REVUE
HISTORIQUE
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HISTORIQUE
DIRIGEE PAR MM.
G. MONOD et G. FAGNIEZ
Ne quid falsi aucleat, ne quid veri non audeal hislorin
CicÉRON, de Ornt-, II, i5.
DEUXIEME ANNEE.
TOME CINQUIEME
Septembre-Décembre 1877.
PARIS
LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE et O'
108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
AU COIN DE LA RUE H A UTEFEU I L L E.
2)
/
CLÉOPHON D'ATHENES
Dans un passage de la République-, Cicéron cite le nom de
Cléophon à côté de ceux de Cléon et d'Hyperbolos; il les qualifie
tous les trois de la même façon, ce sont des flatteurs du peuple,
de mauvais citoyens, des fauteurs de désordres, bien dignes des
attaques dont la comédie les a poursuivis. Déjà, dans son discours
sur la Paix^ Isocrate avait rapproché Cléophon d'Hyperbolos,
pour les opposer l'un et l'autre aux Aristide, aux Thémistocle,
aux Miltiade, à tous ces grands hommes d'état qui avaient fondé
autrefois la puissance d'Athènes. Cléon et Hyperbôlos sont assez
connus ; Cléophon l'est beaucoup moins. Il n'a laissé dans l'his-
toire d'Athènes qu'un souvenir assez confus, et très-probablement
il ne méritait pas d'arrêter davantage l'attention de la postérité.
Il n'est peut-être pas inutile cependant de chercher à définir avec
plus de netteté le rôle qu'a joué Cléophon dans les événements
auxquels il a été mêlé. Le personnage, par lui-même, n'est pas
très-intéressant, mais cette étude ne sera pas complètement super-
flue, si, comme je le crois, eUe nous fournit l'occasion de recueillir
quelques renseignements sur la politique athénienne et, en parti-
culier, sur l'état des esprits dans les derniers temps de la guerre
du Péloponnèse.
I.
Platon, le poète comique, avait composé une pièce intitulée
Cléophon ^ dans laquelle notre démagogue était vivement atta-
qué. Gomme Platon avait donné pour titre à une autre de ses
1. Sur Cléophon, v. Meineke, Hisf. crit. Com. p. 171-173; Bergk, De l'eliqum
Corn. AU. ant. p. 385 sqq. ; Ruhnkenius, Hist. crit. orat. ijr. v. VIII, p. 128
des Orat. de Reiske.
2. IV, 10.
3. Disc, sur la Paix, 75.
4. Fr. Com. Gr. (éd. Didot), p. 230-231.
ReV. HiSTOR. y. i«'" FASC. 1
2 R. LALLIER.
pièces le nom même d' Hyperboles S nous pouvons en conclure
que, dans l'opinion des anciens, les deux orateurs étaient placés
à peu près sur la même ligne, puisque nous trouvons une fois de
plus le rapprochement que nous avions déjà signalé dans les pas-
sages de Cicéron et d'Isocrate. Il n'y a, d'ailleurs, aucune infor-
mation précise à retirer des fragments de la comédie de Platon,
qui sont venus jusqu'à nous. Le premier semble être dirigé contre
la mère de Qéophon :
Telle est, du moins, l'opinion de Meinecke, et ce qui doit nous
porter à l'admettre, c'est qu'elle est autorisée par les habitudes
constantes des comiques athéniens. En mettant sur la scène la
mère de Cléophon, Platon agit comme Aristophane, qui n'est pas
plus respectueux avec la mère d'Euripide^. Dans le deuxième
fragment :
ïv' àxaXXaYiï>[jL£V àvSpbç àpizoïr^i.a'zà'zoïi^,
et dans le troisième :
àW aùioq àxapTi ~.àXX6ipi olxr,Gei çépiov^,
c'est le démagogue lui-même qui est pris à partie. Mais ces accu-
sations de vénalité sont devenues banales, à force d'être répétées
par les comiques. N'attachons donc pas trop d'importance à ces
deux vers, surtout quand nous avons à leur opposer une phrase
très-nette de Lysias, qui reconnaît hautement l'intégrité de
Cléophon^. Un passage d'Andocide (de Myst. 146) montre Cléo-
phon installé en maitre dans la maison de l'orateur, pendant
que celui-ci était en exil, sans permettre cependant de rien pré-
ciser sur la part que notre démagogue aurait pu prendre à l'af-
faire de la mutilation des Hermès et aux événements qui l'ont suivie.
Nous trouvons un texte beaucoup plus intéressant dans le dis-
cours d'Eschine sur les Prévarications de l'ambassade'. « Nous
« devions aussi nous garder de renouveler ce dernier acte de folie
1. Frag. comicorum grxc, p. 248-250.
2. Fr. 1. « Je t'aurais envoyée habiter avec les poissons de toute espèce (mot
« à mot, les orphes, les poissons cartilagineux et les pagres) et tu leur aurais
<i servi de nourriture. »
3. Les fêtes de Cérès, v. 387.
4. Fr. 2. « Pour nous débarrasser du plus rapace de tous les hommes. »
5. Fr. 3. « Bien loin de là, tu t'en iras en emportant le bien d'autrui. »
6. XIX, 48.
7. ITepl TrapaTipEdésiai;, 76.
CLEOPHON D ATHENES. 3
« que nos pères ont commis, quand, vaincus dans les combats,
« alors que les Lacédémoniens leur proposaient la paix en leur
« laissant, outre l'Attique, Lemnos, Imbros et Scyros, et en leur
« permettant de conserver leurs lois et le régime démocratique,
« ils n'ont point voulu consentir à ces conditions et ont préféré
« continuer une lutte désormais impossible. Gléophon, le fabri-
« cant de lyres, que beaucoup d'Athéniens se souvenaient d'avoir
« vu les fers aux pieds et qui s'était fait inscrire sur la liste des
« citoyens par des manœuvres honteuses, en corrompant le peuple
« à prix d'argents Cléophon criait bien haut que de son épée il
« trancherait la gorge du premier qui parlerait de la paix. »
Pour donner plus de force à l'accusation qu'il porte contre le
démagogue, Eschine continue en énumérant les conséquences
funestes entraînées par l'intervention impétueuse de Cléophon
dans un si grave débat : « Qu'en est-il résulté ? Ils ont réduit la
« ville à une teUe extrémité qu'elle s'est estimée heureuse de con-
« dure la paix en abandonnant toutes ses possessions; en détrui-
« sant ses murailles, en recevant une garnison et un harmoste
« lacédémoniens, et en laissant renverser la démocratie par les
« Trente tyrans, qui ont fait périr, sans jugement, quinze cents
« citoyens. »
Le même fait est rapporté par le scholiaste d'Aristophane 2, qui
place après la bataille des Arginuses les propositions pacifiques
faites par Lacédémone, et qui ajoute quelques détails au récit
d'Eschine. D'après lui, Cléophon se serait précipité dans l'assem-
blée du peuple, « ivre, revêtu d'une cuirasse, et déclarant qu'il
« ne laisserait pas conclure le traité, si les Spartiates ne rendaient
« pas aux Athéniens toutes les villes qu'ils leur avaient enlevées. »
Nous avons encore sur ce point le témoignage de Diodorede Sicile.
1. De même, dans les Grenouilles (v. 681), l'expression de ©pTjxta yjXtSwv,
appliquée à Cléophon, semble lui reprocher son origine étrangère. Sur ce point, il
est difficile de se prononcer. On sait les plaisanteries d'Aristophane sur la nais-
sance de Cléon; c'est encore là, comme l'accusation de vénalité, une sorte de lieu
commun de la comédie athénienne.
2. Grenouilles, v. 1532. On verra plus loin que cette assertion du scholiaste
est inexacte, bien qu'elle s'appuie sur l'autorité d'Aristote, et que ces faits doivent
être placés, comme le veut Diodore, après la bataille de Cyzique. Il est possible
que le scholiaste n'ait pas compris le témoignage d'Aristote. L'affaire de Cyzique
fut bien plus considérable que celle des Arginuses, mais cette dernière, suivie de
si près par le procès et la mort des généraux victorieux, marquée par cette
grande faute de la démocratie athénienne, était restée, sans aucun doute, beaucoup
plus célèbre. Cette circonstance suffirait, je crois, à expliquer la confusion qui
a été commise par le scholiaste d'Aristophane.
II. i.AI.LIKK.
Il donne le nom du chef de l'ambassade lacédéraonienne, Endios,
et il affirme que c'est par l'influence néfaste deCléophon, alors
tout puissant, \).i-^\.<sxoq wv tote ori\myi,)'(hq, qu'Athènes a été rejetée
dans une guerre où elle devait succombera Seulement, suivant
Diodore, ces événements auraient eu lieu, non pas à la suite de
la bataille des Arginuses, mais après la victoire remportée à
Cyzique par Alcibiade sur la flotte péloponnésienne.
La date donnée par Diodore est la date vraies Un fragment
de Philochore, cité par le scholiaste d'Euripide, décide la ques-
tion : « Deux ans avant la représentation de la tragédie d'Oreste,
« Cléophon empêcha les Athéniens de traiter avec les Lacédémo-
« niens, à ce que rapporte Philochore^. » La tragédie d'Oreste
ayant été jouée pour la première fois en 408, nous nous trouvons
ainsi reportés à l'année 410, où fut livrée la bataille de Cyzique.
En suivant les indications du scholiaste, nous pourrions chercher
un portrait de Cléophon dans les vers 902-906 de la pièce d'Euri-
pide : « Ensuite se lève un homme à la langue intempérante, qui
« n'avait d'autre mérite que son audace, un Argien de mauvais
« aloi, entré de vive force dans la cité, ayant cette confiance que
« donne l'ignorance ^ dont les conseils ne pouvaient qu'entraîner
« les Argiens dans de nouveaux malheurs ^ » Les mots « 'ApYsTo;
oùy. 'ApYetoç » seraient une allusion à l'origine étrangère de Cléo-
phon et viendraient à l'appui du passage d'Eschine, que nous
1 . Diodore de Sicile, XIII, 52, 53.
2. Je crois avec Grote {Hist. de la Grèce, vol. XII, p. 3, trad. fr.) que le scholiaste
d'Aristophane s'est trompé en prenant la bataille des Arginuses pour celle de
Cyzique. Il n'est guère vraisemblable que les Lacédémoniens aient fait, à deux
reprises ditférentes, les mêmes propositions pacifiques. Si l'on s'explique ([u'ils
aient pu être découragés au lendemain de leur défaite de Cyzique, on ne com-
prendrait pas qu'ils eussent été si profondément troublés par l'aflaire des Argi-
nuses, qui fut beaucoup moins décisive. Tous ces points sont fort bien établis
par Grote. En revanche, il me paraît impossible d'accepter le jugement qu'il porte
sur la conduite de Cléophon. Il est bien près de croire que Périclès, s'il eût
encore vécu, aurait agi comme Cléophon et rejeté les propositions de Lacédémone
(vol. XI, p. 203). Ici, comme dans beaucoup d'autres passages, Grote est trop
disposé à excuser de parti pris les fautes et les témérités de la démocratie athé-
nienne.
3. Sch. Eurip. Or. v. 771 : « 'lato; atvtTTETat Tipô? Tàç xaô' aÛTÔv Sr,[xaYWYÎaç,
{j.y|7:oTH 2è £1; K),£o?wvTa • t.ço ètwv yàp ôvo t^î SiSaaxaXia; toû 'OpÉffTOu ouxoç
[je suis la leçon de M. Weil, au lieu de la leçon vulgaire aùxô;, qui est évidem-
ment fautive] iaxw à xcoWaa; (nrovSà; yEvsaOai 'Aôrivaioiç upôç AaxeÔaifAoviouç, wç
4>i),6xopo; t<7TopeT. » Cf. Sch. Eurip. Or. v. 372.
4. Cf. Thucydide, II, 40 « à(xa9ia [j.èv âpàco;, loyia[Loz ôè ôxvov tpépet. »
5. Il me parait diflicile d'accepter l'interprétation de M. Weil, qui donne à
a TtiQavéç » le sens passif.
CLEOPHON D ATHENES.
avons cité plus haut. Quant aux autres détails de ce portrait, on
les appliquerait volontiers à Cléophon. C'est bien ainsi qu'on se
représente son éloquence tout extérieure, « parlant au corps, »
pour employer une expression bien connue, cette parole retentis-
sante, cette assurance présomptueuse, cette effronterie qui tranche
sans embarras les questions les plus graves, et décide de tout sans
avoir rien étudié.
Quelle que soit la valeur de cette conjecture, il est certain que
nous pouvons ajouter foi au témoignage de Diodore, fortifié par
celui de Philochore, et je ne crois pas que le silence de Xénophon
en affaiblisse l'autorité. Si l'on veut cependant s'expliquer com-
ment l'auteur des Helléniques n'a rien dit de cette négociation,
on admettra l'opinion de GroteS qui pense qu'Endios a bien été
envoyé auprès des Athéniens, mais sans caractère officiel, pour
connaître leurs intentions plutôt que pour leur proposer dans les
formes un traité de paix. Il reste toujours acquis qu'Endios est
venu à Athènes, à un titre quelconque, pour tâcher de mettre un
terme aux hostilités, et que ses efforts ont échoué par suite de
l'influence de Cléophon. Il y a eu un moment, après la bataille
de Cyzique, où Athènes pouvait obtenir une convention très-
honorable ; si la guerre a été poussée jusqu'aux plus terribles
extrémités, si eUe ne s'est terminée que par le désastre d'^gos-
Potamos et la prise de la ville, la faute en retombe tout entière
sur Cléophon et sur les citoyens qui lui avaient laissé prendre
parmi eux un ascendant si considérable et si peu justifié.
Il serait assez inutile de revenir sur ces événements, si la per-
sonne seule de Cléophon était en jeu ; mais dans cette circons-
tance il n'a fait que représenter, en l'exagérant, la politique de
la démocratie athénienne. Expliquer les motifs qui ont dicté sa
résolution et les passions qui l'ont entraîné, c'est se rendre compte
des causes qui ont amené l'issue funeste de la guerre du Péloponnèse.
L'aristocratie athénienne, si eUe était restée à la tête des
affaires, n'aurait jamais engagé la lutte avec Lacédémone. Elle
pensait, comme Cimon, que l'intérêt général de la Grèce et l'inté-
rêt bien entendu d'Athènes exigeaient que la puissance fût parta-
gée entre les deux peuples rivaux. Pour employer les expressions
mêmes dont se servait Cimon, « il ne fallait pas que la Grèce devînt
« boiteuse, et que la ville fût privée de sa compagne d'attelage ^ »
1. Hht. de la Grèce, vol. XI, p. 200. — 2. Plutarque, Vie de Cimon, C. 16.
n. LALLIEU.
La politique de l'aristocratie était une politique d'équilibre,
aussi resjiectueuse, pour le moins, des droits de Lacédèmone que
jalouse de maintenir ceux d'Athènes, tenant les deux cités en
échec l'une par l'autre, et leur assurant, par leur union, la pré-
pondérance dans toute la Grèce.
La politique démocratique, au contraire, repose sur cette idée
que la prééminence appartient à Athènes, qu'elle est la récom-
pense légitime des exploits accomplis pendant les guerres mé-
diques et des services rendus à l'indépendance nationale. Elle
répudie la sagesse un peu timide des conseils aristocratiques pour
s'élever à cette conception plus généreuse et plus noble : à Mara-
thon, à Salamine et à Platées, les Athéniens ont conquis le droit
de commander à toute la Grèce ; ce droit leur est indispensable
pour soutenir le rôle qu'ils se sont attribué de défenseurs des
Grecs, et jamais, en aucune circonstance, ils ne doivent y renon-
cer. Cette conviction qu'Athènes est supérieure aux autres villes,
qu'elle est comme établie dans un poste d'honneur qu'elle ne peut
pas déserter, c'est elle, pour ne citer que les deux exemples prin-
cipaux, qui inspire la conduite de Périclès et celle de Démos-
thène. Chez Périclès, elle s'appuie sur la connaissance approfondie
des ressources de la république ; chez Démosthène, elle n'a pas
moins de grandeur. C'est au nom d'un passé glorieux que l'ora-
teur presse ses concitoyens de faire leur devoir en face de Philippe,
et, quand ses espérances ont été trahies, c'est encore au nom de
ce passé qu'il proteste contre les caprices injustes de la fortune.
Tempérée par la ferme raison d'un Périclès, cette politique
inspirait aux Athéniens une confiance magnanime dans les des-
tinées de leur patrie ; dès qu'elle tombait aux mains d'un Cléon
ou d'un Cléophon, elle n'était bonne qu'à engendrer la présomp-
tion et la témérité. Platon, dans le Ménéxène, se moque avec
beaucoup d'esprit des flatteries que les orateurs prodiguaient au
peuple, quand ils faisaient l'éloge des soldats tombés sur le champ
de bataille. C'était comme un enchantement qui transportait les
esprits hors d'eux-mêmes ; pendant plusieurs jours, on était
presque incapable de reprendre pied sur la terre, on pensait
avoir été emporté dans les Champs-Elysées, dans une région
supérieure, d'où l'on regardait avec mépris les autres hommes.
J'imagine que Cléophon était dupe d'une illusion de ce genre,
quand il s'opposait aussi hautement à ce que le peuple écoutât les
conseils de la prudence. A force de vanter à ses auditeurs la
CLEOPHON D ATHENES.
puissance de leur cité, à force de leur répéter qu'ils étaient nés
pour vaincre et pour dominer partout et toujours, il se le persua-
dait à lui-même. Il lui arrivait ce qui était arrivé à Cléon, lors
de l'affaire de Pylos^ Tout n'était pas affecté dans les paroles de
Cléon, lorsqu'il s'écriait qu'il ne craignait point les Lacédémo-
niens. S'il ne pensait pas tout ce qu'il disait, il se faisait une
opinion assez exagérée et de sa propre valeur et des ressources
d'Athènes pour en penser au moins une partie. La seule différence,
c'est que ces bravades étaient moins dangereuses à une époque
où les forces de la ville n'étaient pas encore entamées, tandis que,
au lendemain de la bataille de Cyzique, quand le désastre de
Sicile avait porté aux Athéniens un coup si terrible, elles devaient
avoir les conséquences les plus graves. Cléophon n'a pas été plus
téméraire que Cléon, mais il a été plus coupable, parce qu'il a
été téméraire dans un moment où la situation de sa patrie ne
comportait pas ces audaces.
Les événements prouvèrent bientôt aux Athéniens qu'ils avaient
eu tort d'écouter les avis de Cléophon. La fortune, qui avait paru
un instant leur revenir, les abandonna. La bataille desArginuses
retarda le triomphe des Péloponnésiens, mais elle n'était pas de
nature à le remettre en question. Avec un chef tel que Lysandre,
avec un allié tel que le jeune Cyrus, qui s'était engagé résolu-
ment dans leur parti, il était impossible que la victoire ne restât
pas aux Lacédémoniens. La flotte athénienne fut anéantie à
^gos-Potamos, et la ville elle-même ne tarda pas à être assié-
gée. Dans cette circonstance, Cléophon, dont rien ne pouvait
corriger la présomption, reprit le rôle qu'il avait joué quelques
années auparavant. « C'était, dit Lysias, à l'époque où se
« tenait la première assemblée au sujet de la paix ; ceux qui
« arrivaient du camp lacédémonien venaient de dire à quelles
« conditions nos ennemis consentaient à traiter ; il fallait détruire
« les Longs-Murs sur une longueur de dix stades de chaque côté.
« Alors, Athéniens, vous n'avez pu supporter d'entendre parler
« de la destruction des remparts, et Cléophon, prenant la parole
« pour vous tous, déclara qu'il était impossible de consentir en
« aucune façon à cette exigence 2. »
On serait peut-être tenté de croire que Cléophon représentait
1. Thucydide, IV, passim et particulièrement c. 28.
2. XIII, 8.
[\. LALLIEH.
alors le parti de l'honneur et de la fierté nationale, en face de
Théraniène oX des autres partisans de l'oligarchie, qui voulaient
livrer la ville aux ennemis et renverser avec leur concours le
gouvernement démocratique. Si l'on examine l'ensemhle du dis-
cours contre Agoratos, je ne crois pas que le texte se prête à
cette interprétation. Lysias, en effet, semble établir une distinc-
tion entre Cléophon et les chefs raisonnables de la démocratie. Si
je comprends bien la suite de sa narration, il y aurait eu trois
partis en présence dans la ville assiégée : d'un côté, les aristo-
crates, avec Théramène à leur tête, qui, jugeant le moment con-
venable pour instituer le régime de leur choix, se faisaient les
complices et les agents de Lysandre*; d'un autre, Strombichidès,
Dionysodore et les amis modérés du gouvernement démocratique,
qui comprenaient les nécessités de la situation, qui ne se révol-
taient pas contre elles, mais qui, tout en se résignant à la paix,
auraient voulu obtenir les conditions les moins défavorables ^ ;
enfin Cléophon, qui entraînait à sa suite les esprits exagérés,
incapables, comme lui, de se plier aux circonstances et de pren-
dre les résolutions qu'imposait la détresse de la ville. Il était
encore, après vEgos-Potamos, ce qu'il avait été après la bataille
de Cyzique. On connaît le mot de Tite-Live^ : « stultorum even-
« tus magister est; » il me paraît condamner durement, mais en
toute justice, l'aveuglement du démagogue, qui n'a même pas su
avoir cette sagesse que les leçons de l'expérience donnent aux
moins clairvoyants.
Ce qui est plus grave, c'est que, dans ce moment suprême,
Cléophon semble avoir conservé une influence prépondérante
dans les assemblées athéniennes. Xénophon, complétant le récit
de Lysias, nous dit qu'on mit en prison un sénateur, Archestra-
tos, qui avait conseillé d'accepter les exigences des Lacédémo-
niens ; on rendit même un décret qui interdisait de faire à l'avenir
aucune motion de ce genre ^. Ainsi, il se trouvait encore une
majorité pour s'associer aux témérités de Cléophon. C'est qu'il
était pénible aux Athéniens de s'avouer à eux-mêmes l'impuis-
sance à laquelle ils étaient réduits. Un peuple, habitué à vaincre
et à commander, n'accepte pas facilement son abaissement. Les
1. XIII, 6, 9 sqq.
2. Ibid. 13-16.
3. XXII, 39.
4. Hellén. II, 2, 15.
CLEOPHON DATHEJfES.
orateurs avaient flatté trop longtemps la foule, ils lui avaient
trop souvent répété qu'elle devait mépriser tous ses ennemis ; elle
ne pouvait renoncer en un instant à cette haute opinion qu'elle
avait d'elle-même. De plus, la confusion était portée à son comble
par le décret de Patroclide, qui effaçait les condamnations anté-
rieures et rétablissait dans leurs droits politiques les citoyens qui
en avaient été privés ^ Il avait été dicté par un sentiment géné-
reux ; on voulait faire disparaître les traces des anciennes dis-
cordes et intéresser tout le monde à la défense de la ville. Mais
n'était-il pas dangereux de ramener dans les assemblées des
hommes qui n'y entraient plus depuis longtemps? Ne risquait-on
pas de rendre les délibérations plus difficiles et plus tumultueuses?
Sans condamner entièrement une mesure qui peut avoir eu quel-
ques bons effets, il est permis de penser qu'elle est encore venue
accroître le désordre. Ce sont d'ordinaire les assemblées les plus
nombreuses qui se portent le plus volontiers aux partis extrêmes ;
en grossissant le nombre des citoyens actifs, le décret de Patro-
clide aidait au triomphe de la politique d'aventures, soutenue par
Cléophon.
Du reste, à quelque résolution que les Athéniens se fussent
arrêtés, il était impossible de conjurer la ruine de la ville. Les
bravades de Cléophon, dans cette circonstance, étaient plus insen-
sées qu'au lendemain de la victoire de Cyzique; elles sont un
triste et curieux témoignage de cette présomption irréfléchie qui
enivrait encore une partie des Athéniens au milieu même de leur
défaite; en réalité, elles n'ont eu et ne pouvaient avoir aucune
influence sur la suite des événements. C'est à ^gos-Potamos que
la puissance d'Athènes avait été brisée; tout ce qui est arrivé plus
tard, la prise de la ville, la destruction des murs, l'établissement
des Trente tyrans, n'a été qu'une conséquence inévitable du
désastre de la flotte. Aussi, les partisans de l'oligarchie auraient
pu laisser vivre Cléophon et ne point se souiller d'une cruauté
inutile. Soutenus par Ly sandre et toutes les forces des Pélopon-
nésiens, ils étaient assurés de réussir. Ils paraissent, cependant,
avoir redouté l'ascendant que Cléophon exerçait sur le peuple ;
ou plutôt, ils ont voulu, en frappant un grand coup, effrayer les
défenseurs de la démocratie. Pendant que Théramène, envoyé
auprès des Lacédémoniens, faisait traîner les négociations en
1. Sur ce décret, v. Andoc. de Mysteriis, 76-80. Cf. Xén. ffell. II, 2, 11.
40 K. LALLIER.
longueur, ceux de ses amis qui étaient restés dans la ville inten-
tent un procès à Cléophon. On l'accusait de n'avoir pas rempli
ses devoirs de soldat, — si elle était fondée, l'accusation était
assez piquante, dirigée contre l'homme qui avait toujours inter-
dit k ses concitoyens de poser les armes; — le motif véritable,
c'est qu'il s'était opposé à la destruction des murailles. Traduit
en jugement, il fut condamné à mort*.
Afin d'atteindre plus sûrement son ennemi, la faction aristo-
cratique viola dans ce procès toutes les règles de la justice athé-
nienne. Elle préludait ainsi aux illégalités sans nombre que les
Trente tyrans devaient commettre. Jugé par un jury populaire,
Cléophon aurait peut-être été acquitté, et ses ennemis étaient
décidés à ne pas subir cet échec. Il fallait donc composer un tri-
bunal dont la sentence ne fût pas douteuse ; c'est ce qu'ils firent
avec l'aide du sénat, dont ils s'étaient ménagé la complicité^ et
d'un certain Nicomaque. Ce Nicomaque était un scribe, qui se
trouvait alors avoir des fonctions importantes. Après la chute des
Quatre-Cents, on avait confié à des nomothètes le soin de réviser
et de coordonner les anciennes lois^ et il paraît établi que ce fut
Nicomaque qui dirigea ce travail ^ Il y était encore occupé à
l'époque du siège de la ville, et tenait ainsi entre ses mains une
part considérable de la puissance publique. Presque sans titre
officiel, dans une situation modeste en apparence, il pouvait à son
gré produire telle ou telle loi. Il n'était pas irresponsable; une
fois son œuvre terminée, il devait la soumettre à la sanction du
1. Lysias, XIII, 12. — Xéiiophon raconte différemment la mort de Cléophon
[HeUén. I, 7, 35). Il le fait mourir dans une sédition, dont il nïndique pas la date
et à la faveur de laquelle Callixène aurait pris la fuite avecc[uatre autres citoyens,
qui auraient contribué, de concert avec lui, à faire périr les généraux vainqueurs
aux Arginuses, et qui, comme lui, auraient été jetés en prison par le peuple,
bientôt revenu de son erreur. Il est certain que Cléophon vivait encore à l'époque
du siège d'Athènes par Lysandre; or, l'affaire des Arginuses est de 407 et Grote
(vol. XII, p. 23) fait remarquer très-justement qu'il n'est guère vraisemblable ni
conforme aux habitudes athéniennes c[ue Callixène ait été retenu si longtemps en
prison sans être jugé. D'ailleurs, cette indication vague de Xénophon n'est pas de
nature à infirmer le témoignage très-net et très-détaillé de Lysias.
2. V. Lysias, XIII, 23, un autre exemple de cet empressement du sénat à servir
les desseins du parti aristocratique.
3. V. Thucydide VIII, 97 et les notes de l'édition Poppo.
4. Lysias, XXX. Nicomaque fut encore investi des mêmes fonctions, à la suite
du décret de Tisamène, qui ordonna une seconde révision des lois, qiiand la ville
eut été délivrée des Trente tyrans (Andoc. de Mysteriis, 83-84).
CLÉOPHON DATHÈNES. i\
peuple, et chacun, à ce moment, était autorisé à lui demander
compte de ses actes. En attendant, il possédait une arme qui de-
venait dangereuse, s'il voulait en abuser et la mettre au service
d'un parti. Ce fut lui qui prépara la condamnation de Cléophon,
en fournissant le moyen d'adjoindre les sénateurs au tribunal
appelé à le juger. Le récit de Lysias expose clairement toutes ces
intrigues : « Après la défaite de notre flotte, au moment où les
« aristocrates se préparaient à changer la forme du gouverne-
« ment, Cléophon s'élevait contre le sénat, lui reprochant de
« conspirer et de tramer des desseins funestes à la république.
« Satyros de Céphise, qui était au nombre des sénateurs, per-
« suada à ses collègues de l'emprisonner et de le faire passer en
«justice. Ceux qui voulaient le perdre, craignant de ne pas
« obtenir du tribunal une sentence de mort, engagent Nicomaque
« à produire une loi en vertu de laquelle les sénateurs devaient
« siéger avec les juges ordinaires. Voyez la perfidie incroyable
« de cet homme ! il se fit si bien leur complice que, le jour même
« du jugement, il produisit la loi qu'on lui demandait*. » Dès
lors, l'issue du procès était certaine. Cléophon, en comparaissant
devant ses juges, pouvait apercevoir au milieu d'eux ses accu-
sateurs, Satyros et Chrémon^, et leur présence seule lui annon-
çait assez hautement que sa condamnation était inévitable.
C'est encore à Lysias que nous demanderons de nous indiquer
le jugement qu'il convient de porter sur l'ensemble de la vie poli-
tique de Cléophon. Je n'ai pas seulement en vue le passage du
discours sur les biens d'Aristophane, où Lysias parle du désinté-
ressement de Cléophon, qui serait mort pauvre, après avoir dirigé
longtemps les affaires publiques 3. Ce texte est, je crois, une
réponse victorieuse à l'accusation de vénalité, que nous avons
relevée dans un fragment de la comédie de Platon. Bien que le
témoignage des orateurs athéniens soit souvent suspect, je ne vois
1. Lysias, XXX, 10-11.
2. 11 faut, en effet, comme l'indique Westermann dans la préface de son édi-
tion de Lysias (p. xxxj) , rétablir le nom de Chrémon dans le texte de Lysias
(ibid. 12), au lieu de celui de Cléophon, qui ne peut être qu'une erreur de copiste.
Chrémon est nommé plus loin à côté de Satyros (14); il figure également dans la
liste des Trente tyrans, que donne Xénophon (Hell. II, 3, 2). — Pour apprécier la
gravité de l'acte que Lysias impute à Nicomaque et par lequel celui-ci confondait
entre les mains des sénateurs le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire, v. l'ou-
vrage de M. G. Perrot, Essai sur le droit public d'Athènes, p. 327.
3. Lysias, XIX, 48.
K. LALLIEK.
pas ici de raisons suffisantes pour contredire l'assertion de Lysias.
On se tigure volontiers Cléophon comme un esprit exalté, inca-
pable de garder aucune mesure, partageant lui-même les passions
qu'il excitait chez les autres, égaré tout le premier et de bonne
foi par ces déclamations violentes avec lesquelles il flattait le
jieuple ; on n'aperçoit guère dans sa conduite la trace de calculs
personnels. Il a été un mauvais citoyen, funeste à sa patrie, qu'il
prétendait servir; je ne pense pas qu'il ait été un malhonnête
homme.
J'attacherais beaucoup plus d'importance aux paroles dont
Lysias, dans le discours contre Nicomaque, fait suivre le récit
qui a été traduit plus liaut. L'orateur appartient, comme Cléo-
phon, au parti démocratique, pour lequel il a souffert et qu'il a
soutenu de toutes ses forces à la suite de Thrasybule et d' Anytos ;
il a tout intérêt, afin d'obtenir la condamnation de Nicomaque, k
exalter celui qui a été victime de ses intrigues, et l'on sait que,
en pareille circonstance, les avocats d'Athènes ne se croyaient
pas obligés de respecter scrupuleusement la vérité. Que lisons-
nous cependant? Malgré ses opinions personnelles, malgré les
exigences du procès, qui sembleraient devoir lui dicter un éloge
sans restrictions, Lysias ne parle de Cléophon qu'avec une gêne
visible. « Cléophon n'est pas sans reproches ; mais il est évident
« que, de tous les citoyens, c'était celui dont les ennemis du
« peuple tenaient le plus à se débarrasser ; il est évident qu'en
« l'accusant, Satyros et Chrémon, qui ont été plus tard au nom-
« bre des Trente, étaient poussés, non par le soin de vos inté-
« rets, mais par le désir de vous nuire à vous-mêmes après l'avoir
« fait périr Juges, s'il en est parmi vous qui pensent que
« Cléophon était un mauvais citoyen , qu'ils considèrent que
« peut-être, au nombre des victimes de la tyrannie, il se trouvait
« plus d'un homme qui n'était pas complètement innocent ; cepen-
« dant, vous avez reproché aux Trente toutes ces exécutions,
« parce qu'ils les ont tués, non pour les punir de leurs fautes,
« mais à la faveur des troubles publics*. » Assurément, ce n'est
pas ainsi qu'on déplore la mort violente d'un homme qu'on estime
et qu'on respecte. Au lieu du panégyrique qu'on attendait, Lysias
a l'air de plaider pour Cléophon les circonstances atténuantes.
Grote n'a pas tenu assez de compte de ces réserves, quand il s'est
1. Lysias, XXX, 12-13.
CLÉOPHON d'aTHÈXES. ^3
étudié à présenter sous un jour favorable toutes les actions de
Gléophon. Il n'est pas difficile de deviner que, dans cette démo-
cratie plus sage rétablie par Tlirasybule, le souvenir du turbulent
démagogue était considéré comme importun. On ne renonçait pas
à invoquer son nom, du moment qu'il s'agissait de poursuivre un
des survivants détestés de la faction aristocratique, — toutes les
armes sont bonnes contre un ennemi; — mais alors même on
prenait mille précautions, on avait soin de marquer les points sur
lesquels on se séparait de lui. On le traitait comme un allié com-
promettant, qu'on n'ose pas et qu'on ne peut pas complètement
répudier, mais dans la compagnie duquel on ne veut point trop
se commettre. C'est là, il me semble, ce qui condamne avec le
plus de force la politique de Gléophon. Il n'a pas trouvé grâce,
même devant les hommes de son parti, et les réserves que marque
Lysias, pèsent bien plus lourdement sur sa mémoire que les sar-
casmes du poète Platon ou les accusations de Satyros.
Pour achever d'énumérer les témoignages qui nous sont par-
venus sur la vie publique de Gléophon, il resterait à citer un
passage d'Aristote : « Gléophon se servit des élégies de Solon pour
« prouver que, de tout temps, la maison de Gritias était l'asile
« de la débauche ; autrement , jamais Solon n'aurait écrit ce
« vers.
Dis au blond Gritias qu'il doit obéir à son père*.
Si ce propos a été tenu dans une discussion politique, il est
vraisemblable que c'est à l'époque où Gritias a été condamné à
l'exil 2. G'est la seule circonstance dans laquelle ces deux hommes
aient pu se heurter. Jusqu'à ce moment, Gritias semble ne s'être
mêlé aux affaires que pour proposer le rappel d'Alcibiade ^, et
cette initiative n'était pas de nature à déplaire au parti démocra-
tique. Exilé peu de temps après, il ne rentra pas dans sa patrie
avant la mort de Gléophon. Je n'oserais pas d'ailleurs insister sur
cette conjecture ; il est possible, et même cette dernière supposi-
tion est la plus probable, que les paroles citées par Aristote aient
été prononcées, non dans un débat public, mais dans une con-
1. Rhét. I, 15.
2. La date précise de cet exil ne nous est pas connue; il est probable qu'il a été
prononcé en même temps ou à peu près en même temps que le second exil d'Al-
cibiade. Un seul fait est certain, c'est que Gritias n'était pas à Athènes au
moment de l'affaire des Arginuses (Xén. Hell. II, 3, 36).
3. Phitarque. Vie d'Alcibiade, 33: Gritias, fr. 4 (éd. Bergk).
44 R LALLIER.
versation particulière. Dès lors, il serait inutile de chercher à
fixer une date. On peut les tenir poui" authentiques, puisqu'elles
sont conformes au caractère du personnage, mais elles ne nous
apprennent rien de nouveau sur son compte; on n'avait pas
besoin de ce témoignage pour savoir que Cléophon était l'ennemi
de l'aristocratie.
IL
Il y a cependant un côté par lequel il se rapproche de Critias.
Comme lui, il a composé des tragédies et cherché des succès litté-
raires. Je n'hésite pas, en effet, à suivre l'opinion de Welcker
( Trag. Gr. p. 1011), qui veut que Cléophon le démagogue soit le
même que le poète tragique du même nom, dont parlent Aristote
et Suidas ^ Ce n'est pas que toutes les preuves données par
Welcker soient également fortes. Ainsi, d'après lui, s'il fallait
établir une distinction entre l'orateur et le poète tragique, Aristote
aurait pris soin de la marquer lui-même, comme il a fait pour
Antiphon {Rhét., Il, 6), qu'il appelle 6 TrotYîXYiç, pour qu'il n'y ait
pas moyen de le confondre avec le fils de Sophilos. Mais Aristote
n'est pas toujours aussi exact à avertir ses lecteurs. Dans ce
même ouvrage de la Rhétorique, il mentionne par deux fois-
Sophocle, qui fut un des npc6ou>.oi nommés après le désastre de
Sicile, sans se mettre en peine de nous dire qu'il n'a rien de com-
mun avec l'auteur de YAntigone.
Tout au moins, si l'argumentation de Welcker laisse parfois
à désirer, l'opinion qu'il soutient est très-vraisemblable. EUe est
d'accord avec ce que nous savons de l'histoire de la poésie tragi-
que à cette époque. Cléophon ne serait pas le seul homme poli-
tique que le théâtre aurait attiré. Critias, Théognis, qui fut plus
tard un des Trente tyrans ^ ont écrit des tragédies. Désireux de
se faire connaître, épris des choses de la littérature, comme tous
les Athéniens de ce temps, ils choisissaient le genre qui était alors
1. Otf. Mùller (vol. 11, p. 547 de la trad. fr.) rattache Cléophon, le poète tra-
gique, à l'école de Théodecte, qui vivait au temps de Philippe de Macédoine ; mais
il ne donne cette opinion que comme une hypothèse et ne l'appuie d'aucune
preuve.
2. I, 14; III, 18.
3- Sur Théognis, v. Fr. Trag. Gr. (éd. Didot), p. 92 et le recueil de Nauck,
p. 597.
CLÉOPHON d'aTHENES. 15
le plus en faveur et qui devait les mener le plus rapidement à la
renommée. En même temps, si l'on peut en juger par les tragédies
d'Euripide et le Sisyphe de Critias % ils s'en servaient pour pro-
pager leur idées. La scène était pour eux une seconde tribune, où
ils disaient leur avis sur tout ce qui touchait à la politique ou à
la philosophie. Pourquoi Cléophon n'aurait-il pas eu les mêmes
ambitions et n'aurait-il pas cédé au même entraînement?
Ce qui porte encore à le penser, c'est la nature même des atta-
ques dont Aristophane le poursuit dans les Grenouilles ^. A côté
d'allusions évidentes à la politique de Cléophon, à l'exagération
et à l'intolérance de ses opinions démocratiques ^ à son humeur
belliqueuses on trouve certains traits qui paraissent dirigés
contre le style de ses tragédies. « Sur les lèvres bavardes de
« Cléophon gazouille d'une manière insupportable l'hirondelle de
« Thrace^. » Il est difficile d'admettre que ces mots s'appliquent
uniquement à l'éloquence bruyante de Cléophon dans les assem-
blées ; ils ont bien l'air de s'appliquer aussi à l'écrivain et de
railler la facilité négligée de ses vers et leur sonorité vide de sens.
C'est presque avec les mêmes termes, /eXtSôvwv ixouceTa, qu'Aris-
tophane caractérise, dans un autre passage S la nombreuse troupe
des successeurs dégénérés d'Eschyle et de Sophocle. Enfin, lorsque
Platon, renvoyant Eschyle sur la terre, le charge d'avertir Cléo-
phon qu'il ait à descendre au plus vite dans le séjour des morts'',
est-ce seulement d'un mauvais citoyen qu'Aristophane veut déli-
vrer sa patrie ? Ne songe-t-il pas, au contraire, à débarrasser la
scène d'un mauvais poète, qui l'encombre de ses productions ? Ou
plutôt, toutes ces plaisanteries ont un double sens et comme une
double portée; c'est à la fois delà critique littéraire et delà satire
politique. Aristophane a eu la bonne fortune de rencontrer un
adversaire de ses idées, qui était en même temps un méchant écri-
vain ; il n'a pas laissé échapper l'occasion qui lui était offerte, et
1. V. le long fragment qui nous est parvenu du Sisyphe et que Sextus Enipi-
ricus nous a conservé (fr. 1 de l'édition de Nauck).
2. Cléophon est également nommé dans les fêtes de Cérès, v. 805.
3. Par exemple, v. 689 sqq., où le poète conseille aux Athéniens de se récon-
cilier avec les membres de la faction aristocratique, qui avaient été bannis après
la chute des Quatre-Cents.
4. V. 1532.
5. V. 678 sqq.
6. V. 93.
7. V. 1504.
46 tl. LALLIKIl.
sa raillerie impitoyable, faisant l'office d'une arme à deux tran-
chants, frappe du même coup la témérité de Cléophon dans la
ronduite des affaires publiques et ses prétentions littéraires.
De tout ce ^< bavardage » tragique, qui aurait retenti avec tant
de fracas sur la scène athénienne, rien n'est vçnu jusqu'à nous.
Nous connaissons seulement, par Suidas, les titres de dix tragé-
dies que Cléophon aurait composées: 'Axxaitov, 'A[jLcptàpao<;, 'XyjXkéjq,
lîâxxai, A£Ça[j.£vbç, ^Epi-^érq, ôuécTYjç, Aeûxizzoç, Flspaiç, TrjXsçoç ^
Encore faut-il remarquer que, sur ces dix pièces, six se retrouvent
dans la liste des tragédies attribuées à lophon. Il est possible qu'il se
soit produit quelque confusion entre deux noms presque sembla-
bles et qu'ainsi, par l'inadvertance d'un copiste, on ait donné à
Cléophon plus de pièces qu'il n'en a fait. Dans ce cas, il ne reste-
rait, comme appartenant vraiment à notre auteur, que VAm-
'phiaraûs, YErigone,\e Thyeste ei\e Leucippe , les autres tragé-
dies devant être restituées à lophon, le fils de Soi^hocle, qui fut
un poète de profession. On hésitera pourtant à trancher ainsi la
question, si l'on considère que les tragiques athéniens ne se
faisaient aucun scrupule de reprendre des sujets déjà traités par
leurs prédécesseurs. C'est chez eux une pratique constante, et il
serait téméraire de déposséder Cléophon de la plus grande partie
de ses titres littéraires, quand nous n'avons contre lui aucune
preuve certaine. Tout ce que l'on peut dire, c'est que ce nombre
de dix tragédies parait bien considérable pour un homme que la
politique occupait presque tout entier. Très-probablement il y
aurait lieu d'effacer quelques noms sur la liste donnée par Suidas,
mais nous ne saurions affirmer quels sont les noms qui doivent
être supprimés, ni à quel chiffre la liste doit être ramenée pour
être exacte-.
1. Suidas, p. 270.
2. Aristote (IIïpl (toçjkttixwv iléy/u>w, p. 174, B 27, éd. Bekker) parle d'un autre
ouvrage de Cléophon : « otov 6 K).eo?wv iroisï èv xS» Mavôpo6oûXw. » Quel était
cet ouvrage? Il est impossible de le dire, et même il est difficile de faire des
conjectures à ce sujet. Ce nom de Mandroboulos ne nous est connu que par Suidas
et les parœmiographes, qui nous ont conservé un fragment du livre d'Éphore sur
les Inventions, Ilepi £upYi|j.àTwv. « Mandroboulos ayant trouvé dans l'île de Samos
« un filon de métal précieux (yswçâvtov), aurait offert à Jupiter, la première
a année, un bélier d'or, la seconde, un bélier d'argent, la troisième, un bélier
« d'airain, mais plus petit, et ensuite ne lui aurait plus fait aucune offrande »
(Éphore, fr. 161, éd. Didot). On ne voit pas comment Cléophon aurait tiré une
tragédie de cette histoire: je croirais plus volontiers, comme le veut Guillaume
CLÉOPHON d'aTHÈIYES. >|7
Nous sommes mieux renseignés sur la valeur de ces composi-
tions poétiques de Cléophon. Elles ne se recommandaient ni par
l'élévation des pensées, ni par le mérite de l'expression. Les
caractères étaient vulgaires, le style était faible; le plus grand
éloge qu'on en pourrait faire, c'est qu'il avait une certaine clarté.
Sur ces deux points, Aristote exprime son opinion d'une manière
très-précise : « Homère, dit-il, a représenté les hommes meilleurs
« qu'ils ne sont, Cléophon tels qu'ils sont ; Hégémon de Thasos,
« le premier auteur de parodies, et Nicocharès, qui a composé la
« Déliade, les ont représentés pires qu'ils ne sont^ » Et ailleurs:
« C'est une qualité du style d'être clair sans être bas. On écrit
« très-clairement, quand on emploie les mots dans leur sens
« propre, mais alors on manque d'élévation ; on en voit la preuve
« dans les vers de Cléophon et de Sthénélos 2. » Quelquefois,
cependant, sur le fond monotone de ce style terne et plat se déta-
chaient quelques expressions ambitieuses, qui par le contraste
même paraissaient plus ridicules. C'est encore Aristote qui nous
l'apprend. En parlant delà convenance du style, il recommande
de ne pas dire les choses grandes avec bassesse ni les choses sim-
ples avec emphase; « sinon, ajoute-t-il, on tombe dans le comique,
« comme il arrive à Cléophon ; il y a chez lui certains passages
« qui rappellent cette expression : une figue vénérable ^. »
Un Athénien de naissance ne se serait guère permis une alliance
de mots aussi bizarre. La finesse instinctive, le bon sens délicat
de l'esprit attique auraient reculé devant une pareille faute de
goût et, s'il n'était pas excessif d'établir une conjecture sur une
base aussi fragile, on serait presque tenté d'y voir une preuve de
l'origine étrangère de Cléophon. Quant aux autres défauts que
relève Aristote, ce sont bien ceux de l'école à laquelle apparte-
nait notre auteur. Déjà, chez Euripide, quand on le compare à
ses devanciers, on voit que les caractères ont moins de grandeur;
Sophocle en avait fait la remarque, en disant qu'il peignait les
hommes tels qu'ils devaient être, tandis qu'Euripide les repré-
sentait tels qu'ils étaient 4, Le style aussi a changé ; moins hardi,
Wagner, qu'il aurait fait à ce sujet une sorte de fable à la manière d'Ésope {Fr.
Trag. Gr., p. 100).
1. Poétique, ch. 2.
2. Poétique, ch. 22.
3. Bhét., III, 7.
4. Aristote, Poétique, ch. 25.
ReV HiSTOR. V. l^"" FASC. 2
^8 11. LAMJKU.
moins éclatant, il a un courant plus abondant et plus iiacile et se
rapproche de la prose des orateurs. Ces différences, pour ne pas
dire ces défauts, sont rachetées chez Euripide par les qualités qui
lui sont propres ; dans les œuvres de ses imitateurs maladroits,
— et c'est à ce groupe qu'il faut rattacher Cléophon, — les
défauts apparaissent seuls. Entre leurs mains, la tragédie perd sa
force et sa noblesse ; elle s'amoindrit au point de se confondre
presque avec la comédie. Pouvait-il en être autrement? Eschyle
et Sophocle ne vivaient que pour leur art ; il les occupait tout
entiers. Les habitudes mêmes de leur esprit, les pensées dont ils
l'entretenaient sans cesse, leur donnaient, pour ainsi dire, droit
de cité dans ce monde idéal où ils allaient chercher leurs person-
nages, si bien qu'ils s'élevaient sans effort aux conceptions les
plus sublimes et parlaient naturellement la langue des héros et
des dieux. Mais, pour des hommes tels que Cléophon, la poésie
n'était qu'une distraction ou une affaire de vanité. Passant leur
existence sur la place publique, occupés de leurs intérêts ou de
leur ambition, perpétuellement en contact avec les réalités
vulgaires de la vie, comment se seraient-ils transportés dans ces
régions supérieures qu'habitait sans peine l'âme d'un Eschyle ou
d'un Sophocle? Il leur aurait fallu rompre avec leurs pensées
habituelles ; l'effort eût été trop pénible et ils ne songeaient même
pas à le tenter. Ils mettaient dans la bouche de leurs personnages
le langage qu'ils parlaient eux-mêmes, quand ils s'adressaient au
peuple, et leur donnaient des sentiments en rapport avec ce lan-
gage.
Ainsi , nous pouvons conclure des paroles d'Aristote que
Cléophon a été un poète médiocre et sans originalité. Nous avons
déjà vu qu'il a été un politique imprudent et incapable. N'ayant
aucun souci et même aucune conscience de la responsabilité qu'as-
sume un orateur quand il s'érige eu chef de parti et en con-
seiller du peuple, il ne s'est jamais servi de son influence que pour
pousser ses concitoyens aux résolutions les plus téméraires, égaré
lui-même par les illusions qu'il entretenait et surexcitait chez les
autres. Au milieu des circonstances les plus difficiles, alors qu'il
aurait fallu une extrême prudence et une extrême habileté pour
diriger les affaires d'Athènes, il s'est abandonné à la passion, et
emporté par une vaine jactance, fermant les yeux sur les dangers
de la situation, sur les forces des ennemis, sur l'épuisement de la
république, il a conservé jusqu'à la fin cette audace par laquelle
CLÉOPHON d'aTHÈNES. ^9
il plaisait au peuple, mais qui ne lui a pas permis de saisir la
dernière chance de salut qui s'offrait aprèsla bataille de Cyzique,
ni de se résigner à sa défaite après ^gos-Potamos. Il n'a qu'une
seule excuse, la sincérité de ses convictions ; il est mort fidèle à
son parti et à la politique qu'il avait toujours soutenue. Mais la
fidélité à soutenir une pareille politique, aussi irréfléchie et aussi
funeste, qu'est-ce autre chose qu'une obstination aveugle? Ce
n'est pas là, si l'on considère le tort que Cléophon a fait à sa patrie,
une excuse qui suffise à protéger sa mémoire.
Elle ne mériterait pas d'être tirée de l'oubli, si l'on ne songeait
qu'à la valeur personnelle de l'homme. Les détails que Ton peut
réunir sur les actes de Cléophon ne prennent un peu d'intérêt
que par les renseignements qu'ils fournissent sur la démocratie
athénienne. Elle s'est livrée pendant plusieurs années aux conseils,
ou plutôt aux emportements de Cléophon. Depuis l'expulsion des
Quatre-Cents jusqu'à la fin de la guerre, de 411 au commence-
ment de 404 s il a exercé un ascendant considérable. Il ne le
devait ni à l'éclat des services rendus, ni à la supériorité de ses
talents; la foule l'avait adopté parce qu'elle retrouvait en lui
ses propres instincts, parce qu'il exprimait, plus bruyamment que
les autres, ce que tous pensaient. Les peuples, comme les souve-
rains absolus, ont leurs caprices, et l'on peut répéter à propos de
Cléophon un mot fameux du xvii® siècle : c'était « un favori sans
mérite » que ces mêmes Athéniens, qui jadis avaient su obéir à
Périclès, trouvaient commode de se donner, maintenant qu'ils
étaient gâtés par l'exercice d'un pouvoir illimité et dépravés par
les flatteries de leurs orateurs. C'est à ce titre que le nom de
Cléophon vaut la peine d'être mentionné. L'histoire de la démo-
cratie athénienne resterait incomplète, si au-dessous^ bien au-
dessous des hommes d'état qui l'ont dirigée, on ne rappelait pas,
au moins en passant, les démagogues qui l'ont égarée et pervertie.
R. Lallier.
1 . On a vu que Cléophon est déjà nommé dans les fêtes de Cérès, qui sont de
411. Il est permis d'en conclure qu'il commençait à acquérir cette influence qui
se marquera, l'année suivante, par le rôle prépondérant qu'il jouera dans l'affaire
des propositions de paix apportées par Endios.
LA FRONDE EN PROVENCE
SECONDE PARTIE
SABREURS ET CANIVETS^
Rappel du comte d'Alais (22 août 1649 — Décembre 1650).
« Lorsque les hommes, écrit le cardinal de Retz, ont balancé
longtemps à entreprendre quelque chose par la crainte de n'y
pas réussir, l'impression de cette crainte fait, pour l'ordinaire,
qu'ils vont ensuite trop vite dans la conduite de leurs entreprises. »
Ceci est vrai surtout des gens faibles comme Alais. Une fois
emportés par la fureur, ils ne savent ou ne peuvent plus s'arrêter.
Ils se perdent par l'exagération après s'être compromis par la
timidité. Le comte d' Alais aUait prouver une fois de plus que la
colère d'un homme faible est la pire des conseillères.
Aussitôt après la paix de Saint-Aignan, le gouverneur de
Provence s'était retiré à Toulon, sans accorder audience à une
députation du Parlement et de tous les ordres de la ville, qui
venaient lui présenter leurs excuses. Une nouvelle ambassade
plus solennelle encore le suivit dans sa nouvelle résidence :
Alais ne put cette fois se dispenser de la recevoir, mais, comme
il ne croyait pas à la sincérité de ces excuses, il se renferma dans
un silence méprisant. Il voulait montrer de la sorte qu'il n'avait
accepté qu'à contre-cœur la paix de Saint-Aignan, et n'attendait
qu'une occasion favorable pour la rompre, et se venger enfin de
1. Voy. Revue historique, t. II, p. 60 et 436.
LA FRONDE EN" PROVENCE. 24
ses humiliations répétées. On se le tint pour dit, et, des deux
côtés, on se prépara à la prochaine lutte avec une sombre
ardeur.
Ce fut au milieu des fêtes du mariage de la fille unique du
comte, Anne-Marie de Valois, avec Louis de Lorraine, duc de
Joyeuse, grand chambellan de France, que la guerre civile faillit
éclater de nouveau. La noblesse des deux partis avait été conviée
à cette cérémonie, et 3^ assista (octobre 1649), mais sans jamais
se mêler : on eût dit deux bandes ennemies prêtes à en venir aux
mains. Bientôt même, pour de futiles motifs, de nombreuses que-
relles s'engagèrent, qui prouvèrent l'exaspération des esprits.
A Saint-François, dans le ComtatYenaissin, terrain neutre,
choisi tout exprès pour éviter les poursuites de la justice, se ren-
contrèrent trois Parlementaires, le baron de Saint-Marc, Astier,
Arquier, et trois partisans du Semestre, MM. de Vins, de Senaset
Chais. Saint-Marc blessa M. de Vins qui mourut deux jaurs après :
Astier désarma Senas, et le força à demander la vie; mais
Arquier fut tué par Chais. La victoire restait donc en définitive
aux Parlementaires. Ils furent encore vainqueurs dans une autre
rencontre, sur la grand'route d'Aubagne à Toulon, lieu qu'on
avait choisi pour faire croire à une rencontre fortuite ^ Du Canet
désarma Tourville , Melan blessa à la cuisse Lamastro , mais
le chevalier de Saint-Marc fut désarmé par du Luc. Toute cette
bravoure était inutile : on comprenait néanmoins qu'Alais et
le Semestre avaient une revanche à prendre et qu'ils s'y prépa-
raient en silence.
Aussi bien le comte d'Alais ne cachait pas ses intentions de
rompre au plus vite la paix de Saint-Aignan. Tout en restant
fidèle, en apparence, à la lettre du traité, il en laissa exécuter
certains articles au détriment du pays, avec le secret espoir d'en-
courager ses partisans et de les indemniser de leurs fatigues et de
leurs espérances déçues. En vertu des articles II et X de la paix
de Saint-Aignan, les troupes levées par le comte devaient vider
la province, et se rendre en Piémont. Elles s'y dirigèrent en
eff'et, mais en pillant tout sur leur passage ^. « Le régiment de
cavalerie Saint-Aunay traînait plus de chevaux pour porter les
choses dérobées que pour servir au port des choses militaires. »
1. Anonyme, p. 200-202.
2. Bouche, l. II, p. 961.
22 P. GAFFAREL.
Cliemin faisant, ces bandits déîiîuisés en soldats rencontrèrent un
conseiller au Parlement, le soumirent à mille vexations, et ne le
relâchèrent que lorsque l'évêque de Senez, son parent, l'eut ra-
cheté pour deux cents pistoles*. Le Parlement lança contre ces
pillards une ordonnance, et Alais lui-même se prononça contre
eux (3 et 13 septembre). Mais les soldats ne tenaient aucun
compte des ordres du Parlement et ils connaissaient les secrets
sentiments de leur ancien général. Aussi, comme les communautés
n'avaient pas assez de forces à leur disposition pour leur résister,
continuèrent-ils leurs exactions. Nous trouvons un curieux
témoignage de ces violences dans les mémoires trop peu connus
du chevalier de Pontis. Cet officier avait reçu l'ordre de former
avec les troupes disponibles un régiment, et de le conduire en
Catalogne. Il n'eut pas de peine à réunir sous ses enseignes un
grand nombre de ces soldats, véritables routiers, qui ne cher-
chaient que les aventures, et ne vivaient que de la guerre. Mais
il fut bien vite désappointé. « Je trouvai ^ dit-il, une grande
différence entre ces troupes et celles que j'avais commandées sous
le feu roi. Car, au lieu que la discipline exacte, que ce prince
faisait observer, me donnait une autorité absolue sur mes soldats,
je ne recevais tous les jours que des plaintes continuelles qu'on
me faisait de ceux-ci, qui étaient accoutumés au libertinage et
au vol, et qui se croyaient autorisés à secouer toute sorte de joug
par le désordre qui accompagne ordinairement les guerres civiles.
Comme je n'étais point d'humeur à souffrir cette licence, et que
je ne me voyais point en état de réduire ces brutaux sans une
exacte discipline comme autrefois, étant si peu soutenu et très
mal payé, j'aimai mieux enfin abandonner le métier que de ne
pas le faire avec honneur, et je me défis de mon régiment entre
les mains d'un officier de mes amis, qui paraissait un peu moins
scrupuleux que moi. » Un Provençal déterminé fait à propos de
ces ravages d'amères réflexions ^ : « On pouvait dire en ce temps-
là de la Provence, ce qu'autrefois on a dict de la Sicile, qu'à la
voir sur le départ des troupes si vuide, si exténuée, si défaite, et
les troupes si puissantes et si pleines, il sembloit que ces troupes
estoient la Provence. »
1. Anonyme, p. 198.
2. Mémoires de Pontis, t. II, liv. 7, p. 446. — Anonyme, p. 200.
3. Pitton, p. 444-5.
LA FRONDE EN PROVENCE. 23
Ce qui se passa dans la petite ville de Figanières nous donnera
une idée du désordre et de l'anarchie qui régnaient alors dans le
pays^ Le seigneur de Figanières, Gaspard de Vintimille, un
ami du comte d'Alais, avait appelé dans son château une partie
du régiment de cavalerie la Cornette Blanche. Pendant quatre
mois ces bandits, qui se croyaient assurés de l'impunité, se livrè-
rent à tous les excès, à tel point que la population émigra
(décembre 1649). Plus de cent familles se réfugièrent à Dragui-
gnan. La municipalité décida qu'on poursuivrait Vintimille
en réparation des dommages causés, et un des consuls fut député
à Aix afin d'obtenir justice. En effet, le 10 janvier 1650, le con-
seiller d'André vint solennellement réintégrer les consuls dans
leur ville et les habitants dans leurs maisons. Mais la garnison
n'avait pas délogé, et le seigneur était toujours dans son château.
Malgré la publication de la paix, la guerre continua. Les soldats
pillaient et volaient de plus belle; ils s'emparaient même des
habitants, et les enfermaient dans les noires et profondes oubliettes
du château. Un jour, dix d'entre eux attaquèrent l'un des consuls
dans la chapelle du couvent de Saint-Pons, et ils l'auraient laissé
sur la place, s'il ne leur avait échappé en sautant par la fenêtre
et en fuyant à travers champs, poursuivi par la fusillade.
Bientôt l'arrogance cie Gaspard de Vintimille et les excès de
ses soldats réduisirent la population à émigrer pour la seconde
fois, et en masse. Mais cette fuite fit du bruit. Par arrêté du
10 novembre 1650, le roi engagea les habitants de Figanières à
rentrer dans leurs pénates : mais ils reçurent un singulier
accueil. A peine les consuls avaient-ils repris possession de leurs
sièges, qu'ils furent entourés par les soldats de Vintimille et
menacés d'être assassinés. Les cris de fouero consuls ! fouero
tailhos et gabellos! Viva la libertat! retentissaient à leurs
oreilles, poussés par les créatures du seigneur. C'était en petit la
scène d'intimidation que Condé répétera en grand à Paris quel-
ques mois plus tard, lors des massacres de l'Hôtel de Ville, après
la bataille du faubourg Saint-Antoine. Mais rien ne put ébranler
la courageuse attitude des consuls. Ils ne sortirent de leur
« forum » qu'après avoir soutenu un siège, dans lequel l'un
d'entre eux fut blessé. On ne sait comment se termina la lutte.
Très-probablement, à Figanières comme ailleurs, force resta à
i. Cf. Echo du Var, n° 86, 17 décembre 1865. Éphémérides provençales.
1'. (ÎAFKAREL.
la loi. L'énergique vitalité de la commune dut triompher des pré-
tentions surannées de ce gentilhomme, qui se croyait encore en
pleine féodalité.
Des scènes analogues se produisirent ailleurs. Ainsi derrière la
Ciotat, dans tout le terroir, on voit encore dans les grands bois,
qui forment un bel amphithéâtre autour du port, une quantité de
nuirailles en ruines. C'étaient jadis de fertiles coteaux réputés
pour leurs vins muscats. La tradition locale rapporte qu'ils
furent ravagés du temps de Valois. Quel est ce Valois, sinon
Mais, ou du moins les bandits qui, de son temps, pillèrent et
ruinèrent la province?
Tel était en effet le résultat de la guerre civile : tout le monde
avait souffert; nul n'avait gagné. Les communautés étaient
foulées par les contributions et les brigandages ; le Parlement et
les autres cours souveraines voyaient leur autorité s'affaiblir
dans l'esprit du peuple, qui s'était soulevé à leur voix et sur qui
retombait tout le poids de la guerre. Alais surtout sentait le
terrain manquer sous ses pas, lui que la cour avait à deux
reprises arrêté dans ses projets. Le malaise était général, la
confiance avait disparu, et l'avenir était gros d'orages.
Les événements dont Marseille fut le théâtre envenimèrent
encore les haines. Marseille, au début, s'était prononcée en faveur
du comte d' Alais. Elle lui avait fourni des secours dans sa der-
nière campagne. Aussi le comte tenait-il beaucoup à la possession
de cette ville. Mais il y comptait de nombreux ennemis, et, à
leur tête, Valbelle, lieutenant général de l'amirauté, qui venait
de conclure avec le Parlement et les consuls d'Aix une ligue
offensive et défensive. Le nombre de ses ennemis avait singuliè-
rement augmenté depuis que Mazarin, en nommant lui-même les
consuls de 1650, avait porté atteinte aux privilèges de la vieille
ville ligueuse. Car « on était très-jaloux dans toute la province du
droit d'élire annuellement les magistrats municipaux, et on peut
dire qu'à Marseille on était plus jaloux de ce droit que partout
ailleurs, la ville ayant toujours conservé un esprit républicain»*.
Une peste terrible avait éclaté en Provence ^ A Marseille, elle
exerçait de redoutables ravages, surtout dans les sales et étroites
rueUes du quartier Saint-Jean. A Aix, le Parlement avait donné
1. Anonyme, p. 207-208.
2. Bertulus. Intendance sanitaire Bouche, II, 963.
LA FRONDE EN PROVENCE.
25
un mauvais exemple en fuyant devant le fléau. Il s'était retiré à
Salon, après avoir chargé le baron de Bras et le consul Pelicot
de veiller à la police de la ville. Ce départ avait fait une mau-
vaise impression. Alais voulut profiter de la faute des Parle-
mentaires. Il envoya à Marseille son gendre, le duc de Joyeuse
(13 février 1650), et l'engagea à visiter les malades. Mais on fit
peur à ce jeune homme, dont on redoutait l'influence. Pour se
débarrasser de lui, on parla plus que jamais de l'épidémie, et on
atfecta de transporter le long de son hôtel les cadavres et les ma-
lades*. Les jeunes seigneurs du temps risquaient galamment leur
vie sur les champs de bataille, mais ils ne pratiquaient pas toujours
ce courage civil qui, de nos jours, cloue le fonctionnaire à son poste.
Joyeuse eut peur et s'enfuit. Son départ passa pour une lâcheté.
Les ennemis du comte en profitèrent, et organisèrent contre lui
une vaste insurrection. Le peuple s'empare des postes fortifiés,
chasse de l'hôtel de viUe les consuls nommés par la cour, et
nomme tumultueusement d'autres magistrats municipaux, Félix
de Reinarde, Pierre du Pont, Mazet et Henry de Courtron. En
même temps on envoie des lettres justificatives au roi, et on
s'apprête à la résistance.
Sans Marseille , Alais ne pouvait plus se soutenir qu'avec
peine. Il résolut d'y rentrer à tout prix. Les galères de Marseille
s'étaient réfugiées à Toulon, pour éviter la contagion 2. Il donna
l'ordre à vingt d'entre elles d'aborder aux environs de la viUe,
tandis qu'avec les troupes dont il pourrait disposer il tâcherait
de la surprendre par terre ^. Le plan était bien combiné : mais
les Marseillais étaient sur leurs gardes; il échoua misérablement.
A la nouvelle de la marche du comte (18 mars 1650), les consuls
du Pont, Mazet et de la Reinarde lui adressèrent une lettre fort
respectueuse, dans laquelle, tout en l'assurant de leur obéissance,
ils lui annonçaient qu'ils étaient disposés à ne pas le laisser entrer
dans la ville, car ils craignaient « d'être forcés par la chaleur du
grand peuple qui compose Marseille »^. Alais ne tint nul
compte de ce prudent avis, et, à la tête de 600 hommes, se pré-
senta à la Porte Royale^. 11 fut reçu à coups de canon, et vit
1. Papon, p. 530.
2. Bulletin de la société de Toulon, p. 31.
3. Anonyme, p. 209.
4. Anonyme, p. 213. Bouche, t. II, p. 966.
5. Auj. plaine Saint-Michel.
26 p. GAFFAREL.
tomber près de lui, tué raide, son capitaine des gardes Mathan,
et, dangereusement blessé, son ami de Villages. « Retirons-nous,
dit-il alors, il ne fait pas bon ici. » La surprise était manquée *.
Les Marseillais, exaltés par la victoire, le poursuivirent jus-
qu'à Roquevaire. Durement reçus par les gens du comte, ils se
vengèrent en jetant en prison tous ses amis et les anciens consuls.
Dès lors la grande ville échappait à Alais. Elle se tournait tout
entière du côté des Parlementaires, et le second consul d'Aix,
Pelicot, député pour les féliciter de leur conduite, était reçu avec
enthousiasme. De juillet 1649 à mars 1650, en neuf mois, quels
singuliers revirements! Aix et Marseille étaient jadis en guerre,
et maintenant les deux villes avaient formé une alliance étroite
contre leur ennemi commun.
La cour fut très-embarrassée quand elle apprit ces événements.
Mazarin venait alors de faire un coup d'État contre les princes
en les emprisonnant (janv. 1650), mais il savait que leurs amis
étaient puissants, et il ne voulait pas en augmenter le nombre en
se déclarant contre Alais. D'un autre côté il ne se dissimulait
pas que toutes les sympathies du comte devaient être pour les
princes. Il n'était donc pas fâché de lui donner, sinon une leçon,
au moins un avertissement. Aussi lorsque les députés de Marseille
eurent fait observer au cardinal qu'ils avaient écrit au comte
d' Alais pour le prier de ne pas approcher de Marseille, Mazarin
se décida à leur donner raison. Des lettres patentes de mai 1650
portèrent abolition de tout ce qui s'était passé à Marseille « bien
que notre dit cousin le comte d' Alais fût le plus offensé, et qu'il
eût grand sujet d'en demander la réparation; néantmoins il nous
a écrit en leur faveur, et témoigné désirer que nous ayons
agréable de leur pardonner »^.
Le plan de Mazarin était admirablement conçu. Il avait déjà
réussi à rendre le comte d' Alais impopulaire. Il chercha ensuite
à le mettre dans son tort, à le pousser dans l'iUégalité, afin de
trouver l'occasion tant recherchée de lui enlever son gouverne-
ment. Alais tomba dans le piège. Pour la seconde fois il chercha
à rentrer dans cette viUe rebelle, qui était déjà la vraie tête de la
Provence. Quelques-uns de ses soldats, commandés par un certain
Gaze, s'emparèrent par surprise du fort Notre-Dame de la Garde
1. Pitton, p. 449. Anonyme, p. 215.
2. Bouche, t. II, p. 965.
LA FRONDE EN PROVENCE. 27
qui dominait la ville. Aussitôt Valbelle demanda au Parle-
ment l'autorisation d'assiéger le fort, qui fut lestement enlevé,
malgré les renforts que lui envoya Alaise Les Marseillais
députèrent alors à Paris Antoine de Félix, qui avait mission de
se plaindre du gouverneur, et de demander son rappel.
D'ordinaire on ne tenait nul compte de semblables demandes.
Mais la pétition des Marseillais servait trop bien les intérêts de
Mazarin, pour qu'il laissât échapper une si belle occasion. Seule-
ment il était trop habile pour dévoiler ses secrets desseins : il se
contenta de les laisser entrevoir, par une lettre royale, datée de
Libourne 23 août 1650, en réponse à la députation d'Antoine de
Félix 2. « Nous avons appris que quelques gens, par un dessein
caché, s'estoient emparés par surprise du fort Notre-Dame de la
Garde, et que vous l'avez repris pour le remettre entre nos
mains Nous ne sçaurions que louer et approuver ce que vous
avez fait en ce rencontre Vous asseurons que nous sçaurons
si bien pourvoir à votre repos et conservation par les soins que
nous prenons de calmer la Provence que vous serez bientôt déli-
vrés de toute crainte et appréhension etc. » Cette dépêche était
habilement conçue, en termes fort vagues. Elle ne désignait ni
ne menaçait personne, mais tout le monde était libre de l'inter-
préter à sa guise, et les Marseillais, comme le comte lui-même,
y lurent le prochain rappel du gouverneur.
A ces griefs particuliers des Marseillais contre le comte se
joignaient aussi les griefs des Parlementaires, non pas seulement
à cause de la conduite qu'il avait tenue lors du Semestre, mais
plus encore à cause du grand nombre d'évocations qu'il accordait.
On appelait évocation le droit que le souverain accordait à l'un
des plaideurs de traduire son adversaire devant un autre tribunal
que celui dont la compétence était déjà déterminée par le domi-
cile du défendeur et la nature du litige. Ce droit avait été
accordé aux partisans d'Alais pour cause de suspicion légitime
contre le Parlement de Provence. Seulement Alais en abusa.
Il donnait, à tous ceux qui lui en demandaient, des certi-
ficats pour obtenir des évocations, souvent conçus en termes
fort injurieux pour le Parlement. De la sorte il arrachait à la
juridiction de la cour bon nombre de justiciables. Celle-ci
1. Pitlon, p. 451.
2. Bouche, t. II, p. 966.
28 r. GAFFAREL.
so plaignit amôrcnient de cet alnis qui la ruinait et la
déshonorait. Elle envoya le conseiller Thêroult })()rter à Paris
ses doléances. Voici comment s'exprimait à ce propos le
député d'Aix ' : « Ils sollicitent par promesses et forcent par
menaces des gens de guerre la plupart des communautés et
des particuliers à demander des évocations et une chambre sou-
veraine pour les juger dans la province, sous ce prétexte chari-
table de leur épargner la peine et la dépense d'aller plaider plus
loin : mais véritablement c'est pour affaiblir l'autorité de la cour,
pour en rendre son parti indépendant, pour l'augmenter de tous
ceux qui veulent éviter ou reculer la punition de leurs crimes, et
les mauvais payeurs qui taschent de se desrober à la poursuite de
leurs créanciers, pour remmettre dessus le trône les officiers du
Semestre, et pour rendre les divisions éternelles dans la Province,
afin d'en être le maître plus facilement. »
Alais fit rédiger par un des écrivains anonymes, qu'il paraît
avoir eus à son service, une brochure ^ intitulée : « Très-hwnble
supplication faite à mo7iseigneur le garde des sceaux par
un Provençal qui a servy le roy sous les ordres de Monsieur le
comte d' Alais au dernier mouvement de Provence, demandant les
évocations. » L'emphase l'idicule du morceau prouve que cette
déclamation ne reposait sur rien de sérieux. Est-il vrai par
exemple que 60,000 familles « voient couler de leurs yeux une si
grande abondance de larmes qu'on peut dire librement qu'elles
font un torrent capable d'emporter toutes les difficultés qui s'y
opposent? » Aussi, malgré la protestation d'Alais contre le
Parlement qui « parle et ment », Mazarin, d'ailleurs enchanté de
jouer un nouveau tour au gouverneur, fit rendre un arrêt, du
18 mars 1650, qui limitait le nombre des évocations. Dorénavant
il fallait s'adresser, pour les obtenir, au Conseil et non plus au
gouverneur. On ne pouvait évoquer les procès intentés pour
paiement de sommes au-dessous de 200 livres ; on n'accordait que
trois mois à ceux qui avaient des procès pendants pour obtenir
des évocations ; on cassait toutes celles qui avaient été accordées
parles arrêts du 27 avril, 15 juin et 29 novembre 1649; enfin
l'instruction des procès criminels était réservée au Parlement.
Le coup était rude pour Alais. Il fut profondément blessé de
cette décision ministérielle. La noblesse en fut aussi très-irritée,
l. Bibl. Marseille, Dek. 24, p. 82. — 2. Mazarinade 3825.
LA FRONDE EN PROVENCE. 29
surtout à cause de l'instruction criminelle, qu'on réservait aux
Parlementaires. A l'instigation d'Alais, quelques seigneurs se
réunirent, et rédigèrent une protestation intitulée : « Remon-
trance des évêques, ecclésiastiques, gentilhomme s et com-
munautés de Provence. » Cette pièce portait la signature du
marquis des Arcs, de Gaspard de Vintimille et des députés des
villes de Toulon, Tarascon, Hyères, Brignolles et Lorgnes. Mais
ces nobles s'étaient compromis dans la guerre, et avaient intérêt
à obtenir des évocations, et ces villes étaient celles où dominaient
les partisans du comte. Cette protestation n'exprimait donc que
les sentiments d'une minorité très-restreinte. Aussi fut -elle désa-
vouée, et le Parlement s'en vengea, en envoyant à Paris le con-
seiller de Gallifet, avec mission de se plaindre du comte et de
demander pour la seconde fois son rappel.
Gallifet était jeune, audacieux, plein d'ambition. Peut-être
était-il réellement irrité contre le comte, peut-être ne cherchait-
il que l'occasion défaire du bruit. Toujours est-il que la harangue
qu'il prononça contre Alais est une philippique passionnée qui
eut un grand retentissement. Il débute par des protestations de
fidélité, et énumère, par une habile prétention, tous les crimes du
comte. « Je ne dirai rien des sacrilèges, des incendies et des
cruautés, que ses troupes ont fait treize mois après la paix sous
la faveur de ses ordres. Je ne parlerai pas des arrêts qu'il a cassés
par ses ordonnances, ni de ceux dont il a empêché l'exécution,
ni de la protection qu'il a donnée dans Toulon à tous les criminels
du pays, ni des assassinats commis par ses partisans en la per-
sonne même des principaux magistrats... il me suffira de dire à
y. M. que, par le cahier des plaintes de 3 à 400 villes ou vil-
lages, on a vérifié depuis la paix plus de 2,000,000 de rançon-
.nements publics, par où l'on peut juger facilement des désordres
particuliers. » Gallifet rappelle aussi les scandaleux abus faits
du nom et de l'autorité royale. Il donne au roi de pédantesques
conseils sur l'utilité des bons choix et finit par demander instam-
ment qu'on vienne en aide à la Provence en changeant son gou-
verneur. GaUifet avait été si violent dans l'exposé de ses
plaintes, que Condé, tout indigné de l'audacede cerobin, menaça
publiquement de le faire mourir sous le bâton, pour avoir ainsi
traité son cousin ^ Mais la cour ne pensait pas ainsi. Elle n'était
1. Anquetil, Espril de la Fronde, III, 35.
30 P- r.AFFAREL.
pas tâchée de voir traiter de la sorte un prince du sang. Aussi
le cardinal promit-il sa protection à l'orateur en l'assurant qu'il
allait tout do suite s'occuper des troubles de Provence.
La harangue de Galliiet excita de véritables tempêtes en Pro-
vence. Alais, indigné, pria ses amis de répondre. Une nouvelle
guerre de plume commença. On a conservé quelques pièces de ce
curieux débat, qui s'engageait devant l'opinion publique, à une
époque où, timidement encore, commençait la liberté delà presse.
Un de ces pamphlets est intitulé ^ : « Harangue faite au roy
et à la reine régente, par le sieur Girau, officier de S. M., pour
la réforme du Parlement d'Aix. » Ce Girau attaque surtout
Gallifet : « C'est ce jeune homme, sire, dit-il, qui, se faisant
porter la queue jusques dans votre chambre pour y réciter quel-
ques périodes de ces déclamations qu'il donne au public pour
essay de son éloquence, s'imagine qu'il ravit V. M., et que, par
l'artifice d'une rhétorique où il croit exceller, il est capable de
diffamer le comte d' Alais... Son jeune esprit, éblouy du faux
brillant d'une faveur estrangère, le faisait courir après le fan-
tôme d'une chimérique fortune. » Girau, emporté par la colère,
va jusqu'à lui reprocher son origine, et le prétend issu d'un
Turc : ce qui était alors une bien grave injure. Il cherche aussi
à prouver le néant de ses accusations. Ainsi les quatre cents villes
au nom desquelles il a parlé se réduisaient à cent. « Les cahiers
des plaintes des dictes villes n'existèrent jamais que dans la
cervelle de cet ingénieux député, et, s'il y en a eu quelques-unes
en effet, ce ne sont que pièces fabriquées dans la boutique des
vieux rentiers de sa compagnie, qui abusent de son peu d'expé-
rience, et, le connaissant capable de beaucoup d'emportement,
fournissent à son esprit esvanté de semblables chimères pour
exercer son caprice. »
Montée à un tel diapason, la querelle ne pouvait que s'éter-
niser, d'autant plus que la cour ne décidait rien. Mazarin per-
mettait de tout dire, mais se réservait d3 trancher la question
quand elle serait « à point » ; c'est-à-dire quand elle se résou-
drait en sa faveur. Il donnait à tout le monde de bonnes paroles,
et laissait les deux partis se ruiner mutuellement. « Cette con-
duite ambiguë et indéterminée tenait les esprits en mouvement 2,
1. Mazarinade 1589. Marseille, Dek. 24, p. 140.
2. Anonyme, p. 241.
LA FRONDE EN PROVENCE. Si
et ne servait qu'à faire prendre de fausses mesures à tous ceux
qui n'étaient pas instruits et à former de vains projets pour leur
fortune particulière. »
Les pamphlets continuaient. L'un d'entre eux, encore en
faveur d'Alais S est intitulé : « Les pensées du Provençal
solitaire sur les affaires du temps. » Ce solitaire se répand
en violentes invectives contre Gallifet. Il parle avec amertume
de sa vanité, de ses prétentions à tout connaître et à tout régir.
Il justifie pleinement le comte des reproches qu'on lui adresse,
et s'étend tout au long sur sa magnanimité. Il accuse aussi le
Parlement, entre autres peccadilles, d'avoir introduit la peste en
Provence, et d'avoir voulu brûler les galères de Marseille. Ce
solitaire est encore un partisan déterminé des princes. Il fait de
Condéun éloge emphatique, et s'étonne que le Parlement de Paris
ait suivi l'exemple du Parlement d'Aix. On répondit à cette bro-
chure^ « La response du fidèle Provençal au calomniateur
sur les troubles de Provence » est la contre-partie de la pré-
cédente. L'auteur s'attache à justifier le Parlement de tous les
crimes dont on l'accuse. Il n'a pas grand'peine à démontrer
l'inanité de la plupart de ces accusations, mais, quand il veut
aussi défendre les personnes, ses arguments sont bien faibles.
Sa verve est intarissable toutes les fois qu'il prend à partie
Alais et ses partisans. Il les compare à ces enfants réduits, pour
se défendre, à cracher au nez de leurs adversaires, et montre
combien le Parlem.ent, qu'on accusait de lancer au hasard des
mandats d'amener, avait au contraire raison de traduire à sa
barre des hommes chargés de crimes, tels que Vintimille,
Meaux, etc. Quant à Alais, il lui reproche d'avoir fait pour
quatre millions de dégâts vérifiés, de n'exécuter aucun des ordres
de la justice, et de se préparer ouvertement à la guerre.
Cette dernière accusation était vraie. Alais était sorti de son
calme habituel. L'accusation de concussion l'avait blessé, parce
qu'elle l'attaquait dans son honneur de gentilhomme. Au même
moment le Parlement venait encore de lancer un arrêt contre
lui pour avoir permis à ses créatures de sortir des blés de Pro-
vence, malgré les ordres formels du roi ^, et de s'être enrichi
de la famine publique. Alais s'emporta en paroles grossières
1. Mazarinade 2744. Marseille, Dek. 24, p. 108.
2. Mazarinade 3429. Marseille, Dek. 24, p. 113.
32 P. r.AFFAREL.
contre ses ennemis. Il dit et répéta qu'il ne désirait que la ven-
geance. Aussi ses partisans, autorisés par ses déclarations, se
crurent-ils tout permis contre leurs adversaires. Il n'y eut bien-
tôt plus de sûreté sur les routes. On ne se rencontrait plus qu'à
coups de pistolet. M. de Sessan tue, à Lorgnes, Vitalis, avocat
général à la Cour des Comptes : il est à son tour assailli sur le
chemin de Salon, reçoit plusieurs coups de pistolet, et est jeté
en prison. Le comte ordonne de le délivrer : personne n'obéit, et
il meurt des suites de ses blessures. D'autres Parlementaires sont
assassinés, Melan à Saint-Maximin, Rougier à Pertuis'. Le Par-
lement se venge en condamnant à mort les auteurs présumés du
crime, Meaux et Vintimille. L'exaspération était à son comble.
Il fallait que la cour intervînt à tout prix , à moins d'éterniser
dans le pays une guerre terrible.
Mazarin se décida alors à envoyer secrètement en Provence
Varennes, gentilliomme de la chambre du roi, avec mission
d'étudier la situation, et surtout de sonder les sentiments d'Alais.
Yarenues se rendit en effet à Salon, où le Parlement avait cherché
un asile contre la peste, et à Pertuis où étaient les procureurs du
pays. Dès qu'il se fut convaincu de leurs sentiments royalistes,
et surtout de leurs sympathies ministérielles, il se rendit à Mar-
seille, et y fut témoin d'une de ces scènes dramatiques, qui mon-
trent parfois sous un si beau jour nos populations méridionales.
On venait d'apprendre que l'Espagne avait dirigé contre la ville
un armement formidable. Aussitôt tout le monde avait pris les
armes, et offert ses services au lieutenant de l'amirauté ^.
Varennes comprit qu'une population aussi dévouée, aussi patrio-
tique, ne se révolterait jamais contre le roi. Il se dirigea donc
vers Toulon, où se tenait le comte. Mais celui-ci soupçonnait le
but de son voyage. Il le reçut fort mal ^, s'en fit un ennemi , et le
renvoya presque à Paris.
Varennes avait la confiance du cardinal. Lorsqu'il lui ren-
1. Mazarinade 3816. Supplique du Parlement de Provence au roi.
2. Anonyme, p. 217.
3. Ce qui excitait encore la fureur du comte, c'est que le Parlement venait de
lui iniliger un nouvel affront. Un de ses gendarmes, Senez L'Olive, avait été con-
damné aux galères par le Parlement, et retenu dans la prison d'Aix, parce que
les galères étaient à Toulon, alors tonte dévouée au comte. Alais avait en vain
intercédé pour celui qu'il appelait son martyr, il n'avait pu obtenir son élargis-
sement. De là son irritation.
LA FRONDE EN PROVENCE. 33
dit compte de sa mission *, il lui parla avec éloges de la fidélité du
Parlement et du patriotisme des Marseillais. Au contraire il lui
dépeignit sous les couleurs les plus noires le comte d'Alais, le
représenta comme très attaché au parti des princes, et sur le point
de se déclarer avec eux contre le cardinal. Il n'en fallait pas
tant pour décider ce dernier, d'autant plus qu'Alais était dans
son tort, puisqu'il n'exécutait pas les conditions de la paix de
Saint-Aignan. Le roi, ou plutôt Mazarin, donna donc l'ordre au
comte d'Alais de venir à Paris, pour y donner des explications
sur sa conduite. On se contentait de le rappeler, sans lui ôter
son rang de gouverneur de province, et, en même temps, pour
lui montrer que la cour n'avait pas dans la question de parti pris,
on citait à comparaître le comte de Garces. Les deux chefs mili-
taires s'expliqueraient en présence du gouvernement, et, une fois
qu'on les aurait réconciliés, on les renverrait en Provence.
Tel était le prétexte allégué : mais Mazarin comptait bien
ne jamais permettre au comte de revenir en Provence. Celui-ci le
comprenait sibien qu'il prétexta mille empêchements avantd' obéir.
Quelques gentilshommes, excités par lui, allèrent même à Paris
supplier le roi de laisser Alais dans son gouvernement. « Mais
à ces députés il ne fut répondu autre chose, mais qu'il falloit
obéir au roy ^ ». Comme néanmoins Alais ne se pressait pas,
Mazarin nomma en son lieu et place, pour commander en
son absence, le marquis d'Aiguebonne. Une seconde lettre du
roi, du 18 octobre 1650, ordonnait de ne plus le reconnaître
comme gouverneur, si, au bout de huit jours, il n'était pas
parti. Alais effrayé se décida. Mais il obtint auparavant un
arrêt du conseil, portant défense au Parlement d'entreprendre
aucune affaire contre ses partisans avant quatre mois. Quelques
jours après il apprenait aussi avec satisfaction que, dans une
assemblée des communautés tenue à la Valette près Toulon (nov.
1650), on avait rendu justice à son désintéressement, et on l'avait
complètement lavé du soupçon d'avoir trafiqué de son pouvoir.
Son honneur de gentilhomme restait donc sain et sauf ^.
Alais, malgré ce témoignage honorable, se sentait perdu. Il
se voyait forcé d'accepter la volonté d'un ministre odieux. Un
1. Anonyme, p. 218.
2. Bouche, t. II, p. 966.
3. Anonyme, p. 202-204.
ReV. HiSTOR. V. l^'' FASC.
;iî 1'. r.AFFAREL.
instant il t'ut la tontation d'écouter ses cousins, les Gondé, et de
se jeter lui aussi dans les hasards de la guerre civile. Mais il fal-
lait un caractôiv autrement trempé que le sien, et une tout autre
résolution pour imiter leur exemple. D'ailleurs il était découragé
par ses échecs continuels, et se croyait condamné à ne jamais
réussir. Il prit donc tristement la route de Paris.
Déjà Garces l'y avait précédé. A la première invitation du
roi, il avait obéi sur le champ. Il est vrai que le Parlement lui
avait offert 10,000 livres pour les frais de ce voyage imprévu,
et l'avait assuré de toutes ses sympathies. Garces était parti
sans résistance , car il savait à l'avance qu'il serait bien ac-
cueilli, et reviendrait bientôt. Alais au contraire renonçait avec
peine à sa vice-royauté du midi. Garces laissait derrière lui
de nombreux amis. Les partisans d' Alais étaient rares, fati-
gués par leurs échecs, et ne pouvaient plus se maintenir que par la
guerre civile. La cause d' Alais était donc une cause perdue. Il
ne lui restait plus qu'à subir la loi du vainqueur, et à ses amis
à obtenir de bonnes conditions avant de se soumettre.
II.
Sabreurs et Canivets (21 Décembre 1650 — 9 Novembre 1651).
Le marquis d'Aiguebonne, délégué au gouvernement de Pro-
vence en l'absence du comte d' Alais, était Dauphinois. Il appar-
tenait à une famille honorablement connue en Provence. Mais,
dans les circonstances présentes, il eût fallu un homme d'une
rare énergie pour contenir les factions, et le nouveau comman-
dant semblait au contraire effrayé de la lourde responsabilité
qui pesait sur lui. Dans un poste secondaire il eut fort bien tenu
sa place, car il avait du courage et de l'intelligence : mais, à la
tête d'une province en désordre, il ne pouvait qu'augmenter
l'anarchie. Régusse accuse même * Mazarin de l'avoir choisi en
connaissance de cause, afin de perpétuer les divisions. Ge que
nous savons de la politique du cardinal rendrait cette hypothèse
plausible.
Aiguebonne entra à Aix le 21 décembre 1650. On lui rendit
l. Régusse, 80.
LA FRONDE EN PROVENCE. 35
les honneurs qu'on avait accordés jadis au maréchal de Vitry * .
A la porte Saint-Jean on avait dressé en son honneur un arc de
triomphe avec cette pédantesque inscription :
Quam hona se nostris haec Aqua miscet Aquis !
Malgré ces témoignages empressés, le nouveau commandant ne
resta pas longtemps à Aix. Soit que, par orgueil, il ne voulut point
résider dans une capitale, dont un autre que lui était le gouverneur
titulaire, soit que, par antipathie instinctive pour les mœurs bru-
yantes et le caractère démonstratif des Aixois, ilait cherchéà vivre
loin d'eux, il ne parut plus dans cette ville qu'à de rares inter-
valles. Sa résidence habituelle fut la terre d'Aiguës. Dès lors, les
Aixois, livrés à eux-mêmes, se crurent tout permis; les autres
villes comprirent bien vite que, sous un pareil chef, elles pou-
vaient agir à leur guise ; l'anarchie gagna promptement les
campagnes; la guerre civile continua avec un acharnement
extraordinaire, et les partis, désignés dorénavant sous le nom de
Sabreurs et de Canivets, s'entre-déchirèrent mutuellement.
Quelle est l'origine de ce nom de Sabreurs? Un des députés que
le parlement d' Aix avait envoyés à Paris pour y solliciter le ren-
voi d'Alais, était le baron de Saint-Marc , premier consul d'Aix.
Il accusait de tiédeur les membres du Parlement, et, avec son
emphase méridionale, répétait à tout venant qu'il les sabrerait
tous. De là le nom de Sabreurs qui resta attaché à ce parti. Les
véritables chefs du parti étaient le prince de Gonti, auquel Anne
d'Autriche avait presque promis le gouvernement de la Provence,
et son frère le prince de Condé. L'un et l'autre, pour mieux asseoir
leur autorité future, cherchèrent à se faire des partisans dans le
pays. Saint-Marc était pauvre et intéressé. Dès que Condé lui eut
promis une compagnie de carabins dans son régiment de cavale-
rie, il devint un des plus fermes soutiens des princes ^ Le second
député , Gallifet de Tholonet , se laissa aussi séduire par la
promesse de la première présidence au parlement d'Aix. Vif,
turbulent, ambitieux, il profita de son séjour à Paris « pour
écrire souvent des lettres au Parlement, qui contenaient les avan-
tages de M. le prince, et les faiblesses de la cour^ » Un de ses
1. Bouche, II, 967.
2. Régusse, 75.
3. Id. 77.
3G V- r.AFFAUEL.
émissaires, lîarbeutane , porteur de nombreuses lettres de
créance des princes, s'installa à Aix, et promit monts et merveil-
les en leur nom. Le capitaine des gardes de Conti, Duménil, vint
aussi dans le pays. Il s'arrêta à la Tour d'Embouc, puis à Berre,
et fit savoir qu'il avait de nombreuses connuissions en blanc. Ces
tentatives ne furent pas inutiles, et quelques membres du Parle-
ment eurent le tort de s'engager dans ce parti, et bientôt d'entrer
en révolte ouverte contre l'autorité royale.
Le plus influent de ces parlementaires Sabreurs fut le prési-
dent d'Oppède ; voici comment il fut amené à trahir ses devoirs.
Le premier président de Mesgrigny avait annoncé son désir de
quitter la place. Il s'agissait de lui donner un successeur. Deux
candidats étaient en présence. Tous deux également apparte-
naient à de vieilles familles parlementaires; tous deux étaient
riches, bien posés dans le pays, et paraissaient avoir les mêmes
droits. C'étaient Oppède et Régusse. Le premier, plus impa-
tient ou plus ambitieux, jugea que le meilleur moyen d'arriver à
cette haute position était de vendre son appui à l'un des partis
qui se disputaient le pouvoir. Il fit demander à Conti quelles
étaient ses intentions, et dès qu'il eut appris que le prince lui
sacrifiait non seulement Régusse, mais encore Gallifet, il n'hé-
sita plus, et se mit résolument à la tête des Sabreurs. Sa déci-
sion fut bientôt connue, et donna une singulière force à ce
parti. Il entraîna avec lui l'avocat général de Chasteuil, le pré-
sident la Roque, les conseillers de Boyer, d'Escalis, et d'Autome.
D'abord tout sembla leur réussir. Comme premier gage de leur
alliance avec les princes, ils déterminèrentle Parlement à rendre,
à l'exemple du Parlement de Paris, un arrêt contre Mazarin,
alors exilé volontaire auprès de son ami l'archevêque de Cologne.
De la sorte les deux Parlements de Paris et d'Aix faisaient cause
commune : les Sabreurs, s'unissant aux Frondeurs, entraî-
naient le pays avec eux, et détachaient une nouvelle province de
la cause royale.
Mais les Sabreurs avaient en face d'eux des ennemis détermi-
nés, qui venaient , il est vrai, d'avoir le dessous dans ce
premier engagement , mais semblaient résolus à ne pas
céder de nouveau. On les nommait les Canivets ou taille-
plumes. Ce surnom ironique leur avait été donné par mépris,
parce qu'on les supposait incapables de se servir d'une autre arme
que de leurs canifs à tailler leurs plumes. Le chef du parti
LA FRONDE EX PROVENCE. 37
était Régusse , le rival d'Oppède. Le président de Régusse
s'était toujours prononcé contre les mesures violentes. Forcé par
sa position de se déclarer contre Alais, il s'était rapproché de
lui aussitôt que l'honneur l'avait permis, et avait prêché la con-
ciliation. Le cardinal de Mazarin lui tenait compte de cette sage
conduite, et Régusse était son partisan dévoué. Il lui prouva
la sincérité de son dévouement par des actes, qui paraîtraient
désintéressés, s'ils n'eussent été profondément habiles. Il avait sur
le cardinal de Sainte Cécile une créance de 60,000 francs, à pro-
pos de l'entreprise manquée d'Orbitello. Quand Mazarin fut en
exil à Cologne, les ennemis du ministre tombé proposèrent à
Régusse d'acheter cette créance, afin de s'indemniser sur les biens
que le cardinal possédait en Provence. Or, non seulement il
refusa de réclamer ^ ce qui lui était dû, mais encore offrit au
proscrit sa bourse et son crédit. Il lui rendit un plus grand ser-
vice, en soutenant ses amis de Provence, et en ralliant peu à peu
autour de lui tous ceux qu'effrayait la perspective de longues
guerres civiles. Le lendemain même du jour où Oppède se
croyait assuré du triomphe , après avoir obtenu du Parle-
ment un arrêt contre Mazarin, Régusse lui enlevait les fruits
de sa victoire en provoquant un revirement inattendu. Il
avait effrayé ses collègues sur les conséquences de cet acte
qu'il présenta comme une déclaration de guerre, et, sur ses ins-
tances le Parlement envoya au duc d'Orléans une explication de
son arrêt contre Mazarin ^. Cette manœuvre était habile. Elle
atténuait tout l'effet de la première déclaration. Elle prouvait que
les Canivets, déconcertés un instant, s'étaient vite rassurés, et
se montraient disposés à soutenir l'attaque.
Dès lors en effet les progrès des Canivets sont constants. Leur
nombre, leur importance, leurs ressources augmentent tous les
jours. En vain Oppède, Gallifet, Saint Marc, et les autres chefs
des Sabreurs multipliaient leurs promesses. L'instinct de la léga-
lité, toujours vivace en France, avertissait les Provençaux que
la bonne cause n'était pas de leur côté. On les considéra peu à
peu comme des factieux, on s'éloigna d'eux, on les méprisa.
Duménil, l'agent de Conti, avait d'abord assez bien réussi :
bientôt ses avances devinrent inutiles ^ Il eut beau se rendre
1. Id. 114-115.
2. Papon, p. 535.
3. Anonyme, 258.
:{S p. r.AFFAREL.
;\ Marseille et. promettre h Valbolle, an nom des princes, qu'il lui
accorderait tout ce qu'il demanderait, si Marseille était livrée
aux Sabreurs; Valbelle répondit à ces propositions en en-
voyant h Aix le second consul, Mazenod et offrit aux Canivets
les secours des Marseillais contre leurs ennemis. Duménil décou-
ragé revint alors en Guyenne, où les princes soutenaient la
guerre contre le roi, et ne rougissaient pas d'être à la solde de
l'étranger. Ce départ éclairait la situation. Dès lors les Sabreurs,
qui taisaient cause commune avec les princes, et par conséquent
avec les Espagnols, n'étaient plus seulement des factieux; ils
étaient aussi des ennemis publics. Régusse fut enchanté de ce
départ, qui, du jour au lendemain, doublait les forces de son
parti*.
Mais les Sabreurs n'étaient pas hommes à renoncer aussi faci-
lement à leurs projets. Ruinés dans leur influence politique, ne
pouvant plus espérer réussir par les voies légales, ils voulurent
essayer de la violence. La grande affaire pour eux était de s'em-
parer d'Aix et de Marseille. A Marseille le maître de la situation
était Valbelle. Il n'avait jamais dévié dans ses sentiments de
fidélité au Parlement. Il l'avait soutenu contre Alais, il le sou-
tenait maintenant contre ses nouveaux ennemis : aussi le
Semestre et les Sabreurs le haïssaient-ils cordialement. Pour se
débarrasser de sa gênante opposition, on eut recours à l'assassi-
nat. Un patron pêcheur de la Ciotat lui remit un jour une petite
caisse qui était censée renfermer des raretés du Levant. Par
hasard cette caisse fut déposée sur la balustrade du perron de la
maison. Valbelle l'ouvrit, et voyant aussitôt briller des flam-
mes, il eut la présence d'esprit de jeter la caisse dans la cour, oîi
elle éclata avec un bruit terrible ^ Il en fut quitte pour avoir la
paume de la main et une partie du visage brûlés. Deux person-
nes, alors près de lui, furent légèrement blessées. Cet affreux
attentat excita l'indignation générale. Les Marseillais se dispo-
saient à courir sus à tous ceux qu'on soupçonnait dans la ville
d'appartenir au parti du Semestre ou à celui des Sabreurs. Il fal-
lut que Valbelle se montrât au public, pour arrêter le mouve-
1. Mazarinade, 3164. « Relation envoyée par un gentilhomme de Provence à
un de ses amis de Paris sur ce qui s'est passé en la ville d'Aix au sujet de
quelques factieux qui voulaient causer du désordre, et de Varrêt du Parle-
ment donné contre eux. »
2. 20 septembre, d'après l'anonyme, 27 d'après Bouche.
LA FRONDE Ei\ PROVENCE. 30
ment. On remarqua qu'il avait dit avec sang froid : « Cette
entreprise fera plus de tort à ses auteurs qu'elle ne m'a fait de
mal à moi ^ » En effet, dès ce moment, Marseille resta fidèle à
ses sentiments dévoués pour le Parlement. L'entreprise avait
avorté.
Les Sabreurs ne furent pas plus heureux à Aix. Le 3 sep-
tembre 1651, après une discussion entre Chasteuil et Saint
Marc^ ce dernier se rendait au Palais, suivi de ses adhérents
qui criaient : « Vive le Roi ! vive Monsieur le prince ! » Mais il
ne rassembla pas beaucoup de monde. Il rangea ses hommes
sur la place des Prêcheurs, et attendit les Canivets^ Ceux-
ci n'étaient pas restés inactifs. La dame de Venel, que le
peuple aimait avec passion, depuis qu'elle s'était dévouée à soi-
gner les pestiférés, se présenta une épée à la main, un pistolet
de l'autre, en criant : « Viva lou Rei! Fouero lou Sabro^! »
A cette vue, le peuple excité court aux armes. Les passions s'al-
lument; les cris redoublent. Régusse, Antelmi, Guérin se met-
tent à la tête des ouvriers, et courent à la place des Prêcheurs.
Le régiment de Vendôme, de passage à Aix, leur offre son con-
cours. En un clin d'œil l'hôtel de ville est pris, les postes occupés,
les principales portes gardées, et les Sabreurs forcés de souscrire
un arrangement que leur ménagèrent l'archevêque d'Arles et le
prieur de Grand-Bois. Ils sortirent de la ville, et reçurent une
escorte pour s'éloigner avec sûreté. Régusse, Antelmi et Guérin
commandèrent cette escorte. Eux seuls pouvaient empêcher
tout excès, et faire observer la capitulation.
Les Sabreurs se retirèrent à Toulon, dont la garnison appar-
tenait au comte d'Akis. Ils y attendirent l'occasion de reprendre
la lutte. Les Canivets, fiers de leurs succès, ordonnèrent, après le
départ de leurs ennemis, la levée de plusieurs compagnies bour-
geoises; ils firent murer toutes les portes sauf trois, et en con-
fièrent la garde à des magistrats qui recevaient un mot d'ordre
du plus ancien des présidents, M. de la Roquette. Le roi et
Anne d'Autriche témoignèrent à ce dernier leur satisfaction.
La reine mère s'avança même jusqu'à dire que le Parlement
et la Provence avaient affermi la couronne sur la tête de son
1. Bouche, II, 98.
2. Anonyme, 247.
3. Id. 254.
4. Vive le roi ! Hors la vill« le Sabre.
(lAFPAHKI,.
fils'. En effet la Savoie et l'Espagne se prêj)araient déjh à envahir
la Provence, pour peu qu'elle se fût déclarée pour les princes.
Malgré leur insuccès de Marseille et leur défaite d'Aix, malgré
l'hostilité de la cour, les Sabreurs n'avaient pas renoncé à leurs
projets. Ils trouvèrent un auxiliaire inattendu dans la personne
du marquis d'Aiguebonne. Soit insouciance, soit impuissance,
soit habileté, Aiguebonne ne s'était prononcé jusque là pour
aucun parti. Mais les Sabreurs surent exciter sa jalousie. Le
comte de Carces venait de rentrer à Aix (6 octobre 1651). Per-
sonne ne l'y attendait. Il rassura les Aixois en leur déclarant
qu'il n'avait quitté Paris que par ennui, et qu'il ne désirait plus
qu'une chose, rester tranquille ^. En effet il se contenta dès lors
d'observer la plus stricte neutralité. Mais les Sabreurs représen-
tèrent au marquis d'Aiguebonne combien il était honteux au
lieutenant du roi d'habiter une méchante résidence, tandis
qu'un rebelle recevait à Aix tous les honneurs. Aiguebonne
se laissa prendre à ces perfides insinuations. Il annonça qu'il
rentrerait dans sa capitale à la tête de ses troupes, dont les
Sabreurs exilés s'apprêtèrent à grossir les rangs (9 novembre
1651).
Régusse 3 effrayé supplia le marquis de ne point poursuivre
sa marche : il ne l'assurait pas d'une bonne réception. Aigue-
bonne, qui avait réfléchi aux conséquences de sa détermination,
s'arrêta en effet. Mais, poussé à bout par les railleries des Sa-
breurs, il marcha en avant. Pour la seconde fois Régusse le
supplia de ne pas aller plus loin, et lui rappela sa promesse.
Aiguebonne , qui semblait sur ce point élevé à l'école de
Lysandre et deMazarin, lui répondit « qu'en matière de volonté,
comme de testament, la dernière révoquait la première. » Mais,
s'il avait la duplicité, il n'avait ni le talent ni le bonheur de ses
maîtres en politique. Au moment où il franchissait enfin la porte
de la ville, et écoutait les harangues des corps constitués, quel-
ques gentilhommes firent lever le pont levis, et un coup de pisto-
let partit par hasard. Aiguebonne croit qu'on en veut à sa vie.
Il ordonne à ses soldats de décharger leurs fusils, et s'enfuit,
poursuivi par les huées et les pierres de la populace. A peine hors
1. Pitton, 456.
2. Anonyme, 259.
3. Régusse, 91.
LA FRONDE EN PROVENCE. 4^
de la ville il compose et publie un violent manifeste contre le
Parlement, et s'apprête à recommencer contre Aix le siège qui
avait failli réussir au comte d'Alais. Régusse répondit par un
autre manifeste, et envoya le conseiller de Canet à Paris pour
demander un gouverneur^. La cour, dont la politique était déci-
dément d'éterniser les troubles, répondit d'abord très-sévèrement
à la lettre de Régusse : mais, dans une autre lettre de la reine
mère adressée au président de la Roquette, cette dernière lui
annonçait qu'Alais ne reviendrait jamais en Provence, et qu'on
lui donnerait bientôt un remplaçant.
m.
Union des Sabreurs et du Semestre (9 novembre 1651 —
13 novembre 1652).
Les Canivets triomphaient pour la seconde fois. L'entrée man-
quée d'Aiguebonne à Aix l'avait ridiculisé ; les Sabreurs battus
et chansonnés semblaient perdus. Mais comme ils comptaient
sur le secours des princes, ils résolurent, malgré leur double
échec, de continuer la lutte. L'arrivée de Gallifet vint très à
propos relever leur courage. Gallifet, remplacé à Paris par Vil-
leneuve, s'était enfin décidé à rentrer en Provence, mais il était
tout dévoué au prince de Conti et à Condé, avec lesquels il avait
eu une dernière entrevue à Montrond. Comme il savait que le
Parlement d'Aix désapprouvait sa conduite, il n'osa pas rendre
compte en personne de sa mission, mais s'arrêta dans sa terre du
Tholonet, et, de là, instruisit le Parlement de tout ce qu'il avait
fait à Paris. C'était un manque de procédés. Le Parlement s'en
offensa, et le somma de venir se justifier en personne. Gallifet
refusa. Aussitôt on le décréta de corps, et deux membres de la
cour furent chargés d'exécuter le mandat. Ils auraient bien voulu
s'en dispenser, mais le Parlement déclara « que les magistrats
seraient à l'avenir obligés de vaquer au fait des commissions qui
leur seraient données, à peine d'être privés de leurs gages, sauf
toutefois une légitime excuse ^ » Gallifet, prévenu à temps,
1. Anonyme, 263.
2. Bouche, II, 971.
p. «-.AFFAIIKL.
s'échappa et se rendit à Toulon, où l'attendaient déjà les princi-
paux Sabreurs.
Sur ces entrefaites (fin 1651), on apprit que Mazarin venait
de rentrer en France avec une armée levée à ses frais, et qu'il
avait rejoint la cour à Poitiers. Cette audace du ministre pros-
crit ct)mbla de joie Rêgusse et les Canivets. Ils la célébrèrent
par des épigrammes contre leurs ennemis anciens ou nouveaux ^ :
Le cardinal est à la porte :
Frondeurs, n'êtes-vous pas surpris?
Vous avez mis sa tête à prix,
Et lui-même la vous apporte.
Il est de bien loin revenu
Pour gaigner le prix convenu.
Tenez la récompense prête.
Si vous voulez sauver un corps
Malade dedans et dehors,
Vous avez besoin de sa tête.
Ils condamnèrent même à être publiquement brûlée une bro-
chure qui depuis longtemps circulait dans le pays. C'était une
justification et une apologie du comte d'Alais intitulée : « La
vérité manifestée su?" les nouveaux sujets de division du
Parlement et du comte d'Alais. » Le lendemain de cette exé-
cution (4 janvier 1652), quelques Sabreurs, la Roque, Ségui-
ran, l'abbé d'Oppède et Chasteuil, étaient entrés à Aix, chacun
dans son carrosse, et étaient descendus chez eux. Les précautions
dont ils s'entouraient parurent suspectes. La dame de Venel fit
sonner le tocsin, et les Aixois investirent les maisons désignées
aux cris de fouero Sabruns!'^ qui avaient déjà retenti trois
mois auparavant. Le Parlement s'assembla d'urgence, et décréta
que les nouveaux venus seraient priés de quitter Aix, non qu'ils
fussent coupables, mais pour éviter le tumulte. Tous obéirent,
sauf La Roque, qui attendit qu'on lui eut signifié l'arrêt.
Ce ne furent point les seules humiliations que les Canivets
vainqueurs firent subir à leurs ennemis. Le conseiller de Ville-
neuve était revenu de Paris avec les félicitations de la cour sur
la conduite du Parlement. Il apportait aussi sept lettres de cachet
contre MM. d'Oppède, de La Roque, deGallifet, de Boyer, de Glan-
1. Bouche, II, 973.
2. Hors la ville les Sabreurs I
LA FRONDE EN PROVENCE. 43
devès, d'Escalis, d'Antoine ^ Ces lettres leur furent envoyées par
huissier, comme à de vulgaires criminels. Les Canivets abusaient
de leur victoire. Us allaient pousser à bout leurs adversaires et
attirer contre eux des représailles.
La nouvelle, du retour de Mazarin n'avait pas en effet été
accueillie dans tout le royaume aussi bien que par le Parlement
d'Aix. A Paris, le Parlement avait renouvelé ses arrêts contre
le cardinal. Gaston d'Orléans le déclarait perturbateur du repos
public. Les princes continuaient la guerre civile, et presque tout
le Midi était en leur pouvoir. Le retour du cardinal eut encore
pour conséquence de rapprocher les Sabreurs des Semestres,
ainsi qu'on appelait les partisans du comte d'Alais, et de les
fondre en un seul parti. Ces anciens ennemis avaient également
à se plaindre du Parlement d'Aix. Ils oublièrent leurs griefs
réciproques, et associèrent leurs espérances et leurs- haines. Une
première conférence, à la bastide de la Baume, sur le terroir de
Marseille, fut inutile. Une seconde s'ouvrit à la Roque, près de Bri-
gnolles. Du côté des Semestres, MM. duLuc, deVinsetdePiolenc^;
du côté des Sabreurs, MM. de Séguiran, de Gallifet et d'Oppède
signèrent une sorte d'alliance offensive et défensive, et promirent
de mettre en commun leurs troupes et leurs ressources. Cette assem-
blée avait été tenue du consentement du comte d'Alais, auquel
on avait écrit à ce sujet, et qui annonçait son prochain retour en
Provence (fév. 1652).
Les nouveaux alliés avaient l'intention de reprendre les deux
grandes villes de la province, Aix et Marseille, dont la possession
eût assuré leur triomphe. Ils s'attaquèrent d'abord à Aix. Trois
cents soldats environ du régiment d'Angoulême, auxquels on
avait fait la leçon, sortirent de Toulon sous prétexte de lever des
contributions, se réunirent à quelques Sabreurs qui les atten-
daient, et poussèrent jusqu'à Rians et Yauvenargues, rendez-
vous assigné aux troupes rebelles. Leur projet était de s'emparer
de la ville par surprise. Ils devaient, comme plus tard les troupes
du prince Eugène à Crémone, s'introduire dans la ville par un
égout qui allait du fossé des Cordeliers à la maison d'Oppède ^.
Mais le maçon qui avait promis d'ouvrir le fossé ne fut pas pré-
1. Anonyme, 273.
2. Bouche, II, 975. Anonyme, 374.
3. Régusse, 94.
44 I' r.AKKAREL.
venu k temps. Quelques soldats, effrayés de l'acte qu'ils allaient
commettre, rentrèrent dans la ville, et apprirent la conspiration.
On prit aussitôt toutes les mesures nécessaires pour prévenir le
retour ou la possibilité d'une attaque semblable * . Cette fois encore
la surprise était manquée.
Les Sabreurs et les Semestres essayèrent de se venger de cette
déception par l'assassinat. Deux lettres empoisonnées partirent
de Toulon, l'une adressée à Régusse, l'autre à Decormis. Mais
ils n'en ressentirent l'un et l'autre qu'une légère incommodité
qui se dissipa quelques heures après. « L'ouverture de ces lettres
fit voir une couleur sale et jaunâtre, l'odeur qui en sortit avait
répandu une puanteur insupportable dans le logis; elles furent
jugées empoisonnées par le rapport des médecins »^
Les Sabreurs ne furent pas plus heureux dans une tentative
pour s'emparer de la Sainte-Baume. On connaît la réputation de
cet antique monastère, qui, d'après la tradition, fut le refuge de
Sainte Madeleine. D'énormes richesses y étaient entassées. Une
fois en possession de ce sanctuaire, qui domine la Basse Provence,
on aurait pu ravager impunément tout le pays, et trouver k la
Sainte-Baume une retraite assurée. Un prêtre de la Giotat,
Alègre, résolut de s'en emparer. C'était un libertin, accusé de
plusieurs crimes, et qui n'avait d'un ecclésiastique que l'habit.
Un jour l'évêque de Marseille l'avait rencontré l'épée au côté, et
manifestait son étonnement. « Monseigneur, avait-il répondu,
en montrant son épée, voici saint Pierre, puis tirant un bréviaire
de sa poche, voilà saint Paul ». » Alègre raccola sans peine trois
bandits de sa trempe, mais il commit l'imprudence de commu-
niquer son dessein à un ermite voyageur, qu'il envoya en avant
pour préparer les lieux. Celui-ci, effrayé et honteux du rôle
qu'il jouait, révéla le complot. Aussitôt les moines de la Sainte-
Baume prirent les armes. Les deux premiers brigands qui se
présentèrent furent immédiatement saisis. Quand Alègre, qui
s'était déguisé en femme, frappa à la porte du couvent avec son
prétendu mari, on les prit tous les deux, non sans peine, et on
conduisit les quatre malfaiteurs à Nice. Le prêtre fut pendu, et
des trois autres, deux condamnés aux galères perpétuelles, et le
quatrième à l'exil.
1. Anonyme, 275.
2. Régusse, 95-96.
3. Anonyme, 280.
LA FRONDE EN PROVENCE. 45
Cette affaire fit du bruit dans le pays. A tort ou à raison, on
accusa les Sabreurs d'avoir lancé en avant ce malheureux Alègre.
Les Sabreurs s'en défendirent toujours, mais pendant son procès
et jusqu'à la dernière heure, Alègre espéra qu'il allait être déli-
vré. Il ne nomma jamais, il est vrai, ses futurs libérateurs, mais
tout porte à croire que les Sabreurs, s'ils n'inspirèrent pas ce
projet, au moins eussent été disposés à en profiter.
Les Sabreurs, en effet, se voyaient réduits aux derniers expé-
dients. Ils résolurent de jouer le tout pour le tout, et cherchèrent
à surprendre Marseille (17 janvier 1652). Le marquis de Mari-
gnane ^ réussit à s'emparer de l'hôtel de ville et à y renfermer les
consuls. Mais Valbelle, ce zélé défenseur des libertés munici-
pales, s'empare de la Porte Royale et des postes dominants, et
menace de tout canonner. En même temps il députe à Aix pour
y demander du secours ; M. de Félix, Decormis et quelques autres
Canivets partent aussitôt. On chasse sans peine les Sabreurs, et
Marseille reprend sa tranquillité. Quelques jours plus tard, les
députés des deux villes se réunissaient à Aix (25 février 1652),
et y rédigeaient une lettre qu'ils envoyaient à Paris, pour
demander un gouverneur en remplacement du comte d'Alais qui
était devenu impossible, et du marquis d'Aiguebonne, dont la
nullité n'était un mystère pour personne.
Le résultat du traité de La Roque entre les Sabreurs et les
Semestres avait donc été de précipiter la réaction royaliste. Les
Canivets, devenus les plus chauds partisans de Mazarin, s'adres-
saient directement à la cour pour lui demander un chef, et
paraissaient décidés à lui obéir. Ils donnèrent bientôt une preuve
nouvelle de leurs sentiments royalistes. Condé avait publié un
manifeste contre le cardinal. Gaston d'Orléans et le Parlement
de Paris y avaient joint des lettres plus qu'énergiques. On avait
envoyé le tout au Parlement d'Aix. Mais la cour « délibéra de
ne point ouvrir le paquet qui renfermait toutes les pièces, et de
le renvoyer au roi par un courrier exprès, ce qui fut exécuté » -.
Si donc les Sabreurs et les Semestres avaient cru doubler leurs
forces en s'unissant, les Canivets, de leur côté, en se déclarant
royalistes, avaient singulièrement amélioré leur cause : car ils
représentaient la légalité et leurs adversaires n'étaient que des
1. Anonyme, 237-38.
2. Anonyme, 281.
46 !'• r.AFFAREL.
factieux. La victoire n'était plus douteuse : aussi la cour, heu-
reuse de voir ce différend se terminer à sou avantage, s'empressa
d'accéder aux vœux des Canivets. Elle rappela Aiguebonne, et
lui donna pour successeur un prince du sang, le nouveau neveu
de Mazarin, le duc de Mercœur.
Les Sabreurs et les Semestres, malgré cette nomination qui
anéantissait leurs dernières espérances, ne perdirent pas courage.
Ils écrivirent a Alais pour qu'il vînt prendre le commandement
de ses troupes concentrées à Toulon, et soutenir ses droits par la
force armée. Alais, qui avait promis de revenir en Provence,
ne pouvait pas ne pas le faire sans manquer à l'honneur. Mais
son voyage à Paris l'avait éclairé sur bien des points. D'abord il
avait compris que Mazarin et Anne d'Autriche ne voulaient plus
de lui à aucun prix en Provence. Si donc il persistait dans ses
projets, il se déclarait leur ennemi. D'un autre côté, il avait bien
vite pénétré les secrets desseins de Condé et de son frère Conti.
Condé lui avait même demandé de donner sa démission, et lui
avait offert une magnifique compensation*. Alais riposta en
disant qu'il ne se démettrait qu'en faveur de son gendre, le duc
de Joyeuse. Dès lors abandonné par les princes, sans crédit auprès
de la reine et du cardinal, tout était perdu pour lui. Il le savait.
Il avait même appris qu'on avait adressé des félicitations à Conti
sur son futur gouvernement, et que la cour n'avait pas démenti
ces bruits, .\lais sembla se résigner: mais au moins voulut-il
avoir les honneurs de la guerre, et, puisqu'il s'était engagé à
revenir en Provence, il se décida à rejoindre ses partisans.
Le départ du comte simplifiait la question. Il désobéissait aux
ordres formels du roi, et se révoltait contre lui : on avait donc le
droit de lui reprendre son gouvernement, mais il fallait avant
tout s'assurer de sa personnel Le maréchal de Clérambault fut
donc envoyé à sa poursuite; il l'atteignit à Saint-Benoît-du-
Sault, en Poitou \ Alais était devenu fort gros : il ne pouvait
voyager qu'à petites journées ; peut-être aussi, du moins on l'en
accusa, avait-il averti la cour de son départ. De la sorte il passait
1. Anonyme, 239.
2. Anonyme, 298. Pilton, 452. Régusse, 94. Bouche, U, 980.
3. D'après des nouvelles à la main, en date du 5 juillet 1652, insérées dans la
Bévue rétrospective, t. XX, p. 130, « on eut nouvelle que le duc d'Angoulême
s'en allant en Provence avait été arrêté vers Argentan en Berry, par ordre de
la cour. On a su depuis que ce duc avait été conduit prisonnier à Loches. »
LA FRONDE EN PROVENCE. 47
aux yeux des Provençaux pour n'avoir point failli à ses engage-
ments, et son honneur était mis hors de cause.
Mazarin aurait pu enlever sur-le-champ à Alais son gou-
vernement, car la situation politique s'améliorait singulièrement.
Sauf à Bordeaux où le parti démocratique de l'Ormée préludait
aux scènes de 1792 et 1871 en adoptant le drapeau rouge et en
établissant un tribunal révolutionnaire, partout ailleurs le mou-
vement se dessinait en faveur de la royauté. Le Parlement de
Rennes suspendait les arrêts contre Mazarin ; celui de Toulouse
se soumettait. Montrond en Berry, la citadelle de Condé, se ren-
dait. En Bourgogne il ne restait aux rebelles que Bellegarde.
Néanmoins le cardinal ne voulut pas exaspérer le parti des
princes, en frappant si rudement l'un d'entre eux. Il chercha
donc à obtenir la démission du comte. Alais, par orgueil,
repoussa les offres du cardinal, qui s'adressa alors à la comtesse.
Il la savait avare, et lui fit espérer une grosse indemnité pécu-
niaire. Il gagna aussi à prix d'argent le valet de confiance du
comte, nommé Duval^ Alais céda à ces influences domestiques,
et, moitié par lassitude, moitié par peur, finit par consentir et
donna sa démission. Mais il en devint malade de chagrin et
mourut quelque temps après, le 13 novembre 1653. Guy Patin
fait de lui une singulière oraison funèbre 2. Il prétend qu'il fut
emporté par l'antimoine. « Il n'a été que trois jours malade :
ainsi, par poison chimique, passent les princes en l'autre monde,
mais il n'y a pas de quoi les regretter bien fort, puisqu'ils le
veulent bien. »
En effet la perte du comte d'Alais n'était pas bien regrettable.
Ses partisans seuls, enfermés à Toulon, pouvaient et devaient le
regretter. Le nouveau gouverneur n'avait plus qu'à aplanir les
dernières difficultés, et à terminer cette longue guerre civile.
IV.
Entrée de Mer cœur en Provence (Avril 1652 —
27 août 1652.)
Le duc de Mercœur appartenait à une des premières familles
1. Anonyme, 321.
2. Guy Patin. Lettre à Spon de Lyon, II, 82.
.',S p. GAFFAREL.
du royaume. 11 naquit en 1612 de César de Vendôme et de Fran-
çoise de Lorraine *. C'était un homme de mœurs douces, plein de
bonnes intentions, jaloux du bien public, et qui détestait les
cabales. 11 avait fait la guerre avec succès. En 1630 il assiégeait
et prenait Montmelian, il se faisait remarquer par sa vaillance à
la bataille d'Avein. Lors du siège d'Arras, il avait commandé les
volontaires, et battu le cardinal infant. Aussi la faveur qu'on lui
accorda, en le nommant en 1650 vice-roi de Catalogne, parut-elle
méritée. Mercœur n'avait pourtant aucune ambition. Il se conten-
tait de faire modestement son devoir. Appelé par sa naissance à
jouer un grand rôle, il aurait pu, comme son frère cadet Beaufort,
le roi des halles, se faire un nom dans la Fronde, mais il n'y son-
gea même pas. Personne ne semblait se soucier de ce petit-fils de
Henri IV. Le cardinal Mazarin, qui cherchait à s'abriter der-
rière des noms glorieux, pensa à lui pour lui donner une de ses
nièces, Laure Mancini, qui justement avait été élevée, et fort
bien, par cette dame de VeneP, que nous avons déjà rencontrée
à Aix. Lorsqu'il parla pour la première fois de ce mariage, il n'y
eut pas dans la cour assez de cris d'indignation contre ce par-
venu, qui voulait aUier une de ses nièces au sang royal. Mais il
promettait monts et merveilles ; le vieux duc de Vendôme finit par
donner son consentement « à cause des grands avantages qu'il
espérait de cette alliance pour toute sa maison, qui en avait
besoin ^. » Gaston d'Orléans et le prince de Condé consentirent
aussi à cette mésalliance. Seul, le duc de Beaufort se refusa obsti-
nément à donner sa parole.
On a conser^^é dans les manuscrits de Conrart^ la copie du
contrat de mariage qui se fit au Louvre en présence du roi, de la
reine mère, du duc d'Anjou, d'Anne Martinozzi et de Marie
Mancini, le 29 mars 1651. Le cardinal assurait en dot à sa
nièce 600,000 livres en deniers comptants, et le roi don-
nait aux époux 100,000 livres. Ce mariage fit grand bruit.
Il fut aussitôt attaqué par plusieurs Mazarinades^ Guy
1. Anselme, ouv. cit. I, 200.
2. Âmédée Renée, Nièces de Mazarin, 90-
3. Mémoires d'Ormesson, 1, 745.
4. T. VIII, p. 313.
5. N° 2635. L'outrecuidante présomption du cardinal de Mazarin dans le
mariage de sa nièce.— La réponse de l'antinocier ou le blâme des noces de Mgr
le duc de Mercœur avec la nièce de Mazarin. — 3408. Lettre de M. de Beau-
LA FRONDE EN PROVENCE. 49
Patin s l'enragé Frondeur, ne peut s'en consoler. « Toutes ces
infâmes alliances, écrit-il à Falconet, me font avoir pitié des
princes qui sont si lâches et si peu courageux qu'ils ne dédai-
gnent pas se soumettre à la dive fortune, et, pour un peu de cré-
dit, adorer le veau d'or. »
Mazarin avait fait un bon choix. Son neveu par alliance devint
le plus ferme et le plus fidèle de ses amis, même dans la mauvaise
fortune. Heureux de voir son père amiral et gouverneur de Bre-
tagne, heureux surtout d'avoir épousé une femme charmante, il
ne rougit jamais d'un choix librement consenti. Lorsque, à la
première fuite de Mazarin, on poursuivit ses parents et ses amis,
Mercœur fut cité devant le Parlement, pour y rendre compte de
sa conduite. « Il répondit d'abord, comme l'aurait fait JeanDou-
cet, dont il avait effectivement toutes les manières : à force d'être
harcelé, il s'échauffa si bien qu'il embarrassa cruellement Monsieur
et monsieur le Prince, en soutenant au premier qu'il l'avait solli-
cité trois mois de suite à ce mariage, et au second qu'il y avait
consenti positivement et expressément 2. » Mercœur était donc ce
qu'on appelait un Mazarin prononcé. Lorsque le cardinal revint
en France, il voulut récompenser ce dévouement, d'autant plus
qu'il était sincère et désintéressé. Il songea donc à Mercœur pour
le gouvernement intérimaire de la Provence. Dès qu'on apprit
dans le pays les intentions de la cour, le marquis de Castellane
et madame de Venel travaillèrent les esprits en faveur du duc ;
le Parlement d'Aix se déclara aussi pour lui, et le demanda
formellement. Dès lors Mazarin n'hésita plus à le nommer
(8 avril 1652).
Cette nomination fut très-bien accueillie en Provence, surtout
par la bourgeoisie. La majorité du pays, lasse d'une guerre inter-
minable et sans but, se rallia avec plaisir au nouveau gouver-
neur, ce «Dieu Mercure», ainsi que l'appelaient méchanament ses
ennemis, qui allait être un messager de paix et d'union. La bour-
geoisie avait promptement perdu ses illusions, et renoncé à ses
fort à Mgr le duc de Mercœur son frère, et la réponse. — 1941. Lettre de la
prétendue madame de Mercœur envoyée à M. de Beaufort. — 1238. Entretien
de M. le duc de Vendôme avec M", les ducs de Vendôme et de Beaufort ses
enfants.
1. Guy Patin, II, 519.
2. Retz. Petitot, II, 395.
ReV. HiSTOR. V. le*" FASC. 4
50 P. GAFFAREL.
aspirations d'indépendance. Elle n'avait rien gagné, et pouvait
tout perdre à la continuation des troubles. La catastrophe de
Charles I Stuart l'avait épouvantée. Tous les écrits postérieurs à
la fatale nouvelle marquent une peur servile de toute comparai-
son avec tous les auteurs de cet attentat, « ainsi qu'il arrive
aux gens passionnés qui voient près d'eux les effets effrayants de
passions plus fortes que les leurs'. » D'ailleurs, avec le bon sens
qui lui est naturel, et cet instinct de la grandeur nationale qui ne
l'a jamais abandonné, la bourgeoisie comprenait qu'en continuant
la lutte elle mettait la patrie en danger. Déjà les Espagnols pro-
fitaient de nos désordres intérieurs pour reprendre ce qu'ils
avaient perdu. La Catalogne était reconquise, le Roussillon
menacé, et les soldats de Philippe IV, désormais commandés
par Condé, se massaient à la frontière du nord. Il était temps que
la guerre civile finit, et qu'on s'occupât de l'ennemi extérieur.
Aussi les partisans de Mazarin furent-ils accueillis avec faveur
dans toutes les provinces. Ils virent les bourgeois se grouper
autour d'eux, et les aider à rétablir l'ordre et à comprimer les
dernières résistances. C'est ce qui arriva à Mercœur, dès qu'il
entra en Provence.
Le cardinal avait donné de sages instructions à son neveu.
«< Il lui avait- conseillé de ne rebuter personne, de tâcher de s'ac-
quérir la bienveillance de chacun pour être mieux en état de ter-
miner toutes les divisions par la voie de la douceur et par celle de
la négociation, qui étaient alors l'esprit et la méthode de la cour.»
Mercœur se conforma de point en point à ses excellents conseils.
Il chercha avant tout à s'assurer le Parlement d'Aix. Son pre-
mier soin fut d'envoyer son secrétaire au président de Régusse,
et, dès lors, comme le remarque avec une satisfaction visible le
vaniteux président 3, « il me demanda avis de sa conduite, et ne
se contenta pas de le prendre, mais s'y abandonna. Aussi reçoit-
il tous les jours des marques de ma passion pour son établisse-
ment, et j'en reçois de sa confiance. » Ainsi patronné il ne pouvait
que réussir ; car le Parlement avait conservé une grande influence
sur l'esprit du peuple. Aussi l'auteur anonyme d'une Mazarinade,
1. Henri Martin, XI, 324.
2. Anonyme, 285.
3. Régusse, 98.
LA FRONDE EN PROVENCE. 5i
intitulée « Le courrier Provençal sur l'arrivée du duc de
Mercœur en Provence '■ », s'exprime-t-il non avec sincérité
mais avec dépit, lorsqu'il écrit: «Leszélés de ce Parlement s'estu-
dient à publier partout les bonnes qualités de ce prince, et le
faire estimer du peuple ; ils ont bien de la peine à y réussir : le
bourgeois n'est point Mazarin, et, pour un visage gai qu'on ren-
contre, on en trouve cent de tristes qui appréhendent les malheurs
que cette arrivée doit causer. » Il se trouvait bien à Aix quelques
fanatiques de guerre civile, quelques ennemis acharnés du cardi-
nal qui voyaient avec déplaisir l'arrivée en Provence de son
neveu; mais ils étaient en bien petit nombre, et l'auteur de la
Mazarinade devait être lui-même fort affligé, puisqu'il croyait
tout le monde dans les mêmes dispositions que lui.
Ce qui l'affligeait sans doute, c'est que la noblesse, elle aussi,
se ralliait à Mercœur. Le duc, en passant à Avignon, était allé
rendre visite à Carces- qui avait obtenu de s'y fixer. Cette
prévenance flatteuse avait produit le meilleur effet, d'abord parce
que la noblesse provençale, vaniteuse plus encore qu'orgueilleuse,
se trouva honorée dans la personne d'un de ses représentants par
cet acte de déférence délicate, et en second lieu parce que Mer-
cœur s'annonçait de la sorte comme ayant oublié les événements
passés, et se présentait en Provence avec l'intention de ne trou-
ver dans le pays que des sujets fidèles du roi, et non plus des
Sabreurs et des Canivets. De plus les nobles provençaux
n'étaient pas riches en général, La dernière guerre avait achevé
de les ruiner. Beaucoup d'entre eux se rapprochèrent du duc avec
l'espoir d'obtenir auprès de lui quelque fonction importante. Par
vanité et par intérêt, la noblesse, sauf quelques exceptions bien
rares, prit donc parti dès le début pour le remplaçant du marquis
d'Aiguebonne et du comte d'Alais.
Soutenu par la bourgeoisie, appuyé par la noblesse et le Par-
lement, Mercœur n'avait plus que quelques villes à réduire, et la
Provence était pacifiée. Il se mit tout de suite à l'œuvre, et s'ef-
força de faire rentrer dans le devoir les derniers rebelles.
Les Sabreurs et les Semestres, dont la seule politique était
dorénavant de perpétuer la discorde, et dont les espérances étaient
réduites à néant par l'arrivée de Mercœur, s'apprêtèrent à le
1. Mazarinade, 824.
2. Anonyme, 284.
52 p. GAFFAREL.
mal recevoir. Un instant ils espérèrent que le défaut d'argent
arrêterait le nouveau gouverneur. Mercœur n'avait pas une
grande fortune, et c'était un honneur peu lucratif que celui de
gouverner une importante province. Les frais de représentation,
l'entretien d'un nombreux domestique, et une prodigalité pour
ainsi dire nécessaire, absorbèrent vite de grosses sommes. Heureu-
sement la dot énorme de sa femme et les libéralités du roi suffi-
rent aux premières dépenses, et, dans la suite, Mazarin vint sou-
vent au secours de son neveu. De curieuses lettres de Colbert,
alors sous-intendant du cardinal, en font foi ^ Mercœur ne fut
donc jamais au dépourvu sous le rapport pécuniaire, et l'espoir de
ses ennemis fut en cela déçu.
Les Sabreurs et les Semestres essayèrent aussi de l'intimider.
Lorsqu'il passa à Lyon on cria sur lui au Mazarin, et on tira six
coups de fusil contre le bateau sur lequel il descendait le Rhône.
A Carpentras, où il se rendait pour visiter le cardinal Bichi, un
accident peut-être amené par un crime emporta sa voiture dans un
précipice. A Aix enfin, le jour de son entrée, des querelles de
préséance, soulevées à dessein entre le Parlement et la Cour des
Comptes avec le chapitre de l'église métropolitaine, entre les
huissiers du Parlement et les procureurs du pays, excitèrent
une telle confusion, que le duc ne put se faire voir qu'aux flam-
beaux. Les Sabreurs et les Semestres usèrent aussi de la calom-
nie, mais d'une façon ridicule. Ainsi n'accusèrent-ils pas le duc
de vouloir livrer le pays au Turc ^ ! Ils dépeignaient aussi sous
les plus tristes couleurs les partisans du duc. « Le chevalier de
Janson qui faisait le philosophe, écrivaient-ils, ^, s'est laissé cor-
rompre par cette espérance, et a gaigné son frère au Mazarin
pour une compaignie de chevaux légers qui dévore le pauvre
peuple. Vala voire est assez connu par tant de plaintes qui ont
été faites pai la plupart de nos communautés. Cavet et Beudos
pensent à de nouvelles commissions. Ce sont des lyons qui veil-
lent à leur proie, et qui muguettent quelques coins de la Pro-
vence. »
Mais ces calomnies furent sans portée. Il ne restait plus aux
1. Lettres de Colbert (du 16 sept. 1651, et du 12 juillet 1655) adressées à
Mazarin, insérées dans sa Correspondance, édit. P. Clément, I, 127-236.
2. Mazarinade, 874.
3. Id.
LA FRONDE E.\ PROVENCE. 53
Sabreurs ni aux Semestres que la guerre; ils s'y préparèrent.
La grande ville de Toulon était en leur pouvoir. Tarascon, la
clef du Rhône, la tour d'Embouc, Antibes et Saint-Tropez, ports
secondaires. Saint Maximin, BrignoUes, Sisteron et quelques au-
tres villes ou villages, étaient aussi déclarés pour eux. Mais toutes
ces places allaient être successivement occupées par Mercœur,
Sisteron et la tour d'Embouc ne firent qu'un semblant de résis-
tance. Les commandants de ces places entrèrent tout de suite en
composition. Ils reconnurent le nouveau gouverneur, à condi-
tion ' qu'on payerait à eux et à leurs soldats l'arriéré de leur
solde, et qu'on les indemniserait de leurs pertes.
Saint-Tropez résista plus longtemps. Le gouvernement de cette
ville était la propriété particulière du comte d'Alais. Il avait
nommé commandant de la place un certain Ardenty, qui répon-
dit aux sommations du duc qu'il se défendrait tant qu'une goutte
de sang coulerait dans ses veines. Attaqué par le régiment d'En-
tragues et par les milices du pays commandées par Cogolin et
Ramatuelle, il soutint l'attaque avec bonheur; mais les Toulon-
nais, dont il espérait le secours, ne parvinrent seulement pas à
débarquer. Ardenty, retranché dans le donjon, ne se rendit
qu'à la dernière extrémité, et avec tous les honneurs de la guerre
(27 août 1652). A Saint-Maximin, un certain Desgranges avait
voulu faire soulever la ville en faveur d'Alais. Il fut condamné à
avoir la tête tranchée (18 fév. 1651), mais son exécution n'ar-
rêta pas les troubles : ils avaient surtout pour cause les jalousies
municipales. Chaque parti voulait avoir des magistrats de sa fac-
tion, et ils se chassaient de la ville à tour de rôle. Le refuge des
vaincus était le couvent des Dominicains, qui restaient neutres,
et cherchaient à les pacifier. Ils y réussirent enfin, et la ville se
soumit à Mercœur ^.
Le gouverneur de Tarascon, Lacau, ne reconnut pas sans
résistance le duc de Mercœur. Garces, nommé général par le
duc, avait dirigé contre Tarascon une armée composée surtout
d'Arlésiens qui désiraient se venger sur la garnison de la place
de tous les ravages qu'elle leur avait fait souffrir. La ville se
rendit tout de suite, mais le château ferma ses portes. Il existe
encore : c'est un grand bâtiment carré en pierre de taille , qui
1 . Anonyme, 285.
2. Anonyme, 309.
:i4
r. r.AFFAIlKI-.
peut, résistor au canon. Il commande le Rhône, qui lui sert de
fossé. L'approvisionnement de ce fort est très-facile, et, de plus,
on n'a qu'à traverser le liliône pour entrer en Languedoc. Mer-
cœur voulait à tout prix empêcher ces communications, qui
eussent éternisé la guerre civile. Il pria Carces de pousser
vivement le siège. Ce dernier avait beaucoup à faii-e oublier ; il
cherchait à prouver au duc qu'il était capable de lui rendre un
service. Le siège commença le 10 juin 1652. La cause défendit
jusqu'au 25 du même mois, et il ne capitula que parce que les
munitions commençaient à manquer. La garnison devait sortir
avec les honneurs de la guerre , chaque homme emportant
de ses hardes ce qu'il pouvait charger sur son dos. Le comman-
dant avait de plus le droit de faire sortir une charrette chargép.
Les meubles du comte d'Alais devaient être inventoriés et rendus.
L'aumônier avait le droit d'emporter tous les ornements de la
chapelle*. La garnison se rendit à Toulon, et Mercœur, maître
désormais du cours du Rhône, put prévoir le moment où la Pro-
vence tout entière lui obéirait.
Soumission de Toulon (17 septembre 1650, — 4 sept. 1652).
Toulon devait opposer au gouverneur une plus longue et plus
sérieuse résistance. Dans cette ville s'étaient réfugiés les plus
chauds partisans du comte d'Alais et tous ceux qui s'étaient
compromis par leurs actes ou leur attitude. Ainsi qu'il arrive
souvent, les anciens ennemis s'étaient réconciliés. Les Parle-
mentaires, bannis d'Aix comme chefs des Sabreurs, et les anciens
membres du Semestre, faisaient maintenant cause commune,
rapprochés qu'Us étaient par le malheur. Il y avait encore à
Toulon des gens de guerre, surtout les officiers et soldats du régi-
ment d'Angoulême, trèsen retard pour le payeraentde leursolde, et
déterminés à se payer, au besoin, de leurs propres mains. Aussi
1. Anonyme, 285-288.
2, M. Henry, un de ces modestes savants de province ffiii enrictiissent d'excel-
lentes publications les annuaires des sociétés savantes départementales, a réuni,
en 1855, dans le Bulletin semestriel de la Société des sciences, lettres et arts de
Toulon, un certain nombre de curieux documents, qui nous ont beaucoup servi
pour la rédaction de ce chapitre.
LA FRONDE EN PROVENCE.
la ville de Toulon , remplie par les proscrits et par les déclassés
de la guerre civile, présentait-elle alors le plus singulier des
spectacles. Le comte d'Alais y était fort populaire. Il avait long-
temps résidé dans cette ville, dont il aimait les habitants, et ses
largesses, sa bonhomie lui avaient attiré beaucoup de partisans.
Le conseil de la commune était composé presque entièrement de
ses créatures. Lorsque ce conseil apprit qu'on rappelait le comte
à Paris (17 septembre 1650), il écrivit à la reine mère pour la
supplier de le laisser en Provence ^ Mais la régente leur répondit
que le retour du comte était indispensable (27 septembre 1650).
Elle profita néanmoins de l'occasion pour assurer le conseil et
les Toulonnais de ses bonnes dispositions ^ Les ordres de la cour
furent très mal-reçus : Alais ne se pressait pas d'obéir. Il res-
tait à Toulon; il continuait même à y rendre des ordonnances.
Ainsi, le 19 octobre 1650, il flétrissait la conduite des Parlemen-
taires qui avaient fui devant la peste ^. Le 7 décembre il donnait
à tous ses partisans des lettres d'évocation pour faire juger leurs
procès devant une autre cour que celle d'Aix^. Les Toulonnais,
encouragés par son exemple, commençaient à se départir de leur
antique fidélité. Des troubles éclataient. Les nombreuses délibé-
rations du conseil municipal roulent toujours sur des meurtres
journaliers, des coups de pistolet qui troublent la tranquillité des
nuits. Un jour il est obligé d'intervenir pour renforcer les pa-
trouilles, et protéger MM. de Varennes et de Galibaud envoyés à
Toulon par le gouvernement, ou bien il enjoint sous des peines
très-sévères ^ « à tous cabaretiers et tabaquiers de fermer leurs
cabarets et boutiques après la retraite» (28 novembre 1650.)
Mais il paraît que ces injonctions étaient inutiles, puisque, quel-
ques semaines après (2 janvier 1651) il était obligé de les renou-
veler® « attendu qu'il y a plusieurs habitants mal intentionnés
au service du roy et repos de la ville qui s'attroupent dans icelle,
et tiennent des discours capables d'émouvoir le peuple à sédition,
en sorte qu'il y a grand danger qu'il n'arrive dans la dite ville
quelque désordre. »
1. Bulletin de la Société de Toulon, 32.
2. Id. 35.
3. Id. 39.
4. Id. 43.
5. Id. 41.
6. Id. 43.
S6 I'. C.AFFAREL.
L'agitation prit un caractère inquiétant lorsque Alais se fut
décidé à partir, et que le faible Aiguebonne administra la pro-
vince h sa place. Les privilèges municipaux violés servirent
de prétexte aux rebelles. Par concession du comte Louis II, en
date du 20 juillet 1402, les consuls de Toulon étaient en même
temps gouverneurs de la place. Henri IV avait restreint ce pri-
vilège au seul cas où le gouverneur nommé par lui serait
absent. Or Mazarin avait été nommé gouverneur de la place,
maisilétaiten ce moment exilé. LesToulonnaisdemandèrent auroi
un autre gouverneur ^ Le roi leur répondit en nommant le duc de
"Vendôme, le fils de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, qui
devait être accompagné de son régiment, mais en lui permettant
de se substituer un remplaçant en cas d'absence^. Cette restric-
tion, qui détruisait totalement le privilège du comte Louis II,
irrita fort les consuls auxquels cet honneur revenait de droit, et
qui, désormais, ne le tiendraient plus que du caprice de leur gou-
verneur. Ils protestèrent à l'unanimité, eux et le conseil muni-
cipal, contre cette mesure ^ (18 mai 1651). Le roi répondit par
une contre-lettre du 16 juin 1651 qui confirmait les premières
décisions de la cour ^
Cette atteinte à leurs privilèges, et les excitations furibondes
des partisans du comte d' Alais, dont le nombre augmentait tous
lesjours, exaspérèrent les Toulonnais. Beaucoup de nobles, le reste
du parti des Sabreurs, avaient fait leur entrée dans la ville, et,
comme ils comprenaient parfaitement qu'elle était devenue leur
dernier refuge, ils étaient déterminés à y résister à outrance.
C'est contre eux sans doute que fut alors rédigé un violent pam-
phlet intitulé : « Les bons sentiments de la véritable noblesse
de Provence au roy contre les doléances de la fausse no-
blesse^. » D'après ce pamphlet, «une certaine noblesse contrefaite,
que les Provençaux appellent le bas aloy, s'estant voulu rendre
remarquable, et gaigner par leur servitude le rang que doit don-
ner la naissance et le mérite, s'est précipitée dans les intérêts et
les vengeances de M. le comte d' Alais avec un zèle si indiscret
et une extrémité si extravagante qu'elle a fait consister tout le
1. Bulletin de la Société de Toulon, 46.
1. Id. 47.
3. Id. 48.
4. Id. 50.
5. Marseille, Dek. 24-96.
LA FRONDE EN PROVENCE. o7
service de votre majesté à sacrifier sa patrie. » Ces gentilshommes
et aussi tous les soldats des villes et des forts emportés successi-
vement par les troupes de Mercœur étaient donc réunis à Toulon.
Ils profitèrent de l'exaspération des bourgeois, et les poussèrent à
la révolte, espérant bien que, de la sorte, ils se rendraient indis-
pensables, en confondant leur cause avec celle des Toulonnais.
Bientôt en eSet on passa des menaces aux actes.
Les soldats du régiment de Vendôme avaient été très-mal
reçus. On ne leur épargnait ni les insultes ni les vexations.
Entre eux et les soldats du comte d'Alais des rencontres
avaient lieu presque tous les jours, et rarement ils avaient le
dessus, car la populace se joignait toujours à leurs adversaires.
Ils avaient un jour tiré sur un bateau, où se trouvaient des
laquais à la livrée de la ville, et en avaient tué un. Une émeute
éclate aussitôt contre eux, et le conseil refuse l'entrée de la ville
au régiment de Vendôme (13 mars 1651 ^)
Le roi avait nommé commandant des galères le bailli de For-
bin, grand prieur de Saint-Gilles (21 sept. 1651 2). Un certain
Vaincheguerre, sans doute quelque Sabreur, protesta contre cette
nomination. Il fallut trois lettres du roi (13 oct., 29 nov. 1651,
15 fév. 1652)3 pour que de Forbin prît enfin possession de son
nouveau poste.
Ces attaques étaient encore indirectes ; mais on allait bientôt
passer à la révolte ouverte. La cour, très-habilement, avait
donné l'ordre au régiment d'Angoulême de quitter Toulon et de
s'embarquer pour la Catalogne. De la sorte on se débarrassait
d'un régiment dont la fidélité était suspecte , et cela sans qu'il
pût refuser, puisqu'on le conduisait à l'ennemi. De plus on enle-
vait aux rebelles leur meilleur appui. Le chevalier de Ferrières,
qui commandait huit vaisseaux de guerre et deux brûlots, devait
embarquer ce régiment, et le conduire à Barcelone (15 fév. 1652)^.
Mais les Toulonnais refusèrent obstinément de laisser sortir l'es-
cadre. Les consuls de la ville avaient, il est vrai, seuls le droit de
permettre ou d'empêcher la sortie des vaisseaux de l'Etat, alors
enfermés dans la vieille Darse , dont ils avaient la clef; mais,
1 . Bulletin de la Société de Toulon, 50.
2. Id. 53.
3. Id. 55-60.
4. Id. 60.
58 I'. r.AFFAUEL.
bien entendu, en se conformant aux ordres du roi. Or ces ordres
étaient formels, et les consuls n'obéissaient pas. Quatre lettres
successives (1 mars, 29 mars, 10 avril, 12 avril 1652) furent
envoyées par le roi, pour presser la sortie des vaisseaux, et le ton
de ces lettres est significatifs Le roi ne parle plus de ses senti-
ments bienveillants, il commence à regarder les Toulonnais
comme des rebelles, et rend les consuls responsables de tout refus
ou retard. Il ne veut plus accepter leurs excuses : « Vous aurez
en principale considération, écrit-il, le bien et utilité de notre
service, sans que les animosités particulières vous puissent
retenir de faire ce qui le pourra avancer; car nous ne recevrons
ny raison, ny excuse. »
La résistance, en se prolongeant, devenait dangereuse, et les
Toulonnais paraissaient disposés à la prolonger. La forte position
de leur ville, les ressources de tout genre dont ils disposaient, les
nombreux soldats qui remplissaient les forts, et surtout les exci-
tations des Sabreurs et des Semestres, tout les poussait à ne pas
obéir. En vain MM. de Forbin, de Ferrières, etl'évêque de Soissons,
Chavary, ce dernier spécialement délégué pour cette mission,
engageaient les consuls à ne pas entrer en lutte contre le roi.
Ceux-ci, à aucun prix, ne voulaient laisser sortir les vaisseaux
de la vieille Darse, et donnaient aux envoyés du roi des prétextes
dérisoires (28 avril 1652) ^ Il fallait en finir, carie pays remuait,
et, tant que Toulon ne serait pas rendu, l'autorité du duc de Mer-
cœur ne serait pas sérieusement établie. Les soldats de Vendôme,
qui n'avaient pas encore obtenu leur rentrée dans la ville, mais
qui occupaient la vieille tour, sous le commandement du sieur de
la Lande, le comprirent ainsi. Ils déclarèrent qu'ils regarderaient
et traiteraient les Toulonnais comme des ennemis. Ceux-ci ripos-
tèrent en décrétant d'accusation, comme traîtres au pays, l'an-
cien premier consul Beaussier, et le major de Provins, qui pas-
saient pour dévoués au roi (18 mai 1652) 3.
Mercœur était alors à Marseille, et Régusse à la Ciotat. Le
chevalier de Ferrières, qui avait échoué dans sa tentative pour
secourir Barcelone, était revenu, et mouillait en rade de la
1. Bulletin de la Société de Toulon, 61-62-63.
2. Id. 64.
3. Id. 68.
LA FRONDE EN PROVENCE. o9
Ciotat. Lui et Régusse envoyèrent chercher le duc de Mer-
cœur, et, une fois réunis , les trois chefs royalistes prirent la
résolution de terminer à tout prix la guerre civile en soumettant
Toulon. Ferrières se chargeait de bloquer la ville par mer.
Avec les régiments qu'il ferait venir d" Aix Mercœur l'assiégerait
par terre, et Régusse, qui avait des intelligences dans la place,
y fomenterait la discorde.
On savait en effet que les Toulonnais n'étaient plus très-unis.
De tous ceux qui avaient cherché un refuge dans cette ville, les
Sabreurs étaient seuls déterminés à combattre. Ils disaient à tous
venants que jamais ils ne déposeraient les armes qu'Alais ne
fût rétabli dans son commandement. « Les gens de robe qui
avaient été obligés de quitter l'exercice de leurs charges et leurs
maisons, et qui se voyaient pour ainsi dire méprisés par la
noblesse et par les gens de guerre, soupiraient après leur retour
dans la ville. Les officiers du régiment de Valois S craignant un
même sort, souhaitaient d'être conservés, et semblaient pencher
vers un accommodement, pourvu qu'on assurât leurs appointe-
ments ^. » Quant aux Toulonnais, sauf les propriétaires qui crai-
gnaient le ravage de leurs bastides et la démolition de leurs mai-
sons, si on avait à soutenir un siège, les autres ne demandaient
que la guerre : ceux-ci parce qu'ils s'étaient compromis, ceux-là
parce que l'accumulation des étrangers était pour eux une source
d'abondants revenus ; un grand nombre enfin parce que « aidés
par les galères qui étaient dans leur port, ils faisaient des courses
sur l'ami et l'ennemi qu'ils pillaient également, et surtout contre
les Marseillais, ce qui leur procurait des profits immenses^. »
Ces actes de piraterie étaient même devenus si fréquents que
les Marseillais, lésés dans leur commerce par la prolongation des
hostilités, et, alors comme aujourd'hui, jaloux de toutes les
villes voisines, proposèrent à Mercœur de contribuer aux frais
du siège de Toulon. Le duc aurait certes été dans son droit, s'il
eût voulu profiter de l'empressement haineux des Marseillais ;
mais ses instructions lui recommandaient la douceur. Il s'était
déjà bien trouvé de l'avoir préférée à la force. Il résolut donc,
avant de recourir à la violence, de consulter l'opinion publique,
1. Il s'appelait ainsi, el non plus Angoulêrne, depuis que le comte d'Alais
avait hérité de son père.
2. Anonyme, 188.
3. Id. 290.
60 I'. GAFFA REL.
et. convoqua une assemblée générale des communautés à Aix pour
y délibérer sur la question. Les communautés se réunirent en
effet, et engagèrent les Toulonnais h déposer les armes, en les
assurant des bonnes dispositions de la cour et du duc. Les con-
suls de Toulon leur répondirent par un véritable manifeste, en
douze articles, où ils essayaient de se justifier, mais ne concluaient
rien * (21 juin 1652). Néanmoins les négociations étaient ouver-
tes, et plusieurs, parmi les révoltés, ne cachaient pas leur désir
de rentrer en grâce. Le président Oppède avait pourtant résisté
aux offres de Mercœur, qui promettait de le réintégrer dans sa
charge et ses honneurs ^ : mais beaucoup de ses amis s'étaient
montrés plus accommodants, et les habiles négociations deRégusse
avaient, en général, réussi.
Gagné par les partisans de la paix, le consul d'Apt déclara
que, dans un songe, un ange lui avait ordonné de porter à Tou-
lon des paroles de paix. Le stratagème était grossier, mais il
s'adressait à des personnes qui ne demandaient qu'à être trom-
pées. Aussi, quand une députation des communautés, composée
du chanoine de Minnata, grand vicaire d'Aix, et des consuls de
Sisteron, Grasse, Hyères, Saint-Paul et Antibes, se présenta
à Roqiievaire =^ pour y régler avec les députés de Toulon les con-
ditions de la paix, on n'eut pas de peine à s'entendre sur les pré-
liminaires, que Mercœur s'empressa de ratifier. Une députation
solennelle fut alors envoyée d'Aix à Toulon. Elle était composée
des consuls d' Antibes, Pertuis et Lambesc, et de Bandol, syndic
de la noblesse. Tout 'semblait s'arranger, lorsqu'un incident
imprévu vint encore retarder la paix : Bandol était capitaine
d'une galère alors en rade; il alla la visiter, et, comme il la
trouva fort en désordre, il en fit ses plaintes au comité, qui lui
répondit fort insolemment. Bandol irrité le fit raser et mettre à la
chaîne, mais le comité était marié à Toulon. Au premier bruit
de cette punition, pourtant méritée, les mariniers et le bas peuple
se soulevèrent au cri de « Vivo lou rei! Fouero leis traîtres
de lapatrio » , et la députation revint à grand peine à Aix'*.
Malgré cette émeute, Mercœur, qui reculait encore devant les
mesures de rigueur, envoya à Toulon une nouvelle ambassade.
1. Bulletin de la Société de Toulon, 72-82.
2. Anonyme, 290.
3. D'après Papon la conférence se fit à la Valette.
4. Anonyme, 296.
LA FUOXDE EN PROVENCE. 64
Les Toulonnais de leur côté lui députèrent Oppède, Grimaud,
du Luc et quelques autres, mais les négociations traînèrent en
longueur. Les Toulonnais refusèrent enfin de signer, sous pré-
texte que leurs députés avaient outrepassé leurs pouvoirs, et
Mercœur se décida à donner à ses troupes l'ordre de marcher sur
Toulon.
On était alors au temps des vendanges. Les bourgeois tenaient
à faire leur récolte : ils commençaient à se fatiguer d'une guerre
sans motifs et sans fin. Ils déclarèrent énergiquement qu'ils vou-
laient la paix, et, malgré leur répugnance, les consuls durent la
demander. On se passa du consentement des obstinés, mais on
leur donna les moyens de quitter la ville. Quelques uns d'entre
eux réussirent en effet à s'échapper par mer ; les autres firent
tous leur soumission, et Mercœur put enfin entrer à Toulon.
La paix était honorable pour les deux partis, (4 sept. 1652,
ratification par le roi 10 oct. 1651). Le premier article du traité
confirmait la ville dans tous ses privilèges, y compris celui de nom-
mer les consuls gouverneurs de la place en l'absence du gouver-
neur titulaire ; le second assurait la solde du régiment de Valois ;
le troisième établissait par la ville une sorte de garde nationale
provisoire; le quatrième laissait entrevoir aux membres du
Semestre la possibilité d'être rétabhs dans leurs charges : le cin-
quième et le sixième étaient relatifs à une amnistie générale ; le
septième aux évocations, et le huitième au rétablissement dans
leurs offices de tous les fonctionnaires royaux ^
Ainsi, par son habileté, par ses prudentes concessions, Mer-
cœur était venu à bout de cette dangereuse révolte. Le dernier
foyer de la rébellion était éteint, ses derniers défenseurs disper-
sés. « Ce coup, écrivait Régusse^ acheva de donner le repos
à la province, et affermit le service du roi et l'établissement
de M. le duc de Mercœur. Aussi le courrier qui en apporta la
nouvelle à la cour y fut reçu avec toutes les marques de satisfac-
tion possible. » Bouche 3, un autre historien contemporain,
reconnaît aussi « que les derniers troubles dans cette province
furent terminés par la prudence, bonne conduite et félicité du duc
de Mercœur qui, en moins de quatre mois, unit tous les esprits
1. Bulletin de la Société de Toulon, 9^.-95.
2. Régusse, p. 106.
3. Bouche, II, 982.
(12 r. r.AFFAREL.
ilivisès, appaisa toutes les émeutes, réduisit tous les dévoyés, et
contraignit tous les remuants à l'obéissance du roi sous son gou-
vernement. »
VI.
Fin des troubles (8 mars 1653-1660).
Mercœur avait rendu de grands services à la province. Il mé-
ritait une récompense. Une assemblée des communautés décida
qu'une députation solennelle serait envoyée au roi, pour lui
demander expressément la nomination de Mercœur comme gou-
verneur à titre définitif de la Provence.
Alais venait de donner sa démission. Mazarin, fort aise de
récompenser un des rares seigneurs qui lui fussent restés fidèles,
s'empressa d'accéder au vœu des Provençaux. Mercœur fut donc
nommé gouverneur par arrêt du conseil en date du 8 mars 1653.
Cette nouvelle arriva à Aix le 16 du même mois, et l'arrêt fut
enregistré le lendemain, à la grande joie du Parlement, et aux
acclamations du peuple ^
Mercœur fit son entrée solennelle dans sa capitale le 30 mars.
<.< Tous les jeunes gens de condition, ayant à leur tête le neveu
du cardinal Mancini, couraient les rues habillés en garçons de
cabaret, une serviette sous le bras, une bouteille d'une main,
plusieurs verres de l'autre, et donnant à boire au son des tam-
bours et des trompettes qui les précédaient ^ » Le soir la joie pu-
blique se manifesta par des illuminations et des feux de joie. Les
dames alors sortirent de leurs maisons, « elles coururent les rues
en formant une branle, qui était la danse la plus propre à expri-
mer leur allégresse. » Mais ce qui mit le comble à la joie, ce fut,
le lendemain 31 mars, la publication d'une amnistie générale
pour tous les crimes ou délits, commis depuis le 8 août 1649 jus-
qu'à ce jour^. Une seule exception était faite à propos de l'atten-
tat contre ValbeUe et sa famille.
Ces lettres d'amnistie étaient rédigées depuis longtemps. Le
1. Mazarinade, 4006. Vérité toute nue au peuple de Provence.
2. Papon, IV, 550. Pitton, 460.
3. Bouche, II, 984.
LA FROTOE EN PROVENCE. 63
procureur général, Gautier, les avait présentées à la cour dès
le 17 octobre 1652; mais on avait refusé de les enregistrer sous
divers prétextes de procédure. Trois partis s'étaient formés à ce
sujet dans le Parlement. Le premier et le plus nombreux s'oppo-
sait à l'amnistie : il était formé par les anciens Ganivets, et avait
à sa tête Régusse, qui ambitionnait la place de premier pré-
sident, et ne voulait pas que son rival Oppède, dont il connais-
sait l'influence et les prétentions, pût rentrer en grâce. Les amis
d'Oppède au contraire, et tous ceux qui jadis penchaient
du côté des Sabreurs s'étaient prononcés pour les mesures de
clémence. Enfin les neutres se seraient joints volontiers aux par-
tisans d'Oppède ; mais Mercœur ne cachait pas ses sympathies
pour Régusse, et ils restaient fort indécis. Néanmoins l'opi-
nion publique se prononça tellement en faveur des mesures de
clémence, que les Ganivets durent renoncer à leur opposition,
sous peine de paraître sacrifier le bien public à leurs rancunes.
Les lettres d'amnistie furent donc publiées.
De toutes les victimes de la guerre civile, ceux qui particuliè-
rement n'avaient pas à se féliciter d'avoir voulu jouer un rôle
politique, étaient les anciens officiers du Parlement Semestre.
Ils avaient acheté très-cher leurs charges ; ils avaient, pour se
soutenir dans leur rang, supporté de lourdes dépenses, et ils se
trouvaient dépouillés à la fois de leur argent et de leurs honneurs.
Abreuvés d'humiliations et d'avanies tant qu'ils avaient siégé,
persécutés en même temps que leur protecteur le comte d'Alais,
réduits à le suivre de garnison en garnison, ils avaient fini par
devenir des rebelles déclarés. Il n'était que juste, puisque malgré
tant de promesses et d'engagements on supprimait leur charge,
qu'ils fussent au moins indemnisés de l'argent qu'ils avaient
perdu. Les Parlementaires l'avaient reconnu, mais à condition
pourtant que la province leur viendrait en aide pour ce rembour-
sement. Or les procureurs du pays refusaient de signer tout man-
dat d'indemnité, Ge ne fut qu'en 1657, à l'assemblée des commu-
nautés d'Aubagne, que la province consentit à fournir 50,000
écus, et que la cour s'engagea à donner le reste. Encore les
Semestres ne rentraient-ils que dans leur capital; on ne leur
restituait ni les intérêts de ce capital pendant dix années, ni les
frais de tout genre qu'ils avaient supportés. Le plus maltraité fut
encore le partisan des offices, qui n'obtint rien malgré tous ses
mémoires. Seul Gauffi^idy ne perdait pas grand chose, s'il est
64 r. GAFFAREL.
vrai, comme on le préteiuiit, qu'il eût été le partisan secret des
offices. D'ailleurs, par arrêt du conseil en date du 8 mai 1655, il
devait, sa vie durant, toucher une pension de 2200 livres, et
recevoir par an dix mesures de sel *.
En apparence le Parlement triomphait, puisqu'il avait réussi à
faire supprimer la Chambre des requêtes et le Semestre. En réa-
lité il avait beaucoup perdu. Le peuple avait appris à mépriser
ces magistrats, qui soutenaient leurs privilèges plutôt que les
libertés provinciales. Des inimitiés particulières s'étaient enga-
gées, très préjudiciables à l'honneurde la compagnie. On avaitfait
beaucoup de bruit pour arriver à de bien minces résultats. Bien-
tôt le jeune Louis XIV, entrant au Parlement de Paris, décla-
rera hautement que dorénavant ses ordres seront exécutés
sans discussion. Les Parlementaires de Paris ne sauront que
se taire, et leur prudent silence sera imité par tous leurs col-
lègues de province.
En Provence néanmoins, à cause de l'impétuosité nationale et
de ce sentiment d'indépendance fanfaronne qui distingue encore
les Provençaux de nos jours, la Fronde ne finit pas de suite après
la soumission de Toulon, et la proclamation de l'amnistie. Un
pays, agité pendant de longues années parla guerre civile, ne se
calme pas subitement, du jour au lendemain. Un historien con-
temporain, M. Feillet, dans le beau livre qu'il a consacré à la
navrante peinture de la misère pendant la Fronde, a prouvé que
la guerre civile n'avait nullement cessé après le retour de Maza-
rin à Paris. De même en Provence il y eut encore quelques désor-
dres, mais sans gravité, surtout à Draguignan. C!e furent comme
les dernières lueurs de l'incendie.
Draguignan, fidèle à ses armes, un dragon avec cette devise :
Alios nuttHsco, meos devoro, avait conservé les habitudes des
villes italiennes du moyen âge. C'était une sorte de petite répu-
blique avec ses Guelfes et ses Gibelins. De fréquentes querelles,
de véritables guerres civiles ensanglantaient souvent ses rues
étroites, bordées de maisons crénelées, comme dans la Florence
de Dante. A l'époque de la Fronde, et très-probablement ^ pour
1, Anonyme, 333. Gauifridy mourut en 1684.
2. L'Anonyme (314) écrit qu'il n'a pu que débrouiller avec peine les événe-
ments confus dont Draguignan fut le théâtre, et qu'il a inutilement consulté les
traditions locales et les mémoires particuliers.
LA FRONDE EN PROVENCE. 65
des causes toutes locales, deux partis se formèrent. L'un d'entre
eux, celui du Sabre, comptait dans ses rangs presque toute la
noblesse; l'autre, celui de l'Industrie, était composé parles bour-
geois et les artisans. « Ils se poussaient tour à tour, et les plus
forts obligeaient leurs adversaires de sortir de la ville, lesquels
faisaient après tous leurs efforts pour tâcher d'y rentrer, et ils
employaient pour cet effet l'adresse et même la force, et, dans
ces occasions et ces attaques, il y avait souvent du sang répandu.
Quand ceux qui étaient dehors ne pouvaient parvenir à rentrer
dans la viUe par ces moyens, ils ravageaient le terrain et surtout
les domaines de leurs adversaires ^ »
Peu à peu ce qui restait des deux factions se concentra dans
la ville, et la lutte prit un caractère d'autant plus violent que les
exaltés des partis opposés se savaient sur leur dernier champ de
bataille, et voulaient terminer leur querelle en s' exterminant.
En mars 1652, les Sabreurs, qui avaient le dessous, tentèrent
une surprise de nuit, mais ils furent repoussés : ils tinrent alors
la campagne, empêchant la culture et ruinant le commerce ^
Le parti de l'Industrie jura de se venger. Lorsque les Sabreurs
voulurent profiter de l'amnistie d'octobre 1651, ils trouvèrent
les portes de la ville fermées. Ils essayèrent d'user de leur droit,
mais n'y parvinrent qu'après de furieuses résistances. Mercœur
fut obligé d'envoyer des troupes à Draguignan, et fit jurer aux
deux partis de rester en paix (nov. 1652).
L'ordre n'était qu'apparent. De part et d'autre on avait trop à
se reprocher pour si vite oublier. Au mois de février 1653 éclata
une émeute terrible. Ce fut une vraie bataille des rues. Les deux
partis se fusillaient à bout portant. Ceux du même parti avaient
percé leurs maisons pour se soutenir les uns les autres, et com-
muniquer leurs vivres comme dans une ville assiégée. Ils
avaient même blindé leurs fenêtres avec des matelas, et ne tiraient
qu'à coup sûr par des meurtrières pratiquées dans la muraille.
Mercœur était alors malade à Toulon. Il envoya à Draguignan
six de ses gardes avec un de leurs capitaines, et donna l'ordre
aux troupes campées à Riez et à Saint-Maximin de se rapprocher.
Garces fut en même temps délégué pour tâcher d'opérer une
réconciliation. De concert avec Robert, doyen de l'église, et tous
1. Id. 310.
1. Bouche, II, 976. Papon, 536.
ReV. HiSTOR. V. !«'• FASC.
6B P. GAFFAREL.
les citoyens modérés, qui déploraient un tel aveuglement, il
obtint en effet que les deux partis déposeraient les armes et
oublieraient leurs dissentiments. Une procession générale sanc-
tionna cette paix. Mais les passions surexcitées, surtout dans
le midi , ne s'éteignent que faute d'aliments , et les partis
ennemis, tant qu'ils se voyaient en face l'un de l'autre, ne
pouvaient oublier qu'un fleuve de sang les séparait. En 1657 ^
les Dracénois s'avisèrent d'un bon expédient , le partage
du consulat entre les deux factions. Mercœur y consentit :
mais, dès l'année suivante, le parti des Sabreurs l'emportait et
abusait de sa victoire, malgré l'intervention du Parlement.
« L'impunité et l'insolence dans cette désolée ville s'accrut jus-
qu'à un tel point que, l'année suivante, ces Sabreurs ne se purent
souffrir, et, par les grands meurtres qui y arrivèrent, donnèrent
occasion à la justice d'y appeler un très-salutaire et dernier
remède ^ »
La peur d'une sévère répression de la part de Mercœur, et la
solennité des engagements pris de part et d'autre suspendirent
les hostilités. Mais, en juin 1659, le parti de l'Industrie courut
aux armes, et égorgea quelques Sabreurs. Le premier consul et
son fils ne purent trouver de refuge que dans le couvent de Saint-
François. Cette fois le scandale avait été public, et la violation
des lois flagrante. Le Parlement envoya donc à Draguignan une
commission extraordinaire composée du président la Roque, des
conseillers de Valbelle et d'Albret, et du procureur général
Gautier. Ces commissaires firent arrêter quelques coupables,
qu'on amena à Aix, et qui y furent jugés le 10 août de la même
année. L'un d'entre eux, Laurent Malespine, subit la torture,
fut condamné à être pendu et exécuté à Draguignan. Saint-Aubri
fut condamné aux galères perpétuelles; Joseph Guscquet aux
galères pendant dix ans; Mati, Gaussar, Pierre de Vaucrone et
cent autres prévenus à la même peine, mais par contumace.
Enfin, pour montrer aux Dracénois qu'on était bien résolu à ter-
miner la guerre civile, la juridiction de leur ville fut transférée
à Lorgnes. En souvenir du jugement, la porte des Cordeliers
devait être abattue, ainsi que la tour de l'Horloge, qui avait servi
de refuge aux mutins, et dont on se servait pour sonner le tocsin.
1. Bouche, 11,997.
2. Id. p. 1003.
LA FRONDE E\ PROVENCE. 67
Mais la dernière de ces prescriptions ne fut jamais exécutée, puis-
que cette tour existe encore.
Malgré la gravité de ces châtiments, les Dracénois ne renoncè-
rent pas encore à leurs guerres civiles. Pendant la nuit du 20
septembre 1659 quelques-uns des exilés escaladèrent la muraille,
tuèrent ou blessèrent à mort le premier consul, qu'ils accusaient
d'être l'auteur de leur disgrâce, et quelques-uns de ses partisans,
et répandirent la terreur dans la ville. Il fallut encore y envoyer
des troupes pour empêcher une nouvelle surprise. La violence
n'avait amené aucun résultat : la douceur calma tout. Le
gouverneur, profitant du voyage de Louis XIV * en Provence
(1660), accorda une amnistie générale en faveur des contumaces,
et rendit la liberté à ceux qui étaient aux galères.
Cet acte de politique habile produisit la meilleure impression.
D'ailleurs on était bien éloigné des événements qui avaient été la
cause première de ces massacres : de ceux qui y avaient pris
part, les uns étaient morts, les autres n'étaient plus jeunes et
n'éprouvaient plus que la sceptique résignation du dégoût. Une
génération nouvelle s'avançait oublieuse du passé, confiante dans
l'avenir ; elle saluait avec enthousiasme dans Louis XIV un roi
jeune et plein d'espérances. Bientôt eUe n'aura qu'une passion,
celle de plaire au souverain. Une fois de plus les orages de la
liberté amèneront le calme du despotisme, et les dernières résis-
tances provinciales seront brisées par l'énergique volonté du roi
dont le programme politique a été résumé en la courte et impé-
rieuse formule : UEtat c'est moi.
Paul Gaffarel.
1. Par un singulier hasard ce fut à Aix, le 28 janvier 1660, ({ue s'humilia le
grand rebelle, Condé, devant le jeune Louis et son tout-puissant ministre.
Curieux détails de l'entrevue dans les Mémoires de Moniglat, édit. Petitot,
t. 5Lp. 97.
MÉLANGES ET DOCUMENTS
LE B. HUGUES DE PISE
ARCHEVÊQUE DE NICOSIE.
La Notice suivante n'offre qu'une série un peu aride de notions et
de faits classés et vérifiés sur les sources les plus certaines, en
grande partie nouvelles. Nous espérons néanmoins, qu'à l'utilité
technique qu'elle peut avoir, s'ajoutera quelque intérêt en raison
du personnage éminent qu'elle concerne.
Doyen de la cathédrale de Rouen et associé d'abord à la croisade
de saint Louis, Hugues, à peine arrivé en Chypre, se retire dans une
abbaye de Prémontré fondée près de Gérines où il aurait voulu finir
ses jours. La notoriété de son mérite et de ses vertus l'en fait sortir
et le met à la tête de l'église de Chypre, où de grandes diffi-
cultés l'attendaient. Cette haute situation n'était pas au-dessus de
son mérite-, peut-être y eût-il fallu cependant un esprit moins absolu
et plus disposé aux ménagements que nécessitait la transition dans
le domaine religieux de la vieille suprématie grecque à la suprématie
latine. Sévère pour lui-même et pour les autres, Hugues ne se con-
tenta pas de défendre impérieusement l'unité catholique; il voulut
l'immédiate et générale prédominance de l'autorité, de la juridiction
et des formes de l'Église latine et il n'accepta qu'à regret les tempé-
raments accordés aux Grecs et aux autres rites dissidents par les
rois de Chypre et par le Saint-Siège lui-même. Après une vigilante
administration dont il nous reste de nombreux témoignages dans
les actes des conciles et dans le cartulaire de Sainte-Sophie de
Nicosie', fatigué de ses luttes avec l'autorité laïque, il revient à ses
idées de retraite, et se retire aux environs de Pise, où il fonde dans
la vallée de Galci la Chartreuse d'Episcopia, ou de Nicosia, ainsi
t. Le carlulaire de Sainte- Sophie de Nicosie, et les documents mêmes des
archives de la Chartreuse d'Episcopia, dont M. Clément Lupi, archiviste-adjoint
de Pise, a fort obligeamment mis les résultais à ma disposition.
LE B. HUGUES DE PISE. 69
nommée en souvenir de son église et de son premier monastère
avec lesquels il conserva toujours des rapports d'intérêt et d'affection.
Après une vie de dévouement qui se répandit en bonnes œuvres
dans la Toscane entière, il mourut dans sa chère vallée, honoré du
titre de bienfaiteur de la ville de Pise, bientôt béatifié par la vénéra-
tion publique, et ayant conservé positivement jusqu'à sa mort le titre
d'archevêque de Chypre, ce que n'admettent ni Le Quien, ni les
savants auteurs de la Biographie des illustres Pisans.
Tel fut l'ensemble de sa vie; en voici l'exposé succinct et chrono-
logique.
Hugues que l'on a nommé Hugues de Fagiano, Hugues de Pise, ou
Hugues Pisan, naquit dans une famille de pauvres paysans au village
de Fagiano, près de Pise, à la fin du xii*^ siècle ^ . Des personnes cha-
ritables, ayant remarqué dans cet enfant une rare intelligence, le firent
instruire et l'envoyèrent à l'université de Bologne, puis à Rome. A^ers
^234, il était avocat à la curie de Rome. Passé en France, il devint
doyen du chapitre métropolitain de Rouen ^, et non de Reims comme
il a été dit ailleurs, par erreur^.
Au mois d'août i247, il était encore à Rouen-, il reçut alors, en
cette ville, comme doyen du chapitre et pendant la vacance du siège
archiépiscopal, la visite d'un abbé du Bec, nouvellement nommé"*. Les
chroniques de Normandie ont conservé le souvenir du soin qu'avait le
doyen Hugues de rechercher pour les attacher au chœur de son église
les clercs doués d'une belle voix^ et la mention d'une fondation de
20 sous constituée au profit des clercs du chœur de la cathédrale, à
la charge par eux de faire célébrer annuellement une messe du Saint-
Esprit, à son intention, le 5 janvier^.
