verneur. Ils  protestèrent  à  l'unanimité,  eux  et  le  conseil  muni- 
cipal, contre  cette  mesure  ^  (18  mai  1651).  Le  roi  répondit  par 
une  contre-lettre  du  16  juin  1651  qui  confirmait  les  premières 
décisions  de  la  cour  ^ 

Cette  atteinte  à  leurs  privilèges,  et  les  excitations  furibondes 
des  partisans  du  comte  d' Alais,  dont  le  nombre  augmentait  tous 
lesjours,  exaspérèrent  les  Toulonnais.  Beaucoup  de  nobles,  le  reste 
du  parti  des  Sabreurs,  avaient  fait  leur  entrée  dans  la  ville,  et, 
comme  ils  comprenaient  parfaitement  qu'elle  était  devenue  leur 
dernier  refuge,  ils  étaient  déterminés  à  y  résister  à  outrance. 
C'est  contre  eux  sans  doute  que  fut  alors  rédigé  un  violent  pam- 
phlet intitulé  :  «  Les  bons  sentiments  de  la  véritable  noblesse 
de  Provence  au  roy  contre  les  doléances  de  la  fausse  no- 
blesse^. »  D'après  ce  pamphlet,  «une  certaine  noblesse  contrefaite, 
que  les  Provençaux  appellent  le  bas  aloy,  s'estant  voulu  rendre 
remarquable,  et  gaigner  par  leur  servitude  le  rang  que  doit  don- 
ner la  naissance  et  le  mérite,  s'est  précipitée  dans  les  intérêts  et 
les  vengeances  de  M.  le  comte  d' Alais  avec  un  zèle  si  indiscret 
et  une  extrémité  si  extravagante  qu'elle  a  fait  consister  tout  le 

1.  Bulletin  de  la  Société  de  Toulon,  46. 
1.  Id.  47. 

3.  Id.  48. 

4.  Id.  50. 

5.  Marseille,  Dek.  24-96. 


LA    FRONDE    EN    PROVENCE.  o7 

service  de  votre  majesté  à  sacrifier  sa  patrie.  »  Ces  gentilshommes 
et  aussi  tous  les  soldats  des  villes  et  des  forts  emportés  successi- 
vement par  les  troupes  de  Mercœur  étaient  donc  réunis  à  Toulon. 
Ils  profitèrent  de  l'exaspération  des  bourgeois,  et  les  poussèrent  à 
la  révolte,  espérant  bien  que,  de  la  sorte,  ils  se  rendraient  indis- 
pensables, en  confondant  leur  cause  avec  celle  des  Toulonnais. 
Bientôt  en  eSet  on  passa  des  menaces  aux  actes. 

Les  soldats  du  régiment  de  Vendôme  avaient  été  très-mal 
reçus.  On  ne  leur  épargnait  ni  les  insultes  ni  les  vexations. 
Entre  eux  et  les  soldats  du  comte  d'Alais  des  rencontres 
avaient  lieu  presque  tous  les  jours,  et  rarement  ils  avaient  le 
dessus,  car  la  populace  se  joignait  toujours  à  leurs  adversaires. 
Ils  avaient  un  jour  tiré  sur  un  bateau,  où  se  trouvaient  des 
laquais  à  la  livrée  de  la  ville,  et  en  avaient  tué  un.  Une  émeute 
éclate  aussitôt  contre  eux,  et  le  conseil  refuse  l'entrée  de  la  ville 
au  régiment  de  Vendôme  (13  mars  1651  ^) 

Le  roi  avait  nommé  commandant  des  galères  le  bailli  de  For- 
bin,  grand  prieur  de  Saint-Gilles  (21  sept.  1651 2).  Un  certain 
Vaincheguerre,  sans  doute  quelque  Sabreur,  protesta  contre  cette 
nomination.  Il  fallut  trois  lettres  du  roi  (13  oct.,  29  nov.  1651, 
15  fév.  1652)3  pour  que  de  Forbin  prît  enfin  possession  de  son 
nouveau  poste. 

Ces  attaques  étaient  encore  indirectes  ;  mais  on  allait  bientôt 
passer  à  la  révolte  ouverte.  La  cour,  très-habilement,  avait 
donné  l'ordre  au  régiment  d'Angoulême  de  quitter  Toulon  et  de 
s'embarquer  pour  la  Catalogne.  De  la  sorte  on  se  débarrassait 
d'un  régiment  dont  la  fidélité  était  suspecte ,  et  cela  sans  qu'il 
pût  refuser,  puisqu'on  le  conduisait  à  l'ennemi.  De  plus  on  enle- 
vait aux  rebelles  leur  meilleur  appui.  Le  chevalier  de  Ferrières, 
qui  commandait  huit  vaisseaux  de  guerre  et  deux  brûlots,  devait 
embarquer  ce  régiment,  et  le  conduire  à  Barcelone  (15  fév.  1652)^. 
Mais  les  Toulonnais  refusèrent  obstinément  de  laisser  sortir  l'es- 
cadre. Les  consuls  de  la  ville  avaient,  il  est  vrai,  seuls  le  droit  de 
permettre  ou  d'empêcher  la  sortie  des  vaisseaux  de  l'Etat,  alors 
enfermés  dans  la  vieille  Darse ,  dont  ils  avaient  la  clef;  mais, 


1 .  Bulletin  de  la  Société  de  Toulon,  50. 

2.  Id.  53. 

3.  Id.  55-60. 

4.  Id.  60. 


58  I'.    r.AFFAUEL. 

bien  entendu,  en  se  conformant  aux  ordres  du  roi.  Or  ces  ordres 
étaient  formels,  et  les  consuls  n'obéissaient  pas.  Quatre  lettres 
successives  (1  mars,  29  mars,  10  avril,  12  avril  1652)  furent 
envoyées  par  le  roi,  pour  presser  la  sortie  des  vaisseaux,  et  le  ton 
de  ces  lettres  est  significatifs  Le  roi  ne  parle  plus  de  ses  senti- 
ments bienveillants,  il  commence  à  regarder  les  Toulonnais 
comme  des  rebelles,  et  rend  les  consuls  responsables  de  tout  refus 
ou  retard.  Il  ne  veut  plus  accepter  leurs  excuses  :  «  Vous  aurez 
en  principale  considération,  écrit-il,  le  bien  et  utilité  de  notre 
service,  sans  que  les  animosités  particulières  vous  puissent 
retenir  de  faire  ce  qui  le  pourra  avancer;  car  nous  ne  recevrons 
ny  raison,  ny  excuse.  » 

La  résistance,  en  se  prolongeant,  devenait  dangereuse,  et  les 
Toulonnais  paraissaient  disposés  à  la  prolonger.  La  forte  position 
de  leur  ville,  les  ressources  de  tout  genre  dont  ils  disposaient,  les 
nombreux  soldats  qui  remplissaient  les  forts,  et  surtout  les  exci- 
tations des  Sabreurs  et  des  Semestres,  tout  les  poussait  à  ne  pas 
obéir.  En  vain  MM.  de  Forbin,  de  Ferrières,  etl'évêque  de  Soissons, 
Chavary,  ce  dernier  spécialement  délégué  pour  cette  mission, 
engageaient  les  consuls  à  ne  pas  entrer  en  lutte  contre  le  roi. 
Ceux-ci,  à  aucun  prix,  ne  voulaient  laisser  sortir  les  vaisseaux 
de  la  vieille  Darse,  et  donnaient  aux  envoyés  du  roi  des  prétextes 
dérisoires  (28  avril  1652)  ^  Il  fallait  en  finir,  carie  pays  remuait, 
et,  tant  que  Toulon  ne  serait  pas  rendu,  l'autorité  du  duc  de  Mer- 
cœur  ne  serait  pas  sérieusement  établie.  Les  soldats  de  Vendôme, 
qui  n'avaient  pas  encore  obtenu  leur  rentrée  dans  la  ville,  mais 
qui  occupaient  la  vieille  tour,  sous  le  commandement  du  sieur  de 
la  Lande,  le  comprirent  ainsi.  Ils  déclarèrent  qu'ils  regarderaient 
et  traiteraient  les  Toulonnais  comme  des  ennemis.  Ceux-ci  ripos- 
tèrent en  décrétant  d'accusation,  comme  traîtres  au  pays,  l'an- 
cien premier  consul  Beaussier,  et  le  major  de  Provins,  qui  pas- 
saient pour  dévoués  au  roi  (18  mai  1652)  3. 

Mercœur  était  alors  à  Marseille,  et  Régusse  à  la  Ciotat.  Le 
chevalier  de  Ferrières,  qui  avait  échoué  dans  sa  tentative  pour 
secourir  Barcelone,   était  revenu,   et  mouillait  en  rade  de  la 


1.  Bulletin  de  la  Société  de  Toulon,  61-62-63. 

2.  Id.  64. 

3.  Id.  68. 


LA    FRONDE   EN    PROVENCE.  o9 

Ciotat.  Lui  et  Régusse  envoyèrent  chercher  le  duc  de  Mer- 
cœur,  et,  une  fois  réunis ,  les  trois  chefs  royalistes  prirent  la 
résolution  de  terminer  à  tout  prix  la  guerre  civile  en  soumettant 
Toulon.  Ferrières  se  chargeait  de  bloquer  la  ville  par  mer. 
Avec  les  régiments  qu'il  ferait  venir  d" Aix  Mercœur  l'assiégerait 
par  terre,  et  Régusse,  qui  avait  des  intelligences  dans  la  place, 
y  fomenterait  la  discorde. 

On  savait  en  effet  que  les  Toulonnais  n'étaient  plus  très-unis. 
De  tous  ceux  qui  avaient  cherché  un  refuge  dans  cette  ville,  les 
Sabreurs  étaient  seuls  déterminés  à  combattre.  Ils  disaient  à  tous 
venants  que  jamais  ils  ne  déposeraient  les  armes  qu'Alais  ne 
fût  rétabli  dans  son  commandement.  «  Les  gens  de  robe  qui 
avaient  été  obligés  de  quitter  l'exercice  de  leurs  charges  et  leurs 
maisons,  et  qui  se  voyaient  pour  ainsi  dire  méprisés  par  la 
noblesse  et  par  les  gens  de  guerre,  soupiraient  après  leur  retour 
dans  la  ville.  Les  officiers  du  régiment  de  Valois  S  craignant  un 
même  sort,  souhaitaient  d'être  conservés,  et  semblaient  pencher 
vers  un  accommodement,  pourvu  qu'on  assurât  leurs  appointe- 
ments ^.  »  Quant  aux  Toulonnais,  sauf  les  propriétaires  qui  crai- 
gnaient le  ravage  de  leurs  bastides  et  la  démolition  de  leurs  mai- 
sons, si  on  avait  à  soutenir  un  siège,  les  autres  ne  demandaient 
que  la  guerre  :  ceux-ci  parce  qu'ils  s'étaient  compromis,  ceux-là 
parce  que  l'accumulation  des  étrangers  était  pour  eux  une  source 
d'abondants  revenus  ;  un  grand  nombre  enfin  parce  que  «  aidés 
par  les  galères  qui  étaient  dans  leur  port,  ils  faisaient  des  courses 
sur  l'ami  et  l'ennemi  qu'ils  pillaient  également,  et  surtout  contre 
les  Marseillais,  ce  qui  leur  procurait  des  profits  immenses^.  » 

Ces  actes  de  piraterie  étaient  même  devenus  si  fréquents  que 
les  Marseillais,  lésés  dans  leur  commerce  par  la  prolongation  des 
hostilités,  et,  alors  comme  aujourd'hui,  jaloux  de  toutes  les 
villes  voisines,  proposèrent  à  Mercœur  de  contribuer  aux  frais 
du  siège  de  Toulon.  Le  duc  aurait  certes  été  dans  son  droit,  s'il 
eût  voulu  profiter  de  l'empressement  haineux  des  Marseillais  ; 
mais  ses  instructions  lui  recommandaient  la  douceur.  Il  s'était 
déjà  bien  trouvé  de  l'avoir  préférée  à  la  force.  Il  résolut  donc, 
avant  de  recourir  à  la  violence,  de  consulter  l'opinion  publique, 

1.  Il  s'appelait  ainsi,  el  non  plus  Angoulêrne,  depuis  que  le  comte  d'Alais 
avait  hérité  de  son  père. 

2.  Anonyme,  188. 

3.  Id.  290. 


60  I'.    GAFFA REL. 

et.  convoqua  une  assemblée  générale  des  communautés  à  Aix  pour 
y  délibérer  sur  la  question.  Les  communautés  se  réunirent  en 
effet,  et  engagèrent  les  Toulonnais  h  déposer  les  armes,  en  les 
assurant  des  bonnes  dispositions  de  la  cour  et  du  duc.  Les  con- 
suls de  Toulon  leur  répondirent  par  un  véritable  manifeste,  en 
douze  articles,  où  ils  essayaient  de  se  justifier,  mais  ne  concluaient 
rien  *  (21  juin  1652).  Néanmoins  les  négociations  étaient  ouver- 
tes, et  plusieurs,  parmi  les  révoltés,  ne  cachaient  pas  leur  désir 
de  rentrer  en  grâce.  Le  président  Oppède  avait  pourtant  résisté 
aux  offres  de  Mercœur,  qui  promettait  de  le  réintégrer  dans  sa 
charge  et  ses  honneurs  ^  :  mais  beaucoup  de  ses  amis  s'étaient 
montrés  plus  accommodants,  et  les  habiles  négociations  deRégusse 
avaient,  en  général,  réussi. 

Gagné  par  les  partisans  de  la  paix,  le  consul  d'Apt  déclara 
que,  dans  un  songe,  un  ange  lui  avait  ordonné  de  porter  à  Tou- 
lon des  paroles  de  paix.  Le  stratagème  était  grossier,  mais  il 
s'adressait  à  des  personnes  qui  ne  demandaient  qu'à  être  trom- 
pées. Aussi,  quand  une  députation  des  communautés,  composée 
du  chanoine  de  Minnata,  grand  vicaire  d'Aix,  et  des  consuls  de 
Sisteron,  Grasse,  Hyères,  Saint-Paul  et  Antibes,  se  présenta 
à  Roqiievaire  =^  pour  y  régler  avec  les  députés  de  Toulon  les  con- 
ditions de  la  paix,  on  n'eut  pas  de  peine  à  s'entendre  sur  les  pré- 
liminaires, que  Mercœur  s'empressa  de  ratifier.  Une  députation 
solennelle  fut  alors  envoyée  d'Aix  à  Toulon.  Elle  était  composée 
des  consuls  d' Antibes,  Pertuis  et  Lambesc,  et  de  Bandol,  syndic 
de  la  noblesse.  Tout  'semblait  s'arranger,  lorsqu'un  incident 
imprévu  vint  encore  retarder  la  paix  :  Bandol  était  capitaine 
d'une  galère  alors  en  rade;  il  alla  la  visiter,  et,  comme  il  la 
trouva  fort  en  désordre,  il  en  fit  ses  plaintes  au  comité,  qui  lui 
répondit  fort  insolemment.  Bandol  irrité  le  fit  raser  et  mettre  à  la 
chaîne,  mais  le  comité  était  marié  à  Toulon.  Au  premier  bruit 
de  cette  punition,  pourtant  méritée,  les  mariniers  et  le  bas  peuple 
se  soulevèrent  au  cri  de  «  Vivo  lou  rei!  Fouero  leis  traîtres 
de  lapatrio  » ,  et  la  députation  revint  à  grand  peine  à  Aix'*. 

Malgré  cette  émeute,  Mercœur,  qui  reculait  encore  devant  les 
mesures  de  rigueur,  envoya  à  Toulon  une  nouvelle  ambassade. 

1.  Bulletin  de  la  Société  de  Toulon,  72-82. 

2.  Anonyme,  290. 

3.  D'après  Papon  la  conférence  se  fit  à  la  Valette. 

4.  Anonyme,  296. 


LA    FUOXDE    EN   PROVENCE.  64 

Les  Toulonnais  de  leur  côté  lui  députèrent  Oppède,  Grimaud, 
du  Luc  et  quelques  autres,  mais  les  négociations  traînèrent  en 
longueur.  Les  Toulonnais  refusèrent  enfin  de  signer,  sous  pré- 
texte que  leurs  députés  avaient  outrepassé  leurs  pouvoirs,  et 
Mercœur  se  décida  à  donner  à  ses  troupes  l'ordre  de  marcher  sur 
Toulon. 

On  était  alors  au  temps  des  vendanges.  Les  bourgeois  tenaient 
à  faire  leur  récolte  :  ils  commençaient  à  se  fatiguer  d'une  guerre 
sans  motifs  et  sans  fin.  Ils  déclarèrent  énergiquement  qu'ils  vou- 
laient la  paix,  et,  malgré  leur  répugnance,  les  consuls  durent  la 
demander.  On  se  passa  du  consentement  des  obstinés,  mais  on 
leur  donna  les  moyens  de  quitter  la  ville.  Quelques  uns  d'entre 
eux  réussirent  en  effet  à  s'échapper  par  mer  ;  les  autres  firent 
tous  leur  soumission,  et  Mercœur  put  enfin  entrer  à  Toulon. 

La  paix  était  honorable  pour  les  deux  partis,  (4  sept.  1652, 
ratification  par  le  roi  10  oct.  1651).  Le  premier  article  du  traité 
confirmait  la  ville  dans  tous  ses  privilèges,  y  compris  celui  de  nom- 
mer les  consuls  gouverneurs  de  la  place  en  l'absence  du  gouver- 
neur titulaire  ;  le  second  assurait  la  solde  du  régiment  de  Valois  ; 
le  troisième  établissait  par  la  ville  une  sorte  de  garde  nationale 
provisoire;  le  quatrième  laissait  entrevoir  aux  membres  du 
Semestre  la  possibilité  d'être  rétabhs  dans  leurs  charges  :  le  cin- 
quième et  le  sixième  étaient  relatifs  à  une  amnistie  générale  ;  le 
septième  aux  évocations,  et  le  huitième  au  rétablissement  dans 
leurs  offices  de  tous  les  fonctionnaires  royaux  ^ 

Ainsi,  par  son  habileté,  par  ses  prudentes  concessions,  Mer- 
cœur était  venu  à  bout  de  cette  dangereuse  révolte.  Le  dernier 
foyer  de  la  rébellion  était  éteint,  ses  derniers  défenseurs  disper- 
sés. «  Ce  coup,  écrivait  Régusse^  acheva  de  donner  le  repos 
à  la  province,  et  affermit  le  service  du  roi  et  l'établissement 
de  M.  le  duc  de  Mercœur.  Aussi  le  courrier  qui  en  apporta  la 
nouvelle  à  la  cour  y  fut  reçu  avec  toutes  les  marques  de  satisfac- 
tion possible.  »  Bouche  3,  un  autre  historien  contemporain, 
reconnaît  aussi  «  que  les  derniers  troubles  dans  cette  province 
furent  terminés  par  la  prudence,  bonne  conduite  et  félicité  du  duc 
de  Mercœur  qui,  en  moins  de  quatre  mois,  unit  tous  les  esprits 


1.  Bulletin  de  la  Société  de  Toulon,  9^.-95. 

2.  Régusse,  p.  106. 

3.  Bouche,  II,  982. 


(12  r.    r.AFFAREL. 

ilivisès,  appaisa  toutes  les  émeutes,  réduisit  tous  les  dévoyés,  et 
contraignit  tous  les  remuants  à  l'obéissance  du  roi  sous  son  gou- 
vernement. » 

VI. 

Fin  des  troubles  (8  mars  1653-1660). 

Mercœur  avait  rendu  de  grands  services  à  la  province.  Il  mé- 
ritait une  récompense.  Une  assemblée  des  communautés  décida 
qu'une  députation  solennelle  serait  envoyée  au  roi,  pour  lui 
demander  expressément  la  nomination  de  Mercœur  comme  gou- 
verneur à  titre  définitif  de  la  Provence. 

Alais  venait  de  donner  sa  démission.  Mazarin,  fort  aise  de 
récompenser  un  des  rares  seigneurs  qui  lui  fussent  restés  fidèles, 
s'empressa  d'accéder  au  vœu  des  Provençaux.  Mercœur  fut  donc 
nommé  gouverneur  par  arrêt  du  conseil  en  date  du  8  mars  1653. 
Cette  nouvelle  arriva  à  Aix  le  16  du  même  mois,  et  l'arrêt  fut 
enregistré  le  lendemain,  à  la  grande  joie  du  Parlement,  et  aux 
acclamations  du  peuple  ^ 

Mercœur  fit  son  entrée  solennelle  dans  sa  capitale  le  30  mars. 
<.<  Tous  les  jeunes  gens  de  condition,  ayant  à  leur  tête  le  neveu 
du  cardinal  Mancini,  couraient  les  rues  habillés  en  garçons  de 
cabaret,  une  serviette  sous  le  bras,  une  bouteille  d'une  main, 
plusieurs  verres  de  l'autre,  et  donnant  à  boire  au  son  des  tam- 
bours et  des  trompettes  qui  les  précédaient  ^  »  Le  soir  la  joie  pu- 
blique se  manifesta  par  des  illuminations  et  des  feux  de  joie.  Les 
dames  alors  sortirent  de  leurs  maisons,  «  elles  coururent  les  rues 
en  formant  une  branle,  qui  était  la  danse  la  plus  propre  à  expri- 
mer leur  allégresse.  »  Mais  ce  qui  mit  le  comble  à  la  joie,  ce  fut, 
le  lendemain  31  mars,  la  publication  d'une  amnistie  générale 
pour  tous  les  crimes  ou  délits,  commis  depuis  le  8  août  1649  jus- 
qu'à ce  jour^.  Une  seule  exception  était  faite  à  propos  de  l'atten- 
tat contre  ValbeUe  et  sa  famille. 

Ces  lettres  d'amnistie  étaient  rédigées  depuis  longtemps.  Le 


1.  Mazarinade,  4006.  Vérité  toute  nue  au  peuple  de  Provence. 

2.  Papon,  IV,  550.  Pitton,  460. 

3.  Bouche,  II,  984. 


LA    FROTOE    EN    PROVENCE.  63 

procureur  général,  Gautier,  les  avait  présentées  à  la  cour  dès 
le  17  octobre  1652;  mais  on  avait  refusé  de  les  enregistrer  sous 
divers  prétextes  de  procédure.  Trois  partis  s'étaient  formés  à  ce 
sujet  dans  le  Parlement.  Le  premier  et  le  plus  nombreux  s'oppo- 
sait à  l'amnistie  :  il  était  formé  par  les  anciens  Ganivets,  et  avait 
à  sa  tête  Régusse,  qui  ambitionnait  la  place  de  premier  pré- 
sident, et  ne  voulait  pas  que  son  rival  Oppède,  dont  il  connais- 
sait l'influence  et  les  prétentions,  pût  rentrer  en  grâce.  Les  amis 
d'Oppède  au  contraire,  et  tous  ceux  qui  jadis  penchaient 
du  côté  des  Sabreurs  s'étaient  prononcés  pour  les  mesures  de 
clémence.  Enfin  les  neutres  se  seraient  joints  volontiers  aux  par- 
tisans d'Oppède  ;  mais  Mercœur  ne  cachait  pas  ses  sympathies 
pour  Régusse,  et  ils  restaient  fort  indécis.  Néanmoins  l'opi- 
nion publique  se  prononça  tellement  en  faveur  des  mesures  de 
clémence,  que  les  Ganivets  durent  renoncer  à  leur  opposition, 
sous  peine  de  paraître  sacrifier  le  bien  public  à  leurs  rancunes. 
Les  lettres  d'amnistie  furent  donc  publiées. 

De  toutes  les  victimes  de  la  guerre  civile,  ceux  qui  particuliè- 
rement n'avaient  pas  à  se  féliciter  d'avoir  voulu  jouer  un  rôle 
politique,  étaient  les  anciens  officiers  du  Parlement  Semestre. 
Ils  avaient  acheté  très-cher  leurs  charges  ;  ils  avaient,  pour  se 
soutenir  dans  leur  rang,  supporté  de  lourdes  dépenses,  et  ils  se 
trouvaient  dépouillés  à  la  fois  de  leur  argent  et  de  leurs  honneurs. 
Abreuvés  d'humiliations  et  d'avanies  tant  qu'ils  avaient  siégé, 
persécutés  en  même  temps  que  leur  protecteur  le  comte  d'Alais, 
réduits  à  le  suivre  de  garnison  en  garnison,  ils  avaient  fini  par 
devenir  des  rebelles  déclarés.  Il  n'était  que  juste,  puisque  malgré 
tant  de  promesses  et  d'engagements  on  supprimait  leur  charge, 
qu'ils  fussent  au  moins  indemnisés  de  l'argent  qu'ils  avaient 
perdu.  Les  Parlementaires  l'avaient  reconnu,  mais  à  condition 
pourtant  que  la  province  leur  viendrait  en  aide  pour  ce  rembour- 
sement. Or  les  procureurs  du  pays  refusaient  de  signer  tout  man- 
dat d'indemnité,  Ge  ne  fut  qu'en  1657,  à  l'assemblée  des  commu- 
nautés d'Aubagne,  que  la  province  consentit  à  fournir  50,000 
écus,  et  que  la  cour  s'engagea  à  donner  le  reste.  Encore  les 
Semestres  ne  rentraient-ils  que  dans  leur  capital;  on  ne  leur 
restituait  ni  les  intérêts  de  ce  capital  pendant  dix  années,  ni  les 
frais  de  tout  genre  qu'ils  avaient  supportés.  Le  plus  maltraité  fut 
encore  le  partisan  des  offices,  qui  n'obtint  rien  malgré  tous  ses 
mémoires.  Seul  Gauffi^idy  ne  perdait  pas  grand  chose,  s'il  est 


64  r.    GAFFAREL. 

vrai,  comme  on  le  préteiuiit,  qu'il  eût  été  le  partisan  secret  des 
offices.  D'ailleurs,  par  arrêt  du  conseil  en  date  du  8  mai  1655,  il 
devait,  sa  vie  durant,  toucher  une  pension  de  2200  livres,  et 
recevoir  par  an  dix  mesures  de  sel  *. 

En  apparence  le  Parlement  triomphait,  puisqu'il  avait  réussi  à 
faire  supprimer  la  Chambre  des  requêtes  et  le  Semestre.  En  réa- 
lité il  avait  beaucoup  perdu.  Le  peuple  avait  appris  à  mépriser 
ces  magistrats,  qui  soutenaient  leurs  privilèges  plutôt  que  les 
libertés  provinciales.  Des  inimitiés  particulières  s'étaient  enga- 
gées, très  préjudiciables  à  l'honneurde  la  compagnie.  On  avaitfait 
beaucoup  de  bruit  pour  arriver  à  de  bien  minces  résultats.  Bien- 
tôt le  jeune  Louis  XIV,  entrant  au  Parlement  de  Paris,  décla- 
rera hautement  que  dorénavant  ses  ordres  seront  exécutés 
sans  discussion.  Les  Parlementaires  de  Paris  ne  sauront  que 
se  taire,  et  leur  prudent  silence  sera  imité  par  tous  leurs  col- 
lègues de  province. 

En  Provence  néanmoins,  à  cause  de  l'impétuosité  nationale  et 
de  ce  sentiment  d'indépendance  fanfaronne  qui  distingue  encore 
les  Provençaux  de  nos  jours,  la  Fronde  ne  finit  pas  de  suite  après 
la  soumission  de  Toulon,  et  la  proclamation  de  l'amnistie.  Un 
pays,  agité  pendant  de  longues  années  parla  guerre  civile,  ne  se 
calme  pas  subitement,  du  jour  au  lendemain.  Un  historien  con- 
temporain, M.  Feillet,  dans  le  beau  livre  qu'il  a  consacré  à  la 
navrante  peinture  de  la  misère  pendant  la  Fronde,  a  prouvé  que 
la  guerre  civile  n'avait  nullement  cessé  après  le  retour  de  Maza- 
rin  à  Paris.  De  même  en  Provence  il  y  eut  encore  quelques  désor- 
dres, mais  sans  gravité,  surtout  à  Draguignan.  C!e  furent  comme 
les  dernières  lueurs  de  l'incendie. 

Draguignan,  fidèle  à  ses  armes,  un  dragon  avec  cette  devise  : 
Alios  nuttHsco,  meos  devoro,  avait  conservé  les  habitudes  des 
villes  italiennes  du  moyen  âge.  C'était  une  sorte  de  petite  répu- 
blique avec  ses  Guelfes  et  ses  Gibelins.  De  fréquentes  querelles, 
de  véritables  guerres  civiles  ensanglantaient  souvent  ses  rues 
étroites,  bordées  de  maisons  crénelées,  comme  dans  la  Florence 
de  Dante.  A  l'époque  de  la  Fronde,  et  très-probablement  ^  pour 


1,  Anonyme,  333.  Gauifridy  mourut  en  1684. 

2.  L'Anonyme  (314)  écrit  qu'il  n'a  pu  que  débrouiller  avec  peine  les  événe- 
ments confus  dont  Draguignan  fut  le  théâtre,  et  qu'il  a  inutilement  consulté  les 
traditions  locales  et  les  mémoires  particuliers. 


LA   FRONDE    EN    PROVENCE.  65 

des  causes  toutes  locales,  deux  partis  se  formèrent.  L'un  d'entre 
eux,  celui  du  Sabre,  comptait  dans  ses  rangs  presque  toute  la 
noblesse;  l'autre,  celui  de  l'Industrie,  était  composé  parles  bour- 
geois et  les  artisans.  «  Ils  se  poussaient  tour  à  tour,  et  les  plus 
forts  obligeaient  leurs  adversaires  de  sortir  de  la  ville,  lesquels 
faisaient  après  tous  leurs  efforts  pour  tâcher  d'y  rentrer,  et  ils 
employaient  pour  cet  effet  l'adresse  et  même  la  force,  et,  dans 
ces  occasions  et  ces  attaques,  il  y  avait  souvent  du  sang  répandu. 
Quand  ceux  qui  étaient  dehors  ne  pouvaient  parvenir  à  rentrer 
dans  la  viUe  par  ces  moyens,  ils  ravageaient  le  terrain  et  surtout 
les  domaines  de  leurs  adversaires  ^  » 

Peu  à  peu  ce  qui  restait  des  deux  factions  se  concentra  dans 
la  ville,  et  la  lutte  prit  un  caractère  d'autant  plus  violent  que  les 
exaltés  des  partis  opposés  se  savaient  sur  leur  dernier  champ  de 
bataille,  et  voulaient  terminer  leur  querelle  en  s' exterminant. 

En  mars  1652,  les  Sabreurs,  qui  avaient  le  dessous,  tentèrent 
une  surprise  de  nuit,  mais  ils  furent  repoussés  :  ils  tinrent  alors 
la  campagne,  empêchant  la  culture  et  ruinant  le  commerce  ^ 
Le  parti  de  l'Industrie  jura  de  se  venger.  Lorsque  les  Sabreurs 
voulurent  profiter  de  l'amnistie  d'octobre  1651,  ils  trouvèrent 
les  portes  de  la  ville  fermées.  Ils  essayèrent  d'user  de  leur  droit, 
mais  n'y  parvinrent  qu'après  de  furieuses  résistances.  Mercœur 
fut  obligé  d'envoyer  des  troupes  à  Draguignan,  et  fit  jurer  aux 
deux  partis  de  rester  en  paix  (nov.  1652). 

L'ordre  n'était  qu'apparent.  De  part  et  d'autre  on  avait  trop  à 
se  reprocher  pour  si  vite  oublier.  Au  mois  de  février  1653  éclata 
une  émeute  terrible.  Ce  fut  une  vraie  bataille  des  rues.  Les  deux 
partis  se  fusillaient  à  bout  portant.  Ceux  du  même  parti  avaient 
percé  leurs  maisons  pour  se  soutenir  les  uns  les  autres,  et  com- 
muniquer leurs  vivres  comme  dans  une  ville  assiégée.  Ils 
avaient  même  blindé  leurs  fenêtres  avec  des  matelas,  et  ne  tiraient 
qu'à  coup  sûr  par  des  meurtrières  pratiquées  dans  la  muraille. 
Mercœur  était  alors  malade  à  Toulon.  Il  envoya  à  Draguignan 
six  de  ses  gardes  avec  un  de  leurs  capitaines,  et  donna  l'ordre 
aux  troupes  campées  à  Riez  et  à  Saint-Maximin  de  se  rapprocher. 
Garces  fut  en  même  temps  délégué  pour  tâcher  d'opérer  une 
réconciliation.  De  concert  avec  Robert,  doyen  de  l'église,  et  tous 


1.  Id.  310. 

1.  Bouche,  II,  976.  Papon,  536. 

ReV.    HiSTOR.    V.     !«'•    FASC. 


6B  P.    GAFFAREL. 

les  citoyens  modérés,  qui  déploraient  un  tel  aveuglement,  il 
obtint  en  effet  que  les  deux  partis  déposeraient  les  armes  et 
oublieraient  leurs  dissentiments.  Une  procession  générale  sanc- 
tionna cette  paix.  Mais  les  passions  surexcitées,  surtout  dans 
le  midi ,  ne  s'éteignent  que  faute  d'aliments ,  et  les  partis 
ennemis,  tant  qu'ils  se  voyaient  en  face  l'un  de  l'autre,  ne 
pouvaient  oublier  qu'un  fleuve  de  sang  les  séparait.  En  1657  ^ 
les  Dracénois  s'avisèrent  d'un  bon  expédient ,  le  partage 
du  consulat  entre  les  deux  factions.  Mercœur  y  consentit  : 
mais,  dès  l'année  suivante,  le  parti  des  Sabreurs  l'emportait  et 
abusait  de  sa  victoire,  malgré  l'intervention  du  Parlement. 
«  L'impunité  et  l'insolence  dans  cette  désolée  ville  s'accrut  jus- 
qu'à un  tel  point  que,  l'année  suivante,  ces  Sabreurs  ne  se  purent 
souffrir,  et,  par  les  grands  meurtres  qui  y  arrivèrent,  donnèrent 
occasion  à  la  justice  d'y  appeler  un  très-salutaire  et  dernier 
remède  ^  » 

La  peur  d'une  sévère  répression  de  la  part  de  Mercœur,  et  la 
solennité  des  engagements  pris  de  part  et  d'autre  suspendirent 
les  hostilités.  Mais,  en  juin  1659,  le  parti  de  l'Industrie  courut 
aux  armes,  et  égorgea  quelques  Sabreurs.  Le  premier  consul  et 
son  fils  ne  purent  trouver  de  refuge  que  dans  le  couvent  de  Saint- 
François.  Cette  fois  le  scandale  avait  été  public,  et  la  violation 
des  lois  flagrante.  Le  Parlement  envoya  donc  à  Draguignan  une 
commission  extraordinaire  composée  du  président  la  Roque,  des 
conseillers  de  Valbelle  et  d'Albret,  et  du  procureur  général 
Gautier.  Ces  commissaires  firent  arrêter  quelques  coupables, 
qu'on  amena  à  Aix,  et  qui  y  furent  jugés  le  10  août  de  la  même 
année.  L'un  d'entre  eux,  Laurent  Malespine,  subit  la  torture, 
fut  condamné  à  être  pendu  et  exécuté  à  Draguignan.  Saint-Aubri 
fut  condamné  aux  galères  perpétuelles;  Joseph  Guscquet  aux 
galères  pendant  dix  ans;  Mati,  Gaussar,  Pierre  de  Vaucrone  et 
cent  autres  prévenus  à  la  même  peine,  mais  par  contumace. 
Enfin,  pour  montrer  aux  Dracénois  qu'on  était  bien  résolu  à  ter- 
miner la  guerre  civile,  la  juridiction  de  leur  ville  fut  transférée 
à  Lorgnes.  En  souvenir  du  jugement,  la  porte  des  Cordeliers 
devait  être  abattue,  ainsi  que  la  tour  de  l'Horloge,  qui  avait  servi 
de  refuge  aux  mutins,  et  dont  on  se  servait  pour  sonner  le  tocsin. 


1.  Bouche,  11,997. 

2.  Id.  p.  1003. 


LA    FRONDE    E\    PROVENCE.  67 

Mais  la  dernière  de  ces  prescriptions  ne  fut  jamais  exécutée,  puis- 
que cette  tour  existe  encore. 

Malgré  la  gravité  de  ces  châtiments,  les  Dracénois  ne  renoncè- 
rent pas  encore  à  leurs  guerres  civiles.  Pendant  la  nuit  du  20 
septembre  1659  quelques-uns  des  exilés  escaladèrent  la  muraille, 
tuèrent  ou  blessèrent  à  mort  le  premier  consul,  qu'ils  accusaient 
d'être  l'auteur  de  leur  disgrâce,  et  quelques-uns  de  ses  partisans, 
et  répandirent  la  terreur  dans  la  ville.  Il  fallut  encore  y  envoyer 
des  troupes  pour  empêcher  une  nouvelle  surprise.  La  violence 
n'avait  amené  aucun  résultat  :  la  douceur  calma  tout.  Le 
gouverneur,  profitant  du  voyage  de  Louis  XIV  *  en  Provence 
(1660),  accorda  une  amnistie  générale  en  faveur  des  contumaces, 
et  rendit  la  liberté  à  ceux  qui  étaient  aux  galères. 

Cet  acte  de  politique  habile  produisit  la  meilleure  impression. 
D'ailleurs  on  était  bien  éloigné  des  événements  qui  avaient  été  la 
cause  première  de  ces  massacres  :  de  ceux  qui  y  avaient  pris 
part,  les  uns  étaient  morts,  les  autres  n'étaient  plus  jeunes  et 
n'éprouvaient  plus  que  la  sceptique  résignation  du  dégoût.  Une 
génération  nouvelle  s'avançait  oublieuse  du  passé,  confiante  dans 
l'avenir  ;  elle  saluait  avec  enthousiasme  dans  Louis  XIV  un  roi 
jeune  et  plein  d'espérances.  Bientôt  eUe  n'aura  qu'une  passion, 
celle  de  plaire  au  souverain.  Une  fois  de  plus  les  orages  de  la 
liberté  amèneront  le  calme  du  despotisme,  et  les  dernières  résis- 
tances provinciales  seront  brisées  par  l'énergique  volonté  du  roi 
dont  le  programme  politique  a  été  résumé  en  la  courte  et  impé- 
rieuse formule  :  UEtat  c'est  moi. 

Paul  Gaffarel. 


1.  Par  un  singulier  hasard  ce  fut  à  Aix,  le  28  janvier  1660,  ({ue  s'humilia  le 
grand  rebelle,  Condé,  devant  le  jeune  Louis  et  son  tout-puissant  ministre. 
Curieux  détails  de  l'entrevue  dans  les  Mémoires  de  Moniglat,  édit.  Petitot, 
t.  5Lp.  97. 


MÉLANGES   ET  DOCUMENTS 


LE    B.    HUGUES    DE    PISE 

ARCHEVÊQUE  DE  NICOSIE. 

La  Notice  suivante  n'offre  qu'une  série  un  peu  aride  de  notions  et 
de  faits  classés  et  vérifiés  sur  les  sources  les  plus  certaines,  en 
grande  partie  nouvelles.  Nous  espérons  néanmoins,  qu'à  l'utilité 
technique  qu'elle  peut  avoir,  s'ajoutera  quelque  intérêt  en  raison 
du  personnage  éminent  qu'elle  concerne. 

Doyen  de  la  cathédrale  de  Rouen  et  associé  d'abord  à  la  croisade 
de  saint  Louis,  Hugues,  à  peine  arrivé  en  Chypre,  se  retire  dans  une 
abbaye  de  Prémontré  fondée  près  de  Gérines  où  il  aurait  voulu  finir 
ses  jours.  La  notoriété  de  son  mérite  et  de  ses  vertus  l'en  fait  sortir 
et  le  met  à  la  tête  de  l'église  de  Chypre,  où  de  grandes  diffi- 
cultés l'attendaient.  Cette  haute  situation  n'était  pas  au-dessus  de 
son  mérite-,  peut-être  y  eût-il  fallu  cependant  un  esprit  moins  absolu 
et  plus  disposé  aux  ménagements  que  nécessitait  la  transition  dans 
le  domaine  religieux  de  la  vieille  suprématie  grecque  à  la  suprématie 
latine.  Sévère  pour  lui-même  et  pour  les  autres,  Hugues  ne  se  con- 
tenta pas  de  défendre  impérieusement  l'unité  catholique;  il  voulut 
l'immédiate  et  générale  prédominance  de  l'autorité,  de  la  juridiction 
et  des  formes  de  l'Église  latine  et  il  n'accepta  qu'à  regret  les  tempé- 
raments accordés  aux  Grecs  et  aux  autres  rites  dissidents  par  les 
rois  de  Chypre  et  par  le  Saint-Siège  lui-même.  Après  une  vigilante 
administration  dont  il  nous  reste  de  nombreux  témoignages  dans 
les  actes  des  conciles  et  dans  le  cartulaire  de  Sainte-Sophie  de 
Nicosie',  fatigué  de  ses  luttes  avec  l'autorité  laïque,  il  revient  à  ses 
idées  de  retraite,  et  se  retire  aux  environs  de  Pise,  où  il  fonde  dans 
la  vallée  de  Galci  la  Chartreuse  d'Episcopia,    ou  de  Nicosia,  ainsi 

t.  Le  carlulaire  de  Sainte- Sophie  de  Nicosie,  et  les  documents  mêmes  des 
archives  de  la  Chartreuse  d'Episcopia,  dont  M.  Clément  Lupi,  archiviste-adjoint 
de  Pise,  a  fort  obligeamment  mis  les  résultais  à  ma  disposition. 


LE    B.    HUGUES    DE    PISE.  69 

nommée  en  souvenir  de  son  église  et  de  son  premier  monastère 
avec  lesquels  il  conserva  toujours  des  rapports  d'intérêt  et  d'affection. 
Après  une  vie  de  dévouement  qui  se  répandit  en  bonnes  œuvres 
dans  la  Toscane  entière,  il  mourut  dans  sa  chère  vallée,  honoré  du 
titre  de  bienfaiteur  de  la  ville  de  Pise,  bientôt  béatifié  par  la  vénéra- 
tion publique,  et  ayant  conservé  positivement  jusqu'à  sa  mort  le  titre 
d'archevêque  de  Chypre,  ce  que  n'admettent  ni  Le  Quien,  ni  les 
savants  auteurs  de  la  Biographie  des  illustres  Pisans. 

Tel  fut  l'ensemble  de  sa  vie;  en  voici  l'exposé  succinct  et  chrono- 
logique. 

Hugues  que  l'on  a  nommé  Hugues  de  Fagiano,  Hugues  de  Pise,  ou 
Hugues  Pisan,  naquit  dans  une  famille  de  pauvres  paysans  au  village 
de  Fagiano,  près  de  Pise,  à  la  fin  du  xii*^  siècle  ^ .  Des  personnes  cha- 
ritables, ayant  remarqué  dans  cet  enfant  une  rare  intelligence,  le  firent 
instruire  et  l'envoyèrent  à  l'université  de  Bologne,  puis  à  Rome.  A^ers 
^234,  il  était  avocat  à  la  curie  de  Rome.  Passé  en  France,  il  devint 
doyen  du  chapitre  métropolitain  de  Rouen  ^,  et  non  de  Reims  comme 
il  a  été  dit  ailleurs,  par  erreur^. 

Au  mois  d'août  i247,  il  était  encore  à  Rouen-,  il  reçut  alors,  en 
cette  ville,  comme  doyen  du  chapitre  et  pendant  la  vacance  du  siège 
archiépiscopal,  la  visite  d'un  abbé  du  Bec,  nouvellement  nommé"*.  Les 
chroniques  de  Normandie  ont  conservé  le  souvenir  du  soin  qu'avait  le 
doyen  Hugues  de  rechercher  pour  les  attacher  au  chœur  de  son  église 
les  clercs  doués  d'une  belle  voix^  et  la  mention  d'une  fondation  de 
20  sous  constituée  au  profit  des  clercs  du  chœur  de  la  cathédrale,  à 
la  charge  par  eux  de  faire  célébrer  annuellement  une  messe  du  Saint- 
Esprit,  à  son  intention,  le  5  janvier^. 

En  ^1248,  Hugues  partit  pour  l'Orient  à  la  suite  de  saint  Louis, 
qui,  au  dire  de  ses  biographes,  avait  remarqué  son  mérite;  il  arriva 
en  Chypre  avec  l'armée  croisée.  H  ne  suivit  pas  le  roi  de  France  en 
Egypte.  Réalisant  vraisemblablement  alors  un  dessein  arrêté  depuis 
quelque  temps  dans  sa  pensée,  il  se  fixa  en  Chypre,  et  prit  l'habit 
des  chanoines  réguliers  de  Saint-Augustin,  au  monastère  de  Lapcds, 


1.  Memorie  istoriche  di  più  uomini  illusiri  pisani,  par  une  association  d'éru- 
dits.  Pise,  in-4'',  1792,  p.  91-117.  Notice  de  Mattei,  auteur  de  l'Histoire  de 
l'église  de  Pise. 

2.  Matlei,  3Iem.,  p.  93. 

3.  Notre  Hist.  de  Chypre,  t.  I,  p.  355. 

4.  Gallia  christ.,  t  XI,  col.  232.  D.  Bouquet,  Rec.  des  Hist.,  t.  XXIII, 
p.  454  f. 

5.  Rec.  des  Hist.  de  France,  t.  XXIII,  p.  376  f. 

6.  Hist.  de  Fr.,  t.  XXIII,  p.  358  b. 


70  MIÎLANfiES    KT    DOCUMKMS. 

dit  aussi  Episcopia,  ou  Piscopla,  dans  les  montagnes  de  Cérines,  au 
diocèse  de  Nicosie.  Les  Chvprioles,  comme  les  clrangcrs,  ont  donné  à 
ce  beau  monastère  des  noms  bien  divers,  et  il  n'est  pas  inutile  de  les 
rappeler  pour  aider  à  le  reconnaître  dans  les  écrits  et  les  documents 
anciens  et  modernes,  sous  cette  variété  de  dénominations.  On  l'a 
appelé  le  Prémontré,  et  VAbbaije  Blanche,  en  raison  de  la  règle  et 
du  costume  adoptés  depuis  par  ses  religieux-,  couvent  de  Cazzafani, 
à  cause  du  village  de  ce  nom  dont  il  est  voisin-,  enfin  couvent  de 
Dello  pais  ou  de  Bellapaese,  par  corruption  du  mot  de  Lapais  et 
par  l'influence  évidente  du  splendide  pays  au  milieu  duquel  il  est 

situé  ' . 

L'archevêque  de  Pise,  Frédéric  Visconti,  qui  fut  le  protecteur  et 
l'ami  de  Hugues  de  Fagiano,  rappelle  en  ces  termes  son  entrée  au 
couvent  de  Lapais  dans  le  (U'^  de  ses  sermons,  dont  le  ms.  se  conserve 
à  la  Bibliothèque  Saint-Laurent  à  Florence  :  «  Gupiens  perfectus  esse, 
«  vendidit  omnia  et  dédit  pauperibus,  ut  nudus  Ghristum  nudum 
«  sequeretur-,  intravit  in  religionem  ordinis  Beati  Augustini,  quœ 
«  vocatur  Episcopia,  in  insula  Gypri-.  » 

Il  semble  que  Hugues  de  Fagiano  fut  déjà  en  relation  avec  les  reli- 
gieux de  Lapaïs  dès  le  temps  où  il  se  trouvait  en  Europe  et  avant 

l  Les  Européens  ne  connaissent  pas  cette  magnifique  partie  de  l'île  de  Chypre 
qui  s'étend  en  vue  de  la  mer  de  Caramanie,  au  delà  des  montagnes  de  Samt- 
Hilarion  depuis  le  cap  Saint-André  jusqu'à  l'Âcamas.  Les  dessins  de  Cassas 
peuvent  en  donner  une  idée.  C'est  un  des  plus  beaux  paysages  de  l'Orient,  et 
s'il  se  trouvait  sur  les  bords  méridionaux  de  l'île  de  Chypre,  plus  connus  des 
voyageurs,  leur  réputation  dépasserait  le  bassin  de  la  Méditerranée.  Les  superbes 
ruines  du  monastère  de  Lapaïs  reconstruit  au  xiv=  siècle  par  Hugues  IV  de 
Lusignan  sont  situées  près  du  village  grec  de  Kazzaphani.  Je  les  ai  visitées  en 
1847  elles  étaient  à  peu  près  telles  que  Cassas  les  avait  dessinées  en  I/80.  Mais 
les  paysans  de  Kazzaphani  en  ont  récemment  détruit  une  grande  partie  pour  repa- 
rer leurs  maisons.  M.  le  comte  de  Vogiié  a  donné  à  la  dernière  Exposition  géogra- 
phique de  Paris  en  1875  (Catalogue,  p.  389),  des  plans  et  des  vues  de  Lapais 
d'une  admirable  exécution.  -  Les  planches  de  Cassas  relatives  à  Lapais  sont  inti- 
tulées ■  Vues  et  ruines  du  monastère  de  Cazzafani  dans  Visle  de  Cypre,  en 
raison  de  leur  voisinage  du  village  de  ce  nom.  Le  nom  du  monastère  a  subi  une 
nouvelle  déformation  dans  la  reproduction,  d'ailleurs  fidèle,  des  planches  de 
Cassas  par  l'artiste  qu'a  employé  M.  Lacroix  {Iles  de  la  Grèce,  Didot),  ou  les 
belles  constructions  de  Lapaïs  deviennent  les  Ruines  du  monastcre  Casa- 
Famien.  La  vue  du  monastère  de  La  Puys  dans  Le  Bruyn  (Delft  1700.  PI.  198, 
p  380),  comme  la  mauvaise  planche  de  Drummond  de  la  prétendue  Grande 
Commanderie  de  Chypre  {Description  of  East,  p.  272),  concernent,  non  pas  a 
Grande  Commanderie,  qui  était  à  20  lieues  de  là  au  village  de  Kolossi,  près  de 
Paphos,  mais  bien  notre  Lapaïs  ou  Episcopia,  près  de  Cérinei. 

2.  Mattei,  loc.  cit.  Mattei  se  trompe  au  sujet  d'Episcopia,  qu'il  croit  avoir  ete 
un  monastère  de  la  ville  même  de  Nicosie. 


LE    B.    HUGUES    DE    PISE.  71 

qu'il  ne  vint  se  fixer  au  milieu  d'eux,  pour  renoncer  au  monde.  Lors- 
que les  événements  le  forcèrent  à  sortir  du  cloître  et  rélevèrent  au 
siège  de  Nicosie,  il  ne  cessa  de  leur  porter  une  grande  affection  et 
de  les  considérer  comme  des  frères.  C'est  peut-être  à  l'époque  de  son 
séjour  dans  ce  beau  monastère  de  la  mer  de  Caramanie,  si  favorable 
aux  paisibles  études,  et  avant  son  élection  à  l'archevêché  de  Chypre, 
que  l'on  doit  rapporter  une  recommandation  intéressante,  encore 
lisible  à  la  fin  d'un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris, 
qui  fut  sa  propriété  ^  Le  ms.  renferme  la  somme  théologique  de 
Guillaume  d'Auxerre.  Un  ami  de  l'ancien  doyen  de  Rouen,  resté  en 
France,  semble  avoir  écrit  cette  note  au  bas  du  dernier  feuillet,  pour 
que  le  ms.  lui  fût  envoyé  en  Chypre  à  une  occasion  favorable ,  avec 
quelques  autres  livres  qui  lui  appartenaient  :  «  Iste  liber  est  magistri 
«  Hugonis  Pisani ,  quondam  decani  Rothomagensis,  et  débet  mitti 
«  apud  Ciprum,  in  abbatiam  que  vocatur  Episcopia,  inter  sum- 
«  mas...  »  Silems.  eût  été  transporté  en  Orient,  il  eût  probable- 
ment péri;  quoiqu'il  n'ait  pas  grande  valeur,  il  est  permis  de  se 
féliciter  aujourd'hui  du  hasard  ou  de  la  négligence  qui  l'a  fait  oublier 
en  France. 

On  ignore  l'époque  et  les  circonstances  dans  lesquelles  le  choix  du 
chapitre  de  Nicosie  vint  chercher  Hugues  de  Pise  dans  sa  retraite  et 
l'appela  au  siège  archiépiscopal.  Il  est  probable  que  son  élection 
suivit  de  près  l'époque  oi^i  l'on  connut  en  Chypre  le  décès  de  l'arche- 
vêque Eustorge,  mort  en  Egypte,  le  28  avril  1250;  et  il  est  tout  à 
fait  certain  qu'il  fut  le  successeur  immédiat  de  ce  prélat. 

Le  9  avril  1251 ,  dimanche  des  Rameaux,  Hugues  était  seulement 
élu  et  consacré,  mais  non  encore  intronisé  archevêque,  ses  lettres  de 
confirmation  ne  lui  étant  vraisemblablement  pas  alors  parvenues. 
Cela  résulte  de  la  mention  suivante  inscrite  au  bas  d'une  constitution 
apostolique  sur  les  excommunications  qui  fut  lue  au  peuple  de 
Nicosie  assemblé  dans  le  grand  cimetière  de  la  ville  :  «  In  die  Pal- 
et marum,  tempore  Domini  Hugonis,  Nicosiensis  electi  consecrati, 
«  anno  M.GC.LI.  nono  (quinto)  Id.  April.  Et  eodem  modo,  anno 
«  sequenti^  »  A  la  fin  de  la  même  année,  le  20  décembre  4251,  la 
chancellerie  apostolique,  dans  deux  bulles  expédiées  de  Pérouse  en 
Chypre,  le  qualifie  successivement  élu  et  archevêque.  Dans  la  pre- 
mière. Innocent  IV  notifie  au  doyen  de  Sidon  et  à  maître  Pierre,  sans 
doute  doyen  du  chapitre  de  Sainte-Sophie,  l'envoi  du  pallium  qu'ils 

1.  Mss.  lat.  n»  15745.  Il  a  appartenu  à  la  Sorbonne.  L.  Delisle,  Le  Cabinet  des 
Mss.  du  Roi,  t.  II. 

2.  Labbe,  Concil,  l.  XI,  col.  2400.  Hist.  de  Chi/p.,  t.  I,  p.  356. 


MKLANOKS    KT    DOCIIMKNTS. 


ont  demaiiilô  au  nom  de  Vrlii  de  Nicosie,  cl  les  rharg;e  de  remcltre 
riiisii,'ne  de  sa  pari  an  prélal'.  La  seconde  pièce,  adressée  à  l'abbé 
do  Lapais,  dalée  comme  nous  l'avons  dil  du  même  jour  que  la  précé- 
dente, est  assez  semblable  à  la  bulle  du  23  décembre  ^250,  que  nous 
supposons  concerner  encore  Enslorçre-,  son  prédécesseur.  Sachant  le 
dévouement  alTeclueux  de  V archevêque  de  Nicosie  pour  le  Sainl-Siége, 
cl  \oiilaiil  lui  accorder  une  faveur  spéciale,  le  pape  déclare  que  nul 
délégué  aposlolicpie  ne  pourra  prononcer  contre  lui  l'excommunica- 
lion,  rinlerdil,  la  suspension,  ou  l'exclusion  de  son  église,  cl  charge 
l'abbé  d'Éplscopie  de  veiller  à  l'exécution  de  ce  privilège^. 

Une  bulle  du  surlendemain,  22  décembre  J25I,  sans  le  désigner 
nominativement,  lui  donne  le  titre  A' archevêque  et  l'autorise  à  porter 
le  pallium  en  dehors  des  limites  de  sa  province,  et  à  sa  convenance  ^ 
Le  titre  d'e'/w  ne  se  trouvant  sur  aucun  document  postérieur  à  cette 
date,  on  peut  croire  que  les  lettres  confirmant  son  élection  ont  été 
scellées  à  Pérouse  le  21  ou  le  22  décembre  I2^3^. 

Dès  le  commencement  de  l'année  1232,  Hugues  de  Fagiano  figure 
comme  étant  en  pleine  possession  de  l'autorité  archiépiscopale.  Il  est 
nommé  et  qualifié  H.  archiepiscopus  Nicosiensis ,  ou  simplement 
Archiepiscopus  Nicosiensis^  dans  divers  statuts  du  Tj  janvier  et  du 
4  mars  de  cette  année,  qui  lui  furent  adressés  de  Syrie  par  le  légat 
Eudes  de  Châteauroux ,  évêque  de  Tusculum  ^,  et  dans  plusieurs 
bulles  insérées  au  Cartulaire  de  Nicosie,  portant  les  dates  du  23  janvier 
(n°  ^ 2),  23  mars  (n"  28) ,  5  et  H  avril  (n°'  32  et  33) ,  4 3  avril  (n°  3i )  et 
22  décembre  \  2o2  (n°  27) .  Les  trois  bulles  du  mois  d'avril  rappellent 
une  fondation  de  son  prédécesseur  Eustorge  de  bonne  7némoire,  et 
ne  laissent  aucun  doute  sur  le  fait  de  la  succession  immédiate  des 
deux  métropolitains. 

Ces  témoignages  appuyés  sur  des  documents  aussi  nombreux  que 
probants  suffisent  pour  montrer  l'impossibilité  de  l'existence  d'un 
Hélie  ou  Élie,  I"  du  nom,  qui  aurait  été  archevêque  de  Nicosie  de 
1248  à  1232,  existence  admise  dans  Du  Gange,  Le  Quien,  et  dans  la 
récente  édition  des  Familles  d' Outremer^.  Trompés  une  première 
fois  par  une  fausse  notion  d'x\lbéric  de  Trois-Fontaines,  et  trouvant 
dans  la  collection  des  conciles,  après  un  décret  de  Hugues  de  Fagiano 
de  -1251,  une  constitution  sans  date  au  nom  d'Hélie,  archevêque  de 

1.  Cartul.  de  Sainte-Sophie  n°  5. 

2.  Cartul.  n»  23. 

3.  Cartul.  n°  22. 

4.  Cartul.  n"  6. 

5.  Labbe,  Concil.,  t.  XI,  col.  2382. 

6.  P.  846. 


LE    B.    HUGUES    DE    PISE.  73 

Nicosie  (qui  est  Elle  de  Nabinal,  ^  332-'!  342),  Du  Gange  et  Le  Quien 
l'ont  crue  de  la  même  date  que  la  pièce  antérieure  ou  de  l'an  ^252^ 
et  ont  ainsi  introduit  au  xiii''  siècle  un  archevêque  Élie  qui  n'a 
jamais  existé.  Cette  première  erreur  les  a  conduits  à  d'autres  confu- 
sions et  leur  a  fait  facilement  attribuer  à  ce  premier  et  imaginaire 
Élie,  dont  le  nom  peut  s'écrire  par  un  E.  ou  par  un  H.,  des  faits 
concernant  incontestablement  Eustorge  et  Hugues. 

Nous  avons  eu  l'occasion  de  parler  ailleurs  ^  des  difficultés 
qu'Hugues  de  Fagiano  eut  avec  le  roi  de  Chypre  au  sujet  des  prélats 
grecs,  auxquels  le  gouvernement  accordait  une  protection  trouvée 
excessive  par  l'archevêque  latin.  De  nouveaux  griefs  étant  survenus, 
Hugues  frappa  d'interdit  le  royaume  de  Chypre,  et  se  retira  en  Italie 
pour  ne  rentrer  dans  l'île  qu'après  la  mort  du  roi  Henri  1",  arrivée  le 
^8  janvier  -1253.  C'est  ce  que  nous  apprend  la  chronique  d'Amadi,  à 
l'année  -1253  :  «  La  terra  che  era  interdita  per  l'arcivescovo  Hugo 
«  Pisan,  per  la  rissa  ch'  era  tra  lui  et  el  re  Henrico,  intesa  la  morte 
«  del  re,  vene  d'oltramare,  et  réconcilié  la  terra "*.  »  H  faut  donc 
retarder  de  plusieurs  mois,  et  vraisemblablement  d'une  année  entière, 
en  la  reportant  à  l'année  -1254,  la  constitution  que  l'archevêque 
Hugues  aurait  lue  au  palais  archiépiscopal  de  Nicosie  dès  le  9  janvier 
-1253,  suivant  Labbe  et  toutes  les  éditions  des  conciles''.  Mais  on  peut 
admettre  que  Hugues  de  Fagiano  était  rentré  en  Chypre  dès  les  pre- 
miers mois  de  l'année  ]  253  et  au  commencement  du  règne  du  nouveau 
roi,  Hugues  II  de  Lusignan,  encore  mineur.  Ce  fut  sans  doute  peu  de 
temps  après  son  retour,  et  après  avoir  levé  l'interdit,  qu'il  réunit  le 
synode  et  promulgua  les  statuts  disciplinaires  du  -18  juin  ^253,  qui 
nous  sont  parvenus  dans  les  constitutions  de  l'église  de  Nicosie  dont 
le  recueil  est  dû  en  partie  à  ses  soins  ^. 

H  est  difficile  de  croire  que  la  cour  de  Rome  ne  fût  pas  informée 
le  30  mars  \2M  de  sa  rentrée  en  Chypre.  On  trouve  cependant  à 
cette  date  dans  les  rubriques  des  lettres  apostoliques  une  décision 
d'Innocent  IV  conférant  au  patriarche  d'Antioche,  dont  le  diocèse 
était  envahi  par  les  Turcs,  l'administration  et  les  revenus  de  l'église 
de  Nicosie''.  Une  semblable  mesure  se  comprendrait  pour  l'époque 


1.  Familles  d'Outremer,  p.  846. 

2.  Hist.  de  Chypre,  t.  I,  p.  357. 

3.  Amadi,  Chron.  ann.  1253.  Hist.  de  Ckyp.,  t.  I,  p.  358-364. 

4.  Labbe,  t.  XI,  col.  2384,  chap.  30,  des  GonstittU.  Nicosiens.;  Maasi,  ConciL, 
t.  XXVI,  col.  318. 

5.  Chap.  28.  Labbe,  t.  XI,  col.  2383;  Mansi,  t.  XXVI,  col.  318.  Voy.  ci-après 
p.  36  n.  et  p.  51. 

6.  Hist.  de  Chypre,  l.  H,  p.  68. 


74  MÉI.A\(.KS    Kl     DOCUMENTS. 

OÙ  Hiiiriios  do  Fafjiaiio  s'clail  éloigné  une  première  fois  de  Chypre, 
de  ^252  à  1253,  ou  plus  Uird  vers  4  2(51,  lorsque  par  de  nouveaux 
scrupules  il  résolut  dequiLlerdérinilivemeiiL  rOrlenl,  en  se  retirant 
en  Italie,  sans  abandonner  pourtant  ni  son  titre  d'archevêque  de 
Nicosie,  ni  la  direction  supérieure  de  l'église  de  Chypre.  A  la  date  où 
elle  est  mentionnée  daiis  les  copies  de  documents  apostoliques  rap- 
portés de  Rome  par  La  Porte  du  Xheil,  il  nous  est  impossible  de  l'ex- 
pliquer. 

Nous  retrouvons  dès  1251,  et  dans  les  années  suivantes,  Hugues 
de  Fagiano  en  Orient,  exerçant  l'autorité  archiépiscopale  à  la  tète  de 
l'église  de  Chypre.  C'est  en  cette  qualité  qu'il  agit  ou  qu'il  est  men- 
tionné, tantôt  sous  la  seule  désignation  d'archiepiscopus  Nicosiensis, 
tantôt  nominalement  Huc/o,  archirpiscopus  Nicosiensis ,  dans  divers 
actes  de  1254  à  1257,  qu'il  faut  énumérer  rapidement.  Le  29  janvier 
^2o4,  Innocent  IV  charge  l'évêque  de  Tripoli  et  l'archidiacre  de 
Saint-Jean-d'Acre  de  prononcer  sur  la  plainte  que  Tarchevêque  de 
Nicosie  avait  adressée  au  Saint-Siège  au  sujet  de  la  vente  d'un  terrain 
[locum]  où  les  religieux  Mineurs  de  Nicosie  s'étaient  précédemment 
établis  et  qu'ils  avaient  ensuite  vendu  aux  Cisterciens,  contrairement 
à  la  règle  de  leur  ordre,  en  vertu  de  laquelle  le  terrain  abandonné 
par  eiLX  devait  faire  retour  à  l'évêque  diocésaine  Le  pape  ne  spécifie 
pas  de  quel  terrain  il  est  question,  mais  la  rubrique  inscrite  en  tète 
de  la  bulle,  ainsi  conçue  rescriptum  de  loco  monasterii  Belliloci, 
montre  qu'il  s'agit  de  l'abbaye  de  Beaulieu,  monastère  cistercien  situé 
dans  l'intérieur  même  de  la  ville  de  Nicosie^.  Le  6  mars  -1254, 
Innocent  IV  envoie  à  son  légat  en  Orient,  Eudes  de  Châteauroux,  la 
solution  de  différentes  questions  relatives  à  l'administration  des 
sacrements  sur  lesquelles  l'archevêque  et  les  prélats  latins  de  l'ile  de 
Chypre  n'étaient  pas  d'accord  avec  les  évêques  grecs ^.  Le  -10  mai 
-1254,  Innocent  IV  défère  au  patriarche  de  Jérusalem  l'examen  des 
plaintes  de  l'archevêque  de  Nicosie  contre  ceux  de  ses  fidèles  qui 
s'adressaient  pour  leurs  devoirs  spirituels  au  clergé  régulier  sans 
l'autorisation  de  leur  curé^.  Le  6  août  -1254,  le  légat  Eudes  notifie  à 
l'archevêque  de  Nicosie  un  statut  rendu  à  Saint-Jean-d'Acre  contre 
les  simoniaques^.  Le -10  janvier  -1255,  l'archevêque  de  Nicosie,  après 

1.  Hist,  t.  III,  p.  651. 

2.  Hist.  de  Chyp.,  t.  II.  Lusignan,  Descript.  de  Chypre,  fol. 

3.  Rinaldi,  l'254,  g  7.  Labbe,  l.  XI,  col.  612.  Cherubini,  Bull,  magn.,  t.  1, 
p.  100.  Reinhard,  Hist.  de  Chyp.,  t.  I,  pr.  p.  49.  Cartul.  de  Sainte-Sophie, 
n°  93,  sous  la  date  du  6  mai. 

4.  Cartul.  n"  38. 

5.  Labbe,  t.  .XI,  col.  2405;  Mansi,  t.  XXVI,  col.  343. 


LE    B.    HUGUES    DE    PISE  75 

une  visite  des  églises  de  son  diocèse,  rend  un  décret  pour  recom- 
mander aux  clercs  l'assiduité  aux  offices  ^  Le  -13  janvier  -1255, 
Alexandre  IV  l'engage  à  veiller  toujours  avec  sollicitude  sur  la  piété 
et  les  mœurs  de  ses  ouailles-.  A  la  même  date,  le  pape,  s'adressant 
tant  aux  Grecs  qu'aux  Latins  de  File  de  Chypre,  leur  rappelle  qu'ils 
doivent  tous  également  obéissance  à  l'archevêque  de  Nicosie,  leur 
métropohtain^.  Le  -1 8  janvi'er -{ 233,  à  la  suite  des  réclamations  de 
l'archevêque,  Alexandre  IV  engage  la  reine  de  Chypre  à  respecter  les 
droits  de  l'église^.  Le  28  du  même  mois  et  de  la  même  année, 
Alexandre  IV  garantit  à  Hugues^  archevêque  de  Nicosie,  qu'il  ne 
pourra  jamais  être  contraint  à  recevoir  un  clerc  pourvu,  malgré  lui, 
d'une  prébende  dans  une  éghse  de  son  diocèse^.  Le  20  février  1235, 
Alexandre  IV  l'autorise  à  procéder,  même  par  voie  d'excommunica- 
tion, contre  les  chevaliers  et  tous  autres  fidèles  de  son  diocèse  qui  refu- 
seraient de  payer  les  dîmes  dues  à  l'Église^.  Le  -14  mai  -1253,  sur  la 
plainte  de  l'archevêque  de  Nicosie,  le  pape  charge  l'évêque  de  Saint- 
Jean-d'Acre  de  veiller  à  ce  que  les  exécuteurs  testamentaires  du  feu 
roi  Henri  P'"  de  Lusignan  remplissent  l'intention  qu'avait  le  prince 
de  restituer  certains  revenus  ecclésiastiques  (vraisemblablement  les 
dîmes)  injustement  détenus  par  lui^.  Le  ^6  août  ^233,  l'archevêque 
Hugues^  se  trouvant  à  Saint-Jean-d'Acre^  arrête  avec  le  grand-maître 
de  l'Hôpital,  Guillaume  de  Ghâteauneuf,  une  convention  relative  aux 
dîmes  dues  sur  les  immeubles  que  l'ordre  possédait  dans  la  ville  et 
le  diocèse  de  Nicosie^.  Le  28  août  •1233,  Alexandre  IV  enjoint  à  l'ar- 
chevêque de  prononcer  la  nullité  du  mariage  qu'avaient  contracté, 
malgré  leur  parenté  aux  degrés  prohibés,  la  reine  de  Chypre,  Plai- 
sance d'Antioche,  veuve  de  Henri  I",  et  Balian  d'Ibelin,  sire  d'Arsur  ". 
Enfin  le  30  septembre  J237,  l'archevêque  Hugues^  après  avoir  pro- 
noncé un  sermon  dans  son  église  cathédrale  de  Sainte-Sophie,  lit  une 
constitution  comminatoire,  rendue  nécessaire  par  la  cupidité  et  les 
fraudes  croissantes  des  usuriers  et  des  courtiers  de  Nicosie,  témoi- 


1.  Chap.  32  des  Constit.  Nkos.  Labbe,  t.  XI,  col.  2386;  Mansi,  col,  322. 

2.  Cartul.  n°  13. 

3.  Cartul.  n°  7. 

4.  CarM.  n»  70. 

5.  Cartul.  n"  17 

6.  Cartul.  n"  99. 

7.  Hist.  de  Chypre,  t.  III,  p.  652. 

8.  Cartul.  n-  91.  * 

9.  Hist.  de  Chypre,  t.  II,  p.  68-69.   Cf.  l.  I,  p.  366.    Plaisance  et   Balian  ne 
résistèrent  pas  aux  décisions  du  Saint-Siège  et  se  séparèrent. 


7(i  MKLANr.KS    KT    DOCUMENTS. 

gnagc  manifeste  de  l'augmentation  (l(^  la  |)()j)ulalion  et  du  commerce 
de  Nicosie  sons  les  Latins  '. 

Vers  ce  temps,  Hugues  fit  réunir  à  la  fin  du  Passionnaire-  de  la 
cathédrale,  livre  dont  on  se  servait  seulement  aux  offices  de  la 
semaine  sainte,  la  plupart  de  ses  statuts  disciplinaires  et  quelques- 
unes  dos  constitutions  que  lui  avait  adressées  le  légat  Eudes  de 
Châteauroux^.  Ces  précautions,  qui  aidèrent  l'un  de  ses  successeurs 
à  former  le  véritable  cartulaire  de  Sainte-Sophie  tel  que  nous  l'avons 
aujourd'hui,  semblaient  annoncer  les  soins  et  les  préoccupations  qui 
président  d^ordinairc  à  de  graves  résolutions. 

Sans  rien  négliger  des  devoirs  de  sa  charge,  Hugues  en  effet  était 
parfois  découragé  par  les  difficultés  qu'il  rencontrait  dans  ses  rap- 
ports avec  les  clergés  indigènes  et  revenait  vers  ce  temps  à  ses  idées 
de  retraite. 

Les  ménagements  des  rois  de  Chypre  et  du  Saint-Siège  lui-même, 
qui  voulait  amener  graduellement  la  subordination  des  prélats  grecs 
et  syriens  aux  prélats  latins,  semblent  ne  pas  avoir  obtenu  l'entière 
approbation  de  Hugues.  La  constitution  chypriote  de  •1260,  qui  resta 
la  loi  de  l'église  latine  en  Chypre,  avait  bien  décidé  en  principe  la 
suppression  de  la  dignité  de  métropolitain  des  Grecs,  la  subordination 
des  évêques  grecs  aux  prélats  latins  dans  les  4  diocèses  du  royaume, 
et  la  nécessité  pour  l'évêque  grec  de  résider  dans  un  autre  lieu  que 
le  siège  du  diocèse  latin.  L'épiscopat  grec  de  Nicosie  avait  été  transféré 
dans  la  vallée  de  Solia,  celui  de  Paphos  à  Arsinoë,  celui  de  Limassol  à 
Lefkara  et  celui  de  Famagouste  dans  le  Karpas*.  Mais  ces  décisions 
organiques  furent  accompagnées  de  dispositions  transitoires  et  de 
ménagements  personnels  qu'exagérèrent  autant  qu'ils  le  purent  le 
régent  et  les  barons  de  Chy])re,  dans  l'intérêt  de  la  paix  publique.  Le 
pape  ayant  décidé  que  le  métropolitain  actuel  des  Grecs,  Germain, 
prélat  universellement  estimé,  conserverait  son  titre  et  ses  droits  jus- 
qu'à la  fin  de  ses  jours,  Hugues  de  Fagiano  crut  prudent  de  s'éloigner, 
au  moins  momentanément,  du  pays.  Le  partage  de  l'autorité  archiépis- 
copale lui  parut  une  source  de  difficultés  et  de  conflits  incessants 


1.  Chap.  29.  Const.  Nicos.  Labbe,  t.  XI,  col.  2384;  Mansi,  col.  319.  Hist.  de 
Chypre,  t.  I,  p.  371. 

2.  Les  livres  ainsi  nommés  au  moyen  âge  renfermaient  seulement  la  Passion  de 
N.-S.  suivant  les  quatre  évangélistes  qu'on  lisait  durant  la  semaine  sainte. 

3.  Ces  faits  sont  rappelés  dans  une  charte  de  Mathieu,  archevêque  de  Gésarée, 
qui  vidime,  le  26  octobre  1220,  à  la  demande  de  l'évêque  Ranulphe,  les  statuts 
disciplinaires  de  Hugues  du  18  juin  1253.  Cartul.  de  Sainte-Sophie,  n'  29. 

4.  Voy.  Hist.  de  Cfujpre,  t.  I,  p.  381. 


LE    B.    HUGUES    DE    PISE.  77 

entre  les  deux  rites.  Il  crut  sans  doute  que  sa  retraite  en  amoindri- 
rait l'aigreur  et  sauvegarderait  mieux  pour  l'avenir  la  dignité  de 
l'archevêque  latin.  Un  secret  penchant,  né  d'une  grande  simplicité  de 
mœurs  et  d'une  ardente  piété,  l'attirait  d'ailleurs  vers  la  vie  mona- 
cale. Il  finit  par  en  reprendre  les  habitudes  et  le  costume.  Mais,  en 
s' éloignant  de  l'ile  de  Chypre,  avec  la  pensée  peut-être  de  n'y  plus 
revenir,  il  conserva  toujours  son  titre  d'archevêque  de  Nicosie,  et  ne 
cessa  de  s'intéresser  à  la  situation  de  l'église  latine  en  Orient,  même 
quand  il  remit  à  d'autres  les  soins  de  l'administration  diocésaine. 

L'époque  précise  de  son  départ  de  Chypre  n'est  pas  connue.  Nous 
pensons  qu'il  ne  dut  pas  rester  bien  longtemps  dans  l'Ile  après  la 
promulgation  de  la  bulle  d'Anagni  du  3  juillet  1260.  Et  en  eflèt,  des 
actes  témoignent  de  son  passage  en  Syrie,  et  de  son  séjour  probable 
à  Saint- Jean-d'Acre,  dès  le  commencement  de  l'année  ^26^,  du  jeudi 
13  au  lundi  -17  janvier'.  Le  8  juillet  suivant,  1261,  se  trouvant 
encore  à  Saint-Jean-d'Acre,  l'archevêque  Hugues  arrête  avec  le  grand- 
maître  du  Temple,  Thomas  Bérard,  au  sujet  des  dîmes  à  payer  sur 
les  terres  que  possédait  l'ordre  dans  la  ville  et  le  diocèse  de  Nicosie-, 
un  accord  analogue  à  celui  qu'il  avait  fait  avec  les  Hospitaliers. 

Les  biographes  pisans  nous  le  montrent .  arrivé  en  Toscane,  au 
commencement  de  l'année  -1263^.  Nous  ne  voyons  rien  dans  les  faits 
et  les  documents  orientaux  qui  empêche  de  considérer  cette  notion 
comme  certaine.  Hugues  s'occupait  alors  de  la  construction  d'un 
monastère  où  il  pût,  sans  renoncer  entièrement  aux  occupa- 
tions extérieures,  venir,  à  ses  heures  et  à  sa  convenance,  se 
recueillir  et  prier  en  commun  avec  les  chanoines  ses  confrères. 
Le  projet  qu'il  avait  tenté  de  réahser  à  Lapais,  il  le  reprenait 
et  l'exécutait  plus  complètement  dans  son  propre  pays.  Il  con- 
sacra à  cette  fondation  les  ressources  qu'il  avait  rapportées 
de  Chypre  et  qui  paraissent  avoir  été  considérables,  grâce  à  la 
sagesse  de  son  administration,  à  son  désintéressement  personnel, 
allié  toujours  à  une  grande  bienfaisance.  Secondé  par  la  générosité 
et  le  concours  de  l'archevêque  de  Pise,  Frédéric  Visconti,  il  choisit 
un  domaine  nommé  Rezzano,  dans  la  vallée  de  Calci ,  affluent  de 
l'Arno,  non  loin  des  propriétés  de  Frédéric  Visconti,  pour  y  fonder 
une  maison  de  chanoines  réguliers  de  Saint- Augustin,  à  laquelle  il 
se  proposait  de  donner  le  nom  d'Episcopia. 

1.  Pauli,  Galata,  t.  II,  p.  201-202;  Fontes  rer.  Austriac.  Doc.  vénitiens,  t.  III, 
p.  41-43,  où  la  pièce  est  mal  datée  du  U  janvier.  Elle  doit  être  de  la  fln  de 
janvier  1261. 

2.  Cartul.  de  Sainte-Sophie,  n°  89. 

3.  Mattei,  loc.  cit.  p.  97-112. 


78  méla\(;ks  kt  documents. 

L'archevêque  Frédéric  posa  lui-même  la  première  pierre  de  l'édi- 
fice, en  présence  de  Hugues  de  Fagiano  et  d'une  nombreuse  assis- 
lanco  de  fidèles  et  de  prélats.  Les  constructions,  assez  avancées  déjà 
au  mois  de  décembre  12()3,  comprenaient  un  couvent  et  une  église 
magnifique,  sunrpluoso  opcre^  que  les  propres  facultés  de  l'arche- 
vêque de  Nicosie  devaient  suffire  à  terminer,  mais  pour  lesquelles 
on  sollicitait  les  oHVandcs  publiques,  afin  de  hâter  leur  plus  prompt 
achèvement.  Ces  faits  sont  rappelés  dans  une  lettre  pastorale  de  Fré- 
déric Vjsconti  scellée  et  rendue  publique  à  (>alci  môme,  le  21  décembre 
•12()3,  fête  de  saint  Thomas,  l'un  des  patrons  de  la  nouvelle  Epis- 
copia  ^ . 

Ce  nom  peu  connu  d'un  monastère  éloigné  tomba  peu  à  peu  en 
oubli  parmi  les  Toscans.  Peu  après  la  mort  d'Hugues  de 
Fagiano,  il  fut  remplacé  dans  le  langage  populaire  par  le  nom  de 
Nicosie,  à  cause  de  la  notoriété  du  siège  de  l'archevêque  et  du  renom 
de  sainteté  qui  s'attacha  à  sa  mémoire.  Aujourd'hui  les  noms  de 
Rezz-ano  et  dCEpiscopia  sont  tout  à  fait  inconnus  aux  alentours  de 
Pise.  Le  nom  de  Nicosie  a  absorbé  toutes  les  autres  dénominations 
et  il  est  passé  du  couvent  même  fondé  par  le  B.  Hugues  au  petit  vil- 
lage voisin.  Mais  ces  changements  ne  se  sont  effectués  que  lentement 
et  successivement,  sous  l'influence  des  souvenirs  et  du  langage  po- 
pulaires. 

Du  vivant  de  l'archevêque,  et  bien  que  son  intention  fût  de  donner 
à  sa  fondation  le  nom  chypriote  d'Episcopia,  comme  en  témoigne  la 
charte  de  Frédéric  Visconti,  on  la  désignait  plutôt  sous  le  nom 
d'église  et  couvent  de  Saint- Augustin  de  la  vallée  de  Calci  ^.  Lui- 
même,  en  adressant  aux  compagnons  de  sa  retraite  les  règlements 
qu'il  rédigea  pour  leur  vie  commune,  les  appelle  ses  chers  frères  de 
la  Vallée  de  Calci  ^.  Dans  une  charte  du  18  décembre  -1325,  qui  cons- 
tate la  réunion  de  leur  monastère  à  l'église  de  Saint-Paul  ail'  Orto  de 
la  ville  de  Pise ,  on  voit  apparaître  le  nom  de  Nicosie.  Ils  y  sont 
nommés   :  chanoines  réguliers  des  églises  de  Saint-Augustin  de 


t.  «  Ecce  quod  venerabilis  paler  dorainus  Hugo,  archiepiscopus  Nicosiensis, 
«  nalione  Pisanus,  ecclesiam  domumque  religiosam  que  Episcopia  vocabitur, 
«  in  valle  Calcisana  cepit  edificare  opère  suuipluoso,  in  cujus  fundamento, 
«  priniariam  posuimus  lapidem.  Datum  apud  Calci,  ann.  1264  (style  pisan)  d. 
«  S"  Tliomse.  »  3°  année  du  pontificat  d'Urbain  IV.  Scellé  de  4  sceaux.  Dal 
Borgo,  Diplomi  pisani,  I.  part.,  p.  244.  Ex  archiv.  DD.  Canonic.  Nicosiens. 

2.  Décision  du  conseil  de  Pise  du  10  juillet  1268  (v.  s.)  Dal  Borgo,  p.  246- 
247. 

3.  Dilecti  in  Christo  fratres  in  valle  Calcesana,  Pisane  diocesis,  commo- 
rantes.  Bonaini,  Statuti  di  Pisa,  t.  I.  App.  p,  651. 


LE    B.    HUGBES    DE    PISE.  79 

Rezzano,  appelé  Nicosie^  e(  de  Saint-Paul  alV  Orto^.  Dans  le  cours 
du  xiv«  siècle  le  monastère  du  B.  Hugues  est  encore  appelé  quelque- 
fois du  nom  seul  de  Rezzano,-en  latin  Rethanum  ou.  Ressanum ;  plus 
souvent  des  deux  noms  réunis  de  Rezzano  et  Nicosia.  Mais  à  partir 
du  xv^  siècle,  on  ne  trouve  plus  trace  de  l'ancienne  dénomination  et 
Nicosia  prévaut  tout  à  fait. 

Nicosia,  qu'on  nomme  aussi  Nicosia  di  Galci,  est  aujourd'hui  un 
petit  village  de  200  ou  300  âmes,  à  6  milles  de  Vico  Pisano.  Mattei, 
le  savant  historien  de  l'église  de  Pise  et  le  biographe  le  plus  autorisé 
de  l'archevêque,  Dal  Borgo,  éditeur  des  Diplômes  Pisans,  Roncioni, 
historien  de  Pise^,  ne  parlent  de  la  fondation  de  leur  illustre  compa- 
triote qu'en  lui  donnant  le  nom  de  Nicosie  ;  les  archives  des  Augus- 
tins  de  la  Vallée  de  Galci  sont  pour  eux  les  archives  des  chanoines 
de  Nicosie-,  et  aujourd'hui  les  documents  du  vieux  monastère 
d'Episcopia,  supprimé  depuis  le  dernier  siècle,  forment  un  fonds 
spécial  aux  archives  générales  de  Pise  désigné  sous  le  nom  de 
Nicosia^. 

Le  Ouien,  et  Mattei  après  Le  Quien,  paraissent  croire  qu'une  fois 
établi  en  Toscane,  Hugues  de  Fagiano  cessa  d'agir  absolument 
comme  archevêque  de  Chypre,  et  que  Raphaël,  qu'ils  pensent  avoir 
été  son  successeur  immédiat,  dut  prendre  le  titre  et  les  fonctions 
d'archevêque  de  Nicosie  dès  l'an  4263.  L'examen  des  documents 
contemporains  nous  amène  à  des  résultats  opposés.  Il  est  incontes- 
table d'abord  que  Hugues  de  Fagiano  conserva  son  titre  d'archevêque 
de  Nicosie  jusqu'à  sa  mort,  c'est-à-dire  jusqu'en  -1268  ou  4269,  et 
nous  avons  des  preuves  certaines  qu'il  s'occupa,  parfois  même  très- 
activement,  des  intérêts  généraux  de  l'Église  latine  en  Chypre,  depuis 
son  départ  de  File  et  depuis  son  établissement  en  Toscane.  Un  délé- 
gué, vraisemblablement  un  vicaire  général,  qui  fut  pendant  un  cer- 
tain temps  l'abbé  de  Lapais  lui-même,  comme  une  pièce  postérieure 
l'indique,  devait  le  remplacer  dans  les  devoirs  journaliers  du  minis- 
tère et  de  l'administration  épiscopales.  Nous  pensons  donc  qu'il  faut 
absolument  rapporter  à  Hugues,  même  après  l'année  >1263,  tous  les 
documents  où  il  est  question  d'un  métropolitain  anonyme  de  Nicosie. 


1.  Canonici  regularmm  ecclesiarum  Sanctorum  Augustini  de  Rethano  vocati 
Nicosia,  Pisane  diocesis,  et  Pauli  ad  Ortum.  Ce  qui  montre  que  l'union  du 
monastère  de  Nicosie  à  1  église  de  Saint-Paul  ail'  Orto  est  antérieure  à  l'an  1357, 
date  approximative  de  l'union  donnée  par  Repetti,  Dizionario  geogr.  stor.  délia 
Toscana.  (Note  communiquée  par  M.  Clément  Lupi,  professeur  de  Paléographie 
et  conservateur-adjoint  aux  archives  de  Pise.) 

2.  Ed.  Bonaini,  p.  568.  Archiv.  storico  ital. 

3.  Archives  des  Missions  scientif.  3'' série.  T.  II,  p.  182-198. 


80  MÉLANGES    ET   DOCUMENTS. 

L'archevêque  Raphaël  ii'esl  nommé  que  dans  un  document  sans 
date  qui  nous  parait  être  hien  postérieur. 

Pour  nous,  c'est  toujours  à  Hugues  de  Fagiano  qu'Urbain  IV 
adresse  d'Orviéto,  le  3  janvier  12G3,  les  lettres  apostoliques  qui 
recommandent  à  l'archevêque  de  Nicosie  d'exercer  enectivement,  et 
malgré  les  réclamations  des  barons  de  Chypre,  son  droit  de  juridic- 
tion en  ce  qui  concerne  la  discipline  ecclésiastique,  aussi  bien  sur 
les  laïques  que  sur  les  clercs  ^  ;  c'est  de  lui  qu'il  s'agit,  quand,  à  la 
même  date,  par  des  lettres  renouvelées  le  23  janvier,  le  pape  recom- 
mande à  Hugues  d'Antioche,  régent  du  royaume  de  Chypre  pendant 
la  minorité  du  roi  Hugues  II,  de  seconder  plus  efficacement  l'action  de 
l'archevêque  latin  vis-à-vis  des  Grecs  et  des  Syriens^;  c'est  toujours 
de  Hugues  qu'il  est  question,  et  ici  d'une  façon  bien  manifeste, 
quoiqu'il  ne  fût  pas  alors  présent  en  Syrie ,  quand  le  grand 
maître  du  Temple  notifie  à  Saint-Jean-d'Acre ,  le  30  septembre 
•1264,  un  compromis  intervenu  entre  son  ordre  et  l'archevêque  de 
Nicosie,  désigné  par  la  lettre  H.  et  représenté  par  l'abbé  d'Epis- 
copia,  E.,    son  vicaire  général,  vicarium  archiepiscopi  antedicti^. 

Quant  à  Hugues  de  Fagiano  lui-même,  tout  en  s'occupant  de  ses 
créations  de  la  vallée  de  Calci ,  et  sans  manifester  l'intention  de 
retourner  en  Chypre,  il  ne  négligeait  pas  les  occasions  de  réclamer 
contre  la  situation  abaissée  et  intolérable,  suivant  lui,  que  les 
ménagements  apostoliques  d'une  part,  et  la  partiahté  intéressée 
des  laïques  d'une  autre,  faisaient  à  l'Église  latine  dans  le  royaume.  Il 
se  rendit  à  cet  effet  à  Orviéto,  où  résidait  le  pape,  au  mois 
d'avril  -1264.  Nos  renseignements  coïncident  sur  cet  incident 
notable  avec  les  biographes  .pisans,  qui  le  font  assister  cette  année 
même  ^264  au  jubilé  célébré  à  Rome  *.  S'adressant  à  l'archevêque 
Hugues,  le  pape  rappelle  son  voyage  à  la  cour  apostolique  et  s'ex- 
prime ainsi  :  «  Accedens  non  absque  multis  periculis  et  laboribus 
«  ad  apostolicam  sedem,  exposuisti  nobis  oraculo  vocis  vive  quod 
«  Greci  regni  Cipri ,  etc.  Quare  cum  ibidem  (en  Chypre)  tua  pro- 
«  desse  presentia  non  valeret ,  ad  apostolicam  sedem  te  oportuit 
«  personaliter  laborare^.  «    Les  représentations  de  Hugues  furent 

1.  Cartul.  de  Sainte-Sophie,  n°  79. 

2.  Cartul.  n»  11;  et  Rinaldl,  Annal.  1263.  g.  Hist.  de  Chypre,  l.  ï,  p.  393, 
t.  III,  p.  655. 

3.  Cartul.  n"  51.  Hist.  de  Chyp.,  t.  III,  p.  657. 

4.  MaUei,  loc.  cit.,  p.  98-113;  Hist.  de  Chyp.,  t.  I,  p.  392. 

5.  LeUre  d'Urbain  IV  à  l'archevêque  de  Nicosie,  Orvieto,  le  13  avril  1264. 
Cartul.  de  Sainte-Sophie,  n'  77,  répété  au  n"  81.  La  même  lettre  de  la  même 
date,  avec  les  changements  nécessaires,  fut  adressée  au  régent  de  Chypre.  Cartul. 
n°76. 


LE    B.    HUGUES    DE    PISE.  8i 

vives  et  pressantes.  Il  affirmait  que  la  résistance  des  barons  et 
leur  connivence  avec  les  prélats  grecs  rendaient  nuls  les  effets  de  la 
constitution  de  i  260,  paralysaient  l'action  ecclésiastique,  empêchaient 
de  porter  remède  à  l'effroyable  corruption  des  mœurs  et  réduisaient 
dérisoirement  la  dignité  métropolitaine  aux  fonctions  d'un  simple 
prêtre  ' .  Si  instantes  qu'aient  pu  être  les  représentations  de  Hugues, 
elles  ne  paraissent  pas  avoir  eu  grand  résultat  pour  le  moment, 
et  l'insuccès  de  ses  démarches  dut  le  confirmer  dans  son  projet 
de  rester  en  Italie.  Le  temps  et  la  mort  du  métropolitain  grec 
apaisèrent  ces  difficultés  et  firent  accepter  peu  à  peu  les  prescrip- 
tions de  la  constitution  de  4260,  par  les  clergés  indigènes  et  par 
les  barons  chypriotes. 

Après  l'année  -1 264  ,  nous  ne  trouvons  plus  trace  de  l'action 
personnelle  de  Hugues  de  Fagiano  dans  les  affaires  de  Chypre. 
Germain  vivant  peut  -  être  encore ,  Hugues  dut  abandonner  à 
d'autres  la  direction  immédiate  comme  les  revenus  de  l'archevêché. 
Ses  vicaires  et  le  chapitre  de  Sainte-Sophie  suffisaient,  en  son 
absence  et  en  son  nom,  aux  besoins  spirituels  et  temporels  de  l'ad- 
ministration. On  l'a  vu  dans  la  transaction  conclue  à  Saint- Jean 
d'Acre  en  1 264 ,  pour  le  compte  du  chapitre  et  de  l'archevêque  de 
Nicosie,  par  l'abbé  de  Lapais,  vicaire  de  l'archevêque.  On  le  cons- 
tate de  même  dans  un  acte  de  -1267 2,  année  dans  laquelle  le  patriarche 
de  Jérusalem,  Guillaume,  fit  en  l'absence  de  Hugues  la  visite  de  la 
province  de  Chypre.  Dans  cet  acte  concernant  les  chanoines,  un 
membre  du  chapitre  agit  comme  trésorier  et  vicaire  de  Sainte-Sophie. 

Sans  rechercher  les  détails  de  la  vie  de  Hugues  en  Italie,  nous  ne 
devons  pas  négliger  de  rappeler  combien  il  se  fit  vénérer  en  Toscane 
par  ses  vertus  et  aimer  par  une  générosité  qui  allait  presque  à  la 
munificence.  Il  restaura  à  ses  frais  plusieurs  églises  de  la  ville  et  du 
diocèse  de  Pise.  Fidèle  au  goût  qu'il  avait  déjà  manifesté  en  Nor- 
mandie pour  la  beauté  du  culte,  il  construisit  un  autel  particulier 
dans  la  cathédrale ,  et  y  attacha  des  pensions  pour  six  clercs,  qu'on 
appela  depuis  les  six  clercs  de  Nicosie.  Il  fit  des  donations  spé- 
ciales à  la  ville  pour  la  réparation  de  ses  remparts  et  la  reconstruc- 
tion du  pont  de  la  forteresse  ^. 

1.  «  Dum  inter  vos  et  ipsum  archiepiscopum  de  hujusmodi  jurisdictione  coti- 
«  tenditur  crimina  rémanent  incorrecta  ...  archiepiscopi  officiuni  vilipeuditur... 
«  jam  non  archiepiscopus  sed  simplex  polius  videatur  esse  sacerdos.  »  Urbain  IV 
au  régent  de  Chypre,  du  13  avril  1264.  Cartul.  n°  76.  Rinaldi,  1264,  n°  66.  HisL 
de  Chypre,  t.  I,  p.  394;  t.  III,  p.  655,  n.  1;  657,  n    1. 

2.  Hist.  de  Chijp.,  t.  III,  p.  658.  Carlul.  n°  lOG. 

3.  Mattei,  p.  98-99.  Roncioni,  ht.  pis.,  p.  569. 

Rev.  Histor.  V.  !■-'''  FASC.  G 


S2  MÉLANfiES    ET    DOCUMENTS. 

Le  Conseil  de  la  Hôpubliquo,  heureux  de  reeounailre  Laul  de  ser- 
vices dus  au  vénérable  père  Hugues,  son  bienfaiteur  et  son  proLec- 
leur  spécial  ',  plaça,  à  sa  demande,  sous  la  sauvegarde  expresse  de 
lÉlat,  et  exempta  de  tous  impôts,  ses  établissements  de  la  Ghanoi- 
nerie  ou  de  la  Chartreuse,  désignés  ainsi  dans  la  délibération  : 
«  l'église  et  le  couvent  de  Saint- Augustin  de  la  vallée  de  Galci.  »  La 
déciskm,  datée  du  10  juillet  1208,  style  pisan,  1267  dans  le  style 
actuel  2,  reproduisait  le  texte  de  la  requête  dans  laquelle  Hugues  prend, 
cà  la  suite  du  titre  d'  «  archevêque  de  Nicosie,  »  celui  de  «  fondateur 
a  et  recteur  de  l'église  de  Saint-Augustin  de  la  vallée  de  Galci  ^.  » 
iNous  ne  voyons  figurer  dans  aucun  de  ces  actes,  ni  le  nom  d'Epis- 
copie,  qui  ne  fut  peut-être  pas  effectivement  donné  à  la  Chartreuse, 
bien  que  telle  eût  été  la  première  intention  de  l'archevêque,  ni  le  nom 
deiNicosie,  qui  n'était  peut-être  pas  encore  adopté.  Nous  arrivons  ainsi 
aux  dernières  années  où  nous  trouvions  des  souvenirs  de  Hugues. 

H  nous  reste  cependant  un  monument  de  son  esprit  organisateur 
et  de  sa  prévoyance,  peut-être  postérieur  à  la  décision  du  Conseil  de 
Pise.  C'est  le  statut  qu'il  rédigea  pour  son  couvent  et  pour  la  vie 
commune  de  ses  chanoines.  Le  règlement  ne  nous  est  pas  parvenu 
tel  que  le  B.  Hugues  le  rédigea  originairement.  De  l'avis  du  regretté 
Bonaini,  qui  le  premier  l'a  signalé  et  publié*,  des  modifications 
ont  dû  être  introduites  par  un  de  ses  successeurs  dans  les  dernières 
dispositions,  et  le  ms.  porte  en  tête  ce  titre,  qui  ne  parait  pas 
appartenir  au  temps  de  l'archevêque  :  Constitutiones  Canonicorum 
Nicosiensium.  Le  commencement,  plus  respecté,  est  ainsi  conçu  : 
«  Hugo,  miseratione  divina,  Nicosiensis  archiepiscopus,  dilectis  in 
«  Ghristo  fratribus  in  Valle  Galcesana,  Pisane  diocesis,  commoran- 
«  tibus,  salutem  in  vinculo  caritatis.  »  M.  Bonaini  estime  que  le 
statut  fut  rédigé  en  -1268  ^  On  voit  que  Hugues  conserva  jusqu'à  la 

1.  «  Quem  ipsura  venerabilem  palrem  sibi  reputat  in  prolectorem  et  beae- 
«  faclorem  precipuum.  » 

2.  Pise,  le  6  des  ides  de  juillet  1268,  indict.  10^  Ex  archiv.  DD.  canonic. 
Nicos.  ap.  Dal  Borgo,  Dlplomi  pisani  I,  part.  2,  p.  246-247. 

3.  «  Venerabilis  pater,  dominus  Hugo,  Dei  gratia,  Nigothiensis  archiepisco- 
«  pus,  edificalor  et  rector  ecclesie  Sancti  Auguslini  in  valle  Calcisana,  petit  a 
«  vobis,  etc.  » 

4.  Statuti  di  Pisa,  t.  I,  Append.,  p.  651-671.  Pise,  in-4°.  1854.  D'après  le  ms. 
des  Archives  de  Florence,  Fonds  des  communautés  supprimées.  Le  règlement  fixe 
à  treize,  v  compris  le  prieur,  le  nombre  des  chanoines  de  Calci.  On  les  dispense 
des  travaux  manuels,  à  l'exception  de  la  culture  des  vignes  et  des  oliviers,  et 
de  la  copie  des  mss.,  travail  doublement  méritoire  et  agréable  à  Dieu,  est-il 
dit,  parce  qu'il  est  à  la  fois  une  prière  et  une  prédication. 

5.  Statua,  l.  I,  p.  350. 


LE    B.    HUGUES    DE    PISE.  83 

fin  de  ses  jours  le  titre  d'archevêque  de  Nicosie  qu'il  portait  depuis 
près  de  dix-neuf  ans. 

On  ne  connaît  pas  l'année  précise  de  la  mort  de  Hugues  de  Fagiano, 
que  le  cri  de  la  reconnaissance  populaire  béatifia  presque  de  son 
vivant  à  Pise  et  dans  les  campagnes  environnantes.  Les  auteurs  de 
la  Nouvelle  Biographie  des  Pisans  illustres^  disent  qu'il  mourut  vers 
^1268.  Tronci  pense  qu'il  vécut  jusqu'en  ^269.  Cette  opinion  nous 
paraît  très-vraisemblable.  Mais  l'emploi  dans  les  anciens  documents 
pisans  du  vieux  style  qui  était  en  avance  de  neuf  mois  et  six  jours 
sur  notre  manière  actuelle  de  compter,  laisse  toujours  quelque  incer- 
titude sur  ces  dates.  Le  jour  précis  de  son  décès,  28  août,  nous  est 
donné  par  cette  mention  du  nécrologe  de  l'hospice  de  Saint-Mathieu, 
l'un  des  établissements  qui  avaient  eu  part  à  ses  innombrables  libé- 
ralités :  «  V.  Kal.  Septembris  Ugo,  venerabilis  pater,  archiepiscopus 
«  Nicosiensis.  Pro  quo  fiât  vigilia,  quia  ab  eo  habuimus  libras  G.^  » 

Indépendamment  de  la  savante  Notice  de  Mattei  et  de  l'article  de 
la  Nouvelle  Biographie  des  Pisans  illustres,  qui  paraît  être  une 
reproduction  abrégée  de  la  précédente,  il  existe  une  vie  manuscrite 
de  Hugues  de  Fagiano,  à  la  Bibliothèque  de  Pérouse,  intitulée  : 
Memorie  storiche  délia  vita  del  B.  Ugo  da  Pisa,  arcwescovo  di 
Nicossia,  in  Cipro.  Perugia.  -1760.  Ms.  n"  i572.  C'est  l'œuvre  de 
dom  François  Gelassi,  moine  du  Mont-Gassin.  L'auteur  annonce 
avoir  écrit  sur  les  documents  des  archives  des  chanoines  de  Nicosie. 
Il  avait  divisé  son  travail  en  deux  parties,  l'une  renfermant  la  vie  de 
Hugues,  la  deuxième  les  pièces  justificatives.  La  première  seule  se 
trouve  à  la  bibliothèque  de  Pérouse,  où  nous  l'avons  vue  il  y  a  quel- 
ques années. 

Les  chanoines  de  Nicosie  ou  d'Episcopie  de  la  vallée  de  Galci  con- 
servèrent la  règle  de  saint  Augustin  jusqu'en  -{504.  A  cette  époque, 
le  pape  Jules  II  les  réunit  aux  chanoines  réguliers  de  Saint-Sauveur 
de  Bologne,  congrégation  sortie  de  l'ordre  des  Prémontrés.  En  -1782, 
on  établit  dans  leur  couvent  les  religieux  Mineurs  Observantins  qui 
le  possédaient  et  desservaient  l'église  à  l'époque  où  écrivait  Mattei, 
en -1792.  Le  couvent  a  été  supprimé  de  nos  jours  et  ses  archives 
ont  été  transportées  aux  Archives  générales  de  Florence,  où  elles 
sont  conservées. 

L.  DE  Mas  Latrie. 

1.  Pise,  183S.  L'archevêque  Visconti,  qui  mourut  eu  1278,  rappelle  la  mort 
et  les  vertus  de  Hugues  dans  sou  sermon  64%  qui  n'est  pas  daté.  Mattei,  p.  115. 

2.  Mattei,  loc.  cit.,  p.  116. 


84  MÉLANGES    ET    DOOCMEMTS. 

LA  MORT  DE  FRANÇOIS  r 

ET  LES  PREMIERS  TEMPS  DU  REGNE  DE  HENRI  II. 

D'APRÈS  JEAN  DE  SAINT-MAURIS, 

Ambassadeur  de  Ciiarles-Quint  a  la  Cour  de  France. 
(Avril-Juin  1547.) 


Parmi  les  documents  que  les  écrivains,  voués  à  l'histoire  de  France 
pendant  le  cours  du  xvi«  siècle,  consulteront  utilement,  se  trouvent 
les  papiers  d'état  (en  langue  française)  reposant  aux  Archives  géné- 
rales du  royaume  de  Belgique.  Gomme  ils  ont  été  décrits  dans  un 
rapport  de  M.  Edgar  Boutaric  (1864),  nous  n'entrerons  pas  dans  de 
longs  détails  à  leur  sujet.  Nous  rappellerons  simplement  qu'ils  se 
divisent  en  deux  séries  (copies  et  originaux)  faisant  partie  du  fonds 
dit  :  de  l'Audience.  Les  copies  forment  neuf  volumes  entièrement 
relatifs  au  règne  de  François  P''  (^523-'l54i)  et  portent  la  rubrique  : 
Correspondance  de  France.  Les  originaux,  rangés  sous  la  rubrique  : 
Négociations  de  France,  remplissent  dix  volumes,  dont  huit  com- 
posés de  dépêches  diplomatiques,  et  deux  des  instruments  des  traités 
du  Cateau-Gambrésis  et  de  Vervins. 

Ces  documents  sont  à  notre  portée  et  presque  sous  notre  main.  En 
certains  cas,  ils  dispenseront  les  historiens  français  de  recourir  aux 
papiers  d'état  faisant  partie  des  archives  de  Vienne.  Aussi  est-il  per- 
mis d'espérer  qu'avant  peu  de  temps  ils  seront  connus  chez  nous 
comme  ils  méritent  de  l'être. 

Nous  empruntons  aujourd'hui  aux  négociations  de  France  deux 
dépêches  de  Jean  de  Saint-Mauris,  ambassadeur  de  Gharles-Quint  à 
la  cour  de  France  (avril  et  juin  ^1547),  qui  nous  ont  paru  offrir  un 
intérêt  exceptionnel  '. 

1.  Notre  article  était  écrit  avant  l'apparition  du  livre  si  intéressant  de  M.  A. 
de  Ruble  intitulé  :  Le  Mariage  de  Jeanne  d'Albret,  où  l'auteur  a  fait  grand 
usage  des  dépêches  de  Saint-Mauris  conservées  soit  à  Paris,  soit  à  Bruxelles,  et 
nous  ne  l'avons  eu  entre  les  mains  qu'après  que  notre  article  était  déjà  composé. 
Il  ne  nous  a  pas  semblé  néanmoins  que  la  partie  du  récit  de  M.  de  Ruble,  con- 
sacrée à  la  mort  de  François  I"  et  à  l'avènement  de  Henri  II  (p.  222-248)  enlevât 
rien  de  leur  intérêt  ni  de  leur  nouveauté  aux  dépêches  que  nous  publions  au- 
jourd'hui. 


LA    MORT    DE    FRANÇOIS    F 


I. 


85 


La  première  dépêche  raconte  les  derniers  moments  de  François  I". 
Il  est  peu  d'agonies  royales  dont  les  détails  soient  aussi  connus.  Seu- 
lement les  historiens  ou  les  auteurs  de  mémoires  ne  sortent  guère 
des  généralités.  «  Alors,  dit  Tavanes,  ayant  cognoissance  de  sa  fin, 
(le  roy)  disposa  des  affaires  de  sa  conscience  et  de  sa  maison,  et  après 
avoir  fait  plusieurs  belles  remonstrances  à  monseig'  ledaulphin,  son 
fils  présentement  régnant,  et  luy  avoir  recommandé  son  peuple  et 
ses  serviteurs,  rendit  l'âme  à  Dieu.»  «  Le  roi,  dit  Ferronius,  mourut 
avec  tant  de  piété  et  de  constance  que,  comme  le  souffle  lui  échappait, 
il  répéta  à  plusieurs  reprises  le  nom  de  Dieu,  et,  lorsqu'il  n'eut  plus 
de  voix,  il  fit  encore  de  ses  doigts  le  signe  de  la  croix  sur  son  lit.  On 
assure  qu'il  recommanda  à  son  fils,  qui  allait  être  roi,  ses  serviteurs 
et  le  peuple  français  qui  s'était  toujours  montré  si  obéissant,  et  sur- 
tout sa  noblesse  qui  avait  dépassé  tous  les  autres  dans  son  empres- 
sement à  le  servir.  » 

Varillas  ne  nous  apprend  rien  de  nouveau.  En  revanche,  Mézeray 
n'a  garde  de  perdre  une  si  belle  occasion  de  déployer  les  ressources 
de  sa  rhétorique.  Sur  certains  points  il  reproduit  Ferronius  ^  Ailleurs 
il  insiste  sur  la  dévotion  témoignée  par  le  roi,  sur  sa  profession  de 
foi  publique,  sur  ses  génuflexions,  sur  ses  prières  entrecoupées  de 
larmes  et  de  gémissements.  Deux  renseignements  toutefois  sortent  de 
la  banalité. 

Si  l'on  en  croit  l'historiographe,  le  roi  aurait  préconisé  indirec- 
tement la  continuation  des  persécutions  religieuses,  car,  d'une  part, 
il  aurait  exhorté  les  assistants  «  à  conserver  la  pureté  de  la  doc- 
trine catholique  »  -,  de  l'autre,  il  aurait  conjuré  son  fils  «  d'avoir 
«  l'honneur  de  ce  grand  Dieu  devant  les  yeux  et  de  maintenir  l'église 
«  contre  les  assauts  des  infidèles  et  des  hérétiques  ». 

Enfin  il  se  rend  le  témoignage  «  qu'il  n'a  pas  de  remords  en  sa 
conscience,  parce  qu'il  n'a  jamais  fait  d'injustice  à  personne  du 
monde  ».  Il  oubliait  sans  doute  les  horreurs  commises  à  Mérindol  et 
à  Gabrières. 

De  Thou  apporte  quelques  faits  nouveaux.  Ainsi  le  roi  recommande 
à  son  fils  l'amiral  d'Annebaut,  à  qui  il  a  légué  -100,000  1.  par  testa- 


1 .  Le  roi  recommande  ses  sujets  «  remonstrant  qu'ils  estoient  si  chers  à  la 
majesté  divine  qu'elle  avoit  par  conte  jusqu'aux  cheveux  de  leur  tète.  »  —  Il 
multiplie  les  signes  de  la  croix  après  avoir  perdu  la  parole,  etc. 


86  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

iiuMil.  Il  le  mcl  en  garde  contre  l'ambition  des  Guises  :  «  Mon  fils, 
aurait-il  dit  au  dauphin,  j'ai  bien  appcrreu  (>t  connois  pour  vrai  que 
la  race  n'en  vaut  rien  et  que  si  vous  faites  le  contraire,  ils  vous 
mettront  en  pourpoint  et  votre  peuple  en  chemise.  »  En  outre  l'an- 
notateur de  De  Tliou  rappelle  la  scène  si  curieuse  tirée  daLn  Légende 
(lu  cardinal  de  Lorraine.  Cette  scène,  on  la  connaît.  Le  dauphin, 
la  dauphine  Catherine  de  Médicis,  Diane  de  Poitiers  et  François  de 
Guise  sont  réiuiis  dans  la  chambre  de  la  future  reine.  Henri  se  pâme 
de  douleur  sur  le  lit-,  Catherine,  étendue  sur  le  plancher,  «  fait  de 
l'éplorée  et  de  la  dolente  »  -,  Diane  a  le  sourire  du  triomphe  sur  les 
lèvres,  et  Guise  accorde  à  son  maître  expirant  une  oraison  funèbre 
aussi  brève  qu'insolente  :  «//  s'en  va,  le  ijuailand  ».  Le  fait  est-il 
exact?  Remarquons  qu'il  n'est  pas  produit  par  le  grave  de  Thou  lui- 
même.  En  tout  cas,  disons  :  Se  non  è  vero,  è  bene  trovato. 

Nous  nous  arrêtons  là,  et  si  nous  avons  cité  les  historiens  aussi 
brièvement  que  possible,  c'est  que  nous  avons  voulu  faire  res- 
sortir tous  les  éléments  nouveaux  apportés  par  Saint-Mauris.  Ces 
éléments,  nous  ne  cherchons  ni  à  les  arranger,  ni  à  les  condenser. 
Nous  les  reproduisons  pêle-mêle  dans  l'ordre  de  la  dépêche.  Les  futurs 
historiens  de  François  P''  en  feront  leur  profit,  en  déployant  tout 
l'art  dont  ils  seront  capables. 

Ainsi,  d'après  l'ambassadeur  de  Charles-Quint  : 

r  François  P""  demande  à  son  confesseur,  Tévêque  de  Mâcon,  de 
lui  lire  «  l'hommélie  de  S.  Augustin  quant  à  la  contrition  de  la  Mag- 
deleine  ».  Le  prélat  se  trompe  et  lui  en  lit  une  autre.  Le  roi  s'aper- 
çoit de  l'erreur,  «  en  quoy  l'on  nota  sa  bien  grande  mémoire  de  ce 
qu'il  sçeust  diversiffier  l'ung  de  l'aultre  ». 

2°  if  s'accuse  des  maux  qu'il  a  infligés  à  son  peuple,  notamment 
«  en  commençant  quelquefois  la  guerre  à  bien  légières  occasions '  ». 

3°  Il  semble  revenir  sur  sa  scandaleuse  alliance  avec  Soliman  II 
et  se  repentir  «  d'avoir  fait  de  grandes  praticques  contraires  au  bien 
de  chrestienté  » . 

4°  Il  recommande  madame  d'Etampes  à  la  commisération  du  dau- 
phin, et  fait  même  appel  à  sa  courtoisie  :  «  C'est  une  dame,  dit-il  ». 
Il  semble  aussi  partir  de  là  pour  donner  à  son  fils  une  leçon  dont 
celui-ci  avait  grand  besoin:  «  Ne  vous  soumettez  pas,ajoute-t-il,  à  la 
volonté  d'autres,  comme  je  me  suis  soumis  à  elle  ». 

5«  Il  écarte  Anne  de  Pisseleu,  à  ses  derniers  instants,  notamment 
au  moment  où  on  lui  administre  l'extrême-onction. 

6"  Il  prie  ses  familiers,  ïournon,  d'Annebaut,  Boisi,  Sordi,  de  ne 

1.  François  V  précède  donc  Louis  XIV  dans  ces  aveux  toujours  tardifs. 


LA    MORT    JIE    FRANÇOIS    ]" .  R7 

le  quitter  qu'après  sa  mort  «  parce  qu'il  pourroit  s'altérer  de  son  bon 
sens  et  non  si  bien  pourveoir  à  sa  conscience  ». 

7"  La  veille  de  sa  mort,  il  dit  à  Boisi  qu'il  ne  vivra  plus  24  heures, 
prédiction  vérifiée  par  l'événement. 

8°  Dans  la  nuit  qui  précède  la  mort,  le  dauphin  demande  à  son 
père  sa  bénédiction.  Alors  se  passe  une  scène  bien  touchante  :  «  le 
daulphin  s'esvanouit  sur  le  lict  du  roy,  lequel  le  tenoit  à  demy  em- 
brassé et  ne  le  povoit  laisser  eschapper  ».  Voilà  la  vérité  prise  sur  le 
fait  et  nous  sommes  loin  des  génuflexions  que  Taffreuse  maladie  du 
roi  rendait  impossibles. 

9°  Il  rappelle  qu'il  doit  à  certains  marchands  «  bagues  et  aultres 
choses  y>  et  recommande  de  les  payer. 

Il  est  enfin  un  détail  sur  lequel  nous  devons  nous  étendre,  parce 
qu'il  sort  du  domaine  de  l'anecdote  et  se  rattache  à  la  politique. 

A  entendre  Saint-Mauris,  François  I"  aurait  suriout  recommandé 
à  son  fils  de  réparer  les  injustices  commises  à  l'égard  du  duc  de 
Savoie,  Charles  III.  On  sait  ce  qui  s'était  passé  entre  les  deux  princes  en 
i  525-^  536.  François  P''  convoitait  la  Savoie  et  la  Bresse,  parce  qu'elles 
confinaient  à  la  France  de  Genève  à  Nice,  et  le  Piémont,  parce  qu'il 
donnait  accès  sur  le  Milanais.  Lorsqu'on  veut  faire  une  guerre  même 
injuste  (et  surtout  une  guerre  injuste) ,  les  prétextes  sont  ce  qui 
manque  le  moins.  Aussi  n'avaient-ils  pas  manqué  au  roi  de 
France.  Suivant  lui,  Charles  III  détenait  une  partie  de  la  dot  de 
Louise  de  Savoie  ;  il  avait  écrit  à  Charles-Quint  pour  le  féliciter  au 
sujet  de  la  victoire  de  Pavie  ;  il  avait  prêté  au  connétable  de  Bourbon 
des  pierreries  que  celui-ci  avait  engagées  pour  lever  des  soldats  contre 
la  France  5  il  voulait  céder  à  Charles-Quint  la  Savoie  en  échange  de 
territoires  italiens  contigus  au  Piémont,  etc.,  etc.  Et,  sur  ces  griefs, 
le  roi  de  France  avait  envahi  les  états  de  son  oncle,  qui  n'était  pas 
non  plus  un  étranger  pour  l'empereur  ' .  Saint-Pol  et  Brion-Chabot 
avaient  rapidement  conquis  la  Savoie  et  le  Piémont.  En 'l  538,  lors 
de  la  trêve  de  Nice,  Charles-Quint,  qui  livrait  ses  alliés  avec  aussi 
peu  de  scrupule  que  François  I"  le  faisait  de  son  côté,  avait  aban- 
donné Charles  III,  et,  de  cette  façon,  le  malheureux  prince  se  trou- 
vait spolié  de  ses  états  depuis  U  ans. 

Est-il  possible  d'admettre  les  scrupules  tardifs  de  François  I"  à 
cet  endroit  ?  Insistons  sur  le  langage  qu'il  aurait  tenu  à  son  fils  : 

1 .  Nos  historiens  ne  cessent  de  répéter  que  Charles-Quint  et  Charles  III  étaient 
beaux-frères.  Il  serait  à  désirer  qu'on  se  servît  de  termes  plus  exacts.  Ces  deux 
princes  avaient  épousé  deux  sœurs  germaines,  princesses  de  Portugal  ;  mais  deux 
personnes,  ayant  épousé  deux  sœurs,  ne  sont  ni  beaux-frères  ni  même  alliés. 
Affinis  affinem  non  gênerai. 


88  Ml^LANf.KS    ET    DOCUMENTS. 

«  Lorsqu'on  a  l'ris  le  Piémont,  aurait-il  dit,  on  a  promis  au  duc 
qu'on  le  lui  rendrait  quand  on  tiendrait  Milan.  La  condition  n'est 
pas  accomplie.  Nous  pouvons  donc  conserver  le  Piémont  en  indemni- 
sant le  légitime  possesseur,  en  lui  accordant  «  bonne  récompense  en 
France  ».  Mais  quant  à  la  Bresse  et  à  la  Savoie,  il  n'y  a  aucune  rai- 
son de  les  retenir.  Et,  là-dessus,  François  P''  décharge  sa  cons- 
cience de  ces  iniquités  et  en  charge  celle  de  son  fils. 

Que  faut-il  croire  de  ces  allégations  absolument  nouvelles  ?  Nous 
avouons  que  nous  avons  grand  peine  à  en  admettre  la  réalité.  Nous 
savons  bien  que,  lorsqu'un  homme  meurt,  il  voit  clairement  le  néant 
de  certains  intérêts  et  se  préoccupe  surtout  de  Tidée  de  justice. 
Mais,  dans  l'ancienne  monarchie,  le  roi  ne  mourait  pas,  il  se  perpé- 
tuait. 

Ce  n'est  cependant  pas  une  raison  pour  rejeter  complètement  ce 
projet  de  restitution,  mais  le  point  a  besoin  d'être  élucidé. 


n. 


Après  François  I",  l'attention  se  portera  naturellement  sur  les 
deux  femmes  dont  les  rivalités  furieuses  attristèrent  les  derniers 
moments  de  son  règne,  et  sur  le  nouveau  roi. 

Lorsqu'il  parle  de  Mad*"  d'Etampes,  Saint-Mauris  trouve  des  accents 
dramatiques  :  il  nous  montre  la  favorite  «  se  pasmant  en  terre,  fai- 
sant un  cry  espouvantable  disant  :  «  Terre,  engloutij  moi  ».  Puis 
elle  monte  en  litière,  et  se  réfugie  à  Limours,  en  compagnie  de 
révêque  de  Condom,  son  frère,  et  du  seig""  de  Laval.  Bientôt  elle  se 
voit  assaillie  de  tous  côtés  :  c'est  son  confident  Longueval\  à  qui  l'on 
intente  un  procès  de  haute  trahison;  c'est  le  contrôleur  de  sa  maison 
que  l'on  fait  garder  à  vue.  Henri  II  ne  se  contente  pas  de  reprendre 
à  la  duchesse  les  bijoux  qu'elle  tenait  du  feu  roi  \  il  fait  saisir  la 
vaisselle  qu'elle  avait  déposée  chez  un  président  du  parlement,  son 
allié.  On  suscite  contre  l'ex-favorite  le  duc  d'Etampes,  Jean  de 
Brosse,  qui,  en  mari  aussi  débonnaire  qu'avare,  ne  lui  reproche  point 
tant  son  déshonneur  que  les  détournements  commis  par  elle  au  profit 
de  sa  sœur,  la  comtesse  de  Vertus.  Le  nouveau  roi  fera  plus.  Dans 
ce  sale  procès,  il  comparaîtra  en  justice  et  témoignera  contre  Anne. 

On  voit  dans  la  dépêche  que  tous,  grands  et  petits,  sont  conjurés 
contre  elle.  «  Si  lad.  dame  comparissoif  en  jmblicque,  dit  l'ambas- 
sadeur, le  peuple  la  lapideroit.  »  Puis  il  ajoute  qu'elle  périra  sous  le 

1 .  Nicolas  de  Bossut,  seigneur  de  Longueval. 


LA   MORT    DE    FRANÇOIS    I*'.  89 

faix,  «  qu'est  ce  que  Von  demande  et  selon  qu'elle  le  mérite  «.  En 
vérité,  des  paroles  si  dures  sont  fort  mal  placées  dans  la  bouche  d'un 
ambassadeur  de  Charles-Quint.  II  fallait  être  peu  informé  pour  ne 
pas  connaître  la  cause  de  cette  animosité  à  peu  près  générale,  pour 
ne  pas  savoir  que  ce  que  le  vrai  peuple  reprochait  à  la  duchesse 
d'Etampes,  c'était  son  entente  présumée  avec  l'empereur,  sa  trahi- 
son (nullement  prouvée)  pendant  la  campagne  de  1544.  Il  y  avait  du 
patriotisme  dans  cette  haine  et  il  ne  faut  pas  croire  que  le  peuple 
reprochât  uniquement  à  la  favorite  son  luxe  et  ses  prodigalités.  Sous 
les  Valois,  c'étaient  là  des  peccadilles  et,  en  définitive,  la  masse  de 
la  nation  savait  bien  qu'il  fallait  qu'elle  fût  dévorée  par  quelqu'un. 

Le  bras  qui  dirige  ces  attaques,  la  bouche  qui  souffle  ces  ven- 
geances, ce  sont  le  bras  et  la  bouche  d'une  femme,  de  Diane  de  Poi- 
tiers. A  cette  époque,  elle  a  47  ans,  mais  elle  n'aime  pas  qu'on  le  lui 
dise,  et,  s'il  est  un  propos  qu'elle  ne  pardonne  pas  à  sa  rivale,  c'est 
celui-ci  :  «  Je  suis  née  le  jour  du  mariage  de  madame  la  séné- 
chale  » . 

Diane  est  au  comble  de  la  faveur.  Pour  présent  de  joyeux  avène- 
ment, Henri  II  lui  donne  «  le  prouffit  de  la  confirmation  de  tous 
estaz  de  France  »,  évalué  300,000  francs.  C'est  là  un  don  royal  et 
qui  aurait  dû  être  réservé  à  madame  Marguerite  de  France,  la  sœur 
du  roi  ;  mais  celle-ci  a  reconnu  qu'elle  ne  pouvait  lutter,  et  que  Diane 
avait  «  la  première  voix  en  chapitre  ».  Les  témoignages  de  l'empire 
extraordinaire  que  madame  de  Brézé  avait  conquis  sur  son  amant 
abondent  dans  les  deux  dépêches.  «  Le  roi,  dit  Saint-Mauris,  lui  est 

entièrement  affectionné,  chose  que  le  peuple  lamente  assez Il  se 

laisse  mener  et  veult  tout  ce  que  Silvius  '  lui  conseille,  dont  le  peuple 
d'ici  despère,  craingnant  que  le  roy  ne  demeure  tousjours  en  ceste 
nascerant...  »  Pour  Diane,  il  n'existe  point  de  secrets  d'état.  A  peine 
Henri  II  a-t-il  négocié  quelque  chose  avec  les  ambassadeurs  étran- 
gers qu'il  court  tout  révéler  à  sa  maîtresse. 

D'ailleurs,  comment  pourrait-on  couper  court  à  cette  domination 
dangereuse  et  si  excessive  qu'elle  paraît  aux  contemporains  tenir  du 
sortilège?  Faire  des  représentations  au  roi,  c'est  s'exposer  à  la  colère 
de  Silvius,  à  qui  tout  sera  raconté.  L'exemple  du  chancelier  Olivier 
est  là  comme  un  avertissement.  Dans  un  moment  d'exaspération,  il 
a  dit  «  que  les  dames  présentes  sont  pires  que  les  ancie^mes  et  qu'elles 
gasteront  tout  ».  La  disgrâce  ne  s'est  point  fait  attendre. 

1.  Dans  la  première  dépc^che,  Diane  est  appelée  M°"  la  sénéchale  (son  mari  avait 
été  gouverneur  et  grand  sénéchal  de  Normandie);  dans  la  seconde  dépèche,  elle 
ne  figure  plus  que  sous  le  pseudonyme  de  Silvius.  Pourquoi  ce  nom?  est-ce 
parce  que  son  prénom  de  Diane  rappelle  l'idée  de  forêt,  Sitvo  ? 


'•'<)  MKLANCKS    Kl     IIOCIIMKNTS. 

Madame  de  Brézé  fail  de  sa  journée  deux  paris  :  le  matin,  elle 
s'applique 

«  A  réparer  des  ans  l'irréparable  outrage.  » 

«  Si  est-ce,  cHt  Sainl-Mauris,  qu'elle  prend  tout  le  soing  qu'elle 
peult  pour  bien  soy  parer  et  y  veille  plus  qu'elle  ne  (ist  oncques, 
tenant  fin  au  demeurant  avec  ses  appastz  et  attraictz  s'entretenir  en 
la  bonne  grâce  du  roy  et  tirer  de  luy  tout  ce  qu'elle  peult.  »  Le 
reste  de  la  journée  appartient,  nous  ne  dirons  pas  aux  alTaires,  mais 
aux  intrigues.  Elle  est  partout,  tient  la  main  à  l'union  du  connétable 
et  des  Guises,  veut  marier  Eléonore  de  Roye,  la  future  princesse  de 
Condé,  au  fils  de  M.  de  Sedan,  pousse  aux  sceaux  le  président  Ber- 
Irandi,  etc. 

Notons  que  toute  cette  faveur  ne  la  rend  pas  meilleure  ;  au  con- 
traire. Elle  a  l'humeur  singulièrement  hautaine  et  insolente.  «  Quant 
est  de  Silvms,  dit  Saint-Mauris,  le  trouve  le  peuple  qui  le  sollicite  en 
cour  fort  haultain  et  insolent.  »  Au  demeurant,  c'est  une  âme  éner- 
gique et  noire.  Quand  son  amant  mourra  inopinément,  elle  tiendra 
tête  à  Catherine  de  Médicis.  En  attendant,  elle  se  montre  plus  vindi- 
cative que  cette  italienne.  L'ambassadeur  parle  à  la  reine  de  Hongrie 
d'un  ingénieur  qui,  menacé  par  Diane,  a  jugé  nécessaire  de  se  réfu- 
gier à  Besançon.  Et  quel  est  son  crime  ?  Chargé  par  François  P''  de 
fortifier  une  place  de  la  frontière,  il  a  coupé  du  bois  dans  une  forêt 
de  madame  de  Brézé. 

Nous  essaierions  en  vain  de  résumer  les  traits  de  caractère  attri- 
bués à  Henri  II.  Ils  sont  si  nombreux  que  nous  y  renonçons,  et  que 
nous  renvoyons  le  lecteur  aux  documents  mêmes.  Disons  seulement 
qu'ils  confirment  parfaitement  les  jugements  exprimés  par  Beaucaire 
et  par  Théodore  de  Bèze  * . 

Henri  II  est  un  roi  selon  le  cœur  de  Brantôme,  courtois  et  poh, 
beau  jouteur,  excellent  cavalier,  chasseur  intrépide.  A  la  course  et 
au  saut,  il  n'est  égalé  que  par  M.  de  Bonnivet.  Et  comme  il  joue  à  la 
paume  !  Tout  cela  est  fort  bien,  mais  Saint-Mauris,  qui  a  vu  de  près 
Charles-Quint  et  qui  sait  ce  que  c'est  qu'un  souverain,  trouve  le  roi 
de  France  «  bien  jeusne  ».  «  Il  a  encoires,  dit-il,  en  soy  grand  jeus- 
nesse,  laquelle  le  mayne  à  faire  mointes  actes  légières.  »  Et  en  effet 
c'est  un  acte  fort  léger  que  de  jeter  dans  la  rivière  d'Anet  un  page 

1 .  Henri  paraissait  né  pour  être  gouverné,  non  pour  gouverner,  dit  Beaucaire. 
—  ((  Henri,  écrit  Théodore  de  Bèze,  n'avoit  ni  la  vivacité  d'esprit,  ni  la  faconde 
de  son  père,  mais  bien  un  naturel  de  soy-mesine  fort  débonnaire  et  tant  plus  aisé 
à  tromper,  de  sorte  qu'il  ne  voyoil  ny  jugeoit  que  par  les  yeulx,  oreilles  et  advis 
de  ceulx  qui  le  jiossédoycnt.  » 


LA    MORT    DE    FRANÇOIS    l".  ï*  I 

qui  manqua  s'y  noyer.  Que  dire  lorsque  nous  le  voyons  assis,  une 
guitare  à  la  main,  sur  les  genoux  de  Diane,  en  la  présence  du  conné- 
table Anne  et  du  comte  d'Aumale  ?  Le  roi  ne  s'appartient  plus  et 
«  regarde  ententivement  Silvius,  comme  homme  surprins  de  son 
«  amitié  ». 

Ce  n'est  pas  du  moins  qu'il  n'ait  manifesté  au  début  de  son  règne 
de  louables  dispositions.  Ainsi  il  voulait  donner  audience  chaque 
jour  après  son  dîner  ;  mais  cela  ne  faisait  pas  l'affaire  des  favoris. 
Aussi  y  ont-ils  mis  bon  ordre.  Désormais  le  roi  n'entendra  plus  les 
«  querelles  »  de  ses  sujets,  et  ne  connaîtra  plus  «  le  fond  du  mal  ou 
du  bien  » . 

En  un  mot,  Henri  est  de  ces  rois  qui  laissent  tout  faire  et  sous  le 
couvert  desquels  quelques  influences  gouvernent.  L'attitude  des 
favoris  disgraciés  de  François  1",  les  rivalités,  les  jalousies  et  les 
luttes  sourdes  des  nouveaux  conseillers,  voilà  la  partie  la  plus  inté- 
ressante peut-être  et  assurément  la  plus  politique  de  ces  dépêches. 

m. 

Il  n'y  eut  peut-être  jamais  de  révolution  de  cour  aussi  complète 
que  celle  qui  se  produisit  à  l'avènement  de  Henri  H.  Les  principaux 
conseillers  de  son  père,  savoir  :  le  cardinal  de  Tournon  et  l'amiral 
d'Annebaut,  furent  écartés.  Les  gentilshommes  de  la  chambre,  les 
officiers  de  la  garde-robe  furent  changés-,  les  secrétaires  d'Etat, 
Gilbert  BayardetVilleroy,  remplacés  ;  le  premier  des  deux  fut  même 
arrêté.  Pendant  ce  temps,  le  connétable  de  Montmorency,  disgracié 
depuis  ^540,  reprenait  la  direction  des  affaires;  le  jeune  Saint-André 
(Jacques  d'Albon)  et  les  deux  fils  aînés  de  Claude  de  Lorraine,  Fran- 
çois et  Charles  de  Guise,  entraient  au  conseil  et  balançaient  la  faveur 
et  le  crédit  du  connétable. 

Rien  de  plus  curieux  que  de  voir  les  efforts  faits  par  d'Annebaut, 
par  le  cardinal  de  Tournon,  et  par  l'évêque  de  Mâcon  (Pierre  Du  Chas- 
tel  ou  Châtelain),  confesseur  du  feu  roi,  pour  se  maintenir  à  la  cour. 

Le  cardinal  de  Tournon  va  saluer  à  Saint-Germain  le  nouveau 
roi,  qui  le  reçoit  «  assez  mesgrement  »,  et  lui  dit  ne  plus  réclamer 
ses  services.  Le  prélat  demande  alors  l'autorisation  d'aller  visiter  ses 
bénéfices  pendant  un  an  ou  deux,  ce  qui  lui  est  accordé  sans  diffi- 
culté. En  attendant,  il  retourne  à  Saint-Cloud  pour  dire  les  messes 
de  quarantaine  sur  le  cercueil  de  son  maître  défunt.  Là,  toutes  les 
fois  que  l'on  sert  «  la  table  du  feu  roy  »,  il  rappelle  les  grandes  ver- 
tus de  celui-ci  et  prête  à  rire  aux  nouveaux  courtisans  par  ses  pleurs 
et  ses  lamentations  intéressés.  Tournon  ne  néglige  pas  non  plus  de 


92  MKLANfiES    Kl    DOCUMENTS. 

faire  sa  cour  au  connétable.  Il  jette  avec  lui  de  l'eau  bénite  sur  le 
cadavre  royal,  qui  attend  les  obsèques  solennelles.  Les  deux  anciens 
rivaux,  qui,  au  temjjs  de  leur  faveur  commune,  avaient  continuelle- 
ment différé  d'avis,  échangent  maintenant  des  propos  d'amitié,  mais 
sans  se  tromper  l'un  l'autre. 

Le  cardinal  vit  bientôt  que  tout  effort  de  sa  part  serait  inutile  et 
assista  avec  une  résignation  assez  bien  jouée  au  naufrage  de  sa  for- 
time.  Il  n'y  avait  pas  bien  longtemps  qu'il  avait,  disait-on  (et  Saint- 
Mauris  le  répète),  visé  au  trône  pontifical.  C'était  même  dans  ce  but 
qu'il  s'était  montré  favorable  au  mariage  d'Horace  Farnèse,  petit-fils 
du  pape  Paul  III,  avec  Diane,  fille  naturelle  de  Henri  II,  âgée  alors 
de  dix  ans.  Mais  sa  chance  avait  tourné  et  maintenant  il  se  voyait 
enlever  la  charge  de  chancelier  de  l'ordre  de  Saint-Michel.  Bientôt 
môme,  il  ne  lui  fut  plus  possible  de  rester  en  France.  Le  cardinal  de 
Lorraine,  Jean,  et  les  Guises,  ses  neveux,  ne  l'y  toléraient  plus.  On 
l'envoya  à  Rome  pour  y  maintenir,  disait-on,  l'influence  delà  France 
et  se  trouver  prêt  pour  le  conclave,  si  Paul  III,  âgé  de  80  ans,  venait 
à  mourir.  Les  cardinaux  d'Annebaut  et  Jean  du  Bellay,  qui  avaient 
brillé  sous  le  règne  précédent,  l'accompagnèrent  dans  cet  exil  peu 
déguisé.  Saint-Mauris  se  trompe  donc  lorsqu'il  représente  cette  réso- 
lution d'aller  à  Rome  comme  dérivant  de  la  libre  volonté  de  Fran- 
çois de  Tournon. 

L'évêque  de  Mâcon  fut  encore  moins  heureux.  Dans  son  oraison 
funèbre  du  feu  roi,  il  avait  dit  «  que  bien  sûr  l'âme  de  ce  dernier 
était  allée  tout  droit  en  paradis  ».  Ces  paroles  courtisanesques  faillirent 
lui  coûter  assez  cher.  La  Sorbonne  y  flaira  comme  «  une  vague 
odeur  d'hérésie  »  et  envoya  en  cour  quelques-uns  de  ses  docteurs 
pour  accuser  le  prélat.  Heureusement  pour  lui,  le  maître  d'hôtel, 
Juan  de  Mendoça,  détourna  le  coup  par  une  boutade  spirituelle  et 
hardie.  Aussitôt  qu'il  vit  les  docteurs  :  a.  Je  sais,  messieurs,  ce  qui 
vous  amène,  leur  dit-il.  Vous  êtes  en  dispute  avec  Mong""  de  Mâcon, 
que  vous  regardez  comme  un  hérétique,  sur  le  lieu  où  est  à  présent 
1  ame  du  feu  roi,  mon  bon  maître.  Je  puis  vous  assurer  d'une  chose, 
moi  qui  l'ai  connu  mieux  que  personne  :  c'est  qu'il  n'était  pas  d'hu- 
meur à  demeurer  longtemps  dans  le  même  lieu,  quelque  agréable 
qu'il  pût  être.  Ainsi,  messieurs,  s'il  est  allé  au  purgatoire,  croyez 
qu'il  n'y  aura  guère  demeuré  et  qu'il  n'aura  fait  qu'y  boire  un  coup 
en  passant  ».  Pierre  du  Chastel  resta  donc  quelque  temps  à  la  cour, 
où  il  fut  l'objet  du  dédain  :  «  Monsieur  de  Mascon,  écrit  Samt-Mau- 
ris,  se  trouva  quelquefoiz  au  disner  ou  au  soupper  du  roy,  parlant 
d'histoires  et  aultres  choses  de  lettres,  mais  led.  roy  y  prend  peu  de 
goust  ».  Nous  le  croyons  facilement,  mais  pourquoi  le  prélat  ne  par- 
lait-il pas  des  règles  de  la  vénerie  ou  de  celles  du  jeu  de  paume? 


LA    MORT    DE    FRANÇOIS    I*".  93 

L'amiral  d'Annebaut  fut  plus  digne.  Du  reste,  il  était  en  meilleure 
situation.  François  I"  lui  avait  légué  'l  00,000  francs  et  l'avait  recom- 
mandé nommément  à  son  fils.  D'Annebaut  pouvait  encore  invoquer 
sa  probité,  qualité  bien  rare  en  ce  temps  de  concussions  et  de 
malversations  de  toutes  sortes.  Henri  II  lui  rendit  justice  à  cet  égard. 
Lorsque  l'amiral  retourna  à  Saint-Germain,  le  jeune  Saint-André  le 
présenta  au  roi,  qui  l'accueillit  favorablement  :  «  Vous  avez  toujours 
bien  versé,  lui  dit-il,  et  je  vous  confirme  dans  votre  charge  d'amiral  ». 
Saint-Mauris  ajoute  :  «  Sans  particulariser  plus  avant  autres  charges 
qu'il  (d'Annebaut)  avoit».  Cette  réticence  était  significative.  L'amiral 
dut  en  effet  résigner  le  bâton  de  maréchal,  qui,  chose  assez  bizarre, 
fut  donné  à  son  patron  Saint-André. 

Nous  ne  voulons  pas  agrandir  la  personnalité  de  Claude  d'Anne- 
baut. Il  est  honnête,  d'accord  ;  mais  ce  galant  homme  a  toutes  les 
faiblesses  du  courtisan.  Pour  se  justifier,  il  accuse  les  autres  et 
rapporte  au  roi  «  propoz  de  mointes  choses  qui  se  '  disoient  contre 
luy,  justifiant  au  contraire  toutes  ses  actions  ».  Il  s'attache  aux  pas 
de  Henri  II,  en  s'appliquant  à  sauver  les  apparences.  Aussi  que 
fait-il  ?  Logé  à  Saint-Germain  dans  l'ancien  appartement  du  cardinal 
de  Tournon,  «  il  fait  espier  quant  le  roy  doibt  aller  à  la  messe  et 
lors  il  se  trouve  en  sa  chambre  pour  l'accompaigner  ».  Le  nouveau 
souverain  étant  un  grand  chasseur,  d'Annebaut  flatte  ses  goûts  et  le 
suit  à  la  chasse. 

Mais  ce  n'est  point  assez  de  se  cramponner  au  roi  ;  Famiral  cherche 
à  s'insinuer  au  cœur  de  la  place,  et,  pour  cela,  il  essaie  de  circonve- 
nir le  connétable.  Ici  la  scène  devient  comique.  Montmorency  est 
chargé  de  famille.  H  a  -1 2  enfants  dont  7  filles,  et  il  voudrait  bien 
marier  celles-ci.  D'Annebaut  saisit  le  point  vulnérable  et  laisse  entre- 
voir qu'il  serait  flatté  si  son  fils  unique  et  héritier,  Jean  d'Annebaut, 
seigneur  de  la  Hunaudaye,  devenait  le  gendre  du  connétable.  «  Si 
cela  s'aschève,  écrit  Saint-Mauris,  ledit  admirai  pourra  devenir  auc- 
torisé  plus  que  aultrement  il  ne  sera  sans  cela  » .  Le  mariage  n'abou- 
tit pas. 

Ajoutons  pour  finir  que,  comme  tous  les  ambitieux,  l'amiral  joue 
la  comédie  du  désintéressement,  le  détachement  du  pouvoir  :  «  Il  dit 
et  jure  solempnellement,  hsons-nous  dans  la  seconde  dépêche,  qu'il 
n'en  vouldroit  non  plus  avoir  (de  crédit  et  d'entremise  aux  affaires), 
et  que  jamais  il  ne  s'en  empeschera,  et,  moyennant  que  tout  voyse 
bien,  c'est  tout  ce  qu'il  désire  ». 

Toutes  ces  complaisances  valurent  à  d'Annebaut  une  demi-faveur. 
Saint-André  le  soutenait  parce  qu'il  l'avait  fait  autrefois  rappeler  à 
la  cour.  D'un  autre  coté,  l'amiral  n'avait  jamais  été  «  violent  du 


94  MÉLANGES    ET    nOCUMEITTS. 

temps  qu'il  gouvernoit,  pai-  où  les  seigneurs  l'aggréoient  tant  plus.  » 
Saiiil-Mauris  nous  apprend  donc  que  «  bien  l'on  a  conscntu  qu'il  se 
pourruiL  trouver  au  conseil.  »  Il  faut  s'expliquer  sur  ce  point.  Il  y 
avait  sous  Henri  II  deux  sortes  de  conseils  -,  celui  du  matin,  où 
n'étaient  admises  que  les  têtes  dirigeantes,  et  celui  de  l'après-midi, 
qui  était  tout  à  la  lois  moins  important  et  plus  étendu.  Ce  fut  à 
celui-ci  que  fut  appelé  d'Annebaut. 

Voyons  maintenant  le  coté  adverse  et  parlons  des  personnages  en 
faveur.  îVous  négligeons  Saint-André  dont  l'ambassadeur  parle  fort 
peu,  et  concentrons  toute  notre  attention  sur  Anne  de  Montmorency 
—  d'une  part  —  et  les  princes  lorrains,  de  l'autre. 

Le  caractère  de  Montmorency  est  assez  bien  connu.  Il  n'était  ni 
grand  général,  ni  administrateur  excellent,  ni  ministre  à  grandes 
vues.  Mais  c'était  un  homme  laborieux  et  que  la  besogne  ne  rebutait 
pas.  Cet  amour  et  cette  habitude  du  travail  devaient  être  une  cause 
de  faveur  dans  ces  cours  frivoles  des  Valois,  où  presque  tout  était 
donné  au  plaisir.  En  même  temps,  le  connétable  était  rude,  hau- 
tain, très-préoccupé  de  la  grandeur  de  sa  maison.  Après  la  mort 
de  Bonnivet  (à  Pavie),  il  n'avait  plus  souffert  d'autre  familiarité  que 
celle  de  Brion-Ghabot,  longtemps  placé  aussi  avant  que  lui  dans  la 
faveur  royale.  Tout  le  reste  de  la  cour  était  tenu  à  distance.  C'est  ce 
côté  altier  qu'ont  fait  surtout  ressortir  nos  historiens.  Leurs  succes- 
seurs trouveront  dans  les  dépêches  de  Saint-Mauris  beaucoup  de 
mots  très-fins  indiquant  qu'au  temps  de  sa  plus  grande  faveur,  c'est- 
à-dire  sous  le  règne  de  Henri  II,  Montmorency,  s'il  maintient  cette 
attitude  de  supériorité  vis-à-vis  des  plus  grands  seigneurs,  se  montre 
courtois,  coulant,  prudent,  vis-à-vis  des  Lorrains.  C'est  qu'il  voit 
que  ceux-ci  sont  presque  aussi  forts  que  lui.  Le  cardinal  Jean  est  un 
maître  homme  ;  son  neveu,  Charles,  le  futur  cardinal  de  Lorraine, 
est  un  fin  poh tique  1,  et  quant  à  François,  le  futur  duc  de  Guise, 
outre  qu'il  a  le  pressentiment  de  sa  grandeur  militaire,  le  roi  le 
chérit  comme  un  frère.  Saint-iMauris  dit  qu'il  lui  donna  à  son  avène- 
ment 'i  00,000  francs,  moitié  pour  payer  ses  dettes,  moitié  pour 
renouveler  son  équipage,  et  de  plus  «  une  place  près  de  Chartres, 
vaillant  mil  francs  de  revenu  ».  L'ambassadeur  est  fort  au-dessous 
de  la  vérité.  François  reçut  en  don  toutes  les  terres  vacantes  dans  le 
royaume. 

1.  On  a  conservé  un  spirituel  quatrain,  qui  indique  le  degré  d'inlluence  de 

Charles  de  Lorraine.  Le  voici  : 

Sire,  si  vous  laissez,  comme  Charles  désire, 
Comme  Diane  fait,  par  trop  vous  gouverner. 
Fondre,  pétrir,  mollir,  refondre,  retourner. 
Sire,  vous  n'êtes  plus,....  vous  n'êtes  plus que  cire. 


LA    MOUT    DE    FKAXÇOIS    )".  95 

Entre  ces  rivaux,  une  lutte  sourde  existe  dès  le  premier  jour.  La 
cause  en  est  connue.  Montmorency  était  tout  à  la  fois  connétable  et 
grand  maître  de  la  maison  royale.  François  de  Guise  convoitait  cette 
dernière  charge  et  se  croyait  sûr  de  l'obtenir,  car  le  roi  s'était  pro- 
noncé contre  le  cumul  des  emplois.  Cependant  celui-ci  le  toléra  en 
la  personne  du  seul  Montmorency.  Inde  irx.  A  partir  de  ce  moment, 
la  cour  est  pour  ces  secrets  adversaires  un  véritable  échiquier,  où 
leurs  manœuvres  se  rencontrent  et  se  contrarient  incessamment. 
Montmorency  agit  à  l'égard  de  Diane,  comme  le  duc  d'Aiguillon 
devait  le  faire  deux  siècles  plus  tard  à  l'égard  de  la  Dubarry.  Cepen- 
dant, à  un  certain  moment,  les  Guises  prennent  un  avantage.  Leur 
frère  puiné,  Claude,  épouse  Louise  de  Brézé,  fille  de  Diane.  Que  fait 
le  connétable,  à  la  première  occasion  ?  Son  fils  aîné,  François,  allait 
se  marier  à  la  fille  du  duc  de  Nevers,  François  de  Clèves.  Le  ma- 
riage est  rompu  et  Montmorency  demande  pour  son  fils  la  main  de 
la  duchesse  de  Castro,  cette  fille  naturelle  de  Henri  H  de  qui  nous 
avons  déjà  parlé.  L'équilibre  se  trouve  ainsi  rétabli. 

De  ces  luttes  incessantes  pour  le  pouvoir,  peu  de  chose  transpire. 
Le  roi  et  Diane  ont  intérêt  à  ce  que  l'apparence  de  la  concorde,  plutôt 
que  la  concorde  elle-même,  subsiste  entre  leurs  principaux  conseil- 
lers. Ils  ne  permettraient  pas  qu'un  scandale  se  produisît,  qu'un  déchi- 
rement s'opérât.  Mais  aussi  que  d'habileté,  que  de  souplesse  chez  le 
connétable  !  Celui-ci,  dit  Saint-Mauris,  bien  que  chargé  officiellement 
par  le  monarque  de  la  direction  suprême  des  affaires,  «  ne  s'ose 
asseurer  de  la  constance  dudit  roy  envers  luy,  le  véant  si  jeusne,  de 
sorte  qu'il  se  comporte  le  mieulx  qu'il  peult  avec  lesdits  de  Guyse, 
leurs  defférant  en  tout,  voire  en  la  précédence,  et  donnant  part  aux 

affaires,  quand  la  commodité  s'y  adonne Le  seig''  connestable 

prend  une  peine  incrédible  à  les  traitter,  mais  Babo  dict  naguères 
qu'il  en  avoit  l'honneur  seullement,  et  qu'il  ne  résolloit  pas  luy  seul, 
ains  failloit  qu'il  passoit  par  le  crible  de  ses  contreroUeurs,  lesquels, 
à  la  vérité,  il  craint  d'autant  que  le  roy,  à  la  longue,  ne  se  laisse 
mener  selon  qu'il  est  jeusne,  par  où  il  regarde  de  négocier,  fort 
retenu,  et  de  riens  consentir  que  l'on  luy  peult  cy-après  imputer.  » 

Plus  loin  nous  trouvons  un  passage  des  plus  intéressants  et  qui 
dévoile  parfaitement  les  véritables  sentiments  de  ces  personnages. 
Par  ordre  du  roi,  le  chancelier  Olivier  avait  préparé  une  donation  de 
l'usufruit  de  la  terre  de  Montfort  au  profit  de  M.  d'Esparrot.  Monsieur 
de  Guise  ^  fait  tant  que  le  chancelier  annule  l'acte  ;  puis  il  se  faitattri- 
buer  ce  fief.  Tout  cela  s'était  passé  à  l'insu  du  conseil  et  en  cela  le 

l.  Claude  de  Lorraine. 


9(>  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

chancelier  avait  Irahi  son  devoir.  Groirait-on  après  cela  que  les  Lor- 
rains aient  eu  laudacc  de  remercier  en  plein  conseil  le  chancelier 
«  de  ce  qu'il  avoit  fait  ladite  expédition  sans  en  avoir  parlé  audit 
conseil,  encores  que  le  roy  le  luy  eust  enjoinct  «  ?  Ce  fut  cependant 
ce  qui  arriva.  On  voit  d'ici  la  scène.  Le  chancelier  est  tancé  d'impor- 
tance. Le  roi  voudrait  bien  pouvoir  se  fâcher,  mais  il  a  été  «endressé» 
par  Diane  ot  se  résigne  à  «  couler  cecy  doulcement  ».  Le  connétable, 
qui  tenait  pour  d'Esparrot,  dissimule.  Il  était  d'ailleurs  habituée 
voir  le  conseil  (à  l'exception  de  Saint-André)  se  prononcer  contre 
Olivier  et  contre  lui-même,  «  signamment  M.  de  Rains  (Charles  de 
Guise,  archevêque  de  Reims),  lequel  led.  conncstable  appelle  et 
dénomme  à  présent  :  Grand  Veau^  qu'est  souffisante  comprobation 
par  ceste  extérieure  démonstration,  qu'il  y  a  peu  de  certaine  amityé 
entre  eulx,  comme  telle  est  la  vérité,  seullement  pour  la  jalouzie  que 
ceulx  de  Guyse  ont  de  ce  que  led.  seigneur  a  les  principaulx  affaires 
en  main  et  qu'il  ne  se  rend  subgect  à  eulx  de  les  leur  tousjours  com- 
municquer.  » 

11  est  vrai  que  le  connétable  se  rattrape  ailleurs.  S'il  dissimule 
vis-à-vis  de  ses  autres  ennemis,  ce  n'est  que  pour  les  frapper  plus 
sûrement  à  la  première  occasion  favorable,  «  Il  est,  dit  Saint-Mauris, 
personnaige  de  tel  espérit  qu'il  sçet  bien  recueillir  et  dissimuler  telles 
façons  et  les  paye  à  la  fin.  Cecy  se  dit  notamment  pour  ce  que,  dois 
son  retour  en  court,  il  a  faict  vifvement  attacher  ceulx  quy  luy 
avoient  esté  contraires,  Vencheminunt  par  main  tierce^  chose  qu'il 
scet  agiement  endresser.  Si  ne  le  peult-il  faire  si  couvertement  que 
jà  l'on  ne  commence  à  dire  que  c'est  luy  et  qu'il  se  démonstre  trop 
vindicatif...  » 

Enfin  Saint-Mauris  nous  apprend  ce  qu'il  faut  penser  du  désinté- 
ressement du  connétable.  Là  encore,  celui-ci  a  joué  une  comédie  dont 
le  roi  a  été  dupe.  Il  avait  déclaré,  dit  l'ambassadeur,  qu'il  entendait 
renoncer  à  tout  ce  qui  lui  était  dû  pour  arrérages  anciens  de  ses 
traictements,  «  mais  depuis  il  a  dextrement  requis  et  faict  que  le  roy 
a  voulsu  qu'il  eust  l'argent  à  relever  en  quatre  années,  que  montera 
à  près  de  trois  cens  mil  francs  ».  Il  est  vrai  que  Montmorency  avait 
douze  enfants  à  établir  ! 

De  tels  traits,  qui  n'étaient  pas  destinés  à  la  publicité,  ne  peignent- 
ils  pas  les  hommes  et  l'époque  ? 

IV. 

Parmi  les  très-nombreux  sujets  traités  dans  nos  deux  dépêches, 
nous  ne  parlerons  plus  que  d'un  seul  point  trop  important  pour  ne 


LA    MORT    DE    FRANÇOIS    l".  97 

pas  être  éclairci  et  développé.  Nous  voulons  parler  du  mariage  de 
Jeanne  d'Albret. 

Jeanne,  on  le  sait,  n'avait  pas  eu  une  enfance  heureuse.  Elle  avait 
vécu  assez  longtemps  enfermée  et  comme  emprisonnée  dans  le  châ- 
teau de  Plessis-lès-Tours  par  François  I",  son  oncle,  qui  faisait 
de  son  mariage  un  instrumentum  reijni.  A  l'âge  de  ^3  ans,  il  Pavait 
mariée  au  duc  de  Clèves.  Cette  union,  non  consommée,  ayant 
été  rompue  en  -1543  par  bref  du  pape  Paul  III,  la  jeune  prin- 
cesse était  libre,  lors  de  l'avènement  de  son  cousin  germain 
Henri  II,  et  son  mariage  ne  pouvait  tarder  à  s'effectuer,  car  elle  avait 
i9  ans. 

Pour  bien  comprendre  le  langage  de  l'ambassadeur  de  Charles- 
Quint,  indiquons  en  quelques  mots  les  différentes  visées  des  person- 
nages intéressés  à  ce  mariage. 

Henri  d'Albret  avait  tourné  depuis  longtemps  les  yeux  du  côté  de 
TEspagne  et  aurait  désiré  avoir  pour  gendre  l'infant  don  Philippe. 
Son  but  était  d'obtenir  la  restitution  de  la  Navarre  ^ ,  but  parfaite- 
ment chimérique,  car  Charles-Quint,  qui,  dans  un  testament  du 
5  nov.  ^334  ^  indiquait  Jeanne  à  son  fils  comme  une  épouse  «  d'un 
extérieur  agréable,  vertueuse  et  parfaitement  élevée»,  n'aurait  donné 
les  mains  au  mariage  que  moyennant  renonciation  formelle  aux 
anciennes  possessions  transpyrénéennes  de  la  maison  d'Albret.  Tou- 
tefois, en  1547,  Henri  était  toujours  dans  les  mêmes  intentions. 

Sa  femme,  Marguerite  d'Orléans-Angoulême,  en  vraie  princesse 
française,  avait  jeté  ses  regards  sur  les  degrés  du  trône  de  France.  Il 
parait  qu'elle  avait  pensé,  pour  sa  fille,  au  premier  dauphin  François, 
mort  en  4536,  puis  au  duc  d'Orléans,  troisième  fils  de  François  I". 
Quelle  que  soit  à  cet  égard  l'opinion  de  plusieurs  écrivains,  nous  ne 
pouvons  admettre  que  ce  dernier  projet  eût  pu  aboutir.  Le  jeune 
prince  était  entiché  d'un  mariage  autrichien,  et  s'il  n'eût  pu  épouser 
une  fille  de  l'empereur,  il  se  serait  rabattu  sur  une  fille  du  roi  des  Ro- 
mains, Ferdinand.  Au  moment  de  sa  mort,  la  duchesse  d'Etampes  et 
lui  poursuivaient  avec  ardeur  l'exécution  du  traité  de  Crépy-en- Valois, 


1.  Concpiise  en  1512  par  Ferdinand  le  Catholique  sur  Jean  d'Albret,  père  de 
Henri. 

2.  M.  de  Ruble  attribue  à  ce  testament  la  date  du  18  janvier  1540,  mais  nous 
craignons  qu'elle  ne  soit  fausse.  Le  18  janvier  1540,  Charlos-Quinl,  qui  traver- 
sait la  France  pour  aller  châtier  la  révolte  des  Gantois,  chevauchait  entre  Sois- 
sons  et  Saint-Quentin,  et  il  arriva  dans  cette  ville  le  19.  Fait-on  un  testament 
dans  de  telles  conditions  '(  La  vérité  est  que  ce  testament  fut  fait  par  l'empereur 
avant  son  départ  de  Madrid.  M.  Gachard  lui  attribue  la  date  du  5  novembre  1539, 
qui  me  paraît  très-préférable  à  l'autre. 

ReV.    HiSTOR.    V.    1^''    FASC.  7 


98  MÉLANOES    KT    DOCUMENTS. 

qui  posait  on  principe  l'un  ou  l'autre  mariage,  et  la  reine  de  France, 
Éléonorc,  les  aidait  de  toutes  ses  forces. 

François  I",  dans  les  derniers  temps  de  sa  vie,  inclinait  à  accorder 
la  main  de  sa  nièce  à  Antoine  de  Hourhon,  duc  de  Vendôme.  11  y 
était  poussé  par  le  cardinal  de  Tournon,  ce  qui,  dit  Saint-Mauris, 
avait  valu  au  prélat  l'inimitié  du  roi  et  de  la  reine  de  Navarre. 

Henri  II,  qui  n'avait  généralement  d'autre  opinion  que  celle  que 
lui  inculquait  Diane  de  Poitiers,  était  d'abord  disposé  en  faveur  du 
comte  d'Aumale  (François  de  Guise). 

Reportons-nous  maintenant  à  nos  dépêches.  Nous  verrons  qu'elles 
sont  conformes  en  plusieurs  points  à  l'exposé  qui  précède. 

La  première  dépêche  est  très-brève.  «  Encoires,  dit-il,  n'est  arri- 
vée madame  d'Albrecht  en  ceste  court  où  toutesfois  elle  se  doibt  tost 
trouver.  »  En  effet,  Marguerite  n'était  pas  à  Rambouillet  lors  de  la 
fin  si  rapide  de  son  frère.  Quelque  temps  après,  elle  était  souffrante, 
et  n'éprouvait  aucun  empressement  à  retourner  à  la  cour,  où  domi- 
naient des  gens  qu'elle  n'aimait  pas.  L'ambassadeur  est  dans  le  vrai 
quand  il  écrit  :  «  11  (le  roi  de  Navarre)  ne  peult  s'entendre  avec  le 
connestable,  duquel  il  mesparle  souvent  »,  et  aussi  quand  il  témoigne 
une  fois  de  plus  de  la. finesse  de  Montmorency  ^ 

Une  autre  phrase  de  ce  premier  document  indique  que  Henri  11  a 
été  gagné  par  sa  maîtresse  aux  intérêts  d'Aumale  :  «  Depuis  la  mort 
dud.  feu  roy,  le  daulphin  a  dit  à  mons''  d'Albrecht  que  led.  mariaige 
(avec  Antoine  de  Bourbon)  ne  luy  plaisoit  et  qu'elle  (Jeanne)  pourroit 
estre  coloquée  mieulx  à  propoz...  » 

La  seconde  dépêche  est  beaucoup  plus  explicite.  Et  d'abord,  elle 
contient  la  mention  d'un  fait  que  nous  n'avons  vu  rapporté  nulle 
part  ailleurs.  La  jeune  princesse,  dit  Saint-Mauris,  a  «  quelques 
glandes  au  colet  ».  Gela  ne  serait  rien,  mais  le  diplomate,  en  voie  de 
commérages,  va  bien  plus  loin  encore  et  prétend  que  ces  glandes 
sont  de  nature  scrofuleuse  :  «  L'on  se  doubte  ce  ne  soit  le  mal  des 
escrouelles  et  est  jà  led.  mal  dois  longtemps,  tellement  qu'elle  fut 
touchée  par  le  feu  roy,  que  toutefois  ne  luy  a  prouffité;  et  Ton  tient 
que  le  roy  (Henri  II)  y  mettra  la  main  après  son  sacre  et  la  neuvaine 
qu'il  fera  par  luy  ou  aultre  à  Sainct  Marcou  au  retour  dud.  sacre.  » 

Quoi  qu'il  faille  penser  de  ce  détail  pathologique,  nous  voyons  que 
du  mois  d'avril  au  mois  de  juin  (1547)  Antoine  de  Bourbon  a  recon- 
quis l'avantage  sur  son  rival.  11  a  maintenant  la  parole  du  roi.  Sans 
doute,  au  début,  Henri  U  paraissait  pencher  pour  Aumale,  mais 


1.  «  Le  seigneur,  qui  entend  très-bien  sa  game  ,   dissimule  le  tout,  faisant 
son  myeulx  de  luy  complaire  »  {Luy,  c'est  Henri  d'Albret). 


LA    MORT    DE    FRANÇOIS    l".  99 

deux  considérations  l'ont  arrêté  :  d'abord  Vendôme  a  pris  une  atti- 
tude menaçante.  Il  a  dit  «  que  luy  greveroit  assez  qu'il  la  veist 
mariée  et  colloquée  à  ung  qui  fût  de  moindre  maison  que  luy,  des- 
quelz  propoz  il  pensa  sourdre  discrême  entre  lesd.  seigneurs,  comme 
il  fut  advenu  sans  ce  que  le  roy  paciffia  le  tout  ».  En  second  lieu, 
Henri  II  s'était  aperçu  que  «  la  fdle  le  (Antoine  de  B.)  reserchoit 
plustot  ^  » . 

Tout  dépendait  donc  désormais  d'Henri  d'Albret.  Mais  celui-ci  se 
faisait  prier.  Bien  que  «  travellié  des  gouttes,  bien  exténué,  poëseux 
de  sa  personne,  il  prolongue  le  plus  qu'il  peult,  écrit  Saint-Mauris, 
pour  le  désir  qu'il  a  qu'il  verroit  voluntiers  colloquer  plus  haulte- 
ment  lad.  princesse  ».  Le  roi  de  Navarre  en  effet  faisait  ses  dernières 
tentatives  du  côté  de  FEspagne.  A  défaut  de  l'infant,  il  aurait  préféré 
le  prince  de  Piémont  à  un  prince  français.  M.  Laugel  dit  même, 
coïncidence  curieuse,  qu'avant  de  se  laisser  fléchir,  Henri  d'Albret 
fit  des  ouvertures  à  Saint-Mauris,  qui  les  reçut  froidement 2.  Remar- 
quons que  nos  dépêches  sont  muettes  sur  ce  point.  La  raison  en  est 
peut-être  que  ces  ouvertures  vinrent  seulement  plus  tard,  lors  du 
sacre  de  Henri  II,  auquel  assistèrent  Henri  d'Albret  et  sa  fille  ^. 

Nos  pièces  ne  vont  pas  plus  loin,  mais  le  dénouement  est  connu. 
Le  mariage,  d'où  devait  sortir  Henri  IV,  fut  célébré  à  Moulins  le  20 
octobre  -1548. 


En  résumé,  Ton  remarquera  l'étendue  et  la  sûreté  des  informations 
de  Saint-Mauris.  Gharles-Quint  tenait  à  être  mis  au  courant  de 
toutes  choses,  et  ne  reprochait  pas  leur  prolixité  à  ses  ambassadeurs. 
Son  envoyé  à  la  cour  de  France  ne  nous  paraît  en  défaut  que  dans  le 
passage  relatif  au  comte  de  Grignan.  Il  semblerait  en  effet  que  le 
gouverneur  de  Provence  fut  disgracié  et  même  comparut  en  justice  à 
raison  de  faits  se  rattachant  à  la  construction  des  nouvelles  fortifica- 
tions de  Marseille.  Il  se  peut  que  l'enquête,  dont  fut  chargé  le  prieur 
de  Capoue,  Léon  Strozzi,  qui  venait  de  succéder  au  baron  de  Lagarde 

1.  Ce  que  ne  dit  pas  Sainl-Mauris,  c'est  que  Jeanne  refusait  l'alliance  de  François 
de  Guise,  parce  qu'elle  ne  voulait  pas  avoir  pour  belle-sœur  une  fille  de  M"'^  de 
Brézé,  qui,  en  1547,  épousa  Claude  de  Guise,  frère  puîné  de  François. 

2.  Article  de  la  Revue  des  Deux-Mondes,  livraison  du  15  juin  1877.  M.  Laugel 
place  en  1545  les  ouvertures  faites  par  Henri  d'Albret  à   Saint-Mauris.  Mais 
comment  se  fait-il  que  celui-ci  ne  les  rappelle  pas?  Ne  serait-il  pas  possible  que 
ces  ouvertures  n'aient  été  faites  que  postérieurement  à  nos  dépêches  ? 

3.  Le  sacre  eut  lieu  à  Reims  le  27  juillet  1547. 


100  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

comme  général  des  galères,  ait  porté  sur  ce  point  spécial,  mais  la 

vraie  cause  de  la  disgrâce  de  Grignau,  ce  fut  la  part  qu'il  avait  prise 

aux  atrocités  commises  contre  les  Vaudois  de  Mcrindol  et  de  Ca- 

brières.    Toutefois  il  rentra  bientôt  en  grâce  %  et  son  innocence 

entraîna  celle  de  ses  complices.    Un  avocat-général  au  parlement 

d'Aix,  Guérin,  pa^a  pour  tous. 

Gh.  Paillard. 

I. 

Dépêche  de  Jean  de  Saint-Mauris^,  ambassadeur  de  Charles-Quint  à  la 
cour  de  France  (20  avril  1547.  Archives  du  royaume  de  Belgique  à 
Bruxelles.  —  Papiers  d'État.  —  Nég.  de  France,  t.  II,  p.  77  à  84).  — 
Inédit  en  très-grande  partie. 

A  la  Royne  [Marie,  veuve  de  Louis  II  de  Hongrie,  gouvernante 
des  Pays-Bas],  du  xx«  d'avril  47,  par  l'ambassadeur  Saint-Mauris. 

Gomme,  depuis  le  décès  du  Roy  de  France,  l'on  a  sçeu  plus  par  le 
menu  ce  que  il  avoit  passé  en  sa  maladie,  l'on  en  fera,  en  particulier, 
récit,  sans  aultrement  remantevoir  ce  que  en  a  esté  escript  trois  jours 
avant  que  led.  seig""  Roy  de  France  ^  mourust. 

Il  cogneust  et  déclara  que  c'estoit  fait  de  luy  et  que,  à  ceste  cause, 
il  vouloit  du  tout  adonner  ses  pensées  à  Dieu  et  disposer  de  sa  cons- 
cience, enchargeant  que  l'on  ne  luy  parla  d'autres  afîaires.  Et,  en  pre- 
mier lieu,  il  dit  à  l'evesque  de  Mascon  qui  luy  trouva -*  l'hommélie  de 
saint  Augustin,  quant  à  la  contrition  de  la  Magdelaine,  suivant  quoy 
led.  seigneur  de  Mascon  la  feist  chercer,  mais,  non  le  treuvant,  il  luy 
en  leut  une  aultre  de  mesme  substance  estant  d'ung  aultre  aucteur, 
laquelle  led.  Roy  de  France  dist  n'estre  celle  qu'il  demandoit.  En  quoy 
l'on  nota  sa  bien  grande  mémoire  de  ce  qu'il  sçeust  diversiffier  l'ung  et 
l'aultre  et,  après  la  lecture,  il  feist  oraison  à  Dieu  avec  bien  longz 
propoz,  tous  tendans  à  accuser  ses  pechéz,  et  le  suppliant  de  pardon, 
usant  de  ses^  propoz  que,  combien  il  l'eust  par  trop  offensé,  si  espé- 

1.  Voici  encore  un  point  qui  mériterait  bien  d'être  éclairci.  Tous  les  historiens 
disent  que  Grignan  se  sauva,  en  faisant  une  vente  simulée  de  sa  seigneurie  au 
profit  de  François  de  Guise.  Mais  cette  vente,  qui  daterait  de  1550,  est-elle  cer- 
taine? dit  Guillaume  Ribier  (I,  237),  et  il  ajoute  avoir  vu  une  lettre  écrite  à 
une  époque  bien  postérieure  par  Grignan  à  Beauregard,  secrétaire  des  comman- 
dements, relativement  aux  lettres  d'érection  de  cette  terre  en  comté. 

2.  Jean  de  Saint-Mauris,  né  à  Dole,  successivement  professeur  de  droit  à 
l'Université  de  cette  ville,  conseiller  au  Parlement,  conseiller  d'État  des  Pays- 
Bas,  ambassadeur  en  France  en  1524.  Il  était  le  beau-frère  de  Nicolas  Perrenot 
de  Granvelle,  de  François  Bonvalot,  abbé  de  Saint- Vincent  et  archevêque  de 
Besançon,  et  bel  oncle  du  cardinal  Granvelle. 

3.  François  I",  mort  à  Rambouillet,  le  31  mars  1547. 

4.  Qu'il  lui  trouvât. 

5.  Pour  ces. 


LA    MORT   DE    FRANÇOIS    l".  ^0I 

roit-il  que  il  luy  remettroit  sa  culpe,  puis  que  il  luy  demandoit  de  bon 
ceur  remission.  Et  souvent  il  reprint  les  mesmes  propoz,  entremeslant 
en  cecy  une  infinité  de  maulx  qu'il  avoit  commis  sur  son  peuple,  et 
d'avoir  quelque  fois  commancé  la  guerre  à  bien  legiere  occasion,  et  fait 
de  grandes  praticques  contraires  au  bien  de  la  chrestienneté,  dont 
estoient  reusciz  une  infinité  de  malheurtez,  tousjours  demandant 
pardon  à  Dieu,  et  l'on  a  sçeu  de  personnaige  de  respect,  qui  asseure 
l'avoir  entendu  de  Monsieur  de  Boisi<  que  led.  seig'  Roy  dit  peu 
après,  en  apert,  à  monseig''  le  Daulphin  qu'il  regarda  de  faire  raison  à 
Monseig""  de  Savoye  et  que  il  sçavoit  que  le  Piedmont  luy  avoit  esté 
prins  pour  parvenir  à  Testât  de  Milan,  avec  propoz  que  l'on  luy  avoit 
tenuz  du  commencement  que  l'on  le  luy  rendroit,  après  que  l'on  auroit 
conquis  ledit  Milan.  Mesmes  déclara  que  quant  il  a  Savoye  et  Bresse, 
et  que  n'y  avoit  raison  luy  détenir,  et  que,  à  ceste  cause,  il  en  des- 
chargeoit  sa  conscience  envers  Dieu  et  en  enchargeoit  la  sienne  par 
espécial  quant  à  lad.  Savoye  et  Bresse,  et  que,  du  Piedmont,  il  trou- 
veroit  bon  et  le  ordonnoit  ainsi  que  l'on  en  traicta  avec  led.  seig"" 
de  Savoye,  en  luy  donnant  bonne  récompense  en  France,  et  que  l'on 
ensuyvist  les  moyens  qu'il  avoit  mis  en  avant  tant  pour  lad.  recom- 
pense que  pour  traicter  avec  led.  seig""  de  Savoie,  tumbant  son  propoz 
en  ceste  conclusion  qu'il  mouroit  avec  ceste  volunté  que  raison  se  feist 
aud.  seig""  de  Savoye,  fût  par  récompense  ou  autrement,  et  qu'il  prioit 
led.  Daulphin  faire  de  rechief  bien  consulter  pour  l'acquit  de  leurs 
consciences,  s'ilz  avoyent  droit  aud.  Piedmont  pour  le  regard  de  Prou- 
vence  et  s'il  estoit  bien  fondé  quant  à  la  querelle  de  sa  grand  mère 2,  à 
cause  que  led.  seig""  de  Savoye  allegoit  avoir  quitance  du  dot  d'elle, 
mais  que  sur  tout  il  feist  la  raison  aud.  seig^  de  Savoye  tant  du  prin- 
cipal que  des  fruitz  escheuz  lors. 

Aussi  luy  parla  de  madame  d'Estampes  3,  le  priant  qu'il  ne  la 
voulsist  maltraitter  et  avoir  pitié  d'elle,  d'autant  que  c'estoit  une 
femme,  l'exhortant  de  non  tant  se  soubmettre  à  la  voulunté  d'aultres, 
comme  il  avoit  fait  à  celle  de  lad.  dame  d'Estampes. 

Si  esse  que,  sus  la  fin  de  ses  jours,  par  espécial  quant  l'on  luy  donna 
la  sainte  unction,  il  ne  voulsit  que  lad.  dame  d'Estampes  y  assista,  et 
comme  il  la  veit  entrer  en  sa  chambre,  il  feit  signe  de  sa  main  que 
l'on  la  feit  retourner,  et,  comme  elle  fut  rentrée  en  sa  chambre,  elle 
se  pasma  en  terre,  faisant  un  cry  espouvantable,  disant  :  Terre,  englouti 
moij,  et,  estant  revenue  à  elle,  soubdain  elle  monta  en  sa  litière  et 
sailUt  hors  du  chasteau,  accompaignée  de  l'évesque  de  Gondon'',  son 

1.  Claude  Gouffier,  marquis  de  Boisy,  duc  de  Roannès,  grand  écuyer,  premier 
gentilhomme  de  la  chambre,  mort  en  1570  ;  il  était  fils  d'Artus,  qui  avait  été  le 
gouverneur  de  François  l". 

2.  Louise  de  Savoie,  épouse  de  Charles,  comte  d'Angoulême. 

3.  Anne  de  Pisseleu,  duchesse  d'Étampes. 

4.  Charles  de  Pisseleu,  évéqiie  de  Condom,  mort  en  1563. 


102  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

IVoiv,  H  (le  nions'-  de  LavaU,  lequel  est  esté  fort  blasmé  do  ce  qu'il  l'a 
suivit,  et  dont  led.  daulphin  l'en  reboule,  comme  aussi  fait  le  connes- 
table,  contre  lequel  il  tenoit  partie  en  faveur  de  Mad°  dame  d'Estampes, 
chose  que  l'on  luy  remarche ^  vivement,  en  sorte  qu'il  ne  sçet  où  il  en 
est  do  présent. 

Retournant  aud.  seig""  Roy  de  France,  il  foit  promettre  aud.  Daul- 
phin qu'il  prendroit  et  retiendrait  à  son  service  tous  ses  serviteurs, 
disant  que  il  en  seroit  servy  loyaulment,  car  il  leur  en  avoit  donné  l'es- 
guillon  et  que,  comme  il  les  avoit  mal  récompensez,  il  désiroit  que  il  les 
traicta  très  bien,  ce  que  led.  daulphin  luy  accorda,  lequel  les  a  tous 
retenuz  et  fait  dire  que,  si  les  anchiens  se  veuillent  retirer,  que  il 
les  fera  pourveoir  à  leurs  vies  de  leurs  gaiges  tout  autant  que  s'ilz 
servoient. 

En  mesme  temps,  led.  seig''  Roy  pria  le  cardinal  Tornon^,  l'admirai 
de  France*,  Boisi,  Sordi^  et  autres  de  sa  chambre  de  non  le  délaisser 
jusques  après  sa  mort,  remonstrant  qu'il  sçavoit  la  coustume  estre  que, 
quant  ung  grant  prince  approchoit  la  mort,  que  les  siens  l'abandon- 
noient  pour  le  regret  qu'ilz  avoient  de  le  veoir  morir  et  il^  admettoit 
l'on  estrangiers,  et  que  s'il  venoit  à  veoir  cela,  il  pourroit  se  altérer 
de  son  bon  sens  et  non  si  bien  pourveoir  à  sa  conscience,  en  sorte  que 
tous  les  susditz  furent  auprès  de  luy  jusques  à  ce  qu'il  eust  rendu 
l'esprit,  et,  le  jour  avant  qu'il  mouru,  il  dit  aud.  seig^  de  Boisi  qu'il 
nota  bien  l'heure  qu'il  estoit  lors,  et  qu'il  s'apercevoit  qu'il  ne  passeroit 
en  vye  vingt-quatre  heures,  comme  il  advint,  car  justement  il  trespassa 
au  boult  de  xxiiij  heures,  et,  la  nuit  avant  sa  mort,  le  daulphin  se 
retira  sans  plus  le  veoir  et  le  supplia,  prenant  congié,  de  luy  donner 
sa  bénédiction,  ce  que  il  feist  avec  bien  grande  constance,  l'accompai- 
gnant  d'une  infinité  de  bons  propoz  et  telz  que  led.  daulphin  s'esva- 
nouit  sur  le  lict  dud.  Roy,  lequel  le  tenoit  à  demy  embrassé  et  ne  le 
povoit  laisser  eschapper.  Toutesfois  led.  daulphin  fust  prins  par  l'ad- 
mirai et  mené  hors  de  la  chambre  avec  propos  de  consolation,  mesmes 
de  la  fragilité  de  cette  vye  mondaine.  Et  auparavant  led.  feu  Roy  avoit 
déclaré  par  le  menu  qu'il  debvoit  et  avoit  retenu  à  aucuns  particuliers 
marchans  bagues  et  autres  choses  qu'il  vouloit  leur  estre  payez.  Toutes 

1.  Ce  seigneur  de  Laval  (le  même  assurément  qui  fut  otage  après  la  paix  de 
Crépy-en- Valois)  est  sans  doute  Gilles  II  de  Laval,  époux  de  Louise  de  Sainte- 
Maure,  décédé  en  1559.  Il  était  frère  et  héritier  de  René  de  Laval,  époux  de 
Jeanne  de  Brosse,  celle-ci  sœur  de  Jean  de  Brosse,  l'époux  de  la  favorite. 

2.  Remarque,  reproche. 

3.  François  de  Tournon,  ancien  archevêque  d'Embrun,  cardinal  d'Ostie. 

4.  Claude,  seigneur  d'Annebaut. 

5.  Jean  d'Escoubleau,  seigneur  de  Sourdis  en  Poitou,  valet  de  chambre  mtime 
de  François  !•='  (il  couchait  dans  la  chambre  du  roi),  plus  tard  gentilhomme  de 
la  chambre  et  maître  de  la  garde-robe  (Ribier,  passim). 

6.  Pour  ij. 


LA    MORT    DE    FRANÇOIS    l".  -103 

fois,  retumbant  on  co  propoz  qu'il  esperoit  que  Dieu  luy  feroit  miséri- 
corde, puisqu'il  la  luy  demandoit  d'un  ccur  confès  et  contrit,  et,  où  il 
eust  perdu  la  parolle,  il  ne  cessa  jusques  à  la  mort  de  faire  le  signe  de 
la  croix,  et,  tousjoursà  mains  jointes,  endressa  les  yeulx  contre  le  ciel, 
recourant  à  Dieu,  et  baisa  longuement  la  paix  que  luy  fust  présentée 
par  mons'  de  Mascon*,  et  mourut  avec  la  susdite  repentance  et  cognois- 
sance  de  son  péché,  ayant  enchargé  le  daulphin  de  faire  tout  ce  qu'il 
verra  et  cognoistra  convenir  pour  l'acquit  de  son  âme. 

Quant  est  de  madame  d'Estampes,  dois  qu'elle  se  partit  de  Ram- 
bouillet où  le  Roy  mouru,  elle  a  tousjours  esté  à  Limours  en  pleurs  et 
lamentations  continuelles,  et  pensa  despérer^  quant  l'on  luy  dit  la  prinse 
de  Longheval^,  pour  ce  qu'il  sçet  toutes  ses  menées.  Le  mesme  deuil 
eust  elle  de  la  rétention  de  Raniet,  son  controUeur,  lequel  fut  mis  entre 
les  mains  de  quatre  sergans,  desquelz  il  trouva  une  nuyt  façon  d'es- 
chapper  tellement  qu'il  s'est  absenté  de  France. 

Lad.  dame  d'Estampes  avoit  fait  secrètement  mener  chez  ung  prési- 
dent de  Paris,  son  allié,  la  pluspart  de  sa  vasseille  et  autres  bagues, 
mais  tout  a  esté  descouvert  et  les  coffres  scellez. 

Lad.  dame  d'Estampes,  entendant  que  son  mary  venoit  en  court, 
elle  luy  a  mandé  ung  gentilhomme  pour  le  supplier  qu'il  eust  pitié 
d'elle''.  Ce  sont  choses  bien  eslongées  de  ce  que  autresfois  elle  ne  fai- 
soit  aucune  estime  de  luy.  Et  dient  aulcuns  que  le  daulphin  veult  qu'il 
ait  les  meubles  de  lad.  dame  d'Estampes,  et,  s'il  tumbe  confiscation  aux 
immeubles,  que  aussy  ilz  luy  soient  réservez,  attendu  qu'il  doibt  par 
raison  avoir  la  moittié.  Et  combien  que  led.  seig'"  d'Estampes  fust  esté 
quelque  peu  débouté  avant  la  mort  du  Roy,  selon  que  l'on  l'a  cy 
devant  escript,  si  esse  que  led.  daulphin  a  voulsu  de  luy  mesmes  qu'il 
retourna,  et  sitost  que  le  Roy  fust  mort,  il  le  manda.  Si  en  somme  lad. 
dame  d'Estampes  comparissoit  en  publique,  le  peuple  la  lapideroit  :  Il  a 

1.  Pierre  du  Chastel  ou  Châtelain,  ou  encore  Castellan  (Oastelianus). 

2.  Désespérer. 

3.  Nicolas  de  Bossut,  seigneur  de  Longueval.  Un  procès  crimlnellui  fut  intenté 
après  la  mort  du  roi  pour  avoir  eu  part  au  dernier  traité  avec  l'empereur  (celui 
de  Crépy-en- Valois).  Il  fut  notamment  accusé  d'avoir  renseigné  Charles-Quint,  au 
cours  de  la  campagne  de  1544,  sur  les  magasins  d'Épernay  et  de  Château-Thierry, 
grâce  à  la  découverte  desquels  l'armée  impériale,  qui  allait  se  débander,  put 
arriver  jusqu'à  Soissons  et  menacer  Paris.  II  échappa  à  la  peine  capitale  à  cause 
des  mêmes  raisons  qui  décidèrent  Henri  II  à  épargner  la  duchesse  d'Étampes. 
Ajoutons  que  pour  sauver  sa  tête,  il  dut  faire  donation  au  cardinal  de  Lorraine 
(sous  forme  de  vente  sùnulée)  de  son  beau  château  de  Marchais,  près  Laon. 

4.  Jean  de  Brosse,  duc  d'Étampes,  chevalier  de  l'ordre,  gouverneur  de  Bre- 
tagne. Il  était  brouillé  avec  sa  femme,  non  pour  l'atteinte  portée  à  son  honneur, 
mais  surtout  pour  des  questions  d'intérêt.  Ainsi  il  accusait  la  duchesse  de 
retenir  pour  elle  les  gages  de  son  gouvernement  et  de  ruiner  sa  propre  maison 
pour  enrichir  sa  sœur  bien-aimée,  Charlotte  de  Pisseleu,  comtesse  de  Vertus.  Il 
y  eut  même  sur  ce  point  un  procès  où  Henri  II  témoigna  le  21  juin  1556  au 
prolit  du  duc  d'Étampes. 


104  MKU\(.ES    ET    DOCUME.MS. 

ostc  grand  bruit  on  co  royaulmo,  par  cspccial  à  Paris,  q\w  la  lîoyne 
douaigièrc  '  vouioit  persister  à  ce  que  ladite  dame  d'Estampes  luy  feist 
réparation  honnorable,  mais  ce  sont  choses  controuvées  et  auxquelles 
sa  Majesté  ne  pensa  oncques,  remettant  vengeance  du  mefTait  à  Dieu 
ot  au  chastoy  que  s'en  pourra  ensuyr  pour  les  malversations  de  lad. 
dame  d'Estampes,  laquelle  l'on  dit  estro  en  tel  désespoir  que,  si  elle  y 
continue,  elle  demourera  soubz  le  fais,  qu'est  ce  que  l'on  demande 
et  selon  qu'elle  le  mérite  2. 

L'on  avoit  cy  devant  fait  dire  au  cardinal  de  Tornon  qu'il  ne  sçauroit 
mieux  faire  que  soy  retirer  en  sa  maison  après  les  obsèques  du  feu 
Roy,  sans  ce  qu'il  deust  autrement  venir  en  court.  Toutesfois  il  a  tant 
importuné  que  le  daulphin  a  esté  content  qu'il  vint  parler  à  luy  à 
Saint-Germain,  duquel  il  fut  reçeu  assez  mesgrement,  avec  toutesfois 
ce  propoz  qu'il  se  contentoit  du  service  qu'il  avoit  cy  devant  fait,  sans 
passer  plus  avant  qu'il  le  voulsist  retenir  aux  affaires,  par  où  le  car- 
dinal de  Tornon  le  supplia  qu'il  fût  content  qu'il  alla  pour  ung  an  ou 
deux  visiter  ses  bénéfices,  ce  que  led.  daulphin  luy  consenti;  et,  si 
Dieu  le  permet  plus  vivre,  après  avoir  achevé  lad.  Visitation,  il  fait 
son  compte  d'aller  à  Rome  et  employer  la  reste  de  sa  vye  pour  ce  qui 
attouchera  le  service  du  Saint-Siège  apostolique  3.  Le  connestable  et 
luy  se  veirent  naguerres  à  Saint-Clou,  où  led.  seig""  connestable  fut 
pour  donner  de  l'eaue  bénite  au  corps  du  feu  Roy,  et  entre  eulx  eurent 
maintz  propoz  d'amitié,  laquelle,  à  la  vérité,  est  du  tout  fainte  et  dissi- 
mulée. En  quoy  l'ung  et  l'autre  ne  se  forcontent  aucunement. 

En  même  temps,  l'admirai  fut  saluer  led.  daulphin  aud.  Saint-Ger- 
main, auquel  le  jeusne  Saint- André''  le  présenta,  et  le  recueilloit  favo- 
rablement led.  daulphin,  qui  le  oyt  bien  longuement.  L'on  dit  que  led. 
admirai  luy  tint  propoz  de  maintes  choses  que  se  disoient  contre  luy, 
justifiant  au  contraire  toutes  ses  actions  et  qu'il  estoit  content  le  faire 
juge  s'il  avoit  sincèrement  servy  le  feu  Roy.  En  quoy  led.  daulphin  luy 
dit  qu'il  sçavoit  qu'il  avoit  tousjours  bien  versé  et  que,  pour  ceste 
raison,  il  le  continuoit  en  son  estât  d'admiral,  sans  particulariser  plus 
avant  autres  charges  qu'il  a.  Et  depuis  led.  admirai  a  fait  grande 
instance  d'estre  entremis  aux  principaulx  affaires  avec  le  connestable, 
mais  l'on  luy  a  refusé.  Bien  a  l'on  consentu  qu'il  se  pourroit  trouver 

1.  Éléonore  d'Autriche,  sœur  de  Charles-Quint,  mariée  en  secondes  noces  à 
François  I",  en  exécution  du  traité  de  Madrid,  ou  plutôt  de  celui  de  Cambrai, 
dit  la  paix  des  dames. 

2.  La  dépêche  a  été  publiée  par  M.  Gachard  jusqu'à  ce  mot  dans  le  tome  V, 
2=  série,  des  bulletins  de  la  Commission  d'histoire  de  Belgique. 

3.  Le  cardinal  de  Tournon  perdit  en  1547  la  charge  de  chancelier  de  l'ordre, 
laquelle  fut  donnée  au  cardinal  de  Lorraine.  Il  rentra  en  grâce  plus  tard  et  ne 
mourut  que  le  22  avril  1562.  A  partir  de  la  mort  de  François  l",  il  séjourna 
presque  toujours  à  Rome,  où  le  retenait  la  jalousie  défiante  des  Guises. 

4.  Jacques  d'Albon,  maréchal  de  Saint-André,  tué  d'un  coup  de  pistolet  par 
Bobigny  de  Mezières,  à  la  bataille  de  Dreux  (décembre  1 562) . 


LA    MORT    DE    FRANÇOIS    l".  405 

au  conseil.  Il  est  bruyt  qu'il  tâcha  de  marier  son  filz  *  avec  une  des 
tilles  dud.  connestable,  lequel  y  preste  assez  l'oreille,  attendu  qu'il  est 
chargé  de  filles,  et,  si  cela  s'ascheve,  led.  admirai  pourra  demeurer 
auctorisé  plus  que  autrement  il  ne  sera  sans  cela.  Hz  eurent  lors 
longues  devises,  led.  connestable  et  luy,  et  sont  de  présent  retournez 
led.  cardinal  de  Tornon  et  admirai  aud.  Saint-Gloud  complir  la  qua- 
rantaine dud.  feu  Roy,  où  il  seroit  jusques  aux  exeques,  lesquelles  ne 
se  célébreront  avant  le  xx"  de  may  prochain,  à  cause  que  le  corps  du 
feu  daulphinS  ne  pourra  estre  si  tost  amené.  L'on  a  fait  icy  ung  compte 
dud.  cardinal  de  Tornon  qu'est  que,  comme  il  fait  ordinairement  les 
ceremonyes  lorsque  l'on  sert  la  table  du  feu  Roy,  il  ne  le  fait  jamais 
sans  plorer  et  soy  lamenter  beaucop,  ramentevant  en  publicque  les 
grandes  vertuz  dud.  feu  Roy,  qu'est,  comme  l'on  dit,  afin  que  le  daul- 
phin  ait  tant  plus  regard  à  luy  et  qu'il  le  continue  en  son  service  pour 
le  tesmoingnaige  qu'il  donne  du  regret  et  sentement  qu'il  a  de  la  mort 
dud.  feu  Roy. 

Il  avoit  esté  cy-devant  commandé  que  mons""  de  Grignan^  seroit 
mené  à  la  bastille,  mais  led.  cardinal  de  Tornon  et  luy  ont  depuis  tant 
et  si  vivement  poursuy  que  le  daulphin  a  esté  content  que  led.  seig' 
de  Gringnan  se  vint  justiffier  en  personne  pardevant  luy  en  son  con- 
seil, après  toutesfois  l'avoir  desmis  de  son  gouvernement  de  Provence, 
comme  encoires  de  puis  il  a  fait  de  Testât  de  chevalier  d'honneur  de  la 
daulphine"*,  duquel  estât  a  été  pourveu  le  vieux  Saint-André^,  dois 
qu'elle  est  royne.  A  propos  dud.  seig""  de  Grignan,  l'on  a  remis  au 
pryeur  de  Gapua^  de  visiter  le  lieu,  ouquel  led.  seig'  de  Grignan 
insistoit  du  vivant  du  feu  Roy  l'on  feist  un  fort  près  Marseille,  estant 
lad.  place  près  le  port  dud.  Marseille,  dont  l'on  a  jà  cy  devant  adverti, 
et  pour  vray  led.  pryeur  a  les  gallères  du  Roy,  lesquelles  ont  esté  ostées 
au  Paulin ''^  puis  six  jours  et  depuis  son  dernier  retour  d'Angleterre, 

1.  Jean  d'Annebaut,  seigneur  de  la  Hunaudaye,  mort  en  1562  des  suites  des 
blessures  reçues  à  la  bataille  de  Dreux.  Le  mariage  dont  il  est  parlé  ci-dessus 
ne  se  fit  point. 

2.  Le  premier  dauphin,  François,  duc  de  Bretagne,  né  le  28  février  1518,  mort 
le  10  août  1536  à  Valence.  François  I"  fut  enterré  avec  ses  deux  fds,  morts  avant 
lui,  François  et  Charles,  duc  d'Orléans,  et  les  funérailles  solennelles  eurent  lieu 
le  22  mai  1547  à  Paris  et  le  27  à  Saint-Denis. 

3.  Adhémar  de  Monteil,  premier  comte  de  Grignan,  gouverneur  de  Provence, 
chevalier  de  l'ordre,  etc.,  mort  sans  postérité  en  1557.  Les  Castellane  ont  été 
substitués  aux  Monteil. 

4.  Catherine  de  Médicis. 

5.  Jean  d'Albon,  père  du  maréchal  de  Saint-André. 

6.  Léon  Strozzi,  frère  de  Pierre,  prieur  de  Capoue,  général  des  galères. 

7.  Le  capitaine  Paulin,  baron  de  La  Garde,  général  des  galères  sous  Fran- 
çois I"  et  fort  connu  pour  avoir  été  employé  dans  toutes  les  négociations  avec 
Solhnan  IL  Le  véritable  nom  de  ce  célèbre  aventurier  est  Antoine  Escalin  des 
Aymars. 


^0(>  MÉLANGKS    ET    I)OCUMK\TS. 

dont  il  so  rotrouvo  fort  oslonné  ot  n'est  plus  tant  insolent,  comme  il 
souloit.  Il  est  contraint  suyvir  le  connestable  pour  cstre  entremis  en 
quelque  moindre  charge,  mais  l'on  le  desgoutc  plattemcnt,  et  si  est  en 
dangier  d'estre  détenu  pour  ce  que  le  capitaine  Claude  (?)  l'accoulpe  de 
maintes  mauvaises  choses. 

Le  seig""  de  RoUe  a  esté  en  ceste  court  par  quelques  jours  dois  la 
mort  du  Roy,  et  se  dit  qu'il  s'en  debvoit  absenter  avec  charge  d'aller 
donner  quelque  ordre  aux  frontières  de  la  Savoye,  et  que  au  reste  il 
avoit  esté  retenu  au  service  d'icy  comme  auparavant. 

En  ceste  court,  y  a  ung  italien,  nommé  Felice  del  Palatio,  lequel,  du 
vivant  du  feu  Roy,  alloit  souvent  en  Anvers  et  faisoit  profession  de 
rapporter  audit  Roy  tout  ce  qu'il  entendoit  celle  part  tant  des  affaires 
de  l'empereur  que  de  Testât  du  pays.  L'on  ne  sçet  s'il  continuera  tous- 
jours  en  la  susdite  practique. 

Aussi  suyt  cesdite  court  un  italien  nommé  Paule-Baptiste  Frégoze', 
lequel  dit  avoir  bien  bonne  amitié  et  intelligence  avec  un  frère  du  car- 
dinal Doria;  et  a  icy  déclaré  aux  ministres  du  daulphin  que,  si  l'on  le 
vouloit  favorizer,  qu'il  estoit  en  sa  main  mettre  Gennes  avec  le  temps 
entre  les  mains  de  ceulx  d'icy  2,  lesquelz,  cognoissant  la  faulte  que  jà 
y  a  esté  naguerres  faicte^,  ont  desgoutté  ce  que  il  leur  en  avoit  dit  et 
rebouté  ceste  practique,  selon  que  l'on  a  sçeu  par  Olzatius. 

Les  prélatz  d'icy,  signamment  Baleyne,  peuvent  bien  prendre  la 
constitution  du  pape  de  retenir  seullement  ung  grant  bénéfice,  mais  il 
est  bruyt  que  le  daulphin  l'a  trouvé  bonne,  et  que,  si  led.  concil  se 
maine  à  quelque  perfection,  qu'il  la  fera  précisément  observer. 

Encoires  n'est  arrivée  madame  d'Albrecht  en  ceste  court,  où  toutes- 
fois  elle  se  doibt  tost  trouver.  Elle  et  son  mary^  ont  conceu  une  bien 
grande  haisne  contre  le  cardinal  de  Tornon  à  cause  qu'il  pressoit  le  feu 
Roy  de  traiter  le  mariage  de  leur  fille  avec  mons"-  de  Vendosme^, 
mais,  depuis  la  mort  dud.  feu  Roy,  le  daulphin  a  dit  à  mons"-  d'Al- 
brecht que   led.   mariaige   ne  luy  plaisoit   et  qu'elle   pourroit  estre 

1.  Sans  doute  un  parent  du  Génois  César  Frégose,  que  le  marquis  du  Guast, 
gouverneur  du  Milanais,  avait  fait  assassiner  avec  Antoine  Rincon,  au  moment 
où  ils  se  rendaient  en  descendant  le  Pô  à  Venise  et  de  là  à  Constantinople.  Fré- 
gose et  Rincon  étaient  au  nombre  des  agents  diplomatiques  secrets  qu'employait 
François  I". 

2.  il  y  avait  à  Gènes  des  conspirations  continuelles  contre  les  Doria  et  notam- 
ment contre  le  vieil  André  Doria  pour  placer  la  ville  sous  la  domination  de  la 
France. 

3.  Allusion  probable  à  la  conjuration  de  Fiesque  (Jean-Louis  Fieschi). 

4.  Henri  II  d'Albret,  roi  de  Navarre,  comte  de  Foix,  né  en  avril  1503,  mort  le 
25  mai  1555,  marié  le  3  janvier  1527  à  Marguerite  dOrléans-Angouléme,  sœur 
de  François  I". 

5.  Antoine  de  Bourbon,  qu'elle  épousa  en  efifet  le  20  octobre  1548. 


LA   MORT   DE   FRANÇOIS   l".  ^07 

colorée'  mieulx  à  propoz,  Tasseurant  qu'il  en  auroit  le  mesme  soing, 
comme  si  c'estoit  sa  sœur  propre  2. 

Le  duc  de  Montpensier^  est  aujourd'huy  en  court,  demandant  justice 
au  dauphin  des  terres  qu'on  luy  détient  de  la  succession  de  feu  mons' 
de  Bourbon''*  et  il  espère  qu'elle  luy  sera  administrée,  selon  que  led, 
daulphin  démonstre  estre  très  enclin  à  la  faire  observer  à  ung  chascun. 
Et,  à  ce  propoz,  il  se  dit  qu'il  a  deffendu  que  désormais  l'on  vendit 
aucuns  offices  de  judicature  et  que  tous  ces  supernumeraires  fussent 
reduitz  au  vray  et  anchien  nombre,  non  point  par  départ  présent,  mais 
non  admettant  ou  instituant  autres  en  leurs  lieux. 

Il  est  quelque  bruyt  que  le  daulphin  veult  faire  fortifier  Bohain^,  et 
rendre  la  place  deffensable  contre  ung  camp,  et  qu'il  a  donné  charge  à 
mons""  de  Vendosme  de  visiter  la  place. 

Pierre  Strosse^  a  esté  estably  capitaine  général  de  l'infanterie  ita- 
lienne pour  le  Roy,  et  en  a  l'on  osté  la  charge  au  comte  Sansegonde 
avec  ceste  couleur  qui  fut  du  tout  cassé  et  ypothéqué  de  ses  membres. 
Si  esse  qu'il  a  tousjours  esté  retenu  au  service  de  France.  Led.  conte  a 
icy  mandé  la  justification  de  son  cartel,  et  Strosse  au  contraire  dit  qu'il 
a  satisfait  à  son  debvoir  et  que,  si  led.  conte  allègue  que  la  notoireté 
de  ses  œuvres  tesmoingnent  qu'il  ne  soit  tel  que  led.  Strosse  l'a  des- 
paint,  qu'il  se  remect  au  jugement  des  hommes  de  sain  entendement, 
si,  souffrant  telles  injures,  il  ne  consente  pas  assez  qu'il  n'est  si  qua- 
liffié  champion  qu'il  se  faif. 

Hz  ont  icy  fait  publicque  que  la  Bohême  estoit  en  termes  de  soy 
rebeller  contre  le  roy  des  Rommains^  et  que  ce  soit  par  les  practiques 
du  jadis  électeur^,  leur  persuadant  que  l'on  les  veuille  contraindre  à 
délaisser  leur  religion,  de  laquelle  nouvelle  le  peuple  d'icy  s'est  gran- 
dement resjoy,  estimant  que  ce  sera  tousjours  tant  plus  d'empesche- 
ment  à  l'Empereur.  Vray  est  que  le  daulphin  et  ses  ministres  en  parlent 
et  de  toutes  autres  choses  attouchant  sad.  Majesté  trop  plus  sabrement 
que  l'on  ne  vouloit^*^  du  vivant  du  feu  Roy.  Et  se  dit  que  ledit  daul- 
phin a  commandé  que  l'on  ne  divulga  telles  ny  semblables  nou- 
velles. 


1.  Il  est  probable  qu'il  faudrait  lire  :  colloffuée. 

2.  Jeanne  d'Albret  était,  comme  on  l'a  vu,  la  cousine  germaine  de  Henri  II. 

3.  Louis  II  de  Bourbon,  duc  de  Montpensier. 

4.  Le  connétable  de  Bourbon. 

5.  Petite  ville  du  département  de  l'Aisne,  arrond.  de  Saint-Quentin. 

6.  Pierre  Strozzi,  maréchal  de  France  en  1554,  marié  àLaudaminede  Médicis, 
mort  le  20  Juin  1558  d'un  coup  de  mousquet  reçu  au  siège  de  Thionville. 

7.  Il  y  avait  eu  cartel  échangé  entre  Pierre  Strozzi  et  le  comte  Sansegonde. 

8.  Ferdinand,  frère  de  Charles-Quint. 

9.  Vraisemblablement   Jean-Frédéric  I",    électeur    de   Saxe,    dépossédé  par 
Charles-Quint  après  la  bataille  de  Muhlberg. 

10.  Voulait  est  ici  évidemment  pour  soulolt.  Il  y  a  eu  erreur  de  déchiffre- 
ment. 


iOS  MÉLANGES    ET    DOCIIMEMS. 

Monsoig''  lo  ilaulpliiii*  et  niad"  Ysabollc^  doilivfnt  ostro  hiontost  à 
Saint-Gormain  où  ilz  rosi(U>ront  tlésormais,  et,  quant  la  court  y  sora, 
l'on  los  rotirora  à  la  Muotto,  hujuollo  lo  daulphin''  fait  parachever  tant 
à  la  susdite  occasion  que  pour  ce  qu'il  en  fut  requis  par  le  feu  Roy 
durant  sa  maladie.  Et  désire  led.  daulphin  demeurer  aud.  Saint-Ger- 
main à  cause  qu'il  y  a  esté  nourry',  outre  la  commodité  de  l'air  et  du 
ohasteau.  Il  a  promis  à  ung  chascun  d'y  bastir  et  à  Fontainebleau,  où 
il  jH-opose  estre  l'yver  et  sus  le  printemps  à  Bloys,  Amboise  et  Tours, 
l'esté  aud.  Saint-Germain  et  le  surplus  de  l'année  alentour  de  Com- 
piègne.  Led.  daulphin,  le  xix«  de  ce  mois,  se  partit  dud.  Saint-Ger- 
main, allant  en  aucunes  places  du  connestable,  où  il  doibt  estre  au 
plus  viij  ou  X  jours.  Et,  ce  pendant,  l'on  nettoyé  le  logis  dud.  Saint- 
Germain  pour  y  recepvoir  led.  seig""  daulphin  et  sa  seur,  desquelz 
mons""  de  Humières^  a  le  gouvernement. 

La  royne  présente  est  ensainte^,  de  quoy  le  peuple  de  France  s'es- 
joyt  grandement. 

Il  est  quelque  bruyt  que  le  daulphin  doibt  envoyer  devers  Sa  Majesté"^ 
autre  ambassadeur  que  Mesnaige  ^,  pour  ce  que  led.  Mesnaige  a  esté 
mis  en  lad.  charge  par  la  main  du  cardinal  de  Tournon,  et  que  le 
mesm.es  se  fera  de  messire  Livio  Crotto,  dépendant  le  tout  de  l'admirai. 
Toutesfois  cecy  ne  se  sçet  encoires  la  vérité. 

Le  connestable  feist  naguères  nouveau  serment  de  son  estât  de  con- 
nestable que  fut  à  l'issue  du  disner  du  Roy.  Le  meismes  feit  le  chan- 
cellier^  du  sien  et  lors  aussi  le  premier  président  de  Paris  ^*>  eust  une 
harenge  tendante  à  supplier  le  Roy  qu'il  voulsist  confermer  ceulx  de  sa 
justice  de  Paris  en  leurs  estatz,  ce  qu'il  consentit.  Le  meismes  feit-il 
lors  à  ceulx  de  Rouan,  en  faveur  desquelz  le  président  Rémont  feit  le 
propoz,  lequel  fut  long  et  celluy  du  président  succinct,  qui  tous  deux 
orarent,  comme  il  se  publye,  fort  doctement  et  que  le  daulphin  leur 
respondit  en  briefves  paroUes  très  prudemment. 

L'on  a  sçeu  de  bon  lieu  que,  environ  le  viij*  d'avril,  arriva  en  ceste 


1.  Depuis  François  II. 

2.  Isabelle  ou  Elisabeth" de  Valois  ou  de  France,  mariée  en  1559,  le  22  juin,  à 
Philippe  II,  roi  d'Espagne. 

3.  C'est-à-dire  Henri  II.  Saint-Mauris  continue  à  l'appeler  dauphin,  parce  que 
son  sacre  n'a  pas  encore  eu  lieu.  Cette  cérémonie  ne  fut  accomplie  que  le 
25  juillet  1547. 

4.  Il  y  était  né  le  31  mars  1518. 

5.  Jean  III  de  Humières,  lieutenant  général  en  Dauphiné,  chevalier  de 
l'ordre,  etc.,  mort  en  1550. 

6.  De  Claude  de  France,  née  en  novembre  1547  ;  depuis  mariée  à  Charles  II, 
duc  de  Lorraine. 

7.  Charles-Quint. 

8.  Ménage,  ambassadeur  de  France  à  Bruxelles. 

9.  François  Obvier,  seigneur  de  Leuville. 

10.  Pierre  Lizet. 


LA    MORT    DE    FRANÇOIS    l".  ^09 

court  un  homme  du  pape*,  lequel,  avec  le  nunce,  furent  en  court  par 
deux  jours  négocians  secrètement.  Aucuns  dient  que  ce  a  esté  pour 
endresser  le  mariaige  du  seig'"  Orace^  estant  tousjours  en  termes,  et 
peu  avant  la  mort  du  feu  Roy,  le  s'  Tiburce,  maistre  d'hostel  dud.  seig' 
Orace,  fut  par  luy  mandé  envers  led.  pape  pour  l'exhorter  et  persuader 
d'avancer  les  deniers  que  led.  feu  Roy  demandoit,  réduitz  à  iicm  escuz 
pour  acheter  places  en  France  pour  led.  seig""  Horace.  Gecy  estoit  de  la 
menée  du  cardinal  de  Tournon,  lequel  favorisoit  led.  mariaige  pour 
attirer  le  pape  à  leur  dévotion.  Et  tachant  par  le  moyen  du  nonce  et 
cardinal  Fernèse^  que  le  pape,  venant  à  mourir,  le  deust  recommander 
aux  cardinaulx  pour  le  créer  pape,  mais  la  chance  est  bien  tost  aultre- 
ment  tournée. 

L'on  parle  icy  que  l'on  veult  donner  ung  adjoint  au  garde  des  seaulx'' 
et  dit  l'on  que  ce  sera  le  président  Bertrandi,  mais  cecy  n'est  pas  chose 
seur,  car  led.  garde  des  seaulx  a  si  bien  joué  son  rolle  qu'il  a  acquis 
la  grâce  de  la  seneschalle  de  Normandie  et  du  connestable.  Led.  prési- 
dent a  délaissé  son  estât  de  tiers  président  de  Paris  par  la  promotion  à 
l'evesché  de  Limoges  que  l'on  a  osté  au  cardinal  Medon^,  auquel 
BelayS  la  gardoit.  Et  en  délaissa  led.  de  Medon  faire  la  despesche  pour 
éviter  la  despence,  espérant  de  quelque  jour  aller  à  Rome  pour  y 
pourveoir.  En  quoy  il  s'est  trouvé  abusé  et  s'est  faite  déclaration  par  le 
daulphin  que  si  aucun  président  venoit  à  avoir  evesché,  qu'il  lairoit 
son  estât;  et  comme  le  président  Spifame^  a  esté  créé  evesque  de 
Nevers,  il  est  contraint  quitter  son  office  de  président  de  Paris. 

L'on  a  aussi  sçeu  par  la  voye  de  Olzatius  qu'il  estoit  arrivé  passé 
XV  jours  en  habit  dissimulé  ung  homme  du  Turck  envoyé  au  feu  roy 
pour  luy  faire  entendre  que  led.  Turcq  avoit  résolu  d'entrer  puissant 
ceste  année  tant  en  Hongrie  que  Naples,  et  que  sa  détermination  estoit 
premièrement  d'entrer  en  la  Transilvanie  pour  en  deschasser  le  moisne^ 
et  la  vefve  de  PoUone^,  à  cause  qu'ilz  luy  occupent  certaines  places,  et 

1.  Paul  III  (Farnèse),  aïeul  du  jeune  seigneur  ci-après  nommé,  lerpiel  était  fils 
de  Pierre-Louis  Farnèse,  duc  de  Parme,  lui-même  fils  de  Paul  III. 

2.  Horace  Farnèse,  duc  de  Castro,  qui,  le  13  février  1552,  épousa  Diane,  fille 
naturelle  du  roi  Henri  II  (née  de  Philippe  Duc,  dite  la  d""  de  Cony).  Ce  brillant 
jeune  homme  fut  tué  en  1553  en  défendant  Hesdiu. 

3.  Alexandre  Farnèse,  autre  fds  de  Pierre-Louis  et  par  conséquent  frère  du 
jeune  Horace,  archevêque  d'Avignon,  légat  en  France. 

4.  En  effet  Olivier  avait  eu  une  attaque  de  paralysie,  et  on  dut  lui  donner  un 
adjoint  qui  fut  Jean  Bertrand  ou  Bertrandi,  lequel  fut  nommé  garde  des  sceaux 
en  titre  le  22  mai  1551. 

5.  Antoine  Sanguin,  cardinal  de  Meudon,  oncle  de  la  duchesse  d'Étampes. 

6.  Le  cardinal  Jean  du  Bellay. 

7.  Spifame,  Jacques-Paul,  d'abord  conseiller  au  Parlement  et  président  aux 
enquêtes. 

8.  Georges  Martinuzzi,  ministre  de  la  reine  de  Hongrie. 

9.  Elisabeth  de  Pologne,  sœur  de  Sigisraond  Auguste,  roi  de  Pologne,  et  veuve 
de  Jean  Zapolski,  roi  de  Hongrie. 


^^0  MÉLANf.ES    El     DOCUMENTS. 

pour  aussi  mi^ttro  soubz  sa  main  louto  lad.  Transilvanif^  ot  que,  dois 
là,  prendra  son  chemin  contre  l'isle  de  Gomaire*,  et  l'on  tient  icy 
propoz  que  Condet  a  charge  de  la  bende  des  avant-courreurs  pour  l'as- 
seurance  qu'il  a  donne  qu"il  sç.avoit  les  passaiges  de  l'Austrice. 

11  y  a  de  présent  en  cesto  court  ung  ambasadcur  de  Boulloingne^,  y 
ayant  esté  envoyé  pour  les  affaires  de  la  vefvo  Vaivode^,  afin  que  il 
pleust  au  Roy  la  favorizer  envers  le  Turcq  et  tenir  main  qu'il  luy  dcust 
laisser  pour  l'enllant  d'elle  lad.  Transilvanie  paisible.  JMais  l'on  ne 
sçet  encoircs  (juelle  responce  aura  faite  le  dauphin  en  cecy.  Led.  daul- 
phin  a  esté  advcrti  naguères  que  M«  Gérard  avoit  eu  audience  envers 
led.  Turcq,  mais  non  pas  encoires  la  responce,  et  qu'il  n'y  avoit  aucun 
espoir  qu'il  peult  aucune  chose  ^traitter,  d'aultant  que  l'armée  dud. 
Turcq  est  jà  quasi  préparée. 

La  scneschallc  de  Normandie-*  a  eu  du  daulphin  en  présent  le 
prouffit  de  la  confirmation  de  tous  estatz  de  France,  dont  elle  a  jà 
refusé  trois  cens  mil  frans.  Après  le  deces  du  feu  Roy  Loys  dernier^', 
le  don  en  fut  fait  à  feue  Madame  la  Régente  '',  par  où  aucuns  furent 
d'oppinion  qu'il  se  debvoit  laisser  à  Madame  Marguerite^,  laquelle 
toutesfois  ne  feit  autre  instance.  Aussi  fût-ce  esté  en  vain,  car  lad. 
seneschalle  de  Normandie  aaujourd'huy  tel  crédit  envers  led.  daulphin 
qu'il  seroit  impossible  de  plus.  Voires  se  rendt  led.  daulphin  plus 
incliné  d'atiection  à  elle  que  le  feu  Roy  ne  faisoit  à  Mad'^  d'Estampes, 
de  manière  qu'elle  a  la  première  voix  en  chapitre,  et  si  tost  que  led. 
daulphin  a  négocié  avec  quelque  ambassadeur,  il  se  trouve  incontinent 
vers  elle  pour  luy  donner  compte  de  ce  qu'il  a  passé,  et  se  rend  du 
tout  affectionné  à  elle. 

II. 

Dépêche  de  Saint-Mauris,  ambassadeur  de  Gharles-Quiat  à  la  cour  de 
France.  Juin  1547  [Archives  du  royaume  de  Belgique.  Papiers  d'État. 
Négociations  de  France,  t.  II,  p.  87  à  100).  Inédit. 

Les  occurans  d'ici  sont  telz.  Le  mariage  de  la  princesse  d'AUebregt 

1.  Coraaire,  Komore,  Komare,  aujourd'hui  Koraorn,  forteresse  placée  dans  la 
basse  Hongrie  sur  la  pointe  orientale  de  la  grande  île  de  Schut,  à  l'endroit  où  se 
rejoignent  les  deux  branches  du  Danube. 

2.  Pologne  (?) 

3.  Le  vaivode  de  Transylvanie.  Cette  veuve  n'est  autre,  croyons-nous,  qu'Eli- 
sabeth ci-dessus  uommée. 

4.  Diane  de  Poitiers,  maîtresse  de  Henri  \l,  veuve  depuis  1531  de  Louis  de 
Brezé,  gouverneur  et  sénéchal  de  Normandie. 

5.  Louis  XII. 

6.  Louise  de  Savoie. 

7.  Marguerite  de  France,  duchesse  de  Berry  et  de  Savoie,  fille  de  François  I" 
et  de  Claude  de  France,  née  à  Samt-Germain  en  Laye  le  5  juin  1523,  mariée  en 
1559  à  Emmanuel  Philibert,  duc  de  Savoie. 


