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Full text of "Revue historique"

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HANDBOUND 
AT  THE 


UNIVERSITY  OF 
TORONTO  PRESS 


J9*i 


REVUE 


HISTORIQUE 


REVUE 


HISTORIQUE 


Paraissant   tous    les    deux   mois 

SOUS    LA    DIRECTION     DE 

Gabriel    MONOD    et    Charles    BÉMONT. 

Ne  quid  falsi  audeat,  ne  quid  veri  non  audeat  historia. 
Cicéron,  de  Orat.,  II,  15. 

TRENTE-CINQUIÈME  ANNÉE 


TOME    CENT    CINQUIEME 
Septembre -Décembre    1910. 


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PARIS 
FÉLIX  ALCAN,  Éditeur 

108,      BOULEVARD      SAINT- GERMA  IN 

1910 


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t.  foS 


UNE 

FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE 

SOUS  L'ANCIEN  RÉGIME. 


LES  TRAITES  DE  LIES  ET  DE  PASSERIES. 


Entre  le  royaume  de  France  et  le  royaume  d'Espagne,  il  a 
existé  pendant  les  trois  siècles  de  l'ancien  régime  une  fédération 
pyrénéenne.  Ce  fut  un  Etat  singulier  qui  n'eut  ni  capitale,  ni 
gouvernement,  ni  armée,  mais  qui  posséda  des  frontières,  un 
droit  public,  une  politique  et  des  adversaires.  Il  reposait  surtout 
un  ensemble  d'accords  permanents  conclus  entre  vallées  fran- 
çaises et  vallées  espagnoles  et  que  l'on  appelait  lies  el  passeries, 
traités  d'alliance  et  de  paix. 

Les  traités  de  lies  et  de  passeries  ne  sont  guère  connus  des 
historiens.  Ces  curieux  accords  internationaux,  probablement 
uniques  en  leur  genre,  ont  été  seulement  signalés  ou  partiel- 
lement décrits  dans  quelques  ouvrages  relatifs  aux  Pyrénées1. 
Mais,  en  dépit  de  leur  intérêt,  ils  n'ont  encore  fait  l'objet  d'aucun 
travail  d'ensemble.  La  plupart  d'entre  eux  sont  restés  inédits, 

1.  Dralet,  Description  des  Pyrénées,  2  vol.  in-8°,  Paris,  1813,  t.  II,  p.  206- 
208;  Castillon  d'Aspet,  Histoire  des  populations  pyrénéennes,  t.  II,  p.  101, 
124,  370;  Sénac-Moncaut,  Histoire  des  États  pyrénéens,  t.  IV,  p.  630;  J.  Bour- 
dette,  Annales  du  Labéda,  4  vol.  in-8°,  Argelès,  1898-1899, 1. 1,  p.  xxi  etpassim; 
J.-Fr.  Bladé,  Essai  sur  l'histoire  de  la  transhumance  dans  les  Pyrénées 
françaises  (Revue  des  Pyrénées,  1894,  p.  519-530).  —  Savary  des  Bruslons, 
dans  son  Dictionnaire  du  commerce  (3  vol.  in-fol.,  Paris,  1741),  avait  consa- 
cré quelques  lignes  très  brèves  aux  passeries.  —  Le  seul  travail  d'ensemble  sur 
la  question  est  celui  de  P.  de  Castéran,  Traités  internationaux  de  lies  et  pas- 
series (Revue  des  Pyrénées,  t.  IX,  1897).  Il  résume  tout  ce  qui  avait  été  dit 
précédemment  sur  la  question,  et  y  ajoute  un  certain  nombre  de  détails  inté- 
ressants, mais  reste  encore  très  incomplet. 

Rev.  Histor.  CV.  Ie'-  FASC.  1 


2  H.    CAVAILLES. 

enfouis  dans  d'obscures  archives  communales1.  On  n'a  cherché 
ni  à  les  expliquer,  ni  à  les  comparer  entre  eux.  On  n'a  su  ni  en 
dire  l'origine,  ni  en  déterminer  exactement  le  caractère. 

C'est  ce  travail  que  nous  nous  sommes  proposé  de  faire,  et  dont 
nous  soumettons  ici  le  résultat.  Nous  chercherons  d'abord 
quelle  est  l'origine  des  traités  de  lies  et  de  passeries,  —  ce  qu'ils 
ont  été  à  l'époque  de  leur  plein  fonctionnement,  —  la  place  qu'ils 
ont  tenue  dans  l'histoire  de  notre  pays,  —  pour  quelles  raisons 
et  de  quelle  manière  ils  ont  disparu. 

I. 

Le  milieu  géographique.  Les  vallées. 

Le  cadre  de  la  vie  humaine  est,  dans  les  Pyrénées  comme 
dans  tous  les  pays  de  montagnes,  uniformément  la  vallée.  Elle 
est  l'unité  à  la  fois  géographique,  économique  et  politique. 

La  vallée  fournit  à  ses  habitants  le  plus  essentiel  de  leurs 
ressources.  Le  fond,  occupé  et  approprié  par  les  premiers 
habitants,  fut  mis  en  culture.  La  zone  étagée  qui  la  domine  immé- 
diatement servit  à  un  double  usage  :  tandis  que  les  parties  d'accès 
difficile,  trop  abruptes  ou  trop  retirées,  conservaient  leurs  bois 
et  étaient  livrées  à  l'exploitation  commune,  le  reste,  défriché, 
occupé  et  divisé  parles  mêmes  procédés  sommaires  que  le  fond, 
fournit  encore  quelques  terres  aux  céréales  et  aux  légumes,  mais 
surtout  des  prairies  fauchables  et  le  fourrage  sec  de  l'hiver.  Enfin 
les  hauts  pâturages,  la  «  montagne  »,  restèrent  indivis  et  furent 
exploités  par  la  communauté  des  habitants.  Chacun  eut  le  droit 
d'y  envoyer  librement  paître  ses  bêtes,  comme  il  avait  le  droit 
de  se  fournir  de  bois  et  de  fruits  dans  la  forêt.  Quand  il  y  eut  des 
profits  en  argent,  ces  profits  furent  partagés  entre  tous.  Il  y  eut 
là  une  manière  de  communisme.  Que  l'usufruitier  fût  la  vallée,  le 
vicq  ou  la  communauté  de  chaque  locq  (c'étaient  les  trois  formes 
ordinaires  de  l'exploitation  collective),  —  le  fait  essentiel  c'est 
que  la  vallée  fournit  à  ceux  qui  y  élurent  domicile  ses  productions 
en  même  temps  que  son  abri.  De  même  qu'elle  est  un  accident 


1.  Un  seul  de  ces  documents,  le  traité  du  «  plan  d'Arrem  »,  était  imprimé. 
Aussi  a-t-il  fourni  la  matière  de  presque  tout  ce  qui  a  été  dit  sur  les  lies  et 
passeries. 


UNE  FÉDÉRATION  PYRÉNÉENNE  SOCS  l' ANCIEN  REGIME.        3 

topographique,  la  vallée  est  un  fait  d'ordre  économique  et 
humain. 

Mais  si  chacune  d'elles  forme  un  petit  monde  qui  se  suffit  à 
peu  près  à  lui-même,  aucune  n'est  complètement  isolée.  Par- 
dessus les  crêtes,  au  milieu  des  pâturages,  s'ouvrent  des  passages 
faciles,  d'un  accès  commode  pour  les  bêtes  et  pour  les  gens,  plus 
aisés  sans  conteste  que  les  gorges  étroites  par  quoi  le  torrent 
s'échappe  vers  les  régions  basses.  Vers  les  sommets,  souvent,  les 
pentes  s'adoucissent,  d'amples  herbages  se  déroulent  d'un  ver- 
sant à  un  autre  versant.  Des  sentiers,  des  pistes  bien  ménagées, 
qu'un  sûr  instinct  et  un  long  usage  ont  placé  là  où  la  pente  est 
plus  douce  et  le  chemin  plus  aisé,  assurent  de  faciles  communi- 
cations dans  les  hautes  zones.  Dans  l'air  léger  et  sec  des  sommets, 
la  marche  est  un  plaisir  plus  qu'une  fatigue.  Et  puis  le  mon- 
tagnard est  toujours  un  pâtre.  Du  fond  de  la  vallée  où  il  a  fixé 
sa  maison  et  son  champ  et  installé  sa  famille,  il  faut  toujours 
qu'il  s'élève  vers  les  prairies  et  vers  les  pâturages  supérieurs. 
Il  est  plus  fréquemment  attiré  vers  le  haut  que  vers  le  bas,  vers 
les  passages  de  la  montagne  que  vers  les  gorges  par  lesquelles 
on  accède  aux  plaines. 

C'est  ce  qui  explique  que  les  gens  des  vallées  aient  longtemps 
entretenu  moins  de  relations  avec  le  plat  pays  qu'avec  les  vallées 
voisines.  Jusqu'à  l'intendant  d'Étigny,  au  xvme  siècle,  tous  les 
échanges  du  pays  de  Barèges  avec  les  plaines  françaises  se  sont 
laits  par  le  col  du  Tourmalet  et  le  haut  Adour.  De  la  vallée  d'Ossau 
on  passe  aisément  dans  celle  du  Galhego,  en  Espagne,  par  le 
col  du  Pourtalet,  le  Port  vieux  de  Salhen  et  les  vastes  pâturages 
du  Roumiga.  De  même,  au  centre  de  la  chaîne,  le  Plà  de  Béret 
ouvre  un  magnifique  passage  entre  la  vallée  supérieure  de  la 
Garonne  et  la  haute  Noguera.  Et  ce  n'est  pas  seulement  par  les 
cols  que  les  vallées  se  joignent  et  s'unissent  :  c'est  par  les  her- 
bages, les  rocailles  et  les  crêtes,  partout  où  l'herbe  pousse,  où  des 
eaux  sourdent,  partout  où  les  troupeaux  peuvent  vivre  et  où 
l'homme  peut  passer. 

Mais  sur  ces  crêtes  qu'il  atteint,  à  l'ouverture  des  cols,  dans 
les  hauts  pâturages,  il  rencontre  d'autres  hommes  partis  des 
versants  opposés.  Entre  eux,  des  rapports  se  nouent.  Et  ainsi 
une  vie  sociale  se  développe  qui  est  propre  à  la  montagne,  tout 
un  ensemble  de  relations  souvent  très  actives  et  très  étroites. 
Les  montagnes  ne  sont  pas  toujours  des  barrières  entre  les 


4  H.    CAVAILLES. 

hommes,  mais  très  souvent  des  lieux  de  rencontre  et  d'échanges. 
Et  nous  verrons  plus  loin  qu'il  y  eut  longtemps  des  Etats 
pyrénéens,  étendus  sur  la  région  montagneuse  et  s'arrêtant  au 
bord  des  plaines.  Ils  ont  disparu  un  jour,  mais  les  rapports  qui 
les  avaient  créés  ont  duré  beaucoup  plus  longtemps  qu'eux-mêmes 
et  beaucoup  subsistent  encore. 

Ainsi  les  relations  de  voisinage  entre  les  vallées  limitrophes 
Sont  un  des  aspects  les  plus  intéressants  et  un  des  faits  les  plus 
considérables  de  la  vie  montagnarde.  Mais  il  s'en  faut  que  ces 
relations  aient  toujours  été  faciles  ou  seulement  pacifiques.  Très 
longtemps,  la  guerre  fut  une  habitude,  la  forme  la  plus  ordinaire 
des  rapports.  C'est  que  les  causes  de  conflit  étaient  innom- 
brables. 

Il  arrivait  en  maint  endroit  que  deux  vallées  contigues  se 
disputaient  des  pâturages,  soit  parce  que  leur  situation  topogra- 
phique prêtait  à  des  contestations,  soit  parce  qu'il  existait,  en 
faveur  de  l'un  ou  de  l'autre  des  rivaux,  d'anciens  droits  histo- 
riques ou  des  titres  de  propriété  d'interprétation  malaisée.  Ailleurs, 
des  bergers  transhumants  ne  pouvaient  atteindre  leur  «  mon- 
tagne »  qu'en  empruntant  sur  un  parcours  plus  ou  moins  long 
le  territoire  de  la  vallée  voisine.  Et  nombreux  étaient  les  pâtu- 
rages qui  manquaient  d'eau  pour  abreuver  les  troupeaux,  de 
forêts  pour  les  abriter,  tandis  que,  tout  près,  mais  en  terre 
étrangère,  des  eaux  abondantes  jaillissaient  du  sol,  et  de  ver- 
doyantes futaies  opposaient  la  fraîcheur  de  leur  ombre  aux 
ardeurs  du  soleil  méridien.  Il  fallait  d'ailleurs  compter  avec  les 
empiétements  des  pâtres,  volontaires  ou  involontaires,  avec 
l'avidité  et  les  besoins  de  populations  naturellement  rudes, 
souvent  à  l'étroit  dans  leurs  vallées.  Des  bêtes  s'égaraient... 
Elles  étaient  confisquées,  souvent  reprises  de  vive  force.  Et  des 
batailles  s'engageaient... 

Enfin  il  y  avait  de  bons  et  de  mauvais  pâturages  :  les  mauvais, 
où  l'herbe  est  rare  et  sèche;  —  les  bons,  où  elle  est  drue,  nour- 
rissante et  parfumée,  indemne  de  plantes  inutiles  ou  dangereuses. 
C'étaient  d'éternels  sujets  de  discorde.  On  se  disputait  surtout 
ceux  qui  regardaient  au  midi,  parce  qu'ils  sont  les  premiers 
débarrassés  des  neiges  hivernales,  et  que  d'ailleurs  la  végétation 
y  est  toujours  plus  active.  Mais  on  ne  dédaignait  pas  les  pentes 
tournées  à  l'ouest  et  au  nord,  car  on  savait  que,  mieux  arrosées 
par  les  pluies,  elles  conservent  plus  longtemps  la  fraîcheur 


UNE   FEDERATION   PYRENEENNE    SOUS    L  ANCIEN    REGIME.  5 

de  leurs  herbages.  Cette  considération-là,  l'exposition  des  ver- 
sants, essentielle  dans  tous  les  paj'S  de  montagnes,  présentait 
dans  les  Pyrénées  un  intérêt  tout  particulier  parce  que  les  deux 
versants  étant  respectivement  tournés  vers  le  sud  et  vers  le 
nord  (ce  dernier  étant  d'ailleurs  exposé  aux  vents  humides  de 
l'océan),  les  herbages  espagnols  sont  déjà  brûlés  et  appauvris 
depuis  longtemps  alors  que  les  nôtres  sont  encore  abondants  et 
verts.  De  tous  temps,  les  habitants  des  vallées  espagnoles  ont 
réclamé  le  droit  de  mener  en  été  leurs  troupeaux  dans  les  mon- 
tagnes françaises.  Et  tous  les  ans,  d'un  bout  à  l'autre  de  la 
chaîne,  ils  envahissent  une  partie  du  versant  adverse,  pour  rentrer 
chez  eux  l'été  fini.  Il  y  a  là  un  phénomène  d'une  ampleur  singu- 
lière, une  sorte  de  marée,  marquée  au  rythme  des  saisons  et  qui, 
chaque  année,  se  reproduit  avec  la  même  régularité  que  l'ascen- 
sion et  le  retour  du  soleil.  Ces  empiétements  périodiques  étaient 
pour  nos  voisins  une  impérieuse  nécessité.  Mais  on  comprend 
aisément  qu'ils  fussent  la  cause  d'interminables  discussions. 

Aux  conflits  d'ordre  pastoral  s'ajoutèrent  d'autres  difficultés 
qui  provenaient  du  simple  voisinage  des  vallées  :  meurtres,  atten- 
tats contre  les  personnes  et  la  propriété,  police  des  frontières, 
extradition  des  malfaiteurs,  réglementation  des  dettes  entre 
«  voisins  »  de  communautés  différentes.  C'étaient  là  autant  de 
querelles  possibles  qu'il  était  difficile  d'éviter,  car  les  vallées 
étant  indépendantes  et  quasi -souveraines,  chacune  avait  sa 
loi  et  ses  tribunaux.  Enfin,  la  question  des  échanges  commer- 
ciaux n'était  pas  moins  importante.  Il  s'était  produit  une  certaine 
spécialisation  dans  le  travail  et  la  production.  D'autre  part,  les 
vallées  étaient  naturellement  des  lieux  de  passage  et  des  voies 
de  transit  pour  les  produits  des  plaines  voisines.  Les  échanges 
étaient  donc  très  fréquents.  Par  les  ports  de  la  montagne,  les 
Espagnols  venaient  acheter  les  vins  et  les  blés  des  plaines  fran- 
çaises, des  bois,  des  tissus  et  des  animaux.  Ils  apportaient  de  leur 
coté  des  fruits,  des  laines,  des  métaux  ou  du  sel.  Parfois  l'échange 
se  faisait  à  la  frontière  même.  On  montre  encore  sur  certains 
points  de  la  ligne  de  faîte  des  trous  de  forme  régulière  creusés 
dans  la  roche  et  qui  servaient  à  mesurer  le  sel1.  Plus  souvent 
les  transactions  se  faisaient  dans  les  villages  de  la  vallée  et  don- 
naient lieu  à  des  foires  importantes  dont  il  sera  parlé  plus  loin. 

1.  Bulletin  pyrénéen,  1906,  p.  142. 


H.   cav\ii.i,i:s. 


(  les  rapports  de  voisinage  étaient  autant  d'occasions  de  conflits. 
Pour  les  régler,  il  n'y  eut  pendant  des  siècles  qu'un  seul  procédé 
et  une  seule  loi  :  la  force.  Ce  furent  des  batailles  incessantes,  où 
il  \  eut  des  morts  et  des  blessés.  Ce  furent  des  représailles,  des 
vengeances  et  des  rancunes  sans  fin  que  les  générations  se  trans- 
mettaient intégralement  et  qui  alimentaient  de  nouveaux  conflits . 
Longtemps  les  gensd'Ossau  sortirent  de  leur  vallée  et  descendirent 
avec  toute  leur  ost,  rangés  en  bataille  et  enseignes  déployées, 
«  ab  arms  host  feyt  et  senhe  desplegats  »,  sur  le  Pont-Long  et 
autres  lieux  de  la  terre  de  Béarn1.  Pendant  des  siècles,  les  Baré- 
geois  bataillèrent  contre  les  gens  de  Broto  et  contre  ceux  de 
Bielsa  sur  les  hauts  pâturages  d'Ossoue,  de  Gavarnie  et  deTrou- 
mouse.  A  la  fin  du  xviii0  siècle,  les  gorges  et  défilés  de  Pouey- 
Espé  et  de  Bielsa  étaient  encore  «  habités  par  des  troupes  d' Ara- 
gonais  armés  de  gros  mousquets  et  bardés  de  rosaires  » -. 

De  vallée  à  vallée,  ce  furent  partout  les  mêmes  rivalités  et 
les  mêmes  rancunes.  Un  jour  vint  cependant  où  l'on  se  fatigua 
de  ces  incessantes  rencontres.  Alors  on  s'efforça  de  les  éviter... 
Parfois  on  régla  le  différend  à  la  manière  féodale  par  un  combat 
singulier.  Ainsi  firent,  dit-on,  les  pâtres  des  Quatre-Véziaux 
d'Aure,  d'accord  avec  ceux  de  Campan3. 

Il  arriva  aussi  que  l'on  soumit  le  conflit  à  un  arbitrage.  Une 
légende  reproduite  par  Marca4  et,  après  lui,  par  tous  les  histo- 
riens béarnais,  rapporte  que  les  Aspois  étant  entrés  en  armes 
dans  les  vallées  du  Lavedan,  en  Bigorre,  un  abbé  laïc  d'un  village 
proche  du  monastère  de  Saint-Savin  monta  sur  un  sureau.  Et 
là,  «  ayant  lu  quelques  conjurations  dans  un  livre  de  magie,  il 
troubla  le  sens  de  l'entendement  des  Aspois,  en  telle  sorte  qu'ils 
furent  mis  hors  de  défense  par  la  force  des  enchantemens  et 
demeurèrent  exposés  à  la  discrétion  de  leurs  ennemis...  qui  les 
tuèrent  tous  de  sang-froid...  ».  Pour  les  punir  de  leur  cruauté  et 
de  leur  obstination  à  ne  pas  réparer  leur  injure,  le  pape  lança 
un  interdit  sur  la  terre  de  Lavedan,  qui  fut  suivi  d'une  telle 
malédiction  que  l'humeur  végétante  et  séminale  fut  desséchée 


1.  Far  général,  rubr.  XVII  (des  Ossalois),  art.  33. 

2.  Picqué,   Voyage  aux  Pyrénées  françaises,  3e  édition.  Paris,  1829,  p.  220. 

3.  Bulletin  pyrénéen,  1904-1905,  p.  522-523.  L'histoire  légendaire  de  ce  com- 
bat,  lies  répandue  dans  la  vallée  d'Aure,  parait  n'être  qu'une  ingénieuse  com- 
position de  date  récente. 

4.  Marca.  Histoire  de  Béarn.  p.  252  et  suiv. 


UNE    FEDERATION    PYRENEENNE    SOCS    L'ANCIEN    REGIME.  / 

en  toute  la  terre,  que  les  herbes  et  les  arbres  cessèrent  de  fleurir 
et  de  fructifier,  les  brebis  et  les  juments  de  porter  leur  fruit  et 
les  femmes  d'engendrer.  Gela  dura  six  ans.  Les  hommes  du 
Lavedan  envoyèrent  alors  deux  prud'hommes  en  cour  de  Rome 
pour  demander  l'absolution  de  l'interdit.  Le  pape  la  leur  accorda. 
Mais  il  les  força  à  conclure  avec  les  Aspois  une  paix  perpétuelle 
et  à  leur  payer  annuellement  et  à  perpétuité  la  somme  de  trente 
sols  morlaas.  C'est  là  l'origine  du  fameux  tribut  des  médailles 
que  les  Labédanais  ont  acquitté  jusqu'en  1789. 

Mais  ces  arbitrages  étaient  encore  insuffisants.  C'est  alors  que 
les  montagnards  s'efforcèrent  de  prévenir  les  conflits  en  con- 
cluant des  accords  destinés  à  régler  pacifiquement  les  différends 
qui  pourraient  se  produire. 