En ^1248, Hugues partit pour l'Orient à la suite de saint Louis,
qui, au dire de ses biographes, avait remarqué son mérite; il arriva
en Chypre avec l'armée croisée. H ne suivit pas le roi de France en
Egypte. Réalisant vraisemblablement alors un dessein arrêté depuis
quelque temps dans sa pensée, il se fixa en Chypre, et prit l'habit
des chanoines réguliers de Saint-Augustin, au monastère de Lapcds,
1. Memorie istoriche di più uomini illusiri pisani, par une association d'éru-
dits. Pise, in-4'', 1792, p. 91-117. Notice de Mattei, auteur de l'Histoire de
l'église de Pise.
2. Matlei, 3Iem., p. 93.
3. Notre Hist. de Chypre, t. I, p. 355.
4. Gallia christ., t XI, col. 232. D. Bouquet, Rec. des Hist., t. XXIII,
p. 454 f.
5. Rec. des Hist. de France, t. XXIII, p. 376 f.
6. Hist. de Fr., t. XXIII, p. 358 b.
70 MIÎLANfiES KT DOCUMKMS.
dit aussi Episcopia, ou Piscopla, dans les montagnes de Cérines, au
diocèse de Nicosie. Les Chvprioles, comme les clrangcrs, ont donné à
ce beau monastère des noms bien divers, et il n'est pas inutile de les
rappeler pour aider à le reconnaître dans les écrits et les documents
anciens et modernes, sous cette variété de dénominations. On l'a
appelé le Prémontré, et VAbbaije Blanche, en raison de la règle et
du costume adoptés depuis par ses religieux-, couvent de Cazzafani,
à cause du village de ce nom dont il est voisin-, enfin couvent de
Dello pais ou de Bellapaese, par corruption du mot de Lapais et
par l'influence évidente du splendide pays au milieu duquel il est
situé ' .
L'archevêque de Pise, Frédéric Visconti, qui fut le protecteur et
l'ami de Hugues de Fagiano, rappelle en ces termes son entrée au
couvent de Lapais dans le (U'^ de ses sermons, dont le ms. se conserve
à la Bibliothèque Saint-Laurent à Florence : « Gupiens perfectus esse,
« vendidit omnia et dédit pauperibus, ut nudus Ghristum nudum
« sequeretur-, intravit in religionem ordinis Beati Augustini, quœ
« vocatur Episcopia, in insula Gypri-. »
Il semble que Hugues de Fagiano fut déjà en relation avec les reli-
gieux de Lapaïs dès le temps où il se trouvait en Europe et avant
l Les Européens ne connaissent pas cette magnifique partie de l'île de Chypre
qui s'étend en vue de la mer de Caramanie, au delà des montagnes de Samt-
Hilarion depuis le cap Saint-André jusqu'à l'Âcamas. Les dessins de Cassas
peuvent en donner une idée. C'est un des plus beaux paysages de l'Orient, et
s'il se trouvait sur les bords méridionaux de l'île de Chypre, plus connus des
voyageurs, leur réputation dépasserait le bassin de la Méditerranée. Les superbes
ruines du monastère de Lapaïs reconstruit au xiv= siècle par Hugues IV de
Lusignan sont situées près du village grec de Kazzaphani. Je les ai visitées en
1847 elles étaient à peu près telles que Cassas les avait dessinées en I/80. Mais
les paysans de Kazzaphani en ont récemment détruit une grande partie pour repa-
rer leurs maisons. M. le comte de Vogiié a donné à la dernière Exposition géogra-
phique de Paris en 1875 (Catalogue, p. 389), des plans et des vues de Lapais
d'une admirable exécution. - Les planches de Cassas relatives à Lapais sont inti-
tulées ■ Vues et ruines du monastère de Cazzafani dans Visle de Cypre, en
raison de leur voisinage du village de ce nom. Le nom du monastère a subi une
nouvelle déformation dans la reproduction, d'ailleurs fidèle, des planches de
Cassas par l'artiste qu'a employé M. Lacroix {Iles de la Grèce, Didot), ou les
belles constructions de Lapaïs deviennent les Ruines du monastcre Casa-
Famien. La vue du monastère de La Puys dans Le Bruyn (Delft 1700. PI. 198,
p 380), comme la mauvaise planche de Drummond de la prétendue Grande
Commanderie de Chypre {Description of East, p. 272), concernent, non pas a
Grande Commanderie, qui était à 20 lieues de là au village de Kolossi, près de
Paphos, mais bien notre Lapaïs ou Episcopia, près de Cérinei.
2. Mattei, loc. cit. Mattei se trompe au sujet d'Episcopia, qu'il croit avoir ete
un monastère de la ville même de Nicosie.
LE B. HUGUES DE PISE. 71
qu'il ne vint se fixer au milieu d'eux, pour renoncer au monde. Lors-
que les événements le forcèrent à sortir du cloître et rélevèrent au
siège de Nicosie, il ne cessa de leur porter une grande affection et
de les considérer comme des frères. C'est peut-être à l'époque de son
séjour dans ce beau monastère de la mer de Caramanie, si favorable
aux paisibles études, et avant son élection à l'archevêché de Chypre,
que l'on doit rapporter une recommandation intéressante, encore
lisible à la fin d'un manuscrit de la Bibliothèque nationale de Paris,
qui fut sa propriété ^ Le ms. renferme la somme théologique de
Guillaume d'Auxerre. Un ami de l'ancien doyen de Rouen, resté en
France, semble avoir écrit cette note au bas du dernier feuillet, pour
que le ms. lui fût envoyé en Chypre à une occasion favorable , avec
quelques autres livres qui lui appartenaient : « Iste liber est magistri
« Hugonis Pisani , quondam decani Rothomagensis, et débet mitti
« apud Ciprum, in abbatiam que vocatur Episcopia, inter sum-
« mas... » Silems. eût été transporté en Orient, il eût probable-
ment péri; quoiqu'il n'ait pas grande valeur, il est permis de se
féliciter aujourd'hui du hasard ou de la négligence qui l'a fait oublier
en France.
On ignore l'époque et les circonstances dans lesquelles le choix du
chapitre de Nicosie vint chercher Hugues de Pise dans sa retraite et
l'appela au siège archiépiscopal. Il est probable que son élection
suivit de près l'époque oi^i l'on connut en Chypre le décès de l'arche-
vêque Eustorge, mort en Egypte, le 28 avril 1250; et il est tout à
fait certain qu'il fut le successeur immédiat de ce prélat.
Le 9 avril 1251 , dimanche des Rameaux, Hugues était seulement
élu et consacré, mais non encore intronisé archevêque, ses lettres de
confirmation ne lui étant vraisemblablement pas alors parvenues.
Cela résulte de la mention suivante inscrite au bas d'une constitution
apostolique sur les excommunications qui fut lue au peuple de
Nicosie assemblé dans le grand cimetière de la ville : « In die Pal-
et marum, tempore Domini Hugonis, Nicosiensis electi consecrati,
« anno M.GC.LI. nono (quinto) Id. April. Et eodem modo, anno
« sequenti^ » A la fin de la même année, le 20 décembre 4251, la
chancellerie apostolique, dans deux bulles expédiées de Pérouse en
Chypre, le qualifie successivement élu et archevêque. Dans la pre-
mière. Innocent IV notifie au doyen de Sidon et à maître Pierre, sans
doute doyen du chapitre de Sainte-Sophie, l'envoi du pallium qu'ils
1. Mss. lat. n» 15745. Il a appartenu à la Sorbonne. L. Delisle, Le Cabinet des
Mss. du Roi, t. II.
2. Labbe, Concil, l. XI, col. 2400. Hist. de Chi/p., t. I, p. 356.
MKLANOKS KT DOCIIMKNTS.
ont demaiiilô au nom de Vrlii de Nicosie, cl les rharg;e de remcltre
riiisii,'ne de sa pari an prélal'. La seconde pièce, adressée à l'abbé
do Lapais, dalée comme nous l'avons dil du même jour que la précé-
dente, est assez semblable à la bulle du 23 décembre ^250, que nous
supposons concerner encore Enslorçre-, son prédécesseur. Sachant le
dévouement alTeclueux de V archevêque de Nicosie pour le Sainl-Siége,
cl \oiilaiil lui accorder une faveur spéciale, le pape déclare que nul
délégué aposlolicpie ne pourra prononcer contre lui l'excommunica-
lion, rinlerdil, la suspension, ou l'exclusion de son église, cl charge
l'abbé d'Éplscopie de veiller à l'exécution de ce privilège^.
Une bulle du surlendemain, 22 décembre J25I, sans le désigner
nominativement, lui donne le titre A' archevêque et l'autorise à porter
le pallium en dehors des limites de sa province, et à sa convenance ^
Le titre d'e'/w ne se trouvant sur aucun document postérieur à cette
date, on peut croire que les lettres confirmant son élection ont été
scellées à Pérouse le 21 ou le 22 décembre I2^3^.
Dès le commencement de l'année 1232, Hugues de Fagiano figure
comme étant en pleine possession de l'autorité archiépiscopale. Il est
nommé et qualifié H. archiepiscopus Nicosiensis , ou simplement
Archiepiscopus Nicosiensis^ dans divers statuts du Tj janvier et du
4 mars de cette année, qui lui furent adressés de Syrie par le légat
Eudes de Châteauroux , évêque de Tusculum ^, et dans plusieurs
bulles insérées au Cartulaire de Nicosie, portant les dates du 23 janvier
(n° ^ 2), 23 mars (n" 28) , 5 et H avril (n°' 32 et 33) , 4 3 avril (n° 3i ) et
22 décembre \ 2o2 (n° 27) . Les trois bulles du mois d'avril rappellent
une fondation de son prédécesseur Eustorge de bonne 7némoire, et
ne laissent aucun doute sur le fait de la succession immédiate des
deux métropolitains.
Ces témoignages appuyés sur des documents aussi nombreux que
probants suffisent pour montrer l'impossibilité de l'existence d'un
Hélie ou Élie, I" du nom, qui aurait été archevêque de Nicosie de
1248 à 1232, existence admise dans Du Gange, Le Quien, et dans la
récente édition des Familles d' Outremer^. Trompés une première
fois par une fausse notion d'x\lbéric de Trois-Fontaines, et trouvant
dans la collection des conciles, après un décret de Hugues de Fagiano
de -1251, une constitution sans date au nom d'Hélie, archevêque de
1. Cartul. de Sainte-Sophie n° 5.
2. Cartul. n» 23.
3. Cartul. n° 22.
4. Cartul. n" 6.
5. Labbe, Concil., t. XI, col. 2382.
6. P. 846.
LE B. HUGUES DE PISE. 73
Nicosie (qui est Elle de Nabinal, ^ 332-'! 342), Du Gange et Le Quien
l'ont crue de la même date que la pièce antérieure ou de l'an ^252^
et ont ainsi introduit au xiii'' siècle un archevêque Élie qui n'a
jamais existé. Cette première erreur les a conduits à d'autres confu-
sions et leur a fait facilement attribuer à ce premier et imaginaire
Élie, dont le nom peut s'écrire par un E. ou par un H., des faits
concernant incontestablement Eustorge et Hugues.
Nous avons eu l'occasion de parler ailleurs ^ des difficultés
qu'Hugues de Fagiano eut avec le roi de Chypre au sujet des prélats
grecs, auxquels le gouvernement accordait une protection trouvée
excessive par l'archevêque latin. De nouveaux griefs étant survenus,
Hugues frappa d'interdit le royaume de Chypre, et se retira en Italie
pour ne rentrer dans l'île qu'après la mort du roi Henri 1", arrivée le
^8 janvier -1253. C'est ce que nous apprend la chronique d'Amadi, à
l'année -1253 : « La terra che era interdita per l'arcivescovo Hugo
« Pisan, per la rissa ch' era tra lui et el re Henrico, intesa la morte
« del re, vene d'oltramare, et réconcilié la terra "*. » H faut donc
retarder de plusieurs mois, et vraisemblablement d'une année entière,
en la reportant à l'année -1254, la constitution que l'archevêque
Hugues aurait lue au palais archiépiscopal de Nicosie dès le 9 janvier
-1253, suivant Labbe et toutes les éditions des conciles''. Mais on peut
admettre que Hugues de Fagiano était rentré en Chypre dès les pre-
miers mois de l'année ] 253 et au commencement du règne du nouveau
roi, Hugues II de Lusignan, encore mineur. Ce fut sans doute peu de
temps après son retour, et après avoir levé l'interdit, qu'il réunit le
synode et promulgua les statuts disciplinaires du -18 juin ^253, qui
nous sont parvenus dans les constitutions de l'église de Nicosie dont
le recueil est dû en partie à ses soins ^.
H est difficile de croire que la cour de Rome ne fût pas informée
le 30 mars \2M de sa rentrée en Chypre. On trouve cependant à
cette date dans les rubriques des lettres apostoliques une décision
d'Innocent IV conférant au patriarche d'Antioche, dont le diocèse
était envahi par les Turcs, l'administration et les revenus de l'église
de Nicosie''. Une semblable mesure se comprendrait pour l'époque
1. Familles d'Outremer, p. 846.
2. Hist. de Chypre, t. I, p. 357.
3. Amadi, Chron. ann. 1253. Hist. de Ckyp., t. I, p. 358-364.
4. Labbe, t. XI, col. 2384, chap. 30, des GonstittU. Nicosiens.; Maasi, ConciL,
t. XXVI, col. 318.
5. Chap. 28. Labbe, t. XI, col. 2383; Mansi, t. XXVI, col. 318. Voy. ci-après
p. 36 n. et p. 51.
6. Hist. de Chypre, l. H, p. 68.
74 MÉI.A\(.KS Kl DOCUMENTS.
OÙ Hiiiriios do Fafjiaiio s'clail éloigné une première fois de Chypre,
de ^252 à 1253, ou plus Uird vers 4 2(51, lorsque par de nouveaux
scrupules il résolut dequiLlerdérinilivemeiiL rOrlenl, en se retirant
en Italie, sans abandonner pourtant ni son titre d'archevêque de
Nicosie, ni la direction supérieure de l'église de Chypre. A la date où
elle est mentionnée daiis les copies de documents apostoliques rap-
portés de Rome par La Porte du Xheil, il nous est impossible de l'ex-
pliquer.
Nous retrouvons dès 1251, et dans les années suivantes, Hugues
de Fagiano en Orient, exerçant l'autorité archiépiscopale à la tète de
l'église de Chypre. C'est en cette qualité qu'il agit ou qu'il est men-
tionné, tantôt sous la seule désignation d'archiepiscopus Nicosiensis,
tantôt nominalement Huc/o, archirpiscopus Nicosiensis , dans divers
actes de 1254 à 1257, qu'il faut énumérer rapidement. Le 29 janvier
^2o4, Innocent IV charge l'évêque de Tripoli et l'archidiacre de
Saint-Jean-d'Acre de prononcer sur la plainte que Tarchevêque de
Nicosie avait adressée au Saint-Siège au sujet de la vente d'un terrain
[locum] où les religieux Mineurs de Nicosie s'étaient précédemment
établis et qu'ils avaient ensuite vendu aux Cisterciens, contrairement
à la règle de leur ordre, en vertu de laquelle le terrain abandonné
par eiLX devait faire retour à l'évêque diocésaine Le pape ne spécifie
pas de quel terrain il est question, mais la rubrique inscrite en tète
de la bulle, ainsi conçue rescriptum de loco monasterii Belliloci,
montre qu'il s'agit de l'abbaye de Beaulieu, monastère cistercien situé
dans l'intérieur même de la ville de Nicosie^. Le 6 mars -1254,
Innocent IV envoie à son légat en Orient, Eudes de Châteauroux, la
solution de différentes questions relatives à l'administration des
sacrements sur lesquelles l'archevêque et les prélats latins de l'ile de
Chypre n'étaient pas d'accord avec les évêques grecs ^. Le -10 mai
-1254, Innocent IV défère au patriarche de Jérusalem l'examen des
plaintes de l'archevêque de Nicosie contre ceux de ses fidèles qui
s'adressaient pour leurs devoirs spirituels au clergé régulier sans
l'autorisation de leur curé^. Le 6 août -1254, le légat Eudes notifie à
l'archevêque de Nicosie un statut rendu à Saint-Jean-d'Acre contre
les simoniaques^. Le -10 janvier -1255, l'archevêque de Nicosie, après
1. Hist, t. III, p. 651.
2. Hist. de Chyp., t. II. Lusignan, Descript. de Chypre, fol.
3. Rinaldi, l'254, g 7. Labbe, l. XI, col. 612. Cherubini, Bull, magn., t. 1,
p. 100. Reinhard, Hist. de Chyp., t. I, pr. p. 49. Cartul. de Sainte-Sophie,
n° 93, sous la date du 6 mai.
4. Cartul. n" 38.
5. Labbe, t. .XI, col. 2405; Mansi, t. XXVI, col. 343.
LE B. HUGUES DE PISE 75
une visite des églises de son diocèse, rend un décret pour recom-
mander aux clercs l'assiduité aux offices ^ Le -13 janvier -1255,
Alexandre IV l'engage à veiller toujours avec sollicitude sur la piété
et les mœurs de ses ouailles-. A la même date, le pape, s'adressant
tant aux Grecs qu'aux Latins de File de Chypre, leur rappelle qu'ils
doivent tous également obéissance à l'archevêque de Nicosie, leur
métropohtain^. Le -1 8 janvi'er -{ 233, à la suite des réclamations de
l'archevêque, Alexandre IV engage la reine de Chypre à respecter les
droits de l'église^. Le 28 du même mois et de la même année,
Alexandre IV garantit à Hugues^ archevêque de Nicosie, qu'il ne
pourra jamais être contraint à recevoir un clerc pourvu, malgré lui,
d'une prébende dans une éghse de son diocèse^. Le 20 février 1235,
Alexandre IV l'autorise à procéder, même par voie d'excommunica-
tion, contre les chevaliers et tous autres fidèles de son diocèse qui refu-
seraient de payer les dîmes dues à l'Église^. Le -14 mai -1253, sur la
plainte de l'archevêque de Nicosie, le pape charge l'évêque de Saint-
Jean-d'Acre de veiller à ce que les exécuteurs testamentaires du feu
roi Henri P'" de Lusignan remplissent l'intention qu'avait le prince
de restituer certains revenus ecclésiastiques (vraisemblablement les
dîmes) injustement détenus par lui^. Le ^6 août ^233, l'archevêque
Hugues^ se trouvant à Saint-Jean-d'Acre^ arrête avec le grand-maître
de l'Hôpital, Guillaume de Ghâteauneuf, une convention relative aux
dîmes dues sur les immeubles que l'ordre possédait dans la ville et
le diocèse de Nicosie^. Le 28 août •1233, Alexandre IV enjoint à l'ar-
chevêque de prononcer la nullité du mariage qu'avaient contracté,
malgré leur parenté aux degrés prohibés, la reine de Chypre, Plai-
sance d'Antioche, veuve de Henri I", et Balian d'Ibelin, sire d'Arsur ".
Enfin le 30 septembre J237, l'archevêque Hugues^ après avoir pro-
noncé un sermon dans son église cathédrale de Sainte-Sophie, lit une
constitution comminatoire, rendue nécessaire par la cupidité et les
fraudes croissantes des usuriers et des courtiers de Nicosie, témoi-
1. Chap. 32 des Constit. Nkos. Labbe, t. XI, col. 2386; Mansi, col, 322.
2. Cartul. n° 13.
3. Cartul. n° 7.
4. CarM. n» 70.
5. Cartul. n" 17
6. Cartul. n" 99.
7. Hist. de Chypre, t. III, p. 652.
8. Cartul. n- 91. *
9. Hist. de Chypre, t. II, p. 68-69. Cf. l. I, p. 366. Plaisance et Balian ne
résistèrent pas aux décisions du Saint-Siège et se séparèrent.
7(i MKLANr.KS KT DOCUMENTS.
gnagc manifeste de l'augmentation (l(^ la |)()j)ulalion et du commerce
de Nicosie sons les Latins '.
Vers ce temps, Hugues fit réunir à la fin du Passionnaire- de la
cathédrale, livre dont on se servait seulement aux offices de la
semaine sainte, la plupart de ses statuts disciplinaires et quelques-
unes dos constitutions que lui avait adressées le légat Eudes de
Châteauroux^. Ces précautions, qui aidèrent l'un de ses successeurs
à former le véritable cartulaire de Sainte-Sophie tel que nous l'avons
aujourd'hui, semblaient annoncer les soins et les préoccupations qui
président d^ordinairc à de graves résolutions.
Sans rien négliger des devoirs de sa charge, Hugues en effet était
parfois découragé par les difficultés qu'il rencontrait dans ses rap-
ports avec les clergés indigènes et revenait vers ce temps à ses idées
de retraite.
Les ménagements des rois de Chypre et du Saint-Siège lui-même,
qui voulait amener graduellement la subordination des prélats grecs
et syriens aux prélats latins, semblent ne pas avoir obtenu l'entière
approbation de Hugues. La constitution chypriote de •1260, qui resta
la loi de l'église latine en Chypre, avait bien décidé en principe la
suppression de la dignité de métropolitain des Grecs, la subordination
des évêques grecs aux prélats latins dans les 4 diocèses du royaume,
et la nécessité pour l'évêque grec de résider dans un autre lieu que
le siège du diocèse latin. L'épiscopat grec de Nicosie avait été transféré
dans la vallée de Solia, celui de Paphos à Arsinoë, celui de Limassol à
Lefkara et celui de Famagouste dans le Karpas*. Mais ces décisions
organiques furent accompagnées de dispositions transitoires et de
ménagements personnels qu'exagérèrent autant qu'ils le purent le
régent et les barons de Chy])re, dans l'intérêt de la paix publique. Le
pape ayant décidé que le métropolitain actuel des Grecs, Germain,
prélat universellement estimé, conserverait son titre et ses droits jus-
qu'à la fin de ses jours, Hugues de Fagiano crut prudent de s'éloigner,
au moins momentanément, du pays. Le partage de l'autorité archiépis-
copale lui parut une source de difficultés et de conflits incessants
1. Chap. 29. Const. Nicos. Labbe, t. XI, col. 2384; Mansi, col. 319. Hist. de
Chypre, t. I, p. 371.
2. Les livres ainsi nommés au moyen âge renfermaient seulement la Passion de
N.-S. suivant les quatre évangélistes qu'on lisait durant la semaine sainte.
3. Ces faits sont rappelés dans une charte de Mathieu, archevêque de Gésarée,
qui vidime, le 26 octobre 1220, à la demande de l'évêque Ranulphe, les statuts
disciplinaires de Hugues du 18 juin 1253. Cartul. de Sainte-Sophie, n' 29.
4. Voy. Hist. de Cfujpre, t. I, p. 381.
LE B. HUGUES DE PISE. 77
entre les deux rites. Il crut sans doute que sa retraite en amoindri-
rait l'aigreur et sauvegarderait mieux pour l'avenir la dignité de
l'archevêque latin. Un secret penchant, né d'une grande simplicité de
mœurs et d'une ardente piété, l'attirait d'ailleurs vers la vie mona-
cale. Il finit par en reprendre les habitudes et le costume. Mais, en
s' éloignant de l'ile de Chypre, avec la pensée peut-être de n'y plus
revenir, il conserva toujours son titre d'archevêque de Nicosie, et ne
cessa de s'intéresser à la situation de l'église latine en Orient, même
quand il remit à d'autres les soins de l'administration diocésaine.
L'époque précise de son départ de Chypre n'est pas connue. Nous
pensons qu'il ne dut pas rester bien longtemps dans l'Ile après la
promulgation de la bulle d'Anagni du 3 juillet 1260. Et en eflèt, des
actes témoignent de son passage en Syrie, et de son séjour probable
à Saint- Jean-d'Acre, dès le commencement de l'année ^26^, du jeudi
13 au lundi -17 janvier'. Le 8 juillet suivant, 1261, se trouvant
encore à Saint-Jean-d'Acre, l'archevêque Hugues arrête avec le grand-
maître du Temple, Thomas Bérard, au sujet des dîmes à payer sur
les terres que possédait l'ordre dans la ville et le diocèse de Nicosie-,
un accord analogue à celui qu'il avait fait avec les Hospitaliers.
Les biographes pisans nous le montrent . arrivé en Toscane, au
commencement de l'année -1263^. Nous ne voyons rien dans les faits
et les documents orientaux qui empêche de considérer cette notion
comme certaine. Hugues s'occupait alors de la construction d'un
monastère où il pût, sans renoncer entièrement aux occupa-
tions extérieures, venir, à ses heures et à sa convenance, se
recueillir et prier en commun avec les chanoines ses confrères.
Le projet qu'il avait tenté de réahser à Lapais, il le reprenait
et l'exécutait plus complètement dans son propre pays. Il con-
sacra à cette fondation les ressources qu'il avait rapportées
de Chypre et qui paraissent avoir été considérables, grâce à la
sagesse de son administration, à son désintéressement personnel,
allié toujours à une grande bienfaisance. Secondé par la générosité
et le concours de l'archevêque de Pise, Frédéric Visconti, il choisit
un domaine nommé Rezzano, dans la vallée de Calci , affluent de
l'Arno, non loin des propriétés de Frédéric Visconti, pour y fonder
une maison de chanoines réguliers de Saint- Augustin, à laquelle il
se proposait de donner le nom d'Episcopia.
1. Pauli, Galata, t. II, p. 201-202; Fontes rer. Austriac. Doc. vénitiens, t. III,
p. 41-43, où la pièce est mal datée du U janvier. Elle doit être de la fln de
janvier 1261.
2. Cartul. de Sainte-Sophie, n° 89.
3. Mattei, loc. cit. p. 97-112.
78 méla\(;ks kt documents.
L'archevêque Frédéric posa lui-même la première pierre de l'édi-
fice, en présence de Hugues de Fagiano et d'une nombreuse assis-
lanco de fidèles et de prélats. Les constructions, assez avancées déjà
au mois de décembre 12()3, comprenaient un couvent et une église
magnifique, sunrpluoso opcre^ que les propres facultés de l'arche-
vêque de Nicosie devaient suffire à terminer, mais pour lesquelles
on sollicitait les oHVandcs publiques, afin de hâter leur plus prompt
achèvement. Ces faits sont rappelés dans une lettre pastorale de Fré-
déric Vjsconti scellée et rendue publique à (>alci môme, le 21 décembre
•12()3, fête de saint Thomas, l'un des patrons de la nouvelle Epis-
copia ^ .
Ce nom peu connu d'un monastère éloigné tomba peu à peu en
oubli parmi les Toscans. Peu après la mort d'Hugues de
Fagiano, il fut remplacé dans le langage populaire par le nom de
Nicosie, à cause de la notoriété du siège de l'archevêque et du renom
de sainteté qui s'attacha à sa mémoire. Aujourd'hui les noms de
Rezz-ano et dCEpiscopia sont tout à fait inconnus aux alentours de
Pise. Le nom de Nicosie a absorbé toutes les autres dénominations
et il est passé du couvent même fondé par le B. Hugues au petit vil-
lage voisin. Mais ces changements ne se sont effectués que lentement
et successivement, sous l'influence des souvenirs et du langage po-
pulaires.
Du vivant de l'archevêque, et bien que son intention fût de donner
à sa fondation le nom chypriote d'Episcopia, comme en témoigne la
charte de Frédéric Visconti, on la désignait plutôt sous le nom
d'église et couvent de Saint- Augustin de la vallée de Calci ^. Lui-
même, en adressant aux compagnons de sa retraite les règlements
qu'il rédigea pour leur vie commune, les appelle ses chers frères de
la Vallée de Calci ^. Dans une charte du 18 décembre -1325, qui cons-
tate la réunion de leur monastère à l'église de Saint-Paul ail' Orto de
la ville de Pise , on voit apparaître le nom de Nicosie. Ils y sont
nommés : chanoines réguliers des églises de Saint-Augustin de
t. « Ecce quod venerabilis paler dorainus Hugo, archiepiscopus Nicosiensis,
« nalione Pisanus, ecclesiam domumque religiosam que Episcopia vocabitur,
« in valle Calcisana cepit edificare opère suuipluoso, in cujus fundamento,
« priniariam posuimus lapidem. Datum apud Calci, ann. 1264 (style pisan) d.
« S" Tliomse. » 3° année du pontificat d'Urbain IV. Scellé de 4 sceaux. Dal
Borgo, Diplomi pisani, I. part., p. 244. Ex archiv. DD. Canonic. Nicosiens.
2. Décision du conseil de Pise du 10 juillet 1268 (v. s.) Dal Borgo, p. 246-
247.
3. Dilecti in Christo fratres in valle Calcesana, Pisane diocesis, commo-
rantes. Bonaini, Statuti di Pisa, t. I. App. p, 651.
LE B. HUGBES DE PISE. 79
Rezzano, appelé Nicosie^ e( de Saint-Paul alV Orto^. Dans le cours
du xiv« siècle le monastère du B. Hugues est encore appelé quelque-
fois du nom seul de Rezzano,-en latin Rethanum ou. Ressanum ; plus
souvent des deux noms réunis de Rezzano et Nicosia. Mais à partir
du xv^ siècle, on ne trouve plus trace de l'ancienne dénomination et
Nicosia prévaut tout à fait.
Nicosia, qu'on nomme aussi Nicosia di Galci, est aujourd'hui un
petit village de 200 ou 300 âmes, à 6 milles de Vico Pisano. Mattei,
le savant historien de l'église de Pise et le biographe le plus autorisé
de l'archevêque, Dal Borgo, éditeur des Diplômes Pisans, Roncioni,
historien de Pise^, ne parlent de la fondation de leur illustre compa-
triote qu'en lui donnant le nom de Nicosie ; les archives des Augus-
tins de la Vallée de Galci sont pour eux les archives des chanoines
de Nicosie-, et aujourd'hui les documents du vieux monastère
d'Episcopia, supprimé depuis le dernier siècle, forment un fonds
spécial aux archives générales de Pise désigné sous le nom de
Nicosia^.
Le Ouien, et Mattei après Le Quien, paraissent croire qu'une fois
établi en Toscane, Hugues de Fagiano cessa d'agir absolument
comme archevêque de Chypre, et que Raphaël, qu'ils pensent avoir
été son successeur immédiat, dut prendre le titre et les fonctions
d'archevêque de Nicosie dès l'an 4263. L'examen des documents
contemporains nous amène à des résultats opposés. Il est incontes-
table d'abord que Hugues de Fagiano conserva son titre d'archevêque
de Nicosie jusqu'à sa mort, c'est-à-dire jusqu'en -1268 ou 4269, et
nous avons des preuves certaines qu'il s'occupa, parfois même très-
activement, des intérêts généraux de l'Église latine en Chypre, depuis
son départ de File et depuis son établissement en Toscane. Un délé-
gué, vraisemblablement un vicaire général, qui fut pendant un cer-
tain temps l'abbé de Lapais lui-même, comme une pièce postérieure
l'indique, devait le remplacer dans les devoirs journaliers du minis-
tère et de l'administration épiscopales. Nous pensons donc qu'il faut
absolument rapporter à Hugues, même après l'année >1263, tous les
documents où il est question d'un métropolitain anonyme de Nicosie.
1. Canonici regularmm ecclesiarum Sanctorum Augustini de Rethano vocati
Nicosia, Pisane diocesis, et Pauli ad Ortum. Ce qui montre que l'union du
monastère de Nicosie à 1 église de Saint-Paul ail' Orto est antérieure à l'an 1357,
date approximative de l'union donnée par Repetti, Dizionario geogr. stor. délia
Toscana. (Note communiquée par M. Clément Lupi, professeur de Paléographie
et conservateur-adjoint aux archives de Pise.)
2. Ed. Bonaini, p. 568. Archiv. storico ital.
3. Archives des Missions scientif. 3'' série. T. II, p. 182-198.
80 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
L'archevêque Raphaël ii'esl nommé que dans un document sans
date qui nous parait être hien postérieur.
Pour nous, c'est toujours à Hugues de Fagiano qu'Urbain IV
adresse d'Orviéto, le 3 janvier 12G3, les lettres apostoliques qui
recommandent à l'archevêque de Nicosie d'exercer enectivement, et
malgré les réclamations des barons de Chypre, son droit de juridic-
tion en ce qui concerne la discipline ecclésiastique, aussi bien sur
les laïques que sur les clercs ^ ; c'est de lui qu'il s'agit, quand, à la
même date, par des lettres renouvelées le 23 janvier, le pape recom-
mande à Hugues d'Antioche, régent du royaume de Chypre pendant
la minorité du roi Hugues II, de seconder plus efficacement l'action de
l'archevêque latin vis-à-vis des Grecs et des Syriens^; c'est toujours
de Hugues qu'il est question, et ici d'une façon bien manifeste,
quoiqu'il ne fût pas alors présent en Syrie , quand le grand
maître du Temple notifie à Saint-Jean-d'Acre , le 30 septembre
•1264, un compromis intervenu entre son ordre et l'archevêque de
Nicosie, désigné par la lettre H. et représenté par l'abbé d'Epis-
copia, E., son vicaire général, vicarium archiepiscopi antedicti^.
Quant à Hugues de Fagiano lui-même, tout en s'occupant de ses
créations de la vallée de Calci , et sans manifester l'intention de
retourner en Chypre, il ne négligeait pas les occasions de réclamer
contre la situation abaissée et intolérable, suivant lui, que les
ménagements apostoliques d'une part, et la partiahté intéressée
des laïques d'une autre, faisaient à l'Église latine dans le royaume. Il
se rendit à cet effet à Orviéto, où résidait le pape, au mois
d'avril -1264. Nos renseignements coïncident sur cet incident
notable avec les biographes .pisans, qui le font assister cette année
même ^264 au jubilé célébré à Rome *. S'adressant à l'archevêque
Hugues, le pape rappelle son voyage à la cour apostolique et s'ex-
prime ainsi : « Accedens non absque multis periculis et laboribus
« ad apostolicam sedem, exposuisti nobis oraculo vocis vive quod
« Greci regni Cipri , etc. Quare cum ibidem (en Chypre) tua pro-
« desse presentia non valeret , ad apostolicam sedem te oportuit
« personaliter laborare^. « Les représentations de Hugues furent
1. Cartul. de Sainte-Sophie, n° 79.
2. Cartul. n» 11; et Rinaldl, Annal. 1263. g. Hist. de Chypre, l. ï, p. 393,
t. III, p. 655.
3. Cartul. n" 51. Hist. de Chyp., t. III, p. 657.
4. MaUei, loc. cit., p. 98-113; Hist. de Chyp., t. I, p. 392.
5. LeUre d'Urbain IV à l'archevêque de Nicosie, Orvieto, le 13 avril 1264.
Cartul. de Sainte-Sophie, n' 77, répété au n" 81. La même lettre de la même
date, avec les changements nécessaires, fut adressée au régent de Chypre. Cartul.
n°76.
LE B. HUGUES DE PISE. 8i
vives et pressantes. Il affirmait que la résistance des barons et
leur connivence avec les prélats grecs rendaient nuls les effets de la
constitution de i 260, paralysaient l'action ecclésiastique, empêchaient
de porter remède à l'effroyable corruption des mœurs et réduisaient
dérisoirement la dignité métropolitaine aux fonctions d'un simple
prêtre ' . Si instantes qu'aient pu être les représentations de Hugues,
elles ne paraissent pas avoir eu grand résultat pour le moment,
et l'insuccès de ses démarches dut le confirmer dans son projet
de rester en Italie. Le temps et la mort du métropolitain grec
apaisèrent ces difficultés et firent accepter peu à peu les prescrip-
tions de la constitution de 4260, par les clergés indigènes et par
les barons chypriotes.
Après l'année -1 264 , nous ne trouvons plus trace de l'action
personnelle de Hugues de Fagiano dans les affaires de Chypre.
Germain vivant peut - être encore , Hugues dut abandonner à
d'autres la direction immédiate comme les revenus de l'archevêché.
Ses vicaires et le chapitre de Sainte-Sophie suffisaient, en son
absence et en son nom, aux besoins spirituels et temporels de l'ad-
ministration. On l'a vu dans la transaction conclue à Saint- Jean
d'Acre en 1 264 , pour le compte du chapitre et de l'archevêque de
Nicosie, par l'abbé de Lapais, vicaire de l'archevêque. On le cons-
tate de même dans un acte de -1267 2, année dans laquelle le patriarche
de Jérusalem, Guillaume, fit en l'absence de Hugues la visite de la
province de Chypre. Dans cet acte concernant les chanoines, un
membre du chapitre agit comme trésorier et vicaire de Sainte-Sophie.
Sans rechercher les détails de la vie de Hugues en Italie, nous ne
devons pas négliger de rappeler combien il se fit vénérer en Toscane
par ses vertus et aimer par une générosité qui allait presque à la
munificence. Il restaura à ses frais plusieurs églises de la ville et du
diocèse de Pise. Fidèle au goût qu'il avait déjà manifesté en Nor-
mandie pour la beauté du culte, il construisit un autel particulier
dans la cathédrale , et y attacha des pensions pour six clercs, qu'on
appela depuis les six clercs de Nicosie. Il fit des donations spé-
ciales à la ville pour la réparation de ses remparts et la reconstruc-
tion du pont de la forteresse ^.
1. « Dum inter vos et ipsum archiepiscopum de hujusmodi jurisdictione coti-
« tenditur crimina rémanent incorrecta ... archiepiscopi officiuni vilipeuditur...
« jam non archiepiscopus sed simplex polius videatur esse sacerdos. » Urbain IV
au régent de Chypre, du 13 avril 1264. Cartul. n° 76. Rinaldi, 1264, n° 66. HisL
de Chypre, t. I, p. 394; t. III, p. 655, n. 1; 657, n 1.
2. Hist. de Chijp., t. III, p. 658. Carlul. n° lOG.
3. Mattei, p. 98-99. Roncioni, ht. pis., p. 569.
Rev. Histor. V. !■-''' FASC. G
S2 MÉLANfiES ET DOCUMENTS.
Le Conseil de la Hôpubliquo, heureux de reeounailre Laul de ser-
vices dus au vénérable père Hugues, son bienfaiteur et son proLec-
leur spécial ', plaça, à sa demande, sous la sauvegarde expresse de
lÉlat, et exempta de tous impôts, ses établissements de la Ghanoi-
nerie ou de la Chartreuse, désignés ainsi dans la délibération :
« l'église et le couvent de Saint- Augustin de la vallée de Galci. » La
déciskm, datée du 10 juillet 1208, style pisan, 1267 dans le style
actuel 2, reproduisait le texte de la requête dans laquelle Hugues prend,
cà la suite du titre d' « archevêque de Nicosie, » celui de « fondateur
a et recteur de l'église de Saint-Augustin de la vallée de Galci ^. »
iNous ne voyons figurer dans aucun de ces actes, ni le nom d'Epis-
copie, qui ne fut peut-être pas effectivement donné à la Chartreuse,
bien que telle eût été la première intention de l'archevêque, ni le nom
deiNicosie, qui n'était peut-être pas encore adopté. Nous arrivons ainsi
aux dernières années où nous trouvions des souvenirs de Hugues.
H nous reste cependant un monument de son esprit organisateur
et de sa prévoyance, peut-être postérieur à la décision du Conseil de
Pise. C'est le statut qu'il rédigea pour son couvent et pour la vie
commune de ses chanoines. Le règlement ne nous est pas parvenu
tel que le B. Hugues le rédigea originairement. De l'avis du regretté
Bonaini, qui le premier l'a signalé et publié*, des modifications
ont dû être introduites par un de ses successeurs dans les dernières
dispositions, et le ms. porte en tête ce titre, qui ne parait pas
appartenir au temps de l'archevêque : Constitutiones Canonicorum
Nicosiensium. Le commencement, plus respecté, est ainsi conçu :
« Hugo, miseratione divina, Nicosiensis archiepiscopus, dilectis in
« Ghristo fratribus in Valle Galcesana, Pisane diocesis, commoran-
« tibus, salutem in vinculo caritatis. » M. Bonaini estime que le
statut fut rédigé en -1268 ^ On voit que Hugues conserva jusqu'à la
1. « Quem ipsura venerabilem palrem sibi reputat in prolectorem et beae-
« faclorem precipuum. »
2. Pise, le 6 des ides de juillet 1268, indict. 10^ Ex archiv. DD. canonic.
Nicos. ap. Dal Borgo, Dlplomi pisani I, part. 2, p. 246-247.
3. « Venerabilis pater, dominus Hugo, Dei gratia, Nigothiensis archiepisco-
« pus, edificalor et rector ecclesie Sancti Auguslini in valle Calcisana, petit a
« vobis, etc. »
4. Statuti di Pisa, t. I, Append., p. 651-671. Pise, in-4°. 1854. D'après le ms.
des Archives de Florence, Fonds des communautés supprimées. Le règlement fixe
à treize, v compris le prieur, le nombre des chanoines de Calci. On les dispense
des travaux manuels, à l'exception de la culture des vignes et des oliviers, et
de la copie des mss., travail doublement méritoire et agréable à Dieu, est-il
dit, parce qu'il est à la fois une prière et une prédication.
5. Statua, l. I, p. 350.
LE B. HUGUES DE PISE. 83
fin de ses jours le titre d'archevêque de Nicosie qu'il portait depuis
près de dix-neuf ans.
On ne connaît pas l'année précise de la mort de Hugues de Fagiano,
que le cri de la reconnaissance populaire béatifia presque de son
vivant à Pise et dans les campagnes environnantes. Les auteurs de
la Nouvelle Biographie des Pisans illustres^ disent qu'il mourut vers
^1268. Tronci pense qu'il vécut jusqu'en ^269. Cette opinion nous
paraît très-vraisemblable. Mais l'emploi dans les anciens documents
pisans du vieux style qui était en avance de neuf mois et six jours
sur notre manière actuelle de compter, laisse toujours quelque incer-
titude sur ces dates. Le jour précis de son décès, 28 août, nous est
donné par cette mention du nécrologe de l'hospice de Saint-Mathieu,
l'un des établissements qui avaient eu part à ses innombrables libé-
ralités : « V. Kal. Septembris Ugo, venerabilis pater, archiepiscopus
« Nicosiensis. Pro quo fiât vigilia, quia ab eo habuimus libras G.^ »
Indépendamment de la savante Notice de Mattei et de l'article de
la Nouvelle Biographie des Pisans illustres, qui paraît être une
reproduction abrégée de la précédente, il existe une vie manuscrite
de Hugues de Fagiano, à la Bibliothèque de Pérouse, intitulée :
Memorie storiche délia vita del B. Ugo da Pisa, arcwescovo di
Nicossia, in Cipro. Perugia. -1760. Ms. n" i572. C'est l'œuvre de
dom François Gelassi, moine du Mont-Gassin. L'auteur annonce
avoir écrit sur les documents des archives des chanoines de Nicosie.
Il avait divisé son travail en deux parties, l'une renfermant la vie de
Hugues, la deuxième les pièces justificatives. La première seule se
trouve à la bibliothèque de Pérouse, où nous l'avons vue il y a quel-
ques années.
Les chanoines de Nicosie ou d'Episcopie de la vallée de Galci con-
servèrent la règle de saint Augustin jusqu'en -{504. A cette époque,
le pape Jules II les réunit aux chanoines réguliers de Saint-Sauveur
de Bologne, congrégation sortie de l'ordre des Prémontrés. En -1782,
on établit dans leur couvent les religieux Mineurs Observantins qui
le possédaient et desservaient l'église à l'époque où écrivait Mattei,
en -1792. Le couvent a été supprimé de nos jours et ses archives
ont été transportées aux Archives générales de Florence, où elles
sont conservées.
L. DE Mas Latrie.
1. Pise, 183S. L'archevêque Visconti, qui mourut eu 1278, rappelle la mort
et les vertus de Hugues dans sou sermon 64% qui n'est pas daté. Mattei, p. 115.
2. Mattei, loc. cit., p. 116.
84 MÉLANGES ET DOOCMEMTS.
LA MORT DE FRANÇOIS r
ET LES PREMIERS TEMPS DU REGNE DE HENRI II.
D'APRÈS JEAN DE SAINT-MAURIS,
Ambassadeur de Ciiarles-Quint a la Cour de France.
(Avril-Juin 1547.)
Parmi les documents que les écrivains, voués à l'histoire de France
pendant le cours du xvi« siècle, consulteront utilement, se trouvent
les papiers d'état (en langue française) reposant aux Archives géné-
rales du royaume de Belgique. Gomme ils ont été décrits dans un
rapport de M. Edgar Boutaric (1864), nous n'entrerons pas dans de
longs détails à leur sujet. Nous rappellerons simplement qu'ils se
divisent en deux séries (copies et originaux) faisant partie du fonds
dit : de l'Audience. Les copies forment neuf volumes entièrement
relatifs au règne de François P'' (^523-'l54i) et portent la rubrique :
Correspondance de France. Les originaux, rangés sous la rubrique :
Négociations de France, remplissent dix volumes, dont huit com-
posés de dépêches diplomatiques, et deux des instruments des traités
du Cateau-Gambrésis et de Vervins.
Ces documents sont à notre portée et presque sous notre main. En
certains cas, ils dispenseront les historiens français de recourir aux
papiers d'état faisant partie des archives de Vienne. Aussi est-il per-
mis d'espérer qu'avant peu de temps ils seront connus chez nous
comme ils méritent de l'être.
Nous empruntons aujourd'hui aux négociations de France deux
dépêches de Jean de Saint-Mauris, ambassadeur de Gharles-Quint à
la cour de France (avril et juin ^1547), qui nous ont paru offrir un
intérêt exceptionnel '.
1. Notre article était écrit avant l'apparition du livre si intéressant de M. A.
de Ruble intitulé : Le Mariage de Jeanne d'Albret, où l'auteur a fait grand
usage des dépêches de Saint-Mauris conservées soit à Paris, soit à Bruxelles, et
nous ne l'avons eu entre les mains qu'après que notre article était déjà composé.
Il ne nous a pas semblé néanmoins que la partie du récit de M. de Ruble, con-
sacrée à la mort de François I" et à l'avènement de Henri II (p. 222-248) enlevât
rien de leur intérêt ni de leur nouveauté aux dépêches que nous publions au-
jourd'hui.
LA MORT DE FRANÇOIS F
I.
85
La première dépêche raconte les derniers moments de François I".
Il est peu d'agonies royales dont les détails soient aussi connus. Seu-
lement les historiens ou les auteurs de mémoires ne sortent guère
des généralités. « Alors, dit Tavanes, ayant cognoissance de sa fin,
(le roy) disposa des affaires de sa conscience et de sa maison, et après
avoir fait plusieurs belles remonstrances à monseig' ledaulphin, son
fils présentement régnant, et luy avoir recommandé son peuple et
ses serviteurs, rendit l'âme à Dieu.» « Le roi, dit Ferronius, mourut
avec tant de piété et de constance que, comme le souffle lui échappait,
il répéta à plusieurs reprises le nom de Dieu, et, lorsqu'il n'eut plus
de voix, il fit encore de ses doigts le signe de la croix sur son lit. On
assure qu'il recommanda à son fils, qui allait être roi, ses serviteurs
et le peuple français qui s'était toujours montré si obéissant, et sur-
tout sa noblesse qui avait dépassé tous les autres dans son empres-
sement à le servir. »
Varillas ne nous apprend rien de nouveau. En revanche, Mézeray
n'a garde de perdre une si belle occasion de déployer les ressources
de sa rhétorique. Sur certains points il reproduit Ferronius ^ Ailleurs
il insiste sur la dévotion témoignée par le roi, sur sa profession de
foi publique, sur ses génuflexions, sur ses prières entrecoupées de
larmes et de gémissements. Deux renseignements toutefois sortent de
la banalité.
Si l'on en croit l'historiographe, le roi aurait préconisé indirec-
tement la continuation des persécutions religieuses, car, d'une part,
il aurait exhorté les assistants « à conserver la pureté de la doc-
trine catholique » -, de l'autre, il aurait conjuré son fils « d'avoir
« l'honneur de ce grand Dieu devant les yeux et de maintenir l'église
« contre les assauts des infidèles et des hérétiques ».
Enfin il se rend le témoignage « qu'il n'a pas de remords en sa
conscience, parce qu'il n'a jamais fait d'injustice à personne du
monde ». Il oubliait sans doute les horreurs commises à Mérindol et
à Gabrières.
De Thou apporte quelques faits nouveaux. Ainsi le roi recommande
à son fils l'amiral d'Annebaut, à qui il a légué -100,000 1. par testa-
1 . Le roi recommande ses sujets « remonstrant qu'ils estoient si chers à la
majesté divine qu'elle avoit par conte jusqu'aux cheveux de leur tète. » — Il
multiplie les signes de la croix après avoir perdu la parole, etc.
86 MELANGES ET DOCUMENTS.
iiuMil. Il le mcl en garde contre l'ambition des Guises : « Mon fils,
aurait-il dit au dauphin, j'ai bien appcrreu (>t connois pour vrai que
la race n'en vaut rien et que si vous faites le contraire, ils vous
mettront en pourpoint et votre peuple en chemise. » En outre l'an-
notateur de De Tliou rappelle la scène si curieuse tirée daLn Légende
(lu cardinal de Lorraine. Cette scène, on la connaît. Le dauphin,
la dauphine Catherine de Médicis, Diane de Poitiers et François de
Guise sont réiuiis dans la chambre de la future reine. Henri se pâme
de douleur sur le lit-, Catherine, étendue sur le plancher, « fait de
l'éplorée et de la dolente » -, Diane a le sourire du triomphe sur les
lèvres, et Guise accorde à son maître expirant une oraison funèbre
aussi brève qu'insolente : «// s'en va, le ijuailand ». Le fait est-il
exact? Remarquons qu'il n'est pas produit par le grave de Thou lui-
même. En tout cas, disons : Se non è vero, è bene trovato.
Nous nous arrêtons là, et si nous avons cité les historiens aussi
brièvement que possible, c'est que nous avons voulu faire res-
sortir tous les éléments nouveaux apportés par Saint-Mauris. Ces
éléments, nous ne cherchons ni à les arranger, ni à les condenser.
Nous les reproduisons pêle-mêle dans l'ordre de la dépêche. Les futurs
historiens de François P'' en feront leur profit, en déployant tout
l'art dont ils seront capables.
Ainsi, d'après l'ambassadeur de Charles-Quint :
r François P"" demande à son confesseur, Tévêque de Mâcon, de
lui lire « l'hommélie de S. Augustin quant à la contrition de la Mag-
deleine ». Le prélat se trompe et lui en lit une autre. Le roi s'aper-
çoit de l'erreur, « en quoy l'on nota sa bien grande mémoire de ce
qu'il sçeust diversiffier l'ung de l'aultre ».
2° if s'accuse des maux qu'il a infligés à son peuple, notamment
« en commençant quelquefois la guerre à bien légières occasions ' ».
3° Il semble revenir sur sa scandaleuse alliance avec Soliman II
et se repentir « d'avoir fait de grandes praticques contraires au bien
de chrestienté » .
4° Il recommande madame d'Etampes à la commisération du dau-
phin, et fait même appel à sa courtoisie : « C'est une dame, dit-il ».
Il semble aussi partir de là pour donner à son fils une leçon dont
celui-ci avait grand besoin: « Ne vous soumettez pas,ajoute-t-il, à la
volonté d'autres, comme je me suis soumis à elle ».
5« Il écarte Anne de Pisseleu, à ses derniers instants, notamment
au moment où on lui administre l'extrême-onction.
6" Il prie ses familiers, ïournon, d'Annebaut, Boisi, Sordi, de ne
1. François V précède donc Louis XIV dans ces aveux toujours tardifs.
LA MORT JIE FRANÇOIS ]" . R7
le quitter qu'après sa mort « parce qu'il pourroit s'altérer de son bon
sens et non si bien pourveoir à sa conscience ».
7" La veille de sa mort, il dit à Boisi qu'il ne vivra plus 24 heures,
prédiction vérifiée par l'événement.
8° Dans la nuit qui précède la mort, le dauphin demande à son
père sa bénédiction. Alors se passe une scène bien touchante : « le
daulphin s'esvanouit sur le lict du roy, lequel le tenoit à demy em-
brassé et ne le povoit laisser eschapper ». Voilà la vérité prise sur le
fait et nous sommes loin des génuflexions que Taffreuse maladie du
roi rendait impossibles.
9° Il rappelle qu'il doit à certains marchands « bagues et aultres
choses y> et recommande de les payer.
Il est enfin un détail sur lequel nous devons nous étendre, parce
qu'il sort du domaine de l'anecdote et se rattache à la politique.
A entendre Saint-Mauris, François I" aurait suriout recommandé
à son fils de réparer les injustices commises à l'égard du duc de
Savoie, Charles III. On sait ce qui s'était passé entre les deux princes en
i 525-^ 536. François P'' convoitait la Savoie et la Bresse, parce qu'elles
confinaient à la France de Genève à Nice, et le Piémont, parce qu'il
donnait accès sur le Milanais. Lorsqu'on veut faire une guerre même
injuste (et surtout une guerre injuste) , les prétextes sont ce qui
manque le moins. Aussi n'avaient-ils pas manqué au roi de
France. Suivant lui, Charles III détenait une partie de la dot de
Louise de Savoie ; il avait écrit à Charles-Quint pour le féliciter au
sujet de la victoire de Pavie ; il avait prêté au connétable de Bourbon
des pierreries que celui-ci avait engagées pour lever des soldats contre
la France 5 il voulait céder à Charles-Quint la Savoie en échange de
territoires italiens contigus au Piémont, etc., etc. Et, sur ces griefs,
le roi de France avait envahi les états de son oncle, qui n'était pas
non plus un étranger pour l'empereur ' . Saint-Pol et Brion-Chabot
avaient rapidement conquis la Savoie et le Piémont. En 'l 538, lors
de la trêve de Nice, Charles-Quint, qui livrait ses alliés avec aussi
peu de scrupule que François I" le faisait de son côté, avait aban-
donné Charles III, et, de cette façon, le malheureux prince se trou-
vait spolié de ses états depuis U ans.
Est-il possible d'admettre les scrupules tardifs de François I" à
cet endroit ? Insistons sur le langage qu'il aurait tenu à son fils :
1 . Nos historiens ne cessent de répéter que Charles-Quint et Charles III étaient
beaux-frères. Il serait à désirer qu'on se servît de termes plus exacts. Ces deux
princes avaient épousé deux sœurs germaines, princesses de Portugal ; mais deux
personnes, ayant épousé deux sœurs, ne sont ni beaux-frères ni même alliés.
Affinis affinem non gênerai.
88 Ml^LANf.KS ET DOCUMENTS.
« Lorsqu'on a l'ris le Piémont, aurait-il dit, on a promis au duc
qu'on le lui rendrait quand on tiendrait Milan. La condition n'est
pas accomplie. Nous pouvons donc conserver le Piémont en indemni-
sant le légitime possesseur, en lui accordant « bonne récompense en
France ». Mais quant à la Bresse et à la Savoie, il n'y a aucune rai-
son de les retenir. Et, là-dessus, François P'' décharge sa cons-
cience de ces iniquités et en charge celle de son fils.
Que faut-il croire de ces allégations absolument nouvelles ? Nous
avouons que nous avons grand peine à en admettre la réalité. Nous
savons bien que, lorsqu'un homme meurt, il voit clairement le néant
de certains intérêts et se préoccupe surtout de Tidée de justice.
Mais, dans l'ancienne monarchie, le roi ne mourait pas, il se perpé-
tuait.
Ce n'est cependant pas une raison pour rejeter complètement ce
projet de restitution, mais le point a besoin d'être élucidé.
n.
Après François I", l'attention se portera naturellement sur les
deux femmes dont les rivalités furieuses attristèrent les derniers
moments de son règne, et sur le nouveau roi.
Lorsqu'il parle de Mad*" d'Etampes, Saint-Mauris trouve des accents
dramatiques : il nous montre la favorite « se pasmant en terre, fai-
sant un cry espouvantable disant : « Terre, engloutij moi ». Puis
elle monte en litière, et se réfugie à Limours, en compagnie de
révêque de Condom, son frère, et du seig"" de Laval. Bientôt elle se
voit assaillie de tous côtés : c'est son confident Longueval\ à qui l'on
intente un procès de haute trahison; c'est le contrôleur de sa maison
que l'on fait garder à vue. Henri II ne se contente pas de reprendre
à la duchesse les bijoux qu'elle tenait du feu roi \ il fait saisir la
vaisselle qu'elle avait déposée chez un président du parlement, son
allié. On suscite contre l'ex-favorite le duc d'Etampes, Jean de
Brosse, qui, en mari aussi débonnaire qu'avare, ne lui reproche point
tant son déshonneur que les détournements commis par elle au profit
de sa sœur, la comtesse de Vertus. Le nouveau roi fera plus. Dans
ce sale procès, il comparaîtra en justice et témoignera contre Anne.
On voit dans la dépêche que tous, grands et petits, sont conjurés
contre elle. « Si lad. dame comparissoif en jmblicque, dit l'ambas-
sadeur, le peuple la lapideroit. » Puis il ajoute qu'elle périra sous le
1 . Nicolas de Bossut, seigneur de Longueval.
LA MORT DE FRANÇOIS I*'. 89
faix, « qu'est ce que Von demande et selon qu'elle le mérite «. En
vérité, des paroles si dures sont fort mal placées dans la bouche d'un
ambassadeur de Charles-Quint. II fallait être peu informé pour ne
pas connaître la cause de cette animosité à peu près générale, pour
ne pas savoir que ce que le vrai peuple reprochait à la duchesse
d'Etampes, c'était son entente présumée avec l'empereur, sa trahi-
son (nullement prouvée) pendant la campagne de 1544. Il y avait du
patriotisme dans cette haine et il ne faut pas croire que le peuple
reprochât uniquement à la favorite son luxe et ses prodigalités. Sous
les Valois, c'étaient là des peccadilles et, en définitive, la masse de
la nation savait bien qu'il fallait qu'elle fût dévorée par quelqu'un.
Le bras qui dirige ces attaques, la bouche qui souffle ces ven-
geances, ce sont le bras et la bouche d'une femme, de Diane de Poi-
tiers. A cette époque, elle a 47 ans, mais elle n'aime pas qu'on le lui
dise, et, s'il est un propos qu'elle ne pardonne pas à sa rivale, c'est
celui-ci : « Je suis née le jour du mariage de madame la séné-
chale » .
Diane est au comble de la faveur. Pour présent de joyeux avène-
ment, Henri II lui donne « le prouffit de la confirmation de tous
estaz de France », évalué 300,000 francs. C'est là un don royal et
qui aurait dû être réservé à madame Marguerite de France, la sœur
du roi ; mais celle-ci a reconnu qu'elle ne pouvait lutter, et que Diane
avait « la première voix en chapitre ». Les témoignages de l'empire
extraordinaire que madame de Brézé avait conquis sur son amant
abondent dans les deux dépêches. « Le roi, dit Saint-Mauris, lui est
entièrement affectionné, chose que le peuple lamente assez Il se
laisse mener et veult tout ce que Silvius ' lui conseille, dont le peuple
d'ici despère, craingnant que le roy ne demeure tousjours en ceste
nascerant... » Pour Diane, il n'existe point de secrets d'état. A peine
Henri II a-t-il négocié quelque chose avec les ambassadeurs étran-
gers qu'il court tout révéler à sa maîtresse.
D'ailleurs, comment pourrait-on couper court à cette domination
dangereuse et si excessive qu'elle paraît aux contemporains tenir du
sortilège? Faire des représentations au roi, c'est s'exposer à la colère
de Silvius, à qui tout sera raconté. L'exemple du chancelier Olivier
est là comme un avertissement. Dans un moment d'exaspération, il
a dit « que les dames présentes sont pires que les ancie^mes et qu'elles
gasteront tout ». La disgrâce ne s'est point fait attendre.
1. Dans la première dépc^che, Diane est appelée M°" la sénéchale (son mari avait
été gouverneur et grand sénéchal de Normandie); dans la seconde dépèche, elle
ne figure plus que sous le pseudonyme de Silvius. Pourquoi ce nom? est-ce
parce que son prénom de Diane rappelle l'idée de forêt, Sitvo ?
'•'<) MKLANCKS Kl IIOCIIMKNTS.
Madame de Brézé fail de sa journée deux paris : le matin, elle
s'applique
« A réparer des ans l'irréparable outrage. »
« Si est-ce, cHt Sainl-Mauris, qu'elle prend tout le soing qu'elle
peult pour bien soy parer et y veille plus qu'elle ne (ist oncques,
tenant fin au demeurant avec ses appastz et attraictz s'entretenir en
la bonne grâce du roy et tirer de luy tout ce qu'elle peult. » Le
reste de la journée appartient, nous ne dirons pas aux alTaires, mais
aux intrigues. Elle est partout, tient la main à l'union du connétable
et des Guises, veut marier Eléonore de Roye, la future princesse de
Condé, au fils de M. de Sedan, pousse aux sceaux le président Ber-
Irandi, etc.
Notons que toute cette faveur ne la rend pas meilleure ; au con-
traire. Elle a l'humeur singulièrement hautaine et insolente. « Quant
est de Silvms, dit Saint-Mauris, le trouve le peuple qui le sollicite en
cour fort haultain et insolent. » Au demeurant, c'est une âme éner-
gique et noire. Quand son amant mourra inopinément, elle tiendra
tête à Catherine de Médicis. En attendant, elle se montre plus vindi-
cative que cette italienne. L'ambassadeur parle à la reine de Hongrie
d'un ingénieur qui, menacé par Diane, a jugé nécessaire de se réfu-
gier à Besançon. Et quel est son crime ? Chargé par François P'' de
fortifier une place de la frontière, il a coupé du bois dans une forêt
de madame de Brézé.
Nous essaierions en vain de résumer les traits de caractère attri-
bués à Henri II. Ils sont si nombreux que nous y renonçons, et que
nous renvoyons le lecteur aux documents mêmes. Disons seulement
qu'ils confirment parfaitement les jugements exprimés par Beaucaire
et par Théodore de Bèze * .
Henri II est un roi selon le cœur de Brantôme, courtois et poh,
beau jouteur, excellent cavalier, chasseur intrépide. A la course et
au saut, il n'est égalé que par M. de Bonnivet. Et comme il joue à la
paume ! Tout cela est fort bien, mais Saint-Mauris, qui a vu de près
Charles-Quint et qui sait ce que c'est qu'un souverain, trouve le roi
de France « bien jeusne ». « Il a encoires, dit-il, en soy grand jeus-
nesse, laquelle le mayne à faire mointes actes légières. » Et en effet
c'est un acte fort léger que de jeter dans la rivière d'Anet un page
1 . Henri paraissait né pour être gouverné, non pour gouverner, dit Beaucaire.
— (( Henri, écrit Théodore de Bèze, n'avoit ni la vivacité d'esprit, ni la faconde
de son père, mais bien un naturel de soy-mesine fort débonnaire et tant plus aisé
à tromper, de sorte qu'il ne voyoil ny jugeoit que par les yeulx, oreilles et advis
de ceulx qui le jiossédoycnt. »
LA MORT DE FRANÇOIS l". ï* I
qui manqua s'y noyer. Que dire lorsque nous le voyons assis, une
guitare à la main, sur les genoux de Diane, en la présence du conné-
table Anne et du comte d'Aumale ? Le roi ne s'appartient plus et
« regarde ententivement Silvius, comme homme surprins de son
« amitié ».
Ce n'est pas du moins qu'il n'ait manifesté au début de son règne
de louables dispositions. Ainsi il voulait donner audience chaque
jour après son dîner ; mais cela ne faisait pas l'affaire des favoris.
Aussi y ont-ils mis bon ordre. Désormais le roi n'entendra plus les
« querelles » de ses sujets, et ne connaîtra plus « le fond du mal ou
du bien » .
En un mot, Henri est de ces rois qui laissent tout faire et sous le
couvert desquels quelques influences gouvernent. L'attitude des
favoris disgraciés de François 1", les rivalités, les jalousies et les
luttes sourdes des nouveaux conseillers, voilà la partie la plus inté-
ressante peut-être et assurément la plus politique de ces dépêches.
m.
Il n'y eut peut-être jamais de révolution de cour aussi complète
que celle qui se produisit à l'avènement de Henri H. Les principaux
conseillers de son père, savoir : le cardinal de Tournon et l'amiral
d'Annebaut, furent écartés. Les gentilshommes de la chambre, les
officiers de la garde-robe furent changés-, les secrétaires d'Etat,
Gilbert BayardetVilleroy, remplacés ; le premier des deux fut même
arrêté. Pendant ce temps, le connétable de Montmorency, disgracié
depuis ^540, reprenait la direction des affaires; le jeune Saint-André
(Jacques d'Albon) et les deux fils aînés de Claude de Lorraine, Fran-
çois et Charles de Guise, entraient au conseil et balançaient la faveur
et le crédit du connétable.
Rien de plus curieux que de voir les efforts faits par d'Annebaut,
par le cardinal de Tournon, et par l'évêque de Mâcon (Pierre Du Chas-
tel ou Châtelain), confesseur du feu roi, pour se maintenir à la cour.
Le cardinal de Tournon va saluer à Saint-Germain le nouveau
roi, qui le reçoit « assez mesgrement », et lui dit ne plus réclamer
ses services. Le prélat demande alors l'autorisation d'aller visiter ses
bénéfices pendant un an ou deux, ce qui lui est accordé sans diffi-
culté. En attendant, il retourne à Saint-Cloud pour dire les messes
de quarantaine sur le cercueil de son maître défunt. Là, toutes les
fois que l'on sert « la table du feu roy », il rappelle les grandes ver-
tus de celui-ci et prête à rire aux nouveaux courtisans par ses pleurs
et ses lamentations intéressés. Tournon ne néglige pas non plus de
92 MKLANfiES Kl DOCUMENTS.
faire sa cour au connétable. Il jette avec lui de l'eau bénite sur le
cadavre royal, qui attend les obsèques solennelles. Les deux anciens
rivaux, qui, au temjjs de leur faveur commune, avaient continuelle-
ment différé d'avis, échangent maintenant des propos d'amitié, mais
sans se tromper l'un l'autre.
Le cardinal vit bientôt que tout effort de sa part serait inutile et
assista avec une résignation assez bien jouée au naufrage de sa for-
time. Il n'y avait pas bien longtemps qu'il avait, disait-on (et Saint-
Mauris le répète), visé au trône pontifical. C'était même dans ce but
qu'il s'était montré favorable au mariage d'Horace Farnèse, petit-fils
du pape Paul III, avec Diane, fille naturelle de Henri II, âgée alors
de dix ans. Mais sa chance avait tourné et maintenant il se voyait
enlever la charge de chancelier de l'ordre de Saint-Michel. Bientôt
môme, il ne lui fut plus possible de rester en France. Le cardinal de
Lorraine, Jean, et les Guises, ses neveux, ne l'y toléraient plus. On
l'envoya à Rome pour y maintenir, disait-on, l'influence delà France
et se trouver prêt pour le conclave, si Paul III, âgé de 80 ans, venait
à mourir. Les cardinaux d'Annebaut et Jean du Bellay, qui avaient
brillé sous le règne précédent, l'accompagnèrent dans cet exil peu
déguisé. Saint-Mauris se trompe donc lorsqu'il représente cette réso-
lution d'aller à Rome comme dérivant de la libre volonté de Fran-
çois de Tournon.
L'évêque de Mâcon fut encore moins heureux. Dans son oraison
funèbre du feu roi, il avait dit « que bien sûr l'âme de ce dernier
était allée tout droit en paradis ». Ces paroles courtisanesques faillirent
lui coûter assez cher. La Sorbonne y flaira comme « une vague
odeur d'hérésie » et envoya en cour quelques-uns de ses docteurs
pour accuser le prélat. Heureusement pour lui, le maître d'hôtel,
Juan de Mendoça, détourna le coup par une boutade spirituelle et
hardie. Aussitôt qu'il vit les docteurs : a. Je sais, messieurs, ce qui
vous amène, leur dit-il. Vous êtes en dispute avec Mong"" de Mâcon,
que vous regardez comme un hérétique, sur le lieu où est à présent
1 ame du feu roi, mon bon maître. Je puis vous assurer d'une chose,
moi qui l'ai connu mieux que personne : c'est qu'il n'était pas d'hu-
meur à demeurer longtemps dans le même lieu, quelque agréable
qu'il pût être. Ainsi, messieurs, s'il est allé au purgatoire, croyez
qu'il n'y aura guère demeuré et qu'il n'aura fait qu'y boire un coup
en passant ». Pierre du Chastel resta donc quelque temps à la cour,
où il fut l'objet du dédain : « Monsieur de Mascon, écrit Samt-Mau-
ris, se trouva quelquefoiz au disner ou au soupper du roy, parlant
d'histoires et aultres choses de lettres, mais led. roy y prend peu de
goust ». Nous le croyons facilement, mais pourquoi le prélat ne par-
lait-il pas des règles de la vénerie ou de celles du jeu de paume?
LA MORT DE FRANÇOIS I*". 93
L'amiral d'Annebaut fut plus digne. Du reste, il était en meilleure
situation. François I" lui avait légué 'l 00,000 francs et l'avait recom-
mandé nommément à son fils. D'Annebaut pouvait encore invoquer
sa probité, qualité bien rare en ce temps de concussions et de
malversations de toutes sortes. Henri II lui rendit justice à cet égard.
Lorsque l'amiral retourna à Saint-Germain, le jeune Saint-André le
présenta au roi, qui l'accueillit favorablement : « Vous avez toujours
bien versé, lui dit-il, et je vous confirme dans votre charge d'amiral ».
Saint-Mauris ajoute : « Sans particulariser plus avant autres charges
qu'il (d'Annebaut) avoit». Cette réticence était significative. L'amiral
dut en effet résigner le bâton de maréchal, qui, chose assez bizarre,
fut donné à son patron Saint-André.
Nous ne voulons pas agrandir la personnalité de Claude d'Anne-
baut. Il est honnête, d'accord ; mais ce galant homme a toutes les
faiblesses du courtisan. Pour se justifier, il accuse les autres et
rapporte au roi « propoz de mointes choses qui se ' disoient contre
luy, justifiant au contraire toutes ses actions ». Il s'attache aux pas
de Henri II, en s'appliquant à sauver les apparences. Aussi que
fait-il ? Logé à Saint-Germain dans l'ancien appartement du cardinal
de Tournon, « il fait espier quant le roy doibt aller à la messe et
lors il se trouve en sa chambre pour l'accompaigner ». Le nouveau
souverain étant un grand chasseur, d'Annebaut flatte ses goûts et le
suit à la chasse.
Mais ce n'est point assez de se cramponner au roi ; Famiral cherche
à s'insinuer au cœur de la place, et, pour cela, il essaie de circonve-
nir le connétable. Ici la scène devient comique. Montmorency est
chargé de famille. H a -1 2 enfants dont 7 filles, et il voudrait bien
marier celles-ci. D'Annebaut saisit le point vulnérable et laisse entre-
voir qu'il serait flatté si son fils unique et héritier, Jean d'Annebaut,
seigneur de la Hunaudaye, devenait le gendre du connétable. « Si
cela s'aschève, écrit Saint-Mauris, ledit admirai pourra devenir auc-
torisé plus que aultrement il ne sera sans cela » . Le mariage n'abou-
tit pas.
Ajoutons pour finir que, comme tous les ambitieux, l'amiral joue
la comédie du désintéressement, le détachement du pouvoir : « Il dit
et jure solempnellement, hsons-nous dans la seconde dépêche, qu'il
n'en vouldroit non plus avoir (de crédit et d'entremise aux affaires),
et que jamais il ne s'en empeschera, et, moyennant que tout voyse
bien, c'est tout ce qu'il désire ».
Toutes ces complaisances valurent à d'Annebaut une demi-faveur.
Saint-André le soutenait parce qu'il l'avait fait autrefois rappeler à
la cour. D'un autre coté, l'amiral n'avait jamais été « violent du
94 MÉLANGES ET nOCUMEITTS.
temps qu'il gouvernoit, pai- où les seigneurs l'aggréoient tant plus. »
Saiiil-Mauris nous apprend donc que « bien l'on a conscntu qu'il se
pourruiL trouver au conseil. » Il faut s'expliquer sur ce point. Il y
avait sous Henri II deux sortes de conseils -, celui du matin, où
n'étaient admises que les têtes dirigeantes, et celui de l'après-midi,
qui était tout à la lois moins important et plus étendu. Ce fut à
celui-ci que fut appelé d'Annebaut.
Voyons maintenant le coté adverse et parlons des personnages en
faveur. îVous négligeons Saint-André dont l'ambassadeur parle fort
peu, et concentrons toute notre attention sur Anne de Montmorency
— d'une part — et les princes lorrains, de l'autre.
Le caractère de Montmorency est assez bien connu. Il n'était ni
grand général, ni administrateur excellent, ni ministre à grandes
vues. Mais c'était un homme laborieux et que la besogne ne rebutait
pas. Cet amour et cette habitude du travail devaient être une cause
de faveur dans ces cours frivoles des Valois, où presque tout était
donné au plaisir. En même temps, le connétable était rude, hau-
tain, très-préoccupé de la grandeur de sa maison. Après la mort
de Bonnivet (à Pavie), il n'avait plus souffert d'autre familiarité que
celle de Brion-Ghabot, longtemps placé aussi avant que lui dans la
faveur royale. Tout le reste de la cour était tenu à distance. C'est ce
côté altier qu'ont fait surtout ressortir nos historiens. Leurs succes-
seurs trouveront dans les dépêches de Saint-Mauris beaucoup de
mots très-fins indiquant qu'au temps de sa plus grande faveur, c'est-
à-dire sous le règne de Henri II, Montmorency, s'il maintient cette
attitude de supériorité vis-à-vis des plus grands seigneurs, se montre
courtois, coulant, prudent, vis-à-vis des Lorrains. C'est qu'il voit
que ceux-ci sont presque aussi forts que lui. Le cardinal Jean est un
maître homme ; son neveu, Charles, le futur cardinal de Lorraine,
est un fin poh tique 1, et quant à François, le futur duc de Guise,
outre qu'il a le pressentiment de sa grandeur militaire, le roi le
chérit comme un frère. Saint-iMauris dit qu'il lui donna à son avène-
ment 'i 00,000 francs, moitié pour payer ses dettes, moitié pour
renouveler son équipage, et de plus « une place près de Chartres,
vaillant mil francs de revenu ». L'ambassadeur est fort au-dessous
de la vérité. François reçut en don toutes les terres vacantes dans le
royaume.
1. On a conservé un spirituel quatrain, qui indique le degré d'inlluence de
Charles de Lorraine. Le voici :
Sire, si vous laissez, comme Charles désire,
Comme Diane fait, par trop vous gouverner.
Fondre, pétrir, mollir, refondre, retourner.
Sire, vous n'êtes plus,.... vous n'êtes plus que cire.
LA MOUT DE FKAXÇOIS )". 95
Entre ces rivaux, une lutte sourde existe dès le premier jour. La
cause en est connue. Montmorency était tout à la fois connétable et
grand maître de la maison royale. François de Guise convoitait cette
dernière charge et se croyait sûr de l'obtenir, car le roi s'était pro-
noncé contre le cumul des emplois. Cependant celui-ci le toléra en
la personne du seul Montmorency. Inde irx. A partir de ce moment,
la cour est pour ces secrets adversaires un véritable échiquier, où
leurs manœuvres se rencontrent et se contrarient incessamment.
Montmorency agit à l'égard de Diane, comme le duc d'Aiguillon
devait le faire deux siècles plus tard à l'égard de la Dubarry. Cepen-
dant, à un certain moment, les Guises prennent un avantage. Leur
frère puiné, Claude, épouse Louise de Brézé, fille de Diane. Que fait
le connétable, à la première occasion ? Son fils aîné, François, allait
se marier à la fille du duc de Nevers, François de Clèves. Le ma-
riage est rompu et Montmorency demande pour son fils la main de
la duchesse de Castro, cette fille naturelle de Henri H de qui nous
avons déjà parlé. L'équilibre se trouve ainsi rétabli.
De ces luttes incessantes pour le pouvoir, peu de chose transpire.
Le roi et Diane ont intérêt à ce que l'apparence de la concorde, plutôt
que la concorde elle-même, subsiste entre leurs principaux conseil-
lers. Ils ne permettraient pas qu'un scandale se produisît, qu'un déchi-
rement s'opérât. Mais aussi que d'habileté, que de souplesse chez le
connétable ! Celui-ci, dit Saint-Mauris, bien que chargé officiellement
par le monarque de la direction suprême des affaires, « ne s'ose
asseurer de la constance dudit roy envers luy, le véant si jeusne, de
sorte qu'il se comporte le mieulx qu'il peult avec lesdits de Guyse,
leurs defférant en tout, voire en la précédence, et donnant part aux
affaires, quand la commodité s'y adonne Le seig'' connestable
prend une peine incrédible à les traitter, mais Babo dict naguères
qu'il en avoit l'honneur seullement, et qu'il ne résolloit pas luy seul,
ains failloit qu'il passoit par le crible de ses contreroUeurs, lesquels,
à la vérité, il craint d'autant que le roy, à la longue, ne se laisse
mener selon qu'il est jeusne, par où il regarde de négocier, fort
retenu, et de riens consentir que l'on luy peult cy-après imputer. »
Plus loin nous trouvons un passage des plus intéressants et qui
dévoile parfaitement les véritables sentiments de ces personnages.
Par ordre du roi, le chancelier Olivier avait préparé une donation de
l'usufruit de la terre de Montfort au profit de M. d'Esparrot. Monsieur
de Guise ^ fait tant que le chancelier annule l'acte ; puis il se faitattri-
buer ce fief. Tout cela s'était passé à l'insu du conseil et en cela le
l. Claude de Lorraine.
9(> MÉLANGES ET DOCUMENTS.
chancelier avait Irahi son devoir. Groirait-on après cela que les Lor-
rains aient eu laudacc de remercier en plein conseil le chancelier
« de ce qu'il avoit fait ladite expédition sans en avoir parlé audit
conseil, encores que le roy le luy eust enjoinct « ? Ce fut cependant
ce qui arriva. On voit d'ici la scène. Le chancelier est tancé d'impor-
tance. Le roi voudrait bien pouvoir se fâcher, mais il a été «endressé»
par Diane ot se résigne à « couler cecy doulcement ». Le connétable,
qui tenait pour d'Esparrot, dissimule. Il était d'ailleurs habituée
voir le conseil (à l'exception de Saint-André) se prononcer contre
Olivier et contre lui-même, « signamment M. de Rains (Charles de
Guise, archevêque de Reims), lequel led. conncstable appelle et
dénomme à présent : Grand Veau^ qu'est souffisante comprobation
par ceste extérieure démonstration, qu'il y a peu de certaine amityé
entre eulx, comme telle est la vérité, seullement pour la jalouzie que
ceulx de Guyse ont de ce que led. seigneur a les principaulx affaires
en main et qu'il ne se rend subgect à eulx de les leur tousjours com-
municquer. »
11 est vrai que le connétable se rattrape ailleurs. S'il dissimule
vis-à-vis de ses autres ennemis, ce n'est que pour les frapper plus
sûrement à la première occasion favorable, « Il est, dit Saint-Mauris,
personnaige de tel espérit qu'il sçet bien recueillir et dissimuler telles
façons et les paye à la fin. Cecy se dit notamment pour ce que, dois
son retour en court, il a faict vifvement attacher ceulx quy luy
avoient esté contraires, Vencheminunt par main tierce^ chose qu'il
scet agiement endresser. Si ne le peult-il faire si couvertement que
jà l'on ne commence à dire que c'est luy et qu'il se démonstre trop
vindicatif... »
Enfin Saint-Mauris nous apprend ce qu'il faut penser du désinté-
ressement du connétable. Là encore, celui-ci a joué une comédie dont
le roi a été dupe. Il avait déclaré, dit l'ambassadeur, qu'il entendait
renoncer à tout ce qui lui était dû pour arrérages anciens de ses
traictements, « mais depuis il a dextrement requis et faict que le roy
a voulsu qu'il eust l'argent à relever en quatre années, que montera
à près de trois cens mil francs ». Il est vrai que Montmorency avait
douze enfants à établir !
De tels traits, qui n'étaient pas destinés à la publicité, ne peignent-
ils pas les hommes et l'époque ?
IV.
Parmi les très-nombreux sujets traités dans nos deux dépêches,
nous ne parlerons plus que d'un seul point trop important pour ne
LA MORT DE FRANÇOIS l". 97
pas être éclairci et développé. Nous voulons parler du mariage de
Jeanne d'Albret.
Jeanne, on le sait, n'avait pas eu une enfance heureuse. Elle avait
vécu assez longtemps enfermée et comme emprisonnée dans le châ-
teau de Plessis-lès-Tours par François I", son oncle, qui faisait
de son mariage un instrumentum reijni. A l'âge de ^3 ans, il Pavait
mariée au duc de Clèves. Cette union, non consommée, ayant
été rompue en -1543 par bref du pape Paul III, la jeune prin-
cesse était libre, lors de l'avènement de son cousin germain
Henri II, et son mariage ne pouvait tarder à s'effectuer, car elle avait
i9 ans.
Pour bien comprendre le langage de l'ambassadeur de Charles-
Quint, indiquons en quelques mots les différentes visées des person-
nages intéressés à ce mariage.
Henri d'Albret avait tourné depuis longtemps les yeux du côté de
TEspagne et aurait désiré avoir pour gendre l'infant don Philippe.
Son but était d'obtenir la restitution de la Navarre ^ , but parfaite-
ment chimérique, car Charles-Quint, qui, dans un testament du
5 nov. ^334 ^ indiquait Jeanne à son fils comme une épouse « d'un
extérieur agréable, vertueuse et parfaitement élevée», n'aurait donné
les mains au mariage que moyennant renonciation formelle aux
anciennes possessions transpyrénéennes de la maison d'Albret. Tou-
tefois, en 1547, Henri était toujours dans les mêmes intentions.
Sa femme, Marguerite d'Orléans-Angoulême, en vraie princesse
française, avait jeté ses regards sur les degrés du trône de France. Il
parait qu'elle avait pensé, pour sa fille, au premier dauphin François,
mort en 4536, puis au duc d'Orléans, troisième fils de François I".
Quelle que soit à cet égard l'opinion de plusieurs écrivains, nous ne
pouvons admettre que ce dernier projet eût pu aboutir. Le jeune
prince était entiché d'un mariage autrichien, et s'il n'eût pu épouser
une fille de l'empereur, il se serait rabattu sur une fille du roi des Ro-
mains, Ferdinand. Au moment de sa mort, la duchesse d'Etampes et
lui poursuivaient avec ardeur l'exécution du traité de Crépy-en- Valois,
1. Concpiise en 1512 par Ferdinand le Catholique sur Jean d'Albret, père de
Henri.
2. M. de Ruble attribue à ce testament la date du 18 janvier 1540, mais nous
craignons qu'elle ne soit fausse. Le 18 janvier 1540, Charlos-Quinl, qui traver-
sait la France pour aller châtier la révolte des Gantois, chevauchait entre Sois-
sons et Saint-Quentin, et il arriva dans cette ville le 19. Fait-on un testament
dans de telles conditions '( La vérité est que ce testament fut fait par l'empereur
avant son départ de Madrid. M. Gachard lui attribue la date du 5 novembre 1539,
qui me paraît très-préférable à l'autre.
ReV. HiSTOR. V. 1^'' FASC. 7
98 MÉLANOES KT DOCUMENTS.
qui posait on principe l'un ou l'autre mariage, et la reine de France,
Éléonorc, les aidait de toutes ses forces.
François I", dans les derniers temps de sa vie, inclinait à accorder
la main de sa nièce à Antoine de Hourhon, duc de Vendôme. 11 y
était poussé par le cardinal de Tournon, ce qui, dit Saint-Mauris,
avait valu au prélat l'inimitié du roi et de la reine de Navarre.
Henri II, qui n'avait généralement d'autre opinion que celle que
lui inculquait Diane de Poitiers, était d'abord disposé en faveur du
comte d'Aumale (François de Guise).
Reportons-nous maintenant à nos dépêches. Nous verrons qu'elles
sont conformes en plusieurs points à l'exposé qui précède.
La première dépêche est très-brève. « Encoires, dit-il, n'est arri-
vée madame d'Albrecht en ceste court où toutesfois elle se doibt tost
trouver. » En effet, Marguerite n'était pas à Rambouillet lors de la
fin si rapide de son frère. Quelque temps après, elle était souffrante,
et n'éprouvait aucun empressement à retourner à la cour, où domi-
naient des gens qu'elle n'aimait pas. L'ambassadeur est dans le vrai
quand il écrit : « 11 (le roi de Navarre) ne peult s'entendre avec le
connestable, duquel il mesparle souvent », et aussi quand il témoigne
une fois de plus de la. finesse de Montmorency ^
Une autre phrase de ce premier document indique que Henri 11 a
été gagné par sa maîtresse aux intérêts d'Aumale : « Depuis la mort
dud. feu roy, le daulphin a dit à mons'' d'Albrecht que led. mariaige
(avec Antoine de Bourbon) ne luy plaisoit et qu'elle (Jeanne) pourroit
estre coloquée mieulx à propoz... »
La seconde dépêche est beaucoup plus explicite. Et d'abord, elle
contient la mention d'un fait que nous n'avons vu rapporté nulle
part ailleurs. La jeune princesse, dit Saint-Mauris, a « quelques
glandes au colet ». Gela ne serait rien, mais le diplomate, en voie de
commérages, va bien plus loin encore et prétend que ces glandes
sont de nature scrofuleuse : « L'on se doubte ce ne soit le mal des
escrouelles et est jà led. mal dois longtemps, tellement qu'elle fut
touchée par le feu roy, que toutefois ne luy a prouffité; et Ton tient
que le roy (Henri II) y mettra la main après son sacre et la neuvaine
qu'il fera par luy ou aultre à Sainct Marcou au retour dud. sacre. »
Quoi qu'il faille penser de ce détail pathologique, nous voyons que
du mois d'avril au mois de juin (1547) Antoine de Bourbon a recon-
quis l'avantage sur son rival. 11 a maintenant la parole du roi. Sans
doute, au début, Henri U paraissait pencher pour Aumale, mais
1. « Le seigneur, qui entend très-bien sa game , dissimule le tout, faisant
son myeulx de luy complaire » {Luy, c'est Henri d'Albret).
LA MORT DE FRANÇOIS l". 99
deux considérations l'ont arrêté : d'abord Vendôme a pris une atti-
tude menaçante. Il a dit « que luy greveroit assez qu'il la veist
mariée et colloquée à ung qui fût de moindre maison que luy, des-
quelz propoz il pensa sourdre discrême entre lesd. seigneurs, comme
il fut advenu sans ce que le roy paciffia le tout ». En second lieu,
Henri II s'était aperçu que « la fdle le (Antoine de B.) reserchoit
plustot ^ » .
Tout dépendait donc désormais d'Henri d'Albret. Mais celui-ci se
faisait prier. Bien que « travellié des gouttes, bien exténué, poëseux
de sa personne, il prolongue le plus qu'il peult, écrit Saint-Mauris,
pour le désir qu'il a qu'il verroit voluntiers colloquer plus haulte-
ment lad. princesse ». Le roi de Navarre en effet faisait ses dernières
tentatives du côté de FEspagne. A défaut de l'infant, il aurait préféré
le prince de Piémont à un prince français. M. Laugel dit même,
coïncidence curieuse, qu'avant de se laisser fléchir, Henri d'Albret
fit des ouvertures à Saint-Mauris, qui les reçut froidement 2. Remar-
quons que nos dépêches sont muettes sur ce point. La raison en est
peut-être que ces ouvertures vinrent seulement plus tard, lors du
sacre de Henri II, auquel assistèrent Henri d'Albret et sa fille ^.
Nos pièces ne vont pas plus loin, mais le dénouement est connu.
Le mariage, d'où devait sortir Henri IV, fut célébré à Moulins le 20
octobre -1548.
En résumé, Ton remarquera l'étendue et la sûreté des informations
de Saint-Mauris. Gharles-Quint tenait à être mis au courant de
toutes choses, et ne reprochait pas leur prolixité à ses ambassadeurs.
Son envoyé à la cour de France ne nous paraît en défaut que dans le
passage relatif au comte de Grignan. Il semblerait en effet que le
gouverneur de Provence fut disgracié et même comparut en justice à
raison de faits se rattachant à la construction des nouvelles fortifica-
tions de Marseille. Il se peut que l'enquête, dont fut chargé le prieur
de Capoue, Léon Strozzi, qui venait de succéder au baron de Lagarde
1. Ce que ne dit pas Sainl-Mauris, c'est que Jeanne refusait l'alliance de François
de Guise, parce qu'elle ne voulait pas avoir pour belle-sœur une fille de M"'^ de
Brézé, qui, en 1547, épousa Claude de Guise, frère puîné de François.
2. Article de la Revue des Deux-Mondes, livraison du 15 juin 1877. M. Laugel
place en 1545 les ouvertures faites par Henri d'Albret à Saint-Mauris. Mais
comment se fait-il que celui-ci ne les rappelle pas? Ne serait-il pas possible que
ces ouvertures n'aient été faites que postérieurement à nos dépêches ?
3. Le sacre eut lieu à Reims le 27 juillet 1547.
100 MELANGES ET DOCUMENTS.
comme général des galères, ait porté sur ce point spécial, mais la
vraie cause de la disgrâce de Grignau, ce fut la part qu'il avait prise
aux atrocités commises contre les Vaudois de Mcrindol et de Ca-
brières. Toutefois il rentra bientôt en grâce % et son innocence
entraîna celle de ses complices. Un avocat-général au parlement
d'Aix, Guérin, pa^a pour tous.
Gh. Paillard.
I.
Dépêche de Jean de Saint-Mauris^, ambassadeur de Charles-Quint à la
cour de France (20 avril 1547. Archives du royaume de Belgique à
Bruxelles. — Papiers d'État. — Nég. de France, t. II, p. 77 à 84). —
Inédit en très-grande partie.
A la Royne [Marie, veuve de Louis II de Hongrie, gouvernante
des Pays-Bas], du xx« d'avril 47, par l'ambassadeur Saint-Mauris.
Gomme, depuis le décès du Roy de France, l'on a sçeu plus par le
menu ce que il avoit passé en sa maladie, l'on en fera, en particulier,
récit, sans aultrement remantevoir ce que en a esté escript trois jours
avant que led. seig"" Roy de France ^ mourust.
Il cogneust et déclara que c'estoit fait de luy et que, à ceste cause,
il vouloit du tout adonner ses pensées à Dieu et disposer de sa cons-
cience, enchargeant que l'on ne luy parla d'autres afîaires. Et, en pre-
mier lieu, il dit à l'evesque de Mascon qui luy trouva -* l'hommélie de
saint Augustin, quant à la contrition de la Magdelaine, suivant quoy
led. seigneur de Mascon la feist chercer, mais, non le treuvant, il luy
en leut une aultre de mesme substance estant d'ung aultre aucteur,
laquelle led. Roy de France dist n'estre celle qu'il demandoit. En quoy
l'on nota sa bien grande mémoire de ce qu'il sçeust diversiffier l'ung et
l'aultre et, après la lecture, il feist oraison à Dieu avec bien longz
propoz, tous tendans à accuser ses pechéz, et le suppliant de pardon,
usant de ses^ propoz que, combien il l'eust par trop offensé, si espé-
1. Voici encore un point qui mériterait bien d'être éclairci. Tous les historiens
disent que Grignan se sauva, en faisant une vente simulée de sa seigneurie au
profit de François de Guise. Mais cette vente, qui daterait de 1550, est-elle cer-
taine? dit Guillaume Ribier (I, 237), et il ajoute avoir vu une lettre écrite à
une époque bien postérieure par Grignan à Beauregard, secrétaire des comman-
dements, relativement aux lettres d'érection de cette terre en comté.
2. Jean de Saint-Mauris, né à Dole, successivement professeur de droit à
l'Université de cette ville, conseiller au Parlement, conseiller d'État des Pays-
Bas, ambassadeur en France en 1524. Il était le beau-frère de Nicolas Perrenot
de Granvelle, de François Bonvalot, abbé de Saint- Vincent et archevêque de
Besançon, et bel oncle du cardinal Granvelle.
3. François I", mort à Rambouillet, le 31 mars 1547.
4. Qu'il lui trouvât.
5. Pour ces.
LA MORT DE FRANÇOIS l". ^0I
roit-il que il luy remettroit sa culpe, puis que il luy demandoit de bon
ceur remission. Et souvent il reprint les mesmes propoz, entremeslant
en cecy une infinité de maulx qu'il avoit commis sur son peuple, et
d'avoir quelque fois commancé la guerre à bien legiere occasion, et fait
de grandes praticques contraires au bien de la chrestienneté, dont
estoient reusciz une infinité de malheurtez, tousjours demandant
pardon à Dieu, et l'on a sçeu de personnaige de respect, qui asseure
l'avoir entendu de Monsieur de Boisi< que led. seig' Roy dit peu
après, en apert, à monseig'' le Daulphin qu'il regarda de faire raison à
Monseig"" de Savoye et que il sçavoit que le Piedmont luy avoit esté
prins pour parvenir à Testât de Milan, avec propoz que l'on luy avoit
tenuz du commencement que l'on le luy rendroit, après que l'on auroit
conquis ledit Milan. Mesmes déclara que quant il a Savoye et Bresse,
et que n'y avoit raison luy détenir, et que, à ceste cause, il en des-
chargeoit sa conscience envers Dieu et en enchargeoit la sienne par
espécial quant à lad. Savoye et Bresse, et que, du Piedmont, il trou-
veroit bon et le ordonnoit ainsi que l'on en traicta avec led. seig""
de Savoye, en luy donnant bonne récompense en France, et que l'on
ensuyvist les moyens qu'il avoit mis en avant tant pour lad. recom-
pense que pour traicter avec led. seig"" de Savoie, tumbant son propoz
en ceste conclusion qu'il mouroit avec ceste volunté que raison se feist
aud. seig"" de Savoye, fût par récompense ou autrement, et qu'il prioit
led. Daulphin faire de rechief bien consulter pour l'acquit de leurs
consciences, s'ilz avoyent droit aud. Piedmont pour le regard de Prou-
vence et s'il estoit bien fondé quant à la querelle de sa grand mère 2, à
cause que led. seig"" de Savoye allegoit avoir quitance du dot d'elle,
mais que sur tout il feist la raison aud. seig^ de Savoye tant du prin-
cipal que des fruitz escheuz lors.
Aussi luy parla de madame d'Estampes 3, le priant qu'il ne la
voulsist maltraitter et avoir pitié d'elle, d'autant que c'estoit une
femme, l'exhortant de non tant se soubmettre à la voulunté d'aultres,
comme il avoit fait à celle de lad. dame d'Estampes.
Si esse que, sus la fin de ses jours, par espécial quant l'on luy donna
la sainte unction, il ne voulsit que lad. dame d'Estampes y assista, et
comme il la veit entrer en sa chambre, il feit signe de sa main que
l'on la feit retourner, et, comme elle fut rentrée en sa chambre, elle
se pasma en terre, faisant un cry espouvantable, disant : Terre, englouti
moij, et, estant revenue à elle, soubdain elle monta en sa litière et
sailUt hors du chasteau, accompaignée de l'évesque de Gondon'', son
1. Claude Gouffier, marquis de Boisy, duc de Roannès, grand écuyer, premier
gentilhomme de la chambre, mort en 1570 ; il était fils d'Artus, qui avait été le
gouverneur de François l".
2. Louise de Savoie, épouse de Charles, comte d'Angoulême.
3. Anne de Pisseleu, duchesse d'Étampes.
4. Charles de Pisseleu, évéqiie de Condom, mort en 1563.
102 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
IVoiv, H (le nions'- de LavaU, lequel est esté fort blasmé do ce qu'il l'a
suivit, et dont led. daulphin l'en reboule, comme aussi fait le connes-
table, contre lequel il tenoit partie en faveur de Mad° dame d'Estampes,
chose que l'on luy remarche ^ vivement, en sorte qu'il ne sçet où il en
est do présent.
Retournant aud. seig"" Roy de France, il foit promettre aud. Daul-
phin qu'il prendroit et retiendrait à son service tous ses serviteurs,
disant que il en seroit servy loyaulment, car il leur en avoit donné l'es-
guillon et que, comme il les avoit mal récompensez, il désiroit que il les
traicta très bien, ce que led. daulphin luy accorda, lequel les a tous
retenuz et fait dire que, si les anchiens se veuillent retirer, que il
les fera pourveoir à leurs vies de leurs gaiges tout autant que s'ilz
servoient.
En mesme temps, led. seig'' Roy pria le cardinal Tornon^, l'admirai
de France*, Boisi, Sordi^ et autres de sa chambre de non le délaisser
jusques après sa mort, remonstrant qu'il sçavoit la coustume estre que,
quant ung grant prince approchoit la mort, que les siens l'abandon-
noient pour le regret qu'ilz avoient de le veoir morir et il^ admettoit
l'on estrangiers, et que s'il venoit à veoir cela, il pourroit se altérer
de son bon sens et non si bien pourveoir à sa conscience, en sorte que
tous les susditz furent auprès de luy jusques à ce qu'il eust rendu
l'esprit, et, le jour avant qu'il mouru, il dit aud. seig^ de Boisi qu'il
nota bien l'heure qu'il estoit lors, et qu'il s'apercevoit qu'il ne passeroit
en vye vingt-quatre heures, comme il advint, car justement il trespassa
au boult de xxiiij heures, et, la nuit avant sa mort, le daulphin se
retira sans plus le veoir et le supplia, prenant congié, de luy donner
sa bénédiction, ce que il feist avec bien grande constance, l'accompai-
gnant d'une infinité de bons propoz et telz que led. daulphin s'esva-
nouit sur le lict dud. Roy, lequel le tenoit à demy embrassé et ne le
povoit laisser eschapper. Toutesfois led. daulphin fust prins par l'ad-
mirai et mené hors de la chambre avec propos de consolation, mesmes
de la fragilité de cette vye mondaine. Et auparavant led. feu Roy avoit
déclaré par le menu qu'il debvoit et avoit retenu à aucuns particuliers
marchans bagues et autres choses qu'il vouloit leur estre payez. Toutes
1. Ce seigneur de Laval (le même assurément qui fut otage après la paix de
Crépy-en- Valois) est sans doute Gilles II de Laval, époux de Louise de Sainte-
Maure, décédé en 1559. Il était frère et héritier de René de Laval, époux de
Jeanne de Brosse, celle-ci sœur de Jean de Brosse, l'époux de la favorite.
2. Remarque, reproche.
3. François de Tournon, ancien archevêque d'Embrun, cardinal d'Ostie.
4. Claude, seigneur d'Annebaut.
5. Jean d'Escoubleau, seigneur de Sourdis en Poitou, valet de chambre mtime
de François !•=' (il couchait dans la chambre du roi), plus tard gentilhomme de
la chambre et maître de la garde-robe (Ribier, passim).
6. Pour ij.
LA MORT DE FRANÇOIS l". -103
fois, retumbant on co propoz qu'il esperoit que Dieu luy feroit miséri-
corde, puisqu'il la luy demandoit d'un ccur confès et contrit, et, où il
eust perdu la parolle, il ne cessa jusques à la mort de faire le signe de
la croix, et, tousjoursà mains jointes, endressa les yeulx contre le ciel,
recourant à Dieu, et baisa longuement la paix que luy fust présentée
par mons' de Mascon*, et mourut avec la susdite repentance et cognois-
sance de son péché, ayant enchargé le daulphin de faire tout ce qu'il
verra et cognoistra convenir pour l'acquit de son âme.
Quant est de madame d'Estampes, dois qu'elle se partit de Ram-
bouillet où le Roy mouru, elle a tousjours esté à Limours en pleurs et
lamentations continuelles, et pensa despérer^ quant l'on luy dit la prinse
de Longheval^, pour ce qu'il sçet toutes ses menées. Le mesme deuil
eust elle de la rétention de Raniet, son controUeur, lequel fut mis entre
les mains de quatre sergans, desquelz il trouva une nuyt façon d'es-
chapper tellement qu'il s'est absenté de France.
Lad. dame d'Estampes avoit fait secrètement mener chez ung prési-
dent de Paris, son allié, la pluspart de sa vasseille et autres bagues,
mais tout a esté descouvert et les coffres scellez.
Lad. dame d'Estampes, entendant que son mary venoit en court,
elle luy a mandé ung gentilhomme pour le supplier qu'il eust pitié
d'elle''. Ce sont choses bien eslongées de ce que autresfois elle ne fai-
soit aucune estime de luy. Et dient aulcuns que le daulphin veult qu'il
ait les meubles de lad. dame d'Estampes, et, s'il tumbe confiscation aux
immeubles, que aussy ilz luy soient réservez, attendu qu'il doibt par
raison avoir la moittié. Et combien que led. seig'" d'Estampes fust esté
quelque peu débouté avant la mort du Roy, selon que l'on l'a cy
devant escript, si esse que led. daulphin a voulsu de luy mesmes qu'il
retourna, et sitost que le Roy fust mort, il le manda. Si en somme lad.
dame d'Estampes comparissoit en publique, le peuple la lapideroit : Il a
1. Pierre du Chastel ou Châtelain, ou encore Castellan (Oastelianus).
2. Désespérer.
3. Nicolas de Bossut, seigneur de Longueval. Un procès crimlnellui fut intenté
après la mort du roi pour avoir eu part au dernier traité avec l'empereur (celui
de Crépy-en- Valois). Il fut notamment accusé d'avoir renseigné Charles-Quint, au
cours de la campagne de 1544, sur les magasins d'Épernay et de Château-Thierry,
grâce à la découverte desquels l'armée impériale, qui allait se débander, put
arriver jusqu'à Soissons et menacer Paris. II échappa à la peine capitale à cause
des mêmes raisons qui décidèrent Henri II à épargner la duchesse d'Étampes.
Ajoutons que pour sauver sa tête, il dut faire donation au cardinal de Lorraine
(sous forme de vente sùnulée) de son beau château de Marchais, près Laon.
4. Jean de Brosse, duc d'Étampes, chevalier de l'ordre, gouverneur de Bre-
tagne. Il était brouillé avec sa femme, non pour l'atteinte portée à son honneur,
mais surtout pour des questions d'intérêt. Ainsi il accusait la duchesse de
retenir pour elle les gages de son gouvernement et de ruiner sa propre maison
pour enrichir sa sœur bien-aimée, Charlotte de Pisseleu, comtesse de Vertus. Il
y eut même sur ce point un procès où Henri II témoigna le 21 juin 1556 au
prolit du duc d'Étampes.
104 MKU\(.ES ET DOCUME.MS.
ostc grand bruit on co royaulmo, par cspccial à Paris, q\w la lîoyne
douaigièrc ' vouioit persister à ce que ladite dame d'Estampes luy feist
réparation honnorable, mais ce sont choses controuvées et auxquelles
sa Majesté ne pensa oncques, remettant vengeance du mefTait à Dieu
ot au chastoy que s'en pourra ensuyr pour les malversations de lad.
dame d'Estampes, laquelle l'on dit estro en tel désespoir que, si elle y
continue, elle demourera soubz le fais, qu'est ce que l'on demande
et selon qu'elle le mérite 2.
L'on avoit cy devant fait dire au cardinal de Tornon qu'il ne sçauroit
mieux faire que soy retirer en sa maison après les obsèques du feu
Roy, sans ce qu'il deust autrement venir en court. Toutesfois il a tant
importuné que le daulphin a esté content qu'il vint parler à luy à
Saint-Germain, duquel il fut reçeu assez mesgrement, avec toutesfois
ce propoz qu'il se contentoit du service qu'il avoit cy devant fait, sans
passer plus avant qu'il le voulsist retenir aux affaires, par où le car-
dinal de Tornon le supplia qu'il fût content qu'il alla pour ung an ou
deux visiter ses bénéfices, ce que led. daulphin luy consenti; et, si
Dieu le permet plus vivre, après avoir achevé lad. Visitation, il fait
son compte d'aller à Rome et employer la reste de sa vye pour ce qui
attouchera le service du Saint-Siège apostolique 3. Le connestable et
luy se veirent naguerres à Saint-Clou, où led. seig"" connestable fut
pour donner de l'eaue bénite au corps du feu Roy, et entre eulx eurent
maintz propoz d'amitié, laquelle, à la vérité, est du tout fainte et dissi-
mulée. En quoy l'ung et l'autre ne se forcontent aucunement.
En même temps, l'admirai fut saluer led. daulphin aud. Saint-Ger-
main, auquel le jeusne Saint- André'' le présenta, et le recueilloit favo-
rablement led. daulphin, qui le oyt bien longuement. L'on dit que led.
admirai luy tint propoz de maintes choses que se disoient contre luy,
justifiant au contraire toutes ses actions et qu'il estoit content le faire
juge s'il avoit sincèrement servy le feu Roy. En quoy led. daulphin luy
dit qu'il sçavoit qu'il avoit tousjours bien versé et que, pour ceste
raison, il le continuoit en son estât d'admiral, sans particulariser plus
avant autres charges qu'il a. Et depuis led. admirai a fait grande
instance d'estre entremis aux principaulx affaires avec le connestable,
mais l'on luy a refusé. Bien a l'on consentu qu'il se pourroit trouver
1. Éléonore d'Autriche, sœur de Charles-Quint, mariée en secondes noces à
François I", en exécution du traité de Madrid, ou plutôt de celui de Cambrai,
dit la paix des dames.
2. La dépêche a été publiée par M. Gachard jusqu'à ce mot dans le tome V,
2= série, des bulletins de la Commission d'histoire de Belgique.
3. Le cardinal de Tournon perdit en 1547 la charge de chancelier de l'ordre,
laquelle fut donnée au cardinal de Lorraine. Il rentra en grâce plus tard et ne
mourut que le 22 avril 1562. A partir de la mort de François l", il séjourna
presque toujours à Rome, où le retenait la jalousie défiante des Guises.
4. Jacques d'Albon, maréchal de Saint-André, tué d'un coup de pistolet par
Bobigny de Mezières, à la bataille de Dreux (décembre 1 562) .
LA MORT DE FRANÇOIS l". 405
au conseil. Il est bruyt qu'il tâcha de marier son filz * avec une des
tilles dud. connestable, lequel y preste assez l'oreille, attendu qu'il est
chargé de filles, et, si cela s'ascheve, led. admirai pourra demeurer
auctorisé plus que autrement il ne sera sans cela. Hz eurent lors
longues devises, led. connestable et luy, et sont de présent retournez
led. cardinal de Tornon et admirai aud. Saint-Gloud complir la qua-
rantaine dud. feu Roy, où il seroit jusques aux exeques, lesquelles ne
se célébreront avant le xx" de may prochain, à cause que le corps du
feu daulphinS ne pourra estre si tost amené. L'on a fait icy ung compte
dud. cardinal de Tornon qu'est que, comme il fait ordinairement les
ceremonyes lorsque l'on sert la table du feu Roy, il ne le fait jamais
sans plorer et soy lamenter beaucop, ramentevant en publicque les
grandes vertuz dud. feu Roy, qu'est, comme l'on dit, afin que le daul-
phin ait tant plus regard à luy et qu'il le continue en son service pour
le tesmoingnaige qu'il donne du regret et sentement qu'il a de la mort
dud. feu Roy.
Il avoit esté cy-devant commandé que mons"" de Grignan^ seroit
mené à la bastille, mais led. cardinal de Tornon et luy ont depuis tant
et si vivement poursuy que le daulphin a esté content que led. seig'
de Gringnan se vint justiffier en personne pardevant luy en son con-
seil, après toutesfois l'avoir desmis de son gouvernement de Provence,
comme encoires de puis il a fait de Testât de chevalier d'honneur de la
daulphine"*, duquel estât a été pourveu le vieux Saint-André^, dois
qu'elle est royne. A propos dud. seig"" de Grignan, l'on a remis au
pryeur de Gapua^ de visiter le lieu, ouquel led. seig' de Grignan
insistoit du vivant du feu Roy l'on feist un fort près Marseille, estant
lad. place près le port dud. Marseille, dont l'on a jà cy devant adverti,
et pour vray led. pryeur a les gallères du Roy, lesquelles ont esté ostées
au Paulin ''^ puis six jours et depuis son dernier retour d'Angleterre,
1. Jean d'Annebaut, seigneur de la Hunaudaye, mort en 1562 des suites des
blessures reçues à la bataille de Dreux. Le mariage dont il est parlé ci-dessus
ne se fit point.
2. Le premier dauphin, François, duc de Bretagne, né le 28 février 1518, mort
le 10 août 1536 à Valence. François I" fut enterré avec ses deux fds, morts avant
lui, François et Charles, duc d'Orléans, et les funérailles solennelles eurent lieu
le 22 mai 1547 à Paris et le 27 à Saint-Denis.
3. Adhémar de Monteil, premier comte de Grignan, gouverneur de Provence,
chevalier de l'ordre, etc., mort sans postérité en 1557. Les Castellane ont été
substitués aux Monteil.
4. Catherine de Médicis.
5. Jean d'Albon, père du maréchal de Saint-André.
6. Léon Strozzi, frère de Pierre, prieur de Capoue, général des galères.
7. Le capitaine Paulin, baron de La Garde, général des galères sous Fran-
çois I" et fort connu pour avoir été employé dans toutes les négociations avec
Solhnan IL Le véritable nom de ce célèbre aventurier est Antoine Escalin des
Aymars.
^0(> MÉLANGKS ET I)OCUMK\TS.
dont il so rotrouvo fort oslonné ot n'est plus tant insolent, comme il
souloit. Il est contraint suyvir le connestable pour cstre entremis en
quelque moindre charge, mais l'on le desgoutc plattemcnt, et si est en
dangier d'estre détenu pour ce que le capitaine Claude (?) l'accoulpe de
maintes mauvaises choses.
Le seig"" de RoUe a esté en ceste court par quelques jours dois la
mort du Roy, et se dit qu'il s'en debvoit absenter avec charge d'aller
donner quelque ordre aux frontières de la Savoye, et que au reste il
avoit esté retenu au service d'icy comme auparavant.
En ceste court, y a ung italien, nommé Felice del Palatio, lequel, du
vivant du feu Roy, alloit souvent en Anvers et faisoit profession de
rapporter audit Roy tout ce qu'il entendoit celle part tant des affaires
de l'empereur que de Testât du pays. L'on ne sçet s'il continuera tous-
jours en la susdite practique.
Aussi suyt cesdite court un italien nommé Paule-Baptiste Frégoze',
lequel dit avoir bien bonne amitié et intelligence avec un frère du car-
dinal Doria; et a icy déclaré aux ministres du daulphin que, si l'on le
vouloit favorizer, qu'il estoit en sa main mettre Gennes avec le temps
entre les mains de ceulx d'icy 2, lesquelz, cognoissant la faulte que jà
y a esté naguerres faicte^, ont desgoutté ce que il leur en avoit dit et
rebouté ceste practique, selon que l'on a sçeu par Olzatius.
Les prélatz d'icy, signamment Baleyne, peuvent bien prendre la
constitution du pape de retenir seullement ung grant bénéfice, mais il
est bruyt que le daulphin l'a trouvé bonne, et que, si led. concil se
maine à quelque perfection, qu'il la fera précisément observer.
Encoires n'est arrivée madame d'Albrecht en ceste court, où toutes-
fois elle se doibt tost trouver. Elle et son mary^ ont conceu une bien
grande haisne contre le cardinal de Tornon à cause qu'il pressoit le feu
Roy de traiter le mariage de leur fille avec mons"- de Vendosme^,
mais, depuis la mort dud. feu Roy, le daulphin a dit à mons"- d'Al-
brecht que led. mariaige ne luy plaisoit et qu'elle pourroit estre
1. Sans doute un parent du Génois César Frégose, que le marquis du Guast,
gouverneur du Milanais, avait fait assassiner avec Antoine Rincon, au moment
où ils se rendaient en descendant le Pô à Venise et de là à Constantinople. Fré-
gose et Rincon étaient au nombre des agents diplomatiques secrets qu'employait
François I".
2. il y avait à Gènes des conspirations continuelles contre les Doria et notam-
ment contre le vieil André Doria pour placer la ville sous la domination de la
France.
3. Allusion probable à la conjuration de Fiesque (Jean-Louis Fieschi).
4. Henri II d'Albret, roi de Navarre, comte de Foix, né en avril 1503, mort le
25 mai 1555, marié le 3 janvier 1527 à Marguerite dOrléans-Angouléme, sœur
de François I".
5. Antoine de Bourbon, qu'elle épousa en efifet le 20 octobre 1548.
LA MORT DE FRANÇOIS l". ^07
colorée' mieulx à propoz, Tasseurant qu'il en auroit le mesme soing,
comme si c'estoit sa sœur propre 2.
Le duc de Montpensier^ est aujourd'huy en court, demandant justice
au dauphin des terres qu'on luy détient de la succession de feu mons'
de Bourbon''* et il espère qu'elle luy sera administrée, selon que led,
daulphin démonstre estre très enclin à la faire observer à ung chascun.
Et, à ce propoz, il se dit qu'il a deffendu que désormais l'on vendit
aucuns offices de judicature et que tous ces supernumeraires fussent
reduitz au vray et anchien nombre, non point par départ présent, mais
non admettant ou instituant autres en leurs lieux.
Il est quelque bruyt que le daulphin veult faire fortifier Bohain^, et
rendre la place deffensable contre ung camp, et qu'il a donné charge à
mons"" de Vendosme de visiter la place.
Pierre Strosse^ a esté estably capitaine général de l'infanterie ita-
lienne pour le Roy, et en a l'on osté la charge au comte Sansegonde
avec ceste couleur qui fut du tout cassé et ypothéqué de ses membres.
Si esse qu'il a tousjours esté retenu au service de France. Led. conte a
icy mandé la justification de son cartel, et Strosse au contraire dit qu'il
a satisfait à son debvoir et que, si led. conte allègue que la notoireté
de ses œuvres tesmoingnent qu'il ne soit tel que led. Strosse l'a des-
paint, qu'il se remect au jugement des hommes de sain entendement,
si, souffrant telles injures, il ne consente pas assez qu'il n'est si qua-
liffié champion qu'il se faif.
Hz ont icy fait publicque que la Bohême estoit en termes de soy
rebeller contre le roy des Rommains^ et que ce soit par les practiques
du jadis électeur^, leur persuadant que l'on les veuille contraindre à
délaisser leur religion, de laquelle nouvelle le peuple d'icy s'est gran-
dement resjoy, estimant que ce sera tousjours tant plus d'empesche-
ment à l'Empereur. Vray est que le daulphin et ses ministres en parlent
et de toutes autres choses attouchant sad. Majesté trop plus sabrement
que l'on ne vouloit^*^ du vivant du feu Roy. Et se dit que ledit daul-
phin a commandé que l'on ne divulga telles ny semblables nou-
velles.
1. Il est probable qu'il faudrait lire : colloffuée.
2. Jeanne d'Albret était, comme on l'a vu, la cousine germaine de Henri II.
3. Louis II de Bourbon, duc de Montpensier.
4. Le connétable de Bourbon.
5. Petite ville du département de l'Aisne, arrond. de Saint-Quentin.
6. Pierre Strozzi, maréchal de France en 1554, marié àLaudaminede Médicis,
mort le 20 Juin 1558 d'un coup de mousquet reçu au siège de Thionville.
7. Il y avait eu cartel échangé entre Pierre Strozzi et le comte Sansegonde.
8. Ferdinand, frère de Charles-Quint.
9. Vraisemblablement Jean-Frédéric I", électeur de Saxe, dépossédé par
Charles-Quint après la bataille de Muhlberg.
10. Voulait est ici évidemment pour soulolt. Il y a eu erreur de déchiffre-
ment.
iOS MÉLANGES ET DOCIIMEMS.
Monsoig'' lo ilaulpliiii* et niad" Ysabollc^ doilivfnt ostro hiontost à
Saint-Gormain où ilz rosi(U>ront tlésormais, et, quant la court y sora,
l'on los rotirora à la Muotto, hujuollo lo daulphin'' fait parachever tant
à la susdite occasion que pour ce qu'il en fut requis par le feu Roy
durant sa maladie. Et désire led. daulphin demeurer aud. Saint-Ger-
main à cause qu'il y a esté nourry', outre la commodité de l'air et du
ohasteau. Il a promis à ung chascun d'y bastir et à Fontainebleau, où
il jH-opose estre l'yver et sus le printemps à Bloys, Amboise et Tours,
l'esté aud. Saint-Germain et le surplus de l'année alentour de Com-
piègne. Led. daulphin, le xix« de ce mois, se partit dud. Saint-Ger-
main, allant en aucunes places du connestable, où il doibt estre au
plus viij ou X jours. Et, ce pendant, l'on nettoyé le logis dud. Saint-
Germain pour y recepvoir led. seig"" daulphin et sa seur, desquelz
mons"" de Humières^ a le gouvernement.
La royne présente est ensainte^, de quoy le peuple de France s'es-
joyt grandement.
Il est quelque bruyt que le daulphin doibt envoyer devers Sa Majesté"^
autre ambassadeur que Mesnaige ^, pour ce que led. Mesnaige a esté
mis en lad. charge par la main du cardinal de Tournon, et que le
mesm.es se fera de messire Livio Crotto, dépendant le tout de l'admirai.
Toutesfois cecy ne se sçet encoires la vérité.
Le connestable feist naguères nouveau serment de son estât de con-
nestable que fut à l'issue du disner du Roy. Le meismes feit le chan-
cellier^ du sien et lors aussi le premier président de Paris ^*> eust une
harenge tendante à supplier le Roy qu'il voulsist confermer ceulx de sa
justice de Paris en leurs estatz, ce qu'il consentit. Le meismes feit-il
lors à ceulx de Rouan, en faveur desquelz le président Rémont feit le
propoz, lequel fut long et celluy du président succinct, qui tous deux
orarent, comme il se publye, fort doctement et que le daulphin leur
respondit en briefves paroUes très prudemment.
L'on a sçeu de bon lieu que, environ le viij* d'avril, arriva en ceste
1. Depuis François II.
2. Isabelle ou Elisabeth" de Valois ou de France, mariée en 1559, le 22 juin, à
Philippe II, roi d'Espagne.
3. C'est-à-dire Henri II. Saint-Mauris continue à l'appeler dauphin, parce que
son sacre n'a pas encore eu lieu. Cette cérémonie ne fut accomplie que le
25 juillet 1547.
4. Il y était né le 31 mars 1518.
5. Jean III de Humières, lieutenant général en Dauphiné, chevalier de
l'ordre, etc., mort en 1550.
6. De Claude de France, née en novembre 1547 ; depuis mariée à Charles II,
duc de Lorraine.
7. Charles-Quint.
8. Ménage, ambassadeur de France à Bruxelles.
9. François Obvier, seigneur de Leuville.
10. Pierre Lizet.
LA MORT DE FRANÇOIS l". ^09
court un homme du pape*, lequel, avec le nunce, furent en court par
deux jours négocians secrètement. Aucuns dient que ce a esté pour
endresser le mariaige du seig'" Orace^ estant tousjours en termes, et
peu avant la mort du feu Roy, le s' Tiburce, maistre d'hostel dud. seig'
Orace, fut par luy mandé envers led. pape pour l'exhorter et persuader
d'avancer les deniers que led. feu Roy demandoit, réduitz à iicm escuz
pour acheter places en France pour led. seig"" Horace. Gecy estoit de la
menée du cardinal de Tournon, lequel favorisoit led. mariaige pour
attirer le pape à leur dévotion. Et tachant par le moyen du nonce et
cardinal Fernèse^ que le pape, venant à mourir, le deust recommander
aux cardinaulx pour le créer pape, mais la chance est bien tost aultre-
ment tournée.
L'on parle icy que l'on veult donner ung adjoint au garde des seaulx''
et dit l'on que ce sera le président Bertrandi, mais cecy n'est pas chose
seur, car led. garde des seaulx a si bien joué son rolle qu'il a acquis
la grâce de la seneschalle de Normandie et du connestable. Led. prési-
dent a délaissé son estât de tiers président de Paris par la promotion à
l'evesché de Limoges que l'on a osté au cardinal Medon^, auquel
BelayS la gardoit. Et en délaissa led. de Medon faire la despesche pour
éviter la despence, espérant de quelque jour aller à Rome pour y
pourveoir. En quoy il s'est trouvé abusé et s'est faite déclaration par le
daulphin que si aucun président venoit à avoir evesché, qu'il lairoit
son estât; et comme le président Spifame^ a esté créé evesque de
Nevers, il est contraint quitter son office de président de Paris.
L'on a aussi sçeu par la voye de Olzatius qu'il estoit arrivé passé
XV jours en habit dissimulé ung homme du Turck envoyé au feu roy
pour luy faire entendre que led. Turcq avoit résolu d'entrer puissant
ceste année tant en Hongrie que Naples, et que sa détermination estoit
premièrement d'entrer en la Transilvanie pour en deschasser le moisne^
et la vefve de PoUone^, à cause qu'ilz luy occupent certaines places, et
1. Paul III (Farnèse), aïeul du jeune seigneur ci-après nommé, lerpiel était fils
de Pierre-Louis Farnèse, duc de Parme, lui-même fils de Paul III.
2. Horace Farnèse, duc de Castro, qui, le 13 février 1552, épousa Diane, fille
naturelle du roi Henri II (née de Philippe Duc, dite la d"" de Cony). Ce brillant
jeune homme fut tué en 1553 en défendant Hesdiu.
3. Alexandre Farnèse, autre fds de Pierre-Louis et par conséquent frère du
jeune Horace, archevêque d'Avignon, légat en France.
4. En effet Olivier avait eu une attaque de paralysie, et on dut lui donner un
adjoint qui fut Jean Bertrand ou Bertrandi, lequel fut nommé garde des sceaux
en titre le 22 mai 1551.
5. Antoine Sanguin, cardinal de Meudon, oncle de la duchesse d'Étampes.
6. Le cardinal Jean du Bellay.
7. Spifame, Jacques-Paul, d'abord conseiller au Parlement et président aux
enquêtes.
8. Georges Martinuzzi, ministre de la reine de Hongrie.
9. Elisabeth de Pologne, sœur de Sigisraond Auguste, roi de Pologne, et veuve
de Jean Zapolski, roi de Hongrie.
^^0 MÉLANf.ES El DOCUMENTS.
pour aussi mi^ttro soubz sa main louto lad. Transilvanif^ ot que, dois
là, prendra son chemin contre l'isle de Gomaire*, et l'on tient icy
propoz que Condet a charge de la bende des avant-courreurs pour l'as-
seurance qu'il a donne qu"il sç.avoit les passaiges de l'Austrice.
11 y a de présent en cesto court ung ambasadcur de Boulloingne^, y
ayant esté envoyé pour les affaires de la vefvo Vaivode^, afin que il
pleust au Roy la favorizer envers le Turcq et tenir main qu'il luy dcust
laisser pour l'enllant d'elle lad. Transilvanie paisible. JMais l'on ne
sçet encoircs (juelle responce aura faite le dauphin en cecy. Led. daul-
phin a esté advcrti naguères que M« Gérard avoit eu audience envers
led. Turcq, mais non pas encoires la responce, et qu'il n'y avoit aucun
espoir qu'il peult aucune chose ^traitter, d'aultant que l'armée dud.
Turcq est jà quasi préparée.
La scneschallc de Normandie-* a eu du daulphin en présent le
prouffit de la confirmation de tous estatz de France, dont elle a jà
refusé trois cens mil frans. Après le deces du feu Roy Loys dernier^',
le don en fut fait à feue Madame la Régente '', par où aucuns furent
d'oppinion qu'il se debvoit laisser à Madame Marguerite^, laquelle
toutesfois ne feit autre instance. Aussi fût-ce esté en vain, car lad.
seneschalle de Normandie aaujourd'huy tel crédit envers led. daulphin
qu'il seroit impossible de plus. Voires se rendt led. daulphin plus
incliné d'atiection à elle que le feu Roy ne faisoit à Mad'^ d'Estampes,
de manière qu'elle a la première voix en chapitre, et si tost que led.
daulphin a négocié avec quelque ambassadeur, il se trouve incontinent
vers elle pour luy donner compte de ce qu'il a passé, et se rend du
tout affectionné à elle.
II.
Dépêche de Saint-Mauris, ambassadeur de Gharles-Quiat à la cour de
France. Juin 1547 [Archives du royaume de Belgique. Papiers d'État.
Négociations de France, t. II, p. 87 à 100). Inédit.
Les occurans d'ici sont telz. Le mariage de la princesse d'AUebregt
1. Coraaire, Komore, Komare, aujourd'hui Koraorn, forteresse placée dans la
basse Hongrie sur la pointe orientale de la grande île de Schut, à l'endroit où se
rejoignent les deux branches du Danube.
2. Pologne (?)
3. Le vaivode de Transylvanie. Cette veuve n'est autre, croyons-nous, qu'Eli-
sabeth ci-dessus uommée.
4. Diane de Poitiers, maîtresse de Henri \l, veuve depuis 1531 de Louis de
Brezé, gouverneur et sénéchal de Normandie.
5. Louis XII.
6. Louise de Savoie.
7. Marguerite de France, duchesse de Berry et de Savoie, fille de François I"
et de Claude de France, née à Samt-Germain en Laye le 5 juin 1523, mariée en
1559 à Emmanuel Philibert, duc de Savoie.
LA MORT DE FRANÇOIS I*'. ^^^
avec monsieur de Vendosme se continue tousjours en sorte que l'on
dit il se conclura bien tost, si le père s'y veult accommoder, et a le
Roy, pour l'effect d'iceluy, donné sa parole aud. seig"- de Vendosme
pour exclure tous autres qui y vouldroyent poursuyre. Lad. princesse a
quelques glandes au colet que l'on se doubte ce ne soit le mal des
escrouelles, et est jà led. mal dois longtemps, tellement qu'elle fut
touchée par le feu Roy, que toutesfois ne luy a prouffité, et l'on tient
que le Roy y mettra la main après son sacre, et la neuvaine qu'il fera
par luy ou aultre à Sainct Marcou au retour dud. sacre. Et comme
monsieur d'Ommale i s'est quelque fois avancyé pour faire la court à
lad. princesse, led. seig-" de Vendosme, deffendant sa querelle, dit que
luy greveroit assez qu'il la veist mariée et colloquée à ung qui fut
de moindre maison que luy, desquelz propoz il pensa sourdre dis-
crème2 entre lesd. seigneurs, comme il fut advenu sans ce que le Roy
paciffla le tout, lequel, du commencement, eust bien désiré complaire
aud. seig"- d'Ommale dud. mariaige; mais, après avoir entendu que
l'alliance convenoit trop mieulx en l'aultre seigneur et que la fille le
reserchoit plus tôt, il s'accommoda enfin aud. mariaige, lequel le père
prolongue le plus qu'il peult, pour le désir qu'il a qu'il verroit volun-
tiers coUoquer plus haultement lad. princesse, avec laquelle il est con-
tinuellement (traveillié souvent des gouttes, estant bien exténué),
poëseux de sa personne, en façon que l'on espère peu de vie de luy^.
Il a eu estât du Roy de xxxm frans par an et continuation de ses gou-
vernemens. R ne peult s'entendre avec le connestable, duquel il mes-
parle souvent. Le seigneur, qui entend très-bien sa game, dissimule le
tout, faisant son myeulx de luy complaire.
Quant est du Roy, il persévère de plus en plus de se soubzmettre
aux lyens Silvius* auquel il se rend subject et esclave entièrement,
chose que son peuple lamante assez. Led. Roy avoit de luy-mesmes
introduit de donner audience après son disner; maintenant il ne se fait
plus. Et se dit que ses ministres ont rompu cela dextrement et à droit
propoz, afin qu'il n'entende les querelles ^ de ses subjectz et sache
le fond du mal ou du bien, tellement que, comme il a disné, le
connestable ou aultre de ses favorites 6 s'approche de luy, rompant
par ce moyen l'occasion de luy parler, et au demeurant ceulx de
1. François de Guise, fils aîné de Claude de Lorraine, duc de Guise, et d'An-
toinette de Bourbon, né le 17 février 1519. Son père n'étant mort que le 12
avril 1550, il était encore comte d'Aumale en juin 1547. Ce fut seulement le mois
suivant que Henri II érigea le comté d'Aumale en duché-pairie, malgré l'opposi-
tion du Parlement de Paris, lequel protesta le 3 décembre de la même année.
2. Discorde, de discrimen.
3. Il vécut cependant jusqu'en 1555.
4. Diane de Poitiers.
5. Plaintes, de querela.
0. Sic pour favoris.
||.> MELANGES ET DOCrMENTS.
Guvso' lo suyvont tous jours de si proz (juo Ion a paine de luy dire
aulcuue chose. Il n'admet personne en sa chambre du malin et jusques
à ce qu'il soit habillé, sinon le jeusne Sainct Andrey, non pas le connes-
table ny aussi ses médecins, desquelz il dit n'avoir de présent besoing.
Toute sa delectacion est à jouer à la paulme après le disner et quelque
loiz à la chasse, ne parlant d'aultre chose durant son disner. L'on
entend point qu'il mesdise de personne. Il demonstre vouloir garder le
sien et recouvrer ce qu'il prétend appartenir à sa couronne, sans riens
emprendre sur l'aultruy. Selon que les matières sont importantes, il se
trouve au conseil après le disner, encoircs que ce soit peu souvent,
mais, du matin, il entend tous les jours environ deux heures à ses
affaires, qu'est son conseil estroict, auquel l'admirai [d'Annebaut]
n'entre point jusques à aujourd'huy, se trouvant quelques foiz en celuy
d'après le disner. Le pis est que led. Roy se laisse mener et veult tout
ce que Silvius et les seigneurs luy conseillent, dont le peuple d'icy
despère, craingnant que le Roy ne demeure tousjours en ceste nasse-
rant^. — Il visite après son disner led. Silvius. Après luy avoir donné
compte de ce qu'il a négocié tout le matin et jusques lors, soit avec
ambassadeurs ou autres de respect, il se assiet au giron d'elle avec une
guinterne en main, de laquelle il joue, et demande souvent au connes-
table, s'il y est, ou à Omale, si led. Silvius n'a pas belle garde, touchant
quant et quant les tétins et la regardant ententivement comme
homme surprins de son amitié, et led. Silvius dit que désormais elle
sera ridée ^, en quoy elle ne se mescompte de riens •*. Si est-ce qu'elle
prend tout le s oing qu'elle peult pour bien soy parer et y veille plus
qu'elle ne fist oncques, d'aultant qu'elle cognoist que led. Roy accroist
son amitié envers elle. Ce que dessus a dit mad^ de Roye^ à la Royne
douagière". Led. Roy, à la vérité, a mointes bonnes choses de son
1. C'est-à-dire François de Guise, Charles son frère, archevêque de Reims,
cardinal en cette année 1547, et Claude, qui allait épouser Louise de Brézé, fdle
de Diane.
2. Dans cette nasse (fdet).
3. Elle pouvait l'être en effet, car, née le 31 mars 1500, elle avait alors 47 ans.
L'empire incroyable de Diane sur Henri II a paru si surprenant aux écrivains
contemporains, que plusieurs d'entre eux l'ont expliqué par l'emploi de la magie
et des sortilèges. Mézeray hasarde à ce sujet une explication profondément
comique. Henri était, suivant lui, d'un tempérament « pituiteux », et on a
remarqué, dit- il, que « ceulx dans lesquels la pituite domine ne se détachent que
difficilement de leur amour ».
4. En effet, dit Mézeray, c'estoit grand pitié de voir un jeune prince adorer, un
visage décoloré, plehi de rides, une teste qui grisonnoit, des yeux à demy
estemts et quelquefois rougis et pleins de chassie; bref, à ce que l'on tient, les
restes infâmes de plusieurs autres.
5. Magdeleine de Mailly, veuve de Charles, sire de Roye, comte de Roucy, etc.
(la mère d'Éléonore, princesse de Condé).
6. Éléonore d'Autriche, veuve de François I".
LA MORT DE FRANÇOIS f\ ^^3
naturel et pourroit-on espérer beaucoup de luy, s'il ne se iaissoit mener
si lourdement comme il fait, dont le chancelier despère, tenant propoz :
que les dames présentes sont pires que les premières et qu'elles gasteront
tout. Ceci s'est sçeu par Holzatius, lequel dist que âme n'en ose faire
remonstrance aud. Roy, pour non desplaire à Silvius, craingnant que
ledit roi ne lui révéla, ^éant qu'il l'aime tant intimement. Il est dit
que le Roy a tenu propoz qu'il cognoissoit son imperfection en ce que
dessus, mais qu'il y estoit si avant plongé et de si longue main qu'il
ne s'en sauroit retirer pour maintenant, donnant toutesfoiz espoir que,
s'il s'en peult Yeoir une foiz libre, qu'il n'y retumbera plus. Gecy
néantmoins ne se sçait de seur lieu.
Led. seig"- Roy a encoires en soy grand jeusnesse, laquelle le mayne
à faire mointes actes légières; entre autres, il fait jouer avec luy à la
paulme lacquays et autres menues gens, souvent de ses serviteurs,
comme Marchaumont* et Laubespine-. Et naguères, à Anet^, il mist
en termes de poulsser en l'eaue ceulx qui se trouvoyent près le rivaige,
en façon que il pensa faire noyer un paige, lequel il avoit jette en la
rivière estant prouche dud. Anet et de laquelle y court moint'z bras
artifficiellement par lad. maison. Geste légièreté et mescognoissance de
soy donne hardiesse à ses privez, mesmes à ceulx de Guyse, de con-
troUer le connestable et de luy estre à doz, tellement que jà il y a eu
débat entre led. seig»- connestable et Omale, lequel toutefois fut incon-
tinent appaisié par led. Roy, qui dit vouloir que led. connestable traitte
ses affaires et les luy remect, mais il ne le porte ^ pas comme il con-
viendroit, du moings en façon que désireroit led. seig' connestable,
lequel ne s'ose asseurer de la constance dud. Roy envers luy, le véant
pi jeusne, de sorte qu'il se comporte le mieulx qu'il peult avec lesd. de
Guyse, leurs defférant en tout, voire en la précédence'^ et donnant part
des affaires, quant la commodité s'y adonne. Si est-ce qu'il y a jà entre
eulx quelque inimitié contractée et vouldroit bien Silvius que les
choses passassent aultrement, pour l'amitié qu'elle porte à toutes
parties, en manière qu'elle fait son mieulx envers le Roy que il
tiengne la main à leur union, comme il faict, lequel seig'' connestable
rend une paine incrédible à les traitter, mais Babo^^ dict naguères qu'il
en avoit l'honneur seuUement et qu'il ne résolloit pas luy seul, ains
failloit qu'il passoit par le crible de ses contrerolleurs, lesquelz, à la
1. Côme Claussp, seigneur de Marchaiinioiit ou de Marquera ont en Picardie,
secrétaire du dauphin, plus tard secrétaire d'État, mort en 1558.
2. Nous ne savons trop s'il s'agit ici de Claude de l'Aubépine, baron de Châ-
teauneuf-sur-Ciier. 11 était dans l'intimité de Henri II, mais il nous semble qu'il
était de trop bonne maison pour que Saint-Mauris se serve à son égard des
termes qu'il emploie.
3. Le château de Diane, dans Eure-et-Loir.
■ 4. Ne le soutient pas.
5. Préséance.
G. Sans doute : Babou?
Rev. Histor. V. ]«'• F.\sc. 8
4-14 MÉLÀNC.KS KT nOCUMKNTS.
voritc, il craiiU d'autant que le Roy, à la longue, ne se laisse mener
selon qu'il est jeusne, par où il regarde de négocier, fort retenu et de
riens consentir que l'on luy peult cy-après imputer.
Quant est de Silvius, comme il est venu en auctorité, il a changié
d'humeur et conditions, le trouvant le peuple qui le sollicite en court
fort haultain et insolent, tenant fin au demeurant avec ses appaslz et
attraictz s'entretenir eu la bonne grâce du Roy et de tirer de luy tout
ce qu'il peult.
Le jeune Saint Andrey accroist en grant crédit, se fyant beaucop de
luv led. seig"" Roy, ayant nagucres donné à son frère ' l'éveschié de
Lymoges, laquelle avoit esté de nouveau consentie au cardinal de
Meudon, puis la mort du Roy, moyennant l'abbaye de Vendosme qu'il
avoit délaissée; et a l'on prins fondement en ce que le pape a deffendu
la pluralité de telz bénéfices, en sorte que led. cardinal se trouve
frustré de deux bénéfices.
Sordi pensoit estre de la garde robe du Roy et en chasser la C.ordoi-
sière, mais il s'y est trouvé de fourcompte, tellement qu'il est demeuré
simple gentilhomme de la chambre, et suyvant naguères la court
Anet2, il fut plus de quatre jours sans povoir avoir logis, lequel en fin
lui fust donné. Et blasma beaucop mons'' le connestable la notable
ingratitude des mareschaulx des logis, auxquelz led. Sordi avoit fait
ung monde de plaisirs durant son règne ^.
Boysi suyt la court, laquelle il fait aujourd'huy aux principaulx et
ne se mesle de son estât, sans ce que iH hante beaucop la chambre
dud. Roy.
L'admirai a esté logié à Saint-Germain dans le chasteau ou lieu où
souloit estre du passé le cardinal de Turnon. Il fait espier quand le
Roy doibt aller à la messe et lors il se trouve en sa chambre pour
l'accompaigner, et quelque foiz le suyt-il à la chasse. Il a assez de capi-
taines de mer avec luy qui voluntairement le suyvent, mais il n'a
aujourd'huy nul crédit ny entremise aux affaires; et il dit et jure
solempnellement qu'il n'en vouldroit non plus avoir et que jamais il ne
s'en empeschera, et, moyennant que tout voyse bien, c'est tout ce qu'il
désire. Sainct Andrey le favorise pour ce qu'il le fit rappeller et l'on
dit qu'il n'a jamais esté violent du temps qu'il gouvernoit, par où les
seigneurs l'aggreent tant plus.
Monsieur de Mascon se trouva quelque foiz au disner et souper du
Roy, parlant d'histoires et aultres choses de lettres, mais led. Roy y
prend peu de goust.
1. Il est possible que Saint-Mauris se trompe. Le maréchal de Saint-André ne
paraît avoir eu qu'une sœur : Marguerite d'Albon, mariée à Artaud de Saint-
Germain.
2. Mot à mot : et la cour suivant Anet, pour : se trouvant à Anet.
3. On a vu, dans la première dépêche de Saint-Mauris, que Sordi avait été
l'un des favoris de François P".
4. Sauf qu'il...
LA MORT DE FRANÇOIS l". -H 5
Led. Roy a fait clorre Testât de sa maison et se dit que, avec la des-
pence de la chasse et volerie, le tout montera à plus de nncmi. Geluy
de la Royne moderne vient à iicm frans et il a aujourd'huy en ceste
court retenu au service de lad. dame trop plus de femmes qu'il n'y
avoit du vivant du feu Roy, que l'on dit excéder d'un tiers. Vray est
qu'elles sont mises au rencq des honnestes, où les autres estoyent
réputées couturières.
Il survient ordinairement en ceste court nouveaulx Italyens et en
telle affluence que le nombre en est infiny, venans offrir leur service,
lesquelz l'on accuelist de bonnes paroUes, mais, quant à leur donner
traittement, encoires ne s'est-il faict, non pas payer les anciens à ceulx
de leur nation qui les ont assignez de longtemps, qu'est une bien
maigre espérance pour ces nouveaulx venuz.
L'abbaye de Bardeau près Melun a esté donnée à monseig"" de Serez,
de ceulx de la Marche 2, à la poursuyte du seig' de Hesdan^, lequel
sollicite icy que l'on le faice créer cardinal. Et despère le Roy et les
seigneurs de ce que led. Serez ne peult seurement converser et résider
en Liège, qu'est possible pour le désir que l'on auroit d'y encheminer
quelque suspecte et nouvelle menée avec le temps.
Le couronnel Melum (?), ingéniaire ytalien, celuy qui dressa le fort
de BouUogne'* s'est rendu fugitif de ce royaulme, et dit-l'on qu'il est à
Besançon. Sa retraite fut parce qu'il entendit que Silvius se vouloit
attacher ^ à luy pour ce que, du vivant du feu Roy, il eust fait copper
grande quantité de bois en une forêt qui luy appartient, et en roba une
porcion, encoires qu'il l'eust fait abatre par le commandement dud. feu
Roy et pour fortiffier une place de la frontière, selon que led. Melum
l'a envoyé par escrit pour sa justiffication, auquel le Roy a mandé
homme propre avec saulf conduyt pour retourner, l'asseurant en foy de
prince que mal quelconque ne luy seroit faict, mais qu'il le vouloit
favorablement traitter, ayant porté lad. lettre ung sien nepveu pour
encoires luy persuader verballement led. retour, auquel l'on ne sçet s'il
s'accommodera, selon que l'on apperçoit aujourd'huy les choses
variables en ce coustel et la pluspart de démenées avec faveur.
Silvius désireroit traittier le mariaige du filz aisné de mons' de
Hesdan avec la première fille à mad^ de Roye^, laquelle, à ce que l'on
1. Blanc au manuscrit.
2. De la maison de la Marck. La personne désignée est vraisemblablement Phi-
lippe, chanoine et archidiacre de Liège, fils de Robert II de la Marck.
3. De Sedan. La personne désignée est, suivant toute apparence, Robert IV de
la Marck, dit le maréchal de Bouillon, duc de Bouillon, prince de Sedan,
lequel avait, le 19 janvier 1538, épousé Françoise de Brézé, dame de Maulevrier,
fille aînée de Diane de Poitiers.
4. Boulogne-sur-Mer.
5. Attaquer.
6. Éléonore, qui épousa Louis de Bourbon, prince de Condé. Le jeune fiancé
■1-16 MÉLANC.KS ET DOCUMÇIVTS.
ontond, le goutte bien peu, estant délibérée de le rompre ahsolutement,
si luy en est parlé.
Davantaige l'on donna naguères à la Royne moderne pour président
de son conseil Bertrandi contre le vouloir d'elle, et comme led. Ber-
trandi luy mcrcya le soing qu'elle avoit tenu à sa promotion, elle luy
dit IVanchomiMit qu'il ne lailloit pas il la mercya, car elle l'avoit pour-
suyvy pour un aultre.
Led. Bertrandi a l'oreille de Silvius, et se dit qu'il a jà esté quelque
peu considéré du connestable, estant toutesfois sa principale facture i.
Et fut ce lors que ceulx de Guyso eurent débat avec Uiy^, pensant que
le descrime souldroit mal contre led. seig"" connestable, lequel est per-
sonnaige de tel espérit qu'il sçet bien recueillir et dissimuler telles
façons et les paye à la fin. Cecy se dit notamment pour ce que, dois
son retour en court, il a fait vifvement attacher ceulx qui luy avoyent
esté contraires, l'encheminant par main tierce, chose qu'il sçet agie-
mont endresser. Si ne le peult-il faire tant couvertement que jà l'on ne
commence à dire que c'est luy et qu'il se démonstre trop vindicatif;
mais, comme le Roy est jeusne et en apparence de beaucop régner,
selon qu'il est sain de sa personne, ceulx qui gouvernent aujourd'huy
songnent tant plus licentieusement et avec moins de respectz^^.
Pierre Strosse est retourné sain en court et persuade au Roy de faire
lever une légion d'Ytaliens guerriz^ pour les entretenir ordinairement
et mettre aux forts du Pietmont, et faire passer en France, s'il est de
hesoing, une partie d'iceulx. Le conte de la Mirandola^ est tousjours
avec ledit Strosse et ne cesse icy de crier et prescher que l'empereur
luy veult faire la guerre et que l'on pourvoye à la seureté de sad.
place.
Par longue maladie qui a détenu mons' de Saint- Valier^, led. sei-
serait Henri Robert de la Marck, qui, en 1558, épousa Françoise de Bourbon, fille
de Louis, duc de Montpensier. Il était petit-lils de Diane.
1. Il y a en marge au manuscri-t : il y a icy faulte à la chiffre,
2. Nous avons vu plus haut que Jean Bertrand ou Bertrandi succéda à Fran-
çois Olivier comme garde des sceaux. Il avait commencé par être procureur
général à Toulouse, puis premier président au même parlement. Devenu veuf, il
entra dans les ordres, devmt archevécpie de Sens et cardinal (en 1557). Mort à
Venise en 1560.
3. En somme, Saint-Mauris veut dire que le connétable voyait Bertrandi
d'assez mauvais œil, parce que dans le conflit qu'il avait eu avec les Guises au
sujet de sa charge de grand-maître, le président avait paru prendre parti pour
ses adversaires.
4. Aguerris.
5. Principauté italienne. La Mirandola est à 10 lieues de Ferrare.
6. Jean de Poitiers, comte de Saint-ValUer, père de Diane de Poitiers, com-
promis dans la conspiration du connétable de Bourbon. C'est lui cpie V. Hugo a
mis en scène dans : Le Roi s'amuse. Saint- ValUer reçut sa grâce à Lyon, au
moment où il était déjà monté sur l'échaf'aud ; mais il est faux que Diane encore
LA MORT DE FRANÇOIS T
417
gneur n'est encoires tourné ^ au Dauphiné. L'on tient qu'il soit de peu
de vie. II a puis peu de jours convenu avec mons'' d'Omale par le
moyen de Silvius que, vacant quelque office ou bénéfice tant en Savoye
que Daulphiné, led. seig-- d'Omale en pourvoyera principallement,
comme gouverneur desd. pays, mais qu'il gratiffiera d'aulcuns d'iceulx
à ceulx que led. seig"" de Saint- Valier luy dénommera. Et n'a jamais
voulu accorder ny consentir led. seig"" d'Omale que l'on luy osta la
principalle disposition desd. offices et bénéfices royaulx, desquelz la
provision luy a esté donnée de grâce, chose que le feu Roy avoit
entièrement tolléré aux gouverneurs dudit Dauphiné, d'autant que,
comme il disoit, ilz le vouldroient avec le temps tirer à conséquence.
Par l'exprès commandement du Roy, le chancellier despècha
naguères ung mandement en faveur de mons»- d'Esparrot pour la sei-
gneurie de Montfort, afin d'en joyr à sa vye. Depuis, mons' de Guyse^
a tant poursuy qu'il a fait révocquer led. despesche et obtenu pour luy
led. Montfort. Et fut par luy et les siens remercyé led. chancellier en
plain conseil de ce qu'il avoit fait lad. expédition sans en avoir parlé
aud. conseil, encoires que le Roy le luy eust enjoinct, en sorte qu'il luy
fut dit que désormais il deust conférer avec led. conseil tous affaires
d'importance, à quoy il fault il s'accommodera présentement. Et a led.
Roy couUé cecy doulcement, d'aultant que Silvius l'endressoit, en quoy
aussi le connestable dissimula, lequel toutesfois eust vouluntiers porté^
led. seigneur d'Espairot. Et comme led. seigneur connestable et le
chancellier s'entendent très bien et qu'ilz font debvoir debienendresser
toutes besognes, le surplus du conseil, excepté Saint-Andrey, leur
veult mal et trouve souvent peu à propoz ce que procède d'eulx,
signamment mons"- de Rains^, lequel led. connestable appelle et
dénomme à présent : grant veau, et teJ le nomma-il naguères à
certain propoz à la royne douagière, qu'est souffissante comprobation
par ceste extérieure démonstration qu'il y a peu de certaine amytié
entre eulx, comme telle est la vérité, seullement pour la jalouzie
que ceulx de Guyse ont de ce que led. seigneur a les principaulx
affaires en main et qu'il ne se rend subject à eulx de les leur tousjours
communiquer.
Hz dient icy que le Roy, dois son advénement en ce règne, a donné
plus de deux millions de francs, comprenant le don fait à Silvius s,
lequel sera infiny. Hz diront ce qu'ilz vouldront, mais l'on a sçeu pour
vray que led. Roy n'a remis à son peuple tant de choses comme l'on
jeune fille se soit livrée à François I" pour sauver son père. Elle avait alors
24 ans et était mariée depuis assez longtemps.
1. Retourné.
2. Claude de Lorraine, père du comte d'Aumale.
.3. Pi'otégé.
4. L'archevêque de Reims Charles de Guise.
5. Le droit de confirmation dans les emplois. Voir la première dépêche.
us MELANGES ET DOCUME'STS.
a publyé du commencement et que seuUement il leur a quille' une
demye année do tailles, et si se dit que ny pour cela les receveurs ne
délaissent de l'exiger et que l'on leur souffre. L'on présume que ce soit
par l'advis des ministres d'ici. Aussi led. Roy déclaira qu'il ne prendra
ceste année que deux décimes en les églises, lesquelles il a retenues,
mais il se tient jà propoz que, sur la fin de l'année, il en demandera
encoires deux autres, soubz couleur des lansqucnetz qu'il a fait lever
et qu'il veult entretenir pour la defTcnsion de son estât. Il liève aussi
les deniers de xxv" hommes de piet que le royaume furnist^. Vray
est que l'on doibt pour l™, mais c'est seuUement en temps de guerre.
Et jà le feu Roy s'estoit contenté avant son tres])as de la moitié seuUe-
ment.
Lesd. ministres et autres ont souvent dit que led. feu Roy avoit
laissié argent au Louvre pour souldoyer une armée six mois et que l'on
ne toucheroit ausd. deniers en façon quelconque. Toutesfoiz puis
naguères l'on y a prins rio" escuz pour mettre aux mains du trésorier
de l'espargne qui n'avoit argent et estoit chargié plus de vc"» frans
qu'il n'avoit en main. Si est-ce que l'on a entendu de bon lieu que il
n'y avoit tant de deniers aud. Louvre que l'on crye, .«^elon que jà l'on
l'a escript, et, au plus, la somme n'excédoit de v à vici» escuz. L'on
doibt tousjours aux marchans de Lyon, ausquelz l'on tient seing faire
payer les interrestz, affin que puisse avoir argent d'eulx au besoing. Et
a conservé le Roy comme Roy le debt à la poursuytte desd. marchans
ayans mandé homme exprès en court à la susdite fin.
L'on tient que la despence faite au sacre montera beaucop et celle
que se fera au couronnement et à l'entrée de Paris encoires plus, oultre
les fraiz de l'obsèque^ revenans à près de inicn frans, et se dit qu'il y
eust xxxvî™ aulnes de drap aoir, l'aulne, l'ung portant l'aultre, à cincq
frans, sans des aultres despences.
L'on tient que aussi ilz ont desbourssé de grandz deniers auxlighes*
pour la rénovation de leurs lighes et apprestes de gens de guerre, les-
quelz ilz asseurent aud. coustel, en sorte que, pour le présent, ilz n'ont
tant d'argent comptant comme ilz cryent. Et aujourd'huy les princi-
paulx gouverneurs et ceulx qui entrent en crédit font l'extrême du
possible pour en avoir, qu'est une conjuncture qu'ilz resercheront plus
tost la paix que la guerre pour leur prouffit.
L'on avoit dit cy-devant que le connestable n'avoit voulsu accepter
le payement de ce que luy estoit deu du passé de ses traictemens et
telle fut la vérité; mais depuis iï a dextrement requiz cela et faict que
1 . Remis, donné quittance.
2. 11 s'agit ici des légions provinciales fondées par François P', qui réforma le
régime de l'infanterie française.
3. Les funérailles de François I" et de ses deu.\ fils, lesquelles eurent lieu le
27 mai 1547.
i. Les ligues helvétiques (des Grisons).
LA MORT DE FRANÇOIS f\ ^I9
le Roy a voulsu qu'il l'eust l'argent à relever en quatre années, que
montera à près de trois cens mil frans.
Led. Roy a donné de nouveau à mons"" d'Omale cent mil frans, la
moitié pour payer ses debtes, l'aultre pour soy esquipper de nouveau ;
et si luy a laissié une place estant près de Chartres, vaillant mil francs
de revenu, laquelle l'on a prinse en paiement d'ung trésorier de
France de ce qu'il debvoit de restée
Hz ont esté icy bien mal contens de la prinse du chasteau près de
Gennes qu'estoit au Flisro.
Aussy sont-ilz de la détention du Lantgraff^ disans que le duc Mauris
l'a trahy^; et sant-* le commun de ceste court lad. détention bien gran-
dement, comme si c'estoit leur cas propre, et dont ilz furent fort
estonnéz, quant le gentilhommme du seigneur d'Andelost^ en apporta
la première nouvelle. Led. gentihomme fut tenché^ par aulcuns gros
personnaiges de ceste court de ce que, en récitant ce qu'il avoit veu de
l'Empereur et son armée, il louhoit Sa Majesté en toutes ses œuvres,
de sorte qu'il luy fut dit qu'il se teust et que ce langaige luy pour-
roit plus nuyre qu'il ne pensoit. Gecy a dit mad<^ de Roye à la Royne
Qouaigière.
Hz font icy courrir un bi'uyt que l'empereur a fait comminer le pape
qu'il se trouva personnellement à Trente au concilie et que Sa Majesté
ne deffauldroit d'y estre avec une bonne armée; et que, à ceste cause,
led. pape se joindra avec le Roy pour non estre contrainct à aulcune
chose, de sorte que ilz tiengnent ici la lighe jà à peu près accordée
et que lesd. pape et Roy {■sic)'^^ non pas qu'elle soit éncoires du tout
passée. En quoy l'on attend que les Vénétiens entrent en icelle, de
quoy led. pape les fait poursuyvre avec tout l'extrœme du possible,
selon qu'il se dit en ce coustel, et fait envers iceluy Roy le mesme
office.
Aussi a ici esté publyé par les propoz que en tenoyent les ministres
dud. pape, que led. pape estoit grandement indigné contre l'Empereur
1. Henri II fit à François de Guise un bien autre présent, en lui faisant don,
dit Mézeray, des terres vacantes au moment de son avènement.
2. Le landgrave Philippe l" de Hesse.
3. Assertion que l'on comprend, bien qu'au fond elle soit sans doute inexacte.
Ce furent, en effet, Maurice de Saxe (de la branche cadette ou Albertine) et
l'électeur de Brandebourg qui engagèrent le landgrave à se rendre, après la
défaite de Muhlberg, au camp de Charles-Quint, qui le fit arrêter et retenir pri-
sonnier pendant cinq ans ; mais il y a lieu de croire qu'ils n'étaient point au cou-
rant des projets de l'empereur.
4. Sant pour ressent. Et le commun de ceste court ressent grandement lad.
détention.
5. François de Cohgny, frère puiné de l'amiral.
6. Tancé.
7. Il y a certainement erreur de déchiffrement. Au lieu de et que, il faut lire :
entre lesd. pape et roy.
120 MKLANOES Kl DOCI MK>iTS.
do oo t|u'il n'avoil miy iirompli'iiiciil le Ir^al Slomlra cl (lUc il lui esté
onvové on Nurenil)(M-p;ho, et ({iio en cela c'osloil par Iro}) vilipender
led. papo et le siège apostolicque, et que, par le contraire, le Roy de
France avoit bien autrement traittié et recueilly le légat Saint-George,
estant icy venu*, ayant voulsu (]u'il jooyst d'une ample légation,
duquel susdit marrissement ceulx d'ici s'esjoy?scnt, faisans estât par
ce boult que led. pape sera du tout à leur dévotion et contraire à celle
de l'Empereur. Et jà piecà les ministres dud. pape rcsidens ici délais-
sent de converser et communiquer, comme ilz souloyent, avec l'ambas-
sadeur de Sa Majesté suyvant cestc court, qu'est évident tesmoin-
gnaige (}ue de leur coustel, il y ait discrime contre sad. Majesté^.
Quelque peu avant l'humiliation du Lantgraff, il arriva en ceste
court aulcuns que l'on disoit estre du Rccrot' donnans espoir que le
LantgraiV avoit résolu de résister à l'Empereur, tenans au surplus
maintes dcshonnestes propoz contre Sa Majesté. Et, avec ce, deman-
doit le Recrot continuation du traittement qu'il avoit du feu Roy,
lequel l'on entend luy avoir esté accordé, mais, comme en mesme
saison la nouvelle vint de la détencion dud. Lantgraff, ilz restarent
tous confuz.
Avant le retour du seig'' d'Andelost, il fut groz bruyt tant en ceste
court que à Paris qu'il avoit esté tué, et ceulx qu'ilz lallégueoyent en
cecy disoyent que cela avoit esté fait à la main, qu'est pour tousjours
tesmoingncr la légièreté françoise.
Le jour du sacre, doibvent estre fait chevaliers de l'ordre monsieur
de Châtillon'' et Pierre Strosse; et peu après se solcmpniseront les
noepces dud. seig"- de Ghastillon avec madame de LavaP, lesquelles
l'on pensa faire à Chantilly s, naguères passant le Roy celle part, mais
il voulsist haster son sacre par où elles furent retardées.
Hz firent naguères courrir ung bruyt en ceste court que peu avant le
partement de l'Empereur de Hall', comme Sa Majesté visitoit son
camp, que les souldars (les-oyant sad. Majesté) cryarent : monarque'^!
le répétant par pluisieurs fois. Et venoit led. advertissement des pro-
testans.
1. Joseph Capiferi, légat en France, cardinal du tihe de Saint-Georges « au
voile d'or ».
2. Ces projets, s'ils existèrent jamais, ne furent pas suivis d'effet.
3. Georges de Reckrod, célèbre capitaine allemand qui, après la défaite de
Muhiberg, entra en effet au service de la France, et contribua en 1552 à la con-
(piéte des trois évêcbés (Metz, Toul et Verdun).
4. Gaspard II de Coligny.
5. Charlotte de Laval, (ille puinee de Guy XV.
6. Chez le connétable, oncle de Coligny.
7. C'était là que le landgrave avait été retenu prisonnier.
8. C'est-à-fUre seul roi. Les protestants entendaient dire par là que Charles V
aspirait à la monarchie universelle.
BULLETIN HISTORIQUE
FRANCE.
Publications nouvelles. — L'histoire de notre ancien droit,
si cultivée au siècle dernier, un peu délaissée depuis la mort
des Laferrière et des Beugnot , semble retrouver • une certaine
faveur. On se prend à l'espérer en voyant des publications telles
que celles de M. Beautemps- Beaupré et de M. Viollet {Coutumes
et institutimis de V Anjou et du Maine antérieures au xvi<' siècle.
Première partie : Coutumes et sttjles, t. I"", Pedone-Lauriel. —
Les sources des Établissements de saint Louis, Champion). Bien
qu'elles n'aient ni le même objet ni le même caractère, ces deux
publications provoquent une comparaison inévitable. Les rapports
entre la Coutume d'Anjou et le premier livre des Établissements ont
amené les deux auteurs à discuter les mêmes questions, et il est inté-
ressant de voir à quels résultats chacun d'eux a été conduit par un tra-
vail indépendant et personnel. Ces résultats se ressemblent beaucoup,
mais on ne peut dire qu'ils soient identiques, car ils présentent chez
M. Viollet une précision et une netteté qu'on ne trouve pas chez
M. Beautemps-Beaupré. Ainsi, comme M. Viollet, M. Beautemps-
Beaupré reconnaît que le premier livre des Établissements se
compose d'un règlement sur la procédure du Châtelet de Paris, de
l'ordonnance de 1260 abolissant le duel judiciaire, et de l'ancienne
coutume d'Anjou; mais il na pas réussi, comme M. Viollet, il n'a
pas même tenté de faire la part de ces divers éléments et de mon-
trer les altérations que le rédacteur des Établissements avait fait
subir à la coutume angevine. Les deux auteurs pensent que les
Établissements ont été copiés sur un manuscrit de la coutume plus
ancien que ceux qui nous ont été conservés, mais ce que l'un
affirme, l'autre le prouve par un rapprochement entre les deux
textes. Enfin, tandis que M. Beautemps-Beaupré se déclare hors
d'état de décidera quelle époque ont été rédigées la Compilât io de usi-
buset constitufionibus Aadeyaviœ, la Coutume et la Coutume glosée.
122 lUIM-F.m IIISTOHKHIK.
M. VioUel assigne une date à la rédaction de ces coutumes angevines,
comme à celle des ÉLablissemonts. M. ViolIcL ne l'emporte pas seu-
lement sur M. Beautemps-Bcaupré par la netteté des conclusions,
mais aussi par Tart de l'exposition. L'analyse du premier est fine et
pénolranle, comme on pourra en juger ])ar la irstitution du passage
relatif au double bail. L'exposition du second ne manque ni d'érudition,
ni même de vues, mais elle est dépourvue d'enchaînement et l'on se
demande [larfois à quoi tend l'argumentation de l'auteur. Par exemple,
on a quelque peine à comprendre son but lorsqu'il s'efTorcc de démon-
trer;que les renvois à la législation antérieure contenus dans les ordon-
nances de Philippe HT et de Philippe IV et dans le Livre, de josf.ice
et de plel s'appliquent à des ordonnances de -1228 et -1229. Le lien
de cette discussion avec la question de savoir si les Établissements
ont un caractère officiel, est si peu indiqué qu'on croit d'abord avoir
affaire à une digression. Ailleurs, on remarque un certain défaut
de suite dans les idées. Ainsi l'auteur affirme avec raison que les
rapports des Établissements et de la Coutume d'Anjou s'expliquent
par des emprunts faits à cette dernière et il annonce qu'il va le prou-
ver à l'aide d'un certain nombre de dispositions communes aux deux
textes. Or les exemples qu'il allègue prouvent seulement que certaines
questions sont réglées de même dans l'un et dans l'autre et ne
prouvent rien sur le point de savoir lequel a servi de source à l'autre.
M. Beautemps-Beaupré ne se préoccupe même plus de cette question.
Le défaut de méthode et de clarté, qui rend la lecture de son intro-
duction si pénible, ne peut cependant faire méconnaître la science
qu'il y déploie ni le service qu'il a rendu en publiant une collection
de coutumiers pour la plupart inédits. L'œuvre entreprise par lui est
considérable, car elle doit comprendre en outre un recueil de chartes
relatives aux institutions et au droit privé de TAnjou.
La tâche de M. Viollet n'est pas moins importante et est peut-être
plus délicate. On s'en rendra compte, si on lit son mémoire sur les
sources des Établissements et si Ton réfléchit qu'après avoir mis en
évidence de la façon la plus ingénieuse l'origine orléanaise du second
livre, comme le caractère angevin de la plus grande partie du pre-
mier, il lui reste encore à établir, dans son édition, un texte aussi
rapproché que possible de l'original et à déterminer Tinfluence et
l'importance pratique des Établissements.
Les deux publications dont nous venons de rendre compte ne
s'adressent qu'aux érudits. La biographie d'Henriette-Marie de France,
reine d'Angleterre (Didier), par M. de Bâillon, sera lue au contraire
avec intérêt par tous ceux qui cherchent surtout dans l'histoire des
émotions et le spectacle des passions individuelles. Si attachant qu'il
FRANCE. ^23
soit, le récit de M. de Bâillon a moins de prix à nos yeux que les
lettres de la reine à Charles I", découvertes et traduites par Mrs.
Everett Green et publiées ici pour la première fois sous leur forme
originale. Ces lettres, en effet, nous peignent au vif la tendresse
conjugale d'Henriette, son activité, son énergie. Malheureusement, si
elles présentent la femme sous l'aspect le plus sympathique, elles
témoignent aussi du peu d'intelligence politique de la reine, de son
défaut de souplesse, de la mauvaise influence qu'elle exerça sur son
mari. Chez elle, le caractère était supérieur à l'esprit. C'est ce que n^a
pas fait ressortir M. de Bâillon qui, en embellissant complaisamment
son modèle, n'a pu donner à son portrait la vérité et la vie. Un bio-
graphe d'Henriette-Marie ne saurait se dispenser de déterminer et
d'apprécier le rôle de la reine dans la révolution de ^648; l'auteur
ne l'a pas fait. Sa réserve s'explique peut-être par une connaissance
insuffisante du sujet et de l'époque. H ne paraît pas être au courant
des derniers travaux qui s'occupent d'Henriette de France et il
répète des erreurs depuis longtemps reconnues. C'est ainsi qu'il ne
cite nulle part les récentes publications de Rawson Gardiner et de
Gpll et qu'il attribue à Mézeray VHisioire de la mère et du fils, qui
n'est autre chose, comme chacun sait, qu'un fragment des mémoires
de Richelieu. Ces observations n'ont pas pour but de déprécier un
livre très-intéressant, malgré ses lacunes, mais d'indiquer qu'il est
fait pour le grand public plus que pour les historiens.
La publication des pièces relatives aux négociations de la France
avec le Portugal en 4 655 et 4659, par M. Tessier^ a un caractère plus
scientifique, mais un intérêt beaucoup moins général que le livre de
M. de Bâillon. En eff"et, ces négociations n'amenèrent aucune entente,
aucune coopération entre les deux États, elles furent complètement
stériles. Tout en ayant un intérêt commun, la France et le Portugal
avaient des vues trop différentes sur les conditions d'une alliance. Le
Portugal ne pouvait prendre l'offensive contre son puissant voisin sans
être garanti contre l'abandon de la France. Celle-ci ne pouvait subor-
donner la conclusion de la paix avec l'Espagne à la reconnaissance
de l'indépendance portugaise. Bien que ces négociations n'aient amené
aucun résultat, les pièces qui les concernent sont intéressantes-, elles
sont nouvelles pour le public français et éditées avec un soin qui
pourrait suffire à une tâche plus difficile et plus importante. Il est
regrettable seulement que M. Tessier n'ait pas connu les pièces
publiées par M. F. Ravaisson sur le chevalier de Jant dans le t. P'
1. Le chevalier de Jant; relations de la France avec le Portugal au temps
de Mazarin (Sandoz).
^24 IJULLETIN HISTORIQUE.
des Air/iirrs de la liastillc. Il ne se serait pas borné à expri-
mer un doulc sur l'accomplissemenl de la mission confiée au che-
valier eu f(>ri9, il aurail pu affirmer qu'elle n'avait pas eu lieu.
Ces pièces lui auraient appris aussi que le chevalier, dépité de se
voir enlever cette mission, avait cherché à entraver son successeur
et avait tenu une conduite et des propos qui avaient obligé Mazarin
à le faire mettre à la Bastille, où il resta près de trois mois.
Le nouveau volume des Archives de la Bastille (Durand) réserve
plus d'une découverte de ce genre aux historiens et aux biographes.
Sans avoir un intérêt aussi grand que les pn^cédents, relatifs, on le
sait, au procès de Fouquet et aux empoisonneurs, ce volume a une
importance réelle par les renseignements nouveaux qu'il nous four-
nit sur trois grands événements du règne de Louis XIV : le quié-
tisme, la guerre de la succession d'Angleterre, la révocation de l'édit
de Nantes. Les documents " sur le quiétisme ne modifieront guère
l'idée qu'on se faisait de cette querelle religieuse, moins importante
par son objet que par les personnages illustres qui y prirent part.
Les pièces relatives à John Simpson mettront, au contraire, dans un
jour nouveau les rapports du gouvernement de Louis XIV et de la
cour de Saint-Germain, le rôle de Milfort et de Middleton, l'espion-
nage organisé par Guillaume III à l'aide des agents payés par ses
adversaires pour fomenter des conspirations contre lui. Mais c'est
surtout sur la situation des protestants à la suite de la révocation de
redit de Nantes que ce volume est instructif. On y trouvera de nou-
velles preuves de la facilité et du peu de solidité des conversions, du
nombre des émigrations, des obstacles mis aux mariages, de l'enlève-
ment des enfants. On ne peut lire sans émotion ces interrogatoires de
pasteurs qui vont de ville en ville prêcher et communier leurs coreli-
gionnaires et faire rentrer dans l'ËgUse ceux qui ont faibli. Du reste,
la persécution ne nous apparaît pas ici avec le caractère d'atrocité
qu'elle revêtit quelquefois. Le bannissement et la prison sont les
seules peines dont il soit question. La publication dont nous
annonçons aujourd'hui le IX« volume offrira, lorsqu'elle sera
terminée, les matériaux les plus importants de Thistoire de la
police sous Louis XIV et Louis XV. Nous souhaitons qu'à l'avenir le
laborieux et intelligent éditeur prenne le soin de citer les cotes sous
lesquelles sont conservés des documents puisés à des sources si
diverses.
S'il est encore des personnes qui doutent que l'histoire, en offrant
des situations analogues à celles que nous traversons, puisse donner
d'utiles leçons aux partis et aux peuples, nous leur conseillerons de
lire le nouveau volume de M. de Vieil-Gastel [Histoire de la Restau-
FRANCE. ^25
ration^ t. XIX. Galmann Lévy). Là aussi on voit un ministère libéral,
affaibli par les exigences de ses amis, renversé par une intrigue de
palais, là aussi on voit un parti défier et blesser le sentiment public
sous prétexte de sauver une société dont il est le pire ennemi. Ce
qu'on trouvera, en effet, dans ce volume c'est le récit de la chute
du ministère Martignac et la formation du cabinet Polignac. En
racontant cette crise également fatale à la liberté et à la monar-
chie, M. de Vieil-Castel est resté fidèle à la méthode qu'il avait
suivie dans les volumes précédents. Ayant à faire l'histoire d'un
régime parlementaire, il a donné la plus grande place aux discus-
sions des chambres; narrateur d'événements encore si rapprochés
de nous, il s'est, moins encore par respect des convenances que par
souci de l'impartialité, plus attaché aies exposer qu'à les juger. Pour
trouver excessives ces longues analyses et ces fréquentes citations
des discours parlementaires, il faudrait oublier que la vie politique
d'un pays qui ne comptait que 88,000 électeurs, au lieu d'être répan-
due, comme aujourd'hui, sur toute la surface du territoire, se con-
centrait dans les Chambres^ il faudrait méconnaître l'intérêt pratique
qui s'attache encore aux questions agitées dans ces discussions; il
faudrait enfin être insensible à l'élévation, à la modération, à l'élo-
quence qui brillent dans les extraits de ces discours où M. de Marti-
gnac défendait sa politique contre les impatiences de ses amis et la
mauvaise foi passionnée de ses adversaires, M. de Vieil-Gastel a donc
bien fait, à notre avis, de mettre sous les yeux du lecteur, par ana-
lyse ou par extraits, des documents déjà publiés, tels que des discours
politiques, des articles de journaux, des débats judiciaires. Par là il
a donné une trame solide à son ouvrage, il en a fait une œuvre objec-
tive et impersonnelle qui défie la controverse, il a mis le lecteur à
même d'adhérer, en connaissance de cause, à des jugements toujours
remarquables par l'impartialité et par un libéralisme élevé. Sans
doute, lorsque le temps nous aura mis en possession des mémoires
et des correspondances des hommes qui ont joué un rôle de -1814 à
-1830, on pourra faire une histoire de la Restauration qui emprun-
tera à ces révélations un caractère plus anecdo tique et plus piquant,
mais nous doutons que la vie publique de la France, pendant cette
période, puisse trouver un historien plus impartial et plus complet.
Plusieurs des hommes qui ont pris part aux événements racontés
par M. de Vieil-Castel se retrouvent dans le nouveau volume &' Éloges
historiques publié par M. Mignet (Didier). En faisant la biographie
de personnages qui appartiennent à l'histoire par leur vie ou leurs
travaux, M. Mignet a su concilier la vérité avec les convenances aca-
démiques, idéaliser ses portraits sans laisser échapper la ressem-
^2(> BULLETIN FilSTORIQUE.
blance, t:raver des médailles d'un dessin noble et pur en même
lenips quoniprcintes d'une individualité liieu marquée.
IHiîLicATio.Ns l'RocHAnKs. — Nous vcuons de parcourir les bonnes
feuilles d'un livre où l'histoire des institutions, du droit, du com-
merce et de rindustrie ti'ouvcra largement à puiser. C'est une Elude
sur les iiislilulioiis de Sainl-Oiner au moijen d<je i)ar notre colla-
borateur, M. Giry. L'histoire politique de la ville de 048 à 4447, l'ori-
gine et les droits des seigneuries laïques et ecclésiastiques qu'elle
renfermait, l'organisation municipale, l'administration, le droit
privé, l'activité commerciale et industrielle, y sont successive-
ment étudiés, principalement à l'aide des archives locales. Doué
d'un esprit ouvert, d'une curiosité étendue, possédant une connais-
sance approfondie de l'histoire municipale, l'auteur a su glisser sur
les parties de son sujet qui n'ont qu'un intérêt local et mettre au
premier rang les questions qui, telles que l'origine des échevins, les
rapports des ghildes et des communes, les relations commerciales de
la Flandre et de l'Angleterre, ont une portée générale. Ce travail,
auquel on ne peut reprocher qu'une forme quelquefois lourde et
incorrecte, fait honneur à M. Giry ainsi qu'à l'École des Hautes-
Études à laquelle il a été présenté comme thèse.
G. Fagniez.
DERNIÈRES PUBLICATIONS ALLEMANDES
RELATIVES A l' HISTOIRE DE LA REFORME.
Dans l'histoire de l'Allemagne à l'époque de la Réforme, par L. von
Ranke, on lit ces paroles poétiques : « La Réforme ne fut pas l'œuvre
de la préméditation 5 elle n'obéit pas à un mot d'ordre; comme dans
les plaines bien labourées les premiers rayons d'un soleil de prin-
temps font germer les semences confiées à la terre, de même les
nouvelles croyances, préparées par tout ce qui se disait, par tous les
maux qu'on endurait, se fa-ent d'elles-mêmes et subitement jour, à
la première occasion favorable, dans tous les pays de langue alle-
mande » (II, 46). On serait tenté d'employer les mêmes expressions
en parlant des publications innombrables que l'étude de la Réforme
a suscitées en Allemagne depuis l'ouvrage de Ranke-, elles formeraient
à elles seules une belle bibliothèque, et le public lettré les accueille
toujours avec faveur.
PUBLICATIONS ALLEMANDES SUR LA RE'fORME. 127
Dans ce livre, maintenant classique, un architecte de génie avait
tracé le plan d'un majestueux édifice auquel des mains innombrables
ont ensuite apporté leur pierre : l'histoire de chaque pays, on pour-
rait dire de chaque ville, à l'époque de la Réforme, fut étudiée dans
le plus grand détail-, l'histoire politique et l'histoire religieuse durent
être également mises à contribution. II fallut réunir les actes officiels
et privés de l'époque, rechercher les correspondances des contempo-
rains illustres, publier les sources historiques restées inédites, et
faire la critique de celles qu'on connaissait déjà, écrire la biographie
des principaux acteurs de cette grande révolution, et celle des huma-
nistes, des pamphlétaires, qui leur préparèrent le chemin, ou qui
combattirent à leurs côtés.
Quand on songe aux résultats de ce labeur acharné, on s'étonne
que Ranke ait pu écrire son livre avant d'avoir pu mettre à profit
tous ces travaux préparatoires ^ ; mais il sut en tenir .compte : dans
chaque édition nouvelle — et ce livre a déjà eu deux éditions
dans les œuvres complètes du grand historien — on voit les progrès
qu'ont réalisés ces études de détail. On s'est plaint cependant que
son histoire ne montre pas encore assez la trace de leur influence, et
il cherche à se défendre contre ce reproche en disant quelque part -.