LA    MORT    DE    FRANÇOIS    I*'.  ^^^ 

avec  monsieur  de  Vendosme  se  continue  tousjours  en  sorte  que  l'on 
dit  il  se  conclura  bien  tost,  si  le  père  s'y  veult  accommoder,  et  a  le 
Roy,  pour  l'effect  d'iceluy,  donné  sa  parole  aud.  seig"-  de  Vendosme 
pour  exclure  tous  autres  qui  y  vouldroyent  poursuyre.  Lad.  princesse  a 
quelques  glandes  au  colet  que  l'on  se  doubte  ce  ne  soit  le  mal  des 
escrouelles,  et  est  jà  led.  mal  dois  longtemps,  tellement  qu'elle  fut 
touchée  par  le  feu  Roy,  que  toutesfois  ne  luy  a  prouffité,  et  l'on  tient 
que  le  Roy  y  mettra  la  main  après  son  sacre,  et  la  neuvaine  qu'il  fera 
par  luy  ou  aultre  à  Sainct  Marcou  au  retour  dud.  sacre.  Et  comme 
monsieur  d'Ommale  i  s'est  quelque  fois  avancyé  pour  faire  la  court  à 
lad.  princesse,  led.  seig-"  de  Vendosme,  deffendant  sa  querelle,  dit  que 
luy  greveroit  assez  qu'il  la  veist  mariée  et  colloquée  à  ung  qui  fut 
de  moindre  maison  que  luy,  desquelz  propoz  il  pensa  sourdre  dis- 
crème2  entre  lesd.  seigneurs,  comme  il  fut  advenu  sans  ce  que  le  Roy 
paciffla  le  tout,  lequel,  du  commencement,  eust  bien  désiré  complaire 
aud.  seig"-  d'Ommale  dud.  mariaige;  mais,  après  avoir  entendu  que 
l'alliance  convenoit  trop  mieulx  en  l'aultre  seigneur  et  que  la  fille  le 
reserchoit  plus  tôt,  il  s'accommoda  enfin  aud.  mariaige,  lequel  le  père 
prolongue  le  plus  qu'il  peult,  pour  le  désir  qu'il  a  qu'il  verroit  volun- 
tiers  coUoquer  plus  haultement  lad.  princesse,  avec  laquelle  il  est  con- 
tinuellement (traveillié  souvent  des  gouttes,  estant  bien  exténué), 
poëseux  de  sa  personne,  en  façon  que  l'on  espère  peu  de  vie  de  luy^. 
Il  a  eu  estât  du  Roy  de  xxxm  frans  par  an  et  continuation  de  ses  gou- 
vernemens.  R  ne  peult  s'entendre  avec  le  connestable,  duquel  il  mes- 
parle  souvent.  Le  seigneur,  qui  entend  très-bien  sa  game,  dissimule  le 
tout,  faisant  son  myeulx  de  luy  complaire. 

Quant  est  du  Roy,  il  persévère  de  plus  en  plus  de  se  soubzmettre 
aux  lyens  Silvius*  auquel  il  se  rend  subject  et  esclave  entièrement, 
chose  que  son  peuple  lamante  assez.  Led.  Roy  avoit  de  luy-mesmes 
introduit  de  donner  audience  après  son  disner;  maintenant  il  ne  se  fait 
plus.  Et  se  dit  que  ses  ministres  ont  rompu  cela  dextrement  et  à  droit 
propoz,  afin  qu'il  n'entende  les  querelles  ^  de  ses  subjectz  et  sache 
le  fond  du  mal  ou  du  bien,  tellement  que,  comme  il  a  disné,  le 
connestable  ou  aultre  de  ses  favorites  6  s'approche  de  luy,  rompant 
par  ce  moyen  l'occasion  de  luy  parler,    et  au   demeurant   ceulx  de 


1.  François  de  Guise,  fils  aîné  de  Claude  de  Lorraine,  duc  de  Guise,  et  d'An- 
toinette de  Bourbon,  né  le  17  février  1519.  Son  père  n'étant  mort  que  le  12 
avril  1550,  il  était  encore  comte  d'Aumale  en  juin  1547.  Ce  fut  seulement  le  mois 
suivant  que  Henri  II  érigea  le  comté  d'Aumale  en  duché-pairie,  malgré  l'opposi- 
tion du  Parlement  de  Paris,  lequel  protesta  le  3  décembre  de  la  même  année. 

2.  Discorde,  de  discrimen. 

3.  Il  vécut  cependant  jusqu'en  1555. 

4.  Diane  de  Poitiers. 

5.  Plaintes,  de  querela. 
0.  Sic  pour  favoris. 


||.>  MELANGES    ET    DOCrMENTS. 

Guvso'  lo  suyvont  tous  jours  de  si  proz  (juo  Ion  a  paine  de  luy  dire 
aulcuue  chose.  Il  n'admet  personne  en  sa  chambre  du  malin  et  jusques 
à  ce  qu'il  soit  habillé,  sinon  le  jeusne  Sainct  Andrey,  non  pas  le  connes- 
table  ny  aussi  ses  médecins,  desquelz  il  dit  n'avoir  de  présent  besoing. 
Toute  sa  delectacion  est  à  jouer  à  la  paulme  après  le  disner  et  quelque 
loiz  à  la  chasse,  ne  parlant  d'aultre  chose  durant  son  disner.  L'on 
entend  point  qu'il  mesdise  de  personne.  Il  demonstre  vouloir  garder  le 
sien  et  recouvrer  ce  qu'il  prétend  appartenir  à  sa  couronne,  sans  riens 
emprendre  sur  l'aultruy.  Selon  que  les  matières  sont  importantes,  il  se 
trouve  au  conseil  après  le  disner,  encoircs  que  ce  soit  peu  souvent, 
mais,  du  matin,  il  entend  tous  les  jours  environ  deux  heures  à  ses 
affaires,  qu'est  son  conseil  estroict,  auquel  l'admirai  [d'Annebaut] 
n'entre  point  jusques  à  aujourd'huy,  se  trouvant  quelques  foiz  en  celuy 
d'après  le  disner.  Le  pis  est  que  led.  Roy  se  laisse  mener  et  veult  tout 
ce  que  Silvius  et  les  seigneurs  luy  conseillent,  dont  le  peuple  d'icy 
despère,  craingnant  que  le  Roy  ne  demeure  tousjours  en  ceste  nasse- 
rant^.  —  Il  visite  après  son  disner  led.  Silvius.  Après  luy  avoir  donné 
compte  de  ce  qu'il  a  négocié  tout  le  matin  et  jusques  lors,  soit  avec 
ambassadeurs  ou  autres  de  respect,  il  se  assiet  au  giron  d'elle  avec  une 
guinterne  en  main,  de  laquelle  il  joue,  et  demande  souvent  au  connes- 
table,  s'il  y  est,  ou  à  Omale,  si  led.  Silvius  n'a  pas  belle  garde,  touchant 
quant  et  quant  les  tétins  et  la  regardant  ententivement  comme 
homme  surprins  de  son  amitié,  et  led.  Silvius  dit  que  désormais  elle 
sera  ridée ^,  en  quoy  elle  ne  se  mescompte  de  riens  •*.  Si  est-ce  qu'elle 
prend  tout  le  s  oing  qu'elle  peult  pour  bien  soy  parer  et  y  veille  plus 
qu'elle  ne  fist  oncques,  d'aultant  qu'elle  cognoist  que  led.  Roy  accroist 
son  amitié  envers  elle.  Ce  que  dessus  a  dit  mad^  de  Roye^  à  la  Royne 
douagière".   Led.  Roy,   à  la  vérité,  a  mointes  bonnes  choses  de  son 

1.  C'est-à-dire  François  de  Guise,  Charles  son  frère,  archevêque  de  Reims, 
cardinal  en  cette  année  1547,  et  Claude,  qui  allait  épouser  Louise  de  Brézé,  fdle 
de  Diane. 

2.  Dans  cette  nasse  (fdet). 

3.  Elle  pouvait  l'être  en  effet,  car,  née  le  31  mars  1500,  elle  avait  alors  47  ans. 
L'empire  incroyable  de  Diane  sur  Henri  II  a  paru  si  surprenant  aux  écrivains 
contemporains,  que  plusieurs  d'entre  eux  l'ont  expliqué  par  l'emploi  de  la  magie 
et  des  sortilèges.  Mézeray  hasarde  à  ce  sujet  une  explication  profondément 
comique.  Henri  était,  suivant  lui,  d'un  tempérament  «  pituiteux  »,  et  on  a 
remarqué,  dit- il,  que  «  ceulx  dans  lesquels  la  pituite  domine  ne  se  détachent  que 
difficilement  de  leur  amour  ». 

4.  En  effet,  dit  Mézeray,  c'estoit  grand  pitié  de  voir  un  jeune  prince  adorer,  un 
visage  décoloré,  plehi  de  rides,  une  teste  qui  grisonnoit,  des  yeux  à  demy 
estemts  et  quelquefois  rougis  et  pleins  de  chassie;  bref,  à  ce  que  l'on  tient,  les 
restes  infâmes  de  plusieurs  autres. 

5.  Magdeleine  de  Mailly,  veuve  de  Charles,  sire  de  Roye,  comte  de  Roucy,  etc. 
(la  mère  d'Éléonore,  princesse  de  Condé). 

6.  Éléonore  d'Autriche,  veuve  de  François  I". 


LA    MORT    DE    FRANÇOIS    f\  ^^3 

naturel  et  pourroit-on  espérer  beaucoup  de  luy,  s'il  ne  se  iaissoit  mener 
si  lourdement  comme  il  fait,  dont  le  chancelier  despère,  tenant  propoz  : 
que  les  dames  présentes  sont  pires  que  les  premières  et  qu'elles  gasteront 
tout.  Ceci  s'est  sçeu  par  Holzatius,  lequel  dist  que  âme  n'en  ose  faire 
remonstrance  aud.  Roy,  pour  non  desplaire  à  Silvius,  craingnant  que 
ledit  roi  ne  lui  révéla,  ^éant  qu'il  l'aime  tant  intimement.  Il  est  dit 
que  le  Roy  a  tenu  propoz  qu'il  cognoissoit  son  imperfection  en  ce  que 
dessus,  mais  qu'il  y  estoit  si  avant  plongé  et  de  si  longue  main  qu'il 
ne  s'en  sauroit  retirer  pour  maintenant,  donnant  toutesfoiz  espoir  que, 
s'il  s'en  peult  Yeoir  une  foiz  libre,  qu'il  n'y  retumbera  plus.  Gecy 
néantmoins  ne  se  sçait  de  seur  lieu. 

Led.  seig"-  Roy  a  encoires  en  soy  grand  jeusnesse,  laquelle  le  mayne 
à  faire  mointes  actes  légières;  entre  autres,  il  fait  jouer  avec  luy  à  la 
paulme  lacquays  et  autres  menues  gens,  souvent  de  ses  serviteurs, 
comme  Marchaumont*  et  Laubespine-.  Et  naguères,  à  Anet^,  il  mist 
en  termes  de  poulsser  en  l'eaue  ceulx  qui  se  trouvoyent  près  le  rivaige, 
en  façon  que  il  pensa  faire  noyer  un  paige,  lequel  il  avoit  jette  en  la 
rivière  estant  prouche  dud.  Anet  et  de  laquelle  y  court  moint'z  bras 
artifficiellement  par  lad.  maison.  Geste  légièreté  et  mescognoissance  de 
soy  donne  hardiesse  à  ses  privez,  mesmes  à  ceulx  de  Guyse,  de  con- 
troUer  le  connestable  et  de  luy  estre  à  doz,  tellement  que  jà  il  y  a  eu 
débat  entre  led.  seig»-  connestable  et  Omale,  lequel  toutefois  fut  incon- 
tinent appaisié  par  led.  Roy,  qui  dit  vouloir  que  led.  connestable  traitte 
ses  affaires  et  les  luy  remect,  mais  il  ne  le  porte  ^  pas  comme  il  con- 
viendroit,  du  moings  en  façon  que  désireroit  led.  seig'  connestable, 
lequel  ne  s'ose  asseurer  de  la  constance  dud.  Roy  envers  luy,  le  véant 
pi  jeusne,  de  sorte  qu'il  se  comporte  le  mieulx  qu'il  peult  avec  lesd.  de 
Guyse,  leurs  defférant  en  tout,  voire  en  la  précédence'^  et  donnant  part 
des  affaires,  quant  la  commodité  s'y  adonne.  Si  est-ce  qu'il  y  a  jà  entre 
eulx  quelque  inimitié  contractée  et  vouldroit  bien  Silvius  que  les 
choses  passassent  aultrement,  pour  l'amitié  qu'elle  porte  à  toutes 
parties,  en  manière  qu'elle  fait  son  mieulx  envers  le  Roy  que  il 
tiengne  la  main  à  leur  union,  comme  il  faict,  lequel  seig''  connestable 
rend  une  paine  incrédible  à  les  traitter,  mais  Babo^^  dict  naguères  qu'il 
en  avoit  l'honneur  seuUement  et  qu'il  ne  résolloit  pas  luy  seul,  ains 
failloit  qu'il  passoit  par  le  crible  de  ses  contrerolleurs,  lesquelz,  à  la 

1.  Côme  Claussp,  seigneur  de  Marchaiinioiit  ou  de  Marquera  ont  en  Picardie, 
secrétaire  du  dauphin,  plus  tard  secrétaire  d'État,  mort  en  1558. 

2.  Nous  ne  savons  trop  s'il  s'agit  ici  de  Claude  de  l'Aubépine,  baron  de  Châ- 
teauneuf-sur-Ciier.  11  était  dans  l'intimité  de  Henri  II,  mais  il  nous  semble  qu'il 
était  de  trop  bonne  maison  pour  que  Saint-Mauris  se  serve  à  son  égard  des 
termes  qu'il  emploie. 

3.  Le  château  de  Diane,  dans  Eure-et-Loir. 
■  4.  Ne  le  soutient  pas. 

5.  Préséance. 

G.  Sans  doute  :  Babou? 

Rev.  Histor.  V.  ]«'•  F.\sc.  8 


4-14  MÉLÀNC.KS    KT    nOCUMKNTS. 

voritc,  il  craiiU  d'autant  que  le  Roy,  à  la  longue,  ne  se  laisse  mener 
selon  qu'il  est  jeusne,  par  où  il  regarde  de  négocier,  fort  retenu  et  de 
riens  consentir  que  l'on  luy  peult  cy-après  imputer. 

Quant  est  de  Silvius,  comme  il  est  venu  en  auctorité,  il  a  changié 
d'humeur  et  conditions,  le  trouvant  le  peuple  qui  le  sollicite  en  court 
fort  haultain  et  insolent,  tenant  fin  au  demeurant  avec  ses  appaslz  et 
attraictz  s'entretenir  eu  la  bonne  grâce  du  Roy  et  de  tirer  de  luy  tout 
ce  qu'il  peult. 

Le  jeune  Saint  Andrey  accroist  en  grant  crédit,  se  fyant  beaucop  de 
luv  led.  seig""  Roy,  ayant  nagucres  donné  à  son  frère  '  l'éveschié  de 
Lymoges,  laquelle  avoit  esté  de  nouveau  consentie  au  cardinal  de 
Meudon,  puis  la  mort  du  Roy,  moyennant  l'abbaye  de  Vendosme  qu'il 
avoit  délaissée;  et  a  l'on  prins  fondement  en  ce  que  le  pape  a  deffendu 
la  pluralité  de  telz  bénéfices,  en  sorte  que  led.  cardinal  se  trouve 
frustré  de  deux  bénéfices. 

Sordi  pensoit  estre  de  la  garde  robe  du  Roy  et  en  chasser  la  C.ordoi- 
sière,  mais  il  s'y  est  trouvé  de  fourcompte,  tellement  qu'il  est  demeuré 
simple  gentilhomme  de  la  chambre,  et  suyvant  naguères  la  court 
Anet2,  il  fut  plus  de  quatre  jours  sans  povoir  avoir  logis,  lequel  en  fin 
lui  fust  donné.  Et  blasma  beaucop  mons''  le  connestable  la  notable 
ingratitude  des  mareschaulx  des  logis,  auxquelz  led.  Sordi  avoit  fait 
ung  monde  de  plaisirs  durant  son  règne  ^. 

Boysi  suyt  la  court,  laquelle  il  fait  aujourd'huy  aux  principaulx  et 
ne  se  mesle  de  son  estât,  sans  ce  que  iH  hante  beaucop  la  chambre 
dud.  Roy. 

L'admirai  a  esté  logié  à  Saint-Germain  dans  le  chasteau  ou  lieu  où 
souloit  estre  du  passé  le  cardinal  de  Turnon.  Il  fait  espier  quand  le 
Roy  doibt  aller  à  la  messe  et  lors  il  se  trouve  en  sa  chambre  pour 
l'accompaigner,  et  quelque  foiz  le  suyt-il  à  la  chasse.  Il  a  assez  de  capi- 
taines de  mer  avec  luy  qui  voluntairement  le  suyvent,  mais  il  n'a 
aujourd'huy  nul  crédit  ny  entremise  aux  affaires;  et  il  dit  et  jure 
solempnellement  qu'il  n'en  vouldroit  non  plus  avoir  et  que  jamais  il  ne 
s'en  empeschera,  et,  moyennant  que  tout  voyse  bien,  c'est  tout  ce  qu'il 
désire.  Sainct  Andrey  le  favorise  pour  ce  qu'il  le  fit  rappeller  et  l'on 
dit  qu'il  n'a  jamais  esté  violent  du  temps  qu'il  gouvernoit,  par  où  les 
seigneurs  l'aggreent  tant  plus. 

Monsieur  de  Mascon  se  trouva  quelque  foiz  au  disner  et  souper  du 
Roy,  parlant  d'histoires  et  aultres  choses  de  lettres,  mais  led.  Roy  y 
prend  peu  de  goust. 

1.  Il  est  possible  que  Saint-Mauris  se  trompe.  Le  maréchal  de  Saint-André  ne 
paraît  avoir  eu  qu'une  sœur  :  Marguerite  d'Albon,  mariée  à  Artaud  de  Saint- 
Germain. 

2.  Mot  à  mot  :  et  la  cour  suivant  Anet,  pour  :  se  trouvant  à  Anet. 

3.  On  a  vu,  dans  la  première  dépêche  de  Saint-Mauris,  que  Sordi  avait  été 
l'un  des  favoris  de  François  P". 

4.  Sauf  qu'il... 


LA    MORT    DE    FRANÇOIS    l".  -H  5 

Led.  Roy  a  fait  clorre  Testât  de  sa  maison  et  se  dit  que,  avec  la  des- 
pence de  la  chasse  et  volerie,  le  tout  montera  à  plus  de  nncmi.  Geluy 
de  la  Royne  moderne  vient  à  iicm  frans  et  il  a  aujourd'huy  en  ceste 
court  retenu  au  service  de  lad.  dame  trop  plus  de  femmes  qu'il  n'y 
avoit  du  vivant  du  feu  Roy,  que  l'on  dit  excéder  d'un  tiers.  Vray  est 
qu'elles  sont  mises  au  rencq  des  honnestes,  où  les  autres  estoyent 
réputées  couturières. 

Il  survient  ordinairement  en  ceste  court  nouveaulx  Italyens  et  en 
telle  affluence  que  le  nombre  en  est  infiny,  venans  offrir  leur  service, 
lesquelz  l'on  accuelist  de  bonnes  paroUes,  mais,  quant  à  leur  donner 
traittement,  encoires  ne  s'est-il  faict,  non  pas  payer  les  anciens  à  ceulx 
de  leur  nation  qui  les  ont  assignez  de  longtemps,  qu'est  une  bien 
maigre  espérance  pour  ces  nouveaulx  venuz. 

L'abbaye  de  Bardeau  près  Melun  a  esté  donnée  à  monseig""  de  Serez, 
de  ceulx  de  la  Marche  2,  à  la  poursuyte  du  seig'  de  Hesdan^,  lequel 
sollicite  icy  que  l'on  le  faice  créer  cardinal.  Et  despère  le  Roy  et  les 
seigneurs  de  ce  que  led.  Serez  ne  peult  seurement  converser  et  résider 
en  Liège,  qu'est  possible  pour  le  désir  que  l'on  auroit  d'y  encheminer 
quelque  suspecte  et  nouvelle  menée  avec  le  temps. 

Le  couronnel  Melum  (?),  ingéniaire  ytalien,  celuy  qui  dressa  le  fort 
de  BouUogne'*  s'est  rendu  fugitif  de  ce  royaulme,  et  dit-l'on  qu'il  est  à 
Besançon.  Sa  retraite  fut  parce  qu'il  entendit  que  Silvius  se  vouloit 
attacher  ^  à  luy  pour  ce  que,  du  vivant  du  feu  Roy,  il  eust  fait  copper 
grande  quantité  de  bois  en  une  forêt  qui  luy  appartient,  et  en  roba  une 
porcion,  encoires  qu'il  l'eust  fait  abatre  par  le  commandement  dud.  feu 
Roy  et  pour  fortiffier  une  place  de  la  frontière,  selon  que  led.  Melum 
l'a  envoyé  par  escrit  pour  sa  justiffication,  auquel  le  Roy  a  mandé 
homme  propre  avec  saulf  conduyt  pour  retourner,  l'asseurant  en  foy  de 
prince  que  mal  quelconque  ne  luy  seroit  faict,  mais  qu'il  le  vouloit 
favorablement  traitter,  ayant  porté  lad.  lettre  ung  sien  nepveu  pour 
encoires  luy  persuader  verballement  led.  retour,  auquel  l'on  ne  sçet  s'il 
s'accommodera,  selon  que  l'on  apperçoit  aujourd'huy  les  choses 
variables  en  ce  coustel  et  la  pluspart  de  démenées  avec  faveur. 

Silvius  désireroit  traittier  le  mariaige  du  filz  aisné  de  mons'  de 
Hesdan  avec  la  première  fille  à  mad^  de  Roye^,  laquelle,  à  ce  que  l'on 


1.  Blanc  au  manuscrit. 

2.  De  la  maison  de  la  Marck.  La  personne  désignée  est  vraisemblablement  Phi- 
lippe, chanoine  et  archidiacre  de  Liège,  fils  de  Robert  II  de  la  Marck. 

3.  De  Sedan.  La  personne  désignée  est,  suivant  toute  apparence,  Robert  IV  de 
la  Marck,  dit  le  maréchal  de  Bouillon,  duc  de  Bouillon,  prince  de  Sedan, 
lequel  avait,  le  19  janvier  1538,  épousé  Françoise  de  Brézé,  dame  de  Maulevrier, 
fille  aînée  de  Diane  de  Poitiers. 

4.  Boulogne-sur-Mer. 

5.  Attaquer. 

6.  Éléonore,  qui  épousa  Louis  de  Bourbon,  prince  de  Condé.  Le  jeune  fiancé 


■1-16  MÉLANC.KS    ET    DOCUMÇIVTS. 

ontond,  le  goutte  bien  peu,  estant  délibérée  de  le  rompre  ahsolutement, 
si  luy  en  est  parlé. 

Davantaige  l'on  donna  naguères  à  la  Royne  moderne  pour  président 
de  son  conseil  Bertrandi  contre  le  vouloir  d'elle,  et  comme  led.  Ber- 
trandi  luy  mcrcya  le  soing  qu'elle  avoit  tenu  à  sa  promotion,  elle  luy 
dit  IVanchomiMit  qu'il  ne  lailloit  pas  il  la  mercya,  car  elle  l'avoit  pour- 
suyvy  pour  un  aultre. 

Led.  Bertrandi  a  l'oreille  de  Silvius,  et  se  dit  qu'il  a  jà  esté  quelque 
peu  considéré  du  connestable,  estant  toutesfois  sa  principale  facture i. 
Et  fut  ce  lors  que  ceulx  de  Guyso  eurent  débat  avec  Uiy^,  pensant  que 
le  descrime  souldroit  mal  contre  led.  seig""  connestable,  lequel  est  per- 
sonnaige  de  tel  espérit  qu'il  sçet  bien  recueillir  et  dissimuler  telles 
façons  et  les  paye  à  la  fin.  Cecy  se  dit  notamment  pour  ce  que,  dois 
son  retour  en  court,  il  a  fait  vifvement  attacher  ceulx  qui  luy  avoyent 
esté  contraires,  l'encheminant  par  main  tierce,  chose  qu'il  sçet  agie- 
mont  endresser.  Si  ne  le  peult-il  faire  tant  couvertement  que  jà  l'on  ne 
commence  à  dire  que  c'est  luy  et  qu'il  se  démonstre  trop  vindicatif; 
mais,  comme  le  Roy  est  jeusne  et  en  apparence  de  beaucop  régner, 
selon  qu'il  est  sain  de  sa  personne,  ceulx  qui  gouvernent  aujourd'huy 
songnent  tant  plus  licentieusement  et  avec  moins  de  respectz^^. 

Pierre  Strosse  est  retourné  sain  en  court  et  persuade  au  Roy  de  faire 
lever  une  légion  d'Ytaliens  guerriz^  pour  les  entretenir  ordinairement 
et  mettre  aux  forts  du  Pietmont,  et  faire  passer  en  France,  s'il  est  de 
hesoing,  une  partie  d'iceulx.  Le  conte  de  la  Mirandola^  est  tousjours 
avec  ledit  Strosse  et  ne  cesse  icy  de  crier  et  prescher  que  l'empereur 
luy  veult  faire  la  guerre  et  que  l'on  pourvoye  à  la  seureté  de  sad. 
place. 

Par  longue  maladie  qui  a  détenu  mons'  de  Saint- Valier^,  led.  sei- 


serait  Henri  Robert  de  la  Marck,  qui,  en  1558,  épousa  Françoise  de  Bourbon,  fille 
de  Louis,  duc  de  Montpensier.  Il  était  petit-lils  de  Diane. 

1.  Il  y  a  en  marge  au  manuscri-t  :  il  y  a  icy  faulte  à  la  chiffre, 

2.  Nous  avons  vu  plus  haut  que  Jean  Bertrand  ou  Bertrandi  succéda  à  Fran- 
çois Olivier  comme  garde  des  sceaux.  Il  avait  commencé  par  être  procureur 
général  à  Toulouse,  puis  premier  président  au  même  parlement.  Devenu  veuf,  il 
entra  dans  les  ordres,  devmt  archevécpie  de  Sens  et  cardinal  (en  1557).  Mort  à 
Venise  en  1560. 

3.  En  somme,  Saint-Mauris  veut  dire  que  le  connétable  voyait  Bertrandi 
d'assez  mauvais  œil,  parce  que  dans  le  conflit  qu'il  avait  eu  avec  les  Guises  au 
sujet  de  sa  charge  de  grand-maître,  le  président  avait  paru  prendre  parti  pour 
ses  adversaires. 

4.  Aguerris. 

5.  Principauté  italienne.  La  Mirandola  est  à  10  lieues  de  Ferrare. 

6.  Jean  de  Poitiers,  comte  de  Saint-ValUer,  père  de  Diane  de  Poitiers,  com- 
promis dans  la  conspiration  du  connétable  de  Bourbon.  C'est  lui  cpie  V.  Hugo  a 
mis  en  scène  dans  :  Le  Roi  s'amuse.  Saint- ValUer  reçut  sa  grâce  à  Lyon,  au 
moment  où  il  était  déjà  monté  sur  l'échaf'aud  ;  mais  il  est  faux  que  Diane  encore 


LA    MORT    DE    FRANÇOIS    T 


417 


gneur  n'est  encoires  tourné  ^  au  Dauphiné.  L'on  tient  qu'il  soit  de  peu 
de  vie.  II  a  puis  peu  de  jours  convenu  avec  mons''  d'Omale  par  le 
moyen  de  Silvius  que,  vacant  quelque  office  ou  bénéfice  tant  en  Savoye 
que  Daulphiné,  led.  seig--  d'Omale  en  pourvoyera  principallement, 
comme  gouverneur  desd.  pays,  mais  qu'il  gratiffiera  d'aulcuns  d'iceulx 
à  ceulx  que  led.  seig""  de  Saint- Valier  luy  dénommera.  Et  n'a  jamais 
voulu  accorder  ny  consentir  led.  seig""  d'Omale  que  l'on  luy  osta  la 
principalle  disposition  desd.  offices  et  bénéfices  royaulx,  desquelz  la 
provision  luy  a  esté  donnée  de  grâce,  chose  que  le  feu  Roy  avoit 
entièrement  tolléré  aux  gouverneurs  dudit  Dauphiné,  d'autant  que, 
comme  il  disoit,  ilz  le  vouldroient  avec  le  temps  tirer  à  conséquence. 

Par  l'exprès  commandement  du  Roy,  le  chancellier  despècha 
naguères  ung  mandement  en  faveur  de  mons»-  d'Esparrot  pour  la  sei- 
gneurie de  Montfort,  afin  d'en  joyr  à  sa  vye.  Depuis,  mons'  de  Guyse^ 
a  tant  poursuy  qu'il  a  fait  révocquer  led.  despesche  et  obtenu  pour  luy 
led.  Montfort.  Et  fut  par  luy  et  les  siens  remercyé  led.  chancellier  en 
plain  conseil  de  ce  qu'il  avoit  fait  lad.  expédition  sans  en  avoir  parlé 
aud.  conseil,  encoires  que  le  Roy  le  luy  eust  enjoinct,  en  sorte  qu'il  luy 
fut  dit  que  désormais  il  deust  conférer  avec  led.  conseil  tous  affaires 
d'importance,  à  quoy  il  fault  il  s'accommodera  présentement.  Et  a  led. 
Roy  couUé  cecy  doulcement,  d'aultant  que  Silvius  l'endressoit,  en  quoy 
aussi  le  connestable  dissimula,  lequel  toutesfois  eust  vouluntiers  porté^ 
led.  seigneur  d'Espairot.  Et  comme  led.  seigneur  connestable  et  le 
chancellier  s'entendent  très  bien  et  qu'ilz  font  debvoir  debienendresser 
toutes  besognes,  le  surplus  du  conseil,  excepté  Saint-Andrey,  leur 
veult  mal  et  trouve  souvent  peu  à  propoz  ce  que  procède  d'eulx, 
signamment  mons"-  de  Rains^,  lequel  led.  connestable  appelle  et 
dénomme  à  présent  :  grant  veau,  et  teJ  le  nomma-il  naguères  à 
certain  propoz  à  la  royne  douagière,  qu'est  souffissante  comprobation 
par  ceste  extérieure  démonstration  qu'il  y  a  peu  de  certaine  amytié 
entre  eulx,  comme  telle  est  la  vérité,  seullement  pour  la  jalouzie 
que  ceulx  de  Guyse  ont  de  ce  que  led.  seigneur  a  les  principaulx 
affaires  en  main  et  qu'il  ne  se  rend  subject  à  eulx  de  les  leur  tousjours 
communiquer. 

Hz  dient  icy  que  le  Roy,  dois  son  advénement  en  ce  règne,  a  donné 
plus  de  deux  millions  de  francs,  comprenant  le  don  fait  à  Silvius  s, 
lequel  sera  infiny.  Hz  diront  ce  qu'ilz  vouldront,  mais  l'on  a  sçeu  pour 
vray  que  led.  Roy  n'a  remis  à  son  peuple  tant  de  choses  comme  l'on 


jeune  fille  se  soit  livrée  à  François  I"  pour  sauver  son  père.  Elle  avait  alors 
24  ans  et  était  mariée  depuis  assez  longtemps. 

1.  Retourné. 

2.  Claude  de  Lorraine,  père  du  comte  d'Aumale. 
.3.  Pi'otégé. 

4.  L'archevêque  de  Reims  Charles  de  Guise. 

5.  Le  droit  de  confirmation  dans  les  emplois.  Voir  la  première  dépêche. 


us  MELANGES    ET    DOCUME'STS. 

a  publyé  du  commencement  et  que  seuUement  il  leur  a  quille'  une 
demye  année  do  tailles,  et  si  se  dit  que  ny  pour  cela  les  receveurs  ne 
délaissent  de  l'exiger  et  que  l'on  leur  souffre.  L'on  présume  que  ce  soit 
par  l'advis  des  ministres  d'ici.  Aussi  led.  Roy  déclaira  qu'il  ne  prendra 
ceste  année  que  deux  décimes  en  les  églises,  lesquelles  il  a  retenues, 
mais  il  se  tient  jà  propoz  que,  sur  la  fin  de  l'année,  il  en  demandera 
encoires  deux  autres,  soubz  couleur  des  lansqucnetz  qu'il  a  fait  lever 
et  qu'il  veult  entretenir  pour  la  defTcnsion  de  son  estât.  Il  liève  aussi 
les  deniers  de  xxv"  hommes  de  piet  que  le  royaume  furnist^.  Vray 
est  que  l'on  doibt  pour  l™,  mais  c'est  seuUement  en  temps  de  guerre. 
Et  jà  le  feu  Roy  s'estoit  contenté  avant  son  tres])as  de  la  moitié  seuUe- 
ment. 

Lesd.  ministres  et  autres  ont  souvent  dit  que  led.  feu  Roy  avoit 
laissié  argent  au  Louvre  pour  souldoyer  une  armée  six  mois  et  que  l'on 
ne  toucheroit  ausd.  deniers  en  façon  quelconque.  Toutesfoiz  puis 
naguères  l'on  y  a  prins  rio"  escuz  pour  mettre  aux  mains  du  trésorier 
de  l'espargne  qui  n'avoit  argent  et  estoit  chargié  plus  de  vc"»  frans 
qu'il  n'avoit  en  main.  Si  est-ce  que  l'on  a  entendu  de  bon  lieu  que  il 
n'y  avoit  tant  de  deniers  aud.  Louvre  que  l'on  crye,  .«^elon  que  jà  l'on 
l'a  escript,  et,  au  plus,  la  somme  n'excédoit  de  v  à  vici»  escuz.  L'on 
doibt  tousjours  aux  marchans  de  Lyon,  ausquelz  l'on  tient  seing  faire 
payer  les  interrestz,  affin  que  puisse  avoir  argent  d'eulx  au  besoing.  Et 
a  conservé  le  Roy  comme  Roy  le  debt  à  la  poursuytte  desd.  marchans 
ayans  mandé  homme  exprès  en  court  à  la  susdite  fin. 

L'on  tient  que  la  despence  faite  au  sacre  montera  beaucop  et  celle 
que  se  fera  au  couronnement  et  à  l'entrée  de  Paris  encoires  plus,  oultre 
les  fraiz  de  l'obsèque^  revenans  à  près  de  inicn  frans,  et  se  dit  qu'il  y 
eust  xxxvî™  aulnes  de  drap  aoir,  l'aulne,  l'ung  portant  l'aultre,  à  cincq 
frans,  sans  des  aultres  despences. 

L'on  tient  que  aussi  ilz  ont  desbourssé  de  grandz  deniers  auxlighes* 
pour  la  rénovation  de  leurs  lighes  et  apprestes  de  gens  de  guerre,  les- 
quelz  ilz  asseurent  aud.  coustel,  en  sorte  que,  pour  le  présent,  ilz  n'ont 
tant  d'argent  comptant  comme  ilz  cryent.  Et  aujourd'huy  les  princi- 
paulx  gouverneurs  et  ceulx  qui  entrent  en  crédit  font  l'extrême  du 
possible  pour  en  avoir,  qu'est  une  conjuncture  qu'ilz  resercheront  plus 
tost  la  paix  que  la  guerre  pour  leur  prouffit. 

L'on  avoit  dit  cy-devant  que  le  connestable  n'avoit  voulsu  accepter 
le  payement  de  ce  que  luy  estoit  deu  du  passé  de  ses  traictemens  et 
telle  fut  la  vérité;  mais  depuis  iï  a  dextrement  requiz  cela  et  faict  que 


1 .  Remis,  donné  quittance. 

2.  11  s'agit  ici  des  légions  provinciales  fondées  par  François  P',  qui  réforma  le 
régime  de  l'infanterie  française. 

3.  Les  funérailles  de  François  I"  et  de  ses  deu.\  fils,  lesquelles  eurent  lieu  le 
27  mai  1547. 

i.  Les  ligues  helvétiques  (des  Grisons). 


LA    MORT    DE    FRANÇOIS    f\  ^I9 

le  Roy  a  voulsu  qu'il  l'eust  l'argent  à  relever  en  quatre  années,  que 
montera  à  près  de  trois  cens  mil  frans. 

Led.  Roy  a  donné  de  nouveau  à  mons""  d'Omale  cent  mil  frans,  la 
moitié  pour  payer  ses  debtes,  l'aultre  pour  soy  esquipper  de  nouveau  ; 
et  si  luy  a  laissié  une  place  estant  près  de  Chartres,  vaillant  mil  francs 
de  revenu,  laquelle  l'on  a  prinse  en  paiement  d'ung  trésorier  de 
France  de  ce  qu'il  debvoit  de  restée 

Hz  ont  esté  icy  bien  mal  contens  de  la  prinse  du  chasteau  près  de 
Gennes  qu'estoit  au  Flisro. 

Aussy  sont-ilz  de  la  détention  du  Lantgraff^  disans  que  le  duc  Mauris 
l'a  trahy^;  et  sant-*  le  commun  de  ceste  court  lad.  détention  bien  gran- 
dement, comme  si  c'estoit  leur  cas  propre,  et  dont  ilz  furent  fort 
estonnéz,  quant  le  gentilhommme  du  seigneur  d'Andelost^  en  apporta 
la  première  nouvelle.  Led.  gentihomme  fut  tenché^  par  aulcuns  gros 
personnaiges  de  ceste  court  de  ce  que,  en  récitant  ce  qu'il  avoit  veu  de 
l'Empereur  et  son  armée,  il  louhoit  Sa  Majesté  en  toutes  ses  œuvres, 
de  sorte  qu'il  luy  fut  dit  qu'il  se  teust  et  que  ce  langaige  luy  pour- 
roit  plus  nuyre  qu'il  ne  pensoit.  Gecy  a  dit  mad<^  de  Roye  à  la  Royne 
Qouaigière. 

Hz  font  icy  courrir  un  bi'uyt  que  l'empereur  a  fait  comminer  le  pape 
qu'il  se  trouva  personnellement  à  Trente  au  concilie  et  que  Sa  Majesté 
ne  deffauldroit  d'y  estre  avec  une  bonne  armée;  et  que,  à  ceste  cause, 
led.  pape  se  joindra  avec  le  Roy  pour  non  estre  contrainct  à  aulcune 
chose,  de  sorte  que  ilz  tiengnent  ici  la  lighe  jà  à  peu  près  accordée 
et  que  lesd.  pape  et  Roy  {■sic)'^^  non  pas  qu'elle  soit  éncoires  du  tout 
passée.  En  quoy  l'on  attend  que  les  Vénétiens  entrent  en  icelle,  de 
quoy  led.  pape  les  fait  poursuyvre  avec  tout  l'extrœme  du  possible, 
selon  qu'il  se  dit  en  ce  coustel,  et  fait  envers  iceluy  Roy  le  mesme 
office. 

Aussi  a  ici  esté  publyé  par  les  propoz  que  en  tenoyent  les  ministres 
dud.  pape,  que  led.  pape  estoit  grandement  indigné  contre  l'Empereur 


1.  Henri  II  fit  à  François  de  Guise  un  bien  autre  présent,  en  lui  faisant  don, 
dit  Mézeray,  des  terres  vacantes  au  moment  de  son  avènement. 

2.  Le  landgrave  Philippe  l"  de  Hesse. 

3.  Assertion  que  l'on  comprend,  bien  qu'au  fond  elle  soit  sans  doute  inexacte. 
Ce  furent,  en  effet,  Maurice  de  Saxe  (de  la  branche  cadette  ou  Albertine)  et 
l'électeur  de  Brandebourg  qui  engagèrent  le  landgrave  à  se  rendre,  après  la 
défaite  de  Muhlberg,  au  camp  de  Charles-Quint,  qui  le  fit  arrêter  et  retenir  pri- 
sonnier pendant  cinq  ans  ;  mais  il  y  a  lieu  de  croire  qu'ils  n'étaient  point  au  cou- 
rant des  projets  de  l'empereur. 

4.  Sant  pour  ressent.  Et  le  commun  de  ceste  court  ressent  grandement  lad. 
détention. 

5.  François  de  Cohgny,  frère  puiné  de  l'amiral. 

6.  Tancé. 

7.  Il  y  a  certainement  erreur  de  déchiffrement.  Au  lieu  de  et  que,  il  faut  lire  : 
entre  lesd.  pape  et  roy. 


120  MKLANOES    Kl     DOCI  MK>iTS. 

do  oo  t|u'il  n'avoil  miy  iirompli'iiiciil  le  Ir^al  Slomlra  cl  (lUc  il  lui  esté 
onvové  on  Nurenil)(M-p;ho,  et  ({iio  en  cela  c'osloil  par  Iro})  vilipender 
led.  papo  et  le  siège  apostolicque,  et  que,  par  le  contraire,  le  Roy  de 
France  avoit  bien  autrement  traittié  et  recueilly  le  légat  Saint-George, 
estant  icy  venu*,  ayant  voulsu  (]u'il  jooyst  d'une  ample  légation, 
duquel  susdit  marrissement  ceulx  d'ici  s'esjoy?scnt,  faisans  estât  par 
ce  boult  que  led.  pape  sera  du  tout  à  leur  dévotion  et  contraire  à  celle 
de  l'Empereur.  Et  jà  piecà  les  ministres  dud.  pape  rcsidens  ici  délais- 
sent de  converser  et  communiquer,  comme  ilz  souloyent,  avec  l'ambas- 
sadeur de  Sa  Majesté  suyvant  cestc  court,  qu'est  évident  tesmoin- 
gnaige  (}ue  de  leur  coustel,  il  y  ait  discrime  contre  sad.  Majesté^. 

Quelque  peu  avant  l'humiliation  du  Lantgraff,  il  arriva  en  ceste 
court  aulcuns  que  l'on  disoit  estre  du  Rccrot'  donnans  espoir  que  le 
LantgraiV  avoit  résolu  de  résister  à  l'Empereur,  tenans  au  surplus 
maintes  dcshonnestes  propoz  contre  Sa  Majesté.  Et,  avec  ce,  deman- 
doit  le  Recrot  continuation  du  traittement  qu'il  avoit  du  feu  Roy, 
lequel  l'on  entend  luy  avoir  esté  accordé,  mais,  comme  en  mesme 
saison  la  nouvelle  vint  de  la  détencion  dud.  Lantgraff,  ilz  restarent 
tous  confuz. 

Avant  le  retour  du  seig''  d'Andelost,  il  fut  groz  bruyt  tant  en  ceste 
court  que  à  Paris  qu'il  avoit  esté  tué,  et  ceulx  qu'ilz  lallégueoyent  en 
cecy  disoyent  que  cela  avoit  esté  fait  à  la  main,  qu'est  pour  tousjours 
tesmoingncr  la  légièreté  françoise. 

Le  jour  du  sacre,  doibvent  estre  fait  chevaliers  de  l'ordre  monsieur 
de  Châtillon''  et  Pierre  Strosse;  et  peu  après  se  solcmpniseront  les 
noepces  dud.  seig"-  de  Ghastillon  avec  madame  de  LavaP,  lesquelles 
l'on  pensa  faire  à  Chantilly  s,  naguères  passant  le  Roy  celle  part,  mais 
il  voulsist  haster  son  sacre  par  où  elles  furent  retardées. 

Hz  firent  naguères  courrir  ung  bruyt  en  ceste  court  que  peu  avant  le 
partement  de  l'Empereur  de  Hall',  comme  Sa  Majesté  visitoit  son 
camp,  que  les  souldars  (les-oyant  sad.  Majesté)  cryarent  :  monarque'^! 
le  répétant  par  pluisieurs  fois.  Et  venoit  led.  advertissement  des  pro- 
testans. 

1.  Joseph  Capiferi,  légat  en  France,  cardinal  du  tihe  de  Saint-Georges  «  au 
voile  d'or  ». 

2.  Ces  projets,  s'ils  existèrent  jamais,  ne  furent  pas  suivis  d'effet. 

3.  Georges  de  Reckrod,  célèbre  capitaine  allemand  qui,  après  la  défaite  de 
Muhiberg,  entra  en  effet  au  service  de  la  France,  et  contribua  en  1552  à  la  con- 
(piéte  des  trois  évêcbés  (Metz,  Toul  et  Verdun). 

4.  Gaspard  II  de  Coligny. 

5.  Charlotte  de  Laval,  (ille  puinee  de  Guy  XV. 

6.  Chez  le  connétable,  oncle  de  Coligny. 

7.  C'était  là  que  le  landgrave  avait  été  retenu  prisonnier. 

8.  C'est-à-fUre  seul  roi.  Les  protestants  entendaient  dire  par  là  que  Charles  V 
aspirait  à  la  monarchie  universelle. 


BULLETIN    HISTORIQUE 


FRANCE. 


Publications  nouvelles.  —  L'histoire  de  notre  ancien  droit, 
si  cultivée  au  siècle  dernier,  un  peu  délaissée  depuis  la  mort 
des  Laferrière  et  des  Beugnot ,  semble  retrouver  •  une  certaine 
faveur.  On  se  prend  à  l'espérer  en  voyant  des  publications  telles 
que  celles  de  M.  Beautemps- Beaupré  et  de  M.  Viollet  {Coutumes 
et  institutimis  de  V Anjou  et  du  Maine  antérieures  au  xvi<'  siècle. 
Première  partie  :  Coutumes  et  sttjles,  t.  I"",  Pedone-Lauriel.  — 
Les  sources  des  Établissements  de  saint  Louis,  Champion).  Bien 
qu'elles  n'aient  ni  le  même  objet  ni  le  même  caractère,  ces  deux 
publications  provoquent  une  comparaison  inévitable.  Les  rapports 
entre  la  Coutume  d'Anjou  et  le  premier  livre  des  Établissements  ont 
amené  les  deux  auteurs  à  discuter  les  mêmes  questions,  et  il  est  inté- 
ressant de  voir  à  quels  résultats  chacun  d'eux  a  été  conduit  par  un  tra- 
vail indépendant  et  personnel.  Ces  résultats  se  ressemblent  beaucoup, 
mais  on  ne  peut  dire  qu'ils  soient  identiques,  car  ils  présentent  chez 
M.  Viollet  une  précision  et  une  netteté  qu'on  ne  trouve  pas  chez 
M.  Beautemps-Beaupré.  Ainsi,  comme  M.  Viollet,  M.  Beautemps- 
Beaupré  reconnaît  que  le  premier  livre  des  Établissements  se 
compose  d'un  règlement  sur  la  procédure  du  Châtelet  de  Paris,  de 
l'ordonnance  de  1260  abolissant  le  duel  judiciaire,  et  de  l'ancienne 
coutume  d'Anjou;  mais  il  na  pas  réussi,  comme  M.  Viollet,  il  n'a 
pas  même  tenté  de  faire  la  part  de  ces  divers  éléments  et  de  mon- 
trer les  altérations  que  le  rédacteur  des  Établissements  avait  fait 
subir  à  la  coutume  angevine.  Les  deux  auteurs  pensent  que  les 
Établissements  ont  été  copiés  sur  un  manuscrit  de  la  coutume  plus 
ancien  que  ceux  qui  nous  ont  été  conservés,  mais  ce  que  l'un 
affirme,  l'autre  le  prouve  par  un  rapprochement  entre  les  deux 
textes.  Enfin,  tandis  que  M.  Beautemps-Beaupré  se  déclare  hors 
d'état  de  décidera  quelle  époque  ont  été  rédigées  la  Compilât  io  de  usi- 
buset  constitufionibus  Aadeyaviœ,  la  Coutume  et  la  Coutume  glosée. 


122  lUIM-F.m    IIISTOHKHIK. 

M.  VioUel  assigne  une  date  à  la  rédaction  de  ces  coutumes  angevines, 
comme  à  celle  des  ÉLablissemonts.  M.  ViolIcL  ne  l'emporte  pas  seu- 
lement sur  M.  Beautemps-Bcaupré  par  la  netteté  des  conclusions, 
mais  aussi  par  Tart  de  l'exposition.  L'analyse  du  premier  est  fine  et 
pénolranle,  comme  on  pourra  en  juger  ])ar  la  irstitution  du  passage 
relatif  au  double  bail.  L'exposition  du  second  ne  manque  ni  d'érudition, 
ni  même  de  vues,  mais  elle  est  dépourvue  d'enchaînement  et  l'on  se 
demande  [larfois  à  quoi  tend  l'argumentation  de  l'auteur.  Par  exemple, 
on  a  quelque  peine  à  comprendre  son  but  lorsqu'il  s'efTorcc  de  démon- 
trer;que  les  renvois  à  la  législation  antérieure  contenus  dans  les  ordon- 
nances de  Philippe  HT  et  de  Philippe  IV  et  dans  le  Livre,  de  josf.ice 
et  de  plel  s'appliquent  à  des  ordonnances  de  -1228  et  -1229.  Le  lien 
de  cette  discussion  avec  la  question  de  savoir  si  les  Établissements 
ont  un  caractère  officiel,  est  si  peu  indiqué  qu'on  croit  d'abord  avoir 
affaire  à  une  digression.  Ailleurs,  on  remarque  un  certain  défaut 
de  suite  dans  les  idées.  Ainsi  l'auteur  affirme  avec  raison  que  les 
rapports  des  Établissements  et  de  la  Coutume  d'Anjou  s'expliquent 
par  des  emprunts  faits  à  cette  dernière  et  il  annonce  qu'il  va  le  prou- 
ver à  l'aide  d'un  certain  nombre  de  dispositions  communes  aux  deux 
textes.  Or  les  exemples  qu'il  allègue  prouvent  seulement  que  certaines 
questions  sont  réglées  de  même  dans  l'un  et  dans  l'autre  et  ne 
prouvent  rien  sur  le  point  de  savoir  lequel  a  servi  de  source  à  l'autre. 
M.  Beautemps-Beaupré  ne  se  préoccupe  même  plus  de  cette  question. 

Le  défaut  de  méthode  et  de  clarté,  qui  rend  la  lecture  de  son  intro- 
duction si  pénible,  ne  peut  cependant  faire  méconnaître  la  science 
qu'il  y  déploie  ni  le  service  qu'il  a  rendu  en  publiant  une  collection 
de  coutumiers  pour  la  plupart  inédits.  L'œuvre  entreprise  par  lui  est 
considérable,  car  elle  doit  comprendre  en  outre  un  recueil  de  chartes 
relatives  aux  institutions  et  au  droit  privé  de  TAnjou. 

La  tâche  de  M.  Viollet  n'est  pas  moins  importante  et  est  peut-être 
plus  délicate.  On  s'en  rendra  compte,  si  on  lit  son  mémoire  sur  les 
sources  des  Établissements  et  si  Ton  réfléchit  qu'après  avoir  mis  en 
évidence  de  la  façon  la  plus  ingénieuse  l'origine  orléanaise  du  second 
livre,  comme  le  caractère  angevin  de  la  plus  grande  partie  du  pre- 
mier, il  lui  reste  encore  à  établir,  dans  son  édition,  un  texte  aussi 
rapproché  que  possible  de  l'original  et  à  déterminer  Tinfluence  et 
l'importance  pratique  des  Établissements. 

Les  deux  publications  dont  nous  venons  de  rendre  compte  ne 
s'adressent  qu'aux  érudits.  La  biographie  d'Henriette-Marie  de  France, 
reine  d'Angleterre  (Didier),  par  M.  de  Bâillon,  sera  lue  au  contraire 
avec  intérêt  par  tous  ceux  qui  cherchent  surtout  dans  l'histoire  des 
émotions  et  le  spectacle  des  passions  individuelles.  Si  attachant  qu'il 


FRANCE.  ^23 

soit,  le  récit  de  M.  de  Bâillon  a  moins  de  prix  à  nos  yeux  que  les 
lettres  de  la  reine  à  Charles  I",  découvertes  et  traduites  par  Mrs. 
Everett  Green  et  publiées  ici  pour  la  première  fois  sous  leur  forme 
originale.  Ces  lettres,  en  effet,  nous  peignent  au  vif  la  tendresse 
conjugale  d'Henriette,  son  activité,  son  énergie.  Malheureusement,  si 
elles  présentent  la  femme  sous  l'aspect  le  plus  sympathique,  elles 
témoignent  aussi  du  peu  d'intelligence  politique  de  la  reine,  de  son 
défaut  de  souplesse,  de  la  mauvaise  influence  qu'elle  exerça  sur  son 
mari.  Chez  elle,  le  caractère  était  supérieur  à  l'esprit.  C'est  ce  que  n^a 
pas  fait  ressortir  M.  de  Bâillon  qui,  en  embellissant  complaisamment 
son  modèle,  n'a  pu  donner  à  son  portrait  la  vérité  et  la  vie.  Un  bio- 
graphe d'Henriette-Marie  ne  saurait  se  dispenser  de  déterminer  et 
d'apprécier  le  rôle  de  la  reine  dans  la  révolution  de  ^648;  l'auteur 
ne  l'a  pas  fait.  Sa  réserve  s'explique  peut-être  par  une  connaissance 
insuffisante  du  sujet  et  de  l'époque.  H  ne  paraît  pas  être  au  courant 
des  derniers  travaux  qui  s'occupent  d'Henriette  de  France  et  il 
répète  des  erreurs  depuis  longtemps  reconnues.  C'est  ainsi  qu'il  ne 
cite  nulle  part  les  récentes  publications  de  Rawson  Gardiner  et  de 
Gpll  et  qu'il  attribue  à  Mézeray  VHisioire  de  la  mère  et  du  fils,  qui 
n'est  autre  chose,  comme  chacun  sait,  qu'un  fragment  des  mémoires 
de  Richelieu.  Ces  observations  n'ont  pas  pour  but  de  déprécier  un 
livre  très-intéressant,  malgré  ses  lacunes,  mais  d'indiquer  qu'il  est 
fait  pour  le  grand  public  plus  que  pour  les  historiens. 

La  publication  des  pièces  relatives  aux  négociations  de  la  France 
avec  le  Portugal  en  4  655  et  4659,  par  M.  Tessier^  a  un  caractère  plus 
scientifique,  mais  un  intérêt  beaucoup  moins  général  que  le  livre  de 
M.  de  Bâillon.  En  eff"et,  ces  négociations  n'amenèrent  aucune  entente, 
aucune  coopération  entre  les  deux  États,  elles  furent  complètement 
stériles.  Tout  en  ayant  un  intérêt  commun,  la  France  et  le  Portugal 
avaient  des  vues  trop  différentes  sur  les  conditions  d'une  alliance.  Le 
Portugal  ne  pouvait  prendre  l'offensive  contre  son  puissant  voisin  sans 
être  garanti  contre  l'abandon  de  la  France.  Celle-ci  ne  pouvait  subor- 
donner la  conclusion  de  la  paix  avec  l'Espagne  à  la  reconnaissance 
de  l'indépendance  portugaise.  Bien  que  ces  négociations  n'aient  amené 
aucun  résultat,  les  pièces  qui  les  concernent  sont  intéressantes-,  elles 
sont  nouvelles  pour  le  public  français  et  éditées  avec  un  soin  qui 
pourrait  suffire  à  une  tâche  plus  difficile  et  plus  importante.  Il  est 
regrettable  seulement  que  M.  Tessier  n'ait  pas  connu  les  pièces 
publiées  par  M.  F.  Ravaisson  sur  le  chevalier  de  Jant  dans  le  t.  P' 

1.  Le  chevalier  de  Jant;  relations  de  la  France  avec  le  Portugal  au  temps 
de  Mazarin  (Sandoz). 


^24  IJULLETIN    HISTORIQUE. 

des  Air/iirrs  de  la  liastillc.  Il  ne  se  serait  pas  borné  à  expri- 
mer un  doulc  sur  l'accomplissemenl  de  la  mission  confiée  au  che- 
valier eu  f(>ri9,  il  aurail  pu  affirmer  qu'elle  n'avait  pas  eu  lieu. 
Ces  pièces  lui  auraient  appris  aussi  que  le  chevalier,  dépité  de  se 
voir  enlever  cette  mission,  avait  cherché  à  entraver  son  successeur 
et  avait  tenu  une  conduite  et  des  propos  qui  avaient  obligé  Mazarin 
à  le  faire  mettre  à  la  Bastille,  où  il  resta  près  de  trois  mois. 

Le  nouveau  volume  des  Archives  de  la  Bastille  (Durand)  réserve 
plus  d'une  découverte  de  ce  genre  aux  historiens  et  aux  biographes. 
Sans  avoir  un  intérêt  aussi  grand  que  les  pn^cédents,  relatifs,  on  le 
sait,  au  procès  de  Fouquet  et  aux  empoisonneurs,  ce  volume  a  une 
importance  réelle  par  les  renseignements  nouveaux  qu'il  nous  four- 
nit sur  trois  grands  événements  du  règne  de  Louis  XIV  :  le  quié- 
tisme,  la  guerre  de  la  succession  d'Angleterre,  la  révocation  de  l'édit 
de  Nantes.  Les  documents  "  sur  le  quiétisme  ne  modifieront  guère 
l'idée  qu'on  se  faisait  de  cette  querelle  religieuse,  moins  importante 
par  son  objet  que  par  les  personnages  illustres  qui  y  prirent  part. 
Les  pièces  relatives  à  John  Simpson  mettront,  au  contraire,  dans  un 
jour  nouveau  les  rapports  du  gouvernement  de  Louis  XIV  et  de  la 
cour  de  Saint-Germain,  le  rôle  de  Milfort  et  de  Middleton,  l'espion- 
nage organisé  par  Guillaume  III  à  l'aide  des  agents  payés  par  ses 
adversaires  pour  fomenter  des  conspirations  contre  lui.  Mais  c'est 
surtout  sur  la  situation  des  protestants  à  la  suite  de  la  révocation  de 
redit  de  Nantes  que  ce  volume  est  instructif.  On  y  trouvera  de  nou- 
velles preuves  de  la  facilité  et  du  peu  de  solidité  des  conversions,  du 
nombre  des  émigrations,  des  obstacles  mis  aux  mariages,  de  l'enlève- 
ment des  enfants.  On  ne  peut  lire  sans  émotion  ces  interrogatoires  de 
pasteurs  qui  vont  de  ville  en  ville  prêcher  et  communier  leurs  coreli- 
gionnaires et  faire  rentrer  dans  l'ËgUse  ceux  qui  ont  faibli.  Du  reste, 
la  persécution  ne  nous  apparaît  pas  ici  avec  le  caractère  d'atrocité 
qu'elle  revêtit  quelquefois.  Le  bannissement  et  la  prison  sont  les 
seules  peines  dont  il  soit  question.  La  publication  dont  nous 
annonçons  aujourd'hui  le  IX«  volume  offrira,  lorsqu'elle  sera 
terminée,  les  matériaux  les  plus  importants  de  Thistoire  de  la 
police  sous  Louis  XIV  et  Louis  XV.  Nous  souhaitons  qu'à  l'avenir  le 
laborieux  et  intelligent  éditeur  prenne  le  soin  de  citer  les  cotes  sous 
lesquelles  sont  conservés  des  documents  puisés  à  des  sources  si 
diverses. 

S'il  est  encore  des  personnes  qui  doutent  que  l'histoire,  en  offrant 
des  situations  analogues  à  celles  que  nous  traversons,  puisse  donner 
d'utiles  leçons  aux  partis  et  aux  peuples,  nous  leur  conseillerons  de 
lire  le  nouveau  volume  de  M.  de  Vieil-Gastel  [Histoire  de  la  Restau- 


FRANCE.  ^25 

ration^  t.  XIX.  Galmann  Lévy).  Là  aussi  on  voit  un  ministère  libéral, 
affaibli  par  les  exigences  de  ses  amis,  renversé  par  une  intrigue  de 
palais,  là  aussi  on  voit  un  parti  défier  et  blesser  le  sentiment  public 
sous  prétexte  de  sauver  une  société  dont  il  est  le  pire  ennemi.  Ce 
qu'on  trouvera,  en  effet,  dans  ce  volume  c'est  le  récit  de  la  chute 
du  ministère  Martignac  et  la  formation  du  cabinet  Polignac.  En 
racontant  cette  crise  également  fatale  à  la  liberté  et  à  la  monar- 
chie, M.  de  Vieil-Castel  est  resté  fidèle  à  la  méthode  qu'il  avait 
suivie  dans  les  volumes  précédents.  Ayant  à  faire  l'histoire  d'un 
régime  parlementaire,  il  a  donné  la  plus  grande  place  aux  discus- 
sions des  chambres;  narrateur  d'événements  encore  si  rapprochés 
de  nous,  il  s'est,  moins  encore  par  respect  des  convenances  que  par 
souci  de  l'impartialité,  plus  attaché  aies  exposer  qu'à  les  juger.  Pour 
trouver  excessives  ces  longues  analyses  et  ces  fréquentes  citations 
des  discours  parlementaires,  il  faudrait  oublier  que  la  vie  politique 
d'un  pays  qui  ne  comptait  que  88,000  électeurs,  au  lieu  d'être  répan- 
due, comme  aujourd'hui,  sur  toute  la  surface  du  territoire,  se  con- 
centrait dans  les  Chambres^  il  faudrait  méconnaître  l'intérêt  pratique 
qui  s'attache  encore  aux  questions  agitées  dans  ces  discussions;  il 
faudrait  enfin  être  insensible  à  l'élévation,  à  la  modération,  à  l'élo- 
quence qui  brillent  dans  les  extraits  de  ces  discours  où  M.  de  Marti- 
gnac défendait  sa  politique  contre  les  impatiences  de  ses  amis  et  la 
mauvaise  foi  passionnée  de  ses  adversaires,  M.  de  Vieil-Gastel  a  donc 
bien  fait,  à  notre  avis,  de  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur,  par  ana- 
lyse ou  par  extraits,  des  documents  déjà  publiés,  tels  que  des  discours 
politiques,  des  articles  de  journaux,  des  débats  judiciaires.  Par  là  il 
a  donné  une  trame  solide  à  son  ouvrage,  il  en  a  fait  une  œuvre  objec- 
tive et  impersonnelle  qui  défie  la  controverse,  il  a  mis  le  lecteur  à 
même  d'adhérer,  en  connaissance  de  cause,  à  des  jugements  toujours 
remarquables  par  l'impartialité  et  par  un  libéralisme  élevé.  Sans 
doute,  lorsque  le  temps  nous  aura  mis  en  possession  des  mémoires 
et  des  correspondances  des  hommes  qui  ont  joué  un  rôle  de  -1814  à 
-1830,  on  pourra  faire  une  histoire  de  la  Restauration  qui  emprun- 
tera à  ces  révélations  un  caractère  plus  anecdo tique  et  plus  piquant, 
mais  nous  doutons  que  la  vie  publique  de  la  France,  pendant  cette 
période,  puisse  trouver  un  historien  plus  impartial  et  plus  complet. 

Plusieurs  des  hommes  qui  ont  pris  part  aux  événements  racontés 
par  M.  de  Vieil-Castel  se  retrouvent  dans  le  nouveau  volume  &' Éloges 
historiques  publié  par  M.  Mignet  (Didier).  En  faisant  la  biographie 
de  personnages  qui  appartiennent  à  l'histoire  par  leur  vie  ou  leurs 
travaux,  M.  Mignet  a  su  concilier  la  vérité  avec  les  convenances  aca- 
démiques, idéaliser  ses  portraits  sans  laisser  échapper  la  ressem- 


^2(>  BULLETIN    FilSTORIQUE. 

blance,   t:raver  des  médailles  d'un  dessin  noble  et  pur  en  même 
lenips  quoniprcintes  d'une  individualité  liieu  marquée. 

IHiîLicATio.Ns  l'RocHAnKs.  —  Nous  vcuons  de  parcourir  les  bonnes 
feuilles  d'un  livre  où  l'histoire  des  institutions,  du  droit,  du  com- 
merce et  de  rindustrie  ti'ouvcra  largement  à  puiser.  C'est  une  Elude 
sur  les  iiislilulioiis  de  Sainl-Oiner  au  moijen  d<je  i)ar  notre  colla- 
borateur, M.  Giry.  L'histoire  politique  de  la  ville  de  048  à  4447,  l'ori- 
gine et  les  droits  des  seigneuries  laïques  et  ecclésiastiques  qu'elle 
renfermait,  l'organisation  municipale,  l'administration,  le  droit 
privé,  l'activité  commerciale  et  industrielle,  y  sont  successive- 
ment étudiés,  principalement  à  l'aide  des  archives  locales.  Doué 
d'un  esprit  ouvert,  d'une  curiosité  étendue,  possédant  une  connais- 
sance approfondie  de  l'histoire  municipale,  l'auteur  a  su  glisser  sur 
les  parties  de  son  sujet  qui  n'ont  qu'un  intérêt  local  et  mettre  au 
premier  rang  les  questions  qui,  telles  que  l'origine  des  échevins,  les 
rapports  des  ghildes  et  des  communes,  les  relations  commerciales  de 
la  Flandre  et  de  l'Angleterre,  ont  une  portée  générale.  Ce  travail, 
auquel  on  ne  peut  reprocher  qu'une  forme  quelquefois  lourde  et 
incorrecte,  fait  honneur  à  M.  Giry  ainsi  qu'à  l'École  des  Hautes- 
Études  à  laquelle  il  a  été  présenté  comme  thèse. 

G.  Fagniez. 


DERNIÈRES  PUBLICATIONS  ALLEMANDES 

RELATIVES    A    l' HISTOIRE    DE    LA    REFORME. 

Dans  l'histoire  de  l'Allemagne  à  l'époque  de  la  Réforme,  par  L.  von 
Ranke,  on  lit  ces  paroles  poétiques  :  «  La  Réforme  ne  fut  pas  l'œuvre 
de  la  préméditation 5  elle  n'obéit  pas  à  un  mot  d'ordre;  comme  dans 
les  plaines  bien  labourées  les  premiers  rayons  d'un  soleil  de  prin- 
temps font  germer  les  semences  confiées  à  la  terre,  de  même  les 
nouvelles  croyances,  préparées  par  tout  ce  qui  se  disait,  par  tous  les 
maux  qu'on  endurait,  se  fa-ent  d'elles-mêmes  et  subitement  jour,  à 
la  première  occasion  favorable,  dans  tous  les  pays  de  langue  alle- 
mande »  (II,  46).  On  serait  tenté  d'employer  les  mêmes  expressions 
en  parlant  des  publications  innombrables  que  l'étude  de  la  Réforme 
a  suscitées  en  Allemagne  depuis  l'ouvrage  de  Ranke-,  elles  formeraient 
à  elles  seules  une  belle  bibliothèque,  et  le  public  lettré  les  accueille 
toujours  avec  faveur. 


PUBLICATIONS    ALLEMANDES    SUR    LA    RE'fORME.  127 

Dans  ce  livre,  maintenant  classique,  un  architecte  de  génie  avait 
tracé  le  plan  d'un  majestueux  édifice  auquel  des  mains  innombrables 
ont  ensuite  apporté  leur  pierre  :  l'histoire  de  chaque  pays,  on  pour- 
rait dire  de  chaque  ville,  à  l'époque  de  la  Réforme,  fut  étudiée  dans 
le  plus  grand  détail-,  l'histoire  politique  et  l'histoire  religieuse  durent 
être  également  mises  à  contribution.  II  fallut  réunir  les  actes  officiels 
et  privés  de  l'époque,  rechercher  les  correspondances  des  contempo- 
rains illustres,  publier  les  sources  historiques  restées  inédites,  et 
faire  la  critique  de  celles  qu'on  connaissait  déjà,  écrire  la  biographie 
des  principaux  acteurs  de  cette  grande  révolution,  et  celle  des  huma- 
nistes, des  pamphlétaires,  qui  leur  préparèrent  le  chemin,  ou  qui 
combattirent  à  leurs  côtés. 

Quand  on  songe  aux  résultats  de  ce  labeur  acharné,  on  s'étonne 
que  Ranke  ait  pu  écrire  son  livre  avant  d'avoir  pu  mettre  à  profit 
tous  ces  travaux  préparatoires  ^  ;  mais  il  sut  en  tenir  .compte  :  dans 
chaque  édition   nouvelle  —   et  ce   livre  a  déjà  eu  deux  éditions 
dans  les  œuvres  complètes  du  grand  historien  —  on  voit  les  progrès 
qu'ont  réalisés  ces  études  de  détail.  On  s'est  plaint  cependant  que 
son  histoire  ne  montre  pas  encore  assez  la  trace  de  leur  influence,  et 
il  cherche  à  se  défendre  contre  ce  reproche  en  disant  quelque  part  -. 
«  Ce  serait  faire  tort  à  l'histoire  de  la  science,  si  l'on  empruntait 
beaucoup  aux  travaux  de  ceux  qui  vous  reconnaissent  pour  leur 
maître.  »  Sans  doute  personne  n'a  plus  le  droit  que  Ranke  de  pro- 
noncer ces  fières  paroles  5  cependant  il  eût  été  pour  le  moins  dési- 
rable de  ne  pas  citer  certains  recueils  d'actes,  les  oeuvres  de  certains 
historiens,  d'après  des  éditions  vieillies  et  hors  d'usage.  Ces  modifi- 
cations, qui   auraient  singulièrement  facilité  le  travail  du  lecteur 
désireux  de  remonter  au  passage  indiqué,  auraient  pu  être  aisément 
faites  par  un  secrétaire  ou  par  un  copiste  intelligent.  Ce  vœu,  et  c'est 
presque  le  seul  qui  reste  à  former,  on  l'exprime  encore  de  temps  en 
temps  quand  on  lit  les  autres  ouvrages  de  Ranke  qui  se  rapportent 
plus  ou  moins  directement  à  l'histoire  de  la  Réforme.  Tous  d'ailleurs 
ont  eu  plusieurs   éditions,    et  un  d'entre  eux  compte  assurément 
parmi  les  chefs-d'œuvre  du  maître.  Je  ne  sais  trop  ce  qu'on  y  doit  le 
plus  admirer,  la  masse  énorme  de  matériaux  qui  s'y  trouvent  conte- 
nus et  mis  en  œuvre,  la  nouveauté  des  points  de  vue,  l'ardeur  juvé- 

1.  Ranke,  Deutsche  Geschichie  im  ZeUalier  der  Reformation  (vol.  1  à  6  des 
œuvres  complètes).  Comp.,  Geschichte  der  romanischen  und  germanischen 
Vœlker  von  1494  bis  1514  (vol.  33);  Zur  Kritik  neuerer  Geschichtsschreiber 
(vol.  34);  I)ie  rœmischen  Pscpste  in  den  letzten  vier  lahrhunderten  (vol.  37- 
39);  Zur  deulschen  Geschichie,  vom  Religionsfrieden  bis  zum  dreissigja'hrigeu 
Kriege  (vol.  7). 


I2S  RDLLETIN    IIISTORIQl'E. 

iiilo  du  récit  eL  rcxcollenco  du  siyU\  la  iiciu'lraLidii  avec  laquelle  les 
sources  historiques  sont  étudiées,  ai)préciees  à  leur  juste  valeur  et 
combinées  ensemble  Un  sait  par  exemple  que  ses  études  critiques 
sur  des  historiens  récents  [Zur  Kritik  neverer  Gcschichtsuclireiber) 
sont  devenues  un  livre  classique.  Cet  ouvrage  a  inauguré  l'étude 
systématique  des  sources  de  l'histoire  moderne  d'après  la  méthode 
et  suivant  les  lois  qui  guidaient  habituellement  la  critique  sur  le 
terrain  de  l'antiquité  et  du  moyen  âge.  On  comi)rend  la  joie  de  l'au- 
teur quand  il  vit  ces  études  publiées  à  nouveau,  cinquante  années  après 
leur  première  apparition-,  «  c'est  comme  un  jubilé  historique  »,  dit- 
il  dans  la  préface  de  la  seconde  édition.  Nous  souhaitons  de  tout 
notre  cœur  que  la  vieillesse  de  Ranke  qui,  par  la  fraîcheur  de  son 
intelligence  et  sa  vivacité,  surpasse  beaucoup  déjeunes  travailleurs, 
nous  donne  encore  beaucoup  de  beaux  fruits. 

Si  Ton  jette  un  coup  d'œil  sur  l'ensemble  des  travaux  qui  ont  paru 
dans  les  dernières  années  sur  l'histoire  de  la  Réforme,  et  particuliè- 
rement de  la  Réforme  en  Allemagne,  on  s'aperçoit  que  depuis  Ranke 
personne  n'a  osé  embrasser  ce  vaste  sujet  dans  son  ensemble;  c'est 
uniquement  sous  la  forme  de  leçons  que  plusieurs  le  traitent  à  un 
point  de  vue  général;  mais  ce  sont  des  ouvrages  de  vulgarisation,  et 
nous  ne  pouvons  leur  accorder  la  même  attention  qu'à  ceux  où  l'on 
trouve  des  recherches  personnelles  et  originales.  Cependant  on  a  fort 
bien  accueilli,  et  ajuste  titre,  les  Leçons  de  Heeusser,  publiées 
après  sa  mort  par  M.  Oncken  ;  cet  ouvrage  poursuit  l'histoire  de  la 
Réforme  jusqu'à  la  paix  de  Westphalie  et  prend  l'histoire  d'Allemagne 
comme  le  point  de  départ,  et  non  comme  le  centre  de  ce  grand  mou- 
vement '.  Bien  qu'il  soit  inférieur  aux  Leçons  du  même  auteur  sur 
la  Révolution  française,  il  donne  une  idée  exacte,  mais  un  peu  affai- 
blie, du  talent  avec  lequel  cet  éminent  professeur  savait  disposer  un 
sujet  et  le  traiter  dans  sa  chaire.  Les  portraits  qu'il  trace  des  princi- 
paux personnages  sont  notamment  d'une  puissance  et  d'un  réalisme 
tels  qu'on  ne  peut  plus  les  oublier  -,  et  quant  à  la  ressemblance,  il  y 
aurait  rarement  lieu  de  faire  des  réserves.  Les  Leçons  de  Hagen- 
bach  ^,  qui  ont  été  maintes  fois  réimprimées,  ne  peuvent  se  com- 
parer à  celles  de  Hseusser  pour  la  pénétration  du  jugement,  la 
largeur  des  vues,  la  beauté  des  peintures  morales.  Cet  auteur 
était  professeur  de  théologie,  et  l'on  s'en  aperçoit  à  chaque  page  : 

1.  Ludwig  Haîusser,  Geschichfe  des  Zeitalters  der  Reformaiion  1517-1648; 
Vorlesungen  hgg.  von  Oncken.  Berlin,  Weidmann,  1868. 

2.  Hagenbach,  Geschichte  der  Reformation,  vorzuglich  in  Deiitschland  und 
in  der  Schueiz ;  3'  vol.  de  la  Kirchengeschichte  von  der  xltesten  Zeit  bis  zum 
XIX  luiirh.  'i'  édit.  Leipzig,  Hirzel,  1870. 


PUBLICATIONS   ALLEMANDES   SUR   LA   REFORME.  ^ 29 

il  remplace  souvent  le  récit  pur  et  simple  des  événements  par 
des  considérations  générales  débitées  en  style  de  sermon.  Il  faut 
reconnaître  cependant  que  Hagenbach  a  étudié  son  sujet  avec  le  plus 
grand  soin,  comme  le  prouvent  ses  nombreuses  citations  de  sources 
originales  ou  d'auteurs  de  seconde  main.  Professeur  à  l'une  des  uni- 
versités de  la  Suisse,  il  dut  accorder  une  attention  particulière  à 
l'histoire  religieuse  de  sa  patrie,  et  il  le  fit  de  cette  manière  douce  et 
conciliante  qui  le  caractérise.  Les  Leçons  posthumes  de  Henke, 
publiées  par  Gass  ^  trahissent  beaucoup  moins  l'étroitesse  de  vues 
du  théologien  ;  mais  elles  ne  sont  qu'une  partie  de  l'Histoire  moderne 
de  l'Église  qu'avait  préparée  le  regretté  professeur  de  Marbourg,  et, 
comme  celles  de  lïoeusser,  elles  accordent  la  même  attention  aux 
pays  non  allemands  qu'à  la  contrée  même  où  la  Réforme  prit  nais- 
sance. L'éditeur  aurait  pu  corriger  certaines  erreurs  de  détail  et 
combler  certaines  lacunes;  mais  considéré  dans  son  ensemble,  le 
livre  se  recommande  d'une  façon  toute  particulière  par  une  bonne 
appréciation  des  récents  travaux  sur  le  sujet,  par  une  exposition 
abrégée,  mais  claire  et  méthodique,  enfin  par  une  mise  en  œuvre 
habile  des  sources  et  des  ouvrages  de  seconde  main  -,  c'est  un  excel- 
lent manuel  pour  les  étudiants  en  théologie  et  en  histoire.  Il  aurait 
peut-être  à  redouter  la  concurrence  d'un  autre  livre  écrit  dans  le 
même  esprit,  si  ce  dernier  n'était  écrit  en  anglais.  Je  veux  parler  des 
Leçons  de  M.  Fisher,  professées  à  l'institut  Lowell,  à  Boston  2. 
Comme  les  ouvrages  qui  précèdent,  celui  de  M.  Fisher  n'est  pas  une 
pure  compilation  :  l'auteur  n'a  pas  craint  de  remonter  aujc  sources 
originales.  Quelques-unes  ont  cependant  échappé  à  son  attention,  par 
exemple  la  chronique  de  Salât,  publiée  dans  V Archiv  fur  die  Schwei- 
zerische  Be formation,  organe  du  Schweizerisches  Pius-Verein  []  868) , 
et  le  4*=  volume  de  la  Correspondance  des  Réformateurs  dans 
les  pays  de  la  langue  française,  pubUée  par  Herminjard.  L'histoire 
de  l'Humanisme,  la  révolution  opérée  par  Franz  de  Sickingen  et  par 
la  guerre  des  paysans,  ne  sont  pas  non  plus  étudiées  avec  tout  le 
soin  qu'elles  méritent,  et  que  lui  ont  accordé  les  travaux  allemands 
cités  plus  haut. 

Les  deux  volumes  de  l'ouvrage  bien  connu  de  M.  Merle  d'Aubigné, 
qui  viennent  d'être  publiés  après  la  mort  de  l'auteur,  demanderaient 
une  critique  détaillée-,  mais  nous  ne  pouvons  ici  que  les  mentionner 

1.  Henke,  Neuere  Kirchengeschichte;  nachgelassene  Vorlesungen  fur  deu 
Druck  bearbeitet  und  herausgegeben  von  Dr.  W.  Gass;  Halle,  Lippert.  1874. 

1.  The  Re/ormaiion,  by  G,  P.  Fisher.  D.  D.  Professer  ot  ecclesiastical  hislory 
in  Yale  Collège.  1873,  New-York,  Armstrong  el  C\  —  L'ouvrage  s'étend  jusqu'à 
la  fin  du  xvii"  siècle. 

Rev.  Histor.   V.   l"'-  FAsc.  y 


130  BULLETIN  niSTOniQUE. 

brièvemenl'.  Ils  li-ailenl  riiisloiro  de  la  Réforme  en  Ecosse,  en 
Suisse,  en  Danemark,  en  Suède,  en  Norwéf^'e,  en  Honfirie,  en  Pologne, 
en  IJohême,  aux  Pays-Bas-,  el  nous  pouvons  d'autant  moins  nous 
étendre  sur  l'historiographie  de  ces  contrées,  que  la  bibliothèque  de 
la  ville  où  nous  écrivons  est  très-pauvre  en  ouvrages  récents  sur 
l'histoire  de  la  Réforme  dans  ces  pays,  l^our  ce  qui  concerne  parti- 
culièrement l'Allemagne,  l'ouvrage  de  Kahnis^  n'est  qu'un  commen- 
cement, un  tableau  abrégé  des  origines  du  protestantisme  allemand 
jusqu'en  1520,  tableau  qui  se  résume  dans  l'histoire  des  idées  de 
Luther  pendant  sa  jeunesse-,  nous  y  trouvons  pourtant  des  rensei- 
gnements précieux,  bien  que  trop  abondants,  sur  le  mouvement  des 
esprits  qui  précéda  la  Réforme-,  mais  l'auteur  n'apprécie  pas  l'Huma- 
nisme à  sa  juste  valeur,  et  n'a  pas  su  éviter  de  nombreuses  inexac- 
titudes dans  le  détail. 

Avant  d'en  venir  aux  dissertations  particulières,  citons  plusieurs  ou- 
vrages d'un  intérêt  général,  mais  écrits  sous  forme  d'essais.  M.  Weber 
a  réuni  en  volume  toute  une  série  d'articles  relatifs  à  l'histoire  d'Angle- 
terre et  d'Ecosse;  il  y  a  joint  des  études  inédites  sur  divers  points  de 
l'histoire  d'Allemagne  à  l'époque  de  la  Réforme  3-,  en  voici  les  titres  : 
situation  de  l'Empire  à  la  mort  de  Maximilien  I  et  à  l'avènement  de 
Gharles-Quint;  émeutes  et  révolutions-,  l'empereur  Gharles-Quint  et 
les  protestants  allemands.  Toutes  les  qualités  qui  distinguaient  déjà 
l'Histoire  universelle  de  l'auteur,  une  vaste  érudition,  l'habile  arran- 
gement des  faits,  un  style  agréable,  se  retrouvent  dans  ces  essais; 
mais  on  fera  bien  de  contrôler  avec  soin  les  assertions  de  M.  Weber. 
Gomment,  par  exemple,  peut-il  prétendre  (p.  209)  que  les  mémoires 
de  Gharles-Quint  ne  sont  point  parvenus  à  la  postérité?  De  même 
l'étyraologie  du  nom  par  lequel  on  désigne  un  fameux  soulèvement 
de  paysans  (der  arme  Conrad,  de  kPÀn  Rath)  est  fausse  et  surannée-, 
il  suffit  pour  s'en  convaincre  de  jeter  les  yeux  sur  le  4®  vol.  de  l'his- 
toire de  Wirtemberg,  par  Staelin.  Bien  plus  instructives  sont  les 
Etudes  et  esquisses  publiées  par  M.  Maurenbrecher,  professeur  à 
Kœnigsberg^.  Gomme  dans  ses  précédents  ouvrages,  l'auteur  y 
étudie  particuUèrement  l'Espagne.  Voici  en  effet  les  titres  de  plu- 

1.  Histoire  de  la  Réforme  en  Europe  au  temps  de  Calvin,  par.  M.  H.  Merle 
d'Âubigné,  t.  VI  et  Vil.  Paris,  C,  Lévy,  1875  et  1876. 

2.  Kahnis,  Die  deutsche  Reformation  ;  1"  vol.  Leipzig,  Dœrffling  und  Franke, 
1872. 

3.  Georg  Weber,  Zur  Geschichte  des  Reformations-Zeitalters,  Umrisse  und 
Ausfùhrungen.  Leipzig,  Engelraann,  1874. 

4.  Studien  und  Skizzen  zur  Geschichte  der  Reformationszeii.  Leipzig, 
Grunow,  1874.  (M.  Maurenbrecher  est  aujourd'hui  professeur  à  Bonn.) 


PUBLICATIONS    ALLEMANDES    SUR    LA    RE'fORME.  'I  3 1 

sieurs  morceaux  :  la  réforme  ecclésiastique  en  Espagne  ;  l'Espagne 
sous  les  rois  catholiques  ^  Jeanne  la  Folle;  l'empereur  Gharles-Quint. 
Remarquons  ce  trait  propre  à  l'auteur,  qu'il  parle  d'une  réforme  de 
l'Eglise,  là  où  nous  serions  bien  plutôt  portés  à  voir  une  restaura- 
tion de  l'Église.  D'autres  études  :  le  prince-électeur  Maurice  de 
Saxe-,  les  travaux  sur  Luther;  la  diète  de  Worms  en  -I52^,  se  rap- 
portent à  l'histoire  de  la  Réforme  en  Allemagne  5  enfin  la  dernière, 
intitulée  l'Église  universelle  et  les  églises  territoriales,  montre  dans 
une  esquisse  rapide  le  développement  pris  par  l'Église  au  moyen  âge 
jusqu'à  la  formation  des  églises  territoriales  du  protestantisme.  Si 
l'on  trouve  dans  ces  études  mainte  observation  intéressante,  elles 
appellent  cependant  plus  d'une  fois  la  contradiction-,  c'est  ainsi  que 
le  portrait  si  bienveillant  de  Maurice  de  Saxe  est  loin  d'avoir  obtenu 
tous  les  suffrages. 

Si  nous  passons  maintenant  à  des  ouvrages  moins  généraux,  il  ne 
sera  pas  difficile  de  reconnaître  plusieurs  groupes  principaux  de 
sujets  historiques,  groupes  assez  vastes  pour  occuper  en  même  temps 
l'activité  de  nombreux  travailleurs. 

On  sait  avec  quelle  ardeur,  surtout  en  Allemagne,  l'histoire  de 
l'Humanisme  a  été  étudiée  en  ces  derniers  temps.  En  réalité,  c'est 
dans  ce  pays  plus  que  partout  ailleurs  qu'elle  se  trouve  étroitement 
liée  à  l'histoire  de  la  Réforme.  Les  travaux  de  Reuchlin  et  d'Erasme 
agirent  bien  plus  profondément  sur  l'esprit  du  peuple  que  ceux  de 
leurs  confrères  à  l'étranger.  En  éveillant  l'attention  de  toutes  les 
classes  de  la  société,  seigneurs  et  vilains,  prêtres  et  laïques,  les  huma- 
nistes ouvrirent  plus  large  que  partout  ailleurs  le  chemin  à  la  Réforme. 
Quand  tout  l'intérêt  se  fut  concentré  sur  les  questions  théologiques, 
la  Réforme  et  l'Humanisme  suivirent  trop  souvent  une  direction 
opposée,  et  l'on  se  trouve  alors  fatalement  entraîné  à  suivre  en  même 
temps  ces  deux  courants  contraires.  —  L'histoire  de  l'Humanisme  en 
Allemagne  n'a  pas  encore  été  faite  d'une  manière  satisfaisante-,  les 
travaux  déjà  anciens  de  Erhard  '  et  de  Hagen  '^  n'ont  pas  encore  été 
remplacés.  Il  est  vrai  qu'il  est  difficile  de  traiter  un  aussi  vaste  sujet 


1.  Geschichte  des  Wiederaufbliihens  imssenschaftlischer  Bildung,  vornehm- 
lich  in  Teutschland;  3"  vol.,  Magdebourg,  1827- 1832. 

2.  DeuUchlands  religiœse  und  literarische  Verhxltnisse  im  Reformations 
Zeitaller;  {"''  vol.,  Erlangen,  1843.  —  Nous  ne  voulons  pas,  dans  cette  revue 
des  travaux  d'ensemble  sur  l'Humanisine  en  Allemagne,  passer  sous  silence  l'ou- 
vrage plus  récent  de  J.  Janssen  :  Geschichte  des  deutschen  Volkes  seit  dem 
Ausgang  des  Miltelalters  ;  {"'  vol.,  1"^  partie  avec  titre  spécial  :  Deutschlands 
geistige  Zustscnde  beim  Ausgang  des  Mittelalters.  Fribourg,  Herder,  1876 
(Voy.  Rev.  hist.,  II,  615  et  suiv.). 


432  BULLETIN    HISTOUIQnE. 

à  la  satisfaction  du  lecteur  moderne,  si  le  travail  n'est  facilité  par  de 
nombreux  travaux  de  détail.  Ceux-ci  ont  abondé  dans  ces  dernières 

années. 

Quatre  érudits  surtout  ont  montré  une  ardeur  qui  paraît  parfois  exces- 
sive, et  qui  ace  très-réel  inconvénient  de  faire  attrihuor  trop  d'impor- 
tance à  des  personnages  très-inférieurs.  Avec  un  zèle  infatigable  et 
une  fidélité  minutieuse  aux  moindres  formes  du  langage,  Bœcking  a 
recueilli  en  7  vol.,  auxquels  il  ne  manque  guère  qu'un  index  général, 
tous  les  écrits,  tous  les  actes,  toutes  les  lettres,  etc.,  sortis  de  la 
plume  d'Ulrich  de  Hutten,  ou  qui  le  concernent  '.  A  l'aide  de  cette 
masse  énorme  de  matériaux,  Strauss  a  écrit  une  vie  de  ce  chevalier 
allemand  dont,  sur  plus  d'un  point,  il  peut  être  considéré  comme  un 
descendant  intellectuel  -.  h.  Geiger  s'est  acquitté  avec  non  moins  de 
bonheur  de  la  tâche  plus  pénible  d'apprécier  la  vie  et  les  œuvres 
de  Reuchlin^;  Kampschulte,  de  son  côté,  avait  déjà  écrit  sur 
l'Université  d'Erfurt  un  livre  d'une  importance  capitale  pour  l'étude 
de  l'Humanisme-*. 

De  ces  quatre  écrivains,  un  seul  vit  encore,  le  plus  jeune,  L.  Geiger  -, 
profitant  des  ouvrages  de  ses  illustres  prédécesseurs,  il  se  signala 
d'abord  par  sa  biographie  de  Reuchlin,  puis  par  de  nombreux  tra- 
vaux dans  ce  vaste  domaine  de  l'humanisme  qu'il  ne  devait  plus 
quitter^-,  il  nous  en  donnera  un  jour,  espérons-le,  l'histoire  géné- 
rale, que  ses  études  et  son  talent  le  rendent  également  capable  de 
composer.  De  ses  précédents  travaux,  nous  n'en  signalerons  qu'un 
où  il  a  essayé  de  faire  pour  Reuchlin  ce  que  Bœcking  avait  fait  de 
main  de  maitre  pour  Ulrich  de  Hutten  ;  la  correspondance  de  Reuchlin 
a  été  publiée  par  lui  dans  la  bibliothèque  de  l'Union  littéraire  de 
Stuttgard  ^.  Les  recherches  commencées  pour  la  biographie  du  célèbre 

1.  Ulrichi  Huiieni  equitis  Germani  opéra,  edidit  E.  Bôcking.Lipsiae,  in  aedi- 
bus  Teubnerianis.  5  vol.  1859-62.  Supplemeuta  2  vol.  1864-70. 

2.  Ulrich  von  Buiten,  par  David-Fréd.  Strauss;  2"'  édit.,  Leipzig,  1871.  Cet 
ouvrage  formera  le  7=  vol.  des  Œuvres  complètes  de  Strauss. 

3.  îohann  Reuchlin;  sein  Leben  und  seine  Werke.  Leipzig,  Duncker  etHum- 

blot,  1871.  ^  ^  ^ 

4.  Die  Universitaet  Erfurt  in  ihrem  Verhœltnisse  zu  Humamsmus  und  Refor- 

mation.  2  parties,  1858-60. 

5.  Citons  seulement  :  das  Siudium  der  Hebrseischen  Sprache  in  Deulschland 
vom  Ende  des  XV  bis  zur  Mitte  des  XVI  lahrh;  Breslau,  Schletter,  1870 
(cf.  Ergxnzungen  dans  les  lahrbùcher  fiir  deutsche  Théologie,  vol.  XXI). 
Nicolaus  Ellenbog,  ein  Humanist  und  Theologe  des  XVI  lahrh.,  extrait  du 
Œsterreichische  Vierteljahrsschrift  fiir  katholische  Théologie  1870,  publié  à  part 
chez  Holzhausen,   à   Vienne,    1870;    Peirarca,  Leipzig,  Duncker  et  Humblot, 

1874. 

6.  Johann   Reuchlin' s  Briefwechsel,   gesammelt   und  herausgegeben  von  L. 


PUBLICATIONS   ALLEMANDES    SUR    LA   Re'fORME.  133 

humaniste,  reprises  plus  tard  pour  sa  correspondance,  et  poursuivies 
dans  de  nombreuses  bibliothèques ,  enfin  des  renseignements  com- 
muniqués par  diverses  personnes  ont  mis  l'éditeur  en  état  de  publier 
une  grande  quantité  de  lettres  encore  inédites.  Pour  donner  une 
idée  du  travail  auquel  s'est  livré  l'auteur,  disons  seulement  qu'il  a 
fouillé  les  collections  de  Paris,  Milan,  Bâle,  St-Gall,  Berne,  Munich, 
Stuttgard,  Nuremberg,  etc.  Pour  se  convaincre  de  l'importance  de  ce 
recueil,  il  faut  parcourir  cette  correspondance  même  ;  on  voit  alors 
de  combien  de  beaux  traits  s'est  enrichie  la  noble  figure  de  Reuchlin. 
L'auteur  a  très-sagement  fait  de  ne  publier  intégralement  que  les 
lettres  encore  inédites  ou  les  plus  importantes  des  lettres  déjà  pu- 
bliées, et  de  ne  donner  des  autres  qu'une  analyse,  en  renvoyant  aux 
livres  où  elles  ont  été  imprimées.  Quant  aux  remarques  biographiques 
et  critiques  ajoutées  à  chaque  lettre,  l'utihté  en  est  de  soi-même 
évidente. 

Il  est  impossible  d'énumérer  ici  tous  les  travaux  récents  où  sont 
étudiés  les  humanistes  de  moindre  importance.  Plusieurs  ont  paru 
séparément;  les  autres,  il  faut  les  chercher  dans  diverses  revues-,  la 
plupart  ont  un  intérêt  général,  mais  bon  nombre  aussi  se  rapportent 
presque  uniquement  à  l'histoire  provinciale  ou  locale. 

On  sait  quel  puissant  contingent  l'Alsace  a  fourni  à  l'armée  des 
humanistes.  Les  érudits  et  les  professeurs  de  Strasbourg  sont  au 
nombre  des  plus  illustres,  et  leur  influence  fut  considérable.  Aussi 
avons-nous  accueilli  avec  joie  les  ouvrages  qui  se  rapportent  à  Jakob 
Wimpheling,  à  Beatus  Rhenanus,  à  Sébastien  Brant.  Wimpheling  n'a 
pas  encore  été  l'objet  d'une  étude  vraiment  satisfaisante-,  les  nombreux 
travaux  que  nous  possédons  sur  ce  personnage  laissent  tous  quelque 
chose  à  désirer.  Sa  biographie,  par  Wiskowatoff',  est  une  œuvre 
méritoire,  mais  qui  manque  de  caractère  dans  l'ensemble  et  de  pré- 
cision dans  le  détail,  l'auteur,  par  exemple,  n'a  pas  su  faire  ressortir 
ce  qui  distingue  éminemment  Wimphehng  :  son  importance  pédago- 
gique. C'est  précisément  ce  dernier  point  que  M.  Schwartz  s'est  pro- 
posé de  traiter  2-  mais  on  doit  lui  reprocher  une  admiration  démesurée 
pour  son  héros,  de  grands  excès  de  polémique,  des  allégations  et  des 
expressions  trop  souvent  contestables.  A  Sébastien  Brant,  le  célèbre 
auteur  du  Vaisseau  des  Fous,  M.  Gh.  Schmidt  a  consacré  dans  la 

Geiger  (Bibliothek  des  litterarischen  Vereins  in  Stuttgart  CXXVI.  Tûbingen, 
1875). 

1.  Jakob  Wimpheling;  sein  Leben  und  seine  Schriften.  Berlin,  Mitscher  et 
Rôstell,  1867. 

2.  Jacob  Wimpheling,  der  Altvater  des  deutschen  Schulwesens.  Gotha,  Per- 
thes,  1875. 


^35  nULLETIN    IIISTOIIIQUE. 

Berue  d'A/sarr  trois  arlicles  qui  lémoignonl  au  plus  hauL  degré  en 
faveur  de  rérudilion  et  du  goût  de  l'auteur'.  Le  poème  satirique 
qui  a  immorlalisé  le  nom  de  S.  Brant  a  dans  ces  derniers  temps 
été  publié  deux  fois  par  Gœdeke,  dans  sa  forme  originale,  et  par 
Simrock  dans  une  forme  rajeunie,  qui  lui  enlève  son  originalité , 
en  outre,  ce  dernier  travail  n'est  pas  toujours  exempt  d'erreurs^.  Si 
M.  S.  Rathgeber  n'a  tracé  de  Beatus  Rhenanus  qu'une  courte  esquisse 
biographique  [Rev.  d'Alsace,  I,  384-397),  M.  Horawitz,  un  cons- 
ciencieux érudit  de  Vienne,  qui  s'était  déjà  fait  connaître  par  d'esti- 
mables travaux  sur  l'histoire  de  l'humanisme,  a  su  mettre  habile- 
ment en  lumière  l'histoire  du  bourgeois  de  Schlestadt,  et  surtout  son 
importance  comme  historien^;  on  pourrait  cependant  trouver  à  blâ- 
mer çà  et  là  quelques  longueurs.  M.  Horawitz  a  entrepris  en  même 
temps  de  réunir  la  correspondance  de  son  héros,  recueil  qui  serait 
du  plus  grand  intérêt;  l'auteur  en  a  déjà  donné  un  aperçu  rapide 
dans  les  Rapports  de  l'Académie  des  sciences  de  Vienne  (classe  de 
philosophie  et  d'histoire,  78^  vol., -1 874).  Les  lettres  originales  de 
Rhenanus  se  trouvent  à  côté  de  ses  livres,  à  Schlestadt,  et  ont  été 
jusqu'ici  à  peine  utilisées. 

En  dehors  de  l'Alsace,  nous  trouvons  aussi  d'autres  grands  noms. 
A  Nuremberg,  la  riche  et  savante  cité  impériale,  Wilibald  Pirckhei- 
mer,  le  célèbre  protecteur  de  l'humanisme,  n'a  pas  encore  trouvé  de 
biographe  qui  ait  mis  en  œuvre  les  innombrables  matériaux  fournis 
par  les  ouvrages  imprimés  ou  manuscrits;  mais  deuxérudits  se  sont 
occupés  récemment  de  sa  sœur,  Charitas  Pirckheimer  •*.  Elle  était 
abbesse  du  monastère  de  Ste-Claire  à  Nuremberg-,  à  l'époque  de  la 
Réforme,  elle  avait  eu  de  fréquentes  luttes  à  soutenir  contre  les  auto- 
rités de  la  ville;  elle  savait  se  servir  de  sa  plume,  et  elle  entretint 


1.  Notice  sur  Sébastien  Brant  (Revue  d'Alsace,  nouvelle  série,  t.  III.  1874; 
pages  3-56,  161-216,  346-388).  Voy.  aussi  «  plusieurs  poésies  de  Brant  en  alle- 
mand »  dans  l'Alsatta,  1873-74. 

2.  Seb.  Branfs  Narrenschiff,  1872  (deutsche  Dichter  des  XVI  lahrh.,  7"^  vol. 
Leipzig,  Brockhaus).  —  Narrenschiff...  erneuert  von  K.  Simrock,  mit  den 
Holzschnitten  der  ersten  Ausgabe,  etc.  Berlin,  Lipperheide,  1872. 

3.  Beatus  Rhenanus;  eine  Biographie.  Des  Beatus  Rhenamis  literarische 
Thietigkeit  1508-1546;  Vienne,  C.  Gerolds  Sohu,  1872-73.  —  Du  même  auteur  : 
Michael  Hummelberger,  eine  biographische  Skizze,  Berlin,  Calvary,  1875. 
Cuspar  Bruschius,  ein  Beiirag  zur  Geschichte  des  Humanismus  und  der 
Reformation.  Prague  et  Vienne,  1874  (Verein  fur  Gesch.  d.  Deutschen  in 
Bœhmen). 

4.  W.  Loose,  Aus  dem  Leben  der  Charitas  Pirckheimer;  nach  Brielen, 
Dresde,  1870.  —  F.  Binder,  Charitas  Pirckheimer,  Fribourg  en  Brisgau.  Herder 
1873. 


PUBLICATIONS    ALLEMANDES    SUR    LA    RÉFORME.  i  35 

une  correspondance  avec  des  hommes  tels  que  Geltis  et  Durer.  Son 
compatriote,  Christophe  Scheurl,  qui  fut  pendant  longtemps  profes- 
seur de  jurisprudence  à  Wittemberg,  et  qui  ne  cessa  jusqu'à  sa  mort 
de  rendre  des  services  à  sa  patrie,  est  intéressant  à  étudier  à  cause 
de  sa  correspondance  publiée  depuis  peu;  son  Histoire  delà  Chrétienté 
de  loi  <  à  -152^,  qui  était  restée  inconnue  jusqu'à  ces  derniers  temps, 
aurait  mérité  de  l'être  plus  longtemps  encore  ^  Nuremberg  fut  aussi 
pendant  longtemps  le  séjour  de  Johannes  Cochlaeus,  généralement 
connu  comme  un  des  plus  ardents  adversaires  de  Luther  ;  il  était 
donc  utile  d'étudier  en  lui  l'humaniste;  c'est  ce  qu'a  fait  M.  Otto^. 
L'auteur  est  catholique,  mais  suffisamment  impartial  ;  il  est  à  sou- 
haiter qu'il  écrive  une  biographie  complète  de  Cochlaeus,  et  qu'il 
y  accorde  une  attention  particulière  à  ses  ouvrages  historiques. 

Un  autre  écrivain,  un  de  ceux  qui  se  sont  signalés  de  meilleure 
heure  parmi  les  humanistes,  Pierre  Luder,  a  mené  une  vie  trop  agitée 
pour  qu'il  'fût  possible  de  le  ranger  dans  aucun  cercle  particulier 
d'érudits.  Peu  étudié  jusqu'ici,  bien  que  sa  personnalité  soit  très- 
digne  d'intérêt,  il  a  trouvé  en  Wattenbach  un  biographe  qui  a  puisé 
de  précieux  renseignements  dans  les  manuscrits  de  Munich  et  de 
Vienne,  et  qui  s'est  acquitté  de  sa  tâche  avec  esprit  et  avec  talent. 
Une  fois  lancé  dans  cette  voie,  Wattenbach  a  fait  revivre  encore  un 
autre  précurseur  de  l'humanisme,  un  patricien  d'Augsbourg,  S.  Gos- 
sembrot,  qui  n'épargna  pas  ses  peines  pour  donner  de  l'extension 
aux  études  nouvelles,  et  qui  à  ce  propos  entra  en  lutte  avec  un  pro- 
fesseur de  Vienne  3.  Plus  connus  que  ces  derniers,  Jakob  Locher 
Philomusus  et  EobanusHessus  méritaient  d'être  l'objet  de  travaux  nou- 
veaux approfondis  et  faits  avec  goùt^.  Le  premier  s'est  surtout  fait  un 
nom  par  sa  lutte  avec  Wimpheling,  lutte  qu'on  a  parfois  représentée, 
non  sans  exagération,  comme  le  prélude  du  combat  que  se  livrèrent 
Reuchlin  et  les  auteurs  des  Epistolae  obscurorum  virorum.  Le  second 
joue  dans  l'histoire  de  l'Humanisme  et  de  la  Réforme  en  Allemagne 

1.  Soden  und  Knaake,  Christoph  Scheurls  Briefbuch;  2  vol.  Postdam,  1867- 
72.  —  Knaake,  lahrhûcher  des  deutschen  Reichs  und  der  deutschen  Kirche 
im  Zeilalter  der  Reformation.  Leipzig,  1872. 

2.  Cari  Otto,  lohannes  Cochlaeus,  der  Hiimanist.  Breslau,  Aderholz,  1871. 

3.  Peter  Luder,  der  erste  humanistische  Lehrer  in  Heidelberg,  Erfurt, 
Leipzig  und  Basel  (Zcitschrift  fiir  Gcschichte  des  Oberrheins,  22'-  vol.  ;  cf.  dans 
les  vol.  23  et  27  :  Nachtrxgliches  ûber  Peier-Luder).  —  Sigismond  Gossembrot 
als  Vorkaempfer  der  Humanislen  und  seine  Gegner  (Ibid.  vol.  25). 

4.  Ilehle,  Der  schvwbische  Eumanist  Jakob  Locher  Philomusus.  Tubingiie, 
Fues,  1873,  Ehingen,  1874.  —  Krause,  Die  Sciml-und  Universitsctsjahre  des 
Dichters  Eobanus  Hessus.  Zerbst,  1873.  —  Schwertzell  Helius,  Eobanus  Hessus, 
ein  Lebensbild  aus  der  Reformationszeit.  Halle,  Lippert,  1874. 


136  BULLETIN  IIISTORIQrE. 

un  rôle  Irop  important  pour  que  les  auteurs  rjui  ont  écrit  sur  ces 
vastes  sujets  ne  soient  pas  revenus  constamment  sur  ce  personnage. 
On  s'étonnera  sans  doute  que  dans  cette  revue  des  publications 
récentes  sur  l'histoire  de  l'humanisme  allemand,  on  n'ait  pas  encore 
rencontré  le  nom  de  celui  qu'on  s'attendait  à  trouver  à  la  première 
place.  Erasme,  Hollandais  de  naissance,  et  mort  en  Suisse,  Erasme, 
dont  linfluence  s'étendit  sur  presque  tous  les  pays  de  l'Europe,  doit 
cependant  être  compté  au  nombre  des  humanistes  allemands.  Plus 
d'une  fois  il  se  qualifie  lui-même  (ï/iomo  germanus^  et  pendant  de 
longues  années  il  a  joué  en  Allemagne  un  rôle  imposant  et  sans 
égal  ;  mais  par  malheur  personne  encore  n'est  parvenu  à  nous 
peindre  d'une  manière  irréprochable  toutes  les  faces  de  ce  person- 
nage extraordinaire.  Récemment,  en  France  et  en  Angleterre,  ont 
paru  plusieurs  ouvrages  qui  prétendaient  combler  cette  lacune'. 
Nous  n'en  ferons  pas  une  critique  détaillée,  et  nous  nous  référons  au 
jugement  porté  par  un  des  érudits  les  plus  compétents  sur  cette  ma- 
tière, Ludwig  Geiger.  M.  Durand  de  Laur  a  certainement  étudié  son 
sujet  avec  soin,  mais  dans  un  esprit  exagéré  d'apologie,  et  sans 
l'encadrer  au  milieu  des  événements  de  l'histoire  générale  ;  d'ailleurs, 
il  connaît  fort  peu  les  travaux  allemands-,  enfin  il  a  disposé  ses  maté- 
riaux dans  un  ordre  très-défectueux.  Le  livre  de  M.  Feugère  prête  le 
fianc  aux  mêmes  reproches,  et,  comme  il  a  été  écrit  après  celui  de 
M.  Durand  de  Laur,  il  n'est  pas  étonnant  que  la  critique  se  soit 
montrée  encore  plus  sévère  pour  ses  erreurs  et  ses  légèretés.  Un 
Anglais,  M.  Druirimond,  dont  l'ouvrage  parut  en  même  temps  que 
les  deux  précédents,  nous  satisfait  mieux;  cependant  ce  n'est  pas,  et, 
comme  le  titre  l'indique,  ce  ne  devait  pas  être  une  biographie  com- 
plète. L'auteur  n'est  pas  non  plus  très  au  courant  des  travaux  alle- 
mands, sans  lesquels  il  est  impossible  de  marquer  avec  justesse  la 
place  occupée  par  le  grand  humaniste  parmi  ses  contemporains. 
Malheureusement,  en  Allemagne,  on  n'a  guère  récemment  étudié  en  lui 
que  le  théologien  -,  et  il  n'est  pas  sûr  qu'à  ne  considérer  même  que  cette 

1.  H.  Durand  de  Laur,  Erasme,  précurseur  et  initiateur  de  l'esprit  moderne. 
Paris,  Didier,  1872.  2  vol.  —  G.  Feugère,  Erasme,  élude  sur  sa  vie  et  ses 
ouvrages.  Paris,  Hachette,  1874.  —  R.  B.  Druminond,  Erasmus,  fiis  life  and 
character,  as  showti  in  his  correspondance  and  works.  Londres,  Smith  Elder 
and  C°  1873;  2  vol.  —  Comp.  L.  Geiger,  Hisiorische  Zeitsckrifl,  hgg.  von  H. 
von  Sybel.  vol.  33.  M.  Horawilz   se  propose  d'écrire  une  biographie  d'Erasme. 

2.  Slichart,  Erasmus  von  Rotterdam;  seine  Stelluug  zu  der  Kirche  und  zu 
den  kircklichen  Beweguaç/ea  seiner  Zeit.  Leipzig,  Brockhaus,  1870.  —  Wokcr, 
De  Erasmi  Roterodami  Sludiis  irenicis.  Paderborne,  1872.  —  R.  Stt'ehelin, 
Erasmus  Stellung  zur  Reformation,  hauptsxchlich  von  seinen  Beziehungen  zu 
Basel  ans  beleuclitet.  Acaderaische  Probevorlesung.  Bàle,  Schneider,  1873. 


PUBLICATIOXS    ALLEMANDES    SUR    LA    RÉFORME.  ^ 37 

face  de  son  caractère,  ses  sentiments  vraiment  libéraux  aient  été 
appréciés  à  leur  juste  valeur.  Une  biographie  d'Erasme  conforme 
aux  exigences  de  l'érudition  moderne,  est  encore  à  écrire;  c'est  une 
œuvre  aussi  difficile  que  séduisante,  et  qui  exige  les  connaissances 
les  plus  variées.  Elle  sera  d'ailleurs  fort  difficile  tant  qu'on  n'aura 
pas  une  édition  critique  de  la  correspondance  d'Erasme,  dont  la  chro- 
nologie est  si  incertaine.  Un  pareil  travail  serait  de  la  plus  grande 
utilité  pour  l'histoire,  si  injustement  négligée  jusqu'ici,  de  l'Huma- 
nisme en  France. 

Si  les  humanistes  forment  un  groupe,  les  réformateurs  proprement 
dits  en  forment  un  autre,  auquel  se  rapportent  d'importants  travaux 
publiés  presque  tous  en  même  temps.  Ce  sont  d'abord  les  éditions 
de  leurs  œuvres  sur  lesquelles  nous  jetterons  un  rapide  coup  d'œil. 
Pendant  que  M.  Schmidt  terminait  avec  le  7"  volume  le  recueil  des 
œuvres  latines  de  Luther  qui  intéressent  l'histoire  de  Ja  Réforme', 
M.  Bindseil  donnait  un  complément  excellent  et  préparé  de  longue 
main,  à  la  correspondance  de  Mélanchthon  publiée  dans  le  Corpm 
reformatorum  2.  Il  ne  s'est  pas  contenté  d'y  faire  entreries  fragments 
de  lettres  parus  seit  dans  les  revues,  soit  dans  les  livres  postérieurs 
à  rédition  du  Corpus;  il  a  fouillé  d'anciens  ouvrages  maintenant 
oubliés,  enfin  il  a  pu  réunir  une  riche  collection  de  lettres  inédites. 
Parmi  ces  dernières,  les  plus  importantes  sont  celles  qu'on  a  décou- 
vertes dans  la  célèbre  collection  Simler^  à  Zurich,  où  se  trouvent 
des  lettres  de  Mélanchthon,  Butzer,  Bullinger,  Vadian  et  autres^.  Les 
archives  de  Dresde  et  de  Mulhouse,  les  bibliothèques  de  Werninge- 
rode,  Wolfenbuttel,  Hambourg,  Giessen,  etc.,  ont  aussi  été  mises  à 
contribution.  Malgré  tout  le  soin  que  ce  très-savant  éditeur  a  pris 
pour  ne  rien  laisser  échapper,  on  peut  signaler  çà  et  là  plusieurs 
omissions,  et  les  différents  critiques  qui  ont  rendu  compte  de  son 
excellent  travail  y  ont  relevé  de  petites  erreurs  de  détail.  D'ailleurs, 
on  ne  peut  se  flatter  d'avoir  déjà  trouvé  toutes  les  sources  cachées, 
malgré  les  recherches  minutieuses  auxquelles  on  s'est  livré  dans  un 
grand  nombre  de  bibliothèques  et  d'archives.  La  correspondance  des 

1.  D.  Martini  Lutheri  opéra  Jatina  varii  argumenti  ad  Reformationis  hislo- 
riam  imprimis  pertinentia ;  curavit  Dr.  Henricus  Schmidt.  7''  vol.,  Francfort, 
1873. 

2.  Philippi  Melanchlhonis  epistolae,  judicia,  consilia,  tesUmonia  aliorumque 

ad  eum  epistolae  quae  in  Corpore  reformatorutn  desideraniur collegil 

H.  E.  Biiulseil  ;  Jlalis  Saxoniiin,  typis  suniptibusquc  G.  Schwelschke,  1874. 

3.  Je  ferai  remarquer  en  passant  ([ue  la  lettre  de  Mélanchthon  à  Eberhard 
Rumlang,  que  Cijidseil  donne  d'après  une  copie  de  la  collection  Simler,  se 
trouve  en  original  aux  Archives  de  l'Étal  à  Berne  {Epistolae  varii  tlwmalis  et 
miscellanea  ecclesiae  37-39). 


^38  BULLETIN   HISTORIQUE. 

réformateurs  a  été  si  étendue  qu'on  ne  peut  être  sûr  de  l'avoir  jamais 
sous  les  yeux  tout  entière.  A  peine  le  livre  de  Bindseil  élait-il  paru, 
que  de  plusieurs  côtés  on  publia  des  lettres  de  Mélanchtlion  ^  ainsi 
M.  Horawitz,  dans  les  rapports  de  l'Académie  des  sciences  de  Vienne 
(1874),  et  M.  Varrentrapp  dans  les  Forschungen  zur  deutschen 
Gesc/iichte  (1876).  Tout  récemment  encore,  a  paru  dans  les  mémoires 
de  l'Académie  de  Munich  ('1876),  un  rapport  de  M.  DrufTel  sur  les 
manuscrits  de  Mélanchthon  conservés  dans  la  bibliothèque  Ghigi. 
S'appuyant  sur  les  travaux  préparatoires  d'un  autre  érudit,  H.  W. 
Meyer,  M.  Drufîel  a  prouvé  que  les  lettres  de  Mélanchthon,  dans  la 
forme  sous  laquelle  Camerarius  les  a  livrées  à  l'imprimeur,  ne  sont 
pas  absolument  conformes  aux  originaux  qui  se  trouvent  parmi  les 
mss.  de  Camerarius  conservés  dans  cette  bibliothèque.  Il  n'est  pas 
douteux  que  Camerarius  n^ait  pris  systématiquement  de  grandes 
libertés  avec  son  texte  ;  il  y  a  même  certaines  lettres  qu'il  s'est  per- 
mis de  supprimer  complètement. 

On  ne  peut  parler  des  travaux  récents  sur  la  correspondance  des 
réformateurs  sans  mentionner  le  nom  de  Cari  Krafft',  pasteur  à 
Elberfeld.  Il  s'occupait  déjà  depuis  longtemps  de  l'histoire  de  la 
Réforme  avec  un  zèle  qu'attestent  des  travaux  nombreux  et  estimés  ^ , 
quand  il  résolut  de  fouiller  les  archives  et  les  bibliothèques  pour 
trouver  les  matériaux  d'une  histoire  ecclésiastique  du  Bas-Rhin  à 
l'époque  critique  où  un  archevêque  de  Cologne  menaçait  l'église 
catholique  d'un  coup  terrible.  Un  des  derniers  fruits  de  ses  études 
infatigables  est  un  recueil  de  documents  qui  forme  la  meilleure  part 
d'une  publication  de  circonstance  entreprise  en  collaboration  avec 
son  frère  ^.  On  y  trouve  des  lettres  jusqu'alors  inédites,  et  la  plupart 
fort  intéressantes,  de  Butzer,  Erasme,  Mélanchthon,  Thomas  31ûnzer, 

1.  Indiquons  seulement  ici  les  articles  qui  ont  été  insérés  dans  la  Zeitschrift 
des  Bergischen  Geschichis-  Vereins,  ceux  par  exemple  sur  les  notes  prises  par 
Bullinger  pendant  qu'il  étudiait  à  Emmerich  et  à  Cologne,  et  sur  sa  correspon- 
dance avec  ses  amis  de  Cologne,  à  propos  des  documents  qui  se  rapportent  aux 
deux  martyrs  évangéliques  Pierre  Fliesteden  et  Adolphe  Ciarenbach,  etc.  Men- 
tionnons aussi  les  lettres  de  Mélanchthon,  Bucer  et  de  leurs  amis  ou  adversaires, 
concernant  la  Réforme  sur  les  bords  du  Rhin  à  l'époque  d'Hermann  von  Wied, 
publiées  dans  les  Theologische  Arbeiten  ans  dem  rheinischetiinssenschaftlichen 
Prediger-Verein,  2"  vol.,  1874,  chez  Friderichs  à  Elberfeld;  plus  14  lettres  de 
Luther  dans  ce  même  vol.,  et  dans  le  1"  un  article  intitulé  :  Ueber  die  Quellen 
der  evangelischen  Beiregungen  am  Niederrhein. 

2.  Briefe  und  Documente  aus  der  Zeit  der  Reformaiion  imXVI  lahrh.  nehst 
Mittheiluiifjen  iiber  kœimsche  Gelehrte  und  Studien  im  XI II  und  XVI  lahrh.; 
bei  Gelegenheit  des  fiinfzigjœhrigen  Stiltungsfestes  des  Friedrich-Wilhelms- 
Gymnasium  zu  Kœin,  hgg.  von  K.  Krafft  und  W.  Krafft.  Elberfeld,  S.  Lucas 
(1875). 


PUBLICATIONS    ALLEMANDES   SUR    LA    RÉFORME.  ^39 

Slaupitz  et  autres.  La  lettre  de  Staiipitz  à  Luther,  par  exemple, 
écrite  en  1524  «  post  longa  silentia  »,  et  inconnue  au  dernier  bio- 
graphe du  réformateur,  nous  fait  voir  clairement  l'amitié  cordiale 
que  Staupitz  ressentit  jusqu'à  sa  mort  pour  son  illustre  disciple.  Sans 
doute  il  conseille  de  ne  pas  faire  de  réformes  radicales  et  le  prie  de 
songer  aux  consciences  inquiètes  :  «  que  neutra  sunt  et  cum  sincera 
fide  stare  possunt,  oro  ne  damnes  »  -,  mais  il  fait  aussi  cette  remarque  : 
«  in  te  constantissimus  mihi  amor  est,  eciam  super  amorem  mulie- 
rum  semper  infractus  ».  Cette  lettre,  comme  les  autres  du  volume 
de  Krafft,  a  été  tirée  des  collections  de  correspondances  contempo- 
raines que  Spalatin  semble  avoir  systématiquement  formées,  et  dont 
il  reste  encore  des  débris  importants  dans  plusieurs  manuscrits  de 
Berne  et  de  Bâle.  Les  thèses  de  Mélanchthon  pour  le  baccalauréat  en 
théologie,  à  Wittemberg,  publiées  d'après  une  ancienne  copie  de  la 
bibliothèque  de  Berlin,  seront  aussi  accueillies  avec-  reconnaissance 
par  tous  ceux  qui  regrettaient  de  ne  pas  les  connaître.  Les  éclaircis- 
sements sur  les  érudits  et  les  études  à  Cologne,  que  Krafft  a  fait 
entrer  dans  son  livre,  auraient  mérité  d'être  mentionnés  plus  haut 
dans  notre  revue  des  travaux  relatifs  à  l'histoire  de  l'Humanisme, 
parce  qu'ils  se  rapportent  surtout  à  des  hommes  tels  que  Mosellanus, 
Hermann  Buschius,  Mutianus  et  autres. 

La  correspondance  entre  le  duc  de  Wurtemberg  et  P.-P.  Vergerius  ' , 
dont  la  société  littéraire  de  Stuttgard  a  entrepris  la  publication, 
appartient  à  un  autre  ordre  d'idées.  On  connaît  l'étonnante  destinée 
de  Vergerius,  et  son  activité  passionnée  dans  la  lutte  contre  la  vieille 
église  qu'il  avait  quittée.  Protégé  et  soutenu  par  le  duc  de  Wurtem- 
berg, il  lui  rendit,  par  son  infatigable  correspondance  et  ses  missions 
diplomatiques,  lés  services  les  plus  divers.  Ses  lettres,  tirées  j)our  la 
plupart  des  archives  de  Stuttgard,  font  ressortir  les  traits  peu  hono- 
rables de  son  caractère,  sa  vanité,  son  penchant  à  s'imposer  quand 
même,  mais  aussi  elles  mettent  en  pleine  lumière  le  rôle  qu'il  a  joué 
dans  les  luttes  de  son  temps. 

A  côté  des  correspondances,  qui  seront  toujours  la  meilleure 
source  d'information  pour  Fintelligence  du  rôle  joué  par  les  person- 
nages importants,  il  est  aussi  d'autres  documents  d'une  grande 
valeur.  Nulle  part  la  figure  de  Luther  n'est  peinte  avec  autant  de 
fraîcheur  et  de  vie  que  dans  ses  Propos  de  table  [Tischreden]  ;  ce 
sont  pour  la  plupart  des  conversations  qu'il  eut  à  table  avec  ses  amis 


1.  Briefwechsel  zwischen  Christoph  Herzog  ton  Wurtemberg  und  Petrus 
Paulus  Vergerius,  gesammelt  und  hgg.  von  E.  von  Kausier  und  Theodor  Schott 
(Bibliothèque  de  la  Société  littéraire  de  Stuttgard,  12i"  vol.  Tubingue,  1875). 


140  BULLETIN   HISTORIQUE. 

et  ses  disciples,  cl  qui  ont  été  recueillies  par  l'un  et  par  l'autre.  Les 
difïerents  recueils  de  ces  I^rojios  qui  nous  sont  parvenus  ne  méritent 
pas  toujours,  on  l'a  déjà  fait  remarquer  plusieurs  fois,  la  confiance 
superstitieuse  avec  laquelle  ils  ont  été  souvent  accueillis.  On  y  rencontre 
souvent  des  difficultés  chronologiques  et  des  contradictions  insolubles, 
mais  une  critique  exacte  de  ces  Propos  n'était  pas  possible  tant  qu'on 
n'en  pourrait  pas  retrouver  l'origine.  Une  publication  récente  a  gran- 
dement facilité  ce  travail  délicat.  Les  notes  d'Antoine  Lauterbach,  dis- 
ciple et  ami  de  Luther,  qui  a  largement  contribué  à  la  fabrication  de  ces 
recueils,  ont  été  publiées  d'après  un  manuscrit  découvert  à  la  biblio' 
thèque  de  Dresde  ^  Peut-être  a-t-on  eu  tort  d'appeler  ces  notes  un 
journal  [Tagebuch],  caria  personnalité  de  Lauterbach  s'efface  tout 
à  fait  derrière  celle  du  réformateur.  Il  se  peut  aussi  que  le  fidèle 
disciple  n'ait  pas  recueilli  à  table  tous  les  propos  qu'il  rapporte. 
Quoi  qu'il  en  soit,  la  nouvelle  publication  permet  de  comparer  les 
anciennes  éditions  à  l'original  de  Lauterbach.  L'éditeur  a  joint  au 
texte  une  introduction,  des  remarques  et  un  appendice;  son  travail 
est  déjà  venu  en  aide  au  dernier  biographe  de  Luther. 

Cette  biographie  à  laquelle  nous  faisons  allusion  est  sans  contredit  le 
travail  le  plus  important  qui  ait  été  composé  sur  la  matière-.  Il  fait 
partie  de  la  grande  collection  intitulée  Vie  et  œuvres  choisies  des'pères 
et  fondateurs  do  l'église  luthérienne.  L'auteur,  M.  Kœstlin,  y  déploie 
d'éminentes  qualités  :  une  vaste  connaissance  des  travaux  antérieurs, 
une  critique  pénétrante,  un  jugement  impartial,  un  style  élégant  et 
simple.  Il  renverse  sans  pitié  les  légendes  qui  embellissaient  l'histoire 
de  la  jeunesse  de  son  héros,  et  introduit  un  ordre  meilleur  dans  la 
chronologie  de  son  époque.  Il  analyse  avec  soin  les  plus  importants 
écrits  de  Luther  et  initie  pas  à  pas  le  lecteur  à  son  développement 
intellectuel.  Quoique  théologien,  il  se  garde  bien  de  considérer  son 
sujet  au  point  de  vue  exclusif  d'une  école  de  théologie  contemporaine. 
Rarement  il  fait  suivre  le  récit  des  faits  de  ses  réflexions  personnelles, 
et  quand  le  cas  se  présente,  on  ne  se  sent  pas  toujours  satisfait  ni 
éclairé.  On  regrette  aussi  que  l'auteur  n'ait  pas  davantage  la  préci- 
sion juridique,  quand  il  s'agit  d'indiquer  l'opinion  de  Luther  sur  les 
rapports  de  l'Eglise  et  de  l'État,  et  de  montrer  comment  la  séparation 
des  deux  pouvoirs  a  été  effectuée  dans  les  pays  évangéliques.  L'auteur 
n'insiste  pas  assez  non  plus  sur  l'importance  qu'eut  Tannée  i525 

1.  M.  Anton  Laiiterbach's  diaconi  zu  Wiltenbercj  Tagebuch  auf  das  lahr 
1538,  die  Hauptquelle  der  Tischreden  Luther' s;  ans  der  Handschrift  hgj^.  von 
J.  K.  Seidemann.  Dresde,  Naumann,  1872. 

2.  Martin  LuIJier ,  sein  Leben  und  seine  Schriften,  von  Dr  J.  Kœstlin,  pro- 
fessor  iind  Consistorialralh  in  Halle,  2  vol.  Elbcrfeld,  Friderichs,  1875. 


PUBLICATIONS    ALLEMANDES    SUR    LA    Re'fORME.  ^4^ 

pour  la  Réforme  et  ses  premiers  représentants.  Mais  on  ne  refusera  pas 
à  M.  Kœstlin  l'honneur  d'avoir  fait  un  livre  qui  répond  aux  exigences 
de  la  science,  et  qui  mérite  de  se  répandre  dans  le  grand  public. 

La  biographie  la  plus  complète  laissera  toujours  place  à  des  études 
sur  des  points  particuliers.  Ainsi  M.  Kolde  a  cherché  à  montrer,  dans 
un  récent  travail,  sur  quel  terrain  se  plaça  Luther  en  présence  des 
notions  du  concile  et  de  l'église.  MM.  Albert  et  Jacobs  ont  traité 
la  disputation  de  Leipsic^  Mais  d'autres  écrivains  préféreront 
porter  leur  attention  sur  des  personnages  d'une  importance  secon- 
daire, et  dont  le  rôle,  obscurci  par  la  gloire  des  grands  noms  de  la 
Réforme,  risquerait  d'être  oublié.  Tel  fut  Eberlin  von  Gûnzburg  dont 
on  s'est  déjà  maintes  fois  occupé,  mais  dont  on  attendit  longtemps 
une  biographie  complète.  Par  l'habileté  de  sa  plume,  il  devint  une 
véritable  puissance  auprès  du  peuple-,  de  son  œil  clairvoyant,  il 
découvrit  les  maux  qui  menaçaient  la  société,  et,  dans  la  guerre  des 
paysans,  il  exerça  une  influence  bienfaisante  à  Erfurt.  Tous  ces  traits 
forment  un  personnage  assez  intéressant  à  étudier  ;  M.  Riggenbach 
a  su  les  réunir  dans  un  ouvrage  fait  avec  soin^.  L'auteur,  il  est  vrai, 
n'a  fait  aucune  trouvaille  importante,  mais  il  a  donné  une  analyse 
fidèle  des  ouvrages  imprimés  d'Eberlin  qui  sont  devenus  rares.  On 
aurait  désiré  cependant  que  les  opinions  de  celui-ci  eussent  été  mieux 
étudiées  dans  leurs  rapports  avec  celles  des  contemporains,  que 
l'auteur  eût  évité  les  allusions  au  temps  présent,  et  ajouté  une  revue 
bibliographique  exacte. 

L'ouvrage  de  M.  Riggenbach  nous  amène  naturellement  à  un 
autre  groupe  de  travaux  historiques  qui  se  rapportent  moins  à  la 
biographie  des  réformateurs  eux-mêmes  qu'aux  agitations  politiques 
et  sociales  nées  de  la  Réforme.  Cette  époque,  en  effet,  est  celle  où  se 
firent  toutes  les  tentatives  révolutionnaires,  où  toutes  les  classes  de 
la  société  furent  ébranlées,  où  les  chevaliers,  les  bourgeois,  les 
paysans,  entrèrent  en  lutte  avec  les  puissances  dominantes.  L'intérêt 
dramatique  de  cette  histoire  a  tout  récemment  rappelé  sur  elle  l'at- 
tention. En  réalité,  les  questions  politiques  et  sociales  qui  s'agitaient 
alors  sont  de  celles  qui  ne  passent  pas^  mais  après  les  diverses 
épreuves  auxquelles  elles  ont  été  soumises,  on  peut  les  discuter  avec 
moins  de  passion  qu'il  n'aurait  été  possible  de  le  faire  il  y  a  quelques 
.  dizaines  d'années  ;  et,  bien  qu'aujourd'hui  encore  nombre  de  points  ira- 


1.  Luther's  Stellung  zu  Goncilund  Kirche.  1876.    Quant  à  la  disputation    de 
Leipsic,  v.  Zeitschrift  fur  hisiorische   Théologie,  1873,  1874. 

2.  Johann  Eberlin    von   Giinzburg  und  sein   Reformprogramm.  Tubingue, 
Fues,  1874. 


-142  BOLLETIN    HISTORIQUE. 

porlanls  soient  restés  obscurs,  on  commence  à  posséder  une  idée  claire 
de  la  puissante  cfTervescence  qui,  simultanément  avec  la  réforme 
religieuse,  pénétra  toutes  les  couches  de  la  nation  allemande.  Aussi 
M.  Baur  a-t-il  été  bien  inspiré  de  mettre  à  profit  les  pièces  fugitives, 
anonymes  ou  pseudonymes,  des  années  '^5^7-^525,  pour  laisser  cette 
cpoiiue  troublée  parler,  pour  ainsi  dire,  par  leur  bouche  au  lecteur  '. 
On  peut  cependant  lui  reprocher  de  n'avoir  pas  assez  tenu  compte 
des  travaux  de  ses  devanciers,  d'avoir  commis  plus  d'une  erreur  de 
détail,  et  surtout  de  n'avoir  fait  qu'esquisser  légèrement  le  sujet. 

On  peut  déjà  reconnaître  dans  l'opposition  que  Gharles-Quint  et 
Ferdinand  rencontrèrent  en  Autriche  à  la  mort  de  leur  grand-père 
Maximilien,  un  symptôme  de  l'esprit  révolutionnaire  qui  devait 
bientôt  prendre  de  si  grandes  proportions.  M.  V.  v.  Kraus,  dans  un 
ouvrage  distingué,  où  il  a  utilisé  d'importants  documents,  a  étudié 
cette  opposition,  la  lutte  qui  s'en  suivit  et  le  triomphe  définitif  de 
l'archiduc  Ferdinand^;  il  est  à  désirer  qu'il  nous  donne  une  histoire 
complète  du  règne  de  Ferdinand  I,  histoire  dont  le  besoin  se  fait  de 
plus  en  plus  sentir. 

L'intérêt  de  ce  sujet  ne  dépasse  guère  les  frontières  du  pays  auquel 
il  se  rapporte.  11  n'en  est  pas  de  même  pour  celui  qu'a  traité  M.  Ulmann. 
On  sait  quelle  place  considérable  occupe  Franz  de  Sickingen  dans  l'his- 
toire de  la  Réforme.  Jusqu'ici  on  devait  se  contenter  d'une  biographie 
pitoyable  et  décousue  de  Mûnch;  M.  Ulmann  est  venu  combler  heu- 
reusement cette  lacune^.  Des  recherches  minutieuses  dans  les 
archives  lui  ont  permis  d'apporter  des  conclusions  neuves  et  impor- 
tantes-, sans  doute  on  n'a  pu  rien  ou  presque  rien  retrouver  de  la 
correspondance  du  hardi  chevalier,  parce  qu'elle  fut  pillée  dans  le 
sac  de  ses  châteaux  par  les  princes  ses  ennemis-,  mais  les  archives 
de  Gassel  (Marbourg),  de  Munich,  Weimar,  Francfort,  Vienne,  etc., 
ont  fourni  sur  plusieurs  points  des  renseignements  aussi  précieux 
qu'abondants.  Si  le  portrait  que  Ranke  a  tracé  de  F.  von  Sickingen 
est  maintenant  encore  exact  dans  son  ensemble,  il  demande  cependant 
de  nombreuses  retouches.  On  reconnaît  en  Sickingen  le  dernier  grand 
représentant  d'une  caste  qui  devait  nécessairement  disparaître  un 
jour,  mais  on  remarque  en  même  temps  que  les  intérêts  de  sa  caste 

1.  August  Baur,  Deutschland  in  den  Jahren  1517-1525;  betraehtel  im  Lichte 
gleichzeitiger  anonymer  und  pseudonymer  Volks-und  Flugschriften.  Ulm, 
Stettin,  1872. 

2.  Zur  Geschichle  Œsterreichs  unter  Ferdinand  I,  1519-1522;  ein  Bildstxn- 
discher  Parteikxmpfe.  Vienne,  Hœlder,  1873. 

3.  Franz  von  Hickingen,  nacli  meistens  ungedruckien  Quellen.  Leipzig, 
Hirzel,  1872. 


PUBLICATIONS    ALLEMANDES    SDR    LA    llÉFORME.  ^43 

ne  furent  pas  le  plus  grand  de  ses  soucis.  Il  désirait  avec  ardeur 
conquérir  une  situation  extraordinaire;  mais  il  ne  séparait  pas  ses 
plans  ambitieux  des  idées  nouvelles;  aussi  son  rôle  n'est-il  pas  celui 
d'un  simple  chef  de  parti.  C'était  le  devoir  de  l'historien  d'analyser 
ce  caractère  complexe,  de  montrer  ses  côtés  forts  comme  ses  côtés 
faibles,  de  rompre  souvent  en  visière  à  la  tradition  qui  incline  trop 
volontiers  à  représenter  Sickingen  comme  le  «  héros  national  ».  Cer- 
taines questions  obscures  se  trouvent  chemin  faisant  éclaircies  mieux 
qu'elles  ne  l'avaient  été  jusqu'alors,  telles  sont  les  tentatives  faites 
pour  améhorer  la  situation  des  chevaliers  de  l'empire,  et  réprimer 
leurs  débordements,  les  diverses  luttes  soutenues  par  Sickingen  et 
ses  rapports  avec  les  chefs  de  l'Humanisme  et  de  la  Réforme,  l'expé- 
dition contre  Trêves  et  la  défaite  du  chevalier.  Beaucoup  d'erreurs 
commises  par  les  précédents  auteurs  sont  aussi  corrigées  dans  le 
livre  de  M.  Ulmann  ;  cette  allégation,  par  exemple,  que  le  gouverne- 
ment impérial  favorisa  Sickingen  au  détriment  de  beaucoup  d'autres, 
est  ramenée  ici  à  sa  juste  valeur.  Les  lecteurs  français  y  apprendront 
aussi  avec  intérêt  quels  rapports  Sickingen  eut  avec  François  I,  et  à 
ce  propos,  nous  signalerons  une  lettre  du  roi  à  Sickingen  tirée  des 
archives  de  Cassel  (aujourd'hui  Marbourg) ,  et  publiée  dans  l'ap- 
pendice. 

En  décrivant  le  pillage  de  la  Franconie,  M.  Ulmann  fait  allusion  à 
un  homme  d'une  réputation  détestable,  Thomas  d'Absberg,  qui  se  fit 
par  ses  excès  un  nom  particulièrement  redouté.  Ses  luttes  contre  la 
Ligue  de  Souabe  ont  fait  l'objet  d'un  nouveau  travail  publié  par  la 
Société  littéraire  de  Stuttgard  ;  on  y  voit  à  quel  degré  de  barbarie  on 
était  arrivé  à  cette  époque  ^  Sur  Gœtz  de  Berlichingen  et  sa  fameuse 
autobiographie,  nous  trouvons  aussi  d'intéressants  renseignements 
dans  un  mémoire  de  M.  Wegele  inséré  dans  le  3"  vol.  de  la  Zeitschrift 
fur  deuische  KuKurgeschichte  (N.  F.  III). 

On  peut  jusqu'à  un  certain  point  considérer  comme  un  supplément 
au  beau  livre  de  M.  Ulmann  l'ouvrage  de  M.  Otto  Waltz,  aujourd'hui 
professeur  à  Dorpat-.  On  crut  longtemps  que  le  manuscrit  de  la 
chronique  de  Philippe  von  Flersheim,  beau-frère  de  Sickingen,  avait 
été  perdu  sans  retour  par  la  faute  du  premier  éditeur  ;  mais,  bien 
que  la  première  rédaction  et  la  première  recension  de  ce  texte 
important  ne  paraissent  pas  devoir  être  jamais  retrouvées,  on  a 

1.  Verhandlungen  iiber  Thomas  von  Absberg  und  seine  Fehden  gegen  den 
schwxbischen  Bund,  1519-1530;  hgg.  von  J.  Baader  (Bibliothek  des  litterarischen 
Vereins  in  Stuttgart,  vol.  114).  Tubingue,  1873. 

2.  Die  Flersheimer  Chronik;  zur  Geschickte  des  XV  und  XVI  Jahrh. 
Zum  ersten  Mal  nach  vollstéendigen  Handschriften  hgg.  Leipzig,  Hirzel,  1874. 


^44  IllILLiniN  IllSIOKlylJK. 

mis  la  main  LouL  réccmmeiiL  sur  trois  rédactions  manuscrites, 
à  Wurtzbourg,  à  Trêves  et  à  Heidelbcrg^  cette  dernière,  décou- 
verte par  M.  Wallz  lui-même,  a  servi  de  base  à  l'édition  princeps 
qui  est  daillours  très-delectueuse.  A  l'aide  de  ces  trois  mss., 
on  pouvait  entreprendre  une  édition  critique  de  la  chronique,  et, 
quoique  l'on  puisse  mettre  en  doute  çà  et  là  la  justesse  du  choix  des 
leçons,  on  doit  reconnaître  qu'il  a  su  établir  son  texte  avec  autant  de 
bonheur  que  de  pénétration.  Le  lecteur  appréciera  fort  aussi  l'utilité 
des  notes  qui  accompagnent  le  texte  et  d'une  table  rédigée  avec  soin. 
La  révolte  des  paysans  allemands  forme,  après  l'échec  des  tenta- 
tives révolutionnaires  de  Sickingen,  une  nouvelle  phase  du  mouvement 
socialiste  à  cette  époque.  Depuis  longtemps  on  sentait  le  besoin  de  pos- 
séder une  édition  critique  de  quelques  sources  de  cette  histoire  dont 
on  n'avait  encore  que  des  fragments  ou  que  des  textes  insignifiants. 
Nous  aurions  à  parler  en  premier  lieu  d'une  publication  qui  est  des- 
tinée à  combler  en  partie  cette  lacune,  si  elle  n'avait  point  paru  trop 
tard  pour  que  nous  puissions  en  donner  une  analyse  détaillée  ^ 
Gontentons-nous  de  faire  en  passant  la  remarque  que  ce  nouveau 
Recueil  de  Sources  pour  servir  à  l'histoire  de  la  guerre  des  paysans 
dans  la  Haute-Souabc  contient  de  très-riches  matériaux,  ^et  que 
l'éditem'  s'est  déjà  fait  connaître  par  des  travaux  exécutés  avec  soin 
et  avec  critique.  Un  de  ceux-ci,  consacré  aux  Douze-Articles  des 
Paysans,  a  été,  dans  le  -12'^  vol.  des  Forschungen  zur  deutschen 
Geschichte,  l'objet  d'une  réplique  par  l'auteur  du  présent  article. 
Beaucoup  de  petits  écrits  se  rapportent  à  cette  grande  révolution  de 
^523,  ainsi  l'histoire  abrégée  de  l'insurrection  des  paysans,  rédigée 
par  messire  Ulrich  de  Rappoltstein,  texte  sensiblement  différent  de 
celui  qui  avait  été  déjà  publié  dans  YAlsaiia  -.  A  la  guerre  des 
paysans  en  Alsace  se  rapporte  également  un  court  mémoire  assez 
mauvais  d'ailleurs  ^  On  ne  sait  jamais  quand  l'éditeur,  M.  Ohleyer, 
prend  la  parole,  ou  quand  il  laisse  parler  l'auteur  du  manuscrit  qu'il 
publie  -,  ce  dernier  était  bourgmestre  de  Wissembourg  au  commence- 
ment du  xviii"  s.,  et  ses  fonctions  lui  permirent  de  recueillir  des 

1  Baumann,  Quellen  zur  Geschichte  des  Bauernkrieges  in  Ober-Scliwaben 
(Bibl.  des  lit  Vereins  in  Stuttgart;  129^  vol.  1877).  Nous  recevons  aussi  trop 
tard  Die  Geschichte  des  Bauerskrieges  in  Osifranken  von  L.  Pries,  herausgege- 
ben  V.  A.  Schxffler  und  T.  Henner,  Wirzburg  1876  Erste  Lieferung. 

1.  J.  Rathgeber,  Die  Herrschaft  Rappoltstein;  Beitrxge  zur  Geschichte  des 
Ober-Elsass.  Strasbourg,  Wolff,  1874,  p.  69  seq. 

3.  Der  Bauernkrieg  um  Weissenburg,  anno  1525.  Wissembourg,  Wentzel, 
1873  (le  ms.,  dont  une  copie  a  été  conservée,  lut  détruit  dans  l'incendie  de  la 
bibliothèque  de  Strasbourg  en  1870). 


PUBLICATIONS   ALLEMANDES   SCR   LA    RÉFORME.  445 

documents  authentiques  sur  l'histoire  de  sa  patrie.  Citons  encore 
un  mémoire  de  M.  J.  Ghauffour,  inséré  dans  VAlsalia  (1873-74, 
p.  299  à  307),  et  intitulé  :  la  Guerre  des  Paysans  dans  la  Haute- 
Alsace,  d'après  la  chronique  de  Friedrich  L.  AValdnervonFreundstein 
trouvée  dans  les  papiers  de  Sigismond  Billing.  D'autre  part,  M.  E. 
Wagner,  à  l'aide  de  documents  inédits,  a  donné  dans  le  ^4''  vol.  des 
Forschungen,  une  exacte  peinture  de  cette  guerre  sur  le  territoire  de 
Schwsebisch  Gemund,  ville  libre  d'empire,  et  complété  par  là  le  récit 
de  M.  Stselin  dans  son  histoire  de  Wurtemberg.  Dans  le  même 
volume,  M.  Seidemann  a  continué  ses  contributions  à  l'histoire  de  la 
guerre  des  paysans  en  Thuringe  où  Thomas  Miinzer  joue  naturel- 
lement le  plus  grand  rôle.  M.  G.  Droysen  s'est  aussi  occupé  de  ce 
chef  de  l'insurrection  en  Thuringe,  dans  une  étude  pleine  de  vie 
sur  la  journée  décisive  de  Frankenhausen  ^  Il  s'occupe  des  sources 
connues  -,  il  signale  plusieurs  brochures  devenues  rares  et  combat 
non  sans  bonheur  une  opinion  de  Ranke,  suivant  laquelle  Gnoda- 
lius,  écrivain  du  xvi"  s.,  qui  fit  l'histoire  de  la  Guerre  des  Paysans, 
aurait  suivi  de  très-près  Grinitus  (Haarer).  Cependant  il  se  trompe, 
croyons-nous,  en  admettant  qu'il  y  avait  déjà  une  édition  allemande 
imprimée  de  ce  dernier  auteur  avant  celle  de  ^62D.  Le  rôle  joué  par 
G.  Westerburg  dans  la  guerre  des  paysans,  comme  d'ailleurs  la  vie 
entière  de  ce  remarquable  personnage,  étaient  jusqu'ici  restés  obscurs. 
Un  érudit  qui,  au  milieu  de  ses  fonctions  ecclésiastiques,  a  trouvé  le 
temps  de  faire  un  excellent  livre  d'histoire,  le  D''E.  Steitz,  deFranc- 
fort-sur-le-Mein,  a  pour  la  première  fois  donné  une  biographie  com- 
plète de  Westerburg,  et  il  l'a  réunie  à  d'autres  naémolres  surl'histoire 
de  la  Réforme  à  Francfort-.  L'existence  de  Westerburg  fut  très- 
accidentée  :  issu  d'une  riche  famille  patricienne  de  Cologne  il  se  lia 
successivement  avec  Mùnzer  et  Garlstadt  en  Thuringe,  passa  quel- 
ques temps  à  Zurich;  en  io2D  on  le  retrouve  à  Francfort  où  il  fait 
de  la  propagande,  puis  à  Cologne  et  à  Munster  où  il  reçoit  le  second 
baptême  des  Anabaptistes;  un  peu  plus  tard  au  service  du  duc  de 
Prusse,  à  Kœnigsberg;  vers  la  fin  de  sa  vie,  il  déploya  avec  ardeur 
ses  talents  d'habile  pamphlétaire  pour  la  réforme  de  l'archevêché  de 
Cologne,  mais  ses  plans  échouèrent  et  il  dut  se  réfugier  dans 
rOst-Frise.  L'époque  la  plus  intéressante  de  cette  vie  est  sans  con- 
tredit celle  de  la  terrible  année  4525,  à  Francfort;  il  y  composa  les 


1.  Zur  Schlacht  bei  Frankenhausen  ((Zeitschrift  fur  Preussische  Geschichle, 
1874). 

2.  Abhandlungen  zu  Frankfurt's  ReformationsgeschicMe  (tirage   à   part  de 
l'Archiv  fur  Frankfurt's  Geschichte  und  Kuiist),  1872. 

Rev.  Histûr.  V.  !«'•  F.\SG.  lu 


446  nnLLKTiN  historique. 

.(  Articles  »  de  la  bourgeoisie  révolutioniiairi',  (|ui  fiirenl  pour  les 
populations  urbaines  du  Bhin  et  de  la  Wostp]i;ilie  ce  qu'avaient  été 
auparavant  les  Douze-Articles  pour  les  paysans.  Ce  mémoire  se 
trouve  complété  par  la  publication  du  «  Livre  de  l'insurrection  de  la 
ci-devant  cité  d'empire,  Kivuicrort-snr-le-Mcin,  en  i:i25  »,  qui  est  un 
récit  olTiciel  des  troubles;  le  journal  d'un  chanoine  qui  vivait  à 
Francfort  à  l'époque  de  la  Réforme,  publié  également  par  M.  Steitz, 
appartient  à  ce  même  groupe  de  sources  historiques  ' . 

On  sait  que  la  guerre  des  paysans  eut  son  contre-coup  en  Suisse 
et  qu'inversement  l'existence  de  la  confédération  contribua  beaucoup 
aux  agitations  démocratiques  dont  l'Allemagne  fut  le  théâtre  pendant 
la  Réforme.  Aussi  l'histoire  allemande  profitera-t-elle  d'une  publica- 
tion de  textes  qui  semble  au  premier  abord  n'intéresser  que  la  Suisse-, 
nous  voulons  parler  du  livre  des  Recès  de  la  Confédération,  qui 
embrasse  la  période  de  Vj'2\  à  ^532^.  L'éditeur  de  ces  deux  volumes, 
M.  Strickler,  archiviste  aux  archives  de  l'État  à  Zurich,  s'est  donné 
une  tâche  difficile  à  remplir.  Il  a  recueilli  des  documents  de  toute 
sorte,  lettres,  instructions,  mandats,  brefs,  protocoles,  et  les  a 
imprimés  en  petit  texte  après  les  Recès  ;  il  a  même  pris  soin  de  ren- 
voyer à  d'anciennes  éditions,  alors  qu'il  eût  peut-être  dû  se  contenter 
d'indiquer  les  ouvrages  plus  facilement  accessibles.  Le  principal 
mérite  de  ce  livre,  publié  avec  grand  soin,  est  d'éclaircir  l'histoire  de 
la  Réforme  en  Suisse  et  de  répandre  une  lumière  nouvelle  sur  le  rôle 
qu'ont  joué  les  diètes  et  les  magistrats  des  cantons  dans  les  pre- 
mières agitations  et  dans  la  révolution.  Souvent  aussi  ce  livre 
touche  aux  événements  extérieurs,  et  parmi  ceux-ci  la  guerre  des 
paysans  occupe  la  première  place. 

De  l'histoire  de  cette  guerre  à  celle  des  Anabaptistes,  qui  le  plus 
souvent  prirent  la  direction  des  paysans  révoltés,  il  n'y  a  qu'un  pas. 
Il  est  fort  regrettable  que  M.  Cornélius  n'ait  pas  encore  pu  se  décider 
à  finir  son  ouvrage  sur  l'insurrection  de  Munster  (Leipzig,  Weigel, 
-1855,  'iseo).  Ce  livre,  un  des  joyaux  de  notre  littérature  historique, 
a  donné  une  impulsion  toute  nouvelle  à  l'histoire  des  Anabaptistes  en 
Allemagne  -,  de  nombreuses  monographies  ont  paru  sur  ce  sujet  plein 
d'attraits.   Nous   n'en  citerons  que  deux  :  le  récit  de  la  prise  de 

1.  Bas  Aufruhrbuch  der  ehemaligen  Reichsstadt  Frank furt  a.  M.  (Neu- 
jahrsblaU  des  Vereins  f.  Geschichte  und  Alterthumskunde  zu  Frankfuit),  1875. 
—  Tagebuch  des  Canonicus  Wolfgang  Kœnigstein  am  Liebfrauenstift.  1520- 
48,  1876. 

2.  Die  Eidgenœssichen  Abschiede  aus  dem  Zeiiraum  von  1521-1532  (Der 
amtlichen  Abschiede  Sammlung  Bd.  4,  Abtheilung  I.  a,  b.  Brugg,  1873-1876). 


PUBLICATIONS    ALLEMANDES    SUR    LA    RE'fORME.  H7 

Munster,  par  Cornélius',  et  des  fragments  sur  l'histoire  des  Ana- 
baptistes dans  la  Haute-Souabe,  publiés  dans  une  nouvelle  et  très- 
honorable  revue  2,  par  M.  G.  Meyer,  qui  a  trouvé,  surtout  à  Augs- 
bourg,  de  précieux  documents,  tels  que,  par  exemple,  plusieurs 
procès-verbaux  des  interrogatoires  de  prisonniers  anabaptistes. 

En  suivant  l'ordre  chronologique,  nous  avons  maintenant  à  citer 
plusieurs  travaux  sur  l'histoire  de  la  diète  d'Augsbourg;  et  d'abord 
une  biographie  du  célèbre  chancelier  saxon  Briick  :  les  services  qu'il 
a  rendus  à  la  Réforme,  et  surtout  le  rôle  actif  qu'il  a  joué  en  -1530 
y  sont  fort  bien  exposés  3.  L'auteur  paraît  cependant  croire  encore 
que  Briicii,  pendant  cette  diète,  intercepta  des  lettres  de  Mélanchthon 
à  Luther,  opinion  réfutée  par  Kœstlin  (Leben  Luther's,  II,  628). 
Une  copieuse  publication  de  M.  Schirrmacher,  professeur  à  Rostocli, 
se  rapporte  à  la  fois  à  la  diète  d'Augsbourg  et  au  colloque  de  Mar- 
bourg  en  -1529'^.  Il  a  trouvé  dans  la  bibliothèque  de  l'université  de 
Rostock  un  important  ms.  qui  appartint  à  Johannes  Aurifaber,  l'ami 
de  Luther  et  l'un  des  coéditeurs  de  ses  œuvres,  et  qui  passa  ensuite 
au  duc  Jean-Albert  de  Mecklembourg.  Une  petite  partie  seulement 
du  ms.,  lequel  a  été  postérieurement  réuni  dans  un  volume,  est  de  la 
main  d' Aurifaber  ;  c'est  celle  qui  contient  la  relation  du  colloque  de 
Marbourg  et  plusieurs  lettres  de  Luther  intitulées  :  «  De  spiritu  tris- 
ticiae  ».  La  plupart  des  documents,  ceux  surtout  qui  sont  relatifs  à 
la  diète  d'Augsbourg,  sont  des  copies  faites  par  une  autre  personne, 
et  Aurifaber  s'est  si  peu  occupé  de  la  rédaction  de  ces  copies,  qu'il  a 
admis,  sans  s'en  apercevoir,  des  actes  qui  n'ont  aucun  rapport  avec 
les  autres.  Ce  recueil  a  néanmoins  une  grande  valeur.  Il  complète 
et  corrige  plusieurs  documents  déjà  connus-,  parfois  il  donne  l'ori- 
ginal en  allemand  d'un  texte  connu  seulement  jusqu'ici  par  une  tra- 
duction latine;  il  résout  mainte  difficulté  chronologique.  Nous  ne 
voulons  pas  suivre  l'éditeur  dans  ses  conjectures  sur  l'origine  du 
recueil  ;  il  y  voit  la  source  principale  de  VHistoria  comitiormn  anno 
-1530  Augustae  cetebraforum  de  Gœlestin,  et  reconnaît  qu'il  a  de  plus 
été  mis  à  profit  par  Sleidanus.  Le  prix  de  cette  publication  est  encore 
augmenté  par  un  appendice  où  l'on  trouve  les  rapports  des  ambassa- 

1.  Dans  l'Historisches  Taschenbuch  ;  b"  série,  2"  année,  1872. 

2.  Zeitschrift  des  hist.  Vereins  fur  Schii-aben  und  Neubourg;  1"  année,  1874. 
Âugsbourg,  Schulze. 

3.  Kolde,  Der  Kanzler  Briick.  Gotha,  Perlhes,  1874. 

4.  liriefe  und  Aclen  zu  der  Geschichle  des  Religionsgesprxches  zu  Marburg, 
1529  und  des  Reichstags  zu  Augsburg  1530,  nach  der  Handschrift  des  Joh.  Auri- 
faber nebst  den  Berichten  der  Gesandten  Frankfurts  ani  M.  und  den  Regesten 
zur  Geschicbte  dièses  Reichstages.  Gotha,  Perthes,  1876. 


•148  ui'i.r.KirN  imstokkjue. 

dours  do  Fraiiflbi'l  eL  les  IclLros  que  U'ur  adresse  le  conseil  municipal 
pendant  la  dièle  d'Augslwurg;  ces  documents  sont  tirés  d'un  ms. 
des  archives  de  Francfort;  puis  viennent  les  «  Regestes  pour  servir 
à  l'histoire  de  la  diète  d'Augsbourg  »,  que  déjà  Fœrstemann  avait 
soniié  à  publier.  Il  aurait  été  jjon  de  renvoyer  tout  simplement  aux 
actes  déjà  connus  en  donnant  les  variantes  des  mss.  ;  tandis  que 
souvent,  et  surtout  quand  il  s'agit  de  lettres  de  Luther,  on  a  suivi  la 
méthode  toute  contraire. 

Nous  voici  arrivés  à  la  catastrophe  de  la  guerre  de  Smalcalde  et  à 
ses  conséquences.  Aucun  homme  n'a  plus  fait  dans  ces  derniers  temps 
pour  cette  histoire  que  M.  von  Drulfel,  de:  Munich.  L'œuvre  à  laquelle 
il  a  consacré  de  longues  années  fait  partie  de  l'importante  collection 
entreprise  par  la  Commission  historique  de  l'Académie  rojale  des 
sciences  de  Bavière.  Pour  en  réunir  les  matériaux,  il  a  été  aidé  par 
M.  von  Lœher  et  par  M.  Cornélius,  qui  connaît  à  fond  cette  époque; 
il  a  reçu  aussi  d'importantes  communications  de  MM.  Varrentrapp 
et  Voigt-,  de  cette  façon  il  a  recueilli  une  masse  énorme  de  documents 
qu'il  eut  ensuite  à  trier,  à  mettre  en  ordre  et  à  expliquer,  travail  qui 
exigeait  une  rare  érudition  et  une  critique  bien  exercée.  Les  archives 
de  Munich  lui  fournirent  les  plus  riches  trésors;  celles  de  Dresde, 
d'importants  renseignements  sur  la  politique  du  prince  électoral 
Maurice  de  Saxe  -,  celles  de  Vienne,  de  nombreux  rapports  d'agents 
et  des  correspondances  qui  jettent  un  jour  tout  nouveau  sur  la  poli- 
tique impériale.  II  fouilla  également  les  collections  de  Stuttgard, 
Marbourg,  Innsbruck  et  Bruxelles.  A  Paris,  il  put  facilement  con- 
sulter les  dépêches  des  ambassadeurs  français  à  la  cour  impériale, 
les  lettres  des  cardinaux  et  des  envoyés  français  à  Rome,  Guise, 
Ferrara,  du  Bellay,  ainsi  que  la  partie  des  archives  de  Simancas 
enlevée  par  Napoléon  I  à  l'Espagne.  Sur  toutes  ces  collections,  et 
sur  les  principes  qui  l'ont  guidé  dans  ses  recherches,  il  s'explique  en 
détail  dans  la  préface  de  son  livre.  Les  pièces  elles-mêmes,  soit  qu'il 
les  donne  mot  pour  mot  ou  par  extraits,  sont  accompagnées  d'un 
commentaire  critique  un  peu  trop  long  parfois,  mais  dont  la  richesse 
prouve  rérudition  consommée  de  l'auteur.  Il  nest  pas  étonnant  que 
des  fautes  légères  se  soient  glissées  dans  un  ouvrage  si  considérable, 
elles  sont  d'ailleurs  signalées  dans  une  liste  de  corrections  et  addi- 
tions. Mais  d'autre  part  le  recueil  de  M.  von  DrufTel  permet  de  corriger 
bien  des  inexactitudes  dans  les  livres  des  écrivains  antérieurs,  tels 
queRanke,  Raumer,  Voigt,  Maurenbrecher;  il  renouvelle  toute  l'his- 
toire de  cette  époque.  La  guerre  de  Smalcalde,  la  situation  de  l'em- 
pereur après  sa  victoire,  son  projet  de  faire  passer  la  couronne  impé- 


PUBLICATIONS    ALLEMANDES    SUR    LA   RE'FORME.  149 

riale  sur  la  tête  de  son  fils  Philippe  i,  Thistoire  de  «  l'intérim 
d'Âugsbourg  »,  la  résistance  de  Magdebourg,  les  rapports  de  l'empe- 
reur et  du  pape,  le  jeu  compliqué  d'intrigues  auquel  se  livrèrent  la 
France,  Maurice  de  Saxe  et  beaucoup  de  princes  allemands  confédérés 
contre  l'empereur  aveuglé,  toutes  ces  scènes  animées  par  les  person- 
nages mêmes  et  les  partis  qu'on  voit  agir,  vivent  avec  une  singulière 
force  devant  les  yeux  du  lecteur.  Un  grand  nombre  de  pièces  qui 
n'ont  pu  être  datées  avec  assez  de  précision,  ou  qui  étaient  trop 
étendues,  sont  rejetées  dans  un  3*  volume.  Elles  se  rapportent  à 
l'entrevue  de  Gharles-Quint  avec  Philippe  de  Hesse  à  Spire,  en  mars 
i546,  à  la  diète  de  Bavière  de  janv.  ^547,  à  «rintérim»qui,  d'après 
l'opinion  deM.  von  Druffel,  fut  regardé  par  l'empereur  comme  un  moyen 
de  faire  plus  sûrement  illusion  au  pape  sur  le  succès  d'un  concile 
œcuménique;  au  projet  d'assurer  à  Philippe  la  succession  impériale; 
aux  négociations  secrètes  entre  la  Fi-ance  et  les  princes  allemands 
alliés  à  Maurice  de  Saxe.  Nous  souhaitons  à  l'auteur  de  ce  livre,  qui 
intéresse  aussi  les  Français  à  un  très-haut  degré,  d'achever  son 
œuvre  avec  autant  de  bonheur  qu'il  l'a  commencée  ^  nous  souhaitons 
surtout  qu'il  puisse  é'ever  de  ses  propres  mains  le  monument  histo- 
rique pour  lequel  il  a  rassemblé  tant  d'excellents  matériaux  ^. 

Plusieurs  articles  insérés  dans  la  «  Revue  de  la  Société  historique 
pour  la  Souabe  et  Neubourg  »,  montrent,  par  l'exemple  d'Augsbourg, 
les  conséquences  de  la  guerre  de  Smalcalde,  dont  l'histoire  a  été  le 
point  de  départ  du  vaste  recueil  publié  par  M.  von  Druffel  ^  Il  ne  faut 
pas  croire  cependant  qu'à  côté  des  pièces  d'archives  proprement  dites 
(dépêches,  lettres,  gazettes,  etc.),  les  documents  d'une  autre  espèce, 
c'est-à-dire  les  mémoires  et  les  histoires  contemporaines,  soient 
restés  dans  l'oubh.  C'est  en  utilisant  à  la  fois  cette  double  source 
d'informations,  que  l'historien  moderne  peut  reconstruire  le  plus 
fidèlement  possible  le  passé.  Aussi  faut-il  remercier  M.  Voigt  de  sa 
bibliographie  critique  des  travaux  relatifs  à  la  guerre  de  Smalcalde  ''. 

1.  Voy.  sur  ce  sujet  une  brochure  récente  de  M.  Soldan,  Die  projectirte  Suc- 
cession Philipps  II  au  f  deii  Kaiserthron.  1"  partie.  Crefeld,  Kiihler. 

•2.  Briefe  und  Akten  zur  Geschichte  des  X  VI  Jahrhmderts,  mit  besonderer 
Rucksicht  auf  Bayerns  Fûrstenhaus.  Jusqu'ici  le  l"  vol.  et  la  l"'  partie  du  3' 
Beiirecge  zur Reicbsgesckichte  {bi6-lbô\,  ont  seuls  paru.  Munich,  Rieger,  1873- 
1875. 

3.  Die  Correspondcnz  der  Sfadt  Augsburg,  beirejfend  die  Aussœhnung  mit 
Cari  V,  am  Ausgang  des  Schmalhaldischeii  Krieges  von  Pr.  Hecker  (Zeits.  des 
hist.  Vereins  f.  Srhwaben  u.  Neuburg.  1"  année).  Cf.  ibid.  Der  Augsburger 
BUrgermeisfer  Jacob  Herbrot  und  der  Sturz  des  zilnftischen  Régiments  in 
Augsburg,  par  le  même. 

4.  Die  Geschichtsschreibung  iiber  den  Schmxilhaldischen  Krieg.  Leipzig,  Hir- 


^50  iu!M,Kii\  iiisToniyiiK. 

Il  so  rcstivinl  en  ^tiumviI  aux  iinpriiiu's  (|uil  n'cUiiL  j)as  toujours  aisé 
de  se  [irocuiTi-,  sans  cepoiulaiiL  s'iuLerdire,  de  parler  des  sources 
manuscrites.  l*armi  les  résultats  de  ses  recherches,  nous  signalerons 
particulièrement  les  raisons  qu'il  donne,  contre  Sandoval  et  Ranke, 
en  faveur  de  lauthenticitédu  2'  livre  d'Avila.  11  est  inutile  de  dire 
que  la  fameuse  Kelation  linale  de  Moncenigo,  qui  occupe  sans  conteste 
le  premier  rang  dans  les  inventaires  italiens,  est  appréciée  très-haut 
par  M.  Voigt.  Si  du  côté  de  Maurice  de  Saxe  rien  ne  peut  être  mis  à 
côté  de  ce  document  considérable,  il  en  est  d'autres  qui  viennent  du 
parti  de  la  Hesse,  de  la  Saxe  électorale,  du  Brandebourg,  et  qui 
offraient  un  large  chamj)  à  la  critique. 

M.  von  Drufïel  a  promis  de  publier  un  nouveau  document,  dont 
M.  Voigt  n'a  pas  encore  pu  tirer  parti,  le  «  Journal  de  Viglius  van 
Zwichem  sur  la  guerre  de  Smalcalde  ».  Ce  texte  aidera  certainement 
à  la  critique  du  plus  célèbre  des  historiens  protestants,  de  Sleidanus. 
Nous  ne  possédons  pas  encore  sur  cet  auteur  aucun  ouvrage  satisfai- 
sant, malgré  le  livre  dePaur  sur  les  «  Commentaires  de  Jean  Sleidan  » 
(i843)  et  un  précieux  mémoire  de  Kampschulte,  inséré  au  4'' vol. 
des  ForschungenK  Dans  un  autre  mémoire  de  M.  Baumgarten, 
«  sur  l'histoire  de  la  guerre  de  Smalcalde  »,  on  trouve  d'utiles  indi- 
cations sur  le  caractère  de  l'œuvre  de  Sleidan;  on  y  voit  que  cet 
écrivain  garde  un  silence  discret,  mais  bien  naturel,  sur  les  négocia- 
tions de  la  Ligue  de  Smalcalde  avec  la  France  et  l'Angleterre,  qu'il 
connaissait  dans  le  plus  grand  détail  ^.  «  Gomment  aurait-il  pu 
songer,  remarque  M.  Baumgarten,  à  divulguer  les  efforts  malheu- 
reux des  alliés?  11  avait  écrit  son  livre,  non  comme  un  particulier, 
mais  au  nom  de  la  Ligue  de  Smalcalde;  bien  que  cette  Ligue  eût  cessé 
d'exister  depuis  longtemps  lorsqu'il  entreprit  le  récit  de  la  guerre, 
les  intérêts  du  protestantisme,  pour  lesquels  avait  lutté  la  Ligue, 
tenaient  plus  au  cœur  de  Sleidan  que  plus  ou  moins  de  lacunes  dans 
son  histoire...  Ce  qu'il  perd  comme  historien,  il  le  gagne  comme 
homme.  »  Cette  circonstance  a  engagé  M.  Baumgarten  à  de  nouvelles 
recherches,  non  seulement  dans  les  ouvrages  imprimés,  mais  dans 
les  archives  de  Bruxelles,  Marbourg,  Stuttgard,  Strasbourg,  et  à  la 
Bibliothèque  nationale  de  Paris.  Citons  par  exemple  les  extraits  de 

zel,  1874  (extrait  des  Mémoires  de  l'Académie  des  sciences  de  Saxe  ;  cf.  ibid.  : 
die  Geschichtssclireibung  uber  den  Zug  Caris  V  gegen  Tunis). 

1.  Cf.  Briefe  Johann  Sleidan' s  an  den  Cardinal  Johann  du  Bellay,  1542- 
1547,  pub.  par  Dr.  L.  Geiger,  dans  les  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte 
(10"=  vol.  1870);  —  et  Rathgeber  dans  la  Revue  d'Alsace.  Nouv.  série,  II,  213- 
226. 

2.  Historische  Zeitschriftjde  Sybel,  1876. 


PUBLICATIONS  ALLEMANDES  SUR  LA  REFORME.  \^\ 

la  correspondance,  jusqu'ici  inédite,  de  la  reine  Marie  avec  Gharles- 
Quint  (Bruxelles).  Le  personnage  de  Piero  Strozzi,  qui  fit  tout  au 
monde  pour  décider  la  France  à  intervenir  dans  la  guerre  allemande, 
se  présente  ici  pour  la  première  fois  dans  toute  son  importance. 
Tout  ce  mémoire  est  une  contribution  importante  à  l'histoire  de  la 
politique  française  au  xvi''  s.  Un  discours  du  même  écrivain,  sur 
Jacques  Sturm  offre  aussi  un  intérêt  général  ^  La  conduite  politique 
du  tt  premier  citoyen  de  Strasbourg  »  y  est  esquissée  à  grands  traits; 
et  plus  il  est  regrettable  que  ce  personnage  ait  été  laissé  tout  à  fait 
au  second  plan  dans  l'histoire  de  son  ami  Sleidan,  plus  sont  précieux 
les  renseignements  que  les  archives  nous  livrent  sur  son  compte. 

Des  études  comme  celles  de  M.  Baumgarten  nous  fortifient  dans 
l'espoir  que  peu  à  peu  des  mains  habiles  viendront  tirer  profit  de  ces 
matériaux  qui  s'entassent  autour  de  nous  d'une  façon  menaçante,  et 
leur  donner  une  forme  artistique.  Pour  montrer  par  un  autre  exemple 
ce  que  devront  être  les  travaux  à  venir,  il  faudrait  insister  sur  la  récente 
histoire  de  Maurice  de  Saxe,  par  M.  Voigt-,  mais  ce  livre  nous  est 
parvenu  trop  tard^;  d'ailleurs,  nous  en  donnons  plus  loin  un 
compte-rendu  détaillé-,  mais  nous  renvoyons  à  une  autre  fois  l'exa- 
men d'un  livre  qui,  à  vrai  dire,  n'est  pas  d'un  habile  ouvrier^. 
L'auteur,  M.  Drouven,  a  essayé  de  peindre  la  tentative  de  réforme 
dans  la  principauté  électorale  de  Cologne,  et  les  efforts  d'Hermann 
de  Wied-,  mais  un  sujet  de  cette  importance  était  au-dessus  des 
moyens  de  l'auteur.  Il  ne  manque  pas  de  faire  remarquer,  dans  le 
titre  même  de  son  ouvrage,  qu'il  amis  à  profit  «  des  sources  inédites 
ou  non  utilisées  avant  lui  »,  mais  la  vérité  est  que  même  des  docu- 
ments imprimés  lui  ont  échappé,  —  il  semble  ignorer  les  publica- 
tions de  Bindseil,  Steitz,  les  plus  importantes  même  de  Krafft,  —  sans 
parler  des  archives  où  il  n'a  fait  que  des  recherches  très-superficielles. 
Dans  ses  interminables  digressions,  dans  ses  nombreuses  errreurs 
de  détail,  perce  un  sans- façon  tout  à  fait  condamnable,  surtout  après 
qu'il  a  déclaré  ouvertement  son  intention  de  combler  toutes  les 
lacunes  de  l'histoire  de  l'église  de  Cologne  pendant  la  Réforme 
(préf.,  p.  vu).  En  attendant  que  ce  sujet  soit  repris  par  un  érudit 


1.  Jacob  sturm,  eine  Rede  gehalten  bel  Uebernahme  des  Rectorats  der 
Vniversitœt  Strasburg  am  1  Mai  1876.  Strasbourg,  Triibner,  1876. 

2.  Moritz  von  Sachsen  1541-1547.  Leipzig,  Tauchnitz,  1876;  voy.  du  même 
auteur  :  Ueber  die  Belagerung  von  Leipzig,  1547  (Archiv.  f.  Seechsische  Ge- 
schichte  .\I),  etc. 

3.  Die  Reformation  in  der  kœlnischen  Kirchenprovlnz  zur  Zeit  des  Erzbi- 
schofes  und  KurfUrstcn  Hermanii  V  Graf  zu  Wied.  Neuss  et  Cologne , 
Schwann,  J876. 


I  •^-  BOLLETf»  HISTOKIQUE. 

compélenl,  il  sera  permis  de  soumeLlre  le  livre  de  M.  Droiiven  à  une 
épreuve  comparative.  L'histoire  de  Cologne,  par  M.  Ennen,  dont  le 
4'  vol.  comprend  l'époque  de  la  Réforme,  lui  a  en  efTet  rendu  les 
plus  grands  services;  malgré  de  nombreuses  erreurs  et  une  disposi- 
tion souvent  mauvaise,  ce  dernier  ouvrage  est  d'une  grande  impor- 
tance à  cause  de  la  grande  quantité  de  documents  originaux  qu'il 
contient  '. 

Cette  histoire  municipale  n'est  pas  la  seule  qui  rentrerait  dans  le 
cadre  du  présent  mémoire;  de  nombreux  travaux  qui  contribuent  à 
éclairer  l'histoire  de  la  réforme  allemande  en  retraçant  celle  de  cer- 
Uiines  localités  ou  de  certains  territoires  sont  disséminés  dans  les 
Revues  des  diverses  Sociétés  historiques.  Mais  l'espace  nous  man- 
querait pour  en  faire  l'énumération  complète.  Contentons-nous  de 
conclure  avec  deux  ouvrages  qui  appartiennent  à  l'histoire  de  l'art.  Ils 
se  rapportent  aux  deux  plus  grands  peintres  qu'ait  produit  la  Réforme 
en  Allemagne,  et  chacun  d'eux  peut  passer  pour  un  modèle  en  son 
genre.  L'auteur  de  l'un,  M.  Thausing,  avait  déjà  publié  les  «Lettres, 
journaux  et  poésies  »  d'A.  Durer  (dans  les  Quellenschriften  fur  die 
Kunstgeschichte,  pub.  par  Eitelberger)  ;  dans  son  nouvel  ouvrage,  où 
la  partie  critique  dépasse  de  beaucoup  la  partie  purement  biogra- 
phique, il  a  montré  quel  parti  l'on  peut  tirer  d'un  sujet  passablement 
stérile.  Comme  il  est  à  Vienne  le  directeur  de  VAlbertina,  une  des 
plus  vastes  collections  d'estampes  et  d'esquisses  qui  existent,  il  a  pu 
donner  les  renseignements  les  plus  complets  sur  les  œuvres  de 
Diirer.  La  remarquable  biographie  de  Hans  Holbein,  par  M.  Alf. 
Woltmann  en  est  à  sa  seconde  édition;  l'auteur  y  a  fait  entrer,  avec 
le  zèle  le  plus  éclairé,  les  résultats  des  dernières  recherches,  tout  en 
corrigeant  les  erreurs  de  la  \  ''  édition,  erreurs  dont  est  cause  en  grande 
partie  une  falsification  moderne,  dont  le  vrai  caractère  vient  seulement 
d'être  démontré;  c'est  ainsi  que  dans  la  nouvelle  édition  sont  resti- 
tuées à  Hans  Holbein  le  vieux  certaines  œuvres  considérées  auparavant 
comme  des  œuvres  de  jeunesse  du  célèbre  Holbein.  Le  chapitre  relatif 
aux  Vierges  de  Darmstadt  et  de  Dresde  a  été  aussi  complètement  rema- 
nié. En  résumé,  chaque  partie  du  livre  porte  la  marque  du  talent  dis- 
tingué de  l'auteur  ;  les  historiens  peuvent  apprendre  par  cet  exemple 
combien  les  recherches  les  plus  approfondies  gagnent,  quand  cela  est 

1.  Geschichte  der  Stadt  Kœln.  4'=  vol.,  1874.  Cologne  et  Neuss,  Schwann. 

2.  Durer;  Geschichte  seines  Lebens  und  seiner  Kunsf.  Leipzig,  Seemann 
1876. 

3.  Holbein  und  seine  Zeit.  2  vol.  Leipzig,  Seemann,  1874-1876.  Le  second 
volume  comprend  des  Appendices  et  les  listes  des  œuvres  de  Hans  Holbein  le 
vieux,  dAmbroise  Holbein  et  de  Hans  Holbein  le  jeune. 


RUSSIE. 


^D3 


possible,  à  être  présentées  sous  une  forme  définitive.  Cet  enseignement 
est  utile  à  ceux-là  surtout  qui  étudient  l'histoire  de  la  Réforme 
allemande.  Cette  courte  revue  aura  montré,  nous  l'espérons,  que  ce 
terrain  a  été  habilement  travaillé;  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  le 
plus  grand  honneur  est  pour  celui  qui  sait  réunir  dans  un  ensemble 
harmonieux  la  forme  et  le  fond.  Ce  que  nous  désirons,  ce  sont 
«  des  pommes  d'or  dans  des  panniers  d'argent.  » 

Alfred  Ster.\. 


RUSSIE. 


NÉCROLOGIE.  —  Les  études  historiques  en  Russie  ont  fait  l'an  der- 
nier une  perte  pour  longtemps  peut-être  irréparable,  en  la  personne 
de  M.  SxcHArov,  mort  le  27  février  i  876.  Né  en  Sibérie  [gouvernement 
d'Irkoutsk)  en  ^830,  dans  une  famille  ecclésiastique,  il  fit  de  bril- 
lantes études  au  séminaire  dlrkoutsk,  d'où  il  fut  envoyé  à  l'Acadé- 
mie ecclésiastique  de  Kazan;  après  y  avoir  enseigné  pendant  quatre 
ans,  il  y  fut  attaché  à  titre  d'agrégé.  Un  remarquable  travail  sur  le 
raskol  (schisme),  publié  en  iSo9  à  Kazan,  lui  fit  un  nom  parmi  les 
historiens.  Professeur  d'histoire  russe  à  l'Université  de  Kazan,  il  dé- 
ploya un  égal  talent  dans  l'enseignement  et  les  travaux  d'érudition-, 
mais,  bientôt  compromis  lors  du  soulèvement  des  paysans  à  Kazan 
en  ^8t>^,  il  fut  destitué  et  appelé  à  Saint-Pétersbourg  pour  se  justi- 
fier-, il  y  publia  divers  articles  sur  le  raskol,  le  régime  communal  en 
Russie  et  autres  sujets.  En  ^  863,  il  fut  envoyé  en  Sibérie,  à  Irkoutsk  ■ 
membre  de  la  Société  de  géographie,  il  fouilla  les  archives  locales  et 
entreprit  une  série  d'excursions  dans  divers  endroits  de  la  Sibérie. 
Cette  époque  fut  la  plus  féconde  de  sa  vie-,  il  publia  de  nombreux 
articles  de  revue  et  un  volume  sur  «  les  conditions  pédagogiques  et 
sociales  du  développement  de  la  nationalité  russes  » 

Signalons  aussi  la  mort  de  M.  le  baron  Modeste  Korf,  ancien  direc- 
teur de  la  Bibliothèque  nationale  de  Saint-Pétersbourg.  Il  avait  publié 
la  Vie  de  Speransky  (2  vol.)  et  l'Avènement  de  Nicolas  I"  (1825).  Mais 
son  œuvre  principale  consiste  dans  ses  travaux  pour  la  bibliothèque 
impériale.  C'est  à  lui  que  nous  devons  la  collection  Rossica  de  tous 
les  ouvrages  en  toutes  les  langues  sur  la  Russie.  C'est  la  plus  riche 
qui  existe  au  monde.  Sous  sa  direction,  3  volumes  de  catalogues 

1.  Voy.  ici  même,  dans  mon  précédent  bulletin,  une  appréciation  des  travaux 
historiques  de  Stchapov.  Rev.  hist.,  II,  213.  187G. 


454  IllM.KTIV     IIISTOIllyilK. 

ont  été  publiés:  2  pour  la  rolleclioii  /iossica.  \  consacré  spécialement 
à  riiisloire  do  Pierre  le  (irand. 

Samarink,  né  en  ^8^9,  fit  pendant  presque  toute  sa  vie  partie  de 
l'administration.  11  y  débuta  comme  membre  d'une  commission 
nommée  pour  contrôler  l'administration  de  la  ville  de  Riga,  et  publia 
une  série  de  lettres  sur  les  relations  des  Russes  et  des  Allemands 
dans  les  provinces  baltiques.  Il  fut  accusé  d'avoir  trahi  les  secrets 
d'État  et  fut  arrêté  ^  mais  peu  de  temps  après  on  l'envoya  comme 
membre  du  gouvernement  à  Simbirsk  et  à  Kiev,  où  il  réunit  les  ma- 
tériaux d'un  livre  sur  l'histoire  de  l'abolition  du  servage  en  Europe 
et  particulièrement  en  Prusse  et  en  Russie.  Il  prit  une  part  active 
aux  travaux  pour  l'émancipation  des  paysans,  et  fut  un  des  collabo- 
rateurs de  la  revue  slavophique  le  Jour,  où  il  publia  une  série  de 
lettres  sur  les  Jésuites  {I8()l).  En  ^808,  il  fit  imprimer  à  l'étranger 
son  ouvrage  le  plus  remarquable:  «  les  frontières  de  la  Russie  » 
(Okrainy  Rossii),  où  il  fit  avec  clarté  l'histoire  des  provinces  bal- 
tiques,  montrant  la  conduite  du  gouvernement  russe  envers  les 
Allemands  et  l'oppression  par  ceux-ci  de  la  race  aborigène. 

L'année  -1 876  a  été  des  plus  fécondes  en  travaux  sérieux  et  utiles 
pour  le  développement  de  la  science  historique  en  Russie. 

Anthropologie  et  Ethnographie.  —  De  nombreux  articles  de 
revue,  insérés  surtout  dans  «  la  Russie  ancienne  et  moderne  »  et  le 
«  Bulletin  de  la  Société  de  géographie  de  Pétersbourg,  «  ont  mis  en 
lumière  de  nouveaux  matériaux  qui  seront  tôt  ou  tard  utilisés  par 
ceux  qui  étudieront  l'histoire  des  origines  du  peuple  russe;  mœurs, 
croyances,  superstitions,  sur  tous  ces  points  ils  trouveront  dans  les 
documents  récemment  publiés  des  données  importantes.  La  Société 
des  naturalistes  de  Kazan  a  le  plus  fait  pour  ces  études;  parmi  ses 
nombreuses  publications  nous  rencontrons  des  travaux  considérables 
sur  les  populations  de  la  Russie  orientale  et  sur  la  Sibérie.  M.  Ma- 
liev,  qui  depuis  longtemps  poursuit  avec  autant  de  patience  que  de 
succès  ses  recherches  sur  les  peuplades  du  gouvernement  de  Kazan 
et  pays  voisins,  a  fait  paraître  dans  le  5«  fasc.  du  t.  V  des  travaux  de 
la  Société  une  «  Étude  anthropologique  sur  les  Baskirs  »  ;  c'est  un 
rapport  sur  son  voyage  dans  le  pays  de  ces  peuples  qu'il  a  étudiés 
dans  leur  vie  présente,  en  notant  les  traits  de  mœurs,  les  coutumes 
particulières,  etc.,  et  dans  leur  vie  passée,  en  fouillant  les  cimetières. 
11  n'a  visité  que  deux  districts  du  gouvernement  d'Oufa,  mais  les 
résultats  qu'il  a  obtenus  sont  très-considérables.  Par  l'étude  minu- 
tieuse des  crânes  de  toutes  les  époques,  il  s'est  attaché  à  préciser  les 
particularités  du  type  des  Baskirs  :  il  a  représenté  dans  un  tableau 
bien  fait  les  traits  caractéristiques  de  leur  vie  et  de  leurs  mœurs.  Il  a 


RUSSIE.  i  35 

ajouté  à  son  ouvrage  quatre  tables  où  sont  indiqués  le  nombre  des 
naissances  proportionnellement  à  l'âge  des  femmes,  les  mesures  d'un 
certain  nombre  de  crânes  trouvés  dans  les  cimetières  et  de  40  crânes 
d'hommes  vivants  ^  Les  Vogoules  ont  été  l'objet  de  deux  études 
semblables  par  M.  Maliev  et  M.  Sorokine  (t.  III)-,  les  Votiaks  du 
gouvernement  de  Kazan  par  M.  Ostrovsky  (t.  IV)-,  signalons  enfln 
dans  ce  même  volume  les  «  Matériaux  pour  l'anthropologie  comparée  » 
par  M.  Maliev. 

Une  publication  nouvelle,  entreprise  par  le  gouvernement  de 
Vladimir,  si  elle  est  continuée,  fera  faire  de  grands  progrès  aux 
études  ethnographiques.  Le  -1"  fascicule  d'un  «  Annuaire  du  comité 
statistique  du  gouvernement  de  Vladimir  »  contient  des  renseigne- 
ments précieux  sur  l'ethnographie  de  cette  contrée  ainsi  que  des  ma- 
tériaux pour  Thistoire  de  la  peinture  russe  dite  de  Souzdal. 

Droit  historique.  —  Aux  travaux  ethnographiques  se  rattachent 
les  nombreuses  publications  sur  le  droit  coutumier  de  plusieurs 
peuples  et  pays  de  la  Russie.  En  \  873,  on  a  publié  aux  frais  de  l'État 
les  (c  Comptes-rendus  de  la  Commission  pour  la  réforme  des  cours 
de  bailliages  (volostnoj  soud) ,  »  en  7  vol.  De  son  coté  la  Société  de 
géographie  a  publié  des  programmes  pour  guider  les  érudits  dans  la 
recherche  et  la  publication  des  documents  de  ce  genre.  Trois  ouvrages 
récents  ont  paru  sur  la  matière  :  1°  Matériaux  pour  servir  à  la  biblio- 
graphie du  droit  coutumier,  par  M.  Jakouchkine,  -I"  fasc.  (Jaroslav, 
-1875)-,  2°  Recueil  du  droit  coutumier  des  peuples  de  la  Sibérie,  par 
M.  Samokvasov  (Varsovie,  -i876)-,  et  3"  le  Droit  coutumier  des  pay- 
sans du  gouvernement  de  Tomsk,  par  le  prince  Kostrov  (Tomsk, 
-1876).  Ce  dernier  répond  au  programme  de  la  Société  de  géographie-, 
l'auteur  a  étudié  près  de  3000  sentences  prononcées  dans  les  cours 
de  bailliage,  et  un  grand  nombre  de  documents  inédits  qui  lui  ont 
fourni  une  foule  de  faits  concernant  le  droit  civil  et  criminel,  la 
marche  et  la  forme  des  jugements,  la  constitution  communale,  etc. 
C'est  un  livre  important  à  tous  les  points  de  vue,  composé 
avec  beaucoup  de  soin  et  de  critique.  Il  ne  constate  pas  seule- 
ment l'état  actuel  du  droit,  mais  présente  sous  forme  d'introduc- 
tions des  aperçus  historiques  très-intéressants.  A  un  autre  point  de 
vue,  le  recueil  de  M.  Jakouchkine  n'est  pas  moins  important  :  il 
contient  -1542  articles,  disposés  dans  l'ordre  suivant  :  r  pro- 
grammes, terminologie,  symbolique  du  droit  coutumier^   2"  droit 

1.  Les  Baskirs  sont  brachyréphales;  les  dimensions  moyennes  sont  de  188  mil- 
IJm.  pour  la  longueur  des  crânes,  15"i  pour  la  largeur;  le  rapport  entre  les  dia- 
mètres est  de  8'2,'i. 


loH  niiLLKm  iiisroiiiQiii:. 

civil  et  criminol;  3°  associations  (arlels)  ;  V  mariages;  5"  commune 
(le  village),  droit  de  propriété,  assiette  des  impôts-,  (i"  administration 
et  justice-,  7"  proverbes;  8"  droit  coutumier  des  peuples  non  slaves. 
Enfin  trois  tables  complètent  cet  ouvrage,  indispensable  à  toute  per- 
sonne qui  voudra  étudier  le  droit  coutumier  en  Russie  :  table  systé- 
matique des  questions  de  droit  coutumier;  table  ethnographique  et 
géographique;  table  des  noms  d'auteurs.  Dans  la  préface,  M.  Jakou- 
chkine  a  résumé  les  traits  caractéristiques  du  droit  coutumier  en  tout 
ce  qui  concei-ne  le  mariage,  les  relations  entre  les  divers  membres 
d'une  famille,  la  communauté,  etc.  Ce  livre  mérite  tous  les  éloges-, 
c'est  une  importante  contribution  à  l'histoire  russe.  Quant  au  recueil 
publié  sous  la  direction  de  M.  Samokvasov,  ce  n'est  autre  chose 
qu'une  édition  de  textes  du  droit  coutumier  chez  les  peuples  de  la 
Sibérie:  Kalmouks,  peuples  du  district  de  Kouznetzsk,  Vogoules, 
Ostiaks,  Bouriates,  Jakoutes,  Kirghises,  etc.  C'est  en  1821  que 
d'après  l'ordre  du  gouvernement  l'on  se  mit  à  recueillir  ces  maté- 
riaux-, depuis  lors  ils  allèrent  s'enfouir  dans  les  archives  de  la  Chan- 
cellerie impériale,  où  ils  seraient  sans  doute  restés  longtemps  encore 
si  feu  M.  le  sénateur  Hubé  n'en  avait  pris  des  copies-,  c'est  d'après 
ces  copies,  vendues  tout  récemment  à  la  bibliothèque  de  Varsovie, 
que  M.  Samokvasov  a  eu  l'heureuse  idée  de  les  publier.  Ils  fournissentr 
une  grande  quantité  de  faits  qui  permettent  d'expliquer  des  points 
obscurs  du  droit  primitif,  et  de  jeter  une  nouvelle  lumière  sur  d'an- 
ciens codes  de  lois,  tels  que  la  Rouskaya  Pravda  (code  du  prince 
Jaroslav).  Nous  regrettons  seulement  que  le  savant  éditeur  n'ait  pas 
cru  devoir  s'expliquer  sur  l'emploi  de  certains  termes,  ceux  par 
exemple  de  «  nomades  »  et  de  «  sédentaires  »  appliqués  à  des  peuples 
de  la  Sibérie,  ni  préciser  l'influence  que  les  ordonnances  du  gouver- 
nement ont  eue  sur  les  peuples  non  slaves  dont  il  publie  les  cou- 
tumes. 

Archéolooie.  —  Nous  ne  trouvons  malheureusement  à  signaler 
pour  1876  que  le  3*'  fasc.  du  t.  VI  des  «  Antiquités  n  publiées  par  la 
Société  archéologique  de  Moscou.  Deux  articles  y  arrêtent  notre  atten- 
tion :  l'un  de  M.  le  comte  Ouvarov,  archéologue  et  investigateur  infa- 
tigable, sur  les  monuments  mégalithiques  en  Russie-,  l'autre  de 
M.  Herz,  professeur  d'histoire  de  l'art  à  l'Université  de  Moscou,  inti- 
tulé :  Essai  historique  sur  les  fouilles  archéologiques  dans  la  Crimée 
depuis  le  xviii''  siècle  jusqu'en  -1859.  Le  premier  n'est  que  le  com- 
mencement d'un  grand  ouvrage;  l'auteur  se  propose  d'examiner 
quels  peuples  ont  construit  les  monuments  mégalithiques  dispersés 
dans  toute  l'Europe,  l'Asie  et  l'Afrique,  et  à  quelle  époque  ils  ont  été 
construits.  Dans  son  premier  article  il  se  borne  à  exposer  les  opi- 


RCSSIE.  ^37 

nions  de  ses  prédécesseurs;  il  soumet  à  une  critique  sévère  le  sys- 
tème de  Fergusson  {Biide  stone  monuments]  et  de  Bonstedlen  ;  puis 
il  énumère  les  divers  monuments  que  l'on  rencontre  dans  l'Inde,  la 
Palestine,  la  Perse,  l'Arabie,  l'Afrique,  l'Espagne,  le  Portugal  et  s'ar- 
rête à  ceux  de  la  France.  Gomme  tout  ce  qui  sort  de  la  plume  de 
l'auteur,  ce  travail  promet  d'être  une  riche  acquisition  pour  la 
science. 

Publications  de  textes.  —  Pour  la  période  de  notre  histoire  anté- 
rieure à  Pierre  le  Grand,  nous  ne  pouvons  indiquer  que  deux  tra- 
vaux importants.  Le  premier,  paru  à  la  fin  de  -1875-,  sur  les  relations 
entre  la  Russie  et  l'Angleterre  au  xvi''  siècle  \  contient  82  documents 
tirés  des  archives  de  Londres,  Oxford  et  Moscou ^  37  étaient  inédits, 
entre  autres  7  chartes  d'Ivan  le  Terrible,  6  d'Elisabeth  d'Angleterre, 
etc.-,  ils  concernent  presque  tous  les  rapports  commerciaux  entre  les 
deux  pays.  C'est  un  excellent  supplément  aux  publications  de  Hack- 
luyt,  de  Hamel  (Relations  entre  la  Russie  et  l'Angleterre  au  xvi''  et 
au  xvn'=  siècles) ,  et  de  Tourguénev  (Actes  historiques  tirés  des  archives 
étrangères).  Dans  une  excellente  introduction,  l'éditeur  nous  raconte 
la  formation  de  la  Compagnie  des  Merchants  adventurers  et  les  pro- 
grès opérés  dans  les  relations  commerciales  des  deux  pays. 

La  commission  archéologique  a  publié  dans  le  S*"  vol.  de  sa  Biblio- 
thèque historique  (Pétersbourg,  ^876)  des  documents  qui  se  rap- 
portent à  l'histoire  ecclésiastique  du  XVII''  siècle,  et  qui  nous  fournissent 
des  détails  nouveaux  sur  Torganisation  et  les  mœurs  du  clergé.  Tels 
sont  le  règlement  des  cérémonies  de  la  cathédrale  de  Moscou  (-1634)  ; 
le  décret  du  patriarche  Philarète  sur  les  messes  des  morts;  les  registres 
du  trésor  du  cathédrade  et  du  patriarche;  le  cérémonial  de  l'arrivée 
à  son  couvent  de  l'abbé  nouvellement  nommé.  Cette  dernière  est  fort 
curieuse  :  les  cérémonies  de  ce  genre  se  terminaient  toujours  par  des 
libations  copieuses;  quand  le  supérieur  faisait  descendre  ses  moines 
au  réfectoire,  ce  qui  arrivait  souvent,  leur  cœur  se  remplissait  «  d'une 
consolation  immense.  »  —  Un  seul  document  se  rapporte  au  xvi''  s.; 
c'est  un  extrait  d'une  chronique  inédite  jusqu'ici  et  conservée  dans 
un  manuscrit  de  la  bibliothèque  du  couvent  d'Alexandre  Nevsky  à 
Pétersbourg.  Ce  court  fragment  (1503-67)  donne  d'intéressants  dé- 
tails sur  les  rapports  de  Kourbsky  avec  Ivan  le  Terrible,  sur  les 
causes  de  sa  disgrâce,  l'organisation  des  gardes  du  corps  du  tsar 
(opriichinaj,  les  rapports  d'Ivan  le  Terrible  avec  le  roi  de  Suède 
Eric  XIV. 


1.  Eriglund  and  Russia,  1553-93;   docuinenls  coUected,  copiée!  aud  edited  by 
George  ïolstoy.  Pétersbourg,  1875- 


|:iS  ni'M.l'TIN  I1IST0IUQI!R. 

Après  oos  deux  puhliiviLioiis,  un  pciiL  citcf  eiicoro  le  l.  II  du 
«  Livre  j,'(Miéalogique  russe,  »  qui  a  paru  dans  la  revue  des  «  Anli- 
(luilés  russes;  «  le  i'^'  vol.  date  de  IS73.  L'un  et  l'autre  corrigent  et 
c'oniplèliMil  rédilion  du  prince  Uolgoroukov. 

Pour  le  xviii'"  siècle  et  le  xix®  siècle  au  contraire,  les  publir^ilions 
de  textes  aI)ondent.  Notons  au  premier  rang  les  vol.  VIII,  IX  et  X  des 
Archives  du  prince  Worontzov  (l<S7(>),  dus  aux  soins  infatigables  de 
M.  Barténev.  En  voici  en  peu  de  mots  l'analyse  :  t.  YIII,  autobio- 
graphie de  Siméon  Worontzov,  en  français;  lettres  de  Rostopchine  à 
Worontzov  (ni)l-l82ri),  et  lettres  de  Worontzov,  écrites  de  Londres 
à  Rostopchine  (1798-1825).  T.  IX  :  ses  lettres  à  son  frère,  datées  de 
Venise  et  de  Londres  (1793-90)  et  à  diverses  personnes-,  trois  mé- 
moires d'Al.  Worontzov  sur  la  Révolution  française,  les  finances  en 
Russie  et  la  Pologne.  T.  X  :  lettres  de  S.  Worontzov  depuis  1796,  et 
lettres  à  lui  adressées  par  les  empereurs  Paul  I"  et  Alexandre  I", 
lesquelles  nous  révèlent  la  politique  russe  en  Orient  et  sous  l'Empire. 
Il  est  à  peine  besoin  d'ajouter  que  cette  correspondance  est  des  plus 
riches  en  renseignements  précieux  pour  la  période  la  plus  importante 
de  l'histoire  moderne.  Aucun  diplomate  russe  à  cette  époque  n'eût 
pu  écrire  avec  autant  de  netteté  et  d'abondance.  Nommé  ambassadeur 
à  Venise  en  1783,  Worontzov  fut  envoyé  deux  ans  après  à  Londres 
comme  ministre  plénipotentiaire,  pour  conclure  le  traité  de  com- 
merce avec  l'Angleterre.  Il  occupa  cette  place  presque  jusqu'à  la  fin 
du  règne  de  Paul  P'.  Destitué  par  ce  prince,  il  rentra  en  Russie  sous 
Alexandre  P",  et  fut  bientôt  après  renvoyé  comme  ambassadeur  à 
Londres.  Sa  mission  ne  dura  pas  longtemps  :  à  partir  de  1806,  il 
rentra  dans  la  vie  privée,  mais  sans  quitter  Londres,  où  il  demeura 
jusqu'à  sa  mort,  en  1832.  Pendant  ce  long  séjour  en  Angleterre,  il 
sut  nouer  des  relations  amicales  avec  les  principaux  personnages 
politiques,  se  faire  des  connaissances  parmi  les  émigrés  français,  les 
princes  détrônés  qui  venaient  mendier  un  trône  et  se  tenir  au  courant 
de  la  politique  européenne.  La  personnalité  de  l'auteur  se  reflète 
entièrement  dans  ses  lettres  avec  ses  bonnes  et  ses  mauvaises  qua- 
lités, son  esprit  cultivé,  ironique  et  parfois  même  sarcastique,  son 
jugement  fin  et  perspicace,  mais  chancelant  et  capable,  sous  le  coup 
d'une  forte  impression,  d'un  brusque  changement.  C'était  un  grand 
seigneur,  imbu  des  préjugés  de  sa  caste-,  dans  une  de  ses  lettres,  par 
exemple,  il  se  plaint  des  privilèges  nouveaux  octroyés  à  la  noblesse 
a  parce  que,  dit-il,  on  a  défendu  à  une  partie  de  la  noblesse  de  voya- 
ger en  carrosse  ou  d'assister  aux  élections,  tandis  que  les  commer- 
çants usent  pleinement  de  ce  droit-,  »  il  aimait  l'Angleterre  et  ses 
'institutions,  aussi  ses  opinions  ont-elles  une  teinte  de  libéralisme-, 


RUSSIE.  ^59 

mais  il  détestait  la  Révolution,  faite  par  des  «  scélérats  comme  Mirabeau 
et  autres  pires  encore,  quoique,  dit-il,  cet  homme  (Mirabeau)  ait  sur 
d'autres  choses  des  réflexions  qu'on  peut  utilement  appliquer  à  tous  les 
pays  »  (IX,  158).  Il  aimait  beaucoup  la  Russie  parce  qu'elle  était  sa 
patrie,  mais  il  n'avait  pas  une  grande  inclination  pour  son  gouverne- 
ment «  despotique,  »  ni  pour  sa  politique.  Cependant  ses  opinions 
personnelles  n'ont  pas  trop  influencé  le  jugement  qu'il  porte  sur  les 
événements  ou  sur  les  personnes  :  le  partage  de  la  Pologne  l'a  révolté 
«parce  que  si  la  Prusse  s'agrandit,  écrit-il  à  son  frère,  aux  dépens  de 
notre  sang  et  de  nos  trésors,  nous  ou  nos  enfants  nous  en  sentirons 
les  malheureuses  conséquences  »  (22  juin  i792).  Mieux  que  personne 
il  a  compris  la  Prusse-,  dans  une  de  ses  lettres,  il  s'exprime  énergi- 
quement  contre  elle  :  «  Dans  ce  pays  là  tout  cède  au  système  d'agran- 
dissement et  de  rapine  ;  il  n'y  a  plus  alors  à  regarder  à  la  décence,  à  la 
dignité  et  à  la  justice.  »  Spectateur  et  acteur  pendant  une  longue  période, 
une  des  plus  émouvantes  de  l'histoire,  où  l'on  a  tant  espéré  et  où  l'on 
s'est  ensuite  abandonné  à  tant  de  bassesses,  à  tant  de  folies  réaction- 
naires, il  a  flétri  par  ses  remarques  sarcastiques  la  plupart  des  person- 
nages politiques  du  moment.  Il  qualifie  Galonné  «  homme  d'esprit, 
mais  qui  manqueabsolumentde  jugement,  »  le  duc  d'Orléans,  un  prince 
«  souverainement  méprisé  de  la  cour,  de  la  ville,  de  tout  le  public  en 
général;  «  Louis  XVI,  «  un  imbécile,  »  et  la  reine  «  une  intrigante 
sans  talents  et  sans  fermeté  »  etc.  Nous  n'avons  indiqué  que  quel- 
ques faits,  mais  ils  suffisent  pour  montrer  l'intérêt  exceptionnel  de 
cette  publication. 

La  Société  d'histoire  à  Pétersbourg  a  publié  deux  nouveaux  volumes 
en  -1875  (t.  XV  et  XVI)  et  un  en  4876  (t.  XVII).  Le  t.  XV  contient  : 
4"  la  correspondance  de  Catherine  II  avec  le  grand  duc  Paul  et  sa 
femme  en  4  783-90,  pendant  le  voyage  de  l'Impératrice  dans  la  Petite 
Russie  et  en  Crimée;  ce  sont  pour  la  plupart  des  lettres  intimes-, 
2o  les  rapports  de  l'ambassadeur  de  Prusse  près  la  cour  de  Péters- 
bourg, le  baron  Gustave  de  Mardefeld  j  ils  sont  extraits  des  archives 
de  Berlin,  et  servent  de  complément  aux  documents  analogues  de  la 
même  époque  (4  721-30),  tirés  des  archives  de  Dresde  (voy.  t.  III  et 
IX) .  Ils  se  rapportent  à  la  fin  du  règne  de  Pierre  le  Grand,  au  règne 
de  Catherine  pe,  de  Pierre  II  et  à  l'élection  de Pimpératrice  Anne-,  ils 
se  distinguent  .par  l'âpreté  des  jugements  sur  la  situation  de  la  Rus- 
sie et  sur  les  personnes  qui  se  trouvaient  alors  à  la  tête  du  gouver- 
nement, Menstchikov,  Ostermann,  Dolgoroukov,  etc.;  3"  les  papiers 
du  prince  Repnine  (voy.  t.  V  et  VI)  ;  ils  embrassent  ici  seulement 
une  partie  de  l'année  1775-,  4°  Les  lettres  de  Catherine  II  au  vice- 
chancelier  Ostermann;  elles  ont  trait  aux  affaires  de  Suède  (4  770-80)  ; 


^60  BULLETIN    llISTOIlIQrE. 

5"  1( 


s  leLlrcs  iiicdiles  de  Voltaire  au  prince  Gaiitziue,  ambassadeur  à 
Paris  (nH2-68),  puis  à  la  Haye-,  0°  cinq  lelLrcs  de  D.-A.  GaiiLzine  à 
A.-.\.   Galitzine,  sur  réniancipalion  dos  sorl's.  —  Le  vol.  XVI  esL 
beaucoup  plus  inLéressaiil  que   le   précédent.   Il  a  été  rédigé  par 
M.  Kostomarov  et  contient  des  pièces  tirées  des  archives  des  princes 
Repnine.  Ces  documents  se  rapportent  à  l'époque  où  M.  Repnine  était 
chef  de  l'armée  et  gouverneur  général  en  Lithuanie.  La  correspon- 
dance de  Catherine  II  avec  les  hommes  d'État  tels  que  le  comte 
Razoumovsky,  ambassadeur  à  Vienne,   Toutolmine,   Bezborodko, 
Zoubov,  Kourakine  et  quelques  Polonais  (Czartoriski  et  autres)  ter- 
mine le  volume,  et  nous  permet  d'apprécier  les  relations  entre  la 
Russie  et  la  Pologne  pendant  les  années  I79.Î  a  I79G.  Nous  indique- 
rons entre  autres  une  lettre  du  comte  Bezborodko  qui  montre  claire- 
ment les  tendances  du  gouvernement  russe.  Les  rapports  de  Repnine 
peignent  de  vives  couleurs  la  panique  des  nobles  en  face  de  l'insur- 
rection. Le  gouverneur  général  voyait  d'un  mauvais  œil  le  séjour  du 
roi  de  Pologne  captif  à  Grodno;  il  craignait  «  que  les  habitants  trop 
légers  de  cette  ville  ne  s'attroupassent  autour  de  lui,  »  et  que  cela 
ne  donnât  matière  «  à  des  fables  et  à  des  commérages  dépourvus  de 
sens.  »  11  proposa  de  l'envoyer  à  Rome.  On  avait  demandé,  nous 
apprend-il,  au  roi  captif,  une  abdication  immédiate,  faite  de  telle 
sorte  qu'on  ne  pût  s'apercevoir  qu'elle  était  forcée,  et  en  récompense 
on  lui  avait  promis  une  pension  annuelle  de  200,000  ducats.  Pour 
mieux  connaître  les  intentions  du  roi,  Repnine  lisait  toutes  ses  lettres, 
et  les  corrigeait  au  besoin.  Enfin  nous  lisons  une  série  de  lettres  flat- 
teuses adressées  au  prince  par  les  gentilshommes  polonais  qui  le 
désiraient  pour  vice-roi.   D'autre  part,  cette  correspondance  montre 
combien  étaient  vives  les  méfiances  entre  les  trois  souverains  alliés 
pour  le  partage  de  la  Pologne  :  Catherine  II  était  mécontente  de  la 
Prusse,  et  s'exprimait  dans  des  termes  peu  flatteurs  pour  la  «  perfide 
et  astucieuse  «  cour  de  Berlin.  —  Le  t.  XVII  est  presque  tout  entier 
consacré  à  la  correspondance  de  Catherine  II  avec  Falconet,  au  sujet 
du  monument  de  Pierre  le  Grand'.  A  la  fin  du  volume  se  trouvent 
plusieurs  documents  intéressants,  entre  autres  une  lettre  de  Diderot 
(HTo),  d'après  l'autographe  de  la  Bibliothèque  impériale  de  Péters- 
bourg,  et  un  extrait  de  son  article  sur  le  salon  de  1763. 

Pour  les  papiers  d'État  concernant  l'histoire  du  xix*^  siècle,  le  gou- 
vernement a  cru  pouvoir  laisser  publier  quelques  pièces  «  utiles  à 

1.  Voy.  l'excellenl  parti  que  M.  Rambaud  a  tiré  de  ces  documents  dans  ses 
études  sur  Catherine  II  et  ses  correspondants  français  {Rev.  des  Deux- 
Mondes,  1o  janv.  et  1"  février  1877). 


RUSSIE.  4  (H 

être  communiquées-,  »  elles  se  rapportent  exclusivement  à  l'époque 
antérieure  à  l'avènement  de  Nicolas  I".  Une  commission  de  publica- 
tion nommée  à  cet  effet  a  fait  paraître  un  «  Recueil  des  documents 
historiques  tirés  des  archives  du  premier  département  de  la  chan- 
cellerie de  Sa  Majesté  »  (Pétersbourg,  •JSTfi).  La  chancellerie  a  été 
fondée  en  'l  8^  2  5  c'est  par  elle  que  devaient  passer  toutes  les  affaires 
de  l'État,  les  rapports  et  les  ordonnances.  Aussi  ce  recueil  est-il  fort 
important  pour  le  règne  d'Alexandre  P""  et  spécialement  pour  les 
années  ^8^2  et  -1813.  Il  se  divise  en  deux  parties  :  la  première  con- 
tient les  ordres  adressés  par  le  gouvernement  aux  chefs  militaires 
(Viazmitinov,  général  en  chef  de  l'armée  à  Pétersbourg,  Gortscha- 
kov,  directeur  du  ministère  de  la  guerre,  etc.)  en  -18'I2,  et  les  ordres 
émanés  de  la  chancellerie  et  de  son  directeur,  Arakcheev.  La  seconde 
est  presque  entièrement  remplie  de  documents  relatifs  à  la  guerre  de 
'18i2  :  rapports  sur  les  dépenses  exigées  par  l'armée,  sur  son  état 
sanitaire  et  le  service  de  santé,  etc.-,  rapports  du  ministre  de  l'inté- 
rieur sur  la  situation  de  l'industrie  et  ceux  du  ministre  des  finances 
sur  la  situation  financière  après  la  guerre  (-1813)  ;  enfin  papiers  rela- 
tifs à  l'administration  de  Speransky  en  i  8i  8-1 81 9  à  Pensa,  en  Sibé- 
rie, avec  la  liste  du  prix  des  denrées  à  Moscou  en  1813.  A  titre  de 
curiosité,  on  peut  citer  la  correspondance  secrète  du  baron  Teppich, 
ambassadeur  de  Russie  à  Stuttgard,  qui  recommandait  avec  chaleur 
un  système  de  ballons  inventé  par  un  Allemand  pour  anéantir  l'armée 
française.  Inutile  d'ajouter  que  les  espérances  de  l'ambassadeur  s'en- 
volèrent et  que  l'ingénieux  inventeur  disparut. 

Le  troisième  et  dernier  volume  des  Traités  et  Conventions  avec 
l'Autriche  (1808-1815),  de  M.  Martens,  a  paru  en  1876  (Pétersbourg, 
Devrient).  La  partie  la  plus  intéressante  du  volume  est  sans  contre- 
dit celle  qui  contient  la  correspondance  entre  la  Russie  et  l'Autriche 
pendant  la  guerre  de  1812,  tirée  des  archives  du  ministère  des 
affaires  étrangères-,  on  y  voit  clairement  la  situation  de  l'Autriche  et 
les  efforts  de  la  Russie  pour  rompre  l'alliance  entre  l'Autriche  et 
Napoléon.  Aux  textes  des  traités  de  Tœplitz  "et  de  Reichenbach  (1 81 3) , 
l'éditeur  a  ajouté  les  articles  secrets  qui  paraissent  pour  la  première 
fois. 

Nommons  encore  la  correspondance  de  Roumiantzov  avec  Berch 
(1 81 7-22,  Pétersbourg,  1 876) ,  sur  des  questions  d'archéologie  et  d'eth- 
nographie, des  recherches  de  monuments  et  de  manuscrits;  et  les 
extraits  des  archives  du  prince  Oboiensky-Neledynsky-Meletzky 
(Pétersbourg,  1876),  où  l'on  trouve  les  mémoires  de  Neledynsky- 
Meletzky  (1752-1808),  ceux  du  prince  Obolensky  (1780-1812),  et 
quelques  faits  relatifs  à  l'histoire  des  années  1812  à  1814,  etc.;  ces 

ReV.    HiSTOR.    V.     !«'■    FASC.  11 


^62  BULLETIN    llISTOUrQlIi:. 

documents  nous  renseignent  surtout  sur  les  événements,  la  vie,  les 
mœurs  de  la  coui'. 

L'histoire  do  la  Petite-Russie  s'est  enrichie  d'un  volume  important, 
puhlié  par  la  commission  archéolo^Mquo  de  Kiev  ;  ce  sont  les  documents 
relatifs  à  la  situation  économique  et  juridique  des  pajsans  du  xvi*=  au 
xviii"  siède  (7"  part,  du  t.  JII  des  Archives  de  la  Petit e-Bussie).  Une 
préface  de  l'hahile  éditeur,  M  Novitzky,  nous  guide  à  travers  l'époque 
où  la  Petite-Russie  faisait  partie  de  la  Lithuauic,  et  nous  décrit  l'état 
social  des  Petits-Russes  d'abord  sous  le  régime  du  Statut  lithuanien, 
puis  sous  celui  du  nouveau  code;  les  services  et  obligations  des  pay- 
sans au  xv!*-'  siècle,  leur  situation  à  cette  époque  et  les  changements 
apportés  à  cette  situation  au  xvif  siècle  sous  Chmelnicki  et  la  domi- 
nation presque  absolue  des  gentilshommes  polonais.  Cette  étude, 
fondée  sur  de  nombreux  documents  inédits,  est  riche  en  aperçus  nou- 
veaux, et  se  lit  avec  plaisir.  Les  actes  publiés  sont  au  nombre  de  360  -, 
ils  paraissent  tous  pour  la  première  fois.  On  y  a  joint  les  documents 
qui  concernent  les  soulèvements  de  la  Petite-Russie  au  xvui''  siècle 
(1700-68),  les  haidamacks,  avec  une  introduction  par  M.  Antonovich, 
un  de  nos  savants  les  plus  distingués-,  mais  le  volume  a  été  jugé  dan- 
gereux pour  la  sécurité  de  l'État,  et  le  président  de  la  commission 
n'a  pas  donné  la  permission  de  le  mettre  en  vente. 

Livres  nouveaux.  —  V  Ouvrages  concernant  la  Russie  en  général. 
Outre  la  continuation  des  ouvrages  de  Soloviev  et  de  Kostomarov, 
l'année  -1876  nous  a  apporté  le  commencement  de  deux  histoires 
générales  de  la  Russie  :  l'une  par  M.  Ilovajsky,  l'autre  par  M.  Zabie- 
line-,  ce  sont  des  abrégés  qui  viennent  heureusement  prendre  place 
à  côté  des  énormes  et  indigestes  publications  comme  celle  de  Solo- 
viev. 

Le  nouveau  volume  de  VHistoire  de  la  Russie  par  Soloviev 
(t.  XXVI,  Moscou,  ^1876)  est  le  deuxième  de  l'histoire  de  Catherine  II; 
il  raconte  jour  par  jour  les  événements  des  années  n64  et  n6o,  et 
résume  l'état  de  l'instruction  et  de  la  société  de  4755  à  -1765-,  il  donne 
de  grands  détails  sur  l'affaire  de  Mirovitch,  la  suppression  des  het- 
mans  dans  la  Petite-Russie,  l'élection  de  Stanislas  Poniatowsky  au 
trône  de  Pologne,  les  mesures  prises  pour  centraliser  le  pouvoir 
entre  les  mains  des  gouverneurs  de  provinces,  le  commerce,  les  dis- 
sidents [raskolniks],  les  paysans,  etc.  Le  dernier  chapitre  s'occupe  de 
l'influence  exercée  par  la  littérature  et  la  civilisation  françaises  sur 
la  société  russe,  des  rapports  entre  Catherine  II  et  les  Encyclopé- 
distes, des  travaux  de  l'Académie  des  sciences  de  Pétersbourg  et  de 
l'Université  de  Moscou  jusqu'à  la  mort  de  Lomonossov;  enfin  des 
premières  ordonnances  de  Catherine  II,  après  son  avènement  au 


RUSSIE.  463 

trône,  sur  l'instruction.  L'abondance  des  détails  est  extrême  sur 
tous  ces  sujets,  mais,  comme  dans  tous  les  autres  volumes  du  célèbre 
historien,  ils  sont  arrangés  sans  aucune  méthode  et  sans  aucun  art. 