Les  vallées,  ne  l'oublions  pas,  étaient  indépendantes.  Même 
engagées  dans  les  États  montagnards,  même  très  longtemps 
après  que  ceux-ci  eurent  disparu  au  profit  des  Etats  de  la 
plaine,  elles  conservèrent  le  plein  exercice  de  leur  souveraineté. 
Non  seulement  elles  pouvaient  posséder  en  toute  propriété  la 
terre,  exploiter  librement  les  pâturages,  les  forêts,  les  eaux  et 
les  carrières,  mais  elles  exerçaient  à  peu  près  librement  tous  les 
droits  régaliens.  Elles  ne  payaient  pas  les  redevances  féodales, 
car,  en  montagne,  tout  le  monde  était  libre  et  les  communautés 
étaient  personnes  nobles.  Le  service  militaire,  qu'elles  devaient 
en  cette  qualité  et  qui  était  à  peu  près  leur  seule  obligation,  était 
entouré  de  nombreuses  garanties.  Ainsi  les  gens  d'Ossau  ne 
devaient  prendre  les  armes  que  trois  fois  par  an,  et  seulement 
après  que  le  vicomte  avait  exposé  ses  griefs  dans  une  assemblée 
spécialement  convoquée  à  cet  effet.  Ceux  de  Barèges  ne  devaient 
l'ost  que  dans  des  cas  très  nettement  spécifiés,  en  cas  d'invasion, 
par  exemple.  Encore  n'étaient-ils  tenus  d'aller  que  jusqu'à  une 
limite  fixée  par  le  for  et  avaient-ils  le  privilège  de  marcher  à 
l'avant-garde  et,  dans  la  bataille,  autour  du  drapeau.  Les  mêmes 
garanties  entouraient  l'exercice  de  la  justice  :  les  hommes  de 
Barèges  ne  pouvaient  être  jugés  que  par  la  cour  de  Barèges. 
Ossau  était  lieu  d'asile,  et  tout  fugitif  pouvait  y  vivre  sans  crainte. 
Ainsi  chaque  vallée  était  comme  une  terre  libre,  où  le  suzerain 
n'était  plus  tout  à  fait  chez  lui.  Dans  le  pays  d'Aspe,  le 
vicomte  n'entrait  jamais  sans  exiger  deux  otages,  qui  répon- 
daient de  sa  sécurité  personnelle.  Il  s'avançait  à  cheval  jusqu'à 
un  ruisseau  nommé  le  Loo.  Et  là,  placé  au  milieu  du  courant,  il 


H.    CAVAILLES. 


recevait  les  hommages  des  Aspois  et  se  faisait  livrer  leurs  otages. 

Indépendantes  et  quasi-souveraines,  les  vallées  étaient  comme 
de  petites  nations.  Chacune  d'elles  formait  une  personne  morale, 
un  corps  constitué  et  complet  ou,  comme  on  disait  au  moyen  âge, 
une  université.  Naturellement,  elle  se  gouvernait  elle-même. 
L'autorité  suprême  appartenait  au  peuple  des  habitants,  des  «  voi- 
sins »  investis  d'une  sorte  de  bourgeoisie  rustique.  Sur  convoca- 
tion des  magistrats,  ils  se  réunissaient  en  assemblée  générale  au 
chef-lieu  de  la  vallée,  ceux  de  Barèges  à  Luz,  ceux  de  Cauterets 
dans  le  cloître  de  Saint-Savin,  ceux  d'Ossau  dans  le  «  Sagrary  » 1 
de  l'église  de  Bielle.  Seuls  les  Aspois  se  réunissaient  à  l'écart  de 
toute  localité,  au  centre  même  du  pays,  sur  un  plateau  dominant 
le  gave,  à  l'ombre  d'un  groupe  de  tilleuls  séculaires  qui  avait 
fait  donner  à  ce  lieu  le  nom  de  Tilhabé.  C'était  donc  le  peuple 
tout  entier  qui  formait  l'assemblée  souveraine  de  la  vallée,  et, 
comme  on  disait  en  Azun,  «  la  cort  de  parlament  ».  Il  y  avait 
là  une  véritable  organisation  républicaine.  Et  c'était  bien  une 
«  république  »  que  voulait  être  le  petit  Etat  de  Saint-Savin. 
Ossau,  Aspe  et  Barétous  étaient  aussi  des  républiques  :  bien 
plus  tard,  au  xvne  siècle,  elles  le  rappelleront  encore  dans  leurs 
déclarations  générales2. 

Véritables  seigneuries  collectives,  les  vallées  exercèrent  à 
peu  près  tous  les  droits  régaliens  :  guerre,  justice,  impôts,  droits 
de  légiférer  et  de  posséder  en  toute  propriété,  sans  omettre  le 
droit  de  conclure  des  traités.  Jusqu'au  xvie  siècle,  elles  en 
jouirent  à  peu  près  sans  limitation.  A  partir  de  cette  époque, 
l'action  de  la  monarchie  se  fit  sentir  de  façon  effective  pour  s'affir- 
mer décidément  avec  les  progrès  de  l'absolutisme  et  sous  le  règne 
des  intendants.  Mais,  même  alors,  elle  resta  précaire  et  vague. 
Et  jusqu'à  la  Révolution,  les  vallées  conservèrent,  sous  forme  de 
franchises,  de  coutumes  ou  de  privilèges,  une  grande  partie  de 
leurs  anciennes  libertés.  Ainsi  en  fut-il  du  plus  singulier  et  du 
plus  excessif  de  ces  privilèges  :  celui  de  conclure  des  traités 
avec  l'étranger. 

Ce  sont  ces  traités  qui  font  l'objet  de  notre  étude. 


1.  Le  «  Sagrary  »  (sacrarium)  était  une  salle  voûtée  située  au-dessus  de  la 
sacristie  de  l'église  Saint-Vivien  de  Bielle. 

2.  Il  reste  des  vestiges  de  cette  ancienne  organisation  dans  les  assemblées 
syndicales  des  vallées. 


UNE  FEDERATION  PYRENEENNE  SOUS  L  ANCIEN  REGIME.        'J 
II. 

Origine  des  traités  de  lies  et  de  passeries. 
Les    premières    conventions    entre    vallées. 

On  désigne  communément  sous  le  nom  de  lies  et  de  passeries 
les  traités  conclus  entre  vallées  françaises  et  vallées  espagnoles 
et  rigoureusement  observés  pendant  trois  siècles  de  notre  histoire, 
jusqu'à  la  fin  de  l'ancien  régime.  Ce  sont  ces  grandes  conventions 
qui  ont  attiré  l'attention  des  historiens  et  que  citent  parfois  les 
ouvrages  relatifs  aux  Pyrénées.  Mais  leur  origine  est  restée  très 
obscure  et  leur  caractère  mal  défini  parce  qu'on  n'a  pas  songé  à 
les  comparer  entre  elles.  En  réalité,  il  y  a  dans  leur  histoire  deux 
périodes  parfaitement  distinctes  :  la  première  qui  embrasse  toute 
l'époque  féodale  et  s'étend  jusqu'à  la  fin  du  xve  siècle  ;  —  la 
seconde  qui  comprend  les  xvie,  xvne  et  xvme  siècles.  L'étude 
de  la  première,  par  laquelle  nous  commencerons  naturellement, 
va  nous  expliquer  l'origine  et  nous  permettre  de  comprendre  le 
caractère  des  actes  conclus  pendant  la  seconde,  la  plus  inté- 
ressante. Mais  il  nous  faut  au  préalable  préciser  la  situation 
respective  des  vallées  à  l'époque  où  ces  premières  conventions 
furent  conclues. 

Il  n'y  avait  pas  alors  de  royaume  d'Espagne  ;  et  le  royaume  de 
France  n'était  qu'une  juxtaposition  d'États  féodaux  en  fait  indé- 
pendants. Alors  les  Pyrénées  n'étaient  pas  une  limite  politique, 
car  l'idée  qu'une  chaîne  de  montagnes  doit  être  une  barrière 
entre  deux  peuples  ne  s'est  imposée  qu'assez  tard.  Les  montagnes 
unissaient  les  hommes  bien  plus  qu'elles  ne  les  séparaient.  La  vie 
intérieure  dont  elles  étaient  le  cadre  faisait  d'elles  des  régions  de 
grande  unité.  Et  cette  unité  avait  tout  naturellement  trouvé  son 
expression  dans  de  vastes  États  établis  sur  les  deux  penchants 
de  la  montagne.  Il  en  fut  ainsi  dans  les  Alpes.  Il  en  fut  de  même 
dans  les  Pyrénées,  bien  que  les  vallées  y  fussent  moins  larges  et 
sans  doute  moins  peuplées  et  que  les  communications  y  fussent 
plus  difficiles  de  l'un  à  l'autre  versant.  Comme  le  Dauphiné,  la 
Savoie,  les  Cantons  suisses  ou  les  domaines  autrichiens  dans  les 
Alpes,  les  Etats  pyrénéens  de  Catalogne,  d'Aragon  et  de  Navarre 
réunirent  sous  une  même  loi  des  populations  séparées  en  appa- 
rence par  de  puissantes  chaînes.  Au  xme  siècle,  la  juridiction  des 


10  H.    C A VAILLES. 

comtes  de  Toulouse  s'étendait  encore  sur  la  Catalogne,  tandis 
que  le  roi  d'Aragon  se  prétendait  suzerain  des  comtes  de  Foix  et 
des  vicomtes  de  Béarn,  et  que  les  seigneurs  des  Quatre- Vallées 
se  trouvaient  apparentés  à  leur  maison.  A  la  même  époque,  et 
bien  au  delà  du  xnic  siècle,  le  roi  de  Navarre  régnait  à  la  ibis  sur 
les  bords  de  l'Ebre  et  sur  les  eaux  tributaires  de  l'Adour.  Alors 
les  limites  des  États  pyrénéens  suivaient  le  pied  des  monts  au  lieu 
d'être  dessinées  par  les  crêtes. 

Ainsi  réunies  sous  une  même  domination,  les  vallées  ne  virent 
pas  se  dresser  entre  elles  ces  obstacles  qui  naissent  des  pré- 
tentions rivales  des  États.  Et  comme,  d'autre  part,  elles  étaient 
à  peu  près  complètement  indépendantes,  elles  purent  librement 
échanger,  combattre  ou  négocier.  Les  traités  qu'elles  conclurent 
se  ressemblèrent  tous  parce  que  les  vallées  qui  les  contractaient 
se  trouvaient  toutes,  les  unes  vis-à-vis  des  autres,  dans  les  mêmes 
rapports  réciproques.  Et  voilà  le  caractère  essentiel  des  accords 
conclus  à  l'époque  féodale  :  les  traités  entre  Français  et  Espagnols 
(en  supposant  que  l'on  puisse  dès  cette  époque  employer  ces 
deux  appellations)  ne  se  distinguent  en  rien  de  ceux  qui  furent 
conclus  par  des  Français  entre  eux  ou  par  des  Espagnols  entre 
eux.  Et  nous  pouvons  les  étudier  ensemble. 

D'abord,  ils  sont  les  uns  et  les  autres  de  la  même  époque.  Il 
est  vrai,  les  textes  les  plus  anciens  qui  nous  soient  parvenus  des 
traités  entres  vallées  françaises  et  espagnoles  ( Saint-Savin-Pan - 
ticosa1,  Ossau-Tena2,  Vicdessos- Ferrera3,  Barétous-Roncal4, 
Barèges-Bielsa5,  Barèges-Broto u)  ne  remontent  pas  au  delà  du 
xive  siècle,  alors  que  nous  connaissons  par  des  textes  du 
xnIJ  siècle  plusieurs  accords  conclus  entre  des  vallées  de  même 
versant  (Bagnères-de-Bigorre  et  le  Lavedan7,  Bagnères-de- 
Bigorre,  Tarbes  et  Ibos8,  Ossau  et  Barèges9,  Aspe  et   Os- 

1.  1314.  Arch.  des  Hautes-Pyrénées,  E  897. 

2.  1328.  Arch.  de  la  vallée  d'Ossau,  Cartulaire  de  la  vallée  (Livre  rouge), 
AA1,  fol.  5;  cf.  Ibid.,  DD63. 

3.  1355.  Arch.  municipales  de  Vicdessos. 

4.  1375.  Arch.  des  Basses-Pyrénées,  E2186. 

5.  1384.  Bourdette,  Annales  du  Labéda,  t.  II,  p.  531-533. 

6.  1390.  Ibid.,  t.  II,  p.  125-128.  D'après  Davezac-Macaya  (Essais  historiques 
sur  la  Bigarre,  Bagnères,  1823,  t.  II,  p.  76),  il  y  aurait  eu  un  traité  de  paix 
entre  Barèges  et  Broto  dès  1319. 

7.  1171-1175.  Davezac-Macaya,  ourr.  cité,  t.  I,  p.  246. 

8.  1294.  Arch.  de  Bagnères-de-Bigorre.  Publ.  par  Dejeanne,  Revue  de  lin- 
guistique et  de  philologie  comparée,  1883,  t.  XVI,  p.  163. 

9.  1258.  Arch.  des  Hautes-Pyrénées,  F  20,  fol.  65-67. 


I  NE    FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SOCS   L'ANCIEN    RÉGIME.  1  1 

sau1).  Mais  cette  différence  de  date  est  tout  apparente,  car  nous 
savons,  à  n'en  pas  douter,  que  les  documents  franco-espagnols  du 
xive  siècle  avaient  eux-mêmes  été  précédés  d'autres  accords  beau- 
coup plus  anciens.  Le  traité  de  1328  entre  les  hommes  d'Ossau 
et  ceux  de  Tena  cite  «  la  carte  de  la  patz  antica.  »  Et  dans  le 
rafraîchissement  de  1646  de  ce  même  acte,  il  est  fait  mention 
«  d'un  autre  si  vieux  et  si  antique  que  l'on  a  perdu  tout  souvenir 
de  son  origine2  » .  D'autre  part,  certaines  dispositions  de  ces  mêmes 
pactes,  comme  le  tarif  des  compositions,  remontent  bien  au  delà 
du  xivc  siècle  et  permettent  de  leur  attribuer  une  date  certai- 
nement plus  ancienne3.  De  tous  ces  faits,  on  doit  conclure  que 
les  traités  franco-espagnols  sont  contemporains  des  premières 
conventions  conclues  entre  vallées  de  même  versant,  que  les 
uns  et  les  autres  ont  été  vraisemblablement  rédigés  au  xnc  siècle 
et  qu'ils  ont  été  certainement  précédés  d'accords  beaucoup  plus 
anciens  qui  étaient  de  simples  ententes  verbales. 

Les  deux  groupes  de  traités  étaient  donc  de  même  date.  Ils 
ont  eu  aussi  le  même  caractère  et  le  même  objet.  Une  étude  rapide 
va  nous  permettre  de  constater  qu'ils  sont  essentiellement  des 
conventions  pastorales,  des  traités  d'abornements,  de  compas- 
cuité  et  de  voisinage  sans  aucun  caractère  politique.  En  voici 
les  principales  dispositions. 

D'abord  les  traités  proclament  la  paix,  une  paix  perpétuelle, 
placée  sous  la  garantie  unique  de  la  foi  jurée  et  des  châtiments 
que  Dieu  réserve  aux  traîtres.  La  paix  des  hommes  d'Ossau  avec 
ceux  de  Tena4  est  solennellement  jurée  sur  les  saints  Evangiles 
et  sur  la  vraie  croix  «  corporellement  touchés  ».  La  paix  de 
Barèges  avec  Broto5  est  conclue  pour  cent  un  ans.  Celui  qui 
l'aura  violée  sera  réputé  faux  et  traître.  La  paix  d'Ossau  sera 
perpétuelle. 

Ces  traités  de  paix  sont  aussi  des  conventions  d'abornements  très 

1.  1187  et  1225.  Arch.  de  la  vallée  d'Ossau,  AA  1  {Livre  rouge),  fol.  20.  — 
1270.  Arch.  des  Basses-Pyrénées,  E  2334. 

2.  «  Se  Lan  mention  de  otra  tan  vieja  y  antigua  que  no  hay  délia  memoria 
ni  de  su  principio.  »  Arch.  de  la  vallée  d'Ossau,  DD74. 

3.  Voir  les  tarifs  de  compositions  des  traités  de  Saint-Savin  avec  Panticosa 
et  d'Ossau  avec  Tena.  Le  dernier  est  à  peu  près  identique  au  tarif  contenu 
dans  le  For  de  Morlaas  et  dans  le  For  général  de  Béarn,  rédigés  le  premier 
en  1220,  le  second  en  1288,  mais  beaucoup  plus  anciens  eux-mêmes,  probable- 
ment de  la  lin  du  xr  siècle. 

4.  1328,  art.  1.  Arch.  de  la  vallée  d'Ossau,  DD  63. 

5.  1390.  Dans  Bourdette,  Annales  du  Labéda,  t.  II,  p.  127. 


12  H.    CAVAILLÈS. 

minutieux  qui  fixent  les  limites  des  pâturages  respectifs,  décrivent 
le  terrain,  énumèrent  les  rochers  marqués  et  les  bornes  sépara- 
tives.  «  Nous,  arbitres,  dit  l'accord  de  Barétous  avec  Roncal1, 
avons  signalé  et  croisé,  en  creusant  au  bas  de  la  dite  pierre  Saint- 
Martin  et  par  les  côtés,  sur  lesquels  il  a  été  fait  diverses  croix 
incisées  au  marteau  et  ciseau  sur  pierre  ferme.  Et  de  là,  il  a  été 
fait  diverses  croix  et  signaux  jusqu'à  la  première  colline  d'où 
l'on  voit  la  plaine...  »  D'autres  fixent  delà  même  manière  les 
limites  des  pâturages  communs2. 

Ils  règlent  l'usage  des  herbes,  des  eaux  et  des  bois,  le  passage 
du  bétail  d'un  pâturage  dans  un  autre,  dans  le  cas  où  il  doit 
emprunter  un  territoire  étranger.  Le  traité  de  1297  entre  Tarbes 
et  Ibos  établit  les  limites  que  le  bétail  malade  ne  pourra  dépas- 
ser, les  points  où  il  pourra  boire,  les  routes  qu'il  devra  suivre. 
Plus  curieux  et  à  coup  sûr  plus  connu  est  l'accord  conclu  en 
1375  entre  les  Navarrais  de  la  vallée  de  Roncal  et  les  Béarnais 
de  Barétous.  Sur  leur  commune  frontière,  les  pâtres  des  deux 
pays  avaient  longtemps  bataillé,  car,  le  territoire  béarnais 
manquant  de  sources  pour  les  troupeaux,  les  bergers  de  ce 
côté-là  de  la  frontière  tenaient  à  mener  leurs  bêtes  sur  les  pâtu- 
rages navarrais  où  ils  savaient  trouver  de  l'eau,  et  leurs  voisins 
prétendaient  les  en  empêcher.  Après  d'innombrables  rencontres, 
les  deux  parties  décidèrent  de  se  soumettre  à  un  arbitrage,  et  la 
décision  des  arbitres,  acceptée  des  deux  côtés,  devint  le  traité 
de  1375.  Il  reconnaissait  aux  Béarnais  le  droit  de  mener  leurs 
bêtes  en  Navarre,  mais  les  astreignait  à  certaines  obligations. 
«  Les  habitants  du  lieu  d'Arette,  dit-il,  pourront  entrer  avant  et 
premièrement  pour  le  présent  et  l'avenir  avec  leurs  troupeaux 
et  bestiaux,  grands  et  petits,  soit. des  leurs  propres,  soit  avec 
ceux  qu'ils  ont  accoutumé  d'y  mener  des  habitants  de  la  vallée  de 
Barétous,  dans  le  territoire  et  terme  du  port  du  milieu  conten- 
tieux, depuis  le  jour  et  fête  des  sept  martyrs  et  non  avant,  pour 
y  pacager  pendant  vingt-huit  jours  durant  et  ensuivant,  de  les 
abreuver  aux  dites  fontaines,  franchement  et  librement,  à  la 
charge  de  ne  pouvoir  parquer  ni  gîter  de  nuit  dans  ledit  port 
contentieux...3.  »  En  compensation,  et  sans  doute  pour  marquer 

1.  1375.  Arch.  des  Basses-Pyrénées,  E2186.  Voir  le  compromis  de  1425  entre 
Saint-Savin  et  Panticosa  (Arch.  des  Hautes-Pyrénées,  E  897). 

2.  Barèges-Broto,  1390. 

3.  Traité  de  1375.  Trad.  Marque,  Roncal  et  Barétous.  La  Junte,  dans  le 
Glaneur  d'Oloron,  26  juin,  3,  10  et  17  juillet  1897. 


UNE    FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SOUS    L'ANCIEN    REGIME.  13 

qu'ils  n'avaient  sur  le  versant  navarrais  qu'un  simple  droit 
d'usage,  les  Béarnais  s'engageaient  à  fournir  un  tribut  annuel 
de  «  trois  vaches  génisses  de  l'âge  de  deux  ans  ».  Telle  est  l'ori- 
gine de  ce  singulier  usage  qui  s'est  conservé  jusqu'à  nous.  Le 
tribut  des  trois  vaches  n'est,  en  somme,  que  le  prix  de  location 
des  herbes  et  des  eaux,  le  simple  loyer  du  territoire  dont  le 
traité  reconnaissait  l'usage  aux  Béarnais1. 

Les  vallées  défendaient  avec  une  extrême  énergie  leur  droit 
exclusif  à  exploiter  elles-mêmes  leurs  pâturages.  Tout  animal 
étranger  surpris  à  pacager  sur  leurs  terres  était  impitoyablement 
saisi,  en  vertu  du  droit  de  carnal  ou  camau,  une  des  formes  du 
droit  de  pignore  et,  à  vrai  dire,  la  plus  usitée.  Le  droit  de  car- 
naler  les  animaux  qui  broutaient  indûment  les  herbes  de  la 
vallée  ou  buvaient  ses  eaux  était  un  droit  fondamental  dont  les 
traités  s'appliquent  à  mettre  le  principe  hors  de  contestation. 
«  Voulons,  ordonnons  et  arrêtons...  qu'il  y  ait  droit  de  pignore 
pour  toujours  entre  les  habitants  de  Quinon  de  Panticosa  et  ceux 
du  Lavedan.  »  Et  pour  mieux  établir  ce  droit  et  le  défendre 
contre  toute  atteinte,  le  même  traité  ajoute  que  tout  particulier 
convaincu  d'avoir  enlevé  une  pignore  par  la  force  ou  de  s'être 
révolté  contre  ceux  qui  la  font  légitimement  sera  arrêté,  jugé 
comme  voleur  manifeste  et  pendu  par  le  pied'2. 