« Ce serait faire tort à l'histoire de la science, si l'on empruntait
beaucoup aux travaux de ceux qui vous reconnaissent pour leur
maître. » Sans doute personne n'a plus le droit que Ranke de pro-
noncer ces fières paroles 5 cependant il eût été pour le moins dési-
rable de ne pas citer certains recueils d'actes, les oeuvres de certains
historiens, d'après des éditions vieillies et hors d'usage. Ces modifi-
cations, qui auraient singulièrement facilité le travail du lecteur
désireux de remonter au passage indiqué, auraient pu être aisément
faites par un secrétaire ou par un copiste intelligent. Ce vœu, et c'est
presque le seul qui reste à former, on l'exprime encore de temps en
temps quand on lit les autres ouvrages de Ranke qui se rapportent
plus ou moins directement à l'histoire de la Réforme. Tous d'ailleurs
ont eu plusieurs éditions, et un d'entre eux compte assurément
parmi les chefs-d'œuvre du maître. Je ne sais trop ce qu'on y doit le
plus admirer, la masse énorme de matériaux qui s'y trouvent conte-
nus et mis en œuvre, la nouveauté des points de vue, l'ardeur juvé-
1. Ranke, Deutsche Geschichie im ZeUalier der Reformation (vol. 1 à 6 des
œuvres complètes). Comp., Geschichte der romanischen und germanischen
Vœlker von 1494 bis 1514 (vol. 33); Zur Kritik neuerer Geschichtsschreiber
(vol. 34); I)ie rœmischen Pscpste in den letzten vier lahrhunderten (vol. 37-
39); Zur deulschen Geschichie, vom Religionsfrieden bis zum dreissigja'hrigeu
Kriege (vol. 7).
I2S RDLLETIN IIISTORIQl'E.
iiilo du récit eL rcxcollenco du siyU\ la iiciu'lraLidii avec laquelle les
sources historiques sont étudiées, ai)préciees à leur juste valeur et
combinées ensemble Un sait par exemple que ses études critiques
sur des historiens récents [Zur Kritik neverer Gcschichtsuclireiber)
sont devenues un livre classique. Cet ouvrage a inauguré l'étude
systématique des sources de l'histoire moderne d'après la méthode
et suivant les lois qui guidaient habituellement la critique sur le
terrain de l'antiquité et du moyen âge. On comi)rend la joie de l'au-
teur quand il vit ces études publiées à nouveau, cinquante années après
leur première apparition-, « c'est comme un jubilé historique », dit-
il dans la préface de la seconde édition. Nous souhaitons de tout
notre cœur que la vieillesse de Ranke qui, par la fraîcheur de son
intelligence et sa vivacité, surpasse beaucoup déjeunes travailleurs,
nous donne encore beaucoup de beaux fruits.
Si Ton jette un coup d'œil sur l'ensemble des travaux qui ont paru
dans les dernières années sur l'histoire de la Réforme, et particuliè-
rement de la Réforme en Allemagne, on s'aperçoit que depuis Ranke
personne n'a osé embrasser ce vaste sujet dans son ensemble; c'est
uniquement sous la forme de leçons que plusieurs le traitent à un
point de vue général; mais ce sont des ouvrages de vulgarisation, et
nous ne pouvons leur accorder la même attention qu'à ceux où l'on
trouve des recherches personnelles et originales. Cependant on a fort
bien accueilli, et ajuste titre, les Leçons de Heeusser, publiées
après sa mort par M. Oncken ; cet ouvrage poursuit l'histoire de la
Réforme jusqu'à la paix de Westphalie et prend l'histoire d'Allemagne
comme le point de départ, et non comme le centre de ce grand mou-
vement '. Bien qu'il soit inférieur aux Leçons du même auteur sur
la Révolution française, il donne une idée exacte, mais un peu affai-
blie, du talent avec lequel cet éminent professeur savait disposer un
sujet et le traiter dans sa chaire. Les portraits qu'il trace des princi-
paux personnages sont notamment d'une puissance et d'un réalisme
tels qu'on ne peut plus les oublier -, et quant à la ressemblance, il y
aurait rarement lieu de faire des réserves. Les Leçons de Hagen-
bach ^, qui ont été maintes fois réimprimées, ne peuvent se com-
parer à celles de Hseusser pour la pénétration du jugement, la
largeur des vues, la beauté des peintures morales. Cet auteur
était professeur de théologie, et l'on s'en aperçoit à chaque page :
1. Ludwig Haîusser, Geschichfe des Zeitalters der Reformaiion 1517-1648;
Vorlesungen hgg. von Oncken. Berlin, Weidmann, 1868.
2. Hagenbach, Geschichte der Reformation, vorzuglich in Deiitschland und
in der Schueiz ; 3' vol. de la Kirchengeschichte von der xltesten Zeit bis zum
XIX luiirh. 'i' édit. Leipzig, Hirzel, 1870.
PUBLICATIONS ALLEMANDES SUR LA REFORME. ^ 29
il remplace souvent le récit pur et simple des événements par
des considérations générales débitées en style de sermon. Il faut
reconnaître cependant que Hagenbach a étudié son sujet avec le plus
grand soin, comme le prouvent ses nombreuses citations de sources
originales ou d'auteurs de seconde main. Professeur à l'une des uni-
versités de la Suisse, il dut accorder une attention particulière à
l'histoire religieuse de sa patrie, et il le fit de cette manière douce et
conciliante qui le caractérise. Les Leçons posthumes de Henke,
publiées par Gass ^ trahissent beaucoup moins l'étroitesse de vues
du théologien ; mais elles ne sont qu'une partie de l'Histoire moderne
de l'Église qu'avait préparée le regretté professeur de Marbourg, et,
comme celles de lïoeusser, elles accordent la même attention aux
pays non allemands qu'à la contrée même où la Réforme prit nais-
sance. L'éditeur aurait pu corriger certaines erreurs de détail et
combler certaines lacunes; mais considéré dans son ensemble, le
livre se recommande d'une façon toute particulière par une bonne
appréciation des récents travaux sur le sujet, par une exposition
abrégée, mais claire et méthodique, enfin par une mise en œuvre
habile des sources et des ouvrages de seconde main -, c'est un excel-
lent manuel pour les étudiants en théologie et en histoire. Il aurait
peut-être à redouter la concurrence d'un autre livre écrit dans le
même esprit, si ce dernier n'était écrit en anglais. Je veux parler des
Leçons de M. Fisher, professées à l'institut Lowell, à Boston 2.
Comme les ouvrages qui précèdent, celui de M. Fisher n'est pas une
pure compilation : l'auteur n'a pas craint de remonter aujc sources
originales. Quelques-unes ont cependant échappé à son attention, par
exemple la chronique de Salât, publiée dans V Archiv fur die Schwei-
zerische Be formation, organe du Schweizerisches Pius-Verein [] 868) ,
et le 4*= volume de la Correspondance des Réformateurs dans
les pays de la langue française, pubUée par Herminjard. L'histoire
de l'Humanisme, la révolution opérée par Franz de Sickingen et par
la guerre des paysans, ne sont pas non plus étudiées avec tout le
soin qu'elles méritent, et que lui ont accordé les travaux allemands
cités plus haut.
Les deux volumes de l'ouvrage bien connu de M. Merle d'Aubigné,
qui viennent d'être publiés après la mort de l'auteur, demanderaient
une critique détaillée-, mais nous ne pouvons ici que les mentionner
1. Henke, Neuere Kirchengeschichte; nachgelassene Vorlesungen fur deu
Druck bearbeitet und herausgegeben von Dr. W. Gass; Halle, Lippert. 1874.
1. The Re/ormaiion, by G, P. Fisher. D. D. Professer ot ecclesiastical hislory
in Yale Collège. 1873, New-York, Armstrong el C\ — L'ouvrage s'étend jusqu'à
la fin du xvii" siècle.
Rev. Histor. V. l"'- FAsc. y
130 BULLETIN niSTOniQUE.
brièvemenl'. Ils li-ailenl riiisloiro de la Réforme en Ecosse, en
Suisse, en Danemark, en Suède, en Norwéf^'e, en Honfirie, en Pologne,
en IJohême, aux Pays-Bas-, el nous pouvons d'autant moins nous
étendre sur l'historiographie de ces contrées, que la bibliothèque de
la ville où nous écrivons est très-pauvre en ouvrages récents sur
l'histoire de la Réforme dans ces pays, l^our ce qui concerne parti-
culièrement l'Allemagne, l'ouvrage de Kahnis^ n'est qu'un commen-
cement, un tableau abrégé des origines du protestantisme allemand
jusqu'en 1520, tableau qui se résume dans l'histoire des idées de
Luther pendant sa jeunesse-, nous y trouvons pourtant des rensei-
gnements précieux, bien que trop abondants, sur le mouvement des
esprits qui précéda la Réforme-, mais l'auteur n'apprécie pas l'Huma-
nisme à sa juste valeur, et n'a pas su éviter de nombreuses inexac-
titudes dans le détail.
Avant d'en venir aux dissertations particulières, citons plusieurs ou-
vrages d'un intérêt général, mais écrits sous forme d'essais. M. Weber
a réuni en volume toute une série d'articles relatifs à l'histoire d'Angle-
terre et d'Ecosse; il y a joint des études inédites sur divers points de
l'histoire d'Allemagne à l'époque de la Réforme 3-, en voici les titres :
situation de l'Empire à la mort de Maximilien I et à l'avènement de
Gharles-Quint; émeutes et révolutions-, l'empereur Gharles-Quint et
les protestants allemands. Toutes les qualités qui distinguaient déjà
l'Histoire universelle de l'auteur, une vaste érudition, l'habile arran-
gement des faits, un style agréable, se retrouvent dans ces essais;
mais on fera bien de contrôler avec soin les assertions de M. Weber.
Gomment, par exemple, peut-il prétendre (p. 209) que les mémoires
de Gharles-Quint ne sont point parvenus à la postérité? De même
l'étyraologie du nom par lequel on désigne un fameux soulèvement
de paysans (der arme Conrad, de kPÀn Rath) est fausse et surannée-,
il suffit pour s'en convaincre de jeter les yeux sur le 4® vol. de l'his-
toire de Wirtemberg, par Staelin. Bien plus instructives sont les
Etudes et esquisses publiées par M. Maurenbrecher, professeur à
Kœnigsberg^. Gomme dans ses précédents ouvrages, l'auteur y
étudie particuUèrement l'Espagne. Voici en effet les titres de plu-
1. Histoire de la Réforme en Europe au temps de Calvin, par. M. H. Merle
d'Âubigné, t. VI et Vil. Paris, C, Lévy, 1875 et 1876.
2. Kahnis, Die deutsche Reformation ; 1" vol. Leipzig, Dœrffling und Franke,
1872.
3. Georg Weber, Zur Geschichte des Reformations-Zeitalters, Umrisse und
Ausfùhrungen. Leipzig, Engelraann, 1874.
4. Studien und Skizzen zur Geschichte der Reformationszeii. Leipzig,
Grunow, 1874. (M. Maurenbrecher est aujourd'hui professeur à Bonn.)
PUBLICATIONS ALLEMANDES SUR LA RE'fORME. 'I 3 1
sieurs morceaux : la réforme ecclésiastique en Espagne ; l'Espagne
sous les rois catholiques ^ Jeanne la Folle; l'empereur Gharles-Quint.
Remarquons ce trait propre à l'auteur, qu'il parle d'une réforme de
l'Eglise, là où nous serions bien plutôt portés à voir une restaura-
tion de l'Église. D'autres études : le prince-électeur Maurice de
Saxe-, les travaux sur Luther; la diète de Worms en -I52^, se rap-
portent à l'histoire de la Réforme en Allemagne 5 enfin la dernière,
intitulée l'Église universelle et les églises territoriales, montre dans
une esquisse rapide le développement pris par l'Église au moyen âge
jusqu'à la formation des églises territoriales du protestantisme. Si
l'on trouve dans ces études mainte observation intéressante, elles
appellent cependant plus d'une fois la contradiction-, c'est ainsi que
le portrait si bienveillant de Maurice de Saxe est loin d'avoir obtenu
tous les suffrages.
Si nous passons maintenant à des ouvrages moins généraux, il ne
sera pas difficile de reconnaître plusieurs groupes principaux de
sujets historiques, groupes assez vastes pour occuper en même temps
l'activité de nombreux travailleurs.
On sait avec quelle ardeur, surtout en Allemagne, l'histoire de
l'Humanisme a été étudiée en ces derniers temps. En réalité, c'est
dans ce pays plus que partout ailleurs qu'elle se trouve étroitement
liée à l'histoire de la Réforme. Les travaux de Reuchlin et d'Erasme
agirent bien plus profondément sur l'esprit du peuple que ceux de
leurs confrères à l'étranger. En éveillant l'attention de toutes les
classes de la société, seigneurs et vilains, prêtres et laïques, les huma-
nistes ouvrirent plus large que partout ailleurs le chemin à la Réforme.
Quand tout l'intérêt se fut concentré sur les questions théologiques,
la Réforme et l'Humanisme suivirent trop souvent une direction
opposée, et l'on se trouve alors fatalement entraîné à suivre en même
temps ces deux courants contraires. — L'histoire de l'Humanisme en
Allemagne n'a pas encore été faite d'une manière satisfaisante-, les
travaux déjà anciens de Erhard ' et de Hagen '^ n'ont pas encore été
remplacés. Il est vrai qu'il est difficile de traiter un aussi vaste sujet
1. Geschichte des Wiederaufbliihens imssenschaftlischer Bildung, vornehm-
lich in Teutschland; 3" vol., Magdebourg, 1827- 1832.
2. DeuUchlands religiœse und literarische Verhxltnisse im Reformations
Zeitaller; {"'' vol., Erlangen, 1843. — Nous ne voulons pas, dans cette revue
des travaux d'ensemble sur l'Humanisine en Allemagne, passer sous silence l'ou-
vrage plus récent de J. Janssen : Geschichte des deutschen Volkes seit dem
Ausgang des Miltelalters ; {"' vol., 1"^ partie avec titre spécial : Deutschlands
geistige Zustscnde beim Ausgang des Mittelalters. Fribourg, Herder, 1876
(Voy. Rev. hist., II, 615 et suiv.).
432 BULLETIN HISTOUIQnE.
à la satisfaction du lecteur moderne, si le travail n'est facilité par de
nombreux travaux de détail. Ceux-ci ont abondé dans ces dernières
années.
Quatre érudits surtout ont montré une ardeur qui paraît parfois exces-
sive, et qui ace très-réel inconvénient de faire attrihuor trop d'impor-
tance à des personnages très-inférieurs. Avec un zèle infatigable et
une fidélité minutieuse aux moindres formes du langage, Bœcking a
recueilli en 7 vol., auxquels il ne manque guère qu'un index général,
tous les écrits, tous les actes, toutes les lettres, etc., sortis de la
plume d'Ulrich de Hutten, ou qui le concernent '. A l'aide de cette
masse énorme de matériaux, Strauss a écrit une vie de ce chevalier
allemand dont, sur plus d'un point, il peut être considéré comme un
descendant intellectuel -. h. Geiger s'est acquitté avec non moins de
bonheur de la tâche plus pénible d'apprécier la vie et les œuvres
de Reuchlin^; Kampschulte, de son côté, avait déjà écrit sur
l'Université d'Erfurt un livre d'une importance capitale pour l'étude
de l'Humanisme-*.
De ces quatre écrivains, un seul vit encore, le plus jeune, L. Geiger -,
profitant des ouvrages de ses illustres prédécesseurs, il se signala
d'abord par sa biographie de Reuchlin, puis par de nombreux tra-
vaux dans ce vaste domaine de l'humanisme qu'il ne devait plus
quitter^-, il nous en donnera un jour, espérons-le, l'histoire géné-
rale, que ses études et son talent le rendent également capable de
composer. De ses précédents travaux, nous n'en signalerons qu'un
où il a essayé de faire pour Reuchlin ce que Bœcking avait fait de
main de maitre pour Ulrich de Hutten ; la correspondance de Reuchlin
a été publiée par lui dans la bibliothèque de l'Union littéraire de
Stuttgard ^. Les recherches commencées pour la biographie du célèbre
1. Ulrichi Huiieni equitis Germani opéra, edidit E. Bôcking.Lipsiae, in aedi-
bus Teubnerianis. 5 vol. 1859-62. Supplemeuta 2 vol. 1864-70.
2. Ulrich von Buiten, par David-Fréd. Strauss; 2"' édit., Leipzig, 1871. Cet
ouvrage formera le 7= vol. des Œuvres complètes de Strauss.
3. îohann Reuchlin; sein Leben und seine Werke. Leipzig, Duncker etHum-
blot, 1871. ^ ^ ^
4. Die Universitaet Erfurt in ihrem Verhœltnisse zu Humamsmus und Refor-
mation. 2 parties, 1858-60.
5. Citons seulement : das Siudium der Hebrseischen Sprache in Deulschland
vom Ende des XV bis zur Mitte des XVI lahrh; Breslau, Schletter, 1870
(cf. Ergxnzungen dans les lahrbùcher fiir deutsche Théologie, vol. XXI).
Nicolaus Ellenbog, ein Humanist und Theologe des XVI lahrh., extrait du
Œsterreichische Vierteljahrsschrift fiir katholische Théologie 1870, publié à part
chez Holzhausen, à Vienne, 1870; Peirarca, Leipzig, Duncker et Humblot,
1874.
6. Johann Reuchlin' s Briefwechsel, gesammelt und herausgegeben von L.
PUBLICATIONS ALLEMANDES SUR LA Re'fORME. 133
humaniste, reprises plus tard pour sa correspondance, et poursuivies
dans de nombreuses bibliothèques , enfin des renseignements com-
muniqués par diverses personnes ont mis l'éditeur en état de publier
une grande quantité de lettres encore inédites. Pour donner une
idée du travail auquel s'est livré l'auteur, disons seulement qu'il a
fouillé les collections de Paris, Milan, Bâle, St-Gall, Berne, Munich,
Stuttgard, Nuremberg, etc. Pour se convaincre de l'importance de ce
recueil, il faut parcourir cette correspondance même ; on voit alors
de combien de beaux traits s'est enrichie la noble figure de Reuchlin.
L'auteur a très-sagement fait de ne publier intégralement que les
lettres encore inédites ou les plus importantes des lettres déjà pu-
bliées, et de ne donner des autres qu'une analyse, en renvoyant aux
livres où elles ont été imprimées. Quant aux remarques biographiques
et critiques ajoutées à chaque lettre, l'utihté en est de soi-même
évidente.
Il est impossible d'énumérer ici tous les travaux récents où sont
étudiés les humanistes de moindre importance. Plusieurs ont paru
séparément; les autres, il faut les chercher dans diverses revues-, la
plupart ont un intérêt général, mais bon nombre aussi se rapportent
presque uniquement à l'histoire provinciale ou locale.
On sait quel puissant contingent l'Alsace a fourni à l'armée des
humanistes. Les érudits et les professeurs de Strasbourg sont au
nombre des plus illustres, et leur influence fut considérable. Aussi
avons-nous accueilli avec joie les ouvrages qui se rapportent à Jakob
Wimpheling, à Beatus Rhenanus, à Sébastien Brant. Wimpheling n'a
pas encore été l'objet d'une étude vraiment satisfaisante-, les nombreux
travaux que nous possédons sur ce personnage laissent tous quelque
chose à désirer. Sa biographie, par Wiskowatoff', est une œuvre
méritoire, mais qui manque de caractère dans l'ensemble et de pré-
cision dans le détail, l'auteur, par exemple, n'a pas su faire ressortir
ce qui distingue éminemment Wimphehng : son importance pédago-
gique. C'est précisément ce dernier point que M. Schwartz s'est pro-
posé de traiter 2- mais on doit lui reprocher une admiration démesurée
pour son héros, de grands excès de polémique, des allégations et des
expressions trop souvent contestables. A Sébastien Brant, le célèbre
auteur du Vaisseau des Fous, M. Gh. Schmidt a consacré dans la
Geiger (Bibliothek des litterarischen Vereins in Stuttgart CXXVI. Tûbingen,
1875).
1. Jakob Wimpheling; sein Leben und seine Schriften. Berlin, Mitscher et
Rôstell, 1867.
2. Jacob Wimpheling, der Altvater des deutschen Schulwesens. Gotha, Per-
thes, 1875.
^35 nULLETIN IIISTOIIIQUE.
Berue d'A/sarr trois arlicles qui lémoignonl au plus hauL degré en
faveur de rérudilion et du goût de l'auteur'. Le poème satirique
qui a immorlalisé le nom de S. Brant a dans ces derniers temps
été publié deux fois par Gœdeke, dans sa forme originale, et par
Simrock dans une forme rajeunie, qui lui enlève son originalité ,
en outre, ce dernier travail n'est pas toujours exempt d'erreurs^. Si
M. S. Rathgeber n'a tracé de Beatus Rhenanus qu'une courte esquisse
biographique [Rev. d'Alsace, I, 384-397), M. Horawitz, un cons-
ciencieux érudit de Vienne, qui s'était déjà fait connaître par d'esti-
mables travaux sur l'histoire de l'humanisme, a su mettre habile-
ment en lumière l'histoire du bourgeois de Schlestadt, et surtout son
importance comme historien^; on pourrait cependant trouver à blâ-
mer çà et là quelques longueurs. M. Horawitz a entrepris en même
temps de réunir la correspondance de son héros, recueil qui serait
du plus grand intérêt; l'auteur en a déjà donné un aperçu rapide
dans les Rapports de l'Académie des sciences de Vienne (classe de
philosophie et d'histoire, 78^ vol., -1 874). Les lettres originales de
Rhenanus se trouvent à côté de ses livres, à Schlestadt, et ont été
jusqu'ici à peine utilisées.
En dehors de l'Alsace, nous trouvons aussi d'autres grands noms.
A Nuremberg, la riche et savante cité impériale, Wilibald Pirckhei-
mer, le célèbre protecteur de l'humanisme, n'a pas encore trouvé de
biographe qui ait mis en œuvre les innombrables matériaux fournis
par les ouvrages imprimés ou manuscrits; mais deuxérudits se sont
occupés récemment de sa sœur, Charitas Pirckheimer •*. Elle était
abbesse du monastère de Ste-Claire à Nuremberg-, à l'époque de la
Réforme, elle avait eu de fréquentes luttes à soutenir contre les auto-
rités de la ville; elle savait se servir de sa plume, et elle entretint
1. Notice sur Sébastien Brant (Revue d'Alsace, nouvelle série, t. III. 1874;
pages 3-56, 161-216, 346-388). Voy. aussi « plusieurs poésies de Brant en alle-
mand » dans l'Alsatta, 1873-74.
2. Seb. Branfs Narrenschiff, 1872 (deutsche Dichter des XVI lahrh., 7"^ vol.
Leipzig, Brockhaus). — Narrenschiff... erneuert von K. Simrock, mit den
Holzschnitten der ersten Ausgabe, etc. Berlin, Lipperheide, 1872.
3. Beatus Rhenanus; eine Biographie. Des Beatus Rhenamis literarische
Thietigkeit 1508-1546; Vienne, C. Gerolds Sohu, 1872-73. — Du même auteur :
Michael Hummelberger, eine biographische Skizze, Berlin, Calvary, 1875.
Cuspar Bruschius, ein Beiirag zur Geschichte des Humanismus und der
Reformation. Prague et Vienne, 1874 (Verein fur Gesch. d. Deutschen in
Bœhmen).
4. W. Loose, Aus dem Leben der Charitas Pirckheimer; nach Brielen,
Dresde, 1870. — F. Binder, Charitas Pirckheimer, Fribourg en Brisgau. Herder
1873.
PUBLICATIONS ALLEMANDES SUR LA RÉFORME. i 35
une correspondance avec des hommes tels que Geltis et Durer. Son
compatriote, Christophe Scheurl, qui fut pendant longtemps profes-
seur de jurisprudence à Wittemberg, et qui ne cessa jusqu'à sa mort
de rendre des services à sa patrie, est intéressant à étudier à cause
de sa correspondance publiée depuis peu; son Histoire delà Chrétienté
de loi < à -152^, qui était restée inconnue jusqu'à ces derniers temps,
aurait mérité de l'être plus longtemps encore ^ Nuremberg fut aussi
pendant longtemps le séjour de Johannes Cochlaeus, généralement
connu comme un des plus ardents adversaires de Luther ; il était
donc utile d'étudier en lui l'humaniste; c'est ce qu'a fait M. Otto^.
L'auteur est catholique, mais suffisamment impartial ; il est à sou-
haiter qu'il écrive une biographie complète de Cochlaeus, et qu'il
y accorde une attention particulière à ses ouvrages historiques.
Un autre écrivain, un de ceux qui se sont signalés de meilleure
heure parmi les humanistes, Pierre Luder, a mené une vie trop agitée
pour qu'il 'fût possible de le ranger dans aucun cercle particulier
d'érudits. Peu étudié jusqu'ici, bien que sa personnalité soit très-
digne d'intérêt, il a trouvé en Wattenbach un biographe qui a puisé
de précieux renseignements dans les manuscrits de Munich et de
Vienne, et qui s'est acquitté de sa tâche avec esprit et avec talent.
Une fois lancé dans cette voie, Wattenbach a fait revivre encore un
autre précurseur de l'humanisme, un patricien d'Augsbourg, S. Gos-
sembrot, qui n'épargna pas ses peines pour donner de l'extension
aux études nouvelles, et qui à ce propos entra en lutte avec un pro-
fesseur de Vienne 3. Plus connus que ces derniers, Jakob Locher
Philomusus et EobanusHessus méritaient d'être l'objet de travaux nou-
veaux approfondis et faits avec goùt^. Le premier s'est surtout fait un
nom par sa lutte avec Wimpheling, lutte qu'on a parfois représentée,
non sans exagération, comme le prélude du combat que se livrèrent
Reuchlin et les auteurs des Epistolae obscurorum virorum. Le second
joue dans l'histoire de l'Humanisme et de la Réforme en Allemagne
1. Soden und Knaake, Christoph Scheurls Briefbuch; 2 vol. Postdam, 1867-
72. — Knaake, lahrhûcher des deutschen Reichs und der deutschen Kirche
im Zeilalter der Reformation. Leipzig, 1872.
2. Cari Otto, lohannes Cochlaeus, der Hiimanist. Breslau, Aderholz, 1871.
3. Peter Luder, der erste humanistische Lehrer in Heidelberg, Erfurt,
Leipzig und Basel (Zcitschrift fiir Gcschichte des Oberrheins, 22'- vol. ; cf. dans
les vol. 23 et 27 : Nachtrxgliches ûber Peier-Luder). — Sigismond Gossembrot
als Vorkaempfer der Humanislen und seine Gegner (Ibid. vol. 25).
4. Ilehle, Der schvwbische Eumanist Jakob Locher Philomusus. Tubingiie,
Fues, 1873, Ehingen, 1874. — Krause, Die Sciml-und Universitsctsjahre des
Dichters Eobanus Hessus. Zerbst, 1873. — Schwertzell Helius, Eobanus Hessus,
ein Lebensbild aus der Reformationszeit. Halle, Lippert, 1874.
136 BULLETIN IIISTORIQrE.
un rôle Irop important pour que les auteurs rjui ont écrit sur ces
vastes sujets ne soient pas revenus constamment sur ce personnage.
On s'étonnera sans doute que dans cette revue des publications
récentes sur l'histoire de l'humanisme allemand, on n'ait pas encore
rencontré le nom de celui qu'on s'attendait à trouver à la première
place. Erasme, Hollandais de naissance, et mort en Suisse, Erasme,
dont linfluence s'étendit sur presque tous les pays de l'Europe, doit
cependant être compté au nombre des humanistes allemands. Plus
d'une fois il se qualifie lui-même (ï/iomo germanus^ et pendant de
longues années il a joué en Allemagne un rôle imposant et sans
égal ; mais par malheur personne encore n'est parvenu à nous
peindre d'une manière irréprochable toutes les faces de ce person-
nage extraordinaire. Récemment, en France et en Angleterre, ont
paru plusieurs ouvrages qui prétendaient combler cette lacune'.
Nous n'en ferons pas une critique détaillée, et nous nous référons au
jugement porté par un des érudits les plus compétents sur cette ma-
tière, Ludwig Geiger. M. Durand de Laur a certainement étudié son
sujet avec soin, mais dans un esprit exagéré d'apologie, et sans
l'encadrer au milieu des événements de l'histoire générale ; d'ailleurs,
il connaît fort peu les travaux allemands-, enfin il a disposé ses maté-
riaux dans un ordre très-défectueux. Le livre de M. Feugère prête le
fianc aux mêmes reproches, et, comme il a été écrit après celui de
M. Durand de Laur, il n'est pas étonnant que la critique se soit
montrée encore plus sévère pour ses erreurs et ses légèretés. Un
Anglais, M. Druirimond, dont l'ouvrage parut en même temps que
les deux précédents, nous satisfait mieux; cependant ce n'est pas, et,
comme le titre l'indique, ce ne devait pas être une biographie com-
plète. L'auteur n'est pas non plus très au courant des travaux alle-
mands, sans lesquels il est impossible de marquer avec justesse la
place occupée par le grand humaniste parmi ses contemporains.
Malheureusement, en Allemagne, on n'a guère récemment étudié en lui
que le théologien -, et il n'est pas sûr qu'à ne considérer même que cette
1. H. Durand de Laur, Erasme, précurseur et initiateur de l'esprit moderne.
Paris, Didier, 1872. 2 vol. — G. Feugère, Erasme, élude sur sa vie et ses
ouvrages. Paris, Hachette, 1874. — R. B. Druminond, Erasmus, fiis life and
character, as showti in his correspondance and works. Londres, Smith Elder
and C° 1873; 2 vol. — Comp. L. Geiger, Hisiorische Zeitsckrifl, hgg. von H.
von Sybel. vol. 33. M. Horawilz se propose d'écrire une biographie d'Erasme.
2. Slichart, Erasmus von Rotterdam; seine Stelluug zu der Kirche und zu
den kircklichen Beweguaç/ea seiner Zeit. Leipzig, Brockhaus, 1870. — Wokcr,
De Erasmi Roterodami Sludiis irenicis. Paderborne, 1872. — R. Stt'ehelin,
Erasmus Stellung zur Reformation, hauptsxchlich von seinen Beziehungen zu
Basel ans beleuclitet. Acaderaische Probevorlesung. Bàle, Schneider, 1873.
PUBLICATIOXS ALLEMANDES SUR LA RÉFORME. ^ 37
face de son caractère, ses sentiments vraiment libéraux aient été
appréciés à leur juste valeur. Une biographie d'Erasme conforme
aux exigences de l'érudition moderne, est encore à écrire; c'est une
œuvre aussi difficile que séduisante, et qui exige les connaissances
les plus variées. Elle sera d'ailleurs fort difficile tant qu'on n'aura
pas une édition critique de la correspondance d'Erasme, dont la chro-
nologie est si incertaine. Un pareil travail serait de la plus grande
utilité pour l'histoire, si injustement négligée jusqu'ici, de l'Huma-
nisme en France.
Si les humanistes forment un groupe, les réformateurs proprement
dits en forment un autre, auquel se rapportent d'importants travaux
publiés presque tous en même temps. Ce sont d'abord les éditions
de leurs œuvres sur lesquelles nous jetterons un rapide coup d'œil.
Pendant que M. Schmidt terminait avec le 7" volume le recueil des
œuvres latines de Luther qui intéressent l'histoire de Ja Réforme',
M. Bindseil donnait un complément excellent et préparé de longue
main, à la correspondance de Mélanchthon publiée dans le Corpm
reformatorum 2. Il ne s'est pas contenté d'y faire entreries fragments
de lettres parus seit dans les revues, soit dans les livres postérieurs
à rédition du Corpus; il a fouillé d'anciens ouvrages maintenant
oubliés, enfin il a pu réunir une riche collection de lettres inédites.
Parmi ces dernières, les plus importantes sont celles qu'on a décou-
vertes dans la célèbre collection Simler^ à Zurich, où se trouvent
des lettres de Mélanchthon, Butzer, Bullinger, Vadian et autres^. Les
archives de Dresde et de Mulhouse, les bibliothèques de Werninge-
rode, Wolfenbuttel, Hambourg, Giessen, etc., ont aussi été mises à
contribution. Malgré tout le soin que ce très-savant éditeur a pris
pour ne rien laisser échapper, on peut signaler çà et là plusieurs
omissions, et les différents critiques qui ont rendu compte de son
excellent travail y ont relevé de petites erreurs de détail. D'ailleurs,
on ne peut se flatter d'avoir déjà trouvé toutes les sources cachées,
malgré les recherches minutieuses auxquelles on s'est livré dans un
grand nombre de bibliothèques et d'archives. La correspondance des
1. D. Martini Lutheri opéra Jatina varii argumenti ad Reformationis hislo-
riam imprimis pertinentia ; curavit Dr. Henricus Schmidt. 7'' vol., Francfort,
1873.
2. Philippi Melanchlhonis epistolae, judicia, consilia, tesUmonia aliorumque
ad eum epistolae quae in Corpore reformatorutn desideraniur collegil
H. E. Biiulseil ; Jlalis Saxoniiin, typis suniptibusquc G. Schwelschke, 1874.
3. Je ferai remarquer en passant ([ue la lettre de Mélanchthon à Eberhard
Rumlang, que Cijidseil donne d'après une copie de la collection Simler, se
trouve en original aux Archives de l'Étal à Berne {Epistolae varii tlwmalis et
miscellanea ecclesiae 37-39).
^38 BULLETIN HISTORIQUE.
réformateurs a été si étendue qu'on ne peut être sûr de l'avoir jamais
sous les yeux tout entière. A peine le livre de Bindseil élait-il paru,
que de plusieurs côtés on publia des lettres de Mélanchtlion ^ ainsi
M. Horawitz, dans les rapports de l'Académie des sciences de Vienne
(1874), et M. Varrentrapp dans les Forschungen zur deutschen
Gesc/iichte (1876). Tout récemment encore, a paru dans les mémoires
de l'Académie de Munich ('1876), un rapport de M. DrufTel sur les
manuscrits de Mélanchthon conservés dans la bibliothèque Ghigi.
S'appuyant sur les travaux préparatoires d'un autre érudit, H. W.
Meyer, M. Drufîel a prouvé que les lettres de Mélanchthon, dans la
forme sous laquelle Camerarius les a livrées à l'imprimeur, ne sont
pas absolument conformes aux originaux qui se trouvent parmi les
mss. de Camerarius conservés dans cette bibliothèque. Il n'est pas
douteux que Camerarius n^ait pris systématiquement de grandes
libertés avec son texte ; il y a même certaines lettres qu'il s'est per-
mis de supprimer complètement.
On ne peut parler des travaux récents sur la correspondance des
réformateurs sans mentionner le nom de Cari Krafft', pasteur à
Elberfeld. Il s'occupait déjà depuis longtemps de l'histoire de la
Réforme avec un zèle qu'attestent des travaux nombreux et estimés ^ ,
quand il résolut de fouiller les archives et les bibliothèques pour
trouver les matériaux d'une histoire ecclésiastique du Bas-Rhin à
l'époque critique où un archevêque de Cologne menaçait l'église
catholique d'un coup terrible. Un des derniers fruits de ses études
infatigables est un recueil de documents qui forme la meilleure part
d'une publication de circonstance entreprise en collaboration avec
son frère ^. On y trouve des lettres jusqu'alors inédites, et la plupart
fort intéressantes, de Butzer, Erasme, Mélanchthon, Thomas 31ûnzer,
1. Indiquons seulement ici les articles qui ont été insérés dans la Zeitschrift
des Bergischen Geschichis- Vereins, ceux par exemple sur les notes prises par
Bullinger pendant qu'il étudiait à Emmerich et à Cologne, et sur sa correspon-
dance avec ses amis de Cologne, à propos des documents qui se rapportent aux
deux martyrs évangéliques Pierre Fliesteden et Adolphe Ciarenbach, etc. Men-
tionnons aussi les lettres de Mélanchthon, Bucer et de leurs amis ou adversaires,
concernant la Réforme sur les bords du Rhin à l'époque d'Hermann von Wied,
publiées dans les Theologische Arbeiten ans dem rheinischetiinssenschaftlichen
Prediger-Verein, 2" vol., 1874, chez Friderichs à Elberfeld; plus 14 lettres de
Luther dans ce même vol., et dans le 1" un article intitulé : Ueber die Quellen
der evangelischen Beiregungen am Niederrhein.
2. Briefe und Documente aus der Zeit der Reformaiion imXVI lahrh. nehst
Mittheiluiifjen iiber kœimsche Gelehrte und Studien im XI II und XVI lahrh.;
bei Gelegenheit des fiinfzigjœhrigen Stiltungsfestes des Friedrich-Wilhelms-
Gymnasium zu Kœin, hgg. von K. Krafft und W. Krafft. Elberfeld, S. Lucas
(1875).
PUBLICATIONS ALLEMANDES SUR LA RÉFORME. ^39
Slaupitz et autres. La lettre de Staiipitz à Luther, par exemple,
écrite en 1524 « post longa silentia », et inconnue au dernier bio-
graphe du réformateur, nous fait voir clairement l'amitié cordiale
que Staupitz ressentit jusqu'à sa mort pour son illustre disciple. Sans
doute il conseille de ne pas faire de réformes radicales et le prie de
songer aux consciences inquiètes : « que neutra sunt et cum sincera
fide stare possunt, oro ne damnes » -, mais il fait aussi cette remarque :
« in te constantissimus mihi amor est, eciam super amorem mulie-
rum semper infractus ». Cette lettre, comme les autres du volume
de Krafft, a été tirée des collections de correspondances contempo-
raines que Spalatin semble avoir systématiquement formées, et dont
il reste encore des débris importants dans plusieurs manuscrits de
Berne et de Bâle. Les thèses de Mélanchthon pour le baccalauréat en
théologie, à Wittemberg, publiées d'après une ancienne copie de la
bibliothèque de Berlin, seront aussi accueillies avec- reconnaissance
par tous ceux qui regrettaient de ne pas les connaître. Les éclaircis-
sements sur les érudits et les études à Cologne, que Krafft a fait
entrer dans son livre, auraient mérité d'être mentionnés plus haut
dans notre revue des travaux relatifs à l'histoire de l'Humanisme,
parce qu'ils se rapportent surtout à des hommes tels que Mosellanus,
Hermann Buschius, Mutianus et autres.
La correspondance entre le duc de Wurtemberg et P.-P. Vergerius ' ,
dont la société littéraire de Stuttgard a entrepris la publication,
appartient à un autre ordre d'idées. On connaît l'étonnante destinée
de Vergerius, et son activité passionnée dans la lutte contre la vieille
église qu'il avait quittée. Protégé et soutenu par le duc de Wurtem-
berg, il lui rendit, par son infatigable correspondance et ses missions
diplomatiques, lés services les plus divers. Ses lettres, tirées j)our la
plupart des archives de Stuttgard, font ressortir les traits peu hono-
rables de son caractère, sa vanité, son penchant à s'imposer quand
même, mais aussi elles mettent en pleine lumière le rôle qu'il a joué
dans les luttes de son temps.
A côté des correspondances, qui seront toujours la meilleure
source d'information pour Fintelligence du rôle joué par les person-
nages importants, il est aussi d'autres documents d'une grande
valeur. Nulle part la figure de Luther n'est peinte avec autant de
fraîcheur et de vie que dans ses Propos de table [Tischreden] ; ce
sont pour la plupart des conversations qu'il eut à table avec ses amis
1. Briefwechsel zwischen Christoph Herzog ton Wurtemberg und Petrus
Paulus Vergerius, gesammelt und hgg. von E. von Kausier und Theodor Schott
(Bibliothèque de la Société littéraire de Stuttgard, 12i" vol. Tubingue, 1875).
140 BULLETIN HISTORIQUE.
et ses disciples, cl qui ont été recueillies par l'un et par l'autre. Les
difïerents recueils de ces I^rojios qui nous sont parvenus ne méritent
pas toujours, on l'a déjà fait remarquer plusieurs fois, la confiance
superstitieuse avec laquelle ils ont été souvent accueillis. On y rencontre
souvent des difficultés chronologiques et des contradictions insolubles,
mais une critique exacte de ces Propos n'était pas possible tant qu'on
n'en pourrait pas retrouver l'origine. Une publication récente a gran-
dement facilité ce travail délicat. Les notes d'Antoine Lauterbach, dis-
ciple et ami de Luther, qui a largement contribué à la fabrication de ces
recueils, ont été publiées d'après un manuscrit découvert à la biblio'
thèque de Dresde ^ Peut-être a-t-on eu tort d'appeler ces notes un
journal [Tagebuch], caria personnalité de Lauterbach s'efface tout
à fait derrière celle du réformateur. Il se peut aussi que le fidèle
disciple n'ait pas recueilli à table tous les propos qu'il rapporte.
Quoi qu'il en soit, la nouvelle publication permet de comparer les
anciennes éditions à l'original de Lauterbach. L'éditeur a joint au
texte une introduction, des remarques et un appendice; son travail
est déjà venu en aide au dernier biographe de Luther.
Cette biographie à laquelle nous faisons allusion est sans contredit le
travail le plus important qui ait été composé sur la matière-. Il fait
partie de la grande collection intitulée Vie et œuvres choisies des'pères
et fondateurs do l'église luthérienne. L'auteur, M. Kœstlin, y déploie
d'éminentes qualités : une vaste connaissance des travaux antérieurs,
une critique pénétrante, un jugement impartial, un style élégant et
simple. Il renverse sans pitié les légendes qui embellissaient l'histoire
de la jeunesse de son héros, et introduit un ordre meilleur dans la
chronologie de son époque. Il analyse avec soin les plus importants
écrits de Luther et initie pas à pas le lecteur à son développement
intellectuel. Quoique théologien, il se garde bien de considérer son
sujet au point de vue exclusif d'une école de théologie contemporaine.
Rarement il fait suivre le récit des faits de ses réflexions personnelles,
et quand le cas se présente, on ne se sent pas toujours satisfait ni
éclairé. On regrette aussi que l'auteur n'ait pas davantage la préci-
sion juridique, quand il s'agit d'indiquer l'opinion de Luther sur les
rapports de l'Eglise et de l'État, et de montrer comment la séparation
des deux pouvoirs a été effectuée dans les pays évangéliques. L'auteur
n'insiste pas assez non plus sur l'importance qu'eut Tannée i525
1. M. Anton Laiiterbach's diaconi zu Wiltenbercj Tagebuch auf das lahr
1538, die Hauptquelle der Tischreden Luther' s; ans der Handschrift hgj^. von
J. K. Seidemann. Dresde, Naumann, 1872.
2. Martin LuIJier , sein Leben und seine Schriften, von Dr J. Kœstlin, pro-
fessor iind Consistorialralh in Halle, 2 vol. Elbcrfeld, Friderichs, 1875.
PUBLICATIONS ALLEMANDES SUR LA Re'fORME. ^4^
pour la Réforme et ses premiers représentants. Mais on ne refusera pas
à M. Kœstlin l'honneur d'avoir fait un livre qui répond aux exigences
de la science, et qui mérite de se répandre dans le grand public.
La biographie la plus complète laissera toujours place à des études
sur des points particuliers. Ainsi M. Kolde a cherché à montrer, dans
un récent travail, sur quel terrain se plaça Luther en présence des
notions du concile et de l'église. MM. Albert et Jacobs ont traité
la disputation de Leipsic^ Mais d'autres écrivains préféreront
porter leur attention sur des personnages d'une importance secon-
daire, et dont le rôle, obscurci par la gloire des grands noms de la
Réforme, risquerait d'être oublié. Tel fut Eberlin von Gûnzburg dont
on s'est déjà maintes fois occupé, mais dont on attendit longtemps
une biographie complète. Par l'habileté de sa plume, il devint une
véritable puissance auprès du peuple-, de son œil clairvoyant, il
découvrit les maux qui menaçaient la société, et, dans la guerre des
paysans, il exerça une influence bienfaisante à Erfurt. Tous ces traits
forment un personnage assez intéressant à étudier ; M. Riggenbach
a su les réunir dans un ouvrage fait avec soin^. L'auteur, il est vrai,
n'a fait aucune trouvaille importante, mais il a donné une analyse
fidèle des ouvrages imprimés d'Eberlin qui sont devenus rares. On
aurait désiré cependant que les opinions de celui-ci eussent été mieux
étudiées dans leurs rapports avec celles des contemporains, que
l'auteur eût évité les allusions au temps présent, et ajouté une revue
bibliographique exacte.
L'ouvrage de M. Riggenbach nous amène naturellement à un
autre groupe de travaux historiques qui se rapportent moins à la
biographie des réformateurs eux-mêmes qu'aux agitations politiques
et sociales nées de la Réforme. Cette époque, en effet, est celle où se
firent toutes les tentatives révolutionnaires, où toutes les classes de
la société furent ébranlées, où les chevaliers, les bourgeois, les
paysans, entrèrent en lutte avec les puissances dominantes. L'intérêt
dramatique de cette histoire a tout récemment rappelé sur elle l'at-
tention. En réalité, les questions politiques et sociales qui s'agitaient
alors sont de celles qui ne passent pas^ mais après les diverses
épreuves auxquelles elles ont été soumises, on peut les discuter avec
moins de passion qu'il n'aurait été possible de le faire il y a quelques
. dizaines d'années ; et, bien qu'aujourd'hui encore nombre de points ira-
1. Luther's Stellung zu Goncilund Kirche. 1876. Quant à la disputation de
Leipsic, v. Zeitschrift fur hisiorische Théologie, 1873, 1874.
2. Johann Eberlin von Giinzburg und sein Reformprogramm. Tubingue,
Fues, 1874.
-142 BOLLETIN HISTORIQUE.
porlanls soient restés obscurs, on commence à posséder une idée claire
de la puissante cfTervescence qui, simultanément avec la réforme
religieuse, pénétra toutes les couches de la nation allemande. Aussi
M. Baur a-t-il été bien inspiré de mettre à profit les pièces fugitives,
anonymes ou pseudonymes, des années '^5^7-^525, pour laisser cette
cpoiiue troublée parler, pour ainsi dire, par leur bouche au lecteur '.
On peut cependant lui reprocher de n'avoir pas assez tenu compte
des travaux de ses devanciers, d'avoir commis plus d'une erreur de
détail, et surtout de n'avoir fait qu'esquisser légèrement le sujet.
On peut déjà reconnaître dans l'opposition que Gharles-Quint et
Ferdinand rencontrèrent en Autriche à la mort de leur grand-père
Maximilien, un symptôme de l'esprit révolutionnaire qui devait
bientôt prendre de si grandes proportions. M. V. v. Kraus, dans un
ouvrage distingué, où il a utilisé d'importants documents, a étudié
cette opposition, la lutte qui s'en suivit et le triomphe définitif de
l'archiduc Ferdinand^; il est à désirer qu'il nous donne une histoire
complète du règne de Ferdinand I, histoire dont le besoin se fait de
plus en plus sentir.
L'intérêt de ce sujet ne dépasse guère les frontières du pays auquel
il se rapporte. 11 n'en est pas de même pour celui qu'a traité M. Ulmann.
On sait quelle place considérable occupe Franz de Sickingen dans l'his-
toire de la Réforme. Jusqu'ici on devait se contenter d'une biographie
pitoyable et décousue de Mûnch; M. Ulmann est venu combler heu-
reusement cette lacune^. Des recherches minutieuses dans les
archives lui ont permis d'apporter des conclusions neuves et impor-
tantes-, sans doute on n'a pu rien ou presque rien retrouver de la
correspondance du hardi chevalier, parce qu'elle fut pillée dans le
sac de ses châteaux par les princes ses ennemis-, mais les archives
de Gassel (Marbourg), de Munich, Weimar, Francfort, Vienne, etc.,
ont fourni sur plusieurs points des renseignements aussi précieux
qu'abondants. Si le portrait que Ranke a tracé de F. von Sickingen
est maintenant encore exact dans son ensemble, il demande cependant
de nombreuses retouches. On reconnaît en Sickingen le dernier grand
représentant d'une caste qui devait nécessairement disparaître un
jour, mais on remarque en même temps que les intérêts de sa caste
1. August Baur, Deutschland in den Jahren 1517-1525; betraehtel im Lichte
gleichzeitiger anonymer und pseudonymer Volks-und Flugschriften. Ulm,
Stettin, 1872.
2. Zur Geschichle Œsterreichs unter Ferdinand I, 1519-1522; ein Bildstxn-
discher Parteikxmpfe. Vienne, Hœlder, 1873.
3. Franz von Hickingen, nacli meistens ungedruckien Quellen. Leipzig,
Hirzel, 1872.
PUBLICATIONS ALLEMANDES SDR LA llÉFORME. ^43
ne furent pas le plus grand de ses soucis. Il désirait avec ardeur
conquérir une situation extraordinaire; mais il ne séparait pas ses
plans ambitieux des idées nouvelles; aussi son rôle n'est-il pas celui
d'un simple chef de parti. C'était le devoir de l'historien d'analyser
ce caractère complexe, de montrer ses côtés forts comme ses côtés
faibles, de rompre souvent en visière à la tradition qui incline trop
volontiers à représenter Sickingen comme le « héros national ». Cer-
taines questions obscures se trouvent chemin faisant éclaircies mieux
qu'elles ne l'avaient été jusqu'alors, telles sont les tentatives faites
pour améhorer la situation des chevaliers de l'empire, et réprimer
leurs débordements, les diverses luttes soutenues par Sickingen et
ses rapports avec les chefs de l'Humanisme et de la Réforme, l'expé-
dition contre Trêves et la défaite du chevalier. Beaucoup d'erreurs
commises par les précédents auteurs sont aussi corrigées dans le
livre de M. Ulmann ; cette allégation, par exemple, que le gouverne-
ment impérial favorisa Sickingen au détriment de beaucoup d'autres,
est ramenée ici à sa juste valeur. Les lecteurs français y apprendront
aussi avec intérêt quels rapports Sickingen eut avec François I, et à
ce propos, nous signalerons une lettre du roi à Sickingen tirée des
archives de Cassel (aujourd'hui Marbourg) , et publiée dans l'ap-
pendice.
En décrivant le pillage de la Franconie, M. Ulmann fait allusion à
un homme d'une réputation détestable, Thomas d'Absberg, qui se fit
par ses excès un nom particulièrement redouté. Ses luttes contre la
Ligue de Souabe ont fait l'objet d'un nouveau travail publié par la
Société littéraire de Stuttgard ; on y voit à quel degré de barbarie on
était arrivé à cette époque ^ Sur Gœtz de Berlichingen et sa fameuse
autobiographie, nous trouvons aussi d'intéressants renseignements
dans un mémoire de M. Wegele inséré dans le 3" vol. de la Zeitschrift
fur deuische KuKurgeschichte (N. F. III).
On peut jusqu'à un certain point considérer comme un supplément
au beau livre de M. Ulmann l'ouvrage de M. Otto Waltz, aujourd'hui
professeur à Dorpat-. On crut longtemps que le manuscrit de la
chronique de Philippe von Flersheim, beau-frère de Sickingen, avait
été perdu sans retour par la faute du premier éditeur ; mais, bien
que la première rédaction et la première recension de ce texte
important ne paraissent pas devoir être jamais retrouvées, on a
1. Verhandlungen iiber Thomas von Absberg und seine Fehden gegen den
schwxbischen Bund, 1519-1530; hgg. von J. Baader (Bibliothek des litterarischen
Vereins in Stuttgart, vol. 114). Tubingue, 1873.
2. Die Flersheimer Chronik; zur Geschickte des XV und XVI Jahrh.
Zum ersten Mal nach vollstéendigen Handschriften hgg. Leipzig, Hirzel, 1874.
^44 IllILLiniN IllSIOKlylJK.
mis la main LouL réccmmeiiL sur trois rédactions manuscrites,
à Wurtzbourg, à Trêves et à Heidelbcrg^ cette dernière, décou-
verte par M. Wallz lui-même, a servi de base à l'édition princeps
qui est daillours très-delectueuse. A l'aide de ces trois mss.,
on pouvait entreprendre une édition critique de la chronique, et,
quoique l'on puisse mettre en doute çà et là la justesse du choix des
leçons, on doit reconnaître qu'il a su établir son texte avec autant de
bonheur que de pénétration. Le lecteur appréciera fort aussi l'utilité
des notes qui accompagnent le texte et d'une table rédigée avec soin.
La révolte des paysans allemands forme, après l'échec des tenta-
tives révolutionnaires de Sickingen, une nouvelle phase du mouvement
socialiste à cette époque. Depuis longtemps on sentait le besoin de pos-
séder une édition critique de quelques sources de cette histoire dont
on n'avait encore que des fragments ou que des textes insignifiants.
Nous aurions à parler en premier lieu d'une publication qui est des-
tinée à combler en partie cette lacune, si elle n'avait point paru trop
tard pour que nous puissions en donner une analyse détaillée ^
Gontentons-nous de faire en passant la remarque que ce nouveau
Recueil de Sources pour servir à l'histoire de la guerre des paysans
dans la Haute-Souabc contient de très-riches matériaux, ^et que
l'éditem' s'est déjà fait connaître par des travaux exécutés avec soin
et avec critique. Un de ceux-ci, consacré aux Douze-Articles des
Paysans, a été, dans le -12'^ vol. des Forschungen zur deutschen
Geschichte, l'objet d'une réplique par l'auteur du présent article.
Beaucoup de petits écrits se rapportent à cette grande révolution de
^523, ainsi l'histoire abrégée de l'insurrection des paysans, rédigée
par messire Ulrich de Rappoltstein, texte sensiblement différent de
celui qui avait été déjà publié dans YAlsaiia -. A la guerre des
paysans en Alsace se rapporte également un court mémoire assez
mauvais d'ailleurs ^ On ne sait jamais quand l'éditeur, M. Ohleyer,
prend la parole, ou quand il laisse parler l'auteur du manuscrit qu'il
publie -, ce dernier était bourgmestre de Wissembourg au commence-
ment du xviii" s., et ses fonctions lui permirent de recueillir des
1 Baumann, Quellen zur Geschichte des Bauernkrieges in Ober-Scliwaben
(Bibl. des lit Vereins in Stuttgart; 129^ vol. 1877). Nous recevons aussi trop
tard Die Geschichte des Bauerskrieges in Osifranken von L. Pries, herausgege-
ben V. A. Schxffler und T. Henner, Wirzburg 1876 Erste Lieferung.
1. J. Rathgeber, Die Herrschaft Rappoltstein; Beitrxge zur Geschichte des
Ober-Elsass. Strasbourg, Wolff, 1874, p. 69 seq.
3. Der Bauernkrieg um Weissenburg, anno 1525. Wissembourg, Wentzel,
1873 (le ms., dont une copie a été conservée, lut détruit dans l'incendie de la
bibliothèque de Strasbourg en 1870).
PUBLICATIONS ALLEMANDES SCR LA RÉFORME. 445
documents authentiques sur l'histoire de sa patrie. Citons encore
un mémoire de M. J. Ghauffour, inséré dans VAlsalia (1873-74,
p. 299 à 307), et intitulé : la Guerre des Paysans dans la Haute-
Alsace, d'après la chronique de Friedrich L. AValdnervonFreundstein
trouvée dans les papiers de Sigismond Billing. D'autre part, M. E.
Wagner, à l'aide de documents inédits, a donné dans le ^4'' vol. des
Forschungen, une exacte peinture de cette guerre sur le territoire de
Schwsebisch Gemund, ville libre d'empire, et complété par là le récit
de M. Stselin dans son histoire de Wurtemberg. Dans le même
volume, M. Seidemann a continué ses contributions à l'histoire de la
guerre des paysans en Thuringe où Thomas Miinzer joue naturel-
lement le plus grand rôle. M. G. Droysen s'est aussi occupé de ce
chef de l'insurrection en Thuringe, dans une étude pleine de vie
sur la journée décisive de Frankenhausen ^ Il s'occupe des sources
connues -, il signale plusieurs brochures devenues rares et combat
non sans bonheur une opinion de Ranke, suivant laquelle Gnoda-
lius, écrivain du xvi" s., qui fit l'histoire de la Guerre des Paysans,
aurait suivi de très-près Grinitus (Haarer). Cependant il se trompe,
croyons-nous, en admettant qu'il y avait déjà une édition allemande
imprimée de ce dernier auteur avant celle de ^62D. Le rôle joué par
G. Westerburg dans la guerre des paysans, comme d'ailleurs la vie
entière de ce remarquable personnage, étaient jusqu'ici restés obscurs.
Un érudit qui, au milieu de ses fonctions ecclésiastiques, a trouvé le
temps de faire un excellent livre d'histoire, le D''E. Steitz, deFranc-
fort-sur-le-Mein, a pour la première fois donné une biographie com-
plète de Westerburg, et il l'a réunie à d'autres naémolres surl'histoire
de la Réforme à Francfort-. L'existence de Westerburg fut très-
accidentée : issu d'une riche famille patricienne de Cologne il se lia
successivement avec Mùnzer et Garlstadt en Thuringe, passa quel-
ques temps à Zurich; en io2D on le retrouve à Francfort où il fait
de la propagande, puis à Cologne et à Munster où il reçoit le second
baptême des Anabaptistes; un peu plus tard au service du duc de
Prusse, à Kœnigsberg; vers la fin de sa vie, il déploya avec ardeur
ses talents d'habile pamphlétaire pour la réforme de l'archevêché de
Cologne, mais ses plans échouèrent et il dut se réfugier dans
rOst-Frise. L'époque la plus intéressante de cette vie est sans con-
tredit celle de la terrible année 4525, à Francfort; il y composa les
1. Zur Schlacht bei Frankenhausen ((Zeitschrift fur Preussische Geschichle,
1874).
2. Abhandlungen zu Frankfurt's ReformationsgeschicMe (tirage à part de
l'Archiv fur Frankfurt's Geschichte und Kuiist), 1872.
Rev. Histûr. V. !«'• F.\SG. lu
446 nnLLKTiN historique.
.( Articles » de la bourgeoisie révolutioniiairi', (|ui fiirenl pour les
populations urbaines du Bhin et de la Wostp]i;ilie ce qu'avaient été
auparavant les Douze-Articles pour les paysans. Ce mémoire se
trouve complété par la publication du « Livre de l'insurrection de la
ci-devant cité d'empire, Kivuicrort-snr-le-Mcin, en i:i25 », qui est un
récit olTiciel des troubles; le journal d'un chanoine qui vivait à
Francfort à l'époque de la Réforme, publié également par M. Steitz,
appartient à ce même groupe de sources historiques ' .
On sait que la guerre des paysans eut son contre-coup en Suisse
et qu'inversement l'existence de la confédération contribua beaucoup
aux agitations démocratiques dont l'Allemagne fut le théâtre pendant
la Réforme. Aussi l'histoire allemande profitera-t-elle d'une publica-
tion de textes qui semble au premier abord n'intéresser que la Suisse-,
nous voulons parler du livre des Recès de la Confédération, qui
embrasse la période de Vj'2\ à ^532^. L'éditeur de ces deux volumes,
M. Strickler, archiviste aux archives de l'État à Zurich, s'est donné
une tâche difficile à remplir. Il a recueilli des documents de toute
sorte, lettres, instructions, mandats, brefs, protocoles, et les a
imprimés en petit texte après les Recès ; il a même pris soin de ren-
voyer à d'anciennes éditions, alors qu'il eût peut-être dû se contenter
d'indiquer les ouvrages plus facilement accessibles. Le principal
mérite de ce livre, publié avec grand soin, est d'éclaircir l'histoire de
la Réforme en Suisse et de répandre une lumière nouvelle sur le rôle
qu'ont joué les diètes et les magistrats des cantons dans les pre-
mières agitations et dans la révolution. Souvent aussi ce livre
touche aux événements extérieurs, et parmi ceux-ci la guerre des
paysans occupe la première place.
De l'histoire de cette guerre à celle des Anabaptistes, qui le plus
souvent prirent la direction des paysans révoltés, il n'y a qu'un pas.
Il est fort regrettable que M. Cornélius n'ait pas encore pu se décider
à finir son ouvrage sur l'insurrection de Munster (Leipzig, Weigel,
-1855, 'iseo). Ce livre, un des joyaux de notre littérature historique,
a donné une impulsion toute nouvelle à l'histoire des Anabaptistes en
Allemagne -, de nombreuses monographies ont paru sur ce sujet plein
d'attraits. Nous n'en citerons que deux : le récit de la prise de
1. Bas Aufruhrbuch der ehemaligen Reichsstadt Frank furt a. M. (Neu-
jahrsblaU des Vereins f. Geschichte und Alterthumskunde zu Frankfuit), 1875.
— Tagebuch des Canonicus Wolfgang Kœnigstein am Liebfrauenstift. 1520-
48, 1876.
2. Die Eidgenœssichen Abschiede aus dem Zeiiraum von 1521-1532 (Der
amtlichen Abschiede Sammlung Bd. 4, Abtheilung I. a, b. Brugg, 1873-1876).
PUBLICATIONS ALLEMANDES SUR LA RE'fORME. H7
Munster, par Cornélius', et des fragments sur l'histoire des Ana-
baptistes dans la Haute-Souabe, publiés dans une nouvelle et très-
honorable revue 2, par M. G. Meyer, qui a trouvé, surtout à Augs-
bourg, de précieux documents, tels que, par exemple, plusieurs
procès-verbaux des interrogatoires de prisonniers anabaptistes.
En suivant l'ordre chronologique, nous avons maintenant à citer
plusieurs travaux sur l'histoire de la diète d'Augsbourg; et d'abord
une biographie du célèbre chancelier saxon Briick : les services qu'il
a rendus à la Réforme, et surtout le rôle actif qu'il a joué en -1530
y sont fort bien exposés 3. L'auteur paraît cependant croire encore
que Briicii, pendant cette diète, intercepta des lettres de Mélanchthon
à Luther, opinion réfutée par Kœstlin (Leben Luther's, II, 628).
Une copieuse publication de M. Schirrmacher, professeur à Rostocli,
se rapporte à la fois à la diète d'Augsbourg et au colloque de Mar-
bourg en -1529'^. Il a trouvé dans la bibliothèque de l'université de
Rostock un important ms. qui appartint à Johannes Aurifaber, l'ami
de Luther et l'un des coéditeurs de ses œuvres, et qui passa ensuite
au duc Jean-Albert de Mecklembourg. Une petite partie seulement
du ms., lequel a été postérieurement réuni dans un volume, est de la
main d' Aurifaber ; c'est celle qui contient la relation du colloque de
Marbourg et plusieurs lettres de Luther intitulées : « De spiritu tris-
ticiae ». La plupart des documents, ceux surtout qui sont relatifs à
la diète d'Augsbourg, sont des copies faites par une autre personne,
et Aurifaber s'est si peu occupé de la rédaction de ces copies, qu'il a
admis, sans s'en apercevoir, des actes qui n'ont aucun rapport avec
les autres. Ce recueil a néanmoins une grande valeur. Il complète
et corrige plusieurs documents déjà connus-, parfois il donne l'ori-
ginal en allemand d'un texte connu seulement jusqu'ici par une tra-
duction latine; il résout mainte difficulté chronologique. Nous ne
voulons pas suivre l'éditeur dans ses conjectures sur l'origine du
recueil ; il y voit la source principale de VHistoria comitiormn anno
-1530 Augustae cetebraforum de Gœlestin, et reconnaît qu'il a de plus
été mis à profit par Sleidanus. Le prix de cette publication est encore
augmenté par un appendice où l'on trouve les rapports des ambassa-
1. Dans l'Historisches Taschenbuch ; b" série, 2" année, 1872.
2. Zeitschrift des hist. Vereins fur Schii-aben und Neubourg; 1" année, 1874.
Âugsbourg, Schulze.
3. Kolde, Der Kanzler Briick. Gotha, Perlhes, 1874.
4. liriefe und Aclen zu der Geschichle des Religionsgesprxches zu Marburg,
1529 und des Reichstags zu Augsburg 1530, nach der Handschrift des Joh. Auri-
faber nebst den Berichten der Gesandten Frankfurts ani M. und den Regesten
zur Geschicbte dièses Reichstages. Gotha, Perthes, 1876.
•148 ui'i.r.KirN imstokkjue.
dours do Fraiiflbi'l eL les IclLros que U'ur adresse le conseil municipal
pendant la dièle d'Augslwurg; ces documents sont tirés d'un ms.
des archives de Francfort; puis viennent les « Regestes pour servir
à l'histoire de la diète d'Augsbourg », que déjà Fœrstemann avait
soniié à publier. Il aurait été jjon de renvoyer tout simplement aux
actes déjà connus en donnant les variantes des mss. ; tandis que
souvent, et surtout quand il s'agit de lettres de Luther, on a suivi la
méthode toute contraire.
Nous voici arrivés à la catastrophe de la guerre de Smalcalde et à
ses conséquences. Aucun homme n'a plus fait dans ces derniers temps
pour cette histoire que M. von Drulfel, de: Munich. L'œuvre à laquelle
il a consacré de longues années fait partie de l'importante collection
entreprise par la Commission historique de l'Académie rojale des
sciences de Bavière. Pour en réunir les matériaux, il a été aidé par
M. von Lœher et par M. Cornélius, qui connaît à fond cette époque;
il a reçu aussi d'importantes communications de MM. Varrentrapp
et Voigt-, de cette façon il a recueilli une masse énorme de documents
qu'il eut ensuite à trier, à mettre en ordre et à expliquer, travail qui
exigeait une rare érudition et une critique bien exercée. Les archives
de Munich lui fournirent les plus riches trésors; celles de Dresde,
d'importants renseignements sur la politique du prince électoral
Maurice de Saxe -, celles de Vienne, de nombreux rapports d'agents
et des correspondances qui jettent un jour tout nouveau sur la poli-
tique impériale. II fouilla également les collections de Stuttgard,
Marbourg, Innsbruck et Bruxelles. A Paris, il put facilement con-
sulter les dépêches des ambassadeurs français à la cour impériale,
les lettres des cardinaux et des envoyés français à Rome, Guise,
Ferrara, du Bellay, ainsi que la partie des archives de Simancas
enlevée par Napoléon I à l'Espagne. Sur toutes ces collections, et
sur les principes qui l'ont guidé dans ses recherches, il s'explique en
détail dans la préface de son livre. Les pièces elles-mêmes, soit qu'il
les donne mot pour mot ou par extraits, sont accompagnées d'un
commentaire critique un peu trop long parfois, mais dont la richesse
prouve rérudition consommée de l'auteur. Il nest pas étonnant que
des fautes légères se soient glissées dans un ouvrage si considérable,
elles sont d'ailleurs signalées dans une liste de corrections et addi-
tions. Mais d'autre part le recueil de M. von DrufTel permet de corriger
bien des inexactitudes dans les livres des écrivains antérieurs, tels
queRanke, Raumer, Voigt, Maurenbrecher; il renouvelle toute l'his-
toire de cette époque. La guerre de Smalcalde, la situation de l'em-
pereur après sa victoire, son projet de faire passer la couronne impé-
PUBLICATIONS ALLEMANDES SUR LA RE'FORME. 149
riale sur la tête de son fils Philippe i, Thistoire de « l'intérim
d'Âugsbourg », la résistance de Magdebourg, les rapports de l'empe-
reur et du pape, le jeu compliqué d'intrigues auquel se livrèrent la
France, Maurice de Saxe et beaucoup de princes allemands confédérés
contre l'empereur aveuglé, toutes ces scènes animées par les person-
nages mêmes et les partis qu'on voit agir, vivent avec une singulière
force devant les yeux du lecteur. Un grand nombre de pièces qui
n'ont pu être datées avec assez de précision, ou qui étaient trop
étendues, sont rejetées dans un 3* volume. Elles se rapportent à
l'entrevue de Gharles-Quint avec Philippe de Hesse à Spire, en mars
i546, à la diète de Bavière de janv. ^547, à «rintérim»qui, d'après
l'opinion deM. von Druffel, fut regardé par l'empereur comme un moyen
de faire plus sûrement illusion au pape sur le succès d'un concile
œcuménique; au projet d'assurer à Philippe la succession impériale;
aux négociations secrètes entre la Fi-ance et les princes allemands
alliés à Maurice de Saxe. Nous souhaitons à l'auteur de ce livre, qui
intéresse aussi les Français à un très-haut degré, d'achever son
œuvre avec autant de bonheur qu'il l'a commencée ^ nous souhaitons
surtout qu'il puisse é'ever de ses propres mains le monument histo-
rique pour lequel il a rassemblé tant d'excellents matériaux ^.
Plusieurs articles insérés dans la « Revue de la Société historique
pour la Souabe et Neubourg », montrent, par l'exemple d'Augsbourg,
les conséquences de la guerre de Smalcalde, dont l'histoire a été le
point de départ du vaste recueil publié par M. von Druffel ^ Il ne faut
pas croire cependant qu'à côté des pièces d'archives proprement dites
(dépêches, lettres, gazettes, etc.), les documents d'une autre espèce,
c'est-à-dire les mémoires et les histoires contemporaines, soient
restés dans l'oubh. C'est en utilisant à la fois cette double source
d'informations, que l'historien moderne peut reconstruire le plus
fidèlement possible le passé. Aussi faut-il remercier M. Voigt de sa
bibliographie critique des travaux relatifs à la guerre de Smalcalde ''.
1. Voy. sur ce sujet une brochure récente de M. Soldan, Die projectirte Suc-
cession Philipps II au f deii Kaiserthron. 1" partie. Crefeld, Kiihler.
•2. Briefe und Akten zur Geschichte des X VI Jahrhmderts, mit besonderer
Rucksicht auf Bayerns Fûrstenhaus. Jusqu'ici le l" vol. et la l"' partie du 3'
Beiirecge zur Reicbsgesckichte {bi6-lbô\, ont seuls paru. Munich, Rieger, 1873-
1875.
3. Die Correspondcnz der Sfadt Augsburg, beirejfend die Aussœhnung mit
Cari V, am Ausgang des Schmalhaldischeii Krieges von Pr. Hecker (Zeits. des
hist. Vereins f. Srhwaben u. Neuburg. 1" année). Cf. ibid. Der Augsburger
BUrgermeisfer Jacob Herbrot und der Sturz des zilnftischen Régiments in
Augsburg, par le même.
4. Die Geschichtsschreibung iiber den Schmxilhaldischen Krieg. Leipzig, Hir-
^50 iu!M,Kii\ iiisToniyiiK.
Il so rcstivinl en ^tiumviI aux iinpriiiu's (|uil n'cUiiL j)as toujours aisé
de se [irocuiTi-, sans cepoiulaiiL s'iuLerdire, de parler des sources
manuscrites. l*armi les résultats de ses recherches, nous signalerons
particulièrement les raisons qu'il donne, contre Sandoval et Ranke,
en faveur de lauthenticitédu 2' livre d'Avila. 11 est inutile de dire
que la fameuse Kelation linale de Moncenigo, qui occupe sans conteste
le premier rang dans les inventaires italiens, est appréciée très-haut
par M. Voigt. Si du côté de Maurice de Saxe rien ne peut être mis à
côté de ce document considérable, il en est d'autres qui viennent du
parti de la Hesse, de la Saxe électorale, du Brandebourg, et qui
offraient un large chamj) à la critique.
M. von Drufïel a promis de publier un nouveau document, dont
M. Voigt n'a pas encore pu tirer parti, le « Journal de Viglius van
Zwichem sur la guerre de Smalcalde ». Ce texte aidera certainement
à la critique du plus célèbre des historiens protestants, de Sleidanus.
Nous ne possédons pas encore sur cet auteur aucun ouvrage satisfai-
sant, malgré le livre dePaur sur les « Commentaires de Jean Sleidan »
(i843) et un précieux mémoire de Kampschulte, inséré au 4'' vol.
des ForschungenK Dans un autre mémoire de M. Baumgarten,
« sur l'histoire de la guerre de Smalcalde », on trouve d'utiles indi-
cations sur le caractère de l'œuvre de Sleidan; on y voit que cet
écrivain garde un silence discret, mais bien naturel, sur les négocia-
tions de la Ligue de Smalcalde avec la France et l'Angleterre, qu'il
connaissait dans le plus grand détail ^. « Gomment aurait-il pu
songer, remarque M. Baumgarten, à divulguer les efforts malheu-
reux des alliés? 11 avait écrit son livre, non comme un particulier,
mais au nom de la Ligue de Smalcalde; bien que cette Ligue eût cessé
d'exister depuis longtemps lorsqu'il entreprit le récit de la guerre,
les intérêts du protestantisme, pour lesquels avait lutté la Ligue,
tenaient plus au cœur de Sleidan que plus ou moins de lacunes dans
son histoire... Ce qu'il perd comme historien, il le gagne comme
homme. » Cette circonstance a engagé M. Baumgarten à de nouvelles
recherches, non seulement dans les ouvrages imprimés, mais dans
les archives de Bruxelles, Marbourg, Stuttgard, Strasbourg, et à la
Bibliothèque nationale de Paris. Citons par exemple les extraits de
zel, 1874 (extrait des Mémoires de l'Académie des sciences de Saxe ; cf. ibid. :
die Geschichtssclireibung uber den Zug Caris V gegen Tunis).
1. Cf. Briefe Johann Sleidan' s an den Cardinal Johann du Bellay, 1542-
1547, pub. par Dr. L. Geiger, dans les Forschungen zur deutschen Geschichte
(10"= vol. 1870); — et Rathgeber dans la Revue d'Alsace. Nouv. série, II, 213-
226.
2. Historische Zeitschriftjde Sybel, 1876.
PUBLICATIONS ALLEMANDES SUR LA REFORME. \^\
la correspondance, jusqu'ici inédite, de la reine Marie avec Gharles-
Quint (Bruxelles). Le personnage de Piero Strozzi, qui fit tout au
monde pour décider la France à intervenir dans la guerre allemande,
se présente ici pour la première fois dans toute son importance.
Tout ce mémoire est une contribution importante à l'histoire de la
politique française au xvi'' s. Un discours du même écrivain, sur
Jacques Sturm offre aussi un intérêt général ^ La conduite politique
du tt premier citoyen de Strasbourg » y est esquissée à grands traits;
et plus il est regrettable que ce personnage ait été laissé tout à fait
au second plan dans l'histoire de son ami Sleidan, plus sont précieux
les renseignements que les archives nous livrent sur son compte.
Des études comme celles de M. Baumgarten nous fortifient dans
l'espoir que peu à peu des mains habiles viendront tirer profit de ces
matériaux qui s'entassent autour de nous d'une façon menaçante, et
leur donner une forme artistique. Pour montrer par un autre exemple
ce que devront être les travaux à venir, il faudrait insister sur la récente
histoire de Maurice de Saxe, par M. Voigt-, mais ce livre nous est
parvenu trop tard^; d'ailleurs, nous en donnons plus loin un
compte-rendu détaillé-, mais nous renvoyons à une autre fois l'exa-
men d'un livre qui, à vrai dire, n'est pas d'un habile ouvrier^.
L'auteur, M. Drouven, a essayé de peindre la tentative de réforme
dans la principauté électorale de Cologne, et les efforts d'Hermann
de Wied-, mais un sujet de cette importance était au-dessus des
moyens de l'auteur. Il ne manque pas de faire remarquer, dans le
titre même de son ouvrage, qu'il amis à profit « des sources inédites
ou non utilisées avant lui », mais la vérité est que même des docu-
ments imprimés lui ont échappé, — il semble ignorer les publica-
tions de Bindseil, Steitz, les plus importantes même de Krafft, — sans
parler des archives où il n'a fait que des recherches très-superficielles.
Dans ses interminables digressions, dans ses nombreuses errreurs
de détail, perce un sans- façon tout à fait condamnable, surtout après
qu'il a déclaré ouvertement son intention de combler toutes les
lacunes de l'histoire de l'église de Cologne pendant la Réforme
(préf., p. vu). En attendant que ce sujet soit repris par un érudit
1. Jacob sturm, eine Rede gehalten bel Uebernahme des Rectorats der
Vniversitœt Strasburg am 1 Mai 1876. Strasbourg, Triibner, 1876.
2. Moritz von Sachsen 1541-1547. Leipzig, Tauchnitz, 1876; voy. du même
auteur : Ueber die Belagerung von Leipzig, 1547 (Archiv. f. Seechsische Ge-
schichte .\I), etc.
3. Die Reformation in der kœlnischen Kirchenprovlnz zur Zeit des Erzbi-
schofes und KurfUrstcn Hermanii V Graf zu Wied. Neuss et Cologne ,
Schwann, J876.
I •^- BOLLETf» HISTOKIQUE.
compélenl, il sera permis de soumeLlre le livre de M. Droiiven à une
épreuve comparative. L'histoire de Cologne, par M. Ennen, dont le
4' vol. comprend l'époque de la Réforme, lui a en efTet rendu les
plus grands services; malgré de nombreuses erreurs et une disposi-
tion souvent mauvaise, ce dernier ouvrage est d'une grande impor-
tance à cause de la grande quantité de documents originaux qu'il
contient '.
Cette histoire municipale n'est pas la seule qui rentrerait dans le
cadre du présent mémoire; de nombreux travaux qui contribuent à
éclairer l'histoire de la réforme allemande en retraçant celle de cer-
Uiines localités ou de certains territoires sont disséminés dans les
Revues des diverses Sociétés historiques. Mais l'espace nous man-
querait pour en faire l'énumération complète. Contentons-nous de
conclure avec deux ouvrages qui appartiennent à l'histoire de l'art. Ils
se rapportent aux deux plus grands peintres qu'ait produit la Réforme
en Allemagne, et chacun d'eux peut passer pour un modèle en son
genre. L'auteur de l'un, M. Thausing, avait déjà publié les «Lettres,
journaux et poésies » d'A. Durer (dans les Quellenschriften fur die
Kunstgeschichte, pub. par Eitelberger) ; dans son nouvel ouvrage, où
la partie critique dépasse de beaucoup la partie purement biogra-
phique, il a montré quel parti l'on peut tirer d'un sujet passablement
stérile. Comme il est à Vienne le directeur de VAlbertina, une des
plus vastes collections d'estampes et d'esquisses qui existent, il a pu
donner les renseignements les plus complets sur les œuvres de
Diirer. La remarquable biographie de Hans Holbein, par M. Alf.
Woltmann en est à sa seconde édition; l'auteur y a fait entrer, avec
le zèle le plus éclairé, les résultats des dernières recherches, tout en
corrigeant les erreurs de la \ '' édition, erreurs dont est cause en grande
partie une falsification moderne, dont le vrai caractère vient seulement
d'être démontré; c'est ainsi que dans la nouvelle édition sont resti-
tuées à Hans Holbein le vieux certaines œuvres considérées auparavant
comme des œuvres de jeunesse du célèbre Holbein. Le chapitre relatif
aux Vierges de Darmstadt et de Dresde a été aussi complètement rema-
nié. En résumé, chaque partie du livre porte la marque du talent dis-
tingué de l'auteur ; les historiens peuvent apprendre par cet exemple
combien les recherches les plus approfondies gagnent, quand cela est
1. Geschichte der Stadt Kœln. 4'= vol., 1874. Cologne et Neuss, Schwann.
2. Durer; Geschichte seines Lebens und seiner Kunsf. Leipzig, Seemann
1876.
3. Holbein und seine Zeit. 2 vol. Leipzig, Seemann, 1874-1876. Le second
volume comprend des Appendices et les listes des œuvres de Hans Holbein le
vieux, dAmbroise Holbein et de Hans Holbein le jeune.
RUSSIE.
^D3
possible, à être présentées sous une forme définitive. Cet enseignement
est utile à ceux-là surtout qui étudient l'histoire de la Réforme
allemande. Cette courte revue aura montré, nous l'espérons, que ce
terrain a été habilement travaillé; mais il ne faut pas oublier que le
plus grand honneur est pour celui qui sait réunir dans un ensemble
harmonieux la forme et le fond. Ce que nous désirons, ce sont
« des pommes d'or dans des panniers d'argent. »
Alfred Ster.\.
RUSSIE.
NÉCROLOGIE. — Les études historiques en Russie ont fait l'an der-
nier une perte pour longtemps peut-être irréparable, en la personne
de M. SxcHArov, mort le 27 février i 876. Né en Sibérie [gouvernement
d'Irkoutsk) en ^830, dans une famille ecclésiastique, il fit de bril-
lantes études au séminaire dlrkoutsk, d'où il fut envoyé à l'Acadé-
mie ecclésiastique de Kazan; après y avoir enseigné pendant quatre
ans, il y fut attaché à titre d'agrégé. Un remarquable travail sur le
raskol (schisme), publié en iSo9 à Kazan, lui fit un nom parmi les
historiens. Professeur d'histoire russe à l'Université de Kazan, il dé-
ploya un égal talent dans l'enseignement et les travaux d'érudition-,
mais, bientôt compromis lors du soulèvement des paysans à Kazan
en ^8t>^, il fut destitué et appelé à Saint-Pétersbourg pour se justi-
fier-, il y publia divers articles sur le raskol, le régime communal en
Russie et autres sujets. En ^ 863, il fut envoyé en Sibérie, à Irkoutsk ■
membre de la Société de géographie, il fouilla les archives locales et
entreprit une série d'excursions dans divers endroits de la Sibérie.
Cette époque fut la plus féconde de sa vie-, il publia de nombreux
articles de revue et un volume sur « les conditions pédagogiques et
sociales du développement de la nationalité russes »
Signalons aussi la mort de M. le baron Modeste Korf, ancien direc-
teur de la Bibliothèque nationale de Saint-Pétersbourg. Il avait publié
la Vie de Speransky (2 vol.) et l'Avènement de Nicolas I" (1825). Mais
son œuvre principale consiste dans ses travaux pour la bibliothèque
impériale. C'est à lui que nous devons la collection Rossica de tous
les ouvrages en toutes les langues sur la Russie. C'est la plus riche
qui existe au monde. Sous sa direction, 3 volumes de catalogues
1. Voy. ici même, dans mon précédent bulletin, une appréciation des travaux
historiques de Stchapov. Rev. hist., II, 213. 187G.
454 IllM.KTIV IIISTOIllyilK.
ont été publiés: 2 pour la rolleclioii /iossica. \ consacré spécialement
à riiisloire do Pierre le (irand.
Samarink, né en ^8^9, fit pendant presque toute sa vie partie de
l'administration. 11 y débuta comme membre d'une commission
nommée pour contrôler l'administration de la ville de Riga, et publia
une série de lettres sur les relations des Russes et des Allemands
dans les provinces baltiques. Il fut accusé d'avoir trahi les secrets
d'État et fut arrêté ^ mais peu de temps après on l'envoya comme
membre du gouvernement à Simbirsk et à Kiev, où il réunit les ma-
tériaux d'un livre sur l'histoire de l'abolition du servage en Europe
et particulièrement en Prusse et en Russie. Il prit une part active
aux travaux pour l'émancipation des paysans, et fut un des collabo-
rateurs de la revue slavophique le Jour, où il publia une série de
lettres sur les Jésuites {I8()l). En ^808, il fit imprimer à l'étranger
son ouvrage le plus remarquable: « les frontières de la Russie »
(Okrainy Rossii), où il fit avec clarté l'histoire des provinces bal-
tiques, montrant la conduite du gouvernement russe envers les
Allemands et l'oppression par ceux-ci de la race aborigène.
L'année -1 876 a été des plus fécondes en travaux sérieux et utiles
pour le développement de la science historique en Russie.
Anthropologie et Ethnographie. — De nombreux articles de
revue, insérés surtout dans « la Russie ancienne et moderne » et le
« Bulletin de la Société de géographie de Pétersbourg, « ont mis en
lumière de nouveaux matériaux qui seront tôt ou tard utilisés par
ceux qui étudieront l'histoire des origines du peuple russe; mœurs,
croyances, superstitions, sur tous ces points ils trouveront dans les
documents récemment publiés des données importantes. La Société
des naturalistes de Kazan a le plus fait pour ces études; parmi ses
nombreuses publications nous rencontrons des travaux considérables
sur les populations de la Russie orientale et sur la Sibérie. M. Ma-
liev, qui depuis longtemps poursuit avec autant de patience que de
succès ses recherches sur les peuplades du gouvernement de Kazan
et pays voisins, a fait paraître dans le 5« fasc. du t. V des travaux de
la Société une « Étude anthropologique sur les Baskirs » ; c'est un
rapport sur son voyage dans le pays de ces peuples qu'il a étudiés
dans leur vie présente, en notant les traits de mœurs, les coutumes
particulières, etc., et dans leur vie passée, en fouillant les cimetières.
11 n'a visité que deux districts du gouvernement d'Oufa, mais les
résultats qu'il a obtenus sont très-considérables. Par l'étude minu-
tieuse des crânes de toutes les époques, il s'est attaché à préciser les
particularités du type des Baskirs : il a représenté dans un tableau
bien fait les traits caractéristiques de leur vie et de leurs mœurs. Il a
RUSSIE. i 35
ajouté à son ouvrage quatre tables où sont indiqués le nombre des
naissances proportionnellement à l'âge des femmes, les mesures d'un
certain nombre de crânes trouvés dans les cimetières et de 40 crânes
d'hommes vivants ^ Les Vogoules ont été l'objet de deux études
semblables par M. Maliev et M. Sorokine (t. III)-, les Votiaks du
gouvernement de Kazan par M. Ostrovsky (t. IV)-, signalons enfln
dans ce même volume les « Matériaux pour l'anthropologie comparée »
par M. Maliev.
Une publication nouvelle, entreprise par le gouvernement de
Vladimir, si elle est continuée, fera faire de grands progrès aux
études ethnographiques. Le -1" fascicule d'un « Annuaire du comité
statistique du gouvernement de Vladimir » contient des renseigne-
ments précieux sur l'ethnographie de cette contrée ainsi que des ma-
tériaux pour Thistoire de la peinture russe dite de Souzdal.
Droit historique. — Aux travaux ethnographiques se rattachent
les nombreuses publications sur le droit coutumier de plusieurs
peuples et pays de la Russie. En \ 873, on a publié aux frais de l'État
les (c Comptes-rendus de la Commission pour la réforme des cours
de bailliages (volostnoj soud) , » en 7 vol. De son coté la Société de
géographie a publié des programmes pour guider les érudits dans la
recherche et la publication des documents de ce genre. Trois ouvrages
récents ont paru sur la matière : 1° Matériaux pour servir à la biblio-
graphie du droit coutumier, par M. Jakouchkine, -I" fasc. (Jaroslav,
-1875)-, 2° Recueil du droit coutumier des peuples de la Sibérie, par
M. Samokvasov (Varsovie, -i876)-, et 3" le Droit coutumier des pay-
sans du gouvernement de Tomsk, par le prince Kostrov (Tomsk,
-1876). Ce dernier répond au programme de la Société de géographie-,
l'auteur a étudié près de 3000 sentences prononcées dans les cours
de bailliage, et un grand nombre de documents inédits qui lui ont
fourni une foule de faits concernant le droit civil et criminel, la
marche et la forme des jugements, la constitution communale, etc.
C'est un livre important à tous les points de vue, composé
avec beaucoup de soin et de critique. Il ne constate pas seule-
ment l'état actuel du droit, mais présente sous forme d'introduc-
tions des aperçus historiques très-intéressants. A un autre point de
vue, le recueil de M. Jakouchkine n'est pas moins important : il
contient -1542 articles, disposés dans l'ordre suivant : r pro-
grammes, terminologie, symbolique du droit coutumier^ 2" droit
1. Les Baskirs sont brachyréphales; les dimensions moyennes sont de 188 mil-
IJm. pour la longueur des crânes, 15"i pour la largeur; le rapport entre les dia-
mètres est de 8'2,'i.
loH niiLLKm iiisroiiiQiii:.
civil et criminol; 3° associations (arlels) ; V mariages; 5" commune
(le village), droit de propriété, assiette des impôts-, (i" administration
et justice-, 7" proverbes; 8" droit coutumier des peuples non slaves.
Enfin trois tables complètent cet ouvrage, indispensable à toute per-
sonne qui voudra étudier le droit coutumier en Russie : table systé-
matique des questions de droit coutumier; table ethnographique et
géographique; table des noms d'auteurs. Dans la préface, M. Jakou-
chkine a résumé les traits caractéristiques du droit coutumier en tout
ce qui concei-ne le mariage, les relations entre les divers membres
d'une famille, la communauté, etc. Ce livre mérite tous les éloges-,
c'est une importante contribution à l'histoire russe. Quant au recueil
publié sous la direction de M. Samokvasov, ce n'est autre chose
qu'une édition de textes du droit coutumier chez les peuples de la
Sibérie: Kalmouks, peuples du district de Kouznetzsk, Vogoules,
Ostiaks, Bouriates, Jakoutes, Kirghises, etc. C'est en 1821 que
d'après l'ordre du gouvernement l'on se mit à recueillir ces maté-
riaux-, depuis lors ils allèrent s'enfouir dans les archives de la Chan-
cellerie impériale, où ils seraient sans doute restés longtemps encore
si feu M. le sénateur Hubé n'en avait pris des copies-, c'est d'après
ces copies, vendues tout récemment à la bibliothèque de Varsovie,
que M. Samokvasov a eu l'heureuse idée de les publier. Ils fournissentr
une grande quantité de faits qui permettent d'expliquer des points
obscurs du droit primitif, et de jeter une nouvelle lumière sur d'an-
ciens codes de lois, tels que la Rouskaya Pravda (code du prince
Jaroslav). Nous regrettons seulement que le savant éditeur n'ait pas
cru devoir s'expliquer sur l'emploi de certains termes, ceux par
exemple de « nomades » et de « sédentaires » appliqués à des peuples
de la Sibérie, ni préciser l'influence que les ordonnances du gouver-
nement ont eue sur les peuples non slaves dont il publie les cou-
tumes.
Archéolooie. — Nous ne trouvons malheureusement à signaler
pour 1876 que le 3*' fasc. du t. VI des « Antiquités n publiées par la
Société archéologique de Moscou. Deux articles y arrêtent notre atten-
tion : l'un de M. le comte Ouvarov, archéologue et investigateur infa-
tigable, sur les monuments mégalithiques en Russie-, l'autre de
M. Herz, professeur d'histoire de l'art à l'Université de Moscou, inti-
tulé : Essai historique sur les fouilles archéologiques dans la Crimée
depuis le xviii'' siècle jusqu'en -1859. Le premier n'est que le com-
mencement d'un grand ouvrage; l'auteur se propose d'examiner
quels peuples ont construit les monuments mégalithiques dispersés
dans toute l'Europe, l'Asie et l'Afrique, et à quelle époque ils ont été
construits. Dans son premier article il se borne à exposer les opi-
RCSSIE. ^37
nions de ses prédécesseurs; il soumet à une critique sévère le sys-
tème de Fergusson {Biide stone monuments] et de Bonstedlen ; puis
il énumère les divers monuments que l'on rencontre dans l'Inde, la
Palestine, la Perse, l'Arabie, l'Afrique, l'Espagne, le Portugal et s'ar-
rête à ceux de la France. Gomme tout ce qui sort de la plume de
l'auteur, ce travail promet d'être une riche acquisition pour la
science.
Publications de textes. — Pour la période de notre histoire anté-
rieure à Pierre le Grand, nous ne pouvons indiquer que deux tra-
vaux importants. Le premier, paru à la fin de -1875-, sur les relations
entre la Russie et l'Angleterre au xvi'' siècle \ contient 82 documents
tirés des archives de Londres, Oxford et Moscou ^ 37 étaient inédits,
entre autres 7 chartes d'Ivan le Terrible, 6 d'Elisabeth d'Angleterre,
etc.-, ils concernent presque tous les rapports commerciaux entre les
deux pays. C'est un excellent supplément aux publications de Hack-
luyt, de Hamel (Relations entre la Russie et l'Angleterre au xvi'' et
au xvn'= siècles) , et de Tourguénev (Actes historiques tirés des archives
étrangères). Dans une excellente introduction, l'éditeur nous raconte
la formation de la Compagnie des Merchants adventurers et les pro-
grès opérés dans les relations commerciales des deux pays.
La commission archéologique a publié dans le S*" vol. de sa Biblio-
thèque historique (Pétersbourg, ^876) des documents qui se rap-
portent à l'histoire ecclésiastique du XVII'' siècle, et qui nous fournissent
des détails nouveaux sur Torganisation et les mœurs du clergé. Tels
sont le règlement des cérémonies de la cathédrale de Moscou (-1634) ;
le décret du patriarche Philarète sur les messes des morts; les registres
du trésor du cathédrade et du patriarche; le cérémonial de l'arrivée
à son couvent de l'abbé nouvellement nommé. Cette dernière est fort
curieuse : les cérémonies de ce genre se terminaient toujours par des
libations copieuses; quand le supérieur faisait descendre ses moines
au réfectoire, ce qui arrivait souvent, leur cœur se remplissait « d'une
consolation immense. » — Un seul document se rapporte au xvi'' s.;
c'est un extrait d'une chronique inédite jusqu'ici et conservée dans
un manuscrit de la bibliothèque du couvent d'Alexandre Nevsky à
Pétersbourg. Ce court fragment (1503-67) donne d'intéressants dé-
tails sur les rapports de Kourbsky avec Ivan le Terrible, sur les
causes de sa disgrâce, l'organisation des gardes du corps du tsar
(opriichinaj, les rapports d'Ivan le Terrible avec le roi de Suède
Eric XIV.
1. Eriglund and Russia, 1553-93; docuinenls coUected, copiée! aud edited by
George ïolstoy. Pétersbourg, 1875-
|:iS ni'M.l'TIN I1IST0IUQI!R.
Après oos deux puhliiviLioiis, un pciiL citcf eiicoro le l. II du
« Livre j,'(Miéalogique russe, » qui a paru dans la revue des « Anli-
(luilés russes; « le i'^' vol. date de IS73. L'un et l'autre corrigent et
c'oniplèliMil rédilion du prince Uolgoroukov.
Pour le xviii'" siècle et le xix® siècle au contraire, les publir^ilions
de textes aI)ondent. Notons au premier rang les vol. VIII, IX et X des
Archives du prince Worontzov (l<S7(>), dus aux soins infatigables de
M. Barténev. En voici en peu de mots l'analyse : t. YIII, autobio-
graphie de Siméon Worontzov, en français; lettres de Rostopchine à
Worontzov (ni)l-l82ri), et lettres de Worontzov, écrites de Londres
à Rostopchine (1798-1825). T. IX : ses lettres à son frère, datées de
Venise et de Londres (1793-90) et à diverses personnes-, trois mé-
moires d'Al. Worontzov sur la Révolution française, les finances en
Russie et la Pologne. T. X : lettres de S. Worontzov depuis 1796, et
lettres à lui adressées par les empereurs Paul I" et Alexandre I",
lesquelles nous révèlent la politique russe en Orient et sous l'Empire.
Il est à peine besoin d'ajouter que cette correspondance est des plus
riches en renseignements précieux pour la période la plus importante
de l'histoire moderne. Aucun diplomate russe à cette époque n'eût
pu écrire avec autant de netteté et d'abondance. Nommé ambassadeur
à Venise en 1783, Worontzov fut envoyé deux ans après à Londres
comme ministre plénipotentiaire, pour conclure le traité de com-
merce avec l'Angleterre. Il occupa cette place presque jusqu'à la fin
du règne de Paul P'. Destitué par ce prince, il rentra en Russie sous
Alexandre P", et fut bientôt après renvoyé comme ambassadeur à
Londres. Sa mission ne dura pas longtemps : à partir de 1806, il
rentra dans la vie privée, mais sans quitter Londres, où il demeura
jusqu'à sa mort, en 1832. Pendant ce long séjour en Angleterre, il
sut nouer des relations amicales avec les principaux personnages
politiques, se faire des connaissances parmi les émigrés français, les
princes détrônés qui venaient mendier un trône et se tenir au courant
de la politique européenne. La personnalité de l'auteur se reflète
entièrement dans ses lettres avec ses bonnes et ses mauvaises qua-
lités, son esprit cultivé, ironique et parfois même sarcastique, son
jugement fin et perspicace, mais chancelant et capable, sous le coup
d'une forte impression, d'un brusque changement. C'était un grand
seigneur, imbu des préjugés de sa caste-, dans une de ses lettres, par
exemple, il se plaint des privilèges nouveaux octroyés à la noblesse
a parce que, dit-il, on a défendu à une partie de la noblesse de voya-
ger en carrosse ou d'assister aux élections, tandis que les commer-
çants usent pleinement de ce droit-, » il aimait l'Angleterre et ses
'institutions, aussi ses opinions ont-elles une teinte de libéralisme-,
RUSSIE. ^59
mais il détestait la Révolution, faite par des « scélérats comme Mirabeau
et autres pires encore, quoique, dit-il, cet homme (Mirabeau) ait sur
d'autres choses des réflexions qu'on peut utilement appliquer à tous les
pays » (IX, 158). Il aimait beaucoup la Russie parce qu'elle était sa
patrie, mais il n'avait pas une grande inclination pour son gouverne-
ment « despotique, » ni pour sa politique. Cependant ses opinions
personnelles n'ont pas trop influencé le jugement qu'il porte sur les
événements ou sur les personnes : le partage de la Pologne l'a révolté
«parce que si la Prusse s'agrandit, écrit-il à son frère, aux dépens de
notre sang et de nos trésors, nous ou nos enfants nous en sentirons
les malheureuses conséquences » (22 juin i792). Mieux que personne
il a compris la Prusse-, dans une de ses lettres, il s'exprime énergi-
quement contre elle : « Dans ce pays là tout cède au système d'agran-
dissement et de rapine ; il n'y a plus alors à regarder à la décence, à la
dignité et à la justice. » Spectateur et acteur pendant une longue période,
une des plus émouvantes de l'histoire, où l'on a tant espéré et où l'on
s'est ensuite abandonné à tant de bassesses, à tant de folies réaction-
naires, il a flétri par ses remarques sarcastiques la plupart des person-
nages politiques du moment. Il qualifie Galonné « homme d'esprit,
mais qui manqueabsolumentde jugement, » le duc d'Orléans, un prince
« souverainement méprisé de la cour, de la ville, de tout le public en
général; « Louis XVI, « un imbécile, » et la reine « une intrigante
sans talents et sans fermeté » etc. Nous n'avons indiqué que quel-
ques faits, mais ils suffisent pour montrer l'intérêt exceptionnel de
cette publication.
La Société d'histoire à Pétersbourg a publié deux nouveaux volumes
en -1875 (t. XV et XVI) et un en 4876 (t. XVII). Le t. XV contient :
4" la correspondance de Catherine II avec le grand duc Paul et sa
femme en 4 783-90, pendant le voyage de l'Impératrice dans la Petite
Russie et en Crimée; ce sont pour la plupart des lettres intimes-,
2o les rapports de l'ambassadeur de Prusse près la cour de Péters-
bourg, le baron Gustave de Mardefeld j ils sont extraits des archives
de Berlin, et servent de complément aux documents analogues de la
même époque (4 721-30), tirés des archives de Dresde (voy. t. III et
IX) . Ils se rapportent à la fin du règne de Pierre le Grand, au règne
de Catherine pe, de Pierre II et à l'élection de Pimpératrice Anne-, ils
se distinguent .par l'âpreté des jugements sur la situation de la Rus-
sie et sur les personnes qui se trouvaient alors à la tête du gouver-
nement, Menstchikov, Ostermann, Dolgoroukov, etc.; 3" les papiers
du prince Repnine (voy. t. V et VI) ; ils embrassent ici seulement
une partie de l'année 1775-, 4° Les lettres de Catherine II au vice-
chancelier Ostermann; elles ont trait aux affaires de Suède (4 770-80) ;
^60 BULLETIN llISTOIlIQrE.
5" 1(
s leLlrcs iiicdiles de Voltaire au prince Gaiitziue, ambassadeur à
Paris (nH2-68), puis à la Haye-, 0° cinq lelLrcs de D.-A. GaiiLzine à
A.-.\. Galitzine, sur réniancipalion dos sorl's. — Le vol. XVI esL
beaucoup plus inLéressaiil que le précédent. Il a été rédigé par
M. Kostomarov et contient des pièces tirées des archives des princes
Repnine. Ces documents se rapportent à l'époque où M. Repnine était
chef de l'armée et gouverneur général en Lithuanie. La correspon-
dance de Catherine II avec les hommes d'État tels que le comte
Razoumovsky, ambassadeur à Vienne, Toutolmine, Bezborodko,
Zoubov, Kourakine et quelques Polonais (Czartoriski et autres) ter-
mine le volume, et nous permet d'apprécier les relations entre la
Russie et la Pologne pendant les années I79.Î a I79G. Nous indique-
rons entre autres une lettre du comte Bezborodko qui montre claire-
ment les tendances du gouvernement russe. Les rapports de Repnine
peignent de vives couleurs la panique des nobles en face de l'insur-
rection. Le gouverneur général voyait d'un mauvais œil le séjour du
roi de Pologne captif à Grodno; il craignait « que les habitants trop
légers de cette ville ne s'attroupassent autour de lui, » et que cela
ne donnât matière « à des fables et à des commérages dépourvus de
sens. » 11 proposa de l'envoyer à Rome. On avait demandé, nous
apprend-il, au roi captif, une abdication immédiate, faite de telle
sorte qu'on ne pût s'apercevoir qu'elle était forcée, et en récompense
on lui avait promis une pension annuelle de 200,000 ducats. Pour
mieux connaître les intentions du roi, Repnine lisait toutes ses lettres,
et les corrigeait au besoin. Enfin nous lisons une série de lettres flat-
teuses adressées au prince par les gentilshommes polonais qui le
désiraient pour vice-roi. D'autre part, cette correspondance montre
combien étaient vives les méfiances entre les trois souverains alliés
pour le partage de la Pologne : Catherine II était mécontente de la
Prusse, et s'exprimait dans des termes peu flatteurs pour la « perfide
et astucieuse « cour de Berlin. — Le t. XVII est presque tout entier
consacré à la correspondance de Catherine II avec Falconet, au sujet
du monument de Pierre le Grand'. A la fin du volume se trouvent
plusieurs documents intéressants, entre autres une lettre de Diderot
(HTo), d'après l'autographe de la Bibliothèque impériale de Péters-
bourg, et un extrait de son article sur le salon de 1763.
Pour les papiers d'État concernant l'histoire du xix*^ siècle, le gou-
vernement a cru pouvoir laisser publier quelques pièces « utiles à
1. Voy. l'excellenl parti que M. Rambaud a tiré de ces documents dans ses
études sur Catherine II et ses correspondants français {Rev. des Deux-
Mondes, 1o janv. et 1" février 1877).
RUSSIE. 4 (H
être communiquées-, » elles se rapportent exclusivement à l'époque
antérieure à l'avènement de Nicolas I". Une commission de publica-
tion nommée à cet effet a fait paraître un « Recueil des documents
historiques tirés des archives du premier département de la chan-
cellerie de Sa Majesté » (Pétersbourg, •JSTfi). La chancellerie a été
fondée en 'l 8^ 2 5 c'est par elle que devaient passer toutes les affaires
de l'État, les rapports et les ordonnances. Aussi ce recueil est-il fort
important pour le règne d'Alexandre P"" et spécialement pour les
années ^8^2 et -1813. Il se divise en deux parties : la première con-
tient les ordres adressés par le gouvernement aux chefs militaires
(Viazmitinov, général en chef de l'armée à Pétersbourg, Gortscha-
kov, directeur du ministère de la guerre, etc.) en -18'I2, et les ordres
émanés de la chancellerie et de son directeur, Arakcheev. La seconde
est presque entièrement remplie de documents relatifs à la guerre de
'18i2 : rapports sur les dépenses exigées par l'armée, sur son état
sanitaire et le service de santé, etc.-, rapports du ministre de l'inté-
rieur sur la situation de l'industrie et ceux du ministre des finances
sur la situation financière après la guerre (-1813) ; enfin papiers rela-
tifs à l'administration de Speransky en i 8i 8-1 81 9 à Pensa, en Sibé-
rie, avec la liste du prix des denrées à Moscou en 1813. A titre de
curiosité, on peut citer la correspondance secrète du baron Teppich,
ambassadeur de Russie à Stuttgard, qui recommandait avec chaleur
un système de ballons inventé par un Allemand pour anéantir l'armée
française. Inutile d'ajouter que les espérances de l'ambassadeur s'en-
volèrent et que l'ingénieux inventeur disparut.
Le troisième et dernier volume des Traités et Conventions avec
l'Autriche (1808-1815), de M. Martens, a paru en 1876 (Pétersbourg,
Devrient). La partie la plus intéressante du volume est sans contre-
dit celle qui contient la correspondance entre la Russie et l'Autriche
pendant la guerre de 1812, tirée des archives du ministère des
affaires étrangères-, on y voit clairement la situation de l'Autriche et
les efforts de la Russie pour rompre l'alliance entre l'Autriche et
Napoléon. Aux textes des traités de Tœplitz "et de Reichenbach (1 81 3) ,
l'éditeur a ajouté les articles secrets qui paraissent pour la première
fois.
Nommons encore la correspondance de Roumiantzov avec Berch
(1 81 7-22, Pétersbourg, 1 876) , sur des questions d'archéologie et d'eth-
nographie, des recherches de monuments et de manuscrits; et les
extraits des archives du prince Oboiensky-Neledynsky-Meletzky
(Pétersbourg, 1876), où l'on trouve les mémoires de Neledynsky-
Meletzky (1752-1808), ceux du prince Obolensky (1780-1812), et
quelques faits relatifs à l'histoire des années 1812 à 1814, etc.; ces
ReV. HiSTOR. V. !«'■ FASC. 11
^62 BULLETIN llISTOUrQlIi:.
documents nous renseignent surtout sur les événements, la vie, les
mœurs de la coui'.
L'histoire do la Petite-Russie s'est enrichie d'un volume important,
puhlié par la commission archéolo^Mquo de Kiev ; ce sont les documents
relatifs à la situation économique et juridique des pajsans du xvi*= au
xviii" siède (7" part, du t. JII des Archives de la Petit e-Bussie). Une
préface de l'hahile éditeur, M Novitzky, nous guide à travers l'époque
où la Petite-Russie faisait partie de la Lithuauic, et nous décrit l'état
social des Petits-Russes d'abord sous le régime du Statut lithuanien,
puis sous celui du nouveau code; les services et obligations des pay-
sans au xv!*-' siècle, leur situation à cette époque et les changements
apportés à cette situation au xvif siècle sous Chmelnicki et la domi-
nation presque absolue des gentilshommes polonais. Cette étude,
fondée sur de nombreux documents inédits, est riche en aperçus nou-
veaux, et se lit avec plaisir. Les actes publiés sont au nombre de 360 -,
ils paraissent tous pour la première fois. On y a joint les documents
qui concernent les soulèvements de la Petite-Russie au xvui'' siècle
(1700-68), les haidamacks, avec une introduction par M. Antonovich,
un de nos savants les plus distingués-, mais le volume a été jugé dan-
gereux pour la sécurité de l'État, et le président de la commission
n'a pas donné la permission de le mettre en vente.
Livres nouveaux. — V Ouvrages concernant la Russie en général.
Outre la continuation des ouvrages de Soloviev et de Kostomarov,
l'année -1876 nous a apporté le commencement de deux histoires
générales de la Russie : l'une par M. Ilovajsky, l'autre par M. Zabie-
line-, ce sont des abrégés qui viennent heureusement prendre place
à côté des énormes et indigestes publications comme celle de Solo-
viev.
Le nouveau volume de VHistoire de la Russie par Soloviev
(t. XXVI, Moscou, ^1876) est le deuxième de l'histoire de Catherine II;
il raconte jour par jour les événements des années n64 et n6o, et
résume l'état de l'instruction et de la société de 4755 à -1765-, il donne
de grands détails sur l'affaire de Mirovitch, la suppression des het-
mans dans la Petite-Russie, l'élection de Stanislas Poniatowsky au
trône de Pologne, les mesures prises pour centraliser le pouvoir
entre les mains des gouverneurs de provinces, le commerce, les dis-
sidents [raskolniks], les paysans, etc. Le dernier chapitre s'occupe de
l'influence exercée par la littérature et la civilisation françaises sur
la société russe, des rapports entre Catherine II et les Encyclopé-
distes, des travaux de l'Académie des sciences de Pétersbourg et de
l'Université de Moscou jusqu'à la mort de Lomonossov; enfin des
premières ordonnances de Catherine II, après son avènement au
RUSSIE. 463
trône, sur l'instruction. L'abondance des détails est extrême sur
tous ces sujets, mais, comme dans tous les autres volumes du célèbre
historien, ils sont arrangés sans aucune méthode et sans aucun art.
M. Kostomarov, au contraire, est un écrivain; le 6* fascicule de
son Histoire de la Russie par les biographies de ses hommes illustres
(Pétersbourg, 4 876) fait revivre avec force sous nos yeux, avec leurs
qualités physiques et morales, Pierre le Grand, son fils, Mazeppa,
l'archevêque Théophane, Prokopovich et autres ; on peut seulement
reprocher à l'auteur d'avoir exprimé trop vivement ses opinions per-
sonnelles. Ce défaut est surtout sensible dans la biographie de Pierre
le Grand 5 mais celles de l'archevêque Théophane et du hetman
Mazeppa sont à notre avis des chefs-d'œuvre.
Le premier volume de YHistoire de la Russie par M. Ilovajsky ne
dépasse pas le xin* siècle, mais il est plein de promesses; le livre est
bien écrit et se lit sans fatigue. Il débute par la description de By-
zance au ix^ siècle, source de la civilisation russe-, puis l'auteur nous
introduit en Russie et raconte, d'après les chroniques byzantines,
les événements qui se sont produits depuis Igor, le premier prince
russe dont l'existence soit bien constatée. La conversion de Vladimir
et de son peuple au christianisme, le règne de Jaroslav et les luttes
de ses descendants entre eux occupent la plus grande partie du
volume qui s'arrête au moment où les Mogols préparaient leur inva-
sion et où Byzance était aux mains des Croisés. Le reste du livre est
occupé par les citations et un certain nombre de dissertations cri-
tiques sur quelques points obscurs de notre histoire.
Dans un autre ouvrage intitulé Dissertations sur les origines de la
Russie^ le même auteur tombe malheureusement dans les hypothèses
les plus vaines et les moins scientifiques. Ignorant des résultats aux-
quels est arrivée la philologie moderne, il commet les moins pardon-
nables erreurs -, son histoire est bien l'œuvre d'un érudit du xix^ siècle ;
ses rfmer^«^wwA- sont l'œuvre d'un compilateur du xviii® siècle, tel que
Trediakovsky, qui tirait les plus graves conséquences des rappro-
chements philologiques les plus fantaisistes ^ Voici le procédé de
l'auteur : il prend un mot, par exemple Batyj, Asparuch, Terbel,
Groum, etc.-, il les rapproche des mots russes Batija, Batijuchki,
Iperik (la terminaison ik, dit-il, est le signe des diminutifs), Tre-
benje, KremUn, etc., et en conclut que les hommes désignés par ces
noms étaient Slaves. Autrefois Schafarik, auteur des Antiquités
slaves, a comparé ces mêmes mots à ceux d'autres langues, et a
obtenu des résultats tout opposés.
1. Voyez notre précédent Bulletin, Rev. hist., II, 198-
HH BULLETIN' MISKmiQUK.
Le premier volume de l'ouvrage impatiemment attendu de
M. Zahiolino', Vllis/oire des Hiisses depuis les fe.mpa Ira plus reculés
(Moscou, 1S7(1), prête le flanc aux mômes crili(iues. Il faut espcrcr (jue
les suivants rachèteront les défauts de celui-ci : les vastes connais-
sances archéologiques de l'auteur et son talent d'écrivain nous^
autorisent à le croire.
2" Monographies, etc. Peu de travaux valent la peine d'être
signalés. Dans son livre, Varègues et Bous (2 vol. Pétersbourg, -1876),
M. Gedeonov, qui étudie ce sujet depuis déjà trente ans, fait preuve
d'une profonde érudition et d'une critique sagace; il détruit presque
entièrement l'hypothèse de ceux qui ont voulu prouver l'origine
Scandinave des Rous, mais sans réussir à la remplacer par une
solution définitive. Il faut dire d'ailleurs que la question est à la
fois insoluble et oiseuse, et, tout en rendant hommage à la science
de l'auteur, nous regrettons qu'il ne l'ait pas employée à d'autres
sujets plus intéressants. Citons encore une Histoire de la guerre
de Crimée^ par M. Bogdanovitch (Pétersbourg, ^876)-, c'est le
premier essai tenté chez nous d'écrire en détail l'histoire de cette
guerre. Le livre est bien fait et important à plusieurs points de vue-
outre les documents déjà connus, l'auteur en a étudié beaucoup
d'inédits, tels que les rapports des généraux, les mémoires mili-
taires, etc.; il a de plus recueilli les impressions et les récits de
témoins oculaires, mais il ne les reproduit pas sans les avoir soumis
à un sévère contrôle. Il est intéressant de le comparer aux livres de
MM. Kinglake et Rousset. — Notons enfin un essai sur Bielinsky, sa
vie et ses œuvres (2 vol., Pétersbourg, ^876) ; c'est un des critiques
littéraires du xix^ siècle qui ont eu en Russie l'influence la plus con-
sidérable-.
Dans un autre ordre d'idées, deux mémoires de M. Zagoskine, l'un
sur les chartes du xiv'^ au xvi'^ siècle, qui organisent le gouvernement
provincial {oustavnyja gramotij)^ l'autre sur l'organisation et l'ori-
gine de la classe qui a servi l'État avant Pierre-le-Grand [slougiloje
soslovie, Kazan, -1876), méritent d'attirer notre attention. Dans le
premier, l'auteur nous donne une classification complète des affaires
qui sont du ressort du gouvernement provincial, telles que les règle-
ments industriels et commerciaux, la police, le droit criminel et
civil, etc. Dans l'autre, qui rappelle l'école de Stchapov, il a réuni
1 . Auteur d'ua livre très-remarquable : La Vie privée des tzars au xvii° s.
2. Ont paru aussi en 1876 les Mémoires sur Bielinskj et le mouvement intel-
lectuel en Russie en 1830, par M. Panev, publication fort intéressante et écrite
avec talent.
RUSSIE. ^65
tous les matériaux nécessaires pour faire Thistoire d'une classe qui
a eu, et qui conserve encore une si triste renommée. Dans les appen-
dices, qui sont la partie la plus intéressante de l'ouvrage, on trouve
les noms des officiers de l'État, avec l'indication de leur origine et
de leur nationalité. L'auteur a réuni des renseignements sur 9-15
familles, dont ^68 issues de princes russes qui ont régné avant l'in-
vasion des Mogols, 223 d'origine lithuanienne , 229 de nationalité
européenne, <20 de race tartare (parmi ces derniers on remarque
le nom de Romanov), etcJ
Nous ne pouvons qu'indiquer le quatrième volume de V Histoire de
l'Académie de Saint-Pétersbourg^ par M. Souchomlinov, et une
publication de la Commission archéologique de Pétersbourg sur le
concile de Constance ^ au moment où nous achevions ce bulletin,
nous n^avions pas encore pu nous les procurer. Nous y reviendrons
une autre fois,
3° Ouvrages sur des sujets d'histoire étrangère. Mettons en pre-
mière ligne les ouvrages suivants de M. Kovalevsky : r Dissolution
de la propriété communale dans le canton de Vaud (Londres, \ 876 •
trad. en allem., Zurich, i 877) ; 2" Histoire de la police dans les comtés
anglais depuis les temps les plus reculés jusqu'à la mort d'Edouard III
(■!" fasc. Prague, 'J876); 8° Essais sur l'histoire de la juridiction
fiscale en France depuis le xiv*" siècle jusqu'à la mort de Louis XIV
(Moscou, 1876; t. I, fasc. -I^"' : juridiction fiscale en Languedoc). Ce
sont les études les plus importantes qui aient paru sur de telles
matières en Russie et en Europe, et l'auteur nous en promet encore
d'autres non moins intéressantes-, il appartient à ce nombre très-
restreint de savants russes qui étudient l'histoire de l'Europe dans un
esprit indépendant. Ses travaux ne sont pas d'ailleurs de pures com-
pilations; ce sont des œuvres composées d'après les textes originaux
et même inédits. Par exemple, son étude si neuve et si intéressante
sur la décadence du régime communal dans le canton de Vaud est
tirée des archives de Villeneuve, et n'est qu'un fragment d'un livre
sur les causes et les progrès de cette décadence chez les peuples
d'origine bourguignonne et allemande. Aussi sommes-nous forcés,
pour en parler plus au long, d'attendre que la publication de l'ou-
vrage soit plus avancée.
1. Quant aux autres monographies, nous nous contenterons de les énumérer :
Borsakovsky, Histoire de la principauté de Tver, essai d'histoire locale d'après les
chroniques. — Blagovestchensky, Histoire de l'Académie ecclésiastique deKazan,
1797-1818 (Kazan, 1876). — Brickner, Ivan Posochkove considéré comme écono-
miste; \'^ partie (Pétersbourg, 1876). — Pobiedonoslzev, Études et recherches
historiques (Moscou, 1876), recueil d'articles publiés dans diverses revues, et
dont un concerne le servage en Russie, etc.
I6(> BULLETIN HISTORIQUE.
Le livre de iM. Fortinsky : Les villes marilimes des Verides et leur
influence sur la formation de la Hanse (Kiev, 1877), est le fruit
d'études sur les documents déjà publiés dans les Ilanserecesse, le
Liibecksches Vrkundcnbuch^ le Mecklemburyisclies llrkundenbuck
et ailleurs, 11 n'existait pas encore d'histoire générale de la Hanse,
on n'avait que celle de certains comptoirs ou de quelques villes
hanséatiques ; c'est cette lacune que l'auteur a voulu combler-,
« le développement des institutions municipales, dit -il, celui du
commerce des villes, enfin la formation de la Hanse allemande
étaient des faits parallèles et connexes. » La difficulté du sujet
consiste moins, d'après lui, dans la rareté des documents, que
dans la manière dont la question a été posée : on étudie l'histoire
de la Hanse indépendamment de l'histoire intérieure des villes; de là
vient qu'on n'a pu saisir l'influence exercée par les révolutions inté-
rieures des villes sur la situation de leurs comptoirs à l'étranger;
conformément à son système, l'auteur nous fait assister à l'origine
et au développement des institutions de sept villes maritimes vendes
(Lubeck, Stralsund, Wismar, etc.), puis aux progrès et à l'organisa-
tion de leur commerce intérieur et extérieur; enfin, au chap. 4, il
traite la question de leur influence sur la formation de la Hanse.
L'ouvrage est bien fait; les conclusions" de l'auteur paraissent fort
acceptables; aussi faut-il regretter que le livre n'ait pas encore
obtenu le succès qu'il mérite. Mentionnons enfin, sans en avoir
encore pris connaissance, l'ouvrage de M. Tratchevsky sur le
Furstenbund à la fin du xviii® siècle ^
J. LoDTCfllSKY.
1. M. Loutchisky n'a pas parlé de l'ouvrage important qu'il a lui-même
publié sur la Ligue. La Revue en donnera un compte-rendu détaillé.
G. d'hUGUES : UNE PROVINCE ROMAINE SOUS LA REPUBLIQUE. -167
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Une province romaine sous la République; étude sur le procon-
sulat de Gicéron en Gilicie, par G. d'Hugues. Paris, Didier, -1876.
] vol. in-'J2 de 469 p. Prix : 3 fr. 50.
L'ouvrage de M. d'Hugues a un grave défaut, celui de mêler trop
souvent la politique à l'histoire. A chaque pas on y rencontre des allu-
sions très-claires aux événements contemporains. Le but avoué de
l'auteur a été « d'apporter son modeste contingent d'observations histo-
riques à la défense des principes qui lui sont chers », de prémunir la
République de 1876 « contre les décevantes conséquences de son prin-
cipe », « de montrer par un exemple dont l'autorité ne sera méconnue
par personne, que toutes les formes politiques ne sont pas arbitraire-
ment applicables à toutes les situations », d'exposer en un mot « pour-
quoi et comment les républiques finissent. » Telle est l'idée première
qui l'a guidé dans l'étude du proconsulat de Gicéron. Et il ne s'est pas
contenté de la développer dans sa préface. La dernière phrase de son
livre est une preuve qu'en s'occupant du passé il n'a pas cessé de
songer au présent. Une pareille méthode est absolument contraire à
l'esprit scientifique. Chercher dans l'histoire romaine des arguments en
faveur de telle ou telle opinion actuelle, c'est faire de la politique, non
de la science. La science a pour unique objet d'établir des faits et,
autant que cela est possible dans l'état de nos connaissances, de for-
muler des lois qui ne soient que la généralisation rigoureuse des faits.
Mais elle ne saurait, sans sortir de son domaine, tirer les conséquences
pratiques de ces faits et de ces lois.
M. d'H. a eu encore un autre tort. Pour juger les hommes de l'anti-
quité, il ne s'est pas placé au point de vue antique. Il en convient lui-
même ; mais il prétend « que l'on ne peut sainement apprécier le pro-
consulat de Gicéron qu'à la condition d'en rapporter tous les actes à la
stricte mesure de la loi morale» (p. 410). S'il en est ainsi, pourquoi
excuse-t-il Gicéron « de n'avoir pas aboli en Gilicie l'esclavage »
(p. 413)? N'y a-t-il pas là de sa part une singulière contradiction, ou
plutôt n'est-ce point là un argument contre la thèse qu'il soutient? La
vérité est que l'histoire n'a pas le droit d'exiger d'un personnage poli-
tique des idées plus nobles ni des sentiments plus généreux que les
sentiments et les idées de son siècle. S'il s'en trouve qui aient devancé
leur époque, il faut les en louer ; mais ceux qui sont restés des hommes
de leur temps ne sont pas pour ce seul motif dignes de blâme. L'oubli
de cette règle a rendu parfois M. d'H. injuste envers Gicéron et envers
468 COMPTES-KEM»! s CllITIQUKS.
tous les Romains en général. Il s'indigne fréquemment des abus que
commettaient les gouverneurs de province sous la République; il
déclare que « le génie administratif était alors inconnu à Rome »
(p. 101), que pour la plupart dos proconsuls « administration était
synonyme de iiillago »; enfin, s'appropriant le mot d'un philosophe qui
ne parait guère compétent en ces matières, il dit : « Rome ne fut jus-
qu'à l'empire qu'un repaire de brigands » (p. 408, note). Au lieu de se
répandre en vaines déclamations, M. d'H. aurait mieux fait d'examiner
quels étaient, dans la pensée des anciens, les droits que conférait la
conquête. Il aurait vu qu'un peuple conquis était à la merci du vain-
queur, que par le seul fait de sa sujétion il perdait ses lois, ses magis-
trats, ses terres même, que si les habitants conservaient une certaine
liberté et quelques parties de leur sol, c'était sous le bon plaisir de
leurs nouveaux maîtres, et qu'en théorie ceux-ci pouvaient faire d'eux
ce qu'ils voulaient. On conçoit dès lors qu'un gouverneur romain eût
peu d'égards pour ceux qu'il administrait et qu'il crût légitimes des
actes qui aujourd'hui nous semblent coupables. Peu à peu cependant
une évolution lente et presque fatale des esprits amena les Romains à
modifier sur ce point leurs idées, et de là vient que sous l'Empire les
provinciaux furent en somme mieux traités que sous la République.
Cette amélioration ne doit pas être attribuée, comme le fait M. d'H., à
une prétendue supériorité des institutions impériales sur les institu-
tions républicaines. Le monde fut bien administré non pas du jour où
les empereurs le voulurent, mais du jour où les souvenirs de la con-
quête furent assez effacés et les mœurs assez adoucies pour que les
Romains considérassent les peuples soumis presque comme leurs
égaux. Il n'y a donc pas lieu de reprocher à Cicéron ni aux autres
proconsuls qui, sans être des Verres, ont à notre gré trop peu ménagé
les provinciaux, la conduite qu'ils ont tenue envers eux. L'essentiel
d'ailleurs en histoire est moins de juger les hommes que de les com-
prendre, et le seul moyen de les comprendre est de les mettre dans le
milieu où ils ont vécu et de se faire, pour ainsi dire, leur contem-
porain.
Ces critiques s'adressent toutes à la méthode de M. d'H. Si mainte-
nant nous entrons dans le détail de son livre, nous y trouverons aussi
quelques erreurs de faits et d'appréciations.
P. 9 : « Le désir d'innover, dit-il, poussait naturellement tout magis-
trat à défaire tout ce qu'avait fait son prédécesseur pour le refaire
mieux que lui, » Il est bien vrai que chaque gouverneur publiait son
édit particulier en prenant possession de sa province; mais ces édits se
ressemblaient beaucoup et les proconsuls se copiaient les uns les
autres^. — P. 19 -. M. d'H. croit que Rome s'appliqua « à dissoudre les
1. Pour n'en citer qu'un exemple, Cicéron déclara qu'en beaucoup d'affaires il
jugerait conformément aux édits des préleurs urbains. Quant au reste, il repro-
duisit en firande partie l'odit de Scaevola. Voir surtout nd AU. VI, 1, l.ô. Cf.
d'Hugues, p. 299.
G. d'hDGDES : UNE PROVINCE ROMAINE SOUS LA RÉPUBLIQUE. ^ 69
agrégations originelles, à briser les unités territoriales en formant de
nouveaux groupes de peuples, en scindant violemment ce que la
nature avait uni, en opposant la force de la loi à la force des affinités
ou des traditions. » Le Sénat agit quelquefois de la sorte ; mais le plus
souvent il respecta l'organisation des pays conquis, on n'a qu'à se rap-
peler la politique qu'il adopta en Grèce où il se contenta d'assurer dans
toutes les villes la prépondérance de l'aristocratie ^. — P. 29 : Très-
injuste pour Sylla, M. d'H. dit de lui qu'il fut « le mauvais génie de
Rome, qu'il fit plus contre elle en deux ans de dictature que tous les
Césars réunis pendant quatre siècles de despotisme. » Sylla contribua
beaucoup à la ruine de la République par l'exemple qu'il donna aux
ambitieux : mais il lui fut moins funeste encore que Marins. Marius
est l'auteur véritable de la révolution qui conduisit Rome à la monar-
chie; car c'est lui qui le premier, en changeant la composition de
l'armée et en grandissant par elle, réduisit les légions à n'être plus
qu'un instrument de guerres civiles et de coups d'État^. Il est vrai que
Sylla dut aussi son élévation aux soldats; mais, dès qu'il fut le maître,
il essaya d'arrêter Rome sur la pente où elle glissait. Il pensa que la
République ne durerait qu'à la condition d'être aristocratique; il fortifia
donc l'autorité du sénat et annula celle des tribuns de la plèbe. Est-ce
là un crime si grand que M. d'H. ne puisse le pardonner? — P. 38 :
« Les magistratures provinciales ne dataient point du l^»" janvier, mais
seulement du mois de juin ou de juillet, quelquefois plus tard. »
J'ignore sur quel texte se fonde cette assertion. Généralement les pro-
consuls et les préteurs quittaient Rome vers le mois de mars, et le
premier jour de leur gouvernement était celui où ils arrivaient dans
leur province ^. — P. 67 : « César n'aimait pas plus les chevaliers que
les nobles ; il s'appuyait sur le peuple. » Si César s'était appuyé exclu-
sivement sur le peuple, il ne serait pas môme devenu consul. Le peuple
en effet n'eut jamais à Rome qu'une très-faible influence, surtout au
dernier siècle de la République. Pour réussir dans les élections il suf-
fisait d'être riche, et dans les comices la protection d'un Grassus ou
d'un Pompée était un gage de succès plus précieux que les sympathies
de la foule*. César aurait donc fait un bien mauvais calcul s'il avait
compté sur la plèbe. Ses opinions du reste ne le portaient pas plus que
ses intérêts vers le parti démocratique. Il combattit souvent les nobles,
non parce qu'ils étaient nobles, mais parce que beaucoup parmi eux
étaient républicains. Il soutint en plusieurs occasions les chevaliers,
1. Duruy, Hist. des Romains, I, 518; 541-544. Sur l'appui donné par Rome à
l'aristocratie, voir : Fustel de Coulanges, thèse sur Polybe; le sénatus-consulte
de Thisbé; Tite-Live, XXXIV, 49, 51.
2. Cons. un art. de M. Fustel de Coulanges sur les armées romaines dans la Revue
des Deux-Mondes (15 nov. 1870).
3. Cic. ad AU. V, 15, 1. V, 21, 9.
4. La lormation du premier triumvirat ne fut aux yeux de César qu'un moyen
de se faire élire consul [lai- l'apiiui de Pompée et de Crassus.
170 COMI'TKS-KKNDIS CllITIQIlKS.
et, après l'armée, co fut l'ordro oqucstro qui travailla le plus à sou
triomphe'. Enlin, lorsqu'il fut. dictateur, sa politique ne s'inspira nul-
lement du programme de la démocratie romaine^. César en réalité fut
un aristocrate, mais un aristocrate doublé d'un homme d'État. — P. 70 :
M. d'il, accuse vivement Cicéron d'avoir en Gilicie ménage les publi-
cains pour ne point brouiller à Rome les chevaliers et le sénat. Il
donna ainsi, dit-il, « le plus solennel démenti à ses doctrines philoso-
phiques, à sa morale si pure et si austère, à tous les nobles rêves de
son esprit. » En tout pays il y a loin de la théorie à la pratique, et
l'on ne saurait exiger d'un philosophe jeté dans le courant de la poli-
tique active qu'il applique scrupuleusement tous les principes énoncés
dans ses écrits. Il doit y demeurer fidèle autant que possible; mais il
doit avant tout régler sa conduite d'après les circonstances. Or il est
évident qu'en 51 le seul moyen de conjurer le terrible danger dont se
trouvait menacée la République était l'union intime du sénat et des
chevaliers. Aux yeux de Cicéron, une telle considération primait toutes
les autres. Que lui importaient les provinciaux quand il s'agissait du
salut de la patrie? Pour un Romain, Rome était tout; pour un répu-
blicain sincère, la vieille constitution de la cité était une part essentielle
de sa gloire et de sa force. Les intérêts de l'humanité ne méritaient
certes pas d'entrer en balance avec ceux de Rome, et s'il y avait conflit
entre les uns et les autres, c'était l'humanité qu'il fallait sacrifier. Ainsi
blâmer Cicéron d'avoir administré la Cilicie comme il a fait, c'est le
blâmer d'avoir aimé la République et de n'avoir pas eu ces idées cos-
mopolites qui sous l'empire se substituèrent peu à peu au patriotisme
étroit des siècles antérieurs. — P, 104. Les éloges que M. d'H. décerne
à César sont exagérés ; car il n'est pas démontré que César ait conçu
les plans qu'il lui prête. Il s'est formé autour de ce grand nom une
sorte de légende que la science n'a pas encore dissipée et qui n'a point
cessé jusqu'ici d'offusquer la vue de la plupart des historiens. César,
dit-on, voulut relever les provinces au détriment de Rome et « faire un
seul peuple de tous les peuples du monde ^ ». Mais où sont les preuves ?
Je cherche et je ne les aperçois pas. S'il fit rebâtir Corinthe et Car-
thage, c'était simplement pour développer le commerce maritime de
l'Empire ; s'il accorda à beaucoup de provinciaux le titre de citoyen
romain, ce fut à l'exemple du sénat'*, qui avait conféré le même pri-
1. Appien, De b. c. II, 13; Suét. Div. Jul. 20. — En 50, à la veille de la guerre
civile, les publicains étaient du parti de César (Cic. ad AU. VII, 7, 5).
2. Aflaire des dettes et des loyers : César, JDe b. c. III, 20, 21; Cassius Dion,
XLII, 32. Cf. Boissier, Cicéron et ses amis, p. 213-217 (3"^ édit.). —Abolition du
droit d'association : Suét. Div. Jul. 42. — Loi judiciaire : Suét. 41; Dion XLIII,
25. — Mesures agraires : Suét. 38, 41 ; Dion XLIII, 21.
3. V. à ce sujet dans Duruy (I, 492, note 2) quelques observations très-justes.
4. Cic. pro Balbo 9 : « Stipendiarios in Africa, Sicilia, Sardinia, caeteris pro-
vinciis multos civitate donatos videmus. » César ne fut pas trop prodigue du droit
de cité.
E. A. FREEMAN : NORMAN CONQUEST. 4 7^
vilége d'abord aux Latins, puis aux Italiens ; s'il réprima quelques-uns
des abus que commettaient les gouverneurs, c'était pour introduire
plus de régularité dans l'administration. Ces restrictions ne diminuent
en rien son génie; au contraire, sa politique, réduite à ces proportions,
nous apparaît comme étant plus pratique, plus efficace, et par suite plus
digne de lui.
Le chapitre III où M. d'H. décrit l'état de la République en 51 est à
peu près inutile; il est en outre très-partial pour les césariens. Je
signalerai notamment les pages 118, 120, 121, 145, 147. — Avec la
page 199 commence le récit du proconsulat de Cicéron. Comme on
voit, les préliminaires sont un peu longs. Cette partie du livre est plus
intéressante que la première. L'auteur raconte d'abord les démêlés de
Cicéron avec son prédécesseur Appius Claudius, puis ses campagnes,
dont il exagère peut-être l'importance, ensuite son administration pro-
prement dite, enfin ses intrigues pour avoir les honneurs du triomphe
et son retour en Italie. Ces trois chapitres attestent une étude sérieuse
de la correspondance de Cicéron ; M. d'H. en explique clairement les
passages les plus obscurs, sans doute avec l'aide du Commentaire de
Manuce que pourtant il ne cite pas. Son style est vif, agréable, dégagé;
on ne dirait pas, en lisant cet ouvrage, qu'il n'est que la traduction
française d'une thèse latine; je soupçonne d'ailleurs M. d'H. d'en avoir
usé librement avec le texte primitif. J'aurais quelques critiques à pré-
senter encore ici. Mais j'en ai dit assez pour montrer par où pèche ce
travail. Je me contenterai d'indiquer comme renfermant des erreurs
plus ou moins graves les pages 207 (lignes 2-4), 219 (sur l'entrevue de
Pompée et de Lucullus en Galatie), 237 et 239, 294, 415, 451 (note 1),
453 (fausse appréciation de la politique des empereurs).
Paul GUIRAUD.
The history of the Norman Conquest of England ; its causes and
its results, by E. A. Freeman. 5 vol. in-S". Oxford. Clarendon
Press ; Mac Millan, London. Prix : 4 liv. i 9 sh.
Quelle fut la nature, quelles ont été les conséquences de la conquête
de l'Angleterre par les Normands? Chateaubriand avait posé la question
dans son histoire de la littérature anglaise. Sa théorie un peu trop
absolue fut recueillie par sir Walter Scott. Celui-ci peignit des plus
vives couleurs, dans son roman d'Ivanhoe, les souffrances du Saxon
écrasé, méprisé, asservi par le noble Normand ; tableau de fantaisie,
œuvre d'artiste qui eut le rare privilège d'enthousiasmer la foule et
d'inspirer à notre grand historien Augustin Thierry le livre que tout le
monde a lu. — Le savant par malheur s'inspira un peu trop du poète
et une réaction inévitable éclata contre ses idées.
Ce fut en Angleterre, naturellement, que se formula le plus nette-
172 COMi'TES-IlK.NnilS CIUTIQUKS.
iiitMit la (locirino oi)p()soe. Palgrave fut le chef do celte école. L'histo-
rien français disait que la conquête avait tout changé en Angleterre,
roi, noblesse, institutions, langue et religion. Rien n'était resté de
l'ancien ordre de choses : l'Anglais prétendit qu'il n'y avait eu qu'un
changement de dynastie. A l'e.xagération inconsciente de la thèse, s'op-
posa l'exagération voulue de l'antithèse. Deux camps se formèrent, et
l'on peut reconnaître l'influence de l'un ou l'autre des deux partis dans
tous les ouvrages qui ont paru depuis sur l'histoire d'Angleterre.
M. Freeman a entrepris de clore le débat et de prononcer un juge-
ment définitif sur les causes, la nature, les résultats de la conquête; de
là un volumineux ouvrage dont la publication n'a été complètement
terminée que l'année dernière. Il a été parlé ici même du cinquième
volume {Rev. hist.^ II, 575).
Reconnaissons d'abord que M. Freeman avait, plus que personne,
l'autorité nécessaire pour prononcer les conclusions dans un jugement
de cette importance. Il connaît à fond tous les documents écrits qui
ont été publiés sur cette époque : il a lu et soumis à une minu-
tieuse critique les chroniques en prose ou rimées, latines, anglaises
ou françaises du xi^ siècle. Il s'adresse même aux témoins silencieux
des vieux âges, il a la passion de l'archéologie, et a écrit en manière
de passe-temps plusieurs monographies de cathédrales ou autres monu-
ments historiques. Il ne néglige aucun moyen d'investigation.
Peut-être même ce souci de ne rien omettre a-t-il nui quelque peu à
la vivacité du récit. On pourrait reprocher à ces cinq gros volumes un
luxe surabondant d'anecdotes, de dissertations incidentes, d'appendices
consacrés à des points de détail. Le livre à la rigueur s'en passerait :
ce lourd bagage eût été ainsi singulièrement allégé. Il est tel dévelop-
pement, dans le premier volume surtout et le dernier, dont la nécessité
n'apparaît pas tout d'abord. L'histoire des Saxons et des Normands
avant la conquête, celle des princes angevins dans le siècle qui suivit
semble un peu longue, on voudrait plus de rapidité dans le prélude et
l'épilogue.
On s'explique cependant pourquoi M. Freeman a tant insisté sur les
origines et les résultats de la conquête. C'est que dans son esprit ce
grand événement ne peut être étudié à part, car ce qui importe surtout
c'est de voir en quoi il a modifié les institutions de l'Angleterre. Or, à
ce sujet M. Freeman a une idée favorite qu'il expose dans tous ses
ouvrages historiques : on la trouve esquissée dans le petit opuscule
qu'il a publié sous le titre d'Unité de l'histoire : il a commencé à la
développer dans son volume sur l'histoire du gouvernement fédéral,
première pierre d'un monument resté inachevé, il a voulu la vulgariser
dans son « Développement de la Constitution anglaise », enfin il l'étalé
tout au long dans son œuvre capitale : la Conquête normande. — On
peut dire que c'est l'âme de tous ses écrits et en particulier du dernier;
c'est elle qui donne la vie à ses dissertations, qui sert de lien entre ses
nombreuses anecdotes, qui permet d'embrasser dans son ensemble non-
E. A. FREEMAN : NORMAN CONQUEST. 173
seulement les travaux de M. Freeman, mais encore ceux de presque
tous les historiens anglais contemporains.
Cette doctrine est celle de la persistance à travers les âges et les
milieux les plus différents du principe des assemblées populaires. On le
trouve en Grèce, aux temps homériques, sous sa forme la plus simple,
à l'époque des confédérations Achéenne et Etolienne avec des organes
plus compliqués. Il en est de même pour Rome; c'est une institution
commune à toute la race indo-européenne; mais c'est surtout dans les
nations de sang germanique et en particulier chez les Anglo-Saxons
que l'histoire peut en suivre sans interruption les progrès, depuis
l'obscure genèse si imparfaitement décrite dans César et Tacite, jus-
qu'au magnifique épanouissement du xm^ siècle. Les premiers pirates
saxons qui s'empai'èrent du sol britannique apportèrent ce germe pré-
cieux sur leurs vaisseaux, et il grandit jusqu'au jour où Simon de
Montfort convoqua son parlement. — La constitution anglaise est aussi
vieille que la race elle-même, elle a grandi comme elle, et n'a pas un
seul moment cessé d'exister.
La chaleur avec laquelle M. Freeman plaide cette thèse est vraiment
remarquable. Il y apporte un enthousiasme, un élan comparables à
l'ardeur qu'il déploie maintenant dans les débats sur la question
d'Orient. C'est que pour lui ce n'est pas une question de science désin-
téressée. L'histoire de l'Angleterre, même à ces époques reculées, le
passionne presque autant que les événements contemporains, il prend
parti dans les luttes qui éclatent à la cour des vieux rois saxons à peu
près comme en France les historiens de la Révolution se déclarent pour
les Girondins ou les Montagnards : ainsi il ne cache pas ses sympathies
pour Godwin, le père d'Harold, au temps d'Edouard le Confesseur.
Parfois on trouve dans son livre des accents qui font penser aux pages
les plus éloquentes, les plus émues de Michelet, parfois aussi on ren-
contre des préoccupations qui semblent par trop modernes.
Lorsque M. Freeman rend compte du travail de fusion qui s'est
opéré entre les royaumes saxons, il emploie avec une complaisance
évidente un terme qui paraît singulier. Pour exprimer l'idée de souve-
raineté sur toute la partie anglaise de File, le mot de royauté ne lui
suffit pas; c'est, dit-il, un titre impérial. L'empire britannique est
formé alors ; les rois de Wessex, étendant leur pouvoir sur les autres
royaumes, deviennent les empereurs de la nation anglaise. Voilà un
empire dont l'histoire a tenu peu de compte jusqu'à présent et qui par
une association inévitable a le tort de rappeler des débats récents sur
un autre titre impérial. L'auteur s'est laissé entraîner à un rapproche-
ment qui nous étonne; nous comparons ces minces rois à demi bar-
bares à Gharlemagne, et nous comprenons à peine comment le même
titre peut être appliqué à deux souverains aussi différents. C'est que
nous n'éprouvons pas pour les Anglo-Saxons les sentiments qui ins-
pirent M. Freeman; mais enfin nous finirions par en prendre notre
parti si nous ne craignions d'être entraînés trop loin dans cette apo-
logie, ce culte des ancêtres.
^7Ji COMPTKS-KENnUS CRrTIQDES.
Il y a en cilbt deux passages où l'auteur semble avoir atteint l'ex-
trême limite de l'enthousiasme légitime. L'un est le parallèle entre le
roi Alfred et les grands hommes les plus vantés du moyen âge et des
temps modernes, l'autre est le jugement sur la conquête saxonne. Sans
doute le roi Alfred fut un grand prince; même on faisant la part de la
légende, il lui reste assez de titres aux éloges de l'histoire, mais l'aut-il
lui sacrifier systématiquement d'autres gloires aussi pures que la
sienne? Quelle nécessité d'ailleurs y a-t-il d'établir une comparaison
entre Alfred d'une part, Gharlcmagnc, saint Louis, Edouard !«■•, Guil-
laume le Taciturne et Washington de l'autre? Ne peut-il pas sembler
étrange de voir mettre le fondateur des États-Unis au-dessous du roi
saxon parce qu'il n'était ni saint, ni scholar?
Quant à la conquête saxonne, ce fut à dire vrai une barbarie dont
rien jusque là dans les fameuses invasions n'avait donné l'idée. La
population indigène fut traitée avec une telle cruauté qu'elle disparut
devant les vainqueurs. L'écrivain s'applaudit fort de cet égorgement
des Celtes par « la saine barbarie » des Anglais. « Nous y avons gagné,
dit-il (I, p. 21), une nouvelle terre pour nous-mêmes; nous avons pu
y développer notre système pour nous-mêmes (for ourselves)..., les
Angles, Saxons et Jutes, transplantés aux rives de Bretagne, ont
gagné pour eux-mêmes un nouveau nom, une nouvelle vie nationale
et ont maintenu jusqu'à nous l'héritage distinct et glorieux des
Anglais. » — II y a dans toute cette page, si l'on peut s'exprimer
ainsi, comme l'àpi'eté du fils de famille propriétaire qui certes, par lui-
même, ne ferait tort à personne, mais qui pardonne aisément à ses
ancêtres d'avoir eu moins de scrupules.
Avec cet amour pour la race saxonne et ses héros, cette admiration
pour la conquête du vi^ siècle et ses conséquences, cet orgueil pour la
persistance des institutions, on ne peut assister avec indifférence au
spectacle d'une invasion qui semble d'abord tout bouleverser. Quelle
sera donc l'opinion de l'écrivain sur Guillaume et ses Normands?
Pour qui sa sympathie, pour qui ses vœux dans le duel qui a ensan-
glanté il y a huit cents ans les hauteurs de Senlaci? M. Freeman est
cette fois du parti des vaincus. Il ne cache pas sa tendresse pour
Harold. Il dit quelque part (t. IV, c. 24) qu'il aurait combattu de bon
cœur avec les archers saxons derrière leur fameuse palissade. — Après
la défaite, il cherche pieusement parmi les morts le corps du dernier
roi saxon, il nous raconte tout au long les légendes mystérieuses qui
ont eu cours en Angleterre sur l'infortuné Harold : il n'avait pas péri
dans la bataille, disait-on, il vivait dans une profonde retraite, faisait
pénitence pour ses péchés et priait pour son peuple. Quoi qu'il en soit,
Guillaume était le maître, et, malgré quelques révoltes, maître incon-
testé; il prit, selon M. Freeman, non-seulement le pouvoir, mais
encore la politique des princes qu'il remplaçait. Il se dit successeur
1. M. Freeman, comme plusieurs récents auteurs, appelle la bataille d'Hastings
bataille de Senlac, du lieu où la bataille fut réellement livrée.
E. A. FREEMAN : NORMAN CONQOEST. < 75
d'Edouard, et voulut persuader à tous qu'il l'était. Il avait la force, il
eut le droit. Guillaume ne toucha en rien aux institutions anglaises ;
il réunit même plusieurs fois le Witenagemot, et on peut dire qu'il
rendit à cette vieille assemblée germanique une vigueur nouvelle. —
Son règne, en somme, loin de nuire au progrès politique de ses nou-
veaux sujets, l'accéléra singulièrement. La conquête normande fut un
bien pour l'Angleterre, elle lui donna une unité nationale qu'elle
n'avait jamais connue et prévint son morcellement politique en petites
principautés féodales.
Sans doute des infortunes privées, des injustices, des crimes même
signalèrent l'avènement en Angleterre de la dynastie normande, mais
il y a eu beaucoup d'exagération dans les récits qu'en ont fait les his-
toriens. Bien des Saxons ont été chassés de leurs terres et de leurs
châteaux et remplacés par des Normands ou des Francs, mais il n'y a
pas dépossession systématique d'une race au profit d'une autre. Le roi
Guillaume se regardait comme propriétaire par droit de souveraineté
de tous les domaines d'Angleterre. Il les concédait à ses vassaux
moyennant l'hommage et le service; soupçonnait-il un Anglais de
conspirer contre lui, il lui retirait sa propriété; il se croyait même le
droit de le faire sans autre motif que son bon plaisir, absolument
comme un landlord de nos jours qui changerait de fermiers : nous ne
voyons pas qu'il ait abusé, une fois bien établi sur son trône, de ces
droits absolus. On peut même remarquer que les Normands qui se
permirent de résister au pouvoir royal furent traités avec la même
dureté que leurs complices anglais. Enfin il faut ajouter que Guillaume
ne fit périr sur l'échafaud qu'un seul noble saxon, Waltheof, qui fut plu-
tôt victime de sa propre femme, Judith, que de son roi. Sauf cette excep-
tion, la peine de mort ne fut pas appliquée en matière politique par le
premier prince normand d'Angleterre.
L'argument le plus solide de l'école d'Augustin Thierry, celui qui
est tiré de l'examen du Domesday-book, touche donc assez peu
M. Freeman. Au contraire, il le retourne vigoureusement en faveur de
sa thèse, et montre, grâce à ce document unique, à quel point la con-
quête normande a peu modifié la distribution des terres. « Le
Domesday nous enseigne, mieux qu'aucun autre document du même
temps ne peut le faire, que l'Angleterre du xi^ siècle et l'Angleterre
du XIX* sont une seule et même chose. » On trouve même dans la
longue discussion consacrée à cette matière et dans l'appendice qui
termine le volume un enthousiasme que la sèche nomenclature des
propriétés anglaises a rarement inspiré. L'auteur s'attendrit presque
en constatant que la géographie locale n'a guère changé depuis l'époque
d'Edouard et de Guillaume. Elle a subsisté à travers les siècles, comme
la constitution elle-même, ne se modifiant que d'après les lois de sa
nature même et non sous l'impulsion brutale d'une cause étrangère.
L'Eglise, elle, fut moins heureuse apparemment. On sait avec quelle
éloquence l'historien français a développé cette partie de l'histoire de
I7<> r.oMPiKs-iiKMn s cRrriQUES.
la conquètp. On se rappelle quel tableau il a tracé des efforts de Lau-
Iranc jnnir déraciner les traditions, les rites particuliers qui s'étaient
implantes si profondément dans le sol anglais depuis les jours d'Au-
gustin et de Grégoire-le-Grand. Les couvents furent vidés, les temples
dépiuiillés, le calendrier même fut changé; la proscription s'étendit
jusqu'aux vieux saints qui se virent privés, au prolit des saints
romains, de leur tribut habituel d'encens et de prières. — M. Freeman
n'a garde de méconnaitre l'importance du rôle ecclésiastique de Lan-
franc, mais il l'explique. Le nouveau ])rimat d'Angleterre fut l'instru-
ment d'une révolution que la conquête facilita sans doute, mais qui se
serait accomplie d'elle-même. L'p]glise catholique tendait à l'unité.
Grégoire VII ne voulait plus voir d'églises locales semi-indépendantes,
et il profita des circonstances pour exécuter un dessein que couvait
depuis longtemps la papauté. Il abolit les privilèges qui avaient été
accordés aux sièges rivaux de Cantorbéry et d'York; il subordonna
plus étroitement le primat au pape, et du même coup mit fin à la
vieille querelle entre le nord et le sud, en donnant à Lanfranc l'auto-
rité sur son rival.
C'était surtout par les moines que la papauté imposait ses réformes
et son empire. Or, en Angleterre, les couvents étaient loin d'être l'asile
des vertus évangéliques. C'était même en général le dernier endroit où
on dût les chercher. Depuis les temps reculés de Bède le Vénérable,
c'était plutôt une école de scandale que d'édification, un lieu de per-
dition qu'un port de salut. — Il était donc impossible que Grégoire VII
trouvât dans les hôtes vicieux des monastères des instruments pour
ses desseins. Il les eut pour ennemis, non pour soldats, et il les traita
en conséquence. Que dans la lutte il y ait eu des épisodes émouvants,
que parfois le droit ait semblé du côté des moines, que le primat ait
poussé trop loin dans certaines circonstances l'exercice de son pouvoir,
c'est possible; c'était même inévitable. Les moines d'Angleterre ont
eu le sort de tous ceux qui défendent une cause condamnée, et mau-
vaise en soi. Des innocents ont parfois été victimes, leur sort est à
plaindre; mais la compassion ne doit pas nous aveugler sur la justice
de leur cause.
En n'acceptant pas les conclusions de l'historien français sur le rôle
de Lanfranc, l'auteur'de Norman Conquest n'a donc pas tout à fait tort;
il n'a pas non plus, nous semble-t-il, raison sur tous les points. Son
jugement sur l'ami de Guillaume, sur l'Italien auxiliaire zélé de Gré-
goire VII, est peut-être sujet à révision pour un détail fort important.
— Un des principaux desseins du pape, ce fut d'établir dans toute
l'Église le célibat ecclésiastique. Le pontife en vint à peu près à bout
en Angleterre, grâce à l'habileté et à l'ardeur de Lanfranc. M. Freeman
juge sévèrement cette politique : il reproche amèrement au primat
anglais d'avoir introduit sur le sol britannique cette innovation mys-
tique et dangereuse. — C'est du reste un regret qu'il exprime volon-
tiers : à propos de saint Dunstan il se plaint aussi des tentatives faites
E. A. FREEMAN : NORMAN CONQUEST. 4 77
au x« siècle pour empêcher le mariage des prêtres. « Gela eut pour
résultat, dit-il, de diviser la nation en deux parties et de créer une
mutuelle inimitié qui aurait pu produire des maux plus grands encore
que ceux qu'elle produisit. » La question est délicate. Dans les temps
modernes, elle a été tranchée par l'Église protestante d'après les
opinions de M. Freeman, mais il est permis de se demander quels
auraient été au moyen âge les effets du mariage des prêtres. Ne faut-il
pas croire que la papauté, en l'interdisant, a empêché la formation
d'une féodalité ecclésiastique héréditaire dont les pouvoirs, les richesses
et l'influence auraient été un immense danger pour la société civile.
— Remarquons de plus avec quel art l'auteur anglais suit son idée
principale. Les détails qu'il donne au premier volume sur l'œuvre de
saint Dunstan semblent préparer ce qu'il nous dit au quatrième sur la
politique de Lanfranc. Le second semble en quelque sorte reprendre
les traditions du premier, il s'inspire pour ainsi dire de son esprit, il
le continue en religion comme Guillaume en politique représente et
continue les vieux rois saxons.
Le nouveau roi avait respecté les institutions de l'Angleterre, il en
respecta également la langue. Jamais il ne tenta de substituer l'idiome
franco-normand à l'anglais; les deux langages se maintinrent côte à
côte. Il est vrai que peu après la conquête l'anglais perdit ses flexions,
mais c'est plutôt par l'effet même de son propre développement que
par l'influence du français. Un grand nombre de termes d'origine
latine se glissèrent aussi au milieu des mots à racine germanique,
mais cette infiltration avait déjà commencé avant Guillaume, l'inva-
sion ne fit que l'accélérer.
C'est surtout au point de vue de la diplomatie et des relations exté-
rieures que l'avènement des princes normands changea la condition
des îtes Britanniques, elles furent rattachées plus fortement au
système politique de l'Europe occidentale et entrèrent en rapports plus
directs avec la France. Enfin les malheurs réels qui accompagnèrent
l'entrée violente de Guillaume en Angleterre, eurent au moins cet
avantage qu'ils mirent fin aux invasions danoises, bien autrement
terribles.
Nous ne suivrons pas M. Freeman dans le détail des règnes qui sui-
virent celui de Guillaume. Il y montre comment les deux nationalités
normande et saxonne finirent par se confondre ou plutôt comment la
première fut absorbée par la seconde. La fusion est complètement
achevée sous Henri II, et il en résulte que Thomas Becket n'a pas eu
la physionomie qu'on lui donne. Il n'y avait à cette époque d'étran-
gers et d'intrus en Angleterre que les favoris aquitains du roi Plan-
tagenet. Thomas fut un prêtre, non un Saxon.
Un des passages les plus curieux du livre qui nous occupe est cer-
tainement le chapitre où il est traité de l'effet de la conquête sur les
arts et l'architecture. Il peut nous donner comme le résumé et le sym-
bole des opinions de l'historien anglais sur la plus grande crise qu'ait
Rev. Histor. V. l""" vxsc. 12
^78 COMPTES-RRNnrs CRITIQUES.
traversée la vieille Angleterre. Les Normands apportèrent dans la
construction de leurs chàteau.\ et de leurs églises des procédés plus
parfaits et un style mieux approprié à leurs besoins, mais ils se
plièrent à l'usage des matériaux que leur fournissait le sol anglais et
se laissèrent peu à peu dominer par le goût des vaincus.
Louis BOUQIER.
Deutsche Verfassungsgeschichte, par Georges Waitz. 6" et 7« vol.
de viii-dOG, vii-427 pp. in-S". Kiel, H7o, ^876, avec un sous-
titre : la Constitution de l^empire allemand du milieu du IX^ au
milieu du Xll^ s. , vol. 2 et 3.
On sait qu'avec le cinquième volume de l'histoire de la constitution
allemande dont la Revue historique a rendu compte (t. I, p. 604 et s.),
commence une division nouvelle du grand ouvrage de Waitz. Ce cin-
quième volume, on se le rappelle sans doute, sert d'introduction à l'ex-
position de la constitution de l'empire allemand du milieu du ix° au
milieu du xu^ siècle, c.-à-d. de l'époque de la dissolution de l'empire
franc à l'établissement définitif du régime féodal.
Les 6« et 7^ volumes présentés aujourd'hui au lecteur occupent le
centre de cette grande division. Le 6^, avec ses chapitres concernant le
régime féodal, le roi, la cour, le gouvernement et les assemblées de
l'empire, la législation et le pouvoir dans l'empire, traite des institu-
tions fondamentales qui donnent à l'empire toute sa cohésion; le 1",
avec ses chapitres sur les comtes, burgraves, landgraves et margraves,
les ducs et les comtes palatins, le haut clergé, les principautés et les
villes, expose les institutions locales qui animaient les provinces. Dans
le 6« volume, la royauté avec tous ses droits est au premier plan ; dans
le 7^, c'est la principauté, qui supplantera la royauté.
Les deux volumes donnent une égale idée de l'érudition immense qui
a valu à Waitz sa haute réputation scientifique. Pour la première fois,
se trouvent extraits de nombreux recueils et rassemblés les innom-
brables documents qui témoignent de la vie de l'organisme constitu-
tionnel de l'Allemagne dans la première moitié du moyen âge. Au
cours de l'exposition, des détails sont éclaircis ou fixés, des institutions
d'une certaine importance, comme par ex. l'avouerie, sont étudiées
pour la première fois. Ce n'est pas toutefois sans se donner de peine
que l'on pourra profiter de ce savant ouvrage dont la méthode d'expo-
sition consiste surtout à faire passer sous les yeux du lecteur une quan-
tité considérable de faits sans lui mettre aux mains un fil conducteur.
Quelque éminentes que soient les qualités de ce travail, il n'en produit
pas moins pour l'esprit l'impression d'une vaste et grandiose mosaïque.
Cherchons à nous rendre compte de cette impression en présentant
dans ses traits généraux la constitution de l'empire allemand pendant
G. WAITZ : DEUTSCHE VERFASSUNOSGESCHICHTE. 179
sa première période ; ce sera essayer de nous reconnaître en quelque
manière dans l'œuvre de l'illustre et infatigable historien.
Au moyen âge, en Allemagne comme en France, le régime féodal
devait donner sa forme à l'État, c'est donc avec raison que le chapitre
premier du 6^ vol. de Waitz traite du système féodal (p. 1-100). Le
régime féodal poursuit l'évolution commencée par le régime bénéfi-
ciaire, d'origine franque, dont le caractère propre nous apparaît plus
net en ce qui concerne l'Allemagne , grâce aux matériaux considérables
réunis par l'auteur. Malgré la langue indécise et flottante des documents,
il est désormais hors de doute que le mot benefîcium indique une con-
cession de biens d'une certaine nature qui se distingue très-bien par
ex. de la prccaria (p. 90). Cette dernière se présente sous la forme d'un
« contrat bilatéral par lequel les deux parties donnaient quelque chose »
(p. 99). La constitution d'un benefîcium n'exigeait pas nécessairement
en retour la présence d'une prestation privée (redevance); elle était liée
d'ordinaire à l'existence de services personnels (p. 95). La precaria se
reconnaît à ce qu'elle ne touche pas à la situation personnelle du con-
cessionnaire ; c'est un rapport, libre par nature, né d'un contrat suivi
d'effets juridiques atteignant uniquement les biens. Le beneficium fait
naître au contraire un rapport personnel de subordination; c'est une
concession dont on ne peut comprendre le sens qu'en se plaçant au
point de vue économique et aussi au point de vue du droit public. Tan-
dis que dans la precaria, les deux parties traitent d'égal à égal, le bene-
fîcium fait du concessionnaire le serviteur du concédant. Il suit de là
que de la precaria naît un simple contrat de redevance, du benefîcium
au contraire, le contrat de vasselage. Ce contrat donnait, à l'origine,
naissance à un rapport de subordination non-libre; bien qu'au moyen
âge, ce rapport se soit transformé en un rapport libre, il n'a jamais
perdu complètement les traits qu'il tenait de sa nature première. Des
services, privés il est vrai, unissent le vassal à son seigneur; mais en fai-
sant profession de vasselage, le vassal amoindrit son blason, sa noblesse,
précisément parce qu'il s'est donné, en qualité de serviteur, à une
personne privée. A partir du x^ siècle, partout oiî il y a bénéfice il y a
vasselage fp. 34, 35). Le vassal reçoit le bénéfice en récompense de ses
services. Le régime féodal est devenu, au sens technique, la féodalité,
institution dans laquelle bénéfice et vasselage sont intimement con-
fondus. Grâce au vasselage, le régime bénéficiaire allait briser le moule
de la constitution. L'obhgation de services d'intérêt privé, née d'un
contrat et réglée par lui, allait succéder aux devoirs d'intérêt public
réglés par la constitution. C'est ainsi que le service militaire, d'institu-
tion d'ordre public, est devenu une institution féodale. Pendant la pre-
mière moitié du moyen âge, la prestation du service mihtaire due par
tous les sujets, bien que n'ayant pas entièrement perdu son caractère
public, est devenue l'obligation à laquelle sont tenus tous les vassaux
aux termes de leur contrat; ce contrat obligeait les vassaux tout d'abord
au service militaire, il est la base d'une constitution militaire nouvelle
ISO COMPTES-RENDUS CillTlQllKS.
(1>, 29-30). Dans une autre dii-ection s'exerce encore l'influence du
régime féodal. Dès le x« siècle, le fonctionnarisme tend à disparaître: la
fonction elle-même est donnée en fief. Depuis la plus humble, celle du
scitullliciss et de )ncici', jusiju'à la plus élevée, celle de comte ou de duc,
la fonction, au lieu d'être déférée par mandat (commission), l'est par
concession (investiture) (p. 2i-20). Go fait entraîne nécessairement la
désorganisation ou mieux la ruine de l'administration. Par nature, la
fonction est un mandat, son nom signifie devoir de celui auquel elle a
été confiée. Dès que la fonction est devenue l'objet de la concession
féodale, de devoir elle est devenue un droit du concessionnaire. La
considération de l'intérêt public qui est l'élément essentiel de la fonc-
tion s'efface devant la considération de l'intérêt privé, suivant laquelle
la fonction est destinée à servir aux vues personnelles de celui qui en
est revêtu. Il suit de là que la charge donnée en fief va devenir hérédi-
taire; de propriété sociale, elle va devenir propriété d'une famille; le
devoir féodal est désormais substitué au devoir fonctionnel. Ce n'est
pas la charge en elle-même qui oblige, mais seulement le contrat privé,
c'est-à-dire le contrat de vasselage qui a été conclu en vue de l'acquisi-
tion de la charge : il n'y a plus de fonctionnaires, il n'y a plus que des
vassaux. A l'administration avec ses fonctionnaires à tous les degrés,
succède l'administration féodale; bref, l'ancienne administration et
l'ancienne constitution militaire de l'empire ont disparu.
C'est la royauté qui devait le plus profondément ressentir les effets
du régime féodal. Ce régime lui enlevait du même coup l'adminis-
tration, dans les cadres de laquelle entrait une aristocratie frondeuse,
et l'armée, dont le roi était le chef immédiat. Désormais, pour mobiliser
l'armée des vassaux, le ban royal ne suffisait plus ; il fallait encore le
ban de tous les seigneurs féodaux.
Il ne faudrait pas perdre de vue que, dans la période historique traitée
par Waitz, les conséquences du régime féodal ne sont point encore
poussées à leur limite extrême ; tandis qu'en France au x« siècle, sous
les derniers et débiles Carolingiens, le régime féodal est définitivement
établi et qu'en réalité le roi n'est plus roi que de ses domaines et de ses
possessions immédiates, l'Allemagne, du x^ à la moitié du xu^ siècle,
présente le spectacle d'un Etat en somme encore assez bien organisé,
ayant à sa tête un roi qui peut agir; il est vrai que la logique avec
laquelle elle s'abandonnera aux conséquences de la féodalité n'en sera
que plus irrésistible.
Le phénomène historique qui vient d'être décrit est d'autant plus
singulier que déjà dans cette période, V Unterthanenverband semble
rompu et l'ancien organisme administratif détruit. Waitz montre dans
le 7« volume que les hauts dignitaires de l'empire, ducs, comtes pala-
tins, comtes se sont dépouillés de leur caractère de fonctionnaires;
l'hérédité des charges s'est établie. Ce n'est pas l'intérêt du roi, c'est
l'intérêt de la famille qui fait désigner le successeur et le roi dispose de
la charge seulement au moment de la concession ; il la voit du même
G. WAITZ : DEUTSCHE VRaFASSUNOSGESCHICHTE. -184
coup sortir de ses mains et passer à celles d'un vassal non éprouvé. Pas
plus que la libre nomination, le roi n'a la libre déposition du fonction-
naire. Comme en vertu de l'investiture, la charge est devenue un droit
du concessionnaire, le roi ne peut plus la reprendre à volonté, mais
seulement dans les cas prévus par le droit féodal, en cas de félonie, par
exemple, c'est-à-dire lorsqu'il y a eu crime. L'intérêt seul de l'adminis-
tration n'est pas suffisant pour pouvoir déposer un fonctionnaire puisque
ce n'est pas à l'administration de l'empire que doit profiter la charge,
mais seulement à la situation privée du concessionnaire. De même que
les comtés, les duchés et les comtés palatins « vont être le point de départ
de la formation des puissances territoriales (v. VII, p. 181), » dans les
fonctionnaires le roi n'a plus un corps de serviteurs ; le régime féodal
en fera des princes.
Avec le lien des fonctionnaires se brisait également le lien des sujets.
Les conclusions qu'on a tirées plus haut relativement à l'ancienne
constitution militaire reçoivent une force nouvelle des dispositions
juridiques concernant le serment de fidélité, c'est-à-dire le serment des
sujets. A l'époque franque, le roi exigeait le serment de fidélité de tous
les sujets libres sans distinction, ce qui signifiait que tout homme libre
était un sujet immédiat, direct, du roi. Waitz montre (VI, 382 et s.) que
déjà dans cette période un profond changement s'est opéré en cette ma-
tière. Le serment général de fidélité est encore prêté au roi, mais seule-
ment par les grands de l'empire et peut-être aussi — la chose est en
effet douteuse — par les chevaliers libres de la première classe (p. 390);
toujours est-il que les chevaliers non libres (les ministeriales) et toute
la masse des paysans libres et des bourgeois n'étaient pas tenus de
prêter le serment des sujets. Il est bien encore çà et là question d'un
serment exigé des habitants des villes dans un but déterminé (p. 391,
note 1), mais point d'un serment exigé du peuple entier (p. 391). Le
régime féodal, qui transformait les droits inhérents à la fonction en un
droit appartenant au fonctionnaire, transforme les sujets immédiats du
roi en sujets du fonctionnaire, duc ou comte. Il y a désormais lieu de
distinguer entre les sujets immédiats et les sujets médiats de l'empire
et l'autorité royale ne s'exerce plus que sur les premiers. Bref, le roi
allemand n'a plus ni fonctionnaires ni (le peuple étant pris en masse)
sujets. Comment dès lors s'expliquer que le roi allemand, pendant la
première moitié du moyen-âge, soit pourtant une puissance imposante,
capable non-seulement de gouverner l'empire, mais encore d'entre-
prendre la lutte avec la papauté, c'est-à-dire la lutte la plus grandiose
que présente l'histoire du monde ? Il faut évidemment faire leur part
aux hautes personualités qui pendant cette période, et d'une manière
continue, se succédèrent sur le trône. Ces temps furent l'âge héroïque
de la royauté allemande ; les rois, grâce à la crainte respectueuse qu'ils
imposaient, suppléaient aux défauts des institutions. On s'explique
aisément dès lors la vie que mène le roi allemand pendant cette période.
Infatigable, sans résidence fixe, il va, escorté de sa maison, d'une ville,
182 roMPTKs-UENnus cuitiques.
d'un palais à l'autre. Waitz montre très-l)ien (VI, p. 38'i) qu'il n'en
pouvait être autrement puisque le roi n'était plus représenté et qu'il n'y
avait plus (l'administration publique. Le roi, n'ayant plus do subordon-
nés, devait lui-même aller ])art(nit, tMre l'unique l'onctionnairo et runi(iue
serviteur de l'Etat; la nécessité de son onmipotence était une consé-
quence de la désorganisation des services administratifs.
S'il est vrai que, par ses qualités personnelles, le roi pût, dans une
certaine mesure, suppléer à l'impuissance de la Constitution, il ne pou-
vait cependant absolument se passer de moyens de gouvernement. Ces
moyens, — et c'est là que se trouva la solution de la diiliculté, — la
royauté allemande les trouva dans l'Eglise. Phénomène historique vrai-
ment singulier! Le roi remplace ses fonctionnaires par le clergé. Par un
remarquable enchaînement de circonstances, les fonctionnaires ecclé-
siastiques vont agir en qualité de fonctionnaires impériaux, tandis que
les biens d'Église vont remplacer le domaine. Les recherches de Waitz
(VI, p. 269 et s., VII, p. 183 et s.) viennent confirmer les pénétrants et
féconds arguments présentés par Ficker dans son excellent travail sur
le droit de propriété de l'empire sur les biens ecclésiastiques {AbhancUg,
der Kais. Akademie zu Wien^ Phil. hist. Classe. Bd. 72, p. 55 et s.). Le
clergé « prit la première place à la cour ainsi que dans le gouvernement
de l'empire » (VI, p. 2G9). Il faut chercher la raison de ce fait dans l'o-
bligation du service militaire à laquelle l'aristocratie ecclésiastique était
plus étroitement tenue que l'aristocratie laïque. De même l'obligation
de se rendre au conseil du roi est nettement délimitée en ce qui con-
cerne les princes séculiers; ils n'ont à s'y rendre qu'aux grands jours
que le roi convoque habituellement aux jours de fête pour régler de
concert avec les grands les intérêts généraux de l'empire (VI, p. 321
et s.). Aller au conseil est au contraire, pour les princes ecclésiastiques,
une obligation non limitée. Les évêques restent à la cour aussi long-
temps qu'il plaît au roi, un an parfois, « parce qu'ils sont les organes
vitaux du gouvernement impérial » (VI, p. 295 et s.), les vrais ministres
de l'empire, les hauts fonctionnaires. Ils ont pris la place qu'occupaient,
pendant la période franque, les fonctionnaires de la cour, le maréchal,
le chambellan, le référendaire, le comte du palais et surtout (à l'époque
mérovingienne) le maire du palais.. Lorsque, dans cette période, il est
question d'un majordomus ou d'un vicedominus, c'est-à-dire du premier
fonctionnaire de la cour placé au centre du gouvernement, c'est un
évêque qui en occupe la charge (VI, p. 303 et s.). D'ailleurs les hauts
emplois civils de la cour sont passés aux mains des ducs (VI, p. 264
et s.) et ne sont plus dès lors effectivement remplis par eux. Le service
à la cour est fait par des ministeriales , c'est-à-dire par des gens sans
influence. Gela ne veut pas dire que par moments, par exemple sous le
règne de Henri IV, ces ministeriales^ en qui le roi a mis sa confiance,
ne puissent s'élever et prendre une part importante dans le gouverne-
ment (VI, p. 292, 309), mais cette influence heurtait les traditions et le
gouvernement de l'empire resta en somme aux mains de la haute aris-
G, WAITZ : DEUTSCHE VERFASSUNOSGESCHICHTE. 483
tocratie et d'abord de l'aristocratie ecclésiastique. Le chancelier de
l'empire, comme déjà à l'époque carolingienne, fut un ecclésiastique.
L'archevêque de Mayence était archevêque de l'empire pour l'Alle-
magne, l'archevêque de Cologne pour l'Italie, l'archevêque de Besançon
sous Henri III pour la Bourgogne (VI, p. 284 et s.). La période où nous
entrons se distingue en ce que non-seulement la charge de chancelier,
mais encore toutes celles que comprenait l'administration générale de
l'empire, sont peu à peu aux mains des ecclésiastiques. Les hauts fonc-
tionnaires civils ont fait place au clergé. La chapelle royale dans
laquelle étaient élevés les ecclésiastiques devient « une école où ils sont
formés plutôt en vue du service de l'Etat qu'en vue du service de
l'Eglise » {VI, p. 269 et s.). L'obligation du service militaire, celle de
garnir la cour du roi, bref les prestations de services effectifs dans l'in-
térêt de l'empire pesaient bien plus lourdement sur le clergé et les
biens d'Eglise que sur les vassaux laïques du roi. Les monastères immé-
diats (royaux) étaient la propriété du roi qui en pouvait disposer à vo-
onté (Vn, p. 189 et s.), les aliéner, les donner en fief même à des laïques
— droit contre lequel s'élevaient, il est vrai, maintes protestations, —
9mployer enfin leurs revenus comme bon lui semblait, dans l'intérêt de
l'empire. Les possessions des monastères immédiats deviennent donc
une sorte de domaine royal et leurs abbés prennent le nom de maires
^villici) du roi (p. 194). Ficker, dans le travail cité plus haut, arrive aux
mêmes conclusions en ce qui concerne les églises épiscopales; ces
églises, d'après lui, avec toutes leurs possessions, auraient été la pro-
priété du roi. Il s'appuie principalement sur ce que, dans l'investiture
des évêques de l'empire, l'évêque recevait en quelque sorte en fief le
bien ecclésiastique de l'empire des mains du roi. Waitz s'élève nette-
ment contre cette assertion (VU, p. 194-265); il faut reconnaître, d'ail-
leurs, que ce point n'est pas encore suffisamment éclairci. Waitz oppose
avec raison que les sources ne désignent pas les évêchés impériaux par
les mêmes termes que les abbayes impériales et qu'il n'y a pas d'exemple
qu'un évêché ait été transféré à un laïque (p. 199). L'investiture par le
roi dérive des droits de souveraineté du roi (p. 198) ; il en est de même
du consentement qu'il donne à des contrats d'échange ou autres tran-
sactions juridiques (p. 201). Quoi qu'il en soit, il est certain que les
possessions épiscopales impériales étaient soumises à des obligations
fort étendues vis-à-vis de l'empire, et que notamment le service mili-
taire et autres prestations d'ordre public pesaient plus lourdement sur
les biens ecclésiastiques impériaux que sur les possessions laïques et
qu'en conséquence, du moins en fait, les biens d'Église impériaux
constituaient une sorte de domaine impérial.
La situation de l'Eglise d'Allemagne vis-à-vis de l'empire a donc
permis pendant quelque temps à la royauté allemande de gou-
verner.
La royauté devait tomber du jour où, par suite de sa lutte avec l'Eglise,
l'appui de cette dernière viendrait à lui manquer.
184 COMPTES-RENDOS CRITIQUES.
L'adversaire de la royauté est la principauté; on peut étudier la prin-
cipauté à un double point de vue.
D'une part, la principauté limite la royauté dans le gouvernement de
l'empire ; c'est ce qu'indique très-bien Waitz (VI, p. 321 et s.) dans le
tableau qu'il fait des .Grands jours (Hoflaqe). Goi^ Jours deviendront plus
tard les diètes (Reicli stage). Les conditions auxquelles on a le droit de
participer à ces assemblées ne sont, il est vrai, pas encore nettement
fixées, non plus que la compétence de ces assemblées. C'est encore le
roi qui, de sa propre autorité, arrête la liste et le nombre des membres
de l'assemblée, et indique les alîaires que l'on y traitera. Ces grands
jours n'ayant pas encore le caractère de diètes, il s'en suit que le fait d'y
participer nait plutôt de l'obligation de se rendre k l'invitation que d'un
droit. Le caractère des diètes y est déjà sensible, comme on en peut
juger par les vœux émis par les princes, sous Henri IV, tendant à ce
que les affaires d'État ne puissent être réglées sans avoir été soumises
à la discussion générale (p. 348). A la même époque on rencontre, en
opposition avec la royauté, des diètes composées seulement de princes
et qui affirment la politique indépendante des grands (p. 341-342). Déjà
les princes commencent à se considérer comme co-dépositaires du pou-
voir central et les grands jours servent, dans les grandes circonstances,
à maintenir l'autorité des princes en face de celle du roi.
C'est en se plaçant à ce même point de vue qu'il faut étudier l'en-
semble de la législation de cette époque (VI, 431 et s.). L'un des pre-
miers devoirs de l'empire du moyen-âge est d'assurer le maintien de
l'ordre. Pour atteindre ce but, il fallait réformer le droit criminel; à
l'ancien droit criminel et privé, avec son système de compositions,
devait succéder un droit criminel public avec un système de pénalités.
Cette réforme est l'œuvre de la législation de cette période. Dès Henri IV
et Henri V, à la paix de Dieu la puissance publique adjoint un ensemble
de peines qui atteignent certains crimes d'une haute gravité. Cette légis-
lation criminelle est introduite sous la forme d'un serment par lequel
les grands de chaque province s'engagent à observer le « Landfrieden »
c'est-à-dire ces dispositions pénales. Elles reçoivent, d'ailleurs, une
force nouvelle de l'autorité royale, bien que le roi ne soit guère que par
exception intervenu dans leur confection. Les vrais auteurs de cette
législation sont les princes qui, en leur qualité de représentants des
provinces, s'accordent entre eux sur les articles de cette législation cri-
minelle et leur donnent force de loi en jurant d'y obéir <.