M.  Kostomarov,  au  contraire,  est  un  écrivain;  le  6*  fascicule  de 
son  Histoire  de  la  Russie  par  les  biographies  de  ses  hommes  illustres 
(Pétersbourg,  4  876)  fait  revivre  avec  force  sous  nos  yeux,  avec  leurs 
qualités  physiques  et  morales,  Pierre  le  Grand,  son  fils,  Mazeppa, 
l'archevêque  Théophane,  Prokopovich  et  autres  ;  on  peut  seulement 
reprocher  à  l'auteur  d'avoir  exprimé  trop  vivement  ses  opinions  per- 
sonnelles. Ce  défaut  est  surtout  sensible  dans  la  biographie  de  Pierre 
le  Grand  5  mais  celles  de  l'archevêque  Théophane  et  du  hetman 
Mazeppa  sont  à  notre  avis  des  chefs-d'œuvre. 

Le  premier  volume  de  YHistoire  de  la  Russie  par  M.  Ilovajsky  ne 
dépasse  pas  le  xin*  siècle,  mais  il  est  plein  de  promesses;  le  livre  est 
bien  écrit  et  se  lit  sans  fatigue.  Il  débute  par  la  description  de  By- 
zance  au  ix^  siècle,  source  de  la  civilisation  russe-,  puis  l'auteur  nous 
introduit  en  Russie  et  raconte,  d'après  les  chroniques  byzantines, 
les  événements  qui  se  sont  produits  depuis  Igor,  le  premier  prince 
russe  dont  l'existence  soit  bien  constatée.  La  conversion  de  Vladimir 
et  de  son  peuple  au  christianisme,  le  règne  de  Jaroslav  et  les  luttes 
de  ses  descendants  entre  eux  occupent  la  plus  grande  partie  du 
volume  qui  s'arrête  au  moment  où  les  Mogols  préparaient  leur  inva- 
sion et  où  Byzance  était  aux  mains  des  Croisés.  Le  reste  du  livre  est 
occupé  par  les  citations  et  un  certain  nombre  de  dissertations  cri- 
tiques sur  quelques  points  obscurs  de  notre  histoire. 

Dans  un  autre  ouvrage  intitulé  Dissertations  sur  les  origines  de  la 
Russie^  le  même  auteur  tombe  malheureusement  dans  les  hypothèses 
les  plus  vaines  et  les  moins  scientifiques.  Ignorant  des  résultats  aux- 
quels est  arrivée  la  philologie  moderne,  il  commet  les  moins  pardon- 
nables erreurs  -,  son  histoire  est  bien  l'œuvre  d'un  érudit  du  xix^  siècle  ; 
ses  rfmer^«^wwA- sont  l'œuvre  d'un  compilateur  du  xviii®  siècle,  tel  que 
Trediakovsky,  qui  tirait  les  plus  graves  conséquences  des  rappro- 
chements philologiques  les  plus  fantaisistes  ^  Voici  le  procédé  de 
l'auteur  :  il  prend  un  mot,  par  exemple  Batyj,  Asparuch,  Terbel, 
Groum,  etc.-,  il  les  rapproche  des  mots  russes  Batija,  Batijuchki, 
Iperik  (la  terminaison  ik,  dit-il,  est  le  signe  des  diminutifs),  Tre- 
benje,  KremUn,  etc.,  et  en  conclut  que  les  hommes  désignés  par  ces 
noms  étaient  Slaves.  Autrefois  Schafarik,  auteur  des  Antiquités 
slaves,  a  comparé  ces  mêmes  mots  à  ceux  d'autres  langues,  et  a 
obtenu  des  résultats  tout  opposés. 

1.  Voyez  notre  précédent  Bulletin,  Rev.  hist.,  II,  198- 


HH  BULLETIN'  MISKmiQUK. 

Le  premier  volume  de  l'ouvrage  impatiemment  attendu  de 
M.  Zahiolino',  Vllis/oire  des  Hiisses  depuis  les  fe.mpa  Ira  plus  reculés 
(Moscou,  1S7(1),  prête  le  flanc  aux  mômes  crili(iues.  Il  faut  espcrcr  (jue 
les  suivants  rachèteront  les  défauts  de  celui-ci  :  les  vastes  connais- 
sances archéologiques  de  l'auteur  et  son  talent  d'écrivain  nous^ 
autorisent  à  le  croire. 

2"  Monographies,  etc.  Peu  de  travaux  valent  la  peine  d'être 
signalés.  Dans  son  livre,  Varègues  et  Bous  (2  vol.  Pétersbourg,  -1876), 
M.  Gedeonov,  qui  étudie  ce  sujet  depuis  déjà  trente  ans,  fait  preuve 
d'une  profonde  érudition  et  d'une  critique  sagace;  il  détruit  presque 
entièrement  l'hypothèse  de  ceux  qui  ont  voulu  prouver  l'origine 
Scandinave  des  Rous,  mais  sans  réussir  à  la  remplacer  par  une 
solution  définitive.  Il  faut  dire  d'ailleurs  que  la  question  est  à  la 
fois  insoluble  et  oiseuse,  et,  tout  en  rendant  hommage  à  la  science 
de  l'auteur,  nous  regrettons  qu'il  ne  l'ait  pas  employée  à  d'autres 
sujets  plus  intéressants.  Citons  encore  une  Histoire  de  la  guerre 
de  Crimée^  par  M.  Bogdanovitch  (Pétersbourg,  ^876)-,  c'est  le 
premier  essai  tenté  chez  nous  d'écrire  en  détail  l'histoire  de  cette 
guerre.  Le  livre  est  bien  fait  et  important  à  plusieurs  points  de  vue- 
outre  les  documents  déjà  connus,  l'auteur  en  a  étudié  beaucoup 
d'inédits,  tels  que  les  rapports  des  généraux,  les  mémoires  mili- 
taires, etc.;  il  a  de  plus  recueilli  les  impressions  et  les  récits  de 
témoins  oculaires,  mais  il  ne  les  reproduit  pas  sans  les  avoir  soumis 
à  un  sévère  contrôle.  Il  est  intéressant  de  le  comparer  aux  livres  de 
MM.  Kinglake  et  Rousset.  —  Notons  enfin  un  essai  sur  Bielinsky,  sa 
vie  et  ses  œuvres  (2  vol.,  Pétersbourg,  ^876)  ;  c'est  un  des  critiques 
littéraires  du  xix^  siècle  qui  ont  eu  en  Russie  l'influence  la  plus  con- 
sidérable-. 

Dans  un  autre  ordre  d'idées,  deux  mémoires  de  M.  Zagoskine,  l'un 
sur  les  chartes  du  xiv'^  au  xvi'^  siècle,  qui  organisent  le  gouvernement 
provincial  {oustavnyja  gramotij)^  l'autre  sur  l'organisation  et  l'ori- 
gine de  la  classe  qui  a  servi  l'État  avant  Pierre-le-Grand  [slougiloje 
soslovie,  Kazan,  -1876),  méritent  d'attirer  notre  attention.  Dans  le 
premier,  l'auteur  nous  donne  une  classification  complète  des  affaires 
qui  sont  du  ressort  du  gouvernement  provincial,  telles  que  les  règle- 
ments industriels  et  commerciaux,  la  police,  le  droit  criminel  et 
civil,  etc.  Dans  l'autre,  qui  rappelle  l'école  de  Stchapov,  il  a  réuni 


1 .  Auteur  d'ua  livre  très-remarquable  :  La  Vie  privée  des  tzars  au  xvii°  s. 

2.  Ont  paru  aussi  en  1876  les  Mémoires  sur  Bielinskj  et  le  mouvement  intel- 
lectuel en  Russie  en  1830,  par  M.  Panev,  publication  fort  intéressante  et  écrite 
avec  talent. 


RUSSIE.  ^65 

tous  les  matériaux  nécessaires  pour  faire  Thistoire  d'une  classe  qui 
a  eu,  et  qui  conserve  encore  une  si  triste  renommée.  Dans  les  appen- 
dices, qui  sont  la  partie  la  plus  intéressante  de  l'ouvrage,  on  trouve 
les  noms  des  officiers  de  l'État,  avec  l'indication  de  leur  origine  et 
de  leur  nationalité.  L'auteur  a  réuni  des  renseignements  sur  9-15 
familles,  dont  ^68  issues  de  princes  russes  qui  ont  régné  avant  l'in- 
vasion des  Mogols,  223  d'origine  lithuanienne ,  229  de  nationalité 
européenne,  <20  de  race  tartare  (parmi  ces  derniers  on  remarque 
le  nom  de  Romanov),  etcJ 

Nous  ne  pouvons  qu'indiquer  le  quatrième  volume  de  V Histoire  de 
l'Académie  de  Saint-Pétersbourg^  par  M.  Souchomlinov,  et  une 
publication  de  la  Commission  archéologique  de  Pétersbourg  sur  le 
concile  de  Constance  ^  au  moment  où  nous  achevions  ce  bulletin, 
nous  n^avions  pas  encore  pu  nous  les  procurer.  Nous  y  reviendrons 
une  autre  fois, 

3°  Ouvrages  sur  des  sujets  d'histoire  étrangère.  Mettons  en  pre- 
mière ligne  les  ouvrages  suivants  de  M.  Kovalevsky  :  r  Dissolution 
de  la  propriété  communale  dans  le  canton  de  Vaud  (Londres,  \  876  • 
trad.  en  allem.,  Zurich,  i  877)  ;  2"  Histoire  de  la  police  dans  les  comtés 
anglais  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  la  mort  d'Edouard  III 
(■!"  fasc.  Prague,  'J876);  8°  Essais  sur  l'histoire  de  la  juridiction 
fiscale  en  France  depuis  le  xiv*"  siècle  jusqu'à  la  mort  de  Louis  XIV 
(Moscou,  1876;  t.  I,  fasc.  -I^"'  :  juridiction  fiscale  en  Languedoc).  Ce 
sont  les  études  les  plus  importantes  qui  aient  paru  sur  de  telles 
matières  en  Russie  et  en  Europe,  et  l'auteur  nous  en  promet  encore 
d'autres  non  moins  intéressantes-,  il  appartient  à  ce  nombre  très- 
restreint  de  savants  russes  qui  étudient  l'histoire  de  l'Europe  dans  un 
esprit  indépendant.  Ses  travaux  ne  sont  pas  d'ailleurs  de  pures  com- 
pilations; ce  sont  des  œuvres  composées  d'après  les  textes  originaux 
et  même  inédits.  Par  exemple,  son  étude  si  neuve  et  si  intéressante 
sur  la  décadence  du  régime  communal  dans  le  canton  de  Vaud  est 
tirée  des  archives  de  Villeneuve,  et  n'est  qu'un  fragment  d'un  livre 
sur  les  causes  et  les  progrès  de  cette  décadence  chez  les  peuples 
d'origine  bourguignonne  et  allemande.  Aussi  sommes-nous  forcés, 
pour  en  parler  plus  au  long,  d'attendre  que  la  publication  de  l'ou- 
vrage soit  plus  avancée. 

1.  Quant  aux  autres  monographies,  nous  nous  contenterons  de  les  énumérer  : 
Borsakovsky,  Histoire  de  la  principauté  de  Tver,  essai  d'histoire  locale  d'après  les 
chroniques.  —  Blagovestchensky,  Histoire  de  l'Académie  ecclésiastique  deKazan, 
1797-1818  (Kazan,  1876).  — Brickner,  Ivan  Posochkove  considéré  comme  écono- 
miste; \'^  partie  (Pétersbourg,  1876).  —  Pobiedonoslzev,  Études  et  recherches 
historiques  (Moscou,  1876),  recueil  d'articles  publiés  dans  diverses  revues,  et 
dont  un  concerne  le  servage  en  Russie,  etc. 


I6(>  BULLETIN  HISTORIQUE. 

Le  livre  de  iM.  Fortinsky  :  Les  villes  marilimes  des  Verides  et  leur 
influence  sur  la  formation  de  la  Hanse  (Kiev,  1877),  est  le  fruit 
d'études  sur  les  documents  déjà  publiés  dans  les  Ilanserecesse,  le 
Liibecksches  Vrkundcnbuch^  le  Mecklemburyisclies  llrkundenbuck 
et  ailleurs,  11  n'existait  pas  encore  d'histoire  générale  de  la  Hanse, 
on  n'avait  que  celle  de  certains  comptoirs  ou  de  quelques  villes 
hanséatiques ;  c'est  cette  lacune  que  l'auteur  a  voulu  combler-, 
«  le  développement  des  institutions  municipales,  dit -il,  celui  du 
commerce  des  villes,  enfin  la  formation  de  la  Hanse  allemande 
étaient  des  faits  parallèles  et  connexes.  »  La  difficulté  du  sujet 
consiste  moins,  d'après  lui,  dans  la  rareté  des  documents,  que 
dans  la  manière  dont  la  question  a  été  posée  :  on  étudie  l'histoire 
de  la  Hanse  indépendamment  de  l'histoire  intérieure  des  villes;  de  là 
vient  qu'on  n'a  pu  saisir  l'influence  exercée  par  les  révolutions  inté- 
rieures des  villes  sur  la  situation  de  leurs  comptoirs  à  l'étranger; 
conformément  à  son  système,  l'auteur  nous  fait  assister  à  l'origine 
et  au  développement  des  institutions  de  sept  villes  maritimes  vendes 
(Lubeck,  Stralsund,  Wismar,  etc.),  puis  aux  progrès  et  à  l'organisa- 
tion de  leur  commerce  intérieur  et  extérieur;  enfin,  au  chap.  4,  il 
traite  la  question  de  leur  influence  sur  la  formation  de  la  Hanse. 
L'ouvrage  est  bien  fait;  les  conclusions" de  l'auteur  paraissent  fort 
acceptables;  aussi  faut-il  regretter  que  le  livre  n'ait  pas  encore 
obtenu  le  succès  qu'il  mérite.  Mentionnons  enfin,  sans  en  avoir 
encore  pris  connaissance,  l'ouvrage  de  M.  Tratchevsky  sur  le 
Furstenbund  à  la  fin  du  xviii®  siècle  ^ 

J.  LoDTCfllSKY. 

1.  M.  Loutchisky  n'a  pas  parlé  de  l'ouvrage  important  qu'il  a  lui-même 
publié  sur  la  Ligue.  La  Revue  en  donnera  un  compte-rendu  détaillé. 


G.  d'hUGUES  :    UNE  PROVINCE  ROMAINE  SOUS  LA  REPUBLIQUE.  -167 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


Une  province  romaine  sous  la  République;  étude  sur  le  procon- 
sulat de  Gicéron  en  Gilicie,  par  G.  d'Hugues.  Paris,  Didier,  -1876. 
]  vol.  in-'J2  de  469  p.  Prix  :  3  fr.  50. 

L'ouvrage  de  M.  d'Hugues  a  un  grave  défaut,  celui  de  mêler  trop 
souvent  la  politique  à  l'histoire.  A  chaque  pas  on  y  rencontre  des  allu- 
sions très-claires  aux  événements  contemporains.  Le  but  avoué  de 
l'auteur  a  été  «  d'apporter  son  modeste  contingent  d'observations  histo- 
riques à  la  défense  des  principes  qui  lui  sont  chers  »,  de  prémunir  la 
République  de  1876  «  contre  les  décevantes  conséquences  de  son  prin- 
cipe »,  «  de  montrer  par  un  exemple  dont  l'autorité  ne  sera  méconnue 
par  personne,  que  toutes  les  formes  politiques  ne  sont  pas  arbitraire- 
ment applicables  à  toutes  les  situations  »,  d'exposer  en  un  mot  «  pour- 
quoi et  comment  les  républiques  finissent.  »  Telle  est  l'idée  première 
qui  l'a  guidé  dans  l'étude  du  proconsulat  de  Gicéron.  Et  il  ne  s'est  pas 
contenté  de  la  développer  dans  sa  préface.  La  dernière  phrase  de  son 
livre  est  une  preuve  qu'en  s'occupant  du  passé  il  n'a  pas  cessé  de 
songer  au  présent.  Une  pareille  méthode  est  absolument  contraire  à 
l'esprit  scientifique.  Chercher  dans  l'histoire  romaine  des  arguments  en 
faveur  de  telle  ou  telle  opinion  actuelle,  c'est  faire  de  la  politique,  non 
de  la  science.  La  science  a  pour  unique  objet  d'établir  des  faits  et, 
autant  que  cela  est  possible  dans  l'état  de  nos  connaissances,  de  for- 
muler des  lois  qui  ne  soient  que  la  généralisation  rigoureuse  des  faits. 
Mais  elle  ne  saurait,  sans  sortir  de  son  domaine,  tirer  les  conséquences 
pratiques  de  ces  faits  et  de  ces  lois. 

M.  d'H.  a  eu  encore  un  autre  tort.  Pour  juger  les  hommes  de  l'anti- 
quité, il  ne  s'est  pas  placé  au  point  de  vue  antique.  Il  en  convient  lui- 
même  ;  mais  il  prétend  «  que  l'on  ne  peut  sainement  apprécier  le  pro- 
consulat de  Gicéron  qu'à  la  condition  d'en  rapporter  tous  les  actes  à  la 
stricte  mesure  de  la  loi  morale»  (p.  410).  S'il  en  est  ainsi,  pourquoi 
excuse-t-il  Gicéron  «  de  n'avoir  pas  aboli  en  Gilicie  l'esclavage  » 
(p.  413)?  N'y  a-t-il  pas  là  de  sa  part  une  singulière  contradiction,  ou 
plutôt  n'est-ce  point  là  un  argument  contre  la  thèse  qu'il  soutient?  La 
vérité  est  que  l'histoire  n'a  pas  le  droit  d'exiger  d'un  personnage  poli- 
tique des  idées  plus  nobles  ni  des  sentiments  plus  généreux  que  les 
sentiments  et  les  idées  de  son  siècle.  S'il  s'en  trouve  qui  aient  devancé 
leur  époque,  il  faut  les  en  louer  ;  mais  ceux  qui  sont  restés  des  hommes 
de  leur  temps  ne  sont  pas  pour  ce  seul  motif  dignes  de  blâme.  L'oubli 
de  cette  règle  a  rendu  parfois  M.  d'H.  injuste  envers  Gicéron  et  envers 


468  COMPTES-KEM»!  s    CllITIQUKS. 

tous  les  Romains  en  général.  Il  s'indigne  fréquemment  des  abus  que 
commettaient  les  gouverneurs    de  province    sous  la   République;   il 
déclare   que    «   le  génie  administratif  était  alors  inconnu  à  Rome  » 
(p.  101),   que  pour  la    plupart  dos  proconsuls    «  administration   était 
synonyme  de  iiillago  »;  enfin,  s'appropriant  le  mot  d'un  philosophe  qui 
ne  parait  guère  compétent  en  ces  matières,  il  dit  :  «  Rome  ne  fut  jus- 
qu'à l'empire  qu'un  repaire  de  brigands  »  (p.  408,  note).  Au  lieu  de  se 
répandre  en  vaines  déclamations,  M.  d'H.  aurait  mieux  fait  d'examiner 
quels  étaient,  dans  la  pensée  des  anciens,  les  droits  que  conférait  la 
conquête.   Il  aurait  vu  qu'un  peuple  conquis  était  à  la  merci  du  vain- 
queur, que  par  le  seul  fait  de  sa  sujétion  il  perdait  ses  lois,  ses  magis- 
trats, ses  terres  même,  que  si  les  habitants  conservaient  une  certaine 
liberté  et  quelques  parties  de  leur  sol,   c'était  sous  le  bon  plaisir  de 
leurs  nouveaux  maîtres,  et  qu'en  théorie  ceux-ci  pouvaient  faire  d'eux 
ce  qu'ils  voulaient.  On  conçoit  dès  lors  qu'un  gouverneur  romain  eût 
peu  d'égards  pour  ceux  qu'il  administrait  et  qu'il  crût  légitimes  des 
actes  qui  aujourd'hui  nous  semblent  coupables.  Peu  à  peu  cependant 
une  évolution  lente  et  presque  fatale  des  esprits  amena  les  Romains  à 
modifier  sur  ce  point  leurs  idées,  et  de  là  vient  que  sous  l'Empire  les 
provinciaux  furent  en  somme  mieux  traités  que  sous  la  République. 
Cette  amélioration  ne  doit  pas  être  attribuée,  comme  le  fait  M.  d'H.,  à 
une  prétendue  supériorité  des  institutions  impériales  sur  les  institu- 
tions républicaines.  Le  monde  fut  bien  administré  non  pas  du  jour  où 
les  empereurs  le  voulurent,  mais  du  jour  où  les  souvenirs  de  la  con- 
quête furent  assez  effacés  et  les  mœurs  assez  adoucies  pour  que  les 
Romains   considérassent   les    peuples    soumis   presque   comme   leurs 
égaux.  Il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  reprocher  à  Cicéron  ni  aux  autres 
proconsuls  qui,  sans  être  des  Verres,  ont  à  notre  gré  trop  peu  ménagé 
les  provinciaux,  la  conduite  qu'ils  ont  tenue  envers  eux.  L'essentiel 
d'ailleurs  en  histoire  est  moins  de  juger  les  hommes  que  de  les  com- 
prendre, et  le  seul  moyen  de  les  comprendre  est  de  les  mettre  dans  le 
milieu  où  ils  ont  vécu  et  de  se  faire,   pour  ainsi  dire,  leur  contem- 
porain. 

Ces  critiques  s'adressent  toutes  à  la  méthode  de  M.  d'H.  Si  mainte- 
nant nous  entrons  dans  le  détail  de  son  livre,  nous  y  trouverons  aussi 
quelques  erreurs  de  faits  et  d'appréciations. 

P.  9  :  «  Le  désir  d'innover,  dit-il,  poussait  naturellement  tout  magis- 
trat à  défaire  tout  ce  qu'avait  fait  son  prédécesseur  pour  le  refaire 
mieux  que  lui,  »  Il  est  bien  vrai  que  chaque  gouverneur  publiait  son 
édit  particulier  en  prenant  possession  de  sa  province;  mais  ces  édits  se 
ressemblaient  beaucoup  et  les  proconsuls  se  copiaient  les  uns  les 
autres^.  —  P.  19  -.  M.  d'H.  croit  que  Rome  s'appliqua  «  à  dissoudre  les 

1.  Pour  n'en  citer  qu'un  exemple,  Cicéron  déclara  qu'en  beaucoup  d'affaires  il 
jugerait  conformément  aux  édits  des  préleurs  urbains.  Quant  au  reste,  il  repro- 
duisit en  firande  partie  l'odit  de  Scaevola.  Voir  surtout  nd  AU.  VI,  1,  l.ô.  Cf. 
d'Hugues,  p.  299. 


G.   d'hDGDES  :    UNE  PROVINCE  ROMAINE  SOUS  LA  RÉPUBLIQUE.  ^  69 

agrégations  originelles,  à  briser  les  unités  territoriales  en  formant  de 
nouveaux  groupes  de  peuples,  en  scindant  violemment  ce  que  la 
nature  avait  uni,  en  opposant  la  force  de  la  loi  à  la  force  des  affinités 
ou  des  traditions.  »  Le  Sénat  agit  quelquefois  de  la  sorte  ;  mais  le  plus 
souvent  il  respecta  l'organisation  des  pays  conquis,  on  n'a  qu'à  se  rap- 
peler la  politique  qu'il  adopta  en  Grèce  où  il  se  contenta  d'assurer  dans 
toutes  les  villes  la  prépondérance  de  l'aristocratie  ^.  —  P.  29  :  Très- 
injuste  pour  Sylla,  M.  d'H.  dit  de  lui  qu'il  fut  «  le  mauvais  génie  de 
Rome,  qu'il  fit  plus  contre  elle  en  deux  ans  de  dictature  que  tous  les 
Césars  réunis  pendant  quatre  siècles  de  despotisme.  »  Sylla  contribua 
beaucoup  à  la  ruine  de  la  République  par  l'exemple  qu'il  donna  aux 
ambitieux  :  mais  il  lui  fut  moins  funeste  encore  que  Marins.  Marius 
est  l'auteur  véritable  de  la  révolution  qui  conduisit  Rome  à  la  monar- 
chie; car  c'est  lui  qui  le  premier,  en  changeant  la  composition  de 
l'armée  et  en  grandissant  par  elle,  réduisit  les  légions  à  n'être  plus 
qu'un  instrument  de  guerres  civiles  et  de  coups  d'État^.  Il  est  vrai  que 
Sylla  dut  aussi  son  élévation  aux  soldats;  mais,  dès  qu'il  fut  le  maître, 
il  essaya  d'arrêter  Rome  sur  la  pente  où  elle  glissait.  Il  pensa  que  la 
République  ne  durerait  qu'à  la  condition  d'être  aristocratique;  il  fortifia 
donc  l'autorité  du  sénat  et  annula  celle  des  tribuns  de  la  plèbe.  Est-ce 
là  un  crime  si  grand  que  M.  d'H.  ne  puisse  le  pardonner?  —  P.  38  : 
«  Les  magistratures  provinciales  ne  dataient  point  du  l^»"  janvier,  mais 
seulement  du  mois  de  juin  ou  de  juillet,  quelquefois  plus  tard.  » 
J'ignore  sur  quel  texte  se  fonde  cette  assertion.  Généralement  les  pro- 
consuls et  les  préteurs  quittaient  Rome  vers  le  mois  de  mars,  et  le 
premier  jour  de  leur  gouvernement  était  celui  où  ils  arrivaient  dans 
leur  province  ^.  —  P.  67  :  «  César  n'aimait  pas  plus  les  chevaliers  que 
les  nobles  ;  il  s'appuyait  sur  le  peuple.  »  Si  César  s'était  appuyé  exclu- 
sivement sur  le  peuple,  il  ne  serait  pas  môme  devenu  consul.  Le  peuple 
en  effet  n'eut  jamais  à  Rome  qu'une  très-faible  influence,  surtout  au 
dernier  siècle  de  la  République.  Pour  réussir  dans  les  élections  il  suf- 
fisait d'être  riche,  et  dans  les  comices  la  protection  d'un  Grassus  ou 
d'un  Pompée  était  un  gage  de  succès  plus  précieux  que  les  sympathies 
de  la  foule*.  César  aurait  donc  fait  un  bien  mauvais  calcul  s'il  avait 
compté  sur  la  plèbe.  Ses  opinions  du  reste  ne  le  portaient  pas  plus  que 
ses  intérêts  vers  le  parti  démocratique.  Il  combattit  souvent  les  nobles, 
non  parce  qu'ils  étaient  nobles,  mais  parce  que  beaucoup  parmi  eux 
étaient  républicains.   Il  soutint  en  plusieurs  occasions  les  chevaliers, 

1.  Duruy,  Hist.  des  Romains,  I,  518;  541-544.  Sur  l'appui  donné  par  Rome  à 
l'aristocratie,  voir  :  Fustel  de  Coulanges,  thèse  sur  Polybe;  le  sénatus-consulte 
de  Thisbé;  Tite-Live,  XXXIV,  49,  51. 

2.  Cons.  un  art.  de  M.  Fustel  de  Coulanges  sur  les  armées  romaines  dans  la  Revue 
des  Deux-Mondes  (15  nov.  1870). 

3.  Cic.  ad  AU.  V,  15,  1.  V,  21,  9. 

4.  La  lormation  du  premier  triumvirat  ne  fut  aux  yeux  de  César  qu'un  moyen 
de  se  faire  élire  consul  [lai-  l'apiiui  de  Pompée  et  de  Crassus. 


170  COMI'TKS-KKNDIS    CllITIQIlKS. 

et,  après  l'armée,  co  fut  l'ordro  oqucstro  qui  travailla  le  plus  à  sou 
triomphe'.  Enlin,  lorsqu'il  fut.  dictateur,  sa  politique  ne  s'inspira  nul- 
lement du  programme  de  la  démocratie  romaine^.  César  en  réalité  fut 
un  aristocrate,  mais  un  aristocrate  doublé  d'un  homme  d'État.  —  P.  70  : 
M.  d'il,  accuse  vivement  Cicéron  d'avoir  en  Gilicie  ménage  les  publi- 
cains  pour  ne  point  brouiller  à  Rome  les  chevaliers  et  le  sénat.  Il 
donna  ainsi,  dit-il,  «  le  plus  solennel  démenti  à  ses  doctrines  philoso- 
phiques, à  sa  morale  si  pure  et  si  austère,  à  tous  les  nobles  rêves  de 
son  esprit.  »  En  tout  pays  il  y  a  loin  de  la  théorie  à  la  pratique,  et 
l'on  ne  saurait  exiger  d'un  philosophe  jeté  dans  le  courant  de  la  poli- 
tique active  qu'il  applique  scrupuleusement  tous  les  principes  énoncés 
dans  ses  écrits.  Il  doit  y  demeurer  fidèle  autant  que  possible;  mais  il 
doit  avant  tout  régler  sa  conduite  d'après  les  circonstances.  Or  il  est 
évident  qu'en  51  le  seul  moyen  de  conjurer  le  terrible  danger  dont  se 
trouvait  menacée  la  République  était  l'union  intime  du  sénat  et  des 
chevaliers.  Aux  yeux  de  Cicéron,  une  telle  considération  primait  toutes 
les  autres.  Que  lui  importaient  les  provinciaux  quand  il  s'agissait  du 
salut  de  la  patrie?  Pour  un  Romain,  Rome  était  tout;  pour  un  répu- 
blicain sincère,  la  vieille  constitution  de  la  cité  était  une  part  essentielle 
de  sa  gloire  et  de  sa  force.  Les  intérêts  de  l'humanité  ne  méritaient 
certes  pas  d'entrer  en  balance  avec  ceux  de  Rome,  et  s'il  y  avait  conflit 
entre  les  uns  et  les  autres,  c'était  l'humanité  qu'il  fallait  sacrifier.  Ainsi 
blâmer  Cicéron  d'avoir  administré  la  Cilicie  comme  il  a  fait,  c'est  le 
blâmer  d'avoir  aimé  la  République  et  de  n'avoir  pas  eu  ces  idées  cos- 
mopolites qui  sous  l'empire  se  substituèrent  peu  à  peu  au  patriotisme 
étroit  des  siècles  antérieurs.  —  P,  104.  Les  éloges  que  M.  d'H.  décerne 
à  César  sont  exagérés  ;  car  il  n'est  pas  démontré  que  César  ait  conçu 
les  plans  qu'il  lui  prête.  Il  s'est  formé  autour  de  ce  grand  nom  une 
sorte  de  légende  que  la  science  n'a  pas  encore  dissipée  et  qui  n'a  point 
cessé  jusqu'ici  d'offusquer  la  vue  de  la  plupart  des  historiens.  César, 
dit-on,  voulut  relever  les  provinces  au  détriment  de  Rome  et  «  faire  un 
seul  peuple  de  tous  les  peuples  du  monde ^  ».  Mais  où  sont  les  preuves  ? 
Je  cherche  et  je  ne  les  aperçois  pas.  S'il  fit  rebâtir  Corinthe  et  Car- 
thage,  c'était  simplement  pour  développer  le  commerce  maritime  de 
l'Empire  ;  s'il  accorda  à  beaucoup  de  provinciaux  le  titre  de  citoyen 
romain,  ce  fut  à  l'exemple  du  sénat'*,  qui  avait  conféré  le  même  pri- 

1.  Appien,  De  b.  c.  II,  13;  Suét.  Div.  Jul.  20.  —  En  50,  à  la  veille  de  la  guerre 
civile,  les  publicains  étaient  du  parti  de  César  (Cic.  ad  AU.  VII,  7,  5). 

2.  Aflaire  des  dettes  et  des  loyers  :  César,  JDe  b.  c.  III,  20,  21;  Cassius  Dion, 
XLII,  32.  Cf.  Boissier,  Cicéron  et  ses  amis,  p.  213-217  (3"^  édit.).  —Abolition du 
droit  d'association  :  Suét.  Div.  Jul.  42.  —  Loi  judiciaire  :  Suét.  41;  Dion  XLIII, 
25.  —  Mesures  agraires  :  Suét.  38,  41  ;  Dion  XLIII,  21. 

3.  V.  à  ce  sujet  dans  Duruy  (I,  492,  note  2)  quelques  observations  très-justes. 

4.  Cic.  pro  Balbo  9  :  «  Stipendiarios  in  Africa,  Sicilia,  Sardinia,  caeteris  pro- 
vinciis  multos  civitate  donatos  videmus.  »  César  ne  fut  pas  trop  prodigue  du  droit 
de  cité. 


E.  A.  FREEMAN  :    NORMAN  CONQUEST.  4  7^ 

vilége  d'abord  aux  Latins,  puis  aux  Italiens  ;  s'il  réprima  quelques-uns 
des  abus  que  commettaient  les  gouverneurs,  c'était  pour  introduire 
plus  de  régularité  dans  l'administration.  Ces  restrictions  ne  diminuent 
en  rien  son  génie;  au  contraire,  sa  politique,  réduite  à  ces  proportions, 
nous  apparaît  comme  étant  plus  pratique,  plus  efficace,  et  par  suite  plus 
digne  de  lui. 

Le  chapitre  III  où  M.  d'H.  décrit  l'état  de  la  République  en  51  est  à 
peu  près  inutile;  il  est  en  outre  très-partial  pour  les  césariens.  Je 
signalerai  notamment  les  pages  118,  120,  121,  145,  147.  —  Avec  la 
page  199  commence  le  récit  du  proconsulat  de  Cicéron.  Comme  on 
voit,  les  préliminaires  sont  un  peu  longs.  Cette  partie  du  livre  est  plus 
intéressante  que  la  première.  L'auteur  raconte  d'abord  les  démêlés  de 
Cicéron  avec  son  prédécesseur  Appius  Claudius,  puis  ses  campagnes, 
dont  il  exagère  peut-être  l'importance,  ensuite  son  administration  pro- 
prement dite,  enfin  ses  intrigues  pour  avoir  les  honneurs  du  triomphe 
et  son  retour  en  Italie.  Ces  trois  chapitres  attestent  une  étude  sérieuse 
de  la  correspondance  de  Cicéron  ;  M.  d'H.  en  explique  clairement  les 
passages  les  plus  obscurs,  sans  doute  avec  l'aide  du  Commentaire  de 
Manuce  que  pourtant  il  ne  cite  pas.  Son  style  est  vif,  agréable,  dégagé; 
on  ne  dirait  pas,  en  lisant  cet  ouvrage,  qu'il  n'est  que  la  traduction 
française  d'une  thèse  latine;  je  soupçonne  d'ailleurs  M.  d'H.  d'en  avoir 
usé  librement  avec  le  texte  primitif.  J'aurais  quelques  critiques  à  pré- 
senter encore  ici.  Mais  j'en  ai  dit  assez  pour  montrer  par  où  pèche  ce 
travail.  Je  me  contenterai  d'indiquer  comme  renfermant  des  erreurs 
plus  ou  moins  graves  les  pages  207  (lignes  2-4),  219  (sur  l'entrevue  de 
Pompée  et  de  Lucullus  en  Galatie),  237  et  239,  294,  415,  451  (note  1), 
453  (fausse  appréciation  de  la  politique  des  empereurs). 

Paul  GUIRAUD. 


The  history  of  the  Norman  Conquest  of  England  ;  its  causes  and 

its  results,  by  E.  A.  Freeman.  5  vol.  in-S".  Oxford.  Clarendon 
Press  ;  Mac  Millan,  London.  Prix  :  4  liv.  i  9  sh. 

Quelle  fut  la  nature,  quelles  ont  été  les  conséquences  de  la  conquête 
de  l'Angleterre  par  les  Normands?  Chateaubriand  avait  posé  la  question 
dans  son  histoire  de  la  littérature  anglaise.  Sa  théorie  un  peu  trop 
absolue  fut  recueillie  par  sir  Walter  Scott.  Celui-ci  peignit  des  plus 
vives  couleurs,  dans  son  roman  d'Ivanhoe,  les  souffrances  du  Saxon 
écrasé,  méprisé,  asservi  par  le  noble  Normand  ;  tableau  de  fantaisie, 
œuvre  d'artiste  qui  eut  le  rare  privilège  d'enthousiasmer  la  foule  et 
d'inspirer  à  notre  grand  historien  Augustin  Thierry  le  livre  que  tout  le 
monde  a  lu.  —  Le  savant  par  malheur  s'inspira  un  peu  trop  du  poète 
et  une  réaction  inévitable  éclata  contre  ses  idées. 

Ce  fut  en  Angleterre,  naturellement,  que  se  formula  le  plus  nette- 


172  COMi'TES-IlK.NnilS    CIUTIQUKS. 

iiitMit  la  (locirino  oi)p()soe.  Palgrave  fut  le  chef  do  celte  école.  L'histo- 
rien français  disait  que  la  conquête  avait  tout  changé  en  Angleterre, 
roi,  noblesse,  institutions,  langue  et  religion.  Rien  n'était  resté  de 
l'ancien  ordre  de  choses  :  l'Anglais  prétendit  qu'il  n'y  avait  eu  qu'un 
changement  de  dynastie.  A  l'e.xagération  inconsciente  de  la  thèse,  s'op- 
posa l'exagération  voulue  de  l'antithèse.  Deux  camps  se  formèrent,  et 
l'on  peut  reconnaître  l'influence  de  l'un  ou  l'autre  des  deux  partis  dans 
tous  les  ouvrages  qui  ont  paru  depuis  sur  l'histoire  d'Angleterre. 

M.  Freeman  a  entrepris  de  clore  le  débat  et  de  prononcer  un  juge- 
ment définitif  sur  les  causes,  la  nature,  les  résultats  de  la  conquête;  de 
là  un  volumineux  ouvrage  dont  la  publication  n'a  été  complètement 
terminée  que  l'année  dernière.  Il  a  été  parlé  ici  même  du  cinquième 
volume  {Rev.  hist.^  II,  575). 

Reconnaissons  d'abord  que  M.  Freeman  avait,  plus  que  personne, 
l'autorité  nécessaire  pour  prononcer  les  conclusions  dans  un  jugement 
de  cette  importance.  Il  connaît  à  fond  tous  les  documents  écrits  qui 
ont  été  publiés  sur  cette  époque  :  il  a  lu  et  soumis  à  une  minu- 
tieuse critique  les  chroniques  en  prose  ou  rimées,  latines,  anglaises 
ou  françaises  du  xi^  siècle.  Il  s'adresse  même  aux  témoins  silencieux 
des  vieux  âges,  il  a  la  passion  de  l'archéologie,  et  a  écrit  en  manière 
de  passe-temps  plusieurs  monographies  de  cathédrales  ou  autres  monu- 
ments historiques.  Il  ne  néglige  aucun  moyen  d'investigation. 

Peut-être  même  ce  souci  de  ne  rien  omettre  a-t-il  nui  quelque  peu  à 
la  vivacité  du  récit.  On  pourrait  reprocher  à  ces  cinq  gros  volumes  un 
luxe  surabondant  d'anecdotes,  de  dissertations  incidentes,  d'appendices 
consacrés  à  des  points  de  détail.  Le  livre  à  la  rigueur  s'en  passerait  : 
ce  lourd  bagage  eût  été  ainsi  singulièrement  allégé.  Il  est  tel  dévelop- 
pement, dans  le  premier  volume  surtout  et  le  dernier,  dont  la  nécessité 
n'apparaît  pas  tout  d'abord.  L'histoire  des  Saxons  et  des  Normands 
avant  la  conquête,  celle  des  princes  angevins  dans  le  siècle  qui  suivit 
semble  un  peu  longue,  on  voudrait  plus  de  rapidité  dans  le  prélude  et 
l'épilogue. 

On  s'explique  cependant  pourquoi  M.  Freeman  a  tant  insisté  sur  les 
origines  et  les  résultats  de  la  conquête.  C'est  que  dans  son  esprit  ce 
grand  événement  ne  peut  être  étudié  à  part,  car  ce  qui  importe  surtout 
c'est  de  voir  en  quoi  il  a  modifié  les  institutions  de  l'Angleterre.  Or,  à 
ce  sujet  M.  Freeman  a  une  idée  favorite  qu'il  expose  dans  tous  ses 
ouvrages  historiques  :  on  la  trouve  esquissée  dans  le  petit  opuscule 
qu'il  a  publié  sous  le  titre  d'Unité  de  l'histoire  :  il  a  commencé  à  la 
développer  dans  son  volume  sur  l'histoire  du  gouvernement  fédéral, 
première  pierre  d'un  monument  resté  inachevé,  il  a  voulu  la  vulgariser 
dans  son  «  Développement  de  la  Constitution  anglaise  »,  enfin  il  l'étalé 
tout  au  long  dans  son  œuvre  capitale  :  la  Conquête  normande.  —  On 
peut  dire  que  c'est  l'âme  de  tous  ses  écrits  et  en  particulier  du  dernier; 
c'est  elle  qui  donne  la  vie  à  ses  dissertations,  qui  sert  de  lien  entre  ses 
nombreuses  anecdotes,  qui  permet  d'embrasser  dans  son  ensemble  non- 


E.  A.    FREEMAN  :    NORMAN  CONQUEST.  173 

seulement  les  travaux  de  M.  Freeman,  mais  encore  ceux  de  presque 
tous  les  historiens  anglais  contemporains. 

Cette  doctrine  est  celle  de  la  persistance  à  travers  les  âges  et  les 
milieux  les  plus  différents  du  principe  des  assemblées  populaires.  On  le 
trouve  en  Grèce,  aux  temps  homériques,  sous  sa  forme  la  plus  simple, 
à  l'époque  des  confédérations  Achéenne  et  Etolienne  avec  des  organes 
plus  compliqués.  Il  en  est  de  même  pour  Rome;  c'est  une  institution 
commune  à  toute  la  race  indo-européenne;  mais  c'est  surtout  dans  les 
nations  de  sang  germanique  et  en  particulier  chez  les  Anglo-Saxons 
que  l'histoire  peut  en  suivre  sans  interruption  les  progrès,  depuis 
l'obscure  genèse  si  imparfaitement  décrite  dans  César  et  Tacite,  jus- 
qu'au magnifique  épanouissement  du  xm^  siècle.  Les  premiers  pirates 
saxons  qui  s'empai'èrent  du  sol  britannique  apportèrent  ce  germe  pré- 
cieux sur  leurs  vaisseaux,  et  il  grandit  jusqu'au  jour  où  Simon  de 
Montfort  convoqua  son  parlement.  —  La  constitution  anglaise  est  aussi 
vieille  que  la  race  elle-même,  elle  a  grandi  comme  elle,  et  n'a  pas  un 
seul  moment  cessé  d'exister. 

La  chaleur  avec  laquelle  M.  Freeman  plaide  cette  thèse  est  vraiment 
remarquable.  Il  y  apporte  un  enthousiasme,  un  élan  comparables  à 
l'ardeur  qu'il  déploie  maintenant  dans  les  débats  sur  la  question 
d'Orient.  C'est  que  pour  lui  ce  n'est  pas  une  question  de  science  désin- 
téressée. L'histoire  de  l'Angleterre,  même  à  ces  époques  reculées,  le 
passionne  presque  autant  que  les  événements  contemporains,  il  prend 
parti  dans  les  luttes  qui  éclatent  à  la  cour  des  vieux  rois  saxons  à  peu 
près  comme  en  France  les  historiens  de  la  Révolution  se  déclarent  pour 
les  Girondins  ou  les  Montagnards  :  ainsi  il  ne  cache  pas  ses  sympathies 
pour  Godwin,  le  père  d'Harold,  au  temps  d'Edouard  le  Confesseur. 
Parfois  on  trouve  dans  son  livre  des  accents  qui  font  penser  aux  pages 
les  plus  éloquentes,  les  plus  émues  de  Michelet,  parfois  aussi  on  ren- 
contre des  préoccupations  qui  semblent  par  trop  modernes. 

Lorsque  M.  Freeman  rend  compte  du  travail  de  fusion  qui  s'est 
opéré  entre  les  royaumes  saxons,  il  emploie  avec  une  complaisance 
évidente  un  terme  qui  paraît  singulier.  Pour  exprimer  l'idée  de  souve- 
raineté sur  toute  la  partie  anglaise  de  File,  le  mot  de  royauté  ne  lui 
suffit  pas;  c'est,  dit-il,  un  titre  impérial.  L'empire  britannique  est 
formé  alors  ;  les  rois  de  Wessex,  étendant  leur  pouvoir  sur  les  autres 
royaumes,  deviennent  les  empereurs  de  la  nation  anglaise.  Voilà  un 
empire  dont  l'histoire  a  tenu  peu  de  compte  jusqu'à  présent  et  qui  par 
une  association  inévitable  a  le  tort  de  rappeler  des  débats  récents  sur 
un  autre  titre  impérial.  L'auteur  s'est  laissé  entraîner  à  un  rapproche- 
ment qui  nous  étonne;  nous  comparons  ces  minces  rois  à  demi  bar- 
bares à  Gharlemagne,  et  nous  comprenons  à  peine  comment  le  même 
titre  peut  être  appliqué  à  deux  souverains  aussi  différents.  C'est  que 
nous  n'éprouvons  pas  pour  les  Anglo-Saxons  les  sentiments  qui  ins- 
pirent M.  Freeman;  mais  enfin  nous  finirions  par  en  prendre  notre 
parti  si  nous  ne  craignions  d'être  entraînés  trop  loin  dans  cette  apo- 
logie, ce  culte  des  ancêtres. 


^7Ji  COMPTKS-KENnUS    CRrTIQDES. 

Il  y  a  en  cilbt  deux  passages  où  l'auteur  semble  avoir  atteint  l'ex- 
trême limite  de  l'enthousiasme  légitime.  L'un  est  le  parallèle  entre  le 
roi  Alfred  et  les  grands  hommes  les  plus  vantés  du  moyen  âge  et  des 
temps  modernes,  l'autre  est  le  jugement  sur  la  conquête  saxonne.  Sans 
doute  le  roi  Alfred  fut  un  grand  prince;  même  on  faisant  la  part  de  la 
légende,  il  lui  reste  assez  de  titres  aux  éloges  de  l'histoire,  mais  l'aut-il 
lui  sacrifier  systématiquement  d'autres  gloires  aussi  pures  que  la 
sienne?  Quelle  nécessité  d'ailleurs  y  a-t-il  d'établir  une  comparaison 
entre  Alfred  d'une  part,  Gharlcmagnc,  saint  Louis,  Edouard  !«■•,  Guil- 
laume le  Taciturne  et  Washington  de  l'autre?  Ne  peut-il  pas  sembler 
étrange  de  voir  mettre  le  fondateur  des  États-Unis  au-dessous  du  roi 
saxon  parce  qu'il  n'était  ni  saint,  ni  scholar? 

Quant  à  la  conquête  saxonne,  ce  fut  à  dire  vrai  une  barbarie  dont 
rien  jusque  là  dans  les  fameuses  invasions  n'avait  donné  l'idée.  La 
population  indigène  fut  traitée  avec  une  telle  cruauté  qu'elle  disparut 
devant  les  vainqueurs.  L'écrivain  s'applaudit  fort  de  cet  égorgement 
des  Celtes  par  «  la  saine  barbarie  »  des  Anglais.  «  Nous  y  avons  gagné, 
dit-il  (I,  p.  21),  une  nouvelle  terre  pour  nous-mêmes;  nous  avons  pu 
y  développer  notre  système  pour  nous-mêmes  (for  ourselves)...,  les 
Angles,  Saxons  et  Jutes,  transplantés  aux  rives  de  Bretagne,  ont 
gagné  pour  eux-mêmes  un  nouveau  nom,  une  nouvelle  vie  nationale 
et  ont  maintenu  jusqu'à  nous  l'héritage  distinct  et  glorieux  des 
Anglais.  »  —  II  y  a  dans  toute  cette  page,  si  l'on  peut  s'exprimer 
ainsi,  comme  l'àpi'eté  du  fils  de  famille  propriétaire  qui  certes,  par  lui- 
même,  ne  ferait  tort  à  personne,  mais  qui  pardonne  aisément  à  ses 
ancêtres  d'avoir  eu  moins  de  scrupules. 

Avec  cet  amour  pour  la  race  saxonne  et  ses  héros,  cette  admiration 
pour  la  conquête  du  vi^  siècle  et  ses  conséquences,  cet  orgueil  pour  la 
persistance  des  institutions,  on  ne  peut  assister  avec  indifférence  au 
spectacle  d'une  invasion  qui  semble  d'abord  tout  bouleverser.  Quelle 
sera  donc  l'opinion  de  l'écrivain  sur  Guillaume  et  ses  Normands? 
Pour  qui  sa  sympathie,  pour  qui  ses  vœux  dans  le  duel  qui  a  ensan- 
glanté il  y  a  huit  cents  ans  les  hauteurs  de  Senlaci?  M.  Freeman  est 
cette  fois  du  parti  des  vaincus.  Il  ne  cache  pas  sa  tendresse  pour 
Harold.  Il  dit  quelque  part  (t.  IV,  c.  24)  qu'il  aurait  combattu  de  bon 
cœur  avec  les  archers  saxons  derrière  leur  fameuse  palissade.  —  Après 
la  défaite,  il  cherche  pieusement  parmi  les  morts  le  corps  du  dernier 
roi  saxon,  il  nous  raconte  tout  au  long  les  légendes  mystérieuses  qui 
ont  eu  cours  en  Angleterre  sur  l'infortuné  Harold  :  il  n'avait  pas  péri 
dans  la  bataille,  disait-on,  il  vivait  dans  une  profonde  retraite,  faisait 
pénitence  pour  ses  péchés  et  priait  pour  son  peuple.  Quoi  qu'il  en  soit, 
Guillaume  était  le  maître,  et,  malgré  quelques  révoltes,  maître  incon- 
testé; il  prit,  selon  M.  Freeman,  non-seulement  le  pouvoir,  mais 
encore  la  politique  des  princes  qu'il  remplaçait.  Il  se  dit  successeur 

1.  M.  Freeman,  comme  plusieurs  récents  auteurs,  appelle  la  bataille  d'Hastings 
bataille  de  Senlac,  du  lieu  où  la  bataille  fut  réellement  livrée. 


E.  A.   FREEMAN  :    NORMAN  CONQOEST.  <  75 

d'Edouard,  et  voulut  persuader  à  tous  qu'il  l'était.  Il  avait  la  force,  il 
eut  le  droit.  Guillaume  ne  toucha  en  rien  aux  institutions  anglaises  ; 
il  réunit  même  plusieurs  fois  le  Witenagemot,  et  on  peut  dire  qu'il 
rendit  à  cette  vieille  assemblée  germanique  une  vigueur  nouvelle.  — 
Son  règne,  en  somme,  loin  de  nuire  au  progrès  politique  de  ses  nou- 
veaux sujets,  l'accéléra  singulièrement.  La  conquête  normande  fut  un 
bien  pour  l'Angleterre,  elle  lui  donna  une  unité  nationale  qu'elle 
n'avait  jamais  connue  et  prévint  son  morcellement  politique  en  petites 
principautés  féodales. 

Sans  doute  des  infortunes  privées,  des  injustices,  des  crimes  même 
signalèrent  l'avènement  en  Angleterre  de  la  dynastie  normande,  mais 
il  y  a  eu  beaucoup  d'exagération  dans  les  récits  qu'en  ont  fait  les  his- 
toriens. Bien  des  Saxons  ont  été  chassés  de  leurs  terres  et  de  leurs 
châteaux  et  remplacés  par  des  Normands  ou  des  Francs,  mais  il  n'y  a 
pas  dépossession  systématique  d'une  race  au  profit  d'une  autre.  Le  roi 
Guillaume  se  regardait  comme  propriétaire  par  droit  de  souveraineté 
de  tous  les  domaines  d'Angleterre.  Il  les  concédait  à  ses  vassaux 
moyennant  l'hommage  et  le  service;  soupçonnait-il  un  Anglais  de 
conspirer  contre  lui,  il  lui  retirait  sa  propriété;  il  se  croyait  même  le 
droit  de  le  faire  sans  autre  motif  que  son  bon  plaisir,  absolument 
comme  un  landlord  de  nos  jours  qui  changerait  de  fermiers  :  nous  ne 
voyons  pas  qu'il  ait  abusé,  une  fois  bien  établi  sur  son  trône,  de  ces 
droits  absolus.  On  peut  même  remarquer  que  les  Normands  qui  se 
permirent  de  résister  au  pouvoir  royal  furent  traités  avec  la  même 
dureté  que  leurs  complices  anglais.  Enfin  il  faut  ajouter  que  Guillaume 
ne  fit  périr  sur  l'échafaud  qu'un  seul  noble  saxon,  Waltheof,  qui  fut  plu- 
tôt victime  de  sa  propre  femme,  Judith,  que  de  son  roi.  Sauf  cette  excep- 
tion, la  peine  de  mort  ne  fut  pas  appliquée  en  matière  politique  par  le 
premier  prince  normand  d'Angleterre. 

L'argument  le  plus  solide  de  l'école  d'Augustin  Thierry,  celui  qui 
est  tiré  de  l'examen  du  Domesday-book,  touche  donc  assez  peu 
M.  Freeman.  Au  contraire,  il  le  retourne  vigoureusement  en  faveur  de 
sa  thèse,  et  montre,  grâce  à  ce  document  unique,  à  quel  point  la  con- 
quête normande  a  peu  modifié  la  distribution  des  terres.  «  Le 
Domesday  nous  enseigne,  mieux  qu'aucun  autre  document  du  même 
temps  ne  peut  le  faire,  que  l'Angleterre  du  xi^  siècle  et  l'Angleterre 
du  XIX*  sont  une  seule  et  même  chose.  »  On  trouve  même  dans  la 
longue  discussion  consacrée  à  cette  matière  et  dans  l'appendice  qui 
termine  le  volume  un  enthousiasme  que  la  sèche  nomenclature  des 
propriétés  anglaises  a  rarement  inspiré.  L'auteur  s'attendrit  presque 
en  constatant  que  la  géographie  locale  n'a  guère  changé  depuis  l'époque 
d'Edouard  et  de  Guillaume.  Elle  a  subsisté  à  travers  les  siècles,  comme 
la  constitution  elle-même,  ne  se  modifiant  que  d'après  les  lois  de  sa 
nature  même  et  non  sous  l'impulsion  brutale  d'une  cause  étrangère. 

L'Eglise,  elle,  fut  moins  heureuse  apparemment.  On  sait  avec  quelle 
éloquence  l'historien  français  a  développé  cette  partie  de  l'histoire  de 


I7<>  r.oMPiKs-iiKMn  s  cRrriQUES. 

la  conquètp.  On  se  rappelle  quel  tableau  il  a  tracé  des  efforts  de  Lau- 
Iranc  jnnir  déraciner  les  traditions,  les  rites  particuliers  qui  s'étaient 
implantes  si  profondément  dans  le  sol  anglais  depuis  les  jours  d'Au- 
gustin et  de  Grégoire-le-Grand.  Les  couvents  furent  vidés,  les  temples 
dépiuiillés,  le  calendrier  même  fut  changé;  la  proscription  s'étendit 
jusqu'aux  vieux  saints  qui  se  virent  privés,  au  prolit  des  saints 
romains,  de  leur  tribut  habituel  d'encens  et  de  prières. —  M.  Freeman 
n'a  garde  de  méconnaitre  l'importance  du  rôle  ecclésiastique  de  Lan- 
franc,  mais  il  l'explique.  Le  nouveau  ])rimat  d'Angleterre  fut  l'instru- 
ment d'une  révolution  que  la  conquête  facilita  sans  doute,  mais  qui  se 
serait  accomplie  d'elle-même.  L'p]glise  catholique  tendait  à  l'unité. 
Grégoire  VII  ne  voulait  plus  voir  d'églises  locales  semi-indépendantes, 
et  il  profita  des  circonstances  pour  exécuter  un  dessein  que  couvait 
depuis  longtemps  la  papauté.  Il  abolit  les  privilèges  qui  avaient  été 
accordés  aux  sièges  rivaux  de  Cantorbéry  et  d'York;  il  subordonna 
plus  étroitement  le  primat  au  pape,  et  du  même  coup  mit  fin  à  la 
vieille  querelle  entre  le  nord  et  le  sud,  en  donnant  à  Lanfranc  l'auto- 
rité sur  son  rival. 

C'était  surtout  par  les  moines  que  la  papauté  imposait  ses  réformes 
et  son  empire.  Or,  en  Angleterre,  les  couvents  étaient  loin  d'être  l'asile 
des  vertus  évangéliques.  C'était  même  en  général  le  dernier  endroit  où 
on  dût  les  chercher.  Depuis  les  temps  reculés  de  Bède  le  Vénérable, 
c'était  plutôt  une  école  de  scandale  que  d'édification,  un  lieu  de  per- 
dition qu'un  port  de  salut.  —  Il  était  donc  impossible  que  Grégoire  VII 
trouvât  dans  les  hôtes  vicieux  des  monastères  des  instruments  pour 
ses  desseins.  Il  les  eut  pour  ennemis,  non  pour  soldats,  et  il  les  traita 
en  conséquence.  Que  dans  la  lutte  il  y  ait  eu  des  épisodes  émouvants, 
que  parfois  le  droit  ait  semblé  du  côté  des  moines,  que  le  primat  ait 
poussé  trop  loin  dans  certaines  circonstances  l'exercice  de  son  pouvoir, 
c'est  possible;  c'était  même  inévitable.  Les  moines  d'Angleterre  ont 
eu  le  sort  de  tous  ceux  qui  défendent  une  cause  condamnée,  et  mau- 
vaise en  soi.  Des  innocents  ont  parfois  été  victimes,  leur  sort  est  à 
plaindre;  mais  la  compassion  ne  doit  pas  nous  aveugler  sur  la  justice 
de  leur  cause. 

En  n'acceptant  pas  les  conclusions  de  l'historien  français  sur  le  rôle 
de  Lanfranc,  l'auteur'de  Norman  Conquest  n'a  donc  pas  tout  à  fait  tort; 
il  n'a  pas  non  plus,  nous  semble-t-il,  raison  sur  tous  les  points.  Son 
jugement  sur  l'ami  de  Guillaume,  sur  l'Italien  auxiliaire  zélé  de  Gré- 
goire VII,  est  peut-être  sujet  à  révision  pour  un  détail  fort  important. 
—  Un  des  principaux  desseins  du  pape,  ce  fut  d'établir  dans  toute 
l'Église  le  célibat  ecclésiastique.  Le  pontife  en  vint  à  peu  près  à  bout 
en  Angleterre,  grâce  à  l'habileté  et  à  l'ardeur  de  Lanfranc.  M.  Freeman 
juge  sévèrement  cette  politique  :  il  reproche  amèrement  au  primat 
anglais  d'avoir  introduit  sur  le  sol  britannique  cette  innovation  mys- 
tique et  dangereuse.  —  C'est  du  reste  un  regret  qu'il  exprime  volon- 
tiers :  à  propos  de  saint  Dunstan  il  se  plaint  aussi  des  tentatives  faites 


E.  A.   FREEMAN  :    NORMAN  CONQUEST.  4  77 

au  x«  siècle  pour  empêcher  le  mariage  des  prêtres.  «  Gela  eut  pour 
résultat,  dit-il,  de  diviser  la  nation  en  deux  parties  et  de  créer  une 
mutuelle  inimitié  qui  aurait  pu  produire  des  maux  plus  grands  encore 
que  ceux  qu'elle  produisit.  »  La  question  est  délicate.  Dans  les  temps 
modernes,  elle  a  été  tranchée  par  l'Église  protestante  d'après  les 
opinions  de  M.  Freeman,  mais  il  est  permis  de  se  demander  quels 
auraient  été  au  moyen  âge  les  effets  du  mariage  des  prêtres.  Ne  faut-il 
pas  croire  que  la  papauté,  en  l'interdisant,  a  empêché  la  formation 
d'une  féodalité  ecclésiastique  héréditaire  dont  les  pouvoirs,  les  richesses 
et  l'influence  auraient  été  un  immense  danger  pour  la  société  civile. 
—  Remarquons  de  plus  avec  quel  art  l'auteur  anglais  suit  son  idée 
principale.  Les  détails  qu'il  donne  au  premier  volume  sur  l'œuvre  de 
saint  Dunstan  semblent  préparer  ce  qu'il  nous  dit  au  quatrième  sur  la 
politique  de  Lanfranc.  Le  second  semble  en  quelque  sorte  reprendre 
les  traditions  du  premier,  il  s'inspire  pour  ainsi  dire  de  son  esprit,  il 
le  continue  en  religion  comme  Guillaume  en  politique  représente  et 
continue  les  vieux  rois  saxons. 

Le  nouveau  roi  avait  respecté  les  institutions  de  l'Angleterre,  il  en 
respecta  également  la  langue.  Jamais  il  ne  tenta  de  substituer  l'idiome 
franco-normand  à  l'anglais;  les  deux  langages  se  maintinrent  côte  à 
côte.  Il  est  vrai  que  peu  après  la  conquête  l'anglais  perdit  ses  flexions, 
mais  c'est  plutôt  par  l'effet  même  de  son  propre  développement  que 
par  l'influence  du  français.  Un  grand  nombre  de  termes  d'origine 
latine  se  glissèrent  aussi  au  milieu  des  mots  à  racine  germanique, 
mais  cette  infiltration  avait  déjà  commencé  avant  Guillaume,  l'inva- 
sion ne  fit  que  l'accélérer. 

C'est  surtout  au  point  de  vue  de  la  diplomatie  et  des  relations  exté- 
rieures que  l'avènement  des  princes  normands  changea  la  condition 
des  îtes  Britanniques,  elles  furent  rattachées  plus  fortement  au 
système  politique  de  l'Europe  occidentale  et  entrèrent  en  rapports  plus 
directs  avec  la  France.  Enfin  les  malheurs  réels  qui  accompagnèrent 
l'entrée  violente  de  Guillaume  en  Angleterre,  eurent  au  moins  cet 
avantage  qu'ils  mirent  fin  aux  invasions  danoises,  bien  autrement 
terribles. 

Nous  ne  suivrons  pas  M.  Freeman  dans  le  détail  des  règnes  qui  sui- 
virent celui  de  Guillaume.  Il  y  montre  comment  les  deux  nationalités 
normande  et  saxonne  finirent  par  se  confondre  ou  plutôt  comment  la 
première  fut  absorbée  par  la  seconde.  La  fusion  est  complètement 
achevée  sous  Henri  II,  et  il  en  résulte  que  Thomas  Becket  n'a  pas  eu 
la  physionomie  qu'on  lui  donne.  Il  n'y  avait  à  cette  époque  d'étran- 
gers et  d'intrus  en  Angleterre  que  les  favoris  aquitains  du  roi  Plan- 
tagenet.  Thomas  fut  un  prêtre,  non  un  Saxon. 

Un  des  passages  les  plus  curieux  du  livre  qui  nous  occupe  est  cer- 
tainement le  chapitre  où  il  est  traité  de  l'effet  de  la  conquête  sur  les 
arts  et  l'architecture.  Il  peut  nous  donner  comme  le  résumé  et  le  sym- 
bole des  opinions  de  l'historien  anglais  sur  la  plus  grande  crise  qu'ait 
Rev.  Histor.  V.   l"""  vxsc.  12 


^78  COMPTES-RRNnrs    CRITIQUES. 

traversée  la  vieille  Angleterre.  Les  Normands  apportèrent  dans  la 
construction  de  leurs  chàteau.\  et  de  leurs  églises  des  procédés  plus 
parfaits  et  un  style  mieux  approprié  à  leurs  besoins,  mais  ils  se 
plièrent  à  l'usage  des  matériaux  que  leur  fournissait  le  sol  anglais  et 
se  laissèrent  peu  à  peu  dominer  par  le  goût  des  vaincus. 

Louis  BOUQIER. 


Deutsche  Verfassungsgeschichte,  par  Georges  Waitz.  6"  et  7«  vol. 
de  viii-dOG,  vii-427  pp.  in-S".  Kiel,  H7o,  ^876,  avec  un  sous- 
titre  :  la  Constitution  de  l^empire  allemand  du  milieu  du  IX^  au 
milieu  du  Xll^  s. ,  vol.  2  et  3. 

On  sait  qu'avec  le  cinquième  volume  de  l'histoire  de  la  constitution 
allemande  dont  la  Revue  historique  a  rendu  compte  (t.  I,  p.  604  et  s.), 
commence  une  division  nouvelle  du  grand  ouvrage  de  Waitz.  Ce  cin- 
quième volume,  on  se  le  rappelle  sans  doute,  sert  d'introduction  à  l'ex- 
position de  la  constitution  de  l'empire  allemand  du  milieu  du  ix°  au 
milieu  du  xu^  siècle,  c.-à-d.  de  l'époque  de  la  dissolution  de  l'empire 
franc  à  l'établissement  définitif  du  régime  féodal. 

Les  6«  et  7^  volumes  présentés  aujourd'hui  au  lecteur  occupent  le 
centre  de  cette  grande  division.  Le  6^,  avec  ses  chapitres  concernant  le 
régime  féodal,  le  roi,  la  cour,  le  gouvernement  et  les  assemblées  de 
l'empire,  la  législation  et  le  pouvoir  dans  l'empire,  traite  des  institu- 
tions fondamentales  qui  donnent  à  l'empire  toute  sa  cohésion;  le  1", 
avec  ses  chapitres  sur  les  comtes,  burgraves,  landgraves  et  margraves, 
les  ducs  et  les  comtes  palatins,  le  haut  clergé,  les  principautés  et  les 
villes,  expose  les  institutions  locales  qui  animaient  les  provinces.  Dans 
le  6«  volume,  la  royauté  avec  tous  ses  droits  est  au  premier  plan  ;  dans 
le  7^,  c'est  la  principauté,  qui  supplantera  la  royauté. 

Les  deux  volumes  donnent  une  égale  idée  de  l'érudition  immense  qui 
a  valu  à  Waitz  sa  haute  réputation  scientifique.  Pour  la  première  fois, 
se  trouvent  extraits  de  nombreux  recueils  et  rassemblés  les  innom- 
brables documents  qui  témoignent  de  la  vie  de  l'organisme  constitu- 
tionnel de  l'Allemagne  dans  la  première  moitié  du  moyen  âge.  Au 
cours  de  l'exposition,  des  détails  sont  éclaircis  ou  fixés,  des  institutions 
d'une  certaine  importance,  comme  par  ex.  l'avouerie,  sont  étudiées 
pour  la  première  fois.  Ce  n'est  pas  toutefois  sans  se  donner  de  peine 
que  l'on  pourra  profiter  de  ce  savant  ouvrage  dont  la  méthode  d'expo- 
sition consiste  surtout  à  faire  passer  sous  les  yeux  du  lecteur  une  quan- 
tité considérable  de  faits  sans  lui  mettre  aux  mains  un  fil  conducteur. 
Quelque  éminentes  que  soient  les  qualités  de  ce  travail,  il  n'en  produit 
pas  moins  pour  l'esprit  l'impression  d'une  vaste  et  grandiose  mosaïque. 

Cherchons  à  nous  rendre  compte  de  cette  impression  en  présentant 
dans  ses  traits  généraux  la  constitution  de  l'empire  allemand   pendant 


G.  WAITZ   :   DEUTSCHE  VERFASSUNOSGESCHICHTE.  179 

sa  première  période  ;  ce  sera  essayer  de  nous  reconnaître  en  quelque 
manière  dans  l'œuvre  de  l'illustre  et  infatigable  historien. 

Au  moyen  âge,  en  Allemagne  comme  en  France,  le  régime  féodal 
devait  donner  sa  forme  à  l'État,  c'est  donc  avec  raison  que  le  chapitre 
premier  du  6^  vol.  de  Waitz  traite  du  système  féodal  (p.  1-100).  Le 
régime  féodal  poursuit  l'évolution  commencée  par  le  régime  bénéfi- 
ciaire, d'origine  franque,  dont  le  caractère  propre  nous  apparaît  plus 
net  en  ce  qui  concerne  l'Allemagne ,  grâce  aux  matériaux  considérables 
réunis  par  l'auteur.  Malgré  la  langue  indécise  et  flottante  des  documents, 
il  est  désormais  hors  de  doute  que  le  mot  benefîcium  indique  une  con- 
cession de  biens  d'une  certaine  nature  qui  se  distingue  très-bien  par 
ex.  de  la  prccaria  (p.  90).  Cette  dernière  se  présente  sous  la  forme  d'un 
«  contrat  bilatéral  par  lequel  les  deux  parties  donnaient  quelque  chose  » 
(p.  99).  La  constitution  d'un  benefîcium  n'exigeait  pas  nécessairement 
en  retour  la  présence  d'une  prestation  privée  (redevance);  elle  était  liée 
d'ordinaire  à  l'existence  de  services  personnels  (p.  95).  La  precaria  se 
reconnaît  à  ce  qu'elle  ne  touche  pas  à  la  situation  personnelle  du  con- 
cessionnaire ;  c'est  un  rapport,  libre  par  nature,  né  d'un  contrat  suivi 
d'effets  juridiques  atteignant  uniquement  les  biens.  Le  beneficium  fait 
naître  au  contraire  un  rapport  personnel  de  subordination;  c'est  une 
concession  dont  on  ne  peut  comprendre  le  sens  qu'en  se  plaçant  au 
point  de  vue  économique  et  aussi  au  point  de  vue  du  droit  public.  Tan- 
dis que  dans  la  precaria,  les  deux  parties  traitent  d'égal  à  égal,  le  bene- 
fîcium fait  du  concessionnaire  le  serviteur  du  concédant.  Il  suit  de  là 
que  de  la  precaria  naît  un  simple  contrat  de  redevance,  du  benefîcium 
au  contraire,  le  contrat  de  vasselage.  Ce  contrat  donnait,  à  l'origine, 
naissance  à  un  rapport  de  subordination  non-libre;  bien  qu'au  moyen 
âge,  ce  rapport  se  soit  transformé  en  un  rapport  libre,  il  n'a  jamais 
perdu  complètement  les  traits  qu'il  tenait  de  sa  nature  première.  Des 
services,  privés  il  est  vrai,  unissent  le  vassal  à  son  seigneur;  mais  en  fai- 
sant profession  de  vasselage,  le  vassal  amoindrit  son  blason,  sa  noblesse, 
précisément  parce  qu'il  s'est  donné,  en  qualité  de  serviteur,  à  une 
personne  privée.  A  partir  du  x^  siècle,  partout  oiî  il  y  a  bénéfice  il  y  a 
vasselage  fp.  34,  35).  Le  vassal  reçoit  le  bénéfice  en  récompense  de  ses 
services.  Le  régime  féodal  est  devenu,  au  sens  technique,  la  féodalité, 
institution  dans  laquelle  bénéfice  et  vasselage  sont  intimement  con- 
fondus. Grâce  au  vasselage,  le  régime  bénéficiaire  allait  briser  le  moule 
de  la  constitution.  L'obhgation  de  services  d'intérêt  privé,  née  d'un 
contrat  et  réglée  par  lui,  allait  succéder  aux  devoirs  d'intérêt  public 
réglés  par  la  constitution.  C'est  ainsi  que  le  service  militaire,  d'institu- 
tion d'ordre  public,  est  devenu  une  institution  féodale.  Pendant  la  pre- 
mière moitié  du  moyen  âge,  la  prestation  du  service  mihtaire  due  par 
tous  les  sujets,  bien  que  n'ayant  pas  entièrement  perdu  son  caractère 
public,  est  devenue  l'obligation  à  laquelle  sont  tenus  tous  les  vassaux 
aux  termes  de  leur  contrat;  ce  contrat  obligeait  les  vassaux  tout  d'abord 
au  service  militaire,  il  est  la  base  d'une  constitution  militaire  nouvelle 


ISO  COMPTES-RENDUS  CillTlQllKS. 

(1>,  29-30).  Dans  une  autre  dii-ection  s'exerce  encore  l'influence  du 
régime  féodal.  Dès  le  x«  siècle,  le  fonctionnarisme  tend  à  disparaître:  la 
fonction  elle-même  est  donnée  en  fief.  Depuis  la  plus  humble,  celle  du 
scitullliciss  et  de  )ncici',  jusiju'à  la  plus  élevée,  celle  de  comte  ou  de  duc, 
la  fonction,  au  lieu  d'être  déférée  par  mandat  (commission),  l'est  par 
concession  (investiture)  (p.  2i-20).  Go  fait  entraîne  nécessairement  la 
désorganisation  ou  mieux  la  ruine  de  l'administration.  Par  nature,  la 
fonction  est  un  mandat,  son  nom  signifie  devoir  de  celui  auquel  elle  a 
été  confiée.  Dès  que  la  fonction  est  devenue  l'objet  de  la  concession 
féodale,  de  devoir  elle  est  devenue  un  droit  du  concessionnaire.  La 
considération  de  l'intérêt  public  qui  est  l'élément  essentiel  de  la  fonc- 
tion s'efface  devant  la  considération  de  l'intérêt  privé,  suivant  laquelle 
la  fonction  est  destinée  à  servir  aux  vues  personnelles  de  celui  qui  en 
est  revêtu.  Il  suit  de  là  que  la  charge  donnée  en  fief  va  devenir  hérédi- 
taire; de  propriété  sociale,  elle  va  devenir  propriété  d'une  famille;  le 
devoir  féodal  est  désormais  substitué  au  devoir  fonctionnel.  Ce  n'est 
pas  la  charge  en  elle-même  qui  oblige,  mais  seulement  le  contrat  privé, 
c'est-à-dire  le  contrat  de  vasselage  qui  a  été  conclu  en  vue  de  l'acquisi- 
tion de  la  charge  :  il  n'y  a  plus  de  fonctionnaires,  il  n'y  a  plus  que  des 
vassaux.  A  l'administration  avec  ses  fonctionnaires  à  tous  les  degrés, 
succède  l'administration  féodale;  bref,  l'ancienne  administration  et 
l'ancienne  constitution  militaire  de  l'empire  ont  disparu. 

C'est  la  royauté  qui  devait  le  plus  profondément  ressentir  les  effets 
du  régime  féodal.  Ce  régime  lui  enlevait  du  même  coup  l'adminis- 
tration, dans  les  cadres  de  laquelle  entrait  une  aristocratie  frondeuse, 
et  l'armée,  dont  le  roi  était  le  chef  immédiat.  Désormais,  pour  mobiliser 
l'armée  des  vassaux,  le  ban  royal  ne  suffisait  plus  ;  il  fallait  encore  le 
ban  de  tous  les  seigneurs  féodaux. 

Il  ne  faudrait  pas  perdre  de  vue  que,  dans  la  période  historique  traitée 
par  Waitz,  les  conséquences  du  régime  féodal  ne  sont  point  encore 
poussées  à  leur  limite  extrême  ;  tandis  qu'en  France  au  x«  siècle,  sous 
les  derniers  et  débiles  Carolingiens,  le  régime  féodal  est  définitivement 
établi  et  qu'en  réalité  le  roi  n'est  plus  roi  que  de  ses  domaines  et  de  ses 
possessions  immédiates,  l'Allemagne,  du  x^  à  la  moitié  du  xu^  siècle, 
présente  le  spectacle  d'un  Etat  en  somme  encore  assez  bien  organisé, 
ayant  à  sa  tête  un  roi  qui  peut  agir;  il  est  vrai  que  la  logique  avec 
laquelle  elle  s'abandonnera  aux  conséquences  de  la  féodalité  n'en  sera 
que  plus  irrésistible. 

Le  phénomène  historique  qui  vient  d'être  décrit  est  d'autant  plus 
singulier  que  déjà  dans  cette  période,  V Unterthanenverband  semble 
rompu  et  l'ancien  organisme  administratif  détruit.  Waitz  montre  dans 
le  7«  volume  que  les  hauts  dignitaires  de  l'empire,  ducs,  comtes  pala- 
tins, comtes  se  sont  dépouillés  de  leur  caractère  de  fonctionnaires; 
l'hérédité  des  charges  s'est  établie.  Ce  n'est  pas  l'intérêt  du  roi,  c'est 
l'intérêt  de  la  famille  qui  fait  désigner  le  successeur  et  le  roi  dispose  de 
la  charge  seulement  au  moment  de  la  concession  ;  il  la  voit  du  même 


G.  WAITZ  :  DEUTSCHE  VRaFASSUNOSGESCHICHTE.  -184 

coup  sortir  de  ses  mains  et  passer  à  celles  d'un  vassal  non  éprouvé.  Pas 
plus  que  la  libre  nomination,  le  roi  n'a  la  libre  déposition  du  fonction- 
naire. Comme  en  vertu  de  l'investiture,  la  charge  est  devenue  un  droit 
du  concessionnaire,  le  roi  ne  peut  plus  la  reprendre  à  volonté,  mais 
seulement  dans  les  cas  prévus  par  le  droit  féodal,  en  cas  de  félonie,  par 
exemple,  c'est-à-dire  lorsqu'il  y  a  eu  crime.  L'intérêt  seul  de  l'adminis- 
tration n'est  pas  suffisant  pour  pouvoir  déposer  un  fonctionnaire  puisque 
ce  n'est  pas  à  l'administration  de  l'empire  que  doit  profiter  la  charge, 
mais  seulement  à  la  situation  privée  du  concessionnaire.  De  même  que 
les  comtés,  les  duchés  et  les  comtés  palatins  «  vont  être  le  point  de  départ 
de  la  formation  des  puissances  territoriales  (v.  VII,  p.  181),  »  dans  les 
fonctionnaires  le  roi  n'a  plus  un  corps  de  serviteurs  ;  le  régime  féodal 
en  fera  des  princes. 

Avec  le  lien  des  fonctionnaires  se  brisait  également  le  lien  des  sujets. 
Les  conclusions  qu'on  a  tirées  plus  haut  relativement  à  l'ancienne 
constitution  militaire  reçoivent  une  force  nouvelle  des  dispositions 
juridiques  concernant  le  serment  de  fidélité,  c'est-à-dire  le  serment  des 
sujets.  A  l'époque  franque,  le  roi  exigeait  le  serment  de  fidélité  de  tous 
les  sujets  libres  sans  distinction,  ce  qui  signifiait  que  tout  homme  libre 
était  un  sujet  immédiat,  direct,  du  roi.  Waitz  montre  (VI,  382  et  s.)  que 
déjà  dans  cette  période  un  profond  changement  s'est  opéré  en  cette  ma- 
tière. Le  serment  général  de  fidélité  est  encore  prêté  au  roi,  mais  seule- 
ment par  les  grands  de  l'empire  et  peut-être  aussi  —  la  chose  est  en 
effet  douteuse  —  par  les  chevaliers  libres  de  la  première  classe  (p.  390); 
toujours  est-il  que  les  chevaliers  non  libres  (les  ministeriales)  et  toute 
la  masse  des  paysans  libres  et  des  bourgeois  n'étaient  pas  tenus  de 
prêter  le  serment  des  sujets.  Il  est  bien  encore  çà  et  là  question  d'un 
serment  exigé  des  habitants  des  villes  dans  un  but  déterminé  (p.  391, 
note  1),  mais  point  d'un  serment  exigé  du  peuple  entier  (p.  391).  Le 
régime  féodal,  qui  transformait  les  droits  inhérents  à  la  fonction  en  un 
droit  appartenant  au  fonctionnaire,  transforme  les  sujets  immédiats  du 
roi  en  sujets  du  fonctionnaire,  duc  ou  comte.  Il  y  a  désormais  lieu  de 
distinguer  entre  les  sujets  immédiats  et  les  sujets  médiats  de  l'empire 
et  l'autorité  royale  ne  s'exerce  plus  que  sur  les  premiers.  Bref,  le  roi 
allemand  n'a  plus  ni  fonctionnaires  ni  (le  peuple  étant  pris  en  masse) 
sujets.  Comment  dès  lors  s'expliquer  que  le  roi  allemand,  pendant  la 
première  moitié  du  moyen-âge,  soit  pourtant  une  puissance  imposante, 
capable  non-seulement  de  gouverner  l'empire,  mais  encore  d'entre- 
prendre la  lutte  avec  la  papauté,  c'est-à-dire  la  lutte  la  plus  grandiose 
que  présente  l'histoire  du  monde  ?  Il  faut  évidemment  faire  leur  part 
aux  hautes  personualités  qui  pendant  cette  période,  et  d'une  manière 
continue,  se  succédèrent  sur  le  trône.  Ces  temps  furent  l'âge  héroïque 
de  la  royauté  allemande  ;  les  rois,  grâce  à  la  crainte  respectueuse  qu'ils 
imposaient,  suppléaient  aux  défauts  des  institutions.  On  s'explique 
aisément  dès  lors  la  vie  que  mène  le  roi  allemand  pendant  cette  période. 
Infatigable,  sans  résidence  fixe,  il  va,  escorté  de  sa  maison,  d'une  ville, 


182  roMPTKs-UENnus  cuitiques. 

d'un  palais  à  l'autre.  Waitz  montre  très-l)ien  (VI,  p.  38'i)  qu'il  n'en 
pouvait  être  autrement  puisque  le  roi  n'était  plus  représenté  et  qu'il  n'y 
avait  plus  (l'administration  publique.  Le  roi,  n'ayant  plus  do  subordon- 
nés, devait  lui-même  aller  ])art(nit,  tMre  l'unique  l'onctionnairo  et  runi(iue 
serviteur  de  l'Etat;  la  nécessité  de  son  onmipotence  était  une  consé- 
quence de  la  désorganisation  des  services  administratifs. 

S'il  est  vrai  que,  par  ses  qualités  personnelles,  le  roi  pût,  dans  une 
certaine  mesure,  suppléer  à  l'impuissance  de  la  Constitution,  il  ne  pou- 
vait cependant  absolument  se  passer  de  moyens  de  gouvernement.  Ces 
moyens,  —  et  c'est  là  que  se  trouva  la  solution  de  la  diiliculté,  —  la 
royauté  allemande  les  trouva  dans  l'Eglise.  Phénomène  historique  vrai- 
ment singulier!  Le  roi  remplace  ses  fonctionnaires  par  le  clergé.  Par  un 
remarquable  enchaînement  de  circonstances,  les  fonctionnaires  ecclé- 
siastiques vont  agir  en  qualité  de  fonctionnaires  impériaux,  tandis  que 
les  biens  d'Église  vont  remplacer  le  domaine.  Les  recherches  de  Waitz 
(VI,  p.  269  et  s.,  VII,  p.  183  et  s.)  viennent  confirmer  les  pénétrants  et 
féconds  arguments  présentés  par  Ficker  dans  son  excellent  travail  sur 
le  droit  de  propriété  de  l'empire  sur  les  biens  ecclésiastiques  {AbhancUg, 
der  Kais.  Akademie  zu  Wien^  Phil.  hist.  Classe.  Bd.  72,  p.  55  et  s.).  Le 
clergé  «  prit  la  première  place  à  la  cour  ainsi  que  dans  le  gouvernement 
de  l'empire  »  (VI,  p.  2G9).  Il  faut  chercher  la  raison  de  ce  fait  dans  l'o- 
bligation du  service  militaire  à  laquelle  l'aristocratie  ecclésiastique  était 
plus  étroitement  tenue  que  l'aristocratie  laïque.  De  même  l'obligation 
de  se  rendre  au  conseil  du  roi  est  nettement  délimitée  en  ce  qui  con- 
cerne les  princes  séculiers;  ils  n'ont  à  s'y  rendre  qu'aux  grands  jours 
que  le  roi  convoque  habituellement  aux  jours  de  fête  pour  régler  de 
concert  avec  les  grands  les  intérêts  généraux  de  l'empire  (VI,  p.  321 
et  s.).  Aller  au  conseil  est  au  contraire,  pour  les  princes  ecclésiastiques, 
une  obligation  non  limitée.  Les  évêques  restent  à  la  cour  aussi  long- 
temps qu'il  plaît  au  roi,  un  an  parfois,  «  parce  qu'ils  sont  les  organes 
vitaux  du  gouvernement  impérial  »  (VI,  p.  295  et  s.),  les  vrais  ministres 
de  l'empire,  les  hauts  fonctionnaires.  Ils  ont  pris  la  place  qu'occupaient, 
pendant  la  période  franque,  les  fonctionnaires  de  la  cour,  le  maréchal, 
le  chambellan,  le  référendaire,  le  comte  du  palais  et  surtout  (à  l'époque 
mérovingienne)  le  maire  du  palais..  Lorsque,  dans  cette  période,  il  est 
question  d'un  majordomus  ou  d'un  vicedominus,  c'est-à-dire  du  premier 
fonctionnaire  de  la  cour  placé  au  centre  du  gouvernement,  c'est  un 
évêque  qui  en  occupe  la  charge  (VI,  p.  303  et  s.).  D'ailleurs  les  hauts 
emplois  civils  de  la  cour  sont  passés  aux  mains  des  ducs  (VI,  p.  264 
et  s.)  et  ne  sont  plus  dès  lors  effectivement  remplis  par  eux.  Le  service 
à  la  cour  est  fait  par  des  ministeriales ,  c'est-à-dire  par  des  gens  sans 
influence.  Gela  ne  veut  pas  dire  que  par  moments,  par  exemple  sous  le 
règne  de  Henri  IV,  ces  ministeriales^  en  qui  le  roi  a  mis  sa  confiance, 
ne  puissent  s'élever  et  prendre  une  part  importante  dans  le  gouverne- 
ment (VI,  p.  292,  309),  mais  cette  influence  heurtait  les  traditions  et  le 
gouvernement  de  l'empire  resta  en  somme  aux  mains  de  la  haute  aris- 


G,  WAITZ  :  DEUTSCHE  VERFASSUNOSGESCHICHTE.  483 

tocratie  et  d'abord  de  l'aristocratie  ecclésiastique.  Le  chancelier  de 
l'empire,  comme  déjà  à  l'époque  carolingienne,  fut  un  ecclésiastique. 
L'archevêque  de  Mayence  était  archevêque  de  l'empire  pour  l'Alle- 
magne, l'archevêque  de  Cologne  pour  l'Italie,  l'archevêque  de  Besançon 
sous  Henri  III  pour  la  Bourgogne  (VI, p.  284  et  s.). La  période  où  nous 
entrons  se  distingue  en  ce  que  non-seulement  la  charge  de  chancelier, 
mais  encore  toutes  celles  que  comprenait  l'administration  générale  de 
l'empire,  sont  peu  à  peu  aux  mains  des  ecclésiastiques.  Les  hauts  fonc- 
tionnaires  civils    ont  fait  place  au  clergé.   La  chapelle  royale  dans 
laquelle  étaient  élevés  les  ecclésiastiques  devient  «  une  école  où  ils  sont 
formés  plutôt  en  vue  du  service  de  l'Etat  qu'en  vue  du  service  de 
l'Eglise  »  {VI,  p.  269  et  s.).  L'obligation  du  service  militaire,  celle  de 
garnir  la  cour  du  roi,  bref  les  prestations  de  services  effectifs  dans  l'in- 
térêt de  l'empire  pesaient  bien  plus  lourdement  sur  le  clergé  et  les 
biens  d'Eglise  que  sur  les  vassaux  laïques  du  roi.  Les  monastères  immé- 
diats (royaux)  étaient  la  propriété  du  roi  qui  en  pouvait  disposer  à  vo- 
onté  (Vn,  p.  189  et  s.),  les  aliéner,  les  donner  en  fief  même  à  des  laïques 
—  droit  contre  lequel  s'élevaient,  il  est  vrai,  maintes  protestations,  — 
9mployer  enfin  leurs  revenus  comme  bon  lui  semblait,  dans  l'intérêt  de 
l'empire.  Les  possessions  des  monastères  immédiats  deviennent  donc 
une  sorte  de  domaine  royal  et  leurs  abbés  prennent  le  nom  de  maires 
^villici)  du  roi  (p.  194).  Ficker,  dans  le  travail  cité  plus  haut,  arrive  aux 
mêmes  conclusions   en  ce  qui  concerne  les  églises  épiscopales;   ces 
églises,  d'après  lui,  avec  toutes  leurs  possessions,  auraient  été  la  pro- 
priété du  roi.  Il  s'appuie  principalement  sur  ce  que,  dans  l'investiture 
des  évêques  de  l'empire,  l'évêque  recevait  en  quelque  sorte  en  fief  le 
bien  ecclésiastique  de  l'empire  des  mains  du  roi.  Waitz  s'élève  nette- 
ment contre  cette  assertion  (VU,  p.  194-265);  il  faut  reconnaître,  d'ail- 
leurs, que  ce  point  n'est  pas  encore  suffisamment  éclairci.  Waitz  oppose 
avec  raison  que  les  sources  ne  désignent  pas  les  évêchés  impériaux  par 
les  mêmes  termes  que  les  abbayes  impériales  et  qu'il  n'y  a  pas  d'exemple 
qu'un  évêché  ait  été  transféré  à  un  laïque  (p.  199).  L'investiture  par  le 
roi  dérive  des  droits  de  souveraineté  du  roi  (p.  198)  ;  il  en  est  de  même 
du  consentement  qu'il  donne  à  des  contrats  d'échange  ou  autres  tran- 
sactions juridiques  (p.  201).  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  que  les 
possessions  épiscopales  impériales  étaient  soumises  à  des  obligations 
fort  étendues  vis-à-vis  de  l'empire,  et  que  notamment  le  service  mili- 
taire et  autres  prestations  d'ordre  public  pesaient  plus  lourdement  sur 
les  biens  ecclésiastiques  impériaux  que  sur  les  possessions  laïques  et 
qu'en  conséquence,  du  moins  en  fait,  les   biens   d'Église  impériaux 
constituaient  une  sorte  de  domaine  impérial. 

La  situation  de  l'Eglise  d'Allemagne  vis-à-vis  de  l'empire  a  donc 
permis  pendant  quelque  temps  à  la  royauté  allemande  de  gou- 
verner. 

La  royauté  devait  tomber  du  jour  où,  par  suite  de  sa  lutte  avec  l'Eglise, 
l'appui  de  cette  dernière  viendrait  à  lui  manquer. 


184  COMPTES-RENDOS    CRITIQUES. 

L'adversaire  de  la  royauté  est  la  principauté;  on  peut  étudier  la  prin- 
cipauté à  un  double  point  de  vue. 

D'une  part,  la  principauté  limite  la  royauté  dans  le  gouvernement  de 
l'empire  ;  c'est  ce  qu'indique  très-bien  Waitz  (VI,  p.  321  et  s.)  dans  le 
tableau  qu'il  fait  des  .Grands  jours  (Hoflaqe).  Goi^  Jours  deviendront  plus 
tard  les  diètes  (Reicli stage).  Les  conditions  auxquelles  on  a  le  droit  de 
participer  à  ces  assemblées  ne  sont,  il  est  vrai,  pas  encore  nettement 
fixées,  non  plus  que  la  compétence  de  ces  assemblées.  C'est  encore  le 
roi  qui,  de  sa  propre  autorité,  arrête  la  liste  et  le  nombre  des  membres 
de  l'assemblée,  et  indique  les  alîaires  que  l'on  y  traitera.  Ces  grands 
jours  n'ayant  pas  encore  le  caractère  de  diètes,  il  s'en  suit  que  le  fait  d'y 
participer  nait  plutôt  de  l'obligation  de  se  rendre  k  l'invitation  que  d'un 
droit.  Le  caractère  des  diètes  y  est  déjà  sensible,  comme  on  en  peut 
juger  par  les  vœux  émis  par  les  princes,  sous  Henri  IV,  tendant  à  ce 
que  les  affaires  d'État  ne  puissent  être  réglées  sans  avoir  été  soumises 
à  la  discussion  générale  (p.  348).  A  la  même  époque  on  rencontre,  en 
opposition  avec  la  royauté,  des  diètes  composées  seulement  de  princes 
et  qui  affirment  la  politique  indépendante  des  grands  (p.  341-342).  Déjà 
les  princes  commencent  à  se  considérer  comme  co-dépositaires  du  pou- 
voir central  et  les  grands  jours  servent,  dans  les  grandes  circonstances, 
à  maintenir  l'autorité  des  princes  en  face  de  celle  du  roi. 

C'est  en  se  plaçant  à  ce  même  point  de  vue  qu'il  faut  étudier  l'en- 
semble de  la  législation  de  cette  époque  (VI,  431  et  s.).  L'un  des  pre- 
miers devoirs  de  l'empire  du  moyen-âge  est  d'assurer  le  maintien  de 
l'ordre.  Pour  atteindre  ce  but,  il  fallait  réformer  le  droit  criminel;  à 
l'ancien  droit  criminel  et  privé,  avec  son  système  de  compositions, 
devait  succéder  un  droit  criminel  public  avec  un  système  de  pénalités. 
Cette  réforme  est  l'œuvre  de  la  législation  de  cette  période.  Dès  Henri  IV 
et  Henri  V,  à  la  paix  de  Dieu  la  puissance  publique  adjoint  un  ensemble 
de  peines  qui  atteignent  certains  crimes  d'une  haute  gravité.  Cette  légis- 
lation criminelle  est  introduite  sous  la  forme  d'un  serment  par  lequel 
les  grands  de  chaque  province  s'engagent  à  observer  le  «  Landfrieden  » 
c'est-à-dire  ces  dispositions  pénales.  Elles  reçoivent,  d'ailleurs,  une 
force  nouvelle  de  l'autorité  royale,  bien  que  le  roi  ne  soit  guère  que  par 
exception  intervenu  dans  leur  confection.  Les  vrais  auteurs  de  cette 
législation  sont  les  princes  qui,  en  leur  qualité  de  représentants  des 
provinces,  s'accordent  entre  eux  sur  les  articles  de  cette  législation  cri- 
minelle et  leur  donnent  force  de  loi  en  jurant  d'y  obéir  <. 

Les  princes  avaient  peu  à  peu  éloigné  le  roi  du  gouvernement  des 
provinces.  Le  pouvoir  local  était  devenu  droit  privé  (féodal)  aux  mains 


1.  Dans  ce  même  chapitre  (VI,  ]).  362-804)  Waitz  donne  de  nombreuses  indica- 
tions sur  le  développement  du  droit  en  général  et  sur  l'application  des  capilu- 
laires  et  des  coutumes  dans  l'empire  franc.  Remarquons,  en  passant,  que  «  jus 
gentium  »  ne  signifie  pas,  comme  Waitz  l'avance  (p.  408),  «  Volkerrecht  »,  mais 
«  Landrecht  ». 


G.   WAITZ  :   DEUTSCHE  VERFASSUNGSGESCeiCHTE.  ^85 

des  princes;  c'est  ce  pouvoir  local  indépendant  qui,  au  moyen-âge, 
constituait  l'élément  essentiel  du  duché,  du  comté  et  du  principat  ecclé- 
siastique. 

Parmi  les  princes  et  pendant  cette  période,  ce  sont  encore  les  ducs 
qui  ont  la  plus  haute  situation,  bien  que,  d'après  Waitz( VII,  p.  98  et  s.) 
cette  situation  ne  fût  pas  partout  la  même.  Le  duc  de  Bavière  exerçait 
sur  les  évêques  et  les  comtes  de  son  duché  une  autorité  bien  autrement 
énergique  que  le  duc  de  Saxe.  Même  les  margraviats  sont  soumis  au 
duc  bavarois,  tandis  que  sauf  la  marche  au  nord  de  l'Elbe,  ils  sont  indé- 
pendants du  duc  de  Saxe.  Ce  qui  est  commun  à  tous  les  territoires, 
c'est  que  le  duc  est  le  chef  de  son  peuple  et  qu'il  a  sur  lui  des  droits 
analogues  à  ceux  du  roi  sur  l'empire.  Il  exige  des  évêques  et  des  comtes 
qu'ils  garnissent  sa  cour  et  forment  son  armée,  il  a  la  haute  justice  et 
veille  au  maintien  de  l'ordre  dans  la  province  comme  le  roi  dans  l'em- 
pire. 

La  conséquence  de  la  situation  en  quelque  sorte  royale  du  duc  est 
que  les  comtes  et  les  évêques  sont  ses  adversaires  naturels  tout  comme 
eux-mêmes  le  sont  du  roi;  de  là  la  dissolution  des  duchés  territoriaux 
au  xiie  siècle.  Les  comtes  et  les  évêques  de  cette  période  préparent  le 
terrain  aux  princes  de  la  période  postérieure.  Le  comté  est  déjà  une 
puissance  seigneuriale  locale  et  il  a  essentiellement  modifié  son  carac- 
tère primitif.  Ce  n'est  plus  que  par  exception  qu'apparaît  encore  le 
comté  de  district.  En  général  (p.  21)  le  comté  de  district  s'est  dissous 
au  profit  de  la  grande  propriété  foncière.  Celle-ci  forme  ou  bien  un  ter- 
ritoire indépendant  (baronnie)  au  sein  du  comté  même,  c'est-à-dire 
qu'elle  n'est  plus  soumise  qu'à  la  haute  juridiction  du  comte,  c'est-à- 
dire  du  landgrave  (VII,  p.  61);  ou  bien  la  grande  propriété  est  absolu- 
ment distincte  du  comté  et  forme  un  comté  séparé  ;  il  s'en  suit  que  les 
comtés  se  réduisent  d'ordinaire  à  la  grande  propriété  du  comte.  De  l'an- 
cien comté  de  district  est  issu  un  comté  domanial  qui,  dès  lors,  ne  tire 
plus  son  nom,  comme  autrefois,  du  district,  mais  du  château  du  comte 
(VII,  p.  22).  Cette  évolution  au  sein  du  comté  s'est  surtout  accomplie  au 
profit  de  la  propriété  foncière  ecclésiastique.  Pendant  cette  période  les 
privilèges  conférés  par  les  Othons  donnent  aux  abbayes  au  lieu  de 
l'ancienne  immunité  tous  les  droits  du  comte  sur  leurs  possessions 
(VIT,  p.  230  et  s.).  A  côté  des  comtes  laïques  on  trouve  des  évêques 
et  des  abbés  qui  exercent  les  droits  du  comte  sur  leurs  biens. 

C'est  ainsi  que  dans  la  plupart  des  cas,  aux  mains  des  laïques  comme 
aux  mains  des  ecclésiastiques,  se  sont  confondus  les  pouvoirs  du  comte 
et  ceux  du  propriétaire  foncier  et  que  de  cette  confusion  est  née  la  puis- 
sance seigneuriale  territoriale.  Déjà  dans  cette  période  les  seigneurs 
territoriaux  commencent  à  devenir  sur  leurs  territoires  une  puissance 
publique;  leurs  sujets  leur  prêtent  serment;  ils  ont  des  petits  et  grands 
jours,  des  fonctionnaires  (Vil,  p.  307  et  s.). 

Waitz  s'est  livré  à  de  profondes  recherches  sur  une  institution  toute 
de  transition  de  cette  période,  Yavouerie  (vogtei)   (VII,  p.  320  et  s.)- 


<86  coMrTES-iiE^niJS  critiques. 

L'cxcrcico  de  la  puissance  seigneurialo  territoriale  sur  les  biens  ccclé- 
siasticjues,  c'est-à-dire  dans  les  territoires  ecclésiastiques,  n'était  pas 
laissé  au  seigneur  territorial  lui-même,  évoque  ou  abbé,  mais  confié  à 
un  seigneur  laïque,  l'avoué  (vogt).  L'avoué  avait  le  droit  de  justice,  rece- 
vait le  serment  des  sujets  ainsi  que  des  prestations  et  des  services 
(p.  352).  Gomme  ces  pouvoirs  d'avoué  aux  mains  d'un  seigneur  laïque 
voisin,  de  simples  pouvoirs  administratifs  qu'ils  étaient,  tendaient  à 
devenir  pouvoirs  seigneuriaux  territoriaux,  on  s'explique  pourquoi  les 
seigneurs  territoriaux  ecclésiastiques  étaient  en  conflit  permanent  avec 
leurs  avoués  et  cberchaient  à  les  écarter.  Pendant  cette  période  ils  réus- 
sissent déjà  à  réduire  leurs  pouvoirs;  c'est  ainsi  que  l'avoué  ne  préside 
plus  que  les  vrais  tribunaux  (p.  354  et  s.).  Enfin  l'avoucrie  disparait 
laissant  le  seigneur  ecclésiastique  devenir  seigneur  territorial  et  prince 
de  son  territoire. 

Le  développement  dos  villes  devait  avoir  une  tout  autre  importance  ; 
pendant  cette  période  les  traits  principaux  de  cette  évolution  se  déga- 
gent. Waitz  cite  une  série  de  libertés  (VII,  p.  374  et  s.)  qui  ont  été  déjà 
concédées  aux  villes  :  privilèges  en  matières  de  marchés,  de  juridiction, 
libération  d'impôts.  En  France  l'éveil  des  villes  donne  naissance  aux 
«  communes  »  (p.  369),  c'est-à-dire  communautés  s'administrant  elles- 
mêmes.  En  Allemagne,  c'est  seulement  dans  la  période  suivante  qu'ap- 
paraît le  «  conseil  »  au  moyen  duquel  la  ville  arrivera  à  se  gouverner 
elle-même  et  qui,  brisant  les  liens  du  système  féodal,  donnera  naissance 
sur  les  ruines  de  l'ancien  état  social  à  une  constitution  politique  nou- 
velle. 

Cette  esquisse  de  l'organisme  constitutionnel  de  l'Allemagne  suffira 
peut-être  à  faire  juger  de  l'abondance  des  idées  qui,  directement  ou 
indirectement,  se  dégagent  de  l'énorme  quantité  de  faits  rassemblés  par 
Waitz. 

Rudolph  SoHM. 


Jean  Juvénal  des  Ursins,  historien  de  Charles  VI,  évêque  de 
Beauvais  et  de  Laon,  archevêque  duc  de  Reims  ;  étude  sur  sa 
vie  et  ses  œuvres,  par  l'abbé  P.-L.  Péchenard.  Paris,  Ernesl  Tho- 
rin,  ^876,  in-8%  468  p.  —  Prix  :  6  fr. 

Aux  xn'«  etxve  siècles,  il  y  a  peu  d'exemples  d'une  famille  qui  se  soit 
plus  rapidement  poussée  aux  honneurs  et  à  l'opulence  que  celle  des 
Jouvenel,  de  Troyes,  plus  connue  sous  le  nom  de  Juvénal  des  Ursins. 
Le  premier  membre  de  cette  famille  dont  l'histoire  ait  suivi  la  trace, 
Pierre  Jouvenel,  qui  vivait  en  1360  à  Troyes,  paraît  avoir  appartenu  à 
la  bonne  bourgeoisie  de  cette  ville,  et  M.  Péchenard  ne  manque  pas  de 
faire  remarquer  à  ce  propos  que  «  le  travail  n'avait  pas  cessé  d'être  en 
honneur  dans  la  Champagne.  »  Les  Jouvenel  n'arrivèrent  à  une  véri- 
table illustration  qu'avec  Jean  Jouvenel,  le  .second  fils  de  Pierre.  Après 


P.-L.  PÉCHENARD  :  JEAN  lOVÉNAL  DES  URSINS.  iS7 

avoir  pris  ses  degrés  en  droit  civil  à  l'Université  d'Orléans,  Jean  vint 
étudier  le  droit  canon  à  Paris,  «  cette  Athènes  de  l'Occident  »,  comme 
dit  M.  Péchenard. 

L'auteur  de  letude  dont  nous  rendons  compte  ajoute  que  Jean  Jou- 
venel  fut  reçu  conseiller  au  Ghâtelet  le  8  janvier  1380  ;  c'est  le  8  jan- 
vier 1381  qu'il  fallait  dire.  On  a  puisé  ce  renseignement  dans  l'histoire 
généalogique  du  Père  Anselme^,  sans  prendre  garde  que  les  dates, 
données  dans  cet  ouvrage  conformément  à  l'ancien  style  où  l'année 
commençait  à  Pâques,  doivent  toujours  être  ramenées  à  notre  manière 
actuelle  de  compter. 

Le  20  juin  1386,  le  jeune  conseiller  au  Ghâtelet  épousa  Michelle  de 
Vitry,  nièce  du  fameux  Jean  le  Mercier,  de  Gisors,  alors  grand  maître 
d'hôtel  de  Charles  VI.  Ce  fut  surtout  grâce  à  ce  brillant  mariage  que 
Jean  Jouvenel  s'avança  dès  lors  d'un  pas  rapide  dans  la  voie  de  la  for- 
tune. Deux  ans  ne  s'étaient  pas  écoulés  depuis  son  union  avec  Michelle 
de  Yitry  qu'il  était  nommé  prévôt  des  marchands  de  Paris.  Du  reste,  par 
son  activité,  son  énergie,  son  amour  du  bien  public,  il  se  montra  digne  des 
hautes  fonctions  où  la  protection  de  Jean  le  Mercier  l'avait  fait  appeler. 
Jean  le  Mercier  était  la  tête  et  l'âme  dirigeante  de  ce  conseil  de  gouverne- 
ment où  figuraient  aussi  Jean  de  Montagu  et  Arnaud  2  de  Corbie,  ces 
magistrats  formés  à  l'école  de  Charles  V,  que  la  haine  des  oncles  du  roi 
avait  flétris  de  la  qualification  de  Marmousets.  Dans  l'exercice  de  ses  fonc- 
tions de  prévôt  des  marchands,  Jean  Jouvenel  sut  se  rendre  si  popu- 
laire qu'il  put  échapper  à  la  disgrâce  dont  fut  frappé  son  protecteur,  en 
1392,  lorsque  les  ducs  de  Bourgogne  et  de  Berry  s'emparèrent  du  pou- 
voir. Quelques  années  plus  tard,  il  reçut  même  en  don  de  la  ville, 
comme  témoignage  de  la  reconnaissance  de  ses  administrés,  l'hôtel  des 
Ursins  dont  le  nom  finit  par  être  accolé  vers  le  milieu  du  xv^  siècle  à 
celui  qu'il  transmit  à  ses  enfants.  En  1404,  après  une  administration 
qui  n'avait  pas  duré  moins  de  seize  années,  Jean  Jouvenel  fut  relevé 
de  sa  charge  de  prévôt  des  marchands  et  devint  avocat  général  au  Par- 
lement. Au  mois  d'août  1413,  il  se  mit  à  la  tête  du  mouvement  qui 
aboutit  à  la  défaite  du  parti  cabochien  et  au  renversement  de  la  tyran- 
nie sanguinaire  des  bouchers.  Pour  récompenser  le  courageux  magis- 
trat, le  dauphin  Louis,  duc  de  Guyenne,  l'attacha  à  sa  personne  en 
qualité  de  chancelier  et  lui  confia  l'office,  alors  très-important  et  très- 
recherché,  de  la  conciergerie  du  palais.  C'est  en  1415  que  Jean  Jouve- 
nel et  surtout  son  fils  aine,  nommé  Jean  Jouvenel  comme  son  père, 
celui-là  même  qui  devait  être  l'historien  du  règne  de  Charles  VI,  vou- 
lurent relever  ce  que  leur  origine  avait  d'un  peu  modeste,  en  se  ratta- 
chant aux  Orsini,  d'Italie.  En  cette  année,  quelques  mois  avant  Azin- 
court,  Berthold  des  Ursins,  grand  comte  de  Hongrie,  ayant  fait  un 

1.  Hist.  (/cnéal.,  VI,  403- 

2.  C'est  sans  doute  par  distraction  que  M.  Péchenard  (p.  23)  a  appelé  le  cé- 
lèbre premier  président  :  Armand  de  Corbie. 


488  COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

voyage  ù  Paris  on  compagnie  de  l'empereur  Sigismond  dont  il  était  le 
favori,  Jean  Jouvenel,  chancelier  du  dau])hin,  accueillit  ce  grand  sei- 
gneur étranger  comme  s'il  eût  été  son  parent  et  lui  donna  une  fête 
splendide  en  son  hôtel  des  Ursins.  Ainsi  prit  naissance  au  son  des 
instruments,  «  au  milieu  des  jeux,  farces  et  autres  esbatemens  »,  cette 
légende  des  Jouvenel  de  Troyes,  transformés  en  Juv&nal  des  Ursins, 
branche  française  de  la  vieille  et  chevaleresque  tige  des  Orsini  d'Italie. 

Ceci  se  passait  à  la  veille  d'Azincourt.  A  soixante  ans  d'intervalle, 
cette  journée  néfaste  renouvela  le  désastre  de  Poitiers,  et  la  félicité  pri- 
vée de  Jean  Jouvenel  subit  le  contre-coup  des  malheurs  publics.  Bien- 
tôt la  guerre  civile  ajouta  ses  horreurs  aux  maux  de  l'invasion  étran- 
gère. Le  triomphe  du  parti  bourguignon  en  1418  obligea  Jean  Jouve- 
nel à  quitter  Paris  et  à  chercher  un  refuge  à  Poitiers.  Il  associa  dès 
lors  sa  fortune  et  celle  des  siens  à  la  cause  du  dauphin.  Aussi,  dès 
1423,  Bedford,  régent  de  France  pour  Henri  VI,  confisqua  les  biens 
que  Jean  Jouvenel  possédait  en  Champagne  et  les  donna  à  Pierre  de 
Fontenay  <.  En  mai  1425,  une  nouvelle  confiscation  le  dépouilla  de  la 
terre  de  Trainel  ^  et  de  quelques  autres  seigneuries  qui  furent  données 
à  Guillaume,  seigneur  de  Châteauvillain^.  M.  Péchenard  n'a  pas  connu 
ces  actes  si  importants  pour  la  biographie  de  Jean  I"  Jouvenel.  En 
général,  il  ne  paraît  avoir  fait  aucune  recherche  ni  dans  les  registres 
du  Trésor  des  chartes  ni  dans  ceux  du  Parlement  ni  dans  les  collec- 
tions, si  riches  pour  cette  période,  des  mandements  et  des  quittances 
de  la  bibliothèque  nationale.  Quelques  faits  nouveaux,  puisés  à  ces 
sources,  auraient  pourtant  pris  avantageusement  la  place  de  phrases 
telles  que  celle-ci,  par  exemple  :  «  Entre  toutes  les  nations  étrangères, 
celle  qui  nous  intéresse  le  plus,  à  cette  époque,  c'est  notre  éternelle 
rivale,  l'Angleterre-'.  »  Il  suffit  d'une  réflexion  de  ce  genre  pour  faire 
juger  le  sens  historique  et  l'à-propos  politique  d'un  écrivain. 

La  partie  la  plus  considérable  de  l'ouvrage  de  M.  Péchenard  est  con- 
sacrée à  Jean  II  Jouvenel,  l'archevêque  de  Reims  et  l'historien  de 
Charles  VI.  On  trouve  dans  cette  partie  des  détails  intéressants  et 
parfois  nouveaux  sur  la  vie  politique,  l'administï'ation  seigneuriale  et 
épiscopale  de  ce  prélat  qui  fut  successivement  évêque  de  Beauvais  de 
1432  à  1444,  évêque  de  Laon  de  1444  à  1449,  enfin  archevêque  de 
Reims  de  1449  au  14  juillet  1473,  date  de  sa  mort.  Il  y  a  dans  la  vie 
publique  de  Jean  II  Juvénal,  archevêque  de  Reims,  un  acte  qui  le 
recommande  surtout  à  notre  estime  et  à  notre* reconnaissance,  c'est  la 
part  qu'il  prit  en  1456  à  la  révision  du  procès  de  Jeanne  d'Arc.  M.  Pé- 
chenard n'ajoute  rien  à  ce  que  l'on  savait  sur  ce  curieux  épisode  après 
la  belle  publication  de  M.  Quicherat  ;  mais  il  a  éclairé  d'un  jour  nou- 

1.  Arch.  nat.,  sect.  hist.,  JJ  172,  n»  333. 

2.  Aube,  arr.  et  c.  Nogent-sur-Seiiie. 

3.  Arch.  nat.,  sect.  hist.,  JJ  173,  n"  233  et  236. 

4.  P.  96. 


VON  D.   ROPP   :   SKAîVDINAVISCeE  GESCHICHTE  D.   XV.    JAHRH,  ^89 

veau  l'administration  épiscopale  et  archiépiscopale  d'un  haut  digni- 
taire de  l'église  qui  a  joué  un  rôle  assez  important  sous  les  règnes  de 
Charles  VII  et  de  Louis  XI. 

On  n'en  peut  dire  autant  malheureusement  du  chapitre  consacré  à 
l'histoire  de  Charles  VI.  C'est  à  notre  avis  un  des  plus  faibles  de  l'ou- 
vrage 1.  Ce  n'est  pas  que  M.  Péchenard  n'ait  porté  un  jugement  équi- 
table sur  cette  chronique  considérée  dans  son  ensemble  ;  mais  il  aurait 
pu  déterminer  avec  plus  de  rigueur  les  sources  plus  ou  moins  authen- 
tiques où  l'auteur  a  puisé  ses  informations,  distinguer  plus  nettement 
ce  qui  est  original  de  ce  qui  est  d'emprunt,  enfin  serrer  davantage  les 
dates  extrêmes  de  la  composition  de  ce  grand  travail.  Le  caractère  dis- 
tinctif  de  l'œuvre  de  Jean  Juvénal  aurait  en  outre  mieux  ressorti,  si 
M.  Péchenard  avait  pris  soin  de  l'opposer  aux  autres  chroniques  qui 
se  rapportent  à  la  même  période. 

Après  l'histoire  de  Charles  VI,  le  plus  beau  titre  de  gloire  des  Jou- 
venel  est  leur  amour  pour  les  arts.  C'est  pour  eux  que  fut  exécuté  de 
1444  à  1449  le  beau  tableau  représentant  Jean  I<"'  Jouvenel,  Michelle 
de  Vitry  et  les  onze  enfants  alors  vivants  issus  de  leur  union.  Ce 
tableau  fait  aujourd'hui  partie  du  musée  du  Louvre  dont  il  est  un  des 
joyaux,  et  M.  Péchenard  a  eu  l'heureuse  idée  d'en  donner  un  dessin 
en  tête  de  son  livre.  Ces  treize  figures  vivent  et  parlent,  et  chacune 
conserve  un  caractère  individuel  très-prononcé  malgré  certain  air  de 
famille  répandu  sur  l'ensemble.  Un  physionomiste  lirait  dans  la  finesse 
des  coins  de  la  bouche  et  dans  l'arc  des  narines  les  qualités  de  tact,  de 
perspicacité,  de  souplesse  par  où  Jean  Jouvenel,  Michelle  de  Vitry 
et  leurs  nombreux  enfants  s'élevèrent  en  moins  d'un  demi-siècle  à  une 
si  prodigieuse  fortune.  Un  autre  monument  exécuté  pour  un  membre 
de  cette  famille,  pour  Jacques  Juvénal,  patriarche  d'Antioche,  le  neu- 
vième fils  de  Jean  Jouvenel  et  de  Michelle  de  Vitry,  est  cet  incompa- 
rable missel  de  1450  que  M.  Firmin  Didot,  le  digne  possesseur  de 
ce  chef-d'œuvre,  avait  cédé  à  la  ville  de  Paris  le  3  mai  1861  ;  on  sait 
qu'il  a  péri  dans  l'incendie  allumé  par  les  chefs  de  la  Commune,  en 
1871. 

Siméon  Luge. 


Zur  Deutsch-Skandinavischen  Geschichte  des  XV.  Jahrhunderts, 

par  G.  Frhr.  v.  d.  Ropp.  Leipzig,  Duncker  et  Humblot.  ^876. 

Ce  travail  a  pour  but  de  montrer  comment  l'œuvre  de  la  reine  Mar- 
guerite, l'union  des  trois  royaumes  Scandinaves ,  fut  compromise  et 
presque  anéantie  par  son  successeur,  Eric  le  Poméranien.  Appelé  au 
trône  de  Norwége  par  sa  grand'tante  Marguerite  dans  sa  6^  année,  élu  roi 
de  Danemark  et  de  Suède  à  l'âge  de  quatorze,  initié  dans  l'art  de  gouver- 
ner par  cette  femme  supérieure,  ce  triste  roi  ne  parvint  à  montrer  dans  un 

1.  P.  92  à  134. 


190  coMrrES-uKNnis  r.iuriQi^Es. 

règne  ilo  "27  années  qu'une  incapacité  complète.  Afin  de  soutenir  les  pré- 
tentions du  Danemark  au  duché  de  Slesvik  contre  les  comtes  de 
Holstein,  il  employa  les  forces  des  trois  pays  dans  une  guerre  de 
vingt-trois  ans,  où  par  ses  fautes  militaires  et  sa  diplomatie  perfide  il 
finit  par  irriter  ses  sujets  et  par  susciter  des  ennemis  dangereux;  enfin, 
dans  la  paix  de  Vordingborg  il  fut  contraint  de  céder  le  Slesvik  au 
comte  de  Holstein  et  de  donner  aux  villes  hanséatiqucs  une  influence 
prédominante  dans  les  ailaires  Scandinaves.  La  rébellion  des  Suédois 
ne  ramena  pas  le  roi  Éric  à  de  plus  sains  principes  ;  au  lieu  de  faire 
cesser  les  troubles  dangereux  par  des  concessions  opportunes ,  il 
compromit  sa  situation  en  cherchant  à  imposer  un  sien  cousin 
poméranien  comme  héritier  des  trônes  Scandinaves ,  et  lorsqu'on  s'y 
opposa,  il  abandonna  brusquement  ses  royaumes  et  se  retira  à  l'île  de 
Gotland,  d'où  il  fit  —  mais  trop  tard  —  d'inutiles  tentatives  pour 
reconquérir  ses  l'oyaumes  perdus.  Pendant  son  absence,  les  Danois  et 
les  Suédois  élurent  des  régents,  et  les  Danois  parvinrent  enfin  à  faire 
accepter  le  leur  pour  roi  aux  autres  peuples;  ainsi  l'union  fut  renou- 
velée, mais  seulement  en  apparence  et  provisoirement;  les  tentatives 
analogues,  renouvelées  par  les  rois  suivants,  échouèrent  définitive- 
ment. 

L'auteur  du  beau  travail  dont  nous  rendons  compte  a  mis  à 
profit  les  nouveaux  matériaux  fournis  par  les  «  Hanserecesse  » 
(publiés  par  lui-même  en  1876);  aussi  a-t-il  su  mettre  en  lumière 
les  relations  des  villes  hanséatiques  avec  les  puissances  du  Nord,  et 
montrer  comment  ces  républiques  ont  pu  maintenir  leur  prépondérance 
politique  et  commerciale  au  milieu  des  révolutions;  et  là  est  le  prin- 
cipal intérêt  de  son  livre.  M.  v.  d.  Bopp  a  fort  bien  saisi  la 
différence  entre  le  traité  d'union  de  1397  et  celui  de  1438 ,  et 
dans  cette  circonstance  il  a  vu  plus  juste  que  Jahn;  mais  pour 
nous  autres  Scandinaves  les  réflexions  de  M.  v.  d.  Ropp  sur  ce 
point  ne  sont  pas  tout-à-fait  neuves;  on  les  trouve  déjà  chez  Keyser 
(Histoire  de  l'Eglise  norvégienne  pendant  le  catholicisme,  1858)  et  chez 
M.  Aschehoug  (Institutions  politiques  de  la  Norvège  et  du  Danemark^ 
1866j.  Il  faut  ajouter  que  M.  v.  d.  Ropp  n'a  pas  connu  ces  devanciers, 
qui  lui  auraient  épargné  beaucoup  de  recherches.  Les  mêmes  remarques 
peuvent  s'appliquer  à  son  appendice,  intitulé  «  les  sources  historiques 
suédoises  au  xv^  siècle».  Il  y  a  vingt-sept  ans  déjà  que  M.  P.-A.  Munch 
a  étudié  le  développement  de  l'historiographie  suédoise  dans  un 
excellent  mémoire  «  sur  les  sources  de  l'histoire  suédoise  à  l'époque 
païenne  »  ;  M.  v.  d.  Ropp  y  aurait  trouvé  la  source  d'une  notice  d'Eri- 
cus  Olai,  qu'il  avoue  ne  pas  comprendre  (v.  p.  169).  Heureusement  les 
deux  critiques  sont  presque  tout-à-fait  d'accord,  et  comme  la  thèse  de 
M.  V.  d.  Ropp  est  tout  autre  que  celle  de  Munch,  les  deux  travaux 
se  confirment  l'un  l'autre.  Ce  qui  est  le  plus  méritoire  dans  l'ou- 
vrage de  M.  V.  d.  Ropp,  ce  sont  ses  remarques  sur  la  grande  chronique 
rimée,  où  il  a  su  mettre  à  profit  l'excellente  édition  de  M.  Klemming; 


DELABORDE  :  ELEOXORE  DE  ROïE.  ^91 

il  faut  louer  surtout  la  manière  dont  il  a  su  distinguer  le  poème  sur 
Engelbrekt  de  celui  sur  le  roi  Karl. 

Gustave  Storm. 


Éléonore  de  Roye,  princesse  de  Condé  (^  535- 1364),  par  le  comte 
Jules  Delaborde.  —  Paris,  Sandoz  el  Fischbacher,  ^876. 

Est-ce  une  histoire  édifiante,  est-ce  une  étude  morale,  est-ce  une 
œuvre  d'érudition  que  M.  Jules  Delaborde  a  offerte  au  public?  La  cou- 
leur légèrement  romanesque  du  début,  le  ton  sévère  et  parfois  mystique 
du  récit,  l'emploi  de  termes  appartenant  à  une  langue  spéciale  (par 
exemple  auxiliarité  p.  118  et  168),  la  partialité  non  dissimulée  de  cer- 
taines appréciations,  l'onction  presque  oratoire  des  dernières  pages, 
tout  semble  indiquer  que  l'auteur  s'est  moins  préoccupé  d'instruire  que 
de  parler  à  l'âme,  qu'il  a  voulu  entretenir  chez  certains  lecteurs  la 
conviction  religieuse  par  le  souvenir  d'un  grand  exemple  :  «  Dieu, 
dit-il  formellement  dans  sa  conclusion,  s'est  voulu  servir  de  la  vie  et 
de  la  mort  d'Éléonore  de  Roye  comme  d'un  double  modèle  à  suivre 
dans  la  voie  évangélique  »  (p.  267). 

Louis  de  Bourbon,  premier  prince  de  Condé,  nous  était  surtout  connu 
comme  le  chef  politique  des  huguenots,  comme  un  homme  de  guerre 
et  de  cour  :  M.  Delaborde  a  replacé  à  ses  côtés  une  douce  et  touchante 
figure,  qui  complète,  par  le  contraste,  la  physionomie  du  prince  devant 
l'histoire.  Mariée  à  seize  ans,  mère  d'une  postérité  nombreuse,  Éléonore 
de  Roye  fut  un  type  accompli  des  vertus  domestiques  à  une  époque  et 
dans  une  société  où  la  corruption  italienne  avait  envahi  les  familles 
comme  les  cours.  En  quelques  années,  elle  vit  Condé  tour-à-tour  pré- 
venu de  haute  trahison,  condamné  à  mort,  armé  contre  son  roi,  fait 
prisonnier,  et  pour  comble  de  malheur,  ingrat  jusqu'à  l'outrage  envers 
la  compagne  dévouée  de  sa  vie.  L'âme  et  le  caractère  d'Éléonore  réle- 
vèrent au-dessus  de  toutes  ces  épreuves.  Qu'elle  multiplie  ses  démarches 
en  1560  pour  assurer  la  défense  de  son  mari  accusé,  pour  le  voir  et 
communiquer  avec  lui;  qu'en  1562  elle  communique  à  tous,  dans  Or- 
léans investi,  son  zèle  et  son  ardent  courage;  qu'enfin  sur  son  lit  de  mort 
elle  pardonne  à  l'époux  infidèle,  elle  se  montre  vraiment  héroïque  par 
deux  vertus,  deux  qualités  maîtresses,  surtout  en  des  temps  comme 
ceux  où  elle  vécut  :  l'enthousiasme  et  la  résignation.  Ce  drame  domes- 
tique, qui  se  joue  au  second  plan,  derrière  la  grande  tragédie  politique 
et  religieuse,  qui  s'y  mêle  par  instants,  a  été  exposé  ici  dans  ses  diverses 
péripéties,  avec  un  luxe  de  détails  dont  l'ensemble  est  d'un  réel  et  puis- 
sant intérêt. 

De  telles  vies  se  recommandent  par  elles-mêmes,  et  ne  veulent  point 
être  commentées  comme  un  texte  pieux  ;  M.  Delaborde  eût  pu  laisser 
plus  souvent  à  ses  lecteurs  le  soin  de  conclure,  de  tirer  du  récit,  sui- 
vant leurs  impressions  personnelles,  la  réflexion  ou  la  leçon  qui  s'en 


^92  r.oMPTKs-RENnrs  nuTiQCEs. 

dégage.  C'est  surtout  à  ses  recherches  multiples,  patientes,  qu'il  con- 
vient de  rendre  hommage.  Son  livre  est  vraiment  puisé  aux  sources,  et 
les  documents  imprimés  sont  constamment  contrôlés  et  complétés  par 
les  documents  manuscrits.  L'auteur  a  réuni  aux  lettres  d'Eléonore  de 
Roye  déjà  connues  et  imprimées  çà  et  là  d'autres  lettres  inédites  et 
assez  nomhreuses  (p.  29,  30,  34,  G%  154,  160,  176,  etc.);  il  a  feuilleté  la 
précieuse  collection  des  Calcndars  of  State  papers,  il  est  allé  frajtpcr  à  la 
porte  des  archives  de  Venise,  de  Stuttgard,  de  Genève,  de  Berne,  de 
Strasbourg  ;  et  des  notes  claires,  précises,  nous  apportent  au  bas  de 
chaque  page  la  justification  de  ses  découvertes'.  Ses  informations  sont 
complètes,  si  complètes  même  que  les  pièces  originales  se  succédant 
coup  sur  coup  laissent  désirer  une  intervention  plus  fréquente  de  sa 
part  :  je  ne  parle  pas  d'un  appendice  de  39  numéros,  où  se  trouvent 
rejetés  les  documents  qui  auraient  trop  retardé  la  marche  du  récit.  Il 
s'en  suit,  et  M.  Delaborde  ne  s'est  pas  dissimulé  cet  inconvénient,  que 
la  vie  d'Eléonore  de  Roye  se  perd  un  peu  au  milieu  de  l'histoire  géné- 
rale, que  bien  d'autres  personnages  du  temps  prennent  successivement 
la  parole.  On  aurait,  du  reste,  mauvaise  grâce  à  ne  pas  les  écouter  ;  car 
plusieurs  de  ces  digressions,  habilement  rattachées  au  récit,  concernent 
des  épisodes  encore  mal  connus  des  guerres  religieuses.  Je  signalerai 
entre  autres  le  tableau  de  la  mission  de  la  comtesse  de  Roye,  mère  de 
la  princesse  de  Condé,  auprès  des  princes  allemands  (p.  129-136,  217- 
226).  M.  Delaborde  a  écrit  là  par  avance  un  chapitre  de  cette  histoire 
des  invasions  germaniques  en  France  à  la  fin  du  xvi^  siècle  qui  est  en- 
core à  faire.  Cette  érudition  vaste  et  sûre  d'elle-même,  cette  connais- 
sance approfondie  de  l'époque  qui  se  révèlent  partout,  étaient  nécessaires 
pour  nous  faire  oublier  que  nous  avions  sous  les  yeux  plutôt  une  bio- 
graphie pieuse  qu'une  œuvre  historique  rigoureusement  impartiale  et 
s'adressant  à  tous.  ^     ^ 

L.    PiNGAUD. 


Le  cardinal  Du  Perron,  orateur,  controversiste,  écrivain.  Études 
historiques  et  critiques  par  M.  l'abbé  P.  Feret,  docteur  en  théo- 
logie, chanoine  honoraire  d'Évreux,  aumônier  du  lycée  Henri  IV. 
Paris,  Didier,  1877,  in-8"  de  ix-452  p. 

L'étude  de  M.  l'abbé  Feret  sur  le  cardinal  Du  Perron  n'est  pas,  à 
proprement  parler,  une  biographie.  «  Nous  avons  préféré,  pour  mieux 
connaître  l'homme,  »  dit  l'auteur  (Avant-propos,  p.  v),  «  nous  mouvoir 
entre  de  plus  larges  limites.  Saisir  les  principaux  traits  de  cette  grande 

1 .  Parmi  ces  notes,  il  en  est  au  moins  une  sur  laquelle  je  ferais  des  réserves. 
Je  lis  p.  61  et  71  :  Mémoires  de  Tavanes,  ch.  XVI.  11  n'y  a  pas  d'édition  cor- 
recte et  complète  de  ces  Mémoires  où  le  texte  soit  divisé  en  chapitres  numérotes. 
M.  Delaborde  s'est  évidemment  servi  de  l'édition  tronquée  qui  a  paru  dans  1  an- 
cienne collection  de  Mémoires  sur  l'histoire  de  France. 


p.  FERET  :  LE  CARDINAL  DU  PERRON.  193 

figure,  la  mettre  en  regard  des  contemporains,  apprécier  le  milieu  où 
la  vie  s'écoulait,  où  les  facultés  intellectuelles  se  développaient,  exami- 
ner les  œuvres  avec  les  circonstances  qui  les  ont  fait  naître,  marquer 
l'influence  subie,  comme  l'ascendant  exercé  et  l'impulsion  donnée,  tels 
ont  été  notre  but  et  notre  cadre.  » 

Ce  but  a  été  atteint,  ce  cadre  a  été  rempli.  M.  l'abbé  Feret,  qui  avait 
déjà  étudié  en  Du  Perron  le  diplomate ^,  étudie  successivement  ici  le 
poète,  l'orateur,  le  controversiste-conférencier  et  le  controversiste-écri- 
vain.  Ces  quatre  notices  spéciales  sont  précédées  de  quelques  pages 
consacrées  aux  premières  années  du  futur  cardinal  et  suivies  d'un  épi- 
logue qui  renferme  le  récit  de  ses  derniers  instants.  Dans  l'appendice 
(p.  371-393),  l'auteur  s'occupe  de  Du  Perron  épistolographe ,  surtout 
d'après  ses  lettres  inédites.  Enfin,  le  volume  est  complété  (p.  395-447) 
par  neuf  notes,  où  sont  réunis  :  1°  des  renseignements  divers  sur  les 
démarches  faites  à  Rome  par  le  cardinal  Du  Perron  en  faveur  de  VHis- 
toire  du  président  de  Thou,  menacée  d'une  condamnation  (p.  411-422), 
sur  les  diverses  éditions  des  ouvrages  du  cardinal  (p.  423-425),  etc.; 
2°  des  citations  tirées  du  Recueil  historique  de  dom  Beaunier,  d'un 
opuscule  de  Jean  de  Sponde,  des  poésies  d'Honoré  de  Laugier,  sieur  do 
Porchères,  du  Perroniana,  et  de  quelques  pièces  inédites  conservées  à 
la  Bibliothèque  nationale  (fonds  Dupuy,  no^  477  et  591,  fonds  français, 
n»  19129),  pièces  qui  appartiennent  à  la  jeunesse  littéraire  de  Du  Per- 
ron, et  qui  sont  généralement  assez  médiocrespour  justifier  la  modestie 
avec  laquelle  l'auteur  avait  renoncé  à  les  publier,  leur  appliquant  sans 
doute  le  mot  de  V Écriture  :  «  Ne  vous  souvenez  pas  des  péchés  de  ma 
jeunesse^.  » 

On  pourra  contester  quelques-unes  des  assertions  de  M.  l'abbé  Feret; 
nul  ne  dira  qu'il  n'a  pas  consciencieusement  préparé  son  livre.  Ses  lec- 
tures ont  été  immenses,  non-seulement  dans  les  livres  imprimés,  même 
les  plus  rares  3,  mais  encore  dans  les  manuscrits.  Parmi  ces  derniers, 

1.  Henri  IV  et  l'Eglise  (Paris,  Didier,  1875,  1  vol.  in-g").  Voy.  sur  ce  livre  la 
Revue  critique  du  4  décembre  1875,  p.  360-362. 

2.  Si  j'examinais  le  volume  de  M.  l'abbé  Feret  dans  un  recueil  autre  que  celui- 
ci,  qui  est  purement  historique,  je  reprocherais  à  ce  critique  de  trop  priser  le 
talent  poétique  de  Du  Perron.  M.  Weiss  [Biographie  universelle)  rappelle  que 
l'abbé  de  Longuerue  trouvait  les  poésies  de  Du  Perron  affreuses.  Il  y  avait  là 
trop  de  rigueur,  de  même  que  chez  M.  l'abbé  Feret  il  y  a  trop  d'indulgence. 

3.  M.  l'abbé  Feret  a  fouillé  jusfpie  dans  la  Généalogie  de  la  maison  des  sieurs 
de  Larbour,  dits  depuis  de  Cornbauld,  par  d'HoziER  (Paris,  16-28),  pour  trouver 
une  pièce  de  vers  du  jeune  Du  Perron,  avec  ce  titre  :  A  Monsieur  de  Cornbauld, 
sur  (e  pourtraict  de  son  bisayeul,  1581.  Afin  de  montrer  mieux  encore  combien 
il  a  été  bon  chercheur,  je  dirai  qu'il  a  réussi  à  mettre  la  main  sur  une  seconde 
édition  du  fameux  livre  de  Ph.  de  Mornay,  seigneur  du  Plessis  :  De  l'institu- 
tion, usage  et  doctrine  du  Sainct-Sacrement  de  l'Eucharistie  en  l'église  an- 
cienne (1  vol.  in-8%  1598,  La  Rochelle,  chez  Hierosme  Haultin),  seconde  édition 
qui  n'est  indiquée  ni  dans  les  Biographies  de  Michaud  et  de  Didot,  ni  dans  le 

ReV.    HiSTOR.    V.    ler   FASC.  13 


494  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

je  citerai  Vllistoire  du  cardinal  Du  Perron  par  Antoino  Aubery  (Biblio- 
thèque nationale,  fonds  français,  n»  5808)  ;  la  correspondance  du  prélal 
(Biblioth^iuo  nationale,  fonds  Dupuy,  n"»  72,  591,  fonds  français, 
n"  3491;  Bibliollièquo  de  l'Institut,  collection  Godefroy,  n"  265;  collec- 
tion d'autograplios  de  M.  Ghambry);  les  œuvres  posthumes  de  Du 
Perron  (Bibliothèque  nationale,  fonds  français,  n»^  12446-12447);  k 
Recueil  de  Loisel  (Ibid.,  fonds  latin,  n°«  17179-17180);  les  papiers  de 
famille  communiqués  par  M.  le  comte  d'Auxais  (lettres ,  testament, 
pièces  relatives  au  château  de  Bagnolet,  qui  était  la  propriété  du  car- 
dinal) ;  les  Mémoires  sur  le  Cokniin  par  Toustaint  de  Billy  (Bibliothèque 
de  Caen);  VAthens  Normannorum  du  P.  François  Martin  (même  biblio- 
thèque); les  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des  archevêques  de  Sens 
par  l'abbé  Fenel  (Bibliothèque  de  Sens),  etc. 

L'abondance  des  sources  consultées,  en  dehors  des  manuscrits,  pai 
M.  l'abbé  Feret,  est  particulièrement  visible  dans  les  pages  où  il  i 
indiqué  les  témoignages  favorables  et  défavorables  à  son  héros  (Avant- 
propos,  p.  x-xvi).  On  relèverait  bien  peu  d'omissions  dans  ce  piquan 
résumé  de  tout  le  bien  et  de  tout  le  mal  que  l'on  a  dit  de  Jacques  Dav^ 
Du  Perron <.  Gomme  M.  l'abbé  Feret  n'a  pas  eu  l'intention  de  suivn 
jusque  parmi  nous  les  deux  courants  contraires  qui  nous  ont  apporté  L 
nom  et  le  souvenir  du  cardinal 2,  il  ne  faut  pas  lui  faire  un  grief  di 
n'avoir  pas  mentionné  un  critique  qui,  tour-à-tour,  a  laissé  chacun  di 
ces  courants  arriver  dans  un  de  ses  ouvrages.  Je  veux  parler  de  M.  Ber 
ger  de  Xivrey  qui,  après  s'être  plu  à  rappeler  [Recueil  des  lettres  mis 
sives  de  Henri  IV,  1848,  t.  IV,  p.  231)  les  paroles  plus  que  sévères  don 
Jacques-Auguste  de  Thou  se  sert  pour  caractériser  en  Du  Perron  l 
courtisan  complaisant,  flatteur,  impudemment  effronté  [ferrea  frbnti 

Manuel  du  Libraire,  ni  dans  la  France  protestante.  La  découverte  bibliogra 
phique  de  M.  l'abbé  Feret  est  la  juste  récompense  d'un  zèle  qui  ne  recule  devan 
aucune  fatigue. 

1.  M.  René  Kerviler  {Polybiblion  de  février  1877)  a  signalé  (p.  147)  une  omissioi 
qui  n'a  rien  de  bien  grave,  comme  il  l'a  remarqué  lui-même,  l'omission  du  Che 
vraeana.  Ce  qui  serait  plus  sérieux,  ce  serait  l'omission  du  témoignage  de  Tal 
leroant  des  Réaux  [Historiettes  X  et  XI,  édition  de  1854,  t.  I,  p.  103-106),  i 
cette  omission  n'était  réparée  dans  le  corps  même  de  l'ouvrage  (p.  139)  et  auss 
à  la  page  442  relative  au  prétendu  assassinat  du  poète  Edouard  du  Monin  pa 
son  rival  Du  Perron  (1586).  Voir,  à  ce  .sujet,  la  dédaigneuse  mention  que  fai 
Bayle  {Dictionnaire  critique,  au  mot  Monin)  de  l'insoutenable  accusation  d 
Voët,  et  la  décisive  réfutation  de  Laurent  Josse  Le  Clerc  [Bibliothèque  du  Ri 
chelet,  au  mot  Perron). 

2.  M.  l'abbé  Feret  a  nommé  seulement  deux  de  nos  contemporains,  M.  Hip 
peau,  dans  la  notice  duquel  [Ecrivains  normands,  Caen,  1858)  il  blâme  un  in 
souciant  éclectisme  (p.  viii),  et  M.  l'abbé  Le  Brasseur,  dans  l'ouvrage  duqu( 
[Histoire  du  comté  d'Evreux,  p.  370-372)  il  sétonne  (p.  xiv)  de  lire  que  D 
Perron  manqua  de  patriotisme,  trouvant,  du  reste,  que  le  même  historien  a  e 
raison  de  voir,  mais  a  eu  tort  de  condamner  en  ce  prélat  un  adversaire  des  idée 
gallicanes. 


p.   FERET  :   LE  CARDINAL  DU  PERRON.  195 

audacia),  et  à  rapprocher  ce  vilain  portrait  du  mot  cruel  de  Joseph 
Scaliger,  surnommant  l'ambitieux  prélat  le  charlatan  de  la  cour,  a  fait 
amende  honorable  [Ibid.,  1858,  t.  VI,  p.  269-270),  opposant  à  de  Thou 
«  l'intraitable  Sully,  »•  et  s'élevant  avec  une  indignation  aussi  ardente 
que  tardive^  contre  la  «  rage  de  calomnies  »  auxquelles  Du  Perron  a  été 
en  butte,  «  calomnies  dont  on  ne  pourrait  se  former  une  idée  si  l'on  ne 
savait  tout  ce  qu'il  y  a  d'infamies  accumulées  dans  les  dégoûtants 
pamphlets  de  d'Aubigné^...  » 

M.  l'abbé  Feret  a  très-bien  su  utiliser  les  riches  matériaux  qu'il 
avait  si  bien  su  réunir.  Son  livre,  où  régnent  l'ordre,  la  méthode,  la 
clarté,  et  qui  est  écrit  avec  un  soin  qui  touche  parfois  à  l'élégance^,  se 
lit  avec  plaisir  du  commencement  à  la  fin.  L'auteur  a  répandu  beau- 
coup d'intérêt  dans  les  pages  où  Du  Perron  figure  à  côté  de  Malherbe, 
de  Desportes,  de  Pontus  de  Tyard,  de  Ronsard,  de  Goëffeteau,  de  Gos- 
peau,  de  Fenolliet'*,  de  saint  François  de  Sales,  de  Daniel  Tilenus,  de 
Du  Plessis-Mornay,  de  Henri  IV,  de  Jacques  I^""^  de  Bossuet,  etc.  Je 
recommande  surtout,  comme  digne  de  la  -plus  grande  attention,  le  vif 
et  habile  récit  de  la  conférence  de  Fontainebleau  (p.  169-216). 

Je  négligerai,  pour  être  moins  long,  diverses  observations  sur  des 
choses  incidentes 5,  mais  je  m'arrêterai  un  peu  sur  la  question  du  lieu 
et  de  la  date  de  la  naissance  du  cardinal  Du  Perron.  M.  l'abbé  Feret, 
s'appuyant  sur  le  triple  témoignage  du  poète  Guillaume  Ybert,  d'un 

1.  Dans  le  tome  IV,  qui  est  de  1850,  M.  Berger  de  Xivrey  s'exprimait  encore 
ainsi  (p.  230,  note  1)  :  «  Madame  de  Mornay  insiste  sur  l'immoralité  de  Du  Per- 
ron, sur  laquelle  il  n'y  avait  que  trop  à  dire.  » 

2.  Citons,  à  propos  de  l'auteur  de  la  Confession  de  Sancy,  quatre  pages  de 
M.  l'abbé  Feret  (p.  216-219)  qui  devront  être  examinées  de  près  par  MM.  Réaume 
et  de  Caussade,  quand  ces  excellents  éditeurs  des  Œuvres  complètes  d' Agrippa 
d'Aubigné  nous  donneront  l'histoire  de  sa  vie  et  de  ses  travaux.  Les  objections 
de  M.  l'abbé  Feret  me  paraissent  bien  embarrassantes  pour  ceux  qui,  sur  la  foi 
de  d'Aubigné,  croiraient  à  la  conférence  où  il  aurait  bel  et  bien  terrassé  du 
Perron. 

3.  Que  M.  l'abbé  Feret  me  permette  de  lui  demander  le  sacrifice  d'une  expression 
qui  revient  souvent  sous  sa  plume  et  qu'il  emploie  dès  \ Avant-propos  (p.  vi)  :  «  Ce 
fut  sous  un  autre  rapport  que  sa  parole  eut  du  retentissement  !»  Un  de  nos 
plus  habiles  écrivains,  qui  devrait  être  depuis  longtemps  déjà  membre  de  l'Aca- 
démie française,  M.  E.  Renan,  vient  de  commettre  la  même  faute  [les  Évangiles 
et  la  seconde  génération  chrétienne),  et  c'est  le  cas  de  s'écrier  :  Si  les  justes 
eux-mêmes  pèchent,  qui  donc  nous  donnera  l'exemple  ? 

4.  L'auteur  constate  (p.  99)  que  l'on  écrit  assez  souvent,  il  ne  sait  pourquoi, 
Fenouillet  ou  Fenoillet,  et  que  l'Oraison  funèbre  du  chancelier  de  Bellièvre  et 
le  discours  sur  la  mort  de  Henri  IV  par  l'évêque  de  Montpellier  sont  signés  : 
Fenolliet. 

5.  Par  exemple,  sur  l'attribution  (p.  329)  du  Songe  du  Vergier  à  Raoul  de 
Presles  ou  à  Philippe  de  Mézière,  alors  qu'un  troisième  candidat,  Charles  de 
Louviers,  paraît  préférable  à  bon  nombre  de  savants  critiques,  et  méritait,  en  tout 
cas,  l'honneur  d'être  nommé. 


<96  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

autro  poète  normand,  qui  fut  on  môme  temps  magistrat,  Luc  Duche- 
min  (le  la  Ilaullc,  et  du  compilateur  Toustaint  de  Billy,  croit  que 
Jacques  Davy  naquit  à  Saint-Lù  (1556).  J'aurais  voulu  que  M.  l'abbé 
Feret  ne  se  contentât  pas  d'adopter  l'opinion  de  ces  trois  obscurs  au- 
teurs, mais  qu'il  discutât  et  réfutât  les  conclusions  d'un  mémoire  de 
M.  Léopold  Quénault  lu,  en  1867,  à  la  Sorbonne,  dans  une  des  séances 
extraordinaires  du  Comité  des  travaux  historiques  et  des  Sociétés 
savantes <.  D'après  ces  conclusions,  le  fils  de  Julien  Davy  aurait  vu  le 
jour,  non,  comme  on  l'a  fait  dire  à  M.  Quénault^,  dans  la  paroisse  de 
Montgardon  (département  de  la  Manche,  arrondissement  de  Goutances, 
canton  de  la  Haye-du-Puits),  mais  à  Berne^. 

A  l'appui  de  l'opinion  de  M.  Quénault,  qui,  du  reste,  est  celle  de  la 
plupart  des  biographes  antérieurs*,  je  rappellerai,  d'après  les  Notices 
généalogiques  de  M.  Galiffe  (je  ne  les  ai  pas  sous  la  main  et  les  cite  de 
mémoire),  que  les  deux  familles  paternelle  et  maternelle  du  futur  car- 
dinal avaient  cherché  un  refuge  en  Suisse,  et  que  notamment  Guillaume 


1.  Lieu  et  époque  de  la  naissance  du  cardinal  Bu  Perron,  par  M.  Léopold 
Quénault,  membre  correspondant  de  l'Académie  de  Caen,  dans  les  Mémoires  lus 
à  la  Sorbonne.  Histoire,  philosophie  et  sciences  morales.  Paris,  imprimerie 
Impériale,  1868,  p.  475-480. 

2.  M.  l'abbé  Lezat  [De  la  prédication  sous  Henri  IV.  Paris,  Didier,  in-S",  sans 
date,  p.  162)  a  dit  fort  étourdimcnt  :  «  un  savant  antiquaire,  M.  Léopold  Ques- 
nault  {sic),  a  lu,  en  1868  {sic),  à  l'Académie  de  Caen  {sic),  un  mémoire  où  il 
démontre  que  le  cardinal  Du  Perron  est  né  en  Normandie,  dans  la  paroisse  de 
Montgardon.  Entre  autres  témoignages,  M.  Quesnault  a  retrouvé  un  procès-ver- 
bal des  officiers  de  la  haute  justice  ;  sur  une  page  on  lit  :  le  cardinal  Davy  Du 
Perron  est  né  en  la  maison  de  son  oncle,  au  Perron  de  Montgardon.  »  M.  Qué- 
nault, loin  d'invoquer  ce  document  qu'il  n'a  pas  retrouvé,  le  repousse  dédaigneu- 
sement :  «  Ce  n'est  pas,  »  dit-il  (note  1  de  la  p.  476),  «  dans  l'acte  lui-même, 
mais  dans  un  griffonnage  d'écolier,  qui  le  suit,  que  se  trouve  cette  allégation,  qui 
n'a,  par  conséquent,  aucune  valeur.  »  M.  l'abbé  Lezat  a  consacré  tout  un  cha- 
pitre de  son  livre  au  cardinal  Du  Perron  considéré  comme  orateur  (p.  161-183). 
M.  l'abbé  Feret  ne  cite  pas  son  devancier.  Il  ne  cite  pas  non  plus  un  autre  cri- 
tique, M.  de  Gaillon,  dont  la  notice  sur  Du  Perron  {Bulletin  du  Bibliopliile  de 
novembre  1852)  a  été  justement  louée  par  M.  P.  Paris  {Commentaire  des  Histo- 
riettes, 1854,  t.  I,  p.  106). 

3.  Voici  les  propres  paroles  de  M.  Quénault  (p.  476),  lesquelles  ressemblent 
aussi  peu  que  possible  à  celles  que  lui  prête  l'abbé  Lezat  :  «  Je  vais  essayer 
d'établir  que,  d'après  les  circonstances  ayant  accompagné  le  mariage  de  ses  pa- 
rents, les  dates  certaines  de  cpielques  actes  importants  de  sa  vie,  son  âge  constaté 
ofïiciellement  à  ces  dates,  ses  propres  déclarations,  il  est  impossible  qu'il  soit  né 
avant  l'année  1559  et  ailleurs  qu'à  Berne...  » 

4.  Voir  la  Biographie  universelle,  la  France  protestante,  etc.  M.  Lud.  La- 
lanne  {Dictionnaire  historique  de  la  France,  1872)  hésite  entre  Berne  et  Saint- 
Lô.  Déjà,  dans  le  Moréri  de  1759,  tout  en  indiquant  le  canton  de  Berne  comme 
le  berceau  de  Du  Perron,  on  apprenait  au  lecteur  que  l'abbé  L.-J.  Le  Clerc, 
ci-dessus  mentionné,  tenait  pour  Saint-Lô. 


G.  VOIGT  :   MORITZ  VON  SACHSEIV.  ^97 

Le  Gointe,  père  d'Ursine  Le  Cointe  et  grand-père  de  Jacques   Davy, 
avait  été  reçu  habitant  de  Genève  en  1553. 

Ge  qui  est  bien  autrement  contestable  encore  que  la  naissance  de  Du 
Perron  à  Saint-Lô  en  1556,  c'est  le  récit  qui  nous  montre  (p.  265)  Isaac 
Gasaubon  inclinant  vers  le  catholicisme  et  donnant  de  bon  cœur  sa 
bénédiction  à  un  de  ses  fils  qui  s'était  fait  capucin.  Il  est  difficile  de 
croire  aux  variations  de  l'éminent  érudit,  pour  peu  que  l'on  ait  lu  le 
journal  qu'a  publié  M.  Russel  (Oxford,  1850,  in-S")  et  où  Gasaubon  a  con- 
signé l'histoire  minutieuse  de  sa  vie,  l'histoire  de  ses  plus  intimes  senti- 
ments, de  ses  plus  secrètes  pensées.  En  parcourant  ces  éphémérides,  on 
voit  que  du  premier  au  dernier  jour  le  meilleur  ami  de  Joseph  Scaliger 
resta  fidèle  à  la  religion  protestante.  Il  n'est  pas  une  page  de  ces  révé- 
lations, écrites  pour  la  famille  seule,  qui  ne  démente  avec  la  plus 
écrasante  autorité  les  «  on  dit  »  trop  facilement  répétés  par  M.  l'abbé 
Feret;  «  on  dit  »  que  la  critique  a  le  droit  de  rapprocher  des  mots  en 
rhonneur  de  Montaigne  et  de  Rabelais*,  si  souvent  attribués  au  cardi- 
nal Du  Perron,  des  mots  que  le  jeune  orateur  aurait  eu  l'invraisem- 
blable cynisme  d'adresser  à  Henri  III  :  «  Sire,  j'ai  prouvé  aujourd'hui, 
par  raisons  très-bonnes  et  évidentes,  qu'il  y  avoit  un  Dieu  :  demain. 
Sire,  s'il  plaist  à  Vostre  Majesté  me  donner  encores  audience,  je  vous 
monstrerai  et  prouverai  par  raisons  aussi  bonnes  et  évidentes  qu'il  n'y 
a  point  du  tout  'de  Dieu  2.  » 

Ph.  Tamizey  de  Larroque. 


Moritz  von  Sachsen  ^  541-47  von  Georg  VoiGT.  Verlag  von  Bernhard 
Tauchnitz,  Leipzig,  1876,  xii-444  p. 

Le  nouvel  ouvrage  de  M.  Voigt  n'a  pas  la  prétention  d'être  une  bio- 
graphie de  Maurice  de  Saxe;  il  traite  uniquement  du  rôle  qu'il  joua 


1.  Les  Essais  n'ont  été  appelés  par  Du  Perron  le  bréviaire  des  honnêtes  gens, 
comme  l'a  reconnu  M.  l'abbé  Feret  (p.  354),  que  dans  un  recueil  d'anecdotes 
dépourvu  de  toute  valeur,  le  3Iélange  critique  de  littérature  par  l'abbé  de  La 
Morllère  (L701,  in-12).  Quant  au  mot  proverbial  :  Ave>vous  lu  /'awiewr  (c'est-à- 
dire  Rabelais?),  il  est  porté  pour  la  première  fois  au  compte  du  cardinal  dans  le 
Longueruana  (1754). 

2.  Mémoires-Journaux  de  Pierre  de  l'Estoile,  édition  Jouaust,  t.  II,  1875, 
p.  140-141.  M.  l'abbé  Feret  plaide  (p.  140)  les  circonstances  atténuantes,  et 
déclare  que  l'on  avait  alors  la  mauvaise  habitude  de  disputer  pour  et  contre 
publiquement  (et  même  dans  les  églises)  sur  les  articles  les  plus  importants  de 
la  religion.  L'indignation  de  Henri  III  et  celle  de  P.  de  l'Estoile  prouveraient  que 
l'usage  n'autorisait  pas  autant  que  le  pense  M.  l'abbé  Feret  une  telle  jonglerie. 
J'aime  mieux  croire,  avec  L.-J.  Le  Clerc,  dont  M.  l'abbé  Feret  n'a  pas  connu  les 
judicieuses  objections  {Remarques  critiques  sur  le  Dictionnaire  de  M.  Bayle, 
1734,  au  mot  Monin),  que  tout  ce  récit  est  un  «  tissu  de  faussetés.  » 


198  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

commo  partisan  de  la  maison  de  Habsbourg.  Pcut-ôtro  n'cùt-il  pas  été 
mauvais  d'indiquer  dans  le  titre  qu'on  ne  devait  traiter  que  cette  partie 
do  la  politique  générale,  pendant  un  nombre  d'années  déterminé,  puis- 
que l'auteur  ne  songeait  pas  à  faire  entrer  dans  le  cercle  de  son  étude  les 
actes  de  l'administration  particulière  de  Maurice  comme  duc  de  Saxe. 
Dans  ces  limites  mêmes,  la  tache  que  s'était  imposée  M.  Voigt  ne  manquait 
ni  d'intérêt  ni  de  nouveauté.  Aussi  bien  était-il  nécessaire  d'étudier  à 
nouveau  l'histoire  de  certains  événements  qui  ont  été  d'une  importance 
décisive  pour  le  développement  du  protestantisme  en  Allemagne.  La 
biographie  de  Maurice  de  Saxe  publiée  il  y  a  plus  de  trente  ans  par 
M,  de  Langenon,  n'a  sans  doute  rien  perdu  de  son  utilité  à  cause  des 
très-riches  matériaux  qu'il  y  a  mis  en  oeuvre  ;  mais  elle  n'est  pas  assez 
objective,  et  manque  de  précision  dans  le  détail.  Dans  sa  grande  histoire, 
Ranke  ne  pouvait  pas  s'appesantir  sur  les  événements  de  ces  années 
troublées  avec  le  luxe  de  détails  que  M.  Voigt  y  prodigue.  Cependant 
les  travaux  de  J.  Voigt,  Cornélius,  Maurenbrecher,  Wenck,  von  Druf- 
fel,  etc.,  avaient  rappelé  l'attention  sur  Maurice;  mais  ils  étaient  sur- 
tout consacrés  à  la  dernière  partie  de  sa  vie. 

M.  Voigt  mérite  donc  les  plus  grands  éloges  pour  avoir  comblé  une 
importante  lacune  de  notre  histoire.  Érudit  consciencieux,  il  ne  s'est 
pas  contenté  de  mettre  à  profit  tous  les  travaux  publiés  avant  le  sien; 
il  a  encore  su  découvrir  de  précieux  documents  dans  les  archives; 
celles  de  Dresde  lui  ont  fourni  beaucoup  plus  de  matériaux  qu'on  ne 
pouvait  s'y  attendre;  celles  de  Marbourg,  de  Kœnigsberg,  de  Bamberg 
sont  aussi  venues  apporter  leurs  tributs  ;  de  même,  comme  on  devait 
s'y  attendre,  celles  de  Vienne. 

Cette  masse  de  matériaux  ainsi  recueillis  de  tous  côtés  a  été  distri- 
buée en  quatre  livres;  les  deux  premiers  avaient  déjà  paru,  mais  sous 
une  forme  un  peu  différente,  dans  VArchiv  fur  die  Sschsische  Geschichte, 
nouv.  série,  sous  le  titre  :  «  Maurice  de  Saxe  au  début  de  sa  carrière  » 
et  «  l'Alliance  avec  les  Habsbourg.  »  Le  résultat  le  plus  important  de 
cette  partie  du  présent  livre  est  sans  contredit  d'avoir  montré  l'origine 
et  le  développement  des  pensées  politiques  qui  ont  poussé  Maurice  à 
s'allier  avec  la  maison  de  Habsbourg;  comme  l'a  fort  bien  montré 
M.  Voigt,  il  s'y  décida,  moins  parce  qu'il  convoitait  la  dignité  électo- 
rale et  les  terres  de  son  cousin,  que  parce  qu'il  voulait  acquérir  le  droit 
de  protection  sur  les  évèchés  de  Magdebourg  et  de  Halberstadt.  Cette 
dernière  question  est  d'une  importance  capitale,  et  l'on  s'explique  toute 
l'histoire  des  relations  des  princes  saxons  entre  eux  si  on  l'a  toujours 
devant  les  yeux.  Le  3^  et  le  4«  livre  traite  de  «  la  guerre  de  Smalcalde 
en  Saxe  »  et  du  «  combat  de  Mùhlberg.  »  Par  sa  «  bibliographie  des 
œuvres  historiques  relatives  à  la  guerre  de  Smalcalde,  »  M.  Voigt 
s'était  préparé  le  mieux  du  monde  à  traiter  ce  sujet.  Il  raconte  les 
péripéties  de  la  guerre  avec  une  minutie  qui  fait  penser  au  travail  du 
peintre  en  miniatures,  et  redresse  en  chemin  plus  d'une  erreur. 

H  convient  aussi  de  parler  du  beau  portrait  qui  orne  le  volume  ;  il  a 


R.    DU    CASSE  :    l'amiral    DU    CASSE  ^99 

été  gravé  d'après  le  tableau  de  Luc  Kranach  qui  se  trouve  au  musée  de 
Dresde  ;  le  livre  lui-même  est  un  chef-d'œuvre  d'impression,  éloge  que 
méritent  rarement  les  livres  d'histoire  publiés  en  Allemagne. 

A.  Stern. 


L'amiral  Du  Casse  (-1646-^7^5),  par  le  baron  Robert  du  Casse.  Un 
vol.  in-S"  de  p.  473.  Paris,  Berger-Levrault,  ^1876.  Prix  :  6  fr. 
Le  nom  de  l'amiral  Du  Casse  était  jusqu'ici  peu  connu.  On  savait 
qu'il  avait  été  gouverneur  de  Saint-Doniingue,  qu'il  avait  pris  part  à 
l'expédition  de  Pointis  contre  Garthagène,  et  qu'en  1714  il  avait  été 
chargé  de  diriger  par  mer  le  siège  de  Barcelone.  Mais  on  ignorait  à  peu 
près  tout  le  reste  de  sa  vie,  et  même  pour  ces  trois  faits  on  ayait  peu  de 
détails. 

Un  descendant  de  l'amiral,  M.  Robert  Du  Casse,  a  profité  de  ses  pa- 
piers de  famille  et  des  documents  conservés  dans  les  archives  de  la 
marine  et  des  affaires  étrangères  pour  nous  retracer  la  vie  de  son  aïeul. 
Il  nous  l'a  montré,  d'abord  au  service  de  la  Compagnie  du  Sénégal  et 
soutenant  à  ce  titre  de  longues  luttes  avec  les  Hollandais  sur  la  côte 
occidentale  d'Afrique,  puis  passant  dans  la  marine  royale,  s'acquittant 
avec  plus  ou  moins  de  succès  de  plusieurs  missions,  devenant  en  1691 
gouverneur  de  Saint-Domingue,  déployant  contre  les  Anglais  et  les 
Espagnols  dans  les  Antilles  une  activité  souvent  heureuse,  aidant  Pointis 
de  ses  conseils  et  de  son  courage  dans  l'affaire  de  Carthagène,  gagnant 
sur  les  Anglais  en  1702  la  victoire  navale  de  Sainte-Marthe,  contribuant 
à  celle  de  Vélez-Malaga,  ramenant  à  deux  reprises  différentes  (1708  et 
1712)  les  galions  d'Amérique,  et  fournissant  ainsi  à  l'Espagne  le  moyen 
de  continuer  la  guerre,  enfin  conduisant  à  Barcelone  une  escadre  qui 
devait  faire  le  siège  de  cette  ville  (1714),  et  mourant  bientôt  à  Paris  le 
25  juin  1715. 

Ce  livre  a  le  mérite  d'être  fait  d'après  des  documents  originaux,  que 
l'auteur  cite  fréquemment,  sans  en  indiquer  la  provenance.  Mais  il 
pèche  par  le  défaut  commun  à  la  plupart  des  ouvrages  du  même  genre  ; 
c'est  plutôt  une  apologie  qu'un  récit  impartial.  On  ne  saurait  blâmer 
M.  du  Casse  d'avoir  songé  à  la  gloire  de  sa  famille  en  écrivant  l'histoire 
de  son  plus  illustre  aïeul.  Ce  qu'on  lui  reprochera,  c'est  d'avoir  quelque- 
fois sacrifié  à  ce  sentiment  les  intérêts  de  la  vérité.  Rien  ne  lui  paraît 
répréhensible  dans  la  vie  de  l'amiral,  et  il  n'en  parle  que  sur  un  ton  de 
perpétuelle  admiration.  Du  Casse  pourtant  n'était  pas  un  homme  parfait. 
Il  semble,  par  exemple,  avoir  été  quelque  peu  avide  d'argent.  Un  histo- 
rien reconnaît  que  dès  1686  il  était  «  dans  une  position  de  fortune  aisée  »; 
mais  il  ne  nous  dit  pas  comment  cette  fortune  avait  été  acquise.  Il  eût 
été  cependant  bien  facile  de  montrer  que  Du  Casse  s'enrichit,  comme 
tant  d'autres,  par  le  commerce.  Si  l'ouvrage  est  muet  sur  ce  point,  c'est 
sans  doute  parce  qu'il  a  répugné  à  l'auteur  de  nous  représenter  son 


200  COMPTES-UKNDUS    CIUTIQIIES. 

noble  aïeul  livré  à  des  spéculations  aussi  vulgaires.  11  eut  cru  par  uu 
pareil  aveu  diminuer  sa  valeur  aristocratique. 

Ce  sont  là  des  préjugés  dont  l'historien  doit  se  .débarrasser,  s'il  veut 
faire  œuvre  de  science.  Il  doit  aussi  se  tenir  en  garde  contre  toute  préoc- 
cupation, politi(iue  ou  religieuse,  qui  serait  de  nature  à  fausser  son 
jugement.  M.  Du  Casse  parait  n'en  avoir  nul  souci.  Aussi  est-il  souvent 
entraîné  à  des  erreurs  d'appréciation  qu'un  esprit  plus  libre  et  mieux 
informé  aurait  aisément  évitées.  A  l'entendre,  tout  fut  admirable  sous 
Louis  XIV.  D'après  lui,  ce  roi  «  avait  toujours  soin  de  confier  les 
affaires  de  l'Etat  à  d'intègres  administrateurs,  à  d'intelligents  diplo- 
mates, le  commandement  des  armées  à  d'habiles  généraux  »  (p.  10). 
Loin  de  blâmer  Louis  XIV  de  la  faute  qu'il  commit  en  reconnaissant 
le  fils  de  Jacques  U  comme  roi  d'Angleterre,  il  le  félicite  au  contraire 
de  n'avoir  pas  «  refusé  à  un  prince  malheureux  un  titre  légitime  » 
(p.  244).  Il  prétend  qu'au  xvii»  siècle  «  indiquer  la  source  du  mal  et 
les  moyens  d'y  apporter  le  remède,  n'était  pas  crime,  mais  vertu  » 
(p.  279).  Son  zèle  pour  la  religion  le  pousse  à  écrire  la  phrase  suivante  : 
«  Partout  où  règne  le  catholicisme,  l'influence  de  la  France  surgit  avec 
lui,  tandis  que  la  religion  protestante  amène  toujours  avec  elle  le 
triomphe  de  la  race  anglo-saxonne  »  (p.  83).  Ailleurs,  il  soutient  gra- 
vement que  pour  être  courageux  à  la  guerre,  il  faut  avoir  «  la  crainte 
de  Dieu  »  (p.  113).  Ces  sentiments-là  sont  en  eux-mêmes  fort  hono- 
rables; mais  dans  un  livre  de  science  historique  ils  ne  sont  pas  à  leur 
place. 

Je  signalerai,  en  terminant,  une  erreur  bizarre  de  M.  Du  Casse.  Il 
dit  qu'au  commencement  de  1680  l'amiral  fut  reçu  par  Seignelay,  «  qui 
avait  remplacé  comme  ministre  de  la  marine  Colbert  son  père  »  (p.  43). 
Or,  on  sait  que  Colbert  mourut  en  1683.  Seignelay  obtint  en  1672  la 
survivance  de  la  charge  de  son  père  et  fut  dès  lors  associé  à  ses  travaux  ; 
mais  il  ne  remplaça  Colbert  qu'à  la  mort  de  celui-ci. 


La  Marine  de  Guerre.  Ses  Institutions  militaires  depuis  son  origine 
jusqu'à  nos  jours.  Richelieu  et  Colbert  d'après  des  documents 
inédits,  par  M.  Gougeard,  capitaine  de  vaisseau,  ex-général  de 
division.  Paris,  G.  Decaux.  1  vol.  in-foL  432  pages. 

L'auteur  du  présent  livre  sur  la  marine  au  temps  de  Richelieu  et  de 
Colbert  est  un  marin.  Etre  un  homme  du  métier  et  écrire  l'histoire  de 
son  métier,  c'est  une  entreprise  louable  et  qui,  du  premier  coup, 
attire  la  bienveillance.  Quand  des  hommes  pratiques  et  qui  ont, 
comme  on  dit,  mis  la  main  à  la  pâte,  abordent  des  travaux  de  ce 
genre,  on  est  sûr  d'avance  de  trouver  dans  leurs  œuvres  des  vues 
neuves,  justes  et  originales,  des  faits  nouveaux  ou  d'autres  mis  sous 
un  nouveau  jour,  enfin  une  certaine  manière  de  comprendre  et  de 
traiter  le  sujet,  où  l'on  sent  la  main  de  l'ouvrier. 


GOUGEARI)  :  LA  MARINE  DE  GUERRE,  20^ 

Malheureusement  ce  n'est  pas  sans  quelque  danger  que  de  tels 
hommes  s'appliquent  aux  travaux  et  aux  recherches  du  cabinet.  Il 
faut  s'attendre  à  de  l'inexpérience,  à  des  recherches  vaines  ou  incom- 
plètes, à  une  méthode  insuffisante,  à  une  sorte  de  naïveté  d'ignorance 
qui  fait  sourire  quelquefois,  et  qui  fait  douter  souvent.  Rien  n'est  plus 
curieux  enfin,  s'il  s'agit  d'histoire,  que  ces  trouées  subites  que  fait 
l'esprit  moderne  et  la  préoccupation  des  temps  présents  en  plein 
milieu  du   souvenir  paisible  et  vénérable  des  événements  d'autrefois. 

Le  défaut  capital  du  livre  de  M.  Gougeard,  c'est  l'absence  de  mé- 
thode. Pas  d'ordre  dans  les  chapitres  qui  se  suivent;  aucun  chapitre 
ne  traite  à  fond  la  question  à  laquelle  il  a  trait.  Ce  n'est  pas  tout.  Le 
style  de  M.  G.  ne  vaut  guère  mieux  que  sa  méthode;  il  est  souvent 
négligé,  incorrect.  En  outre,  si  notre  auteur  a  eu  la  pensée  louable  de 
se  servir  de  documents  inédits,  il  les  a  cités,  le  plus  fréquemment, 
d'une  façon  très-insuffisante;  il  les  a  quelquefois  mal  lus  et  mal 
copiés. 

C'est  ainsi  que,  transcrivant  une  note  de  Richelieu  sur  le  cardinal 
de  Sourdis,  M.  G.  commet  à  ce  sujet  plusieurs  erreurs;  il  prend 
d'abord  pour  un  carnet  «  où  Richelieu  notait  son  opinion  sur  ceux 
qu'il  employait  »  ce  qui  n'est  en  effet  qu'un  Rôle  (destiné  probable- 
ment à  être  soumis  au  Roi)  des  officiers  ayant  servi  depuis  le  siège  de 
La  Rochelle  jusqu'en  1642.  En  outre,  pour  n'avoir  consulté  qu'un 
seul  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  Nationale,  et  le  plus  mauvais 
de  tous,  il  a  mis  l'épithète  d'incapable  pour  celle  d'incompatible^  qui  est 
dans  les  autres  copies,  et  qui  est  bien  plus  conforme  à  l'opinion  réelle 
que  Richelieu  avait  du  cardinal  de  Sourdis  ^. 

C'est  par  des  inattentions  du  même  genre,  et  qui  se  multiplient  trop 
fréquemment,  que  M.  G.  laisse  imprimer  le  port  du  BlaJit  pour  le  port  du 
Blavet  (p.  164),  l'abbé  Sirl  pour  l'abbé  5m  (p.  177).  Il  attribue  à  ce  dernier 
une  Vie  du  cardinal  de  Richelieu,  tandis  que  son  ouvrage  a  pour  titre  le 
Mercure,  et  n'est  qu'un  recueil  de  pièces,  d'anecdotes  et  de  réflexions. 
J'ajoute  en  passant  que  M.  G.  eût  pu  consulter  cet  ouvrage;  il  con- 
tient sur  la  question  de  la  disgrâce  de  Sourdis  des  renseignements  au 
moins  curieux  à  connaître. 

Toutes  ces  critiques  de  détail  n'empêchent  pas  que  l'ouvrage  de 
M.  G.  ne  soit  bon  à  lire  et  qu'on  n'y  puisse  trouver  plus  d'un  rensei- 
gnement précieux.  Il  a  abordé  avec  autorité  certains  points  peu  connus 
de  l'histoire  de  la  marine  et  de  ses  institutions  ;  par  exemple  l'origine 
des  troupes  spéciales  embarquées  sur  les  vaisseaux;   la  question  du 


1.  «  Vous  savez,  lui  écrivait  Richelieu,  que  je  vous  ai  averti  de  prendre  garde 
à  la  vivacité  de  voire  esprit  et  à  celle  de  votre  langue.  J'ai  toujours  craint  qaie 
ces  ennemis  fussent  les  plus  grands  que  vous  ayez  »  (1634).  «  Il  est  impossible 
de  satisfaire  un  esprit  qui  en  si  peu  de  temps  conçoit  comme  le  vôtre  tant  de 
pensées  contradictoires.  Tâchez  au  moins  de  vous  rendre  avec  M.  le  Prince  aussi 
compatible  que  vous  le  pourrez...  » 


202  COMPTES-RENDUS    CniTIQCES. 

personnel  des  officiers,  celle  de  la  constructiou  du  matériel,  l'ordre  de 
bataille  et  la  tactique,  etc.  Je  m'assure  que  les  hommes  spéciaux  trou- 
veront dans  ces  études  faites  pièces  en  main  plus  d'un  renseignement 
utile,  plus  d'un  exemple  profitable. 

Le  puissant  essor  donné  par  Richelieu  à  la  marine  moderne  a  frappé 
M.  G.;  il  a  trouvé  plus  d'une  note  juste  pour  caractériser  la  grandeur 
de  ses  vues  politiques  et  militaires.  Il  le  considère  à  juste  titre  comme 
le  père  de  la  marine  française;  mais  pour  n'avoir  vu  qu'un  des  côtés 
de  son  œuvre,  M.  G.  n'a  pas  su  —  quelque  désir  qu'il  en  ait  manifesté 
—  donner  le  mot  exact  de  la  politique  du  grand  cardinal.  Il  n'a  pas 
voulu  voir  les  parties  faibles  et  vraiment  humaines  de  cet  esprit  supé- 
rieur. C'est  ainsi  que  les  jalousies,  les  rivalités,  les  cancans  de  cour, 
que  M.  G.  considère  comme  n'ayant  pu  avoir  aucune  action  sur  les 
résolutions  de  Richelieu,  tiennent  au  contraire  une  place  énorme  dans 
sa  vie.  On  a  publié  récemment  dans  cette  Revue  même  les  Carnets  de 
Mazarin.  L'éditeur  s'étonnait  de  voir  «  un  ministre  auquel  on  ne  peut 
refuser  une  vaste  intelligence,  s'abaisser  aux  petits  détails  d'intrigues 
et  presque  à  des  commérages  pour  amuser  et  dominer  Anne  d'Au- 
triche. »  Il  est  plus  étonnant  encore  de  voir  dans  les  mémoires  du 
temps,  dans  les  pamphlets  des  partisans  de  la  reine-mère,  dans  les 
œuvres  même  du  grand  cardinal  de  Richelieu,  que  lui  aussi  ne  pou- 
vait s'empêcher  de  subir  l'influence  de  cette  atmosphère  de  cour,  et 
que  telle  lutte  mesquine  contre  quelque  femme  de  chambre  (La  Fargis, 
par  exemple)  ou  quelque  jésuite  sans  valeur  (le  P.  Suffren,  etc.) 
inquiète,  irrite  et  préoccupe  l'homme  qui  menait  les  conseils  des  rois 
étrangers  et  qui  tenait  dans  sa  main  le  sort  de  l'Europe. 

Un  point  sur  lequel  M.  G.  a  insisté  avec  raison,  et  qu'il  a  su  mettre 
en  lumière,  pour  la  première  fois,  peut-être,  c'est  la  singulière  orga- 
nisation du  corps  des  officiers  à  bord  des  navires  pendant  tout  le 
xvne  siècle.  Qui  eiât  cru  que  ces  grands  amiraux  et  capitaines  de 
mer  qui  ont  illustré  notre  marine  sous  Louis  XIII  et  Louis  XI'V 
étaient  dans  une  véritable  ignorance  de  ce  qui  constitue  le  métier  de 
marin?  Tout  ce  qu'on  leur  demandait,  c'était  «  qu'ils  connussent  la 
sphère,  afin  que  le  pilote  ne  put  leur  en  faire  accroire  »  (p.  236).  Le 
commandant  de  La  Porte  fit  approuver  par  le  cardinal  de  Richelieu 
un  règlement  où  il  était  dit  que  «  hors  le  cas  de  combat  et  de  salut, 
tout  l'équipage  est  sous  les  ordres  des  officiers  matelots  »,  à  l'exclusion 
des  capitaines  et  officiers  gentilshommes,  bons  seulement  pour  la 
bataille. 

Rien  n'est  plus  fait  pour  frapper  l'imagination  dans  ce  sens,  que 
l'anecdote  à  la  fois  risible  et  lamentable  que  M.  G.  emprunte  à  un 
rapport  inédit  du  capitaine  de  Méricourt  :  «  Le  jour  de  la  perte  de 
l'escadre,  la  hauteur  ayant  été  prise  par  les  pilotes,  M.  le  vice-amiral 
fit  faire,  à  son  ordinaire,  le  point  dans  sa  chambre.  Comme  j'y  entrais 
pour  apprendre  ce  qui  se  passait,  je  rencontrai  le  troisième  pilote, 
Bourdaloue,   qui   en   sortait   en    pleurant  ;  je    lui  demandai  ce  qu'il 


GOUGEARD    :    LA    MARINE    DE   GUERRE.  203 

avait,  et  il  me  répondit  :  «  A  cause  que  je  fais  plus  de  dérive  que  les 
«  autres  pilotes,  M.  le  vice-amiral  me  menace  et  me  querelle  à  son 
«  ordinaire  :  je  ne  suis  pourtant  qu'un  pauvre  garçon  qui  fait  ce  qu'il 
«  peut.  »  —  Entré  chez  l'amiral,  qui  était  fort  en  colère,  il  me  dit  : 
«  Ce  coquin  de  Bourdaloue  me  vient  toujours  dire  des  sottises,  je  le 
«  chasserai.  Il  fait  une  route  du  diable  et  je  ne  sais  où.  »  —  Gomme 
je  ne  savais  qui  avait  raison,  »  ajoute  assez  naïvement  le  commandant 
du  vaisseau,  «  je  n'osais  rien  répondre,  de  peur  de  m'en  attirer 
autant.  Quelques  heures  après,  l'escadre  tout  entière  se  perdait  sur  un 
groupe  de  rochers  connus  sous  le  nom  d'ilôts  d'Avès.  » 

Voir  encore  un  passage  d'un  rapport  de  Tourville  (p.  113),  où  M.  G. 
fait  justement  remarquer  la  conduite  réellement  déplorable  du  glorieux 
vaincu  de  la  Hogue. 

Bien  des  traits  aussi  curieux,  bien  des  observations  aussi  judicieuses 
se  rencontrent  fréquemment  dans  le  livre  de  M.  G.  Il  faut  encore 
noter,  à  son  éloge,  un  sentiment  soutenu  de  justice  et  d'équité  dans 
ses  jugements  à  l'égard  des  hommes  et  des  institutions  de  l'ancien 
régime.  Tout  cela  suffirait  pour  mettre  M.  G.  dans  un  bon  rang  parmi 
nos  écrivains  d'histoire  spéciale,  s'il  avait  voulu  se  préoccuper  un  peu 
plus  des  questions  de  composition  et  de  style,  qui  ne  sont  pas  aussi 
secondaires  qu'elles  en  ont  l'air.  Les  négliger,  c'est  courir  le  risque  de 
voir  longtemps  dormir  sous  la  poussière  bien  des  pages  pleines  de 
sens,  de  labeur  et  d'expérience,  comme  on  en  trouve  plus  d'une  dans 
le  livre  que  nous  avons  analysé. 

Il  y  a  beaucoup  de  bon  et  pas  mal  de  mauvais  dans  le  livre  de 
M.  Gougeart;  du  bon  parce  que  l'auteur  est  un  marin;  du  mauvais 
parce  que  ce  n'est  pas  un  homme  de  lettres. 

A  première  vue,  rien  qu'au  titre,  on  sent  que  l'on  a  affaire  à  un 
homme  qui  n'est  pas  maître  de  son  sujet.  La  Marine  de  Guerre;  565 
institutions  militaires  depuis  son  origine  jusqu'à  nos  jours.  Richelieu  et 
CoLBERT,  etc.  Ce  long  titre  donne-t-il  à  celui  qui  n'a  pas  lu  l'ouvrage 
la  notion  précise  et  nette  de  ce  qu'il  va  y  rencontrer?  Il  rend  encore 
moins  pour  celui  qui  Ta  lu  l'impression  de  ce  qu'on  y  trouve. 

Il  y  a  beaucoup  de  choses  dans  ce  volume;  il  y  a  même  d'excellentes 
choses;  mais  n'y  cherchez  pas  une  œuvre;  je  dis  même  une  œuvre  de 
médiocre  valeur.  Ce  sont  des  pages  qui  se  suivent  à  la  débandade, 
sans  ordre  ni  méthode  :  documents  déjà  publiés  ou  inédits,  réflexions 
mises  à  propos  ou  non;  dissertations  interrompues  tout  à  coup,  ou 
s'allongeant  interminablement;  tout  cela  se  heurte,  se  bouscule,  s'en- 
tremêle. On  ne  sait  jamais  ni  où  l'on  est,  ni  où  l'on  va;  on  pousse 
jusqu'à  la  fin  du  volume  en  cherchant  toujours  ce  qu'annonce  le  titre; 
on  l'a  rencontré  quelquefois;  on  ne  l'a  saisi  jamais. 

Gabriel  Hanotaux. 


20Î  (-OMPTES-KENDUS    CRITIQUES. 

Ëtablissement  en  France  du  premier  tarif  général  des  douanes. 

4787-1701.  Par  le  comte  de  Butenval.  Grand  in-8".    xvi-205  p. 
Paris,  Guillaumin,  -187(). 

La  publication  de  M.  de  Butenval  est  divisoo  en  trois  parties,  intitu- 
lées :  les  Notables,  1787;  la  Constituante,  1790;  le  tarif  de  1791;  et 
consacrées,  la  première  aux  projets  de  i\I.  de  Vergennes  et  aux  délibé- 
rations qui  en  furent  la  suite  (p.  19-53)  ;  la  seconde,  aux  discours  de 
tioudard,  do  Doislandry  et  de  Desmeuniers  et  au  premier  rapport  du 
Comité  de  Commerce  et  d'Agriculture  (p.  54-78)  ;  la  troisième,  au  second 
rapport  dudit  Comité  réuni  à  celui  des  Contributions,  et  à  l'adoption  du 
tarif  présenté  par  les  commissaires  (p.  79-116).  En  outre,  un  appendice 
presque  aussi  développé  que  l'ouvrage  même  (p.  117-205),  renferme 
diverses  dissertations,  notices  ou  explications  dont  l'énumération  pren- 
drait ici  une  place  hors  de  proportion  avec  l'importance  qu'a  pu  leur 
attribuer  l'auteur  lui-même. 

C'est  en  effet  aux  vues  personnelles  de  M.  de  Butenval,  plutôt  qu'à 
l'examen  de  son  ouvrage,  qu'il  faut  s'arrêter,  ce  me  semble,  si  on  veut 
l'apprécier  équitablement.  C'est  une  simple  esquisse,  une  étude  rapide 
qu'il  s'est  proposé  de  mettre  sous  nos  yeux,  et  non  un  travail  appro- 
fondi. Ainsi  compris,  cet  opuscule  échappe,  il  est  vrai,  à  la  critique; 
mais  il  ne  paraît  dépourvu  ni  de  mérite  ni  d'utilité.  Il  a  pu  même  deve- 
nir l'objet  des  emprunts  d'une  de  nos  revues  les  plus  autorisées,  qui 
naguère  y  a  puisé  presque  littéralement  la  matière  de  tout  un  chapitre, 
et  non  des  moins  intéressants  du  recueil^  Un  des  traits  de  son  récit 
qui  semblent  avoir  éveillé  particulièrement  l'attention  et  les  sympathies 
de  M.  de  B.,  c'est  l'action  politique  de  M.  de  Vergennes,  qui,  dit-il, 
procédait  directement  de  Colbert,  à  qui  la  France  était  redevable  du 
traité  de  1786,  et  qui,  s'il  n'avait  été  surpris  par  la  mort,  l'aurait  dotée 
d'un  régime  économique  de  beaucoup  préférable  à  tous  les  systèmes, 
fussent  les  meilleurs,  qu'elle  a  pu  avoir  depuis.  Si,  comme  je  le  crois, 
il  est  permis  de  contester  quelques-unes  de  ces  assertions,  il  est  certain 
qu'elles  forment  une  donnée  neuve,  originale  et  propre  à  tenter  la 
plume  d'un  biographe  qui  manque  encore  à  la  figure  de  second  ordre, 
mais  très-distinguée  en  son  rang,  de  M.  de  Vergennes. 

M.  de  B.  étant  libre  échangiste  très-déclaré  (à  peine  est-il  besoin  de 
le  dire),  on  ne  s'étonnera  pas  qu'il  traite  lestement  l'œuvre  de  la  Cons- 
tituante qui  aboutit  à  des  lois  prohibitionnistes  ou  tout  au  moins  à  des 
décrets  protecteurs.  Sans  entrer  dans  une  discussion  qui  doit  avoir 
pour  base  l'étude  très-attentive  des  faits  et  non  un  ensemble  de  règles 
formulées  à  priori^  je  signale  ce  point  comme  celui  où  pécherait  le  plus 
l'essai  de  l'auteur,  s'il  était  présenté  par  lui  comme  un  travail  définitif. 
L'impression  que  laisse  son  récit  serait  en  effet  très-inexacte  ;  elle  con- 
sisterait  dans   l'opinion  que    l'Assemblée,  absolument   distraite    par 

1.  V.  la  Revue  des  Deux-Mondes  du  15  février  1877,  p.  842-852. 


BUTENVAL  :    PREMIER  TARIF  DES  DOUAÎVES  EN  FRANCE.  205 

d'autres  pensées  plus  pressantes,  aurait  à  peine  accordé  quelques  heures 
aux  questions  économiques,  qu'elle  en  a  eu  peu  de  soucis,  que  deux  ou 
trois  discours  entendus  avec  indifférence  ont  suffi  à  déterminer  ses 
résolutions,  même  qu'une  motion  proposée  à  l'improviste  par  un  députe 
inconnu  et  sans  compétence  aurait  emporté  le  vote  d'esprits  occupés 
ailleurs  et  tout  aises  de  la  première  solution  venue.  Cette  idée  qu'on 
emporterait  de  la  Constituante,  on  retendrait  aux  Assemblées  qui 
l'ont  suivie  jusqu'aux  Chambres  de  la  Restauration.  Cette  idée, 
je  me  proposais  de  la  combattre,  car  dans  un  seul  recueil  de  pièces, 
je  compte  220  documents  relatifs  à  la  matière  et  sous  l'époque 
dont  il  s'agit,  qui,  réunis,  composeraient  un  gros  volume  in-folio; 
opinions,  discours,  projets  de  lois,  motions,  d'intérêt  à  coup  sûr  très- 
inégal,  nul  parfois,  mais  dont  l'examen,  quel  que  doive  en  être  le  résul- 
tat, n'aurait  pu  être  omis,  si  la  question  avait  été  étudiée  à  fond.  Je 
supprime  comme  inutile  la  liste  que  j'avais  dressée  de  ces  principaux 
documents  et  qui  remplirait  plusieurs  pages.  Je  signale  seulement  à 
titre  d'échantillon  l'opinion  de  Sérane  (de  l'Hérault),  conçue  dans  le 
même  esprit  que  le  discours  de  Bois-Landry  (libre  échangiste),  et  écrit 
en  termes  violents  (in-S",  39  p.,  sans  date),  et  celle  de  Bégouen  (de  la 
Seine-Inférieure),  imprimée  par  ordre  de  l'Assemblée  (protectionniste), 
!«•■  décembre  1790. 

S'il  fallait  critiquer  le  présent  volume,  il  y  aurait  d'autres  réserves  à 
faire.  A  quoi  bon  insérer,  par  exemple,  le  célèbre  morceau  de  Strabon 
(p.  117)  qui  se  trouve  aujourd'hui  partout,  même  dans  les  petits 
abrégés  d'histoire  à  l'usage  des  écoles  primaires  ?  A  quoi  bon  deux 
pages  de  notice  sur  Talleyrand  (p.  165),  5  lignes  sur  Defermon,  6  sur 
Rœderer  (p.  168)?  En  vérité,  cela  ne  sert  qu'à  grossir  l'opuscule.  Autant 
vaut  y  mettre  du  papier  blanc.  Ce  qui  est  absolument  illicite,  quand  on 
aborde  même  une  simple  esquisse  dans  le  champ  d'une  époque  telle 
que  celle  de  la  Révolution  et  de  l'Empire,  c'est  de  déclarer  qu'on  igno- 
rait jusqu'au  nom  (p.  163)  d'un  homme  qui,  comme  Desmeuniers,  fut 
président  de  la  Constituante  et  du  Tribunat  ^,  puis  sénateur  titulaire 
d'une  sénatorerie  (distinction  beaucoup  plus  rare  que  ne  parait  le  penser 
M.  de  B.),  dont  le  nom  ne  peut,  au  contraire,  être  ignoré  de  quiconque 
a  jeté  un  coup  d'oeil  môme  distrait  sur  les  délibérations  de  notre  pre- 
mière Assemblée  nationale,  du  Tribunat,  voire  du  Sénat  conservateur. 
Un  dernier  grief,  et  celui-là  beaucoup  plus  grave,  que  j'aurais  à  faire 
valoir  contre  certaine  conclusion  de  l'auteur,  c'est,  non  pas  de  nous 
représenter  Sully  et  Golbert  comme  des  libres  échangistes  (la  thèse 
aurait  seulement  besoin  d'arguments  plus  solides  que  ceux  dont  elle 
est  étayée  dans  le  présent  volume),  mais  de  méconnaître  dans  la  com- 
paraison des  tarifs  le  premier  élément  d'une  question  de  cette  nature  : 
le  pouvoir  de  l'argent.  Ce  point  capital  est  passé  par  M.  de  B.  sous  un 
complet  silence.  Qui  ne  voit  cependant  qu'un  article  tarifé,  en  1664  ou 


l.  M,  de  B.  a  imprimé  par  inadvertance  :  tribunal. 


206  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

1667,  à  4  f.  04,  selon  les  calculs  de  l'auteur,  et  à  8f.  en  1876,  supportait 

une  charge  3  fois  au  moins  plus  élevée  il  y  a  deux  siècles   que  de  nos 

jours  ?  Pour  trancher  des  difficultés  aussi  complexes,   il  ne  faut  pas 

seulement  la  compétence  (ancien  conseiller  d'Etat,  ancien  sénateur, 

M.  de  B.  l'a  à  coup  sur),  mais  le  travail  le  plus   minutieux,   le  plus 

résolu. 

.H.  Lot. 


Lettres  inédites  de  Marie- Antoinette  et  de  Marie-Clotilde  de 
France  (sœur  de  Louis  XVI,  reine  de  Sardaignc),  publiées  eL  anno- 
tées par  le  comte  de  Reiset,  ancien  ministre  plénipotentiaire,  gra- 
vures par  Le  Rat,  fac-simile  par  Pilinsky.  Paris,  Firmin  Didot, 
-l876,in-<2  de  394  p.  (5  gravures  à  l'eau-forte,  2  sur  bois,  2  plans 
et  2  fac-simile). 

Dix-sept  lettres  de  Marie-Antoinette,  plusieurs  de  dix  lignes  et  de 
moins,  les  plus  longues  ne  dépassant  pas  une  page,  adressées,  sauf  une 
seule,  à  la  princesse  Charlotte  de  Hesse-Darmstadt  et  ne  contenant  que 
les  effusions  d'un  cœur  afïectueux  avec  une  amie  d'enfance,  tel  est  le 
fond  du  volume  que  M.  de  Reiset  vient  de  faire  paraître.  Ajoutons  que 
cette  correspondance  est  imprimée  non  d'après  les  originaux,  mais  sur 
des  copies  gracieusement  offertes  à  l'éditeur  par  la  grande-duchesse  de 
Mecklembourg-Strélitz,  et  on  aura  une  idée  très-exacte  de  l'intérêt  his- 
torique de  cette  publication  et  du  degré  de  confiance  qu'elle  mérite. 

Il  y  a  une  dizaine  d'années,  M.  de  Reiset  avait  réuni  en  un  volume 
les  lettres  de  la  reine  à  la  princesse  Louise  de  Hesse-Darmstadt  ^, 
sœur  de  la  princesse  Charlotte  ;  le  livre  que  nous  annonçons  est  donc 
en  quelque  sorte  le  complément  de  celui  qui  avait  paru  il  y  a  quelque 
temps  déjà.  Dix-sept  lettres  aussi  courtes  ne  pouvaient  former  à  elles 
seules  un  volume.  Aussi  le  commentaire  est-il  beaucoup  plus  important 
que  le  fond  même  de  la  publication;  on  peut  ajouter  qu'il  offre  aussi 
plus  d'intérêt,  bien  qu'il  ne  contienne  que  le  résumé  de  faits  con- 
nus empruntés  à  des  livres  qui  sont  dans  toutes  les  mains,  comme  la 
correspondance  de  la  reine  avec  l'impératrice  d'Autriche  2,  et  Marie- 
Antoinette  à  la  Conciergerie,  de  M.  Campardon.  Dans  ces  commentaires, 
comme  dans  l'appendice  qui  accompagne  la  correspondance  de  Marie- 
Antoinette,  il  n'y  a  rien  de  bien  nouveau, si  ce  n'est  certains  souvenirs, 
certaines  appréciations  personnelles  qui  prouveraient,  s'il  en  était  besoin, 
le  prix  immense  que  l'auteur  attache  aux  moindres  reliques  de  la  mal- 
heureuse épouse  de  Louis  XVI. 

Les  gravures  qui  accompagnent  cette  première  partie  du  volume  sont 
peut-être  le  côté  le  plus  intéressant  de  l'ouvrage.  M.  Le  Rat  a  gravé  un 
charmant  portrait  de  la  reine  dans  un  encadrement  d'un  goût  exquis 

1.  Paris,  Pion,  1865. 

2.  Publiée  par  MM.  Geoffroy  et  d'Arneth.  Paris,  1874,  F.  Didot,  3  vol. 


PROKESCH-OSTEN  :  DE'pÊCHES  INEDITES  DU  CHEVALIER  DE  GENTZ.       207 

d'après  Groisey  et  Queverdo,  un  autre  portrait  d'après  Moreau  et  un 
médaillon  du  premier  dauphin.  Le  fac-simile  du  billet  de  la  reine  au 
chevalier  de  Rougeville,  tracé  à  l'aide  d'une  épingle,  est  un  véritable 
tour  de  force  comme  reproduction;  mais  la  représentation  de  cette 
fameuse  dame  blanche  qui  apparaissait  aux  princes  allemands  dans  les 
moments  critiques  sortait  peut-être  du  cadre  d'un  livre  sérieux.  Qu'on 
cite  le  fait,  je  l'admets  ;  mais  qu'on  veuille  fixer  les  contours  d'une 
apparition  des  plus  hypothétiques,  c'est  pousser  un  peu  loin  les  droits 
de  l'interprétation. 

A  la  fin  du  volume,  et  formant  une  partie  complètement  distincte  de 
la  première,  est  réunie  la  correspondance  de  Marie-Glotilde  de  France, 
sœur  de  Louis  XYI  et  reine  de  Sardaigne.  La  plupart  des  lettres  sont 
adressées  aux  frères  du  souverain  que  la  princesse  avait  épousé  et  abon- 
dent en  détails  intimes  sur  les  vicissitudes  d'une  cour  chassée  de  ses 
États,  puis  reléguée  de  ville  en  ville  jusqu'au  fond  de  l'Italie  par  les 
victoires  de  la  République  française.  La  sœur  de  Louis  XVI  aimait  peu 
le  régime  qui  la  réduisait  à  la  condition  la  plus  précaire  après  avoir  mis 
son  frère  à  mort;  elle  ne  le  dissimule  pas,  et  confond  presque  toujours 
dans  une  même  antipathie  la  France  avec  la  République.  Tous  ses  vœux 
sont  pour  les  armées  autrichiennes,  son  dernier  espoir,  et  contre  les 
troupes  françaises,  sa  plus  grande  terreur.  Ces  sentiments  éclatent  à 
chaque  page.  Ceci  bien  constaté,  je  rendrai,  si  l'on  veut,  hommage  à  la 
piété,  à  la  douceur  et  à  la  bonté  de  cette  princesse  peu  connue,  qui  joua 
un  rôle  fort  effacé  et  qui  parait  avoir  été  mieux  traitée  au  point  de  vue 
des  dons  du  cœur  qu'à  celui  des  qualités  de  la  figure  ou  de  l'esprit. 


Dépêches  inédites  du  chevalier  de  Gentz  aux  hospodars  de  Va- 
lachie,  pour  servir  à  l'histoire  de  la  diplomatie  européenne  (-18^3 
à  ^828),  publiées  par  le  comte  de  Prokesch-Osten  fils.  3  vol.  Paris, 
Pion,  ^876.  In-S",  xv-4d8,  486,  472  p. 

Les  œuvres  de  Frédéric  de  Gentz,  rassemblées  et  publiées  depuis  sa 
mort  (9  juin  1832),  forment  aujourd'hui  un  nombre  considérable  de 
volumes,  et  constituent  une  des  plus  précieuses  séries  de  documents 
sur  l'histoire  diplomatique  du  commencement  de  ce  siècle.  Gette  col- 
lection, que  l'on  pouvait  croire  à  peu  près  complète,  vient  de  s'aug- 
menter d'un  recueil  qui  est  certainement  l'une  des  parties  les  plus 
intéressantes  des  écrits  de  ce  fécond  publiciste.  G'est  la  correspon- 
dance officieuse  qu'il  adressa  aux  hospodars  de  Valachie  de  1813  à 
1828  ;  cette  correspondance  était  écrite  sous  l'inspiration  de  Metternich 
et,  en  réalité,  elle  était  destinée  à  renseigner  la  Porte  sur  la  politique 
des  grandes  puissances  et  en  particulier  sur  la  politique  autrichienne. 
Les  minutes  des  dépêches  de  Gentz  furent  confiées,  avec  la  plupart  de 
ses  autres  papiers,  à  M.  le  comte  de  Prokesch-Osten,  diplomate  autri- 
chien bien  connu  par  ses  nombreuses  missions  et  par  son  histoire  de 


20S  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

I  iiisurrocliitii  de  l;i  Grèco.  Ajjios  sa  mort,  co  précieux  dépôt  rovjnt  à 
son  fils  qui,  avoc  cotto  largour  d'esprit  si  romarquablo  chez  los  liommos 
politiquos  ot  los  archivistes  do  "Vienne,  s'est  décidé  à  en  faire  profiter 
le  public.  La  correspondance  porte  particulièrement  sur  les  allaires 
d'Orient  :  de  1813  à  1819  la  crise  orientale  est  latente,  de  1819  à  1828 
elle  éclate  et  finit  par  occuper  toute  l'Europe.  M.  de  Prokesch  nous  dit 
dans  la  préface  (p.  x  et  xi)  que  durant  la  période  de  1813  ù  1819,  les 
dépèches  de  Gentz  contiennent  un  grand  nombre  de  passages  qui  n'ont 
plus  aucun  intérêt  :  ce  sont  des  résumés  des  affaires  courantes,  affaires 
aujourd'hui  bien  connues  ou  sans  importance  pour  le  public.  M.  de 
Prokesch  a  donc  dû  faire  un  choix,  éliminer  ce  qui  était  superflu  et 
ne  laisser  que  ce  qui  était  nouveau  ou  piquant.  Il  a  d'ailleurs  eu  le 
soin  de  donner  des  indications  précises  sur  le  contenu  des  pièces  qu'il 
abrégeait  ou  qu'il  croyait  devoir  supprimer.  Il  ajoute  que  pour  les 
périodes  suivantes  il  ne  donne  guère  que  des  documents  complets. 
—  Je  n'ai  pas  besoin  d'insister  pour  faire  comprendre  aux  lecteurs  de 
la  Revue  l'importance  de  cette  publication.  Les  dépêches  de  Gentz 
ne  révèlent  point  beaucoup  de  faits  nouveaux  et  ne  déchirent 
pas  beaucoup  de  voiles  ;  mais  elles  soulèvent  discrètement  le 
manteau  diplomatique  et,  pour  tous  les  esprits  curieux  et  critiques, 
qui  cherchent  la  note  vraie,  la  nuance  et  le  trait  caractéristique, 
cet  ouvrage  présente,  sous  la  forme  la  plus  agréable,  un  véri- 
table trésor  de  notes  et  de  citations.  Les  historiens  seront  forcés  d'en 
tenir  compte,  et  ils  seront  bien  maladroits  s'ils  n'y  trouvent  pas  de 
quoi  éclairer  tout  à  la  fois  et  relever  leurs  écrits.  «  L'attitude  de 
l'Autriche,  dit  M.  de  Prokesch  (p.  xiii),  occupe,  comme  de  raison,  le 
premier  plan  dans  ce  tableau  ;  ses  principes,  sa  ligne  de  conduite,  son 
but  final  y  sont  fidèlement  retracés  et  la  politique  loyale  du  cabinet  de 
Vienne  s'y  manifeste  clairement.  »  M.  de  Prokesch  parle  ici  en  bon 
Autrichien,  ce  dont  on  ne  peut  que  le  louer  ;  mais  la  critique  est  bien 
forcée  de  tenir  compte  du  rôle  que  remplissait  Gentz  et  de  l'objet  réel 
de  sa  correspondance.  Gentz  devait  renseigner  l'hospodar  et  le  sultan  : 
il  devait  aussi  servir  l'Autriche  et  Metternich  ;  il  ne  faut  jamais  oublier 
qu'il  présente  les  choses  comme  un  fidèle  sujet  de  l'empereur  et  un 
fidèle  ami  de  Metternich  devait  désirer  qu'on  les  vît  à  Bucharest  et  à 
Gonstantinople.  En  rapprochant  le  journal  de  Gentz  de  sa  correspon- 
dance avec  l'hospodar,  on  voit  qu'il  causait  en  général  avec  Metter- 
nich avant  de  travailler  à  «  ses  expéditions  »  pour  Bucharest.  C'est 
donc  un  commentaire  apologétique  de  la  diplomatie  de  Metternich 
qu'il  faut  chercher  ici  ;  mais  Gentz  est  un  apologiste  qui  n'avait  en  lui 
rien  de  la  naïveté  des  anciens  âges  :  il  était  passionné  dans  ses  convic- 
tions, très-sincèrement  dévoué  à  l'Autriche;  il  n'en  était  pas  moins  un 
homme  du  xvm^  siècle,  un  mondain,  un  curieux,  et  il  ne  pouvait  pas 
s'empêcher  d'avoir  étudié  le  français  dans  Voltaire.  Je  n'oserais  pas 
affirmer  que  dans  l'intérêt  même  de  sa  correspondance  et  pour 
en  rehausser  le  prix,  il  ne  trouvât  pas  opportun  de  lâcher  de  temps 


PROKESCe-OSTEN  :  De'pÊCHES  INEDITES  DU  CHEVALIER  DE  GENTZ.       209 

en  temps  la  bride  à  son  esprit  critique.  Le  goût  du  lettré,  l'indépen- 
dance de  l'artiste  et  le  calcul  du  diplomate  y  trouvaient  en  même 
temps  leur  compte. 

Tome  I.  Correspondance  de  1813  à  1819.  —  En  faisant  les  réflexions 
qui  précèdent,  je  pensais  surtout  au  jugement  que  porte  Gentz  sur  le 
Congrès  de  Vienne.  A  ne  s'attacher  qu'aux  termes,  il  semble —  sauf  la 
partialité  pour  la  Prusse  qui  est  remplacée  par  la  rivalité  —  qu'on  lise 
l'abbé  de  Pradt.  Les  plus  fougueux  détracteurs  du  Congrès  ne  se  sont 
pas  exprimés  avec  plus  de  véhémence.  —  «  Le  Congrès,  dit  Gentz, 
«  n'a  produit  aucun  acte  d'un  caractère  élevé,  aucune  grande  mesure 
d'ordre  ou  de  salut  public  qui  pût  dédommager  l'humanité  d'une  par- 
lie  de  ses  longues  souffrances  ou  la  rassurer  pour  l'avenir  »  (p.  153). 
«  Le  Congrès  était  une  masse  informe,  composée  d'éléments  incompa- 
tibles qui  se  heurtaient  et  s'entravaient  partout quelle  tête  eût  été 

assez  forte,  quelle  main  assez  puissante  pour  diriger  un  ensemble  aussi 
monstrueux?  »  (p.  1.55).  —  «  11  est  tout  simple  que  dans  un  pareil 
état  de  choses,  la  force  seule  devait  constituer  le  droit,  que  les  faibles 
n'avaient  d'autres  ressources  que  celles  de  la  protestation  et  de  l'in- 
trigue, et  que  parmi  ceux  qui  étaient  également  forts,  le  plus  actif  et 
le  plus  adroit  l'emportait  sur  ses  rivaux  »  (p.  156).  Yoilà  les  mots  ; 
voyons  les  choses.  Au  fond,  que  reproche  Gentz  au  Congrès  ?  Est-ce 
d'avoir,  par  haine  et  méfiance  des  Français,  formé  l'union  hybride  de 
la  Belgique  et  de  la  Hollande  ?  Il  n'en  dit  pas  un  mot.  Est-ce  d'avoir 
consacré  la  triple  iniquité  des  partages  de  la  Pologne?  Il  déclare  (p.  81) 
que  «  le  rétablissement  d'un  royaume  de  Pologne,  dans  quelques 
limites  et  sous  quelques  formes  que  ce  fût,  c'est-à-dire  d'un  centre  de 
fermentation,  de  mouvement  et  d'intrigues  politiques,  serait  double- 
ment pernicieux.  »  Est-ce  d'avoir  démembré  le  royaume  d'Italie  formé 
par  Napoléon  et  replacé  les  Italiens  sous  le  joug  de  l'Autriche  ? 
Gentz  n'en  parle  pas,  mais  l'on  sait  que  c'était  l'idée  dominante  de 
Metternich  et  que  s'il  eut  un  regret,  c'est  de  n'avoir  pu  exécuter  le 
projet  de  Confédération  italienne  qu'il  avait  conçu.  Est-ce  d'avoir  refusé 
aux  Allemands  la  reconstitution  de  l'Empire  à  laquelle  ils  aspiraient, 
vaguement  à  la  vérité,  et  au  milieu  des  contradictions  et  des  impossi- 
bilités ?  «  L'Autriche,  dit-il  (p.  107),  ne  veut  ni  accepter  un  vain  titre 
sans  valeur  réelle,  ni  prétendre  à  un  pouvoir  contre  lequel  les  premiers 
membres  de  la  Confédération  germanique  réclameraient  sans  cesse. 
Mais  elle  ne  veut  pas  non  plus  qu'un  autre  s'arroge  une  place  à  laquelle 
elle  renonce.  »  Est-ce  d'avoir  traité  l'Allemagne  en  pays  conquis, 
d'avoir  médiatisé  les  petits  au  profit  des  grands  et  tracé  arbitrairement 
la  limite  des  États  sans  respect  pour  les  droits  acquis  et  les  traditions 
des  peuples  ?  Il  déplore  (p.  317)  qu'après  1813  on  n'ait  pas  «  pris  la 
résolution  de  composer  l'Allemagne  d'une  douzaine  de  souverains  gou- 
vernant chacun  une  étendue  plus  ou  moins  considérable  de  territoire  ; 
on  aurait  pu  se  passer  de  ligue  et  de  diète,  et  un  système  d'alliances  et 
de  traités  aurait  pu  lier  les  souverains  pour  tout  ce  qui  regardait  leurs 
Rev.  Histor.   V.  1"''  fa  se.  14 


'HO  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

intérêts  communs  ».  Est-co  do  n'avoir  pas  donné  aux  nations  do  l'Allo- 
maguo,  que  l'on  avait  si  ardtunmont  appolées  à  l'indépondanco,  les 
garanties  de  liberté  politique  qu'on  leur  avait  promises  ?  Il  écrit 
(p.  423)  que  si  on  introduisait  le  système  constitutionnel  dans  quelques 
États  allemands,  «  il  en  naîtrait  une  telle  confusion,  un  tel  chaos  poli- 
tique en  Allemagne,  qu'il  ne  serait  plus  possible  d'en  imaginer  le 
dénouement.  »  Il  no  veut  point  d'un  empire  unitaire,  il  ne  veut  point 
do  constitution  dans  les  Etats  ;  quant  à  la  Diète,  c'est  «  un  enfant 
presque  posthume  du  Congrès  de  Vienne,  véritable  avorton  politique 
et  d'une  organisation  tellement  frêle  qu'on  aurait  cru  qu'elle  périrait 
dans  son  berceau  »  (p.  316).  Que  veut-il  donc  et  quelle  est  cette  «  tâche 
magnifique  »  qu'il  reproche  si  rudement  au  Congrès  de  n'avoir  point 
exécutée  ?  C'est  «  un  système  politique  propre  à  consolider  et  à  main- 
tenir l'ordre  public  on  Europe,  à  prévenir  les  bouleversements  que  les 
guerres  d'ambition  et  de  conquêtes  préparent  aux  nations,  et  à  assurer 
les  droits  de  chaque  état  par  une  sanction  universelle  et  des  mesures 
de  protection  générale  »  (p.  169).  Ce  sont  des  termes  vagues;  les  faits  les 
expliquent.  Ce  que  Gentz  entend  par  là,  c'est  tout  ce  que  Metternich 
aurait  voulu  faire,  ce  qu'il  tenta  et  ce  qu'il  n'exécuta  qu'en  partie.  C'est 
l'alliance  de  Chaumont,  la  quadruple  alliance  contre  la  France,  resser- 
rée et  indéfiniment  établie  ;  c'est  la  garantie  des  possessions  respectives 
des  Etats,  et  la  garantie  des  gouvernements  contre  les  aspirations  libé- 
rales des  peuples  et  les  menées  des  partis  révolutionnaires  ;  c'est  le 
système  de  l'absolutisme  pur  et  simple  avec  la  comédie  des  consultes 
d'état  substituée  partout  au  régime  représentatif;  c'est  l'Italie  divisée 
en  petits  gouvernements  rivaux  et  impuissants,  liés  par  des  traités  à 
l'Autriche  qui  les  protège  les  uns  contre  les  autres  et  chacun  contre 
leurs  peuples  ;  c'est  l'Allemagne  partagée  en  une  douzaine  de  Bavières, 
que  l'Autriche  aurait  dirigées  et  dominées  comme  elle  dominait  le 
Piémont,  Parme,  Modène,  la  Toscane,  Rome  et  les  Deux-Siciles  ; 
c'est  enfin  l'empire  ottoman  garanti  par  l'Europe  contre  les  empiéte- 
ments de  la  Russie.  Voilà  le  rêve  de  Gentz,  voilà  ce  qu'il  reproche  au 
Congrès  de  Vienne  de  n'avoir  pas  compris,  voilà  ce  qu'a  essayé  le 
Congrès  d'Aix-la-Chapelle  qu'il  proclame  un  chef-d'œuvre,  voilà  ce 
qu'il  attendait  le  jour  où,  selon  son  expression,  les  cabinets  pourraient 
«  travailler  en  grand  ». 

Je  ne  puis  juger  si  l'éditeur  a  omis  des  pièces  intéressantes,  mais 
toutes  celles  qu'il  a  choisies  ont  de  l'intérêt  et  l'on  n'aperçoit  nulle 
part  qu'il  ait  été  dirigé  dans  ses  choix  par  une  tendance  apologétique 
et  par  un  autre  désir  que  celui  d'instruire  le  public  lettré  sans  le  fati- 
guer par  des  redites  inutiles.  Lesjiotes  de  M.  de  Prokesch-Osten  sont 
très-sobres  :  elles  me  paraissent  suffisantes.  S'il  fallait  expliquer  les 
dépêches  de  Gentz  à  des  lecteurs  ignorants  de  l'histoire  de  son  temps, 
le  commentaire  déborderait  sur  le  texte.  Il  y  avait  une  mesure  à  obser- 
ver, et  il  me  paraît  que  M.  de  Prokesch  l'a  observée.  Je  ne  partage  pas 
toutes  ses  appréciations  :  son  point  de  vue,  qui  est  autrichien,  ne  sau- 


PROKESCH-OSTEX  :  DÉPÊCHES  INEDITES  DU  CHEVALIER  DE  CxENTZ.      2\\ 

rait  être  le  nôtre;  mais  je  reconnais  très-volontiers  que  ses  jugements 
sont  toujours  modérés.  Je  l'approuve  fort  d'avoir,  chaque  fois  que  Gentz 
aborde  un  sujet  différent,  indiqué  aux  lecteurs  les  passages  des  histo- 
riens auxquels  ils  doivent  se  référer  pour  trouver  des  données  géné- 
rales sur  la  question.  Pour  la  période  de  1813-1814,  il  est  tout  naturel 
qu'il  place  en  première  ligne  la  grande  histoire  de  M.  Thiers  ;  ce  n'est 
pas  seulement  l'importance  dominante  de  l'ouvrage  qui  paraît  le  guider 
en  cela,  c'est  aussi  l'esprit  dans  lequel  l'illustre  historien  a  composé 
cette  partie  —  une  des  plus  brillantes  et  des  plus  attachantes  —  de 
son  récit.  M.  Thiers  parait  avoir  raconté  les  négociations  de  1813 
d'après  les  conversations  ou  les  mémoires  de  Metternich,  et  personne 
n'a  mieux  mis  en  lumière  les  rares  talents  de  ce  diplomate.  Je  ne 
m'étonne  pas  que  l'éditeur  autrichien  nous  dise  (p.  26  en  note)  que  les 
«  données  les  plus  authentiques  »  se  trouvent  dans  le  tome  XV  du 
Consulat  et  de  l'Empire.  Les  admirateurs  de  Metternich  né  peuvent  en 
effet  désirer  une  apologie  plus  complète.  Mais  Gentz  lui-même  par  ses 
confidences  corrige  en  bien  des  points  les  éloges,  exagérés  je  le  crois, 
que  l'historien  français  décerne  au  ministre  autrichien.  Ce  que  Gentz 
indique  et  laisse  deviner,  des  documents  publiés  cette  année  même 
en  Allemagne  et  en  Russie  le  prouvent.  J'ai  signalé  ici  même 
l'importance  de  ces  documents  que  nous  devons  à  M.  Oncken  et  à 
M.  Martens.  M.  Thiers  ne  pouvait  pas  les  connaître  à  l'époque  où  il 
écrivait,  et  M.  de  Prokesch-Osten  ne  devait  pas  les  connaître  davan- 
tage lorsqu'il  préparait  son  premier  volume.  Il  en  ressort  avec  le  der- 
nier degré  de  l'évidence  que  si  Napoléon  se  perdit  par  son  indomptable 
orgueil  et  ses  prétentions  immodérées,  s'il  fut  toujours  trop  exigeant 
et  s'il  fut  en  général  plus  emporté  qu'habile  dans  ces  négociations,  il 
vit  pourtant  très-clair  dans  le  jeu  de  Metternich,  pressentit  la  défection 
et  tâcha  de  s'en  garantir.  Nous  savons  maintenant  que  s'il  eut  tort  de 
ne  pas  écouter  les  conseils  de  Talleyrand  et  de  Gambacérès  qui,  dans 
l'intérêt  de  la  France  et  de  l'empire,  lui  prêchaient  la  modération,  il 
avait  de  bonnes  raisons  de  se  méfier  des  conseils  que  lui  donnait  Met- 
ternich et  que  M.  Thiers  qualifie  trop  facilement  d'admirables.  Il  n'est 
pas  moins  évident  que  si  les  fautes  de  Napoléon  facilitèrent  à  Metter- 
nich les  moyens  d'accomplir  sa  défection,  cette  défection  était  parfaite- 
ment concertée  et  préparée  par  lui.  Il  y  a  donc  là  bien  des  nuances  à 
modifier  dans  le  récit  de  M.  Thiers.  Les  contemporains  avaient  eu  le 
sentiment  de  ces  nuances,  et  on  en  a  les  preuves  par  l'écrit  de  Fain 
[Manuscrit  de  1813),  que  M.  de  Prokesch  a  bien  raison  de  citer,  tout 
en  accompagnant  les  renvois  qu'il  y  fait  de  réserves  nécessaires.  Je 
regrette  qu'il  n'ait  pas  indiqué  l'ouvrage,  malheureusement  inachevé, 
d'Armand  Lefebvre,  Histoire  des  cabinets  de  l'Europe  pendant  le  Consulat 
et  l'Empire.  Le  tome  V  de  ce  livre,  composé  en  grande  partie  sur  les 
notes  d'Armand  Lefebvre,  par  son  fils  qui  est  un  de  nos  diplomates  les 
plus  instruits  et  les  plus  distingués,  contient  sur  cette  époque  des 
renseignements    précieux    tirés   de  nos    archives.   Cette   Histoire   des 


212  COMPTES-RENDUS    CKITIQUES. 

Cabinets  de  l'Europe  ost  hoaucoup  trop  peu  connue  et  appréciée,  et 
quoiqu'on  puisse  trouver  du  parti  pris  dans  tout  ce  que  Sainte-Beuve 
écrivait,  à  une  certaine  époque,  sur  l'histoire  de  l'empire,  le  bien  qu'il 
a  dit  du  livre  d'Armand  Lefobvrc  n'est  pas  exagéré.  —  Quant  à 
l'histoire  de  la  Restauration,  je  m'étonne  que  M.  de  Prokesch,  au  lieu 
de  renvoyer  au  livre  de  M.  de  Viel-Gastel  qui  fait  à  juste  titre  autorité, 
surtout  en  matière  de  diplomatie,  ait  indiqué  à  ses  lecteurs  un  auteur, 
curieux  à  connaître  sans  aucun  doute,  mais  aussi  peu  digne  de  consi- 
dération historique  que  l'était  Gapefigue.  Je  fais  surtout  cette  remarque 
en  vue  des  tomes  II  et  III  :  lorsque  Gentz  touche  à  l'histoire  des 
quatre  congrès  et  à  celle  des  affaires  de  Grèce,  M.  de  Viel-Gastel  est  le 
seul  écrivain  auquel  il  faille  se  reporter  d'une  manière  générale  :  on 
peut  citer  aussi  Gervinus  ;  mais,  en  dehors  d'eux,  il  n'y  a  plus  que  les 
recueils  de  documents  et  les  monographies.  Enfin  je  regrette  que  M.  de 
Prokesch  ait  donné  si  peu  de  détails  sur  l'origine  même  de  la  corres- 
pondance entre  Gentz  et  les  hospodars  :  cette  histoire  est  piquante  et 
curieuse;  pour  la  connaître  il  faut  fouiller  avec  patience  les  Tage- 
bûcher  de  Gentz,  et  se  reporter  à  des  lettres,  mêlées  avec  beaucoup 
d'autres,  par  M.  de  Klinkowstrœm  dans  le  petit  recueil  de  lettres  de 
Gentz  qu'il  a  donné  à  Vienne  en  1870.  G'est  là  en  effet  que  se  trouve 
la  première  partie  de  la  correspondance  avec  les  hospodars,  et  que 
l'on  voit  comment  Gentz  organisa  cette  correspondance.  —  Le  carac- 
tère même  de  la  Revue  historique  me  faisait  un  devoir  de  placer  ici  ces 
observations  toutes  techniques  :  je  tiens  à  dire  qu'elles  n'enlèvent  rien 
au  prix  de  l'œuvre  de  Gentz  et  à  l'obligation  que  nous  devons  à  M.  de 
Prokesch  de  nous  l'avoir  fait  connaître. 