Les  contractants  avaient  d'excellentes  raisons  pour  insister 
sur  le  droit  de  carnal  et  le  maintenir  jalousement.  D'abord,  ils 
avaient  une  raison  juridique,  l'usage  de  confisquer  les  bêtes 
étrangères  étant  comme  une  affirmation  du  droit  de  propriété 
supérieure  de  la  vallée  sur  les  herbages  où  les  animaux  avaient 
été  surpris.  Mais  nous  croyons  qu'il  y  avait  autre  chose.  Les 
montagnards  savaient  que,  faute  de  l'établir  clairement  et  de  le 
réglementer,  la  vallée  s'exposait  à  toutes  sortes  de  dangers  :  en 
vertu  du  droit  de  marque  ou  de  représailles3  qui,  longtemps, 
avait  été  la  seule  règle  des  rapports  entre  habitants  des  vallées, 
un  créancier  ou  simplement  un  homme  qui  se  croyait  lésé  dans 
ses  intérêts  était  autorisé  à  se  dédommager  non  seulement  sur 
son  débiteur,  mais  sur  les  «  voisins  »  de  celui-ci  et  sur  tous  ceux 
de  son  quartier  ou  de  sa  vallée.  Si  le  droit  de  carnaler  les  ani- 


1.  Voir,  plus  loin,  en.  iv  et  vi. 

2.  Saint-Savin-Panticosa  (1314). 

3.  On  verra  plus  loin  quel  usage  les  gouvernements  ont  fait  du  droit  de 
représailles  en  délivrant  des  lettres  de  marque. 


14  H.    CA VAILLES. 

maux  étrangers  avait  été  laissé  à  l'initiative  de  chaque  particu- 
lier, il  en  aurait  été  naturellement  fait  abus,  ce  qui  aurait  amené 
des  représailles  de  la  part  de  la  vallée  lésée  sur  celle  où  la  bote 
aurait  été  carnalée.  C'est  pour  éviter  ces  excès  que  les  vallées 
s'entendent  et  réglementent  la  pratique  des  pignores.  Elles 
s'engagent  à  ne  pas  pignorer  le  bétail  perdu,  si  la  bonne  foi  du 
propriétaire  est  démontrée1,  à  ne  pas  prendre  une  bête  portant 
sonnette,  à  prévenir  dans  les  trois  jours  le  propriétaire  de  l'ani- 
mal confisqué.  Elles  décident  que  certains  lieux,  des  chemins 
ou  des  abris,  seront  hors  des  atteintes  des  carnaleurs2.  Elles 
remplacent  parfois  la  saisie  directe  du  bétail  par  un  droit  en 
argent  fixé  à  l'avance  et  uniforme3.  Enfin  elles  arrêtent  que  nul 
ne  pourra  pignorer  s'il  n'y  est  autorisé  par  toutes  les  communes 
de  son  parti4.  Voilà  la  précaution  essentielle  :  pour  éviter  les 
abus  du  droit  de  pignore,  chaque  vallée  se  charge  de  l'exercer 
elle-même.  A  l'initiative  des  individus,  elle  substitue  sa  propre 
responsabilité. 

Les  dispositions  qui  précèdent  sont  propres  à  prévenir  les 
conflits.  D'autres  sont  destinées  à  punir  les  attentats  contre  la 
propriété  et  contre  les  personnes. 

Les  voleurs  de  bétail  sont  très  sévèrement  traités,  chose  toute 
naturelle  dans  une  société  qui  vit  surtout  de  l'élevage5.  Quant 
aux  personnes,  elles  sont  protégées  par  des  tarifs  de  com- 
positions que  l'on  retrouve  dans  tous  les  traités".  Chacun  d'eux 
fixe  les  sommes  à  payer,  en  cas  de  violences,  aux  victimes  ou  à 
leurs  familles.  L'accord  des  hommes  d'Ossau  avec  leurs  voisins 


1.  Ossau-Tena  (1328),  art.  17. 

2.  Ibid.,  art.  19;  Barèges-Broto  (1390). 

3.  Ossau-Tena;  Barèges-Broto. 

4.  Saint-Savin-Panticosa  (1314). 

5.  Le  vol  d'une  vache  entraîne  une  amende  de  vingt-cinq  sous  morlaas  ;  d'un 
cheval,  trente  sous;  d'un  âne  vingt  sous;  d'un  mouton  trois  sous  (Ossau-Tena, 
1328).  Si  le  voleur  s'est  emparé  de  toute  une  cabane  de  gros  ou  de  menu  bétail, 
il  paiera  neuf  cents  sous  morlaas  (ibid.).  Les  traités  entre  Ossau  et  Aspe  (1270), 
entre  Saint-Savin  et  Panticosa  (1314)  contiennent,  à  peu  de  chose  près,  les  mêmes 
dispositions. 

6.  Les  tarifs  de  compositions  étaient  très  fréquents  dans  les  chartes  d'affran- 
chissement du  xtr  siècle.  Ils  tendaient  surtout  à  empêcher  le  seigneur  d'em- 
ployer son  droit  de  justice  à  tirer  de  l'argent  des  habitants.  C'est  le  cas  pour 
les  Fors  de  Béarn  (Fors  de  Béarn,  éd.  Mazure  ;  For  général,  XLIX,  art.  158, 
159,  160;  LI,  163-165;  LU,  178,  179;  For  de  Morlaas,  XXIV,  36,  etc.).  Les 
traités  ont  adopté  ce  régime  qu'ils  jugeaient  utile  au  maintien  de  la  paix. 


UNE    FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SOUS    L'ANCIEN    RÉGIME.  15 

de  Tena  (1328)  fixe  à  900  sous  morlaas  le  prix  d'un  meurtre  ;  à 
450  sous  celui  d'un  membre  perdu,  main,  pied,  œil  ou  nez;  à 
100  sous  une  «  plaie  majeure  »  ou  une  dent;  à  quarante  sous, 
la  valeur  d'un  coup  de  bâton1.  Divers  articles  indiquent  les 
moyens  de  faire  la  preuve,  les  dates  auxquelles  auront  lieu  les 
paiements,  la  procédure  à  suivre,  ênumèrent  les  parents  qui 
pourront  prétendre  à  la  composition  en  cas  de  mort  de  la  vic- 
time2. Tout  cela  était  encore  très  barbare,  mais  valait  mieux 
sans  aucun  doute  que  la  guerre  quotidienne  de  vallée  à  vallée. 

Enfin,  pour  l'application  de  ces  mesures,  les  traités  déter- 
minent et  fixent  les  rapports  des  habitants  de  chacune  des  deux 
vallées  avec  la  vallée  alliée.  Les  habitants  unis  par  la  paix 
(jiatzers)  doivent  s'aider  mutuellement,  et  celui  qui  refusera  son 
aide  à  un  plaignant  encourra  une  amende,  sauf  dans  le  cas  de 
raison  majeure3.  Vis-à-vis  de  l'allié,  les  hommes  d'une  même 
vallée  doivent  partager  les  mêmes  responsabilités  :  «  Si  un  ou  des 
Barégeois  se  rendent  coupables  de  meurtre,  de  pillerie,  d'in- 
cendie..., etc.,  envers  un  Bielsois,  le  dommage  sera  réparé  par 
les  coupables  suivant  l'estime  qui  en  sera  faite  par  six  hommes 
élus,  trois  parmi  les  Barégeois,  trois  parmi  les  Bielsois.  En  cas 
d'insuffisance  de  leurs  biens,  la  vallée  de  Barèges  en  corps  fera 
le  manquant4.  »  Deux  articles  du  traité  de  1328  entre  Ossau  et 
Tena  établissent  avec  une  remarquable  netteté  la  gradation  des 
responsabilités  :  l'homme;  les  vesis  (voisins,  «  bourgeois  »  du 
même  lieu)  ;  le  vicq  (béarnais)  ou  quinhon  (aragonais),  quartier 
d'une  même  vallée;  la  vallée  entière  (tota  la  val)h.  Enfin  les 
traités  garantissent  la  sécurité  et  les  biens  des  habitants  du 
pays  allié  de  passage  dans  l'autre  pays.  Les  habitants  de  chaque 
vallée  pourront  donc  en  toute  sécurité  circuler,  aller  et  revenir 
dans  toute  l'étendue  de  la  vallée  voisine''. 

Des  articles  spéciaux  garantissaient  tout  particulièrement  la 
sécurité  des  hôpitaux  de  montagnes.  Ces  hôpitaux  étaient  alors 
fort  nombreux,  car  les  Pyrénées  étaient  pays  de  passage.  Les 

1.  Ossau-Teîïa  (1328);  Saint-Saviii-Panticosa  (1314);  Bagnères-de-Bigorre- 
Barèges  (1171-1175),  etc. 

2.  Ossau-Aspe  (1187). 

3.  Traité  d'Ossau  avec  Tena  (1328),  art.  21;  traité  de  1187-1225  (Ossau- 
Aspe). 

4.  1384,  art.  7. 

5.  Art.  8  et  2G. 

6.  1384,  art.  9.  Tarbes-Bagnères-Ibos  (1294). 


16  H.    CAVAILLÈS. 

ports  de  la  montagne  étaient  très  fréquentés,  bien  plus  qu'ils  ne 
le  sont  aujourd'hui.  Marchands  qui,  de  France,  allaient  vers  les 
pays  chrétiens  ou  musulmans  de  l'Espagne;  soldats,  coureurs 
d'aventures  et  chevaliers,  allant  porter  aux  croisés  d'outre-monts 
le  secours  de  leur  épée,  leurs  énergies  et  aussi  leurs  folles  ambi- 
tions; pèlerins  enfin,  très  nombreux,  attirés  par  les  mérites  de 
Saint-Jacques  de  Compostelle,  tous  franchissaient  les  cols  des 
Pyrénées,  surtout  ceux  du  Béarn  et  de  la  Basse-Navarre,  d'accès 
plus  facile.  Pour  secourir  les  voyageurs,  des  moines  d'ordres 
divers,  des  Hospitaliers  le  plus  souvent,  y  installèrent  des  hôpi- 
taux. Ainsi  fut  fondé  l'hôpital  de  Saint-Jean  de  Gavarnie,  au 
pied  du  port  qui  mène  à  Torla 1 .  Ailleurs  se  développèrent  d'autres 
établissements  étrangers  à  l'ordre  de  Saint-Jean  et,  pour  la  plu- 
part, beaucoup  plus  anciens.  Le  plus  fameux  de  ceux-là  fut  l'hô- 
pital de  Sainte-Christine,  fondé  vers  1108  par  Gaston  IV,  vicomte 
de  Béarn,  sur  le  versant  méridional  du  Somport,  à  l'entrée  du 
royaume  d'Aragon.  Cet  établissement,  très  richement  doté  par 
les  souverains  de  Béarn,  les  rois  d'Aragon,  de  Hongrie  et  de 
Bohême,  et  par  nombre  de  seigneurs  espagnols  et  français, 
devint  un  des  plus  florissants  de  la  chrétienté  et  détacha  plusieurs 
maisons  en  Béarn2  et  en  Basse-Navarre.  Tous  ces  établissements 
furent  placés  sous  la  sauvegarde  des  traités.  La  convention  de 
la  vallée  d'Aspe  avec  la  vallée  d'Ossau  déclare  que  l'hôpital  de 
Sainte-Christine  est  mis,  avec  toutes  ses  dépendances,  ses 
moines,  ses  serviteurs,  ses  hôtes  et  tous  les  objets  qu'il  possède, 
sous  la  protection  des  contractants3. 

Enfin,  les  vallées  désignent  des  agents  publics  chargés  de 
veiller  à  l'exécution  des  pactes.  Ces  agents,  que  nous  pourrions 
appeler  les  «  répondants  de  la  paix  »,  sont  mentionnés  dans  plu- 
sieurs traités4.  Ils  étaient  choisis  par  chaque  vallée  dans  la 
vallée  alliée  et  parmi  ses  habitants,  à  raison  de  un  de  chaque 
côté.  Il  pouvait  y  en  avoir  deux5.  Ces  «  juges  champêtres  » 

1.  A.  du  Bourg  {Histoire  du  grand  prieuré  de  Toulouse  de  l'ordre  de 
Malte,  1883)  donne  la  liste  des  établissements  hospitaliers.  Cf.  Casteran,  art. 
cité,  p.  8,  note  1. 

2.  Gabas,  entre  autres. 

3.  1187-1225. 

4.  Ils  sont  désignés  par  les  noms  de  fidance  besiau  (Aspe-Ossau,  1187-1225), 
fidancia  vicinalis  (ibid.,  1270),  juge  champêtre  (trad.  du  traité  de  Saint-Savin- 
Panticosa,  1314),  fermaza  patzera  ou  franca  patzera  (Ossau-Tena,  1328). 

5.  Par  exemple  Aspe-Ossau  (1187-1225). 


UNE   FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SOUS   i/ANCIEN    RÉGIME.  17 

étaient  chargés  de  surveiller  les  pâturages,  de  trancher  les  con- 
flits, de  faire  des  saisies,  de  prononcer  des  amendes.  Ils  étaient 
armés.  Chacun  était  tenu  de  leur  obéir;  des  peines  et  des 
amendes  étaient  portées  contre  ceux  qui  contrevenaient  à  leurs 
ordres  ou  leur  imposaient  des  déplacements  inutiles.  Le  meur- 
trier d'un  répondant  de  la  paix  devait  payer  une  composition 
double  de  la  composition  ordinaire.  A  côté  de  ces  agents,  les 
traités  mentionnent  les  arbitres,  les  experts1  et  témoins2  et  en 
réglementent  les  fonctions. 

Grâce  à  la  conclusion  des  traités,  les  conflits  devinrent  d'assez 
bonne  heure  beaucoup  plus  rares  et  surtout  moins  graves.  Il 
n'y  eut  pas,  sur  les  sommets  les  plus  inaccessibles,  un  rocher, 
un  brin  d'herbe,  un  mince  filet  d'eau  qui  ne  fussent  attribués  à 
l'une  ou  à  l'autre  des  vallées,  et  dont  l'usage  ne  fût  parfaitement 
réglementé.  Et  les  autres  différends  qui  pouvaient  naître  entre 
les  montagnards  étaient  pour  la  plupart  prévus  et  recevaient  une 
solution  satisfaisante.  Ainsi,  d'un  bout  à  l'autre  et  sur  les  deux 
versants  de  la  chaîne,  il  y  eut  une  infinité  de  conventions  et 
d'ententes,  cartas  de  pax  ou  patzariâs3,  patzerias^,  cartas 
de  la  patzb,  carta  qua  continetur  paœQ,  concordats  et 
partages1.  Ce  sont  de  frustes  arrangements,  maladroits  et 
naïfs,  de  rudes  traités  pleins  de  longueurs,  de  répétitions  et  d'obs- 
curités. Mais  ces  informes  monuments  d'un  âge  de  violence 
nous  intéressent  parce  qu'ils  marquent  un  effort  d'organisation 
et  qu'ils  sont  un  recours  émouvant  du  droit  contre  la  force. 
Chaque  vallée  avec  chaque  vallée  a  traité,  et  ainsi  toutes  se  sont 
prémunies  contre  les  conflits  qui  pouvaient  naître  de  leur  voi- 
sinage, de  leurs  intérêts  rivaux,  des  mœurs  batailleuses  du 
temps  où  l'on  vivait. 

En  dépit  de  quelques  variantes  inévitables,  tous  ces  traités  se 
ressemblent.  Il  n'y  a  aucune  différence  entre  ceux  qui  unissent 
des  vallées  de  même  versant  et  ceux  qui  unissent  des  vallées 
opposées.  Nous  dirons  plus  :  les  traités  pyrénéens  de  l'époque 


1.  Barèges-Bielsa  (1384),  art.  6,  7. 

2.  Ossau-Tena  (1328),  art.  G,  7. 

3.  Ossau-Tena. 

4.  Barétous-Roncal. 

5.  Ossau-Aspe. 

6.  Bagnères-de-Bigorre  et  Barèges. 

7.  Arch.  d'Ossau,  DD  75. 

REV.   HlSTOR.   CV.   1er  FASC. 


18  H.    CAVAILLES. 

féodale  ressemblent  à  beaucoup  de  conventions  conclues  par  des 
communautés  alpestres  et  autres  populations  montagnardes.  Ils 
présentent  même  d'incontestables  analogies  et  une  étroite 
parenté  avec  les  traités  adoptés  un  peu  partout  par  les  paroisses 
du  plat  pays  soit  spontanément,  soit  sous  l'influence  de  l'Eglise1. 
L'association,  le  serment2,  les  garanties  étendues  aux  animaux 
et  aux  granges,  la  protection  spéciale  assurée  aux  hôpitaux  et 
aux  monastères,  les  peines  prononcées  contre  les  infracteurs  de 
la  paix  sont  autant  de  traits  communs.  Les  premiers  traités 
pyrénéens  sont  des  conventions  pastorales  et  ont  été  librement 
conclus  par  des  communautés  souveraines.  Et  par  ces  deux 
traits,  ils  se  distinguent  de  la  plupart  des  traités  similaires  et 
contemporains.  Mais,  pour  tout  le  reste,  ils  ne  présentent  avec 
ceux-là  aucune  différence  fondamentale.  Ils  répondent  aux 
mêmes  besoins  et  ont  le  même  objet  :  la  paix.  Et  l'on  peut  ainsi 
les  considérer  les  uns  et  les  autres  comme  des  institutions 
analogues. 

Nous  nous  proposons  de  montrer  que  des  circonstances  pure- 
ment historiques  allaient,  de  plusieurs  de  ces  traités  pyrénéens, 
faire  sortir  des  actes  très  différents  :  les  grands  traités  de  lies  et 
de  passeries  des  xvie,  xvne  et  xvnr3  siècles. 


III. 


Transformation  des  conventions  pastorales 
en  traités  politiques. 

Un  grand  changement  s'accomplit  un  jour  dans  la  situation 
des  vallées.  En  1173,  les  Béarnais  refusèrent  de  reconnaître 
l'acte  d'hommage  par  lequel  la  vicomtesse  Marie  avait  placé  ses 
domaines  sous  la  suzeraineté  de  l' Aragon,  et  l'avènement  de  la 
maison  de  Moncade  consacra  l'état  de  souveraineté  de  leur 
petit  pays.  Un  siècle  plus  tard  (1292),  la  Bigorre,  que  tant  de 
liens  unissaient  au  Béarn,  était  placée  par  ordre  de  Philippe  IV 

1.  Voir  dans  Sémichon,  la  Paix  et  la  Trêve  de  Dieu  (2  vol.  in-16,  Paris, 
1869),  la  constitution  de  la  Paix  et  de  la  Trêve  de  Toulouges,  t.  I,  p.  63,  de 
Clermont,  139,  et  passim. 

2.  Les  associés  pouvaient  être  appelés  à  jurer  la  paix  depuis  l'âge  de  qua- 
torze ans  {Ibid.,  t.  II,  p.  39).  Le  traité  de  Barèges-Bielsa  de  1384  impose  ce 
serment  dès  l'âge  de  douze  ans. 


UNE   FEDERATION    PYRENEENNE   SOUS   L'ANCIEN    REGIME.  19 

le  Bel  sous  le  séquestre  royal.  Enfin,  en  1258,  le  traité  de  Gor- 
beil  faisait,  pour  la  première  fois,  des  Pyrénées  la  limite  entre 
les  deux  royaumes  de  France  et  d'Aragon  :  tandis  que  le  comté 
de  Barcelone  devenait  définitivement  espagnol,  le  comté  de  Foix 
restait  français,  et  l' Aragon  abandonnait  pour  toujours  ses  pré- 
tentions sur  la  région  placée  au  nord  du  Roussillon. 

Ainsi  s'effaçait  l'ancien  enchevêtrement  des  frontières;  les 
deux  versants  des  Pyrénées  s'apprêtaient  à  suivre  des  destinées 
différentes.  Seule,  la  vallée  d'Aran,  restée  espagnole,  demeurait 
comme  un  témoin  de  la  confusion  passée.  De  l'Atlantique  au 
Roussillon,  la  crête  des  montagnes  séparait  désormais  deux 
Etats  distincts,  organismes  plus  robustes,  mieux  armés  et  plus 
exigeants  que  les  anciens  Etats  montagnards.  Prenant  leur 
force  et  leur  point  d'appui  dans  les  plaines  voisines,  ils  étaient 
dès  leur  naissance  des  étrangers  l'un  pour  l'autre;  ils  seront 
bientôt  des  rivaux  et  des  ennemis.  Tel  est  le  fait  initial  qui,  entre 
les  traités,  établit  un  double  classement  :  les  uns  restèrent  de 
simples  conventions  pastorales;  les  autres,  de  très  bonne  heure, 
acquirent  tous  les  caractères  de  véritables  traités  internationaux. 

Les  vallées  d'un  même  versant  continuant  à  vivre  d'une  vie 
commune,  rien  ne  fut  changé  dans  leur  situation  respective. 
Aussi  les  conventions  qui  les  unissaient  conservèrent-elles  tous 
leurs  caractères  primitifs,  qui  étaient  d'être  avant  tout  des 
conventions  pastorales.  Elles  allèrent  même  en  se  simplifiant. 
Les  clauses  relatives  à  la  répression  des  crimes,  les  tarifs  de  com- 
positions disparurent  peu  à  peu.  Et  les  traités  ainsi  allégés  ne 
furent  plus  que  de  simples  actes  d'abornements,  de  dépaissance 
et  de  compascuité.  Ceux-là,  il  est  impossible  de  les  compter  dans 
nos  dépôts  d'archives.  Très  nombreux,  ils  règlent  encore  et  main- 
tiennent de  très  anciens  droits,  alimentent  maints  procès  entre 
des  vallées  ou  des  communes1.  De  ces  conventions,  nous  n'au- 
rons pas  à  nous  occuper  plus  longuement. 