Les princes avaient peu à peu éloigné le roi du gouvernement des
provinces. Le pouvoir local était devenu droit privé (féodal) aux mains
1. Dans ce même chapitre (VI, ]). 362-804) Waitz donne de nombreuses indica-
tions sur le développement du droit en général et sur l'application des capilu-
laires et des coutumes dans l'empire franc. Remarquons, en passant, que « jus
gentium » ne signifie pas, comme Waitz l'avance (p. 408), « Volkerrecht », mais
« Landrecht ».
G. WAITZ : DEUTSCHE VERFASSUNGSGESCeiCHTE. ^85
des princes; c'est ce pouvoir local indépendant qui, au moyen-âge,
constituait l'élément essentiel du duché, du comté et du principat ecclé-
siastique.
Parmi les princes et pendant cette période, ce sont encore les ducs
qui ont la plus haute situation, bien que, d'après Waitz( VII, p. 98 et s.)
cette situation ne fût pas partout la même. Le duc de Bavière exerçait
sur les évêques et les comtes de son duché une autorité bien autrement
énergique que le duc de Saxe. Même les margraviats sont soumis au
duc bavarois, tandis que sauf la marche au nord de l'Elbe, ils sont indé-
pendants du duc de Saxe. Ce qui est commun à tous les territoires,
c'est que le duc est le chef de son peuple et qu'il a sur lui des droits
analogues à ceux du roi sur l'empire. Il exige des évêques et des comtes
qu'ils garnissent sa cour et forment son armée, il a la haute justice et
veille au maintien de l'ordre dans la province comme le roi dans l'em-
pire.
La conséquence de la situation en quelque sorte royale du duc est
que les comtes et les évêques sont ses adversaires naturels tout comme
eux-mêmes le sont du roi; de là la dissolution des duchés territoriaux
au xiie siècle. Les comtes et les évêques de cette période préparent le
terrain aux princes de la période postérieure. Le comté est déjà une
puissance seigneuriale locale et il a essentiellement modifié son carac-
tère primitif. Ce n'est plus que par exception qu'apparaît encore le
comté de district. En général (p. 21) le comté de district s'est dissous
au profit de la grande propriété foncière. Celle-ci forme ou bien un ter-
ritoire indépendant (baronnie) au sein du comté même, c'est-à-dire
qu'elle n'est plus soumise qu'à la haute juridiction du comte, c'est-à-
dire du landgrave (VII, p. 61); ou bien la grande propriété est absolu-
ment distincte du comté et forme un comté séparé ; il s'en suit que les
comtés se réduisent d'ordinaire à la grande propriété du comte. De l'an-
cien comté de district est issu un comté domanial qui, dès lors, ne tire
plus son nom, comme autrefois, du district, mais du château du comte
(VII, p. 22). Cette évolution au sein du comté s'est surtout accomplie au
profit de la propriété foncière ecclésiastique. Pendant cette période les
privilèges conférés par les Othons donnent aux abbayes au lieu de
l'ancienne immunité tous les droits du comte sur leurs possessions
(VIT, p. 230 et s.). A côté des comtes laïques on trouve des évêques
et des abbés qui exercent les droits du comte sur leurs biens.
C'est ainsi que dans la plupart des cas, aux mains des laïques comme
aux mains des ecclésiastiques, se sont confondus les pouvoirs du comte
et ceux du propriétaire foncier et que de cette confusion est née la puis-
sance seigneuriale territoriale. Déjà dans cette période les seigneurs
territoriaux commencent à devenir sur leurs territoires une puissance
publique; leurs sujets leur prêtent serment; ils ont des petits et grands
jours, des fonctionnaires (Vil, p. 307 et s.).
Waitz s'est livré à de profondes recherches sur une institution toute
de transition de cette période, Yavouerie (vogtei) (VII, p. 320 et s.)-
<86 coMrTES-iiE^niJS critiques.
L'cxcrcico de la puissance seigneurialo territoriale sur les biens ccclé-
siasticjues, c'est-à-dire dans les territoires ecclésiastiques, n'était pas
laissé au seigneur territorial lui-même, évoque ou abbé, mais confié à
un seigneur laïque, l'avoué (vogt). L'avoué avait le droit de justice, rece-
vait le serment des sujets ainsi que des prestations et des services
(p. 352). Gomme ces pouvoirs d'avoué aux mains d'un seigneur laïque
voisin, de simples pouvoirs administratifs qu'ils étaient, tendaient à
devenir pouvoirs seigneuriaux territoriaux, on s'explique pourquoi les
seigneurs territoriaux ecclésiastiques étaient en conflit permanent avec
leurs avoués et cberchaient à les écarter. Pendant cette période ils réus-
sissent déjà à réduire leurs pouvoirs; c'est ainsi que l'avoué ne préside
plus que les vrais tribunaux (p. 354 et s.). Enfin l'avoucrie disparait
laissant le seigneur ecclésiastique devenir seigneur territorial et prince
de son territoire.
Le développement dos villes devait avoir une tout autre importance ;
pendant cette période les traits principaux de cette évolution se déga-
gent. Waitz cite une série de libertés (VII, p. 374 et s.) qui ont été déjà
concédées aux villes : privilèges en matières de marchés, de juridiction,
libération d'impôts. En France l'éveil des villes donne naissance aux
« communes » (p. 369), c'est-à-dire communautés s'administrant elles-
mêmes. En Allemagne, c'est seulement dans la période suivante qu'ap-
paraît le « conseil » au moyen duquel la ville arrivera à se gouverner
elle-même et qui, brisant les liens du système féodal, donnera naissance
sur les ruines de l'ancien état social à une constitution politique nou-
velle.
Cette esquisse de l'organisme constitutionnel de l'Allemagne suffira
peut-être à faire juger de l'abondance des idées qui, directement ou
indirectement, se dégagent de l'énorme quantité de faits rassemblés par
Waitz.
Rudolph SoHM.
Jean Juvénal des Ursins, historien de Charles VI, évêque de
Beauvais et de Laon, archevêque duc de Reims ; étude sur sa
vie et ses œuvres, par l'abbé P.-L. Péchenard. Paris, Ernesl Tho-
rin, ^876, in-8% 468 p. — Prix : 6 fr.
Aux xn'« etxve siècles, il y a peu d'exemples d'une famille qui se soit
plus rapidement poussée aux honneurs et à l'opulence que celle des
Jouvenel, de Troyes, plus connue sous le nom de Juvénal des Ursins.
Le premier membre de cette famille dont l'histoire ait suivi la trace,
Pierre Jouvenel, qui vivait en 1360 à Troyes, paraît avoir appartenu à
la bonne bourgeoisie de cette ville, et M. Péchenard ne manque pas de
faire remarquer à ce propos que « le travail n'avait pas cessé d'être en
honneur dans la Champagne. » Les Jouvenel n'arrivèrent à une véri-
table illustration qu'avec Jean Jouvenel, le .second fils de Pierre. Après
P.-L. PÉCHENARD : JEAN lOVÉNAL DES URSINS. iS7
avoir pris ses degrés en droit civil à l'Université d'Orléans, Jean vint
étudier le droit canon à Paris, « cette Athènes de l'Occident », comme
dit M. Péchenard.
L'auteur de letude dont nous rendons compte ajoute que Jean Jou-
venel fut reçu conseiller au Ghâtelet le 8 janvier 1380 ; c'est le 8 jan-
vier 1381 qu'il fallait dire. On a puisé ce renseignement dans l'histoire
généalogique du Père Anselme^, sans prendre garde que les dates,
données dans cet ouvrage conformément à l'ancien style où l'année
commençait à Pâques, doivent toujours être ramenées à notre manière
actuelle de compter.
Le 20 juin 1386, le jeune conseiller au Ghâtelet épousa Michelle de
Vitry, nièce du fameux Jean le Mercier, de Gisors, alors grand maître
d'hôtel de Charles VI. Ce fut surtout grâce à ce brillant mariage que
Jean Jouvenel s'avança dès lors d'un pas rapide dans la voie de la for-
tune. Deux ans ne s'étaient pas écoulés depuis son union avec Michelle
de Yitry qu'il était nommé prévôt des marchands de Paris. Du reste, par
son activité, son énergie, son amour du bien public, il se montra digne des
hautes fonctions où la protection de Jean le Mercier l'avait fait appeler.
Jean le Mercier était la tête et l'âme dirigeante de ce conseil de gouverne-
ment où figuraient aussi Jean de Montagu et Arnaud 2 de Corbie, ces
magistrats formés à l'école de Charles V, que la haine des oncles du roi
avait flétris de la qualification de Marmousets. Dans l'exercice de ses fonc-
tions de prévôt des marchands, Jean Jouvenel sut se rendre si popu-
laire qu'il put échapper à la disgrâce dont fut frappé son protecteur, en
1392, lorsque les ducs de Bourgogne et de Berry s'emparèrent du pou-
voir. Quelques années plus tard, il reçut même en don de la ville,
comme témoignage de la reconnaissance de ses administrés, l'hôtel des
Ursins dont le nom finit par être accolé vers le milieu du xv^ siècle à
celui qu'il transmit à ses enfants. En 1404, après une administration
qui n'avait pas duré moins de seize années, Jean Jouvenel fut relevé
de sa charge de prévôt des marchands et devint avocat général au Par-
lement. Au mois d'août 1413, il se mit à la tête du mouvement qui
aboutit à la défaite du parti cabochien et au renversement de la tyran-
nie sanguinaire des bouchers. Pour récompenser le courageux magis-
trat, le dauphin Louis, duc de Guyenne, l'attacha à sa personne en
qualité de chancelier et lui confia l'office, alors très-important et très-
recherché, de la conciergerie du palais. C'est en 1415 que Jean Jouve-
nel et surtout son fils aine, nommé Jean Jouvenel comme son père,
celui-là même qui devait être l'historien du règne de Charles VI, vou-
lurent relever ce que leur origine avait d'un peu modeste, en se ratta-
chant aux Orsini, d'Italie. En cette année, quelques mois avant Azin-
court, Berthold des Ursins, grand comte de Hongrie, ayant fait un
1. Hist. (/cnéal., VI, 403-
2. C'est sans doute par distraction que M. Péchenard (p. 23) a appelé le cé-
lèbre premier président : Armand de Corbie.
488 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
voyage ù Paris on compagnie de l'empereur Sigismond dont il était le
favori, Jean Jouvenel, chancelier du dau])hin, accueillit ce grand sei-
gneur étranger comme s'il eût été son parent et lui donna une fête
splendide en son hôtel des Ursins. Ainsi prit naissance au son des
instruments, « au milieu des jeux, farces et autres esbatemens », cette
légende des Jouvenel de Troyes, transformés en Juv&nal des Ursins,
branche française de la vieille et chevaleresque tige des Orsini d'Italie.
Ceci se passait à la veille d'Azincourt. A soixante ans d'intervalle,
cette journée néfaste renouvela le désastre de Poitiers, et la félicité pri-
vée de Jean Jouvenel subit le contre-coup des malheurs publics. Bien-
tôt la guerre civile ajouta ses horreurs aux maux de l'invasion étran-
gère. Le triomphe du parti bourguignon en 1418 obligea Jean Jouve-
nel à quitter Paris et à chercher un refuge à Poitiers. Il associa dès
lors sa fortune et celle des siens à la cause du dauphin. Aussi, dès
1423, Bedford, régent de France pour Henri VI, confisqua les biens
que Jean Jouvenel possédait en Champagne et les donna à Pierre de
Fontenay <. En mai 1425, une nouvelle confiscation le dépouilla de la
terre de Trainel ^ et de quelques autres seigneuries qui furent données
à Guillaume, seigneur de Châteauvillain^. M. Péchenard n'a pas connu
ces actes si importants pour la biographie de Jean I" Jouvenel. En
général, il ne paraît avoir fait aucune recherche ni dans les registres
du Trésor des chartes ni dans ceux du Parlement ni dans les collec-
tions, si riches pour cette période, des mandements et des quittances
de la bibliothèque nationale. Quelques faits nouveaux, puisés à ces
sources, auraient pourtant pris avantageusement la place de phrases
telles que celle-ci, par exemple : « Entre toutes les nations étrangères,
celle qui nous intéresse le plus, à cette époque, c'est notre éternelle
rivale, l'Angleterre-'. » Il suffit d'une réflexion de ce genre pour faire
juger le sens historique et l'à-propos politique d'un écrivain.
La partie la plus considérable de l'ouvrage de M. Péchenard est con-
sacrée à Jean II Jouvenel, l'archevêque de Reims et l'historien de
Charles VI. On trouve dans cette partie des détails intéressants et
parfois nouveaux sur la vie politique, l'administï'ation seigneuriale et
épiscopale de ce prélat qui fut successivement évêque de Beauvais de
1432 à 1444, évêque de Laon de 1444 à 1449, enfin archevêque de
Reims de 1449 au 14 juillet 1473, date de sa mort. Il y a dans la vie
publique de Jean II Juvénal, archevêque de Reims, un acte qui le
recommande surtout à notre estime et à notre* reconnaissance, c'est la
part qu'il prit en 1456 à la révision du procès de Jeanne d'Arc. M. Pé-
chenard n'ajoute rien à ce que l'on savait sur ce curieux épisode après
la belle publication de M. Quicherat ; mais il a éclairé d'un jour nou-
1. Arch. nat., sect. hist., JJ 172, n» 333.
2. Aube, arr. et c. Nogent-sur-Seiiie.
3. Arch. nat., sect. hist., JJ 173, n" 233 et 236.
4. P. 96.
VON D. ROPP : SKAîVDINAVISCeE GESCHICHTE D. XV. JAHRH, ^89
veau l'administration épiscopale et archiépiscopale d'un haut digni-
taire de l'église qui a joué un rôle assez important sous les règnes de
Charles VII et de Louis XI.
On n'en peut dire autant malheureusement du chapitre consacré à
l'histoire de Charles VI. C'est à notre avis un des plus faibles de l'ou-
vrage 1. Ce n'est pas que M. Péchenard n'ait porté un jugement équi-
table sur cette chronique considérée dans son ensemble ; mais il aurait
pu déterminer avec plus de rigueur les sources plus ou moins authen-
tiques où l'auteur a puisé ses informations, distinguer plus nettement
ce qui est original de ce qui est d'emprunt, enfin serrer davantage les
dates extrêmes de la composition de ce grand travail. Le caractère dis-
tinctif de l'œuvre de Jean Juvénal aurait en outre mieux ressorti, si
M. Péchenard avait pris soin de l'opposer aux autres chroniques qui
se rapportent à la même période.
Après l'histoire de Charles VI, le plus beau titre de gloire des Jou-
venel est leur amour pour les arts. C'est pour eux que fut exécuté de
1444 à 1449 le beau tableau représentant Jean I<"' Jouvenel, Michelle
de Vitry et les onze enfants alors vivants issus de leur union. Ce
tableau fait aujourd'hui partie du musée du Louvre dont il est un des
joyaux, et M. Péchenard a eu l'heureuse idée d'en donner un dessin
en tête de son livre. Ces treize figures vivent et parlent, et chacune
conserve un caractère individuel très-prononcé malgré certain air de
famille répandu sur l'ensemble. Un physionomiste lirait dans la finesse
des coins de la bouche et dans l'arc des narines les qualités de tact, de
perspicacité, de souplesse par où Jean Jouvenel, Michelle de Vitry
et leurs nombreux enfants s'élevèrent en moins d'un demi-siècle à une
si prodigieuse fortune. Un autre monument exécuté pour un membre
de cette famille, pour Jacques Juvénal, patriarche d'Antioche, le neu-
vième fils de Jean Jouvenel et de Michelle de Vitry, est cet incompa-
rable missel de 1450 que M. Firmin Didot, le digne possesseur de
ce chef-d'œuvre, avait cédé à la ville de Paris le 3 mai 1861 ; on sait
qu'il a péri dans l'incendie allumé par les chefs de la Commune, en
1871.
Siméon Luge.
Zur Deutsch-Skandinavischen Geschichte des XV. Jahrhunderts,
par G. Frhr. v. d. Ropp. Leipzig, Duncker et Humblot. ^876.
Ce travail a pour but de montrer comment l'œuvre de la reine Mar-
guerite, l'union des trois royaumes Scandinaves , fut compromise et
presque anéantie par son successeur, Eric le Poméranien. Appelé au
trône de Norwége par sa grand'tante Marguerite dans sa 6^ année, élu roi
de Danemark et de Suède à l'âge de quatorze, initié dans l'art de gouver-
ner par cette femme supérieure, ce triste roi ne parvint à montrer dans un
1. P. 92 à 134.
190 coMrrES-uKNnis r.iuriQi^Es.
règne ilo "27 années qu'une incapacité complète. Afin de soutenir les pré-
tentions du Danemark au duché de Slesvik contre les comtes de
Holstein, il employa les forces des trois pays dans une guerre de
vingt-trois ans, où par ses fautes militaires et sa diplomatie perfide il
finit par irriter ses sujets et par susciter des ennemis dangereux; enfin,
dans la paix de Vordingborg il fut contraint de céder le Slesvik au
comte de Holstein et de donner aux villes hanséatiqucs une influence
prédominante dans les ailaires Scandinaves. La rébellion des Suédois
ne ramena pas le roi Éric à de plus sains principes ; au lieu de faire
cesser les troubles dangereux par des concessions opportunes , il
compromit sa situation en cherchant à imposer un sien cousin
poméranien comme héritier des trônes Scandinaves , et lorsqu'on s'y
opposa, il abandonna brusquement ses royaumes et se retira à l'île de
Gotland, d'où il fit — mais trop tard — d'inutiles tentatives pour
reconquérir ses l'oyaumes perdus. Pendant son absence, les Danois et
les Suédois élurent des régents, et les Danois parvinrent enfin à faire
accepter le leur pour roi aux autres peuples; ainsi l'union fut renou-
velée, mais seulement en apparence et provisoirement; les tentatives
analogues, renouvelées par les rois suivants, échouèrent définitive-
ment.
L'auteur du beau travail dont nous rendons compte a mis à
profit les nouveaux matériaux fournis par les « Hanserecesse »
(publiés par lui-même en 1876); aussi a-t-il su mettre en lumière
les relations des villes hanséatiques avec les puissances du Nord, et
montrer comment ces républiques ont pu maintenir leur prépondérance
politique et commerciale au milieu des révolutions; et là est le prin-
cipal intérêt de son livre. M. v. d. Bopp a fort bien saisi la
différence entre le traité d'union de 1397 et celui de 1438 , et
dans cette circonstance il a vu plus juste que Jahn; mais pour
nous autres Scandinaves les réflexions de M. v. d. Ropp sur ce
point ne sont pas tout-à-fait neuves; on les trouve déjà chez Keyser
(Histoire de l'Eglise norvégienne pendant le catholicisme, 1858) et chez
M. Aschehoug (Institutions politiques de la Norvège et du Danemark^
1866j. Il faut ajouter que M. v. d. Ropp n'a pas connu ces devanciers,
qui lui auraient épargné beaucoup de recherches. Les mêmes remarques
peuvent s'appliquer à son appendice, intitulé « les sources historiques
suédoises au xv^ siècle». Il y a vingt-sept ans déjà que M. P.-A. Munch
a étudié le développement de l'historiographie suédoise dans un
excellent mémoire « sur les sources de l'histoire suédoise à l'époque
païenne » ; M. v. d. Ropp y aurait trouvé la source d'une notice d'Eri-
cus Olai, qu'il avoue ne pas comprendre (v. p. 169). Heureusement les
deux critiques sont presque tout-à-fait d'accord, et comme la thèse de
M. V. d. Ropp est tout autre que celle de Munch, les deux travaux
se confirment l'un l'autre. Ce qui est le plus méritoire dans l'ou-
vrage de M. V. d. Ropp, ce sont ses remarques sur la grande chronique
rimée, où il a su mettre à profit l'excellente édition de M. Klemming;
DELABORDE : ELEOXORE DE ROïE. ^91
il faut louer surtout la manière dont il a su distinguer le poème sur
Engelbrekt de celui sur le roi Karl.
Gustave Storm.
Éléonore de Roye, princesse de Condé (^ 535- 1364), par le comte
Jules Delaborde. — Paris, Sandoz el Fischbacher, ^876.
Est-ce une histoire édifiante, est-ce une étude morale, est-ce une
œuvre d'érudition que M. Jules Delaborde a offerte au public? La cou-
leur légèrement romanesque du début, le ton sévère et parfois mystique
du récit, l'emploi de termes appartenant à une langue spéciale (par
exemple auxiliarité p. 118 et 168), la partialité non dissimulée de cer-
taines appréciations, l'onction presque oratoire des dernières pages,
tout semble indiquer que l'auteur s'est moins préoccupé d'instruire que
de parler à l'âme, qu'il a voulu entretenir chez certains lecteurs la
conviction religieuse par le souvenir d'un grand exemple : « Dieu,
dit-il formellement dans sa conclusion, s'est voulu servir de la vie et
de la mort d'Éléonore de Roye comme d'un double modèle à suivre
dans la voie évangélique » (p. 267).
Louis de Bourbon, premier prince de Condé, nous était surtout connu
comme le chef politique des huguenots, comme un homme de guerre
et de cour : M. Delaborde a replacé à ses côtés une douce et touchante
figure, qui complète, par le contraste, la physionomie du prince devant
l'histoire. Mariée à seize ans, mère d'une postérité nombreuse, Éléonore
de Roye fut un type accompli des vertus domestiques à une époque et
dans une société où la corruption italienne avait envahi les familles
comme les cours. En quelques années, elle vit Condé tour-à-tour pré-
venu de haute trahison, condamné à mort, armé contre son roi, fait
prisonnier, et pour comble de malheur, ingrat jusqu'à l'outrage envers
la compagne dévouée de sa vie. L'âme et le caractère d'Éléonore réle-
vèrent au-dessus de toutes ces épreuves. Qu'elle multiplie ses démarches
en 1560 pour assurer la défense de son mari accusé, pour le voir et
communiquer avec lui; qu'en 1562 elle communique à tous, dans Or-
léans investi, son zèle et son ardent courage; qu'enfin sur son lit de mort
elle pardonne à l'époux infidèle, elle se montre vraiment héroïque par
deux vertus, deux qualités maîtresses, surtout en des temps comme
ceux où elle vécut : l'enthousiasme et la résignation. Ce drame domes-
tique, qui se joue au second plan, derrière la grande tragédie politique
et religieuse, qui s'y mêle par instants, a été exposé ici dans ses diverses
péripéties, avec un luxe de détails dont l'ensemble est d'un réel et puis-
sant intérêt.
De telles vies se recommandent par elles-mêmes, et ne veulent point
être commentées comme un texte pieux ; M. Delaborde eût pu laisser
plus souvent à ses lecteurs le soin de conclure, de tirer du récit, sui-
vant leurs impressions personnelles, la réflexion ou la leçon qui s'en
^92 r.oMPTKs-RENnrs nuTiQCEs.
dégage. C'est surtout à ses recherches multiples, patientes, qu'il con-
vient de rendre hommage. Son livre est vraiment puisé aux sources, et
les documents imprimés sont constamment contrôlés et complétés par
les documents manuscrits. L'auteur a réuni aux lettres d'Eléonore de
Roye déjà connues et imprimées çà et là d'autres lettres inédites et
assez nomhreuses (p. 29, 30, 34, G% 154, 160, 176, etc.); il a feuilleté la
précieuse collection des Calcndars of State papers, il est allé frajtpcr à la
porte des archives de Venise, de Stuttgard, de Genève, de Berne, de
Strasbourg ; et des notes claires, précises, nous apportent au bas de
chaque page la justification de ses découvertes'. Ses informations sont
complètes, si complètes même que les pièces originales se succédant
coup sur coup laissent désirer une intervention plus fréquente de sa
part : je ne parle pas d'un appendice de 39 numéros, où se trouvent
rejetés les documents qui auraient trop retardé la marche du récit. Il
s'en suit, et M. Delaborde ne s'est pas dissimulé cet inconvénient, que
la vie d'Eléonore de Roye se perd un peu au milieu de l'histoire géné-
rale, que bien d'autres personnages du temps prennent successivement
la parole. On aurait, du reste, mauvaise grâce à ne pas les écouter ; car
plusieurs de ces digressions, habilement rattachées au récit, concernent
des épisodes encore mal connus des guerres religieuses. Je signalerai
entre autres le tableau de la mission de la comtesse de Roye, mère de
la princesse de Condé, auprès des princes allemands (p. 129-136, 217-
226). M. Delaborde a écrit là par avance un chapitre de cette histoire
des invasions germaniques en France à la fin du xvi^ siècle qui est en-
core à faire. Cette érudition vaste et sûre d'elle-même, cette connais-
sance approfondie de l'époque qui se révèlent partout, étaient nécessaires
pour nous faire oublier que nous avions sous les yeux plutôt une bio-
graphie pieuse qu'une œuvre historique rigoureusement impartiale et
s'adressant à tous. ^ ^
L. PiNGAUD.
Le cardinal Du Perron, orateur, controversiste, écrivain. Études
historiques et critiques par M. l'abbé P. Feret, docteur en théo-
logie, chanoine honoraire d'Évreux, aumônier du lycée Henri IV.
Paris, Didier, 1877, in-8" de ix-452 p.
L'étude de M. l'abbé Feret sur le cardinal Du Perron n'est pas, à
proprement parler, une biographie. « Nous avons préféré, pour mieux
connaître l'homme, » dit l'auteur (Avant-propos, p. v), « nous mouvoir
entre de plus larges limites. Saisir les principaux traits de cette grande
1 . Parmi ces notes, il en est au moins une sur laquelle je ferais des réserves.
Je lis p. 61 et 71 : Mémoires de Tavanes, ch. XVI. 11 n'y a pas d'édition cor-
recte et complète de ces Mémoires où le texte soit divisé en chapitres numérotes.
M. Delaborde s'est évidemment servi de l'édition tronquée qui a paru dans 1 an-
cienne collection de Mémoires sur l'histoire de France.
p. FERET : LE CARDINAL DU PERRON. 193
figure, la mettre en regard des contemporains, apprécier le milieu où
la vie s'écoulait, où les facultés intellectuelles se développaient, exami-
ner les œuvres avec les circonstances qui les ont fait naître, marquer
l'influence subie, comme l'ascendant exercé et l'impulsion donnée, tels
ont été notre but et notre cadre. »
Ce but a été atteint, ce cadre a été rempli. M. l'abbé Feret, qui avait
déjà étudié en Du Perron le diplomate ^, étudie successivement ici le
poète, l'orateur, le controversiste-conférencier et le controversiste-écri-
vain. Ces quatre notices spéciales sont précédées de quelques pages
consacrées aux premières années du futur cardinal et suivies d'un épi-
logue qui renferme le récit de ses derniers instants. Dans l'appendice
(p. 371-393), l'auteur s'occupe de Du Perron épistolographe , surtout
d'après ses lettres inédites. Enfin, le volume est complété (p. 395-447)
par neuf notes, où sont réunis : 1° des renseignements divers sur les
démarches faites à Rome par le cardinal Du Perron en faveur de VHis-
toire du président de Thou, menacée d'une condamnation (p. 411-422),
sur les diverses éditions des ouvrages du cardinal (p. 423-425), etc.;
2° des citations tirées du Recueil historique de dom Beaunier, d'un
opuscule de Jean de Sponde, des poésies d'Honoré de Laugier, sieur do
Porchères, du Perroniana, et de quelques pièces inédites conservées à
la Bibliothèque nationale (fonds Dupuy, no^ 477 et 591, fonds français,
n» 19129), pièces qui appartiennent à la jeunesse littéraire de Du Per-
ron, et qui sont généralement assez médiocrespour justifier la modestie
avec laquelle l'auteur avait renoncé à les publier, leur appliquant sans
doute le mot de V Écriture : « Ne vous souvenez pas des péchés de ma
jeunesse^. »
On pourra contester quelques-unes des assertions de M. l'abbé Feret;
nul ne dira qu'il n'a pas consciencieusement préparé son livre. Ses lec-
tures ont été immenses, non-seulement dans les livres imprimés, même
les plus rares 3, mais encore dans les manuscrits. Parmi ces derniers,
1. Henri IV et l'Eglise (Paris, Didier, 1875, 1 vol. in-g"). Voy. sur ce livre la
Revue critique du 4 décembre 1875, p. 360-362.
2. Si j'examinais le volume de M. l'abbé Feret dans un recueil autre que celui-
ci, qui est purement historique, je reprocherais à ce critique de trop priser le
talent poétique de Du Perron. M. Weiss [Biographie universelle) rappelle que
l'abbé de Longuerue trouvait les poésies de Du Perron affreuses. Il y avait là
trop de rigueur, de même que chez M. l'abbé Feret il y a trop d'indulgence.
3. M. l'abbé Feret a fouillé jusfpie dans la Généalogie de la maison des sieurs
de Larbour, dits depuis de Cornbauld, par d'HoziER (Paris, 16-28), pour trouver
une pièce de vers du jeune Du Perron, avec ce titre : A Monsieur de Cornbauld,
sur (e pourtraict de son bisayeul, 1581. Afin de montrer mieux encore combien
il a été bon chercheur, je dirai qu'il a réussi à mettre la main sur une seconde
édition du fameux livre de Ph. de Mornay, seigneur du Plessis : De l'institu-
tion, usage et doctrine du Sainct-Sacrement de l'Eucharistie en l'église an-
cienne (1 vol. in-8% 1598, La Rochelle, chez Hierosme Haultin), seconde édition
qui n'est indiquée ni dans les Biographies de Michaud et de Didot, ni dans le
ReV. HiSTOR. V. ler FASC. 13
494 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
je citerai Vllistoire du cardinal Du Perron par Antoino Aubery (Biblio-
thèque nationale, fonds français, n» 5808) ; la correspondance du prélal
(Biblioth^iuo nationale, fonds Dupuy, n"» 72, 591, fonds français,
n" 3491; Bibliollièquo de l'Institut, collection Godefroy, n" 265; collec-
tion d'autograplios de M. Ghambry); les œuvres posthumes de Du
Perron (Bibliothèque nationale, fonds français, n»^ 12446-12447); k
Recueil de Loisel (Ibid., fonds latin, n°« 17179-17180); les papiers de
famille communiqués par M. le comte d'Auxais (lettres , testament,
pièces relatives au château de Bagnolet, qui était la propriété du car-
dinal) ; les Mémoires sur le Cokniin par Toustaint de Billy (Bibliothèque
de Caen); VAthens Normannorum du P. François Martin (même biblio-
thèque); les Mémoires pour servir à l'histoire des archevêques de Sens
par l'abbé Fenel (Bibliothèque de Sens), etc.
L'abondance des sources consultées, en dehors des manuscrits, pai
M. l'abbé Feret, est particulièrement visible dans les pages où il i
indiqué les témoignages favorables et défavorables à son héros (Avant-
propos, p. x-xvi). On relèverait bien peu d'omissions dans ce piquan
résumé de tout le bien et de tout le mal que l'on a dit de Jacques Dav^
Du Perron <. Gomme M. l'abbé Feret n'a pas eu l'intention de suivn
jusque parmi nous les deux courants contraires qui nous ont apporté L
nom et le souvenir du cardinal 2, il ne faut pas lui faire un grief di
n'avoir pas mentionné un critique qui, tour-à-tour, a laissé chacun di
ces courants arriver dans un de ses ouvrages. Je veux parler de M. Ber
ger de Xivrey qui, après s'être plu à rappeler [Recueil des lettres mis
sives de Henri IV, 1848, t. IV, p. 231) les paroles plus que sévères don
Jacques-Auguste de Thou se sert pour caractériser en Du Perron l
courtisan complaisant, flatteur, impudemment effronté [ferrea frbnti
Manuel du Libraire, ni dans la France protestante. La découverte bibliogra
phique de M. l'abbé Feret est la juste récompense d'un zèle qui ne recule devan
aucune fatigue.
1. M. René Kerviler {Polybiblion de février 1877) a signalé (p. 147) une omissioi
qui n'a rien de bien grave, comme il l'a remarqué lui-même, l'omission du Che
vraeana. Ce qui serait plus sérieux, ce serait l'omission du témoignage de Tal
leroant des Réaux [Historiettes X et XI, édition de 1854, t. I, p. 103-106), i
cette omission n'était réparée dans le corps même de l'ouvrage (p. 139) et auss
à la page 442 relative au prétendu assassinat du poète Edouard du Monin pa
son rival Du Perron (1586). Voir, à ce .sujet, la dédaigneuse mention que fai
Bayle {Dictionnaire critique, au mot Monin) de l'insoutenable accusation d
Voët, et la décisive réfutation de Laurent Josse Le Clerc [Bibliothèque du Ri
chelet, au mot Perron).
2. M. l'abbé Feret a nommé seulement deux de nos contemporains, M. Hip
peau, dans la notice duquel [Ecrivains normands, Caen, 1858) il blâme un in
souciant éclectisme (p. viii), et M. l'abbé Le Brasseur, dans l'ouvrage duqu(
[Histoire du comté d'Evreux, p. 370-372) il sétonne (p. xiv) de lire que D
Perron manqua de patriotisme, trouvant, du reste, que le même historien a e
raison de voir, mais a eu tort de condamner en ce prélat un adversaire des idée
gallicanes.
p. FERET : LE CARDINAL DU PERRON. 195
audacia), et à rapprocher ce vilain portrait du mot cruel de Joseph
Scaliger, surnommant l'ambitieux prélat le charlatan de la cour, a fait
amende honorable [Ibid., 1858, t. VI, p. 269-270), opposant à de Thou
« l'intraitable Sully, »• et s'élevant avec une indignation aussi ardente
que tardive^ contre la « rage de calomnies » auxquelles Du Perron a été
en butte, « calomnies dont on ne pourrait se former une idée si l'on ne
savait tout ce qu'il y a d'infamies accumulées dans les dégoûtants
pamphlets de d'Aubigné^... »
M. l'abbé Feret a très-bien su utiliser les riches matériaux qu'il
avait si bien su réunir. Son livre, où régnent l'ordre, la méthode, la
clarté, et qui est écrit avec un soin qui touche parfois à l'élégance^, se
lit avec plaisir du commencement à la fin. L'auteur a répandu beau-
coup d'intérêt dans les pages où Du Perron figure à côté de Malherbe,
de Desportes, de Pontus de Tyard, de Ronsard, de Goëffeteau, de Gos-
peau, de Fenolliet'*, de saint François de Sales, de Daniel Tilenus, de
Du Plessis-Mornay, de Henri IV, de Jacques I^""^ de Bossuet, etc. Je
recommande surtout, comme digne de la -plus grande attention, le vif
et habile récit de la conférence de Fontainebleau (p. 169-216).
Je négligerai, pour être moins long, diverses observations sur des
choses incidentes 5, mais je m'arrêterai un peu sur la question du lieu
et de la date de la naissance du cardinal Du Perron. M. l'abbé Feret,
s'appuyant sur le triple témoignage du poète Guillaume Ybert, d'un
1. Dans le tome IV, qui est de 1850, M. Berger de Xivrey s'exprimait encore
ainsi (p. 230, note 1) : « Madame de Mornay insiste sur l'immoralité de Du Per-
ron, sur laquelle il n'y avait que trop à dire. »
2. Citons, à propos de l'auteur de la Confession de Sancy, quatre pages de
M. l'abbé Feret (p. 216-219) qui devront être examinées de près par MM. Réaume
et de Caussade, quand ces excellents éditeurs des Œuvres complètes d' Agrippa
d'Aubigné nous donneront l'histoire de sa vie et de ses travaux. Les objections
de M. l'abbé Feret me paraissent bien embarrassantes pour ceux qui, sur la foi
de d'Aubigné, croiraient à la conférence où il aurait bel et bien terrassé du
Perron.
3. Que M. l'abbé Feret me permette de lui demander le sacrifice d'une expression
qui revient souvent sous sa plume et qu'il emploie dès \ Avant-propos (p. vi) : « Ce
fut sous un autre rapport que sa parole eut du retentissement !» Un de nos
plus habiles écrivains, qui devrait être depuis longtemps déjà membre de l'Aca-
démie française, M. E. Renan, vient de commettre la même faute [les Évangiles
et la seconde génération chrétienne), et c'est le cas de s'écrier : Si les justes
eux-mêmes pèchent, qui donc nous donnera l'exemple ?
4. L'auteur constate (p. 99) que l'on écrit assez souvent, il ne sait pourquoi,
Fenouillet ou Fenoillet, et que l'Oraison funèbre du chancelier de Bellièvre et
le discours sur la mort de Henri IV par l'évêque de Montpellier sont signés :
Fenolliet.
5. Par exemple, sur l'attribution (p. 329) du Songe du Vergier à Raoul de
Presles ou à Philippe de Mézière, alors qu'un troisième candidat, Charles de
Louviers, paraît préférable à bon nombre de savants critiques, et méritait, en tout
cas, l'honneur d'être nommé.
<96 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
autro poète normand, qui fut on môme temps magistrat, Luc Duche-
min (le la Ilaullc, et du compilateur Toustaint de Billy, croit que
Jacques Davy naquit à Saint-Lù (1556). J'aurais voulu que M. l'abbé
Feret ne se contentât pas d'adopter l'opinion de ces trois obscurs au-
teurs, mais qu'il discutât et réfutât les conclusions d'un mémoire de
M. Léopold Quénault lu, en 1867, à la Sorbonne, dans une des séances
extraordinaires du Comité des travaux historiques et des Sociétés
savantes <. D'après ces conclusions, le fils de Julien Davy aurait vu le
jour, non, comme on l'a fait dire à M. Quénault^, dans la paroisse de
Montgardon (département de la Manche, arrondissement de Goutances,
canton de la Haye-du-Puits), mais à Berne^.
A l'appui de l'opinion de M. Quénault, qui, du reste, est celle de la
plupart des biographes antérieurs*, je rappellerai, d'après les Notices
généalogiques de M. Galiffe (je ne les ai pas sous la main et les cite de
mémoire), que les deux familles paternelle et maternelle du futur car-
dinal avaient cherché un refuge en Suisse, et que notamment Guillaume
1. Lieu et époque de la naissance du cardinal Bu Perron, par M. Léopold
Quénault, membre correspondant de l'Académie de Caen, dans les Mémoires lus
à la Sorbonne. Histoire, philosophie et sciences morales. Paris, imprimerie
Impériale, 1868, p. 475-480.
2. M. l'abbé Lezat [De la prédication sous Henri IV. Paris, Didier, in-S", sans
date, p. 162) a dit fort étourdimcnt : « un savant antiquaire, M. Léopold Ques-
nault {sic), a lu, en 1868 {sic), à l'Académie de Caen {sic), un mémoire où il
démontre que le cardinal Du Perron est né en Normandie, dans la paroisse de
Montgardon. Entre autres témoignages, M. Quesnault a retrouvé un procès-ver-
bal des officiers de la haute justice ; sur une page on lit : le cardinal Davy Du
Perron est né en la maison de son oncle, au Perron de Montgardon. » M. Qué-
nault, loin d'invoquer ce document qu'il n'a pas retrouvé, le repousse dédaigneu-
sement : « Ce n'est pas, » dit-il (note 1 de la p. 476), « dans l'acte lui-même,
mais dans un griffonnage d'écolier, qui le suit, que se trouve cette allégation, qui
n'a, par conséquent, aucune valeur. » M. l'abbé Lezat a consacré tout un cha-
pitre de son livre au cardinal Du Perron considéré comme orateur (p. 161-183).
M. l'abbé Feret ne cite pas son devancier. Il ne cite pas non plus un autre cri-
tique, M. de Gaillon, dont la notice sur Du Perron {Bulletin du Bibliopliile de
novembre 1852) a été justement louée par M. P. Paris {Commentaire des Histo-
riettes, 1854, t. I, p. 106).
3. Voici les propres paroles de M. Quénault (p. 476), lesquelles ressemblent
aussi peu que possible à celles que lui prête l'abbé Lezat : « Je vais essayer
d'établir que, d'après les circonstances ayant accompagné le mariage de ses pa-
rents, les dates certaines de cpielques actes importants de sa vie, son âge constaté
ofïiciellement à ces dates, ses propres déclarations, il est impossible qu'il soit né
avant l'année 1559 et ailleurs qu'à Berne... »
4. Voir la Biographie universelle, la France protestante, etc. M. Lud. La-
lanne {Dictionnaire historique de la France, 1872) hésite entre Berne et Saint-
Lô. Déjà, dans le Moréri de 1759, tout en indiquant le canton de Berne comme
le berceau de Du Perron, on apprenait au lecteur que l'abbé L.-J. Le Clerc,
ci-dessus mentionné, tenait pour Saint-Lô.
G. VOIGT : MORITZ VON SACHSEIV. ^97
Le Gointe, père d'Ursine Le Cointe et grand-père de Jacques Davy,
avait été reçu habitant de Genève en 1553.
Ge qui est bien autrement contestable encore que la naissance de Du
Perron à Saint-Lô en 1556, c'est le récit qui nous montre (p. 265) Isaac
Gasaubon inclinant vers le catholicisme et donnant de bon cœur sa
bénédiction à un de ses fils qui s'était fait capucin. Il est difficile de
croire aux variations de l'éminent érudit, pour peu que l'on ait lu le
journal qu'a publié M. Russel (Oxford, 1850, in-S") et où Gasaubon a con-
signé l'histoire minutieuse de sa vie, l'histoire de ses plus intimes senti-
ments, de ses plus secrètes pensées. En parcourant ces éphémérides, on
voit que du premier au dernier jour le meilleur ami de Joseph Scaliger
resta fidèle à la religion protestante. Il n'est pas une page de ces révé-
lations, écrites pour la famille seule, qui ne démente avec la plus
écrasante autorité les « on dit » trop facilement répétés par M. l'abbé
Feret; « on dit » que la critique a le droit de rapprocher des mots en
rhonneur de Montaigne et de Rabelais*, si souvent attribués au cardi-
nal Du Perron, des mots que le jeune orateur aurait eu l'invraisem-
blable cynisme d'adresser à Henri III : « Sire, j'ai prouvé aujourd'hui,
par raisons très-bonnes et évidentes, qu'il y avoit un Dieu : demain.
Sire, s'il plaist à Vostre Majesté me donner encores audience, je vous
monstrerai et prouverai par raisons aussi bonnes et évidentes qu'il n'y
a point du tout 'de Dieu 2. »
Ph. Tamizey de Larroque.
Moritz von Sachsen ^ 541-47 von Georg VoiGT. Verlag von Bernhard
Tauchnitz, Leipzig, 1876, xii-444 p.
Le nouvel ouvrage de M. Voigt n'a pas la prétention d'être une bio-
graphie de Maurice de Saxe; il traite uniquement du rôle qu'il joua
1. Les Essais n'ont été appelés par Du Perron le bréviaire des honnêtes gens,
comme l'a reconnu M. l'abbé Feret (p. 354), que dans un recueil d'anecdotes
dépourvu de toute valeur, le 3Iélange critique de littérature par l'abbé de La
Morllère (L701, in-12). Quant au mot proverbial : Ave>vous lu /'awiewr (c'est-à-
dire Rabelais?), il est porté pour la première fois au compte du cardinal dans le
Longueruana (1754).
2. Mémoires-Journaux de Pierre de l'Estoile, édition Jouaust, t. II, 1875,
p. 140-141. M. l'abbé Feret plaide (p. 140) les circonstances atténuantes, et
déclare que l'on avait alors la mauvaise habitude de disputer pour et contre
publiquement (et même dans les églises) sur les articles les plus importants de
la religion. L'indignation de Henri III et celle de P. de l'Estoile prouveraient que
l'usage n'autorisait pas autant que le pense M. l'abbé Feret une telle jonglerie.
J'aime mieux croire, avec L.-J. Le Clerc, dont M. l'abbé Feret n'a pas connu les
judicieuses objections {Remarques critiques sur le Dictionnaire de M. Bayle,
1734, au mot Monin), que tout ce récit est un « tissu de faussetés. »
198 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
commo partisan de la maison de Habsbourg. Pcut-ôtro n'cùt-il pas été
mauvais d'indiquer dans le titre qu'on ne devait traiter que cette partie
do la politique générale, pendant un nombre d'années déterminé, puis-
que l'auteur ne songeait pas à faire entrer dans le cercle de son étude les
actes de l'administration particulière de Maurice comme duc de Saxe.
Dans ces limites mêmes, la tache que s'était imposée M. Voigt ne manquait
ni d'intérêt ni de nouveauté. Aussi bien était-il nécessaire d'étudier à
nouveau l'histoire de certains événements qui ont été d'une importance
décisive pour le développement du protestantisme en Allemagne. La
biographie de Maurice de Saxe publiée il y a plus de trente ans par
M, de Langenon, n'a sans doute rien perdu de son utilité à cause des
très-riches matériaux qu'il y a mis en oeuvre ; mais elle n'est pas assez
objective, et manque de précision dans le détail. Dans sa grande histoire,
Ranke ne pouvait pas s'appesantir sur les événements de ces années
troublées avec le luxe de détails que M. Voigt y prodigue. Cependant
les travaux de J. Voigt, Cornélius, Maurenbrecher, Wenck, von Druf-
fel, etc., avaient rappelé l'attention sur Maurice; mais ils étaient sur-
tout consacrés à la dernière partie de sa vie.
M. Voigt mérite donc les plus grands éloges pour avoir comblé une
importante lacune de notre histoire. Érudit consciencieux, il ne s'est
pas contenté de mettre à profit tous les travaux publiés avant le sien;
il a encore su découvrir de précieux documents dans les archives;
celles de Dresde lui ont fourni beaucoup plus de matériaux qu'on ne
pouvait s'y attendre; celles de Marbourg, de Kœnigsberg, de Bamberg
sont aussi venues apporter leurs tributs ; de même, comme on devait
s'y attendre, celles de Vienne.
Cette masse de matériaux ainsi recueillis de tous côtés a été distri-
buée en quatre livres; les deux premiers avaient déjà paru, mais sous
une forme un peu différente, dans VArchiv fur die Sschsische Geschichte,
nouv. série, sous le titre : « Maurice de Saxe au début de sa carrière »
et « l'Alliance avec les Habsbourg. » Le résultat le plus important de
cette partie du présent livre est sans contredit d'avoir montré l'origine
et le développement des pensées politiques qui ont poussé Maurice à
s'allier avec la maison de Habsbourg; comme l'a fort bien montré
M. Voigt, il s'y décida, moins parce qu'il convoitait la dignité électo-
rale et les terres de son cousin, que parce qu'il voulait acquérir le droit
de protection sur les évèchés de Magdebourg et de Halberstadt. Cette
dernière question est d'une importance capitale, et l'on s'explique toute
l'histoire des relations des princes saxons entre eux si on l'a toujours
devant les yeux. Le 3^ et le 4« livre traite de « la guerre de Smalcalde
en Saxe » et du « combat de Mùhlberg. » Par sa « bibliographie des
œuvres historiques relatives à la guerre de Smalcalde, » M. Voigt
s'était préparé le mieux du monde à traiter ce sujet. Il raconte les
péripéties de la guerre avec une minutie qui fait penser au travail du
peintre en miniatures, et redresse en chemin plus d'une erreur.
H convient aussi de parler du beau portrait qui orne le volume ; il a
R. DU CASSE : l'amiral DU CASSE ^99
été gravé d'après le tableau de Luc Kranach qui se trouve au musée de
Dresde ; le livre lui-même est un chef-d'œuvre d'impression, éloge que
méritent rarement les livres d'histoire publiés en Allemagne.
A. Stern.
L'amiral Du Casse (-1646-^7^5), par le baron Robert du Casse. Un
vol. in-S" de p. 473. Paris, Berger-Levrault, ^1876. Prix : 6 fr.
Le nom de l'amiral Du Casse était jusqu'ici peu connu. On savait
qu'il avait été gouverneur de Saint-Doniingue, qu'il avait pris part à
l'expédition de Pointis contre Garthagène, et qu'en 1714 il avait été
chargé de diriger par mer le siège de Barcelone. Mais on ignorait à peu
près tout le reste de sa vie, et même pour ces trois faits on ayait peu de
détails.
Un descendant de l'amiral, M. Robert Du Casse, a profité de ses pa-
piers de famille et des documents conservés dans les archives de la
marine et des affaires étrangères pour nous retracer la vie de son aïeul.
Il nous l'a montré, d'abord au service de la Compagnie du Sénégal et
soutenant à ce titre de longues luttes avec les Hollandais sur la côte
occidentale d'Afrique, puis passant dans la marine royale, s'acquittant
avec plus ou moins de succès de plusieurs missions, devenant en 1691
gouverneur de Saint-Domingue, déployant contre les Anglais et les
Espagnols dans les Antilles une activité souvent heureuse, aidant Pointis
de ses conseils et de son courage dans l'affaire de Carthagène, gagnant
sur les Anglais en 1702 la victoire navale de Sainte-Marthe, contribuant
à celle de Vélez-Malaga, ramenant à deux reprises différentes (1708 et
1712) les galions d'Amérique, et fournissant ainsi à l'Espagne le moyen
de continuer la guerre, enfin conduisant à Barcelone une escadre qui
devait faire le siège de cette ville (1714), et mourant bientôt à Paris le
25 juin 1715.
Ce livre a le mérite d'être fait d'après des documents originaux, que
l'auteur cite fréquemment, sans en indiquer la provenance. Mais il
pèche par le défaut commun à la plupart des ouvrages du même genre ;
c'est plutôt une apologie qu'un récit impartial. On ne saurait blâmer
M. du Casse d'avoir songé à la gloire de sa famille en écrivant l'histoire
de son plus illustre aïeul. Ce qu'on lui reprochera, c'est d'avoir quelque-
fois sacrifié à ce sentiment les intérêts de la vérité. Rien ne lui paraît
répréhensible dans la vie de l'amiral, et il n'en parle que sur un ton de
perpétuelle admiration. Du Casse pourtant n'était pas un homme parfait.
Il semble, par exemple, avoir été quelque peu avide d'argent. Un histo-
rien reconnaît que dès 1686 il était « dans une position de fortune aisée »;
mais il ne nous dit pas comment cette fortune avait été acquise. Il eût
été cependant bien facile de montrer que Du Casse s'enrichit, comme
tant d'autres, par le commerce. Si l'ouvrage est muet sur ce point, c'est
sans doute parce qu'il a répugné à l'auteur de nous représenter son
200 COMPTES-UKNDUS CIUTIQIIES.
noble aïeul livré à des spéculations aussi vulgaires. 11 eut cru par uu
pareil aveu diminuer sa valeur aristocratique.
Ce sont là des préjugés dont l'historien doit se .débarrasser, s'il veut
faire œuvre de science. Il doit aussi se tenir en garde contre toute préoc-
cupation, politi(iue ou religieuse, qui serait de nature à fausser son
jugement. M. Du Casse parait n'en avoir nul souci. Aussi est-il souvent
entraîné à des erreurs d'appréciation qu'un esprit plus libre et mieux
informé aurait aisément évitées. A l'entendre, tout fut admirable sous
Louis XIV. D'après lui, ce roi « avait toujours soin de confier les
affaires de l'Etat à d'intègres administrateurs, à d'intelligents diplo-
mates, le commandement des armées à d'habiles généraux » (p. 10).
Loin de blâmer Louis XIV de la faute qu'il commit en reconnaissant
le fils de Jacques U comme roi d'Angleterre, il le félicite au contraire
de n'avoir pas « refusé à un prince malheureux un titre légitime »
(p. 244). Il prétend qu'au xvii» siècle « indiquer la source du mal et
les moyens d'y apporter le remède, n'était pas crime, mais vertu »
(p. 279). Son zèle pour la religion le pousse à écrire la phrase suivante :
« Partout où règne le catholicisme, l'influence de la France surgit avec
lui, tandis que la religion protestante amène toujours avec elle le
triomphe de la race anglo-saxonne » (p. 83). Ailleurs, il soutient gra-
vement que pour être courageux à la guerre, il faut avoir « la crainte
de Dieu » (p. 113). Ces sentiments-là sont en eux-mêmes fort hono-
rables; mais dans un livre de science historique ils ne sont pas à leur
place.
Je signalerai, en terminant, une erreur bizarre de M. Du Casse. Il
dit qu'au commencement de 1680 l'amiral fut reçu par Seignelay, « qui
avait remplacé comme ministre de la marine Colbert son père » (p. 43).
Or, on sait que Colbert mourut en 1683. Seignelay obtint en 1672 la
survivance de la charge de son père et fut dès lors associé à ses travaux ;
mais il ne remplaça Colbert qu'à la mort de celui-ci.
La Marine de Guerre. Ses Institutions militaires depuis son origine
jusqu'à nos jours. Richelieu et Colbert d'après des documents
inédits, par M. Gougeard, capitaine de vaisseau, ex-général de
division. Paris, G. Decaux. 1 vol. in-foL 432 pages.
L'auteur du présent livre sur la marine au temps de Richelieu et de
Colbert est un marin. Etre un homme du métier et écrire l'histoire de
son métier, c'est une entreprise louable et qui, du premier coup,
attire la bienveillance. Quand des hommes pratiques et qui ont,
comme on dit, mis la main à la pâte, abordent des travaux de ce
genre, on est sûr d'avance de trouver dans leurs œuvres des vues
neuves, justes et originales, des faits nouveaux ou d'autres mis sous
un nouveau jour, enfin une certaine manière de comprendre et de
traiter le sujet, où l'on sent la main de l'ouvrier.
GOUGEARI) : LA MARINE DE GUERRE, 20^
Malheureusement ce n'est pas sans quelque danger que de tels
hommes s'appliquent aux travaux et aux recherches du cabinet. Il
faut s'attendre à de l'inexpérience, à des recherches vaines ou incom-
plètes, à une méthode insuffisante, à une sorte de naïveté d'ignorance
qui fait sourire quelquefois, et qui fait douter souvent. Rien n'est plus
curieux enfin, s'il s'agit d'histoire, que ces trouées subites que fait
l'esprit moderne et la préoccupation des temps présents en plein
milieu du souvenir paisible et vénérable des événements d'autrefois.
Le défaut capital du livre de M. Gougeard, c'est l'absence de mé-
thode. Pas d'ordre dans les chapitres qui se suivent; aucun chapitre
ne traite à fond la question à laquelle il a trait. Ce n'est pas tout. Le
style de M. G. ne vaut guère mieux que sa méthode; il est souvent
négligé, incorrect. En outre, si notre auteur a eu la pensée louable de
se servir de documents inédits, il les a cités, le plus fréquemment,
d'une façon très-insuffisante; il les a quelquefois mal lus et mal
copiés.
C'est ainsi que, transcrivant une note de Richelieu sur le cardinal
de Sourdis, M. G. commet à ce sujet plusieurs erreurs; il prend
d'abord pour un carnet « où Richelieu notait son opinion sur ceux
qu'il employait » ce qui n'est en effet qu'un Rôle (destiné probable-
ment à être soumis au Roi) des officiers ayant servi depuis le siège de
La Rochelle jusqu'en 1642. En outre, pour n'avoir consulté qu'un
seul des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, et le plus mauvais
de tous, il a mis l'épithète d'incapable pour celle d'incompatible^ qui est
dans les autres copies, et qui est bien plus conforme à l'opinion réelle
que Richelieu avait du cardinal de Sourdis ^.
C'est par des inattentions du même genre, et qui se multiplient trop
fréquemment, que M. G. laisse imprimer le port du BlaJit pour le port du
Blavet (p. 164), l'abbé Sirl pour l'abbé 5m (p. 177). Il attribue à ce dernier
une Vie du cardinal de Richelieu, tandis que son ouvrage a pour titre le
Mercure, et n'est qu'un recueil de pièces, d'anecdotes et de réflexions.
J'ajoute en passant que M. G. eût pu consulter cet ouvrage; il con-
tient sur la question de la disgrâce de Sourdis des renseignements au
moins curieux à connaître.
Toutes ces critiques de détail n'empêchent pas que l'ouvrage de
M. G. ne soit bon à lire et qu'on n'y puisse trouver plus d'un rensei-
gnement précieux. Il a abordé avec autorité certains points peu connus
de l'histoire de la marine et de ses institutions ; par exemple l'origine
des troupes spéciales embarquées sur les vaisseaux; la question du
1. « Vous savez, lui écrivait Richelieu, que je vous ai averti de prendre garde
à la vivacité de voire esprit et à celle de votre langue. J'ai toujours craint qaie
ces ennemis fussent les plus grands que vous ayez » (1634). « Il est impossible
de satisfaire un esprit qui en si peu de temps conçoit comme le vôtre tant de
pensées contradictoires. Tâchez au moins de vous rendre avec M. le Prince aussi
compatible que vous le pourrez... »
202 COMPTES-RENDUS CniTIQCES.
personnel des officiers, celle de la constructiou du matériel, l'ordre de
bataille et la tactique, etc. Je m'assure que les hommes spéciaux trou-
veront dans ces études faites pièces en main plus d'un renseignement
utile, plus d'un exemple profitable.
Le puissant essor donné par Richelieu à la marine moderne a frappé
M. G.; il a trouvé plus d'une note juste pour caractériser la grandeur
de ses vues politiques et militaires. Il le considère à juste titre comme
le père de la marine française; mais pour n'avoir vu qu'un des côtés
de son œuvre, M. G. n'a pas su — quelque désir qu'il en ait manifesté
— donner le mot exact de la politique du grand cardinal. Il n'a pas
voulu voir les parties faibles et vraiment humaines de cet esprit supé-
rieur. C'est ainsi que les jalousies, les rivalités, les cancans de cour,
que M. G. considère comme n'ayant pu avoir aucune action sur les
résolutions de Richelieu, tiennent au contraire une place énorme dans
sa vie. On a publié récemment dans cette Revue même les Carnets de
Mazarin. L'éditeur s'étonnait de voir « un ministre auquel on ne peut
refuser une vaste intelligence, s'abaisser aux petits détails d'intrigues
et presque à des commérages pour amuser et dominer Anne d'Au-
triche. » Il est plus étonnant encore de voir dans les mémoires du
temps, dans les pamphlets des partisans de la reine-mère, dans les
œuvres même du grand cardinal de Richelieu, que lui aussi ne pou-
vait s'empêcher de subir l'influence de cette atmosphère de cour, et
que telle lutte mesquine contre quelque femme de chambre (La Fargis,
par exemple) ou quelque jésuite sans valeur (le P. Suffren, etc.)
inquiète, irrite et préoccupe l'homme qui menait les conseils des rois
étrangers et qui tenait dans sa main le sort de l'Europe.
Un point sur lequel M. G. a insisté avec raison, et qu'il a su mettre
en lumière, pour la première fois, peut-être, c'est la singulière orga-
nisation du corps des officiers à bord des navires pendant tout le
xvne siècle. Qui eiât cru que ces grands amiraux et capitaines de
mer qui ont illustré notre marine sous Louis XIII et Louis XI'V
étaient dans une véritable ignorance de ce qui constitue le métier de
marin? Tout ce qu'on leur demandait, c'était « qu'ils connussent la
sphère, afin que le pilote ne put leur en faire accroire » (p. 236). Le
commandant de La Porte fit approuver par le cardinal de Richelieu
un règlement où il était dit que « hors le cas de combat et de salut,
tout l'équipage est sous les ordres des officiers matelots », à l'exclusion
des capitaines et officiers gentilshommes, bons seulement pour la
bataille.
Rien n'est plus fait pour frapper l'imagination dans ce sens, que
l'anecdote à la fois risible et lamentable que M. G. emprunte à un
rapport inédit du capitaine de Méricourt : « Le jour de la perte de
l'escadre, la hauteur ayant été prise par les pilotes, M. le vice-amiral
fit faire, à son ordinaire, le point dans sa chambre. Comme j'y entrais
pour apprendre ce qui se passait, je rencontrai le troisième pilote,
Bourdaloue, qui en sortait en pleurant ; je lui demandai ce qu'il
GOUGEARD : LA MARINE DE GUERRE. 203
avait, et il me répondit : « A cause que je fais plus de dérive que les
« autres pilotes, M. le vice-amiral me menace et me querelle à son
« ordinaire : je ne suis pourtant qu'un pauvre garçon qui fait ce qu'il
« peut. » — Entré chez l'amiral, qui était fort en colère, il me dit :
« Ce coquin de Bourdaloue me vient toujours dire des sottises, je le
« chasserai. Il fait une route du diable et je ne sais où. » — Gomme
je ne savais qui avait raison, » ajoute assez naïvement le commandant
du vaisseau, « je n'osais rien répondre, de peur de m'en attirer
autant. Quelques heures après, l'escadre tout entière se perdait sur un
groupe de rochers connus sous le nom d'ilôts d'Avès. »
Voir encore un passage d'un rapport de Tourville (p. 113), où M. G.
fait justement remarquer la conduite réellement déplorable du glorieux
vaincu de la Hogue.
Bien des traits aussi curieux, bien des observations aussi judicieuses
se rencontrent fréquemment dans le livre de M. G. Il faut encore
noter, à son éloge, un sentiment soutenu de justice et d'équité dans
ses jugements à l'égard des hommes et des institutions de l'ancien
régime. Tout cela suffirait pour mettre M. G. dans un bon rang parmi
nos écrivains d'histoire spéciale, s'il avait voulu se préoccuper un peu
plus des questions de composition et de style, qui ne sont pas aussi
secondaires qu'elles en ont l'air. Les négliger, c'est courir le risque de
voir longtemps dormir sous la poussière bien des pages pleines de
sens, de labeur et d'expérience, comme on en trouve plus d'une dans
le livre que nous avons analysé.
Il y a beaucoup de bon et pas mal de mauvais dans le livre de
M. Gougeart; du bon parce que l'auteur est un marin; du mauvais
parce que ce n'est pas un homme de lettres.
A première vue, rien qu'au titre, on sent que l'on a affaire à un
homme qui n'est pas maître de son sujet. La Marine de Guerre; 565
institutions militaires depuis son origine jusqu'à nos jours. Richelieu et
CoLBERT, etc. Ce long titre donne-t-il à celui qui n'a pas lu l'ouvrage
la notion précise et nette de ce qu'il va y rencontrer? Il rend encore
moins pour celui qui Ta lu l'impression de ce qu'on y trouve.
Il y a beaucoup de choses dans ce volume; il y a même d'excellentes
choses; mais n'y cherchez pas une œuvre; je dis même une œuvre de
médiocre valeur. Ce sont des pages qui se suivent à la débandade,
sans ordre ni méthode : documents déjà publiés ou inédits, réflexions
mises à propos ou non; dissertations interrompues tout à coup, ou
s'allongeant interminablement; tout cela se heurte, se bouscule, s'en-
tremêle. On ne sait jamais ni où l'on est, ni où l'on va; on pousse
jusqu'à la fin du volume en cherchant toujours ce qu'annonce le titre;
on l'a rencontré quelquefois; on ne l'a saisi jamais.
Gabriel Hanotaux.
20Î (-OMPTES-KENDUS CRITIQUES.
Ëtablissement en France du premier tarif général des douanes.
4787-1701. Par le comte de Butenval. Grand in-8". xvi-205 p.
Paris, Guillaumin, -187().
La publication de M. de Butenval est divisoo en trois parties, intitu-
lées : les Notables, 1787; la Constituante, 1790; le tarif de 1791; et
consacrées, la première aux projets de i\I. de Vergennes et aux délibé-
rations qui en furent la suite (p. 19-53) ; la seconde, aux discours de
tioudard, do Doislandry et de Desmeuniers et au premier rapport du
Comité de Commerce et d'Agriculture (p. 54-78) ; la troisième, au second
rapport dudit Comité réuni à celui des Contributions, et à l'adoption du
tarif présenté par les commissaires (p. 79-116). En outre, un appendice
presque aussi développé que l'ouvrage même (p. 117-205), renferme
diverses dissertations, notices ou explications dont l'énumération pren-
drait ici une place hors de proportion avec l'importance qu'a pu leur
attribuer l'auteur lui-même.
C'est en effet aux vues personnelles de M. de Butenval, plutôt qu'à
l'examen de son ouvrage, qu'il faut s'arrêter, ce me semble, si on veut
l'apprécier équitablement. C'est une simple esquisse, une étude rapide
qu'il s'est proposé de mettre sous nos yeux, et non un travail appro-
fondi. Ainsi compris, cet opuscule échappe, il est vrai, à la critique;
mais il ne paraît dépourvu ni de mérite ni d'utilité. Il a pu même deve-
nir l'objet des emprunts d'une de nos revues les plus autorisées, qui
naguère y a puisé presque littéralement la matière de tout un chapitre,
et non des moins intéressants du recueil^ Un des traits de son récit
qui semblent avoir éveillé particulièrement l'attention et les sympathies
de M. de B., c'est l'action politique de M. de Vergennes, qui, dit-il,
procédait directement de Colbert, à qui la France était redevable du
traité de 1786, et qui, s'il n'avait été surpris par la mort, l'aurait dotée
d'un régime économique de beaucoup préférable à tous les systèmes,
fussent les meilleurs, qu'elle a pu avoir depuis. Si, comme je le crois,
il est permis de contester quelques-unes de ces assertions, il est certain
qu'elles forment une donnée neuve, originale et propre à tenter la
plume d'un biographe qui manque encore à la figure de second ordre,
mais très-distinguée en son rang, de M. de Vergennes.
M. de B. étant libre échangiste très-déclaré (à peine est-il besoin de
le dire), on ne s'étonnera pas qu'il traite lestement l'œuvre de la Cons-
tituante qui aboutit à des lois prohibitionnistes ou tout au moins à des
décrets protecteurs. Sans entrer dans une discussion qui doit avoir
pour base l'étude très-attentive des faits et non un ensemble de règles
formulées à priori^ je signale ce point comme celui où pécherait le plus
l'essai de l'auteur, s'il était présenté par lui comme un travail définitif.
L'impression que laisse son récit serait en effet très-inexacte ; elle con-
sisterait dans l'opinion que l'Assemblée, absolument distraite par
1. V. la Revue des Deux-Mondes du 15 février 1877, p. 842-852.
BUTENVAL : PREMIER TARIF DES DOUAÎVES EN FRANCE. 205
d'autres pensées plus pressantes, aurait à peine accordé quelques heures
aux questions économiques, qu'elle en a eu peu de soucis, que deux ou
trois discours entendus avec indifférence ont suffi à déterminer ses
résolutions, même qu'une motion proposée à l'improviste par un députe
inconnu et sans compétence aurait emporté le vote d'esprits occupés
ailleurs et tout aises de la première solution venue. Cette idée qu'on
emporterait de la Constituante, on retendrait aux Assemblées qui
l'ont suivie jusqu'aux Chambres de la Restauration. Cette idée,
je me proposais de la combattre, car dans un seul recueil de pièces,
je compte 220 documents relatifs à la matière et sous l'époque
dont il s'agit, qui, réunis, composeraient un gros volume in-folio;
opinions, discours, projets de lois, motions, d'intérêt à coup sûr très-
inégal, nul parfois, mais dont l'examen, quel que doive en être le résul-
tat, n'aurait pu être omis, si la question avait été étudiée à fond. Je
supprime comme inutile la liste que j'avais dressée de ces principaux
documents et qui remplirait plusieurs pages. Je signale seulement à
titre d'échantillon l'opinion de Sérane (de l'Hérault), conçue dans le
même esprit que le discours de Bois-Landry (libre échangiste), et écrit
en termes violents (in-S", 39 p., sans date), et celle de Bégouen (de la
Seine-Inférieure), imprimée par ordre de l'Assemblée (protectionniste),
!«•■ décembre 1790.
S'il fallait critiquer le présent volume, il y aurait d'autres réserves à
faire. A quoi bon insérer, par exemple, le célèbre morceau de Strabon
(p. 117) qui se trouve aujourd'hui partout, même dans les petits
abrégés d'histoire à l'usage des écoles primaires ? A quoi bon deux
pages de notice sur Talleyrand (p. 165), 5 lignes sur Defermon, 6 sur
Rœderer (p. 168)? En vérité, cela ne sert qu'à grossir l'opuscule. Autant
vaut y mettre du papier blanc. Ce qui est absolument illicite, quand on
aborde même une simple esquisse dans le champ d'une époque telle
que celle de la Révolution et de l'Empire, c'est de déclarer qu'on igno-
rait jusqu'au nom (p. 163) d'un homme qui, comme Desmeuniers, fut
président de la Constituante et du Tribunat ^, puis sénateur titulaire
d'une sénatorerie (distinction beaucoup plus rare que ne parait le penser
M. de B.), dont le nom ne peut, au contraire, être ignoré de quiconque
a jeté un coup d'oeil môme distrait sur les délibérations de notre pre-
mière Assemblée nationale, du Tribunat, voire du Sénat conservateur.
Un dernier grief, et celui-là beaucoup plus grave, que j'aurais à faire
valoir contre certaine conclusion de l'auteur, c'est, non pas de nous
représenter Sully et Golbert comme des libres échangistes (la thèse
aurait seulement besoin d'arguments plus solides que ceux dont elle
est étayée dans le présent volume), mais de méconnaître dans la com-
paraison des tarifs le premier élément d'une question de cette nature :
le pouvoir de l'argent. Ce point capital est passé par M. de B. sous un
complet silence. Qui ne voit cependant qu'un article tarifé, en 1664 ou
l. M, de B. a imprimé par inadvertance : tribunal.
206 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
1667, à 4 f. 04, selon les calculs de l'auteur, et à 8f. en 1876, supportait
une charge 3 fois au moins plus élevée il y a deux siècles que de nos
jours ? Pour trancher des difficultés aussi complexes, il ne faut pas
seulement la compétence (ancien conseiller d'Etat, ancien sénateur,
M. de B. l'a à coup sur), mais le travail le plus minutieux, le plus
résolu.
.H. Lot.
Lettres inédites de Marie- Antoinette et de Marie-Clotilde de
France (sœur de Louis XVI, reine de Sardaignc), publiées eL anno-
tées par le comte de Reiset, ancien ministre plénipotentiaire, gra-
vures par Le Rat, fac-simile par Pilinsky. Paris, Firmin Didot,
-l876,in-<2 de 394 p. (5 gravures à l'eau-forte, 2 sur bois, 2 plans
et 2 fac-simile).
Dix-sept lettres de Marie-Antoinette, plusieurs de dix lignes et de
moins, les plus longues ne dépassant pas une page, adressées, sauf une
seule, à la princesse Charlotte de Hesse-Darmstadt et ne contenant que
les effusions d'un cœur afïectueux avec une amie d'enfance, tel est le
fond du volume que M. de Reiset vient de faire paraître. Ajoutons que
cette correspondance est imprimée non d'après les originaux, mais sur
des copies gracieusement offertes à l'éditeur par la grande-duchesse de
Mecklembourg-Strélitz, et on aura une idée très-exacte de l'intérêt his-
torique de cette publication et du degré de confiance qu'elle mérite.
Il y a une dizaine d'années, M. de Reiset avait réuni en un volume
les lettres de la reine à la princesse Louise de Hesse-Darmstadt ^,
sœur de la princesse Charlotte ; le livre que nous annonçons est donc
en quelque sorte le complément de celui qui avait paru il y a quelque
temps déjà. Dix-sept lettres aussi courtes ne pouvaient former à elles
seules un volume. Aussi le commentaire est-il beaucoup plus important
que le fond même de la publication; on peut ajouter qu'il offre aussi
plus d'intérêt, bien qu'il ne contienne que le résumé de faits con-
nus empruntés à des livres qui sont dans toutes les mains, comme la
correspondance de la reine avec l'impératrice d'Autriche 2, et Marie-
Antoinette à la Conciergerie, de M. Campardon. Dans ces commentaires,
comme dans l'appendice qui accompagne la correspondance de Marie-
Antoinette, il n'y a rien de bien nouveau, si ce n'est certains souvenirs,
certaines appréciations personnelles qui prouveraient, s'il en était besoin,
le prix immense que l'auteur attache aux moindres reliques de la mal-
heureuse épouse de Louis XVI.
Les gravures qui accompagnent cette première partie du volume sont
peut-être le côté le plus intéressant de l'ouvrage. M. Le Rat a gravé un
charmant portrait de la reine dans un encadrement d'un goût exquis
1. Paris, Pion, 1865.
2. Publiée par MM. Geoffroy et d'Arneth. Paris, 1874, F. Didot, 3 vol.
PROKESCH-OSTEN : DE'pÊCHES INEDITES DU CHEVALIER DE GENTZ. 207
d'après Groisey et Queverdo, un autre portrait d'après Moreau et un
médaillon du premier dauphin. Le fac-simile du billet de la reine au
chevalier de Rougeville, tracé à l'aide d'une épingle, est un véritable
tour de force comme reproduction; mais la représentation de cette
fameuse dame blanche qui apparaissait aux princes allemands dans les
moments critiques sortait peut-être du cadre d'un livre sérieux. Qu'on
cite le fait, je l'admets ; mais qu'on veuille fixer les contours d'une
apparition des plus hypothétiques, c'est pousser un peu loin les droits
de l'interprétation.
A la fin du volume, et formant une partie complètement distincte de
la première, est réunie la correspondance de Marie-Glotilde de France,
sœur de Louis XYI et reine de Sardaigne. La plupart des lettres sont
adressées aux frères du souverain que la princesse avait épousé et abon-
dent en détails intimes sur les vicissitudes d'une cour chassée de ses
États, puis reléguée de ville en ville jusqu'au fond de l'Italie par les
victoires de la République française. La sœur de Louis XVI aimait peu
le régime qui la réduisait à la condition la plus précaire après avoir mis
son frère à mort; elle ne le dissimule pas, et confond presque toujours
dans une même antipathie la France avec la République. Tous ses vœux
sont pour les armées autrichiennes, son dernier espoir, et contre les
troupes françaises, sa plus grande terreur. Ces sentiments éclatent à
chaque page. Ceci bien constaté, je rendrai, si l'on veut, hommage à la
piété, à la douceur et à la bonté de cette princesse peu connue, qui joua
un rôle fort effacé et qui parait avoir été mieux traitée au point de vue
des dons du cœur qu'à celui des qualités de la figure ou de l'esprit.
Dépêches inédites du chevalier de Gentz aux hospodars de Va-
lachie, pour servir à l'histoire de la diplomatie européenne (-18^3
à ^828), publiées par le comte de Prokesch-Osten fils. 3 vol. Paris,
Pion, ^876. In-S", xv-4d8, 486, 472 p.
Les œuvres de Frédéric de Gentz, rassemblées et publiées depuis sa
mort (9 juin 1832), forment aujourd'hui un nombre considérable de
volumes, et constituent une des plus précieuses séries de documents
sur l'histoire diplomatique du commencement de ce siècle. Gette col-
lection, que l'on pouvait croire à peu près complète, vient de s'aug-
menter d'un recueil qui est certainement l'une des parties les plus
intéressantes des écrits de ce fécond publiciste. G'est la correspon-
dance officieuse qu'il adressa aux hospodars de Valachie de 1813 à
1828 ; cette correspondance était écrite sous l'inspiration de Metternich
et, en réalité, elle était destinée à renseigner la Porte sur la politique
des grandes puissances et en particulier sur la politique autrichienne.
Les minutes des dépêches de Gentz furent confiées, avec la plupart de
ses autres papiers, à M. le comte de Prokesch-Osten, diplomate autri-
chien bien connu par ses nombreuses missions et par son histoire de
20S COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
I iiisurrocliitii de l;i Grèco. Ajjios sa mort, co précieux dépôt rovjnt à
son fils qui, avoc cotto largour d'esprit si romarquablo chez los liommos
politiquos ot los archivistes do "Vienne, s'est décidé à en faire profiter
le public. La correspondance porte particulièrement sur les allaires
d'Orient : de 1813 à 1819 la crise orientale est latente, de 1819 à 1828
elle éclate et finit par occuper toute l'Europe. M. de Prokesch nous dit
dans la préface (p. x et xi) que durant la période de 1813 ù 1819, les
dépèches de Gentz contiennent un grand nombre de passages qui n'ont
plus aucun intérêt : ce sont des résumés des affaires courantes, affaires
aujourd'hui bien connues ou sans importance pour le public. M. de
Prokesch a donc dû faire un choix, éliminer ce qui était superflu et
ne laisser que ce qui était nouveau ou piquant. Il a d'ailleurs eu le
soin de donner des indications précises sur le contenu des pièces qu'il
abrégeait ou qu'il croyait devoir supprimer. Il ajoute que pour les
périodes suivantes il ne donne guère que des documents complets.
— Je n'ai pas besoin d'insister pour faire comprendre aux lecteurs de
la Revue l'importance de cette publication. Les dépêches de Gentz
ne révèlent point beaucoup de faits nouveaux et ne déchirent
pas beaucoup de voiles ; mais elles soulèvent discrètement le
manteau diplomatique et, pour tous les esprits curieux et critiques,
qui cherchent la note vraie, la nuance et le trait caractéristique,
cet ouvrage présente, sous la forme la plus agréable, un véri-
table trésor de notes et de citations. Les historiens seront forcés d'en
tenir compte, et ils seront bien maladroits s'ils n'y trouvent pas de
quoi éclairer tout à la fois et relever leurs écrits. « L'attitude de
l'Autriche, dit M. de Prokesch (p. xiii), occupe, comme de raison, le
premier plan dans ce tableau ; ses principes, sa ligne de conduite, son
but final y sont fidèlement retracés et la politique loyale du cabinet de
Vienne s'y manifeste clairement. » M. de Prokesch parle ici en bon
Autrichien, ce dont on ne peut que le louer ; mais la critique est bien
forcée de tenir compte du rôle que remplissait Gentz et de l'objet réel
de sa correspondance. Gentz devait renseigner l'hospodar et le sultan :
il devait aussi servir l'Autriche et Metternich ; il ne faut jamais oublier
qu'il présente les choses comme un fidèle sujet de l'empereur et un
fidèle ami de Metternich devait désirer qu'on les vît à Bucharest et à
Gonstantinople. En rapprochant le journal de Gentz de sa correspon-
dance avec l'hospodar, on voit qu'il causait en général avec Metter-
nich avant de travailler à « ses expéditions » pour Bucharest. C'est
donc un commentaire apologétique de la diplomatie de Metternich
qu'il faut chercher ici ; mais Gentz est un apologiste qui n'avait en lui
rien de la naïveté des anciens âges : il était passionné dans ses convic-
tions, très-sincèrement dévoué à l'Autriche; il n'en était pas moins un
homme du xvm^ siècle, un mondain, un curieux, et il ne pouvait pas
s'empêcher d'avoir étudié le français dans Voltaire. Je n'oserais pas
affirmer que dans l'intérêt même de sa correspondance et pour
en rehausser le prix, il ne trouvât pas opportun de lâcher de temps
PROKESCe-OSTEN : De'pÊCHES INEDITES DU CHEVALIER DE GENTZ. 209
en temps la bride à son esprit critique. Le goût du lettré, l'indépen-
dance de l'artiste et le calcul du diplomate y trouvaient en même
temps leur compte.
Tome I. Correspondance de 1813 à 1819. — En faisant les réflexions
qui précèdent, je pensais surtout au jugement que porte Gentz sur le
Congrès de Vienne. A ne s'attacher qu'aux termes, il semble — sauf la
partialité pour la Prusse qui est remplacée par la rivalité — qu'on lise
l'abbé de Pradt. Les plus fougueux détracteurs du Congrès ne se sont
pas exprimés avec plus de véhémence. — « Le Congrès, dit Gentz,
« n'a produit aucun acte d'un caractère élevé, aucune grande mesure
d'ordre ou de salut public qui pût dédommager l'humanité d'une par-
lie de ses longues souffrances ou la rassurer pour l'avenir » (p. 153).
« Le Congrès était une masse informe, composée d'éléments incompa-
tibles qui se heurtaient et s'entravaient partout quelle tête eût été
assez forte, quelle main assez puissante pour diriger un ensemble aussi
monstrueux? » (p. 1.55). — « 11 est tout simple que dans un pareil
état de choses, la force seule devait constituer le droit, que les faibles
n'avaient d'autres ressources que celles de la protestation et de l'in-
trigue, et que parmi ceux qui étaient également forts, le plus actif et
le plus adroit l'emportait sur ses rivaux » (p. 156). Yoilà les mots ;
voyons les choses. Au fond, que reproche Gentz au Congrès ? Est-ce
d'avoir, par haine et méfiance des Français, formé l'union hybride de
la Belgique et de la Hollande ? Il n'en dit pas un mot. Est-ce d'avoir
consacré la triple iniquité des partages de la Pologne? Il déclare (p. 81)
que « le rétablissement d'un royaume de Pologne, dans quelques
limites et sous quelques formes que ce fût, c'est-à-dire d'un centre de
fermentation, de mouvement et d'intrigues politiques, serait double-
ment pernicieux. » Est-ce d'avoir démembré le royaume d'Italie formé
par Napoléon et replacé les Italiens sous le joug de l'Autriche ?
Gentz n'en parle pas, mais l'on sait que c'était l'idée dominante de
Metternich et que s'il eut un regret, c'est de n'avoir pu exécuter le
projet de Confédération italienne qu'il avait conçu. Est-ce d'avoir refusé
aux Allemands la reconstitution de l'Empire à laquelle ils aspiraient,
vaguement à la vérité, et au milieu des contradictions et des impossi-
bilités ? « L'Autriche, dit-il (p. 107), ne veut ni accepter un vain titre
sans valeur réelle, ni prétendre à un pouvoir contre lequel les premiers
membres de la Confédération germanique réclameraient sans cesse.
Mais elle ne veut pas non plus qu'un autre s'arroge une place à laquelle
elle renonce. » Est-ce d'avoir traité l'Allemagne en pays conquis,
d'avoir médiatisé les petits au profit des grands et tracé arbitrairement
la limite des États sans respect pour les droits acquis et les traditions
des peuples ? Il déplore (p. 317) qu'après 1813 on n'ait pas « pris la
résolution de composer l'Allemagne d'une douzaine de souverains gou-
vernant chacun une étendue plus ou moins considérable de territoire ;
on aurait pu se passer de ligue et de diète, et un système d'alliances et
de traités aurait pu lier les souverains pour tout ce qui regardait leurs
Rev. Histor. V. 1"'' fa se. 14
'HO COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
intérêts communs ». Est-co do n'avoir pas donné aux nations do l'Allo-
maguo, que l'on avait si ardtunmont appolées à l'indépondanco, les
garanties de liberté politique qu'on leur avait promises ? Il écrit
(p. 423) que si on introduisait le système constitutionnel dans quelques
États allemands, « il en naîtrait une telle confusion, un tel chaos poli-
tique en Allemagne, qu'il ne serait plus possible d'en imaginer le
dénouement. » Il no veut point d'un empire unitaire, il ne veut point
do constitution dans les Etats ; quant à la Diète, c'est « un enfant
presque posthume du Congrès de Vienne, véritable avorton politique
et d'une organisation tellement frêle qu'on aurait cru qu'elle périrait
dans son berceau » (p. 316). Que veut-il donc et quelle est cette « tâche
magnifique » qu'il reproche si rudement au Congrès de n'avoir point
exécutée ? C'est « un système politique propre à consolider et à main-
tenir l'ordre public on Europe, à prévenir les bouleversements que les
guerres d'ambition et de conquêtes préparent aux nations, et à assurer
les droits de chaque état par une sanction universelle et des mesures
de protection générale » (p. 169). Ce sont des termes vagues; les faits les
expliquent. Ce que Gentz entend par là, c'est tout ce que Metternich
aurait voulu faire, ce qu'il tenta et ce qu'il n'exécuta qu'en partie. C'est
l'alliance de Chaumont, la quadruple alliance contre la France, resser-
rée et indéfiniment établie ; c'est la garantie des possessions respectives
des Etats, et la garantie des gouvernements contre les aspirations libé-
rales des peuples et les menées des partis révolutionnaires ; c'est le
système de l'absolutisme pur et simple avec la comédie des consultes
d'état substituée partout au régime représentatif; c'est l'Italie divisée
en petits gouvernements rivaux et impuissants, liés par des traités à
l'Autriche qui les protège les uns contre les autres et chacun contre
leurs peuples ; c'est l'Allemagne partagée en une douzaine de Bavières,
que l'Autriche aurait dirigées et dominées comme elle dominait le
Piémont, Parme, Modène, la Toscane, Rome et les Deux-Siciles ;
c'est enfin l'empire ottoman garanti par l'Europe contre les empiéte-
ments de la Russie. Voilà le rêve de Gentz, voilà ce qu'il reproche au
Congrès de Vienne de n'avoir pas compris, voilà ce qu'a essayé le
Congrès d'Aix-la-Chapelle qu'il proclame un chef-d'œuvre, voilà ce
qu'il attendait le jour où, selon son expression, les cabinets pourraient
« travailler en grand ».
Je ne puis juger si l'éditeur a omis des pièces intéressantes, mais
toutes celles qu'il a choisies ont de l'intérêt et l'on n'aperçoit nulle
part qu'il ait été dirigé dans ses choix par une tendance apologétique
et par un autre désir que celui d'instruire le public lettré sans le fati-
guer par des redites inutiles. Lesjiotes de M. de Prokesch-Osten sont
très-sobres : elles me paraissent suffisantes. S'il fallait expliquer les
dépêches de Gentz à des lecteurs ignorants de l'histoire de son temps,
le commentaire déborderait sur le texte. Il y avait une mesure à obser-
ver, et il me paraît que M. de Prokesch l'a observée. Je ne partage pas
toutes ses appréciations : son point de vue, qui est autrichien, ne sau-
PROKESCH-OSTEX : DÉPÊCHES INEDITES DU CHEVALIER DE CxENTZ. 2\\
rait être le nôtre; mais je reconnais très-volontiers que ses jugements
sont toujours modérés. Je l'approuve fort d'avoir, chaque fois que Gentz
aborde un sujet différent, indiqué aux lecteurs les passages des histo-
riens auxquels ils doivent se référer pour trouver des données géné-
rales sur la question. Pour la période de 1813-1814, il est tout naturel
qu'il place en première ligne la grande histoire de M. Thiers ; ce n'est
pas seulement l'importance dominante de l'ouvrage qui paraît le guider
en cela, c'est aussi l'esprit dans lequel l'illustre historien a composé
cette partie — une des plus brillantes et des plus attachantes — de
son récit. M. Thiers parait avoir raconté les négociations de 1813
d'après les conversations ou les mémoires de Metternich, et personne
n'a mieux mis en lumière les rares talents de ce diplomate. Je ne
m'étonne pas que l'éditeur autrichien nous dise (p. 26 en note) que les
« données les plus authentiques » se trouvent dans le tome XV du
Consulat et de l'Empire. Les admirateurs de Metternich né peuvent en
effet désirer une apologie plus complète. Mais Gentz lui-même par ses
confidences corrige en bien des points les éloges, exagérés je le crois,
que l'historien français décerne au ministre autrichien. Ce que Gentz
indique et laisse deviner, des documents publiés cette année même
en Allemagne et en Russie le prouvent. J'ai signalé ici même
l'importance de ces documents que nous devons à M. Oncken et à
M. Martens. M. Thiers ne pouvait pas les connaître à l'époque où il
écrivait, et M. de Prokesch-Osten ne devait pas les connaître davan-
tage lorsqu'il préparait son premier volume. Il en ressort avec le der-
nier degré de l'évidence que si Napoléon se perdit par son indomptable
orgueil et ses prétentions immodérées, s'il fut toujours trop exigeant
et s'il fut en général plus emporté qu'habile dans ces négociations, il
vit pourtant très-clair dans le jeu de Metternich, pressentit la défection
et tâcha de s'en garantir. Nous savons maintenant que s'il eut tort de
ne pas écouter les conseils de Talleyrand et de Gambacérès qui, dans
l'intérêt de la France et de l'empire, lui prêchaient la modération, il
avait de bonnes raisons de se méfier des conseils que lui donnait Met-
ternich et que M. Thiers qualifie trop facilement d'admirables. Il n'est
pas moins évident que si les fautes de Napoléon facilitèrent à Metter-
nich les moyens d'accomplir sa défection, cette défection était parfaite-
ment concertée et préparée par lui. Il y a donc là bien des nuances à
modifier dans le récit de M. Thiers. Les contemporains avaient eu le
sentiment de ces nuances, et on en a les preuves par l'écrit de Fain
[Manuscrit de 1813), que M. de Prokesch a bien raison de citer, tout
en accompagnant les renvois qu'il y fait de réserves nécessaires. Je
regrette qu'il n'ait pas indiqué l'ouvrage, malheureusement inachevé,
d'Armand Lefebvre, Histoire des cabinets de l'Europe pendant le Consulat
et l'Empire. Le tome V de ce livre, composé en grande partie sur les
notes d'Armand Lefebvre, par son fils qui est un de nos diplomates les
plus instruits et les plus distingués, contient sur cette époque des
renseignements précieux tirés de nos archives. Cette Histoire des
212 COMPTES-RENDUS CKITIQUES.
Cabinets de l'Europe ost hoaucoup trop peu connue et appréciée, et
quoiqu'on puisse trouver du parti pris dans tout ce que Sainte-Beuve
écrivait, à une certaine époque, sur l'histoire de l'empire, le bien qu'il
a dit du livre d'Armand Lefobvrc n'est pas exagéré. — Quant à
l'histoire de la Restauration, je m'étonne que M. de Prokesch, au lieu
de renvoyer au livre de M. de Viel-Gastel qui fait à juste titre autorité,
surtout en matière de diplomatie, ait indiqué à ses lecteurs un auteur,
curieux à connaître sans aucun doute, mais aussi peu digne de consi-
dération historique que l'était Gapefigue. Je fais surtout cette remarque
en vue des tomes II et III : lorsque Gentz touche à l'histoire des
quatre congrès et à celle des affaires de Grèce, M. de Viel-Gastel est le
seul écrivain auquel il faille se reporter d'une manière générale : on
peut citer aussi Gervinus ; mais, en dehors d'eux, il n'y a plus que les
recueils de documents et les monographies. Enfin je regrette que M. de
Prokesch ait donné si peu de détails sur l'origine même de la corres-
pondance entre Gentz et les hospodars : cette histoire est piquante et
curieuse; pour la connaître il faut fouiller avec patience les Tage-
bûcher de Gentz, et se reporter à des lettres, mêlées avec beaucoup
d'autres, par M. de Klinkowstrœm dans le petit recueil de lettres de
Gentz qu'il a donné à Vienne en 1870. G'est là en effet que se trouve
la première partie de la correspondance avec les hospodars, et que
l'on voit comment Gentz organisa cette correspondance. — Le carac-
tère même de la Revue historique me faisait un devoir de placer ici ces
observations toutes techniques : je tiens à dire qu'elles n'enlèvent rien
au prix de l'œuvre de Gentz et à l'obligation que nous devons à M. de
Prokesch de nous l'avoir fait connaître.
Les tomes II et III contiennent peu de chose sur les affaires de France ;
on ne trouve guère à ce sujet qu'une preuve nouvelle de la malveil-
lance du prince de Metternich, de ses efforts constants pour empêcher
la France de reprendre sa place dans le concert européen, de l'esprit
de dénigrement systématique avec lequel il la représentait comme
absorbée dans ses dissensions intérieures, sans hommes d'Etat, sans
politique, sans aucune consistance en un mot. Ge parti pris se mani-
feste naturellement dans des rapports adressés au vassal du sultan et
destinés à renseigner la Porte. G'est là que Metternich redoutait le
plus la France, c'est là qu'il tenait le plus à la discréditer. G'est sous
cette réserve qu'il faut lire tous les passages relatifs à la diplomatie
française. Il faut se garder surtout de confondre le jugement de Gentz
avec celui de l'Europe ; autrement on s'exposerait à de graves méprises,
et si on relevait imprudemment certaines appréciations du diplomate
autrichien, on courrait risque de reprocher à la politique de la Res-
tauration quelques-unes des résolutions qui lui font le plus d'honneur.
Ges deux volumes sont consacrés à peu près exclusivement aux affaires
d'Orient, et ils apportent à ce sujet, même après le grand ouvrage de
M. de Prokesch-Osten {Geschichte des Ahfalles der Griechcn) auquel
l'éditeur renvoie pour les documents et les détails, de précieux éclair-
PROKESCH-OSTEN : DÉPÊCHES INEDITES DD CHEVALIER DE GENTZ. 21-3
cissements sur la manière de voir de l'Autriche. Il y a deux affaires
qui se poursuivent en Orient, se mêlent, se séparent et se confondent
de nouveau, mais sont en réalité fort différentes, comme deux rivières
qui forment en certains endroits un même courant, mais dont les eaux
restent longtemps séparées avant d'aller se perdre dans un lac où elles
disparaissent. Il y a le « procès ouvert » entre la Russie et la Turquie,
qui est en instance depuis Pierre le Grand ; il y a l'affaire de l'indé-
pendance de la Grèce, qui fournit à ce procès plusieurs épisodes. Le
« procès » contre la domination ottomane, qui est très-souvent un
procès de tendance, a pour prétexte l'affranchissement des chrétiens et
pour objet la substitution graduelle de la domination de la Russie
orthodoxe à la domination de la Turquie mahométane. L'affaire
de Grèce est une révolte à main armée de sujets contre leur
souverain réel, et, bien que les révoltés appartiennent à l'ortho-
doxie, ils n'en sont pas moins entachés de révolution et suspects
de jacobinisme : la Russie, qui aurait été disposée à améliorer leur
sort et à les protéger, n'entend point qu'ils s'affranchissent eux-mêmes
et donnent un exemple funeste à d'autres nations qui, pour n'être
point assujetties au Croissant, ne s'en considèrent pas moins comme
conquises et opprimées. De là deux tendances et souvent deux direc-
tions dans la politique russe. Les dépêches de Gentz sont pleines de
détails intéressants, souvent même piquants sur les hésitations et les
revirements du cabinet de Pétersbourg.
Le tome II, qui contient les dépêches du 4 janvier 1820 au 30 juin
1825, présente, avec des renseignements et des appréciations sur
les congrès de Troppau , Laybach et Vérone, toute la suite du
procès durant cette période. Les Russes et les Turcs, ayant fait leur
paix en 1812, se querellent naturellement depuis lors sur le traité
qu'ils ont signé. C'est dans ce procès surtout qu'il est juste de dire
qu'il n'y a point d'arrêt sans appel; il semble même qu'on n'y transige
que pour avoir des occasions « légales » de mieux se disputer. La
Porte, se retranchant toujours derrière les « principes » du droit des
gens, montre le mélange de ruse, d'habileté, de faiblesse, d'obstination,
d'aveuglement et de fanatisme qui a toujours marqué sa politique. La
Russie ne poursuivant, dit-elle, que des conquêtes morales, cherche
et exige une satisfaction diplomatique propre à constater son prestige.
La Porte s'y refuse ; les autres puissances conseillent les parties en
litige, écrivent, discutent, s'évertuent, argumentent, et finissent par se
refuser k donner un caractère coërcitif aux démarches collectives par
lesquelles la Russie leur demande de protéger sa politique personnelle.
« La Russie, écrit Gentz le 6 mai 1825, n'a jamais pu désirer pour ses
propres intérêts l'émancipation absolue des Grecs. L'insurrection a
cependant pris ce caractère et il en est résulté en même temps que
l'ancienne influence de la Russie sur la Grèce se trouve entièrement
détruite. Toutefois, cette puissance ne croit pas pouvoir rester étran-
gère au sort d'un pays dans lequel elle a si longtemps exercé une
244 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
infliionco propondérante... EUo chorcho dn nouveaux moyens d'action
et n'en trouve pas. » Et le 25 mai, à la suite d'un protocole et de
démarches collectives acceptées par la Russie, bien qu'ils ne la satis-
fassent point : « Le cabinet de Russie emploiera cet intervalle pour
entamer (comme il est dit dans le protocole) « de nouvelles explications
directes avec les cabinets ». Ces explications n'auront d'autre objet que
d'obtenir des cours alliées l'aveu de la nécessité éventuelle de recourir à
des moyens co'èrcitifs si la Porte s'obstinait à rejeter tous les projets de
pacification présentés par les puissances. L'effet de cette démarche ne
répondra pas aux vœux de la Russie. Aucune des trois autres puis-
sances ne se prêtera ni à un pareil aveu, ni à un engagement qui en
serait la suite Le cabinet russe... ne peut ou ne veut renoncer à
l'espoir (absolument illusoire) de rétablir, à quelque prix que ce soit,
un état de choses qu'il regarde ... comme un objet de nécessité posi-
tive pour son empire. Il ne voit pour y arriver qu'un seul moyen
satisfaisant, celui d'une pacification de la Grèce réalisée sous les auspices
de la Russie^ aux conditions et dans les formes dictées par elles. » Ces
négociations nous conduisent jusqu'à la dépêche du 17 décembre 1825
(tome 111, p. 58) qui annonce la mort de l'empereur Alexandre.
Le tome II retraçait une politique de transition ; l'intérêt y languit
un peu ; le tome III retrace une crise, et la lecture en est assez aussi
attachante que celle du tome I. On dit volontiers aujourd'hui que l'astre
de la diplomatie décline et pâlit ; ce déclin, s'il est réel, n'est pas
récent, et s'il y a un astre qui éclaire peu de choses nouvelles, c'est
assurément celui-là. Les dépêches de Gentz à partir de l'avènement de
Nicolas nous en fournissent une preuve nouvelle. Nicolas n'avait ni
les tendances humanitaires ni les velléités mystiques de son frère
Alexandre. Ce dernier était bien revenu de ses illusions sur les Grecs;
Nicolas n'en avait jamais eu. Aussi ne veut-il s'occuper que de son
procès. Gentz écrit le 16 avril 1826 que le tsar a renoncé tacitement à
tout ce qui regarde la pacification de la Grèce ; il ajoute le 21 mai :
« L'empereur lui annonça (au duc de "Wellington) que l'affaire de
Grèce n'entrerait pour rien dans les démarches qu'il comptait faire
envers la Porte, et que ces démarches n'auraient d'autre objet que ses
griefs particuliers et l'exécution de ses traités avec les Turcs. » a L'em-
pereur, dit-il encore (16 mars 1826), ne veut pas la guerre; c'est une
vérité de fait sur laquelle il n'y a plus de doute. Son cabinet ne la
désire pas plus que lui ; mais il lui faut, d'après sa manière de voir,
quelque satisfaction éclatante pour apaiser la voix publique. » Cette
satisfaction, il la poursuit et croit l'obtenir dans le traité d'Akermann
(7 octobre 1826. Dépêches de Gentz, du 30 octobre et 1" novembre
1826). Voilà donc le procès suspendu une fois de plus. Gomment la
Russie va-t-elle être conduite à la guerre par cette affaire des Grecs
qu'elle reléguait au second plan ? C'est un bien singulier épisode d'his-
toire diplomatique et Gentz le retrace avec beaucoup de vivacité. C'est
le fond de ses dépêches de 1826 à 1828.
PROKESCH-OSTEN : DÉPÊCHES INÉDITES DU CHEVALIER DE fiENTZ. 215
On ne s'étonne le plus souvent que par ignorance. La sur-
prise causée à tant de personnes par la véhémence de M. Gladstone
et des libéraux ses amis contre les Turcs, aurait été moins vive
si l'on s'était souvenu qu'en 1826 et 1827 il y avait en Angle-
terre un célèbre ministre qui se nommait M. Ganning et que
ce ministre avait des partisans dont le philhellénisme ne le cédait
en rien à la fougueuse orthodoxie de M. Gladstone. Le ministère
anglais veut satisfaire l'opinion. et redoute que la Russie ne prenne en
main l'affaire des Grecs et n'en tire bénéfice ; la Russie raisonne de
même, et de ce conflit de leurs intérêts résulte entre eux une entente
momentanée. Ils signent le protocole de Pétersbourg du 4 avril 1826
et prennent en main la pacification de la Grèce. « Il est clair, dit
Gentz (31 mai 1826), que les négociateurs de cette pièce informe
n'avaient mis au monde qu'un enfant mort né », « un véritable avor-
ton », ajoute-t-il le 30 janvier 1827. « Il n'y a aucune apparence, écrit-
il encore (11 janvier 1827), que nous parvenions à des notions plus
substantielles sur un plan évidemment mal combiné, mal digéré, et
sur lequel ceux qui vont le mettre en avant ne s'accordent, ne se com-
prennent pas eux-mêmes. » Ce protocole est communiqué aux puis-
sances et il en résulte le traité de Londres du 6 juillet 1827, entre la
France, l'Angleterre et la Russie. Ce traité n'est qu'un développement
du protocole. «Or, dit Gentz à propos du projet qu'il connaissait avant
la signature, comme ce protocole était déjà une des pièces les plus
incorrectes, les plus absurdes, en un mot, qui soient jamais sorties
d'un grand cabinet, on comprend ce que devait être une nouvelle édi-
tion de cette pièce confiée aux faibles mains du prince de Lieven et de
quelques buralistes anglais. » A peine est-il signé que le Times en
reçoit, prétend-il, la communication de son correspondant de Paris, et
le publie, avec les articles additionnels et secrets (dépêches du 26 juil-
let 1827). Il en résulte un grand scandale, que l'on déclare sans précé-
dent, comme on l'a fait avec la même simplicité pour tous ceux qui
ont suivi. Gentz montre très-bien et à diverses reprises comment la
Russie a dû être et a été en eôét entraînée à la guerre. Il l'annonçait
dès le 7 février 1827 : « L'intention d'en venir .à une rupture avec la
Porte n'existe d'aucun côté ; mais je reconnais que cet événement
peut avoir lieu au moins pour la Russie contre les vœux de l'empereur
et malgré ses dispositions pacifiques. Car si la négociation fondée,
comme elle le sera, sur des propositions inacceptables, et en même
temps catégoriques, dégénère en exaspération mutuelle, cela peut con-
duire à cette alternative si redoutable pour la Russie d'une retraite
humiliante ou d'une nouvelle levée de boucliers à la suite de quelque
nouvel ultimatum ; et personne ne saurait préjuger quel serait dans ce
cas le choix de l'empereur. » Gentz avait constaté, en le raillant amè-
rement, l'échec du protocole du 4 avril 1826, que la Russie et l'Angleterre
avaient communiqué à la Porte. « Les acteurs, bien divisés et brouillés
entre eux, ont épuisé en pure perte leurs pleins pouvoirs très-limités ;
-M» COMl'TKS-llEIVDUS CRITIQliKS.
Cl no so sontant pas autorisas à passor à dos inosuros plus imposantos,
mi soulomont à un langago comminatoire, ils sont placés vis-à-vis do
la Porte et du public dans une position tout à fait ridicule. » 11 cons-
tate avec le même entrain l'échec du traité de Londres ; les ministres
des trois cours signataires le font notifier par leurs drogmans à la
Porto le 16 août 1827 ; le Rois Effondi lour fait signifier qu'il se gar-
dera « de toucher, 7nê)ne de la main, à leur papier ». Les drogmans le
jettent sur le sofa et s'en vont. Les alliés demandaient péremptoire-
ment une réponse dans quinze jours. Les Turcs déclarent qu'ils ne
répondront ni dans quinze jours ni dans quinze ans (dépêche du 15 sep-
tembre 1827). Alors Gentz (2 octobre 1827) explique admirablement
que la Franco et l'Anglotorre, constatant lour impuissance, trouveront
dos arguments spécieux pour expliquer lour retraite, mais qu'il n'en pourra
être de même pour la Russie : elle sera conduite à continuer seule
l'affaire. L'empereur ne voulait pas la guerre, il n'avait pas d'arrière-
pensées, mais il s'est laissé entraîner ; « maintenant, il est tellement
circonvenu, en premier lieu par les autours de ce complot [qui avait
pour objet de l'entraînerj, puis par l'ancien parti russe, par le parti
militaire, par le parti enfin des traîtres qui veulent la guerre pour
amener des bouleversements, qu'il est presque impossible qu'il sorte
de ce cercle funeste. » C'est alors que le traité de Londres et ses articles
secrets produisent le plus singulier des résultats : la France et l'An-
gleterre, qui prétendaient rester en paix avec la Porte et ne voulaient
nullement faire la guerre, sont conduites à détruire, avec la Russie, la
flotte turque à Navarin (20 octobre 1827). La France et l'Angleterre
continuent de prétendre que cet incident n'a point troublé et ne sau-
rait troubler leurs relations pacifiques avec la Porte ; le fait est qu'elles
se repentent, s'inquiètent et battent en retraite. La Russie le pourrait
aussi, mais le voudra-t-elle ? « C'est à la volonté pure et simple de la
Russie que tout est remis en ce moment, écrit Gentz le 26 décembre
1827. Elle peut avoir des raisons (tenant à ses propres convenances)
pour suspendre encore le coup dont elle menace depuis si longtemps la
Porte; mais elle peut aussi juger de son intérêt de l'exécuter sans
délai. » Il lui aurait fallu une satisfaction éclatante (p. 407) pour recu-
ler ; elle ne l'obtint pas, et au milieu de la crainte générale, à la grande
consternation des Anglais qui avaient refusé d'y croire (p. 420) et
malgré les adjurations de l'empereur d'Autriche qui lui représentait
« l'immense responsabilité qui pèserait sur celui qu'on pourrait accu-
ser un jour d'avoir allumé un incendie dont les ravages pourraient
facilement s'étendre à toutes les parties de l'Europe, » Nicolas déclara
la guerre le 14 avril 1828. Les troupes russes passèrent le Pruth le
6 mai ; elles arrivèrent à Jassy le 7 et à Bucharest le 11. L'hospodar,
auquel écrivait Gentz, avait depuis quelques jours quitté la ville. Cet
événement mit fin à la correspondance.
Albert Sorel.
D. DE BODKHAROW : LA RUSSIE ET LA TURQUIE. 2^
La Russie et la Turquie depuis le commencement de leurs
relations politiques jusqu'à nos jours, par Dmitri de Boukha-
Row. Un vol. in-8° de 286 pages. Amsterdam, Jan Schuitemaker et
comp. Prix : 6 francs.
L'auteur de ce volume n'a pas prétendu faire une œuvre nouvelle : il
a tout simplement voulu « résumer d'une façon absolument impartiale
les faits historiques tels- qu'ils sont établis par des documents authen-
tiques pour servir de répertoire général. » Un examen rapide justifie
la modestie de ces prétentions : l'œuvre de M. B. n'a aucun caractère
scientifique. L'auteur cite rarement les sources qu'il consulte : les ma-
nuels les plus sommaires d'histoire moderne et les recueils de traités
ont fourni toute la .matière de ce travail : M. de B., si son nom n'est
pas un pseudonyme, doit être Russe de naissance; mais il a évidem-
ment écrit loin de sa patrie. La partie la plus développée de l'ouvrage
est consacrée à la guerre de Crimée et à la révision des traités de Paris
en 1870. L'intérêt principal du volume consiste dans les textes de cette
dernière transaction à laquelle la France, trop préoccupée de ses mal-
heurs, n'a pu donner qu'une attention distraite. Le volume est d'ailleurs
plein de négligences et de fautes d'impression dont quelques-unes inex-
plicables. L'auteur termine tour à tour les noms russes par /", ff ou w,
sans qu'on sache à quelle transcription il a voulu s'arrêter : il appelle
Kinglcak le célèbre historien de la guerre de Grimée. Il écrit ou laisse
imprimer que en 1784 le souverain de Cochinchine (sic !) s'est placé sous
la suzeraineté de Catherine. Il s'agit de la Géorgie! Il parle tour à tour
des Serviens et des Serbes; il ne parait même pas savoir à quelle natio-
nalité appartiennent les Roumains. Il écrit p. 143 que le traité de Balta-
liman qui réglait les affaires de la Valachie et de la Moldavie brisa les
faibles liens qui unissaient encore les peuples madgyars (!) à la Russie.
Cet ouvrage n'est réellement utile que pour la partie moderne : les
noms géographiques y sont horriblement défigurés : il ne peut être
consulté qu'avec défiance.
Louis Léger.
218 RECUEILS PÉllIODiyilES.
RECUEILS PERIODIQUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES.
I— Revue des Questions historiques. Juil. 1877. — Vigouroux. Les
Juges d'IsratU (dans ce travail consciencieux qui ne s'étend que jusqu'à
Gédéon, le caractère des juges est assez bien indiqué; mais l'auteur a
le tort do voir une histoire suivie dans ce qui n'est qu'un ensemble de
traditions héroïques d'une chronologie incertaine. Il y a des erreurs
d'interprétation : Gédéon ne tua pas les chefs de famille de Soccoth en
les roulant dans des épines, il les fouetta avec des épines ; c'est bien
une idole et non un vêtement que Gédéon fabriqua avec les dépouilles
des Madianites et qui fut une cause de scandale). — E. Revillout. Le
premier schisme de Constantinople; Acace et Pierre Monge (M. R. a
découvert au Louvre des lettres en copte d'Acace et de Pierre Monge
qui prouvent qu'Acace est réellement tombé dans l'hérésie monophy-
site ; mais il ressort aussi de son récit que la vraie cause du schisme a
été non une question de dogme, mais la question de l'indépendance du
siège de Constantinople vis-à-vis de celui de Rome). — G. Gérin. Le
Pape Alexandre VIII et Louis XIV (apologie intéressante de la politique
d'Alexandre VIII, d'après les papiers des affaires étrangères). —
T. DE Larroque. Documents inédits sur Gassendi (mémoire d'un de ses
secrétaires, A. de la Poterie. Bibl. nat. fonds fr. 12,270. Très-curieux,
surtout pour les sentiments religieux de Gassendi). — L. Duchesne. Deux
études sur les Légendes des Martyrs (excellent article). — Colombier.
Les Monnaies pontificales primitives. — Courriers anglais, Scandinave,
espagnol. — Chronique. — Revue des Périodiques. — Bibliographie.
II. — Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, l^^^ et 2" liv. 1877. —
P. Marchegay. La Rançon d'Olivier de Coëtivy, seigneur de Taillebourg
et sénéchal de Guyenne (1451-1477). — J. Havet. Les Cours royales
des Iles normandes (travail intéressant ; après avoir examiné et apprécié
les sources qui nous font connaître les institutions de Jersey et de
Guernesey, M. H. étudie le rôle des gardiens des îles, des baillis,
lieutenants-baillis, juges délégués et justiciers itinérants). — A. de
Marsy. Fragment d'un compte de l'abbaye de N.-D. de Boissons. —
L. Delisle. Fragment d'un registre d'Alexandre IV (fragment d'un
registre original; sur les 46 pièces analysées par M. D., cinq seulement
se trouvent dans Potthast). — A. Bruel. Visites des monastères de
l'ordre de Cluny et de la province d'Auvergne en 1286 et 1310 (quelques
traits de mœurs curieux.) — E. de Rozière. Rapport sur le concours
des Antiquités de la France en 1876. — Dans les mélanges, une note
de M. A. de Mas Latrie sur Guillaume de Machaut; une liste de docu-
RECnEILS PERIODIQUES. 24 9
ments français vendus à Londres le 17 janvier dernier ; l'analyse de
pièces du chartrier de Thouars de 1409 à 1561. On relève la singulière
inadvertance de MM. Ewald et Wattenbach qui, dans le Neues Archiv,
signalent l'importance des œuvres d'André, moine de Fleury, qu'ils
croient inédites, tandis que la Vie de Gozlin a été imprimée en 1853 et
les Miracles de S. Benoît en 1858.
m. — Revue critique. N" 23, 1877. — Lemière. — Deuxième étude sur
les Celtes et les Gaulois; les Celtes (d'Arbois de Jubainville; travail
systématique, où l'auteur ne parvient pas à prouver sa thèse d'après
laquelle tous les habitants de l'Espagne ancienne, ainsi que les Ligures,
les Aquitains et les Basques seraient des Celtes). = N" 24. Desmaze.
L'Université de Paris, 1200-1875 (sans valeur). — Rochholtz. Tell u.
Gessler in Sage u. Geschichte (R. ; mal composé, faits intéressants; la
partie mystique est trop hypothétique ; prouve que le nom- même de
Gessler est inventé; jusqu'à la fin du xviii" siècle, le tyran légendaire
s'appelle Grisler). — Luard. On the relations between England and
Rome, during the reign of Henry III (Bougier ; très-incomplet). = N»
25. Wecklein. Ueber die tradition der Perserkriege (Weil; signale de
nombreuses légendes et erreurs dans les récits d'Hérodote). = N» 26.
Settegast. Benoît de Sainte-More (Darmesteter; donne de bons argu-
ments pour identifier Benoît de Sainte-More et le Benoît auteur de la
chronique des ducs de Normandie). = N" 27. Heisterbergk. Die Entste-
hung des Colonats (Havet; peu important). — Ghantelauze. Marie
Stuart (R.; art. très-important qui réfute par les faits mêmes consignés
dans le livre de M. G. l'opinion préconçue qui porte ce dernier à innocenter
entièrement Marie Stuart). = N° 28. Wright. History of Népal (Feer;
ouvrage très-remarquable). — Ussing. Om graekernes og romernes
Huse (Graux ; travail très-bien fait sur les habitations et la vie domes-
tique des anciens). — Sickel. Ueber Kaiserurkunden in der Schweiz
(Mossmann; contribution importante à la diplomatique du x** s.). —
Delarg. Un pape alsacien (R.; consciencieux, quelques lourdes mé-
prises) .
IV. — Journal des Savants. Juin. — Naudet. De l'État des per-
sonnes et des peuples sous les empereurs romains (fin). — Perrot.
Archéologie de l'île de Samothrace. = Avril, mai, juin, analyse dé-
taillée des 6 vol. des Reports of the royal comviission on historical mss.,
collection fort importante qui n'a pas et qui d'ailleurs ne pourrait peut-
être pas avoir d'analogue en France.
V. — Revue archéologique. Juin.— A. Castan. Vesontio, colonie
romaine (étudie les monuments qui témoignent que Vesontio fut une
colonie romaine; c'est à ce titre qu'elle a dû de garder son nom au lieu
de prendre, comme ce fut la règle en Gaule, celui de la peuplade dont
elle était le centre administratif). — Fougart. Alliance des Athéniens
avec Léontium et Rhégium en 433. = Juillet. Muntz. Les anciennes
basiliques et églises de Rome au xv« s.
220 RECUKII-S l'KlUODIQUKS.
\ I. — Le Musée archéologique. 2" livr. — (i. Schlumderger. BuUos
Itvzaiitinos inédites. — A. Forgeais. Plombs historiés trouvés dans la
Seine ; blasons et chevaliers.
VII. — Revue celtique Vol. III, n" 2. — Général Creuly. Liste des
noms supposés gaulois, tirés des inscriptions (travail fait d'après des
textes mauvais, et n'oilVant par conséquent aucune garantie d'exacti-
tude). — D'Arrois de Jubainville. Une énigme d'onomastique fluviale
(attribue à la langue ibérique douze noms de rivières de la Mauritanie
que M. Pictet croyait gaulois; M. d'A. do J. en conclut l'occupation de
l'Afrique par les Ibères antérieurement à la conquête berbère).
VIII.— Revue des Sociétés savantes. Juillet-sept. 1876.— Parmi
les documents communiqués au Comité et publiés dans la présente
livraison, nous signalerons : des extraits du livre-journal des Carmé-
lites de Pontoise,par M. l'abbé Grimot (ils servent à fixer l'itinér. d'Anne
d'Autriche et de Louis XIV en 1648 et 1649, et attestent l'influence
exercée par la supérieure de ces Carmélites, Jeanne Séguier, sur l'esprit
de la reine); — un intendant de Champagne en 1620, par M. Babeau
(curieux surtout à cause de la date); — diverses transactions au moyen-
âge, concernant notamment un pèlerinage par procuration et la confec-
tion d'un livre d'heures, par M. de Righemond; — comptes de la maison
de Louis de la Trémoille pendant son séjour en Italie (1494-1499) par
M. Ed. DE Barthélémy; — entrée de Henri IV à Rennes en 1598; cou-
leurs de ce prince, par M. Quesnet. — Notons aussi un rapport de M.E.
DE Mofras sur les copies de mss. et extraits tirés des bibliothèques et
archives de Gènes et de Pise par M. Fr. Molard, et une note de
M. DouET d'Arcq sur la mort de Philippe le Bel.
IX. — Bulletin de l'histoire du protestantisme. 15 Juin. —
Gaufrés. Les amis de Baduel (extraits de sa correspondance, 1548-1550).
— MouNiER. Liste des pièces relatives aux églises du désert, contenues
dans les archives du comité de Hollande pour les Églises de France
(1735-96). — L. Feer. Note sur un récit des Mémoires d'Etat de Villeroy.
(Tentative de Monluc, de connivence avec les Espagnols, pour enlever
Jeanne d'Albret, mère de Henri IV. L'auteur montre que le document
où a été pris ce fait lui est postérieur d'au moins vingt ans; quant au
fait en lui-même, il ne le croit pas controuvé; mais il y fait remarquer
des détails extraordinaires.) = 15 Juillet. Ed. Hugues. Un épisode de
l'histoire du protestantisme au xvm« siècle. — Viel. L'élection consu-
laire de la ville d'Alais en 1585. — Les enlèvements d'enfants ; requête
au roi touchant la déclaration du 17 juin 1681. — J. Doinel. Procès
fait à un cadavre en 1699.
X. — Revue de Champagne et de Brie. Avril. — Hérelle. His-
toire du collège de Vitry-le-Français (fin). — Ed. de Barthélémy. Ori-
gines du collège de Reims (établi en 1608 par les Jésuites). — A. de
Besancenet. Le portefeuille d'un général (Dommartin; suite en juin.
— L'ouvrage reste interrompu, pour paraître en vol. chez Pion). — C^'^de
RECDEILS PÉRIODIQUES. 22-1
RiocouR. Les archives des actes de l'état-civil de Chalons-sur-Marne;
suite en juin et juillet. = Mai. Mgr Flighe. Esquisse historique sur le
cardinal de la Luzerne, évèque-pair de Langres f 1821. — Sénemaud.
Etat-civil des familles nobles des Ardenncs (d'après les registres de la
paroisse N.-D. de Mézières); suite en juin et juillet. = Juin. E. B.
Mémoires de Jean Foulquart, procureur de l'échevinage à Reims 1497-
99; documents inédits. — D'Arbois de Jubainville. Etymologies cel-
tiques : Aiitessiodunini, Durocatalauni^ Durocortorum.
XI. — Revue de Bretagne et de Vendée. Juin. — Abbé du
Tressay. Armand de Richelieu, évèque de Luçon; fin (publie 5 lettres
de Richelieu). — A. de la Borderie. Louis de la Trémoille et la
guerre de Bretagne en 1488; éclaircissements topographiques.
XIL — Revue de Gascogne. Juin. — Abbé Dubord. L'instruction
publique à Gimont avant 1789 ; suite en juillet. — Tamisey de Larroque.
Christ, et Fr. de Foix-Candalle, évéques d'Aire ; appendice. — R. P.
Labat. Etude critique sur saint Sever. = Juillet. La Plagne-Barris.
Naudonnet de Lustrac (écuyer au service de Charles Vil, qui lutta avec
succès contre les Anglais dans le Midi). — Abbé DuLAC.Un Lectourois
evèque de Tarbes (Géraud de Doucet, élu en 1308, mort en 1313). —
Tamisey de Larroque. Bernadotte et l'université de Giessen (copie du
diplôme décerné le 17 déc. 1798 à B. ; communiqué par M. Bremond
d'Ars).
XIII. — Chroniques du Languedoc. 5 Juin. — Documents pour
l'histoire du vin (placet présenté à l'intendant du Languedoc par les
échevins de Marseille, pour faire rejeter la demande des négociants du
Languedoc tendant à avoir l'entrepôt de leurs vins à Marseille, 22 avril
1687). — Laforgue. La prise de Mazamet (reproduction d'une plaquette
du temps). — Mémoire sur la ville de Gignac en 1675. = 20 Juin. A. de
Lamothe. Fragments historiques sur Beaucaire. — Thénard. Correspon-
dance inédite du président Bon; suite. — Corbière. La famille de
Bourbon-Malauze et le château de Lacaze; suite le 5 et le 20 juillet. —
Vaschalde. Les privilèges d'Aubenas, xiii^ et xiv« s. =: 20 Juillet. Ba-
ron de Rivières. Armoriai des évéques et archevêques d'Albi. —
Publié à part, les livr. 18 à 21 du Journal de Faurin sur les guerres de
Castres.
XIV. — Revue du Dauphiné et du Vivarais. Juin. — Allmer.
Trois inscriptions récemment découvertes à Saint-Romain d'Albon
(des années 467, 516 et 631. La découverte de ces inscriptions porte
M. A. à conclure que Saint-Romain d'Albon était aux v-vii'' siècles un
centre de population florissant, et il croit pouvoir identifier Albon avec
le lieu où se tint en 517 l'assemblée d'évèques connue sous le nom de
concile d'Epaone). = Juillet. Vaschalde. Établissement de l'imprimerie
dans le Vivarais. — Macé. Le comte de Plélo et le général de Lamothe
de Lapeyrouse (réhabilite ce dernier envers qui M. Rathory avait été
222 IIECDEILS l'KIlIODIQl'KS.
injusto). — Lakayolle. Notice généalogique sur la branche des Lévis,
sires de Ventadour, seigneurs de la Vuulle.
XV. — Revue du Lyonnais. Juillet.— V. de V. L'ancienne admi-
nistration consulaire de Lyon a-t-elle été gratuite? (Elle fut rétribuée
depuis le xiv«s. A la lin de l'ancien régime, les officiers municipaux
touchaient d'assez gros traitements).
XM- — Bulletin de la Société archéologique de Tarn -et -
Garonne. 2« trim. — Forestik. La place publique de Montauban et
les incendies delG14 et 1(149.— Guirondet. Les Croisés de St-Antonin.
XVIL— Revue de Géographie. Juillet. — L. Metghnikoff. L'em-
pire des Tennos (ou du Japon; introduction d'un travail qui doit con-
tenir la description géographique et ethnographique du pays, et un
tableau des principales époques de son histoire).— Langeron. Magellan;
fin. — Drapeyron. Le grand dessein secret de Louis XIV contre l'em-
pire ottoman (textes inédits tirés du ms. de la Bib. nat. 7,176, fonds fr.,
2« partie).
XVUL — Revue politique et littéraire. 16 Juin 1877.— A. Maury.
Les commencements de l'histoire (les premières migrations des peuples ;
le Paradis terrestre: les fils de Cham et de Sem). = 23 Juin. Dela-
brousse. Le pouvoir personnel; ses antécédents dans l'histoire parle-
mentaire (cette intéressante étude d'histoire politique contemporaine a
été suivie le 21 juillet d'une autre étude non moins curieuse sur l'his-
toire des candidatures officielles).— H. Spencer. Le culte des animaux.
— L. QuESNEL. Le Groenland et les Esquimaux, d'après le livre du
D-" Rink, Taies and traditions of the Esquimaux. = 7 Juillet. Reinach.
De l'influence historique de la France sur l'Allemagne (brillant article
qui montre très-bien tout ce que l'Allemagne a emprunté à la France,
mais en le germanisant par l'assimilation). = 28 juillet. La fondation
du régime parlementaire en Angleterre, 1688-1840; les révoltes du pou-
voir royal contre le Parlement (montre les victoires de la politique op-
portuniste).
XIX. — Revue de France. 15 Juin. — Nourrisson. Necker (fin).
— L. Dupont. Tours et Bordeaux (fin : lutte entre MM. Jules Simon et
Gambetta en fév. 1871). — L. Védel. Une chronique vivaroise au xvi« s.
(analyse d'un Mémoire sur l'ancien couvent des Gordeliers de Largen-
tière, par un père du même ordre, en 1781 ; ce couvent fut entièrement
détruit en 1562 par les religionnaires). = l^r Juillet. A. de Courson. Un
homme d'autrefois^ par le marquis Costa de Beauregard. = 15 Juillet.
Memor. Entretiens rétrospectifs sur les choses d'Allemagne :II,Garlsbad
en 1863 (anecdotes sans intérêt).
XX. — Le Correspondant. 10 Juin. — Vian. Montesquieu ; sa vie et
ses ouvrages (fin: mort de Montesquieu ; son rôle posthume). — Bonnefoy.
Christophe Colomb. (Cet article est une réclame pour la canonisation du
grand navigateur à propos d'un ouvrage de M. Roselly de Lorgnes, l'Am-
RECUEILS pe'riodiqoes. 223
bassadeur de Dieu et Pie IX.) = 25 Juin. De Lescure. Le vrai Voltaire,
d'après les documents publiés dans les six dernières années. = 10 Juill.
R. Lavollée. La vieille France (d'après le récent ouvrage de M. de
Ribbe, la Vie domestique., ses modèles et ses règles). = 25 Juil. G. d'Ave-
nel. Le concordat de 1801 et M. de Talleyrand (attribue à la néfaste
influence de Talleyrand tout ce que le concordat peut contenir de con-
traire aux droits de la papauté. Bonaparte « qui, à son avènement, si
l'on en excepte son armée, ne connaissait en France ni les bommes, ni
les choses », aurait été tout simplement dans cette occasion « exploité »
par Talleyrand. La substitution de pièces dont parle Gonsalvi dans ses
Mémoires serait le fait de M. d'Hauterive, confident et ami de Talley-
rand. La publication de quelques documents inédits rachète à peine
tout ce que cette thèse a d'insoutenable).
XXI. — Revue des Deux-Mondes. {«<' Juin. — Maxime du Camp.
Les prisons de Paris sous la Commune. II : Le dépôt près là préfecture
de police. III. (livr. du !«•■ juillet) : la Conciergerie, Saint-Lazare, Sainte-
Pélagie (très-intéressants détails, notamment sur les négociations enta-
mées, avec l'approbation et au nom du gouvernement de Versailles, par
un nommé Veysset, avec certains chefs de fédérés, Dombrowsky entre
autres. Veysset paya de sa vie cette audacieuse tentative qui faillit
réussir). = 15 juin. A. Leroy-Beaulieu. L'empire des tsars et les
Russes. IV, le système militaire et l'armée. — L. Burnouf. L'âge du
bronze et les origines de la métallurgie. — A. Laugel. La mère de
Henri IV, Jeanne d'Albret (analyse du livre de M. de Ruble, Le Ma-
riage de Jeanne d'Alb7'et). ^ 15 Juillet. G. Boissier. Promenades archéo-
logiques : le Palatin. — R. Chantelauze. Le cardinal de Retz, ses
débuts dans la carrière ecclésiastique, d'après des documents nouveaux
(travail important; peinture fine et vraie).
XXII.— La Philosophie positive. Janvier- Août. — Ant. Dubost.
Danton et la politique contemporaine. (M. D. cherche à démontrer
« que tant qu'a duré l'action dantonienne, c'est-à-dire jusqu'à la mort
de Danton, en avril 1794, la Convention a affecté une marche progres-
sive; que, dès que cette action ne s'est plus fait sentir, le mouvement
n'a plus revêtu qu'un caractère rétrograde »). = Juillet-août. Alb. Cas-
TELNAU. La faune politique et Machiavel (extrait d'un ouvrage qui va
bientôt paraître sous le titre : Les Médicis, 1438-1530).
XXIII. — Analecta juris pontificii. 143" livraison. Juin 1877. —
L. C. Le pape S. Zacharie et la consultation de Pépin le Bref (l'auteur
a déjà fait paraître cet article en italien dans la Revista Universale). —
L'abbé Pantaléon Mury. Mémoire sur la môme question (extrait de la
Revue des Questions historiques). — L'abbé de Camps. Consultation de
Pépin le Bref (imprimé, si je ne me trompe, sur le manuscrit de l'abbé
de Camps, conservé à la Bibliothèque Nationale). — ... Décrets inédits
de la S. Congrégation des évoques et des réguliers (de 1790 à 1818).
XXIV. — Revue chrétienne. 5 Juillet. — Puaux. Daniel Encontre
224 RECUEILS PERIODIQUES.
(pasteur protestant, né en 17G!2; mathématicien distingué; un dos fon-
ilatt'urs de l'Académie des sciences et belles -lettres de Montpellier,
d'aitrès une biographie de M. Bourchcnin).
XXV. — Journal officiel. 16 juin 1877. — Baudrillart. La cen-
sure et la réforme des mœurs au xyi^s. (fin le 7 juillet). = 17 Juin. G. de
NouYiON. Un concussionnaire au xvn^ s. Procès de Louis de Marillac
(M. de N. soutient avec de bonnes raisons, tirées des procès- verbaux du
procès, l'innocence de Marillac). = 15 Juill. Mazeng. Le Mundus Novus
d'Améric Vespuce (trad. de la relation du voyage de 1501 d'après la
trad. latine dont il n'existe que deux ex. connus), = 29 Juillet, Ed.
Drumond. Les almanachs historiques au xvn^ s. (ces almanachs, accom-
pagnés de gravures parfois remarquables, mettaient en scène les événe-
ments principaux de l'année qui venait de finir; ils ont la valeur de
documents historiques; malheureusement les collections complètes en
sont très-rares).
XXVI. — Le Spectateur militaire. 15 Juin, 15 Juillet. — A, de
Lort-Sérignan, Guillaume III, étude sur les guerres de Louis XIV ;
suite. — A. DE Besancenet, Une armée sous la Convention; suite
et fin.
XXVII. — Bulletin de la Réunion des officiers. N° 26. — Ba-
taille de Denain, d'après des doc. inédits, avec reproduction d'un plan
de l'époque (attribue à M. de Montesquieu l'idée de la marche sur
Denain),
XXVUI. — Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. =
Séances. Les 8 et 22 juin M. de Rozière lit un mémoire de M. J. Finot
sur la formation du royaume de Bourgogne cis-jurane. L'auteur attribue
une grande importance à la lutte entre Charles le Chauve et le jeune
Lothaire au sujet du mariage de ce dernier avec Waldrade. — Les 8 et
16 juin M. Carapanos lit un mémoire sur l'histoire de la ville de Dodone.
— Le 22 juin M.Maury fait une communication sur les Ligures. D'après
lui, les Ligures sont un peuple celtique. Ils chassèrent au ix« ou au x« s.
avant notre ère les Sicanes et les Sicules du nord du fleuve Sucro en
Espagne et les forcèrent à se réfugier en Trinacrie. Les Ségobriges d'Es-
pagne sont une colonie de ceux de Ligurie. — Le 29 juin et le 6 juillet
M. L. Delisle lit un très-important mémoire sur les manuscrits de
Bernard Gui dont la grande chronique Flores Chronicorum^ de la nais-
sance du Christ au xiv* s. , remaniée neuf fois, offre, ainsi que son his-
toire des Dominicains, un vif intérêt historique.
XXIX. — Académie des Sciences morales et politiques. =
Séances. — Le 23 juin et le 7 juillet M. A. Vuitry a lu un mémoire
sur les finances royales au M. A. ; il montre comment les revenus et
les dépenses, après avoir été jusqu'à la fin du xii'= s: ceux d'un seigneur
féodal, commencent au xiv^ s, à devenir ceux d'un souverain véritable
et il essaie de déterminer approximativement le montant des recettes
RECUEILS PÉRIODIQUES. 22^
et des dépenses. = Comptes-rendus. — Gibaud. Les nouveaux bronzes
d'Osuna. — Armingaud. La maison de Savoie et les archives de Turin
(aperçu intéressant des relations de la Savoie et de la France de Louis XI
à Henri II). — Drouin de Lhuys. Le Japon et Rome au xvn^ s. (d'ap.
le ToMo Times^ journal anglais paraissant au Japon depuis le 6 janvier
1877; curieux détails sur les relations du daimio d'Oshiu, Date Masa-
mune, avec le pape Paul V par l'entremise d'un dominicain commer-
çant L. Sotelo). — RossoEUW St-Hilaire. Les colonies espagnoles (causes
de leur ruine).
XXX. — Messager des sciences hist. de Belgique. 2« liv. — La-
VAUT. Quelques sceaux du diocèse de Gand. — E. van Even. Nouveaux ren-
seignements sur le séjour à Louvain de Gui Morillon, secrétaire de
Charles-Quint, et de sa famille.— Van der Elst. Singularité du combat
de Florennes, où fut tué le comte Lambert, 12 sept. 1015 (explication
rationnelle d'un passage où Balderic attribue à un miracle la mort du
comte).
XXXI. — Mémoires et documents publiés par la Société
d'Histoire et d'Archéologie de Genève. Tome XIX, 2*^ livr., 1877.
— V. Gérésole. Documents diplomatiques sur l'Escalade , tirés des
archives d'Etat de Venise. (Dépêches entièrement nouvelles, émanées
des ambassadeurs de la sérénissime République à Turin, à Paris, à
Rome, et qui font connaître tour à tour l'impression produite à Turin
par l'échec de Son Altesse, les sentiments du Souverain-Pontife, et
l'attitude assez complexe, mais énergique d'Henri IV. Un joli mot
cependant du roi au nonce : « Au sujet de l'entreprise contre Genève,
« le roi a déclaré à Mgr. le nonce qu'il lui aurait été fort agréable
« qu'elle eût eu son effet, parce qu'il serait allé immédiatement reprendre
« la ville et qu'il l'aurait gardée pour lui; qu'en cette affaire il voyait
« bien comme on tâchait d'avoir le Pape pour soi, parce que ce nid
« d'hérésie devait naturellement déplaire à Sa Sainteté ; mais qu'elle
« n'avait pas d'intérêt à ce que la place fût possédée par un prince
« plutôt que par l'autre, et que si Sa Majesté s'était emparée de la ville,
« elle l'aurait débarrassée des hérétiques et gardée pour son service »).
— J.-B. G. Galiffe. Poème sur les événements genevois de 1538 à
1540 (depuis le renvoi de Calvin et de ses collègues jusqu'à l'exécution
du capitaine-général Jean Philippe. L'auteur inconnu de cet écrit est
un ardent Guillermin., c'est-à-dire un partisan très-décidé des réforma-
teurs français Guillaume Farel et J. Calvin). — Ph. Plan. Les poésies
de Bonivard. (« Vers et rithmes en gauloys » extraits d'un des volumes
de la Bibliothèque publique de Genève.) — J.-M. Paris. Lettre inédite
d'Etienne Dumont sur quelques séances du Tiers-État. (Se rapporte aux
séances des 28,29 et 30 mai 1789, où l'on délibéra sur la réponse à faire
au message par lequel Louis XVI invitait chacun des trois ordres à
envoyer des commissaires par devant le garde des sceaux et les com-
missaires que le roi avait choisis. La lettre de Dumont, adressée à
ReV. HiSTOR. V. l^r FASC. 15
•22f. KECl'EILS rKIUOniQlIES.
Sainuol RomiUy,rourerme comme une sorte do bulletin précis et piquant
(lo ces trois ou quatre séances. On y retrouve, sous une iorme plus vive,
quol(iues-unes des (|ualités qui distinguent les meilleurs chapitres dos
Souvenirs, et ce qu'il y a parfois d'un peu brusque dans le compte-rcntlu
do Dumont est amplement racheté par l'impartialité de la conclusion.
Voici, du reste, sur Mirabeau, .un jugement (jui mérite d'être reproduit :
< 29 mai, à 5 heures de relevée. Personne ne s'entend. Plusieurs vou-
« draient adopter purement et simplement la motion de Mirabeau, et
« je n'ai point de doute que, proposée par un autre, elle n'eût passé
« par acclamation; mais il y a contre lui une prévention marquée; il
« semble .que personne ne l'aime, et que tous le craignent. Il n'a pas
« été adroit dans les commencements, il a heurté, il a offensé, il a voulu
« agir avec hauteur; il les a comparés, dans sa premièrci feuille, à des
« écoliers tumultueux échappés de dessous la férule, et l'on a redouté
a qu'en parlant de la liberté, il ne se fît le tyran de l'Assemblée. Il
« s'est donc formé, sans chef, une conspiration, non pour l'humilier,
« mais pour l'empêcher de triompher. » Et plus loin : « Quand l'appel
« a été en train, je suis sorti, et je me suis promené environ deux heures
« avec le comte Mirabeau. Nous nous sommes communiqué toutes nos
« observations sur les assemblées populaires et sur le caractère qu'il
« fallait y porter. Il a une si prodigieuse ambition de réussir que cette
« grande passion subjuguera les petites et domptera son despotisme
« même, car c'est l'écueil où se brisent tous ses talents. Je l'ai pris par
« son ambition, et m'accommodant à son style, je lui ai observé (sic)
« qu'il y avait 300 amours-propres dans les convulsions sous la masse
« de son éloquence, et que s'il n'adoucissait sa supériorité par tous les
(I moyens qui peuvent inspirer de la confiance et calmer les inquiétudes
« de tous ceux qui ont des prétentions égales aux siennes, on l'écoute-
« rait comme un acteur, mais on ne le suivrait jamais comme un
« chef »). — Th. DuFOUR. Notice bibliographique sur le Cavalier de
Savoie, le Citadin de Genève et le Fléau de l'aristocratie genevoise. (Excel-
lente description de trois pamphlets du commencement du xvn^ siècle.
Démontre, entre autres, que le Cavalier de Savoie a été composé par
Claude-Louis de Buttet, seigneur de Malatrait, lequel fut, vers le même
temps, historiographe de la maison de Savoie. La première édition du
Cavalier est de 1605. On sait, du reste, qu'il avait été primitivement
rédigé pour répondre, en ce qui concernait la Savoie, au Soldat français
de 1604; mais l'auteur ayant inséré dans son livre quelques pages assez
grossières, où il s'efforçait d'établir les prétentions du duc sur la ville
de Genève, le Conseil chargea le syndic Jean Sarasin de le réfuter, et
ce dernier s'acquitta de son mandat en publiant, dès le mois de janvier
1606, la verte réplique anonyme du Citadin de Genève). — Bulletin :
l'Orfèvrerie genevoise en 1424 ; une ancienne carte du lac Léman ; Ge-
nève et l'Institut de France, etc.
XXXII. — Historische Zeitschrift. 2« vol., 1" fasc. — Mommsen.
RECDEILS PERIODIQCES. 227
Le système militaire de César (montre combien il fut suivi de près par
Auguste, surtout en ce qui concerne la dispersion des légions sur les
frontières menacées de l'empire, et en général combien le système mili-
taire sous les empereurs, d'Auguste à Dioclétien, s'écartait peu des
principes constitutifs de l'armée romaine sous la République). —
A. FouRNiER. Origine de la Pragmatique sanction de l'empereur
Charles VI (met surtout en lumière deux documents qui sont les sources
véritables de la Pragmatique : le Pactum mutuae successionis du 12 sept.
1703, et le testament de Léopold P""^ du 26 avril 1705. Ces deux docu-
ments sont publiés ici en entier). — Markgraf. La formation de la ligue
catholique contre Georges Podiebrad. — Scheffer Boichorst. A propos
du débat sur Dino Compagni (fait ressortir de singulières ressemblances
de rédaction entre certains passages de Dino et d'un commentateur de
Dante connu sous le nom à'Anonimo Fiorentino. L'anonyme est anté-
rieur à Dino qui l'a copié ou qui a puisé à une source commune ; dans
l'un et l'autre cas, Dino ne peut échapper au reproche d'avoir sciem-
ment falsifié les textes).
XXXIII. — Forschungen zur deutschen Geschichte. Vol. XVI.
3« fasc. — Platner. Sur les traces de population allemande au temps de
la domination slave dans les pays situés à l'est de l'Elbe et de la Saale.
— Heidemann. La chronique de la Marche de Brandebourg par Engelbert
Wusterwitz, dans la rédaction d'Andréas Angélus et Peter Haffiz.
— ScHAEFER. Les mss. de Sùssenbach relatifs à l'histoire de la
guerre de Sept Ans. (Documents assez importants laissés par le
grand maître des forêts de Frédéric II, et qui étaient jusqu'ici restés
presque inconnus. Ils se trouvent à la bibliothèque de Darmstadt, à qui
le grand-duc Louis pr en a fait don). — Pauli. Notes sur l'histoire de
l'empire sous Wenceslas et Robert, extraites d'un document anglais
(c.-à-d. de la Chronique d'Adam de Usk, pub. par M. Thompson). —
Streit. Des rapports des Gesta Ludovici VII avec Guillaume de Tyr.
(Les Gesta sont une traduction des grandes chroniques de Saint-
Denis pour ce qui est des affaires intérieures de la France, et de la tra-
duction française de Guillaume de Tyr pour ce qui concerne la 2'' croi-
sade ; ainsi s'expliquent l'identité de ces deux textes pour le fond et
leur grande différence pour la forme.) — Harttung. La bulle de Gré-
goire VIII pour la Croisade (déjà publiée par Langebek, SS. rer. Danic.
medii aevi V, p. 342; elle a été conservée dans le récit du voyage d'un
pèlerin danois en Terre-Sainte au commencement du xii" s.). — Marc-
ZAL1. Les Gesta Himgarorum de l'Anonymus Belae régis notarius (sans
doute composée de 1278 à 1282 par maître Pous, notaire de Bêla IV).
XXXIV. — Anzeiger fur Kunde d. d. Vorzeit. N» 4 . — Simonsfeld.
Lettre du « Sénat de la république de Nuremberg » à Florence du
28 juin 1531. (Il lui demande « ut xenodochiorum et nosocomiorum
vestrae urbis leges, et racionem fovendi ac curandi valetudinarios,
egentes, ad nos transmitti curetis ».) — Uibeleisen. Noms de lieu de
•22S RKCl'KILS PERIODIQUES.
l'Alsaco-Lorraine en ancion allemand, (in. = N" G. E. Duummleu. Gaïa-
lopue des livres de la bibliotlièquo du chapitre à Bamberg, au xm" s.
XXXV. — Jenaer Literaturzeitung. N» 20. — liocholl. Der grosse
Kurlurst von Hrandeuburg im Elsass \{jl^-\61b. (Pkannenschmid. Nom-
breux documents nouveaux). — Classcn. B. G. Niebuhr (Nissen, inté-
ressant). — Gilbert. Rom u. Carthago in ihi-er gegonseitignn Beziehun-
gen 513-536 (Nissen : l'auteur attaque aveuglément Polybc et lui
préfère à tort Dion, Appien, Diodore, etc.) = N' 21. A v. Kremer. Gul-
turgeschichte des Orients unter don Ghalifen. Bd. II (Weil : longue
analyse de ce volume qui traite de la vie sociale de l'Orient). — N" 23.
.4. Stcrn. Milton u. seine Zeit (Kugler : livre solide et excellent, conçu
peut-être sur un plan un peu vaste). — Czenfjcry. Franz Dcak, trad.
allem. de G. Heinrich (Dittrich : bonne biogr.) = N" 24. A. vo7i
Arnctii. Geschichte Maria Theresia's. Bd. VIII (Schaefer : très-
important pour le partage de la Pologne). = Brietè der Briider
Friedrichs des Grossen an meine Grosseltern hgg. v. Henckel Don-
nersmarck (Sch.efer : lettres françaises très-intéressantes). = N° 25.
Ekkehardi Uraugiensis Hierosolymita, hgg. v. //. Hagcnmeyer (Hirsch :
bon travail). — Duncker, Aus der Zeit Friedrichs des Grossen u. Fried-
rich Wilhelms III (Philippson : l'art, le plus important de ce recueil
est consacré à la Prusse pendant l'occupation française 1806-1813). =
N° 26. Prutz. Die Besitzungen des deutschen Ordens im heiligen Lande
(Hirsch : consciencieux). — Harttung. Die Anfa^ngeKonrads II (Kugler :
peu de nouveau). — G. v. Bunge. Das Herzogthum Estland unter den
Kœnigen von Dœnemark ; G. Kwslner. Das refundirte Bisthum Reval
(ScmRREN : bons travaux).— /?.r. OWec/i. Geschichte des Feldzugesv. 1815
(PmLippsoN: très-riche en matériaux inédits ; prouve que c'est l'Autriche
qui a été cause du retard que mirent les alliés dans leur attaque contre
Napoléon). = N" 27. Taine. Les origines de la France contemporaine
trad. en allemand par J. Giinther (Philippson: très-élogieux ; regrette
que l'auteur ait si peu ménagé l'expression de son aversion pour tout
ce qui est allemand). = N''29. Tamisey de Larroque^ Dadine d'Auteserre
(A. RiviER, utile publication). = N» 30. Ed. Lcgey. Guy Coquille de Ni-
vernais 1523-1603 (RiviER : Éloge historique intéressant). — Hertzberg.
Die Geschichte der Perserkriege (Zurborg : bon manuel pour les classes,
et en même temps travail original).
XXXVI.— Gœttingischegelehrte Anzeigen. 1877. N" 25. Monu-
menta Germaniae historica, t. XXII et XXIII; Archiv der Gesellsch.
f. aelt. d. Geschichtskundet. XII. (Weiland : fait quelques utiles addi-
tions ou rectifications, en particulier à propos de l'éd. de Martin de Trop-
pau.) = N° 26. I libri commemoriali délia Repubblica di Venezia (Reu-
MONT : registres comprenant les années 1300-1326). = N° 27. Notices
of the mediaeval Geography and History of Central and Western Asia,
dravvn from Chinese and Mongol writings, by E. Brctschneider. (Wil-
ken). = N» 29. Quellen zur Geschichte des Bauernkrieges in Obersch-
RECDEILS PÉRIODIQUES. 229
waben hgg. v. L. Baumann. (Stern. 19 écrits inédits et trois réim-
primés d'après des livres devenus très-rares ; le recueil est des plus
précieux).
XXXVII. — Deutsche Rundschau. Juillet. — K. Hillebrand. La
France d'avant la Révolution et son plus récent historien (critique élo-
gieuse des Origines de la France contemporaine par M. Taine). — Fried-
L^NDER. Les prestations de serment et les couronnements à Kœnigs-
berg de 1663 à 1861 (discours de circonstance).
XXXVIII. — Magazin fur die Literatur des Auslandes. N" 24.
Le Tasse et son temps, par M. Fr. de Sanctis (suite dans les n»^ 25 et
26). = N" 26. Léon Gambetta und seine Armeen par Golmar Freiherr
von der Goltz (appréciation favorable du livre et de M. Gambetta « qui
est en général plus justement apprécié en Allemagne que chez ses com-
patriotes ))). =N° 27. Tell et Gessler dans la légende et dans l'histoire
par Rochholtz (M^hly : estime excessives les explications mytholo-
giques proposées par l'auteur, mais déclare son livre indispensable à
toute personne travaillant sur la matière).
XXXIX. — Russische Revue.' 6* fasc. Pepyn. Esquisses de
l'ancienne civilisation russe. = 1^ fasc. Brueckner. Contribution à
l'histoire de Pierre III et de Catherine II, d'après les récentes publi-
cations de la Société d'histoire russe (voy. Rev. hist. Il, 218 et V,
p. 159).
XL. — Zeitschrift fur Kirchengeschichte. T. II, l^^^ livraison.
1877. — A. RiTscHL. Prolégomènes d'une histoire du Piétisme. —
A. Harnack. Compte-rendu critique des travaux relatifs à l'histoire de
l'Église jusqu'au Concile de Nicée, publiés depuis janvier 1876 jusqu'en
avril 1877. — Analectes : K. Wieseler. Le peuple des Galutes cité dans
les Institutes de Gains. — 0. Waltz. Epistolae Reformatorum. —
A. Schxfer. Pour servir à l'histoire des conversions princières.
XLI. — Nachrichten v. der kœnigl. Gesellschaft der Wis-
sensch. zur Gœttingen. N" 14. — G. Trieber. Les listes des rois
de Sparte et de Corinthe (prouve que la liste des rois de Sparte
qui a servi de base à la chronologie des Alexandrins est radicalement
inexacte).
XLn. — The Athenaeum. 9 juin. B. Jerrold. The life of Napoléon III
(roman historique, quelques détails nouveaux ; beaucoup d'erreurs).
—Documents relating to the Proceedings against W. Prynne in 1634 and
1637, éd. by S. R. Gardiner (contient un fragment de biographie par
feu Bruce). = 16 juin. A. Trollope. The Papal conclaves (pour le grand
public). = 23 juin. Rise and Growth of the Anglican Schism by N.
Sander, transi, by C. Lewis (livre très-curieux sur la Réforme anglaise ;
l'auteur s'appelait Sanders). = 7 juillet. A Memoir of the Life and
Times of sir Ralph Sadleir, by Sadleir Stoney (un des plus fidèles
serviteurs d'Edouard VI et d'Elisabeth, un des geôliers de Marie Stuart ;
230 UEc.iiKir-s PKiuoniyi'Rs.
tlociimonls curitnix, niiiis iiicomplots. Cf. Acadomy du 21 juillet). =14
juillol. Rocolloctions ot R. Gobdcn, by //. Ashworth. (Cf. Acadomy 21
juillet). = 21 juillet. Yorkshire Diarios and Autohiographios in the xvii
and xviu cent, (très-ennuyeux ; les journaux d'Eyro et de Shaw renfer-
ment des détails envieux).— Morlcy. Critical Miscellanies (les essais sur
Turgot et Robespierre sont remarquables). —/r/7t7)/«. A h is tory of France
t. Il et III (bon manuel pourl'hist. jiolitique. Cf. Academy 28 juillet).—
BiRCH. A new greek fragment of egyptiau bistory (inscription du musée
de Liverpool qui donne les listes des rois telles qu'elles existaient au
premier siècle av. J.-C. et qui prouve qu'il y a eu deux Manéthon his-
toriens, ce qui explique les divergences des listes données sous ce nom.
L'inscription est-elle authentique?). — 28 juillet. P. Villari. Niccolô
Macchiavelli e i suoi tempi vol. I (A. de Gubern.vtis : excellent ouvrage ;
l'introduction, pleine de faits et d'idées, est trop longue ; le récit est
impartial, mais avec une tendance visible à chercher toujours les cir-
constances atténuantes).
XLIII. — The Academy. 2 juin. Bliicher in Briefen aus den
Feldzligen 1813-1815 hgg. v. E. von Colomb (Strachey : très-intéres-
sant). — Lettres inédites de Wentworth au sujet de sir David FouUs
tirées des papiers légués par J. Forster au S. Kensington Muséum.
— Notice sur les 45 mss. de Mathias Gorvin rendus à la Hongrie
par le sultan. = 9 juin. Renaissance in Italy by /. Symonds (J. Bass
MuLLiNGER : intéressant). — Uarda by G. Ebers (Mahaffy : roman
historique curieux et très-exact). — E. Morris. The Age of Anne
(CouRTNEY, médiocre). — Mac Lennan. Studies in Ancient History
(cf. 2 juin. Ces deux études de M. Ralston sur le Mutterrecht et la
famille primitive sont du plus vif intérêt). — S. R. Gardiner, Motley
(article nécrologique). = 16 juin. The Hist. Works of Ralph de
Diceto éd. by Stubbs 2 v. (Hewlett, excellente édition). — Ges-
chichte Toscana's v. A. v. Reiimo7it 2 v. (Greighton : bon livre.) = 23
juin. E. Abbot. Bacon and Essex (Gardiner : sévère pour Bacon, partial
pourEssex). = 30 juin. The sixth Report of the Royal commis-
sion on historical manuscripts. — The ottoman power in Europe
by Freeman (Tozer : très-intéressant). = 7 juillet. Calendar of state
Papers relating to négociations between England and Spain 1527-1529,
éd. by P. de Gayangos (Acton : documents très-précieux; l'édition n'est
pas sans défauts). — Zur Geschichte der orientalischen Frage (Strachey :
lettres inédites de Gentz de 1823-29 pub. par M. de Prokesch Osten).
— Coterellus (discussion curieuse entre MM. Peacock et Hewlett sur la
date à laquelle remonte le mot cottereau). = 14 juill. South Africa,
Past and Présent by J. Noble (Pogock : histoire de la colonie du Cap).
—Philippson. HeinrichlV u. Philippe III. (Fagniez : livre plein de choses
nouvelles). — The Annals of England (57-1660) 4 vol. (Pottinger: ma-
nuel médiocre). — L'Athenaeum et l' Academy ont publié l'un et
l'autre à propos du jubilé Gaxtonien d'intéressants art. sur l'histoire de
l'imprimerie. — 28 juill. Ranke, Denkwùrdigkeiten des Staatskanzlers
RECDEILS PERIODIQUES. 231
Fùrsten von Hardenberg (Strachey, publication très-importante pour
l'histoire européenne de 1792 à 1815).
XLR'^. — Macmillan's Magazine. Juillet. — T. E. Holland. L'an-
cienne organisation de l'Université d'Oxford (d'après le Corpus statuto-
rum publié en 1636, et le quadrangle ofthe Schools).
XLV. — The ■Westminster Revie-w. Juillet. — Les corporations de
Londres. — L'antique civilisation gaélique (d'après I^, Sumner Maine,
The early origin of institutions : Le Brehon law of Ireland ; Matt. Ar-
nold, on the Study of celtic literature^ et Bourke, The aryan origin of
the Gaelic race and language).^
XL VI. — The Nineteenth Centupy. Juin. — J.-Ant, Froude.
Thomas Becket, sa vie et son époque ; cont. en juillet et août (travail
original et important. M. Froude est très-sévère pour l'intempérant
prélat ; mais il n'est pas injuste).
XL VIL — Archivio storico italiano. S^lasc. — C. Guasti. Les Ma-
nuscrits Torrigiani (lettres écrites au nom du card.' Jules de Médicis
du 23 j-'nv. au 26 fév. 1519; très-intéressantes pour l'histoire des négo-
ciation^ de François \^^ pour la couronne impériale ; autre série de
lettres du 8 sept, au 23 déc. 1520). — C. Minieri Riccio. Le règne de
Charles d'Anjou ; de sept, à déc. 1276 (cette publication continue de
présenter un très-vif intérêt : rapports de Charles avec la Hongrie, avec
les Sarrasins de Sicile, etc.). — Santoni, Domenico Ridolfino Camerte,
ingénieur militaire du xvi^ s. (employé à la cour du roi de Pologne
Etienne Battory de 1582 à 1584 ; de nombreux extraits de ses lettres,
jusqu'ici inédites, fournissent de très-curieux renseignements sur la cour
de l'héroïque et intelligent barbare qui l'employa). — M. Ricci. La
vie et les écrits de Baudi di Vesme, mort le 4 mars 1877. — Comptes-
rendus très-détaillés de MM.Reumont, Originum Gisterciensium, tomus
I pub. par L. Janauschek ; C. Lupi, Inventario del R. archivio di stato
in Lucca ; E. Poggi. Fontes juris italici par G. Padelletti ; G. Fossati,
Adélaïde di Savoia, duchessa di Savoia, e i suoi tempi ; par G. Cla-
retta.
XLVIII. — Archivio storico lombardo. Livr. du 30 juin. — G.
ToNONi. Nouveaux documents relatifs à des pourparlers entre Frédéric
Barberousse et les Lombards, pendant les quatre mois qui suivirent
la défaite de l'empereur à Legnano. — G. Lambertenghi. 3 lettres
de recommandation écrites par le cardinal Albano et son secrétaire,
Maurizio Gataneo, au marquis d'Esté en faveur du Tasse fugitif (1578) ;
plus une lettre du poète au même personnage (1583). — G. Intra.
Mariage de la princesse Éléonore de Gonzague avec l'empereur
Ferdinand III d'Autriche, en 1650 (publication de 3 pièces inédites
contenant d'un côté les propositions de lïmpératrice, tante de la prin-
cesse, qui avait fait agréer sa nièce à l'empereur, et de l'autre, la ré-
ponse des ministres mantouans). — P. Talini. Lanfranc de Pavie et les
2.J2 HKCIIKILS l'KUlODIQIlRS.
ftiulos cl;issi([iu's à l^ivic au nioyi'u àj^t\ — Etuilos piviianitDiros pour
un projet li'onccitito l'ortilioc à Milan, en 1521 (texte découviM-t dans les
Archives de Trivulco). — G. Lamueutionghi. Circulaire atiressée au
clergé du duché de MiUui au sujet de la dime imposée par le pape sur
les biens d'église pour la guerre contre les Vénitiens, en 1483. — J.
Ghiron. De la vie et des entreprises militaires de Facino Gano (type
curieux de condottiere au xiv«s.). — Notice nécrologique sur Bernardo
Pallastrelli. — J.*Ghiron. La bannière de Mahomet II, conservée à Tu-
rin dans VArwcria rcalc. — Comptes-rendus détaillés des séances des
sociétés d'histoire et des académies italiennes.
XLIX. — Archivio veneto. T. XIII, 2" p. — G. Berchet. Les
anciennes ambassades japonaises en Italie (en 1585 et en 1G16 ; le fait
même de deux ambassades envoyées en Europe dans le court espace
de temps où le Japon resta ouvert aux Européens (1550-1638) est
intéressant ; mais elles ne produisirent aucun résultat). — Gfroerer.
Histoire de Venise, traduite par M. Pinton ; suite. — V. Padovan. La
numismatique vénitienne (suite : de la chute à la suppression du
gouvernement aristocratique). — Urbani de Gheltof. Légende véni-
tienne d'Alexandre III. — R. Fulin. Le départ de Rousseau de Venise.
(Mécontent de son secrétaire, l'ambassadeur de France demanda aux
Inquisiteurs, le 24 août, et une seconde fois le 4 sept. 1744 d'ordonner
à Rousseau de quitter Venise et son territoire ; mais Rousseau était
parti dès le 22 août ; le document que publie M. Fulin rectifie un
passage des Confessions.) — L'expédition de Charles VIII en Italie, par
Marin Sanudo (suite).
L. — Archivio della Società, romana di storia patria. Vol.
I, !'='■ fasc. — 0. ToMJiASiNi. De l'histoire de Rome au moyen âge et de
ses plus récents historiens. — I. Giorqi. Cartulaires et régestes de la
province de Rome : le régeste du monastère de S. Anastasio ad aquas
Salvias (description et analyse ; l'éditeur a publié intégralement le texte
des chapitres de la paix entre la commune de Nemi et celle de Genzano).
— C. CoRvisiERi. Les poternes du Tibre entre la porte flaminienne et le
pont du Janicule (étude de topographie romaine au moyen âge).
LI. — Archeografo triestino. Juillet. — A. Hortis. Documents
relatifs à l'histoire de Trieste et des Walsee (suite et fin. Un rameau
de l'ancienne famille suédoise des Walsee fut l'origine de la famille de
Colloredo qui joua un grand rôle dans l'histoire duFrioul). Cette publi-
cation vient de paraître en un volume chez Herrmanstorfer, à Trieste.
LU. — Academia dei Lincei (à Rome). Dans la séance du 17 juin
1877, M. I. Giampi a lu un mémoire concernant un recueil inédit de
lettres de Fabio Chigi, depuis Alexandre VIL Chigi fut employé à
diverses missions diplomatiques et prit part au traité de Westphalie.
Sa correspondance (10 gros volumes de la Biblioteca chigiana) contient
des détails curieux et importants sur l'histoire et les principaux per-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 233
sonnages politiques de son époque, en particulier sur le cardinal Ma-
zarin.
LUI. — R. Deputazione di storia patria (Bologne). 25 fév. — G.
M. Valgimigli. Notices sur les évêques de Faenza (suite: il est question
d'Alberto, 1221-1239; de Giacomo II, 1239-1242, et de Giulano ; ce der-
nier n'est cité ni par Tonducci, ni par Ughelli ; il occupait déjà le siège
de Faenza le 23 juin 1242). = 6 mai. Suite du travail de M. E. Masi sur
Capacelli (voy. Rev. hist. IV, p. 471).
Liv. — Revista de archives, bibliotecas y museos. 5 mai et
20mai. — A. Pécoul. Mémoire présenté à l'Académie royale d'his-
toire à propos de la publication du bulletin espagnol inséré dans la
Revue historique, mars-avril 1877 (ce mémoire se compose surtout de
personnalités qui me touchent trop peu pour que je juge utile d'y
répondre. La seule critique juste concerne mes omissions, mais je dois
dire que parmi les livres que me signale M. Pécoul, il en est plu-
sieurs qui n'ont aucun droit à figurer dans une revue exclusivement
historique (notamment les Monumentos arquitectônicos de Espana et le
Refranero gênerai espagnol, qui est une collection de proverbes!); les
autres seront examinés dans mon prochain bulletin, et si je n'en ai
pas parlé plus tôt, c'est ou bien qu'ils n'étaient pas publiés lors de la
rédaction de mon travail, ou bien que je ne les avais pas encore reçus.
— Alfred Morel-Fatio). = 5 juin. Cl. Penez y Gredilla. Les archives
espagnoles à Rome (créées en 1562 par Philippe II). — L'armoire de
Zurita (catalogue des documents utilisés par Gerônimo Zurita pour la
rédaction de ses Anales de Aragon). = 20 juin. Suites des deux travaux
du numéro précédent.
23'i CDKOMQCE ET IlIULIOGRAPUIE.
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
France. — Le rapport de M. Wallon, secrétaire perpétuel de l'Aca-
démie des inscriptions et belles-lettres, nous apprend l'apparition du
t. XXV des il/mom?5rfe ri cadé?me, comprenant l'histoire de r Académie
de 18fiI-I8o4 par M. Guigniaut, et du t. XXVII deVlIisloire Utlcraire.
Notre collaborateur M. Gaston Paris a été adjoint à la commission de
lUistoire littéraire. Le t. IV des Historiens occidentaux des Croisades^ qui
contient Albert d'Aix, est sur le point de paraître ; le t. II des Histo-
riens grecs est très-avancé ainsi que la première partie du t. III des
Historiens orientaux. Le t. XXIV des Historiens de France contiendra
les rapports des enquêteurs royaux sous saint Louis, l'inventaire des
comptes de Robert Mignon et les œuvres historiques de Bernard Gui.
Le premier fascicule du Corpus inscriptionum semiticarum est sous
presse.
— L'Académie des inscriptions et belles-lettres a retiré du concours
les Vies des Saints de l'époque de Clovis. Pour l'Histoire des Ismaé-
liens, le prix n'a pas été décerné. Le mémoire de M. R. de Lasteyrie
sur les Inscriptions de la Gaule à l'époque des Mérovingiens et des Caro-
lingiens a été couronné.
— A la séance du 27 juillet, la commission des antiquités de la
France a fait connaître les résultats du concours. Nous signalerons les
récompenses suivantes : l'^ médaille à M. Demay (Inventaire des sceaux
de la Picardie et de l'Artois). 2« id. à M. Brosselard {Tombeaux des émirs
Béni Zeyan et Boabdil). 3^ id. à M. Peigné-Delacourt (Histoire de l'ab-
baye de N.-D. d'Ourscamp). 2^ mention, à M. Bion de Marlavagne [His-
toire de la cathédrale de Rodez). 3^ id. à M. Richard (les CoUiberts). ^^ id.
à M. Brassart [Histoire de la châtellenie de Douai). 6*= id. à M. Drapey-
ron [Caractère de la lutte entre l'Aquitaine et l'Austrasie sous les Mérovin-
giens).
— Nous complétons ici, d'après le rapport du secrétaire perpétuel
de l'Académie française (séance publique annuelle du 2 août), les ren-
seignements que nous avons déjà donnés [Rev. hist. IV, p. 477) sur les
livres historiques couronnés par l'Académie : le prix Thérouane a été
partagé entre MM. Foncin {Ministère de Turgot), Ch. d'Héricault [la
Révolution de Thermidor. Robespierre et le Comité de salut public) ; B.
Zeller [Henri IV et Marie de Médicis) ; E. Lavisse [la Marche du Brande-
bourg sous la monarchie ascanienne). Un prix de 2,500 fr. a été donné à
M. P. AUard [Les Esclaves chrétiens). M. Ch. Lenthéric a été couronné
pour son livre Les villes mortes du golfe de Lion, et M. R. Kerviler pour
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 235
ses études sur le Chancelier Pierre Séguier et la Bretagne et r Académie
française.
— Le Journal officiel du 21 avril contient le rapport de la division
des sciences et lettres au ministère de l'instruction publique sur les
missions scientifiques exécutées en 1876. M. Molard a continué l'inven-
taire des documents relatifs à la Corse conservés dans les archives de
Gènes. M. Tuetey a coUationné à Rome un registre du Trésor des
chartes qui manque à nos Archives, et qui s'étend de 1180 à 1212 ;
ainsi que le texte du journal d'un bourgeois de Paris sous Charles VI
et Charies VH. Il a copié le texte inédit du journal d'un autre bour-
geois de Paris sous Charles VI. M. Bonassieux a fait des recherches à
Toulouse, Carcassonne, Perpignan, Girone et Barcelone sur la campagne
de Philippe le Hardi en Catalogne en 1285. M. de Mas Latrie a copié
ou fait copier à Venise dix volumes de dépêches des ambassadeurs
vénitiens aux xvi^, xvn« et xvni* s. M. Bonnardot a recueilli les chartes
françaises des archives et bibliothèques de Toul, Nancy, Epinal et
Verdun. Enfin M. Fagnan a copié à Oxford le t. Il de l'ouvrage d'Ibn
Bassam sur les Arabes d'Espagne.
— Parmi les manuscrits récemment acquis par la Bibliothèque natio-
nale figurent 297 lettres écrites par Napoléon III à M-""^ H. Cornu du
25 août 1829 au 19 déc. 1872. (Nouv. acq. 1066-67.) La communication
en est interdite jusqu'en 1885, époque à laquelle M. Renan ou, à son
défaut, M. Duruy, les publiera. Avant l'entrée de ces mss. à la Biblio-
thèque, M. Blanchard Jerrold a pu s'en servir pour sa vie de Napoléon III.
— Le concours ouvert par la Société de bibliographie pour un catalogue
des documents relatifs aux corporations ouvrières n'a pas donné de
résultat. Parmi les brochures de propagande politique et religieuse sous
forme d'exposition historique, publiées par la Société, nous signalerons
celle de M. AUain, sur VInstruction primaire avant la Révolution où se
trouvent réunis beaucoup de faits intéressants. La Société annonce enfin
la publication, attendue depuis longtemps, de récits historiques tirés
des sources du M.-A. : St Louis par M. A. de Lespinasse ; les Derniers
Carolingiens, par M. Babelon ; et la Chronique de Du Guesclin par
M. Richou.
— La Revue des Questions historiques annonce que MM. E. de Bou-
teiller et de Braux vont faire paraître un travail important sur la
Famille de Jeanne d'Arc, qui contiendra la correspondance de Charles
du Lys avec Jean Hordal vers 1610.
— Le même recueil nous apprend qu'un comité composé de MM. de
la Borderie, Ropartz, l'abbé Auffier et D. Plaine vient de se constituer
à Rennes pour publier les Acta SS. Dritanniac Armoricae.
— Notre collaborateur M. de Mas Latrie prépare une Histoire diplo-
matique des archevêques latins de Nicosie, dont nous publions un frag-
ment dans le présent numéro.
236 CHROMQUE ET HI lU.KX.IlAl'UIE.
— Notrn collahorattnir, M. Luco, s'uccupo activomonl du VIIl" vol.
de Frnissarl, et pivpuro uno odilion (Vuno Chroiiiquc de l'abbaye du Mont
Saint-Afichcl (I3''j3-l''i68), qui sora suivio d'un rocuoil do pièces allant
de l'ilT à l'i50.
— La Soci(Hc d'Histoire de France entreprend ou va entreprendre la
]Hil)lication des ouvrages suivants : Anecdotes historiques, légendes et
apologues tirés d'un ouvrage inédit d'Etienne de Bourbon, dominicain du
XIIl' 5., édités par M. Lecoy de la Marche. — Mémoires de Nicolas de la
Mothe-Goulas par M. Gh. Constant (N. Goulas était un familier de la
cour de Gaston d'Orléans frère de Louis XHI ; il a recueilli dans ses
mémoires de curieux détails sur les événements et les personnages de
son époque. L'édition aura pour base 3 mss. : un de Paris, deux de
Vienne qui sont de la même main et qui paraissent autographes). —
Etablissements de Saint Louis par M. P. VioUet. — Lettres de Louis XI
par MM. Vaesen et Et. Gharavay. — Sources grecques de la géographie
et de l'histoire de la Gaule par M. Gougny. — Vie de Baijart, par le loyal
serviteur, par M. Roman. — Documents relatifs à Du Guesclin, par
M. Luce.
Angleterre. — On annonce la mort de M. John Stuart, secrétaire
de la Société des Antiquaires d'Ecosse. Il a publié pour cette Société
les Records of the Isle of May et les Records of Ihe monastcry of Kinloss.
On lui doit la découverte de la dispense de mariage de Bothwell avec
lady Jane Gordon , découverte dont"il a exposé les résultats dans une
brochure intitulée : a lost chapter in the history of Mary, queen nf
Scots (voy. Academy VI, 623).
— Il y a quelques mois, le gouvernement anglais avait annoncé la
resolution d'envoyer au pilon les pièces d'archives reconnues inutiles et
qu'on ne savait où loger; certaines séries de pièces avaient même été
désignées pour la destruction. Les réclamations ne manquèrent pas, et
décidèrent le gouvernement à déclarer tout d'abord que l'on ne détruirait
aucune pièce antérieure à l'avènement de la maison de Hanovre. La ques-
tion des doubles est encore pendante ; elle est assez délicate, car on avait
rangé dans cette série, condamnée en bloc, les Pells receipt rolls et les
Issue rolls jusqu'en 1782 qui sont, paraît-il, les archives mêmes de la
Court of receipt. Une liste des documents condamnés est déposée sur le
bureau de la Ghambre des lords; mais on demande avec raison qu'une
■commission spéciale soit nommée pour les examiner avec soin et n'en-
voyer au pilon — si l'on ne peut échapper à cette nécessité — que les
documents reconnus pour n'être réellement d'aucune valeur. Voy. pour
plus de détails VAtheneum et VAcademy du 9 juin dernier.
— M. James Gairdner prépare une histoire de Richard III à l'aide
de nombreux documents inédits ou peu connus.
— La Harleian Society se propose de publier les plus importants des
registres de paroisse; elle débutera par ceux de St-Pierre, Gornhill, à
Londres, qui commenoent en 1538.
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 237
— On annonce que le Corpus mscriptionum indicarum publié par le
général Gunningham est sous presse. Voy. un art. sur les Inscriptions
d'Asoka, découvertes par le général, dans VAcademy du 14 juillet.
— Les syndics de VUniversitij Press^ à Cambridge, ont invité M. Bass
MuLLiNGER-, notre collaborateur, à continuer l'histoire de l'Université. Le
prochain volume comprendra la période de 1535 à 1700.
— On annonce un ouvrage important, en 2 vol., de M. Seeley sur
le baron de Stein, sa vie et son époque.
Allemagne. — Le 14 juillet dernier est mort dans son château de
Rheineck le chef de l'école de droit historique en Allemagne, Moritz-
August VON Bethmann-Hollweg. Il était né à Francfort-sur-le~Mein le
10 av. 1795. Il fut privât docent à Berlin en 1818, professeur suppléant
de droit (1821), enfin, professeur titulaire (1823). Six ans plus tard, il
fut nommé professeur à Bonn où il enseigna jusqu'en 1842, et où il
exerça jusqu'en 1845 les fonctions de curateur de l'Université. Cette
même année, il fut nommé par le roi Frédéric-Guillaume IV membre
du conseil d'Etat prussien; le 6 nov. 1858 le roi Guillaume, aujourd'hui
régnant, le fit entrer comme ministre de l'instruction publique dans le
ministère dit de « l'ère nouvelle ». Il en sortit en 1862 et se mit à con-
denser les résultats de ses recherches antérieures dans un ouvrage qui
peut toujours être nommé à côté des travaux de Savigny sur le droit
romain : der civil Process des gemeincn Redits in geschichtlicher Entwi-
ckelung. Jusqu'à la première partie du 6« volume, le laborieux érudit tra-
vailla seul à son œuvre; mais en 1874, il confia le soin de la terminer
à M. Wach, professeur à Leipzig. Parmi ses autres ouvrages, le plus
intéressant au point de vue historique est celui où il étudia l'origine de
la liberté communale en Lombardie. Il y montra, contre Savigny, que
la constitution romaine des cités avait péri au moyen-âge, démonstra-
tion qui fut reprise ensuite par G. Hegel d'une manière plus systéma-
tique. La loyauté, l'honorabilité, le patriotisme sans tache, la vaste
érudition de Bethman-Hollweg ont été reconnus même par ses adver-
saires, aussi sa mort a-t-elle excité en Allemagne et dans toute l'Europe
savante d'unanimes regrets.
— Le 10 juin est mort le prof. A. Tholuck, auteur de nombreux écrits
relatifs à l'histoire de la théologie. Il était né en 1799.
— Liste des cours d'histoire dans les universités allemandes de léna,
Strasbourg, Dorpat, Kœuigsberg pendant le l^r semestre de l'année
1877-78.
lÉNA. — Hase. Hist. ecclésiastique de 500 à 1750. — Bœhtlingk. Histoire
de l'empire germanique de Charlemagne à la Réforme. — Schmidt. Hist.
contemporaine de 1815 à 1848.
Strasbourg. — Knapp. Hist. polit, et soc. de l'Angleterre et de la
France depuis 1789. — Baumgartcn. Hist. des guerres de religion. Hist.
de Prusse depuis 1640. — Kaufmann. Histoire de l'Allemagne et de la
23S cnnoMQrE kt nini.for.RAPniE.
l'apautf jus(|irà Charl(>mag;ne. — Scln'ller'lioichorsl. Ilist. des Inslilu-
tions. — Schctrr. Explication de la Germanie de Tacite.— Wilmanns.
Hist. de la Grèce depuis la guerre du Péloponnèse.
DouPAT. — Engclhart. Hist. ccclés. — Dergbolim. Hist. du droit alle-
mand. — nriickncr. Hist. du système polit, de l'Europe. Hist. moderne
de la Russie jusqu'en 1725. — llausmann. Hist. de la Livonie. — Men-
ddssohn. Hist. de la Grèce.
KcENiGSBERo. — Erbkam. Hist. ecclés. Hist. contemp. de l'Eglise. —
FriedhTnder. Epigraphie romaine. — Kakkstcin. Hist. de la Réforme et
de la Révolution anglaises.— Lohmeyer. Hist. du N.-E. de l'Allemagne
au moyen-âge.— Prutz. Hist. de la Papauté. Hist. de l'empire, de Ghar-
lemagne à Charles-Quint. Hist. de l'époque révolutionnaire. — RiM.
Histoire grecque.— Wickert. Histoire ancienne de l'Allemagne jusqu'à
Charlemagne. Histoire de rhisloriographic allemande jusqu'au xv« s.
— A l'occasion du quatrième centenaire de l'Eberhard-Karls-Uni-
versitœt à Tubingue, la librairie K. Aue, de Stuttgard, a publié un
Festschrift^ où nous remarquons les deux mémoires suivants : W. Eyd,
Contributions à l'histoire du commerce dans le Levant au xiv^ s. —
Th. ScHOTT, Le duc Louis de Wurtemberg et les protestants français
de 1568 à 1570.
— M. GoERz a publié en 1876 à Coblence (Denkert et Groos) sous le
titre : Mittclrheintsche Regesten le !«■• vol. d'un catalogue de tous les actes
imprimés et manuscrits relatifs aux cercles de Coblence et de Trêves. Ce
travail, qui peut servir utilement de guide et de répertoire chronologique
au milieu des matériaux nombreux et dispersés, ne comprend jusqu'ici
que les années 509-1152. Des notes fréquentes éclaircissent les questions
de détail. Malgré le zèle de l'auteur, il a laissé échapper un grand
nombre d'erreurs (voy. à ce sujet Literatur Zeitimg, 1877, p. 362).
— La Société d'histoire hanséatique, dont la 7" ass. annuelle a eu
lieu à Stralsund en mai dernier, a résolu de publier intégralement les
Recès de la Hanse, ainsi que les documents d'autre sorte qui peuvent
intéresser la période primitive de son histoire; ceux d'une date plus
récente seront publiés sous forme d'analyse. MM. von der Ropp et
Schœfer continueront la publication des Recès de 1430-70 et 1470-1530.
— M. H. Prutz prépare une Histoire de la civilisation franque en
Syrie au moyen-âge.
— M. Henri Tollin, pasteur de la colonie française de Magdebourg,
qui a déjà publié nombre de brochures et d'articles de revues sur
Michel Servet et Calvin, nous annonce qu'il a sous presse en ce moment
deux nouveaux volumes sur ce sujet : Bas Lehrsystem Michel Servets
genetisch dargestelU, 2^ vol. : die Wiederherstellung des Christenthums,
et Servet und die oberlsndischen Reformatoren.