Les  tomes  II  et  III  contiennent  peu  de  chose  sur  les  affaires  de  France  ; 
on  ne  trouve  guère  à  ce  sujet  qu'une  preuve  nouvelle  de  la  malveil- 
lance du  prince  de  Metternich,  de  ses  efforts  constants  pour  empêcher 
la  France  de  reprendre  sa  place  dans  le  concert  européen,  de  l'esprit 
de  dénigrement  systématique  avec  lequel  il  la  représentait  comme 
absorbée  dans  ses  dissensions  intérieures,  sans  hommes  d'Etat,  sans 
politique,  sans  aucune  consistance  en  un  mot.  Ge  parti  pris  se  mani- 
feste naturellement  dans  des  rapports  adressés  au  vassal  du  sultan  et 
destinés  à  renseigner  la  Porte.  G'est  là  que  Metternich  redoutait  le 
plus  la  France,  c'est  là  qu'il  tenait  le  plus  à  la  discréditer.  G'est  sous 
cette  réserve  qu'il  faut  lire  tous  les  passages  relatifs  à  la  diplomatie 
française.  Il  faut  se  garder  surtout  de  confondre  le  jugement  de  Gentz 
avec  celui  de  l'Europe  ;  autrement  on  s'exposerait  à  de  graves  méprises, 
et  si  on  relevait  imprudemment  certaines  appréciations  du  diplomate 
autrichien,  on  courrait  risque  de  reprocher  à  la  politique  de  la  Res- 
tauration quelques-unes  des  résolutions  qui  lui  font  le  plus  d'honneur. 
Ges  deux  volumes  sont  consacrés  à  peu  près  exclusivement  aux  affaires 
d'Orient,  et  ils  apportent  à  ce  sujet,  même  après  le  grand  ouvrage  de 
M.  de  Prokesch-Osten  {Geschichte  des  Ahfalles  der  Griechcn)  auquel 
l'éditeur  renvoie  pour  les  documents  et  les  détails,   de  précieux  éclair- 


PROKESCH-OSTEN  :    DÉPÊCHES  INEDITES  DD  CHEVALIER  DE  GENTZ.       21-3 

cissements  sur  la  manière  de  voir  de  l'Autriche.  Il  y  a  deux  affaires 
qui  se  poursuivent  en  Orient,  se  mêlent,  se  séparent  et  se  confondent 
de  nouveau,  mais  sont  en  réalité  fort  différentes,  comme  deux  rivières 
qui  forment  en  certains  endroits  un  même  courant,  mais  dont  les  eaux 
restent  longtemps  séparées  avant  d'aller  se  perdre  dans  un  lac  où  elles 
disparaissent.  Il  y  a  le  «  procès  ouvert  »  entre  la  Russie  et  la  Turquie, 
qui  est  en  instance  depuis  Pierre  le  Grand  ;  il  y  a  l'affaire  de  l'indé- 
pendance de  la  Grèce,  qui  fournit  à  ce  procès  plusieurs  épisodes.  Le 
«  procès  »  contre  la  domination  ottomane,  qui  est  très-souvent  un 
procès  de  tendance,  a  pour  prétexte  l'affranchissement  des  chrétiens  et 
pour  objet  la  substitution  graduelle  de  la  domination  de  la  Russie 
orthodoxe  à  la  domination  de  la  Turquie  mahométane.  L'affaire 
de  Grèce  est  une  révolte  à  main  armée  de  sujets  contre  leur 
souverain  réel,  et,  bien  que  les  révoltés  appartiennent  à  l'ortho- 
doxie, ils  n'en  sont  pas  moins  entachés  de  révolution  et  suspects 
de  jacobinisme  :  la  Russie,  qui  aurait  été  disposée  à  améliorer  leur 
sort  et  à  les  protéger,  n'entend  point  qu'ils  s'affranchissent  eux-mêmes 
et  donnent  un  exemple  funeste  à  d'autres  nations  qui,  pour  n'être 
point  assujetties  au  Croissant,  ne  s'en  considèrent  pas  moins  comme 
conquises  et  opprimées.  De  là  deux  tendances  et  souvent  deux  direc- 
tions dans  la  politique  russe.  Les  dépêches  de  Gentz  sont  pleines  de 
détails  intéressants,  souvent  même  piquants  sur  les  hésitations  et  les 
revirements  du  cabinet  de  Pétersbourg. 

Le  tome  II,  qui  contient  les  dépêches  du  4  janvier  1820  au  30  juin 
1825,  présente,  avec  des  renseignements  et  des  appréciations  sur 
les  congrès  de  Troppau ,  Laybach  et  Vérone,  toute  la  suite  du 
procès  durant  cette  période.  Les  Russes  et  les  Turcs,  ayant  fait  leur 
paix  en  1812,  se  querellent  naturellement  depuis  lors  sur  le  traité 
qu'ils  ont  signé.  C'est  dans  ce  procès  surtout  qu'il  est  juste  de  dire 
qu'il  n'y  a  point  d'arrêt  sans  appel;  il  semble  même  qu'on  n'y  transige 
que  pour  avoir  des  occasions  «  légales  »  de  mieux  se  disputer.  La 
Porte,  se  retranchant  toujours  derrière  les  «  principes  »  du  droit  des 
gens,  montre  le  mélange  de  ruse,  d'habileté,  de  faiblesse,  d'obstination, 
d'aveuglement  et  de  fanatisme  qui  a  toujours  marqué  sa  politique.  La 
Russie  ne  poursuivant,  dit-elle,  que  des  conquêtes  morales,  cherche 
et  exige  une  satisfaction  diplomatique  propre  à  constater  son  prestige. 
La  Porte  s'y  refuse  ;  les  autres  puissances  conseillent  les  parties  en 
litige,  écrivent,  discutent,  s'évertuent,  argumentent,  et  finissent  par  se 
refuser  k  donner  un  caractère  coërcitif  aux  démarches  collectives  par 
lesquelles  la  Russie  leur  demande  de  protéger  sa  politique  personnelle. 
«  La  Russie,  écrit  Gentz  le  6  mai  1825,  n'a  jamais  pu  désirer  pour  ses 
propres  intérêts  l'émancipation  absolue  des  Grecs.  L'insurrection  a 
cependant  pris  ce  caractère  et  il  en  est  résulté  en  même  temps  que 
l'ancienne  influence  de  la  Russie  sur  la  Grèce  se  trouve  entièrement 
détruite.  Toutefois,  cette  puissance  ne  croit  pas  pouvoir  rester  étran- 
gère au   sort  d'un  pays  dans  lequel  elle  a  si  longtemps  exercé  une 


244  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

infliionco  propondérante...  EUo  chorcho  dn  nouveaux  moyens  d'action 
et  n'en  trouve  pas.  »  Et  le  25  mai,  à  la  suite  d'un  protocole  et  de 
démarches  collectives  acceptées  par  la  Russie,  bien  qu'ils  ne  la  satis- 
fassent point  :  «  Le  cabinet  de  Russie  emploiera  cet  intervalle  pour 
entamer  (comme  il  est  dit  dans  le  protocole)  «  de  nouvelles  explications 
directes  avec  les  cabinets  ».  Ces  explications  n'auront  d'autre  objet  que 
d'obtenir  des  cours  alliées  l'aveu  de  la  nécessité  éventuelle  de  recourir  à 
des  moyens  co'èrcitifs  si  la  Porte  s'obstinait  à  rejeter  tous  les  projets  de 
pacification  présentés  par  les  puissances.  L'effet  de  cette  démarche  ne 
répondra  pas  aux  vœux  de  la  Russie.  Aucune  des  trois  autres  puis- 
sances ne  se  prêtera  ni  à  un  pareil  aveu,  ni  à  un  engagement  qui  en 

serait  la  suite Le  cabinet  russe...  ne  peut  ou  ne  veut  renoncer  à 

l'espoir  (absolument  illusoire)  de  rétablir,  à  quelque  prix  que  ce  soit, 
un  état  de  choses  qu'il  regarde  ...  comme  un  objet  de  nécessité  posi- 
tive pour  son  empire.  Il  ne  voit  pour  y  arriver  qu'un  seul  moyen 
satisfaisant,  celui  d'une  pacification  de  la  Grèce  réalisée  sous  les  auspices 
de  la  Russie^  aux  conditions  et  dans  les  formes  dictées  par  elles.  »  Ces 
négociations  nous  conduisent  jusqu'à  la  dépêche  du  17  décembre  1825 
(tome  111,  p.  58)  qui  annonce  la  mort  de  l'empereur  Alexandre. 

Le  tome  II  retraçait  une  politique  de  transition  ;  l'intérêt  y  languit 
un  peu  ;  le  tome  III  retrace  une  crise,  et  la  lecture  en  est  assez  aussi 
attachante  que  celle  du  tome  I.  On  dit  volontiers  aujourd'hui  que  l'astre 
de  la  diplomatie  décline  et  pâlit  ;  ce  déclin,  s'il  est  réel,  n'est  pas 
récent,  et  s'il  y  a  un  astre  qui  éclaire  peu  de  choses  nouvelles,  c'est 
assurément  celui-là.  Les  dépêches  de  Gentz  à  partir  de  l'avènement  de 
Nicolas  nous  en  fournissent  une  preuve  nouvelle.  Nicolas  n'avait  ni 
les  tendances  humanitaires  ni  les  velléités  mystiques  de  son  frère 
Alexandre.  Ce  dernier  était  bien  revenu  de  ses  illusions  sur  les  Grecs; 
Nicolas  n'en  avait  jamais  eu.  Aussi  ne  veut-il  s'occuper  que  de  son 
procès.  Gentz  écrit  le  16  avril  1826  que  le  tsar  a  renoncé  tacitement  à 
tout  ce  qui  regarde  la  pacification  de  la  Grèce  ;  il  ajoute  le  21  mai  : 
«  L'empereur  lui  annonça  (au  duc  de  "Wellington)  que  l'affaire  de 
Grèce  n'entrerait  pour  rien  dans  les  démarches  qu'il  comptait  faire 
envers  la  Porte,  et  que  ces  démarches  n'auraient  d'autre  objet  que  ses 
griefs  particuliers  et  l'exécution  de  ses  traités  avec  les  Turcs.  »  a  L'em- 
pereur, dit-il  encore  (16  mars  1826),  ne  veut  pas  la  guerre;  c'est  une 
vérité  de  fait  sur  laquelle  il  n'y  a  plus  de  doute.  Son  cabinet  ne  la 
désire  pas  plus  que  lui  ;  mais  il  lui  faut,  d'après  sa  manière  de  voir, 
quelque  satisfaction  éclatante  pour  apaiser  la  voix  publique.  »  Cette 
satisfaction,  il  la  poursuit  et  croit  l'obtenir  dans  le  traité  d'Akermann 
(7  octobre  1826.  Dépêches  de  Gentz,  du  30  octobre  et  1"  novembre 
1826).  Voilà  donc  le  procès  suspendu  une  fois  de  plus.  Gomment  la 
Russie  va-t-elle  être  conduite  à  la  guerre  par  cette  affaire  des  Grecs 
qu'elle  reléguait  au  second  plan  ?  C'est  un  bien  singulier  épisode  d'his- 
toire diplomatique  et  Gentz  le  retrace  avec  beaucoup  de  vivacité.  C'est 
le  fond  de  ses  dépêches  de  1826  à  1828. 


PROKESCH-OSTEN  :   DÉPÊCHES  INÉDITES  DU  CHEVALIER  DE  fiENTZ.       215 

On   ne   s'étonne   le   plus    souvent    que    par    ignorance.    La    sur- 
prise causée  à  tant  de  personnes  par  la  véhémence  de  M.  Gladstone 
et  des  libéraux  ses  amis  contre  les   Turcs,  aurait   été   moins   vive 
si    l'on   s'était  souvenu  qu'en    1826  et  1827  il   y   avait   en   Angle- 
terre   un   célèbre    ministre    qui    se    nommait    M.    Ganning   et   que 
ce  ministre  avait  des  partisans  dont  le  philhellénisme  ne  le  cédait 
en  rien  à  la  fougueuse  orthodoxie  de  M.   Gladstone.   Le  ministère 
anglais  veut  satisfaire  l'opinion. et  redoute  que  la  Russie  ne  prenne  en 
main  l'affaire  des  Grecs  et  n'en  tire  bénéfice  ;  la  Russie  raisonne  de 
même,  et  de  ce  conflit  de  leurs  intérêts  résulte  entre  eux  une  entente 
momentanée.  Ils  signent  le  protocole  de  Pétersbourg  du  4  avril  1826 
et  prennent  en  main  la  pacification  de  la  Grèce.  «  Il  est  clair,  dit 
Gentz    (31    mai    1826),    que  les  négociateurs  de  cette  pièce  informe 
n'avaient  mis  au  monde  qu'un  enfant  mort  né  »,    «  un  véritable  avor- 
ton »,  ajoute-t-il  le  30  janvier  1827.  «  Il  n'y  a  aucune  apparence,  écrit- 
il  encore  (11  janvier  1827),  que  nous  parvenions  à  des  notions  plus 
substantielles  sur  un  plan  évidemment  mal  combiné,  mal  digéré,  et 
sur  lequel  ceux  qui  vont  le  mettre  en  avant  ne  s'accordent,  ne  se  com- 
prennent pas  eux-mêmes.  »   Ce  protocole  est  communiqué  aux  puis- 
sances et  il  en  résulte  le  traité  de  Londres  du  6  juillet  1827,   entre  la 
France,  l'Angleterre  et  la  Russie.  Ce  traité  n'est  qu'un  développement 
du  protocole.  «Or,  dit  Gentz  à  propos  du  projet  qu'il  connaissait  avant 
la  signature,   comme  ce  protocole  était  déjà  une  des  pièces  les  plus 
incorrectes,  les  plus  absurdes,  en  un  mot,  qui  soient  jamais  sorties 
d'un  grand  cabinet,  on  comprend  ce  que  devait  être  une  nouvelle  édi- 
tion de  cette  pièce  confiée  aux  faibles  mains  du  prince  de  Lieven  et  de 
quelques  buralistes  anglais.  »  A  peine  est-il  signé  que  le  Times  en 
reçoit,  prétend-il,  la  communication  de  son  correspondant  de  Paris,  et 
le  publie,  avec  les  articles  additionnels  et  secrets  (dépêches  du  26  juil- 
let 1827).  Il  en  résulte  un  grand  scandale,  que  l'on  déclare  sans  précé- 
dent, comme  on  l'a  fait  avec  la  même  simplicité  pour  tous  ceux  qui 
ont  suivi.  Gentz  montre  très-bien  et  à  diverses  reprises  comment  la 
Russie  a  dû  être  et  a  été  en  eôét  entraînée  à  la  guerre.  Il  l'annonçait 
dès  le  7  février  1827  :  «  L'intention  d'en  venir  .à  une  rupture  avec  la 
Porte  n'existe  d'aucun  côté  ;   mais  je  reconnais  que  cet  événement 
peut  avoir  lieu  au  moins  pour  la  Russie  contre  les  vœux  de  l'empereur 
et  malgré  ses  dispositions  pacifiques.   Car  si  la  négociation  fondée, 
comme  elle  le  sera,   sur  des  propositions  inacceptables,  et  en  même 
temps  catégoriques,  dégénère  en  exaspération  mutuelle,  cela  peut  con- 
duire à  cette  alternative  si  redoutable  pour  la  Russie  d'une  retraite 
humiliante  ou  d'une  nouvelle  levée  de  boucliers  à  la  suite  de  quelque 
nouvel  ultimatum  ;  et  personne  ne  saurait  préjuger  quel  serait  dans  ce 
cas  le  choix  de  l'empereur.  »  Gentz  avait  constaté,  en  le  raillant  amè- 
rement, l'échec  du  protocole  du  4  avril  1826,  que  la  Russie  et  l'Angleterre 
avaient  communiqué  à  la  Porte.  «  Les  acteurs,  bien  divisés  et  brouillés 

entre  eux,  ont  épuisé  en  pure  perte  leurs  pleins  pouvoirs  très-limités  ; 


-M»  COMl'TKS-llEIVDUS    CRITIQliKS. 

Cl  no  so  sontant  pas  autorisas  à  passor  à  dos  inosuros  plus  imposantos, 
mi  soulomont  à  un  langago  comminatoire,  ils  sont  placés  vis-à-vis  do 
la  Porte  et  du  public  dans  une  position  tout  à  fait  ridicule.  »  11  cons- 
tate avec  le  même  entrain  l'échec  du  traité  de  Londres  ;  les  ministres 
des  trois  cours  signataires  le  font  notifier  par  leurs  drogmans  à  la 
Porto  le  16  août  1827  ;  le  Rois  Effondi  lour  fait  signifier  qu'il  se  gar- 
dera «  de  toucher,  7nê)ne  de  la  main,  à  leur  papier  ».  Les  drogmans  le 
jettent  sur  le  sofa  et  s'en  vont.  Les  alliés  demandaient  péremptoire- 
ment une  réponse  dans  quinze  jours.  Les  Turcs  déclarent  qu'ils  ne 
répondront  ni  dans  quinze  jours  ni  dans  quinze  ans  (dépêche  du  15  sep- 
tembre 1827).  Alors  Gentz  (2  octobre  1827)  explique  admirablement 
que  la  Franco  et  l'Anglotorre,  constatant  lour  impuissance,  trouveront 
dos  arguments  spécieux  pour  expliquer  lour  retraite,  mais  qu'il  n'en  pourra 
être  de  même  pour  la  Russie  :  elle  sera  conduite  à  continuer  seule 
l'affaire.  L'empereur  ne  voulait  pas  la  guerre,  il  n'avait  pas  d'arrière- 
pensées,  mais  il  s'est  laissé  entraîner  ;  «  maintenant,  il  est  tellement 
circonvenu,  en  premier  lieu  par  les  autours  de  ce  complot  [qui  avait 
pour  objet  de  l'entraînerj,  puis  par  l'ancien  parti  russe,  par  le  parti 
militaire,  par  le  parti  enfin  des  traîtres  qui  veulent  la  guerre  pour 
amener  des  bouleversements,  qu'il  est  presque  impossible  qu'il  sorte 
de  ce  cercle  funeste.  »  C'est  alors  que  le  traité  de  Londres  et  ses  articles 
secrets  produisent  le  plus  singulier  des  résultats  :  la  France  et  l'An- 
gleterre, qui  prétendaient  rester  en  paix  avec  la  Porte  et  ne  voulaient 
nullement  faire  la  guerre,  sont  conduites  à  détruire,  avec  la  Russie,  la 
flotte  turque  à  Navarin  (20  octobre  1827).  La  France  et  l'Angleterre 
continuent  de  prétendre  que  cet  incident  n'a  point  troublé  et  ne  sau- 
rait troubler  leurs  relations  pacifiques  avec  la  Porte  ;  le  fait  est  qu'elles 
se  repentent,  s'inquiètent  et  battent  en  retraite.  La  Russie  le  pourrait 
aussi,  mais  le  voudra-t-elle  ?  «  C'est  à  la  volonté  pure  et  simple  de  la 
Russie  que  tout  est  remis  en  ce  moment,  écrit  Gentz  le  26  décembre 
1827.  Elle  peut  avoir  des  raisons  (tenant  à  ses  propres  convenances) 
pour  suspendre  encore  le  coup  dont  elle  menace  depuis  si  longtemps  la 
Porte;  mais  elle  peut  aussi  juger  de  son  intérêt  de  l'exécuter  sans 
délai.  »  Il  lui  aurait  fallu  une  satisfaction  éclatante  (p.  407)  pour  recu- 
ler ;  elle  ne  l'obtint  pas,  et  au  milieu  de  la  crainte  générale,  à  la  grande 
consternation  des  Anglais  qui  avaient  refusé  d'y  croire  (p.  420)  et 
malgré  les  adjurations  de  l'empereur  d'Autriche  qui  lui  représentait 
«  l'immense  responsabilité  qui  pèserait  sur  celui  qu'on  pourrait  accu- 
ser un  jour  d'avoir  allumé  un  incendie  dont  les  ravages  pourraient 
facilement  s'étendre  à  toutes  les  parties  de  l'Europe,  »  Nicolas  déclara 
la  guerre  le  14  avril  1828.  Les  troupes  russes  passèrent  le  Pruth  le 
6  mai  ;  elles  arrivèrent  à  Jassy  le  7  et  à  Bucharest  le  11.  L'hospodar, 
auquel  écrivait  Gentz,  avait  depuis  quelques  jours  quitté  la  ville.  Cet 
événement  mit  fin  à  la  correspondance. 

Albert  Sorel. 


D.  DE  BODKHAROW  :    LA  RUSSIE  ET  LA  TURQUIE.  2^ 

La  Russie  et  la  Turquie  depuis  le  commencement  de  leurs 
relations  politiques  jusqu'à  nos  jours,  par  Dmitri  de  Boukha- 
Row.  Un  vol.  in-8°  de  286  pages.  Amsterdam,  Jan  Schuitemaker  et 
comp.  Prix  :  6  francs. 

L'auteur  de  ce  volume  n'a  pas  prétendu  faire  une  œuvre  nouvelle  :  il 
a  tout  simplement  voulu  «  résumer  d'une  façon  absolument  impartiale 
les  faits  historiques  tels-  qu'ils  sont  établis  par  des  documents  authen- 
tiques pour  servir  de  répertoire  général.  »  Un  examen  rapide  justifie 
la  modestie  de  ces  prétentions  :  l'œuvre  de  M.  B.  n'a  aucun  caractère 
scientifique.  L'auteur  cite  rarement  les  sources  qu'il  consulte  :  les  ma- 
nuels les  plus  sommaires  d'histoire  moderne  et  les  recueils  de  traités 
ont  fourni  toute  la  .matière  de  ce  travail  :  M.  de  B.,  si  son  nom  n'est 
pas  un  pseudonyme,  doit  être  Russe  de  naissance;  mais  il  a  évidem- 
ment écrit  loin  de  sa  patrie.  La  partie  la  plus  développée  de  l'ouvrage 
est  consacrée  à  la  guerre  de  Crimée  et  à  la  révision  des  traités  de  Paris 
en  1870.  L'intérêt  principal  du  volume  consiste  dans  les  textes  de  cette 
dernière  transaction  à  laquelle  la  France,  trop  préoccupée  de  ses  mal- 
heurs, n'a  pu  donner  qu'une  attention  distraite.  Le  volume  est  d'ailleurs 
plein  de  négligences  et  de  fautes  d'impression  dont  quelques-unes  inex- 
plicables. L'auteur  termine  tour  à  tour  les  noms  russes  par  /",  ff  ou  w, 
sans  qu'on  sache  à  quelle  transcription  il  a  voulu  s'arrêter  :  il  appelle 
Kinglcak  le  célèbre  historien  de  la  guerre  de  Grimée.  Il  écrit  ou  laisse 
imprimer  que  en  1784  le  souverain  de  Cochinchine  (sic  !)  s'est  placé  sous 
la  suzeraineté  de  Catherine.  Il  s'agit  de  la  Géorgie!  Il  parle  tour  à  tour 
des  Serviens  et  des  Serbes;  il  ne  parait  même  pas  savoir  à  quelle  natio- 
nalité appartiennent  les  Roumains.  Il  écrit  p.  143  que  le  traité  de  Balta- 
liman  qui  réglait  les  affaires  de  la  Valachie  et  de  la  Moldavie  brisa  les 
faibles  liens  qui  unissaient  encore  les  peuples  madgyars  (!)  à  la  Russie. 
Cet  ouvrage  n'est  réellement  utile  que  pour  la  partie  moderne  :  les 
noms  géographiques  y  sont  horriblement  défigurés  :  il  ne  peut  être 
consulté  qu'avec  défiance. 

Louis  Léger. 


218  RECUEILS  PÉllIODiyilES. 


RECUEILS  PERIODIQUES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES. 


I— Revue  des  Questions  historiques.  Juil.  1877. — Vigouroux.  Les 
Juges  d'IsratU  (dans  ce  travail  consciencieux  qui  ne  s'étend  que  jusqu'à 
Gédéon,  le  caractère  des  juges  est  assez  bien  indiqué;  mais  l'auteur  a 
le  tort  do  voir  une  histoire  suivie  dans  ce  qui  n'est  qu'un  ensemble  de 
traditions  héroïques  d'une  chronologie  incertaine.  Il  y  a  des  erreurs 
d'interprétation  :  Gédéon  ne  tua  pas  les  chefs  de  famille  de  Soccoth  en 
les  roulant  dans  des  épines,  il  les  fouetta  avec  des  épines  ;  c'est  bien 
une  idole  et  non  un  vêtement  que  Gédéon  fabriqua  avec  les  dépouilles 
des  Madianites  et  qui  fut  une  cause  de  scandale).  —  E.  Revillout.  Le 
premier  schisme  de  Constantinople;  Acace  et  Pierre  Monge  (M.  R.  a 
découvert  au  Louvre  des  lettres  en  copte  d'Acace  et  de  Pierre  Monge 
qui  prouvent  qu'Acace  est  réellement  tombé  dans  l'hérésie  monophy- 
site  ;  mais  il  ressort  aussi  de  son  récit  que  la  vraie  cause  du  schisme  a 
été  non  une  question  de  dogme,  mais  la  question  de  l'indépendance  du 
siège  de  Constantinople  vis-à-vis  de  celui  de  Rome).  —  G.  Gérin.  Le 
Pape  Alexandre  VIII  et  Louis  XIV  (apologie  intéressante  de  la  politique 
d'Alexandre  VIII,  d'après  les  papiers  des  affaires  étrangères).  — 
T.  DE  Larroque.  Documents  inédits  sur  Gassendi  (mémoire  d'un  de  ses 
secrétaires,  A.  de  la  Poterie.  Bibl.  nat.  fonds  fr.  12,270.  Très-curieux, 
surtout  pour  les  sentiments  religieux  de  Gassendi). —  L.  Duchesne.  Deux 
études  sur  les  Légendes  des  Martyrs  (excellent  article).  —  Colombier. 
Les  Monnaies  pontificales  primitives.  —  Courriers  anglais,  Scandinave, 
espagnol.  —  Chronique.  —  Revue  des  Périodiques.  —  Bibliographie. 

II.  —  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  Chartes,  l^^^  et  2"  liv.  1877.  — 
P.  Marchegay.  La  Rançon  d'Olivier  de  Coëtivy,  seigneur  de  Taillebourg 
et  sénéchal  de  Guyenne  (1451-1477).  —  J.  Havet.  Les  Cours  royales 
des  Iles  normandes  (travail  intéressant  ;  après  avoir  examiné  et  apprécié 
les  sources  qui  nous  font  connaître  les  institutions  de  Jersey  et  de 
Guernesey,  M.  H.  étudie  le  rôle  des  gardiens  des  îles,  des  baillis, 
lieutenants-baillis,  juges  délégués  et  justiciers  itinérants).  —  A.  de 
Marsy.  Fragment  d'un  compte  de  l'abbaye  de  N.-D.  de  Boissons.  — 
L.  Delisle.  Fragment  d'un  registre  d'Alexandre  IV  (fragment  d'un 
registre  original;  sur  les  46  pièces  analysées  par  M.  D.,  cinq  seulement 
se  trouvent  dans  Potthast).  —  A.  Bruel.  Visites  des  monastères  de 
l'ordre  de  Cluny  et  de  la  province  d'Auvergne  en  1286  et  1310  (quelques 
traits  de  mœurs  curieux.)  —  E.  de  Rozière.  Rapport  sur  le  concours 
des  Antiquités  de  la  France  en  1876.  —  Dans  les  mélanges,  une  note 
de  M.  A.  de  Mas  Latrie  sur  Guillaume  de  Machaut;   une  liste  de  docu- 


RECnEILS  PERIODIQUES.  24  9 

ments  français  vendus  à  Londres  le  17  janvier  dernier  ;  l'analyse  de 
pièces  du  chartrier  de  Thouars  de  1409  à  1561.  On  relève  la  singulière 
inadvertance  de  MM.  Ewald  et  Wattenbach  qui,  dans  le  Neues  Archiv, 
signalent  l'importance  des  œuvres  d'André,  moine  de  Fleury,  qu'ils 
croient  inédites,  tandis  que  la  Vie  de  Gozlin  a  été  imprimée  en  1853  et 
les  Miracles  de  S.  Benoît  en  1858. 

m. —  Revue  critique.  N"  23, 1877. —  Lemière. — Deuxième  étude  sur 
les  Celtes  et  les  Gaulois;  les  Celtes  (d'Arbois  de  Jubainville;  travail 
systématique,  où  l'auteur  ne  parvient  pas  à  prouver  sa  thèse  d'après 
laquelle  tous  les  habitants  de  l'Espagne  ancienne,  ainsi  que  les  Ligures, 
les  Aquitains  et  les  Basques  seraient  des  Celtes).  =  N"  24.  Desmaze. 
L'Université  de  Paris,  1200-1875  (sans  valeur).  —  Rochholtz.  Tell  u. 
Gessler  in  Sage  u.  Geschichte  (R.  ;  mal  composé,  faits  intéressants;  la 
partie  mystique  est  trop  hypothétique  ;  prouve  que  le  nom-  même  de 
Gessler  est  inventé;  jusqu'à  la  fin  du  xviii"  siècle,  le  tyran  légendaire 
s'appelle  Grisler).  —  Luard.  On  the  relations  between  England  and 
Rome,  during  the  reign  of  Henry  III  (Bougier  ;  très-incomplet).  =  N» 
25.  Wecklein.  Ueber  die  tradition  der  Perserkriege  (Weil;  signale  de 
nombreuses  légendes  et  erreurs  dans  les  récits  d'Hérodote).  =  N»  26. 
Settegast.  Benoît  de  Sainte-More  (Darmesteter;  donne  de  bons  argu- 
ments pour  identifier  Benoît  de  Sainte-More  et  le  Benoît  auteur  de  la 
chronique  des  ducs  de  Normandie).  =  N"  27.  Heisterbergk.  Die  Entste- 
hung  des  Colonats  (Havet;  peu  important).  —  Ghantelauze.  Marie 
Stuart  (R.;  art.  très-important  qui  réfute  par  les  faits  mêmes  consignés 
dans  le  livre  de  M.  G.  l'opinion  préconçue  qui  porte  ce  dernier  à  innocenter 
entièrement  Marie  Stuart).  =  N°  28.  Wright.  History  of  Népal  (Feer; 
ouvrage  très-remarquable).  —  Ussing.  Om  graekernes  og  romernes 
Huse  (Graux  ;  travail  très-bien  fait  sur  les  habitations  et  la  vie  domes- 
tique des  anciens).  —  Sickel.  Ueber  Kaiserurkunden  in  der  Schweiz 
(Mossmann;  contribution  importante  à  la  diplomatique  du  x**  s.).  — 
Delarg.  Un  pape  alsacien  (R.;  consciencieux,  quelques  lourdes  mé- 
prises) . 

IV.  —  Journal  des  Savants.  Juin.  —  Naudet.  De  l'État  des  per- 
sonnes et  des  peuples  sous  les  empereurs  romains  (fin).  —  Perrot. 
Archéologie  de  l'île  de  Samothrace.  =  Avril,  mai,  juin,  analyse  dé- 
taillée des  6  vol.  des  Reports  of  the  royal  comviission  on  historical  mss., 
collection  fort  importante  qui  n'a  pas  et  qui  d'ailleurs  ne  pourrait  peut- 
être  pas  avoir  d'analogue  en  France. 

V.  —  Revue  archéologique.  Juin.—  A.  Castan.  Vesontio,  colonie 
romaine  (étudie  les  monuments  qui  témoignent  que  Vesontio  fut  une 
colonie  romaine;  c'est  à  ce  titre  qu'elle  a  dû  de  garder  son  nom  au  lieu 
de  prendre,  comme  ce  fut  la  règle  en  Gaule,  celui  de  la  peuplade  dont 
elle  était  le  centre  administratif).  —  Fougart.  Alliance  des  Athéniens 
avec  Léontium  et  Rhégium  en  433.  =  Juillet.  Muntz.  Les  anciennes 
basiliques  et  églises  de  Rome  au  xv«  s. 


220  RECUKII-S  l'KlUODIQUKS. 

\  I. —  Le  Musée  archéologique.  2"  livr. —  (i.  Schlumderger.  BuUos 
Itvzaiitinos  inédites.  —  A.  Forgeais.  Plombs  historiés  trouvés  dans  la 
Seine  ;  blasons  et  chevaliers. 

VII.  —  Revue  celtique  Vol.  III,  n"  2. —  Général  Creuly.  Liste  des 
noms  supposés  gaulois,  tirés  des  inscriptions  (travail  fait  d'après  des 
textes  mauvais,  et  n'oilVant  par  conséquent  aucune  garantie  d'exacti- 
tude). —  D'Arrois  de  Jubainville.  Une  énigme  d'onomastique  fluviale 
(attribue  à  la  langue  ibérique  douze  noms  de  rivières  de  la  Mauritanie 
que  M.  Pictet  croyait  gaulois;  M.  d'A.  do  J.  en  conclut  l'occupation  de 
l'Afrique  par  les  Ibères  antérieurement  à  la  conquête  berbère). 

VIII.—  Revue  des  Sociétés  savantes.  Juillet-sept.  1876.—  Parmi 
les  documents  communiqués  au  Comité  et  publiés  dans  la  présente 
livraison,  nous  signalerons  :  des  extraits  du  livre-journal  des  Carmé- 
lites de  Pontoise,par  M.  l'abbé  Grimot  (ils  servent  à  fixer  l'itinér.  d'Anne 
d'Autriche  et  de  Louis  XIV  en  1648  et  1649,  et  attestent  l'influence 
exercée  par  la  supérieure  de  ces  Carmélites,  Jeanne  Séguier,  sur  l'esprit 
de  la  reine);  —  un  intendant  de  Champagne  en  1620,  par  M.  Babeau 
(curieux  surtout  à  cause  de  la  date);  —  diverses  transactions  au  moyen- 
âge,  concernant  notamment  un  pèlerinage  par  procuration  et  la  confec- 
tion d'un  livre  d'heures,  par  M.  de  Righemond;  — comptes  de  la  maison 
de  Louis  de  la  Trémoille  pendant  son  séjour  en  Italie  (1494-1499)  par 
M.  Ed.  DE  Barthélémy;  —  entrée  de  Henri  IV  à  Rennes  en  1598;  cou- 
leurs de  ce  prince,  par  M.  Quesnet.  —  Notons  aussi  un  rapport  de  M.E. 
DE  Mofras  sur  les  copies  de  mss.  et  extraits  tirés  des  bibliothèques  et 
archives  de  Gènes  et  de  Pise  par  M.  Fr.  Molard,  et  une  note  de 
M.  DouET  d'Arcq  sur  la  mort  de  Philippe  le  Bel. 

IX.  —  Bulletin  de  l'histoire  du  protestantisme.  15  Juin.  — 
Gaufrés.  Les  amis  de  Baduel  (extraits  de  sa  correspondance,  1548-1550). 

—  MouNiER.  Liste  des  pièces  relatives  aux  églises  du  désert,  contenues 
dans  les  archives  du  comité  de  Hollande  pour  les  Églises  de  France 
(1735-96). — L.  Feer.  Note  sur  un  récit  des  Mémoires  d'Etat  de  Villeroy. 
(Tentative  de  Monluc,  de  connivence  avec  les  Espagnols,  pour  enlever 
Jeanne  d'Albret,  mère  de  Henri  IV.  L'auteur  montre  que  le  document 
où  a  été  pris  ce  fait  lui  est  postérieur  d'au  moins  vingt  ans;  quant  au 
fait  en  lui-même,  il  ne  le  croit  pas  controuvé;  mais  il  y  fait  remarquer 
des  détails  extraordinaires.)  =  15  Juillet.  Ed.  Hugues.  Un  épisode  de 
l'histoire  du  protestantisme  au  xvm«  siècle.  —  Viel.  L'élection  consu- 
laire de  la  ville  d'Alais  en  1585.  —  Les  enlèvements  d'enfants  ;  requête 
au  roi  touchant  la  déclaration  du  17  juin  1681.  — J.  Doinel.  Procès 
fait  à  un  cadavre  en  1699. 

X.  —  Revue  de  Champagne  et  de  Brie.  Avril.  —  Hérelle.  His- 
toire du  collège  de  Vitry-le-Français  (fin).  —  Ed.  de  Barthélémy.  Ori- 
gines du  collège  de  Reims  (établi  en  1608  par  les  Jésuites).  —  A.  de 
Besancenet.  Le  portefeuille  d'un  général  (Dommartin;  suite  en  juin. 

—  L'ouvrage  reste  interrompu,  pour  paraître  en  vol.  chez  Pion).  — C^'^de 


RECDEILS    PÉRIODIQUES.  22-1 

RiocouR.  Les  archives  des  actes  de  l'état-civil  de  Chalons-sur-Marne; 
suite  en  juin  et  juillet.  =  Mai.  Mgr  Flighe.  Esquisse  historique  sur  le 
cardinal  de  la  Luzerne,  évèque-pair  de  Langres  f  1821. — Sénemaud. 
Etat-civil  des  familles  nobles  des  Ardenncs  (d'après  les  registres  de  la 
paroisse  N.-D.  de  Mézières);  suite  en  juin  et  juillet.  =  Juin.  E.  B. 
Mémoires  de  Jean  Foulquart,  procureur  de  l'échevinage  à  Reims  1497- 
99;  documents  inédits.  —  D'Arbois  de  Jubainville.  Etymologies  cel- 
tiques :  Aiitessiodunini,  Durocatalauni^  Durocortorum. 

XI.  —  Revue  de  Bretagne  et  de  Vendée.  Juin.  —  Abbé  du 
Tressay.  Armand  de  Richelieu,  évèque  de  Luçon;  fin  (publie  5  lettres 
de  Richelieu).  —  A.  de  la  Borderie.  Louis  de  la  Trémoille  et  la 
guerre  de  Bretagne  en  1488;  éclaircissements  topographiques. 

XIL  —  Revue  de  Gascogne.  Juin. —  Abbé  Dubord.  L'instruction 
publique  à  Gimont  avant  1789  ;  suite  en  juillet.  —  Tamisey  de  Larroque. 
Christ,  et  Fr.  de  Foix-Candalle,  évéques  d'Aire  ;  appendice.  —  R.  P. 
Labat.  Etude  critique  sur  saint  Sever.  =  Juillet.  La  Plagne-Barris. 
Naudonnet  de  Lustrac  (écuyer  au  service  de  Charles  Vil,  qui  lutta  avec 
succès  contre  les  Anglais  dans  le  Midi).  — Abbé  DuLAC.Un  Lectourois 
evèque  de  Tarbes  (Géraud  de  Doucet,  élu  en  1308,  mort  en  1313).  — 
Tamisey  de  Larroque.  Bernadotte  et  l'université  de  Giessen  (copie  du 
diplôme  décerné  le  17  déc.  1798  à  B.  ;  communiqué  par  M.  Bremond 
d'Ars). 

XIII.  —  Chroniques  du  Languedoc.  5  Juin.  —  Documents  pour 
l'histoire  du  vin  (placet  présenté  à  l'intendant  du  Languedoc  par  les 
échevins  de  Marseille,  pour  faire  rejeter  la  demande  des  négociants  du 
Languedoc  tendant  à  avoir  l'entrepôt  de  leurs  vins  à  Marseille,  22  avril 
1687). —  Laforgue.  La  prise  de  Mazamet  (reproduction  d'une  plaquette 
du  temps). —  Mémoire  sur  la  ville  de  Gignac  en  1675.  =  20  Juin.  A.  de 
Lamothe.  Fragments  historiques  sur  Beaucaire.  —  Thénard.  Correspon- 
dance inédite  du  président  Bon;  suite.  —  Corbière.  La  famille  de 
Bourbon-Malauze  et  le  château  de  Lacaze;  suite  le  5  et  le  20  juillet.  — 
Vaschalde.  Les  privilèges  d'Aubenas,  xiii^  et  xiv«  s.  =:  20  Juillet.  Ba- 
ron de  Rivières.  Armoriai  des  évéques  et  archevêques  d'Albi.  — 
Publié  à  part,  les  livr.  18  à  21  du  Journal  de  Faurin  sur  les  guerres  de 
Castres. 

XIV.  —  Revue  du  Dauphiné  et  du  Vivarais.  Juin.  —  Allmer. 
Trois  inscriptions  récemment  découvertes  à  Saint-Romain  d'Albon 
(des  années  467,  516  et  631.  La  découverte  de  ces  inscriptions  porte 
M.  A.  à  conclure  que  Saint-Romain  d'Albon  était  aux  v-vii''  siècles  un 
centre  de  population  florissant,  et  il  croit  pouvoir  identifier  Albon  avec 
le  lieu  où  se  tint  en  517  l'assemblée  d'évèques  connue  sous  le  nom  de 
concile  d'Epaone).  =  Juillet.  Vaschalde.  Établissement  de  l'imprimerie 
dans  le  Vivarais.  — Macé.  Le  comte  de  Plélo  et  le  général  de  Lamothe 
de  Lapeyrouse  (réhabilite  ce  dernier  envers  qui  M.  Rathory  avait  été 


222  IIECDEILS  l'KIlIODIQl'KS. 

injusto).  —  Lakayolle.  Notice  généalogique  sur  la  branche  des  Lévis, 
sires  de  Ventadour,  seigneurs  de  la  Vuulle. 

XV.  —  Revue  du  Lyonnais.  Juillet.—  V.  de  V.  L'ancienne  admi- 
nistration consulaire  de  Lyon  a-t-elle  été  gratuite?  (Elle  fut  rétribuée 
depuis  le  xiv«s.  A  la  lin  de  l'ancien  régime,  les  officiers  municipaux 
touchaient  d'assez  gros  traitements). 

XM-  —  Bulletin  de  la  Société  archéologique  de  Tarn -et - 
Garonne.  2«  trim.  —  Forestik.  La  place  publique  de  Montauban  et 
les  incendies  delG14  et  1(149.—  Guirondet.  Les  Croisés  de  St-Antonin. 

XVIL—  Revue  de  Géographie.  Juillet. —  L.  Metghnikoff.  L'em- 
pire des  Tennos  (ou  du  Japon;  introduction  d'un  travail  qui  doit  con- 
tenir la  description  géographique  et  ethnographique  du  pays,  et  un 
tableau  des  principales  époques  de  son  histoire).—  Langeron.  Magellan; 
fin.  —  Drapeyron.  Le  grand  dessein  secret  de  Louis  XIV  contre  l'em- 
pire ottoman  (textes  inédits  tirés  du  ms.  de  la  Bib.  nat.  7,176,  fonds  fr., 
2«  partie). 

XVUL  — Revue  politique  et  littéraire.  16  Juin  1877.— A.  Maury. 
Les  commencements  de  l'histoire  (les  premières  migrations  des  peuples  ; 
le  Paradis  terrestre:  les  fils  de  Cham  et  de  Sem).  =  23  Juin.  Dela- 
brousse.  Le  pouvoir  personnel;  ses  antécédents  dans  l'histoire  parle- 
mentaire (cette  intéressante  étude  d'histoire  politique  contemporaine  a 
été  suivie  le  21  juillet  d'une  autre  étude  non  moins  curieuse  sur  l'his- 
toire des  candidatures  officielles).—  H.  Spencer.  Le  culte  des  animaux. 
—  L.  QuESNEL.  Le  Groenland  et  les  Esquimaux,  d'après  le  livre  du 
D-"  Rink,  Taies  and  traditions  of  the  Esquimaux.  =  7  Juillet.  Reinach. 
De  l'influence  historique  de  la  France  sur  l'Allemagne  (brillant  article 
qui  montre  très-bien  tout  ce  que  l'Allemagne  a  emprunté  à  la  France, 
mais  en  le  germanisant  par  l'assimilation).  =  28  juillet.  La  fondation 
du  régime  parlementaire  en  Angleterre,  1688-1840;  les  révoltes  du  pou- 
voir royal  contre  le  Parlement  (montre  les  victoires  de  la  politique  op- 
portuniste). 

XIX.  —  Revue  de  France.  15  Juin.  —  Nourrisson.  Necker  (fin). 
—  L.  Dupont.  Tours  et  Bordeaux  (fin  :  lutte  entre  MM.  Jules  Simon  et 
Gambetta  en  fév.  1871).  —  L.  Védel.  Une  chronique  vivaroise  au  xvi«  s. 
(analyse  d'un  Mémoire  sur  l'ancien  couvent  des  Gordeliers  de  Largen- 
tière,  par  un  père  du  même  ordre,  en  1781  ;  ce  couvent  fut  entièrement 
détruit  en  1562  par  les  religionnaires).  =  l^r  Juillet.  A.  de  Courson.  Un 
homme  d'autrefois^  par  le  marquis  Costa  de  Beauregard.  =  15  Juillet. 
Memor.  Entretiens  rétrospectifs  sur  les  choses  d'Allemagne  :II,Garlsbad 
en  1863  (anecdotes  sans  intérêt). 

XX.  —  Le  Correspondant.  10  Juin.  —  Vian.  Montesquieu  ;  sa  vie  et 

ses  ouvrages  (fin:  mort  de  Montesquieu  ;  son  rôle  posthume).  — Bonnefoy. 
Christophe  Colomb.  (Cet  article  est  une  réclame  pour  la  canonisation  du 
grand  navigateur  à  propos  d'un  ouvrage  de  M.  Roselly  de  Lorgnes,  l'Am- 


RECUEILS  pe'riodiqoes.  223 

bassadeur  de  Dieu  et  Pie  IX.)  =  25  Juin.  De  Lescure.  Le  vrai  Voltaire, 
d'après  les  documents  publiés  dans  les  six  dernières  années.  =  10  Juill. 
R.  Lavollée.  La  vieille  France  (d'après  le  récent  ouvrage  de  M.  de 
Ribbe,  la  Vie  domestique.,  ses  modèles  et  ses  règles).  =  25  Juil.  G.  d'Ave- 
nel.  Le  concordat  de  1801  et  M.  de  Talleyrand  (attribue  à  la  néfaste 
influence  de  Talleyrand  tout  ce  que  le  concordat  peut  contenir  de  con- 
traire aux  droits  de  la  papauté.  Bonaparte  «  qui,  à  son  avènement,  si 
l'on  en  excepte  son  armée,  ne  connaissait  en  France  ni  les  bommes,  ni 
les  choses  »,  aurait  été  tout  simplement  dans  cette  occasion  «  exploité  » 
par  Talleyrand.  La  substitution  de  pièces  dont  parle  Gonsalvi  dans  ses 
Mémoires  serait  le  fait  de  M.  d'Hauterive,  confident  et  ami  de  Talley- 
rand. La  publication  de  quelques  documents  inédits  rachète  à  peine 
tout  ce  que  cette  thèse  a  d'insoutenable). 

XXI.  —  Revue  des  Deux-Mondes.  {«<'  Juin.  —  Maxime  du  Camp. 
Les  prisons  de  Paris  sous  la  Commune.  II  :  Le  dépôt  près  là  préfecture 
de  police.  III.  (livr.  du  !«•■  juillet)  :  la  Conciergerie,  Saint-Lazare,  Sainte- 
Pélagie  (très-intéressants  détails,  notamment  sur  les  négociations  enta- 
mées, avec  l'approbation  et  au  nom  du  gouvernement  de  Versailles,  par 
un  nommé  Veysset,  avec  certains  chefs  de  fédérés,  Dombrowsky  entre 
autres.  Veysset  paya  de  sa  vie  cette  audacieuse  tentative  qui  faillit 
réussir).  =  15  juin.  A.  Leroy-Beaulieu.  L'empire  des  tsars  et  les 
Russes.  IV,  le  système  militaire  et  l'armée.  —  L.  Burnouf.  L'âge  du 
bronze  et  les  origines  de  la  métallurgie.  —  A.  Laugel.  La  mère  de 
Henri  IV,  Jeanne  d'Albret  (analyse  du  livre  de  M.  de  Ruble,  Le  Ma- 
riage de  Jeanne  d'Alb7'et).  ^  15  Juillet.  G.  Boissier.  Promenades  archéo- 
logiques :  le  Palatin.  —  R.  Chantelauze.  Le  cardinal  de  Retz,  ses 
débuts  dans  la  carrière  ecclésiastique,  d'après  des  documents  nouveaux 
(travail  important;  peinture  fine  et  vraie). 

XXII.—  La  Philosophie  positive.  Janvier- Août.  —  Ant.  Dubost. 
Danton  et  la  politique  contemporaine.  (M.  D.  cherche  à  démontrer 
«  que  tant  qu'a  duré  l'action  dantonienne,  c'est-à-dire  jusqu'à  la  mort 
de  Danton,  en  avril  1794,  la  Convention  a  affecté  une  marche  progres- 
sive; que,  dès  que  cette  action  ne  s'est  plus  fait  sentir,  le  mouvement 
n'a  plus  revêtu  qu'un  caractère  rétrograde  »).  =  Juillet-août.  Alb.  Cas- 
TELNAU.  La  faune  politique  et  Machiavel  (extrait  d'un  ouvrage  qui  va 
bientôt  paraître  sous  le  titre  :  Les  Médicis,  1438-1530). 

XXIII.  —  Analecta  juris  pontificii.  143"  livraison.  Juin  1877.  — 
L.  C.  Le  pape  S.  Zacharie  et  la  consultation  de  Pépin  le  Bref  (l'auteur 
a  déjà  fait  paraître  cet  article  en  italien  dans  la  Revista  Universale).  — 
L'abbé  Pantaléon  Mury.  Mémoire  sur  la  môme  question  (extrait  de  la 
Revue  des  Questions  historiques).  —  L'abbé  de  Camps.  Consultation  de 
Pépin  le  Bref  (imprimé,  si  je  ne  me  trompe,  sur  le  manuscrit  de  l'abbé 
de  Camps,  conservé  à  la  Bibliothèque  Nationale).  —  ...  Décrets  inédits 
de  la  S.  Congrégation  des  évoques  et  des  réguliers  (de  1790  à  1818). 

XXIV. —  Revue  chrétienne.  5  Juillet.  —  Puaux.  Daniel  Encontre 


224  RECUEILS    PERIODIQUES. 

(pasteur  protestant,  né  en  17G!2;  mathématicien  distingué;  un  dos  fon- 
ilatt'urs  de  l'Académie  des  sciences  et  belles -lettres  de  Montpellier, 
d'aitrès  une  biographie  de  M.  Bourchcnin). 

XXV.  —  Journal  officiel.  16  juin  1877.  —  Baudrillart.  La  cen- 
sure et  la  réforme  des  mœurs  au  xyi^s.  (fin  le  7  juillet).  =  17  Juin.  G.  de 
NouYiON.  Un  concussionnaire  au  xvn^  s.  Procès  de  Louis  de  Marillac 
(M.  de  N.  soutient  avec  de  bonnes  raisons,  tirées  des  procès- verbaux  du 
procès,  l'innocence  de  Marillac).  =  15  Juill.  Mazeng.  Le  Mundus  Novus 
d'Améric  Vespuce  (trad.  de  la  relation  du  voyage  de  1501  d'après  la 
trad.  latine  dont  il  n'existe  que  deux  ex.  connus),  =  29  Juillet,  Ed. 
Drumond.  Les  almanachs  historiques  au  xvn^  s.  (ces  almanachs,  accom- 
pagnés de  gravures  parfois  remarquables,  mettaient  en  scène  les  événe- 
ments principaux  de  l'année  qui  venait  de  finir;  ils  ont  la  valeur  de 
documents  historiques;  malheureusement  les  collections  complètes  en 
sont  très-rares). 

XXVI.  —  Le  Spectateur  militaire.  15  Juin,  15  Juillet.  —  A,  de 
Lort-Sérignan,  Guillaume  III,  étude  sur  les  guerres  de  Louis  XIV  ; 
suite.  —  A.  DE  Besancenet,  Une  armée  sous  la  Convention;  suite 
et  fin. 

XXVII.  —  Bulletin  de  la  Réunion  des  officiers.  N°  26.  —  Ba- 
taille de  Denain,  d'après  des  doc.  inédits,  avec  reproduction  d'un  plan 
de  l'époque  (attribue  à  M.  de  Montesquieu  l'idée  de  la  marche  sur 
Denain), 

XXVUI.  —  Académie    des  Inscriptions  et   Belles-Lettres.  = 

Séances.  Les  8  et  22  juin  M.  de  Rozière  lit  un  mémoire  de  M.  J.  Finot 
sur  la  formation  du  royaume  de  Bourgogne  cis-jurane.  L'auteur  attribue 
une  grande  importance  à  la  lutte  entre  Charles  le  Chauve  et  le  jeune 
Lothaire  au  sujet  du  mariage  de  ce  dernier  avec  Waldrade.  —  Les  8  et 
16  juin  M.  Carapanos  lit  un  mémoire  sur  l'histoire  de  la  ville  de  Dodone. 
—  Le  22  juin  M.Maury  fait  une  communication  sur  les  Ligures.  D'après 
lui,  les  Ligures  sont  un  peuple  celtique.  Ils  chassèrent  au  ix«  ou  au  x«  s. 
avant  notre  ère  les  Sicanes  et  les  Sicules  du  nord  du  fleuve  Sucro  en 
Espagne  et  les  forcèrent  à  se  réfugier  en  Trinacrie.  Les  Ségobriges  d'Es- 
pagne sont  une  colonie  de  ceux  de  Ligurie.  —  Le  29  juin  et  le  6  juillet 
M.  L.  Delisle  lit  un  très-important  mémoire  sur  les  manuscrits  de 
Bernard  Gui  dont  la  grande  chronique  Flores  Chronicorum^  de  la  nais- 
sance du  Christ  au  xiv*  s. ,  remaniée  neuf  fois,  offre,  ainsi  que  son  his- 
toire des  Dominicains,  un  vif  intérêt  historique. 

XXIX.  —  Académie  des  Sciences  morales  et  politiques.   = 

Séances.  —  Le  23  juin  et  le  7  juillet  M.  A.  Vuitry  a  lu  un  mémoire 
sur  les  finances  royales  au  M.  A.  ;  il  montre  comment  les  revenus  et 
les  dépenses,  après  avoir  été  jusqu'à  la  fin  du  xii'=  s:  ceux  d'un  seigneur 
féodal,  commencent  au  xiv^  s,  à  devenir  ceux  d'un  souverain  véritable 
et  il  essaie  de  déterminer  approximativement  le  montant  des  recettes 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  22^ 

et  des  dépenses.  =  Comptes-rendus.  —  Gibaud.  Les  nouveaux  bronzes 
d'Osuna.  —  Armingaud.  La  maison  de  Savoie  et  les  archives  de  Turin 
(aperçu  intéressant  des  relations  de  la  Savoie  et  de  la  France  de  Louis  XI 
à  Henri  II).  —  Drouin  de  Lhuys.  Le  Japon  et  Rome  au  xvn^  s.  (d'ap. 
le  ToMo  Times^  journal  anglais  paraissant  au  Japon  depuis  le  6  janvier 
1877;  curieux  détails  sur  les  relations  du  daimio  d'Oshiu,  Date  Masa- 
mune,  avec  le  pape  Paul  V  par  l'entremise  d'un  dominicain  commer- 
çant L.  Sotelo).  —  RossoEUW  St-Hilaire.  Les  colonies  espagnoles  (causes 
de  leur  ruine).  

XXX.  —  Messager  des  sciences  hist.  de  Belgique.  2«  liv.  — La- 

VAUT.  Quelques  sceaux  du  diocèse  de  Gand.  —  E.  van  Even.  Nouveaux  ren- 
seignements sur  le  séjour  à  Louvain  de  Gui  Morillon,  secrétaire  de 
Charles-Quint, et  de  sa  famille.—  Van  der  Elst.  Singularité  du  combat 
de  Florennes,  où  fut  tué  le  comte  Lambert,  12  sept.  1015  (explication 
rationnelle  d'un  passage  où  Balderic  attribue  à  un  miracle  la  mort  du 
comte). 

XXXI.  —  Mémoires    et   documents   publiés    par   la    Société 
d'Histoire  et  d'Archéologie  de  Genève.  Tome  XIX,  2*^  livr.,  1877. 

—  V.  Gérésole.  Documents  diplomatiques  sur  l'Escalade ,  tirés  des 
archives  d'Etat  de  Venise.  (Dépêches  entièrement  nouvelles,  émanées 
des  ambassadeurs  de  la  sérénissime  République  à  Turin,  à  Paris,  à 
Rome,  et  qui  font  connaître  tour  à  tour  l'impression  produite  à  Turin 
par  l'échec  de  Son  Altesse,  les  sentiments  du  Souverain-Pontife,  et 
l'attitude  assez  complexe,  mais  énergique  d'Henri  IV.  Un  joli  mot 
cependant  du  roi  au  nonce  :  «  Au  sujet  de  l'entreprise  contre  Genève, 
«  le  roi  a  déclaré  à  Mgr.  le  nonce  qu'il  lui  aurait  été  fort  agréable 
«  qu'elle  eût  eu  son  effet,  parce  qu'il  serait  allé  immédiatement  reprendre 
«  la  ville  et  qu'il  l'aurait  gardée  pour  lui;  qu'en  cette  affaire  il  voyait 
«  bien  comme  on  tâchait  d'avoir  le  Pape  pour  soi,  parce  que  ce  nid 
«  d'hérésie  devait  naturellement  déplaire  à  Sa  Sainteté  ;  mais  qu'elle 
«  n'avait  pas  d'intérêt  à  ce  que  la  place  fût  possédée  par  un  prince 
«  plutôt  que  par  l'autre,  et  que  si  Sa  Majesté  s'était  emparée  de  la  ville, 
«  elle  l'aurait  débarrassée  des  hérétiques  et  gardée  pour  son  service  »). 

—  J.-B.  G.  Galiffe.  Poème  sur  les  événements  genevois  de  1538  à 
1540  (depuis  le  renvoi  de  Calvin  et  de  ses  collègues  jusqu'à  l'exécution 
du  capitaine-général  Jean  Philippe.  L'auteur  inconnu  de  cet  écrit  est 
un  ardent  Guillermin.,  c'est-à-dire  un  partisan  très-décidé  des  réforma- 
teurs français  Guillaume  Farel  et  J.  Calvin).  —  Ph.  Plan.  Les  poésies 
de  Bonivard.  («  Vers  et  rithmes  en  gauloys  »  extraits  d'un  des  volumes 
de  la  Bibliothèque  publique  de  Genève.)  —  J.-M.  Paris.  Lettre  inédite 
d'Etienne  Dumont  sur  quelques  séances  du  Tiers-État.  (Se  rapporte  aux 
séances  des  28,29  et  30  mai  1789,  où  l'on  délibéra  sur  la  réponse  à  faire 
au  message  par  lequel  Louis  XVI  invitait  chacun  des  trois  ordres  à 
envoyer  des  commissaires  par  devant  le  garde  des  sceaux  et  les  com- 
missaires que  le  roi   avait  choisis.  La  lettre  de  Dumont,  adressée  à 

ReV.    HiSTOR.    V.    l^r    FASC.  15 


•22f.  KECl'EILS  rKIUOniQlIES. 

Sainuol  RomiUy,rourerme  comme  une  sorte  do  bulletin  précis  et  piquant 
(lo  ces  trois  ou  quatre  séances.  On  y  retrouve,  sous  une  iorme  plus  vive, 
quol(iues-unes  des  (|ualités  qui  distinguent  les  meilleurs  chapitres  dos 
Souvenirs,  et  ce  qu'il  y  a  parfois  d'un  peu  brusque  dans  le  compte-rcntlu 
do  Dumont  est  amplement  racheté  par  l'impartialité  de  la  conclusion. 
Voici,  du  reste,  sur  Mirabeau, .un  jugement  (jui  mérite  d'être  reproduit  : 
<  29  mai,  à  5  heures  de  relevée.  Personne  ne  s'entend.  Plusieurs  vou- 
«  draient  adopter  purement  et  simplement  la  motion  de  Mirabeau,  et 
«  je  n'ai  point  de  doute  que,  proposée  par  un  autre,  elle  n'eût  passé 
«  par  acclamation;  mais  il  y  a  contre  lui  une  prévention  marquée;  il 
«  semble  .que  personne  ne  l'aime,  et  que  tous  le  craignent.  Il  n'a  pas 
«  été  adroit  dans  les  commencements,  il  a  heurté,  il  a  offensé,  il  a  voulu 
«  agir  avec  hauteur;  il  les  a  comparés,  dans  sa  premièrci  feuille,  à  des 
«  écoliers  tumultueux  échappés  de  dessous  la  férule,  et  l'on  a  redouté 
a  qu'en  parlant  de  la  liberté,  il  ne  se  fît  le  tyran  de  l'Assemblée.  Il 
«  s'est  donc  formé,  sans  chef,  une  conspiration,  non  pour  l'humilier, 
«  mais  pour  l'empêcher  de  triompher.  »  Et  plus  loin  :  «  Quand  l'appel 
«  a  été  en  train,  je  suis  sorti, et  je  me  suis  promené  environ  deux  heures 
«  avec  le  comte  Mirabeau.  Nous  nous  sommes  communiqué  toutes  nos 
«  observations  sur  les  assemblées  populaires  et  sur  le  caractère  qu'il 
«  fallait  y  porter.  Il  a  une  si  prodigieuse  ambition  de  réussir  que  cette 
«  grande  passion  subjuguera  les  petites  et  domptera  son  despotisme 
«  même,  car  c'est  l'écueil  où  se  brisent  tous  ses  talents.  Je  l'ai  pris  par 
«  son  ambition,  et  m'accommodant  à  son  style,  je  lui  ai  observé  (sic) 
«  qu'il  y  avait  300  amours-propres  dans  les  convulsions  sous  la  masse 
«  de  son  éloquence,  et  que  s'il  n'adoucissait  sa  supériorité  par  tous  les 
(I  moyens  qui  peuvent  inspirer  de  la  confiance  et  calmer  les  inquiétudes 
«  de  tous  ceux  qui  ont  des  prétentions  égales  aux  siennes,  on  l'écoute- 
«  rait  comme  un  acteur,  mais  on  ne  le  suivrait  jamais  comme  un 
«  chef  »).  —  Th.  DuFOUR.  Notice  bibliographique  sur  le  Cavalier  de 
Savoie,  le  Citadin  de  Genève  et  le  Fléau  de  l'aristocratie  genevoise.  (Excel- 
lente description  de  trois  pamphlets  du  commencement  du  xvn^  siècle. 
Démontre,  entre  autres,  que  le  Cavalier  de  Savoie  a  été  composé  par 
Claude-Louis  de  Buttet,  seigneur  de  Malatrait,  lequel  fut,  vers  le  même 
temps,  historiographe  de  la  maison  de  Savoie.  La  première  édition  du 
Cavalier  est  de  1605.  On  sait,  du  reste,  qu'il  avait  été  primitivement 
rédigé  pour  répondre,  en  ce  qui  concernait  la  Savoie,  au  Soldat  français 
de  1604;  mais  l'auteur  ayant  inséré  dans  son  livre  quelques  pages  assez 
grossières,  où  il  s'efforçait  d'établir  les  prétentions  du  duc  sur  la  ville 
de  Genève,  le  Conseil  chargea  le  syndic  Jean  Sarasin  de  le  réfuter,  et 
ce  dernier  s'acquitta  de  son  mandat  en  publiant,  dès  le  mois  de  janvier 
1606,  la  verte  réplique  anonyme  du  Citadin  de  Genève).  —  Bulletin  : 
l'Orfèvrerie  genevoise  en  1424  ;  une  ancienne  carte  du  lac  Léman  ;  Ge- 
nève et  l'Institut  de  France,  etc. 


XXXII.  —  Historische  Zeitschrift.  2«  vol.,  1"  fasc.  —  Mommsen. 


RECDEILS  PERIODIQCES.  227 

Le  système  militaire  de  César  (montre  combien  il  fut  suivi  de  près  par 
Auguste,  surtout  en  ce  qui  concerne  la  dispersion  des  légions  sur  les 
frontières  menacées  de  l'empire,  et  en  général  combien  le  système  mili- 
taire sous  les  empereurs,  d'Auguste  à  Dioclétien,  s'écartait  peu  des 
principes  constitutifs  de  l'armée  romaine  sous  la  République).  — 
A.  FouRNiER.  Origine  de  la  Pragmatique  sanction  de  l'empereur 
Charles  VI  (met  surtout  en  lumière  deux  documents  qui  sont  les  sources 
véritables  de  la  Pragmatique  :  le  Pactum  mutuae  successionis  du  12  sept. 
1703,  et  le  testament  de  Léopold  P""^  du  26  avril  1705.  Ces  deux  docu- 
ments sont  publiés  ici  en  entier). — Markgraf.  La  formation  de  la  ligue 
catholique  contre  Georges  Podiebrad.  —  Scheffer  Boichorst.  A  propos 
du  débat  sur  Dino  Compagni  (fait  ressortir  de  singulières  ressemblances 
de  rédaction  entre  certains  passages  de  Dino  et  d'un  commentateur  de 
Dante  connu  sous  le  nom  à'Anonimo  Fiorentino.  L'anonyme  est  anté- 
rieur à  Dino  qui  l'a  copié  ou  qui  a  puisé  à  une  source  commune  ;  dans 
l'un  et  l'autre  cas,  Dino  ne  peut  échapper  au  reproche  d'avoir  sciem- 
ment falsifié  les  textes). 

XXXIII.  —  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte.  Vol.  XVI. 
3«  fasc.  —  Platner.  Sur  les  traces  de  population  allemande  au  temps  de 
la  domination  slave  dans  les  pays  situés  à  l'est  de  l'Elbe  et  de  la  Saale. 

—  Heidemann.  La  chronique  de  la  Marche  de  Brandebourg  par  Engelbert 
Wusterwitz,  dans  la  rédaction   d'Andréas   Angélus  et  Peter  Haffiz. 

—  ScHAEFER.  Les  mss.  de  Sùssenbach  relatifs  à  l'histoire  de  la 
guerre  de  Sept  Ans.  (Documents  assez  importants  laissés  par  le 
grand  maître  des  forêts  de  Frédéric  II,  et  qui  étaient  jusqu'ici  restés 
presque  inconnus.  Ils  se  trouvent  à  la  bibliothèque  de  Darmstadt,  à  qui 
le  grand-duc  Louis  pr  en  a  fait  don).  —  Pauli.  Notes  sur  l'histoire  de 
l'empire  sous  Wenceslas  et  Robert,  extraites  d'un  document  anglais 
(c.-à-d.  de  la  Chronique  d'Adam  de  Usk,  pub.  par  M.  Thompson).  — 
Streit.  Des  rapports  des  Gesta  Ludovici  VII  avec  Guillaume  de  Tyr. 
(Les  Gesta  sont  une  traduction  des  grandes  chroniques  de  Saint- 
Denis  pour  ce  qui  est  des  affaires  intérieures  de  la  France,  et  de  la  tra- 
duction française  de  Guillaume  de  Tyr  pour  ce  qui  concerne  la  2''  croi- 
sade ;  ainsi  s'expliquent  l'identité  de  ces  deux  textes  pour  le  fond  et 
leur  grande  différence  pour  la  forme.)  —  Harttung.  La  bulle  de  Gré- 
goire VIII  pour  la  Croisade  (déjà  publiée  par  Langebek,  SS.  rer.  Danic. 
medii  aevi  V,  p.  342;  elle  a  été  conservée  dans  le  récit  du  voyage  d'un 
pèlerin  danois  en  Terre-Sainte  au  commencement  du  xii"  s.).  —  Marc- 
ZAL1.  Les  Gesta  Himgarorum  de  l'Anonymus  Belae  régis  notarius  (sans 
doute  composée  de  1278  à  1282  par  maître  Pous,  notaire  de  Bêla  IV). 

XXXIV.  —  Anzeiger fur Kunde d.  d.  Vorzeit.  N»  4 .  —  Simonsfeld. 
Lettre  du  «  Sénat  de  la  république  de  Nuremberg  »  à  Florence  du 
28  juin  1531.  (Il  lui  demande  «  ut  xenodochiorum  et  nosocomiorum 
vestrae  urbis  leges,  et  racionem  fovendi  ac  curandi  valetudinarios, 
egentes,  ad  nos  transmitti  curetis  ».)  —  Uibeleisen.  Noms  de  lieu  de 


•22S  RKCl'KILS  PERIODIQUES. 

l'Alsaco-Lorraine  en  ancion  allemand,  (in.  =  N"  G.  E.  Duummleu.  Gaïa- 
lopue  des  livres  de  la  bibliotlièquo  du  chapitre  à  Bamberg,  au  xm"  s. 

XXXV.  —  Jenaer  Literaturzeitung.  N»  20. —  liocholl.  Der  grosse 
Kurlurst  von  Hrandeuburg  im  Elsass  \{jl^-\61b.  (Pkannenschmid.  Nom- 
breux documents  nouveaux).  —  Classcn.  B.  G.  Niebuhr  (Nissen,  inté- 
ressant). —  Gilbert.  Rom  u.  Carthago  in  ihi-er  gegonseitignn  Beziehun- 
gen  513-536  (Nissen  :  l'auteur  attaque  aveuglément  Polybc  et  lui 
préfère  à  tort  Dion,  Appien,  Diodore,  etc.)  =  N'  21.  A  v.  Kremer.  Gul- 
turgeschichte  des  Orients  unter  don  Ghalifen.  Bd.  II  (Weil  :  longue 
analyse  de  ce  volume  qui  traite  de  la  vie  sociale  de  l'Orient).  —  N"  23. 
.4.  Stcrn.  Milton  u.  seine  Zeit  (Kugler  :  livre  solide  et  excellent,  conçu 
peut-être  sur  un  plan  un  peu  vaste).  —  Czenfjcry.  Franz  Dcak,  trad. 
allem.  de  G.  Heinrich  (Dittrich  :  bonne  biogr.)  =  N"  24.  A.  vo7i 
Arnctii.  Geschichte  Maria  Theresia's.  Bd.  VIII  (Schaefer  :  très- 
important  pour  le  partage  de  la  Pologne).  =  Brietè  der  Briider 
Friedrichs  des  Grossen  an  meine  Grosseltern  hgg.  v.  Henckel  Don- 
nersmarck  (Sch.efer  :  lettres  françaises  très-intéressantes).  =  N°  25. 
Ekkehardi  Uraugiensis  Hierosolymita,  hgg.  v.  //.  Hagcnmeyer  (Hirsch  : 
bon  travail). —  Duncker,  Aus  der  Zeit  Friedrichs  des  Grossen  u.  Fried- 
rich Wilhelms  III  (Philippson  :  l'art,  le  plus  important  de  ce  recueil 
est  consacré  à  la  Prusse  pendant  l'occupation  française  1806-1813).  = 
N°  26.  Prutz.  Die  Besitzungen  des  deutschen  Ordens  im  heiligen  Lande 
(Hirsch  :  consciencieux).  —  Harttung.  Die  Anfa^ngeKonrads  II  (Kugler  : 
peu  de  nouveau).  —  G.  v.  Bunge.  Das  Herzogthum  Estland  unter  den 
Kœnigen  von  Dœnemark  ;  G.  Kwslner.  Das  refundirte  Bisthum  Reval 
(ScmRREN  :  bons  travaux).— /?.r.  OWec/i.  Geschichte  des  Feldzugesv.  1815 
(PmLippsoN:  très-riche  en  matériaux  inédits  ;  prouve  que  c'est  l'Autriche 
qui  a  été  cause  du  retard  que  mirent  les  alliés  dans  leur  attaque  contre 
Napoléon).  =  N"  27.  Taine.  Les  origines  de  la  France  contemporaine 
trad.  en  allemand  par  J.  Giinther  (Philippson:  très-élogieux  ;  regrette 
que  l'auteur  ait  si  peu  ménagé  l'expression  de  son  aversion  pour  tout 
ce  qui  est  allemand).  =  N''29.  Tamisey  de  Larroque^  Dadine  d'Auteserre 
(A.  RiviER,  utile  publication).  =  N»  30.  Ed.  Lcgey.  Guy  Coquille  de  Ni- 
vernais 1523-1603  (RiviER  :  Éloge  historique  intéressant).  —  Hertzberg. 
Die  Geschichte  der  Perserkriege  (Zurborg  :  bon  manuel  pour  les  classes, 
et  en  même  temps  travail  original). 

XXXVI.— Gœttingischegelehrte  Anzeigen.  1877.  N"  25.  Monu- 
menta  Germaniae  historica,  t.  XXII  et  XXIII;  Archiv  der  Gesellsch. 
f.  aelt.  d.  Geschichtskundet.  XII.  (Weiland  :  fait  quelques  utiles  addi- 
tions ou  rectifications,  en  particulier  à  propos  de  l'éd.  de  Martin  de  Trop- 
pau.)  =  N°  26.  I  libri  commemoriali  délia  Repubblica  di  Venezia  (Reu- 
MONT  :  registres  comprenant  les  années  1300-1326).  =  N°  27.  Notices 
of  the  mediaeval  Geography  and  History  of  Central  and  Western  Asia, 
dravvn  from  Chinese  and  Mongol  writings,  by  E.  Brctschneider.  (Wil- 
ken).  =  N»  29.  Quellen  zur  Geschichte  des  Bauernkrieges  in  Obersch- 


RECDEILS  PÉRIODIQUES.  229 

waben  hgg.  v.  L.  Baumann.  (Stern.  19  écrits  inédits  et  trois  réim- 
primés d'après  des  livres  devenus  très-rares  ;  le  recueil  est  des  plus 
précieux). 

XXXVII.  —  Deutsche  Rundschau.  Juillet.  —  K.  Hillebrand.  La 
France  d'avant  la  Révolution  et  son  plus  récent  historien  (critique  élo- 
gieuse  des  Origines  de  la  France  contemporaine  par  M.  Taine).  —  Fried- 
L^NDER.  Les  prestations  de  serment  et  les  couronnements  à  Kœnigs- 
berg  de  1663  à  1861  (discours  de  circonstance). 

XXXVIII.  —  Magazin  fur  die  Literatur  des  Auslandes.  N"  24. 
Le  Tasse  et  son  temps,  par  M.  Fr.  de  Sanctis  (suite  dans  les  n»^  25  et 
26).  =  N"  26.  Léon  Gambetta  und  seine  Armeen  par  Golmar  Freiherr 
von  der  Goltz  (appréciation  favorable  du  livre  et  de  M.  Gambetta  «  qui 
est  en  général  plus  justement  apprécié  en  Allemagne  que  chez  ses  com- 
patriotes ))).  =N°  27.  Tell  et  Gessler  dans  la  légende  et  dans  l'histoire 
par  Rochholtz  (M^hly  :  estime  excessives  les  explications  mytholo- 
giques proposées  par  l'auteur,  mais  déclare  son  livre  indispensable  à 
toute  personne  travaillant  sur  la  matière). 

XXXIX.  —  Russische  Revue.' 6*  fasc.  Pepyn.  Esquisses  de 
l'ancienne  civilisation  russe.  =  1^  fasc.  Brueckner.  Contribution  à 
l'histoire  de  Pierre  III  et  de  Catherine  II,  d'après  les  récentes  publi- 
cations de  la  Société  d'histoire  russe  (voy.  Rev.  hist.  Il,  218  et  V, 
p.  159). 

XL.  —  Zeitschrift  fur  Kirchengeschichte.  T.  II,  l^^^  livraison. 
1877.  —  A.  RiTscHL.  Prolégomènes  d'une  histoire  du  Piétisme.  — 
A.  Harnack.  Compte-rendu  critique  des  travaux  relatifs  à  l'histoire  de 
l'Église  jusqu'au  Concile  de  Nicée,  publiés  depuis  janvier  1876  jusqu'en 
avril  1877.  —  Analectes  :  K.  Wieseler.  Le  peuple  des  Galutes  cité  dans 
les  Institutes  de  Gains.  —  0.  Waltz.  Epistolae  Reformatorum.  — 
A.  Schxfer.  Pour  servir  à  l'histoire  des  conversions  princières. 

XLI.  —  Nachrichten  v.  der  kœnigl.  Gesellschaft  der  Wis- 
sensch.  zur  Gœttingen.  N"  14.  —  G.  Trieber.  Les  listes  des  rois 
de  Sparte  et  de  Corinthe  (prouve  que  la  liste  des  rois  de  Sparte 
qui  a  servi  de  base  à  la  chronologie  des  Alexandrins  est  radicalement 
inexacte). 

XLn.  — The  Athenaeum.  9  juin.  B.  Jerrold.  The  life  of  Napoléon  III 
(roman  historique,  quelques  détails  nouveaux  ;  beaucoup  d'erreurs). 
—Documents  relating  to  the  Proceedings  against  W.  Prynne  in  1634  and 
1637,  éd.  by  S.  R.  Gardiner  (contient  un  fragment  de  biographie  par 
feu  Bruce).  =  16  juin.  A.  Trollope.  The  Papal  conclaves  (pour  le  grand 
public).  =  23  juin.  Rise  and  Growth  of  the  Anglican  Schism  by  N. 
Sander,  transi,  by  C.  Lewis  (livre  très-curieux  sur  la  Réforme  anglaise  ; 
l'auteur  s'appelait  Sanders).  =  7  juillet.  A  Memoir  of  the  Life  and 
Times  of  sir  Ralph  Sadleir,  by  Sadleir  Stoney  (un  des  plus  fidèles 
serviteurs  d'Edouard  VI  et  d'Elisabeth,  un  des  geôliers  de  Marie  Stuart  ; 


230  UEc.iiKir-s  PKiuoniyi'Rs. 

tlociimonls  curitnix,  niiiis  iiicomplots.  Cf.  Acadomy  du  21  juillet).  =14 
juillol.  Rocolloctions  ot  R.  Gobdcn,  by  //.  Ashworth.  (Cf.  Acadomy  21 
juillet).  =  21  juillet.  Yorkshire  Diarios  and  Autohiographios  in  the  xvii 
and  xviu  cent,  (très-ennuyeux  ;  les  journaux  d'Eyro  et  de  Shaw  renfer- 
ment des  détails  envieux).— Morlcy.  Critical  Miscellanies  (les  essais  sur 
Turgot  et  Robespierre  sont  remarquables). —/r/7t7)/«.  A  h  is  tory  of  France 
t.  Il  et  III  (bon  manuel  pourl'hist.  jiolitique.  Cf.  Academy  28  juillet).— 
BiRCH.  A  new  greek  fragment  of  egyptiau  bistory  (inscription  du  musée 
de  Liverpool  qui  donne  les  listes  des  rois  telles  qu'elles  existaient  au 
premier  siècle  av.  J.-C.  et  qui  prouve  qu'il  y  a  eu  deux  Manéthon  his- 
toriens, ce  qui  explique  les  divergences  des  listes  données  sous  ce  nom. 
L'inscription  est-elle  authentique?).  —  28  juillet.  P.  Villari.  Niccolô 
Macchiavelli  e  i  suoi  tempi  vol.  I  (A.  de  Gubern.vtis  :  excellent  ouvrage  ; 
l'introduction,  pleine  de  faits  et  d'idées,  est  trop  longue  ;  le  récit  est 
impartial,  mais  avec  une  tendance  visible  à  chercher  toujours  les  cir- 
constances atténuantes). 

XLIII.  —  The  Academy.  2  juin.  Bliicher  in  Briefen  aus  den 
Feldzligen  1813-1815  hgg.  v.  E.  von  Colomb  (Strachey  :  très-intéres- 
sant). —  Lettres  inédites  de  Wentworth  au  sujet  de  sir  David  FouUs 
tirées  des  papiers  légués  par  J.  Forster  au  S.  Kensington  Muséum. 
—  Notice  sur  les  45  mss.  de  Mathias  Gorvin  rendus  à  la  Hongrie 
par  le  sultan.  =  9  juin.  Renaissance  in  Italy  by  /.  Symonds  (J.  Bass 
MuLLiNGER  :  intéressant).  —  Uarda  by  G.  Ebers  (Mahaffy  :  roman 
historique  curieux  et  très-exact).  —  E.  Morris.  The  Age  of  Anne 
(CouRTNEY,  médiocre).  —  Mac  Lennan.  Studies  in  Ancient  History 
(cf.  2  juin.  Ces  deux  études  de  M.  Ralston  sur  le  Mutterrecht  et  la 
famille  primitive  sont  du  plus  vif  intérêt).  —  S.  R.  Gardiner,  Motley 
(article  nécrologique).  =  16  juin.  The  Hist.  Works  of  Ralph  de 
Diceto  éd.  by  Stubbs  2  v.  (Hewlett,  excellente  édition).  —  Ges- 
chichte  Toscana's  v.  A.  v.  Reiimo7it  2  v.  (Greighton  :  bon  livre.)  =  23 
juin.  E.  Abbot.  Bacon  and  Essex  (Gardiner  :  sévère  pour  Bacon,  partial 
pourEssex).  =  30  juin.  The  sixth  Report  of  the  Royal  commis- 
sion on  historical  manuscripts.  —  The  ottoman  power  in  Europe 
by  Freeman  (Tozer  :  très-intéressant).  =  7  juillet.  Calendar  of  state 
Papers  relating  to  négociations  between  England  and  Spain  1527-1529, 
éd.  by  P.  de  Gayangos  (Acton  :  documents  très-précieux;  l'édition  n'est 
pas  sans  défauts).  —  Zur  Geschichte  der  orientalischen  Frage  (Strachey  : 
lettres  inédites  de  Gentz  de  1823-29  pub.  par  M.  de  Prokesch  Osten). 
—  Coterellus  (discussion  curieuse  entre  MM.  Peacock  et  Hewlett  sur  la 
date  à  laquelle  remonte  le  mot  cottereau).  =  14  juill.  South  Africa, 
Past  and  Présent  by  J.  Noble  (Pogock  :  histoire  de  la  colonie  du  Cap). 
—Philippson.  HeinrichlV  u.  Philippe  III.  (Fagniez :  livre  plein  de  choses 
nouvelles).  —  The  Annals  of  England  (57-1660)  4  vol.  (Pottinger:  ma- 
nuel médiocre).  —  L'Athenaeum  et  l' Academy  ont  publié  l'un  et 
l'autre  à  propos  du  jubilé  Gaxtonien  d'intéressants  art.  sur  l'histoire  de 
l'imprimerie.  —  28  juill.  Ranke,  Denkwùrdigkeiten  des  Staatskanzlers 


RECDEILS  PERIODIQUES.  231 

Fùrsten  von  Hardenberg  (Strachey,  publication  très-importante  pour 
l'histoire  européenne  de  1792  à  1815). 

XLR'^.  —  Macmillan's  Magazine.  Juillet.  —  T.  E.  Holland.  L'an- 
cienne organisation  de  l'Université  d'Oxford  (d'après  le  Corpus  statuto- 
rum  publié  en  1636,  et  le  quadrangle  ofthe  Schools). 

XLV. — The  ■Westminster  Revie-w.  Juillet. — Les  corporations  de 
Londres.  —  L'antique  civilisation  gaélique  (d'après  I^,  Sumner  Maine, 
The  early  origin  of  institutions  :  Le  Brehon  law  of  Ireland  ;  Matt.  Ar- 
nold, on  the  Study  of  celtic  literature^  et  Bourke,  The  aryan  origin  of 
the  Gaelic  race  and  language).^ 

XL VI.  —  The  Nineteenth  Centupy.  Juin.  —  J.-Ant,  Froude. 
Thomas  Becket,  sa  vie  et  son  époque  ;  cont.  en  juillet  et  août  (travail 
original  et  important.  M.  Froude  est  très-sévère  pour  l'intempérant 
prélat  ;  mais  il  n'est  pas  injuste). 


XL  VIL — Archivio  storico  italiano.  S^lasc. —  C.  Guasti.  Les  Ma- 
nuscrits Torrigiani  (lettres  écrites  au  nom  du  card.'  Jules  de  Médicis 
du  23  j-'nv.  au  26  fév.  1519;  très-intéressantes  pour  l'histoire  des  négo- 
ciation^ de  François  \^^  pour  la  couronne  impériale  ;  autre  série  de 
lettres  du  8  sept,  au  23  déc.  1520).  —  C.  Minieri  Riccio.  Le  règne  de 
Charles  d'Anjou  ;  de  sept,  à  déc.  1276  (cette  publication  continue  de 
présenter  un  très-vif  intérêt  :  rapports  de  Charles  avec  la  Hongrie,  avec 
les  Sarrasins  de  Sicile,  etc.).  —  Santoni,  Domenico  Ridolfino  Camerte, 
ingénieur  militaire  du  xvi^  s.  (employé  à  la  cour  du  roi  de  Pologne 
Etienne  Battory  de  1582  à  1584  ;  de  nombreux  extraits  de  ses  lettres, 
jusqu'ici  inédites,  fournissent  de  très-curieux  renseignements  sur  la  cour 
de  l'héroïque  et  intelligent  barbare  qui  l'employa).  —  M.  Ricci.  La 
vie  et  les  écrits  de  Baudi  di  Vesme,  mort  le  4  mars  1877.  —  Comptes- 
rendus  très-détaillés  de  MM.Reumont,  Originum  Gisterciensium,  tomus 
I  pub.  par  L.  Janauschek  ;  C.  Lupi,  Inventario  del  R.  archivio  di  stato 
in  Lucca  ;  E.  Poggi.  Fontes  juris  italici  par  G.  Padelletti ;  G.  Fossati, 
Adélaïde  di  Savoia,  duchessa  di  Savoia,  e  i  suoi  tempi  ;  par  G.  Cla- 
retta. 

XLVIII.  —  Archivio  storico  lombardo.  Livr.  du  30  juin.  —  G. 
ToNONi.  Nouveaux  documents  relatifs  à  des  pourparlers  entre  Frédéric 
Barberousse  et  les  Lombards,  pendant  les  quatre  mois  qui  suivirent 
la  défaite  de  l'empereur  à  Legnano.  —  G.  Lambertenghi.  3  lettres 
de  recommandation  écrites  par  le  cardinal  Albano  et  son  secrétaire, 
Maurizio  Gataneo,  au  marquis  d'Esté  en  faveur  du  Tasse  fugitif  (1578)  ; 
plus  une  lettre  du  poète  au  même  personnage  (1583).  —  G.  Intra. 
Mariage  de  la  princesse  Éléonore  de  Gonzague  avec  l'empereur 
Ferdinand  III  d'Autriche,  en  1650  (publication  de  3  pièces  inédites 
contenant  d'un  côté  les  propositions  de  lïmpératrice,  tante  de  la  prin- 
cesse, qui  avait  fait  agréer  sa  nièce  à  l'empereur,  et  de  l'autre,  la  ré- 
ponse des  ministres  mantouans).  —  P.  Talini.  Lanfranc  de  Pavie  et  les 


2.J2  HKCIIKILS    l'KUlODIQIlRS. 

ftiulos  cl;issi([iu's  à  l^ivic  au  nioyi'u  àj^t\  —  Etuilos  piviianitDiros  pour 
un  projet  li'onccitito  l'ortilioc  à  Milan,  en  1521  (texte  découviM-t  dans  les 
Archives  de  Trivulco).  —  G.  Lamueutionghi.  Circulaire  atiressée  au 
clergé  du  duché  de  MiUui  au  sujet  de  la  dime  imposée  par  le  pape  sur 
les  biens  d'église  pour  la  guerre  contre  les  Vénitiens,  en  1483.  —  J. 
Ghiron.  De  la  vie  et  des  entreprises  militaires  de  Facino  Gano  (type 
curieux  de  condottiere  au  xiv«s.).  —  Notice  nécrologique  sur  Bernardo 
Pallastrelli.  —  J.*Ghiron.  La  bannière  de  Mahomet  II,  conservée  à  Tu- 
rin dans  VArwcria  rcalc.  —  Comptes-rendus  détaillés  des  séances  des 
sociétés  d'histoire  et  des  académies  italiennes. 

XLIX.  —  Archivio  veneto.  T.  XIII,  2"  p.  —  G.  Berchet.  Les 
anciennes  ambassades  japonaises  en  Italie  (en  1585  et  en  1G16  ;  le  fait 
même  de  deux  ambassades  envoyées  en  Europe  dans  le  court  espace 
de  temps  où  le  Japon  resta  ouvert  aux  Européens  (1550-1638)  est 
intéressant  ;  mais  elles  ne  produisirent  aucun  résultat).  —  Gfroerer. 
Histoire  de  Venise,  traduite  par  M.  Pinton  ;  suite.  —  V.  Padovan.  La 
numismatique  vénitienne  (suite  :  de  la  chute  à  la  suppression  du 
gouvernement  aristocratique).  —  Urbani  de  Gheltof.  Légende  véni- 
tienne d'Alexandre  III.  —  R.  Fulin.  Le  départ  de  Rousseau  de  Venise. 
(Mécontent  de  son  secrétaire,  l'ambassadeur  de  France  demanda  aux 
Inquisiteurs,  le  24  août,  et  une  seconde  fois  le  4  sept.  1744  d'ordonner 
à  Rousseau  de  quitter  Venise  et  son  territoire  ;  mais  Rousseau  était 
parti  dès  le  22  août  ;  le  document  que  publie  M.  Fulin  rectifie  un 
passage  des  Confessions.)  —  L'expédition  de  Charles  VIII  en  Italie,  par 
Marin  Sanudo  (suite). 

L.  —  Archivio  della  Società,  romana  di  storia  patria.  Vol. 
I,  !'='■  fasc.  —  0.  ToMJiASiNi.  De  l'histoire  de  Rome  au  moyen  âge  et  de 
ses  plus  récents  historiens.  —  I.  Giorqi.  Cartulaires  et  régestes  de  la 
province  de  Rome  :  le  régeste  du  monastère  de  S.  Anastasio  ad  aquas 
Salvias  (description  et  analyse  ;  l'éditeur  a  publié  intégralement  le  texte 
des  chapitres  de  la  paix  entre  la  commune  de  Nemi  et  celle  de  Genzano). 
—  C.  CoRvisiERi.  Les  poternes  du  Tibre  entre  la  porte  flaminienne  et  le 
pont  du  Janicule  (étude  de  topographie  romaine  au  moyen  âge). 

LI.  —  Archeografo   triestino.  Juillet.  —  A.   Hortis.   Documents 

relatifs  à  l'histoire  de  Trieste  et  des  Walsee  (suite  et  fin.  Un  rameau 
de  l'ancienne  famille  suédoise  des  Walsee  fut  l'origine  de  la  famille  de 
Colloredo  qui  joua  un  grand  rôle  dans  l'histoire  duFrioul).  Cette  publi- 
cation vient  de  paraître  en  un  volume  chez  Herrmanstorfer,  à  Trieste. 

LU.  — Academia  dei  Lincei  (à  Rome).  Dans  la  séance  du  17  juin 
1877,  M.  I.  Giampi  a  lu  un  mémoire  concernant  un  recueil  inédit  de 
lettres  de  Fabio  Chigi,  depuis  Alexandre  VIL  Chigi  fut  employé  à 
diverses  missions  diplomatiques  et  prit  part  au  traité  de  Westphalie. 
Sa  correspondance  (10  gros  volumes  de  la  Biblioteca  chigiana)  contient 
des  détails  curieux  et  importants  sur   l'histoire  et  les  principaux  per- 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  233 

sonnages  politiques  de  son  époque,   en  particulier  sur  le  cardinal  Ma- 
zarin. 

LUI.  — R.  Deputazione  di  storia  patria  (Bologne).  25  fév.  —  G. 
M.  Valgimigli.  Notices  sur  les  évêques  de  Faenza  (suite: il  est  question 
d'Alberto,  1221-1239;  de  Giacomo  II,  1239-1242,  et  de  Giulano  ;  ce  der- 
nier n'est  cité  ni  par  Tonducci,  ni  par  Ughelli  ;  il  occupait  déjà  le  siège 
de  Faenza  le  23  juin  1242).  =  6  mai.  Suite  du  travail  de  M.  E.  Masi  sur 
Capacelli  (voy.  Rev.  hist.  IV,  p.  471). 


Liv.  —  Revista  de  archives,  bibliotecas  y  museos.  5  mai  et 

20mai.  —  A.  Pécoul.  Mémoire  présenté  à  l'Académie  royale  d'his- 
toire à  propos  de  la  publication  du  bulletin  espagnol  inséré  dans  la 
Revue  historique,  mars-avril  1877  (ce  mémoire  se  compose  surtout  de 
personnalités  qui  me  touchent  trop  peu  pour  que  je  juge  utile  d'y 
répondre.  La  seule  critique  juste  concerne  mes  omissions,  mais  je  dois 
dire  que  parmi  les  livres  que  me  signale  M.  Pécoul,  il  en  est  plu- 
sieurs qui  n'ont  aucun  droit  à  figurer  dans  une  revue  exclusivement 
historique  (notamment  les  Monumentos  arquitectônicos  de  Espana  et  le 
Refranero  gênerai  espagnol,  qui  est  une  collection  de  proverbes!);  les 
autres  seront  examinés  dans  mon  prochain  bulletin,  et  si  je  n'en  ai 
pas  parlé  plus  tôt,  c'est  ou  bien  qu'ils  n'étaient  pas  publiés  lors  de  la 
rédaction  de  mon  travail,  ou  bien  que  je  ne  les  avais  pas  encore  reçus. 
—  Alfred  Morel-Fatio).  =  5  juin.  Cl.  Penez  y  Gredilla.  Les  archives 
espagnoles  à  Rome  (créées  en  1562  par  Philippe  II).  —  L'armoire  de 
Zurita  (catalogue  des  documents  utilisés  par  Gerônimo  Zurita  pour  la 
rédaction  de  ses  Anales  de  Aragon).  =  20  juin.  Suites  des  deux  travaux 
du  numéro  précédent. 


23'i  CDKOMQCE    ET    IlIULIOGRAPUIE. 


CHRONIQUE  ET  BIBLIOGRAPHIE. 


France.  —  Le  rapport  de  M.  Wallon,  secrétaire  perpétuel  de  l'Aca- 
démie des  inscriptions  et  belles-lettres,  nous  apprend  l'apparition  du 
t.  XXV  des  il/mom?5rfe  ri cadé?me,  comprenant  l'histoire  de  r Académie 
de  18fiI-I8o4  par  M.  Guigniaut,  et  du  t.  XXVII  deVlIisloire  Utlcraire. 
Notre  collaborateur  M.  Gaston  Paris  a  été  adjoint  à  la  commission  de 
lUistoire  littéraire.  Le  t.  IV  des  Historiens  occidentaux  des  Croisades^  qui 
contient  Albert  d'Aix,  est  sur  le  point  de  paraître  ;  le  t.  II  des  Histo- 
riens grecs  est  très-avancé  ainsi  que  la  première  partie  du  t.  III  des 
Historiens  orientaux.  Le  t.  XXIV  des  Historiens  de  France  contiendra 
les  rapports  des  enquêteurs  royaux  sous  saint  Louis,  l'inventaire  des 
comptes  de  Robert  Mignon  et  les  œuvres  historiques  de  Bernard  Gui. 
Le  premier  fascicule  du  Corpus  inscriptionum  semiticarum  est  sous 
presse. 

—  L'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  a  retiré  du  concours 
les  Vies  des  Saints  de  l'époque  de  Clovis.  Pour  l'Histoire  des  Ismaé- 
liens, le  prix  n'a  pas  été  décerné.  Le  mémoire  de  M.  R.  de  Lasteyrie 
sur  les  Inscriptions  de  la  Gaule  à  l'époque  des  Mérovingiens  et  des  Caro- 
lingiens a  été  couronné. 

—  A  la  séance  du  27  juillet,  la  commission  des  antiquités  de  la 
France  a  fait  connaître  les  résultats  du  concours.  Nous  signalerons  les 
récompenses  suivantes  :  l'^  médaille  à  M.  Demay  (Inventaire  des  sceaux 
de  la  Picardie  et  de  l'Artois).  2«  id.  à  M.  Brosselard  {Tombeaux des  émirs 
Béni  Zeyan  et  Boabdil).  3^  id.  à  M.  Peigné-Delacourt  (Histoire  de  l'ab- 
baye de  N.-D.  d'Ourscamp).  2^  mention,  à  M.  Bion  de  Marlavagne  [His- 
toire de  la  cathédrale  de  Rodez).  3^  id.  à  M.  Richard  (les  CoUiberts).  ^^  id. 
à  M.  Brassart  [Histoire  de  la  châtellenie  de  Douai).  6*=  id.  à  M.  Drapey- 
ron  [Caractère  de  la  lutte  entre  l'Aquitaine  et  l'Austrasie  sous  les  Mérovin- 
giens). 

—  Nous  complétons  ici,  d'après  le  rapport  du  secrétaire  perpétuel 
de  l'Académie  française  (séance  publique  annuelle  du  2  août),  les  ren- 
seignements que  nous  avons  déjà  donnés  [Rev.  hist.  IV,  p.  477)  sur  les 
livres  historiques  couronnés  par  l'Académie  :  le  prix  Thérouane  a  été 
partagé  entre  MM.  Foncin  {Ministère  de  Turgot),  Ch.  d'Héricault  [la 
Révolution  de  Thermidor.  Robespierre  et  le  Comité  de  salut  public)  ;  B. 
Zeller  [Henri  IV  et  Marie  de  Médicis)  ;  E.  Lavisse  [la  Marche  du  Brande- 
bourg sous  la  monarchie  ascanienne).  Un  prix  de  2,500  fr.  a  été  donné  à 
M.  P.  AUard  [Les  Esclaves  chrétiens).  M.  Ch.  Lenthéric  a  été  couronné 
pour  son  livre  Les  villes  mortes  du  golfe  de  Lion,  et  M.  R.  Kerviler  pour 


CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE.  235 

ses  études  sur  le  Chancelier  Pierre  Séguier  et  la  Bretagne  et  r Académie 
française. 

—  Le  Journal  officiel  du  21  avril  contient  le  rapport  de  la  division 
des  sciences  et  lettres  au  ministère  de  l'instruction  publique  sur  les 
missions  scientifiques  exécutées  en  1876.  M.  Molard  a  continué  l'inven- 
taire des  documents  relatifs  à  la  Corse  conservés  dans  les  archives  de 
Gènes.  M.  Tuetey  a  coUationné  à  Rome  un  registre  du  Trésor  des 
chartes  qui  manque  à  nos  Archives,  et  qui  s'étend  de  1180  à  1212  ; 
ainsi  que  le  texte  du  journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  Charles  VI 
et  Charies  VH.  Il  a  copié  le  texte  inédit  du  journal  d'un  autre  bour- 
geois de  Paris  sous  Charles  VI.  M.  Bonassieux  a  fait  des  recherches  à 
Toulouse,  Carcassonne,  Perpignan,  Girone  et  Barcelone  sur  la  campagne 
de  Philippe  le  Hardi  en  Catalogne  en  1285.  M.  de  Mas  Latrie  a  copié 
ou  fait  copier  à  Venise  dix  volumes  de  dépêches  des  ambassadeurs 
vénitiens  aux  xvi^,  xvn«  et  xvni*  s.  M.  Bonnardot  a  recueilli  les  chartes 
françaises  des  archives  et  bibliothèques  de  Toul,  Nancy,  Epinal  et 
Verdun.  Enfin  M.  Fagnan  a  copié  à  Oxford  le  t.  Il  de  l'ouvrage  d'Ibn 
Bassam  sur  les  Arabes  d'Espagne. 

—  Parmi  les  manuscrits  récemment  acquis  par  la  Bibliothèque  natio- 
nale figurent  297  lettres  écrites  par  Napoléon  III  à  M-""^  H.  Cornu  du 
25  août  1829  au  19  déc.  1872.  (Nouv.  acq.  1066-67.)  La  communication 
en  est  interdite  jusqu'en  1885,  époque  à  laquelle  M.  Renan  ou,  à  son 
défaut,  M.  Duruy,  les  publiera.  Avant  l'entrée  de  ces  mss.  à  la  Biblio- 
thèque, M.  Blanchard  Jerrold  a  pu  s'en  servir  pour  sa  vie  de  Napoléon  III. 

—  Le  concours  ouvert  par  la  Société  de  bibliographie  pour  un  catalogue 
des  documents  relatifs  aux  corporations  ouvrières  n'a  pas  donné  de 
résultat.  Parmi  les  brochures  de  propagande  politique  et  religieuse  sous 
forme  d'exposition  historique,  publiées  par  la  Société,  nous  signalerons 
celle  de  M.  AUain,  sur  VInstruction  primaire  avant  la  Révolution  où  se 
trouvent  réunis  beaucoup  de  faits  intéressants.  La  Société  annonce  enfin 
la  publication,  attendue  depuis  longtemps,  de  récits  historiques  tirés 
des  sources  du  M.-A.  :  St  Louis  par  M.  A.  de  Lespinasse  ;  les  Derniers 
Carolingiens,  par  M.  Babelon  ;  et  la  Chronique  de  Du  Guesclin  par 
M.  Richou. 

—  La  Revue  des  Questions  historiques  annonce  que  MM.  E.  de  Bou- 
teiller  et  de  Braux  vont  faire  paraître  un  travail  important  sur  la 
Famille  de  Jeanne  d'Arc,  qui  contiendra  la  correspondance  de  Charles 
du  Lys  avec  Jean  Hordal  vers  1610. 

—  Le  même  recueil  nous  apprend  qu'un  comité  composé  de  MM.  de 
la  Borderie,  Ropartz,  l'abbé  Auffier  et  D.  Plaine  vient  de  se  constituer 
à  Rennes  pour  publier  les  Acta  SS.  Dritanniac  Armoricae. 

—  Notre  collaborateur  M.  de  Mas  Latrie  prépare  une  Histoire  diplo- 
matique des  archevêques  latins  de  Nicosie,  dont  nous  publions  un  frag- 
ment dans  le  présent  numéro. 


236  CHROMQUE    ET    HI  lU.KX.IlAl'UIE. 

—  Notrn  collahorattnir,  M.  Luco,  s'uccupo  activomonl  du  VIIl"  vol. 
de  Frnissarl,  et  pivpuro  uno  odilion  (Vuno  Chroiiiquc  de  l'abbaye  du  Mont 
Saint-Afichcl  (I3''j3-l''i68),  qui  sora  suivio  d'un  rocuoil  do  pièces  allant 
de  l'ilT  à  l'i50. 

—  La  Soci(Hc  d'Histoire  de  France  entreprend  ou  va  entreprendre  la 
]Hil)lication  des  ouvrages  suivants  :  Anecdotes  historiques,  légendes  et 
apologues  tirés  d'un  ouvrage  inédit  d'Etienne  de  Bourbon,  dominicain  du 
XIIl'  5.,  édités  par  M.  Lecoy  de  la  Marche.  —  Mémoires  de  Nicolas  de  la 
Mothe-Goulas  par  M.  Gh.  Constant  (N.  Goulas  était  un  familier  de  la 
cour  de  Gaston  d'Orléans  frère  de  Louis  XHI  ;  il  a  recueilli  dans  ses 
mémoires  de  curieux  détails  sur  les  événements  et  les  personnages  de 
son  époque.  L'édition  aura  pour  base  3  mss.  :  un  de  Paris,  deux  de 
Vienne  qui  sont  de  la  même  main  et  qui  paraissent  autographes).  — 
Etablissements  de  Saint  Louis  par  M.  P.  VioUet.  —  Lettres  de  Louis  XI 
par  MM.  Vaesen  et  Et.  Gharavay.  —  Sources  grecques  de  la  géographie 
et  de  l'histoire  de  la  Gaule  par  M.  Gougny.  —  Vie  de  Baijart,  par  le  loyal 
serviteur,  par  M.  Roman.  —  Documents  relatifs  à  Du  Guesclin,  par 
M.  Luce. 

Angleterre.  —  On  annonce  la  mort  de  M.  John  Stuart,  secrétaire 
de  la  Société  des  Antiquaires  d'Ecosse.  Il  a  publié  pour  cette  Société 
les  Records  of  the  Isle  of  May  et  les  Records  of  Ihe  monastcry  of  Kinloss. 
On  lui  doit  la  découverte  de  la  dispense  de  mariage  de  Bothwell  avec 
lady  Jane  Gordon ,  découverte  dont"il  a  exposé  les  résultats  dans  une 
brochure  intitulée  :  a  lost  chapter  in  the  history  of  Mary,  queen  nf 
Scots  (voy.  Academy  VI,  623). 

—  Il  y  a  quelques  mois,  le  gouvernement  anglais  avait  annoncé  la 
resolution  d'envoyer  au  pilon  les  pièces  d'archives  reconnues  inutiles  et 
qu'on  ne  savait  où  loger;  certaines  séries  de  pièces  avaient  même  été 
désignées  pour  la  destruction.  Les  réclamations  ne  manquèrent  pas,  et 
décidèrent  le  gouvernement  à  déclarer  tout  d'abord  que  l'on  ne  détruirait 
aucune  pièce  antérieure  à  l'avènement  de  la  maison  de  Hanovre.  La  ques- 
tion des  doubles  est  encore  pendante  ;  elle  est  assez  délicate,  car  on  avait 
rangé  dans  cette  série,  condamnée  en  bloc,  les  Pells  receipt  rolls  et  les 
Issue  rolls  jusqu'en  1782  qui  sont,  paraît-il,  les  archives  mêmes  de  la 
Court  of  receipt.  Une  liste  des  documents  condamnés  est  déposée  sur  le 
bureau  de  la  Ghambre  des  lords;  mais  on  demande  avec  raison  qu'une 
■commission  spéciale  soit  nommée  pour  les  examiner  avec  soin  et  n'en- 
voyer au  pilon  —  si  l'on  ne  peut  échapper  à  cette  nécessité  —  que  les 
documents  reconnus  pour  n'être  réellement  d'aucune  valeur.  Voy.  pour 
plus  de  détails  VAtheneum  et  VAcademy  du  9  juin  dernier. 

—  M.  James  Gairdner  prépare  une  histoire  de  Richard  III  à  l'aide 
de  nombreux  documents  inédits  ou  peu  connus. 

—  La  Harleian  Society  se  propose  de  publier  les  plus  importants  des 
registres  de  paroisse;  elle  débutera  par  ceux  de  St-Pierre,  Gornhill,  à 
Londres,  qui  commenoent  en  1538. 


CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE.  237 

—  On  annonce  que  le  Corpus  mscriptionum  indicarum  publié  par  le 
général  Gunningham  est  sous  presse.  Voy.  un  art.  sur  les  Inscriptions 
d'Asoka,  découvertes  par  le  général,  dans  VAcademy  du  14  juillet. 

—  Les  syndics  de  VUniversitij  Press^  à  Cambridge,  ont  invité  M.  Bass 
MuLLiNGER-,  notre  collaborateur,  à  continuer  l'histoire  de  l'Université.  Le 
prochain  volume  comprendra  la  période  de  1535  à  1700. 

—  On  annonce  un  ouvrage  important,  en  2  vol.,  de  M.  Seeley  sur 
le  baron  de  Stein,  sa  vie  et  son  époque. 

Allemagne.  —  Le  14  juillet  dernier  est  mort  dans  son  château  de 
Rheineck  le  chef  de  l'école  de  droit  historique  en  Allemagne,  Moritz- 
August  VON  Bethmann-Hollweg.  Il  était  né  à  Francfort-sur-le~Mein  le 
10  av.  1795.  Il  fut  privât  docent  à  Berlin  en  1818,  professeur  suppléant 
de  droit  (1821),  enfin,  professeur  titulaire  (1823).  Six  ans  plus  tard,  il 
fut  nommé  professeur  à  Bonn  où  il  enseigna  jusqu'en  1842,  et  où  il 
exerça  jusqu'en  1845  les  fonctions  de  curateur  de  l'Université.  Cette 
même  année,  il  fut  nommé  par  le  roi  Frédéric-Guillaume  IV  membre 
du  conseil  d'Etat  prussien;  le  6  nov.  1858  le  roi  Guillaume,  aujourd'hui 
régnant,  le  fit  entrer  comme  ministre  de  l'instruction  publique  dans  le 
ministère  dit  de  «  l'ère  nouvelle  ».  Il  en  sortit  en  1862  et  se  mit  à  con- 
denser les  résultats  de  ses  recherches  antérieures  dans  un  ouvrage  qui 
peut  toujours  être  nommé  à  côté  des  travaux  de  Savigny  sur  le  droit 
romain  :  der  civil  Process  des  gemeincn  Redits  in  geschichtlicher  Entwi- 
ckelung.  Jusqu'à  la  première  partie  du  6«  volume,  le  laborieux  érudit  tra- 
vailla seul  à  son  œuvre;  mais  en  1874,  il  confia  le  soin  de  la  terminer 
à  M.  Wach,  professeur  à  Leipzig.  Parmi  ses  autres  ouvrages,  le  plus 
intéressant  au  point  de  vue  historique  est  celui  où  il  étudia  l'origine  de 
la  liberté  communale  en  Lombardie.  Il  y  montra,  contre  Savigny,  que 
la  constitution  romaine  des  cités  avait  péri  au  moyen-âge,  démonstra- 
tion qui  fut  reprise  ensuite  par  G.  Hegel  d'une  manière  plus  systéma- 
tique. La  loyauté,  l'honorabilité,  le  patriotisme  sans  tache,  la  vaste 
érudition  de  Bethman-Hollweg  ont  été  reconnus  même  par  ses  adver- 
saires, aussi  sa  mort  a-t-elle  excité  en  Allemagne  et  dans  toute  l'Europe 
savante  d'unanimes  regrets. 

—  Le  10  juin  est  mort  le  prof.  A.  Tholuck,  auteur  de  nombreux  écrits 
relatifs  à  l'histoire  de  la  théologie.  Il  était  né  en  1799. 

—  Liste  des  cours  d'histoire  dans  les  universités  allemandes  de  léna, 
Strasbourg,  Dorpat,  Kœuigsberg  pendant  le  l^r  semestre  de  l'année 
1877-78. 

lÉNA.  —  Hase.  Hist.  ecclésiastique  de  500  à  1750. —  Bœhtlingk.  Histoire 
de  l'empire  germanique  de  Charlemagne  à  la  Réforme. —  Schmidt.  Hist. 
contemporaine  de  1815  à  1848. 

Strasbourg.  —  Knapp.  Hist.  polit,  et  soc.  de  l'Angleterre  et  de  la 
France  depuis  1789.  —  Baumgartcn.  Hist.  des  guerres  de  religion.  Hist. 
de  Prusse  depuis  1640.  —  Kaufmann.  Histoire  de  l'Allemagne  et  de  la 


23S  cnnoMQrE  kt  nini.for.RAPniE. 

l'apautf  jus(|irà  Charl(>mag;ne.  —  Scln'ller'lioichorsl.  Ilist.  des  Inslilu- 
tions.  —  Schctrr.  Explication  de  la  Germanie  de  Tacite.—  Wilmanns. 
Hist.  de  la  Grèce  depuis  la  guerre  du  Péloponnèse. 

DouPAT.  —  Engclhart.  Hist.  ccclés.  —  Dergbolim.  Hist.  du  droit  alle- 
mand. —  nriickncr.  Hist.  du  système  polit,  de  l'Europe.  Hist.  moderne 
de  la  Russie  jusqu'en  1725.  —  llausmann.  Hist.  de  la  Livonie.  —  Men- 
ddssohn.  Hist.  de  la  Grèce. 

KcENiGSBERo.  —  Erbkam.  Hist.  ecclés.  Hist.  contemp.  de  l'Eglise.  — 
FriedhTnder.  Epigraphie  romaine.  —  Kakkstcin.  Hist.  de  la  Réforme  et 
de  la  Révolution  anglaises.—  Lohmeyer.  Hist.  du  N.-E.  de  l'Allemagne 
au  moyen-âge.—  Prutz.  Hist.  de  la  Papauté.  Hist.  de  l'empire,  de  Ghar- 
lemagne  à  Charles-Quint.  Hist.  de  l'époque  révolutionnaire.  —  RiM. 
Histoire  grecque.—  Wickert.  Histoire  ancienne  de  l'Allemagne  jusqu'à 
Charlemagne.  Histoire  de  rhisloriographic  allemande  jusqu'au  xv«  s. 

—  A  l'occasion  du  quatrième  centenaire  de  l'Eberhard-Karls-Uni- 
versitœt  à  Tubingue,  la  librairie  K.  Aue,  de  Stuttgard,  a  publié  un 
Festschrift^  où  nous  remarquons  les  deux  mémoires  suivants  :  W.  Eyd, 
Contributions  à  l'histoire  du  commerce  dans  le  Levant  au  xiv^  s.  — 
Th.  ScHOTT,  Le  duc  Louis  de  Wurtemberg  et  les  protestants  français 
de  1568  à  1570. 

—  M.  GoERz  a  publié  en  1876  à  Coblence  (Denkert  et  Groos)  sous  le 
titre  :  Mittclrheintsche  Regesten  le  !«■•  vol.  d'un  catalogue  de  tous  les  actes 
imprimés  et  manuscrits  relatifs  aux  cercles  de  Coblence  et  de  Trêves.  Ce 
travail,  qui  peut  servir  utilement  de  guide  et  de  répertoire  chronologique 
au  milieu  des  matériaux  nombreux  et  dispersés,  ne  comprend  jusqu'ici 
que  les  années  509-1152.  Des  notes  fréquentes  éclaircissent  les  questions 
de  détail.  Malgré  le  zèle  de  l'auteur,  il  a  laissé  échapper  un  grand 
nombre  d'erreurs  (voy.  à  ce  sujet  Literatur  Zeitimg,  1877,  p.  362). 

—  La  Société  d'histoire  hanséatique,  dont  la  7"  ass.  annuelle  a  eu 
lieu  à  Stralsund  en  mai  dernier,  a  résolu  de  publier  intégralement  les 
Recès  de  la  Hanse,  ainsi  que  les  documents  d'autre  sorte  qui  peuvent 
intéresser  la  période  primitive  de  son  histoire;  ceux  d'une  date  plus 
récente  seront  publiés  sous  forme  d'analyse.  MM.  von  der  Ropp  et 
Schœfer  continueront  la  publication  des  Recès  de  1430-70  et  1470-1530. 

—  M.  H.  Prutz  prépare  une  Histoire  de  la  civilisation  franque  en 
Syrie  au  moyen-âge. 

—  M.  Henri  Tollin,  pasteur  de  la  colonie  française  de  Magdebourg, 
qui  a  déjà  publié  nombre  de  brochures  et  d'articles  de  revues  sur 
Michel  Servet  et  Calvin,  nous  annonce  qu'il  a  sous  presse  en  ce  moment 
deux  nouveaux  volumes  sur  ce  sujet  :  Bas  Lehrsystem  Michel  Servets 
genetisch  dargestelU,  2^  vol.  :  die  Wiederherstellung  des  Christenthums, 
et  Servet  und  die  oberlsndischen  Reformatoren. 

Autriche.  —  M.  G.  Wolf  a  publié  en  1876  à  Vienne  une  Histoire 


LISTE  DES  LIVRES  De'pOSÉS  AU  BUREAU  DE  LA  REVUE.  239 

des  Juifs  à  Vienne  (Geschichte  derJuden  in  Wien.Hœlder,  282  p.in-S"). 
Malheureusement  cet  intéressant  sujet  n'a  pas  été  traité  comme  il  le 
mérite  et  le  livre  de  M.  W.  n'est  qu'une  compilation  sans  méthode. 

Suisse.  —  Voici  la  liste  des  cours  d'histoire  des  universités  de  Bâle, 
Berne  et  Zurich  pour  le  l^r  semestre  de  l'année  1877-78. 

Bale.  —  Stashelin.  Hist.  de  l'Église  depuis  1648.  —  Boos.  Hist.  des 
institutions  politiques  à  Rome  et  en  Allemagne.  —  Burckhart.  Hist.  de 
l'époque  révolutionnaire.  —  Visclier.  Hist.  du  droit  constitutionnel  de 
la  confédération  et  des  cantons  suisses  jusqu'en  1798. 

Berne.  —  Studer.  Hist.  du  peuple  d'Israël.  —  Woker.  Hist.  de  la 
Papauté.  —  Michaud.  Hist.  de  l'Église  (temps  modernes).  —  Hidber. 
Hist.  de  la  Suisse  '  depuis  la  guerre  civile  de  1712  jusqu'au  renverse- 
ment de  la  république  helvétique.  Hist.  de  la  Suisse  depuis  la  consti- 
tution de  1803  jusqu'en  1838.  —  Stem.  Hist.  de  l'antiquité.  Hist.  con- 
temporaine depuis  1848.  —  Gisi.  Hist.  ancienne  de  la  Suisse. 

Zurich.  —  Fritzchc.  Hist.  çcclés.  du  xvni''  et  du  xix^  s.  —  Meyer  von 
Knonau.  Hist.  du  moyen-âge.  —  Millier.  Hist.  de  l'empire  romain.  — 
Vœgelin.  Histoire  de  la  civilisation  en  Suisse,  du  xy^  à  la  fin  du 
xvHie  siècle. 


LISTE  DES  LIVRES  DÉPOSÉS  AU  BUREAU  DE  LA  REVUE 

(Nous  n'indiquons  pas  ceux  qui  ont  été  jugés  dans  les  Bulletins 
et  la  Chronique.) 

Germer-Durand.  Enceintes  successives  de  Nîmes  depuis  les  Romains  juscpi'à 
nos  jours.  Nîmes,  Catélan.  Pr.  2  fr.  —  Jourdanet.  Histoire  véridique  de  la 
conquête  de  la  Nouvelle-Espagne  écrite  par  le  capitaine  Bernai  Diaz  del  Castillo. 
2'  édit.  Masson.—  Fr.  Ravaisson.  Les  Archives  de  la  Bastille,  tome  IX  (1687-92). 
Durand  et  Pedone  Lauriel.  Pr.  9  fr,  —  Vinck  d'Orp.  Le  meurtre  du  21  janvier 
1793.  Calmann  Lévy. 

Arneth.  Maria  Theresia's  letzte  Ragierungszeit  1763-80,  2=  vol.  Vienne, 
Braumiiller.  —  Gilbert.  Beitrœge  zur  innern  Geschichte  Athens  im  Zeilalter 
des  peloponnesischen  Krieges.  Leipzig,  Teubner.  —  A.  v.  Kremer.  Cultur- 
geschichte  des  Orients  unler  der  Chalifen,  2''  vol.  (sur  le  1"  vol.,  voy.  Rev.  hist., 
II,  234).  —  Muehlbacher.  Die  Datirung  der  Urkunden  Lothar  II  (extrait 
des  Mémoires  de  l'Académie  des  Sciences  de  Vienne ,  t.  85  ).  Vienne , 
Gerold's  Sohn.  — Odhner.  Die  Politik  Schwedens  im  westphœlischen  Friedens- 
congress,   u.   die  Griiiidung  der   Schwedischen  Herrschafl.  Gotha.  Perthes.  — 


240  ERRATA. 

RiTTKU.  Hrielo  ii.  Acten  zur  GcschichI»'  clos  30  .j;i'lirif;(Mi  Kri«'j;('s  in  dcn  Zciten 
tlos  v.uwaltoiuli'ii  Einlliisses  dcr  Wilfelsbaclier.  3"  part.  :  Dor  jiiliclier  Krbfolge- 
krioij.  Miinicli,  Riof^er.  —  Schum.  Dio  Polilik  Papst  Paschals  11  >^i}^on  Kaiser 
HtMiuioh  V  (lirî).  —  SiOKEL.  lîeitrœse  zur  Diplomalik,  G'^^  pari,  (extrait  des 
Mt'inoiros  do  i'Aoad.  dos  Scioncos  do  Vioiiiio,  fov.  1877).  Viouno,  Oorold's  Solin. 
—  W'iTTMANN.  Dio  Plalsfirafon  \ou  Bayorn.  Munich,  Ackermann. 

Quollon  zur  Solnvoizor  Goschichto,  hf^g.  von  dor  allgoiiicinen  Geschiciilfors- 
chondon  Gosollscliat't  dor  Sclnvoiz.  1"  vol.  Râle,  Schnoidor.  —  Wartmann. 
Urkundenbuch  dor  Ablei  Sanct  Gallen  3'  part.  livr.  1,  2,  3.  S.  Gall,  Zollikofer 
1875-76. 

OwKN.  A  sélection  from  the  despalches,  treaties  and  other  papers  of  tho 
inaniuess  Welieslej ,  duriiifi  liis  government  of  India.  Oxford,  Clarendon 
press. 

Ri ANcni.  Storia  délia  monarchia  pietnontese  dal  1773  sino  al  1861.  1'^'  vol., 
jusqu'en  1792.  Florence,  Bocca.  Pr.  8  1.  —  Campori.  Rainiondo  Montecuccoli. 
Florence,  Barborà.  Pr.  8  1.  —  Casoni.  Storia  del  bombardamento  di  Genoa  nell' 
anno  mdclxxxiv.  Gônes,  impr.  des  Sourds-Muets.  —  IIortis  (Attilio).  Docu- 
ment i  riguardauli  la  storia  di  Trieste  e  dei  Walsee.  Trieste,  Hermannstorfer.  — 
Le  nit^ino  :  Cenni  di  Giov.  Boccacci  intorno  a  Tito  Livio.  Trieste,  tip.  del  Lloyd 
austriaco.  —  ViLLARi.  Niccolô  Macchiavelli  e  1  suoi  tempi.  1"  vol.  Florence. 
Lenionnier. 

Rozpraw7  i  sprawozdania  z  posiedzen  wydzialu  filologicznego  akademii  Umie- 
jetnosci.  T.  IV  et  V.  Cracovie,  1876. 


Errata  du  précèdent  numéro. 


P.  352,  1.  16,  après   Saint-Priest,  ajouter  :  (sic)  ;   l'orthographe  du    nom  de 

l'acteur  est  Saint-Prix. 
P.  367.  L'auteur  de  Y  Histoire  de  la  Révolution  de  1848  est  M.  "Victor  Pierre, 

et  non  M.  Eugène  Pierre,  auteur  de  V Histoire  des  Assemblées 

politiques. 
P.  466,  1.  35,  au  lieu  de  1875,  lire:  1877. 


L'un  des  propriétaires-gérants,  G.  Monod. 


Imprimerie  Gouverneur,  G.  Daupeley  à  Nogent-le-Rotrou. 


LES  REFUS  DE  SACREMENTS 


1752-1754. 


C'est  une  erreur  de  croire  que  le  mouvement  d'opinion  d'où 
sortit  la  Révolution  date  uniquement  des  philosophes.  Longtemps 
avant  qu'ils  fussent  arrivés  à  régner  sur  les  intelligences,  le 
pouvoir  en  France  était  combattu  par  une  violente  opposition,  et 
déjà,  à  diverses  reprises,  le  mot  de  Révolution  avait  été  pro- 
noncé dans  le  public.  L'origine  de  cette  opposition  datait  de  la 
fin  du  règne  de  Louis  XIV.  Ce  prince,  que,  dans  ses  dernières 
années,  gouvernaient  les  Jésuites,  avait  voulu  imposer  à  la 
France  les  doctrines  ultramontaines  ;  et,  dans  ce  but,  il  avait 
obligé  le  Parlement  k  enregistrer  la  célèbre  bulle  Unigenitus, 
qui,  sous  couleur  de  condamner  le  jansénisme,  offrait  tout  un 
programme  de  ces  doctrines.  Il  souleva  une  agitation  qu'il  eut 
peine  à  contenir.  Un  moment  apaisée  au  début  de  la  Régence, 
cette  agitation  se  produisit  avec  une  force  nouvelle,  quand  on 
vit  le  duc  d'Orléans,  qui  avait  paru  d'abord  s'éloigner  des  idées 
du  feu  roi,  y  adhérer  à  son  tour  et  s'unir  avec  Rome.  Dès  lors 
deux  partis  se  formèrent  :  dans  l'un  étaient  les  Jésuites  et  le  haut 
clergé;  dans  l'autre,  toute  la  nation.  Sous  le  ministère  du  car- 
dinal de  Fleury,  cette  alliance  de  la  royauté  et  du  saint-siége 
devint  plus  étroite,  et  tous  les  moyens  d'un  gouvernement  arbi- 
traire furent  employés  pour  substituer  les  théories  romaines  aux 
maximes  gallicanes  qui  étaient  celles  de  la  majorité  du  pays.  Le 
mécontentement  gagna  le  second  ordre  du  clergé,  la  magistra- 
ture, la  bourgeoisie,  le  peuple.  De  religieuse  qu'elle  était,  l'op- 
position devint  politique.  Quand  Fleury  mourut,  au  mois  de  jan- 
vier 1743,  il  y  eut  pendant  -quelques  années  une  trêve  à  cette 
agitation.  A  la  vérité,  la  France  était  alors  engagée  dans  une 
guerre  qui  absorbait  toutes  les  préoccupations.  Après  la  paix 
signée,  en  1748,  les  Jésuites  reprirent  leurs  menées  et  résolurent 
Rev.  Histor.  y.  2'=  FASc.  '16 


242  F^Lix  uor.Qii.UN. 

de  consommer  l'œuvre  qu'ils  poursuivaient  depuis  plus  de  trente 
années.  Un  elFort  décisif  leur  paraissait  d'autant  plus  nécessaire 
que  les  doctrines  philosophiques  commençaient  à  se  faire  jour. 
En  1748,  Montesquieu  avait  publié  son  Esprit  des  lois;  après 
lui,  Buffon  imprimait  son  Histoire  naturelle ,  et  en  1751  parais- 
sait le  premier  volume  de  V Encycloi^èdie.  Les  Jésuites,  qui 
avaient  habilement  préparé  le  terrain,  avaient  alors  pour  alliés 
les  princes  du  sang  et  la  plupart  des  ministres.  Ils  avaient  gagné 
à  leur  j)arti  M'""  de  Pompadour,  qui  se  donnait  en  ce  moment 
des  airs  de  dévotion  et  soumettait  à  leurs  lumières  la  grave  ques- 
tion de  savoir  si  elle  pouvait  continuer  à  vivre  avec  le  roi  comme 
son  amie,  après  avoir  vécu  avec  lui  comme  sa  maîtresse.  Enfin 
le  second  ordre  du  clergé,  épuré  par  leurs  soins,  leur  était,  avec 
les  évêques,  également  favorable.  Forts  de  ces  appuis,  ils  entre- 
prirent la  lutte.  Leur  premier  acte  fut  de  soulever  un  orage 
contre  les  philosophes,  afin  de  «  réduire  au  silence  les  meilleurs 
écrivains  de  Paris.  »  A  leur  instigation,  un  arrêt  du  Conseil 
supprima  ce  qui  avait  paru  de  Y  Encyclopédie .  Tous  les  manus- 
crits de  ce  grand  ouvrage,  exigés  par  une  lettre  de  cachet,  durent 
être  livrés  par  Diderot.  Lui-même  prit  la  fuite;  et  tous  ses  colla- 
borateurs se  virent  menacés  dans  leur  liberté.  Tranquilles  du  côté 
des  philosophes,  les  Jésuites  engagèrent  dès  lors,  en  s'armant  de 
la  bulle  Unige^iitus  ou,  comme  on  disait,  de  la  Constitution,  un 
combat  décisif  contre  le  jansénisme ,  nom  sous  lequel  se  confon- 
daient tous  les  partis  ennemis  de  l'ultramontanisme.  Dès  le 
mois  de  février  1752,  injonction  était  faite  à  tous  les  confesseurs 
du  diocèse  de  Paris  d'interroger  leurs  pénitents  sur  la  Constitu- 
tion et  de  se  montrer  inflexibles  pour  tous  ceux  qui  ne  la  recon- 
naîtraient pas  comme  article  de  foi.  La  guerre  des  billets  de 
confession  allait  commencer. 


Dans  les  derniers  jours  du  mois  de  mars  1752,  le  curé  de  Saint- 
Étienne-du-Mont,  Bouettin,  le  même  qui,  en  1749,  avait  refusé 
les  sacrements  à  l'ancien  recteur  Coffin,  faute  d'un  billet  de  con- 
fession signé  d'un  prêtre  adliérent  à  la  Constitution,  les  refusait 
pour  le  même  motif  au  prêtre  Le  Mère,  fort  âgé  et  malade.  Celui-ci 
se  plaignit  au  Parlement.  Le  curé,  interrogé,  répondit  avoir  agi  sur 
l'ordre  exprès  de  son  supérieur,  l'archevêque  de  Paris.  Le  Parle- 


LES    REFUS   DE    SACREMENTS.  243 

ment  rendit  un  arrêt ^  aux  termes  duquel  l'archevêque  était  invité 
à  faire  administrer  le  prêtre  Le  Mère  dans  les  vingt-quatre  heures 
et  le  curé  menacé,  en  cas  de  récidive,  de  la  saisie  de  son  temporel. 
L'archevêque  et  les  Jésuites  «  se  remuèrent.  »  Le  roi  cassa  l'arrêt, 
et,  par  une  décision  de  son  ConseiP,  se  réserva  la  connaissance 
de  l'affaire.  Les  magistrats  envoyèrent  représenter  au  monarque 
que  l'état  pressant  du  malade  exigeait  qu'il  fût  promptement  admi- 
nistré, et  le  supplièrent  de  donner  des  ordres  en  conséquence. 
Ces  ordres  ne  furent  point  donnés,  et  le  malade  mourut  sans 
sacrements.  A  cette  nouvelle  se  produisit  dans  Paris  une  fermen- 
tation comme  on  en  avait  vu  peu  d'exemples,  disait-on,  depuis 
l'époque  des  guerres  civiles.  «  C'était,  écrivait  d'Argenson,  une 
haine  contre  le  roi  et  un  mépris  du  gouvernement  qui  n'annon- 
çaient que  des  choses  funestes^.  »  Quatre  mille  personnes  s'étaient 
rendues  à  l'enterrement  de  l'ancien  recteur  Coffin;  il  y  en  eut 
dix  mille  à  celui  de  Le  Mère.  Se  faisant  l'interprète  du  ressenti- 
ment public  et  n'osant  sévir  contre  l'archevêque,  le  Parlement 
décréta  le  curé  de  prise  de  corps  et,  sur-le-champ,  l'envoya  appré- 
hender. Jusqu'à  quatre  heures  après  minuit,  il  resta  en  séance, 
attendant  l'exécution  de  son  décret  ;  mais  le  curé  avait  pris  la 
fuite.  Le  roi,  offensé  que  les  magistrats  fussent  intervenus  dans 
une  affaire  qu'il  avait  évoquée  à  sa  personne,  cassa  le  décret  de 
prise  de  corps  «  comme  attentoire  à  son  autorité^  »  et  ordonna  de 
cesser  les  poursuites.  Le  Parlement  se  disposait  à  protester,  quand 
de  nouveaux  faits  vinrent  aggraver  la  situation^. 

Le  prêtre  Le  Mère  était  à  peine  inhumé,  que  se  produisaient 
tout  aussitôt  à  Paris  et  en  province  d'autres  refus  de  sacrements. 
Devant  ce  «  commencement  de  Ligue,  »  les  magistrats  portèrent 
au  roi  des  remontrances  comparables  «  aux  harangues  que  fai- 
saient les  Romains  à  la  tribune''.  »  Ils  lui  représentèrent  combien 
de  désordres  avaient  été  causés  dans  l'Église  par  la  Constitution, 
et  qu'à  ces  désordres  étaient  dus  les  visibles  progrès  de  l'esprit 
d'impiété  ;  qu'au  nom  d'une  buUô  qui  attaquait  les  libertés  de  la 
France  et  qu'il  était  impossible  de  considérer  comme  article  de 


1.  23  mars  1752. 

2.  25  mars  1752. 

3.  D'Argenson,  VII,  168. 

4.  Par  arrOt  du  Conseil  du  7  avril  1752. 

5.  Pour  tout  ce  qui  précède,  voy.  Barbier,  V,  176-192. 

6.  D'Argenson,  VII,  202. 


2^.î  FKMX    UOr.QliAlN. 

foi,  les  ôvèquos  lovaient  ouvertemenl,  h  cette  heure,  «  l'étendard 
du  schisme;  »  qu'on  les  verrait  bientôt  «  mettre  à  l'admission 
aux  sacrements  telles  conditions  qu'il  leur  plairait  et  se  rendre 
les  arbitres  de  l'État  et  de  la  fortune  des  citoyens;  »  que  rien 
n'était  «  aussi  menaçant  pour  les  empires  »  que  les  dissensions 
religieuses;  qu'ils  ne  cesseraient,  quant  à  eux,  d'en  signaler  le 
danger,  et  que  telle  était  à  cet  égard  leur  résolution  que,  «  pour 
étouffer  leur  voix,  il  faudrait  les  anéantir  *.  »  Le  premier  prési- 
dent, dans  une  conférence  particulière  qu'il  eut  avec  Louis  XV, 
lui  dit,  les  larmes  aux  yeux  :  «  Sire,  on  vous  trompe,  il  est  temps 
de  le  voir  ;  le  schisme  détrône  les  rois  avec  moins  de  monde  que 
les  nombreuses  armées  n'en  peuvent  soutenir 2.  »  Le  Parlement  ne 
se  borna  pas  à  ces  représentations.  Assuré  du  concours  de  l'opinion, 
assuré  de  celui  des  parlements  de  province  qui  s'étaient  empressés 
de  lui  écrire  et  promettaient  de  le  seconder^,  il  résolut  d'agir.  Il 
rendit,  le  18  avril,  un  arrêt  de  règlement  par  lequel  «  était 
défendu  à  tous  ecclésiastiques  de  faire  aucuns  actes  tendant  au 
schisme  et  notamment  aucuns  refus  de  sacrements,  sous  prétexte 
du  défaut  de  représentation  d'un  billet  de  confession  ou  d'accep- 
tation de  la  bulle  Unigenitus,  à  peine  contre  les  contrevenants 
d'être  poursuivis  comme  perturbateurs  du  repos  public  et  punis 
suivant  la  rigueur  des  ordonnances.  »  Toute  la  nuit,  on  travailla 
à  l'impression  de  cet  arrêt,  et  le  lendemain  19,  dès  cinq  heures 
du  matin,  on  l'affichait  à  tous  les  coins  des  rues. 

Cet  arrêt  fut  reçu  du  public  avec  transport.  On  en  acheta  dans 
Paris  plus  de  dix  mille  exemplaires.  Chacun  disait  :  «  Voilà  mon 
billet  de  confession.  »  Dans  quelques  maisons,  on  l'encadrait  sous 
verre  avec  une  baguette  d'or.  Pour  «  narguer  »  l'archevêque, 
on  en  afficha  dix  ou  douze  exemplaires  dans  la  cour  même  de  son 
palais -•.  En  présence  de  cette  manifestation,  le  gouvernement 
n'osa  casser  l'arrêt  des  magistrats,  et,  voulant  ménager  l'un  et 
l'autre  parti,  se  borna,  pour  le  moment,  à  ordonner  un  silence 
général  sur  la  Constitution  ^  Le  clergé,  «  furieux  »  de  la  tolérance 
de  la  cour,  non  moins  que  de  l'insolence  du  Parlement ^  contre- 

1.  Luynes,  XII,  259-268. 

2.  D'Argenson,  VII,  188. 

3.  D'Argenson,  VII,  197. 

4.  Voltaire,  Histoire  du  Parlement,  385.  —  Barbier,  V,  210. 

5.  Par  arrêt  du  Conseil  du  29  avril  1752. 

6.  «  On  dit  que  larcbevéque  do   Paris,  tous  les  évéqucs  qui  y  sont  actuelle- 


LES    REFUS    DE    SACREMENTS.  245 

vint  le  premier  à  cette  prescription  du  silence.  Un  mandement  de 
l'archevêque  de  Paris  ordonnant  des  prières  de  quarante  heures 
«  sur  les  dangers  de  la  foi»  allait  être  publié,  si  le  ministère  ne  se 
fût  hâté  d'en  arrêter  l'impression ^  Trente  et  un  curés  adressèrent 
au  prélat  une  requête  à  l'effet  de  maintenir,  en  sa  rigueur,  l'usage 
des  billets  de  confession.  C'était  l'archevêque  qui,  sous  main,  avait 
provoqué  cette  requête.  Le  Parlement  décréta  celui  des  curés  qui 
en  avait  pris  l'initiative.  Le  roi  cassa  le  décret  et  défendit  au 
Parlement  de  poursuivre  l'affaire^  Les  magistrats  décidèrent 
l'envoi  d'une  «  grande  députation  »  chargée  de  représenter  au 
roi  que  le  Parlement,  «  animé  de  cette  fidélité  qui  savait  quelque- 
fois ne  pas  redouter  même  l'indignation  du  souverain  pour  le 
servir  utilement,  »  était  résolu  à  cesser  ses  fonctions  plutôt  que 
de  laisser  impunies  les  manœuvres  schismatiques  de  l'archevêque 
de  Paris.  Le  monarque  fit  aux  députés  une  réponse  qui  contenait 
tout  à  la  fois  un  blâme  et  une  menace.  Le  Parlement  enregistra 
la  réponse  et  maintint  par  un  arrêt  sa  liberté  d'agir^. 

Tout  le  public  et  le  «  bas  peuple  »  même  approuvaient  la  résis- 
tance des  magistrats  et  condamnaient  violemment  la  conduite  de 
l'archevêque.  Un  jour  que  celui-ci  passait  sur  le  Pont-Neuf,  des 
poissardes  l'insultèrent,  criant  «  qu'il  fallait  noyer  un  b...  qui 
leur  refusait  les  sacrements^.  Le  curé  de  Saint-Eustache,  ardent 
janséniste,  craignant  d'être  enlevé  la  nuit  par  la  police,  cent 
femmes  de  la  halle  veillèrent  pendant  un  mois  autour  de  sa 
demeure,  prêtes  à  se  battre  comme  des  soldats^.  On  répandait  des 
estampes  où  les  Jésuites  étaient  représentés  comme  ennemis  des 
rois  et  capables  de  les  immoler  à  leurs  desseins®.  Quand  la  grande 
députation  envoyée  à  Louis  XV  par  le  Parlement  rentra  dans 
Paris,  la  foule,  amassée  sur  les  quais,  battit  des  mains  au  passage 
des  magistrats^.  Du  côté  du  clergé,  on  n'était  pas  moins  animé. 
Tout  ce  qu'il  y  avait  de  prélats  à  Paris  se  réunissaient  chez 


ment,  et  en  général  les  prêtres  et  les  moines  sont  furieux.  »  Barbier,  V,  211.  — 
«  L'ancien  évêque  de  Mirepoix  éclate  de  rage  et  de  fureur  contre  la  tolérance  de 
la  cour  et   la  prétendue  insolence  du  Parlement.  »  D'Argenson,  VII,  219. 

1.  D'Argenson,  VII,  211,  215. 

2.  Voltaire,  Histoire  du  Parlement,  386.  —  Barbier,  V,  217,  220. 

3.  Barbier,  V.  221-223,  234-236. 

4.  D'Argenson,  VII,  226. 

5.  D'Argenson,  VII,  227. 

6.  D'Argenson,  VII,  235. 

7.  Barbier,  V,  237. 


2((>  IKMX    UOr.QlIAIN. 

rarchevèqiie  et  so  concertaient.  La  nuit,  les  Jésuites  couraient 
Paris  (Ml  fiacre,  allant  chez  tous  leurs  jiartisans*.  Tandis  que 
se  produisait  cette  agitation,  des  mouvements  d'une  autre 
sorte  avaient  lieu  dans  le  royaume.  De  nouvelles  révoltes,  occa- 
sionnées par  la  cherté  du  pain,  qu'on  attribuait,  non  sans  rai- 
son, à  des  manœuvres  sur  les  blés,  éclataient  en  Languedoc,  en 
Guyenne,  en  Auvergne,  en  Dauphiné,  dans  toute  la  Normandie. 
Le  gouvernement  envoyait  des  troupes  h  Rouen  et  au  Mans 
contre  les  émeutiers^.  Tout  concourait  à  enflammer  les  esprits. 

Les  brochures  pullulèrent.  Le  30  mai,  un  arrêt  du  Conseil 
supprimait,  comme  contraires  au  silence  ordonné  sur  la  Constitu- 
tion, divers  libelles  contre  les  magistrats,  plus  une  estampe 
qui  représentait  le  Parlement  sous  la  figure  d'une  femme , 
tenant  d'une  main  le  faisceau  consulaire  et  de  l'autre  une 
épée  avec  cette  légende  custos  unitatis,  schismatis  victriœ^. 
Le  lendemain,  le  Parlement  supprimait,  à  son  tour,  les  écrits 
supprimés,  à  l'exception  de  l'estampe  qu'il  laissait  subsister^. 
C'était  montrer  qu'en  ces  matières  il  entendait  agir  seul  et 
ne  point  supporter  l'ingérence  du  Conseil.  Le  clergé,  qu'exas- 
pérait la  hardiesse  croissante  du  Parlement,  cherchait  par 
tous  les  moyens  à  lui  aliéner  l'opinion.  En  province,  plusieurs 
évèques  prêchaient  publiquement  contre  lui.  L'évêque  de  Quim- 
per  osa,  dans  un  sermon,  traiter  les  magistrats  de  gens  de  la 
vache  à  Colas'".  A  Paris,  on  apprenait  aux  filles  de  l'Enfant- 
Jésus  k  chanter  des  cantiques  où  ils  étaient  injuriés^.  Le  11  juin, 


1.  D'Argenson,  VII,. 209,  233. 

2.  Barbier,  V,  226.  —  D'Argenson,  VII,  213,  215,  216,  218,  220,  225,  277,  278, 
285,  286.  A  Rouen,  des  maisons,  des  couvents,  ainsi  que  des  bateaux  chargés  de 
grains,  furent  pillés  par  le  peuple;  dans  la  province,  15  à  16,000  paysans  révol- 
tés mettaient  à  contribution  les  châteaux. 

3.  Arrêt  du  Conseil  d'État  du  30  mai  1752  supprimant  divers  écrits  intitulés, 
l'un  :  Lettre  de  M.  rarchevêque  de  ***  à  Monsieur  ...,  conseiller  au  Parle- 
ment de  Paris;  l'autre  :  Lettre  à  M.  de  ***  sur  l'affaire  préserde  du  Parle- 
ment au  sujet  du  refus  des  sacrements;  ensemble  une  gravure  portant  :  Custos 
unitatis. 

4.  Arrêt  du  Parlement  du  31  mai  1752  supprimant  divers  écrits  intitulés,  l'un: 
Lettre  de  M.  l'archevêque  de  ***  à  Monsieur  ...,  conseiller  au  Parlement  de 
Paris;  l'autre  :  Lettre  à  M.  Vévéque  de  ***,  etc.  —  Dans  cet  arrêt,  il  n'est  pas 
dit  un  mot  de  l'arrêt  du  Conseil  rendu  la  veille  contre  les  mêmes  écrits. 

5.  C'était  ainsi  qu'autrefois  le  peuple  appelait  les  huguenots.  D'Argenson,  VII, 
247,  249. 

6.  D'Argenson,  VII,  258. 


LES    REFUS   DE    SACREMENTS.  247 

dix-neuf  prélats  se  réunissaient  pour  signer  une  requête  au  roi, 
lui  demandant  de  punir  les  hommes  téméraires  qui  avaient  osé 
qualifier  de  schismatique  l'archevêque  de  Paris  i.  Le  Parlement 
répondit  à  ces  attaques  en  frappant  de  ses  arrêts  les  écrits  des 
évêques.  Le  4  juillet,  il  supprimait  un  sermon  que  l'évêque 
d'Amiens  avait  prononcé  et  fait  imprimer  contre  lui^.  Trois  jours 
après,  il  condamnait  au  feu  une  lettre  de  l'évêque  de  Marseille, 
qui  accusait  les  magistrats  d'opprimer  les  consciences  et  de  bou- 
leverser le  royaume^  Le  29  du  même  mois,  il  brûlait  un  écrit 
en  latin  commençant  par  ces  mots  Ira  Dei  ascendit  super  nos, 
écrit  attribué  à  l'archevêque  de  Paris  et  qu'on  venait  d'envoyer 
à  tous  les  curés  et  vicaires  du  diocèse".  «  Mes  très-chers  frères 
infortunés,  disait  l'auteur  de  cet  écrit,  persévérez  dans  la  prière, 
afin  que  Dieu  pardonne  à  son  peuple  et  ne  permette  pas  que  la 
France  tombe  dans  l'opprobre.  Dispensateurs  fidèles  des  mystères 
du  Seigneur,  ne  donnez  point  aux  chiens  ce  qui  est  saint.  Souve- 
nez-vous que  les  lois  des  pouvoirs  séculiers,  lorsqu'elles  s'opposent 
aux  préceptes  et  à  l'autorité  de  l'Église,  sont  usurpatrices  et  cri- 
minelles, et  qu'il  faut  obéir  à  Dieu,  non  aux  hommes.  » 

Le  rire  se  mêlait  à  ces  agitations.  Dans  un  libelle  intitulé  : 
Requête  des  sous-fermiers  du  domaine  au  roi^,  on  deman- 
dait que  les  billets  de  confession  fussent  délivrés  sur  papier  timbré 
et  assujettis  au  contrôle.  On  représentait  au  roi  qu'il  s'assure- 
rait plus  aisément  par  ce  moyen  de  la  piété  de  ses  sujets  et  ouvri- 
rait en  même  temps  pour  le  Trésor  une  abondante  source  de  reve- 
nus. On  y  faisait  d'ailleurs  l'éloge  des  billets  de  confession  que  l'on 
comparait  aux  laissez-passer  délivrés  par  le  Domaine  pour 
empêcher  la  fraude,  ajoutant  que,  s'ils  avaient  eu  cours  autrefois, 
Jésus  n'aurait  sans  doute  point  donné  la  communion  à  Judas. 


1.  D'Argenson,  VII,  Ul,  268. 

2.  Arrêt  du  Parlement  du  4  juillet  1752  supprimant  un  écrit  intitulé  :  Extrait 
de  Vexliortaiion  que  fit  Mgr  Vévêque  d'Amiens  dans  la  cathédrale  le  jour  de 
la  Fête-Dieu  de  la  présente  année  1752,  communiqué  aux  fidèles  de  son  dio- 
cèse. 

3.  Arrêt  du  Parlement  du  7  juillet  1752,  condamnant  au  feu  un  écrit  intitulé  : 
Lettre  de  monseigneur  l'évêque  de  Marseille  à  Monseigneur  le  chancelier. 

4.  Arrêt  du  Parlement  du  29  juillet  1752,  condamnant  au  feu  un  imprimé  com- 
mençant par  ces  mots  :  Ira  Dei,  et  (inissant  par  ceux-ci  :  Ejtis  sodales. 

5.  Arrêt  du  Parlement  du  22  juillet  1752  condamnant  au  feu  un  écrit  intitulé  : 
Reqïteïe  des  sous-fermiers  du  domaine  au  roi,  pour  demander  que  les  billets 
de  confession  soient  assujétis  au  contrôle. 


2ÎS  F^Î!,IX    ROCQUAIN. 

Col  ('d'il  obtint  un  tel  succès  que  des  exemplaires  s'en  répan- 
dirent h  profusion  à  Paris,  dans  l'intérieur  du  royaume,  et  jus- 
qu'à l'éti'anger.  «  On  commence  à  tourner  en  dérision  les  choses 
spirituelles  et  les  plus  saintes  de  la  religion,  écrivait  un  homme 
qui,  sans  être  tout  à  fait  sceptique,  ne  })artageait  i)oint  ces  pas- 
sions; mais  il  faut  avouer  qu'elles  le  méritent  un  peu^  » 

Cependant  de  tous  côtés  arrivaient  aux  magistrats  des  dénon- 
ciations sur  de  nouveaux  refus  de  sacrements^.  C'était,  chaque 
jour,  pour  le  Parlement,  matière  à  délibération.  Les  ecclésias- 
tiques dont  la  conduite  provoquait  ses  rigueurs  n'attendaient  i)as 
qu'il  eût  prononcé  ses  jugements  et  prenaient  aussitôt  la  fuite.  A 
la  fin  de  juillet,  il  n'y  avait  plus,  dans  la  paroisse  de  Saint- 
Etienne-du-Mont,  à  Paris,  ni  curé,  ni  vicaire,  ni  porte-Dieu^. 
Le  même  fait  se  produisait  dans  tous  les  diocèses  où  le  Parle- 
ment étendait  sa  juridiction.  «  Sire,  écrivait  au  roi  l'évêque 
d'Amiens,  plusieurs  paroisses  de  mon  diocèse  sont  désertes;  leurs 
pasteurs  sont  fugitifs;  nous  sommes  persécutés.  Ne  livrez  pas  à 
des  magistrats  irrités  le  clergé  de  votre  royaume^.  »  Pour  donner 
plus  d'éclat  à  ses  délibérations,  le  Parlement  ne  siégeait  plus  que 
<.<  toutes  chambres  assemblées.  »  Ainsi  réuni,  il  deYenaiiim  corps 
national,  il  approchait  des  Etats  généraux  et  «  du  Parlement 
d'Angleterre^  »  Le  19  août,  il  fit  un  coup  d'audace.  Il  rendit  un 
arrêt  qui  bannissait  de  Paris  pour  trois  ans  un  vicaire  de  la 
paroisse  de  Saint-Etienne-du-Mont  et  condamnait  deux  porte- 
Dieu  de  la  même  paroisse  à  subir  une  admonestation  à  genoux  et 
tête  nue,  dans  la  salle  du  Palais,  Bien  que  cet  arrêt  n'eût  été 
rendu  que  par  contumace,  le  gouvernement  ne  voulut  point  por- 
ter aux  yeux  des  évêques  la  responsabilité  d'un  acte  aussi  hardi. 
L'arrêt  des  magistrats  fut  cassé  par  un  arrêt  du  Conseil  que,  le 
22,  on  cria  dans  les  rues.  Le  même  jour  et  à  la  même  heure,  le 
Parlement  fit  crier  le  sien,  en  sorte  qu'on  criait  à  la  fois  l'un  et 
l'autre  arrêt  «  comme  production  de  deux  puissances  presque 
égales  qui  se  croisaient  dans  leurs  opérations^  »  Le  lendemain, 

1.  Barbier,  V,  259,  260. 

2.  D'Argenson,  VII,  237,  245,  253,  258  èipassim. 

3.  Barbier,  V,  255. 

4.  ArrtH  du  Parlement  du  17  août  1752  supprimant  divers  écrits  intitulés,  l'un  : 
Seconde  lettre  de  Mgr  l'évêque  d'Amiens  au  roi;  l'autre  :  Troisième  lettre  de 
Mgr  l'évêque  d'Amiens  au  roi;  etc. 

5.  D'Argenson,  VII,  271, 

6.  Barbier,  V,  272,  273. 


LES   REFUS    DE    SACREMENTS.  249 

l'arrêt  du  Parlement  était  crié  de  nouveau,  et  il  fallut  le  réimpri- 
mer, le  nombre  des  exemplaires  ne  suffisant  pas  aux  demandes 
des  colporteurs.  Quelques  jours  après,  le  Parlement  donnait  une 
autre  preuve  de  hardiesse.  Un  jugement  du  Conseil  ayant  sup- 
primé un  écrit  où  l'on  demandait  au  roi  de  casser  l'arrêt  du 
18  avrils  le  Parlement  ne  tint  point  compte  de  ce  jugement,  et, 
se  prononçant  à  son  tour  sur  cet  écrit,  le  condamna  au  feu^.. 
Tous  ces  divers  arrêts,  affichés  coup  sur  coup,  étaient  lus  dans 
les  rues  par  la  foule  assemblée^.  Les  conséquences  d'un  tel 
désordre  n'échappaient  point  aux  esprits  réfléchis.  «  Tout  tombe 
par  morceaux,  écrivait  d'Argenson.  Pendant  ce  temps-là,  l'opi- 
nion chemine,  monte,  grandit,  ce  qui  pourrait  commencer  une 
7'évolution  nationale'^.  » 

On  était  au  mois  de  septembre  1752,  et  le  Parlement  allait  en- 
trer en  vacations.  Vainement  avait-il  demandé  au  roi,  en  raison 
de  la  gravité  de  la  situation,  de  rester  assemblée  Comme  si  le 
clergé  eût  voulu  montrer  que  le  Parlement  était  l'unique  auteur 
des  troubles,  les  refus  de  sacrements  cessèrent  aussitôt  que  furent 
closes  ses  séances^.  La  guerre  des  brochures  ne  laissa  pas  de  con- 
tinuer. Les  Jésuites  se  virent  attaqués  dans  des  libelles  dont  le 
cours  ne  devait  plus  s'interrompre'.  La  Constitution,  de  laquelle 
on  s'était  moqué  jadis,  fut  de  nouveau  tournée  en  dérision.  On 
lança  dans  le  public  une  lettre  d'invitation  «  au  convoi  funèbre 
et  enterrement  de  très  haute  et  puissante  dame,  madame  la  Cons- 
titution Unigenitus,  fille  de  N.  S.  P.  le  Pape  Clément  XI,  décé- 
dée en  la  grand' chambre  du  Parlement,  à  Paris,  le  18  avril  1752.» 
On  publia  même  son  oraison  funèbre,  imitée  de  celle  de  Bossuet 
sur  le  prince  de  Condé^.  Aux  railleries  sur  la  religion  on  joignit 

1.  Arrêt  du  Conseil  du  27  août  1752  supprimant  un  écrit  imprimé  sans  per- 
mission et  sans  titre,  daté  du  11  juin. 

2.  Arrêt  du  Parlement  du  30  août  1752. 

3.  Barbier,  V,  288.  Un  arrêt  du  Conseil  du  3  septembre  cassa  l'arrêt  du  Par- 
lement du  30  août. 

4.  D'Argenson,  VII,  295. 

5.  Barbier,  V,  282. 

6.  Barbier,  V,  291. 

7.  Arrêt  du  Parlement  du  4  septembre  1752  condamnant  au  feu  un  imprimé 
intitulé:  Lettre  aux  RR.  PP.  /esM//ps,  ensemble  une  gravure  intitulée  :  VAntipa- 
tique.  —  Cette  gravure  représentait  l'archevêque  de  Paris  frappé  des  foudres  du 
ciel  et  de  l'enfer,  pendant  que  le  Christ  étendait  la  main  vers  le  Parlement  et 
que  l'Esprit  saint  se  posait  en  langues  de  feu  sur  la  tête  des  magistrats. 

8.  Arrêt  du  Parlement  du  28  septembre  1752  condamnant  au  feu  un  écrit  inti- 


2:i0  riLl\    IIOCQUAIN. 

l'insulte  envers  les  pouvoirs  qui  avaient  mission  de  la  protéger. 
Dans  un  prétendu  Bref  de  N.  S.  P.  le  Pape  Benoit  XIV  au 
Fils  aine  de  l'Église,  on  conseillait  au  roi  d'établir  l'Inquisition 
dans  ses  États  et  d'en  confier  les  redoutables  fonctions  aux  «  en- 
fants de  Loyola,  »  lui  disant  qu'il  ne  réussirait  à  maintenir  la  foi 
dans  sa  pureté  qu'an  moyen  des  potences  et  des  bûchers,  et  que, 
dût-il  par  les  supplices  dépeupler  son  royaume,  il  convenait  de 
ne  rien  épargner  pour  atteindre  un  but  aussi  sacré'.  Enfin,  dans 
un  autre  libelle,  on  attaquait  la  confession  elle-même.  On  soute- 
nait qu'elle  n'était  point  nécessaire  pour  le  salut;  qu'il  suffisait 
de  vivre  en  honnête  homme,  pour  n'ayoir  rien  à  craindre  de 
la  mort;  que  Dieu  étant  d'une  bonté  sans  bornes,  les  châti- 
ments dont  l'Église  effrayait  les  pécheurs  n'étaient  que  des 
chimères  ;  que  le  passé,  le  présent  et  l'avenir  ayant  été  déterminés 
par  lui  de  toute  éternité,  il  ne  pouvait  y  avoir  de  sauvés  que  les 
élus,  et  que,  par  cette  raison,  la  confession  se  trouvait  sans  but 
et  sans  objet^. 

Tandis  que  la  chambre  des  vacations  poursuivait  des  écrits, 
qui ,  pour  être  favorables  aux  jansénistes ,  ne  laissaient  pas 
d'offenser  la  religion,  le  Chàtelet,  juridiction  inférieure,  inter- 
venait à  son  tour  et  condamnait  la  lettre  d'un  archevêque,  — 
non  signée,  il  est  vrai,  —  à  être  brûlée  en  place  de  Grève^.  Cette 
sentence  fut  cassée  pour  incompétence  par  arrêt  du  Conseil^. 
Cependant  les  évêques,  qui  venaient  de  voter  au  roi  un  don  gra- 
tuit de  onze  millions,  profitèrent  des  vacances  du  Parlement  pour 
solliciter  avec  instance  de  la  piété  du  monarque  l'annulation  de 
l'arrêt  du  18  avril,  qui  offensait  également,  disaient-ils,  son  auto- 
rité, son  honneur  et  sa  religion^  Le  gouvernement  parut  se 

tulé  :  Oraison  funèbre  de  très  haute,  très  puissante  et  très  sainte  princesse,  la 
bulle  Unigenitus-,  in-4''  de  30  pages. 

1,  Arrêt  du  Parlement  du  7  octobre  1752  condamnant  au  feu  un  écrit  intitulé: 
Bref  de  N.  S.  P.  le  pape  Benoit  XIV  au  fils  aîné  de  VÉglise  et  à  tous  les 
fidèles  de  son  royaume. 

1.  Arrêt  du  Parlement  du  16  septembre  1752  condamnant  au  feu  un  écrit  inti- 
tulé :  Lettre  en  réponse  à  Vauteur  de  la  requête  présentée  au  roi  par  les  sous- 
fermiers  du  domaine  au  sujet  de  Vassujétissement  des  billets  de  confession  à 
la  formalité  du  contrôle. 

3.  Sentence  du  Chàtelet  du  4  novembre  1752,  condamnant  au  feu  un  écrit 
intitulé  :  Seconde  lettre  de  M.  l'archevêque  de  '**  en  réponse  à  la  lettre  d'un 
conseiller  au  Parlement.  —  Cette  lettre  était  attribuée  à  l'archevêque  de  Sens. 

4.  D'Argenson,  VII,  343,  344. 

5.  Barbier,  V,  301,  302.  —  D'Argenson,  VII,  353. 


LES    REFUS   DE    SACREMENTS.  25< 

rendre  à  ces  vœux.  Par  une  décision  du  Conseil  du  21  novembre, 
il  cassa  l'arrêt  comme  empiétant  sur  le  pouvoir  législatif  «  qui 
appartenait  à  Sa  Majesté  seule  »  ;  mais  il  n'annula  point  les  pour- 
suites ordonnées  en  vertu  de  cet  arrêt  et  maintint  au  Parlement 
le  droit  de  connaître  des  abus  dont  les  curés  pourraient  se  rendre 
coupables  dans  l'exercice  de  leur  ministère.  Cette  décision  ne 
satisfit  point  les  évêques  et  mécontenta  les  magistrats.  A  peine  ces 
derniers  avaient-ils  repris  leurs  séances,  qu'on  voyait  affiché,  dans 
les  sacristies  de  toutes  les  églises  de  Paris,  l'imprimé  Ira  Dei 
ascendit  super  nos,  brûlé  le  29  juillet  par  ordre  du  Parlement*. 
Les  refus  de  sacrements  se  reproduisirent  en  même  temps  avec  un 
nouvel  éclat.  Le  curé  de  Saint-Médard  ayant  refusé  le  viatique  à 
la  sœur  Perpétue,  religieuse  delà  communauté  de  Sainte-Agathe, 
le  Parlement  décréta  le  curé  de  prise  de  corps  et  invita  l'arche- 
vêque de  Paris  à  «  pourvoir  sans  retard  à  l'état  de  la  malade  par 
l'administration  des  sacrements.  »  Il  lui  manda  également  qu'il 
eût  à  faire  cesser  désormais  de  semblables  scandales.  Cette  inm- 
tation  n'ayant  pas  été  suivie  d'effet,  le  Parlement  convoqua 
l'assemblée  des  pairs  pour  juger  l'archevêque  et  ordonna,  par  un 
arrêt,  la  saisie  de  son  temporel.  Le  roi  évoqua  l'affaire,  donna 
au  prélat  main-levée  de  la  saisie  et  défendit  aux  pairs  de  s'assem- 
bler. Peu  après,  sur  la  demande  de  l'archevêque,  il  faisait  enlever 
la  sœur  Perpétue  par  des  archers  et  dispersait  la  communauté^. 
Cette  fois,  c'était  l'épiscopat  qui  semblait  triompher.  Les  magis- 
trats, coup  sur  coup,  adressèrent  des  remontrances.  Ils  protes- 
tèrent contre  l'acte  de  violence  dont  la  sœur  Perpétue  venait 
d'être  l'objet.  A  l'égard  de  l'archevêque,  ils  soutinrent  qu'il  ne 
pouvait  être  jugé  que  par  l'assemblée  des  pairs,  et  qu'en  se  subs- 
tituant à  cette  assemblée  le  roi  portait  atteinte  aux  lois  de  la 
monarchie.  C'était  ainsi  que  de  simples  «  questions  de  catéchisme» 
dégénéraient  non-seulement  en  querelles  de  religion,  mais  «  en 
questions  d'État^.  »  Chargé  dans  ces  différentes  occasions  de 
porter  la  parole,  le  premier  président  prenait  l'attitude  d'un  chef 
de  Sénat,  qui  eût  tenu  son  pouvoir  «  non  du  roi,  mais  de  la 
nation^.  »  Le  Parlement  résolut  de  donner  à  de  dernières  repré- 
sentations une  importance  proportionnée  à  la  gravité  des  événe- 

1.  Pour  toute  celte  affaire,  voy.  Barbier,  V,  302-3Î5  et  suiv.  D'Argenson,  VII, 
361-376.  Cf.  Voltaire,  Histoire  du  Parlement,  387-389. 

2.  Barbier,  V,  3il. 

3.  D'Argenson,  VII,  376. 


2.>2  FKLI\    UOCQUAIX. 

monts,  et  dans  lesquelles  seraient  exposés  tous  ses  nombreux  griefs, 
(^n  ne  doutait  point  que  ces  remontrances,  auxquelles  les  magis- 
trats se  proposaient  d'apporter  une  grande  publicité,  ne  fussent 
«  un  tocsin  contre  le  gouvernement*.  »  Le  Parlement  y  devait 
parler,  en  particulier,  des  lettres  de  cachet  qui  avaient  été  lan- 
cées, depuis  1714,  k  l'occasion  de  la  Bulle.  Il  résulta  do  recherches 
faites  par  lui  à  ce  sujet  que  le  nombre  s'en  élevait  à  quarante- 
cinq  mille^. 

Sur  ces  entrefaites,  un  nouveau  conflit  survint  entre  la  cour 
et  le  Parlement  pour  un  refus  de  sacrements  qui  avait  eu  lieu  à 
Orléans.  L'évèque  du  diocèse  ayant  maintenu  ce  refus,  malgré 
les  sommations  que  lui  adressèrent  les  magistrats,  fut  condamné 
à  six  mille  livres  d'amende.  Le  roi,  qui  s'était  hâté  d'évoquer 
l'affaire,  cassa  ce  jugement  par  un  arrêt  du  Conseil  qu'un  huis- 
sier de  la  chaîne'^  signifia  au  greffier  en  chef  du  Parlement.  Les 
magistrats  virent  dans  cet  acte  une  violation  des  formes  établies 
par  la  loi,  et  osèrent  en  demander  satisfaction  au  monarque  _^ar 
la  suppression  de  Vorighial  et  de  la  copie  de  la  significa- 
tion"^. Sur  un  nouveau  scandale  arrivé  à  Orléans,  ils  assignèrent 
l'évèque  à  comparaître.  Le  roi  résolut  d'en  finir.  A  la  date  du 
22  février  1753,  il  adressa  au  Parlement  des  lettres  patentes 
«  ordonnant  qu'il  serait  sursis  à  toutes  affaires  concernant  les 
refus  de  sacrements,  sous  peine  de  désobéissance.  »  Le  Parlement 
décida  de  ne  point  enregistrer  ces  lettres  avant  la  présentation 
des  «  grandes  remontrances  »  auxquelles  il  travaillait,  et  jusque 
là  de  continuer  à  connaître  des  mêmes  abus^.  Le  clergé,  voyant 
le  gouvernement  incliner  de  son  côté,  redoubla  de  hardiesse.  A 
Troyes,  à  Chartres,  se  produisirent  d'autres  refus  de  sacrements. 
L'évèque  de  Langres  provoqua,  dans  son  diocèse,  des  actes  de  pro- 
testation contre  le  Parlement  et  recueillit  des  signatures^.  A  Paris, 
l'archevêque  frappa  d'interdiction  des  ecclésiastiques  suspects  de 
jansénisme,  pendant  que  des  curés,  décrétés  par  le  Parlement, 
étaient,  avec  l'assentiment  du  ministère,  réintégrés  dans  leurs 

1.  D'Argenson,  VII,  378,  379. 

2.  D'Argenson,  VII,  385  (janvier  1753).  —  Barbier,  V,  350. 

3.  On  appelait  ainsi  les  huissiers  qui  étaient  attachés  au  conseil  du  roi  et  qui 
en  exécutaient  les  arrêts,  parce  qu'ils  portaient  une  chaîne  d'or  au  poignet. 

4.  Voltaire,  Histoire  du  Parlement,  387.  —  Barbier,  V,  340-345.  —  D'Argen- 
son, VII,  386,  393,  399,  412  (janvier-février  1753).  —  Luynes,  XII,  332-334. 

5.  Barbier,  V,  353-354.  —  Luynes,  XII,  364-365. 

6.  D'Argenson,  VII,  449. 


LES    REFDS    DE    SACREMENTS.  253 

fonctions'.  On  publia  des  écrits  où  l'on  déniait  aux  magistrats  le 
droit  d'intervenir  dans  les  matières  de  sacrements.  On  imprima, 
sur  ce  sujet,  un  prétendu  mémoire  des  avocats  de  Paris,  que  désa- 
voua publiquement  le  bâtonnier  de  l'ordre^.  Dans  d'autres  brochu- 
res, on  s'efforça  de  rendre  les  magistrats  odieux  au  souverain,  en 
montrant  qu'ils  voulaient  mettre  la  royauté  en  tutelle  et  aspiraient 
au  rôle  des  «  anciens  mairesdu  Palais  ^.  »  En  mêmetemps,  quarante 
docteurs  en  droit  canon  de  la  Faculté  de  Paris  rédigeaient  une 
consultation  concluant  à  priver  des  sacrements  les  jansénistes 
«  notoires  d'une  notoriété  de  fait^.  »  On  ne  craignit  pas  d'impri- 
mer que  ces  persévérants  ennemis  de  la  Constitution  ne  croyaient 
pas  à  la  présence  réelle  dans  l'Eucharistie  ^.  Dans  le  diocèse 
d'Amiens,  un  curé,  s'emportant  en  chaire  contre  les  jansénistes, 
osa  dire  quil  serait  le  premier  à  tremper  les  mains  dans 
leur  sang  '^. 

Attaqué  de  toute  parts,  le  Parlement  rendait  arrêt  sur  arrêt, 
condamnant  tantôt  les  personnes  et  tantôt  les  écrits.  S'étant  pro- 
noncé contre  une  thèse  où  avaient  été  sou  tenues  des  idées  ultramon- 
taines,  il  envoya  deux  de  ses  membres  inscrire  d'autorité  sur  les 
registres  de  la  Sorhonne  le  jugement  qui  en  flétrissait  les  doctri- 
nes. Le  roi  cassa  cet  enregistrement.  Les  magistrats  ripostèrent 
par  un  arrêt  qui  enjoignait  d'enseigner  dans  toutes  les  universités 
les  quatre  propositions  de  l'Assemblée  du  clergé  de  1682;  ils 
étaient  animés  à  ce  point  que,  si  le  Conseil  avait  annulé  cet  arrêt, 
soixante  voix  étaient  prêtes  à  décréter  le  chancelier  «  pour  crime 
de  trahison  ''.  »  Comme  si  ce  ne  fût  pas  assez  de  ces  causes  de 

1.  D'Argenson,  VII,  458-465. 

2.  Arrêt  du  Parlement  du  13  février  1753  condamnant  au  feu  un  écrit  intitulé: 
Consultation  de  plusieurs  canonistes  et  avocats  de  Paris  sur  la  compétence 
des  juges  séculiers  par  rapport  au  refus  des  sacrements. 

3.  Arrêt  du  Parlement  de  Toulouse  du  17  avril  1753  condamnant  au  feu  un 
écrit  intitulé  :  Réflexions  d'un  évéque  du  Languedoc  sur  les  remontrances  du 
Parlement  de  Toulouse  du  M  juillet  1752. 

4.  Arrêt  du  Parlement  du  9  mars  1753  condamnant  au  feu  un  éciit  intitulé  : 
Consultation  de  quarante  docteurs  en  droit  canon  de  la  Faculté  de  Paris  sur 
les  refus  de  sacrements  faits  aux  jansénistes,  appelans  et  quesnellistes,  notoires 
d'une  notoriété  de  fait. 

5.  Arrêt  du  Parlement  du  16  mars  1753  condamnant  au  feu  un  écrit  intitulé  : 
Questions  curieuses:  si  les  jansénistes  et  quesnellistes  croient  à  la  présence 
réelle  de  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie. 

6.  Ce  curé  fut  condamné  au  bannissement  perpétuel  par  arrêt  du  Parlement  du 
6  février  1753. 

7.  C'était  le  chancelier  qui  contresignait  les  arrêts  du  Conseil.  L'arrêté  du  Par- 


2r, ',  FIÎLIX    ROCQDAIN. 

troubles,  le  gouvernement  fomentait  lui-même  d'autres  agitations, 
en  poursuivant  les  prolestants  avec  un  redoublement  de  rigueurs. 
On  s'attendait,  en  Languedoc,  à  un  soulèvement  général  des  cal- 
vinistes'. Cependant  de  sourdes  colères  grondaient  au  sein  du 
peui>le  de  Paris  qu'accablaient  les  impôts.  Du  20  janvier  au  20 
février  1753,  on  compta  huit  cents  maUieureux  morts  de  misère 
dans  le  faubourg  Saint-Antoine  2.  Louis  XV,  plus  ennuyé  qu'in- 
quiet des  événements,  irrité  par  boutades,  n'intervenant  que 
nominalement  dans  les  décisions  prises  par  ses  ministres,  et  lais- 
sant h  sa  place  régner  son  amie,  madame  de  Pompadour,  com- 
mençait alors  à  chercher  de  nouvelles  distractions  dans  les 
honteux  mystères  du  Parc-aux-Cerfs ». 

A  la  date  du  9  avril  les  «  grandes  remontrances  »  étaient 
achevées.  Elles  représentaient  tout  un  traité  divisé  en  vingt-trois 
articles.  Avant  même  qu'elles  fussent  imprimées,  on  en  avait 
retenu  des  exemplaires  pour  toute  l'Europe  ^  On  disait,  dans  le 
public,  que  ce  serait  «  l'un  des  plus  grands  monuments  de  la 
monarchies  »  Informé  par  le  Parlement  de  son  intention  de  pré- 
senter ces  remontrances,  le  roi  ne  voulut  point  les  entendre  tant 
que  les  lettres  patentes  du  22  février  ne  seraient  pas  enregistrées. 
Les  magistrats  refusèrent  de  souscrire  à  cette  condition.  Le 
monarque  offensé  leur  enjoignit  de  nouveau  d'enregistrer  les  let- 
tres émanées  de  son  autorité,  leur  défendant,  à  peine  de  déso- 
béissance et  d'encourir  son  indignation,  de  continuer  à 
connaître  des  matières  de  sacrements.  Le  Parlement,  tout  d'une 
voix,  déclara  que,  «  sans  manquer  à  son  devoir  et  trahir  ses  ser- 
ments, il  ne  pouvait  obtempérer^.  »  Que  restait-il,  après 
cela,  que  de  frapper  du  glaive^?  Dans  la  nuit  du  8  au  9 
mai,  des  mousquetaires  coururent  Paris,  portant  à  tous  les  mem- 

lement  relatif  aux  propositions  de  1682  est  du  31  mars  175S.  —  Voy.  Barbier,  V, 
357,  358,  361,  363,  364.  -  D'Argenson,  VII,  450. 

1.  D'Argenson,  VII,  439  (mars  1753).  Cf.  ibid.  222,  223,  300. 

2.  D'Argenson.  VII,  425-426. 

3.  Barl)ier,  V,  360,  372,  373  (mars-avril  1753).-  D'Argenson,  VII,  409,  439,  456. 

4.  On  estimait  à  80,000  Uvres  l'argent  qu'elles  devaient  rapporter  à  l'imprimeur. 

5.  D'Argenson,  VII,  464. 

6.  Voltaire,  Histoire  du  Parlement,  391,  dit  à  ce  propos  :  «  Cemoi  obtempé- 
rer fit  à  la  cour  un  singulier  effet.  Toutes  les  femmes  demandaient  ce  que  ce 
mot  voulait  dire,  et,  quand  elles  surent  qu'il  signifiait  obéir,  elles  firent  plus  de 
bruit  que  les  ministres.  »  —Barbier,  V,  377-380 (mai  1753).  —  D'Argenson,  VIII, 
9,  15-17. 

7.  D'Argenson,  VIII,  16. 


LES    REFUS    DE    SACREMENTS.  255 

bres  du  Parlement,  hormis  ceux  de  la  grand'chambre,  des  lettres 
de  cachet  qui  les  envoyaient  en  exil  et  leur  ordonnaient  de  sortir 
de  la  capitale  sous  vingt-quatre  heures.  Le  ministère  s'était  flatté 
que  les  conseillers  de  la  grand'chambre,  en  raison  de  leur  âge  et 
des  pensions  que  plusieurs  recevaient  de  la  cour,  se  montreraient 
plus  dociles.  Aux  applaudissements  du  public,  ils  déclarèrent  par- 
tager les  sentiments  de  leurs  collègues,  et,  dans  la  séance  où  ils  firent 
cette  déclaration,  décrétèrent  plusieurs  curés  de  prise  de  corps  ^. 
Quelques  voix  même  s'élevèrent  pour  demander  qu'on  décrétât 
ceux  des  ministres  qui  avaient  conseillé  au  roi  l'exil  du  Parlement, 
Les  magistrats  delà  grand'chambre  reçurent  aussitôt  l'ordre  de  se 
transférer  à  Pontoise. 

On  regarda  la  disgrâce  du  Parlement  «  comme  le  dernier 
coup  de  massue  »  porté  «  au  peu  de  liberté  nationale  qui 
restait  encore  2.  »  Tout  Paris  était  en  rumeur.  Le  gouverne- 
ment craignit  une  révolte.  Des  arrestations  furent  opérées  ; 
on  lança  partout  des  espions.  Durant  huit  nuits,  tout  le  guet  à 
cheval  parcourut  la  ville,  prêt  à  agir  au  premier  événement.  Le 
palais  de  l'archevêque,  hermétiquement  fermé,  était  gardé  par  des 
soldats^.  Dans  divers  lieux  publics,  on  saisit  des  billets  contenant 
ces  mots  :  «  Vive  le  Pm^lement  !  Meurent  le  roi  et  les  évo- 
ques !  »  Témoin  de  ces  faits,  D' Argenson  écrivait  :  «  On  ne  sau- 
rait attribuer  la  perte  de  la  religion  en  France  à  la  philosophie 
anglaise  qui  n'a  gagné  à  Paris  qu'une  centaine  de  philosophes, 
mais  à  la  haine  conçue  contre  les  prêtres  qui  va  aujourd'hui  à 
l'excès.  A  peine  ces  ministres  de  la  religion  osent-ils  se  montrer 
dans  les  rues  sans  être  hués,  et  tout  cela  vient  de  la  bulle  Uni- 
genitus,  ainsi  que  de  la  disgrâce  du  Parlement  '*.  »  On  voit  par 
cette  réflexion  que,  si  l'on  ne  pouvait  reprocher  aux  philosophes 
le  discrédit  où  était  déjà  tombée  la  royauté,  on  ne  pouvait  davan- 
tage leur  imputer  celui  où  était  tombée  la  religion. 

Le  23  mai,  les  remontrances  si  bruyamment  annoncées  furent 
enfin  livrées  au  public.  Elles  justifièrent  son  attente.  Le  Parle- 


1.  Après  cette  déclaration,  «  comme  les  grands  chambriers  sortaient  de  la 
grand"  chambre,  le  palais  se  trouva  rempli  d'un  nombre  innombrable  de  popu- 
lace, et,  sachant  ce  qu'on  avait  arrêté,  ils  battirent  des  mains  et  crièrent  tous  : 
Vive  le  Parlement  !  »  D'Argenson,  VIII,  20.  —  Barbier,  V,  385-386. 

2.  D'Argenson,  VIII,  35. 

3.  D'Argenson,  VIII,  33. 

4.  D'Argenson,  VIII,  27,  33,  35  (mai  1753). 


•inCi  FKI,I\    U(1CQl!AI\. 

ment  représentait  avec  force  le  pro^^rès  redoutable  du  schisme  et 
la  nécessité  de  mettre  un  frein  aux  entreprises  des  évèques.  Il 
remontait  à  l'origine  delà  monarchie,  retraçait  les  empiétements 
incessants  du  clergé  sur  les  pouvoirs  temj)orels,  sa  persistance  à 
revendiquer,  connue  un  i)rivilége  dû  à  son  caractère,  l'affranchis- 
sement de  toute  juridiction  séculière  et  de  toute  puissance 
souveraine.  «  L'autorité  des  successeurs  des  apôtres,  disait-il, 
est  un  ministère  et  nonpasun  empire^.  »  Reprenant  à  ses  dé- 
buts l'histoire  de  la  bulle  Unigenitus,  il  signalait  les  désor- 
dres introduits  à  cette  occasion  dans  l'église  et  dans  l'Etat; 
il  rappelait  les  vexations,  les  violences,  les  proscriptions, 
montrait  la  Sorbonne  et  l'Université  abaissées,  les  études  affai- 
blies, <■<  l'ignorance  devenue  presque  universelle  dans  le 
royaume^.  »  Sans  excéder  les  bornes  du  respect  dû  au  souverain, 
il  reprochait  à  la  royauté  de  s'être  fait,  dans  ces  circonstances, 
l'alliée  ou  plutôt  l'instrument  du  clergé.  Il  lui  reprochait  d'avoir 
abusé  du  système  des  évocations,  dont  l'emploi  pouvait  sembler 
à  des  esprits  inconsidérés  une  marque  de  la  souveraineté  et  n'était 
en  réalité  que  le  renversement  de  tout  ordre  politique.  «  Si  les 


1.  Ces  mots  sont  soulignés  dans  l'original. 

2.  Voici,  dans  son  entier,  le  passage  que  nous  ne  faisons  que  résumer  : 

«  Les  congrégations  savantes  se  ressentent  de  cette  secousse  universelle.  Tout 
l'ordre  de  Saint-Benoit  en  peu  de  temps  a  changé  de  face.  Plus  de  cinq  cents 
religieux  de  la  congrégation  de  Saint-Maur  sont  exclus  de  toutes  charges,  de  tous 
emplois,  et  de  tous  droits  de  conventualité.  Ces  savants  utiles  à  l'Église  et  à 
l'Etat  par  leurs  lumières  et  par  leurs  ouvrages,  sont  éloignés  pour  jamais.  Ils 
n'ont  plus  de  demeures  fixes,  l'incertitude  de  leur  sort  les  empêche  de  se  livrer 
à  l'étude.  Votre  royaume  sera  donc  privé  pour  toujours  des  fruits  de  leurs  tra- 
vaux. 

Quelle  perte  enfin  pour  l'État  entier  que  la  destruction  de  tant  d'écoles  ou 
régnaient  la  piété  et  l'instruction  la  plus  solide,  l'affaiblissement  de  ces  universi- 
tés autrefois  savantes  et  distinguées  !  Pour  étendre  la  soumission  à  la  bulle  Uni- 
genitus, les  sujets  les  plus  instruits  des  saintes  maximes  de  la  religion,  de  la 
morale  et  de  nos  précieuses  libertés,  plus  fermes  dans  leur  résistance,  ont  été 
éloignés.  En  un  seul  jour,  cent  docteurs  de  la  Faculté  de  Paris,  respectables  par 
leurs  lumières  et  par  leurs  vertus,  ont  été  privés  de  toute  voix  délibérative  et 
de  toute  assistance  aux  assemblées  :  et  combien  d'autres  avaient  déjà  été  enlevés 
à  cette  Faculté  par  des  ordres  particuliers  !  L'Université  de  Paris  a  éprouvé  un 
retranchement  pareil;  et  ce  vide  affreux  a  presque  tari  la  source  la  plus  pure  de 
l'instruction,  a  laissé  ces  Corps  respectables  asservis  aux  délateurs,  et  les  a 
privés  du  secours  de  ceux  qui  étaient  les  plus  capables  de  former  des  ministres 
éclairés  pour  l'Église,  et  pour  l'État  des  citoyens  fidèles. 

De  là  le  découragement  dans  les  écoles,  l'affaiblissement  des  études,  l'ignorance 
devenue  presque  universelle  dans  votre  royaume.  » 


LES    REFDS    DE    SACREMENTS.  237 

sujets  doivent  obéissance  aux  rois,  disait-il,  les  rois  de  leur 
côté  doivent  ohéissmice  aux  lois.  »  Il  représentait  que  c'était 
par  l'altération  des  lois  que  se  préparaient  les  révolutions  dans 
les  États;  et  telle  est,  ajoutait-il,  la  grandeur  de  nos  maux,  que 
«  nous  sommes  aujourd'hui  dans  la  triste  nécessité  de  réclamer 
presque  tous  les  principes  de  la  constitution  de  la  monarchie.  » 
Il  parlait  enfin  des  refus  de  sacrements,  des  troubles  de  toute 
sorte  qui  en  étaient  la  suite  et  de  la  défense  que  le  roi  lui  avait 
faite  de  sévir  contre  ces  abus.  Non,  Sire,  disaient  les  magistrats 
en  terminant,  nous  ne  laisserons  pas  triompher  un  schisme  fatal 
à  la  religion,  et  capable  de  porter  le  coup  le  plus  funeste  à  votre 
souveraineté  et  à  l'Etat.  «  En  vain  voudrait-on  nous  obliger  à 
devenir  les  spectateurs  inutiles  des  maux  de  notre  patrie,  et  par 
là  même  à  en  devenir  les  complices.  Si  ceux  qui,  abusant  de  votre 
nom,  prétendent  nous  réduire  à  la  cruelle  alternative  ou  d'encou- 
rir la  disgrâce  de  votre  majesté,  ou  de  trahir  les  devoirs  que  nous 
impose  un  zèle  inviolable  pour  votre  service,  qu'ils  sachent  que 
ce  zèle  ne  connaît  point  de  bornes,  et  que  nous  sommes  résolus 
de  vous  demeurer  fidèles  jusqu'à  devenir  les  victimes  de  notre 
fidélité.  » 

La  publication  de  ces  remontrances  n'avait  eu  lieu  que  de  l'aveu 
tacite  du  Parlement.  Par  déférence  envers  le  souverain  qui  avait 
refusé  de  les  entendre,  la  grand' chambre  les  supprima,  «  comme 
imprimées  sans  permission.  »Par  le  même  arrêt,  elle  condamnait 
au  feu  deux  estampes  à  l'honneur  du  Parlement,  mais  offensantes 
pour  le  roi,  dont  l'une  représentait  la  justice  prenant  le  chemin 
de  l'exil,  avec  cette  devise  :  Justitia  relegata,  flecti  nescia  ^ 
Ainsi  commençaient  à  se  répandre  ces  gravures  allégoriques,  figu- 
rant la  Justice,  la  Vérité,  la  Liberté,  la  Loi,  et  qui  devinrent  si 
fréquentes  sous  la  Révolution  2. 

Les  sévérités  du  gouvernement  allèrent  contrôleur  but.  Jamais 
le  prestige  du  Parlement  n'avait  été  si  haut.  Le  Châtelet,  les 
cours  des  aides,  des  comptes,  des  monnaies,  l'Université  envoyè- 


1.  Arrêt  du  Parlement  du  28  mai  1753  supprimant  deux  imprimés,  l'un  in-4° 
de  56  pages,  l'autre  in-12  de  164  pages,  intitulés  :  Remonlraiice  du  Parlement 
au  roi,  du  9  avril  1753  ;  et  condamnant  au  feu  deux  gravures  intitulées  l'une 
Justitia  relegata  flecti  nescia,  l'autre  Senaius  optiino  principi. 

2.  Arrêt  du  Parlement  du  4  juillet  1753  supprimant  une  gravure  in-12  ayant 
pour  litres  :  Remontrances  du  Parlement  au  roi  contre  le  schisme  et  Unitati, 
et  pour  devise  :  Schismaticos  debellatura  furores. 

Rev.  Histor.  V.  2«  FAsc.  17 


258  ¥éUX   ROCQUAIN. 

renth  la  graud'cliaiiibroclos  dèputations  chargées  de  la  féliciter*. 
Les  Parlements  de  province,  se  piquant  d'émulation,  réglèrent 
leur  conduite  sur  celle  du  Parlement  de  Paris  et  poursuivirent  la 
guerre  contre  le  clergé-.  Des  divers  lieux  de  leur  exil,  les  con- 
seillers disgraciés  répandaient  des  mémoires  où  ils  fomentaient  la 
résistance,  disant  que,  «  si  le  roi  avait  cent  mille  hommes,  le 
Parlement  avait  tous  les  cœurs,  l'estime  et  les  volontés  3.  »  De 
son  côté,  le  Cliàtelet,  continuant  à  sortir  de  ses  attributions,  fai- 
sait brûler  en  place  de  Grève  un  recueil  de  Lettres,  où  l'on  accu- 
sait le  Parlement  de  tous  les  troubles  qui  depuis  trois  ans  affli- 
geaient le  royaume  ^  Les  bruits  les  plus  graves  circulaient 
dans  le  public.  On  racontait  qu'à  Metz  un  janséniste,  auquel  on 
avait  refusé  les  sacrements,  étant  venu  à  mourir,  l'évêque  avait 
fait  porter  au  palais  épiscopal  le  cercueil  qui  contenait  sa  dépouille, 
en  avait  retiré  le  cadavre  et  l'avait  jeté  dans  la  rue  ^.  On  assurait 
que  tous  les  Parlements  du  royaume,  unis  dans  les  mêmes  vues, 
allaient  demander  la  convocation  des  Etats-Généraux  ^ .  Le  gouver- 
nement poursuivait  ses  rigueurs,  arrêtant  les  particuliers  ^ ,  cassant 
les  arrêts  des  Parlements,  employant  même  contre  les  magistrats 
des  violences  auxquelles  se  mêlait  l'outrage.  Le  Parlement  de  Nor- 
mandie ayant  condamné  l'évêque  d'Evreux  à  six  mille  livres 
d'amende,  un  lieutenant  des  gardes  du  roi  se  rendit  à  Rouen,  pé- 
nétra, escorté  de  plusieurs  officiers,  dans  la  salle  des  délibérations, 
et  fit  biffer,  sous  ses  yeux,  l'arrêt  sur  les  registres^.  Peu  après, 

1.  D'Argenson,  VIII,  30,  38,  41.  L'Université  adressa  une  harangue,  disant  àla 
grand'chambre  que  la  justice,  la  loi  et  la  sécurité  avaient  fui  avec  elle  :  «  Luctum 
ingentem...  reliquistis  universae  civilati,  quae,  ubi  vos  conspexit  abeuntes,  videre 
sibi  visa  est  juslitiam,  leges  ipsos  securitatemque  publicam  vobiscuni  sirnul  emi- 
grantes.  »  » 

2.  D'Argenson,  VIII,  38,  57,  58,  61,  64.  -  Barbier,  V,  396-399. 

3.  D'Argenson,  VIII,  78.  Ces  mémoires  étaient  jadressés  à  la  grand'chambre 
par  les  magistats  exilés  qui  craignaient  un  accommodement  entre  elle  et  la 
cour.  Cf.  ibid.,  55,  57,  58. 

4.  Sentence  du  Chàtelet  du  21  juillet  1753  qui  condamne  au  feu  un  imprimé 
in-4°  de  57  pages  intitulé  :  Lettr-es  d'un  docteur  en  théologie  à  un  jeune  magis- 
trat de  province  au  sujet  des  affaires  qui  troublent  V Eglise  depuis  la  fin  de  l'an- 
née 1750.  —  Le  Chàtelet,  dit  d'Argenson  à  cette  occasion,  prend  entièrement  les 
procédés  du  Parlement.  VIII,  85. 

5.  D'Argenson,  VIII,  77  (juillet  1753). 

6.  D'Argenson,  VIII,  121-126. 

7.  «  On  arrête  toujours  beaucoup  de  monde  pour  avoir  parlé  des  affaires  pré- 
sentes. »  D'Argenson,  ibid.,  121. 

8.  D'Argenson,  VIII,  95  (août  1753).  —  Barbier,  V,  404.  Ce  lieutenant  des 
gardes  se  nommait  le  marquis  de  Fougères. 


LES   REFDS   DE    SACREMENTS.  259 

on  envoyait  des  troupes  en  Bretagne,  en  vue  d'intimider  le  Parle- 
ment de  Rennes  dont  on  redoutait  quelque  témérité  analogue  ^  De 
tels  procédés  ne  firent  qu'enflammer  la  résistance.  Au  mois  d'octo- 
bre, le  Parlement  d'Aix  osa  supprimer  un  arrêt  du  Conseil  qui 
cassait  un  jugement  rendu  par  lui  contre  l'évêque  deSisteron-.  Les 
magistrats  qui  siégeaient  à  Pontoise  entrant  alors  en  vacances,  le 
roi  nomma  d'office  une  chambre  des  vacations  par  des  lettres- 
patentes  qu'il  adressa  au  Châtelet  pour  être  enregistrées.  Le 
Châtelet  refusa  l'enregistrement,  déclarant  qu'il  ne  reconnaissait 
point  d'autres  supérieurs  que  le  Parlement  de  Paris  3.  La  plupart 
des  bailliages  du  ressort  imitèrent  son  exemple.  Un  petit  bailliage 
de  campagne,  composé  de  deux  officiers,  fut  assez  audacieux  pour 
protester  par  des  remontrances  contre  les  lettres  royales*.  Le  flot 
de  la  révolte,  qui  avait  envahi  les  villes,  gagnait  maintenant  les 
villages. 

Les  doctrines  qui  se  faisaient  jour  au  milieu  de  ces  événements 
n'étaient  pas  moins  hardies  que  les  actes.  Au  sein  des  Parlements, 
comme  parmi  les  jansénistes,  c'était  désormais  un  principe  admis 
que  la  yiation  était  au-dessus  des  rois  comme  l'Eglise  au- 
dessus  dupape^.  Les  esprits,  dans  le  public,  allaient  au-delà  de 
cette  formule  ;  s'ils  acceptaient  encore  la  première  partie  de  cette 
proposition,  la  seconde  pour  eux  n'avait  déjà  plus  de  sens.  Cette 
idée  de  la  supériorité  delà  nation  sur  le  monarque  devint  une  arme 
dont  s'empara  le  parti  ultramontain  pour  eff'rayer  le  gouverne- 
ment. On  répandit  de  prétendues  remontrances  du  Parlement  de 
Rouen,  paraissant  rédigées  «  par  des  Brutus  plutôt  que  par  des 
sujets,  »  où  l'on  proposait  une  assemblée  nationale  pour  juger 
le  roi  et  examiner  sa  conduite^.  »  Dans  des  lettres  qui  coururent 
le  royaume,  on  affirma  que  les  principes  «  républicains  »  professés 
par  le  Parlement  étaient  plus  menaçants  pour  la  couronne  que  les 


1.  D'Argenson,  VIII,  1^1  (septembre  1753). 

2.  Le  Parlement  d'Aix  avait  procédé  contre  l'évêque  de  Sisteron  pour  refus 
de  sacrements.  D'Argenson,  ibid.  143-145. 

3.  D'argenson,  VIIl,  133-139. 

4.  D'Argenson,  ibid.,  149. 

5.  D'Argenson,  ibid.,  153. 

6.  Quelques  personnes  pensaient  que  ces  remontrances  supposées  étaient  a  un 
libelle  fabriqué  pour  exciter  la  révolte  contre  l'autorité  royale.  »  D'Argenson  se 
disait  fondé  à  croire  que  «  c'était  les  molinistes  (pii  les  avaient  imaginées  pour 
attirer  de  plus  en  plus  l'animadversion  royale  contre  les  Parlements.  »  D'Argen- 
son, VIII,  113-118. 


•2C,0  FÉLIX    ROCQUAIN. 

maximes  de  la  cour  romaine,  et  que,  par  l'influence  qu'il  avait 
réussi  h  conquérir,  il  était  «  plus  en  état  que  le  pai)e  de  déposer 
le  roi'.  »  Enfin  un  évoque  publia  un  mandement  où,  rappelant 
la  révolution  d'Angleterre  et  la  ti'agique  fin  de  Charles  P"",  il 
insinuait  que  le  Parlement  de  Paris,  à  l'exemple  de  celui  de 
Londres,  était  capable  de  mettre  le  souverain  en  jugement  et  de 
le  conduire  à  V échafaud^ . 

Excité  par  ces  perfides  manœuvres,  le  gouvernement  entra  plus 
avant  dans  la  voie  des  rigueurs.  Le  Cliàtelet  ayant  condamné 
au  feu  un  libelle  dirigé  contre  le  Parlement ^  on  mita  la  Bastille 
celui  des  conseillers  qui  avait  jirésidé  à  la  délibération''.  On 
ne  laissa  point  la  gra nd' chambre ,  après  les  vacations,  reve- 
nir à  Poutoise ,  on  Texila  à  Soissons  sans  fonctions. 
A  la  place  du  Parlement  de  Paris,  on  créa,  sous  le  nom  de 
Chambre  royale,  un  Parlement  «  postiche.  »  Sommé  d'enregis- 
trer sans  délibération  les  lettres  patentes  rendues  à  cet  effet  ^, 
leChàtelet  transcrivit,  «  de  l'exprès  commandement  du  roi,»  ces 
lettres  sur  ses  registres,  mais  refusa  en  fait  de  reconnaître  la 
chambre  royale,  comme  il  avait  refusé  de  reconnaître  la  chambre 
des  vacations.  Il  notifia  ce  refus  dans  un  arrêté  dont  les  termes 
rappelaient  le  langage  des  ardents  jansénistes  de  1720.  «  Le 
roi,  disaient  les  conseillers,  est  maître  de  nos  biens  et  de  nos  vies, 
mais  non  de  notre  honneur^,  »  On  parla  dès  lors  de  supprimer  le 
Châtelet.  L'irritation  dans  Paris  était  universelle,  le  roi  de  plus 
en  plus  détesté.  De  nouveau  on  craignit  un  soulèvement. 
«  Je  sais  d'un  des  principaux  magistrats  de  Paris,  notait  d'Ar- 


1.  Sentence  de  la  sénéchaussée  d'Angers  du  10  décembre  1753  supprimant  un 
écrit  intitulé  :  Lettres  de  monseigneur  l'éveque  de  **  à  monseigneur  l'évêque 
de  **  sur  les  remontrances  du  Parlement  de  Paris.  Ces  lettres  parurent  du 
14  juillet  au  14  août  1753.  Elles  furent  condamnées  par  tous  les  Parlements  (Aix, 
Toulouse,  Bordeaux,  Rouen  etc.). 

2.  ÂrnH  du  conseil  d'Etat  du  26  octobre  1753  supprimant  un  écrit  intitulé  : 
Mandement  de  mgr  l'évêque  de  Montauban  pour  faire  chanter  le  Te  Deum  en 
action  de  grâce  de  la  naissance  de  M.  le  duc  d' Aqxiitaine.  —  Ce  mandement 
fut  également  supprimé  par  le  Parlement  de  Toulouse  le  5  iiov.  1753. 

3.  Sentence  du  Châtelet  du  8  novembre  1753  condamnant  au  feu  un  écrit  inti- 
tulé :  Conduite  du  clergé  justifiée  par  les  principes  et  les  faits  établis  dans 
les  dernières  Remontrances  du  Parlement  de  Paris;  conduite  du  Parlement 
de  Paris,  condamnée  par  les  mêmes  principes  et  les  mêmes  faits. 

4.  Le  lieutenant  civil,  président  de  droit,  s'était  retiré.  D'Argenson,  VIII,  158. 

5.  11  novembre  1753.  Luynes,  XIII,  108-110. 

6.  D'Argenson,  VIII,  187. 


LES    REFUS    DE   SACREMENTS.  261 

genson  à  cette  occasion,  que  les  Parisiens  sont  en  grande  combus- 
tion intérieure.  L'on  y  prend  des  précautions  militaires,  le  guet 
monte  double  chaque  jour,  l'on  voit  dans  les  rues  se  promener 
des  gardes  suisses  et  françaises.  Ce  même  magistrat  m'a  dit  qu'à 
la  suppression  du  Chàtelet,  il  ne  doute  pas  que  l'on  ne  fermât  les 
boutiques,  qu'il  n'y  eût  des  barricades,  et  que  c'est  par  là  que 
la  révolution  commencerait^.  » 

Ces  événements  se  passaient  en  décembre  1753.  Comme  s'ils 
eussent  pressenti  quelque  grand  changement  où  le  pays  aurait 
besoin  de  leurs  lumières,  les  magistrats  exilés  s'étaient  mis  avec 
ardeur  à  étudier  le  droit  public;  ils  en  conféraient  entre  eux  ainsi 
qu'ils  eussent  fait  «  dans  des  académies,  »  et  quelques  hommes 
disaient  que  «  si  jamais  la  nation  française  trouvait  jour  à  leur 
marquer  sa  confiance,  c'était  un  sénat  national  tout  trouvée  » 
Dans  les  premiers  mois  de  l'année  1754,  la  situation  devint 
plus  grave  encore.  Le  parti  ultramontain,  voyant  le  gouverne- 
ment déterminé  à  frapper  de  grands  coups,  redoubla  d'intolérance. 
Dans  toute  la  France  se  multiplièrent  les  refus  de  sacrements. 
A  Paris,  l'archevêque  ôta  les  pouvoirs  à  tous  les  confesseurs  qui 
ne  montraient  pas  assez  de  zèle  pour  la  Constitution  ^.  Des  jésuites 
osèrent,  en  présence  du  roi,  prêcher  contre  les  magistrats  et 
appeler  sur  eux  les  plus  puissants  effets  de  sa  colère^.  De  leur  côté 
les  Parlements  de  province  ne  mettaient  pas  moins  d'ardeur  et 
de  persistance  à  poursuivre  les  évêques.  Communiquant  entre  eux 
par  des  émissaires,  unis  dans  leur  résistance,  recevant  le  mot 
d'ordre  des  membres  du  Parlement  de  Paris,  ils  commençaient  à 
former  une  puissance  redoutable ^  Frappée  du  mépris  public,  la 
Chambre  royale  osait  à  peine  trahir  son  existence  par  quelque 

1.  D'Argenson,  VIII,  202.  Quelques  jours  après,  d'Argenson  écrivait  :  «Je  sais 
que  le  moment  de  la  cessation  de  toutes  ionctions  du  Chàtelet  peut  faire  pousser 
des  cris  à  quelques  gens  du  peuple,  ce  qui  serait  suivi  de  fermeture  de  boutiques, 
de  barricades  et  d'une  révolte  générale.  Quantité  de  monde  s'assemblerait  au  Chà- 
telet, ce  qui  serait  une  tête  de  révolte  qui  passerait  au  marché  de  l'Apport- 
Paris  et  de  là  à  la  halle.  »  Ibid.,  p.  203. 

2.  D'Argenson,  VIII,  152. 

3.  D'Argenson,  VIII,  212. 

4.  D'Argenson,  ibid.  250  (16  mars  1754).  Plus  loin,  à  la  date  du  23  avril, 
d'Argenson  écrit  :  a  Le  P.  L'Augier,  jésuite,  a  prêché  à  Versailles  contre  le  Par- 
lement et  a  conclu  dans  le  goût  d'un  avocat  général,  demandant  qu'il  fùf  congé- 
dié, dissipé  et  anéanti  comme  impie  et  comme  destructeur  de  la  religion.  » 
Ibid.  277. 

5.  D'Argenson,  VIII,  219,  233  et  passim. 


2()2  FKLIX    HOCQUAIN. 

arrêt  insignifiant'.  On  crai}^nait  une  rêvoltoh  Paris  ;  on  en  crai- 
«^nit  une  ;\  Rouen,  et  l'on  lit  marcher  des  troujjes  «  comme  pour 
assiéger  une  ville  rebelle^.  »  Non  content  de  pousser  le  gouver- 
nement contre  les  Parlements  et  les  jansénistes,  le  clergé  le 
poussait  aussi  contre  les  protestants.  Au  mois  d(!  sejitembre  1753, 
on  avait  dirigé  toute  une  armée  sur  les  Gévennes  ^.  Menacés  de 
voir  se  renouveler  les  dragonnades,  les  protestants  se  remuaient 
de  tous  côtés  et  s'armaient.  Au  mois  de  mars  1754,  cinq  mille 
sortirent  de  Nîmes  et  quittèrent  le  royaume  ^  «  Ainsi,  tout  se 
prépare  à  la  guerre  civile,  remarquait  encore  d'Argenson,  et 
voilà  que  le  roi  n'emploie  plus  ses  forces  que  contre  ses  sujets. 
Ce  sont  les  prêtres  qui  poussen-t  de  toutes  parts  à  ces  troubles  et 
à  ces  désordres  ;  aussi  les  esprits  se  tournent-ils  au  mécontente- 
ment et  à  la  désobéissance,  et  tout  chemine  à  une  grande  révo- 
lution dans  la  religion  ainsi  que  dans  le  gouvernement^.  » 

Partout  en  effet,  «  on  ne  parlait  que  de  changement,  et  de 
révolution  tant  dans  l'Église  que  dans  l'État  ^  »  Les  militaires 
n'étaient  pas  plus  soumis  que  la  robe.  Envoyés  tantôt  contre  les 
magistrats,  tantôt  contre  les  protestants,  chargés  de  maintenir 
les  populations  que  soulevait  la  misère  ou  qui  prenaient  parti 
dans  les  troubles  civils,  ils  commençaient  à  se  dégoûter  de  leur 
rôle'^.  Le  Châtelet  ayant  déclaré  que,  tant  que  durerait  l'absence 
du  Parlement  de  Paris,  il  connaîtrait,  à  sa  place,  des  refus  de 
sacrements  et  en  poursuivrait  les  auteurs,  on  alla  de  nuit  chez 
quatre  des  conseillers  pour  les  enlever  et  les  conduire  à  la  Bas- 
tille. Il  fut  de  nouveau  question  de  supprimer  le  Châtelet;  on 
devait  aussi  du  même  coup  supprimer  le  Parlement^.  On  appro- 
chait alors  de  la  semaine  sainte.  Paris  était  consterné  ;  la  colère 
publique  avait  quelque  chose  de  sombre.  Comme  pour  insulter  à 
la  douleur  commune,  jamais  les  fêtes  de  Longchamps  ne  sem- 

1.  Arrêt  de  la  Chambre  royale,  tenue  au  château  du  Louvre,  du  28  novembre 
1753,  supprimant  un  écrit  intitulé  :  Second  mémoire  de  MM.  les  exilés  à 
Bourges. 

2.  D'Argenson,  VIII,  185. 

3.  55  bataillons  d'infanterie  et  8  régiments  de  dragons.  D'Argenson,  ibid.  125. 

4.  D'Argenson,  VIII,  241. 

5.  D'Argenson,  ibid.  241,  242. 

6.  D'Argenson,  ibid.  248. 

7.  D'Argenson,  ibid.  247. 

8.  D'Argenson,  ibid.  245,  274,  293.  En  ce  qui  regarde  les  affaires  du  Châtelet, 
cf.  Lu j  nés,  XIII,  178  et  ss. 


LES    REFUS   DE    SACREMENTS.  263 

blèrent  plus  brillantes.  Les  «  femmes  et  filles  entretenues  »  en 
firent  les  frais,  arborant  les  carrosses,  les  magnifiques  livrées, 
les  parures  et  les  diamants*.  »  Dans  la  même  semaine,  un  jésuite 
prêchant  devant  Louis  XV  disait  qu'il  fallait  toujours  du 
sang  'pour  éteindre  les  hérésies,  et  qu'il  valait  mieux  en 
répandre  d'abord  quelques  gouttes  pour  en  épargner  des 
flots  dans  la  suite^.  Ces  paroles  avaient  sans  doute  peu  d'effet 
sur  le  roi  «  plongé  plus  que  jamais  dans  l'amour  volage^;  »  mais 
elles  en  eurent  sur  le  public.  De  toutes  parts  on  s'élevait  avec 
violence  contre  la  tyrannie  du  gouvernement  «  mariée  »  à  la 
tyrannie  du  clergé.  Il  ne  s'agissait  plus,  à  cette  heure,  de  jansé- 
nistes ni  de  constitutionnaires,  mais  de  nationaux  et  de  sacer- 
dotaux'^. Dans  l'opinion  du  paj^s,  c'était  l'alliance  du  despotisme 
monarchique  et  du  despotisme  clérical  qui  avait  produit  tous  les 
maux  ;  c'était  cette  alliance  fatale  qui  avait  préparé  la  révolution 
alors  partout  menaçante.  «  Cette  révolution  est  plus  à  craindre 
que  jamais,  écrivait  d'Argenson  au  mois  de  juin  1754;  si  elle 
est  pour  arriver  à  Paris,  cela  commencera  par  le  déchirement 
de  quelques  prêtres  dans  les  rues,  même  par  celui  de  l'arche- 
vêque de  Paris,  puis,  l'on  se  jettera  sur  plusieurs  autres,  le 
peuple  regardant  ces  ministres  comme  les  vrais  auteurs  de  nos 
maux^.  » 

Accomplie  dans  les  idées  à  la  fin  de  l'année  1751,  la  révolu- 
tion était  donc  sur  le  point  de  se  réaliser  vers  le  milieu  de  l'année 
1754.  Une  ordonnance  royale  supprimant  le  Châtelet  ou  le  Par- 
lement, un  refus  de  sacrements  qui  se  fût  produit  dans  des  condi- 
tions particulières,  une  émotion  populaire  provoquée  par  les  im- 
pôts ou  par  toute  autre  cause,  eût  suffi  pour  amener  l'explosion. 
Puisqu'il  était  dans  les  destinées  de  la  France  de  subir  les  secousses 
d'une  révolution,  ne  peut-on  regretter  qu'au  lieu  de  se  faire  qua- 
rante-cinq ans  plus  tard,  elle  n'eût  pas  éclaté  à  cette  époque? 
Le  Parlement  aurait  pris  sans  doute  la  direction  du  mouvement. 
Au  point  de  vue  politique,  il  n'est  pas  à  penser,  comme  le 
croyait  d'Argenson,  qu'on  se  fût  tourné  vers  «  un  gouvernement 

1.  D'Argenson,  VIII,  278.  —  Barbier,  IV,  15. 

2.  D'Argenson,  ibid.  278. 

3.  D'Argenson,  ibid.  274. 

4.  D'Argenson,  ibid.  313.  «  Les  choses  sont  bien  changées;  il  ne  s'agit  plus  de 
dénommer  les  uns  jansénistes  et  les  autres  molmisles  :  à  ces  noms  substituez  ceux 
de  nationaux  et  de  sacerdotaux;  voilà  létat  de  la  question.  »  (Juin  1754.) 

5.  D'Argenson,  VIII,  309. 


2().i  KKLIX    IlOr.yiAIX.    —    LKS    IIEFIIS    l)K    SACUKMKNTS. 

(lêmoci-atique  réglé'.  »  On  se  serait  borné  vraiscniblablcnient 
à  limiter  l'autorité  du  souverain.  A  la  place  d'une  royauté 
despotique,  on  aurait  tenté  d'établir  une  monarchie  constitu- 
tionnelle, soit  que  le  Parlement,  agrandi  et  transformé,  eût 
pris  un  rôle  analogue  à  celui  du  Parlement  d'Angleterre,  soit 
que,  ne  conservant  avec  son  nom  que  les  fonctions  de  judi- 
cature,  il  fût  entré  dans  une  combinaison  qui  eût  attribué  aux 
Etats-Généraux  en  même  temps  qu'aux  Etats-Provinciaux  des 
pouvoirs  réguliers.  A  l'égard  du  clergé,  on  aurait  repris  l'œuvre 
avortée  du  gouvernement  ;  on  eût  obligé  les  ecclésiastiques  de 
contribuer  comme  les  autres"  citoyens  aux  charges  de  l'Etat. 
Peut-être  aurait-on  tenté  davantage.  Ce  qui  est  certain,  c'est 
qu'on  eût  brisé  avec  l'ultramontanisme,  odieux  de  tout  temps  à 
la  nation.  On  ne  se  fût  pas  contenté  de  rentrer  dans  les  voies  du 
pur  gallicanisme.  On  eût  cessé  toute  persécution  contre  les  protes- 
tants; selon  la  pensée  qu'en  avait  eue  le  régent,  on  eût  abrogé 
les  lois  odieuses  de  Louis  XIV  qui  les  séparaient  de  la  société. 
Il  est  même  permis  de  supposer  qu'on  eût  voulu  aller  au  delà  de 
cette  mesure.  Au  spectacle  des  rigueurs  dont  les  protestants 
étaient  l'objet,  l'idée  d'un  gouvernement  catholique  reconnaissant, 
à  côté  de  la  religion  dominante,  une  existence  légale  aux  autres 
cultes,  s'était  fait  jour  dans  les  esprits^  Mais  d'Argenson  se 
trompait  en  pensant  <\  qu'on  bannirait  tout  prêtre,  tout  sacer- 
doce, toute  révélation,  tout  mystère,  »  et  qu'on  se  fût  contenté 
d'une  religion  où  l'on  eût  adoré  Dieu  en  esprit  et  en  vérité^.  Dans 
quelque  voie  que  se  fût  engagée  la  révolution  de  1754,  elle 
aurait  eu  sur  celle  de  1789  cet  avantage  qu'hormis  quelques 
excès  mallieureusement  inévitables,  on  n'eût  sans  doute  point 
traversé  un  régime  de  terreur  dont  le  souvenir  pèse  encore 
sur  nous  après  quatre-vingts  ans;  que  l'esprit  de  réforme,  si 
l'on  peut  ainsi  parler,  eût  dominé  l'esprit  de  révolution,  que  la 
France,  encore  attachée  à  son  passé,  eût  rencontré  une  forme 
politique  et  religieuse  qui,  en  satisfaisant  à  ses  nouvelles  aspi- 
rations, eût  été  en  rapport  avec  ses  traditions,  et  qu'on  ne  se  fût 
point  trouvé  dans  la  nécessité  périlleuse  de  construire  un  régime 
nouveau  et  tout  d'une  pièce  sur  les  ruines  de  l'ancien. 

1.  D'Argenson,  VIII,  291. 

2.  Mémoires  de  l'abbé  Morellet,  I,  32-34,  in-8%  Paris,  1822. 

3.  D'Argenson.  VIII.  290-291. 


LA  PAIX  DE  BALE 

ÉTUDE     SUR     LES     NÉGOCIATIONS 

QUI  ONT  PRÉCÉDÉ  LE  TRAITÉ  DU  15   GERMINAL    AN    III   (4   AVRIL 
1795)    ENTRE   LA   FRANCE    ET   LA   PRUSSE ^ 


I 


La  Prusse  et  la  coalition  en  1794  (7  février  1792  — 
18  aoiit  1794). 