Les  traités  conclus  entre  des  vallées  de  versants  opposés 
devinrent  des  conventions  de  caractère  international.  Cette  trans- 


1.  Les  archives  des  Basses-Pyrénées  conservent  d'innombrables  conventions 
entre  la  vallée  d'Ossau  et  la  vallée  d'Aspe;  entre  la  vallée  d'Ossau  et  la  ville 
de  Pau  ou  l'évêque  de  Lescar.  Les  traités  de  1187  et  de  1270,  cités  plus  haut, 
contiennent  des  tarifs  de  compositions.  Les  conventions  plus  récentes  n'en 
contiennent  plus.  —  Voir  aussi  dans  Bourdette  [le  Labéda,  p.  231-247)  le 
traité  conclu  entre  Arcizas-Daban  et  Arras. 


20  H.    CAVAILLÈS. 

formation,  qui  fut  très  lente  et  mit  deux  siècles  à  s'achever, 
s'accomplit  par  l'adjonction  aux  anciens  pactes  de  dispositions 
nouvelles  qui  en  changèrent  profondément  le  sens.  La  vallée  de 
Vicdessos,  dans  le  pays  de  Foix,  avait  obtenu  en  1293  du  comte 
Roger  Bernard  la  faculté  de  commercer  et  de  traiter  librement 
avec  les  Catalans  du  val  de  Ferrera  et  du  comté  de  Paillas. 
Lorsque,  en  1355,  les  deux  vallées  renouvelèrent  leurs  anciens 
accords,  elles  eurent  grand  soin  d'y  insérer  formellement  ce 
droit  essentiel.  Les  gens  de  Barèges  et  de  Broto  l'inscrivirent  de 
leur  côté  dans  leur  concorde,  conclue  en  1390.  Nous  ignorons 
s'il  en  fut  de  même  dans  les  vallées  des  Pyrénées  centrales, 
puisque  nous  n'avons  pas  conservé  dans  sa  forme  primitive  le 
traité  qu'elles  devaient  conclure  plus  tard,  mais  la  chose  est  des 
plus  vraisemblables,  car  nous  savons  que  le  Comminges  obtint  à 
son  tour,  en  1315,  du  comte  Bernard  VII  la  liberté  de  commer- 
cer avec  les  Espagnols,  même  en  temps  de  guerre.  Ces  disposi- 
tions sont  significatives.  Si  les  habitants  des  vallées  sentent  le 
besoin  d'affirmer  leur  droit  d'échanger  librement  leurs  produits, 
c'est  que  ce  droit  est  menacé.  C'est,  en  effet,  au  xive  siècle 
qu'ont  paru  les  premières  traites  à  l'entrée  et  à  la  sortie  des  mar- 
chandises, conséquence  des  charges  grandissantes  de  la  monar- 
chie. Contre  ce  grave  danger,  les  montagnards  se  prémunissent 
mutuellement.  Et  il  n'est  pas  indifférent  de  remarquer  que  ces 
précautions  apparaissent  au  lendemain  même  du  jour  où  les  vicis- 
situdes de  l'histoire  ont  rattaché  les  vallées  à  des  Etats  différents. 
Presque  simultanément  paraît  une  autre  innovation.  Le  traité 
de  1384  entre  les  vallées  de  Barèges  et  de  Bielsa  envisageait  la 
possibilité  d'une  guerre  entre  l' Aragon  et  l'Angleterre.  Dans  ce 
cas,  les  deux  vallées,  comprenant  qu'il  leur  serait  difficile  de 
maintenir  leurs  bons  rapports,  s'engagèrent  à  se  donner  mutuel- 
lement un  délai  en  cas  de  rupture1.  Cette  précaution  ne  fut  pas 
inscrite  encore  dans  la  passerie  béarnaise  de  1328,  mais  nous 
savons  que  les  communautés  agirent  absolument  comme  si 
l'état  de  guerre  n'eût  pas  existé  dans  leur  voisinage.  Les  trois 
vallées  d'Ossau,  d'Aspe  et  de  Barétous  réussirent  à  observer  la 
plus  stricte  neutralité  pendant  toute  la  durée  de  la  guerre  de 
Cent  ans  et  continuèrent  à  traiter,  sans  le  concours  du  vicomte, 
avec   les   communautés    de    Guyenne    et    de    Gascogne    pour 

1.  Art.  5  (Bourdette,  Annales  du  Labéda,  t.  II,  p.  531-533). 


UNE    FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SOUS    L'ANCIEN   RÉGIME.  21 

avoir  le  droit  de  pacage  sur  leurs  terres.  Elles  traitèrent  dans 
les  mêmes  conditions  avec  les  communautés  voisines  de  l' Aragon 
et  de  la  Navarre1.  Enfin  nous  savons  que  les  Fueros  de  la  vallée 
d'Aran  (1309)  réservaient  expressément  aux  habitants  la  faculté 
de  faire  la  paix  avec  leurs  voisins  sans  le  consentement  du  roi'2. 

Les  exigences  fiscales  des  Etats  et  les  dangers  de  la  guerre 
menaçaient  la  sécurité  et  l'indépendance  des  vallées.  C'est 
contre  ce  danger  qu'elles  cherchèrent  à  se  prémunir  en  contrac- 
tant des  engagements  réciproques.  La  fixation  d'une  frontière, 
les  empiétements  du  pouvoir  central,  la  guerre  de  Cent  ans 
furent  le  point  de  départ  de  cette  transformation  des  traités. 

L'évolution  s'acheva  au  xvie  siècle.  A  ce  moment,  l'unité 
triomphait  définitivement  des  deux  côtés  de  la  frontière.  Au 
nord,  la  France  devenait  un  grand  Etat,  centralisé,  puissam- 
ment organisé,  avec  une  armée,  une  politique,  des  adversaires. 
Au  sud,  l'union  de  l' Aragon,  de  la  Castille  et  de  la  Haute- 
Navarre  faisait  de  l'Espagne  une  puissance  pareillement 
redoutable.  Enfin,  entre  ces  deux  royaumes  limitrophes,  égale- 
ment armés  pour  la  lutte,  une  guerre  éclatait,  qui  se  prolongea 
pendant  deux  siècles.  Les  motifs  de  cette  guerre,  question 
italienne,  héritage  bourguignon,  succession  espagnole,  étaient 
indifférents  aux  populations  pyrénéennes.  Que  leur  importait 
l'équilibre  européen  et  qu'avaient-elles  à  faire  des  guerres  de 
magnificence? 

Il  arriva  donc  ceci.  De  petits  pays  indépendants,  longtemps 
ennemis  et  rivaux,  avaient  réussi,  par  des  traités  librement  con- 
clus, à  établir  entre  eux  des  relations  supportables  et  comme  une 
loi  de  la  montagne.  Tout  d'un  coup,  par  l'effet  d'une  querelle 
qui  leur  est  étrangère,  ils  se  sentent  menacés  d'être  une  fois  de 
plus  opposés  les  uns  aux  autres  et  pour  longtemps  encore  adver- 
saires. Alors  ils  s'attachent  à  maintenir  les  anciens  pactes,  puis 
à  les  compléter  en  les  adaptant  à  la  situation  nouvelle.  Ainsi 
s'élaborent  les  traités  de  lies  et  de  passeries.  L'époque  qui  les  a 
vus  s'achever  est  la  même  qui  a  vu  naître  la  grande  diplomatie 
européenne. 

L'évolution  terminée,  les  nouveaux  traités  se  trouvèrent  être 
à  la  fois  des  accords  d'ordre  économique  destinés  à  garantir  la 

1.  L.  Cadier,  les  États  de  Béarn,  p.  307. 

2.  Collection  de  Fueros  y  Cartas  Pueblas  de  Espana,  por  la  Real  Acade- 
mia  de  Hlsloria,  Madrid,  1852.  «  Aran.  » 


22  H.    CAVAILLE9. 

liberté  des  transactions,  et  surtout  des  pactes  de  garantie  contre 
les  risques  de  la  guerre.  C'est  le  trait  essentiel  des  accords  de- 
lies  et  de  passeries  que  leur  formation  définitive,  le  terme  de 
leur  évolution,  coïncide  avec  l'apparition  des  grandes 
guerres^.  Dans  la  passerie  béarnaise  de  la  lion  Galhego,  dont 
on  peut  suivre  les  transformations  successives  dans  les  nom- 
breux documents  conservés  aux  archives  d'Ossau2,  on  voit,  pour 
la  première  fois  en  1552,  apparaître  le  nom  du  roi  de  France  et 
la  mention  des  «  mouvements  de  guerre  qui  sont  »  entre  lui  et 
le  roi  d'Aragon,  et  tout  aussitôt  s'affirmer  l'engagement  réci- 
proque de  s'avertir  de  toute  «  assemblée  »  qui  se  ferait  sur  les 
terres  d'Aragon  ou  de  Béarn.  Cet  engagement  est  la  marque,  le 
trait  distinctif  des  passeries.  Elles  sont  avant  tout  des  traités  de 
«  surséance  de  guerre  »3. 

En  fait,  avec  ce  double  caractère,  les  nouvelles  conventions 
se  différencient  profondément  des  anciennes.  Par  les  premières, 
les  alliés  s'entendaient  pour  régler  pacifiquement  les  conflits  qui 
provenaient  d'eux-mêmes;  par  les  autres  ils  se  garantissent 
contre  les  risques  venus  du  dehors.  Menacées  d'être  absorbées 
dans  l'unité  générale  et  de  se  voir  imposer  une  politique  con- 
traire à  leurs  goûts  et  à  leurs  besoins,  les  vallées  s'unissent  pour 
défendre  le  plus  qu'elles  peuvent  leurs  anciennes  franchises  et 
surtout  le  droit  qu'elles  ont  toujours  eu  de  commercer  librement 
et  de  vivre  en  paix  avec  leurs  voisines.  Les  premiers  accords 
avaient  été  des  actes  de  pariage  et  des  conventions  arbitrales. 
Les  nouveaux  sont  de  véritables  traités  de  garantie  et  tout  au 
moins  d'alliance  défensive. 

Enfin  une  dernière  innovation  complète  le  contraste.  Pour 
mieux  défendre  leurs  biens  et  leur  sécurité,  les  vallées  tendent  à 
se  grouper  en  manière  fédérative  sur  les  points  les  plus  mena- 

1.  Les  dates  des  rafraîchissements  des  mêmes  pactes  coïncident  de  même 
avec  les  périodes  de  recrudescence  ou  de  reprise  de  la  guerre  :  1513  et  1514, 
1552,  1646  et  1648,  1666,  1719,  etc. 

2.  Notamment  un  petit  registre  coté  DD63.  On  peut  suivre  l'histoire  de  la 
grande  passerie  béarnaise  de  1328  jusqu'à  sa  disparition  en  passant  par  le 
traité  élargi  de  1514,  c'est-à-dire  pendant  cinq  siècles.  De  toutes  les  passeries, 
c'est  celle  qui  a  le  plus  complètement  échappé  à  l'attention.  C'est  cependant 
celle  dont  l'histoire  est,  à  notre  sens,  la  plus  utile  à  connaître  pour  l'intelli- 
gence de  la  question.  Nous  n'avons  pu  retrouver  les  formes  primitives  de  la 
passerie  du  plan  d'Arrem,  avant  le  traité  de  1513.  On  ne  connait  avant  cette 
date  que  la  concession  de  Bernard  VII  au  Comminges. 

3.  Surcienso  ou  abslincnso  de  guerre  (traité  du  plan  d'Arrem). 


ONE    FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SODS    L'ANCIEN    RÉGIME.  23 

ces.  Au  centre,  la  vallée  d'Aran  ne  peut  s'approvisionner  qu'en 
France.  Un  commerce  actif,  de  fréquents  rapports  se  sont 
établis.  Les  traites  et  la  guerre  y  sont  plus  qu'ailleurs  gênants. 
A  l'ouest,  la  vallée  d'Ossau  et  la  vallée  d'Aspe  conduisent 
toutes  deux  à  des  passages  très  fréquentés.  C'est  sur  ces  deux 
points  que  les  montagnards  font  porter  leur  principal  effort.  A 
quelques  mois  d'intervalle,  deux  grandes  conventions  sont  con- 
clues. En  1513,  les  vallées  des  Pyrénées  centrales,  Louron, 
Larboust,  Oueil,  Bagnéres,  Saint-Béat,  Aspet,  Castillonnais, 
Couserans,  Aure,  Nestes,  Comminges,  du  côté  français;  Pail- 
las, Villemur,  Aran,  Ribagorça,  Vénasque,  Gistain,  Bielsa  et 
toute  la  conque  d'Ourcau,  du  côté  espagnol,  renouvelaient 
de  versant  à  versant  leurs  antiques  alliances  et  les  faisaient  sanc- 
tionner par  le  pouvoir  central.  C'est  la  fameuse  passerie  du 
plan  d'Arrem1.  L'année  suivante  (1514),  les  vallées  béarnaises 
d'Ossau,  d'Aspe  et  de  Barétous,  les  vallées  aragonaises  de 
Tena,  Canfranc,  Yillanua,...  Aragues,  Echo,  Anso  concluaient 
un  véritable  traité  d'alliance  et  de  paix2  et  obtenaient  de  leurs 
souverains  respectifs,  en  lutte  au  sujet  de  la  Navarre,  que  la 
guerre  fût  limitée  au  seul  royaume  de  Navarre  et  ne  s'étendît 
pas  aux  autres  domaines,  Aragon  et  Béarn. 

En  dehors  de  ces  deux  groupes  élargis,  il  y  en  eut  d'autres 
plus  étroits.  De  l'ouest  à  l'est,  les  vallées  renouvelèrent  et 
rafraîchirent  leurs  anciens  pactes  :  Cize  et  Aezcoa  en  Navarre3, 
puis  Barétous  et  Roncal4,  Ossau  et  Tena5,  Azun  et  Tena6, 
Barèges  et  Bielsa7,  Aure  et  Bielsa8,  Vicdessos  et  Ferrera9.  Et 
ainsi,  d'un  bout  de  la  chaîne  à  l'autre,  presque  toutes  les  vallées 
se  trouvèrent  liées  à  leurs  voisines  du  versant  opposé  par  des 
pactes  et  des  traités10. 

1.  Arch.  de  la  Haute-Garonne,  E891  (imprimé). 

2.  Arch.  des  Basses-Pyrénées,  E331. 

3.  1556.  Arch.  des  Basses-Pyrénées,  E2321. 

4.  1642.  Arch.  municipales  d'Arette. 

5.  1552  et  1646.  Arch.  de  la  vallée  d'Ossau,  DD  63  et  74. 

6.  1719.  Texte  dans  Bourdette,  Annales  du  Labéda,  t.  III,  p.  465-469. 

7.  1648.  Dans  Souvenirs  de  la  Bigorre,  t.  VIII,  p.  61-66. 

8.  1718. 

9.  1666.  Arch.  municipales  de  Vicdessos. 

10.  Les  habitants  d'Ordino,  dans  le  val  d'Andorre,  étaient,  de  même,  unis 
par  un  traité  de  passerie  avec  ceux  de  Siguer  et  de  Miglos  dans  la  vallée  de 
Vicdessos  [Mémoire  concernant  les  privilèges  des  lies  et  passeries.  Arch.  de 
l'Ariège). 


24  H.    CAVAILLÈS. 

Telle  est  l'histoire  des  traités  de  lies  et  de  passeries.  Entre 
eux  et  les  conventions  pastorales  si  nombreuses  dans  les  Pyré- 
nées, il  n'y  a  eu,  à  l'origine,  aucune  différence.  Les  uns  et  les 
autres  étaient  alors  en  tout  point  semblables.  Mais  la  formation 
des  deux  grands  États  monarchiques  de  France  et  d'Espagne  et 
leur  hostilité  séculaire  ont  été  le  point  de  départ  et  la  cause  d'une 
évolution  qui  en  a  fait  de  véritables  traités  politiques  internatio- 
naux. Au  xvi°  siècle,  la  transformation  est  complète  :  le  régime 
des  lies  et  passeries  est  alors  organisé.  Il  durera  autant  que  la 
monarchie  absolue,  jusqu'à  la  fin  du  xvnie  siècle. 

IV. 

Les  traités  de  lies  et  de  passeries  (xvie-xvnie  siècle). 

§  1 .  Comment  étaient  conclus  les  traités  de  lies  et  de  pas- 
series. —  Les  traités  de  passeries  émanaient  de  l'initiative  des 
vallées  et  étaient  conclus  par  elles,  indépendamment  de  toute 
intervention  du  pouvoir  central.  Les  deux  communautés  con- 
tractantes conduisaient  librement  les  négociations  qui,  entourées 
de  toutes  les  garanties  désirables,  aboutissaient  à  un  traité  par- 
faitement régulier. 

Au  xvie,  au  xvne  et  au  xvme  siècle,  les  cantons  montagnards 
des  Pyrénées  subissaient  de  plus  en  plus  les  effets  de  la  centrali- 
sation monarchique.  Mais  leur  organisation  ancienne  subsistait 
encore  dans  ses  traits  essentiels.  Si  les  assemblées  générales 
de  la  vesiau  avaient  à  peu  près  disparu  partout,  les  petites 
assemblées  représentatives  étaient  toujours  aussi  vivantes. 
Chaque  village  (locq),  chaque  quartier  (vie)  avait  la  sienne.  Et 
les  affaires  communes  dépendaient  d'un  conseil  composé  de 
magistrats  élus  par  les  différents  villages  et  qui,  sous  le  nom  de 
consulat  ou  de  jurade,  se  réunissait  au  chef-lieu  de  la  vallée. 
C'est  cette  assemblée  qui  exerçait  ce  qui  subsistait  alors  des 
droits  de  justice,  décidait  des  entreprises  communes,  payait  les 
impôts  au  roi,  administrait  les  pâturages  et  les  bois,  les  «  mon- 
tagnes générales  »,  comme  on  disait  en  Ossau.  C'est  elle  qui 
menait  les  négociations  avec  la  vallée  voisine  et  désignait  les 
ambassadeurs.  Ainsi  ont  fait  toutes  les  communautés,  Roncal, 
Tena  ou  Broto  en  Espagne,  comme  Barétous,  Ossau  et  Barèges 


UNE    FEDERATION    PYRENEENNE    SODS    L  ANCIEN    REGIME.  Z.i 

en  France.  Nous  prendrons  comme  exemple  les  relations  entre 
la  vallée  d'Ossau  et  celle  de  Terïa,  sur  lesquelles  nous  sommes 
abondamment  renseignés  par  les  documents. 

En  1646,  les  deux  pays  renouvelèrent  le  traité  qui  les  unis- 
sait. Une  revision  était  depuis  longtemps  nécessaire,  parce  que 
le  vieux  traité  de  1328,  toujours  en  vigueur,  était  devenu  incom- 
préhensible. Beaucoup  de  ces  dispositions  étaient  inutiles  ou 
caduques.  D'autres,  qui  s'y  étaient  à  diverses  époques  surajou- 
tées, ne  faisaient  pas  corps  avec  l'ensemble  du  document.  On 
procéda  donc  au  rafraîchissement  du  traité.  Le  préambule  du 
nouvel  acte  nous  dit  très  exactement  comment  s'accomplit  cette 
importante  opération. 

«  Le  6  août  1646,  à  la  source  du  Galhego  et  à  la  frontière  et 
borne  qui  sépare  le  royaume  de  France  du  royaume  d'Espagne, 
se  sont  rencontrés  l'honorable  Jean  de  Claverie ,  jurât  de 
Laruns,  ...  [les  honorables  jurats  de  Sainte-Colome,  de  Bielle,  de 
Bilhères,  de  Buzy  et  d'Arudy]  ;  le  noble  Henri  d'Espalungue, 
écuyer  et  seigneur  dudit  lieu  et  des  abbajres  de  Laruns  '  ;  ... 
maître  Jean  de  Santorens,  docteur  en  droit  et  avocat  au  Conseil 
de  Navarre;  Raymond  d'Abbadie,  abbé  d'Yseste,  syndic  et 
notaire  public  de  la  vallée  d'Ossau,  d'une  part  ;  —  et  les  hono- 
rables Pedro  de  Lanuza,  habitant  du  lieu  de  Salhen,  lieutenant 
de  justice  de  la  vallée  de  Tena  ;  ...  le  licencié  Miguel  Ysabal, 
prébende  du  Collège  impérial  et  royal  de  monseigneur  Saint- 
Jacques,  de  la  cité  d'Huesca,  professeur  de  décrétâtes  en  son 
Université  et  recteur  du  lieu  de  Panticosa;  ...  [un  «  voisin  » 
de  chacun  des  lieux  de  Salhen,  Lanuza,  Panticosa,  Tramacas- 
tilla,  Escarilla,]  ...  Miguel  Andres  Sorrosal,  notaire  royal,  habi- 
tant du  lieu  du  Pueyo  ;  le  licencié  Mathias  Ximenès,  recteur 
du  lieu  de  Tramacastilla  et  commissaire  du  Saint-Office  de  l'in- 
quisition d'Aragon,  d'autre  part;  —  tous  syndics,  députés  et 
procureurs  des  dites  vallées  d'Ossau  et  de  Tena,  ainsi  qu'il 
résulte  des  pouvoirs  suivants...  »  Cette  déclaration  est  en  effet 
suivie  de  la  copie  des  deux  pouvoirs.  L'un  a  été  remis  aux  dépu- 
tés d'Ossau  par  la  jurade  réunie  à  Bielle  au  lieu  ordinaire  de  ses 
séances  le  25  juillet  ;  l'autre  a  été  donné  aux  députés  de  Tena 
par  la  junte  de  la  dite  vallée,  réunie  au  Pueyo,  le  26  du  même 
mois,  à  la  «  casa  de  la  Val  de  Tena  »,  et  suivant  la  forme  accou- 

1.  Abbé  laïc  de  Laruns. 


26  H.    CAVAILLÈS. 

tumée.  Les  députés,  les  témoins  et  les  notaires  ont  tous  signé  la 
déclaration  ' . 