Autriche. — M. G. Wolf a publié en 1876 à Vienne une Histoire
LISTE DES LIVRES De'pOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE. 239
des Juifs à Vienne (Geschichte derJuden in Wien.Hœlder, 282 p.in-S").
Malheureusement cet intéressant sujet n'a pas été traité comme il le
mérite et le livre de M. W. n'est qu'une compilation sans méthode.
Suisse. — Voici la liste des cours d'histoire des universités de Bâle,
Berne et Zurich pour le l^r semestre de l'année 1877-78.
Bale. — Stashelin. Hist. de l'Église depuis 1648. — Boos. Hist. des
institutions politiques à Rome et en Allemagne. — Burckhart. Hist. de
l'époque révolutionnaire. — Visclier. Hist. du droit constitutionnel de
la confédération et des cantons suisses jusqu'en 1798.
Berne. — Studer. Hist. du peuple d'Israël. — Woker. Hist. de la
Papauté. — Michaud. Hist. de l'Église (temps modernes). — Hidber.
Hist. de la Suisse ' depuis la guerre civile de 1712 jusqu'au renverse-
ment de la république helvétique. Hist. de la Suisse depuis la consti-
tution de 1803 jusqu'en 1838. — Stem. Hist. de l'antiquité. Hist. con-
temporaine depuis 1848. — Gisi. Hist. ancienne de la Suisse.
Zurich. — Fritzchc. Hist. çcclés. du xvni'' et du xix^ s. — Meyer von
Knonau. Hist. du moyen-âge. — Millier. Hist. de l'empire romain. —
Vœgelin. Histoire de la civilisation en Suisse, du xy^ à la fin du
xvHie siècle.
LISTE DES LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE
(Nous n'indiquons pas ceux qui ont été jugés dans les Bulletins
et la Chronique.)
Germer-Durand. Enceintes successives de Nîmes depuis les Romains juscpi'à
nos jours. Nîmes, Catélan. Pr. 2 fr. — Jourdanet. Histoire véridique de la
conquête de la Nouvelle-Espagne écrite par le capitaine Bernai Diaz del Castillo.
2' édit. Masson.— Fr. Ravaisson. Les Archives de la Bastille, tome IX (1687-92).
Durand et Pedone Lauriel. Pr. 9 fr, — Vinck d'Orp. Le meurtre du 21 janvier
1793. Calmann Lévy.
Arneth. Maria Theresia's letzte Ragierungszeit 1763-80, 2= vol. Vienne,
Braumiiller. — Gilbert. Beitrœge zur innern Geschichte Athens im Zeilalter
des peloponnesischen Krieges. Leipzig, Teubner. — A. v. Kremer. Cultur-
geschichte des Orients unler der Chalifen, 2'' vol. (sur le 1" vol., voy. Rev. hist.,
II, 234). — Muehlbacher. Die Datirung der Urkunden Lothar II (extrait
des Mémoires de l'Académie des Sciences de Vienne , t. 85 ). Vienne ,
Gerold's Sohn. — Odhner. Die Politik Schwedens im westphœlischen Friedens-
congress, u. die Griiiidung der Schwedischen Herrschafl. Gotha. Perthes. —
240 ERRATA.
RiTTKU. Hrielo ii. Acten zur GcschichI»' clos 30 .j;i'lirif;(Mi Kri«'j;('s in dcn Zciten
tlos v.uwaltoiuli'ii Einlliisses dcr Wilfelsbaclier. 3" part. : Dor jiiliclier Krbfolge-
krioij. Miinicli, Riof^er. — Schum. Dio Polilik Papst Paschals 11 >^i}^on Kaiser
HtMiuioh V (lirî). — SiOKEL. lîeitrœse zur Diplomalik, G'^^ pari, (extrait des
Mt'inoiros do i'Aoad. dos Scioncos do Vioiiiio, fov. 1877). Viouno, Oorold's Solin.
— W'iTTMANN. Dio Plalsfirafon \ou Bayorn. Munich, Ackermann.
Quollon zur Solnvoizor Goschichto, hf^g. von dor allgoiiicinen Geschiciilfors-
chondon Gosollscliat't dor Sclnvoiz. 1" vol. Râle, Schnoidor. — Wartmann.
Urkundenbuch dor Ablei Sanct Gallen 3' part. livr. 1, 2, 3. S. Gall, Zollikofer
1875-76.
OwKN. A sélection from the despalches, treaties and other papers of tho
inaniuess Welieslej , duriiifi liis government of India. Oxford, Clarendon
press.
Ri ANcni. Storia délia monarchia pietnontese dal 1773 sino al 1861. 1'^' vol.,
jusqu'en 1792. Florence, Bocca. Pr. 8 1. — Campori. Rainiondo Montecuccoli.
Florence, Barborà. Pr. 8 1. — Casoni. Storia del bombardamento di Genoa nell'
anno mdclxxxiv. Gônes, impr. des Sourds-Muets. — IIortis (Attilio). Docu-
ment i riguardauli la storia di Trieste e dei Walsee. Trieste, Hermannstorfer. —
Le nit^ino : Cenni di Giov. Boccacci intorno a Tito Livio. Trieste, tip. del Lloyd
austriaco. — ViLLARi. Niccolô Macchiavelli e 1 suoi tempi. 1" vol. Florence.
Lenionnier.
Rozpraw7 i sprawozdania z posiedzen wydzialu filologicznego akademii Umie-
jetnosci. T. IV et V. Cracovie, 1876.
Errata du précèdent numéro.
P. 352, 1. 16, après Saint-Priest, ajouter : (sic) ; l'orthographe du nom de
l'acteur est Saint-Prix.
P. 367. L'auteur de Y Histoire de la Révolution de 1848 est M. "Victor Pierre,
et non M. Eugène Pierre, auteur de V Histoire des Assemblées
politiques.
P. 466, 1. 35, au lieu de 1875, lire: 1877.
L'un des propriétaires-gérants, G. Monod.
Imprimerie Gouverneur, G. Daupeley à Nogent-le-Rotrou.
LES REFUS DE SACREMENTS
1752-1754.
C'est une erreur de croire que le mouvement d'opinion d'où
sortit la Révolution date uniquement des philosophes. Longtemps
avant qu'ils fussent arrivés à régner sur les intelligences, le
pouvoir en France était combattu par une violente opposition, et
déjà, à diverses reprises, le mot de Révolution avait été pro-
noncé dans le public. L'origine de cette opposition datait de la
fin du règne de Louis XIV. Ce prince, que, dans ses dernières
années, gouvernaient les Jésuites, avait voulu imposer à la
France les doctrines ultramontaines ; et, dans ce but, il avait
obligé le Parlement k enregistrer la célèbre bulle Unigenitus,
qui, sous couleur de condamner le jansénisme, offrait tout un
programme de ces doctrines. Il souleva une agitation qu'il eut
peine à contenir. Un moment apaisée au début de la Régence,
cette agitation se produisit avec une force nouvelle, quand on
vit le duc d'Orléans, qui avait paru d'abord s'éloigner des idées
du feu roi, y adhérer à son tour et s'unir avec Rome. Dès lors
deux partis se formèrent : dans l'un étaient les Jésuites et le haut
clergé; dans l'autre, toute la nation. Sous le ministère du car-
dinal de Fleury, cette alliance de la royauté et du saint-siége
devint plus étroite, et tous les moyens d'un gouvernement arbi-
traire furent employés pour substituer les théories romaines aux
maximes gallicanes qui étaient celles de la majorité du pays. Le
mécontentement gagna le second ordre du clergé, la magistra-
ture, la bourgeoisie, le peuple. De religieuse qu'elle était, l'op-
position devint politique. Quand Fleury mourut, au mois de jan-
vier 1743, il y eut pendant -quelques années une trêve à cette
agitation. A la vérité, la France était alors engagée dans une
guerre qui absorbait toutes les préoccupations. Après la paix
signée, en 1748, les Jésuites reprirent leurs menées et résolurent
Rev. Histor. y. 2'= FASc. '16
242 F^Lix uor.Qii.UN.
de consommer l'œuvre qu'ils poursuivaient depuis plus de trente
années. Un elFort décisif leur paraissait d'autant plus nécessaire
que les doctrines philosophiques commençaient à se faire jour.
En 1748, Montesquieu avait publié son Esprit des lois; après
lui, Buffon imprimait son Histoire naturelle , et en 1751 parais-
sait le premier volume de V Encycloi^èdie. Les Jésuites, qui
avaient habilement préparé le terrain, avaient alors pour alliés
les princes du sang et la plupart des ministres. Ils avaient gagné
à leur j)arti M'"" de Pompadour, qui se donnait en ce moment
des airs de dévotion et soumettait à leurs lumières la grave ques-
tion de savoir si elle pouvait continuer à vivre avec le roi comme
son amie, après avoir vécu avec lui comme sa maîtresse. Enfin
le second ordre du clergé, épuré par leurs soins, leur était, avec
les évêques, également favorable. Forts de ces appuis, ils entre-
prirent la lutte. Leur premier acte fut de soulever un orage
contre les philosophes, afin de « réduire au silence les meilleurs
écrivains de Paris. » A leur instigation, un arrêt du Conseil
supprima ce qui avait paru de Y Encyclopédie . Tous les manus-
crits de ce grand ouvrage, exigés par une lettre de cachet, durent
être livrés par Diderot. Lui-même prit la fuite; et tous ses colla-
borateurs se virent menacés dans leur liberté. Tranquilles du côté
des philosophes, les Jésuites engagèrent dès lors, en s'armant de
la bulle Unige^iitus ou, comme on disait, de la Constitution, un
combat décisif contre le jansénisme , nom sous lequel se confon-
daient tous les partis ennemis de l'ultramontanisme. Dès le
mois de février 1752, injonction était faite à tous les confesseurs
du diocèse de Paris d'interroger leurs pénitents sur la Constitu-
tion et de se montrer inflexibles pour tous ceux qui ne la recon-
naîtraient pas comme article de foi. La guerre des billets de
confession allait commencer.
Dans les derniers jours du mois de mars 1752, le curé de Saint-
Étienne-du-Mont, Bouettin, le même qui, en 1749, avait refusé
les sacrements à l'ancien recteur Coffin, faute d'un billet de con-
fession signé d'un prêtre adliérent à la Constitution, les refusait
pour le même motif au prêtre Le Mère, fort âgé et malade. Celui-ci
se plaignit au Parlement. Le curé, interrogé, répondit avoir agi sur
l'ordre exprès de son supérieur, l'archevêque de Paris. Le Parle-
LES REFUS DE SACREMENTS. 243
ment rendit un arrêt ^ aux termes duquel l'archevêque était invité
à faire administrer le prêtre Le Mère dans les vingt-quatre heures
et le curé menacé, en cas de récidive, de la saisie de son temporel.
L'archevêque et les Jésuites « se remuèrent. » Le roi cassa l'arrêt,
et, par une décision de son ConseiP, se réserva la connaissance
de l'affaire. Les magistrats envoyèrent représenter au monarque
que l'état pressant du malade exigeait qu'il fût promptement admi-
nistré, et le supplièrent de donner des ordres en conséquence.
Ces ordres ne furent point donnés, et le malade mourut sans
sacrements. A cette nouvelle se produisit dans Paris une fermen-
tation comme on en avait vu peu d'exemples, disait-on, depuis
l'époque des guerres civiles. « C'était, écrivait d'Argenson, une
haine contre le roi et un mépris du gouvernement qui n'annon-
çaient que des choses funestes^. » Quatre mille personnes s'étaient
rendues à l'enterrement de l'ancien recteur Coffin; il y en eut
dix mille à celui de Le Mère. Se faisant l'interprète du ressenti-
ment public et n'osant sévir contre l'archevêque, le Parlement
décréta le curé de prise de corps et, sur-le-champ, l'envoya appré-
hender. Jusqu'à quatre heures après minuit, il resta en séance,
attendant l'exécution de son décret ; mais le curé avait pris la
fuite. Le roi, offensé que les magistrats fussent intervenus dans
une affaire qu'il avait évoquée à sa personne, cassa le décret de
prise de corps « comme attentoire à son autorité^ » et ordonna de
cesser les poursuites. Le Parlement se disposait à protester, quand
de nouveaux faits vinrent aggraver la situation^.
Le prêtre Le Mère était à peine inhumé, que se produisaient
tout aussitôt à Paris et en province d'autres refus de sacrements.
Devant ce « commencement de Ligue, » les magistrats portèrent
au roi des remontrances comparables « aux harangues que fai-
saient les Romains à la tribune''. » Ils lui représentèrent combien
de désordres avaient été causés dans l'Église par la Constitution,
et qu'à ces désordres étaient dus les visibles progrès de l'esprit
d'impiété ; qu'au nom d'une buUô qui attaquait les libertés de la
France et qu'il était impossible de considérer comme article de
1. 23 mars 1752.
2. 25 mars 1752.
3. D'Argenson, VII, 168.
4. Par arrOt du Conseil du 7 avril 1752.
5. Pour tout ce qui précède, voy. Barbier, V, 176-192.
6. D'Argenson, VII, 202.
2^.î FKMX UOr.QliAlN.
foi, les ôvèquos lovaient ouvertemenl, h cette heure, « l'étendard
du schisme; » qu'on les verrait bientôt « mettre à l'admission
aux sacrements telles conditions qu'il leur plairait et se rendre
les arbitres de l'État et de la fortune des citoyens; » que rien
n'était « aussi menaçant pour les empires » que les dissensions
religieuses; qu'ils ne cesseraient, quant à eux, d'en signaler le
danger, et que telle était à cet égard leur résolution que, « pour
étouffer leur voix, il faudrait les anéantir *. » Le premier prési-
dent, dans une conférence particulière qu'il eut avec Louis XV,
lui dit, les larmes aux yeux : « Sire, on vous trompe, il est temps
de le voir ; le schisme détrône les rois avec moins de monde que
les nombreuses armées n'en peuvent soutenir 2. » Le Parlement ne
se borna pas à ces représentations. Assuré du concours de l'opinion,
assuré de celui des parlements de province qui s'étaient empressés
de lui écrire et promettaient de le seconder^, il résolut d'agir. Il
rendit, le 18 avril, un arrêt de règlement par lequel « était
défendu à tous ecclésiastiques de faire aucuns actes tendant au
schisme et notamment aucuns refus de sacrements, sous prétexte
du défaut de représentation d'un billet de confession ou d'accep-
tation de la bulle Unigenitus, à peine contre les contrevenants
d'être poursuivis comme perturbateurs du repos public et punis
suivant la rigueur des ordonnances. » Toute la nuit, on travailla
à l'impression de cet arrêt, et le lendemain 19, dès cinq heures
du matin, on l'affichait à tous les coins des rues.
Cet arrêt fut reçu du public avec transport. On en acheta dans
Paris plus de dix mille exemplaires. Chacun disait : « Voilà mon
billet de confession. » Dans quelques maisons, on l'encadrait sous
verre avec une baguette d'or. Pour « narguer » l'archevêque,
on en afficha dix ou douze exemplaires dans la cour même de son
palais -•. En présence de cette manifestation, le gouvernement
n'osa casser l'arrêt des magistrats, et, voulant ménager l'un et
l'autre parti, se borna, pour le moment, à ordonner un silence
général sur la Constitution ^ Le clergé, « furieux » de la tolérance
de la cour, non moins que de l'insolence du Parlement ^ contre-
1. Luynes, XII, 259-268.
2. D'Argenson, VII, 188.
3. D'Argenson, VII, 197.
4. Voltaire, Histoire du Parlement, 385. — Barbier, V, 210.
5. Par arrêt du Conseil du 29 avril 1752.
6. « On dit que larcbevéque do Paris, tous les évéqucs qui y sont actuelle-
LES REFUS DE SACREMENTS. 245
vint le premier à cette prescription du silence. Un mandement de
l'archevêque de Paris ordonnant des prières de quarante heures
« sur les dangers de la foi» allait être publié, si le ministère ne se
fût hâté d'en arrêter l'impression ^ Trente et un curés adressèrent
au prélat une requête à l'effet de maintenir, en sa rigueur, l'usage
des billets de confession. C'était l'archevêque qui, sous main, avait
provoqué cette requête. Le Parlement décréta celui des curés qui
en avait pris l'initiative. Le roi cassa le décret et défendit au
Parlement de poursuivre l'affaire^ Les magistrats décidèrent
l'envoi d'une « grande députation » chargée de représenter au
roi que le Parlement, « animé de cette fidélité qui savait quelque-
fois ne pas redouter même l'indignation du souverain pour le
servir utilement, » était résolu à cesser ses fonctions plutôt que
de laisser impunies les manœuvres schismatiques de l'archevêque
de Paris. Le monarque fit aux députés une réponse qui contenait
tout à la fois un blâme et une menace. Le Parlement enregistra
la réponse et maintint par un arrêt sa liberté d'agir^.
Tout le public et le « bas peuple » même approuvaient la résis-
tance des magistrats et condamnaient violemment la conduite de
l'archevêque. Un jour que celui-ci passait sur le Pont-Neuf, des
poissardes l'insultèrent, criant « qu'il fallait noyer un b... qui
leur refusait les sacrements^. Le curé de Saint-Eustache, ardent
janséniste, craignant d'être enlevé la nuit par la police, cent
femmes de la halle veillèrent pendant un mois autour de sa
demeure, prêtes à se battre comme des soldats^. On répandait des
estampes où les Jésuites étaient représentés comme ennemis des
rois et capables de les immoler à leurs desseins®. Quand la grande
députation envoyée à Louis XV par le Parlement rentra dans
Paris, la foule, amassée sur les quais, battit des mains au passage
des magistrats^. Du côté du clergé, on n'était pas moins animé.
Tout ce qu'il y avait de prélats à Paris se réunissaient chez
ment, et en général les prêtres et les moines sont furieux. » Barbier, V, 211. —
« L'ancien évêque de Mirepoix éclate de rage et de fureur contre la tolérance de
la cour et la prétendue insolence du Parlement. » D'Argenson, VII, 219.
1. D'Argenson, VII, 211, 215.
2. Voltaire, Histoire du Parlement, 386. — Barbier, V, 217, 220.
3. Barbier, V. 221-223, 234-236.
4. D'Argenson, VII, 226.
5. D'Argenson, VII, 227.
6. D'Argenson, VII, 235.
7. Barbier, V, 237.
2((> IKMX UOr.QlIAIN.
rarchevèqiie et so concertaient. La nuit, les Jésuites couraient
Paris (Ml fiacre, allant chez tous leurs jiartisans*. Tandis que
se produisait cette agitation, des mouvements d'une autre
sorte avaient lieu dans le royaume. De nouvelles révoltes, occa-
sionnées par la cherté du pain, qu'on attribuait, non sans rai-
son, à des manœuvres sur les blés, éclataient en Languedoc, en
Guyenne, en Auvergne, en Dauphiné, dans toute la Normandie.
Le gouvernement envoyait des troupes h Rouen et au Mans
contre les émeutiers^. Tout concourait à enflammer les esprits.
Les brochures pullulèrent. Le 30 mai, un arrêt du Conseil
supprimait, comme contraires au silence ordonné sur la Constitu-
tion, divers libelles contre les magistrats, plus une estampe
qui représentait le Parlement sous la figure d'une femme ,
tenant d'une main le faisceau consulaire et de l'autre une
épée avec cette légende custos unitatis, schismatis victriœ^.
Le lendemain, le Parlement supprimait, à son tour, les écrits
supprimés, à l'exception de l'estampe qu'il laissait subsister^.
C'était montrer qu'en ces matières il entendait agir seul et
ne point supporter l'ingérence du Conseil. Le clergé, qu'exas-
pérait la hardiesse croissante du Parlement, cherchait par
tous les moyens à lui aliéner l'opinion. En province, plusieurs
évèques prêchaient publiquement contre lui. L'évêque de Quim-
per osa, dans un sermon, traiter les magistrats de gens de la
vache à Colas'". A Paris, on apprenait aux filles de l'Enfant-
Jésus k chanter des cantiques où ils étaient injuriés^. Le 11 juin,
1. D'Argenson, VII,. 209, 233.
2. Barbier, V, 226. — D'Argenson, VII, 213, 215, 216, 218, 220, 225, 277, 278,
285, 286. A Rouen, des maisons, des couvents, ainsi que des bateaux chargés de
grains, furent pillés par le peuple; dans la province, 15 à 16,000 paysans révol-
tés mettaient à contribution les châteaux.
3. Arrêt du Conseil d'État du 30 mai 1752 supprimant divers écrits intitulés,
l'un : Lettre de M. rarchevêque de *** à Monsieur ..., conseiller au Parle-
ment de Paris; l'autre : Lettre à M. de *** sur l'affaire préserde du Parle-
ment au sujet du refus des sacrements; ensemble une gravure portant : Custos
unitatis.
4. Arrêt du Parlement du 31 mai 1752 supprimant divers écrits intitulés, l'un:
Lettre de M. l'archevêque de *** à Monsieur ..., conseiller au Parlement de
Paris; l'autre : Lettre à M. Vévéque de ***, etc. — Dans cet arrêt, il n'est pas
dit un mot de l'arrêt du Conseil rendu la veille contre les mêmes écrits.
5. C'était ainsi qu'autrefois le peuple appelait les huguenots. D'Argenson, VII,
247, 249.
6. D'Argenson, VII, 258.
LES REFUS DE SACREMENTS. 247
dix-neuf prélats se réunissaient pour signer une requête au roi,
lui demandant de punir les hommes téméraires qui avaient osé
qualifier de schismatique l'archevêque de Paris i. Le Parlement
répondit à ces attaques en frappant de ses arrêts les écrits des
évêques. Le 4 juillet, il supprimait un sermon que l'évêque
d'Amiens avait prononcé et fait imprimer contre lui^. Trois jours
après, il condamnait au feu une lettre de l'évêque de Marseille,
qui accusait les magistrats d'opprimer les consciences et de bou-
leverser le royaume^ Le 29 du même mois, il brûlait un écrit
en latin commençant par ces mots Ira Dei ascendit super nos,
écrit attribué à l'archevêque de Paris et qu'on venait d'envoyer
à tous les curés et vicaires du diocèse". « Mes très-chers frères
infortunés, disait l'auteur de cet écrit, persévérez dans la prière,
afin que Dieu pardonne à son peuple et ne permette pas que la
France tombe dans l'opprobre. Dispensateurs fidèles des mystères
du Seigneur, ne donnez point aux chiens ce qui est saint. Souve-
nez-vous que les lois des pouvoirs séculiers, lorsqu'elles s'opposent
aux préceptes et à l'autorité de l'Église, sont usurpatrices et cri-
minelles, et qu'il faut obéir à Dieu, non aux hommes. »
Le rire se mêlait à ces agitations. Dans un libelle intitulé :
Requête des sous-fermiers du domaine au roi^, on deman-
dait que les billets de confession fussent délivrés sur papier timbré
et assujettis au contrôle. On représentait au roi qu'il s'assure-
rait plus aisément par ce moyen de la piété de ses sujets et ouvri-
rait en même temps pour le Trésor une abondante source de reve-
nus. On y faisait d'ailleurs l'éloge des billets de confession que l'on
comparait aux laissez-passer délivrés par le Domaine pour
empêcher la fraude, ajoutant que, s'ils avaient eu cours autrefois,
Jésus n'aurait sans doute point donné la communion à Judas.
1. D'Argenson, VII, Ul, 268.
2. Arrêt du Parlement du 4 juillet 1752 supprimant un écrit intitulé : Extrait
de Vexliortaiion que fit Mgr Vévêque d'Amiens dans la cathédrale le jour de
la Fête-Dieu de la présente année 1752, communiqué aux fidèles de son dio-
cèse.
3. Arrêt du Parlement du 7 juillet 1752, condamnant au feu un écrit intitulé :
Lettre de monseigneur l'évêque de Marseille à Monseigneur le chancelier.
4. Arrêt du Parlement du 29 juillet 1752, condamnant au feu un imprimé com-
mençant par ces mots : Ira Dei, et (inissant par ceux-ci : Ejtis sodales.
5. Arrêt du Parlement du 22 juillet 1752 condamnant au feu un écrit intitulé :
Reqïteïe des sous-fermiers du domaine au roi, pour demander que les billets
de confession soient assujétis au contrôle.
2ÎS F^Î!,IX ROCQUAIN.
Col ('d'il obtint un tel succès que des exemplaires s'en répan-
dirent h profusion à Paris, dans l'intérieur du royaume, et jus-
qu'à l'éti'anger. « On commence à tourner en dérision les choses
spirituelles et les plus saintes de la religion, écrivait un homme
qui, sans être tout à fait sceptique, ne })artageait i)oint ces pas-
sions; mais il faut avouer qu'elles le méritent un peu^ »
Cependant de tous côtés arrivaient aux magistrats des dénon-
ciations sur de nouveaux refus de sacrements^. C'était, chaque
jour, pour le Parlement, matière à délibération. Les ecclésias-
tiques dont la conduite provoquait ses rigueurs n'attendaient i)as
qu'il eût prononcé ses jugements et prenaient aussitôt la fuite. A
la fin de juillet, il n'y avait plus, dans la paroisse de Saint-
Etienne-du-Mont, à Paris, ni curé, ni vicaire, ni porte-Dieu^.
Le même fait se produisait dans tous les diocèses où le Parle-
ment étendait sa juridiction. « Sire, écrivait au roi l'évêque
d'Amiens, plusieurs paroisses de mon diocèse sont désertes; leurs
pasteurs sont fugitifs; nous sommes persécutés. Ne livrez pas à
des magistrats irrités le clergé de votre royaume^. » Pour donner
plus d'éclat à ses délibérations, le Parlement ne siégeait plus que
<.< toutes chambres assemblées. » Ainsi réuni, il deYenaiiim corps
national, il approchait des Etats généraux et « du Parlement
d'Angleterre^ » Le 19 août, il fit un coup d'audace. Il rendit un
arrêt qui bannissait de Paris pour trois ans un vicaire de la
paroisse de Saint-Etienne-du-Mont et condamnait deux porte-
Dieu de la même paroisse à subir une admonestation à genoux et
tête nue, dans la salle du Palais, Bien que cet arrêt n'eût été
rendu que par contumace, le gouvernement ne voulut point por-
ter aux yeux des évêques la responsabilité d'un acte aussi hardi.
L'arrêt des magistrats fut cassé par un arrêt du Conseil que, le
22, on cria dans les rues. Le même jour et à la même heure, le
Parlement fit crier le sien, en sorte qu'on criait à la fois l'un et
l'autre arrêt « comme production de deux puissances presque
égales qui se croisaient dans leurs opérations^ » Le lendemain,
1. Barbier, V, 259, 260.
2. D'Argenson, VII, 237, 245, 253, 258 èipassim.
3. Barbier, V, 255.
4. ArrtH du Parlement du 17 août 1752 supprimant divers écrits intitulés, l'un :
Seconde lettre de Mgr l'évêque d'Amiens au roi; l'autre : Troisième lettre de
Mgr l'évêque d'Amiens au roi; etc.
5. D'Argenson, VII, 271,
6. Barbier, V, 272, 273.
LES REFUS DE SACREMENTS. 249
l'arrêt du Parlement était crié de nouveau, et il fallut le réimpri-
mer, le nombre des exemplaires ne suffisant pas aux demandes
des colporteurs. Quelques jours après, le Parlement donnait une
autre preuve de hardiesse. Un jugement du Conseil ayant sup-
primé un écrit où l'on demandait au roi de casser l'arrêt du
18 avrils le Parlement ne tint point compte de ce jugement, et,
se prononçant à son tour sur cet écrit, le condamna au feu^..
Tous ces divers arrêts, affichés coup sur coup, étaient lus dans
les rues par la foule assemblée^. Les conséquences d'un tel
désordre n'échappaient point aux esprits réfléchis. « Tout tombe
par morceaux, écrivait d'Argenson. Pendant ce temps-là, l'opi-
nion chemine, monte, grandit, ce qui pourrait commencer une
7'évolution nationale'^. »
On était au mois de septembre 1752, et le Parlement allait en-
trer en vacations. Vainement avait-il demandé au roi, en raison
de la gravité de la situation, de rester assemblée Comme si le
clergé eût voulu montrer que le Parlement était l'unique auteur
des troubles, les refus de sacrements cessèrent aussitôt que furent
closes ses séances^. La guerre des brochures ne laissa pas de con-
tinuer. Les Jésuites se virent attaqués dans des libelles dont le
cours ne devait plus s'interrompre'. La Constitution, de laquelle
on s'était moqué jadis, fut de nouveau tournée en dérision. On
lança dans le public une lettre d'invitation « au convoi funèbre
et enterrement de très haute et puissante dame, madame la Cons-
titution Unigenitus, fille de N. S. P. le Pape Clément XI, décé-
dée en la grand' chambre du Parlement, à Paris, le 18 avril 1752.»
On publia même son oraison funèbre, imitée de celle de Bossuet
sur le prince de Condé^. Aux railleries sur la religion on joignit
1. Arrêt du Conseil du 27 août 1752 supprimant un écrit imprimé sans per-
mission et sans titre, daté du 11 juin.
2. Arrêt du Parlement du 30 août 1752.
3. Barbier, V, 288. Un arrêt du Conseil du 3 septembre cassa l'arrêt du Par-
lement du 30 août.
4. D'Argenson, VII, 295.
5. Barbier, V, 282.
6. Barbier, V, 291.
7. Arrêt du Parlement du 4 septembre 1752 condamnant au feu un imprimé
intitulé: Lettre aux RR. PP. /esM//ps, ensemble une gravure intitulée : VAntipa-
tique. — Cette gravure représentait l'archevêque de Paris frappé des foudres du
ciel et de l'enfer, pendant que le Christ étendait la main vers le Parlement et
que l'Esprit saint se posait en langues de feu sur la tête des magistrats.
8. Arrêt du Parlement du 28 septembre 1752 condamnant au feu un écrit inti-
2:i0 riLl\ IIOCQUAIN.
l'insulte envers les pouvoirs qui avaient mission de la protéger.
Dans un prétendu Bref de N. S. P. le Pape Benoit XIV au
Fils aine de l'Église, on conseillait au roi d'établir l'Inquisition
dans ses États et d'en confier les redoutables fonctions aux « en-
fants de Loyola, » lui disant qu'il ne réussirait à maintenir la foi
dans sa pureté qu'an moyen des potences et des bûchers, et que,
dût-il par les supplices dépeupler son royaume, il convenait de
ne rien épargner pour atteindre un but aussi sacré'. Enfin, dans
un autre libelle, on attaquait la confession elle-même. On soute-
nait qu'elle n'était point nécessaire pour le salut; qu'il suffisait
de vivre en honnête homme, pour n'ayoir rien à craindre de
la mort; que Dieu étant d'une bonté sans bornes, les châti-
ments dont l'Église effrayait les pécheurs n'étaient que des
chimères ; que le passé, le présent et l'avenir ayant été déterminés
par lui de toute éternité, il ne pouvait y avoir de sauvés que les
élus, et que, par cette raison, la confession se trouvait sans but
et sans objet^.
Tandis que la chambre des vacations poursuivait des écrits,
qui , pour être favorables aux jansénistes , ne laissaient pas
d'offenser la religion, le Chàtelet, juridiction inférieure, inter-
venait à son tour et condamnait la lettre d'un archevêque, —
non signée, il est vrai, — à être brûlée en place de Grève^. Cette
sentence fut cassée pour incompétence par arrêt du Conseil^.
Cependant les évêques, qui venaient de voter au roi un don gra-
tuit de onze millions, profitèrent des vacances du Parlement pour
solliciter avec instance de la piété du monarque l'annulation de
l'arrêt du 18 avril, qui offensait également, disaient-ils, son auto-
rité, son honneur et sa religion^ Le gouvernement parut se
tulé : Oraison funèbre de très haute, très puissante et très sainte princesse, la
bulle Unigenitus-, in-4'' de 30 pages.
1, Arrêt du Parlement du 7 octobre 1752 condamnant au feu un écrit intitulé:
Bref de N. S. P. le pape Benoit XIV au fils aîné de VÉglise et à tous les
fidèles de son royaume.
1. Arrêt du Parlement du 16 septembre 1752 condamnant au feu un écrit inti-
tulé : Lettre en réponse à Vauteur de la requête présentée au roi par les sous-
fermiers du domaine au sujet de Vassujétissement des billets de confession à
la formalité du contrôle.
3. Sentence du Chàtelet du 4 novembre 1752, condamnant au feu un écrit
intitulé : Seconde lettre de M. l'archevêque de '** en réponse à la lettre d'un
conseiller au Parlement. — Cette lettre était attribuée à l'archevêque de Sens.
4. D'Argenson, VII, 343, 344.
5. Barbier, V, 301, 302. — D'Argenson, VII, 353.
LES REFUS DE SACREMENTS. 25<
rendre à ces vœux. Par une décision du Conseil du 21 novembre,
il cassa l'arrêt comme empiétant sur le pouvoir législatif « qui
appartenait à Sa Majesté seule » ; mais il n'annula point les pour-
suites ordonnées en vertu de cet arrêt et maintint au Parlement
le droit de connaître des abus dont les curés pourraient se rendre
coupables dans l'exercice de leur ministère. Cette décision ne
satisfit point les évêques et mécontenta les magistrats. A peine ces
derniers avaient-ils repris leurs séances, qu'on voyait affiché, dans
les sacristies de toutes les églises de Paris, l'imprimé Ira Dei
ascendit super nos, brûlé le 29 juillet par ordre du Parlement*.
Les refus de sacrements se reproduisirent en même temps avec un
nouvel éclat. Le curé de Saint-Médard ayant refusé le viatique à
la sœur Perpétue, religieuse delà communauté de Sainte-Agathe,
le Parlement décréta le curé de prise de corps et invita l'arche-
vêque de Paris à « pourvoir sans retard à l'état de la malade par
l'administration des sacrements. » Il lui manda également qu'il
eût à faire cesser désormais de semblables scandales. Cette inm-
tation n'ayant pas été suivie d'effet, le Parlement convoqua
l'assemblée des pairs pour juger l'archevêque et ordonna, par un
arrêt, la saisie de son temporel. Le roi évoqua l'affaire, donna
au prélat main-levée de la saisie et défendit aux pairs de s'assem-
bler. Peu après, sur la demande de l'archevêque, il faisait enlever
la sœur Perpétue par des archers et dispersait la communauté^.
Cette fois, c'était l'épiscopat qui semblait triompher. Les magis-
trats, coup sur coup, adressèrent des remontrances. Ils protes-
tèrent contre l'acte de violence dont la sœur Perpétue venait
d'être l'objet. A l'égard de l'archevêque, ils soutinrent qu'il ne
pouvait être jugé que par l'assemblée des pairs, et qu'en se subs-
tituant à cette assemblée le roi portait atteinte aux lois de la
monarchie. C'était ainsi que de simples « questions de catéchisme»
dégénéraient non-seulement en querelles de religion, mais « en
questions d'État^. » Chargé dans ces différentes occasions de
porter la parole, le premier président prenait l'attitude d'un chef
de Sénat, qui eût tenu son pouvoir « non du roi, mais de la
nation^. » Le Parlement résolut de donner à de dernières repré-
sentations une importance proportionnée à la gravité des événe-
1. Pour toute celte affaire, voy. Barbier, V, 302-3Î5 et suiv. D'Argenson, VII,
361-376. Cf. Voltaire, Histoire du Parlement, 387-389.
2. Barbier, V, 3il.
3. D'Argenson, VII, 376.
2.>2 FKLI\ UOCQUAIX.
monts, et dans lesquelles seraient exposés tous ses nombreux griefs,
(^n ne doutait point que ces remontrances, auxquelles les magis-
trats se proposaient d'apporter une grande publicité, ne fussent
« un tocsin contre le gouvernement*. » Le Parlement y devait
parler, en particulier, des lettres de cachet qui avaient été lan-
cées, depuis 1714, k l'occasion de la Bulle. Il résulta do recherches
faites par lui à ce sujet que le nombre s'en élevait à quarante-
cinq mille^.
Sur ces entrefaites, un nouveau conflit survint entre la cour
et le Parlement pour un refus de sacrements qui avait eu lieu à
Orléans. L'évèque du diocèse ayant maintenu ce refus, malgré
les sommations que lui adressèrent les magistrats, fut condamné
à six mille livres d'amende. Le roi, qui s'était hâté d'évoquer
l'affaire, cassa ce jugement par un arrêt du Conseil qu'un huis-
sier de la chaîne'^ signifia au greffier en chef du Parlement. Les
magistrats virent dans cet acte une violation des formes établies
par la loi, et osèrent en demander satisfaction au monarque _^ar
la suppression de Vorighial et de la copie de la significa-
tion"^. Sur un nouveau scandale arrivé à Orléans, ils assignèrent
l'évèque à comparaître. Le roi résolut d'en finir. A la date du
22 février 1753, il adressa au Parlement des lettres patentes
« ordonnant qu'il serait sursis à toutes affaires concernant les
refus de sacrements, sous peine de désobéissance. » Le Parlement
décida de ne point enregistrer ces lettres avant la présentation
des « grandes remontrances » auxquelles il travaillait, et jusque
là de continuer à connaître des mêmes abus^. Le clergé, voyant
le gouvernement incliner de son côté, redoubla de hardiesse. A
Troyes, à Chartres, se produisirent d'autres refus de sacrements.
L'évèque de Langres provoqua, dans son diocèse, des actes de pro-
testation contre le Parlement et recueillit des signatures^. A Paris,
l'archevêque frappa d'interdiction des ecclésiastiques suspects de
jansénisme, pendant que des curés, décrétés par le Parlement,
étaient, avec l'assentiment du ministère, réintégrés dans leurs
1. D'Argenson, VII, 378, 379.
2. D'Argenson, VII, 385 (janvier 1753). — Barbier, V, 350.
3. On appelait ainsi les huissiers qui étaient attachés au conseil du roi et qui
en exécutaient les arrêts, parce qu'ils portaient une chaîne d'or au poignet.
4. Voltaire, Histoire du Parlement, 387. — Barbier, V, 340-345. — D'Argen-
son, VII, 386, 393, 399, 412 (janvier-février 1753). — Luynes, XII, 332-334.
5. Barbier, V, 353-354. — Luynes, XII, 364-365.
6. D'Argenson, VII, 449.
LES REFDS DE SACREMENTS. 253
fonctions'. On publia des écrits où l'on déniait aux magistrats le
droit d'intervenir dans les matières de sacrements. On imprima,
sur ce sujet, un prétendu mémoire des avocats de Paris, que désa-
voua publiquement le bâtonnier de l'ordre^. Dans d'autres brochu-
res, on s'efforça de rendre les magistrats odieux au souverain, en
montrant qu'ils voulaient mettre la royauté en tutelle et aspiraient
au rôle des « anciens mairesdu Palais ^. » En mêmetemps, quarante
docteurs en droit canon de la Faculté de Paris rédigeaient une
consultation concluant à priver des sacrements les jansénistes
« notoires d'une notoriété de fait^. » On ne craignit pas d'impri-
mer que ces persévérants ennemis de la Constitution ne croyaient
pas à la présence réelle dans l'Eucharistie ^. Dans le diocèse
d'Amiens, un curé, s'emportant en chaire contre les jansénistes,
osa dire quil serait le premier à tremper les mains dans
leur sang '^.
Attaqué de toute parts, le Parlement rendait arrêt sur arrêt,
condamnant tantôt les personnes et tantôt les écrits. S'étant pro-
noncé contre une thèse où avaient été sou tenues des idées ultramon-
taines, il envoya deux de ses membres inscrire d'autorité sur les
registres de la Sorhonne le jugement qui en flétrissait les doctri-
nes. Le roi cassa cet enregistrement. Les magistrats ripostèrent
par un arrêt qui enjoignait d'enseigner dans toutes les universités
les quatre propositions de l'Assemblée du clergé de 1682; ils
étaient animés à ce point que, si le Conseil avait annulé cet arrêt,
soixante voix étaient prêtes à décréter le chancelier « pour crime
de trahison ''. » Comme si ce ne fût pas assez de ces causes de
1. D'Argenson, VII, 458-465.
2. Arrêt du Parlement du 13 février 1753 condamnant au feu un écrit intitulé:
Consultation de plusieurs canonistes et avocats de Paris sur la compétence
des juges séculiers par rapport au refus des sacrements.
3. Arrêt du Parlement de Toulouse du 17 avril 1753 condamnant au feu un
écrit intitulé : Réflexions d'un évéque du Languedoc sur les remontrances du
Parlement de Toulouse du M juillet 1752.
4. Arrêt du Parlement du 9 mars 1753 condamnant au feu un éciit intitulé :
Consultation de quarante docteurs en droit canon de la Faculté de Paris sur
les refus de sacrements faits aux jansénistes, appelans et quesnellistes, notoires
d'une notoriété de fait.
5. Arrêt du Parlement du 16 mars 1753 condamnant au feu un écrit intitulé :
Questions curieuses: si les jansénistes et quesnellistes croient à la présence
réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie.
6. Ce curé fut condamné au bannissement perpétuel par arrêt du Parlement du
6 février 1753.
7. C'était le chancelier qui contresignait les arrêts du Conseil. L'arrêté du Par-
2r, ', FIÎLIX ROCQDAIN.
troubles, le gouvernement fomentait lui-même d'autres agitations,
en poursuivant les prolestants avec un redoublement de rigueurs.
On s'attendait, en Languedoc, à un soulèvement général des cal-
vinistes'. Cependant de sourdes colères grondaient au sein du
peui>le de Paris qu'accablaient les impôts. Du 20 janvier au 20
février 1753, on compta huit cents maUieureux morts de misère
dans le faubourg Saint-Antoine 2. Louis XV, plus ennuyé qu'in-
quiet des événements, irrité par boutades, n'intervenant que
nominalement dans les décisions prises par ses ministres, et lais-
sant h sa place régner son amie, madame de Pompadour, com-
mençait alors à chercher de nouvelles distractions dans les
honteux mystères du Parc-aux-Cerfs ».
A la date du 9 avril les « grandes remontrances » étaient
achevées. Elles représentaient tout un traité divisé en vingt-trois
articles. Avant même qu'elles fussent imprimées, on en avait
retenu des exemplaires pour toute l'Europe ^ On disait, dans le
public, que ce serait « l'un des plus grands monuments de la
monarchies » Informé par le Parlement de son intention de pré-
senter ces remontrances, le roi ne voulut point les entendre tant
que les lettres patentes du 22 février ne seraient pas enregistrées.
Les magistrats refusèrent de souscrire à cette condition. Le
monarque offensé leur enjoignit de nouveau d'enregistrer les let-
tres émanées de son autorité, leur défendant, à peine de déso-
béissance et d'encourir son indignation, de continuer à
connaître des matières de sacrements. Le Parlement, tout d'une
voix, déclara que, « sans manquer à son devoir et trahir ses ser-
ments, il ne pouvait obtempérer^. » Que restait-il, après
cela, que de frapper du glaive^? Dans la nuit du 8 au 9
mai, des mousquetaires coururent Paris, portant à tous les mem-
lement relatif aux propositions de 1682 est du 31 mars 175S. — Voy. Barbier, V,
357, 358, 361, 363, 364. - D'Argenson, VII, 450.
1. D'Argenson, VII, 439 (mars 1753). Cf. ibid. 222, 223, 300.
2. D'Argenson. VII, 425-426.
3. Barl)ier, V, 360, 372, 373 (mars-avril 1753).- D'Argenson, VII, 409, 439, 456.
4. On estimait à 80,000 Uvres l'argent qu'elles devaient rapporter à l'imprimeur.
5. D'Argenson, VII, 464.
6. Voltaire, Histoire du Parlement, 391, dit à ce propos : « Cemoi obtempé-
rer fit à la cour un singulier effet. Toutes les femmes demandaient ce que ce
mot voulait dire, et, quand elles surent qu'il signifiait obéir, elles firent plus de
bruit que les ministres. » —Barbier, V, 377-380 (mai 1753). — D'Argenson, VIII,
9, 15-17.
7. D'Argenson, VIII, 16.
LES REFUS DE SACREMENTS. 255
bres du Parlement, hormis ceux de la grand'chambre, des lettres
de cachet qui les envoyaient en exil et leur ordonnaient de sortir
de la capitale sous vingt-quatre heures. Le ministère s'était flatté
que les conseillers de la grand'chambre, en raison de leur âge et
des pensions que plusieurs recevaient de la cour, se montreraient
plus dociles. Aux applaudissements du public, ils déclarèrent par-
tager les sentiments de leurs collègues, et, dans la séance où ils firent
cette déclaration, décrétèrent plusieurs curés de prise de corps ^.
Quelques voix même s'élevèrent pour demander qu'on décrétât
ceux des ministres qui avaient conseillé au roi l'exil du Parlement,
Les magistrats delà grand'chambre reçurent aussitôt l'ordre de se
transférer à Pontoise.
On regarda la disgrâce du Parlement « comme le dernier
coup de massue » porté « au peu de liberté nationale qui
restait encore 2. » Tout Paris était en rumeur. Le gouverne-
ment craignit une révolte. Des arrestations furent opérées ;
on lança partout des espions. Durant huit nuits, tout le guet à
cheval parcourut la ville, prêt à agir au premier événement. Le
palais de l'archevêque, hermétiquement fermé, était gardé par des
soldats^. Dans divers lieux publics, on saisit des billets contenant
ces mots : « Vive le Pm^lement ! Meurent le roi et les évo-
ques ! » Témoin de ces faits, D' Argenson écrivait : « On ne sau-
rait attribuer la perte de la religion en France à la philosophie
anglaise qui n'a gagné à Paris qu'une centaine de philosophes,
mais à la haine conçue contre les prêtres qui va aujourd'hui à
l'excès. A peine ces ministres de la religion osent-ils se montrer
dans les rues sans être hués, et tout cela vient de la bulle Uni-
genitus, ainsi que de la disgrâce du Parlement '*. » On voit par
cette réflexion que, si l'on ne pouvait reprocher aux philosophes
le discrédit où était déjà tombée la royauté, on ne pouvait davan-
tage leur imputer celui où était tombée la religion.
Le 23 mai, les remontrances si bruyamment annoncées furent
enfin livrées au public. Elles justifièrent son attente. Le Parle-
1. Après cette déclaration, « comme les grands chambriers sortaient de la
grand" chambre, le palais se trouva rempli d'un nombre innombrable de popu-
lace, et, sachant ce qu'on avait arrêté, ils battirent des mains et crièrent tous :
Vive le Parlement ! » D'Argenson, VIII, 20. — Barbier, V, 385-386.
2. D'Argenson, VIII, 35.
3. D'Argenson, VIII, 33.
4. D'Argenson, VIII, 27, 33, 35 (mai 1753).
•inCi FKI,I\ U(1CQl!AI\.
ment représentait avec force le pro^^rès redoutable du schisme et
la nécessité de mettre un frein aux entreprises des évèques. Il
remontait à l'origine delà monarchie, retraçait les empiétements
incessants du clergé sur les pouvoirs temj)orels, sa persistance à
revendiquer, connue un i)rivilége dû à son caractère, l'affranchis-
sement de toute juridiction séculière et de toute puissance
souveraine. « L'autorité des successeurs des apôtres, disait-il,
est un ministère et nonpasun empire^. » Reprenant à ses dé-
buts l'histoire de la bulle Unigenitus, il signalait les désor-
dres introduits à cette occasion dans l'église et dans l'Etat;
il rappelait les vexations, les violences, les proscriptions,
montrait la Sorbonne et l'Université abaissées, les études affai-
blies, <■< l'ignorance devenue presque universelle dans le
royaume^. » Sans excéder les bornes du respect dû au souverain,
il reprochait à la royauté de s'être fait, dans ces circonstances,
l'alliée ou plutôt l'instrument du clergé. Il lui reprochait d'avoir
abusé du système des évocations, dont l'emploi pouvait sembler
à des esprits inconsidérés une marque de la souveraineté et n'était
en réalité que le renversement de tout ordre politique. « Si les
1. Ces mots sont soulignés dans l'original.
2. Voici, dans son entier, le passage que nous ne faisons que résumer :
« Les congrégations savantes se ressentent de cette secousse universelle. Tout
l'ordre de Saint-Benoit en peu de temps a changé de face. Plus de cinq cents
religieux de la congrégation de Saint-Maur sont exclus de toutes charges, de tous
emplois, et de tous droits de conventualité. Ces savants utiles à l'Église et à
l'Etat par leurs lumières et par leurs ouvrages, sont éloignés pour jamais. Ils
n'ont plus de demeures fixes, l'incertitude de leur sort les empêche de se livrer
à l'étude. Votre royaume sera donc privé pour toujours des fruits de leurs tra-
vaux.
Quelle perte enfin pour l'État entier que la destruction de tant d'écoles ou
régnaient la piété et l'instruction la plus solide, l'affaiblissement de ces universi-
tés autrefois savantes et distinguées ! Pour étendre la soumission à la bulle Uni-
genitus, les sujets les plus instruits des saintes maximes de la religion, de la
morale et de nos précieuses libertés, plus fermes dans leur résistance, ont été
éloignés. En un seul jour, cent docteurs de la Faculté de Paris, respectables par
leurs lumières et par leurs vertus, ont été privés de toute voix délibérative et
de toute assistance aux assemblées : et combien d'autres avaient déjà été enlevés
à cette Faculté par des ordres particuliers ! L'Université de Paris a éprouvé un
retranchement pareil; et ce vide affreux a presque tari la source la plus pure de
l'instruction, a laissé ces Corps respectables asservis aux délateurs, et les a
privés du secours de ceux qui étaient les plus capables de former des ministres
éclairés pour l'Église, et pour l'État des citoyens fidèles.
De là le découragement dans les écoles, l'affaiblissement des études, l'ignorance
devenue presque universelle dans votre royaume. »
LES REFDS DE SACREMENTS. 237
sujets doivent obéissance aux rois, disait-il, les rois de leur
côté doivent ohéissmice aux lois. » Il représentait que c'était
par l'altération des lois que se préparaient les révolutions dans
les États; et telle est, ajoutait-il, la grandeur de nos maux, que
« nous sommes aujourd'hui dans la triste nécessité de réclamer
presque tous les principes de la constitution de la monarchie. »
Il parlait enfin des refus de sacrements, des troubles de toute
sorte qui en étaient la suite et de la défense que le roi lui avait
faite de sévir contre ces abus. Non, Sire, disaient les magistrats
en terminant, nous ne laisserons pas triompher un schisme fatal
à la religion, et capable de porter le coup le plus funeste à votre
souveraineté et à l'Etat. « En vain voudrait-on nous obliger à
devenir les spectateurs inutiles des maux de notre patrie, et par
là même à en devenir les complices. Si ceux qui, abusant de votre
nom, prétendent nous réduire à la cruelle alternative ou d'encou-
rir la disgrâce de votre majesté, ou de trahir les devoirs que nous
impose un zèle inviolable pour votre service, qu'ils sachent que
ce zèle ne connaît point de bornes, et que nous sommes résolus
de vous demeurer fidèles jusqu'à devenir les victimes de notre
fidélité. »
La publication de ces remontrances n'avait eu lieu que de l'aveu
tacite du Parlement. Par déférence envers le souverain qui avait
refusé de les entendre, la grand' chambre les supprima, « comme
imprimées sans permission. »Par le même arrêt, elle condamnait
au feu deux estampes à l'honneur du Parlement, mais offensantes
pour le roi, dont l'une représentait la justice prenant le chemin
de l'exil, avec cette devise : Justitia relegata, flecti nescia ^
Ainsi commençaient à se répandre ces gravures allégoriques, figu-
rant la Justice, la Vérité, la Liberté, la Loi, et qui devinrent si
fréquentes sous la Révolution 2.
Les sévérités du gouvernement allèrent contrôleur but. Jamais
le prestige du Parlement n'avait été si haut. Le Châtelet, les
cours des aides, des comptes, des monnaies, l'Université envoyè-
1. Arrêt du Parlement du 28 mai 1753 supprimant deux imprimés, l'un in-4°
de 56 pages, l'autre in-12 de 164 pages, intitulés : Remonlraiice du Parlement
au roi, du 9 avril 1753 ; et condamnant au feu deux gravures intitulées l'une
Justitia relegata flecti nescia, l'autre Senaius optiino principi.
2. Arrêt du Parlement du 4 juillet 1753 supprimant une gravure in-12 ayant
pour litres : Remontrances du Parlement au roi contre le schisme et Unitati,
et pour devise : Schismaticos debellatura furores.
Rev. Histor. V. 2« FAsc. 17
258 ¥éUX ROCQUAIN.
renth la graud'cliaiiibroclos dèputations chargées de la féliciter*.
Les Parlements de province, se piquant d'émulation, réglèrent
leur conduite sur celle du Parlement de Paris et poursuivirent la
guerre contre le clergé-. Des divers lieux de leur exil, les con-
seillers disgraciés répandaient des mémoires où ils fomentaient la
résistance, disant que, « si le roi avait cent mille hommes, le
Parlement avait tous les cœurs, l'estime et les volontés 3. » De
son côté, le Cliàtelet, continuant à sortir de ses attributions, fai-
sait brûler en place de Grève un recueil de Lettres, où l'on accu-
sait le Parlement de tous les troubles qui depuis trois ans affli-
geaient le royaume ^ Les bruits les plus graves circulaient
dans le public. On racontait qu'à Metz un janséniste, auquel on
avait refusé les sacrements, étant venu à mourir, l'évêque avait
fait porter au palais épiscopal le cercueil qui contenait sa dépouille,
en avait retiré le cadavre et l'avait jeté dans la rue ^. On assurait
que tous les Parlements du royaume, unis dans les mêmes vues,
allaient demander la convocation des Etats-Généraux ^ . Le gouver-
nement poursuivait ses rigueurs, arrêtant les particuliers ^ , cassant
les arrêts des Parlements, employant même contre les magistrats
des violences auxquelles se mêlait l'outrage. Le Parlement de Nor-
mandie ayant condamné l'évêque d'Evreux à six mille livres
d'amende, un lieutenant des gardes du roi se rendit à Rouen, pé-
nétra, escorté de plusieurs officiers, dans la salle des délibérations,
et fit biffer, sous ses yeux, l'arrêt sur les registres^. Peu après,
1. D'Argenson, VIII, 30, 38, 41. L'Université adressa une harangue, disant àla
grand'chambre que la justice, la loi et la sécurité avaient fui avec elle : « Luctum
ingentem... reliquistis universae civilati, quae, ubi vos conspexit abeuntes, videre
sibi visa est juslitiam, leges ipsos securitatemque publicam vobiscuni sirnul emi-
grantes. » »
2. D'Argenson, VIII, 38, 57, 58, 61, 64. - Barbier, V, 396-399.
3. D'Argenson, VIII, 78. Ces mémoires étaient jadressés à la grand'chambre
par les magistats exilés qui craignaient un accommodement entre elle et la
cour. Cf. ibid., 55, 57, 58.
4. Sentence du Chàtelet du 21 juillet 1753 qui condamne au feu un imprimé
in-4° de 57 pages intitulé : Lettr-es d'un docteur en théologie à un jeune magis-
trat de province au sujet des affaires qui troublent V Eglise depuis la fin de l'an-
née 1750. — Le Chàtelet, dit d'Argenson à cette occasion, prend entièrement les
procédés du Parlement. VIII, 85.
5. D'Argenson, VIII, 77 (juillet 1753).
6. D'Argenson, VIII, 121-126.
7. « On arrête toujours beaucoup de monde pour avoir parlé des affaires pré-
sentes. » D'Argenson, ibid., 121.
8. D'Argenson, VIII, 95 (août 1753). — Barbier, V, 404. Ce lieutenant des
gardes se nommait le marquis de Fougères.
LES REFDS DE SACREMENTS. 259
on envoyait des troupes en Bretagne, en vue d'intimider le Parle-
ment de Rennes dont on redoutait quelque témérité analogue ^ De
tels procédés ne firent qu'enflammer la résistance. Au mois d'octo-
bre, le Parlement d'Aix osa supprimer un arrêt du Conseil qui
cassait un jugement rendu par lui contre l'évêque deSisteron-. Les
magistrats qui siégeaient à Pontoise entrant alors en vacances, le
roi nomma d'office une chambre des vacations par des lettres-
patentes qu'il adressa au Châtelet pour être enregistrées. Le
Châtelet refusa l'enregistrement, déclarant qu'il ne reconnaissait
point d'autres supérieurs que le Parlement de Paris 3. La plupart
des bailliages du ressort imitèrent son exemple. Un petit bailliage
de campagne, composé de deux officiers, fut assez audacieux pour
protester par des remontrances contre les lettres royales*. Le flot
de la révolte, qui avait envahi les villes, gagnait maintenant les
villages.
Les doctrines qui se faisaient jour au milieu de ces événements
n'étaient pas moins hardies que les actes. Au sein des Parlements,
comme parmi les jansénistes, c'était désormais un principe admis
que la yiation était au-dessus des rois comme l'Eglise au-
dessus dupape^. Les esprits, dans le public, allaient au-delà de
cette formule ; s'ils acceptaient encore la première partie de cette
proposition, la seconde pour eux n'avait déjà plus de sens. Cette
idée de la supériorité delà nation sur le monarque devint une arme
dont s'empara le parti ultramontain pour eff'rayer le gouverne-
ment. On répandit de prétendues remontrances du Parlement de
Rouen, paraissant rédigées « par des Brutus plutôt que par des
sujets, » où l'on proposait une assemblée nationale pour juger
le roi et examiner sa conduite^. » Dans des lettres qui coururent
le royaume, on affirma que les principes « républicains » professés
par le Parlement étaient plus menaçants pour la couronne que les
1. D'Argenson, VIII, 1^1 (septembre 1753).
2. Le Parlement d'Aix avait procédé contre l'évêque de Sisteron pour refus
de sacrements. D'Argenson, ibid. 143-145.
3. D'argenson, VIIl, 133-139.
4. D'Argenson, ibid., 149.
5. D'Argenson, ibid., 153.
6. Quelques personnes pensaient que ces remontrances supposées étaient a un
libelle fabriqué pour exciter la révolte contre l'autorité royale. » D'Argenson se
disait fondé à croire que « c'était les molinistes (pii les avaient imaginées pour
attirer de plus en plus l'animadversion royale contre les Parlements. » D'Argen-
son, VIII, 113-118.
•2C,0 FÉLIX ROCQUAIN.
maximes de la cour romaine, et que, par l'influence qu'il avait
réussi h conquérir, il était « plus en état que le pai)e de déposer
le roi'. » Enfin un évoque publia un mandement où, rappelant
la révolution d'Angleterre et la ti'agique fin de Charles P"", il
insinuait que le Parlement de Paris, à l'exemple de celui de
Londres, était capable de mettre le souverain en jugement et de
le conduire à V échafaud^ .
Excité par ces perfides manœuvres, le gouvernement entra plus
avant dans la voie des rigueurs. Le Cliàtelet ayant condamné
au feu un libelle dirigé contre le Parlement ^ on mita la Bastille
celui des conseillers qui avait jirésidé à la délibération''. On
ne laissa point la gra nd' chambre , après les vacations, reve-
nir à Poutoise , on Texila à Soissons sans fonctions.
A la place du Parlement de Paris, on créa, sous le nom de
Chambre royale, un Parlement « postiche. » Sommé d'enregis-
trer sans délibération les lettres patentes rendues à cet effet ^,
leChàtelet transcrivit, « de l'exprès commandement du roi,» ces
lettres sur ses registres, mais refusa en fait de reconnaître la
chambre royale, comme il avait refusé de reconnaître la chambre
des vacations. Il notifia ce refus dans un arrêté dont les termes
rappelaient le langage des ardents jansénistes de 1720. « Le
roi, disaient les conseillers, est maître de nos biens et de nos vies,
mais non de notre honneur^, » On parla dès lors de supprimer le
Châtelet. L'irritation dans Paris était universelle, le roi de plus
en plus détesté. De nouveau on craignit un soulèvement.
« Je sais d'un des principaux magistrats de Paris, notait d'Ar-
1. Sentence de la sénéchaussée d'Angers du 10 décembre 1753 supprimant un
écrit intitulé : Lettres de monseigneur l'éveque de ** à monseigneur l'évêque
de ** sur les remontrances du Parlement de Paris. Ces lettres parurent du
14 juillet au 14 août 1753. Elles furent condamnées par tous les Parlements (Aix,
Toulouse, Bordeaux, Rouen etc.).
2. ÂrnH du conseil d'Etat du 26 octobre 1753 supprimant un écrit intitulé :
Mandement de mgr l'évêque de Montauban pour faire chanter le Te Deum en
action de grâce de la naissance de M. le duc d' Aqxiitaine. — Ce mandement
fut également supprimé par le Parlement de Toulouse le 5 iiov. 1753.
3. Sentence du Châtelet du 8 novembre 1753 condamnant au feu un écrit inti-
tulé : Conduite du clergé justifiée par les principes et les faits établis dans
les dernières Remontrances du Parlement de Paris; conduite du Parlement
de Paris, condamnée par les mêmes principes et les mêmes faits.
4. Le lieutenant civil, président de droit, s'était retiré. D'Argenson, VIII, 158.
5. 11 novembre 1753. Luynes, XIII, 108-110.
6. D'Argenson, VIII, 187.
LES REFUS DE SACREMENTS. 261
genson à cette occasion, que les Parisiens sont en grande combus-
tion intérieure. L'on y prend des précautions militaires, le guet
monte double chaque jour, l'on voit dans les rues se promener
des gardes suisses et françaises. Ce même magistrat m'a dit qu'à
la suppression du Chàtelet, il ne doute pas que l'on ne fermât les
boutiques, qu'il n'y eût des barricades, et que c'est par là que
la révolution commencerait^. »
Ces événements se passaient en décembre 1753. Comme s'ils
eussent pressenti quelque grand changement où le pays aurait
besoin de leurs lumières, les magistrats exilés s'étaient mis avec
ardeur à étudier le droit public; ils en conféraient entre eux ainsi
qu'ils eussent fait « dans des académies, » et quelques hommes
disaient que « si jamais la nation française trouvait jour à leur
marquer sa confiance, c'était un sénat national tout trouvée »
Dans les premiers mois de l'année 1754, la situation devint
plus grave encore. Le parti ultramontain, voyant le gouverne-
ment déterminé à frapper de grands coups, redoubla d'intolérance.
Dans toute la France se multiplièrent les refus de sacrements.
A Paris, l'archevêque ôta les pouvoirs à tous les confesseurs qui
ne montraient pas assez de zèle pour la Constitution ^. Des jésuites
osèrent, en présence du roi, prêcher contre les magistrats et
appeler sur eux les plus puissants effets de sa colère^. De leur côté
les Parlements de province ne mettaient pas moins d'ardeur et
de persistance à poursuivre les évêques. Communiquant entre eux
par des émissaires, unis dans leur résistance, recevant le mot
d'ordre des membres du Parlement de Paris, ils commençaient à
former une puissance redoutable ^ Frappée du mépris public, la
Chambre royale osait à peine trahir son existence par quelque
1. D'Argenson, VIII, 202. Quelques jours après, d'Argenson écrivait : «Je sais
que le moment de la cessation de toutes ionctions du Chàtelet peut faire pousser
des cris à quelques gens du peuple, ce qui serait suivi de fermeture de boutiques,
de barricades et d'une révolte générale. Quantité de monde s'assemblerait au Chà-
telet, ce qui serait une tête de révolte qui passerait au marché de l'Apport-
Paris et de là à la halle. » Ibid., p. 203.
2. D'Argenson, VIII, 152.
3. D'Argenson, VIII, 212.
4. D'Argenson, ibid. 250 (16 mars 1754). Plus loin, à la date du 23 avril,
d'Argenson écrit : a Le P. L'Augier, jésuite, a prêché à Versailles contre le Par-
lement et a conclu dans le goût d'un avocat général, demandant qu'il fùf congé-
dié, dissipé et anéanti comme impie et comme destructeur de la religion. »
Ibid. 277.
5. D'Argenson, VIII, 219, 233 et passim.
2()2 FKLIX HOCQUAIN.
arrêt insignifiant'. On crai}^nait une rêvoltoh Paris ; on en crai-
«^nit une ;\ Rouen, et l'on lit marcher des troujjes « comme pour
assiéger une ville rebelle^. » Non content de pousser le gouver-
nement contre les Parlements et les jansénistes, le clergé le
poussait aussi contre les protestants. Au mois d(! sejitembre 1753,
on avait dirigé toute une armée sur les Gévennes ^. Menacés de
voir se renouveler les dragonnades, les protestants se remuaient
de tous côtés et s'armaient. Au mois de mars 1754, cinq mille
sortirent de Nîmes et quittèrent le royaume ^ « Ainsi, tout se
prépare à la guerre civile, remarquait encore d'Argenson, et
voilà que le roi n'emploie plus ses forces que contre ses sujets.
Ce sont les prêtres qui poussen-t de toutes parts à ces troubles et
à ces désordres ; aussi les esprits se tournent-ils au mécontente-
ment et à la désobéissance, et tout chemine à une grande révo-
lution dans la religion ainsi que dans le gouvernement^. »
Partout en effet, « on ne parlait que de changement, et de
révolution tant dans l'Église que dans l'État ^ » Les militaires
n'étaient pas plus soumis que la robe. Envoyés tantôt contre les
magistrats, tantôt contre les protestants, chargés de maintenir
les populations que soulevait la misère ou qui prenaient parti
dans les troubles civils, ils commençaient à se dégoûter de leur
rôle'^. Le Châtelet ayant déclaré que, tant que durerait l'absence
du Parlement de Paris, il connaîtrait, à sa place, des refus de
sacrements et en poursuivrait les auteurs, on alla de nuit chez
quatre des conseillers pour les enlever et les conduire à la Bas-
tille. Il fut de nouveau question de supprimer le Châtelet; on
devait aussi du même coup supprimer le Parlement^. On appro-
chait alors de la semaine sainte. Paris était consterné ; la colère
publique avait quelque chose de sombre. Comme pour insulter à
la douleur commune, jamais les fêtes de Longchamps ne sem-
1. Arrêt de la Chambre royale, tenue au château du Louvre, du 28 novembre
1753, supprimant un écrit intitulé : Second mémoire de MM. les exilés à
Bourges.
2. D'Argenson, VIII, 185.
3. 55 bataillons d'infanterie et 8 régiments de dragons. D'Argenson, ibid. 125.
4. D'Argenson, VIII, 241.
5. D'Argenson, ibid. 241, 242.
6. D'Argenson, ibid. 248.
7. D'Argenson, ibid. 247.
8. D'Argenson, ibid. 245, 274, 293. En ce qui regarde les affaires du Châtelet,
cf. Lu j nés, XIII, 178 et ss.
LES REFUS DE SACREMENTS. 263
blèrent plus brillantes. Les « femmes et filles entretenues » en
firent les frais, arborant les carrosses, les magnifiques livrées,
les parures et les diamants*. » Dans la même semaine, un jésuite
prêchant devant Louis XV disait qu'il fallait toujours du
sang 'pour éteindre les hérésies, et qu'il valait mieux en
répandre d'abord quelques gouttes pour en épargner des
flots dans la suite^. Ces paroles avaient sans doute peu d'effet
sur le roi « plongé plus que jamais dans l'amour volage^; » mais
elles en eurent sur le public. De toutes parts on s'élevait avec
violence contre la tyrannie du gouvernement « mariée » à la
tyrannie du clergé. Il ne s'agissait plus, à cette heure, de jansé-
nistes ni de constitutionnaires, mais de nationaux et de sacer-
dotaux'^. Dans l'opinion du paj^s, c'était l'alliance du despotisme
monarchique et du despotisme clérical qui avait produit tous les
maux ; c'était cette alliance fatale qui avait préparé la révolution
alors partout menaçante. « Cette révolution est plus à craindre
que jamais, écrivait d'Argenson au mois de juin 1754; si elle
est pour arriver à Paris, cela commencera par le déchirement
de quelques prêtres dans les rues, même par celui de l'arche-
vêque de Paris, puis, l'on se jettera sur plusieurs autres, le
peuple regardant ces ministres comme les vrais auteurs de nos
maux^. »
Accomplie dans les idées à la fin de l'année 1751, la révolu-
tion était donc sur le point de se réaliser vers le milieu de l'année
1754. Une ordonnance royale supprimant le Châtelet ou le Par-
lement, un refus de sacrements qui se fût produit dans des condi-
tions particulières, une émotion populaire provoquée par les im-
pôts ou par toute autre cause, eût suffi pour amener l'explosion.
Puisqu'il était dans les destinées de la France de subir les secousses
d'une révolution, ne peut-on regretter qu'au lieu de se faire qua-
rante-cinq ans plus tard, elle n'eût pas éclaté à cette époque?
Le Parlement aurait pris sans doute la direction du mouvement.
Au point de vue politique, il n'est pas à penser, comme le
croyait d'Argenson, qu'on se fût tourné vers « un gouvernement
1. D'Argenson, VIII, 278. — Barbier, IV, 15.
2. D'Argenson, ibid. 278.
3. D'Argenson, ibid. 274.
4. D'Argenson, ibid. 313. « Les choses sont bien changées; il ne s'agit plus de
dénommer les uns jansénistes et les autres molmisles : à ces noms substituez ceux
de nationaux et de sacerdotaux; voilà létat de la question. » (Juin 1754.)
5. D'Argenson, VIII, 309.
2().i KKLIX IlOr.yiAIX. — LKS IIEFIIS l)K SACUKMKNTS.
(lêmoci-atique réglé'. » On se serait borné vraiscniblablcnient
à limiter l'autorité du souverain. A la place d'une royauté
despotique, on aurait tenté d'établir une monarchie constitu-
tionnelle, soit que le Parlement, agrandi et transformé, eût
pris un rôle analogue à celui du Parlement d'Angleterre, soit
que, ne conservant avec son nom que les fonctions de judi-
cature, il fût entré dans une combinaison qui eût attribué aux
Etats-Généraux en même temps qu'aux Etats-Provinciaux des
pouvoirs réguliers. A l'égard du clergé, on aurait repris l'œuvre
avortée du gouvernement ; on eût obligé les ecclésiastiques de
contribuer comme les autres" citoyens aux charges de l'Etat.
Peut-être aurait-on tenté davantage. Ce qui est certain, c'est
qu'on eût brisé avec l'ultramontanisme, odieux de tout temps à
la nation. On ne se fût pas contenté de rentrer dans les voies du
pur gallicanisme. On eût cessé toute persécution contre les protes-
tants; selon la pensée qu'en avait eue le régent, on eût abrogé
les lois odieuses de Louis XIV qui les séparaient de la société.
Il est même permis de supposer qu'on eût voulu aller au delà de
cette mesure. Au spectacle des rigueurs dont les protestants
étaient l'objet, l'idée d'un gouvernement catholique reconnaissant,
à côté de la religion dominante, une existence légale aux autres
cultes, s'était fait jour dans les esprits^ Mais d'Argenson se
trompait en pensant <\ qu'on bannirait tout prêtre, tout sacer-
doce, toute révélation, tout mystère, » et qu'on se fût contenté
d'une religion où l'on eût adoré Dieu en esprit et en vérité^. Dans
quelque voie que se fût engagée la révolution de 1754, elle
aurait eu sur celle de 1789 cet avantage qu'hormis quelques
excès mallieureusement inévitables, on n'eût sans doute point
traversé un régime de terreur dont le souvenir pèse encore
sur nous après quatre-vingts ans; que l'esprit de réforme, si
l'on peut ainsi parler, eût dominé l'esprit de révolution, que la
France, encore attachée à son passé, eût rencontré une forme
politique et religieuse qui, en satisfaisant à ses nouvelles aspi-
rations, eût été en rapport avec ses traditions, et qu'on ne se fût
point trouvé dans la nécessité périlleuse de construire un régime
nouveau et tout d'une pièce sur les ruines de l'ancien.
1. D'Argenson, VIII, 291.
2. Mémoires de l'abbé Morellet, I, 32-34, in-8% Paris, 1822.
3. D'Argenson. VIII. 290-291.
LA PAIX DE BALE
ÉTUDE SUR LES NÉGOCIATIONS
QUI ONT PRÉCÉDÉ LE TRAITÉ DU 15 GERMINAL AN III (4 AVRIL
1795) ENTRE LA FRANCE ET LA PRUSSE ^
I
La Prusse et la coalition en 1794 (7 février 1792 —
18 aoiit 1794).
Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume II détestait les prin-
cipes de la Révolution française et en redoutait l'influence sur
l'Allemagne; il considérait comme un de ses devoirs essentiels de
soutenir la cause des rois contre les peuples révoltés. Les ministres
prussiens ne partageaient pas tous les passions et les craintes de
leur roi, mais ils jugeaient avec lui que l'intérêt de la Prusse lui
commandait de ne point abandonner à l'Autriche le soin de pro-
téger l'Allemagne contre la propagande révolutionnaire et de
défendre les droits des princes de l'empire possessionnés en Alsace.
Ces considérations conduisirent la Prusse à signer le 7 février 1792
1. Les ouvrages français et étrangers dans lesquels j'ai puisé sont indiqués par
des renvois. Les documents cités ou analysés, sans autre indication cpie leur
date, sont inédits et proviennent, soit des Archives nationales : a) Comité de salut
public; h) Directoire exécutif : Prusse; — soit des Archives du ministère des
affaires étrangères : a) Correspondances de Prusse, de Danemarck, de Suisse;
b) Papiers de M. Barthélémy : Correspondance de Prusse et de Suisse. Ainsi que
je l'ai dit ici même en publiant une étude sur la mission de Custine à Bruns-
wick en 1792, je dois à M. le duc Decazes et à M. Alfred Maury d'avoir pu con-
sulter ces précieux documents. Je ne fais que remplir un devoir en remerciant
M. Prosper Faugère, directeur des Archives au ministère des affaires étrangères,
de l'obligeance avec laquelle il m'a secondé dans mes travaux.
200 ALIIRKT SOREL.
1111 traitô (rnllianco avec l'Autriclio. Il fut suivi, quelques mois
ai>rès, 11 juillet 1792, d'un traité d'alliance avec la Russie. La
première coalition était formée; elle n'avait encore abouti à
aucun résultat, que dè'fix les coalisés se disputaient sur les avan-
tages qu'ils en pourraient retirer. La victoire des Français à
Valmy et la fâcheuse retraite qui en fut la suite, découragèrent le
roi de Prusse; elles confirmèrent les prévisions de ceux qui, en
Prusse , avaient blànié l'alliance avec l'Autriche et pensaient
que l'intérêt bien entendu de leur pays n'était pas de com-
battre la France. Le roi jugeait son honneur engagé à continuer
la guerre, mais il n'entendait point la continuer gratuitement. Il
réclama des dédommagements (octobre 1792) , et comme l'Autriche
ne paraissait pas disposée à en promettre de suiRsants, il se retourna
vers la Russie. La Russie voulait avoir les mains libres en Orient
et en Pologne; il lui importait que la Prusse et l'Autriche
fussent occupées avec les Français ; les desseins de l'impératrice
Catherine II la conduisaient à prêcher la croisade contre la
France tout en évitant d'y prendre part. Jugeant l'Autriche irré-
vocablement engagée dans la guerre et voyant la Prusse hési-
tante, la Russie se décida à faire un sacrifice pour conserver à la
coalition l'appui de l'armée prussienne. La Pologne paya les
frais de la campagne, et le second démembrement de cette malheu-
reuse république fut décidé le 27 janvier 1793 par un traité secret
entre la Russie et la Prusse. L'Autriche n'était point appelée à y
participer : elle devait prendre ses compensations en France ou en
Allemagne.
Ce partage, qui devait cimenter l'union des coalisés, fut
au contraire entre eux un nouveau motif de divisions. Ces
divisions éclatèrent au printemps de 1793. Les coalisés ne
pensaient plus alors qu'à conquérir. Les ambitions de l'Au-
triche se heurtèrent à celles de la Prusse. L'Autriche n'entendait
point combattre pour assurer à la Prusse des acquisitions qui
modifiaient à son profit l'équilibre du Nord. La Prusse n'enten-
dait point exposer son armée pour conquérir l'Alsace et la Lor-
raine à l'Autriche qui, si elle ne les gardait pas, s'en servirait
pour indemniser là maison palatine, s'établir en Bavièreet s'assurer
ainsi la suprématie dans l'empire. La Russie, qui n'avait livré la
Pologne que pour retenir les Prussiens sur le Rhin, hésitait à les
mettre en possession de leur lot et les soupçonnait de vouloir
abandonner la coalition dès qu'ils en auraient tiré un bénéfice.
LA PAIX DE BALE. ^^"^
L'opération du partage traînait en longueur, l'Autriche refusait
sa sanction ; le roi de Prusse considéra qu'il avait assez combattu
les Français pour satisfaire à ses devoirs de prince de l'empire;
d'ailleurs son trésor s'épuisait, et il ne pouvait pas continuer plus
longtemps la campagne si on ne lui fournissait pointdes subsides.
Il le déclara formellement le 23 septembre 1793 à 1 envoyé
d'Autriche, et le 29 il quitta l'armée du Rhin pour surveiller
en personne les affaires de Pologne. En route il apprit la con-
sommation du partage; mais il ne s'arrêta point, et, tranqmllise
de ce côté, il n'en insista que plus fortement sur 1 affaire des sub-
sides. L'Autriche les refusa, l'Angleterre reprit l'affaire a son
compte, et lord Malmesbury fut envoyé à Berlin pour la négocier
(novembre 1793).
Cependant grâce à leur énergie et aux divisions de leurs enne-
mis, les Français avaient repoussé l'invasion. Alafandel/yd
le territoire national était délivré, et les armées delà République
prenaient partout l'offensive. La face des choses changeait. Il ne
s'agissait plus, pour la Prusse et pour l'Autriche, de se disputer
des territoires conquis en France, mais de défendre le terri-
toire de l'empire contre l'invasion des armées françaises. Les
Allemands, qui s'étaient très-mal accordés pour attaquer, demeu-
rèrent divisés lorsqu'il s'agit d'organiser la défense La Prusse
songea à se faire contre la France la protectrice de 1 indépen-
dance de l'empire, compromise par la « politique égoïste »
du cabinet de Vienne. Ce serait à la fois soutenir la cause
de l'AUemagne et faire de la Prusse la première des puis-
sances allemandes. La préparation de ce grand dessein tut
confiée à Hardenberg. Mais avant tout il faUait trouver de
l'argent, et le premier point était d'obtenir des subsides delà
diète. ., .1
Le baron Charles-Auguste de Hardenberg avait près de qua-
rante-quatre ans ; il avait été successivement au service de 1 élec-
teur de Hanovre et du duc de Brunswick, et était alors ministre
du roi de Prusse dans les margraviats d'Ansbach et Baireuth^ La
mission lui fut donnée le 31 janvier 1794. Hardenberg était << plus
Allemand que Prussien, » mais il ne séparait point les intérêts de
l'Allemagne des intérêts de la Prusse. Il redoutait fort de voir
1. Voir, pour les co.nmencements de Hardenberg, Ranke : BenkwilrdigkeUen
des Fursten von Hardenberg, t. I, 1. I-
2(iS ALBERT SOKKL.
l'arnu'v pnissionno abandonner \o Rhin et rentrer dans les fron-
tières du r>randebourg : ce serait selon lui livrer à l'invasion fran-
çaise et au « vertige de la liberté » non-seulement l'empire, mais
les possessions prussiennes de Franconie et de Westphalie. S'en
suivait-il qu'il fallût continuer la guerre contre la France, et la
continuer d'après le système suivi jusque là? Il ne le croyait pas.
L'idée de refouler la France dans de plus étroites frontières, qui
avait dominé dans la campagne précédente, était contraire à ses
vues. Dans un écrit daté du' 24 janvier 1794, il se montrait
effrayé de la prépondérance que le succès de ce plan aurait assu-
rée à la maison d'Autriche. Il était fort éloigné du dessein que
.l'on avait conçu d'anéantir la France : la France, selon lui,
devait, lorsqu'elle aurait recouvré le calme, apporter un poids
utile dans la balance de l'Europe et l'apporter au profit de la
Prusse. Il annonçait déjà que l'on se trouverait dans la nécessité
de rechercher une paix partielle, au moins comme préparation à
la i)aix générale. Mais ce n'était point aux dépens de la France
qu'il faudrait conclure cette paix; les dédommagements que le roi
de Prusse réclamait et que revendiquait l'Autriche, ne pouvaient
être obtenus que par des sécularisations de biens ecclésiastiques,
pratique conforme aux anciens précédents de l'empire*... Har-
denberg ne prétendait point en cela se rapprocher des prin-
cipes de la Révolution ; il ne les aimait point : en France on
avait, au nom de la souveraineté du peuple, aliéné les biens
du clergé, c'était un acte tout révolutionnaire; les sécularisa-
tions auxquelles songeait Hardenberg devaient être opérées par
des gouvernements légitimes et dans toutes les formes du vieux
droit germanique. Ce n'était pas moins un moyen d'entente avec
la France, et il est intéressant de voir un homme d'Etat prussien
le proposer dès cette époque. Les vues de Hardenberg n'étaient
ni moins claires ni moins pénétrantes quand il exposait à
son gouvernement la manière dont il convenait d'assurer la
paix de l'empire, et les avantages que la Prusse en pourrait
retirer. « Dans l'empire, écrivait-il en février 1794, tout aspire
à la paix, excepté peut-être l'infâme parti qui voudrait faire écla-
ter une révolution en Allemagne. La question est de savoir si le roi
a le dessein, dans le cas où il retirerait ses troupes, de garantir,
du côté de l'ennemi, sinon l'empire tout entier, au moins ceux des
1. Ranke, t. I, p. 159 et 160.
LA PAIX DE BALE. 269
États qui invoqueraient sa protection. » Hardenberg ne se pro-
nonçait pas sur les moyens à employer et qui pourraient consister
dans une neutralité ou dans un armistice, obtenus soit par des voies
indirectes, soit par une négociation en forme avec la République.
« Mais, disait-il, si le roi retire ses troupes sans aucun arrange-
ment préalable, il s'isolera et mettra les Etats de l'empire dans
la nécessité de se jeter dans les bras de l'Autriche, tandis que la
plus belle occasion se présente pour lui de se lier plus étroitement
avec ses co-États. » La Prusse reprendrait ainsi la politique
de Frédéric II, développerait ce Fûrstenbund, cette ligue des
princes, cette confédération germanique, qui avait été comme
le couronnement de l'œuvre du grand roi, et s'assurerait tous les
droits d'un champion de l'empire. « Qui peut prévoir, ajoutait
Hardenberg, tous les cas dans lesquels il peut être nécessaire de
s'opposer à l'Autriche? l'Autriche voudra peut-être profiter des
circonstances pour accomplir ses propres projets d'échange* ou
accomplir des sécularisations. » Ainsi se dessinait dans la pensée
des hommes d'Etats prussiens le plan dont ils n'ont pas cessé
depuis le grand Frédéric de poursuivre l'exécution et qui, après
beaucoup de tentatives, les conduisit en 1866 à créer la Confédéra-
tion du Nord. Hardenberg trouvait auprès de plusieurs cours
allemandes des dispositions favorables ; le landgrave de Hesse-
Cassel et l'électeur de Mayence se montraient fort désireux de la
paix. Mais l'Autriche contrecarrait autant qu'elle le pouvait les
négociations de la Prusse avec les États de l'empire, et l'affaire
principale, celle des subsides, n'avançait point. ,
Comme il fallait de l'argent et que l'Angleterre en offrait, la
Prusse alla au plus pressé et signa le 19 avril 1794, avec l'An-
gleterre, la convention de La Haye. Moyennant des subsides
périodiquement payés par les Anglais, le roi de Prusse devait
maintenir ses troupes dans l'ouest de l'Europe et y soutenir les
opérations des alliés. La convention ne spécifiait point clairement la
nature des opérations auxquelles les Prussiens devaient prendre
part. Les Anglais, d'accord en cela avec les Autrichiens, avaient eu
seulement en vue, lorsqu'ils avaient promis les subsides, de défendre
la Belgique et de couvrir la Hollande. La Prusse avait cherché"
dans la convention de La Haye un moyen pratique de conserver
1. Allusion au projet tant de fois agité et repris d'échanger les Pays-Bas contre
la Bavière.
270 ALItKRT SOIIEL.
SOS Iroupos sur le Rliiii ut do détendre rem})iro. Elle n'entondait
point abandonner ses grands desseins allemands pour aider l'Au-
triche h conserver les Pays-Bas ; l'Angleterre n'entendait pas
}»ayer des subsides à la Prusse pour l'aider à évincer l'Au-
triche de la direction de l'empire. Il y avait ainsi contradiction
entre les intérêts des alliés, contradiction entre les engagements
pris par la Prusse à l'égard de l'Angleterre et ceux qu'elle pre-
nait à l'égard des princes allemands. Ilfallait choisir et, comme le
choix était aussi diiRciîe que périlleux, la Prusse hésitait et ses
armées demeuraient immobiles. Les Anglais s'en plaignaient; les
Autrichiens, inquiets des négociations de la Prusse avec les Etats
d'empire, insistèrent auprès des Anglais pour hâter l'exécution
de la convention de La Haye : il en résulta des explications qui
ne tardèrent pas à s'aigrir.
Un événement que l'on pouvait prévoir mit le comble aux
embarras de la Prusse. Il ne restait plus qu'un lambeau de
la Pologne; la Russie prétendait en faire un Etat vassal.
Les Polonais se révoltèrent sous la conduite de Kosciusko,
battirent les Russes le 4 avril 1794 et les forcèrent le 18 à éva-
cuer Varsovie. La révolte gagna les provinces prussiennes. La
Prusse comprit qu'un troisième partage était imminent, elle sen-
tit que l'Autriche et la Russie, mécontentes de sa politique, s'en-
tendraient cette fois pour partager sans elle, et jugea que l'Etat
qui étoufferait la révolution de Pologne serait maître de dicter
les conditions du partage. On conçoit qu'elle fut alors moins
empressée que jamais de compromettre son armée du Rhin et de
la jeter dans les Flandres; malgré les très-vives réclamations
des Anglais, Mœllendorf, qui commandait cette armée, continua
de se tenir sur la défensive et d'attendre les événements.
L'impuissance et le désaccord des coalisés se déclaraient ainsi
au moment même où les Français démontraient par une série de
succès éclatants leur supériorité militaire.
II
Correspondances des agents français sur les affaires d'Al-
lemagne. — Grouvelle; — Barthélémy; — Bâcher; — Pre-
miers si/mptomes de paix {septembre 1793-3 Juin 1794).
On était alors en pleine terreur; Robespierre dominait la
LA PAIX DE BALE. '2H
Convention et la France. Ce gouvernement avait peu de temps
à donner à la diplomatie et possédait peu de moyens d'action
diplomatique. Mais, s'il ignorait le détail des discussions des
alliés, il en pouvait juger les résultats et ne laissait pas d'être
exactement renseigné sur le fond des choses. La République
avait rompu avec toutes les grandes puissances, sauf avec la
Turquie et les États-Unis ; mais elle avait en Suisse un ambassa-
deur officiellement accrédité, et entretenait des agents officieux
auprès de quelques cours secondaires : c'est ainsi que Grouvelle
résidait à Copenhague, Cacault à Florence, Noël à Venise^.
Leurs rapports avec les ministres étrangers étaient assez
fréquents et leur permettaient d'envoyer au ministère des
relations extérieures des renseignements d'autant plus précieux
que les sources en étaient plus rares. Les plus distingués de ces
agents étaient ceux qui étaient appelés à suivre les affaires de
l'Allemagne. Grouvelle, qui résidait en Danemark depuis le
mois de septembre 1793, était né à Paris en 1758; il était fils
d'un orfèvre, avait reçu une bonne éducation, s'était lié avec
Chamfort, dont il avait été le secrétaire; puis il était passé au
service de la maison deCondé, qu'il avait abandonné pour se jeter
dans le parti de la Révolution. Nommé après le 10 août secré-
taire du conseil exécutif provisoire, il eut, en cette qualité, la
terrible mission de lire au roi le décret qui le condamnait à mort.
Arrivé à Copenhague il ne put point y déployer de caractère
public, mais s'il n'eut pas le titre de ministre, il en exerça réelle-
ment les fonctions. Il sut se faire bien recevoir par le ministre des
affaires étrangères, le comte de Bernstorf, et gagner sa confiance.
Bernstorf était un de ces hommes d'État, comme on en vit
beaucoup au xvni^ siècle, que le goût de la philosophie portait
à admirer les hommes et les idées de 1789. On l'avait, dans le
l. Voir à ce sujet : Le département des affaires étrangères pendant la Révo-
lution, par M. Frédéric Masson, bibliothécaire du Ministère des affaires étran-
gères. Paris, Pion, 1877 (p. 237 et 345). L'auteur, qui possède une connaissance
très-étendue de la bibliographie de l'histoire révolutionnaire, a rassemblé sur ce
sujet des documents fort curieux; il a pu en outre dépouiller les dossiers et
consulter les documents manuscrits conservés jjaux Archives des affaires
étrangères. Il a composé ainsi, avec des pièces inédites pour la plupart, un livre
substantiel, instructif, presque toujours neuf et très-souvent intéressant sur l'or-
ganisation des services intérieurs du ministère pendant la Révolution.
AI.ItEUT SOKKL.
Nord, surnoiiimô le ministre jacobin '. — Hernstorf, dit uno note
manuscrite de 1795, s'est toujours attache aux principes de la
Révolution. « Il a des lumières, de la philanthroi)ie, mais timide
par caractère, » il ne songe qu'à ménager ses voisins et à accroître
le commerce de son pays ; il n'a jamais trempé dans la coali-
tion. V. Le Danemark avait montré à la France la plus grande
bienveillance; pendant que Catherine était occupée en Pologne,
r>ernstorf instruisait notre agent de tout ce que sa vaste corres-
pondance lui api)renait des différentes cours de l'Europe. Il cher-
chait à nous servir de ses lumières, de ses conseils... Il affichait
de l'admiration pour nos succès, du zèle pour accélérer le retour
de la paix... L'espoir d'influer sur la pacification de l'Europe, de
jouer le rôle de médiateur dans un congrès général flattait son
orgueil, et tel était l'objet de son ambition. » Les conversations
qu'il avait avec Grouvelle permettaient à l'agent républicain
de mettre à profit les nombreuses informations du ministre danois.
« La correspondance de Grouvelle, dit une note du 12 août 1794,
est après celle de Barthélémy la plus volumineuse et la plus inté-
ressante. »
L'ambassade de France en Suisse, que dirigeait Barthélémy,
était de beaucoup la plus importante des agences de la Répu-
blique à l'étranger. Elle était le centre des relations incertaines,
interrompues, occultes pour la plupart, que la République tâchait
d'entretenir avec l'Europe. C'était surtout une agence de rensei-
gnements. L'ambassadeur français Barthélémy, qui avait alors
près de quarante-sept ans \ était un diplomate de profession.
Neveu de l'auteur diAnacharsis qui, par son amitié avec le duc
de Choiseul, l'avait fait entrer dans la carrière, Barthélémy avait
été successivement envoyé en 1768 en Suède où il avait servi sous
Vergennes de 1771 à 1774, puis à Vienne, en 1774, où il avait
été chargé d'affaires pendant le congrès de Teschen, puis à
Londres où iï resta de 1784 à 1792 et fut presque constamment
chargé d'affaires. Il fut nommé le 2 février 1792 ministre, puis
ambassadeur en Suisse \ Dans ses différents postes il avait appris
à connaître l'Europe. C'était un homme instruit, sérieux, pru-
1. « Aperçu sur le Danemark et sur sa position à notre égard. » (Archives des
Affaires étrangères.)
2. Il était né à Aubusson le 20 octobre 1747.
3. Masson, Affaires étrangères, p. 393, note.
LA PAIX DE BALE. 273
dent et avisé, fort aristocratique dans ses goûts et ses manières.
Ses opinions l'attachaient au parti le plus modéré, La terreur le
trouva en Suisse et l'y laissa. Il s'accommoda de son mieux pour
« vivre » aussi longtemps que durerait l'orage. Très-attaché à
son pays, très-pénétré de ses traditions diplomatiques, il s'effor-
çait de séparer les intérêts permanents de la France de ceux des
fanatiques médiocres qui la tenaient alors sous le joug, et tâchait
de remplir son devoir de citoyen en renseignant de son mieux le
ministère sur les affaires de l'Europe. Le fait est que les terroris-
tes le ménageaient et que l'on fut très-heureux de l'avoir conservé
à son poste lorsque l'occasion de négocier sérieusement se pré-
senta. Il vivait près de Zurich, à Baden en Argovie; il y occu-
pait un logement habité au commencement du siècle par le prince
Eugène. Il avait conservé la plupart de ses relations person-
nelles, surtout avec les étrangers. « Barthélémy, dit M. Ranke
d'après les notes de Hardenberg*, appartenait encore à la -vieille
société européenne; il s'étaitformé à la diplomatie sous Louis XYI.
Il s'était fait à Baden une installation confortable ; il y vivait à
l'ancienne mode. Il travaillait toute la journée, jusqu'à la nuit;
il avait un jardin, et recevait une aimable société déjeunes amis.
Il n'était point marié; sa table était bonne, sa cave était
garnie. Il était naturellement d'humeur douce et de caractère
modéré. Il détestait de toute son âme le système de la terreur et
des Jacobins, et il avait rendu service à plus d'un émigré fuyant
leur domination. »
La République avait en Suisse un autre, agent, moins distin-
gué que Barthélémy, à la vérité, mais qui ne laissait pas, sur-
tout à cette époque, de rendre de sérieux services. C'était un Alsa-
cien, Bâcher, né à Thann en 1748. Il se destinait à l'armée et
avait passé son adolescence à Berlin où il avait reçu sa pre-
mière éducation militaire; il avait conservé de ce séjour une
grande admiration pour la personne et les idées de Frédéric II,
et noué avec un certain nombre de personnages prussiens,
notamment avec le prince Henry de Prusse, « protecteur né de
tous les Français 2, » des relations de reconnaissance et d'amitié
qu'il continua d'entretenir, et qui expliquent le rôle auquel il fut
appelé en 1794, lorsque la France et la Prusse cherchèrent à se
1. I,p. 261.
2. Bâcher au Comité de salut public, 24 frimaire an III (14 déc. 1794).
ReV. HiSTOR. V. 2e FASC. 48
AMIERT SOIIEL.
lapproclier. Revenu en France, Bâcher servit dans l'armée pen-
dant la guerre de sept ans ; ingénieur géograi>lie militaire en 1769,
il fut nommé, en 1771, lieutenant au régiment de Colmar et dès
lors attaché aux affaires étrangères. Il fut, en 1777, envoyé en
Suisse où il remplit le poste de chargé d'affaires depuis cette éj)oque
jusqu'à l'arrivée de Barthélémy, en 1792; mais il fut bientôt sé-
paré de cet ambassadeur. En 1793, Bâcher, qui avait le titre de
premier secrétaire interprète de la République française en
Suisse, était commissionné en qualité d'agent de la République à
Piàle pour surveiller la neutralité helvétique, observer les mouve-
ments des armées ennemies, renseigner les généraux français,
suivre la correspondance très-nourrie des agents secrets de la
République en Allemagne et faire passer aux prisonniers français
en ^Vllemagne, et aux prisonniers allemands en France, des let-
tres et des secours. Bâcher demeurait en relations suivies et très-
amicales avec Barthélémy, mais ayant moins de fond, moins de
jugement et plus d'enthousiasme, il observait moins de prudence
et affichait des opinions beaucoup plus ouvertement « civiques. »
L'idée de diviser la coalition était en France aussi ancienne
que la coalition même. Les agents français et le ministère
des relations extérieures savaient parfaitement qu'il existait en
Prusse un parti de la paix ; une entente séparée avec la Prusse
était une de leurs conceptions favorites : eUe se rattachait aux
souvenirs, alors très-vifs, des relations qui avaient existé entre
les philosophes français, Frédéric II et beaucoup de grands per-
sonnages prussiens. Depuis la mission de M. deSégurà Berlin au
commencement de 1 792 , jusqu'aux négociations que l'on expose ici ,
il y eut une série non interrompue d'efforts pour négocier avec la
Prusse. Ces efforts, assez peu sérieux en eux-mêmes, n'avaient
point abouti. La pensée qui les avait inspirés n'en subsistait pas
moins; elle était juste, et, dès que les circonstances s'y prêtèrent,
elle se réalisa. Les diplomates français résidant en Suisse sui-
vaient donc avec la plus grande attention les événements d'Al-
lemagne. Dès le 9 septembre 1793, Barthélémy écrivait à Defor-
gues, ministre des relations extérieures, que l'Angleterre et l'Au-
triche étaient très-mécontentes de la Prusse. « Tout le monde,
ajoutait-il, sent également et la nécessité de la paix et l'impossi-
bilité de la faire. » Le 18 décembre il recevait d'un magistrat de
Berne et transmettait à Deforgues une lettre où on lisait : « On
m'a appris de bonne part qu'il y a une haine incroyable entre les
LA PAIX DE BALE. 275
Autrichiens et les Prussiens, sans que pour cela la bonne intel-
ligence des deux cours risque de s'altérer. » Cependant des symp-
tômes pacifiques se manifestaient en Allemagne. Le landgrave
de Hesse-Cassel avait eu à garder des prisonniers français ; il les
avait traités avec ménagement, puis les avait renvoyés chez eux,
et il offrait d'en renvoyer d'autres. Bâcher qui, tout républicain
qu'il fut, savait parler aux princes sur le ton qui convenait, lui
écrivit le 11 janvier 1794 pour le remercier et lui annoncer qu'il
avait transmis sa proposition à la Convention . « Je m'estimerais
infiniment heureux, monseigneur, ajoutait-il, de pouvoir vous
assurer dans peu que les ouvertures aussi franches qu'amicales
de V. A. S. ont été acceptées par la République française, et
que toutes ceUes qu'il lui plaira de faire parvenir par la suite
en France seront accueillies avec le même empressement, surtout
quand il s'agira de la garantie de la constitution et de la liberté
de l'empire, assurée par le traité de Westphalie. » Et quelques
jours après, le 17 janvier 1794, Bâcher écrivait à Deforgues que
les alliés étaient fatigués, qu'il ne fallait pas leur accorder la
paix, que les négociations qu'ils proposaient à la France n'étaient
qu'un leurre pour diviser ses forces, mais qu'on pourrait les
diviser eux et séparer de la coalition la Prusse et Cassel : c'était,
selon lui, le moment d'envoyer un émissaire à Berlin.
Des renseignements analogues arrivaient de Venise. Noël, qui
y était agent de la République, mandait le 4 janvier 1794 que le
roi de Prusse avait refusé de continuer la guerre si on ne lui don-
nait pas 33 millions de florins, et il ajoutait : « Encore quelques
efforts et cette ligue monstrueuse, dont les acteurs n'ont été que
les mannequins politiques dont la rusée Catherine faisait jouer
les ressorts, touche à sa dissolution. » Venise désirait la paix, et
ses représentants ne craignaient point de le dire, malgré la
crainte très-vive inspirée par l'Autriche à leur gouvernement.
Le comte de San Fermo, ministre de Venise à Londres, était venu
à Bàle au commencement de 1793; il avait manifesté le désir de
connaître Bâcher et était entré en relations avec lui. Il restait à
Bâle en observation et ses conversations étaient fort profitables à
l'agent français. Bâcher écrivait à ce sujet à Deforgues le 22 plu-
viôse an II (20 février 1794) : « Il (San Fermo) m'a parlé aussi
de détacher quelques puissances de la coalition en indiquant la
Prusse et la Hollande. Il m'a laissé entrevoir que ses liaisons
politiques dans différentes cours de l'Europe le mettraient à por-
27() AMIEIIT SOUKL.
U'o (lo servir, sous ce rapport, la Ropubliquo française. » San
l'Vriiu) était aimable, insinuant. IJaclier considérait qu'il pouvait
être utile, et qu'il y avait lieu d'accueillir ses ouvertures. « Elles
me paraissent de la plus grande importance, continuait-il, per-
sonne ne pourrait mieux que lui servir diplomatiquement la cause
française, puisque c'est de nos succès que dépend l'existence de
l'Etat de Venise et celle de toutes les autres républiques ; vérité
si généralement établie aujourd'hui qu'il n'y a plus personne qui
puisse en douter. » Le traité de Campo Formio prouva combien
ces conjectures étaient hasardées ; la vérité est que depuis Josephll
l'Autriche convoitait Venise et que Tlmgut songeait à obtenir de
ce côté-là les accroissements de territoire qui lui échappaient en
France. Le renseignement de Bâcher n'en avait pas moins son
importance. L'agent français ajoutait qu'il savait d'une autre
source que la Prusse ne désirait plus continuer la guerre contre
la France, qu'elle voulait surtout réduire l'Autriche et l'affaiblir.
« Les Prussiens, disait-il, espèrent bien plus boire avec les Fran-
çais que se battre avec eux, ainsi qu'on assure que cela est arrivé
lors de l'évacuation de Worms où cinquante dragons prussiens
de l'avant-garde ont fort tranquillement soupe avec cinquante
chasseurs français de l'arrière-garde. »
C'étaient là des symptômes assez significatifs. A Copenhague
il y eut presque des ouvertures. Grouvelle mandait à Deforgues
le 25 nivôse an II (14 janvier 1794), à la suite d'une conférence
avec le comte de Bernstorf : « Le roi de Prusse est fatigué de la
guerre ; il ne la fait plus que forcément ; il voudrait pouvoir se
retirer ; mais la chose est aujourd'hui impossible. » Le roi alléguait
le manque d'argent, l'Angleterre lui en offfre et on ne discute plus
que sur le chiffre. « Le roi de Prusse n'a plus de défaites pour se
soustraire à ses traités, ajoutait Bernstorf. Le voilà de nouveau
réuni à la coalition : il ne peut reculer. » Cependant l'affaire
des subsides n'était pas encore conclue, elle traînait, et Bernstorf
regrettait que la France n'en eût pas profité pour se rapprocher
de la Prusse.
« Il soutenait toujours, écrivait Grouvelle le 9 pluviôse an II (28 jan-
vier -1794), que si on voulait essayer de négocier, il ne restait guère
plus de trois semaines pour faire les premières démarches. Il s'avan-
çait même jusqu'à dire que si nous avions quelques vues de ce
côté, il pouvait se charger de tout ce qu'on voudrait faire passer
par lui, et qu'il était en état d'appuyer toute démarche de ce genre
LA PAIX DE BALE. 277
par des moyens très-efficaces. Le ministre danois mit beaucoup de
chaleur et de poids à tout ce qu'il dit sur ce sujet, paraissant le
lier à d'autres vues, mais répétant toujours qu'il n'y avait pas un
moment à perdre. »
Le Comité de salut public ne répondit point. Bernstorf per-
sistait dans son opinion.
« 11 regrettait, écrivait Grouvelle le 20 pluviôse an II (^8 fév. -1794),
que de notre part on n'eût fait dans les circonstances présentes aucune
tentative pour négocier avec la Prusse. Il était convaincu (et les
voies par lesquelles il est informé sont, à ce qu'il prétend, tellement
sûres et directes qu'il craindrait d'en révéler le secret) ^ -, il croyait,
dis-je, pouvoir affirmer que si dans l'état présent on avait seulement
promis au roi de Prusse de ne pas passer le Rhin, il se serait retiré
content de pouvoir dire qu'il avait été, comme son prédécesseur, le
protecteur et le défenseur du Saint - empire, et regardant comme
étrangère à lui la querelle générale. A plus forte raison, continuait-
il, l'aurait-il fait, voyant que la France est dans la résolution de con-
tinuer la guerre contre l'Autriche qu'il doit toujours craindre, y)
Barthélémy tenait le ministère des relations extérieures au
courant des démarches de la Prusse et de l'Autriche auprès
de la diète, de leurs rivalités et des dispositions pacifiques des
Etats de l'empire. Les prisonniers français avaient été traités à
Gotha, par le duc et la duchesse, avec autant d'humanité qu'à
Cassel; les habitants leur avaient montré des égards. Barthé-
lémy recommandait de ménager les petits États allemands, en
présence surtout des efforts que leur demandaient la Prusse et
plus encore l'Autriche ^ Bâcher écrivait le 26 mars 1794 que tout
annonçait que la Prusse allait revenir au système de Frédéric II,
et tâcher à la fois de s'arrondir en Pologne et de former une con-
fédération allemande en opposition à l'Autriche.
a Toutes les lettres d'Allemagne, disait-il, continuent à répandre
la nouvelle des intentions pacifiques du roi de Prusse et de ses dispo-
sitions à faire une paix séparée avec la République française. Les
émissaires prussiens font circuler avec affectation que, Frédéric-Guil-
laume ayant fait assembler sa Sorbonne politique, tous ses ministres
avaient été d'avis que la raison d'état devait l'emporter sur toutes
1. Le fils du comte de Bernstorf était alors ministre de Danemark à Berlin.
2. Barthélémy à Deforgues, 22 février 1794.
27S ALnEIlT SOREL.
les aulros considérations, oL ([iio l;i coiii' do norlin pouvait môme,
suivant les principes du droit i)ublic, traiter avec le guuvernenicnt
provisoire établi en France. »
La suite des événements vérifia ces informations, mais elles
n'étaient alt)rs que des conjectures et l'on verra bientôt que les
choses n'étaient pas aussi avancées que l'assuraient les corres-
pondants allemands de l'ambassade de France; mais ils pouvaient
s*}' tromper. Les maréchaux Kalkreuth et Mœllendorf faisaient
répandre le bruit d'une paix séparée. Los Prussiens avaient éva-
cué Francfort. On écrivait de cette ville à Bâcher : « On ne peut
définir le roi de Prusse. Nous nous croyons vendus et trahis, et
nous n'avons plus d'espoir que dans les commissaires français qui
ne veulent cependant pas entendre parler de paix. Qu'allons-nous
devenir? Dieu nous soit en aide M » Barthélémy annonçait le
7 avril le mouvement de retraite des troupes prussiennes et en
concluait avec raison que le « tyran prussien » portait un coup
terrible à la coalition. Le 16 avril il mandait la nouvelle de la
révolution de Pologne dont il attendait une heureuse diversion.
Grouvelle écrivait de Copenhague le 12 germinal an II (l^"" avril
1794) :
« Il est assez probable... que le roi de Prusse, menacé même par
son complice, n'a plus d'autre garantie que ses propres forces pour
se maintenir dans ses conquêtes. Or, dans ces circonstances, sa
défection complète paraît naturelle, et l'on y voit le signal d'une dis-
solution inévitable dans la ligue des couronnes. »
Bâcher confirmait cette opinion le 9 floréal an II (28 avril
1794):
« Le plan de l'impératrice de Russie est connu. Elle n'a prêché
une croisade contre-révolutionnaire contre la France que dans l'at-
tente certaine d'engager l'Autriche et la Prusse dans une entreprise
désastreuse afin d'énerver ces deux puissances, ses rivales... On con-
tinue à croire que c'est là la véritable cause des irrésolutions et des
vacillations continuelles de la cour de Berlin. »
Ces irrésolutions touchaient à leur terme. Les événements
allaient forcer la main au roi de Prusse. Grouvelle écrivait le
15 prairial an II (3 juin 1794) :
« Comme on nous l'avait assuré et comme les événements l'ont
1. Bâcher àDet'orgues, 28 mars 1794.
LA TAIX DE BALE. 279
pu confirmer, on était fort porté à Berlin pour un accommodement
avec la France. Il était le vœu de tous les ministres. Mais la cam-
pagne sur le Rhin s'étant prolongée, il n'y a eu que peu de semaines
cet hiver pour se rapprocher. On suppose que le gouvernement répu-
blicain n'a pu ni voulu saisir ce moment; mais l'Angleterre et l'Au-
triche Pont mis à profit. L'avarice et le désir de conserver les restes
du trésor de Frédéric II ont fait conclure le traité de subsides et
rengagé la Prusse dans la guerre. Mais certainement les dispositions
du cabinet de Berhn sont toujours les mêmes, les sentiments person-
nels du roi contre la République sont refroidis, ce qui permettra aux
ministres d'essayer un rapprochement, lorsqu'ils en trouveront l'oc-
casion. Un fait que M. de Bernstorf a assuré très-affirmativement, c'est
que si, à l'époque où le traité de subsides a été décidé (au commen-
cement d'avril), on avait prévu la grande insurrection polonaise, ce
traité n'aurait pas été conclu et la Prusse eût persisté dans sa défec-
tion commencée. »
III
Le 7^01 de Prusse entre en Pologne.- — Le parti de la paix
en Prusse, à la cour et dans l'armée. — Mœllendorf et
Hardenberg. — Ouvertures secrètes de Mœllendorf à
Baie {6 juin-i2 octobre il94).
Les conseillers du roi de Prusse l'engageaient à agir vigoureu-
sement en Pologne. Il y entra le 6 juin 1794 à la tête de cin-
quante mille hommes, battit les Polonais, s'empara de Cracovie
et marcha sur Varsovie. Dans ces conditions l'armée prussienne
du Rhin devait se tenir sur la réserve. Elle ne marcha point sur
les Flandres. Les Français en profitèrent et battirent les Autri-
chiens à Fleurus le 26 juin. La Belgique était reconquise et la
Hollande se trouvait découverte. C'était pour la France un succès
décisif. Les maréchaux prussiens en apprécièrent toute la portée,
et comme ils n'étaient point d'avis de continuer la guerre, ils
profitèrent de cet événement pour insister auprès du roi afin qu'il
retirât son armée de l'Ouest et concentrât toutes ses forces sur la
Pologne. Il y a toujours eu dans l'armée et l'administration prus-
siennes un singulier mélange d'indépendance et de discipline.
« L'armée prussienne, dit M. Ranke d'après un contemporains
1. Hardenberg, I, p. 253.
2S0 ALBERT SOllEL.
ressemblait h une petite rèpubliquo militaire. » Les vieux lieute-
nants (le Frédéric qui commandaient les forces prussiennes sur
le Rhin, devaient aux grands souvenirs de la guerre de sept ans
une autorité dont la faiblesse et l'incertitude du roi augmentaient
les effets. Ils détestaient l'Autriche, avaient du goût pour l'al-
liance française et ne professaient point de haine pour la révolu-
tion. C'était, depuis la ruine de la monarchie, une idée répandue
en Europe que cette révolution se terminerait par la dictature. La
comparaison avec la révolution d'Angleterre conduisait à cette
conjecture. Surtout après les fêtes de l'Etre suprême, beaucoup
de personnes crurent que Robespierre était destiné à cette grande
tâche, et que le terrorisme n'était pour lui qu'un moyen de
gouverner la Révolution et de la dominer^. Mallet du Pan,
qui combattait cette opinion, écrivait le 8 mars 1794^ : « Robes-
pierre jusqu'au commencement de février a dominé le Comité qui
dominait tout. L'étranger, les Français qui le jugent sur ses
succès, lui attribuent un grand talent. Ils en font un chef con-
sommé, un prodige de profondeur, un second CromweU. Cette
description est une caricature. » Après chacune des proscriptions
qui marquaient les étapes du règne de Robespierre, on croyait
que la Révolution allait finir et que la dictature du nouveau
Cromwell allait s'établir. Il en fut ainsi de la chute des Héber-
tistes.
« Les événements des 25 et 26 ventôse ont produit une vive sensa-
tion, écrivait Grouvelle^; on est persuadé qu'ils conduiront à l'épura-
tion générale de tous les faux patriotes : le grand caractère déployé
par la Convention et par le Comité de salut public , l'admirable dis-
cernement avec lequel le peuple lui-même démasque les faux pa-
triotes et se rallie à ses vrais libérateurs, ces prodiges du génie répu-
blicain subjuguent les malveillants lorsqu'ils ne sont pas tout à fait
stupides et en démence. ... J'ai eu souvent occasion de l'éprouver,
ce qu'il est le plus difficile de persuader aux étrangers, hommes
en place ou autres, ce n'est pas la justice de notre cause, mais
c'est la certitude de nos succès. »
On avait applaudi à Robespierre écrasant les furieux, on
applaudit avec le même aveuglement à Robespierre écrasant les
1. Voir (l'Héricault, la Révolution de thermidor, p. 124 et 214.
2. Savons. Mémoires et correspondances de Mallet du Pan, II, 41 et 99.
3. A Deforgues, 12 germinal an II (l'-'" avril 1794).
LA PAIX DE BALE. 284
indulgents. Il faut faire sans doute la part des ardeurs révolu-
tionnaires de Grouvelle, mais si la forme de ses rapports est exa-
gérée, le fond n'est pas moins significatif : il corrobore le témoi-
gnage peu suspect de Mallet du Pan. Il écrivait le 3 floréal
an II (22 mai 1794), après avoir appris la chute de Danton et le
projet d'établir la fête de l'Etre suprême :
ce Nonidi, 29 germinal, arrivèrent ici les nouvelles des événements
des 4 2, 4 3 et -1 4 du même mois. Chacun en fut plus ou moins surpris.
Mais tout le monde s'accorde à les regarder comme un véritable
triomphe pour la République. Je sais avec certitude que les ministres
des puissances en guerre ont avoué avec découragement que la des-
truction du dernier parti activait la consolidation salutaire de l'au-
torité de la Convention et du Comité de salut public, et l'extinction
de tout germe de discorde... Les nouvelles institutions annoncées par
le Comité de salut public commandent le respect et le silence aux plus
mal intentionnés. Le projet de dédier les décadi à l'Être suprême ne
fùt-il suggéré que par la politique, serait encore une idée sublime.
C'est au dehors que l'effet en est immense. »
Il se fit sentir surtout au camp prussien. On y avait sur les
événements de Paris les mêmes idées qu'à Copenhague, et elles
y avaient pris encore plus de consistance lorsque l'on avait
entendu dire que Robespierre négociait un traité séparé avec
l'Autriche. Personne n'était plus agité de ces préoccupations que
lefeld maréchal Mœllendorf. « Quoiqu'il fût alors âgé de soixante-
dix ans, dit M. de SybelS c'était toujours un homme d'un esprit
vif et ardent, ami non de l'action mais du mouvement, rusé,
ambitieux, né pour l'intrigue et qui dut rire de bon cœur lors-
qu'il apprit que Malmesbury le dépeignait comme un homme
droit, mais usé, qui se laissait conduire par des favoris subal-
ternes. » Il s'était depuis longtemps entendu avec Lucchesini, un
des conseillers les plus remuants, les plus intrigants, mais les
plus écoutés du roi, sur la politique que la Prusse devait
suivre à l'égard de la France. « Tcfus deux souhaitaient que la
Prusse intervînt auprès de la France comme la représentante de
l'empire d'Allemagne et proposât, au nom de cet empire, une paix
fondée sur le statu quo ante bellum... Ils pensaient que si on
laissait la France en possession des Pays-Bas autrichiens, elle
se montrerait prête à reconnaître l'inviolabilité des frontières de
1. Histoire de l'Europe pendant la Révolution, trad. française, t. lil, p. 239.
2<S2 ALBERT SORKL.
rcnipiiv'. » Dèslc 10 juin 1794, Orouvelle mandait deCopcMiliague
(lu'uii agent .subalterne de la cour de Prusse avait consulté quel-
qu'un à Hambourg sur les moyens de se rapproclier de la France.
Le 5 juillet 1794, Mœllendorf écrivit au roi ; il l'informait des
bruits de négociations secrètes entre Robespierre et Thugut, et lui
demandait l'autorisation de nouer des intelligences dans le même
sens avec les agents française » Mœllendorf et Lucchesini
n'étaient pas seuls à conseiller la paix. Un ancien serviteur du
grand Frédéric, le comte de Herzberg, qui avait été jusqu'en
1791 ministre de Frédéric-Guillaume II et avait quitté le pou-
voir lorsque la Prusse avait commencé d'incliner vers l'alliance
autrichienne, adressa trois lettres au roi à la fin du mois de juin
et dans les premiers jours de juillet s. Fidèle à la vieille politique
prussienne et ne préconisant que l'abaissement de l'Autriche,
Herzberg était d'avis de traiter avec la France afin d'avoir les
mains libres dans l'empire et en Pologne. Il désapprouvait l'idée
d'un troisième partage ; il préférait à un démembrement le main-
tien d'une république faible protégée par la Prusse : c'était le
système qu'il avait soutenu lorsqu'il était au pouvoir et que ses
successeurs avaient si brutalement et cyniquement abandonné.
Il proposait de déclarer à la Convention, au nom des coalisés,
qu'on la reconnaîtrait si elle faisait la paix sur le pied du statu
quo ante bellum : un congrès aurait réglé les affaires de Polo-
gne. Tel était le fond de la première lettre. La seconde, plus
développée et plus pressante *, exposait les dangers que courait
la monarchie prussienne et l'Europe si on n'arrêtait les Fran-
çais. La Prusse seule, disait Herzberg, peut prévenir « le boule-
versement total de l'ordre social en Europe si elle se hâte, pen-
dant qu'elle est encore sur pied et qu'elle a une armée intacte
pour la réputation des armes, et qu'elle n'est pas détestée par les
1. Sybel, id., p. 257 et 258, d'après une dépêche de Lucchesini du 6 juin 1794.
2. Id., p. 239.
3. 11 existe aux Archives des affaires étrangères des copies de ces trois lettres.
Elles ont été transmises de Berlin par le ministre de France le 28 prairial
an IV. Elles ne portent que la date de juillet 179i, sans indication de jours,
mais il résulte du texte de la première et de la seconde de ces lettres que Herz-
berg quand il écrivait ne connaissait pas la victoire des Français à Fleurus, ce
qui reporte ces lettres à la fm de juin ou aux premiers jours de juillet.
4. Cette lettre a été publiée par Beauchamp, Mémoires d'un homme d' État, \\,
p. 487 ; mais le texte présente certaines différences de forme avec celui qui est
aux Archives des aifaires étrangères.
LA PAIX DE BALE. 283
Français, comme sont les Autrichiens et les Anglais, si elle se
hâte, dis-je, d'acheminer les mesures qu'elle a encore en main
pour proposer la médiation armée aux puissances belligérantes
pour une trêve ou pour une paix plénière sur le pied du statu quo
tel qu'il a été avant cette guerre. » Il fallait démontrer à l'Angle-
terre et à l'Autriche l'impossibilité d'anéantir la République fran-
çaise et par suite la nécessité de la reconnaître. On demande,
ajoutait Herzberg, avec qui on devrait faire la paix? « C'est tou-
jours avec celui qui a le pouvoir en main et qui ne se laissera plus
vaincre par toutes les puissances coalisées, selon l'expérience de
tant d'années. » Il offrait ses services et concluait par la pro-
position d'un congrès. Dans la troisième lettre, Herzberg, qui
avait appris la victoire des Français à Fleurus, y trouvait un
motif d'insister plus vivement encore. Il espérait, disait-il,
amener la Convention à son plan de congrès : il croyait qu'elle
se fierait à lui plutôt qu'à tout autre ministre. Herzberg avait
conservé en effet des relations avec la France, et son goût pour
les principes de 1789 était connu ; mais ces relations et ces ten-
dances le rendaient suspect à la cour de Berlin.
Lorsque le roi reçut la lettre de Mœllendorf et ceUes de Herz-
berg, il était arrêté devant Varsovie par la résistance énergique
des Polonais. Le rappel d'une partie de ses troupes du Rhin pou-
vait devenir une nécessité pour lui ; mais il était loin d'être décidé
à traiter avec les « Jacobins ». Il répondit à Herzberg le 20 juil-
let 1794 par une lettre courte et sèche : « Je ne fais cas des conseils
que quand je les demande, » lui disait-il, et il l'engageait à se
renfermer dans ses devoirs K Quant à Mœllendorf, Lucchesini,
après avoir sondé les dispositions du roi, lui avait adressé la veille
une réponse négative.
Pour moi, disait Lucchesini, je n'aurais personnellement aucune
objection à traiter avec Robespierre; Mazarin, aussi, a bien dû se
mettre en rapport avec Gromwell. Mais on se heurterait chez le roi à
une invincible résistance : le temps n'est donc pas politiquement
venu de faire une telle démarche. « Par une paix séparée, nous man-
querions à tous nos engagements ; si nous voulions y mêler l'empire
la négociation deviendrait publique et, par suite, la Russie, aiguil-
lonnée par l'Autriche, se montrerait plus hostile encore en Pologne.
1. Le texte se trouve dans Beauchamp, Mémoires d'un homme d'État, II, 498,
sans date. La copie qui est aux alïaires étrangères porte la date du 20 juillet.
28Î ALBERT SOKKL.
Hornoiis-noiis donr à susciler des (iisposilions pacifiques chez les
autres puissances; ne prolongeons dans aucun cas le Lrailc de sub-
sides; ne donnons aucune prise à la malveillance et continuons à
diriger nos vues vers de solides et durables alliances ^ »
Mœllendorf n'avait pas attendu la réponse de Lucchesini pour
préparer les voies à la négociation qu'il jugeait utile et même
nécessaire. Avec cette liberté d'allures qui était alors le propre des
états-majors prussiens, il avait pris l'initiative d'une démarche
destinée à sonder les dispositions de la France. Il s'était adressé
à des officiers français prisonniers et leur avait demandé d'ins-
truire la Convention du désir où il était de conclure un cartel
d'échange. Comme garantie de ses intentions, il leur remit une
lettre en français signée de Knesebeck, alors lieutenant au régi-
ment de Brunswick, et où il était dit que le maréchal, souhaitant
l'échange, fera à cet effet tout ce qui ne le compromettra pas
lui-même ou ne sera pas contraire aux intérêts de sa cour. « On
espère, poursuivait Knesebeck, qu'une chose commune aux inté-
rêts de deux nations si éclairées n'aura de grandes difficultés
de part et d'autre. » Cette lettre était datée de Mayence,
22 juillet 1794. Le même jour (4 thermidor an II) les officiers
français la transmirent à Barthélémy.
« La lettre de l'officier prussien que nous te remettons t'indiquera le
premier motif de sa demande, écrivaient-ils ; il nous a dit verbale-
ment beaucoup d'autres choses... Les Prussiens veulent entamer une
négociation avec la France-, alors qu'ils connaîtront ses intentions à
ce sujet ils enverront un délégué dans le lieu qui sera convenu, et
jusqu'à la finale conclusion ils demandent que leur démarche soit
ignorée 2. »
Il s'agissait de faire parvenir ce message à Barthélémy sans
compromettre r état-major prussien. Mœllendorf confia cette mis-
sion à un marchand devins de Kreuznach, nommé Schmerz, qui
lui avait été recommandé par le général de Hiller ^. Schmerz se
présenta chez Barthélémy, à Baden, le 31 juillet. Deux jours
1. Hœiisser, Deutsche Geschkhte, k" édit., I, p. 577.
2. Voir les textes de ces deux pièces publiés, d'après les Archives des affaires
étrangères, par M. de Boiirgoing, Histoire diplomatique de l'Europe pendant la
Révolution française, deuxième partie, t. II, p. 470 et 471.
3. Ranke, Hardenberg, I, p. 258.
LA PAIX DE BALE. 285
après, le 15 thermidor an II (2 août 1795), Barthélémy écrivait
à Uuchot, commissaire des relations extérieures * :
a Avant-hier à huit heures du matin, peu d'instants après que
J\I. Guisendœrfer, bourgeois de Bâle, fut entré chez moi pour m'en-
tretenir des maisons suisses établies à Commune- Affranchie (Lyon),
on me remit un paquet dont le porteur, me dit-on, se promenait dans
mon jardin. Je l'ouvris à l'instant; j'y jetai les yeux rapidement. Son
contenu me frappa beaucoup. Il renfermait deux pièces dont je joins
ici copie. Je les envoyai tout de suite aux citoyens Laquiante et Maran-
det -, et leur fis dire de s'entretenir avec la personne qui les avait
apportées, jusqu'à ce que je fusse libre. Ils la cherchèrent aussitôt,
sans la trouver et sans qu'on l'eût vue sortir de la maison. Cet homme
n'a plus reparu depuis, et je n'ai pu obtenir à son sujet aucun éclair-
cissement, si ce n'est que celui de mes domestiques qui a reçu son
paquet m'a dit qu'il était assez mal habillé. Son vêtement n'était
point celui d'un militaire-, il avait l'épée au côté. Il parlait allemand et
assez mal français. Je ne puis m'expliquer en aucune manière cette
circonstance dont j'instruis aussi Bâcher pour qu'il en prévienne soit
le représentant du peuple près le département du Haut-Rhin, soit le
général de l'armée de ce même département ^. »
1. Le décret du 14 frimaire an II (4 déc. 1793) avait concentré le pouvoir exé-
cutif et en particulier la direction de la diplomatie, dans les mains du Comité de
salut public. Les ministres ne furent plus que ses subordonnés. Le décret du
12 germinal an II (1" avril 1794) les supprima elles remplaça par douze commis-
sions executives. Il y eut une commission pour les relations extérieures et les
douanes. Après quelques tâtonnements, le citoyen Buchot fut chargé, le 20 germi-
nal, de la commission des relations extérieures, sur la désignation de Robespierre
(Masson, Affaires étrangères, p. 299, 307-312). Miot de Mélito, qui était alors
chef du secrétariat et avait en réalité la direction effective de la commission, fait
de Buchot un portrait peu flatté, mais que tout donne lieu de croire ressemblant :
« Son ignorance, ses manières ignobles, sa stupidité dépassaient tout ce qu'on
peut imaginer. Pendant les cinq mois qu'il lut à la tête du département, il ne
s'en occupa nullement et était incapable de s'en occuper. Les chefs de division
avaient renoncé à venir travailler avec lui; il ne les voyait ni ne les demandait.
On ne le trouvait jamais dans son cabinet, et quand il était indispensable de lui
faire donner sa signature pour quelque légalisation, seul acte auquel il avait
réduit ses fonctions, il fallait la lui arracher au billard du café Hardy où il pas-
sait habituellement ses journées. » {Mémoires, t. I, chap. m, p. 47.)
2. Secrétaires de l'ambassade.
3. La date de ce document, qui est tiré des Archives des affaires étrangères,
montre que M. de Sybel se trompe lorsqu'il reporte la première démarche de
Schmerz au mois de septembre, après que Mœllendorf aurait reçu de Lucchesini
un avis favorable à la négociation. Le reproche que M. de Sybel adresse au Co-
■2Sf) AMIERT SOllKL.
Après cette visite mystérieuse chez lîarthélemy , Schmerz se ren-
dit à lîàle et s'arrangea de façon à faire, dans un souper, la con-
naissance (lu bourgmestre Ochs qui entretenait avec la mission
française, et en particulier avec Bâcher, les rapports les plus ami-
caux. Schmerz dit à Ochs que les Prussiens désiraient nouer une
négociation pour l'échange des prisonniers et demanda à être mis
en rapport avec Bâcher. Prévenu le 5 août, Bâcher eut le G une
entrevue avec Schmerz et en rendit compte le jour même à Buchot.
Il ne dévoilait point le nom de Schmerz.
« Le voyageur envoyé par le feld maréchal Mœllendorf, disait-il, m'a
dit chez le chancelier Ochs, en termes très-positifs, que la cour de
BorHn, mieux conseillée, ne négligerait rien pour se rapprocher de
la République française, son alliée naturelle -, que tous les calculs
impolitiques qui avaient été faits par les jeunes gens qui s'étaient
emparés de la confiance de Frédéric-Guillaume avaient disparu, et
que, ramené à l'ancien système, le roi de Prusse était décidé à renon-
cer à une coalition monstrueuse qui aurait fini par opérer la ruine
et l'asservissement de l'Allemagne. Il m'a ensuite insinué qu'il
se prêterait à tout ce qui pourrait faciliter l'échange des prisonniers
français dont le cartel servirait de préliminaire à l'armistice que
les généraux prussiens désiraient conclure...
« Le voyageur a ajouté qu'on pouvait ensuite entamer tout de
suite la négociation d'un armistice, que le traité de subsides avec
l'Angleterre finissait au -I" décembre, qu'à cette époque le roi de
Prusse serait entièrement dégagé de tous ses liens, et que jusque
là il n'agirait que faiblement. Il a aussi témoigné qu'en échange de
cette conduite passive des armées prussiennes sur le Rhin, il serait à
désirer que la République française usât aussi de ménagements pour
les possessions prussiennes enWestphalie, et même de complaisance
dans l'invasion présumée de la Hollande, et a ajouté que, quoique les
contestations entre Mœllendorf et les commissaires anglais eussent
été replâtrées en apparence, il n'en était pas moins vrai que la mé-
mité d'avoir, dans sa dépêche à Copenhague du 18 nivôse an III, fait remonter
les premières ouvertures au commencement de fructidor (milieu d'août 1794),
n'est pas fondé (Sybel, Trad., III, p. 259 et note 1). La première démarche est du
31 juillet, et le Co-iiité en a reçu la nouvelle le 14 août. — L'erreur de M. de
Sybel est d'ailleurs partagée par Fain {Manuscrit de l'an III., p. 21) qui place
la démarche de Schmerz « un mois à peine » après le 9 thermidor, c'est-
à-dire vers la fin d'août. M. Ranke {Hardenberg, I, 258) a raison de dire que la
première démarche de Schmerz lui a été commandée par Mœllendorf en juillet.
LA PAIX DE BALE. 287
sintelligence la plus décidée régnait entre les cabinets de Londres et
de Berlin ' . »
Bâcher appelait toute l'attention du Comité de salut public
sur cette communication dont il faisait ressortir l'importance.
Deux jours après, le 8 août, il annonçait que l'émissaire de Mœl-
lendorf était reparti pour Kreuznach. « Il se nomme Schmerz,
il se dit ami des Français qui l'ont ménagé dans les diffé-
rentes visites qu'ils ont faites à sa ville. » Schmerz devait corres-
pondre avec Ochs et était prêt à revenir quand la réponse du
Comité serait connue 2. Il écrivit en effet à Ochs le 15 août qu'il
« avait été reçu à son retour avec autant de plaisir qu'il en éprou-
vait lui-même, en quittant Ochs, après leur entretien avec le
citoyen Bâcher. » Il fit son rapport à Mœllendorf qui l'invita
à se rendre au quartier-général de Kalkreuth. Il y arriva le
12 août et c'est là qu'il attendit la réponse de Paris 3. Bâcher
insista pour avoir l'avis du Comité : les Prussiens, disait-il,
affectent de se montrer prévenants envers nos prisonniers ^
Barthélémy demandait également des instructions. Ni l'ambas-
sadeur, ni son secrétaire n'en reçurent. Buchot était incapable de
comprendre les lettres qu'il recevait ; il ne pouvait faire qu'une
chose, les transmettre au Comité de salut public, ce qu'il fit
le 14 août 1794 ^ Le 15 août le Comité confia l'affaire aux
soins de Barrère, auquel Buchot remit les pièces \ Les choses en
restèrent là; l'ambassade de France en Suisse ne reçut point
d'instructions. Le nouveau Comité de salut public qui gouver-
nait alors la France était encore sous le coup de la révolution de
thermidor, et il avait à régler des affaires sinon plus importantes,
au moins plus urgentes.
On a pu juger par les communications de Schmerz à Bâcher
jusqu'à quel point Mœllendorf s'était avancé. Sans doute il avait
1. Bâcher à Buchot, 19 thermidor an II. Voir le texte complet dans Bourgoing,
2^ partie, t. II, p. 472.
2. Bâcher à Buchot, 21 thermidor an III. Bourgoing, id., p. 474.
3. Voirie texte de la lettre de Schmerz à Ochs dans Bourgoing, id., p. 475.
4. Ainsi un ancien capitaine fut fait prisonnier avec deux jeunes officiers ; on
le conduisit chez Mœllendorf; il 'demanda à écrire à sa femme. Mœllendorf y
consentit à condition que le capitaine porterait la lettre lui-même et choisirait
ses compagnons de voyage. Il choisit les deux officiers amenés avec lui et tous
les trois s'en allèrent enchantés. (Schmerz à Ochs, 20 août 1794.)
5. Buchot au Comité, 27 thermidor an II.
6. Buchot à Barrère, 28 thermidor an II.
2SS ALFtEUT SOIIEL.
raison do prévoir quo, dans un temps très-rapproché, les intérêts
de la Prusse robli«;eraient à traiter avec la France ; mais lors-
qu'il faisait dire à un Français, en termes aussi précis, que la
Prusse était dores et déjà disposée à négocier, il prévenait et de
beaucoup les intentions de son gouvernement. « Cet homme,
disait quoique temps après un prince de la maison de Prusse, le
prince Louis-Ferdinand , qui ne l'aimait pas et désapprouvait sa
})olitique, cet homme, dans son affolement pour la paix, serait
capable de s'en aller à pied à Bâle et de là à la Convention, et
d'y baiser les pieds des assassins de Louis XVI pour obtenir
la paix*.»
La révolution du 9 thermidor servit singulièrement les desseins
de Mœllendorf et de ceux qui, en Allemagne et en Prusse, par-
tageaient sa manière de voir. Promptement revenus de leur aveu-
glement sur Robespierre, les étrangers virent dans sa chute ce
qu'ils avaient attendu de son succès : la fin du règne de la terreur
et le retour de la France vers un gouvernement à peu près régu-
lier. Grouvelle, dont tant et de si diverses « journées » n'avaient
pu épuiser l'admiration pour les coups d'état, écrivait de Copen-
hague le 2 fructidor an II (19 août 1794) :
« Les gazettes contenant le récit des admirables événements des
JO, M et 12 thermidor me sont parvenues. Combien ce récit a ému
les républicains français qui résident dans cette ville ! Quelle gran-
deur dans la Convention! Que de sagesse! Que d'équité dans le
peuple ! Cette révolution renverse à jamais les Nérons oligarchiques
comme celle du ^0 août a détruit les Nérons monarchiques. Les
étrangers amis de la République font éclater aujourd'hui leur enthou-
siasme sans craindre les reproches des amis de l'humanité. J'ai reçu
particulièrement du philanthrope Bernstorf des félicitations empres-
sées auxquelles il a mêlé son vœu pour que ce changement devienne
favorable à la paix générale. Ce n'est qu'avec peine que nous avons
quitté ce sujet pour parler d'affaires. »
A Berlin on eut sans doute les mêmes impressions ; les ten-
dances pacifiques commençaient à se prononcer parmi les conseil-
lers du roi 2. « Jamais, lui écrivait Hardenberg le 26 juillet,
l'Europe ne s'est trouvée dans une pareille crise... Il est impos-
sible de se dissimuler que la paix promptement et conjointement
1. Rapport autrichien du 18 décembre 1794, cité par Vivenot. Herzog Albrecht
von Sachsen-Teschen, 2^ partie, I, p. 251.
2. Ranke, Hardenberg, I, 219.
LA PAIX DE BALE. 289
amenée ne soit le seul parti qui puisse nous garantir ou pour le
moins éloigner les malheurs dont nous sommes menacés ^ » La
résistance des Polonais avait contraint la Prusse à renoncer à ses
grands desseins sur la Pologne ; elle ne pouvait plus espérer d'étouf-
fer seule la révolte et de décider du sort delà république polonaise ;
elle redoutait de voir la Russie y reprendre la suprématie, elle
redoutait davantage encore de la voir s'accorder à ce sujet avec
l'Autriche. Le roi n'avait jamais eu beaucoup de goût pour la
convention de La Haye ; dans aucun cas il n'entendait subordon-
ner ses intérêts à ceux de ses alliés et mettre son armée à la solde
de l'Angleterre. « Il est contraire à la considération de cet Etat,
écrivait-il, et à l'amour que je porte à mes sujets de les vendre à
d'autres puissances ; passe pour un landgrave de Hesse ou un
duc de Brunswick, mais ce serait honteux au roi de Prusse 2. »
Il était, sous ce rapport, très-disposé à se rendre aux avis de
Mœllendorf, à refuser de marcher sur la Belgique et à se main-
tenir en observation sur le Rhin. Il y inclinait d'autant plus que
les affaires de Pologne lui commandaient de se renforcer à l'est
et de ménager les forces qu'il conservait à l'ouest. Mais de là à
quitter la coalition, à rompre les traités et à négocier avec la
Convention, il y avait encore très-loin. Il répugnait à son or-
gueil de renoncer à contenir les Français, et à mettre fin à la Révo-
lution. « Il continuait de s'exprimer, dit M. Ranke^, comme s'il
voulait être le sauveur de l'Allemagne. La figure héroïque du
chérusque Arminius, que les couleurs de la poésie relevaient d'un
nouvel éclat, ne laissait pas, semble-t-il, d'avoir exercé une certaine
influence sur son esprit. Mais il était roi de Prusse, et il devait
considérer avant tout la situation de son Etat. Son patriotisme
national allemand en fut autant paralysé, qu'il avait été naguère
excité et enflammé par les événements. » Lucchesini crut le
moment venu de parler ouvertement au roi de la paix. Dans un
écrit daté du l^"" août 1794, il raconte que le roi repoussa avec
colère la pensée d'une négociation séparée. « Si les autres sont
incapables de continuer la guerre plus longtemps, dit-il, ils
doivent songer à faire la paix ; mais je ne serai pas celui qui fera
la première ouverture aux régicides. » Le roi s'effrayait à la pen-
1. Ranke, Hardenberg, I, p. 215.
2. Ranke, Hardenberg, l, 187.
3. Hardenberg, I, 179.
ReV. HiSTOR. V. 1« FASC. 19
290 ALBERT SOUEL.
sôe do rompre ses traités, d'otro accusé de traliison par l'Autriche
devant la diète, de se compromettre devant la Russie et de perdre
•tous les bénéfices de sa campagne de Pologne. Il défendit h
ses ministres, par un ordre de cabinet, de songer à la paix'. Mais
Lucchesini ne se découragea pas. Il connaissait la mobilité du
caractère du roi, et il comptait sur les brusques revirements de
cette âme violente. Si le roi répugnait à l'idée d'une paix sépa-
rée, il ne répugnait point à l'idée d'une paix générale. Lucche-
sini croyait possible d'y amener les puissances, et c'est de ce côté
qu'il entreprit le roi. Le 14 août il écrivait à Mœllendorf :
« Pour ce qui regarde votre désir favori, la paix, j'ai fait ce que
beaucoup de patriotes aussi zélés n'auraient peut-être pas osé. Le roi,
à la vérité, m'a déclaré de la façon la plus solennelle qu'aucun de
ses serviteurs ne ramèner^ait à se déshonorer en faisant une pre-
mière ouverture, mais il souhaite pourtant que les circonstances s'y
prêtent. Il m'a interdit toute mesure préliminaire où son nom serait
mêlé, mais il m'a permis d'user personnellement des ressources qui
s'offriraient à moi ^. »
Le roi s'était même décidé à envoyer Lucchesini à Vienne pour
y sonder le terrain et demander, conformément au traité de 1792,
que l'Autriche fît marcher 20,000 hommes en Pologne pour y
aider les Prussiens. Lucchesini partit immédiatement. Pendant
qu'il était en route et qu'il négociait à Vienne, les partisans de
la paix multipliaient leurs démarches. Hardenberg écrivait le
12 août 17943;
a Nos forces sont épuisées -, une prompte paix nous est indispen-
sable. L'opinion publique est contraire à la guerre ; l'armée surtout
y est opposée. Du haut en bas on y est frondeur et agité par l'esprit
d'opposition. On ne s'y bat plus que pour l'honneur ■*... Le seul
1. Hœusser, I, 578. — Grouvelle écrivait le 7 brumaire an III (28 oct. 1794)
que le Roi n'avait pas voulu autoriser les démarches à l'égard Je la République;
mais qu'elles n'avaient pas moins été faites, soit qu'il eût cédé à ses ministres,
soit que ceux-ci eussent agi de leur chef.
2. Haeusser, p. 578.
3. A Haugwitz. Ranke, I, 222.
4. « Cette inaction, dit un officier prussien, fut très-préjudiciable à l'armée.
L'idée que la guerre était nécessaire s'évanouissait peu à peu dans tous les
esprits: et l'on commençait à croire que cette guerre était nuisible aux intérêts
de la monarchie. Dans les cantonnements, au milieu d'un pays fertile, on s'habi-
tuait à maintes commodités : des combats quotidiens ne tenaient pas l'armée en
LA PAIX DE BALE. 29^
remède^ le seul salut de l'empire sont dans une prompte paix. Mais
pour cela, il faut agir d'accord avec les alliés. Le plus heureux serait
de pouvoir remettre les choses dans l'état où elles étaient avant la
guerre. »
C'était donc la paix générale que souhaitait Hardenberg. Pour
s'éclairer sur les dispositions du ministère et de la cour et pour y
soutenir ses propres idées, il envoya à Berlin un de ses amis les
plus sûrs, son ancien précepteur, devenu son collaborateur poli-
tique, Gervinus. Celui-ci vit Hangwitz le 18 août ^ Mœllendorf
envoya, de son côté, au roi, son confident, le major Meyerinck.
Mœllendorf connaissait trop les sentiments du roi pour se
risquer à lui parler d'une paix séparée. 11 lui proposait une
médiation entre l' Allemagne et la France et lui offrait un
moyen très-simple d'entrer en pourparlers, c'était .de négocier un
échange de prisonniers : comme la Prusse en détenait un plus
grand nombre que la France, elle pouvait espérer d'obtenir, en
compensation, une trêve pour ses provinces rhénanes. Un armis-
tice pouvait s'en suivre et, en laissant aux Français la Belgique
que l'Autriche serait bien forcée d'abandonner, on croyait qu'ils
renonceraient à conserver leurs conquêtes en Allemagne et à
marcher sur la Hollande ^. Meyerinck trouva le roi disposé à
entrer dans ces idées. Les rapports que Lucchesini avait adressés de
Vienne le 22 et le 25 août démontraient que l'Autriche était décidée
à continuer la guerre et n'entendait point soutenir les Prussiens
en Pologne. Lucchesini avait quitté Vienne le 29 août ; en arri-
vant au quartier général du roi de Prusse en Pologne, il trouva
les affaires dans un état déplorable. La sédition dans les provinces
prussiennes ne s'apaisait pas; l'échec devant Varsovie était com-
plet. Le 6 septembre, il fallut lever le siège. On était résolu à
revenir avec des forces considérables; mais pour cela il était
nécessaire de dégarnir l'armée du Rhin. Le roi insista de nou-
haleinc contre les dangers et n'enflammaient pas les courages. On vivait dans un
repos qui se rapprochait beaucoup de la sécurité de la paix. » Massenbach,
Memoiren. Amsterdam, 1809. Tome II, p. 19. — On lit dans un Mémoire émané
de l'état-major du duc de Saxe-Teschen et intitulé Remarques sur la conduite
des Prussiens durant la cam-pagne de 1794 : « Ce dégoût et ce désir de la paix
avaient tellement pris le dessus dans l'armée prussienne qu'un propos habituel
parmi les officiers était d'appeler celle guerre une guerre fatale. » (Vivenot, Saxe-
Teschen, 2° partie, t. I, p. 647.)
1. Ranke, I, 223.
1. Sybel, trad., III, 258. Hœusser, I, .579.
•202 ALIîKUT SOREL.
voaii à Vionne pour obtenir un secours do 20,000 liommes*; si
l'Autriche refusait, comme tout portait à le croire, la Prusse
aurait un prétexte pour rappeler une partie de ses troupes du
Rhin-. « Le plan de Mœllendorf lui parut alors acceptable, dit
M.deSybel; Fi'èdèric-Guillaume avait avant tout le sentiment de
ses devoirs comme i)rince de l'empire et comprenait quelles vastes
perspectives devait ouvrir à la Prusse une politique vraiment
allemande et nationale. » Le fait est qu'il trouvait dans le rôle
de médiateur d'empire qu'on lui présentait sous une forme si sé-
duisante de quoi calmer les scrupules qui l'avaient jusque là
empêché de songer à la paix. Luccliesini écrivit le 8 septembre
à Mœllendorf que le roi avait accepté ses bienfaisantes proposi-
tions : la pensée de se faire le médiateur de la paix de l'empire
et par là de préparer la paix générale et de sauver la Hollande
lui avait énormément plu ^ .
Au moment où Mœllendorf soumettait à l'approbation du roi
le projet de négociation d'échange, cette négociation, comme on
l'a vu, était déjà entamée. Mœllendorf ne négligeait aucun moyen
de persuader les Français de la sincérité de ses démarches. Dès
le 31 août, c'est-à-dire dans le temps même où Meyeriiick se
rendait auprès du roi et avant que ce prince eût pris une décision,
Schmerz annonçait à Bâcher sa prochaine arrivée à Bâle avec
un adjudant-général de Mœllendorf pour y attendre la réponse
du Comités Le 3 septembre, Schmerz écrivait à Ochs qu'il
avait espéré une lettre de Bâle, mais qu'en voyant les mouve-
ments de l'armée française sur Kaiserslautern, il commençait à
perdre l'espoir. Ces mouvements forceraient les Prussiens à sortir
de leur inaction.
« Dites à M. Bâcher, ajoutait-il, de faire recommander beau-
coup de circonspection aux généraux français, et de les engager
à ne pas sacrifier inutilement de braves gens qui seront mieux
employés contre les Autrichiens. Vous savez qu'il ne dépend que du
Comité de salut public d'accueillir les ouvertures faites et de parvenir
au même but sans qu'il soit besoin de bataille. »
1. Le roi à César, 9 septembre. — Le ministère prussien au prince de Reuss,
16 septembre. — Vivenot, Saxe-Teschen, 2" partie, t. I, p. 621 et 623.
2. Sybel, III, 258. Hermann-Hiiffer, Œstreich und Preusseh, 99 et 100, et
ci-dessous la lettre de Meyerinck à Bacber du 6 octobre 1794.
3. HcBUSser, I, 579.
4. Bacber à Bucbot, 14 fructidor an III.
LA l'AIX DE BALE. 293
Si Mœllendorf avait déjà cru pouvoir insinuer aux Français
qu'Un agirait que faiblement^ lorsqu'il n'avait pour s'exprimer
ainsi aucune autorisation de son roi, il n'hésita pas à se déclarer
plus ouvertement lorsqu'il eut l'assurance que le roi entrait enfin
dans ses idées et inclinait à accepter son plan. Les événements
de Pologne commandaient d'ailleurs de ménager plus que jamais
les troupes prussiennes ; et lorsque l'Autriche refusait d'appuyer
la Prusse en Pologne, il ne semblait point opportun au maréchal
prussien de compromettre son armée pour la soutenir sur le Rhin.
Il se trouvait cependant réduit à cette extrémité. Une expédition
sur Trêves et Kaiserslautern avait été décidée. L'armée prus-
sienne ne pouvait refuser d'y prendre part 2. Mais Mœllendorf
craignait à la fois d'exposer ses troupes et de détruire l'effet
qu'avaient pu produire sur les Français ses ouvertures paci-
fiques. Il tâcha de tourner la difficulté et dans tous les cas de
gagner du temps. Schmerz fut renvoyé à Bâle, où il s'instaUa
pour attendre, disait-il, la réponse du Comité . « En attendant,
rapporte Fain ^, il n'hésite pas à communiquer les lettres qu'il
continue de recevoir du maréchal Mœllendorf relativement à
l'échange proposé. Dans ces lettres, on parle des opérations
militaires qui se poursuivent sur le Rhin ; on assure que les Prus-
siens ne veulent pas attaquer : on prédit même des mouvements
que les armées autrichiennes essaieront et qui ne seront pas secon-
dés... » Bâcher écrivait à Buchot le 24 fructidor an II (16 sep-
tembre 1794) :
« Le feld-maréchal Mœllendorf vient de m'envoyer son homme de
confiance pour me prévenir qu'il avait été arrêté, dans un conseil
tenu par les Autrichiens, de se porter en force sur Trêves le \" ven-
démiaire (22 septembre) pour reprendre ce point de vive force. Les
généraux prussiens ont été invités à coopérer à cette entreprise. Ils
n'ont pas entièrement décliné cette invitation ; mais leur voyageur a
été chargé de me prier de faire prévenir le général Michaud, com-
mandant en chef l'armée du Rhin, que le rôle des Prussiens se bor-
nera à l'observation.
1. V. ci-dessus (p. 286) la dépêche de Bâcher du 19 thermidor (6 août).
2. Masseiibach, qui juge sévèrement et condamne en termes très-vifs la conduite
de Mœllendorf, voit dans cette résolution la trace d'un dessein machiavélique :
« Enliu, dit-il, pour couvrir les machinations secrètes, on consentit à oser atta-
quer l'ennemi près de Kaiserslautern. » Memoiren, II, 27.
3. Manuscrit de l'an UJ, p. 21.
295 ALIIEUr SOHKL.
u LexpôdiLioii sur Trêves, selon les Prussiens, échouera complé-
lonieiiL pour peu que les Français soient en forces suflisanLes pour
irarnir les postes importants qu'ils ont à défendre... Quant aux
Prussiens, ils ne bougeront pas, c'est sur quoi on peut compter; mais
ils espèrent qu'on ne viendra pas les forcer à se défendre... Les Prus-
siens ne feront que se défendre si on les attaque. «
La Prusse, ajoutait Bâcher, n'attend qu'une réponse du
Comité pour négocier le cartel d'écliange; la reconnaissance de la
République pourrait y être implicitement comprise. Dans trois
mois la Prusse, qui sera dégagée de son traité do subsides avec
l'Angleterre, pourra ne laisser sur le Rhin que son contingent
d'empire, se retirer sur Wesel et rester neutre; les événements de
Pologne l'y engagent fortement. Bâcher écrivait dans le même sens
quelques jours après, le 24 septembre, et annonçait la levée du siège
de Varsovie, affirmant que la Prusse ne désirait que la paix^ Ce-
pendant l'expédition avait commencé. Le prince de Hohenlolie, qui
commandait un corps prussien, ne partageait pas les idées paci-
fiques de Mœllendorf et ne semble pas avoir été initié à ses négo-
ciations. « Il eut, dit Massenbach, l'impolitesse de troubler le
général français dans son repos plus tôt qu'on avait jugé bon de le
faire. Il jugea bon d'attaquer un jour avant le jour fixé. Il trans-
forma la reconnaissance dont il était chargé en une attaque vigou-
reuse. L'ennemi ne put pas être averti de ce changement apporté
au plan primitif, car il est plus que vraisemblable que l'ennemi
fut averti, par des nouvelles de Kreuznach, de la marche du
corps de Hohenlolie ^ » ... Le 19 septembre, le général Michaud
mandait à Bâcher, par lequel il avait été prévenu des intentions
des Prussiens, qu'il avait été attaqué de nuit entre Turckheim et
Alborn par des Autrichiens et des Prussiens, ce qui semblerait
démentir les renseignements de Bâcher. « Je ne sais, ajoutait-il
pourtant, si c'est à dessein qu'une partie des Prussiens s'éga-
t. Bâcher à Buchot, 3 vendémiaire aa III.
2. Memoiren, II, 28. — Massenbach ajoute : « Le temps soulèvera le voile qui
recouvre cette œuvre de ténèbres. Je sais beaucoup de choses, mais je ne sais
pas tout. Quelqu'un viendra qui fera de ce drame un récit complet. Le roi était-
il instruit des premières démarches qui conduisirent à celte négociation secrète?
l'approuvait-il ? Comment permit-on au prince de Hohenlohe d'attaquer l'ennemi
que Ion voulait ménager? Si le chef de l'État ignorait tout cela, quelle légèreté
criminelle ! » — Le temps a, je crois, éclairci le mystère et montré que le roi
ne connaissait ni n'approuvait les démarches que Mœllendorf fit sous sa respon-
sabilité personnelle.
LA PAIX DE BALE. ^95
rèrent dans les bois pendant la nuit et n'eurent pas part à l'ac-
tion ^ » L'armée, avait dit Hardenberg, ne se bat que pour l'hon-
neur ; l'honneur dut être satisfait dans les combats qui se livrèrent
le 20 septembre 1794 à Kaiserslautern. Le corps prussien de
Hohenlohe prit une part brillante à la victoire que les alliés rem-
portèrent sur les Français. La joie fut grande au quartier général
autrichien : on crut trouver dans cette action d'éclat une preuve
de la solidité de l'alliance 2. Les impressions furent bien différentes
au quartier général de Mœllendorf. « Les avantages remportés
le 20 septembre 1794, raconte Massenbach^ relevèrent la gloire
du prince de Hohenlohe, mais augmentèrent aussi le nombre de
ses ennemis. J'eus l'honneur d'encourir une partie de cette haine.
Lorsque j'accompagnai le prince au quartier général du feld-
maréchal Mœllendorf à Wùrstadt, j'y trouvai un accueil qui
aurait peut-être été capable d'arracher à son équilibre l'àme pon-
dérée d'un Epictète. A peine m'honora-t-on d'une parole; le
général Riichel me toisa d'un regard que je n'oublierai jamais.
Tous ces messieurs voulaient la paix, et la paix était la ruine.
L'étroitesse de cœur de ces messieurs me fit mal, ou plutôt je les
plaignis cordialement. Ils me toisaient de bas en haut, je les toisai
de haut en bas, et de toute la hauteur de ma supériorité de cœur. »
Hohenlohe reçut l'ordre de s'arrêter. Puis les Autrichiens ayant
été vaincus sur l'Ourthe et forcés de se replier sur la rive droite
du Rhin, l'armée prussienne commença de battre en retraite. La
victoire de Hohenlohe troubla profondément les Français, dit
M. Ranke. « Elle eut surtout peut-être pour effet de les engager
à considérer davantage les forces prussiennes. Meyerinck, avec
lequel Schmerz était particulièrement en rapport, donna sur les
intentions de la Prusse des éclaircissements rassurants ; il y joi-
gnit des promesses et aussi des menaces. Le résultat fut que les
Français n'opposèrent que de faibles hostilités au mouvement de
retraite auquel les troupes prussiennes se disposèrent alors. On
évita un choc avec les troupes françaises, et on devait l'éviter
d'autant plus qu'alors, enréalité, on était décidé à Berlin à enga-
1. Michaud à Bâcher, 3' sans-culoltide de l'an II.
2. Rapport du feld-maréchal duc de Saxe-Teschen , cité par Vivenot : Saxe-
Teschen, I, 158.
3. Memoiren, II, 33. V. dans Vivenot, Saxe-Teschen, I, p. 159, un extrait
d'une lettre de Massenbach au général Riichel, en 1808.
20(» ALBERT SOKEL.
iïcr uiu> iiô^'ociation ibrmolle*. » La correspondance des agents
IVanvais contîrnie ontièroniont le récit de M, Ranke.
Le 15 vendémiaire an III (6 octobre 1794), Bâcher mandait
à Bucliot que Sclinierz avait reçu des nouvelles de Meyerinck en
date du 20 septembre. Meyerinck se félicitait de la tournure
prise par les négociations; comptez, disait-il, que vous avez à
traiter avec des gens probes et honnêtes. Mais il reconnaissait
qu'avant l'échéance du traité de subsides, c'est-à-dire avant le
mois de décembre, il n'y avait pas autre chose à faire que de tra-
vailler k l'échange des prisonniers, préliminaire de la négocia-
tion. Il demandait aux Français de ménager la Westphalie,
signalait la conduite tenue par les Prussiens dans l'affaire de
Trêves, et déplorait le combat de Kaiserslautern: on n'avait pas
pu refuser de marcher avec l'armée impériale, mais le prince de
Hohenlohe avait reçu aussitôt l'ordre de reprendre son ancienne
position. Quant à Mœllendorf, il restait à Kreuznach et n'en
bougerait plus. — Quelques jours après, Bâcher recevait par un
émissaire des nouvelles directes de Meyerinck, en date du
6 octobre. Meyerink manifestait son impatience d'avoir une
réponse et assurait Bâcher de sa sincérité; notre devise, disait-
il, est : la probité dure éternellement ; puis il revenait sur
l'affaire de Kaiserslautern : les Prussiens n'avaient pas pu agir
autrement qu'ils ne l'avaient fait, sous peine d'être accusés de
déloyauté, et leur exactitude à tenir leurs engagements dans
cette circonstance devait être pour les Français eux-mêmes un
gage de la pureté de leurs intentions. Ils avaient encore les
mains liées par le traité des subsides, mais ils étaient résolus à
ne plus agir et à attendre tranquillement dans leurs positions que
l'échéance du traité les laissât libres d'agir à leur guise et de
repasser peu à peu le Rhin. 11 protestait du désir que l'on avait
de son côté de devenir l'ami des républicains, et déclarait que si
ces derniers traitaient l'affaire sérieusement et agissaient avec
loyauté, tout irait mieux que Bâcher ne pouvait l'espérer : le roi
avait demandé 20,000 hommes à l'Autriche, elle les refuserait
et le roi serait ainsi autorisé à rappeler 20,000 hommes de son
armée du Rhin. Cologne demandait la paix; d'autres États la
demandaient aussi. Pour les encourager dans ces dispositions,
1. Ranke, Hardenberg, I, 260.
LA PAIX DE IULE. 297
Meyerinck demandait à Bâcher d'obtenir, s'il le pouvait :
1° qu'on laissât l'armée prussienne repasser le Rhin sans trop la
presser, autrement le vieux maréchal pourrait se fâcher et risquer
une bataille : il avait 62,000 hommes de troupes excellentes non
comptés les Saxons, et à quoi bon des escarmouches quand on se
prépare à la paix? 2° qu'on épargnât le pays de Clèves et les
territoires prussiens de la Westphalie ; 3° qu'on traitât mieux
les officiers prussiens prisonniers; 4° qu'on n'attaquât point
Coblentz*.
Ces communications marquaient un désir réel de la paix, une
crainte très-vive que, par imprudence et imprévoyance, on ne
forçât les Prussiens à sortir de leur attitude d'observation : si
l'on voulait préparer la paix, il fallait éviter tout conflit et tout
combat entre les deux armées, autrement elles seraient exposées
à en venir aux mains sans savoir pourquoi. Convaincu de la
sincérité de Meyerinck, Bâcher ne manquait pas d'instruire les
généraux français des dispositions pacifiques des Prussiens. Le
3 octobre, il écrivait au général Michaud :
a Rien ne t'empêche d'approcher des mortiers de la ville de Man-
heim et de punir l'électeur de Bavière de son attachement servile à
la maison d'Autriche, soit en incendiant cette ville du bord opposé
du Rhin, soit en lui imposant, par la crainte d'un bombardement,
une forte imposition. Tu peux compter que le général Mœllendorf
s'inquiétera fort peu de Manheim et de la rive du Rhin jusqu'à
Worms, et que, pourvu que son armée ne soit pas attaquée dans son
ancienne position, elle ne bougera pas. »
Quant aux menaces de Mœllendorf en cas d'attaque de la part
des Français, Bâcher pensait qu'il n'en fallait point tenir
compte : ce n'était, écrivait-il au général Michaud le 10 octobre
1794, que delà jactance brandebourgeoise. Il mandait les mêmes
nouvelles à Buchot ^ ajoutait que la Bavière et la Saxe dési-
raient la paix et que la Prusse songeait à rétablir la confédéra-
tion germanique telle que Frédéric II l'avait formée lors de
l'affaire de la succession de Bavière 3. Et, quelques jours après,
transmettant la lettre de Meyerinck du 6 octobre , il annonçait
qu'une insurrection se préparait en Gallicie. Le moment lui sem-
1. Bâcher à Buchol, 12 octobre 1794.
2. 15 vendémiaire an III (6 octobre 1794).
3. Traité du 23 juillet 1785, constituant le Fiirstenbund.
2'.>S ALItERT SOUEL.
blail vt'iiii de «.lisijoudrc la coalition; luiis il ajoutait, au sujet de
Scliinerz, quelques détails qui peignent bien les mœurs politiques
et militaires de l'époque ' :
« Comme le voyageur du feld maréchal Mœllcndorf voulait retour-
ner chez lui- pour s'y trouver au moment de l'arrivée des Français,
je n'ai pu le retenir ici qu'en lui donnant l'assurance par écrit que sa
femme et sa sœur, de même que sa maison et ses biens, seraient
respectés jusqu'à ce que les représentants du peuple et le général en
ordonnent autrement. Cet écrit ne nous engage à rien et tient ce
voyageur absolument dans notre main puisqu'il nous laisse des otages
qui répondent de lui. »
IV
Les Russes en Pologne. — Le roi de Prusse et le parti de
la 'paix. — Mémoire du prince Henri. — Relations
avec r Autriche et l'Angleterre. — Dénonciation du
traité des subsides. — La Prusse se décide à négocier.
— Désir de la paix en Allemagne. — IJ électeur de
Mayence propose la médiation du Danemark et de la
Suède {Octobre 1794).
Les lettres de Meyerinck subordonnaient l'ouverture des négo-
ciations de paix à la dénonciation du traité des subsides entre la
Prusse et l'Angleterre. Cette affaire se dénoua plus rapidement
encore que ne pouvait le prévoir l'aide de camp de Mœllendorf.
L'Angleterre, fatiguée de la persistance avec laquelle la Prusse
refusait de marcher au secours de la Belgique et de la Hollande,
avait décidé, dans les derniers jours de septembre, de ne point
payer les subsides à l'échéance du 1" octobre, si la Prusse ne
prenait pas d'ici là une attitude plus satisfaisante. L'armée prus-
sienne n'ayant rien modifié à ses plans, les subsides ne furent
point payés le 1" octobre. La Prusse apprit en même temps
qu'il s'opérait un rapprochement de plus en plus intime entre
l'Autriche et l'Angleterre. D'autre part, les Russes, entrés en
Pologne le 18 septembre, y poursuivaient victorieusement leur
marche : une négociation secrète était engagée entre la Russie
1. Bâcher àBuchot, 12 octobre 1794.
2. A Kreuznach.
LA l'ATX DE B.ALE. 299
et l'Autriche au sujet d'un troisième démembrement ; la Prusse
n'avait à ce sujet que des soupçons, mais ils étaient alarmants,
et il résultait des rapports de ses agents à Vienne et à Pétersbourg
que l'Autriche s'opposait vivement à l'idée de faire à la Prusse
une part proportionnelle dans le partage. C'étaient autant d'ar-
guments pour les partisans de la paix. Ils ne restaient point inactifs.
Mœllendorf s'adressait, à l'insu du roi, à l'électeur de Mayence,
comme au premier dignitaire de l'empire, et au prince le plus
opprimé par la guerre, pour l'engager à provoquer une mani-
festation pacifique de la part de la diète S et tâchait ainsi de pré-
parer cette pacification de l'empire par la médiation de la Prusse
qui était l'idée favorite de Hardenberg. A Berlin même, le
parti de la paix trouvait dans un frère du grand Frédéric
l'avocat le plus influent et le plus convaincu. C'était le prince
Henri de Prusse, qui tenait naguère à honneur- de revendiquer
la première idée du partage de la Pologne ^ et qui avait toujours
professé pour les idées françaises et l'alliance avec la France un
goût prononcé. Il vivait assez à l'écart, désapprouvant la poli-
tique suivie par son neveu, et en particulier l'alliance avec l'Au-
triche contre la France. Les partisans delà paix et Bischoffswer-
der, qui intriguait alors contre la cour de Vienne avec autant d'ac-
tivité qu'il avait, quelques années avant, intrigué en sa faveur,
décidèrent, dit-on, le prince à sortir de sa réserve. Il fit savoir
à Haugwitz qu'il aurait des communications intéressantes à lui
adresser au sujet de la paix avec la France, et demanda si le roi
l'autoriserait à en conférer avec lui^. Le roi avait une haute idée
de l'intelligence de son oncle, mais il se méfiait de son esprit
inquiet et craignait qu'il ne voulût, par cette voie détournée,
rentrer aux afi"aires et prendre la direction des négociations. Il
consentit cependant, mais après avoir recommandé à Haugwitz
de ne point se laisser séduire. Les idées du prince nous sont
connues par un mémoire daté du mois d'octobre 1794. C'est un
projet éventuel d'instructions pour l'ambassadeur qui serait
chargé de négocier la paix. Le prince Henri se préoccupait par
dessus tout des affaires de Pologne.
1. Sybel, trad., lil, 259.
2. Voir ses confidences à M. de Ségur, Mémoires du comte de Ségur.
3. Ce détail et les renseignements qui suivent, d'après Ranke, Hardenberg, I,
253-257.
300 ALBERT SOllEL.
Si, clil-il, les Français, qui oui rciiiporU'' Laiil do sucrés dans la
doriiiôro canipaLrno, s'oiiij)aronL do la Hollande ol IVancliissonl le
Rhin dans la canij)a!j;ne prochaine, n'cnlrcrail-il pas ensuite dans leur
plan, lorsqu'ils néj,'Ocieraient avec le Roi, d'exiger la resLlLution de
ses provinces polonaises? Celle impitoyable alternative rend néces-
saire la paix avec la France. Ils ont encore maintenant, autant qu'on
le peut savoir, des dispositions amicales: on pourrait les convaincre
de l'Impossibilité pour la Prusse de restituer les territoires polonais...
Cette restitution détruirait l'équilibre du Nord au profit de la Russie,
et la Turquie, à la conservation de laquelle la France a tant d'intérêt,
serait compromise. — Le prince ne pensait pas qu'on dût se bornera
faire la paix; la Prusse devait se faire la médiatrice entre la France
et les autres puissances belligérantes; avant tout il fallait songer à
la Hollande et à l'empire. H n'était pas probable que l'Angleterre et
rAutriche accepteraient la médiation prussienne-, mais la médiation
d'empire suffisait. Le prince croyait que la chute de Robespierre
avait rompu la négociation qui, disait-on, avait été engagée entre la
France et rAutriche pour l'échange de la Bavière contre les Pays-Bas;
mais, comme rien ne serait plus dangereux pour la Prusse, il fallait
prendre de ce côté des précautions, et c'était un motif de plus pour
faire la paix. Le prince pensait que la France, où le rétablisse-
ment de la monarchie constitutionnelle lui semblait possible, devait
être considérée, malgré tous les changements qui s'y étaient produits,
comme une puissance européenne au même titreque les autres États.
Il s'agissait de former avec elle un nouveau système politique -, la
France révolutionnaire devait garantir les traités de Westphalie. Dans
ces conditions, il ne pouvait être question de cession de territoire: la
conservation de la Hollande et Pintégrité de Pempire étaient des con-
ditions essentielles de la médiation prussienne.
C'est dans cette mesure, dit M. Ranke, que le prince entendait
établir la liaison avec la France ; il ne proposait nullement une
alliance générale entre les deux Etats. Ces considérations, ap-
puyées par l'autorité de la parole du prince Henri, exercèrent
une grande influence sur le roi. Frédéric-Guillaume hésitait
encore entre ses convictions et ses sentiments qui le retenaient
dans la coalition, et les intérêts de son Etat qui le poussaient à
en sortira Le prince Henri l'avait ébranlé, les événements le
décidèrent. Le 11 octobre, Malmesbury déclarait à Hardenberg
1. Ranke, Hardenberg, 241, 247,257.
LA PAIX DE lîALE. 30^
que l'Angleterre refusait de payer les subsides *. En même temps,
le prince Reuss, ministre d'Autriche à Berlin, déclarait que son
gouvernement n'était pas en mesure d'envoyer en Pologne les
20,000 hommes que demandait la Prusse ^ Ce refus, prévu par
les partisans de la paix, produisit sur le roi l'effet qu'ils en
attendaient. Le 16 octobre il expédia à Mœllendorf l'ordre de
ramener vers la Prusse l'armée qu'il commandait, et, en parti-
culier, les 20,000 hommes qui demeuraient sur le Rhin en vertu
du traité d'alliance avec l'Autriche. Hardenberg fut invité à '
dénoncer le traité de subsides. « J'ai été témoin, écrivait
Bischoffswerder le 14 octobre, du chagrin amer que le roi res-
sentait en se voyant privé, par la brusque infraction du traité
des subsides, des moyens de suivre son inclination en prêtant un
secours efficace à ses alliés; mais ce sentiment est bien augmenté
par les tristes nouvelles qui se suivent de près de -la situation des
armées du Rhin^. » La résolution, si pénible qu'elle fût, n'en
était pas moins prise, et Frédéric-Guillaume II devait désormais
chercher ailleurs que dans l'alliance des princes contre le jacobi-
nisme la gloire et les profits qu'il ambitionnait. Se maintenir
entre les deux courants op.posés qui entraînaient le monde, con-
server l'individualité de l'État prussien et en particulier son
union avec l'Allemagne, telle était maintenant, dit M. Ranke,
la tâche de la politique prussienne ^.
La Prusse n'avait point assumé cette tâche sans hésitation :
eUe n'y apportait qu'une volonté incertaine. Ces irrésolutions
avaient leur contre-coup sur les relations secrètes que Mœllen-
dorf continuait d'entretenir avec les agents français à Bâle. Le
11 octobre au matin, Mœllendorf faisait mander à Schmerz de
revenir en hâte; quelques heures après, au reçu d'une lettre de
Schmerz datée du 6, il lui faisait dire de rester. On était prêt à
négocier l'échange en masse, sans rançon ni remboursement ^
1. Lord Malmesbury à lord Grenville. Francfort, 23 octobre 1794. {Biaries of
Malmeshury.)
2. Thugut au prince Reuss, 9 octobre. — Le ministère prussien au prince
Reuss, 14 octobre. — Vivenot, Saxe-Teschen, 2' partie, t. I, p. 626 et 639. —
Le ministère prussien à Lucchesini, 14 octobre : Hiifl'er, 95.
3. Ranke, Hardenberg, I, 247. Ce texte est en français.
4. Hardenberg , I, 252.
5. Bâcher avait écrit le 3 octobre au général Michaud que si le Comité ne fai-
sait pas d'échange, il faudrait racheter les prisonniers à 24 fr. par tète, en numé-
raire : c'était le prix marqué par les Prussiens.
:î02 ALBERT SOREL.
MovcriufkiMi voyait h ScIiiikm'/, (l(>s instructions |)ariineleftrf> datée
doKreuznacli, se jjortail ibrt des intentions j)aciliqiies du roi et in-
sistait pour que les Français n'incommodassent point les Prussiens
dans leurs quartiers; le roi ne songeait pas à agir en Hollande;
mais il importait qu'on ne pressât point l'armée dans son mouve-
ment de retraite : elle était toujours prête à combattre, et le ferait
si on ne lui laissait pas la libellé de ses mouvements et si on ne
ménageait pas sa dignité. Il rappelait les sentiments d'amitié de
la nation et de l'armée prussiennes pom^ les Français, et se plai-
gnait de n'avoir point de réponse. Mœllendorf s'inquiétait de ce
sOence. Meyerinck ajoutait que si on le jugeait nécessaire, il
était prêt à se rendre à Bàle^ Schmerz reçut le même jour,
16 octobre, l'ordre de partir et l'ordre de rester. Il resta, et
d'autant plus volontiers que les Français aj^ant poussé leur
marche en avant, ils occupaient son pays. « La ville de Kreuz-
nach étant maintenant occupée par les troupes delà République,
écrivait Bâcher 2, il se regarde comme citoyen français et m'écrit
'directement. » Dans une de ces lettres directes, qui est du 18
octobre, il faisait savoir à Bâcher que Mœllendorf l'invitait à
demander une réponse positive, tant sur l'échange des prisonniers
que sur les autres questions, Schmerz ajoutait pour son propre
compte : « Voulez-vous faire l'échange et ménager Manheim?
Donnez-nous seulement cette assurance et nous décampons... A
quoi sert-il donc de brûler des villes si on veut faire la paix avec
nous et avec l'empire? » En attendant, les Prussiens se retirèrent.
Le 22 octobre les troupes de Mœllendorf avaient évacué la rive
gauche du Rhin ^, et le 25 Hardenberg dénonça à lord Malmes-
bury le traité de subsides. Ces résolutions étaient imposées au
cabinet prussien par les progrès très-rapides des Russes en
Pologne; le 10 octobre, ils avaient battu Kosciusko et on pou-
vait croire qu'ils seraient bientôt les maîtres du pays.
En même temps que la paix devenait plus nécessaire à la
Prusse, l'AUemagne se montrait plus empressée à la conclure.
Le comte de Bernstorf était très-exactement informé des disposi-
tions des princes de l'empire; il les secondait de toute son
influence, et il signalait à Grouvelle l'isolement et les embarras
de la Prusse : son intérêt lui conseillait de reconstituer la Ligue
1. Bâcher à Buchot, 19 octobre 1795.
2. A Buchol, 19 octobre 1794.
3. Hiiffer, p. 111.
LA PAIX DE RALE.
303
germanique et de soutenir, contre l'Autriche, la cause des
princes de l'empire qiii étaient fatigués de la guerre, en redou-
taient les conséquences pour leur indépendance et aspiraient à la
paix.
« Mais, ajoutait M. de Bernstorf, que peuvent-ils faire ou propo-
ser? Ils ignorent ce que veut le gouvernement français qui parait
mêmese refuser à toute communication, puisque l'électeur de Bavière
est sans réponse aux démarches qu'il a faites vis-à-vis de la Répu-
blique. A la manière dont M. deBernstorf s'exprime sur tout ceci, pour-
suivait Grouvelle, il paraît qu'il tient seulement à nous que les princes
de l'empire ne s'unissent et ne renouvellent une ligue semblabe à celles
qui autrefois ont été si utiles à la France. Enfin, généralisant ces
observations, je ne puis m'empêcher de remarquer pour l'intérêt de
l'humanité, que si la République faisait aujourd'hui paraître ses
intentions, le terme auquel elle prétend s'arrêter, quelque étendue
qu'elle donnât à ses demandes, ce serait au moins un grand pas fait
pour arriver à la paix, et qu'au contraire l'incertitude dans laquelle
vous laissez l'Europe n'est plus bonne qu'à prolonger la calamité
générale sans aucune utilité pour vous ^ . »
C'étaient des ouvertures indirectes. Au moment où le comte de
Bernstorf s'efforçait ainsi de préparer le terrain à la négociation,
le parti de la paix travaillait en Allemagne aux moyens de l'en-
gager officiellement. L'électeur de Mayence, cédant aux instances
de Mœllendorf et sans doute aussi aux conseils qu'il recevait de
Copenhague, proposa le 24 octobre à la diète de décider qu'il
serait fait à la France des ouvertures de paix, et indiqua comme
médiateurs la Suède et le Danemark, que leurs bonnes relations
avec la France et leur double qualité de neutres, comme Etats
indépendants et comme membres du corps germanique 2, sem-
blaient naturellement désigner pour le rôle de médiateurs. Bien
qu'accueillie avec faveur par la majorité des membres de la
diète, la proposition de l'électeur de Mayence ne pouvait aboutir
à une prompte solution : elle devait être, soumise à la procédure
lente et compliquée qu'imposait la constitution germanique. La
Prusse en approuvait le principe, mais elle se montra dès l'abord
opposée au choix du Danemark et de la Suède : elle entendait se
1. Grouvelle à Buchol, 30 vendémiaire (20 octobre 1795).
2. Le Danemark pour le Ilolstein et la Suède pour la Poraéranie. Ils payaient
leur contingent en argent, et la France avait reconnu leur neutralité.
30Î ALDERT SOIIEL.
rèsorvor les avantages de la médiation. Quant h l'Autriche, elle
ne dissimula nullement sa ré]»ugnanc(!. L'empereur rê])ondit le
28 octobre à la communication qui lui avait été faite de la pro-
position de l'électeur, qu'il tallait avant tout poursuivre énergi-
qucment la guerre, <-< car l'Allemagne et l'Autriche ne pouvaient
consentir à une paix honorable et acceptable que quand il n'y
aurait plus un seul Français sur le sol allemand *. » Cette décla-
ration était loin de répondre aux vœux de la majorité des princes
de l'empire; ils n'en insistèrent que plus vivement auprès du
Danemark, et il y a lieu de croire, d'après le langage du comte
de lîernstorf, que loin de penser, comme le voulait l'Autriche, à
poursuivre une guerre à outrance, ils comprenaient la nécessité
de faire des concessions à la République. En annonçant à Grou-
velle que les princes songeaient à invoquer la médiation du Dane-
mark, Bernstorf lui avait assuré que son gouvernement se
trouverait heureux d'ouvrir la voie à la paix, qu'il s'en occupe-
rait sans relâche, dans les intentions les plus pures, et avec
l'espoir de ne jamais porter à la République que des propositions
dignes de la nation française 2. Lorsqu'il fut informé de la pro-
position de rélecteur, le ministre danois s'empressa d'en ins-
truire l'agent français.