Le  roi  de  Prusse  Frédéric-Guillaume  II  détestait  les  prin- 
cipes de  la  Révolution  française  et  en  redoutait  l'influence  sur 
l'Allemagne;  il  considérait  comme  un  de  ses  devoirs  essentiels  de 
soutenir  la  cause  des  rois  contre  les  peuples  révoltés.  Les  ministres 
prussiens  ne  partageaient  pas  tous  les  passions  et  les  craintes  de 
leur  roi,  mais  ils  jugeaient  avec  lui  que  l'intérêt  de  la  Prusse  lui 
commandait  de  ne  point  abandonner  à  l'Autriche  le  soin  de  pro- 
téger l'Allemagne  contre  la  propagande  révolutionnaire  et  de 
défendre  les  droits  des  princes  de  l'empire  possessionnés  en  Alsace. 
Ces  considérations  conduisirent  la  Prusse  à  signer  le  7  février  1792 

1.  Les  ouvrages  français  et  étrangers  dans  lesquels  j'ai  puisé  sont  indiqués  par 
des  renvois.  Les  documents  cités  ou  analysés,  sans  autre  indication  cpie  leur 
date,  sont  inédits  et  proviennent,  soit  des  Archives  nationales  :  a)  Comité  de  salut 
public;  h)  Directoire  exécutif  :  Prusse;  —  soit  des  Archives  du  ministère  des 
affaires  étrangères  :  a)  Correspondances  de  Prusse,  de  Danemarck,  de  Suisse; 
b)  Papiers  de  M.  Barthélémy  :  Correspondance  de  Prusse  et  de  Suisse.  Ainsi  que 
je  l'ai  dit  ici  même  en  publiant  une  étude  sur  la  mission  de  Custine  à  Bruns- 
wick en  1792,  je  dois  à  M.  le  duc  Decazes  et  à  M.  Alfred  Maury  d'avoir  pu  con- 
sulter ces  précieux  documents.  Je  ne  fais  que  remplir  un  devoir  en  remerciant 
M.  Prosper  Faugère,  directeur  des  Archives  au  ministère  des  affaires  étrangères, 
de  l'obligeance  avec  laquelle  il  m'a  secondé  dans  mes  travaux. 


200  ALIIRKT    SOREL. 

1111  traitô  (rnllianco  avec  l'Autriclio.  Il  fut  suivi,  quelques  mois 
ai>rès,  11  juillet  1792,  d'un  traité  d'alliance  avec  la  Russie.  La 
première  coalition  était  formée;  elle  n'avait  encore  abouti  à 
aucun  résultat,  que  dè'fix  les  coalisés  se  disputaient  sur  les  avan- 
tages qu'ils  en  pourraient  retirer.  La  victoire  des  Français  à 
Valmy  et  la  fâcheuse  retraite  qui  en  fut  la  suite,  découragèrent  le 
roi  de  Prusse;  elles  confirmèrent  les  prévisions  de  ceux  qui,  en 
Prusse ,  avaient  blànié  l'alliance  avec  l'Autriche  et  pensaient 
que  l'intérêt  bien  entendu  de  leur  pays  n'était  pas  de  com- 
battre la  France.  Le  roi  jugeait  son  honneur  engagé  à  continuer 
la  guerre,  mais  il  n'entendait  point  la  continuer  gratuitement.  Il 
réclama  des  dédommagements  (octobre  1792) ,  et  comme  l'Autriche 
ne  paraissait  pas  disposée  à  en  promettre  de  suiRsants,  il  se  retourna 
vers  la  Russie.  La  Russie  voulait  avoir  les  mains  libres  en  Orient 
et  en  Pologne;  il  lui  importait  que  la  Prusse  et  l'Autriche 
fussent  occupées  avec  les  Français  ;  les  desseins  de  l'impératrice 
Catherine  II  la  conduisaient  à  prêcher  la  croisade  contre  la 
France  tout  en  évitant  d'y  prendre  part.  Jugeant  l'Autriche  irré- 
vocablement engagée  dans  la  guerre  et  voyant  la  Prusse  hési- 
tante, la  Russie  se  décida  à  faire  un  sacrifice  pour  conserver  à  la 
coalition  l'appui  de  l'armée  prussienne.  La  Pologne  paya  les 
frais  de  la  campagne,  et  le  second  démembrement  de  cette  malheu- 
reuse république  fut  décidé  le  27  janvier  1793  par  un  traité  secret 
entre  la  Russie  et  la  Prusse.  L'Autriche  n'était  point  appelée  à  y 
participer  :  elle  devait  prendre  ses  compensations  en  France  ou  en 
Allemagne. 

Ce  partage,  qui  devait  cimenter  l'union  des  coalisés,  fut 
au  contraire  entre  eux  un  nouveau  motif  de  divisions.  Ces 
divisions  éclatèrent  au  printemps  de  1793.  Les  coalisés  ne 
pensaient  plus  alors  qu'à  conquérir.  Les  ambitions  de  l'Au- 
triche se  heurtèrent  à  celles  de  la  Prusse.  L'Autriche  n'entendait 
point  combattre  pour  assurer  à  la  Prusse  des  acquisitions  qui 
modifiaient  à  son  profit  l'équilibre  du  Nord.  La  Prusse  n'enten- 
dait point  exposer  son  armée  pour  conquérir  l'Alsace  et  la  Lor- 
raine à  l'Autriche  qui,  si  elle  ne  les  gardait  pas,  s'en  servirait 
pour  indemniser  là  maison  palatine,  s'établir  en  Bavièreet  s'assurer 
ainsi  la  suprématie  dans  l'empire.  La  Russie,  qui  n'avait  livré  la 
Pologne  que  pour  retenir  les  Prussiens  sur  le  Rhin,  hésitait  à  les 
mettre  en  possession  de  leur  lot  et  les  soupçonnait  de  vouloir 
abandonner  la  coalition  dès  qu'ils  en  auraient  tiré  un  bénéfice. 


LA    PAIX   DE    BALE.  ^^"^ 


L'opération  du  partage  traînait  en  longueur,  l'Autriche  refusait 
sa  sanction  ;  le  roi  de  Prusse  considéra  qu'il  avait  assez  combattu 
les  Français  pour  satisfaire  à  ses  devoirs  de  prince  de  l'empire; 
d'ailleurs  son  trésor  s'épuisait,  et  il  ne  pouvait  pas  continuer  plus 
longtemps  la  campagne  si  on  ne  lui  fournissait  pointdes  subsides. 
Il  le  déclara  formellement  le   23  septembre  1793  à  1  envoyé 
d'Autriche,  et  le  29  il  quitta  l'armée  du  Rhin  pour  surveiller 
en  personne  les  affaires  de  Pologne.  En  route  il  apprit  la  con- 
sommation du  partage;  mais  il  ne  s'arrêta  point,  et,  tranqmllise 
de  ce  côté,  il  n'en  insista  que  plus  fortement  sur  1  affaire  des  sub- 
sides. L'Autriche  les  refusa,  l'Angleterre  reprit  l'affaire  a  son 
compte,  et  lord  Malmesbury  fut  envoyé  à  Berlin  pour  la  négocier 

(novembre  1793). 

Cependant  grâce  à  leur  énergie  et  aux  divisions  de  leurs  enne- 
mis, les  Français  avaient  repoussé  l'invasion.  Alafandel/yd 
le  territoire  national  était  délivré,  et  les  armées  delà  République 
prenaient  partout  l'offensive.  La  face  des  choses  changeait.  Il  ne 
s'agissait  plus,  pour  la  Prusse  et  pour  l'Autriche,  de  se  disputer 
des  territoires  conquis  en  France,  mais  de  défendre  le  terri- 
toire de  l'empire  contre  l'invasion  des  armées  françaises.  Les 
Allemands,  qui  s'étaient  très-mal  accordés  pour  attaquer,  demeu- 
rèrent divisés  lorsqu'il  s'agit  d'organiser  la  défense    La  Prusse 
songea  à  se  faire  contre  la  France  la  protectrice  de  1  indépen- 
dance de  l'empire,    compromise  par  la  «  politique  égoïste   » 
du  cabinet  de  Vienne.   Ce  serait  à  la  fois  soutenir  la  cause 
de  l'AUemagne  et   faire  de  la  Prusse  la   première  des  puis- 
sances allemandes.    La  préparation   de  ce  grand  dessein  tut 
confiée  à  Hardenberg.   Mais  avant  tout  il  faUait  trouver  de 
l'argent,  et  le  premier  point  était  d'obtenir  des  subsides  delà 

diète.  .,      .1 

Le  baron  Charles-Auguste  de  Hardenberg  avait  près  de  qua- 
rante-quatre ans  ;  il  avait  été  successivement  au  service  de  1  élec- 
teur de  Hanovre  et  du  duc  de  Brunswick,  et  était  alors  ministre 
du  roi  de  Prusse  dans  les  margraviats  d'Ansbach  et  Baireuth^  La 
mission  lui  fut  donnée  le  31  janvier  1794.  Hardenberg  était  <<  plus 
Allemand  que  Prussien,  »  mais  il  ne  séparait  point  les  intérêts  de 
l'Allemagne  des  intérêts  de  la  Prusse.  Il  redoutait  fort  de  voir 

1.  Voir,  pour  les  co.nmencements  de  Hardenberg,  Ranke  :  BenkwilrdigkeUen 
des  Fursten  von  Hardenberg,  t.  I,  1.  I- 


2(iS  ALBERT   SOKKL. 

l'arnu'v  pnissionno  abandonner  \o  Rhin  et  rentrer  dans  les  fron- 
tières du  r>randebourg  :  ce  serait  selon  lui  livrer  à  l'invasion  fran- 
çaise et  au  «  vertige  de  la  liberté  »  non-seulement  l'empire,  mais 
les  possessions  prussiennes  de  Franconie  et  de  Westphalie.  S'en 
suivait-il  qu'il  fallût  continuer  la  guerre  contre  la  France,  et  la 
continuer  d'après  le  système  suivi  jusque  là?  Il  ne  le  croyait  pas. 
L'idée  de  refouler  la  France  dans  de  plus  étroites  frontières,  qui 
avait  dominé  dans  la  campagne  précédente,  était  contraire  à  ses 
vues.  Dans  un  écrit  daté  du'  24  janvier  1794,  il  se  montrait 
effrayé  de  la  prépondérance  que  le  succès  de  ce  plan  aurait  assu- 
rée à  la  maison  d'Autriche.  Il  était  fort  éloigné  du  dessein  que 
.l'on  avait  conçu  d'anéantir  la  France  :  la  France,  selon  lui, 
devait,  lorsqu'elle  aurait  recouvré  le  calme,  apporter  un  poids 
utile  dans  la  balance  de  l'Europe  et  l'apporter  au  profit  de  la 
Prusse.  Il  annonçait  déjà  que  l'on  se  trouverait  dans  la  nécessité 
de  rechercher  une  paix  partielle,  au  moins  comme  préparation  à 
la  i)aix  générale.  Mais  ce  n'était  point  aux  dépens  de  la  France 
qu'il  faudrait  conclure  cette  paix;  les  dédommagements  que  le  roi 
de  Prusse  réclamait  et  que  revendiquait  l'Autriche,  ne  pouvaient 
être  obtenus  que  par  des  sécularisations  de  biens  ecclésiastiques, 
pratique  conforme  aux  anciens  précédents  de  l'empire*...  Har- 
denberg  ne  prétendait  point  en   cela  se  rapprocher  des  prin- 
cipes de  la  Révolution  ;  il  ne  les  aimait  point  :  en  France  on 
avait,   au  nom  de  la  souveraineté  du  peuple,  aliéné  les  biens 
du  clergé,  c'était  un  acte  tout  révolutionnaire;  les  sécularisa- 
tions auxquelles  songeait  Hardenberg  devaient  être  opérées  par 
des  gouvernements  légitimes  et  dans  toutes  les  formes  du  vieux 
droit  germanique.  Ce  n'était  pas  moins  un  moyen  d'entente  avec 
la  France,  et  il  est  intéressant  de  voir  un  homme  d'Etat  prussien 
le  proposer  dès  cette  époque.  Les  vues  de  Hardenberg  n'étaient 
ni  moins  claires    ni   moins    pénétrantes    quand   il  exposait  à 
son   gouvernement  la  manière  dont  il  convenait  d'assurer  la 
paix  de  l'empire,  et  les  avantages  que  la  Prusse  en  pourrait 
retirer.  «  Dans  l'empire,  écrivait-il  en  février  1794,  tout  aspire 
à  la  paix,  excepté  peut-être  l'infâme  parti  qui  voudrait  faire  écla- 
ter une  révolution  en  Allemagne.  La  question  est  de  savoir  si  le  roi 
a  le  dessein,  dans  le  cas  où  il  retirerait  ses  troupes,  de  garantir, 
du  côté  de  l'ennemi,  sinon  l'empire  tout  entier,  au  moins  ceux  des 

1.  Ranke,  t.  I,  p.  159  et  160. 


LA    PAIX    DE    BALE.  269 

États  qui  invoqueraient  sa  protection.  »  Hardenberg  ne  se  pro- 
nonçait pas  sur  les  moyens  à  employer  et  qui  pourraient  consister 
dans  une  neutralité  ou  dans  un  armistice,  obtenus  soit  par  des  voies 
indirectes,  soit  par  une  négociation  en  forme  avec  la  République. 
«  Mais,  disait-il,  si  le  roi  retire  ses  troupes  sans  aucun  arrange- 
ment préalable,  il  s'isolera  et  mettra  les  Etats  de  l'empire  dans 
la  nécessité  de  se  jeter  dans  les  bras  de  l'Autriche,  tandis  que  la 
plus  belle  occasion  se  présente  pour  lui  de  se  lier  plus  étroitement 
avec  ses  co-États.  »  La  Prusse  reprendrait  ainsi  la  politique 
de  Frédéric  II,  développerait  ce  Fûrstenbund,  cette  ligue  des 
princes,  cette  confédération  germanique,  qui  avait  été  comme 
le  couronnement  de  l'œuvre  du  grand  roi,  et  s'assurerait  tous  les 
droits  d'un  champion  de  l'empire.  «  Qui  peut  prévoir,  ajoutait 
Hardenberg,  tous  les  cas  dans  lesquels  il  peut  être  nécessaire  de 
s'opposer  à  l'Autriche?  l'Autriche  voudra  peut-être  profiter  des 
circonstances  pour  accomplir  ses  propres  projets  d'échange*  ou 
accomplir  des  sécularisations.  »  Ainsi  se  dessinait  dans  la  pensée 
des  hommes  d'Etats  prussiens  le  plan  dont  ils  n'ont  pas  cessé 
depuis  le  grand  Frédéric  de  poursuivre  l'exécution  et  qui,  après 
beaucoup  de  tentatives,  les  conduisit  en  1866  à  créer  la  Confédéra- 
tion du  Nord.  Hardenberg  trouvait  auprès  de  plusieurs  cours 
allemandes  des  dispositions  favorables  ;  le  landgrave  de  Hesse- 
Cassel  et  l'électeur  de  Mayence  se  montraient  fort  désireux  de  la 
paix.  Mais  l'Autriche  contrecarrait  autant  qu'elle  le  pouvait  les 
négociations  de  la  Prusse  avec  les  États  de  l'empire,  et  l'affaire 
principale,  celle  des  subsides,  n'avançait  point.    , 

Comme  il  fallait  de  l'argent  et  que  l'Angleterre  en  offrait,  la 
Prusse  alla  au  plus  pressé  et  signa  le  19  avril  1794,  avec  l'An- 
gleterre, la  convention  de  La  Haye.  Moyennant  des  subsides 
périodiquement  payés  par  les  Anglais,  le  roi  de  Prusse  devait 
maintenir  ses  troupes  dans  l'ouest  de  l'Europe  et  y  soutenir  les 
opérations  des  alliés.  La  convention  ne  spécifiait  point  clairement  la 
nature  des  opérations  auxquelles  les  Prussiens  devaient  prendre 
part.  Les  Anglais,  d'accord  en  cela  avec  les  Autrichiens,  avaient  eu 
seulement  en  vue,  lorsqu'ils  avaient  promis  les  subsides,  de  défendre 
la  Belgique  et  de  couvrir  la  Hollande.  La  Prusse  avait  cherché" 
dans  la  convention  de  La  Haye  un  moyen  pratique  de  conserver 

1.  Allusion  au  projet  tant  de  fois  agité  et  repris  d'échanger  les  Pays-Bas  contre 
la  Bavière. 


270  ALItKRT    SOIIEL. 

SOS  Iroupos  sur  le  Rliiii  ut  do  détendre  rem})iro.  Elle  n'entondait 
point  abandonner  ses  grands  desseins  allemands  pour  aider  l'Au- 
triche h  conserver  les  Pays-Bas  ;  l'Angleterre  n'entendait  pas 
}»ayer  des  subsides  à  la  Prusse  pour  l'aider  à  évincer  l'Au- 
triche de  la  direction  de  l'empire.  Il  y  avait  ainsi  contradiction 
entre  les  intérêts  des  alliés,  contradiction  entre  les  engagements 
pris  par  la  Prusse  à  l'égard  de  l'Angleterre  et  ceux  qu'elle  pre- 
nait à  l'égard  des  princes  allemands.  Ilfallait  choisir  et,  comme  le 
choix  était  aussi  diiRciîe  que  périlleux,  la  Prusse  hésitait  et  ses 
armées  demeuraient  immobiles.  Les  Anglais  s'en  plaignaient;  les 
Autrichiens,  inquiets  des  négociations  de  la  Prusse  avec  les  Etats 
d'empire,  insistèrent  auprès  des  Anglais  pour  hâter  l'exécution 
de  la  convention  de  La  Haye  :  il  en  résulta  des  explications  qui 
ne  tardèrent  pas  à  s'aigrir. 

Un  événement  que  l'on  pouvait  prévoir  mit  le  comble  aux 
embarras  de  la  Prusse.  Il  ne  restait  plus  qu'un  lambeau  de 
la  Pologne;  la  Russie  prétendait  en  faire  un  Etat  vassal. 
Les  Polonais  se  révoltèrent  sous  la  conduite  de  Kosciusko, 
battirent  les  Russes  le  4  avril  1794  et  les  forcèrent  le  18  à  éva- 
cuer Varsovie.  La  révolte  gagna  les  provinces  prussiennes.  La 
Prusse  comprit  qu'un  troisième  partage  était  imminent,  elle  sen- 
tit que  l'Autriche  et  la  Russie,  mécontentes  de  sa  politique,  s'en- 
tendraient cette  fois  pour  partager  sans  elle,  et  jugea  que  l'Etat 
qui  étoufferait  la  révolution  de  Pologne  serait  maître  de  dicter 
les  conditions  du  partage.  On  conçoit  qu'elle  fut  alors  moins 
empressée  que  jamais  de  compromettre  son  armée  du  Rhin  et  de 
la  jeter  dans  les  Flandres;  malgré  les  très-vives  réclamations 
des  Anglais,  Mœllendorf,  qui  commandait  cette  armée,  continua 
de  se  tenir  sur  la  défensive  et  d'attendre  les  événements. 

L'impuissance  et  le  désaccord  des  coalisés  se  déclaraient  ainsi 
au  moment  même  où  les  Français  démontraient  par  une  série  de 
succès  éclatants  leur  supériorité  militaire. 

II 

Correspondances  des  agents  français  sur  les  affaires  d'Al- 
lemagne. —  Grouvelle;  —  Barthélémy;  —  Bâcher;  —  Pre- 
miers si/mptomes  de  paix  {septembre  1793-3  Juin  1794). 

On  était  alors  en  pleine  terreur;  Robespierre   dominait  la 


LA   PAIX    DE    BALE.  '2H 

Convention  et  la  France.  Ce  gouvernement  avait  peu  de  temps 
à  donner  à  la  diplomatie  et  possédait  peu  de  moyens  d'action 
diplomatique.  Mais,  s'il  ignorait  le  détail  des  discussions  des 
alliés,  il  en  pouvait  juger  les  résultats  et  ne  laissait  pas  d'être 
exactement  renseigné  sur  le  fond  des  choses.   La  République 
avait  rompu  avec  toutes  les  grandes  puissances,  sauf  avec  la 
Turquie  et  les  États-Unis  ;  mais  elle  avait  en  Suisse  un  ambassa- 
deur officiellement  accrédité,  et  entretenait  des  agents  officieux 
auprès  de  quelques  cours  secondaires  :  c'est  ainsi  que  Grouvelle 
résidait  à  Copenhague,  Cacault  à  Florence,  Noël  à  Venise^. 
Leurs  rapports    avec   les    ministres    étrangers    étaient  assez 
fréquents    et    leur   permettaient   d'envoyer    au    ministère   des 
relations  extérieures  des  renseignements  d'autant  plus  précieux 
que  les  sources  en  étaient  plus  rares.  Les  plus  distingués  de  ces 
agents  étaient  ceux  qui  étaient  appelés  à  suivre  les  affaires  de 
l'Allemagne.  Grouvelle,   qui  résidait  en  Danemark  depuis  le 
mois  de  septembre  1793,  était  né  à  Paris  en  1758;  il  était  fils 
d'un  orfèvre,  avait  reçu  une  bonne  éducation,  s'était  lié  avec 
Chamfort,  dont  il  avait  été  le  secrétaire;  puis  il  était  passé  au 
service  de  la  maison  deCondé,  qu'il  avait  abandonné  pour  se  jeter 
dans  le  parti  de  la  Révolution.  Nommé  après  le  10  août  secré- 
taire du  conseil  exécutif  provisoire,  il  eut,  en  cette  qualité,  la 
terrible  mission  de  lire  au  roi  le  décret  qui  le  condamnait  à  mort. 
Arrivé  à  Copenhague  il  ne  put  point  y  déployer  de  caractère 
public,  mais  s'il  n'eut  pas  le  titre  de  ministre,  il  en  exerça  réelle- 
ment les  fonctions.  Il  sut  se  faire  bien  recevoir  par  le  ministre  des 
affaires  étrangères,  le  comte  de  Bernstorf,  et  gagner  sa  confiance. 
Bernstorf  était  un  de  ces  hommes  d'État,  comme  on  en  vit 
beaucoup  au  xvni^  siècle,  que  le  goût  de  la  philosophie  portait 
à  admirer  les  hommes  et  les  idées  de  1789.  On  l'avait,  dans  le 


l.  Voir  à  ce  sujet  :  Le  département  des  affaires  étrangères  pendant  la  Révo- 
lution, par  M.  Frédéric  Masson,  bibliothécaire  du  Ministère  des  affaires  étran- 
gères. Paris,  Pion,  1877  (p.  237  et  345).  L'auteur,  qui  possède  une  connaissance 
très-étendue  de  la  bibliographie  de  l'histoire  révolutionnaire,  a  rassemblé  sur  ce 
sujet  des  documents  fort  curieux;  il  a  pu  en  outre  dépouiller  les  dossiers  et 
consulter  les  documents  manuscrits  conservés  jjaux  Archives  des  affaires 
étrangères.  Il  a  composé  ainsi,  avec  des  pièces  inédites  pour  la  plupart,  un  livre 
substantiel,  instructif,  presque  toujours  neuf  et  très-souvent  intéressant  sur  l'or- 
ganisation des  services  intérieurs  du  ministère  pendant  la  Révolution. 


AI.ItEUT   SOKKL. 


Nord,  surnoiiimô  le  ministre  jacobin  '.  —  Hernstorf,  dit  uno  note 
manuscrite  de  1795,  s'est  toujours  attache  aux  principes  de  la 
Révolution.  «  Il  a  des  lumières,  de  la  philanthroi)ie,  mais  timide 
par  caractère,  »  il  ne  songe  qu'à  ménager  ses  voisins  et  à  accroître 
le  commerce  de  son  pays  ;  il  n'a  jamais  trempé  dans  la  coali- 
tion. V.  Le  Danemark  avait  montré  à  la  France  la  plus  grande 
bienveillance;  pendant  que  Catherine  était  occupée  en  Pologne, 
r>ernstorf  instruisait  notre  agent  de  tout  ce  que  sa  vaste  corres- 
pondance lui  api)renait  des  différentes  cours  de  l'Europe.  Il  cher- 
chait à  nous  servir  de  ses  lumières,  de  ses  conseils...  Il  affichait 
de  l'admiration  pour  nos  succès,  du  zèle  pour  accélérer  le  retour 
de  la  paix...  L'espoir  d'influer  sur  la  pacification  de  l'Europe,  de 
jouer  le  rôle  de  médiateur  dans  un  congrès  général  flattait  son 
orgueil,  et  tel  était  l'objet  de  son  ambition.  »  Les  conversations 
qu'il  avait  avec  Grouvelle  permettaient  à  l'agent  républicain 
de  mettre  à  profit  les  nombreuses  informations  du  ministre  danois. 
«  La  correspondance  de  Grouvelle,  dit  une  note  du  12  août  1794, 
est  après  celle  de  Barthélémy  la  plus  volumineuse  et  la  plus  inté- 
ressante. » 

L'ambassade  de  France  en  Suisse,  que  dirigeait  Barthélémy, 
était  de  beaucoup  la  plus  importante  des  agences  de  la  Répu- 
blique à  l'étranger.  Elle  était  le  centre  des  relations  incertaines, 
interrompues,  occultes  pour  la  plupart,  que  la  République  tâchait 
d'entretenir  avec  l'Europe.  C'était  surtout  une  agence  de  rensei- 
gnements. L'ambassadeur  français  Barthélémy,  qui  avait  alors 
près  de  quarante-sept  ans  \  était  un  diplomate  de  profession. 
Neveu  de  l'auteur  diAnacharsis  qui,  par  son  amitié  avec  le  duc 
de  Choiseul,  l'avait  fait  entrer  dans  la  carrière,  Barthélémy  avait 
été  successivement  envoyé  en  1768  en  Suède  où  il  avait  servi  sous 
Vergennes  de  1771  à  1774,  puis  à  Vienne,  en  1774,  où  il  avait 
été  chargé  d'affaires  pendant  le  congrès  de  Teschen,  puis  à 
Londres  où  iï  resta  de  1784  à  1792  et  fut  presque  constamment 
chargé  d'affaires.  Il  fut  nommé  le  2  février  1792  ministre,  puis 
ambassadeur  en  Suisse  \  Dans  ses  différents  postes  il  avait  appris 
à  connaître  l'Europe.  C'était  un  homme  instruit,  sérieux,  pru- 

1.  «  Aperçu  sur  le  Danemark  et  sur  sa  position  à  notre  égard.  »  (Archives  des 
Affaires  étrangères.) 

2.  Il  était  né  à  Aubusson  le  20  octobre  1747. 

3.  Masson,  Affaires  étrangères,  p.  393,  note. 


LA  PAIX   DE  BALE.  273 

dent  et  avisé,  fort  aristocratique  dans  ses  goûts  et  ses  manières. 
Ses  opinions  l'attachaient  au  parti  le  plus  modéré,  La  terreur  le 
trouva  en  Suisse  et  l'y  laissa.  Il  s'accommoda  de  son  mieux  pour 
«  vivre  »  aussi  longtemps  que  durerait  l'orage.  Très-attaché  à 
son  pays,  très-pénétré  de  ses  traditions  diplomatiques,  il  s'effor- 
çait de  séparer  les  intérêts  permanents  de  la  France  de  ceux  des 
fanatiques  médiocres  qui  la  tenaient  alors  sous  le  joug,  et  tâchait 
de  remplir  son  devoir  de  citoyen  en  renseignant  de  son  mieux  le 
ministère  sur  les  affaires  de  l'Europe.  Le  fait  est  que  les  terroris- 
tes le  ménageaient  et  que  l'on  fut  très-heureux  de  l'avoir  conservé 
à  son  poste  lorsque  l'occasion  de  négocier  sérieusement  se  pré- 
senta. Il  vivait  près  de  Zurich,  à  Baden  en  Argovie;  il  y  occu- 
pait un  logement  habité  au  commencement  du  siècle  par  le  prince 
Eugène.  Il  avait  conservé  la  plupart  de  ses  relations  person- 
nelles, surtout  avec  les  étrangers.  «  Barthélémy,  dit  M.  Ranke 
d'après  les  notes  de  Hardenberg*,  appartenait  encore  à  la -vieille 
société  européenne;  il  s'étaitformé  à  la  diplomatie  sous  Louis  XYI. 
Il  s'était  fait  à  Baden  une  installation  confortable  ;  il  y  vivait  à 
l'ancienne  mode.  Il  travaillait  toute  la  journée,  jusqu'à  la  nuit; 
il  avait  un  jardin,  et  recevait  une  aimable  société  déjeunes  amis. 
Il  n'était  point  marié;  sa  table  était  bonne,  sa  cave  était 
garnie.  Il  était  naturellement  d'humeur  douce  et  de  caractère 
modéré.  Il  détestait  de  toute  son  âme  le  système  de  la  terreur  et 
des  Jacobins,  et  il  avait  rendu  service  à  plus  d'un  émigré  fuyant 
leur  domination.  » 

La  République  avait  en  Suisse  un  autre, agent,  moins  distin- 
gué que  Barthélémy,  à  la  vérité,  mais  qui  ne  laissait  pas,  sur- 
tout à  cette  époque,  de  rendre  de  sérieux  services.  C'était  un  Alsa- 
cien, Bâcher,  né  à  Thann  en  1748.  Il  se  destinait  à  l'armée  et 
avait  passé  son  adolescence  à  Berlin  où  il  avait  reçu  sa  pre- 
mière éducation  militaire;  il  avait  conservé  de  ce  séjour  une 
grande  admiration  pour  la  personne  et  les  idées  de  Frédéric  II, 
et  noué  avec  un  certain  nombre  de  personnages  prussiens, 
notamment  avec  le  prince  Henry  de  Prusse,  «  protecteur  né  de 
tous  les  Français 2,  »  des  relations  de  reconnaissance  et  d'amitié 
qu'il  continua  d'entretenir,  et  qui  expliquent  le  rôle  auquel  il  fut 
appelé  en  1794,  lorsque  la  France  et  la  Prusse  cherchèrent  à  se 


1.  I,p.  261. 

2.  Bâcher  au  Comité  de  salut  public,  24  frimaire  an  III  (14  déc.  1794). 

ReV.    HiSTOR.    V.    2e   FASC.  48 


AMIERT   SOIIEL. 


lapproclier.  Revenu  en  France,  Bâcher  servit  dans  l'armée  pen- 
dant la  guerre  de  sept  ans  ;  ingénieur  géograi>lie  militaire  en  1769, 
il  fut  nommé,  en  1771,  lieutenant  au  régiment  de  Colmar  et  dès 
lors  attaché  aux  affaires  étrangères.  Il  fut,  en  1777,  envoyé  en 
Suisse  où  il  remplit  le  poste  de  chargé  d'affaires  depuis  cette  éj)oque 
jusqu'à  l'arrivée  de  Barthélémy,  en  1792;  mais  il  fut  bientôt  sé- 
paré de  cet  ambassadeur.  En  1793,  Bâcher,  qui  avait  le  titre  de 
premier  secrétaire  interprète  de  la  République  française  en 
Suisse,  était  commissionné  en  qualité  d'agent  de  la  République  à 
Piàle  pour  surveiller  la  neutralité  helvétique,  observer  les  mouve- 
ments des  armées  ennemies,  renseigner  les  généraux  français, 
suivre  la  correspondance  très-nourrie  des  agents  secrets  de  la 
République  en  Allemagne  et  faire  passer  aux  prisonniers  français 
en  ^Vllemagne,  et  aux  prisonniers  allemands  en  France,  des  let- 
tres et  des  secours.  Bâcher  demeurait  en  relations  suivies  et  très- 
amicales  avec  Barthélémy,  mais  ayant  moins  de  fond,  moins  de 
jugement  et  plus  d'enthousiasme,  il  observait  moins  de  prudence 
et  affichait  des  opinions  beaucoup  plus  ouvertement  «  civiques.  » 
L'idée  de  diviser  la  coalition  était  en  France  aussi  ancienne 
que  la  coalition  même.  Les  agents  français  et  le  ministère 
des  relations  extérieures  savaient  parfaitement  qu'il  existait  en 
Prusse  un  parti  de  la  paix  ;  une  entente  séparée  avec  la  Prusse 
était  une  de  leurs  conceptions  favorites  :  eUe  se  rattachait  aux 
souvenirs,  alors  très-vifs,  des  relations  qui  avaient  existé  entre 
les  philosophes  français,  Frédéric  II  et  beaucoup  de  grands  per- 
sonnages prussiens.  Depuis  la  mission  de  M.  deSégurà  Berlin  au 
commencement  de  1 792 ,  jusqu'aux  négociations  que  l'on  expose  ici , 
il  y  eut  une  série  non  interrompue  d'efforts  pour  négocier  avec  la 
Prusse.  Ces  efforts,  assez  peu  sérieux  en  eux-mêmes,  n'avaient 
point  abouti.  La  pensée  qui  les  avait  inspirés  n'en  subsistait  pas 
moins;  elle  était  juste,  et,  dès  que  les  circonstances  s'y  prêtèrent, 
elle  se  réalisa.  Les  diplomates  français  résidant  en  Suisse  sui- 
vaient donc  avec  la  plus  grande  attention  les  événements  d'Al- 
lemagne. Dès  le  9  septembre  1793,  Barthélémy  écrivait  à  Defor- 
gues,  ministre  des  relations  extérieures,  que  l'Angleterre  et  l'Au- 
triche étaient  très-mécontentes  de  la  Prusse.  «  Tout  le  monde, 
ajoutait-il,  sent  également  et  la  nécessité  de  la  paix  et  l'impossi- 
bilité de  la  faire.  »  Le  18  décembre  il  recevait  d'un  magistrat  de 
Berne  et  transmettait  à  Deforgues  une  lettre  où  on  lisait  :  «  On 
m'a  appris  de  bonne  part  qu'il  y  a  une  haine  incroyable  entre  les 


LA   PAIX    DE   BALE.  275 

Autrichiens  et  les  Prussiens,  sans  que  pour  cela  la  bonne  intel- 
ligence des  deux  cours  risque  de  s'altérer.  »  Cependant  des  symp- 
tômes pacifiques  se  manifestaient  en  Allemagne.  Le  landgrave 
de  Hesse-Cassel  avait  eu  à  garder  des  prisonniers  français  ;  il  les 
avait  traités  avec  ménagement,  puis  les  avait  renvoyés  chez  eux, 
et  il  offrait  d'en  renvoyer  d'autres.  Bâcher  qui,  tout  républicain 
qu'il  fut,  savait  parler  aux  princes  sur  le  ton  qui  convenait,  lui 
écrivit  le  11  janvier  1794  pour  le  remercier  et  lui  annoncer  qu'il 
avait  transmis  sa  proposition  à  la  Convention .  «  Je  m'estimerais 
infiniment  heureux,  monseigneur,  ajoutait-il,  de  pouvoir  vous 
assurer  dans  peu  que  les  ouvertures  aussi  franches  qu'amicales 
de  V.  A.  S.  ont  été  acceptées  par  la  République  française,  et 
que  toutes  ceUes  qu'il  lui  plaira  de  faire  parvenir  par  la  suite 
en  France  seront  accueillies  avec  le  même  empressement,  surtout 
quand  il  s'agira  de  la  garantie  de  la  constitution  et  de  la  liberté 
de  l'empire,  assurée  par  le  traité  de  Westphalie.  »  Et  quelques 
jours  après,  le  17  janvier  1794,  Bâcher  écrivait  à  Deforgues  que 
les  alliés  étaient  fatigués,  qu'il  ne  fallait  pas  leur  accorder  la 
paix,  que  les  négociations  qu'ils  proposaient  à  la  France  n'étaient 
qu'un  leurre  pour  diviser  ses  forces,  mais  qu'on  pourrait  les 
diviser  eux  et  séparer  de  la  coalition  la  Prusse  et  Cassel  :  c'était, 
selon  lui,  le  moment  d'envoyer  un  émissaire  à  Berlin. 

Des  renseignements  analogues  arrivaient  de  Venise.  Noël,  qui 
y  était  agent  de  la  République,  mandait  le  4  janvier  1794  que  le 
roi  de  Prusse  avait  refusé  de  continuer  la  guerre  si  on  ne  lui  don- 
nait pas  33  millions  de  florins,  et  il  ajoutait  :  «  Encore  quelques 
efforts  et  cette  ligue  monstrueuse,  dont  les  acteurs  n'ont  été  que 
les  mannequins  politiques  dont  la  rusée  Catherine  faisait  jouer 
les  ressorts,  touche  à  sa  dissolution.  »  Venise  désirait  la  paix,  et 
ses  représentants  ne  craignaient  point  de  le  dire,  malgré  la 
crainte  très-vive  inspirée  par  l'Autriche  à  leur  gouvernement. 
Le  comte  de  San  Fermo,  ministre  de  Venise  à  Londres,  était  venu 
à  Bàle  au  commencement  de  1793;  il  avait  manifesté  le  désir  de 
connaître  Bâcher  et  était  entré  en  relations  avec  lui.  Il  restait  à 
Bâle  en  observation  et  ses  conversations  étaient  fort  profitables  à 
l'agent  français.  Bâcher  écrivait  à  ce  sujet  à  Deforgues  le  22  plu- 
viôse an  II  (20  février  1794)  :  «  Il  (San  Fermo)  m'a  parlé  aussi 
de  détacher  quelques  puissances  de  la  coalition  en  indiquant  la 
Prusse  et  la  Hollande.  Il  m'a  laissé  entrevoir  que  ses  liaisons 
politiques  dans  différentes  cours  de  l'Europe  le  mettraient  à  por- 


27()  AMIEIIT  SOUKL. 

U'o  (lo  servir,  sous  ce  rapport,  la  Ropubliquo  française.  »  San 
l'Vriiu)  était  aimable,  insinuant.  IJaclier  considérait  qu'il  pouvait 
être  utile,  et  qu'il  y  avait  lieu  d'accueillir  ses  ouvertures.  «  Elles 
me  paraissent  de  la  plus  grande  importance,  continuait-il,  per- 
sonne ne  pourrait  mieux  que  lui  servir  diplomatiquement  la  cause 
française,  puisque  c'est  de  nos  succès  que  dépend  l'existence  de 
l'Etat  de  Venise  et  celle  de  toutes  les  autres  républiques  ;  vérité 
si  généralement  établie  aujourd'hui  qu'il  n'y  a  plus  personne  qui 
puisse  en  douter.  »  Le  traité  de  Campo  Formio  prouva  combien 
ces  conjectures  étaient  hasardées  ;  la  vérité  est  que  depuis  Josephll 
l'Autriche  convoitait  Venise  et  que  Tlmgut  songeait  à  obtenir  de 
ce  côté-là  les  accroissements  de  territoire  qui  lui  échappaient  en 
France.  Le  renseignement  de  Bâcher  n'en  avait  pas  moins  son 
importance.  L'agent  français  ajoutait  qu'il  savait  d'une  autre 
source  que  la  Prusse  ne  désirait  plus  continuer  la  guerre  contre 
la  France,  qu'elle  voulait  surtout  réduire  l'Autriche  et  l'affaiblir. 
«  Les  Prussiens,  disait-il,  espèrent  bien  plus  boire  avec  les  Fran- 
çais que  se  battre  avec  eux,  ainsi  qu'on  assure  que  cela  est  arrivé 
lors  de  l'évacuation  de  Worms  où  cinquante  dragons  prussiens 
de  l'avant-garde  ont  fort  tranquillement  soupe  avec  cinquante 
chasseurs  français  de  l'arrière-garde.  » 

C'étaient  là  des  symptômes  assez  significatifs.  A  Copenhague 
il  y  eut  presque  des  ouvertures.  Grouvelle  mandait  à  Deforgues 
le  25  nivôse  an  II  (14  janvier  1794),  à  la  suite  d'une  conférence 
avec  le  comte  de  Bernstorf  :  «  Le  roi  de  Prusse  est  fatigué  de  la 
guerre  ;  il  ne  la  fait  plus  que  forcément  ;  il  voudrait  pouvoir  se 
retirer  ;  mais  la  chose  est  aujourd'hui  impossible.  »  Le  roi  alléguait 
le  manque  d'argent,  l'Angleterre  lui  en  offfre  et  on  ne  discute  plus 
que  sur  le  chiffre.  «  Le  roi  de  Prusse  n'a  plus  de  défaites  pour  se 
soustraire  à  ses  traités,  ajoutait  Bernstorf.  Le  voilà  de  nouveau 
réuni  à  la  coalition  :  il  ne  peut  reculer.  »  Cependant  l'affaire 
des  subsides  n'était  pas  encore  conclue,  elle  traînait,  et  Bernstorf 
regrettait  que  la  France  n'en  eût  pas  profité  pour  se  rapprocher 
de  la  Prusse. 

«  Il  soutenait  toujours,  écrivait  Grouvelle  le  9  pluviôse  an  II  (28  jan- 
vier -1794),  que  si  on  voulait  essayer  de  négocier,  il  ne  restait  guère 
plus  de  trois  semaines  pour  faire  les  premières  démarches.  Il  s'avan- 
çait même  jusqu'à  dire  que  si  nous  avions  quelques  vues  de  ce 
côté,  il  pouvait  se  charger  de  tout  ce  qu'on  voudrait  faire  passer 
par  lui,  et  qu'il  était  en  état  d'appuyer  toute  démarche  de  ce  genre 


LA   PAIX   DE    BALE.  277 

par  des  moyens  très-efficaces.  Le  ministre  danois  mit  beaucoup  de 
chaleur  et  de  poids  à  tout  ce  qu'il  dit  sur  ce  sujet,  paraissant  le 
lier  à  d'autres  vues,  mais  répétant  toujours  qu'il  n'y  avait  pas  un 
moment  à  perdre.  » 

Le  Comité  de  salut  public  ne  répondit  point.  Bernstorf  per- 
sistait dans  son  opinion. 

«  11  regrettait,  écrivait  Grouvelle  le  20  pluviôse  an  II  (^8  fév.  -1794), 
que  de  notre  part  on  n'eût  fait  dans  les  circonstances  présentes  aucune 
tentative  pour  négocier  avec  la  Prusse.  Il  était  convaincu  (et  les 
voies  par  lesquelles  il  est  informé  sont,  à  ce  qu'il  prétend,  tellement 
sûres  et  directes  qu'il  craindrait  d'en  révéler  le  secret)  ^  -,  il  croyait, 
dis-je,  pouvoir  affirmer  que  si  dans  l'état  présent  on  avait  seulement 
promis  au  roi  de  Prusse  de  ne  pas  passer  le  Rhin,  il  se  serait  retiré 
content  de  pouvoir  dire  qu'il  avait  été,  comme  son  prédécesseur,  le 
protecteur  et  le  défenseur  du  Saint  -  empire,  et  regardant  comme 
étrangère  à  lui  la  querelle  générale.  A  plus  forte  raison,  continuait- 
il,  l'aurait-il  fait,  voyant  que  la  France  est  dans  la  résolution  de  con- 
tinuer la  guerre  contre  l'Autriche  qu'il  doit  toujours  craindre,  y) 

Barthélémy  tenait  le  ministère  des  relations  extérieures  au 
courant  des  démarches  de  la  Prusse  et  de  l'Autriche  auprès 
de  la  diète,  de  leurs  rivalités  et  des  dispositions  pacifiques  des 
Etats  de  l'empire.  Les  prisonniers  français  avaient  été  traités  à 
Gotha,  par  le  duc  et  la  duchesse,  avec  autant  d'humanité  qu'à 
Cassel;  les  habitants  leur  avaient  montré  des  égards.  Barthé- 
lémy recommandait  de  ménager  les  petits  États  allemands,  en 
présence  surtout  des  efforts  que  leur  demandaient  la  Prusse  et 
plus  encore  l'Autriche  ^  Bâcher  écrivait  le  26  mars  1794  que  tout 
annonçait  que  la  Prusse  allait  revenir  au  système  de  Frédéric  II, 
et  tâcher  à  la  fois  de  s'arrondir  en  Pologne  et  de  former  une  con- 
fédération allemande  en  opposition  à  l'Autriche. 

a  Toutes  les  lettres  d'Allemagne,  disait-il,  continuent  à  répandre 
la  nouvelle  des  intentions  pacifiques  du  roi  de  Prusse  et  de  ses  dispo- 
sitions à  faire  une  paix  séparée  avec  la  République  française.  Les 
émissaires  prussiens  font  circuler  avec  affectation  que,  Frédéric-Guil- 
laume ayant  fait  assembler  sa  Sorbonne  politique,  tous  ses  ministres 
avaient  été  d'avis  que  la  raison  d'état  devait  l'emporter  sur  toutes 

1.  Le  fils  du  comte  de  Bernstorf  était  alors  ministre  de  Danemark  à  Berlin. 

2.  Barthélémy  à  Deforgues,  22  février  1794. 


27S  ALnEIlT  SOREL. 

les  aulros  considérations,  oL  ([iio  l;i  coiii'  do  norlin  pouvait  môme, 
suivant  les  principes  du  droit  i)ublic,  traiter  avec  le  guuvernenicnt 
provisoire  établi  en  France.  » 

La  suite  des  événements  vérifia  ces  informations,  mais  elles 
n'étaient  alt)rs  que  des  conjectures  et  l'on  verra  bientôt  que  les 
choses  n'étaient  pas  aussi  avancées  que  l'assuraient  les  corres- 
pondants allemands  de  l'ambassade  de  France;  mais  ils  pouvaient 
s*}'  tromper.  Les  maréchaux  Kalkreuth  et  Mœllendorf  faisaient 
répandre  le  bruit  d'une  paix  séparée.  Los  Prussiens  avaient  éva- 
cué Francfort.  On  écrivait  de  cette  ville  à  Bâcher  :  «  On  ne  peut 
définir  le  roi  de  Prusse.  Nous  nous  croyons  vendus  et  trahis,  et 
nous  n'avons  plus  d'espoir  que  dans  les  commissaires  français  qui 
ne  veulent  cependant  pas  entendre  parler  de  paix.  Qu'allons-nous 
devenir?  Dieu  nous  soit  en  aide  M  »  Barthélémy  annonçait  le 
7  avril  le  mouvement  de  retraite  des  troupes  prussiennes  et  en 
concluait  avec  raison  que  le  «  tyran  prussien  »  portait  un  coup 
terrible  à  la  coalition.  Le  16  avril  il  mandait  la  nouvelle  de  la 
révolution  de  Pologne  dont  il  attendait  une  heureuse  diversion. 
Grouvelle  écrivait  de  Copenhague  le  12  germinal  an  II  (l^""  avril 
1794)  : 

«  Il  est  assez  probable...  que  le  roi  de  Prusse,  menacé  même  par 
son  complice,  n'a  plus  d'autre  garantie  que  ses  propres  forces  pour 
se  maintenir  dans  ses  conquêtes.  Or,  dans  ces  circonstances,  sa 
défection  complète  paraît  naturelle,  et  l'on  y  voit  le  signal  d'une  dis- 
solution inévitable  dans  la  ligue  des  couronnes.  » 

Bâcher  confirmait  cette  opinion  le  9  floréal  an  II  (28  avril 
1794): 

«  Le  plan  de  l'impératrice  de  Russie  est  connu.  Elle  n'a  prêché 
une  croisade  contre-révolutionnaire  contre  la  France  que  dans  l'at- 
tente certaine  d'engager  l'Autriche  et  la  Prusse  dans  une  entreprise 
désastreuse  afin  d'énerver  ces  deux  puissances,  ses  rivales...  On  con- 
tinue à  croire  que  c'est  là  la  véritable  cause  des  irrésolutions  et  des 
vacillations  continuelles  de  la  cour  de  Berlin.  » 

Ces  irrésolutions  touchaient  à  leur  terme.  Les  événements 
allaient  forcer  la  main  au  roi  de  Prusse.  Grouvelle  écrivait  le 
15  prairial  an  II  (3  juin  1794)  : 

«  Comme  on  nous  l'avait  assuré  et  comme  les  événements  l'ont 
1.  Bâcher  àDet'orgues,  28  mars  1794. 


LA    TAIX    DE    BALE.  279 

pu  confirmer,  on  était  fort  porté  à  Berlin  pour  un  accommodement 
avec  la  France.  Il  était  le  vœu  de  tous  les  ministres.  Mais  la  cam- 
pagne sur  le  Rhin  s'étant  prolongée,  il  n'y  a  eu  que  peu  de  semaines 
cet  hiver  pour  se  rapprocher.  On  suppose  que  le  gouvernement  répu- 
blicain n'a  pu  ni  voulu  saisir  ce  moment;  mais  l'Angleterre  et  l'Au- 
triche Pont  mis  à  profit.  L'avarice  et  le  désir  de  conserver  les  restes 
du  trésor  de  Frédéric  II  ont  fait  conclure  le  traité  de  subsides  et 
rengagé  la  Prusse  dans  la  guerre.  Mais  certainement  les  dispositions 
du  cabinet  de  Berhn  sont  toujours  les  mêmes,  les  sentiments  person- 
nels du  roi  contre  la  République  sont  refroidis,  ce  qui  permettra  aux 
ministres  d'essayer  un  rapprochement,  lorsqu'ils  en  trouveront  l'oc- 
casion. Un  fait  que  M.  de  Bernstorf  a  assuré  très-affirmativement,  c'est 
que  si,  à  l'époque  où  le  traité  de  subsides  a  été  décidé  (au  commen- 
cement d'avril),  on  avait  prévu  la  grande  insurrection  polonaise,  ce 
traité  n'aurait  pas  été  conclu  et  la  Prusse  eût  persisté  dans  sa  défec- 
tion commencée.  » 

III 

Le  7^01  de  Prusse  entre  en  Pologne.- —  Le  parti  de  la  paix 
en  Prusse,  à  la  cour  et  dans  l'armée.  —  Mœllendorf  et 
Hardenberg.  —  Ouvertures  secrètes  de  Mœllendorf  à 
Baie  {6  juin-i2  octobre  il94). 

Les  conseillers  du  roi  de  Prusse  l'engageaient  à  agir  vigoureu- 
sement en  Pologne.  Il  y  entra  le  6  juin  1794  à  la  tête  de  cin- 
quante mille  hommes,  battit  les  Polonais,  s'empara  de  Cracovie 
et  marcha  sur  Varsovie.  Dans  ces  conditions  l'armée  prussienne 
du  Rhin  devait  se  tenir  sur  la  réserve.  Elle  ne  marcha  point  sur 
les  Flandres.  Les  Français  en  profitèrent  et  battirent  les  Autri- 
chiens à  Fleurus  le  26  juin.  La  Belgique  était  reconquise  et  la 
Hollande  se  trouvait  découverte.  C'était  pour  la  France  un  succès 
décisif.  Les  maréchaux  prussiens  en  apprécièrent  toute  la  portée, 
et  comme  ils  n'étaient  point  d'avis  de  continuer  la  guerre,  ils 
profitèrent  de  cet  événement  pour  insister  auprès  du  roi  afin  qu'il 
retirât  son  armée  de  l'Ouest  et  concentrât  toutes  ses  forces  sur  la 
Pologne.  Il  y  a  toujours  eu  dans  l'armée  et  l'administration  prus- 
siennes un  singulier  mélange  d'indépendance  et  de  discipline. 
«  L'armée  prussienne,  dit  M.  Ranke  d'après  un  contemporains 

1.  Hardenberg,  I,  p.  253. 


2S0  ALBERT  SOllEL. 

ressemblait  h  une  petite  rèpubliquo  militaire.  »  Les  vieux  lieute- 
nants (le  Frédéric  qui  commandaient  les  forces  prussiennes  sur 
le  Rhin,  devaient  aux  grands  souvenirs  de  la  guerre  de  sept  ans 
une  autorité  dont  la  faiblesse  et  l'incertitude  du  roi  augmentaient 
les  effets.  Ils  détestaient  l'Autriche,  avaient  du  goût  pour  l'al- 
liance française  et  ne  professaient  point  de  haine  pour  la  révolu- 
tion. C'était,  depuis  la  ruine  de  la  monarchie,  une  idée  répandue 
en  Europe  que  cette  révolution  se  terminerait  par  la  dictature.  La 
comparaison  avec  la  révolution  d'Angleterre  conduisait  à  cette 
conjecture.  Surtout  après  les  fêtes  de  l'Etre  suprême,  beaucoup 
de  personnes  crurent  que  Robespierre  était  destiné  à  cette  grande 
tâche,  et  que  le  terrorisme  n'était  pour  lui  qu'un  moyen  de 
gouverner  la  Révolution  et  de  la  dominer^.  Mallet  du  Pan, 
qui  combattait  cette  opinion,  écrivait  le  8  mars  1794^  :  «  Robes- 
pierre jusqu'au  commencement  de  février  a  dominé  le  Comité  qui 
dominait  tout.  L'étranger,  les  Français  qui  le  jugent  sur  ses 
succès,  lui  attribuent  un  grand  talent.  Ils  en  font  un  chef  con- 
sommé, un  prodige  de  profondeur,  un  second  CromweU.  Cette 
description  est  une  caricature.  »  Après  chacune  des  proscriptions 
qui  marquaient  les  étapes  du  règne  de  Robespierre,  on  croyait 
que  la  Révolution  allait  finir  et  que  la  dictature  du  nouveau 
Cromwell  allait  s'établir.  Il  en  fut  ainsi  de  la  chute  des  Héber- 
tistes. 

«  Les  événements  des  25  et  26  ventôse  ont  produit  une  vive  sensa- 
tion, écrivait  Grouvelle^;  on  est  persuadé  qu'ils  conduiront  à  l'épura- 
tion générale  de  tous  les  faux  patriotes  :  le  grand  caractère  déployé 
par  la  Convention  et  par  le  Comité  de  salut  public ,  l'admirable  dis- 
cernement avec  lequel  le  peuple  lui-même  démasque  les  faux  pa- 
triotes et  se  rallie  à  ses  vrais  libérateurs,  ces  prodiges  du  génie  répu- 
blicain subjuguent  les  malveillants  lorsqu'ils  ne  sont  pas  tout  à  fait 
stupides  et  en  démence.  ...  J'ai  eu  souvent  occasion  de  l'éprouver, 
ce  qu'il  est  le  plus  difficile  de  persuader  aux  étrangers,  hommes 
en  place  ou  autres,  ce  n'est  pas  la  justice  de  notre  cause,  mais 
c'est  la  certitude  de  nos  succès.  » 

On  avait  applaudi  à  Robespierre  écrasant  les  furieux,  on 
applaudit  avec  le  même  aveuglement  à  Robespierre  écrasant  les 

1.  Voir  (l'Héricault,  la  Révolution  de  thermidor,  p.  124  et  214. 

2.  Savons.  Mémoires  et  correspondances  de  Mallet  du  Pan,  II,  41  et  99. 

3.  A  Deforgues,  12  germinal  an  II  (l'-'"  avril  1794). 


LA    PAIX    DE    BALE.  284 

indulgents.  Il  faut  faire  sans  doute  la  part  des  ardeurs  révolu- 
tionnaires de  Grouvelle,  mais  si  la  forme  de  ses  rapports  est  exa- 
gérée, le  fond  n'est  pas  moins  significatif  :  il  corrobore  le  témoi- 
gnage peu  suspect  de  Mallet  du  Pan.  Il  écrivait  le  3  floréal 
an  II  (22  mai  1794),  après  avoir  appris  la  chute  de  Danton  et  le 
projet  d'établir  la  fête  de  l'Etre  suprême  : 

ce  Nonidi,  29  germinal,  arrivèrent  ici  les  nouvelles  des  événements 
des  4  2, 4  3  et  -1 4  du  même  mois.  Chacun  en  fut  plus  ou  moins  surpris. 
Mais  tout  le  monde  s'accorde  à  les  regarder  comme  un  véritable 
triomphe  pour  la  République.  Je  sais  avec  certitude  que  les  ministres 
des  puissances  en  guerre  ont  avoué  avec  découragement  que  la  des- 
truction du  dernier  parti  activait  la  consolidation  salutaire  de  l'au- 
torité de  la  Convention  et  du  Comité  de  salut  public,  et  l'extinction 
de  tout  germe  de  discorde...  Les  nouvelles  institutions  annoncées  par 
le  Comité  de  salut  public  commandent  le  respect  et  le  silence  aux  plus 
mal  intentionnés.  Le  projet  de  dédier  les  décadi  à  l'Être  suprême  ne 
fùt-il  suggéré  que  par  la  politique,  serait  encore  une  idée  sublime. 
C'est  au  dehors  que  l'effet  en  est  immense.  » 

Il  se  fit  sentir  surtout  au  camp  prussien.  On  y  avait  sur  les 
événements  de  Paris  les  mêmes  idées  qu'à  Copenhague,  et  elles 
y  avaient  pris  encore  plus  de  consistance  lorsque  l'on  avait 
entendu  dire  que  Robespierre  négociait  un  traité  séparé  avec 
l'Autriche.  Personne  n'était  plus  agité  de  ces  préoccupations  que 
lefeld  maréchal  Mœllendorf.  «  Quoiqu'il  fût  alors  âgé  de  soixante- 
dix  ans,  dit  M.  de  SybelS  c'était  toujours  un  homme  d'un  esprit 
vif  et  ardent,  ami  non  de  l'action  mais  du  mouvement,  rusé, 
ambitieux,  né  pour  l'intrigue  et  qui  dut  rire  de  bon  cœur  lors- 
qu'il apprit  que  Malmesbury  le  dépeignait  comme  un  homme 
droit,  mais  usé,  qui  se  laissait  conduire  par  des  favoris  subal- 
ternes. »  Il  s'était  depuis  longtemps  entendu  avec  Lucchesini,  un 
des  conseillers  les  plus  remuants,  les  plus  intrigants,  mais  les 
plus  écoutés  du  roi,  sur  la  politique  que  la  Prusse  devait 
suivre  à  l'égard  de  la  France.  «  Tcfus  deux  souhaitaient  que  la 
Prusse  intervînt  auprès  de  la  France  comme  la  représentante  de 
l'empire  d'Allemagne  et  proposât,  au  nom  de  cet  empire,  une  paix 
fondée  sur  le  statu  quo  ante  bellum...  Ils  pensaient  que  si  on 
laissait  la  France  en  possession  des  Pays-Bas  autrichiens,  elle 
se  montrerait  prête  à  reconnaître  l'inviolabilité  des  frontières  de 

1.  Histoire  de  l'Europe  pendant  la  Révolution,  trad.  française,  t.  lil,  p.  239. 


2<S2  ALBERT  SORKL. 

rcnipiiv'.  »  Dèslc  10  juin  1794,  Orouvelle mandait  deCopcMiliague 
(lu'uii  agent  .subalterne  de  la  cour  de  Prusse  avait  consulté  quel- 
qu'un à  Hambourg  sur  les  moyens  de  se  rapproclier  de  la  France. 
Le  5  juillet  1794,  Mœllendorf  écrivit  au  roi  ;  il  l'informait  des 
bruits  de  négociations  secrètes  entre  Robespierre  et  Thugut,  et  lui 
demandait  l'autorisation  de  nouer  des  intelligences  dans  le  même 
sens  avec  les  agents  française  »  Mœllendorf  et  Lucchesini 
n'étaient  pas  seuls  à  conseiller  la  paix.  Un  ancien  serviteur  du 
grand  Frédéric,  le  comte  de  Herzberg,  qui  avait  été  jusqu'en 
1791  ministre  de  Frédéric-Guillaume  II  et  avait  quitté  le  pou- 
voir lorsque  la  Prusse  avait  commencé  d'incliner  vers  l'alliance 
autrichienne,  adressa  trois  lettres  au  roi  à  la  fin  du  mois  de  juin 
et  dans  les  premiers  jours  de  juillet  s.  Fidèle  à  la  vieille  politique 
prussienne  et  ne  préconisant  que  l'abaissement  de  l'Autriche, 
Herzberg  était  d'avis  de  traiter  avec  la  France  afin  d'avoir  les 
mains  libres  dans  l'empire  et  en  Pologne.  Il  désapprouvait  l'idée 
d'un  troisième  partage  ;  il  préférait  à  un  démembrement  le  main- 
tien d'une  république  faible  protégée  par  la  Prusse  :  c'était  le 
système  qu'il  avait  soutenu  lorsqu'il  était  au  pouvoir  et  que  ses 
successeurs  avaient  si  brutalement  et  cyniquement  abandonné. 
Il  proposait  de  déclarer  à  la  Convention,  au  nom  des  coalisés, 
qu'on  la  reconnaîtrait  si  elle  faisait  la  paix  sur  le  pied  du  statu 
quo  ante  bellum  :  un  congrès  aurait  réglé  les  affaires  de  Polo- 
gne. Tel  était  le  fond  de  la  première  lettre.  La  seconde,  plus 
développée  et  plus  pressante  *,  exposait  les  dangers  que  courait 
la  monarchie  prussienne  et  l'Europe  si  on  n'arrêtait  les  Fran- 
çais. La  Prusse  seule,  disait  Herzberg,  peut  prévenir  «  le  boule- 
versement total  de  l'ordre  social  en  Europe  si  elle  se  hâte,  pen- 
dant qu'elle  est  encore  sur  pied  et  qu'elle  a  une  armée  intacte 
pour  la  réputation  des  armes,  et  qu'elle  n'est  pas  détestée  par  les 

1.  Sybel,  id.,  p.  257  et  258,  d'après  une  dépêche  de  Lucchesini  du  6  juin  1794. 

2.  Id.,  p.  239. 

3.  11  existe  aux  Archives  des  affaires  étrangères  des  copies  de  ces  trois  lettres. 
Elles  ont  été  transmises  de  Berlin  par  le  ministre  de  France  le  28  prairial 
an  IV.  Elles  ne  portent  que  la  date  de  juillet  179i,  sans  indication  de  jours, 
mais  il  résulte  du  texte  de  la  première  et  de  la  seconde  de  ces  lettres  que  Herz- 
berg quand  il  écrivait  ne  connaissait  pas  la  victoire  des  Français  à  Fleurus,  ce 
qui  reporte  ces  lettres  à  la  fm  de  juin  ou  aux  premiers  jours  de  juillet. 

4.  Cette  lettre  a  été  publiée  par  Beauchamp,  Mémoires  d'un  homme  d' État,  \\, 
p.  487  ;  mais  le  texte  présente  certaines  différences  de  forme  avec  celui  qui  est 
aux  Archives  des  aifaires  étrangères. 


LA    PAIX    DE    BALE.  283 

Français,  comme  sont  les  Autrichiens  et  les  Anglais,  si  elle  se 
hâte,  dis-je,  d'acheminer  les  mesures  qu'elle  a  encore  en  main 
pour  proposer  la  médiation  armée  aux  puissances  belligérantes 
pour  une  trêve  ou  pour  une  paix  plénière  sur  le  pied  du  statu  quo 
tel  qu'il  a  été  avant  cette  guerre.  »  Il  fallait  démontrer  à  l'Angle- 
terre et  à  l'Autriche  l'impossibilité  d'anéantir  la  République  fran- 
çaise et  par  suite  la  nécessité  de  la  reconnaître.  On  demande, 
ajoutait  Herzberg,  avec  qui  on  devrait  faire  la  paix?  «  C'est  tou- 
jours avec  celui  qui  a  le  pouvoir  en  main  et  qui  ne  se  laissera  plus 
vaincre  par  toutes  les  puissances  coalisées,  selon  l'expérience  de 
tant  d'années.  »  Il  offrait  ses  services  et  concluait  par  la  pro- 
position d'un  congrès.  Dans  la  troisième  lettre,  Herzberg,  qui 
avait  appris  la  victoire  des  Français  à  Fleurus,  y  trouvait  un 
motif  d'insister  plus  vivement  encore.  Il  espérait,  disait-il, 
amener  la  Convention  à  son  plan  de  congrès  :  il  croyait  qu'elle 
se  fierait  à  lui  plutôt  qu'à  tout  autre  ministre.  Herzberg  avait 
conservé  en  effet  des  relations  avec  la  France,  et  son  goût  pour 
les  principes  de  1789  était  connu  ;  mais  ces  relations  et  ces  ten- 
dances le  rendaient  suspect  à  la  cour  de  Berlin. 

Lorsque  le  roi  reçut  la  lettre  de  Mœllendorf  et  ceUes  de  Herz- 
berg, il  était  arrêté  devant  Varsovie  par  la  résistance  énergique 
des  Polonais.  Le  rappel  d'une  partie  de  ses  troupes  du  Rhin  pou- 
vait devenir  une  nécessité  pour  lui  ;  mais  il  était  loin  d'être  décidé 
à  traiter  avec  les  «  Jacobins  ».  Il  répondit  à  Herzberg  le  20  juil- 
let 1794  par  une  lettre  courte  et  sèche  :  «  Je  ne  fais  cas  des  conseils 
que  quand  je  les  demande,  »  lui  disait-il,  et  il  l'engageait  à  se 
renfermer  dans  ses  devoirs  K  Quant  à  Mœllendorf,  Lucchesini, 
après  avoir  sondé  les  dispositions  du  roi,  lui  avait  adressé  la  veille 
une  réponse  négative. 

Pour  moi,  disait  Lucchesini,  je  n'aurais  personnellement  aucune 
objection  à  traiter  avec  Robespierre;  Mazarin,  aussi,  a  bien  dû  se 
mettre  en  rapport  avec  Gromwell.  Mais  on  se  heurterait  chez  le  roi  à 
une  invincible  résistance  :  le  temps  n'est  donc  pas  politiquement 
venu  de  faire  une  telle  démarche.  «  Par  une  paix  séparée,  nous  man- 
querions à  tous  nos  engagements  ;  si  nous  voulions  y  mêler  l'empire 
la  négociation  deviendrait  publique  et,  par  suite,  la  Russie,  aiguil- 
lonnée par  l'Autriche,  se  montrerait  plus  hostile  encore  en  Pologne. 

1.  Le  texte  se  trouve  dans  Beauchamp,  Mémoires  d'un  homme  d'État,  II,  498, 
sans  date.  La  copie  qui  est  aux  alïaires  étrangères  porte  la  date  du  20  juillet. 


28Î  ALBERT  SOKKL. 

Hornoiis-noiis  donr  à  susciler  des  (iisposilions  pacifiques  chez  les 
autres  puissances;  ne  prolongeons  dans  aucun  cas  le  Lrailc  de  sub- 
sides; ne  donnons  aucune  prise  à  la  malveillance  et  continuons  à 
diriger  nos  vues  vers  de  solides  et  durables  alliances  ^  » 

Mœllendorf  n'avait  pas  attendu  la  réponse  de  Lucchesini  pour 
préparer  les  voies  à  la  négociation  qu'il  jugeait  utile  et  même 
nécessaire.  Avec  cette  liberté  d'allures  qui  était  alors  le  propre  des 
états-majors  prussiens,  il  avait  pris  l'initiative  d'une  démarche 
destinée  à  sonder  les  dispositions  de  la  France.  Il  s'était  adressé 
à  des  officiers  français  prisonniers  et  leur  avait  demandé  d'ins- 
truire la  Convention  du  désir  où  il  était  de  conclure  un  cartel 
d'échange.  Comme  garantie  de  ses  intentions,  il  leur  remit  une 
lettre  en  français  signée  de  Knesebeck,  alors  lieutenant  au  régi- 
ment de  Brunswick,  et  où  il  était  dit  que  le  maréchal,  souhaitant 
l'échange,  fera  à  cet  effet  tout  ce  qui  ne  le  compromettra  pas 
lui-même  ou  ne  sera  pas  contraire  aux  intérêts  de  sa  cour.  «  On 
espère,  poursuivait  Knesebeck,  qu'une  chose  commune  aux  inté- 
rêts de  deux  nations  si  éclairées  n'aura  de  grandes  difficultés 
de  part  et  d'autre.  »  Cette  lettre  était  datée  de  Mayence, 
22  juillet  1794.  Le  même  jour  (4  thermidor  an  II)  les  officiers 
français  la  transmirent  à  Barthélémy. 

«  La  lettre  de  l'officier  prussien  que  nous  te  remettons  t'indiquera  le 
premier  motif  de  sa  demande,  écrivaient-ils  ;  il  nous  a  dit  verbale- 
ment beaucoup  d'autres  choses...  Les  Prussiens  veulent  entamer  une 
négociation  avec  la  France-,  alors  qu'ils  connaîtront  ses  intentions  à 
ce  sujet  ils  enverront  un  délégué  dans  le  lieu  qui  sera  convenu,  et 
jusqu'à  la  finale  conclusion  ils  demandent  que  leur  démarche  soit 
ignorée  2.  » 

Il  s'agissait  de  faire  parvenir  ce  message  à  Barthélémy  sans 
compromettre  r état-major  prussien.  Mœllendorf  confia  cette  mis- 
sion à  un  marchand  devins  de  Kreuznach,  nommé  Schmerz,  qui 
lui  avait  été  recommandé  par  le  général  de  Hiller  ^.  Schmerz  se 
présenta  chez  Barthélémy,  à  Baden,  le  31  juillet.  Deux  jours 


1.  Hœiisser,  Deutsche  Geschkhte,  k"  édit.,  I,  p.  577. 

2.  Voir  les  textes  de  ces  deux  pièces  publiés,  d'après  les  Archives  des  affaires 
étrangères,  par  M.  de  Boiirgoing,  Histoire  diplomatique  de  l'Europe  pendant  la 
Révolution  française,  deuxième  partie,  t.  II,  p.  470  et  471. 

3.  Ranke,  Hardenberg,  I,  p.  258. 


LA    PAIX   DE   BALE.  285 

après,  le  15  thermidor  an  II  (2  août  1795),  Barthélémy  écrivait 
à  Uuchot,  commissaire  des  relations  extérieures  *  : 

a  Avant-hier  à  huit  heures  du  matin,  peu  d'instants  après  que 
J\I.  Guisendœrfer,  bourgeois  de  Bâle,  fut  entré  chez  moi  pour  m'en- 
tretenir  des  maisons  suisses  établies  à  Commune- Affranchie  (Lyon), 
on  me  remit  un  paquet  dont  le  porteur,  me  dit-on,  se  promenait  dans 
mon  jardin.  Je  l'ouvris  à  l'instant;  j'y  jetai  les  yeux  rapidement.  Son 
contenu  me  frappa  beaucoup.  Il  renfermait  deux  pièces  dont  je  joins 
ici  copie.  Je  les  envoyai  tout  de  suite  aux  citoyens  Laquiante  et  Maran- 
det  -,  et  leur  fis  dire  de  s'entretenir  avec  la  personne  qui  les  avait 
apportées,  jusqu'à  ce  que  je  fusse  libre.  Ils  la  cherchèrent  aussitôt, 
sans  la  trouver  et  sans  qu'on  l'eût  vue  sortir  de  la  maison.  Cet  homme 
n'a  plus  reparu  depuis,  et  je  n'ai  pu  obtenir  à  son  sujet  aucun  éclair- 
cissement, si  ce  n'est  que  celui  de  mes  domestiques  qui  a  reçu  son 
paquet  m'a  dit  qu'il  était  assez  mal  habillé.  Son  vêtement  n'était 
point  celui  d'un  militaire-,  il  avait  l'épée  au  côté.  Il  parlait  allemand  et 
assez  mal  français.  Je  ne  puis  m'expliquer  en  aucune  manière  cette 
circonstance  dont  j'instruis  aussi  Bâcher  pour  qu'il  en  prévienne  soit 
le  représentant  du  peuple  près  le  département  du  Haut-Rhin,  soit  le 
général  de  l'armée  de  ce  même  département  ^.  » 


1.  Le  décret  du  14  frimaire  an  II  (4  déc.  1793)  avait  concentré  le  pouvoir  exé- 
cutif et  en  particulier  la  direction  de  la  diplomatie,  dans  les  mains  du  Comité  de 
salut  public.  Les  ministres  ne  furent  plus  que  ses  subordonnés.  Le  décret  du 
12  germinal  an  II  (1"  avril  1794)  les  supprima  elles  remplaça  par  douze  commis- 
sions executives.  Il  y  eut  une  commission  pour  les  relations  extérieures  et  les 
douanes.  Après  quelques  tâtonnements,  le  citoyen  Buchot  fut  chargé,  le  20  germi- 
nal, de  la  commission  des  relations  extérieures,  sur  la  désignation  de  Robespierre 
(Masson,  Affaires  étrangères,  p.  299,  307-312).  Miot  de  Mélito,  qui  était  alors 
chef  du  secrétariat  et  avait  en  réalité  la  direction  effective  de  la  commission,  fait 
de  Buchot  un  portrait  peu  flatté,  mais  que  tout  donne  lieu  de  croire  ressemblant  : 
«  Son  ignorance,  ses  manières  ignobles,  sa  stupidité  dépassaient  tout  ce  qu'on 
peut  imaginer.  Pendant  les  cinq  mois  qu'il  lut  à  la  tête  du  département,  il  ne 
s'en  occupa  nullement  et  était  incapable  de  s'en  occuper.  Les  chefs  de  division 
avaient  renoncé  à  venir  travailler  avec  lui;  il  ne  les  voyait  ni  ne  les  demandait. 
On  ne  le  trouvait  jamais  dans  son  cabinet,  et  quand  il  était  indispensable  de  lui 
faire  donner  sa  signature  pour  quelque  légalisation,  seul  acte  auquel  il  avait 
réduit  ses  fonctions,  il  fallait  la  lui  arracher  au  billard  du  café  Hardy  où  il  pas- 
sait habituellement  ses  journées.  »  {Mémoires,  t.  I,  chap.  m,  p.  47.) 

2.  Secrétaires  de  l'ambassade. 

3.  La  date  de  ce  document,  qui  est  tiré  des  Archives  des  affaires  étrangères, 
montre  que  M.  de  Sybel  se  trompe  lorsqu'il  reporte  la  première  démarche  de 
Schmerz  au  mois  de  septembre,  après  que  Mœllendorf  aurait  reçu  de  Lucchesini 
un  avis  favorable  à  la  négociation.  Le  reproche  que  M.  de  Sybel  adresse  au  Co- 


■2Sf)  AMIERT  SOllKL. 

Après  cette  visite  mystérieuse  chez  lîarthélemy ,  Schmerz  se  ren- 
dit à  lîàle  et  s'arrangea  de  façon  à  faire,  dans  un  souper,  la  con- 
naissance (lu  bourgmestre  Ochs  qui  entretenait  avec  la  mission 
française,  et  en  particulier  avec  Bâcher,  les  rapports  les  plus  ami- 
caux. Schmerz  dit  à  Ochs  que  les  Prussiens  désiraient  nouer  une 
négociation  pour  l'échange  des  prisonniers  et  demanda  à  être  mis 
en  rapport  avec  Bâcher.  Prévenu  le  5  août,  Bâcher  eut  le  G  une 
entrevue  avec  Schmerz  et  en  rendit  compte  le  jour  même  à  Buchot. 
Il  ne  dévoilait  point  le  nom  de  Schmerz. 

«  Le  voyageur  envoyé  par  le  feld  maréchal  Mœllendorf,  disait-il,  m'a 
dit  chez  le  chancelier  Ochs,  en  termes  très-positifs,  que  la  cour  de 
BorHn,  mieux  conseillée,  ne  négligerait  rien  pour  se  rapprocher  de 
la  République  française,  son  alliée  naturelle  -,  que  tous  les  calculs 
impolitiques  qui  avaient  été  faits  par  les  jeunes  gens  qui  s'étaient 
emparés  de  la  confiance  de  Frédéric-Guillaume  avaient  disparu,  et 
que,  ramené  à  l'ancien  système,  le  roi  de  Prusse  était  décidé  à  renon- 
cer à  une  coalition  monstrueuse  qui  aurait  fini  par  opérer  la  ruine 
et  l'asservissement  de  l'Allemagne.  Il  m'a  ensuite  insinué  qu'il 
se  prêterait  à  tout  ce  qui  pourrait  faciliter  l'échange  des  prisonniers 
français  dont  le  cartel  servirait  de  préliminaire  à  l'armistice  que 
les  généraux  prussiens  désiraient  conclure... 

«  Le  voyageur  a  ajouté  qu'on  pouvait  ensuite  entamer  tout  de 
suite  la  négociation  d'un  armistice,  que  le  traité  de  subsides  avec 
l'Angleterre  finissait  au  -I"  décembre,  qu'à  cette  époque  le  roi  de 
Prusse  serait  entièrement  dégagé  de  tous  ses  liens,  et  que  jusque 
là  il  n'agirait  que  faiblement.  Il  a  aussi  témoigné  qu'en  échange  de 
cette  conduite  passive  des  armées  prussiennes  sur  le  Rhin,  il  serait  à 
désirer  que  la  République  française  usât  aussi  de  ménagements  pour 
les  possessions  prussiennes  enWestphalie,  et  même  de  complaisance 
dans  l'invasion  présumée  de  la  Hollande,  et  a  ajouté  que,  quoique  les 
contestations  entre  Mœllendorf  et  les  commissaires  anglais  eussent 
été  replâtrées  en  apparence,  il  n'en  était  pas  moins  vrai  que  la  mé- 


mité  d'avoir,  dans  sa  dépêche  à  Copenhague  du  18  nivôse  an  III,  fait  remonter 
les  premières  ouvertures  au  commencement  de  fructidor  (milieu  d'août  1794), 
n'est  pas  fondé  (Sybel,  Trad.,  III,  p.  259  et  note  1).  La  première  démarche  est  du 
31  juillet,  et  le  Co-iiité  en  a  reçu  la  nouvelle  le  14  août.  —  L'erreur  de  M.  de 
Sybel  est  d'ailleurs  partagée  par  Fain  {Manuscrit  de  l'an  III.,  p.  21)  qui  place 
la  démarche  de  Schmerz  «  un  mois  à  peine  »  après  le  9  thermidor,  c'est- 
à-dire  vers  la  fin  d'août.  M.  Ranke  {Hardenberg,  I,  258)  a  raison  de  dire  que  la 
première  démarche  de  Schmerz  lui  a  été  commandée  par  Mœllendorf  en  juillet. 


LA   PAIX   DE   BALE.  287 

sintelligence  la  plus  décidée  régnait  entre  les  cabinets  de  Londres  et 
de  Berlin  ' .  » 

Bâcher  appelait  toute  l'attention  du  Comité  de  salut  public 
sur  cette  communication  dont  il  faisait  ressortir  l'importance. 
Deux  jours  après,  le  8  août,  il  annonçait  que  l'émissaire  de  Mœl- 
lendorf  était  reparti  pour  Kreuznach.  «  Il  se  nomme  Schmerz, 
il  se  dit  ami  des  Français  qui  l'ont  ménagé  dans  les   diffé- 
rentes visites  qu'ils  ont  faites  à  sa  ville.  »  Schmerz  devait  corres- 
pondre avec  Ochs  et  était  prêt  à  revenir  quand  la  réponse  du 
Comité  serait  connue 2.  Il  écrivit  en  effet  à  Ochs  le  15  août  qu'il 
«  avait  été  reçu  à  son  retour  avec  autant  de  plaisir  qu'il  en  éprou- 
vait lui-même,  en  quittant  Ochs,  après  leur  entretien  avec  le 
citoyen  Bâcher.  »  Il  fit  son  rapport  à  Mœllendorf  qui  l'invita 
à  se  rendre  au  quartier-général  de  Kalkreuth.  Il  y  arriva  le 
12  août  et  c'est  là  qu'il  attendit  la  réponse  de  Paris 3.  Bâcher 
insista  pour  avoir  l'avis  du  Comité  :  les  Prussiens,  disait-il, 
affectent  de  se  montrer  prévenants  envers  nos  prisonniers  ^ 
Barthélémy  demandait  également  des  instructions.  Ni  l'ambas- 
sadeur, ni  son  secrétaire  n'en  reçurent.  Buchot  était  incapable  de 
comprendre  les  lettres  qu'il  recevait  ;  il  ne  pouvait  faire  qu'une 
chose,  les  transmettre  au  Comité  de  salut  public,   ce  qu'il  fit 
le  14  août  1794  ^  Le  15  août  le  Comité  confia  l'affaire  aux 
soins  de  Barrère,  auquel  Buchot  remit  les  pièces  \  Les  choses  en 
restèrent  là;  l'ambassade  de  France  en  Suisse  ne  reçut  point 
d'instructions.  Le  nouveau  Comité  de  salut  public  qui  gouver- 
nait alors  la  France  était  encore  sous  le  coup  de  la  révolution  de 
thermidor,  et  il  avait  à  régler  des  affaires  sinon  plus  importantes, 
au  moins  plus  urgentes. 

On  a  pu  juger  par  les  communications  de  Schmerz  à  Bâcher 
jusqu'à  quel  point  Mœllendorf  s'était  avancé.  Sans  doute  il  avait 

1.  Bâcher  à  Buchot,  19  thermidor  an  II.  Voir  le  texte  complet  dans  Bourgoing, 
2^  partie,  t.  II,  p.  472. 

2.  Bâcher  à  Buchot,  21  thermidor  an  III.  Bourgoing,  id.,  p.  474. 

3.  Voirie  texte  de  la  lettre  de  Schmerz  à  Ochs  dans  Bourgoing,  id.,  p.  475. 

4.  Ainsi  un  ancien  capitaine  fut  fait  prisonnier  avec  deux  jeunes  officiers  ;  on 
le  conduisit  chez  Mœllendorf;  il  'demanda  à  écrire  à  sa  femme.  Mœllendorf  y 
consentit  à  condition  que  le  capitaine  porterait  la  lettre  lui-même  et  choisirait 
ses  compagnons  de  voyage.  Il  choisit  les  deux  officiers  amenés  avec  lui  et  tous 
les  trois  s'en  allèrent  enchantés.  (Schmerz  à  Ochs,  20  août  1794.) 

5.  Buchot  au  Comité,  27  thermidor  an  II. 

6.  Buchot  à  Barrère,  28  thermidor  an  II. 


2SS  ALFtEUT  SOIIEL. 

raison  do  prévoir  quo,  dans  un  temps  très-rapproché,  les  intérêts 
de  la  Prusse  robli«;eraient  à  traiter  avec  la  France  ;  mais  lors- 
qu'il faisait  dire  à  un  Français,  en  termes  aussi  précis,  que  la 
Prusse  était  dores  et  déjà  disposée  à  négocier,  il  prévenait  et  de 
beaucoup  les  intentions  de  son  gouvernement.  «  Cet  homme, 
disait  quoique  temps  après  un  prince  de  la  maison  de  Prusse,  le 
prince  Louis-Ferdinand ,  qui  ne  l'aimait  pas  et  désapprouvait  sa 
})olitique,  cet  homme,  dans  son  affolement  pour  la  paix,  serait 
capable  de  s'en  aller  à  pied  à  Bâle  et  de  là  à  la  Convention,  et 
d'y  baiser  les  pieds  des  assassins  de  Louis  XVI  pour  obtenir 
la  paix*.» 

La  révolution  du  9  thermidor  servit  singulièrement  les  desseins 
de  Mœllendorf  et  de  ceux  qui,  en  Allemagne  et  en  Prusse,  par- 
tageaient sa  manière  de  voir.  Promptement  revenus  de  leur  aveu- 
glement sur  Robespierre,  les  étrangers  virent  dans  sa  chute  ce 
qu'ils  avaient  attendu  de  son  succès  :  la  fin  du  règne  de  la  terreur 
et  le  retour  de  la  France  vers  un  gouvernement  à  peu  près  régu- 
lier. Grouvelle,  dont  tant  et  de  si  diverses  «  journées  »  n'avaient 
pu  épuiser  l'admiration  pour  les  coups  d'état,  écrivait  de  Copen- 
hague le  2  fructidor  an  II  (19  août  1794)  : 

«  Les  gazettes  contenant  le  récit  des  admirables  événements  des 
JO,  M  et  12  thermidor  me  sont  parvenues.  Combien  ce  récit  a  ému 
les  républicains  français  qui  résident  dans  cette  ville  !  Quelle  gran- 
deur dans  la  Convention!  Que  de  sagesse!  Que  d'équité  dans  le 
peuple  !  Cette  révolution  renverse  à  jamais  les  Nérons  oligarchiques 
comme  celle  du  ^0  août  a  détruit  les  Nérons  monarchiques.  Les 
étrangers  amis  de  la  République  font  éclater  aujourd'hui  leur  enthou- 
siasme sans  craindre  les  reproches  des  amis  de  l'humanité.  J'ai  reçu 
particulièrement  du  philanthrope  Bernstorf  des  félicitations  empres- 
sées auxquelles  il  a  mêlé  son  vœu  pour  que  ce  changement  devienne 
favorable  à  la  paix  générale.  Ce  n'est  qu'avec  peine  que  nous  avons 
quitté  ce  sujet  pour  parler  d'affaires.  » 

A  Berlin  on  eut  sans  doute  les  mêmes  impressions  ;  les  ten- 
dances pacifiques  commençaient  à  se  prononcer  parmi  les  conseil- 
lers du  roi  2.  «  Jamais,  lui  écrivait  Hardenberg  le  26  juillet, 
l'Europe  ne  s'est  trouvée  dans  une  pareille  crise...  Il  est  impos- 
sible de  se  dissimuler  que  la  paix  promptement  et  conjointement 

1.  Rapport  autrichien  du  18  décembre  1794,  cité  par  Vivenot.  Herzog  Albrecht 
von  Sachsen-Teschen,  2^  partie,  I,  p.  251. 

2.  Ranke,  Hardenberg,  I,  219. 


LA    PAIX    DE    BALE.  289 

amenée  ne  soit  le  seul  parti  qui  puisse  nous  garantir  ou  pour  le 
moins  éloigner  les  malheurs  dont  nous  sommes  menacés  ^  »  La 
résistance  des  Polonais  avait  contraint  la  Prusse  à  renoncer  à  ses 
grands  desseins  sur  la  Pologne  ;  elle  ne  pouvait  plus  espérer  d'étouf- 
fer seule  la  révolte  et  de  décider  du  sort  delà  république  polonaise  ; 
elle  redoutait  de  voir  la  Russie  y  reprendre  la  suprématie,  elle 
redoutait  davantage  encore  de  la  voir  s'accorder  à  ce  sujet  avec 
l'Autriche.  Le  roi  n'avait  jamais  eu  beaucoup  de  goût  pour  la 
convention  de  La  Haye  ;  dans  aucun  cas  il  n'entendait  subordon- 
ner ses  intérêts  à  ceux  de  ses  alliés  et  mettre  son  armée  à  la  solde 
de  l'Angleterre.  «  Il  est  contraire  à  la  considération  de  cet  Etat, 
écrivait-il,  et  à  l'amour  que  je  porte  à  mes  sujets  de  les  vendre  à 
d'autres  puissances  ;  passe  pour  un  landgrave  de  Hesse  ou  un 
duc  de  Brunswick,  mais  ce  serait  honteux  au  roi  de  Prusse 2.  » 
Il  était,  sous  ce  rapport,  très-disposé  à  se  rendre  aux  avis  de 
Mœllendorf,  à  refuser  de  marcher  sur  la  Belgique  et  à  se  main- 
tenir en  observation  sur  le  Rhin.  Il  y  inclinait  d'autant  plus  que 
les  affaires  de  Pologne  lui  commandaient  de  se  renforcer  à  l'est 
et  de  ménager  les  forces  qu'il  conservait  à  l'ouest.  Mais  de  là  à 
quitter  la  coalition,  à  rompre  les  traités  et  à  négocier  avec  la 
Convention,  il  y  avait  encore  très-loin.  Il  répugnait  à  son  or- 
gueil de  renoncer  à  contenir  les  Français,  et  à  mettre  fin  à  la  Révo- 
lution. «  Il  continuait  de  s'exprimer,  dit  M.  Ranke^,  comme  s'il 
voulait  être  le  sauveur  de  l'Allemagne.  La  figure  héroïque  du 
chérusque  Arminius,  que  les  couleurs  de  la  poésie  relevaient  d'un 
nouvel  éclat,  ne  laissait  pas,  semble-t-il,  d'avoir  exercé  une  certaine 
influence  sur  son  esprit.  Mais  il  était  roi  de  Prusse,  et  il  devait 
considérer  avant  tout  la  situation  de  son  Etat.  Son  patriotisme 
national  allemand  en  fut  autant  paralysé,  qu'il  avait  été  naguère 
excité  et  enflammé  par  les  événements.  »  Lucchesini  crut  le 
moment  venu  de  parler  ouvertement  au  roi  de  la  paix.  Dans  un 
écrit  daté  du  l^""  août  1794,  il  raconte  que  le  roi  repoussa  avec 
colère  la  pensée  d'une  négociation  séparée.  «  Si  les  autres  sont 
incapables  de  continuer  la  guerre  plus  longtemps,  dit-il,  ils 
doivent  songer  à  faire  la  paix  ;  mais  je  ne  serai  pas  celui  qui  fera 
la  première  ouverture  aux  régicides.  »  Le  roi  s'effrayait  à  la  pen- 


1.  Ranke,  Hardenberg,  I,  p.  215. 

2.  Ranke,  Hardenberg,  l,  187. 

3.  Hardenberg,  I,  179. 

ReV.    HiSTOR.    V.    1«   FASC.  19 


290  ALBERT  SOUEL. 

sôe  do  rompre  ses  traités,  d'otro  accusé  de  traliison  par  l'Autriche 
devant  la  diète,  de  se  compromettre  devant  la  Russie  et  de  perdre 
•tous  les  bénéfices  de  sa  campagne  de  Pologne.  Il  défendit  h 
ses  ministres,  par  un  ordre  de  cabinet,  de  songer  à  la  paix'.  Mais 
Lucchesini  ne  se  découragea  pas.  Il  connaissait  la  mobilité  du 
caractère  du  roi,  et  il  comptait  sur  les  brusques  revirements  de 
cette  âme  violente.  Si  le  roi  répugnait  à  l'idée  d'une  paix  sépa- 
rée, il  ne  répugnait  point  à  l'idée  d'une  paix  générale.  Lucche- 
sini croyait  possible  d'y  amener  les  puissances,  et  c'est  de  ce  côté 
qu'il  entreprit  le  roi.  Le  14  août  il  écrivait  à  Mœllendorf  : 

«  Pour  ce  qui  regarde  votre  désir  favori,  la  paix,  j'ai  fait  ce  que 
beaucoup  de  patriotes  aussi  zélés  n'auraient  peut-être  pas  osé.  Le  roi, 
à  la  vérité,  m'a  déclaré  de  la  façon  la  plus  solennelle  qu'aucun  de 
ses  serviteurs  ne  ramèner^ait  à  se  déshonorer  en  faisant  une  pre- 
mière ouverture,  mais  il  souhaite  pourtant  que  les  circonstances  s'y 
prêtent.  Il  m'a  interdit  toute  mesure  préliminaire  où  son  nom  serait 
mêlé,  mais  il  m'a  permis  d'user  personnellement  des  ressources  qui 
s'offriraient  à  moi  ^.  » 

Le  roi  s'était  même  décidé  à  envoyer  Lucchesini  à  Vienne  pour 
y  sonder  le  terrain  et  demander,  conformément  au  traité  de  1792, 
que  l'Autriche  fît  marcher  20,000  hommes  en  Pologne  pour  y 
aider  les  Prussiens.  Lucchesini  partit  immédiatement.  Pendant 
qu'il  était  en  route  et  qu'il  négociait  à  Vienne,  les  partisans  de 
la  paix  multipliaient  leurs  démarches.  Hardenberg  écrivait  le 
12  août  17943; 

a  Nos  forces  sont  épuisées  -,  une  prompte  paix  nous  est  indispen- 
sable. L'opinion  publique  est  contraire  à  la  guerre  ;  l'armée  surtout 
y  est  opposée.  Du  haut  en  bas  on  y  est  frondeur  et  agité  par  l'esprit 
d'opposition.  On  ne  s'y  bat  plus  que  pour  l'honneur ■*...  Le  seul 


1.  Hœusser,  I,  578.  —  Grouvelle  écrivait  le  7  brumaire  an  III  (28  oct.  1794) 
que  le  Roi  n'avait  pas  voulu  autoriser  les  démarches  à  l'égard  Je  la  République; 
mais  qu'elles  n'avaient  pas  moins  été  faites,  soit  qu'il  eût  cédé  à  ses  ministres, 
soit  que  ceux-ci  eussent  agi  de  leur  chef. 

2.  Haeusser,  p.  578. 

3.  A  Haugwitz.  Ranke,  I,  222. 

4.  «  Cette  inaction,  dit  un  officier  prussien,  fut  très-préjudiciable  à  l'armée. 
L'idée  que  la  guerre  était  nécessaire  s'évanouissait  peu  à  peu  dans  tous  les 
esprits:  et  l'on  commençait  à  croire  que  cette  guerre  était  nuisible  aux  intérêts 
de  la  monarchie.  Dans  les  cantonnements,  au  milieu  d'un  pays  fertile,  on  s'habi- 
tuait à  maintes  commodités  :  des  combats  quotidiens  ne  tenaient  pas  l'armée  en 


LA    PAIX    DE    BALE.  29^ 

remède^  le  seul  salut  de  l'empire  sont  dans  une  prompte  paix.  Mais 
pour  cela,  il  faut  agir  d'accord  avec  les  alliés.  Le  plus  heureux  serait 
de  pouvoir  remettre  les  choses  dans  l'état  où  elles  étaient  avant  la 
guerre.  » 

C'était  donc  la  paix  générale  que  souhaitait  Hardenberg.  Pour 
s'éclairer  sur  les  dispositions  du  ministère  et  de  la  cour  et  pour  y 
soutenir  ses  propres  idées,  il  envoya  à  Berlin  un  de  ses  amis  les 
plus  sûrs,  son  ancien  précepteur,  devenu  son  collaborateur  poli- 
tique, Gervinus.  Celui-ci  vit  Hangwitz  le  18  août  ^  Mœllendorf 
envoya,  de  son  côté,  au  roi,  son  confident,  le  major  Meyerinck. 
Mœllendorf  connaissait  trop  les  sentiments  du  roi  pour  se 
risquer  à  lui  parler  d'une  paix  séparée.  11  lui  proposait  une 
médiation  entre  l' Allemagne  et  la  France  et  lui  offrait  un 
moyen  très-simple  d'entrer  en  pourparlers,  c'était  .de  négocier  un 
échange  de  prisonniers  :  comme  la  Prusse  en  détenait  un  plus 
grand  nombre  que  la  France,  elle  pouvait  espérer  d'obtenir,  en 
compensation,  une  trêve  pour  ses  provinces  rhénanes.  Un  armis- 
tice pouvait  s'en  suivre  et,  en  laissant  aux  Français  la  Belgique 
que  l'Autriche  serait  bien  forcée  d'abandonner,  on  croyait  qu'ils 
renonceraient  à  conserver  leurs  conquêtes  en  Allemagne  et  à 
marcher  sur  la  Hollande  ^.  Meyerinck  trouva  le  roi  disposé  à 
entrer  dans  ces  idées.  Les  rapports  que  Lucchesini  avait  adressés  de 
Vienne  le  22  et  le  25  août  démontraient  que  l'Autriche  était  décidée 
à  continuer  la  guerre  et  n'entendait  point  soutenir  les  Prussiens 
en  Pologne.  Lucchesini  avait  quitté  Vienne  le  29  août  ;  en  arri- 
vant au  quartier  général  du  roi  de  Prusse  en  Pologne,  il  trouva 
les  affaires  dans  un  état  déplorable.  La  sédition  dans  les  provinces 
prussiennes  ne  s'apaisait  pas;  l'échec  devant  Varsovie  était  com- 
plet. Le  6  septembre,  il  fallut  lever  le  siège.  On  était  résolu  à 
revenir  avec  des  forces  considérables;  mais  pour  cela  il  était 
nécessaire  de  dégarnir  l'armée  du  Rhin.  Le  roi  insista  de  nou- 

haleinc  contre  les  dangers  et  n'enflammaient  pas  les  courages.  On  vivait  dans  un 
repos  qui  se  rapprochait  beaucoup  de  la  sécurité  de  la  paix.  »  Massenbach, 
Memoiren.  Amsterdam,  1809.  Tome  II,  p.  19.  —  On  lit  dans  un  Mémoire  émané 
de  l'état-major  du  duc  de  Saxe-Teschen  et  intitulé  Remarques  sur  la  conduite 
des  Prussiens  durant  la  cam-pagne  de  1794  :  «  Ce  dégoût  et  ce  désir  de  la  paix 
avaient  tellement  pris  le  dessus  dans  l'armée  prussienne  qu'un  propos  habituel 
parmi  les  officiers  était  d'appeler  celle  guerre  une  guerre  fatale.  »  (Vivenot,  Saxe- 
Teschen,  2°  partie,  t.  I,  p.  647.) 

1.  Ranke,  I,  223. 

1.  Sybel,  trad.,  III,  258.  Hœusser,  I,  .579. 


•202  ALIîKUT   SOREL. 

voaii  à  Vionne  pour  obtenir  un  secours  do  20,000  liommes*;  si 
l'Autriche  refusait,  comme  tout  portait  à  le  croire,  la  Prusse 
aurait  un  prétexte  pour  rappeler  une  partie  de  ses  troupes  du 
Rhin-.  «  Le  plan  de  Mœllendorf  lui  parut  alors  acceptable,  dit 
M.deSybel;  Fi'èdèric-Guillaume  avait  avant  tout  le  sentiment  de 
ses  devoirs  comme  i)rince  de  l'empire  et  comprenait  quelles  vastes 
perspectives  devait  ouvrir  à  la  Prusse  une  politique  vraiment 
allemande  et  nationale.  »  Le  fait  est  qu'il  trouvait  dans  le  rôle 
de  médiateur  d'empire  qu'on  lui  présentait  sous  une  forme  si  sé- 
duisante de  quoi  calmer  les  scrupules  qui  l'avaient  jusque  là 
empêché  de  songer  à  la  paix.  Luccliesini  écrivit  le  8  septembre 
à  Mœllendorf  que  le  roi  avait  accepté  ses  bienfaisantes  proposi- 
tions :  la  pensée  de  se  faire  le  médiateur  de  la  paix  de  l'empire 
et  par  là  de  préparer  la  paix  générale  et  de  sauver  la  Hollande 
lui  avait  énormément  plu  ^ . 

Au  moment  où  Mœllendorf  soumettait  à  l'approbation  du  roi 
le  projet  de  négociation  d'échange,  cette  négociation,  comme  on 
l'a  vu,  était  déjà  entamée.  Mœllendorf  ne  négligeait  aucun  moyen 
de  persuader  les  Français  de  la  sincérité  de  ses  démarches.  Dès 
le  31  août,  c'est-à-dire  dans  le  temps  même  où  Meyeriiick  se 
rendait  auprès  du  roi  et  avant  que  ce  prince  eût  pris  une  décision, 
Schmerz  annonçait  à  Bâcher  sa  prochaine  arrivée  à  Bâle  avec 
un  adjudant-général  de  Mœllendorf  pour  y  attendre  la  réponse 
du  Comités  Le  3  septembre,  Schmerz  écrivait  à  Ochs  qu'il 
avait  espéré  une  lettre  de  Bâle,  mais  qu'en  voyant  les  mouve- 
ments de  l'armée  française  sur  Kaiserslautern,  il  commençait  à 
perdre  l'espoir.  Ces  mouvements  forceraient  les  Prussiens  à  sortir 
de  leur  inaction. 

«  Dites  à  M.  Bâcher,  ajoutait-il,  de  faire  recommander  beau- 
coup de  circonspection  aux  généraux  français,  et  de  les  engager 
à  ne  pas  sacrifier  inutilement  de  braves  gens  qui  seront  mieux 
employés  contre  les  Autrichiens.  Vous  savez  qu'il  ne  dépend  que  du 
Comité  de  salut  public  d'accueillir  les  ouvertures  faites  et  de  parvenir 
au  même  but  sans  qu'il  soit  besoin  de  bataille.  » 

1.  Le  roi  à  César,  9  septembre.  —  Le  ministère  prussien  au  prince  de  Reuss, 
16  septembre.  —  Vivenot,  Saxe-Teschen,  2"  partie,  t.  I,  p.  621  et  623. 

2.  Sybel,  III,  258.  Hermann-Hiiffer,  Œstreich  und  Preusseh,  99  et  100,  et 
ci-dessous  la  lettre  de  Meyerinck  à  Bacber  du  6  octobre  1794. 

3.  HcBUSser,  I,  579. 

4.  Bacber  à  Bucbot,  14  fructidor  an  III. 


LA    l'AIX    DE    BALE.  293 

Si  Mœllendorf  avait  déjà  cru  pouvoir  insinuer  aux  Français 
qu'Un  agirait  que  faiblement^  lorsqu'il  n'avait  pour  s'exprimer 
ainsi  aucune  autorisation  de  son  roi,  il  n'hésita  pas  à  se  déclarer 
plus  ouvertement  lorsqu'il  eut  l'assurance  que  le  roi  entrait  enfin 
dans  ses  idées  et  inclinait  à  accepter  son  plan.  Les  événements 
de  Pologne  commandaient  d'ailleurs  de  ménager  plus  que  jamais 
les  troupes  prussiennes  ;  et  lorsque  l'Autriche  refusait  d'appuyer 
la  Prusse  en  Pologne,  il  ne  semblait  point  opportun  au  maréchal 
prussien  de  compromettre  son  armée  pour  la  soutenir  sur  le  Rhin. 
Il  se  trouvait  cependant  réduit  à  cette  extrémité.  Une  expédition 
sur  Trêves  et  Kaiserslautern  avait  été  décidée.  L'armée  prus- 
sienne ne  pouvait  refuser  d'y  prendre  part  2.  Mais  Mœllendorf 
craignait  à  la  fois  d'exposer  ses  troupes  et  de  détruire  l'effet 
qu'avaient  pu  produire  sur  les  Français  ses  ouvertures  paci- 
fiques. Il  tâcha  de  tourner  la  difficulté  et  dans  tous  les  cas  de 
gagner  du  temps.  Schmerz  fut  renvoyé  à  Bâle,  où  il  s'instaUa 
pour  attendre,  disait-il,  la  réponse  du  Comité  .  «  En  attendant, 
rapporte  Fain  ^,  il  n'hésite  pas  à  communiquer  les  lettres  qu'il 
continue  de  recevoir  du  maréchal  Mœllendorf  relativement  à 
l'échange  proposé.  Dans  ces  lettres,  on  parle  des  opérations 
militaires  qui  se  poursuivent  sur  le  Rhin  ;  on  assure  que  les  Prus- 
siens ne  veulent  pas  attaquer  :  on  prédit  même  des  mouvements 
que  les  armées  autrichiennes  essaieront  et  qui  ne  seront  pas  secon- 
dés... »  Bâcher  écrivait  à  Buchot  le  24  fructidor  an  II  (16  sep- 
tembre 1794)  : 

«  Le  feld-maréchal  Mœllendorf  vient  de  m'envoyer  son  homme  de 
confiance  pour  me  prévenir  qu'il  avait  été  arrêté,  dans  un  conseil 
tenu  par  les  Autrichiens,  de  se  porter  en  force  sur  Trêves  le  \"  ven- 
démiaire (22  septembre)  pour  reprendre  ce  point  de  vive  force.  Les 
généraux  prussiens  ont  été  invités  à  coopérer  à  cette  entreprise.  Ils 
n'ont  pas  entièrement  décliné  cette  invitation  ;  mais  leur  voyageur  a 
été  chargé  de  me  prier  de  faire  prévenir  le  général  Michaud,  com- 
mandant en  chef  l'armée  du  Rhin,  que  le  rôle  des  Prussiens  se  bor- 
nera à  l'observation. 

1.  V.  ci-dessus  (p.  286)  la  dépêche  de  Bâcher  du  19  thermidor  (6  août). 

2.  Masseiibach,  qui  juge  sévèrement  et  condamne  en  termes  très-vifs  la  conduite 
de  Mœllendorf,  voit  dans  cette  résolution  la  trace  d'un  dessein  machiavélique  : 
«  Enliu,  dit-il,  pour  couvrir  les  machinations  secrètes,  on  consentit  à  oser  atta- 
quer l'ennemi  près  de  Kaiserslautern.  »  Memoiren,  II,  27. 

3.  Manuscrit  de  l'an  UJ,  p.  21. 


295  ALIIEUr   SOHKL. 

u  LexpôdiLioii  sur  Trêves,  selon  les  Prussiens,  échouera  complé- 
lonieiiL  pour  peu  que  les  Français  soient  en  forces  suflisanLes  pour 
irarnir  les  postes  importants  qu'ils  ont  à  défendre...  Quant  aux 
Prussiens,  ils  ne  bougeront  pas,  c'est  sur  quoi  on  peut  compter;  mais 
ils  espèrent  qu'on  ne  viendra  pas  les  forcer  à  se  défendre...  Les  Prus- 
siens ne  feront  que  se  défendre  si  on  les  attaque.  « 

La  Prusse,  ajoutait  Bâcher,  n'attend  qu'une  réponse  du 
Comité  pour  négocier  le  cartel  d'écliange;  la  reconnaissance  de  la 
République  pourrait  y  être  implicitement  comprise.  Dans  trois 
mois  la  Prusse,  qui  sera  dégagée  de  son  traité  do  subsides  avec 
l'Angleterre,  pourra  ne  laisser  sur  le  Rhin  que  son  contingent 
d'empire,  se  retirer  sur  Wesel  et  rester  neutre;  les  événements  de 
Pologne  l'y  engagent  fortement.  Bâcher  écrivait  dans  le  même  sens 
quelques  jours  après,  le  24  septembre,  et  annonçait  la  levée  du  siège 
de  Varsovie,  affirmant  que  la  Prusse  ne  désirait  que  la  paix^  Ce- 
pendant l'expédition  avait  commencé.  Le  prince  de  Hohenlolie,  qui 
commandait  un  corps  prussien,  ne  partageait  pas  les  idées  paci- 
fiques de  Mœllendorf  et  ne  semble  pas  avoir  été  initié  à  ses  négo- 
ciations. «  Il  eut,  dit  Massenbach,  l'impolitesse  de  troubler  le 
général  français  dans  son  repos  plus  tôt  qu'on  avait  jugé  bon  de  le 
faire.  Il  jugea  bon  d'attaquer  un  jour  avant  le  jour  fixé.  Il  trans- 
forma la  reconnaissance  dont  il  était  chargé  en  une  attaque  vigou- 
reuse. L'ennemi  ne  put  pas  être  averti  de  ce  changement  apporté 
au  plan  primitif,  car  il  est  plus  que  vraisemblable  que  l'ennemi 
fut  averti,  par  des  nouvelles  de  Kreuznach,  de  la  marche  du 
corps  de  Hohenlolie  ^ »  ...  Le  19  septembre,  le  général  Michaud 
mandait  à  Bâcher,  par  lequel  il  avait  été  prévenu  des  intentions 
des  Prussiens,  qu'il  avait  été  attaqué  de  nuit  entre  Turckheim  et 
Alborn  par  des  Autrichiens  et  des  Prussiens,  ce  qui  semblerait 
démentir  les  renseignements  de  Bâcher.  «  Je  ne  sais,  ajoutait-il 
pourtant,  si  c'est  à  dessein  qu'une  partie  des  Prussiens  s'éga- 

t.  Bâcher  à  Buchot,  3  vendémiaire  aa  III. 

2.  Memoiren,  II,  28.  —  Massenbach  ajoute  :  «  Le  temps  soulèvera  le  voile  qui 
recouvre  cette  œuvre  de  ténèbres.  Je  sais  beaucoup  de  choses,  mais  je  ne  sais 
pas  tout.  Quelqu'un  viendra  qui  fera  de  ce  drame  un  récit  complet.  Le  roi  était- 
il  instruit  des  premières  démarches  qui  conduisirent  à  celte  négociation  secrète? 
l'approuvait-il  ?  Comment  permit-on  au  prince  de  Hohenlohe  d'attaquer  l'ennemi 
que  Ion  voulait  ménager?  Si  le  chef  de  l'État  ignorait  tout  cela,  quelle  légèreté 
criminelle  !  »  —  Le  temps  a,  je  crois,  éclairci  le  mystère  et  montré  que  le  roi 
ne  connaissait  ni  n'approuvait  les  démarches  que  Mœllendorf  fit  sous  sa  respon- 
sabilité personnelle. 


LA   PAIX   DE   BALE.  ^95 

rèrent  dans  les  bois  pendant  la  nuit  et  n'eurent  pas  part  à  l'ac- 
tion ^  »  L'armée,  avait  dit  Hardenberg,  ne  se  bat  que  pour  l'hon- 
neur ;  l'honneur  dut  être  satisfait  dans  les  combats  qui  se  livrèrent 
le  20  septembre  1794  à  Kaiserslautern.  Le  corps  prussien  de 
Hohenlohe  prit  une  part  brillante  à  la  victoire  que  les  alliés  rem- 
portèrent sur  les  Français.  La  joie  fut  grande  au  quartier  général 
autrichien  :  on  crut  trouver  dans  cette  action  d'éclat  une  preuve 
de  la  solidité  de  l'alliance  2.  Les  impressions  furent  bien  différentes 
au  quartier  général  de  Mœllendorf.  «  Les  avantages  remportés 
le  20  septembre  1794,  raconte  Massenbach^  relevèrent  la  gloire 
du  prince  de  Hohenlohe,  mais  augmentèrent  aussi  le  nombre  de 
ses  ennemis.  J'eus  l'honneur  d'encourir  une  partie  de  cette  haine. 
Lorsque  j'accompagnai  le  prince  au  quartier  général  du  feld- 
maréchal  Mœllendorf  à  Wùrstadt,  j'y  trouvai  un  accueil  qui 
aurait  peut-être  été  capable  d'arracher  à  son  équilibre  l'àme  pon- 
dérée d'un  Epictète.  A  peine  m'honora-t-on  d'une  parole;  le 
général  Riichel  me  toisa  d'un  regard  que  je  n'oublierai  jamais. 
Tous  ces  messieurs  voulaient  la  paix,  et  la  paix  était  la  ruine. 
L'étroitesse  de  cœur  de  ces  messieurs  me  fit  mal,  ou  plutôt  je  les 
plaignis  cordialement.  Ils  me  toisaient  de  bas  en  haut,  je  les  toisai 
de  haut  en  bas,  et  de  toute  la  hauteur  de  ma  supériorité  de  cœur.  » 
Hohenlohe  reçut  l'ordre  de  s'arrêter.  Puis  les  Autrichiens  ayant 
été  vaincus  sur  l'Ourthe  et  forcés  de  se  replier  sur  la  rive  droite 
du  Rhin,  l'armée  prussienne  commença  de  battre  en  retraite.  La 
victoire  de  Hohenlohe  troubla  profondément  les  Français,  dit 
M.  Ranke.  «  Elle  eut  surtout  peut-être  pour  effet  de  les  engager 
à  considérer  davantage  les  forces  prussiennes.  Meyerinck,  avec 
lequel  Schmerz  était  particulièrement  en  rapport,  donna  sur  les 
intentions  de  la  Prusse  des  éclaircissements  rassurants  ;  il  y  joi- 
gnit des  promesses  et  aussi  des  menaces.  Le  résultat  fut  que  les 
Français  n'opposèrent  que  de  faibles  hostilités  au  mouvement  de 
retraite  auquel  les  troupes  prussiennes  se  disposèrent  alors.  On 
évita  un  choc  avec  les  troupes  françaises,  et  on  devait  l'éviter 
d'autant  plus  qu'alors,  enréalité,  on  était  décidé  à  Berlin  à  enga- 


1.  Michaud  à  Bâcher,  3'  sans-culoltide  de  l'an  II. 

2.  Rapport  du  feld-maréchal  duc  de  Saxe-Teschen ,  cité  par  Vivenot  :  Saxe- 
Teschen,  I,  158. 

3.  Memoiren,  II,   33.  V.  dans  Vivenot,  Saxe-Teschen,  I,  p.  159,  un  extrait 
d'une  lettre  de  Massenbach  au  général  Riichel,  en  1808. 


20(»  ALBERT   SOKEL. 

iïcr  uiu>  iiô^'ociation  ibrmolle*.  »  La  correspondance  des  agents 
IVanvais  contîrnie  ontièroniont  le  récit  de  M,  Ranke. 

Le  15  vendémiaire  an  III  (6  octobre  1794),  Bâcher  mandait 
à  Bucliot  que  Sclinierz  avait  reçu  des  nouvelles  de  Meyerinck  en 
date  du  20  septembre.  Meyerinck  se  félicitait  de  la  tournure 
prise  par  les  négociations;  comptez,  disait-il,  que  vous  avez  à 
traiter  avec  des  gens  probes  et  honnêtes.  Mais  il  reconnaissait 
qu'avant  l'échéance  du  traité  de  subsides,  c'est-à-dire  avant  le 
mois  de  décembre,  il  n'y  avait  pas  autre  chose  à  faire  que  de  tra- 
vailler k  l'échange  des  prisonniers,  préliminaire  de  la  négocia- 
tion. Il  demandait  aux  Français  de  ménager  la  Westphalie, 
signalait  la  conduite  tenue  par  les  Prussiens  dans  l'affaire  de 
Trêves,  et  déplorait  le  combat  de  Kaiserslautern:  on  n'avait  pas 
pu  refuser  de  marcher  avec  l'armée  impériale,  mais  le  prince  de 
Hohenlohe  avait  reçu  aussitôt  l'ordre  de  reprendre  son  ancienne 
position.  Quant  à  Mœllendorf,  il  restait  à  Kreuznach  et  n'en 
bougerait  plus.  —  Quelques  jours  après,  Bâcher  recevait  par  un 
émissaire  des  nouvelles  directes  de  Meyerinck,  en  date  du 
6  octobre.  Meyerink  manifestait  son  impatience  d'avoir  une 
réponse  et  assurait  Bâcher  de  sa  sincérité;  notre  devise,  disait- 
il,  est  :  la  probité  dure  éternellement  ;  puis  il  revenait  sur 
l'affaire  de  Kaiserslautern  :  les  Prussiens  n'avaient  pas  pu  agir 
autrement  qu'ils  ne  l'avaient  fait,  sous  peine  d'être  accusés  de 
déloyauté,  et  leur  exactitude  à  tenir  leurs  engagements  dans 
cette  circonstance  devait  être  pour  les  Français  eux-mêmes  un 
gage  de  la  pureté  de  leurs  intentions.  Ils  avaient  encore  les 
mains  liées  par  le  traité  des  subsides,  mais  ils  étaient  résolus  à 
ne  plus  agir  et  à  attendre  tranquillement  dans  leurs  positions  que 
l'échéance  du  traité  les  laissât  libres  d'agir  à  leur  guise  et  de 
repasser  peu  à  peu  le  Rhin.  11  protestait  du  désir  que  l'on  avait 
de  son  côté  de  devenir  l'ami  des  républicains,  et  déclarait  que  si 
ces  derniers  traitaient  l'affaire  sérieusement  et  agissaient  avec 
loyauté,  tout  irait  mieux  que  Bâcher  ne  pouvait  l'espérer  :  le  roi 
avait  demandé  20,000  hommes  à  l'Autriche,  elle  les  refuserait 
et  le  roi  serait  ainsi  autorisé  à  rappeler  20,000  hommes  de  son 
armée  du  Rhin.  Cologne  demandait  la  paix;  d'autres  États  la 
demandaient  aussi.  Pour  les  encourager  dans  ces  dispositions, 

1.  Ranke,  Hardenberg,  I,  260. 


LA    PAIX    DE    IULE.  297 

Meyerinck  demandait  à  Bâcher  d'obtenir,  s'il  le  pouvait  : 
1°  qu'on  laissât  l'armée  prussienne  repasser  le  Rhin  sans  trop  la 
presser,  autrement  le  vieux  maréchal  pourrait  se  fâcher  et  risquer 
une  bataille  :  il  avait  62,000  hommes  de  troupes  excellentes  non 
comptés  les  Saxons,  et  à  quoi  bon  des  escarmouches  quand  on  se 
prépare  à  la  paix?  2°  qu'on  épargnât  le  pays  de  Clèves  et  les 
territoires  prussiens  de  la  Westphalie  ;  3°  qu'on  traitât  mieux 
les  officiers  prussiens  prisonniers;  4°  qu'on  n'attaquât  point 
Coblentz*. 

Ces  communications  marquaient  un  désir  réel  de  la  paix,  une 
crainte  très-vive  que,  par  imprudence  et  imprévoyance,  on  ne 
forçât  les  Prussiens  à  sortir  de  leur  attitude  d'observation  :  si 
l'on  voulait  préparer  la  paix,  il  fallait  éviter  tout  conflit  et  tout 
combat  entre  les  deux  armées,  autrement  elles  seraient  exposées 
à  en  venir  aux  mains  sans  savoir  pourquoi.  Convaincu  de  la 
sincérité  de  Meyerinck,  Bâcher  ne  manquait  pas  d'instruire  les 
généraux  français  des  dispositions  pacifiques  des  Prussiens.  Le 
3  octobre,  il  écrivait  au  général  Michaud  : 

a  Rien  ne  t'empêche  d'approcher  des  mortiers  de  la  ville  de  Man- 
heim  et  de  punir  l'électeur  de  Bavière  de  son  attachement  servile  à 
la  maison  d'Autriche,  soit  en  incendiant  cette  ville  du  bord  opposé 
du  Rhin,  soit  en  lui  imposant,  par  la  crainte  d'un  bombardement, 
une  forte  imposition.  Tu  peux  compter  que  le  général  Mœllendorf 
s'inquiétera  fort  peu  de  Manheim  et  de  la  rive  du  Rhin  jusqu'à 
Worms,  et  que,  pourvu  que  son  armée  ne  soit  pas  attaquée  dans  son 
ancienne  position,  elle  ne  bougera  pas.  » 

Quant  aux  menaces  de  Mœllendorf  en  cas  d'attaque  de  la  part 
des  Français,  Bâcher  pensait  qu'il  n'en  fallait  point  tenir 
compte  :  ce  n'était,  écrivait-il  au  général  Michaud  le  10  octobre 
1794,  que  delà  jactance  brandebourgeoise.  Il  mandait  les  mêmes 
nouvelles  à  Buchot  ^  ajoutait  que  la  Bavière  et  la  Saxe  dési- 
raient la  paix  et  que  la  Prusse  songeait  à  rétablir  la  confédéra- 
tion germanique  telle  que  Frédéric  II  l'avait  formée  lors  de 
l'affaire  de  la  succession  de  Bavière  3.  Et,  quelques  jours  après, 
transmettant  la  lettre  de  Meyerinck  du  6  octobre ,  il  annonçait 
qu'une  insurrection  se  préparait  en  Gallicie.  Le  moment  lui  sem- 

1.  Bâcher  à  Buchol,  12  octobre  1794. 

2.  15  vendémiaire  an  III  (6  octobre  1794). 

3.  Traité  du  23  juillet  1785,  constituant  le  Fiirstenbund. 


2'.>S  ALItERT   SOUEL. 

blail  vt'iiii  de  «.lisijoudrc  la  coalition;  luiis  il  ajoutait,  au  sujet  de 
Scliinerz,  quelques  détails  qui  peignent  bien  les  mœurs  politiques 
et  militaires  de  l'époque  '  : 

«  Comme  le  voyageur  du  feld  maréchal  Mœllcndorf  voulait  retour- 
ner chez  lui-  pour  s'y  trouver  au  moment  de  l'arrivée  des  Français, 
je  n'ai  pu  le  retenir  ici  qu'en  lui  donnant  l'assurance  par  écrit  que  sa 
femme  et  sa  sœur,  de  même  que  sa  maison  et  ses  biens,  seraient 
respectés  jusqu'à  ce  que  les  représentants  du  peuple  et  le  général  en 
ordonnent  autrement.  Cet  écrit  ne  nous  engage  à  rien  et  tient  ce 
voyageur  absolument  dans  notre  main  puisqu'il  nous  laisse  des  otages 
qui  répondent  de  lui.  » 

IV 

Les  Russes  en  Pologne.  —  Le  roi  de  Prusse  et  le  parti  de 
la  'paix.  —  Mémoire  du  prince  Henri.  —  Relations 
avec  r Autriche  et  l'Angleterre.  —  Dénonciation  du 
traité  des  subsides.  —  La  Prusse  se  décide  à  négocier. 
—  Désir  de  la  paix  en  Allemagne.  —  IJ électeur  de 
Mayence  propose  la  médiation  du  Danemark  et  de  la 
Suède  {Octobre  1794). 

Les  lettres  de  Meyerinck  subordonnaient  l'ouverture  des  négo- 
ciations de  paix  à  la  dénonciation  du  traité  des  subsides  entre  la 
Prusse  et  l'Angleterre.  Cette  affaire  se  dénoua  plus  rapidement 
encore  que  ne  pouvait  le  prévoir  l'aide  de  camp  de  Mœllendorf. 
L'Angleterre,  fatiguée  de  la  persistance  avec  laquelle  la  Prusse 
refusait  de  marcher  au  secours  de  la  Belgique  et  de  la  Hollande, 
avait  décidé,  dans  les  derniers  jours  de  septembre,  de  ne  point 
payer  les  subsides  à  l'échéance  du  1"  octobre,  si  la  Prusse  ne 
prenait  pas  d'ici  là  une  attitude  plus  satisfaisante.  L'armée  prus- 
sienne n'ayant  rien  modifié  à  ses  plans,  les  subsides  ne  furent 
point  payés  le  1"  octobre.  La  Prusse  apprit  en  même  temps 
qu'il  s'opérait  un  rapprochement  de  plus  en  plus  intime  entre 
l'Autriche  et  l'Angleterre.  D'autre  part,  les  Russes,  entrés  en 
Pologne  le  18  septembre,  y  poursuivaient  victorieusement  leur 
marche  :  une  négociation  secrète  était  engagée  entre  la  Russie 

1.  Bâcher  àBuchot,  12  octobre  1794. 

2.  A  Kreuznach. 


LA    l'ATX    DE    B.ALE.  299 

et  l'Autriche  au  sujet  d'un  troisième  démembrement  ;  la  Prusse 
n'avait  à  ce  sujet  que  des  soupçons,  mais  ils  étaient  alarmants, 
et  il  résultait  des  rapports  de  ses  agents  à  Vienne  et  à  Pétersbourg 
que  l'Autriche  s'opposait  vivement  à  l'idée  de  faire  à  la  Prusse 
une  part  proportionnelle  dans  le  partage.  C'étaient  autant  d'ar- 
guments pour  les  partisans  de  la  paix.  Ils  ne  restaient  point  inactifs. 
Mœllendorf  s'adressait,  à  l'insu  du  roi,  à  l'électeur  de  Mayence, 
comme  au  premier  dignitaire  de  l'empire,  et  au  prince  le  plus 
opprimé  par  la  guerre,  pour  l'engager  à  provoquer  une  mani- 
festation pacifique  de  la  part  de  la  diète  S  et  tâchait  ainsi  de  pré- 
parer cette  pacification  de  l'empire  par  la  médiation  de  la  Prusse 
qui  était  l'idée  favorite  de  Hardenberg.  A  Berlin  même,  le 
parti  de  la  paix  trouvait  dans  un  frère  du  grand  Frédéric 
l'avocat  le  plus  influent  et  le  plus  convaincu.  C'était  le  prince 
Henri  de  Prusse,  qui  tenait  naguère  à  honneur-  de  revendiquer 
la  première  idée  du  partage  de  la  Pologne  ^  et  qui  avait  toujours 
professé  pour  les  idées  françaises  et  l'alliance  avec  la  France  un 
goût  prononcé.  Il  vivait  assez  à  l'écart,  désapprouvant  la  poli- 
tique suivie  par  son  neveu,  et  en  particulier  l'alliance  avec  l'Au- 
triche contre  la  France.  Les  partisans  delà  paix  et  Bischoffswer- 
der,  qui  intriguait  alors  contre  la  cour  de  Vienne  avec  autant  d'ac- 
tivité qu'il  avait,  quelques  années  avant,  intrigué  en  sa  faveur, 
décidèrent,  dit-on,  le  prince  à  sortir  de  sa  réserve.  Il  fit  savoir 
à  Haugwitz  qu'il  aurait  des  communications  intéressantes  à  lui 
adresser  au  sujet  de  la  paix  avec  la  France,  et  demanda  si  le  roi 
l'autoriserait  à  en  conférer  avec  lui^.  Le  roi  avait  une  haute  idée 
de  l'intelligence  de  son  oncle,  mais  il  se  méfiait  de  son  esprit 
inquiet  et  craignait  qu'il  ne  voulût,  par  cette  voie  détournée, 
rentrer  aux  afi"aires  et  prendre  la  direction  des  négociations.  Il 
consentit  cependant,  mais  après  avoir  recommandé  à  Haugwitz 
de  ne  point  se  laisser  séduire.  Les  idées  du  prince  nous  sont 
connues  par  un  mémoire  daté  du  mois  d'octobre  1794.  C'est  un 
projet  éventuel  d'instructions  pour  l'ambassadeur  qui  serait 
chargé  de  négocier  la  paix.  Le  prince  Henri  se  préoccupait  par 
dessus  tout  des  affaires  de  Pologne. 


1.  Sybel,  trad.,  lil,  259. 

2.  Voir  ses  confidences  à  M.  de  Ségur,  Mémoires  du  comte  de  Ségur. 

3.  Ce  détail  et  les  renseignements  qui  suivent,  d'après  Ranke,  Hardenberg,  I, 
253-257. 


300  ALBERT  SOllEL. 

Si,  clil-il,  les  Français,  qui  oui  rciiiporU''  Laiil  do  sucrés  dans  la 
doriiiôro  canipaLrno,  s'oiiij)aronL  do  la  Hollande  ol  IVancliissonl  le 
Rhin  dans  la  canij)a!j;ne  prochaine,  n'cnlrcrail-il  pas  ensuite  dans  leur 
plan,  lorsqu'ils  néj,'Ocieraient  avec  le  Roi,  d'exiger  la  resLlLution  de 
ses  provinces  polonaises?  Celle  impitoyable  alternative  rend  néces- 
saire la  paix  avec  la  France.  Ils  ont  encore  maintenant,  autant  qu'on 
le  peut  savoir,  des  dispositions  amicales:  on  pourrait  les  convaincre 
de  l'Impossibilité  pour  la  Prusse  de  restituer  les  territoires  polonais... 
Cette  restitution  détruirait  l'équilibre  du  Nord  au  profit  de  la  Russie, 
et  la  Turquie,  à  la  conservation  de  laquelle  la  France  a  tant  d'intérêt, 
serait  compromise.  — Le  prince  ne  pensait  pas  qu'on  dût  se  bornera 
faire  la  paix;  la  Prusse  devait  se  faire  la  médiatrice  entre  la  France 
et  les  autres  puissances  belligérantes;  avant  tout  il  fallait  songer  à 
la  Hollande  et  à  l'empire.  H  n'était  pas  probable  que  l'Angleterre  et 
rAutriche  accepteraient  la  médiation  prussienne-,  mais  la  médiation 
d'empire  suffisait.  Le  prince  croyait  que  la  chute  de  Robespierre 
avait  rompu  la  négociation  qui,  disait-on,  avait  été  engagée  entre  la 
France  et  rAutriche  pour  l'échange  de  la  Bavière  contre  les  Pays-Bas; 
mais,  comme  rien  ne  serait  plus  dangereux  pour  la  Prusse,  il  fallait 
prendre  de  ce  côté  des  précautions,  et  c'était  un  motif  de  plus  pour 
faire  la  paix.  Le  prince  pensait  que  la  France,  où  le  rétablisse- 
ment de  la  monarchie  constitutionnelle  lui  semblait  possible,  devait 
être  considérée,  malgré  tous  les  changements  qui  s'y  étaient  produits, 
comme  une  puissance  européenne  au  même  titreque  les  autres  États. 
Il  s'agissait  de  former  avec  elle  un  nouveau  système  politique  -,  la 
France  révolutionnaire  devait  garantir  les  traités  de  Westphalie.  Dans 
ces  conditions,  il  ne  pouvait  être  question  de  cession  de  territoire:  la 
conservation  de  la  Hollande  et  Pintégrité  de  Pempire  étaient  des  con- 
ditions essentielles  de  la  médiation  prussienne. 

C'est  dans  cette  mesure,  dit  M.  Ranke,  que  le  prince  entendait 
établir  la  liaison  avec  la  France  ;  il  ne  proposait  nullement  une 
alliance  générale  entre  les  deux  Etats.  Ces  considérations,  ap- 
puyées par  l'autorité  de  la  parole  du  prince  Henri,  exercèrent 
une  grande  influence  sur  le  roi.  Frédéric-Guillaume  hésitait 
encore  entre  ses  convictions  et  ses  sentiments  qui  le  retenaient 
dans  la  coalition,  et  les  intérêts  de  son  Etat  qui  le  poussaient  à 
en  sortira  Le  prince  Henri  l'avait  ébranlé,  les  événements  le 
décidèrent.  Le  11  octobre,  Malmesbury  déclarait  à  Hardenberg 


1.  Ranke,  Hardenberg,  241,  247,257. 


LA    PAIX    DE    lîALE.  30^ 

que  l'Angleterre  refusait  de  payer  les  subsides  *.  En  même  temps, 
le  prince  Reuss,  ministre  d'Autriche  à  Berlin,  déclarait  que  son 
gouvernement  n'était  pas  en  mesure  d'envoyer  en  Pologne  les 
20,000  hommes  que  demandait  la  Prusse  ^  Ce  refus,  prévu  par 
les  partisans  de  la  paix,  produisit  sur  le  roi  l'effet  qu'ils  en 
attendaient.  Le  16  octobre  il  expédia  à  Mœllendorf  l'ordre  de 
ramener  vers  la  Prusse  l'armée  qu'il  commandait,  et,  en  parti- 
culier, les  20,000  hommes  qui  demeuraient  sur  le  Rhin  en  vertu 
du  traité  d'alliance  avec  l'Autriche.  Hardenberg  fut  invité  à  ' 
dénoncer  le  traité  de  subsides.  «  J'ai  été  témoin,  écrivait 
Bischoffswerder  le  14  octobre,  du  chagrin  amer  que  le  roi  res- 
sentait en  se  voyant  privé,  par  la  brusque  infraction  du  traité 
des  subsides,  des  moyens  de  suivre  son  inclination  en  prêtant  un 
secours  efficace  à  ses  alliés;  mais  ce  sentiment  est  bien  augmenté 
par  les  tristes  nouvelles  qui  se  suivent  de  près  de -la  situation  des 
armées  du  Rhin^.  »  La  résolution,  si  pénible  qu'elle  fût,  n'en 
était  pas  moins  prise,  et  Frédéric-Guillaume  II  devait  désormais 
chercher  ailleurs  que  dans  l'alliance  des  princes  contre  le  jacobi- 
nisme la  gloire  et  les  profits  qu'il  ambitionnait.  Se  maintenir 
entre  les  deux  courants  op.posés  qui  entraînaient  le  monde,  con- 
server l'individualité  de  l'État  prussien  et  en  particulier  son 
union  avec  l'Allemagne,  telle  était  maintenant,  dit  M.  Ranke, 
la  tâche  de  la  politique  prussienne  ^. 

La  Prusse  n'avait  point  assumé  cette  tâche  sans  hésitation  : 
eUe  n'y  apportait  qu'une  volonté  incertaine.  Ces  irrésolutions 
avaient  leur  contre-coup  sur  les  relations  secrètes  que  Mœllen- 
dorf continuait  d'entretenir  avec  les  agents  français  à  Bâle.  Le 
11  octobre  au  matin,  Mœllendorf  faisait  mander  à  Schmerz  de 
revenir  en  hâte;  quelques  heures  après,  au  reçu  d'une  lettre  de 
Schmerz  datée  du  6,  il  lui  faisait  dire  de  rester.  On  était  prêt  à 
négocier  l'échange  en  masse,  sans  rançon  ni  remboursement  ^ 


1.  Lord  Malmesbury  à  lord  Grenville.  Francfort,  23  octobre  1794.  {Biaries  of 
Malmeshury.) 

2.  Thugut  au  prince  Reuss,  9  octobre.  —  Le  ministère  prussien  au  prince 
Reuss,  14  octobre.  —  Vivenot,  Saxe-Teschen,  2'  partie,  t.  I,  p.  626  et  639.  — 
Le  ministère  prussien  à  Lucchesini,  14  octobre  :  Hiifl'er,  95. 

3.  Ranke,  Hardenberg,  I,  247.  Ce  texte  est  en  français. 

4.  Hardenberg ,  I,  252. 

5.  Bâcher  avait  écrit  le  3  octobre  au  général  Michaud  que  si  le  Comité  ne  fai- 
sait pas  d'échange,  il  faudrait  racheter  les  prisonniers  à  24  fr.  par  tète,  en  numé- 
raire :  c'était  le  prix  marqué  par  les  Prussiens. 


:î02  ALBERT   SOREL. 

MovcriufkiMi  voyait  h  ScIiiikm'/,  (l(>s  instructions  |)ariineleftrf>  datée 
doKreuznacli,  se  jjortail  ibrt  des  intentions  j)aciliqiies  du  roi  et  in- 
sistait pour  que  les  Français  n'incommodassent  point  les  Prussiens 
dans  leurs  quartiers;  le  roi  ne  songeait  pas  à  agir  en  Hollande; 
mais  il  importait  qu'on  ne  pressât  point  l'armée  dans  son  mouve- 
ment de  retraite  :  elle  était  toujours  prête  à  combattre,  et  le  ferait 
si  on  ne  lui  laissait  pas  la  libellé  de  ses  mouvements  et  si  on  ne 
ménageait  pas  sa  dignité.  Il  rappelait  les  sentiments  d'amitié  de 
la  nation  et  de  l'armée  prussiennes  pom^  les  Français,  et  se  plai- 
gnait de  n'avoir  point  de  réponse.  Mœllendorf  s'inquiétait  de  ce 
sOence.  Meyerinck  ajoutait  que  si  on  le  jugeait  nécessaire,  il 
était  prêt  à  se  rendre  à  Bàle^  Schmerz  reçut  le  même  jour, 
16  octobre,  l'ordre  de  partir  et  l'ordre  de  rester.  Il  resta,  et 
d'autant  plus  volontiers  que  les  Français  aj^ant  poussé  leur 
marche  en  avant,  ils  occupaient  son  pays.  «  La  ville  de  Kreuz- 
nach  étant  maintenant  occupée  par  les  troupes  delà  République, 
écrivait  Bâcher  2,  il  se  regarde  comme  citoyen  français  et  m'écrit 
'directement.  »  Dans  une  de  ces  lettres  directes,  qui  est  du  18 
octobre,  il  faisait  savoir  à  Bâcher  que  Mœllendorf  l'invitait  à 
demander  une  réponse  positive,  tant  sur  l'échange  des  prisonniers 
que  sur  les  autres  questions,  Schmerz  ajoutait  pour  son  propre 
compte  :  «  Voulez-vous  faire  l'échange  et  ménager  Manheim? 
Donnez-nous  seulement  cette  assurance  et  nous  décampons...  A 
quoi  sert-il  donc  de  brûler  des  villes  si  on  veut  faire  la  paix  avec 
nous  et  avec  l'empire?  »  En  attendant,  les  Prussiens  se  retirèrent. 
Le  22  octobre  les  troupes  de  Mœllendorf  avaient  évacué  la  rive 
gauche  du  Rhin  ^,  et  le  25  Hardenberg  dénonça  à  lord  Malmes- 
bury  le  traité  de  subsides.  Ces  résolutions  étaient  imposées  au 
cabinet  prussien  par  les  progrès  très-rapides  des  Russes  en 
Pologne;  le  10  octobre,  ils  avaient  battu  Kosciusko  et  on  pou- 
vait croire  qu'ils  seraient  bientôt  les  maîtres  du  pays. 

En  même  temps  que  la  paix  devenait  plus  nécessaire  à  la 
Prusse,  l'AUemagne  se  montrait  plus  empressée  à  la  conclure. 
Le  comte  de  Bernstorf  était  très-exactement  informé  des  disposi- 
tions des  princes  de  l'empire;  il  les  secondait  de  toute  son 
influence,  et  il  signalait  à  Grouvelle  l'isolement  et  les  embarras 
de  la  Prusse  :  son  intérêt  lui  conseillait  de  reconstituer  la  Ligue 

1.  Bâcher  à  Buchot,  19  octobre  1795. 

2.  A  Buchol,  19  octobre  1794. 

3.  Hiiffer,  p.  111. 


LA    PAIX    DE    RALE. 


303 


germanique  et  de  soutenir,  contre  l'Autriche,  la  cause  des 
princes  de  l'empire  qiii  étaient  fatigués  de  la  guerre,  en  redou- 
taient les  conséquences  pour  leur  indépendance  et  aspiraient  à  la 
paix. 

«  Mais,  ajoutait  M.  de  Bernstorf,  que  peuvent-ils  faire  ou  propo- 
ser? Ils  ignorent  ce  que  veut  le  gouvernement  français  qui  parait 
mêmese  refuser  à  toute  communication,  puisque  l'électeur  de  Bavière 
est  sans  réponse  aux  démarches  qu'il  a  faites  vis-à-vis  de  la  Répu- 
blique. A  la  manière  dont  M.  deBernstorf  s'exprime  sur  tout  ceci,  pour- 
suivait Grouvelle,  il  paraît  qu'il  tient  seulement  à  nous  que  les  princes 
de  l'empire  ne  s'unissent  et  ne  renouvellent  une  ligue  semblabe  à  celles 
qui  autrefois  ont  été  si  utiles  à  la  France.  Enfin,  généralisant  ces 
observations,  je  ne  puis  m'empêcher  de  remarquer  pour  l'intérêt  de 
l'humanité,  que  si  la  République  faisait  aujourd'hui  paraître  ses 
intentions,  le  terme  auquel  elle  prétend  s'arrêter,  quelque  étendue 
qu'elle  donnât  à  ses  demandes,  ce  serait  au  moins  un  grand  pas  fait 
pour  arriver  à  la  paix,  et  qu'au  contraire  l'incertitude  dans  laquelle 
vous  laissez  l'Europe  n'est  plus  bonne  qu'à  prolonger  la  calamité 
générale  sans  aucune  utilité  pour  vous  ^ .  » 

C'étaient  des  ouvertures  indirectes.  Au  moment  où  le  comte  de 
Bernstorf  s'efforçait  ainsi  de  préparer  le  terrain  à  la  négociation, 
le  parti  de  la  paix  travaillait  en  Allemagne  aux  moyens  de  l'en- 
gager officiellement.  L'électeur  de  Mayence,  cédant  aux  instances 
de  Mœllendorf  et  sans  doute  aussi  aux  conseils  qu'il  recevait  de 
Copenhague,  proposa  le  24  octobre  à  la  diète  de  décider  qu'il 
serait  fait  à  la  France  des  ouvertures  de  paix,  et  indiqua  comme 
médiateurs  la  Suède  et  le  Danemark,  que  leurs  bonnes  relations 
avec  la  France  et  leur  double  qualité  de  neutres,  comme  Etats 
indépendants  et  comme  membres  du  corps  germanique 2,  sem- 
blaient naturellement  désigner  pour  le  rôle  de  médiateurs.  Bien 
qu'accueillie  avec  faveur  par  la  majorité  des  membres  de  la 
diète,  la  proposition  de  l'électeur  de  Mayence  ne  pouvait  aboutir 
à  une  prompte  solution  :  elle  devait  être,  soumise  à  la  procédure 
lente  et  compliquée  qu'imposait  la  constitution  germanique.  La 
Prusse  en  approuvait  le  principe,  mais  elle  se  montra  dès  l'abord 
opposée  au  choix  du  Danemark  et  de  la  Suède  :  elle  entendait  se 


1.  Grouvelle  à  Buchol,  30  vendémiaire  (20  octobre  1795). 

2.  Le  Danemark  pour  le  Ilolstein  et  la  Suède  pour  la  Poraéranie.  Ils  payaient 
leur  contingent  en  argent,  et  la  France  avait  reconnu  leur  neutralité. 


30Î  ALDERT  SOIIEL. 

rèsorvor  les  avantages  de  la  médiation.  Quant  h  l'Autriche,  elle 
ne  dissimula  nullement  sa  ré]»ugnanc(!.  L'empereur  rê])ondit  le 
28  octobre  à  la  communication  qui  lui  avait  été  faite  de  la  pro- 
position de  l'électeur,  qu'il  tallait  avant  tout  poursuivre  énergi- 
qucment  la  guerre,  <-<  car  l'Allemagne  et  l'Autriche  ne  pouvaient 
consentir  à  une  paix  honorable  et  acceptable  que  quand  il  n'y 
aurait  plus  un  seul  Français  sur  le  sol  allemand  *.  »  Cette  décla- 
ration était  loin  de  répondre  aux  vœux  de  la  majorité  des  princes 
de  l'empire;  ils  n'en  insistèrent  que  plus  vivement  auprès  du 
Danemark,  et  il  y  a  lieu  de  croire,  d'après  le  langage  du  comte 
de  lîernstorf,  que  loin  de  penser,  comme  le  voulait  l'Autriche,  à 
poursuivre  une  guerre  à  outrance,  ils  comprenaient  la  nécessité 
de  faire  des  concessions  à  la  République.  En  annonçant  à  Grou- 
velle  que  les  princes  songeaient  à  invoquer  la  médiation  du  Dane- 
mark, Bernstorf  lui  avait  assuré  que  son  gouvernement  se 
trouverait  heureux  d'ouvrir  la  voie  à  la  paix,  qu'il  s'en  occupe- 
rait sans  relâche,  dans  les  intentions  les  plus  pures,  et  avec 
l'espoir  de  ne  jamais  porter  à  la  République  que  des  propositions 
dignes  de  la  nation  française  2.  Lorsqu'il  fut  informé  de  la  pro- 
position de  rélecteur,  le  ministre  danois  s'empressa  d'en  ins- 
truire l'agent  français. 

«  Les  vœux  de  M.  de  Bernstorf  vont  s'accomplir,  écrivait 
Grouvelle  le  14  brumaire  (4  novembre  1795).  Tout  se  dispose 
pour  que  celui  qui,  dans  le  cours  de  cette  guerre,  parla  le  pre- 
mier le  langage  de  la  justice  universelle,  soit  aussi  le  premier  à 
porter  des  paroles  de  pacification.  »  Bernstorf  comptait  que  la  pro- 
position de  l'électeur  de  Mayence  serait  appuyée  par  presque 
tous  les  princes  de  l'ouest  de  l'Allemagne  ;  il  avait  répondu  au 
nom  du  Danemark  et  de  la  Suède,  que  ces  deux  États  acceptaient 
le  principe  de  la  médiation,  et  qu'ils  étaient  déterminés  à  se  con- 
tenter d'une  majorité  légale  et  à  déférer  au  vœu  du  plus  grand 
nombre  des  princes,  sans  examiner  si  les  grandes  puissances 
faisaient  partie  de  cette  majorité.  Selon  lui,  la  trêve  que  deman- 
dait l'empire  ne  pouvait  être  refusée  ;  mais  il  reconnaissait  que, 
pour  le  fond,  les  propositions  de  l'électeur  n'étaient  pas  assez 
concluantes,  et  que,  dans  le  danger  où  se  trouvait  l'Allemagne, 
elle  devait  se  résigner  à  des  sacrifices.  Grouvelle  lui  fit  observer 

1.  Sybel,  III,  261.  —  Hûffer,  110.  Vivenot,  Saxe-Teschen,  I,  363. 

2.  Rapport  de  Grouvelle,  7  brumaire  (27  octobre  1797). 


Li    PAIX    DE    BALE.  305 

que  la  France,  ayant  l'offensive,  n'aurait  pas  d'intérêt  à  accorder 
une  trêve.  «  Je  m'avisai  ensuite  de  supposer,  comme  par  con- 
jecture, dit  Grouvelle,  le  cas  où,  de  notre  côté,  on  ne  voudrait 
aucun  accommodement  pour  les  pays  occupés  par  nos  armées 
sur  la  rive  gauche  du  Rhin;  sur  quoi  M.  de  Bernstorf  répéta  que 
l'Allemagne  était  dans  le  cas  d'acheter  sa  sûreté  présente  par  des 
sacrifices  ^  » 

Les  dispositions  des  princes  de  l'Allemagne,  le  désir  très-vif 
qu'avait  le  Danemark  de  se  charger  de  la  médiation,  étaient  pour 
les  Prussiens  de  nouveaux  motifs  d'entamer  promptement  les 
négociations  de  paix,  et  l'on  s'explique  l'impatience  avec 
laquelle  on  attendait  au   quartier  général  de  Mœllendorf  une 

réponse  du  Comité  de  salut  public. 

Albert  Sorel. 
1.  Grouvelle  à  Buchot,  id. 

(Sera  continué.) 


Rev.  Histor.  V.  2«  FASc.  20 


MÉLANGES  ET  DOCUMENTS 


JEAN  DE  BLOTZHEIM, 

CHANCELIER    DE    RODOLPHE    IV    l'iNGÉNIEUX  ,    DUC   d' AUTRICHE. 

On  rencontre  dans  l'histoire  des  hommes  plus  ou  moins  ignorés 
de  leur  vivant,  parce  qu'ils  étaient  relégués  au  second  plan  par  des 
personnages  plus  en  vue,  et  dont  le  rùle  prépondérant  apparaît  seule- 
ment aux  yeux  de  la  postérité.  Tel  est  l'homme  auquel  M.  de 
Liebenau,  le  savant  archiviste  du  canton  de  Lucerne,  vient  de  consa- 
crer une  monographie,  d'une  érudition  un  peu  touffue,  mais  néan- 
moins fort  intéressante  * . 

L'homme  d'état  dont  il  s'agit  était  issu  d'une  famille  connue 
d'abord  sous  le  nom  de  Ribin,  établie  à  Seengen,  près  du  lac  de 
Hallwyl;  elle  s'était  élevée  dans  les  dignités  de  l'Église,  et  elle  ne 
prit  le  nom  de  Schultheiss  de  Lenzbourg  que  lorsque  le  père  du  chan- 
celier eut  obtenu  de  la  faveur  des  ducs  d'Autriche  la  prévôté  de  cette 
ville.  Jean  Ribin  fut  d'église,  et,  malgré  sa  jeunesse,  l'évêque  Ulric 
de  Goire,  son  oncle,  lui  confia  en  ^34^  la  réforme  d'un  monastère 
de  son  diocèse.  En  4347,  on  le  retrouve  maître  ès-arts,  et  curé  de 
Blotzheim,  paroisse  de  la  Haute-Alsace  dont  la  collation  appartenait 
à  la  maison  d'Autriche.  C'est  sous  le  nom  de  Jean  de  Blotzheim,  et 
non  sous  celui  de  Schultheiss  ou  de  Ribin,  que  ses  contemporains  ont 
connu  le  fidèle  ministre  de  Rodolphe  IV  :  les  noms  patronymiques 
n'avaient  encore  aucune  fixité,  et  le  fils,  comme  le  père,  y  substitua 
le  premier  titre  dont  il  avait  été  investi.  Même  quand  il  fut  promu  à 
l'épiscopat,  cette  désignation  lui  était  devenue  si  personnelle  qu'on 
continua  à  l'appeler  de  Blotzheim. 

Son  caractère  ecclésiastique  demeura  toujours  subordonné  à  ses 
fonctions  auprès  des  ducs  d'Autriche.  Pendant  vingt  ans  et  plus  il 
fut  attaché  à  leur  chancellerie.  Ses  débuts  remontent  au  règne  d'Albert 

1.  Bischoff  Johann  von  Gurk,  Brixen  und  Chur,  und  die  Familie  Schultheiss 
von  Len:iburg,  von  Theodor  von  Liebenau  —  Aarau,  1874,  in-S%  179  p. 


JEAN   DE    BLOTZHEIM.  307 

le  Sage,  et,  à  sa  mort,  il  devint  en  titre  chancelier  de  son  fils 
Rodolphe  IV,  et  le  resta  sans  discontinuer  jusqu'en  1 373,  même  après 
la  fin  prématurée  de  ce  prince ,  sous  le  gouvernement  de  ses  frères 
Albert  la  Tresse  et  Léopold  le  Preux.  Pendant  tout  ce  temps  il  fut  le 
coopérateur  et  le  conseiller  presque  toujours  écouté  des  Habsbourg. 

On  sait  que  malgré  l'éclat  initial  de  leur  maison,  malgré  le  degré 
de  puissance  oîi  elle  s'était  si  rapidement  élevée,  ces  princes  ne  par- 
vinrent pas  d'abord  à  se  maintenir  sur  le  trône  impérial.  Après 
Rodolphe  I",  son  fils  Albert  I"  et  son  petit-fils  Frédéric  le  Beau 
furent  avec  peine  agréés  par  les  électeurs,  et  si  le  succès  des  armes 
fut  plus  favorable  au  premier  qu'au  second,  l'un  fut  aussi  impuis- 
sant que  l'autre  à  ébranler  le  droit  public  qui  avait  donné  pour 
base  à  la  puissance  impériale  le  libre  choix  de  quelques  grands 
vassaux.  Par  l'étendue  de  leurs  possessions,  les  ducs  d'Au- 
triche faisaient  ombrage  aux  électeurs,  et  par  leur  ambition  ils  agi- 
taient l'Allemagne.  Il  était  de  bonne  guerre  pour  les  empereurs  des 
maisons  de  Luxembourg,  de  Baviève  et  Palatine,  de  traverser  leurs 
projets,  et  tout  d'abord  de  leur  fermer  l'accès  du  pouvoir  suprême. 
La  bulle  d'or  de  Charles  IV,  qui  excluait  les  Habsbourg  de  la  dignité 
électorale,  n'avait  pas  d'autre  but. 

C'est  à  parer  ces  coups  et  à  en  restreindre  les  effets  que  se  porta 
tout  le  génie  d'Albert  II  et,  à  sa  mort,  celui  de  son  fils  Rodolphe  IV. 
Les  moyens  que  ce  dernier  y  employa  forment  l'un  des  principaux 
objets  de  l'étude  de  M.  de  Liebenau. 

D'accord  avec  tous  les  historiens  modernes,  il  admet,  comme  point 
de  départ  de  cette  politique,  cinq  diplômes  supposés  émanant  de  la 
chancellerie  de  Rodolphe  IV,  attribués  l'un  à  l'empereur  Henri  IV, 
du  4  octobre  \  038,  le  second  à  Frédéric  Barberousse,  du  i  7  septembre 
4-156,  le  troisième  au  roi  des  Romains  Henri  IV,  du  24  août  4  228,  le 
quatrième  à  l'empereur  FrédéricII,  du  mois  de  juillet  4245,  le  cin- 
quième à  l'empereur  Rodolphe  1",  du  U  juin  4  283. 

Par  leurs  dispositions  générales,  ces  privilèges  tendaient  à  établir 
les  points  suivants  : 

4  °  Le  duc  d'Autriche  doit  recevoir  l'investiture  de  ses  fiefs  à  cheval 
et  dans  ses  états  :  si  après  trois  mises  en  demeure  successives,  l'em- 
pereur s'abstient  de  la  lui  conférer,  le  vassal  est  fondé  à  se  mettre 
en  possession ,  au  même  titre  que  s'il  avait  été  virtuellement 
investi. 

2°  Aux  diètes  de  l'Empire  le  duc  d'Autriche  prend  rang  immédia- 
tement après  les  électeurs. 

3"  Le  duché  d'Autriche  est  indivisible,  et  l'aîné  des  Habsbourg  en 
a  la  seigneurie,  et  la  transmet  à  sa  descendance  par  ordre  de  primo- 


308  MKLANT.ES    El    DOCUMENTS. 

gôiiiliii't'.  A  (iéfaul  d'héritiers  directs,  le  duc  régnant  donne  ou  lègue 
le  duché  à  qui  bon  lui  semble. 

A''  Sans  son  consentement,  il  n'est  permis  à  aucun  de  ses  vassaux 
d'exercer  des  droits  de  liante  et  basse  justice.  Au  l'cgard  de  l'Empire 
le  duc  n'est  tenu  d'assister  aux  diètes  de  l'Empire  que  si  elles  se 
réunissent  en  Bavière,  et  il  n'est  obligé  au  service  féodal  que  dans  les 
provinces  les  plus  rapprochées  de  ses  états.  Dans  le  duché  d'Autriche, 
nulle  terre  ne  peut  être  fief  de  l'Empire. 

5"  Les  habitants  du  duché  ne  doivent  obéissance  qu'à  leur  duc,  qui 
est  en  droit  de  les  mettre  au  ban,  et  de  les  citer  devant  les  tribunaux 
de  l'Empire. 

0°  Enfin  il  était  permis  à  chacun,  même  sans  l'autorisation  de 
l'empereur,  de  donner,  vendre,  ou  engager  ses  possessions  au  duc 
d'Autriche. 

Ce  n'étaient  là  que  des  jalons,  et  il  faut  convenir  que  ce  procédé 
était  bien  conforme  à  la  tradition  des  princes  qui  ont  préparé  la  gran- 
deur de  la  maison  de  Habsbourg.  L'empereur  Rodolphe  n'avait  pas 
fait  autre  chose  pour  ramener  sous  la  juridiction  landgraviale,  qui 
dépendait  de  son  domaine  privé,  les  villes  de  la  Haute-Alsace  qui 
relevaient  de  l'Empire.  Au  moyen  de  clauses  insérées  subrepticement 
dans  une  charte  de  commune,  il  posait  des  prémisses  qui  passaient 
inaperçues  d'abord,  et  dont  les  intéressés  ne  découvraient  les  consé- 
quences que  quand  elles  semblaient  avoir  acquis  toute  la  valeur  d'un 
droit.  Mais  en  ce  qui  concerne  l'entreprise  du  duc  Rodolphe,  la  mé- 
thode était  plus  simple  et  plus  hardie  à  la  fois  :  c'était  à  un  faux 
matériel  qu'il  avait  recours. 

De  notre  temps  il  ne  peut  plus  y  avoir  le  moindre  doute-,  et  cepen- 
dant en  se  reportant  à  l'époque  où  elle  remonte ,  les  diplomatistes 
modernes  ne  s'étonnent  pas  de  la  confiance  que  cette  œuvre  téné- 
breuse inspirait  à  son  promoteur  :  Rodolphe  ne  cessa  plus  d'en  invo- 
quer le  bénéfice,  non-seulement  contre  ses  agnats,  mais  encore 
jusque  devant  la  chancellerie  impériale.  Dans  le  jugement  que  le 
savant  Bœhmer  porte  de  ces  actes  simulés,  il  reconnaît  que,  par  leur 
forme,  ils  font  illusion;  qu'ils  sont  surprenants  dans  leur  rédaction; 
leur  contenu  seul  est  inepte.  Pour  justifier  cette  dernière  opinion,  il 
suffit  de  rappeler  que  le  faussaire  soutenait,  entre  autres,  que  déjà 
Jules  César  et  Néron  avaient  affranchi  le  duché  d'Autriche  de  la  suze- 
raineté de  l'Empire  romain. 

La  fraude  une  fois  reconnue,  la  critique  avait  à  déterminer,  d'une 
part,  l'époque  à  laquelle  elle  remonte;  de  l'autre,  qui  avait  servi 
d'instrument  pour  cette  audacieuse  falsification. 

Sur  le  premier  point,  on  savait  que  c'est  le  duc  Rodolphe  IV  qui. 


JEAN    I)K    BLOTZHEIM. 


309 


en  1359,  avait  d'abord  essayé  de  la  faire  légitimer  par  son  beau-père, 
l'empereur  Charles  IV,  et  l'on  en  déduisait  sans  hésitation  qu'elle 
s'était  accomplie  sous  le  règne  de  te  prince.  On  admettait  même 
généralement  que  les  faux  diplômes  avaient  été  fabriqués  au  cours 
de  l'hiver  I3r38  à  1359.  Mais  M.  de  Liehenau,  en  se  fondant  sur  la 
charte  de  commune  octroyée,  le  21  avril  1358,  aux  bourgeois  de 
Délie,  011  Rodolphe  se  réserve,  comme  chef  de  la  maison  de  Habs- 
bourg, le  droit  de  réviser  ce  statut  à  l'exclusion  de  ses  frères,  établit 
qu'ils  ont  surgi  des  profondeurs  de  la  chancellerie  ducale  une  année 
plus  tôt. 

Quant  au  scribe  qui  s'y  était  prêté,  feu  M.  Bœhmeraposé  en  prin- 
cipe qu'il  a  dû  posséder  à  la  fois  la  confiance  illimitée  de  son  maître, 
et  avoir  été  récompensé  immédiatement  de  sa  complaisance;  sur  cette 
double  donnée,  il  avait  attribué  la  paternité  des  diplômes  adultérés  à 
Guérung,  doyen  de  Krems,  le  chapelain  et  le  médecin  de  Rodolphe, 
lequel,  pour  son  salaire,  en  aurait  obtenu,  le  26  juin  1360,  la  confir- 
mation d'un  faux  privilège  de  l'empereur  Henri,  de  1054,  en  faveur 
de  son  église. 

31.  de  Liehenau  s'inscrit  en  faux  contre  cette  supposition,  et  il 
démontre  avec  une  vraisemblance  qui  touche  à  la  certitude,  que 
l'habile  faussaire  n'a  pu  être  que  le  chancelier  Jean  de  Blotzheim. 

Ce  n'est  pas,  dit-il,  au  serviteur  à  deux  fins  de  Rodolphe  IV  qu'on 
peut  faire  honneur  de  cette  supercherie  si  bien  réussie.  Sans  doute 
lui  aussi  est  un  faussaire;  mais  le  faux  qu'on  lui  impute  est  l'œuvre 
d'un  écolier,  qui  s'est  borné  à  gratter  le  contexte  d'un  diplôme  pour 
y  substituer  l'acte  dont  il  avait  besoin,  et  l'illusion  qu'il  a  produite 
ne  résiste  pas  à  l'examen  le  plus  superficiel.  Le  rôle  effacé  que  le 
doyen  de  Krems  a  joué,  peut-il  d'ailleurs  être  mis  en  parallèle  avec 
l'importance  des  fonctions  de  Jean  de  Blotzheim,  pendant  tout  le 
règne  du  fils  aine  d'Albert  le  Sage?  Quel  témoignage  peut-on  opposer 
à  celui  que  le  prince  rend  lui-même  en  divers  endroits  de  la  confiance 
sans  réserve  que  lui  inspirait  son  chancelier?  Celui-ci  n'a-t-il  point 
passé  de  son  temps  pour  son  plus  affidé  conseiller?  N'a-t-il  pas 
connivé  à  toutes  les  mesures  qui  devaient  faire  passer  les  entreprises 
des  diplômes  supposés  du  vague  de  la  spéculation  politique  dans  le 
domaine  des  faits?  N'est-ce  point  pour  lui  exprimer  sa  reconnais- 
sance, qu'au  moment  même  où  surgissent  pour  la  première  fois  les 
faux  privilèges,  Rodolphe  fait  nommer  son  chancelier  à  l'évêché  de 
Gurk  ?  Et  ce  qui  prouve  encore  mieux  que  ce  dernier  en  est  le  fabri- 
cateur,  ce  sont  plusieurs  diplômes  particuliers  de  l'église  de  Gurk, 
suspects  à  bon  droit  à  la  critique  moderne ,  et  que  M.  de  Liebenau 
croit  sortis  de  la  même  officine. 


340  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

Il  pput  paraître  ^iiI1^ulicr  que  l'auleur  metle  tant  de  science  et  de 
vivacité  a  l'aire  lioniioiir  à  son  liéros  de  sa  participation  à  une  œuvre 
de  faussaire.  Sans  doute  il  y  était  relativement  désintéressé,  puisque 
le  but  qu'il  se  proposait  n'était  que  la  grandeur  de  la  maison  de 
Habsbourg,  et  à  ce  titre  on  peut  l'absoudre  jusqu'à  un  certain  point 
de  l'acte  que  la  politique  lui  avait  inspiré,  si  répréhensible  qu'il  fût 
au  point  de  vue  de  la  probité  la  plus  élémentaire.  On  peut  ajouter 
qu'à  l'époque  où  vivait  Jean  de  Blotzheim,  les  règles  de  la  politique 
n'avaient  encore  rien  de  commun  avec  la  morale,  et  les  exemples  de 
procédés  pareils  étaient  assez  nombreux  pour  qu'en  les  imitant,  sa 
conscience  d'homme  d'état  n'en  éprouvât  aucun  trouble.  Cependant 
son  historien  me  parait  pousser  Tindulgence  trop  loin,  quand  il 
réclame  d'une  manière  générale  le  drçiit  de  recourir  à  des  moyens 
appropriés,  quand,  en  politique,  il  s'agit  d'atteindre  des  résultats 
extra-légaux.  Mais  cette  règle  de  conduite  a  le  premier  inconvénient 
de  n'avoir  d'autre  sanction  que  le  succès,  et  je  ne  sais  môme  si  pour 
ces  entreprises  où  un  génie  malfaisant  porte  certains  gouvernants,  et 
qu'il  fait  réussir  parfois,  la  Némésis  de  l'histoire  ne  finit  point  par 
reprendre  ses  droits  et  par  atteindre  ceux  qui,  dans  un  simple  inté- 
rêt d'égoïsme  national  ou  personnel ,  violent  les  lois  de  l'éternelle 
justice. 

Ce  qui  n'est  pas  moins  caractéristique,  ce  sont  les  moyens  qu'em- 
ploya le  duc  Rodolphe,  pour  faire  passer  ses  conceptions  ambitieuses 
dans  le  domaine  des  droits  acquis.  Tout  d'abord  nous  le  voyons 
s'arroger  des  titres  ignorés  avant  lui.  Il  s'appelle  archiduc,  archiduc 
palatin,  grand-veneur  dePEmpire;  souvent,  en  présence  de  témoins, 
il  revêt  ses  diplômes  de  sa  signature,  et  les  fait  contresigner  par  son 
fidèle  chancelier,  imitant  en  cela  les  usages  solennels  de  la  chancel- 
lerie impériale.  Bien  entendu  il  ne  se  permettait  ces  usurpations 
qu'avec  ses  vassaux,  ou  avec  d'autres  personnages  hors  d'état  de  les 
contester.  Mais  tout  cela  était  bien  hasardeux,  et  pour  leur  procurer 
une  autorité  moins  précaire,  il  fallait  faire  reconnaître  les  faux  pri- 
vilèges par  le  successeur  des  princes  qui  étaient  censés  les  avoir  émis, 
par  l'empereur  Charles  IV,  dont  Rodolphe  avait  épousé  la  fille.  Mais 
il  n'était  pas  facile  d'induire  en  erreur  un  prince  relativement  aussi 
instruit,  et  dont  en  toute  occasion  il  traversait  la  politique.  Des 
diplômes  que  personne  encore  n'avait  vus,  et  qui  surgissaient  si  à 
point  pour  faire  valoir  les  vues  d'agrandissements  de  son  gendre,  ne 
pouvaient  qu'éveiller  la  défiance  de  Charles  lY.  Aussi  quand  en  ^3o9 
le  duc  d'Autriche  lui  en  demanda  la  confirmation,  il  voulut  d'abord 
s'édifier  sur  leur  valeur  et  demanda  l'avis  de  Pétrarque,  qui  n'était 
pas  seulement  le  grand  poète  de  son  temps,  mais  encore,  en  matière 


JEAN   DE    BLOTZHEIM.  3^  ^ 

d'érudition  et  de  critique,  Tautorité  la  plus  renommée.  Le  jugement 
de  celui-ci  fut  décisif:  à  ses  yeux  les  diplômes  de  Rodolphe  IV  étaient 
l'œuvre  d'un  audacieux  faussaire.  Après  cet  échec  tout  autre  se  serait 
tenu  pour  battu;  mais  loin  de  passer  condamnation  sur  leur  peu  de 
valeur,  le  duc  les  donna,  le  ^  3  juillet  ^360,  à  vidimer,  avec  d'autres 
documents  authentiques,  au  nonce  du  pape,  Gilles  de  Vienne,  dans 
l'espoir  de  leur  préparer  dans  l'avenir  un  meilleur  accueil.  S'il 
n'arriva  pas  absolument  à  ses  fins,  du  moins  finit-il  par  obtenir  de 
l'empereur,  après  qu'il  se  fut  désisté  de  ses  prétentions  aux  titres 
d'archiduc,  de  comte  palatin,  impérial,  de  duc  de  Souabe  et  d'Alsace, 
l'investiture  de  ses  fiefs  d'Autriche,  de  Styrie,  de  Garinthie,  de  Gar- 
niole,  de  Souabe  et  d'Alsace,  sinon  avec  le  cérémonial  qu'il  avait  rêvé 
du  moins  dans  ses  propres  états,  et  dans  des  termes  qui,  à  propre- 
ment parler,  n'infirmaient  pas  ses  visées. 

Cependant  Jean  de  Blotzheim  ne  jouissait  pas  moins  du  prix  du 
service  peu  avouable  qu'il  avait  rendu.  Sur  le  siège  épiscopal  de 
Gurk,  où  il  avait  été  élevé,  comme  à  la  tête  de  la  chancellerie  de 
Vienne,  il  fut  toujours  l'homme-lige  du  duc  d'Autriche.  Par  la  parole 
et  par  l'action,  il  est  l'ardent  promoteur  de  sa  politique;  il  participe 
à  ses  ruptures  et  à  ses  réconciliations  avec  son  impérial  beau-père, 
et  il  en  ressent  lui-même  les  contre-coups  ou  les  avantages;  en  un 
mot,  de  ses  devoirs  envers  son  prince,  il  fait  sans  marchander  l'unique 
objet  de  son  activité. 

Tel  il  se  montra  notamment  dans  les  conjonctures  qui  amenèrent 
l'annexion  du  Tyrol  au  patrimoine  des  Habsbourg. 

Get  agrandissement  tient  plus  que  M.  de  Liebenau  ne  l'indique 
aux  visées  et  surtout  aux  pratiques  que  révèlent  les  diplômes  supposés 
de  Rodolphe  IV. 

Marguerite,  surnommée  Maultasch,  héritière  du  Tyrol,  avait  été 
mariée  au  prince  Jean-Henri,  fils  du  roi  Jean  de  Bohême,  et  frère  de 
Gharles  de  Luxembourg,  devenu  plus  tard  l'empereur  Charles  IV. 
Mais  sous  prétexte  qu'il  était  impuissant,  elle  l'exclut,  en  ^34^,  de 
son  lit,  pour  épouser  un  fils  de  l'empereur  Louis  de  Bavière,  le  mar- 
grave Louis  de  Brandebourg,  sans  que  l'Église  eût  prononcé  la  nullité 
de  son  premier  mariage.  Aussi  le  pape  refusa-t-il  de  reconnaître  cette 
seconde  union  :  il  frappa  les  deux  époux  d'excommunication,  et  déclara 
bâtards  les  enfants  qu'ils  procréeraient. 

A  cette  époque,  dans  des  conflits  de  ce  genre,  la  curie  devait  tôt  ou 
tard  avoir  raison  des  audaces  princières.  Le  moment  vint  où  la  com- 
tesse Marguerite,  repentante,  ouvrit  des  négociations  avec  le  saint- 
siége,  et  grâce  à  l'intervention  d'Albert  le  Sage,  le  pape  Innocent  VI 
donna  les  pouvoirs  nécessaires  pour  régulariser  le  second  mariage. 


312  MKLAIVGES   ET    DOCUMENTS. 

Cl  pour  lofiiLiiiKM*  le  fils  qui  en  était  issu.  Mais  avant  l'accomplisse- 
nicnt  dos  fornialitos,  le  duc  Albert  mourut,  en  laissant  à  son  fils 
Rodolphe  le  soin  et  l'honneur  de  réconciliei-  la  maison  de  Tyrol  avec 
rÉglise. 

11  voulut  aussi  en  avoir  le  profit,  et  les  faux  actes  de  4358  lui  en 
fournirent  le  moyen. 

Du  jour  même  où  le  délégué  du  saint-siége  donna  la  bénédiction 
nuptiale  à  la  comtesse  Marguerite  et  au  margrave  de  Brandebourg, 
en  levant  l'interdit  qui  frappait  leurs  états,  c'est-à-dire  du  2  septembre 
•1359,  il  existe  un  acte  par  lequel  Marguerite  assure  aux  ducs  d'Au- 
triche la  propi'iété  du  T}rol,  dans  le  cas  où  elle,  son  mari  et  leur  fils 
Mainhard  mourraient  sans  postérité  légitime. 

Du  5  septembre  on  trouve  une  déclaration  de  la  même  princesse 
qui  reconnaît  avoir  donné  ses  possessions  de  Tyrol  et  de  Goritz  aux 
ducs  Rodolphe,  Frédéric,  Albert  et  Léopold,  et  qui  sollicite  en  leur 
faveur  l'investiture  immédiate  de  ces  fiefs. 

L'authenticité  de  ces  pièces  est  très-contestable,  mais  je  ne  sais 
pourquoi  M.  de  Liebenau  incrimine  la  seconde  plutôt  encore  que  la  pre- 
mière. L'une  n'est  pas  moins  étrange  que  l'autre,  puisque  dans  toutes 
les  deux  une  mère  dispose,  en  faveur  de  tiers  et  du  vivant  de  son 
fils,  du  patrimoine  qui  lui  devait  revenir  un  jour.  Ce  qui  est  hors  de 
doute,  c'est  que  ces  actes  sont  en  partie  l'application  des  visées  ex- 
primées par  les  faux  diplômes,  qui  réservaient  à  la  maison  d'Autriche 
la  faculté  d'obtenir  à  l'insu  de  l'empereur,  par  testament  ou  par 
donation,  tous  les  agrandissements  territoriaux  à  sa  convenance. 
On  peut  ajouter  que  tout  y  révèle  l'inspiration,  peut-être  la  main  de 
Jean  de  Blotzheim.  Ils  reproduisent  en  partie  textuellement  les 
revendications  dont  les  privilèges  supposés  avaient  été  le  signal,  et 
de  même  que  pour  ces  dernières  pièces,  le  duc  Rodolphe  essaya  de 
les  faire  valider  par  son  beau-père  Charles  IV.  En  mai  -1300  il  solli- 
cita de  lui,  en  manière  de  survivance,  l'investiture  du  comté  de  Tyrol. 
Mais  cette  tentative  n'eut  pas  plus  de  succès  que  la  précédente,  et  il 
eut  de  plus  la  mortification  de  souscrire  un  acte,  par  lequel  il  recon- 
naissait que  l'empereur  avait  refusé  de  Tinvestir. 

A  vrai  dire  il  n'appartenait  même  pas  à  ce  monarque  de  faire  cet 
acte  de  suzeraineté.  Louis  de  Brandebourg,  titulaire  par  mariage  du 
comté,  vivait  encore,  et  à  sa  mort  qui  arriva  le  17  septembre  1361, 
ses  états  revinrent  de  droit  à  son  fils  et  à  son  héritier  le  jeune  Main- 
hard. Mais  entre  la  Bavière  qui  les  répétait  du  chef  de  son  père,  et 
l'Autriche  qui  y  prétendait  en  vertu  de  la  donation  de  la  comtesse 
Marguerite,  ce  prince  n'eut  jamais  que  l'ombre  du  pouvoir,  comme  il 


JEAN   DE    BLOTZHEIM.  3^ 3 

paraît  n'avoir  eu  que  les  apparences  de  la  vie.  Il  s'éteignit  le  'l  2  jan- 
vier 1363,  à  peine  âgé  de  vingt  ans. 

Par  l'effet  de  cet  événement,  le  Tyrol  fit  retour  à  la  mère  de  Main- 
hard,  l'héritière  des  anciens  comtes  du  pays.  Mais  elle  découvrit 
bientôt  qu'elle  était  hors  d'état  de  le  gouverner,  et  elle  le  commit  à  un 
conseil  composé  de  neuf  membres  de  la  haute  noblesse,  dont  le 
gouvernement  fut  dès  le  premier  jour  plutôt  un  partage  anticipé  de 
ses  profits,  que  la  loyale  gestion  des  intérêts  de  l'état. 

Ce  fut  à  ce  moment  que  le  duc  Rodolphe  et  son  chancelier  se  pré- 
sentèrent inopinément  pour  sauver  l'intégrité  du  Tyrol.  Ils  agirent 
tous  deux  avec  tant  de  vigueur  et  de  résolution  que,  dès  le  26  jan- 
vier, la  comtesse  Marguerite  souscrivit  un  acte  de  cession  du  Tyrol 
en  faveur  de  l'Autriche,  et  que  les  états  les  plus  puissants  du  pays, 
les  villes  d'Innsbriick  et  de  Hall,  les  évêques  de  Brixen  et  de  Trente 
se  déclarèrent  en  faveur  de  leur  nouveau  seigneur. 

Ainsi  prévenus  par  leur  compétiteur,  il  ne  restait  plus  aux  ducs 
de  Bavière  qu'à  tenter  la  fortune  des  armes,  pour  défaire  l'œuvre  de 
la  diplomatie  autrichienne.  M.  de  Liebenau  raconte  brièvement  les 
différentes  péripéties  de  cette  guerre  de  succession,  qui  se  prolongea 
avec  des  succès  divers  jusqu'au  29  septembre  -1369  :  c'est  la  date  de 
la  paix  de  Schserding,  qui  attribua  définitivement  le  Tyrol  aux  ducs 
d'Autriche,  moyennant  des  compensations  pécuniaires  au  profit  des 
ducs  de  Bavière  des  deux  lignes  de  Landshut  et  de  Straubing. 

Dès  le  début  de  ces  événements,  à  la  fin  de  ^  363,  le  chancelier 
Jean  de  Blotzheim  avait  reçu  la  récompense  des  nouveaux  services 
qu'il  venait  de  rendre  à  son  maître.  Nommé  lieutenant  et  grand- 
bailli  de  Rodolphe  en  Souabe,  en  Alsace,  dans  le  Sundgau,  en  Argovie, 
en  Thurgovie,  à  Glaris  et  dans  la  Forêt-Noire,  il  avait  été  promu  à 
l'évêché  de  Brixen,  grâce  à  l'appui  du  nouveau  comte  de  Tyrol.  Cette 
double  élévation  lui  avait  permis  de  jouer  un  rôle  prépondérant  dans 
la  lutte  contre  la  Bavière.  Comme  évêque  de  Brixen,  le  chancelier 
avait  levé  des  troupes  et  les  avait  conduites  lui-même  contre  l'ennemi. 
En  outre,  comme  délégué  de  Rodolphe  à  l'autre  extrémité  de  ses  états, 
dans  ce  qu'on  appelait  les  pays  antérieurs  de  l'Autriche,  non-seule- 
ment il  avait  tiré  de  ces  riches  domaines  tous  les  secours  dont  son 
maître  avait  besoin,  mais  encore  il  avait  su  aplanir  les  difficultés 
sans  cesse  renaissantes  avec  les  cantons  suisses,  et  parer  aux  em- 
bûches que,  dans  cette  partie  de  l'empire,  Charles  IV  dressait  aux 
Habsbourg,  en  fomentant  l'esprit  d'indépendance  et  de  conquête  qui, 
dès  leurs  premiers  succès,  ne  cessait  d'inspirer  la  politique  des 
Confédérés.  Le  chancelier  Jean  de  Blotzheim  devait  à  son  peu  de 
naissance  de  ne  point  partager  les  rancunes  des  vassaux  nobles  de 


344  M^ÎLA^^.Es  et  nocuMEiNTS. 

rAulrichc,  qui,  depuis  deux  gcnéralions,  luLlaienL  vaincnienL  contre 
les  fiers  nionlagnards  de  Sclnvilz,  d'Uri,  d'Unterwald,  de  Lucerne, 
et  il  n'eut  souci  que  de  les  rendre  inoOensifs  à  force  d'égards  et  de 
bons  procédés.  11  y  était  parvenu  sans  doute;  du  moins  pendant  cette 
époque  critique  les  cantons  gardèrent-ils  vis-à-vis  du  duc  Rodolphe 
la  neutralité  dont  ses  desseins  avaient  besoin. 

Le  lîls  d'Albert  le  Sage  ne  vécut  pas  assez  pour  en  voir  le  triomphe, 
il  était  mort  à  Milan  dès  le  27  juillet  -1365.  Cependant  si  courte  que 
fût  la  carrière  de  ce  prince,  elle  suffit  jiour  élever  d'une  assise  la 
grandeur  de  sa  maison.  A  Toriginc  de  toutes  les  familles  historiques, 
on  trouve  des  séries  d'hommes  d'état  et  d'hommes  de  guerre,  qui  se 
transmettent  de  main  en  main  l'œuvre  de  leur  élévation,  en  réparant 
au  besoin  les  brèches  que  d'autres  y  ont  laissé  pratiquer.  Sans  doute 
les  Habsbourg  ont  vu  des  jours  plus  glorieux  que  ceux  de  Rodolphe 
l'Ingénieux  ;  le  surnom  même  que  l'histoire  a  reconnu  <à  ce  prince 
prouve  que  chez  lui  l'habileté  politique  mérite  plus  d'estime  que  la 
noblesse  de  caractère.  Cependant  depuis  l'âge  héroïque  du  fondateur 
de  la  dynastie,  de  toutes  ses  entreprises,  de  tous  ses  agrandissements, 
nul  n'a  eu  plus  de  solidité  que  la  conquête  du  Tyrol,  fruit  des  in- 
trigues d'un  prince  qui  a  si  peu  régné-,  nul  n'a  plus  contribué  à 
donner  aux  possessions  autrichiennes  de  la  force  et  de  la  cohésion, 
et  à  maintenir  leur  assiette  au  centre  de  TEurope. 

La  fin  prématurée  du  duc  Rodolphe  aurait  dû,  ce  semble,  ruiner 
à  jamais  le  crédit  de  Jean  de  Blotzheim  à  la  cour  des  princes,  ses 
frères  et  ses  successeurs.  En  s'associant  à  la  politique  qui  excluait  les 
puînés  du  pouvoir,  contrairement  aux  traditions  reçues  dans  la 
famille,  il  avait  connivé  à  une  atteinte  aux  droits  et  aux  intérêts  des 
plus  jeunes  fils  d'Albert  le  Sage,  Albert  III  et  Léopold  III.  Aussi,  à 
en  juger  par  les  apparences,  devait-il  tout  craindre  de  leur  ressenti- 
ment. Il  n'en  fut  rien  :  soit  qu'ils  fussent  encore  trop  jeunes  pour 
faire  choix  d'un  nouveau  conseiller,  soit  que  Tintrigue  de  leur  aîné 
eût  été  trop  bien  ourdie  pour  qu'ils  pussent  en  démêler  les  fils,  Jean 
de  Blotzheim  resta  à  la  tête  de  leur  chancellerie.  Mais  les  principes 
qu'il  avait  essayé  de  faire  prévaloir  du  vivant  de  leur  frère,  dans 
Tintérêt  de  l'unité  et  de  la  grandeur  de  leur  maison,  étaient  au-dessus 
de  leur  portée.  Ils  ne  parvinrent  même  pas  à  s'entendre  sur  le  gou- 
vernement de  leurs  états,  et  par  leur  rivalité  ils  motivèrent  l'inter- 
vention du  chef  de  l'empire.  En  1373,  Charles  IV  procéda  à  un  pre- 
mier partage  temporaire  des  domaines  entre  les  deux  frères  de 
Rodolphe  IV.  Ce  retour  aux  anciens  errements  de  leur  famille  cou- 
pait court  à  toutes  les  entreprises  dont  le  chancelier  Jean  de  Blotz- 
heim avait  été  le  promoteur.  Le  vieux  conseiller  comprit  que  son  rôle 


JEAN    DE    BLOTZHEIM.  3<5 

était  fini,  et  il  résigna  des  fonctions  qui,  à  ses  yeux,  ne  devaient  plus 
avoir  aucun  prix. 

Son  départ  devint  le  signal  de  nouvelles  habitudes  et  d'une  nou- 
velle politique.  Une  fois  que  l'influence  de  l'évêque  de  Brixen  eut 
cessé  de  se  faire  sentir,  autant  la  cour  des  jeunes  ducs  avait  eu 
jusque-là  de  retenue,  autant  l'on  y  devint  dépensier  et  ami  du  luxe. 
Au  lieu  de  persister  dans  la  conduite  prudente  dont  il  avait  fait  la 
règle  de  la  chancellerie  autrichienne,  on  reprit  contre  les  cantons 
confédérés  l'ancien  système  de  provocations  et  d'agressions  intem- 
pestives, et  l'on  courut  au  devant  du  désastre  de  Sempach,  qui 
devait,  en  1386,  coûter  la  vie  au  preux  Léopold  III,  le  dernier 
survivant  des  quatre  fils  d'Albert  le  Sage  et  de  la  comtesse  Jeanne  de 
Ferre  tte. 

Bien  avant  cette  catastrophe,  l'histoire  de  Jean  de  Blotzheim  devient 
moins  claire  et  moins  certaine.  Vivait-il  encore  quand  les  jeunes 
princes  autrichiens  cessèrent  d'obéir  aux  principes  qu'il  avait  repré- 
sentés dans  leur  conseil?  Pour  sa  part,  M,  de  Liebenau  n'en  doute 
point.  11  le  retrouve,  dès  ^374  ou  ^375,  sur  le  siège  épiscopal  de 
Goire,  quil  aurait  obtenu  en  se  démettant  de  celui  de  Brixen.  Cepen- 
dant il  ne  cache  point  que  l'église  de  Goire  n'offrait  aucun  avantage 
de  nature  à  motiver  cet  échange.  Son  temporel  était  gravement  com- 
promis, et  l'ancien  chancelier  devait,  en  assumant  cette  charge,  se 
représenter  toutes  les  difficultés  que  lui  avait  suscitées  la  cour  de 
Rome,  pour  le  paiement  des  annates,  lors  de  son  élévation  au  siège 
de  Brixen,  difficultés  qui  ne  pouvaient  manquer  de  se  renouveler  s'il 
acceptait  celui  de  Goire.  Pour  justifier  sa  résolution,  M.  de  Liebenau 
établit  que,  dans  cette  circonstance  encore,  il  s'inspira  par-dessus 
tout  de  l'intérêt  de  la  maison  d'Autriche.  11  lui  avait  fait  acquérir  le 
Tyrol-,  mais  ne  restait-il  pas  une  solution  de  continuité  entre  cette 
province  et  ses  anciennes  possessions  en  Argovie,  en  Thurgovie,  en 
Souabe,  et  dans  le  Voralberg?  Il  lui  fallait  encore  une  position  dans 
le  pays  des  Grisons,  d'où  elle  pût  commander  les  passages  des  Alpes, 
et  se  former  un  rempart  contre  les  agrandissements  des  cantons 
suisses.  G'est  pour  soumettre  ces  vallées  à  leur  influence  que  Jean 
de  Blotzheim,  en  homme-lige  fidèle,  aurait  sacrifié  le  repos  de  ses 
vieux  jours.  L'auteur  se  plait  à  mettre  en  lumière  tout  ce  que  le  vieux 
prélat  aurait  fait  dans  son  nouveau  diocèse  pour  réparer  les  ruines 
que  ses  prédécesseurs  lui  avaient  léguées,  ainsi  que  les  créations  que 
le  pays  devrait  à  son  esprit  d'entreprise.  Il  lui  attribue  notamment 
la  construction  de  la  route  du  Septimer,  l'un  des  passages  les  plus 
fréquentés  entre  les  Grisons  et  l'Italie.  D'après  M.  de  Liebenau,  il 
n'aurait  survécu  que  peu  de  temps  à  l'achèvement  de  ce  grand  tra- 


3^6  MELANGES   ET   DOCUMENTS, 

vail,  ôtant  mort  le  30  juin  1388  dans  sa  ville  épiscopale,  ainsi  qu'en 
ferait  foi  sa  tombe,  qui  doit  s'être  conservée  dans  la  cathédrale  de 
Coire  jusqu'en  1788. 

Cependant,  tout  en  se  prononçant  pour  cette  version,  il  ne  cèle 
point  les  témoignages  qui  semblent  la  contredire.  11  reconnaît  qu'il 
existe  encore  aujourd'hui  dans  le  cloître  de  la  cathédrale  de  Brixen 
une  inscription  ainsi  conçue  :  ■]-  AXO  DOMINI.  MILLESIMO 
CCCLXXIII.  L\  DIE  SANGÏI.  SIXTI.  OHIIT.  DXS.  lOIIAXXES 
EPISGOPVS.  BHIXLXEXSIS.  GAXfiELLARIVS.  AVLE.  DVGALIS 
AA  STRIE.  DE  LEXZ  BVRGA.  Il  avoue  égalementque  les  textes  remon- 
tant à  Tepoque  même  où  vivait  à  Goirel'évéque  Jean,  le  deuxième  du 
nom  et  le  63*  du  catalogue  publié  par  le  comte  E.-F.  de  Miilinen  dans 
sonJIc/refia  sacra  (t.  I",  p.  13),  lui  donnent  lo  nom  de  famille 
Ehingen  ou  Eingen.  Il  est  vrai  que  M.  de  Liebenau  croit  tourner  la 
difficulté  en  supposant  d'une  part  que  dans  le  principe  l'inscription 
de  Brixen,  renouvelée  au  xv«  siècle,  après  l'incendie  de  l'église,  por- 
tait abiif  et  non  obiif,  et  que  d'autre  part,  dans  les  pièces  d'archives, 
le  nom  d'Ehingen  ou  d'Eingen  pourrait  bien  être  une  corruption  de 
Seengen,  nom  du  lieu  d'origine  de  la  famille  Ribin,  qu'on  trouve 
écrit  quelquefois  Seingen.  Pour  ma  part,  je  ne  me  sens  pas  assez 
qualifié  pour  trancher  la  question,  mais  Fauteur  lui-même  ne  peut 
nier  que  ces  textes  contradictoires  laissent  planer  des  doutes  très- 
spécieux  sur  l'identification  qu'il  propose  du  prélat  inscrit  de  1373  à 
^388  dans  les  catalogues  des  évêques  de  Goire  avec  Jean  de  Blotz- 
heim. 

Telle  est,  réduite  aux  traits  les  plus  saillants,  dépouillée  de  l'appa- 
reil un  peu  compliqué  qui,  dans  le  travail  que  j'analyse,  la  maintient 
debout,  la  figure  que  M.  de  Liebenau  a  évoquée,  et  qui  ne  se  sépa- 
rera plus  de  celle  de  Rodolphe  IV.  Il  y  a  un  mérite  incontestable  à 
l'avoir  restituée  à  l'histoire;  mais  les  qualités  que  je  me  plais  à 
reconnaître  à  son  mémoire  ne  doivent  pas  me  faire  taire  les  obser- 
vations que  sa  lecture  suggère.  L'auteur  a  senti  tout  d'abord  qu'il 
fallait  y  introduire  des  coupures,  pour  son  propre  soulagement  et 
pour  celui  des  lecteurs.  Malheureusement  il  ne  s'est  pas  suffisamment 
maintenu  dans  les  divisions  qu'il  a  adoptées  :  souvent  il  parle  à 
l'avance  de  faits  qui  ne  se  sont  produits  que  plus  tard,  et  auxquels 
il  revient  dans  la  suite  :  de  là  des  redites,  et  une  certaine  hésitation 
dans  les  contours  généraux  du  récit.  D'un  autre  cùté  il  ne  s'est  pas 
contenté  de  faire  de  son  héros  un  homme  d'état  :  il  l'a  envisagé  en 
outre  comme  général  d'armée,  comme  savant-,  ou  bien  il  cherche  à 
dégager  plus  spécialement  son  action  dans  les  rapports  de  la  maison 
d'Autriche  avec  le  saint-siége  et  avec  l'empire,  et  il  en  résulte  d'autres 


LETTRES    INÉDITES    DU    CARDINAL    d'aRMAGNAC.  317 

répétitions  non  moins  fâcheuses.  En  général  M.  de  Liebenau  n'a  pas 
suffisamment  dégagé  l'histoire  de  son  héros  des  impedimenta  de  la 
composition-,  cependant  il  n'y  aurait  eu  aucun  inconvénient  à  s'en 
débarrasser,  d'autant  plus  que  les  excellentes  régestes,  les  pièces  jus- 
tificatives qui  accompagnent  le  travail,  suffisent  pour  en  établir  la 
valeur  scientifique.  Mais  à  part  ces  défauts  de  pure  forme,  qu'un 
auteur  moderne  qui  n'a  pas  sucé  le  lait  des  lettres  françaises  évite 
malaisément,  le  fond  offre  assez  d'intérêt  pour  recommander  un 
ouvrage  où  tout  le  monde  trouve  à  s'instruire,  sans  en  excepter  le 
critique. 

X.  MOSSMANN. 


LETTRES  INEDITES   DU  CARDINAL  D'ARMAGNAC. 

[Suite  et  fin.) 
XXXVI  <. 
Au  Roi  2. 

Sire,  ce  courrier  vous  dira  le  retour  de  monsieur  le  mareschal  Damp- 
ville,  et  comme  avec  une  des  gallères  de  monsieur  de  Savoye  et  la 
scienne  il  passa  le  in«  de  ce  mois  à  la  veue  de  Marseille,  de  sorte  qu'il 
pourra  arriver  ce  jourdhuy  en  Languedoc,  où  les  huguenotz  ont  faict 
une  assamblée  dans  la  ville  de  Nysmes,  et  prins  résolution  de  tenir 
Usés,  Mangues^,  Florensac  et  la  dicte  ville  de  Nysmes,  avec  une  autre  ; 
mais  je  ne  scay  si  la  présence  du  dict  sieur  Mareschal  leur  fera  prendre 
autre  desseing.  Comme  je  ne  vous  puis  dire  sinon  la  réception  des 
lètres  qu'il  a  pieu  à  Vostre  Magesté  m'escrire  par  le  sieur  de  Rieux-*, 
qui  m'ayant  communicqué  ces  instructions  s'en  est  allé  à  Beaucaire  et 
de  là  en  Aiguesmortes,   pour,   après  avoir  parlé   avec  les  sieurs  de 

l.  Voir  les  trente-cinq  lettres  précédentes  (1  i  octobre  1562  —  15  décembre 
1573)  dans  la  livraison  d'octobre-décerabre  1876,  p.  516-565. 

"2.  Bibliothèque  impériale  de  Saint-Pétersbourg,  collection  des  autographes, 
vol.  LXXIV,  n°  42. 

3.  Aujourd'hui  Mauguio,  chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement  de  Montpel- 
lier, à  12  kilomètres  de  celte  ville. 

4.  François  de  la  Jugie,  sieur  de  Rieux,  gouverneur  de  Narbonne.  Suivant  une 
confidence  faite  par  l'évêque  d'Agen,  Janus  Frégose,  à  son  bon  ami  Biaise  de 
Monluc,  ce  gouverneur  était  un  huguenot  déguisé  [Commentaires,  t.  III,  p.  392, 
393). 


348  MIÎLANGES    RT    nOCUMETrS. 

Citmibos  ot  Sainct  Ghristc^l  j)assor  par  Montpollior  et  IVzonas,  afin  dp. 
fain^  tMitendro  vostro  intention  aux  siours  do  la  Veruno  ot  do  Clérac  ; 
ayant  doscouvort  dopnis  .peu  do  jours  (juo  quelques  capitaines  dos 
meilleurs,  que  le  dict  sieur  Maroschal  ayo,  se  laissent  entendre  qu'ilz 
prendront  très  voluntiers  le  parti  qui  lour  sera  ordonné  de  vostre  part, 
dont  j'ay  escrit  à  monsieur  le  duc  d'Uzès,  afin  qu'il  les  accepte,  et  croy 
que  si  Vostre  Magesté  escrit  au  sieur  de  la  Crosète^  lieutenent  du  dict 
sieur  Maroschal  de  vous  servir  en  ce  que  lod.  sieur  duc  hiy  comman- 
dera, il  sera  bien  ayso  selon  qu'il  a  dict  à  ses  plus  intimes  amys  de 
suivre  vostre  volunté  que  me  font  vous  supplier  très  humblement  de 
rhonnorer  d'une  de  voz  lettres  que  je  luy  feray  tenir  parce  qu'il  est 
pardeça  de  quelque  importance,  et  pour  le  regard  de  ceulx  que  Vostre 
dicte  Majesté  vouldroyontestre  fois  [sic]  prisonniers,  nous  avons  envoyé 
le  si-de  S'  Sixt  à  Marseille,  et  quelques  autres  cà  CauavaillonS  qui  n'es- 
pargneront  chose  quelconque  pour  l'exécution  de  ce  [que]  Icdict  Saint  Sixt 
m'a  dict.  Bien  me  semble  il  devoir  adjouster  que  vostre  acheminement 
pardeça  consoloroit  voz  subjectz  et  apporteroit  terreur  aux  rebelles  qui 
faict  que  je  le  désire;  et  d'employer  ma  propre  vie  pour  vostre  service, 
de  (juoy  je  prie  Dieu  me  ferc  la  grâce  et  de  vous  donner, 

Sire,  en  toute  perfection  de  santé  très  heureuse  et  très  longue 
vie. 

D'Avignon,  le  im^  d'octobre  1574. 

Vostre  très  humble,  très  obéissant  serviteur  et  subject. 

G.,  cardinal  d'ARMAioNAC. 

xxxvn. 

Au  Roi  3. 

Sire,  vous  aurez  sceu  tant  par  Ihomme  de  Monsieur  de  Menillon\ 
que  par  mes  lettres  du  nij*  comme  ceux  de  Nostre  Dame  de  la  Garde  de 
Marseille  avoit  descouvert  les  galleres  que  portoyent  monsieur  le 
maroschal  Dampville  et  sa  descente  à  la  tour  de  Boucq!*,  ou  il  print 

1.  Jean  de  Nadal,  seigneur  de  la  Croisette  ou  la  Crouzette,  mourut  le  15  octo- 
bre 1584.  Voir  sur  ce  personnage,  que  Monluc  appelle  «  Monsieur  de  la  Croi- 
sette, »  une  note  de  M.  de  Ruble  [Commentaires,  t.  III,  p.  306). 

2.  Faut-il  lire  Cavaillon,  aujourd'hui  chef-lieu  de  canton  du  département  de 
Vaucluse,  arrondissement  d'Avignon,  à  27  kilomètres  de  cette  ville,  sur  le  bord 
de  la  Durance  ? 

3.  Ibid.,  n-  43. 

4.  Voir  pour  M.  de  Menillon  les  lettres  XX  et  XXII  (tome  11,  1876,  p.  547  et 
549). 

5.  La  Tour-de-Bouc  ou  fort  de  Bouc,  petite  lie  de  la  Méditerranée,  qui  appar- 
tient au  département  des  Bouches-du-Rhône,  à  l'arrondissement  d'Aix,  au  canton 
de  Marligues. 


LETTRES   INÉDITES   DU   CARDINAL   D^RMAGNAC.  3\9 

quelques  petits  bateaux  de  poissonnière  avec  lesquels  il  arriva  led. 
nije  à  Peyrolz^,  et  accompagné  de  sa  compaignie  de  gensdarnaes  qui 
l'attendoyent  la,  avec  celles  d'harquebusiers  à  cheval  Bimar  (?)  et 
hustachi  {sic),  huguenots,  il  fut  coucher  le  mesme  jour  à  Montpel- 
lier, rappellant  incontinent  quelques  huguenots  fugitifs  de  lad.  ville,  et 
se  fortifiant  d'une  compaignie  de  gens  de  pied  oultre  les  trois  qui  y 
estoient, avec  plusieurs  autres  demonstraations  qu'il  fit  de  se  préparera 
la  guerre,  entre  lesquelles  sont  les  menasses  et  emprisonnementz  de 
quelques  habitants  catholicques,  et  le  peu  d'asseurance  que  le  s'  de 
Rieux  a  trouvé  de  s'en  aller  devers  luy,  selon  que  ce  porteur  depes- 
ché  expressément  devers  vostre  Magesté  vous  dira  si  particulièrement 
que  je  ne  doibs  adjouster  sinon  que  les  s""»  Ferran,  Pagan  et  Gopo,  reve- 
nantz  de  Piedmont,  ou  ils  avoient  suivy  led.  s""  Mareschal  comme  en 
tous  autres  lieux,  se  sont  présentés  en  ceste  ville  pour  y  entrer,  par  ce 
que  c'est  le  lieu  de  leur  habitation  ordinaire.  Mais  d'aultant  que  je  les 
ay  tousjours  cogneuz  trop  affectionnez  à  son  service,  et  que  durant  la 
maladie  du  feu  Roy  vostre  frère  que  Dieu  absolve,  et  de  la  régence  de 
la  Royne  vostre  mère,  ilz  discouroient  en  public  et  privé  autrement  que 
la  dévotion  quilz  dévoient  avoir  au  bien  de  voz  afferes  ne  requeroient, 
il  m'a  semblé  ne  les  devoir  admettre  icy.  Ains  leur  conseiller  de  vous 
aller  trouver,  Sire,  non  seulement  pour  vous  rapporter  ce  qu'ilz  ont 
recogneu  de  la  volunté  dud.  s'  Mareschal,  mais  aussi  pour  aultant  que 
nous  avons  à  nous  conserver  en  ceste  ville  pour  vostre  service  et  donner 
chemin  aux  hommes  qui  par  praticques  et  menées  esbranleroient  la 
fidélité  des  habitans.  de  sorte  que  j"ay  oppinion  que  lesd.  Ferrand  e't 
Gopo  vous  yront  fere  la  révérence,  Sire,  et  que  bientost  après  vous 
sçaurez  de  la  part  dud.  s""  Mareschal,  Beloyou  quelqu'un  autre  de  science 
si  led.  Beloy  continue  de  refuser  led.  voiage  comme  il  faict  jusques  icy, 
non  pas  à  mon  advis  pour  autre  occasion  que  pour  cognoistre  son 
maitre  résolu  de  se  départir  de  vostre  obeyssance,  de  quoy  je  suis  extrê- 
mement marry,  parce  que  les  quatre  villes  qu'il  tient  importent  gran- 
dement et  qu'il  est  vraysemblable  que  quelques  provençaulx  suivront 
incontinent  son  exemple,  et  descouvriront  la  rébellion  qu'ils  ont  tenu 
cachée  dans  leur  cueur  quelques  jours,  à  laquelle  j'ause  dire  que  vostre 
seule  présence.  Sire,  peult  remédier,  et  que  si  Vostre  Magesté  n'approche 
plus  près  de  ces  deux  provinces  pour  conforter  les  bons  et  déterrer  2  les 
rebelles,  je  prevoy  de  grandes  combustions,  d'aultant  quil  s'agist  main- 
tenant plus  de  vostre  estât.  Sire,  sur  lequel  l'on  veult  entreprendre,  que 
non  pas  de  la  divercité  de  religion,  puis  que  l'on  présume  que  quelques 
catholicques  sont  sur  le  poinct  de  s'eslever  aud.  Languedoc  et  Provence 
comme  les  huguenots,  de  quoy  je  tiendray  advertie  vostred.  Magesté 
selon  les  advis  que  j'en  auroy,  et  ne  mestimeroy  en  rien  si  heureux  que 

1.  Aujourd'iiui  Peyrolles,  chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement  d'Aix,  à  20 
kilomètres  de  cette  ville,  à  52  kilomètres  de  Marseille. 

2.  De  deteirere,  écarter,  éloigner,  détourner  par  crainte  {terror).  Le  mot 
manque  au  Diclionnaire  de  Trévoux  et  on  ne  le  rencontre  guère  dans  les  livres 
du  XVI*  siècle. 


320  MÉLANr.ES    ET    DOCIIME-STS. 

(It^sposor  ma  pntpiv  vio  o[  ce  qui  on  doppiMul   pour  vostrod.  sorvico  ot 
conlinuorlos  prioivs  quo  jn  fais  à  Dieu  de  vous  donnor, 

8iro,  la  paix  on  vostro  rovaunio,  lo  Imnlunir  qiio  jo  vous  dosiro,  ot  on 
touto  porlVction  do  santo  tros  iiourouso  ot.  tros  loiiguo  vio. 

D'Avipiioii,  lo  x»  d'octobre  If)?! 

Yolre  tros  humble  très  obéissant  serviteur  et  sul»j(n't. 

G.,  cardinal  d'AnMAKiNAC. 

XXXVIU. 

Au  Roi. 

Sire,  nous  avons  été  toujiours  icy,  attendant  l'arrivée  de  Messieurs 
de  Foix^  et  de  Turenne^  afin  de  prendre  quelque  résolution  sur  les 
ditferends  des  guerres  .qui  sont  en  ce  pays,  c  y  establir  eune  bonne  e 
assurée  paix  selon  l'espérance  que  Vostre  Maiesté  en  a  eue  jusques  icy, 
et  les  assurances  que  le  roy  de  Navarre  m'en  a  données  par  trois  ou 
quatre  lettres  3,  mais  en  l'assemblée  de  Montauban,  lorsque  lesdits 
sieurs  étoient  sur  le  point  de  monter  a  cheval,  le  voyage  a  esté  retardé 
ou  pour  mieulx  dire  interrompu  par  une  requeste  que  ceulx  de  la  pré- 
tendue religion  ont  faite,  delaquelle  voulant  croire  que  Vostre  Maiesté 
aura  esté  informée,  je  ne  diray  que  comme  Monsieur  de  Maugiron,  il 
faut  la  paix  en  Daulphiné  sans  y  comprendre  cest  état  pour  ce  qu'il 
dit  que  le  bien  de  votre  service  ne  le  luy  a  pas  permis,  ceux  de  là  reli- 
gion se  sont  assemblés  pour  le  refraischissement  de  troupes  et  guidés 
par  S*  Auban'*,  Blacon^  et  la  Prade*',  sont  entrés  hostilement  dans 

1.  Paul  de  Foix,  tour  à  tour  conseiller  au  Parlement  de  Paris  (1547),  ambas- 
sadeur en  Ecosse,  en  Angleterre,  à  Venise,  à  Rome  (où  il  mourut  le  29  mai  1584). 
On  sait  que  le  cardinal  d'Armagnac,  dont  il  était  quelque  peu  le  parent,  lui  céda 
en  1577  l'archevêché  de  Toulouse.  Voir  sur  ce  personnage  une  note  du  tome  V 
de  la  CoUeciion  méridionale,  p.  42. 

2.  Henri  de  la  Tour-d'Auvergne,  vicomte  de  Turenne,  qui  devint,  en  1592, 
le  maréchal  de  Bouillon. 

3.  On  ne  trouve  dans  le  Recueil  des  lettres  missives  de  Henri  IV,  publié  par 
M.  Berger  de  Xivrey,  qu'une  seule  lettre  du  roi  de  Navarre  à  son  oncle  le  cardi- 
nal d'Armagnac  :  elle  est  datée  de  Nérac,  12  juillet  1581  (t.  I,  p.  392).  Je  n'en 
vois  aucune  dans  le  Supplément  publié  par  M.  Guadet  (tome  VIII,  1872). 
M.  L.  Couture  a  signalé  deux  autres  lettres  du  roi  de  Navarre  au  cardinal  d'Ar- 
magnac, l'une  écrite  de  Nérac,  le  14  novembre  1577  {apiid  Theiner,  t.  II, 
p.  599);  l'autre  écrite  de  Pau,  le  22  octobre  1584  [ibid.,  t.  III,  p.  800). 

4.  Albert  Pape  de  Saint-Auban,  fds  de  Gaspard  Pape  de  Saint-Auban,  précé- 
demment mentionné.  Voir  sur  Albert  le  livre  LXVI  de  YHtstoire  de  J.  A.  de 
Thou. 

5.  Hector  de  la  Forest,  sieur  de  Rlacons,  sur  lequel  on  peut  voir  VHistoire  de 
J.  A.  de  Thou,  et  la  Réforme  et  les  guerres  de  religion  en  Dauphiné  de 
M.  Long  (passim).  N'oublions  pas,  du  reste,  qu'il  y  eut  deux  personnages  du 
même  nom  [Hector  et  Pierre)  mêlés  aux  guerres  religieuses  de  la  seconde  moitié 
du  XVI'  siècle. 

6.  Le  président  de  Thou  (livre  LXVI,  à  l'année  1578)  nous  fait  ainsi  connaître 


LETTRES   INEDITES   DU   CARDINAL    d'aRMAGNAC.  32^ 

ceux  des  estais  ou  ils  ont  misérablement  et  cruellement  massacré  30  ou 
40  paysans  travaillant  aux  champs,  et  ravaigé  le  bétail  qu'ils  y  ont 
trouvé,  sans  oublier  de  mettre  le  feu  à  quelques  granges,  et  sans  le 
devoir  où  je  me  suis  mis  de  leur  donner  empeschement,  appelant  tous 
nos  voysins  à  notre  secours,  entre  lesquels  Monsieur  le  Grand-Prieur  * 
nous  a  incontinent  accommodés  de  sa  compagnie  de  gendarmes,  Mon- 
seigneur de  Montbazon^,  assisté  de  Monsieur  le  comte  de  Suze,  cent 
chevaux  avec  trois  ou  quatre  cents  harquebuziers  qu'ils  ramassèrent,  et 
Monsieur  de  Garces  [s'empressa]  d'y  venir  en  personne  avec  tout  ce  qui 
deppend  de  luy,  de  sorte  que  la  dite  religion  considérant  le  zèle  de 
Messieurs  vos  ministres  et  subiects,  et  sachant  que  Monsieur  le  Mares- 
chal  de  Bellegarde^  monstroit  le  désir  de  vouloir  embrasser  nostre  cause, 
se  sont  retirés  en  leurs  garnisons  ordinaires  et  n'entreprennent  plus 
rien  depuis  quelques  jours  qu  a  la  dérobée,  aux  trahisons  et  secrètes 
pratiques,  de  quoy  je  me  trouve  tousiours  en   peine,  et  mesmes  de 
l'ennuy  que  nostre  Très  saint  père  porte  quand  les  sieurs  (?)  de  Daul- 
phiné  courent  en  toute  liberté  sur  nous  sans  que  les  catholiques  du 
pays  les  empeschent,  qui  est  cause  que  je  vous  supplie  très-humble- 
ment, Sire,  de  vouloir  ordonner  au  sieur  de  Maugiron  qui  n'a  pas  fait 
faulte  de  zèle  et  d'affection  envers  nous  de  declairer  au  sieur  de  Lesdi- 
guieres^  la  protection  que  vous  avez  prinse  des  subiects  de  sa  Sainteté 
e  de  luy  courir  sus  au  cas  qu'ils  dressent  forces  pour  les  secours  de 
Meilles^,  dequoy  il  vous  plaira  aussi  escripre  audit  seigneur  Grand- 
ce  compagnon  de  Saint-Auban  et  de  Blacons  :  «  Le  Château-Double,  au  diocèse 
de  Die,  était  occupé  par  un  nommé  La  Prade.  C'était  un  brigand  qui,  s'étant 
associé  quelques  gens  de  son  espèce,  n'avait  eu  jusqu'alors  ni  soumission  ni 
respect  pour  les  ordres  de  ceux  qui  commandaient  dans  la  province,  mettant  tout 
le  pays  à  contribution,  et  désolant  les  environs  dans  le  temps  même  que  la  trêve 
semblait  laisser  quelque  tranquillité  aux  deux  partis.  Comme  ce  méchant  homme 
tenait  pour  les  protestants,  ses  désordres  continuaient  encore  à  leur  attirer  la 
haine  des  peuples  de  la  province.  Maugiron  leur  proposa  un  moyen  de  se  rac- 
commoder avec  eux.  C'était  de  joindre  leurs  forces  aux  siennes,  et  d'aller  de 
concert  chasser  du   pays  ce  scélérat.  La  proposition  fut  acceptée;  on  marcha 
contre  le  Château-Double.  La  Prade,  que  l'impunité  seule  avait  rendu  si  hardi 
jusqu'alors,  voyant  que  les  prolestants  eux-mêmes  se  déclaraient  contre  lui,  n'eut 
pas  le  cœur  d'attendre  l'ennemi  ;  il  se  rendit  lâchement,  et  reçut  ensuite  le  châ- 
timent que  ses  crimes  avaient  mérité.  » 

1.  Henri  d'Angoulème,  fds  naturel  de  Henri  U,  grand-prieur  de  France,  gouver- 
neur de  Provence  et  amiral  des  mers  du  Levant,  etc. 

2.  Louis  de  Rohan,  prince  de  Guemené,  d'abord  comte,  puis  (1588)  duc  de 
Montbazon. 

3.  Roger  de  Saint-Lary,  seigneur  de  Bellegarde,  maréchal  de  France  en  1574, 
mort  en  1579. 

4.  François  de  Bonne,  seigneur  de  Lesdiguières,  plus  tard  lieutenant  général  en 
Dauphiné,  maréchal  de  France,  connétable,  duc  et  pair,  etc.,  né  en  1543,  mort 
en  1626. 

5.  Nom  qui  m'est  inconnu. 

Rev.  Histor.  V.  2*  FASC.  21 


322  MKLANf.KS    ET    nOClIMENTS, 

Prieur,  maréchal  do  liollogarde  ol  autres,  et  pareillement  à  Monsieur 
de  Dampvillo,  de  ne  permettre  à  ceulx  de  la  religion  le  passaige  <lu 
liosne.  Car  je  me  double  que  pour  s'assurer  de  la  place  de  Meilles,  ils 
tenteront  encore  euu  coup,  cq  à  quoy  ils  ont  maintenant  i'ailly,  et  que 
s'ils  ne  se  sont  hasardes,  c'est  ou  a  cause  des  susdites  forces  auxiliaires, 
ou  parcequ'ils  ne  pensent  pas  que  les  assiégés  soyent  réduits  en  si 
grandes  extrémités,  qu'ils  n'ayent  de  quoy  tenir  encore  trois  ou  (juatre 
mois,  comme  véritablement  ils  ont  pour  ces  temps  du  bled  et  de  l'eau 
sans  aucun  autre  moyen  et  pour  le  doubte  que  j'ay  qu'en  le  temps  ils  y 
puissent  mettre  quelques  commodités.  Je  vous  suplie  très  huml)lement. 
Sire,  que  nous  soyons  secourus  d'hommes  et  autres  choses  nécessaires 
pour  quant  ils  l'entreprendront,  et  que  le  Roy  do  Navarre  face  exécuter 
le  contenu  en  l'article  l'-'''  au  cas  que  lesdits  sieurs  de  Foix  et  de 
Turenne  soyent  du  tout  renseignés;  et  pour  la  fin,  je  prie  Dieu  de  vous 
donner, 

Sire,  heureuse  victoire  contre  tous  ceux  qui  vous  désobéissent  et  en 
toute  perfection  de  santé,  très  heureuse  e  très  longue  vie. 

D'Avignon,  le  21  juillet  1578. 

Votre  très  humble  e  très  obéissant  serviteur  et  subiect. 

G.,  cardinal  d'ARMAiONAC. 

XXXIX. 

Au  Roi. 

Sire,  voyant  l'extrême  nécessité  en  laquelle  les  habitans  de  ceste 
ville  sont  réduits  pour  n'avoir  recueilly  que  bien  peu  de  grains  ceste 
année  causant  la  sterillité  qui  s'estend  aussi  sur  vos  provinces  circon- 
voysines,  desquelles  ils  n'en  sçauroient  retirer,  et  d'ailleurs  le  menu 
peuple  prendra  ladessus  occasion  de  s'esmouvoir  et  mutiner,  chose  qui 
pourroit  tirer  après  soy  la  ruyne  et  perte  de  ceste  ville ,  je  ne  puis 
moins  faire  pour  le  lieu  que  je  tiens  que  d'accompaigner  la  treshumble 
requeste  que  les  consuls  envoyent  à  Vostre  Maiesté  par  leurs  depputés 
par  ce  costé  cy  et  la  supplie  très  humblement,  Sire,  que  son  bon  plaisir 
soit  leur  impartir  le  secours  qu'ils  se  promettent  en  un  tel  besoing  de 
la  faveur  et  protection  en  laquelle  il  vous  a  pieu  les  avoir  tousiours  et 
en  faisant  leur  donner  permission  de  tirer  de  vos  pays  de  Bourgoigne 
et  Lyonnois  jusques  à  six  mil  mesures  de  bled  pour  le  faire  conduyre 
en  ceste  ville,  et  par  ceste  subvention  pouvoir  apaiser  les  peuples  et 
habitans  qui  ont  tousiours  faist  telle  démonstration  de  leur  fidellité  et 
affection  au  service  de  vostre  couronne,  qu'ils  se  peuvent  dire  et  reputer 
comme  naturels  subgects  d'icelle,  n'ayant  espargné  cbose  qui  fust  en 
leur  puyssance  dont  je  les  aye  voulus  requérir  quand  il  a  esté  question 
de  vostre  service  quils  ne  l'y  aient  volluntairement  et  aussitost  em- 
ployée, ce  qui  les  rend  de  tant  plus  recommandables  pour  le  regard  et 
dignes  de  la  libéralité  de  Vostre  Maiesté  pour  les  obliger  de  plus  en 


LETTRES   INÉDITES   DU   CARDINAL   d'aRMAGNAC.  323 

plus  a  persévérer  en  ceste  fidellité  et  affection  a  vostre  service  comme 
fera  tousiours  eux  qui  prient  dévotement  Dieu  vous  donner, 

Sire,  en  parfaite  santé  et  prospérité  très  heureuse  et  très  longue  vye. 

D'Avignon,  le  18  aoust  1579. 

Vostre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur  et  subjcct. 

G.,  cardinal  d'ARMAiONAC. 

XL. 

A  LA  Reine-Mère. 