Le  grand  traité  de  1514  fut  conclu  d'une  façon  assez  diffé- 
rente. Il  fut  négocié  entre  les  Etats  et  le  seigneur  de  Béarn,  les 
Cortès  et  le  vice-roi  d'Aragon.  Cette  intervention  du  pouvoir  cen- 
tral dans  les  affaires  des  communautés  s'explique  par  l'impor- 
tance des  intérêts  en  jeu  et  par  le  fait  que,  de  chaque  côté, 
c'était  tout  un  groupe  de  vallées,  non  une  vallée  seule  qui  trai- 
tait. En  réalité,  ce  sont  les  communautés  qui,  cette  fois  encore, 
menèrent  les  négociations.  Les  Etats  de  Béarn  avaient  engagé, 
dès  1488,  une  correspondance  suivie  avec  les  Etats  d'Aragon 
pour  les  inviter  à  mettre  fin  aux  exactions  des  gens  de  Canfranc. 
Parla  suite,  les  négociations  portèrent  sur  l'abolition  des  lettres 
de  marque2.  Mais  chaque  fois  les  vallées  intervinrent  directe- 
ment dans  la  préparation  du  traité  et  jouèrent  le  rôle  décisif.  Le 
texte  lui-même  spécifie  d'ailleurs  que  «  les  syndics  particu- 
liers . . .  des  vallées  d'Aragon  et  de  Béarn  »  étaient  présents  à 
Canfranc  au  moment  de  la  lecture  de  l'acte.  Le  traité  de  1514 
est  donc  bien  plutôt  l'œuvre  des  populations  que  celle  de  l'auto- 
rité seigneuriale.  C'est  une  passerie  élargie,  mais  ce  n'est  qu'une 
passerie.  Le  traité  du  plan  d'Arrem,  où  l'intervention  des  agents 
du  roi  a  été  plus  marquée,  il  est  vrai,  a  été  lui  aussi  conclu  par 
les  gens  des  vallées. 

Les  vallées  traitaient  donc  librement,  et  longtemps  le  droit 
qu'elles  avaient  de  négocier  et  de  conclure  des  accords  avec 
l'étranger  resta  intact.  Ce  n'est  guère  que  dans  la  seconde  moitié 
du  xvne  siècle  que  la  situation  changea.  Mais,  même  alors,  il 
fallut  à  la  monarchie  de  très  longs  efforts  et  beaucoup  de  persé- 
vérance pour  limiter  le  droit  de  traiter.  Le  moment  n'est  pas 
encore  venu  d'exposer  l'histoire  de  cette  action.  Retenons  seule- 
ment que  les  lies  et  les  passeries  ont  été  et  sont  restées  jusqu'à  la 
fin  des  accords  libres,  spontanés  et  populaires. 

§  2.  Objet  et  stipulations  des  traités  de  passeries.  —  Les 
grands  traités  de  passeries  des  xvie,  xvne  et  xvme  siècles  sont 
sortis  des  anciennes  conventions  pastorales.  De  leurs  origines, 

1.  Arch.  de  la  vallée  d'Ossau,  DD74. 

2.  Il  eu  sera  question  dans  une  autre  partie  de  ce  travail.  Sur  le  rôle  des 
États  dans  ces  négociations,  voir  L.  Cadier,  les  États  de  Béarn,  Paris,  1888, 
p.  309-311  ;  P.  Boissonnade,  Histoire  de  la  réunion  de  la  Navarre  à  la  Cas- 
tille,  p.  429. 


ONE    FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SOUS    L'ANCIEN    REGIME.  27 

ils  ont  conservé  quelques  traits  à  moitié  effacés,  mais  intéres- 
sants précisément  parce  qu'ils  établissent  leur  étroite  parenté 
avec  les  anciens  actes. 

Tout  d'abord,  les  dispositions  relatives  aux  limites  et  aux  bor- 
nages à  l'usage  des  eaux,  des  herbes  et  des  bois  sont  fréquem- 
ment renouvelées  et  conservées1.  Les  tarifs  de  compositions  sub- 
sistent dans  certains  traités.  Il  est  vrai  qu'ils  changent  de 
caractère  et  prennent  celui  d'une  simple  indemnité2.  Enfin,  le 
droit  que  possède  chaque  vallée  de  s'emparer  des  animaux  étran- 
gers pâturant  sur  ses  domaines  est  intégralement  maintenu.  Il 
est  seulement  soumis  à  une  nouvelle  réglementation.  Le  carnal 
est  généralement  supprimé  et  remplacé  par  un  droit  fixe  en 
argent3. 

Il  subsiste  donc  dans  les  nouveaux  traités  maintes  disposi- 
tions anciennes.  Par  elles,  ils  conservent  un  caractère  d'ar- 
chaïsme qui  les  rattache  aux  primitives  conventions  pastorales 
et  qui  se  révèle  déjà  par  la  longueur  de  leur  texte,  la  fréquence 
des  répétitions,  l'obscurité  et  la  rudesse  de  la  langue,  le  patois 
roman,  dans  laquelle  ils  sont  rédigés.  Mais,  ces  réserves  faites, 
il  reste  que  les  uns  et  les  autres  présentent  de  profondes  diffé- 
rences qui  se  peuvent  résumer  en  ces  quelques  mots  :  les  trai- 
tés de  passeries  sont  désormais  des  conventions  commerciales  et 
des  traités  de  surséance  de  guerre. 


Ils  affirment  d'abord  la  liberté  du  commerce.  C'était  là  un  des 
privilèges  les  plus  anciens,  un  de  ceux  auxquels  les  monta- 
gnards tenaient  le  plus.  Ils  en  avaient  joui  de  tout  temps,  et 
les  dispositions  insérées  dans  les  concessions  princières  du 
xive  siècle,  ou  dans  les  traités  de  la  même  époque,  n'avaient 

1.  La  sentence  de  Cize  avec  Aezcoa  (1556)  reste  en  vigueur.  La  question  des 
pâturages  d'Ossoue  est,  une  fois  de  plus,  réglée  par  le  traité  de  Tarbes  (1624) 
(Bourdette,  Annales  du  Labéda,  t.  III,  p.  157).  La  transaction  de  1375  entre 
Barétous  et  Boncal  est  renouvelée  en  1642. 

2.  Tandis  que  le  traité  Ossau-Tena  de  1328  déclare  qu'après  avoir  acquitté 
la  somme  tivée,  le  coupable  sera  à  l'abri  de  toute  autre  poursuite,  le  même 
traité  renouvelé  en  1646  stipule  formellement  que  le  paiement  de  la  composi- 
tion ne  pourra,  en  aucune  manière,  remplacer  l'action  de  la  justice,  ni  effacer 
les  droits  des  gouvernements  (Arch.  de  la  vallée  d'Ossau,  DD  63,  art.  2;  DD  74, 
art.  2-6;  cf.  Azun-Teiïa  (1719),  art.  6). 

3.  Traité  de  1646,  art.  11;  cf.  Azun-Teiïa,  art.  7. 


28  II.    CATAILLÈS. 

fait  que  reconnaître  un  état  de  fait  à  une  époque  où  il  pouvait 
paraître  utile  d'en  obtenir  la  reconnaissance  officielle.  Mais,  du 
xvi°  au  xvme  siècle,  avec  les  progrès  de  l'absolutisme,  ces  liber- 
tés se  trouvèrent  très  gravement  menacées.  La  royauté,  poussée 
par  d'impérieux  besoins  financiers  et,  plus  tard,  par  le  désir  de 
favoriser  l'industrie  naissante,  multiplie  les  taxes,  s'efforce  de 
généraliser  les  gabelles,  établit  des  droits  de  traites  et  de  foraines 
et  empiète  tous  les  jours  davantage  sur  les  franchises  locales. 

Ces  mesures  étaient  pour  les  habitants  des  vallées  de  vifs 
sujets  d'inquiétude.  Elles  portaient  atteinte  à  des  droits  très 
anciens  et  rendaient  difficiles  les  transactions  commerciales.  De 
vallée  à  vallée,  il  se  faisait,  en  effet,  un  commerce  des  plus 
actifs,  échange  des  produits  particuliers  de  chacune  d'elles,  mais 
aussi  commerce  de  transit.  Les  «  ports  »  étaient  alors  beaucoup 
plus  fréquentés  qu'ils  ne  le  sont  aujourd'hui.  Les  transactions 
commerciales,  concentrées  à  notre  époque  en  deux  grands  cou- 
rants aux  deux  extrémités  des  Pyrénées,  étaient  alors  disper- 
sées, et  les  vallées  profitaient  plus  uniformément  de  cette  acti- 
vité. Pour  plusieurs  d'entre  elles,  le  commerce  international 
était  une  ressource  de  premier  ordre.  Il  donnait  lieu  à  des  foires 
importantes.  Les  grandes  ramades  aragonaises,  le  gros  bétail 
des  vallées  françaises  venaient  en  foule  aux  foires  de  Gavarnie 
en  Barèges  et  de  Guchen  en  Aure,  où  l'on  voit  encore  chaque 
année  aux  mêmes  époques  (23  juillet  et  29  septembre)  leurs 
pittoresques  rassemblements.  On  conçoit  dès  lors  l'émotion  qui 
s'empara  des  habitants  des  vallées  à  l'annonce  des  mesures  res- 
trictives. Les  protestations  furent  unanimes.  Les  intéressés 
affirmèrent  énergiquement  leurs  droits  et  leurs  privilèges  com- 
merciaux et  se  mirent  en  mesure  de  les  défendre  contre  les 
atteintes  du  pouvoir  royal.  Le  traité  de  Tarbes  (1624)  entre 
Barèges  et  Broto  déclare  que  «  les  habitants  pourront  négocier 
et  trafiquer,...  entrer  et  sortir  dans  les  dites  deux  vallées,  avec 
marchandises  ou  autrement,  en  toute  franchise,  sûreté  et  liberté, 
sans  qu'il  soit  méfait  en  aucune  manière  que  ce  soit  »  '.  Le  traité 
entre  Vicdessos  et  le  val  de  Ferrera,  rafraichi  en  16662,  renou- 
velle formellement  les  antiques  franchises  en  matière  écono- 
mique. 

1.  Voir  aussi  le  traité  conclu  entre  Barèges  et  Bielsa  (1648). 

2.  Arch.  de  Vicdessos.  —  Voir  aussi  le  Mémoire  concernant  les  privilèges 
des  lies  et  passeries  (arch.  de  l'Ariège). 


UNE   FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SOUS   L'ANCIEN    REGIME.  29 

Deux  régions  se  trouvèrent  plus  particulièrement  lésées  par 
les  restrictions  apportées  à  la  liberté  des  transactions,  pour  la 
raison  que  le  commerce  de  France  en  Espagne  et  inversement 
y  avait  pris  une  importance  particulière.  Nous  voulons  parler 
du  Comminges  et  des  autres  petits  pays  du  centre;  du  Béarn 
dans  la  partie  occidentale  de  la  chaîne.  C'est  sur  ces  deux  points 
que  porta  le  principal  effort  de  négociation  et  d'entente  entre  les 
vallées. 

Dans  les  Pyrénées  centrales,  le  val  d'Aran,  dépendance  poli- 
tique de  la  Catalogne,  mais  dépendance  physique  de  la  France, 
ne  s'ouvrait  que  du  côté  français  et  ne  pouvait  s'approvisionner 
que  dans  notre  Midi  gascon  ou  languedocien.  Vers  l'Espagne, 
il  ne  communiquait,  par  des  passages  le  plus  souvent  difficiles, 
qu'avec  des  vallées  isolées  et  de  médiocres  ressources.  Seules 
les  vallées  françaises  pouvaient  lui  fournir  les  produits  indis- 
pensables. Du  Comminges,  des  Quatre- Vallées,  du  Nébouzan,  du 
Couserans,  il  recevait  les  produits  du  sol  et  les  marchandises 
admises  en  transit  :  le  blé  et  les  autres  céréales,  millet,  orge, 
avoine,  légumes  ;  les  vins  ;  les  moutons,  porcs,  brebis  et  chèvres  ; 
le  poisson  salé  des  ports  de  l'Atlantique  ;  les  tissus,  draps,  cadis, 
serges,  toiles  et  étoffes  de  laine1  que  produisait  alors  en  abon- 
dance la  région  pyrénéenne.  Ces  produits  ne  s'arrêtaient  pas 
aux  villages  aranais.  Par  le  plà  de  Béret  et  les  autres  passages 
de  la  chaîne,  ils  pénétraient  dans  les  vallées  de  Paillas,  de  Riba- 
gorza,  de  Vénasque,  dans  le  comté  de  Villemur,  toute  la  haute 
Catalogne  et  descendaient  même  dans  les  plaines.  «  Les  Espa- 
gnols »,  écrit  un  anonyme  du  xvne  siècle,  «  ne  peuvent  vivre 
sans  nos  grains  »2.  Tel  de  leurs  marchands,  en  une  seule  com- 
mande, prétend  exporter  100,000  setiers;  telle  province,  comme 
la  Catalogne,  en  quelques  jours,  achète  pour  300,000  sequins 
de  céréales  à  nos  Languedociens3.  L'intendant  Legendre  écrit 
le  26  août  1703  :  «  Du  blé  que  nous  faisons  passer  en  Espagne, 
le  pays  tire  au  moins  200,000  écus  par  an4.  »  Les  Espagnols 

1.  Arrêt  du  Conseil  d'État  du  roi  (1664).  Aich.  de  la  Haute-Garonne,  E891. 

2.  Moyen  d'enrichir  la  France  de  la  dépouille  des  Indes,  in-4°,  s.  1.  n.  d., 
p.  4;  cité  par  Boissonnade,  la  Production  et  le  commerce  des  céréales,  des 
vins  et  des  eaux-de-vie  en  Languedoc  dans  la  seconde  moitié  du  XVIIe  siècle 
{Annales  du  Midi,  t.  XVII,  1905). 

3.  Boissonnade,  lbid. 

4.  M.  de  Boislisle,  Correspondance  des  contrôleurs  généraux  des  finances 
avec  les  intendants  des  provinces,  t.  II,  n.  516. 


30  H.    CATAILLÈS. 

importaient  aussi  beaucoup  de  nos  vins,  surtout  ceux  du  Lan- 
guedoc. Or,  une  part  considérable  de  ce  trafic  empruntait  alors 
les  hauts  passages  de  la  chaîne,  ceux  du  centre  en  particulier. 
Le  même  intendant  Legendre  affirme  en  1710  que,  aux  foires 
de  Saint-Béat,  Bagnères-de-Luchon ,  Saint-Girons  et  autres 
lieux,  les  Espagnols  ont  porté  tous  les  ans  plus  de  800,000  livres 
d'argent  comptant1. 

En  sens  inverse,  les  Espagnols  portaient  en  France  la  laine 
de  leurs  troupeaux  et  le  sel  des  carrières  espagnoles  :  Solsona, 
Trago,  la  montagne  de  Cardona  renommée  entre  toutes,  les  fon- 
taines salées  de  Géri  exploitées  de  temps  immémorial  dans  la 
haute  vallée  de  la  Noguera  Ribagorçana'2.  Le  sel  était  une  den- 
rée de  première  nécessité  pour  les  troupeaux.  Il  s'en  faisait  un 
grand  commerce,  car  on  préférait  au  sel  de  France  le  sel  d'Es- 
pagne et  surtout  celui  de  Cardona,  auquel  on  attribuait  toutes 
sortes  de  mérites,  jusqu'à  la  faculté  de  préserver  le  bétail  de  la 
peste.  Et  comme  les  provinces  françaises  voisines  des  Pyrénées 
jouissaient  de  nombreux  privilèges  en  matière  de  gabelles3,  on 
en  pouvait  acheter  des  quantités  considérables.  Enfin  la  vallée 
d'Aran  envoyait  en  France  ses  bois  et  ceux  des  vallées  limi- 
trophes ;  ils  descendaient  le  long  de  la  Garonne  et  aboutissaient 
à  Toulouse. 

Le  centre  principal  de  tous  ces  échanges  était  Saint-Béat,  où 
se  tenaient  à  diverses  époques  de  l'année  des  foires  importantes. 
Celle  de  la  Saint-Martin  d'hiver  (12  novembre)  durait  vingt 
jours  et  attirait  des  Espagnols  et  des  Français  de  toutes  les  val- 
lées confédérées.  Les  marchands  auvergnats  et  limousins  les 
fréquentaient  avec  bien  d'autres  gens  des  plaines.  Luchon,  elle 
aussi,  était  un  marché  très  animé.  On  y  trafiquait  principalement 
du  sel.  Toute  la  région  voisine  participait  largement  à  cette 
activité. 

On  devine  le  malaise  qui  régna  dans  le  pays  quand  on  sentit 
ce  commerce  menacé.  Au  début  du  xvie  siècle,  les  habitants 
adressèrent  au  roi  Louis  XII  de  vives  et  pressantes  réclamations 

1.  Lettres  des  11  novembre  et  24  décembre  1710  (de  Boislisle,  lbid.,  t.  III, 
n.  890). 

2.  Marca,  Hispanica,  p.  205,  218,  1186. 

3.  Le  Labour,  la  Basse-Navarre,  la  Soûle,  le  Béam,  le  Nébouzan  étaient  pro- 
vinces franches;  la  Bigorre,  les  Quatre-Vallées,  le  Comminges,  le  Couserans, 
Foix,  etc.,  pays  rédimés;  le  Boussillon,  pays  de  petite  gabelle. 


UNE   FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE   SOUS   LANCIEN   RÉGIME.  31 

au  sujet  des  droits  de  foraine  et  de  traite.  Ils  se  plaignaient  que 
les  tarifs  des  droits  du  roi  fussent  dans  une  extrême  confusion  ; 
que  certaines  marchandises  y  étaient  appréciées  le  double  de 
leur  valeur,  quelques  autres  la  moitié  et  un  petit  nombre  ne 
l'étaient  pas  du  tout,  de  sorte  que  les  commis  les  taxaient  arbi- 
trairement. L'entrée  des  laines  d'Espagne,  par  exemple,  était 
frappée  d'un  droit  si  exorbitant  que  les  Hollandais  tentaient  d'en 
enlever  l'achat  aux  pays  frontières1.  Aggravant  ce  danger,  la 
guerre  débutait  avec  l'Espagne  et  menaçait  d'interrompre  com- 
plètement les  transactions. 

C'est  pour  parer  à  ce  double  péril  que  les  vallées  des  Pyrénées 
centrales  renouvellent  leurs  vieux  accords  par  un  traité  géné- 
ral :  la  grande  passerie  du  plan  d'Arrem  (1513).  Ce  traité  affirme 
une  fois  de  plus  le  droit  qu'auront  les  habitants,  d'un  côté 
comme  de  l'autre,  de  commercer  librement,  même  en  temps  de 
guerre'2.  Louis  XII  donna  aussitôt  satisfaction  à  ces  vœux  et 
n'hésita  pas  à  désavouer  et  à  traduire  devant  le  Parlement  M.  de 
Labastide-Pomès,  son  lieutenant  en  Guyenne,  qui  s'était  cru 
fondé,  pendant  la  guerre  de  Navarre,  à  arrêter  par  représailles, 
sur  le  marché  de  Saint-Béat,  tous  les  marchands  aragonais  dont 
il  avait  confisqué  les  marchandises3.  Au  siècle  suivant,  Louis  XIII 
accorda  des  lettres  patentes  qui  confirmèrent  de  nouveau  ces 
privilèges  et  défendirent  de  faire  «  aucune  saisie,  ni  exécutions 
sur  les  biens,  bestiaux,  marchandises  et  autres  choses  amenées 
durant  les  vingt  jours  de  ladite  foire  de  Saint-Martin  d'hyver, 
ni  aucun  emprisonnement  sur  les  personnes  des  frontaliers  pour 
dettes,  ni  affaires  civiles  pendant  le  dit  temps  »  (1634).  Louis  XIV 
maintint  et  confirma  la  franchise  et  se  contenta  d'imposer  les 
produits  de  droits  très  modérés4. 

Dans  les  Pyrénées  occidentales,  les  deux  vallées  d'Aspe  et 
d'Ossau  constituaient  une  double  voie  d'échanges,  très  active  et 
très  fréquentée.  Elles  aboutissaient  l'une  et  l'autre  à  des  cols 
accessibles  pendant  la  plus  grande  partie  de  l'année.  Le  port 
vieux  de  Salhen  et  le  Pourtalet  menaient  vers  le  Galhego  et 
Salhen.  Le  col  des  Moines,  plus  difficile,  le  Somport  ou  col  de 
Peyrenère,  beaucoup  plus  bas,  aboutissaient  au  rio  Aragon  et  à 

1.  Castillon  d'Aspet,  Histoire  des  populations  pyrénéennes...,  t.  II,  p.  123. 

2.  Art.  2. 

3.  Lettres  patentes  du  dernier  janvier  1512. 

4.  Arrêt  du  Conseil  d'État  du  roi  du  11  mars  1664. 


32  H.    CAVAILLES. 

Jaca.  Plus  à  l'ouest  s'ouvraient  d'autres  passages,  le  portd'Anso 
entre  autres. 

Aujourd'hui,  le  plus  fréquenté  est  le  Somport  :  l'intendant 
d'Étignv  a  conduit  jusque-là  la  belle  route  de  la  vallée  d'Aspe, 
construite  à  grands  frais  par  la  province.  Mais,  il  y  a  trois 
siècles,  le  trafic  se  faisait  surtout  à  dos  de  mulets  et  se  répar- 
tissait  entre  les  divers  passages.  Au  delà  des  ports,  tout  près  de 
la  frontière,  l'hôpital  de  Sainte-Christine  était  accessible  des  deux 
vallées  françaises.  Il  fut  abandonné,  il  est  vrai,  en  1569,  mais 
le  lieu  resta  très  fréquenté.  C'était  un  rendez-vous  commode. 
A  travers  les  hauts  pâturages,  les  sentiers  et  les  chemins  de 
montagnes  s'y  nouaient,  routes  faciles  par  les  beaux  jours  de 
l'été.  Chaque  année,  le  25  juillet,  qui  était  la  fête  de  Saint- 
Jacques,  de  longues  files  d'animaux,  des  troupeaux,  des  pâtres 
et  des  marchands  s'y  rendaient,  venus  d'Aragon  et  du  Béarn, 
assurés  d'y  trouver  des  franchises  étendues  et  la  liberté  des 
transactions.  La  vente  du  bétail,  des  denrées  et  autres  objets  y 
donnait  lieu  aux  échanges  les  plus  actifs1. 