« Les vœux de M. de Bernstorf vont s'accomplir, écrivait
Grouvelle le 14 brumaire (4 novembre 1795). Tout se dispose
pour que celui qui, dans le cours de cette guerre, parla le pre-
mier le langage de la justice universelle, soit aussi le premier à
porter des paroles de pacification. » Bernstorf comptait que la pro-
position de l'électeur de Mayence serait appuyée par presque
tous les princes de l'ouest de l'Allemagne ; il avait répondu au
nom du Danemark et de la Suède, que ces deux États acceptaient
le principe de la médiation, et qu'ils étaient déterminés à se con-
tenter d'une majorité légale et à déférer au vœu du plus grand
nombre des princes, sans examiner si les grandes puissances
faisaient partie de cette majorité. Selon lui, la trêve que deman-
dait l'empire ne pouvait être refusée ; mais il reconnaissait que,
pour le fond, les propositions de l'électeur n'étaient pas assez
concluantes, et que, dans le danger où se trouvait l'Allemagne,
elle devait se résigner à des sacrifices. Grouvelle lui fit observer
1. Sybel, III, 261. — Hûffer, 110. Vivenot, Saxe-Teschen, I, 363.
2. Rapport de Grouvelle, 7 brumaire (27 octobre 1797).
Li PAIX DE BALE. 305
que la France, ayant l'offensive, n'aurait pas d'intérêt à accorder
une trêve. « Je m'avisai ensuite de supposer, comme par con-
jecture, dit Grouvelle, le cas où, de notre côté, on ne voudrait
aucun accommodement pour les pays occupés par nos armées
sur la rive gauche du Rhin; sur quoi M. de Bernstorf répéta que
l'Allemagne était dans le cas d'acheter sa sûreté présente par des
sacrifices ^ »
Les dispositions des princes de l'Allemagne, le désir très-vif
qu'avait le Danemark de se charger de la médiation, étaient pour
les Prussiens de nouveaux motifs d'entamer promptement les
négociations de paix, et l'on s'explique l'impatience avec
laquelle on attendait au quartier général de Mœllendorf une
réponse du Comité de salut public.
Albert Sorel.
1. Grouvelle à Buchot, id.
(Sera continué.)
Rev. Histor. V. 2« FASc. 20
MÉLANGES ET DOCUMENTS
JEAN DE BLOTZHEIM,
CHANCELIER DE RODOLPHE IV l'iNGÉNIEUX , DUC d' AUTRICHE.
On rencontre dans l'histoire des hommes plus ou moins ignorés
de leur vivant, parce qu'ils étaient relégués au second plan par des
personnages plus en vue, et dont le rùle prépondérant apparaît seule-
ment aux yeux de la postérité. Tel est l'homme auquel M. de
Liebenau, le savant archiviste du canton de Lucerne, vient de consa-
crer une monographie, d'une érudition un peu touffue, mais néan-
moins fort intéressante * .
L'homme d'état dont il s'agit était issu d'une famille connue
d'abord sous le nom de Ribin, établie à Seengen, près du lac de
Hallwyl; elle s'était élevée dans les dignités de l'Église, et elle ne
prit le nom de Schultheiss de Lenzbourg que lorsque le père du chan-
celier eut obtenu de la faveur des ducs d'Autriche la prévôté de cette
ville. Jean Ribin fut d'église, et, malgré sa jeunesse, l'évêque Ulric
de Goire, son oncle, lui confia en ^34^ la réforme d'un monastère
de son diocèse. En 4347, on le retrouve maître ès-arts, et curé de
Blotzheim, paroisse de la Haute-Alsace dont la collation appartenait
à la maison d'Autriche. C'est sous le nom de Jean de Blotzheim, et
non sous celui de Schultheiss ou de Ribin, que ses contemporains ont
connu le fidèle ministre de Rodolphe IV : les noms patronymiques
n'avaient encore aucune fixité, et le fils, comme le père, y substitua
le premier titre dont il avait été investi. Même quand il fut promu à
l'épiscopat, cette désignation lui était devenue si personnelle qu'on
continua à l'appeler de Blotzheim.
Son caractère ecclésiastique demeura toujours subordonné à ses
fonctions auprès des ducs d'Autriche. Pendant vingt ans et plus il
fut attaché à leur chancellerie. Ses débuts remontent au règne d'Albert
1. Bischoff Johann von Gurk, Brixen und Chur, und die Familie Schultheiss
von Len:iburg, von Theodor von Liebenau — Aarau, 1874, in-S% 179 p.
JEAN DE BLOTZHEIM. 307
le Sage, et, à sa mort, il devint en titre chancelier de son fils
Rodolphe IV, et le resta sans discontinuer jusqu'en 1 373, même après
la fin prématurée de ce prince , sous le gouvernement de ses frères
Albert la Tresse et Léopold le Preux. Pendant tout ce temps il fut le
coopérateur et le conseiller presque toujours écouté des Habsbourg.
On sait que malgré l'éclat initial de leur maison, malgré le degré
de puissance oîi elle s'était si rapidement élevée, ces princes ne par-
vinrent pas d'abord à se maintenir sur le trône impérial. Après
Rodolphe I", son fils Albert I" et son petit-fils Frédéric le Beau
furent avec peine agréés par les électeurs, et si le succès des armes
fut plus favorable au premier qu'au second, l'un fut aussi impuis-
sant que l'autre à ébranler le droit public qui avait donné pour
base à la puissance impériale le libre choix de quelques grands
vassaux. Par l'étendue de leurs possessions, les ducs d'Au-
triche faisaient ombrage aux électeurs, et par leur ambition ils agi-
taient l'Allemagne. Il était de bonne guerre pour les empereurs des
maisons de Luxembourg, de Baviève et Palatine, de traverser leurs
projets, et tout d'abord de leur fermer l'accès du pouvoir suprême.
La bulle d'or de Charles IV, qui excluait les Habsbourg de la dignité
électorale, n'avait pas d'autre but.
C'est à parer ces coups et à en restreindre les effets que se porta
tout le génie d'Albert II et, à sa mort, celui de son fils Rodolphe IV.
Les moyens que ce dernier y employa forment l'un des principaux
objets de l'étude de M. de Liebenau.
D'accord avec tous les historiens modernes, il admet, comme point
de départ de cette politique, cinq diplômes supposés émanant de la
chancellerie de Rodolphe IV, attribués l'un à l'empereur Henri IV,
du 4 octobre \ 038, le second à Frédéric Barberousse, du i 7 septembre
4-156, le troisième au roi des Romains Henri IV, du 24 août 4 228, le
quatrième à l'empereur FrédéricII, du mois de juillet 4245, le cin-
quième à l'empereur Rodolphe 1", du U juin 4 283.
Par leurs dispositions générales, ces privilèges tendaient à établir
les points suivants :
4 ° Le duc d'Autriche doit recevoir l'investiture de ses fiefs à cheval
et dans ses états : si après trois mises en demeure successives, l'em-
pereur s'abstient de la lui conférer, le vassal est fondé à se mettre
en possession , au même titre que s'il avait été virtuellement
investi.
2° Aux diètes de l'Empire le duc d'Autriche prend rang immédia-
tement après les électeurs.
3" Le duché d'Autriche est indivisible, et l'aîné des Habsbourg en
a la seigneurie, et la transmet à sa descendance par ordre de primo-
308 MKLANT.ES El DOCUMENTS.
gôiiiliii't'. A (iéfaul d'héritiers directs, le duc régnant donne ou lègue
le duché à qui bon lui semble.
A'' Sans son consentement, il n'est permis à aucun de ses vassaux
d'exercer des droits de liante et basse justice. Au l'cgard de l'Empire
le duc n'est tenu d'assister aux diètes de l'Empire que si elles se
réunissent en Bavière, et il n'est obligé au service féodal que dans les
provinces les plus rapprochées de ses états. Dans le duché d'Autriche,
nulle terre ne peut être fief de l'Empire.
5" Les habitants du duché ne doivent obéissance qu'à leur duc, qui
est en droit de les mettre au ban, et de les citer devant les tribunaux
de l'Empire.
0° Enfin il était permis à chacun, même sans l'autorisation de
l'empereur, de donner, vendre, ou engager ses possessions au duc
d'Autriche.
Ce n'étaient là que des jalons, et il faut convenir que ce procédé
était bien conforme à la tradition des princes qui ont préparé la gran-
deur de la maison de Habsbourg. L'empereur Rodolphe n'avait pas
fait autre chose pour ramener sous la juridiction landgraviale, qui
dépendait de son domaine privé, les villes de la Haute-Alsace qui
relevaient de l'Empire. Au moyen de clauses insérées subrepticement
dans une charte de commune, il posait des prémisses qui passaient
inaperçues d'abord, et dont les intéressés ne découvraient les consé-
quences que quand elles semblaient avoir acquis toute la valeur d'un
droit. Mais en ce qui concerne l'entreprise du duc Rodolphe, la mé-
thode était plus simple et plus hardie à la fois : c'était à un faux
matériel qu'il avait recours.
De notre temps il ne peut plus y avoir le moindre doute-, et cepen-
dant en se reportant à l'époque où elle remonte , les diplomatistes
modernes ne s'étonnent pas de la confiance que cette œuvre téné-
breuse inspirait à son promoteur : Rodolphe ne cessa plus d'en invo-
quer le bénéfice, non-seulement contre ses agnats, mais encore
jusque devant la chancellerie impériale. Dans le jugement que le
savant Bœhmer porte de ces actes simulés, il reconnaît que, par leur
forme, ils font illusion; qu'ils sont surprenants dans leur rédaction;
leur contenu seul est inepte. Pour justifier cette dernière opinion, il
suffit de rappeler que le faussaire soutenait, entre autres, que déjà
Jules César et Néron avaient affranchi le duché d'Autriche de la suze-
raineté de l'Empire romain.
La fraude une fois reconnue, la critique avait à déterminer, d'une
part, l'époque à laquelle elle remonte; de l'autre, qui avait servi
d'instrument pour cette audacieuse falsification.
Sur le premier point, on savait que c'est le duc Rodolphe IV qui.
JEAN I)K BLOTZHEIM.
309
en 1359, avait d'abord essayé de la faire légitimer par son beau-père,
l'empereur Charles IV, et l'on en déduisait sans hésitation qu'elle
s'était accomplie sous le règne de te prince. On admettait même
généralement que les faux diplômes avaient été fabriqués au cours
de l'hiver I3r38 à 1359. Mais M. de Liehenau, en se fondant sur la
charte de commune octroyée, le 21 avril 1358, aux bourgeois de
Délie, 011 Rodolphe se réserve, comme chef de la maison de Habs-
bourg, le droit de réviser ce statut à l'exclusion de ses frères, établit
qu'ils ont surgi des profondeurs de la chancellerie ducale une année
plus tôt.
Quant au scribe qui s'y était prêté, feu M. Bœhmeraposé en prin-
cipe qu'il a dû posséder à la fois la confiance illimitée de son maître,
et avoir été récompensé immédiatement de sa complaisance; sur cette
double donnée, il avait attribué la paternité des diplômes adultérés à
Guérung, doyen de Krems, le chapelain et le médecin de Rodolphe,
lequel, pour son salaire, en aurait obtenu, le 26 juin 1360, la confir-
mation d'un faux privilège de l'empereur Henri, de 1054, en faveur
de son église.
31. de Liehenau s'inscrit en faux contre cette supposition, et il
démontre avec une vraisemblance qui touche à la certitude, que
l'habile faussaire n'a pu être que le chancelier Jean de Blotzheim.
Ce n'est pas, dit-il, au serviteur à deux fins de Rodolphe IV qu'on
peut faire honneur de cette supercherie si bien réussie. Sans doute
lui aussi est un faussaire; mais le faux qu'on lui impute est l'œuvre
d'un écolier, qui s'est borné à gratter le contexte d'un diplôme pour
y substituer l'acte dont il avait besoin, et l'illusion qu'il a produite
ne résiste pas à l'examen le plus superficiel. Le rôle effacé que le
doyen de Krems a joué, peut-il d'ailleurs être mis en parallèle avec
l'importance des fonctions de Jean de Blotzheim, pendant tout le
règne du fils aine d'Albert le Sage? Quel témoignage peut-on opposer
à celui que le prince rend lui-même en divers endroits de la confiance
sans réserve que lui inspirait son chancelier? Celui-ci n'a-t-il point
passé de son temps pour son plus affidé conseiller? N'a-t-il pas
connivé à toutes les mesures qui devaient faire passer les entreprises
des diplômes supposés du vague de la spéculation politique dans le
domaine des faits? N'est-ce point pour lui exprimer sa reconnais-
sance, qu'au moment même où surgissent pour la première fois les
faux privilèges, Rodolphe fait nommer son chancelier à l'évêché de
Gurk ? Et ce qui prouve encore mieux que ce dernier en est le fabri-
cateur, ce sont plusieurs diplômes particuliers de l'église de Gurk,
suspects à bon droit à la critique moderne , et que M. de Liebenau
croit sortis de la même officine.
340 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Il pput paraître ^iiI1^ulicr que l'auleur metle tant de science et de
vivacité a l'aire lioniioiir à son liéros de sa participation à une œuvre
de faussaire. Sans doute il y était relativement désintéressé, puisque
le but qu'il se proposait n'était que la grandeur de la maison de
Habsbourg, et à ce titre on peut l'absoudre jusqu'à un certain point
de l'acte que la politique lui avait inspiré, si répréhensible qu'il fût
au point de vue de la probité la plus élémentaire. On peut ajouter
qu'à l'époque où vivait Jean de Blotzheim, les règles de la politique
n'avaient encore rien de commun avec la morale, et les exemples de
procédés pareils étaient assez nombreux pour qu'en les imitant, sa
conscience d'homme d'état n'en éprouvât aucun trouble. Cependant
son historien me parait pousser Tindulgence trop loin, quand il
réclame d'une manière générale le drçiit de recourir à des moyens
appropriés, quand, en politique, il s'agit d'atteindre des résultats
extra-légaux. Mais cette règle de conduite a le premier inconvénient
de n'avoir d'autre sanction que le succès, et je ne sais môme si pour
ces entreprises où un génie malfaisant porte certains gouvernants, et
qu'il fait réussir parfois, la Némésis de l'histoire ne finit point par
reprendre ses droits et par atteindre ceux qui, dans un simple inté-
rêt d'égoïsme national ou personnel , violent les lois de l'éternelle
justice.
Ce qui n'est pas moins caractéristique, ce sont les moyens qu'em-
ploya le duc Rodolphe, pour faire passer ses conceptions ambitieuses
dans le domaine des droits acquis. Tout d'abord nous le voyons
s'arroger des titres ignorés avant lui. Il s'appelle archiduc, archiduc
palatin, grand-veneur dePEmpire; souvent, en présence de témoins,
il revêt ses diplômes de sa signature, et les fait contresigner par son
fidèle chancelier, imitant en cela les usages solennels de la chancel-
lerie impériale. Bien entendu il ne se permettait ces usurpations
qu'avec ses vassaux, ou avec d'autres personnages hors d'état de les
contester. Mais tout cela était bien hasardeux, et pour leur procurer
une autorité moins précaire, il fallait faire reconnaître les faux pri-
vilèges par le successeur des princes qui étaient censés les avoir émis,
par l'empereur Charles IV, dont Rodolphe avait épousé la fille. Mais
il n'était pas facile d'induire en erreur un prince relativement aussi
instruit, et dont en toute occasion il traversait la politique. Des
diplômes que personne encore n'avait vus, et qui surgissaient si à
point pour faire valoir les vues d'agrandissements de son gendre, ne
pouvaient qu'éveiller la défiance de Charles lY. Aussi quand en ^3o9
le duc d'Autriche lui en demanda la confirmation, il voulut d'abord
s'édifier sur leur valeur et demanda l'avis de Pétrarque, qui n'était
pas seulement le grand poète de son temps, mais encore, en matière
JEAN DE BLOTZHEIM. 3^ ^
d'érudition et de critique, Tautorité la plus renommée. Le jugement
de celui-ci fut décisif: à ses yeux les diplômes de Rodolphe IV étaient
l'œuvre d'un audacieux faussaire. Après cet échec tout autre se serait
tenu pour battu; mais loin de passer condamnation sur leur peu de
valeur, le duc les donna, le ^ 3 juillet ^360, à vidimer, avec d'autres
documents authentiques, au nonce du pape, Gilles de Vienne, dans
l'espoir de leur préparer dans l'avenir un meilleur accueil. S'il
n'arriva pas absolument à ses fins, du moins finit-il par obtenir de
l'empereur, après qu'il se fut désisté de ses prétentions aux titres
d'archiduc, de comte palatin, impérial, de duc de Souabe et d'Alsace,
l'investiture de ses fiefs d'Autriche, de Styrie, de Garinthie, de Gar-
niole, de Souabe et d'Alsace, sinon avec le cérémonial qu'il avait rêvé
du moins dans ses propres états, et dans des termes qui, à propre-
ment parler, n'infirmaient pas ses visées.
Cependant Jean de Blotzheim ne jouissait pas moins du prix du
service peu avouable qu'il avait rendu. Sur le siège épiscopal de
Gurk, où il avait été élevé, comme à la tête de la chancellerie de
Vienne, il fut toujours l'homme-lige du duc d'Autriche. Par la parole
et par l'action, il est l'ardent promoteur de sa politique; il participe
à ses ruptures et à ses réconciliations avec son impérial beau-père,
et il en ressent lui-même les contre-coups ou les avantages; en un
mot, de ses devoirs envers son prince, il fait sans marchander l'unique
objet de son activité.
Tel il se montra notamment dans les conjonctures qui amenèrent
l'annexion du Tyrol au patrimoine des Habsbourg.
Get agrandissement tient plus que M. de Liebenau ne l'indique
aux visées et surtout aux pratiques que révèlent les diplômes supposés
de Rodolphe IV.
Marguerite, surnommée Maultasch, héritière du Tyrol, avait été
mariée au prince Jean-Henri, fils du roi Jean de Bohême, et frère de
Gharles de Luxembourg, devenu plus tard l'empereur Charles IV.
Mais sous prétexte qu'il était impuissant, elle l'exclut, en ^34^, de
son lit, pour épouser un fils de l'empereur Louis de Bavière, le mar-
grave Louis de Brandebourg, sans que l'Église eût prononcé la nullité
de son premier mariage. Aussi le pape refusa-t-il de reconnaître cette
seconde union : il frappa les deux époux d'excommunication, et déclara
bâtards les enfants qu'ils procréeraient.
A cette époque, dans des conflits de ce genre, la curie devait tôt ou
tard avoir raison des audaces princières. Le moment vint où la com-
tesse Marguerite, repentante, ouvrit des négociations avec le saint-
siége, et grâce à l'intervention d'Albert le Sage, le pape Innocent VI
donna les pouvoirs nécessaires pour régulariser le second mariage.
312 MKLAIVGES ET DOCUMENTS.
Cl pour lofiiLiiiKM* le fils qui en était issu. Mais avant l'accomplisse-
nicnt dos fornialitos, le duc Albert mourut, en laissant à son fils
Rodolphe le soin et l'honneur de réconciliei- la maison de Tyrol avec
rÉglise.
11 voulut aussi en avoir le profit, et les faux actes de 4358 lui en
fournirent le moyen.
Du jour même où le délégué du saint-siége donna la bénédiction
nuptiale à la comtesse Marguerite et au margrave de Brandebourg,
en levant l'interdit qui frappait leurs états, c'est-à-dire du 2 septembre
•1359, il existe un acte par lequel Marguerite assure aux ducs d'Au-
triche la propi'iété du T}rol, dans le cas où elle, son mari et leur fils
Mainhard mourraient sans postérité légitime.
Du 5 septembre on trouve une déclaration de la même princesse
qui reconnaît avoir donné ses possessions de Tyrol et de Goritz aux
ducs Rodolphe, Frédéric, Albert et Léopold, et qui sollicite en leur
faveur l'investiture immédiate de ces fiefs.
L'authenticité de ces pièces est très-contestable, mais je ne sais
pourquoi M. de Liebenau incrimine la seconde plutôt encore que la pre-
mière. L'une n'est pas moins étrange que l'autre, puisque dans toutes
les deux une mère dispose, en faveur de tiers et du vivant de son
fils, du patrimoine qui lui devait revenir un jour. Ce qui est hors de
doute, c'est que ces actes sont en partie l'application des visées ex-
primées par les faux diplômes, qui réservaient à la maison d'Autriche
la faculté d'obtenir à l'insu de l'empereur, par testament ou par
donation, tous les agrandissements territoriaux à sa convenance.
On peut ajouter que tout y révèle l'inspiration, peut-être la main de
Jean de Blotzheim. Ils reproduisent en partie textuellement les
revendications dont les privilèges supposés avaient été le signal, et
de même que pour ces dernières pièces, le duc Rodolphe essaya de
les faire valider par son beau-père Charles IV. En mai -1300 il solli-
cita de lui, en manière de survivance, l'investiture du comté de Tyrol.
Mais cette tentative n'eut pas plus de succès que la précédente, et il
eut de plus la mortification de souscrire un acte, par lequel il recon-
naissait que l'empereur avait refusé de Tinvestir.
A vrai dire il n'appartenait même pas à ce monarque de faire cet
acte de suzeraineté. Louis de Brandebourg, titulaire par mariage du
comté, vivait encore, et à sa mort qui arriva le 17 septembre 1361,
ses états revinrent de droit à son fils et à son héritier le jeune Main-
hard. Mais entre la Bavière qui les répétait du chef de son père, et
l'Autriche qui y prétendait en vertu de la donation de la comtesse
Marguerite, ce prince n'eut jamais que l'ombre du pouvoir, comme il
JEAN DE BLOTZHEIM. 3^ 3
paraît n'avoir eu que les apparences de la vie. Il s'éteignit le 'l 2 jan-
vier 1363, à peine âgé de vingt ans.
Par l'effet de cet événement, le Tyrol fit retour à la mère de Main-
hard, l'héritière des anciens comtes du pays. Mais elle découvrit
bientôt qu'elle était hors d'état de le gouverner, et elle le commit à un
conseil composé de neuf membres de la haute noblesse, dont le
gouvernement fut dès le premier jour plutôt un partage anticipé de
ses profits, que la loyale gestion des intérêts de l'état.
Ce fut à ce moment que le duc Rodolphe et son chancelier se pré-
sentèrent inopinément pour sauver l'intégrité du Tyrol. Ils agirent
tous deux avec tant de vigueur et de résolution que, dès le 26 jan-
vier, la comtesse Marguerite souscrivit un acte de cession du Tyrol
en faveur de l'Autriche, et que les états les plus puissants du pays,
les villes d'Innsbriick et de Hall, les évêques de Brixen et de Trente
se déclarèrent en faveur de leur nouveau seigneur.
Ainsi prévenus par leur compétiteur, il ne restait plus aux ducs
de Bavière qu'à tenter la fortune des armes, pour défaire l'œuvre de
la diplomatie autrichienne. M. de Liebenau raconte brièvement les
différentes péripéties de cette guerre de succession, qui se prolongea
avec des succès divers jusqu'au 29 septembre -1369 : c'est la date de
la paix de Schserding, qui attribua définitivement le Tyrol aux ducs
d'Autriche, moyennant des compensations pécuniaires au profit des
ducs de Bavière des deux lignes de Landshut et de Straubing.
Dès le début de ces événements, à la fin de ^ 363, le chancelier
Jean de Blotzheim avait reçu la récompense des nouveaux services
qu'il venait de rendre à son maître. Nommé lieutenant et grand-
bailli de Rodolphe en Souabe, en Alsace, dans le Sundgau, en Argovie,
en Thurgovie, à Glaris et dans la Forêt-Noire, il avait été promu à
l'évêché de Brixen, grâce à l'appui du nouveau comte de Tyrol. Cette
double élévation lui avait permis de jouer un rôle prépondérant dans
la lutte contre la Bavière. Comme évêque de Brixen, le chancelier
avait levé des troupes et les avait conduites lui-même contre l'ennemi.
En outre, comme délégué de Rodolphe à l'autre extrémité de ses états,
dans ce qu'on appelait les pays antérieurs de l'Autriche, non-seule-
ment il avait tiré de ces riches domaines tous les secours dont son
maître avait besoin, mais encore il avait su aplanir les difficultés
sans cesse renaissantes avec les cantons suisses, et parer aux em-
bûches que, dans cette partie de l'empire, Charles IV dressait aux
Habsbourg, en fomentant l'esprit d'indépendance et de conquête qui,
dès leurs premiers succès, ne cessait d'inspirer la politique des
Confédérés. Le chancelier Jean de Blotzheim devait à son peu de
naissance de ne point partager les rancunes des vassaux nobles de
344 M^ÎLA^^.Es et nocuMEiNTS.
rAulrichc, qui, depuis deux gcnéralions, luLlaienL vaincnienL contre
les fiers nionlagnards de Sclnvilz, d'Uri, d'Unterwald, de Lucerne,
et il n'eut souci que de les rendre inoOensifs à force d'égards et de
bons procédés. 11 y était parvenu sans doute; du moins pendant cette
époque critique les cantons gardèrent-ils vis-à-vis du duc Rodolphe
la neutralité dont ses desseins avaient besoin.
Le lîls d'Albert le Sage ne vécut pas assez pour en voir le triomphe,
il était mort à Milan dès le 27 juillet -1365. Cependant si courte que
fût la carrière de ce prince, elle suffit jiour élever d'une assise la
grandeur de sa maison. A Toriginc de toutes les familles historiques,
on trouve des séries d'hommes d'état et d'hommes de guerre, qui se
transmettent de main en main l'œuvre de leur élévation, en réparant
au besoin les brèches que d'autres y ont laissé pratiquer. Sans doute
les Habsbourg ont vu des jours plus glorieux que ceux de Rodolphe
l'Ingénieux ; le surnom même que l'histoire a reconnu <à ce prince
prouve que chez lui l'habileté politique mérite plus d'estime que la
noblesse de caractère. Cependant depuis l'âge héroïque du fondateur
de la dynastie, de toutes ses entreprises, de tous ses agrandissements,
nul n'a eu plus de solidité que la conquête du Tyrol, fruit des in-
trigues d'un prince qui a si peu régné-, nul n'a plus contribué à
donner aux possessions autrichiennes de la force et de la cohésion,
et à maintenir leur assiette au centre de TEurope.
La fin prématurée du duc Rodolphe aurait dû, ce semble, ruiner
à jamais le crédit de Jean de Blotzheim à la cour des princes, ses
frères et ses successeurs. En s'associant à la politique qui excluait les
puînés du pouvoir, contrairement aux traditions reçues dans la
famille, il avait connivé à une atteinte aux droits et aux intérêts des
plus jeunes fils d'Albert le Sage, Albert III et Léopold III. Aussi, à
en juger par les apparences, devait-il tout craindre de leur ressenti-
ment. Il n'en fut rien : soit qu'ils fussent encore trop jeunes pour
faire choix d'un nouveau conseiller, soit que Tintrigue de leur aîné
eût été trop bien ourdie pour qu'ils pussent en démêler les fils, Jean
de Blotzheim resta à la tête de leur chancellerie. Mais les principes
qu'il avait essayé de faire prévaloir du vivant de leur frère, dans
Tintérêt de l'unité et de la grandeur de leur maison, étaient au-dessus
de leur portée. Ils ne parvinrent même pas à s'entendre sur le gou-
vernement de leurs états, et par leur rivalité ils motivèrent l'inter-
vention du chef de l'empire. En 1373, Charles IV procéda à un pre-
mier partage temporaire des domaines entre les deux frères de
Rodolphe IV. Ce retour aux anciens errements de leur famille cou-
pait court à toutes les entreprises dont le chancelier Jean de Blotz-
heim avait été le promoteur. Le vieux conseiller comprit que son rôle
JEAN DE BLOTZHEIM. 3<5
était fini, et il résigna des fonctions qui, à ses yeux, ne devaient plus
avoir aucun prix.
Son départ devint le signal de nouvelles habitudes et d'une nou-
velle politique. Une fois que l'influence de l'évêque de Brixen eut
cessé de se faire sentir, autant la cour des jeunes ducs avait eu
jusque-là de retenue, autant l'on y devint dépensier et ami du luxe.
Au lieu de persister dans la conduite prudente dont il avait fait la
règle de la chancellerie autrichienne, on reprit contre les cantons
confédérés l'ancien système de provocations et d'agressions intem-
pestives, et l'on courut au devant du désastre de Sempach, qui
devait, en 1386, coûter la vie au preux Léopold III, le dernier
survivant des quatre fils d'Albert le Sage et de la comtesse Jeanne de
Ferre tte.
Bien avant cette catastrophe, l'histoire de Jean de Blotzheim devient
moins claire et moins certaine. Vivait-il encore quand les jeunes
princes autrichiens cessèrent d'obéir aux principes qu'il avait repré-
sentés dans leur conseil? Pour sa part, M, de Liebenau n'en doute
point. 11 le retrouve, dès ^374 ou ^375, sur le siège épiscopal de
Goire, quil aurait obtenu en se démettant de celui de Brixen. Cepen-
dant il ne cache point que l'église de Goire n'offrait aucun avantage
de nature à motiver cet échange. Son temporel était gravement com-
promis, et l'ancien chancelier devait, en assumant cette charge, se
représenter toutes les difficultés que lui avait suscitées la cour de
Rome, pour le paiement des annates, lors de son élévation au siège
de Brixen, difficultés qui ne pouvaient manquer de se renouveler s'il
acceptait celui de Goire. Pour justifier sa résolution, M. de Liebenau
établit que, dans cette circonstance encore, il s'inspira par-dessus
tout de l'intérêt de la maison d'Autriche. 11 lui avait fait acquérir le
Tyrol-, mais ne restait-il pas une solution de continuité entre cette
province et ses anciennes possessions en Argovie, en Thurgovie, en
Souabe, et dans le Voralberg? Il lui fallait encore une position dans
le pays des Grisons, d'où elle pût commander les passages des Alpes,
et se former un rempart contre les agrandissements des cantons
suisses. G'est pour soumettre ces vallées à leur influence que Jean
de Blotzheim, en homme-lige fidèle, aurait sacrifié le repos de ses
vieux jours. L'auteur se plait à mettre en lumière tout ce que le vieux
prélat aurait fait dans son nouveau diocèse pour réparer les ruines
que ses prédécesseurs lui avaient léguées, ainsi que les créations que
le pays devrait à son esprit d'entreprise. Il lui attribue notamment
la construction de la route du Septimer, l'un des passages les plus
fréquentés entre les Grisons et l'Italie. D'après M. de Liebenau, il
n'aurait survécu que peu de temps à l'achèvement de ce grand tra-
3^6 MELANGES ET DOCUMENTS,
vail, ôtant mort le 30 juin 1388 dans sa ville épiscopale, ainsi qu'en
ferait foi sa tombe, qui doit s'être conservée dans la cathédrale de
Coire jusqu'en 1788.
Cependant, tout en se prononçant pour cette version, il ne cèle
point les témoignages qui semblent la contredire. 11 reconnaît qu'il
existe encore aujourd'hui dans le cloître de la cathédrale de Brixen
une inscription ainsi conçue : ■]- AXO DOMINI. MILLESIMO
CCCLXXIII. L\ DIE SANGÏI. SIXTI. OHIIT. DXS. lOIIAXXES
EPISGOPVS. BHIXLXEXSIS. GAXfiELLARIVS. AVLE. DVGALIS
AA STRIE. DE LEXZ BVRGA. Il avoue égalementque les textes remon-
tant à Tepoque même où vivait à Goirel'évéque Jean, le deuxième du
nom et le 63* du catalogue publié par le comte E.-F. de Miilinen dans
sonJIc/refia sacra (t. I", p. 13), lui donnent lo nom de famille
Ehingen ou Eingen. Il est vrai que M. de Liebenau croit tourner la
difficulté en supposant d'une part que dans le principe l'inscription
de Brixen, renouvelée au xv« siècle, après l'incendie de l'église, por-
tait abiif et non obiif, et que d'autre part, dans les pièces d'archives,
le nom d'Ehingen ou d'Eingen pourrait bien être une corruption de
Seengen, nom du lieu d'origine de la famille Ribin, qu'on trouve
écrit quelquefois Seingen. Pour ma part, je ne me sens pas assez
qualifié pour trancher la question, mais Fauteur lui-même ne peut
nier que ces textes contradictoires laissent planer des doutes très-
spécieux sur l'identification qu'il propose du prélat inscrit de 1373 à
^388 dans les catalogues des évêques de Goire avec Jean de Blotz-
heim.
Telle est, réduite aux traits les plus saillants, dépouillée de l'appa-
reil un peu compliqué qui, dans le travail que j'analyse, la maintient
debout, la figure que M. de Liebenau a évoquée, et qui ne se sépa-
rera plus de celle de Rodolphe IV. Il y a un mérite incontestable à
l'avoir restituée à l'histoire; mais les qualités que je me plais à
reconnaître à son mémoire ne doivent pas me faire taire les obser-
vations que sa lecture suggère. L'auteur a senti tout d'abord qu'il
fallait y introduire des coupures, pour son propre soulagement et
pour celui des lecteurs. Malheureusement il ne s'est pas suffisamment
maintenu dans les divisions qu'il a adoptées : souvent il parle à
l'avance de faits qui ne se sont produits que plus tard, et auxquels
il revient dans la suite : de là des redites, et une certaine hésitation
dans les contours généraux du récit. D'un autre cùté il ne s'est pas
contenté de faire de son héros un homme d'état : il l'a envisagé en
outre comme général d'armée, comme savant-, ou bien il cherche à
dégager plus spécialement son action dans les rapports de la maison
d'Autriche avec le saint-siége et avec l'empire, et il en résulte d'autres
LETTRES INÉDITES DU CARDINAL d'aRMAGNAC. 317
répétitions non moins fâcheuses. En général M. de Liebenau n'a pas
suffisamment dégagé l'histoire de son héros des impedimenta de la
composition-, cependant il n'y aurait eu aucun inconvénient à s'en
débarrasser, d'autant plus que les excellentes régestes, les pièces jus-
tificatives qui accompagnent le travail, suffisent pour en établir la
valeur scientifique. Mais à part ces défauts de pure forme, qu'un
auteur moderne qui n'a pas sucé le lait des lettres françaises évite
malaisément, le fond offre assez d'intérêt pour recommander un
ouvrage où tout le monde trouve à s'instruire, sans en excepter le
critique.
X. MOSSMANN.
LETTRES INEDITES DU CARDINAL D'ARMAGNAC.
[Suite et fin.)
XXXVI <.
Au Roi 2.
Sire, ce courrier vous dira le retour de monsieur le mareschal Damp-
ville, et comme avec une des gallères de monsieur de Savoye et la
scienne il passa le in« de ce mois à la veue de Marseille, de sorte qu'il
pourra arriver ce jourdhuy en Languedoc, où les huguenotz ont faict
une assamblée dans la ville de Nysmes, et prins résolution de tenir
Usés, Mangues^, Florensac et la dicte ville de Nysmes, avec une autre ;
mais je ne scay si la présence du dict sieur Mareschal leur fera prendre
autre desseing. Comme je ne vous puis dire sinon la réception des
lètres qu'il a pieu à Vostre Magesté m'escrire par le sieur de Rieux-*,
qui m'ayant communicqué ces instructions s'en est allé à Beaucaire et
de là en Aiguesmortes, pour, après avoir parlé avec les sieurs de
l. Voir les trente-cinq lettres précédentes (1 i octobre 1562 — 15 décembre
1573) dans la livraison d'octobre-décerabre 1876, p. 516-565.
"2. Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, collection des autographes,
vol. LXXIV, n° 42.
3. Aujourd'hui Mauguio, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Montpel-
lier, à 12 kilomètres de celte ville.
4. François de la Jugie, sieur de Rieux, gouverneur de Narbonne. Suivant une
confidence faite par l'évêque d'Agen, Janus Frégose, à son bon ami Biaise de
Monluc, ce gouverneur était un huguenot déguisé [Commentaires, t. III, p. 392,
393).
348 MIÎLANGES RT nOCUMETrS.
Citmibos ot Sainct Ghristc^l j)assor par Montpollior et IVzonas, afin dp.
fain^ tMitendro vostro intention aux siours do la Veruno ot do Clérac ;
ayant doscouvort dopnis .peu do jours (juo quelques capitaines dos
meilleurs, que le dict sieur Maroschal ayo, se laissent entendre qu'ilz
prendront très voluntiers le parti qui lour sera ordonné de vostre part,
dont j'ay escrit à monsieur le duc d'Uzès, afin qu'il les accepte, et croy
que si Vostre Magesté escrit au sieur de la Crosète^ lieutenent du dict
sieur Maroschal de vous servir en ce que lod. sieur duc hiy comman-
dera, il sera bien ayso selon qu'il a dict à ses plus intimes amys de
suivre vostre volunté que me font vous supplier très humblement de
rhonnorer d'une de voz lettres que je luy feray tenir parce qu'il est
pardeça de quelque importance, et pour le regard de ceulx que Vostre
dicte Majesté vouldroyontestre fois [sic] prisonniers, nous avons envoyé
le si-de S' Sixt à Marseille, et quelques autres cà CauavaillonS qui n'es-
pargneront chose quelconque pour l'exécution de ce [que] Icdict Saint Sixt
m'a dict. Bien me semble il devoir adjouster que vostre acheminement
pardeça consoloroit voz subjectz et apporteroit terreur aux rebelles qui
faict que je le désire; et d'employer ma propre vie pour vostre service,
de (juoy je prie Dieu me ferc la grâce et de vous donner,
Sire, en toute perfection de santé très heureuse et très longue
vie.
D'Avignon, le im^ d'octobre 1574.
Vostre très humble, très obéissant serviteur et subject.
G., cardinal d'ARMAioNAC.
xxxvn.
Au Roi 3.
Sire, vous aurez sceu tant par Ihomme de Monsieur de Menillon\
que par mes lettres du nij* comme ceux de Nostre Dame de la Garde de
Marseille avoit descouvert les galleres que portoyent monsieur le
maroschal Dampville et sa descente à la tour de Boucq!*, ou il print
1. Jean de Nadal, seigneur de la Croisette ou la Crouzette, mourut le 15 octo-
bre 1584. Voir sur ce personnage, que Monluc appelle « Monsieur de la Croi-
sette, » une note de M. de Ruble [Commentaires, t. III, p. 306).
2. Faut-il lire Cavaillon, aujourd'hui chef-lieu de canton du département de
Vaucluse, arrondissement d'Avignon, à 27 kilomètres de cette ville, sur le bord
de la Durance ?
3. Ibid., n- 43.
4. Voir pour M. de Menillon les lettres XX et XXII (tome 11, 1876, p. 547 et
549).
5. La Tour-de-Bouc ou fort de Bouc, petite lie de la Méditerranée, qui appar-
tient au département des Bouches-du-Rhône, à l'arrondissement d'Aix, au canton
de Marligues.
LETTRES INÉDITES DU CARDINAL D^RMAGNAC. 3\9
quelques petits bateaux de poissonnière avec lesquels il arriva led.
nije à Peyrolz^, et accompagné de sa compaignie de gensdarnaes qui
l'attendoyent la, avec celles d'harquebusiers à cheval Bimar (?) et
hustachi {sic), huguenots, il fut coucher le mesme jour à Montpel-
lier, rappellant incontinent quelques huguenots fugitifs de lad. ville, et
se fortifiant d'une compaignie de gens de pied oultre les trois qui y
estoient, avec plusieurs autres demonstraations qu'il fit de se préparera
la guerre, entre lesquelles sont les menasses et emprisonnementz de
quelques habitants catholicques, et le peu d'asseurance que le s' de
Rieux a trouvé de s'en aller devers luy, selon que ce porteur depes-
ché expressément devers vostre Magesté vous dira si particulièrement
que je ne doibs adjouster sinon que les s""» Ferran, Pagan et Gopo, reve-
nantz de Piedmont, ou ils avoient suivy led. s"" Mareschal comme en
tous autres lieux, se sont présentés en ceste ville pour y entrer, par ce
que c'est le lieu de leur habitation ordinaire. Mais d'aultant que je les
ay tousjours cogneuz trop affectionnez à son service, et que durant la
maladie du feu Roy vostre frère que Dieu absolve, et de la régence de
la Royne vostre mère, ilz discouroient en public et privé autrement que
la dévotion quilz dévoient avoir au bien de voz afferes ne requeroient,
il m'a semblé ne les devoir admettre icy. Ains leur conseiller de vous
aller trouver, Sire, non seulement pour vous rapporter ce qu'ilz ont
recogneu de la volunté dud. s' Mareschal, mais aussi pour aultant que
nous avons à nous conserver en ceste ville pour vostre service et donner
chemin aux hommes qui par praticques et menées esbranleroient la
fidélité des habitans. de sorte que j"ay oppinion que lesd. Ferrand e't
Gopo vous yront fere la révérence, Sire, et que bientost après vous
sçaurez de la part dud. s"" Mareschal, Beloyou quelqu'un autre de science
si led. Beloy continue de refuser led. voiage comme il faict jusques icy,
non pas à mon advis pour autre occasion que pour cognoistre son
maitre résolu de se départir de vostre obeyssance, de quoy je suis extrê-
mement marry, parce que les quatre villes qu'il tient importent gran-
dement et qu'il est vraysemblable que quelques provençaulx suivront
incontinent son exemple, et descouvriront la rébellion qu'ils ont tenu
cachée dans leur cueur quelques jours, à laquelle j'ause dire que vostre
seule présence. Sire, peult remédier, et que si Vostre Magesté n'approche
plus près de ces deux provinces pour conforter les bons et déterrer 2 les
rebelles, je prevoy de grandes combustions, d'aultant quil s'agist main-
tenant plus de vostre estât. Sire, sur lequel l'on veult entreprendre, que
non pas de la divercité de religion, puis que l'on présume que quelques
catholicques sont sur le poinct de s'eslever aud. Languedoc et Provence
comme les huguenots, de quoy je tiendray advertie vostred. Magesté
selon les advis que j'en auroy, et ne mestimeroy en rien si heureux que
1. Aujourd'iiui Peyrolles, chef-lieu de canton de l'arrondissement d'Aix, à 20
kilomètres de cette ville, à 52 kilomètres de Marseille.
2. De deteirere, écarter, éloigner, détourner par crainte {terror). Le mot
manque au Diclionnaire de Trévoux et on ne le rencontre guère dans les livres
du XVI* siècle.
320 MÉLANr.ES ET DOCIIME-STS.
(It^sposor ma pntpiv vio o[ ce qui on doppiMul pour vostrod. sorvico ot
conlinuorlos prioivs quo jn fais à Dieu de vous donnor,
8iro, la paix on vostro rovaunio, lo Imnlunir qiio jo vous dosiro, ot on
touto porlVction do santo tros iiourouso ot. tros loiiguo vio.
D'Avipiioii, lo x» d'octobre If)?!
Yolre tros humble très obéissant serviteur et sul»j(n't.
G., cardinal d'AnMAKiNAC.
XXXVIU.
Au Roi.
Sire, nous avons été toujiours icy, attendant l'arrivée de Messieurs
de Foix^ et de Turenne^ afin de prendre quelque résolution sur les
ditferends des guerres .qui sont en ce pays, c y establir eune bonne e
assurée paix selon l'espérance que Vostre Maiesté en a eue jusques icy,
et les assurances que le roy de Navarre m'en a données par trois ou
quatre lettres 3, mais en l'assemblée de Montauban, lorsque lesdits
sieurs étoient sur le point de monter a cheval, le voyage a esté retardé
ou pour mieulx dire interrompu par une requeste que ceulx de la pré-
tendue religion ont faite, delaquelle voulant croire que Vostre Maiesté
aura esté informée, je ne diray que comme Monsieur de Maugiron, il
faut la paix en Daulphiné sans y comprendre cest état pour ce qu'il
dit que le bien de votre service ne le luy a pas permis, ceux de là reli-
gion se sont assemblés pour le refraischissement de troupes et guidés
par S* Auban'*, Blacon^ et la Prade*', sont entrés hostilement dans
1. Paul de Foix, tour à tour conseiller au Parlement de Paris (1547), ambas-
sadeur en Ecosse, en Angleterre, à Venise, à Rome (où il mourut le 29 mai 1584).
On sait que le cardinal d'Armagnac, dont il était quelque peu le parent, lui céda
en 1577 l'archevêché de Toulouse. Voir sur ce personnage une note du tome V
de la CoUeciion méridionale, p. 42.
2. Henri de la Tour-d'Auvergne, vicomte de Turenne, qui devint, en 1592,
le maréchal de Bouillon.
3. On ne trouve dans le Recueil des lettres missives de Henri IV, publié par
M. Berger de Xivrey, qu'une seule lettre du roi de Navarre à son oncle le cardi-
nal d'Armagnac : elle est datée de Nérac, 12 juillet 1581 (t. I, p. 392). Je n'en
vois aucune dans le Supplément publié par M. Guadet (tome VIII, 1872).
M. L. Couture a signalé deux autres lettres du roi de Navarre au cardinal d'Ar-
magnac, l'une écrite de Nérac, le 14 novembre 1577 {apiid Theiner, t. II,
p. 599); l'autre écrite de Pau, le 22 octobre 1584 [ibid., t. III, p. 800).
4. Albert Pape de Saint-Auban, fds de Gaspard Pape de Saint-Auban, précé-
demment mentionné. Voir sur Albert le livre LXVI de YHtstoire de J. A. de
Thou.
5. Hector de la Forest, sieur de Rlacons, sur lequel on peut voir VHistoire de
J. A. de Thou, et la Réforme et les guerres de religion en Dauphiné de
M. Long (passim). N'oublions pas, du reste, qu'il y eut deux personnages du
même nom [Hector et Pierre) mêlés aux guerres religieuses de la seconde moitié
du XVI' siècle.
6. Le président de Thou (livre LXVI, à l'année 1578) nous fait ainsi connaître
LETTRES INEDITES DU CARDINAL d'aRMAGNAC. 32^
ceux des estais ou ils ont misérablement et cruellement massacré 30 ou
40 paysans travaillant aux champs, et ravaigé le bétail qu'ils y ont
trouvé, sans oublier de mettre le feu à quelques granges, et sans le
devoir où je me suis mis de leur donner empeschement, appelant tous
nos voysins à notre secours, entre lesquels Monsieur le Grand-Prieur *
nous a incontinent accommodés de sa compagnie de gendarmes, Mon-
seigneur de Montbazon^, assisté de Monsieur le comte de Suze, cent
chevaux avec trois ou quatre cents harquebuziers qu'ils ramassèrent, et
Monsieur de Garces [s'empressa] d'y venir en personne avec tout ce qui
deppend de luy, de sorte que la dite religion considérant le zèle de
Messieurs vos ministres et subiects, et sachant que Monsieur le Mares-
chal de Bellegarde^ monstroit le désir de vouloir embrasser nostre cause,
se sont retirés en leurs garnisons ordinaires et n'entreprennent plus
rien depuis quelques jours qu a la dérobée, aux trahisons et secrètes
pratiques, de quoy je me trouve tousiours en peine, et mesmes de
l'ennuy que nostre Très saint père porte quand les sieurs (?) de Daul-
phiné courent en toute liberté sur nous sans que les catholiques du
pays les empeschent, qui est cause que je vous supplie très-humble-
ment, Sire, de vouloir ordonner au sieur de Maugiron qui n'a pas fait
faulte de zèle et d'affection envers nous de declairer au sieur de Lesdi-
guieres^ la protection que vous avez prinse des subiects de sa Sainteté
e de luy courir sus au cas qu'ils dressent forces pour les secours de
Meilles^, dequoy il vous plaira aussi escripre audit seigneur Grand-
ce compagnon de Saint-Auban et de Blacons : « Le Château-Double, au diocèse
de Die, était occupé par un nommé La Prade. C'était un brigand qui, s'étant
associé quelques gens de son espèce, n'avait eu jusqu'alors ni soumission ni
respect pour les ordres de ceux qui commandaient dans la province, mettant tout
le pays à contribution, et désolant les environs dans le temps même que la trêve
semblait laisser quelque tranquillité aux deux partis. Comme ce méchant homme
tenait pour les protestants, ses désordres continuaient encore à leur attirer la
haine des peuples de la province. Maugiron leur proposa un moyen de se rac-
commoder avec eux. C'était de joindre leurs forces aux siennes, et d'aller de
concert chasser du pays ce scélérat. La proposition fut acceptée; on marcha
contre le Château-Double. La Prade, que l'impunité seule avait rendu si hardi
jusqu'alors, voyant que les prolestants eux-mêmes se déclaraient contre lui, n'eut
pas le cœur d'attendre l'ennemi ; il se rendit lâchement, et reçut ensuite le châ-
timent que ses crimes avaient mérité. »
1. Henri d'Angoulème, fds naturel de Henri U, grand-prieur de France, gouver-
neur de Provence et amiral des mers du Levant, etc.
2. Louis de Rohan, prince de Guemené, d'abord comte, puis (1588) duc de
Montbazon.
3. Roger de Saint-Lary, seigneur de Bellegarde, maréchal de France en 1574,
mort en 1579.
4. François de Bonne, seigneur de Lesdiguières, plus tard lieutenant général en
Dauphiné, maréchal de France, connétable, duc et pair, etc., né en 1543, mort
en 1626.
5. Nom qui m'est inconnu.
Rev. Histor. V. 2* FASC. 21
322 MKLANf.KS ET nOClIMENTS,
Prieur, maréchal do liollogarde ol autres, et pareillement à Monsieur
de Dampvillo, de ne permettre à ceulx de la religion le passaige <lu
liosne. Car je me double que pour s'assurer de la place de Meilles, ils
tenteront encore euu coup, cq à quoy ils ont maintenant i'ailly, et que
s'ils ne se sont hasardes, c'est ou a cause des susdites forces auxiliaires,
ou parcequ'ils ne pensent pas que les assiégés soyent réduits en si
grandes extrémités, qu'ils n'ayent de quoy tenir encore trois ou (juatre
mois, comme véritablement ils ont pour ces temps du bled et de l'eau
sans aucun autre moyen et pour le doubte que j'ay qu'en le temps ils y
puissent mettre quelques commodités. Je vous suplie très huml)lement.
Sire, que nous soyons secourus d'hommes et autres choses nécessaires
pour quant ils l'entreprendront, et que le Roy do Navarre face exécuter
le contenu en l'article l'-''' au cas que lesdits sieurs de Foix et de
Turenne soyent du tout renseignés; et pour la fin, je prie Dieu de vous
donner,
Sire, heureuse victoire contre tous ceux qui vous désobéissent et en
toute perfection de santé, très heureuse e très longue vie.
D'Avignon, le 21 juillet 1578.
Votre très humble e très obéissant serviteur et subiect.
G., cardinal d'ARMAiONAC.
XXXIX.
Au Roi.
Sire, voyant l'extrême nécessité en laquelle les habitans de ceste
ville sont réduits pour n'avoir recueilly que bien peu de grains ceste
année causant la sterillité qui s'estend aussi sur vos provinces circon-
voysines, desquelles ils n'en sçauroient retirer, et d'ailleurs le menu
peuple prendra ladessus occasion de s'esmouvoir et mutiner, chose qui
pourroit tirer après soy la ruyne et perte de ceste ville , je ne puis
moins faire pour le lieu que je tiens que d'accompaigner la treshumble
requeste que les consuls envoyent à Vostre Maiesté par leurs depputés
par ce costé cy et la supplie très humblement, Sire, que son bon plaisir
soit leur impartir le secours qu'ils se promettent en un tel besoing de
la faveur et protection en laquelle il vous a pieu les avoir tousiours et
en faisant leur donner permission de tirer de vos pays de Bourgoigne
et Lyonnois jusques à six mil mesures de bled pour le faire conduyre
en ceste ville, et par ceste subvention pouvoir apaiser les peuples et
habitans qui ont tousiours faist telle démonstration de leur fidellité et
affection au service de vostre couronne, qu'ils se peuvent dire et reputer
comme naturels subgects d'icelle, n'ayant espargné cbose qui fust en
leur puyssance dont je les aye voulus requérir quand il a esté question
de vostre service quils ne l'y aient volluntairement et aussitost em-
ployée, ce qui les rend de tant plus recommandables pour le regard et
dignes de la libéralité de Vostre Maiesté pour les obliger de plus en
LETTRES INÉDITES DU CARDINAL d'aRMAGNAC. 323
plus a persévérer en ceste fidellité et affection a vostre service comme
fera tousiours eux qui prient dévotement Dieu vous donner,
Sire, en parfaite santé et prospérité très heureuse et très longue vye.
D'Avignon, le 18 aoust 1579.
Vostre très humble et très obéissant serviteur et subjcct.
G., cardinal d'ARMAiONAC.
XL.
A LA Reine-Mère.
Madame, Vostre Maieste peust estre^ ressouvenue du propos que je
luy tins estant en vostre ville, en faveur de Madame la princesse de
Salerne^, pour le recouvrement de ce qui luy estoit dû, depuis le
trespas de son mary^, et comme elle s'était employée tellement pour la
reddition d'une ville où un de ses beaufils commandoit, que si j'osois
dire, elle y advança aultant ou plus que le siège, y ayant employé tant
de peine alors, et pour mon particulier, je luy ay très grande obliga-
tion, et parceque sur l'espérance quil vous pleust me donner alors que
vous serez auprès du roy, vous lui en parlerez en faveur et avec auto-
rité, connoissant la bonté de Votre Majesté je n'ai voulu faillyr vous
supplier très humblement. Madame, par vostre autorité et aussi vostre
playsir y tenir fort la main et la pourvoir si bien de vostre protection
pour ce regard qu'elle puisse obtenir le paiement ou au moins la
moytié ou quelque bonne et vallable assignation de cette debte et par
là, avoir moyen de marier sa fille selon sa qualité, de quoy vous ferez
œuvre si méritoire et digne de la grandeur et de la liberralité de Vos
Majestés. Que Dieu vous en soit le retributeur par la prière de la dame
et de sa fille et de celluy qui participera d'aultant en l'obligation qu'elles
vous en auront, comme il l'est par là-dessus, et qui, les vous ayant
recommandées de tout son cœur va adjouter à sa prière à sa divine
Maiesté, vous donner,
Madame, en parfaite santé, très-heureuse e très-longue vie.
D'Avignon, le 22 novembre 1579.
Votre tres-obéissant et très humble serviteur et subiect,
G., cardinal d'ARMAiGNAC.
XLI.
A LA Reine-Mère.
Madame, puisque j'escris au roy Testât des affaires de ce pays et
t. Le catalogue de la Bibliothèque nationale porte «peult estre mémoratisve. »
2. On sait que la principauté de Salerne fut donnée par le roi de Naples,
Ferdinand I", en 1463, à la maison de San-Severino.
3. Ferrante de San-Severino, né à Naples en 1507, mourut en France en 1568;
324 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
mosnios la conliiuiation dos peaigos ostablis ot coulx d'Aurangp, et les
coutrcAorsos qui sont ou vostiv ostat pour lo pouvornomoul, les uns
dosiraut qu'il soit ou uuiiu do Mousiour do ('hastillou *, solou la nomi-
naliou que lo roydo Navarro ou a failo, ot les autros qu'il soit consorvè
à Mousiour de Blacon (qui eu est usurpateur), ot los autros (jue la
volonté do Monsieur le Prince 2 soit attendue, et que Vostro Maicsté
soaura d'ailleurs l'osbraulomont de ce pays, et les prcsaiges dune ouver-
ture do guerre; depuis la prinse de Monde 3, si le fou qui no faist que
sourdre n'est pronii)loniont amorty, je ne vous diray. Madame, sinon
que j'ay tant do bosoing de vostre autorité, c de vostre entromise
auprès du roy pour la jouyssance du don qu'il luy a pieu me faire de
dix mil livres par an, que si Vostre Maiesté la méprise, je ne puis
attendre que la totale ruyne, veu que les despenses que j'ai accous-
tumé faire augmentent et que la prinse de Mende et autres usurpa-
tions, commencent à m'oster la meilleure partie de mes revenus, à
quoy je vous supplie très humblement avoir esgard, et à la trèshumble
servitude que je vous ay vouée, et à la protection qu'il vous a pieu
prendre de moy, qui ne cesseray jamais de vous servire et complaire,
et do continuer les prières que je fais à Dieu de vous donner.
Madame, en toute perfection de santé, très-heureuse et très longue
vie.
D'Avignon, le 11 janvier 1580.
Votre très-humble et tresobeissant serviteur et subiect.
G., cardinal d'ARMAiQN.\c.
XLII.
Au Roi.
Sire Comme nous cuydions jouire paisiblement en cest estât, on
donne par vostre exemple occasion aux voysins d'en faire de mesmes.
Geulx de la principauté d'Aurange (ou le s-" de Blacon commande), qui
ne désirent que remuemens et reprinse d'armes, et qui sont le refuge
il s'était distingué au service de Charles-Quint, en Allemagne, en Flandre, en
Afrique, en Italie (principalement à la bataille de CérisoUes), et il avait ensuite
abandonné la cause de l'Espagne pour embrasser celle de la France.
1. François, comte de Coligny, seigneur de Chàtillon-sur-Loing, colonel de
liufauterie française, fils aîné de l'amiral de Coligny, né en 1557 et mort
en 1581.
ï. Le prince d'Orange, Guillaume de Nassau, qui allait être assassmé quatre
ans plus tard (10 Juillet 1584).
3. Ancienne capitale du Gévaudan, aujourd'hui chef-lieu du département de la
Lozère. La ville de Mende avait été prise par les protestants dans les derniers
jours de 1579 (25 décembre). Voir sur cet exploit du capitaine Merle le
livre LXXIl de l'Histoire de J. A. de Thou.
LETTRES INÉDITES DU CARDINAL d'aRMAGNAC. 325
d'une douzaine de voleurs qui altèrent tous les estats voysins, ont si
bien pratiqué un ministre à Cortoyson^, que par eun trou qu'il a faist
faire dans sa maison qui est joignant la muraille de la ville, le s' de
Blacon est entré dedans, s'en est emparé, y a faist prisonnier Minay
(que Monsieur le prince d'Aurange avoit envoyé pour commander en
ses pays), unadvocat dudit prince, et quelques conseilles qui residoient
à Gortoyson, d'où il les a enlevés et conduits à Livron^ après y avoir
laissé garnison a sa dévotion, de sorte qu'il ne luy reste maintenant
que Jonquiers pour être absolu maistre de la principaulté de quoy le s' du
Rousst' (?) qui m'avoit apporté des lettres de Vostre Maieste se trouve
tant plus esbahi que ceste ocasion a esté faiste un ou deux jours après
son arrivée à Gortoyson. Et tout incontinent le s"" de Blacon a prins le
chemin de Daulphiné avec des troupes de cavallerie et infanterie pour
se joindre avec les Ligues qui sont en armes tout ainsi que Lesdi-
guieres tellement que je y prevoy eun tresgrand mal sil ny est promp-
tement pourvu, attendu que ceux du Montelimar* et autres remarqua-
bles villes ne sont pas si bien qu'il seroit besoing pour votre service,
selon que Vostre Maiesté verra. Je sçai plus particulièrement par
Mons'' de Maugiron et plusieurs cardinaux qui sont sur le lieu ; de sorte
que pour venir à ce qui me touche en ce pays, il me reste à vous dire,
Sire, que Monsieur le Grand-Prieur, après avoir visité la plus grande
partie de son gouvernement, s'en venant en ceste ville pour y passer la
sepmaine entière, feut un jour à Garpentras, d'où il partit le 20 du mois
passé pour aller coucher à Garomb^, chez Mons"" le comte de Sault^,
qu'il vouloit avoir et estant accompaigné de Mons' Ervaldy recteur du
Contât (qui l'avoit reseu), quelques gentilshommes de vos estats, au
nombre de cinquante à soixante chevaliers entre lesquels estoient
Acquiers, S* André, S' Androl, Groye, Gauzanas, et autres, chargèrent
le lieutenant de S^ Lectour, qui estoit accompagné d'une partie de nos
chevaux légers, qu'un d'eux y fut tué avec trois ou quatre italiens,
dequoy le seigneur Grand-Prieur qui en fust trop tard adverti et qui
rebroussant chemin jusques au lieu où il auroit laissé S' Lectour deux
heures auparavant y accourut si à propos qu'il trouva le plus grand
désordre et se trouva marry pour le peu de respect qui luy fust porté,
1. Aujourd'hui Courthezon, commune du département de Vauchise, arrondis-
sement d'Avignon, canton de Bédarrides, à 20 kilomètres d'Avignon.
2. Commune du département de la Drôme, arrondissement de Valence, canton
de Loriol. C'était alors une place très-forte qui, du haut de la colline où elle
était assise, dominait à la fois la Drôme et le Rhône.
3. Ne serait-ce pas le maître -d'hôtel du cardinal, le sieur de Renest?
4. Chef-lieu d'arrondissement du département de la Drôme, à 44 kilomètres
de Valence.
5. Caromb est aujourd'hui une commune du déparlement de Vauchise, arron-
dissement de Carpentras, à 11 kilomètres de cette ville.
6. François d'Agout, comte de Sault. Voir sur lui {Collection méridionale,
t. V, p. 129) une lettre du cardinal d'Armagnac, du 16 octohre 1586.
326 Mlîr.ANGES RT DOCUMK-yTS.
i>l iiiov ptuir vpoir assailli ouii niinistro de sa saintetr, of violnr la
justice lie vos ostats, et pareo aussi quo je me craiuts que le desespoire
et la eognoissance de la taulte qu'ils ont commise leur pourra iaire
entreprendre quelquechose plus grand au préjudice de vostre service et
de nostro repos'; ce que toutelYois nous avons tasché d'éviter jusques
ici, et coutinuerons de tout uostre pouvoir à rompre les pratiques que
l'ennemy i'aist i)our les attirer à luy et leur persuader que ce faist
estant inadmissible, ne peult estre elTacé que par l'appuy (ju'ils auront
dudit ennemy et de ses adherens, ce qu'il tasche principalement d'ins-
pirer au S"" Mazay2, fils du s' de Vaucluse vassal de Sa Sainteté qui a
fait les assemblées soubz prétexte de quelque querelle qu'il disoit avoir
avec le s' de S' Lectour, laquelle indubitablement le seigneur grand-
Prieur e moy eussions accommodée, sans ce malheureux rencontre,
duquel je ne vous scay pas dire plus long discours, puisque nous navons
maintenant sinon à penser aux moyens de nous garantir des altérations
qu'ils pourroyent produire et en donner a toutes heures advis a votre
Maiesté, ensemble de ce que Blacon faira en la dite Principaulté, e de
tous autres événements qui sont de quelque importance, et vous supplie
très humblement, Sire, de vouloir considérer sur la poursuite que le
s' de la G s'en va faire près de Vostre Maiesté, que si les habitans
de Manosque 3, qui ont este tousiours tresaffectionnez à vostre service
ont attenté contre le Baron et son frère Barlé, c'est pour les advis quils
auront eus des intelligences des huguenots sur leur ville, et que n'ayant
à faire ni garde ny contre Turcqs, ny contre Anglois, ny Espagnols ny
autre sorte d'hommes que les Huguenots, ils se sont opposés audit
Baron duquel ils craignoient les menées, en un temps principalement
comme l'on voit en nostre ville paisible et comme la princip. de S' L.
a depuis monstre par eiïort, et touteffois les commissaires députés par
la Court de parlement de Provence, ont fait mettre en prison une dou-
zaine des principaux de ces villes dont il y en a qui sont bien mérites
de Vostre service lesquels sont poursuivis aussi rudement que s'ils
avoient voulu violer vostre autorité. Ayant ete permis d'intimider les
tesmoings en la présence mesmes des presidens et austres juges, en la
grand chambre de la court du parlement, ce que je massure que le
Grand Prieur trouve bon e le désire comme font bien les catholiques et
bons subiects de Vostre Maiesté, et particulierementde vous en supplier
1. On remarquera que, soit sur l'entreprise de Blacons, soit sur l'affaire du
lieutenant de Saint-Lectour, la présente lettre renferme des informations que nous
chercherions vainement ailleurs.
2. Plutôt le sieur de Mazan. MM. de Vaucluse et de Mazan appartenaient à la
maison de Saignet, qui était une des bonnes maisons de Provence. "Voir sur un
duel entre le sieur de Mazan et un sieur du Plu, qui était assisté par le sieur de
Saint-André, frère du comte de Sault, la lettre déjà citée du 16 octobre 1584
(p. 29 du tome V de la Collection méridionale).
3. Chef-lieu de canton du département des Basses-Alpes, arrondissement de
Forcalquier, sur la rive droite de la Durance.
LETTRES INEDITES DU CARDINAL d'ARMAGNAC. 327
treshumblement, Sire, par la longue cognoissance que j'ai eue de leur
zèle et dévotion, et par mesme moyen avoir aussi esgard, s'il vous
plaist, au s"" de la C présent porteur, à qui fust prins deux charges
lorsque je vins en Provence pour entretenir les troupes de Monseigneur,
pour garder qu'elles ne courussent et ravageassent le pays et pour
attendre sans plus grande altération la venue de la royne qui fust
un trèsgrand bien ; et sans ceste venue toustes choses eussent esté en
fort mauvais estât qui est cause que puisque il en est venu un fort
grand bien, qu'il vous plaise ordonner que tout soit payé; et que je
sois laissé par la court du parlement de Thoulouze qui a ordonné la
continuation des économies faites sur mes revenus contre les dons qu'il
vous avoit pieu m'accorder auxquelles ils n'ont non plus voulu avoir
aucun esgard, que s'ils ne recognoissoieut point vostre autorité, tout
ainsi que mon agent qui est pardela vous dira, et combien que les
huguenots me privent d'une partie de mes biens, et que ladite court de
parlement me travaille judicieusement soubz mille couleurs, si est-ce
que je continueray tousiours ma treshumble servitude et les prières que
je fais a Dieu de vous donner.
Sire, en parfaite santé, très heureuse e très longue vie.
D'Avignon, le 12 d'avril 1580.
Vostre treshumble et tresobeissant serviteur et subiect.
G., cardinal d'ARMAiONAc.
xmi.
Au Roi.
Sire, Vostre Maieste aura esté advertie par le sieur du Roust^, mon
maistre d'hostel, qui partit dicy le dix de ce mois, la mauvaise et ino-
pinée nouvelle que j'eus de la mort du feu s"" abbé de la Trappe, que
Dieu absolve, et lennuy que jay porté d'un si malheureux et détestable
acte, tant pour ses rares vertus et qualités que pour la cognoissance
que javois de son ardant zèle a tout ce qui estoit pour le bien de Vostre
service, et la supplication que je luy fesois de me vouloir accorder
l'abbaye qu'il tenoit par la résignation que j'en avois faite, avec réserve
des fruits, ma vie durant, en sorte que je veulx croire que je ne sceray
en cela esconduit de ma requeste comme juste et raisonnable et que
Vostre Maiesté considérera que je ne fais pas nonseulement pour me
prévaloir du titre; mais afin que par ce bien faist, j'aye moyen de pou-
voir aider à supporter les grandes despenses que je suis constrainct
t. Mot probablement mal lu. Du moins j'ai cru le devoir lire d'une manière
bien différente quand je l'ai rencontré dans une leltre du cardinal d'Armagnac
du 1" octobre 1584 (Voir Collection méridionale, t. V, p. 127) : là, le niailre-
d'hôtel du cardinal devient « le sieur de Renest. »
32S MELA\r,ES ET nOCHMENTS.
laiiT pour son sorvico, i\\\o jo voulx prosorvor tousiours à quoique
conimodito (|ui mo puisse advenir, m'estimant si heureux d'estre a vos
commandemens et quoy que je doive soui'rir et endurer pour le bien
dicelluy, je suis résolu de ne m'en départir jamais quand il s'agiroitdc
la conservation de ma propre vie, c'est pourquoy je vous supplie très-
humblement, Sire, ne permettre que sur mes vieulx ans je doive rece-
voir de vos subjects aucun mauvais traitcmens ni donner occasion à
ceulx qui me sont mal alVectionnes de se resjouire do la peyne en
laiiuelle je me trouverois réduit à cause d'un tel accident qui ne me
pourroit causer que toute fascherie et tristesse, comme si j'estois mal
mené de vostre couronne, dont j'attcndray en bonne dévotion ce que le
maistre d'hostel me rapportera, et vous devray respondre que les affidés
du Languedoc, Provence et Daulphine sont au mcsme estât que Vostre
Maiesto pourra avoir entendu de ses ministres, et mcsmes par Monsieur
le Grand-Prieur, qui ne vous laisse rien ignorer de ce qui se passe en
son gouvernement, ni des moiens quil faut sur icelluy, s'estant jesté
dans S^ Dinans*, quil a échappé de celluy qui s'en estoit emparé, afin
de faire la guerre, ainsi qu'il le void par les préparatifs et les faists
pour assiéger un petit vilaige qui est voisin de ce lieu, pour avoir plus
de commodité de s'estendre et exécuter ses entreprises, à quoy je
m'assure que le seigneur Grand-Prieur s'opposera de tout son pouvoir
comme il a desja faist, à ce que j'entends; y ayant depesché le sieur de
S' M... 2, son lieutenant, avec sa compaignie de gens darmes et quatre
harquebuziers, selon qu'il en donne advis à Vostre Maieste à laquelle il
me semble ne devoir [taire] l'offre que ceulx d'Aurange m'ont faiste de
vouloir vivre paisiblement, avec nous, par deux d'entre eux qui me
sont venus trouver de la part du sieur de Blacon qui y commande ;
mais parceque je sçay que leurs deportemens ne tendent jamais qu'a
une mauvaise fin, et quil ny a assurance aucune en leur endroit, je
leur ay faist response que Notre Tressaint [Père] ne désiroit rien tant
que de faire vivre ses subiects avec ceulx de Monsieur le Prince d'Au-
range en repos ; et que nous le voulions observer de tout notre pouvoir,
pourvu qu'eulx et ceulx de leur parti de Daulphine en fasse demesmes,
et pour cest effect ils partiront pour aller trouver les sieurs de Peri-
gueux et autres chefs de la Province pour entendre leur resolution : et
comme j'en auray response, je ne fauldray en donner advis a Vostre
Maiesté pour le désir que jauray toute ma vie de ne me departire de
l'obéissance que je vous doibs, d'aussi bon cœur que je supplie Notre
Seigneur de vous donner,
1. Nommai lu, car on le chercherait en vain dans tous les dictionnaires géogra-
phiques. Je suppose qu'il faut lire Saint-Véran, qui est un village du départe-
ment de Vaucluse, dans la commune de Goult, canton de Cordes, arrondisse-
ment d'Apt.
2. Je ne puis reconstituer le nom de ce lieutenant de Henri d'AngouIême.
LETTRES INÉDITES DU CARDINAL d'aRMAGNAC. 329
Sire, en toute perfection de santé, tresheureuse et treslongue vie.
D'Avignon, le 5 de juing 1580.
Vostre treshumble et tresobeissant serviteur et subiect.
G., cardinal d'ARMAicNAC.
XLIV.
A LA Reine.
Madame, par ceque j'escris bien au long au Roy, et que Vostre
Maieste en sera pleinement advertie, je la supplieray treshumblement
d'avoir souvenance de la requeste que je vous ay faiste y disant par le
S"- du Roust, mon maistre dhostel, que je naye plus de moyen de con-
tinuer la treshumble e treffidèle servitude que j'ay vouée a Vos Maiestes
e que par le bien que j'en espérois, je puisse demeurer le reste de mes
jours en la transquillité et repos que laage ou je -me trouve réduit
requiert pour ne me departire jamais de vos commandemens jusques a
la dernière goutte de mon sang. Ce que je ferois daussi bon cœur, que
je supplie mon Seigneur de vous donner,
Madame, en parfaite santé, tresheureuse et treslongue vie.
D'Avignon, le 15 de juing^ 1580.
Vostre treshumble e tresobeissant serviteur e subiect.
G., cardinal d'ARMAiGNAC.
XLV.
Au Roi.
Sire, quand [j'eus] la reception2 de la lettre quil a pieu à Vostre
Maiesté m'escrire le 22 juillet. Monsieur le Grand-Prieur avoit esté icy
pour faire entendre au sieur Pirro Malnozi et a moy le desseing qu'il
avoit faist d'aller assiéger le lieu de Saint-Vinans =*, occupé par les enne-
mys, nous avons consenti de luy bailler Vostre artillerie et luy pour-
voir des munitions nécessaires, ce que nous luy avons accordé très
volontiers, mais daultant qu'il nous demandoit aussi quatre harquebu-
ziers, il ne nous fut possible d'en former que deux, lesquels luy seront
envoyés quatre jours après son partement dicy, et il les employa
selon ses desseings, mais il advint quelques jours après qu'une partie
1. Cette lettre correspond sans doute à la lettre 28 du catal. ins. de la Bib.
nat. cotée 6 juin 1580 : « par ce que j'escris. »
2. Cette lettre correspond sans doute à celle qui est indiquée ainsi dans le
catal. ms. de la Bibl. nat. : 18 août 1580 : « Avant la réception. »
3. Le véritable nom de ce lieu, que nous avons trouvé tout à l'heure écrit
Saint-Dinans, était, comme je l'ai déjà dit, Saint-Véran.
330 MELANGES ET DOCUMENTS.
dicculx jusquefî au nombre de soixante ou quatrevingt, s'en revint du
seigneur Grand-Prieur et do leur capitaine, et à notre grand regret, qui
nons occasionna de nous résouldre a les faire chastier, comme nous y
sommes ajtpris, et cependant, alin que Vostre service ne reseut aucun
desadvautaige pour ce regard, nous en avons envoyé d'aultrcs en leur
place. A cause de quoy je supplie Vostre Maiesté de croire que si nous
poulvions faire mieux pour vostre service, il ny seroit rien espargné,
mais Nostre Saint-Père ne tient icy que deux compaignies de chevaulx
légers qui sont en nombre de cent, et environ mil hommes de pied,
qui ne suffisent à grand'peine pour la garde des villes du pays, qui est
cause que sa sainteté nous a commandé d'attendre soigneusement a
garder cet estât sans permettre que les soldats nécessaires pour la garde
d'icelluy soit employés ailleurs de peur qu'en leur absence les eune-
mys nentreprennent sur ses villes, comme ils font ordinairement, ce
que jay bien voulu dire à Vostre Maiesté afin qu'elle y puisse remédier
selon son bon plaisir, par le moyen de Monsieur l'Ambassadeur quelle
tient auprès de sa sainteté ou de son nonce, car autrement nous avons
les mains liées pour ne pouvoir accomplir entièrement les commande-
mens selon l'aflection que jen ay, et auray tout le demeurant de mes
jours,
Sire, je prie Dieu qu'il donnet à Vostre Maiesté tresheurense e très-
longue vie.
D'Avignon, le 12 (?) aoust 1580.
Vostre treshumble et tresobeissant serviteur et subiect.
G., cardinal d'ARMAioNAc.
XLVI.
A LA Reine-Mère.
Madame, par ceque Vostre Maiesté verra ce que j'escris au roy en
response de ce quil luy avoit pieu me commander pour le regard des
forces- de cest estât, je ne vous en feray icy plus long discours, seule-
ment vous supplieray. Madame, d'avoir souvenance de mon ancienne
servitude et de la perte que jay faite depuis ces derniers troubles qui
m'a entièrement accablé, estant constrainct à congédier toute ma
famille pour le peu de secours que je receois de mes revenus, et mesmes
à peine que je puis jouyr du don de dix mil livres qu'il a pieu à Vos
Majesté me faire porter. Le peu de respect que les commis du trésorier
Gastille ' ont porte à vos ordonnances nonobstant lesquelles ils me tra-
vaillent indinement, de sorte que s'il ne plaist au roy, et à vous
Madame, me faire ressentir de leur libéralité, je me voy réduit en tel
estât, que je seray constrainct daller comme mendier. Ayant faist de
l. Pierre de Castille, contrôleur général des finances, mort en 1629.
LETTRES INÉDITES DU CARDINAL o' ARMAGNAC. 334
si grandes et excessives dépenses pour le service de Vos Maiestes lorsque
la nécessité le regardait quil estoit nécessaire davoir tousiours la main
a la bourse pour secourir darmes et de munitions de guerre vos subiects
tant de Languedoc, Provence que Daulphiné, sans que pour raison de
ce pays demandé aucun salaire ny recompense, ayant persévéré tous-
iours en la tresdevotieuse affeclion que j'ay de tout temps eue au bien
de vos affaires, pour lesquels (puisque Dieu m'a voulu remettre en ma
première santé après avoir esté bien fort travaillé de ceste maladie
populaire*), j'emploieray le reste de mes jours et tout ce qui en
deppend d'aussi bon cœur que je prie sa bonté divine de vous donner,
Madame, en toute perfection de santé, tresheureuse et treslongue vie.
D'Avignon, le 22 d'aoustl580.
Vostre treshumbleet tresobeissant serviteur et subiect.
G., cardinal d'ARMAiGNAC.
Madame, ayant reçu la lettre ci-incluse
de la rayne de Navarre pour Vostre
Majesté, je nay pas voulu faillir de la luy
faire tenir.
xLvn.
A LA Reine-Mère.
Madame, ayant trouvé moyen recouvrer la coppie d'une instruction
que les églises prétendues de Languedoc et Daulphiné, ensemble le
s' de Blacons, envoyent à Monsieur le Prince d'Orange, par eun nommé
Lambert, et voyant combien importe que Vos Maiestes entendent par la
leurs mauvais desseings et intentions, j'ay choysy entre ceulx que je
scavois de longue main affectionnés au service de Vos Maiestes, le sieur
du Rouest^, pour vous apporter nonseuleraent ladite instruction, mais
faire entendre beaucoup d'autres choses qui sont passées naguère de
deçà et lestât ou nous nous trouvons, de quoy m'assurant qu'il s'ac-
quitera fidelleraent, je n'ay qu'a m'en remettre sur luy, pour vous
supplier treshumblement, Madame, le vouloir ouyr et croire ladessus, et
au vostre, ne laisser despourveu de vos commandemens celluy auquel
la volunté demeurera jusques au dernier soupir de sa vie, de les effec-
tuer, de mesme envie quil va prier Dieu,
Madame, vous maintenir longuement en toute heureuse santé et
prospérité.
Des Gentillins près le pont de Sorgues, le 14 de febvrier 1581.
Vostre treshumble et tresobeissant serviteur et subgect.
G., card. d'ARMAiGNAc.
1. Le cardinal d'Armagnac veut parler de la coqueluche qui sévit dans toute la
France en 1580. Voir ce qu'en dit J. A. de Tliou (livre LXXII), et aussi Pierre
de lEsloile (édition Jouaust, t. 1, 1875, p. 361).
2. Sic. Nous avons vu qu'il fallait bien plutôt lire : de Renest.
332 MÉLANGES KT DOCOMENTS.
XLYTII.
A LA Reine.
Madame, surco qu'il a pion au Roy oscriro a Mons. do (lauval et à
moy, de secourir larmoo que Monsieur le duc du Maynei a conduite
en Daulphiné, des forces que Nostre Saint Père entretient en cest estât,
nous n'avons voulu faillir de les luy envoyer par eun gentilhomme que
nousdépeschons, tenant a luy donner l'intention de sa Sainteté, encore
que cest estât fort grandement menacé, est que si l'ordre de pacifHca-
tion n'est aussi bien escouté pour son regard puisqu'il a pieu à Vos
Maiestés l'y comprendre, il est à craindre que les ligues de la guerre et
toute la tempeste viendront fondre surcelluy, et desià Ion en dresse les
préparatifs non-seulement en Daulphiné, mais aussi en Languedoc, où
il sest assemblé quelques troupes qui taschent de passer la rivière pour
se venir joindre à ceulx en Daulphiné, se voulant servir pour leur
passaige de la commodité de quelques bateaulx avec lesquels ceulx
d'Aurange louent lepeaige et ranconnement de ceux qui passent sur la
rivière, nous fesons bien tout ce que nous pouvons pour leur empescher
le passaige avec la bonne intelligence que nous avons au s'- de 8*^ Jalle,
qui se trouve de delà avec quelques forces qu'il a assemblées à cest
effect par commandement de Monsieur de Montmorency, mais ils pour-
ront aller passer avec ce qu'ils trouveront. Par ainsi. Madame, vostre
bon plaisir sera, continuant vostre bonne protection et mon estât, de
faire que le s' du Mayne y establisse la paix aussi bien qu'en Daul-
phiné, et pourvoye au reste, en sorte que vos provinces et vos estats ne
soient plus en doubte de ce costé là, à cause qu'on y reçoit indiffe-
rement tous les perturbateurs du repos public et ceulx qui bastissent
ladedans les menées et pratiques pour travailler les provinces tellement
que pour couper chemin à cela, le plus court seroit qu'il pleust à Vos
Maiestés y mettre des gens de bien qui gardassent la place avec le revenu
à son maistre pourvu quelle fust soulz l'obéissance de ses maistres,
autrement nous serons tous les jours à recommencer, remettant tout-
affait le tout à vos bons plaisirs. Je vous supplie treshumblement.
Madame, avoir pitié de la pauvreté où je me trouve et me faire jouyr
pour l'advenir du don quil pleust au roy me faire, car je n'en eus
jamais tant de besoins que maintenant, qu'il me viendroit fort mal a
propos s'il remarquoit mes torts, car je ne scaurois d'où payer les
debtes, par la estre contrainct faire pour n'avoir jouy de mon revenu
durant les guerres passées qui m'ont réduit a estre en ceste extrémité
où je me trouve, et qui me contrainct de recourir à la protection qu'il
vous a pieu prendre tousiours de celluy qui s'asseure que vous ne l'aban-
donnerez, non plus que vous avez faist jusques icy, dont il vous
demeurera perpétuellement oblige, priera Dieu de vous en estre rému-
nérateur et vous donner,
LETTRES IXÉDITES DD CARDINAL d'aRMAGNAC. 333
Madame, en parfaite santé, trèsheureuse et treslongue vie.
Le20< de juillet 1581.
Vostre treshumble et tresobeissant serviteur et subiect.
G., cardinal d'ARMAiGNAC.
XLIX.
Au Roi.
Sire, Aussitost que Monsieur le duc du Mayne.s a eu faist tout ce que
Vostre Maiesté escrivoit à Monsieur Malnozzi Genval, au faist des armes
en vos estats, et à moy pour renforcer son armée des forces que Sa
Sainteté entretient par deçà, nous nous sommes disposés à faire, estant
aussi telle sa volonté et intention, qu'il nous a fait entendre par sa der-
nière déposition tellement que nous envoyons présentement un gentil-
homme devers le s"- pour luy faire entendre ce dequoy nous le pourrons
secourir, en vue que ce que nous avons nous soit bien nécessaire pour
la garde des villes et lieux de vos estats, puis que nous sommes adver-
tis qu'on y veult venir faire la guerre ouvertement, et pour cest effect
a-t-on assemblé en Languedoc quelques troupes de gens de pied qui
tachent de passer le Rosne pour se venir joindre à Gommines^ (?), mais
c'est soulz la faveur d'Aurange, et de quelques bateaulx que le s"" de
Blacons tient la pour rançonner les passans et faire payer les péages et
subsides, ce dont j'ay advisé à Vostre Maiesté dès lors quil lentreprint,
toutesfois le s' de S»^ Jalle du costé de delà, et nous du nostre, faisons
tout ce qu'il nous est possible pour leur empescher les passaiges qu'ils
publient estre pour aller au secours de Viron'^, ce qui n'est vraysem-
blable veu quon tient que ceulx du Daulphiné ont accepté la paix et
veuUent entièrement obeyr à vostre édit, mais le mal talent leur
demeure tousiours de venir travailler vos estats par la force de la
guerre ouverte, n'estant peu venir à bout d'une infinité d'entreprinses
qu'ils ont tracées sur dernièrement la pauvre ville d'Avignon, dont
1. Le catal. ms. de la Bib. nat. donne la date du 25 et indique Bédaride
comme le lieu d'où celte lettre fut écrite (a° 32). Bédarrides est un chef-lieu de
canton du département de Vaucluse, arrondissement d'Avignon, à 14 kilomètres
de celte ville.
2. Charles de Lorraine, duc de Mayenne, second fils de François de Lorraine,
duc de Guise, né en 1554, morl en 1611, « celui de tous les princes lorrains, »
remarque J. A. de Thou (livre LXXV), « en qui le roi trouvait plus de modération
et de justice. » Notons que le président de Thou met en 1582 l'envoi du duc de
Mayenne en Dauphiné, où, d'après la présente lettre, il se trouvait déjà dans le
mois de juillet de l'année précédente.
3. Je ne devine pas le nom réel qui se cache dans cette faute de lecture.
4. Sic. Serait-ce Voiron, chef-lieu de canton du département de l'Isère, arron-
dissement de Grenoble, à 25 kilomètres de cette ville "^ Voiron est le nom
dauphinois qui se rapproche le plus de la forme incertaine Viron.
33i MÉLANGES ET DOCUMENTS,
aucuno? dos conspirations ont sonty la poino de lour niofaict. Ayant été
escoutes par la et d'aultant Sire, que le capitaine Barault, qui est de
vos subiects de Languedoc, se trouva acccusé par l'un des condamnés
qui étoient quatre, soutenant que nous le fismes entendre a Monsieur
de Montmorency, il se fist faire prisonnier, et il nous envoya dire quil
soutiendroit jusques au dernier supplice, en quoy le s"" do Montmo-
rency a faist un acte genereulx et duquel nous nous assurons que
Yostre Maiesté demeurera bien contente, pour la protection en laquelle
il lui a pieu prendre tousiours ces estats, et ce néanmoins nous ne pro-
céderons enltro autres le s"" Barault qu'avec le seu du s"" de Montmo-
rency et y retrouvant vos offenses, toutes ces menasses et menées me
font craindre quils ne gettent la tempeste et les prémices de la guerre
sur vos estats, s'il ne vous plaist. Sire, de faire ressentir l'effoct et
exécution de Vostre Maieste, tout ainsi quil vous a pieu le comprendre.
De quoy je supplicray treshumblemeut et de tant plus extrêmement
Vostre Maiesté, Sire, que cela pourroit ralumer la guerre dans vos pro-
vinces circonvoysines et au reste que vostre plaisir soit pourvoir aux
nécessites de ses gens de bien qui conservent la place a son maistre,
avec le revenu, soulz toutefois vostre obeyssance comme il a esté faist
autrefois, en sorte que les voysins n'en reçoivent plus les maulx et
dommaiges qu'elle est coutumiere leur apporter, y recevant indiffere-
mcnt toutes sortes de gens qui y bastissent toutes leurs entreprinses
contre les dites provinces et estats, et quand le sieur Duc en aura le
commandement de Vostre Maiesté, je m'assure quil luy sera facille de
l'exécuter avant son partement de ce pays, lequel ne sera jamais en
seureté et repos tant que le sieur Au range demeurera en Testât quil
est. Et parceque je m'assure que vous prendrez en bonne part ce que
j 'en dy qui ne procède que du zelle et affection que jay à vostre ser-
vice, je n'en ennuyeray davantaige Vostre Maiesté, mais pour fin de
cela, luy rafraischiray la treshumble requeste que je luy ai souvent
faiste pour mon particulier, touchant le don qu'il luy a pieu me faire,
afin quil me soit continué et assuré pour l'advenir, puisque je n'en eus
jamais si grand besoing que maintenant, qui m'en faist rendre si
importun, me trouvant chargé de tant de debtes sur mes vieulx ans,
que je n'espère pas en pouvoir sortir, si je ne suis secouru de vos bien-
faits et libéralités auxquels je suis contraint de recourir en ceste
extrémité où les guerres et la non jouyssance de mon revenu m'ont
réduit, et ce sera augmenter de plus en plus mon obligation au service
de Vostre Maiesté, et à prier continuellement Dieu, Sire, pour son
estât, prospérité et santé, et vous donner
Très-heureuse et très longue vie.
Ce20^ de juillet 1581.
Vostre très-humble très obéissant serviteur et subject.
G., cardinal d'ARjuiGNAC.
l. Le catal. ras. de la Bib. nat. donne pour celte lettre la date du 25.
LETTRES INÉDITES 1)D CARDINAL d'aRMAGNAC. 335
Au Roi.
Sire, retournant le magnifique s" Francesco Morizini de la court du
roy d'Espaigne, où il a esté ambassadeur pour la seigneurie de Venize,
et ayant passé par icy ou je me suis essayé luy faire le meilleur accueil
et traictement dont je me suis peu advisé, tant par ce que je scavois que
Vostre Maiesté l'auroit aggreable, quant ce ne seroit que pour avoir esté
le premier ambassadeur que la Seigneurie ait envoyé devers vous après
vostre retour de Poloigne, que pour la particulière amytié que je luy
ay, et a toute sa maison, nombrée entre les plus insignes de la Seigneu-
rie. Je l'ay trouvé si zellé et affectionné au bien de Votre service, qu'es-
tant entré en discours avec luy, il s'est laissé entendre, que sur son
parlement de la Court d'Espaigne, les choses y estoient en tels termes,
que le roy ne voyant pouvoir divertir la guerre de Flandres par autre
moyen qu'en la dressant contre vostre royaume, il a esté résolu que ce
seroit du costé de la Prouvence, qui leur a semblé le plus act;essible et
facile. Ayant desià pour cest effect cent cinquante galleres armées,
équipées et prêtes, la moitié en Espaigne, et l'autre moitié en Italie,
schachant où prendre les vivres ou munitions nécessaires à telles entre-
prinses, oultre qu'il faist estât d'avoir beaucoup de pratiques, amitiés
et intelligences dans le propre pays, dequoy ayant incontinent donné
advis à Monsieur le Grand-Prieur pour pourveoir à la seureté des ports
et villes de son commandement, je n'ay voulu faillir d'en faire aultant
à Yostre Maiesté, la suppliant très-humblement, Sire, recevoir en
bonne part les advis puisqu'il ne procède que de la dévotion que j'ay eu
tousiours au bien de votre service, manutention de votre estât et cou-
ronne, pour lesquels je prie sincèrement Dieu de vous donner,
Sire, en toute perfection de santé, très-heureuse et très-longue vie.
D'Avignon, le 28 octobre 1581.
Vostre très humble et très obéissant serviteur et subject.
G., cardinal d'ARMAiGNAC.
LI.
Au Roi.
Sire, l'ancienne marque de fidellité qui dès ma naissance a servy de
guide a tout le cours de ma vie, et par le moyen de laquelle j'ay receu
tant de grâces et faveurs de vos prédécesseurs et de Vostre Maiesté, ne
permettra jamais que je laisse passer aucune chose que je cognoisse en
quelque lieu que je sois importer tant soit peu son service sans l'en
330 MELANfiES ET DOCUMENTS.
advertir. Comme jay voulu faire prcsontoment par le s' de Fougasse
présent porteur de la mutation que Nostrc Saint Père a voulu faire en
oosto ville, de la personne du s"" l'ovesque de Tliolon, mon lieutenant en
l'administration de la justice*, a celluy do Savonne (jui voiiloit estre
recteur du Comté. Il m'a semblé, Sire, estre nécessairement de mon
devoir de vous le faire entendre; tant par ce qui! a pieu a Vostre
Maiesté prendre la protection de ce pays au moyen de quoy il est bien
raisonnable qu'elle sache qui sont ceulx qui ont quelque commande-
ment et sur les armes, et sur la justice, pour s'en servir aux occasions
qui journellement se présentent, et les quallitos dudit s"" de Savonne,
lesquelles vous seront exactement declairees par le s"" de Fougasse, ne
me restant a vous dire sur ce particulier, sinon quil monstre par son
discours estre très affectionné au service de Vostre Maiesté, en quoy
j'espère tant que je vivray et quil sera auprès de moy, luy servire de si
bon exemple quil n'aura point ocasion de se declaircr autre. Autre
regret uay je, Sire, sinon de navoir la disposition du corps et des forces
pareilles a la bonne volonté pour me pouvoir rendre digne de tant de
favorables démonstrations que Vostre Maiesté me faist journellement
de son amytié, que je la supplie treshumblement me vouloir continuer
comme le plus souverain support et consolation que je puisse désirer en
l'aage que je suis. Des affaires de ses provinces circouvoysines, je ne
luy escris point, d'aultant que je scay qu'elle en est bien informée par
icelles, particulièrement par Monsieur le Grand Prieur de la reddition
de Colmars 2 soulz l'obeyssance de Vostre Maiesté, et de la délibération
qu'il a faiste de la razer ou d'y mettre une bonne garnison, par Mess'^
les Princes de Montmorency et de Joyeuse, des troubles que les voleurs
donnent en ce pays, et par Mons'" de Maugiron, de la continuation de la
paix en Daulphiné, si bien qu'a moy seul demeure la charge puisque
je n'ay autre subiect digne de Vostre Maiesté, de supplier le Créateur en
toutes mes dévotions, vous donner.
1. Guillaume Le Blanc ou du Blanc, d'abord chancelier de l'université de Tou"
louse, puis évêque de Toulon en 1572 et vice-légat du cardinal d'Armagnac
pendant de longues années. Voir sur ce personnage V Introduction aux Lettres
inédites du cardinal d'Armagnac (p. 43 et 47) et les judicieuses observations
de M. Léonce Coulure dans la Revue de Gascogne d'août et septembre 1875,
p. 374, 375. M. Couture a signalé une importante lettre de lévêque de Toulon au
Pape, écrite le 25 octobre 1583, et publiée pour la première fois par le P. Thei-
ner [Annales ecclésiastiques, t. III, 1856, p. 460). A la suite de ce document, dans
lequel Guillaume Le Blanc proleste contre la disgrAce imméritée dont il avait
été l'objet de la part de Grégoire XIII et se défend victorieusement des calomnies
qui avaient causé sa révocation, le P. Theiner a reproduit (ibid.) une lettre de
l'archevêque d'Avignon au Souverain-Pontife en faveur de son intègre collabo-
rateur qui avait été accusé de corruption, lettre, dit M. L. Couture, « aussi
ferme que respectueuse. »
2. Aujourd'hui chef-lieu de canton du département des Basses- Alpes, arrondis-
sement de Castellane.
LETTRES INÉDITES DU CARDINAL d'aRMAGNAC. 337
Sire, en toute perfection de santé et contentement, treslongue et
tresheureuse vie.
D'Avignon, 19 décembre 1583.
Vostre tresliumble et tresobeissant subiect et serviteur.
G., cardinal d'ARMAiGNAC.
LU.
Au Roi.
Sire, vostre ville du Saint-Esprit est tellement [convoitée] par les
ennemys du repos public, qu'ils ne cessent jour et nuit de penser aux
moyens de s'en rendre maistres, et quant par surprinse, intelligence ou
pratique ils se verront frustrés de leur mauvaise intention à cause de la
bonne garde que Ion y faist à ma continuelle exortation, ils sont résolus
d'employer toutes leurs forces pour exécuter leur malheureux desseing.
Et de faist se voyant descouverts et hors d'espérance d'y pouvoir par-
venir que par eun grand effort, ils font de si grands presparatifs, qu'il
est bien à craindre que les habitants de la ville, fidelles subiects de
Votre Maiesté, ne pourront longuement subsister au soustien d'une
notable force, telle que l'on voist s'apprester, si elle n'est fortifiée des
moyens propres pour s'y opposer docilement. Gomme ils sont bien
résolus, s'il plaist à Vostre Maiesté comme le cognoissant sage, je l'en
supplie très-humblement, et combien que je soys certain. Sire, que
Votre Maiesté est bien amplement informée de l'importance de la ville,
je ne veulx pas laisser de vous dire, que si par malheur les rebelles de
Vostre Maiesté y mettoient une fois le pied, la commodité d'un tel
passage sur la rivière du Rosne, propre à l'exécution d'une infinité
d'autres dampnables entreprinses, avec l'utillité qu'ils recevront du
peaige, leur donneroit occasion de se fortiffier tellement là-dedans,
qu'ils n'en sortiront jamais que par une très-grande force ; aussi est-ce
la cause pourquoy tous les chefs des rebelles ont conjuré de la prendre.
Quant à moi. Sire, je ne fauldray point de la secourir de tout ce qui me
sera possible, pour la fidellité et dévotion que par debvoire, je doibs au
sujet de votre service, et de faist j'ai desja envoyé chercher des pouldres
pour y envoyer, mais cela ni tous mes moyens ny pourroient suffire,
parceque la ville a besoin de gens, de pièces de desfense, et autres
armes que je ne puis ester de cette ville sans la desmunire, et affaiblire
tellement que nous pourrions courrire la mesme fortune, et cela s'ap-
pelleroit ouvrire un grand trou pour en boucher un petit, n'estant pas
de moindre considération pour votre service que si elle estoit à Vostre
Maiesté laquelle ne trouvera pas mauvais, s'il luy plaist, ce que je luy
ay desja fidellemsnt prousvé du zèle que j'ay à la conservation de tout
ce qui lui appartient. Gomme je lui feray tousjours paroistre en toutes
les occasions qui se présenteront au prix de mon sang propre, lequel
ReV. HiSTOR. V. 2e FASG. 22
338 MÉLANfiES ET nOCUMENTS.
avoc. tout co quo jay on co monclo j ay dcdio à l'oboissanco de voz com-
mandomoiit;, attcMulant lesquels jo supplicray le Créateur,
Sire, vous donner en toute perfection de santé et contentement Irès-
longue et très-heureuse vie.
DAviguon le 24 janvier 1584.
Vostre très-humblo, très-obéissant subiect et serviteur.
G-, cardinal d'AnMAiGNAC.
LUI.
Au Roi.
Sire,
Combien que je pourrois me rapporter à la suffisance de M"" de
Lombez, pour faire entendre à Vostre Maiesté Testât des affaires du
Languedoc, d'aultant qu'il en est bien instruit et que durant quelques
jours qu'il a demuré avec moy il a toujours participé aux advis qui se
sont présentés, je l'ai toutefîbis bien voulu accompaigner de ce mot,
tant pour satisfaire à mon debvoir, que pour servir de tesmoignage à ce
quil vous dira de vive voix des assemblées pratiques et entreprises que
les ennemys du repos public font journellement pour surprendre
quelque fort, affin de pouvoir avec plus de commodité exercer leur
mcschancete, et avec une bonne occasion violer la foy qu'ils ne scau-
ront garder, sinon entres eulx, pour l'exécution de leur obstination,
laquelle une troupe de capitaines la plus mal assortie du service de
"Vostre Maiesté ont juré, quelque confirmation de paix qu'il y puisse
avoir, de s'emparer de tous les lieux qu'ils pourront, pour avoir de
quoy continuer leur vauiage. Cela monstre. Sire, qu'ils ne s'espargne-
ront pas pour attraper les places plus importantes, mesmes celles qui
de longue main sont assignées comme le fort S^ André ^, et les villes du
S' Esprit, qui sont tous les jours en allarmes, par les advis que Ion a
par la main de ceulx mesme qui sont commis à l'exécution de la
prinse. Mais jespere que Dieu par sa grâce leur ostera la force de leurs
mains comme II a fait il n'y a que deux jours au fort de S' Victor 2,
très-fort et de grande importance à deux lieues du S' Esprit, lequel fut
attaqué en plain jour par deux des conjurés qui sont arrivés avec deux
cens harquebuziers, après avoir fait saulter la première porte du ravein,
avec trois petars, en grand danger destre forcé, sans le prompt secours
que ceulx de dedans eurent de quelques gentilshommes de ce comté
1. Probablement aujourd'hui Saint-André de Valborgne, chef-lieu de canton
du département du Gard, arrondissement du Vigan.
2. Je croiâ pouvoir identitier ce Saint- Victor avec Saint-Victor- Lacoste,
commune du département du Gard, arrondissement d'Uzès, canton de Roque-
maure. Le chef-lieu de cette commune conserve encore les débris de se»
anciennes murailles.
LETTRES IXE'dITES DD CARDIXiL d'aRMAGXAC. 339
qui de fortune se trouvèrent à BaignolzJ et des villages voisins où nous
devons crainsdre, Sire, si Vostre Majesté n'ordonne quelque provision
pour la garde de ces lieux. Il est grandement à craindre quils ne tom-
bent enfin en quelque sinistre accident s'ils ne sont fortifiés et soulaigés
du secours de Vostre Maiesté quoy je ne faille de les tenir esveillés par
continuels advertissements et les secourir de tous mes moiens comme
j'ai fait jusques à maintenant Sire, le temps est prociie auquel j'aurai
plus besoins de Vostre faveur que jamais, pour faire admettre à
Messieurs les desputez du clergé le don que Vostre Maiesté m'a faist,
lorsque Gastille rendera ses comptes, sil luy plait que j'en jouisse
ainsi qu'elle a touiours monstre être de son vouloir, je la suplie tres-
humblement ne trouver point mauvais si avec tant de importunite je
implore sa protection, veu que son seul commandement est auth^, me
pouvant faire savoire les difficultés qui se présenteront si Vostre
Maiesté se daigne avoir mémoire d'un des plus dévoués servicteure de
ceste couronne, pour la grandeur et soutien de laquelle je fais conti-
nuelles prières à Dieu et qu'il donne à Vostre Maiesté, ■
Sire, en toute perfection de santé et contentement, très longue et
tresheureuse vye.
D'Avignon ce 23 février 1584.
Vostre treshumble et tresobéissant subgect et serviteur.
G., cardinal d'ARMAiGNAC.
LIV.
Au Roi.
Sire,
J'ay esté extrêmement ayse de voir par la lettre du 26 mars qu'il a
pieu à Votre Majesté m'escrire, que l'ordre que nous avons tenu et
tenons tous les jours pour nous garantir des invasions dont nous
sommes menasses selon les advis mêmes que Votre Majesté nous en a
voulu donner, luy soit estre aggréable. Au moyen de quoi, Sire, j'es-
père le mettre si bien en pratique, et tenir si soigneusement la main à
la conservation de votre ville, douttant qu'elle n'importe pas moins au
service de Votre Majesté, qu'à celluy de Notre S^ Père, que j'espère
avec l'ayde de Dieu la maintenir soulz la mesme obeyssance que j'ay
fait jusqu'à présent, portant gravé en la mesmoire et au milieu du
cœur la maxime contenue en moi que la deffiance est en ce temps mère
de la sûreté. Comme chose digne d'estre bien remarquée, j'attendray le
reste de voz commandemens sur ce faist par le capitaine Hugues,
1. Bagnols-sur-Cèze, chef-lieu de canton du département du Gard, arrondisse-
ment d'Uzès, à 23 kilomètres de celte 'ville.
340 MéLANf.ES i: I' DOCUMENTS.
suivant rintcution do Volro Majesté à kiqiiollo baysant très-humble-
ment les mains, supplie le Créateur donner,
Sire, avec très-longue et très-heureuse vie, entier contentement de
ses saints désirs.
D'Avignon, le 20 « d'avril 15842.
Voire très-humble et très-obéissant subjoct et serviteur.
G., cardinal d'ARMAiGNAC.
LV.
Au CARDINAL DE PeLLEVÉ^.
Monsieur, vous m'avez si fort obligé par les honnestes courtoysiesque
j'ay receu de vous pour la conservation de ce qui mappartieut, que je
m'estimerois le plus ingrat homme du monde, si je ne vous en rendois
toute la recognoissance de service qu'un tel bienfaist mérite, et desyre
quelque bonne occasion pour m'en revancher, et monstrer par effect
l'envye que j'ay de suyvre en toutes choses vos commandemens que je
vous fais avec la mesme affection, que je me veulx resjouyre avec vous
de la bonne nouvelle qu'il vous a pieu me départir sur lélection que
Nostre Saint Père a faist de vous en l'abbaye de Foix^, laquelle il ne
scauroit avoir mieulx employée. Tout ainsi que je fais aussi, de ce que
le roy m'a confirmé le titre de mon archevesché de Tholoze, scachant
que vous en aurez contentement, pour l'amytié qu'il vous plaist me
1. Le catal. ms. de la Bibliothèque nationale donne à cette lettre la date du
10 avril (n» 8).
1. Voir deux autres lettres écrites en 1584 à Henri III, par le cardinal d'Ar-
magnac, l'une le 1°" octobre et l'autre le 16 du même mois (p. 127 et Vl9 du
tome V delà CoUecUon méridionale). N'oublions pas que le P. Theiner a publié
{Annales eccle'siast., t. III, p. 198, 199, etc.) plusieurs lettres de l'archevêque
d'Avignon, adressées en cette même année, à la cour de Rome. En réunissant
toutes les lettres du cardinal d'Armagnac qui ont vu le jour jusqu'à présent par
les soins de Ribier, de Dom Vaissète, de M. Charrière, du P. Theiner, de
M. Miller (de l'instilul), de l'éditeur de la Collection méridionale, on en comp-
terait bien environ 140, et, en y joignant les 60 lettres données ici, on aurait un
total de 200 lettres aujourd'hui connues.
3. Nicolas de Pellevé, né le 18 octobre 1518, fut nommé évêque d'Amiens en
1552, archevêque de Sens en 1562, cardinal en 1570, archevêque de Reims en
1592, et mourut à Paris le 26 mars 1594.
4. Aujourd'hui chef-lieu du département de l'Ariége. L'abbaye de Saint-Volu-
sien de Foix était vacante depuis la mort de Paul de Foix (29 mai 1584). Les
auteurs du Gallia christiana (t. XIII, Ecclesia Appamiensis, col. 184) ont
commis un petit anachronisme en écrivant sous le nom de Nicolas de Pellevé :
« A bixto 'V abbatiam obtinet an. 1585. » On voit par la lettre du cardinal
d'Armagnac que, dès le mois de juin 1584, Grégoire XIII avait donné l'abbaye de
Foix à l'archevêque de Sens.
LETTRES INE'dITES DU CARDINAL d'aRMAGNAC. 34^
porter^. Nous avons eu a Beaucaire quelques jours Monsieur le duc de
Montmorency, et s'en est party depuis hier pour aller au rencontre du
roy de Navarre que Ion dicst estre à Mazeres^ pour prendre la route de
Montpellier, où l'on se prépare de le recevoir, accompaigné de Monsieur
le duc d'Espernon^, pour pacifier les troubles de Languedoc et essayer
de faire quelque bonne reconciliation, selon que vous pourrez voir par
un advis que jay donné charge à mon agent vous communiquer, et de
la Court Ion me mande par lettre du !«■• de ce mois, que Monseigneur,
frère du roy, est en très bonne santé, et que les médecins donnent une
grande espérance de sa vye pourvu quil ne face aucun excès*, et que la
royne mère de Sa Maiesté estoit arrivée de retoure d'avec luy avec une
très grande joye^, qui est une nouvelle que tous les gens de bien en
doivent avoir contentement, pour le fruit quelle produira à toute la
France, dequoy je fais treshumbles prières a Dieu. Et m'estant très
humblement recommandé a vos bonnes grâces, je le supplie quil vous
donne,
1, Le titre fut confirmé, mais cela n'empêcha pas le roi de donner pour suc-
cesseur à Paul de Foix, sur le siège archiépiscopal de Toulouse, François de
Joyeuse, qui était déjà archevêque de Narbonne depuis 1582 [Gallia christiana,
t. XIII, col. 59).
1. Aujourd'hui commune du département de l'Âriége, arrondissement de
Pamiers, canton de Saverdun, à 17 kilomètres de Pamiers. D'après le tableau
des Séjours et itinéraire du roi de Navarre dressé par M. Berger de Xivrey
{Recueil des lettres missives de Henri IV, t. II, p. 579, 580), ce prince était
arrivé à Mazères le 7 juin et n'en repartit que le 13. Au lieu de se diriger vers
Montpellier, comme le présumait le cardinal, Henri revint à Paris.
3. Jean-Louis de Nogaret, duc d'Epernon depuis le mois de novembre 1581.
Voir sur son entrevue avec le roi de Navarre (non à Mazères, mais à Pau, dans
les premiers jours de juillet), VHistoire de la vie du duc d'Espernon, par
Guillaume Girard (édition de 1730, in-4°, p. 29-33).
4. Les médecins se trompaient, comme il leur arrive si souvent : Au moment
où le cardinal d'Armagnac transmettait à son collègue d'aussi rassurantes nou-
velles, le duc d'Anjou n'avait plus que cinq jours à vivre (il rendit le dernier
soupir le 19 juin et non le 10, comme on l'a souvent dit, et comme l'a répété
M. Lud. Lalanne dans son Dictionnaire historique de la France). Remarquons
toutefois, à la décharge des médecins, que s'il faut en croire le témoignage de
Pierre de l'Estoile (édition Jouâust, t. II, 1875, p. 154), dès la fin du mois de
mai le duc d'Anjou aurait été considéré par eux comme inguérissable.
5. Leduc d'Anjou, après l'échec d'Anvers, s'était retiré à Château-Thierry, une
des terres de son apanage : venu à Paris le 11 février 1580, il s'y était rencontré
avec le roi, son frère, et le 21 du même mois il était rentré à Château-Thierry
pour ne plus le quitter. Catherine deMédicis alla voir le duc d'Anjou vers la fin
du mois de mai : elle revint à Paris le 1" juin, faisant apporter par eau les plus
précieux meubles de son fils mourant. Croyons, pour son honneur de mère, que
le cardinal d'Armagnac avait été mal renseigné quand on lui avait parlé de la
très-grande joie qu'elle rapportait de sa funèbre expédition de Château-
Thierry.
3/,2 MKLANOES ET DOCUMENTS.
Monsieur, en parfaite santé, heureuse c longue vie.
D'Avignon, le 14 juin 1584.
Voslrc très-humble serviteur.
G., cardinal (I'Armaionac.
LVI.
Au Roi.
Sire,
Comme j'étais sur le poinct de vous dépcscher le s' du Roust^ (?)
pour respondre à celle qu'il vous avoit pieu m'escrire par luy, il me fut
donné advis, à l'arrivée de l'ordinaire de Rome, que Nostre Tressaint
Père, en me conservant le tistre de l'archevesché de Tholouze, il
m'avoit par mesme moyen privé de aller dans vostre [dite] ville, si bien
que je fus contraint d'y envoyer incontinent le s'' de Paillée, mon
nepveu2, po^r me plaindre d'un si mauvais traistemen, et que j'estois
résolu de ne m'en démettre puis que je cognoissois que oultre l'incom-
modité que ce m'estoit, tant à la décrépitude de mon aage, que à la
nécessité de mes affaires, ce seroit ouvrir eung plus notable préjudice
au manquemen du service que je vous doits en vostre dignité, en
laquelle j'ay esté appelé par les feus roys vos prédécesseurs, et dont je
ne m'en veulx départir tant qu'il vous plaira, et y continuer le reste de
mes jours, avec le zèle, l'affection et la fidellité que Vostre Maiesté a
peu cognoistre depuis le temps que j'y suis, de sorte qu'estant arrivé
ledist s»- de Paillée, je vouldray de vous donner advis de tout ce qu'il
aura négocié, et Gniray ma première délibération tout aussitost sur le
partement du s»- du Roust (?), comme je ne veux oublier de remercier
très-humblement et de toute mon affection Vostre Majesté, du bien
qu'elle m'a faist du don de l'archevesché de Tholouze, en quoy j'ay
cogneu comme en toutes autres choses qui se sont présentées combien
elle a aggréable mes services, qui est la chose qui ma consolé le plus,
puis que ma vie et tout ce que je tiens de plus cher ne dépendent sinon
que de voz volontés, pour les employer aux chauses qui seront estimées
propres pour l'exécution des commandemens qu'il vous plaira me faire,
vous suppliant très-humblement, Sire, qu'en continuant votre première
délibération, vous me veuillez permettre que ceulx qui sont députés
pour ouvre les comptes de Castille, sils départent sans que je n'en
obtienne"^ le fruit conforme à votre désir, selon l'assurance que Votre
Majesté m'y a donnée, afin que je ne me sois privé de votre libéralité,
1. J'ai déjà proposé de lire ce nom : de Renest.
2. Un des parents, pour la nourriture duquel le cardinal réclame, en diverses
lettres, les faveurs du roi. Je ne trouve nulle part la moindre mention de ce
neveu de l'archevêque d'Avignon.
LETTRES INE'dITES DU CARDINAL D ARMAGNAC. 3^3
et que par ce bienfait j'aye tant plus de moyen continuer les grandes
despenses que je suis contrainct faire icy pour vostre service, et de prier
Dieu incessamment comme je fais de vous donner,
Sire, en toute perfection de santé, très-longue et très-heureuse vie.
D'Avignon, le 12 de juillet 1584.
Vostre très-humble et très-obéissant subiect et serviteur.
G., cardinal d'ARMAiGNAc.
LVII.
Au Roi.
Sire, Ayant sçu par la lettre qu'il a pieu à Vostre Majesté m'escrire
par Vostre valet de chambre, qu'elle persistoit encore en son désir que
je résigne mon abbaye d'Aurillac^, me commandant vous en envoyer
par luy ma procuration, j'y ay esté d'aultant plus estonné, que sur la
remonstrance que Monsieur le Grand Prieur vous faist à Lyon, du peu
ou point de moyen qui me resteroit après de pouvoir soutenir mes pau-
vres parents, et me privant, sur mes vieulx jours, des plaisirs que me
laissera l'abbaye, et remettre à ma plaine et libre disposition la résigna-
tion de laquelle je ne pensois plus que Votre Majesté deust estre impor-
tunée comme elle est. Et combien, Sire, que je n'aye jamais eu, ny
auray autre volonté, que de Luy obeire et complaire en toutes choses,
Sire, qu'oustre ce que j'en ay déclairé aux Royx pour me faire entendre
à Vostre Majesté. Il m'a semblé de devoir accompaigner de suite mon
ancien secrétaire, pour Vous rafraischire et représenter les remons-
trances et vous supplier très-humblement, ayant esgard à jamais, me
donnera il la consolation que je me suis toujours promise de la bonté
et dignité de Votre Majesté, du bon plaisir de laquelle scavoire par le
retour de mon secrétaire. Pour m'y conformer entièrement, ainsi que
je l'ay chargé L'en assurer de ma part ensuite de ma persévérance en
l'affection et dévotion que j'ay voués à son service jusques à mon der-
nier soupire et estre en estât de continuer avec mes prières à Dieu vous
donner.
Sire, en parfaite santé et prospérité, très-heureuse et très-longue vie.
D'Avignon, le cinq de mars^ 1585.
Votre très-humble, très-obéissant serviteur et subiect,
G., cardinal d'ARMAiGNAc.
1. Chef-lieu du département du Cantal. L'abbaye de Saint-Gerauld d'Aurillac
avait été donnée au cardinal d'Armagnac en 1578, et elle fut donnée, après sa
mort, au célèbre poète Philippe des Portes, chanoine de la Sainte-Chapelle et
déjà abbé de Tiron, de Bon-Port et de Josaphat [Gallia christiana, l. II,
ecclesia S. Flori, col. 447).
2. Cette lettre correspond sans doute à celle que le cat. ms. de la Bibl. nat.
indique ainsi : 23 mars 1585 : c Ayant veu par la lectre. »
344 MELANGES ET DOCUMENTS.
LVIII.
Au Roi.
Sire, depuis le commencement de ces nouvelles soulovations et sédi-
tions qui se sont faits en France, tendant à la perturbation de la paix
et tranquilité de Vostre royaulme, je n'ay jamais esté si heureux que
de recevoir un seul mot d'advis ni commandement do Vostre Majesté,
pour sçavoire ce que je devois faire pour votre contentement. Combien
que par Tentiesre et fidèle dévotion que j'ay eu dès ma première admis-
sion au service de Vostre couronne et particulièrement, Sire, depuis
qu'elle vous a esté à bon droit mise sur la teste, j'ay assésbien apris
quel est le debvoir d'un bon subiect, tel que je seray toute ma vie, à
l'endroit de son prince naturel, car encore qu'il ayt pieu à Dieu, Sire,
me constituer en la charge icy pour le service du S' Siège apostolic,
j'y ay tousjours eu en mémoire que vous estes mon roy et mon souve-
rain seigneure, et celuy à qui je doibs obeyssance, dequoy mes actions
vous peuvent avoir rendu asses bon témoignage, comme elles feront
jusques au dernier souspire de ma vie, ce que je vous supplie très-
humblement vouloir croire, Sire, et que non-seulement il n'y aura
jamais occasion qui me puisse faire départir de ceste résolution, mais
aussi que je me vaudray directement contre tous ceulx qui vouldront
ou penseront faire autrement, comme très-humble et très-fidèle servi-
teur que je vous suis, et seray tant que je vuis, baysant très-humble-
ment les mains de Votre Majesté, je supplierai le Créateur vous
donner,
Sire, en parfaite santé, très-longue et très-heureuse vie.
D'Avignon, le 27 avril 1585.
Votre très-humble et très-obéissant serviteur et subiect.
G., cardinal d'ARMAioNAc.
LIX.
Au Roi.
Sire, pour respondre à la lettre qu'il a pieu à Vostre Majesté m'es-
crire du 27« jour d'avril, suivant le commandement qu'Elle m'en faist
et la servire au moyen des mauvayses impressions qu'elle pourroit avoir
pris contre cest Estât, par le rapport d'aucuns qui lui auroieut faist
entendre vos adversaires avoir reçu descommodités d'icelluy; je ne
veulx pas commencer par aucune justification avec Vous, Sire, ne pen-
çant avoir jamais fait ni permis qu'il se soit commis en ce pays chose
qui ave besoins d'aucune excuse ; je laisse à part à Vous desduire l'in-
finité des services que j'ay faist à Vostre couronne, et particulièrement
LETTRES INÉDITES DU CARDINAL d'aRMAGNAC. 343
à Vous, et ma fidélité, laquelle j'ay eu et auray toute ma vie, en telle
recommandation qu'il n'y aura jamais occasion ny fortune bonne ou
mauvayse qui la puisse esbranler, et ne suis pas si facile à esmouvoir,
Sire, sur la seu)e apparence des raysons alléguées par ceulx qui ont pris
les armes contre Yostre Majesté ni toutes leurs protestations, quoy
qu'elles semblent estre fondées sur eune sainte intention, me puissent
faire croire que vous ne soyez mon roy et souverain seigneur, et que
tous ceulx qui s'émancipent de votre obéissance, soulz quelque prétexte
que ce soit, se trompent grandement, sachant bien que Dieu ne vous a
pas mis le septre en main pour estre subiect à la correction de ceux qui
la doivent prendre de Vostre Majesté, qui comme très-sagement n'a
jamais esté recognue sinon très-désireuse du restablissement de la
Sainte Foy catolique, apostolique et romaine, et du soulaigement de
son peuple. Telle est mon opinion. Sire, de laquelle je ne me départirai
jamais, non plus que de vos commandemens auxquels je rangeray tous-
iours ma volonté, et toutes mes affections, sans permettre qu'il entre
en mon entendement rien qui puisse altérer ceste résolution, ni que
jamais il se soit fait autrement que je sçai. Comme à la vérité je ne
peulx dire que ce soit ou qui a entrepris en cest estât, chose que l'on
aye peu cognoistre pouvoire porter le moindre desavantaige à son ser-
vice, je ne diray pas que sur la confusion et exactitude que ces nou-
veaux momens ont apporté sur la commission dont la cause estoit
tellement incognue à tout le monde, que les plus accordés et mieulx
admis ne sauroient qu'en juger, mesme ceulx qui, comme moi, n'ayant
jamais eu admis que par la voix publique du vulgaire, il n'y puisse
avoire eu des personnes qui sans descouvrir leurs desseings sous pré-
texte de querelles particulières, ont eu moyen de se pourvoir de quel-
ques armes. Ce que vos ministres eux-mêmes n'ont sçu empescher en
leurs gouvernemens et qu'à leurs voix il ne se soist faist de levées de
soldats et abuzé de leurs commissions pour dresser des compagnies et
les conduire, estant faistes, à ceulx de votre contraire party. Mais
d'avance, que le pays leur aye donné retraite ny autre assistance
depuis que ce nom de &*« Ligue a esté mis en avant, c'est bien artifi-
cieux de ceulx qui se couvrent de la Croix et [se mettent] soubs la pro-
tection de Votre Majesté, pour avoir liberté de lui courir sus, auxquels
je supplie Vostre Majesté ne donner si facile pardon ; personne, Sire,
qui ait plus de regret et tristesse, déplorant la ruyne et calamité dont ce
pauvre royaume est menacé, s'efforce avec plus de zèle à rompre les
entreprises et leurs adhérences en le quartier de deçà, que moy, pour
n'y espargner la vie et tous mes moyens, non plus que j'ay faist par le
passé; de vostre mesme volonté font et feront tous ceux qui sont auprès
de moy; notamment Mons^ de Gavaillon^ de qui les actions et déporte-
1. Sur M. de Cavaillon, comme sur la plupart des gentilshommes désignés
dans les lettres écrites d'Avignon par le cardinal d'Armiignac, il faut consulter
l'excellent ouvrage de Pilhon-Curt : Histoire de la noblesse du comté Venaissin
(1743-1750, 4 vol. in-4»).
34(> MKLANflES ET DOCUMENTS.
mens à l'endroit de ce qui touche le service de Vostre Majesté, ont
toujours été tels qu'elle se peult assurer de sa fidélité et du don qu'il
lui a fait de sa servitude, estant bien certain qu'il ne sauroit rien
entreprendre ni penser au préjudice de son service, sans desplaire
prandemont contre luy Nostre Trèssaint père son maître et souverain
soiyneur, de qui je veulx croire rcrmement que l'intention ne sera point
autre que celle de son prédécesseur, et d'aultant que par la lettre qu'il
vous escrit. Sire, vous serez mieux informé de sa bonne volonté, je ne
vous escrirai plus que pour supplier le Créateur, après vous avoire très-
humbloment baysé les mains, vous donner,
Siro, en toute perfection de santé, très-heureuse et très-longue vie.
D'Avignon, le 16 de may 1585 ^
Votre très-humble, très-obéissant serviteur et subicct.
G., cardinal d'ARMAiGNAC.
APPENDICE.
LX.
Lettre du cardinal d'Armagnac a Philippe II 2.
Sire, Il y a quelque temps que la camererie de l'abbaye de la Grasse ^
1. C'est jusqu'à ce jour la dernière lettre que l'on connaisse du cardinal
d'Armagnac, qui mourut, soit au commencement du mois de juin 1586, le 1
suivant quelques écrivains (notamment Henri de Sponde, Frizon, les auteurs du
Gallia Christiana), soit dans le courant de juillet, le 11 d'après les uns, le 21
d'après les autres, et parmi ces derniers se trouve l'exact Nouguier, que j'ai cru
devoir suivre {Introduction aux Lettres inédites du cardinal d' Armagnac,
p. 45), et qui avait été déjà suivi par les éditeurs du Dictionnaire de Moréri
de 1759. Quoi qu'il en soit, il faudrait découvrir un témoignage contemporain
bien précis qui permît de trancher définitivement la question, et j'appelle, en
finissant, l'attention des bons chercheurs sur ce point qui n'aurait pas dû rester
si longtemps douteux.
2. Archives nationales. Papiers de Simancas, K, 1553, n» 40. Non content de
nous apporter les lettres du cardinal d'Armagnac qui étaient gardées à Saint-
Pétersbourg, M. Loutchisky a eu le mérite de trouver à Paris une lettre de
l'illustre prélat qui avait échappé jusqu'à ce jour à toutes les recherches. Il faut
d'autant plus l'en féliciter que, lorsque je préparais mon édition des Lettres
iacdites du cardinal d'Armagyiac, je ne manquai pas de demander communica-
tion de tout ce qui, dans les Archives nationales, pouvait m'intéresser à cet
égard, et qu'il me fut répondu que l'on n'y possédait pas une seule ligne écrite
par le cardinal, comme semblait le prouver du reste l'absence de son nom
dans le Musée des Archives nationales (1872, in-4°).
3. Notre-Dame de la Grasse (diocèse de Carcassonne). Voir pour cette abbaye
la lettre XXXIII, du 29 août 1573 (tome II, 1876, p. 561).
LETTRES INÉDITES DU CARDINiL d'aRMAGNAC. 347
ayant vacque par mort fut par moy conférée à ung religieux profez
gentilhomme et gradué que a tousiours servy Dieu en lad. abbaye fort
examplairement depuis environ vingt cinq ou trente ans, ne pouvant
mieulx faire si me sembloit pour 1 honneur de Dieu et ediiication de
son église que de donner les bénéfices a ceulx qui les méritent et qui en
son (sic) dignes pour leur intégrité et doctrine, et examplaire de bonnes
mœurs, mesmes en ce temps misérable, il est nécessaire de faire choix
de personnes qui aient moyen de s'opposer aux hereticques, lesquelz
travaillent misérablement ce royaume comme "Vostre Majesté scait, et
pour aultant que lad. camererie a quelques membres en vos terres et
seigneuries, encores que le chef doibve résider en ladicte abbaye pour
y faire sa charge, je vous supplie treshumblement que comme zélateur
du service divin et protecteur des ecclésiastiques, vouloir accorder aud.
camerier nommé la Bastide les provisions nécessaires pour la jouissance
desd. membres. De quoy oultre l'obligation très estroicte que je vous
en auray, non seulement ledict Bastide, mais tous les autres religieux
de ladicte abbaye, et de l'ordre de S' Benoist, feront treshumbles prières
a la bonté divine de vous donner,
Sire, en toute perfection de santé tresheureuse et treslongue vie.
De S» Ganat<, lexi« de may 1579.
Votre treshumble et tresobeissant serviteur.
G., cardinal d'ARMAiGNAC.
LETTRES DE SISMONDI
ÉCRITES PENDANT LES CENT-JOURS.
{Suite.)
XXIV.
30 mai 1815.
....Iln'estpointsùr que cette campagne qui commencesi tard ne finisse
pas de fort bonne heure. On a la folie de ne pas vouloir connaître les
dispositions du pays où l'on veut porter la guerre; on les connaîtra quand
on l'attaquera, et alors on s'apercevra, je pense, qu'il valait mieux
rester tranquille. Alors peut-être le sera-t-on de nouveau. Nous appro-
chons du moment de l'ouverture de l'Assemblée 2. Il est possible que
1. Aujourd'hui Saint-Cannal, commune du département des Bouches-du-
Rhône, arrondissement d'Aix, canton de Lambesc, à 57 kilomètres de Marseille.
2. Les députés arrivent à Paris et sont extrêmement montés pour la défense
3 5S MELANGES ET DOCUMENTS.
les otrangorp pronncnt ce moment-là même pour attaquer. S'ils ne le
font pas, il y a tout lieu de croire que l'Assemblée ne voudra pas
soulTrir plus longtemps ces démonstrations hostiles, et que ce sera elle
qui demandera à l'empereur d'attaquer. Mais une personne qui m'est
bien chère se plaignait de ne pouvoir jamais être contente de la con-
duite du parti qu'elle aimait. Aujourd'hui que ses vœux ont dû chan-
ger, il est possible qu'on lui donne encore le même chagrin. Ceux-ci
sont hommes et passionnés, et il est probable qu'ils passeront les justes
bornes. Napoléon a été pendant ces trois mois d'une modération sans
exemple envers ses ennemis. Je crois Tort que l'Assemblée prendra de
toutes autres mesures; que les conspirateurs, ceux qui correspondent
avec l'ennemi, seront punis de peines fort sévères; et le mouvement
qui dans plusieurs provinces se manifeste contre la noblesse, en même
temps qu'il est juste, parce qu'il est nécessaire à la défense natio-
nale, ne laisse pas que d "être fort alarmant. J'eus hier une conver-
sation de demie heure avec le duc de Bassano, ministre secrétaire
d'État. Je voulais le remercier du décret sur la Légion d'honneur, et
de ce qu'il avait été retiré ensuite. Il est impossible d'être plus préve-
nant et de traiter quelqu'un avec une plus haute considération, qu'il
ne ht pour moi.
Mercredi matin. — Pour achever de nous distraire, nous avons
pour demain l'assemblée du Champ de Mai. M™^ de Dolomieu est res-
tée un jour de plus pour pouvoir la voir; nous devons y aller ensemble,
mais il faut pour cela que j'obtienne des billets, et quoique je les aie
demandés depuis longtemps, je ne les ai point encore reçus. On dit
que la salle contiendra de 12 à 14,000 personnes. M'"^ de Bérenger, qui
devait retourner hier à la campagne, est aussi restée; mais ce n'est
pas pour y aller, elle craint la fatigue d'une longue séance et avec ses
mauvais yeux elle ne profite guère des spectacles; c'est seulement
pour qu'en en sortant on vienne le lui raconter chez elle. Nous nous
affligerons beaucoup de nous séparer, M-^e de Dolomieu et moi. Elle
s'est accoutumée à l'intimité de notre conversation, elle prétend que
je l'entends mieux que personne, et elle se sentira au contraire à Lyon
dans une profonde solitude de cœur et d'esprit. Nous avons passé hier
la soirée ensemble chez M'^e d'Henriesdal avec M. et M™e de Gérando
qui habitent la même maison. Je ne sais si je t'ai raconté qu'un de ces
derniers jours que j'étais chez M™« de Montjoie, M. de Gérando, qui y
était aussi, m'embrassa en prenant congé de moi : il allait se cacher
dans les entrailles de la terre, et dans les calamités qui nous menaçaient,
personne ne savait plus s'il aurait encore, au bout de quinze jours, sa
tête sur ses épaules. Je me mis à rire, l'assurant qu'il n'y avait de dan-
de la France; ils commencent le recensement des votes sur la Constitution et il
paraît qu'elle sera acceptée par un nombre très-imposant de suffrages. On croit
probable que jeudi se fera la grande séance du Champ de May, et dimanche l'ou-
verture de l'Assemblée {Noie de Sismondi).
LETTRES DE SISMONDI e'cRITES PENDANT LES CENT-JODRS. . 349
ger ni pour lui, ni pour moi, ni pour personne. Quinze jours après il
était nommé conseiller d'État, chargé d'une mission importante par le
nouveau gouvernement. C'est un fort bon homme, mais faible et sujet
à un peu d'affectation allemande, qu'il a prise peut-être de sa femme.
Vendredi 2 juin. — Je suis d'une tristesse mortelle, chère mère;
Mme de Dolomieu est partie ce matin, et quoique je sentisse peut-être
qu'il était temps que nous nous séparassions, parce que son mari qui est
extrêmement vif en royalisme s'inquiétait d'une amitié à laquelle il
attribuait toute la raison qu'elle montrait, et pouvait en prendre à la fin
une humeur qui aurait eu des suites durables. Cependant son départ
me cause une tristesse qui passe encore mon attente. Je la voyais tous
les jours deux heures, mais à présent elle me manque tout le jour.
D'ailleurs je suis triste encore des rudes circonstances dans lesquelles
nous nous trouverons : la guerre va éclater. Avant dix jours il se sera
sûrement bien versé du sang. Les Chambres seront réunies lundi 5,
mardi 6 l'Empereur partira. La Suisse encore me donne des inquié-
tudes mortelles. La Diète vient de prendre la plus fausse et la plus
coupable détermination , celle d'accorder le passage aux alliés en cas
d'urgence, c'est-à-dire si cela leur convient. C'est attirer la guerre sur
notre pays. Au moment où la neutralité sera violée du côté du Rhin,
elle le sera aussi du côté du Rhône, et il était si facile, si sur et si
noble de demeurer en paix au milieu de l'Europe. Je ne sais pas ce
qu'il ne faut pas craindre pour Genève, ce qu'il ne faut pas craindre
pour notre correspondance. Allons-nous donc enfin nous trouver tout
à fait séparés? Quelle douleur, après toutes celles que nous avons
éprouvées! Bonne mère, pense du moins avec certitude que je suis bien
de corps et d'esprit, entouré encore d'amis, bien que ce ne soient plus
tous les mêmes. Il m'en reste plusieurs qui me sont très-acquis et les
Bérenger entre autres te répondent aussi de moi. J'irai passer quelques
jours chez eux au Val; à présent ils sont à Paris. Pense que je t'aime
de tout mon cœur, et que lors même que des lettres n'arriveraient
point à toi pour te le dire, ce sentiment remplirait toujours mon âme
et conduirait ma plume; pense que le malheur des temps ne peut pas
toujours durer, et de même que nous avons un désir ardent de nous
rejoindre, nous trouverons aussi la possibilité. J'ai donc assisté hier à
la grande assemblée du Champ de Mai, non pas avec M-"* de Dolomieu
ni M™e de Bérenger parce que les fem mes n'étaient point avec les hommes ;
elles étaient aux fenêtres de l'École militaire, moi avec M. de Béren-
ger et le jeune de Beauvau dans le cirque dont une partie était occu-
pée par les collèges électoraux.
Dimanche matin 4 juin. — J'ai essayé de te donner ci-joint un petit
plan de la distribution de la cour et des spectateurs dans cette fête, en
sorte que je ne t'en parlerai pas. L'assemblée des Chambres paraît être
pour demain. Hier et aujourd'hui elles ont commencé à vérifier leurs
pouvoirs. M. de Bérenger n'est pas pair, ce qui me fait un peu de cha-
350 MÉLANGES ET DOCCMENTS.
prin, puisqu'on promottant d'accoiitor il s'était liien asspz mis en avant.
Je lis hier le tour des l'ortitications qu'on élève autour de Paris. Le
général Haxo, qui les dirige en chef, nous attendait, nous Dt tout voir,
et nous expliqua tout. Paris est entouré de collines qui sont si heureuse-
ment placées que leur crête fait une fort honne ligne de fortilications. On
y travaille avec un très-grand respect pour les propriétés, évitant autant
que possible les maisons dont on n'a jusqu'à présent pas renversé une
seule et ménageant les jardins et les champs, au milieu desquels travail-
lent six mille ouvriers. La ville sera dans un bon état de défense, mais
il faut bien espérer qu'on n'en approchera pas cette fois de manière à la
mettre à l'épreuve Tout était immense dans ce spectacle*. Le trône,
élevé sur le devant du 1" etago de l'École militaire, on plein air, mais
sous un vaste dais, contenait avec l'empereur et sa famille, toute la cour,
tous les ministres, tous les chambellans. Une députation centrale de cinq
cents membres des collèges électoraux est montée vers l'empereur, et
s'est placée toute entière sur les escaliers en avant du trône, tandis que
son président adressait un discours à l'empereur, lui rendait compte de
l'acceptation de la Constitution et recevait son serment. Dans la large
ouverture vis-à-vis, qui communiquait entre la cour et le Ghamp-de-
Mars où était rangée l'armée, on avait d'abord dit la messe, ensuite
chanté le Te Deum, avec une très-belle musique. Sur les gradins en
amphithéâtre, 20,000 électeurs ou spectateurs étaient rangés sous une
tente demi-circulaire, ouverte par devant et par derrière. Après le dis-
cours et les serments, l'empereur est descendu du trône, a passé par
l'ouverture où est l'autel, il est monté sur le tertre en plein air, au
milieu de l'armée et du peuple ; tous les maréchaux et tous les géné-
raux l'entouraient, et il a distribué à chaque députation de chaque
corps d'armée les aigles de leurs régiments. Il a distribué aussi celles
des gardes nationales de tous les départements. Il y avait peut-être
200,000 personnes, acteurs et spectateurs, dans cette grande cérémonie
nationale. J'y étais dès neuf heures du matin, elle a fini à trois heures
et demie ; le temps était magnifique ; l'enthousiasme universel, et les
cris de : vive l'empereur ! perçaient le ciel.
XXV.
Mercredi 7 juin à samedi 10 juin 1815.
.... Tout tient (il s'agit des communications postales) à la neu-
tralité de la Suisse et jusqu'à présent la Diète n'a point pris
la seule détermination qui puisse la garantir, celle de la dé-
fendre par les armes. Tous mes vœux, tout mon espoir c'est qu'elle
ne soit pas violée d'ici à un mois. Si on la sauve dans ce premier mo-
1. L'assemblée du Champ de Mai. Voy. le plan ci-joint.
LETTRES DE SISMO?(DI ECRITES PENDANT LES CENT-JOURS.
33^
ment, j'ai tout lieu de me flatter qu'on la sauvera pour toujours, et
que les Suisses, voyant les succès balancés, comprendront la néces-
Cons; d'Etat
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Cliainp de Mars ou de la fédération (jui s'étend de l'Ecole Militai
re Juscju'a la rivière. (Cherche- la pluj grande des places clwis le plan de farù )
(à, (joue}» de la rwière, )
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site de la défendre rigoureusement. C'est aujourd'hui que l'empereur
ouvre la séance du Corps législatif à quatre heures. On se croit assuré
que dans l'adresse que ce corps lui présentera au nom de la nation, on
352 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
l'invitora à attaquer sans dillorer davantage. On a fait hier et avant-
hier l'essai de l'esprit de cette assemblée dans quelques délibérations
sur son organisation. Il est beaucoup plus uni qu'on ne s'était flatté.
Les députés marcheront de très-bon pied en même temps à la défense
de l'empire et à celle de la liberté. La nomination de M. Lanjuinais
pour président est à ce dernier égard de très-bon augure. C'est l'homme
qui pendant toute la Révolution a mis le plus de courage et de cons-
tance à s'opposer à toutes les tyrannies démagogiques et impériales,
mais il mettra autant de zèle à défendre la patrie que la Constitution.
Je dinai hier chez M. de Gérando avec Benjamin Constant et deux
députés marquants, M. Durbach et M. Duchesue, qui me firent conce-
voir de fort bonnes espérances. Hier même cependant il paraît qu'il
y a eu un projet d'assassiner l'empereur. Un homme, qui avait cru le
trouver au Corps législatif et qui sortait des tribunes, a été tout à coup
déchiré lui-même par une explosion de poudre fulminante qu'il portait.
Il a été arrêté; mais peut-être est- il déjà mort de ses blessures; on ne
comprend point encore ni l'accident dont il est lui-même victime, ni
le projet qu'il avait pu former, car la poudre fulminante ne porte point
des projectiles à distance; encore moins peut-on diriger ses coups. Cet
accident servira à faire prendre plus de précautions à l'avenir, et une
trame déjouée met à l'abri de plusieurs autres.
Vendredi 'ù juin. — L'accident dont je t'ai parlé au bas de la page pré-
cédente, paraît aujourd'hui tout à fait innocent. Le Saxon qui avait de
l'argent fulminant dans sa poche, avait cru faire une merveilleuse inven-
tion pour l'employer à la guerre; il avait porté sa machine à différents
ministères, on l'avait toujours repoussé, à cause du danger attaché à
l'emploi de cette matière; il ne se décourageait pas et en portait cons-
tamment dans sa poche, lorsqu'un accident a produit la détonation. Du
reste il n'en mourra point, il en sera quitte pour une brûlure ; mais on
ne se fait pas une idée du fracas de cette détonation, elle passe un coup
de canon. — J'avais à peine écrit ce commencement de lettre avant-hier,
lorsque M™« de Bérenger m'envoya un billet pour voir l'ouverture du
Corps législatif. Il n'y avait pas place pour 300 personnes, en sorte que
c'était une grande faveur d'y être admis. C'était la même salle où j'avais
vu faire l'ouverture il y a deux ans; alors l'Assemblée était beaucoup
plus brillante par la richesse des costumes, avant-hier elle était deux
fois plus nombreuse. L'empereur fut fort applaudi à son entrée, beau-
coup plus qu'il y a deux ans, mais après son court discours, dans lequel
annonçant le commencement de la monarchie constitutionnelle, il s'en
remettait entièrement entre les mains de la nation, il fut bien plus applaudi
encore et avec bien plus de transport. Hier j'allai à une séance ordinaire,
il n'y avait aucun sujet fort important en délibération, cependant l'intérêt
du débat était très-grand, parce qu'on y voyait se peindre le caractère de la
nation française et cette impétuosité, cette impatience des formes et
de l'ordre qui rendent ses assemblées si difficiles à conduire. Il y a
LETTRES DE SISMONDI ÉCRITES PENDANT LES CENT-JODRS. 353
dans notre Grand-Conseil à Genève bien plus de sagesse, et je le croi-
rais tout autant de talent. Si tout ceci mûrit à bien, ces commence-
ments seront la chose la plus curieuse et qui laissera les souvenirs les
plus importants; j'aurais bien du regret de ne les avoir pas vus. Mais
le canon est au-dessus de tout cela; d'un moment à l'autre les coups
vont être frappés. Je suppose que l'empereur partira ce soir ou demain,
et une grande bataille sera probablement livrée avant la fin de juin, avant
par conséquent que les Russes soient arrivés en ligne. Il y a d'autre part
des mouvements violents dans la Vendée, puis les Autrichiens vont bien-
tôt menacer la Savoie et le Dauphiné; la situation est violente, et il
est presque impossible de penser à autre chose. Cette concentration de
toutes les idées sur la politique est encore augmentée pour moi par
l'absence de mes principaux amis. C'est aujourd'hui que je compte que
M™* de Dolomieu arrive à Lyon et je ne suis pas sans inquiétude pour
elle pendant son séjour là! M™« de Bérenger est retournée hier au Val
du Loup, elle m'a fait promettre d'y aller passer quelques jours, et
auparavant j'irai lui faire de plus courtes visites, mais le temps est à
présent exécrable et comme il plut hier, jour de la saint Médard, on a
annoncé que ce déluge durera longtemps. Hier je partageai ma soirée
entre la princesse Jablonowska et M™« de Souza. La première doit me
faire rencontrer cette même lady Elisabeth Forbes, dame d'honneur de
la princesse de Galles, que j'ai vue à Genève, et qui vient d'arriver à
Paris chez M"^^ de Souza; j'eus une très-longue conversation avec
M. Philippe de Ségur, fils du grand-maître <, homme d'esprit et bon
général. J'y trouvai aussi un homme que j'aime à rencontrer, M. de
Lascours, qui a servi avec distinction, qui a des idées très-libérales et
que je considère comme une sorte d'ami^. Mais la maîtresse de la mai-
son ne me plaît guère; il y a si peu de vérité dans tout ce qu'elle dit ;
je vois fort bien qu'elle s'occupe toujours des moyens de diriger l'opi-
nion; elle vous dit en confidence ce qu'elle désire qu'on répète, elle
vous recommande toujours fort de ne pas la citer, parce qu'elle est por-
tugaise et qu'il ne lui convient pas de se mêler de rien 3. Je fais plus,
je ne répète pas non plus ce qu'elle m'a dit et ce n'est pas là ce qu'elle
voudrait.
Samedi [0 juin. — Il est arrivé hier ici la nouvelle que dans le
Conseil de Genève, après une longue délibération, 150 suffrages contre
82 avaient été donnés pour rompre la neutralité et se joindre à la coa-
lition. Cet acte malheureux de démence sera bientôt suivi d'hostilités
et de la cessation de toute correspondance
1. Louis-Philippe de Ségur était, depuis 1804, grand-maître des cérémonies.
2. Jérôme Reinaud de Boulogne, baron de Lascours, avait été membre du Corps
législatif depuis 1800.
3. M°" de Souza n'était portugaise que par son second mariage. Elle-même
était parisienne d'origine.
Rev. Histor. V. 2« FASc. 23
334 MELANGES ET DOCDMENTS.
XXVI.
12 juin, lundi soir 1815.
L'Empereur est parti la nuit passée; à l'heure qu'il est, peut-
ôtre est-il déjà arrivé aux avant-postes. Le temps, qui a été affreux ce
matin, semble se remettre; qui sait le sang qui peut déjà couler demain?
Jamais tous les cœurs n'avaient été ébranlés par une aussi profonde
émotion; c'est l'existence de la France qui doit se décider. Le sort de
la Pologne la menace. J'ai reçu en même temps que la tienne, une
lettre du poète Foscolo, de Goire, le 18 mai, qui me dit qu'il est pros-
crit de sa patrie <, fugitif, sans passeport, voulant aller à Londres, et ne
sachant quelle route prendre. Il désire faire parvenir de ses nouvelles
à M-ufi d'Albany avec qui il était fort lié. Veux-tu lui dire qu'il est
arrivé jusque-là, mais sa lettre a tant tardé que beaucoup de choses
ont pu lui arriver depuis. J'ai passé aujourd'hui partie de ma matinée
au Corps législatif ; j'ai dîné chez M^^ de Rumford avec Maurice,
jVIme de Souza et quelques autres; j'ai achevé ensuite ma soirée chez
Mme Récamier.
Mardi 13. — Au milieu de toute la tristesse qui m'accable pour
notre séparation, pour toutes nos inquiétudes, j'éprouve une indicible
consolation au fond du cœur de sentir que toi, ma sœur et moi nous
ne faisons qu'un. Cette communauté d'espérances et de craintes adou-
cit la moitié des douleurs. Je ne vois guère ici que des gens qui pensent
comme moi, et dans ce moment de crise les autres me seraient insup-
portables à rencontrer. Les Bérenger sont les premiers, et si j'ose en
juger je leur fais autant de plaisir que eux à moi. M-^^ de Rumford et
sa société ne sont pas moins unanimes, puis tous les Beauvau. Ceux-
ci ont marié avant-hier leur fils aîné à M"" de Praslin, une riche héri-
tière, que j'ai vue ce soir pour la première fois, mais qui est bien laide,
tandis que les deux sœurs Beauvau sont belles comme des amours. La
princesse Jablonowska, avec sa société polonaise, sont encore des gens
qui me font du bien à rencontrer, fidèles en tout pays à la liberté et à
l'honneur national. J'y ai dîné aujourd'hui avec une comtesse "Walew-
ska, qui a été fort aimée par celui-là même avec qui j'ai eu la conver-
sation de trois quarts d'heure 2. Elle est charmante, et sa sœur qui a
18 ans et qui va se marier ne l'est pas moins; toutes deux arrivent de
Naples d'où elles sont parties le 12 mai, avec lady Elisabeth Forbes, la
dame d'honneur de la princesse de Galles, avec qui j'avais beaucoup
dansé l'automne dernier, et qui était aussi des nôtres. Il y avait de
curieux récits à tirer de toutes trois
J'ai assisté ce matin à la séance du Corps législatif où le mi-
1. Ugo Foscolo, alors professeur à Pavie, avait été accusé de conspiration contre
les Autrichiens.
2. Napoléon.
LETTRES DE SISMONDI ÉCRITES PENDANT LES CENT-JOURS. 355
nistre a rendu compte de l'état de l'Empire. Il assure que dans ce mo-
ment l'armée active est de 375,000 hommes sans compter 150,000 gardes
nationaux aux frontières. C'est un pays à immenses ressources et les
plus puissantes de toutes se trouvent dans l'enthousiasme des soldats.
Demain est l'anniversaire de Marengo, les troupes sont en présence, il
est bien probable qu'elles voudront le fêter. Qui pourrait exprimer avec
quel tremblement d'anxiété on attend les premières nouvelles du télé-
graphe, et le premier canon de victoire ?
Jeudi 15 juin.
Je ne puis me déterminer à quitter Paris avant d'avoir vu les
premières nouvelles. Il est bien probable qu'elles ne tarderont pas;
qui sait si la journée d'hier n'a pas été déjà signalée par une éclatante
victoire? Pour profiter de l'ardeur des troupes on paraissait décidé à
tout attaquer à la bayonnette. C'est revenir au système qui a fait tous
les succès au commencement de la Révolution.... D'après tout ce que
l'on dit de Genève, il y a une telle exaspération, un -tel acharnement
dans les partis, que la vie y serait infiniment désagréable. Les résultats
calmeront ces esprits si agités. Celui d'une victoire des alliés ne les
dégriserait que trop, puisque je suis persuadé qu'elle serait bientôt sui-
vie du partage de la Suisse ; ce qui parle français serait donné au roi de
Sardaigne, ce qui parle allemand à l'Autriche. Dieu nous garde d'une
pareille servitude ! J'aimerais bien mieux aller m'enterrer à Pescia que
de voir flotter sur nos murs la croix de Savoie. Je n'ai plus que la
place de t'embrasser ei de te dire que je t'aime par dessus tout.
XXVII.
M juin ISlb.
Le jour même où les hostilités ont commencé, le 15, le passage
de la Sambre a été forcé, Charleroi pris, quatre régiments prussiens
fort maltraités, et 1500 hommes faits prisonniers. La pluie qui a tou-
jours continué depuis la saint Médard, avec de très-courtes interrup-
tions, et qui tombe dans ce moment-ci à grands flots, est assez favo-
rable aux Français qui sont décidés à tout attaquer à la bayonnette ,
car elle ne fait que presser leur marche, tandis qu'elle ralentit le feu
des ennemis et empêche leur poudre de prendre. Mais j'ai bien moins
d'inquiétude sur les opérations militaires que sur la conduite de la
Chambre des représentants. Celle-ci est tout à fait déraisonnable;
constamment mue par de petites vanités, de petites susceptibilités,
incapable d'aborder les vraies questions libérales, les vraies garanties
du peuple, elle ne sait manifester que de la mauvaise humeur,
de la taquinerie et de la défiance des ministres. Peut-être en avan-
çant se formera-t-elle? peut-être s'y développera-t-il par la suite quel-
ques talents? jusqu'à présent elle ne me donne que de la crainte.
Il faudrait trembler de tomber sous son joug, ce qui arriverait indubi-
tablement si Bonaparte était tué. — ... J'ai reçu hier de Lyon une
356 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
lettre de M™» de Dolomieu extrêmement amicale, mais en même
temps si triste, si abattue que j'en suis moi-même tourmenté. Elle ne
se trouve entourée que de gens absurdes, et si exagérés, si animés de
passions haineuses, que sa situation lui en devient insupportable. Ils
ne souhaitent que sang et massacres; ils n'ont aucune tolérance pour
ceux qui désirent l'honneur et l'indépendance de leur pays, ils les
traitent sans cesse de gueux et de misérables, ils les menacent avec
une imprudence d'autant plus inconcevable qu'ils sont absolument
entre leurs mains, et que si les étrangers entraient en effet, ils provo-
queraient ainsi contre eux-mêmes les scènes les plus féroces. En même
temps ils se croient déjà arrivés aux calamités qu'ils appellent de tous
leurs vœux, ils attendent de jour en jour le siège et le bombardement,
encore qu'il n'y ait pas un seul soldat qui ait passé les montagnes, et
Zoé', tremblant pour sa petite, croyant voir réalisés tous les maux
qu'on lui annonce, se reproche d'avoir conduit sa fille dans un lieu si
dangereux, regrette Paris et se désole, partagée entre les craintes et
les remords.
Dimanche matin 18. — Je suis en proie, bonne mère, à de nouvelles
inquiétudes : le journal de ce matin annonce la cessation des commu-
nications entre Bâie et Strasbourg, et même l'entrée des Autrichiens à
Genève; je crois ce bruit prématuré, mais ce qui n'était pas alors
sera aujourd'hui. Nous allons donc nous voir décidément coupés.... Dans
les siècles précédents on voyait souvent la guerre, mais on ne connais-
sait point encore cette barbarie d'interrompre tout moyen de commu-
niquer entre les parents, ou ceux qui ont entre eux des relations étroites
d'intérêt. La poste elle-même se chargeait d'ouvrir toujours de nou-
velles routes et l'on empêchait seulement que la correspondance pût
déjouer les opérations militaires. Mais chaque guerre prend un carac-
tère plus cruel et nous semblons retourner à la barbarie. Chère mère,
cette séparation nous inflige les plus amères douleurs; cependant, il
faut nous le dire, les événements ne nous ont point desservis autant
qu'ils pouvaient. Tu aurais été plus inquiète de moi si tu m'avais eu
auprès de toi ; tu aurais même pu l'être davantage, si tu m'avais eu à
Genève à l'entrée des Autrichiens ou sur le théâtre de la guerre; je
suis dans le lieu le plus sur. Je puis y rester en paix, perdu dans la
foule; dans une grande ville et au milieu d'une société nombreuse et
animée, on oublie la guerre; on en parle il est vrai beaucoup, mais
rien de ce qui nous entoure n'en porte l'apparence. On vit dans le
monde comme auparavant, on y trouve à peu près le même luxe, les
dîners n'en sont pas moins exquis, les collations du soir pas moins élé-
gantes. On ne voit pas beaucoup de voitures parce que l'ancienne cour
est à la campagne ou émigrée, en sorte que c'est le règne des fiacres et
des voitures de remise; cependant ceux qui restent à Paris n'ont
renoncé à aucunes de leurs jouissances, et les équipages et les livrées
1 . M°= de Dolomieu.
LETTRES DE SISMONDI ÉCRITES PENDANT LES CENT-JOURS. 357
paraîtraient encore très-brillants partout ailleurs qu'ici. Les spectacles
suivent leur train ordinaire, enfin l'agitation de l'esprit est le seul mal
que l'on sente, tout le reste est comme au sein de la paix dans les
temps les plus prospères.
Dimanche, près de midi. — On a tiré ce matin 101 coups de canon
pour annoncer une grande victoire remportée en Flandre, à Ligny, sur
Bliicher et "Wellington réunis; c'est auprès de Fleurus, lieu déjà célèbre
par deux grandes batailles. On n'a jusqu'à présent aucun détail. La
lettre officielle est du 16 juin au soir. Demain seulement nous aurons
les circonstances et les résultats, mais on assure que l'affaire est déci-
sive. On a voulu faire couler des torrents de sang, on a voulu rejeter
toute proposition de paix, toute possibilité d'accommodement ; que ces
malheurs retombent sur la tête de ceux qui les provoquent
XXVIIL
23 juin 1815, vendredi matin.
Je n'ai point commencé ma lettre au commencement de la semaine,
bonne mère; je fis partir celle de dimanche avec peu d'espérance
qu'elle put faire son chemin. Dans les quatre jours qui suivirent la
communication fut rompue de tous les côtés; de nouveaux désastres,
une catastrophe qu'on ne pouvait prévoir, rouvriront peut-être au-
jourd'hui la communication. L'armée, sous les ordres immédiats
de l'empereur, avait commencé les hostilités le 15, et remporté un
avantage brillant à Gharleroi le lô. Avec une force d'environ 90,000
hommes, elle attaqua près de Fleurus l'armée combinée prussienne
et anglaise; après le combat le plus acharné et à la fin de la jour-
née seulement elle coupa sa ligne, repoussa les Anglais du côté de
Bruxelles et les Prussiens du côté de Namur. Napoléon, avec en-
viron 50,000 hommes, se chargea de la poursuite des premiers, le
maréchal de Grouchy de celle des seconds. La journée du 17 qui fut
extrêmement pluvieuse fut employée en marches et petits combats. Le
18, Napoléon attaqua Wellington, retranché dans la forêt de Soignies,
devant Bruxelles. Les forces anglaises étaient doubles des siennes, elles
avaient encore l'avantage de retranchements préparés longtemps à
l'avance, et d'une formidable artillerie. Ses généraux jugèrent qu'il y
avait très-peu d'espérance de succès, il voulut tenter la fortune. Sa
brave garde, l'élite de la nation et ce que la France possédait de plus
glorieux le seconda avec ce courage calme et inébranlable que ces vieux
soldats portaient empreint sur leur front. La vieille garde était un corps
de 7000 hommes, dont plus des trois quarts avaient obtenu, par des actions
éclatantes, la décoration de la Légion d'honneur. Une batterie effroyable
qui était masquée a bientôt labouré leurs rangs. Cette vieille garde
n'existe plus, ils ont tous péri; lorsque après le combat le plus acharné,
dans lequel plusieurs des positions anglaises ont été enlevées à la
358 MELANGES ET DOCUMENTS.
bayonnotio, ot dans lequel Bonaparte cherchait et appelait la mort
sans pouvoir la trouver, se tenant en dehors et en avant des carrés qui
soutenaient le feu le plus violent, une terreur panique, un faux
bruit, peut-être une trahison, a tout à coup fait lâcher le pied à
l'armée; mais la vieille garde, ferme à son poste, et abandonnée
seule sur le champ de bataille, a repoussé toutes les instances de
^VelIington, aucun d'eux n'a voulu se rendre, et la mitraille n'appor-
tant point encore assez rapidement la mort, le petit nombre de
braves qui restaient sans espérance se sont embrassés, puis percés
de leurs bayonnettes. C'est sur leurs corps que Louis XVIII veut mon-
ter pour régner. Cependant le restant de l'armée ayant rompu ses rangs,
n'a plus pu être reformé; bientôt ils ont jeté leurs armes pour fuir et
se précipitant dans les chemins comme un troupeau de moutons, entraî-
nant avec eux et devant eux ceux mêmes qui étaient les plus déter-
minés à tenir, ils ont été poursuivis pendant vingt lieues par la cavale-
rie anglaise. On ignore encore le nombre des morts et des prisonniers,
mais il doit être immense, et surtout la terreur dont l'armée fugitive a
frappé la nation, ne laisse plus de ressources. Pendant le même temps
cependant le maréchal Grouchy avec son corps d'armée avait battu les
Prussiens et occupé Namur*. Mais l'empereur ne le savait pas, et voyant
son armée dissipée, toute son artillerie perdue, il est revenu à Paris,
où, après trente-six heures malheureusement perdues en vaines délibé-
rations, il a abdiqué hier l'empire entre les mains des deux Chambres
qui ont nommé une commission de gouvernement provisoire pour
négocier avec les puissances, et pourvoir en même temps à la défense
nationale. Le choix des membres de ce gouvernement provisoire donne
l'espérance qu'ils ne voudront pas soumettre la nation à l'ignominie du
roi des étrangers, et qu'ils balanceront plutôt entre Marie-Louise et le
duc d'Orléans; mais les représentants sont tumultueux et faibles, ils
inspirent peu de confiance. Cependant le désastre public, renfermant
une espérance de paix, a fait remonter les fonds d'une manière extraor-
dinaire.
Samedi soir. — Les événements vont si vite, bonne mère, que je ne
puis jamais croire qu'ils soient renfermés dans si peu de jours. Il me
semble qu'il s'est passé près d'un mois depuis que notre communica-
tion est fermée et cependant les huit jours d'intervalle ne sont pas
même accomplis. Je ne voulais pas croire non plus que ce fut hier que
j'avais commencé cette lettre. Ce n'est pas que dans cet intervalle,
beaucoup de choses aient été faites. Un gouvernement provisoire a été
nommé pour remplacer l'empereur et administrer au nom de Napo-
léon II, qui a été reconnu par les deux Chambres. Ce gouvernement
est composé d'hommes signalés par leur aversion pour les Bourbons.
Il a nommé six commissaires pour négocier avec les puissances, parmi
1. Nous ne pouvons nous occuper de rectifier toutes les erreurs de ce récit,
écrit d'après les premières nouvelles qui arrivèrent à Paris.
LETTRES DE SISMONDI e'cIIITES PENDANT LES CENT-JOURS. 359
eux Benjamin, Lafayette, d'Argenson et Pontécoulant que tu connais
par moi. Ils sont partis à midi. Leur commission est de traiter pour
faire reconnaître la régence de Marie-Louise et obtenir la paix à ce
prix, mais il est certain, et les Chambres l'ont annoncé en quelque
sorte par leurs délibérations de ces deux jours, que si les ennemis ne
veulent pas du fils de Napoléon, ce ne sera pas pour lui qu'on fera la
guerre; ce ne sera jamais que pour repousser Louis XVIII contre lequel
les deux Chambres sont presque unanimes et la nation toute entière
assez d'accord.
Dimanche matin. — Je crois la communication avec Genève toujours
interrompue, mais je n'en suis pas sur, et comme nous nous sommes
bien trouvés de ne négliger aucune chance pour nos lettres, je ferai
partir aujourd'hui celle-ci à tout hasard. Les nouvelles des armées sont
plutôt bonnes; on se réorganise, on se met en état de faire ferme de
toutes parts ; l'armée anglaise n'est point encore entrée en France, et il
est possible qu'elle n'ose point s'aventurer entre tant de forteresses,
contre une armée en état de lui disputer encore le terrain. Les commis-
saires cependant sont partis et la négociation sera peut-être incessam-
ment entamée. On a envoyé aussi en Angleterre M. Otto', et selon toute
apparence c'est pour s'adresser directement au duc d'Orléans. A en juger
par l'ensemble des circonstances, par la perte terrible que les alliés ont
faite dans les deux dernières batailles, il est probable que la paix se
fasse immédiatement sans que la France soit entamée et avec un gou-
vernement qui concilie tout. Mais ceux qui sont attachés à la famille
même de Bonaparte considèrent tout comme perdu, parce qu'ils voient
peu ou point de chances pour que cette famille reste sur le trône et
ils soupçonnent tous les Orléanistes d'être Bourbons, ce qui n'est point.
Mais ce qui est tout à fait inexplicable, c'est le caractère de Napoléon.
Il a donné dans ces derniers combats les preuves les plus éclatantes de
courage, c'est-à-dire d'un calme imperturbable et d'une parfaite présence
d'esprit dans le plus effroyable danger; mais ensuite, quand la fuite de
l'armée a commencé, il est évident qu'il a perdu la tête; il n'a rien
tenté pour arrêter l'armée (je ne sais au reste s'il y avait aucune possi-
bilité de le faire) ; il a cru tout perdu, il a abandonné son poste qui
devait être au premier endroit où les fuyards pourraient faire ferme, il
n'a point visité ni organisé la frontière, il s'est sauvé jusqu'à Paris, où
il ne devait point venir et y est resté ; il y reste encore sans raison, car
après son abdication il aurait dû retourner à l'armée comme volontaire,
combattre encore partout où l'on combat, et ne point permettre que le
dernier coup de fusil se tirât sans lui. Il va se retirer à la campagne,
et l'on assure qu'il offre comme condition de la paix d'aller se consti-
tuer prisonnier en Angleterre. Quand je cherche à préjuger quels
seront pour moi les résultats de tout cela, je vois d'abord que je me
1. Louis-Guillaume Otto, comte de Mosloy, avait représenté la France de
1784 à 1813 aux États-Unis, à Berlin, à Londres, à Munich et à Vienne.
360 MéLAXGES ET DOCUMENTS.
suis fait un très-grand nombre d'ennemis, soit ici, soit à Genève, par
le iiarti que j'ai embrassé; les royalistes sont les plus intolérants des
hommes, et ils ne pardonnent pas les opinions contraires aux leurs;
comme aucune action n'y était jointe cependant, cette haine de parti
ne peut pas se changer en inimitié personnelle, et quand le sujet de
la querelle n'existera plus, on n'y pensera pas longtemps. Cependant,
je resterai avec les amis que j'ai faits et que j'ai mérités, qui ont souf-
fert en commun avec moi des désastres de la France et de la liberté, et
qui m'en aimeront davantage pour avoir senti comme eux. Les Béren-
ger, les Beauvau, M"'^ de Rumford sont tout à fait dans ce cas. Même
en mettant tout au pire et en supposant le retour de Louis XVIII
conduit par les alliés, je ne puis croire à ma persécution personnelle ;
je pourrai à mon gré rester ici ou retourner à Genève, et à ceux qui
me feront la mine je ferai la mine à mon tour. Si le duc d'Orléans au
contraire est roi, l'issue ne sera point mauvaise ; mes amis seront dans
une situation agréable, la France restera libre, les bonnes opinions
demeureront dominantes et je n'aurai rien perdu. La guerre se termi-
nant beaucoup plus rapidement que nous ne devions nous y attendre
sauvera Genève non-seulement de l'attaque des Français, mais encore
de la garnison autrichienne, en sorte qu'il y a plus de chances pour
sauver encore son indépendance, qui cependant est devenue bien pré-
caire. Je veux attendre ici la fin des événements ; comme historien il
est juste de vouloir tout voir, et qui sait si je n'essayerai pas d'écrire
ce que j'ai vu? Je retournerai ensuite à Genève où je finirai la belle
saison.
XXIX.
7 juillet 1815.
J'essaie, bonne mère, de mettre une lettre tout simplement à la poste
pour te dire que je me porte bien, que je n'ai éprouvé aucune souf-
france, aucune privation, pendant que les ennemis entouraient Paris,
que les portes leur sont livrées dès hier, et que jusqu'à présent il n'y a
eu aucun désordre, aucune violence; la sûreté est complète pour tous
et pour moi en particulier, qui n'ai point de maison, et qui ne puis
être exposé à loger des troupes. Tous mes amis au reste sont dans la
désolation, cette belle France est perdue, nous nous acheminons vers
un partage semblable à celui de la Pologne. Louis XVIII cédera cette
fois forteresses, artillerie, armée, vaisseaux, tout ce qui fait qu'on est
nation. A la prochaine fois il n'y aura plus besoin que de quelques
traits de plume pour achever le partage de la France. Je resterai encore
ici une quinzaine de jours pour attendre que l'ordre soit rétabli sur les
grands chemins, je partirai ensuite avec M™« de Lieven qui veut aller
prendre les bains d'Aix; et de Genève, quand j'y serai, nous mûrirons
nos projets pour nous réunir cet hiver. Je t'embrasse, etc.
(Sera continué.)
BULLETIN HISTORIQUE
FRANCE.
NÉCROLOGIE. — Au moment où la France entière pleure la mort du
plus illustre de ses citoyens, de celui dont un concours extraordinaire
de circonstances avait fait le représentant le plus éminent de ses con-
victions libérales et de ses patriotiques espérances, il est bien difficile de
séparer en deux la personne et l'œuvre de M. Thiers pour porter sur
l'historien un jugement impartial, qui ne soit influencé ni par les pas-
sions du moment ni même par les sentiments d'admiration et de recon-
naissance que nous devons à l'homme d'État et au chef de gouverne-
ment. Dans les temps agités où nous sommes, la franchise risque de
passer pour de l'hostilité et Timpartialité pour de l'ingratitude.
Néanmoins, fidèles aux principes de sincérité absolue et d'indépen-
dance scientifique dont nous avons fait profession en fondant cette
Revue, nous ne nous déroberons pas à la tâche qui nous est imposée,
nous résignant d'avance à être mal compris ou mal jugés par quel-
ques-uns.
M. Thiers s'est occupé d'histoire pendant toute sa vie. Il débuta
dans le journalisme par des articles sur le livre de la Monarchie
française de M. de Montlosier et il était à Paris depuis deux ans à
peine quand il publia en \ 823 le premier volume de son Histoire de
la Révolution. Avant même d'avoir terminé son grand ouvrage sur
ï Histoire du Consulat et de l'Empire (1846-^869), il formait déjà le
plan d'une Histoire de Florence., projet qu'il n'abandonna qu'après
la guerre de -1870. Mais en même temps, pendant toute sa vie,
M. Thiers s'est occupé avec passion des affaires politiques de son
pays et il n'est pas possible de l'oublier quand on juge ses œuvres
historiques, pas plus qu'il n'a su l'oublier lui-même en les
écrivant. Lorsqu'il composa son Histoire de la Révolution., tous les
partis libéraux luttaient contre le gouvernement de la Restauration;
l'ouvrage de M. Thiers fut une apologie de tous les partis qui prirent
successivement la direction des affaires pendant la période révolu-
362 BULLETIN niSTORIQUE.
lionnairc, ne les blâmant que lorsque leurs fautes avaient déterminé
leur chute. 11 entreprit d'écrire l'histoire deNapoléon après sa retraite du
minislôro en 1 8 îO ; ot il est facile do. reconnaître dans ce grand ouvrage
une constante apologie des idées administratives, financières et mili-
taires qui lui étaient chères, qu'il ne pouvait plus appliquer dans les
conseils du gouvernement, et qui suivant lui avaient fait la grandeur
de Napoléon, ou avaient été cause de sa chute quand il les avait
méconnues. M. Thiers n'était donc pas un pur savant, un littérateur
désintéressé qui ne cherche que la vérité objective ou la beauté artis-
tique, c'était un homme d'action pour qui les travaux d'histoire étaient
une forme de l'activité politique. Il avait toujours devant les yeux le
public qu'il voulait instruire, convaincre ou charmer, et comme
l'orateur dont la parole est modifiée par les auditeurs à qui il s'adresse,
M. Thiers subissait l'influence de la foule de ses lecteurs; il écrivait
dans son cabinet comme il parlait à la tribune. Pour écrire comme
pour agir, il avait besoin de se sentir soutenu par les sympathies d'une
foule -, il savait à la fois les conquérir et les suivre -, il a été le fidèle repré-
sentant plutôt que le guide de sa génération-, il aimait la popularité
et il avait toutes les qualités intellectuelles qui pouvaient le rendre
populaire; ses défauts mêmes le servaient; ils le rendaient plus acces-
sible et plus familier. Certains critiques lui ont reproché d'être
prolixe, superficiel, de ne juger les événements et les hommes que
d'après le succès, de rester trop attaché aux institutions napoléoniennes,
et d'accorder à la gloire militaire un prix exagéré; mais plus concis
M. Thiers n'aurait pas eu cette verve inépuisable qui entraine et
retient le lecteur; plus profond il serait moins aisé à comprendre;
et enfin ses préjugés sont ceux mêmes de la bourgeoisie française
qu'il représente et à laquelle il s'adresse. Sa supériorité est faite d'un
ensemble merveilleux de qualités moyennes : il est éloquent sans
atteindre à la grande éloquence ; spirituel sans mériter d'être cité au
premier rang pour la vigueur ou la finesse de ses traits d'esprit ; bon
écrivain sans avoir ni la parfaite correction ni la puissante origina-
lité; il est plus pénétrant que profond et il a plus de vivacité d'idées
que de véritable abondance, plus de bon sens et de chaleur que de
largeur et d'élévation dans l'esprit. Mais ces quahtés moyennes étaient
si bien équilibrées, il les avait si bien à son service, il savait si bien
les faire valoir par l'incomparable aisance avec laquelle il les met-
tait en œuvre et en relief, qu'il sut donner à son talent les allures du
génie.
Avec les qualités que la nature lui avait départies, dans la dépen-
dance où il était du public auquel il s'adressait, et au milieu de la vie
agitée qu'il a menée, M. Thiers ne pouvait pas écrire sur la Révolu-
FRANCE. 363
tion, le Consulat et l'Empire des œuvres définitives. Beaucoup de
critiques ont été et peuvent être adressées à ces ouvrages, qui sont
néanmoins tous deux d'un mérite exceptionnel. L'Histoire de la
Révolution nous paraît aujourd'hui insuffisante parce qu'elle n'ap-
profondit aucune des questions, qu'elle ne juge ni les hommes
ni les événements, qu'elle ne tient aucun compte des innombra-
bles documents manuscrits où se trouve la vraie histoire de la
révolution, qu'elle ne nous donne qu'un tableau animé des tragédies
parisiennes, mais oublie de faire connaître ce qui se passa dans les
provinces et en Europe. Néanmoins cet ouvrage eut un retentisse-
ment immense et a été le point de départ de tous les travaux qui ont
été faits depuis sur l'époque révolutionnaire. On peut aussi relever
dans l'Histoire du Consulat et de l'Empire bien des lacunes. On n'y
trouve rien de précis ni d'approfondi sur les États européens et leur
politique; pour la France même l'administration, les finances et la
guerre sont les seuls sujets étudiés-, on n'y apprend rien sur les
mœurs, sur l'esprit public, sur les questions religieuses, en un mot
sur la vie même de la nation. M. Thiers a remué d'immenses masses
de documents, mais surtout des documents français et des documents
diplomatiques, et d'ailleurs il les emploie plutôt avec l'habileté de
l'orateur parlementaire qu'avec la précision de l'érudit, les fondant,
les faisant disparaître dans la trame de son récit au risque d'en altérer
parfois la signification. Enfin son jugement sur Napoléon est à la fois
d'une indulgence choquante et d'une frappante insuffisance, car l'ambi-
tion ne suffit pas, comme il le croit, à faire du héros presque sans tache
du Consulat le fou furieux de la campagne d'Espagne. M. Thiers n'a
pas pénétré dans l'âme de ses personnages et sa psychologie est super-
ficielle. Mais aussi quel talent de narrateur ! Si le récit des affaires
diplomatiques n'est pas toujours d'une exactitude suffisante, comme
écrivain militaire M. Thiers n'a pas d'égal et les campagnes de Napo-
léon se lisent comme des poèmes et des romans. Il se passera long-
temps avant qu'un autre historien ose entreprendre de traiter avec
une égale étendue ce redoutable sujet.
M. Thiers a dit que l'intelligence était la qualité maîtresse de
l'historien. Ce fut en tous cas sa qualité maîtresse. Il y a joint un
sentiment qui a donné à ses œuvres et à sa vie leur noblesse et leur
unité : un ardent patriotisme. L'amour de la France a été, on peut
le dire, toute la morale et la vertu de M. Thiers. A la fin de sa vie, dans
les circonstances tragiques que traversait notre pays, nous avons vu
grandir encore ce patriotisme et cette intelligence. La déposition faite
par M. Thiers devant la commission d'enquête parlementaire sur la
déclaration de guerre et la chute de l'Empire est peut-être le plus
3<^5 RCILLETIIV UISTORFQUE.
beau morceau d'oloqucnce el le plus beau morceau d'histoire qu'il
ail laissé à la poslérilé.
PiuLiCATio.Ns NOUVELLES. Docu.ME.\Ts. — La SocioLc dc l'Oricnl latin
vient de distribuer son premier volume : la Prise (V Alexandrie,
poème de Guillaume de Machaut, publié par M. de Mas Latrie. Ce
poème offre un grand intérêt historique. Machaut a connu plusieurs
des serviteurs de Pierre de Lusignan. Tout ce qu'il nous rapporte
sur les commencements de ce prince et sur l'expédition d'Alexandrie
en < 303 est exact et précieux pour l'histoire. Mais dans la dernière
partie du poème, égaré par une admiration exagérée pour le roi et par
les rapports mensongers de Gautier de Gonflans, il a raconté d'une
manière tout à fait inexacte les causes de l'assassinat de Pierre. M. de
Mas Latrie a donné, comme introduction à la Prise d'Alexandrie, la
notice qui avait déjà paru dans la bibliothèque de l'Ecole des chartes
(Cf. Rev. hist., IV, 21 ri). Le volume se termine par des noteshisto-
riques qui rectifient utilement les erreurs échappées à Machaut, une
table chronologique des événements et un index soigneusement
dressé. On regrette de n'y pas trouver de glossaire. Je sais bien que
la Société de l'Orient latin est une société d'histoire et non de philo-
logie; mais si l'on songe qu'elle publie des textes inédits qui ne seront
pas réimprimés de sitôt, on regrette que la Société n'enrichisse pas
ses textes français de cette addition qui ajouterait beaucoup à leur
valeur et rendrait de si grands services aux philologues. Nous deman-
derions de même à la Société des Anciens textes de donner des index
développés pour tous les textes qui de près ou de loin touchent à
l'histoire, mais ce vœu paraîtra téméraire quand on voit cette Société
dispenser ses éditeurs mêmes de donner des glossaires, comme nous
le voyons par l'édition de Guillaume de Païenne de M. Michelant,
édition qui ne contient ni index, ni glossaire, ni notes, et dont l'in-
troduction elle-même est bien insuffisante. Nous avions espéré que le
Brun de la Montagne de M. Meyer aurait servi de type aux éditions
suivantes, et il nous semble que la Société des Anciens textes devrait
imiter l'exemple donné par la Société de l'Orient latin en imposant à
ses éditeurs des règles fixes et un plan uniforme tout en admettant
des dérogations accidentelles à ces règles.
Ajoutons que l'exécution matérielle du premier volume donné par
la Société de l'Orient latin ne laisse rien à désirer; on y admire la
perfection élégante et luxueuse qui a fait la réputation de l'impri-
meur, M. Fick.