Madame,  Vostre  Maieste  peust  estre^  ressouvenue  du  propos  que  je 
luy  tins  estant  en  vostre  ville,  en  faveur  de  Madame  la  princesse  de 
Salerne^,  pour  le  recouvrement  de  ce  qui  luy  estoit  dû,  depuis  le 
trespas  de  son  mary^,  et  comme  elle  s'était  employée  tellement  pour  la 
reddition  d'une  ville  où  un  de  ses  beaufils  commandoit,  que  si  j'osois 
dire,  elle  y  advança  aultant  ou  plus  que  le  siège,  y  ayant  employé  tant 
de  peine  alors,  et  pour  mon  particulier,  je  luy  ay  très  grande  obliga- 
tion, et  parceque  sur  l'espérance  quil  vous  pleust  me  donner  alors  que 
vous  serez  auprès  du  roy,  vous  lui  en  parlerez  en  faveur  et  avec  auto- 
rité, connoissant  la  bonté  de  Votre  Majesté  je  n'ai  voulu  faillyr  vous 
supplier  très  humblement.  Madame,  par  vostre  autorité  et  aussi  vostre 
playsir  y  tenir  fort  la  main  et  la  pourvoir  si  bien  de  vostre  protection 
pour  ce  regard  qu'elle  puisse  obtenir  le  paiement  ou  au  moins  la 
moytié  ou  quelque  bonne  et  vallable  assignation  de  cette  debte  et  par 
là,  avoir  moyen  de  marier  sa  fille  selon  sa  qualité,  de  quoy  vous  ferez 
œuvre  si  méritoire  et  digne  de  la  grandeur  et  de  la  liberralité  de  Vos 
Majestés.  Que  Dieu  vous  en  soit  le  retributeur  par  la  prière  de  la  dame 
et  de  sa  fille  et  de  celluy  qui  participera  d'aultant  en  l'obligation  qu'elles 
vous  en  auront,  comme  il  l'est  par  là-dessus,  et  qui,  les  vous  ayant 
recommandées  de  tout  son  cœur  va  adjouter  à  sa  prière  à  sa  divine 
Maiesté,  vous  donner, 

Madame,  en  parfaite  santé,  très-heureuse  e  très-longue  vie. 

D'Avignon,  le  22  novembre  1579. 

Votre  tres-obéissant  et  très  humble  serviteur  et  subiect, 

G.,  cardinal  d'ARMAiGNAC. 

XLI. 
A  LA  Reine-Mère. 
Madame,  puisque  j'escris  au   roy  Testât  des  affaires  de  ce  pays  et 

t.  Le  catalogue  de  la  Bibliothèque  nationale  porte  «peult  estre  mémoratisve.  » 

2.  On  sait  que  la  principauté  de  Salerne  fut  donnée  par  le  roi  de   Naples, 
Ferdinand  I",  en  1463,  à  la  maison  de  San-Severino. 

3.  Ferrante  de  San-Severino,  né  à  Naples  en  1507,  mourut  en  France  en  1568; 


324  MÉLANGES    ET   DOCUMENTS. 

mosnios  la  conliiuiation  dos  peaigos  ostablis  ot  coulx  d'Aurangp,  et  les 
coutrcAorsos  qui  sont  ou  vostiv  ostat  pour  lo  pouvornomoul,  les  uns 
dosiraut  qu'il  soit  ou  uuiiu  do  Mousiour  do  ('hastillou  *,  solou  la  nomi- 
naliou  que  lo  roydo  Navarro  ou  a  failo,  ot  les  autros  qu'il  soit  consorvè 
à  Mousiour  de  Blacon  (qui  eu  est  usurpateur),  ot  los  autros  (jue  la 
volonté  do  Monsieur  le  Prince 2  soit  attendue,  et  que  Vostro  Maicsté 
soaura  d'ailleurs  l'osbraulomont  de  ce  pays,  et  les  prcsaiges  dune  ouver- 
ture do  guerre;  depuis  la  prinse  de  Monde 3,  si  le  fou  qui  no  faist  que 
sourdre  n'est  pronii)loniont  amorty,  je  ne  vous  diray.  Madame,  sinon 
que  j'ay  tant  do  bosoing  de  vostre  autorité,  c  de  vostre  entromise 
auprès  du  roy  pour  la  jouyssance  du  don  qu'il  luy  a  pieu  me  faire  de 
dix  mil  livres  par  an,  que  si  Vostre  Maiesté  la  méprise,  je  ne  puis 
attendre  que  la  totale  ruyne,  veu  que  les  despenses  que  j'ai  accous- 
tumé  faire  augmentent  et  que  la  prinse  de  Mende  et  autres  usurpa- 
tions, commencent  à  m'oster  la  meilleure  partie  de  mes  revenus,  à 
quoy  je  vous  supplie  très  humblement  avoir  esgard,  et  à  la  trèshumble 
servitude  que  je  vous  ay  vouée,  et  à  la  protection  qu'il  vous  a  pieu 
prendre  de  moy,  qui  ne  cesseray  jamais  de  vous  servire  et  complaire, 
et  do  continuer  les  prières  que  je  fais  à  Dieu  de  vous  donner. 
Madame,  en  toute  perfection  de  santé,  très-heureuse  et  très  longue 

vie. 

D'Avignon,  le  11  janvier  1580. 

Votre  très-humble  et  tresobeissant  serviteur  et  subiect. 

G.,  cardinal  d'ARMAiQN.\c. 

XLII. 

Au  Roi. 

Sire  Comme  nous  cuydions  jouire  paisiblement  en  cest  estât,  on 
donne  par  vostre  exemple  occasion  aux  voysins  d'en  faire  de  mesmes. 
Geulx  de  la  principauté  d'Aurange  (ou  le  s-"  de  Blacon  commande),  qui 
ne  désirent  que  remuemens  et  reprinse  d'armes,  et  qui  sont  le  refuge 

il  s'était  distingué  au  service  de  Charles-Quint,  en  Allemagne,  en  Flandre,  en 
Afrique,  en  Italie  (principalement  à  la  bataille  de  CérisoUes),  et  il  avait  ensuite 
abandonné  la  cause  de  l'Espagne  pour  embrasser  celle  de  la  France. 

1.  François,  comte  de  Coligny,  seigneur  de  Chàtillon-sur-Loing,  colonel  de 
liufauterie   française,    fils  aîné   de  l'amiral  de  Coligny,  né  en  1557   et  mort 

en  1581. 
ï.  Le  prince  d'Orange,  Guillaume  de  Nassau,  qui  allait  être  assassmé  quatre 

ans  plus  tard  (10  Juillet  1584). 

3.  Ancienne  capitale  du  Gévaudan,  aujourd'hui  chef-lieu  du  département  de  la 
Lozère.  La  ville  de  Mende  avait  été  prise  par  les  protestants  dans  les  derniers 
jours  de  1579  (25  décembre).  Voir  sur  cet  exploit  du  capitaine  Merle  le 
livre  LXXIl  de  l'Histoire  de  J.  A.  de  Thou. 


LETTRES    INÉDITES    DU    CARDINAL    d'aRMAGNAC.  325 

d'une  douzaine  de  voleurs  qui  altèrent  tous  les  estats  voysins,  ont  si 
bien  pratiqué  un  ministre  à  Cortoyson^,  que  par  eun  trou  qu'il  a  faist 
faire  dans  sa  maison  qui  est  joignant  la  muraille  de  la  ville,  le  s'  de 
Blacon  est  entré  dedans,  s'en  est  emparé,  y  a  faist  prisonnier  Minay 
(que  Monsieur  le  prince  d'Aurange  avoit  envoyé  pour  commander  en 
ses  pays),  unadvocat  dudit  prince,  et  quelques  conseilles  qui  residoient 
à  Gortoyson,  d'où  il  les  a  enlevés  et  conduits  à  Livron^  après  y  avoir 
laissé  garnison  a  sa  dévotion,  de  sorte  qu'il  ne  luy  reste  maintenant 
que  Jonquiers  pour  être  absolu  maistre  de  la  principaulté  de  quoy  le  s' du 
Rousst'  (?)  qui  m'avoit  apporté  des  lettres  de  Vostre  Maieste  se  trouve 
tant  plus  esbahi  que  ceste  ocasion  a  esté  faiste  un  ou  deux  jours  après 
son  arrivée  à  Gortoyson.  Et  tout  incontinent  le  s""  de  Blacon  a  prins  le 
chemin  de  Daulphiné  avec  des  troupes  de  cavallerie  et  infanterie  pour 
se  joindre  avec  les  Ligues  qui  sont  en  armes  tout  ainsi  que  Lesdi- 
guieres  tellement  que  je  y  prevoy  eun  tresgrand  mal  sil  ny  est  promp- 
tement  pourvu,  attendu  que  ceux  du  Montelimar*  et  autres  remarqua- 
bles villes  ne  sont  pas  si  bien  qu'il  seroit  besoing  pour  votre  service, 
selon  que  Vostre  Maiesté  verra.  Je  sçai  plus  particulièrement  par 
Mons''  de  Maugiron  et  plusieurs  cardinaux  qui  sont  sur  le  lieu  ;  de  sorte 
que  pour  venir  à  ce  qui  me  touche  en  ce  pays,  il  me  reste  à  vous  dire, 
Sire,  que  Monsieur  le  Grand-Prieur,  après  avoir  visité  la  plus  grande 
partie  de  son  gouvernement,  s'en  venant  en  ceste  ville  pour  y  passer  la 
sepmaine  entière,  feut  un  jour  à  Garpentras,  d'où  il  partit  le  20  du  mois 
passé  pour  aller  coucher  à  Garomb^,  chez  Mons""  le  comte  de  Sault^, 
qu'il  vouloit  avoir  et  estant  accompaigné  de  Mons'  Ervaldy  recteur  du 
Contât  (qui  l'avoit  reseu),  quelques  gentilshommes  de  vos  estats,  au 
nombre  de  cinquante  à  soixante  chevaliers  entre  lesquels  estoient 
Acquiers,  S*  André,  S'  Androl,  Groye,  Gauzanas,  et  autres,  chargèrent 
le  lieutenant  de  S^  Lectour,  qui  estoit  accompagné  d'une  partie  de  nos 
chevaux  légers,  qu'un  d'eux  y  fut  tué  avec  trois  ou  quatre  italiens, 
dequoy  le  seigneur  Grand-Prieur  qui  en  fust  trop  tard  adverti  et  qui 
rebroussant  chemin  jusques  au  lieu  où  il  auroit  laissé  S'  Lectour  deux 
heures  auparavant  y  accourut  si  à  propos  qu'il  trouva  le  plus  grand 
désordre  et  se  trouva  marry  pour  le  peu  de  respect  qui  luy  fust  porté, 

1.  Aujourd'hui  Courthezon,  commune  du  département  de  Vauchise,  arrondis- 
sement d'Avignon,  canton  de  Bédarrides,  à  20  kilomètres  d'Avignon. 

2.  Commune  du  département  de  la  Drôme,  arrondissement  de  Valence,  canton 
de  Loriol.  C'était  alors  une  place  très-forte  qui,  du  haut  de  la  colline  où  elle 
était  assise,  dominait  à  la  fois  la  Drôme  et  le  Rhône. 

3.  Ne  serait-ce  pas  le  maître -d'hôtel  du  cardinal,  le  sieur  de  Renest? 

4.  Chef-lieu  d'arrondissement  du  département  de  la  Drôme,  à  44  kilomètres 
de  Valence. 

5.  Caromb  est  aujourd'hui  une  commune  du  déparlement  de  Vauchise,  arron- 
dissement de  Carpentras,  à  11  kilomètres  de  cette  ville. 

6.  François  d'Agout,  comte  de  Sault.  Voir  sur  lui  {Collection  méridionale, 
t.  V,  p.  129)  une  lettre  du  cardinal  d'Armagnac,  du  16  octohre  1586. 


326  Mlîr.ANGES    RT    DOCUMK-yTS. 

i>l  iiiov  ptuir  vpoir  assailli  ouii  niinistro  de  sa  saintetr,  of  violnr  la 
justice  lie  vos  ostats,  et  pareo  aussi  quo  je  me  craiuts  que  le  desespoire 
et  la  eognoissance  de  la  taulte  qu'ils  ont  commise  leur  pourra  iaire 
entreprendre  quelquechose  plus  grand  au  préjudice  de  vostre  service  et 
de  nostro  repos';  ce  que  toutelYois  nous  avons  tasché  d'éviter  jusques 
ici,  et  coutinuerons  de  tout  uostre  pouvoir  à  rompre  les  pratiques  que 
l'ennemy  i'aist  i)our  les  attirer  à  luy  et  leur  persuader  que  ce  faist 
estant  inadmissible,  ne  peult  estre  elTacé  que  par  l'appuy  (ju'ils  auront 
dudit  ennemy  et  de  ses  adherens,  ce  qu'il  tasche  principalement  d'ins- 
pirer au  S""  Mazay2,  fils  du  s'  de  Vaucluse  vassal  de  Sa  Sainteté  qui  a 
fait  les  assemblées  soubz  prétexte  de  quelque  querelle  qu'il  disoit  avoir 
avec  le  s'  de  S'  Lectour,  laquelle  indubitablement  le  seigneur  grand- 
Prieur  e  moy  eussions  accommodée,  sans  ce  malheureux  rencontre, 
duquel  je  ne  vous  scay  pas  dire  plus  long  discours,  puisque  nous  navons 
maintenant  sinon  à  penser  aux  moyens  de  nous  garantir  des  altérations 
qu'ils  pourroyent  produire  et  en  donner  a  toutes  heures  advis  a  votre 
Maiesté,  ensemble  de  ce  que  Blacon  faira  en  la  dite  Principaulté,  e  de 
tous  autres  événements  qui  sont  de  quelque  importance,  et  vous  supplie 
très  humblement,  Sire,  de  vouloir  considérer  sur  la  poursuite  que  le 

s'  de  la  G s'en  va  faire  près  de  Vostre  Maiesté,  que  si  les  habitans 

de  Manosque  3,  qui  ont  este  tousiours  tresaffectionnez  à  vostre  service 
ont  attenté  contre  le  Baron  et  son  frère  Barlé,  c'est  pour  les  advis  quils 
auront  eus  des  intelligences  des  huguenots  sur  leur  ville,  et  que  n'ayant 
à  faire  ni  garde  ny  contre  Turcqs,  ny  contre  Anglois,  ny  Espagnols  ny 
autre  sorte  d'hommes  que  les  Huguenots,  ils  se  sont  opposés  audit 
Baron  duquel  ils  craignoient  les  menées,  en  un  temps  principalement 
comme  l'on  voit  en  nostre  ville  paisible  et  comme  la  princip.  de  S'  L. 
a  depuis  monstre  par  eiïort,  et  touteffois  les  commissaires  députés  par 
la  Court  de  parlement  de  Provence,  ont  fait  mettre  en  prison  une  dou- 
zaine des  principaux  de  ces  villes  dont  il  y  en  a  qui  sont  bien  mérites 
de  Vostre  service  lesquels  sont  poursuivis  aussi  rudement  que  s'ils 
avoient  voulu  violer  vostre  autorité.  Ayant  ete  permis  d'intimider  les 
tesmoings  en  la  présence  mesmes  des  presidens  et  austres  juges,  en  la 
grand  chambre  de  la  court  du  parlement,  ce  que  je  massure  que  le 
Grand  Prieur  trouve  bon  e  le  désire  comme  font  bien  les  catholiques  et 
bons  subiects  de  Vostre  Maiesté,  et  particulierementde  vous  en  supplier 

1.  On  remarquera  que,  soit  sur  l'entreprise  de  Blacons,  soit  sur  l'affaire  du 
lieutenant  de  Saint-Lectour,  la  présente  lettre  renferme  des  informations  que  nous 
chercherions  vainement  ailleurs. 

2.  Plutôt  le  sieur  de  Mazan.  MM.  de  Vaucluse  et  de  Mazan  appartenaient  à  la 
maison  de  Saignet,  qui  était  une  des  bonnes  maisons  de  Provence.  "Voir  sur  un 
duel  entre  le  sieur  de  Mazan  et  un  sieur  du  Plu,  qui  était  assisté  par  le  sieur  de 
Saint-André,  frère  du  comte  de  Sault,  la  lettre  déjà  citée  du  16  octobre  1584 
(p.  29  du  tome  V  de  la  Collection  méridionale). 

3.  Chef-lieu  de  canton  du  département  des  Basses-Alpes,  arrondissement  de 
Forcalquier,  sur  la  rive  droite  de  la  Durance. 


LETTRES    INEDITES    DU    CARDINAL   d'ARMAGNAC.  327 

treshumblement,  Sire,  par  la  longue  cognoissance  que  j'ai  eue  de  leur 
zèle  et  dévotion,  et  par  mesme  moyen  avoir  aussi  esgard,  s'il  vous 

plaist,  au  s""  de  la  C présent  porteur,  à  qui  fust  prins  deux  charges 

lorsque  je  vins  en  Provence  pour  entretenir  les  troupes  de  Monseigneur, 
pour  garder  qu'elles  ne  courussent  et  ravageassent  le  pays  et  pour 
attendre  sans  plus  grande  altération  la  venue  de  la  royne  qui  fust 
un  trèsgrand  bien  ;  et  sans  ceste  venue  toustes  choses  eussent  esté  en 
fort  mauvais  estât  qui  est  cause  que  puisque  il  en  est  venu  un  fort 
grand  bien,  qu'il  vous  plaise  ordonner  que  tout  soit  payé;  et  que  je 
sois  laissé  par  la  court  du  parlement  de  Thoulouze  qui  a  ordonné  la 
continuation  des  économies  faites  sur  mes  revenus  contre  les  dons  qu'il 
vous  avoit  pieu  m'accorder  auxquelles  ils  n'ont  non  plus  voulu  avoir 
aucun  esgard,  que  s'ils  ne  recognoissoieut  point  vostre  autorité,  tout 
ainsi  que  mon  agent  qui  est  pardela  vous  dira,  et  combien  que  les 
huguenots  me  privent  d'une  partie  de  mes  biens,  et  que  ladite  court  de 
parlement  me  travaille  judicieusement  soubz  mille  couleurs,  si  est-ce 
que  je  continueray  tousiours  ma  treshumble  servitude  et  les  prières  que 
je  fais  a  Dieu  de  vous  donner. 

Sire,  en  parfaite  santé,  très  heureuse  e  très  longue  vie. 

D'Avignon,  le  12  d'avril  1580. 

Vostre  treshumble  et  tresobeissant  serviteur  et  subiect. 

G.,  cardinal  d'ARMAiONAc. 

xmi. 

Au  Roi. 

Sire,  Vostre  Maieste  aura  esté  advertie  par  le  sieur  du  Roust^,  mon 
maistre  d'hostel,  qui  partit  dicy  le  dix  de  ce  mois,  la  mauvaise  et  ino- 
pinée nouvelle  que  j'eus  de  la  mort  du  feu  s""  abbé  de  la  Trappe,  que 
Dieu  absolve,  et  lennuy  que  jay  porté  d'un  si  malheureux  et  détestable 
acte,  tant  pour  ses  rares  vertus  et  qualités  que  pour  la  cognoissance 
que  javois  de  son  ardant  zèle  a  tout  ce  qui  estoit  pour  le  bien  de  Vostre 
service,  et  la  supplication  que  je  luy  fesois  de  me  vouloir  accorder 
l'abbaye  qu'il  tenoit  par  la  résignation  que  j'en  avois  faite,  avec  réserve 
des  fruits,  ma  vie  durant,  en  sorte  que  je  veulx  croire  que  je  ne  sceray 
en  cela  esconduit  de  ma  requeste  comme  juste  et  raisonnable  et  que 
Vostre  Maiesté  considérera  que  je  ne  fais  pas  nonseulement  pour  me 
prévaloir  du  titre;  mais  afin  que  par  ce  bien  faist,  j'aye  moyen  de  pou- 
voir aider  à  supporter  les  grandes  despenses  que  je  suis  constrainct 


t.  Mot  probablement  mal  lu.  Du  moins  j'ai  cru  le  devoir  lire  d'une  manière 
bien  différente  quand  je  l'ai  rencontré  dans  une  leltre  du  cardinal  d'Armagnac 
du  1"  octobre  1584  (Voir  Collection  méridionale,  t.  V,  p.  127)  :  là,  le  niailre- 
d'hôtel  du  cardinal  devient  «  le  sieur  de  Renest.  » 


32S  MELA\r,ES    ET    nOCHMENTS. 

laiiT    pour  son   sorvico,  i\\\o  jo  voulx    prosorvor  tousiours  à    quoique 
conimodito  (|ui  mo  puisse  advenir,  m'estimant  si  heureux  d'estre  a  vos 
commandemens  et  quoy  que  je  doive  soui'rir  et  endurer  pour  le  bien 
dicelluy,  je  suis  résolu  de  ne  m'en  départir  jamais  quand  il  s'agiroitdc 
la  conservation  de  ma  propre  vie,  c'est  pourquoy  je  vous  supplie  très- 
humblement,  Sire,  ne  permettre  que  sur  mes  vieulx  ans  je  doive  rece- 
voir de  vos  subjects  aucun  mauvais  traitcmens  ni  donner  occasion  à 
ceulx  qui  me  sont  mal  alVectionnes  de  se  resjouire  do  la  peyne  en 
laiiuelle  je  me  trouverois  réduit  à  cause  d'un  tel  accident  qui  ne  me 
pourroit  causer  que  toute  fascherie  et  tristesse,  comme  si  j'estois  mal 
mené  de  vostre  couronne,  dont  j'attcndray  en  bonne  dévotion  ce  que  le 
maistre  d'hostel  me  rapportera,  et  vous  devray  respondre  que  les  affidés 
du  Languedoc,  Provence  et  Daulphine  sont  au  mcsme  estât  que  Vostre 
Maiesto  pourra  avoir  entendu  de  ses  ministres,  et  mcsmes  par  Monsieur 
le  Grand-Prieur,  qui  ne  vous  laisse  rien  ignorer  de  ce  qui  se  passe  en 
son  gouvernement,   ni  des  moiens  quil  faut  sur  icelluy,  s'estant  jesté 
dans  S^  Dinans*,  quil  a  échappé  de  celluy  qui  s'en  estoit  emparé,  afin 
de  faire  la  guerre,  ainsi  qu'il  le  void  par  les  préparatifs  et  les  faists 
pour  assiéger  un  petit  vilaige  qui  est  voisin  de  ce  lieu,  pour  avoir  plus 
de  commodité  de  s'estendre  et    exécuter  ses  entreprises,    à   quoy  je 
m'assure  que  le  seigneur  Grand-Prieur  s'opposera  de  tout  son  pouvoir 
comme  il  a  desja  faist,  à  ce  que  j'entends;  y  ayant  depesché  le  sieur  de 
S'  M...  2,  son  lieutenant,  avec  sa  compaignie  de  gens  darmes  et  quatre 
harquebuziers,  selon  qu'il  en  donne  advis  à  Vostre  Maieste  à  laquelle  il 
me  semble  ne  devoir  [taire]  l'offre  que  ceulx  d'Aurange  m'ont  faiste  de 
vouloir  vivre  paisiblement,  avec  nous,  par  deux  d'entre  eux  qui  me 
sont  venus  trouver  de  la  part  du  sieur  de  Blacon  qui  y  commande  ; 
mais  parceque  je  sçay  que  leurs  deportemens  ne  tendent  jamais  qu'a 
une  mauvaise  fin,  et  quil  ny  a  assurance  aucune  en  leur  endroit,  je 
leur  ay  faist  response  que  Notre  Tressaint  [Père]  ne  désiroit  rien  tant 
que  de  faire  vivre  ses  subiects  avec  ceulx  de  Monsieur  le  Prince  d'Au- 
range en  repos  ;  et  que  nous  le  voulions  observer  de  tout  notre  pouvoir, 
pourvu  qu'eulx  et  ceulx  de  leur  parti  de  Daulphine  en  fasse  demesmes, 
et  pour  cest  effect  ils  partiront  pour  aller  trouver  les  sieurs  de  Peri- 
gueux  et  autres  chefs  de  la  Province  pour  entendre  leur  resolution  :  et 
comme  j'en  auray  response,  je  ne  fauldray  en  donner  advis  a  Vostre 
Maiesté  pour  le  désir  que  jauray  toute  ma  vie  de  ne  me  departire  de 
l'obéissance  que  je  vous  doibs,  d'aussi  bon  cœur  que  je  supplie  Notre 
Seigneur  de  vous  donner, 


1.  Nommai  lu,  car  on  le  chercherait  en  vain  dans  tous  les  dictionnaires  géogra- 
phiques. Je  suppose  qu'il  faut  lire  Saint-Véran,  qui  est  un  village  du  départe- 
ment de  Vaucluse,  dans  la  commune  de  Goult,  canton  de  Cordes,  arrondisse- 
ment d'Apt. 

2.  Je  ne  puis  reconstituer  le  nom  de  ce  lieutenant  de  Henri  d'AngouIême. 


LETTRES   INÉDITES   DU   CARDINAL   d'aRMAGNAC.  329 

Sire,  en  toute  perfection  de  santé,  tresheureuse  et  treslongue  vie. 

D'Avignon,  le  5  de  juing  1580. 

Vostre  treshumble  et  tresobeissant  serviteur  et  subiect. 

G.,  cardinal  d'ARMAicNAC. 

XLIV. 

A  LA  Reine. 

Madame,  par  ceque  j'escris  bien  au  long  au  Roy,  et  que  Vostre 
Maieste  en  sera  pleinement  advertie,  je  la  supplieray  treshumblement 
d'avoir  souvenance  de  la  requeste  que  je  vous  ay  faiste  y  disant  par  le 
S"-  du  Roust,  mon  maistre  dhostel,  que  je  naye  plus  de  moyen  de  con- 
tinuer la  treshumble  e  treffidèle  servitude  que  j'ay  vouée  a  Vos  Maiestes 
e  que  par  le  bien  que  j'en  espérois,  je  puisse  demeurer  le  reste  de  mes 
jours  en  la  transquillité  et  repos  que  laage  ou  je  -me  trouve  réduit 
requiert  pour  ne  me  departire  jamais  de  vos  commandemens  jusques  a 
la  dernière  goutte  de  mon  sang.  Ce  que  je  ferois  daussi  bon  cœur,  que 
je  supplie  mon  Seigneur  de  vous  donner, 

Madame,  en  parfaite  santé,  tresheureuse  et  treslongue  vie. 

D'Avignon,  le  15  de  juing^  1580. 

Vostre  treshumble  e  tresobeissant  serviteur  e  subiect. 

G.,  cardinal  d'ARMAiGNAC. 

XLV. 

Au  Roi. 

Sire,  quand  [j'eus]  la  reception2  de  la  lettre  quil  a  pieu  à  Vostre 
Maiesté  m'escrire  le  22  juillet.  Monsieur  le  Grand-Prieur  avoit  esté  icy 
pour  faire  entendre  au  sieur  Pirro  Malnozi  et  a  moy  le  desseing  qu'il 
avoit  faist  d'aller  assiéger  le  lieu  de  Saint-Vinans  =*,  occupé  par  les  enne- 
mys,  nous  avons  consenti  de  luy  bailler  Vostre  artillerie  et  luy  pour- 
voir des  munitions  nécessaires,  ce  que  nous  luy  avons  accordé  très 
volontiers,  mais  daultant  qu'il  nous  demandoit  aussi  quatre  harquebu- 
ziers,  il  ne  nous  fut  possible  d'en  former  que  deux,  lesquels  luy  seront 
envoyés  quatre  jours  après  son  partement  dicy,  et  il  les  employa 
selon  ses  desseings,  mais  il  advint  quelques  jours  après  qu'une  partie 

1.  Cette  lettre  correspond  sans  doute  à  la  lettre  28  du  catal.  ins.  de  la  Bib. 
nat.  cotée  6  juin  1580  :  «  par  ce  que  j'escris.  » 

2.  Cette  lettre  correspond  sans  doute  à  celle  qui  est  indiquée  ainsi  dans  le 
catal.  ms.  de  la  Bibl.  nat.  :  18  août  1580  :  «  Avant  la  réception.  » 

3.  Le  véritable  nom  de  ce  lieu,  que  nous  avons  trouvé  tout  à  l'heure  écrit 
Saint-Dinans,  était,  comme  je  l'ai  déjà  dit,  Saint-Véran. 


330  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

dicculx  jusquefî  au  nombre  de  soixante  ou  quatrevingt,  s'en  revint  du 
seigneur  Grand-Prieur  et  do  leur  capitaine,  et  à  notre  grand  regret,  qui 
nons  occasionna  de  nous  résouldre  a  les  faire  chastier,  comme  nous  y 
sommes  ajtpris,  et  cependant,  alin  que  Vostre  service  ne  reseut  aucun 
desadvautaige  pour  ce  regard,  nous  en  avons  envoyé  d'aultrcs  en  leur 
place.  A  cause  de  quoy  je  supplie  Vostre  Maiesté  de  croire  que  si  nous 
poulvions  faire  mieux  pour  vostre  service,  il  ny  seroit  rien  espargné, 
mais  Nostre  Saint-Père  ne  tient  icy  que  deux  compaignies  de  chevaulx 
légers  qui  sont  en  nombre  de  cent,  et  environ  mil  hommes  de  pied, 
qui  ne  suffisent  à  grand'peine  pour  la  garde  des  villes  du  pays,  qui  est 
cause  que  sa  sainteté  nous  a  commandé  d'attendre  soigneusement  a 
garder  cet  estât  sans  permettre  que  les  soldats  nécessaires  pour  la  garde 
d'icelluy  soit  employés  ailleurs  de  peur  qu'en  leur  absence  les  eune- 
mys  nentreprennent  sur  ses  villes,  comme  ils  font  ordinairement,  ce 
que  jay  bien  voulu  dire  à  Vostre  Maiesté  afin  qu'elle  y  puisse  remédier 
selon  son  bon  plaisir,  par  le  moyen  de  Monsieur  l'Ambassadeur  quelle 
tient  auprès  de  sa  sainteté  ou  de  son  nonce,  car  autrement  nous  avons 
les  mains  liées  pour  ne  pouvoir  accomplir  entièrement  les  commande- 
mens  selon  l'aflection  que  jen  ay,  et  auray  tout  le  demeurant  de  mes 
jours, 

Sire,  je  prie  Dieu  qu'il  donnet  à  Vostre  Maiesté  tresheurense  e  très- 
longue  vie. 

D'Avignon,  le  12  (?)  aoust  1580. 

Vostre  treshumble  et  tresobeissant  serviteur  et  subiect. 

G.,  cardinal  d'ARMAioNAc. 

XLVI. 

A  LA  Reine-Mère. 

Madame,  par  ceque  Vostre  Maiesté  verra  ce  que  j'escris  au  roy  en 
response  de  ce  quil  luy  avoit  pieu  me  commander  pour  le  regard  des 
forces- de  cest  estât,  je  ne  vous  en  feray  icy  plus  long  discours,  seule- 
ment vous  supplieray.  Madame,  d'avoir  souvenance  de  mon  ancienne 
servitude  et  de  la  perte  que  jay  faite  depuis  ces  derniers  troubles  qui 
m'a  entièrement  accablé,  estant  constrainct  à  congédier  toute  ma 
famille  pour  le  peu  de  secours  que  je  receois  de  mes  revenus,  et  mesmes 
à  peine  que  je  puis  jouyr  du  don  de  dix  mil  livres  qu'il  a  pieu  à  Vos 
Majesté  me  faire  porter.  Le  peu  de  respect  que  les  commis  du  trésorier 
Gastille  '  ont  porte  à  vos  ordonnances  nonobstant  lesquelles  ils  me  tra- 
vaillent indinement,  de  sorte  que  s'il  ne  plaist  au  roy,  et  à  vous 
Madame,  me  faire  ressentir  de  leur  libéralité,  je  me  voy  réduit  en  tel 
estât,  que  je  seray  constrainct  daller  comme  mendier.  Ayant  faist  de 

l.  Pierre  de  Castille,  contrôleur  général  des  finances,  mort  en  1629. 


LETTRES   INÉDITES   DU    CARDINAL   o' ARMAGNAC.  334 

si  grandes  et  excessives  dépenses  pour  le  service  de  Vos  Maiestes  lorsque 
la  nécessité  le  regardait  quil  estoit  nécessaire  davoir  tousiours  la  main 
a  la  bourse  pour  secourir  darmes  et  de  munitions  de  guerre  vos  subiects 
tant  de  Languedoc,  Provence  que  Daulphiné,  sans  que  pour  raison  de 
ce  pays  demandé  aucun  salaire  ny  recompense,  ayant  persévéré  tous- 
iours en  la  tresdevotieuse  affeclion  que  j'ay  de  tout  temps  eue  au  bien 
de  vos  affaires,  pour  lesquels  (puisque  Dieu  m'a  voulu  remettre  en  ma 
première  santé  après  avoir  esté  bien  fort  travaillé  de  ceste  maladie 
populaire*),  j'emploieray  le  reste  de  mes  jours  et  tout  ce  qui  en 
deppend  d'aussi  bon  cœur  que  je  prie  sa  bonté  divine  de  vous  donner, 

Madame,  en  toute  perfection  de  santé,  tresheureuse  et  treslongue  vie. 

D'Avignon,  le  22  d'aoustl580. 

Vostre  treshumbleet  tresobeissant  serviteur  et  subiect. 

G.,  cardinal  d'ARMAiGNAC. 

Madame,  ayant  reçu  la  lettre  ci-incluse 
de  la  rayne  de  Navarre  pour  Vostre 
Majesté,  je  nay  pas  voulu  faillir  de  la  luy 
faire  tenir. 

xLvn. 

A  LA  Reine-Mère. 

Madame,  ayant  trouvé  moyen  recouvrer  la  coppie  d'une  instruction 
que  les  églises  prétendues  de  Languedoc  et  Daulphiné,  ensemble  le 
s'  de  Blacons,  envoyent  à  Monsieur  le  Prince  d'Orange,  par  eun  nommé 
Lambert,  et  voyant  combien  importe  que  Vos  Maiestes  entendent  par  la 
leurs  mauvais  desseings  et  intentions,  j'ay  choysy  entre  ceulx  que  je 
scavois  de  longue  main  affectionnés  au  service  de  Vos  Maiestes,  le  sieur 
du  Rouest^,  pour  vous  apporter  nonseuleraent  ladite  instruction,  mais 
faire  entendre  beaucoup  d'autres  choses  qui  sont  passées  naguère  de 
deçà  et  lestât  ou  nous  nous  trouvons,  de  quoy  m'assurant  qu'il  s'ac- 
quitera  fidelleraent,  je  n'ay  qu'a  m'en  remettre  sur  luy,  pour  vous 
supplier  treshumblement,  Madame,  le  vouloir  ouyr  et  croire  ladessus,  et 
au  vostre,  ne  laisser  despourveu  de  vos  commandemens  celluy  auquel 
la  volunté  demeurera  jusques  au  dernier  soupir  de  sa  vie,  de  les  effec- 
tuer, de  mesme  envie  quil  va  prier  Dieu, 

Madame,  vous  maintenir  longuement  en  toute  heureuse  santé  et 
prospérité. 

Des  Gentillins  près  le  pont  de  Sorgues,  le  14  de  febvrier  1581. 

Vostre  treshumble  et  tresobeissant  serviteur  et  subgect. 

G.,  card.  d'ARMAiGNAc. 

1.  Le  cardinal  d'Armagnac  veut  parler  de  la  coqueluche  qui  sévit  dans  toute  la 
France  en  1580.  Voir  ce  qu'en  dit  J.  A.  de  Tliou  (livre  LXXII),  et  aussi  Pierre 
de  lEsloile  (édition  Jouaust,  t.  1,  1875,  p.  361). 

2.  Sic.  Nous  avons  vu  qu'il  fallait  bien  plutôt  lire  :  de  Renest. 


332  MÉLANGES    KT    DOCOMENTS. 

XLYTII. 
A  LA  Reine. 

Madame,  surco  qu'il  a  pion  au  Roy  oscriro  a  Mons.  do  (lauval  et  à 
moy,  de  secourir  larmoo  que  Monsieur  le  duc  du  Maynei  a  conduite 
en  Daulphiné,  des  forces  que  Nostre  Saint  Père  entretient  en  cest  estât, 
nous  n'avons  voulu  faillir  de  les  luy  envoyer  par  eun  gentilhomme  que 
nousdépeschons,  tenant  a  luy  donner  l'intention  de  sa  Sainteté,  encore 
que  cest  estât  fort  grandement  menacé,  est  que  si  l'ordre  de  pacifHca- 
tion  n'est  aussi  bien  escouté  pour  son  regard  puisqu'il  a  pieu  à  Vos 
Maiestés  l'y  comprendre,  il  est  à  craindre  que  les  ligues  de  la  guerre  et 
toute  la  tempeste  viendront  fondre  surcelluy,  et  desià  Ion  en  dresse  les 
préparatifs  non-seulement  en  Daulphiné,  mais  aussi  en  Languedoc,  où 
il  sest  assemblé  quelques  troupes  qui  taschent  de  passer  la  rivière  pour 
se  venir  joindre  à  ceulx  en  Daulphiné,  se  voulant  servir  pour  leur 
passaige  de  la  commodité  de  quelques  bateaulx  avec  lesquels  ceulx 
d'Aurange  louent  lepeaige  et  ranconnement  de  ceux  qui  passent  sur  la 
rivière,  nous  fesons  bien  tout  ce  que  nous  pouvons  pour  leur  empescher 
le  passaige  avec  la  bonne  intelligence  que  nous  avons  au  s'-  de  8*^  Jalle, 
qui  se  trouve  de  delà  avec  quelques  forces  qu'il  a  assemblées  à  cest 
effect  par  commandement  de  Monsieur  de  Montmorency,  mais  ils  pour- 
ront aller  passer  avec  ce  qu'ils  trouveront.  Par  ainsi.  Madame,  vostre 
bon  plaisir  sera,  continuant  vostre  bonne  protection  et  mon  estât,  de 
faire  que  le  s'  du  Mayne  y  establisse  la  paix  aussi  bien  qu'en  Daul- 
phiné, et  pourvoye  au  reste,  en  sorte  que  vos  provinces  et  vos  estats  ne 
soient  plus  en  doubte  de  ce  costé  là,  à  cause  qu'on  y  reçoit  indiffe- 
rement  tous  les  perturbateurs  du  repos  public  et  ceulx  qui  bastissent 
ladedans  les  menées  et  pratiques  pour  travailler  les  provinces  tellement 
que  pour  couper  chemin  à  cela,  le  plus  court  seroit  qu'il  pleust  à  Vos 
Maiestés  y  mettre  des  gens  de  bien  qui  gardassent  la  place  avec  le  revenu 
à  son  maistre  pourvu  quelle  fust  soulz  l'obéissance  de  ses  maistres, 
autrement  nous  serons  tous  les  jours  à  recommencer,  remettant  tout- 
affait  le  tout  à  vos  bons  plaisirs.  Je  vous  supplie  treshumblement. 
Madame,  avoir  pitié  de  la  pauvreté  où  je  me  trouve  et  me  faire  jouyr 
pour  l'advenir  du  don  quil  pleust  au  roy  me  faire,  car  je  n'en  eus 
jamais  tant  de  besoins  que  maintenant,  qu'il  me  viendroit  fort  mal  a 
propos  s'il  remarquoit  mes  torts,  car  je  ne  scaurois  d'où  payer  les 
debtes,  par  la  estre  contrainct  faire  pour  n'avoir  jouy  de  mon  revenu 
durant  les  guerres  passées  qui  m'ont  réduit  a  estre  en  ceste  extrémité 
où  je  me  trouve,  et  qui  me  contrainct  de  recourir  à  la  protection  qu'il 
vous  a  pieu  prendre  tousiours  de  celluy  qui  s'asseure  que  vous  ne  l'aban- 
donnerez, non  plus  que  vous  avez  faist  jusques  icy,  dont  il  vous 
demeurera  perpétuellement  oblige,  priera  Dieu  de  vous  en  estre  rému- 
nérateur et  vous  donner, 


LETTRES    IXÉDITES    DD    CARDINAL    d'aRMAGNAC.  333 

Madame,  en  parfaite  santé,  trèsheureuse  et  treslongue  vie. 

Le20<  de  juillet  1581. 

Vostre  treshumble  et  tresobeissant  serviteur  et  subiect. 

G.,  cardinal  d'ARMAiGNAC. 

XLIX. 

Au  Roi. 

Sire,  Aussitost  que  Monsieur  le  duc  du  Mayne.s  a  eu  faist  tout  ce  que 
Vostre  Maiesté  escrivoit  à  Monsieur  Malnozzi  Genval,  au  faist  des  armes 
en  vos  estats,  et  à  moy  pour  renforcer  son  armée  des  forces  que  Sa 
Sainteté  entretient  par  deçà,  nous  nous  sommes  disposés  à  faire,  estant 
aussi  telle  sa  volonté  et  intention,  qu'il  nous  a  fait  entendre  par  sa  der- 
nière déposition  tellement  que  nous  envoyons  présentement  un  gentil- 
homme devers  le  s"-  pour  luy  faire  entendre  ce  dequoy  nous  le  pourrons 
secourir,  en  vue  que  ce  que  nous  avons  nous  soit  bien  nécessaire  pour 
la  garde  des  villes  et  lieux  de  vos  estats,  puis  que  nous  sommes  adver- 
tis  qu'on  y  veult  venir  faire  la  guerre  ouvertement,  et  pour  cest  effect 
a-t-on  assemblé  en  Languedoc  quelques  troupes  de  gens  de  pied  qui 
tachent  de  passer  le  Rosne  pour  se  venir  joindre  à  Gommines^  (?),  mais 
c'est  soulz  la  faveur  d'Aurange,  et  de  quelques  bateaulx  que  le  s""  de 
Blacons  tient  la  pour  rançonner  les  passans  et  faire  payer  les  péages  et 
subsides,  ce  dont  j'ay  advisé  à  Vostre  Maiesté  dès  lors  quil  lentreprint, 
toutesfois  le  s'  de  S»^  Jalle  du  costé  de  delà,  et  nous  du  nostre,  faisons 
tout  ce  qu'il  nous  est  possible  pour  leur  empescher  les  passaiges  qu'ils 
publient  estre  pour  aller  au  secours  de  Viron'^,  ce  qui  n'est  vraysem- 
blable  veu  quon  tient  que  ceulx  du  Daulphiné  ont  accepté  la  paix  et 
veuUent  entièrement  obeyr  à  vostre  édit,  mais  le  mal  talent  leur 
demeure  tousiours  de  venir  travailler  vos  estats  par  la  force  de  la 
guerre  ouverte,  n'estant  peu  venir  à  bout  d'une  infinité  d'entreprinses 
qu'ils  ont  tracées  sur  dernièrement   la  pauvre  ville  d'Avignon,  dont 

1.  Le  catal.  ms.  de  la  Bib.  nat.  donne  la  date  du  25  et  indique  Bédaride 
comme  le  lieu  d'où  celte  lettre  fut  écrite  (a°  32).  Bédarrides  est  un  chef-lieu  de 
canton  du  département  de  Vaucluse,  arrondissement  d'Avignon,  à  14  kilomètres 
de  celte  ville. 

2.  Charles  de  Lorraine,  duc  de  Mayenne,  second  fils  de  François  de  Lorraine, 
duc  de  Guise,  né  en  1554,  morl  en  1611,  «  celui  de  tous  les  princes  lorrains,  » 
remarque  J.  A.  de  Thou  (livre  LXXV),  «  en  qui  le  roi  trouvait  plus  de  modération 
et  de  justice.  »  Notons  que  le  président  de  Thou  met  en  1582  l'envoi  du  duc  de 
Mayenne  en  Dauphiné,  où,  d'après  la  présente  lettre,  il  se  trouvait  déjà  dans  le 
mois  de  juillet  de  l'année  précédente. 

3.  Je  ne  devine  pas  le  nom  réel  qui  se  cache  dans  cette  faute  de  lecture. 

4.  Sic.  Serait-ce  Voiron,  chef-lieu  de  canton  du  département  de  l'Isère,  arron- 
dissement de  Grenoble,  à  25  kilomètres  de  cette  ville "^  Voiron  est  le  nom 
dauphinois  qui  se  rapproche  le  plus  de  la  forme  incertaine  Viron. 


33i  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS, 

aucuno?  dos  conspirations  ont  sonty  la  poino  de  lour  niofaict.  Ayant  été 
escoutes  par  la  et  d'aultant  Sire,  que  le  capitaine  Barault,  qui  est  de 
vos  subiects  de  Languedoc,  se  trouva  acccusé  par  l'un  des  condamnés 
qui  étoient  quatre,  soutenant  que  nous  le  fismes  entendre  a  Monsieur 
de  Montmorency,  il  se  fist  faire  prisonnier,  et  il  nous  envoya  dire  quil 
soutiendroit  jusques  au  dernier  supplice,  en  quoy  le  s""  do  Montmo- 
rency a  faist  un  acte  genereulx  et  duquel  nous  nous  assurons  que 
Yostre  Maiesté  demeurera  bien  contente,  pour  la  protection  en  laquelle 
il  lui  a  pieu  prendre  tousiours  ces  estats,  et  ce  néanmoins  nous  ne  pro- 
céderons enltro  autres  le  s""  Barault  qu'avec  le  seu  du  s""  de  Montmo- 
rency et  y  retrouvant  vos  offenses,  toutes  ces  menasses  et  menées  me 
font  craindre  quils  ne  gettent  la  tempeste  et  les  prémices  de  la  guerre 
sur  vos  estats,  s'il  ne  vous  plaist.  Sire,  de  faire  ressentir  l'effoct  et 
exécution  de  Vostre  Maieste,  tout  ainsi  quil  vous  a  pieu  le  comprendre. 
De  quoy  je  supplicray  treshumblemeut  et  de  tant  plus  extrêmement 
Vostre  Maiesté,  Sire,  que  cela  pourroit  ralumer  la  guerre  dans  vos  pro- 
vinces circonvoysines  et  au  reste  que  vostre  plaisir  soit  pourvoir  aux 
nécessites  de  ses  gens  de  bien  qui  conservent  la  place  a  son  maistre, 
avec  le  revenu,  soulz  toutefois  vostre  obeyssance  comme  il  a  esté  faist 
autrefois,  en  sorte  que  les  voysins  n'en  reçoivent  plus  les  maulx  et 
dommaiges  qu'elle  est  coutumiere  leur  apporter,  y  recevant  indiffere- 
mcnt  toutes  sortes  de  gens  qui  y  bastissent  toutes  leurs  entreprinses 
contre  les  dites  provinces  et  estats,  et  quand  le  sieur  Duc  en  aura  le 
commandement  de  Vostre  Maiesté,  je  m'assure  quil  luy  sera  facille  de 
l'exécuter  avant  son  partement  de  ce  pays,  lequel  ne  sera  jamais  en 
seureté  et  repos  tant  que  le  sieur  Au  range  demeurera  en  Testât  quil 
est.  Et  parceque  je  m'assure  que  vous  prendrez  en  bonne  part  ce  que 
j 'en  dy  qui  ne  procède  que  du  zelle  et  affection  que  jay  à  vostre  ser- 
vice, je  n'en  ennuyeray  davantaige  Vostre  Maiesté,  mais  pour  fin  de 
cela,  luy  rafraischiray  la  treshumble  requeste  que  je  luy  ai  souvent 
faiste  pour  mon  particulier,  touchant  le  don  qu'il  luy  a  pieu  me  faire, 
afin  quil  me  soit  continué  et  assuré  pour  l'advenir,  puisque  je  n'en  eus 
jamais  si  grand  besoing  que  maintenant,  qui  m'en  faist  rendre  si 
importun,  me  trouvant  chargé  de  tant  de  debtes  sur  mes  vieulx  ans, 
que  je  n'espère  pas  en  pouvoir  sortir,  si  je  ne  suis  secouru  de  vos  bien- 
faits et  libéralités  auxquels  je  suis  contraint  de  recourir  en  ceste 
extrémité  où  les  guerres  et  la  non  jouyssance  de  mon  revenu  m'ont 
réduit,  et  ce  sera  augmenter  de  plus  en  plus  mon  obligation  au  service 
de  Vostre  Maiesté,  et  à  prier  continuellement  Dieu,  Sire,  pour  son 
estât,  prospérité  et  santé,  et  vous  donner 

Très-heureuse  et  très  longue  vie. 

Ce20^  de  juillet  1581. 

Vostre  très-humble  très  obéissant  serviteur  et  subject. 

G.,  cardinal  d'ARjuiGNAC. 

l.  Le  catal.  ras.  de  la  Bib.  nat.  donne  pour  celte  lettre  la  date  du  25. 


LETTRES    INÉDITES    1)D   CARDINAL   d'aRMAGNAC.  335 

Au  Roi. 

Sire,  retournant  le  magnifique  s"  Francesco  Morizini  de  la  court  du 
roy  d'Espaigne,  où  il  a  esté  ambassadeur  pour  la  seigneurie  de  Venize, 
et  ayant  passé  par  icy  ou  je  me  suis  essayé  luy  faire  le  meilleur  accueil 
et  traictement  dont  je  me  suis  peu  advisé,  tant  par  ce  que  je  scavois  que 
Vostre  Maiesté  l'auroit  aggreable,  quant  ce  ne  seroit  que  pour  avoir  esté 
le  premier  ambassadeur  que  la  Seigneurie  ait  envoyé  devers  vous  après 
vostre  retour  de  Poloigne,  que  pour  la  particulière  amytié  que  je  luy 
ay,  et  a  toute  sa  maison,  nombrée  entre  les  plus  insignes  de  la  Seigneu- 
rie. Je  l'ay  trouvé  si  zellé  et  affectionné  au  bien  de  Votre  service,  qu'es- 
tant entré  en  discours  avec  luy,  il  s'est  laissé  entendre,  que  sur  son 
parlement  de  la  Court  d'Espaigne,  les  choses  y  estoient  en  tels  termes, 
que  le  roy  ne  voyant  pouvoir  divertir  la  guerre  de  Flandres  par  autre 
moyen  qu'en  la  dressant  contre  vostre  royaume,  il  a  esté  résolu  que  ce 
seroit  du  costé  de  la  Prouvence,  qui  leur  a  semblé  le  plus  act;essible  et 
facile.  Ayant  desià  pour  cest  effect  cent  cinquante  galleres  armées, 
équipées  et  prêtes,  la  moitié  en  Espaigne,  et  l'autre  moitié  en  Italie, 
schachant  où  prendre  les  vivres  ou  munitions  nécessaires  à  telles  entre- 
prinses,  oultre  qu'il  faist  estât  d'avoir  beaucoup  de  pratiques,  amitiés 
et  intelligences  dans  le  propre  pays,  dequoy  ayant  incontinent  donné 
advis  à  Monsieur  le  Grand-Prieur  pour  pourveoir  à  la  seureté  des  ports 
et  villes  de  son  commandement,  je  n'ay  voulu  faillir  d'en  faire  aultant 
à  Yostre  Maiesté,  la  suppliant  très-humblement,  Sire,  recevoir  en 
bonne  part  les  advis  puisqu'il  ne  procède  que  de  la  dévotion  que  j'ay  eu 
tousiours  au  bien  de  votre  service,  manutention  de  votre  estât  et  cou- 
ronne, pour  lesquels  je  prie  sincèrement  Dieu  de  vous  donner, 

Sire,  en  toute  perfection  de  santé,  très-heureuse  et  très-longue  vie. 

D'Avignon,  le  28  octobre  1581. 

Vostre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur  et  subject. 

G.,  cardinal  d'ARMAiGNAC. 

LI. 

Au  Roi. 

Sire,  l'ancienne  marque  de  fidellité  qui  dès  ma  naissance  a  servy  de 
guide  a  tout  le  cours  de  ma  vie,  et  par  le  moyen  de  laquelle  j'ay  receu 
tant  de  grâces  et  faveurs  de  vos  prédécesseurs  et  de  Vostre  Maiesté,  ne 
permettra  jamais  que  je  laisse  passer  aucune  chose  que  je  cognoisse  en 
quelque  lieu  que  je  sois  importer  tant  soit  peu  son  service  sans  l'en 


330  MELANfiES    ET    DOCUMENTS. 

advertir.  Comme  jay  voulu  faire  prcsontoment  par  le  s'  de  Fougasse 
présent  porteur  de  la  mutation  que  Nostrc  Saint  Père  a  voulu  faire  en 
oosto  ville,  de  la  personne  du  s""  l'ovesque  de  Tliolon,  mon  lieutenant  en 
l'administration  de  la  justice*,  a  celluy  do  Savonne  (jui  voiiloit  estre 
recteur  du  Comté.  Il  m'a  semblé,  Sire,  estre  nécessairement  de  mon 
devoir  de  vous  le  faire  entendre;  tant  par  ce  qui!  a  pieu  a  Vostre 
Maiesté  prendre  la  protection  de  ce  pays  au  moyen  de  quoy  il  est  bien 
raisonnable  qu'elle  sache  qui  sont  ceulx  qui  ont  quelque  commande- 
ment et  sur  les  armes,  et  sur  la  justice,  pour  s'en  servir  aux  occasions 
qui  journellement  se  présentent,  et  les  quallitos  dudit  s""  de  Savonne, 
lesquelles  vous  seront  exactement  declairees  par  le  s""  de  Fougasse,  ne 
me  restant  a  vous  dire  sur  ce  particulier,  sinon  quil  monstre  par  son 
discours  estre  très  affectionné  au  service  de  Vostre  Maiesté,  en  quoy 
j'espère  tant  que  je  vivray  et  quil  sera  auprès  de  moy,  luy  servire  de  si 
bon  exemple  quil  n'aura  point  ocasion  de  se  declaircr  autre.  Autre 
regret  uay  je,  Sire,  sinon  de  navoir  la  disposition  du  corps  et  des  forces 
pareilles  a  la  bonne  volonté  pour  me  pouvoir  rendre  digne  de  tant  de 
favorables  démonstrations  que  Vostre  Maiesté  me  faist  journellement 
de  son  amytié,  que  je  la  supplie  treshumblement  me  vouloir  continuer 
comme  le  plus  souverain  support  et  consolation  que  je  puisse  désirer  en 
l'aage  que  je  suis.  Des  affaires  de  ses  provinces  circouvoysines,  je  ne 
luy  escris  point,  d'aultant  que  je  scay  qu'elle  en  est  bien  informée  par 
icelles,  particulièrement  par  Monsieur  le  Grand  Prieur  de  la  reddition 
de  Colmars  2  soulz  l'obeyssance  de  Vostre  Maiesté,  et  de  la  délibération 
qu'il  a  faiste  de  la  razer  ou  d'y  mettre  une  bonne  garnison,  par  Mess'^ 
les  Princes  de  Montmorency  et  de  Joyeuse,  des  troubles  que  les  voleurs 
donnent  en  ce  pays,  et  par  Mons'"  de  Maugiron,  de  la  continuation  de  la 
paix  en  Daulphiné,  si  bien  qu'a  moy  seul  demeure  la  charge  puisque 
je  n'ay  autre  subiect  digne  de  Vostre  Maiesté,  de  supplier  le  Créateur  en 
toutes  mes  dévotions,  vous  donner. 


1.  Guillaume  Le  Blanc  ou  du  Blanc,  d'abord  chancelier  de  l'université  de  Tou" 
louse,  puis  évêque  de  Toulon  en  1572  et  vice-légat  du  cardinal  d'Armagnac 
pendant  de  longues  années.  Voir  sur  ce  personnage  V Introduction  aux  Lettres 
inédites  du  cardinal  d'Armagnac  (p.  43  et  47)  et  les  judicieuses  observations 
de  M.  Léonce  Coulure  dans  la  Revue  de  Gascogne  d'août  et  septembre  1875, 
p.  374,  375.  M.  Couture  a  signalé  une  importante  lettre  de  lévêque  de  Toulon  au 
Pape,  écrite  le  25  octobre  1583,  et  publiée  pour  la  première  fois  par  le  P.  Thei- 
ner  [Annales  ecclésiastiques,  t.  III,  1856,  p.  460).  A  la  suite  de  ce  document,  dans 
lequel  Guillaume  Le  Blanc  proleste  contre  la  disgrAce  imméritée  dont  il  avait 
été  l'objet  de  la  part  de  Grégoire  XIII  et  se  défend  victorieusement  des  calomnies 
qui  avaient  causé  sa  révocation,  le  P.  Theiner  a  reproduit  (ibid.)  une  lettre  de 
l'archevêque  d'Avignon  au  Souverain-Pontife  en  faveur  de  son  intègre  collabo- 
rateur qui  avait  été  accusé  de  corruption,  lettre,  dit  M.  L.  Couture,  «  aussi 
ferme  que  respectueuse.  » 

2.  Aujourd'hui  chef-lieu  de  canton  du  département  des  Basses- Alpes,  arrondis- 
sement de  Castellane. 


LETTRES    INÉDITES    DU    CARDINAL    d'aRMAGNAC.  337 

Sire,  en  toute  perfection  de  santé  et  contentement,  treslongue  et 
tresheureuse  vie. 
D'Avignon,  19  décembre  1583. 
Vostre  tresliumble  et  tresobeissant  subiect  et  serviteur. 

G.,  cardinal  d'ARMAiGNAC. 

LU. 

Au  Roi. 

Sire,  vostre  ville  du  Saint-Esprit  est  tellement  [convoitée]  par  les 
ennemys  du  repos  public,  qu'ils  ne  cessent  jour  et  nuit  de  penser  aux 
moyens  de  s'en  rendre  maistres,  et  quant  par  surprinse,  intelligence  ou 
pratique  ils  se  verront  frustrés  de  leur  mauvaise  intention  à  cause  de  la 
bonne  garde  que  Ion  y  faist  à  ma  continuelle  exortation,  ils  sont  résolus 
d'employer  toutes  leurs  forces  pour  exécuter  leur  malheureux  desseing. 
Et  de  faist  se  voyant  descouverts  et  hors  d'espérance  d'y  pouvoir  par- 
venir que  par  eun  grand  effort,  ils  font  de  si  grands  presparatifs,  qu'il 
est  bien  à  craindre  que  les  habitants  de  la  ville,  fidelles  subiects  de 
Votre  Maiesté,  ne  pourront  longuement  subsister  au  soustien  d'une 
notable  force,  telle  que  l'on  voist  s'apprester,  si  elle  n'est  fortifiée  des 
moyens  propres  pour  s'y  opposer  docilement.  Gomme  ils  sont  bien 
résolus,  s'il  plaist  à  Vostre  Maiesté  comme  le  cognoissant  sage,  je  l'en 
supplie  très-humblement,  et  combien  que  je  soys  certain.  Sire,  que 
Votre  Maiesté  est  bien  amplement  informée  de  l'importance  de  la  ville, 
je  ne  veulx  pas  laisser  de  vous  dire,  que  si  par  malheur  les  rebelles  de 
Vostre  Maiesté  y  mettoient  une  fois  le  pied,  la  commodité  d'un  tel 
passage  sur  la  rivière  du  Rosne,  propre  à  l'exécution  d'une  infinité 
d'autres  dampnables  entreprinses,  avec  l'utillité  qu'ils  recevront  du 
peaige,  leur  donneroit  occasion  de  se  fortiffier  tellement  là-dedans, 
qu'ils  n'en  sortiront  jamais  que  par  une  très-grande  force  ;  aussi  est-ce 
la  cause  pourquoy  tous  les  chefs  des  rebelles  ont  conjuré  de  la  prendre. 
Quant  à  moi.  Sire,  je  ne  fauldray  point  de  la  secourir  de  tout  ce  qui  me 
sera  possible,  pour  la  fidellité  et  dévotion  que  par  debvoire,  je  doibs  au 
sujet  de  votre  service,  et  de  faist  j'ai  desja  envoyé  chercher  des  pouldres 
pour  y  envoyer,  mais  cela  ni  tous  mes  moyens  ny  pourroient  suffire, 
parceque  la  ville  a  besoin  de  gens,  de  pièces  de  desfense,  et  autres 
armes  que  je  ne  puis  ester  de  cette  ville  sans  la  desmunire,  et  affaiblire 
tellement  que  nous  pourrions  courrire  la  mesme  fortune,  et  cela  s'ap- 
pelleroit  ouvrire  un  grand  trou  pour  en  boucher  un  petit,  n'estant  pas 
de  moindre  considération  pour  votre  service  que  si  elle  estoit  à  Vostre 
Maiesté  laquelle  ne  trouvera  pas  mauvais,  s'il  luy  plaist,  ce  que  je  luy 
ay  desja  fidellemsnt  prousvé  du  zèle  que  j'ay  à  la  conservation  de  tout 
ce  qui  lui  appartient.  Gomme  je  lui  feray  tousjours  paroistre  en  toutes 
les  occasions  qui  se  présenteront  au  prix  de  mon  sang  propre,  lequel 

ReV.    HiSTOR.    V.   2e   FASG.  22 


338  MÉLANfiES    ET    nOCUMENTS. 

avoc.  tout  co  quo  jay  on  co  monclo  j  ay  dcdio  à  l'oboissanco  de  voz  com- 
mandomoiit;,  attcMulant  lesquels  jo  supplicray  le  Créateur, 

Sire,  vous  donner  en  toute  perfection  de  santé  et  contentement  Irès- 
longue  et  très-heureuse  vie. 

DAviguon  le  24  janvier  1584. 

Vostre  très-humblo,  très-obéissant  subiect  et  serviteur. 

G-,  cardinal  d'AnMAiGNAC. 

LUI. 

Au  Roi. 
Sire, 
Combien  que  je  pourrois  me  rapporter  à  la  suffisance  de  M""  de 
Lombez,  pour  faire  entendre  à  Vostre  Maiesté  Testât  des  affaires  du 
Languedoc,  d'aultant  qu'il  en  est  bien  instruit  et  que  durant  quelques 
jours  qu'il  a  demuré  avec  moy  il  a  toujours  participé  aux  advis  qui  se 
sont  présentés,  je  l'ai  toutefîbis  bien  voulu  accompaigner  de  ce  mot, 
tant  pour  satisfaire  à  mon  debvoir,  que  pour  servir  de  tesmoignage  à  ce 
quil  vous  dira  de  vive  voix  des  assemblées  pratiques  et  entreprises  que 
les  ennemys  du  repos  public  font  journellement  pour  surprendre 
quelque  fort,  affin  de  pouvoir  avec  plus  de  commodité  exercer  leur 
mcschancete,  et  avec  une  bonne  occasion  violer  la  foy  qu'ils  ne  scau- 
ront  garder,  sinon  entres  eulx,  pour  l'exécution  de  leur  obstination, 
laquelle  une  troupe  de  capitaines  la  plus  mal  assortie  du  service  de 
"Vostre  Maiesté  ont  juré,  quelque  confirmation  de  paix  qu'il  y  puisse 
avoir,  de  s'emparer  de  tous  les  lieux  qu'ils  pourront,  pour  avoir  de 
quoy  continuer  leur  vauiage.  Cela  monstre.  Sire,  qu'ils  ne  s'espargne- 
ront  pas  pour  attraper  les  places  plus  importantes,  mesmes  celles  qui 
de  longue  main  sont  assignées  comme  le  fort  S^  André ^,  et  les  villes  du 
S'  Esprit,  qui  sont  tous  les  jours  en  allarmes,  par  les  advis  que  Ion  a 
par  la  main  de  ceulx  mesme  qui  sont  commis  à  l'exécution  de  la 
prinse.  Mais  jespere  que  Dieu  par  sa  grâce  leur  ostera  la  force  de  leurs 
mains  comme  II  a  fait  il  n'y  a  que  deux  jours  au  fort  de  S'  Victor  2, 
très-fort  et  de  grande  importance  à  deux  lieues  du  S'  Esprit,  lequel  fut 
attaqué  en  plain  jour  par  deux  des  conjurés  qui  sont  arrivés  avec  deux 
cens  harquebuziers,  après  avoir  fait  saulter  la  première  porte  du  ravein, 
avec  trois  petars,  en  grand  danger  destre  forcé,  sans  le  prompt  secours 
que  ceulx  de  dedans  eurent  de  quelques  gentilshommes  de  ce  comté 

1.  Probablement  aujourd'hui  Saint-André  de  Valborgne,  chef-lieu  de  canton 
du  département  du  Gard,  arrondissement  du  Vigan. 

2.  Je  croiâ  pouvoir  identitier  ce  Saint- Victor  avec  Saint-Victor- Lacoste, 
commune  du  département  du  Gard,  arrondissement  d'Uzès,  canton  de  Roque- 
maure.  Le  chef-lieu  de  cette  commune  conserve  encore  les  débris  de  se» 
anciennes  murailles. 


LETTRES    IXE'dITES    DD    CARDIXiL    d'aRMAGXAC.  339 

qui  de  fortune  se  trouvèrent  à  BaignolzJ  et  des  villages  voisins  où  nous 
devons  crainsdre,  Sire,  si  Vostre  Majesté  n'ordonne  quelque  provision 
pour  la  garde  de  ces  lieux.  Il  est  grandement  à  craindre  quils  ne  tom- 
bent enfin  en  quelque  sinistre  accident  s'ils  ne  sont  fortifiés  et  soulaigés 
du  secours  de  Vostre  Maiesté  quoy  je  ne  faille  de  les  tenir  esveillés  par 
continuels  advertissements  et  les  secourir  de  tous  mes  moiens  comme 
j'ai  fait  jusques  à  maintenant  Sire,  le  temps  est  prociie  auquel  j'aurai 
plus  besoins  de  Vostre  faveur  que  jamais,  pour  faire  admettre  à 
Messieurs  les  desputez  du  clergé  le  don  que  Vostre  Maiesté  m'a  faist, 
lorsque  Gastille  rendera  ses  comptes,  sil  luy  plait  que  j'en  jouisse 
ainsi  qu'elle  a  touiours  monstre  être  de  son  vouloir,  je  la  suplie  tres- 
humblement  ne  trouver  point  mauvais  si  avec  tant  de  importunite  je 
implore  sa  protection,  veu  que  son  seul  commandement  est  auth^,  me 
pouvant  faire  savoire  les  difficultés  qui  se  présenteront  si  Vostre 
Maiesté  se  daigne  avoir  mémoire  d'un  des  plus  dévoués  servicteure  de 
ceste  couronne,  pour  la  grandeur  et  soutien  de  laquelle  je  fais  conti- 
nuelles prières  à  Dieu  et  qu'il  donne  à  Vostre  Maiesté,  ■ 

Sire,  en  toute  perfection  de  santé  et  contentement,  très  longue  et 
tresheureuse  vye. 

D'Avignon  ce  23  février  1584. 

Vostre  treshumble  et  tresobéissant  subgect  et  serviteur. 

G.,  cardinal  d'ARMAiGNAC. 

LIV. 

Au  Roi. 

Sire, 
J'ay  esté  extrêmement  ayse  de  voir  par  la  lettre  du  26  mars  qu'il  a 
pieu  à  Votre  Majesté  m'escrire,  que  l'ordre  que  nous  avons  tenu  et 
tenons  tous  les  jours  pour  nous  garantir  des  invasions  dont  nous 
sommes  menasses  selon  les  advis  mêmes  que  Votre  Majesté  nous  en  a 
voulu  donner,  luy  soit  estre  aggréable.  Au  moyen  de  quoi,  Sire,  j'es- 
père le  mettre  si  bien  en  pratique,  et  tenir  si  soigneusement  la  main  à 
la  conservation  de  votre  ville,  douttant  qu'elle  n'importe  pas  moins  au 
service  de  Votre  Majesté,  qu'à  celluy  de  Notre  S^  Père,  que  j'espère 
avec  l'ayde  de  Dieu  la  maintenir  soulz  la  mesme  obeyssance  que  j'ay 
fait  jusqu'à  présent,  portant  gravé  en  la  mesmoire  et  au  milieu  du 
cœur  la  maxime  contenue  en  moi  que  la  deffiance  est  en  ce  temps  mère 
de  la  sûreté.  Comme  chose  digne  d'estre  bien  remarquée,  j'attendray  le 
reste  de   voz  commandemens  sur  ce  faist  par  le  capitaine   Hugues, 

1.  Bagnols-sur-Cèze,  chef-lieu  de  canton  du  département  du  Gard,  arrondisse- 
ment d'Uzès,  à  23  kilomètres  de  celte  'ville. 


340  MéLANf.ES    i:  I'   DOCUMENTS. 

suivant  rintcution  do  Volro  Majesté  à  kiqiiollo  baysant  très-humble- 
ment les  mains,  supplie  le  Créateur  donner, 

Sire,  avec  très-longue  et  très-heureuse  vie,  entier  contentement  de 
ses  saints  désirs. 

D'Avignon,  le  20 «  d'avril  15842. 

Voire  très-humble  et  très-obéissant  subjoct  et  serviteur. 

G.,  cardinal  d'ARMAiGNAC. 

LV. 

Au    CARDINAL  DE  PeLLEVÉ^. 

Monsieur,  vous  m'avez  si  fort  obligé  par  les  honnestes  courtoysiesque 
j'ay  receu  de  vous  pour  la  conservation  de  ce  qui  mappartieut,  que  je 
m'estimerois  le  plus  ingrat  homme  du  monde,  si  je  ne  vous  en  rendois 
toute  la  recognoissance  de  service  qu'un  tel  bienfaist  mérite,  et  desyre 
quelque  bonne  occasion  pour  m'en  revancher,  et  monstrer  par  effect 
l'envye  que  j'ay  de  suyvre  en  toutes  choses  vos  commandemens  que  je 
vous  fais  avec  la  mesme  affection,  que  je  me  veulx  resjouyre  avec  vous 
de  la  bonne  nouvelle  qu'il  vous  a  pieu  me  départir  sur  lélection  que 
Nostre  Saint  Père  a  faist  de  vous  en  l'abbaye  de  Foix^,  laquelle  il  ne 
scauroit  avoir  mieulx  employée.  Tout  ainsi  que  je  fais  aussi,  de  ce  que 
le  roy  m'a  confirmé  le  titre  de  mon  archevesché  de  Tholoze,  scachant 
que  vous  en  aurez  contentement,  pour  l'amytié  qu'il  vous  plaist  me 

1.  Le  catal.  ms.  de  la  Bibliothèque  nationale  donne  à  cette  lettre  la  date  du 
10  avril  (n»  8). 

1.  Voir  deux  autres  lettres  écrites  en  1584  à  Henri  III,  par  le  cardinal  d'Ar- 
magnac, l'une  le  1°"  octobre  et  l'autre  le  16  du  même  mois  (p.  127  et  Vl9  du 
tome  V  delà  CoUecUon  méridionale).  N'oublions  pas  que  le  P.  Theiner  a  publié 
{Annales  eccle'siast.,  t.  III,  p.  198,  199,  etc.)  plusieurs  lettres  de  l'archevêque 
d'Avignon,  adressées  en  cette  même  année,  à  la  cour  de  Rome.  En  réunissant 
toutes  les  lettres  du  cardinal  d'Armagnac  qui  ont  vu  le  jour  jusqu'à  présent  par 
les  soins  de  Ribier,  de  Dom  Vaissète,  de  M.  Charrière,  du  P.  Theiner,  de 
M.  Miller  (de  l'instilul),  de  l'éditeur  de  la  Collection  méridionale,  on  en  comp- 
terait bien  environ  140,  et,  en  y  joignant  les  60  lettres  données  ici,  on  aurait  un 
total  de  200  lettres  aujourd'hui  connues. 

3.  Nicolas  de  Pellevé,  né  le  18  octobre  1518,  fut  nommé  évêque  d'Amiens  en 
1552,  archevêque  de  Sens  en  1562,  cardinal  en  1570,  archevêque  de  Reims  en 
1592,  et  mourut  à  Paris  le  26  mars  1594. 

4.  Aujourd'hui  chef-lieu  du  département  de  l'Ariége.  L'abbaye  de  Saint-Volu- 
sien  de  Foix  était  vacante  depuis  la  mort  de  Paul  de  Foix  (29  mai  1584).  Les 
auteurs  du  Gallia  christiana  (t.  XIII,  Ecclesia  Appamiensis,  col.  184)  ont 
commis  un  petit  anachronisme  en  écrivant  sous  le  nom  de  Nicolas  de  Pellevé  : 
«  A  bixto  'V  abbatiam  obtinet  an.  1585.  »  On  voit  par  la  lettre  du  cardinal 
d'Armagnac  que,  dès  le  mois  de  juin  1584,  Grégoire  XIII  avait  donné  l'abbaye  de 
Foix  à  l'archevêque  de  Sens. 


LETTRES    INE'dITES    DU    CARDINAL    d'aRMAGNAC.  34^ 

porter^.  Nous  avons  eu  a  Beaucaire  quelques  jours  Monsieur  le  duc  de 
Montmorency,  et  s'en  est  party  depuis  hier  pour  aller  au  rencontre  du 
roy  de  Navarre  que  Ion  dicst  estre  à  Mazeres^  pour  prendre  la  route  de 
Montpellier,  où  l'on  se  prépare  de  le  recevoir,  accompaigné  de  Monsieur 
le  duc  d'Espernon^,  pour  pacifier  les  troubles  de  Languedoc  et  essayer 
de  faire  quelque  bonne  reconciliation,  selon  que  vous  pourrez  voir  par 
un  advis  que  jay  donné  charge  à  mon  agent  vous  communiquer,  et  de 
la  Court  Ion  me  mande  par  lettre  du  !«■•  de  ce  mois,  que  Monseigneur, 
frère  du  roy,  est  en  très  bonne  santé,  et  que  les  médecins  donnent  une 
grande  espérance  de  sa  vye  pourvu  quil  ne  face  aucun  excès*,  et  que  la 
royne  mère  de  Sa  Maiesté  estoit  arrivée  de  retoure  d'avec  luy  avec  une 
très  grande  joye^,  qui  est  une  nouvelle  que  tous  les  gens  de  bien  en 
doivent  avoir  contentement,  pour  le  fruit  quelle  produira  à  toute  la 
France,  dequoy  je  fais  treshumbles  prières  a  Dieu.  Et  m'estant  très 
humblement  recommandé  a  vos  bonnes  grâces,  je  le  supplie  quil  vous 
donne, 


1,  Le  titre  fut  confirmé,  mais  cela  n'empêcha  pas  le  roi  de  donner  pour  suc- 
cesseur à  Paul  de  Foix,  sur  le  siège  archiépiscopal  de  Toulouse,  François  de 
Joyeuse,  qui  était  déjà  archevêque  de  Narbonne  depuis  1582  [Gallia  christiana, 
t.  XIII,  col.  59). 

1.  Aujourd'hui  commune  du  département  de  l'Âriége,  arrondissement  de 
Pamiers,  canton  de  Saverdun,  à  17  kilomètres  de  Pamiers.  D'après  le  tableau 
des  Séjours  et  itinéraire  du  roi  de  Navarre  dressé  par  M.  Berger  de  Xivrey 
{Recueil  des  lettres  missives  de  Henri  IV,  t.  II,  p.  579,  580),  ce  prince  était 
arrivé  à  Mazères  le  7  juin  et  n'en  repartit  que  le  13.  Au  lieu  de  se  diriger  vers 
Montpellier,  comme  le  présumait  le  cardinal,  Henri  revint  à  Paris. 

3.  Jean-Louis  de  Nogaret,  duc  d'Epernon  depuis  le  mois  de  novembre  1581. 
Voir  sur  son  entrevue  avec  le  roi  de  Navarre  (non  à  Mazères,  mais  à  Pau,  dans 
les  premiers  jours  de  juillet),  VHistoire  de  la  vie  du  duc  d'Espernon,  par 
Guillaume  Girard  (édition  de  1730,  in-4°,  p.  29-33). 

4.  Les  médecins  se  trompaient,  comme  il  leur  arrive  si  souvent  :  Au  moment 
où  le  cardinal  d'Armagnac  transmettait  à  son  collègue  d'aussi  rassurantes  nou- 
velles, le  duc  d'Anjou  n'avait  plus  que  cinq  jours  à  vivre  (il  rendit  le  dernier 
soupir  le  19  juin  et  non  le  10,  comme  on  l'a  souvent  dit,  et  comme  l'a  répété 
M.  Lud.  Lalanne  dans  son  Dictionnaire  historique  de  la  France).  Remarquons 
toutefois,  à  la  décharge  des  médecins,  que  s'il  faut  en  croire  le  témoignage  de 
Pierre  de  l'Estoile  (édition  Jouâust,  t.  II,  1875,  p.  154),  dès  la  fin  du  mois  de 
mai  le  duc  d'Anjou  aurait  été  considéré  par  eux  comme  inguérissable. 

5.  Leduc  d'Anjou,  après  l'échec  d'Anvers,  s'était  retiré  à  Château-Thierry,  une 
des  terres  de  son  apanage  :  venu  à  Paris  le  11  février  1580,  il  s'y  était  rencontré 
avec  le  roi,  son  frère,  et  le  21  du  même  mois  il  était  rentré  à  Château-Thierry 
pour  ne  plus  le  quitter.  Catherine  deMédicis  alla  voir  le  duc  d'Anjou  vers  la  fin 
du  mois  de  mai  :  elle  revint  à  Paris  le  1"  juin,  faisant  apporter  par  eau  les  plus 
précieux  meubles  de  son  fils  mourant.  Croyons,  pour  son  honneur  de  mère,  que 
le  cardinal  d'Armagnac  avait  été  mal  renseigné  quand  on  lui  avait  parlé  de  la 
très-grande  joie  qu'elle  rapportait  de  sa  funèbre  expédition  de  Château- 
Thierry. 


3/,2  MKLANOES    ET    DOCUMENTS. 

Monsieur,  en  parfaite  santé,  heureuse  c  longue  vie. 
D'Avignon,  le  14  juin  1584. 
Voslrc  très-humble  serviteur. 

G.,  cardinal  (I'Armaionac. 

LVI. 

Au  Roi. 

Sire, 
Comme  j'étais  sur  le  poinct  de  vous  dépcscher  le  s' du  Roust^  (?) 
pour  respondre  à  celle  qu'il  vous  avoit  pieu  m'escrire  par  luy,  il  me  fut 
donné  advis,  à  l'arrivée  de  l'ordinaire  de  Rome,  que  Nostre  Tressaint 
Père,  en  me  conservant  le  tistre  de  l'archevesché  de  Tholouze,  il 
m'avoit  par  mesme  moyen  privé  de  aller  dans  vostre  [dite]  ville,  si  bien 
que  je  fus  contraint  d'y  envoyer  incontinent  le  s''  de  Paillée,  mon 
nepveu2,  po^r  me  plaindre  d'un  si  mauvais  traistemen,  et  que  j'estois 
résolu  de  ne  m'en  démettre  puis  que  je  cognoissois  que  oultre  l'incom- 
modité que  ce  m'estoit,  tant  à  la  décrépitude  de  mon  aage,  que  à  la 
nécessité  de  mes  affaires,  ce  seroit  ouvrir  eung  plus  notable  préjudice 
au  manquemen  du  service  que  je  vous  doits  en  vostre  dignité,  en 
laquelle  j'ay  esté  appelé  par  les  feus  roys  vos  prédécesseurs,  et  dont  je 
ne  m'en  veulx  départir  tant  qu'il  vous  plaira,  et  y  continuer  le  reste  de 
mes  jours,  avec  le  zèle,  l'affection  et  la  fidellité  que  Vostre  Maiesté  a 
peu  cognoistre  depuis  le  temps  que  j'y  suis,  de  sorte  qu'estant  arrivé 
ledist  s»-  de  Paillée,  je  vouldray  de  vous  donner  advis  de  tout  ce  qu'il 
aura  négocié,  et  Gniray  ma  première  délibération  tout  aussitost  sur  le 
partement  du  s»-  du  Roust  (?),  comme  je  ne  veux  oublier  de  remercier 
très-humblement  et  de  toute  mon  affection  Vostre  Majesté,  du  bien 
qu'elle  m'a  faist  du  don  de  l'archevesché  de  Tholouze,  en  quoy  j'ay 
cogneu  comme  en  toutes  autres  choses  qui  se  sont  présentées  combien 
elle  a  aggréable  mes  services,  qui  est  la  chose  qui  ma  consolé  le  plus, 
puis  que  ma  vie  et  tout  ce  que  je  tiens  de  plus  cher  ne  dépendent  sinon 
que  de  voz  volontés,  pour  les  employer  aux  chauses  qui  seront  estimées 
propres  pour  l'exécution  des  commandemens  qu'il  vous  plaira  me  faire, 
vous  suppliant  très-humblement,  Sire,  qu'en  continuant  votre  première 
délibération,  vous  me  veuillez  permettre  que  ceulx  qui  sont  députés 
pour  ouvre  les  comptes  de  Castille,  sils  départent  sans  que  je  n'en 
obtienne"^  le  fruit  conforme  à  votre  désir,  selon  l'assurance  que  Votre 
Majesté  m'y  a  donnée,  afin  que  je  ne  me  sois  privé  de  votre  libéralité, 


1.  J'ai  déjà  proposé  de  lire  ce  nom  :  de  Renest. 

2.  Un  des  parents,  pour  la  nourriture  duquel  le  cardinal  réclame,  en  diverses 
lettres,  les  faveurs  du  roi.  Je  ne  trouve  nulle  part  la  moindre  mention  de  ce 
neveu  de  l'archevêque  d'Avignon. 


LETTRES   INE'dITES   DU   CARDINAL   D  ARMAGNAC.  3^3 

et  que  par  ce  bienfait  j'aye  tant  plus  de  moyen  continuer  les  grandes 
despenses  que  je  suis  contrainct  faire  icy  pour  vostre  service,  et  de  prier 
Dieu  incessamment  comme  je  fais  de  vous  donner, 

Sire,  en  toute  perfection  de  santé,  très-longue  et  très-heureuse  vie. 

D'Avignon,  le  12  de  juillet  1584. 

Vostre  très-humble  et  très-obéissant  subiect  et  serviteur. 

G.,  cardinal  d'ARMAiGNAc. 

LVII. 

Au  Roi. 

Sire,  Ayant  sçu  par  la  lettre  qu'il  a  pieu  à  Vostre  Majesté  m'escrire 
par  Vostre  valet  de  chambre,  qu'elle  persistoit  encore  en  son  désir  que 
je  résigne  mon  abbaye  d'Aurillac^,  me  commandant  vous  en  envoyer 
par  luy  ma  procuration,  j'y  ay  esté  d'aultant  plus  estonné,  que  sur  la 
remonstrance  que  Monsieur  le  Grand  Prieur  vous  faist  à  Lyon,  du  peu 
ou  point  de  moyen  qui  me  resteroit  après  de  pouvoir  soutenir  mes  pau- 
vres parents,  et  me  privant,  sur  mes  vieulx  jours,  des  plaisirs  que  me 
laissera  l'abbaye,  et  remettre  à  ma  plaine  et  libre  disposition  la  résigna- 
tion de  laquelle  je  ne  pensois  plus  que  Votre  Majesté  deust  estre  impor- 
tunée comme  elle  est.  Et  combien,  Sire,  que  je  n'aye  jamais  eu,  ny 
auray  autre  volonté,  que  de  Luy  obeire  et  complaire  en  toutes  choses, 
Sire,  qu'oustre  ce  que  j'en  ay  déclairé  aux  Royx  pour  me  faire  entendre 
à  Vostre  Majesté.  Il  m'a  semblé  de  devoir  accompaigner  de  suite  mon 
ancien  secrétaire,  pour  Vous  rafraischire  et  représenter  les  remons- 
trances  et  vous  supplier  très-humblement,  ayant  esgard  à  jamais,  me 
donnera  il  la  consolation  que  je  me  suis  toujours  promise  de  la  bonté 
et  dignité  de  Votre  Majesté,  du  bon  plaisir  de  laquelle  scavoire  par  le 
retour  de  mon  secrétaire.  Pour  m'y  conformer  entièrement,  ainsi  que 
je  l'ay  chargé  L'en  assurer  de  ma  part  ensuite  de  ma  persévérance  en 
l'affection  et  dévotion  que  j'ay  voués  à  son  service  jusques  à  mon  der- 
nier soupire  et  estre  en  estât  de  continuer  avec  mes  prières  à  Dieu  vous 
donner. 

Sire,  en  parfaite  santé  et  prospérité,  très-heureuse  et  très-longue  vie. 

D'Avignon,  le  cinq  de  mars^  1585. 

Votre  très-humble,  très-obéissant  serviteur  et  subiect, 

G.,  cardinal  d'ARMAiGNAc. 

1.  Chef-lieu  du  département  du  Cantal.  L'abbaye  de  Saint-Gerauld  d'Aurillac 
avait  été  donnée  au  cardinal  d'Armagnac  en  1578,  et  elle  fut  donnée,  après  sa 
mort,  au  célèbre  poète  Philippe  des  Portes,  chanoine  de  la  Sainte-Chapelle  et 
déjà  abbé  de  Tiron,  de  Bon-Port  et  de  Josaphat  [Gallia  christiana,  l.  II, 
ecclesia  S.  Flori,  col.  447). 

2.  Cette  lettre  correspond  sans  doute  à  celle  que  le  cat.  ms.  de  la  Bibl.  nat. 
indique  ainsi  :  23  mars  1585  :  c Ayant  veu  par  la  lectre.  » 


344  MELANGES    ET   DOCUMENTS. 

LVIII. 

Au  Roi. 

Sire,  depuis  le  commencement  de  ces  nouvelles  soulovations  et  sédi- 
tions qui  se  sont  faits  en  France,  tendant  à  la  perturbation  de  la  paix 
et  tranquilité  de  Vostre  royaulme,  je  n'ay  jamais  esté  si  heureux  que 
de  recevoir  un  seul  mot  d'advis  ni  commandement  do  Vostre  Majesté, 
pour  sçavoire  ce  que  je  devois  faire  pour  votre  contentement.  Combien 
que  par  Tentiesre  et  fidèle  dévotion  que  j'ay  eu  dès  ma  première  admis- 
sion au  service  de  Vostre  couronne  et  particulièrement,  Sire,  depuis 
qu'elle  vous  a  esté  à  bon  droit  mise  sur  la  teste,  j'ay  assésbien  apris 
quel  est  le  debvoir  d'un  bon  subiect,  tel  que  je  seray  toute  ma  vie,  à 
l'endroit  de  son  prince  naturel,  car  encore  qu'il  ayt  pieu  à  Dieu,  Sire, 
me  constituer  en  la  charge  icy  pour  le  service  du  S'  Siège  apostolic, 
j'y  ay  tousjours  eu  en  mémoire  que  vous  estes  mon  roy  et  mon  souve- 
rain seigneure,  et  celuy  à  qui  je  doibs  obeyssance,  dequoy  mes  actions 
vous  peuvent  avoir  rendu  asses  bon  témoignage,  comme  elles  feront 
jusques  au  dernier  souspire  de  ma  vie,  ce  que  je  vous  supplie  très- 
humblement  vouloir  croire,  Sire,  et  que  non-seulement  il  n'y  aura 
jamais  occasion  qui  me  puisse  faire  départir  de  ceste  résolution,  mais 
aussi  que  je  me  vaudray  directement  contre  tous  ceulx  qui  vouldront 
ou  penseront  faire  autrement,  comme  très-humble  et  très-fidèle  servi- 
teur que  je  vous  suis,  et  seray  tant  que  je  vuis,  baysant  très-humble- 
ment les  mains  de  Votre  Majesté,  je  supplierai  le  Créateur  vous 
donner, 

Sire,  en  parfaite  santé,  très-longue  et  très-heureuse  vie. 

D'Avignon,  le  27  avril  1585. 

Votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur  et  subiect. 

G.,  cardinal  d'ARMAioNAc. 

LIX. 

Au  Roi. 

Sire,  pour  respondre  à  la  lettre  qu'il  a  pieu  à  Vostre  Majesté  m'es- 
crire  du  27«  jour  d'avril,  suivant  le  commandement  qu'Elle  m'en  faist 
et  la  servire  au  moyen  des  mauvayses  impressions  qu'elle  pourroit  avoir 
pris  contre  cest  Estât,  par  le  rapport  d'aucuns  qui  lui  auroieut  faist 
entendre  vos  adversaires  avoir  reçu  descommodités  d'icelluy;  je  ne 
veulx  pas  commencer  par  aucune  justification  avec  Vous,  Sire,  ne  pen- 
çant  avoir  jamais  fait  ni  permis  qu'il  se  soit  commis  en  ce  pays  chose 
qui  ave  besoins  d'aucune  excuse  ;  je  laisse  à  part  à  Vous  desduire  l'in- 
finité des  services  que  j'ay  faist  à  Vostre  couronne,  et  particulièrement 


LETTRES   INÉDITES    DU   CARDINAL   d'aRMAGNAC.  343 

à  Vous,  et  ma  fidélité,  laquelle  j'ay  eu  et  auray  toute  ma  vie,  en  telle 
recommandation  qu'il  n'y  aura  jamais  occasion  ny  fortune  bonne  ou 
mauvayse  qui  la  puisse  esbranler,  et  ne  suis  pas  si  facile  à  esmouvoir, 
Sire,  sur  la  seu)e  apparence  des  raysons  alléguées  par  ceulx  qui  ont  pris 
les  armes  contre  Yostre  Majesté  ni  toutes  leurs  protestations,  quoy 
qu'elles  semblent  estre  fondées  sur  eune  sainte  intention,  me  puissent 
faire  croire  que  vous  ne  soyez  mon  roy  et  souverain  seigneur,  et  que 
tous  ceulx  qui  s'émancipent  de  votre  obéissance,  soulz  quelque  prétexte 
que  ce  soit,  se  trompent  grandement,  sachant  bien  que  Dieu  ne  vous  a 
pas  mis  le  septre  en  main  pour  estre  subiect  à  la  correction  de  ceux  qui 
la  doivent  prendre  de  Vostre  Majesté,  qui  comme  très-sagement  n'a 
jamais  esté  recognue  sinon  très-désireuse  du  restablissement  de  la 
Sainte  Foy  catolique,  apostolique  et  romaine,  et  du  soulaigement  de 
son  peuple.  Telle  est  mon  opinion.  Sire,  de  laquelle  je  ne  me  départirai 
jamais,  non  plus  que  de  vos  commandemens  auxquels  je  rangeray  tous- 
iours  ma  volonté,  et  toutes  mes  affections,  sans  permettre  qu'il  entre 
en  mon  entendement  rien  qui  puisse  altérer  ceste  résolution,  ni  que 
jamais  il  se  soit  fait  autrement  que  je  sçai.  Comme  à  la  vérité  je  ne 
peulx  dire  que  ce  soit  ou  qui  a  entrepris  en  cest  estât,  chose  que  l'on 
aye  peu  cognoistre  pouvoire  porter  le  moindre  desavantaige  à  son  ser- 
vice, je  ne  diray  pas  que  sur  la  confusion  et  exactitude  que  ces  nou- 
veaux momens  ont  apporté  sur  la  commission  dont  la  cause  estoit 
tellement  incognue  à  tout  le  monde,  que  les  plus  accordés  et  mieulx 
admis  ne  sauroient  qu'en  juger,  mesme  ceulx  qui,  comme  moi,  n'ayant 
jamais  eu  admis  que  par  la  voix  publique  du  vulgaire,  il  n'y  puisse 
avoire  eu  des  personnes  qui  sans  descouvrir  leurs  desseings  sous  pré- 
texte de  querelles  particulières,  ont  eu  moyen  de  se  pourvoir  de  quel- 
ques armes.  Ce  que  vos  ministres  eux-mêmes  n'ont  sçu  empescher  en 
leurs  gouvernemens  et  qu'à  leurs  voix  il  ne  se  soist  faist  de  levées  de 
soldats  et  abuzé  de  leurs  commissions  pour  dresser  des  compagnies  et 
les  conduire,  estant  faistes,  à  ceulx  de  votre  contraire  party.  Mais 
d'avance,  que  le  pays  leur  aye  donné  retraite  ny  autre  assistance 
depuis  que  ce  nom  de  &*«  Ligue  a  esté  mis  en  avant,  c'est  bien  artifi- 
cieux de  ceulx  qui  se  couvrent  de  la  Croix  et  [se  mettent]  soubs  la  pro- 
tection de  Votre  Majesté,  pour  avoir  liberté  de  lui  courir  sus,  auxquels 
je  supplie  Vostre  Majesté  ne  donner  si  facile  pardon  ;  personne,  Sire, 
qui  ait  plus  de  regret  et  tristesse,  déplorant  la  ruyne  et  calamité  dont  ce 
pauvre  royaume  est  menacé,  s'efforce  avec  plus  de  zèle  à  rompre  les 
entreprises  et  leurs  adhérences  en  le  quartier  de  deçà,  que  moy,  pour 
n'y  espargner  la  vie  et  tous  mes  moyens,  non  plus  que  j'ay  faist  par  le 
passé;  de  vostre  mesme  volonté  font  et  feront  tous  ceux  qui  sont  auprès 
de  moy;  notamment  Mons^  de  Gavaillon^  de  qui  les  actions  et  déporte- 

1.  Sur  M.  de  Cavaillon,  comme  sur  la  plupart  des  gentilshommes  désignés 
dans  les  lettres  écrites  d'Avignon  par  le  cardinal  d'Armiignac,  il  faut  consulter 
l'excellent  ouvrage  de  Pilhon-Curt  :  Histoire  de  la  noblesse  du  comté  Venaissin 
(1743-1750,  4  vol.  in-4»). 


34(>  MKLANflES   ET    DOCUMENTS. 

mens  à  l'endroit  de  ce  qui  touche  le  service  de  Vostre  Majesté,  ont 
toujours  été  tels  qu'elle  se  peult  assurer  de  sa  fidélité  et  du  don  qu'il 
lui  a  fait  de  sa  servitude,  estant  bien  certain  qu'il  ne  sauroit  rien 
entreprendre  ni  penser  au  préjudice  de  son  service,  sans  desplaire 
prandemont  contre  luy  Nostre  Trèssaint  père  son  maître  et  souverain 
soiyneur,  de  qui  je  veulx  croire  rcrmement  que  l'intention  ne  sera  point 
autre  que  celle  de  son  prédécesseur,  et  d'aultant  que  par  la  lettre  qu'il 
vous  escrit.  Sire,  vous  serez  mieux  informé  de  sa  bonne  volonté,  je  ne 
vous  escrirai  plus  que  pour  supplier  le  Créateur,  après  vous  avoire  très- 
humbloment  baysé  les  mains,  vous  donner, 

Siro,  en  toute  perfection  de  santé,  très-heureuse  et  très-longue  vie. 

D'Avignon,  le  16  de  may  1585  ^ 

Votre  très-humble,  très-obéissant  serviteur  et  subicct. 

G.,  cardinal  d'ARMAiGNAC. 


APPENDICE. 

LX. 

Lettre  du  cardinal  d'Armagnac  a  Philippe  II 2. 

Sire,  Il  y  a  quelque  temps  que  la  camererie  de  l'abbaye  de  la  Grasse  ^ 

1.  C'est  jusqu'à  ce  jour  la  dernière  lettre  que  l'on  connaisse  du  cardinal 
d'Armagnac,  qui  mourut,  soit  au  commencement  du  mois  de  juin  1586,  le  1 
suivant  quelques  écrivains  (notamment  Henri  de  Sponde,  Frizon,  les  auteurs  du 
Gallia  Christiana),  soit  dans  le  courant  de  juillet,  le  11  d'après  les  uns,  le  21 
d'après  les  autres,  et  parmi  ces  derniers  se  trouve  l'exact  Nouguier,  que  j'ai  cru 
devoir  suivre  {Introduction  aux  Lettres  inédites  du  cardinal  d' Armagnac, 
p.  45),  et  qui  avait  été  déjà  suivi  par  les  éditeurs  du  Dictionnaire  de  Moréri 
de  1759.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  faudrait  découvrir  un  témoignage  contemporain 
bien  précis  qui  permît  de  trancher  définitivement  la  question,  et  j'appelle,  en 
finissant,  l'attention  des  bons  chercheurs  sur  ce  point  qui  n'aurait  pas  dû  rester 
si  longtemps  douteux. 

2.  Archives  nationales.  Papiers  de  Simancas,  K,  1553,  n»  40.  Non  content  de 
nous  apporter  les  lettres  du  cardinal  d'Armagnac  qui  étaient  gardées  à  Saint- 
Pétersbourg,  M.  Loutchisky  a  eu  le  mérite  de  trouver  à  Paris  une  lettre  de 
l'illustre  prélat  qui  avait  échappé  jusqu'à  ce  jour  à  toutes  les  recherches.  Il  faut 
d'autant  plus  l'en  féliciter  que,  lorsque  je  préparais  mon  édition  des  Lettres 
iacdites  du  cardinal  d'Armagyiac,  je  ne  manquai  pas  de  demander  communica- 
tion de  tout  ce  qui,  dans  les  Archives  nationales,  pouvait  m'intéresser  à  cet 
égard,  et  qu'il  me  fut  répondu  que  l'on  n'y  possédait  pas  une  seule  ligne  écrite 
par  le  cardinal,  comme  semblait  le  prouver  du  reste  l'absence  de  son  nom 
dans  le  Musée  des   Archives  nationales  (1872,  in-4°). 

3.  Notre-Dame  de  la  Grasse  (diocèse  de  Carcassonne).  Voir  pour  cette  abbaye 
la  lettre  XXXIII,  du  29  août  1573  (tome  II,  1876,  p.  561). 


LETTRES   INÉDITES   DU   CARDINiL    d'aRMAGNAC.  347 

ayant  vacque  par  mort  fut  par  moy  conférée  à  ung  religieux  profez 
gentilhomme  et  gradué  que  a  tousiours  servy  Dieu  en  lad.  abbaye  fort 
examplairement  depuis  environ  vingt  cinq  ou  trente  ans,  ne  pouvant 
mieulx  faire  si  me  sembloit  pour  1  honneur  de  Dieu  et  ediiication  de 
son  église  que  de  donner  les  bénéfices  a  ceulx  qui  les  méritent  et  qui  en 
son  (sic)  dignes  pour  leur  intégrité  et  doctrine,  et  examplaire  de  bonnes 
mœurs,  mesmes  en  ce  temps  misérable,  il  est  nécessaire  de  faire  choix 
de  personnes  qui  aient  moyen  de  s'opposer  aux  hereticques,  lesquelz 
travaillent  misérablement  ce  royaume  comme  "Vostre  Majesté  scait,  et 
pour  aultant  que  lad.  camererie  a  quelques  membres  en  vos  terres  et 
seigneuries,  encores  que  le  chef  doibve  résider  en  ladicte  abbaye  pour 
y  faire  sa  charge,  je  vous  supplie  treshumblement  que  comme  zélateur 
du  service  divin  et  protecteur  des  ecclésiastiques,  vouloir  accorder  aud. 
camerier  nommé  la  Bastide  les  provisions  nécessaires  pour  la  jouissance 
desd.  membres.  De  quoy  oultre  l'obligation  très  estroicte  que  je  vous 
en  auray,  non  seulement  ledict  Bastide,  mais  tous  les  autres  religieux 
de  ladicte  abbaye,  et  de  l'ordre  de  S'  Benoist,  feront  treshumbles  prières 
a  la  bonté  divine  de  vous  donner, 

Sire,  en  toute  perfection  de  santé  tresheureuse  et  treslongue  vie. 

De  S»  Ganat<,  lexi«  de  may  1579. 

Votre  treshumble  et  tresobeissant  serviteur. 

G.,  cardinal  d'ARMAiGNAC. 


LETTRES  DE  SISMONDI 

ÉCRITES    PENDANT    LES    CENT-JOURS. 

{Suite.) 

XXIV. 

30  mai  1815. 

....Iln'estpointsùr  que  cette  campagne  qui  commencesi  tard  ne  finisse 
pas  de  fort  bonne  heure.  On  a  la  folie  de  ne  pas  vouloir  connaître  les 
dispositions  du  pays  où  l'on  veut  porter  la  guerre;  on  les  connaîtra  quand 
on  l'attaquera,  et  alors  on  s'apercevra,  je  pense,  qu'il  valait  mieux 
rester  tranquille.  Alors  peut-être  le  sera-t-on  de  nouveau.  Nous  appro- 
chons du  moment  de  l'ouverture  de  l'Assemblée 2.  Il  est  possible  que 

1.  Aujourd'hui  Saint-Cannal,  commune  du  département  des  Bouches-du- 
Rhône,  arrondissement  d'Aix,  canton  de  Lambesc,  à  57  kilomètres  de  Marseille. 

2.  Les  députés  arrivent  à  Paris  et  sont  extrêmement  montés  pour  la  défense 


3  5S  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

les  otrangorp  pronncnt  ce  moment-là  même  pour  attaquer.  S'ils  ne  le 
font  pas,  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  l'Assemblée  ne  voudra  pas 
soulTrir  plus  longtemps  ces  démonstrations  hostiles,  et  que  ce  sera  elle 
qui  demandera  à  l'empereur  d'attaquer.  Mais  une  personne  qui  m'est 
bien  chère  se  plaignait  de  ne  pouvoir  jamais  être  contente  de  la  con- 
duite du  parti  qu'elle  aimait.  Aujourd'hui  que  ses  vœux  ont  dû  chan- 
ger, il  est  possible  qu'on  lui  donne  encore  le  même  chagrin.  Ceux-ci 
sont  hommes  et  passionnés,  et  il  est  probable  qu'ils  passeront  les  justes 
bornes.  Napoléon  a  été  pendant  ces  trois  mois  d'une  modération  sans 
exemple  envers  ses  ennemis.  Je  crois  Tort  que  l'Assemblée  prendra  de 
toutes  autres  mesures;  que  les  conspirateurs,  ceux  qui  correspondent 
avec  l'ennemi,  seront  punis  de  peines  fort  sévères;  et  le  mouvement 
qui  dans  plusieurs  provinces  se  manifeste  contre  la  noblesse,  en  même 
temps  qu'il  est  juste,  parce  qu'il  est  nécessaire  à  la  défense  natio- 
nale, ne  laisse  pas  que  d "être  fort  alarmant.  J'eus  hier  une  conver- 
sation de  demie  heure  avec  le  duc  de  Bassano,  ministre  secrétaire 
d'État.  Je  voulais  le  remercier  du  décret  sur  la  Légion  d'honneur,  et 
de  ce  qu'il  avait  été  retiré  ensuite.  Il  est  impossible  d'être  plus  préve- 
nant et  de  traiter  quelqu'un  avec  une  plus  haute  considération,  qu'il 
ne  ht  pour  moi. 

Mercredi  matin.  — Pour  achever  de  nous  distraire,  nous  avons 

pour  demain  l'assemblée  du  Champ  de  Mai.  M™^  de  Dolomieu  est  res- 
tée un  jour  de  plus  pour  pouvoir  la  voir;  nous  devons  y  aller  ensemble, 
mais  il  faut  pour  cela  que  j'obtienne  des  billets,  et  quoique  je  les  aie 
demandés  depuis  longtemps,  je  ne  les  ai  point  encore  reçus.  On  dit 
que  la  salle  contiendra  de  12  à  14,000  personnes.  M'"^  de  Bérenger,  qui 
devait  retourner  hier  à  la  campagne,  est  aussi  restée;  mais  ce  n'est 
pas  pour  y  aller,  elle  craint  la  fatigue  d'une  longue  séance  et  avec  ses 
mauvais  yeux  elle  ne  profite  guère  des  spectacles;  c'est  seulement 
pour  qu'en  en  sortant  on  vienne  le  lui  raconter  chez  elle.  Nous  nous 
affligerons  beaucoup  de  nous  séparer,  M-^e  de  Dolomieu  et  moi.  Elle 
s'est  accoutumée  à  l'intimité  de  notre  conversation,  elle  prétend  que 
je  l'entends  mieux  que  personne,  et  elle  se  sentira  au  contraire  à  Lyon 
dans  une  profonde  solitude  de  cœur  et  d'esprit.  Nous  avons  passé  hier 
la  soirée  ensemble  chez  M'^e  d'Henriesdal  avec  M.  et  M™e  de  Gérando 
qui  habitent  la  même  maison.  Je  ne  sais  si  je  t'ai  raconté  qu'un  de  ces 
derniers  jours  que  j'étais  chez  M™«  de  Montjoie,  M.  de  Gérando,  qui  y 
était  aussi,  m'embrassa  en  prenant  congé  de  moi  :  il  allait  se  cacher 
dans  les  entrailles  de  la  terre,  et  dans  les  calamités  qui  nous  menaçaient, 
personne  ne  savait  plus  s'il  aurait  encore,  au  bout  de  quinze  jours,  sa 
tête  sur  ses  épaules.  Je  me  mis  à  rire,  l'assurant  qu'il  n'y  avait  de  dan- 

de  la  France;  ils  commencent  le  recensement  des  votes  sur  la  Constitution  et  il 
paraît  qu'elle  sera  acceptée  par  un  nombre  très-imposant  de  suffrages.  On  croit 
probable  que  jeudi  se  fera  la  grande  séance  du  Champ  de  May,  et  dimanche  l'ou- 
verture de  l'Assemblée  {Noie  de  Sismondi). 


LETTRES   DE    SISMONDI   e'cRITES   PENDANT   LES   CENT-JODRS.  .        349 

ger  ni  pour  lui,  ni  pour  moi,  ni  pour  personne.  Quinze  jours  après  il 
était  nommé  conseiller  d'État,  chargé  d'une  mission  importante  par  le 
nouveau  gouvernement.  C'est  un  fort  bon  homme,  mais  faible  et  sujet 
à  un  peu  d'affectation  allemande,  qu'il  a  prise  peut-être  de  sa  femme. 
Vendredi  2  juin.  —  Je  suis  d'une  tristesse  mortelle,  chère  mère; 
Mme  de  Dolomieu  est  partie  ce  matin,  et  quoique  je  sentisse  peut-être 
qu'il  était  temps  que  nous  nous  séparassions,  parce  que  son  mari  qui  est 
extrêmement  vif  en  royalisme  s'inquiétait  d'une  amitié  à  laquelle  il 
attribuait  toute  la  raison  qu'elle  montrait,  et  pouvait  en  prendre  à  la  fin 
une  humeur  qui  aurait  eu  des  suites  durables.  Cependant  son  départ 
me  cause  une  tristesse  qui  passe  encore  mon  attente.  Je  la  voyais  tous 
les  jours  deux  heures,  mais  à  présent  elle  me  manque  tout  le  jour. 
D'ailleurs  je  suis  triste  encore  des  rudes  circonstances  dans  lesquelles 
nous  nous  trouverons  :  la  guerre  va  éclater.  Avant  dix  jours  il  se  sera 
sûrement  bien  versé  du  sang.  Les  Chambres  seront  réunies  lundi  5, 
mardi  6  l'Empereur  partira.   La  Suisse  encore  me  donne  des  inquié- 
tudes mortelles.  La  Diète  vient  de  prendre  la  plus  fausse  et  la  plus 
coupable  détermination ,  celle  d'accorder  le  passage  aux  alliés  en  cas 
d'urgence,  c'est-à-dire  si  cela  leur  convient.  C'est  attirer  la  guerre  sur 
notre  pays.  Au  moment  où  la  neutralité  sera  violée  du  côté  du  Rhin, 
elle  le  sera  aussi  du  côté  du  Rhône,  et  il  était  si  facile,  si  sur  et  si 
noble  de  demeurer  en  paix  au  milieu  de  l'Europe.  Je  ne  sais  pas  ce 
qu'il  ne  faut  pas  craindre  pour  Genève,  ce  qu'il  ne  faut  pas  craindre 
pour  notre  correspondance.  Allons-nous  donc  enfin  nous  trouver  tout 
à  fait  séparés?  Quelle  douleur,  après  toutes  celles  que  nous  avons 
éprouvées!  Bonne  mère,  pense  du  moins  avec  certitude  que  je  suis  bien 
de  corps  et  d'esprit,  entouré  encore  d'amis,  bien  que  ce  ne  soient  plus 
tous  les  mêmes.  Il  m'en  reste  plusieurs  qui  me  sont  très-acquis  et  les 
Bérenger  entre  autres  te  répondent  aussi  de  moi.  J'irai  passer  quelques 
jours  chez  eux  au  Val;  à  présent  ils  sont  à  Paris.  Pense  que  je  t'aime 
de  tout  mon  cœur,   et  que  lors  même  que  des  lettres  n'arriveraient 
point  à  toi  pour  te  le  dire,  ce  sentiment  remplirait  toujours  mon  âme 
et  conduirait  ma  plume;  pense  que  le  malheur  des  temps  ne  peut  pas 
toujours  durer,  et  de  même  que  nous  avons  un  désir  ardent  de  nous 
rejoindre,  nous  trouverons  aussi  la  possibilité.  J'ai  donc  assisté  hier  à 
la  grande  assemblée  du  Champ  de  Mai,  non  pas  avec  M-"*  de  Dolomieu 
ni  M™e  de  Bérenger  parce  que  les  fem  mes  n'étaient  point  avec  les  hommes  ; 
elles  étaient  aux  fenêtres  de  l'École  militaire,  moi  avec  M.  de  Béren- 
ger et  le  jeune  de  Beauvau  dans  le  cirque  dont  une  partie  était  occu- 
pée par  les  collèges  électoraux. 

Dimanche  matin  4  juin.  —  J'ai  essayé  de  te  donner  ci-joint  un  petit 
plan  de  la  distribution  de  la  cour  et  des  spectateurs  dans  cette  fête,  en 
sorte  que  je  ne  t'en  parlerai  pas.  L'assemblée  des  Chambres  paraît  être 
pour  demain.  Hier  et  aujourd'hui  elles  ont  commencé  à  vérifier  leurs 
pouvoirs.  M.  de  Bérenger  n'est  pas  pair,  ce  qui  me  fait  un  peu  de  cha- 


350  MÉLANGES    ET    DOCCMENTS. 

prin,  puisqu'on  promottant  d'accoiitor  il  s'était  liien  asspz  mis  en  avant. 
Je  lis  hier  le  tour  des  l'ortitications  qu'on  élève  autour  de  Paris.  Le 
général  Haxo,  qui  les  dirige  en  chef,  nous  attendait,  nous  Dt  tout  voir, 
et  nous  expliqua  tout.  Paris  est  entouré  de  collines  qui  sont  si  heureuse- 
ment placées  que  leur  crête  fait  une  fort  honne  ligne  de  fortilications.  On 
y  travaille  avec  un  très-grand  respect  pour  les  propriétés,  évitant  autant 
que  possible  les  maisons  dont  on  n'a  jusqu'à  présent  pas  renversé  une 
seule  et  ménageant  les  jardins  et  les  champs,  au  milieu  desquels  travail- 
lent six  mille  ouvriers.  La  ville  sera  dans  un  bon  état  de  défense,  mais 
il  faut  bien  espérer  qu'on  n'en  approchera  pas  cette  fois  de  manière  à  la 

mettre  à  l'épreuve Tout  était  immense  dans  ce  spectacle*.  Le  trône, 

élevé  sur  le  devant  du  1"  etago  de  l'École  militaire,  on  plein  air,  mais 
sous  un  vaste  dais,  contenait  avec  l'empereur  et  sa  famille,  toute  la  cour, 
tous  les  ministres,  tous  les  chambellans.  Une  députation  centrale  de  cinq 
cents  membres  des  collèges  électoraux  est  montée  vers  l'empereur,  et 
s'est  placée  toute  entière  sur  les  escaliers  en  avant  du  trône,  tandis  que 
son  président  adressait  un  discours  à  l'empereur,  lui  rendait  compte  de 
l'acceptation  de  la  Constitution  et  recevait  son  serment.  Dans  la  large 
ouverture  vis-à-vis,  qui  communiquait  entre  la  cour  et  le  Ghamp-de- 
Mars  où  était  rangée  l'armée,  on  avait  d'abord  dit  la  messe,  ensuite 
chanté  le  Te  Deum,  avec  une  très-belle  musique.  Sur  les  gradins  en 
amphithéâtre,  20,000  électeurs  ou  spectateurs  étaient  rangés  sous  une 
tente  demi-circulaire,  ouverte  par  devant  et  par  derrière.  Après  le  dis- 
cours et  les  serments,  l'empereur  est  descendu  du  trône,  a  passé  par 
l'ouverture  où  est  l'autel,  il  est  monté  sur  le  tertre  en  plein  air,  au 
milieu  de  l'armée  et  du  peuple  ;  tous  les  maréchaux  et  tous  les  géné- 
raux l'entouraient,  et  il  a  distribué  à  chaque  députation  de  chaque 
corps  d'armée  les  aigles  de  leurs  régiments.  Il  a  distribué  aussi  celles 
des  gardes  nationales  de  tous  les  départements.  Il  y  avait  peut-être 
200,000  personnes,  acteurs  et  spectateurs,  dans  cette  grande  cérémonie 
nationale.  J'y  étais  dès  neuf  heures  du  matin,  elle  a  fini  à  trois  heures 
et  demie  ;  le  temps  était  magnifique  ;  l'enthousiasme  universel,  et  les 
cris  de  :  vive  l'empereur  !  perçaient  le  ciel. 

XXV. 

Mercredi  7  juin  à  samedi  10  juin  1815. 

....  Tout  tient  (il  s'agit  des  communications  postales)  à  la  neu- 
tralité de  la  Suisse  et  jusqu'à  présent  la  Diète  n'a  point  pris 
la  seule  détermination  qui  puisse  la  garantir,  celle  de  la  dé- 
fendre par  les  armes.  Tous  mes  vœux,  tout  mon  espoir  c'est  qu'elle 
ne  soit  pas  violée  d'ici  à  un  mois.  Si  on  la  sauve  dans  ce  premier  mo- 

1.  L'assemblée  du  Champ  de  Mai.  Voy.  le  plan  ci-joint. 


LETTRES    DE    SISMO?(DI    ECRITES    PENDANT    LES    CENT-JOURS. 


33^ 


ment,  j'ai  tout  lieu  de  me  flatter  qu'on  la  sauvera  pour  toujours,  et 
que  les  Suisses,  voyant  les  succès  balancés,  comprendront  la  néces- 


Cons;  d'Etat 


Ecole     Militaire 


Trône 

IXmp.'etla  cour 
►  zûinÎBtres 


Ju^e 


Autel 


tertre  en  plein 
air 

I  Trône | 


O 

o 

o 

■V 


—  Cavalerie  de  la  âarde_8.000  chevaux  

Cliainp  de  Mars   ou  de  la  fédération  (jui  s'étend  de  l'Ecole  Militai 
re  Juscju'a  la  rivière.  (Cherche-  la  pluj  grande  des  places  clwis  le  plan  de  farù  ) 

(à,  (joue}»  de  la  rwière,  ) 


r 


.tf 


site  de  la  défendre  rigoureusement.  C'est  aujourd'hui  que  l'empereur 
ouvre  la  séance  du  Corps  législatif  à  quatre  heures.  On  se  croit  assuré 
que  dans  l'adresse  que  ce  corps  lui  présentera  au  nom  de  la  nation,  on 


352  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

l'invitora  à  attaquer  sans  dillorer  davantage.  On  a  fait  hier  et  avant- 
hier  l'essai  de  l'esprit  de  cette  assemblée  dans  quelques  délibérations 
sur  son  organisation.  Il  est  beaucoup  plus  uni  qu'on  ne  s'était  flatté. 
Les  députés  marcheront  de  très-bon  pied  en  même  temps  à  la  défense 
de  l'empire  et  à  celle  de  la  liberté.  La  nomination  de  M.  Lanjuinais 
pour  président  est  à  ce  dernier  égard  de  très-bon  augure.  C'est  l'homme 
qui  pendant  toute  la  Révolution  a  mis  le  plus  de  courage  et  de  cons- 
tance à  s'opposer  à  toutes  les  tyrannies  démagogiques  et  impériales, 
mais  il  mettra  autant  de  zèle  à  défendre  la  patrie  que  la  Constitution. 
Je  dinai  hier  chez  M.  de  Gérando  avec  Benjamin  Constant  et  deux 
députés  marquants,  M.  Durbach  et  M.  Duchesue,  qui  me  firent  conce- 
voir de  fort  bonnes  espérances.  Hier  même  cependant  il  paraît  qu'il 
y  a  eu  un  projet  d'assassiner  l'empereur.  Un  homme,  qui  avait  cru  le 
trouver  au  Corps  législatif  et  qui  sortait  des  tribunes,  a  été  tout  à  coup 
déchiré  lui-même  par  une  explosion  de  poudre  fulminante  qu'il  portait. 
Il  a  été  arrêté;  mais  peut-être  est- il  déjà  mort  de  ses  blessures;  on  ne 
comprend  point  encore  ni  l'accident  dont  il  est  lui-même  victime,  ni 
le  projet  qu'il  avait  pu  former,  car  la  poudre  fulminante  ne  porte  point 
des  projectiles  à  distance;  encore  moins  peut-on  diriger  ses  coups.  Cet 
accident  servira  à  faire  prendre  plus  de  précautions  à  l'avenir,  et  une 
trame  déjouée  met  à  l'abri  de  plusieurs  autres. 

Vendredi 'ù  juin.  —  L'accident  dont  je  t'ai  parlé  au  bas  de  la  page  pré- 
cédente, paraît  aujourd'hui  tout  à  fait  innocent.  Le  Saxon  qui  avait  de 
l'argent  fulminant  dans  sa  poche,  avait  cru  faire  une  merveilleuse  inven- 
tion pour  l'employer  à  la  guerre;  il  avait  porté  sa  machine  à  différents 
ministères,  on  l'avait  toujours  repoussé,  à  cause  du  danger  attaché  à 
l'emploi  de  cette  matière;  il  ne  se  décourageait  pas  et  en  portait  cons- 
tamment dans  sa  poche,  lorsqu'un  accident  a  produit  la  détonation.  Du 
reste  il  n'en  mourra  point,  il  en  sera  quitte  pour  une  brûlure  ;  mais  on 
ne  se  fait  pas  une  idée  du  fracas  de  cette  détonation,  elle  passe  un  coup 
de  canon.  —  J'avais  à  peine  écrit  ce  commencement  de  lettre  avant-hier, 
lorsque  M™«  de  Bérenger  m'envoya  un  billet  pour  voir  l'ouverture  du 
Corps  législatif.  Il  n'y  avait  pas  place  pour  300  personnes,  en  sorte  que 
c'était  une  grande  faveur  d'y  être  admis.  C'était  la  même  salle  où  j'avais 
vu  faire  l'ouverture  il  y  a  deux  ans;  alors  l'Assemblée  était  beaucoup 
plus  brillante  par  la  richesse  des  costumes,  avant-hier  elle  était  deux 
fois  plus  nombreuse.  L'empereur  fut  fort  applaudi  à  son  entrée,  beau- 
coup plus  qu'il  y  a  deux  ans,  mais  après  son  court  discours,  dans  lequel 
annonçant  le  commencement  de  la  monarchie  constitutionnelle,  il  s'en 
remettait  entièrement  entre  les  mains  de  la  nation,  il  fut  bien  plus  applaudi 
encore  et  avec  bien  plus  de  transport.  Hier  j'allai  à  une  séance  ordinaire, 
il  n'y  avait  aucun  sujet  fort  important  en  délibération,  cependant  l'intérêt 
du  débat  était  très-grand,  parce  qu'on  y  voyait  se  peindre  le  caractère  de  la 
nation  française  et  cette  impétuosité,  cette  impatience  des  formes  et 
de  l'ordre  qui  rendent  ses  assemblées  si  difficiles  à  conduire.  Il  y  a 


LETTRES   DE    SISMONDI    ÉCRITES   PENDANT   LES   CENT-JODRS.  353 

dans  notre  Grand-Conseil  à  Genève  bien  plus  de  sagesse,  et  je  le  croi- 
rais tout  autant  de  talent.  Si  tout  ceci  mûrit  à  bien,  ces  commence- 
ments seront  la  chose  la  plus  curieuse  et  qui  laissera  les  souvenirs  les 
plus  importants;  j'aurais  bien  du  regret  de  ne  les  avoir  pas  vus.  Mais 
le  canon  est  au-dessus  de  tout  cela;  d'un  moment  à  l'autre  les  coups 
vont  être  frappés.  Je  suppose  que  l'empereur  partira  ce  soir  ou  demain, 
et  une  grande  bataille  sera  probablement  livrée  avant  la  fin  de  juin,  avant 
par  conséquent  que  les  Russes  soient  arrivés  en  ligne.  Il  y  a  d'autre  part 
des  mouvements  violents  dans  la  Vendée,  puis  les  Autrichiens  vont  bien- 
tôt menacer  la  Savoie  et  le  Dauphiné;  la  situation  est  violente,  et  il 
est  presque  impossible  de  penser  à  autre  chose.  Cette  concentration  de 
toutes  les  idées  sur  la  politique  est  encore  augmentée  pour  moi  par 
l'absence  de  mes  principaux  amis.  C'est  aujourd'hui  que  je  compte  que 
M™*  de  Dolomieu  arrive  à  Lyon  et  je  ne  suis  pas  sans  inquiétude  pour 
elle  pendant  son  séjour  là!  M™«  de  Bérenger  est  retournée  hier  au  Val 
du  Loup,  elle  m'a  fait  promettre  d'y  aller  passer  quelques  jours,  et 
auparavant  j'irai  lui  faire  de  plus  courtes  visites,  mais  le  temps  est  à 
présent  exécrable  et  comme  il  plut  hier,  jour  de  la  saint  Médard,  on  a 
annoncé  que  ce  déluge  durera  longtemps.  Hier  je  partageai  ma  soirée 
entre  la  princesse  Jablonowska  et  M™«  de  Souza.  La  première  doit  me 
faire  rencontrer  cette  même  lady  Elisabeth  Forbes,  dame  d'honneur  de 
la  princesse  de  Galles,  que  j'ai  vue  à  Genève,  et  qui  vient  d'arriver  à 
Paris  chez  M"^^  de  Souza;  j'eus  une  très-longue  conversation  avec 
M.  Philippe  de  Ségur,  fils  du  grand-maître  <,  homme  d'esprit  et  bon 
général.  J'y  trouvai  aussi  un  homme  que  j'aime  à  rencontrer,  M.  de 
Lascours,  qui  a  servi  avec  distinction,  qui  a  des  idées  très-libérales  et 
que  je  considère  comme  une  sorte  d'ami^.  Mais  la  maîtresse  de  la  mai- 
son ne  me  plaît  guère;  il  y  a  si  peu  de  vérité  dans  tout  ce  qu'elle  dit  ; 
je  vois  fort  bien  qu'elle  s'occupe  toujours  des  moyens  de  diriger  l'opi- 
nion; elle  vous  dit  en  confidence  ce  qu'elle  désire  qu'on  répète,  elle 
vous  recommande  toujours  fort  de  ne  pas  la  citer,  parce  qu'elle  est  por- 
tugaise et  qu'il  ne  lui  convient  pas  de  se  mêler  de  rien 3.  Je  fais  plus, 
je  ne  répète  pas  non  plus  ce  qu'elle  m'a  dit  et  ce  n'est  pas  là  ce  qu'elle 
voudrait. 

Samedi  [0  juin.  — Il  est  arrivé  hier  ici  la  nouvelle  que  dans  le 

Conseil  de  Genève,  après  une  longue  délibération,  150  suffrages  contre 
82  avaient  été  donnés  pour  rompre  la  neutralité  et  se  joindre  à  la  coa- 
lition. Cet  acte  malheureux  de  démence  sera  bientôt  suivi  d'hostilités 
et  de  la  cessation  de  toute  correspondance 


1.  Louis-Philippe  de  Ségur  était,  depuis  1804,  grand-maître  des  cérémonies. 

2.  Jérôme  Reinaud  de  Boulogne,  baron  de  Lascours,  avait  été  membre  du  Corps 
législatif  depuis  1800. 

3.  M°"  de  Souza  n'était  portugaise  que  par  son  second  mariage.  Elle-même 
était  parisienne  d'origine. 

Rev.  Histor.  V.  2«  FASc.  23 


334  MELANGES  ET  DOCDMENTS. 

XXVI. 

12  juin,  lundi  soir  1815. 

L'Empereur  est  parti  la  nuit  passée;  à  l'heure  qu'il  est,  peut- 

ôtre  est-il  déjà  arrivé  aux  avant-postes.  Le  temps,  qui  a  été  affreux  ce 
matin,  semble  se  remettre;  qui  sait  le  sang  qui  peut  déjà  couler  demain? 
Jamais  tous  les  cœurs  n'avaient  été  ébranlés  par  une  aussi  profonde 
émotion;  c'est  l'existence  de  la  France  qui  doit  se  décider.  Le  sort  de 
la  Pologne  la  menace.  J'ai  reçu  en  même  temps  que  la  tienne,  une 
lettre  du  poète  Foscolo,  de  Goire,  le  18  mai,  qui  me  dit  qu'il  est  pros- 
crit de  sa  patrie  <,  fugitif,  sans  passeport,  voulant  aller  à  Londres,  et  ne 
sachant  quelle  route  prendre.  Il  désire  faire  parvenir  de  ses  nouvelles 
à  M-ufi  d'Albany  avec  qui  il  était  fort  lié.  Veux-tu  lui  dire  qu'il  est 
arrivé  jusque-là,  mais  sa  lettre  a  tant  tardé  que  beaucoup  de  choses 
ont  pu  lui  arriver  depuis.  J'ai  passé  aujourd'hui  partie  de  ma  matinée 
au  Corps  législatif  ;  j'ai  dîné  chez  M^^  de  Rumford  avec  Maurice, 
jVIme  de  Souza  et  quelques  autres;  j'ai  achevé  ensuite  ma  soirée  chez 
Mme  Récamier. 

Mardi  13.  — Au  milieu  de  toute  la  tristesse  qui  m'accable  pour 

notre  séparation,  pour  toutes  nos  inquiétudes,  j'éprouve  une  indicible 
consolation  au  fond  du  cœur  de  sentir  que  toi,  ma  sœur  et  moi  nous 
ne  faisons  qu'un.  Cette  communauté  d'espérances  et  de  craintes  adou- 
cit la  moitié  des  douleurs.  Je  ne  vois  guère  ici  que  des  gens  qui  pensent 
comme  moi,  et  dans  ce  moment  de  crise  les  autres  me  seraient  insup- 
portables à  rencontrer.  Les  Bérenger  sont  les  premiers,  et  si  j'ose  en 
juger  je  leur  fais  autant  de  plaisir  que  eux  à  moi.  M-^^  de  Rumford  et 
sa  société  ne  sont  pas  moins  unanimes,  puis  tous  les  Beauvau.  Ceux- 
ci  ont  marié  avant-hier  leur  fils  aîné  à  M""  de  Praslin,  une  riche  héri- 
tière, que  j'ai  vue  ce  soir  pour  la  première  fois,  mais  qui  est  bien  laide, 
tandis  que  les  deux  sœurs  Beauvau  sont  belles  comme  des  amours.  La 
princesse  Jablonowska,  avec  sa  société  polonaise,  sont  encore  des  gens 
qui  me  font  du  bien  à  rencontrer,  fidèles  en  tout  pays  à  la  liberté  et  à 
l'honneur  national.  J'y  ai  dîné  aujourd'hui  avec  une  comtesse  "Walew- 
ska,  qui  a  été  fort  aimée  par  celui-là  même  avec  qui  j'ai  eu  la  conver- 
sation de  trois  quarts  d'heure 2.  Elle  est  charmante,  et  sa  sœur  qui  a 
18  ans  et  qui  va  se  marier  ne  l'est  pas  moins;  toutes  deux  arrivent  de 
Naples  d'où  elles  sont  parties  le  12  mai,  avec  lady  Elisabeth  Forbes,  la 
dame  d'honneur  de  la  princesse  de  Galles,  avec  qui  j'avais  beaucoup 
dansé  l'automne  dernier,  et  qui  était  aussi  des  nôtres.   Il  y  avait  de 

curieux  récits  à  tirer  de  toutes  trois 

J'ai  assisté  ce  matin  à  la  séance  du  Corps  législatif  où  le  mi- 

1.  Ugo  Foscolo,  alors  professeur  à  Pavie,  avait  été  accusé  de  conspiration  contre 
les  Autrichiens. 

2.  Napoléon. 


LETTRES   DE   SISMONDI   ÉCRITES   PENDANT   LES   CENT-JOURS.  355 

nistre  a  rendu  compte  de  l'état  de  l'Empire.  Il  assure  que  dans  ce  mo- 
ment l'armée  active  est  de  375,000  hommes  sans  compter  150,000  gardes 
nationaux  aux  frontières.  C'est  un  pays  à  immenses  ressources  et  les 
plus  puissantes  de  toutes  se  trouvent  dans  l'enthousiasme  des  soldats. 
Demain  est  l'anniversaire  de  Marengo,  les  troupes  sont  en  présence,  il 
est  bien  probable  qu'elles  voudront  le  fêter.  Qui  pourrait  exprimer  avec 
quel  tremblement  d'anxiété  on  attend  les  premières  nouvelles  du  télé- 
graphe, et  le  premier  canon  de  victoire  ? 

Jeudi  15  juin. 

Je  ne  puis  me  déterminer  à  quitter  Paris  avant  d'avoir  vu  les 

premières  nouvelles.  Il  est  bien  probable  qu'elles  ne  tarderont  pas; 
qui  sait  si  la  journée  d'hier  n'a  pas  été  déjà  signalée  par  une  éclatante 
victoire?  Pour  profiter  de  l'ardeur  des  troupes  on  paraissait  décidé  à 
tout  attaquer  à  la  bayonnette.  C'est  revenir  au  système  qui  a  fait  tous 
les  succès  au  commencement  de  la  Révolution....  D'après  tout  ce  que 
l'on  dit  de  Genève,  il  y  a  une  telle  exaspération,  un  -tel  acharnement 
dans  les  partis,  que  la  vie  y  serait  infiniment  désagréable.  Les  résultats 
calmeront  ces  esprits  si  agités.  Celui  d'une  victoire  des  alliés  ne  les 
dégriserait  que  trop,  puisque  je  suis  persuadé  qu'elle  serait  bientôt  sui- 
vie du  partage  de  la  Suisse  ;  ce  qui  parle  français  serait  donné  au  roi  de 
Sardaigne,  ce  qui  parle  allemand  à  l'Autriche.  Dieu  nous  garde  d'une 
pareille  servitude  !  J'aimerais  bien  mieux  aller  m'enterrer  à  Pescia  que 
de  voir  flotter  sur  nos  murs  la  croix  de  Savoie.  Je  n'ai  plus  que  la 
place  de  t'embrasser  ei  de  te  dire  que  je  t'aime  par  dessus  tout. 

XXVII. 

M  juin  ISlb. 

Le  jour  même  où  les  hostilités  ont  commencé,  le  15,  le  passage 

de  la  Sambre  a  été  forcé,  Charleroi  pris,  quatre  régiments  prussiens 
fort  maltraités,  et  1500  hommes  faits  prisonniers.  La  pluie  qui  a  tou- 
jours continué  depuis  la  saint  Médard,  avec  de  très-courtes  interrup- 
tions, et  qui  tombe  dans  ce  moment-ci  à  grands  flots,  est  assez  favo- 
rable aux  Français  qui  sont  décidés  à  tout  attaquer  à  la  bayonnette , 
car  elle  ne  fait  que  presser  leur  marche,  tandis  qu'elle  ralentit  le  feu 
des  ennemis  et  empêche  leur  poudre  de  prendre.  Mais  j'ai  bien  moins 
d'inquiétude  sur  les  opérations  militaires  que  sur  la  conduite  de  la 
Chambre  des  représentants.  Celle-ci  est  tout  à  fait  déraisonnable; 
constamment  mue  par  de  petites  vanités,  de  petites  susceptibilités, 
incapable  d'aborder  les  vraies  questions  libérales,  les  vraies  garanties 
du  peuple,  elle  ne  sait  manifester  que  de  la  mauvaise  humeur, 
de  la  taquinerie  et  de  la  défiance  des  ministres.  Peut-être  en  avan- 
çant se  formera-t-elle?  peut-être  s'y  développera-t-il  par  la  suite  quel- 
ques talents?  jusqu'à  présent  elle  ne  me  donne  que  de  la  crainte. 
Il  faudrait  trembler  de  tomber  sous  son  joug,  ce  qui  arriverait  indubi- 
tablement si  Bonaparte  était  tué.  —  ...  J'ai  reçu  hier  de  Lyon  une 


356  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

lettre  de  M™»  de  Dolomieu  extrêmement  amicale,  mais  en  même 
temps  si  triste,  si  abattue  que  j'en  suis  moi-même  tourmenté.  Elle  ne 
se  trouve  entourée  que  de  gens  absurdes,  et  si  exagérés,  si  animés  de 
passions  haineuses,  que  sa  situation  lui  en  devient  insupportable.  Ils 
ne  souhaitent  que  sang  et  massacres;  ils  n'ont  aucune  tolérance  pour 
ceux  qui  désirent  l'honneur  et  l'indépendance  de  leur  pays,  ils  les 
traitent  sans  cesse  de  gueux  et  de  misérables,  ils  les  menacent  avec 
une  imprudence  d'autant  plus  inconcevable  qu'ils  sont  absolument 
entre  leurs  mains,  et  que  si  les  étrangers  entraient  en  effet,  ils  provo- 
queraient ainsi  contre  eux-mêmes  les  scènes  les  plus  féroces.  En  même 
temps  ils  se  croient  déjà  arrivés  aux  calamités  qu'ils  appellent  de  tous 
leurs  vœux,  ils  attendent  de  jour  en  jour  le  siège  et  le  bombardement, 
encore  qu'il  n'y  ait  pas  un  seul  soldat  qui  ait  passé  les  montagnes,  et 
Zoé',  tremblant  pour  sa  petite,  croyant  voir  réalisés  tous  les  maux 
qu'on  lui  annonce,  se  reproche  d'avoir  conduit  sa  fille  dans  un  lieu  si 
dangereux,  regrette  Paris  et  se  désole,  partagée  entre  les  craintes  et 
les  remords. 

Dimanche  matin  18.  —  Je  suis  en  proie,  bonne  mère,  à  de  nouvelles 
inquiétudes  :  le  journal  de  ce  matin  annonce  la  cessation  des  commu- 
nications entre  Bâie  et  Strasbourg,  et  même  l'entrée  des  Autrichiens  à 
Genève;  je  crois  ce  bruit  prématuré,  mais  ce  qui  n'était  pas  alors 
sera  aujourd'hui.  Nous  allons  donc  nous  voir  décidément  coupés....  Dans 
les  siècles  précédents  on  voyait  souvent  la  guerre,  mais  on  ne  connais- 
sait point  encore  cette  barbarie  d'interrompre  tout  moyen  de  commu- 
niquer entre  les  parents,  ou  ceux  qui  ont  entre  eux  des  relations  étroites 
d'intérêt.  La  poste  elle-même  se  chargeait  d'ouvrir  toujours  de  nou- 
velles routes  et  l'on  empêchait  seulement  que  la  correspondance  pût 
déjouer  les  opérations  militaires.  Mais  chaque  guerre  prend  un  carac- 
tère plus  cruel  et  nous  semblons  retourner  à  la  barbarie.  Chère  mère, 
cette  séparation  nous  inflige  les  plus  amères  douleurs;  cependant,  il 
faut  nous  le  dire,  les  événements  ne  nous  ont  point  desservis  autant 
qu'ils  pouvaient.  Tu  aurais  été  plus  inquiète  de  moi  si  tu  m'avais  eu 
auprès  de  toi  ;  tu  aurais  même  pu  l'être  davantage,  si  tu  m'avais  eu  à 
Genève  à  l'entrée  des  Autrichiens  ou  sur  le  théâtre  de  la  guerre;  je 
suis  dans  le  lieu  le  plus  sur.  Je  puis  y  rester  en  paix,  perdu  dans  la 
foule;  dans  une  grande  ville  et  au  milieu  d'une  société  nombreuse  et 
animée,  on  oublie  la  guerre;  on  en  parle  il  est  vrai  beaucoup,  mais 
rien  de  ce  qui  nous  entoure  n'en  porte  l'apparence.  On  vit  dans  le 
monde  comme  auparavant,  on  y  trouve  à  peu  près  le  même  luxe,  les 
dîners  n'en  sont  pas  moins  exquis,  les  collations  du  soir  pas  moins  élé- 
gantes. On  ne  voit  pas  beaucoup  de  voitures  parce  que  l'ancienne  cour 
est  à  la  campagne  ou  émigrée,  en  sorte  que  c'est  le  règne  des  fiacres  et 
des  voitures  de  remise;  cependant  ceux  qui  restent  à  Paris  n'ont 
renoncé  à  aucunes  de  leurs  jouissances,  et  les  équipages  et  les  livrées 

1 .  M°=  de  Dolomieu. 


LETTRES   DE   SISMONDI   ÉCRITES   PENDANT   LES   CENT-JOURS.  357 

paraîtraient  encore  très-brillants  partout  ailleurs  qu'ici.  Les  spectacles 
suivent  leur  train  ordinaire,  enfin  l'agitation  de  l'esprit  est  le  seul  mal 
que  l'on  sente,  tout  le  reste  est  comme  au  sein  de  la  paix  dans  les 
temps  les  plus  prospères. 

Dimanche,  près  de  midi.  —  On  a  tiré  ce  matin  101  coups  de  canon 
pour  annoncer  une  grande  victoire  remportée  en  Flandre,  à  Ligny,  sur 
Bliicher  et  "Wellington  réunis;  c'est  auprès  de  Fleurus,  lieu  déjà  célèbre 
par  deux  grandes  batailles.  On  n'a  jusqu'à  présent  aucun  détail.  La 
lettre  officielle  est  du  16  juin  au  soir.  Demain  seulement  nous  aurons 
les  circonstances  et  les  résultats,  mais  on  assure  que  l'affaire  est  déci- 
sive. On  a  voulu  faire  couler  des  torrents  de  sang,  on  a  voulu  rejeter 
toute  proposition  de  paix,  toute  possibilité  d'accommodement  ;  que  ces 
malheurs  retombent  sur  la  tête  de  ceux  qui  les  provoquent 


XXVIIL 

23  juin  1815,  vendredi  matin. 

Je  n'ai  point  commencé  ma  lettre  au  commencement  de  la  semaine, 
bonne  mère;  je  fis  partir  celle  de  dimanche  avec  peu  d'espérance 
qu'elle  put  faire  son  chemin.  Dans  les  quatre  jours  qui  suivirent  la 
communication  fut  rompue  de  tous  les  côtés;  de  nouveaux  désastres, 
une  catastrophe  qu'on  ne  pouvait  prévoir,  rouvriront  peut-être  au- 
jourd'hui la  communication.  L'armée,  sous  les  ordres  immédiats 
de  l'empereur,  avait  commencé  les  hostilités  le  15,  et  remporté  un 
avantage  brillant  à  Gharleroi  le  lô.  Avec  une  force  d'environ  90,000 
hommes,  elle  attaqua  près  de  Fleurus  l'armée  combinée  prussienne 
et  anglaise;  après  le  combat  le  plus  acharné  et  à  la  fin  de  la  jour- 
née seulement  elle  coupa  sa  ligne,  repoussa  les  Anglais  du  côté  de 
Bruxelles  et  les  Prussiens  du  côté  de  Namur.  Napoléon,  avec  en- 
viron 50,000  hommes,  se  chargea  de  la  poursuite  des  premiers,  le 
maréchal  de  Grouchy  de  celle  des  seconds.  La  journée  du  17  qui  fut 
extrêmement  pluvieuse  fut  employée  en  marches  et  petits  combats.  Le 
18,  Napoléon  attaqua  Wellington,  retranché  dans  la  forêt  de  Soignies, 
devant  Bruxelles.  Les  forces  anglaises  étaient  doubles  des  siennes,  elles 
avaient  encore  l'avantage  de  retranchements  préparés  longtemps  à 
l'avance,  et  d'une  formidable  artillerie.  Ses  généraux  jugèrent  qu'il  y 
avait  très-peu  d'espérance  de  succès,  il  voulut  tenter  la  fortune.  Sa 
brave  garde,  l'élite  de  la  nation  et  ce  que  la  France  possédait  de  plus 
glorieux  le  seconda  avec  ce  courage  calme  et  inébranlable  que  ces  vieux 
soldats  portaient  empreint  sur  leur  front.  La  vieille  garde  était  un  corps 
de  7000  hommes,  dont  plus  des  trois  quarts  avaient  obtenu,  par  des  actions 
éclatantes,  la  décoration  de  la  Légion  d'honneur.  Une  batterie  effroyable 
qui  était  masquée  a  bientôt  labouré  leurs  rangs.  Cette  vieille  garde 
n'existe  plus,  ils  ont  tous  péri;  lorsque  après  le  combat  le  plus  acharné, 
dans  lequel  plusieurs  des  positions  anglaises   ont   été  enlevées  à  la 


358  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

bayonnotio,  ot  dans  lequel  Bonaparte  cherchait  et  appelait  la  mort 
sans  pouvoir  la  trouver,  se  tenant  en  dehors  et  en  avant  des  carrés  qui 
soutenaient  le  feu  le  plus  violent,  une  terreur  panique,  un  faux 
bruit,  peut-être  une  trahison,  a  tout  à  coup  fait  lâcher  le  pied  à 
l'armée;  mais  la  vieille  garde,  ferme  à  son  poste,  et  abandonnée 
seule  sur  le  champ  de  bataille,  a  repoussé  toutes  les  instances  de 
^VelIington,  aucun  d'eux  n'a  voulu  se  rendre,  et  la  mitraille  n'appor- 
tant point  encore  assez  rapidement  la  mort,  le  petit  nombre  de 
braves  qui  restaient  sans  espérance  se  sont  embrassés,  puis  percés 
de  leurs  bayonnettes.  C'est  sur  leurs  corps  que  Louis  XVIII  veut  mon- 
ter pour  régner.  Cependant  le  restant  de  l'armée  ayant  rompu  ses  rangs, 
n'a  plus  pu  être  reformé;  bientôt  ils  ont  jeté  leurs  armes  pour  fuir  et 
se  précipitant  dans  les  chemins  comme  un  troupeau  de  moutons,  entraî- 
nant avec  eux  et  devant  eux  ceux  mêmes  qui  étaient  les  plus  déter- 
minés à  tenir,  ils  ont  été  poursuivis  pendant  vingt  lieues  par  la  cavale- 
rie anglaise.  On  ignore  encore  le  nombre  des  morts  et  des  prisonniers, 
mais  il  doit  être  immense,  et  surtout  la  terreur  dont  l'armée  fugitive  a 
frappé  la  nation,  ne  laisse  plus  de  ressources.  Pendant  le  même  temps 
cependant  le  maréchal  Grouchy  avec  son  corps  d'armée  avait  battu  les 
Prussiens  et  occupé  Namur*.  Mais  l'empereur  ne  le  savait  pas,  et  voyant 
son  armée  dissipée,  toute  son  artillerie  perdue,  il  est  revenu  à  Paris, 
où,  après  trente-six  heures  malheureusement  perdues  en  vaines  délibé- 
rations, il  a  abdiqué  hier  l'empire  entre  les  mains  des  deux  Chambres 
qui  ont  nommé  une  commission  de  gouvernement  provisoire  pour 
négocier  avec  les  puissances,  et  pourvoir  en  même  temps  à  la  défense 
nationale.  Le  choix  des  membres  de  ce  gouvernement  provisoire  donne 
l'espérance  qu'ils  ne  voudront  pas  soumettre  la  nation  à  l'ignominie  du 
roi  des  étrangers,  et  qu'ils  balanceront  plutôt  entre  Marie-Louise  et  le 
duc  d'Orléans;  mais  les  représentants  sont  tumultueux  et  faibles,  ils 
inspirent  peu  de  confiance.  Cependant  le  désastre  public,  renfermant 
une  espérance  de  paix,  a  fait  remonter  les  fonds  d'une  manière  extraor- 
dinaire. 

Samedi  soir.  —  Les  événements  vont  si  vite,  bonne  mère,  que  je  ne 
puis  jamais  croire  qu'ils  soient  renfermés  dans  si  peu  de  jours.  Il  me 
semble  qu'il  s'est  passé  près  d'un  mois  depuis  que  notre  communica- 
tion est  fermée  et  cependant  les  huit  jours  d'intervalle  ne  sont  pas 
même  accomplis.  Je  ne  voulais  pas  croire  non  plus  que  ce  fut  hier  que 
j'avais  commencé  cette  lettre.  Ce  n'est  pas  que  dans  cet  intervalle, 
beaucoup  de  choses  aient  été  faites.  Un  gouvernement  provisoire  a  été 
nommé  pour  remplacer  l'empereur  et  administrer  au  nom  de  Napo- 
léon II,  qui  a  été  reconnu  par  les  deux  Chambres.  Ce  gouvernement 
est  composé  d'hommes  signalés  par  leur  aversion  pour  les  Bourbons. 
Il  a  nommé  six  commissaires  pour  négocier  avec  les  puissances,  parmi 

1.  Nous  ne  pouvons  nous  occuper  de  rectifier  toutes  les  erreurs  de  ce  récit, 
écrit  d'après  les  premières  nouvelles  qui  arrivèrent  à  Paris. 


LETTRES   DE   SISMONDI   e'cIIITES   PENDANT   LES   CENT-JOURS.  359 

eux  Benjamin,  Lafayette,  d'Argenson  et  Pontécoulant  que  tu  connais 
par  moi.  Ils  sont  partis  à  midi.  Leur  commission  est  de  traiter  pour 
faire  reconnaître  la  régence  de  Marie-Louise  et  obtenir  la  paix  à  ce 
prix,  mais  il  est  certain,  et  les  Chambres  l'ont  annoncé  en  quelque 
sorte  par  leurs  délibérations  de  ces  deux  jours,  que  si  les  ennemis  ne 
veulent  pas  du  fils  de  Napoléon,  ce  ne  sera  pas  pour  lui  qu'on  fera  la 
guerre;  ce  ne  sera  jamais  que  pour  repousser  Louis  XVIII  contre  lequel 
les  deux  Chambres  sont  presque  unanimes  et  la  nation  toute  entière 
assez  d'accord. 

Dimanche  matin.  —  Je  crois  la  communication  avec  Genève  toujours 
interrompue,  mais  je  n'en  suis  pas  sur,  et  comme  nous  nous  sommes 
bien  trouvés  de  ne  négliger  aucune  chance  pour  nos  lettres,  je  ferai 
partir  aujourd'hui  celle-ci  à  tout  hasard.  Les  nouvelles  des  armées  sont 
plutôt  bonnes;  on  se  réorganise,  on  se  met  en  état  de  faire  ferme  de 
toutes  parts  ;  l'armée  anglaise  n'est  point  encore  entrée  en  France,  et  il 
est  possible  qu'elle  n'ose  point  s'aventurer  entre  tant  de  forteresses, 
contre  une  armée  en  état  de  lui  disputer  encore  le  terrain.  Les  commis- 
saires cependant  sont  partis  et  la  négociation  sera  peut-être  incessam- 
ment entamée.  On  a  envoyé  aussi  en  Angleterre  M.  Otto',  et  selon  toute 
apparence  c'est  pour  s'adresser  directement  au  duc  d'Orléans.  A  en  juger 
par  l'ensemble  des  circonstances,  par  la  perte  terrible  que  les  alliés  ont 
faite  dans  les  deux  dernières  batailles,  il  est  probable  que  la  paix  se 
fasse  immédiatement  sans  que  la  France  soit  entamée  et  avec  un  gou- 
vernement qui  concilie  tout.  Mais  ceux  qui  sont  attachés  à  la  famille 
même  de  Bonaparte  considèrent  tout  comme  perdu,  parce  qu'ils  voient 
peu  ou  point  de  chances  pour  que  cette  famille  reste  sur  le  trône  et 
ils  soupçonnent  tous  les  Orléanistes  d'être  Bourbons,  ce  qui  n'est  point. 
Mais  ce  qui  est  tout  à  fait  inexplicable,  c'est  le  caractère  de  Napoléon. 
Il  a  donné  dans  ces  derniers  combats  les  preuves  les  plus  éclatantes  de 
courage,  c'est-à-dire  d'un  calme  imperturbable  et  d'une  parfaite  présence 
d'esprit  dans  le  plus  effroyable  danger;  mais  ensuite,  quand  la  fuite  de 
l'armée  a  commencé,  il  est  évident  qu'il  a  perdu  la  tête;  il  n'a  rien 
tenté  pour  arrêter  l'armée  (je  ne  sais  au  reste  s'il  y  avait  aucune  possi- 
bilité de  le  faire)  ;  il  a  cru  tout  perdu,  il  a  abandonné  son  poste  qui 
devait  être  au  premier  endroit  où  les  fuyards  pourraient  faire  ferme,  il 
n'a  point  visité  ni  organisé  la  frontière,  il  s'est  sauvé  jusqu'à  Paris,  où 
il  ne  devait  point  venir  et  y  est  resté  ;  il  y  reste  encore  sans  raison,  car 
après  son  abdication  il  aurait  dû  retourner  à  l'armée  comme  volontaire, 
combattre  encore  partout  où  l'on  combat,  et  ne  point  permettre  que  le 
dernier  coup  de  fusil  se  tirât  sans  lui.  Il  va  se  retirer  à  la  campagne, 
et  l'on  assure  qu'il  offre  comme  condition  de  la  paix  d'aller  se  consti- 
tuer prisonnier  en  Angleterre.  Quand  je  cherche  à  préjuger  quels 
seront  pour  moi  les  résultats  de  tout  cela,  je  vois  d'abord  que  je  me 

1.  Louis-Guillaume  Otto,  comte  de  Mosloy,  avait  représenté  la  France  de 
1784  à  1813  aux  États-Unis,  à  Berlin,  à  Londres,  à  Munich  et  à  Vienne. 


360  MéLAXGES    ET    DOCUMENTS. 

suis  fait  un  très-grand  nombre  d'ennemis,  soit  ici,  soit  à  Genève,  par 
le  iiarti  que  j'ai  embrassé;  les  royalistes  sont  les  plus  intolérants  des 
hommes,  et  ils  ne  pardonnent  pas  les  opinions  contraires  aux  leurs; 
comme  aucune  action  n'y  était  jointe  cependant,  cette  haine  de  parti 
ne  peut  pas  se  changer  en  inimitié  personnelle,  et  quand  le  sujet  de 
la  querelle  n'existera  plus,  on  n'y  pensera  pas  longtemps.  Cependant, 
je  resterai  avec  les  amis  que  j'ai  faits  et  que  j'ai  mérités,  qui  ont  souf- 
fert en  commun  avec  moi  des  désastres  de  la  France  et  de  la  liberté,  et 
qui  m'en  aimeront  davantage  pour  avoir  senti  comme  eux.  Les  Béren- 
ger,  les  Beauvau,  M"'^  de  Rumford  sont  tout  à  fait  dans  ce  cas.  Même 
en  mettant  tout  au  pire  et  en  supposant  le  retour  de  Louis  XVIII 
conduit  par  les  alliés,  je  ne  puis  croire  à  ma  persécution  personnelle  ; 
je  pourrai  à  mon  gré  rester  ici  ou  retourner  à  Genève,  et  à  ceux  qui 
me  feront  la  mine  je  ferai  la  mine  à  mon  tour.  Si  le  duc  d'Orléans  au 
contraire  est  roi,  l'issue  ne  sera  point  mauvaise  ;  mes  amis  seront  dans 
une  situation  agréable,  la  France  restera  libre,  les  bonnes  opinions 
demeureront  dominantes  et  je  n'aurai  rien  perdu.  La  guerre  se  termi- 
nant beaucoup  plus  rapidement  que  nous  ne  devions  nous  y  attendre 
sauvera  Genève  non-seulement  de  l'attaque  des  Français,  mais  encore 
de  la  garnison  autrichienne,  en  sorte  qu'il  y  a  plus  de  chances  pour 
sauver  encore  son  indépendance,  qui  cependant  est  devenue  bien  pré- 
caire. Je  veux  attendre  ici  la  fin  des  événements  ;  comme  historien  il 
est  juste  de  vouloir  tout  voir,  et  qui  sait  si  je  n'essayerai  pas  d'écrire 
ce  que  j'ai  vu?  Je  retournerai  ensuite  à  Genève  où  je  finirai  la  belle 
saison. 

XXIX. 

7  juillet  1815. 

J'essaie,  bonne  mère,  de  mettre  une  lettre  tout  simplement  à  la  poste 
pour  te  dire  que  je  me  porte  bien,  que  je  n'ai  éprouvé  aucune  souf- 
france, aucune  privation,  pendant  que  les  ennemis  entouraient  Paris, 
que  les  portes  leur  sont  livrées  dès  hier,  et  que  jusqu'à  présent  il  n'y  a 
eu  aucun  désordre,  aucune  violence;  la  sûreté  est  complète  pour  tous 
et  pour  moi  en  particulier,  qui  n'ai  point  de  maison,  et  qui  ne  puis 
être  exposé  à  loger  des  troupes.  Tous  mes  amis  au  reste  sont  dans  la 
désolation,  cette  belle  France  est  perdue,  nous  nous  acheminons  vers 
un  partage  semblable  à  celui  de  la  Pologne.  Louis  XVIII  cédera  cette 
fois  forteresses,  artillerie,  armée,  vaisseaux,  tout  ce  qui  fait  qu'on  est 
nation.  A  la  prochaine  fois  il  n'y  aura  plus  besoin  que  de  quelques 
traits  de  plume  pour  achever  le  partage  de  la  France.  Je  resterai  encore 
ici  une  quinzaine  de  jours  pour  attendre  que  l'ordre  soit  rétabli  sur  les 
grands  chemins,  je  partirai  ensuite  avec  M™«  de  Lieven  qui  veut  aller 
prendre  les  bains  d'Aix;  et  de  Genève,  quand  j'y  serai,  nous  mûrirons 
nos  projets  pour  nous  réunir  cet  hiver.  Je  t'embrasse,  etc. 

(Sera  continué.) 


BULLETIN    HISTORIQUE 


FRANCE. 


NÉCROLOGIE.  —  Au  moment  où  la  France  entière  pleure  la  mort  du 
plus  illustre  de  ses  citoyens,  de  celui  dont  un  concours  extraordinaire 
de  circonstances  avait  fait  le  représentant  le  plus  éminent  de  ses  con- 
victions libérales  et  de  ses  patriotiques  espérances,  il  est  bien  difficile  de 
séparer  en  deux  la  personne  et  l'œuvre  de  M.  Thiers  pour  porter  sur 
l'historien  un  jugement  impartial,  qui  ne  soit  influencé  ni  par  les  pas- 
sions du  moment  ni  même  par  les  sentiments  d'admiration  et  de  recon- 
naissance que  nous  devons  à  l'homme  d'État  et  au  chef  de  gouverne- 
ment. Dans  les  temps  agités  où  nous  sommes,  la  franchise  risque  de 
passer  pour  de  l'hostilité  et  Timpartialité  pour  de  l'ingratitude. 
Néanmoins,  fidèles  aux  principes  de  sincérité  absolue  et  d'indépen- 
dance scientifique  dont  nous  avons  fait  profession  en  fondant  cette 
Revue,  nous  ne  nous  déroberons  pas  à  la  tâche  qui  nous  est  imposée, 
nous  résignant  d'avance  à  être  mal  compris  ou  mal  jugés  par  quel- 
ques-uns. 

M.  Thiers  s'est  occupé  d'histoire  pendant  toute  sa  vie.  Il  débuta 
dans  le  journalisme  par  des  articles  sur  le  livre  de  la  Monarchie 
française  de  M.  de  Montlosier  et  il  était  à  Paris  depuis  deux  ans  à 
peine  quand  il  publia  en  \  823  le  premier  volume  de  son  Histoire  de 
la  Révolution.  Avant  même  d'avoir  terminé  son  grand  ouvrage  sur 
ï Histoire  du  Consulat  et  de  l'Empire  (1846-^869),  il  formait  déjà  le 
plan  d'une  Histoire  de  Florence.,  projet  qu'il  n'abandonna  qu'après 
la  guerre  de  -1870.  Mais  en  même  temps,  pendant  toute  sa  vie, 
M.  Thiers  s'est  occupé  avec  passion  des  affaires  politiques  de  son 
pays  et  il  n'est  pas  possible  de  l'oublier  quand  on  juge  ses  œuvres 
historiques,  pas  plus  qu'il  n'a  su  l'oublier  lui-même  en  les 
écrivant.  Lorsqu'il  composa  son  Histoire  de  la  Révolution.,  tous  les 
partis  libéraux  luttaient  contre  le  gouvernement  de  la  Restauration; 
l'ouvrage  de  M.  Thiers  fut  une  apologie  de  tous  les  partis  qui  prirent 
successivement  la  direction  des  affaires  pendant  la  période  révolu- 


362  BULLETIN  niSTORIQUE. 

lionnairc,  ne  les  blâmant  que  lorsque  leurs  fautes  avaient  déterminé 
leur  chute.  11  entreprit  d'écrire  l'histoire  deNapoléon  après  sa  retraite  du 
minislôro  en  1 8  îO  ;  ot  il  est  facile  do.  reconnaître  dans  ce  grand  ouvrage 
une  constante  apologie  des  idées  administratives,  financières  et  mili- 
taires qui  lui  étaient  chères,  qu'il  ne  pouvait  plus  appliquer  dans  les 
conseils  du  gouvernement,  et  qui  suivant  lui  avaient  fait  la  grandeur 
de  Napoléon,  ou  avaient  été  cause  de  sa  chute  quand  il  les  avait 
méconnues.  M.  Thiers  n'était  donc  pas  un  pur  savant,  un  littérateur 
désintéressé  qui  ne  cherche  que  la  vérité  objective  ou  la  beauté  artis- 
tique, c'était  un  homme  d'action  pour  qui  les  travaux  d'histoire  étaient 
une  forme  de  l'activité  politique.  Il  avait  toujours  devant  les  yeux  le 
public  qu'il  voulait  instruire,  convaincre  ou  charmer,  et  comme 
l'orateur  dont  la  parole  est  modifiée  par  les  auditeurs  à  qui  il  s'adresse, 
M.  Thiers  subissait  l'influence  de  la  foule  de  ses  lecteurs;  il  écrivait 
dans  son  cabinet  comme  il  parlait  à  la  tribune.  Pour  écrire  comme 
pour  agir,  il  avait  besoin  de  se  sentir  soutenu  par  les  sympathies  d'une 
foule  -,  il  savait  à  la  fois  les  conquérir  et  les  suivre  -,  il  a  été  le  fidèle  repré- 
sentant plutôt  que  le  guide  de  sa  génération-,  il  aimait  la  popularité 
et  il  avait  toutes  les  qualités  intellectuelles  qui  pouvaient  le  rendre 
populaire;  ses  défauts  mêmes  le  servaient;  ils  le  rendaient  plus  acces- 
sible et  plus  familier.  Certains  critiques  lui   ont  reproché  d'être 
prolixe,  superficiel,  de  ne  juger  les  événements  et  les  hommes  que 
d'après  le  succès,  de  rester  trop  attaché  aux  institutions  napoléoniennes, 
et  d'accorder  à  la  gloire  militaire  un  prix  exagéré;  mais  plus  concis 
M.  Thiers  n'aurait  pas  eu  cette  verve  inépuisable  qui  entraine  et 
retient  le  lecteur;  plus  profond  il  serait  moins  aisé  à  comprendre; 
et  enfin  ses  préjugés  sont  ceux  mêmes  de  la  bourgeoisie  française 
qu'il  représente  et  à  laquelle  il  s'adresse.  Sa  supériorité  est  faite  d'un 
ensemble  merveilleux  de  qualités  moyennes  :  il  est  éloquent  sans 
atteindre  à  la  grande  éloquence  ;  spirituel  sans  mériter  d'être  cité  au 
premier  rang  pour  la  vigueur  ou  la  finesse  de  ses  traits  d'esprit  ;  bon 
écrivain  sans  avoir  ni  la  parfaite  correction  ni  la  puissante  origina- 
lité; il  est  plus  pénétrant  que  profond  et  il  a  plus  de  vivacité  d'idées 
que  de  véritable  abondance,  plus  de  bon  sens  et  de  chaleur  que  de 
largeur  et  d'élévation  dans  l'esprit.  Mais  ces  quahtés  moyennes  étaient 
si  bien  équilibrées,  il  les  avait  si  bien  à  son  service,  il  savait  si  bien 
les  faire  valoir  par  l'incomparable  aisance  avec  laquelle  il  les  met- 
tait en  œuvre  et  en  relief,  qu'il  sut  donner  à  son  talent  les  allures  du 
génie. 

Avec  les  qualités  que  la  nature  lui  avait  départies,  dans  la  dépen- 
dance où  il  était  du  public  auquel  il  s'adressait,  et  au  milieu  de  la  vie 
agitée  qu'il  a  menée,  M.  Thiers  ne  pouvait  pas  écrire  sur  la  Révolu- 


FRANCE.  363 

tion,  le  Consulat  et  l'Empire  des  œuvres  définitives.  Beaucoup  de 
critiques  ont  été  et  peuvent  être  adressées  à  ces  ouvrages,  qui  sont 
néanmoins  tous  deux  d'un  mérite  exceptionnel.  L'Histoire  de  la 
Révolution  nous  paraît  aujourd'hui  insuffisante  parce  qu'elle  n'ap- 
profondit aucune  des  questions,  qu'elle  ne  juge  ni  les  hommes 
ni  les  événements,  qu'elle  ne  tient  aucun  compte  des  innombra- 
bles documents  manuscrits  où  se  trouve  la  vraie  histoire  de  la 
révolution,  qu'elle  ne  nous  donne  qu'un  tableau  animé  des  tragédies 
parisiennes,  mais  oublie  de  faire  connaître  ce  qui  se  passa  dans  les 
provinces  et  en  Europe.  Néanmoins  cet  ouvrage  eut  un  retentisse- 
ment immense  et  a  été  le  point  de  départ  de  tous  les  travaux  qui  ont 
été  faits  depuis  sur  l'époque  révolutionnaire.  On  peut  aussi  relever 
dans  l'Histoire  du  Consulat  et  de  l'Empire  bien  des  lacunes.  On  n'y 
trouve  rien  de  précis  ni  d'approfondi  sur  les  États  européens  et  leur 
politique;  pour  la  France  même  l'administration,  les  finances  et  la 
guerre  sont  les  seuls  sujets  étudiés-,  on  n'y  apprend  rien  sur  les 
mœurs,  sur  l'esprit  public,  sur  les  questions  religieuses,  en  un  mot 
sur  la  vie  même  de  la  nation.  M.  Thiers  a  remué  d'immenses  masses 
de  documents,  mais  surtout  des  documents  français  et  des  documents 
diplomatiques,  et  d'ailleurs  il  les  emploie  plutôt  avec  l'habileté  de 
l'orateur  parlementaire  qu'avec  la  précision  de  l'érudit,  les  fondant, 
les  faisant  disparaître  dans  la  trame  de  son  récit  au  risque  d'en  altérer 
parfois  la  signification.  Enfin  son  jugement  sur  Napoléon  est  à  la  fois 
d'une  indulgence  choquante  et  d'une  frappante  insuffisance,  car  l'ambi- 
tion ne  suffit  pas,  comme  il  le  croit,  à  faire  du  héros  presque  sans  tache 
du  Consulat  le  fou  furieux  de  la  campagne  d'Espagne.  M.  Thiers  n'a 
pas  pénétré  dans  l'âme  de  ses  personnages  et  sa  psychologie  est  super- 
ficielle. Mais  aussi  quel  talent  de  narrateur  !  Si  le  récit  des  affaires 
diplomatiques  n'est  pas  toujours  d'une  exactitude  suffisante,  comme 
écrivain  militaire  M.  Thiers  n'a  pas  d'égal  et  les  campagnes  de  Napo- 
léon se  lisent  comme  des  poèmes  et  des  romans.  Il  se  passera  long- 
temps avant  qu'un  autre  historien  ose  entreprendre  de  traiter  avec 
une  égale  étendue  ce  redoutable  sujet. 

M.  Thiers  a  dit  que  l'intelligence  était  la  qualité  maîtresse  de 
l'historien.  Ce  fut  en  tous  cas  sa  qualité  maîtresse.  Il  y  a  joint  un 
sentiment  qui  a  donné  à  ses  œuvres  et  à  sa  vie  leur  noblesse  et  leur 
unité  :  un  ardent  patriotisme.  L'amour  de  la  France  a  été,  on  peut 
le  dire,  toute  la  morale  et  la  vertu  de  M.  Thiers.  A  la  fin  de  sa  vie,  dans 
les  circonstances  tragiques  que  traversait  notre  pays,  nous  avons  vu 
grandir  encore  ce  patriotisme  et  cette  intelligence.  La  déposition  faite 
par  M.  Thiers  devant  la  commission  d'enquête  parlementaire  sur  la 
déclaration  de  guerre  et  la  chute  de  l'Empire  est  peut-être  le  plus 


3<^5  RCILLETIIV    UISTORFQUE. 

beau  morceau  d'oloqucnce  el  le  plus  beau  morceau  d'histoire  qu'il 
ail  laissé  à  la  poslérilé. 

PiuLiCATio.Ns  NOUVELLES.  Docu.ME.\Ts.  —  La  SocioLc  dc  l'Oricnl latin 
vient  de  distribuer  son  premier  volume  :  la  Prise  (V Alexandrie, 
poème  de  Guillaume  de  Machaut,  publié  par  M.  de  Mas  Latrie.  Ce 
poème  offre  un  grand  intérêt  historique.  Machaut  a  connu  plusieurs 
des  serviteurs  de  Pierre  de  Lusignan.  Tout  ce  qu'il  nous  rapporte 
sur  les  commencements  de  ce  prince  et  sur  l'expédition  d'Alexandrie 
en  <  303  est  exact  et  précieux  pour  l'histoire.  Mais  dans  la  dernière 
partie  du  poème,  égaré  par  une  admiration  exagérée  pour  le  roi  et  par 
les  rapports  mensongers  de  Gautier  de  Gonflans,  il  a  raconté  d'une 
manière  tout  à  fait  inexacte  les  causes  de  l'assassinat  de  Pierre.  M.  de 
Mas  Latrie  a  donné,  comme  introduction  à  la  Prise  d'Alexandrie,  la 
notice  qui  avait  déjà  paru  dans  la  bibliothèque  de  l'Ecole  des  chartes 
(Cf.  Rev.  hist.,  IV,  21  ri).  Le  volume  se  termine  par  des  noteshisto- 
riques  qui  rectifient  utilement  les  erreurs  échappées  à  Machaut,  une 
table  chronologique  des  événements  et  un  index  soigneusement 
dressé.  On  regrette  de  n'y  pas  trouver  de  glossaire.  Je  sais  bien  que 
la  Société  de  l'Orient  latin  est  une  société  d'histoire  et  non  de  philo- 
logie; mais  si  l'on  songe  qu'elle  publie  des  textes  inédits  qui  ne  seront 
pas  réimprimés  de  sitôt,  on  regrette  que  la  Société  n'enrichisse  pas 
ses  textes  français  de  cette  addition  qui  ajouterait  beaucoup  à  leur 
valeur  et  rendrait  de  si  grands  services  aux  philologues.  Nous  deman- 
derions de  même  à  la  Société  des  Anciens  textes  de  donner  des  index 
développés  pour  tous  les  textes  qui  de  près  ou  de  loin  touchent  à 
l'histoire,  mais  ce  vœu  paraîtra  téméraire  quand  on  voit  cette  Société 
dispenser  ses  éditeurs  mêmes  de  donner  des  glossaires,  comme  nous 
le  voyons  par  l'édition  de  Guillaume  de  Païenne  de  M.  Michelant, 
édition  qui  ne  contient  ni  index,  ni  glossaire,  ni  notes,  et  dont  l'in- 
troduction elle-même  est  bien  insuffisante.  Nous  avions  espéré  que  le 
Brun  de  la  Montagne  de  M.  Meyer  aurait  servi  de  type  aux  éditions 
suivantes,  et  il  nous  semble  que  la  Société  des  Anciens  textes  devrait 
imiter  l'exemple  donné  par  la  Société  de  l'Orient  latin  en  imposant  à 
ses  éditeurs  des  règles  fixes  et  un  plan  uniforme  tout  en  admettant 
des  dérogations  accidentelles  à  ces  règles. 

Ajoutons  que  l'exécution  matérielle  du  premier  volume  donné  par 
la  Société  de  l'Orient  latin  ne  laisse  rien  à  désirer;  on  y  admire  la 
perfection  élégante  et  luxueuse  qui  a  fait  la  réputation  de  l'impri- 
meur, M.  Fick. 

M.  Léonce  Pingaud  vient  de  publier  dans  les  Mémoires  de  l'Aca- 
démie de  Dijon  la  Correspondance  des  Saulx-Tavanes  au  xvi"  siècle, 
recueil  qui  forme  comme  les  pièces  justificatives  de  son  livre  sur  les 


FRANCE.  365 

Saulx-Tavanes  (cf.  Rev.  Jiist.^  III,  449),  du  moins  pour  la  partie  qui 
concerne  Gaspard,  Guillaume  et  Jean. Les  lettres  de  Jean,  le  fougueux 
ligueur,  très-peu  nombreuses  malheureusement  (il  n'y  en  a  que  onze), 
sont  les  plus  originales  par  leur  verdeur  militaire.  Celles  de  Gas- 
pard, le  fameux  maréchal,  qui  sont  au  nombre  de  -186,  montrent  un 
esprit  calme,  froid  et  prudent,  ce  qui  ne  laissera  pas  d'étonner  ceux 
qui  ne  voient  en  lui  que  le  massacreur  de  la  Saint-Barthélémy.  On 
reconnaît  même  que  Tavanes  ne  mettait  aucun  fanatisme  dans  la 
répression  des  troubles  religieux,  qu'il  songeait  beaucoup  plus  à 
l'État  qu'à  l'Église,  et  même  que  lorsqu'il  dut  appliquer  l'édit  de 
pacification  d'Amboise,  il  le  fit  avec  une  énergie  et  une  loyauté  irré- 
prochables. Très-précieuses  pour  l'histoire  des  guerres  de  religion, 
surtout  en  Bourgogne,  ces  lettres  n'ont  pas  du  reste  de  valeur  litté- 
raire. On  y  chercherait  vainement  ces  saillies,  ce  style  savoureux  et 
coloré  qui  font  le  charme  des  écrits  de  Monluc.  On  regrette  que 
M.  Pingaud  ait  été  aussi  parcimonieux  de  notes  explicatives;  mais  il 
faut  se  rappeler  que  le  livre  précédemment  paru  est  le  commentaire 
des  lettres,  et  que  les  sociétés  savantes  n'aiment  pas  toujours  qu'on 
accroisse  outre  mesure  la  grosseur  de  leurs  volumes. 

Antiquité.  —  La  thèse  sur  les  Romains  à  Athènes  (Thorin),  qui  a 

valu  à  M.  Hinstin  le  titre  de  docteur  ès-lettres,  est  une  lecture  des 

plus  agréables-,  le  style  en  est  vif;  l'auteur  y  déploie  une  érudition 

variée  et  de  bon  aloi  qui  ne  l'entraîne  jamais  dans  la  confusion  ni  la 

lourdeur.  Nous  lui  adresserons  cependant  une  grave  critique;  son 

livre  n'a  pas  le  caractère  scientifique  ;  il  est  très-am\isant  et  instructif, 

mais  c'est  une  série  d'articles  de  revue  bien  plus  qu'un  ouvrage  de 

science  fortement  conçu  et  étudié.  La  question  qu'il  traite  n'est  qu'un 

des  côtés  d'un  sujet  bien  autrement  important  :  l'influence  de  la 

Grèce  sur  Rome.  Les  voyages  des  Romains  à  Athènes,  leurs  études 

ou  leurs  plaisirs  en  Grèce  ne  sont  que  des  épisodes  d'un  des  plus 

grands  mouvements  intellectuels  de  l'histoire.  Et  puis  ces  Romains 

ne  restent  pas  à  Athènes,  ils  retournent  à  Rome,  ils  y  amènent  des 

Grecs  et  M.  Hinstin  se  trouve  à  chaque  instant  entraîné  à  sortir  de 

son  sujet  pour  en  traiter  un  autre  aussi  important  et  qui  lui  est 

étroitement  uni  :  les  Grecs  à  Rome.  Tel  chapitre,  celui  sur  Gicéron, 

par  exemple,  aurait  suffi  à  une  thèse  très-intéressante  qui  aurait  pu 

avoir  pour  titre  :  Gicéron  disciple  des  Grecs.  En  un  mot  le  livre  de 

M.  Hinstin  nous  donne  le  côté  extérieur  d'un  mouvement  intellectuel 

très-varié  et  très-profond,  une  série  de  tableaux  finement  esquissés, 

mais  nécessairement  rapides  et  superficiels.  —  La  thèse  latine  de 

M.  Bizos  sur  Florus  (Thorin),  qui  a  pour  objet  de  prouver  que  Florus 

s'appelait  Julius  et  vivait  sous  Trajan  et  Hadrien,  est  un  bon  résumé 


3(>(>  BULLETIN   HISTORIQDE. 

de  ce  que  la  critique  pense  aujourd'hui  de  ce  plat  rhéteur. — M.  Double 
continue  ses  portraits  d'empereurs  romains.  Après  avoir  réhabilité 
Claude  et  arraché  à  Titus  son  masque  de  vertu,  il  nous  présente  les 
Césars  de  Palmyre  (Fischbacher)  et  naturellement  exalte  Odénat  laissé 
longtemps  dans  l'ombre  pour  rabaisser  la  trop  fameuse  Zénobie.  La 
thèse  de  M.  Double  nous  parait  juste,  et  il  montre  comme  toujours 
un  zèle  ingénieux  et  un  certain  talent  d'écrivain  dans  ses  reconstitu- 
tions de  l'histoire  romaine.  Mais  il  manque  de  précision;  les  contours 
nets  des  faits  flottent  dans  un  style  à  demi  oratoire  et  poétique,  et 
pour  grossir  un  sujet  trop  maigre  il  entasse  des  descriptions  archéolo- 
giques et  pittoresques  qui  sont  de  purs  hors-d'œuvre.  —  C'est  aussi 
un  demi-amateur  et  un  demi-savant  que  M.  J,  Cohen,  qui  consacre 
deux  volumes  à  la  réhabilitation  des  Pharisiens  (Lévj).  Dans  un  livre 
antérieur,  les  Déicides,  M.  Cohen  avait  déjà  pris  la  défense  des  accu- 
sateurs et  des  juges  du  Christ  avec  une  véhémence  et  une  partialité 
choquantes.  Il  est  revenu  à  un  point  de  vue  plus  modéré  et  il  ne  fait 
plus  l'apologie  du  déicide  ;  il  se  contente  de  montrer  le  rôle  sage  et 
éclairé  joué  par  les  Pharisiens  dans  l'histoire  du  peuple  juif. 

Temps  modernes,  —  Le  moyen-âge  n'a  été  pendant  ces  derniers 
mois  l'objet  d'aucune  publication <.  Les  pensées  sont  ailleurs,  et  les 
éditeurs  ne  publient  des  livres  d'histoire  qu'à  la  condition  qu'ils 
répondent  aux  préoccupations  contemporaines.  Pourtant  M.  Rameau 
a  eu  le  courage  de  faire  paraître  dans  ce  moment  peu  favorable,  sous 
le  titre  Une  colonie  féodale  en  Amérique  (Didier),  une  histoire  très- 
intéressante  de  l'Acadie.  Sous  des  allures  très-modestes,  le  livre  de 
M.  Rameau  est  sérieusement  étudié,  puisé  non-seulement  aux  meil- 
leures sources  imprimées,  mais  même  aux  documents  manuscrits. 
L'Acadie  a  eu  le  sort  de  presque  toutes  nos  colonies;  fondée  par  des 
prodiges  de  courage  et  de  hardiesse,  rapidement  accrue  grâce  à  l'in- 
telligence, au  savoir-faire  des  premiers  colons,  à  l'habileté  avec 
laquelle  ils  savaient  gagner  la  sympathie  des  indigènes,  elle  a  été 
bientôt  ébranlée  par  Tesprit  de  rivalité  et  de  jalousie-,  menacée  par 
les  Anglais,  elle  a  péri  par  la  négligence  de  la  métropole.  Rien  de  plus 
curieux  que  l'organisation  de  cet  État  où  le  gouverneur  était  un  vrai 

1.  Il  faut  cependant  citer  la  nouvelle  édition  du  remarquable  volume  de 
M.  Fustel  de  Coulanges  sur  les  Institutioiis  de  l'ancienne  France  (Hachette). 
Les  75  pages  ajoutées  dans  cette  réimpression  ne  modifient  en  rien  du  reste  les 
doctrines  contenues  dans  l'ouvrage.  Elles  sont  destinées  à  compléter  et  à  recti- 
fier les  chapitres  consacrés  à  l'organisation  de  la  Gaule  sous  l'Empire  et  à  accen- 
tuer et  à  fortifier  par  de  nouvelles  preuves  les  théories  émises  par  M.  Fustel  de 
Coulanges  sur  l'établissement  des  barbares  en  Gaule.  (Voy.  Revue  critique,  1876, 
n'  14,  et  Revue  polit,  et  lift.,  1"  et  15  mars.) 


FRANCE.  367 

suzerain  féodal  ayant  des  vassaux  dont  les  terres  étaient  occupées  par 
des  censitaires.  Rien  n'a  manqué  à  cette  féodalité  d'outremer,  pas 
même  les  guerres  privées.  —  La  Correspondance  de  M.  de  Serre 
(Vaton),  aujourd'hui  complète  en  six  volumes,  nous  fait  connaître 
une  des  figures  politiques  les  plus  nobles  et  les  plus  sympathiques 
du  temps  de  la  Restauration,  un  des  hommes  qui,  avec  le  duc  de 
Richelieu,  M.  de  Villèle,  M.  de  Martignac,  eussent  pu  doter  la  France 
d'un  gouvernement   libre,   si  l'étroite  obstination  des  ultra-roya- 
listes et  l'impatience  méfiante  des  libéraux  n'avaient  pas  paralysé 
leur  haute  intelligence  et  leur   désintéressement  patriotique.   — 
Avec  M.    Daudet    nous    touchons  à  l'histoire    contemporaine,   à 
celle    d'hier    et   à    celle    de    demain.    Le    Procès    des   ministres 
(Quantin)  est  le  récit  de  la  chute,   de  la  fuite  et  du  jugement  de 
M.   de  Polignac  et  de  ses  collègues  en   ^830.   M.    Daudet  a  eu 
entre  les  mains  non-seulement  les  pièces  du  procès,  mais  aussi  des 
mémoires  manuscrits  écrits  par  des  témoins  de  ces  événements.  Il 
nous  les  raconte  avec  une  précision  qu'ils  n'avaient  pas  dans  les  récits 
plus  ou  moins  arrangés  que  nous  possédions  jusqu'ici,  et  les  présente 
avec  une  grande  impartialité.  11  raconte  sans  juger  et  il  exprime  le 
regret  que  des  coïncidences  qu'il  ne  pouvait  prévoir  aient  semblé 
donner  à  son  livre  un  à-propos  que,  du  reste,  il  ne  veut  pas  recon- 
naître lui-même.  —  Après  le  coup  d'État  de  juillet  4830,  celui  du 
2  décembre.  M. V.  Hugo,  qui  l'a  vu  de  près,  ayant  été  du  petit  nombre 
de  ceux  qui  cherchèrent  à  organiser  une  résistance  armée,  en  a  com- 
mencé le  récit.  Le  premier  volume  de  V Histoire  d'un  crime  (Lévy) 
contient  les  journées  du  2  et  du  3.  M.  Hugo  a  beaucoup  vu,  il  a 
entendu  les  récits  de  beaucoup  des  victimes  du  2  décembre.  H  a  écrit 
ces  souvenirs  et  ces  témoignages  dès  l'hiver  de  4851-52  et  c'est  la 
déposition  d'un  témoin  véridique  qu'il  nous  donne  aujourd'hui.  Que 
certains  faits  aient  été  vus  à  travers  un  verre  grossissant,  que  d'autres 
puissent  être  rectifiés,  cela  est  possible  ;  mais  ce  livre  sera  un  des 
documents  les  plus  précieux  pour  l'histoire  définitive  de  cet  attentat 
inouï.  On  y  trouve  beaucoup  de  détails  tout  à  fait  nouveaux.  La  nuit 
que  les  députés  arrêtés  à  la  mairie  du  X«  arrondissement  pas- 
sèrent à  la  caserne  du  quai  d'Orsay  n'avait  jamais  été  racontée; 
les  débuts  de  la  résistance,  l'indifférence  profonde  que  les  députés 
rencontrèrent  dans  les  faubourgs,  les  essais  dérisoires  de  barricades, 
tout  cela  est  peint  avec  l'exactitude  d'un  historien  et  le  talent  pitto- 
resque de  l'auteur  des  Châtiments.  —  Le  pendant  de  VHistoire  d'un 
crime  sera  le  livre  de  M.  Maxime  Du  Camp  sur  les  Prisons  de 
Paris  sous   la   Commune.,    récit  minutieux,  plein    de   révélations 
nouvelles,   des  épisodes  les  plus  tragiques   de   l'insurrection  de 


36g  BULLETIN  HISTORIQUE. 

<87l.  Ici  aussi  Ton  trouvera  sans  doute  beaucoup  à  rectifier. 
M.  Du  Ganip  a  dû,  pour  trouver  la  vérité,  interroger  beaucoup  de 
gens,  confronter  beaucoup  de  témoignages.  II  a  pu  être  trompé 
et  se  trompe  quelquefois.  II  n'est  pas  sûr  par  exemple  qu'il  n'ait 
pas  confondu  les  actes  du  député  Millière  avec  ceux  du  colonel 
Minière,  ni  que  quelques-uns  des  surveillants  des  prisons  n'aient  pas 
embelli  ou  altéré  leur  rôle.  Néanmoins  ce  livre  a  une  singulière  valeur 
et  la  lecture  en  est  aussi  instructive  qu'émouvante.  Le  2  Décembre  !  la 
Commune  !  telles  sont  les  deux  alternatives  de  violence  et  de  crime 
entre  lesquelles,  s'il  fallait  en  croire  des  esprits  amers  et  chagrins, 
notre  patrie  est  condamnée  à  s'agiter.  Il  est  bon  d'en  relire  la  double 
histoire;  car  l'indulgence  pour  l'un  ou  l'autre  de  ces  attentats  contre 
la  loi  et  la  constitution  du  pays  serait  également  fatale  pour  l'avenir 
de  la  France. 

G.  MONOD. 


GRANDE-BRETAGNE. 


Des  deux  volumes  qui  terminent  l'ouvrage  de  M.  Symonds,  la 
Renaissance  en  Italie,  l'un,  le  troisième  de  la  série,  consacré  tout 
entier  à  l'art  italien  de  cette  époque,  ne  rentre  pas  dans  le  cadre  de 
notre  revue  -,  l'autre,  s'adressant  au  grand  public,  esquisse  en  traits 
vifs  et  rapides  le  tableau  de  la  renaissance  des  sciences  et  des  lettres  K 
La  vie  des  hommes  qui  se  dévouèrent  à  l'étude  et  à  la  diffusion  des 
langues  classiques  est  racontée  avec  cet  enthousiasme  qui  caractérise 
particulièrement  l'auteur. 

Le  dernier  volume  des  Calendars  of  statepapers,  publié  par  don 
Pascal  de  Gayangos,  se  rapporte  aux  années  ^  527-'!  529,  où  la  ques- 
tion du  divorce  acquit  en  Angleterre  une  importance  toujours  crois- 
sante, et  influa,  non-seulement  sur  le  gouvernement  intérieur  du 
pays,  mais  aussi  sur  les  relations  entre  les  puissances  continentales  ^. 
Le  présent  volume  fournit  sur  ce  sujet  d'abondants  détails  qui  inté- 
ressent à  la  fois  ceux  qui  étudient  l'histoire  générale  de  TEurope,  et 

1.  Renaissance  initaly,  2'  partie  :  the  ravivai  oflearning,  by  J.-Â.  Symonds. 
Londres,  Smith,  Elder  et  C°. 

2.  Calendar  of  state  papers  preserved  in  the  archives  of  Simancas  and 
elsewhere,  by  D.  Pascal  de  Gayangos.  Rolls  séries.  Londres,  Longmans  and  C*. 
Pr.  12  sh. 


GRANDE-BRETAGNE.  369 

ceux  qui  se  restreignent  à  l'histoire  particulière  de  PAngleterre -,  les 
rapports  du  pape  et  de  l'empereur  méritent  une  attention  spéciale. 

Il  faut  tout  l'enthousiasme  d'un  descendant  pour  un  de  ses  ancêtres 
pour  mettre,  comme  le  fait  M.  le  major  Sadleir  Stoney,  son  aïeul  sir 
Ralph  Sadleir  sur  le  même  rang  que  Wolsey^  Ce  Sadleir  fut  cepen- 
dant un  personnage  distingué  parmi  ceux  du  second  rang,  honnête  et 
capable,  dont  on  a  pu  dire,  comme  plus  tard  de  Sidney  Godolphin 
a  never  in  the  way  and  never  oui  of  the  way  ».  Au  début  de  sa  car- 
rière, il  se  mit  au  service  de  Cromwell,  le  ministre  de  Henri  VIII,  et 
à  la  fin  il  siégea  comme  membre  de  la  cour  qui  condamna  Marie 
Stuart.  Pour  peindre  ce  caractère  et  en  comprendre  les  transforma- 
tions diverses,  il  eût  fallu  la  main  d'un  historien  familier  avec  les 
affaires  du  temps.  Cependant  M.  Stoney  a  écrit  son  livre,  non  parce 
qu'il  est  historien,  mais  parce  que  Sadleir  est  son  aïeul.  Prenons  donc 
l'ouvrage  pour  ce  qu'il  est,  et  remercions  Fauteur  d'a,voir,  sous  une 
forme  brève,  réuni  les  traits  épars  çà  et  là  de  cette  remarquable 
physionomie. 

L'importance  historique  du  Registre  du  conseil  privé  d'Ecosse  ne 
peut  être  bien  appréciée  que  par  un  érudit  particulièrement  familier 
avec  l'époque  à  laquelle  il  se  rapporte-.  Mais  il  suffit  d'ouvrir  ce 
volume  pour  s'apercevoir  qu'il  est  plein  des  plus  intéressants  détails 
sur  la  politique  du  gouvernement.  M.  Burton  nous  met  cependant 
en  garde  contre  une  illusion  dans  laquelle  tomberait  facilement  le 
chercheur  inexpérimenté.  Chacun  des  actes  contenus  dans  ce  registre 
semblerait  devoir  être  considéré  comme  émanant  de  tous  les  pouvoirs 
de  l'État  agissant  en  complète  harmonie. 

Jamais  peut-être  le  ton  de  l'harmonie  et  du  parfait  accord  ne  s'ac- 
centue avec  plus  de  force  que  lorsque  le  Conseil  ou  les  Etats  cherchent 
à  rendre  vaines  les  tentatives  faites  au  nom  de  quelque  prérogative 
royale  pour  arrêter  le  cours  de  la  justice,  ou  quand  il  s'agit  de  blâmer 
le  gouvernement  et  de  lui  faire  échec  à  propos  des  revenus  de  la  cou- 
ronne ou  du  produit  des  impôts  destinés  à  des  usages  publics,  qu'il 
dilapidait  et  distribuait  à  ses  favoris.  C'est,  disent  les  registres,  la 
gracieuse  munificence  de  la  reine;  c'est  son  ardent  désir  de  répandre 
autour  d'elle  l'abondance,  le  contentement  et  le  bonheur,  qui  a  été  la 
cause  innocente  de  tout  le  mal,  en  excitant  les  gens  pervers  et  avides  à 
exploiter  les  dispositions  bienveillantes  de  Sa  Majesté. 


I.  A  memoir  of  the  life  and  Urnes  of  the  R.-H.  sir  Ralph  Sadleir,  compi- 
led  from  states  papers  by  his  descendant  major  F.  Sadleir  Stoney.  Londres, 
Longmans  and  C°. 

•2.  The  register  of  the  privy  councll  of  Scotland,  edited  and  abriged  by  John 
Will.  Burton,  LL  D.  Vol.  1,  1545-1569,  gênerai  register  house,  Edinburgh. 
ReV.    HiSTOR.    V.   2e  FASC.  24 


370  BDLLETm    HISTORIQUE. 

Ces  particularités  pourraiout  tron)por  lo  Icctour  pou  attontif  sur  la 
réelle  signification  des  formules  employées.  Il  serait  dangereux  de 
croire  toujours  que  les  sentiments  exprimés  par  la  souveraine  venaient 
du  cœur,  et  expriment  uou-seulement  ses  actes,  mais  ses  sentiments 
véritables. 

Les  ouvrages  du  père  Morris  sont  toujours  les  bienvenus.  La 
troisième  série  des  Persécutions  de  nos  ancêtres  catholiques  '  contient 
plusieurs  fragments  relatifs  aux  persécutions  des  catholiques  dans  le 
nord  de  l'Angleterre  au  temps  d'Elisabeth,  Ces  persécutions  furent- 
elles  de  nature  plutOt  politique  ou  religieuse?  C'est  affaire  aux  histo- 
riens de  répondre  à  cette  question  selon  leurs  inclinations.  Le  P.  Morris 
nous  fait  connaître  ce  qu'elles  furent,  comment  prêtres  et  laïques 
furent  jetés  dans  d'immondes  prisons,  comment  les  riches  furent 
réduits  à  la  misère  et  les  pauvres  brisés  par  les  souffrances.  On 
trouve  dans  ce  nouveau  volume  de  nombreux  récits  d'évasions 
merveilleuses,  d'actes  de  courage  plus  méritoires  que  les  exploits 
accomplis  sur  un  champ  de  bataille,  de  ruses  ingénieuses  mises  en 
œuvre  pour  échapper  aux  périls  auxquels  les  catholiques  étaient  alors 
exposés  pour  leur  foi. 

11  est  rare  qu'un  livre,  né  d'une  controverse,  ne  porte  pas  d'une 
manière  fâcheuse  la  marque  de  son  origine,  et  le  livre  de  M.  Abbott, 
Bacon  et  Essex^  n'est  pas  une  exception  à  la  règle  '^.  M.  Abbott  a 
étudié  minutieusement  l'histoire  des  rapports  de  Bacon  avec  Essex, 
et  le  portrait  qu'il  trace  de  ce  dernier  est  sans  doute  ressemblant.  Il 
croit  qu'Essex  n'avait  pas  l'étoffe  d'un  traître  de  parti  prisj  c'était 
un  esprit  léger,  impétueux,  se  laissant  facilement  entraîner  par  ses 
propres  fantaisies  et  par  les  passions  plus  effrénées  encore  des  coquins 
qu'il  rassemblait  autour  de  lui  pour  commettre  des  actes  qui  n'étaient 
rien  moins  que  de  la  trahison  ^  il  était  cependant  trop  irréfléchi  pour 
penser  à  la  signification  véritable  de  ses  paroles  ou  de  ses  actions. 
M.  Abbott  explique  d'une  façon  moins  satisfaisante  la  conduite  de 
Bacon.  Bacon  est  un  de  ces  caractères  complexes  qui  défient  presque 
l'analyse,  et  il  est  certain  que  cette  analyse  ne  peut  être  convenable- 
ment faite  que  par  un  homme  très-familier  avec  les  idées  de  l'époque 
où  vécut  Bacon.  Cet  avantage  manque  à  M.  Abbott;  il  a  plutôt  écrit 
un  plaidoyer  d'avocat  que  prononcé  un  jugement.  Sans  cesse  il 
charge  Bacon;  il  le  convainc  de  froideur  dans  ses  amitiés,  même 


1.  The  troubles  of  our  catfiolic  forefathers  relaled  by  ihemsetves,  3°  série j 
edited  by  John  Morris,  priest  of  the  Society  of  Jésus,  8%  Burns  aiid  Oates. 

2.  Bacon  and  Essex,  a  sketch  of  Bacon's  earlier  life,  by  E.-A.  Abbott  DD. 
8°,  Londres,  Seelay,  Jackson  and  Holliday. 


GRANDE-BRETAGNE.  37^ 

de  duplicité-,  mais  il  ne  réussit  pas  à  nous  persuader  que  Bacon 
commit  réellement  le  crime  d'abandonner  son  ami  uniquement 
dans  son  intérêt  personnel  ^  il  ne  montre  pas  pourquoi  Bacon,  après 
avoir  pu  honnêtement  à  une  époque  s'exagérer  les  talents  d'Essex 
pour  le  service  de  l'Etat,  n'aurait  pu  honnêtement  à  une  autre  époque 
s'exagérer  sa  trahison  ;  surtout  il  ne  tient  pas  compte  de  son  attache- 
ment à  la  monarchie,  qui  était  si  fort  enraciné  au  fond  de  son  âme 
et  qui  devait  le  pousser  intinctivement  à  devenir  l'ennemi  déclaré 
d'un  homme  qui  osait  lever  la  main  contre  son  souverain. 

On  ne  saurait  guère  reprocher  aux  Anglais  du  commencement  du 
XVII*  siècle  d'avoir  cru  à  refficacité  des  institutions  parlementaires, 
même  dans  les  circonstances  les  plus  défavorables.  En  Irlande  cepen- 
dant cette  croyance  conduisit  à  d'étranges  résultats  qui  sont  exposés 
dans  l'introduction  au  dernier  volume  du  Calendar  of  Irish  state 
papers^.  Evidemment  l'Irlande  était  tout  à  fait  impropre  à  la  vie 
parlementaire,  qui  exige  le  sentiment  de  l'unité  nationale  s'élevant 
au-dessus  de  toutes  les  querelles  particulières;  mais  aux  yeux  des 
Anglais  les  plus  instruits,  sous  le  règne  de  Jacques  P^  le  remède  à 
tous  les  maux  de  l'Irlande  se  trouvait  dans  l'introduction  en  ce  pays 
des  idées  politiques  et  sociales  de  l'Angleterre,  sans  tenir  lieu  des 
habitudes  et  des  vœux  de  la  population.  Pour  eux,  la  loi  anglaise 
était  meilleure  que  les  coutumes  de  l'Irlande:  surtout  la  propriété 
individuelle  de  la  terre  leur  semblait  préférable  au  système  de  la 
communauté  par  tribus,  qu'ils  y  trouvaient  établi.  Pour  eux  aussi, 
la  religion  anglaise  valait  mieux  que  celle  des  Irlandais,  surtout  parce 
qu'à  cette  époque  il  était  très-difficile  pour  un  homme  qui  regardait 
le  pape  comme  le  chef  souverain  de  toutes  les  affaires  ecclésiastiques 
de  rester  fidèle  à  un  roi.  Aussi  la  conquête  de  l'Irlande  par  Mountjoy 
avait-elle  été  suivie  d'une  série  de  modifications  dans  les  lois,  qui 
durent  être  fort  embarrassantes  pour  la  population  indigène,  et  quand 
on  y  ajouta  la  confiscation  de  l'Ulster  et  l'introduction,  dans  le  nord 
du  pays,  d'une  nuée  de  colons  anglais  et  écossais,  les  Irlandais  indi- 
gènes, soutenus  par  les  vieux  catholiques  romains  du  Pale,  savaient 
à  peine  quels  événements  allaient  se  passer.  Dans  ces  circonstances, 
le  gouvernement  anglais  proposa  de  tenir  un  parlement  en  Irlande. 
Il  est  vrai  qu'on  n'en  avait  pas  réuni  depuis  ^1587;  mais  on  croyait 
que  sans  cette  convocation,  les  modifications  qui  avaient  été  faites,  et 


1.  Calendar  of  the  state  papers  relating  to  Ireland  and  of  fhe  reign  of 
James  I,  4"  vol.  (1611-1614),  edited  by  the  Rev.  C.-W.  Riissell  and  J.-P.  Pren- 
dergast.  Rolls  publications.  Londres,  Longnians  (sur  le  vol.  précédent,  voy.  Rev. 
hist.,  I,  289). 


:{72  niTLLETIX  IIISTORIQDE. 

sui-loul  la  t'olonisalion  rôcenlo  de  rillslor,  ne  pourraient  acquérir 
aucune  validité.  Cependant  il  était  in)j)ossible  de  regarder  l'avenir 
sans  frayeur.  Convoquer  un  parlement  où  la  Chambre  des  communes 
serait  nommée  par  les  corps  électoraux  alors  existants,  ou  qui  serait, 
n'imi>orte  comment,  la  reitrésentation  réelle  du  pays,  assurerait  «  une 
énorme  majorité  d'indigènes  et  de  catholiques  ».  D'un  autre  côté,  les 
Irlandais  prirent  l'alarme  et  prêtèrent  au  gouvernement  l'intention 
«  d'exclure  leurs  représentants  et  de  recompléter  le  parUîment  par 
une  fournée  de  membres  hostiles  à  leurs  intérêts  ».  Les  craintes  des 
Irlandais  redoublèrent  quand  ou  apprit  que  le  gouvernement  songeait 
à  créer  de  nouveaux  bourgs  électoraux,  pour  la  plupart  de  petits 
villages,  tous  habités  par  les  émigrants  de  la  veille,  ou  soumis  à 
Tinlluence  anglaise  et  protestante.  Mais  malgré  tout  ce  qu'ils  purent 
dire,  les  nouveaux  bourgs  furent  créés  le  ^8  mai  1613,  et  le  parle- 
ment fut  ouvert  après  une  interruption  de  vingt-six  années. 

Faut-il  s'étonner  si  le  cours  des  débats  fut  orageux?  Pour  les 
catholiques  irlandais,  le  parlement  n'était  qu'un  complot  longuement 
préparé  à  Pavanée  pour  donner  une  apparence  de  sanction  légale  à 
l'iniquité,  et  ils  n'étaient  pas  disposés  à  respecter  les  formes  parle- 
mentaires qui  n'avaient  pas  derrière  elles  de  réalité  parlementaire. 
Aussitôt  que  le  parti  protestant  eut  proposé  sir  John  Davys  pour 
président,  les  catholiques  «  commencèrent  par  dénier  le  droit  de  voter 
pour  la  nomination  du  président  à  ceux  qui  avaient  été  élus  par  les 
nouveaux  bourgs  et  en  général  à  tout  député  ne  résidant  pas  dans  les 
bourgs  qui  les  avaient  élus  »  et  proposèrent  comme  candidat  le  légiste 
catholique  sir  John  Everard.  La  scène  qui  s'en  suivit  est  très-bien 
racontée  par  M.  Russell  : 

Sir  Christophe  Nugent  et  William  Talbot  ayant  chaudement  recom- 
mandé sir  John  Everard,  sir  OUver  Saint  John  invoqua  la  connaissance 
particulière  qu'il  avait  des  usages  du  parlement  anglais,  insista  sur  ce 
point  que  la  question  des  élections  litigieuses  devait  être  renvoyée  à 
l'examen  des  commissions  nommées  à  cet  effet,  et  e.xprima  l'idée  que  l'on 
procédât  tout  d'abord  au  vote  pour  l'élection  du  président  :  «  ceux  qui 
tenaient  pour  l'affirmative,  c'est-à-dire  pour  l'élection  de  sir  John  Davys 
quitteraient  la  salle  pour  se  compter,  laissant  l'opposition  dans  la  salle, 
où  elle  se  compterait  ».  En  conséquence  il  invita  tous  les  partisans  de 
sir  Joim  Davys  à  sortir  avec  lui  de  la  salle  ;  sir  Thomas  Ridgeway  et 
sir  Ricliard  Wingfield  ayant  été  nommés  scrutateurs,  invitèrent  sir 
Christophe  Plunliet  et  sir  Christophe  Nugent  à  se  joindre  à  eux  pour 
compter  les  votes.  Mais  ces  messieurs,  d'après  l'avis  de  sir  James 
Gough,  refusèrent  les  fonctions  de  scrutateurs  ;  et  quand  ceux  du  parti 
opposé  se  mirent  en  mesure  de  prendre  les  voix,  les  partisans  de  sir 
John  Everard  s'opposèrent  à  cette  entreprise  en  quittant  leurs  places  et 


GRANDE-BRETiGlVE.  373 

en  se  tenant  tous  en  tas  de  façon  à  rendre  l'opération  impossible. 
Après  cet  échec,  Ridgeway  etWingfield  étaient  en  train  de  recueillir 
les  voix  de  leur  parti,  dans  la  salle  où  ils  s'étaient  retirés,  quand  la 
porte  fut  fermée  tout  à  coup,  et  les  membres  opposants,  aux  cris  de  : 
«  Everard  !  Everard  !  »  installèrent,  dans  leur  propre  salle,  sir  John 
Everard  au  fauteuil  présidentiel.  Leurs  adversaires,  apprenant  ce  qui 
s'était  passé,  rentrèrent  dans  la  salle  des  séances;  on  compta  les  voix 
pour  sir  John  Davys  à  mesure  que  les  députés  revenaient  des  couloirs, 
et  comme  on  en  trouva  127,  nombre  qui  donnait  la  majorité  dans  une 
chambre  de  232  membres,  ils  déclarèrent  sir  John  Davys  président. 
Ridgeway  déclara  nulle  en  conséquence  l'élection  d'Everard,  comme 
faite  par  mépris  et  au  milieu  du  désordre,  et,  invoquant  en  faveur  de 
sir  John  Davys  la  majorité  des  voix,  «  il  demanda  en  termes  courtois 
et  modérés  que  sir  John  Everard  cédât  le  fauteuil  à  son  rival  ».  La 
môme  demande,  accompagnée  de  la  menace  de  recourir  à  la  force  si 
l'on  n'y  faisait  droit, fut  répétée  par  sir  Olivier  Saint  John;  et  ces  deux 
demandes  étant  restées  sans  résultat,  Ridgeway  et  Saint 'John  «  prirent 
sir  John  Davys  par  les  bras,  le  soulevèrent  et  le  placèrent  au  fauteuil 
sur  les  genoux  de  sir  John  Everard,  qu'ils  prièrent  encore  une  fois  de 
quitter  la  place  ».  Celui-ci  persista  dans  son  refus,  et  les  deux  gentils- 
hommes, avec  l'aide  de  leurs  collègues  placés  près  du  fauteuil,  «  mirent 
la  main  sur  lui  sans  violence,  le  tirèrent  de  son  siège,  et  y  mirent 
tranquillement  sir  John  Davys  ». 

Là-dessus  la  minorité  catholique  quitta  la  Chambre.  C'était  assuré- 
ment ce  qu'ils  avaient  de  mieux  à  faire.  Le  motif  de  la  querelle  n'était 
pas  les  illégalités  commises  par  leurs  adversaires,  mais  la  question  de 
savoir  si  la  Chambre  elle-même  représentait  l'Irlande,  et  ils  refusaient 
de  prêter  leur  nom  à  soutenir  une  fiction  dont  ils  attendaient  pour  eux- 
mêmes  les  pires  conséquences.  Il  y  a  quelque  chose  de  vraiment  bur- 
lesque dans  l'attitude  de  Saint  John  qui  renvoie  gravement  aux  formes 
constitutionnelles  pour  dissimuler  le  fait  que  le  gouvernement  voulait 
en  venir  à  tout  prix  à  ses  fins,  au  mépris  du  principe  constitutionnel. 
Si  les  catholiques  ne  réussirent  pas  à  déjouer  les  plans  du  gouverne- 
ment anglais,  ce  fut  simplement  parce  que  ce  gouvernement  s'ap- 
puyait sur  une  armée  anglaise  qui  n'avait  aucun  lien  avec  la  population 
indigène  du  pays.  Cependant,  même  dans  ces  conditions,  la  résistance 
opiniâtre  des  catholiques  irlandais  ne  demeura  pas  sans  effet.  Ils  ne 
purent  empêcher  le  parlement  de  réviser  la  sentence  de  forfaiture 
lancée  contre  Tyrone,  et  dont  dépendait  la  légalité  de  l'occupation  de 
rUlster  ;  ils  ne  purent  empêcher  davantage  l'établissement  des  nou- 
veaux bourgs  dont  dépendait  la  domination  de  la  minorité  protestante 
dans  le  parlement  -,  mais  ils  empêchèrent  cette  minorité  protestante 
d'employer  sa  puissance  parlementaire  contre  la  majorité  catholique. 


374  nuLLETFN  iiisTORiQrF:. 

Le  pnrlompiU  finil  sans  avoir  volô  une  seule  loi  qui  rendît  la  condi- 
tion dos  catholiques  pire  qu'auparavant. 

Je  ne  suis  pas  gêné  pour  parler  des  documents  relatifs  à  Prynne  '; 
car,  bien  que  le  livre  porte  mon  nom,  il  n'est  à  vrai  dire  pas  mon 
œuvre.  La  plus  grande  partie  des  pièces  publiées  dans  ce  volume 
avait  Ole  réunie  par  M.  Bruce  pour  une  vie  de  Prynne  qu'il  avait 
l'intention  d'écrire,  et  dont  à  sa  mort  il  ne  laissa  qu'un  morceau 
d'achevé,  celui  qui  est  imprimé  dans  ce  volume.  Pour  M.  Bruce,  la 
biographie  n'était  évidemment  qu'un  moyen  de  raconter  l'histoire 
d'une  époque.  Il  fut  toujours  attiré  plutôt  vers  l'étude  des  person- 
nages marquants  que  vers  celle  des  grandes  périodes  de  l'histoire,  et 
il  était  heureux  quand  il  trouvait  un  homme  par  les  yeux  duquel  il 
pût  se  donner  le  spectacle  des  tragiques  événements  de  l'époque  qu'il 
connaissait  si  bien.  Pour  ce  qui  est  de  Prynne,  son  récit  s'arrête  au 
moment  où  son  héros  publia  son  premier  livre. 

Le  livre  d'ailleurs  fort  médiocre  de  M.  Bisset  étant  plus  loin  l'objet 
d'un  compte-rendu  spécial,  nous  nous  contenterons  d'y  renvoyer  le 
lecteur  (voy.  Comptes-rendus). 

La  découverte  des  archives  originales  du  parlement  d'Ecosse  en 
^639  et  -{6o3,  qui  a  été  faite  en  ^826,  vient  d'être  enfin  mise  à  profit, 
au  grand  avantage  des  érudits.  Deux  nouveaux  volumes  des  Actes 
viennent  d'être  publiés;  ils  peuvent  prendre  la  place  de  ceux  qui 
avaient  été  publiés  autrefois  d'après  des  sources  moins  authentiques  ^. 
Beaucoup  d'omissions  ont  été  réparées,  et  l'on  a  ajouté  un  volume 
supplémentaire  pour  l'introduction. 

C'est  une  tâche  agréable  d'avoir  à  rendre  compte  d'un  de  ces 
volumes  publiés  par  M™"  Green  dans  la  collection  des  Calendars  ofstate 
papers,  où  elle  analyse  bon  nombre  de  documents  qui  sont  les  véri- 
tables sources  de  l'histoire  de  la  République  ^.  Le  dernier  paru  nous 
place  au  milieu  des  préparatifs  de  la  bataille  livrée  à  Worcester  et 
qui  fut  pour  Gromwell  «  le  don  suprême  de  la  grâce  divine  ».  Le 
conseil  d'État  n'avait  pas  grande  confiance  dans  le  résultat  pendant 
que  l'armée  écossaise  poursuivait  sans  obstacle  sa  marche  vers 
le  sud. 

Dans  les  nombreuses  lettres,  nous  dit  M^^^  Green  (p.  xv),  envoyées 

1.  Documents  relating  to  the  proceedings  against  Williams  Prynne  in  1634 
and  1637,  with  a  biographical  fragment  by  the  late  John  Bruce;  edlled  for  Ihe 
Camden  Society  by  S.  R.  Gardiner  in-4°. 

2.  The  Acts  of  the  Parliament  of  Scotland,  pnblished  by  authorily  of  the 
lords  Cornmissionners  of  the  Treasury  (1814-1870.  Edhibiirgh,  A.  et  C.  Black). 

3.  Calendar  of  slaiepapers,  domestics  séries  1631,  cdited  by  M.-A.  Everett 
Green.  Londres,  Longmans  et  G^  1877  (voy.  Rev.  hist.,  I.  288). 


GRiNDB-BRETlGNE.  375 

presque  chaque  jour  par  le  conseil,  il  y  a  un  amusant  désaccord  entre 
leurs  expressions  de  mépris  pour  l'ennemi,  de  confiance  dans  une  vic- 
toire prompte  et  facile,  et  leur  vive  anxiété  au  milieu  de  leurs  efforts 
pour  faire  face  aux  événements  et  surtout  pour  empêcher  l'armée 
écossaise  d'arriver  à  Londres;  avec  les  assurances  fréquentes  qu'ils 
donnaient  du  peu  de  sympathie  avec  lequel  le  mouvement  royaliste 
était  accueilli  presque  partout,  et  les  rigoureuses  mesures  de  répression 
qu'ils  prenaient  contre  toute  personne  suspecte  de  tiédeur. 

Quand  tout  fut  fini  et  que  le  jeune  Charles  eut  échappé  aux  périls 
qui  l'entouraient,  il  arriva  au  Louvre  «  fort  triste  »,  comme  nous  le 
raconte  un  royaliste,  «  et  sombre  la  plupart  du  temps,  la  gaité  qu'à 
son  arrivée  il  s'était  à  contre-cœur  efforcé  de  faire  voir,  ayant  duré 
quelques  jours  seulement-,  et  il  garde  presque  toujours  le  silence  ». 
Il  rejeta,  nous  dit-on,  tout  le  blâme  de  son  insuccès  sur  les  presby- 
tériens d'Ecosse,  qui  lui  avaient  mis  à  chaque  pas  des  entraves,  et 
dont  il  accusait  même  certains  de  l'avoir  trahi  dans  la  iDataille, 

Le  sentiment  des  avanies  que  lui  avaient  fait  subir  les  Ecossais  était 
si  fort  chez  lui  que,  quand  le  duc  d'Orléans  lui  dit  le  bruit  qui  courait 
qu'il  s'était  réfugié  en  Ecosse  :  «  J'aurais  mieux  aimé  me  faire  pendre  », 
répondit-il  à  mi-voix. 

VEpoque  de  la  reine  An7ie  par  M.  Morris  est  une  vigoureuse  et 
intéressante  esquisse  de  cet  âge  de  grandes  guerres  et  de  remar- 
quables productions  littéraires.  Ce  petit  livre  n'a  pas  la  prétention 
d'être  fondé  sur  des  recherches  originales  ;  mais  il  est  évident  que 
M.  Morris  a  soigneusement  analysé  et  coordonné  les  résultats  des 
travaux  antérieurs  ^ . 

Dans  son  Histoire  de  la  pensée  anglaise  au  xvin®  siècle,  M.  Leslie- 
Stephen  décrit  la  marche  des  idées,  qui  est  la  base  même  du  déve- 
loppement historique  2.  Après  avoir  étudié  les  tendances  philoso- 
phiques de  la  pensée,  il  appelle  l'attention  sur  la  controverse  qui  divisa 
les  défenseurs  du  christianisme  et  les  déistes.  Pendant  les  premières 
années  du  xviii*'  siècle,  l'Angleterre  était  sous  l'influence  d'une  double 
réaction.  On  était  fatigué  d'un  absolutisme  monarchique  qui  ne  faisait 
rien  de  grand  et  d'un  puritanisme  qui  se  présentait  avec  les  dehors 
d'une  tyrannie  fanatique.  Dans  l'État,  le  laissez  faire  devint  la  règle 
de  la  politique,  et  Walpole  régna  sans  gouverner  parce  qu'il  sut 
mettre  en  pratique   sa  devise  :    «   quieta  non  movere   ».    Dans 

1.  The  âge  of  Anne,  by  E. -E.  Morris  (Epochs  of  history).  Londres,  Longmans 
et  C. 

2.  History  of  english  thought  in  the  eighteenth  century,  by  Leslie  Stephen. 
Londres,  Smith,  Elder  et  C%  2  vol.  in-8',  1876. 


370  nULLETIN    niSTORTQHE. 

l'Éf:lis(\  1.1  polilo  praino  spinôo  par  riliillin^'worlh  ot  Halos  («tait  devenue 
un  arbre  aux  ranioaux  ]>uissanls.  La  r(>lii,^ion  élaiL  ticvennc  raison- 
nal)l(\  mais  on  niênio  lonips  avait  ponlii  Loulo  sa  chaleur  et  avait 
onhliô  que  les  honinios  ont  des  passions  vl  dos  sentiments  aussi  bien 
que  des  pensées.  M.  Leslie-Stej)lien  examine  le  eonilit  entre  le  clergé 
et  les  déistes  au  point  de  vue  du  rationalisme  moderne;  mais  il  ne 
ménage  pas  la  faiblesse  des  déistes.  Eux  aussi  n'étaient  que  de  vieux 
enHints  à  la  poursuite  d'un  plat  optimiste,  qui  tenaient  encore  moins 
compte  que  leurs  adversaires  des  mystères  cachés  au  fond  de  la  nature 
humaine.  De  plus  grands  hommes  qu'ils  n'étaient  eux-mêmes  ne 
purent  s'échapper  du  cercle  étroit  où  ils  étaient  serrés,  et  M.  Stephen 
montre  combien  les  trois  principaux  historiens  du  siècle,  Robertson, 
Hume  et  Gibbon,  restèrent  insensibles  aux  fortes  passions  qui  mènent 
l'humanité.  Gibbon  fut  sans  contredit  le  plus  remarquable  des  trois-, 
mais  il  place  son  idéal  de  félicité  pour  la  race  humaine  à  l'époque  des 
Antonins,  où  le  monde  civilisé  était  rendu  au  repos,  et  où  il  n'y  avait 
pas  de  progrès  parce  qu'il  n'y  avait  pas  de  lutte. 

Après  un  tableau  des  progrès  accomplis  par  la  philosophie  morale, 
nous  trouvons  un  exposé  de  la  marche  que  suivirent  les  théories 
politiques.  L'idée  morte  du  droit  divin  fut  remplacée  par  l'idée  whig 
d'un  contrat  social  dressé  à  une  époque  inconnue  entre  les  gouver- 
nants et  les  gouvernés,  contrat  par  lequel  toutes  les  générations 
futures  étaient  censées  engagées.  M.  Stephen  montre  comment  un 
penseur  tel  que  Locke  resta  sous  l'esclavage  de  cette  théorie 
absurde. 

Il  est  impossible  de  suivre  ici  M.  Stephen  à  travers  les  chapitres 
réservés  à.  l'examen  de  la  condition  sociale  de  l'Angleterre  et  des 
théories  politiques  qui  en  furent  la  conséquence.  Il  rejette  avec  un 
juste  dédain  la  théorie  de  Delolme  qui  admirait  dans  la  constitution 
anglaise  un  harmonieux  équilibre  des  pouvoirs.  Cette  théorie  vrai- 
ment absurde  fut  cependant  adoptée  en  France  comme  donnant 
l'explication  véritable  de  cette  constitution  enviée  par  un  peuple  qui 
se  trouvait  lui-même  sans  constitution,  et  Michelet,  dans  son  Histoire 
de  la  Révolution  française,  la  discuta,  comme  si  elle  représentait  le 
système  qui  florissait  réellement  au  nord  de  la  Manche.  Alors,  comme 
toujours,  c'était  la  marque  d'un  esprit  impolitique  de  prendre  des 
formes  pour  des  choses  et  de  s'imaginer  que  la  justice  et  un  bon  gou- 
vernement étaient  le  résultat,  non  de  l'amour  de  la  justice  et  d'une 
conduite  sage,  mais  d'une  balance  égale  entre  différents  corps  poli- 
tiques. 