Plus  bas  et  plus  loin  des  cols,  on  rencontrait  d'autres  mar- 
chés, plus  fréquentés  encore.  En  Aragon,  c'était  Jaca,  vieille 
ville  fortifiée,  un  des  centres  les  plus  célèbres  des  Pyrénées 
espagnoles.  Du  côté  français,  les  trois  vallées  d'Ossau,  d'Aspe 
et  de  Barétous  aboutissaient  à  Oloron,  la  clef  du  pays,  la  grande 
place  de  commerce  de  la  région.  Le  commerce  y  avait  toujours 
été  libre  depuis  l'époque  lointaine  où  le  vicomte  Centulle  IV, 
voulant  repeupler  la  ville,  lui  avait  octroyé,  par  la  fameuse 
charte  de  poblation  de  1080,  un  for  et  des  franchises  plus 
avantageuses  que  celles  des  autres  villes  du  Béarn.  Cet  acte  lui 
concédait  en  particulier  la  liberté  absolue  des  transactions  com- 
merciales. Deux  foires  furent  créées  par  la  suite  (1306),  l'une 
en  mai,  l'autre  en  septembre,  au  début  et  à  la  fin  de  la  belle 
saison,  quand  s'ouvrent,  puis  se  ferment  les  passages  de  la  mon- 
tagne. Pendant  trois  siècles,  ces  foires  attirèrent  une  foule 
énorme.  Aragonais,  Navarrais,  Catalans,  Béarnais  et  Gascons 
pouvaient  en  toute  liberté,  sans  payer  aucune  sorte  de  droits  et 
sans  être  inquiétés  d'aucune  façon,  se  livrer  à  toute  espèce 
d'opérations  commerciales.  Jusqu'à  la  fin  du  xve  siècle,  ce  fut  le 

1.  Mémoire  concernant  le  Béarn,  dressé  par  M.  Pinon,  intendant,  en 
l'année  1698,  publié  par  L.  Soulice,  dans  le  Bull,  de  la  Société  des  sciences, 
lettres  et  arts  de  Pau  (IIe  série,  t.  XXX,  1905,  p.  144). 


UNE   FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SOUS    L'ANCIEN   RÉGIME.  33 

libre-échange  le  plus  complet.  L'Espagne  envoyait  ses  laines, 
ses  huiles,  ses  savons  et  généralement  des  matières  premières. 
La  France  envoyait  son  blé,  son  vin  ;  les  mules  et  les  chevaux, 
les  porcs  et  les  salaisons  du  Béarn  et  du  pays  basque.  Enfin  la 
région  oloronaise  fournissait  des  produits  manufacturés.  La  ville 
était  alors  en  pleine  prospérité  industrielle.  Dans  ses  ateliers, 
dans  les  localités  de  sa  banlieue  et  des  environs,  elle  disposait  de 
plusieurs  centaines  de  métiers  à  bas.  Elle  fabriquait  aussi  des 
jupes,  des  bérets,  des  draps  grossiers  de  cordeilhats,  plus  tard 
du  papier1.  Enfin  d'autres  produits,  venus  de  plus  loin,  transi- 
taient par  Oloron  et  par  les  vallées.  Ce  commerce  très  actif  était 
d'ailleurs  facilité  par  l'excellente  réputation  des  monnaies  béar- 
naises, frappées  dans  les  ateliers  de  Morlaas,  et  qui  avaient 
cours  dans  tout  le  midi  de  la  France  et  fort  loin  sur  le  territoire 
espagnol. 

Au  début  du  xvie  siècle,  les  franchises  oloronaises  étaient 
encore  intactes.  Une  charte  de  Gaston  XI  avait  bien  permis,  en 
1471,  aux  habitants  d'établir  à  leur  profit  exclusif  un  droit  d'en- 
trée sur  les  marchandises,  en  réponse  aux  taxes  que  les  Espa- 
gnols percevaient  depuis  peu  aux  portes  de  Canfranc.  Mais  ces 
droits  étaient  peu  élevés  et  n'avaient  nullement  entravé  les 
transactions.  L'activité  économique  du  pays  et  de  la  ville 
avait  même,  à  cette  époque,  atteint  une  prospérité  sans  pré- 
cédents. On  conçoit  sans  peine  que  les  Béarnais  aient  tenu 
à  la  maintenir  le  plus  possible  et  l'aient  vigoureusement  défen- 
due quand  elle  se  trouva  menacée  par  les  exigences  fiscales  de 
leurs  souverains  et  surtout  parla  guerre.  Le  premier  objet  du 
grand  traité  de  1514  est  de  défendre  la  liberté  des  transactions  : 
«  Que  les  voisins  et  habitants  des  dites  vallées  et  autres  per- 
sonnes quelles  qu'elles  soient  du  royaume  d'Aragon  puissent 
envoyer,  enlever  et  transporter  leurs  marchandises,  choses  et 
biens  par  toute  la  dite  seigneurie  de  Béarn,  par  voituriers,  ser- 
viteurs et  commissionnaires,  «  voisins  »  et  habitants  de  la  sei- 
gneurie de  Béarn.  Et  que  les  «  voisins  »  et  habitants  de  la  sei- 
gneurie de  Béarn  puissent  [en  user  de  même]  dans  tout  le 
royaume  d'Aragon.  Quelle  que  soit  la  nature  ou  l'espèce  des 


1.  Marque,  le  Glaneur  d' Oloron  (20  août  1904);  les  Industries  et  le  com- 
merce oloronais  avant  la  Révolution  (ne  dit  rien  des  passeries).  —  Voir  aussi 
Mémoire  de  l'intendant  Pinon,  p.  129. 

Rev.  Histor.  CV.  1er  FASC.  3 


34      H.  CAVAILLÈS.  —  UNE  FÉDÉRATION  PYRÉNÉENNE  SOUS  L'ANCIEN  RÉGIME. 

marchandises,  biens  et  choses,  qu'elles  puissent  circuler,  celles 
de  Béarn  en  Aragon  et  celles  d'Aragon  en  Béarn,  sauves,  sûres, 
libres  de  toute  entrave  et  de  toute  contrainte,  à  la  condition 
qu'elles  acquittent  les  péages  et  les  autres  droits  légitimes  »,  et 
qu'elles  ne  soient  pas  contrebande  de  guerre1. 

Pour  assurer  la  sécurité  des  voyageurs  et  des  échanges,  le 
même  traité  place  les  hôpitaux  et  autres  maisons  religieuses 
sous  la  garantie  des  traités.  «  Comme  le  monastère  de  Sainte- 
Christine  et  les  maisons  de  Peyrenère  et  de  Segoter  de  la  vallée 
de  Terïa,  et  celle  de  Gabas  de  la  vallée  d'Ossau  sont  situées  dans 
des  lieux  stériles  et  inhabités  et  qu'elles  rendent  de  grands  ser- 
vices aux  voyageurs,  en  été  comme  en  hiver,  en  paix  comme  en 
guerre...,  il  est  ordonné  que  personne  ne  soit  assez  osé  pour 
rien  entreprendre  contre  les  chanoines,  hospitaliers,  hôtes  et 
autres  personnes  quelles  qu'elles  soient  qui  se  trouvent  dans  les 
dites  maisons,  ni  contre  les  troupeaux  et  autres  marchandises 
qui  appartiennent  à  ces  maisons  ou  qui  y  ont  trouvé  asile  »2. 

Un  siècle  et  demi  plus  tard,  environ,  le  traité  renouvelé  entre 
Ossau  et  Teiïa3  affirmait  de  nouveau  la  liberté  du  commerce,  à 
une  époque  où  il  était  singulièrement  plus  menacé  par  le  régime 
douanier  de  la  monarchie.  Le  commerce  oloronais  était  alors  en 
pleine  décadence.  Les  accords  de  lies  et  de  passeries  ne  purent 
maintenir  l'ancienne  prospérité.  Du  moins  réussirent-ils  à 
défendre  les  franchises  des  vallées  et  à  leur  conserver  des  avan- 
tages économiques  très  appréciables4. 

H.  Ca VAILLES. 
(Sera  continué.) 

1.  Traité  de  1514,  art.  8. 

2.  lbid.,  art.  6. 

3.  1646,  art.  44. 

4.  Voir  plus  loin,  ch.  vi. 


LA  RUSSIE 

ET  LA  POLITIQUE  ITALIENNE  DE  NAPOLÉON  III. 


La  politique  italienne  de  Napoléon  III  s'est  inspirée  de  prin- 
cipes qui  étaient  la  négation  même  du  pouvoir  d'Alexandre  II  :  le 
principe  des  nationalités,  le  droit  des  peuples.  Il  était  donc  iné- 
vitable qu'elle  mît  à  jour  la  contradiction  de  ces  principes  avec 
ceux  que  l'empereur  de  Russie  était  intéressé  à  sauvegarder. 
Alexandre  II  et  Gortchakoff  n'ont  pas  été  longs  à  s'alarmer  des 
tendances  affirmées  par  l'action  de  la  France  en  Italie  ;  leurs 
premières  craintes  à  cet  égard  datent  de  leurs  premiers  essais 
d'entente  avec  Napoléon  III  et  de  leur  plus  grande  intimité 
avec  lui. 

L'affaire  de  Naples  laissa  alors  deviner  l'orientation  qu'allait 
prendre  la  politique  française;  elle  fut,  en  quelque  sorte,  pour 
Alexandre  II  comme  pour  Napoléon  III,  la  pierre  de  touche  de 
leurs  dispositions  respectives. 

Le  roi  des  Deux-Siciles  gouvernait  mal,  au  gré  de  la  France 
et  de  l'Angleterre.  Ces  deux  puissances  lui  adressèrent  des 
représentations  auxquelles  il  refusa  de  faire  droit;  à  ce  refus, 
elles  répondirent  par  une  rupture  diplomatique  et  la  menace 
d'une  démonstration  navale. 

Le  gouvernement  russe  n'a  pas  attendu  l'annonce  de  la 
démonstration  navale  pour  s'émouvoir  de  l'intervention  franco- 
anglaise  à  Naples  et  manifester  son  émotion.  lia  suffi  des  repré- 
sentations adressées  au  roi  des  Deux-Siciles  pour  que  Gortcha- 
koff vît  «  avec  un  sentiment  de  dignité  blessée  les  gouvernements 
de  France  et  d'Angleterre  s'arroger  ainsi  le  droit  de  régenter 
un  souverain  indépendant  »1.  Il  ne  dissimula  pas  à  Morny  son 
regret  que  la  Russie  n'eût  pas  «  dit  son  mot  dans  la  question  », 
et  prétendit  que,  de  plusieurs  côtés  déjà,  on  lui  reprochait  de 
garder  le  silence.  Aussitôt,  d'ailleurs,  il  rompt  ce  silence  et  dit 

1.  Morny,  G  septembre  1856.  —  Toutes  les  citations  qui  ne  portent  d'autre 
référence  qu'un  nom  et  une  date  sont  extraites  de  correspondances  inédites. 


36  FRANÇOIS-CHARLES   ROUX. 

son  mot.  Une  circulaire  de  lui  vient  à  propos  proclamer  les  prin- 
cipes de  non-intervention. 

Les  choses  en  sont  là  lorsqu'un  télégramme  de  Brunnof1 
apprend  à  Gortchakoff  l'envoi  de  l'escadre  anglo-française  dans 
les  eaux  de  Naples.  Le  soir  même,  Morny  reçoit  la  visite  du 
ministre  russe,  en  proie  à  «  une  émotion  très  vive  ».  L'arrivée 
de  cette  force  navale,  venant  évidemment  pour  protester  contre 
l'autorité  du  roi  des  Deux-Siciles,  ne  va-t-elle  pas  inciter  le 
peuple  à  une  révolution  ?  Morny,  qui,  au  fond,  partage  les 
craintes  de  son  visiteur,  le  calme  cependant  de  son  mieux  et 
l'engage  à  prendre  l'affaire  «  avec  moins  de  vivacité  ».  Mais 
Gortchakoff  tient  bien  peu  compte  de  ce  conseil,  car,  le  lende- 
main matin,  Morny  est  réveillé  par  une  lettre  confidentielle  dont 
voici  les  principaux  passages  : 

...  Je  ne  puis  que  vous  répéter  à  quel  point  nous  serions  désolés  que 
le  gouvernement  si  sage  de  l'empereur  Louis-Napoléon  s'associât  à  la 
violence  de  la  marche  de  votre  voisine  d'outre-Manche.  Il  est  impos- 
sible de  découvrir  l'ombre  d'un  droit  dans  la  pression  menaçante  qu'il 
s'agit  d'exercer  sur  le  roi  de  Naples...  Vous  savez  à  quel  point  nous 
désirons  nous  réunir  à  vous  sur  le  terrain  où  se  jugent  les  questions  du 
droit  public  européen.  Vous  nous  forcez  à  une  scission  si  l'on  persé- 
vère à  mettre  en  pratique  les  procédés  concertés  à  l'égard  de  Naples... 
Je  vous  confie,  mon  cher  comte,  que  l'empereur  mon  maître  ressent 
très  fortement  l'attaque  dirigée  contre  l'autorité  souveraine  de  tous  les 
pays  dans  la  personne  du  roi  de  Naples  et  que  je  ne  serais  pas  étonné 
de  recevoir  l'ordre  de  protester  formellement2. 

Fidèle  à  son  rôle  conciliateur,  Morny  s'efforce  encore  d'apai- 
ser cette  émotion.  Justifier  l'intervention  franco-anglaise  à 
Naples  n'eût  servi  qu'à  faire  dégénérer  la  discussion  en  polé- 
mique et,  par  conséquent,  à  l'envenimer.  D'ailleurs,  pour  sou- 
tenir cette  polémique  à  armes  égales,  n'eût-il  pas  manqué  à 
Morny  une  force  indispensable  :  la  conviction,  la  foi?  Aussi 
évite-t-il  soigneusement,  dans  sa  réponse  à  Gortchakoff,  d'abor- 
der le  fond  de  la  question  et  se  borne-t-il  à  lui  parler  raison  et 
bon  sens  : 

La  bonne  politique  consiste  à  retirer  tous  les  petits  tisons  encore  un 
peu  allumés  dans  tous  les  coins  de  l'Europe.  Après  les  grandes  con- 

1.  Ambassadeur  de  Russie  à  Londres,  chargé  de  l'ambassade  à  Paris  en 
attendant  l'arrivée  du  comte  Kisselef. 

2.  Morny,  même  date. 


LA   RUSSIE   ET    LA    POLITIQCE    ITALIENNE    DE   NAPOLEON    III.  37 

vulsions  récentes,  il  est  difficile  que  tout  rentre  absolument  dans 
l'ordre  et  le  droit  strict,  que  chaque  planète  reprenne  sa  marche  régu- 
lière. Mais  il  importe  au  repos  du  monde  que  les  trois  plus  grandes 
puissances  arrivent  à  vivre  entre  elles  en  bon  accord;  pour  cela,  il 
faut  quelles  aient  réciproquement  des  sentiments  d'égard,  de  respect, 
de  confiance.  On  peut  y  arriver  en  jetant  de  l'eau  sur  la  braise  encore 
chaude. 

En  même  temps  qu'il  prêche  à  Pétersbourg  le  calme  et  la 
patience,  Morny  prêche  la  modération  à  Paris.  Mais  il  ne  tarde 
pas  à  s'apercevoir  qu'il  s'est  abusé  en  croyant  le  gouvernement 
français  disposé  à  tenir  compte,  dans  une  mesure  si  faible  soit- 
elle,  des  vœux  du  gouvernement  russe.  Le  malentendu  latent 
entre  Napoléon  III  et  son  ambassadeur  se  fait  jour  dans  deux 
télégrammes  échangés  les  12  et  14  septembre  1856. 

Brunnoff  s'étant,  bien  gratuitement,  figuré  que  l'empereur 
inclinait  à  se  rendre  aux  instances  de  la  Russie  et  l'ayant 
télégraphié  à  Pétersbourg,  Morny  s'était  immédiatement  fait 
l'écho  de  la  satisfaction  causée  par  cette  nouvelle  controuvée,  à 
laquelle  il  avait  ajouté  foi  ;  et  il  en  avait  pris  texte  pour  encou- 
rager Napoléon  III  dans  ses  prétendues  dispositions.  Celui-ci 
lui  répond  : 

L'empereur  est  très  touché  des  prévenances  et  des  bons  procédés 
de  l'empereur  Alexandre.  Mais  une  intimité  ne  peut  s'établir  que  par 
umj  communauté  d'intérêts  et  une  identité  de  conduite  sur  les  ques- 
tions en  litige;  et  si,  comme  par  le  passé,  nous  trouvons  toujours  la 
Russie  dans  le  camp  opposé,  soit  en  Italie  ou  en  Espagne,  soit  en 
Allemagne  ou  en  Belgique,  il  sera  bien  difficile  d'établir  des  rapports 
amicaux,  tels  que  ceux  que  nous  voudrions  qui  existassent1. 

A  quoi  Morny  réplique  : 

Reçu  la  dépêche  de  l'empereur,  je  n'ai  jamais  pensé  autrement. 
Mais  est-ce  sur  l'ancien  système  ou  sur  le  nouveau  que  reposent 
ses  observations?  Le  prince  Gortchakoff  prétend  justement  inaugurer 
une  politique  nouvelle  ;  point  d'ingérence  russe  dans  les  affaires  des 
autres  puissances;  respect  des  droits,  politique  plus  libérale  à  l'inté- 
rieur et  à  l'extérieur;  excellents  rapports  avec  la  France;  large  part 
faite  à  l'influence  de  l'empereur  Napoléon  ;  bons  rapports  avec  l'An- 
gleterre; aussi  mauvais  que  possible  avec  l'Autriche.  C'est  après  ces 
déclarations  que  je  me  suis  permis  d'engager  Sa  Majesté  à  tenir 

1.  12  septembre  1856. 


38  FRANÇOIS-CHARLES   KOUX. 

compte  des  désirs  manifestés  ici  sur  la  Grèce  et  sur  Naples.  Après 
tout,  il  est  possible  qu'on  me  trompe1. 

Le  malentendu  initial  qui  a  existé  entre  Napoléon  III  et 
Morny  et  influé  sur  toute  la  mission  du  second  tient,  en  rac- 
courci, dans  ces  deux  télégrammes.  Le  nouveau  système  de  la 
Russie  et  les  chances  que  ce  système  offre  à  une  alliance  entre 
elle  et  la  France  valent  bien,  pense  Morny,  quelques  conces- 
sions de  notre  part  aux  principes  de  l'empereur  Alexandre. 
C'est  au  tsar,  pense  au  contraire  Napoléon  III,  à  sacrifier  ses 
principes  aux  tendances  dont  s'inspire  notre  politique,  s'il  veut 
pouvoir  compter  sur  l'amitié  de  la  France. 

Ce  malentendu  fait,  en  quelque  sorte,  pendant  à  celui  qui  a 
existé  simultanément  entre  l'empereur  et  son  ambassadeur  sur 
l'alliance  anglaise  et  la  politique  orientale.  Sur  ces  deux  points 
aussi,  Morny  a  estimé  que  l'alliance  de  la  Russie  justifiait  des 
concessions,  dont  Napoléon  III,  qui  ne  voulait  pas  alors  de 
cette  alliance,  était  bien  loin  de  la  juger  digne  :  et  c'est  de  la 
Russie  que  l'empereur  s'est  obstiné  à  attendre  sur  ce  terrain 
tous  les  sacrifices  d'ambition,  d'intérêt,  comme  ailleurs  tous  les 
sacrifices  de  principes2. 

Le  développement  de  cette  intervention  à  Naples,  à  laquelle 
Napoléon  III  refuse  de  renoncer,  fait  s'entrechoquer  les  prin- 
cipes contradictoires  qui  dominent  la  politique  française  et  la 
politique  russe.  Rien  ne  fait  mieux  toucher  du  doigt  cette  con- 
tradiction et  assister,  en  quelque  sorte,  à  ce  choc  qu'un  entre- 
tien de  Morny  avec  Alexandre  II3,  peu  de  temps  après  le  rap- 
pel des  ministres  de  France  et  d'Angleterre  à  Naples  et  l'ordre 
donné  aux  escadres  d'appareiller.  «  Cela  me  fait  beaucoup  de 
peine  et  cela  m'inquiète  »,  dit  le  tsar  à  l'ambassadeur,  en  par- 
lant de  ces  mesures,  et,  feignant  d'en  attribuer  l'initiative  à 
l'Angleterre,  il  exprime  la  crainte  que  les  agents  de  cette  puis- 
sance «  ne  fomentent  à  Naples  une  révolution  dont  les  consé- 
quences peuvent  être  de  mettre  le  feu  à  toute  l'Italie.  Certes  », 
ajoute-t-il,  avec  plus  ou  moins  de  conviction,  «  c'est  bien  con- 
traire à  votre  politique  ».  Puis,  comme  Morny  rejette  sur  le  roi 

1.  14  septembre  1856. 

2.  Cf.  notre  article  sur  la  Russie  et  l'alliance  anglo-française  après   la 
guerre  de  Crimée,  dans  la  Revue  historique,  t.  CI  (1909),  p.  272-315. 

3.  Extrait  des  Mémoires  du  duc  de  Morny,  Une  ambassade  en  Russie,  1856 
(Paris,  Ollendorf,  1892),  p.  101-102. 