M. Léonce Pingaud vient de publier dans les Mémoires de l'Aca-
démie de Dijon la Correspondance des Saulx-Tavanes au xvi" siècle,
recueil qui forme comme les pièces justificatives de son livre sur les
FRANCE. 365
Saulx-Tavanes (cf. Rev. Jiist.^ III, 449), du moins pour la partie qui
concerne Gaspard, Guillaume et Jean. Les lettres de Jean, le fougueux
ligueur, très-peu nombreuses malheureusement (il n'y en a que onze),
sont les plus originales par leur verdeur militaire. Celles de Gas-
pard, le fameux maréchal, qui sont au nombre de -186, montrent un
esprit calme, froid et prudent, ce qui ne laissera pas d'étonner ceux
qui ne voient en lui que le massacreur de la Saint-Barthélémy. On
reconnaît même que Tavanes ne mettait aucun fanatisme dans la
répression des troubles religieux, qu'il songeait beaucoup plus à
l'État qu'à l'Église, et même que lorsqu'il dut appliquer l'édit de
pacification d'Amboise, il le fit avec une énergie et une loyauté irré-
prochables. Très-précieuses pour l'histoire des guerres de religion,
surtout en Bourgogne, ces lettres n'ont pas du reste de valeur litté-
raire. On y chercherait vainement ces saillies, ce style savoureux et
coloré qui font le charme des écrits de Monluc. On regrette que
M. Pingaud ait été aussi parcimonieux de notes explicatives; mais il
faut se rappeler que le livre précédemment paru est le commentaire
des lettres, et que les sociétés savantes n'aiment pas toujours qu'on
accroisse outre mesure la grosseur de leurs volumes.
Antiquité. — La thèse sur les Romains à Athènes (Thorin), qui a
valu à M. Hinstin le titre de docteur ès-lettres, est une lecture des
plus agréables-, le style en est vif; l'auteur y déploie une érudition
variée et de bon aloi qui ne l'entraîne jamais dans la confusion ni la
lourdeur. Nous lui adresserons cependant une grave critique; son
livre n'a pas le caractère scientifique ; il est très-am\isant et instructif,
mais c'est une série d'articles de revue bien plus qu'un ouvrage de
science fortement conçu et étudié. La question qu'il traite n'est qu'un
des côtés d'un sujet bien autrement important : l'influence de la
Grèce sur Rome. Les voyages des Romains à Athènes, leurs études
ou leurs plaisirs en Grèce ne sont que des épisodes d'un des plus
grands mouvements intellectuels de l'histoire. Et puis ces Romains
ne restent pas à Athènes, ils retournent à Rome, ils y amènent des
Grecs et M. Hinstin se trouve à chaque instant entraîné à sortir de
son sujet pour en traiter un autre aussi important et qui lui est
étroitement uni : les Grecs à Rome. Tel chapitre, celui sur Gicéron,
par exemple, aurait suffi à une thèse très-intéressante qui aurait pu
avoir pour titre : Gicéron disciple des Grecs. En un mot le livre de
M. Hinstin nous donne le côté extérieur d'un mouvement intellectuel
très-varié et très-profond, une série de tableaux finement esquissés,
mais nécessairement rapides et superficiels. — La thèse latine de
M. Bizos sur Florus (Thorin), qui a pour objet de prouver que Florus
s'appelait Julius et vivait sous Trajan et Hadrien, est un bon résumé
3(>(> BULLETIN HISTORIQDE.
de ce que la critique pense aujourd'hui de ce plat rhéteur. — M. Double
continue ses portraits d'empereurs romains. Après avoir réhabilité
Claude et arraché à Titus son masque de vertu, il nous présente les
Césars de Palmyre (Fischbacher) et naturellement exalte Odénat laissé
longtemps dans l'ombre pour rabaisser la trop fameuse Zénobie. La
thèse de M. Double nous parait juste, et il montre comme toujours
un zèle ingénieux et un certain talent d'écrivain dans ses reconstitu-
tions de l'histoire romaine. Mais il manque de précision; les contours
nets des faits flottent dans un style à demi oratoire et poétique, et
pour grossir un sujet trop maigre il entasse des descriptions archéolo-
giques et pittoresques qui sont de purs hors-d'œuvre. — C'est aussi
un demi-amateur et un demi-savant que M. J, Cohen, qui consacre
deux volumes à la réhabilitation des Pharisiens (Lévj). Dans un livre
antérieur, les Déicides, M. Cohen avait déjà pris la défense des accu-
sateurs et des juges du Christ avec une véhémence et une partialité
choquantes. Il est revenu à un point de vue plus modéré et il ne fait
plus l'apologie du déicide ; il se contente de montrer le rôle sage et
éclairé joué par les Pharisiens dans l'histoire du peuple juif.
Temps modernes, — Le moyen-âge n'a été pendant ces derniers
mois l'objet d'aucune publication <. Les pensées sont ailleurs, et les
éditeurs ne publient des livres d'histoire qu'à la condition qu'ils
répondent aux préoccupations contemporaines. Pourtant M. Rameau
a eu le courage de faire paraître dans ce moment peu favorable, sous
le titre Une colonie féodale en Amérique (Didier), une histoire très-
intéressante de l'Acadie. Sous des allures très-modestes, le livre de
M. Rameau est sérieusement étudié, puisé non-seulement aux meil-
leures sources imprimées, mais même aux documents manuscrits.
L'Acadie a eu le sort de presque toutes nos colonies; fondée par des
prodiges de courage et de hardiesse, rapidement accrue grâce à l'in-
telligence, au savoir-faire des premiers colons, à l'habileté avec
laquelle ils savaient gagner la sympathie des indigènes, elle a été
bientôt ébranlée par Tesprit de rivalité et de jalousie-, menacée par
les Anglais, elle a péri par la négligence de la métropole. Rien de plus
curieux que l'organisation de cet État où le gouverneur était un vrai
1. Il faut cependant citer la nouvelle édition du remarquable volume de
M. Fustel de Coulanges sur les Institutioiis de l'ancienne France (Hachette).
Les 75 pages ajoutées dans cette réimpression ne modifient en rien du reste les
doctrines contenues dans l'ouvrage. Elles sont destinées à compléter et à recti-
fier les chapitres consacrés à l'organisation de la Gaule sous l'Empire et à accen-
tuer et à fortifier par de nouvelles preuves les théories émises par M. Fustel de
Coulanges sur l'établissement des barbares en Gaule. (Voy. Revue critique, 1876,
n' 14, et Revue polit, et lift., 1" et 15 mars.)
FRANCE. 367
suzerain féodal ayant des vassaux dont les terres étaient occupées par
des censitaires. Rien n'a manqué à cette féodalité d'outremer, pas
même les guerres privées. — La Correspondance de M. de Serre
(Vaton), aujourd'hui complète en six volumes, nous fait connaître
une des figures politiques les plus nobles et les plus sympathiques
du temps de la Restauration, un des hommes qui, avec le duc de
Richelieu, M. de Villèle, M. de Martignac, eussent pu doter la France
d'un gouvernement libre, si l'étroite obstination des ultra-roya-
listes et l'impatience méfiante des libéraux n'avaient pas paralysé
leur haute intelligence et leur désintéressement patriotique. —
Avec M. Daudet nous touchons à l'histoire contemporaine, à
celle d'hier et à celle de demain. Le Procès des ministres
(Quantin) est le récit de la chute, de la fuite et du jugement de
M. de Polignac et de ses collègues en ^830. M. Daudet a eu
entre les mains non-seulement les pièces du procès, mais aussi des
mémoires manuscrits écrits par des témoins de ces événements. Il
nous les raconte avec une précision qu'ils n'avaient pas dans les récits
plus ou moins arrangés que nous possédions jusqu'ici, et les présente
avec une grande impartialité. 11 raconte sans juger et il exprime le
regret que des coïncidences qu'il ne pouvait prévoir aient semblé
donner à son livre un à-propos que, du reste, il ne veut pas recon-
naître lui-même. — Après le coup d'État de juillet 4830, celui du
2 décembre. M. V. Hugo, qui l'a vu de près, ayant été du petit nombre
de ceux qui cherchèrent à organiser une résistance armée, en a com-
mencé le récit. Le premier volume de V Histoire d'un crime (Lévy)
contient les journées du 2 et du 3. M. Hugo a beaucoup vu, il a
entendu les récits de beaucoup des victimes du 2 décembre. H a écrit
ces souvenirs et ces témoignages dès l'hiver de 4851-52 et c'est la
déposition d'un témoin véridique qu'il nous donne aujourd'hui. Que
certains faits aient été vus à travers un verre grossissant, que d'autres
puissent être rectifiés, cela est possible ; mais ce livre sera un des
documents les plus précieux pour l'histoire définitive de cet attentat
inouï. On y trouve beaucoup de détails tout à fait nouveaux. La nuit
que les députés arrêtés à la mairie du X« arrondissement pas-
sèrent à la caserne du quai d'Orsay n'avait jamais été racontée;
les débuts de la résistance, l'indifférence profonde que les députés
rencontrèrent dans les faubourgs, les essais dérisoires de barricades,
tout cela est peint avec l'exactitude d'un historien et le talent pitto-
resque de l'auteur des Châtiments. — Le pendant de VHistoire d'un
crime sera le livre de M. Maxime Du Camp sur les Prisons de
Paris sous la Commune., récit minutieux, plein de révélations
nouvelles, des épisodes les plus tragiques de l'insurrection de
36g BULLETIN HISTORIQUE.
<87l. Ici aussi Ton trouvera sans doute beaucoup à rectifier.
M. Du Ganip a dû, pour trouver la vérité, interroger beaucoup de
gens, confronter beaucoup de témoignages. II a pu être trompé
et se trompe quelquefois. II n'est pas sûr par exemple qu'il n'ait
pas confondu les actes du député Millière avec ceux du colonel
Minière, ni que quelques-uns des surveillants des prisons n'aient pas
embelli ou altéré leur rôle. Néanmoins ce livre a une singulière valeur
et la lecture en est aussi instructive qu'émouvante. Le 2 Décembre ! la
Commune ! telles sont les deux alternatives de violence et de crime
entre lesquelles, s'il fallait en croire des esprits amers et chagrins,
notre patrie est condamnée à s'agiter. Il est bon d'en relire la double
histoire; car l'indulgence pour l'un ou l'autre de ces attentats contre
la loi et la constitution du pays serait également fatale pour l'avenir
de la France.
G. MONOD.
GRANDE-BRETAGNE.
Des deux volumes qui terminent l'ouvrage de M. Symonds, la
Renaissance en Italie, l'un, le troisième de la série, consacré tout
entier à l'art italien de cette époque, ne rentre pas dans le cadre de
notre revue -, l'autre, s'adressant au grand public, esquisse en traits
vifs et rapides le tableau de la renaissance des sciences et des lettres K
La vie des hommes qui se dévouèrent à l'étude et à la diffusion des
langues classiques est racontée avec cet enthousiasme qui caractérise
particulièrement l'auteur.
Le dernier volume des Calendars of statepapers, publié par don
Pascal de Gayangos, se rapporte aux années ^ 527-'! 529, où la ques-
tion du divorce acquit en Angleterre une importance toujours crois-
sante, et influa, non-seulement sur le gouvernement intérieur du
pays, mais aussi sur les relations entre les puissances continentales ^.
Le présent volume fournit sur ce sujet d'abondants détails qui inté-
ressent à la fois ceux qui étudient l'histoire générale de TEurope, et
1. Renaissance initaly, 2' partie : the ravivai oflearning, by J.-Â. Symonds.
Londres, Smith, Elder et C°.
2. Calendar of state papers preserved in the archives of Simancas and
elsewhere, by D. Pascal de Gayangos. Rolls séries. Londres, Longmans and C*.
Pr. 12 sh.
GRANDE-BRETAGNE. 369
ceux qui se restreignent à l'histoire particulière de PAngleterre -, les
rapports du pape et de l'empereur méritent une attention spéciale.
Il faut tout l'enthousiasme d'un descendant pour un de ses ancêtres
pour mettre, comme le fait M. le major Sadleir Stoney, son aïeul sir
Ralph Sadleir sur le même rang que Wolsey^ Ce Sadleir fut cepen-
dant un personnage distingué parmi ceux du second rang, honnête et
capable, dont on a pu dire, comme plus tard de Sidney Godolphin
a never in the way and never oui of the way ». Au début de sa car-
rière, il se mit au service de Cromwell, le ministre de Henri VIII, et
à la fin il siégea comme membre de la cour qui condamna Marie
Stuart. Pour peindre ce caractère et en comprendre les transforma-
tions diverses, il eût fallu la main d'un historien familier avec les
affaires du temps. Cependant M. Stoney a écrit son livre, non parce
qu'il est historien, mais parce que Sadleir est son aïeul. Prenons donc
l'ouvrage pour ce qu'il est, et remercions Fauteur d'a,voir, sous une
forme brève, réuni les traits épars çà et là de cette remarquable
physionomie.
L'importance historique du Registre du conseil privé d'Ecosse ne
peut être bien appréciée que par un érudit particulièrement familier
avec l'époque à laquelle il se rapporte-. Mais il suffit d'ouvrir ce
volume pour s'apercevoir qu'il est plein des plus intéressants détails
sur la politique du gouvernement. M. Burton nous met cependant
en garde contre une illusion dans laquelle tomberait facilement le
chercheur inexpérimenté. Chacun des actes contenus dans ce registre
semblerait devoir être considéré comme émanant de tous les pouvoirs
de l'État agissant en complète harmonie.
Jamais peut-être le ton de l'harmonie et du parfait accord ne s'ac-
centue avec plus de force que lorsque le Conseil ou les Etats cherchent
à rendre vaines les tentatives faites au nom de quelque prérogative
royale pour arrêter le cours de la justice, ou quand il s'agit de blâmer
le gouvernement et de lui faire échec à propos des revenus de la cou-
ronne ou du produit des impôts destinés à des usages publics, qu'il
dilapidait et distribuait à ses favoris. C'est, disent les registres, la
gracieuse munificence de la reine; c'est son ardent désir de répandre
autour d'elle l'abondance, le contentement et le bonheur, qui a été la
cause innocente de tout le mal, en excitant les gens pervers et avides à
exploiter les dispositions bienveillantes de Sa Majesté.
I. A memoir of the life and Urnes of the R.-H. sir Ralph Sadleir, compi-
led from states papers by his descendant major F. Sadleir Stoney. Londres,
Longmans and C°.
•2. The register of the privy councll of Scotland, edited and abriged by John
Will. Burton, LL D. Vol. 1, 1545-1569, gênerai register house, Edinburgh.
ReV. HiSTOR. V. 2e FASC. 24
370 BDLLETm HISTORIQUE.
Ces particularités pourraiout tron)por lo Icctour pou attontif sur la
réelle signification des formules employées. Il serait dangereux de
croire toujours que les sentiments exprimés par la souveraine venaient
du cœur, et expriment uou-seulement ses actes, mais ses sentiments
véritables.
Les ouvrages du père Morris sont toujours les bienvenus. La
troisième série des Persécutions de nos ancêtres catholiques ' contient
plusieurs fragments relatifs aux persécutions des catholiques dans le
nord de l'Angleterre au temps d'Elisabeth, Ces persécutions furent-
elles de nature plutOt politique ou religieuse? C'est affaire aux histo-
riens de répondre à cette question selon leurs inclinations. Le P. Morris
nous fait connaître ce qu'elles furent, comment prêtres et laïques
furent jetés dans d'immondes prisons, comment les riches furent
réduits à la misère et les pauvres brisés par les souffrances. On
trouve dans ce nouveau volume de nombreux récits d'évasions
merveilleuses, d'actes de courage plus méritoires que les exploits
accomplis sur un champ de bataille, de ruses ingénieuses mises en
œuvre pour échapper aux périls auxquels les catholiques étaient alors
exposés pour leur foi.
11 est rare qu'un livre, né d'une controverse, ne porte pas d'une
manière fâcheuse la marque de son origine, et le livre de M. Abbott,
Bacon et Essex^ n'est pas une exception à la règle '^. M. Abbott a
étudié minutieusement l'histoire des rapports de Bacon avec Essex,
et le portrait qu'il trace de ce dernier est sans doute ressemblant. Il
croit qu'Essex n'avait pas l'étoffe d'un traître de parti prisj c'était
un esprit léger, impétueux, se laissant facilement entraîner par ses
propres fantaisies et par les passions plus effrénées encore des coquins
qu'il rassemblait autour de lui pour commettre des actes qui n'étaient
rien moins que de la trahison ^ il était cependant trop irréfléchi pour
penser à la signification véritable de ses paroles ou de ses actions.
M. Abbott explique d'une façon moins satisfaisante la conduite de
Bacon. Bacon est un de ces caractères complexes qui défient presque
l'analyse, et il est certain que cette analyse ne peut être convenable-
ment faite que par un homme très-familier avec les idées de l'époque
où vécut Bacon. Cet avantage manque à M. Abbott; il a plutôt écrit
un plaidoyer d'avocat que prononcé un jugement. Sans cesse il
charge Bacon; il le convainc de froideur dans ses amitiés, même
1. The troubles of our catfiolic forefathers relaled by ihemsetves, 3° série j
edited by John Morris, priest of the Society of Jésus, 8% Burns aiid Oates.
2. Bacon and Essex, a sketch of Bacon's earlier life, by E.-A. Abbott DD.
8°, Londres, Seelay, Jackson and Holliday.
GRANDE-BRETAGNE. 37^
de duplicité-, mais il ne réussit pas à nous persuader que Bacon
commit réellement le crime d'abandonner son ami uniquement
dans son intérêt personnel ^ il ne montre pas pourquoi Bacon, après
avoir pu honnêtement à une époque s'exagérer les talents d'Essex
pour le service de l'Etat, n'aurait pu honnêtement à une autre époque
s'exagérer sa trahison ; surtout il ne tient pas compte de son attache-
ment à la monarchie, qui était si fort enraciné au fond de son âme
et qui devait le pousser intinctivement à devenir l'ennemi déclaré
d'un homme qui osait lever la main contre son souverain.
On ne saurait guère reprocher aux Anglais du commencement du
XVII* siècle d'avoir cru à refficacité des institutions parlementaires,
même dans les circonstances les plus défavorables. En Irlande cepen-
dant cette croyance conduisit à d'étranges résultats qui sont exposés
dans l'introduction au dernier volume du Calendar of Irish state
papers^. Evidemment l'Irlande était tout à fait impropre à la vie
parlementaire, qui exige le sentiment de l'unité nationale s'élevant
au-dessus de toutes les querelles particulières; mais aux yeux des
Anglais les plus instruits, sous le règne de Jacques P^ le remède à
tous les maux de l'Irlande se trouvait dans l'introduction en ce pays
des idées politiques et sociales de l'Angleterre, sans tenir lieu des
habitudes et des vœux de la population. Pour eux, la loi anglaise
était meilleure que les coutumes de l'Irlande: surtout la propriété
individuelle de la terre leur semblait préférable au système de la
communauté par tribus, qu'ils y trouvaient établi. Pour eux aussi,
la religion anglaise valait mieux que celle des Irlandais, surtout parce
qu'à cette époque il était très-difficile pour un homme qui regardait
le pape comme le chef souverain de toutes les affaires ecclésiastiques
de rester fidèle à un roi. Aussi la conquête de l'Irlande par Mountjoy
avait-elle été suivie d'une série de modifications dans les lois, qui
durent être fort embarrassantes pour la population indigène, et quand
on y ajouta la confiscation de l'Ulster et l'introduction, dans le nord
du pays, d'une nuée de colons anglais et écossais, les Irlandais indi-
gènes, soutenus par les vieux catholiques romains du Pale, savaient
à peine quels événements allaient se passer. Dans ces circonstances,
le gouvernement anglais proposa de tenir un parlement en Irlande.
Il est vrai qu'on n'en avait pas réuni depuis ^1587; mais on croyait
que sans cette convocation, les modifications qui avaient été faites, et
1. Calendar of the state papers relating to Ireland and of fhe reign of
James I, 4" vol. (1611-1614), edited by the Rev. C.-W. Riissell and J.-P. Pren-
dergast. Rolls publications. Londres, Longnians (sur le vol. précédent, voy. Rev.
hist., I, 289).
:{72 niTLLETIX IIISTORIQDE.
sui-loul la t'olonisalion rôcenlo de rillslor, ne pourraient acquérir
aucune validité. Cependant il était in)j)ossible de regarder l'avenir
sans frayeur. Convoquer un parlement où la Chambre des communes
serait nommée par les corps électoraux alors existants, ou qui serait,
n'imi>orte comment, la reitrésentation réelle du pays, assurerait « une
énorme majorité d'indigènes et de catholiques ». D'un autre côté, les
Irlandais prirent l'alarme et prêtèrent au gouvernement l'intention
« d'exclure leurs représentants et de recompléter le parUîment par
une fournée de membres hostiles à leurs intérêts ». Les craintes des
Irlandais redoublèrent quand ou apprit que le gouvernement songeait
à créer de nouveaux bourgs électoraux, pour la plupart de petits
villages, tous habités par les émigrants de la veille, ou soumis à
Tinlluence anglaise et protestante. Mais malgré tout ce qu'ils purent
dire, les nouveaux bourgs furent créés le ^8 mai 1613, et le parle-
ment fut ouvert après une interruption de vingt-six années.
Faut-il s'étonner si le cours des débats fut orageux? Pour les
catholiques irlandais, le parlement n'était qu'un complot longuement
préparé à Pavanée pour donner une apparence de sanction légale à
l'iniquité, et ils n'étaient pas disposés à respecter les formes parle-
mentaires qui n'avaient pas derrière elles de réalité parlementaire.
Aussitôt que le parti protestant eut proposé sir John Davys pour
président, les catholiques « commencèrent par dénier le droit de voter
pour la nomination du président à ceux qui avaient été élus par les
nouveaux bourgs et en général à tout député ne résidant pas dans les
bourgs qui les avaient élus » et proposèrent comme candidat le légiste
catholique sir John Everard. La scène qui s'en suivit est très-bien
racontée par M. Russell :
Sir Christophe Nugent et William Talbot ayant chaudement recom-
mandé sir John Everard, sir OUver Saint John invoqua la connaissance
particulière qu'il avait des usages du parlement anglais, insista sur ce
point que la question des élections litigieuses devait être renvoyée à
l'examen des commissions nommées à cet effet, et e.xprima l'idée que l'on
procédât tout d'abord au vote pour l'élection du président : « ceux qui
tenaient pour l'affirmative, c'est-à-dire pour l'élection de sir John Davys
quitteraient la salle pour se compter, laissant l'opposition dans la salle,
où elle se compterait ». En conséquence il invita tous les partisans de
sir Joim Davys à sortir avec lui de la salle ; sir Thomas Ridgeway et
sir Ricliard Wingfield ayant été nommés scrutateurs, invitèrent sir
Christophe Plunliet et sir Christophe Nugent à se joindre à eux pour
compter les votes. Mais ces messieurs, d'après l'avis de sir James
Gough, refusèrent les fonctions de scrutateurs ; et quand ceux du parti
opposé se mirent en mesure de prendre les voix, les partisans de sir
John Everard s'opposèrent à cette entreprise en quittant leurs places et
GRANDE-BRETiGlVE. 373
en se tenant tous en tas de façon à rendre l'opération impossible.
Après cet échec, Ridgeway etWingfield étaient en train de recueillir
les voix de leur parti, dans la salle où ils s'étaient retirés, quand la
porte fut fermée tout à coup, et les membres opposants, aux cris de :
« Everard ! Everard ! » installèrent, dans leur propre salle, sir John
Everard au fauteuil présidentiel. Leurs adversaires, apprenant ce qui
s'était passé, rentrèrent dans la salle des séances; on compta les voix
pour sir John Davys à mesure que les députés revenaient des couloirs,
et comme on en trouva 127, nombre qui donnait la majorité dans une
chambre de 232 membres, ils déclarèrent sir John Davys président.
Ridgeway déclara nulle en conséquence l'élection d'Everard, comme
faite par mépris et au milieu du désordre, et, invoquant en faveur de
sir John Davys la majorité des voix, « il demanda en termes courtois
et modérés que sir John Everard cédât le fauteuil à son rival ». La
môme demande, accompagnée de la menace de recourir à la force si
l'on n'y faisait droit, fut répétée par sir Olivier Saint John; et ces deux
demandes étant restées sans résultat, Ridgeway et Saint 'John « prirent
sir John Davys par les bras, le soulevèrent et le placèrent au fauteuil
sur les genoux de sir John Everard, qu'ils prièrent encore une fois de
quitter la place ». Celui-ci persista dans son refus, et les deux gentils-
hommes, avec l'aide de leurs collègues placés près du fauteuil, « mirent
la main sur lui sans violence, le tirèrent de son siège, et y mirent
tranquillement sir John Davys ».
Là-dessus la minorité catholique quitta la Chambre. C'était assuré-
ment ce qu'ils avaient de mieux à faire. Le motif de la querelle n'était
pas les illégalités commises par leurs adversaires, mais la question de
savoir si la Chambre elle-même représentait l'Irlande, et ils refusaient
de prêter leur nom à soutenir une fiction dont ils attendaient pour eux-
mêmes les pires conséquences. Il y a quelque chose de vraiment bur-
lesque dans l'attitude de Saint John qui renvoie gravement aux formes
constitutionnelles pour dissimuler le fait que le gouvernement voulait
en venir à tout prix à ses fins, au mépris du principe constitutionnel.
Si les catholiques ne réussirent pas à déjouer les plans du gouverne-
ment anglais, ce fut simplement parce que ce gouvernement s'ap-
puyait sur une armée anglaise qui n'avait aucun lien avec la population
indigène du pays. Cependant, même dans ces conditions, la résistance
opiniâtre des catholiques irlandais ne demeura pas sans effet. Ils ne
purent empêcher le parlement de réviser la sentence de forfaiture
lancée contre Tyrone, et dont dépendait la légalité de l'occupation de
rUlster ; ils ne purent empêcher davantage l'établissement des nou-
veaux bourgs dont dépendait la domination de la minorité protestante
dans le parlement -, mais ils empêchèrent cette minorité protestante
d'employer sa puissance parlementaire contre la majorité catholique.
374 nuLLETFN iiisTORiQrF:.
Le pnrlompiU finil sans avoir volô une seule loi qui rendît la condi-
tion dos catholiques pire qu'auparavant.
Je ne suis pas gêné pour parler des documents relatifs à Prynne ';
car, bien que le livre porte mon nom, il n'est à vrai dire pas mon
œuvre. La plus grande partie des pièces publiées dans ce volume
avait Ole réunie par M. Bruce pour une vie de Prynne qu'il avait
l'intention d'écrire, et dont à sa mort il ne laissa qu'un morceau
d'achevé, celui qui est imprimé dans ce volume. Pour M. Bruce, la
biographie n'était évidemment qu'un moyen de raconter l'histoire
d'une époque. Il fut toujours attiré plutôt vers l'étude des person-
nages marquants que vers celle des grandes périodes de l'histoire, et
il était heureux quand il trouvait un homme par les yeux duquel il
pût se donner le spectacle des tragiques événements de l'époque qu'il
connaissait si bien. Pour ce qui est de Prynne, son récit s'arrête au
moment où son héros publia son premier livre.
Le livre d'ailleurs fort médiocre de M. Bisset étant plus loin l'objet
d'un compte-rendu spécial, nous nous contenterons d'y renvoyer le
lecteur (voy. Comptes-rendus).
La découverte des archives originales du parlement d'Ecosse en
^639 et -{6o3, qui a été faite en ^826, vient d'être enfin mise à profit,
au grand avantage des érudits. Deux nouveaux volumes des Actes
viennent d'être publiés; ils peuvent prendre la place de ceux qui
avaient été publiés autrefois d'après des sources moins authentiques ^.
Beaucoup d'omissions ont été réparées, et l'on a ajouté un volume
supplémentaire pour l'introduction.
C'est une tâche agréable d'avoir à rendre compte d'un de ces
volumes publiés par M™" Green dans la collection des Calendars ofstate
papers, où elle analyse bon nombre de documents qui sont les véri-
tables sources de l'histoire de la République ^. Le dernier paru nous
place au milieu des préparatifs de la bataille livrée à Worcester et
qui fut pour Gromwell « le don suprême de la grâce divine ». Le
conseil d'État n'avait pas grande confiance dans le résultat pendant
que l'armée écossaise poursuivait sans obstacle sa marche vers
le sud.
Dans les nombreuses lettres, nous dit M^^^ Green (p. xv), envoyées
1. Documents relating to the proceedings against Williams Prynne in 1634
and 1637, with a biographical fragment by the late John Bruce; edlled for Ihe
Camden Society by S. R. Gardiner in-4°.
2. The Acts of the Parliament of Scotland, pnblished by authorily of the
lords Cornmissionners of the Treasury (1814-1870. Edhibiirgh, A. et C. Black).
3. Calendar of slaiepapers, domestics séries 1631, cdited by M.-A. Everett
Green. Londres, Longmans et G^ 1877 (voy. Rev. hist., I. 288).
GRiNDB-BRETlGNE. 375
presque chaque jour par le conseil, il y a un amusant désaccord entre
leurs expressions de mépris pour l'ennemi, de confiance dans une vic-
toire prompte et facile, et leur vive anxiété au milieu de leurs efforts
pour faire face aux événements et surtout pour empêcher l'armée
écossaise d'arriver à Londres; avec les assurances fréquentes qu'ils
donnaient du peu de sympathie avec lequel le mouvement royaliste
était accueilli presque partout, et les rigoureuses mesures de répression
qu'ils prenaient contre toute personne suspecte de tiédeur.
Quand tout fut fini et que le jeune Charles eut échappé aux périls
qui l'entouraient, il arriva au Louvre « fort triste », comme nous le
raconte un royaliste, « et sombre la plupart du temps, la gaité qu'à
son arrivée il s'était à contre-cœur efforcé de faire voir, ayant duré
quelques jours seulement-, et il garde presque toujours le silence ».
Il rejeta, nous dit-on, tout le blâme de son insuccès sur les presby-
tériens d'Ecosse, qui lui avaient mis à chaque pas des entraves, et
dont il accusait même certains de l'avoir trahi dans la iDataille,
Le sentiment des avanies que lui avaient fait subir les Ecossais était
si fort chez lui que, quand le duc d'Orléans lui dit le bruit qui courait
qu'il s'était réfugié en Ecosse : « J'aurais mieux aimé me faire pendre »,
répondit-il à mi-voix.
VEpoque de la reine An7ie par M. Morris est une vigoureuse et
intéressante esquisse de cet âge de grandes guerres et de remar-
quables productions littéraires. Ce petit livre n'a pas la prétention
d'être fondé sur des recherches originales ; mais il est évident que
M. Morris a soigneusement analysé et coordonné les résultats des
travaux antérieurs ^ .
Dans son Histoire de la pensée anglaise au xvin® siècle, M. Leslie-
Stephen décrit la marche des idées, qui est la base même du déve-
loppement historique 2. Après avoir étudié les tendances philoso-
phiques de la pensée, il appelle l'attention sur la controverse qui divisa
les défenseurs du christianisme et les déistes. Pendant les premières
années du xviii*' siècle, l'Angleterre était sous l'influence d'une double
réaction. On était fatigué d'un absolutisme monarchique qui ne faisait
rien de grand et d'un puritanisme qui se présentait avec les dehors
d'une tyrannie fanatique. Dans l'État, le laissez faire devint la règle
de la politique, et Walpole régna sans gouverner parce qu'il sut
mettre en pratique sa devise : « quieta non movere ». Dans
1. The âge of Anne, by E. -E. Morris (Epochs of history). Londres, Longmans
et C.
2. History of english thought in the eighteenth century, by Leslie Stephen.
Londres, Smith, Elder et C% 2 vol. in-8', 1876.
370 nULLETIN niSTORTQHE.
l'Éf:lis(\ 1.1 polilo praino spinôo par riliillin^'worlh ot Halos («tait devenue
un arbre aux ranioaux ]>uissanls. La r(>lii,^ion élaiL ticvennc raison-
nal)l(\ mais on niênio lonips avait ponlii Loulo sa chaleur et avait
onhliô que les honinios ont des passions vl dos sentiments aussi bien
que des pensées. M. Leslie-Stej)lien examine le eonilit entre le clergé
et les déistes au point de vue du rationalisme moderne; mais il ne
ménage pas la faiblesse des déistes. Eux aussi n'étaient que de vieux
enHints à la poursuite d'un plat optimiste, qui tenaient encore moins
compte que leurs adversaires des mystères cachés au fond de la nature
humaine. De plus grands hommes qu'ils n'étaient eux-mêmes ne
purent s'échapper du cercle étroit où ils étaient serrés, et M. Stephen
montre combien les trois principaux historiens du siècle, Robertson,
Hume et Gibbon, restèrent insensibles aux fortes passions qui mènent
l'humanité. Gibbon fut sans contredit le plus remarquable des trois-,
mais il place son idéal de félicité pour la race humaine à l'époque des
Antonins, où le monde civilisé était rendu au repos, et où il n'y avait
pas de progrès parce qu'il n'y avait pas de lutte.
Après un tableau des progrès accomplis par la philosophie morale,
nous trouvons un exposé de la marche que suivirent les théories
politiques. L'idée morte du droit divin fut remplacée par l'idée whig
d'un contrat social dressé à une époque inconnue entre les gouver-
nants et les gouvernés, contrat par lequel toutes les générations
futures étaient censées engagées. M. Stephen montre comment un
penseur tel que Locke resta sous l'esclavage de cette théorie
absurde.
Il est impossible de suivre ici M. Stephen à travers les chapitres
réservés à. l'examen de la condition sociale de l'Angleterre et des
théories politiques qui en furent la conséquence. Il rejette avec un
juste dédain la théorie de Delolme qui admirait dans la constitution
anglaise un harmonieux équilibre des pouvoirs. Cette théorie vrai-
ment absurde fut cependant adoptée en France comme donnant
l'explication véritable de cette constitution enviée par un peuple qui
se trouvait lui-même sans constitution, et Michelet, dans son Histoire
de la Révolution française, la discuta, comme si elle représentait le
système qui florissait réellement au nord de la Manche. Alors, comme
toujours, c'était la marque d'un esprit impolitique de prendre des
formes pour des choses et de s'imaginer que la justice et un bon gou-
vernement étaient le résultat, non de l'amour de la justice et d'une
conduite sage, mais d'une balance égale entre différents corps poli-
tiques.
Delolme, dit M. Stephen, comme tous ceux qui observent du dehors,
était naturellement porté à croire que dans la constitution la forme
GRANDE-BRETAGNE. 377
correspondait exactement au fond. Il était incapable de découvrir le fait
maintenant bien connu des empiétements successifs du pouvoir légis-
latif sur l'exécutif, et la tendance déjà suffisamment marquée qui pous-
sait les ministres de la couronne à devenir une simple commission de
la Chambre des communes. S'il avait pu soulever un coin du voile, il
aurait été conduit peut-être à comprendre l'importance des grandes
forces sociales qu'implicitement sa théorie ne reconnaît pas.
Tous les écrivains politiques du xviii« siècle, sans exception,
servent de point de mire aux attaques de Burke. Le jugement équi-
table et impartial i3orté par Stephen sur ce grand théoricien politique
est en beaucoup de points semblable à celui de M. Morley. Le mérite
incontestable de Burke fut d'avoir vu clairement qu'une nation est
plus grande que ses gouvernants ou sa constitution. De là son dégoût
pour les théories spéculatives. « Je n'entre pas dans ces distinctions
métaphysiques, disait-il un jour; je hais même le bruit qti'on fait
quand on en parle. » Le devoir d'un homme d'État est suivant lui
de prendre une nation telle qu'elle est, de se reconnaître dans la
complexité des éléments qui la composent, de l'aider à manifester sa
vie, en harmonie avec les formes extérieures que cette nation avait
déjà revêtues ; aussi Burke était-il un conservateur déterminé pour
tout ce qui touchait à la constitution, en même temps il découvrait
de son œil pénétrant et sentait avec force les maux des pauvres et
des opprimés qui ne trouvaient de secours que chez lui. Aucun
homme d'État ne mettait autant d'empressement à se faire le cham-
pion des races méprisées. Les colons américains, la population irlan-
daise indigène, les Hindous, écrasés sous le poids de la pire des
tyrannies, trouvaient en lui non-seulement une âme sympathique,
mais un avocat tout prêt à travailler jour et nuit pour comprendre
leur misère et se mettre en état de plaider leur cause devant un
tribunal trop enclin à fermer l'oreille à leurs plaintes.
Il n'est pas difficile de voir pourquoi un tel homme devint l'adver-
saire acharné de la révolution française. Son antipathie pour elle
était fondée, comme le dit M. Stephen, sur la conviction profonde et
raisonnée de la fausseté radicale des principes qui la dirigèrent.
Jusqu'à un certain point, M. Stephen nous aide à comprendre
comment il se fit que Burke ne réussit pas à trouver la vérité tout
entière sur la Révolution. Il nous dit que l'idée-mère de Burke « l'au-
torité, une fois mise en question, tombe en ruines comme une maison
bâtie sur le sable », et que « Burke ne put ou ne sut pas voir que
l'ancien principe était en train de périr ». Mais cette explication est
incomplète. Accoutumé à voir l'état complexe de la société représenté
en grande partie par les institutions nationales, il ne s'aperçut pas
37S ni'LLKTF'V nrsTORîQnE.
qu'on Franco lo vorilablc progrès nalion.il qu'il aimait à encourager
en était arrivé à être tout à fait distinct des institutions, et que
celles-ci étaient aussi peu en rapport avec la nation elle-même
que la coquille d'un cruslacé l'est avec l'animal dont le déve-
loppement est achevé et qui est sur le point de la quitter. La
recherche d'institutions nouvelles ne fut donc pas dictée par une
fantaisie des théoriciens, mais par la nécessité même des choses.
.M. Stephen nous parle encore de l'adoption des idées révolution-
naires par l'Angleterre, des progrès accomplis par la science de
l'économie politique, et de la réaction qui se produisit en religion et
en littérature contre la culture exclusive de l'intelligence. Le plus
intéressant de ces chapitres est peut-être celui qui est consacré aux
prédicateurs. Au xix^ siècle, il est diffîcile de concevoir ce que furent
les sermons rationalistes du wni^ siècle, prêchant la religion aisée
et fondant la foi chrétienne sur l'intérêt bien entendu. En présence
d'un tel enseignement, il n'est pas nécessaire d'aller chercher bien
loin les causes qui produisirent John Wesley.
Le troisième et dernier volume de la Vie dn Shelburne par lord
E. Filzmaurice' comprend la partie la plus intéressante de la carrière
de cet homme d'État, de 1 776 à sa mort, en ^805. A la mort de lord
Chatham, Shelburne devint le leader de cette partie de l'opposition
qui n'avait jamais accepté la domination des whigs, mais qui était
d'accord avec eux pour empêcher la guerre d'Amérique, et quand la
guerre eut éclaté, Shelburne entra avec Fox dans le ministère présidé
par lord Rockingham. Entre Shelburne et Fox, l'union était impos-
sible; le premier s'appuyait sur le roi, le second sur l'accord des
whigs. De caractère et de principes politiques opposés, ces deux
hommes entrèrent en lutte au sujet des négociations entamées à
Paris, et quand le roi eut choisi Shelburne comme chef du cabinet
après la mort de Rockingham, la fameuse coalition de Fox et de
North le força de quitter le ministère. Aussitôt débarrassé de la coali-
tion, le roi nomma le jeune Pitt à la Trésorerie et oublia tout à fait
Shelburne.
Sur tous ces sujets, le présent volume ajoute beaucoup à ce que
nous en connaissions : l'histoire des négociations de Paris devient
plus claire et Shelburne est justifié, pour le rôle qu'il y joua, contre
les soupçons de Fox. Sur les raisons qui ont pu déterminer le roi à
oublier Shelburne lorsqu'il forma son dernier cabinet, quelques
éclaircissements nous sont donnés, si la lumière n'est pas complè-
1. Life of William of Shelburne, earl of Shelburne, by lord Edmond Fltz-
maurice. Londres, Macmillan et C% 1876 (voy. Rev. hist., II, 583).
GRANDE-BRETAGNE. 379
tement faite encore. 11 est évident que les idées de Shelburne se
rapprochaient trop de celles des philosophes français pour plaire au
roi , et certainement aussi Shelburne ne fit rien pour se rendre
agréable à personne.
Pendant les derniers jours de son ministère, nous dit lord E. Fitzmau-
rice, il se glorifiait de ne pas avoir de partisans, mais il fut presque sur
le point de n'avoir pas de ministres : Keppel donna sa démission ;
Richmond cessa d'assister aux réunions du conseil; lord Carlisle quitta
la place de grand-maître (lord steward) ; Grafton menaça de donner sa
démission, parce que l'on ne faisait pas assez de cas de ses avis; Cam-
den déclara que la marine sombrait et qu'il voulait la quitter; Temple
était mécontent de n'être pas fait duc.
Dès lors il n'est pas étonnant que Georges IV ait choisi Pitt pour
courir avec lui sa dernière aventure. Shelburne était trop entier de
caractère; il s'inquiétait trop peu des blessures que pouvait faire sa
franchise pour devenir jamais un heureux chef de parti.
Les événements de la révolution française le jetèrent, sur la fin de
sa vie, du côté de son ancien rival. 11 suivit avec la plus vive sym-
pathie les premières luttes de l'Assemblée nationale.
Le seul écueil où l'Assemblée puisse se briser, écrit-il à Morellet en
1790, c'est de prétendre à trop de choses. Si la liberté de la presse est
assurée, les lettres de cachet définitivement abolies, les Assemblées pro-
vinciales établies, et les dépenses modérées, tout le reste suivra. Mais
je ne puis m'empêcher de partager entièrement l'opinion de ceux qui
étaient pour l'union des trois ordres, parce que j'ai l'expérience de cette
constitution. Je regarde M. Montesquieu comme le second sauveur du
monde, mais j'ai depuis longtemps acquis la conviction que tout ce
qu'il dit de notre constitution est vision pure. C'est à mon sens le pro-
grès naturel des choses de passer de l'ignorance à la pédanterie et de la
pédanterie à la simplicité et à la vérité. J'ai été spectateur et un peu
aussi acteur dans notre gouvernement depuis une trentaine d'années et
je n'ai jamais rien vu de bon sortir chez nous des trois ordres, excepté
le délai qui donne à l'opinion publique le temps d'agir, et je suis sur
qu'en France la noblesse doublera son influence en travaillant de
concert avec les communes et leur donnera à elles-mêmes plus de
crédit. Je pense comme tout le monde que ceux dont les principes ne
sont pas avouables ou ne soutiendraient pas la discussion pourraient
certainement faire plus de mal en étant tenus à l'écart et en exerçant
leur veto.
Le bon sens de lord Lansdowne — car c'est sous ce nom que
Shelburne fut connu dans ses dernières années — se révèle évidem-
ment dans ce passage. Si sa conception du monde politique était
moins compréhensive que celle de Burke, et si la fibre morale était
chez lui moins vibrante, il put voir ce que Burke ne vit pas, les
3S0 BULLETIN HISTORIQUE.
toiidances réelles du progrès national en Angleterre comme en
Franco. 11 n'est tionc pas étonnant (|u'il se soit fortement opposé à la
guerre contre la France , gardant son sang-froid quand presque
tous ses contemporains se trouvaient désorientes.
Je n'ai pas besoin de me justifier si je parle dans ce bulletin du
livre de M. Wallace'. C'est une peinture de la situation sociale et
politique du pays que Fauteur a ap})ris à connaître par une résidence
de six années spécialement consacrées à recueillir ses informations.
Toutes les classes de la population en fournissent leur part; les
renseignements oraux furent contrôlés et complétés par l'élude des
documents liistoriques et officiels dont l'accès fut permis à l'auteur.
Outre tous ces avantages, M. Wallace en possède un plus grand
encore, c'est-à-dire un esprit capable de tirer d'exactes généralisa-
tions d'une multitude de faits, tout en étant très-circonspect et en
n'admettant pas de conclusion qui ne s'appuie sur les faits les plus
autorisés.
Le livre de M. Wallace devrait attirer vers la Russie les sympa-
thies de l'Europe, non pas qu'il en décrive les divers aspects sur le
ton de l'admiration, ni qu'il parle avec Fenthousiasme d'un patriote
de ses institutions et du caractère de son peuple; mais la sympathie
est le résultat certain de sa méthode historique. Des arrangements
qui nous répugnent quand on nous demande de les adopter nous-
mêmes apparaissent sous un jour bien différent quand nous voyons
qu'ils ont été pris comme remède à certains maux dont nous ne
sommes pas nous-mêmes affligés. Nous n'avons pas du tout besoin
de désirer l'introduction d'un despotisme autoritaire en France ou en
Angleterre, mais nous pouvons comprendre que sans despotisme, un
pays, dans la condition sociale et intellectuelle où se trouve la Russie,
n'aurait pu réaliser aucun progrès. A la longue, rien n'est aussi
conservateur qu'une assemblée démocratique quand une fois elle est
devenue maîtresse. Dans l'autocratie des tsars, rien ne frappe plus un
Européen d'Occident que les immenses annexions de l'empire. Au
temps de la guerre de Crimée, les boutiques à Londres et sans doute
aussi à Paris étaient remplies de cartes qui montraient à l'aide de
différentes couleurs les pas énormes que faisait la Russie vers la
domination universelle. Des invectives contre Fambition de la Russie
étaient dans toutes les bouches. M. Wallace explique que cet accrois-
sement anormal qui paraît si monstrueux sur la carte était simple-
ment le résultat d'une double nécessité.
1. Russia, by D. Mackensie Wallace, Cassell, Petter and Galpin,'Z vol. in-8°.
Une assez bonne Irad. franc, par M. Bellenger vient de paraître à Paris chez
l'éd. Dreyfous. 2 vol. in-8°.
GRANDE-BRETiGNE. 38^
Il y avait en premier lieu la tendance naturelle d'un peuple
agriculteur à reculer ses frontières (II, p. 41:;). A mesure que la
population augmente, les subsistances diminuent, et cela non-seu-
lement d'une façon relative, mais d'une façon absolue. Quand un
peuple se trouve dans cette situation critique, il doitadopter l'une ou
l'autre de ces deux alternatives : ou prévenir l'accroissement de la
population, ou accroître les subsistances. Dans le premier cas il peut
faire passer dans la loi lacoutumed'exposer les enfants, à l'imitation
de la Grèce ancienne, ou vendre bon nombre de jeunes filles ou de
jeunes garçons, comme ce fut l'usage en Gircassie jusque dans ces
derniers temps, où l'excédant de la population peut émigrer, comme
firent les Scandinaves au ix^ siècle, comme nous faisons aujourd'hui
nous-mêmes d'une façon plus pacifique. L'autre alternative peut être
réalisée en augmentant le sol cultivable, soit en améliorant les pro-
cédés de l'agriculture.
Entre ces deux derniers moyens, un seul choix était possible :
« la culture perfectionnée est une chose dont on a heu d'être fier
quand la terre est rare, mais il serait absurde de l'essayer là où l'on
a tout près de soi du sol vierge en abondance ».
L'autre raison qui pousse la Russie à s'étendre est la difficulté de
défendre une population d'agriculteurs contre les incursions de
voisins belliqueux et semi-barbares. Deux moyens sont seuls pos-
sibles : il y a le système des cordons militaires et celui de l'annexion ,
ce dernier, penseM. Wallace, est le seul qui donne au problème une
solution satisfaisante (II, 438).
Les difficultés et les défauts du système non agressif furent mis en
lumière à une époque relativement récente dans la grande plaine qui
s'étend au nord du Caucase. Je choisis cet exemple, parce que j'ai appris
à en connaître quelques détails, et que j'ai entendu le témoignage des
deux parties en lutte. Les Gircassiens et les Kabardintsi regardaient les
incursions sur le territoire russe qui bordait leur frontière comme un
acte non-seulement légitime, mais même très-méritoire, comme autre-
fois les Ecossais des Hautes-Terres étaient fiers de leurs razzias de
bétail. Pour repousser ces incursions, le gouvernement russe forma une
ligne de stanitsas cosaques qui allait de la mer d'Azof à la mer Cas-
pienne. Ce mode de défense était à la fois coûteux et sans effet : en
dépit de toutes les précautions, des bandes de maraudeurs dépassaient
subrepticement la ligne ou la brisaient par un coup de force, et réus-
sissaient souvent à enlever un large butin. Après une expérience de
plusieurs années, les Russes en arrivèrent à penser que le seul moyen
effectif d'empêcher ces incursions était de conquérir les tribus marau-
deuses et de les soumettre à une stricte surveillance administrative. Ce
fait porte avec lui son enseignement. Si le système des colonies mili-
382 nOLLFTIN niSTOllIQCE.
tairos était coûteux et sans effet dans une contrée bien arrosée et fertile
comme le bassin du Téreli et du Kouhau, nous pouvons imaginer sans
peine combien il doit être peu satisfaisant dans l'Asie centrale, où la
frontière est incomparablement plus développée, et en beaucoup d'en-
droits impropre à la colonisation agricole.
Aussi M. Wallace refuse-t-il d'admettre l'idée d'une zone neutre
entre les frontières anglaises et russes en Asie. Cette zone ne man-
querait pas de devenir un asile pour tous les voleurs et les brigands
dans un rayon de plusieurs centaines de milles, et aucune puissance
civilisée ne pourrait accepter de pareils voisins. Le mal serait
moindre, si actuellement les deux frontières se touchaient.
Après avoir donné un exemple de la façon dont M. Wallace emploie
sa connaissance du présent pour éclairer l'avenir, il peut être bon
de montrer comment il s'en sert pour expliquer les difficultés du
passé. Un des problèmes qui attirent le plus les historiens du moyen-
âge primitif dans notre île est celui de savoir si les envahisseurs de
race germanique s'assimilèrent les habitants bretons ou s'ils les
exterminèrent. Gomme il est impossible d'alléguer aucun témoignage
direct pour ni contre, de savants historiens trouvèrent l'occasion
bonne, comme on fait toujours quand on ne sait presque rien d'un
sujet, pour se fâcher. Le récit que fait M. Wallace de la façon dont
les villages finnois adoptent graduellement les manières russes, sans
prouver en aucune façon que les choses se passèrent de même en
Angleterre, est en tout cas un avertissement pour ceux qui croient
qu'une langue, des mœurs, des institutions anglaises supposent
nécessairement du sang anglais (1, p. 23^).
Pendant mes voyages dans ces provinces du Nord, j'ai trouvé des
villages à tous les degrés de russification. Dans l'un, tout semblait
absolument finnois; les habitants avaient le teint cuivré, les pommettes
des joues très-saillantes, les yeux obliques, un costume particulier;
aucune femme et presque aucun homme ne savait le russe, et un Russe
qui visitait le pays était regardé comme un étranger. Dans un autre, il
y avait déjà quelques habitants russes, les autres habitants avaient
perdu quelque chose du pur type finnois, beaucoup d'hommes avaient
abandonné l'ancien costume et parlaient le russe couramment; on
n'évitait plus le voyageur russe. Dans un troisième, le type finnois était
encore plus affaibli : tous les hommes parlaient russe et presque toutes
les femmes le comprenaient ; l'ancien costume masculin avait disparu
et l'ancien costume féminin le suivait rapidement; des mariages avec
des Russes n'étaient plus rares. Dans un quatrième, les mariages
mixtes avaient presque entièrement achevé leur œuvre, et le vieux
élément finnois ne pouvait plus se découvrir que dans certaines parti-
cularités de la physionomie et de l'accent.
SUISSE. 383
Des passages comme ce dernier peuvent être pris comme un spé-
cimen d'un livre où abondent les renseignements de toute sorte.
M. Wallace connaît également bien le paysan, le propriétaire terrien
ou le gouvernement ; le résultat est une peinture de la société russe
en général qui, dans les circonstances actuelles, offre un intérêt tout
particulier.
S. Rawson Gardiner.
SUISSE.
Messieurs les directeurs,
Une note insérée dans le tome premier de la Revue (p. 585-86) a
présenté à vos lecteurs la liste chronologique de nos seize Sociétés
d'histoire, et le résumé que je vous envoie des Mémoires publiés
par ces sociétés suffit pour vous tenir au courant de leurs travaux.
Je n'ai donc plus, pour remplir tant bien que mal une promesse
déjà un peu ancienne, qu'à jeter avec vous un rapide coup d'oeil sur
la situation générale de nos études.
On peut caractériser d'un mot le changement qui s'est accompli
dans cet ordre de recherches, en appliquant à la Suisse les paroles
par lesquelles M. Edmond Schérer définissait il y a quelques années
l'œuvre de la critique moderne :
« Les sciences historiques, disail-il, ont fait un grand progrès
lorsqu'elles ont appris à négliger les récits de seconde main pour
puiser directement aux sources; elles ont fait un pas non moins
important lorsqu'elles ont compris que ce n'était point encore assez,
et que, à l'érudition qui réunit les témoignages, il faut ajouter la
méthode qui les classe, la sagacité qui les interroge, la rigueur qui
en précise la portée et en détermine la valeur. C'est en cela que
consiste la critique. Tout le monde sait aujourd'hui quelle révolution
elle a opérée dans la science. Nous avions une histoire traditionnelle
qui, au loucher de l'examen, s'est évanouie comme un rêve pour
faire place, non pas toujours à une histoire mieux établie, mais quel-
quefois à des résultats simplement approximatifs, à des conjectures
plausibles, quelquefois même à une ignorance dont le seul avantage
est de se connaître '.»
Tel est, en effet, à voir les choses d'un peu haut, le point où nous
I. Mélanges d'histoire religieuse, 2' édition, p. 216.
384 ItULLETIN HISTORIQri:.
en sommes. Il y a un siècle à peine qu'un historien suisse qui, par
une rare Ibrlune, se trouvait être en môme temps un trcs-liabile
écrivain, s'est occupé, avec le talent que l'on sait, de rassembler et
de rajeunir les traditions séculaires de son pays. Et cependant, que
restc-t-il aujourd'hui du monument élevé par Jean de Millier à la
mémoire des ancêtres'? quelques récits plus pittoresques <iue lucides
de nos grandes batailles; quelques pages fort éloquentes assurément,
mais dont une science plus circonspecte a depuis longtemps constaté
la fausseté. Ceci sans doute ne veut pas dire que l'éloquence patrio-
tique ait perdu tout crédit auprès de nos historiens (on en citerait,
au contraire, même parmi les plus récents, qui sacrifient à l'occa-
sion sur ses autels) ; mais ceci veut dire qu'une méthode nouvelle
gouverne désormais les esprits, et qu'en dépit de mainte résistance,
elle conquiert de proche en proche quelque parcelle du terrain que
le préjugé national occupait jadis sans partage. Cette méthode,
inaugurée dès le commencement du xix'^ siècle par trois ou quatre
savants dont les noms demeurent entourés d'une juste estime^,
exposée dans les termes les ])lus clairs par le professeur J.-E. Kopp,
de Lucerne^, et rendue sensible aux esprits les plus rebelles par
les travaux de ses élèves ou de ses émules, — cette méthode, dis-je,
n'est pas autre que celle qu'on pratique dans tous les pays cultivés
de TEurope, et qui, selon le mot de M. Schérer, nous apprend soit à
remonter directement aux sources, soit à soumettre les témoignages
en apparence les mieux autorisés à toutes les opérations de la critique
historique. De là, dans les Mémoires de nos Sociétés d'histoire, ces
dissertations sans nombre où l'on s'exerce à retourner en tous sens
î. Die Geschichten der Scîiiceizer (depuis les plus anciens temps jusque l'an
1393). Boston (Berne), 1780, in-8. — Die Geschichten schiceizerischer Eidgenos-
senschaft (depuis les plus anciens temps jusqu'à l'an 1489). Leipzig, 1786-1808,
5 V. in-8. Traduit en français par M. Ch. Monnard, Paris et Genève, 1837-40,
8 V. in-8.
2. Le R. P. Ild. von Arx, de Saint-Gall; U.-J. Liithy, de Soleure; J.-C. Zell-
■weger, de Trogen, etc.
3. Vrkunden zur Geschichte der eidengenœssischen Blinde, Lucerne, 1835.
Geschichisfreund, t. I, p. iii-xxx, Einsiedeln, 1843. Archiv fur Kunde der
orsterreichischen Geschichtsquellen, t. VI, Vienne, 1851. — M. Kopp est mort,
le 25 octobre 1866, laissant inachevé ;le grand ouvrage qu'il consacrait à l'His-
toire des alliances fédérales. Il avait rempli pendant plus de quarante ans les
fonctions de professeur de philologie classique au lycée de Lucerne. Voir, sur les
très-rares incidents de sa carrière, l'intéressante biographie de M. le chanoine
Liitolf : J.-E. Kopp als Prof essor, Dichter, Staatsman und Historilier, Lucerne,
1868; et sur ses travaux, le jugement qu'en ont porté des hommes tels que M. le
professeur G. VSaitz (Gœtt. Gel. Anzeigen, mai 1857) et M. Albert Rilliel {Origines
de la Confédération suisse, 2" édition, p. 320).
SUISSE. 385
les problèmes que la sagesse des vieux âges croyait avoir définitive-
ment résolus ^ De là, dans ces mêmes Mémoires 2, ou à côté d'eux,
les séries plus ou moins complètes de documents et les collections
spéciales sur lesquelles je désire m'arrêter un instant, parce qu'elles
attestent mieux que tout le reste l'activité qui anime à cette heure la
tribu industrieuse de nos Geschichfsforscher.
A. Pour l'histoire de la Confédération suisse, de -129^ à 1798, le
Recueil officiel des anciens Becès fédéraux^, ce qui, traduit en fran-
çais, signifie un Répertoire plus ou moins détaillé des transactions
de toute nature auxquelles ont pris part, d'âge en âge, les députés
présents aux « journées » ou diètes^ et aux conférences diverses
tenues entre les cantons. Ce recueil, nécessairement Irès-fragmen-
taire pour le xi\^ siècle, mais déjà fort important pour le xv% atteint
avec le xvi*" des proportions telles qu'on peut suivre presque jour par
jour les moindres fluctuations des esprits dans les affaires politico-
religieuses qui préoccupaient alors ou plutôt qui passionnaient à la
1 . Les publications de la Société générale d'histoire suisse et de la Société des
antiquaires de Zurich présentent, à cet égard, le plus riche contingent; mais on
comprendra sans peine que je ne puisse entrer dans aucun détail. Il faudrait,
pour cela, consacrer à chacune des grandes périodes de notre histoire une
analyse raisonnée qui risquerait de m'entraîner beaucoup trop loin. Je me borne
donc à relever dans l'Archiv fiir schw. Geschichte (t. I et XIII) et dans la
Zeilschrift fur schweizerisches Recht (t. XVIII) les trois monographies principales
qui, en dehors des livres de MM. Kopp et A. Rilliet, se rapportent aux origines de
la Confédération, à savoir celle de M. F. de Gingins sur Vétat des terres et la
condition des personnes dans le pays d'Uri au XIII' siècle, 1843; celle de
M. H. Warlmann sur les chartes d'émancipation des Waldstaetten : Die kosnif/-
lichen Freibriefe fur Vri, Schmjz und Unterwalden von 1231-1316, 1862, et
celle de M. Fred. de Wyss sur les paysans libres de la Suisse orientale : Die
freiea Bauern, Freiœmter, Freigerichte und die Vogteien der Osischweiz im
spatern Mittelaller, 1872.
2. Société générale d'histoire suisse, Société d'histoire des cinq cantons, Société
d'histoire de la Suisse romande. Société d'histoire et d'archéologie de Genève, etc.
C'est, par exemple, dans les Mémoires des Sociétés d'histoire de la Suisse
romande (M. D. S. R.) et de Genève (M. D. G.) qu'ont été mis au jour la plu-
part des documents dont j'aurai à reparler un peu plus loin sous la rnl)ri(iue de
la Suisse occidentale.
3. Amtlîche Sammlung der xltern eidgenœssischen Abschiede, herausge-
geben auf Anordnung der Bundesbehœrden unler der Direction des eidg.
Archivars.
4. Voir, sur le rôle et l'organisation de ces diètes, ou, pour parler plus exac-
tement, sur leur manque d'organisation, quelques pages fort intéressantes de
M. A. Rilliet dans la Bibliothèque universelle do 1862, t. XIII, p. 365 sq. — Le
terme même de Recès, ou départs, s'explique par la coutume qu'on avait d'em-
porter avec soi le résumé de ce qui s'était passé dans les réunions communes,
pour en donner connaissance à ses commettants.
Rev. Histor. V. 2« FASc. 25
38(; BULLETIN HISTORIQUE.
fois le peuple et les gouvernements '. Il perd, il esl vrai, un peu de
son intérêt, comme l'histoire suisse elle-même, à mesure qu'on
avance vers le wif siècle, et que la vie fédérale s'affaiblit ou s'éclipse ;
mais il n'en constitue pas moins jusqu'à la fin une mine inépuisable
pour la connaissance des institutions, des idées et des mœurs, et il
a, de plus, môme aux plus tristes époques, l'avantage de fournir aux
historiens des preuves dont rien n'égale l'incontestable authenti-
cité^. Voici, du reste, quelques chiffres qui feront mieux comprendre
la valeur de cette vaste collection.
De -1850^ à -1877, la direction des archives fédérales a successive-
ment édité treize tomes d'étendue diverse, formant pour le moins
un total de 2400 feuilles in-4 ou 49200 pages, et embrassant les
années < 29 f-< 532, 4 556-'! 680, 4742-4798.
Les Rcd's contenus dans ces treize tomes sont au nombre de 9423 ;
les Pièces annexes ou Beilagen : pactes, accords, traités de paix,
d'alliance ou de combourgeoisie, etc., et généralement tous les actes
de notre ancien droit public suisse, au nombre de 359.
Reste encore à publier trois tomes qui embrasseront les années
4 533-4555 et 4 680-4 74 2, ainsi que deux volumes supplémentaires
qui se rapporteront, selon toute vraisemblance, aux parties les plus
anciennes de la collection.
Les principaux collaborateurs de l'entreprise ont été, jusqu'à ce
jour, MM. A-P. de Segesser et J. Rriitli (f 4 867), de Lucerne;
G. Meyer von Knonau (f 4 858) et J. Strickler, de Zurich; D.-A.
Fechter (f 4 876) , de Bâle ; J.-A. Pupikofer, de Frauenfeld ; M. Rothing
(f 4875), de Schwyz, et le directeur actuel du Recueil, M. le D' J.
Kaiser.
1. Les trois volumes qui renferment les Recès des années 1500-1532 durèrent
d'ailleurs des précédents en ce sens que les éditeurs y ont fait une place plus
larfje aux correspondances diplomatiques de l'époque et à loutes sortes de rensei-
gnements secondaires qui dérangent peut-être un peu, pour notre plus grand
profit, l'économie générale du Recueil.
2. Ce serait toutefois une erreur de croire que la publication du Recueil officiel
ait ouvert à l'étude de notre histoire nationale des sources entièrement nouvelles.
Une partie des pièces qu'il résume, ou dont il donne in extenso le texte, avaient
été déjà plus d'une fois utilisées. Mais, comme le dit avec raison M, Rilliet
(/. c, p. 3G8), « leur dispersion dans les archives et leur existence manuscrite
en rendaient la recherche et l'examen difficiles et rebutants », tandis qu'aujour-
d'hui tout est combiné pour en rendre la consultation aussi commode que fruc-
tueuse, et que leur réunion en un corps d'ouvrage double à elle seule le prix de
ces documents.
3. Un premier volume, mis au jour dès 1839 ijar M. J. E. Kopp, a reparu, en
1874, par les soins de M. A. -P. de Segesser, dans une seconde édition revue et
très-augmentée. Nous n'avons donc pas besoin de tenir compte de ce premier essai.
SUISSE. 387
Enfin, puisque l'occasion s'en présente, j'ajouterai qu'indépen-
damment du Recueil des anciens Recès, les archives fédérales viennent
de nous donner un Répertoire des Recès de ]H\^ à -IS'iS i, lequel a
pour auteur M. W. Fetscherin, de Berne, et que M. Strickler s'occupe
activement de préparer pour l'impression les actes du gouvernement
helvétique de -1 798 à ^ 803.
B. Pour les époques antérieures à la naissance de la Confédération,
les Régestes des archives suisses ^^ entrepris en ^848 par la Société
générale d'histoire suisse, mais presque aussitôt interrompus, et le
Schweizerisches TJrkundenregister ^ , dont la rédaction a été com-
mencée en apparence sous les auspices les plus favorables, mais qui
a été depuis l'objet de critiques assez vives, le recueil doit être
continué jusqu'à la fin du xiii^ siècle.
Puis, sur la limite souvent indécise qui sépare le moyen-àge pro-
prement dit des temps où se formèrent les premières alliances perpé-
tuelles :
Pour la Suisse orientale, le Codex diplomaticus des Grisons*, de
MM. Th. et C. von Mohr ; le Cartulaire qui accompagne la belle
Histoire de l'abbaye de Zurich"", de M. G. de Wyss, et le recueil
plus important encore des Chartes de r abbaye de Saint-Gall^, de
M. H. Wartmann.
Pour la Suisse centrale, les f/rAMwrfewdéjàcitésdeM. J.-E. Kopp ^
qui méritent à tous égards une place d'honneur dans les fastes de
l'historiographie suisse*; la Collection de documents pour servir à
1. Bepertormm der Abschiede der eidg. Tagsaizungen aus den Jahren 1814
bis 1848 (par ordre de matières). Berne, 1874-76, 2 v. in-4. Fait suite, en un
sens, au Repertorium der Abschiede der eidg. Tagsatzungen vom Jafir 1803
bis Ende 1813, publié dès 184'2-43 par M. le chancelier fédéral Amrhyn.
2. Regesten der Archive in der schw. Eidgenossenschaft. Coire, 1848-54,
2 vol. in-4.
3. Berne, 1863-77, 2 v. grand in-8.
4. Codex diplomaticus. Sanirnlung der Urkunden zur Geschichte Cur-Rsetiens
und der Republik Graubiinden. Coire, 1848-65, 4 v. in-8.
5. Mitlheilungen der anliquarischen Gesellschaft in Zurich, t. VIII, 1851-58.
6. Vrkundenbuch der Abtei Sanct-Gallen. T. I-III, 1-3, 700-1296. Zurich,
puis Saint-Gall, 3 v. in-4, publiés par la Société des antiquaires de Zurich et la
Société d'histoire de St-Gali. (Sera continué, sauf erreur, jusqu'à l'époque de la
Réformation.)
7. Lucerne, 1835, un v. in- 12 de xx et 208 pages. Un second volume a paru
en 1851, à Vienne, mais sans avoir le retentissement du premier.
8. C'est, en effet, dans ce petit livre que M. Kopp a, pour la première fois,
énoncé les thèses auxquelles il est resté fidèle jusqu'à la fin de sa vie, et ouvert
la série des travaux qui, jmur le xiii" siècle et une partie du suivant, ont renou-
velé la face de l'histoire suisse.
388 BULLKTIN IIISTOniQnE.
l'histoire du pays de Clnris\ de M. J.-J. Blumer (-J- ^875), et les
innombrables pièces insérées, sans beaucoup d'ordre ni de discer-
nement, dans les trente premiers volumes du Geschichtsfreund.
Pour riiistoire de Berne, les Monuinents dr /'kis/oirn de T ancien
évcehc de /?«'/<? 2, édiles, aux frais du gouvernement bernois, par
MM. J. Trouillat (j- ^8(j3) et L. Vautrey; les Documents jmur l'his-
toire de (a cille de Berne ^, de M, K. Zeerleder, et les Fontes rerum
bernensium^ qui ont fait, de la part de la Revue, l'objet d'un article
spécial.
Pour la Suisse occidentale, {Qlîéycstc soit Bépertoire chro?iolo(fique
de documents relatifs à l'histoire de la Suisse romande^, de M. P.
Forel ; les Monuments de l'histoire de Neuchâter^, de M. G. -A. Matile;
le Recueil diplomatique du canton de Fribourg^, de MM. Werro
(f •1876), Berchtold (f I8G0) et Gremaud; les Monuments de l'his-
toire du comté de Gruyère', par MM. J.-J. Hisely (-|- 1806) et Gre-
maud; les Cartulaires du chapitre de Lausanne^ et de diverses
maisons religieuses du pays de Vaud ^, par MM. F. de Gingins
(7 1863) et Hisely; les Statuts de l'ancien évêché de Lausanne, et
les Chartes 77iunicipcdes du pays de Vaud, par M. F. ForeM^; les
Documents relatifs à l'histoire du Vallais^\ de M. Gremaud; le
Régeste genevois^'-, de MM. P. Lullin (f -1872) et Ch. Le Fort, et
les chartes que feu M. Ed. Mallet avait publiées dans les Mémoires
de la Société d'histoire et d'archéologie de Genève^ ^, ou que les deux
auteurs du Régeste ont extraites de ses papiers *-*.
1. Jahrbuch des historischen Vereins des Kt. Glarus. Heft I-XIII, 1865-77.
2. Porreniruy, 1852-67, 5 v. grand in-8.
3. Urkundenbuch fiir die Geschichle der Stadt Bern und ihres frùhesten
Gebiets bis zum Schluss des XIII. Jahrhunderls. Berne, 1853-54. 3 v. in-4.
(Ouvrage posthume.)
4. Première série : dès les premiers temps jusqu'à l'an 1316. M. D. S. R.,
t. XL\. Lausanne, 1862.
5. iNeuchàtel, 1844-48, 3 v. folio.
6. Fribourg, 1839-77, 8 v. in-8.
7. M. D. S. R., t. XXII et XXIII, 1867-69.
8. Ib., t. VI, 1851.
9. Romainmotier, Oujon, Hautcrêt, Moniheron. Ib., t. III et XII, 1844-54.
10. Ib., t. VII et XXVII, 1846-72.
11. Ib.,l. X-XIX-XXX, 1875-76. Les chartes vallaisannes formeront encore deux
ou trois volumes.
12. Régeste genevois, ou Répertoire chronologique et analytique des documents
imprimés relatifs à l'histoire de la ville et du diocèse de Genève avant 1312.
Genève, 1866, in-4.
13. M. D. G., t. I, II, IV, VII, VIII et IX, 1841-55.
14. Chartes inédites, relatives à L'histoire de la ville et du diocèse de Genève,
SDissE. 389
C. Enfin, pour revenir en terminant à l'histoire de la Confédéra-
tion, j'indiquerai encore, du xiv'' au xviii^ siècle :
•1» les Documents sur la (juorre de Sempoch^, tirés des archives
de Lucerne, par M. Th. de Liebenau ;
2° les Dépêches des ambassadeurs 7nilanais sur les campagnes de
Charles le Hardi, duc de Bourgogne (^474-U77)2, par M. F. de
Gingins, et le Recueil bien connu de M. G.-F.Ochsenbein sur le siège
et la bataille de Morat ^ ;
3° les Docmnents officiels de la Réformation bernoise^, de M. le
chancelier de Stiirler; la Corresponda7ice des réformateurs dans les
pays de langue française^ ^ ÙQ M. A.-L. Herminjard, dont il suffit
de transcrire ici le titre pour rappeler un vrai modèle de scrupuleuse
exactitude et de patiente érudition; les trois volumes passablement
mélangés que le Piusverein a fait paraître sous le titre diArchiv fur
die schiceizerische Reformationsgeschichte ^, etc. ;
^° Xqs Rapports d'agents franc-comtois en Suisse ('^6^9-^629) '^,
par M. A. Rivier;
3° les Dépêches de l'ambassadeur français Jean de la Barde (1648-
-1654)^, élucidées il y a tantôt trente ans par M. L. Vulliemin, et
plus près de nous, la Correspondance du général Brune, publiée,
avec d'autres papiers relatifs à la catastrophe de n98, par M. le
chancelier de Stiirler ''.
J'arrive maintenant à un ensemble de travaux bien différents,
au premier abord, des précédents, et qui en sont néanmoins dans
une certaine mesure la conséquence et la contre-partie. Nos vieilles
chroniques suisses ne peuvent plus, sauf en ce qui concerne les
événements dont leurs auteurs ont été les témoins, être considérées
antérieurement à l'année 1312 (M. D. G., t. XIV-XV, 1862-66). — Reciieil des
franchises et lois municipales des principales villes du diocèse de Genève
(M. D. G., t. XIII, 1863). — Documents inédits relatifs à l'histoire de Genève
de 1312 à 1378. (M. D. G., t. XVIII, 1872).
1. Archiv. fur schw. Gesch., t. XVII, 1871.
2. Genève, 1858, 2 v. grand in-8.
3. Die UrJiunden der Belageruncj und Schlacht von Murten, Fribourg, 1876,
in-4. Voir Revue Iiistorique, t. II, p. 611.
4. Uriiunden der hernischen Kirclienreform, aus dem Slaatsarchiv gesam-
melt von M. von Stiirler. Herausgegeben vom hislor. Vereln des Kt. Bern.
T. I-II, 1. Berne, 1862-74.
5. Tomes I-IV, 1512-11338. Genève, 1866-72, 4 v. in-8. Le tome V est en ce
moment sous presse.
6. Fribourg en Brisgau, 1869-75, 3 v. in-8.
7. Arcbiv fiir schw. Gesch., t. XX, 1876.
8. 76., t. V-VIII, 1847-51.
9. II)., t. XII, XIV, et XVI, 1858-68.
390 BULLETIN HISTORIQUE.
comme une source historique au sens strict du mot. Elles nous
renseignent seulement sur ce qu'on croyait à l'époque et dans
le milieu où elles furent composées, ou mieux encore, sur la façon
singulière dont on s'y prenait parfois pour mettre en circulation
ce qu'on tenait à faire passer pour de l'histoire. Elles forment,
en d'autres termes, le dépôt plus ou moins complexe d'une tra-
dition déjà fixée, ou le point de départ quelque peu suspect d'une
tradition en voie de se former. Mais à ce point de vue même,
comme à d'autres égards, elles ne laissent pas de mériter un
sérieux examen, et leur lecture, quand on l'entreprend dans l'esprit
de la science moderne, est susceptible d'éclairer d'une vive lumière
mainte légende longtemps réputée inviolable. Il faut donc savoir
le meilleur gré aux sociétés d'histoire de la Suisse d'avoir, autant
qu'il était possible, facilité cette étude, soit en nous procurant
un texte plus correct de celles des chroniques que d'anciennes
éditions mettaient seules à la portée du public savant, soit en pro-
duisant au grand jour des ouvrages restés jusqu'à présent inédits
ou qu'on croyait irrémédiablement perdus, soit en encourageant les
recherches critiques auxquelles quelques-uns de nos érudits se sont
livrés sur tel ou tel de ces auteurs. Je range dans la première caté-
gorie les éditions remarquables entre toutes que MM. G. de Wyss,
G. Studer et G. Meyer von Knonau ont données de Jean de Winter-
thur', de Matthias de Neuburg^, de Conrad Justinger^, de diverses
chroniques saint-galloises ^ etc. Dans la deuxième, outre la chronique
plus anciennement publiée de Melchior Russ^ — et sans dépasser
1. Johannis Vitodurani chronicon. Die Chronik des Minoriten Johannes
von Wintlierlhur, nach der Urschrift lierausgegebea durch G. von Wyss (Archiv
fur schw. Gesch., t. XI, 1856).
2. Matthias Neoburgensis chronica, cum continuaiione et vita Berchtoldi
de Buchegrj,ep. Arg. Nach der Berner- und Slrassburgerhandschrift herausge-
geben im Auflrag der allgem. geschichtforschenden Gesellschaft der Schweiz
von D-- G. Studer. Berne, 1866, in-8. — La chronique de Matthias de Neubourg
louche sur plus d'un point à l'histoire des contrées suisses.
3. Die Berner Chronik des Conrad Justinger. Xebst vier Beilagen : 1. Chro-
nica de Berna. — 2. Conflictus fMupensis. — 3. Die anonyme Stadt-Chronik
Oder der Kœn/gshofer Justinger. — 4. Anoyiymus Friburgensis. Herausgegeben
im Auftrag etc. von D' G. Studer. Berne, 1871, in-8.
4. Sand-Gallische Geschichtsquetlen (texte et commentaire critique). Xeu
herausgegeben durch G. Meyer von Knonau. (Mittheilungen des histor. Vereins
von Sanct Gallen, Heft XII, XIII, XV-XVI, 1870-77). La 1- partie est consacrée
aux légendes de Saint-Gall et de Saint-Otmar; la 2', à la chronique de Ratpert;
la 3% à la chronique d'Ekkehart.
5. Melker Russen des jiingeren, fiitters und Gericlitschreiber in Luzern,
Eidgenœssische Chronik. Herausgegeben von J. Schaeller. (Schweizerischer
SUISSE. 39-1
ici la limite du xv® siècle, — les écrits de deux autres Lucernois,
dont l'un, Jean Friind \ a été secrétaire d'Etat à Schwyz durant
la guerre de Zurich, tandis que le second, Diebold Schilling le jeune-,
fut présent à la diète de Stanz, du 22 décembre \AS\ ; puis, dans un
ordre d'idées assez différent, la chronique si justement célèbre du
Lirre bkaïc^, le petit traité « de l'origine des Schwjzois » ^, et la
Chronique de Sfraetlingen^ y piècQ fort curieuse pour l'histoire de
l'Eglise au xv* siècle, que M. le D' Baechtold vient de tirer des archives
de Berne. Dans la troisième catégorie, celle des recherches critiques,
— où l'on pourrait en un sens faire rentrer presque toutes les intro-
ductions des livres qui précèdent, — les études spéciales de M. Studer
sur Justinger^; et la dissertation un peu minutieuse, mais néanmoins
très-utile de M. le D' A. Bernoulli sur la chronique d'Etterlin^. Mais
l'œuvre de beaucoup la plus considérable qu'il reste encore à pour-
suivre est celle devant laquelle la Société générale d'histoire suisse
Geschichtforscher, t. X.) Berne, 1834. Cf A. Bernoulli, Die Luzernerchronik des
Melcfdor Russ, Bàle, 1872.
1. Die Chronik des Hans Frilnd, Landschreiber zu Schwyz. Herausgegeben
in Auftrag der allgem. geschichtforschenden Gesellschaft der Schweiz von
C.-I. Kind. Coire, 1875, in-8.
2. Diebold Schillings Schv'dzerchronik, nach der Originalhandschrifl. Lucerne,
1862, grand in-8.
3. Die Chronik des Weissen Bûches im Archiv Obicalden. Editée en 1856,
pour quelques amis, par M. G. de Wyss, et en 1857, par M. Meyer von
Knonau le père, dans le tome XIII du Geschichtsfreund. — C'est dans la
Chronique du Livre blanc qu'on rencontre pour la première fois, vers 1470, les
historiettes des mauvais baillis, la conjuration des trois vallées et les aventures
héroïques de Tell. Voir sur ce sujet W. Vischer, Die Sage von der Befreiung
der Waldsta-ite. Leipzig, 1867, in-8-, A. Rilliet, Origines de la C onfédéral ion
suisse, histoire et légende. Genève, 1868; 2'' éd., 1869, in-8; H. Hungerbiihler,
Etude critique sur les traditions relatives aux origines de la Confédération
suisse. Genève, 18G9, in-8; P. Vaucher, la Chronique du Livre blanc (Indica-
teur d'histoire suisse, année 1874, p. 46-56), etc.
4. Vom Herkommen der Schtoijzer [und Oberhasler]. Eine wiederaufgefundene
Chronik aus deni XV Jahrhundert (msc. de Genève). Mil Erlaeuterungen und
kritischen Untersuchungen herausgegeben von D"" II. Hungerbiihler (Mitthei-
lungen des hislor. Vereins von Sanct Gallen. Heft XIV, 1872).
5. Die Stretlingerchronik. Ein Beitrag zur Sagen-uud Legendengoschichte der
Schweiz aus dera XV. Jahrhundert. Mit einem Anhang : Vom Herkommen der
Schwyzer xmd Oberhasler. Herausgegeben von D" J. Baechlold. Frauenfeld,
1877. — J'aurai, je pense, quelque jour l'occasion de revenir sur cet ouvrage
et sur les questions nouvelles soulevées par l'appendice.
6. Studien iiber Justinger. (Archiv des histor. Vereins des Kt. Bern, t. V-VI,
1863-67.)
7. Etterlins Chronik der Eidgenossenschaft nach ihren Quellen untersucht
von A. Bernoulli. (Jahrbuch fur schw. Geschichte, t. I, 1877.)
302 BULLETIN HISTORIQUE.
n'a reculé jusqu'à prôscnl que pour mieux en assurer le succès : je
veux dire la publication complète et dcfmitive de cet amas d'écrits
du xiV et du xv" siècle qu'on désigne sous le nom de « chroniques
zurichoises»'. Ce ne sera pas trop, pour la mener à bonne fin,
de la science consommée de M. G. Scherrer ou de M. Me^'cr von
Knonau.
Quant aux publications historiques proprement dites, elles ont
soulVert, on le comprend, des conditions nouvelles qui sont faites à
la science el de l'abondance même des matériaux qui s'accumulent
chaque jour. Les huit derniers volumes des continuateurs de Jean
de Millier - ont, il est vrai, paru de 1841 à 1851 ; mais la partie qui
traite de la Réformalion au temps de Calvin est aujourd'hui com-
plètement dépassée, et si le tableau du xvii'' et du xviii'' siècle garde
encore pour nous une très-grande valeur, on y rencontre cepen-
dant, sous la finesse ingénieuse de M. L. Vulliemin ou la gravité un
peu factice de M. Ch. Monnard, les traces d'une rhétorique à laquelle
nous devenons de plus en plus étrangers. L'Histuire des alliances
fédérales^, de 1273 à 1330, par M. J.-E. Kopp, n'est, en revanche,
à la juger du point de vue littéraire, qu'une mosaïque assez confuse,
ou, si l'on veut, un vaste inventaire notarié, qui contraste d'une
manière frappante avec le livre non moins solide, mais admirable-
ment composé, de M. A. Rilliet sur les Origines de la Confédération
suisse. L'Histoire des relations diplornatiques de la Suisse avec la
France \ de M. J.-C. Zellweger, est malheureusement restée à l'état
de fragment. Les études de M. J.-L. Wurstemberger sur l'ancien
1. Voir, en attendant, les Mittheilungen der antiquârischen Gesellschaft in
Ziirich, t. II, 1844, et le livre qui a pour titre : Die Klingenberger {">.) Chronik,
nach der von Tschudi besessenen und vier andern Handschiften zum ersten
mal ganz, und mit Parallelen aus gleichzeiligen ungedruckten Chroniken
herausgegeben von D' Anton Henné. Gotha, 1861, in-8. 11 faut y joindre, à titre
de correctif ou de complément, les trois mémoires de MM. G. Scherrer (Mitthei-
lungen des historischen Vereins von Sanct Gallen, Heft I, 1861), G. Wailz
(Gœtting. Nachrichten, 1862, p. 73-90) et G. de Wyss (Ueber eine Zurclier.
Chroni/i aus dem XV. Jahrhundert, Zurich, 1862).
2. Histoire de la Confédération suisse, de Jean de Miiller, R. Gloutz-Blotzheim
et J.-J. Hottinger. Traduite en français et continuée jusqu'à nos jours par
L. Vulliemin et Ch. Monnard. Paris et Genève, 1837-51, 18 v. in-8.
3. Geschic/iie der eidgenœssischen Blinde. Mit Urkunden. Leipzig, puis
Lucerne, puis Berlin, 1845-62, 5 v. in-8.
4. Geschichte der diplomaiischen Verhxltnisse der Schiceiz mit Frankreich
ton 1698 bis 1784 (1716). Ein Versuch, die Einwirkung dieser Verhœltnisse auf
den sittlichen, œkonomischen und politischen Zustand der Schweiz darzuslellen.
Saint-Gall el Berne, 1848-49, 2 vol. in-8.
smssE. 393
pays de Berne ', qui forment une histoire à peu près complète de
l'Helvétie occidentale jusqu'à l'extinction de la famille de Zaeringen,
n'ont pu recevoir les derniers soins de l'auteur. Le savant ouvrage
de M. J.-J. Blumer sur les démocraties suisses^, ainsi qu'un
livre plus considérable encore de M. A. -P. de Segesser sur l'his-
toire juridique de Lucerne^, appartient presque tout entier au
domaine du droit, et se dérobe par conséquent à mes jugements. —
Nos modernes historiens ont d'ailleurs presque tous, si j'ose ainsi
parler, quelque peine à quitter leur robe de chambre, lis s'inquiètent
plus volontiers de dire ce qu'ils ont trouvé^ ou comment ils l'ont
trouvé, que de montrer ce qu'on pourrait en faire. C'est dans bien
des cas, je m'empresse de le reconnaître, la preuve d'une candeur
fort honorable, et pour ma part, je préfère de beaucoup la conscien-
cieuse Histoire du peuple de Genève'*^ de M. A. Roget, aux pages les
plus émouvantes de M. Merle d'Aubigné^. Mais le grand public
ne s'accommode guère de pareils procédés; et peut-être ignorerait-il
encore, au moins dans la Suisse romande, les recherches inces-
santes dont notre histoire nationale a été l'objet depuis un demi-
siècle, si l'un des auteurs que j'ai cités, le vénérable M. L. VuUie-
min, n'avait pris à cœur, malgré l'approche de sa quatre-vingtième
année, de les résumer en deux attrayants petits volumes qui ont
conquis aussitôt tous les suffrages''. Il y a là, ce me semble, un
exemple qu'on ne saurait trop méditer.
Genève, septembre ■ISTT.
P. Vaucher.
1. Geschichte der alten Landschaft Bern. Berne, 1862, 2 v. in-8.
2. Siaats-und Rechtsgeschichte der schweizerischen Demokratien, oder der
Kantonc Uri, Schwt/z, Untericalden, Glarus, Zug und AppenzelL Saint-Gall,
1850-59, 2 V. in-8.
3. Rechtsgeschichte der Stadt und Republik Luzern. Lucerne, 1850-58,
4 V. in-8.
4. Depuis la Réforme jusqu'à l'Escalade. T. I-IV, 1" livr. Genève, 1870-76,
4 V. in-12.
5. Histoire de la Réformation en Europe au temps de Calvin. Paris, 1863-76,
7 vol. in-8. Voir, dans le Journal de Genève d'avril 1875, le compte-rendu qu'un
juge on ne peut plus compétent a fait du tome VI de cet ouvrage.
6. Histoire de la Confédération suisse, l'" partie : des plus anciens âges aux
temps de la Réforme. 2" partie : des commencements de la Réforme à notre
temps. Lausanne, 1875-76, 2 v. in-12 de 380 et 402 p.
39-* COMPTES-llENDCS CRITIQDES.
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Histoire générale du costume civil, religieux et militaire du
IV>- au Xixe siècle ^3^^3-^.SIo) , par Raphaël Jacquemln, peintre-
graveur, auteur de l'Iconographie du costume. T. P'. Paris, l'Au-
teur, rue Royer-Gollard, 10.
Voilà certes un programme séduisant, un titre gros de promesses et
fait pour éveiller l'attention des érudits, des artistes, des metteurs en
scène de tout genre, tant préoccupés aujourd'hui de la vérité historique
des accessoires. Ils espéreront sans doute trouver dans le livre de
M. Jacquemin un tableau fidèle des connaissances acquises jusqu'à ce
jour, enrichi des études et des observations personnelles de l'auteur.
Nous sommes à notre grand regret obligé de les détromper.
Cette annonce pompeuse ne recouvre qu'une compilation incomplète,
présentée sans méthode et dépourvue de critique. Une phraséologie de
mauvais goût, des périodes sonores et creuses servant à relier les cita-
tions nombreuses intercalées dans l'ouvrage, voilà la part de l'auteur.
Ce n'est pas tout. Un reproche plus grave doit lui être adressé.
M. Jacquemin omet de mentionner certaines œuvres auxquelles il a
fait des emprunts et semble s'attribuer ainsi des travaux qui ne lui
appartiennent pas. Nous signalerons entre autres le catalogue du Musée
d'artillerie par Penguilly l'Haridon comme une des sources de ses
appropriations clandestines. Dans le chapitre intitulé : des armes du
inojien âge, on ne compte pas moins de vingt-cinq passages copiés mot
à mot dans les notices dues à l'ancien conservateur du Musée d'artille-
rie. Pour n'en citer qu'un exemple :
On lit dans le catalogue de Pen- On lit dans le livre de M. Jac-
guilly, page 145 : quemin, page 228 :
« La cotte de mailles était simple, « La cotte de mailles était simple,
sans doublure; elle n'avait pas sans doublure; elle n'avait pas
d'envers, comme la cotte normande, d'envers, comme la cotte nor-
et se passait comme une chemise. mande, et se passait comme une
On portait au-dessous un second chemise. On portait en dessous
vêtement, de même forme que la un second vêtement, de même
cotte, en cuir, ou en étoffe piquée forme que la cotte, en cuir ou en
avec soin; c'est le gamboison ou étoffe piquée avec soin : c'est le
le gambeson, qui formait la plu- gambeson ou gamboison (que le
V. DE ROCHAS : LES PARIAS DE FRANCE ET d'ESPAGNE. 395
part du temps la seule armure président Faucher appelle gobes-
défensive des gens de pied. son, nous ne savons trop pourquoi)
« On désignait sous le nom de et qui avec le haubergeon ou le
grand haubert , blanc haubert , hoqueton formait la plupart du
l'armure complète de mailles que temps la seule armure défensive
les chevaliers avaient seuls le des gens de pied,
droit de porter. » « On désignait sous le nom de
grand haubert, blanc haubert, l'ar-
mure complète de mailles que les
chevaliers avaient seuls le droit
de porter. »
Les expressions ne manquent pas pour caractériser cette érudition
de contrebande et la qualifier comme elle le mérite. Nous ne les em-
ploierons pas, nous préférons fermer le livre et conseiller aux chercheurs
sérieux de ne pas l'ouvrir.
G. D.
Les Parias de France et d'Espagne (Gagots et Bohémiens), par
V. DE Rochas. Paris, Hachette et G% ^1876, 308 p.
Sous ce titre engageant se trouvent réunis deux mémoires publiés
dans le Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Pau (11^ sér.,
1875-76); l'un sur les Gagots, l'autre sur les Bohémiens. Il y a si peu
de liens entre ces deu:: parties de l'ouvrage et la seconde est si infé-
rieure à la première que l'auteur aurait dû se borner, suivant nous, à
exposer ses recherches sur les Gagots. Le livre y eût gagné l'unité qui
lui manque et n'eût rien perdu de l'intérêt et de la nouveauté qui le
signalent à l'attention des érudits et des curieux.
En effet, les 90 pages consacrées aux Bohémiens (p. 216-306) ne con-
tiennent guère qu'un résumé incomplet et assez confus des travaux
historiques et linguistiques qui ont été publiés sur la question. Notons
cependant les observations personnelles de M. de Rochas sur les Casca-
rots ou Bohémiens du pays basque (p. 249-267). Il conclut que le Bohé-
mien n'est pas indisciplinable, qu'il a fait, au point de vue des mœurs
et de l'instruction, un progrès réel, mais que, pour achever de le régé-
nérer, il faudrait proposer autre chose que des mesures de rigueur.
Quant à la langue romani, parlée, dans certaines circonstances, par les
Gascarots, il reconnaît, avec MM. Francisque Michel et Baudrimont,
dont la compétence en basque lui paraît suffisante, qu'elle est un com-
posé de mots basques, espagnols et français (p. 253). Peut-être serait-il
nécessaire, à notre avis, que l'étude de ce langage hybride fût reprise
avec soin et méthode par des linguistes plus sérieux. — Le chapitre
relatif aux gitanos du Roussillon et de l'Espagne (p. 270-305) renferme
quelques citations intéressantes de Jaubert de Réart sur les Bohémiens
des Pyrénées-Orientales et de la Gatalogne, mais l'auteur touche à
peine, en dépit du titre de son livre, à l'histoire des Bohémiens d'Es-
30G COMPTES-RENDUS CUITIQDES.
pagno qui mériterait dos recherches spéciales et de longs développe-
ments.
Nous avons hâte d'arriver à la partie originale de l'ouvrage, c'est-à-
dire à celle qui traite des Cagots (p. 11-211). Cette curieuse question
d'histoire et de médecine n'avait pas été examinée jusqu'ici d'une façon
aussi complète, avec des données aussi nombreuses et aussi sûres.
M. de Rochas a tiré, sans doute, grand profit du livre de M. Fran-
cisque Michel sur les races maudites de France et d'Espagne; mais
aux renseignements historiques qu'il y a puisés, il a pu joindre les
observations médicales qu'il a faites lui-même pendant trois ans, dans
les vallées françaises et navarraises des Pyrénées, en étudiant certaines
agglomérations de Cagots. De plus, des recherches consciencieuses aux
archives de Paris, de Pau et de Pampolune lui ont permis d'employer
des documents restés jusqu'ici inaperçus et qui jettent une vive lumière
sur l'état physique et la condition sociale de ces parias pendant toute la
durée du moyen âge.
Le premier chapitre où il s'agit de la lèpre et des lépreux en général,
était une introduction naturelle, mais il ne nous apprend rien de nou-
veau. L'auteur aurait pu consacrer quelques lignes de moins à la des-
cription de la maladie de Job, et emprunter d'intéressants détails à la
consciencieuse brochure de Buvignier sur les Maladrcries de la cité de
Verdun (Metz, 1862) où la même question est traitée au point de vue
historique et médical. Est-ce bien l'éléphantiasis qui répond toujours
à la maladie appelée lèpre au moyen âge? Il est très-probable qu'on a
appliqué ce nom à toutes les maladies de la peau, considérées toujours
alors, à tort ou à raison, comme fort graves et contagieuses, et que
tous les malades renfermés dans les 2,000 léproseries de la France du
xm« siècle n'étaient pas atteints d'éléphantiasis. Nous ne sommes pas
non plus d'accord avec l'auteur quand il avance que les ladres deve-
naient plus odieux au peuple et étaient soumis à des règlements plus
rigoureux à mesure que leur nombre augmentait. Nous croyons au
contraire avec M. Giry (Revue critique, 27 mai 1876, p. 359) que la
condition des lépreux varia suivant les siècles et que la législation de-
vint plus dure pour eux lorsque la lèpre, grâce aux progrès de l'hygiène,
délaissa les classes aisées pour ne plus attaquer que les pauvres, les
juifs et les mendiants. — Les détails consacrés aux parias du Béarn,
successivement appelés mezegs, crestiaas, cagots, sont en revanche tout
à fait neufs (ch. II). M. de R. réussit à montrer que la condition de ces
malheureux est à peu près la même que celle des lépreux ; comme ces
derniers, ils ne sont pas appelés en témoignage, sont exemptés de. la
taille, sont réunis en communauté dans un quartier isolé, sont placés sous
la juridiction ecclésiastique, etc. Mais des documents béarnais prouvent
qu'ils n'étaient pas condamnés au seul métier de charpentier, comme on
l'a admis jusqu'ici. Ils pouvaient posséder des biens, en disposer, exercer
la médecine et même la banque (p. 45). Les Gafets ou Gahets de la
Guyenne (p. 61-70), les Capots des Landes et du Languedoc (p. 71-77),
V. DE ROCHAS : LES PARUS DE FRANCE ET d'eSPAGNE. 397
les Cacous ou Caqueux de la Bretagne (p. 80-99), les Gafos ou Agotes de
la Navarre espagnole (p. 103-125) sont tout à fait assimilables aux Ca-
gots béarnais. Gomme eux, ils ne se distinguent, ni par les caractères
physiologiques, ni par la langue, des populations au milieu desquelles
le préjugé leur fait encore, sur plusieurs points du territoire, une place
à part, M. de R. nous donne (p. 126-167) les résultats de l'examen mé-
dical auquel il a soumis les familles de Cagots qui subsistent encore
aujourd'hui sur les deux versants des Pyrénées; et sa conclusion est la
même que celle des médecins instruits, tels que Palassou, qui ont
traité la même question; c'est que les Cagots ne sont pas affectés de
crétinisme, comme le dit encore M. Littré dans son Dictionnaire, et
qu'ils ne sont sujets à aucune infirmité particulière.
Si les cagots ne sont pas répandus exclusivement dans le Midi, mais
se trouvent aussi dans toute la France de l'Ouest, si leur condition
n'offre absolument rien de spécial, au point de vue physiologique
comme au point de vue linguistique, les théories bien connues qui les
font descendre des Goths, des Sarrasins, ou des réfugiés espagnols éta-
blis en France après Roncevaux, ne reposent plus sur aucun argument
valable. L'opinion, fort accréditée au moyen âge, qui voit en eux les
débris de la secte albigeoise ne se soutient pas davantage, car on devrait
rencontrer, surtout dans le Languedoc, un grand nombre de ces petites
communautés de cagots; ce qui n'est pas. M. de R. fait aisément jus-
tice de tous ces systèmes (p. 170-184) et leur substitue le sien qui,
sans contredit, explique mieux les faits. Les termes de crestiaa ou
chrestiaa (chrétien), gafets, gafos, cacous, sont, dans les anciens textes,
synonymes de lettre, mesel (ou meseg en gascon) ou lépreux, et s'appli-
quèrent, soit aux malades atteints d'une lèpre caractérisée, soit à ceux
qui étaient simplement suspects. Les chrestiaas béarnais du xiv^ siècle
n'étaient plus lépreux, mais n'étaient pas non plus absolument sains
(p. 190). Ils étaient sans doute affectés de la lèpre blanche ou leucé,
maladie peu grave qui, plus tard, se transforma simplement en albi-
nisme (p. 199) ou disparut complètement. Les cagots du siècle dernier
et d'aujourd'hui ne sont donc que les descendants, vrais ou réputés,
des lépreux; et le préjugé qui subsista contre eux jusqu'à nos jours
s'explique naturellement par la croyance générale à l'hérédité de la
lèpre et par l'espèce d'ostracisme dont les familles des lépreux étaient
frappées par l'opinion (p. 209). Mais pourquoi les cagots sont-ils seule-
ment signalés dans la France du Sud-Ouest et de l'Ouest? L'auteur
affirme, mais sans appuyer suffisamment son dire, que la lèpre blanche
a affecté plus particulièrement les provinces occidentales (p. 208) et
que, dans les temps anciens, l'Aquitaine a été un des pays les plus
éprouvés par la véritable lèpre. Il y a là une question à éclaircir. L'hy-
pothèse de M. de R., toute vraisemblable et satisfaisante qu'elle paraisse
en général, laisse subsister bien d'autres points obscurs. On se demande
par exemple, pourquoi, en Béarn, où les établissements des chrestiaas
sont indiqués avec soin dans un dénombrement du xiv" siècle, on n'en
3«)S flOMPTES-UENDUS CIUTIQDES.
triMivf pas dans les localités dos {^randos vallées pyrénoonnos. Enfin les
étyniolo^ips données par l'autour dos tormes désignant los descendants
des lépreux ne sont pas toutes satislaisantos. On peut accepter son
explication de (lafo, gafct (p. 185) et de chrestiaa (p. 187); mais le mot
cagot attend une interprétation. C'est déjà un progrès que de n'y plus
voir les caas gots ou « chiens Gots » des anciens historiens méridio-
naux. Cependant nous doutons fort que la présence du mot cacod
ou cacodd avec le sens de lépreux dans los dictionnaires hretons de
BuUet, de Court de Géhelin et de Rostrenem (tristes autorités pour nos
celtistes) soit une preuve convaincante que les Cagots de Béarn et les
Cacous de Bretagne doivent leur nom à un radical celto-breton (p. 193).
Le mot Cacous n'apparait pas plus anciennement dans les textes que le
mot Cagot, c'est-à-dire avant le xv« siècle. S'il fallait se prononcer dans
la question, nous rattacherions plus volontiers Cacous et Cagot au mot
cagoule (cuculla), par une interprétation semblable à celle qui fait venir
Capot de cape, cagous ayant été employé pour désigner les archi-sup-
pôts revêtus de la cagoule, et l'obligation de se signaler par une cape
de couleur voyante ayant été longtemps imposée aux lépreux et aux
quasi-lépreux. Mais ceci à titre de simple conjecture. Ces réserves faites,
reconnaissons que M. de Rochas a trouvé, au problème si controversé
de l'origine des Cagots, une solution naturelle et parfaitement accep-
table qui doit jusqu'à nouvel ordre s'imposer à la science et remplacer
avec avantage les hypothèses plus ou moins ingénieuses, mais peu sou-
tenables, émises jusqu'ici sur la question.
A. LUCHAIRE.
Histoire de la Confédération suisse, par L. VuLLlEMIN. II. Des
commencements de la Réforme à notre temps. Lausanne, Bridel,
^876, 403 p. in-^2. Prix : 3 fr. 50 c.
On a rendu compte, dans un des précédents volumes de la Revue, de
la première moitié de cet abrégé de l'histoire helvétique. Nous pouvons
donner à ce second volume les éloges que méritait son prédécesseur.
M. V. a su réunir dans un volume de médiocre étendue les faits les plus
importants du passé delà Suisse pendant les trois derniers siècles. L'au-
teur est protestant et cela se devine à son récit de la Réforme au xvi« s.,
mais il s'est efforcé de conserver une impartialité complète dans le
tableau des longues et sanglantes querelles religieuses qui ont désolé
la Confédération de 1529 à 1847. Gà et là quelques développements au-
raient pu être retranchés ^, et remplacés par quelques détails plus spé-
ciaux. En certains chapitres les recherches modernes auraient pu être
mieux utilisées pour quelques traits du tableau 2, mais l'ensemble est
1. P. ex. les détails sur les guerres de religion en France.
1. Ainsi les travaux si remarquables de M. Roget sur l'histoire de Genève au
XVI'' siècle; on pourrait aussi profiler, dans une édition nouvelle, de l'intéressant
travail de M. Dardier sur Esa'ie Gasc et la révolution de 1789 à Genève.
G. GLOECKLER : DAS ELSASS. 399
satisfaisant, quand on [songe au but de l'autour et à l'étendue de l'ou-
vrage. M. V. s'arrête à l'année 1848. Pour remplir tout à fait son pro-
gramme, il aurait bien fait d'ajouter encore un chapitre final, menant
Thistoire de la Suisse jusqu'aux grandes luttes de la révision et au vote
des réformes de 1875. De la sorte il nous aurait donné un bon petit
manuel complet suffisant à tous ceux qui veulent s'orienter dans l'his-
toire de sa petite mais glorieuse patrie, sans faire des études plus appro-
fondies. Une chose nous a frappé dans ce volume, c'est la singulière
transformation de mots allemands qu'on aurait fort bien pu rendre par
des expressions françaises, comme le Strafguéricht, le Grabenthoerli-
thourm, etc. A quoi bon surtout écrire Tousis, Wilmergue, Guigner,
Sonderbound, Steiguer, Gourniquel, au lieu de Thusis, Wilmergen, Gyger,
Sonderbimd, Stciger, Gurnihel, etc.? Une pareille méthode s'excuse dans
les contes d'Erckmann-Ghatrian, mais dans un ouvrage historique on
ne sacrifie pas l'orthographe véritable à je ne sais quel besoin d'eupho-
nie ou à une attention délicate pour des lecteurs peu familiarisés avec
les idiomes germaniques.
Das Elsass, Kurze Darstellung seiner politischen Geschichte, von
Ludwig Gabriel Glceckler. Freiburg, i. Br. Herder, ^876, xvir,
245 p. in- 12. Prix : 3 fr.
Il est bien difficile d'écrire une histoire générale d'Alsace, à cause du
fractionnement infini de son territoire, partagé entre vingt princes et
seigneurs divers et resté divisé jusqu'au moment où l'Alsace est venue
s'absorber pour deux siècles dans l'unité française. Aussi la tâche n'a-
t-elle pas été tentée souvent et nous ne possédons à vrai dire que deux
histoires complètes d'Alsace, l'une du P. Laguille,qui date du xvni" siè-
cle, et l'autre de Strobel, publiée il y a trente ans. L'un de ces ouvrages
est trop ancien désormais, l'autre trop long et peut-être un peu trop
diffus pour devenir jamais d'une lecture facile. Quant aux nombreux
résumés, soit français, soit allemands, que les dernières années ont vus
paraître, aucun ne peut prétendre à une valeur sérieuse; ce sont des
compilations hâtives et dont les tendances servaient à toutes autres
causes que celle de la vérité historique. L'auteur du présent volume a
voulu donner au public un résumé facile à lire de l'histoire d'Alsace,
résumé qui fût à la fois vrai, lucide et court. 11 dit avoir rejeté tout
appareil scientifique afin que le peuple put lire son ouvrage, mais on
ne peut affirmer qu'il ait atteint le but. Au point de vue de l'impartialité
historique, on peut faire de nombreuses objections à M. G., qui paraît
être, d'après une note de la page 181, membre du clergé catholique. Ce
qu'il dit de l'Inquisition, de la Réforme, de la Saint-Barthélémy, de la
Révolution, de Napoléon I^r, nous le montre beaucoup trop imbu des
passions de parti pour pouvoir écrire froidement l'histoire. Ce qu'il
nous raconte des temps primitifs de l'Alsace, de l'époque mérovin-
400 COMPTES-RENDUS CHITIQDES.
gienne, etc. *, ne saurait établir précisément que son récit soit lucide.
Pour la brièveté du récit, il est court sans doute, puisque le livre ne
compte que deux cents pages à peine, mais on y raconte une foule de
choses fort inutiles ici, l'histoire dos Assyriens, de Gyrus, des Romains,
celle de la France et de l'Allemagne, tandis que des faits importants de
l'histoire spéciale et locale sont passés sous silence. Quant au mérite
d'avoir écarté tout appareil d'érudition, je dois dire que l'auteur cite bien
souvent du latin pour un livre populaire, et même de l'hébreu ; de plus,
il encombre son volume d'une foule de notes qui seraient à leur place
dans un récit plus développé, mais qui sont hors de proportion avec le
texte d'un précis aussi maigre que le présent.
Mais louons aussi ce qui doit être loué, c'est-à-dire l'idée, que nous
voyons ici mise en pratique pour la première fois, de raconter l'histoire
de l'Alsace en suivant com.me fil conducteur, non la série des évêques
de Strasbourg, mais celle des ducs d'Alsace d'abord, puis celle des
landgraves et plus tard des grands-baillis ; ce procédé, quelque extérieur
qu'il soit, permet au moins de donner une certaine unité à l'histoire de
la province et mérite qu'on l'utilise dans un résumé du moins, car pour
une histoire plus détaillée, il présenterait des inconvénients d'une autre
nature. Pour les tables généalogiques qui terminent le volume, je ne
vois trop comment elles seraient utiles au peuple et l'auteur doit savoir
— je le suppose au moins — que les savants n'ont que faire de l'arbre
« généalogique » de la race des Stichonides, par exemple, dont les
personnages appartiennent à la légende bien plus qu'à l'histoire. Je
n'entre pas dans le détail des observations particulières; il y aurait trop
à dire et pour un travail de pareille étendue, ce serait réellement abuser
de l'attention des lecteurs.
Histoire de l'Amérique du Sud depuis la conquête jusqu'à nos
jours, par Alfred Deberle. Un vol. in-12. Paris, Germer-Baillère,
^876, i-vi. ^-384 p. 3fr. 50.
Il est peu de sujets qui présentent un intérêt aussi soutenu que l'his-
toire de l'Amérique du Sud. Voyages de découverte, exploits et aven-
tures des conquistadores, massacre et oppression systématique des indi-
gènes, exploitation inintelligente des ressources du sol, et, de nos jours,
soulèvement victorieux et émancipation générale des colonies espa-
gnoles et portugaises, c'est une succession variée de scènes dramatiques
et de péripéties romanesques. Pourtant les historiens semblent avoir
1. Son érudition ressemble trop à celle du xvi^ et du xvii' siècles. Je n'en cite-
rai qu'un exemple. Les descendants de Gomer, fds de Japhet, habitaient le nord
de l'Alsace. Parmi ces populations se trouvaient les Triboques, dont l'une des
villes, Bouxiviller, s'appelait ainsi parce que les habitants de ces parages y bou-
canaient leur viande! (p. 5.)
A. «EBEllLE : HISTOIRE DE l'aME'rIQUE DU SUD. 401
reculé devant l'immensité du sujet, et jamais encore l'un d'entre eux
n'a eu la hardiesse de l'embrasser dans son ensemble : nous ne men-
tionnons en effet que pour mémoire l'ouvrage de Robertson, depuis
longtemps tombé dans le discrédit qu'il méritait à tous égards. A l'ex-
ception de quelques chapitres de {'Histoire du xix^ siècle, par Gervinus,
et de l'histoire universelle de Cantù, ou bien encore de l'Histoire du Bré-
sil, par Varnhagen, nous n'avons sur l'Amérique du Sud que des com-
pilations banales ou des récits épars, tantôt monographies ou scènes de
mœurs, tantôt épisodes détachés ou voyages trop souvent de fantaisie.
M. Deberle a donc été heureusement inspiré en essayant de combler
cette lacune. Mais il est bien difficile de ne commettre aucune erreur
dans un sujet aussi vaste : M. D. n'est pas exempt de quelques-unes de
ces erreurs. Nous nous permettrons de les lui signaler en étudiant son
livre.
L'Histoire de l'Amérique du Sud se divise en deux parties. Dans la
première qui s'étend de 1492 à 1820 l'auteur raconte la découverte, la
colonisation, l'affranchissement, et la constitution des diverses natio-
nalités. Dans la seconde il résume l'histoire des États Sud-Amé-
ricains depuis leur émancipation jusqu'à nos jours. Trois siècles et
davantage d'un côté, moins de cinquante années de l'autre ; peut-être
M. D. a-t-il trop développé l'époque contemporaine aux. dépens de
l'histoire du Nouveau - Monde avant la séparation des républiques
actuelles d'avec leurs métropoles. Nous eussions préféré plus de détails,
surtout sur la colonisation de cet immense continent, et moins d'ap-
préciations sur les hommes du jour : mais ce n'est là qu'un défaut de
proportion, et d'ailleurs nous comprenons très-bien que l'histoire con-
temporaine présente à la masse des lecteurs un intérêt plus immédiat
que l'histoire des temps passés.
Quelques remarques sur cette première partie : M. Deberle nous
semble avoir passé bien légèrement sur les origines. Pour lui l'histoire
de l'Amérique commence à Colomb. Pas un mot sur les rapports vrais
ou prétendus avec l'Ancien Monde. Pas même une allusion à l'Atlan-
tide. Nous n'ignorons certes pas que ces intéressantes questions ne
sont pas encore entrées dans le domaine de l'histoire positive, mais
encore fallait-il au moins dire quelques mots des Incas et de la civili-
sation péruvienne, des antiques monuments qui couvrent encore le sol,
et des peuplades indigènes. Cette omission est regrettable. M. D. la
réparera sans doute quand il publiera la seconde édition de son
livre.
Quel est donc « ce capitaine de la marine dieppoise » (p. 2), (jui au-
rait découvert le Brésil avant les Portugais, et peut-être même l'Amé-
rique avant Colomb? Dans un ouvrage consacré à l'histoire de l'Amé-
rique du Sud, et écrit par un Français, le Dieppois Jean Cousin aurait
dû être cité autrement que par allusion.
P. 4. M. D. parle, non sans raison, de la science et du génie de Co-
lomb. Pourquoi donc quelques pages plus loin (p. 17), l'accable-t-il
Rev. Histor. "V. 2*^ FASC. 26
Î02 f.OMPTES-HK\I)lIS CllFTIQUES.
ilaccusalions pou mt'riU'cs ot lui dcuie-l-il ce y à nie qu'A lui accordait si
lihcralomont tout à l'heure?
P. IG. Améric Vespuce n'a jamais « en qualité de pilote accompagné
Golonil) dans un de ses voyages. » En 1490, Vespuce était commis d'une
grande maison de commerce fondée à Séville, en 1486, par le l^'lorontin
Juanoto Berardi; en 1495, à la mort de Dcrardi, on lui conlia la direc-
tion ou simplement la comptabilité de l'établissement. Dos documents
aythontiquos, les bordereaux des comptes sur les frais d'armement des
Hottes de l'Inde, conservés dans les Archives de la. Casa de Contratacion
à Séville, démontrent qu'à ce titre de chef comptable il fut chargé de
l'armement dos navires destinés à la troisième expédition de Colomb, et
qu'il fut occupé à cette besogne depuis le 11 avril 1497 jusqu'au départ
de Colomb le 30 mai 1498, mais il resta en Espagne, et ne fut jamais un
des pilotes de Colomb. Lorsque plus tard il prit la mer à son propre compte,
on ne sait même pas quelle était sa position réelle, pilote, astronome
ou marchand.
P. 43. Villogaignon, et non Villegagnon, ne se fit jamais appeler roi
d'Amérique. Ce furent ses ennemis qui, dans les nombreux pamphlets
qu'ils publièrent contre lui, l'atïublèrent de ce surnom. Nous avons
eu entre les mains, à la bibliothèque de Genève, une lettre auto-
graphe de Villogaignon à Calvin, sur les marges de laquelle un calvi-
niste avait écrit, en face du nom du vice-amiral, dictus rex Americae,
mais la signature porte simplement : Nicolas Durand de Villogaignon,
sans aucun titre. Aussi bien M. D. semble n'avoir étudié que super-
ficiellement cet épisode de notre histoire coloniale. Ainsi il croit que Bois
le Comte fonda une nouvelle colonie dans la baie de Rio dès 1559; mais
Bois le Comte n'était que le lieutenant de Villogaignon et il résida dans
l'ile aux Français et au fort Coligny même après le retour de Villogaignon
en Franco; c'est seulement en mars 1560 que les Portugais s'empa-
rèrent par surprise de nos établissements et forcèrent Bois le Comte à
se réfugier sur le continent. Enfin les Français furent si peu « complète-
ment écrasés en janvier 1567 » qu'en 1571 le pirate Jean Capdeville
s'emparait d'une flotte portugaise, et qu'on 1581 nos compatriotes
étaient encore installés à Parahyba et tentaient une nouvelle attaque
contre Rio.
P. 45. Quel est le Jacques Riffault qui débarque en 1544 dans l'ile
Maranham, et en prend possession au nom de la France? Nous ne con-
naissons qu'un Riffault qui essaya, sur la fin du règne de Henri IV, de
fonder dans l'ile de Maranham un établissement permanent, mais il ne
mit à la voile que le 15 mai 1594 et nullement en 1544. De plus ce
n'est pas lui qui organisa l'expédition de la Ravardière, mais un Tou-
rangeau, nommé de Vaux, qui avait vécu longtemps parmi les Indiens
et connaissait leur langue et leurs usages.
M, D. a eu raison d'insister sur les odieux massacres commis par les
Espagnols. Il a prouvé que l'extermination des Américains avait été
sinon commandée, à tout le moins tolérée, et cela depuis le temps où
A. DEBERLE : HISTOIRE DE l'aMe'rIQCE DU SUD. 403
les fonctionnaires européens organisaient deux grandes battues hu-
maines par an jusqu'à l'année 1800, époque à laquelle le gouverneur de
Para, Coutinho, faisait fouetter, puis noyer avec une pierre au cou la
sage-femme Valera et deux de ses compagnes, parce que sa maîtresse
était morte à la suite de couches ! Autant que personne nous protes-
tons contre ces crimes de lèse-humanité, que l'Espagne a d'ailleurs
rudement expiés : mais il faudrait se tenir en garde contre toute exa-
gération. Est-il vrai, comme l'affirme M. D. (p. 53), que très-peu de
naturels survécurent à la conquête ? On en trouve pourtant encore dans
toute l'Amérique. Non-seulement ils se sont maintenus en face des
conquérants, mais encore sur certains points ils se sont mêlés à eux
et ont créé comme une race nouvelle, appelée sans doute à d'impor-
tantes destinées. Au Mexique, dans l'Equateur et surtout au Paraguay
et dans la Confédération argentine, ces descendants directs des anciens
possesseurs du sol ont, à plusieurs reprises, joué un rôle prépondérant,
et quelques-uns d'entre eux ont même dirigé les affaires publiques. Ils
n'ont donc pas si complètement disparu que veut bien le croire M. D.
Dans la seconde partie de l'ouvrage, l'auteur prend les unes après les
autres ces jeunes républiques, dont l'enfantement fut si douloureux, et
assiste, avec une sympathie qu'il ne cherche pas à dissimuler, à leur
développement laborieux et à leurs progrès incessants. Il est certain
que nous nous trouvons en face d'un des événements les plus graves de
l'histoire contemporaine. Un grand empire, le Brésil, et neuf répu-
bliques : Colombie, Venezuela, Equateur, Pérou, Bolivie, Chili, Para-
guay, Uruguay, Confédération argentine, se sont récemment constitués,
et, de jour en jour, grandissent en importance. Hier on protégeait ou
on combattait ces jeunes États; demain il faudra compter avec eux.
Assurément les révolutions politiques n'ont pas toujours offert, au
Nouveau-Monde, le même intérêt qu'en Europe. Ce furent souvent des
hommes médiocres qui se ruèrent à la curée du pouvoir, et se livrèrent,
en vertu d'idées mal comprises, des combats acharnés; mais, comme
le dit fort bien M. D. (p. 112) : « Avant de juger ces nations turbu-
lentes et encore inexpérimentées, il faut songer à l'état d'ignorance et
d'abaissement dans lequel l'Espagne avait systématiquement tenu ses
tributaires, aux cruels embarras financiers qu'elle leur avait légués...
et au trouble des esprits, abaissés par une longue oppression et peu
faits encore à l'exercice paisible de la liberté. »
Aussi bien il ne faut pas croire qu'aucun des fondateurs de la liberté
américaine ne mérite nos sympathies, ni que ces luttes mesquines ou
ridicules n'aient abouti à aucun résultat. Était-ce un héros vulgaire ce
Bolivar qui , constamment battu par les Espagnols, se relevait plus
ardent après chaque défaite, et ne demandait pour récompense à ses
compatriotes que la promesse de rester toujours unis? Sur quel patron
était-il taillé ce Paez, qui est aujourd'hui passé à l'état de personnage
légendaire : « Il chassait l'infanterie espagnole en lâchant sur elle des
bœufs sauvages, et incendiait les steppes pour arrêter la poursuite
/lO-î COMPTKS-HEXDl'S rRrTFQDES.
(p. 101). » Il prenait des canonnières à. la nage avec ses cavaliers, et,
de sa terrible lance, tuait jusqu'à quarante ennemis dans la mêlée!
Que dire de Francia, ce Louis XI du Paraguay, qui, tout en courbant
ses sujets sous le joug d'un despotisme effréné, trouvait moyen de les
civiliser et de les cnricbir? Que dire encore de Lopoz qui lutta jus(iu'à
la dernière heure pour l'indépondance de son pays, et dont la mort
liéroiquc rachète toutes les fautes? Les femmes elles-mêmes ne man-
quent pas, depuis Gypriana de Vivanca, qui, armée de sa jeunesse et de
sa beauté, entraîne à sa suite toute une armée et donne à son mari la
présidence du Pérou, jusqu'à Elisa Lyncli, qui combattit aux côtés de
Lopez, et partagea sa bonne ou sa mauvaise fortune.
Quant aux événements, a-t-on vu bien souvent dans l'histoire des
insurrections courir au combat, comme le firent les Chiliens, armés de
jougs de bœuf et de canons de bois ; ou bien des vieillards mourir de
joie et des hommes dans la force de l'âge devenir fous en apprenant la
victoire de Maypo? Et la guerre du Paraguay, et le bombardement de
Valparaiso? M. D. a donc raison de l'affirmer, il est peu d'histoires
aussi intéressantes.
Trois idées générales se dégagent de la lecture de cette seconde par-
tie : 1° tous les États Sud-Américains sont en progrès continus; 2° les
seuls obstacles à ce progrès sont la dictature militaire; et 3° l'influence
cléricale. Nous ne pouvons que souscrire aux deux premiers de ces
jugements. Nous ferons nos réserves sur le troisième.
11 est certain que les États Sud- Américains, à l'exception de la Boli-
vie qui n'a pas encore réussi à .se dégager de la période troublée de
l'organisation et du Paraguay écrasé par une injuste coalition, n'ont pas
cessé de grandir depuis un demi-siècle. Population, richesses, instruc-
tion, tout se développe à la fois. Les Colombiens n'étaient que 800,000
en 1810 : ils sont aujourd'hui plus de 3,000,000, dont 1,200,000 blancs,
et le chiffre de leurs opérations commerciales a décuplé. L'Equateur
entre à peine dans la voie du progrès économique, mais on peut pré-
voir qu'il deviendra un des États les plus prospères de la jeune Amé-
rique, et nous n'oublierons jamais qu'au lendemain de nos désastres les
Équatoriens , bien qu'éprouvés par le terrible tremblement de terre
de 1869, nous envoyèrent 25,000 francs pour la libération du terri-
toire. La Confédération argentine et le Pérou grandissent également.
Ce dernier État a doublé sa population depuis 1820; le Chili et le Brésil
l'ont quadruplée. Ce sont là des signes non équivoques d'amélioration.
M. D. affirme que ces progrès sont dus au principe républicain. « Elles
ontconservé, dit-il (p. 366), une foi profonde en leurs ressources propres,
elles n'ont point recherché de sauveur impérial ou royal, elles ne se
sont point données à titre perpétuel à tel ou tel individu et ne doivent
qu'à elles seules la gloire d'avoir pu triompher des périls où l'inexpé-
rience précipite les peuples au berceau. » Rien n'est plus vrai; mais il
ne faudrait pas oublier que le Brésil à côté d'elles grandit et se déve-
loppe également, bien que le Brésil soit un empire. Cette prospérité
A. DEBERLE : HISTOIRE DE l'aMÉRIQUE DU SUD. 405
nul ne peut la nier, pas môme M. D., qui pourtant semble en être
jaloux. « Il serait grand temps, écrit-il avec amertume (p. 252), que
l'Amérique républicaine fasse entendre sa protestation contre l'ingé-
rence du Brésil monarchique. » Et ailleurs (p. 369) : « L'hostilité d'un
voisin redoutable, le Brésil, pays d'esclavage et toujours prêt à s'agran-
dir à leurs dépens, n'a pas peu contribué à rendre difficile l'enfante-
ment des nationalités Sud-Américaines. »
Si nous trouvons M. D. sévère dans son appréciation du Brésil, nous
lui donnerons pleinement raison'quand il affirme que la dictature mili-
taire ne convient pas à ces jeunes États. Aucun d'entre eux, il est vrai,
n'a encore subi les quatre cents pronunciamientos du Mexique, mais il
est tel d'entre eux, le Pérou ou la Bolivie par exemple, dont l'histoire
est un imbroglio de trahisons, de crimes, d'assassinats dus à ces chefs
militaires, « héros empanachés qui paraissent un moment sur la scène,
et sont fusillés à leur tour (p. 332). » Il est grand temps pour ces jeunes
nations que l'élément civil prenne le dessus sur l'élément militaire.
Cela est tellement vrai que partout où les Sud-Américains ont eu le
bon sens de confier leurs destinées à de véritables administrateurs, du
jour au lendemain leurs pays se sont transformés. Souhaitons donc à
ces jeunes républiques qu'elles se décident à exclure définitivement
l'élément militaire qui leur a été si fatal.
Reste un troisième point fort délicat à traiter. M. D. prétend que
l'influence cléricale, plus encore que la dictature militaire, a été et est
encore funeste aux États Sud-Américains. Certes nous savons comme
lui « que les missionnaires du Paraguay n'ont pas été tendres pour les
indigènes (p. 71), » et que les bénéfices que « les Jésuites tirèrent de
leurs établissements furent énormes (p. 76). » Nous savons aussi que
les passions religieuses ne sont pas encore éteintes dans plusieurs de
ces cités américaines longtemps enférocées par l'Inquisition. Nous pen-
sons également qu'il vaudrait mieux renfermer le clergé dans l'exercice
de ses devoirs spirituels, et lui défendre toute ingérence dans la poli-
tique; mais vraiment M. D. ne va-t-il pas trop loin en prétendant que
l'Église américaine est seule responsable des horreurs de l'extermina-
tion des indigènes. « L'Église catholique (p. 55), quoi que puissent faire
les auteurs à ses gages, ne se lavera jamais de cette honte; elle fut en
toutes choses la grande inspiratrice du pouvoir civil, et, par consé-
quent, sa culpabilité est immense. » Ne dépasse-t-il pas le but quand
il affirme (p. 214) que l'ultramontanisme « sera la plaie des républiques
Sud-Américaines, )> et que la Confédération argentine en particulier
« sera rongée jusqu'à la moelle par les Jésuites. » Enfin ne vaudrait-il
pas mieux laisser aux rédacteurs de l'ancien Constitutionnel ces phrases
usées sur le pape Alexandre VI : « ce monstre infaillible » (p. 18), et
sur la bulle pontificale (p. 33), « monument de scélérate hypocrisie sorti
de l'officine papale. » L'histoire ainsi comprise devient du pamphlet,
et M. Deberle, par sa méthode, la clarté de son exposition et la netteté
de ses recherches, est un véritable historien.
•506 COMPTES-RENDUS CRITIQCES.
Avec ros cxagiTations do lanpagn qui (lisparaîtmnf, nous n'on dou-
tons lias, dans uno socoudo (Hlition, sifïnahuis encoro à M. D. doux co-
quillos fàoliousos : p. -21 Casai pour Cabrai: ot p. 385, voio sanitaire
;iu Hou il'iinilairr.
l'aul Gafkarel.
Fontes Rerum Bernensium. Bern's Geschichtquellen. Tome II
^2^S-^27^. Berne, Dalp, 1877. Un vol. in-8" de xxviii et 885 p.
Prix : 25 fr.
Le volume que nous annonçons forme à la fois la première livraison
et le tome deuxième d'un vaste recueil destiné dans le principe à mar-
quer pour la science le cinquième centenaire de l'entrée de Berne dans
la Confédération suisse.
C'est, en effet, à l'occasion des fêtes de 1853 que M. le chancelier
Maurice de Stùrler proposa à son gouvernement de réunir en un seul
corps d'ouvrage tous les documents relatifs à l'histoire ancienne de
Berne. Le projet, renvoyé à l'examen d'une commission spéciale, ren-
contra dès le déhut un très-favorable accueil, et le 31 mai 1855, le
Conseil exécutif de Berne, qui déjà, quelques années auparavant, avait
encouragé l'impression des Momiments de l'histoire de l'ancien cvêché de
Bâle^, décidait, par un arrêté fortement motivé, la création d'un Codex
diplomaticus berncnsis.
Aux termes du programme approuvé par le Conseil exécutif, ce Codex
diplomaticus'^ devait remonter à l'époque des plus anciens monuments
de l'histoire de Berne et en continuer la publication jusqu'à la Ré-
forme. « Il renfermera, était-il dit, les inscriptions et documents de
toute espèce, les fragments d'annales et autres écrits semblables qui
peuvent offrir un intérêt historique ; des notices de statistique écono-
mique puisées dans les registres de fiefs et les terriers ; des extraits de
chroniques dont les auteurs ont été contemporains des faits rapportés...
Les matières seront classées par ordre chronologique... Les documents
seront, autant que possible, reproduits d'après les originaux. Les expli-
cations dont ils seront accompagnés ne porteront que sur des questions
de forme. La direction générale de l'entreprise est confiée aux archives
de l'État. Une commission de cinq membres est chargée de la direction
de l'ensemble. Elle invitera les communes, les corporations et les par-
ticuliers à mettre à sa disposition les documents qu'ils possèdent. »
C'était là, est-il besoin de l'ajouter, un travail de longue haleine. Pour-
1. Porrentruy, 1852-67; cinq volumes grand in-8% terminés, après la mort de
M. J. Trouillat, qui en fut le principal rédacteur, par M. le doyen Vautrey, de
Délémont.
2. Ce titre a été depuis remplacé par celui de Fontes rerum Bernensium, qui
exprime d'une manière plus exacte la nature assez complexe du recueil.
FONTES RERDM BERNENSIUM. 407
tant, grâce au bon vouloir de toutes les personnes qui ont été appelées
à y prendre part, grâce surtout au zèle persévérant de M. le chancelier
de Stiirler, les recherches préliminaires furent assez vite achevées, et
dès la fin de 1860 la direction des archives bernoises se trouvait avoir
réuni plus de 2250 documents. Mais quand il fallut s'occuper de l'im-
pression, des difficultés surgirent, qui, pour être toutes matérielles, ne
laissaient pas d'avoir une réelle gravité. Bref, les années s'écoulèrent
sans que l'on vit rien paraître, et les méchantes langues de l'endroit se
croyaient autorisées â supposer que le grand œuvre était définitivement
abandonné. Cette fois-ci, cependant, les méchantes langues en seront
pour leurs suppositions. On a dû, il est vrai, ajourner encore le tome I,
afin de profiter d'une édition critique des lois burgondes. Mais abstrac-
tion faite de ce retard, le charme qui pesait sur l'entreprise est désor-
mais rompu. La librairie Dalp a vaillamment passé contrat avec le
gouvernement, et la mise en vente du tome II vient de prouver
qu'en dépit des apparences, « les plus belles choses de ce monde »
n'ont pas toujours « le pire destin. »
Cuiqnc suiim. Il n'était que juste de rendre à M. de Stùrler ce qui
lui appartient, et d'expliquer pourquoi les FoJitcs rcrum bernensium se
sont fait si longtemps attendre. Quant au volume qui nous a fourni
l'occasion de cette notice rétrospective, nous pouvons ce semble nous
dispenser d'en parler longuement. Les 729 pièces qu'il renferme ne
sont pour nous qu'en partie de nouvelles connaissances, puisque 450
d'entre elles figuraient déjà dans V Urkundenbuch de M. Zeerleder', et
l'exposé, même sommaire, des questions qui s'y rattachent serait ici
hors de place 2. Ce que nous tenons néanmoins à dire, c'est qu'obligé,
comme il l'était, de suivre les traces de son devancier, M. de Stiirler
n'a rien épargné pour répondre aux exigences de la critique moderne.
Les pièces déjà insérées dans le recueil de M. Zeerleder ne sont pas
seulement augmentées de documents de provenance diverse^ qui, pour
les dernières années du xiii^ siècle, en doubleront presque le nombre;
elles ont été, de plus, comparées, autant qu'il était possible, avec les
originaux, tandis que M. Zeerleder avait été souvent réduit à travailler
sur des copies quelque peu inexactes. Rectification incessante des textes,
des noms et des dates, des dates surtout auxquelles M. de Stiirler a
consacré un soin particulier; restitution, dans certains cas, d'actes indé-
1. Urkunden filr die GescJiichte der Stadt Bern und ihres friihesten Gebieb
bis zum Scliluss des dreizehnten Jahrunderts. Gesammelt durch K. Zeerleder,
Mitglied des Raths der Stadt und Republik Bern. —Berne, 1853-54; trois magni-
fiques volumes in-4% publiés après la mort de M. Zeerleder, par ses héritiers.
2. Voir, sur l'hisloire de Berne durant le xin" siècle, l'excellent résumé que
M. de Stùrler a mis en tête de son Avant-propos (p. iv-vn), ou mieux encore
l'ouvrage de M. de Wattenwyl-Diesbach : Geschichte der Stadt und Landschaft
Bern, Schaffouse, 1867-72, 2 vol. in-8°.
3. Archives de l'État, ou de l'hôpital de l'Ile, à Berne; archives de Lucerne,
de Fribourg, d'Aarau, etc.
408 COMPTES-RENDrs CRITIQUES.
pciHlaiils (|iii^ la maladrosso dos copistos avait confondus on un soûl;
indioalion plus prociso aussi do coux do ces actes qu'il faut considérer
comme apocryphes' ou comme suspoctsS; voilà co quo Ton doit à l'ha-
hile oditour, ot il n'est pas besoin d'une étude bien approfondie pour
reconnaître la supériorité des Fontes sur les parties correspondantes de
VUrkundenbiich de M. Zeerleder. — Il est cependant un point sur lequel
M. de Stiirler nous permettra de lui adresser une légère critique. Est-
ce la crainte de grossir outre mesure le volume qui lui a fait exclure, à
quehiues exceptions près, les remarques historiques propres à faciliter
rintelligence de ces vieux textes? Ou bien a-t-il cru, pour un autre
motif, devoir se conformer strictement aux conditions du programme do
1855? Nous ne saurions le dire, et nous craignons presque, on insistant,
de trop appuyer sur l'unique lacune de ce bel ouvrage. Toujours est-il
qu'un commentaire analogue à celui dont feu M. le colonel Wurstem-
berger a jadis enrichi le recueil de Zeerleder aurait été très-favorablement
reçu do la grande masse des lecteurs; que ce supplément d'informations
deviendra plus nécessaire encore dans les tomes subséquents, où nous
n'aurons plus pour nous guider la savante Histoire de M. de Watten-
wyP, et qu'enfin, nul mieux que l'honorable chancelier n'est en état
de nous le procurer. Quand on se rappelle ce que M. de Stiirler a fait
pour les Documents de la Réformation bernoise'', ou pour la corres-
pondance assurément moins difficile à suivre du général Brune et les
papiers relatifs à l'invasion française de 1798^, on ne peut que souhai-
ter très-fort de le voir revenir à une méthode dont il nous a si bien
enseigné le prix.
P. Vaucher.
Les principautés franques du Levant, d'après les plus récentes
découvertes de la numismatique, par G. Schldmberger. Paris,
Ernest Leroux, 1877, in-S», VIA p.
La numismatique des Croisades est un sujet trop plein d'intérêt pour
n'avoir pas depuis longtemps attiré l'attention des amateurs et des éru-
dits. Les travaux de Miinter, de Gousinery, de MM. de Saulcy, Lam-
bros, Friedlinger, ont fondé cette science et lui ont donné un dévelop-
1. C'est le cas, par exemple, de la fameuse Handveste de 1218. On sait au-
jourd'hui que cette charte prétendue de Frédéric II date en réalité de la fin de
l'interrègne, et l'on a quelques raisons de croire que Rodo]i)he de Habsbourg lui-
même n'en ignorait pas rinauthenticilé, lorsqu'en 1274 il jugea bon de la confir-
mer.
2. Le couvent de Frienisberg, en particulier, paraît avoir été peu scrupuleux
sur l'article des preuves qu'il alléguait à l'appui de ses prétentions.
3. M. Ed. de Wattenwyl-Diesbach, l'un des représentants les plus distingués
de l'école critique, est mort il y a deux ans, sans avoir dépassé la fin du xiv^ s.
4. Urkunden der bernischen Kirchenreform. Bd. I-II, 1. Berne, 18G2-74.
5. Archiv fiir Schweizerische Gesc/iichle, XII, XIV et XVI.
G. SCHLUMBERGER : LES PRINCIPAUTES FRANQUES DU LEVANT. 409
pement déjà considérable. Los historiens des Croisades et des princi-
pautés latines d'Orient ont maintes fois profité dos renseignements pui-
sés à cette source et tels d'entre eux, Buchon, M. de Mas Latrie,
M. Riant, par exemple, en ont en passant accru le volume par des
remarques précieuses.
Ce n'est pas seulement au point de vue de l'érudition pure que cette
étude est pleine d'attrait. Dans l'histoire merveilleuse de ces pièces
féodales exilées et perdues pour ainsi dire en « terre d'outremer, » dans
les types étranges, les légendes bizarres qu'ont choisis les conquérants
des pays grecs et arabes, il y a un côté poétique bien propre à frapper
l'imagination.
C'est dans ce sens surtout qu'est écrite la brochure de M. Schlum-
berger. Sans ajouter (là du moins) grand'chose de nouveau aux savantes
recherches de ses prédécesseurs, il a conçu le dessein de présenter
sous des couleurs plus agréables les connaissances acquises jusqu'à ce
jour en cette matière. 11 a jeté les fleurs d'un style brillant, mouve-
menté sur le visage un peu rébarbatif de l'érudition.. Il n'a manqué
aucune occasion de faire une digression pittoresque. Non-seulement
il a narré les aventures des croisés et des princes dont il décri-
vait les monnaies, mais s'aidant de la plus fragile des transitions il a
dit les exploits ou les malheurs de ceux dont il ne reste aucune trace
numismatique. C'est ainsi qu'il s'est étendu sur la mort de Foulques
d'Anjou (p. 32), sur les aventures d'une fille d'Anne Comnène (p. 47),
sur les despotes d'Epire (p. 66) et sur bien d'autres points qui n'avaient
avec son sujet qu'un rapport purement négatif. En un mot il a su avec
tact se conformer à propos d'érudition aux exigences littéraires des
lecteurs de la Revue des Deux-Mondes.
Quant au bagage nouveau que M. Sch. apporte ici pour l'histoire, il
est assez mince à vrai dire et deux ou trois menus articles qu'il a pu-
bliés dans la Revue archéologique feraient bien mieux notre affaire. Il a
même pris avec les résultats acquis à la science certaines libertés, qui,
de la part d'un homme compétent, ne peuvent guère s'expliquer
que par cotte influence du milieu dont je parlais tout à l'heure^
Il est à regretter aussi que M. Sch. n'ait point jugé à propos de men-
tionner aucune dos sources d'où sont tirés les faits qu'il expose. Dans
sa brochure, débarrassé des exigences que proscrit la nature de certains
recueils, il eût dû suivre la méthode qui s'impose aujourd'hui do don-
ner avec soin l'indication de ses textes.
Suivant ce système peu scientifique, M. Sch. n'a même pas jugé
utile de désigner le lieu où se trouvent conservées les monnaies qu'il
1. Je ne sais pourquoi par exemple M. Sch. attribue à Baudoin I" la monnaie
« au guerrier debout... tenant son epe'e de la main gauche, » et cela sans indi-
quer auparavant de monnaies plus anciennes du même prince. M. de Saulcy en
avait décrit plusieurs, et la monnaie indiquée ci-dessus, il l'attribuait avec toute
probabilité à Baudouin du Bourg. Il fallait au moins discuter les résultats.
4<0 r.oMPTEs-RExnns critiques.
étudie. G'opI ainsi qu'oohappont à la vorification et par conséquoiit à la
confianco les quelques fiiits nouveaux contenus dans la brochure de
M. Sch. Ainsi il dit avoir rencontré une monnaie de cuivre de Tan-
crède portant cette légende extraordinaire en has-grec : « Le grand émir
Tancrède. » M. Sch. ne décrit pas cette pièce, il n'en donne aucune
reproduction, il avoue même qu'une portion de la légende est effacée
précisément à l'endroit où se trouvent les premières lettres du nom du
prince. En présence d'une absence aussi complète de renseignements
précis peut-on accepter à la légère le fait qu'il affirme d'une monnaie
frappée par Tancrède ou par quelque autre croisé sous le titre d'émir.
Je dois mentionner comme très-intéressante l'explication que M. Sch.,
d'après M. Lavoix, donne de l'absence complète de toute monnaie d'or
des princes latins de Syrie. Il paraît que cette lacune, inexplicable jus-
qu'ici a sa source dans l'emploi de besans sarracénats souvent cités par
les chroniqueurs. Ces besans d'espèce singulière n'étaient rien autre
chose que des pièces aux types arabes ou imitées de types arabes
frappées à Acre, à Tyr, à Tripoli par des ouvriers chrétiens. Recou-
vertes de ces apparences païennes ces monnaies facilitaient les
échanges entre les chrétiens de Terre-Sainte et les Arabes établis au-
tour d'eux. M. Sch. a tiré de ce fait d'excellentes considérations sur
les rapports d'amitié et de commerce qui de bonne heure s'établirent
entre les croisés et les musulmans; rapports ignorés par les anciens
historiens des Croisades et que les travaux modernes constatent aujour-
d'hui de toutes parts.
Il me reste à indiquer, pour en finir avec le léger appoint que le tra-
vail de M. Sch. apporte à la science, une monnaie d'argent inédite frap-
pée à Chio vers 1470 au nom de Galéas-Marie Sforza, duc de Milan et
seigneur de Gènes (p. 111); — et enfin une monnaie d'imitation inédite
d'après un sequin du doge de Venise Mocenigo (p. 119). Cette monnaie
a amené M. Sch. à faire une digression sur les monnaies d'imitation
dans ces contrées. Ce chapitre est un des meilleurs de l'ouvrage, et
c'est par cet éloge que je suis heureux de finir.
Gabriel Hanotaux.
H. SiMOXSFELD, Andréas Dandolo und seine GeschichtSAverke.
Munchen, ^876. ^76 s. in-8^
Les historiens allemands se sont plus occupés des sources extrême-
ment riches fournies par Venise à l'histoire générale de l'Europe qu'à
l'histoire si intéressante de la ville des lagunes. Si l'on fait abstraction
de quelques publications importantes de Thomas, membre de l'Aca-
démie des sciences de Munich, l'époque contemporaine n'a rien produit i,
1. Les Byzantinische Geschichten de Gfrœrer, dont la 1" partie est consacrée
à l'histoire de Venise, contiennent malheureusement les mêmes défauts que les
autres ouvrages de cet estimable érudit.
G. DEL GICDICE : GlUDIZIO E CONDANNA DI CORRADINO. 'tH
et cependant une histoire soigneusement faite de Venise serait fort
désirable, même après la Storia documentata di Venezia de Romanin,
la meilleure de toutes. Car, de l'aveu général, l'Histoire de Venise par
Daru, autrefois beaucoup lue en Allemagne, mais qui dans ses premiers
chapitres est un simple remaniement de l'ouvrage de Sabellico, n'a
aucune valeur surtout pour la partie ancienne.
L'érudit que tentera l'histoire des premiers temps de Venise trouvera
désormais un utile secours dans la brochure de M. Simonsfeld qui a
fait une étude minutieuse des Annales du doge André Dandolo, la
principale source de l'histoire vénitienne au moyen-âge. Il démontre,
ce qui à vrai dire n'est pas tout-à-fait une découverte, que le texte de
ces Annales tel que le donne Muratori (SS. XII), ne peut faire la base
d'une étude critique, et, que si l'on ne peut pas consulter soi-même le
seul texte manuscrit que l'on puisse utiliser (ms. de la Marciana, n» 400
du catalogue de Zanetti), il faut se résigner à attendre une nouvelle
édition. M. Simonsfeld a eu l'occasion de pouvoir examiner tous les
mss. des œuvres de Dandolo, et c'est le résultat de ses recherches qu'il
a consigné dans sa brochure.
Ce travail se divise naturellement en deux parties : tout d'abord il
traite de la vie, puis des œuvres de Dandolo, et enfin des Annales, qui
en sont le morceau capital. Les deux premières de ces divisions ne nous
paraissent pas satisfaisantes; sur la vie, le caractère, etc. du grand
homme d'État, l'auteur ne nous donne que des indications courtes et
superficielles. Les questions très-embrouillées qui se rapportent au
nombre de ses œuvres et à leur étendue ne sont pas résolues d'une façon
satisfaisante ; sur beaucoup trop de points, le doute subsiste. Mais l'étude
des sources des Annales est conduite avec beaucoup de soin et a produit
de bons résultats, une « analyse des sources « permet de s'en rendre
aisément compte. Il n'est pas nécessaire de faire remarquer, à propos
d'un ouvrage qui a été la source du liber albiis, du liber blancus et du
6« livre des Statiita Venetorum, que Dandolo ne s'est pas borné à
refondre des chroniques antérieures plus ou moins dignes de foi, mais
qu'il a fait passer dans son récit de nombreux actes authentiques. C'est
précisément ce dernier mérite qui assure aux Annales leur haute valeur
comme source historique, et M. Simonsfeld rendrait à l'historiographie
italienne du moyen-âge un grand service s'il nous en donnait une édi-
tion vraiment critique.
0. Uartwig.
Giuseppe DEL Giudice,' il Giudizio e la condanna di Corradino;
osservazloni critiche e storiche, con note e documenti. Napoli,
-I876-, \ô{ p. in-4''.
L'auteur de cette minutieuse monographie, bien connu de tous ceux
qui s'intéressent à l'histoire de l'Italie méridionale au moyen âge par
son Codice diplomatico del regno di Carlo I e II d'Angià (Naples, 1863,
■U2 r.oMPTFs-uENnrs r.niTiQdEs
in-tbl.), avait, dans cH ouvrage (t. II, )). ■214), à l'occasion d'une lettre
du roi Charles l<"-, exprimé l'idée ([ue le dernier rejeton de la race des
Ilolienstauteu n'avait pas été mis à mort à la suite et on exécution
d'un jugement, mais seulement comme rebelle et comme coupable de
haute trahison, d'après le droit sicilien qui, dans ce cas, ne demandait
l'intervention d'aucun tribunal. En rendant compte du livre de Fr.
Schirrmacher, J)ic Icztcn Hohenslaiifcn (GaUtingue, 1871), l'auteur du
présent article fut amené à étudier de près la question. Dans une publi-
cation hebdomadaire intitulée: lin neuen Reiche (1872, t. I, p. 161 et
suiv.), il l'a examinée en détail après s'être livré à des recherches per-
sonnelles, et il fut conduit à des résultats sinon tout à fait concluants, du
moins conformes sur les points essentiels à ceux auxquels est arrivé
M. del Giudice lui-même. Le présent livre qui, en général, s'en réfère
au travail précédent, a dissipé dans notre esprit les derniers doutes
que nous entretenions encore sur la parfaite justesse de la thèse mise
en avant par M. del Giudice. On a trois récits indépendants sur la fin
tragique de Gonradin; ils se trouvent dans les œuvres de Ricobaldo de
Ferrare, de Saba Malaspina et de Bartholomaeus de Neocastro; mais
ils ne sont pas d'accord sur les faits qu'ils rapportent, et les faits eux-
mêmes pris isolément sont en contradiction avec des actes authen-
tiques. Leur divergence est complète, notamment sur les débats judi-
ciaires qui auraient précédé le supplice de Gonradin. Le récit aujour-
d'hui généralement reçu est emprunté à Ricobaldo qui le tiendrait
directement de Guido de Suzara, un des juges de Gonradin. Nous
croyons avoir démontré (art. cité) qu'il ne faut pas rejeter absolu-
ment ce témoignage et M. del Giudice est tout à fait de notre avis.
Remarquons de plus qu'en septembre, au retour de Rome, le roi
Gharles qualifie déjà ses prisonniers : Gonradin, Frédéric d'Autriche,
etc., de condamnés à mort (jam in capitali pena condempnatos), et
qu'à Naples, avant le supplice, il n'y avait aucune procédure d'enta-
mée. Suivant l'opinion première exprimée par M. del Giudice, l'absence
de tout jugement serait rendue très-probable par ce fait que les riches
Archives d'Anjou à Naples ne contiennent aucun document relatif à
ce procès; en outre d'après le droit sicilien, il n'eut pas été nécessaire
de renvoyer devant un tribunal Gonradin et ses compagnons. Gontre
cette opinion nous avions fait remarquer que l'absence de documents
relatifs à un procès ne prouve pas que ce procès n'ait pas eu lieu, et
que dans beaucoup de cas on avait fait passer en jugement de hauts
personnages ennemis du gouvernement. Gette dernière objection, nous
devons la retirer aujourd'hui, parce qu'il y a une grande différence
entre les cas que nous avions allégués et la conduite de Gonradin et nous
admettons que contre Gonradin toute procédure était superflue comme
contre un « traître notoire. » Gonradin a été mis à mort sans jugement.
Les détails donnés par les chroniqueurs sur de prétendus débats judi-
ciaires, etc., tirent leur origine de ce fait que les principaux seigneurs
et les barons de Naples et des villes voisines assistèrent au supplice de
BACHMANN : EIN lAHR BOEHMISCHER GESCHICHTE. 413
Conradin. Peut-être Charles l" a-t-il discuté à Rome avec ses conseil-
lers intimes le parti qu'il fallait prendre à l'égard des prisonniers; il
ne pouvait être question dans ce conseil de les juger et de les condam-
ner selon les formes de la justice, mais seulement de peser les raisons
politiques qui dicteraient la conduite royale.
Cet ouvrage, qui se perd un peu trop dans les détails, se termine par
22 chartes provenant des archives de Naples ; quelques-unes avaient
déjà été publiées. Citons en particulier la lettre du pape Clément IV
au roi de Bohème Ottokar, publiée pour la première fois par E. Win-
kelmann (Forschungen zur deutschen Geschichte, xv, 338), lettre qui
semble avoir été rédigée peu de temps après qu'on eut appris que Con-
radin et Frédéric d'Autriche avaient été faits prisonniers.
O. Hartwig.
Ein Jahr bœhmischer Geschichte. Georgs von Podiebrad ^V^ahl,
Krœnung und Anerkennung; von D^. Adolf Bachmann, privât
docent an der Prager Universitset '. Wien, 1876.
C'est un chapitre émouvant de l'histoire de Bohême que traite le
présent travail, et sur lequel il donne d'utiles éclaircissements. De quelle
manière l'astucieux Podiebrad sut soumettre si complètement à son
influence le jeune roi Ladislas, et, après la mort prématurée de ce der-
nier, non-seulement s'emparer de la couronne, mais l'affermir sur sa
tête par la force et la ruse, l'auteur nous l'explique en grand détail en
s'appuyant sur des documents encore inédits. Les défauts de ce livre,
qui est écrit d'un style dépourvu le plus souvent d'élégance et çà et là
incorrect, doivent être aussi peu dissimulés que son réel mérite au
point de vue des faits importants qu'il met en lumière. Ainsi le jeu
hypocrite joué dès le début par Podiebrad dans ses rapports avec l'Église
est très-habilement dévoilé, et l'histoire de ses premières campagnes
(contre la Moravie et l'Autriche) est retracée en détail, et complétée
dans ses parties essentielles. La fameuse abjuration qu'il prononça
comme roi de Bohème, le serment solennel qu'il prêta lors de son cou-
ronnement et qu'il répéta par écrit trouvent ici leur explication véri-
table; et devant le rapport tout à fait digne de foi du cardinal Garvajal,
on ne peut plus admettre les atténuations de Palacky. Georges, l'élu
des Galixtins, est en réalité passé au parti de l'Église romaine; on ne
saurait assurer si cette apostasie fut sincère ; en tout cas on ne peut
voir en lui un partisan résolu des Utraquistes,ni, comme l'a défini Max
Jordan, « un homme perdu dans une dévotion profonde ».
Qu'on nous permette de toucher ici un point que M. B. a quelque
peu laissé dans l'ombre. Il cherche à prouver la fausseté de l'opinion
1. Une année de l'histoire de la Bohême. George Podiebrad, élu, couronné,
reconnu comme roi.
444 COMPTES-RENDUS rRrTIQUES.
génoralenitMit admise suivant huiucUo, dans ï(>ié de 1458, l'empereur
Frédéric aurait, pour faire pièce à sou frère Albert, favorisé la marche
de Podiebrad contre l'Autriche; d'après lui au contraire, l'empereur se
serait réconcilié avec son frère, et aurait pris part à la bataille livrée
au roi de Bohème. Parmi les jireuves dont il appuie sou opinion, M. B.
cite un rapport anonyme adressé de 'Wiencr-Neustadt à Albert de
Brandebourg, et dont il doit la connaissance à M. le prof. Hœfler. Dire,
p. 124, n. 1, que ce document a été trouvé dans « les archives » de Saxe,
et p. 1\Î6, n. 3, qu'il l'a été dans celles de Franconie, n'est qu'une inad-
vertance ; les extraits qu'en donne M. B. concordent mot pour mot
avec une « ccdule » du ms. lat. de Munich n*^ 504, citée déjà parVoigt
(Enea Silvio III 435, n. 1) mais dans un sens tout à fait opposé. Dans
ce billet, qui du reste n'est pas adressé au seigneur hrandebourgeois,
mais à un simple bourgeois^ on lit entre autres choses que l'empereur
(ut fama fert) s'est entendu personnellement avec Podiebrad pour pro-
fiter de la situation désespérée de l'Autriche, qu'on ne pourrait surtout
raconter dans quelles honteuses menées et dans combien d'intrigues
Frédéric alors s'engagea. Ces indications peuvent fort bien s'accorder
avec les indications contraires que fournissent d'autres documents, si
l'on admet que l'empereur eut dans ces circonstances une politique
double, qu'il la maintint en même temps avec les deux partis et que
par ce moyen il arriva en effet à son but ; car pendant qu'il partageait
avec Podiebrad les fruits de la campagne, son frère et son allié prétendu,
Albert, dut en supporter tous les dommages. Ni les démonstrations de
Frédéric contre le roi de Bohème, ni le caractère de l'empereur ne
nous empêchent d'admettre cette opinion qui peut seule concilier les
textes.
D'' F. VON Bezold.
L'administration anglaise et le mouvement communal dans le
Bordelais. Les Anglais en Guyenne, par D. Brissaod, ^ volume
in-S" de vin-303 p. Paris, Dumoulin, ^1876.
Il y a longtemps déjà qu'a paru le livre de M. Brissaud; néanmoins,
comme le sujet qu'il a traité est important et que les travaux histo-
riques sur les institutions municipales sont rares en France, on ne
nous saura pas trop mauvais gré de parler aujourd'hui d'un ouvrage
paru au commencement de l'année dernière.
Ce travail cependant, nous sommes contraints de le dire dès le début
de cet article, ne tient pas tout ce que promet son titre. M. B. l'a divisé
en deux parties. La première (p. 1 à 64) traite de l'organisation admi-
nistrative de la Guyenne sous la domination anglaise; dans la seconde,
de beaucoup la plus développée, sept chapitres (p. 65 à 241) sont con-
sacrés à l'histoire et aux institutions de Bordeaux, un chapitre (p. 242
à 263) aux autres villes du Bordelais, un autre (p. 264 à 271) aux bas-
tides et le dernier (p. 272 à 286) aux états provinciaux. Un appendice
D. BRISSAUD : LES ANGLAIS EN GUYENNE. 4(5
sans importance contient un document traduit sur le texte donné par
Rymer, une courte note sur le droit de balein et deux pièces seule-
ment inédites; encore l'une d'elles avait paru dans les registres de la
jurade, déjà publiés à Bordeaux quand M. B. a imprimé son livre.
Sur ces simples indications on peut déjà voir que les diverses parties
du livre sont peu proportionnées et que l'auteur est loin d'avoir traité
le sujet avec l'ampleur qu'il comportait. Cela tient en grande partie au
petit nombre de sources auxquelles M. B. s'est contenté de puiser. Les
archives municipales de Bordeaux ou, pour parler plus exactement, le
Livide des bouillons^ aujourd'hui publié, quelques délibérations de la
jurade, l'analyse et les extraits du ms. de 'Wolfenbuttel donnés autre-
fois par MM. Delpit, le recueil de Rymer et le catalogue des rôles
gascons de Th. Carte, voilà, à peu près, les seuls recueils de docu-
ments où ait réellement puisé M. B. Sans parler des collections
manuscrites et des archives des villes de la Guyenne dont l'exploration
était, semble-t-il, indispensable, il paraît n'avoir connu aucune des
grandes publications anglaises, ni même le recueil si riche des Archives
historiques de la Gironde.
Sur ce petit nombre de documents, aidé de quelques ouvrages de
seconde main de valeur fort inégale, M. B. a écrit un livre d'un style
agréable et d'une ordonnance très-claire, mais cette clarté paraît
malheureusement venir en grande partie de l'ignorance des difficultés
de la matière.
Toute la première partie est un exposé simple et lucide de
l'état de l'administration anglaise en Guyenne au commencement du
xiye siècle, mais l'auteur a négligé presque complètement de faire
l'histoire de cette administration. M. B., qui s'est borné à glaner dans
les actes qu'il a connus et à coordonner judicieusement les renseigne-
ments qu'il a pu réunir sur les divers rouages de l'administration
anglaise, semble s'imaginer que pendant tout le cours du moyen âge
tout a fonctionné avec une régularité parfaite. Une connaissance insuffi-
sante des chroniques anglaises peut seule expliquer cette erreur. On a pu
voir par l'article d'un de nos collaborateurs, paru dans un précédent
numéro de cette revue, les péripéties auxquelles cette administration
1. M. B., qui tient beaucoup à montrer qu'il a étudié ce recueil antérieure-
ment à sa publication, l'a presque toujours cité d'après l'original conservé aux
archives municipales de Bordeaux, ce qui rend assez ennuyeuses les vérifications
sur le texte imprimé. Le Livre des Bouillons ayant paru en 1867 et le volume
de M. B. ne s'étant imprimé qu'en 1875, il aurait eu tout le temps nécessaire
pour établir lui-même une concordance ; il l'aurait pu d'autant mieux qu'il a dû
beaucoup modilier son manuscrit à l'aide de celle publication. Je ne puis expli-
quer qu'ainsi la ressemblance de beaucoup de ses pages avec les excellentes ana-
lyses mises en tête de cha([ue acte par les savants éditeurs de Bordeaux. Cf. par-
ticulièrement : Brissaud, p. 68, et Livre des Boudions, p. 156 et 240; Brissaud,
p. 75 à 76, et Livre des Boudions, p. 377; Brissaud, p. 101, el Livre des Bouillons,
p. 400, etc.
4^6 COMPTES-RE\DrS CRITIQDES.
fut soumise pendant un assez court espace de temps; il est vrai que
toutes les époques ne sont pas aussi fécondes en événements que celle
(lu gouvernement de Simon de Montfort; il y avait néanmoins pour
cette période et pour celles qui l'ont précédée ot siiivie des recherches
à l'aire auxquelles M. B. s'est à tort dérobé.
Les chapitres consacrés à Bordeaux sont plus riches en faits; M. B.
avait pour les écrire un excellent guide, le Livre des bouillons, sur le
caractère duquel il s'est cependant mépris. Quoiqu'il ne le dise nulle
part, il semble avoir cru que les compilateurs du Livre des bouillons
avaient pu connaître tous les documents intéressant la ville de Bor-
deau.v et qu'ils les avaient tous réunis dans ce registre. Il n'en est pas
tout à fait ainsi ; quand la compilation fut faite, au xv^ siècle, beau-
coup de documents qu'on ne pouvait trouver qu'en Angleterre étaient
certainement inconnus à Bordeaux, mais surtout les compilateurs ne
faisaient pas œuvre d'historien, et ne songeaient très-vraisemblable-
ment à réunir que les pièces qui pouvaient être utiles à la ville pour
maintenir ou revendiquer des privilèges ou des droits utiles; dès lors,
les confirmations les plus récentes, lorsqu'elles étaient suffisamment
explicites, devenaient pour eux les documents les plus précieux. C'est
faute d'avoir jugé ainsi ce cartulaire que M. B., persuadé qu'aucune
pièce essentielle n'y avait été omise, n'a pas connu un certain nombre
de documents de la plus grande importance que quelques recherches
lui auraient fait facilement rencontrer.
M. B. n'ayant eu l'intention de s'occuper des destinées de Bordeaux
qu'à partir du moment où cette ville eut passé sous la dépendance des
Plantagenets par le mariage d'Aliénor avec Henri, comte d'Anjou, a
pu éluder la question de ses origines municipales; nous serions mal
fondés à le lui reprocher, quoique l'on puisse dire, non sans raison,
que les origines ayant une influence sur le développement ultérieur, il
y avait lieu de les discuter et d'autant plus que personne n'a traité
encore ce sujet d'une manière scientifique ^.
1. On connaît les fameux vers d'Ausone dont on s'est servi pour donner à la
municipalité de Bordeaux une origine romaine. Pour le sens qu'on doit leur
attribuer, consultez un article de Pardessus sur Ducange dans le Journal des
Savants, janvier et lévrier 1847. Cf. aussi un mémoire de Bonamy dans le
t. XVII des anciens Mémoires de l'Académie des inscriptions, et de Savigny,
Histoire du droit romain au moyen âge, t. I, chap. 2 et 21, note. Nous cite-
rons encore à titre de curiosité la dissertation suivante : Eduardi Corsini epistola
de Burdigalensi Ausonii consulatu. Pise, 1764, in-4°. — Les Recherches histo-
riques sur l'office de maire de Bordeaux de Marie de Saint-Georges de Mont-
merci, Madrid, 1785, in-8°, dans lesquelles l'auteur fait dériver l'office de maire
de Bordeaux de la mairie du palais d'Aquitaine, sont, est-il besoin de le dire, un
travail de pure fantaisie. M. Sansas a publié, en 1861, dans les Actes de l'Aca-
démie de Bordeaux un mémoire intitulé : Les origines municipales de Bor-
deaux, que M. B. aurait dû connaître ou citer. Ce travail est insuffisant, l'au-
teur a borné ses recherches à l'époque de la domination anglaise, son raisonne-
D. BRISSADD : LES ANGLAIS EN GUYENNE. 447
Selon M. B., les premiers privilèges de Bordeaux lui furent concédés
en 1205 et par Jean sans Terre (p. 68). Cependant on trouve dans les
Rotuli chartarum (p. 4) deux actes du même roi en date du 17 juillet
1199, dont l'un confirme aux citoyens de Bordeaux toutes les libertés
et libres coutumes qui leur avaient été confirmées par une charte,
vraisemblablement perdue, de sa mère Aliénor, et dont l'autre les
privilégie au sujet de la monnaie. Les Rotuli litterarum patetitium
(I, p. 38) contiennent, à la date de 1204, un privilège commercial
accordé ; ballivis et probis hominibus de Burdegala.
Selon M. B., en 1235 seulement, Bordeaux fut « élevée au rang de
« commune véritable, avec toutes les libertés appartenant à ce mode
« de cité et spécialement le droit de nommer son maire » (p. 69).
M. B. aurait certainement attribué une plus grande importance à une
disposition d'une lettre de Jean sans Terre du 30 avril 1206, qui oblige
tous ceux qui viennent demeurer à Bordeaux à jurer fidélité au roi et
à la commune (nobis et communie illius ville) ', s'il eût connu des docu-
ments des 14 juin et 11 août 1206, où il est fait mention du maire 2.
Bien plus, la concession ou plutôt la confirmation de la commune et du
droit de nommer le maire fit l'objet d'une charte octroyée par Henri ILI,
au moment où, venant de conquérir le Poitou et une partie du Bor-
delais, il arrivait devant la ville, le 30 août 1224, et ce document a été
publié tout au long, en 1863, par M. Delpit, dans le t. IV des Archives
historiques de la Gironde^. La charte de 1235, concédée probablement à
l'occasion de la rupture des trêves entre Henri HI et Louis IX, n'est
donc qu'une confirmation ^ Mais ce n'est pas seulement le maire de
Bordeaux qui existait avant 1235 et même avant 1224, certains actes
ment est faux en plusieurs points, mais il a connu bien des documents restés
ignorés de M. B.; il ne les indique pas clairement, il est vrai, mais les termes
de sa discussion auraient dû éveiller l'attention de M. B. et le mettre sur la
voie.
1. Livre des Bouillons, p. 240.
•2. 1206, 14 juin. Ordre du roi au maire de Bordeaux [majori civitatis com-
viunie) de délivrer un prisonnier {Rutul. litt. patent., I, pars i, p. 6G). — 1206,
Il août. Ordre de remettre au sénéchal le fds et les vignes de Raymond du
Bourg [Rotul. litt. claus, I, p. 73 b.). — 1219. Lettre au sujet de l'emploi des
revenus de la ville {Rotul. litt. patent., I, pars i, 397).
3. P. 13. M. Delpit a extrait ce document du t. XXXV des papiers de Bré-
quigny que M. B. dit cependant avoir utilisés; mais, comme pour beaucoup
d'autres indications qu'il donne, ce n'est que par ou'i-dire qu'il a dû connaître
ce recueil.
4. Cette charte, avant la publication de M. Delpit, était seule connue des his-
toriens, seulement, la plupart, avec de Lurbe dans sa Chronique Bourdeloise,
l'attribuaient à Henri II et à 1173, la charte n'ayant pour date que l'année du
règne et 1173 étant la dix-neuvième année de Henri 11, comme 1235 est la dix-
neuvième de Henri IH. La liste des témoins ne peut laisser aucun doute sur
l'attribution à Henri HI adoptée par les éditeurs du Livre des Bouillons
(page 241).
Rev. Histor. V. 2« FASC. 27
418 COMPTES-RKM)lIS CRITIQUES.
nous nunUrout quo dès los pn>mièros aimcos du xiii" siècle l'organisa-
tion do la commune ressemblait beaucoup à celle que nous font con-
naitre les documents postérieurs. Par exemple, l'acte du 1 1 août 1206,
cité plus haut, est adressé aux jures* et au commun conseil de Bordeaux ;
un acte de 1215 fait mention du maire et de douze jurés 2; enfin, une
lettre du 2'i juillet 1219 est adressée au maire et au commun conseil^.
Nous ne pouvons suivre pas à pas M. B. dans l'histoire municipale
de Bordeaux et dans l'exposé de ses institutions, il nous suffira dédire
qu'il a généralement interprété avec intelligence les actes contenus dans
le Livre des bouillons, quoiqu'il faille encore ici lui reprocher de n'avoir
pas suffisamment tenu compte des circonstances historiques dans les-
quelles les actes étaient donnés. Ainsi, c'est après avoir emmené la
milice de Bordeaux au siège de Bergerac et au moment où il peut
craindre que, comme La Réole et Saint-Émilion venaient de le faire,
Bordeaux ne se déclare pour le roi de Castille, que Henri III lui con-
firme ses privilèges relatifs au service militaire (13 juin 1253)-'. En 1254,
c'est au moment où la Guyenne vient de rentrer sous son ohéissance,
qu'il les confirme de nouveau s. Enfin les privilèges commerciaux con-
cédés à la ville à la même époque sont probablement le prix par lequel
elle se fit payer sa fidélité^.
Sur les luttes des deux partis qui ont divisé Bordeaux au moyen âge,
M. B. ne connaît rien de plus que ce qu'ont déjà exposé MM. Delpit à
propos du ms. de Wolfenbùttel; des relations qu'eut la ville avec le roi
d'Angleterre ou ses délégués il n'a presque rien su. Le mémoire de
M. Bémont sur l'administration de Montfort, que nous avons déjà
signalé, apporte sur tous ces points un large supplément d'informations
qui suffit à prouver que les documents ne manquaient pas.
M. B. me paraît s'être mépris sur le caractère de l'acte par lequel le
prince Edouard modifia, le 19 octobre 1261, les institutions de Bor-
deaux. Cet acte se termine par une disposition qui dit que les statuts
(Rotulus et statuta civitatis Durdegalensis] seront examinés par un certain
nombre de prudhommes, clercs et laïques, qui y effaceront les articles
contraires à la raison et à l'intérêt du prince. M. B. croit que ces
1. Nous disons jures et non jurais, ainsi qu'on a coutume de le faire. Le mot
jurât est un mot provençal équivalent à juratus et à juré. Ce n'était point là,
au moyen âge, une magistrature particulière à Bordeaux et ce n'est qu'au
xvi° siècle, croyons-nous, que la coutume s'est étabfie d'appeler même en fran-
çais jurais les magistrats de Bordeaux et leur réunion, la jurade.
2. Rotul. tut. patent., I, 224 b.
3. Rymer, Fœdera, I, pars I, p. 155 de i'éd. de 1816. M. B. dit aussi qu'il a
compulsé ce recueil.
4. Champollion, Lettres de rois, reines,... I, p. 83. Collection Bréquigny.
Bibl. nat. Moreau, 634, f" 96 v. — Ces actes n'ont pas été connus de M. Bris-
saud.
5. Livre des Bouillons, p. 239.
6. Ibid., p. 220.
D. BRISSAUD : LES ANGLAIS EN GUYENNE. 4^9
Statuts sont précisément cet acte de 1261 ; je pense au contraire qu'il
s'agit de statuts beaucoup plus développés et existant antérieurement,
que les prudhommes devaient réviser pour les mettre en harmonie avec
les quelques dispositions nouvelles par lesquelles le prince changeait
l'organisation de la ville. La même chose eut lieu à Bayonne, égale-
ment sur l'ordre d'Edouard ler, quelques années plus tard (vers 1273),
et le résultat de la révision des prudhommes est la coutume en 125
titres, si intéressante, qu'ont publiée MM. Balasque et Dulaurens^. Les
statuts de Bordeaux ne nous sont pas parvenus tels qu'ils sortirent des
délibérations des prudhommes délégués par Edouard, une nouvelle
révision en dut être faite à la suite d'une transaction de 1314 entre les
magistrats et le prévôt de l'Ombrière^; c'est dans le texte, certainement
encore modifié et remanié, publié successivement par la ville en 1593,
1612 et 1701, qu'il faut aller chercher des traces des statuts primitifs.
M. B. n'a consacré que très-peu de pages aux autres villes de
Guyenne ; il a omis de parler d'un grand nombre, il a ignoré l'exis-
tence de beaucoup des documents publiés sur les quatorze dont il a
parlé. Il a placé toutes ces villes sur le même rang; il y avait pourtant
de très-grandes différences entre elles au point de vue de l'indépen-
dance, de la condition des habitants et même de l'organisation; très-
peu étaient des communes^ titre dont M. B. les a toutes gratifiées. On
comprendra que ce n'est pas dans un article de critique qu'il est pos-
sible d'indiquer en détail des lacunes aussi nombreuses que celles que
nous signalons; aussi nous bornerons-nous à lui reprocher de n'avoir
pas connu un document plusieurs fois publié, le plus ancien peut-être
qui soit relatif aux villes du sud-ouest de la France, les- consuetiidines
et jura monasterii Regulac^ qui datent de 977 et qui, surtout si on les
rapproche des nouvelles coutumes, ignorées aussi de M. B., publiées en
1860 dans le t. II des Archives générales de la Gironde^ sont du plus
grand intérêt parce qu'elles nous aident à suivre tout le développement
d'une ville qui passe de la domination ecclésiastique sous la suzeraineté
des ducs de Guyenne.
Parmi les villes qu'il a omises nous ne signalerons que Blaye, dont
le cartulaire municipal, contenant des privilèges et des coutumes très-
1. Études historiques sur la ville de Bayonne, II, 594.
2. Livre des Bouillons, p. 363. En 1341, un vldimus de la disposition de ces
statuts fut envoyé par les Bordelais au roi de France [Archives historiques de la
Gironde, III, 158).
3. Publ. par Labbe, Nova biblioth. mss., t. II, p. 744, d'après un ms. du
xu° ou du xui" s., texte reproduit par Giraud : Essai sur l'histoire du droit
français. Preuves, t. II, p. 518. M. Gauban, qui a publié les Nouvelles coutumes
dans les Archives historiques de la Gironde, a eu à sa disposition une copie
des anciennes, faite en 1726 par un bénédictin du prieuré de -la Réole, dont
le texte paraît présenter avec le précédent de notables différences, malheu-
reusement il n'en a donné qu'une traduction qui doit être en plusieurs passages
inexacte.
'(20 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
importants, a étt'> publié, en 1870, dans lo t. XII dos Archives histo-
riques de la Gironde (p. 1 à l^'i).
ApiTs Augustin Thiorry, M. B. a nommé toutes les villes du Bor-
delais les filleules de Bordeaux et exposé (p. 243) qu'elles étaient unies
par une espèce de lien fédéral à la commune-'mère^ qui exerçait sur elles
une sorte de protectorat. Cette opinion a sa source dans un passage
d'un chroniqueur Bordelais, de Lurbe, qui écrivait dans les dernières
années du xiv» siècle et ne parlait que de ce qui existait de son temps.
Augustin Thierry avait eu le tort de trop généraliser et de faire
remonter au xiii» siècle l'existence d'une confédération qui a toujours
été restreinte aux milices urbaines et qui n'a jamais existé que pour la
défense du pays et pendant la guerre de cent ans. Les renseignements
sur les rapports des villes entre elles sont rares au xin^ siècle, je ne
connais que quelques petites villes sans aucune indépendance, comme
Gastets en Dorue et Gatderot qui étaient complètement soumises,
presque comme une banlieue aux villes voisines. Quant à ce terme de
filleules, que de Lurbe employa le premier, je ne crois pas qu'on le
trouve avant le xvi* siècle dans aucun acte authentique; la première
mention que j'en connaisse est dans un document de 1566 relatif à
Blaye.
Le chapitre relatif aux Bastides n'est pas moins insuffisant que le
précédent. M. B. ne connaît que par un mémoire de M. Rabanis
VEsclapot, cartulaire municipal de Monségur, publié intégralement, en
1863, dans le t. V des Archives historiques de la Gironde. Il ne connaît
pas les coutumes de Sauveterre, publiées en 1868, au t. X du même
recueil ; enfin, il ne sait pas que les coutumes de ces deux villes sont
semblables et que, comme celles de la plupart des autres bastides de la
Guyenne, elles dérivent de celles de Sainte-Foy, encore inédites.
Nous ne relèverons plus dans ce livre que quelques erreurs entre
beaucoup d'autres. M. B. croit que les hommes de poeste sont des serfs
(p. 8b). P. 108, il parle de la « dure poeste ». Il est au contraire établi et
prouvé depuis longtemps que ce sont des hommes libres. — P. 146.
Jean, duc de Lancastre, était l'oncle et non le frère de Richard II. —
P. 158. M. B. parle des jurats d'Oleron. Oleron, dont l'organisation
était empruntée à Rouen, n'a jamais eu de jurats, mais bien des con-
seillers, échevins et jurés. — P. 51. Il s'agit non de Sainte-Maxence,
mais bien de Saint-Maixent en Poitou.
Nous terminerons ce trop long article par deux échantillons de la
manière dont M. B. interprète les textes latins. — P. 256. Il dit que
« les citoyens de Bouglon doivent offrir cent hommes d'armes, du
« pain, du vin, etc. » Entendez que les citoyens de Bouglon sont tenus
à une redevance, à chaque mutation de suzerain, d'un dîner au duc et
à cent hommes d'armes (Et debent... unamcomestionem..., in mutatione
domini., eidem cum centum militibus). P. 257. Il traduit le texte suivant :
non possunt dicere quod ipsi seu universitas habeant feudum a domino
rege, cmn, secundum nostram consuetudinem, non sit feudum nisi sit ibi
A. LAUGEL : LOUISE DE COLIGNT. 424
sporla vel investitura, par « nous ne pouvons pas dire que nous tenions
« rien en fief du roi, car, suivant notre coutume, nous ne devons que le
« droit d'esporle et d'investiture », alors qu'il faut entendre : Nous
ne pouvons pas dire que nous tenions rien en fief du roi, car il n'y a
fief que là où il y a esporle et investiture.
A. GiRY.
Louise de Coligny. Lettres à H. la Tour, vicomte de Turenne,
publiées d'après les originaux conservés aux Archives nationales,
par Auguste Laugel. Paris, librairie Sandoz et Fischbacher, i 877,
brochure gr. in-S" de 61 p.
La brochure de M. Laugel est divisée en deux parties, la première
consacrée à Louise de Coligny, la seconde à la correspondance de cette
princesse.
La notice sur la fille de l'amiral de Coligny, quoique resserrée en une
quarantaine de pages (i-42), renferme le récit complet de cette vie qui,
selon la parole d'un biographe du xvni« siècle, ne fut qu'un tissu d'afflic-
tions continuelles, capables de faire succomber toute autre âme moins rési-
gnée aux volontés du cieV. M. Laugel a bien raison de dire, au début
de sa notice, que « parmi les grandes dames protestantes qui vécurent
pendant les temps les plus troublés de la Réforme, il n'en est pas que
l'histoire doive regarder d'un œil plus compatissant que Louise de
Coligny, la fille de M. l'amiral, la veuve de M. de Téligny, la veuve de
Guillaume le Taciturne. » L'habile écrivain a raconté la vie de cette
noble femme avec grande exactitude, s'appuyant toujours sur les meil-
leurs témoignages, et marchant droit à la vérité. Pas de détails oiseux!
Rien qui sente la rhétorique ! La pieuse émotion de l'historien se de-
vine, elle ne s'affiche pas; c'est comme un feu caché sous les sobres et
fermes pages où revit dans sa grâce mélancolique celle qui tant de fois
eut la douleur de voir couler le sang généreux de ceux qu'elle aimait.
M. Paul Marchegay, qui a publié, en 1872, un recueil de lettres iné-
dites de la princesse d'Orange, précédé de l'exposé des « principaux
faits relatifs aux quarante-trois premières années de son existence 2, »
exprimait le vœu que Louise de Coligny fût bientôt l'objet d'une étude
spéciale que l'on pût rapprocher des études sur Charlotte de Bourbon-
Montpcnsicr, par M. Jules Bonnet, sur Jacqueline d'Entrcmonts et Éléo-
1. L. Aubery du Maiirier, Mémoires pour servir à l'histoire de Hollande et
des autres Provinces-Unies, etc., p. 182. C'est évidemment à la suite d'une faute
d'impression que (p. 2) Aubery est appelé Aubry par M. Laugel.