Delolme,  dit  M.  Stephen,  comme  tous  ceux  qui  observent  du  dehors, 
était  naturellement  porté  à  croire  que  dans  la  constitution  la  forme 


GRANDE-BRETAGNE.  377 

correspondait  exactement  au  fond.  Il  était  incapable  de  découvrir  le  fait 
maintenant  bien  connu  des  empiétements  successifs  du  pouvoir  légis- 
latif sur  l'exécutif,  et  la  tendance  déjà  suffisamment  marquée  qui  pous- 
sait les  ministres  de  la  couronne  à  devenir  une  simple  commission  de 
la  Chambre  des  communes.  S'il  avait  pu  soulever  un  coin  du  voile,  il 
aurait  été  conduit  peut-être  à  comprendre  l'importance  des  grandes 
forces  sociales  qu'implicitement  sa  théorie  ne  reconnaît  pas. 

Tous  les  écrivains  politiques  du  xviii«  siècle,  sans  exception, 
servent  de  point  de  mire  aux  attaques  de  Burke.  Le  jugement  équi- 
table et  impartial  i3orté  par  Stephen  sur  ce  grand  théoricien  politique 
est  en  beaucoup  de  points  semblable  à  celui  de  M.  Morley.  Le  mérite 
incontestable  de  Burke  fut  d'avoir  vu  clairement  qu'une  nation  est 
plus  grande  que  ses  gouvernants  ou  sa  constitution.  De  là  son  dégoût 
pour  les  théories  spéculatives.  «  Je  n'entre  pas  dans  ces  distinctions 
métaphysiques,  disait-il  un  jour;  je  hais  même  le  bruit  qti'on  fait 
quand  on  en  parle.  »  Le  devoir  d'un  homme  d'État  est  suivant  lui 
de  prendre  une  nation  telle  qu'elle  est,  de  se  reconnaître  dans  la 
complexité  des  éléments  qui  la  composent,  de  l'aider  à  manifester  sa 
vie,  en  harmonie  avec  les  formes  extérieures  que  cette  nation  avait 
déjà  revêtues  ;  aussi  Burke  était-il  un  conservateur  déterminé  pour 
tout  ce  qui  touchait  à  la  constitution,  en  même  temps  il  découvrait 
de  son  œil  pénétrant  et  sentait  avec  force  les  maux  des  pauvres  et 
des  opprimés  qui  ne  trouvaient  de  secours  que  chez  lui.  Aucun 
homme  d'État  ne  mettait  autant  d'empressement  à  se  faire  le  cham- 
pion des  races  méprisées.  Les  colons  américains,  la  population  irlan- 
daise indigène,  les  Hindous,  écrasés  sous  le  poids  de  la  pire  des 
tyrannies,  trouvaient  en  lui  non-seulement  une  âme  sympathique, 
mais  un  avocat  tout  prêt  à  travailler  jour  et  nuit  pour  comprendre 
leur  misère  et  se  mettre  en  état  de  plaider  leur  cause  devant  un 
tribunal  trop  enclin  à  fermer  l'oreille  à  leurs  plaintes. 

Il  n'est  pas  difficile  de  voir  pourquoi  un  tel  homme  devint  l'adver- 
saire acharné  de  la  révolution  française.  Son  antipathie  pour  elle 
était  fondée,  comme  le  dit  M.  Stephen,  sur  la  conviction  profonde  et 
raisonnée  de  la  fausseté  radicale  des  principes  qui  la  dirigèrent. 

Jusqu'à  un  certain  point,  M.  Stephen  nous  aide  à  comprendre 
comment  il  se  fit  que  Burke  ne  réussit  pas  à  trouver  la  vérité  tout 
entière  sur  la  Révolution.  Il  nous  dit  que  l'idée-mère  de  Burke  «  l'au- 
torité, une  fois  mise  en  question,  tombe  en  ruines  comme  une  maison 
bâtie  sur  le  sable  »,  et  que  «  Burke  ne  put  ou  ne  sut  pas  voir  que 
l'ancien  principe  était  en  train  de  périr  ».  Mais  cette  explication  est 
incomplète.  Accoutumé  à  voir  l'état  complexe  de  la  société  représenté 
en  grande  partie  par  les  institutions  nationales,  il  ne  s'aperçut  pas 


37S  ni'LLKTF'V  nrsTORîQnE. 

qu'on  Franco  lo  vorilablc  progrès  nalion.il  qu'il  aimait  à  encourager 
en  était  arrivé  à  être  tout  à  fait  distinct  des  institutions,  et  que 
celles-ci  étaient  aussi  peu  en  rapport  avec  la  nation  elle-même 
que  la  coquille  d'un  cruslacé  l'est  avec  l'animal  dont  le  déve- 
loppement est  achevé  et  qui  est  sur  le  point  de  la  quitter.  La 
recherche  d'institutions  nouvelles  ne  fut  donc  pas  dictée  par  une 
fantaisie  des  théoriciens,  mais  par  la  nécessité  même  des  choses. 

.M.  Stephen  nous  parle  encore  de  l'adoption  des  idées  révolution- 
naires par  l'Angleterre,  des  progrès  accomplis  par  la  science  de 
l'économie  politique,  et  de  la  réaction  qui  se  produisit  en  religion  et 
en  littérature  contre  la  culture  exclusive  de  l'intelligence.  Le  plus 
intéressant  de  ces  chapitres  est  peut-être  celui  qui  est  consacré  aux 
prédicateurs.  Au  xix^  siècle,  il  est  diffîcile  de  concevoir  ce  que  furent 
les  sermons  rationalistes  du  wni^  siècle,  prêchant  la  religion  aisée 
et  fondant  la  foi  chrétienne  sur  l'intérêt  bien  entendu.  En  présence 
d'un  tel  enseignement,  il  n'est  pas  nécessaire  d'aller  chercher  bien 
loin  les  causes  qui  produisirent  John  Wesley. 

Le  troisième  et  dernier  volume  de  la  Vie  dn  Shelburne  par  lord 
E.  Filzmaurice'  comprend  la  partie  la  plus  intéressante  de  la  carrière 
de  cet  homme  d'État,  de  1 776  à  sa  mort,  en  ^805.  A  la  mort  de  lord 
Chatham,  Shelburne  devint  le  leader  de  cette  partie  de  l'opposition 
qui  n'avait  jamais  accepté  la  domination  des  whigs,  mais  qui  était 
d'accord  avec  eux  pour  empêcher  la  guerre  d'Amérique,  et  quand  la 
guerre  eut  éclaté,  Shelburne  entra  avec  Fox  dans  le  ministère  présidé 
par  lord  Rockingham.  Entre  Shelburne  et  Fox,  l'union  était  impos- 
sible; le  premier  s'appuyait  sur  le  roi,  le  second  sur  l'accord  des 
whigs.  De  caractère  et  de  principes  politiques  opposés,  ces  deux 
hommes  entrèrent  en  lutte  au  sujet  des  négociations  entamées  à 
Paris,  et  quand  le  roi  eut  choisi  Shelburne  comme  chef  du  cabinet 
après  la  mort  de  Rockingham,  la  fameuse  coalition  de  Fox  et  de 
North  le  força  de  quitter  le  ministère.  Aussitôt  débarrassé  de  la  coali- 
tion, le  roi  nomma  le  jeune  Pitt  à  la  Trésorerie  et  oublia  tout  à  fait 
Shelburne. 

Sur  tous  ces  sujets,  le  présent  volume  ajoute  beaucoup  à  ce  que 
nous  en  connaissions  :  l'histoire  des  négociations  de  Paris  devient 
plus  claire  et  Shelburne  est  justifié,  pour  le  rôle  qu'il  y  joua,  contre 
les  soupçons  de  Fox.  Sur  les  raisons  qui  ont  pu  déterminer  le  roi  à 
oublier  Shelburne  lorsqu'il  forma  son  dernier  cabinet,  quelques 
éclaircissements  nous  sont  donnés,  si  la  lumière  n'est  pas  complè- 

1.  Life  of  William  of  Shelburne,  earl  of  Shelburne,  by  lord  Edmond  Fltz- 
maurice.  Londres,  Macmillan  et  C%  1876  (voy.  Rev.  hist.,  II,  583). 


GRANDE-BRETAGNE.  379 

tement  faite  encore.  11  est  évident  que  les  idées  de  Shelburne  se 
rapprochaient  trop  de  celles  des  philosophes  français  pour  plaire  au 
roi ,  et  certainement  aussi  Shelburne  ne  fit  rien  pour  se  rendre 
agréable  à  personne. 

Pendant  les  derniers  jours  de  son  ministère,  nous  dit  lord  E.  Fitzmau- 
rice,  il  se  glorifiait  de  ne  pas  avoir  de  partisans,  mais  il  fut  presque  sur 
le  point  de  n'avoir  pas  de  ministres  :  Keppel  donna  sa  démission  ; 
Richmond  cessa  d'assister  aux  réunions  du  conseil;  lord  Carlisle  quitta 
la  place  de  grand-maître  (lord  steward)  ;  Grafton  menaça  de  donner  sa 
démission,  parce  que  l'on  ne  faisait  pas  assez  de  cas  de  ses  avis;  Cam- 
den  déclara  que  la  marine  sombrait  et  qu'il  voulait  la  quitter;  Temple 
était  mécontent  de  n'être  pas  fait  duc. 

Dès  lors  il  n'est  pas  étonnant  que  Georges  IV  ait  choisi  Pitt  pour 
courir  avec  lui  sa  dernière  aventure.  Shelburne  était  trop  entier  de 
caractère;  il  s'inquiétait  trop  peu  des  blessures  que  pouvait  faire  sa 
franchise  pour  devenir  jamais  un  heureux  chef  de  parti. 

Les  événements  de  la  révolution  française  le  jetèrent,  sur  la  fin  de 
sa  vie,  du  côté  de  son  ancien  rival.  11  suivit  avec  la  plus  vive  sym- 
pathie les  premières  luttes  de  l'Assemblée  nationale. 

Le  seul  écueil  où  l'Assemblée  puisse  se  briser,  écrit-il  à  Morellet  en 
1790,  c'est  de  prétendre  à  trop  de  choses.  Si  la  liberté  de  la  presse  est 
assurée,  les  lettres  de  cachet  définitivement  abolies,  les  Assemblées  pro- 
vinciales établies,  et  les  dépenses  modérées,  tout  le  reste  suivra.  Mais 
je  ne  puis  m'empêcher  de  partager  entièrement  l'opinion  de  ceux  qui 
étaient  pour  l'union  des  trois  ordres,  parce  que  j'ai  l'expérience  de  cette 
constitution.  Je  regarde  M.  Montesquieu  comme  le  second  sauveur  du 
monde,  mais  j'ai  depuis  longtemps  acquis  la  conviction  que  tout  ce 
qu'il  dit  de  notre  constitution  est  vision  pure.  C'est  à  mon  sens  le  pro- 
grès naturel  des  choses  de  passer  de  l'ignorance  à  la  pédanterie  et  de  la 
pédanterie  à  la  simplicité  et  à  la  vérité.  J'ai  été  spectateur  et  un  peu 
aussi  acteur  dans  notre  gouvernement  depuis  une  trentaine  d'années  et 
je  n'ai  jamais  rien  vu  de  bon  sortir  chez  nous  des  trois  ordres,  excepté 
le  délai  qui  donne  à  l'opinion  publique  le  temps  d'agir,  et  je  suis  sur 
qu'en  France  la  noblesse  doublera  son  influence  en  travaillant  de 
concert  avec  les  communes  et  leur  donnera  à  elles-mêmes  plus  de 
crédit.  Je  pense  comme  tout  le  monde  que  ceux  dont  les  principes  ne 
sont  pas  avouables  ou  ne  soutiendraient  pas  la  discussion  pourraient 
certainement  faire  plus  de  mal  en  étant  tenus  à  l'écart  et  en  exerçant 
leur  veto. 

Le  bon  sens  de  lord  Lansdowne  —  car  c'est  sous  ce  nom  que 
Shelburne  fut  connu  dans  ses  dernières  années  —  se  révèle  évidem- 
ment dans  ce  passage.  Si  sa  conception  du  monde  politique  était 
moins  compréhensive  que  celle  de  Burke,  et  si  la  fibre  morale  était 
chez  lui  moins  vibrante,  il  put  voir  ce  que  Burke  ne  vit  pas,  les 


3S0  BULLETIN    HISTORIQUE. 

toiidances  réelles  du  progrès  national  en  Angleterre  comme  en 
Franco.  11  n'est  tionc  pas  étonnant  (|u'il  se  soit  fortement  opposé  à  la 
guerre  contre  la  France  ,  gardant  son  sang-froid  quand  presque 
tous  ses  contemporains  se  trouvaient  désorientes. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  me  justifier  si  je  parle  dans  ce  bulletin  du 
livre  de  M.  Wallace'.  C'est  une  peinture  de  la  situation  sociale  et 
politique  du  pays  que  Fauteur  a  ap})ris  à  connaître  par  une  résidence 
de  six  années  spécialement  consacrées  à  recueillir  ses  informations. 
Toutes  les  classes  de  la  population  en  fournissent  leur  part;  les 
renseignements  oraux  furent  contrôlés  et  complétés  par  l'élude  des 
documents  liistoriques  et  officiels  dont  l'accès  fut  permis  à  l'auteur. 
Outre  tous  ces  avantages,  M.  Wallace  en  possède  un  plus  grand 
encore,  c'est-à-dire  un  esprit  capable  de  tirer  d'exactes  généralisa- 
tions d'une  multitude  de  faits,  tout  en  étant  très-circonspect  et  en 
n'admettant  pas  de  conclusion  qui  ne  s'appuie  sur  les  faits  les  plus 
autorisés. 

Le  livre  de  M.  Wallace  devrait  attirer  vers  la  Russie  les  sympa- 
thies de  l'Europe,  non  pas  qu'il  en  décrive  les  divers  aspects  sur  le 
ton  de  l'admiration,  ni  qu'il  parle  avec  Fenthousiasme  d'un  patriote 
de  ses  institutions  et  du  caractère  de  son  peuple;  mais  la  sympathie 
est  le  résultat  certain  de  sa  méthode  historique.  Des  arrangements 
qui  nous  répugnent  quand  on  nous  demande  de  les  adopter  nous- 
mêmes  apparaissent  sous  un  jour  bien  différent  quand  nous  voyons 
qu'ils  ont  été  pris  comme  remède  à  certains  maux  dont  nous  ne 
sommes  pas  nous-mêmes  affligés.  Nous  n'avons  pas  du  tout  besoin 
de  désirer  l'introduction  d'un  despotisme  autoritaire  en  France  ou  en 
Angleterre,  mais  nous  pouvons  comprendre  que  sans  despotisme,  un 
pays,  dans  la  condition  sociale  et  intellectuelle  où  se  trouve  la  Russie, 
n'aurait  pu  réaliser  aucun  progrès.  A  la  longue,  rien  n'est  aussi 
conservateur  qu'une  assemblée  démocratique  quand  une  fois  elle  est 
devenue  maîtresse.  Dans  l'autocratie  des  tsars,  rien  ne  frappe  plus  un 
Européen  d'Occident  que  les  immenses  annexions  de  l'empire.  Au 
temps  de  la  guerre  de  Crimée,  les  boutiques  à  Londres  et  sans  doute 
aussi  à  Paris  étaient  remplies  de  cartes  qui  montraient  à  l'aide  de 
différentes  couleurs  les  pas  énormes  que  faisait  la  Russie  vers  la 
domination  universelle.  Des  invectives  contre  Fambition  de  la  Russie 
étaient  dans  toutes  les  bouches.  M.  Wallace  explique  que  cet  accrois- 
sement anormal  qui  paraît  si  monstrueux  sur  la  carte  était  simple- 
ment le  résultat  d'une  double  nécessité. 


1.  Russia,  by  D.  Mackensie  Wallace,  Cassell,  Petter  and  Galpin,'Z  vol.  in-8°. 
Une  assez  bonne  Irad.  franc,  par  M.  Bellenger  vient  de  paraître  à  Paris  chez 
l'éd.  Dreyfous.  2  vol.  in-8°. 


GRANDE-BRETiGNE.  38^ 

Il  y  avait  en  premier  lieu  la  tendance  naturelle  d'un  peuple 
agriculteur  à  reculer  ses  frontières  (II,  p.  41:;).  A  mesure  que  la 
population  augmente,  les  subsistances  diminuent,  et  cela  non-seu- 
lement d'une  façon  relative,  mais  d'une  façon  absolue.  Quand  un 
peuple  se  trouve  dans  cette  situation  critique,  il  doitadopter  l'une  ou 
l'autre  de  ces  deux  alternatives  :  ou  prévenir  l'accroissement  de  la 
population,  ou  accroître  les  subsistances.  Dans  le  premier  cas  il  peut 
faire  passer  dans  la  loi  lacoutumed'exposer  les  enfants,  à  l'imitation 
de  la  Grèce  ancienne,  ou  vendre  bon  nombre  de  jeunes  filles  ou  de 
jeunes  garçons,  comme  ce  fut  l'usage  en  Gircassie  jusque  dans  ces 
derniers  temps,  où  l'excédant  de  la  population  peut  émigrer,  comme 
firent  les  Scandinaves  au  ix^  siècle,  comme  nous  faisons  aujourd'hui 
nous-mêmes  d'une  façon  plus  pacifique.  L'autre  alternative  peut  être 
réalisée  en  augmentant  le  sol  cultivable,  soit  en  améliorant  les  pro- 
cédés de  l'agriculture. 

Entre  ces  deux  derniers  moyens,  un  seul  choix  était  possible  : 
«  la  culture  perfectionnée  est  une  chose  dont  on  a  heu  d'être  fier 
quand  la  terre  est  rare,  mais  il  serait  absurde  de  l'essayer  là  où  l'on 
a  tout  près  de  soi  du  sol  vierge  en  abondance  ». 

L'autre  raison  qui  pousse  la  Russie  à  s'étendre  est  la  difficulté  de 
défendre  une  population  d'agriculteurs  contre  les  incursions  de 
voisins  belliqueux  et  semi-barbares.  Deux  moyens  sont  seuls  pos- 
sibles :  il  y  a  le  système  des  cordons  militaires  et  celui  de  l'annexion , 
ce  dernier,  penseM.  Wallace,  est  le  seul  qui  donne  au  problème  une 
solution  satisfaisante  (II,  438). 

Les  difficultés  et  les  défauts  du  système  non  agressif  furent  mis  en 
lumière  à  une  époque  relativement  récente  dans  la  grande  plaine  qui 
s'étend  au  nord  du  Caucase.  Je  choisis  cet  exemple,  parce  que  j'ai  appris 
à  en  connaître  quelques  détails,  et  que  j'ai  entendu  le  témoignage  des 
deux  parties  en  lutte.  Les  Gircassiens  et  les  Kabardintsi  regardaient  les 
incursions  sur  le  territoire  russe  qui  bordait  leur  frontière  comme  un 
acte  non-seulement  légitime,  mais  même  très-méritoire,  comme  autre- 
fois les  Ecossais  des  Hautes-Terres  étaient  fiers  de  leurs  razzias  de 
bétail.  Pour  repousser  ces  incursions,  le  gouvernement  russe  forma  une 
ligne  de  stanitsas  cosaques  qui  allait  de  la  mer  d'Azof  à  la  mer  Cas- 
pienne. Ce  mode  de  défense  était  à  la  fois  coûteux  et  sans  effet  :  en 
dépit  de  toutes  les  précautions,  des  bandes  de  maraudeurs  dépassaient 
subrepticement  la  ligne  ou  la  brisaient  par  un  coup  de  force,  et  réus- 
sissaient souvent  à  enlever  un  large  butin.  Après  une  expérience  de 
plusieurs  années,  les  Russes  en  arrivèrent  à  penser  que  le  seul  moyen 
effectif  d'empêcher  ces  incursions  était  de  conquérir  les  tribus  marau- 
deuses et  de  les  soumettre  à  une  stricte  surveillance  administrative.  Ce 
fait  porte  avec  lui  son  enseignement.  Si  le  système  des  colonies  mili- 


382  nOLLFTIN    niSTOllIQCE. 

tairos  était  coûteux  et  sans  effet  dans  une  contrée  bien  arrosée  et  fertile 
comme  le  bassin  du  Téreli  et  du  Kouhau,  nous  pouvons  imaginer  sans 
peine  combien  il  doit  être  peu  satisfaisant  dans  l'Asie  centrale,  où  la 
frontière  est  incomparablement  plus  développée,  et  en  beaucoup  d'en- 
droits impropre  à  la  colonisation  agricole. 

Aussi  M.  Wallace  refuse-t-il  d'admettre  l'idée  d'une  zone  neutre 
entre  les  frontières  anglaises  et  russes  en  Asie.  Cette  zone  ne  man- 
querait pas  de  devenir  un  asile  pour  tous  les  voleurs  et  les  brigands 
dans  un  rayon  de  plusieurs  centaines  de  milles,  et  aucune  puissance 
civilisée  ne  pourrait  accepter  de  pareils  voisins.  Le  mal  serait 
moindre,  si  actuellement  les  deux  frontières  se  touchaient. 

Après  avoir  donné  un  exemple  de  la  façon  dont  M.  Wallace  emploie 
sa  connaissance  du  présent  pour  éclairer  l'avenir,  il  peut  être  bon 
de  montrer  comment  il  s'en  sert  pour  expliquer  les  difficultés  du 
passé.  Un  des  problèmes  qui  attirent  le  plus  les  historiens  du  moyen- 
âge  primitif  dans  notre  île  est  celui  de  savoir  si  les  envahisseurs  de 
race  germanique  s'assimilèrent  les  habitants  bretons  ou  s'ils  les 
exterminèrent.  Gomme  il  est  impossible  d'alléguer  aucun  témoignage 
direct  pour  ni  contre,  de  savants  historiens  trouvèrent  l'occasion 
bonne,  comme  on  fait  toujours  quand  on  ne  sait  presque  rien  d'un 
sujet,  pour  se  fâcher.  Le  récit  que  fait  M.  Wallace  de  la  façon  dont 
les  villages  finnois  adoptent  graduellement  les  manières  russes,  sans 
prouver  en  aucune  façon  que  les  choses  se  passèrent  de  même  en 
Angleterre,  est  en  tout  cas  un  avertissement  pour  ceux  qui  croient 
qu'une  langue,  des  mœurs,  des  institutions  anglaises  supposent 
nécessairement  du  sang  anglais  (1,  p.  23^). 

Pendant  mes  voyages  dans  ces  provinces  du  Nord,  j'ai  trouvé  des 
villages  à  tous  les  degrés  de  russification.  Dans  l'un,  tout  semblait 
absolument  finnois;  les  habitants  avaient  le  teint  cuivré,  les  pommettes 
des  joues  très-saillantes,  les  yeux  obliques,  un  costume  particulier; 
aucune  femme  et  presque  aucun  homme  ne  savait  le  russe,  et  un  Russe 
qui  visitait  le  pays  était  regardé  comme  un  étranger.  Dans  un  autre,  il 
y  avait  déjà  quelques  habitants  russes,  les  autres  habitants  avaient 
perdu  quelque  chose  du  pur  type  finnois,  beaucoup  d'hommes  avaient 
abandonné  l'ancien  costume  et  parlaient  le  russe  couramment;  on 
n'évitait  plus  le  voyageur  russe.  Dans  un  troisième,  le  type  finnois  était 
encore  plus  affaibli  :  tous  les  hommes  parlaient  russe  et  presque  toutes 
les  femmes  le  comprenaient  ;  l'ancien  costume  masculin  avait  disparu 
et  l'ancien  costume  féminin  le  suivait  rapidement;  des  mariages  avec 
des  Russes  n'étaient  plus  rares.  Dans  un  quatrième,  les  mariages 
mixtes  avaient  presque  entièrement  achevé  leur  œuvre,  et  le  vieux 
élément  finnois  ne  pouvait  plus  se  découvrir  que  dans  certaines  parti- 
cularités de  la  physionomie  et  de  l'accent. 


SUISSE.  383 

Des  passages  comme  ce  dernier  peuvent  être  pris  comme  un  spé- 
cimen d'un  livre  où  abondent  les  renseignements  de  toute  sorte. 
M.  Wallace  connaît  également  bien  le  paysan,  le  propriétaire  terrien 
ou  le  gouvernement  ;  le  résultat  est  une  peinture  de  la  société  russe 
en  général  qui,  dans  les  circonstances  actuelles,  offre  un  intérêt  tout 
particulier. 

S.  Rawson  Gardiner. 


SUISSE. 


Messieurs  les  directeurs, 

Une  note  insérée  dans  le  tome  premier  de  la  Revue  (p.  585-86)  a 
présenté  à  vos  lecteurs  la  liste  chronologique  de  nos  seize  Sociétés 
d'histoire,  et  le  résumé  que  je  vous  envoie  des  Mémoires  publiés 
par  ces  sociétés  suffit  pour  vous  tenir  au  courant  de  leurs  travaux. 
Je  n'ai  donc  plus,  pour  remplir  tant  bien  que  mal  une  promesse 
déjà  un  peu  ancienne,  qu'à  jeter  avec  vous  un  rapide  coup  d'oeil  sur 
la  situation  générale  de  nos  études. 

On  peut  caractériser  d'un  mot  le  changement  qui  s'est  accompli 
dans  cet  ordre  de  recherches,  en  appliquant  à  la  Suisse  les  paroles 
par  lesquelles  M.  Edmond  Schérer  définissait  il  y  a  quelques  années 
l'œuvre  de  la  critique  moderne  : 

«  Les  sciences  historiques,  disail-il,  ont  fait  un  grand  progrès 
lorsqu'elles  ont  appris  à  négliger  les  récits  de  seconde  main  pour 
puiser  directement  aux  sources;  elles  ont  fait  un  pas  non  moins 
important  lorsqu'elles  ont  compris  que  ce  n'était  point  encore  assez, 
et  que,  à  l'érudition  qui  réunit  les  témoignages,  il  faut  ajouter  la 
méthode  qui  les  classe,  la  sagacité  qui  les  interroge,  la  rigueur  qui 
en  précise  la  portée  et  en  détermine  la  valeur.  C'est  en  cela  que 
consiste  la  critique.  Tout  le  monde  sait  aujourd'hui  quelle  révolution 
elle  a  opérée  dans  la  science.  Nous  avions  une  histoire  traditionnelle 
qui,  au  loucher  de  l'examen,  s'est  évanouie  comme  un  rêve  pour 
faire  place,  non  pas  toujours  à  une  histoire  mieux  établie,  mais  quel- 
quefois à  des  résultats  simplement  approximatifs,  à  des  conjectures 
plausibles,  quelquefois  même  à  une  ignorance  dont  le  seul  avantage 
est  de  se  connaître  '.» 

Tel  est,  en  effet,  à  voir  les  choses  d'un  peu  haut,  le  point  où  nous 

I.  Mélanges  d'histoire  religieuse,  2'  édition,  p.  216. 


384  ItULLETIN  HISTORIQri:. 

en  sommes.  Il  y  a  un  siècle  à  peine  qu'un  historien  suisse  qui,  par 
une  rare  Ibrlune,  se  trouvait  être  en  môme  temps  un  trcs-liabile 
écrivain,  s'est  occupé,  avec  le  talent  que  l'on  sait,  de  rassembler  et 
de  rajeunir  les  traditions  séculaires  de  son  pays.  Et  cependant,  que 
restc-t-il  aujourd'hui  du  monument  élevé  par  Jean  de  Millier  à  la 
mémoire  des  ancêtres'?  quelques  récits  plus  pittoresques  <iue  lucides 
de  nos  grandes  batailles;  quelques  pages  fort  éloquentes  assurément, 
mais  dont  une  science  plus  circonspecte  a  depuis  longtemps  constaté 
la  fausseté.  Ceci  sans  doute  ne  veut  pas  dire  que  l'éloquence  patrio- 
tique ait  perdu  tout  crédit  auprès  de  nos  historiens  (on  en  citerait, 
au  contraire,  même  parmi  les  plus  récents,  qui  sacrifient  à  l'occa- 
sion sur  ses  autels)  ;  mais  ceci  veut  dire  qu'une  méthode  nouvelle 
gouverne  désormais  les  esprits,  et  qu'en  dépit  de  mainte  résistance, 
elle  conquiert  de  proche  en  proche  quelque  parcelle  du  terrain  que 
le  préjugé  national  occupait  jadis  sans  partage.  Cette  méthode, 
inaugurée  dès  le  commencement  du  xix'^  siècle  par  trois  ou  quatre 
savants  dont  les  noms  demeurent  entourés  d'une  juste  estime^, 
exposée  dans  les  termes  les  ])lus  clairs  par  le  professeur  J.-E.  Kopp, 
de  Lucerne^,  et  rendue  sensible  aux  esprits  les  plus  rebelles  par 
les  travaux  de  ses  élèves  ou  de  ses  émules,  —  cette  méthode,  dis-je, 
n'est  pas  autre  que  celle  qu'on  pratique  dans  tous  les  pays  cultivés 
de  TEurope,  et  qui,  selon  le  mot  de  M.  Schérer,  nous  apprend  soit  à 
remonter  directement  aux  sources,  soit  à  soumettre  les  témoignages 
en  apparence  les  mieux  autorisés  à  toutes  les  opérations  de  la  critique 
historique.  De  là,  dans  les  Mémoires  de  nos  Sociétés  d'histoire,  ces 
dissertations  sans  nombre  où  l'on  s'exerce  à  retourner  en  tous  sens 


î.  Die  Geschichten  der  Scîiiceizer  (depuis  les  plus  anciens  temps  jusque  l'an 
1393).  Boston  (Berne),  1780,  in-8. —  Die  Geschichten  schiceizerischer  Eidgenos- 
senschaft  (depuis  les  plus  anciens  temps  jusqu'à  l'an  1489).  Leipzig,  1786-1808, 
5  V.  in-8.  Traduit  en  français  par  M.  Ch.  Monnard,  Paris  et  Genève,  1837-40, 
8  V.  in-8. 

2.  Le  R.  P.  Ild.  von  Arx,  de  Saint-Gall;  U.-J.  Liithy,  de  Soleure;  J.-C.  Zell- 
■weger,  de  Trogen,  etc. 

3.  Vrkunden  zur  Geschichte  der  eidengenœssischen  Blinde,  Lucerne,  1835. 
Geschichisfreund,  t.  I,  p.  iii-xxx,  Einsiedeln,  1843.  Archiv  fur  Kunde  der 
orsterreichischen  Geschichtsquellen,  t.  VI,  Vienne,  1851.  —  M.  Kopp  est  mort, 
le  25  octobre  1866,  laissant  inachevé  ;le  grand  ouvrage  qu'il  consacrait  à  l'His- 
toire des  alliances  fédérales.  Il  avait  rempli  pendant  plus  de  quarante  ans  les 
fonctions  de  professeur  de  philologie  classique  au  lycée  de  Lucerne. Voir,  sur  les 
très-rares  incidents  de  sa  carrière,  l'intéressante  biographie  de  M.  le  chanoine 
Liitolf  :  J.-E.  Kopp  als  Prof  essor,  Dichter,  Staatsman  und  Historilier, Lucerne, 
1868;  et  sur  ses  travaux,  le  jugement  qu'en  ont  porté  des  hommes  tels  que  M.  le 
professeur  G.  VSaitz  (Gœtt.  Gel.  Anzeigen,  mai  1857)  et  M.  Albert  Rilliel  {Origines 
de  la  Confédération  suisse,  2"  édition,  p.  320). 


SUISSE.  385 

les  problèmes  que  la  sagesse  des  vieux  âges  croyait  avoir  définitive- 
ment résolus  ^  De  là,  dans  ces  mêmes  Mémoires  2,  ou  à  côté  d'eux, 
les  séries  plus  ou  moins  complètes  de  documents  et  les  collections 
spéciales  sur  lesquelles  je  désire  m'arrêter  un  instant,  parce  qu'elles 
attestent  mieux  que  tout  le  reste  l'activité  qui  anime  à  cette  heure  la 
tribu  industrieuse  de  nos  Geschichfsforscher. 

A.  Pour  l'histoire  de  la  Confédération  suisse,  de  -129^  à  1798,  le 
Recueil  officiel  des  anciens  Becès  fédéraux^,  ce  qui,  traduit  en  fran- 
çais, signifie  un  Répertoire  plus  ou  moins  détaillé  des  transactions 
de  toute  nature  auxquelles  ont  pris  part,  d'âge  en  âge,  les  députés 
présents  aux  «  journées  »  ou  diètes^  et  aux  conférences  diverses 
tenues  entre  les  cantons.  Ce  recueil,  nécessairement  Irès-fragmen- 
taire  pour  le  xi\^  siècle,  mais  déjà  fort  important  pour  le  xv%  atteint 
avec  le  xvi*"  des  proportions  telles  qu'on  peut  suivre  presque  jour  par 
jour  les  moindres  fluctuations  des  esprits  dans  les  affaires  politico- 
religieuses  qui  préoccupaient  alors  ou  plutôt  qui  passionnaient  à  la 

1 .  Les  publications  de  la  Société  générale  d'histoire  suisse  et  de  la  Société  des 
antiquaires  de  Zurich  présentent,  à  cet  égard,  le  plus  riche  contingent;  mais  on 
comprendra  sans  peine  que  je  ne  puisse  entrer  dans  aucun  détail.  Il  faudrait, 
pour  cela,  consacrer  à  chacune  des  grandes  périodes  de  notre  histoire  une 
analyse  raisonnée  qui  risquerait  de  m'entraîner  beaucoup  trop  loin.  Je  me  borne 
donc  à  relever  dans  l'Archiv  fiir  schw.  Geschichte  (t.  I  et  XIII)  et  dans  la 
Zeilschrift  fur  schweizerisches  Recht  (t.  XVIII)  les  trois  monographies  principales 
qui,  en  dehors  des  livres  de  MM.  Kopp  et  A.  Rilliet,  se  rapportent  aux  origines  de 
la  Confédération,  à  savoir  celle  de  M.  F.  de  Gingins  sur  Vétat  des  terres  et  la 
condition  des  personnes  dans  le  pays  d'Uri  au  XIII'  siècle,  1843;  celle  de 
M.  H.  Warlmann  sur  les  chartes  d'émancipation  des  Waldstaetten  :  Die  kosnif/- 
lichen  Freibriefe  fur  Vri,  Schmjz  und  Unterwalden  von  1231-1316,  1862,  et 
celle  de  M.  Fred.  de  Wyss  sur  les  paysans  libres  de  la  Suisse  orientale  :  Die 
freiea  Bauern,  Freiœmter,  Freigerichte  und  die  Vogteien  der  Osischweiz  im 
spatern  Mittelaller,  1872. 

2.  Société  générale  d'histoire  suisse,  Société  d'histoire  des  cinq  cantons,  Société 
d'histoire  de  la  Suisse  romande.  Société  d'histoire  et  d'archéologie  de  Genève,  etc. 
C'est,  par  exemple,  dans  les  Mémoires  des  Sociétés  d'histoire  de  la  Suisse 
romande  (M.  D.  S.  R.)  et  de  Genève  (M.  D.  G.)  qu'ont  été  mis  au  jour  la  plu- 
part des  documents  dont  j'aurai  à  reparler  un  peu  plus  loin  sous  la  rnl)ri(iue  de 
la  Suisse  occidentale. 

3.  Amtlîche  Sammlung  der  xltern  eidgenœssischen  Abschiede,  herausge- 
geben  auf  Anordnung  der  Bundesbehœrden  unler  der  Direction  des  eidg. 
Archivars. 

4.  Voir,  sur  le  rôle  et  l'organisation  de  ces  diètes,  ou,  pour  parler  plus  exac- 
tement, sur  leur  manque  d'organisation,  quelques  pages  fort  intéressantes  de 
M.  A.  Rilliet  dans  la  Bibliothèque  universelle  do  1862,  t.  XIII,  p.  365  sq.  —  Le 
terme  même  de  Recès,  ou  départs,  s'explique  par  la  coutume  qu'on  avait  d'em- 
porter avec  soi  le  résumé  de  ce  qui  s'était  passé  dans  les  réunions  communes, 
pour  en  donner  connaissance  à  ses  commettants. 

Rev.  Histor.  V.  2«  FASc.  25 


38(;  BULLETIN    HISTORIQUE. 

fois  le  peuple  et  les  gouvernements  '.  Il  perd,  il  esl  vrai,  un  peu  de 
son  intérêt,  comme  l'histoire  suisse  elle-même,  à  mesure  qu'on 
avance  vers  le  wif  siècle,  et  que  la  vie  fédérale  s'affaiblit  ou  s'éclipse  ; 
mais  il  n'en  constitue  pas  moins  jusqu'à  la  fin  une  mine  inépuisable 
pour  la  connaissance  des  institutions,  des  idées  et  des  mœurs,  et  il 
a,  de  plus,  môme  aux  plus  tristes  époques,  l'avantage  de  fournir  aux 
historiens  des  preuves  dont  rien  n'égale  l'incontestable  authenti- 
cité^. Voici,  du  reste,  quelques  chiffres  qui  feront  mieux  comprendre 
la  valeur  de  cette  vaste  collection. 

De  -1850^  à  -1877,  la  direction  des  archives  fédérales  a  successive- 
ment édité  treize  tomes  d'étendue  diverse,  formant  pour  le  moins 
un  total  de  2400  feuilles  in-4  ou  49200  pages,  et  embrassant  les 
années  < 29 f-< 532,  4  556-'! 680,  4742-4798. 

Les  Rcd's  contenus  dans  ces  treize  tomes  sont  au  nombre  de  9423  ; 
les  Pièces  annexes  ou  Beilagen  :  pactes,  accords,  traités  de  paix, 
d'alliance  ou  de  combourgeoisie,  etc.,  et  généralement  tous  les  actes 
de  notre  ancien  droit  public  suisse,  au  nombre  de  359. 

Reste  encore  à  publier  trois  tomes  qui  embrasseront  les  années 
4  533-4555  et  4  680-4  74  2,  ainsi  que  deux  volumes  supplémentaires 
qui  se  rapporteront,  selon  toute  vraisemblance,  aux  parties  les  plus 
anciennes  de  la  collection. 

Les  principaux  collaborateurs  de  l'entreprise  ont  été,  jusqu'à  ce 
jour,  MM.  A-P.  de  Segesser  et  J.  Rriitli  (f  4  867),  de  Lucerne; 
G.  Meyer  von  Knonau  (f  4  858)  et  J.  Strickler,  de  Zurich;  D.-A. 
Fechter  (f  4  876) ,  de  Bâle ;  J.-A.  Pupikofer,  de  Frauenfeld  ;  M.  Rothing 
(f  4875),  de  Schwyz,  et  le  directeur  actuel  du  Recueil,  M.  le  D'  J. 
Kaiser. 

1.  Les  trois  volumes  qui  renferment  les  Recès  des  années  1500-1532  durèrent 
d'ailleurs  des  précédents  en  ce  sens  que  les  éditeurs  y  ont  fait  une  place  plus 
larfje  aux  correspondances  diplomatiques  de  l'époque  et  à  loutes  sortes  de  rensei- 
gnements secondaires  qui  dérangent  peut-être  un  peu,  pour  notre  plus  grand 
profit,  l'économie  générale  du  Recueil. 

2.  Ce  serait  toutefois  une  erreur  de  croire  que  la  publication  du  Recueil  officiel 
ait  ouvert  à  l'étude  de  notre  histoire  nationale  des  sources  entièrement  nouvelles. 
Une  partie  des  pièces  qu'il  résume,  ou  dont  il  donne  in  extenso  le  texte,  avaient 
été  déjà  plus  d'une  fois  utilisées.  Mais,  comme  le  dit  avec  raison  M,  Rilliet 
(/.  c,  p.  3G8),  «  leur  dispersion  dans  les  archives  et  leur  existence  manuscrite 
en  rendaient  la  recherche  et  l'examen  difficiles  et  rebutants  »,  tandis  qu'aujour- 
d'hui tout  est  combiné  pour  en  rendre  la  consultation  aussi  commode  que  fruc- 
tueuse, et  que  leur  réunion  en  un  corps  d'ouvrage  double  à  elle  seule  le  prix  de 
ces  documents. 

3.  Un  premier  volume,  mis  au  jour  dès  1839  ijar  M.  J.  E.  Kopp,  a  reparu,  en 
1874,  par  les  soins  de  M.  A. -P.  de  Segesser,  dans  une  seconde  édition  revue  et 
très-augmentée.  Nous  n'avons  donc  pas  besoin  de  tenir  compte  de  ce  premier  essai. 


SUISSE.  387 

Enfin,  puisque  l'occasion  s'en  présente,  j'ajouterai  qu'indépen- 
damment du  Recueil  des  anciens Recès,  les  archives  fédérales  viennent 
de  nous  donner  un  Répertoire  des  Recès  de  ]H\^  à  -IS'iS  i,  lequel  a 
pour  auteur  M.  W.  Fetscherin,  de  Berne,  et  que  M.  Strickler  s'occupe 
activement  de  préparer  pour  l'impression  les  actes  du  gouvernement 
helvétique  de  -1 798  à  ^  803. 

B.  Pour  les  époques  antérieures  à  la  naissance  de  la  Confédération, 
les  Régestes  des  archives  suisses  ^^  entrepris  en  ^848  par  la  Société 
générale  d'histoire  suisse,  mais  presque  aussitôt  interrompus,  et  le 
Schweizerisches  TJrkundenregister  ^ ,  dont  la  rédaction  a  été  com- 
mencée en  apparence  sous  les  auspices  les  plus  favorables,  mais  qui 
a  été  depuis  l'objet  de  critiques  assez  vives,  le  recueil  doit  être 
continué  jusqu'à  la  fin  du  xiii^  siècle. 

Puis,  sur  la  limite  souvent  indécise  qui  sépare  le  moyen-àge  pro- 
prement dit  des  temps  où  se  formèrent  les  premières  alliances  perpé- 
tuelles : 

Pour  la  Suisse  orientale,  le  Codex  diplomaticus  des  Grisons*,  de 
MM.  Th.  et  C.  von  Mohr  ;  le  Cartulaire  qui  accompagne  la  belle 
Histoire  de  l'abbaye  de  Zurich"",  de  M.  G.  de  Wyss,  et  le  recueil 
plus  important  encore  des  Chartes  de  r abbaye  de  Saint-Gall^,  de 
M.  H.  Wartmann. 

Pour  la  Suisse  centrale,  les  f/rAMwrfewdéjàcitésdeM.  J.-E.  Kopp  ^ 
qui  méritent  à  tous  égards  une  place  d'honneur  dans  les  fastes  de 
l'historiographie  suisse*;  la  Collection  de  documents  pour  servir  à 


1.  Bepertormm  der  Abschiede  der  eidg.  Tagsaizungen  aus  den  Jahren  1814 
bis  1848  (par  ordre  de  matières).  Berne,  1874-76,  2  v.  in-4.  Fait  suite,  en  un 
sens,  au  Repertorium  der  Abschiede  der  eidg.  Tagsatzungen  vom  Jafir  1803 
bis  Ende  1813,  publié  dès  184'2-43  par  M.  le  chancelier  fédéral  Amrhyn. 

2.  Regesten  der  Archive  in  der  schw.  Eidgenossenschaft.  Coire,  1848-54, 
2  vol.  in-4. 

3.  Berne,  1863-77,  2  v.  grand  in-8. 

4.  Codex  diplomaticus.  Sanirnlung  der  Urkunden  zur  Geschichte  Cur-Rsetiens 
und  der  Republik  Graubiinden.  Coire,  1848-65,  4  v.  in-8. 

5.  Mitlheilungen  der  anliquarischen  Gesellschaft  in  Zurich,  t.  VIII,  1851-58. 

6.  Vrkundenbuch  der  Abtei  Sanct-Gallen.  T.  I-III,  1-3,  700-1296.  Zurich, 
puis  Saint-Gall,  3  v.  in-4,  publiés  par  la  Société  des  antiquaires  de  Zurich  et  la 
Société  d'histoire  de  St-Gali.  (Sera  continué,  sauf  erreur,  jusqu'à  l'époque  de  la 
Réformation.) 

7.  Lucerne,  1835,  un  v.  in- 12  de  xx  et  208  pages.  Un  second  volume  a  paru 
en  1851,  à  Vienne,  mais  sans  avoir  le  retentissement  du  premier. 

8.  C'est,  en  effet,  dans  ce  petit  livre  que  M.  Kopp  a,  pour  la  première  fois, 
énoncé  les  thèses  auxquelles  il  est  resté  fidèle  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  et  ouvert 
la  série  des  travaux  qui,  jmur  le  xiii"  siècle  et  une  partie  du  suivant,  ont  renou- 
velé la  face  de  l'histoire  suisse. 


388  BULLKTIN  IIISTOniQnE. 

l'histoire  du  pays  de  Clnris\  de  M.  J.-J.  Blumer  (-J-  ^875),  et  les 
innombrables  pièces  insérées,  sans  beaucoup  d'ordre  ni  de  discer- 
nement, dans  les  trente  premiers  volumes  du  Geschichtsfreund. 

Pour  riiistoire  de  Berne,  les  Monuinents  dr  /'kis/oirn  de  T ancien 
évcehc  de  /?«'/<?  2,  édiles,  aux  frais  du  gouvernement  bernois,  par 
MM.  J.  Trouillat  (j-  ^8(j3)  et  L.  Vautrey;  les  Documents  jmur  l'his- 
toire de  (a  cille  de  Berne  ^,  de  M,  K.  Zeerleder,  et  les  Fontes  rerum 
bernensium^  qui  ont  fait,  de  la  part  de  la  Revue,  l'objet  d'un  article 
spécial. 

Pour  la  Suisse  occidentale,  {Qlîéycstc  soit  Bépertoire  chro?iolo(fique 
de  documents  relatifs  à  l'histoire  de  la  Suisse  romande^,  de  M.  P. 
Forel  ;  les  Monuments  de  l'histoire  de  Neuchâter^,  de  M.  G. -A.  Matile; 
le  Recueil  diplomatique  du  canton  de  Fribourg^,  de  MM.  Werro 
(f  •1876),  Berchtold  (f  I8G0)  et  Gremaud;  les  Monuments  de  l'his- 
toire du  comté  de  Gruyère',  par  MM.  J.-J.  Hisely  (-|-  1806)  et  Gre- 
maud; les  Cartulaires  du  chapitre  de  Lausanne^  et  de  diverses 
maisons  religieuses  du  pays  de  Vaud  ^,  par  MM.  F.  de  Gingins 
(7  1863)  et  Hisely;  les  Statuts  de  l'ancien  évêché  de  Lausanne,  et 
les  Chartes  77iunicipcdes  du  pays  de  Vaud,  par  M.  F.  ForeM^;  les 
Documents  relatifs  à  l'histoire  du  Vallais^\  de  M.  Gremaud;  le 
Régeste  genevois^'-,  de  MM.  P.  Lullin  (f  -1872)  et  Ch.  Le  Fort,  et 
les  chartes  que  feu  M.  Ed.  Mallet  avait  publiées  dans  les  Mémoires 
de  la  Société  d'histoire  et  d'archéologie  de  Genève^ ^,  ou  que  les  deux 
auteurs  du  Régeste  ont  extraites  de  ses  papiers  *-*. 


1.  Jahrbuch  des  historischen  Vereins  des  Kt.  Glarus.  Heft  I-XIII,  1865-77. 

2.  Porreniruy,  1852-67,  5  v.  grand  in-8. 

3.  Urkundenbuch  fiir  die  Geschichle  der  Stadt  Bern  und  ihres  frùhesten 
Gebiets  bis  zum  Schluss  des  XIII.  Jahrhunderls.  Berne,  1853-54.  3  v.  in-4. 
(Ouvrage  posthume.) 

4.  Première  série  :  dès  les  premiers  temps  jusqu'à  l'an  1316.  M.  D.  S.  R., 
t.  XL\.  Lausanne,  1862. 

5.  iNeuchàtel,  1844-48,  3  v.  folio. 

6.  Fribourg,  1839-77,  8  v.  in-8. 

7.  M.  D.  S.  R.,  t.  XXII  et  XXIII,  1867-69. 

8.  Ib.,  t.  VI,  1851. 

9.  Romainmotier,  Oujon,  Hautcrêt,  Moniheron.  Ib.,  t.  III  et  XII,  1844-54. 

10.  Ib.,  t.  VII  et  XXVII,  1846-72. 

11.  Ib.,l.  X-XIX-XXX,  1875-76.  Les  chartes  vallaisannes  formeront  encore  deux 
ou  trois  volumes. 

12.  Régeste  genevois,  ou  Répertoire  chronologique  et  analytique  des  documents 
imprimés  relatifs  à  l'histoire  de  la  ville  et  du  diocèse  de  Genève  avant  1312. 
Genève,  1866,  in-4. 

13.  M.  D.  G.,  t.  I,  II,  IV,  VII,  VIII  et  IX,  1841-55. 

14.  Chartes  inédites,  relatives  à  L'histoire  de  la  ville  et  du  diocèse  de  Genève, 


SDissE.  389 

C.  Enfin,  pour  revenir  en  terminant  à  l'histoire  de  la  Confédéra- 
tion, j'indiquerai  encore,  du  xiv''  au  xviii^  siècle  : 

•1»  les  Documents  sur  la  (juorre  de  Sempoch^,  tirés  des  archives 
de  Lucerne,  par  M.  Th.  de  Liebenau  ; 

2°  les  Dépêches  des  ambassadeurs  7nilanais  sur  les  campagnes  de 
Charles  le  Hardi,  duc  de  Bourgogne  (^474-U77)2,  par  M.  F.  de 
Gingins,  et  le  Recueil  bien  connu  de  M.  G.-F.Ochsenbein  sur  le  siège 
et  la  bataille  de  Morat  ^  ; 

3°  les  Docmnents  officiels  de  la  Réformation  bernoise^,  de  M.  le 
chancelier  de  Stiirler;  la  Corresponda7ice  des  réformateurs  dans  les 
pays  de  langue  française^ ^  ÙQ  M.  A.-L.  Herminjard,  dont  il  suffit 
de  transcrire  ici  le  titre  pour  rappeler  un  vrai  modèle  de  scrupuleuse 
exactitude  et  de  patiente  érudition;  les  trois  volumes  passablement 
mélangés  que  le  Piusverein  a  fait  paraître  sous  le  titre  diArchiv  fur 
die  schiceizerische  Reformationsgeschichte  ^,  etc.  ; 

^°  Xqs  Rapports  d'agents  franc-comtois  en  Suisse  ('^6^9-^629) '^, 
par  M.  A.  Rivier; 

3°  les  Dépêches  de  l'ambassadeur  français  Jean  de  la  Barde  (1648- 
-1654)^,  élucidées  il  y  a  tantôt  trente  ans  par  M.  L.  Vulliemin,  et 
plus  près  de  nous,  la  Correspondance  du  général  Brune,  publiée, 
avec  d'autres  papiers  relatifs  à  la  catastrophe  de  n98,  par  M.  le 
chancelier  de  Stiirler  ''. 

J'arrive  maintenant  à  un  ensemble  de  travaux  bien  différents, 
au  premier  abord,  des  précédents,  et  qui  en  sont  néanmoins  dans 
une  certaine  mesure  la  conséquence  et  la  contre-partie.  Nos  vieilles 
chroniques  suisses  ne  peuvent  plus,  sauf  en  ce  qui  concerne  les 
événements  dont  leurs  auteurs  ont  été  les  témoins,  être  considérées 

antérieurement  à  l'année  1312  (M.  D.  G.,  t.  XIV-XV,  1862-66).  —  Reciieil  des 
franchises  et  lois  municipales  des  principales  villes  du  diocèse  de  Genève 
(M.  D.  G.,  t.  XIII,  1863).  —  Documents  inédits  relatifs  à  l'histoire  de  Genève 
de  1312  à  1378.  (M.  D.  G.,  t.  XVIII,  1872). 

1.  Archiv.  fur  schw.  Gesch.,  t.  XVII,  1871. 

2.  Genève,  1858,  2  v.  grand  in-8. 

3.  Die  UrJiunden  der  Belageruncj  und  Schlacht  von  Murten,  Fribourg,  1876, 
in-4.  Voir  Revue  Iiistorique,  t.  II,  p.  611. 

4.  Uriiunden  der  hernischen  Kirclienreform,  aus  dem  Slaatsarchiv  gesam- 
melt  von  M.  von  Stiirler.  Herausgegeben  vom  hislor.  Vereln  des  Kt.  Bern. 
T.  I-II,  1.  Berne,  1862-74. 

5.  Tomes  I-IV,  1512-11338.  Genève,  1866-72,  4  v.  in-8.  Le  tome  V  est  en  ce 
moment  sous  presse. 

6.  Fribourg  en  Brisgau,  1869-75,  3  v.  in-8. 

7.  Arcbiv  fiir  schw.  Gesch.,  t.  XX,  1876. 

8.  76.,  t.  V-VIII,  1847-51. 

9.  II).,  t.  XII,  XIV,  et  XVI,  1858-68. 


390  BULLETIN  HISTORIQUE. 

comme  une  source  historique  au  sens  strict  du  mot.  Elles  nous 
renseignent  seulement  sur  ce  qu'on  croyait  à  l'époque  et  dans 
le  milieu  où  elles  furent  composées,  ou  mieux  encore,  sur  la  façon 
singulière  dont  on  s'y  prenait  parfois  pour  mettre  en  circulation 
ce  qu'on  tenait  à  faire  passer  pour  de  l'histoire.  Elles  forment, 
en  d'autres  termes,  le  dépôt  plus  ou  moins  complexe  d'une  tra- 
dition déjà  fixée,  ou  le  point  de  départ  quelque  peu  suspect  d'une 
tradition  en  voie  de  se  former.  Mais  à  ce  point  de  vue  même, 
comme  à  d'autres  égards,  elles  ne  laissent  pas  de  mériter  un 
sérieux  examen,  et  leur  lecture,  quand  on  l'entreprend  dans  l'esprit 
de  la  science  moderne,  est  susceptible  d'éclairer  d'une  vive  lumière 
mainte  légende  longtemps  réputée  inviolable.  Il  faut  donc  savoir 
le  meilleur  gré  aux  sociétés  d'histoire  de  la  Suisse  d'avoir,  autant 
qu'il  était  possible,  facilité  cette  étude,  soit  en  nous  procurant 
un  texte  plus  correct  de  celles  des  chroniques  que  d'anciennes 
éditions  mettaient  seules  à  la  portée  du  public  savant,  soit  en  pro- 
duisant au  grand  jour  des  ouvrages  restés  jusqu'à  présent  inédits 
ou  qu'on  croyait  irrémédiablement  perdus,  soit  en  encourageant  les 
recherches  critiques  auxquelles  quelques-uns  de  nos  érudits  se  sont 
livrés  sur  tel  ou  tel  de  ces  auteurs.  Je  range  dans  la  première  caté- 
gorie les  éditions  remarquables  entre  toutes  que  MM.  G.  de  Wyss, 
G.  Studer  et  G.  Meyer  von  Knonau  ont  données  de  Jean  de  Winter- 
thur',  de  Matthias  de  Neuburg^,  de  Conrad  Justinger^,  de  diverses 
chroniques  saint-galloises  ^  etc.  Dans  la  deuxième,  outre  la  chronique 
plus  anciennement  publiée  de  Melchior  Russ^  —  et  sans  dépasser 

1.  Johannis  Vitodurani  chronicon.  Die  Chronik  des  Minoriten  Johannes 
von  Wintlierlhur,  nach  der  Urschrift  lierausgegebea  durch  G.  von  Wyss  (Archiv 
fur  schw.  Gesch.,  t.  XI,  1856). 

2.  Matthias  Neoburgensis  chronica,  cum  continuaiione  et  vita  Berchtoldi 
de  Buchegrj,ep.  Arg.  Nach  der  Berner- und  Slrassburgerhandschrift  herausge- 
geben  im  Auflrag  der  allgem.  geschichtforschenden  Gesellschaft  der  Schweiz 
von  D--  G.  Studer.  Berne,  1866,  in-8.  —  La  chronique  de  Matthias  de  Neubourg 
louche  sur  plus  d'un  point  à  l'histoire  des  contrées  suisses. 

3.  Die  Berner  Chronik  des  Conrad  Justinger.  Xebst  vier  Beilagen  :  1.  Chro- 
nica de  Berna.  —  2.  Conflictus  fMupensis.  —  3.  Die  anonyme  Stadt-Chronik 
Oder  der  Kœn/gshofer  Justinger.  —  4.  Anoyiymus  Friburgensis.  Herausgegeben 
im  Auftrag  etc.  von  D'  G.  Studer.  Berne,  1871,  in-8. 

4.  Sand-Gallische  Geschichtsquetlen  (texte  et  commentaire  critique).  Xeu 
herausgegeben  durch  G.  Meyer  von  Knonau.  (Mittheilungen  des  histor.  Vereins 
von  Sanct  Gallen,  Heft  XII,  XIII,  XV-XVI,  1870-77).  La  1-  partie  est  consacrée 
aux  légendes  de  Saint-Gall  et  de  Saint-Otmar;  la  2',  à  la  chronique  de  Ratpert; 
la  3%  à  la  chronique  d'Ekkehart. 

5.  Melker  Russen  des  jiingeren,  fiitters  und  Gericlitschreiber  in  Luzern, 
Eidgenœssische  Chronik.   Herausgegeben    von   J.   Schaeller.    (Schweizerischer 


SUISSE.  39-1 

ici  la  limite  du  xv®  siècle,  —  les  écrits  de  deux  autres  Lucernois, 
dont  l'un,  Jean  Friind  \  a  été  secrétaire  d'Etat  à  Schwyz  durant 
la  guerre  de  Zurich,  tandis  que  le  second,  Diebold  Schilling  le  jeune-, 
fut  présent  à  la  diète  de  Stanz,  du  22  décembre  \AS\  ;  puis,  dans  un 
ordre  d'idées  assez  différent,  la  chronique  si  justement  célèbre  du 
Lirre  bkaïc^,  le  petit  traité  «  de  l'origine  des  Schwjzois  »  ^,  et  la 
Chronique  de  Sfraetlingen^ y  piècQ  fort  curieuse  pour  l'histoire  de 
l'Eglise  au  xv*  siècle,  que  M.  le  D'  Baechtold  vient  de  tirer  des  archives 
de  Berne.  Dans  la  troisième  catégorie,  celle  des  recherches  critiques, 
—  où  l'on  pourrait  en  un  sens  faire  rentrer  presque  toutes  les  intro- 
ductions des  livres  qui  précèdent,  — les  études  spéciales  de  M.  Studer 
sur  Justinger^;  et  la  dissertation  un  peu  minutieuse,  mais  néanmoins 
très-utile  de  M.  le  D'  A.  Bernoulli  sur  la  chronique  d'Etterlin^.  Mais 
l'œuvre  de  beaucoup  la  plus  considérable  qu'il  reste  encore  à  pour- 
suivre est  celle  devant  laquelle  la  Société  générale  d'histoire  suisse 


Geschichtforscher,  t.  X.)  Berne,  1834.  Cf  A.  Bernoulli,  Die  Luzernerchronik  des 
Melcfdor  Russ,  Bàle,  1872. 

1.  Die  Chronik  des  Hans  Frilnd,  Landschreiber  zu  Schwyz.  Herausgegeben 
in  Auftrag  der  allgem.  geschichtforschenden  Gesellschaft  der  Schweiz  von 
C.-I.  Kind.  Coire,  1875,  in-8. 

2.  Diebold  Schillings  Schv'dzerchronik,  nach  der  Originalhandschrifl.  Lucerne, 
1862,  grand  in-8. 

3.  Die  Chronik  des  Weissen  Bûches  im  Archiv  Obicalden.  Editée  en  1856, 
pour  quelques  amis,  par  M.  G.  de  Wyss,  et  en  1857,  par  M.  Meyer  von 
Knonau  le  père,  dans  le  tome  XIII  du  Geschichtsfreund.  —  C'est  dans  la 
Chronique  du  Livre  blanc  qu'on  rencontre  pour  la  première  fois,  vers  1470,  les 
historiettes  des  mauvais  baillis,  la  conjuration  des  trois  vallées  et  les  aventures 
héroïques  de  Tell.  Voir  sur  ce  sujet  W.  Vischer,  Die  Sage  von  der  Befreiung 
der  Waldsta-ite.  Leipzig,  1867,  in-8-,  A.  Rilliet,  Origines  de  la  C onfédéral ion 
suisse,  histoire  et  légende.  Genève,  1868;  2''  éd.,  1869,  in-8;  H.  Hungerbiihler, 
Etude  critique  sur  les  traditions  relatives  aux  origines  de  la  Confédération 
suisse.  Genève,  18G9,  in-8;  P.  Vaucher,  la  Chronique  du  Livre  blanc  (Indica- 
teur d'histoire  suisse,  année  1874,  p.  46-56),  etc. 

4.  Vom  Herkommen  der  Schtoijzer  [und  Oberhasler].  Eine  wiederaufgefundene 
Chronik  aus  deni  XV  Jahrhundert  (msc.  de  Genève).  Mil  Erlaeuterungen  und 
kritischen  Untersuchungen  herausgegeben  von  D""  II.  Hungerbiihler  (Mitthei- 
lungen  des  hislor.  Vereins  von  Sanct  Gallen.  Heft  XIV,  1872). 

5.  Die  Stretlingerchronik.  Ein  Beitrag  zur  Sagen-uud  Legendengoschichte  der 
Schweiz  aus  dera  XV.  Jahrhundert.  Mit  einem  Anhang  :  Vom  Herkommen  der 
Schwyzer  xmd  Oberhasler.  Herausgegeben  von  D"  J.  Baechlold.  Frauenfeld, 
1877.  —  J'aurai,  je  pense,  quelque  jour  l'occasion  de  revenir  sur  cet  ouvrage 
et  sur  les  questions  nouvelles  soulevées  par  l'appendice. 

6.  Studien  iiber  Justinger.  (Archiv  des  histor. Vereins  des  Kt.  Bern,  t.  V-VI, 
1863-67.) 

7.  Etterlins  Chronik  der  Eidgenossenschaft  nach  ihren  Quellen  untersucht 
von  A.  Bernoulli.  (Jahrbuch  fur  schw.  Geschichte,  t.  I,  1877.) 


302  BULLETIN  HISTORIQUE. 

n'a  reculé  jusqu'à  prôscnl  que  pour  mieux  en  assurer  le  succès  :  je 
veux  dire  la  publication  complète  et  dcfmitive  de  cet  amas  d'écrits 
du  xiV  et  du  xv"  siècle  qu'on  désigne  sous  le  nom  de  «  chroniques 
zurichoises»'.  Ce  ne  sera  pas  trop,  pour  la  mener  à  bonne  fin, 
de  la  science  consommée  de  M.  G.  Scherrer  ou  de  M.  Me^'cr  von 
Knonau. 

Quant  aux  publications  historiques  proprement  dites,  elles  ont 
soulVert,  on  le  comprend,  des  conditions  nouvelles  qui  sont  faites  à 
la  science  el  de  l'abondance  même  des  matériaux  qui  s'accumulent 
chaque  jour.  Les  huit  derniers  volumes  des  continuateurs  de  Jean 
de  Millier  -  ont,  il  est  vrai,  paru  de  1841  à  1851  ;  mais  la  partie  qui 
traite  de  la  Réformalion  au  temps  de  Calvin  est  aujourd'hui  com- 
plètement dépassée,  et  si  le  tableau  du  xvii''  et  du  xviii''  siècle  garde 
encore  pour  nous  une  très-grande  valeur,  on  y  rencontre  cepen- 
dant, sous  la  finesse  ingénieuse  de  M.  L.  Vulliemin  ou  la  gravité  un 
peu  factice  de  M.  Ch.  Monnard,  les  traces  d'une  rhétorique  à  laquelle 
nous  devenons  de  plus  en  plus  étrangers.  L'Histuire  des  alliances 
fédérales^,  de  1273  à  1330,  par  M.  J.-E.  Kopp,  n'est,  en  revanche, 
à  la  juger  du  point  de  vue  littéraire,  qu'une  mosaïque  assez  confuse, 
ou,  si  l'on  veut,  un  vaste  inventaire  notarié,  qui  contraste  d'une 
manière  frappante  avec  le  livre  non  moins  solide,  mais  admirable- 
ment composé,  de  M.  A.  Rilliet  sur  les  Origines  de  la  Confédération 
suisse.  L'Histoire  des  relations  diplornatiques  de  la  Suisse  avec  la 
France  \  de  M.  J.-C.  Zellweger,  est  malheureusement  restée  à  l'état 
de  fragment.  Les  études  de  M.  J.-L.  Wurstemberger  sur  l'ancien 


1.  Voir,  en  attendant,  les  Mittheilungen  der  antiquârischen  Gesellschaft  in 
Ziirich,  t.  II,  1844,  et  le  livre  qui  a  pour  titre  :  Die  Klingenberger  {">.)  Chronik, 
nach  der  von  Tschudi  besessenen  und  vier  andern  Handschiften  zum  ersten 
mal  ganz,  und  mit  Parallelen  aus  gleichzeiligen  ungedruckten  Chroniken 
herausgegeben  von  D'  Anton  Henné.  Gotha,  1861,  in-8.  11  faut  y  joindre,  à  titre 
de  correctif  ou  de  complément,  les  trois  mémoires  de  MM.  G.  Scherrer  (Mitthei- 
lungen des  historischen  Vereins  von  Sanct  Gallen,  Heft  I,  1861),  G.  Wailz 
(Gœtting.  Nachrichten,  1862,  p.  73-90)  et  G.  de  Wyss  (Ueber  eine  Zurclier. 
Chroni/i  aus  dem  XV.  Jahrhundert,  Zurich,  1862). 

2.  Histoire  de  la  Confédération  suisse,  de  Jean  de  Miiller,  R.  Gloutz-Blotzheim 
et  J.-J.  Hottinger.  Traduite  en  français  et  continuée  jusqu'à  nos  jours  par 
L.  Vulliemin  et  Ch.  Monnard.  Paris  et  Genève,  1837-51,  18  v.  in-8. 

3.  Geschic/iie  der  eidgenœssischen  Blinde.  Mit  Urkunden.  Leipzig,  puis 
Lucerne,  puis  Berlin,  1845-62,  5  v.  in-8. 

4.  Geschichte  der  diplomaiischen  Verhxltnisse  der  Schiceiz  mit  Frankreich 
ton  1698  bis  1784  (1716).  Ein  Versuch,  die  Einwirkung  dieser  Verhœltnisse  auf 
den  sittlichen,  œkonomischen  und  politischen  Zustand  der  Schweiz  darzuslellen. 
Saint-Gall  el  Berne,  1848-49,  2  vol.  in-8. 


smssE.  393 

pays  de  Berne ',  qui  forment  une  histoire  à  peu  près  complète  de 
l'Helvétie  occidentale  jusqu'à  l'extinction  de  la  famille  de  Zaeringen, 
n'ont  pu  recevoir  les  derniers  soins  de  l'auteur.  Le  savant  ouvrage 
de  M.  J.-J.  Blumer  sur  les  démocraties  suisses^,  ainsi  qu'un 
livre  plus  considérable  encore  de  M.  A. -P.  de  Segesser  sur  l'his- 
toire juridique  de  Lucerne^,  appartient  presque  tout  entier  au 
domaine  du  droit,  et  se  dérobe  par  conséquent  à  mes  jugements.  — 
Nos  modernes  historiens  ont  d'ailleurs  presque  tous,  si  j'ose  ainsi 
parler,  quelque  peine  à  quitter  leur  robe  de  chambre,  lis  s'inquiètent 
plus  volontiers  de  dire  ce  qu'ils  ont  trouvé^  ou  comment  ils  l'ont 
trouvé,  que  de  montrer  ce  qu'on  pourrait  en  faire.  C'est  dans  bien 
des  cas,  je  m'empresse  de  le  reconnaître,  la  preuve  d'une  candeur 
fort  honorable,  et  pour  ma  part,  je  préfère  de  beaucoup  la  conscien- 
cieuse Histoire  du  peuple  de  Genève'*^  de  M.  A.  Roget,  aux  pages  les 
plus  émouvantes  de  M.  Merle  d'Aubigné^.  Mais  le  grand  public 
ne  s'accommode  guère  de  pareils  procédés;  et  peut-être  ignorerait-il 
encore,  au  moins  dans  la  Suisse  romande,  les  recherches  inces- 
santes dont  notre  histoire  nationale  a  été  l'objet  depuis  un  demi- 
siècle,  si  l'un  des  auteurs  que  j'ai  cités,  le  vénérable  M.  L.  VuUie- 
min,  n'avait  pris  à  cœur,  malgré  l'approche  de  sa  quatre-vingtième 
année,  de  les  résumer  en  deux  attrayants  petits  volumes  qui  ont 
conquis  aussitôt  tous  les  suffrages''.  Il  y  a  là,  ce  me  semble,  un 
exemple  qu'on  ne  saurait  trop  méditer. 
Genève,  septembre  ■ISTT. 

P.  Vaucher. 


1.  Geschichte  der  alten  Landschaft  Bern.  Berne,  1862,  2  v.  in-8. 

2.  Siaats-und  Rechtsgeschichte  der  schweizerischen  Demokratien,  oder  der 
Kantonc  Uri,  Schwt/z,  Untericalden,  Glarus,  Zug  und  AppenzelL  Saint-Gall, 
1850-59,  2  V.  in-8. 

3.  Rechtsgeschichte  der  Stadt  und  Republik  Luzern.  Lucerne,  1850-58, 
4  V.  in-8. 

4.  Depuis  la  Réforme  jusqu'à  l'Escalade.  T.  I-IV,  1"  livr.  Genève,  1870-76, 
4  V.  in-12. 

5.  Histoire  de  la  Réformation  en  Europe  au  temps  de  Calvin.  Paris,  1863-76, 
7  vol.  in-8.  Voir,  dans  le  Journal  de  Genève  d'avril  1875,  le  compte-rendu  qu'un 
juge  on  ne  peut  plus  compétent  a  fait  du  tome  VI  de  cet  ouvrage. 

6.  Histoire  de  la  Confédération  suisse,  l'"  partie  :  des  plus  anciens  âges  aux 
temps  de  la  Réforme.  2"  partie  :  des  commencements  de  la  Réforme  à  notre 
temps.  Lausanne,  1875-76,  2  v.  in-12  de  380  et  402  p. 


39-*  COMPTES-llENDCS   CRITIQDES. 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


Histoire  générale  du  costume  civil,  religieux  et  militaire  du 
IV>- au  Xixe  siècle  ^3^^3-^.SIo) ,  par  Raphaël  Jacquemln,  peintre- 
graveur,  auteur  de  l'Iconographie  du  costume.  T.  P'.  Paris,  l'Au- 
teur, rue  Royer-Gollard,  10. 

Voilà  certes  un  programme  séduisant,  un  titre  gros  de  promesses  et 
fait  pour  éveiller  l'attention  des  érudits,  des  artistes,  des  metteurs  en 
scène  de  tout  genre,  tant  préoccupés  aujourd'hui  de  la  vérité  historique 
des  accessoires.  Ils  espéreront  sans  doute  trouver  dans  le  livre  de 
M.  Jacquemin  un  tableau  fidèle  des  connaissances  acquises  jusqu'à  ce 
jour,  enrichi  des  études  et  des  observations  personnelles  de  l'auteur. 
Nous  sommes  à  notre  grand  regret  obligé  de  les  détromper. 

Cette  annonce  pompeuse  ne  recouvre  qu'une  compilation  incomplète, 
présentée  sans  méthode  et  dépourvue  de  critique.  Une  phraséologie  de 
mauvais  goût,  des  périodes  sonores  et  creuses  servant  à  relier  les  cita- 
tions nombreuses  intercalées  dans  l'ouvrage,  voilà  la  part  de  l'auteur. 

Ce  n'est  pas  tout.  Un  reproche  plus  grave  doit  lui  être  adressé. 
M.  Jacquemin  omet  de  mentionner  certaines  œuvres  auxquelles  il  a 
fait  des  emprunts  et  semble  s'attribuer  ainsi  des  travaux  qui  ne  lui 
appartiennent  pas.  Nous  signalerons  entre  autres  le  catalogue  du  Musée 
d'artillerie  par  Penguilly  l'Haridon  comme  une  des  sources  de  ses 
appropriations  clandestines.  Dans  le  chapitre  intitulé  :  des  armes  du 
inojien  âge,  on  ne  compte  pas  moins  de  vingt-cinq  passages  copiés  mot 
à  mot  dans  les  notices  dues  à  l'ancien  conservateur  du  Musée  d'artille- 
rie. Pour  n'en  citer  qu'un  exemple  : 

On  lit  dans  le  catalogue  de  Pen-  On  lit  dans  le  livre  de  M.  Jac- 

guilly,  page  145  :  quemin,  page  228  : 

«  La  cotte  de  mailles  était  simple,  «  La  cotte  de  mailles  était  simple, 

sans   doublure;    elle   n'avait   pas  sans   doublure;    elle   n'avait   pas 

d'envers,  comme  la  cotte  normande,  d'envers,    comme    la    cotte   nor- 

et  se  passait  comme  une  chemise.  mande,  et  se  passait  comme  une 

On  portait  au-dessous  un  second  chemise.   On   portait    en   dessous 

vêtement,  de  même  forme  que  la  un    second    vêtement,    de    même 

cotte,  en  cuir,  ou  en  étoffe  piquée  forme  que  la  cotte,  en  cuir  ou  en 

avec  soin;   c'est  le  gamboison  ou  étoffe  piquée  avec  soin  :  c'est  le 

le  gambeson,  qui  formait  la  plu-  gambeson  ou  gamboison   (que  le 


V.    DE    ROCHAS    :    LES    PARIAS    DE    FRANCE    ET    d'ESPAGNE.  395 

part  du  temps  la  seule  armure  président  Faucher  appelle  gobes- 
défensive  des  gens  de  pied.  son,  nous  ne  savons  trop  pourquoi) 
«  On  désignait  sous  le  nom  de  et  qui  avec  le  haubergeon  ou  le 
grand  haubert ,  blanc  haubert ,  hoqueton  formait  la  plupart  du 
l'armure  complète  de  mailles  que  temps  la  seule  armure  défensive 
les  chevaliers  avaient  seuls  le  des  gens  de  pied, 
droit  de  porter.  »  «  On  désignait  sous  le  nom  de 

grand  haubert,  blanc  haubert,  l'ar- 
mure complète  de  mailles  que  les 
chevaliers  avaient  seuls  le  droit 
de  porter.  » 

Les  expressions  ne  manquent  pas  pour  caractériser  cette  érudition 
de  contrebande  et  la  qualifier  comme  elle  le  mérite.  Nous  ne  les  em- 
ploierons pas,  nous  préférons  fermer  le  livre  et  conseiller  aux  chercheurs 
sérieux  de  ne  pas  l'ouvrir. 

G.  D. 


Les  Parias  de  France  et  d'Espagne  (Gagots  et  Bohémiens),  par 
V.  DE  Rochas.  Paris,  Hachette  et  G%  ^1876,  308  p. 
Sous  ce  titre  engageant  se  trouvent  réunis  deux  mémoires  publiés 
dans  le  Bulletin  de  la  Société  des  sciences,  lettres  et  arts  de  Pau  (11^  sér., 
1875-76);  l'un  sur  les  Gagots,  l'autre  sur  les  Bohémiens.  Il  y  a  si  peu 
de  liens  entre  ces  deu::  parties  de  l'ouvrage  et  la  seconde  est  si  infé- 
rieure à  la  première  que  l'auteur  aurait  dû  se  borner,  suivant  nous,  à 
exposer  ses  recherches  sur  les  Gagots.  Le  livre  y  eût  gagné  l'unité  qui 
lui  manque  et  n'eût  rien  perdu  de  l'intérêt  et  de  la  nouveauté  qui  le 
signalent  à  l'attention  des  érudits  et  des  curieux. 

En  effet,  les  90  pages  consacrées  aux  Bohémiens  (p.  216-306)  ne  con- 
tiennent guère  qu'un  résumé  incomplet  et  assez  confus  des  travaux 
historiques  et  linguistiques  qui  ont  été  publiés  sur  la  question.  Notons 
cependant  les  observations  personnelles  de  M.  de  Rochas  sur  les  Casca- 
rots  ou  Bohémiens  du  pays  basque  (p.  249-267).  Il  conclut  que  le  Bohé- 
mien n'est  pas  indisciplinable,  qu'il  a  fait,  au  point  de  vue  des  mœurs 
et  de  l'instruction,  un  progrès  réel,  mais  que,  pour  achever  de  le  régé- 
nérer, il  faudrait  proposer  autre  chose  que  des  mesures  de  rigueur. 
Quant  à  la  langue  romani,  parlée,  dans  certaines  circonstances,  par  les 
Gascarots,  il  reconnaît,  avec  MM.  Francisque  Michel  et  Baudrimont, 
dont  la  compétence  en  basque  lui  paraît  suffisante,  qu'elle  est  un  com- 
posé de  mots  basques,  espagnols  et  français  (p.  253).  Peut-être  serait-il 
nécessaire,  à  notre  avis,  que  l'étude  de  ce  langage  hybride  fût  reprise 
avec  soin  et  méthode  par  des  linguistes  plus  sérieux.  —  Le  chapitre 
relatif  aux  gitanos  du  Roussillon  et  de  l'Espagne  (p.  270-305)  renferme 
quelques  citations  intéressantes  de  Jaubert  de  Réart  sur  les  Bohémiens 
des  Pyrénées-Orientales  et  de  la  Gatalogne,  mais  l'auteur  touche  à 
peine,  en  dépit  du  titre  de  son  livre,  à  l'histoire  des  Bohémiens  d'Es- 


30G  COMPTES-RENDUS    CUITIQDES. 

pagno  qui  mériterait  dos  recherches  spéciales  et  de  longs  développe- 
ments. 

Nous  avons  hâte  d'arriver  à  la  partie  originale  de  l'ouvrage,  c'est-à- 
dire  à  celle  qui  traite  des  Cagots  (p.  11-211).  Cette  curieuse  question 
d'histoire  et  de  médecine  n'avait  pas  été  examinée  jusqu'ici  d'une  façon 
aussi  complète,  avec  des  données  aussi  nombreuses  et  aussi  sûres. 
M.  de  Rochas  a  tiré,  sans  doute,  grand  profit  du  livre  de  M.  Fran- 
cisque Michel  sur  les  races  maudites  de  France  et  d'Espagne;  mais 
aux  renseignements  historiques  qu'il  y  a  puisés,  il  a  pu  joindre  les 
observations  médicales  qu'il  a  faites  lui-même  pendant  trois  ans,  dans 
les  vallées  françaises  et  navarraises  des  Pyrénées,  en  étudiant  certaines 
agglomérations  de  Cagots.  De  plus,  des  recherches  consciencieuses  aux 
archives  de  Paris,  de  Pau  et  de  Pampolune  lui  ont  permis  d'employer 
des  documents  restés  jusqu'ici  inaperçus  et  qui  jettent  une  vive  lumière 
sur  l'état  physique  et  la  condition  sociale  de  ces  parias  pendant  toute  la 
durée  du  moyen  âge. 

Le  premier  chapitre  où  il  s'agit  de  la  lèpre  et  des  lépreux  en  général, 
était  une  introduction  naturelle,  mais  il  ne  nous  apprend  rien  de  nou- 
veau. L'auteur  aurait  pu  consacrer  quelques  lignes  de  moins  à  la  des- 
cription de  la  maladie  de  Job,  et  emprunter  d'intéressants  détails  à  la 
consciencieuse  brochure  de  Buvignier  sur  les  Maladrcries  de  la  cité  de 
Verdun  (Metz,  1862)  où  la  même  question  est  traitée  au  point  de  vue 
historique  et  médical.  Est-ce  bien  l'éléphantiasis  qui  répond  toujours 
à  la  maladie  appelée  lèpre  au  moyen  âge?  Il  est  très-probable  qu'on  a 
appliqué  ce  nom  à  toutes  les  maladies  de  la  peau,  considérées  toujours 
alors,  à  tort  ou  à  raison,  comme  fort  graves  et  contagieuses,  et  que 
tous  les  malades  renfermés  dans  les  2,000  léproseries  de  la  France  du 
xm«  siècle  n'étaient  pas  atteints  d'éléphantiasis.  Nous  ne  sommes  pas 
non  plus  d'accord  avec  l'auteur  quand  il  avance  que  les  ladres  deve- 
naient plus  odieux  au  peuple  et  étaient  soumis  à  des  règlements  plus 
rigoureux  à  mesure  que  leur  nombre  augmentait.  Nous  croyons  au 
contraire  avec  M.  Giry  (Revue  critique,  27  mai  1876,  p.  359)  que  la 
condition  des  lépreux  varia  suivant  les  siècles  et  que  la  législation  de- 
vint plus  dure  pour  eux  lorsque  la  lèpre,  grâce  aux  progrès  de  l'hygiène, 
délaissa  les  classes  aisées  pour  ne  plus  attaquer  que  les  pauvres,  les 
juifs  et  les  mendiants.  —  Les  détails  consacrés  aux  parias  du  Béarn, 
successivement  appelés  mezegs,  crestiaas,  cagots,  sont  en  revanche  tout 
à  fait  neufs  (ch.  II).  M.  de  R.  réussit  à  montrer  que  la  condition  de  ces 
malheureux  est  à  peu  près  la  même  que  celle  des  lépreux  ;  comme  ces 
derniers,  ils  ne  sont  pas  appelés  en  témoignage,  sont  exemptés  de. la 
taille,  sont  réunis  en  communauté  dans  un  quartier  isolé,  sont  placés  sous 
la  juridiction  ecclésiastique,  etc.  Mais  des  documents  béarnais  prouvent 
qu'ils  n'étaient  pas  condamnés  au  seul  métier  de  charpentier,  comme  on 
l'a  admis  jusqu'ici.  Ils  pouvaient  posséder  des  biens,  en  disposer,  exercer 
la  médecine  et  même  la  banque  (p.  45).  Les  Gafets  ou  Gahets  de  la 
Guyenne  (p.  61-70),  les  Capots  des  Landes  et  du  Languedoc  (p.  71-77), 


V.    DE    ROCHAS    :    LES    PARUS    DE    FRANCE    ET    d'eSPAGNE.  397 

les  Cacous  ou  Caqueux  de  la  Bretagne  (p.  80-99),  les  Gafos  ou  Agotes  de 
la  Navarre  espagnole  (p.  103-125)  sont  tout  à  fait  assimilables  aux  Ca- 
gots  béarnais.  Gomme  eux,  ils  ne  se  distinguent,  ni  par  les  caractères 
physiologiques,  ni  par  la  langue,  des  populations  au  milieu  desquelles 
le  préjugé  leur  fait  encore,  sur  plusieurs  points  du  territoire,  une  place 
à  part,  M.  de  R.  nous  donne  (p.  126-167)  les  résultats  de  l'examen  mé- 
dical auquel  il  a  soumis  les  familles  de  Cagots  qui  subsistent  encore 
aujourd'hui  sur  les  deux  versants  des  Pyrénées;  et  sa  conclusion  est  la 
même  que  celle  des  médecins  instruits,  tels  que  Palassou,  qui  ont 
traité  la  même  question;  c'est  que  les  Cagots  ne  sont  pas  affectés  de 
crétinisme,  comme  le  dit  encore  M.  Littré  dans  son  Dictionnaire,  et 
qu'ils  ne  sont  sujets  à  aucune  infirmité  particulière. 

Si  les  cagots  ne  sont  pas  répandus  exclusivement  dans  le  Midi,  mais 
se  trouvent  aussi  dans  toute  la  France  de  l'Ouest,  si  leur  condition 
n'offre  absolument  rien  de  spécial,  au  point   de  vue   physiologique 
comme  au  point  de  vue  linguistique,  les  théories  bien  connues  qui  les 
font  descendre  des  Goths,  des  Sarrasins,  ou  des  réfugiés  espagnols  éta- 
blis en  France  après  Roncevaux,  ne  reposent  plus  sur  aucun  argument 
valable.  L'opinion,  fort  accréditée  au  moyen  âge,  qui  voit  en  eux  les 
débris  de  la  secte  albigeoise  ne  se  soutient  pas  davantage,  car  on  devrait 
rencontrer,  surtout  dans  le  Languedoc,  un  grand  nombre  de  ces  petites 
communautés  de  cagots;  ce  qui  n'est  pas.  M.  de  R.  fait  aisément  jus- 
tice de  tous  ces  systèmes  (p.  170-184)  et  leur  substitue  le  sien  qui, 
sans  contredit,  explique  mieux  les  faits.  Les  termes  de  crestiaa  ou 
chrestiaa  (chrétien),  gafets,  gafos,  cacous,  sont,  dans  les  anciens  textes, 
synonymes  de  lettre,  mesel  (ou  meseg  en  gascon)  ou  lépreux,  et  s'appli- 
quèrent, soit  aux  malades  atteints  d'une  lèpre  caractérisée,  soit  à  ceux 
qui  étaient  simplement  suspects.  Les  chrestiaas  béarnais  du  xiv^  siècle 
n'étaient  plus  lépreux,  mais  n'étaient  pas  non  plus  absolument  sains 
(p.  190).  Ils  étaient  sans  doute  affectés  de  la  lèpre  blanche  ou  leucé, 
maladie  peu  grave  qui,  plus  tard,  se  transforma  simplement  en  albi- 
nisme (p.  199)  ou  disparut  complètement.  Les  cagots  du  siècle  dernier 
et  d'aujourd'hui  ne  sont  donc  que  les  descendants,  vrais  ou  réputés, 
des  lépreux;  et  le  préjugé  qui  subsista  contre  eux  jusqu'à  nos  jours 
s'explique  naturellement  par  la  croyance  générale  à  l'hérédité  de  la 
lèpre  et  par  l'espèce  d'ostracisme  dont  les  familles  des  lépreux  étaient 
frappées  par  l'opinion  (p.  209).  Mais  pourquoi  les  cagots  sont-ils  seule- 
ment signalés  dans  la  France  du  Sud-Ouest  et  de  l'Ouest?  L'auteur 
affirme,  mais  sans  appuyer  suffisamment  son  dire,  que  la  lèpre  blanche 
a  affecté  plus  particulièrement  les  provinces  occidentales  (p.  208)  et 
que,  dans  les  temps  anciens,  l'Aquitaine  a  été  un  des  pays  les  plus 
éprouvés  par  la  véritable  lèpre.  Il  y  a  là  une  question  à  éclaircir.  L'hy- 
pothèse de  M.  de  R.,  toute  vraisemblable  et  satisfaisante  qu'elle  paraisse 
en  général,  laisse  subsister  bien  d'autres  points  obscurs.  On  se  demande 
par  exemple,  pourquoi,  en  Béarn,  où  les  établissements  des  chrestiaas 
sont  indiqués  avec  soin  dans  un  dénombrement  du  xiv"  siècle,  on  n'en 


3«)S  flOMPTES-UENDUS    CIUTIQDES. 

triMivf  pas  dans  les  localités  dos  {^randos  vallées  pyrénoonnos.  Enfin  les 
étyniolo^ips  données  par  l'autour  dos  tormes  désignant  los  descendants 
des  lépreux  ne  sont  pas  toutes  satislaisantos.  On  peut  accepter  son 
explication  de  (lafo,  gafct  (p.  185)  et  de  chrestiaa  (p.  187);  mais  le  mot 
cagot  attend  une  interprétation.  C'est  déjà  un  progrès  que  de  n'y  plus 
voir  les  caas  gots  ou  «  chiens  Gots  »  des  anciens  historiens  méridio- 
naux. Cependant  nous  doutons  fort  que  la  présence  du  mot  cacod 
ou  cacodd  avec  le  sens  de  lépreux  dans  los  dictionnaires  hretons  de 
BuUet,  de  Court  de  Géhelin  et  de  Rostrenem  (tristes  autorités  pour  nos 
celtistes)  soit  une  preuve  convaincante  que  les  Cagots  de  Béarn  et  les 
Cacous  de  Bretagne  doivent  leur  nom  à  un  radical  celto-breton  (p.  193). 
Le  mot  Cacous  n'apparait  pas  plus  anciennement  dans  les  textes  que  le 
mot  Cagot,  c'est-à-dire  avant  le  xv«  siècle.  S'il  fallait  se  prononcer  dans 
la  question,  nous  rattacherions  plus  volontiers  Cacous  et  Cagot  au  mot 
cagoule  (cuculla),  par  une  interprétation  semblable  à  celle  qui  fait  venir 
Capot  de  cape,  cagous  ayant  été  employé  pour  désigner  les  archi-sup- 
pôts  revêtus  de  la  cagoule,  et  l'obligation  de  se  signaler  par  une  cape 
de  couleur  voyante  ayant  été  longtemps  imposée  aux  lépreux  et  aux 
quasi-lépreux.  Mais  ceci  à  titre  de  simple  conjecture.  Ces  réserves  faites, 
reconnaissons  que  M.  de  Rochas  a  trouvé,  au  problème  si  controversé 
de  l'origine  des  Cagots,  une  solution  naturelle  et  parfaitement  accep- 
table qui  doit  jusqu'à  nouvel  ordre  s'imposer  à  la  science  et  remplacer 
avec  avantage  les  hypothèses  plus  ou  moins  ingénieuses,  mais  peu  sou- 
tenables,  émises  jusqu'ici  sur  la  question. 

A.   LUCHAIRE. 


Histoire  de  la  Confédération  suisse,   par  L.   VuLLlEMIN.  II.   Des 

commencements  de  la  Réforme  à  notre  temps.  Lausanne,  Bridel, 
^876,  403  p.  in-^2.  Prix  :  3  fr.  50  c. 

On  a  rendu  compte,  dans  un  des  précédents  volumes  de  la  Revue,  de 
la  première  moitié  de  cet  abrégé  de  l'histoire  helvétique.  Nous  pouvons 
donner  à  ce  second  volume  les  éloges  que  méritait  son  prédécesseur. 
M.  V.  a  su  réunir  dans  un  volume  de  médiocre  étendue  les  faits  les  plus 
importants  du  passé  delà  Suisse  pendant  les  trois  derniers  siècles.  L'au- 
teur est  protestant  et  cela  se  devine  à  son  récit  de  la  Réforme  au  xvi«  s., 
mais  il  s'est  efforcé  de  conserver  une  impartialité  complète  dans  le 
tableau  des  longues  et  sanglantes  querelles  religieuses  qui  ont  désolé 
la  Confédération  de  1529  à  1847.  Gà  et  là  quelques  développements  au- 
raient pu  être  retranchés  ^,  et  remplacés  par  quelques  détails  plus  spé- 
ciaux. En  certains  chapitres  les  recherches  modernes  auraient  pu  être 
mieux  utilisées  pour  quelques  traits  du  tableau  2,  mais  l'ensemble  est 

1.  P.  ex.  les  détails  sur  les  guerres  de  religion  en  France. 

1.  Ainsi  les  travaux  si  remarquables  de  M.  Roget  sur  l'histoire  de  Genève  au 
XVI''  siècle;  on  pourrait  aussi  profiler,  dans  une  édition  nouvelle,  de  l'intéressant 
travail  de  M.  Dardier  sur  Esa'ie  Gasc  et  la  révolution  de  1789  à  Genève. 


G.  GLOECKLER  :  DAS  ELSASS.  399 

satisfaisant,  quand  on  [songe  au  but  de  l'autour  et  à  l'étendue  de  l'ou- 
vrage. M.  V.  s'arrête  à  l'année  1848.  Pour  remplir  tout  à  fait  son  pro- 
gramme, il  aurait  bien  fait  d'ajouter  encore  un  chapitre  final,  menant 
Thistoire  de  la  Suisse  jusqu'aux  grandes  luttes  de  la  révision  et  au  vote 
des  réformes  de  1875.  De  la  sorte  il  nous  aurait  donné  un  bon  petit 
manuel  complet  suffisant  à  tous  ceux  qui  veulent  s'orienter  dans  l'his- 
toire de  sa  petite  mais  glorieuse  patrie,  sans  faire  des  études  plus  appro- 
fondies. Une  chose  nous  a  frappé  dans  ce  volume,  c'est  la  singulière 
transformation  de  mots  allemands  qu'on  aurait  fort  bien  pu  rendre  par 
des  expressions  françaises,  comme  le  Strafguéricht,  le  Grabenthoerli- 
thourm,  etc.  A  quoi  bon  surtout  écrire  Tousis,  Wilmergue,  Guigner, 
Sonderbound,  Steiguer,  Gourniquel,  au  lieu  de  Thusis,  Wilmergen,  Gyger, 
Sonderbimd,  Stciger,  Gurnihel,  etc.?  Une  pareille  méthode  s'excuse  dans 
les  contes  d'Erckmann-Ghatrian,  mais  dans  un  ouvrage  historique  on 
ne  sacrifie  pas  l'orthographe  véritable  à  je  ne  sais  quel  besoin  d'eupho- 
nie ou  à  une  attention  délicate  pour  des  lecteurs  peu  familiarisés  avec 
les  idiomes  germaniques. 


Das  Elsass,  Kurze  Darstellung  seiner  politischen  Geschichte,  von 
Ludwig  Gabriel  Glceckler.  Freiburg,  i.  Br.  Herder,  ^876,  xvir, 
245  p.  in- 12.  Prix  :  3  fr. 

Il  est  bien  difficile  d'écrire  une  histoire  générale  d'Alsace,  à  cause  du 
fractionnement  infini  de  son  territoire,  partagé  entre  vingt  princes  et 
seigneurs  divers  et  resté  divisé  jusqu'au  moment  où  l'Alsace  est  venue 
s'absorber  pour  deux  siècles  dans  l'unité  française.  Aussi  la  tâche  n'a- 
t-elle  pas  été  tentée  souvent  et  nous  ne  possédons  à  vrai  dire  que  deux 
histoires  complètes  d'Alsace,  l'une  du  P.  Laguille,qui  date  du  xvni"  siè- 
cle, et  l'autre  de  Strobel,  publiée  il  y  a  trente  ans.  L'un  de  ces  ouvrages 
est  trop  ancien  désormais,  l'autre  trop  long  et  peut-être  un  peu  trop 
diffus  pour  devenir  jamais  d'une  lecture  facile.  Quant  aux  nombreux 
résumés,  soit  français,  soit  allemands,  que  les  dernières  années  ont  vus 
paraître,  aucun  ne  peut  prétendre  à  une  valeur  sérieuse;  ce  sont  des 
compilations  hâtives  et  dont  les  tendances  servaient  à  toutes  autres 
causes  que  celle  de  la  vérité  historique.  L'auteur  du  présent  volume  a 
voulu  donner  au  public  un  résumé  facile  à  lire  de  l'histoire  d'Alsace, 
résumé  qui  fût  à  la  fois  vrai,  lucide  et  court.  11  dit  avoir  rejeté  tout 
appareil  scientifique  afin  que  le  peuple  put  lire  son  ouvrage,  mais  on 
ne  peut  affirmer  qu'il  ait  atteint  le  but.  Au  point  de  vue  de  l'impartialité 
historique,  on  peut  faire  de  nombreuses  objections  à  M.  G.,  qui  paraît 
être,  d'après  une  note  de  la  page  181,  membre  du  clergé  catholique.  Ce 
qu'il  dit  de  l'Inquisition,  de  la  Réforme,  de  la  Saint-Barthélémy,  de  la 
Révolution,  de  Napoléon  I^r,  nous  le  montre  beaucoup  trop  imbu  des 
passions  de  parti  pour  pouvoir  écrire  froidement  l'histoire.  Ce  qu'il 
nous  raconte  des  temps  primitifs  de  l'Alsace,  de  l'époque  mérovin- 


400  COMPTES-RENDUS    CHITIQDES. 

gienne,  etc.  *,  ne  saurait  établir  précisément  que  son  récit  soit  lucide. 
Pour  la  brièveté  du  récit,  il  est  court  sans  doute,  puisque  le  livre  ne 
compte  que  deux  cents  pages  à  peine,  mais  on  y  raconte  une  foule  de 
choses  fort  inutiles  ici,  l'histoire  dos  Assyriens,  de  Gyrus,  des  Romains, 
celle  de  la  France  et  de  l'Allemagne,  tandis  que  des  faits  importants  de 
l'histoire  spéciale  et  locale  sont  passés  sous  silence.  Quant  au  mérite 
d'avoir  écarté  tout  appareil  d'érudition,  je  dois  dire  que  l'auteur  cite  bien 
souvent  du  latin  pour  un  livre  populaire,  et  même  de  l'hébreu  ;  de  plus, 
il  encombre  son  volume  d'une  foule  de  notes  qui  seraient  à  leur  place 
dans  un  récit  plus  développé,  mais  qui  sont  hors  de  proportion  avec  le 
texte  d'un  précis  aussi  maigre  que  le  présent. 

Mais  louons  aussi  ce  qui  doit  être  loué,  c'est-à-dire  l'idée,  que  nous 
voyons  ici  mise  en  pratique  pour  la  première  fois,  de  raconter  l'histoire 
de  l'Alsace  en  suivant  com.me  fil  conducteur,  non  la  série  des  évêques 
de  Strasbourg,  mais  celle  des  ducs  d'Alsace  d'abord,  puis  celle  des 
landgraves  et  plus  tard  des  grands-baillis  ;  ce  procédé,  quelque  extérieur 
qu'il  soit,  permet  au  moins  de  donner  une  certaine  unité  à  l'histoire  de 
la  province  et  mérite  qu'on  l'utilise  dans  un  résumé  du  moins,  car  pour 
une  histoire  plus  détaillée,  il  présenterait  des  inconvénients  d'une  autre 
nature.  Pour  les  tables  généalogiques  qui  terminent  le  volume,  je  ne 
vois  trop  comment  elles  seraient  utiles  au  peuple  et  l'auteur  doit  savoir 
—  je  le  suppose  au  moins  —  que  les  savants  n'ont  que  faire  de  l'arbre 
«  généalogique  »  de  la  race  des  Stichonides,  par  exemple,  dont  les 
personnages  appartiennent  à  la  légende  bien  plus  qu'à  l'histoire.  Je 
n'entre  pas  dans  le  détail  des  observations  particulières;  il  y  aurait  trop 
à  dire  et  pour  un  travail  de  pareille  étendue,  ce  serait  réellement  abuser 
de  l'attention  des  lecteurs. 


Histoire  de  l'Amérique  du  Sud  depuis  la  conquête  jusqu'à  nos 
jours,  par  Alfred  Deberle.  Un  vol.  in-12.  Paris,  Germer-Baillère, 
^876,  i-vi.  ^-384  p.  3fr.  50. 

Il  est  peu  de  sujets  qui  présentent  un  intérêt  aussi  soutenu  que  l'his- 
toire de  l'Amérique  du  Sud.  Voyages  de  découverte,  exploits  et  aven- 
tures des  conquistadores,  massacre  et  oppression  systématique  des  indi- 
gènes, exploitation  inintelligente  des  ressources  du  sol,  et,  de  nos  jours, 
soulèvement  victorieux  et  émancipation  générale  des  colonies  espa- 
gnoles et  portugaises,  c'est  une  succession  variée  de  scènes  dramatiques 
et  de  péripéties  romanesques.   Pourtant  les  historiens  semblent  avoir 

1.  Son  érudition  ressemble  trop  à  celle  du  xvi^  et  du  xvii'  siècles.  Je  n'en  cite- 
rai qu'un  exemple.  Les  descendants  de  Gomer,  fds  de  Japhet,  habitaient  le  nord 
de  l'Alsace.  Parmi  ces  populations  se  trouvaient  les  Triboques,  dont  l'une  des 
villes,  Bouxiviller,  s'appelait  ainsi  parce  que  les  habitants  de  ces  parages  y  bou- 
canaient leur  viande!  (p.  5.) 


A.    «EBEllLE    :    HISTOIRE    DE    l'aME'rIQUE    DU    SUD.  401 

reculé  devant  l'immensité  du  sujet,  et  jamais  encore  l'un  d'entre  eux 
n'a  eu  la  hardiesse  de  l'embrasser  dans  son  ensemble  :  nous  ne  men- 
tionnons en  effet  que  pour  mémoire  l'ouvrage  de  Robertson,  depuis 
longtemps  tombé  dans  le  discrédit  qu'il  méritait  à  tous  égards.  A  l'ex- 
ception de  quelques  chapitres  de  {'Histoire  du  xix^  siècle,  par  Gervinus, 
et  de  l'histoire  universelle  de  Cantù,  ou  bien  encore  de  l'Histoire  du  Bré- 
sil, par  Varnhagen,  nous  n'avons  sur  l'Amérique  du  Sud  que  des  com- 
pilations banales  ou  des  récits  épars,  tantôt  monographies  ou  scènes  de 
mœurs,  tantôt  épisodes  détachés  ou  voyages  trop  souvent  de  fantaisie. 
M.  Deberle  a  donc  été  heureusement  inspiré  en  essayant  de  combler 
cette  lacune.  Mais  il  est  bien  difficile  de  ne  commettre  aucune  erreur 
dans  un  sujet  aussi  vaste  :  M.  D.  n'est  pas  exempt  de  quelques-unes  de 
ces  erreurs.  Nous  nous  permettrons  de  les  lui  signaler  en  étudiant  son 
livre. 

L'Histoire  de  l'Amérique  du  Sud  se  divise  en  deux  parties.  Dans  la 
première  qui  s'étend  de  1492  à  1820  l'auteur  raconte  la  découverte,  la 
colonisation,  l'affranchissement,  et  la  constitution  des  diverses  natio- 
nalités. Dans  la  seconde  il  résume  l'histoire  des  États  Sud-Amé- 
ricains depuis  leur  émancipation  jusqu'à  nos  jours.  Trois  siècles  et 
davantage  d'un  côté,  moins  de  cinquante  années  de  l'autre  ;  peut-être 
M.  D.  a-t-il  trop  développé  l'époque  contemporaine  aux.  dépens  de 
l'histoire  du  Nouveau  -  Monde  avant  la  séparation  des  républiques 
actuelles  d'avec  leurs  métropoles.  Nous  eussions  préféré  plus  de  détails, 
surtout  sur  la  colonisation  de  cet  immense  continent,  et  moins  d'ap- 
préciations sur  les  hommes  du  jour  :  mais  ce  n'est  là  qu'un  défaut  de 
proportion,  et  d'ailleurs  nous  comprenons  très-bien  que  l'histoire  con- 
temporaine présente  à  la  masse  des  lecteurs  un  intérêt  plus  immédiat 
que  l'histoire  des  temps  passés. 

Quelques  remarques  sur  cette  première  partie  :  M.  Deberle  nous 
semble  avoir  passé  bien  légèrement  sur  les  origines.  Pour  lui  l'histoire 
de  l'Amérique  commence  à  Colomb.  Pas  un  mot  sur  les  rapports  vrais 
ou  prétendus  avec  l'Ancien  Monde.  Pas  même  une  allusion  à  l'Atlan- 
tide. Nous  n'ignorons  certes  pas  que  ces  intéressantes  questions  ne 
sont  pas  encore  entrées  dans  le  domaine  de  l'histoire  positive,  mais 
encore  fallait-il  au  moins  dire  quelques  mots  des  Incas  et  de  la  civili- 
sation péruvienne,  des  antiques  monuments  qui  couvrent  encore  le  sol, 
et  des  peuplades  indigènes.  Cette  omission  est  regrettable.  M.  D.  la 
réparera  sans  doute  quand  il  publiera  la  seconde  édition  de  son 
livre. 

Quel  est  donc  «  ce  capitaine  de  la  marine  dieppoise  »  (p.  2),  (jui  au- 
rait découvert  le  Brésil  avant  les  Portugais,  et  peut-être  même  l'Amé- 
rique avant  Colomb?  Dans  un  ouvrage  consacré  à  l'histoire  de  l'Amé- 
rique du  Sud,  et  écrit  par  un  Français,  le  Dieppois  Jean  Cousin  aurait 
dû  être  cité  autrement  que  par  allusion. 

P.  4.  M.  D.  parle,   non  sans  raison,  de  la  science  et  du  génie  de  Co- 
lomb.  Pourquoi  donc  quelques  pages  plus  loin   (p.  17),  l'accable-t-il 
Rev.  Histor.  "V.  2*^  FASC.  26 


Î02  f.OMPTES-HK\I)lIS    CllFTIQUES. 

ilaccusalions  pou  mt'riU'cs  ot  lui  dcuie-l-il  ce  y  à  nie  qu'A  lui  accordait  si 
lihcralomont  tout  à  l'heure? 

P.  IG.  Améric  Vespuce  n'a  jamais  «  en  qualité  de  pilote  accompagné 
Golonil)  dans  un  de  ses  voyages.  »  En  1490,  Vespuce  était  commis  d'une 
grande  maison  de  commerce  fondée  à  Séville,  en  1486,  par  le  l^'lorontin 
Juanoto  Berardi;  en  1495,  à  la  mort  de  Dcrardi,  on  lui  conlia  la  direc- 
tion ou  simplement  la  comptabilité  de  l'établissement.  Dos  documents 
aythontiquos,  les  bordereaux  des  comptes  sur  les  frais  d'armement  des 
Hottes  de  l'Inde,  conservés  dans  les  Archives  de  la.  Casa  de  Contratacion 
à  Séville,  démontrent  qu'à  ce  titre  de  chef  comptable  il  fut  chargé  de 
l'armement  dos  navires  destinés  à  la  troisième  expédition  de  Colomb,  et 
qu'il  fut  occupé  à  cette  besogne  depuis  le  11  avril  1497  jusqu'au  départ 
de  Colomb  le  30  mai  1498,  mais  il  resta  en  Espagne,  et  ne  fut  jamais  un 
des  pilotes  de  Colomb.  Lorsque  plus  tard  il  prit  la  mer  à  son  propre  compte, 
on  ne  sait  même  pas  quelle  était  sa  position  réelle,  pilote,  astronome 
ou  marchand. 

P.  43.  Villogaignon,  et  non  Villegagnon,  ne  se  fit  jamais  appeler  roi 
d'Amérique.  Ce  furent  ses  ennemis  qui,  dans  les  nombreux  pamphlets 
qu'ils  publièrent  contre  lui,  l'atïublèrent  de  ce  surnom.  Nous  avons 
eu  entre  les  mains,  à  la  bibliothèque  de  Genève,  une  lettre  auto- 
graphe de  Villogaignon  à  Calvin,  sur  les  marges  de  laquelle  un  calvi- 
niste avait  écrit,  en  face  du  nom  du  vice-amiral,  dictus  rex  Americae, 
mais  la  signature  porte  simplement  :  Nicolas  Durand  de  Villogaignon, 
sans  aucun  titre.  Aussi  bien  M.  D.  semble  n'avoir  étudié  que  super- 
ficiellement cet  épisode  de  notre  histoire  coloniale.  Ainsi  il  croit  que  Bois 
le  Comte  fonda  une  nouvelle  colonie  dans  la  baie  de  Rio  dès  1559;  mais 
Bois  le  Comte  n'était  que  le  lieutenant  de  Villogaignon  et  il  résida  dans 
l'ile  aux  Français  et  au  fort  Coligny  même  après  le  retour  de  Villogaignon 
en  Franco;  c'est  seulement  en  mars  1560  que  les  Portugais  s'empa- 
rèrent par  surprise  de  nos  établissements  et  forcèrent  Bois  le  Comte  à 
se  réfugier  sur  le  continent.  Enfin  les  Français  furent  si  peu  «  complète- 
ment écrasés  en  janvier  1567  »  qu'en  1571  le  pirate  Jean  Capdeville 
s'emparait  d'une  flotte  portugaise,  et  qu'on  1581  nos  compatriotes 
étaient  encore  installés  à  Parahyba  et  tentaient  une  nouvelle  attaque 
contre  Rio. 

P.  45.  Quel  est  le  Jacques  Riffault  qui  débarque  en  1544  dans  l'ile 
Maranham,  et  en  prend  possession  au  nom  de  la  France?  Nous  ne  con- 
naissons qu'un  Riffault  qui  essaya,  sur  la  fin  du  règne  de  Henri  IV,  de 
fonder  dans  l'ile  de  Maranham  un  établissement  permanent,  mais  il  ne 
mit  à  la  voile  que  le  15  mai  1594  et  nullement  en  1544.  De  plus  ce 
n'est  pas  lui  qui  organisa  l'expédition  de  la  Ravardière,  mais  un  Tou- 
rangeau, nommé  de  Vaux,  qui  avait  vécu  longtemps  parmi  les  Indiens 
et  connaissait  leur  langue  et  leurs  usages. 

M,  D.  a  eu  raison  d'insister  sur  les  odieux  massacres  commis  par  les 
Espagnols.  Il  a  prouvé  que  l'extermination  des  Américains  avait  été 
sinon  commandée,  à  tout  le  moins  tolérée,  et  cela  depuis  le  temps  où 


A.    DEBERLE  :    HISTOIRE    DE    l'aMe'rIQCE    DU    SUD.  403 

les  fonctionnaires  européens  organisaient  deux  grandes  battues  hu- 
maines par  an  jusqu'à  l'année  1800,  époque  à  laquelle  le  gouverneur  de 
Para,  Coutinho,  faisait  fouetter,  puis  noyer  avec  une  pierre  au  cou  la 
sage-femme  Valera  et  deux  de  ses  compagnes,  parce  que  sa  maîtresse 
était  morte  à  la  suite  de  couches  !   Autant  que  personne  nous  protes- 
tons contre  ces  crimes  de  lèse-humanité,  que  l'Espagne  a  d'ailleurs 
rudement  expiés  :  mais  il  faudrait  se  tenir  en  garde  contre  toute  exa- 
gération. Est-il  vrai,  comme  l'affirme  M.  D.  (p.  53),  que  très-peu  de 
naturels  survécurent  à  la  conquête  ?  On  en  trouve  pourtant  encore  dans 
toute  l'Amérique.  Non-seulement  ils  se  sont  maintenus  en  face  des 
conquérants,  mais  encore  sur  certains  points  ils  se  sont  mêlés  à  eux 
et  ont  créé  comme  une  race  nouvelle,  appelée  sans  doute  à  d'impor- 
tantes destinées.  Au  Mexique,  dans  l'Equateur  et  surtout  au  Paraguay 
et  dans  la  Confédération  argentine,  ces  descendants  directs  des  anciens 
possesseurs  du  sol  ont,  à  plusieurs  reprises,  joué  un  rôle  prépondérant, 
et  quelques-uns  d'entre  eux  ont  même  dirigé  les  affaires  publiques.  Ils 
n'ont  donc  pas  si  complètement  disparu  que  veut  bien  le  croire  M.  D. 
Dans  la  seconde  partie  de  l'ouvrage,  l'auteur  prend  les  unes  après  les 
autres  ces  jeunes  républiques,  dont  l'enfantement  fut  si  douloureux,  et 
assiste,  avec  une  sympathie  qu'il  ne  cherche  pas  à  dissimuler,  à  leur 
développement  laborieux  et  à  leurs  progrès  incessants.  Il  est  certain 
que  nous  nous  trouvons  en  face  d'un  des  événements  les  plus  graves  de 
l'histoire  contemporaine.   Un  grand  empire,  le  Brésil,  et  neuf  répu- 
bliques :  Colombie,  Venezuela,  Equateur,  Pérou,  Bolivie,  Chili,  Para- 
guay, Uruguay,  Confédération  argentine,  se  sont  récemment  constitués, 
et,  de  jour  en  jour,  grandissent  en  importance.  Hier  on  protégeait  ou 
on  combattait  ces  jeunes  États;  demain  il  faudra  compter  avec  eux. 
Assurément  les  révolutions  politiques  n'ont  pas  toujours   offert,    au 
Nouveau-Monde,  le  même  intérêt  qu'en  Europe.  Ce  furent  souvent  des 
hommes  médiocres  qui  se  ruèrent  à  la  curée  du  pouvoir,  et  se  livrèrent, 
en  vertu  d'idées  mal  comprises,  des  combats  acharnés;  mais,  comme 
le  dit  fort  bien  M.  D.  (p.  112)  :  «  Avant  de  juger  ces  nations  turbu- 
lentes et  encore  inexpérimentées,  il  faut  songer  à  l'état  d'ignorance  et 
d'abaissement  dans  lequel  l'Espagne  avait  systématiquement  tenu  ses 
tributaires,  aux  cruels  embarras  financiers  qu'elle  leur  avait  légués... 
et  au   trouble  des  esprits,  abaissés  par  une  longue  oppression  et  peu 
faits  encore  à  l'exercice  paisible  de  la  liberté.  » 

Aussi  bien  il  ne  faut  pas  croire  qu'aucun  des  fondateurs  de  la  liberté 
américaine  ne  mérite  nos  sympathies,  ni  que  ces  luttes  mesquines  ou 
ridicules  n'aient  abouti  à  aucun  résultat.  Était-ce  un  héros  vulgaire  ce 
Bolivar  qui ,  constamment  battu  par  les  Espagnols,  se  relevait  plus 
ardent  après  chaque  défaite,  et  ne  demandait  pour  récompense  à  ses 
compatriotes  que  la  promesse  de  rester  toujours  unis?  Sur  quel  patron 
était-il  taillé  ce  Paez,  qui  est  aujourd'hui  passé  à  l'état  de  personnage 
légendaire  :  «  Il  chassait  l'infanterie  espagnole  en  lâchant  sur  elle  des 
bœufs  sauvages,  et  incendiait  les   steppes  pour  arrêter  la  poursuite 


/lO-î  COMPTKS-HEXDl'S    rRrTFQDES. 

(p.  101).  »  Il  prenait  des  canonnières  à.  la  nage  avec  ses  cavaliers,  et, 
de  sa  terrible  lance,  tuait  jusqu'à  quarante  ennemis  dans  la  mêlée! 
Que  dire  de  Francia,  ce  Louis  XI  du  Paraguay,  qui,  tout  en  courbant 
ses  sujets  sous  le  joug  d'un  despotisme  effréné,  trouvait  moyen  de  les 
civiliser  et  de  les  cnricbir?  Que  dire  encore  de  Lopoz  qui  lutta  jus(iu'à 
la  dernière  heure  pour  l'indépondance  de  son  pays,  et  dont  la  mort 
liéroiquc  rachète  toutes  les  fautes?  Les  femmes  elles-mêmes  ne  man- 
quent pas,  depuis  Gypriana  de  Vivanca,  qui,  armée  de  sa  jeunesse  et  de 
sa  beauté,  entraîne  à  sa  suite  toute  une  armée  et  donne  à  son  mari  la 
présidence  du  Pérou,  jusqu'à  Elisa  Lyncli,  qui  combattit  aux  côtés  de 
Lopez,  et  partagea  sa  bonne  ou  sa  mauvaise  fortune. 

Quant  aux  événements,  a-t-on  vu  bien  souvent  dans  l'histoire  des 
insurrections  courir  au  combat,  comme  le  firent  les  Chiliens,  armés  de 
jougs  de  bœuf  et  de  canons  de  bois  ;  ou  bien  des  vieillards  mourir  de 
joie  et  des  hommes  dans  la  force  de  l'âge  devenir  fous  en  apprenant  la 
victoire  de  Maypo?  Et  la  guerre  du  Paraguay,  et  le  bombardement  de 
Valparaiso?  M.  D.  a  donc  raison  de  l'affirmer,  il  est  peu  d'histoires 
aussi  intéressantes. 

Trois  idées  générales  se  dégagent  de  la  lecture  de  cette  seconde  par- 
tie :  1°  tous  les  États  Sud-Américains  sont  en  progrès  continus;  2°  les 
seuls  obstacles  à  ce  progrès  sont  la  dictature  militaire;  et  3°  l'influence 
cléricale.  Nous  ne  pouvons  que  souscrire  aux  deux  premiers  de  ces 
jugements.  Nous  ferons  nos  réserves  sur  le  troisième. 

11  est  certain  que  les  États  Sud- Américains,  à  l'exception  de  la  Boli- 
vie qui  n'a  pas  encore  réussi  à  .se  dégager  de  la  période  troublée  de 
l'organisation  et  du  Paraguay  écrasé  par  une  injuste  coalition,  n'ont  pas 
cessé  de  grandir  depuis  un  demi-siècle.  Population,  richesses,  instruc- 
tion, tout  se  développe  à  la  fois.  Les  Colombiens  n'étaient  que  800,000 
en  1810  :  ils  sont  aujourd'hui  plus  de  3,000,000,  dont  1,200,000  blancs, 
et  le  chiffre  de  leurs  opérations  commerciales  a  décuplé.  L'Equateur 
entre  à  peine  dans  la  voie  du  progrès  économique,  mais  on  peut  pré- 
voir qu'il  deviendra  un  des  États  les  plus  prospères  de  la  jeune  Amé- 
rique, et  nous  n'oublierons  jamais  qu'au  lendemain  de  nos  désastres  les 
Équatoriens ,  bien  qu'éprouvés  par  le  terrible  tremblement  de  terre 
de  1869,  nous  envoyèrent  25,000  francs  pour  la  libération  du  terri- 
toire. La  Confédération  argentine  et  le  Pérou  grandissent  également. 
Ce  dernier  État  a  doublé  sa  population  depuis  1820;  le  Chili  et  le  Brésil 
l'ont  quadruplée.  Ce  sont  là  des  signes  non  équivoques  d'amélioration. 
M.  D.  affirme  que  ces  progrès  sont  dus  au  principe  républicain.  «  Elles 
ontconservé,  dit-il  (p.  366),  une  foi  profonde  en  leurs  ressources  propres, 
elles  n'ont  point  recherché  de  sauveur  impérial  ou  royal,  elles  ne  se 
sont  point  données  à  titre  perpétuel  à  tel  ou  tel  individu  et  ne  doivent 
qu'à  elles  seules  la  gloire  d'avoir  pu  triompher  des  périls  où  l'inexpé- 
rience précipite  les  peuples  au  berceau.  »  Rien  n'est  plus  vrai;  mais  il 
ne  faudrait  pas  oublier  que  le  Brésil  à  côté  d'elles  grandit  et  se  déve- 
loppe également,  bien  que  le  Brésil  soit  un  empire.  Cette  prospérité 


A.    DEBERLE    :    HISTOIRE    DE    l'aMÉRIQUE    DU    SUD.  405 

nul  ne  peut  la  nier,  pas  môme  M.  D.,  qui  pourtant  semble  en  être 
jaloux.  «  Il  serait  grand  temps,  écrit-il  avec  amertume  (p.  252),  que 
l'Amérique  républicaine  fasse  entendre  sa  protestation  contre  l'ingé- 
rence du  Brésil  monarchique.  »  Et  ailleurs  (p.  369)  :  «  L'hostilité  d'un 
voisin  redoutable,  le  Brésil,  pays  d'esclavage  et  toujours  prêt  à  s'agran- 
dir à  leurs  dépens,  n'a  pas  peu  contribué  à  rendre  difficile  l'enfante- 
ment des  nationalités  Sud-Américaines.  » 

Si  nous  trouvons  M.  D.  sévère  dans  son  appréciation  du  Brésil,  nous 
lui  donnerons  pleinement  raison'quand  il  affirme  que  la  dictature  mili- 
taire ne  convient  pas  à  ces  jeunes  États.  Aucun  d'entre  eux,  il  est  vrai, 
n'a  encore  subi  les  quatre  cents  pronunciamientos  du  Mexique,  mais  il 
est  tel  d'entre  eux,  le  Pérou  ou  la  Bolivie  par  exemple,  dont  l'histoire 
est  un  imbroglio  de  trahisons,  de  crimes,  d'assassinats  dus  à  ces  chefs 
militaires,  «  héros  empanachés  qui  paraissent  un  moment  sur  la  scène, 
et  sont  fusillés  à  leur  tour  (p.  332).  »  Il  est  grand  temps  pour  ces  jeunes 
nations  que  l'élément  civil  prenne  le  dessus  sur  l'élément  militaire. 
Cela  est  tellement  vrai  que  partout  où  les  Sud-Américains  ont  eu  le 
bon  sens  de  confier  leurs  destinées  à  de  véritables  administrateurs,  du 
jour  au  lendemain  leurs  pays  se  sont  transformés.  Souhaitons  donc  à 
ces  jeunes  républiques  qu'elles  se  décident  à  exclure  définitivement 
l'élément  militaire  qui  leur  a  été  si  fatal. 

Reste  un  troisième  point  fort  délicat  à  traiter.  M.  D.  prétend  que 
l'influence  cléricale,  plus  encore  que  la  dictature  militaire,  a  été  et  est 
encore  funeste  aux  États  Sud-Américains.  Certes  nous  savons  comme 
lui  «  que  les  missionnaires  du  Paraguay  n'ont  pas  été  tendres  pour  les 
indigènes  (p.  71),  »  et  que  les  bénéfices  que  «  les  Jésuites  tirèrent  de 
leurs  établissements  furent  énormes  (p.  76).  »  Nous  savons  aussi  que 
les  passions  religieuses  ne  sont  pas  encore  éteintes  dans  plusieurs  de 
ces  cités  américaines  longtemps  enférocées  par  l'Inquisition.  Nous  pen- 
sons également  qu'il  vaudrait  mieux  renfermer  le  clergé  dans  l'exercice 
de  ses  devoirs  spirituels,  et  lui  défendre  toute  ingérence  dans  la  poli- 
tique; mais  vraiment  M.  D.  ne  va-t-il  pas  trop  loin  en  prétendant  que 
l'Église  américaine  est  seule  responsable  des  horreurs  de  l'extermina- 
tion des  indigènes.  «  L'Église  catholique  (p.  55),  quoi  que  puissent  faire 
les  auteurs  à  ses  gages,  ne  se  lavera  jamais  de  cette  honte;  elle  fut  en 
toutes  choses  la  grande  inspiratrice  du  pouvoir  civil,  et,  par  consé- 
quent, sa  culpabilité  est  immense.  »  Ne  dépasse-t-il  pas  le  but  quand 
il  affirme  (p.  214)  que  l'ultramontanisme  «  sera  la  plaie  des  républiques 
Sud-Américaines,    )>   et  que  la  Confédération  argentine  en  particulier 
«  sera  rongée  jusqu'à  la  moelle  par  les  Jésuites.  »  Enfin  ne  vaudrait-il 
pas  mieux  laisser  aux  rédacteurs  de  l'ancien  Constitutionnel  ces  phrases 
usées  sur  le  pape  Alexandre  VI  :  «  ce  monstre  infaillible  »  (p.  18),  et 
sur  la  bulle  pontificale  (p.  33),  «  monument  de  scélérate  hypocrisie  sorti 
de  l'officine  papale.  »  L'histoire  ainsi  comprise  devient  du  pamphlet, 
et  M.  Deberle,  par  sa  méthode,  la  clarté  de  son  exposition  et  la  netteté 
de  ses  recherches,  est  un  véritable  historien. 


•506  COMPTES-RENDUS    CRITIQCES. 

Avec  ros  cxagiTations  do  lanpagn  qui  (lisparaîtmnf,  nous  n'on  dou- 
tons lias,  dans  uno  socoudo  (Hlition,  sifïnahuis  encoro  à  M.  D.  doux  co- 
quillos  fàoliousos  :  p.  -21  Casai  pour  Cabrai:  ot  p.  385,  voio  sanitaire 
;iu  Hou  il'iinilairr. 

l'aul  Gafkarel. 


Fontes  Rerum  Bernensium.  Bern's  Geschichtquellen.  Tome  II 
^2^S-^27^.  Berne,  Dalp,  1877.  Un  vol.  in-8"  de  xxviii  et  885  p. 
Prix  :  25  fr. 

Le  volume  que  nous  annonçons  forme  à  la  fois  la  première  livraison 
et  le  tome  deuxième  d'un  vaste  recueil  destiné  dans  le  principe  à  mar- 
quer pour  la  science  le  cinquième  centenaire  de  l'entrée  de  Berne  dans 
la  Confédération  suisse. 

C'est,  en  effet,  à  l'occasion  des  fêtes  de  1853  que  M.  le  chancelier 
Maurice  de  Stùrler  proposa  à  son  gouvernement  de  réunir  en  un  seul 
corps  d'ouvrage  tous  les  documents  relatifs  à  l'histoire  ancienne  de 
Berne.  Le  projet,  renvoyé  à  l'examen  d'une  commission  spéciale,  ren- 
contra dès  le  déhut  un  très-favorable  accueil,  et  le  31  mai  1855,  le 
Conseil  exécutif  de  Berne,  qui  déjà,  quelques  années  auparavant,  avait 
encouragé  l'impression  des  Momiments  de  l'histoire  de  l'ancien  cvêché  de 
Bâle^,  décidait,  par  un  arrêté  fortement  motivé,  la  création  d'un  Codex 
diplomaticus  berncnsis. 

Aux  termes  du  programme  approuvé  par  le  Conseil  exécutif,  ce  Codex 
diplomaticus'^  devait  remonter  à  l'époque  des  plus  anciens  monuments 
de  l'histoire  de  Berne  et  en  continuer  la  publication  jusqu'à  la  Ré- 
forme. «  Il  renfermera,  était-il  dit,  les  inscriptions  et  documents  de 
toute  espèce,  les  fragments  d'annales  et  autres  écrits  semblables  qui 
peuvent  offrir  un  intérêt  historique  ;  des  notices  de  statistique  écono- 
mique puisées  dans  les  registres  de  fiefs  et  les  terriers  ;  des  extraits  de 
chroniques  dont  les  auteurs  ont  été  contemporains  des  faits  rapportés... 
Les  matières  seront  classées  par  ordre  chronologique...  Les  documents 
seront,  autant  que  possible,  reproduits  d'après  les  originaux.  Les  expli- 
cations dont  ils  seront  accompagnés  ne  porteront  que  sur  des  questions 
de  forme.  La  direction  générale  de  l'entreprise  est  confiée  aux  archives 
de  l'État.  Une  commission  de  cinq  membres  est  chargée  de  la  direction 
de  l'ensemble.  Elle  invitera  les  communes,  les  corporations  et  les  par- 
ticuliers à  mettre  à  sa  disposition  les  documents  qu'ils  possèdent.  » 

C'était  là,  est-il  besoin  de  l'ajouter,  un  travail  de  longue  haleine.  Pour- 

1.  Porrentruy,  1852-67;  cinq  volumes  grand  in-8%  terminés,  après  la  mort  de 
M.  J.  Trouillat,  qui  en  fut  le  principal  rédacteur,  par  M.  le  doyen  Vautrey,  de 
Délémont. 

2.  Ce  titre  a  été  depuis  remplacé  par  celui  de  Fontes  rerum  Bernensium,  qui 
exprime  d'une  manière  plus  exacte  la  nature  assez  complexe  du  recueil. 


FONTES   RERDM    BERNENSIUM.  407 

tant,  grâce  au  bon  vouloir  de  toutes  les  personnes  qui  ont  été  appelées 
à  y  prendre  part,  grâce  surtout  au  zèle  persévérant  de  M.  le  chancelier 
de  Stiirler,  les  recherches  préliminaires  furent  assez  vite  achevées,  et 
dès  la  fin  de  1860  la  direction  des  archives  bernoises  se  trouvait  avoir 
réuni  plus  de  2250  documents.  Mais  quand  il  fallut  s'occuper  de  l'im- 
pression, des  difficultés  surgirent,  qui,  pour  être  toutes  matérielles,  ne 
laissaient  pas  d'avoir  une  réelle  gravité.  Bref,  les  années  s'écoulèrent 
sans  que  l'on  vit  rien  paraître,  et  les  méchantes  langues  de  l'endroit  se 
croyaient  autorisées  â  supposer  que  le  grand  œuvre  était  définitivement 
abandonné.  Cette  fois-ci,  cependant,  les  méchantes  langues  en  seront 
pour  leurs  suppositions.  On  a  dû,  il  est  vrai,  ajourner  encore  le  tome  I, 
afin  de  profiter  d'une  édition  critique  des  lois  burgondes.  Mais  abstrac- 
tion faite  de  ce  retard,  le  charme  qui  pesait  sur  l'entreprise  est  désor- 
mais rompu.  La  librairie  Dalp  a  vaillamment  passé  contrat  avec  le 
gouvernement,  et  la  mise  en  vente  du  tome  II  vient  de  prouver 
qu'en  dépit  des  apparences,  «  les  plus  belles  choses  de  ce  monde  » 
n'ont  pas  toujours  «  le  pire  destin.  » 

Cuiqnc  suiim.  Il  n'était  que  juste  de  rendre  à  M.  de  Stùrler  ce  qui 
lui  appartient,  et  d'expliquer  pourquoi  les  FoJitcs  rcrum  bernensium  se 
sont  fait  si  longtemps  attendre.  Quant  au  volume  qui  nous  a  fourni 
l'occasion  de  cette  notice  rétrospective,  nous  pouvons  ce  semble  nous 
dispenser  d'en  parler  longuement.  Les  729  pièces  qu'il  renferme  ne 
sont  pour  nous  qu'en  partie  de  nouvelles  connaissances,  puisque  450 
d'entre  elles  figuraient  déjà  dans  V  Urkundenbuch  de  M.  Zeerleder',  et 
l'exposé,  même  sommaire,  des  questions  qui  s'y  rattachent  serait  ici 
hors  de  place 2.  Ce  que  nous  tenons  néanmoins  à  dire,  c'est  qu'obligé, 
comme  il  l'était,  de  suivre  les  traces  de  son  devancier,  M.  de  Stiirler 
n'a  rien  épargné  pour  répondre  aux  exigences  de  la  critique  moderne. 
Les  pièces  déjà  insérées  dans  le  recueil  de  M.  Zeerleder  ne  sont  pas 
seulement  augmentées  de  documents  de  provenance  diverse^  qui,  pour 
les  dernières  années  du  xiii^  siècle,  en  doubleront  presque  le  nombre; 
elles  ont  été,  de  plus,  comparées,  autant  qu'il  était  possible,  avec  les 
originaux,  tandis  que  M.  Zeerleder  avait  été  souvent  réduit  à  travailler 
sur  des  copies  quelque  peu  inexactes.  Rectification  incessante  des  textes, 
des  noms  et  des  dates,  des  dates  surtout  auxquelles  M.  de  Stiirler  a 
consacré  un  soin  particulier;  restitution,  dans  certains  cas,  d'actes  indé- 

1.  Urkunden  filr  die  GescJiichte  der  Stadt  Bern  und  ihres  friihesten  Gebieb 
bis  zum  Scliluss  des  dreizehnten  Jahrunderts.  Gesammelt  durch  K.  Zeerleder, 
Mitglied  des  Raths  der  Stadt  und  Republik  Bern.  —Berne,  1853-54;  trois  magni- 
fiques volumes  in-4%  publiés  après  la  mort  de  M.  Zeerleder,  par  ses  héritiers. 

2.  Voir,  sur  l'hisloire  de  Berne  durant  le  xin"  siècle,  l'excellent  résumé  que 
M.  de  Stùrler  a  mis  en  tête  de  son  Avant-propos  (p.  iv-vn),  ou  mieux  encore 
l'ouvrage  de  M.  de  Wattenwyl-Diesbach  :  Geschichte  der  Stadt  und  Landschaft 
Bern,  Schaffouse,  1867-72,  2  vol.  in-8°. 

3.  Archives  de  l'État,  ou  de  l'hôpital  de  l'Ile,  à  Berne;  archives  de  Lucerne, 
de  Fribourg,  d'Aarau,  etc. 


408  COMPTES-RENDrs    CRITIQUES. 

pciHlaiils  (|iii^  la  maladrosso  dos  copistos  avait  confondus  on  un  soûl; 
indioalion  plus  prociso  aussi  do  coux  do  ces  actes  qu'il  faut  considérer 
comme  apocryphes'  ou  comme  suspoctsS;  voilà  co  quo  Ton  doit  à  l'ha- 
hile  oditour,  ot  il  n'est  pas  besoin  d'une  étude  bien  approfondie  pour 
reconnaître  la  supériorité  des  Fontes  sur  les  parties  correspondantes  de 
VUrkundenbiich  de  M.  Zeerleder.  — Il  est  cependant  un  point  sur  lequel 
M.  de  Stiirler  nous  permettra  de  lui  adresser  une  légère  critique.  Est- 
ce  la  crainte  de  grossir  outre  mesure  le  volume  qui  lui  a  fait  exclure,  à 
quehiues  exceptions  près,  les  remarques  historiques  propres  à  faciliter 
rintelligence  de  ces  vieux  textes?  Ou  bien  a-t-il  cru,  pour  un  autre 
motif,  devoir  se  conformer  strictement  aux  conditions  du  programme  do 
1855?  Nous  ne  saurions  le  dire,  et  nous  craignons  presque,  on  insistant, 
de  trop  appuyer  sur  l'unique  lacune  de  ce  bel  ouvrage.  Toujours  est-il 
qu'un  commentaire  analogue  à  celui  dont  feu  M.  le  colonel  Wurstem- 
berger  a  jadis  enrichi  le  recueil  de  Zeerleder  aurait  été  très-favorablement 
reçu  do  la  grande  masse  des  lecteurs;  que  ce  supplément  d'informations 
deviendra  plus  nécessaire  encore  dans  les  tomes  subséquents,  où  nous 
n'aurons  plus  pour  nous  guider  la  savante  Histoire  de  M.  de  Watten- 
wyP,  et  qu'enfin,  nul  mieux  que  l'honorable  chancelier  n'est  en  état 
de  nous  le  procurer.  Quand  on  se  rappelle  ce  que  M.  de  Stiirler  a  fait 
pour  les  Documents  de  la  Réformation  bernoise'',  ou  pour  la  corres- 
pondance assurément  moins  difficile  à  suivre  du  général  Brune  et  les 
papiers  relatifs  à  l'invasion  française  de  1798^,  on  ne  peut  que  souhai- 
ter très-fort  de  le  voir  revenir  à  une  méthode  dont  il  nous  a  si  bien 
enseigné  le  prix. 

P.  Vaucher. 


Les  principautés  franques  du  Levant,  d'après  les  plus  récentes 
découvertes  de  la  numismatique,  par  G.  Schldmberger.  Paris, 
Ernest  Leroux,  1877,  in-S»,  VIA  p. 

La  numismatique  des  Croisades  est  un  sujet  trop  plein  d'intérêt  pour 
n'avoir  pas  depuis  longtemps  attiré  l'attention  des  amateurs  et  des  éru- 
dits.  Les  travaux  de  Miinter,  de  Gousinery,  de  MM.  de  Saulcy,  Lam- 
bros,  Friedlinger,  ont  fondé  cette  science  et  lui  ont  donné  un  dévelop- 

1.  C'est  le  cas,  par  exemple,  de  la  fameuse  Handveste  de  1218.  On  sait  au- 
jourd'hui que  cette  charte  prétendue  de  Frédéric  II  date  en  réalité  de  la  fin  de 
l'interrègne,  et  l'on  a  quelques  raisons  de  croire  que  Rodo]i)he  de  Habsbourg  lui- 
même  n'en  ignorait  pas  rinauthenticilé,  lorsqu'en  1274  il  jugea  bon  de  la  confir- 
mer. 

2.  Le  couvent  de  Frienisberg,  en  particulier,  paraît  avoir  été  peu  scrupuleux 
sur  l'article  des  preuves  qu'il  alléguait  à  l'appui  de  ses  prétentions. 

3.  M.  Ed.  de  Wattenwyl-Diesbach,  l'un  des  représentants  les  plus  distingués 
de  l'école  critique,  est  mort  il  y  a  deux  ans,  sans  avoir  dépassé  la  fin  du  xiv^  s. 

4.  Urkunden  der  bernischen  Kirchenreform.  Bd.  I-II,  1.  Berne,  18G2-74. 

5.  Archiv  fiir  Schweizerische  Gesc/iichle,  XII,  XIV  et  XVI. 


G.  SCHLUMBERGER  :  LES  PRINCIPAUTES  FRANQUES  DU  LEVANT.         409 

pement  déjà  considérable.  Los  historiens  des  Croisades  et  des  princi- 
pautés latines  d'Orient  ont  maintes  fois  profité  dos  renseignements  pui- 
sés à  cette  source  et  tels  d'entre  eux,  Buchon,  M.  de  Mas  Latrie, 
M.  Riant,  par  exemple,  en  ont  en  passant  accru  le  volume  par  des 
remarques  précieuses. 

Ce  n'est  pas  seulement  au  point  de  vue  de  l'érudition  pure  que  cette 
étude  est  pleine  d'attrait.  Dans  l'histoire  merveilleuse  de  ces  pièces 
féodales  exilées  et  perdues  pour  ainsi  dire  en  «  terre  d'outremer,  »  dans 
les  types  étranges,  les  légendes  bizarres  qu'ont  choisis  les  conquérants 
des  pays  grecs  et  arabes,  il  y  a  un  côté  poétique  bien  propre  à  frapper 
l'imagination. 

C'est  dans  ce  sens  surtout  qu'est  écrite  la  brochure  de  M.  Schlum- 
berger.  Sans  ajouter  (là  du  moins)  grand'chose  de  nouveau  aux  savantes 
recherches  de  ses  prédécesseurs,  il  a  conçu  le  dessein  de  présenter 
sous  des  couleurs  plus  agréables  les  connaissances  acquises  jusqu'à  ce 
jour  en  cette  matière.  11  a  jeté  les  fleurs  d'un  style  brillant,  mouve- 
menté sur  le  visage  un  peu  rébarbatif  de  l'érudition.. Il  n'a  manqué 
aucune  occasion  de  faire  une  digression  pittoresque.  Non-seulement 
il  a  narré  les  aventures  des  croisés  et  des  princes  dont  il  décri- 
vait les  monnaies,  mais  s'aidant  de  la  plus  fragile  des  transitions  il  a 
dit  les  exploits  ou  les  malheurs  de  ceux  dont  il  ne  reste  aucune  trace 
numismatique.  C'est  ainsi  qu'il  s'est  étendu  sur  la  mort  de  Foulques 
d'Anjou  (p.  32),  sur  les  aventures  d'une  fille  d'Anne  Comnène  (p.  47), 
sur  les  despotes  d'Epire  (p.  66)  et  sur  bien  d'autres  points  qui  n'avaient 
avec  son  sujet  qu'un  rapport  purement  négatif.  En  un  mot  il  a  su  avec 
tact  se  conformer  à  propos  d'érudition  aux  exigences  littéraires  des 
lecteurs  de  la  Revue  des  Deux-Mondes. 

Quant  au  bagage  nouveau  que  M.  Sch.  apporte  ici  pour  l'histoire,  il 
est  assez  mince  à  vrai  dire  et  deux  ou  trois  menus  articles  qu'il  a  pu- 
bliés dans  la  Revue  archéologique  feraient  bien  mieux  notre  affaire.  Il  a 
même  pris  avec  les  résultats  acquis  à  la  science  certaines  libertés,  qui, 
de  la  part  d'un  homme  compétent,  ne  peuvent  guère  s'expliquer 
que  par  cotte  influence  du  milieu  dont  je  parlais  tout   à  l'heure^ 

Il  est  à  regretter  aussi  que  M.  Sch.  n'ait  point  jugé  à  propos  de  men- 
tionner aucune  dos  sources  d'où  sont  tirés  les  faits  qu'il  expose.  Dans 
sa  brochure,  débarrassé  des  exigences  que  proscrit  la  nature  de  certains 
recueils,  il  eût  dû  suivre  la  méthode  qui  s'impose  aujourd'hui  do  don- 
ner avec  soin  l'indication  de  ses  textes. 

Suivant  ce  système  peu  scientifique,  M.  Sch.  n'a  même  pas  jugé 
utile  de  désigner  le  lieu  où  se  trouvent  conservées  les  monnaies  qu'il 


1.  Je  ne  sais  pourquoi  par  exemple  M.  Sch.  attribue  à  Baudoin  I"  la  monnaie 
«  au  guerrier  debout...  tenant  son  epe'e  de  la  main  gauche,  »  et  cela  sans  indi- 
quer auparavant  de  monnaies  plus  anciennes  du  même  prince.  M.  de  Saulcy  en 
avait  décrit  plusieurs,  et  la  monnaie  indiquée  ci-dessus,  il  l'attribuait  avec  toute 
probabilité  à  Baudouin  du  Bourg.  Il  fallait  au  moins  discuter  les  résultats. 


4<0  r.oMPTEs-RExnns  critiques. 

étudie.  G'opI  ainsi  qu'oohappont  à  la  vorification  et  par  conséquoiit  à  la 
confianco  les  quelques  fiiits  nouveaux  contenus  dans  la  brochure  de 
M.  Sch.  Ainsi  il  dit  avoir  rencontré  une  monnaie  de  cuivre  de  Tan- 
crède  portant  cette  légende  extraordinaire  en  has-grec  :  «  Le  grand  émir 
Tancrède.  »  M.  Sch.  ne  décrit  pas  cette  pièce,  il  n'en  donne  aucune 
reproduction,  il  avoue  même  qu'une  portion  de  la  légende  est  effacée 
précisément  à  l'endroit  où  se  trouvent  les  premières  lettres  du  nom  du 
prince.  En  présence  d'une  absence  aussi  complète  de  renseignements 
précis  peut-on  accepter  à  la  légère  le  fait  qu'il  affirme  d'une  monnaie 
frappée  par  Tancrède  ou  par  quelque  autre  croisé  sous  le  titre  d'émir. 

Je  dois  mentionner  comme  très-intéressante  l'explication  que  M.  Sch., 
d'après  M.  Lavoix,  donne  de  l'absence  complète  de  toute  monnaie  d'or 
des  princes  latins  de  Syrie.  Il  paraît  que  cette  lacune,  inexplicable  jus- 
qu'ici a  sa  source  dans  l'emploi  de  besans  sarracénats  souvent  cités  par 
les  chroniqueurs.  Ces  besans  d'espèce  singulière  n'étaient  rien  autre 
chose  que  des  pièces  aux  types  arabes  ou  imitées  de  types  arabes 
frappées  à  Acre,  à  Tyr,  à  Tripoli  par  des  ouvriers  chrétiens.  Recou- 
vertes de  ces  apparences  païennes  ces  monnaies  facilitaient  les 
échanges  entre  les  chrétiens  de  Terre-Sainte  et  les  Arabes  établis  au- 
tour d'eux.  M.  Sch.  a  tiré  de  ce  fait  d'excellentes  considérations  sur 
les  rapports  d'amitié  et  de  commerce  qui  de  bonne  heure  s'établirent 
entre  les  croisés  et  les  musulmans;  rapports  ignorés  par  les  anciens 
historiens  des  Croisades  et  que  les  travaux  modernes  constatent  aujour- 
d'hui de  toutes  parts. 

Il  me  reste  à  indiquer,  pour  en  finir  avec  le  léger  appoint  que  le  tra- 
vail de  M.  Sch.  apporte  à  la  science,  une  monnaie  d'argent  inédite  frap- 
pée à  Chio  vers  1470  au  nom  de  Galéas-Marie  Sforza,  duc  de  Milan  et 
seigneur  de  Gènes  (p.  111);  —  et  enfin  une  monnaie  d'imitation  inédite 
d'après  un  sequin  du  doge  de  Venise  Mocenigo  (p.  119).  Cette  monnaie 
a  amené  M.  Sch.  à  faire  une  digression  sur  les  monnaies  d'imitation 
dans  ces  contrées.  Ce  chapitre  est  un  des  meilleurs  de  l'ouvrage,  et 
c'est  par  cet  éloge  que  je  suis  heureux  de  finir. 

Gabriel  Hanotaux. 


H.   SiMOXSFELD,  Andréas  Dandolo   und   seine   GeschichtSAverke. 
Munchen,  ^876.  ^76  s.  in-8^ 

Les  historiens  allemands  se  sont  plus  occupés  des  sources  extrême- 
ment riches  fournies  par  Venise  à  l'histoire  générale  de  l'Europe  qu'à 
l'histoire  si  intéressante  de  la  ville  des  lagunes.  Si  l'on  fait  abstraction 
de  quelques  publications  importantes  de  Thomas,  membre  de  l'Aca- 
démie des  sciences  de  Munich,  l'époque  contemporaine  n'a  rien  produit  i, 

1.  Les  Byzantinische  Geschichten  de  Gfrœrer,  dont  la  1"  partie  est  consacrée 
à  l'histoire  de  Venise,  contiennent  malheureusement  les  mêmes  défauts  que  les 
autres  ouvrages  de  cet  estimable  érudit. 


G.  DEL  GICDICE  :   GlUDIZIO  E  CONDANNA  DI  CORRADINO.  'tH 

et  cependant  une  histoire  soigneusement  faite  de  Venise  serait  fort 
désirable,  même  après  la  Storia  documentata  di  Venezia  de  Romanin, 
la  meilleure  de  toutes.  Car,  de  l'aveu  général,  l'Histoire  de  Venise  par 
Daru,  autrefois  beaucoup  lue  en  Allemagne,  mais  qui  dans  ses  premiers 
chapitres  est  un  simple  remaniement  de  l'ouvrage  de  Sabellico,  n'a 
aucune  valeur  surtout  pour  la  partie  ancienne. 

L'érudit  que  tentera  l'histoire  des  premiers  temps  de  Venise  trouvera 
désormais  un  utile  secours  dans  la  brochure  de  M.  Simonsfeld  qui  a 
fait  une  étude  minutieuse  des  Annales  du  doge  André  Dandolo,  la 
principale  source  de  l'histoire  vénitienne  au  moyen-âge.  Il  démontre, 
ce  qui  à  vrai  dire  n'est  pas  tout-à-fait  une  découverte,  que  le  texte  de 
ces  Annales  tel  que  le  donne  Muratori  (SS.  XII),  ne  peut  faire  la  base 
d'une  étude  critique,  et,  que  si  l'on  ne  peut  pas  consulter  soi-même  le 
seul  texte  manuscrit  que  l'on  puisse  utiliser  (ms.  de  la  Marciana,  n»  400 
du  catalogue  de  Zanetti),  il  faut  se  résigner  à  attendre  une  nouvelle 
édition.  M.  Simonsfeld  a  eu  l'occasion  de  pouvoir  examiner  tous  les 
mss.  des  œuvres  de  Dandolo,  et  c'est  le  résultat  de  ses  recherches  qu'il 
a  consigné  dans  sa  brochure. 

Ce  travail  se  divise  naturellement  en  deux  parties  :  tout  d'abord  il 
traite  de  la  vie,  puis  des  œuvres  de  Dandolo,  et  enfin  des  Annales,  qui 
en  sont  le  morceau  capital.  Les  deux  premières  de  ces  divisions  ne  nous 
paraissent  pas  satisfaisantes;  sur  la  vie,  le  caractère,  etc.  du  grand 
homme  d'État,  l'auteur  ne  nous  donne  que  des  indications  courtes  et 
superficielles.  Les  questions  très-embrouillées  qui  se  rapportent  au 
nombre  de  ses  œuvres  et  à  leur  étendue  ne  sont  pas  résolues  d'une  façon 
satisfaisante  ;  sur  beaucoup  trop  de  points,  le  doute  subsiste.  Mais  l'étude 
des  sources  des  Annales  est  conduite  avec  beaucoup  de  soin  et  a  produit 
de  bons  résultats,  une  «  analyse  des  sources  «  permet  de  s'en  rendre 
aisément  compte.  Il  n'est  pas  nécessaire  de  faire  remarquer,  à  propos 
d'un  ouvrage  qui  a  été  la  source  du  liber  albiis,  du  liber  blancus  et  du 
6«  livre  des  Statiita  Venetorum,  que  Dandolo  ne  s'est  pas  borné  à 
refondre  des  chroniques  antérieures  plus  ou  moins  dignes  de  foi,  mais 
qu'il  a  fait  passer  dans  son  récit  de  nombreux  actes  authentiques.  C'est 
précisément  ce  dernier  mérite  qui  assure  aux  Annales  leur  haute  valeur 
comme  source  historique,  et  M.  Simonsfeld  rendrait  à  l'historiographie 
italienne  du  moyen-âge  un  grand  service  s'il  nous  en  donnait  une  édi- 
tion vraiment  critique. 

0.  Uartwig. 


Giuseppe  DEL  Giudice,' il  Giudizio   e  la  condanna  di   Corradino; 

osservazloni   critiche  e  storiche,  con  note  e  documenti.   Napoli, 
-I876-,  \ô{  p.  in-4''. 

L'auteur  de  cette  minutieuse  monographie,  bien  connu  de  tous  ceux 
qui  s'intéressent  à  l'histoire  de  l'Italie  méridionale  au  moyen  âge  par 
son  Codice  diplomatico  del  regno  di  Carlo  I  e  II  d'Angià  (Naples,   1863, 


■U2  r.oMPTFs-uENnrs  r.niTiQdEs 

in-tbl.),  avait,  dans  cH  ouvrage  (t.  II,  )).  ■214),  à  l'occasion  d'une  lettre 
du  roi  Charles  l<"-,  exprimé  l'idée  ([ue  le  dernier  rejeton  de  la  race  des 
Ilolienstauteu  n'avait  pas  été  mis  à  mort  à  la  suite  et  on  exécution 
d'un  jugement,  mais  seulement  comme  rebelle  et  comme  coupable  de 
haute  trahison,  d'après  le  droit  sicilien  qui,  dans  ce  cas,  ne  demandait 
l'intervention  d'aucun  tribunal.  En  rendant  compte  du  livre  de  Fr. 
Schirrmacher,  J)ic  Icztcn  Hohenslaiifcn  (GaUtingue,  1871),  l'auteur  du 
présent  article  fut  amené  à  étudier  de  près  la  question.  Dans  une  publi- 
cation hebdomadaire  intitulée:  lin  neuen  Reiche  (1872,  t.  I,  p.  161  et 
suiv.),  il  l'a  examinée  en  détail  après  s'être  livré  à  des  recherches  per- 
sonnelles, et  il  fut  conduit  à  des  résultats  sinon  tout  à  fait  concluants,  du 
moins  conformes  sur  les  points  essentiels  à  ceux  auxquels  est  arrivé 
M.  del  Giudice  lui-même.  Le  présent  livre  qui,  en  général,  s'en  réfère 
au  travail  précédent,  a  dissipé  dans  notre  esprit  les  derniers  doutes 
que  nous  entretenions  encore  sur  la  parfaite  justesse  de  la  thèse  mise 
en  avant  par  M.  del  Giudice.  On  a  trois  récits  indépendants  sur  la  fin 
tragique  de  Gonradin;  ils  se  trouvent  dans  les  œuvres  de  Ricobaldo  de 
Ferrare,  de  Saba  Malaspina  et  de  Bartholomaeus  de  Neocastro;  mais 
ils  ne  sont  pas  d'accord  sur  les  faits  qu'ils  rapportent,  et  les  faits  eux- 
mêmes  pris  isolément  sont  en  contradiction  avec  des  actes  authen- 
tiques. Leur  divergence  est  complète,  notamment  sur  les  débats  judi- 
ciaires qui  auraient  précédé  le  supplice  de  Gonradin.  Le  récit  aujour- 
d'hui généralement  reçu  est  emprunté  à  Ricobaldo  qui  le  tiendrait 
directement  de  Guido  de  Suzara,  un  des  juges  de  Gonradin.  Nous 
croyons  avoir  démontré  (art.  cité)  qu'il  ne  faut  pas  rejeter  absolu- 
ment ce  témoignage  et  M.  del  Giudice  est  tout  à  fait  de  notre  avis. 
Remarquons  de  plus  qu'en  septembre,  au  retour  de  Rome,  le  roi 
Gharles  qualifie  déjà  ses  prisonniers  :  Gonradin,  Frédéric  d'Autriche, 
etc.,  de  condamnés  à  mort  (jam  in  capitali  pena  condempnatos),  et 
qu'à  Naples,  avant  le  supplice,  il  n'y  avait  aucune  procédure  d'enta- 
mée. Suivant  l'opinion  première  exprimée  par  M.  del  Giudice,  l'absence 
de  tout  jugement  serait  rendue  très-probable  par  ce  fait  que  les  riches 
Archives  d'Anjou  à  Naples  ne  contiennent  aucun  document  relatif  à 
ce  procès;  en  outre  d'après  le  droit  sicilien,  il  n'eut  pas  été  nécessaire 
de  renvoyer  devant  un  tribunal  Gonradin  et  ses  compagnons.  Gontre 
cette  opinion  nous  avions  fait  remarquer  que  l'absence  de  documents 
relatifs  à  un  procès  ne  prouve  pas  que  ce  procès  n'ait  pas  eu  lieu,  et 
que  dans  beaucoup  de  cas  on  avait  fait  passer  en  jugement  de  hauts 
personnages  ennemis  du  gouvernement.  Gette  dernière  objection,  nous 
devons  la  retirer  aujourd'hui,  parce  qu'il  y  a  une  grande  différence 
entre  les  cas  que  nous  avions  allégués  et  la  conduite  de  Gonradin  et  nous 
admettons  que  contre  Gonradin  toute  procédure  était  superflue  comme 
contre  un  «  traître  notoire.  »  Gonradin  a  été  mis  à  mort  sans  jugement. 
Les  détails  donnés  par  les  chroniqueurs  sur  de  prétendus  débats  judi- 
ciaires, etc.,  tirent  leur  origine  de  ce  fait  que  les  principaux  seigneurs 
et  les  barons  de  Naples  et  des  villes  voisines  assistèrent  au  supplice  de 


BACHMANN  :    EIN    lAHR    BOEHMISCHER    GESCHICHTE.  413 

Conradin.  Peut-être  Charles  l"  a-t-il  discuté  à  Rome  avec  ses  conseil- 
lers intimes  le  parti  qu'il  fallait  prendre  à  l'égard  des  prisonniers;  il 
ne  pouvait  être  question  dans  ce  conseil  de  les  juger  et  de  les  condam- 
ner selon  les  formes  de  la  justice,  mais  seulement  de  peser  les  raisons 
politiques  qui  dicteraient  la  conduite  royale. 

Cet  ouvrage,  qui  se  perd  un  peu  trop  dans  les  détails,  se  termine  par 
22  chartes  provenant  des  archives  de  Naples  ;  quelques-unes  avaient 
déjà  été  publiées.  Citons  en  particulier  la  lettre  du  pape  Clément  IV 
au  roi  de  Bohème  Ottokar,  publiée  pour  la  première  fois  par  E.  Win- 
kelmann  (Forschungen  zur  deutschen  Geschichte,  xv,  338),  lettre  qui 
semble  avoir  été  rédigée  peu  de  temps  après  qu'on  eut  appris  que  Con- 
radin et  Frédéric  d'Autriche  avaient  été  faits  prisonniers. 

O.  Hartwig. 


Ein  Jahr  bœhmischer  Geschichte.  Georgs  von  Podiebrad  ^V^ahl, 
Krœnung  und  Anerkennung;  von  D^.  Adolf  Bachmann,  privât 
docent  an  der  Prager  Universitset  '.  Wien,  1876. 

C'est  un  chapitre  émouvant  de  l'histoire  de  Bohême  que  traite  le 
présent  travail,  et  sur  lequel  il  donne  d'utiles  éclaircissements.  De  quelle 
manière  l'astucieux  Podiebrad  sut  soumettre  si  complètement  à  son 
influence  le  jeune  roi  Ladislas,  et,  après  la  mort  prématurée  de  ce  der- 
nier, non-seulement  s'emparer  de  la  couronne,  mais  l'affermir  sur  sa 
tête  par  la  force  et  la  ruse,  l'auteur  nous  l'explique  en  grand  détail  en 
s'appuyant  sur  des  documents  encore  inédits.  Les  défauts  de  ce  livre, 
qui  est  écrit  d'un  style  dépourvu  le  plus  souvent  d'élégance  et  çà  et  là 
incorrect,  doivent  être  aussi  peu  dissimulés  que  son  réel  mérite  au 
point  de  vue  des  faits  importants  qu'il  met  en  lumière.  Ainsi  le  jeu 
hypocrite  joué  dès  le  début  par  Podiebrad  dans  ses  rapports  avec  l'Église 
est  très-habilement  dévoilé,  et  l'histoire  de  ses  premières  campagnes 
(contre  la  Moravie  et  l'Autriche)  est  retracée  en  détail,  et  complétée 
dans  ses  parties  essentielles.  La  fameuse  abjuration  qu'il  prononça 
comme  roi  de  Bohème,  le  serment  solennel  qu'il  prêta  lors  de  son  cou- 
ronnement et  qu'il  répéta  par  écrit  trouvent  ici  leur  explication  véri- 
table; et  devant  le  rapport  tout  à  fait  digne  de  foi  du  cardinal  Garvajal, 
on  ne  peut  plus  admettre  les  atténuations  de  Palacky.  Georges,  l'élu 
des  Galixtins,  est  en  réalité  passé  au  parti  de  l'Église  romaine;  on  ne 
saurait  assurer  si  cette  apostasie  fut  sincère  ;  en  tout  cas  on  ne  peut 
voir  en  lui  un  partisan  résolu  des  Utraquistes,ni,  comme  l'a  défini  Max 
Jordan,  «  un  homme  perdu  dans  une  dévotion  profonde  ». 

Qu'on  nous  permette  de  toucher  ici  un  point  que  M.  B.  a  quelque 
peu  laissé  dans  l'ombre.  Il  cherche  à  prouver  la  fausseté  de  l'opinion 

1.  Une  année  de  l'histoire  de  la  Bohême.  George   Podiebrad,  élu,  couronné, 
reconnu  comme  roi. 


444  COMPTES-RENDUS    rRrTIQUES. 

génoralenitMit  admise  suivant  huiucUo,  dans  ï(>ié  de  1458,  l'empereur 
Frédéric  aurait,  pour  faire  pièce  à  sou  frère  Albert,  favorisé  la  marche 
de  Podiebrad  contre  l'Autriche;  d'après  lui  au  contraire,  l'empereur  se 
serait  réconcilié  avec  son  frère,  et  aurait  pris  part  à  la  bataille  livrée 
au  roi  de  Bohème.  Parmi  les  jireuves  dont  il  appuie  sou  opinion,  M.  B. 
cite  un  rapport  anonyme  adressé  de  'Wiencr-Neustadt  à  Albert  de 
Brandebourg,  et  dont  il  doit  la  connaissance  à  M.  le  prof.  Hœfler.  Dire, 
p.  124,  n.  1,  que  ce  document  a  été  trouvé  dans  «  les  archives  »  de  Saxe, 
et  p.  1\Î6,  n.  3,  qu'il  l'a  été  dans  celles  de  Franconie,  n'est  qu'une  inad- 
vertance ;  les  extraits  qu'en  donne  M.  B.  concordent  mot  pour  mot 
avec  une  «  ccdule  »  du  ms.  lat.  de  Munich  n*^  504,  citée  déjà  parVoigt 
(Enea  Silvio  III  435,  n.  1)  mais  dans  un  sens  tout  à  fait  opposé.  Dans 
ce  billet,  qui  du  reste  n'est  pas  adressé  au  seigneur  hrandebourgeois, 
mais  à  un  simple  bourgeois^  on  lit  entre  autres  choses  que  l'empereur 
(ut  fama  fert)  s'est  entendu  personnellement  avec  Podiebrad  pour  pro- 
fiter de  la  situation  désespérée  de  l'Autriche,  qu'on  ne  pourrait  surtout 
raconter  dans  quelles  honteuses  menées  et  dans  combien  d'intrigues 
Frédéric  alors  s'engagea.  Ces  indications  peuvent  fort  bien  s'accorder 
avec  les  indications  contraires  que  fournissent  d'autres  documents,  si 
l'on  admet  que  l'empereur  eut  dans  ces  circonstances  une  politique 
double,  qu'il  la  maintint  en  même  temps  avec  les  deux  partis  et  que 
par  ce  moyen  il  arriva  en  effet  à  son  but  ;  car  pendant  qu'il  partageait 
avec  Podiebrad  les  fruits  de  la  campagne,  son  frère  et  son  allié  prétendu, 
Albert,  dut  en  supporter  tous  les  dommages.  Ni  les  démonstrations  de 
Frédéric  contre  le  roi  de  Bohème,  ni  le  caractère  de  l'empereur  ne 
nous  empêchent  d'admettre  cette  opinion  qui  peut  seule  concilier  les 
textes. 

D''  F.  VON  Bezold. 


L'administration  anglaise  et  le  mouvement  communal  dans  le 

Bordelais.  Les  Anglais  en  Guyenne,  par  D.  Brissaod,  ^  volume 

in-S"  de  vin-303  p.  Paris,  Dumoulin,  ^1876. 

Il  y  a  longtemps  déjà  qu'a  paru  le  livre  de  M.  Brissaud;  néanmoins, 
comme  le  sujet  qu'il  a  traité  est  important  et  que  les  travaux  histo- 
riques sur  les  institutions  municipales  sont  rares  en  France,  on  ne 
nous  saura  pas  trop  mauvais  gré  de  parler  aujourd'hui  d'un  ouvrage 
paru  au  commencement  de  l'année  dernière. 

Ce  travail  cependant,  nous  sommes  contraints  de  le  dire  dès  le  début 
de  cet  article,  ne  tient  pas  tout  ce  que  promet  son  titre.  M.  B.  l'a  divisé 
en  deux  parties.  La  première  (p.  1  à  64)  traite  de  l'organisation  admi- 
nistrative de  la  Guyenne  sous  la  domination  anglaise;  dans  la  seconde, 
de  beaucoup  la  plus  développée,  sept  chapitres  (p.  65  à  241)  sont  con- 
sacrés à  l'histoire  et  aux  institutions  de  Bordeaux,  un  chapitre  (p.  242 
à  263)  aux  autres  villes  du  Bordelais,  un  autre  (p.  264  à  271)  aux  bas- 
tides et  le  dernier  (p.  272  à  286)   aux  états  provinciaux.   Un  appendice 


D.    BRISSAUD    :    LES    ANGLAIS    EN    GUYENNE.  4(5 

sans  importance  contient  un  document  traduit  sur  le  texte  donné  par 
Rymer,  une  courte  note  sur  le  droit  de  balein  et  deux  pièces  seule- 
ment inédites;  encore  l'une  d'elles  avait  paru  dans  les  registres  de  la 
jurade,  déjà  publiés  à  Bordeaux  quand  M.  B.  a  imprimé  son  livre. 

Sur  ces  simples  indications  on  peut  déjà  voir  que  les  diverses  parties 
du  livre  sont  peu  proportionnées  et  que  l'auteur  est  loin  d'avoir  traité 
le  sujet  avec  l'ampleur  qu'il  comportait.  Cela  tient  en  grande  partie  au 
petit  nombre  de  sources  auxquelles  M.  B.  s'est  contenté  de  puiser.  Les 
archives  municipales  de  Bordeaux  ou,  pour  parler  plus  exactement,  le 
Livide  des  bouillons^  aujourd'hui  publié,  quelques  délibérations  de  la 
jurade,  l'analyse  et  les  extraits  du  ms.  de  'Wolfenbuttel  donnés  autre- 
fois par  MM.  Delpit,  le  recueil  de  Rymer  et  le  catalogue  des  rôles 
gascons  de  Th.  Carte,  voilà,  à  peu  près,  les  seuls  recueils  de  docu- 
ments où  ait  réellement  puisé  M.  B.  Sans  parler  des  collections 
manuscrites  et  des  archives  des  villes  de  la  Guyenne  dont  l'exploration 
était,  semble-t-il,  indispensable,  il  paraît  n'avoir  connu  aucune  des 
grandes  publications  anglaises,  ni  même  le  recueil  si  riche  des  Archives 
historiques  de  la  Gironde. 

Sur  ce  petit  nombre  de  documents,  aidé  de  quelques  ouvrages  de 
seconde  main  de  valeur  fort  inégale,  M.  B.  a  écrit  un  livre  d'un  style 
agréable  et  d'une  ordonnance  très-claire,  mais  cette  clarté  paraît 
malheureusement  venir  en  grande  partie  de  l'ignorance  des  difficultés 
de  la  matière. 

Toute  la  première  partie  est  un  exposé  simple  et  lucide  de 
l'état  de  l'administration  anglaise  en  Guyenne  au  commencement  du 
xiye  siècle,  mais  l'auteur  a  négligé  presque  complètement  de  faire 
l'histoire  de  cette  administration.  M.  B.,  qui  s'est  borné  à  glaner  dans 
les  actes  qu'il  a  connus  et  à  coordonner  judicieusement  les  renseigne- 
ments qu'il  a  pu  réunir  sur  les  divers  rouages  de  l'administration 
anglaise,  semble  s'imaginer  que  pendant  tout  le  cours  du  moyen  âge 
tout  a  fonctionné  avec  une  régularité  parfaite.  Une  connaissance  insuffi- 
sante des  chroniques  anglaises  peut  seule  expliquer  cette  erreur.  On  a  pu 
voir  par  l'article  d'un  de  nos  collaborateurs,  paru  dans  un  précédent 
numéro  de  cette  revue,  les  péripéties  auxquelles  cette  administration 

1.  M.  B.,  qui  tient  beaucoup  à  montrer  qu'il  a  étudié  ce  recueil  antérieure- 
ment à  sa  publication,  l'a  presque  toujours  cité  d'après  l'original  conservé  aux 
archives  municipales  de  Bordeaux,  ce  qui  rend  assez  ennuyeuses  les  vérifications 
sur  le  texte  imprimé.  Le  Livre  des  Bouillons  ayant  paru  en  1867  et  le  volume 
de  M.  B.  ne  s'étant  imprimé  qu'en  1875,  il  aurait  eu  tout  le  temps  nécessaire 
pour  établir  lui-même  une  concordance  ;  il  l'aurait  pu  d'autant  mieux  qu'il  a  dû 
beaucoup  modilier  son  manuscrit  à  l'aide  de  celle  publication.  Je  ne  puis  expli- 
quer qu'ainsi  la  ressemblance  de  beaucoup  de  ses  pages  avec  les  excellentes  ana- 
lyses mises  en  tête  de  cha([ue  acte  par  les  savants  éditeurs  de  Bordeaux.  Cf.  par- 
ticulièrement :  Brissaud,  p.  68,  et  Livre  des  Boudions,  p.  156  et  240;  Brissaud, 
p.  75  à  76,  et  Livre  des  Boudions,  p.  377;  Brissaud,  p.  101,  el  Livre  des  Bouillons, 
p.  400,  etc. 


4^6  COMPTES-RE\DrS  CRITIQDES. 

fut  soumise  pendant  un  assez  court  espace  de  temps;  il  est  vrai  que 
toutes  les  époques  ne  sont  pas  aussi  fécondes  en  événements  que  celle 
(lu  gouvernement  de  Simon  de  Montfort;  il  y  avait  néanmoins  pour 
cette  période  et  pour  celles  qui  l'ont  précédée  ot  siiivie  des  recherches 
à  l'aire  auxquelles  M.  B.  s'est  à  tort  dérobé. 

Les  chapitres  consacrés  à  Bordeaux  sont  plus  riches  en  faits;  M.  B. 
avait  pour  les  écrire  un  excellent  guide,  le  Livre  des  bouillons,  sur  le 
caractère  duquel  il  s'est  cependant  mépris.  Quoiqu'il  ne  le  dise  nulle 
part,  il  semble  avoir  cru  que  les  compilateurs  du  Livre  des  bouillons 
avaient  pu  connaître  tous  les  documents  intéressant  la  ville  de  Bor- 
deau.v  et  qu'ils  les  avaient  tous  réunis  dans  ce  registre.  Il  n'en  est  pas 
tout  à  fait  ainsi  ;  quand  la  compilation  fut  faite,  au  xv^  siècle,  beau- 
coup de  documents  qu'on  ne  pouvait  trouver  qu'en  Angleterre  étaient 
certainement  inconnus  à  Bordeaux,  mais  surtout  les  compilateurs  ne 
faisaient  pas  œuvre  d'historien,  et  ne  songeaient  très-vraisemblable- 
ment à  réunir  que  les  pièces  qui  pouvaient  être  utiles  à  la  ville  pour 
maintenir  ou  revendiquer  des  privilèges  ou  des  droits  utiles;  dès  lors, 
les  confirmations  les  plus  récentes,  lorsqu'elles  étaient  suffisamment 
explicites,  devenaient  pour  eux  les  documents  les  plus  précieux.  C'est 
faute  d'avoir  jugé  ainsi  ce  cartulaire  que  M.  B.,  persuadé  qu'aucune 
pièce  essentielle  n'y  avait  été  omise,  n'a  pas  connu  un  certain  nombre 
de  documents  de  la  plus  grande  importance  que  quelques  recherches 
lui  auraient  fait  facilement  rencontrer. 

M.  B.  n'ayant  eu  l'intention  de  s'occuper  des  destinées  de  Bordeaux 
qu'à  partir  du  moment  où  cette  ville  eut  passé  sous  la  dépendance  des 
Plantagenets  par  le  mariage  d'Aliénor  avec  Henri,  comte  d'Anjou,  a 
pu  éluder  la  question  de  ses  origines  municipales;  nous  serions  mal 
fondés  à  le  lui  reprocher,  quoique  l'on  puisse  dire,  non  sans  raison, 
que  les  origines  ayant  une  influence  sur  le  développement  ultérieur,  il 
y  avait  lieu  de  les  discuter  et  d'autant  plus  que  personne  n'a  traité 
encore  ce  sujet  d'une  manière  scientifique  ^. 


1.  On  connaît  les  fameux  vers  d'Ausone  dont  on  s'est  servi  pour  donner  à  la 
municipalité  de  Bordeaux  une  origine  romaine.  Pour  le  sens  qu'on  doit  leur 
attribuer,  consultez  un  article  de  Pardessus  sur  Ducange  dans  le  Journal  des 
Savants,  janvier  et  lévrier  1847.  Cf.  aussi  un  mémoire  de  Bonamy  dans  le 
t.  XVII  des  anciens  Mémoires  de  l'Académie  des  inscriptions,  et  de  Savigny, 
Histoire  du  droit  romain  au  moyen  âge,  t.  I,  chap.  2  et  21,  note.  Nous  cite- 
rons encore  à  titre  de  curiosité  la  dissertation  suivante  :  Eduardi  Corsini  epistola 
de  Burdigalensi  Ausonii  consulatu.  Pise,  1764,  in-4°.  — Les  Recherches  histo- 
riques sur  l'office  de  maire  de  Bordeaux  de  Marie  de  Saint-Georges  de  Mont- 
merci,  Madrid,  1785,  in-8°,  dans  lesquelles  l'auteur  fait  dériver  l'office  de  maire 
de  Bordeaux  de  la  mairie  du  palais  d'Aquitaine,  sont,  est-il  besoin  de  le  dire,  un 
travail  de  pure  fantaisie.  M.  Sansas  a  publié,  en  1861,  dans  les  Actes  de  l'Aca- 
démie de  Bordeaux  un  mémoire  intitulé  :  Les  origines  municipales  de  Bor- 
deaux, que  M.  B.  aurait  dû  connaître  ou  citer.  Ce  travail  est  insuffisant,  l'au- 
teur a  borné  ses  recherches  à  l'époque  de  la  domination  anglaise,  son  raisonne- 


D.     BRISSADD    :    LES    ANGLAIS    EN   GUYENNE.  447 

Selon  M.  B.,  les  premiers  privilèges  de  Bordeaux  lui  furent  concédés 
en  1205  et  par  Jean  sans  Terre  (p.  68).  Cependant  on  trouve  dans  les 
Rotuli  chartarum  (p.  4)  deux  actes  du  même  roi  en  date  du  17  juillet 
1199,  dont  l'un  confirme  aux  citoyens  de  Bordeaux  toutes  les  libertés 
et  libres  coutumes  qui  leur  avaient  été  confirmées  par  une  charte, 
vraisemblablement  perdue,  de  sa  mère  Aliénor,  et  dont  l'autre  les 
privilégie  au  sujet  de  la  monnaie.  Les  Rotuli  litterarum  patetitium 
(I,  p.  38)  contiennent,  à  la  date  de  1204,  un  privilège  commercial 
accordé  ;  ballivis  et  probis  hominibus  de  Burdegala. 

Selon  M.  B.,  en  1235  seulement,  Bordeaux  fut  «  élevée  au  rang  de 
«  commune  véritable,  avec  toutes  les  libertés  appartenant  à  ce  mode 
«  de  cité  et  spécialement  le  droit  de  nommer  son  maire  »  (p.  69). 
M.  B.  aurait  certainement  attribué  une  plus  grande  importance  à  une 
disposition  d'une  lettre  de  Jean  sans  Terre  du  30  avril  1206,  qui  oblige 
tous  ceux  qui  viennent  demeurer  à  Bordeaux  à  jurer  fidélité  au  roi  et 
à  la  commune  (nobis  et  communie  illius  ville)  ',  s'il  eût  connu  des  docu- 
ments des  14  juin  et  11  août  1206,  où  il  est  fait  mention  du  maire 2. 
Bien  plus,  la  concession  ou  plutôt  la  confirmation  de  la  commune  et  du 
droit  de  nommer  le  maire  fit  l'objet  d'une  charte  octroyée  par  Henri  ILI, 
au  moment  où,  venant  de  conquérir  le  Poitou  et  une  partie  du  Bor- 
delais, il  arrivait  devant  la  ville,  le  30  août  1224,  et  ce  document  a  été 
publié  tout  au  long,  en  1863,  par  M.  Delpit,  dans  le  t.  IV  des  Archives 
historiques  de  la  Gironde^.  La  charte  de  1235,  concédée  probablement  à 
l'occasion  de  la  rupture  des  trêves  entre  Henri  HI  et  Louis  IX,  n'est 
donc  qu'une  confirmation  ^  Mais  ce  n'est  pas  seulement  le  maire  de 
Bordeaux  qui  existait  avant  1235  et  même  avant  1224,  certains  actes 

ment  est  faux  en  plusieurs  points,  mais  il  a  connu  bien  des  documents  restés 
ignorés  de  M.  B.;  il  ne  les  indique  pas  clairement,  il  est  vrai,  mais  les  termes 
de  sa  discussion  auraient  dû  éveiller  l'attention  de  M.  B.  et  le  mettre  sur  la 
voie. 

1.  Livre  des  Bouillons,  p.  240. 

•2.  1206,  14  juin.  Ordre  du  roi  au  maire  de  Bordeaux  [majori  civitatis  com- 
viunie)  de  délivrer  un  prisonnier  {Rutul.  litt.  patent.,  I,  pars  i,  p.  6G).  —  1206, 
Il  août.  Ordre  de  remettre  au  sénéchal  le  fds  et  les  vignes  de  Raymond  du 
Bourg  [Rotul.  litt.  claus,  I,  p.  73  b.).  —  1219.  Lettre  au  sujet  de  l'emploi  des 
revenus  de  la  ville  {Rotul.  litt.  patent.,  I,  pars  i,  397). 

3.  P.  13.  M.  Delpit  a  extrait  ce  document  du  t.  XXXV  des  papiers  de  Bré- 
quigny  que  M.  B.  dit  cependant  avoir  utilisés;  mais,  comme  pour  beaucoup 
d'autres  indications  qu'il  donne,  ce  n'est  que  par  ou'i-dire  qu'il  a  dû  connaître 
ce  recueil. 

4.  Cette  charte,  avant  la  publication  de  M.  Delpit,  était  seule  connue  des  his- 
toriens, seulement,  la  plupart,  avec  de  Lurbe  dans  sa  Chronique  Bourdeloise, 
l'attribuaient  à  Henri  II  et  à  1173,  la  charte  n'ayant  pour  date  que  l'année  du 
règne  et  1173  étant  la  dix-neuvième  année  de  Henri  11,  comme  1235  est  la  dix- 
neuvième  de  Henri  IH.  La  liste  des  témoins  ne  peut  laisser  aucun  doute  sur 
l'attribution  à  Henri  HI  adoptée  par  les  éditeurs  du  Livre  des  Bouillons 
(page  241). 

Rev.  Histor.   V.  2«  FASC.  27 


418  COMPTES-RKM)lIS    CRITIQUES. 

nous  nunUrout  quo  dès  los  pn>mièros  aimcos  du  xiii"  siècle  l'organisa- 
tion do  la  commune  ressemblait  beaucoup  à  celle  que  nous  font  con- 
naitre  les  documents  postérieurs.  Par  exemple,  l'acte  du  1 1  août  1206, 
cité  plus  haut,  est  adressé  aux  jures*  et  au  commun  conseil  de  Bordeaux  ; 
un  acte  de  1215  fait  mention  du  maire  et  de  douze  jurés 2;  enfin,  une 
lettre  du  2'i  juillet  1219  est  adressée  au  maire  et  au  commun  conseil^. 

Nous  ne  pouvons  suivre  pas  à  pas  M.  B.  dans  l'histoire  municipale 
de  Bordeaux  et  dans  l'exposé  de  ses  institutions,  il  nous  suffira  dédire 
qu'il  a  généralement  interprété  avec  intelligence  les  actes  contenus  dans 
le  Livre  des  bouillons,  quoiqu'il  faille  encore  ici  lui  reprocher  de  n'avoir 
pas  suffisamment  tenu  compte  des  circonstances  historiques  dans  les- 
quelles les  actes  étaient  donnés.  Ainsi,  c'est  après  avoir  emmené  la 
milice  de  Bordeaux  au  siège  de  Bergerac  et  au  moment  où  il  peut 
craindre  que,  comme  La  Réole  et  Saint-Émilion  venaient  de  le  faire, 
Bordeaux  ne  se  déclare  pour  le  roi  de  Castille,  que  Henri  III  lui  con- 
firme ses  privilèges  relatifs  au  service  militaire  (13  juin  1253)-'.  En  1254, 
c'est  au  moment  où  la  Guyenne  vient  de  rentrer  sous  son  ohéissance, 
qu'il  les  confirme  de  nouveau  s.  Enfin  les  privilèges  commerciaux  con- 
cédés à  la  ville  à  la  même  époque  sont  probablement  le  prix  par  lequel 
elle  se  fit  payer  sa  fidélité^. 

Sur  les  luttes  des  deux  partis  qui  ont  divisé  Bordeaux  au  moyen  âge, 
M.  B.  ne  connaît  rien  de  plus  que  ce  qu'ont  déjà  exposé  MM.  Delpit  à 
propos  du  ms.  de  Wolfenbùttel;  des  relations  qu'eut  la  ville  avec  le  roi 
d'Angleterre  ou  ses  délégués  il  n'a  presque  rien  su.  Le  mémoire  de 
M.  Bémont  sur  l'administration  de  Montfort,  que  nous  avons  déjà 
signalé,  apporte  sur  tous  ces  points  un  large  supplément  d'informations 
qui  suffit  à  prouver  que  les  documents  ne  manquaient  pas. 

M.  B.  me  paraît  s'être  mépris  sur  le  caractère  de  l'acte  par  lequel  le 
prince  Edouard  modifia,  le  19  octobre  1261,  les  institutions  de  Bor- 
deaux. Cet  acte  se  termine  par  une  disposition  qui  dit  que  les  statuts 
(Rotulus  et  statuta  civitatis  Durdegalensis]  seront  examinés  par  un  certain 
nombre  de  prudhommes,  clercs  et  laïques,  qui  y  effaceront  les  articles 
contraires  à  la  raison  et  à  l'intérêt  du  prince.  M.  B.  croit  que  ces 


1.  Nous  disons  jures  et  non  jurais,  ainsi  qu'on  a  coutume  de  le  faire.  Le  mot 
jurât  est  un  mot  provençal  équivalent  à  juratus  et  à  juré.  Ce  n'était  point  là, 
au  moyen  âge,  une  magistrature  particulière  à  Bordeaux  et  ce  n'est  qu'au 
xvi°  siècle,  croyons-nous,  que  la  coutume  s'est  étabfie  d'appeler  même  en  fran- 
çais jurais  les  magistrats  de  Bordeaux  et  leur  réunion,  la  jurade. 

2.  Rotul.  tut.  patent.,  I,  224  b. 

3.  Rymer,  Fœdera,  I,  pars  I,  p.  155  de  i'éd.  de  1816.  M.  B.  dit  aussi  qu'il  a 
compulsé  ce  recueil. 

4.  Champollion,  Lettres  de  rois,  reines,...  I,  p.  83.  Collection  Bréquigny. 
Bibl.  nat.  Moreau,  634,  f"  96  v.  —  Ces  actes  n'ont  pas  été  connus  de  M.  Bris- 
saud. 

5.  Livre  des  Bouillons,  p.  239. 

6.  Ibid.,  p.  220. 


D.    BRISSAUD    :    LES    ANGLAIS    EN    GUYENNE.  4^9 

Statuts  sont  précisément  cet  acte  de  1261  ;  je  pense  au  contraire  qu'il 
s'agit  de  statuts  beaucoup  plus  développés  et  existant  antérieurement, 
que  les  prudhommes  devaient  réviser  pour  les  mettre  en  harmonie  avec 
les  quelques  dispositions  nouvelles  par  lesquelles  le  prince  changeait 
l'organisation  de  la  ville.  La  même  chose  eut  lieu  à  Bayonne,  égale- 
ment sur  l'ordre  d'Edouard  ler,  quelques  années  plus  tard  (vers  1273), 
et  le  résultat  de  la  révision  des  prudhommes  est  la  coutume  en  125 
titres,  si  intéressante,  qu'ont  publiée  MM.  Balasque  et  Dulaurens^.  Les 
statuts  de  Bordeaux  ne  nous  sont  pas  parvenus  tels  qu'ils  sortirent  des 
délibérations  des  prudhommes  délégués  par  Edouard,  une  nouvelle 
révision  en  dut  être  faite  à  la  suite  d'une  transaction  de  1314  entre  les 
magistrats  et  le  prévôt  de  l'Ombrière^;  c'est  dans  le  texte,  certainement 
encore  modifié  et  remanié,  publié  successivement  par  la  ville  en  1593, 
1612  et  1701,  qu'il  faut  aller  chercher  des  traces  des  statuts  primitifs. 

M.  B.  n'a  consacré  que  très-peu  de  pages  aux  autres  villes  de 
Guyenne  ;  il  a  omis  de  parler  d'un  grand  nombre,  il  a  ignoré  l'exis- 
tence de  beaucoup  des  documents  publiés  sur  les  quatorze  dont  il  a 
parlé.  Il  a  placé  toutes  ces  villes  sur  le  même  rang;  il  y  avait  pourtant 
de  très-grandes  différences  entre  elles  au  point  de  vue  de  l'indépen- 
dance, de  la  condition  des  habitants  et  même  de  l'organisation;  très- 
peu  étaient  des  communes^  titre  dont  M.  B.  les  a  toutes  gratifiées.  On 
comprendra  que  ce  n'est  pas  dans  un  article  de  critique  qu'il  est  pos- 
sible d'indiquer  en  détail  des  lacunes  aussi  nombreuses  que  celles  que 
nous  signalons;  aussi  nous  bornerons-nous  à  lui  reprocher  de  n'avoir 
pas  connu  un  document  plusieurs  fois  publié,  le  plus  ancien  peut-être 
qui  soit  relatif  aux  villes  du  sud-ouest  de  la  France,  les-  consuetiidines 
et  jura  monasterii  Regulac^  qui  datent  de  977  et  qui,  surtout  si  on  les 
rapproche  des  nouvelles  coutumes,  ignorées  aussi  de  M.  B.,  publiées  en 
1860  dans  le  t.  II  des  Archives  générales  de  la  Gironde^  sont  du  plus 
grand  intérêt  parce  qu'elles  nous  aident  à  suivre  tout  le  développement 
d'une  ville  qui  passe  de  la  domination  ecclésiastique  sous  la  suzeraineté 
des  ducs  de  Guyenne. 

Parmi  les  villes  qu'il  a  omises  nous  ne  signalerons  que  Blaye,  dont 
le  cartulaire  municipal,  contenant  des  privilèges  et  des  coutumes  très- 

1.  Études  historiques  sur  la  ville  de  Bayonne,  II,  594. 

2.  Livre  des  Bouillons,  p.  363.  En  1341,  un  vldimus  de  la  disposition  de  ces 
statuts  fut  envoyé  par  les  Bordelais  au  roi  de  France  [Archives  historiques  de  la 
Gironde,  III,  158). 

3.  Publ.  par  Labbe,  Nova  biblioth.  mss.,  t.  II,  p.  744,  d'après  un  ms.  du 
xu°  ou  du  xui"  s.,  texte  reproduit  par  Giraud  :  Essai  sur  l'histoire  du  droit 
français.  Preuves,  t.  II,  p.  518.  M.  Gauban,  qui  a  publié  les  Nouvelles  coutumes 
dans  les  Archives  historiques  de  la  Gironde,  a  eu  à  sa  disposition  une  copie 
des  anciennes,  faite  en  1726  par  un  bénédictin  du  prieuré  de -la  Réole,  dont 
le  texte  paraît  présenter  avec  le  précédent  de  notables  différences,  malheu- 
reusement il  n'en  a  donné  qu'une  traduction  qui  doit  être  en  plusieurs  passages 
inexacte. 


'(20  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

importants,  a  étt'>  publié,  en  1870,   dans  lo  t.  XII  dos  Archives  histo- 
riques de  la  Gironde  (p.  1  à  l^'i). 

ApiTs  Augustin  Thiorry,  M.  B.  a  nommé  toutes  les  villes  du  Bor- 
delais les  filleules  de  Bordeaux  et  exposé  (p.  243)  qu'elles  étaient  unies 
par  une  espèce  de  lien  fédéral  à  la  commune-'mère^  qui  exerçait  sur  elles 
une  sorte  de  protectorat.  Cette  opinion  a  sa  source  dans  un  passage 
d'un  chroniqueur  Bordelais,  de  Lurbe,  qui  écrivait  dans  les  dernières 
années  du  xiv»  siècle  et  ne  parlait  que  de  ce  qui  existait  de  son  temps. 
Augustin  Thierry  avait  eu  le  tort  de  trop  généraliser  et  de  faire 
remonter  au  xiii»  siècle  l'existence  d'une  confédération  qui  a  toujours 
été  restreinte  aux  milices  urbaines  et  qui  n'a  jamais  existé  que  pour  la 
défense  du  pays  et  pendant  la  guerre  de  cent  ans.  Les  renseignements 
sur  les  rapports  des  villes  entre  elles  sont  rares  au  xin^  siècle,  je  ne 
connais  que  quelques  petites  villes  sans  aucune  indépendance,  comme 
Gastets  en  Dorue  et  Gatderot  qui  étaient  complètement  soumises, 
presque  comme  une  banlieue  aux  villes  voisines.  Quant  à  ce  terme  de 
filleules,  que  de  Lurbe  employa  le  premier,  je  ne  crois  pas  qu'on  le 
trouve  avant  le  xvi*  siècle  dans  aucun  acte  authentique;  la  première 
mention  que  j'en  connaisse  est  dans  un  document  de  1566  relatif  à 
Blaye. 

Le  chapitre  relatif  aux  Bastides  n'est  pas  moins  insuffisant  que  le 
précédent.  M.  B.  ne  connaît  que  par  un  mémoire  de  M.  Rabanis 
VEsclapot,  cartulaire  municipal  de  Monségur,  publié  intégralement,  en 
1863,  dans  le  t.  V  des  Archives  historiques  de  la  Gironde.  Il  ne  connaît 
pas  les  coutumes  de  Sauveterre,  publiées  en  1868,  au  t.  X  du  même 
recueil  ;  enfin,  il  ne  sait  pas  que  les  coutumes  de  ces  deux  villes  sont 
semblables  et  que,  comme  celles  de  la  plupart  des  autres  bastides  de  la 
Guyenne,  elles  dérivent  de  celles  de  Sainte-Foy,  encore  inédites. 

Nous  ne  relèverons  plus  dans  ce  livre  que  quelques  erreurs  entre 
beaucoup  d'autres.  M.  B.  croit  que  les  hommes  de  poeste  sont  des  serfs 
(p.  8b).  P.  108,  il  parle  de  la  «  dure  poeste  ».  Il  est  au  contraire  établi  et 
prouvé  depuis  longtemps  que  ce  sont  des  hommes  libres.  —  P.  146. 
Jean,  duc  de  Lancastre,  était  l'oncle  et  non  le  frère  de  Richard  II.  — 
P.  158.  M.  B.  parle  des  jurats  d'Oleron.  Oleron,  dont  l'organisation 
était  empruntée  à  Rouen,  n'a  jamais  eu  de  jurats,  mais  bien  des  con- 
seillers, échevins  et  jurés.  —  P.  51.  Il  s'agit  non  de  Sainte-Maxence, 
mais  bien  de  Saint-Maixent  en  Poitou. 

Nous  terminerons  ce  trop  long  article  par  deux  échantillons  de  la 
manière  dont  M.  B.  interprète  les  textes  latins.  —  P.  256.  Il  dit  que 
«  les  citoyens  de  Bouglon  doivent  offrir  cent  hommes  d'armes,  du 
«  pain,  du  vin,  etc.  »  Entendez  que  les  citoyens  de  Bouglon  sont  tenus 
à  une  redevance,  à  chaque  mutation  de  suzerain,  d'un  dîner  au  duc  et 
à  cent  hommes  d'armes  (Et  debent...  unamcomestionem...,  in  mutatione 
domini.,  eidem  cum  centum  militibus).  P.  257.  Il  traduit  le  texte  suivant  : 
non  possunt  dicere  quod  ipsi  seu  universitas  habeant  feudum  a  domino 
rege,  cmn,  secundum  nostram  consuetudinem,  non  sit  feudum  nisi  sit  ibi 


A.    LAUGEL    :    LOUISE   DE   COLIGNT.  424 

sporla  vel  investitura,  par  «  nous  ne  pouvons  pas  dire  que  nous  tenions 
«  rien  en  fief  du  roi,  car,  suivant  notre  coutume,  nous  ne  devons  que  le 
«  droit  d'esporle  et  d'investiture  »,  alors  qu'il  faut  entendre  :  Nous 
ne  pouvons  pas  dire  que  nous  tenions  rien  en  fief  du  roi,  car  il  n'y  a 
fief  que  là  où  il  y  a  esporle  et  investiture. 

A.   GiRY. 


Louise  de  Coligny.  Lettres  à  H.  la  Tour,  vicomte  de  Turenne, 

publiées  d'après  les  originaux  conservés  aux  Archives  nationales, 
par  Auguste  Laugel.  Paris,  librairie  Sandoz  et  Fischbacher,  i  877, 
brochure  gr.  in-S"  de  61  p. 

La  brochure  de  M.  Laugel  est  divisée  en  deux  parties,  la  première 
consacrée  à  Louise  de  Coligny,  la  seconde  à  la  correspondance  de  cette 
princesse. 

La  notice  sur  la  fille  de  l'amiral  de  Coligny,  quoique  resserrée  en  une 
quarantaine  de  pages  (i-42),  renferme  le  récit  complet  de  cette  vie  qui, 
selon  la  parole  d'un  biographe  du  xvni«  siècle,  ne  fut  qu'un  tissu  d'afflic- 
tions continuelles,  capables  de  faire  succomber  toute  autre  âme  moins  rési- 
gnée aux  volontés  du  cieV.  M.  Laugel  a  bien  raison  de  dire,  au  début 
de  sa  notice,  que  «  parmi  les  grandes  dames  protestantes  qui  vécurent 
pendant  les  temps  les  plus  troublés  de  la  Réforme,  il  n'en  est  pas  que 
l'histoire  doive  regarder  d'un  œil  plus  compatissant  que  Louise  de 
Coligny,  la  fille  de  M.  l'amiral,  la  veuve  de  M.  de  Téligny,  la  veuve  de 
Guillaume  le  Taciturne.  »  L'habile  écrivain  a  raconté  la  vie  de  cette 
noble  femme  avec  grande  exactitude,  s'appuyant  toujours  sur  les  meil- 
leurs témoignages,  et  marchant  droit  à  la  vérité.  Pas  de  détails  oiseux! 
Rien  qui  sente  la  rhétorique  !  La  pieuse  émotion  de  l'historien  se  de- 
vine, elle  ne  s'affiche  pas;  c'est  comme  un  feu  caché  sous  les  sobres  et 
fermes  pages  où  revit  dans  sa  grâce  mélancolique  celle  qui  tant  de  fois 
eut  la  douleur  de  voir  couler  le  sang  généreux  de  ceux  qu'elle  aimait. 
M.  Paul  Marchegay,  qui  a  publié,  en  1872,  un  recueil  de  lettres  iné- 
dites de  la  princesse  d'Orange,  précédé  de  l'exposé  des  «  principaux 
faits  relatifs  aux  quarante-trois  premières  années  de  son  existence  2,  » 
exprimait  le  vœu  que  Louise  de  Coligny  fût  bientôt  l'objet  d'une  étude 
spéciale  que  l'on  pût  rapprocher  des  études  sur  Charlotte  de  Bourbon- 
Montpcnsicr,  par  M.  Jules  Bonnet,  sur  Jacqueline  d'Entrcmonts  et  Éléo- 

1.  L.  Aubery  du  Maiirier,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  de  Hollande  et 
des  autres  Provinces-Unies,  etc.,  p.  182.  C'est  évidemment  à  la  suite  d'une  faute 
d'impression  que  (p.  2)  Aubery  est  appelé  Aubry  par  M.  Laugel. 

2.  Lettres  de  Louise  de  Colligny,  princesse  d'Orange,  à  sa  belle-fille  C/iar- 
lotle-Brabantine  de  Nassau,  duchesse  de  la  Trémoille,  etc.  (gr.  in-8"  de  112  p.) 
M.  Marchegay  déclare,  au  sujet  des  deux  l  du  nom  de  l'amiral,  qu'il  rétablit 
l'orthographe  de  ce  nom  d'après  la  signature  de  l'amiral  et  de  sa  fille.  M.  Lau- 
gel n'a  pas  tenu  compte  de  cette  rectificalion. 


422  r.OMPTES-RFNDrS  CRITIQUES. 

nnrr  de  Roi/c,  par  M.  lo  comtP  Honri  Dolahordo,  sur  la  Comtesse  de  Derby, 
par  M.  Gustave  Masson,  sur  M"'*  de  Mornay,  par  M.  Guizot.  Moins 
dovoloppéo  que  cos  diverses  monographies,  la  notice  de  M.  Laupei  est 
toutefois  tellement  bien  faite,  (|ue  je  n'hésite  pas  à  croire  que  M.  Mar- 
chegay  lui-môme  doit  reconnaître  (jue  sou  vœu  ne  pouvait  être  mieux 
exaucé. 

.le  no  chonn  qu'un  passage  de  la  notice,  mais  ce  passage  suflira,  si 
je  ne  me  trompe,  pour  montrer  au  lecteur  avec  quelle  conscience  cette 
notice  a  été  préparée  et  avec  quelle  élégance  elle  a  été  rédigée  (p.  9-10)  : 

«  Loui.se  de  Coligny  ne  devait  plus  revoir  son  père  :  la  cloche  de 
Saint-Germain-l'Auxerrois  donna,  peu  d'instants  après  qu'elle  l'eut 
quitté,  le  signal  de  l'horrible  massacre.  On  connaît  tous  les  détails  de 
la  fin  de  l'amiral,  on  sait  moins  bien  comment  périt  Téligny.  Jean  de  la 
Pise,  qui  raconte  dans  son  Histoire  d'Orange  l'assassinat  de  Guillaume 
le  Taciturne,  dit  en  parlant  de  sa  femme  :  Quasi  mourante  en  l'excès  de 
sa  douleur,  elle  invoque  Dieu  qui  la  fortifie,  adresse  sa  prière  au  Tout~ 
Puissant,  et  à  voix  gémissante,  à  cœur  ardent,  ses  yeux  et  ses  mains  élevés 
au  ciel  :  Mon  Dieu,  dit-elle,  donne-moi  le  don  de  la  patience,  et  de  souf- 
frir selon  ta  volonté  la  mort  de  mon  père  et  de  mes  deux  maris,  tous  trois 
assassines  devant  mes  yeux.  Ne  faut-il  voir  dans  ces  lignes  qu'un  mou- 
vement d'éloquence  d'un  historien,  très-exact  pourtant  et  très-digne  de 
foi,  ou  la  malheureuse  jeune  femme  vit-elle  réellement  de  quelque 
fenêtre,  à  la  lueur  des  torches,  tuer  et  son  père  et  son  mari  ?  Nous 
l'ignorons*.  On  ne  connaît  même  pas  exactement  les  détails  de  la 
mort  de  Téligny.  Le  sieur  de  Téligny,  —  écrit  l'auteur  du  Tocsin  des 
massacreurs,  la  relation  la  plus  détaillée  de  la  Saint-Barthélémy,  — 
lequel  pour  sa  beauté,  bonne  grâce  et  savoir,  fut  espargné  de  plusieurs 
qui  néanmoins  avoient  charge  de  le  tuer;  mais  enfin,  s'étant  retiré  en 
son  grenier,  fut  meurtri  avec  aucuns  gentilshommes  qui  s'y  étoient 
sauvés  2.  » 

Les  lettres  de  Louise  de  Coligny  «  tirées  des  Archives  nationales-''  » 

1.  M.  Laugel  se  montre  ici  plus  prudent  que  M.  Marchegay,  lequel  affirme 
beaucoup  trop  résolument  que  M""  de  Téligny  eut  le  crève-cœur  d'assister  à 
regorgement  de  son  premier  mari  :  «  Nous  ne  croyons  pas  que  le  témoignage 
de  Du  Maurier,  imprimant,  un  siècle  et  demi  plus  tard,  un  résumé  du  manus- 
crit de  son  père,  puisse  l'emporter  sur  celui  du  très-exact  et  très-minutieux  his- 
torien des  princes  d'Orange.  Il  résulte  évidemment  du  passage  de  Joseph  de  la 
Pise,  cité  plus  loin  (p.  vui),  que  la  princesse  sa  contemporaine,  qu'il  avait  con- 
nue et  dont  il  parle  longuement,  était  à  Paris  lors  du  massacre  de  son  premier 
mari  et  de  son  père.  »  Pour  moi,  je  ne  saurais  voir  dans  l'expression  :  assassi- 
nés devant  mes  yeux  qu'une  métaphore  qui  ne  lire  nullement  à  conséquence,  et 
je  serais  loin  de  rejeter  aussi  facilement  que  le  fait  M.  Marchegay  cette  asser- 
tion d'Aubery  du  Maurier  (p.  179),  que  M""  de  Téligny  était  alors  en  dehors  de 
Paris  (à  Châtillon-sur-Loing). 

2.  Remis,  1577,  p.  77.  On  lit  1677  à  la  p.  10  de  la  notice,  où  décidément  on 
n'a  pas  assez  attentivement  corrigé  les  lapsus  typographiques. 

3.  M.  Laugel  sest   contenté   de  cette  indication  trop  générale.  Il  aurait  fallu 


M.    PHILIPPSON    :    HEINRICH    IV   UND   PHILIPP    III.  423 

sont  au  nombre  de  huit.  La  première  est  datée  de  «  Midelbourg,  ce  12 
de  novembre  (1690)  ^;  «  la  dernière  ne  porte  pas  de  date,  mais  elle 
appartient  à  l'année  1591.  M.  Marchegay  disait  des  soixante-huit  lettres 
publiées  par  lui  en  1872  qu'elles  étaient  remarquables  par  le  naturel, 
les  sentiments  et  le  style.  On  peut  en  dire  autant  des  huit  lettres 
que  nous  donne  M.  Laugel  et  qui  lui  ont  été  d'un  si  précieux  secours 
dans  la  tâche  entreprise  par  lui  (p.  2)  «  de  rejeter  comme  un  pâle  rayon 
sur  une  Française  du  xvi«  siècle.  »  Un  exemple  parlera  mieux  que 
tous  les  éloges.  Voici  comment  (p.  44-45),  dans  une  «  despeche  »  écrite 
le  12  novembre  1590  «  avec  estreme  précipitation  »  et  que  Louise 
appelle  une  «  barbouillée  et  confuse  lettre,  »  l'infortunée  princesse  ré- 
clame la  visite  du  vicomte  de  Turenne,  qui  résume  en  ce  moment 
pour  elle,  comme  le  dit  si  bien  M.  Laugel  (p.  21),  «  la  France^  le  bon- 
heur perdu,  toutes  ses  espérances  :  «  Voudriez-vous  montrer  si  peu 
d'amytié  à  une  cousine  que  vous  n'avez  vue  il  y  a  neuf  ou  dix  ans,  et 
que  peut-être  vous  ne  verrez  jamais^  de  passer  si  près  d'elle  sans  la  voyr  ; 
le  devoir  de  bon  parent  vous  y  oblyge;  depuis  que  je  suis  en  ces  pays, 
je  n'en  ay  veu  nul  et  puis  dire  avec  vérité  que  cela  m'a  fait  beaucoup 
de  tort,  car  il  semble  à  ces  gens  icy  veu  le  peu  de  cas  que  mes  parents 
et  mes  amys  ont  fait  de  moy  depuis  mon  affliction,  que  je  soye  tombée 
des  nues  et  cela  m'a  tellement  rendue  méprisable  parmy  eux  que  vous 
seriez  étonné  du  peu  qu'ils  ont  fait  pour  moy  ;  mes  frères  m'ont  man- 
qué et  ne  se  montrent  tels  qu'ils  devroyent  en  mon  endroist.  Que  mon 
cousin,  le  principal  honneur  et  la  gloire  de  ma  race,  n'en  face  de 
mesme  et  donnés  par  votre  présence  contentement  à  ceste  pauvre  cou- 
sine que,  je  vous  jure,  depuis  la  perte  du  bien  dont  la  privation  me 
rendra  à  jamais  mysérable,  n'avoir  senty  son  cœur  émeu  de  nule  joye 
que  par  l'espérance  que  me  donnés  de  votre  vue.  »  Tous  les  lecteurs, 
j'en  suis  assuré,  rediront  avec  M.  Laugel  (p.  21):  «  Rarement  appel 
plus  éloquent  fut  fait  à  un  parent.  » 

T.  de  L. 


Heinrich  IV  und  Philipp  III.  Die  Begrûndung  des  franzœsischen 
Uebergewichtes  in  Europa,  ^598-^6^0,  von  D""  Martin  Philippsgn. 
Berlin,  Verlag  von  F.  Duncker.  Erster  Th.  1870,  398  S.-,  zweiter 
Th.  -1873,  444  S.-,  dritler  Th.  -1876,  500  S. 

L'auteur  de  cet  ouvrage,  M.  Philippson,  professeur  d'histoire  à  l'Uni- 
versité de  Bonn,  s'est  donné  pour  but  de  tracer  la  politique  extérieure 

indiquer  avec  précision  le  n»  des  cartons  ou  registres  qui  contiennent  la  corres- 
pondance de  Louise  de  Coligny  avec  Henri  de  la  Tour. 

1.  Sic  pour  1590.  On  sait  que  Louise  de  CoUgny,  née  le  28  septembre  1555, 
mourut  en  novembre  1620.  La  malencontreuse  date  1690  est  répétée  à  la  page  48. 
Lon  trouve  1691,  pour  1591,  au  bas  d'une  autre  lettre  (p.  52). 


424  COMrTKS-RK.NDUS    CRITIQUES. 

do  la  Franco  pt-mlaiii  les  auuces  1598-lGlO,  et  parliculiôromont  dans 
sa  lutlo  oontrt*  l'Kspa^no.  Los  e>vénpments  intérieurs  no  sont  pas  pour 
rola  passos  sous  silence,  mais  ils  no  sont  rappelés  qu'autant  qu'il  le 
fallait  pourfendre  intelligible  la  marche  des  affaires  extérieures.  Sur  ce 
point,  M.  P.  s'en  réfèi-o  on  grande  partie  à  Vllisloire  du  règne  de,  Henri  IV 
par  M.  Poirson,  u'uvrc  très-ostimablo  en  oflet,  et  dont  M.  Ph.  fait  un 
olot;o  mérite  an  2"  vol.  de  son  ouvrage  (p.  270).  Mais  en  même  temps 
il  fait  ressortir  la  dill'érence  qui  le  sépare  de  l'autour  français  :  «  on  ne 
peut  lui  reprocher,  dit-il,  ([u'uno  admiration  excessive  pour  son  héros, 
et  un  manque  absolu  de  critique  au  sujet  des  détails  fournis  par  Sully.» 
La  différence  entre  les  deux  auteurs  se  montre  bien  en  oiTot  dans  l'es- 
time qu'ils  ont  pour  les  Économies  royales.  Le  Henri  IV  de  M.  Ph.  ne 
ressemble  pas  à  celui  de  M.  Poirson. 

Quel  degré  de  créance  faut-il  accorder  aux  Mémoires  de  Sully?  Jus- 
qu'à quel  point  contiennent-ils  des  altérations  volontaires  ou  involon- 
taires de  la  vérité?  Ces  questions  sont  aussi  vieilles  que  les  Mémoires 
eux-mêmes.  La  critique  commence  par  les  attaques  de  Marbault.  Plus 
tard  encore  des  voix  s'élèvent  contre  le  décousu  des  Mémoires,  et 
M.  Ph.  aurait  pu  rendre,  plus  qu'il  ne  l'a  fait,  justice  à  ses  prédécesseurs 
français,  qu'il  connaît  cependant,  puisqu'il  les  cite.  Ainsi,  au  sujet  du 
«  grand  plan,  »  Bazin,  dans  son  Histoire  de  Louis  XIII  (p.  12),  se  place 
déjà  au  point  de  vue  que  Ranke  adopta  ensuite  (Fr.  Gescli.,,  II,  104). 
Le  mérite  de  M.  Ph.  est  d'avoir  soumis  à  la  critique  l'œuvre  entière  des 
Economies  royales.  Dans  son  premier  volume  il  en  avait  déjà,  se  ratta- 
chant à  la  doctrine  de  Ranke,  annoncé  l'intention  et  il  a  tenu  sa  parole 
dans  le  reste  de  l'ouvrage.  Dès  le  début  de  son  livre  il  dut  en  plusieurs 
endroits  se  mettre  en  opposition  avec  les  Économies  royales,  par  exemple 
quand  il  raconte  la  conspiration  de  Biron,  à  laquelle  il  consacre  une  dis- 
sertation spéciale  (I,  375-393),  la  trahison  de  L'hoste,  le  voyage  de  Sully 
en  Angleterre  (1603),  etc.  Un  an  après  la  publication  de  ce  premier 
volume,  M.  Moritz  Ritter  publia  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  bava- 
roise des  sciences  un  travail  intitulé  :  «  les  Mémoires  de  Sully  et  le 
grand  plan  de  Henri  IV  ».  Les  idées  exprimées  déjà  par  M.  Ph.  sont 
reprises  dans  ce  travail,  dont  les  conclusions  sont  encore  plus  défa,vo- 
rables  aux  Économies  royales.  M.  Ph.  dit  par  exemple  (I,  386),  que  le 
récit  de  l'arrivée  de  Biron  à  la  cour  et  de  son  supplice  y  est  exact  en 
général;  M.  Ritter  prouve  au  contraire  que  même  sur  ce  point  il  faut 
se  défier  de  Sully.  —  M.  Ph.  avait  eu  d'abord  l'idée  d'ajouter  à  son 
second  volume  une  dissertation  critique  sur  les  Économies  royales  et 
sur  le  fameux  plan  de  Henri  IV.  Il  n'y  donna  pas  suite,  le  Mémoire  de 
M.  Ritter  lui  ayant  épargné  cette  peine.  On  trouve  cependant  à  la  fin  du 
3'  vol.  (p.  493-500)  sur  les  Mémoires  de  Sully  d'intéressantes  remarques 
où  l'auteur  a  condensé  les  résultats  des  recherches  d'autres  critiques  et 
des  siennes  propres,  et  augmenté  d'une  notable  façon  le  nombre  des 
difficultés  que  soulève  l'examen  des  Économies  royales;  il  fait  remar- 
quer que   même  en   matière   de   finances,   les   souvenirs  de  Sully  ne 


M.    FHILIPPSON    :    HEINRICH    IV   UND    PHILIPP    IIl.  425 

doivent  être  accueillis  qu'avec  circonspection.  Il  prouve  aussi,  et  le 
fait  vaut  la  peine  d'être  signalé,  que  les  parties  essentielles  du  «  grand 
plan  »  se  trouvent  déjà  dans  les  écrits  d' Agrippa  d'Aubigné;  M.  Ph. 
voit  même  dans  ces  derniers  la  source  à  laquelle  a  puisé  Sully.  Il  y  a, 
cela  est  vrai,  du  rapport  entre  ces  deux  auteurs,  mais  le  grand  plan 
n'émanerait-il  pas  d'une  conception  plus  ancienne,  et  Sully  ne  serait- 
il  pas  le  véritable  inventeur  de  l'idée  ? 

M.  Ph.  prononce  en  ces  termes  son  jugement  sévère,  mais  juste, 
sur  les  Économies  royales  de  Sully  :  «  en  presque  tous  les  endroits  où 
les  faits  rapportés  par  Sully  peuvent  être  contrôlés  à  l'aide  de  docu- 
ments authentiques,  leur  fausseté,  tantôt  inconsciente,  mais  le  plus 
souvent  volontaire,  apparaît;  aussi  les  passages  où  ce  contrôle  fait  défaut 
doivent-ils  nous  rester  suspects  puisque  nous  n'avons  aucune  raison 
pour  les  croire  plus  vrais  ni  plus  sincères  que  tous  les  autres,  et  ceux 
qui  contiennent  des  détails  nouveaux  et  non  connus  d'autre  part  doi- 
vent-ils être  tout  à  fait  mis  de  côté.  »  Cette  conclusion  est  la  consé- 
quence naturelle  et  légitime  d'une  patiente  induction  qui  repose  sur 
une  multitude  de  faits  réunis  par  l'auteur  pendant  tout  le  cours  de 
son  travail.  C'est  dans  le  3«  vol.  que  les  citations  empruntées  aux  Eco- 
nomies  royales  cessent  complètement.  L'unité  du  livre  devait  en  souf- 
frir. Le  Henri  IV  du  l^r  vol.  était  resté  plus  près  de  la  tradition  que 
celui  du  troisième,  et  l'on  dirait  que  l'auteur  a  éprouvé  un  certain 
mécontentement  au  sujet  de  ce  changement  de  physionomie;  ce  senti- 
ment se  manifeste  par  des  expressions  qu'il  eût  mieux  valu  ne  pas 
employer  ^ . 

Il  n'est  pas  possible  d'indiquer  en  détail  tout  ce  que  l'ouvrage  de 
M.  Ph.  contient  de  nouveau.  Sur  les  résultats  négatifs  de  sa  critique, 
le  lecteur  est  suffisamment  éclairé  par  ce  qui  précède.  Mais  l'auteur  a 
fait  davantage  :  il  a  tracé  un  tableau  de  Henri  IV  et  de  sa  politique, 
où  il  a  déployé  toutes  les  ressources  d'une  érudition  puisée  non-seule- 
ment dans  les  travaux  antérieurs,  mais  aux  sources  mêmes,  dans  les  ar- 
chives de  Paris,  Bruxelles,  Turin  et  Vienne;  à  mesure  qu'il  avance  dans 
son  travail  la  quantité  de  documents  inédits  l'emporte  de  plus  en  plus 
sur  ceux  qui  étaient  déjà  imprimés;  aussi  son  dernier  volume  mérite-t-il 
une  attention  particulière.  Il  se  divise  en  quatre  chapitres  :  1°  Venise 
et  les  Grisons  1606-1607;  2°  la  trêve  des  Pays-Bas.  Une  grande  partie 
de  ce  chapitre  est  consacrée  aux  négociations  pour  les  mariages  espa- 
gnols; M.  Ph.  complète  sur  plusieurs  points  ce  qu'en  avait  déjà  dit 
M.  Perrens.  L'auteur  soutient  que  la  réussite  de  ces  projets  et  par 
exemple  le  mariage  de  don  Carlos  et  de  Christine  de  France  avec  la 
Belgique  pour  dot,  aurait  écarté  ou  du  moins  retardé  pour  longtemps 
le  danger  d'une  grande  guerre  entre  la  France  et  l'Espagne  ;  à  ce  prix 

1.  III,  p.  70,  «  (ier  Kœnig  sel  mit  seinen  eigentlichen  Wûnschen  brutal  hervo- 
getrelen  ;  »  p.  90  :  «  die  etwas  plumpen  Kiinste,  mit  denen  der  Kœaig  die  bel- 
gischen  Staalsmœnner  zu  lauscheu  suchte.  » 


428  COMPTES-RK\nUS  CRITIQUES. 

m^mo,  HtMiri  IV  aurait  été  prêt  à  abandonner  ses  anciens  amis  les 
Hollandais  s'il  avait  pu  réunir  par  ce  moyen  les  Pays-Bas  tout  entiers 
et  en  même  temps  les  séparer  de  l'Espagne,  et  à  ce  propos  M.  Ph. 
n'hésite  pas  à  lui  reprocher  «  une  politique  mensongère  et  à  double 
face  1).  Le  plus  souvtmt  le  jugement  qu'il  porte  sur  Henri  IV  est  très- 
défavorable;  mais  après  tout  ces  projets  ont  été  trop  vagues  pour  qu'on 
puisse  asseoir  sur  ce  fondement  un  jugement  aussi  catégorique.  Il  est 
bien  certain  que  la  politique  de  Henri  IV  ne  fut  pas  une  politique  de 
sentiment.  En  d'autres  endroits,  le  jugement  de  M.  Ph.  est  plus  mesuré 
et  plus  équitable;  ainsi,  quand  il  dit  (III,  p.  323)  que  Henri  IV  voulut 
commencer  la  guerre  contre  les  Habs])ourg  dans  son  propre  intérêt  et  à 
son  heure,  et  qu'il  n'abandonna  jamais  ce  point  de  vue,  l'auteur  ajoute 
qu'il  eut  d'ailleurs  parfaitement  raison.  —  Le  3«  chap.,  intitulé  «  le 
parti  français  en  Europe  »  montre  les  préparatifs  faits  pour  cette  lutte 
qui  devenait  chaque  jour  plus  prochaine.  Le  dernier  chapitre,  et  le 
plus  important,  explique  la  guerre  de  succession  de  Juliers.  C'est  dans 
ce  chapitre  qu'est  le  point  délicat  de  tout  le  volume.  M.  Ph.  dit  bien 
que  Henri  IV  saisit  le  «  prétexte  »  de  cette  guerre  pour  commencer  la 
lutte;  mais  de  son  récit  même,  si  lumineux  et  si  convaincant,  il  res- 
sort que  la  question  de  Juliers  fut  pour  le  roi  plus  qu'un  simple  pré- 
texte; les  intérêts  de  la  France  commandaient  de  ne  pas  laisser  la  puis- 
sance hispano-impériale  s'établir  sur  le  cours  inférieur  du  Rhin.  —  Je 
veux  encore  faire  remarquer  qu'à  la  fin  de  ce  chapitre  (p.  483)  l'auteur 
pense,  avec  MM.  Poirson  et  Loiselear,  que  Ravaillac  n'eut  pas  de  com- 
plices ;  mais  il  rejette  l'hypothèsse  de  M.  Loiseleur  qui  admet  l'exis- 
tence d'un  second  complot;  il  a  certainement  raison  dans  les  deux 
cas. 