LA   RUSSIE   ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE   DE    NAPOLEON    III.  39 

des  Deux-Siciles  la  responsabilité  de  la  démonstration  navale, 
qu'il  s'applique  à  présenter  comme  une  réplique  nécessaire  à 
l'impertinence  du  gouvernement  napolitain,  Alexandre  II 
reprend  :  «  Ce  n'est  pas  moins  un  acte  d'ingérence  dans  le  gou- 
vernement extérieur  d'un  roi  libre  qui  vous  amené  à  cet  acte 
d'intimidation,  et  alors,  c'est  la  dislocation  de  principes  que 
tous  les  gouvernements  ont  intérêt  à  conserver,  et  en  dehors 
desquels  il  n'y  a  plus  rien  de  stable.  » 

C'était  véritablement  la  synthèse  de  la  situation  qu'Ale- 
xandre II  venait  de  faire,  en  définissant  de  la  sorte  la  raison 
d'être  de  la  réprobation  que  rencontrait  de  sa  part  l'intervention 
franco-anglaise  à  Naples.  En  vain  Morny  croyait-il  possible 
que,  «  partant  de  deux  points  opposés  »,  le  tsar  et  l'empereur 
des  Français  dussent  «  arriver  à  se  rencontrer  sur  un  terrain  à 
peu  près  identique  »,  et  qu'  «  en  faisant  chacun  un  pas  »  du 
côté  de  l'autre,  ils  parvinssent  souvent  à  s'entendre.  Pour  que 
son  espoir  ne  fût  pas  chimérique,  il  eût  fallu  qu'effectivement 
Napoléon  III  fût  disposé  à  «  faire  un  pas  »  du  côté  d'Alexandre  II, 
c'est-à-dire  à  sacrifier  quelque  chose  de  ses  desseins.  A  défaut 
de  cette  condition,  l'entente,  la  bonne  harmonie  entre  eux  ne 
pouvait  subsister  qu'au  prix  de  concessions  perpétuelles  de  la 
part  de  la  Russie  et,  comme  son  intérêt  devait  nécessairement 
imposer  à  ses  concessions  une  limite,  si  lointaine  fût-elle,  un 
jour  devait  fatalement  arriver  où  l'opposition  de  leurs  principes 
mettrait  en  conflit  les  deux  souverains. 

S'il  est  exact  que  cette  opposition  de  principes  constituait  un 
germe  de  mort  pour  l'entente  d'Alexandre  II  et  de  Napoléon  III, 
nous  ne  croyons  pas,  par  contre,  qu'elle  ait  suffi,  au  début,  à 
empêcher  entre  eux  un  rapprochement  plus  étroit  ni  qu'il  faille 
y  attribuer  l'échec  de  la  tentative  d'alliance  poursuivie  par 
Morny  et  par  Gortchakoff.  Ce  qui  a  fait  échouer  cette  tentative, 
ce  n'est  pas  une  contradiction  de  principes  qui  ne  tournera  à 
l'incompatibilité  absolue  que  beaucoup  plus  tard,  quand  la 
Pologne  sera  en  cause  :  c'est  le  refus  de  Napoléon  III  de  se 
laisser  détacher  de  l'alliance  anglaise.  Non  seulement  pendant 
l'affaire  de  Naples,  mais  pendant  toute  la  durée  de  la  crise  ita- 
lienne, dont  cette  affaire  n'est  que  le  prologue,  l'intérêt  de  la 
Russie  à  pouvoir  compter  sur  la  France,  l'espoir  qu'elle  fonde 
sur  l'amitié  de  Napoléon  III  sont  assez  grands,  assez  décisifs 
pour  compenser  à  ses  yeux  le  sacrifice  de  principes  dont  l'ap- 


40  FRANÇOIS-CHARLES    ROUX. 

plication  en  Italie  ne  menace  encore  sa  sécurité  qu'indirecte- 
ment. Ce  n'est  pas  à  dire  que  ce  sacrifice  ait  été  indifférent  au 
tsar  et  à  Gortchakoff  ;  c'est  au  contraire  aux  hésitations,  aux 
révoltes,  aux  luttes  dont  il  a  été  l'occasion  de  leur  part  que  la 
suite  des  événements  va  nous  faire  assister. 

Ni  les  fêtes  du  couronnement,  ni  les  irritantes  questions  de 
Bolgrad  et  de  l'île  des  Serpents,  qui  risquent,  à  ce  moment 
même,  de  remettre  le  feu  aux  poudres,  ne  font  entièrement 
diversion  aux  préoccupations  causées  à  Pétersbourg  par  l'affaire 
de  Naples.  Sans  doute,  après  leur  récent  entretien,  Alexandre  II 
en  parle-t-il  à  Morny  «  sans  la  moindre  aigreur  et  avec  une 
grande  confiance  dans  les  intentions  de  l'empereur  Napoléon  »  '. 
Mais  il  n'en  a  pas  moins  hâte  de  savoir  l'incident  clos.  Gort- 
chakoff, de  son  côté,  exhorte  la  cour  de  Naples,  par  l'intermé- 
diaire de  son  ministre  à  Pétersbourg,  Regina,  à  se  montrer  con- 
ciliante, surtout  envers  Napoléon  III. 

Malheureusement,  au  moment  même  où  le  gouvernement 
russe  renonce  à  importuner  la  France  par  d'inutiles  représen- 
tations et  met  une  sourdine  à  ses  doléances ,  les  journaux 
s'avisent  de  divulguer  une  circulaire  adressée  par  Gortchakoff 
à  ses  agents  un  mois  auparavant.  Brunnoff,  ne  pouvant  douter 
dès  lors  que  Walewski  en  connaisse  l'existence,  vient  lui  en 
donner  lecture,  et  le  ministre  de  Napoléon  III  trouve  la  circu- 
laire très  peu  à  son  goût.  «  Si  l'on  doit  y  voir  un  exposé  de 
principes  »,  mande-t-il  à  Morny,  «  cet  exposé  est  en  contradic- 
tion avec  les  assurances  que  notre  ambassadeur  a  reçues  de  la 
Russie  sur  ses  dispositions  »-.  Voilà  de  nouveau  Morny  con- 
traint à  dissiper  ce  nuage.  C'est  à  tort  qu'à  Paris  on  a  attaché 
de  l'importance  à  cette  circulaire  ;  à  Pétersbourg,  elle  n'a  occupé 
que  Gortchakoff;  l'empereur  n'en  a  même  pas  eu  connaissance  ; 
Gortchakoff  prétend  n'avoir  jamais  eu  en  vue  le  gouvernement 
français  ;  il  convient  de  mettre  la  circulaire  sur  le  compte  d'  «  un 
petit  goût  pour  la  prose  »,  d'«une  petite  satisfaction  d'écri- 
vain »  qui  sont  travers  coutumiers  au  ministre  d'Alexandre  II . 

Ayant  reçu  sur  les  doigts,  Gortchakoff  retient,  pendant 
quelque  temps,  sa  langue  et  sa  plume.  Mais  alors,  c'est  Morny 
qui  rend  la  bride  à  son  humeur  frondeuse  et  qui,  n'ayant  plus 


1.  Morny,  29  septembre  1856. 

2.  Walewski,  1"  octobre  1856. 


LA    RUSSIE    ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE    DE   NAPOLEON    III.  41 

matière  à  gronder  par  procuration,  morigène  son  gouvernement 
en  son  nom  et  pour  son  compte.  «  En  mon  âme  et  conscience», 
écrit-il  à  Walewski,  «  je  crois  que  nous  faisons  fausse  route  a 
Naples  » 1 .  Et  il  dénonce  les  dangers  d'une  politique  qui  prépare 
à  la  France  des  difficultés  sans  nombre,  va  à  rencontre  des  prin- 
cipes d'ordre,  de  stabilité,  de  paix,  porte  atteinte  à  la  situation 
morale  de  l'empereur  en  Europe  et  entame  la  confiance  qu'il 
inspirait. 

Alexandre  II  et  Gortchakoff  ont  alors  trop  besoin  du  concours 
de  la  France  pour  risquer  de  se  l'aliéner  en  critiquant  son  atti- 
tude à  Naples.  C'est  le  moment  où  la  fermeté  de  l'empereur  les 
tire  à  leur  honneur  des  affaires  de  Bolgrad  et  de  l'île  des  Ser- 
pents. Mais,  aussitôt  ces  affaires  réglées,  ils  prennent  l'initiative 
d'une  démarche  amicale  auprès  de  la  reine  Victoria  et  de  Napo- 
léon III.  A  vrai  dire,  les  circonstances  ont  plus  fait  que  cette 
démarche  amicale  pour  tenir  les  escadres  anglo- françaises 
éloignées  de  Naples  :  toujours  est-il  qu'elles  restèrent  l'une  à 
Malte  et  l'autre  à  Toulon. 

Mais  les  relations  diplomatiques  restaient  rompues,  et  c'en 
était  encore  assez  pour  contrarier  le  gouvernement  russe.  Aussi 
entreprend-il  de  réconcilier  la  cour  des  Deux-Siciles  avec  ses 
deux  puissants  adversaires.  L'affaire  paraît  assez  importante  au 
tsar  pour  qu'il  en  parle  à  Napoléon  III,  lorsqu'il  se  rencontre 
avec  lui  à  Stuttgard,  et  l'empereur  accueille,  cette  fois,  avec 
bienveillance  les  instances  d'Alexandre  II  en  faveur  d'un  rap- 
prochement. Peu  après  revient  aux  oreilles  de  Gortchakoff  l'écho 
d'assurances  satisfaisantes  données,  à  cet  égard,  par  Walewski 
au  ministre  de  Prusse  à  Paris.  Aussitôt  Gortchakoff  de  s'en  féli- 
citer bruyamment  et  d'en  remercier  chaleureusement  le  chargé 
d'affaires  de  France  à  Pétersbourg,  M.  de  Châteaurenard  : 

L'empereur  pn  a  éprouvé  la  plus  vive  satisfaction.  Il  est  personnel- 
lement reconnaissant  à  l'empereur  Napoléon  de  ce  que  Sa  Majesté  a 

1.  Parmi  les  arguments  dont  il  appuie  ce  jugement,  il  en  est  un  qui  prend 
une  saveur  particulière,  si  l'on  songe  que  c'est  un  fils  de  la  reine  Hortense  qui 
le  fait  valoir  auprès  d'un  fils  du  roi  Louis.  Condamnant  une  restauration  pos- 
sible de  l'héritier  de  Murât  à  Naples,  Morny  écrit  :  «  L'empereur  Napoléon  a 
dû  sa  chute  à  plusieurs  causes;  mais,  à  mon  avis,  l'une  des  plus  intenses'  a 
été  l'usage  qu'il  a  fait  de  ses  frères  sur  différents  trônes  de  l'Europe  et  la  con- 
duite de  ces  mêmes  frères  »  {Une  ambassade  en  Russie,  lettre  de  Morny  à 
Walewski  du  14  octobre  1856). 


42  PRANÇOIS'-CHABLES   KOUX. 

bien  voulu  donner  suite  aux  bonnes  dispositions  qu'Elle  avait  mani- 
festées lors  de  l'entrevue  de  Stuttgàrd.  L'empereur  m'a  chargé  de  faire 
parvenir  à  Sa  Majesté  l'empereur  Napoléon  l'expression  de  ses  senti- 
uienis  et  la  confiance  qu'il' a  de  voiries  deux  puissances  renouer  bien- 
tôt leurs  relations  diplomatiques  avec  la  cour  de  Naples.  Sa  Majesté 
attache  le  plus  grand  prix  à  ce  résultat,  non  seulemenl  parce  qu'Elle  y 
trouvera  un  témoignage  éclatant  de  la  considération  personnelle  que 
l'empereur  Napoléon  a  pour  elle,  mais  aussi  parce  que  le  rétablisse- 
ment des  rapports  avec  la  cour  de  Naples  constatera  une  fois  de  plus, 
aux  yeux  de  l'Europe,  jusqu'à  quel  point  l'entente  des  deux  souverains 
est  personnelle  et  combien  elle  est  destinée  à  avoir  les  plus  heureuses 
conséquences1. 

Voilà  bien  de  la  reconnaissance  pour  la  simple  annonce  d'une 
mesure  à  laquelle  la  Russie  n'est  pas  directement  intéressée.  Au 
premier  abord,  on  est  tenté  d'en  attribuer  l'excès  au  besoin 
d'amplification  et  de  redondance  habituel  à  ce  méridional  du 
Nord  qu'est  Gortchakoff.  Mais,  à  quelque  temps  de  là,  au  cercle 
de  cour  du  1er  janvier,  Alexandre  II  lui-même  charge  Château- 
renard  de  transmettre  ses  remerciements  à  Napoléon  III  et  à 
Walewski  et  il  exprime  sa  satisfaction  «  de  voir  que  l'empereur 
Napoléon  a  conservé  un  bon  souvenir  de  leur  entretien  à  Stutt- 
gàrd »2.  Il  faut  donc  bien  admettre  que  Gortchakoff  a  fidèle- 
ment rendu  les  sentiments  de  son  souverain  et  que,  jusqu'au 
dernier  moment,  la  solution  amiable  de  l'affaire  de  Naples  a 
tenu  très  à  cœur  au  tsar. 

Cette  affaire  n'était,  pour  Napoléon  III,  qu'une  entrée  en 
matière,  l'amorce  d'une  politique  qui  réservait  aux  principes  du 
gouvernement  russe  des  démentis  et  des  déconvenues  autrement 
plus  graves.  Cette  politique  se  laisse  deviner  dès  le  début  du 
conflit  qui  s'élève  entre  le  Piémont  et  l'Autriche,  aux  sympa- 
thies avérées  de  Napoléon  III  pour  le  Piémont  et  à  ses  efforts 
pour  lui  assurer,  dans  le  cas  inévitable  d'une  guerre,  une  vic- 
toire dont  le  prix  soit  l'acquisition  de  la  Lombardie,  avec  la 
suprématie  sur  l'Italie  constituée  en  système  fédératif.  En 
admettant  même  qu'Alexandre  II  et  Gortchakoff  n'aient  pas  vu, 
de  prime  abord,  où  les  conduirait  la  politique  de  Napoléon  III, 
il  est  difficile  de  supposer  que  la  cause  du  Piémont  ait  pu,  par 


1.  Châteaurenard,  janvier  1858. 

2.  Id.,  ibid. 


LA    RUSSIE    ET   LA    POLITIQUE    ITALIENNE    DE    NAPOLÉON    III.  43 

elle-même,  obtenir  leurs  sympathies.  Dans  le  conflit  austro- 
piémontais,  c'est  incontestablement  du  côté  de  l'Autriche 
qu'était  la  sauvegarde  des  principes  chers  au  gouvernement 
russe.  Si  donc  le  tsar  a  consenti  à  s'associer,  dans  une  certaine 
mesure,  à  la  politique  de  Napoléon  III  et  à  prêter,  de  la  sorte, 
un  appui  indirect  au  Piémont,  c'est  que  des  considérations  d'un 
autre  ordre  l'ont  incliné  à  une  compromission  temporaire  avec 
les  défenseurs  du  principe  des  nationalités. 

Ces  considérations  se  rattachent  à  un  désir  persistant  de  lier 
partie  avec  la  France,  d'acquérir  des  titres  à  sa  gratitude  et  à 
un  ressentiment  profond  contre  l'Autriche.  Il  nous  faut  pour  les 
expliquer  remonter  à  quelques  mois  en  arrière. 

En  politique,  le  premier  mot  que  se  disent  deux  adversaires 
qui  se  réconcilient  est  le  plus  souvent  une  parole  de  haine 
contre  un  tiers.  Il  en  fut  ainsi  de  la  France  et  de  la  Russie  en 
1856  comme  en  1807.  «  Je  hais  les  Anglais  autant  que  vous  et 
serai  votre  second  en  tout  ce  que  vous  tenterez  contre  eux  », 
avait  dit  Alexandre  Ier  à  Napoléon,  en  mettant  le  pied  sur  le 
radeau  de  Niémen  l.  «  Je  n'aime  pas  l'Autriche  plus  que  vous  et 
ne  m'opposerai  à  rien  de  ce  que  vous  entreprendrez  contre  elle  », 
aurait  pu  dire  Alexandre  II  à  Napoléon  III,  en  l'abordant  à 
Stuttgard. 

S'ils  n'ont  pas  énoncé  cette  pensée  en  termes  aussi  catégo- 
riques, le  tsar  et  son  ministre  ont  fait  en  sorte  de  la  donner  à 
entendre  presque  aussi  clairement.  Dès  le  congrès  de  Paris, 
Orloff  prend  soin  de  ne  laisser  aucun  doute  sur  ce  point  à  Napo- 
léon III.  La  malveillance  et  l'acrimonie  des  plénipotentiaires 
autrichiens  leur  attirent  de  sa  part  de  cinglantes  ripostes.  Il  n'a 
pas  pour  eux  les  ménagements  que,  dans  les  discussions  les  plus 
chaudes,  il  sait  garder  envers  les  Anglais.  Il  ne  leur  en  cache 
pas  la  raison  :  «  Il  y  aura  longtemps  en  Russie  »,  dit-il  à  Hub- 
ner,  «  un  profond  ressentiment  contre  l'Autriche  ».  Si  sa  fran- 
chise ne  rend  pas  les  Autrichiens  plus  habiles,  du  moins  les 
rend-elle,  pour  un  moment,  plus  clairvoyants.  «  L'empereur  », 
écrit  Hubner,  «  comprend  que  la  Russie  est  implacable  »2. 

A  peine  Gortchakoff  a-t-il  pris  la  direction  des  affaires  que 
la  préoccupation  de  définir  son  attitude  envers  l'Autriche  appa- 

1.  A  Tilsitt. 

2.  Souvenirs  d'un  ambassadeur  d'Autriche  à  Paris,  par  le  baron  de  Hub- 
ner. Paris,  Pion,  1900. 


44  FRANÇOIS-CHARLES   ROUX. 

raît  à  chaque  instant  dans  ses  paroles  et  dans  ses  actes.  Parti 
de  Vienne,  sans  avoir  présenté  ses  lettres  de  rappel,  il  y 
retourne,  quelques  semaines  après,  tout  exprès  pour  prendre 
officiellement  congé  de  la  cour. 

Au  premier  abord,  cette  démarche,  pourtant  toute  naturelle, 
fut  interprétée  comme  une  tentative  de  rapprochement  de  la 
Russie  du  côté  de  l'Autriche  : 

Priée  par  les  hommes  d'État  allemands,  conseillée  par  sa  propre 
habileté,  la  Russie,  écrivait  notre  ministre  à  Dresde,  aurait  consenti 
à  pardonner  à  l'Autriche  et  à  se  rapprocher  d'elle...  Le  prince  Gort- 
chakofï  se  serait  chargé  d'aller  étudier  lui-même  la  position  à  Vienne 
et  de  laisser  deviner,  si  les  circonstances  s'y  prêtaient,  qu'il  y  avait 
cependant  des  accommodements  avec  le  tsar1. 

Son  séjour  à  Vienne  se  prolonge  beaucoup  plus  longtemps 
que  ne  l'exige  l'accomplissement  de  la  formalité  dont  il  est  venu 
s'acquitter.  «  Je  pense  »,  écrit  Bourqueney,  «  qu'il  aurait  fallu 
moins  de  temps  pour  congédier  des  gens  et  faire  emballer  des 
meubles.  Mais  je  ne  m'étonne  pas  de  voir  le  prince  Gortchakoff 
prolonger  l'occasion  d'établir,  avec  une  certaine  solennité,  le 
programme  de  sa  politique  future  sur  le  terrain  où  sa  politique 
passée  a  été  exposée  aux  mécomptes  les  plus  sévères  »2.  Qu'il 
eût  gardé  de  ces  mécomptes  un  cuisant  souvenir,  c'est  ce  dont 
on  ne  pouvait  douter  à  Vienne.  On  n'en  fut  que  plus  surpris  de 
constater  combien  il  laissait  peu  paraître  de  dépit.  «  On  s'atten- 
dait ici  »,  écrit  Bourqueney,  «  à  le  voir  plus  irrité.  Au  fond,  on 
s'applaudit  de  trouver  plus  de  neutralité  que  de  colère  sous  les 
formes  un  peu  dramatiques  de  son  discours  ».  Ce  qui  parut  le 
plus  symptomatique  dans  ses  déclarations,  ce  fut  l'insistance  qu'il 
mettait  à  répudier  la  politique  de  rancune  ;  et,  de  fait,  il  ne  fai- 
sait allusion  à  l'ingratitude  de  l'Autriche  que  pour  se  défendre 
personnellement  de  vouloir  en  tirer  vengeance.  «  Le  nouveau 
ministre  des  Affaires  étrangères  désavoue  »,  écrivait  Bourque- 
ney, «  la  politique  de  rancune,  tout  en  constatant  le  ressenti- 
ment profond  qui  règne  contre  l'Autriche  dans  toutes  les  classes 
de  la  nation  russe  et  en  admettant  qu'il  y  a  à  en  tenir  compte  »3. 

A  tout  prendre,  il  y  avait  loin  de  cette  déclaration  à  une 

1.  Forlh-Rouen,  28  juin  1856. 

2.  Bourqueney,  ambassadeur  de  France  à  Vienne,  15  juin  1856. 

3.  Bourqueney,  15  juin  1856. 


LA    RUSSIE    ET    LA   POLITIQUE   ITALIENNE   DE   NAPOLEON    III.  45 

garantie  formelle  de  sécurité,  et  l'on  pouvait  se  demander  ce 
qu'il  y  avait  de  plus  significatif,  de  l'affirmation  du  début  ou  de 
la  restriction  de  la  fin.  Telle  n'est  pas  cependant  l'impression 
qui  prévalut  à  Vienne  sur  le  moment  même.  Des  paroles  de 
Gortchakoff,  on  fut  porté  à  ne  retenir  que  le  désaveu  donné  à  la 
politique  de  rancune  et,  dans  ce  désaveu  même,  on  voulut  voir 
une  invite,  une  avance  faite  à  l'Autriche.  «  En  désavouant 
ouvertement,  avec  tout  le  monde,  la  politique  de  ressentiment, 
le  prince  Gortchakoff»,  écrit  Bourqueney,  «  faisait  un  pas  qui 

pouvait  conduire  à  la  reprise  de  la  politique  de  sentiment 

J'ai  toujours  vu  le  prince  si  facile  aux  illusions  que  je  n'oserais 
affirmer  qu'il  n'arrivât  ici  sous  l'empire  de  celle  que  je  viens 
d'indiquer  »1. 