2. Lettres de Louise de Colligny, princesse d'Orange, à sa belle-fille C/iar-
lotle-Brabantine de Nassau, duchesse de la Trémoille, etc. (gr. in-8" de 112 p.)
M. Marchegay déclare, au sujet des deux l du nom de l'amiral, qu'il rétablit
l'orthographe de ce nom d'après la signature de l'amiral et de sa fille. M. Lau-
gel n'a pas tenu compte de cette rectificalion.
422 r.OMPTES-RFNDrS CRITIQUES.
nnrr de Roi/c, par M. lo comtP Honri Dolahordo, sur la Comtesse de Derby,
par M. Gustave Masson, sur M"'* de Mornay, par M. Guizot. Moins
dovoloppéo que cos diverses monographies, la notice de M. Laupei est
toutefois tellement bien faite, (|ue je n'hésite pas à croire que M. Mar-
chegay lui-môme doit reconnaître (jue sou vœu ne pouvait être mieux
exaucé.
.le no chonn qu'un passage de la notice, mais ce passage suflira, si
je ne me trompe, pour montrer au lecteur avec quelle conscience cette
notice a été préparée et avec quelle élégance elle a été rédigée (p. 9-10) :
« Loui.se de Coligny ne devait plus revoir son père : la cloche de
Saint-Germain-l'Auxerrois donna, peu d'instants après qu'elle l'eut
quitté, le signal de l'horrible massacre. On connaît tous les détails de
la fin de l'amiral, on sait moins bien comment périt Téligny. Jean de la
Pise, qui raconte dans son Histoire d'Orange l'assassinat de Guillaume
le Taciturne, dit en parlant de sa femme : Quasi mourante en l'excès de
sa douleur, elle invoque Dieu qui la fortifie, adresse sa prière au Tout~
Puissant, et à voix gémissante, à cœur ardent, ses yeux et ses mains élevés
au ciel : Mon Dieu, dit-elle, donne-moi le don de la patience, et de souf-
frir selon ta volonté la mort de mon père et de mes deux maris, tous trois
assassines devant mes yeux. Ne faut-il voir dans ces lignes qu'un mou-
vement d'éloquence d'un historien, très-exact pourtant et très-digne de
foi, ou la malheureuse jeune femme vit-elle réellement de quelque
fenêtre, à la lueur des torches, tuer et son père et son mari ? Nous
l'ignorons*. On ne connaît même pas exactement les détails de la
mort de Téligny. Le sieur de Téligny, — écrit l'auteur du Tocsin des
massacreurs, la relation la plus détaillée de la Saint-Barthélémy, —
lequel pour sa beauté, bonne grâce et savoir, fut espargné de plusieurs
qui néanmoins avoient charge de le tuer; mais enfin, s'étant retiré en
son grenier, fut meurtri avec aucuns gentilshommes qui s'y étoient
sauvés 2. »
Les lettres de Louise de Coligny « tirées des Archives nationales-'' »
1. M. Laugel se montre ici plus prudent que M. Marchegay, lequel affirme
beaucoup trop résolument que M"" de Téligny eut le crève-cœur d'assister à
regorgement de son premier mari : « Nous ne croyons pas que le témoignage
de Du Maurier, imprimant, un siècle et demi plus tard, un résumé du manus-
crit de son père, puisse l'emporter sur celui du très-exact et très-minutieux his-
torien des princes d'Orange. Il résulte évidemment du passage de Joseph de la
Pise, cité plus loin (p. vui), que la princesse sa contemporaine, qu'il avait con-
nue et dont il parle longuement, était à Paris lors du massacre de son premier
mari et de son père. » Pour moi, je ne saurais voir dans l'expression : assassi-
nés devant mes yeux qu'une métaphore qui ne lire nullement à conséquence, et
je serais loin de rejeter aussi facilement que le fait M. Marchegay cette asser-
tion d'Aubery du Maurier (p. 179), que M"" de Téligny était alors en dehors de
Paris (à Châtillon-sur-Loing).
2. Remis, 1577, p. 77. On lit 1677 à la p. 10 de la notice, où décidément on
n'a pas assez attentivement corrigé les lapsus typographiques.
3. M. Laugel sest contenté de cette indication trop générale. Il aurait fallu
M. PHILIPPSON : HEINRICH IV UND PHILIPP III. 423
sont au nombre de huit. La première est datée de « Midelbourg, ce 12
de novembre (1690) ^; « la dernière ne porte pas de date, mais elle
appartient à l'année 1591. M. Marchegay disait des soixante-huit lettres
publiées par lui en 1872 qu'elles étaient remarquables par le naturel,
les sentiments et le style. On peut en dire autant des huit lettres
que nous donne M. Laugel et qui lui ont été d'un si précieux secours
dans la tâche entreprise par lui (p. 2) « de rejeter comme un pâle rayon
sur une Française du xvi« siècle. » Un exemple parlera mieux que
tous les éloges. Voici comment (p. 44-45), dans une « despeche » écrite
le 12 novembre 1590 « avec estreme précipitation » et que Louise
appelle une « barbouillée et confuse lettre, » l'infortunée princesse ré-
clame la visite du vicomte de Turenne, qui résume en ce moment
pour elle, comme le dit si bien M. Laugel (p. 21), « la France^ le bon-
heur perdu, toutes ses espérances : « Voudriez-vous montrer si peu
d'amytié à une cousine que vous n'avez vue il y a neuf ou dix ans, et
que peut-être vous ne verrez jamais^ de passer si près d'elle sans la voyr ;
le devoir de bon parent vous y oblyge; depuis que je suis en ces pays,
je n'en ay veu nul et puis dire avec vérité que cela m'a fait beaucoup
de tort, car il semble à ces gens icy veu le peu de cas que mes parents
et mes amys ont fait de moy depuis mon affliction, que je soye tombée
des nues et cela m'a tellement rendue méprisable parmy eux que vous
seriez étonné du peu qu'ils ont fait pour moy ; mes frères m'ont man-
qué et ne se montrent tels qu'ils devroyent en mon endroist. Que mon
cousin, le principal honneur et la gloire de ma race, n'en face de
mesme et donnés par votre présence contentement à ceste pauvre cou-
sine que, je vous jure, depuis la perte du bien dont la privation me
rendra à jamais mysérable, n'avoir senty son cœur émeu de nule joye
que par l'espérance que me donnés de votre vue. » Tous les lecteurs,
j'en suis assuré, rediront avec M. Laugel (p. 21): « Rarement appel
plus éloquent fut fait à un parent. »
T. de L.
Heinrich IV und Philipp III. Die Begrûndung des franzœsischen
Uebergewichtes in Europa, ^598-^6^0, von D"" Martin Philippsgn.
Berlin, Verlag von F. Duncker. Erster Th. 1870, 398 S.-, zweiter
Th. -1873, 444 S.-, dritler Th. -1876, 500 S.
L'auteur de cet ouvrage, M. Philippson, professeur d'histoire à l'Uni-
versité de Bonn, s'est donné pour but de tracer la politique extérieure
indiquer avec précision le n» des cartons ou registres qui contiennent la corres-
pondance de Louise de Coligny avec Henri de la Tour.
1. Sic pour 1590. On sait que Louise de CoUgny, née le 28 septembre 1555,
mourut en novembre 1620. La malencontreuse date 1690 est répétée à la page 48.
Lon trouve 1691, pour 1591, au bas d'une autre lettre (p. 52).
424 COMrTKS-RK.NDUS CRITIQUES.
do la Franco pt-mlaiii les auuces 1598-lGlO, et parliculiôromont dans
sa lutlo oontrt* l'Kspa^no. Los e>vénpments intérieurs no sont pas pour
rola passos sous silence, mais ils no sont rappelés qu'autant qu'il le
fallait pourfendre intelligible la marche des affaires extérieures. Sur ce
point, M. P. s'en réfèi-o on grande partie à Vllisloire du règne de, Henri IV
par M. Poirson, u'uvrc très-ostimablo en oflet, et dont M. Ph. fait un
olot;o mérite an 2" vol. de son ouvrage (p. 270). Mais en même temps
il fait ressortir la dill'érence qui le sépare de l'autour français : « on ne
peut lui reprocher, dit-il, ([u'uno admiration excessive pour son héros,
et un manque absolu de critique au sujet des détails fournis par Sully.»
La différence entre les deux auteurs se montre bien en oiTot dans l'es-
time qu'ils ont pour les Économies royales. Le Henri IV de M. Ph. ne
ressemble pas à celui de M. Poirson.
Quel degré de créance faut-il accorder aux Mémoires de Sully? Jus-
qu'à quel point contiennent-ils des altérations volontaires ou involon-
taires de la vérité? Ces questions sont aussi vieilles que les Mémoires
eux-mêmes. La critique commence par les attaques de Marbault. Plus
tard encore des voix s'élèvent contre le décousu des Mémoires, et
M. Ph. aurait pu rendre, plus qu'il ne l'a fait, justice à ses prédécesseurs
français, qu'il connaît cependant, puisqu'il les cite. Ainsi, au sujet du
« grand plan, » Bazin, dans son Histoire de Louis XIII (p. 12), se place
déjà au point de vue que Ranke adopta ensuite (Fr. Gescli.,, II, 104).
Le mérite de M. Ph. est d'avoir soumis à la critique l'œuvre entière des
Economies royales. Dans son premier volume il en avait déjà, se ratta-
chant à la doctrine de Ranke, annoncé l'intention et il a tenu sa parole
dans le reste de l'ouvrage. Dès le début de son livre il dut en plusieurs
endroits se mettre en opposition avec les Économies royales, par exemple
quand il raconte la conspiration de Biron, à laquelle il consacre une dis-
sertation spéciale (I, 375-393), la trahison de L'hoste, le voyage de Sully
en Angleterre (1603), etc. Un an après la publication de ce premier
volume, M. Moritz Ritter publia dans les Mémoires de l'Académie bava-
roise des sciences un travail intitulé : « les Mémoires de Sully et le
grand plan de Henri IV ». Les idées exprimées déjà par M. Ph. sont
reprises dans ce travail, dont les conclusions sont encore plus défa,vo-
rables aux Économies royales. M. Ph. dit par exemple (I, 386), que le
récit de l'arrivée de Biron à la cour et de son supplice y est exact en
général; M. Ritter prouve au contraire que même sur ce point il faut
se défier de Sully. — M. Ph. avait eu d'abord l'idée d'ajouter à son
second volume une dissertation critique sur les Économies royales et
sur le fameux plan de Henri IV. Il n'y donna pas suite, le Mémoire de
M. Ritter lui ayant épargné cette peine. On trouve cependant à la fin du
3' vol. (p. 493-500) sur les Mémoires de Sully d'intéressantes remarques
où l'auteur a condensé les résultats des recherches d'autres critiques et
des siennes propres, et augmenté d'une notable façon le nombre des
difficultés que soulève l'examen des Économies royales; il fait remar-
quer que même en matière de finances, les souvenirs de Sully ne
M. FHILIPPSON : HEINRICH IV UND PHILIPP IIl. 425
doivent être accueillis qu'avec circonspection. Il prouve aussi, et le
fait vaut la peine d'être signalé, que les parties essentielles du « grand
plan » se trouvent déjà dans les écrits d' Agrippa d'Aubigné; M. Ph.
voit même dans ces derniers la source à laquelle a puisé Sully. Il y a,
cela est vrai, du rapport entre ces deux auteurs, mais le grand plan
n'émanerait-il pas d'une conception plus ancienne, et Sully ne serait-
il pas le véritable inventeur de l'idée ?
M. Ph. prononce en ces termes son jugement sévère, mais juste,
sur les Économies royales de Sully : « en presque tous les endroits où
les faits rapportés par Sully peuvent être contrôlés à l'aide de docu-
ments authentiques, leur fausseté, tantôt inconsciente, mais le plus
souvent volontaire, apparaît; aussi les passages où ce contrôle fait défaut
doivent-ils nous rester suspects puisque nous n'avons aucune raison
pour les croire plus vrais ni plus sincères que tous les autres, et ceux
qui contiennent des détails nouveaux et non connus d'autre part doi-
vent-ils être tout à fait mis de côté. » Cette conclusion est la consé-
quence naturelle et légitime d'une patiente induction qui repose sur
une multitude de faits réunis par l'auteur pendant tout le cours de
son travail. C'est dans le 3« vol. que les citations empruntées aux Eco-
nomies royales cessent complètement. L'unité du livre devait en souf-
frir. Le Henri IV du l^r vol. était resté plus près de la tradition que
celui du troisième, et l'on dirait que l'auteur a éprouvé un certain
mécontentement au sujet de ce changement de physionomie; ce senti-
ment se manifeste par des expressions qu'il eût mieux valu ne pas
employer ^ .
Il n'est pas possible d'indiquer en détail tout ce que l'ouvrage de
M. Ph. contient de nouveau. Sur les résultats négatifs de sa critique,
le lecteur est suffisamment éclairé par ce qui précède. Mais l'auteur a
fait davantage : il a tracé un tableau de Henri IV et de sa politique,
où il a déployé toutes les ressources d'une érudition puisée non-seule-
ment dans les travaux antérieurs, mais aux sources mêmes, dans les ar-
chives de Paris, Bruxelles, Turin et Vienne; à mesure qu'il avance dans
son travail la quantité de documents inédits l'emporte de plus en plus
sur ceux qui étaient déjà imprimés; aussi son dernier volume mérite-t-il
une attention particulière. Il se divise en quatre chapitres : 1° Venise
et les Grisons 1606-1607; 2° la trêve des Pays-Bas. Une grande partie
de ce chapitre est consacrée aux négociations pour les mariages espa-
gnols; M. Ph. complète sur plusieurs points ce qu'en avait déjà dit
M. Perrens. L'auteur soutient que la réussite de ces projets et par
exemple le mariage de don Carlos et de Christine de France avec la
Belgique pour dot, aurait écarté ou du moins retardé pour longtemps
le danger d'une grande guerre entre la France et l'Espagne ; à ce prix
1. III, p. 70, « (ier Kœnig sel mit seinen eigentlichen Wûnschen brutal hervo-
getrelen ; » p. 90 : « die etwas plumpen Kiinste, mit denen der Kœaig die bel-
gischen Staalsmœnner zu lauscheu suchte. »
428 COMPTES-RK\nUS CRITIQUES.
m^mo, HtMiri IV aurait été prêt à abandonner ses anciens amis les
Hollandais s'il avait pu réunir par ce moyen les Pays-Bas tout entiers
et en même temps les séparer de l'Espagne, et à ce propos M. Ph.
n'hésite pas à lui reprocher « une politique mensongère et à double
face 1). Le plus souvtmt le jugement qu'il porte sur Henri IV est très-
défavorable; mais après tout ces projets ont été trop vagues pour qu'on
puisse asseoir sur ce fondement un jugement aussi catégorique. Il est
bien certain que la politique de Henri IV ne fut pas une politique de
sentiment. En d'autres endroits, le jugement de M. Ph. est plus mesuré
et plus équitable; ainsi, quand il dit (III, p. 323) que Henri IV voulut
commencer la guerre contre les Habs])ourg dans son propre intérêt et à
son heure, et qu'il n'abandonna jamais ce point de vue, l'auteur ajoute
qu'il eut d'ailleurs parfaitement raison. — Le 3« chap., intitulé « le
parti français en Europe » montre les préparatifs faits pour cette lutte
qui devenait chaque jour plus prochaine. Le dernier chapitre, et le
plus important, explique la guerre de succession de Juliers. C'est dans
ce chapitre qu'est le point délicat de tout le volume. M. Ph. dit bien
que Henri IV saisit le « prétexte » de cette guerre pour commencer la
lutte; mais de son récit même, si lumineux et si convaincant, il res-
sort que la question de Juliers fut pour le roi plus qu'un simple pré-
texte; les intérêts de la France commandaient de ne pas laisser la puis-
sance hispano-impériale s'établir sur le cours inférieur du Rhin. — Je
veux encore faire remarquer qu'à la fin de ce chapitre (p. 483) l'auteur
pense, avec MM. Poirson et Loiselear, que Ravaillac n'eut pas de com-
plices ; mais il rejette l'hypothèsse de M. Loiseleur qui admet l'exis-
tence d'un second complot; il a certainement raison dans les deux
cas.
Le « grand plan » de Sully se compose d'éléments réels et d'élé-
ments imaginaires; ce qu'il y a d'imaginaire, c'est le but même où
il tend; ce qu'il y a de réel réside dans les moyens indiqués pour
y parvenir. Le but, c'est d'établir la paix perpétuelle : les différents
des Etats chrétiens entre eux doivent à l'avenir être réglés par des
voies pacifiques; mais il faut tout d'abord remanier le système
politique de l'Europe pour établir un équilibre stable entre les forces
des divers États. Le moyen pour arriver à la paix est — la guerre.
La réalisation de ce juste équilibre devait être obtenue par le ren-
versement de la maison d'Autriche. Le commencement de la fin est
ainsi une grande guerre engagée par tous les ennemis des Habsbourg,
la France en tête; c'est à la veille de cette guerre que le poignard d'un
assassin frappa Henri IV ; les alliances étaient déjà acquises, les traités
avec les confédérés conclus, les futurs changements à la carte d'Europe
arrêtés avec eux.
Que reste-t-il de tout cela? C'est en se faisant cette demande que le
lecteur prendra le livre de M. Ph. L'auteur a raison de repousser une
opinion moyenne émise par M. Poirson, qui attribue « l'utopie » à
Sully seul, mais qui pour le reste conserve à Henri IV l'honneur
M. PfllLlPPSON : HEINRICH IV UND PHILIPP III. 427
d'avoir imaginé le « grand plan ». L'un tombe avec l'autre. Pour
résoudre la difficulté, la seule méthode est celle qu'emploie M. Ph. :
il laisse de côté les Économies royales , et entreprend d'exposer,
d'après des documents authentiques , la vraie politique de la
France pendant les années 1609 et 1610, et les desseins véritables
de Henri IV pendant ces mêmes années (III, 349). Lui aussi parle
d'un « plan d'ensemble » imaginé par Henri IV « cet habile homme
d'État » qui sut toujours consen'er des vues générales au milieu de
l'infini détail des affaires journalières de sa diplomatie (III, 324). A
coup sûr, voilà un jugement très-favorable à Henri IV; mais en quoi
consiste le plan du roi? M. Ph. répond : son dessein fut de former une
ligue générale de tous les éléments antihabsbourgeois en Europe, de
réunir ainsi la France, les États protestants, la Savoie, Venise, les
Pays-Bas indépendants, peut-être aussi l'Angleterre. Cette union géné-
rale devait s'affirmer par la défense à frais communs des Provinces-
Unies; mais l'occasion manqua par suite des négociations pour la paix
entamées déjà en 1607. Avant même que ces négociations eiissent abouti
à la trêve de douze ans, le duc de Juliers vint à mourir (mars 1609),
événement depuis longtemps prévu. Henri IV avait déjà formulé son
programme pour cette cii'constance. Les héritiers protestants devaient
provisoirement rester d'accord, et empêcher l'empereur ou l'Espagne
de se mêler à l'affaire de la succession. Désormais l'histoire de la poli-
tique française n'est pas autre chose que l'histoire de la question de
Juliers. Le « plan d'ensemble, » l'aUnion générale » ne sont pas ou-
bliés ni détruits; mais tandis que là gisaient les complications véri-
tables, que là tout était prêt, ici presque rien n'était fait lorsque
Henri IV se décida en mai 1610 à intervenir sur le Rhin. Sans doute
l'attaque devait commencer en même temps aussi de l'autre côté des
Alpes, en Italie; mais ce n'était pas dans les affaires italiennes qu'était le
nœud de la guerre; et même ces plans, ces projets relatifs à l'Italie,
dont plus tard Fontenay-Mareuil parla longuement dans ses Mémoires,
combien ne faut-il pas les modifier, si l'on admet le résultat des re-
cherches de M. Ph. ! Le seul prince italien sur l'alliance duquel
Henri IV put compter, a été Charles-Emmanuel de Savoie. Les négo-
ciations embrouillées poursuivies avec lui pendant des années sont
exposées en grand détail par M. Ph., en partie d'après des documents
inédits. A la mort de Henri IV, les négociations n'avaient même
abouti à aucun résultat formel; on n'avait arrêté que les préliminaires
d'une alliance à Brosolo (avril 1610). Les conquêtes éventuelles — le
Milanais, — devaient être cédées au duc. Henri IV, à l'origine, avait
il est vrai pensé à se faire rétrocéder la Savoie; mais dans ce projet il
était expressément stipulé que Montmélian serait démantelé. Les autres
princes italiens pourraient entrer dans l'alliance franco - savoyarde,
mais on ne pouvait guère compter que sur le duc de Mantoue. Avec
Venise, une alliance défensive ne fut pas même conclue.
L'idée d'enlever à la maison des Habsbourg la couronne impériale
i28 ooMPTEs-nE\nrs critiques.
fait aussi partio du plan do Sully. Sur œ point la vérité est que. si le
roi d'Espagne avait brigué la couronne pour lui-même, comme on s'y
attendait au commencement du siècle, Henri IV se serait vraisemhla-
iilenient porté comme candidat, autre François !«■• en face d'un autre
Cliarles-Quint; mais oe projet ne fut jamais l'objet de préoccupations
immédiates. L'idée d'un empire bavarois n'aurait pas eu l'assentiment
du duc même de Bavière, ni avant, ni après, dans les dernières années
de Henri IV. Le but le plus proche de la politique française que l'on
put atteindre et que l'on atteignit en eil'et, était de former une ligue
des princes protestants ou au moins d'une partie d'entre eux. L'Union
(1608) a été principalement l'œuvre de Henri IV. Aussitôt que la ques-
tion de Juliers se fut ouverte, le traité de Dortmund fut conclu, par
lequel les plus importants parmi les prétendants protestants à l'héri-
tage, ceu.x qu'on appelait les possidlrcnde Fiirstcn, s'en référaient au pro-
gramme du roi de France. Mais lorsque l'archiduc Léopold se fut em-
pare de Juliers au nom de l'empereur (juillet 1609), Henri IV dut se
préparer non plus seulement à intervenir en faveur des princes préten-
dants, mais aussi à commencer une guerre générale. Mais les princes
allemands intéressés à la succession ne souhaitaient pas une interven-
tion armée; ils reculaient devant les conséquences redoutables d'une
grande guerre. Leurs désirs et leurs réclamations avaient été satisfaits
par d'abondants secours en argent. Par le traité de Hall (fév. 1610),
Henri IV, l'Union et les princes prétendants s'unirent pour intervenir
tous ensemble à main armée ; si cette intervention devait allumer la
guerre entre la France et l'Espagne, les princes protestants fourniraient
à Henri IV un contingent de 4000 fantassins et de 1000 chevaux. A la
vérité presque aussitôt après Christian d'Anhalt proposa au roi le plan
des alliés qui consistait à envahir les Pays-Bas espagnols après que les
ennemis auraient été chassés du territoire de Juliers; mais ce projet
ne fut pas converti en traité. Dans les négociations avec l'Angleterre
et les Provinces-Unies cette question ne fut pas même agitée pour
l'avenir; ces deux États promirent tout simplement de prendre part à
l'intervention.
Qu'est-ce donc qui décida Henri IV à tirer l'épée? Il n'avait d'autre
allié sûr que le duc de Savoie et encore ne pouvait-il compter absolu-
ment sur lui qu'en cas de victoire. La situation était plus favorable
pour le roi sur la frontière Nord-Est de ses États. Là il avait, outre ses
36,000 hommes, 10,000 Allemands, 8,000 Hollandais, 4,000 Anglais,
forces plus que suffisantes pour assurer le succès de l'intervention;
mais là même l'avenir, dans le cas d'une grande guerre, était moins
assuré. Sans doute l'issue de la guerre pouvait s'envisager sans crainte;
sans doute, au cas de grandes victoires remportées par Henri IV, la
Hollande et Venise se seraient probablement laissé entraîner dans
l'alliance française par l'espoir de riches conquêtes, l'Angleterre par
envie des succès de la France, le pape par la pression exercée sur lui
par les armes françaises; mais à la veille de la déclaration de guerre,
M. PHILIPPSON : BEIXRICH IV UND PHILIPP III. 429
on ne pouvait avoir aucune vue certaine sur de pareilles éventualités.
Cette situation justifiait donc les pénibles pensées des ministres fran-
çais, leurs doutes, leur peu de foi dans le succès, sentiments que
Henri IV lui-même partageait dans les derniers jours de sa vie. M. Ph.
termine en disant : « Si de très-estimables historiens se laissent séduire
par le brillant tableau des résultats extraordinaires que l'on attendait
de la guerre projetée par Henri IV, cela tient à une ignorance com-
plète de la véritable situation qui, bien qu'en général favorable à la
France, ne promettait en aucune façon un résultat rapide et décisif en
sa faveur. » — Aussi quand M. Ph. donne à son ouvrage comme sous-
titre a de l'établissement de la prépondérance française en Europe, » et
qu'à la fin de son 3« vol. il dit expressément que Henri IV fonda cette
prépondérance , on peut se demander si l'auteur n'annonce pas
autre chose que ce qu'il prouve, et si, pour établir cette prépon-
dérance, il ne fallait pas précisément que la guerre projetée par
Henri IV eût porté ses fruits. M. Ph. a-t-il bien raison de prétendre
que la régence de Marie de Médicis ne put renverser l'œuvre de Henri IV
et que les deux cardinaux et Louis XIV auraient pu sans autres élé-
ments continuer de bâtir leur édifice sur ces fortes bases?
Résumons les idées que nous fournit le livre de M. Ph.: il n'a pas
seulement recommencé l'ancien procès de Marbault contre Sully; il a
fourni de nouveaux faits pour aider à le juger; l'issue en est certaine,
Sully en sortira condamné. Il sera nécessaire de soumettre à une révi-
sion minutieuse tout ce qui a été publié avant le nouveau livre : ou-
vrages d'exposition ou publications de textes. Ainsi M. Berger de
Xivrey, qui n'était pourtant pas aveugle (voy. VI, 238), a tiré des Éco-
nomies royales et admis dans ses Lettres viissives bien des choses qui,
en dehors de tout autre critérium, ne pouvaient prendre place à côté
des documents publiés dans son grand recueil. Comparez par exemple
au t. VI, p. 86-87, deux lettres du roi imprimées presque côte à
côte, avec la même date (17 mai 1603) et presque le même con-
tenu : la seconde, empruntée aux Économies royales, est un remanie-
ment ou plutôt une contrefaçon de la première. Dans l'une et l'autre,
Sully est prié par le roi malade de venir le trouver sur-le-champ;
mais tandis que la première ne dit rien de plus qu'il n'était nécessaire :
« je vous prie... de me venir trouver sans donner l'alarme à personne...
car je veulx parler à vous, » nous lisons dans l'autre : « or, estant
obligé, après le soin de mon salut, de penser aux ordres nécessaires
pour assurer la succession à mes enfants, les faire régner heureu.se-
ment à l'advantage de ma femme, de mon Estât, de mes bons servi-
teurs et de nos pauvres peuples que j'aime comme mes chers enfans,
je désire conférer avec vous de toutes ces choses avant que d'en rien
résouldre... » Ici encore le but de l'écrivain a été de rehausser la gloire
non-seulement de Henri IV, mais aussi de Sully.
La prudence défend d'accepter sans réserve les résultats positifs aux-
quels est arrivé M. Ph., car, bien qu'il semble en général avoir atteint la
Î30 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
vérité, ot que lo « grand plan » no doivo pas, comme le phénix, renaître
lie ses cendres, on ne peut ])as cependant considérer l'enquête comme
terminée. De nouveaux documents peuvent amener des vues nouvelles;
mais tout livre sur ce sujet devra désormais s'en référer à l'ouvrage de
M. Ph., pour l'approuver, le compléter ou le corriger Aussi l'on peut
dire que l'histoire de Henri IV est devenue un problème, et que l'éru-
dition historique peut recommencer son labeur de Sisyphe.
J. (tOLL.
The Struggle against absolute Monarchy (1603-1688), by
Bertha Meriton Gordehy; vith two maps. London, Longmans,
Greeii and G", -1877, 84 p.
Ce petit volume de modeste apparence fait partie d'un recueil
{Epochs of English history. Cf. Revue historique, III, p. 170) publié
sous la direction de M. Creighton, qui a eu l'idée d'offrir aux écoliers
sous cette forme abrégée une histoire exacte et sûre de l'Angleterre.
Le but pédagogique ne sera jamais mieux atteint que si ces pages, oîi
M"« Gordery a résumé une partie importante de l'histoire de sa patrie,
sont mises entre les mains de jeunes gens déjà au fait des événements
de cette histoire. L'auteur a étudié avec soin les ouvrages modernes,
surtout les travaux de M. S. Rawson Gardiner et de Forster. Son style
est simple et limpide. P. 54, on voudrait voir rappeler que Milton, après
l'établissement de la République, accepta le poste de secrétaire « pour
les langues étrangères, » et qu'il fut le grand publiciste de la Répu-
blique.
A. S.
The history of the Struggle for parliamentary government in
Engiand; by A. Bisseï, 2 voL Henry S. King and G". London,
^877, xx-322-363 p.
Le livre de M. Bisset se présente avec de bien plus grandes préten-
tions que celui de M'i« Gordery; mais par malheur il ne répond pas du
tout à notre attente. M. Bisset a précédemment écrit une History of
Commonwealth, pour laquelle il avait mis à contribution les archives
de l'Etat à Londres, et cet ouvrage avait prouvé qu'il était capable
d'écrire un livre intéressant et utile; mais dans ce nouveau travail, il
s'est montré au-dessous de lui-même. Pour entreprendre à nouveau dans
un livre de longue haleine un sujet aussi souvent traité, il fallait ou
être en possession de documents non encore utilisés, ou au moins
mettre à profit les résultats actuels de la science, ou présenter les évé-
nements sous un nouveau jour. Le présent ouvrage laisse beaucoup à
désirer sur tous ces points. On dirait parfois que l'auteur n'a connu ni
C. nCEFLER : FONTES RERUM AOSTRIACARUM. 434
Ranke, ni M. Gardiiier, ni les Calendars of state papers, ni les nom-
breuses publications de la Camden Society. Il rappelle la manière des
historiens amateurs, quand, au grand étonnement du lecteur, il cite
aux endroits les plus insignifiants, Hume, Macaulay, Grote, etc. Il
définit le règne de Charles !«■• « une lutte pour le gouvernement parle-
mentaire en Angleterre, » oubliant ainsi que la lutte pour le gouverne-
ment parlementaire ne fut pas terminée par le supplice du roi, mais
qu'au contraire une longue période d'épreuves fut nécessaire pour fon-
der le parlementarisme moderne. L'esprit étroit dans lequel il a conçu
son sujet a pour conséquence qu'il n'accorde ni aux questions de poli-
tique étrangère ni aux questions religieuses l'attention sans laquelle on
ne peut comprendre cette époque. Je ne veux pas nier que la polémique
de l'auteur contre certains écrivains animés par la passion royaliste
ou presbytérienne ne soit çà et là méritoire; que certaines parties de
l'ouvrage, contrairement à d'autres qui contiennent des déclamations
tout à fait déplacées, ne se laissent fort bien lire, et qu'à côté de nom-
breuses erreurs on ne rencontre quelques remarques judicieuses, quoi-
que rarement neuves; mais en somme il est regrettable que tant de
travail et de papier aient été dépensés en pure perte.
A. Stern.
Fontes rerum austriacarum, XXXII und XXXVIII B. DerCongress
von Soissons. Herausgegeben von C. Hœfler. Wien, imprimerie
de Cour et d'État, 4875, 2 vol. 439-437 p.
Ces deux volumes contiennent des documents très-intéressants pour
l'étude d'une des périodes les plus obscures et les plus embrouillées de
l'histoire moderne. C'est le moment où se préparent sourdement les
grandes crises qui éclatèrent à l'avènement de Marie-Thérèse. L'Au-
triche avait retiré de la guerre de succession d'Espagne de très-grands
avantages territoriaux. Elle possédait les couronnes de Naples et de
Sicile, le Milanais et les provinces belges ; mais une préoccupation qui
dominait l'empereur, la nécessité d'obtenir de l'Europe la garantie de
la Pragmatique sanction qui assurait, à défaut d'héritiers mâles, la suc-
cession à la fille aînée, l'entraîna dans des négociations embarrassées.
En 1727 la guerre faillit éclater entre l'Autriche et l'Angleterre au
sujet d'une compagnie de commerce qui s'était formée à Ostende. Dans
l'état troublé de l'Europe d'alors, ce différend en souleva d'autres : la
moindre affaire pouvait allumer une guerre générale. La France offrit
ses bons offices, et par un traité préliminaire, l'Autriche, la France,
l'Angleterre et la Hollande convinrent de se réunir en Congrès à Aix-
la-Chapelle pour régler leurs intérêts respectifs. Aix-la-Chapelle fut
changé pour Courtrai, puis pour Soissons, et c'est là que le Congrès se
réunit le 14 juin 1728. Il fit peu de chose, et bientôt les négociations
se trouvèrent transportées à Paris, où elles se poursuivirent à peu près
.',32 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
exclusivomciil jus(|irà l;i atnchisiuu du traité de Sévillo (9 novembre
1729) qui fut considéré comme la fin du Congrès de Soissons. Ce traité
provoqua des réclamations très-vives de la part de l'Autriche et il s'en-
suivit des uéfiociations qui se terminèrent en 1733 par la fçuerre de
succession de Polo{^ne. Le comte Etienne Kinsky fut adjoint comme
plénipotentiaire au baron Fonseca qui avait pris part aux premières
opérations du Congrès. Il arriva à Paris au milieu de juin 1729.
La correspondance publiée par M. H. commence le 16 juin 1729; elle
se compose des rapports des plénipotentiaires autrichiens, des rescrits
que leur cour leur adressait et des documents annexés à ces différentes
expéditions. Un très-grand nombre de ces documents sont en français.
Les pièces comprises dans la première partie de la publication, celle
qui forme le t. XXXII des Fontes rerum austriacaruni, comprend la
correspondance de la mission autrichienne du 16 juin au 28 décembre
1729, en tout 56 pièces, et des annexes qui s'étendent du 25 février au
20 décembre 1729. La seconde partie, qui forme le t. XXXVIIT des
Fontes, comprend la correspondance de la mission du 2 janvier 1730 au
6 mars 1732, et se termine par le récit de l'audience de congé de Kinsky.
C'est donc l'histoire entière d'une négociation dont M. H. nous donne les
éléments. Il avait eu à sa disposition la correspondance de Kinsky ;
il l'a complétée par des documents tirés des Archives de l'État. La publi-
cation, qui est accompagnée de tables et de répertoires, est précédée
d'introductions historiques développées : xlvu et xxvni pages.
Recueil des Traités et Conventions conclus par l'Autriche avec
les puissances étrangères, par L. de Neumann et A. de Plasson.
Nouvelle suite. Tome I. Vienne, 1877. Imprimerie de la Cour et
de l'État, 8°, xri-46D p.
Le recueil de M. de Neumann est très-connu et justement estimé.
Ce recueil s'était arrêté au t. VI et à l'année 1851. La nouvelle série
qui commence avec ce volume comprendra les traités, conventions,
notes et déclarations contenant des conventions ou les concernant, de 1851
à 1876. Les actes contenus dans ce nouveau volume sont au nombre de
76 et s'étendent du 4 août 1851 au 5 décembre 1857. Ils embrassent
donc la période si intéressante de la guerre de Crimée. M. de Neumann
et M. de Plasson se bornent à publier les pièces après les avoir colla-
tionnées sur les textes authentiques. Ils ne font point de commentaires
historiques. Il suffit d'annoncer ce volume pour qu'il prenne immédia-
tement dans les bibliothèques la place qu'il laissait vide et où il était
attendu.
ARNETH : GESCHICHTE MARIA-THERESU's. 433
Geschichte Maria- Theresia's. Von Alfred RitLer von AiaETii.
Band I-VIII. Wien, ^ 868-77, in-8, Braumuller.
Il y a quatorze ans, M. d'Arneth traçait d'une main ferme, dans la
préface de son premier volume, le plan d'après lequel il se proposait
d'écrire l'histoire de Marie-Thérèse « la plus grande figure de l'histoire
autrichienne » ; il voulait la diviser en 4 parties. En considérant la
masse énorme de matériaux non encore utilisés qui devaient former les
fondements de son œuvre, il doutait s'il pourrait jamais venir à bout
de sa tâche. Cependant trois parties sont déjà complètement traitées ;
le second volume de la ¥ vient de paraître, et l'on peut espérer en voir
la fin pour le centenaire de la mort de Marie-Thérèse. Telle qu'elle est
déjà, cette œuvre est le plus beau monument qui ait été élevé à la
mémoire de l'impératrice, monumentum aère perennius.
Les travaux d'Arneth ont inauguré une ère nouvelle pour les études
historiques en Autriche. Sous Marie-Thérèse avaient été fondées les
Archives de la maison impériale, et dès cette époque, on avait consi-
déré qu'une de leurs principales destinations était de venir en aide aux
recherches des érudits. Mais pendant le long règne de François le"-, et
après lui, tout le temps que dura le ministère du prince de Metternich,
les archives furent étroitement fermées, et les études historiques mises
en suspicion. Lorsqu'on 1821 G. -H. Pertz, au nom de la Société fondée
pour l'étude de l'histoire ancienne de l'Allemagne, chercha à Vienne
des collaborateurs pour la publication des Monumenta Germaniae histo-
rica, le chevalier de Gentz, l'homme de confiance de Metternich, lui
expliqua « que la formation de cette Société ne pouvait être agréable à
l'empereur; qu'elle ne devait pas compter sur son appui; qu'elle ne
se serait jamais vue de bon œil ». On demanda même « à quel but on vou-
lait faire servir l'histoire ». En cette circonstance, il ne s'agissait que du
moyen-àge, et même de la période la plus reculée de cette époque
lointaine; l'étude de l'histoire moderne était regardée comme absolu-
ment subversive. La conséquence d'un pareil système fut de laisser
l'Autriche, en fait d'érudition, loin derrière les principaux États de
l'Europe; aussi les événements les plus importants, les plus grands
personnages de son histoire ne furent-ils connus que d'une façon super-
ficielle. Partout l'on publiait des sources nouvelles, les archives s'ou-
vraient; l'historiographie allemande prenait sous la direction de Ranke
un vigoureux essor; en Autriche seulement l'histoire était sans voix.
Depuis trente ans, les choses ont bien changé. L'Académie des sciences
fondée à Vienne établit une commission d'histoire sous la direction de
laquelle ont été publiés depuis 1848 VA^xhiv fur œsterreichische Geschichte
et depuis 1855 les Fontes rerum austriacarum, Tpuh\ica.t\oo.s qui comptent
aujourd'hui de nombreux volumes et qui renferment les plus précieux
documents. L'histoire moderne donnait encore ombrage; mais depuis
une dizaine d'années les entraves ont été brisées, et les archives autri-
chiennes ont offert aux travailleurs une mine inépuisable.
Hev. Histor. V. 2e F.\SC. 28
/,3'i COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
C'est riionmnir d'Arneth, on sa qualité de directeur des archives de
la maison impiMiale ol de l'État d'Autriche, d'avoir levé l'interdit qui les
frappait, et d'avoir mis à l'entière disposition des érudits les trésors qu'elles
renferment. Il a montré lui-même dans des ouvrages de premier ordre
le parti qu'on en pouvait tirer; tous ses travaux témoignent d'une
méthode sévère à laquelle il avait été initié par son père, l'éminent
numismate Joseph d'Arneth. Ils se recommandent par la sûreté des
informations, l'ahondance des documents inédits qu'il y met à profit, et
dont il a publié les plus importants avec une minutieuse exactitude,
soit parmi les remarques et en appendice, soit en volumes ; enfin par
une mise en œuvre consciencieuse de ces riches matériaux, et une
e.xposition simple, mais claire et pénétrante. Je ne parlerai pas ici de
.ses importants travaux, publiés il y a longtemps déjà, sur le feld-
maréchal Guido Starhemberg et sur le prince Eugène; il considérait
lui-même comme son œuvre capitale l'histoire détaillée de Marie-Thé-
rèse qu'il voulait écrire, et il s'y est consacré avec le plus entier dévoue-
ment, et animé du plus pur patriotisme.
Chaque partie de l'histoire de Marie-Thérèse est féconde en rensei-
gnements nouveaux et importants, en traits qui peignent vivement la
vie et les actes de l'impératrice et de ses contemporains. Dans la première
partie de son règne (1740-48, 3 vol., de 18G3 à 1865), nous voyons la
jeune princesse, héritière d'un trône antique, mais sans armée exercée,
le trésor vide, entourée de vieillards; — tous ses ministres avaient
dépassé soixante-dix ans ou allaient les avoir — lutter pleine de courage
et de résolution contre les ennemis, supérieurs en force, qui attaquaient
de tous côtés ses droits héréditaires, et menaçaient l'intégrité de ses
États. Conseillée par quelques dévoués serviteurs, parmi lesquels le
secrétaire d'État Bartenstein, portée par la fidélité et le dévouement de
ses peuples, soutenue par l'alliance des puissances maritimes, l'Angle-
terre et la Hollande, elle surmonte le péril, et mûrit au milieu de
l'adversité; elle peut enfin mettre sur la tête de son époux, François de
Lorraine, la couronne impériale, et sauver ses États héréditaires, sauf
une partie de ses possessions en Italie et les provinces allemandes de
Silésie et de Glatz.
Ce grand travail fut interrompu par la publication de la correspon-
dance de Marie- Antoinette avec sa mère, ses frères Joseph 11 et Léo-
pold II, documents d'une authenticité absolue, à l'aide desquels
M. d'Arneth renversa tout l'échafaudage des faussaires et la crédulité
des collectionneurs dillettantes, et qui le firent connaître en France de
tous les travailleurs sérieux. Puis vinrent la correspondance de Joseph II
avec Marie-Thérèse et son frère Léopold ( — 1780), avec Catherine II de
Russie; d'autres publications encore, fruits de ses recherches dans les
archives; et quelques années plus tard, celle de la correspondance secrète
entre Marie-Thérèse et le comte de Mercy-Argenteau, si étonnante et si
pleine d'intérêt, qu'il entreprit en collaboration avec M. Geffroy (Paris,
Didot, 3 vol. 1874).
ARNETH : f.ESCHICHTE MARIA-THERESIA's. 435
Avant cette dernière publication, M. d'Arneth avait publié en 1870 la
seconde partie de son histoire : Marie-Thérèse après la guerre de succes-
sion, 1748-56. Dans les précédents volumes, il avait eu plus d'une fois
occasion de remplacer des récits à moitié légendaires par d'autres plus
véridiques ; mais il avait sous la main une très-grande quantité d'ou-
vrages composés par des historiens appartenant à des nations alliées ou
ennemies de l'Autriche. Dans ce nouveau volume, au contraire, il fallut
couper en pleine forêt vierge; aussi est-il infiniment plus instructif.
Pendant ces années de paix, l'impératrice mit tous ses soins à réprimer
les ahus qu'elle avait remarqués pendant les premières années, si cri-
tiques, de son règne, et à augmenter par une organisation nouvelle les
forces de son État. Dans cette œuvre, elle eut pour auxiliaires des
hommes de mérite qu'elle sut choisir, et qu'elle estimait à leur valeur,
le comte Fr.-Guill. von Haugwitz, le comte Fr. Harrach, le comte
Ph. Kinsky. Pour assurer l'unité du gouvernement et centraliser les
forces de l'État, les hauts fonctionnaires furent remplacés, les immu-
nités des États provinciaux réduites, les pouvoirs administratifs et
judiciaires séparés, un code civil et un code criminel rédigés (ils furent
terminés en 1766 et 1768); l'administration financière fut organisée, et
l'armée refaite sur le modèle prussien; en peu de temps l'activité
réformatrice de Marie-Thérèse et de ses ministres se signala dans
toutes les directions, du moins dans les provinces allemandes, car les
Pays-Bas veillaient sur leurs privilèges et les Hongrois résistèrent avec
énergie à toutes les réformes, et persévérèrent dans leur esprit d'isole-
ment à l'égard des projets les plus salutaires de Marie-Thérèse.
Le zèle et le talent déployés par l'impératrice pour l'administration
et la réforme de ses États avaient été reconnus par ses contemporains,
et avaient surtout excité l'étonnement de Frédéric II, qui en a donné
une preuve significative dans la préface de son Histoire de la guerre de
Sept-Ans ; mais les motifs auxquels obéit l'impératrice , les délibérations
qu'elle conduisit, les résolutions auxquelles elle s'arrêta, nous n'appre-
nons tout cela dans le détail que par le livre de M. d'Arneth.
Plus instructifs sont encore les renseignements qu'il nous apporte
sur la politique étrangère de la cour autrichienne. A quelles discussions
ne s'est-on pas livré, jusque dans ces derniers temps, sur l'origine de
la guerre de Sept-Ans ! Aujourd'hui, nous avons les preuves, tirées des
archives autrichiennes, que le but final de toutes les réformes inté-
rieures, comme de la politique étrangère, était de mettre Marie-Thérèse
en état de régler son compte avec la Prusse, et non-seulement de
reprendre la Silésie, mais de ramener la Prusse à l'état d'une princi-
pauté d'empire réduite à l'impuissance. Le comte Kaunitz entra sans
restriction dans ces desseins, s'y incarna pour ainsi dire, et par cette
conduite mérita la confiance illimitée de sa souveraine, dont il resta
jusqu'à sa mort le premier conseiller. L'entreprise paraissait si difficile,
que Marie-Thérèse n'était résolue à la tenter que le jour où les circons-
tances lui promettraient le succès. Pour garantir l'enjeu que risquait
.H3G r.OMPTRS-UKNDUS ClUTiyilES.
rAulnchc, il fallait des* allios puissants; il lui fallait isolor la Prusso.
L'alliance anglaise n'avait pas répondu longtemps aux espérances de
Marie-Thérèse; on ne devait pas s'attendre à ce que l'Angleterre prêtât
les mains à l'anéantissement de la Prusse. L'Autriche pouvait compter
sur les secours armes de la Russie; mais c'est la France (pii devait faire
pencher la balance en sa faveur. Si l'on pouvait amener cette puissance,
iusqu'alors ralliée de la Prusse, non-seulement à consentir à une guerre
contre ce royaume, mais à y prendre part au moins d'une façon indi-
recte par des subsides, et en faisant marcher les principautés d'empire
ses alliées, l'impératrice et son ministre croyaient pouvoir vaincre la
Prusse et relever la grandeur impériale de l'Autriche catholique en
Allemagne sur des bases inébranlables. Nous connaissons aujourd'hui
et les divers articles de ce programme tracé par Kaunitz en 1749, et
approuvé par l'impératrice, et les empêchements qui en entravèrent
l'exécution et maintinrent pendant de longues années encore la cour
impériale dans la vieille ornière de l'alliance avec les puissances mari-
times. Ni comme ambassadeur en France (depuis 1750), ni comme
chancelier d'État (depuis 1753), Kaunitz ne réussit à faire faire un pas
à l'alliance française,jusqu'au jour où la guerre éclata entre l'Angleterre
et la France, et brisa le lien qui unissait l'Autriche à l'Angleterre.
Alors on reprit les projets ajournés depuis des années, et en août 1755
des néo-ociations en vue d'une alliance offensive furent entamées avec
la France. Nous savions depuis longtemps — et les historiens français
nous renseigneront là-dessus, il faut l'espérer, avec plus de précision
encore, à l'aide des papiers de Bernis — quelles discussions orageuses et
quelle vive opposition les offres de l'Autriche excitèrent dans le conseil
de Louis XV ; mais combien la marquise de Pompadour se donna de
peine pour les faire accueillir, et quelle part décisive elle prit à la
conclusion de l'alliance, c'est M. d'Arneth qui nous l'apprend, de la
manière la plus précise, d'après les papiers du cabinet autrichien. La
cour de Vienne se croyait si bien sûre de son affaire, qu'elle pensait
déjà en 1756 à déclarer la guerre à la Prusse avec une armée autri-
chienne de 80,000 hommes, et une armée russe de 60 à 70,000 hommes.
Cependant la signature du traité fut ajournée; la cour de Versailles
n'était pas si fort disposée à une entente parfaite qui aurait pour résul-
tat le bouleversement de ses relations avec l'Allemagne et le démem-,
brement de la Prusse. Le traité du \^'^ mai 1756 établissait une alliance
plutôt défensive, et réservait la question d'un plus complet accord.
L'Autriche elle-même était encore en retard pour ses préparatifs de
guerre. C'est pourquoi la marche déjà commencée des Russes vers leur
frontière occidentale fut arrêtée et le début des hostilités fixé au prin-
temps de l'année 1757. Tel était l'état des choses lorsque Frédéric II
devina le péril qui le menaçait, et tira l'épée en août 1756, poussé par
« la nécessité de prévenir des complots qui deviendraient plus dangereux
de jour en jour, si l'épée ne tranchait ce nœud gordien, lorsqu'il en est
temps encore ».
ARNETH : GESCHICHTE MARIA-THERESIA''s. 437
Cinq ans plus tard, parut la 3e partie : Marie-Thérèse et la guerre
de Sept-Ans (2 vol. 1875). Ce n'est pas le récit des faits militaires qui
tient ici la plus grande place; c'est le rôle personnel qu'y joua l'impéra-
trice, ses efforts pour organiser l'armée, ses relations avec les généraux;
c'est la position du conseil aulique de la guerre (Hofhiegsrath) ; c'est
la poursuite des négociations entamées par le cabinet autrichien. L'au-
teur a peint en traits vivants la persévérance et l'opiniâtreté de Marie-
Thérèse; les frottements intérieurs et les résistances qui affaiblirent
l'action autrichienne et la coopération des alliés, et permirent au génie
et à la fermeté de Frédéric le Grand de sauver l'intégrité de ses
États.
La 4e partie enfin comprend les dernières années du règne de Marie-
Thérèse (1763-80). Elle comptera 4 volumes; deux ont déjà paru à
court intervalle (1876 et 1877). Dans cette dernière période de sa vie,
l'impératrice ne forma plus de grands projets comme ceux qui avaient
auparavant rempli son esprit. Elle accepta comme un jugement de Dieu
l'arrêt prononcé par les événements dans la longue et fatale guerre avec
la Prusse; elle mit tous ses soins à maintenir la paix, à panser les
blessures que la guerre avait faites, à reprendre avec calme l'œuvre des
réformes commencée auparavant, à établir sa famille. Kaunitz resta
près d'elle avec une fidélité et undévouement ininterrompus. Au début,
son mari, l'empereur François I", l'aida aussi pour sa part, surtout en
matière de finances; en général, d'ailleurs, l'action de ce dernier dans
le gouvernement fut plus importante qu'on ne l'avait admis jusqu'ici.
Après sa mort (1765) l'empereur Joseph II devint corégent à côté de sa
mère, situation qui devint pour l'un et l'autre difficile et pénible ; car
le sang ardent du Lorrain bouillonnait dans les veines de l'empereur,
et toute sa piété filiale pouvait à peine le plier à suivre la politique
réfléchie et circonspecte de sa mère vieillissante. Il brûlait du désir
d'entreprendre à l'intérieur d'énergiques réformes et à l'extérieur de
poursuivre par tous les moyens possibles les avantages de l'Autriche.
Sur tous ces points se produisirent des tiraillements qui préparèrent à
Marie-Thérèse des chagrins nombreux, et, dans la politique autrichienne,
de grandes oscillations; car tandis que pour l'administration et la justice
l'impératrice s'en tenait opiniâtrement aux principes qu'elle avait mis
elle-même en pratique, pour la politique étrangère, la fougue de son fils
l'entraîna souvent, contre sa volonté et contre ses convictions. Cette
peinture des relations personnelles entre la mère et le fils, deux carac-
tères si remarquables, donne aux derniers volumes de M. d'Arneth un
intérêt tout particulier.
Lele^'vol. decette série est spécialement consacré aux affaires intérieures
et à la maison impériale. Il traite du relèvement du crédit de l'État,
ébranlé par les dépenses de la guerre; de l'armée; des nouvelles, mais
infructueuses négociations . avec la dicte hongroise; de l'introduction
dans les services publics d'éléments plus jeunes, ce qui amena Kaunitz
à offrir sa démission; mais Mario-Thérèse ot l'empereur s'unirent pour
53S COMPTES-llENnUS CIUTIQUES.
vaincre l'onibrapoiiso susceptibilité ûo leur ministre. Il nous introduit
particulièrement dans la famille impériale ; les fils, filles et gendres de
Marie-Thérèse nous sont montrés dans des tableaux pleins de vie dont
les traits ont été fournis à l'auteur par les rapports des ambassadeurs,
les papiers de famille et les correspondances confidentielles. Les inquié-
tudes et les sentiments maternels de l'impératrice se manifestent dans
les instructions où elle conseille ses filles; mais ce qui jette une
ombre sur ses dernières années, c'est qu'une seule de ses filles, l'archi-
duchesse Marie, fut heureuse avec l'époux de son choix, Albert de
Saxe, tandis que la politique, qui l'avait poussée à disposer de la main
des autres, ne leur avait pas apporté le bonheur. Joseph II non plus
ne fut pas heureux dans son second mariage. M. d'Arneth consacre un
excellent chapitre à sa première femme, si aimable et si bien douée,
Isabelle de Parme, petite-fille de Louis XV, et nous fiait comprendre
combien la famille impériale eut raison de regretter Ja mort prématurée
de cette princesse.
Le dernier volume, qui vient de paraître, concerne les affaires étran-
gères, parmi lesquelles le démêlé turco-polonais, le premier partage de
la Pologne et la guerre turco-russe de 1768-1774 tiennent le premier
rang. Ici M. d'Arneth met tous ses soins à suivre dans le détail la
marche de la politique autrichienne et à fixer avec précision la part
qu'y prit Marie-Thérèse. Il montre avec une grande finesse les diffé-
rences capitales qui séparaient les convictions de l'impératrice et les
vues de son chancelier d'État, celles surtout qui séparaient Marie-
Thérèse et Joseph II. Sur ce sujet, et dans le sens autrichien, le travail
était déjà fort préparé, en partie par les correspondances publiées par
M. d'Arneth lui-même, en partie par les documents publiés par M. Adolf
Béer; mais c'est encore M. dArneth qui, le premier, a apporté dans
cette partie une clarté et une précision parfaites, à l'aide de textes nou-
veaux et importants, tirés surtout des papiers du cabinet impérial.
Nous voyons aujourd'hui de la façon la plus évidente après quelles
résistances et avec quel déplaisir Marie-Thérèse a prêté les mains aux
efforts de Joseph II pour démembrer la Pologne et pour enlever à la
Turquie une partie de la Moldavie. Le livre se termine par les conven-
tions signées en 1776, qui fixèrent les limites des provinces acquises à
l'Autriche, la Gallicie et la Bukovine. Le volume suivant exposera les
mesures prises pour secourir ces pays arrachés à la mauvaise adminis-
tration turque ou polonaise, et dont l'état misérable, au dire de Joseph II,
appelait depuis longtemps un autre maître ; de même aussi les réformes
entreprises simultanément dans les autres provinces de la monarchie.
M. d'Arneth n'attache pas seulement le lecteur par une exposition
lumineuse; il le gagne en indiquant et en pesant en toute conscience les
raisons qui permettent d'établir les faits et d'apprécier les personnages.
On ne met jamais en doute sa loyauté ni sa sincérité, même quand on
n'adhère pas à ses jugements.il écrit d'après les actes autrichiens et au
point de vue autrichien, avec des sentiments d'amour et de respect pour
SYBEL : HISTOIRE DE l'eUROPE PENDANT LA RE'vOLUTION. ■'«39
Marie-Thérèse, avec un chaud patriotisme. Il ne s'aveugle pourtant pas
sur les faiblesses de l'impératrice et sur les fautes de son règne. Il lui
reproche par exemple son étroite dévotion, et ne méconnaît pas les
imperfections du système bureaucratique de l'époque; mais il accentue
fortement son blâme contre les .ennemis de sa souveraine, non sans se
laisser influencer malgré lui par les animosités du moment présent, ainsi
quand il en vient à parler des refus inébranlables que la Hongrie opposa
à toute réforme, et de ses menaces de séparatisme, et dans le jugement
amer et à mon sens injuste qu'il porte sur Frédéric le Grand. Mais il
a déjà montré qu'il sait honorer l'opinion loyale d'un adversaire,
même sur des points où il est en désaccord avec lui. Gomme membre du
Parlement autrichien, comme directeur des archives impériales et comme
écrivain, il est resté résolument fidèle aux principes qu'il exprimait en
janvier 1849 en qualité de délégué à l'Assemblée nationale allemande
de Francfort : « S'il était réellement impossible de créer un lien intime
entre l'Autriche et l'Allemagne, c'est-à-dire en faisant entrer l'Autriche
dans la fédération allemande, alors, Messieurs, notre plus sacré devoir
serait de tout mettre en œuvre, vous en Allemagne et nous en Autriche,
afin de sceller aussi étroitement que possible l'alliance qui doit unir"
indissolublement les deux pays, et qui les unira indissolublement à leur
commun avantage; puis, ce sera notre plus sacré devoir de travailler
à faire cesser la division qui menace aujourd'hui de séparer les deux
pays, à empêcher que la division s'accentue jamais au point d'amener
une irréparable séparation. »
Arnold Schaefer.
Histoire de l'Europe pendant la Révolution française, par H. de
Sycel, traduit par M'"= Marie Bosquet, tome III. Paris, Germer
Baillière. ^ vol. in-8°, 532 p.
La guerre avait interrompu l'édition française de l'histoire de M. de
Sybel. Il eût été très-fâcheux que cette publication ne fût pas continuée,
et nous devons savoir gré au traducteur et à l'éditeur de l'avoir reprise.
Il est nécessaire en effet de mettre à la portée du grand public un des
ouvrages qui permettent le mieux de juger comment le parti national-
libéral qui prétend diriger la révolution allemande juge la révolution
française. M. de Sybel a trouvé en Allemagne des contradicteurs ardents,
comme l'Autrichien M. de Vivenot, et des critiques d'une grande com-
pétence, comme M. Hermann Hufîer. Mais les discussions élevées en
Allemagne au sujet du livre de M. de Sybel portent surtout sur la
politique des puissances allemandes. En ce qui concerne l'histoire inté-
rieure de la France, M. de Sybel a trouvé dans son pays moins de
contradicteurs ; ce qui s'explique aisément. Cette partie est à coup sur
la moins bonne de son livre : il y a à la fois de la passion et de l'esprit
de système dans la manière dont il voit, présente et juge les affaires de
la France. Un Français— admirateur quand même de toutes les choses
et de tous les hommes de la Révolution, en est très-légitimement indi-
' •'• COMPTKS-IIKMHIS ClimQdES.
iiiu'. Le Kranoîiis (|ui poric lo ju^.Mmnit le plus défragù sur la Révo-
lution ot. les ivvolutionnairos so ivncontrc raremont, avec M. do Sybel.
S'ils sont ])arfois d'accord pour condamner ou hlâmor un même fait ou
un mémo homme, ce n'est point pour los mémos motifs. Tout? compte
fait cependant, on trouve dans ce volume moins de parti-pris que dans
los doux précédents : il en résulte que los incontestables qualités qui
ont tait la réputation de M. de Sybel se manifestent d'une manière
beaucoup plus intelligible pour le public français. Je n'ai point l'inten-
tion d'entrer ici dans l'examen de ce livre : des discussions spéciales
m'entraîneraient beaucoup trop loin. Je me propose d'ailleurs de
revenir ici-méme et on détail sur l'une des parties les plus impor-
tantes de ce volume : la paix.de Bàle. L'affaire de l'évacuation
de la Belgique et l'histoire des essais de négociation entre l'Au-
triche et la France forment deux chapitres très-intéressants. Ces
chapitres ont donné lieu en Allemagne à des discussions approfondies.
Les travaux critiques de M. Hermann Hùffer sur ces deux questions
me paraissent ce que l'on a écrit de plus complet et de plus remarqua-
ble. J'y renvoie le lecteur. Il est indispensable de lire M. Hùffer après
M. de Sybel : autrement on s'expose à de très-fàcheuses méprises sur
l'état des études en Allemagne et sur l'esprit qui y dirige la critique.
Je me bornerai à de très-courtes citations qui me paraissent propres à
faire ressortir le caractère de l'œuvre de M. de Sybel. Il dit, par
exemple (p. 5), comparant l'état de la France en 1794 à l'état des mo-
narchies coalisées : « Toutes les factions étaient unies dans le désir
patriotique de vaincre l'Europe ; toutes les discordes , toutes les
cruautés, toutes les colères, toutes les illégalités, toutes les cupidités
semblaient maintenant ne s'employer qu'au profit des armements.
Tandis que les monarques absolus de l'Europe s'inquiétaient avec solli-
citude de la prospérité et des vœux de leurs peuples, le gouvernement
démocratique poursuivait sa route, écrasant sans pitié dans sa marche
hardie tous les obstacles qui lui barraient le passage. » M. de Sybel
serait, je le crains, bien embarrassé s'il lui fallait justifier par des faits
cette surprenante assertion qu'en 1794 « les monarchies absolues s'in-
quiétaient avec sollicitude do la prospérité et des vœux de leurs peuples. »
A coup sûr, quand on lit son livre, on n'y trouve nulle part la moindre
trace de cette solUcitude, et on y voit au contraire se manifester à chaque
page l'incapacité, l'égoïsme et la corruption de ces gouvernements
sans principes et sans idées ; ils ne parvenaient môme pas à s'accorder
pour combattre cette révolution qu'ils rêvaient d'écraser sans parvenir
à la définir et à la comprendre. M. de Sybel a voulu non-seulement
ramener la révolution française à la mesure des événements généraux
de l'histoire — en quoi il a eu raison; mais il a prétendu en réduire
l'importance — en cela il entrait dans le système. Il est tombé dans
le paradoxe lorsqu'il a tenté d'opposer à cette révolution rabaissée
une Europe monarchique supérieure à la fois par l'élévation des prin-
cipes et la moralité des actes. La coalition explique par chacun do ses
actes la déroute et l'impuissance finales par lesquelles elle succombe.
SYBEL : HISTOIRK DE l'eUHOI'E PENDANT LA RE'vOLUTION. 441
Les mêmes inconséquences se retrouvent dans les petits côtés de l'ou-
vrage. Je lis (p. 313) à propos de Madame Tallien : « Elle était bonne
et sensible, mais son esprit était peu remarquable et ses mœurs nulle-
ment sévères; on doit regarder comme un signe caractéristique de
l'abaissement auquel Robespierre avait réduit la France qu'une telle
femme ait pu y jouer un rôle politique. » Il serait en vérité peu délicat
de retourner cette phrase et, remplaçant le nom de Notre-Dame de
Thermidor par des noms de comtesses bien connus alors à Berlin,
d'en conclure à l'abaissement auquel Frédéric-Guillaume II avait
réduit la Prusse. Il me suffit d'en appeler aux curieux articles de
M. Karl Hillebrand sur la société de Berlin {Revue des Deux-Mondes ,
1870). Il ne faudrait cependant pas conclure de là que ce plan très-
arrêté de dénigrement de la Fance et d'apologie de la coalition ait
conduit M. de Sybel à faire une œuvre absolument partiale et pas-
sionnée. Ce serait une erreur, et si j'insiste sur les critiques, c'est que
la réputation de ce livre étant faite, il est inutile d'en signaler les qua-
lités et qu'il convient d'en indiquer les défauts. Si M. de Sybel dans le
tableau qu'il trace des armées françaises (Livre IX, ch. i) me paraît
avoir méconnu ce qu'elles renfermaient d'héroïsme noble, de patrio-
tisme élevé, de désintéressement, de discipline et de vertus militaires;
s'il a, en constatant leur puissance, rendu lui-même cette puissance
à peu près inexplicable, il nous montre très-bien les causes de désor-
ganisation des armées alliées (p. 253). La démoralisation y régnait, les
chefs étaient ignorants, les soldats insubordonnés; les officiers « ne
s'inquiétaient nullement des devoirs de leur position ni du bien des
soldats, ils vivaient dans les orgies et les plaisirs et donnaient le plus
mauvais exemple aux troupes par leur propre indiscipline et leur liber-
tinage. Il arrivait souvent lorsque les régiments se mettaient en marche
le matin, que les officiers restaient à boire dans quelque cabaret; puis,
vers midi, ils rattrapaient à toute bride la colonne, devant laquelle ils
passaient à demi-ivres en criant et en chantant, à la grande indigna-
tion des soldats ! « Ces soldats pillaient et saccageaient. Il en résultait
que les habitants, poussés à bout, comme les Belges, par la licence des
Anglais (on devrait ajouter: et surtout par celle des Allemands) « appe-
laient de leurs vœux l'arrivée des Français, desquels ils espéraient leur
délivrance, et qui devaient les venger d'alliés détestés. » Enfin, et pour
conclure, voici comment M. de Sybel nous peint l'état de l'Allemagne
et l'état de la France au moment de la paix de Bâle, à la suite de ces
guerres où les Français n'auraient été que les instruments barbares
d'une tyrannie sauvage et où les souverains alliés auraient montré une
sollicitude si éclairée pour leurs sujets : « Après avoir, pendant trois
années de guerre, mis à peine 20,000 hommes sur pied en dehors des
mercenaires payés par l'Angleterre, et après avoir tout récemment
humblement exprimé ses désirs de paix, l'empire d'Allemagne n'avait
plus aucun droit à se plaindre de la négociation de Bàle. On aurait
d'ailleurs cherché vainement alors en Allemagne le moindre sentiment
t'i2 OOMPTES-RENDUS CRITIQDES.
uiUioual; la justice lîistoriqiio no sauraitdonc permetlro déjuger les
actes des négociateurs do Bàle ou ceux de l'empereur François d'après
les principes d'une politique nationale qui n'existait plus nulle part.
On peut donc déclarer et répéter qu'en adoptant le système du comte
de Haugwitz, la Prusse ne commettait point de trahison ; mais il est
vrai aussi qu'elle se condamnait à une entière nullité politique »
(p. 3S0). Et en regard ce tableau de la France à la même époque
(p. 365) : « La France était alors dans tout l'essor du progrès et du
triomphe. L'indépendance de ce pays était sortie victorieuse d'une lutte
terrible, le respect de l'Europe lui était plus assuré qu'il ne l'avait été
dans tout le cours du xvni" siècle. »
Albert Sorel.
Œsterreich und Preussen im Befreiungskriege, par Wilhelm
Oncken. Bd. L Berlin, Grote, ^876.
La « guerre de délivrance », pour les Allemands, c'est la guerre de
1813. Le rôle de la Prusse dans cette guerre commence à être bien
connu; celui de l'Autriche l'était moins. M. Oncken a entrepris de le
faire connaître. Les archives de Berlin lui ont communiqué d'impor-
tants documents ; celles de Vienne lui ont été ouvertes avec cette libé-
ralité dont M. d'Arneth et ses collaborateurs ont déjà donné tant de
preuves. Il résulte, pour M. Oncken, des documents qu'il a eus
entre les mains que les négociations de paix entamées par l'Autriche
dans les premiers mois de 1813, sous le couvert d'une médiation, ont
été, au point de vue allemand, mal jugées et condamnées à tort. L'Au-
triche, en réalité, s'était entendue avec la Prusse dès l'automne de 1812,
et a exercé, secrètement il est vrai, la plus grande influence sur la poli-
tique prussienne. Personne plus que Metternich n'a travaillé à organiser
contre Napoléon la coalition formidable qui se déclara après le con-
grès de Prague et qui entraîna la chute de l'empire français. M. Oncken
trouve que l'Autriche et l'Allemagne, après avoir enterré tant de vieilles
querelles, doivent faire aussi la paix à propos de « la guerre de déli-
vrance ».Le moyen de les y décider, c'est de leur présenter sincèrement
la vérité des faits. Tel est l'objet que se propose M. Oncken dans l'ou-
vrage dont il vient de publier le premier volume. Ce volume comprend
l'histoire des relations de l'Autriche et de la Prusse, et de leur politique
respective à l'égard de la France, de la Russie et de l'Allemagne depuis
le mois de novembre 1812 jusqu'au mois d'avril 1813. Le chapitre I
expose la situation des deux puissances allemandes au moment du
désastre de la grande armée. Le chapitre II rapporte, d'après des docu-
ments autrichiens entièrement nouveaux, les négociations entre Napoléon
et l'Autriche au mois de janvier 1813. Le chapitre IIl est consacré aux
négociations qui suivirent la convention de Tauroggen (30 décembre
1812) qui fut le premier acte de la défection de la Prusse, et précédèrent
ONCKEN : OESTERREICH UND l'REUSSEN IM BEFREIDIVGSKRIEGE. 443
la convention de Zeycz (30 janvier 1813) qui fut le premier acte de la
défection de l'Autriche. Le chapitre IV raconte avec beaucoup de détails
la mission du général Knesebeck à Vienne au mois de janvier 1813.
Cette mission dont il a été souvent parlé, mais dont personne n'avait
parlé avec autant d'abondance et de certitude que M. Oncken, avait
pour objet d'amener une entente entre l'Autriche et la Prusse au sujet
des alliances qu'elles méditaient l'une et l'autre avec la Russie. Le
chapitre V fait connaître les dispositions et la situation de la Prusse au
moment où elle va consacrer sa défection et traiter avec la Russie
(février 1813). Le chapitre VI fait connaître l'état des relations de l'Au-
triche et de la Russie à la même époque. Le chapitre VII expose les
négociations du traité de Kalisch (28 février 1813) entre la Prusse et la
Russie. Le chapitre VIII, qui est le dernier du volume, est consacré au
soulèvement de l'Allemagne et à la politique de l'Autriche, de la Russie
et de la Prusse dans les affaires allemandes. Le récit de M. Oncken est
écrit avec clarté et composé avec méthode : il est fort intéressant d'un
bout à l'autre. M. Oncken cite ses sources lorsqu'il puise dans les livres,
et ses textes lorsqu'il puise — et c'est le cas le plus fréquent — dans
des documents inédits. Ces citations — tant dans le corps du récit que
dans les notes — sont fort abondantes. De plus M. Oncken a publié en
appendice 29 documents qui sont pour la plupart du plus haut intérêt :
ils sont tous empruntés aux archives de Vienne. M. Oncken n'a pas
publié en entier les documents des archives de Berlin dont il s'est servi,
parce qu'on prépare en Prusse un recueil de pièces relatives à la poli-
tique prussienne de 1813 à 1815.
Dans le temps même où M. Oncken faisait paraître son premier volume,
M. Martens publiait à Pétersbourg un exposé des rapports de l'Autriche
et de la Russie en 1812 et 1813 (Recueil des traités de la Russie avec
l'Autriche, tome III), et M. de Prokesch Osten publiait à Paris le tome I
de la correspondance de Gentz avec les hospodars de Valachie, qui est
consacré en grande partie à cette même période. Gentz écrit une apo-
logie de Metternich, M. Martens expose les faits au point de vue russe,
M. Oncken les expose au point de vue allemand. Ces trois ouvrages se
complètent l'un l'autre, ils ne se contredisent pas, et la comparaison du
récit de M. Oncken avec les notices de M. Martens et les documents
qu'il publie fait grand honneur à la méthode suivie par l'historien russe
et l'historien allemand. Je ne me propose point ici de résumer le livre,
si nourri, de M. Oncken : il me suffit de le signaler à l'attention des
hommes d'étude. Je ne chercherai pas non plus à savoir si le livre de
M. Oncken est bien propre à « enterrer les vieilles querelles » de l'Au-
triche et de l'Allemagne sur ces événements de 1813. M. Oncken montre
bien clairement, plus clairement que personne, sauf M. Martens, que
l'Autriche a joué Napoléon, trahi l'alliance française et participé par
conséquent, en fortifiant la coalition, à «la délivrance» de l'Allemagne;
mais dans quelle mesure a-t-elle servi les intérêts nationaux de l'Alle-
magne? Y avait-il alors, en dehors de quelques penseurs et de quelques
444 . r.OMI'TKS-UKNDI s ClUTIyilKS.
])()liti([iios isoli's, un seul Etal allemand qui eût un sentiment net des
intérêts de l'Allemagne et servit sincèrement la cause allemande? La
Prusse et l'Autriche pensaient surtout à elles-mêmes; ont-elles, en
servant leurs propres intérêts, servi l'intérêt général de rAUemagne?
laquelle des deux la le mieux compris et le mieux servi? Ce sont des
([uestions que je pose ici sans vouloir les résoudre : il appartient sur-
tout aux Allemands de se prononcer en pareille matière, et, dans tous
les cas, je ne voudrais pas risquer un jugement avant de connaître la
suite de l'ouvrage de M. Oncken et ses conclusions. On peut, d'après
les considérations qui terminent le premier volume, prévoir que ces
conclusions seront assez sévères pour les deux grandes puissances alle-
mandes. M. Oncken fait de sérieux reproches aux négociateurs prus-
siens du traité de Kalisch, notamment en ce qui concerne la ligue de
la Vistule, ce desideratum de Knesebeck et des patriotes prussiens; il
fait des reproches plus graves encore aux hommes d'Etat autrichiens et
prussiens en ce qui concerne leur conduite à l'égard de l'Allemagne.
« En fait, dit-il, et dès le mois de mars 1813, on avait décrété dans le
mystère des cabinets que l'Allemagne n'aurait pas de constitution,
avant même que l'on eût sérieusement discuté un seul projet de cons-
titution. »
C'est surtout dans les chapitres qui traitent des rapports de l'Autriche
avec Napoléon que le livre de M. Oncken est intéressant pour nous.
M. Oncken rapporte dans sa préface une parole de Gneisenau après la
bataille de Leipsig : « La postérité sera surprise quand elle connaîtra
l'histoire secrète de cette guerre. » Gentz aussi dit quelque part que la
politique de l'Autriche à cette époque est « une énigme indéchiffrable
pour le public. » M. Oncken peut se flatter d'avoir beaucoup aidé les
curieux à déchiffrer l'énigme. Je dois dire cependant que les contempo-
rains éclairés et attentifs se rendirent parfaitement compte du but que
poursuivait Metternich ; ils ignoraient le détail des faits, et, faute de
documents, ils risquaient de se tromper sur bien des points ; mais ils
avaient sur l'ensemble un sentiment assez exact. M. Oncken dit dans
sa préface : « Le sens et la marche de la négociation de paix de l'Au-
triche a été jusqu'ici jugée et condamnée exclusivement d'après des
publications napoléoniennes; elle apparaît enfin sous sa forme vraie et
primitive, dans son ensemble logique et politique. » Il faut expliquer
ces paroles; car il y a ici des nuances qui sont assez difficiles à saisir.
Quand M. Oncken dit que la politique de l'Autriche a été méconnue,
il fait, je crois, allusion surtout au jugement que l'on est induit à porter
après avoir lu le tome XV de V Histoire du Consulat et de l'Empire : il
résulte, en effet, du récit de M. Thiers que dans ces négociations de
1813 Metternich se soucia médiocrement de l'Allemagne, songea sincè-
rement à s'entremettre pour la paix, donna à Napoléon « d'admirables
conseils », que Napoléon eut le tort de ne pas les apprécier, et que si
l'Autriche passa aux ennemis de la France, la faute en est surtout à
l'empereur qui lui facilita, par son orgueil et son aveuglement, le chemin
ONCKEN : (ESTERllEICB UNI» l'REDSSEN IM BEFREIUNGSKRIEGE. 445
de la défection; d'après M. Thiers,Metternich aurait été haltile, modéré
et relativement loyal. M. Oncken voit les choses à un tout autre point
de vue et il résulte de son livre avec la dernière évidence que Metternich
ne négociait avec Napoléon que pour la forme et qu'il n'avait qu'un
objet : « préparer sous le manteau d'une négociation pacifique une coali-
tion générale contre Napoléon », coalition dans laquelle l'Autriche pren-
drait le rôle dominant. Il est évident que le livre de M. Oncken et
surtout les documents qu'il publie, modifient singulièrement, sinon
le fond et les grandes lignes, au moins certaines couleurs et certains
traits principaux du tableau peint par M. Thiers. Si l'on veut
admirer Metternich, en cette négociation, il n'est plus possible de le
faire pour les motifs présentés par l'historien français. Chose singulière :
M. Thiers et M. Oncken se proposent l'un et l'autre de faire ressortir
ce qu'il y a eu d'habile et d'intelligent dans la politique de l'Autriche
en 1813; mais ils se contredisent dans l'exposé des faits et ils attachent
aux mêmes mots un sens absolument différent. Au contraire un autre
historien français, Arm. Lefebvre, qui a composé son Histoire des Cahinels
à peu près exclusivement avec les documents contemporains, et qui a
fait, bien que moins complètement, aux archives des affaires étrangères
françaises, un travail analogue à celui que M. Oncken a fait aux archives
de Vienne et de Berlin, arrive à juger très-sévèrement la conduite de
l'Autriche et de Metternich : sa conclusion est très-différente de celle
de M. Oncken ; leurs points de vue sont très-opposés : M. Oncken est
tout allemand et M. Lefebvre tout français; mais sur les faits ils s'ac-
cordent presque toujours, et les découvertes de M. Oncken éclairassent,
complètent et fortifient le récit de Lefebvre, ils ne le contredisent pas
et ils n'en modifient ni le fond ni les traits essentiels. Je n'insis-
terai pas davantage; j'ai essayé dans une étude récemment publiée de
préciser les faits qui résultent tant du livre de M. Oncken, que de celui
de M. Martens et des dépèches de Gentz ^ ; je me suis efforcé de pré-
senter ces faits sous les rapports qui m'ont paru les plus justes et de
résumer cette négociation de 1813 telle qu'elle résulte des publications
nouvelles faites en Russie et en Allemagne. Je ne doute pas que le
second volume de M. Oncken ne nous apporte sur le congrès de Prague
des éclaircissements aussi précieux que ceux que nous donne le premier
volume sur les événements des premiers mois de 1813.
Albert Sorel.
1. Revue des Deux -Mondes du 15 décembre 1876 : Un confident du prince de
Metternich.
•UB KBCUEIL8 PERIODIQUES.
RECUEILS PERIODIQUES ET SOCIETES SAVANTES.
I. — Revue des Questions historiques. Cet. 1877. — Viqouroux. Les
juges d'Israël (d'Abimelcch à Samuel. M. V. a raison de ne pas accep-
ter l'explication mythique de l'histoire de Samson, mais tort d'accor-
der un caractère strictement historique à un récit qui a tous les carac-
tères de la légende). — Ghamard. De l'immunité ecclésiastique et mo-
nastique (M. Ch. combat ce que M. Boutaric a écrit sur les immunités
ecclésiastiques à l'époque mérovingienne ; il donne des détails intéres-
sants sur l'origine des juridictions ecclésiastiques et des prétentions
des monastères à l'autonomie; mais il ne paraît pas au courant de la
question traitée par M. Boutaric et de la différence qui existe entre les
juridictions ecclésiastiques et les immunités accordées par les rois
mérovingiens et carolingiens aux monastères et aux églises, immunités
qui furent une des origines de la féodalité; quant aux revendications
embrouillées de M. Ch. en faveur des droits temporels et judiciaires de
l'Église considérée comme un pouvoir supérieur à l'État, nous n'avons
pas à les apprécier ici et elles ne sont pas à leur place dans une revue
d'histoire). — Legoy de la Marche. Saint Louis, sa famille et sa cour
(anecdotes très-piquantes tirées principalement du recueil d'Etienne de
Bourbon dont M. Lecoy prépare une édition pour la Société d'histoire
de France). — Loth. L'auteur de l'Imitation (appuyé sur un nouveau
ms. provenant de l'abbaye de Saint-Paul-de-Rougeval, M. L. revient
avec force sur les excellents arguments qu'il a déjà donnés contre l'at-
tribution de l'Imitation à Gerson ou à Thomas a Kempis.) — Mury.
Le nombre des chrétiens, de Néron à Commode (combat et à notre
sens avec raison les auteurs qui réduisent à peu de chose le nombre
des chrétiens dans les deux premiers siècles de l'ère chrétienne, mais
il a le tort de brouiller les époques et d'appliquer à la fin du premier
siècle ce qui n'est vrai que du second). — Cherbonneau. Le royaume
de Tlemcen et les émirs Beni-Zeiyan. = Dans le Bulletin bibliogra-
phique nous ^trouvons des comptes-rendus sur les ouvrages suivants :
la Bible et les découvertes modernes en Egypte et en. Assyrie, par F. Vigou-
roux; saint Ennemond, évêqiie de Lyon, par J. Condamin; Vie intime
de saint Anselme, p. Ragey; Histoire des prêtres du Sacré-Cœur
de Marseille (1732-1831) ; Barthélémy de Vir, évêque de Laon, par A. de
Florival; la Saint -Barthélémy à Rouen, par le vicomte d'Estaintot;
Pierre d'Aigrefeuille, évêque d'Avignon, par J. Albanès; Chroniques de
l'abbaye de Beaumont-lez-Tours, publ. par Ch. de Grandmaison; His-
toire de l'abbaye de Choques, p. l'abbé Robert; Daouîas et son abbaye, p.
0. Levot; Notice sur saint Marcoul de Corbeny, p. E. de Barthélémy;
RECUEILS I'E'rIODIQUES. '«47
Origines du prieuré de N.-D. de Paraij-le-Monial, p. M. Canat de Chisy;
Correspondance de D. Jean Colomb, publ. p. A. Brière ; Recherches sur les
établissements hospitaliers de Saint-Omcr, p. Deschamps de Pas; Histoire
de la Fer té-Bernard, p. L. Charles; la Franche-Comté et le pays de Mont-
béliard, p. A. Castan; Documents historiques sur le Tarn-et-Garonne, p.
F. Moulenq ; Une vieille généalogie de la maison de Wavrin, publ. par
F. Brassant.
II. — Bibliothèque de l'École des chartes, 3« et 4« liv., 1877. —
L. Delisle. La Bibliothèque nationale en 1876 (le t. XI du catalogue
de l'histoire de France est sous presse; les tables alphabétiques qui
rempliront deux vol. sont en préparation. Parmi les mss. acquis en
1876, signalons deux registres de bulles pontificales dressés à Avignon
de 1599-1603 et de 1664-1667, neuf chartes originales de Gluny, la cor-
respondance du maréchal de Bezons et pièces sur la guerre d'Espagne
en 1708 et 1709, les procès-verbaux des assemblées de convulsionnaires
de 1732-1768; quatre volumes de documents relatifs aux. contestations
de la France avec le Saint-Siège, de 1805-1807; la valeur de 140 vol. de
copies de documents vénitiens relatifs aux affaires de France. Le clas-
sement des papiers de Joly de Fleury est achevé, ainsi que le catalogue
des manuscrits espagnols; sur les 113 volumes de lettres adressées à
Golbert, 45 sont inventoriés.) — Mas Latrie. Jacques II de Lusignan,
archevêque de Nicosie et ses premiers successeurs (1456-1484). — J.
Havet. Les cours royales des îles normandes (suite ; M. H. passe en
revue les membres des cours royales, les jurés, et les francs-tenants
de la couronne qui, au xni« et au xiv« siècle, faisaient aussi partie de
la cour ; il étudie ensuite les officiers des cours royales, les officiers de
la couronne, les avocats, les greffiers, le vicomte et les dénonciateurs,
les prévôts, les sergents, bordiers, hallebardiers et exécuteurs; cette
étude très-minutieuse est du plus grand intérêt pour l'histoire des ins-
titutions juridiques). — Bémont. Testament de Simon de Montfort,
comte de Leicester (Bibl. nat. n" 1188 de Clairembault). = Dans la
bibliographie nous trouvons un important article de M. Soury sur la
brochure d'E. de Liithgen, Die Quellen und der historische Werth cler
frxnkischen Trojasage, et dans la chronique une analyse du mémoire
de M. L. Delisle sur la Vie et les ouvrages de Bernard Gui).
III. — Revue critique. N" 30. — Budinger. Lafayette (Leroux. Étude
très-favorable, d'après des pièces tirées des archives de Vienne). = N-Sl.
Padeletti. Fontes juris italici medii aevi (J. Havet. Bon recueil pour
les étudiants). — Omaggio délia Società lombarda al vn° centenario
délia battaglia di Legnano (contient surtout deux études de M. Cantù
et de M. Vignati sur la bataille et ses conséquences). = N° 32. Trat-
chevsky. L'alliance des princes et la politique allemande (1780-1790)
(Léger; travail important d'après des documents inédits). = N" 33.
Clément. Recherches sur le droit des Francs Saliens (Sohm ; livre détes-
table). = N° 34. Loeper. Die Rheinschiffahrt Strassburg's in friiherer
448 RECUEILS I'KIU()I>I()IIKS.
Zoit (travail sorioux). — Protheko. Tho liloof Simon do Moiill'orl (Iîkmont;
u'iijoulo rion à co qu'on savait sur In comlo do Loi(;ostor). = N" 35.
Opel. Wallcnstoin u. die Stadt Halle (détails curieux sur les excès de
la soldatos(jue). = N" 36. Krugg-Basse. L'Alsace avant 1789 (Moss-
mann; art. important, signale beaucoup de lacunes ot d'orrours chez
M. K.). = N° 38. DiETi'nvrn. Historische Volksliodor, wu^ ot xvnie s.
(R. recueil curieux, mais dont beaucoup de pièces ne semblent pas
authentiques). = N' 31). Laiiouu. La châtellenio suzeraine d'Oissery
(intéressant).
IV. — Journal des Savants, juill. — Mu^ler. Les assises de Jéru-
salem et celles d'Antioche (à propos du vi» volume do la Bibliotheca
graeca medii aevi de M. Sathas, et dos assises d'Antioche en français,
publ. par les Mekhitharistes de Venise).— Maury. Archéologie celtique
et gauloise (à propos du livre de M. A, Bertrand). = Sept. Maury.
Documents sur Otton de Bamberg (analyse d'un livre publ. à Prague
en 187'i p. M. Kotliarovsky).
V. — Le Cabinet historique. Juill. -Sept. — Delaville Le Roulx.
La domination bourguignonno à Tours et le siège de cette ville, 1417-
1419 (travail important fondé tout entier sur dos documents manus-
crits et qui nous fait connaître dans ses plus minutieux détails le plus
considérable succès remporté par le dauphin Charles sur le parti d'Isa-
beau de Bavière. A ce travail sont joints des documents inédits tirés des
Archives municipales do Tours. Un tirage à part vient de paraître
chez H. Menu, Paris). — Bonassieux. Notices sur les Dames Damées
de 1775 à 1789. — Robert. Inventaire des cartulaires conservés dans
les Bibliothèques de Paris et aux Archives nationales.
VI. — Le Polybiblion. Août. — A. Prost. Table des pièces don-
nées dans l'histoire de Lorraine de D. Calmet (suite; cont. en sept.). —
T. DE L. Une découverte bibliographique (il s'agit d'un dictionnaire
des pseudonymes, manuscrit très-précieux rédigé par le P. Louis Jacob
de Saint-Charles (1608-1690) et que le R. P. Clauor analyse dans le
n° de juillet 1877 des Éludes religieuses, historiques et littéraires). = Sept.
EscARD. Bibliographie des guerres de l'Ouest pendant la Révolution.
VII. — Nouvelle Revue historique de droit. Juill. -Août. — Cail-
lemer. Un commissaire-prîseur à Pompéi au temps de Néron. — R. D.
Maulde. Coutumes et règlements de la commune d'Avignon au xm^ s.
(suite en sept.).
VIII. — Journal asiatique. 1877. — Mémoire important de M. Sta-
nislas Guyard .-^ur la secte des Assassins ou Ismaéliens, leur origine,
la part qu'ils ont prise aux croisades, leur longue puissance enfin ren-
versée par l'invasion mongole, leurs derniers descendants aujourd'hui
oubliés, mais non disparus. — Mémoire de M. L. Feer sur les manus-
crits cambodgiens légués à la Bibl. Nat. par la veuve du D'Hennecart,
médecin de marine, qui avait employé les loisirs de son service en
RECUEILS PÉRIODIQUES. 449
Cochinchine à étudier la langue, l'histoire et l'histoire naturelle du
Cambodge.
IX. — Chronique du Languedoc. 5 Août. — Récit inédit de la des-
cente des Anglais à Cette et à Agde en 1710. — Rivières. Armoriai
des évêques et archevêques d'Albi (fin). — Corbière. La famille de
Bourbon-Malauze (fin). = 20 août. Le régime municipal à Nîmes (in-
trigues de la famille Rochemore de 1645 à 1675). — Todrtoulon. Plan-
tavit de la Pause (évêque de Lodève, note sur sa famille maternelle). =:
5 sept. Droits, libertés et facultés de la ville du Vigan en 1674. — V'»
DE Cabrière. Mémoire sur la maison de Joubert (fin le 20 sept., de 1334-
1876). = 20 sept. La prise de la ville de Saint-Gilles en Languedoc
(1622, réimpression). = Suite du Journal de Faurin.
X. — Revue de Champagne. Août. — A. de Barthélémy. Les
monnayers de Troyes au xvi* siècle. — Riocour. Les actes de l'état-
civil de Châlons-sur-Marne (suite, continué en sept.). — E. B. Mémoires
de Jean Foulquart. — C'^ de Marsy. Testament de Gautier VI de
Brienne (cet important document déjà publié par M. Paoli est pour la
première fois annoté et commenté). = Nous trouvons dans la chronique
le catalogue des pièces concernant la Champagne contenus dans les mss.
de Peiresc, et le règlement des apothicaires de Chaumont du 10 nov.
1642.
XI. — Revue de Bretagne. Août. — E. Stofflet. Un Vendéen
(d'après des notes sur Stofflet écrites par un de ses soldats, Coulon ; fin
en sept., curieux détails sur la capture de Stofflet). — La Nicollière
Teijeiro. Une page de la marine militaire du port de Nantes (fin; his-
toire de la frégate la Loire). — Piederrière. Les petites écoles avant la
Révolution en Bretagne (suite en sept.).
XII. — Revue du Dauphiné. Août, — Roman. Un procès de sorcel-
lerie en Dauphiné (1605). = Sept. Laire. Gabriel de Castagne (éclair-
cissements sur un personnage impliqué dans l'affaire précédente. — Val-
LiER. Bulle de Jean de Bernin, archevêque de Vienne (1230-1266).
Xni. — Revue de Gascogne. Août-Sept. — Bladé. Ordres reli-
gieux et militaires de la Gascogne. — Audiat. Un neveu de Michel de
Montaigne, Raymond de Montaigne, président à Saintes, év. de Rayonne
(fin). — Labat. Étude critique sur Saint-Sever (fin, exemple curieux
des aberrations où peut conduire le manque de critique). — Gaubin.
Monographie de la Devèze. Période révolutionnaire (curieux cahier de
doléances de Mars 1789). — Couture. Vittoria Colonna et Marguerite
d'Angoulême (publie deux lettres inédites très-intéressantes de ces deux
femmes illustres). — La Plagne Barris. Testament de François de Mas-
sencome, père de Biaise de Monluc (utile pour la généalogie des Mon-
luc). — Lavergne. Les couvents de Cluny en Gascogne. — Dans la
bibliographie M. Couture rend compte d'une publication importante
de M. Bladé sur la Géographie juive, albigeoise et calviniste de la Gas^
cogne.
Rev. Histor. V. 2* FASC. 29
450 KECIIEILS PÉRIODIQUES.
Xr\' . Revue de géographie. Août. — Metchnikoff. L'Empire
des Toiiuos (suite ou sept.). — Journal d'un voyage de Gonstautiaople
à Jassy, dans l'iiivor de 1785, par le comte d'IIauterive, publ. par A.
Udicini (suite on oct.) — Lettre de Vauban à Louvois (rien ne prouve
que cette lettre se rapporte, comme le veut M. Drapeyron, au plan de
guerre contre les Turcs publié dans les précédents n»» de la Revue). =
Sept. GuiDAL. Les Bulgares. = Oct. Dbapeyron. Le réseau dynastique
(cherche à déterminer d'après quelle loi les dynasties se développent
et disparaissent). — D'Assier. Ariége et Aurigera (cette note bien faite
prouve que le nom d' Ariége vient de riéjo, rivière en languedocien, et
non A' Aurigera.
XV. — Journal officiel. 26 Août. — Drumont. Les Almanachs
historiques au xvin« siècle. = 13 et 27 août et 14 sept. Regnaud. Le
comte de Serre.
XVI. — Le Correspondant. 10 Août. — Lacombe. Le G»» de Serre
(suite le 25 sept.) — M.Washburne et Mgr Darboy (traduction du remar-
quable récit trop peu connu de M. W. sur la détention et la mort de
Mgr D. M. Du Camp ne paraît par l'avoir eu sous les yeux en écri-
vant son article sur la Roquette).
XVIL — Revue de France, l^' Août. — Memor. Entretiens rétros-
pectifs sur les choses d'Allemagne. lU. Une mission secrète (émissaire
envoyé à Vienne par L. Palmerston en 1862 pour pousser l'Autriche à
s'unir à l'Angleterre et à la France; l'émissaire n'est pas nommé.
Suite le 25 août sur la Société et la presse viennoise en 1863; le 15 sept,
sur l'insurrection de Pologne ; le 1" oct. sur le dernier congrès des sou-
verains à Francfort en 1863. Série d'indiscrétions sans grande valeur).
— NoEL. Étude historique sur le commerce extérieur de la France
depuis la Révolution, IV, 1848-1860 (suite le 15 août, le traité de com-
merce; le 15 sept. 1860-70.) = 15 août. La Landelle. Hist. du trois-
ponts V0céa7i (suite le 1" et le 15 sept.) = 1" sept. Barrande. L'Asie
centrale russe, son passé, son présent (suite le 15).
XVni. —Revue des Deux-Mondes, 1" Août. — Ghantelauze. Le
cardinal de Retz et l'affaire du chapeau (suite, la nomination au cardi-
nalat, la cour de Rome, la correspondance de Retz avec l'abbé Char-
rier, suite et fin 15 août, 1" et 15 sept. ; travail du plus vif intérêt et
d'une grande nouveauté, tiré principalement d'une correspondance iné-
dite de Retz avec l'abbé Charrier et des dépêches des affaires étrangères).
— Du Camp. Les prisons de Paris sous la Commune. IV, la Santé;
ler sept. V, Mazas ; 1" oct. VI, La Grande-Roquette. (Quand M. Du
Camp publiera ces études si remarquables en volume, nous voudrions
qu'il y ajoutât des notes pour indiquer les sources soit orales, soit
écrites auxquelles il a puisé, afin de donner aux historiens des moyens
de contrôle.) = 15 Août. Réville. Vercingétorix et la Gaule au temps
de la conquête romaine (étudie les éléments qui ont formé la nationalité
gauloise.) = 15 sept. Maury. La législation criminelle; I. La Procédure;
RECCEILS PÉRIODIQUES. 45<
1« oct. II. La pénalité (articles très-intéressants, le second surtout, mon-
trant l'impuissance des sévérités de l'ancienne procédure ; mais il ne
faudrait pas en conclure que si elle avait été plus douce les crimes
eussent été moins nombreux; le nombre des crimes dépend bien plus
des lumières et du bien être général que de leur répression plus ou
moins parfaite.) — Janet. La propriété pendant la Révolution fran-
çaise. — Delaporte. Une mission archéologique aux ruines Khmers.
XIX. — Le Spectateur militaire. Août. — Hachsé. Troupes légères,
corps mixtes (suite en sept., historique intéressant des corps francs,
surtout à partir du xviiie siècle; réfute par des faits ce qu'il y a d'exa-
géré et de faux dans la thèse soutenue par M. Rousset au sujet des
Volontaires de 92). = Sept. Lort Serignan. Guillaume III (suite de ce
travail intéressant et neuf dans sa partie technique). — Du Casse. Un
incident diplomatique en 1853 (curieux récit d'une mission historico-
militaire à Naples.)
XX. — Bulletin de la Réunion des Officiers. \ 1. Août. — Com-
bat du col d'Exilés, 1747 (d'après des documents mss.) =15 sept. Sur-
prise de Berg-op-Zoom dans la nuit du 8 au 9 mars 1814, d'après la
relation inédite du col. Legrand.
XXL — Bulletin de la Société du protestantisme français.
15 août. Procès-verbal de l'Assemblée des réformés àNîmes le lardée. 1569
(suite le 15 sept.) — Procès-verbaux d'assemblées du Désert dans l'élec-
tion de Cognac en 1749. — Paillard. Note sur la famille de Guy de
Bray (suite le 15 sept.) — Fête de la Saint-Barthélémy à Rome le
8 septembre 1572. — Gagnebin. Pierre de Salve (réfugié français en
Hollande en 1685. = 15 sept. Thierry Mieg. Fondation de l'église ré-
formée de Mulhouse.
XXII. — Académie des inscriptions. Séances. — Les 20 juill., 17
et 24 août, lecture d'un mémoire très-faible de M. Dabry de Thiersant sur
l'introduction de l'islamisme en Chine; il admet qu'il y fut apporté dès
629 par Wahb-Abi-Kabcha, oncle de Mahomet. — Les 27 juillet et
3 août, M. Deloche lit un mémoire sur les invasions celtiques en Italie
qui, d'après lui, venaient toutes de Gaule, même les Boii; ils venaient
du Bordelais et se répandirent en Italie et jusqu'en Germanie. MM. Ro-
bert et Duruy combattent cette opinion. — Le 10 août, M. L. Delisle
termine son mémoire sur Bernard Gui. — Les 10, 17, 24, 31 août, 14
et 28 sept., M. Révillout lit une série d'études fort intéressantes sur les
actes publics et la valeur des monnaies chez les Égyptiens. — Les
31 août, 14, 21 et 28 sept., lecture d'un mémoire important de M. Tis-
sot sur la géographie do la province romaine d'Afrique. — Le 21 sept.,
M. Germain lit un travail sur la mort d'Edouard d'Angleterre, d'après
un document du cartulaire de Maguelonne. Manuel de Fiesque, notaire
du pape, raconte à Edouard III que son père n'a pas été assassiné,
mais s'est évadé et a erré plusieurs années avant de mourir en Italie.
II raconte ces pérégrinations d'après le témoignage du roi fugitif lui-
452 nEc.nKiLS rÉiiioniQUES.
iiiêmo. MM. Dclislo, (lo Wuilly et Dcloclio souticnnonl avec raison que
co document ost sans autorité. Ou bien c'est un exercice de scribe, ou
bien Manuel de Fiesque a été le jouet d'un imposteur. — Le 28 sept.,
M. Duruy lit une étude sur Caracalla.
XXIII. — Académie des sciences morales et politiques. Scances.
— Les 21 et 28 juill., M. Baudrillart lit un mémoire sur le luxe dans ses
rapports avec les formes du gouvernement. Cette lecture a provoqué dans
la séance du 11 août une discussion intéressante où M. Garnier a com-
battu certaines propositions de M. Baudrillart sur la démocratie. — Le
18 août lecture d'un mémoire intéressant de M. Berthold Zeller sur les
dernières années du connétable de Luynes en qui il reconnaît l'étoffe
d'un véritable homme d'État. — Le 25 août, M. Giraud lit une note
sur la correspondance du grand Frédéric avec RoUin. — Le 28 août et
le 1" septembre. M. Rambaud lit un mémoire où il explique les causes
qui rendirent l'aristocratie russe hostile à la Révolution française. =
Comptes-rendus. — F. Lenormant. Les origines de la monnaie dans
l'antiquité. — Giraud. Les nouveaux bronzes d'Osuna (les jeux publics,
les sépultures et bûchers, la Lex Julia de Sacerdotiis, le sacerdoce colo-
nial).— Pourquoi les Comptes-rendus publient-ils au mois d'août un mé-
moire de M. Zeller imprimé textuellement il y a six mois dans son vol.
sur Henri IV et Marie de Médicis?
XXIV. — Revue des Sociétés savantes. Oct. — Extraits de
protocoles de notaires de Toulon, 1488-1499, publ. par M. Albanès
(intéressants pour l'histoire municipale). — Lettre et interrogatoire de
Jean du Temps, avocat à Blois, par suite de la Ligue, p. p. M. Dupré.
— Inventaire d'un cartulaire de Saint-Corneille de Compiègne, p. p.
M. DE Marsy (nombreuses bulles pontificales, H19-1256; actes des rois,
de Robert à Ph.-Aug.). — Comptes de Charles VI et d'Isabeau de
Bavière, 1404-1408. — Les anciennes forges du Périgord et du Limou-
sin, p. M. de Verneilh (mémoire intéressant pour l'hist. de l'industrie
du fer).
XXV. — Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest.
2« trim. 1877. — Comte de la Boutetière. Date de la fondation d'Or-
bestier (1107 et non 1007).
XXVI. — Mémoires de la Société d'émulation du Doubs.
v« série, {^^ vol. — Ch. Thuriet. Étude hist. sur le bourg de Rouge-
mont. — Delacroix. Une tradition séquanaise concernant Arioviste
(curieux commentaires d'une légende populaire en patois). — Castan.
Les évêques auxiliaires du siège métropolitain de Besançon (bon tra-
vail). — Besson. Étude sur Jacques de Molay (rien de nouveau).
XXVII. — Revue d'Alsace. — Engel. Documents pour servir à la
numismatique de l'Alsace (suite). — Fischer. Hist. de l'ancien comté
de Saarwerden et de la prévôté de Herbitzheim (les comtes de Moers-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 453
Saarwerden, 1404-1600). — Ensfelder. Le Siège de Riquewihr en 1635.
R. Reuss. Jean Geiler de Kaysersberg. — Barth. Notes biographiques
sur les hommes de la Révolution à Strasbourg.
XXVIII.— The Academy. 28 juilL— A HistoryofFranceby 6. Kit-
chin^ 3 V. (G. Monod : du talent, mais beaucoup de lacunes). = 4 août.
Originum Cistercensium, t. I, par L. Janauschek (King : monument
d'érudition). — Genealogical Memoirs of the Kindred Familles of Th.
Cranmer and Th. Wood by R. Wato^s (Jessopp: excellent livre). — Die
Rœmisch-Katholische Kirche im K. der Niederlaender v. F. Nippold
(Oxenham). — BiRKS. Sur la chronologie des premiers papes (cherche
à expliquer les divergences des catalogues ; M. Bass Mullinger réfute le
18 août les hypothèses de M. Birks, qui répond le 15 sept.). = 18 août.
Annals of Winchcombe and Sudeley, by E. Dent (Waters : plein d'er-
reurs et de non-sens. Cf. Athenaeum^ 18 août). — Christ-Church letters,
éd. by /. Sheppard (King : recueil important de lettres provenant du
prieuré de Christ-Church à Canterbury de 1334 à 1517, publié par la
Camden Society, bonne introduction). = l^r sept. Accounts of the Lord
High Treasurer of Scotland, vol. I, 1473-98, éd. by Th. Dickson (Pea-
cocK : très-intéressant). = 8 sept. The History of India. The Muham-
madan Period., vol. VII, by sir H. EUiot (Goldsiud, sur Shah Jahan,
Aureng zeb, etc. ; important). — A History of Cavalry from the ear-
liest Times, by col. G. Denison (Wilson : remarquable). = 22 sept.
— Geschichte des Yatikanischen Konzils, v. D' Friedrich (Acton : étu-
die le développement de l'ultramontanisme ; œuvre capitale). — Memo-
rials of the Discovery and early Settlement of the Bermudas, 1515-
1685, 1 vol., by major gênerai Lefroy (Sainsbury : intéressant, cf.
Atkenaeum^ 8 sept.). = 25 sept. A sélection from the Dispatches of
the Marquess Wellesley, éd. by Sidney Owen (MiNcmN, intéressant).
XXIX. — The Athenaeum. 28 juill. — Niccolô Macchiavelli by P.
ViUari, v. I (de Gubernatis : la meilleure biographie du grand Flo-
rentin). — 4. août. Servetus and Calvin by Willis (étude des idées
de Servet). — Geschichte Jîgyptens von Brngsch-Bcy (remaniement de
son hist. publ. en français). — Howorth. Ethelward and Asser (la vie
d'Alfred par Asser est un faux du xi^ s.). = 11 août. Camp, count and
siège by W. Hoffmann (anecdotes amusantes, mais indiscrètes, sur les
deux guerres d'Amérique 1861-65, et de France 1870-71). = 8 sept.
Dursley and its Neighbourhood by G. Hunt (livre de troisième main). —
Howorth. La chronique anglo-saxonne (sur l'âge du ms. Corpus Christi,
pris pour un original et qui est une copie du xi' s.). = 15 sept. Glea-
nings from the municipal and cathedral records relating to Exeter by
W. Cotton and H. Woollcombe (très-mal fait). = 29 sept. Life of sir W.
Raleigh by L. Creighton (très-bon livre populaire). — Numismata Crom-
welliana, by H. Henfrey (bon recueil). — The Normans in Europe by
Rev. Johnson (des erreurs assez nombreuses ; la partie relative à l'An-
454 RECUEILS PERIODIQUES.
ploterro ost luinno). — Léon Gambetta und seine Armeen v, Fr. von der
Goltz (livre oxcollent très-favorable à Gambetta).
XXX. — The Nineteenth Century. Sopt. — Froude, la Vie et
l'Epoquo do Tliumas liecUri, 'i" partie ; l'exil de Becket on France. —
P. Bagder. Précédents ot usages qui règlent le califat musulman. =
Oct. Froude. Le meurtre de Th. Becket.
XXXL — The "Westminster Revie-w. Oct. — La Renaissance
on Italie. — Sir John Bowring.
XXXIL — The Fortnightly Review. Oct. — Hutton. W. Bag-
chot. — W. Senior. Conversations avec M. Thiers (1832, très-intéres-
santes pour les idées politiques de M. Thiers).
XXXin. — The Mac Millan's Magazine. Août. — Peabody.
Papes et cardinaux. = Sept. Seely. L'histoire de Prusse. — Lady
DuFF Gordon. La société allemande il y a 40 ans. = Oct. H. Elliot.
Un nouveau manuscrit de G. Savile, premier marquis de Halifax (inté-
ressant).
XXXIV. — Historische Zeitschrift, 38^ vol., 2^ fasc. — Feuer-
LEiN. Pétrarque et Boccace (étude littéraire et morale). — Markgraf.
Formation de la ligue catholique contre Georges Podiebrad (suite). —
Lehmann. La campagne de 1815 (d'après le livre récent du général von
Ollech, Geschichte des Feldzuges von 1815 ; étude faite dans un sens tout
prussien ; l'auteur donne plusieurs documents inédits, entre autres
deux lettres du général Gneisenau à Hardenberg des 12 et 22 juin). =
3e fasc. — H. von Sybel. La conférence d'état en Autriche en 1836
(d'après les rapports des ambassadeurs prussiens à Vienne, von Brock-
hausen et von Matzan). — A. Béer. Envoi de Thugutau quartier géné-
ral prussien ; la paix de Teschen.
XXXV. — Neues Archiv. 3^ vol., 1" fasc. — K. Foltz. Les sceaux
des rois et empereurs allemands de la maison de Saxe, 911-1024, avec
un avant-propos de Th. Sickel. — Waitz. De quelques petites chro-
niques du xni« siècle (M. Waitz suit les destinées d'un abrégé histo-
rique commençant à l'époque lombarde, et que Jacques de Voragine a
ajouté à sa légende dorée. Il a été compilé à l'aide d'un abrégé histo-
rique, du Memoriale temporum de Vincent de Beauvais, encore inédit,
et d'un ms. de Vienne n" 364, fol. 389-416 ; il est lui-même la source
d'un assez grand nombre de mss. ; ainsi de la chronique de Reggio
pub. par Dove (1873) et d'un ms. de Rome, Bibl. Casanat. A. III. 10,
probablement par l'intermédiaire d'un ms. inconnu, puis, directe-
ment, d'un autre ms. de Rome, ibid. IL 34, et d'un ms. de Leipzig
1308, enfin d'un ms. de l'Ar-senal n" 10, sur lequel M. Waitz insiste
beaucoup. Cet abrégé de J. de Voragine avait été souvent imprimé,
RECUEILS PÉRIODIQUES. 455
mais n'avait pas encore attiré l'attention des érudits). — H. Bresslau.
Voyage en Italie au printemps 1876 (M. B. a visité les bibliothèques
et archives de 27 villes, la plupart dans l'Italie du Nord. Il publie
14 diplômes d'empereurs de 983 à 1197 copiés par lui dans son voyage
et quelques extraits de Nécrologes). — P. Ewald. Voyage en Italie,
dans l'hiver 1876 (additions aux notices prises par Bethmann dans les
bibliothèques de Rome ; visite à la bibliothèque du prince Boncom-
pagni; description du Registrum Anacleti II antipapae^ et d'un ms. du
Vatican, ottob. 3008, qui contient 15 lettres de Pascal II, 4 de Calixte II,
3 de l'évêque de Goire, Gui, à Pascal II, 2 autres lettres de papes rela-
tives à Goire. Ces 24 lettres, dont 2 seulement ont été connues de Jaffé,
sont reproduites en appendice). — Mommsen. Un mot sur Paul Diacre.
— DuEMMLER. Extraits de mss. — Waitz. Notice sur un ms. de Bam-
berg. Déclarations d'obédience faites par des évoques bourguignons et
français aux xi^ et xn^ siècles (d'ap. un ms. de la cathédrale de Besan-
çon auj. à Londres, Brit. Mus. 15222). — Schum. Gommunication sur
les originaux de quelques bulles pontificales concernant les couvents
d'Anhalt. — Wattenbach. Sur quelques mss. de la bibliothèque capi-
tulaire de Vérone. — R. Pauli. Extraits de mss. anglais. — Waitz.
Extraits de catalogues récents de mss. (Berne et Saint-Gall.)
XXXVI. — Gœttingische gelehrte Anzeigen. N" 32. — Cata-
logue of greek coins. Sicily, éd. by R. Poolc ; Syracuse, by V. Head ;
the other cities of Italy by P. Gardner (F. Wieseler. Publication très-
importante ; plusieurs rectifications ou explications proposées). =
N« 33. Sprache and Sprachdenkmseler der Langobarden, von C. Meyer
(Waitz. Critique très-sévère). — F. W^ieseler rend compte du l*"" fasc.
d'une Revue d'archéologie et d'épigraphie qui vient d'être fondée à
Vienne {Archxologisch-cpigraphische Mittheilungen ans OEsterreich, publ.
par A. Gonze et 0. Hirschfeld, chez Gerold's Sohn). = N° 34. Les
seconds chrétiens : Saint Paul, par H. Rodrigues (Dusterdieck : ouvrage
absolument dénué de critique). — Briefe und Documente aus der Zeit
der Reformation im 16 Jahrh., von K. u. W. Kra/ft (L. Geiger: impor-
tant pour l'histoire de l'humanisme à Cologne, et la biographie de
Luther et de Mélanchthon ; nombreuses taches de détail). = N° 36.
Erasmiana, von W. Vischer (L. Geiger : très-bon travail, neuf sur plu-
sieurs points, surtout pour ce qui concerne la permission qu'Erasme
sollicita et obtint de Léon X, de porter désormais des habits séculiers
au lieu de l'habit de son ordre). = N° 39. Regesta episcopatus Magde-
burgensis hsggb. von A. von Millverstedt (W. Schum : publication utile,
mais dépourvue de méthode et de plan). ;:= N° 41. Die Akten des Pau-
lus und der Thekla, von Dr. Schlaii (Zahn : travail consciencieux,
mais qui contient des fautes de méthode et des erreurs de détail).
XXXVII. — Jenaer Literaturzeitung. N^ 31. — Jirecck\ Ges-
chichte der Bulgaren (Garo : livre très-bien fait). =: N* 32. Bœhmer.
Regesta imperii, VIII hggb. v. Huber 1346-1378 (Winkelmann : men-
456 nECUKFLs i'kiii()I)iqi;ks.
lii)niu^ T'^il diplômes). — Zcissbcnj. Kloiiiore Geschichtsquellon Polons
im Mitl(^Ialt(M- (Caro). = N* 33. Uirxch. Byzanlinischo Studion (Steit :
modèli' do critiijuo, traite dos chroniques du moini^ Georges, de Gcne-
sius, des continuateurs de Theophane et de Symeon Magistcr, de Léon
le Grammairien, de Tliéodore do Mélitène, de Jules Polydcukes et de
Joël.) = N° 34. Bartoli. I precursori del Rinascimento (Meyncke : vues
originales). — Derkholz. Das Testament Peters dos Grosson (Garo :
M. G. ne croit pas que Napoléon ait directement trempé dans la fraude).
— Scpp. Gœrres und seine Zeitgenossen (Philippson : biogr. curieuse,
mais délayée, d'un des types les plus bizarres de l'Allemagne moderne).
— Hirschfeld. Die Kaiserlichen Verwaltungsbeamten bis auf Diocle-
tian (Schiller : livre excellent). = N" 35. Gilbert. BeitriBgc zur innc-
ren Geschichte Athens im Zoitalter des Peloponnesischen Krieges
(ZuRuORG : remarquable). — Makusccv. Monumonta historica Slavorum
meridioualium (G.\ro : doc. tirés des archives d'Ancône, Bologne, Flo-
rence, édités avec plus de zèle que de méthode). — Briickner. Die
Familie Braunschweig in Russland irn xvni Jahrh. (Caro). = N" 36.
Sars. Udsigt over don Norsko historié 2^ v. (Maurer : article très-im-
portant, traite à part la question de la constitution de la Norwège). =
N" 38. Lindner. Gesch. des deutschen Reiches vom Ende des xiv
Jahrh. bis zur Reformation. Abth. I. 2« v. l^e p. (Bernhardi :
bon). — Grauert. Die Herzogsgewalt im Westfalen seit dem Sturze
Heinrich's des Lœwen l''^ p. (Id. : Munster, Osnabrûck et Min-
den). — Dehio. Gesch. des Erzbisthums Hamburg-Bremen bis zum
Ausgang des Mission (Id.). — Wenck. Die Wettiner im xiv Jahrh.
(Id.). — Mannheimer. Die Judenverfolgung in Speyer, Worms u.
Mainz im J. 1096 (Hagenmeyer : d'après un ms. hébraïque de Darms-
tadt; curieux). — Gœcke. Das Grossherzogthum Berg unter Joachim
Murât, 1806-1813 (Philippson : intéressant). — Sadowski. Die Handels-
strassen der Griechen u. Rœmer (Mûller : s'occupe des routes qui
conduisaient à la Baltique le long de l'Oder, de la Yistule, du Dnieper
et du Niémen; important). = N° 39. Bœhmer. Regesta archiepiscopo-
rum Maguntinensium, hsggb. v. G. Will, 1 vol. 742-1160 (Hahn, très-
précieux).
XXXVIII. — Anzeiger fur Kunde d. d. Vorzeit. Août 1877. —
Dinkelsbuhl. Les noces de Sixt CElhafen, .secrétaire de l'empereur et
de l'empire, et bourgeois de Nuremberg en 1501 (par CElhafen lui-
même ; curieux pour l'histoire des mœurs).
XXXIX. — Deustche Rundschau. Août. — Huebner. L'aciministra-
tion des mines chez les Romains (d'après une tablette découverte l'an der-
nier dans le sud du Portugal, à Aljustrel, qui donne des détails curieux
et parfois nouveaux sur l'industrie minière, les instruments de mineur
et les relations commerciales créées par cette industrie). — G. Sghmol-
LER. Origine de l'armée prussienne 1640-1740. = Sept. H. von Brandt.
Berlin avant, pendant et après le ministère de Pfuel (juill.-oct. 1848).
d'après des Mémoires inédits (suitei.
RECUEILS PÉRIODIQUES. 457
XL. — Magazin fur die Literatur des Auslandes. — N* 31.
T. von Welle. La guerre de Vendée et le débarquement à Quiberon
(d'après les Mémoires sur la guerre de Vendée pub. p. M. de Lescure). =
N"' 32 et 33. Analyse de l'Histoire contemporaine de l'Espagne par
Lauser, qui fait suite à celle de Baumgarten. = N"^ 35 et 36. Le géné-
ral Dufour, la guerre du Sonderbund et la lutte de 1856. — Histoire de
la commune rurale dans la Russie septentrionale, par Sokolowsky. (Le
critique fait un grand éloge de ce livre, dont il partage les tendances
communistes). =r N° 39. Compte-rendu des deux livraisons du tome IV
de la Revue historique ; nous remercions l'auteur de la sympathie avec
laquelle il en a parlé. — Histoire des Hongrois par E. Sayous (Kats-
CHER : fait un grand éloge de cet ouvrage).
XLL — Russische Revue. 8^ fasc. — F. Martens. La politique
russe dans la question orientale (travail important paru en français
dans la Revue de droit international et de législation comparée, et qui
représente bien exactement les vues modérées actuellement dominantes
parmi ceux qui dirigent la politique de la Russie.
XLH. — Archivio Storico Italiano. 4<= livr. — G. Mlnieri Riccio.
Le règne de Charles d'Anjou (suite) (janv.-mai 1277 ; se rapporte sur-
tout à l'administration intérieure, à la pêche du corail faite sur les
côtes de l'Italie par les marins de Marseille et de la Provence, à la
translation des ossements de Béatrix, femme de Charles d'Anjou, dans
l'église de Saint-Jean de Jérusalem à Aix, aux travaux exécutés à
Brindisi, entre autres à la construction d'un phare). — Bazoni. Corres-
pondance de l'abbé Galiani avec Tanucci (suite); nov. 1763-mars 1764
(s'occupe surtout du Parlement et des Jésuites; une lettre du 19 mars
donne la composition du conseil du roi et montre la cour des Aides
anéantie par le conseil des finances « qui est en réalité devenu le tri-
bunal des fermiers du roi »). — L. .Leonii. Brigands et Français en
Italie en 1798-99 : siège, capitulation et pillage (par les Français) de
Stroncone en Ombrie, relation de d. D. Salvati. — C. Deslmoni. Le
voyage de Jean Verrazzano dans l'Amérique septentrionale en 1524
(tient pour l'authenticité de ce voyage que des auteurs récents: Buckin-
gham-Smith, Murphy, Harisse, ont mise en doute). — Saltini. Anto-
nio Giustinian et ses dépêches comme ambassadeur vénitien à Rome
de 1502 à 1505 (prouve, à l'aide de deux documents qu'il publie pour
la première fois, que le discours très-humble de Giustinian à l'empereur
après Agnadel (1509) n'a pas été inventé, comme on l'a prétendu, par
Guichardin, et que le texte du discours reproduit par Guichardin doit
être tenu pour authentique). — Comptes-rendus : t. XVI des Historiae
patriae monuinenta édita jussu régis C. AlbctHi])aiV Belgrano (art. impor-
tant) ; Regesta pontificum romanorwn de Potthast par A. Reumont ;
Launegild tend iVadia^ étude sur le droit lombard, de M. Val de Lièvre;
458 RECUEILS PERIODIQUES.
Geschichte Frankrcichs, \^o p., do. K. Hillebrand. — Notice nécrologique
sur Fr. Palacky, par A. Reumont.
XLIII. — Archivio storico Siciliano. 2« année, 1" fasc. Bozzo.
(^j/rtf'rfa»!. ;)ro/('/.m, poosio sicilitMuie du xive s., étude paléographique,
littéraire ot histori{]ue (ce fasc. ne contient que la l" partie de l'intro-
duction; nous y reviendrons). — Gastorin.\. Notice sur un ms. en par-
chemin contenant la traduction en langue vulgaire de l'Histoire sici-
lienne d'Ugo Falcando, par Filoteo Omodei (ce ms. avait jusqu'ici
passé comme perdu ; il paraît être autographe).
XLIV. — Nuove Effemeridi Siciliane, Mai-Juin. — A. Holm. Cha-
pitre I" du livre I de Y Histoire ancienne de la Sicile (trad. de l'édition
allemande, Leipzig 1870). — S.vlomone-Marino. Fragments de chro-
niques panormitaines des xvi^ et xvn« siècles (notes historiques géné-
ralement courtes et sans lien les unes avec les autres extraites des
Registri notarili conservés aux Archives d'état de Palerme et des Atti
du Sénat, conservés aux Archives municipales. L'auteur annonce la
publication prochaine du Ceremoniale del Senato di Palcnno e Cronache
inédite palermilane dei secoli XVI, XVII, XVIII). — Nuccio. Les maî-
trises en Sicile (abolies pour la plupart en 1785 et 1786, elles furent
rétablies en 1812; un décret du 12 mars 1822 supprima définitivement
toutes les corporations commerçantes ou industrielles. L'auteur donne
les statuts de la corporation des cuisiniers et des pâtissiers d'après une
rédaction de 1676). — Gamarda. Hiéron et la l"-* olympique de Pin-
dare.
XLV. — R. deputazione di storia patria (Bologne). Séance des
6 et 27 mai. — M. E. Mas[ continue la lecture de son travail sur Fran-
cesco Albergati Capacelli (v. Rev. hist. IV, 471 ; V, 233) ; il donne d'in-
téressants détails sur la société, le gouvernement, les mœurs, le mou-
vement littéraire à Bologne au xvni^ siècle. = 13 mai. G. M.
Valgimigli. Mémoire sur la vie et les écrits de Mengo Bianchelli, phi-
losophe et médecin de Faenza, mort avant 1525, un des savants qui
fréquentèrent à Florence la maison de Laurent de Médicis et VAccade-
mia plaionica. = 10 juin. Le comte Nerio Malvezzi dki Medici a lu un
mémoire sur Lorenzo Maria Riario, de Bologne, érudit qui s'est beau-
coup occupé de l'histoire de sa province. = 24 juin. Le comte Albi-
ciNi a lu une étude sur les Chroniques de Forli deLeoneCobelli, auteur
du xve s., que vient de publier la Commission d'histoire pour la Ro-
magne.
XLVL — Revue suisse. Août. — L. Léger. Georges Krijanitch,
précurseur du panslavisme au xvn^ s.
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 459
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
France. — Le 19 août dernier est mort à Châlons M. J. Garinet,
auteur de divers ouvrages historiques : Histoire de la Magie; Etablisse-
ment du christianisme à Châlons ; Mémoires sur les Assemblées nationales
antérieures aux États généraux de 1789.
— On annonce également la mort de M. A. de Vertus, vice-prési-
dent de la Société archéologique de Château-Thierry, auteur de divers
travaux sur la Champagne.
— Le 24 juillet est mort M. Gh. Gérard, né à Longwy en 1814. II
s'occupa toute sa vie de travaux d'histoire et d'art. Il laisse : ï Ancienne
Alsace à table; les Annales de la Chronique des Dominicains de Colmar
(1854); la Bataille d'Entzheim (\869) ; la Bataille de Turckheim (1870); les
Artistes de l'Alsace au mo^jen âge. M. Gérard avait une riche hihliothèque
alsatique.
— Le 9 août est mort M. V. Villiaumé, auteur d'une Histoire de la
Révolution (1850) et d'une Histoire de Jeanne Darc (1863). Il préparait
une Histoire du Directoire.
— Le marquis Denis de Godefroy Menilglaise est mort le 20 juillet.
Il a publié en 1855 la Chronique de Lambert d'Ardr es, en 1874 la traduc-
tion de celle de Gilbert de Hainaut, et le Voyage d'un Hollandais en
France, 1713-1714. Son œuvre principale est l'histoire à.Q?> Savants Gode-
froy (1873).
— Les documents recueillis par M. Thiers pour ses ouvrages histo-
riques et ceux qu'il a reçus de diverses sources pendant le cours de sa
carrière politique, seront déposés, conformément à sa volonté, aux Ar-
chives nationales.
— Parmi les travaux historiques entrepris par les élèves de l'École
archéologique française de Rome nous signalerons ceux de M. Beau-
douin sur l'administration des possessions vénitiennes dans le Levant,
et de M. Berger sur Richard de Cluny et Guy de Bazoche , ainsi que
sur la croisade de Calixte III contre les Turcs en 1453. Un élève de
l'École d'Athènes, M. Homolle, a eu la bonne fortune de découvrir à
Délos plus de 250 inscriptions qui sont les comptes du temple de Délos,
centre de la confédération athénienne.
— M. Siméon Luce prépare un travail sur l'Histoire du Mont Saint-
Michel aux xiv« et xv^ siècles.
— Le Congrès de l'Association bretonne s'est tenu à Savenay du 2 au
9 septembre. Dans la section d'archéologie ont été lus des Mémoires
»<''0 CHROXIQCE ET BIRLIOGRAPHIE.
sur {'Histoire de Savenay, par M. Redoux, sur la Presqu'île de Guérande,
par M. Korviler, sur Arthur de Richemond, par M. Guyot Jomard ; sur
les Établissements hospitaliers de la région, par M. Léon Maître.
— M. le D' JouRDAiNET vient de publier une nouvelle édition en un
vol. gr. in-8° de sa traduction de l'intéressante Histoire de la conquête
de la Nouvelle-Espagne, par Bernai Diaz del Castillo (Masson). La tra-
duction a été soigneusement revue; et M. J. y a joint une préface,
d'excellentes cartes et une étude curieuse sur les sacrifices humains et
l'anthropophagie chez les Aztecs.
— M. Saint-Reiné Taillandier a réuni en un volume, sous le titre : les
Renégats de 89 (Hachette), les leçons sur la Révolution française qui ont
provoqué au printemps dernier du tumulte à la Sorbonne. M, T. nous
semble avoir singulièrement enflé les proportions de la gaminerie
méprisable dont il a été l'objet en y voyant un essai de révolution
et eu se représentant comme un martyr de la liberté. Ses leçons d'ailleurs
n'ont nullement le calme et la sérénité qui conviennent à l'enseigne-
ment ; on y trouve un ton véhément et passionné, qui provoque les
applaudissements et, par un effet contraire, les sifflets. Le jour où les
professeurs ne chercheront plus les premiers, les autres ne seront plus
à redouter pour eux.
— M. Ladislas Mickiewicz vient de publier, d'après les papiers de son
père, le premier volume du Mémorial de la Légion polonaise de 1848 (lib.
du Luxembourg). Cette légion se composait de dix Polonais qui se joi-
gnirent au mouvement révolutionnaire italien. Le livre très-confus de
M. Mickiewicz, tout entier en notes et en digressions, est néanmoins
très-curieux par les nombreux détails qu'il donne sur les Italiens et les
Polonais qui ont marqué dans le mouvement révolutionnaire, et parce
qu'il porte l'empreinte encore chaude des sentiments, presque incompré-
hensibles aujourd'hui, qui ont animé les hommes de 48.
— Le deuxième fascicule de la nouvelle édition de la France jiroies-
tante de MM. Haag par M. H. Bordier vient de paraître (Fischbacher).
Celte réédition, qui est en réalité un livre entièrement nouveau, est d'un
prix inestimable pour l'histoire du protestantisme et aussi pour l'his-
toire de France. Voyez, p. ex., les articles Aubigné et Basnage. Une
table des principales matières et un Index des personnes terminent le
volume. C'est là un surcroît de soin et de scrupule dont les travailleurs
sauront gré à M. Bordier.
— La Société de l'Orient latin vient de distribuer avec son premier
volume une petite plaquette qui contient une notice sur Titus Tobler,
mort le 21 janvier 1877, et le rapport de M. Riant sur la marche de la
Société. Ce rapport très-intéressant donne une table des publications
géographiques projetées par la Société. Elles rempliront 63 volumes.
Il donne aussi d'utiles indications sur les travaux préliminaires entre-
pris par la Société et annonce l'état des publications (cf. Revue histo-
rique, t. IV, p. 234). Le voyage de Mandeville fera partie des Itiné-
CHROMQDE ET BIBLIOGRAPHIE. 46^
raires français, édités par M. Michelaiit. M. Schlumberger \a publier
une Numismatique de l'Orient latin sous le patronage de la Société.
— Une traduction du livre remarquable de M. de Goltz : Léon Gam-
betta et ses armées, vient de paraître à la librairie Fischbacher.
— Voici les titres des thèses de l'École des chartes qui seront soute-
nues en janvier prochain : Durrieu : Bernard d'Armagnac. — Leroux :
Relations extérieures de Charles VÎI. — Delaville Le Roulx : Institutions
municipales de Tours. — Raunié : Institutions municipales de Narbonne.
— Flammermont : Institutions municipales de Sentis. — Duriez : Cartu-
laire d'Enguerrand de Marigmj. — Pajot : Marine militaire au temps de
Charles V. — Babelon : Bourgeoisies royales. — Furgeot : Bailliage de
Mâcon. — Bouchot : Sur les archives du bailliage àe Vitry-le-François.
— D'Herbomez : le Parlement de Paris sous les Anglais.
— Voici la liste des cours d'histoire qui seront professés cet hiver
dans un certain nombre de nos Facultés de lettres :
Aix. — H. Reijnald: le développement du gouvernement constitution-
nel en Angleterre.
Besançon. — L. Pingaud : Histoire des relations entre la France et
la Russie pendant le xvni<' siècle et la Révolution française.
Bordeaux. — Foncin : Étude des sources de la géographie ancienne
de l'Afrique septentrionale.
Caen. — J. Tessier: La France au xvm* siècle (histoire intérieure).
Chambéry. — Suérus : Histoire générale de la Prusse.
Clermont. — Desdevises du Dezert : Géographie ancienne de l'Italie.
Dijon. — P. Gaffarel : Histoire et géographie de l'Algérie.
Lyon. — E. Belot : Histoire des États-Unis depuis 1809 jusqu'à la
guerre de sécession. — Conférences sur les institutions de saint Louis
et de Philippe le Bel. — A partir du 1" janvier, il y aura un cours
municipal d'histoire dont le sujet sera ultérieurement indiqué.
Montpellier. — A. Germain: l'Europe du moyen âge, au point de
vue de la lutte et de la fusion des principes romains et germaniques ;
— Le monde romain, d'Auguste à Théodose.
Nancy. — A. Rambaud: les révolutions de la péninsule des Balkans
depuis le xv« siècle, et la politique française en Orient. — Études cri-
tiques sur Gomynes et les historiens de Charles VII et de Louis XL —
Vidal-Lablache : Géographie comparée de l'Asie occidentale ou anté-
rieure depuis l'antiquité classique jusqu'à nos jours. — Examen cri-
tique des principales publications de ces dernières années sur la géo-
graphie historique de la France et de l'Europe centrale.
Poitiers. — G. Guibal : Saint Louis et la Société française au xiii" s.
Rennes. — T. Robiou : Histoire politique de Cicéron. — Histoire an-
cienne : l^' semestre. Histoire de la civilisation morale et matérielle de
l'Egypte depuis l'expulsion des Pasteurs jusqu'à la fin du xiii* siècle;
2^ semestre : Étude de l'ancien Iran.
462 CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
Toulouse. — Duméril : l'Opposition à l'ancien régime et l'esprit de
réforme sous Louis XVI.
P.\Ris. — Sorbonne. — Lacroix: Histoire politique et militaire du règne
de Louis XV depuis l'arrivée de Fleury au ministère jusqu'à la paix
d'Aix-la-Chapelle.
— A l'Ecole dos Hautes Etudes, M. Monod s'occupera du règne de
Charles le Simple ; — M. Roy des relations de la Papauté avec la France
au M. -A.; — M. Giry de la formation des institutions municipales.
— A l'École libre des sciences politiques nous remarquons les cours
suivants : Sorel : Histoire diplomatique de 1830 à 1873. — Pigeonneau :
Histoire diplomatique de 1648 à 1789. — Ferrari : Analyse des traités
de 1648 à 1789. — Doutmij : Histoire constitutionnelle de l'Europe depuis
1789 (Angleterre, Allemagne, France). — Ribot : Histoire parlemen-
taire et législative de la France de 1789 à 1852.
— A l'Université catholique de Paris, M. Duchesne fera un cours sur
les premiers siècles de l'Église chrétienne; — M. Lecoy de la Marche
sur la France au temps de saint Louis.
Angleterre. — M. John Stuart, secrétaire de la Société des Anti-
quaires d'Ecosse, l'un des fondateurs du Spalding Club, éditeur des
Spalding's Memorials of the Troubles, des Records of the Isle of Man,
des Records of the Monastery of Kimloss, et de A lost Chapter in the His-
tory of Mary Queen of the Scots, est mort au mois de juillet dernier.
— On annonce aussi la mort de John Clark Marshman, auteur d'une
History of India assez faible et des Memoirs of sir Henry Havelock, qui
eurent un immense retentissement.
— M. William Longman, le grand éditeur de Londres, mort le
13 août, était l'auteur d'une Histoire de la vie et du temps d'Edouard III
(2 vol. 1869).
— Le chanoine Jackson, en étudiant les papiers du marquis de Bath, a
été amené à étudier le meurtre d'Amye Robsart, femme de Dudley,
comte de Leicester, meurtre que Walter Scott, dans Kenilworth, attri-
bue à son mari. Dans un mémoire lu devant la Société archéologique
du Wiltshire, M. Jackson a réhabilité Dudley.
— MM. Longmans vont publier : Stubbs, l'Empire sous les Hohen-
staufen; Lawrence, Les premiers rois de la maison de Hanovre; Cor-
dery, la Révolution française; Longman, Frédéric le Grand et la guerre
de Sept-Ans.
— Les deux premiers volumes de la grande Histoire d'Angleterre de
M. Green vont paraître chez Macmillan.
— M. Parkman va publier un ouvrage sur le Comte de Frontenac et la
Nouvelle-France sous Louis XIV.
— M. Ewald va publier une Vie de Robert Walpole.
— On annonce aussi la publication d'une Histoire de l'abbaye de Pais-
ley, par le D»" Lees, ainsi qu'un Registrum de cette abbaye; d'un volume
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 463
sur les Flemyngs of Barochan, etc. Les publications relatives à l'Ecosse
faites par les Clubs et épuisées seront en partie rééditées.
— Le D' Doran va faire paraître un livre sur Londres à l'époque des
Jacobites.
— Les Annales de Sennacherib, presque terminées par feu G. Smith,
vont bientôt être publiées.
Allemagne. — M. Konrad Maurer, qui travaille avec une si infati-
gable activité à faire connaître l'histoire et le droit Scandinaves, et qui
a donné il y a deux ans un livre si remarquable sur l'histoire de l'Is-
lande, vient de faire paraître trois nouvelles publications : un mémoire
sur la Cession de la Norwége à saint Olaf présenté à l'Académie bava-
roise des sciences; une étude approfondie sur les lois qui régissaient
les classes rurales dans l'ancien Nord {das sslteste Hofrecht des Nordens;
Munich, Kaiser, 163 p. in-8°) offerte à l'Université d'Upsal à l'occasion
de son jubilé; enfin deux articles très-développés de l'Encyclopédie
d'Ersch et Gruber sur les assemblées populaires de la Norvège et les
lois qui y étaient faites (sub voc. Gulaping, Gulapinsglœg).'
— Nous donnons la fin de la liste des cours d'histoire des Universités
allemandes dans leurs Facultés de philosophie; en outre toutes les
Facultés de théologie ont des cours d'histoire ecclésiastique et d'his-
toire du peuple juif, et les Facultés de droit des cours de l'histoire des
institutions allemandes.
Berlin. — Dresslau : Histoire de la constitution allemande depuis la
Bulle d'or jusqu'en 1806. — Droysen : ïiistoire grecque. Histoire con-
temporaine depuis 1815. — H. Droysen: Historiographie grecque. Du
système militaire chez les Romains. — Hassel : Histoire de la Prusse
depuis l'avènement de Frédéric le Grand jusqu'à la fin de la guerre de
l'indépendance. — Lepsius : Histoire de l'Egypte. — Mommsen : Histoire
de l'empire romain. — Nitszch: Histoire générale de la Constitution. —
Wattenbach : Histoire du moyen âge. — Waitz : Exercices historiques.
Bonn. — Maurenbrecher : Hist. du xix^ siècle. Sources de l'histoire
moderne de 1763 à 1815. — Menzel : Sources de l'histoire du moyen
âge, du VI® au x* siècle. — Philippson : Histoire des Croisades. Histoire
de France. — Ritter : Histoire de la contrerèforme et de la guerre de
30 ans (1555-1660). — Schxffer : Histoire ancienne jusqu'à la fin de
l'Empire romain d'Occident.
Breslau. — Caro : Histoire générale depuis le pape Grégoire VH jusqu'à
l'exil d'Avignon (1073-1305). Géographie historique de l'Allemagne. —
Junkmann : Histoire générale d'Auguste à Charlemagne. — Neumann :
Histoire de la chute de la république romaine. — Partsch : Histoire des
tyrans grecs. — Reifferscheid : Institutions anciennes de la Grèce. —
Schultz : Histoire du moyen âge.
Erlangen. — Hegel : Histoire du moyen âge. Sources de l'histoire
d'Allemagne.
464 CHRONIQUE ET RinLror.RAPHIE.
FRinoiRO-EN-BnisoAU. — Hense : Institutions ancionnos dos Romains.
Von Holst : Ilistoiro européenne de 1795 à 1815. — Simson : Histoire
de la Papauté.
GiESSEN. — Onckcn : Histoire contemporaine depuis 1848. — Weiland :
Histoire de France au moyen âge depuis Hugues Gapet.
GiicTTiNGi-E. — Gilhcrl : Histoire de l'historiographie grecque. —
Uœhlbaum : Histoire de Tépoquc de la Révolution depuis 1789. — iVw-
sen: Histoire grecque. La vie et les écrits de Polybe. — Stcindorff :
Histoire de la France au moyen âge. — Wappseus : Histoire de la décou-
verte et géographie de l'Amérique. — Wcizsscker : Histoire contempo-
raine depuis 1815. Histoire de l'Allemagne depuis l'interrègne jusqu'à
la Réforme. — Wmtenfcld : Histoire de l'Italie au moyen âge.
Greifsw.\ld. — Hirsch : Histoire des peuples de l'antiquité au temps
de Polybe. — Prcuner ,: Sources de la mythologie et de l'histoire
grecques. — Ulmann: Histoire des États européens depuis 1815.
Halle. — Droysen : Hist. générale contemporaine. Hist. contempo-
raine de l'Allemagne depuis 1848. — Dûmmler : Hist. de l'empire
romain depuis les Antonins. Hist. du moyen âge. — Ewald : Hist. du
siècle de Louis XIV et de Pierre le Grand. — Hertzberrj : Géographie
de la Grèce ancienne. Histoire de l'émigration des peuples de l'anti-
quité. Hist. de la Grèce contemporaine. — Schum : Diplomatique et
chronologie du moyen âge.
Heidelberg. — Erdmannsdœr/fer : Histoire de l'époque de la Réforme.
Hist. de la guerre de l'indépendance. — Gssdeke : Hist. des États euro-
péens depuis 1815. Hist. de la Prusse de 1640 à 1786. — Gelzer : Hist.
de l'empire romain. — Kleinschmidt : Hist. de la Révolution française.
— Scherer : Hist. de la Constitution allemande. Explication de la Ger-
mania de Tacite. — Winkelmann : Hist. générale du moyen âge. Histo-
riographie du moyen âge.
KiEL. — Hasse : Hist. des croisades. Hist. du Sleswig-Holstein. —
Schirrcn : Hist. du moyen âge. — Volquardsen : Hist. ancienne de
Rome jusqu'à la soumission de l'Italie. Historiographie grecque.
Leipzig.— irndi : Paléographie latine. Exercices historiques.— Bieder-
77iann : Hist. de l'Allemagne de 1815 à 1870. — Drandes : Hist. de
l'Allemagne et des États voisins aux xiv« et xv» siècles. — Von Noor-
den : Hist. du xiv« siècle. — Piickert : Hist. de la Papauté. Hist. de
l'Allemagne depuis la paix de Westphalie. — Von der Ropp : Hist. de
l'Allemagne depuis la paix de Westphalie jusqu'au renversement de
l'Empire. — Voigt : Hist. de l'Allemagne depuis les Hohenstaufen jus-
qu'à la mort de Maximilien. Hist. d'Alexandre le Grand et du monde
hellénique jusqu'à 146 av. J.-G. — Weyick : Hist. de l'Allemagne à
l'époque de la Réforme. Hist. de Saxe.
Marbourg. — Dietrich : Hist. du peuple hébreu jusqu'à la prise de
Jérusalem par Titus. — Hermann : Hist. générale de 1660 à 1789. —
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 465
Len: : Hist. générale des sources hist. du xni« au xvi* siècle. — Varren-
trapp : Hist. de Tépoque de la Réforme.
Munich. — Von Bczold : Époque du concile de Trente. — Cornélius :
Hist. de l'époque de la Réforme. — Von Giesebrecht : Hist. de l'empire
allemand. — Heigel : Hist. de Bavière depuis Charles-Théodore jusqu'à
nos jours. Hist. de la dynastie impériale saxonne. — Kluckhohn : Hist.
des États européens depuis les traités de Vienne. — Stieve : Hist. des
États européens occidentaux aux xvi° et xyii^ siècles.
RosTOCK. — Schirrmacher : Hist. du peuple allemand depuis l'élec-
tion de Charles-Quint jusqu'en 1789.
TuBiNGUE. — Fehr : Hist. universelle. Hist. de l'Europe depuis 1848.
Von Gutschmid : Hist. de l'empire romain. — Harttung : Hist. de l'em-
pire allemand jusqu'à l'interrègne. —Zi^f/ier : Hist. générale de l'époque
de la Réforme jusqu'à la paix de Westphalie.
WuRZBOURG. — Hcnner : Hist. de Bavière. Hist. des croisades. — Lud-
wig : Hist. générale depuis la Révolution française jusqu'à nos jours.—
Schsdffer : Chronologie hist. du moyen âge. — Ungcr : Hist. romaine.—
Wcgele : Hist. contemporaine depuis le Congrès de Vienne.
— La Commission historique de Munich s'est réunie du 27 au 29 sept.
MM. de Dœllinger, d'Arneth, de Sybcl, de Lœher, de Liliencron, de
Giesebrecht, Waitz, Muffat, Rockinger, Sickel, Cornélius, Dùmmler,
Hegel, Kluckhohn, Wattenbach, Wegele y ont pris part. Depuis la der-
nière réunion ont paru : le 3« vol. des Reichstagsacten contenant la
3« partie du règne de Wenceslas, 1397-1400, publ. par J. Weizsœcker;
le 4^ vol. des Actes de Recès de la Hanse, 1256-1430, publ. par
M. Koppmann; le 3« vol. des Lettres et Actes pour l'histoire de la
Guerre de 30 ans, contenant la guerre de succession de Juliers, publiés
par M. Ritter; le 17* vol. des Forschungen, les livraisons 19 à 27 de la
Biographie allemande. Les Index pour les Weisthûmer de Grimm, par
MM. Schrœder et Birlinger, sont sous presse. H en est de même du
14e vol. des Chroniques municipales qui forme le 3^ et dernier volume
des Chroniques de Cologne. Le 13^ volume contiendra les chroniques
bavaroises de Munich, Ratisbonne, Landshut et Mùhldorf. Pour les
Reichstagsacten, le D' Bernheim a terminé le 4^ vol. contenant le début
du règne de Ruprecht. Le 7« vol., confié au D"- Kerler et qui se rapporte
au commencement du règne de Sigismond,est sous presse. MM. Bbrard
et Witte s'occupent des actes du règne de Frédéric HI. Le 5« vol. des
Actes de la Hanse, qui s'étendra de 1400 à 1410, est prêt à imprimer.—
Pour les Jahrbilcher des deutschen Reiches, le 2« vol. de l'hist. de Philippe
et d'Othon IV par M. Winckelmann est terminé. On espère qu'il entre-
prendra celle de Frédéric II. Los Annales de Henri III (2« vol.) par
M. Steindorff, celles de Lothaire par M. Bernhardi, celles de Conrad II
par M. Bresslau sont très-avancées. M. Simson va continuer le Charle-
magne laissé inachevé par M. S. Abel. — Parmi les Histoires des sciences
signalons VHist. de l'Historiographie, par M. Wegele qui va être mise sous
Rev. Histor. V. 2« FASc. 30
ACyi) CHllONIQUR ET lîFBLIOGKAl'HlR.
prcsso. M. (lo no/A)l(l a rccuoilli de nombreux matériaux puur la Carres-
jmndance de WHtclsbach. M. Slieve a donné à imprimor le 4' vol. dos
Lettivs ot Actos pour la guonv do 30 ans, qui conliiMil un tabloau de la
politique bavaroise de 1591-1G07, suivi des actes les plus importants.
Deux autn^s volumes comprendront la correspondance depuis 1607. 1!
n'y a pas vingt ans (juc Maximilien II a créé la Commission liistori(jU(^ ;
plus de cent volumes ont déjà paru par ses soins, et clic n'a rien publié
pour ainsi dire qui ne soit excellent. C'est là un cxeinjjh» (ractivité qui
peut être donné en modèle à toutes les Sociétés savant(>s.
Autriche. — Voici la liste des cours d'histoire des Universités au-
trichiennes de Czernowitz, Innsbrùck, l*rague et Vienne.
C/,EKNûwiTz. — Diidinski/ : Paléographie. — Loserth : Hist. générale.
Ilist. des papes. — Zicglaaer v. BlurnenUial : Hist. d'Autriche. Les Ré-
formes de Marie-Thérèse.
Innsbrùck. — Busson : Hist. du moyen âge. Introduction à l'étude de
l'histoire. — Hiibcr : Hist. d'Autriche. — Stumpf Brenlano : Paléographie.
— Zingerle : Antiquités romaines. Exercices critiques sur Tite-Live.
Prague. — Bachmann : Hist. d'Autriche. — Bippart : Antiquités ro-
maines. Explic. de Tite-Live. — Emler : Diplomatique. Sources de
l'hist. d'Autriche au xiiie siècle. — Goll : Hist. de l'époque do transition
entre le moyen âge et les temps modernes. — Gindely : Hist. d'Au-
triche. — Von Hœflcr : Sources de l'hist. de Charles-Quint. Hist. de
l'Europe occidentale. — Jirecek : Développement historique de la pénin-
sule des Balkans. Hist. de l'Empire latin de Constantinople. — Jung:
Hist. romaine jusqu'à la fin de la République. — Kalousck : Hist. de
Rome au xiv'' siècle. — Pangerl : Hist. d'Autriche au moyen âge. —
Tomek : Hist. d'Autriche. — Werunsky : Hist. du moyen âge.
Vienne. — Bûdingcr : Hist. du moyen âge. — Fournier : Hist. d'Au-
triche. — Hirschel : Hist. de la Grèce après les guerres persiques. Épi-
graphique latine. — Hoffmann : Antiquités romaines. Horawitz : Hist.
de la Papauté. — Karabacek : Hist. des Croisades. — Lorcnz : Hist.
d'Autriche. — Rieger : Paléographie. — Sickel : Hist. de France aux
xvi*^ et xvn' siècles. Diplomatique. — Von Zeissberg : Hist. d'Autriche
à l'époque de la Réforme. — Von Zitkowakij : Hist. des luttes des Alle-
mands et des Slaves au moyen âge.
Italie. — M. Gio. Maria Finazzi est mort à Bergame le 26 mai der-
nier; il était né en 1802. H a publié plusieurs chroniques et documents
historiques relatifs à l'histoire de sa ville natale. Il laisse inédite une
remarquable collection de chartes du x' au xiV siècle, destinées à for-
mer un appendice au Codex diplomaticus Bcrganiensis de M. Mario Lupi.
Il était membre de la Commission d'histoire lombardo-piémontaise.
— Le 21 juillet, le comte Giancarlo Conestabile della Staffa est mort
dans son château de Montemelino, près de Pérouse. Il est bien connu
pour ses travaux sur l'archéologie et l'étude des antiquités étrusques.
Il s'occupa beaucoup aussi de l'histoire de Pérouse. Peu avant de mou-
CHRONIQUE ET ItlBLIOGKAPfllE. 407
rir, il venait d'être nommé professeur à l'Institut des études supérieures
à Florence.
— M. Bartolommeo Bressan, mort le l^-" juillet à Vicence, avait publié
en 1857 (Florence, Le Monnier) un intéressant recueil des Leth^es his-
toriques de Luigi da Porto. Il laisse plusieurs travaux inédits sur l'his-
toire de Vicence, et les matériaux d'une histoire de l'imprimerie ita-
lienne au XV" siècle. Il était proviseur du lycée de Vicence.
— Le P. Paolo Cultrera vient de publier une vie du P. Gioachim
Ventura (Palerme, 1877) qui a joué un si grand rôle aux débuts du
pontificat de Pie IX et qui a laissé la réputation d'un orateur de pre-
mier ordre.
— L'antique et vénérable abbaye de la Cava a entrepris la publica-
tion des précieux documents conservés dans ses archives. Un Français,
M. Paul Guillaume, professeur d'histoire à la Gava, a entrepris d'écrire
d'après ces documents un Essai historique sur l'abbaye (Gava dei Tir-
reni, pr. : 15 fr.). Nous n'oserions affirmer que sa critique'soit irrépro-
chable; mais son œuvre représente un travail énorme et mérite d'être
encouragée par tous les amis de l'érudition. On y trouvera rassemblés
une foule de matériaux dont des index développés rendent l'usage
commode.
— M. Attilio HoRTis, le savant directeur de YArckeografo Triestino,
vient de publier, pour la circulation privée, un petit écrit intitulé : Cenni
di G. Boccacio intorno a Tito Livio dans lequel, à propos d'une notice
sur T. Live attribuée à Boccace, il disserte avec beaucoup d'érudition
et d'agrément sur la connaissance de Tite-Live en Italie au moyen âge.
— La Società di storia patria per le provincie napoletane a ouvert un
concours pour deux travaux historiques sur les sujets suivants: P Re-
lations politiques et commerciales des provinces napolitaines avec le
Levant aux xn« et xni" s. 1° les terres domaniales et féodales des pro-
vinces napolitaines depuis l'établissement de la monarchie au xiv^ s.,
les lois qui les régissaient, et leurs rapports avec le pouvoir royal et le
pouvoir féodal. — Le concours sera ouvert jusqu'en juillet 1878 ; un
prix de 500 fr. est attribué aux mémoires couronnés.
— La Société d'histoire sicilienne a décidé de répartir en 4 séries les
publications de textes qu'elle entreprend : 1" Tahularii où seront recueil-
lis les diplômes les plus précieux concernant l'histoire de la Sicile au
moyen-âge ; les fascicules 1 et 2 du 1" vol. de cette série sont en
vente : / diplomi délia Cattedrale di Messina (Palerme, Vizzi, 2 fr.
chaque). 2° Consuetudini e capitoli municipali ; sont déjà publiés : l^r fasc.
Capitoli, Gabelle et Privilegi délia Città di Alcamo par M. V. Di Gio-
vanni ; 2^ fasc. Statuto, capitoli e privilegi délia città di Castronovu di
Sicilia, par M. L. Tirrito (pr. 3,. 50 chaque). 3° Epigrafia. k" Miscellanea.
M. SiLVESTRi prépare le Tabulario deW Abbazia di S. Filrppo di Fragalù
e S. M. di Maniaci; M. Starrabba un volume de documents relatifs à
l'interrègne (1409-12). M. Michel Amari doit inaugurer la série épigra-
.'»(>8 CHRONIQUE CT IlIItLIOf.JlAI'HIK.
phique p;if la publication des 2" ot 3" parties dps Ëpipraft arabiche di
Sicilia. [\ai !•'«' partie de ces inscriptions, hcrizioni edih\ est on vente
chez Pedone Lauriel, à Palerme, 1 vol. in^" de 96 p. et 10 planches
ou photog., pr. 40 fr., ou 10 fr. le texte seul; la S^ partie contiendra
les inscriptions tuniulaires, et la 3" les inscriptions privées.)
— La lithograpliie et calcographie royale de Toscane va publier un
magnifique ouvrage intitulé Album de la ville et province de Sienne^
œuvre de feu M">« la marquise Fava-Tanari, qui avait entrepris une
collection des armoiries et cachets historiques de toute l'Italie, où
chaque signe et empreinte aurait été éclairci par des documents histo-
riques.
Suisse. — La direction des archives fédérales vient de publier un
volume du Recueil officiel des anciens Recès qui embrasse la période de
1618 à 1648.
— Liste des cours d'histoire des Universités et Académies de la
Suisse française, pour le premier semestre de l'année 1877-78.
Genève. — P. Vaucher. Histoire de l'Europe de 1795 à 1830. Origines
de la Confédération suisse. — A. Roget. Institutions politiques et judi-
ciaires de l'ancienne Genève. — Jousserandot. Histoire de la civilisation.
— Giraud-Tculon. Etude sur les sociétés primitives. — Gh. Morel.
Administration de l'Empire romain, d'après les auteurs et les inscrip-
tions. — Droz. Histoire des religions. — Chastel. Le Christianisme et
l'Eglise au moyen âge.
Neufchatel. a. de Chambrier. Hist. du moyen âge. — Daguet. Hist.
de la Suisse.
Lausanne. — Duperrex. L'Europe de 1815 à 1865. — Huc-Mazelet.
Hist. de la Suisse, de la Réforme à l'acte de médiation.
— La Société d'histoire de la Suisse romande a tenu le 13 septembre,
à Avenches, une séance dans laquelle M. le professeur Hagen, de Berne,
a lu quelques pages d'un mémoire consacré aux antiquités de cette
ville.
— La Société générale d'histoire suisse a tenu le 2 octobre, à Bâle, sa
32* séance annuelle. On nous signale parmi les travaux soumis à l'as-
semblée : la notice de M. le pasteur Riggenbach sur l'humaniste alsa-
cien C. Pcllican, l'auteur de la première grammaire hébraïque publiée
en Allemagne ; — les lettres de Jean-Jacques de Stall au chroniqueur
schaffousois Riiger (dernières années du xvi" siècle), extraites par M. L.
Glutz, de Soleure, des manuscrits de la bibliothèque de Bâle; — la
correspondance des deux frères Jean et Charles Schnell durai:it l'année
1834, communiquée par M. l'archiviste Bloesgh, de Berne ; — quelques
pages de M. A. Roget sur l'impression produite en Suisse par la catas-
trophe des Libertins (1555) ; — enfin et surtout, la très-intéressante
étude sur la bataille de Saint-Jacques (1444), que M. le D"" A. Ber-
NouLLi, de Bâle, a offerte, comme un souvenir de la fête, aux membres
présents de la Société.
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 'Î69
— M. le professeur F. Yetter, de Berne, a publié, à l'occasion du
quatrième centenaire de l'Université d'Upsal, une dissertation dans
laquelle il examine à nouveau les traditions relatives à l'origine sué-
doise des Schwyzois.
— L'abbé Gremaud et M. H. Sghnewly, archiviste de Fribourg,
viennent de publier, aux frais de la Société historique cantonale, le
8e vol. du Recueil diplomatique du canton de Fribourg, qui s'étend de
1431 à 1445.
— Le 35e volume du Geschichtsfreund contient une importante étude
de M. de Liebenau, archiviste du canton de Lucerne, sur les relations
des cantons suisses avec les états européens au milieu du xv^ siècle.
Belgique. — La mort a enlevé le 16 septembre dernier un des his-
toriens les plus consciencieux et les plus originaux de la Belgique.
Jean-Jacques Altmeyer naquit à Luxembourg le 20 janvier 1804. Après
d'excellentes études faites à l'Athénée de cette ville, il fut nommé, à
peine âgé de 21 ans, professeur de rhétorique au collège communal
d'Ypres. Lorsqu'en 1834 les chefs du parti libéral belge eurent fondé
l'Université libre de Bruxelles, Altmeyer y fut chargé des cours d'his-
toire moderne, d'histoire de Belgique et d'histoire ancienne. Pendant
quarante-trois ans, il fut l'une des gloires de l'Université de Bruxelles.
De bonne heure Altmeyer s'était distingué par ses aptitudes pour
les travaux historiques, et il n'avait pas tardé à se créer une place à
part parmi les historiens belges. Il jugeait les événements de haut,
avec une largeur de vue et une franchise parfois un peu rude. Personne
mieux que lui n'avait étudié la philosophie de l'histoire. En 1840, à
Bruxelles, il fit de cette matière l'objet d'un cours public, qui réunit
plus de cinq cents auditeurs. L'économie politique ne lui était pas
moins familière ; il avait professé cette science en même temps que le
droit commercial à l'Ecole de commerce et plus tard à l'Athénée de
Bruxelles.
Pendant quarante ans, Altmeyer a travaillé aux archives, souvent en
collaboration avec d'illustres historiens étrangers, tels que Motley,
Prescott et Ranke.
Parmi ses nombreuses publications, nous citerons : Manuel d'histoire
universelle, 1830 ; Introduction à l'Etude i-ihilosophique de l'histoire de
l'humanité, 1836; un compacte et savant Prm.s de l'histoire ancienne,
envisagée sous le point de vue politique, 1837 ; Histoire des relations com-
merciales et diplomatiques des Pays-Bas avec le nord de l'Europe pendant
le lF/« siècle (avec pièces justificatives inédites), 1840 ; Cours de philoso-
phie de l'histoire, fait publiquement à l'Université de Bruxelles, 1841 ;
Marguerite d'Autriche, sa vie, sa politique et sa cour, 1841 ; Résumé de
l'histoire moderne, 1842; Les Gueux de mer et la prise de la Driclle ;
Précis de l'histoire du duché de Rrabant, 1847; Histoire du comptoir
hanséalique d'Anvers, 1848; Du droit d'asile en Brabant au commence-
ment du XVII J^ siècle, 1852; Une succursale du tribunal de sang, 1853
(d'après des documents des archives de Mons) ; Histoire des campagnes
470 ' CHRONIQUK ET ItlItLIOGUAPHIE.
de Louis XIV en Belgique, 1859 ; Essai sur l'histoire de la civilisation en
Belgique soiis la maison de Bourgogne, 1859 ; Lutte des jjrincipes aristo-
cratiques et dànocratiques au XVI^ siècle (en allemand), 1859.
Au milieu de tous ses travaux, Altmeyer, comme tous les vrais
savants modernes, avait trouvé moyen de se spécialiser^ d'étudier con
amore une partie de l'histoire : c'était le xvi« siècle. Son rêve était de
faire revivre dans un livre fidèle et impartial l'histoire de cette époque
si agitée, si pleine d'enseignements et qui devait avoir des consé-
(]uonces si importantes pour l'histoire de l'humanité. Ni les soins du
professorat, ni ses occupations politiques, ni ses nombreuses publica-
tions ne lui avaient jamais fait perdre de vue cette étude de prédilec-
tion. Les bibliothécaires et les archivistes savent quelle prodigieuse
quantité de matériaux il avait amassée pour élever ce monument his-
torique. Il n'avait encore rédigé que des chapitres isolés, quand la
mort est venue l'arracher à ce travail de plus de vingt ans.
Altmeyer laisse également inachevée une grande Histoire des com-
munes flamandes, dont quatre volumes sont, parait-il, terminés. Dans
le Messager des se. hist. de Gand, il avait publié : Notice sur la ville de
Popcringhe, 1830 ; Traité de Gand., conclu le 15 avril 1540, entre les
ambassadeurs du Roi de Danemark et les délégués de la Reine-régente des
Pays-Bas ; Du rôle politique des Pays-Bas dans les révolutions du Nord,
à l'époque du célèbre bourgmestre Georges Wullewever ; Trêve de Bruxelles
(4 mai 1537).
Il publia aussi de nombreux articles historiques dans le Trésor natio-
nal, dans la Revue trimestrielle., dans le livre des Belges illustres et dans
le Panthéon national.
Altmeyer voyagea beaucoup et fut en relation avec presque tous les
historiens et beaucoup de savants de notre temps. Pendant le second
empire, tous les exilés politiques de la France trouvaient chez lui un
accueil cordial et pendant de longues années on rencontrait dans son
salon Victor Hugo, Michelet, Proudhon, Quinet, Pascal Duprat et
Michel de Bourges.
Sa mort est une grande perte pour l'histoire sincère et consciencieuse
des Pays-Bas. Victor Vanderhaeghen.
— Le 3" centenaire de Rubens, célébré au mois d'août dernier à
Anvers, a été l'occasion de la publication de plusieurs travaux impor-
tants sur le grand artiste. Le plus remarquable est celui de M. Ga-
chard : Histoire politique et diplomatique de Pierre-Paul Rubens., qui
nous révèle un Rubens diplomate aussi actif et occupé que le peintre.
Citons aussi les Documents et Lettres de Pierre-Paul Rubens publiés et
annotés par Gh. Ruelens.
— Le P. Ch. de Smedt, S. J., a publié en 1876, à Gand-Paris-
Louvain, deux volumes en latin qui, dans la pénurie où l'on est de
travaux sur les sources de l'histoire ecclésiastique, ne laissent pas
d'être fort utiles, le premier surtout, intitulé Introduclio generalis ad
Historiam. ecclesiaslicam criticc tractandam., qui est une classification
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 471
méthodique des sources de l'hist. eccl. et des éditions qui en ont été
données. Le second volume : Dissertationes selcctae in primam actatem
hisloriac ecclesiasticae contient sept dissertations en forme scolastique
d'une critique un peu vieillie. Elles ont trait à la venue de saint Pierre
à Rome, à la fixation de la fête de Pâques, à l'auteur des Philosophou-
mena^ aux accusations des Philosophoumena contre Galixte, à la con-
troverse de saint Etienne et de saint Cyprien sur la validité du baptême
des hérétiques, à la définition du Concile d'Antioche sur VHomoiousie^
à la succession des Papes pendant les trois premiers siècles.
— Notre collaborateur M. J.-A. Wijnne vient de publier la 4^ édit.
de son Histoire abrégée de la patrie (Beknopte Geschiedenis van het
Vaderland.Groningen 1877) et la 8« éd., considérablement augmentée,
de son Histoire universelk., !•*'■ vol. : Hist. ancienne (Algemeene Ge-
schiedenis, erste deel, oude Geschiedenis, achtste vermeerderde Druk.
Groningen).
Luxembourg. — Du 10 au 13 septembre a été tenu à Luxembourg
la seconde session du Congrès des .4 înéncanùfex, présidé pai-M. AVurth-
Paquet. Il a été supérieur à celui de Nancy par le nombre comme par
la qualité des travaux qui y ont été présentés. Nous signalerons en
particulier comme intéressantes pour l'histoire les communications de
M. Beauvais sur les Colonies européennes du Markland et de rEscociland
au XIV^ s, et les souvenirs qui en subsistaient aux XV'' et XV 11^ siècles ;
de M. Schœtter , sur Christophe Colomb et Americ Vespuce, où il prouve
que celui-ci ne voulut point diminuer la gloire de Colomb; de
M. Schmitz sur la Destructio7i des Ériés ou Ka-Kwaks par les Sénccas,
tribu des Cinq Nations ; de M. Nadal sur la Législation comparée des
Mexicains sous les empereurs aztecs et des Péruviens à l'époque des Incas.
— On a décidé que la prochaine session du Congrès se tiendrait en
1879 à Bruxelles.
Russie. — On va établir à Saint-Pétersbourg un Institut archéolo-
gique analogue à notre Ecole des chartes. On y enseignera la paléogra-
phie, les antiquités russes, la chronologie, la généalogie, la numisma-
tique, l'art héraldique, la géographie.
— M. OusPENSKY, professeur à Odessa, qui a récemment publié un
livre sur Les premiers royaumes slaves et une monographie sur Nicetas
Acominate, prépare un ouvrage sur les relations des Bulgares avec
l'empire byzantin.
Pologne. — Le 22 mai est mort Melchior Bulinski, professeur d'his-
toire de l'Eglise à l'Académie ecclésiastique de Varsovie jusqu'en 1867.
Il publia une Histoire de l'Eglise en 6 vol. et 4 vol. d'une Histoire de
l'Eglise en Pologne.
Gallicie. — Le 22 avril est mort le comte Maurice Dzieduszycki qui
laisse de nombreux travaux historiques, surtout d'histoire ecclésias-
tique ; le R. P. Skarga et son siècle, 2 v. ; le cardinal Olesnicki, 2 v.,
etc., etc.
472 r.ISTK PKS OtIVKAC.KS DKPOSl'S AU ItHUKAd OK LA IIKVUK.
LISTE DES LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE
[Xoiis n'indiquons pas ceux qui ont été jugés dans les Bulletins
et la Chronique.)
Resancenet (Air. de). Le portcleiiille dun général de la République. Pion. —
Feuillkret et L. de Hiciiemond. lUoj-raphie do la Chareule-Iul'érionrn (Aunis et
Saintonge), 2 vol. Niort, Clouzot. — Gérard. L'ancienne Alsace à table. 2'' éd.
1877. Paris, Herger-Lovrault. — Rameau (l'abbé). Histoire de S. Sigisniond, roi
de Bourgogne et martyr. Genève, Grossel et Treuibley. — RornwiLLER (baron).
Histoire du 2'" régiment de cuirassiers, ancien Royal de cavalerie, 1G35-1876.
Pion.
Draper. Geschichte des amerikanischen Burgerkriegcs ; deutsch von Bar-
tels. 3. vol. Pr. 20 m. Leipzig, Wigand. — GARDiNER.The i)ersonal government
of Charles I 1628-IG37. 2 vol. Londres, Longmans, pr. 24 sh. — Stubbs. Cons-
titutional bistory of England. 2 vol. Londres, Macmillan et C'=.
Palumbo. Maria Carolina regina délie due Sicilie ; suo carteggio con lady
Emma Hamilton ; documenti inediti. Naples, Detken et Rocholl.
Gilbert. Beitrœge zur inneren Geschichte Alhens im Zeitalter des Pelopon-
nesiscben Krieges. — Hertzberg (G. F. von). Geschichte Griechlands. 2^ vol.
Gotha, Perthes. — Hirschfeld. Untersuchungen auf dem Gebiete der rœmis-
chen Verwaltungsgeschichte. 1" vol. : die Kaiserlichen Verwaltungsbeamten bis
auf Diocletian. Berlin. Weidmann 1876. — Hœfler (Const. von). Der Aufstand
der castilianischen Stœdte gegen Kaiser Karl V. 1520-1522. Prague, Tempsky. —
HuHN. Geschichte Lothringens ; livr. 1 à 4 (1" vol.\ Berlin, Grieben. Pr. 1 m.
50 la livr. — Jirecek (Const. von). Geschichte der Bulgaren. Prague, Tempsky
1876. — Sadowsky. Die Handelstrassen der Griechen und Rœmer, trad. du
polonais avec une préface par Kohn. lena, Costenoble. — Sauerland. Die Im-
muniteet von Metz von ihren Anfaengen bis zum Ende des XI Jahrh. Metz,
Long. — ScHMiDT. Das Perikleische Zeitalter. l"vol. léna, H. Dufft. — Schulte.
Die Geschichte der Quellen u. Literatur des canonischen Rechts von Gratian
bis auf die Gegenwart. 1" vol. 1875. 2'' vol. 1877. Stuttgart, Enke.
Errat.\ du précédent numéro.
p. 85, ligne 4, au lieu de : Tavanes, lisez : Martin du Bellay.
_ 87, — 18, — 1525-1536 - 1535-1536.
_ 97^ _ 19, _ 1534 — 1539.
— 100, n. 2, — 1524 — 1544.
— 103, — 3, (fin) et 104, n. 2, au lieu de : cardinal de Lorraine, lisez :
Charles de Lorraine. (Charles de Guise, ou de Lorraine, était
cardinal depuis 1547, mais il ne portait pas encore le titre
de cardinal de Lorraine, parce que son oncle Jean vivait
encore.)
— 108, — 3, au lieu de : 27 juillet, lisez : 25 juillet.
— - 4, - 1518 — 1519.
— 124 au bas, — Vieil-Castel — Viel-Castel (répété 2 fois).
— 207, ligne 24, — Géorgie — Kachétie.
— 227, — 18, — vol. XVI — vol. XVH.
TABLK DKS MATIÈUES. 473
TABLE DES MATIERES.
ARTICLES DE FOND.
Pages
R. Lallier. Gléophon d'Athènes 1
P. Gaffarel. La Fronde en Provence. Seconde partie ; Sa-
breurs et Canivets 20
F. RocQUAiN. Les Refus de Sacrements, 1752-1757. ... 221
A. SoREL. La paix de Bâle 246
MÉLANGES ET DOCUMENTS.
L. DE Mas-Latrie. Le bienheureux Hugues de Pise, arche-
vêque de Nicosie 68
Ch. Paillard. La mort de François le»- et les premiers temps
du règne de Henri H, d'après les dépèches de
Jean de Saint-Mauris (avril-juin 1547) 84
X. MossMANN. Jean de Blotzheim, chancelier de RodolphelY
l'Ingénieux, duc d'Autriche 306
Lettres inédites du cardinal d'Armagnac, annotées par
M. Tamisey de Larroque (fin) 317
Lettres de Sismondi écrites pendant les Gent-Jours . . . 347
BULLETIN HISTORIQUE.
Allemagne. Publications récentes relatives à la Réforme
(A. Stern) 126
Angleterre. Temps modernes (S. Rawson Gardiner). . . 368
France. (G. Fagniez et G. MoNOD.) 121,361
Russie. (J. LouTCHiSKY.) 153
Suisse. (P. Yaucher.) 383
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Arneth. Geschichte Maria Theresia's (A. Sch.efer). . . . 433
Bachmann. Ein Jahr bœhmischer Geschichte (Bezold) . . 413
BissET. The history of thestruggle for parliamentary govern-
ment in England (A. Stern) 430
BouKHAROw. La Russie et la Turquie depuis le commence-
ment de leurs relations politiques (L. Léger) . 217
Brissaud. Les Anglais en Guienne (A. Giry) 414
BuTENVAL. Etablissement en France du premier tarif géné-
ral des douanes (H. Lot) 204
Cordery. The struggleagainst absolute Monarchy (A. Stern) 430
Hev. IIistor. V. -2" FAsc. 31
47J TAItl.K l)i:s MATIKKKS.
Pages
Dk.iikiu.e. Histoire (le rAinériiiuc liii Sud depuis la cdiniurlc
jus(iu';\ nos jours (P. Gaffarel) 400
DKU.viumnE. Kléonoro de Roye (L. PiN(iAUi)) 191
Dkl Giudice. II Giudizio e la condenna di Corradino (().
lI\nT\vin) 411
Du Casse. L'amiral du Casse, 1646-1715 199
Fkret. Le cardinal du Perron (T. de Larroque) 192
Kreeman. Norman conquest (L. Bougier) 171
Gli»:ckler. Pilsass 399
GoLuiEARi). La marine de guerre ; ses institutions militaires
(G. Hanotaux) ' 200
Hoekler. Der Congress von Soissons 431
D'IIuQUES. Une province romaine sous la Rép. (Guiraud) . 167
Jacquemin. Histoire générale du costume du iv* au xix« s. 394
Laugel. Louise do Coligny (T. de Larroque) 421
Neimann et Plassojn. Recueil des traités conclus par l'Au-
triche avec les puissances étrangères 432
Oncken. OEsterreich u. Preussen im Befreiungskriege (A.
Sorel) 442
Péchenard. J.-J. des Ursins (S. Luge) 186
PmLippsON. Heinrich IV und Philipp III (I. Goll). ... 423
Prokesch-Osten. Dépêches inédites du chevalier de Gentz
aux hospodars de Valachie (A. Sorel) 207
Reiset. Lettres inédites de Marie- Antoinette et de Marie-
Clotilde de France 206
Rochas. Les Parias de France et d'Espagne (Luchaire). . 395
Von der Ropp. Zur deutsch-skandinavischen Geschichte des
XV Jahrh (G. Storm) 189
Schlumberger. Les principautés franifues du Levant (G.
Hanotaux) 408
SiMONSFELD. Andréas Dandolo (0. Hartwig) 410
Stuerler. Fontes rerum Bernensium (P. Vaucher). . . . 406
Sydel. Histoire de la Révolution française (A. Sorel) . . 439
Voigt. Moritz von Sachsen 1541-47 (A. Stern) 197
VuLLiEMi.N. Histoire de la Confédération suisse 398
Waitz. Deutsche Verfassungsgeschichte, t. VI et VII (Sohm) 178
LISTE ALPHABÉTIQUE DES RECUEILS PÉRIODIQUES
ET DES SOCIÉTÉS SAVANTES.
FRANCE.
1. Académie des Inscriptions et Belles-Lettres .... 224,451
2. Académie des Sciences morales et politiques. . . . 224,452
3. Analecta juris pontifici 223
4. Bibliothèque de l'École des chartes 218,447
5. Bulletin historique de Tarn-et-Garonne 222
G. Bulletin de la Réunion des officiers 224,451
7. Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest. . . 45-2
TABLE nES MATIÈIIES. 475
Pages
8. Bulletin de la Société d'Histoire du Protestantisme. . 220,451
9. Le Cabinet historique 448
10. Les Chroniques du Languedoc 221,449
11. Le Correspondant 222,450
12. Journal asiatique 448
13. Journal officiel 224,450
14. Journal des Savants 219,448
15. Mémoires de la Société d'émulation du Doubs. . . . 452
16. Musée archéologique 220
17. Nouvelle revue historique de droit 448
18. La Philosophie positive 223
19. Le Polybiblion 448
20. Revue d'Alsace 452
21. Revue archéologique 219
22. Revue de Bretagne 221,449
23. Revue de Champagne •. . 220,449
24. Revue celtique 220
25. Revue chrétienne 223
26. Revue critique 219,447
27. Revue du Dauphiné 221,449
28. Revue des Deux-Mondes 223,450
29. Revue de France 222,450
30. Revue de Gascogne 221,449
31. Revue de géographie 222,450
32. Revue du Lyonnais 222
33. Revue politique et littéraire 222
34. Revue des Questions historiques 218,446
35. Revue des Sociétés savantes 220,452
36. Le Spectateur militaire 224,451
ALLEMAGNE.
1. Anzeiger fiir Kunde der deutschen Vorzeit .... 227,456
2. Deutsche Rundschau 229,456
3. Forschungen zur deutschen Geschichte 227
4. Gœttingische gelehrte Anzeigen 228,455
5. Historische Zeitschrift 226,454
6. lenaer Literaturzeitung 228,455
7. Magazin fiir die Literatur des Auslandes 229,457
8. Nachrichten der Ges. der Wissens. zu Gœttingen . 229
9. Neues Archiv 454
10. Russische Revue 229,457
11. Zeitschrift fur Kirchengeschich te 229
ANGLETERRE.
1. The Academv 230,453
2. The Athenaelim 229,453
3. The Fortnightly Review 454
4. Mac Millan's Magazine 231,454
I7r, TAIlt.K DKS MATIKUKS.
^" Pages
5. The Ninotoonlli ccntury 231,454
G. Tho Westminster Review 231,454
HELGIQUE.
1. Messager (les sciences historiques 225
ESPAGNE.
1. lUnista (le archives, hibliotliecas y museos .... 223
ITALIE.
1. Accademia de' Lincei 232
2. U.Deputazione di sloria patria di Bologna 233,458
3. Archeografo Triestino 232
4. Archivio délia Società roniana di storia patria. ... 232
5. Archivio storico italiano 231,457
6. Archivio storico lombardo 231
7. Archivio storico siciliano 458
8. Archivio storico veneto 232
9. Nuove Effemeridi siciliane '458
SUISSE.
1. Revue Suisse • • ^^^
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
France 234,459
Allemagne 237,463
Angleterre 236, 4o~
Autriche 238,466
Belgique '^"^
Gallicie ^"^^
Italie ^466
Pologne 4^1
Russie -471
Suisse 239,468
Liste des Ouvrages déposés au bureau de la Revue . . . 239,472
Errata 240,472
L'un des proprictair es-gérants, G. Monod.
Imprimerie Gouverneur, G. Daupeley à Nogent-le-Rotrou.
>v' °'-/--<:-.*
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1
R6
t. 5
Revue hi. s torique
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PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
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