Le  «  grand  plan  »  de  Sully  se  compose  d'éléments  réels  et  d'élé- 
ments imaginaires;  ce  qu'il  y  a  d'imaginaire,  c'est  le  but  même  où 
il  tend;  ce  qu'il  y  a  de  réel  réside  dans  les  moyens  indiqués  pour 
y  parvenir.  Le  but,  c'est  d'établir  la  paix  perpétuelle  :  les  différents 
des  Etats  chrétiens  entre  eux  doivent  à  l'avenir  être  réglés  par  des 
voies  pacifiques;  mais  il  faut  tout  d'abord  remanier  le  système 
politique  de  l'Europe  pour  établir  un  équilibre  stable  entre  les  forces 
des  divers  États.  Le  moyen  pour  arriver  à  la  paix  est  —  la  guerre. 
La  réalisation  de  ce  juste  équilibre  devait  être  obtenue  par  le  ren- 
versement de  la  maison  d'Autriche.  Le  commencement  de  la  fin  est 
ainsi  une  grande  guerre  engagée  par  tous  les  ennemis  des  Habsbourg, 
la  France  en  tête;  c'est  à  la  veille  de  cette  guerre  que  le  poignard  d'un 
assassin  frappa  Henri  IV  ;  les  alliances  étaient  déjà  acquises,  les  traités 
avec  les  confédérés  conclus,  les  futurs  changements  à  la  carte  d'Europe 
arrêtés  avec  eux. 

Que  reste-t-il  de  tout  cela?  C'est  en  se  faisant  cette  demande  que  le 
lecteur  prendra  le  livre  de  M.  Ph.  L'auteur  a  raison  de  repousser  une 
opinion  moyenne  émise  par  M.  Poirson,  qui  attribue  «  l'utopie  »  à 
Sully  seul,  mais  qui   pour  le  reste  conserve  à  Henri  IV  l'honneur 


M.    PfllLlPPSON    :    HEINRICH    IV   UND   PHILIPP   III.  427 

d'avoir  imaginé  le  «  grand  plan  ».  L'un  tombe  avec  l'autre.  Pour 
résoudre  la  difficulté,  la  seule  méthode  est  celle  qu'emploie  M.  Ph.  : 
il  laisse  de  côté  les  Économies  royales ,  et  entreprend  d'exposer, 
d'après  des  documents  authentiques ,  la  vraie  politique  de  la 
France  pendant  les  années  1609  et  1610,  et  les  desseins  véritables 
de  Henri  IV  pendant  ces  mêmes  années  (III,  349).  Lui  aussi  parle 
d'un  «  plan  d'ensemble  »  imaginé  par  Henri  IV  «  cet  habile  homme 
d'État  »  qui  sut  toujours  consen'er  des  vues  générales  au  milieu  de 
l'infini  détail  des  affaires  journalières  de  sa  diplomatie  (III,  324).  A 
coup  sûr,  voilà  un  jugement  très-favorable  à  Henri  IV;  mais  en  quoi 
consiste  le  plan  du  roi?  M.  Ph.  répond  :  son  dessein  fut  de  former  une 
ligue  générale  de  tous  les  éléments  antihabsbourgeois  en  Europe,  de 
réunir  ainsi  la  France,  les  États  protestants,  la  Savoie,  Venise,  les 
Pays-Bas  indépendants,  peut-être  aussi  l'Angleterre.  Cette  union  géné- 
rale devait  s'affirmer  par  la  défense  à  frais  communs  des  Provinces- 
Unies;  mais  l'occasion  manqua  par  suite  des  négociations  pour  la  paix 
entamées  déjà  en  1607.  Avant  même  que  ces  négociations  eiissent  abouti 
à  la  trêve  de  douze  ans,  le  duc  de  Juliers  vint  à  mourir  (mars  1609), 
événement  depuis  longtemps  prévu.  Henri  IV  avait  déjà  formulé  son 
programme  pour  cette  cii'constance.  Les  héritiers  protestants  devaient 
provisoirement  rester  d'accord,  et  empêcher  l'empereur  ou  l'Espagne 
de  se  mêler  à  l'affaire  de  la  succession.  Désormais  l'histoire  de  la  poli- 
tique française  n'est  pas  autre  chose  que  l'histoire  de  la  question  de 
Juliers.  Le  «  plan  d'ensemble,  »  l'aUnion  générale  »  ne  sont  pas  ou- 
bliés ni  détruits;  mais  tandis  que  là  gisaient  les  complications  véri- 
tables, que  là  tout  était  prêt,  ici  presque  rien  n'était  fait  lorsque 
Henri  IV  se  décida  en  mai  1610  à  intervenir  sur  le  Rhin.  Sans  doute 
l'attaque  devait  commencer  en  même  temps  aussi  de  l'autre  côté  des 
Alpes,  en  Italie;  mais  ce  n'était  pas  dans  les  affaires  italiennes  qu'était  le 
nœud  de  la  guerre;  et  même  ces  plans,  ces  projets  relatifs  à  l'Italie, 
dont  plus  tard  Fontenay-Mareuil  parla  longuement  dans  ses  Mémoires, 
combien  ne  faut-il  pas  les  modifier,  si  l'on  admet  le  résultat  des  re- 
cherches de  M.  Ph.  !  Le  seul  prince  italien  sur  l'alliance  duquel 
Henri  IV  put  compter,  a  été  Charles-Emmanuel  de  Savoie.  Les  négo- 
ciations embrouillées  poursuivies  avec  lui  pendant  des  années  sont 
exposées  en  grand  détail  par  M.  Ph.,  en  partie  d'après  des  documents 
inédits.  A  la  mort  de  Henri  IV,  les  négociations  n'avaient  même 
abouti  à  aucun  résultat  formel;  on  n'avait  arrêté  que  les  préliminaires 
d'une  alliance  à  Brosolo  (avril  1610).  Les  conquêtes  éventuelles  —  le 
Milanais,  —  devaient  être  cédées  au  duc.  Henri  IV,  à  l'origine,  avait 
il  est  vrai  pensé  à  se  faire  rétrocéder  la  Savoie;  mais  dans  ce  projet  il 
était  expressément  stipulé  que  Montmélian  serait  démantelé.  Les  autres 
princes  italiens  pourraient  entrer  dans  l'alliance  franco  -  savoyarde, 
mais  on  ne  pouvait  guère  compter  que  sur  le  duc  de  Mantoue.  Avec 
Venise,  une  alliance  défensive  ne  fut  pas  même  conclue. 
L'idée  d'enlever  à  la  maison  des  Habsbourg  la  couronne  impériale 


i28  ooMPTEs-nE\nrs  critiques. 

fait  aussi  partio  du  plan  do  Sully.  Sur  œ  point  la  vérité  est  que.  si  le 
roi  d'Espagne  avait  brigué  la  couronne  pour  lui-même,  comme  on  s'y 
attendait  au  commencement  du  siècle,  Henri  IV  se  serait  vraisemhla- 
iilenient  porté  comme  candidat,  autre  François  !«■•  en  face  d'un  autre 
Cliarles-Quint;  mais  oe  projet  ne  fut  jamais  l'objet  de  préoccupations 
immédiates.  L'idée  d'un  empire  bavarois  n'aurait  pas  eu  l'assentiment 
du  duc  même  de  Bavière,  ni  avant,  ni  après,  dans  les  dernières  années 
de  Henri  IV.  Le  but  le  plus  proche  de  la  politique  française  que  l'on 
put  atteindre  et  que  l'on  atteignit  en  eil'et,  était  de  former  une  ligue 
des  princes  protestants  ou  au  moins  d'une  partie  d'entre  eux.  L'Union 
(1608)  a  été  principalement  l'œuvre  de  Henri  IV.  Aussitôt  que  la  ques- 
tion de  Juliers  se  fut  ouverte,  le  traité  de  Dortmund  fut  conclu,  par 
lequel  les  plus  importants  parmi  les  prétendants  protestants  à  l'héri- 
tage, ceu.x  qu'on  appelait  les  possidlrcnde  Fiirstcn,  s'en  référaient  au  pro- 
gramme du  roi  de  France.  Mais  lorsque  l'archiduc  Léopold  se  fut  em- 
pare de  Juliers  au  nom  de  l'empereur  (juillet  1609),  Henri  IV  dut  se 
préparer  non  plus  seulement  à  intervenir  en  faveur  des  princes  préten- 
dants, mais  aussi  à  commencer  une  guerre  générale.  Mais  les  princes 
allemands  intéressés  à  la  succession  ne  souhaitaient  pas  une  interven- 
tion armée;  ils  reculaient  devant  les  conséquences  redoutables  d'une 
grande  guerre.  Leurs  désirs  et  leurs  réclamations  avaient  été  satisfaits 
par  d'abondants  secours  en  argent.  Par  le  traité  de  Hall  (fév.  1610), 
Henri  IV,  l'Union  et  les  princes  prétendants  s'unirent  pour  intervenir 
tous  ensemble  à  main  armée  ;  si  cette  intervention  devait  allumer  la 
guerre  entre  la  France  et  l'Espagne,  les  princes  protestants  fourniraient 
à  Henri  IV  un  contingent  de  4000  fantassins  et  de  1000  chevaux.  A  la 
vérité  presque  aussitôt  après  Christian  d'Anhalt  proposa  au  roi  le  plan 
des  alliés  qui  consistait  à  envahir  les  Pays-Bas  espagnols  après  que  les 
ennemis  auraient  été  chassés  du  territoire  de  Juliers;  mais  ce  projet 
ne  fut  pas  converti  en  traité.  Dans  les  négociations  avec  l'Angleterre 
et  les  Provinces-Unies  cette  question  ne  fut  pas  même  agitée  pour 
l'avenir;  ces  deux  États  promirent  tout  simplement  de  prendre  part  à 
l'intervention. 

Qu'est-ce  donc  qui  décida  Henri  IV  à  tirer  l'épée?  Il  n'avait  d'autre 
allié  sûr  que  le  duc  de  Savoie  et  encore  ne  pouvait-il  compter  absolu- 
ment sur  lui  qu'en  cas  de  victoire.  La  situation  était  plus  favorable 
pour  le  roi  sur  la  frontière  Nord-Est  de  ses  États.  Là  il  avait,  outre  ses 
36,000  hommes,  10,000  Allemands,  8,000  Hollandais,  4,000  Anglais, 
forces  plus  que  suffisantes  pour  assurer  le  succès  de  l'intervention; 
mais  là  même  l'avenir,  dans  le  cas  d'une  grande  guerre,  était  moins 
assuré.  Sans  doute  l'issue  de  la  guerre  pouvait  s'envisager  sans  crainte; 
sans  doute,  au  cas  de  grandes  victoires  remportées  par  Henri  IV,  la 
Hollande  et  Venise  se  seraient  probablement  laissé  entraîner  dans 
l'alliance  française  par  l'espoir  de  riches  conquêtes,  l'Angleterre  par 
envie  des  succès  de  la  France,  le  pape  par  la  pression  exercée  sur  lui 
par  les  armes  françaises;   mais  à  la  veille  de  la  déclaration  de  guerre, 


M.    PHILIPPSON    :    BEIXRICH    IV   UND    PHILIPP    III.  429 

on  ne  pouvait  avoir  aucune  vue  certaine  sur  de  pareilles  éventualités. 
Cette  situation  justifiait  donc  les  pénibles  pensées  des  ministres  fran- 
çais, leurs  doutes,  leur  peu  de  foi  dans  le  succès,  sentiments  que 
Henri  IV  lui-même  partageait  dans  les  derniers  jours  de  sa  vie.  M.  Ph. 
termine  en  disant  :  «  Si  de  très-estimables  historiens  se  laissent  séduire 
par  le  brillant  tableau  des  résultats  extraordinaires  que  l'on  attendait 
de  la  guerre  projetée  par  Henri  IV,  cela  tient  à  une  ignorance  com- 
plète de  la  véritable  situation  qui,  bien  qu'en  général  favorable  à  la 
France,  ne  promettait  en  aucune  façon  un  résultat  rapide  et  décisif  en 
sa  faveur.  »  —  Aussi  quand  M.  Ph.  donne  à  son  ouvrage  comme  sous- 
titre  a  de  l'établissement  de  la  prépondérance  française  en  Europe,  »  et 
qu'à  la  fin  de  son  3«  vol.  il  dit  expressément  que  Henri  IV  fonda  cette 
prépondérance ,  on  peut  se  demander  si  l'auteur  n'annonce  pas 
autre  chose  que  ce  qu'il  prouve,  et  si,  pour  établir  cette  prépon- 
dérance, il  ne  fallait  pas  précisément  que  la  guerre  projetée  par 
Henri  IV  eût  porté  ses  fruits.  M.  Ph.  a-t-il  bien  raison  de  prétendre 
que  la  régence  de  Marie  de  Médicis  ne  put  renverser  l'œuvre  de  Henri  IV 
et  que  les  deux  cardinaux  et  Louis  XIV  auraient  pu  sans  autres  élé- 
ments continuer  de  bâtir  leur  édifice  sur  ces  fortes  bases? 

Résumons  les  idées  que  nous  fournit  le  livre  de  M.  Ph.:  il  n'a  pas 
seulement  recommencé  l'ancien  procès  de  Marbault  contre  Sully;  il  a 
fourni  de  nouveaux  faits  pour  aider  à  le  juger;  l'issue  en  est  certaine, 
Sully  en  sortira  condamné.  Il  sera  nécessaire  de  soumettre  à  une  révi- 
sion minutieuse  tout  ce  qui  a  été  publié  avant  le  nouveau  livre  :  ou- 
vrages d'exposition  ou  publications  de  textes.  Ainsi  M.  Berger  de 
Xivrey,  qui  n'était  pourtant  pas  aveugle  (voy.  VI,  238),  a  tiré  des  Éco- 
nomies royales  et  admis  dans  ses  Lettres  viissives  bien  des  choses  qui, 
en  dehors  de  tout  autre  critérium,  ne  pouvaient  prendre  place  à  côté 
des  documents  publiés  dans  son  grand  recueil.  Comparez  par  exemple 
au  t.  VI,  p.  86-87,  deux  lettres  du  roi  imprimées  presque  côte  à 
côte,  avec  la  même  date  (17  mai  1603)  et  presque  le  même  con- 
tenu :  la  seconde,  empruntée  aux  Économies  royales,  est  un  remanie- 
ment ou  plutôt  une  contrefaçon  de  la  première.  Dans  l'une  et  l'autre, 
Sully  est  prié  par  le  roi  malade  de  venir  le  trouver  sur-le-champ; 
mais  tandis  que  la  première  ne  dit  rien  de  plus  qu'il  n'était  nécessaire  : 
«  je  vous  prie...  de  me  venir  trouver  sans  donner  l'alarme  à  personne... 
car  je  veulx  parler  à  vous,  »  nous  lisons  dans  l'autre  :  «  or,  estant 
obligé,  après  le  soin  de  mon  salut,  de  penser  aux  ordres  nécessaires 
pour  assurer  la  succession  à  mes  enfants,  les  faire  régner  heureu.se- 
ment  à  l'advantage  de  ma  femme,  de  mon  Estât,  de  mes  bons  servi- 
teurs et  de  nos  pauvres  peuples  que  j'aime  comme  mes  chers  enfans, 
je  désire  conférer  avec  vous  de  toutes  ces  choses  avant  que  d'en  rien 
résouldre...  »  Ici  encore  le  but  de  l'écrivain  a  été  de  rehausser  la  gloire 
non-seulement  de  Henri  IV,  mais  aussi  de  Sully. 

La  prudence  défend  d'accepter  sans  réserve  les  résultats  positifs  aux- 
quels est  arrivé  M.  Ph.,  car,  bien  qu'il  semble  en  général  avoir  atteint  la 


Î30  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

vérité,  ot  que  lo  «  grand  plan  »  no  doivo  pas,  comme  le  phénix,  renaître 
lie  ses  cendres,  on  ne  peut  ])as  cependant  considérer  l'enquête  comme 
terminée.  De  nouveaux  documents  peuvent  amener  des  vues  nouvelles; 
mais  tout  livre  sur  ce  sujet  devra  désormais  s'en  référer  à  l'ouvrage  de 
M.  Ph.,  pour  l'approuver,  le  compléter  ou  le  corriger  Aussi  l'on  peut 
dire  que  l'histoire  de  Henri  IV  est  devenue  un  problème,  et  que  l'éru- 
dition historique  peut  recommencer  son  labeur  de  Sisyphe. 

J.   (tOLL. 


The  Struggle  against  absolute  Monarchy  (1603-1688),  by 
Bertha  Meriton  Gordehy;  vith  two  maps.  London,  Longmans, 
Greeii  and  G",  -1877,  84  p. 

Ce  petit  volume  de  modeste  apparence  fait  partie  d'un  recueil 
{Epochs  of  English  history.  Cf.  Revue  historique,  III,  p.  170)  publié 
sous  la  direction  de  M.  Creighton,  qui  a  eu  l'idée  d'offrir  aux  écoliers 
sous  cette  forme  abrégée  une  histoire  exacte  et  sûre  de  l'Angleterre. 
Le  but  pédagogique  ne  sera  jamais  mieux  atteint  que  si  ces  pages,  oîi 
M"«  Gordery  a  résumé  une  partie  importante  de  l'histoire  de  sa  patrie, 
sont  mises  entre  les  mains  de  jeunes  gens  déjà  au  fait  des  événements 
de  cette  histoire.  L'auteur  a  étudié  avec  soin  les  ouvrages  modernes, 
surtout  les  travaux  de  M.  S.  Rawson  Gardiner  et  de  Forster.  Son  style 
est  simple  et  limpide.  P.  54,  on  voudrait  voir  rappeler  que  Milton,  après 
l'établissement  de  la  République,  accepta  le  poste  de  secrétaire  «  pour 
les  langues  étrangères,  »  et  qu'il  fut  le  grand  publiciste  de  la  Répu- 
blique. 

A.  S. 


The  history  of  the  Struggle  for  parliamentary  government  in 
Engiand;  by  A.  Bisseï,  2  voL  Henry  S.  King  and  G".  London, 
^877,  xx-322-363  p. 

Le  livre  de  M.  Bisset  se  présente  avec  de  bien  plus  grandes  préten- 
tions que  celui  de  M'i«  Gordery;  mais  par  malheur  il  ne  répond  pas  du 
tout  à  notre  attente.  M.  Bisset  a  précédemment  écrit  une  History  of 
Commonwealth,  pour  laquelle  il  avait  mis  à  contribution  les  archives 
de  l'Etat  à  Londres,  et  cet  ouvrage  avait  prouvé  qu'il  était  capable 
d'écrire  un  livre  intéressant  et  utile;  mais  dans  ce  nouveau  travail,  il 
s'est  montré  au-dessous  de  lui-même.  Pour  entreprendre  à  nouveau  dans 
un  livre  de  longue  haleine  un  sujet  aussi  souvent  traité,  il  fallait  ou 
être  en  possession  de  documents  non  encore  utilisés,  ou  au  moins 
mettre  à  profit  les  résultats  actuels  de  la  science,  ou  présenter  les  évé- 
nements sous  un  nouveau  jour.  Le  présent  ouvrage  laisse  beaucoup  à 
désirer  sur  tous  ces  points.   On  dirait  parfois  que  l'auteur  n'a  connu  ni 


C.    nCEFLER    :    FONTES   RERUM    AOSTRIACARUM.  434 

Ranke,  ni  M.  Gardiiier,  ni  les  Calendars  of  state  papers,  ni  les  nom- 
breuses publications  de  la  Camden  Society.  Il  rappelle  la  manière  des 
historiens  amateurs,  quand,  au  grand  étonnement  du  lecteur,  il  cite 
aux  endroits  les  plus  insignifiants,  Hume,  Macaulay,  Grote,  etc.  Il 
définit  le  règne  de  Charles  !«■•  «  une  lutte  pour  le  gouvernement  parle- 
mentaire en  Angleterre,  »  oubliant  ainsi  que  la  lutte  pour  le  gouverne- 
ment parlementaire  ne  fut  pas  terminée  par  le  supplice  du  roi,  mais 
qu'au  contraire  une  longue  période  d'épreuves  fut  nécessaire  pour  fon- 
der le  parlementarisme  moderne.  L'esprit  étroit  dans  lequel  il  a  conçu 
son  sujet  a  pour  conséquence  qu'il  n'accorde  ni  aux  questions  de  poli- 
tique étrangère  ni  aux  questions  religieuses  l'attention  sans  laquelle  on 
ne  peut  comprendre  cette  époque.  Je  ne  veux  pas  nier  que  la  polémique 
de  l'auteur  contre  certains  écrivains  animés  par  la  passion  royaliste 
ou  presbytérienne  ne  soit  çà  et  là  méritoire;  que  certaines  parties  de 
l'ouvrage,  contrairement  à  d'autres  qui  contiennent  des  déclamations 
tout  à  fait  déplacées,  ne  se  laissent  fort  bien  lire,  et  qu'à  côté  de  nom- 
breuses erreurs  on  ne  rencontre  quelques  remarques  judicieuses,  quoi- 
que rarement  neuves;  mais  en  somme  il  est  regrettable  que  tant  de 
travail  et  de  papier  aient  été  dépensés  en  pure  perte. 

A.  Stern. 


Fontes  rerum  austriacarum,  XXXII  und  XXXVIII B.  DerCongress 
von  Soissons.  Herausgegeben  von  C.  Hœfler.  Wien,  imprimerie 
de  Cour  et  d'État,  4875,  2  vol.  439-437  p. 

Ces  deux  volumes  contiennent  des  documents  très-intéressants  pour 
l'étude  d'une  des  périodes  les  plus  obscures  et  les  plus  embrouillées  de 
l'histoire  moderne.   C'est  le  moment  où   se  préparent  sourdement  les 
grandes  crises  qui  éclatèrent  à  l'avènement  de  Marie-Thérèse.  L'Au- 
triche avait  retiré  de  la  guerre  de  succession  d'Espagne  de  très-grands 
avantages  territoriaux.   Elle  possédait  les  couronnes  de  Naples  et  de 
Sicile,  le  Milanais  et  les  provinces  belges  ;  mais  une  préoccupation  qui 
dominait  l'empereur,  la  nécessité  d'obtenir  de  l'Europe  la  garantie  de 
la  Pragmatique  sanction  qui  assurait,  à  défaut  d'héritiers  mâles,  la  suc- 
cession à  la  fille  aînée,  l'entraîna  dans  des  négociations  embarrassées. 
En  1727   la  guerre  faillit  éclater  entre  l'Autriche  et  l'Angleterre  au 
sujet  d'une  compagnie  de  commerce  qui  s'était  formée  à  Ostende.  Dans 
l'état  troublé  de  l'Europe  d'alors,  ce  différend  en  souleva  d'autres  :  la 
moindre  affaire  pouvait  allumer  une  guerre  générale.  La  France  offrit 
ses  bons  offices,  et  par  un  traité  préliminaire,  l'Autriche,  la  France, 
l'Angleterre  et  la  Hollande  convinrent  de  se  réunir  en  Congrès  à  Aix- 
la-Chapelle  pour  régler  leurs  intérêts  respectifs.  Aix-la-Chapelle  fut 
changé  pour  Courtrai,  puis  pour  Soissons,  et  c'est  là  que  le  Congrès  se 
réunit  le  14  juin  1728.  Il  fit  peu  de  chose,  et  bientôt  les  négociations 
se  trouvèrent  transportées  à  Paris,  où  elles  se  poursuivirent  à  peu  près 


.',32  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

exclusivomciil  jus(|irà  l;i  atnchisiuu  du  traité  de  Sévillo  (9  novembre 
1729)  qui  fut  considéré  comme  la  fin  du  Congrès  de  Soissons.  Ce  traité 
provoqua  des  réclamations  très-vives  de  la  part  de  l'Autriche  et  il  s'en- 
suivit des  uéfiociations  qui  se  terminèrent  en  1733  par  la  fçuerre  de 
succession  de  Polo{^ne.  Le  comte  Etienne  Kinsky  fut  adjoint  comme 
plénipotentiaire  au  baron  Fonseca  qui  avait  pris  part  aux  premières 
opérations  du  Congrès.  Il  arriva  à  Paris  au  milieu  de  juin  1729. 
La  correspondance  publiée  par  M.  H.  commence  le  16  juin  1729;  elle 
se  compose  des  rapports  des  plénipotentiaires  autrichiens,  des  rescrits 
que  leur  cour  leur  adressait  et  des  documents  annexés  à  ces  différentes 
expéditions.  Un  très-grand  nombre  de  ces  documents  sont  en  français. 
Les  pièces  comprises  dans  la  première  partie  de  la  publication,  celle 
qui  forme  le  t.  XXXII  des  Fontes  rerum  austriacaruni,  comprend  la 
correspondance  de  la  mission  autrichienne  du  16  juin  au  28  décembre 
1729,  en  tout  56  pièces,  et  des  annexes  qui  s'étendent  du  25  février  au 
20  décembre  1729.  La  seconde  partie,  qui  forme  le  t.  XXXVIIT  des 
Fontes,  comprend  la  correspondance  de  la  mission  du  2  janvier  1730  au 
6  mars  1732,  et  se  termine  par  le  récit  de  l'audience  de  congé  de  Kinsky. 
C'est  donc  l'histoire  entière  d'une  négociation  dont  M.  H.  nous  donne  les 
éléments.  Il  avait  eu  à  sa  disposition  la  correspondance  de  Kinsky  ; 
il  l'a  complétée  par  des  documents  tirés  des  Archives  de  l'État.  La  publi- 
cation, qui  est  accompagnée  de  tables  et  de  répertoires,  est  précédée 
d'introductions  historiques  développées  :  xlvu  et  xxvni  pages. 


Recueil  des  Traités  et  Conventions  conclus  par  l'Autriche  avec 
les  puissances  étrangères,  par  L.  de  Neumann  et  A.  de  Plasson. 
Nouvelle  suite.  Tome  I.  Vienne,  1877.  Imprimerie  de  la  Cour  et 
de  l'État,  8°,  xri-46D  p. 

Le  recueil  de  M.  de  Neumann  est  très-connu  et  justement  estimé. 
Ce  recueil  s'était  arrêté  au  t.  VI  et  à  l'année  1851.  La  nouvelle  série 
qui  commence  avec  ce  volume  comprendra  les  traités,  conventions, 
notes  et  déclarations  contenant  des  conventions  ou  les  concernant,  de  1851 
à  1876.  Les  actes  contenus  dans  ce  nouveau  volume  sont  au  nombre  de 
76  et  s'étendent  du  4  août  1851  au  5  décembre  1857.  Ils  embrassent 
donc  la  période  si  intéressante  de  la  guerre  de  Crimée.  M.  de  Neumann 
et  M.  de  Plasson  se  bornent  à  publier  les  pièces  après  les  avoir  colla- 
tionnées  sur  les  textes  authentiques.  Ils  ne  font  point  de  commentaires 
historiques.  Il  suffit  d'annoncer  ce  volume  pour  qu'il  prenne  immédia- 
tement dans  les  bibliothèques  la  place  qu'il  laissait  vide  et  où  il  était 
attendu. 


ARNETH    :    GESCHICHTE    MARIA-THERESU's.  433 

Geschichte    Maria- Theresia's.    Von    Alfred   RitLer  von  AiaETii. 
Band  I-VIII.  Wien,  ^  868-77,  in-8,  Braumuller. 

Il  y  a  quatorze  ans,  M.  d'Arneth  traçait  d'une  main  ferme,  dans  la 
préface  de  son  premier  volume,  le  plan  d'après  lequel  il  se  proposait 
d'écrire  l'histoire  de  Marie-Thérèse  «  la  plus  grande  figure  de  l'histoire 
autrichienne  »  ;  il  voulait  la  diviser  en  4  parties.  En  considérant  la 
masse  énorme  de  matériaux  non  encore  utilisés  qui  devaient  former  les 
fondements  de  son  œuvre,  il  doutait  s'il  pourrait  jamais  venir  à  bout 
de  sa  tâche.  Cependant  trois  parties  sont  déjà  complètement  traitées  ; 
le  second  volume  de  la  ¥  vient  de  paraître,  et  l'on  peut  espérer  en  voir 
la  fin  pour  le  centenaire  de  la  mort  de  Marie-Thérèse.  Telle  qu'elle  est 
déjà,  cette  œuvre  est  le  plus  beau  monument  qui  ait  été  élevé  à  la 
mémoire  de  l'impératrice,  monumentum  aère  perennius. 

Les  travaux  d'Arneth  ont  inauguré  une  ère  nouvelle  pour  les  études 
historiques  en  Autriche.  Sous  Marie-Thérèse  avaient  été  fondées  les 
Archives  de  la  maison  impériale,  et  dès  cette  époque,  on  avait  consi- 
déré qu'une  de  leurs  principales  destinations  était  de  venir  en  aide  aux 
recherches  des  érudits.  Mais  pendant  le  long  règne  de  François  le"-,  et 
après  lui,  tout  le  temps  que  dura  le  ministère  du  prince  de  Metternich, 
les  archives  furent  étroitement  fermées,  et  les  études  historiques  mises 
en  suspicion.  Lorsqu'on  1821  G. -H.  Pertz,  au  nom  de  la  Société  fondée 
pour  l'étude  de  l'histoire  ancienne  de  l'Allemagne,  chercha  à  Vienne 
des  collaborateurs  pour  la  publication  des  Monumenta  Germaniae  histo- 
rica,  le  chevalier  de  Gentz,  l'homme  de  confiance  de  Metternich,  lui 
expliqua  «  que  la  formation  de  cette  Société  ne  pouvait  être  agréable  à 
l'empereur;  qu'elle  ne  devait  pas  compter  sur  son  appui;  qu'elle  ne 
se  serait  jamais  vue  de  bon  œil  ».  On  demanda  même  «  à  quel  but  on  vou- 
lait faire  servir  l'histoire  ».  En  cette  circonstance,  il  ne  s'agissait  que  du 
moyen-àge,  et  même  de  la  période  la  plus  reculée  de  cette  époque 
lointaine;  l'étude  de  l'histoire  moderne  était  regardée  comme  absolu- 
ment subversive.  La  conséquence  d'un  pareil  système  fut  de  laisser 
l'Autriche,  en  fait  d'érudition,  loin  derrière  les  principaux  États  de 
l'Europe;  aussi  les  événements  les  plus  importants,  les  plus  grands 
personnages  de  son  histoire  ne  furent-ils  connus  que  d'une  façon  super- 
ficielle. Partout  l'on  publiait  des  sources  nouvelles,  les  archives  s'ou- 
vraient; l'historiographie  allemande  prenait  sous  la  direction  de  Ranke 
un  vigoureux  essor;  en  Autriche  seulement  l'histoire  était  sans  voix. 
Depuis  trente  ans,  les  choses  ont  bien  changé.  L'Académie  des  sciences 
fondée  à  Vienne  établit  une  commission  d'histoire  sous  la  direction  de 
laquelle  ont  été  publiés  depuis  1848  VA^xhiv  fur  œsterreichische  Geschichte 
et  depuis  1855  les  Fontes  rerum  austriacarum,  Tpuh\ica.t\oo.s  qui  comptent 
aujourd'hui  de  nombreux  volumes  et  qui  renferment  les  plus  précieux 
documents.  L'histoire  moderne  donnait  encore  ombrage;  mais  depuis 
une  dizaine  d'années  les  entraves  ont  été  brisées,  et  les  archives  autri- 
chiennes ont  offert  aux  travailleurs  une  mine  inépuisable. 

Hev.   Histor.   V.  2e  F.\SC.  28 


/,3'i  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

C'est  riionmnir  d'Arneth,  on  sa  qualité  de  directeur  des  archives  de 
la  maison  impiMiale  ol  de  l'État  d'Autriche,  d'avoir  levé  l'interdit  qui  les 
frappait,  et  d'avoir  mis  à  l'entière  disposition  des  érudits  les  trésors  qu'elles 
renferment.  Il  a  montré  lui-même  dans  des  ouvrages  de  premier  ordre 
le  parti  qu'on  en  pouvait  tirer;  tous  ses  travaux  témoignent  d'une 
méthode  sévère  à  laquelle  il  avait  été  initié  par  son  père,  l'éminent 
numismate  Joseph  d'Arneth.  Ils  se  recommandent  par  la  sûreté  des 
informations,  l'ahondance  des  documents  inédits  qu'il  y  met  à  profit,  et 
dont  il  a  publié  les  plus  importants  avec  une  minutieuse  exactitude, 
soit  parmi  les  remarques  et  en  appendice,  soit  en  volumes  ;  enfin  par 
une  mise  en  œuvre  consciencieuse  de  ces  riches  matériaux,  et  une 
e.xposition  simple,  mais  claire  et  pénétrante.  Je  ne  parlerai  pas  ici  de 
.ses  importants  travaux,  publiés  il  y  a  longtemps  déjà,  sur  le  feld- 
maréchal  Guido  Starhemberg  et  sur  le  prince  Eugène;  il  considérait 
lui-même  comme  son  œuvre  capitale  l'histoire  détaillée  de  Marie-Thé- 
rèse qu'il  voulait  écrire,  et  il  s'y  est  consacré  avec  le  plus  entier  dévoue- 
ment, et  animé  du  plus  pur  patriotisme. 

Chaque  partie  de  l'histoire  de  Marie-Thérèse  est  féconde  en  rensei- 
gnements nouveaux  et  importants,  en  traits  qui  peignent  vivement  la 
vie  et  les  actes  de  l'impératrice  et  de  ses  contemporains.  Dans  la  première 
partie  de  son  règne  (1740-48,  3  vol.,  de  18G3  à  1865),  nous  voyons  la 
jeune  princesse,  héritière  d'un  trône  antique,  mais  sans  armée  exercée, 
le  trésor  vide,  entourée  de  vieillards;  —  tous  ses  ministres  avaient 
dépassé  soixante-dix  ans  ou  allaient  les  avoir  —  lutter  pleine  de  courage 
et  de  résolution  contre  les  ennemis,  supérieurs  en  force,  qui  attaquaient 
de  tous  côtés  ses  droits  héréditaires,  et  menaçaient  l'intégrité  de  ses 
États.  Conseillée  par  quelques  dévoués  serviteurs,  parmi  lesquels  le 
secrétaire  d'État  Bartenstein,  portée  par  la  fidélité  et  le  dévouement  de 
ses  peuples,  soutenue  par  l'alliance  des  puissances  maritimes,  l'Angle- 
terre et  la  Hollande,  elle  surmonte  le  péril,  et  mûrit  au  milieu  de 
l'adversité;  elle  peut  enfin  mettre  sur  la  tête  de  son  époux,  François  de 
Lorraine,  la  couronne  impériale,  et  sauver  ses  États  héréditaires,  sauf 
une  partie  de  ses  possessions  en  Italie  et  les  provinces  allemandes  de 
Silésie  et  de  Glatz. 

Ce  grand  travail  fut  interrompu  par  la  publication  de  la  correspon- 
dance de  Marie- Antoinette  avec  sa  mère,  ses  frères  Joseph  11  et  Léo- 
pold  II,  documents  d'une  authenticité  absolue,  à  l'aide  desquels 
M.  d'Arneth  renversa  tout  l'échafaudage  des  faussaires  et  la  crédulité 
des  collectionneurs  dillettantes,  et  qui  le  firent  connaître  en  France  de 
tous  les  travailleurs  sérieux.  Puis  vinrent  la  correspondance  de  Joseph  II 
avec  Marie-Thérèse  et  son  frère  Léopold  ( —  1780),  avec  Catherine  II  de 
Russie;  d'autres  publications  encore,  fruits  de  ses  recherches  dans  les 
archives;  et  quelques  années  plus  tard, celle  de  la  correspondance  secrète 
entre  Marie-Thérèse  et  le  comte  de  Mercy-Argenteau,  si  étonnante  et  si 
pleine  d'intérêt,  qu'il  entreprit  en  collaboration  avec  M.  Geffroy  (Paris, 
Didot,  3  vol.  1874). 


ARNETH    :    f.ESCHICHTE    MARIA-THERESIA's.  435 

Avant  cette  dernière  publication,  M.  d'Arneth  avait  publié  en  1870  la 
seconde  partie  de  son  histoire  :  Marie-Thérèse  après  la  guerre  de  succes- 
sion, 1748-56.  Dans  les  précédents  volumes,  il  avait  eu  plus  d'une  fois 
occasion  de  remplacer  des  récits  à  moitié  légendaires  par  d'autres  plus 
véridiques  ;  mais  il  avait  sous  la  main  une  très-grande  quantité  d'ou- 
vrages composés  par  des  historiens  appartenant  à  des  nations  alliées  ou 
ennemies  de  l'Autriche.  Dans  ce  nouveau  volume,  au  contraire,  il  fallut 
couper  en  pleine  forêt  vierge;  aussi  est-il  infiniment  plus  instructif. 
Pendant  ces  années  de  paix,  l'impératrice  mit  tous  ses  soins  à  réprimer 
les  ahus  qu'elle  avait  remarqués  pendant  les  premières  années,  si  cri- 
tiques, de  son  règne,  et  à  augmenter  par  une  organisation  nouvelle  les 
forces  de  son  État.  Dans  cette  œuvre,  elle  eut  pour  auxiliaires  des 
hommes  de  mérite  qu'elle  sut  choisir,  et  qu'elle  estimait  à  leur  valeur, 
le  comte  Fr.-Guill.  von  Haugwitz,  le  comte  Fr.  Harrach,  le  comte 
Ph.  Kinsky.  Pour  assurer  l'unité  du  gouvernement  et  centraliser  les 
forces  de  l'État,  les  hauts  fonctionnaires  furent  remplacés,  les  immu- 
nités des  États  provinciaux  réduites,  les  pouvoirs  administratifs  et 
judiciaires  séparés,  un  code  civil  et  un  code  criminel  rédigés  (ils  furent 
terminés  en  1766  et  1768);  l'administration  financière  fut  organisée,  et 
l'armée  refaite  sur  le  modèle  prussien;  en  peu  de  temps  l'activité 
réformatrice  de  Marie-Thérèse  et  de  ses  ministres  se  signala  dans 
toutes  les  directions,  du  moins  dans  les  provinces  allemandes,  car  les 
Pays-Bas  veillaient  sur  leurs  privilèges  et  les  Hongrois  résistèrent  avec 
énergie  à  toutes  les  réformes,  et  persévérèrent  dans  leur  esprit  d'isole- 
ment à  l'égard  des  projets  les  plus  salutaires  de  Marie-Thérèse. 

Le  zèle  et  le  talent  déployés  par  l'impératrice  pour  l'administration 
et  la  réforme  de  ses  États  avaient  été  reconnus  par  ses  contemporains, 
et  avaient  surtout  excité  l'étonnement  de  Frédéric  II,  qui  en  a  donné 
une  preuve  significative  dans  la  préface  de  son  Histoire  de  la  guerre  de 
Sept-Ans  ;  mais  les  motifs  auxquels  obéit  l'impératrice ,  les  délibérations 
qu'elle  conduisit,  les  résolutions  auxquelles  elle  s'arrêta,  nous  n'appre- 
nons tout  cela  dans  le  détail  que  par  le  livre  de  M.  d'Arneth. 

Plus  instructifs  sont  encore  les  renseignements  qu'il  nous  apporte 
sur  la  politique  étrangère  de  la  cour  autrichienne.  A  quelles  discussions 
ne  s'est-on  pas  livré,  jusque  dans  ces  derniers  temps,  sur  l'origine  de 
la  guerre  de  Sept-Ans  !  Aujourd'hui,  nous  avons  les  preuves,  tirées  des 
archives  autrichiennes,  que  le  but  final  de  toutes  les  réformes  inté- 
rieures, comme  de  la  politique  étrangère,  était  de  mettre  Marie-Thérèse 
en  état  de  régler  son  compte  avec  la  Prusse,  et  non-seulement  de 
reprendre  la  Silésie,  mais  de  ramener  la  Prusse  à  l'état  d'une  princi- 
pauté d'empire  réduite  à  l'impuissance.  Le  comte  Kaunitz  entra  sans 
restriction  dans  ces  desseins,  s'y  incarna  pour  ainsi  dire,  et  par  cette 
conduite  mérita  la  confiance  illimitée  de  sa  souveraine,  dont  il  resta 
jusqu'à  sa  mort  le  premier  conseiller.  L'entreprise  paraissait  si  difficile, 
que  Marie-Thérèse  n'était  résolue  à  la  tenter  que  le  jour  où  les  circons- 
tances lui  promettraient  le  succès.  Pour  garantir  l'enjeu  que  risquait 


.H3G  r.OMPTRS-UKNDUS    ClUTiyilES. 

rAulnchc,  il  fallait  des*  allios  puissants;  il  lui  fallait  isolor  la  Prusso. 
L'alliance  anglaise  n'avait  pas  répondu  longtemps  aux  espérances  de 
Marie-Thérèse;  on  ne  devait  pas  s'attendre  à  ce  que  l'Angleterre  prêtât 
les  mains  à  l'anéantissement  de  la  Prusse.  L'Autriche  pouvait  compter 
sur  les  secours  armes  de  la  Russie;  mais  c'est  la  France  (pii  devait  faire 
pencher  la  balance  en  sa  faveur.  Si  l'on  pouvait  amener  cette  puissance, 
iusqu'alors  ralliée  de  la  Prusse,  non-seulement  à  consentir  à  une  guerre 
contre  ce  royaume,  mais  à  y  prendre  part  au  moins  d'une  façon  indi- 
recte par  des  subsides,  et  en  faisant  marcher  les  principautés  d'empire 
ses  alliées,  l'impératrice  et  son  ministre   croyaient  pouvoir  vaincre  la 
Prusse  et  relever  la  grandeur  impériale  de  l'Autriche   catholique  en 
Allemagne  sur  des  bases  inébranlables.  Nous  connaissons  aujourd'hui 
et  les  divers  articles  de  ce   programme  tracé  par  Kaunitz  en  1749,  et 
approuvé  par  l'impératrice,  et  les  empêchements  qui  en  entravèrent 
l'exécution  et  maintinrent  pendant  de  longues  années  encore  la  cour 
impériale  dans  la  vieille  ornière  de  l'alliance  avec  les  puissances  mari- 
times. Ni  comme  ambassadeur  en  France  (depuis  1750),  ni  comme 
chancelier  d'État  (depuis  1753),  Kaunitz  ne  réussit  à  faire  faire  un  pas 
à  l'alliance  française,jusqu'au  jour  où  la  guerre  éclata  entre  l'Angleterre 
et  la  France,  et  brisa  le  lien  qui  unissait  l'Autriche  à  l'Angleterre. 
Alors  on  reprit  les  projets  ajournés  depuis  des  années,  et  en  août  1755 
des  néo-ociations  en  vue  d'une  alliance  offensive  furent  entamées  avec 
la  France.  Nous  savions  depuis  longtemps  —  et  les  historiens  français 
nous  renseigneront  là-dessus,  il  faut  l'espérer,  avec  plus  de  précision 
encore,  à  l'aide  des  papiers  de  Bernis  —  quelles  discussions  orageuses  et 
quelle  vive  opposition  les  offres  de  l'Autriche  excitèrent  dans  le  conseil 
de  Louis  XV  ;  mais  combien  la  marquise  de  Pompadour  se  donna  de 
peine  pour  les  faire  accueillir,  et  quelle  part  décisive  elle  prit  à  la 
conclusion  de  l'alliance,  c'est  M.  d'Arneth  qui  nous  l'apprend,  de  la 
manière  la  plus  précise,  d'après  les  papiers  du  cabinet  autrichien.  La 
cour  de  Vienne  se  croyait  si  bien  sûre  de  son  affaire,  qu'elle  pensait 
déjà  en  1756  à  déclarer  la  guerre  à  la  Prusse  avec  une  armée  autri- 
chienne de  80,000  hommes,  et  une  armée  russe  de  60  à  70,000  hommes. 
Cependant  la  signature  du  traité  fut  ajournée;  la  cour  de  Versailles 
n'était  pas  si  fort  disposée  à  une  entente  parfaite  qui  aurait  pour  résul- 
tat le  bouleversement  de  ses  relations  avec  l'Allemagne  et  le  démem-, 
brement  de  la  Prusse.  Le  traité  du  \^'^  mai  1756  établissait  une  alliance 
plutôt  défensive,  et  réservait  la  question  d'un  plus  complet  accord. 
L'Autriche  elle-même  était  encore  en  retard  pour  ses  préparatifs  de 
guerre.  C'est  pourquoi  la  marche  déjà  commencée  des  Russes  vers  leur 
frontière  occidentale  fut  arrêtée  et  le  début  des  hostilités  fixé  au  prin- 
temps de  l'année  1757.  Tel  était  l'état  des  choses  lorsque  Frédéric  II 
devina  le  péril  qui  le  menaçait,  et  tira  l'épée  en  août  1756,  poussé  par 
«  la  nécessité  de  prévenir  des  complots  qui  deviendraient  plus  dangereux 
de  jour  en  jour,  si  l'épée  ne  tranchait  ce  nœud  gordien,  lorsqu'il  en  est 
temps  encore  ». 


ARNETH   :    GESCHICHTE    MARIA-THERESIA''s.  437 

Cinq  ans  plus  tard,  parut  la  3e  partie  :  Marie-Thérèse  et  la  guerre 
de  Sept-Ans  (2  vol.  1875).  Ce  n'est  pas  le  récit  des  faits  militaires  qui 
tient  ici  la  plus  grande  place;  c'est  le  rôle  personnel  qu'y  joua  l'impéra- 
trice, ses  efforts  pour  organiser  l'armée,  ses  relations  avec  les  généraux; 
c'est  la  position  du  conseil  aulique  de  la  guerre  (Hofhiegsrath)  ;  c'est 
la  poursuite  des  négociations  entamées  par  le  cabinet  autrichien.  L'au- 
teur a  peint  en  traits  vivants  la  persévérance  et  l'opiniâtreté  de  Marie- 
Thérèse;  les  frottements  intérieurs  et  les  résistances  qui  affaiblirent 
l'action  autrichienne  et  la  coopération  des  alliés,  et  permirent  au  génie 
et  à  la  fermeté  de  Frédéric  le  Grand  de  sauver  l'intégrité  de  ses 
États. 

La  4e  partie  enfin  comprend  les  dernières  années  du  règne  de  Marie- 
Thérèse  (1763-80).  Elle  comptera  4  volumes;  deux  ont  déjà  paru  à 
court  intervalle  (1876  et  1877).  Dans  cette  dernière  période  de  sa  vie, 
l'impératrice  ne  forma  plus  de  grands  projets  comme  ceux  qui  avaient 
auparavant  rempli  son  esprit.  Elle  accepta  comme  un  jugement  de  Dieu 
l'arrêt  prononcé  par  les  événements  dans  la  longue  et  fatale  guerre  avec 
la  Prusse;  elle  mit  tous  ses  soins  à  maintenir  la  paix,  à  panser  les 
blessures  que  la  guerre  avait  faites,  à  reprendre  avec  calme  l'œuvre  des 
réformes  commencée  auparavant,  à  établir  sa  famille.  Kaunitz  resta 
près  d'elle  avec  une  fidélité  et  undévouement  ininterrompus.  Au  début, 
son  mari,  l'empereur  François  I",  l'aida  aussi  pour  sa  part,  surtout  en 
matière  de  finances;  en  général,  d'ailleurs,  l'action  de  ce  dernier  dans 
le  gouvernement  fut  plus  importante  qu'on  ne  l'avait  admis  jusqu'ici. 
Après  sa  mort  (1765)  l'empereur  Joseph  II  devint  corégent  à  côté  de  sa 
mère,  situation  qui  devint  pour  l'un  et  l'autre  difficile  et  pénible  ;  car 
le  sang  ardent  du  Lorrain  bouillonnait  dans  les  veines  de  l'empereur, 
et  toute  sa  piété  filiale  pouvait  à  peine  le  plier  à  suivre  la  politique 
réfléchie  et  circonspecte  de  sa  mère  vieillissante.  Il  brûlait  du  désir 
d'entreprendre  à  l'intérieur  d'énergiques  réformes  et  à  l'extérieur  de 
poursuivre  par  tous  les  moyens  possibles  les  avantages  de  l'Autriche. 
Sur  tous  ces  points  se  produisirent  des  tiraillements  qui  préparèrent  à 
Marie-Thérèse  des  chagrins  nombreux,  et,  dans  la  politique  autrichienne, 
de  grandes  oscillations;  car  tandis  que  pour  l'administration  et  la  justice 
l'impératrice  s'en  tenait  opiniâtrement  aux  principes  qu'elle  avait  mis 
elle-même  en  pratique,  pour  la  politique  étrangère,  la  fougue  de  son  fils 
l'entraîna  souvent,  contre  sa  volonté  et  contre  ses  convictions.  Cette 
peinture  des  relations  personnelles  entre  la  mère  et  le  fils,  deux  carac- 
tères si  remarquables,  donne  aux  derniers  volumes  de  M.  d'Arneth  un 
intérêt  tout  particulier. 

Lele^'vol.  decette  série  est  spécialement  consacré  aux  affaires  intérieures 
et  à  la  maison  impériale.  Il  traite  du  relèvement  du  crédit  de  l'État, 
ébranlé  par  les  dépenses  de  la  guerre;  de  l'armée;  des  nouvelles,  mais 
infructueuses  négociations .  avec  la  dicte  hongroise;  de  l'introduction 
dans  les  services  publics  d'éléments  plus  jeunes,  ce  qui  amena  Kaunitz 
à  offrir  sa  démission;  mais  Mario-Thérèse  ot  l'empereur  s'unirent  pour 


53S  COMPTES-llENnUS    CIUTIQUES. 

vaincre  l'onibrapoiiso  susceptibilité  ûo  leur  ministre.  Il  nous  introduit 
particulièrement  dans  la  famille  impériale  ;  les  fils,  filles  et  gendres  de 
Marie-Thérèse  nous  sont  montrés  dans  des  tableaux  pleins  de  vie  dont 
les  traits  ont  été  fournis  à  l'auteur  par  les  rapports  des  ambassadeurs, 
les  papiers  de  famille  et  les  correspondances  confidentielles.  Les  inquié- 
tudes et  les  sentiments  maternels  de  l'impératrice  se  manifestent  dans 
les  instructions  où  elle  conseille  ses  filles;  mais  ce  qui  jette  une 
ombre  sur  ses  dernières  années,  c'est  qu'une  seule  de  ses  filles,  l'archi- 
duchesse Marie,  fut  heureuse  avec  l'époux  de  son  choix,  Albert  de 
Saxe,  tandis  que  la  politique,  qui  l'avait  poussée  à  disposer  de  la  main 
des  autres,  ne  leur  avait  pas  apporté  le  bonheur.  Joseph  II  non  plus 
ne  fut  pas  heureux  dans  son  second  mariage.  M.  d'Arneth  consacre  un 
excellent  chapitre  à  sa  première  femme,  si  aimable  et  si  bien  douée, 
Isabelle  de  Parme,  petite-fille  de  Louis  XV,  et  nous  fiait  comprendre 
combien  la  famille  impériale  eut  raison  de  regretter  Ja  mort  prématurée 
de  cette  princesse. 

Le  dernier  volume,  qui  vient  de  paraître,  concerne  les  affaires  étran- 
gères, parmi  lesquelles  le  démêlé  turco-polonais,  le  premier  partage  de 
la  Pologne  et  la  guerre  turco-russe  de  1768-1774  tiennent  le  premier 
rang.  Ici  M.  d'Arneth  met  tous  ses  soins  à  suivre  dans  le  détail  la 
marche  de  la  politique  autrichienne  et  à  fixer  avec  précision  la  part 
qu'y  prit  Marie-Thérèse.  Il  montre  avec  une  grande  finesse  les  diffé- 
rences capitales  qui  séparaient  les  convictions  de  l'impératrice  et  les 
vues  de  son  chancelier  d'État,  celles  surtout  qui  séparaient  Marie- 
Thérèse  et  Joseph  II.  Sur  ce  sujet,  et  dans  le  sens  autrichien,  le  travail 
était  déjà  fort  préparé,  en  partie  par  les  correspondances  publiées  par 
M.  d'Arneth  lui-même,  en  partie  par  les  documents  publiés  par  M.  Adolf 
Béer;  mais  c'est  encore  M.  dArneth  qui,  le  premier,  a  apporté  dans 
cette  partie  une  clarté  et  une  précision  parfaites,  à  l'aide  de  textes  nou- 
veaux et  importants,  tirés  surtout  des  papiers  du  cabinet  impérial. 
Nous  voyons  aujourd'hui  de  la  façon  la  plus  évidente  après  quelles 
résistances  et  avec  quel  déplaisir  Marie-Thérèse  a  prêté  les  mains  aux 
efforts  de  Joseph  II  pour  démembrer  la  Pologne  et  pour  enlever  à  la 
Turquie  une  partie  de  la  Moldavie.  Le  livre  se  termine  par  les  conven- 
tions signées  en  1776,  qui  fixèrent  les  limites  des  provinces  acquises  à 
l'Autriche,  la  Gallicie  et  la  Bukovine.  Le  volume  suivant  exposera  les 
mesures  prises  pour  secourir  ces  pays  arrachés  à  la  mauvaise  adminis- 
tration turque  ou  polonaise,  et  dont  l'état  misérable,  au  dire  de  Joseph  II, 
appelait  depuis  longtemps  un  autre  maître  ;  de  même  aussi  les  réformes 
entreprises  simultanément  dans  les  autres  provinces  de  la  monarchie. 

M.  d'Arneth  n'attache  pas  seulement  le  lecteur  par  une  exposition 
lumineuse;  il  le  gagne  en  indiquant  et  en  pesant  en  toute  conscience  les 
raisons  qui  permettent  d'établir  les  faits  et  d'apprécier  les  personnages. 
On  ne  met  jamais  en  doute  sa  loyauté  ni  sa  sincérité,  même  quand  on 
n'adhère  pas  à  ses  jugements.il  écrit  d'après  les  actes  autrichiens  et  au 
point  de  vue  autrichien,  avec  des  sentiments  d'amour  et  de  respect  pour 


SYBEL    :    HISTOIRE    DE    l'eUROPE    PENDANT    LA    RE'vOLUTION.  ■'«39 

Marie-Thérèse,  avec  un  chaud  patriotisme.  Il  ne  s'aveugle  pourtant  pas 

sur  les  faiblesses  de  l'impératrice  et  sur  les  fautes  de  son  règne.  Il  lui 

reproche  par  exemple  son  étroite  dévotion,  et  ne  méconnaît  pas  les 

imperfections  du  système  bureaucratique  de  l'époque;  mais  il  accentue 

fortement  son  blâme  contre  les  .ennemis  de  sa  souveraine,  non  sans  se 

laisser  influencer  malgré  lui  par  les  animosités  du  moment  présent,  ainsi 

quand  il  en  vient  à  parler  des  refus  inébranlables  que  la  Hongrie  opposa 

à  toute  réforme,  et  de  ses  menaces  de  séparatisme,  et  dans  le  jugement 

amer  et  à  mon  sens  injuste  qu'il  porte  sur  Frédéric  le  Grand.  Mais  il 

a  déjà  montré  qu'il  sait   honorer   l'opinion   loyale  d'un    adversaire, 

même  sur  des  points  où  il  est  en  désaccord  avec  lui.  Gomme  membre  du 

Parlement  autrichien,  comme  directeur  des  archives  impériales  et  comme 

écrivain,  il  est  resté  résolument  fidèle  aux  principes  qu'il  exprimait  en 

janvier  1849  en  qualité  de  délégué  à  l'Assemblée  nationale  allemande 

de  Francfort  :  «  S'il  était  réellement  impossible  de  créer  un  lien  intime 

entre  l'Autriche  et  l'Allemagne,  c'est-à-dire  en  faisant  entrer  l'Autriche 

dans  la  fédération  allemande,  alors,  Messieurs,  notre  plus  sacré  devoir 

serait  de  tout  mettre  en  œuvre,  vous  en  Allemagne  et  nous  en  Autriche, 

afin  de  sceller  aussi  étroitement  que  possible  l'alliance  qui  doit  unir" 

indissolublement  les  deux  pays,  et  qui  les  unira  indissolublement  à  leur 

commun  avantage;  puis,  ce  sera  notre  plus  sacré  devoir  de  travailler 

à  faire  cesser  la  division  qui  menace  aujourd'hui  de  séparer  les  deux 

pays,  à  empêcher  que  la  division  s'accentue  jamais  au  point  d'amener 

une  irréparable  séparation.  » 

Arnold  Schaefer. 


Histoire  de  l'Europe  pendant  la  Révolution  française,  par  H.  de 

Sycel,  traduit  par  M'"=  Marie  Bosquet,   tome  III.  Paris,  Germer 

Baillière.  ^  vol.  in-8°,  532  p. 

La  guerre  avait  interrompu  l'édition  française  de  l'histoire  de  M.  de 
Sybel.  Il  eût  été  très-fâcheux  que  cette  publication  ne  fût  pas  continuée, 
et  nous  devons  savoir  gré  au  traducteur  et  à  l'éditeur  de  l'avoir  reprise. 
Il  est  nécessaire  en  effet  de  mettre  à  la  portée  du  grand  public  un  des 
ouvrages  qui  permettent  le  mieux  de  juger  comment  le  parti  national- 
libéral  qui  prétend  diriger  la  révolution  allemande  juge  la  révolution 
française.  M.  de  Sybel  a  trouvé  en  Allemagne  des  contradicteurs  ardents, 
comme  l'Autrichien  M.  de  Vivenot,  et  des  critiques  d'une  grande  com- 
pétence, comme  M.  Hermann  Hufîer.  Mais  les  discussions  élevées  en 
Allemagne  au  sujet  du  livre  de  M.  de  Sybel  portent  surtout  sur  la 
politique  des  puissances  allemandes.  En  ce  qui  concerne  l'histoire  inté- 
rieure de  la  France,  M.  de  Sybel  a  trouvé  dans  son  pays  moins  de 
contradicteurs  ;  ce  qui  s'explique  aisément.  Cette  partie  est  à  coup  sur 
la  moins  bonne  de  son  livre  :  il  y  a  à  la  fois  de  la  passion  et  de  l'esprit 
de  système  dans  la  manière  dont  il  voit,  présente  et  juge  les  affaires  de 
la  France.  Un  Français— admirateur  quand  même  de  toutes  les  choses 
et  de  tous  les  hommes  de  la  Révolution,  en  est  très-légitimement  indi- 


'  •'•  COMPTKS-IIKMHIS    ClimQdES. 

iiiu'.    Le   Kranoîiis   (|ui   poric   lo  ju^.Mmnit  le  plus  défragù  sur  la  Révo- 
lution ot.  les  ivvolutionnairos  so  ivncontrc  raremont,  avec  M.  do  Sybel. 
S'ils  sont  ])arfois  d'accord  pour  condamner  ou  hlâmor  un  même  fait  ou 
un  mémo  homme,  ce  n'est  point  pour  los  mémos  motifs.  Tout?  compte 
fait  cependant,  on  trouve  dans  ce  volume  moins  de  parti-pris  que  dans 
los  doux  précédents  :  il  en  résulte  que   los  incontestables   qualités   qui 
ont  tait  la  réputation  de  M.   de  Sybel  se  manifestent  d'une  manière 
beaucoup  plus  intelligible  pour  le  public  français.  Je  n'ai  point  l'inten- 
tion d'entrer  ici  dans  l'examen  de  ce  livre  :   des  discussions  spéciales 
m'entraîneraient   beaucoup    trop    loin.   Je  me    propose    d'ailleurs  de 
revenir  ici-méme  et  on  détail  sur   l'une  des  parties  les  plus  impor- 
tantes  de  ce   volume    :    la  paix.de   Bàle.    L'affaire  de   l'évacuation 
de  la  Belgique  et   l'histoire    des   essais   de  négociation  entre   l'Au- 
triche  et   la   France   forment  deux  chapitres    très-intéressants.    Ces 
chapitres  ont  donné  lieu  en  Allemagne  à  des  discussions  approfondies. 
Les  travaux  critiques  de  M.  Hermann  Hùffer  sur  ces  deux  questions 
me  paraissent  ce  que  l'on  a  écrit  de  plus  complet  et  de  plus  remarqua- 
ble. J'y  renvoie  le  lecteur.  Il  est  indispensable  de  lire  M.  Hùffer  après 
M.  de  Sybel  :  autrement  on  s'expose  à  de  très-fàcheuses  méprises  sur 
l'état  des  études  en  Allemagne  et  sur  l'esprit  qui  y  dirige  la  critique. 
Je  me  bornerai  à  de  très-courtes  citations  qui  me  paraissent  propres  à 
faire  ressortir  le  caractère  de  l'œuvre  de  M.   de  Sybel.   Il  dit,  par 
exemple  (p.  5),  comparant  l'état  de  la  France  en  1794  à  l'état  des  mo- 
narchies coalisées  :  «  Toutes  les  factions  étaient  unies  dans  le  désir 
patriotique    de   vaincre   l'Europe  ;    toutes    les    discordes ,    toutes   les 
cruautés,  toutes  les  colères,  toutes  les  illégalités,   toutes  les  cupidités 
semblaient   maintenant   ne  s'employer  qu'au  profit  des  armements. 
Tandis  que  les  monarques  absolus  de  l'Europe  s'inquiétaient  avec  solli- 
citude de  la  prospérité  et  des  vœux  de  leurs  peuples,  le  gouvernement 
démocratique  poursuivait  sa  route,  écrasant  sans  pitié  dans  sa  marche 
hardie  tous  les  obstacles  qui  lui  barraient  le  passage.   »  M.  de  Sybel 
serait,  je  le  crains,  bien  embarrassé  s'il  lui  fallait  justifier  par  des  faits 
cette  surprenante  assertion  qu'en  1794  «  les  monarchies  absolues  s'in- 
quiétaient avec  sollicitude  do  la  prospérité  et  des  vœux  de  leurs  peuples.  » 
A  coup  sûr,  quand  on  lit  son  livre,  on  n'y  trouve  nulle  part  la  moindre 
trace  de  cette  solUcitude,  et  on  y  voit  au  contraire  se  manifester  à  chaque 
page  l'incapacité,  l'égoïsme  et    la  corruption  de    ces  gouvernements 
sans  principes  et  sans  idées  ;  ils  ne  parvenaient  môme  pas  à  s'accorder 
pour  combattre  cette  révolution  qu'ils  rêvaient  d'écraser  sans  parvenir 
à  la  définir  et  à  la  comprendre.    M.   de  Sybel  a  voulu  non-seulement 
ramener  la  révolution  française  à  la  mesure  des  événements  généraux 
de  l'histoire  —  en  quoi  il  a  eu  raison;  mais  il  a  prétendu  en  réduire 
l'importance  —  en  cela  il  entrait  dans  le  système.  Il  est  tombé  dans 
le  paradoxe  lorsqu'il  a  tenté  d'opposer  à  cette   révolution    rabaissée 
une  Europe  monarchique  supérieure  à  la  fois  par  l'élévation  des  prin- 
cipes et  la  moralité  des  actes.  La  coalition  explique  par  chacun  do  ses 
actes  la  déroute  et  l'impuissance  finales  par  lesquelles  elle  succombe. 


SYBEL    :    HISTOIRK    DE    l'eUHOI'E    PENDANT    LA    RE'vOLUTION.  441 

Les  mêmes  inconséquences  se  retrouvent  dans  les  petits  côtés  de  l'ou- 
vrage. Je  lis  (p.  313)  à  propos  de  Madame  Tallien  :  «  Elle  était  bonne 
et  sensible,  mais  son  esprit  était  peu  remarquable  et  ses  mœurs  nulle- 
ment sévères;  on  doit  regarder  comme  un  signe  caractéristique  de 
l'abaissement  auquel  Robespierre  avait  réduit  la  France  qu'une  telle 
femme  ait  pu  y  jouer  un  rôle  politique.  »  Il  serait  en  vérité  peu  délicat 
de  retourner  cette  phrase  et,   remplaçant  le  nom  de  Notre-Dame  de 
Thermidor  par  des  noms  de   comtesses  bien  connus  alors  à  Berlin, 
d'en  conclure    à    l'abaissement    auquel    Frédéric-Guillaume   II  avait 
réduit  la  Prusse.  Il  me  suffit  d'en  appeler  aux  curieux  articles  de 
M.  Karl  Hillebrand  sur  la  société  de  Berlin   {Revue  des  Deux-Mondes , 
1870).  Il  ne  faudrait  cependant  pas  conclure  de  là  que  ce  plan  très- 
arrêté  de  dénigrement  de  la  Fance  et  d'apologie  de  la  coalition  ait 
conduit  M.  de  Sybel  à  faire  une  œuvre  absolument  partiale  et  pas- 
sionnée. Ce  serait  une  erreur,  et  si  j'insiste  sur  les  critiques,  c'est  que 
la  réputation  de  ce  livre  étant  faite,  il  est  inutile  d'en  signaler  les  qua- 
lités et  qu'il  convient  d'en  indiquer  les  défauts.  Si  M.  de  Sybel  dans  le 
tableau  qu'il  trace  des  armées  françaises   (Livre  IX,  ch.  i)   me  paraît 
avoir  méconnu  ce  qu'elles  renfermaient  d'héroïsme  noble,  de  patrio- 
tisme élevé,  de  désintéressement,  de  discipline  et  de  vertus  militaires; 
s'il  a,  en  constatant  leur  puissance,   rendu  lui-même  cette  puissance 
à  peu  près  inexplicable,  il  nous  montre  très-bien  les  causes  de  désor- 
ganisation des  armées  alliées  (p.  253).  La  démoralisation  y  régnait,  les 
chefs  étaient  ignorants,  les  soldats  insubordonnés;   les  officiers  «  ne 
s'inquiétaient  nullement  des  devoirs  de  leur  position  ni  du  bien  des 
soldats,  ils  vivaient  dans  les  orgies  et  les  plaisirs  et  donnaient  le  plus 
mauvais  exemple  aux  troupes  par  leur  propre  indiscipline  et  leur  liber- 
tinage. Il  arrivait  souvent  lorsque  les  régiments  se  mettaient  en  marche 
le  matin,  que  les  officiers  restaient  à  boire  dans  quelque  cabaret;  puis, 
vers  midi,  ils  rattrapaient  à  toute  bride  la  colonne,  devant  laquelle  ils 
passaient  à  demi-ivres  en  criant  et  en  chantant,  à  la  grande  indigna- 
tion des  soldats  !  «  Ces  soldats  pillaient  et  saccageaient.  Il  en  résultait 
que  les  habitants,  poussés  à  bout,  comme  les  Belges,  par  la  licence  des 
Anglais  (on  devrait  ajouter:  et  surtout  par  celle  des  Allemands)  «  appe- 
laient de  leurs  vœux  l'arrivée  des  Français,  desquels  ils  espéraient  leur 
délivrance,  et  qui  devaient  les  venger  d'alliés  détestés.  »  Enfin,  et  pour 
conclure,  voici  comment  M.  de  Sybel  nous  peint  l'état  de  l'Allemagne 
et  l'état  de  la  France  au  moment  de  la  paix  de  Bâle,  à  la  suite  de  ces 
guerres  où  les  Français  n'auraient  été  que  les  instruments  barbares 
d'une  tyrannie  sauvage  et  où  les  souverains  alliés  auraient  montré  une 
sollicitude  si  éclairée  pour  leurs  sujets  :  «  Après  avoir,  pendant  trois 
années  de  guerre,  mis  à  peine  20,000  hommes  sur  pied  en  dehors  des 
mercenaires   payés  par   l'Angleterre,    et  après  avoir   tout  récemment 
humblement  exprimé  ses  désirs  de  paix,  l'empire  d'Allemagne  n'avait 
plus  aucun  droit  à  se  plaindre  de  la  négociation  de  Bàle.   On  aurait 
d'ailleurs  cherché  vainement  alors  en  Allemagne  le  moindre  sentiment 


t'i2  OOMPTES-RENDUS    CRITIQDES. 

uiUioual;  la  justice  lîistoriqiio  no  sauraitdonc  permetlro  déjuger  les 
actes  des  négociateurs  do  Bàle  ou  ceux  de  l'empereur  François  d'après 
les  principes  d'une  politique  nationale  qui  n'existait  plus  nulle  part. 
On  peut  donc  déclarer  et  répéter  qu'en  adoptant  le  système  du  comte 
de  Haugwitz,  la  Prusse  ne  commettait  point  de  trahison  ;  mais  il  est 
vrai  aussi  qu'elle  se  condamnait  à  une  entière  nullité  politique  » 
(p.  3S0).  Et  en  regard  ce  tableau  de  la  France  à  la  même  époque 
(p.  365)  :  «  La  France  était  alors  dans  tout  l'essor  du  progrès  et  du 
triomphe.  L'indépendance  de  ce  pays  était  sortie  victorieuse  d'une  lutte 
terrible,  le  respect  de  l'Europe  lui  était  plus  assuré  qu'il  ne  l'avait  été 
dans  tout  le  cours  du  xvni"  siècle.  » 

Albert  Sorel. 


Œsterreich    und    Preussen   im    Befreiungskriege,  par  Wilhelm 
Oncken.  Bd.  L  Berlin,  Grote,  ^876. 

La  «  guerre  de  délivrance  »,  pour  les  Allemands,  c'est  la  guerre  de 
1813.  Le  rôle  de  la  Prusse  dans  cette  guerre  commence  à  être  bien 
connu;  celui  de  l'Autriche  l'était  moins.  M.  Oncken  a  entrepris  de  le 
faire  connaître.  Les  archives  de  Berlin  lui  ont  communiqué  d'impor- 
tants documents  ;  celles  de  Vienne  lui  ont  été  ouvertes  avec  cette  libé- 
ralité dont  M.  d'Arneth  et  ses  collaborateurs  ont  déjà  donné  tant  de 
preuves.  Il  résulte,  pour  M.  Oncken,  des  documents  qu'il  a  eus 
entre  les  mains  que  les  négociations  de  paix  entamées  par  l'Autriche 
dans  les  premiers  mois  de  1813,  sous  le  couvert  d'une  médiation,  ont 
été,  au  point  de  vue  allemand,  mal  jugées  et  condamnées  à  tort.  L'Au- 
triche, en  réalité,  s'était  entendue  avec  la  Prusse  dès  l'automne  de  1812, 
et  a  exercé,  secrètement  il  est  vrai,  la  plus  grande  influence  sur  la  poli- 
tique prussienne.  Personne  plus  que  Metternich  n'a  travaillé  à  organiser 
contre  Napoléon  la  coalition  formidable  qui  se  déclara  après  le  con- 
grès de  Prague  et  qui  entraîna  la  chute  de  l'empire  français.  M.  Oncken 
trouve  que  l'Autriche  et  l'Allemagne,  après  avoir  enterré  tant  de  vieilles 
querelles,  doivent  faire  aussi  la  paix  à  propos  de  «  la  guerre  de  déli- 
vrance ».Le  moyen  de  les  y  décider,  c'est  de  leur  présenter  sincèrement 
la  vérité  des  faits.  Tel  est  l'objet  que  se  propose  M.  Oncken  dans  l'ou- 
vrage dont  il  vient  de  publier  le  premier  volume.  Ce  volume  comprend 
l'histoire  des  relations  de  l'Autriche  et  de  la  Prusse,  et  de  leur  politique 
respective  à  l'égard  de  la  France,  de  la  Russie  et  de  l'Allemagne  depuis 
le  mois  de  novembre  1812  jusqu'au  mois  d'avril  1813.  Le  chapitre  I 
expose  la  situation  des  deux  puissances  allemandes  au  moment  du 
désastre  de  la  grande  armée.  Le  chapitre  II  rapporte,  d'après  des  docu- 
ments autrichiens  entièrement  nouveaux,  les  négociations  entre  Napoléon 
et  l'Autriche  au  mois  de  janvier  1813.  Le  chapitre  IIl  est  consacré  aux 
négociations  qui  suivirent  la  convention  de  Tauroggen  (30  décembre 
1812)  qui  fut  le  premier  acte  de  la  défection  de  la  Prusse,  et  précédèrent 


ONCKEN    :    OESTERREICH    UND    l'REUSSEN    IM    BEFREIDIVGSKRIEGE.       443 

la  convention  de  Zeycz  (30  janvier  1813)  qui  fut  le  premier  acte  de  la 
défection  de  l'Autriche.  Le  chapitre  IV  raconte  avec  beaucoup  de  détails 
la  mission  du  général  Knesebeck  à  Vienne  au  mois  de  janvier  1813. 
Cette  mission  dont  il  a  été  souvent  parlé,  mais  dont  personne  n'avait 
parlé  avec  autant  d'abondance  et  de  certitude  que  M.  Oncken,  avait 
pour  objet  d'amener  une  entente  entre  l'Autriche  et  la  Prusse  au  sujet 
des  alliances  qu'elles  méditaient  l'une  et  l'autre  avec  la  Russie.  Le 
chapitre  V  fait  connaître  les  dispositions  et  la  situation  de  la  Prusse  au 
moment  où  elle  va  consacrer  sa  défection  et  traiter  avec  la  Russie 
(février  1813).  Le  chapitre  VI  fait  connaître  l'état  des  relations  de  l'Au- 
triche et  de  la  Russie  à  la  même  époque.  Le  chapitre  VII  expose  les 
négociations  du  traité  de  Kalisch  (28  février  1813)  entre  la  Prusse  et  la 
Russie.  Le  chapitre  VIII,  qui  est  le  dernier  du  volume,  est  consacré  au 
soulèvement  de  l'Allemagne  et  à  la  politique  de  l'Autriche,  de  la  Russie 
et  de  la  Prusse  dans  les  affaires  allemandes.  Le  récit  de  M.  Oncken  est 
écrit  avec  clarté  et  composé  avec  méthode  :  il  est  fort  intéressant  d'un 
bout  à  l'autre.  M.  Oncken  cite  ses  sources  lorsqu'il  puise  dans  les  livres, 
et  ses  textes  lorsqu'il  puise  —  et  c'est  le  cas  le  plus  fréquent  —  dans 
des  documents  inédits.  Ces  citations  —  tant  dans  le  corps  du  récit  que 
dans  les  notes  —  sont  fort  abondantes.  De  plus  M.  Oncken  a  publié  en 
appendice  29  documents  qui  sont  pour  la  plupart  du  plus  haut  intérêt  : 
ils  sont  tous  empruntés  aux  archives  de  Vienne.  M.  Oncken  n'a  pas 
publié  en  entier  les  documents  des  archives  de  Berlin  dont  il  s'est  servi, 
parce  qu'on  prépare  en  Prusse  un  recueil  de  pièces  relatives  à  la  poli- 
tique prussienne  de  1813  à  1815. 

Dans  le  temps  même  où  M.  Oncken  faisait  paraître  son  premier  volume, 
M.  Martens  publiait  à  Pétersbourg  un  exposé  des  rapports  de  l'Autriche 
et  de  la  Russie  en  1812  et  1813  (Recueil  des  traités  de  la  Russie  avec 
l'Autriche,  tome  III),  et  M.  de  Prokesch  Osten  publiait  à  Paris  le  tome  I 
de  la  correspondance  de  Gentz  avec  les  hospodars  de  Valachie,  qui  est 
consacré  en  grande  partie  à  cette  même  période.  Gentz  écrit  une  apo- 
logie de  Metternich,  M.  Martens  expose  les  faits  au  point  de  vue  russe, 
M.  Oncken  les  expose  au  point  de  vue  allemand.  Ces  trois  ouvrages  se 
complètent  l'un  l'autre,  ils  ne  se  contredisent  pas,  et  la  comparaison  du 
récit  de  M.  Oncken  avec  les  notices  de  M.  Martens  et  les  documents 
qu'il  publie  fait  grand  honneur  à  la  méthode  suivie  par  l'historien  russe 
et  l'historien  allemand.  Je  ne  me  propose  point  ici  de  résumer  le  livre, 
si  nourri,  de  M.  Oncken  :  il  me  suffit  de  le  signaler  à  l'attention  des 
hommes  d'étude.  Je  ne  chercherai  pas  non  plus  à  savoir  si  le  livre  de 
M.  Oncken  est  bien  propre  à  «  enterrer  les  vieilles  querelles  »  de  l'Au- 
triche et  de  l'Allemagne  sur  ces  événements  de  1813.  M.  Oncken  montre 
bien  clairement,  plus  clairement  que  personne,  sauf  M.  Martens,  que 
l'Autriche  a  joué  Napoléon,  trahi  l'alliance  française  et  participé  par 
conséquent,  en  fortifiant  la  coalition, à  «la  délivrance»  de  l'Allemagne; 
mais  dans  quelle  mesure  a-t-elle  servi  les  intérêts  nationaux  de  l'Alle- 
magne? Y  avait-il  alors,  en  dehors  de  quelques  penseurs  et  de  quelques 


444  .  r.OMI'TKS-UKNDI  s    ClUTIyilKS. 

])()liti([iios  isoli's,  un  seul  Etal  allemand  qui  eût  un  sentiment  net  des 
intérêts  de  l'Allemagne  et  servit  sincèrement  la  cause  allemande?  La 
Prusse  et  l'Autriche  pensaient  surtout  à  elles-mêmes;  ont-elles,  en 
servant  leurs  propres  intérêts,  servi  l'intérêt  général  de  rAUemagne? 
laquelle  des  deux  la  le  mieux  compris  et  le  mieux  servi?  Ce  sont  des 
([uestions  que  je  pose  ici  sans  vouloir  les  résoudre  :  il  appartient  sur- 
tout aux  Allemands  de  se  prononcer  en  pareille  matière,  et,  dans  tous 
les  cas,  je  ne  voudrais  pas  risquer  un  jugement  avant  de  connaître  la 
suite  de  l'ouvrage  de  M.  Oncken  et  ses  conclusions.  On  peut,  d'après 
les  considérations  qui  terminent  le  premier  volume,  prévoir  que  ces 
conclusions  seront  assez  sévères  pour  les  deux  grandes  puissances  alle- 
mandes. M.  Oncken  fait  de  sérieux  reproches  aux  négociateurs  prus- 
siens du  traité  de  Kalisch,  notamment  en  ce  qui  concerne  la  ligue  de 
la  Vistule,  ce  desideratum  de  Knesebeck  et  des  patriotes  prussiens;  il 
fait  des  reproches  plus  graves  encore  aux  hommes  d'Etat  autrichiens  et 
prussiens  en  ce  qui  concerne  leur  conduite  à  l'égard  de  l'Allemagne. 
«  En  fait,  dit-il,  et  dès  le  mois  de  mars  1813,  on  avait  décrété  dans  le 
mystère  des  cabinets  que  l'Allemagne  n'aurait  pas  de  constitution, 
avant  même  que  l'on  eût  sérieusement  discuté  un  seul  projet  de  cons- 
titution. » 

C'est  surtout  dans  les  chapitres  qui  traitent  des  rapports  de  l'Autriche 
avec  Napoléon  que  le  livre  de  M.  Oncken  est  intéressant  pour  nous. 
M.  Oncken  rapporte  dans  sa  préface  une  parole  de  Gneisenau  après  la 
bataille  de  Leipsig  :  «  La  postérité  sera  surprise  quand  elle  connaîtra 
l'histoire  secrète  de  cette  guerre.  »  Gentz  aussi  dit  quelque  part  que  la 
politique  de  l'Autriche  à  cette  époque  est  «  une  énigme  indéchiffrable 
pour  le  public.  »  M.  Oncken  peut  se  flatter  d'avoir  beaucoup  aidé  les 
curieux  à  déchiffrer  l'énigme.  Je  dois  dire  cependant  que  les  contempo- 
rains éclairés  et  attentifs  se  rendirent  parfaitement  compte  du  but  que 
poursuivait  Metternich  ;  ils  ignoraient  le  détail  des  faits,  et,  faute  de 
documents,  ils  risquaient  de  se  tromper  sur  bien  des  points  ;  mais  ils 
avaient  sur  l'ensemble  un  sentiment  assez  exact.  M.  Oncken  dit  dans 
sa  préface  :  «  Le  sens  et  la  marche  de  la  négociation  de  paix  de  l'Au- 
triche a  été  jusqu'ici  jugée  et  condamnée  exclusivement  d'après  des 
publications  napoléoniennes;  elle  apparaît  enfin  sous  sa  forme  vraie  et 
primitive,  dans  son  ensemble  logique  et  politique.  »  Il  faut  expliquer 
ces  paroles;  car  il  y  a  ici  des  nuances  qui  sont  assez  difficiles  à  saisir. 
Quand  M.  Oncken  dit  que  la  politique  de  l'Autriche  a  été  méconnue, 
il  fait,  je  crois,  allusion  surtout  au  jugement  que  l'on  est  induit  à  porter 
après  avoir  lu  le  tome  XV  de  V Histoire  du  Consulat  et  de  l'Empire  :  il 
résulte,  en  effet,  du  récit  de  M.  Thiers  que  dans  ces  négociations  de 
1813  Metternich  se  soucia  médiocrement  de  l'Allemagne,  songea  sincè- 
rement à  s'entremettre  pour  la  paix,  donna  à  Napoléon  «  d'admirables 
conseils  »,  que  Napoléon  eut  le  tort  de  ne  pas  les  apprécier,  et  que  si 
l'Autriche  passa  aux  ennemis  de  la  France,  la  faute  en  est  surtout  à 
l'empereur  qui  lui  facilita,  par  son  orgueil  et  son  aveuglement,  le  chemin 


ONCKEN    :    (ESTERllEICB    UNI»    l'REDSSEN    IM    BEFREIUNGSKRIEGE.       445 

de  la  défection;  d'après  M.  Thiers,Metternich  aurait  été  haltile,  modéré 
et  relativement  loyal.  M.  Oncken  voit  les  choses  à  un  tout  autre  point 
de  vue  et  il  résulte  de  son  livre  avec  la  dernière  évidence  que  Metternich 
ne  négociait  avec  Napoléon  que  pour  la  forme  et  qu'il  n'avait  qu'un 
objet  :  «  préparer  sous  le  manteau  d'une  négociation  pacifique  une  coali- 
tion générale  contre  Napoléon  »,  coalition  dans  laquelle  l'Autriche  pren- 
drait le  rôle  dominant.  Il  est  évident  que  le  livre  de  M.  Oncken  et 
surtout  les  documents  qu'il  publie,  modifient  singulièrement,  sinon 
le  fond  et  les  grandes  lignes,  au  moins  certaines  couleurs  et  certains 
traits  principaux  du  tableau  peint  par  M.  Thiers.  Si  l'on  veut 
admirer  Metternich,  en  cette  négociation,  il  n'est  plus  possible  de  le 
faire  pour  les  motifs  présentés  par  l'historien  français.  Chose  singulière  : 
M.  Thiers  et  M.  Oncken  se  proposent  l'un  et  l'autre  de  faire  ressortir 
ce  qu'il  y  a  eu  d'habile  et  d'intelligent  dans  la  politique  de  l'Autriche 
en  1813;  mais  ils  se  contredisent  dans  l'exposé  des  faits  et  ils  attachent 
aux  mêmes  mots  un  sens  absolument  différent.  Au  contraire  un  autre 
historien  français,  Arm.  Lefebvre,  qui  a  composé  son  Histoire  des  Cahinels 
à  peu  près  exclusivement  avec  les  documents  contemporains,  et  qui  a 
fait,  bien  que  moins  complètement,  aux  archives  des  affaires  étrangères 
françaises,  un  travail  analogue  à  celui  que  M.  Oncken  a  fait  aux  archives 
de  Vienne  et  de  Berlin,  arrive  à  juger  très-sévèrement  la  conduite  de 
l'Autriche  et  de  Metternich  :  sa  conclusion  est  très-différente  de  celle 
de  M.  Oncken  ;  leurs  points  de  vue  sont  très-opposés  :  M.  Oncken  est 
tout  allemand  et  M.  Lefebvre  tout  français;  mais  sur  les  faits  ils  s'ac- 
cordent presque  toujours,  et  les  découvertes  de  M.  Oncken  éclairassent, 
complètent  et  fortifient  le  récit  de  Lefebvre,  ils  ne  le  contredisent  pas 
et  ils  n'en  modifient  ni  le  fond  ni  les  traits  essentiels.  Je  n'insis- 
terai pas  davantage;  j'ai  essayé  dans  une  étude  récemment  publiée  de 
préciser  les  faits  qui  résultent  tant  du  livre  de  M.  Oncken,  que  de  celui 
de  M.  Martens  et  des  dépèches  de  Gentz  ^  ;  je  me  suis  efforcé  de  pré- 
senter ces  faits  sous  les  rapports  qui  m'ont  paru  les  plus  justes  et  de 
résumer  cette  négociation  de  1813  telle  qu'elle  résulte  des  publications 
nouvelles  faites  en  Russie  et  en  Allemagne.  Je  ne  doute  pas  que  le 
second  volume  de  M.  Oncken  ne  nous  apporte  sur  le  congrès  de  Prague 
des  éclaircissements  aussi  précieux  que  ceux  que  nous  donne  le  premier 
volume  sur  les  événements  des  premiers  mois  de  1813. 

Albert  Sorel. 

1.  Revue  des  Deux -Mondes  du  15  décembre  1876  :  Un  confident  du  prince  de 
Metternich. 


•UB  KBCUEIL8  PERIODIQUES. 


RECUEILS  PERIODIQUES  ET  SOCIETES  SAVANTES. 


I. — Revue  des  Questions  historiques.  Cet.  1877. — Viqouroux.  Les 
juges  d'Israël  (d'Abimelcch  à  Samuel.  M.  V.  a  raison  de  ne  pas  accep- 
ter l'explication  mythique  de  l'histoire  de  Samson,  mais  tort  d'accor- 
der un  caractère  strictement  historique  à  un  récit  qui  a  tous  les  carac- 
tères de  la  légende).  —  Ghamard.  De  l'immunité  ecclésiastique  et  mo- 
nastique (M.  Ch.  combat  ce  que  M.  Boutaric  a  écrit  sur  les  immunités 
ecclésiastiques  à  l'époque  mérovingienne  ;  il  donne  des  détails  intéres- 
sants sur  l'origine  des  juridictions  ecclésiastiques  et  des  prétentions 
des  monastères  à  l'autonomie;  mais  il  ne  paraît  pas  au  courant  de  la 
question  traitée  par  M.  Boutaric  et  de  la  différence  qui  existe  entre  les 
juridictions  ecclésiastiques  et  les  immunités  accordées  par  les  rois 
mérovingiens  et  carolingiens  aux  monastères  et  aux  églises,  immunités 
qui  furent  une  des  origines  de  la  féodalité;  quant  aux  revendications 
embrouillées  de  M.  Ch.  en  faveur  des  droits  temporels  et  judiciaires  de 
l'Église  considérée  comme  un  pouvoir  supérieur  à  l'État,  nous  n'avons 
pas  à  les  apprécier  ici  et  elles  ne  sont  pas  à  leur  place  dans  une  revue 
d'histoire).  —  Legoy  de  la  Marche.  Saint  Louis,  sa  famille  et  sa  cour 
(anecdotes  très-piquantes  tirées  principalement  du  recueil  d'Etienne  de 
Bourbon  dont  M.  Lecoy  prépare  une  édition  pour  la  Société  d'histoire 
de  France).  —  Loth.  L'auteur  de  l'Imitation  (appuyé  sur  un  nouveau 
ms.  provenant  de  l'abbaye  de  Saint-Paul-de-Rougeval,  M.  L.  revient 
avec  force  sur  les  excellents  arguments  qu'il  a  déjà  donnés  contre  l'at- 
tribution de  l'Imitation  à  Gerson  ou  à  Thomas  a  Kempis.)  —  Mury. 
Le  nombre  des  chrétiens,  de  Néron  à  Commode  (combat  et  à  notre 
sens  avec  raison  les  auteurs  qui  réduisent  à  peu  de  chose  le  nombre 
des  chrétiens  dans  les  deux  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne,  mais 
il  a  le  tort  de  brouiller  les  époques  et  d'appliquer  à  la  fin  du  premier 
siècle  ce  qui  n'est  vrai  que  du  second).  —  Cherbonneau.  Le  royaume 
de  Tlemcen  et  les  émirs  Beni-Zeiyan.  =  Dans  le  Bulletin  bibliogra- 
phique nous  ^trouvons  des  comptes-rendus  sur  les  ouvrages  suivants  : 
la  Bible  et  les  découvertes  modernes  en  Egypte  et  en.  Assyrie,  par  F.  Vigou- 
roux;  saint  Ennemond,  évêqiie  de  Lyon,  par  J.  Condamin;  Vie  intime 
de  saint  Anselme,  p.  Ragey;  Histoire  des  prêtres  du  Sacré-Cœur 
de  Marseille  (1732-1831)  ;  Barthélémy  de  Vir,  évêque  de  Laon,  par  A.  de 
Florival;  la  Saint -Barthélémy  à  Rouen,  par  le  vicomte  d'Estaintot; 
Pierre  d'Aigrefeuille,  évêque  d'Avignon,  par  J.  Albanès;  Chroniques  de 
l'abbaye  de  Beaumont-lez-Tours,  publ.  par  Ch.  de  Grandmaison;  His- 
toire de  l'abbaye  de  Choques,  p.  l'abbé  Robert;  Daouîas  et  son  abbaye,  p. 
0.  Levot;  Notice  sur  saint  Marcoul  de  Corbeny,   p.   E.  de  Barthélémy; 


RECUEILS    I'E'rIODIQUES.  '«47 

Origines  du  prieuré  de  N.-D.  de  Paraij-le-Monial,  p.  M.  Canat  de  Chisy; 
Correspondance  de  D.  Jean  Colomb,  publ.  p.  A.  Brière  ;  Recherches  sur  les 
établissements  hospitaliers  de  Saint-Omcr,  p.  Deschamps  de  Pas;  Histoire 
de  la  Fer  té-Bernard,  p.  L.  Charles;  la  Franche-Comté  et  le  pays  de  Mont- 
béliard,  p.  A.  Castan;  Documents  historiques  sur  le  Tarn-et-Garonne,  p. 
F.  Moulenq  ;  Une  vieille  généalogie  de  la  maison  de  Wavrin,  publ.  par 
F.  Brassant. 

II.  —  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  3«  et  4«  liv.,  1877.  — 
L.  Delisle.  La  Bibliothèque  nationale  en  1876  (le  t.  XI  du  catalogue 
de  l'histoire  de  France  est  sous  presse;   les  tables  alphabétiques  qui 
rempliront  deux  vol.  sont  en  préparation.  Parmi  les  mss.  acquis  en 
1876,  signalons  deux  registres  de  bulles  pontificales  dressés  à  Avignon 
de  1599-1603  et  de  1664-1667,  neuf  chartes  originales  de  Gluny,  la  cor- 
respondance du  maréchal  de  Bezons  et  pièces  sur  la  guerre  d'Espagne 
en  1708  et  1709,  les  procès-verbaux  des  assemblées  de  convulsionnaires 
de  1732-1768;  quatre  volumes  de  documents  relatifs  aux. contestations 
de  la  France  avec  le  Saint-Siège,  de  1805-1807;  la  valeur  de  140  vol.  de 
copies  de  documents  vénitiens  relatifs  aux  affaires  de  France.  Le  clas- 
sement des  papiers  de  Joly  de  Fleury  est  achevé,  ainsi  que  le  catalogue 
des  manuscrits  espagnols;   sur  les  113  volumes  de  lettres  adressées  à 
Golbert,  45  sont  inventoriés.)  —  Mas  Latrie.  Jacques  II  de  Lusignan, 
archevêque  de  Nicosie  et  ses  premiers  successeurs  (1456-1484).  —  J. 
Havet.  Les  cours  royales  des  îles  normandes  (suite  ;  M.  H.  passe  en 
revue  les  membres  des  cours  royales,  les  jurés,  et  les  francs-tenants 
de  la  couronne  qui,  au  xni«  et  au  xiv«  siècle,  faisaient  aussi  partie  de 
la  cour  ;  il  étudie  ensuite  les  officiers  des  cours  royales,  les  officiers  de 
la  couronne,  les  avocats,   les  greffiers,  le  vicomte  et  les  dénonciateurs, 
les  prévôts,   les  sergents,  bordiers,  hallebardiers  et  exécuteurs;  cette 
étude  très-minutieuse  est  du  plus  grand  intérêt  pour  l'histoire  des  ins- 
titutions juridiques).  —  Bémont.   Testament  de  Simon  de  Montfort, 
comte  de  Leicester  (Bibl.  nat.   n"  1188  de  Clairembault).  =  Dans  la 
bibliographie  nous  trouvons  un  important  article  de  M.  Soury  sur  la 
brochure  d'E.   de  Liithgen,   Die  Quellen  und  der  historische  Werth  cler 
frxnkischen  Trojasage,   et  dans  la  chronique  une  analyse  du  mémoire 
de  M.  L.  Delisle  sur  la  Vie  et  les  ouvrages  de  Bernard  Gui). 

III.  —  Revue  critique.  N"  30.  —  Budinger.  Lafayette  (Leroux.  Étude 
très-favorable,  d'après  des  pièces  tirées  des  archives  de  Vienne).  =  N-Sl. 
Padeletti.  Fontes  juris  italici  medii  aevi  (J.  Havet.  Bon  recueil  pour 
les  étudiants).  —  Omaggio  délia  Società  lombarda  al  vn°  centenario 
délia  battaglia  di  Legnano  (contient  surtout  deux  études  de  M.  Cantù 
et  de  M.  Vignati  sur  la  bataille  et  ses  conséquences).  =  N°  32.  Trat- 
chevsky.  L'alliance  des  princes  et  la  politique  allemande  (1780-1790) 
(Léger;  travail  important  d'après  des  documents  inédits).  =  N"  33. 
Clément.  Recherches  sur  le  droit  des  Francs  Saliens  (Sohm  ;  livre  détes- 
table). =  N°  34.  Loeper.  Die  Rheinschiffahrt  Strassburg's  in  friiherer 


448  RECUEILS   I'KIU()I>I()IIKS. 

Zoit  (travail  sorioux). — Protheko.  Tho  liloof  Simon  do  Moiill'orl  (Iîkmont; 
u'iijoulo  rion  à  co  qu'on  savait  sur  In  comlo  do  Loi(;ostor).  =  N"  35. 
Opel.  Wallcnstoin  u.  die  Stadt  Halle  (détails  curieux  sur  les  excès  de 
la  soldatos(jue).  =  N"  36.  Krugg-Basse.  L'Alsace  avant  1789  (Moss- 
mann;  art.  important,  signale  beaucoup  de  lacunes  ot  d'orrours  chez 
M.  K.).  =  N°  38.  DiETi'nvrn.  Historische  Volksliodor,  wu^  ot  xvnie  s. 
(R.  recueil  curieux,  mais  dont  beaucoup  de  pièces  ne  semblent  pas 
authentiques).  =  N'  31).  Laiiouu.  La  châtellenio  suzeraine  d'Oissery 
(intéressant). 

IV.  —  Journal  des  Savants,  juill.  —  Mu^ler.  Les  assises  de  Jéru- 
salem et  celles  d'Antioche  (à  propos  du  vi»  volume  do  la  Bibliotheca 
graeca  medii  aevi  de  M.  Sathas,  et  dos  assises  d'Antioche  en  français, 
publ.  par  les  Mekhitharistes  de  Venise).— Maury.  Archéologie  celtique 
et  gauloise  (à  propos  du  livre  de  M.  A,  Bertrand).  =  Sept.  Maury. 
Documents  sur  Otton  de  Bamberg  (analyse  d'un  livre  publ.  à  Prague 
en  187'i  p.  M.  Kotliarovsky). 

V.  —  Le  Cabinet  historique.  Juill. -Sept.  —  Delaville  Le  Roulx. 
La  domination  bourguignonno  à  Tours  et  le  siège  de  cette  ville,  1417- 
1419  (travail  important  fondé  tout  entier  sur  dos  documents  manus- 
crits et  qui  nous  fait  connaître  dans  ses  plus  minutieux  détails  le  plus 
considérable  succès  remporté  par  le  dauphin  Charles  sur  le  parti  d'Isa- 
beau  de  Bavière.  A  ce  travail  sont  joints  des  documents  inédits  tirés  des 
Archives  municipales  do  Tours.  Un  tirage  à  part  vient  de  paraître 
chez  H.  Menu,  Paris).  —  Bonassieux.  Notices  sur  les  Dames  Damées 
de  1775  à  1789.  —  Robert.  Inventaire  des  cartulaires  conservés  dans 
les  Bibliothèques  de  Paris  et  aux  Archives  nationales. 

VI.  —  Le  Polybiblion.  Août.  —  A.  Prost.  Table  des  pièces  don- 
nées dans  l'histoire  de  Lorraine  de  D.  Calmet  (suite;  cont.  en  sept.). — 
T.  DE  L.  Une  découverte  bibliographique  (il  s'agit  d'un  dictionnaire 
des  pseudonymes,  manuscrit  très-précieux  rédigé  par  le  P.  Louis  Jacob 
de  Saint-Charles  (1608-1690)  et  que  le  R.  P.  Clauor  analyse  dans  le 
n°  de  juillet  1877  des  Éludes  religieuses,  historiques  et  littéraires).  =  Sept. 
EscARD.  Bibliographie  des  guerres  de  l'Ouest  pendant  la  Révolution. 

VII.  —  Nouvelle  Revue  historique  de  droit.  Juill. -Août. —  Cail- 
lemer.  Un  commissaire-prîseur  à  Pompéi  au  temps  de  Néron.  —  R.  D. 
Maulde.  Coutumes  et  règlements  de  la  commune  d'Avignon  au  xm^  s. 
(suite  en  sept.). 

VIII.  —  Journal  asiatique.  1877.  —  Mémoire  important  de  M.  Sta- 
nislas Guyard  .-^ur  la  secte  des  Assassins  ou  Ismaéliens,  leur  origine, 
la  part  qu'ils  ont  prise  aux  croisades,  leur  longue  puissance  enfin  ren- 
versée par  l'invasion  mongole,  leurs  derniers  descendants  aujourd'hui 
oubliés,  mais  non  disparus.  —  Mémoire  de  M.  L.  Feer  sur  les  manus- 
crits cambodgiens  légués  à  la  Bibl.  Nat.  par  la  veuve  du  D'Hennecart, 
médecin  de  marine,  qui  avait  employé  les  loisirs  de  son  service  en 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  449 

Cochinchine  à  étudier  la  langue,  l'histoire  et  l'histoire  naturelle  du 
Cambodge. 

IX. — Chronique  du  Languedoc.  5  Août. — Récit  inédit  de  la  des- 
cente des  Anglais  à  Cette  et  à  Agde  en  1710.  —  Rivières.  Armoriai 
des  évêques  et  archevêques  d'Albi  (fin).  —  Corbière.  La  famille  de 
Bourbon-Malauze  (fin).  =  20  août.  Le  régime  municipal  à  Nîmes  (in- 
trigues de  la  famille  Rochemore  de  1645  à  1675).  —  Todrtoulon.  Plan- 
tavit  de  la  Pause  (évêque  de  Lodève,  note  sur  sa  famille  maternelle).  =: 
5  sept.  Droits,  libertés  et  facultés  de  la  ville  du  Vigan  en  1674.  —  V'» 
DE  Cabrière.  Mémoire  sur  la  maison  de  Joubert  (fin  le  20  sept.,  de  1334- 
1876).  =  20  sept.  La  prise  de  la  ville  de  Saint-Gilles  en  Languedoc 
(1622,  réimpression).  =  Suite  du  Journal  de  Faurin. 

X.  —  Revue  de  Champagne.  Août.  —  A.  de  Barthélémy.  Les 
monnayers  de  Troyes  au  xvi*  siècle.  —  Riocour.  Les  actes  de  l'état- 
civil  de  Châlons-sur-Marne  (suite,  continué  en  sept.).  —  E.  B.  Mémoires 
de  Jean  Foulquart.  —  C'^  de  Marsy.  Testament  de  Gautier  VI  de 
Brienne  (cet  important  document  déjà  publié  par  M.  Paoli  est  pour  la 
première  fois  annoté  et  commenté).  =  Nous  trouvons  dans  la  chronique 
le  catalogue  des  pièces  concernant  la  Champagne  contenus  dans  les  mss. 
de  Peiresc,  et  le  règlement  des  apothicaires  de  Chaumont  du  10  nov. 
1642. 

XI.  —  Revue  de  Bretagne.  Août.  —  E.  Stofflet.  Un  Vendéen 
(d'après  des  notes  sur  Stofflet  écrites  par  un  de  ses  soldats,  Coulon  ;  fin 
en  sept.,  curieux  détails  sur  la  capture  de  Stofflet).  —  La  Nicollière 
Teijeiro.  Une  page  de  la  marine  militaire  du  port  de  Nantes  (fin;  his- 
toire de  la  frégate  la  Loire).  —  Piederrière.  Les  petites  écoles  avant  la 
Révolution  en  Bretagne  (suite  en  sept.). 

XII.  —  Revue  du  Dauphiné.  Août, — Roman.  Un  procès  de  sorcel- 
lerie en  Dauphiné  (1605).  =  Sept.  Laire.  Gabriel  de  Castagne  (éclair- 
cissements sur  un  personnage  impliqué  dans  l'affaire  précédente. — Val- 
LiER.  Bulle  de  Jean  de  Bernin,  archevêque  de  Vienne  (1230-1266). 

Xni.  —  Revue  de  Gascogne.  Août-Sept.  —  Bladé.  Ordres  reli- 
gieux et  militaires  de  la  Gascogne.  —  Audiat.  Un  neveu  de  Michel  de 
Montaigne,  Raymond  de  Montaigne,  président  à  Saintes,  év.  de  Rayonne 
(fin).  —  Labat.  Étude  critique  sur  Saint-Sever  (fin,  exemple  curieux 
des  aberrations  où  peut  conduire  le  manque  de  critique).  —  Gaubin. 
Monographie  de  la  Devèze.  Période  révolutionnaire  (curieux  cahier  de 
doléances  de  Mars  1789).  —  Couture.  Vittoria  Colonna  et  Marguerite 
d'Angoulême  (publie  deux  lettres  inédites  très-intéressantes  de  ces  deux 
femmes  illustres).  —  La  Plagne  Barris.  Testament  de  François  de  Mas- 
sencome,  père  de  Biaise  de  Monluc  (utile  pour  la  généalogie  des  Mon- 
luc).  —  Lavergne.  Les  couvents  de  Cluny  en  Gascogne.  —  Dans  la 
bibliographie  M.  Couture  rend  compte  d'une  publication  importante 
de  M.  Bladé  sur  la  Géographie  juive,  albigeoise  et  calviniste  de  la  Gas^ 
cogne. 

Rev.  Histor.  V.  2*  FASC.  29 


450  KECIIEILS  PÉRIODIQUES. 

Xr\' . Revue  de  géographie.  Août.  —  Metchnikoff.  L'Empire 

des  Toiiuos  (suite  ou  sept.).  —  Journal  d'un  voyage  de  Gonstautiaople 
à  Jassy,  dans  l'iiivor  de  1785,  par  le  comte  d'IIauterive,  publ.  par  A. 
Udicini  (suite  on  oct.)  —  Lettre  de  Vauban  à  Louvois  (rien  ne  prouve 
que  cette  lettre  se  rapporte,  comme  le  veut  M.  Drapeyron,  au  plan  de 
guerre  contre  les  Turcs  publié  dans  les  précédents  n»»  de  la  Revue).  = 
Sept.  GuiDAL.  Les  Bulgares.  =  Oct.  Dbapeyron.  Le  réseau  dynastique 
(cherche  à  déterminer  d'après  quelle  loi  les  dynasties  se  développent 
et  disparaissent).  —  D'Assier.  Ariége  et  Aurigera  (cette  note  bien  faite 
prouve  que  le  nom  d' Ariége  vient  de  riéjo,  rivière  en  languedocien,  et 
non  A' Aurigera. 

XV.  —  Journal  officiel.  26  Août.  —  Drumont.  Les  Almanachs 
historiques  au  xvin«  siècle.  =  13  et  27  août  et  14  sept.  Regnaud.  Le 
comte  de  Serre. 

XVI.  —  Le  Correspondant.  10  Août.  —  Lacombe.  Le  G»»  de  Serre 
(suite  le  25  sept.)  — M.Washburne  et  Mgr  Darboy  (traduction  du  remar- 
quable récit  trop  peu  connu  de  M.  W.  sur  la  détention  et  la  mort  de 
Mgr  D.  M.  Du  Camp  ne  paraît  par  l'avoir  eu  sous  les  yeux  en  écri- 
vant son  article  sur  la  Roquette). 

XVIL  —  Revue  de  France,  l^'  Août.  —  Memor.  Entretiens  rétros- 
pectifs sur  les  choses  d'Allemagne.  lU.  Une  mission  secrète  (émissaire 
envoyé  à  Vienne  par  L.  Palmerston  en  1862  pour  pousser  l'Autriche  à 
s'unir  à  l'Angleterre  et  à  la  France;  l'émissaire  n'est  pas  nommé. 
Suite  le  25  août  sur  la  Société  et  la  presse  viennoise  en  1863;  le  15  sept, 
sur  l'insurrection  de  Pologne  ;  le  1"  oct.  sur  le  dernier  congrès  des  sou- 
verains à  Francfort  en  1863.  Série  d'indiscrétions  sans  grande  valeur). 

—  NoEL.  Étude  historique  sur  le  commerce  extérieur  de  la  France 
depuis  la  Révolution,  IV,  1848-1860  (suite  le  15  août,  le  traité  de  com- 
merce; le  15  sept.  1860-70.)  =  15  août.  La  Landelle.  Hist.  du  trois- 
ponts  V0céa7i  (suite  le  1"  et  le  15  sept.)  =  1"  sept.  Barrande.  L'Asie 
centrale  russe,   son  passé,  son  présent  (suite  le  15). 

XVni.  —Revue  des  Deux-Mondes,  1"  Août.  —  Ghantelauze.  Le 
cardinal  de  Retz  et  l'affaire  du  chapeau  (suite,  la  nomination  au  cardi- 
nalat, la  cour  de  Rome,  la  correspondance  de  Retz  avec  l'abbé  Char- 
rier, suite  et  fin  15  août,  1"  et  15  sept.  ;  travail  du  plus  vif  intérêt  et 
d'une  grande  nouveauté,  tiré  principalement  d'une  correspondance  iné- 
dite de  Retz  avec  l'abbé  Charrier  et  des  dépêches  des  affaires  étrangères). 

—  Du  Camp.  Les  prisons  de  Paris  sous  la  Commune.  IV,  la  Santé; 
ler  sept.  V,  Mazas  ;  1"  oct.  VI,  La  Grande-Roquette.  (Quand  M.  Du 
Camp  publiera  ces  études  si  remarquables  en  volume,  nous  voudrions 
qu'il  y  ajoutât  des  notes  pour  indiquer  les  sources  soit  orales,  soit 
écrites  auxquelles  il  a  puisé,  afin  de  donner  aux  historiens  des  moyens 
de  contrôle.)  =  15  Août.  Réville.  Vercingétorix  et  la  Gaule  au  temps 
de  la  conquête  romaine  (étudie  les  éléments  qui  ont  formé  la  nationalité 
gauloise.)  =  15  sept.  Maury.  La  législation  criminelle;  I.  La  Procédure; 


RECCEILS   PÉRIODIQUES.  45< 

1«  oct.  II.  La  pénalité  (articles  très-intéressants,  le  second  surtout,  mon- 
trant l'impuissance  des  sévérités  de  l'ancienne  procédure  ;  mais  il  ne 
faudrait  pas  en  conclure  que  si  elle  avait  été  plus  douce  les  crimes 
eussent  été  moins  nombreux;  le  nombre  des  crimes  dépend  bien  plus 
des  lumières  et  du  bien  être  général  que  de  leur  répression  plus  ou 
moins  parfaite.)  —  Janet.  La  propriété  pendant  la  Révolution  fran- 
çaise. —  Delaporte.  Une  mission  archéologique  aux  ruines  Khmers. 

XIX. —  Le  Spectateur  militaire.  Août.  — Hachsé.  Troupes  légères, 
corps  mixtes  (suite  en  sept.,  historique  intéressant  des  corps  francs, 
surtout  à  partir  du  xviiie  siècle;  réfute  par  des  faits  ce  qu'il  y  a  d'exa- 
géré et  de  faux  dans  la  thèse  soutenue  par  M.  Rousset  au  sujet  des 
Volontaires  de  92).  =  Sept.  Lort  Serignan.  Guillaume  III  (suite  de  ce 
travail  intéressant  et  neuf  dans  sa  partie  technique).  —  Du  Casse.  Un 
incident  diplomatique  en  1853  (curieux  récit  d'une  mission  historico- 
militaire  à  Naples.) 

XX.  —  Bulletin  de  la  Réunion  des  Officiers.  \  1.  Août.  —  Com- 
bat du  col  d'Exilés,  1747  (d'après  des  documents  mss.)  =15  sept.  Sur- 
prise de  Berg-op-Zoom  dans  la  nuit  du  8  au  9  mars  1814,  d'après  la 
relation  inédite  du  col.  Legrand. 

XXL  —  Bulletin  de  la  Société  du  protestantisme  français. 
15 août.  Procès-verbal  de  l'Assemblée  des  réformés  àNîmes  le  lardée.  1569 
(suite  le  15  sept.)  —  Procès-verbaux  d'assemblées  du  Désert  dans  l'élec- 
tion de  Cognac  en  1749.  —  Paillard.  Note  sur  la  famille  de  Guy  de 
Bray  (suite  le  15  sept.)  —  Fête  de  la  Saint-Barthélémy  à  Rome  le 
8  septembre  1572.  —  Gagnebin.  Pierre  de  Salve  (réfugié  français  en 
Hollande  en  1685.  =  15  sept.  Thierry  Mieg.  Fondation  de  l'église  ré- 
formée de  Mulhouse. 

XXII.  —  Académie  des  inscriptions.  Séances.  —  Les  20  juill.,  17 
et  24  août,  lecture  d'un  mémoire  très-faible  de  M.  Dabry  de  Thiersant  sur 
l'introduction  de  l'islamisme  en  Chine;  il  admet  qu'il  y  fut  apporté  dès 
629  par  Wahb-Abi-Kabcha,  oncle  de  Mahomet.  —  Les  27  juillet  et 
3  août,  M.  Deloche  lit  un  mémoire  sur  les  invasions  celtiques  en  Italie 
qui,  d'après  lui,  venaient  toutes  de  Gaule,  même  les  Boii;  ils  venaient 
du  Bordelais  et  se  répandirent  en  Italie  et  jusqu'en  Germanie.  MM.  Ro- 
bert et  Duruy  combattent  cette  opinion.  —  Le  10  août,  M.  L.  Delisle 
termine  son  mémoire  sur  Bernard  Gui.  —  Les  10,  17,  24,  31  août,  14 
et  28  sept.,  M.  Révillout  lit  une  série  d'études  fort  intéressantes  sur  les 
actes  publics  et  la  valeur  des  monnaies  chez  les  Égyptiens.  —  Les 
31  août,  14,  21  et  28  sept.,  lecture  d'un  mémoire  important  de  M.  Tis- 
sot  sur  la  géographie  do  la  province  romaine  d'Afrique.  —  Le  21  sept., 
M.  Germain  lit  un  travail  sur  la  mort  d'Edouard  d'Angleterre,  d'après 
un  document  du  cartulaire  de  Maguelonne.  Manuel  de  Fiesque,  notaire 
du  pape,  raconte  à  Edouard  III  que  son  père  n'a  pas  été  assassiné, 
mais  s'est  évadé  et  a  erré  plusieurs  années  avant  de  mourir  en  Italie. 
II  raconte  ces  pérégrinations  d'après  le  témoignage  du  roi  fugitif  lui- 


452  nEc.nKiLS  rÉiiioniQUES. 

iiiêmo.  MM.  Dclislo,  (lo  Wuilly  et  Dcloclio  souticnnonl  avec  raison  que 
co  document  ost  sans  autorité.  Ou  bien  c'est  un  exercice  de  scribe,  ou 
bien  Manuel  de  Fiesque  a  été  le  jouet  d'un  imposteur.  —  Le  28  sept., 
M.  Duruy  lit  une  étude  sur  Caracalla. 

XXIII.  —  Académie  des  sciences  morales  et  politiques.  Scances. 

—  Les  21  et  28  juill.,  M.  Baudrillart  lit  un  mémoire  sur  le  luxe  dans  ses 
rapports  avec  les  formes  du  gouvernement.  Cette  lecture  a  provoqué  dans 
la  séance  du  11  août  une  discussion  intéressante  où  M.  Garnier  a  com- 
battu certaines  propositions  de  M.  Baudrillart  sur  la  démocratie.  —  Le 
18  août  lecture  d'un  mémoire  intéressant  de  M.  Berthold  Zeller  sur  les 
dernières  années  du  connétable  de  Luynes  en  qui  il  reconnaît  l'étoffe 
d'un  véritable  homme  d'État.  —  Le  25  août,  M.  Giraud  lit  une  note 
sur  la  correspondance  du  grand  Frédéric  avec  RoUin.  —  Le  28  août  et 
le  1"  septembre.  M.  Rambaud  lit  un  mémoire  où  il  explique  les  causes 
qui  rendirent  l'aristocratie  russe  hostile  à  la  Révolution  française.  = 
Comptes-rendus.  —  F.  Lenormant.  Les  origines  de  la  monnaie  dans 
l'antiquité.  —  Giraud.  Les  nouveaux  bronzes  d'Osuna  (les  jeux  publics, 
les  sépultures  et  bûchers,  la  Lex  Julia  de  Sacerdotiis,  le  sacerdoce  colo- 
nial).— Pourquoi  les  Comptes-rendus  publient-ils  au  mois  d'août  un  mé- 
moire de  M.  Zeller  imprimé  textuellement  il  y  a  six  mois  dans  son  vol. 
sur  Henri  IV  et  Marie  de  Médicis? 

XXIV.  —  Revue  des  Sociétés  savantes.  Oct.  —  Extraits  de 
protocoles  de  notaires  de  Toulon,  1488-1499,  publ.  par  M.  Albanès 
(intéressants  pour  l'histoire  municipale).  —  Lettre  et  interrogatoire  de 
Jean  du  Temps,  avocat  à  Blois,  par  suite  de  la  Ligue,  p.  p.  M.  Dupré. 

—  Inventaire  d'un  cartulaire  de  Saint-Corneille  de  Compiègne,  p.  p. 
M.  DE  Marsy  (nombreuses  bulles  pontificales,  H19-1256;  actes  des  rois, 
de  Robert  à  Ph.-Aug.).  —  Comptes  de  Charles  VI  et  d'Isabeau  de 
Bavière,  1404-1408.  —  Les  anciennes  forges  du  Périgord  et  du  Limou- 
sin, p.  M.  de  Verneilh  (mémoire  intéressant  pour  l'hist.  de  l'industrie 
du  fer). 

XXV.  —  Bulletin  de  la  Société  des  Antiquaires  de  l'Ouest. 

2«  trim.  1877.  —  Comte  de  la  Boutetière.  Date  de  la  fondation  d'Or- 
bestier  (1107  et  non  1007). 

XXVI.  —  Mémoires  de   la   Société    d'émulation   du    Doubs. 

v«  série,  {^^  vol.  —  Ch.  Thuriet.  Étude  hist.  sur  le  bourg  de  Rouge- 
mont.  —  Delacroix.  Une  tradition  séquanaise  concernant  Arioviste 
(curieux  commentaires  d'une  légende  populaire  en  patois).  —  Castan. 
Les  évêques  auxiliaires  du  siège  métropolitain  de  Besançon  (bon  tra- 
vail). —  Besson.  Étude  sur  Jacques  de  Molay  (rien  de  nouveau). 


XXVII.  —  Revue  d'Alsace.  —  Engel.  Documents  pour  servir  à  la 
numismatique  de  l'Alsace  (suite).  —  Fischer.  Hist.  de  l'ancien  comté 
de  Saarwerden  et  de  la  prévôté  de  Herbitzheim  (les  comtes  de  Moers- 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  453 

Saarwerden,  1404-1600).  —  Ensfelder.  Le  Siège  de  Riquewihr  en  1635. 
R.  Reuss.  Jean  Geiler  de  Kaysersberg.  —  Barth.  Notes  biographiques 
sur  les  hommes  de  la  Révolution  à  Strasbourg. 


XXVIII.— The  Academy.  28  juilL— A  HistoryofFranceby  6.  Kit- 
chin^  3  V.  (G.  Monod  :  du  talent,  mais  beaucoup  de  lacunes).  =  4  août. 
Originum  Cistercensium,  t.  I,  par  L.  Janauschek  (King  :  monument 
d'érudition).  —  Genealogical  Memoirs  of  the  Kindred  Familles  of  Th. 
Cranmer  and  Th.  Wood  by  R.  Wato^s  (Jessopp:  excellent  livre).  —  Die 
Rœmisch-Katholische  Kirche  im  K.  der  Niederlaender  v.  F.  Nippold 
(Oxenham).  —  BiRKS.  Sur  la  chronologie  des  premiers  papes  (cherche 
à  expliquer  les  divergences  des  catalogues  ;  M.  Bass  Mullinger  réfute  le 
18  août  les  hypothèses  de  M.  Birks,  qui  répond  le  15  sept.).  =  18  août. 
Annals  of  Winchcombe  and  Sudeley,  by  E.  Dent  (Waters  :  plein  d'er- 
reurs et  de  non-sens.  Cf.  Athenaeum^  18  août). —  Christ-Church  letters, 
éd.  by  /.  Sheppard  (King  :  recueil  important  de  lettres  provenant  du 
prieuré  de  Christ-Church  à  Canterbury  de  1334  à  1517,  publié  par  la 
Camden  Society,  bonne  introduction).  =  l^r  sept.  Accounts  of  the  Lord 
High  Treasurer  of  Scotland,  vol.  I,  1473-98,  éd.  by  Th.  Dickson  (Pea- 
cocK  :  très-intéressant).  =  8  sept.  The  History  of  India.  The  Muham- 
madan  Period.,  vol.  VII,  by  sir  H.  EUiot  (Goldsiud,  sur  Shah  Jahan, 
Aureng  zeb,  etc.  ;  important).  — A  History  of  Cavalry  from  the  ear- 
liest  Times,  by  col.  G.  Denison  (Wilson  :  remarquable).  =  22  sept. 
—  Geschichte  des  Yatikanischen  Konzils,  v.  D'  Friedrich  (Acton  :  étu- 
die le  développement  de  l'ultramontanisme  ;  œuvre  capitale).  — Memo- 
rials  of  the  Discovery  and  early  Settlement  of  the  Bermudas,  1515- 
1685,  1  vol.,  by  major  gênerai  Lefroy  (Sainsbury  :  intéressant,  cf. 
Atkenaeum^  8  sept.).  =  25  sept.  A  sélection  from  the  Dispatches  of 
the  Marquess  Wellesley,  éd.  by  Sidney  Owen  (MiNcmN,  intéressant). 

XXIX.  —  The  Athenaeum.  28  juill.  —  Niccolô  Macchiavelli  by  P. 
ViUari,  v.  I  (de  Gubernatis  :  la  meilleure  biographie  du  grand  Flo- 
rentin). —  4.  août.  Servetus  and  Calvin  by  Willis  (étude  des  idées 
de  Servet).  —  Geschichte  Jîgyptens  von  Brngsch-Bcy  (remaniement  de 
son  hist.  publ.  en  français).  —  Howorth.  Ethelward  and  Asser  (la  vie 
d'Alfred  par  Asser  est  un  faux  du  xi^  s.).  =  11  août.  Camp,  count  and 
siège  by  W.  Hoffmann  (anecdotes  amusantes,  mais  indiscrètes,  sur  les 
deux  guerres  d'Amérique  1861-65,  et  de  France  1870-71).  =  8  sept. 
Dursley  and  its  Neighbourhood  by  G.  Hunt  (livre  de  troisième  main).  — 
Howorth.  La  chronique  anglo-saxonne  (sur  l'âge  du  ms.  Corpus  Christi, 
pris  pour  un  original  et  qui  est  une  copie  du  xi'  s.).  =  15  sept.  Glea- 
nings  from  the  municipal  and  cathedral  records  relating  to  Exeter  by 
W.  Cotton  and  H.  Woollcombe  (très-mal  fait).  =  29  sept.  Life  of  sir  W. 
Raleigh  by  L.  Creighton  (très-bon  livre  populaire).  — Numismata  Crom- 
welliana,  by  H.  Henfrey  (bon  recueil).  —  The  Normans  in  Europe  by 
Rev.  Johnson  (des  erreurs  assez  nombreuses  ;  la  partie  relative  à  l'An- 


454  RECUEILS  PERIODIQUES. 

ploterro  ost  luinno).  —  Léon  Gambetta  und  seine  Armeen  v,  Fr.  von  der 
Goltz  (livre  oxcollent  très-favorable  à  Gambetta). 

XXX.  —  The  Nineteenth  Century.  Sopt.  —  Froude,  la  Vie  et 
l'Epoquo  do  Tliumas  liecUri,  'i"  partie  ;  l'exil  de  Becket  on  France.  — 
P.  Bagder.  Précédents  ot  usages  qui  règlent  le  califat  musulman.  = 
Oct.  Froude.  Le  meurtre  de  Th.  Becket. 

XXXL  —  The  "Westminster  Revie-w.  Oct.  —  La  Renaissance 
on  Italie.  —  Sir  John  Bowring. 

XXXIL  —  The  Fortnightly  Review.  Oct.  —  Hutton.  W.  Bag- 
chot.  —  W.  Senior.  Conversations  avec  M.  Thiers  (1832,  très-intéres- 
santes pour  les  idées  politiques  de  M.  Thiers). 

XXXin.  —  The  Mac  Millan's  Magazine.  Août.  —  Peabody. 
Papes  et  cardinaux.  =  Sept.  Seely.  L'histoire  de  Prusse.  —  Lady 
DuFF  Gordon.  La  société  allemande  il  y  a  40  ans.  =  Oct.  H.  Elliot. 
Un  nouveau  manuscrit  de  G.  Savile,  premier  marquis  de  Halifax  (inté- 
ressant). 


XXXIV.  —  Historische  Zeitschrift,  38^  vol.,  2^  fasc.  —  Feuer- 
LEiN.  Pétrarque  et  Boccace  (étude  littéraire  et  morale).  —  Markgraf. 
Formation  de  la  ligue  catholique  contre  Georges  Podiebrad  (suite).  — 
Lehmann.  La  campagne  de  1815  (d'après  le  livre  récent  du  général  von 
Ollech,  Geschichte  des  Feldzuges  von  1815  ;  étude  faite  dans  un  sens  tout 
prussien  ;  l'auteur  donne  plusieurs  documents  inédits,  entre  autres 
deux  lettres  du  général  Gneisenau  à  Hardenberg  des  12  et  22  juin).  = 
3e  fasc.  —  H.  von  Sybel.  La  conférence  d'état  en  Autriche  en  1836 
(d'après  les  rapports  des  ambassadeurs  prussiens  à  Vienne,  von  Brock- 
hausen  et  von  Matzan).  —  A.  Béer.  Envoi  de  Thugutau  quartier  géné- 
ral prussien  ;  la  paix  de  Teschen. 

XXXV.  —  Neues  Archiv.  3^  vol.,  1"  fasc.  —  K.  Foltz.  Les  sceaux 
des  rois  et  empereurs  allemands  de  la  maison  de  Saxe,  911-1024,  avec 
un  avant-propos  de  Th.  Sickel.  —  Waitz.  De  quelques  petites  chro- 
niques du  xni«  siècle  (M.  Waitz  suit  les  destinées  d'un  abrégé  histo- 
rique commençant  à  l'époque  lombarde,  et  que  Jacques  de  Voragine  a 
ajouté  à  sa  légende  dorée.  Il  a  été  compilé  à  l'aide  d'un  abrégé  histo- 
rique, du  Memoriale  temporum  de  Vincent  de  Beauvais,  encore  inédit, 
et  d'un  ms.  de  Vienne  n"  364,  fol.  389-416  ;  il  est  lui-même  la  source 
d'un  assez  grand  nombre  de  mss.  ;  ainsi  de  la  chronique  de  Reggio 
pub.  par  Dove  (1873)  et  d'un  ms.  de  Rome,  Bibl.  Casanat.  A.  III.  10, 
probablement  par  l'intermédiaire  d'un  ms.  inconnu,  puis,  directe- 
ment, d'un  autre  ms.  de  Rome,  ibid.  IL  34,  et  d'un  ms.  de  Leipzig 
1308,  enfin  d'un  ms.  de  l'Ar-senal  n"  10,  sur  lequel  M.  Waitz  insiste 
beaucoup.  Cet  abrégé  de  J.   de  Voragine  avait  été  souvent  imprimé, 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  455 

mais  n'avait  pas  encore  attiré  l'attention  des  érudits).  —  H.  Bresslau. 
Voyage  en  Italie  au  printemps  1876  (M.  B.  a  visité  les  bibliothèques 
et  archives  de  27  villes,  la  plupart  dans  l'Italie  du  Nord.  Il  publie 
14  diplômes  d'empereurs  de  983  à  1197  copiés  par  lui  dans  son  voyage 
et  quelques  extraits  de  Nécrologes).  —  P.  Ewald.  Voyage  en  Italie, 
dans  l'hiver  1876  (additions  aux  notices  prises  par  Bethmann  dans  les 
bibliothèques  de  Rome  ;  visite  à  la  bibliothèque  du  prince  Boncom- 
pagni;  description  du  Registrum  Anacleti  II  antipapae^  et  d'un  ms.  du 
Vatican,  ottob.  3008,  qui  contient  15  lettres  de  Pascal  II,  4  de  Calixte  II, 
3  de  l'évêque  de  Goire,  Gui,  à  Pascal  II,  2  autres  lettres  de  papes  rela- 
tives à  Goire.  Ces  24  lettres,  dont  2  seulement  ont  été  connues  de  Jaffé, 
sont  reproduites  en  appendice).  —  Mommsen.  Un  mot  sur  Paul  Diacre. 
—  DuEMMLER.  Extraits  de  mss.  —  Waitz.  Notice  sur  un  ms.  de  Bam- 
berg.  Déclarations  d'obédience  faites  par  des  évoques  bourguignons  et 
français  aux  xi^  et  xn^  siècles  (d'ap.  un  ms.  de  la  cathédrale  de  Besan- 
çon auj.  à  Londres,  Brit.  Mus.  15222).  —  Schum.  Gommunication  sur 
les  originaux  de  quelques  bulles  pontificales  concernant  les  couvents 
d'Anhalt.  —  Wattenbach.  Sur  quelques  mss.  de  la  bibliothèque  capi- 
tulaire  de  Vérone.  —  R.  Pauli.  Extraits  de  mss.  anglais.  —  Waitz. 
Extraits  de  catalogues  récents  de  mss.  (Berne  et  Saint-Gall.) 

XXXVI.  —  Gœttingische  gelehrte  Anzeigen.  N"  32.  —  Cata- 
logue of  greek  coins.  Sicily,  éd.  by  R.  Poolc  ;  Syracuse,  by  V.  Head  ; 
the  other  cities  of  Italy  by  P.  Gardner  (F.  Wieseler.  Publication  très- 
importante  ;  plusieurs  rectifications  ou  explications  proposées).  = 
N«  33.  Sprache  and  Sprachdenkmseler  der  Langobarden,  von  C.  Meyer 
(Waitz.  Critique  très-sévère). —  F.  W^ieseler  rend  compte  du  l*""  fasc. 
d'une  Revue  d'archéologie  et  d'épigraphie  qui  vient  d'être  fondée  à 
Vienne  {Archxologisch-cpigraphische  Mittheilungen  ans  OEsterreich,  publ. 
par  A.  Gonze  et  0.  Hirschfeld,  chez  Gerold's  Sohn).  =  N°  34.  Les 
seconds  chrétiens  :  Saint  Paul,  par  H.  Rodrigues  (Dusterdieck  :  ouvrage 
absolument  dénué  de  critique).  —  Briefe  und  Documente  aus  der  Zeit 
der  Reformation  im  16  Jahrh.,  von  K.  u.  W.  Kra/ft  (L.  Geiger:  impor- 
tant pour  l'histoire  de  l'humanisme  à  Cologne,  et  la  biographie  de 
Luther  et  de  Mélanchthon  ;  nombreuses  taches  de  détail).  =  N°  36. 
Erasmiana,  von  W.  Vischer  (L.  Geiger  :  très-bon  travail,  neuf  sur  plu- 
sieurs points,  surtout  pour  ce  qui  concerne  la  permission  qu'Erasme 
sollicita  et  obtint  de  Léon  X,  de  porter  désormais  des  habits  séculiers 
au  lieu  de  l'habit  de  son  ordre).  =  N°  39.  Regesta  episcopatus  Magde- 
burgensis  hsggb.  von  A.  von  Millverstedt  (W.  Schum  :  publication  utile, 
mais  dépourvue  de  méthode  et  de  plan).  ;:=  N°  41.  Die  Akten  des  Pau- 
lus  und  der  Thekla,  von  Dr.  Schlaii  (Zahn  :  travail  consciencieux, 
mais  qui  contient  des  fautes  de  méthode  et  des  erreurs  de  détail). 

XXXVII.  —  Jenaer  Literaturzeitung.  N^  31.  —  Jirecck\  Ges- 
chichte  der  Bulgaren  (Garo  :  livre  très-bien  fait).  =:  N*  32.  Bœhmer. 
Regesta  imperii,  VIII  hggb.  v.  Huber  1346-1378  (Winkelmann  :  men- 


456  nECUKFLs  i'kiii()I)iqi;ks. 

lii)niu^  T'^il  diplômes).  —  Zcissbcnj.  Kloiiiore  Geschichtsquellon  Polons 
im  Mitl(^Ialt(M-  (Caro).  =  N*  33.  Uirxch.  Byzanlinischo  Studion  (Steit  : 
modèli'  do  critiijuo,  traite  dos  chroniques  du  moini^  Georges,  de  Gcne- 
sius,  des  continuateurs  de  Theophane  et  de  Symeon  Magistcr,  de  Léon 
le  Grammairien,  de  Tliéodore  do  Mélitène,  de  Jules  Polydcukes  et  de 
Joël.)  =  N°  34.  Bartoli.  I  precursori  del  Rinascimento  (Meyncke  :  vues 
originales).  —  Derkholz.  Das  Testament  Peters  dos  Grosson  (Garo  : 
M.  G.  ne  croit  pas  que  Napoléon  ait  directement  trempé  dans  la  fraude). 

—  Scpp.  Gœrres  und  seine  Zeitgenossen  (Philippson  :  biogr.  curieuse, 
mais  délayée,  d'un  des  types  les  plus  bizarres  de  l'Allemagne  moderne). 

—  Hirschfeld.  Die  Kaiserlichen  Verwaltungsbeamten  bis  auf  Diocle- 
tian  (Schiller  :  livre  excellent).  =  N"  35.  Gilbert.  BeitriBgc  zur  innc- 
ren  Geschichte  Athens  im  Zoitalter  des  Peloponnesischen  Krieges 
(ZuRuORG  :  remarquable).  —  Makusccv.  Monumonta  historica  Slavorum 
meridioualium  (G.\ro  :  doc.  tirés  des  archives  d'Ancône,  Bologne,  Flo- 
rence, édités  avec  plus  de  zèle  que  de  méthode).  —  Briickner.  Die 
Familie  Braunschweig  in  Russland  irn  xvni  Jahrh.  (Caro).  =  N"  36. 
Sars.  Udsigt  over  don  Norsko  historié  2^  v.  (Maurer  :  article  très-im- 
portant, traite  à  part  la  question  de  la  constitution  de  la  Norwège).  = 
N"  38.  Lindner.  Gesch.  des  deutschen  Reiches  vom  Ende  des  xiv 
Jahrh.  bis  zur  Reformation.  Abth.  I.  2«  v.  l^e  p.  (Bernhardi  : 
bon). — Grauert.  Die  Herzogsgewalt  im  Westfalen  seit  dem  Sturze 
Heinrich's  des  Lœwen  l''^  p.  (Id.  :  Munster,  Osnabrûck  et  Min- 
den).  —  Dehio.  Gesch.  des  Erzbisthums  Hamburg-Bremen  bis  zum 
Ausgang  des  Mission  (Id.).  —  Wenck.  Die  Wettiner  im  xiv  Jahrh. 
(Id.).  —  Mannheimer.  Die  Judenverfolgung  in  Speyer,  Worms  u. 
Mainz  im  J.  1096  (Hagenmeyer  :  d'après  un  ms.  hébraïque  de  Darms- 
tadt;  curieux).  —  Gœcke.  Das  Grossherzogthum  Berg  unter  Joachim 
Murât,  1806-1813  (Philippson  :  intéressant).  —  Sadowski.  Die  Handels- 
strassen  der  Griechen  u.  Rœmer  (Mûller  :  s'occupe  des  routes  qui 
conduisaient  à  la  Baltique  le  long  de  l'Oder,  de  la  Yistule,  du  Dnieper 
et  du  Niémen;  important).  =  N°  39.  Bœhmer.  Regesta  archiepiscopo- 
rum  Maguntinensium,  hsggb.  v.  G.  Will,  1  vol.  742-1160  (Hahn,  très- 
précieux). 

XXXVIII.  —  Anzeiger  fur  Kunde  d.  d.  Vorzeit.  Août  1877.  — 
Dinkelsbuhl.  Les  noces  de  Sixt  CElhafen,  .secrétaire  de  l'empereur  et 
de  l'empire,  et  bourgeois  de  Nuremberg  en  1501  (par  CElhafen  lui- 
même  ;  curieux  pour  l'histoire  des  mœurs). 

XXXIX.  —  Deustche  Rundschau.  Août. — Huebner.  L'aciministra- 
tion  des  mines  chez  les  Romains  (d'après  une  tablette  découverte  l'an  der- 
nier dans  le  sud  du  Portugal,  à  Aljustrel,  qui  donne  des  détails  curieux 
et  parfois  nouveaux  sur  l'industrie  minière,  les  instruments  de  mineur 
et  les  relations  commerciales  créées  par  cette  industrie).  —  G.  Sghmol- 
LER.  Origine  de  l'armée  prussienne  1640-1740.  =  Sept.  H.  von  Brandt. 
Berlin  avant,  pendant  et  après  le  ministère  de  Pfuel  (juill.-oct.  1848). 
d'après  des  Mémoires  inédits  (suitei. 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  457 

XL.  —  Magazin  fur  die  Literatur  des  Auslandes.  —  N*  31. 

T.  von  Welle.  La  guerre  de  Vendée  et  le  débarquement  à  Quiberon 
(d'après  les  Mémoires  sur  la  guerre  de  Vendée  pub.  p.  M.  de  Lescure).  = 
N"'  32  et  33.  Analyse  de  l'Histoire  contemporaine  de  l'Espagne  par 
Lauser,  qui  fait  suite  à  celle  de  Baumgarten.  =  N"^  35  et  36.  Le  géné- 
ral Dufour,  la  guerre  du  Sonderbund  et  la  lutte  de  1856.  —  Histoire  de 
la  commune  rurale  dans  la  Russie  septentrionale,  par  Sokolowsky.  (Le 
critique  fait  un  grand  éloge  de  ce  livre,  dont  il  partage  les  tendances 
communistes).  =r  N°  39.  Compte-rendu  des  deux  livraisons  du  tome  IV 
de  la  Revue  historique  ;  nous  remercions  l'auteur  de  la  sympathie  avec 
laquelle  il  en  a  parlé.  —  Histoire  des  Hongrois  par  E.  Sayous  (Kats- 
CHER  :  fait  un  grand  éloge  de  cet  ouvrage). 

XLL  —  Russische  Revue.  8^  fasc.  —  F.  Martens.  La  politique 
russe  dans  la  question  orientale  (travail  important  paru  en  français 
dans  la  Revue  de  droit  international  et  de  législation  comparée,  et  qui 
représente  bien  exactement  les  vues  modérées  actuellement  dominantes 
parmi  ceux  qui  dirigent  la  politique  de  la  Russie. 


XLH.  —  Archivio  Storico  Italiano.  4<=  livr.  —  G.  Mlnieri  Riccio. 
Le  règne  de  Charles  d'Anjou  (suite)  (janv.-mai  1277  ;  se  rapporte  sur- 
tout à  l'administration  intérieure,  à  la  pêche  du  corail  faite  sur  les 
côtes  de  l'Italie  par  les  marins  de  Marseille  et  de  la  Provence,  à  la 
translation  des  ossements  de  Béatrix,  femme  de  Charles  d'Anjou,  dans 
l'église  de  Saint-Jean  de  Jérusalem  à  Aix,  aux  travaux  exécutés  à 
Brindisi,  entre  autres  à  la  construction  d'un  phare).  —  Bazoni.  Corres- 
pondance de  l'abbé  Galiani  avec  Tanucci  (suite);  nov.  1763-mars  1764 
(s'occupe  surtout  du  Parlement  et  des  Jésuites;  une  lettre  du  19  mars 
donne  la  composition  du  conseil  du  roi  et  montre  la  cour  des  Aides 
anéantie  par  le  conseil  des  finances  «  qui  est  en  réalité  devenu  le  tri- 
bunal des  fermiers  du  roi  »).  —  L.  .Leonii.  Brigands  et  Français  en 
Italie  en  1798-99  :  siège,  capitulation  et  pillage  (par  les  Français)  de 
Stroncone  en  Ombrie,  relation  de  d.  D.  Salvati.  —  C.  Deslmoni.  Le 
voyage  de  Jean  Verrazzano  dans  l'Amérique  septentrionale  en  1524 
(tient  pour  l'authenticité  de  ce  voyage  que  des  auteurs  récents:  Buckin- 
gham-Smith,  Murphy,  Harisse,  ont  mise  en  doute).  —  Saltini.  Anto- 
nio Giustinian  et  ses  dépêches  comme  ambassadeur  vénitien  à  Rome 
de  1502  à  1505  (prouve,  à  l'aide  de  deux  documents  qu'il  publie  pour 
la  première  fois,  que  le  discours  très-humble  de  Giustinian  à  l'empereur 
après  Agnadel  (1509)  n'a  pas  été  inventé,  comme  on  l'a  prétendu,  par 
Guichardin,  et  que  le  texte  du  discours  reproduit  par  Guichardin  doit 
être  tenu  pour  authentique).  —  Comptes-rendus  :  t.  XVI  des  Historiae 
patriae  monuinenta  édita  jussu  régis  C.  AlbctHi])aiV  Belgrano  (art.  impor- 
tant) ;  Regesta  pontificum  romanorwn  de  Potthast  par  A.  Reumont  ; 
Launegild  tend  iVadia^  étude  sur  le  droit  lombard,  de  M.  Val  de  Lièvre; 


458  RECUEILS  PERIODIQUES. 

Geschichte  Frankrcichs,  \^o  p.,  do.  K.  Hillebrand.  —  Notice  nécrologique 
sur  Fr.  Palacky,  par  A.  Reumont. 

XLIII.  —  Archivio  storico  Siciliano.  2«  année,  1"  fasc.  Bozzo. 
(^j/rtf'rfa»!.  ;)ro/('/.m,  poosio  sicilitMuie  du  xive  s.,  étude  paléographique, 
littéraire  ot  histori{]ue  (ce  fasc.  ne  contient  que  la  l"  partie  de  l'intro- 
duction; nous  y  reviendrons).  —  Gastorin.\.  Notice  sur  un  ms.  en  par- 
chemin contenant  la  traduction  en  langue  vulgaire  de  l'Histoire  sici- 
lienne d'Ugo  Falcando,  par  Filoteo  Omodei  (ce  ms.  avait  jusqu'ici 
passé  comme  perdu  ;  il  paraît  être  autographe). 

XLIV.  —  Nuove  Effemeridi  Siciliane,  Mai-Juin.  —  A.  Holm.  Cha- 
pitre I"  du  livre  I  de  Y  Histoire  ancienne  de  la  Sicile  (trad.  de  l'édition 
allemande,  Leipzig  1870).  —  S.vlomone-Marino.  Fragments  de  chro- 
niques panormitaines  des  xvi^  et  xvn«  siècles  (notes  historiques  géné- 
ralement courtes  et  sans  lien  les  unes  avec  les  autres  extraites  des 
Registri  notarili  conservés  aux  Archives  d'état  de  Palerme  et  des  Atti 
du  Sénat,  conservés  aux  Archives  municipales.  L'auteur  annonce  la 
publication  prochaine  du  Ceremoniale  del  Senato  di  Palcnno  e  Cronache 
inédite  palermilane  dei  secoli  XVI,  XVII,  XVIII).  —  Nuccio.  Les  maî- 
trises en  Sicile  (abolies  pour  la  plupart  en  1785  et  1786,  elles  furent 
rétablies  en  1812;  un  décret  du  12  mars  1822  supprima  définitivement 
toutes  les  corporations  commerçantes  ou  industrielles.  L'auteur  donne 
les  statuts  de  la  corporation  des  cuisiniers  et  des  pâtissiers  d'après  une 
rédaction  de  1676).  —  Gamarda.  Hiéron  et  la  l"-*  olympique  de  Pin- 
dare. 

XLV.  —  R.  deputazione  di  storia  patria  (Bologne).  Séance  des 
6  et  27  mai.  —  M.  E.  Mas[  continue  la  lecture  de  son  travail  sur  Fran- 
cesco  Albergati  Capacelli  (v.  Rev.  hist.  IV,  471  ;  V,  233)  ;  il  donne  d'in- 
téressants détails  sur  la  société,  le  gouvernement,  les  mœurs,  le  mou- 
vement littéraire  à  Bologne  au  xvni^  siècle.  =  13  mai.  G.  M. 
Valgimigli.  Mémoire  sur  la  vie  et  les  écrits  de  Mengo  Bianchelli,  phi- 
losophe et  médecin  de  Faenza,  mort  avant  1525,  un  des  savants  qui 
fréquentèrent  à  Florence  la  maison  de  Laurent  de  Médicis  et  VAccade- 
mia  plaionica.  =  10  juin.  Le  comte  Nerio  Malvezzi  dki  Medici  a  lu  un 
mémoire  sur  Lorenzo  Maria  Riario,  de  Bologne,  érudit  qui  s'est  beau- 
coup occupé  de  l'histoire  de  sa  province.  =  24  juin.  Le  comte  Albi- 
ciNi  a  lu  une  étude  sur  les  Chroniques  de  Forli  deLeoneCobelli,  auteur 
du  xve  s.,  que  vient  de  publier  la  Commission  d'histoire  pour  la  Ro- 
magne. 


XLVL  —  Revue  suisse.  Août.  —  L.  Léger.   Georges  Krijanitch, 
précurseur  du  panslavisme  au  xvn^  s. 


CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE.  459 


CHRONIQUE  ET  BIBLIOGRAPHIE. 


France.  —  Le  19  août  dernier  est  mort  à  Châlons  M.  J.  Garinet, 
auteur  de  divers  ouvrages  historiques  :  Histoire  de  la  Magie;  Etablisse- 
ment du  christianisme  à  Châlons  ;  Mémoires  sur  les  Assemblées  nationales 
antérieures  aux  États  généraux  de  1789. 

—  On  annonce  également  la  mort  de  M.  A.  de  Vertus,  vice-prési- 
dent de  la  Société  archéologique  de  Château-Thierry,  auteur  de  divers 
travaux  sur  la  Champagne. 

—  Le  24  juillet  est  mort  M.  Gh.  Gérard,  né  à  Longwy  en  1814.  II 
s'occupa  toute  sa  vie  de  travaux  d'histoire  et  d'art.  Il  laisse  :  ï Ancienne 
Alsace  à  table;  les  Annales  de  la  Chronique  des  Dominicains  de  Colmar 
(1854);  la  Bataille  d'Entzheim  (\869)  ;  la  Bataille  de  Turckheim  (1870);  les 
Artistes  de  l'Alsace  au  mo^jen  âge.  M.  Gérard  avait  une  riche  hihliothèque 
alsatique. 

—  Le  9  août  est  mort  M.  V.  Villiaumé,  auteur  d'une  Histoire  de  la 
Révolution  (1850)  et  d'une  Histoire  de  Jeanne  Darc  (1863).  Il  préparait 
une  Histoire  du  Directoire. 

—  Le  marquis  Denis  de  Godefroy  Menilglaise  est  mort  le  20  juillet. 
Il  a  publié  en  1855  la  Chronique  de  Lambert  d'Ardr es,  en  1874  la  traduc- 
tion de  celle  de  Gilbert  de  Hainaut,  et  le  Voyage  d'un  Hollandais  en 
France,  1713-1714.  Son  œuvre  principale  est  l'histoire  à.Q?>  Savants  Gode- 
froy (1873). 

—  Les  documents  recueillis  par  M.  Thiers  pour  ses  ouvrages  histo- 
riques et  ceux  qu'il  a  reçus  de  diverses  sources  pendant  le  cours  de  sa 
carrière  politique,  seront  déposés,  conformément  à  sa  volonté,  aux  Ar- 
chives nationales. 

—  Parmi  les  travaux  historiques  entrepris  par  les  élèves  de  l'École 
archéologique  française  de  Rome  nous  signalerons  ceux  de  M.  Beau- 
douin  sur  l'administration  des  possessions  vénitiennes  dans  le  Levant, 
et  de  M.  Berger  sur  Richard  de  Cluny  et  Guy  de  Bazoche ,  ainsi  que 
sur  la  croisade  de  Calixte  III  contre  les  Turcs  en  1453.  Un  élève  de 
l'École  d'Athènes,  M.  Homolle,  a  eu  la  bonne  fortune  de  découvrir  à 
Délos  plus  de  250  inscriptions  qui  sont  les  comptes  du  temple  de  Délos, 
centre  de  la  confédération  athénienne. 

—  M.  Siméon  Luce  prépare  un  travail  sur  l'Histoire  du  Mont  Saint- 
Michel  aux  xiv«  et  xv^  siècles. 

—  Le  Congrès  de  l'Association  bretonne  s'est  tenu  à  Savenay  du  2  au 
9  septembre.   Dans  la  section  d'archéologie  ont  été  lus  des  Mémoires 


»<''0  CHROXIQCE    ET    BIRLIOGRAPHIE. 

sur  {'Histoire  de  Savenay,  par  M.  Redoux,  sur  la  Presqu'île  de  Guérande, 
par  M.  Korviler,  sur  Arthur  de  Richemond,  par  M.  Guyot  Jomard  ;  sur 
les  Établissements  hospitaliers  de  la  région,  par  M.  Léon  Maître. 

—  M.  le  D'  JouRDAiNET  vient  de  publier  une  nouvelle  édition  en  un 
vol.  gr.  in-8°  de  sa  traduction  de  l'intéressante  Histoire  de  la  conquête 
de  la  Nouvelle-Espagne,  par  Bernai  Diaz  del  Castillo  (Masson).  La  tra- 
duction a  été  soigneusement  revue;  et  M.  J.  y  a  joint  une  préface, 
d'excellentes  cartes  et  une  étude  curieuse  sur  les  sacrifices  humains  et 
l'anthropophagie  chez  les  Aztecs. 

—  M.  Saint-Reiné  Taillandier  a  réuni  en  un  volume,  sous  le  titre  :  les 
Renégats  de  89  (Hachette),  les  leçons  sur  la  Révolution  française  qui  ont 
provoqué  au  printemps  dernier  du  tumulte  à  la  Sorbonne.  M,  T.  nous 
semble  avoir  singulièrement  enflé  les  proportions  de  la  gaminerie 
méprisable  dont  il  a  été  l'objet  en  y  voyant  un  essai  de  révolution 
et  eu  se  représentant  comme  un  martyr  de  la  liberté.  Ses  leçons  d'ailleurs 
n'ont  nullement  le  calme  et  la  sérénité  qui  conviennent  à  l'enseigne- 
ment ;  on  y  trouve  un  ton  véhément  et  passionné,  qui  provoque  les 
applaudissements  et,  par  un  effet  contraire,  les  sifflets.  Le  jour  où  les 
professeurs  ne  chercheront  plus  les  premiers,  les  autres  ne  seront  plus 
à  redouter  pour  eux. 

—  M.  Ladislas  Mickiewicz  vient  de  publier,  d'après  les  papiers  de  son 
père,  le  premier  volume  du  Mémorial  de  la  Légion  polonaise  de  1848  (lib. 
du  Luxembourg).  Cette  légion  se  composait  de  dix  Polonais  qui  se  joi- 
gnirent au  mouvement  révolutionnaire  italien.  Le  livre  très-confus  de 
M.  Mickiewicz,  tout  entier  en  notes  et  en  digressions,  est  néanmoins 
très-curieux  par  les  nombreux  détails  qu'il  donne  sur  les  Italiens  et  les 
Polonais  qui  ont  marqué  dans  le  mouvement  révolutionnaire,  et  parce 
qu'il  porte  l'empreinte  encore  chaude  des  sentiments,  presque  incompré- 
hensibles aujourd'hui,  qui  ont  animé  les  hommes  de  48. 

—  Le  deuxième  fascicule  de  la  nouvelle  édition  de  la  France  jiroies- 
tante  de  MM.  Haag  par  M.  H.  Bordier  vient  de  paraître  (Fischbacher). 
Celte  réédition,  qui  est  en  réalité  un  livre  entièrement  nouveau,  est  d'un 
prix  inestimable  pour  l'histoire  du  protestantisme  et  aussi  pour  l'his- 
toire de  France.  Voyez,  p.  ex.,  les  articles  Aubigné  et  Basnage.  Une 
table  des  principales  matières  et  un  Index  des  personnes  terminent  le 
volume.  C'est  là  un  surcroît  de  soin  et  de  scrupule  dont  les  travailleurs 
sauront  gré  à  M.  Bordier. 

—  La  Société  de  l'Orient  latin  vient  de  distribuer  avec  son  premier 
volume  une  petite  plaquette  qui  contient  une  notice  sur  Titus  Tobler, 
mort  le  21  janvier  1877,  et  le  rapport  de  M.  Riant  sur  la  marche  de  la 
Société.  Ce  rapport  très-intéressant  donne  une  table  des  publications 
géographiques  projetées  par  la  Société.  Elles  rempliront  63  volumes. 
Il  donne  aussi  d'utiles  indications  sur  les  travaux  préliminaires  entre- 
pris par  la  Société  et  annonce  l'état  des  publications  (cf.  Revue  histo- 
rique, t.  IV,  p.  234).   Le  voyage  de  Mandeville  fera  partie  des  Itiné- 


CHROMQDE    ET   BIBLIOGRAPHIE.  46^ 

raires  français,  édités  par  M.  Michelaiit.  M.  Schlumberger  \a  publier 
une  Numismatique  de  l'Orient  latin  sous  le  patronage  de  la  Société. 

—  Une  traduction  du  livre  remarquable  de  M.  de  Goltz  :  Léon  Gam- 
betta  et  ses  armées,  vient  de  paraître  à  la  librairie  Fischbacher. 

—  Voici  les  titres  des  thèses  de  l'École  des  chartes  qui  seront  soute- 
nues en  janvier  prochain  :  Durrieu  :  Bernard  d'Armagnac.  —  Leroux  : 
Relations  extérieures  de  Charles  VÎI.  —  Delaville  Le  Roulx  :  Institutions 
municipales  de  Tours.  —  Raunié  :  Institutions  municipales  de  Narbonne. 

—  Flammermont  :  Institutions  municipales  de  Sentis.  —  Duriez  :  Cartu- 
laire  d'Enguerrand  de  Marigmj.  —  Pajot  :  Marine  militaire  au  temps  de 
Charles  V.  —  Babelon  :  Bourgeoisies  royales.  —  Furgeot  :  Bailliage  de 
Mâcon.  —  Bouchot  :  Sur  les  archives  du   bailliage  àe  Vitry-le-François. 

—  D'Herbomez  :  le  Parlement  de  Paris  sous  les  Anglais. 

—  Voici  la  liste  des  cours  d'histoire  qui  seront  professés  cet  hiver 
dans  un  certain  nombre  de  nos  Facultés  de  lettres  : 

Aix.  —  H.  Reijnald:  le  développement  du  gouvernement  constitution- 
nel en  Angleterre. 

Besançon.  —  L.  Pingaud  :  Histoire  des  relations  entre  la  France  et 
la  Russie  pendant  le  xvni<'  siècle  et  la  Révolution  française. 

Bordeaux.  —  Foncin  :  Étude  des  sources  de  la  géographie  ancienne 
de  l'Afrique  septentrionale. 

Caen.  —  J.  Tessier:  La  France  au  xvm*  siècle  (histoire  intérieure). 

Chambéry.  —  Suérus  :  Histoire  générale  de  la  Prusse. 

Clermont.  —  Desdevises  du  Dezert  :  Géographie  ancienne  de  l'Italie. 

Dijon.  —  P.  Gaffarel  :  Histoire  et  géographie  de  l'Algérie. 

Lyon.  — E.  Belot :  Histoire  des  États-Unis  depuis  1809  jusqu'à  la 
guerre  de  sécession.  —  Conférences  sur  les  institutions  de  saint  Louis 
et  de  Philippe  le  Bel.  —  A  partir  du  1"  janvier,  il  y  aura  un  cours 
municipal  d'histoire  dont  le  sujet  sera  ultérieurement  indiqué. 

Montpellier.  —  A.  Germain:  l'Europe  du  moyen  âge,  au  point  de 
vue  de  la  lutte  et  de  la  fusion  des  principes  romains  et  germaniques  ; 

—  Le  monde  romain,  d'Auguste  à  Théodose. 

Nancy.  —  A.  Rambaud:  les  révolutions  de  la  péninsule  des  Balkans 
depuis  le  xv«  siècle,  et  la  politique  française  en  Orient.  —  Études  cri- 
tiques sur  Gomynes  et  les  historiens  de  Charles  VII  et  de  Louis  XL  — 
Vidal-Lablache  :  Géographie  comparée  de  l'Asie  occidentale  ou  anté- 
rieure depuis  l'antiquité  classique  jusqu'à  nos  jours.  —  Examen  cri- 
tique des  principales  publications  de  ces  dernières  années  sur  la  géo- 
graphie historique  de  la  France  et  de  l'Europe  centrale. 

Poitiers.  —  G.  Guibal  :  Saint  Louis  et  la  Société  française  au  xiii"  s. 

Rennes.  —  T.  Robiou  :  Histoire  politique  de  Cicéron.  — Histoire  an- 
cienne :  l^'  semestre.  Histoire  de  la  civilisation  morale  et  matérielle  de 
l'Egypte  depuis  l'expulsion  des  Pasteurs  jusqu'à  la  fin  du  xiii*  siècle; 
2^  semestre  :  Étude  de  l'ancien  Iran. 


462  CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE. 

Toulouse.  —  Duméril  :  l'Opposition  à  l'ancien  régime  et  l'esprit  de 
réforme  sous  Louis  XVI. 

P.\Ris.  —  Sorbonne.  —  Lacroix:  Histoire  politique  et  militaire  du  règne 
de  Louis  XV  depuis  l'arrivée  de  Fleury  au  ministère  jusqu'à  la  paix 
d'Aix-la-Chapelle. 

—  A  l'Ecole  dos  Hautes  Etudes,  M.  Monod  s'occupera  du  règne  de 
Charles  le  Simple  ;  —  M.  Roy  des  relations  de  la  Papauté  avec  la  France 
au  M. -A.;  —  M.  Giry  de  la  formation  des  institutions  municipales. 

—  A  l'École  libre  des  sciences  politiques  nous  remarquons  les  cours 
suivants  :  Sorel  :  Histoire  diplomatique  de  1830  à  1873.  —  Pigeonneau  : 
Histoire  diplomatique  de  1648  à  1789.  —  Ferrari  :  Analyse  des  traités 
de  1648  à  1789.  —  Doutmij  :  Histoire  constitutionnelle  de  l'Europe  depuis 
1789  (Angleterre,  Allemagne,  France).  —  Ribot :  Histoire  parlemen- 
taire et  législative  de  la  France  de  1789  à  1852. 

—  A  l'Université  catholique  de  Paris,  M.  Duchesne  fera  un  cours  sur 
les  premiers  siècles  de  l'Église  chrétienne;  —  M.  Lecoy  de  la  Marche 
sur  la  France  au  temps  de  saint  Louis. 

Angleterre.  —  M.  John  Stuart,  secrétaire  de  la  Société  des  Anti- 
quaires d'Ecosse,  l'un  des  fondateurs  du  Spalding  Club,  éditeur  des 
Spalding's  Memorials  of  the  Troubles,  des  Records  of  the  Isle  of  Man, 
des  Records  of  the  Monastery  of  Kimloss,  et  de  A  lost  Chapter  in  the  His- 
tory  of  Mary  Queen  of  the  Scots,  est  mort  au  mois  de  juillet  dernier. 

—  On  annonce  aussi  la  mort  de  John  Clark  Marshman,  auteur  d'une 
History  of  India  assez  faible  et  des  Memoirs  of  sir  Henry  Havelock,  qui 
eurent  un  immense  retentissement. 

—  M.  William  Longman,  le  grand  éditeur  de  Londres,  mort  le 
13  août,  était  l'auteur  d'une  Histoire  de  la  vie  et  du  temps  d'Edouard  III 
(2  vol.  1869). 

—  Le  chanoine  Jackson,  en  étudiant  les  papiers  du  marquis  de  Bath,  a 
été  amené  à  étudier  le  meurtre  d'Amye  Robsart,  femme  de  Dudley, 
comte  de  Leicester,  meurtre  que  Walter  Scott,  dans  Kenilworth,  attri- 
bue à  son  mari.  Dans  un  mémoire  lu  devant  la  Société  archéologique 
du  Wiltshire,  M.  Jackson  a  réhabilité  Dudley. 

—  MM.  Longmans  vont  publier  :  Stubbs,  l'Empire  sous  les  Hohen- 
staufen;  Lawrence,  Les  premiers  rois  de  la  maison  de  Hanovre;  Cor- 
dery,  la  Révolution  française;  Longman,  Frédéric  le  Grand  et  la  guerre 
de  Sept-Ans. 

—  Les  deux  premiers  volumes  de  la  grande  Histoire  d'Angleterre  de 
M.  Green  vont  paraître  chez  Macmillan. 

—  M.  Parkman  va  publier  un  ouvrage  sur  le  Comte  de  Frontenac  et  la 
Nouvelle-France  sous  Louis  XIV. 

—  M.  Ewald  va  publier  une  Vie  de  Robert  Walpole. 

—  On  annonce  aussi  la  publication  d'une  Histoire  de  l'abbaye  de  Pais- 
ley,  par  le  D»"  Lees,  ainsi  qu'un  Registrum  de  cette  abbaye;  d'un  volume 


CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE.  463 

sur  les  Flemyngs  of  Barochan,  etc.  Les  publications  relatives  à  l'Ecosse 
faites  par  les  Clubs  et  épuisées  seront  en  partie  rééditées. 

—  Le  D'  Doran  va  faire  paraître  un  livre  sur  Londres  à  l'époque  des 
Jacobites. 

—  Les  Annales  de  Sennacherib,  presque  terminées  par  feu  G.  Smith, 
vont  bientôt  être  publiées. 

Allemagne.  —  M.  Konrad  Maurer,  qui  travaille  avec  une  si  infati- 
gable activité  à  faire  connaître  l'histoire  et  le  droit  Scandinaves,  et  qui 
a  donné  il  y  a  deux  ans  un  livre  si  remarquable  sur  l'histoire  de  l'Is- 
lande, vient  de  faire  paraître  trois  nouvelles  publications  :  un  mémoire 
sur  la  Cession  de  la  Norwége  à  saint  Olaf  présenté  à  l'Académie  bava- 
roise des  sciences;  une  étude  approfondie  sur  les  lois  qui  régissaient 
les  classes  rurales  dans  l'ancien  Nord  {das  sslteste  Hofrecht  des  Nordens; 
Munich,  Kaiser,  163  p.  in-8°)  offerte  à  l'Université  d'Upsal  à  l'occasion 
de  son  jubilé;  enfin  deux  articles  très-développés  de  l'Encyclopédie 
d'Ersch  et  Gruber  sur  les  assemblées  populaires  de  la  Norvège  et  les 
lois  qui  y  étaient  faites  (sub  voc.  Gulaping,  Gulapinsglœg).' 

—  Nous  donnons  la  fin  de  la  liste  des  cours  d'histoire  des  Universités 
allemandes  dans  leurs  Facultés  de  philosophie;  en  outre  toutes  les 
Facultés  de  théologie  ont  des  cours  d'histoire  ecclésiastique  et  d'his- 
toire du  peuple  juif,  et  les  Facultés  de  droit  des  cours  de  l'histoire  des 
institutions  allemandes. 

Berlin.  —  Dresslau  :  Histoire  de  la  constitution  allemande  depuis  la 
Bulle  d'or  jusqu'en  1806. — Droysen  :  ïiistoire  grecque.  Histoire  con- 
temporaine depuis  1815.  —  H.  Droysen:  Historiographie  grecque.  Du 
système  militaire  chez  les  Romains.  —  Hassel  :  Histoire  de  la  Prusse 
depuis  l'avènement  de  Frédéric  le  Grand  jusqu'à  la  fin  de  la  guerre  de 
l'indépendance.  —  Lepsius  :  Histoire  de  l'Egypte.  —  Mommsen  :  Histoire 
de  l'empire  romain.  —  Nitszch:  Histoire  générale  de  la  Constitution. — 
Wattenbach  :  Histoire  du  moyen  âge.  —  Waitz  :  Exercices  historiques. 

Bonn.  —  Maurenbrecher  :  Hist.  du  xix^  siècle.  Sources  de  l'histoire 
moderne  de  1763  à  1815.  —  Menzel  :  Sources  de  l'histoire  du  moyen 
âge,  du  VI®  au  x*  siècle.  —  Philippson  :  Histoire  des  Croisades.  Histoire 
de  France.  —  Ritter  :  Histoire  de  la  contrerèforme  et  de  la  guerre  de 
30  ans  (1555-1660).  —  Schxffer  :  Histoire  ancienne  jusqu'à  la  fin  de 
l'Empire  romain  d'Occident. 

Breslau. — Caro  :  Histoire  générale  depuis  le  pape  Grégoire  VH  jusqu'à 
l'exil  d'Avignon  (1073-1305).  Géographie  historique  de  l'Allemagne.  — 
Junkmann  :  Histoire  générale  d'Auguste  à  Charlemagne.  —  Neumann  : 
Histoire  de  la  chute  de  la  république  romaine.  —  Partsch  :  Histoire  des 
tyrans  grecs.  —  Reifferscheid  :  Institutions  anciennes  de  la  Grèce.  — 
Schultz  :  Histoire  du  moyen  âge. 

Erlangen.  —  Hegel  :  Histoire  du  moyen  âge.  Sources  de  l'histoire 
d'Allemagne. 


464  CHRONIQUE    ET    RinLror.RAPHIE. 

FRinoiRO-EN-BnisoAU.  —  Hense  :  Institutions  ancionnos  dos  Romains. 

Von  Holst  :  Ilistoiro  européenne  de  1795  à  1815.  —  Simson  :  Histoire 

de  la  Papauté. 

GiESSEN. —  Onckcn  :  Histoire  contemporaine  depuis  1848. —  Weiland  : 
Histoire  de  France  au  moyen  âge  depuis  Hugues  Gapet. 

GiicTTiNGi-E.  —  Gilhcrl  :  Histoire  de  l'historiographie  grecque.  — 
Uœhlbaum  :  Histoire  de  Tépoquc  de  la  Révolution  depuis  1789.  —  iVw- 
sen:  Histoire  grecque.  La  vie  et  les  écrits  de  Polybe.  —  Stcindorff  : 
Histoire  de  la  France  au  moyen  âge.  —  Wappseus  :  Histoire  de  la  décou- 
verte et  géographie  de  l'Amérique.  —  Wcizsscker  :  Histoire  contempo- 
raine depuis  1815.  Histoire  de  l'Allemagne  depuis  l'interrègne  jusqu'à 
la  Réforme.  —  Wmtenfcld  :  Histoire  de  l'Italie  au  moyen  âge. 

Greifsw.\ld.  —  Hirsch  :  Histoire  des  peuples  de  l'antiquité  au  temps 
de  Polybe.  —  Prcuner ,:  Sources  de  la  mythologie  et  de  l'histoire 
grecques.  —  Ulmann:  Histoire  des  États  européens  depuis  1815. 

Halle.  —  Droysen  :  Hist.  générale  contemporaine.  Hist.  contempo- 
raine de  l'Allemagne  depuis  1848.  —  Dûmmler  :  Hist.  de  l'empire 
romain  depuis  les  Antonins.  Hist.  du  moyen  âge.  —  Ewald  :  Hist.  du 
siècle  de  Louis  XIV  et  de  Pierre  le  Grand.  —  Hertzberrj  :  Géographie 
de  la  Grèce  ancienne.  Histoire  de  l'émigration  des  peuples  de  l'anti- 
quité. Hist.  de  la  Grèce  contemporaine.  —  Schum  :  Diplomatique  et 
chronologie  du  moyen  âge. 

Heidelberg.  —  Erdmannsdœr/fer  :  Histoire  de  l'époque  de  la  Réforme. 
Hist.  de  la  guerre  de  l'indépendance.  —  Gssdeke  :  Hist.  des  États  euro- 
péens depuis  1815.  Hist.  de  la  Prusse  de  1640  à  1786.  —  Gelzer  :  Hist. 
de  l'empire  romain.  —  Kleinschmidt  :  Hist.  de  la  Révolution  française. 
—  Scherer  :  Hist.  de  la  Constitution  allemande.  Explication  de  la  Ger- 
mania  de  Tacite.  —  Winkelmann  :  Hist.  générale  du  moyen  âge.  Histo- 
riographie du  moyen  âge. 

KiEL.  —  Hasse  :  Hist.  des  croisades.  Hist.  du  Sleswig-Holstein.  — 
Schirrcn  :  Hist.  du  moyen  âge.  —  Volquardsen  :  Hist.  ancienne  de 
Rome  jusqu'à  la  soumission  de  l'Italie.  Historiographie  grecque. 

Leipzig.— irndi  :  Paléographie  latine.  Exercices  historiques.— Bieder- 
77iann  :  Hist.  de  l'Allemagne  de  1815  à  1870.  —  Drandes  :  Hist.  de 
l'Allemagne  et  des  États  voisins  aux  xiv«  et  xv»  siècles.  —  Von  Noor- 
den  :  Hist.  du  xiv«  siècle.  —  Piickert  :  Hist.  de  la  Papauté.  Hist.  de 
l'Allemagne  depuis  la  paix  de  Westphalie.  —  Von  der  Ropp  :  Hist.  de 
l'Allemagne  depuis  la  paix  de  Westphalie  jusqu'au  renversement  de 
l'Empire.  —  Voigt  :  Hist.  de  l'Allemagne  depuis  les  Hohenstaufen  jus- 
qu'à la  mort  de  Maximilien.  Hist.  d'Alexandre  le  Grand  et  du  monde 
hellénique  jusqu'à  146  av.  J.-G.  —  Weyick  :  Hist.  de  l'Allemagne  à 
l'époque  de  la  Réforme.  Hist.  de  Saxe. 

Marbourg.  —  Dietrich  :  Hist.  du  peuple  hébreu  jusqu'à  la  prise  de 
Jérusalem  par  Titus.  —  Hermann  :  Hist.   générale  de  1660  à  1789.  — 


CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE.  465 

Len:  :  Hist.  générale  des  sources  hist.  du  xni«  au  xvi*  siècle.  —  Varren- 
trapp  :  Hist.  de  Tépoque  de  la  Réforme. 

Munich.  —  Von  Bczold  :  Époque  du  concile  de  Trente.  —  Cornélius  : 
Hist.  de  l'époque  de  la  Réforme.  —  Von  Giesebrecht  :  Hist.  de  l'empire 
allemand.  —  Heigel  :  Hist.  de  Bavière  depuis  Charles-Théodore  jusqu'à 
nos  jours.  Hist.  de  la  dynastie  impériale  saxonne.  —  Kluckhohn  :  Hist. 
des  États  européens  depuis  les  traités  de  Vienne.  —  Stieve  :  Hist.  des 
États  européens  occidentaux  aux  xvi°  et  xyii^  siècles. 

RosTOCK.  —  Schirrmacher  :  Hist.  du  peuple  allemand  depuis  l'élec- 
tion de  Charles-Quint  jusqu'en  1789. 

TuBiNGUE.  —  Fehr  :  Hist.  universelle.  Hist.  de  l'Europe  depuis  1848. 
Von  Gutschmid  :  Hist.  de  l'empire  romain.  —  Harttung  :  Hist.  de  l'em- 
pire allemand  jusqu'à  l'interrègne.  —Zi^f/ier  :  Hist.  générale  de  l'époque 
de  la  Réforme  jusqu'à  la  paix  de  Westphalie. 

WuRZBOURG.  —  Hcnner  :  Hist.  de  Bavière.  Hist.  des  croisades.  —  Lud- 
wig  :  Hist.  générale  depuis  la  Révolution  française  jusqu'à  nos  jours.— 
Schsdffer  :  Chronologie  hist.  du  moyen  âge.  —  Ungcr  :  Hist.  romaine.— 
Wcgele  :  Hist.  contemporaine  depuis  le  Congrès  de  Vienne. 

—  La  Commission  historique  de  Munich  s'est  réunie  du  27  au  29  sept. 
MM.  de  Dœllinger,  d'Arneth,  de  Sybcl,  de  Lœher,  de  Liliencron,  de 
Giesebrecht,  Waitz,  Muffat,  Rockinger,  Sickel,  Cornélius,  Dùmmler, 
Hegel,  Kluckhohn,  Wattenbach,  Wegele  y  ont  pris  part.  Depuis  la  der- 
nière réunion  ont  paru   :  le  3«  vol.   des  Reichstagsacten  contenant  la 
3«  partie  du  règne  de  Wenceslas,  1397-1400,  publ.  par  J.  Weizsœcker; 
le   4^  vol.  des  Actes  de   Recès  de  la    Hanse,   1256-1430,  publ.    par 
M.  Koppmann;  le  3«  vol.  des  Lettres  et  Actes  pour  l'histoire  de  la 
Guerre  de  30  ans,  contenant  la  guerre  de  succession  de  Juliers,  publiés 
par  M.  Ritter;  le  17*  vol.  des  Forschungen,  les  livraisons  19  à  27  de  la 
Biographie  allemande.   Les  Index  pour  les  Weisthûmer  de  Grimm,  par 
MM.  Schrœder  et  Birlinger,  sont  sous  presse.  H  en  est  de  même  du 
14e  vol.  des  Chroniques  municipales  qui  forme  le  3^  et  dernier  volume 
des  Chroniques  de  Cologne.  Le  13^  volume  contiendra  les  chroniques 
bavaroises  de  Munich,  Ratisbonne,  Landshut  et  Mùhldorf.   Pour  les 
Reichstagsacten,  le  D'  Bernheim  a  terminé  le  4^  vol.  contenant  le  début 
du  règne  de  Ruprecht.  Le  7«  vol.,  confié  au  D"-  Kerler  et  qui  se  rapporte 
au  commencement  du  règne  de  Sigismond,est  sous  presse.  MM.  Bbrard 
et  Witte  s'occupent  des  actes  du  règne  de  Frédéric  HI.  Le  5«  vol.  des 
Actes  de  la  Hanse,  qui  s'étendra  de  1400  à  1410,  est  prêt  à  imprimer.— 
Pour  les  Jahrbilcher  des  deutschen  Reiches,  le  2«  vol.  de  l'hist.  de  Philippe 
et  d'Othon  IV  par  M.  Winckelmann  est  terminé.  On  espère  qu'il  entre- 
prendra celle  de  Frédéric  II.  Los  Annales  de  Henri  III  (2«  vol.)  par 
M.  Steindorff,  celles  de  Lothaire  par  M.  Bernhardi,  celles  de  Conrad  II 
par  M.  Bresslau  sont  très-avancées.  M.  Simson  va  continuer  le  Charle- 
magne  laissé  inachevé  par  M.  S.  Abel.  —  Parmi  les  Histoires  des  sciences 
signalons  VHist.  de  l'Historiographie,  par  M.  Wegele  qui  va  être  mise  sous 
Rev.  Histor.  V.  2«  FASc.  30 


ACyi)  CHllONIQUR    ET    lîFBLIOGKAl'HlR. 

prcsso.  M.  (lo  no/A)l(l  a  rccuoilli  de  nombreux  matériaux  puur  la  Carres- 
jmndance  de  WHtclsbach.  M.  Slieve  a  donné  à  imprimor  le  4'  vol.  dos 
Lettivs  ot  Actos  pour  la  guonv  do  30  ans,  qui  conliiMil  un  tabloau  de  la 
politique  bavaroise  de  1591-1G07,  suivi  des  actes  les  plus  importants. 
Deux  autn^s  volumes  comprendront  la  correspondance  depuis  1607.  1! 
n'y  a  pas  vingt  ans  (juc  Maximilien  II  a  créé  la  Commission  liistori(jU(^  ; 
plus  de  cent  volumes  ont  déjà  paru  par  ses  soins,  et  clic  n'a  rien  publié 
pour  ainsi  dire  qui  ne  soit  excellent.  C'est  là  un  cxeinjjh»  (ractivité  qui 
peut  être  donné  en  modèle  à  toutes  les  Sociétés  savant(>s. 

Autriche.  —  Voici  la  liste  des  cours  d'histoire  des  Universités  au- 
trichiennes de  Czernowitz,  Innsbrùck,  l*rague  et  Vienne. 

C/,EKNûwiTz.  —  Diidinski/ :  Paléographie.  —  Loserth  :  Hist.  générale. 
Ilist.  des  papes.  —  Zicglaaer  v.  BlurnenUial  :  Hist.  d'Autriche.  Les  Ré- 
formes de  Marie-Thérèse. 

Innsbrùck.  —  Busson  :  Hist.  du  moyen  âge.  Introduction  à  l'étude  de 
l'histoire. —  Hiibcr  :  Hist.  d'Autriche. — Stumpf  Brenlano  :  Paléographie. 
—  Zingerle  :  Antiquités  romaines.  Exercices  critiques  sur  Tite-Live. 

Prague.  —  Bachmann  :  Hist.  d'Autriche.  —  Bippart  :  Antiquités  ro- 
maines. Explic.  de  Tite-Live.  —  Emler  :  Diplomatique.  Sources  de 
l'hist.  d'Autriche  au  xiiie  siècle.  —  Goll  :  Hist.  de  l'époque  do  transition 
entre  le  moyen  âge  et  les  temps  modernes.  —  Gindely  :  Hist.  d'Au- 
triche. —  Von  Hœflcr  :  Sources  de  l'hist.  de  Charles-Quint.  Hist.  de 
l'Europe  occidentale.  — Jirecek  :  Développement  historique  de  la  pénin- 
sule des  Balkans.  Hist.  de  l'Empire  latin  de  Constantinople.  —  Jung: 
Hist.  romaine  jusqu'à  la  fin  de  la  République.  —  Kalousck  :  Hist.  de 
Rome  au  xiv''  siècle.  —  Pangerl  :  Hist.  d'Autriche  au  moyen  âge.  — 
Tomek  :  Hist.  d'Autriche.  —  Werunsky  :  Hist.  du  moyen  âge. 

Vienne.  —  Bûdingcr  :  Hist.  du  moyen  âge.  —  Fournier  :  Hist.  d'Au- 
triche. —  Hirschel  :  Hist.  de  la  Grèce  après  les  guerres  persiques.  Épi- 
graphique  latine.  —  Hoffmann  :  Antiquités  romaines.  Horawitz  :  Hist. 
de  la  Papauté.  —  Karabacek  :  Hist.  des  Croisades.  —  Lorcnz  :  Hist. 
d'Autriche.  —  Rieger  :  Paléographie.  —  Sickel  :  Hist.  de  France  aux 
xvi*^  et  xvn'  siècles.  Diplomatique.  —  Von  Zeissberg  :  Hist.  d'Autriche 
à  l'époque  de  la  Réforme.  —  Von  Zitkowakij  :  Hist.  des  luttes  des  Alle- 
mands et  des  Slaves  au  moyen  âge. 

Italie.  —  M.  Gio.  Maria  Finazzi  est  mort  à  Bergame  le  26  mai  der- 
nier; il  était  né  en  1802.  H  a  publié  plusieurs  chroniques  et  documents 
historiques  relatifs  à  l'histoire  de  sa  ville  natale.  Il  laisse  inédite  une 
remarquable  collection  de  chartes  du  x'  au  xiV  siècle,  destinées  à  for- 
mer un  appendice  au  Codex  diplomaticus  Bcrganiensis  de  M.  Mario  Lupi. 
Il  était  membre  de  la  Commission  d'histoire  lombardo-piémontaise. 

—  Le  21  juillet,  le  comte  Giancarlo  Conestabile  della  Staffa  est  mort 
dans  son  château  de  Montemelino,  près  de  Pérouse.  Il  est  bien  connu 
pour  ses  travaux  sur  l'archéologie  et  l'étude  des  antiquités  étrusques. 
Il  s'occupa  beaucoup  aussi  de  l'histoire  de  Pérouse.  Peu  avant  de  mou- 


CHRONIQUE    ET    ItlBLIOGKAPfllE.  407 

rir,  il  venait  d'être  nommé  professeur  à  l'Institut  des  études  supérieures 
à  Florence. 

—  M.  Bartolommeo  Bressan,  mort  le  l^-"  juillet  à  Vicence,  avait  publié 
en  1857  (Florence,  Le  Monnier)  un  intéressant  recueil  des  Leth^es  his- 
toriques de  Luigi  da  Porto.  Il  laisse  plusieurs  travaux  inédits  sur  l'his- 
toire de  Vicence,  et  les  matériaux  d'une  histoire  de  l'imprimerie  ita- 
lienne au  XV"  siècle.  Il  était  proviseur  du  lycée  de  Vicence. 

—  Le  P.  Paolo  Cultrera  vient  de  publier  une  vie  du  P.  Gioachim 
Ventura  (Palerme,  1877)  qui  a  joué  un  si  grand  rôle  aux  débuts  du 
pontificat  de  Pie  IX  et  qui  a  laissé  la  réputation  d'un  orateur  de  pre- 
mier ordre. 

—  L'antique  et  vénérable  abbaye  de  la  Cava  a  entrepris  la  publica- 
tion des  précieux  documents  conservés  dans  ses  archives.  Un  Français, 
M.  Paul  Guillaume,  professeur  d'histoire  à  la  Gava,  a  entrepris  d'écrire 
d'après  ces  documents  un  Essai  historique  sur  l'abbaye  (Gava  dei  Tir- 
reni,  pr.  :  15  fr.).  Nous  n'oserions  affirmer  que  sa  critique'soit  irrépro- 
chable; mais  son  œuvre  représente  un  travail  énorme  et  mérite  d'être 
encouragée  par  tous  les  amis  de  l'érudition.  On  y  trouvera  rassemblés 
une  foule  de  matériaux  dont  des  index  développés  rendent  l'usage 
commode. 

—  M.  Attilio  HoRTis,  le  savant  directeur  de  YArckeografo  Triestino, 
vient  de  publier,  pour  la  circulation  privée,  un  petit  écrit  intitulé  :  Cenni 
di  G.  Boccacio  intorno  a  Tito  Livio  dans  lequel,  à  propos  d'une  notice 
sur  T.  Live  attribuée  à  Boccace,  il  disserte  avec  beaucoup  d'érudition 
et  d'agrément  sur  la  connaissance  de  Tite-Live  en  Italie  au  moyen  âge. 

—  La  Società  di  storia  patria  per  le  provincie  napoletane  a  ouvert  un 
concours  pour  deux  travaux  historiques  sur  les  sujets  suivants:  P Re- 
lations politiques  et  commerciales  des  provinces  napolitaines  avec  le 
Levant  aux  xn«  et  xni"  s.  1°  les  terres  domaniales  et  féodales  des  pro- 
vinces napolitaines  depuis  l'établissement  de  la  monarchie  au  xiv^  s., 
les  lois  qui  les  régissaient,  et  leurs  rapports  avec  le  pouvoir  royal  et  le 
pouvoir  féodal.  —  Le  concours  sera  ouvert  jusqu'en  juillet  1878  ;  un 
prix  de  500  fr.  est  attribué  aux  mémoires  couronnés. 

—  La  Société  d'histoire  sicilienne  a  décidé  de  répartir  en  4  séries  les 
publications  de  textes  qu'elle  entreprend  :  1"  Tahularii  où  seront  recueil- 
lis les  diplômes  les  plus  précieux  concernant  l'histoire  de  la  Sicile  au 
moyen-âge  ;  les  fascicules  1  et  2  du  1"  vol.  de  cette  série  sont  en 
vente  :  /  diplomi  délia  Cattedrale  di  Messina  (Palerme,  Vizzi,  2  fr. 
chaque).  2°  Consuetudini  e  capitoli  municipali ;  sont  déjà  publiés  :  l^r  fasc. 
Capitoli,  Gabelle  et  Privilegi  délia  Città  di  Alcamo  par  M.  V.  Di  Gio- 
vanni ;  2^  fasc.  Statuto,  capitoli  e  privilegi  délia  città  di  Castronovu  di 
Sicilia,  par  M.  L.  Tirrito  (pr.  3,. 50  chaque).  3°  Epigrafia.  k"  Miscellanea. 
M.  SiLVESTRi  prépare  le  Tabulario  deW  Abbazia  di  S.  Filrppo  di  Fragalù 
e  S.  M.  di  Maniaci;  M.  Starrabba  un  volume  de  documents  relatifs  à 
l'interrègne  (1409-12).  M.  Michel  Amari  doit  inaugurer  la  série   épigra- 


.'»(>8  CHRONIQUE    CT    IlIItLIOf.JlAI'HIK. 

phique  p;if  la  publication  des  2"  ot  3"  parties  dps  Ëpipraft  arabiche  di 
Sicilia.  [\ai  !•'«'  partie  de  ces  inscriptions,  hcrizioni  edih\  est  on  vente 
chez  Pedone  Lauriel,  à  Palerme,  1  vol.  in^"  de  96  p.  et  10  planches 
ou  photog.,  pr.  40  fr.,  ou  10  fr.  le  texte  seul;  la  S^  partie  contiendra 
les  inscriptions  tuniulaires,  et  la  3"  les  inscriptions  privées.) 

—  La  lithograpliie  et  calcographie  royale  de  Toscane  va  publier  un 
magnifique  ouvrage  intitulé  Album  de  la  ville  et  province  de  Sienne^ 
œuvre  de  feu  M">«  la  marquise  Fava-Tanari,  qui  avait  entrepris  une 
collection  des  armoiries  et  cachets  historiques  de  toute  l'Italie,  où 
chaque  signe  et  empreinte  aurait  été  éclairci  par  des  documents  histo- 
riques. 

Suisse.  —  La  direction  des  archives  fédérales  vient  de  publier  un 
volume  du  Recueil  officiel  des  anciens  Recès  qui  embrasse  la  période  de 
1618  à  1648. 

—  Liste  des  cours  d'histoire  des  Universités  et  Académies  de  la 
Suisse  française,  pour  le  premier  semestre  de  l'année  1877-78. 

Genève.  —  P.  Vaucher.  Histoire  de  l'Europe  de  1795  à  1830.  Origines 
de  la  Confédération  suisse.  —  A.  Roget.  Institutions  politiques  et  judi- 
ciaires de  l'ancienne  Genève.  —  Jousserandot.  Histoire  de  la  civilisation. 
—  Giraud-Tculon.  Etude  sur  les  sociétés  primitives.  —  Gh.  Morel. 
Administration  de  l'Empire  romain,  d'après  les  auteurs  et  les  inscrip- 
tions. —  Droz.  Histoire  des  religions.  —  Chastel.  Le  Christianisme  et 
l'Eglise  au  moyen  âge. 

Neufchatel.  a.  de  Chambrier.  Hist.  du  moyen  âge.  —  Daguet.  Hist. 
de  la  Suisse. 

Lausanne.  —  Duperrex.  L'Europe  de  1815  à  1865.  —  Huc-Mazelet. 
Hist.  de  la  Suisse,  de  la  Réforme  à  l'acte  de  médiation. 

—  La  Société  d'histoire  de  la  Suisse  romande  a  tenu  le  13  septembre, 
à  Avenches,  une  séance  dans  laquelle  M.  le  professeur  Hagen,  de  Berne, 
a  lu  quelques  pages  d'un  mémoire  consacré  aux  antiquités  de  cette 
ville. 

—  La  Société  générale  d'histoire  suisse  a  tenu  le  2  octobre,  à  Bâle,  sa 
32*  séance  annuelle.  On  nous  signale  parmi  les  travaux  soumis  à  l'as- 
semblée :  la  notice  de  M.  le  pasteur  Riggenbach  sur  l'humaniste  alsa- 
cien C.  Pcllican,  l'auteur  de  la  première  grammaire  hébraïque  publiée 
en  Allemagne  ;  —  les  lettres  de  Jean-Jacques  de  Stall  au  chroniqueur 
schaffousois  Riiger  (dernières  années  du  xvi"  siècle),  extraites  par  M.  L. 
Glutz,  de  Soleure,  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Bâle;  —  la 
correspondance  des  deux  frères  Jean  et  Charles  Schnell  durai:it  l'année 
1834,  communiquée  par  M.  l'archiviste  Bloesgh,  de  Berne  ;  — quelques 
pages  de  M.  A.  Roget  sur  l'impression  produite  en  Suisse  par  la  catas- 
trophe des  Libertins  (1555)  ;  —  enfin  et  surtout,  la  très-intéressante 
étude  sur  la  bataille  de  Saint-Jacques  (1444),  que  M.  le  D""  A.  Ber- 
NouLLi,  de  Bâle,  a  offerte,  comme  un  souvenir  de  la  fête,  aux  membres 
présents  de  la  Société. 


CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE.  'Î69 

—  M.  le  professeur  F.  Yetter,  de  Berne,  a  publié,  à  l'occasion  du 
quatrième  centenaire  de  l'Université  d'Upsal,  une  dissertation  dans 
laquelle  il  examine  à  nouveau  les  traditions  relatives  à  l'origine  sué- 
doise des  Schwyzois. 

—  L'abbé  Gremaud  et  M.  H.  Sghnewly,  archiviste  de  Fribourg, 
viennent  de  publier,  aux  frais  de  la  Société  historique  cantonale,  le 
8e  vol.  du  Recueil  diplomatique  du  canton  de  Fribourg,  qui  s'étend  de 
1431  à  1445. 

—  Le  35e  volume  du  Geschichtsfreund  contient  une  importante  étude 
de  M.  de  Liebenau,  archiviste  du  canton  de  Lucerne,  sur  les  relations 
des  cantons  suisses  avec  les  états  européens  au  milieu  du  xv^  siècle. 

Belgique.  —  La  mort  a  enlevé  le  16  septembre  dernier  un  des  his- 
toriens les  plus  consciencieux  et  les  plus  originaux  de  la  Belgique. 
Jean-Jacques  Altmeyer  naquit  à  Luxembourg  le  20  janvier  1804.  Après 
d'excellentes  études  faites  à  l'Athénée  de  cette  ville,  il  fut  nommé,  à 
peine  âgé  de  21  ans,  professeur  de  rhétorique  au  collège  communal 
d'Ypres.  Lorsqu'en  1834  les  chefs  du  parti  libéral  belge  eurent  fondé 
l'Université  libre  de  Bruxelles,  Altmeyer  y  fut  chargé  des  cours  d'his- 
toire moderne,  d'histoire  de  Belgique  et  d'histoire  ancienne.  Pendant 
quarante-trois  ans,  il  fut  l'une  des  gloires  de  l'Université  de  Bruxelles. 

De  bonne  heure  Altmeyer  s'était  distingué  par  ses  aptitudes  pour 
les  travaux  historiques,  et  il  n'avait  pas  tardé  à  se  créer  une  place  à 
part  parmi  les  historiens  belges.  Il  jugeait  les  événements  de  haut, 
avec  une  largeur  de  vue  et  une  franchise  parfois  un  peu  rude.  Personne 
mieux  que  lui  n'avait  étudié  la  philosophie  de  l'histoire.  En  1840,  à 
Bruxelles,  il  fit  de  cette  matière  l'objet  d'un  cours  public,  qui  réunit 
plus  de  cinq  cents  auditeurs.  L'économie  politique  ne  lui  était  pas 
moins  familière  ;  il  avait  professé  cette  science  en  même  temps  que  le 
droit  commercial  à  l'Ecole  de  commerce  et  plus  tard  à  l'Athénée  de 
Bruxelles. 

Pendant  quarante  ans,  Altmeyer  a  travaillé  aux  archives,  souvent  en 
collaboration  avec  d'illustres  historiens  étrangers,  tels  que  Motley, 
Prescott  et  Ranke. 

Parmi  ses  nombreuses  publications,  nous  citerons  :  Manuel  d'histoire 
universelle,  1830  ;  Introduction  à  l'Etude  i-ihilosophique  de  l'histoire  de 
l'humanité,  1836;  un  compacte  et  savant  Prm.s  de  l'histoire  ancienne, 
envisagée  sous  le  point  de  vue  politique,  1837  ;  Histoire  des  relations  com- 
merciales et  diplomatiques  des  Pays-Bas  avec  le  nord  de  l'Europe  pendant 
le  lF/«  siècle  (avec  pièces  justificatives  inédites),  1840  ;  Cours  de  philoso- 
phie de  l'histoire,  fait  publiquement  à  l'Université  de  Bruxelles,  1841  ; 
Marguerite  d'Autriche,  sa  vie,  sa  politique  et  sa  cour,  1841  ;  Résumé  de 
l'histoire  moderne,  1842;  Les  Gueux  de  mer  et  la  prise  de  la  Driclle  ; 
Précis  de  l'histoire  du  duché  de  Rrabant,  1847;  Histoire  du  comptoir 
hanséalique  d'Anvers,  1848;  Du  droit  d'asile  en  Brabant  au  commence- 
ment du  XVII J^  siècle,  1852;  Une  succursale  du  tribunal  de  sang,  1853 
(d'après  des  documents  des  archives  de  Mons)  ;   Histoire  des  campagnes 


470  '  CHRONIQUK    ET    ItlItLIOGUAPHIE. 

de  Louis  XIV  en  Belgique,  1859  ;  Essai  sur  l'histoire  de  la  civilisation  en 
Belgique  soiis  la  maison  de  Bourgogne,  1859  ;  Lutte  des  jjrincipes  aristo- 
cratiques et  dànocratiques  au  XVI^  siècle  (en  allemand),  1859. 

Au  milieu  de  tous  ses  travaux,  Altmeyer,  comme  tous  les  vrais 
savants  modernes,  avait  trouvé  moyen  de  se  spécialiser^  d'étudier  con 
amore  une  partie  de  l'histoire  :  c'était  le  xvi«  siècle.  Son  rêve  était  de 
faire  revivre  dans  un  livre  fidèle  et  impartial  l'histoire  de  cette  époque 
si  agitée,  si  pleine  d'enseignements  et  qui  devait  avoir  des  consé- 
(]uonces  si  importantes  pour  l'histoire  de  l'humanité.  Ni  les  soins  du 
professorat,  ni  ses  occupations  politiques,  ni  ses  nombreuses  publica- 
tions ne  lui  avaient  jamais  fait  perdre  de  vue  cette  étude  de  prédilec- 
tion. Les  bibliothécaires  et  les  archivistes  savent  quelle  prodigieuse 
quantité  de  matériaux  il  avait  amassée  pour  élever  ce  monument  his- 
torique. Il  n'avait  encore  rédigé  que  des  chapitres  isolés,  quand  la 
mort  est  venue  l'arracher  à  ce  travail  de  plus  de  vingt  ans. 

Altmeyer  laisse  également  inachevée  une  grande  Histoire  des  com- 
munes flamandes,  dont  quatre  volumes  sont,  parait-il,  terminés.  Dans 
le  Messager  des  se.  hist.  de  Gand,  il  avait  publié  :  Notice  sur  la  ville  de 
Popcringhe,  1830  ;  Traité  de  Gand.,  conclu  le  15  avril  1540,  entre  les 
ambassadeurs  du  Roi  de  Danemark  et  les  délégués  de  la  Reine-régente  des 
Pays-Bas  ;  Du  rôle  politique  des  Pays-Bas  dans  les  révolutions  du  Nord, 
à  l'époque  du  célèbre  bourgmestre  Georges  Wullewever  ;  Trêve  de  Bruxelles 
(4  mai  1537). 

Il  publia  aussi  de  nombreux  articles  historiques  dans  le  Trésor  natio- 
nal, dans  la  Revue  trimestrielle.,  dans  le  livre  des  Belges  illustres  et  dans 
le  Panthéon  national. 

Altmeyer  voyagea  beaucoup  et  fut  en  relation  avec  presque  tous  les 
historiens  et  beaucoup  de  savants  de  notre  temps.  Pendant  le  second 
empire,  tous  les  exilés  politiques  de  la  France  trouvaient  chez  lui  un 
accueil  cordial  et  pendant  de  longues  années  on  rencontrait  dans  son 
salon  Victor  Hugo,  Michelet,  Proudhon,  Quinet,  Pascal  Duprat  et 
Michel  de  Bourges. 

Sa  mort  est  une  grande  perte  pour  l'histoire  sincère  et  consciencieuse 
des  Pays-Bas.  Victor  Vanderhaeghen. 

—  Le  3"  centenaire  de  Rubens,  célébré  au  mois  d'août  dernier  à 
Anvers,  a  été  l'occasion  de  la  publication  de  plusieurs  travaux  impor- 
tants sur  le  grand  artiste.  Le  plus  remarquable  est  celui  de  M.  Ga- 
chard  :  Histoire  politique  et  diplomatique  de  Pierre-Paul  Rubens.,  qui 
nous  révèle  un  Rubens  diplomate  aussi  actif  et  occupé  que  le  peintre. 
Citons  aussi  les  Documents  et  Lettres  de  Pierre-Paul  Rubens  publiés  et 
annotés  par  Gh.  Ruelens. 

—  Le  P.  Ch.  de  Smedt,  S.  J.,  a  publié  en  1876,  à  Gand-Paris- 
Louvain,  deux  volumes  en  latin  qui,  dans  la  pénurie  où  l'on  est  de 
travaux  sur  les  sources  de  l'histoire  ecclésiastique,  ne  laissent  pas 
d'être  fort  utiles,  le  premier  surtout,  intitulé  Introduclio  generalis  ad 
Historiam.  ecclesiaslicam   criticc  tractandam.,  qui   est  une  classification 


CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE.  471 

méthodique  des  sources  de  l'hist.  eccl.  et  des  éditions  qui  en  ont  été 
données.  Le  second  volume  :  Dissertationes  selcctae  in  primam  actatem 
hisloriac  ecclesiasticae  contient  sept  dissertations  en  forme  scolastique 
d'une  critique  un  peu  vieillie.  Elles  ont  trait  à  la  venue  de  saint  Pierre 
à  Rome,  à  la  fixation  de  la  fête  de  Pâques,  à  l'auteur  des  Philosophou- 
mena^  aux  accusations  des  Philosophoumena  contre  Galixte,  à  la  con- 
troverse de  saint  Etienne  et  de  saint  Cyprien  sur  la  validité  du  baptême 
des  hérétiques,  à  la  définition  du  Concile  d'Antioche  sur  VHomoiousie^ 
à  la  succession  des  Papes  pendant  les  trois  premiers  siècles. 

—  Notre  collaborateur  M.  J.-A.  Wijnne  vient  de  publier  la  4^  édit. 
de  son  Histoire  abrégée  de  la  patrie  (Beknopte  Geschiedenis  van  het 
Vaderland.Groningen  1877)  et  la  8«  éd.,  considérablement  augmentée, 
de  son  Histoire  universelk.,  !•*'■  vol.  :  Hist.  ancienne  (Algemeene  Ge- 
schiedenis, erste  deel,  oude  Geschiedenis,  achtste  vermeerderde  Druk. 
Groningen). 

Luxembourg.  —  Du  10  au  13  septembre  a  été  tenu  à  Luxembourg 
la  seconde  session  du  Congrès  des  .4 înéncanùfex,  présidé  pai-M.  AVurth- 
Paquet.  Il  a  été  supérieur  à  celui  de  Nancy  par  le  nombre  comme  par 
la  qualité  des  travaux  qui  y  ont  été  présentés.  Nous  signalerons  en 
particulier  comme  intéressantes  pour  l'histoire  les  communications  de 
M.  Beauvais  sur  les  Colonies  européennes  du  Markland  et  de  rEscociland 
au  XIV^  s,  et  les  souvenirs  qui  en  subsistaient  aux  XV''  et  XV  11^  siècles  ; 
de  M.  Schœtter ,  sur  Christophe  Colomb  et  Americ  Vespuce,  où  il  prouve 
que  celui-ci  ne  voulut  point  diminuer  la  gloire  de  Colomb;  de 
M.  Schmitz  sur  la  Destructio7i  des  Ériés  ou  Ka-Kwaks  par  les  Sénccas, 
tribu  des  Cinq  Nations  ;  de  M.  Nadal  sur  la  Législation  comparée  des 
Mexicains  sous  les  empereurs  aztecs  et  des  Péruviens  à  l'époque  des  Incas. 
—  On  a  décidé  que  la  prochaine  session  du  Congrès  se  tiendrait  en 
1879  à  Bruxelles. 

Russie.  —  On  va  établir  à  Saint-Pétersbourg  un  Institut  archéolo- 
gique analogue  à  notre  Ecole  des  chartes.  On  y  enseignera  la  paléogra- 
phie, les  antiquités  russes,  la  chronologie,  la  généalogie,  la  numisma- 
tique, l'art  héraldique,  la  géographie. 

—  M.  OusPENSKY,  professeur  à  Odessa,  qui  a  récemment  publié  un 
livre  sur  Les  premiers  royaumes  slaves  et  une  monographie  sur  Nicetas 
Acominate,  prépare  un  ouvrage  sur  les  relations  des  Bulgares  avec 
l'empire  byzantin. 

Pologne.  —  Le  22  mai  est  mort  Melchior  Bulinski,  professeur  d'his- 
toire de  l'Eglise  à  l'Académie  ecclésiastique  de  Varsovie  jusqu'en  1867. 
Il  publia  une  Histoire  de  l'Eglise  en  6  vol.  et  4  vol.  d'une  Histoire  de 
l'Eglise  en  Pologne. 

Gallicie.  —  Le  22  avril  est  mort  le  comte  Maurice  Dzieduszycki  qui 
laisse  de  nombreux  travaux  historiques,  surtout  d'histoire  ecclésias- 
tique ;  le  R.  P.  Skarga  et  son  siècle,  2  v.  ;  le  cardinal  Olesnicki,  2  v., 
etc.,  etc. 


472  r.ISTK   PKS  OtIVKAC.KS   DKPOSl'S  AU    ItHUKAd   OK   LA   IIKVUK. 

LISTE  DES  LIVRES  DÉPOSÉS  AU  BUREAU  DE  LA  REVUE 

[Xoiis  n'indiquons  pas  ceux  qui  ont  été  jugés  dans  les  Bulletins 
et  la  Chronique.) 

Resancenet  (Air.  de).  Le  portcleiiille  dun  général  de  la  République.  Pion.  — 
Feuillkret  et  L.  de  Hiciiemond.  lUoj-raphie  do  la  Chareule-Iul'érionrn  (Aunis  et 
Saintonge),  2  vol.  Niort,  Clouzot.  —  Gérard.  L'ancienne  Alsace  à  table.  2''  éd. 
1877.  Paris,  Herger-Lovrault.  —  Rameau  (l'abbé).  Histoire  de  S.  Sigisniond,  roi 
de  Bourgogne  et  martyr.  Genève,  Grossel  et  Treuibley.  —  RornwiLLER  (baron). 
Histoire  du  2'"  régiment  de  cuirassiers,  ancien  Royal  de  cavalerie,  1G35-1876. 
Pion. 

Draper.  Geschichte  des  amerikanischen  Burgerkriegcs  ;  deutsch  von  Bar- 
tels.  3.  vol.  Pr.  20  m. Leipzig,  Wigand.  —  GARDiNER.The  i)ersonal  government 
of  Charles  I  1628-IG37.  2  vol.  Londres,  Longmans,  pr.  24  sh.  —  Stubbs.  Cons- 
titutional  bistory  of  England.  2  vol.  Londres,  Macmillan  et  C'=. 

Palumbo.  Maria  Carolina  regina  délie  due  Sicilie  ;  suo  carteggio  con  lady 
Emma  Hamilton  ;  documenti  inediti.  Naples,  Detken  et  Rocholl. 

Gilbert.  Beitrœge  zur  inneren  Geschichte  Alhens  im  Zeitalter  des  Pelopon- 
nesiscben  Krieges.  —  Hertzberg  (G.  F.  von).  Geschichte  Griechlands.  2^  vol. 
Gotha,  Perthes.  —  Hirschfeld.  Untersuchungen  auf  dem  Gebiete  der  rœmis- 
chen  Verwaltungsgeschichte.  1"  vol.  :  die  Kaiserlichen  Verwaltungsbeamten  bis 
auf  Diocletian.  Berlin.  Weidmann  1876.  —  Hœfler  (Const.  von).  Der  Aufstand 
der  castilianischen  Stœdte  gegen  Kaiser  Karl  V.  1520-1522.  Prague,  Tempsky.  — 
HuHN.  Geschichte  Lothringens  ;  livr.  1  à  4  (1"  vol.\  Berlin,  Grieben.  Pr.  1  m. 
50  la  livr.  —  Jirecek  (Const.  von).  Geschichte  der  Bulgaren.  Prague,  Tempsky 
1876.  —  Sadowsky.  Die  Handelstrassen  der  Griechen  und  Rœmer,  trad.  du 
polonais  avec  une  préface  par  Kohn.  lena,  Costenoble.  —  Sauerland.  Die  Im- 
muniteet  von  Metz  von  ihren  Anfaengen  bis  zum  Ende  des  XI  Jahrh.  Metz, 
Long.  —  ScHMiDT.  Das  Perikleische  Zeitalter.  l"vol.  léna,  H.  Dufft.  —  Schulte. 
Die  Geschichte  der  Quellen  u.  Literatur  des  canonischen  Rechts  von  Gratian 
bis  auf  die  Gegenwart.  1"  vol.  1875.  2''  vol.  1877.  Stuttgart,  Enke. 


Errat.\  du  précédent  numéro. 

p.    85,  ligne    4,  au  lieu  de  :  Tavanes,  lisez  :  Martin  du  Bellay. 
_    87,     —     18,  —  1525-1536  -      1535-1536. 

_  97^    _     19,  _  1534  —      1539. 

—  100,    n.      2,  —  1524  —       1544. 

—  103,    —      3,  (fin)  et  104,  n.  2,  au  lieu   de  :  cardinal   de  Lorraine,  lisez  : 

Charles  de  Lorraine.  (Charles  de  Guise,  ou  de  Lorraine,  était 
cardinal  depuis  1547,  mais  il  ne  portait  pas  encore  le  titre 
de  cardinal  de  Lorraine,  parce  que  son  oncle  Jean  vivait 
encore.) 

—  108,    —      3,  au  lieu  de  :  27  juillet,  lisez  :  25  juillet. 
—         -      4,  -  1518  —      1519. 

—  124  au  bas,  —  Vieil-Castel  —      Viel-Castel  (répété  2  fois). 

—  207,  ligne  24,         —  Géorgie        —      Kachétie. 

—  227,     —     18,  —  vol.  XVI      —      vol.  XVH. 


TABLK    DKS    MATIÈUES.  473 


TABLE    DES    MATIERES. 


ARTICLES  DE  FOND. 

Pages 

R.  Lallier.  Gléophon  d'Athènes 1 

P.  Gaffarel.  La  Fronde  en  Provence.  Seconde  partie  ;  Sa- 

breurs  et  Canivets 20 

F.  RocQUAiN.  Les  Refus  de  Sacrements,  1752-1757.    ...  221 

A.  SoREL.  La  paix  de  Bâle 246 

MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

L.  DE  Mas-Latrie.  Le  bienheureux  Hugues  de  Pise,  arche- 
vêque de  Nicosie 68 

Ch.  Paillard.  La  mort  de  François  le»- et  les  premiers  temps 
du  règne  de  Henri  H,  d'après  les  dépèches  de 
Jean  de  Saint-Mauris  (avril-juin  1547) 84 

X.  MossMANN.  Jean  de  Blotzheim, chancelier  de  RodolphelY 

l'Ingénieux,  duc  d'Autriche 306 

Lettres  inédites    du    cardinal  d'Armagnac,  annotées    par 

M.  Tamisey  de  Larroque  (fin) 317 

Lettres  de  Sismondi  écrites  pendant  les  Gent-Jours  .     .     .        347 

BULLETIN  HISTORIQUE. 

Allemagne.  Publications  récentes  relatives  à  la  Réforme 

(A.  Stern) 126 

Angleterre.  Temps  modernes  (S.  Rawson  Gardiner).  .     .  368 

France.  (G.  Fagniez  et  G.  MoNOD.) 121,361 

Russie.  (J.  LouTCHiSKY.) 153 

Suisse.  (P.  Yaucher.) 383 

COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

Arneth.  Geschichte  Maria  Theresia's  (A.  Sch.efer).  .  .  .  433 
Bachmann.  Ein  Jahr  bœhmischer  Geschichte  (Bezold)  .  .  413 
BissET.  The  history  of  thestruggle  for  parliamentary  govern- 

ment  in  England  (A.  Stern) 430 

BouKHAROw.  La  Russie  et  la  Turquie  depuis  le  commence- 
ment de   leurs    relations  politiques    (L.  Léger)   .         217 

Brissaud.  Les  Anglais  en  Guienne  (A.  Giry) 414 

BuTENVAL.  Etablissement  en  France  du  premier  tarif  géné- 
ral des  douanes  (H.  Lot) 204 

Cordery.  The  struggleagainst  absolute  Monarchy  (A.  Stern)         430 
Hev.  IIistor.  V.  -2"  FAsc.  31 


47J  TAItl.K    l)i:s    MATIKKKS. 

Pages 

Dk.iikiu.e.  Histoire  (le  rAinériiiuc  liii  Sud  depuis  la  cdiniurlc 

jus(iu';\  nos  jours  (P.  Gaffarel) 400 

DKU.viumnE.  Kléonoro  de  Roye  (L.  PiN(iAUi)) 191 

Dkl  Giudice.  II  Giudizio  e  la  condenna  di  Corradino  ((). 

lI\nT\vin) 411 

Du  Casse.  L'amiral  du  Casse,  1646-1715 199 

Fkret.  Le  cardinal  du  Perron  (T.  de  Larroque) 192 

Kreeman.  Norman  conquest  (L.  Bougier) 171 

Gli»:ckler.  Pilsass 399 

GoLuiEARi).  La  marine  de  guerre  ;  ses  institutions  militaires 

(G.  Hanotaux) ' 200 

Hoekler.  Der  Congress  von  Soissons 431 

D'IIuQUES.  Une  province  romaine  sous  la  Rép.  (Guiraud)    .  167 

Jacquemin.  Histoire  générale  du  costume  du  iv*  au  xix«  s.  394 

Laugel.  Louise  do  Coligny  (T.  de  Larroque) 421 

Neimann  et  Plassojn.  Recueil  des  traités  conclus  par  l'Au- 
triche avec  les  puissances  étrangères 432 

Oncken.  OEsterreich  u.  Preussen  im  Befreiungskriege  (A. 

Sorel) 442 

Péchenard.  J.-J.  des  Ursins  (S.  Luge) 186 

PmLippsON.  Heinrich  IV  und  Philipp  III  (I.  Goll).    ...  423 
Prokesch-Osten.  Dépêches  inédites  du  chevalier  de  Gentz 

aux  hospodars  de  Valachie  (A.  Sorel) 207 

Reiset.  Lettres  inédites  de  Marie- Antoinette  et  de  Marie- 

Clotilde  de  France 206 

Rochas.  Les  Parias  de  France  et  d'Espagne  (Luchaire).      .  395 
Von  der  Ropp.  Zur  deutsch-skandinavischen  Geschichte  des 

XV  Jahrh  (G.  Storm) 189 

Schlumberger.  Les  principautés  franifues  du    Levant  (G. 

Hanotaux) 408 

SiMONSFELD.  Andréas  Dandolo  (0.  Hartwig) 410 

Stuerler.  Fontes  rerum  Bernensium  (P.  Vaucher).  .     .     .  406 

Sydel.  Histoire  de  la  Révolution  française  (A.  Sorel)    .     .  439 

Voigt.  Moritz  von  Sachsen  1541-47  (A.  Stern) 197 

VuLLiEMi.N.  Histoire  de  la  Confédération  suisse 398 

Waitz.  Deutsche  Verfassungsgeschichte,  t.  VI  et  VII  (Sohm)  178 

LISTE  ALPHABÉTIQUE  DES  RECUEILS  PÉRIODIQUES 

ET    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES. 
FRANCE. 

1.  Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres    ....  224,451 

2.  Académie  des  Sciences  morales  et  politiques.      .     .     .  224,452 

3.  Analecta  juris  pontifici 223 

4.  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes 218,447 

5.  Bulletin  historique   de  Tarn-et-Garonne 222 

G.  Bulletin  de  la  Réunion  des  officiers 224,451 

7.  Bulletin  de  la  Société  des  Antiquaires  de  l'Ouest.    .     .  45-2 


TABLE    nES    MATIÈIIES.  475 

Pages 

8.  Bulletin  de  la  Société  d'Histoire  du  Protestantisme.     .  220,451 

9.  Le  Cabinet  historique 448 

10.  Les  Chroniques  du  Languedoc 221,449 

11.  Le  Correspondant 222,450 

12.  Journal  asiatique 448 

13.  Journal  officiel 224,450 

14.  Journal  des  Savants 219,448 

15.  Mémoires  de  la  Société  d'émulation  du  Doubs.    .     .     .  452 

16.  Musée  archéologique 220 

17.  Nouvelle  revue  historique  de  droit 448 

18.  La  Philosophie  positive 223 

19.  Le  Polybiblion 448 

20.  Revue  d'Alsace 452 

21.  Revue  archéologique 219 

22.  Revue  de  Bretagne 221,449 

23.  Revue  de  Champagne •.     .  220,449 

24.  Revue  celtique 220 

25.  Revue  chrétienne 223 

26.  Revue  critique 219,447 

27.  Revue  du  Dauphiné 221,449 

28.  Revue  des  Deux-Mondes 223,450 

29.  Revue  de  France 222,450 

30.  Revue  de  Gascogne 221,449 

31.  Revue  de  géographie 222,450 

32.  Revue  du  Lyonnais 222 

33.  Revue  politique  et  littéraire 222 

34.  Revue  des  Questions  historiques 218,446 

35.  Revue  des  Sociétés  savantes 220,452 

36.  Le  Spectateur  militaire 224,451 

ALLEMAGNE. 

1.  Anzeiger  fiir  Kunde  der  deutschen  Vorzeit     ....  227,456 

2.  Deutsche  Rundschau 229,456 

3.  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte 227 

4.  Gœttingische  gelehrte  Anzeigen 228,455 

5.  Historische  Zeitschrift 226,454 

6.  lenaer  Literaturzeitung 228,455 

7.  Magazin  fiir  die  Literatur  des  Auslandes 229,457 

8.  Nachrichten  der  Ges.   der  Wissens.   zu  Gœttingen    .  229 

9.  Neues  Archiv 454 

10.  Russische  Revue 229,457 

11.  Zeitschrift  fur  Kirchengeschich te 229 

ANGLETERRE. 

1.  The  Academv 230,453 

2.  The  Athenaelim 229,453 

3.  The  Fortnightly  Review 454 

4.  Mac  Millan's  Magazine 231,454 


I7r,  TAIlt.K    DKS    MATIKUKS. 

^"  Pages 

5.  The  Ninotoonlli  ccntury 231,454 

G.  Tho  Westminster  Review 231,454 

HELGIQUE. 

1.  Messager  (les  sciences  historiques 225 

ESPAGNE. 

1.  lUnista  (le  archives,  hibliotliecas  y  museos     ....  223 

ITALIE. 

1.  Accademia  de' Lincei 232 

2.  U.Deputazione  di  sloria  patria  di  Bologna 233,458 

3.  Archeografo  Triestino 232 

4.  Archivio  délia  Società  roniana  di  storia  patria.  ...  232 

5.  Archivio  storico  italiano 231,457 

6.  Archivio  storico  lombardo 231 

7.  Archivio  storico  siciliano 458 

8.  Archivio  storico  veneto 232 

9.  Nuove  Effemeridi  siciliane '458 

SUISSE. 

1.  Revue  Suisse •     •  ^^^ 

CHRONIQUE  ET  BIBLIOGRAPHIE. 

France  234,459 

Allemagne 237,463 

Angleterre 236, 4o~ 

Autriche 238,466 

Belgique '^"^ 

Gallicie ^"^^ 

Italie ^466 

Pologne 4^1 

Russie -471 

Suisse 239,468 

Liste  des  Ouvrages  déposés  au  bureau  de  la  Revue  .     .     .  239,472 

Errata    240,472 


L'un  des  proprictair es-gérants,  G.  Monod. 


Imprimerie  Gouverneur,  G.  Daupeley  à  Nogent-le-Rotrou. 


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Revue  hi.  s  torique 


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