Cette  conjecture  fait-elle  plus  d'honneur  à  l'imagination  qu'à 
la  perspicacité  de  Bourqueney  ?  Toujours  est-il  que  telle  fut  aussi 
l'opinion  delà  cour  de  Vienne.  Persuadée  comme  Bourqueney  que 
Gortchakoff  venait  à  elle  la  main  tendue  et  n'attendait  qu'un 
signe  d'elle  pour  se  mettre  à  sa  discrétion,  cette  cour  prit  à 
tâche  de  décourager  les  velléités  de  rapprochement  que,  bien 
gratuitement,  selon  nous,  elle  prêtait  à  son  hôte.  Loin  de  se 
mettre  pour  lui  en  frais  d'amabilité,  elle  lui  fit  un  accueil  guindé 
et  froid,  strictement  limité  à  ce  qu'exigeaient  les  convenances. 
«  Le  prince  n'a  trouvé  »,  écrit  Bourqueney,  «  qu'une  cour  froi- 
dement, dignement  polie,  un  ministre  sans  aigreur  mais  sans 
empressement,  une  politique  conséquente,  suivant  l'exécution 

du  traité  du  30  mars Cela  est  trop  clair  pour  n'avoir  pas  été 

compris2.  » 

Au  retour  de  ce  voyage  à  Vienne,  Gortchakoff  rencontre 
Baudin3  à  Stettin.  Ses  dispositions  envers  l'Autriche  sont  un 
des  thèmes  qu'il  développe  le  plus  longuement  à  notre  chargé 
d'affaires,  sur  le  navire  où  ils  ont  pris  passage  ensemble  pour 
Pétersbourg.  Son  amertume  s'épanche  ici  plus  librement  qu'à 
Vienne.  Aux  protestations  de  sympathie  pour  la  France  suc- 
cèdent, comme  un  complément  naturel ,  comme  un  corollaire 

1.  Bourqueney,  25  juin  1856. 

2.  Bourqueney,  25  juin  1856. 

3.  Baudin,  premier  secrétaire  d'ambassade,  avait  été  chargé  d'assurer  la 
gérance  de  l'ambassade  de  France  à  Pétersbourg  en  attendant  l'arrivée  de 
Morny.  Quand  Gortchakoft'  le  rencontra  à  Stettin,  Baudin  se  rendait  à  son 
poste,  par  mer,  de  Stettin  à  Pétersbourg. 


46  FRANÇOIS-CHARLES   ROUX. 

nécessaire,  les  professions  de  foi  les  plus  nettes  de  défiance 
envers  l'Autriche.  Pour  les  justifier,  Gortchakoff  ne  s'abrite 
plus,  comme  à  Vienne,  derrière  le  sentiment  national  :  il  parle 
en  son  nom  et  pour  son  compte.  Il  ne  se  défend  pas  de  partager 
les  impressions  de  ses  compatriotes  et,  sans  revenir  sur  le  désa- 
veu qu'il  a  donné,  à  Vienne,  à  la  politique  de  ressentiment,  il 
s'abstient  cependant  de  le  renouveler. 

Rapprochées  les  unes  des  autres,  les  déclarations  de  Gort- 
chakoff aux  Autrichiens  et  à  Baudin  présentent  donc  des  diffé- 
rences qui,  pour  n'être  pas  essentielles,  n'en  sont  pourtant  pas 
négligeables.  Les  deux  mêmes  éléments  s'y  combinent  bien, 
mais  dans  une  proportion  inverse  ;  dans  les  unes  la  neutralité 
l'emporte  sur  la  colère,  dans  les  autres  la  colère  domine  la  neu- 
tralité. A  quelle  cause  convient-il  d'attribuer  cette  différence? 

A  première  vue,  on  est  tenté  d'y  voir  la  confirmation  des 
soupçons  conçus  par  Bourqueney.  Venu  à  Vienne  dans  l'inten- 
tion de  préparer  les  voies  à  une  réconciliation  avec  l'Autriche, 
Gortchakoff  aurait  été  dépité  de  voir  ses  avances  repoussées  et 
en  serait  reparti  plus  antiautrichien  qu'il  n'y  était  arrivé.  Mais 
c'est,  selon  nous,  aller  chercher  bien  loin  la  solution  d'un  pro- 
blème qui  s'explique  tout  naturellement,  sans  le  secours  d'au- 
cune conjecture. 

A  Vienne,  la  prudence  la  plus  élémentaire  avait  obligé 
Gortchakoff  à  se  contenir,  à  s'observer,  et  lui  imposait  une 
contrainte  qui  n'était  plus  de  mise  lorsqu'il  s'adressait  à  la 
France.  Avec  elle,  il  n'avait  que  faire  d'euphémismes  et  de  pré- 
cautions oratoires  ;  il  avait  son  franc-parler  ;  bien  plus,  l'intérêt 
dé  la  Russie  le  poussait  plutôt  à  forcer  la  note  et  à  hausser  le 
ton.  Rien  d'étonnant  par  suite  à  ce  qu'on  remarque  de  sa  part 
comme  une  tendance  à  faire  parade  de  son  ressentiment  contre 
l'Autriche,  un  certain  empressement  à  aborder  ce  sujet  avec  nos 
représentants,  une  certaine  complaisance  à  s'y  étendre.  A 
Vienne,  il  a  mis  une  sourdine;  pour  se  faire  entendre  à  Paris, 
il  a  appuyé  sur  la  corde. 

Ce  n'est  donc  ni  dans  ses  déclarations  de  Vienne,  ni  dans  ses 
entretiens  avec  Baudin  qu'il  faut  chercher  l'expression  d'une 
pensée  qu'il  a,  tour  à  tour,  atténuée  et  exagérée  :  c'est  entre  les 
deux.  Du  reste,  la  part  faite,  dans  les  deux  sens,  à  l'exagéra- 
tion, les  dispositions  de  Gortchakoff  envers  l'Autriche  appa- 


LA    RUSSIE    ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE   DE    NAPOLÉON    III.  47 

raissent  encore  comme  rien  moins  qu'amicales.  Au  demeurant, 
le  contraire  eût  été  surprenant. 

Ministre  de  Russie  à  Vienne  pendant  la  période  la  plus  cri- 
tique de  la  guerre  de  Crimée,  il  avait  dû  faire  bonne  mine  à  l'in- 
gratitude autrichienne.  «  On  comprend  aisément  »,  écrit  un 
témoin  de  cette  époque1,  «  quel  trésor  de  fiel  ce  séjour  de  Vienne 
a  dû  amasser  dans  le  cœur  ulcéré  du  patriote  russe  » .  A  cette 
amertume  personnelle  était  venue  se  joindre  une  prévention  rai- 
sonnée  contre  un  pajs  dont  il  avait  dit  :  «  L'Autriche  n'est  pas 
un  État,  ce  n'est  qu'un  gouvernement.  »  A  tort  ou  à  raison 
enfin,  il  a  vu  l'intérêt  de  la  Russie  à  pactiser  avec  des  Etats  que 
leurs  ambitions  devaient,  tôt  ou  tard,  mener  à  un  conflit  avec 
l'Autriche.  Il  a  espéré  de  ses  complaisances,  tour  à  tour,  pour 
la  France  et  pour  la  Prusse,  un  profit  en  comparaison  duquel 
le  sacrifice  d'une  plus  ou  moins  grande  part  de  la  puissance 
autrichienne  lui  a  paru  très  léger,  sinon  indifférent.  Les  résul- 
tats de  sa  politique  expliquent  et  justifient  le  jugement  qu'un 
Autrichien2  a  porté  sur  lui  :  «  Gortchakoff  a  été,  par  principe, 
adversaire  de  l'Autriche.  » 

Ainsi  formulé,  ce  jugement  est  trop  absolu  pour  pouvoir  être 
appliqué  à  Alexandre  II.  Son  attitude,  son  langage  n'ont  pas 
toujours,  par  la  suite,  été  à  l'unisson  de  ceux  de  Gortchakoff. 
Leurs  dispositions  ont  quelquefois  paru  différentes,  pour  ne  pas 
dire  contradictoires,  aux  agents  autrichiens.  L'un  d'eux,  qui  fut 
deux  fois  accrédité  à  Saint-Pétersbourg,  n'a  pas  craint  de  con- 
clure de  ces  divergences  que  «  l'orientation  donnée  par  Gort- 
chakoff à  la  politique  russe  n'a  répondu  en  aucune  façon  aux 
sentiments  de  son  souverain  »3.  L'exagération  d'une  telle  asser- 
tion saute  aux  yeux.  Alexandre  II  n'était  pas  homme  à  se  laisser 
conduire  au  rebours  de  ses  désirs.  La  différence  qui  distingue 
ses  sentiments  de  ceux  de  Gortchakoff  est  une  différence  de 
degré,  d'intensité.  Encore  cette  différence  n'est-elle  nullement 
apparue  au  début  du  règne  d'Alexandre  II . 

Le  prince  Lichtenstein  étant  venu  à  Varsovie  le  complimen- 

1.  Julian  Klaczko,  fonctionnaire  du  ministère  autrichien,  des  Affaires  étran- 
gères, auteur  de  l'ouvrage  très  connu  intitulé  :  Deux  chanceliers  :  Bismarck 
et  Gortchakoff. 

2.  Le  comte  Revertera,  chargé  d'affaires  d'Autriche  à  Pétersbourg,  auteur  de 
souvenirs  diplomatiques  publiés  dans  la  Deutsche  Revue. 

3.  Revertera,  op.  cit. 


40  FRANÇOIS-CHARLES   ROT'X. 

ter  au  nom  de  l'empereur  François-Joseph,  il  le  reçoit  assez 
froidement.  «  Le  ressentiment  »,  lui  dit-il,  «  est  complètement 
étranger  à  mon  cœur.  Il  ne  peut  m'influencer  dans  mes  rap- 
ports avec  l'Autriche.  Mais  je  ne  saurais  vous  dissimuler  que, 
l'irritation  de  mes  peuples  contre  votre  pays  est  profonde  et  que 
malgré  moi,  les  affaires  pourront  bien  se  ressentir  de  cette  irri- 
tation K  »  A  quelques  mots  près,  c'est  la  pensée  même  que  Gort- 
chakoff  a  exprimée  à  Vienne  :  même  affirmation  de  sentiments 
personnels  exempts  de  tout  désir  de  vengeance  ;  même  restric- 
tion qui  en  affaiblit  singulièrement  la  valeur. 

L'antipathie  d'Alexandre  II  envers  l'Autriche  a  tiré  sa  force 
d'une  sorte  d'indignation  contre  un  procédé  qu'il  considérait 
comme  un  manque  de  foi.  Sept  ans  après  les  événements  de  1849, 
il  ne  pouvait  contenir  sa  colère,  au  souvenir  du  jour  où  son 
père,  de  ce  même  palais  du  Kremlin,  où  il  contait  le  fait  à 
Mornv,  avait  donné  l'ordre  aux  troupes  russes  de  marcher  au 
secours  de  la  monarchie  autrichienne  :  «  Ah  !  cette  Autriche  ! 
Quelle  politique  perfide  !  »  s'écriait-il  en  évoquant  ce  souvenir. 

La  cour,  la  société  n'ont  eu  aucune  violence  à  se  faire  pour 
être  au  diapason  du  souverain.  Lorsque  le  prince  Esterhazy,  à 
la  veille  de  demander  ses  audiences,  s'aperçut  qu'il  avait  oublié 
à  Vienne  ses  lettres  de  créance,  l'entourage  de  l'empereur  ne 
prit  pas  la  peine  de  déguiser  la  satisfaction  que  lui  causait  cette 
omission,  qui  donnait  le  pas  à  l'ambassadeur  de  France  sur  tous 
ses  collègues. 

La  France  a  donné  aux  manifestations  de  ce  sentiment  une 
attention  qui  dénote  l'intérêt  qu'elle  y  a  attaché.  Alexandre  II 
et  Gortchakoff  semblent  avoir  d'abord  pris  à  tâche  de  satisfaire 
sa  curiosité  et  de  combler  ses  vœux.  S'attendaient-ils  à  ce  qu'elle 
leur  en  témoignât  plus  de  reconnaissance  ?  La  chose  est  pos- 
sible, car,  après  le  refus  opposé  par  la  France  à  leur  proposi- 
tion de  traité2,  on  remarque  comme  une  détente  dans  leur  atti- 
tude envers  l'Autriche. 

Recevant  en  audience  de  congé  ce  même  Esterhazy,  dont  la 
déconvenue  rencontrait,  moins  d'un  an  auparavant,  un  accueil 
si  peu  charitable,  Alexandre  II  lui  dit  «  qu'il  verrait  avec  plai- 

1.  Louis  Thouvenel,  Trois  années  de  la  question  d'Orient,  1856-1859.  Paris, 
Calmann-Lévy,  1897. 

2.  Cf.  notre  article  cité  de  la  Revue  historique,  t.  CI  (1909). 


LA   RUSSIE   ET   LA   POLITIQUE    ITALIENNE    DE   NAPOLEON    III.  19 

sir  que  les  relations  entre  la  Russie  et  l'Autriche  reprissent  un 
caractère  de  bonne  harmonie  plus  conforme  aux  anciennes 
traditions  des  deux  cours  ».  Gortchakoff,  qui,  jusqu'alors,  ne 
perdait  pas  une  occasion  de  parler  de  l'Autriche  avec  aigreur, 
avait  adouci  son  langage.  Le  feld-maréchal  Radetzki  ayant  eu 
un  accident,  le  tsar  faisait  chaque  jour  demander  de  ses  nou- 
velles à  Vérone  par  le  télégraphe. 

Mieux  vaut  quelquefois  se  faire  un  peu  prier  que  de  s'offrir 
avec  trop  d'empressement.  Le  gouvernement  français,  qui  était 
resté  insensible  en  apparence  aux  manifestations  d'antipathie 
de  la  cour  de  Pétersbourg  pour  celle  de  Vienne,  s'inquiète  de 
ne  plus  observer  d'indices  de  ce  sentiment.  A  l'affût  des 
moindres  symptômes  de  rapprochement  entre  ces  deux  pays,  il 
déplore  d'en  remarquer.  C'est  ce  que  Walewski  écrit  à  Morny  : 

Il  me  revient  de  toutes  parts  à  la  fois,  et  de  manière  à  faire  supposer 
qu'on  obéit  à  des  instructions  uniformes,  que  l'attitude  et  le  langage 
des  agents  des  deux  cours  se  sont,  durant  ces  derniers  temps,  sensi- 
blement modifiés.  L'Autriche  aurait,  dit-on,  tenté  d'apaiser  le  mécon- 
tentement de  la  Russie  et,  réussissant  à  faire  oublier  les  causes  qui 
l'avaient  fait  naître,  elle  aurait  provoqué  un  rapprochement  qui  ten- 
drait à  rétablir  les  relations  qu'elle  entretenait  autrefois  avec  le  cabi- 
net de  Pétersbourg1. 

Livrés  à  eux-mêmes,  Alexandre  II  et  Gortchakoff  auraient 
sans  doute  fini  par  revenir  insensiblement  à  des  rapports  ami- 
caux avec  Vienne.  Leurs  sentiments  personnels,  si  sincères 
qu'ils  fussent,  n'étaient  pas  et  ne  pouvaient  être  longtemps  une 
garantie  suffisante  contre  un  revirement  graduel  de  la  Russie 
du  côté  de  l'Autriche.  Le  seul  moyen  d'en  assurer,  d'en  accroître 
même  la  force  et  la  stabilité  consistait  dans  une  entente  de  la 
France  avec  la  Russie,  qui  tînt  en  haleine  les  sympathies  et  les 
convoitises  à  Pétersbourg. 

Plus  les  affaires  se  gâtent  sur  le  Danube'2  et  en  Italie,  plus  la 
nécessité  de  cette  entente  s'impose  à  Napoléon  III.  Les  bases 
en  sont  jetées  à  Stuttgard  par  les  deux  souverains  en  personne, 
assistés  de  leurs  ministres.  L'échange  de  vues  se  poursuit  au 
cours  des  deux  années  qui  suivent,  au  point  d'aboutir  à  un 

1.  Walewski,  17  juin  1857. 

2.  Pendant  les  années  1856,  1857  et  1858,  l'affaire  des  principautés  donne 
lieu  à  d'activés  négociations. 

Rev.   HlSTOR.   CV.   Ie''  FASC.  4 


50  FRANÇOIS-CHARLES  Roi  A. 

accord  proprement  dit,  d'aucuns  disent  à  un  traité  secret,  en 
tout  cas  à  des  engagements  précis  en  vue  d'une  hypothèse 
déterminée. 

Les  étapes  de  ce  rapprochement  sont  marquées  par  la  visite 
du  prince  Napoléon  à  Varsovie,  en  septembre  1858,  et  par  les 
deux  missions  du  commandant  La  Roncière  Le  Noury  à  Saint- 
Pétersbourg,  en  janvier  et  en  février  1859. 

Dès  le  moment  où  Napoléon  III  s'est  résolu  à  imprimer  cette 
direction  à  sa  politique,  celle  de  la  Russie  envers  l'Autriche 
s'est  dégagée  des  hésitations  et  des  incertitudes  qui  s'y  étaient 
un  instant  glissées.  Soutenus,  stimulés  même  par  l'intérêt  d'une 
entente  avec  la  France,  les  sentiments  personnels  d'Alexandre  II 
et  de  Gortchakoff  sont  restés,  en  somme,  jusqu'à  l'issue  de  la 
campagne  d'Italie,  à  l'abri  de  toute  atteinte  et  de  toute  influence. 
Sans  doute,  en  quittant  Stuttgard,  Alexandre  II  se  rend-il  à 
Weimar,  où  il  rencontre  François-Joseph.  Mais  il  a  soin  d'en 
prévenir  Napoléon  III  et  de  le  rassurer  d'avance  sur  le  résultat 
de  cette  entrevue.  De  retour  à  Pétersbourg,  Gortchakoff  dément, 
en  causant  avec  Baudin,  l'opinion  d'après  laquelle  Weimar 
aurait  été  «  le  correctif  »  de  Stuttgard.  C'est  à  peine  s'il  ne  jus- 
tifie pas  son  souverain  d'avoir  accepté  cette  rencontre,  à  laquelle 
il  lui  était  impossible  de  se  dérober.  «  Quant  au  résultat  »,  con- 
clut-il, «  il  a  été  ce  que  le  comte  Walewski  et  moi  avions  pré- 
sagé ensemble,  dans  nos  conversations  de  Stuttgard.  Il  n'y  a 
rien  de  changé  dans  les  situations  respectives,  il  n'y  a  que  deux 
souverains  qui  se  sont  rencontrés  »1.  Passant  par  Francfort,  il 
a  dit  la  même  chose  à  Bismarck. 

Malgré  tout,  les  dispositions  de  la  Russie  envers  l'Autriche 
continuent  à  faire,  de  la  part  de  la  France,  l'objet  d'une  atten- 
tion de  tous  les  instants.  C'est  le  premier  point  sur  lequel  se 
portent  les  observations  du  duc  de  Montebello,  lorsqu'il  vient 
prendre  possession  de  l'ambassade  de  France  à  Pétersbourg2. 
C'est  aussi  le  premier  sur  lequel  il  se  trouve  en  état  de  rassurer 
son  gouvernement.  Dès  l'audience  qu'il  lui  accorde  à  son  arri- 
vée, Alexandre  II  lui  apparaît  en  complet  antagonisme  avec 
l'Autriche  au  sujet  du  Monténégro.  Quant  à  Gortchakoff,  il 
donne  cours  à  la  plus  violente  amertume  contre  le  cabinet  de 
Vienne  et  s'exprime  même  à  son  égard  en  termes  très  hostiles. 

1.  Baudin,  2  octobre  1857. 

2.  Montebello,  18  mai  1858. 


LA    RUSSIE    ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE    DE   NAPOLEON    III.  51 

La  sincérité  des  sentiments  d'Alexandre  II  et  de  Gortchakoff 
est  garantie  par  les  engagements  qu'ils  ont  contractés  envers 
la  France.  Leur  commune  animosité  contre  l'Autriche  a  pris 
corps,  pour  ainsi  dire,  dans  ces  engagements  qui  en  sont  comme 
l'expression  matérielle  et  la  conclusion  pratique.  On  connaît  les 
services  auxquels  ils  se  sont  obligés  envers  Napoléon  III  :  neu- 
tralité bienveillante;  concentration  sur  la  frontière  de  Galicie 
d'une  force  suffisante  pour  immobiliser  une  armée  autrichienne; 
pression  sur  l'Allemagne  pour  la  faire  tenir  tranquille.  Et  sans 
doute  n'est-ce  pas  la  rancune  contre  l'Autriche  qui  a  déterminé 
la  Russie  à  souscrire  à  ces  engagements  :  mais  c'est  bien  ce 
sentiment  qui  les  a  rendus  possibles. 

Sûr  de  la  complicité  de  la  Russie,  Napoléon  III  a  pris  nette- 
ment position  en  faveur  du  Piémont,  qui  a,  de  son  côté,  tra- 
vaillé à  se  faire  déclarer  la  guerre  par  l'Autriche. 

A  mesure  que  sa  situation  est  devenue  plus  critique,  l'Au- 
triche a  fait  des  efforts  de  plus  en  plus  énergiques  pour  détacher 
la  Russie  de  la  France  et  la  gagner  à  sa  cause.  Son  nouveau 
ministre  à  Pétersbourg,  le  comte  Karolyi,  reçoit  pour  mission 
de  proposer  à  Alexandre  II  l'oubli  du  passé  et  le  rétablissement 
des  anciennes  relations  d'amitié.  Pour  augmenter  l'attrait  de  ses 
offres,  il  est  autorisé  à  parler  des  sacrifices  que  la  cour  de 
Vienne  est  disposée  à  faire  et  à  prouver  qu'aucune  alliance  ne 
peut  rapporter  à  la  Russie  autant  que  lui  donnerait  celle  de 
l'Autriche  (avril  1859).  La  Russie  ne  se  laisse  pas  plus  émou- 
voir par  les  remords  de  François-Joseph  que  tenter  par  ses 
invites. 

En  répondant  à  Karolyi,  Gortchakoff  rejette  sur  l'Autriche 
toute  la  responsabilité  de  la  rupture  de  l'ancienne  alliance  ;  le 
temps  de  la  politique  de  sentiment  était  passé  et  la  Russie  enten- 
dait garder  sa  liberté  d'action.  Alexandre  II  met  peu  d'empres- 
sement à  recevoir  le  nouveau  ministre  d'Autriche  ;  il  lui  parle 
de  manière  à  ne  lui  laisser  aucun  espoir  :  «  Hier  encore  »,  dit-il 
à  Montebello,  «  j'ai  vu  Karolyi;  ce  qu'il  me  demandait,  c'était 
de  la  sécurité  pour  l'Autriche.  Il  aurait  voulu  que  je  prisse  l'en- 
gagement de  rester  neutre  :  j'ai  été  inébranlable.  Il  a  fait  appel 
à  mes  sentiments  :  je  lui  ai  répondu  que  l'empereur  François- 
Joseph  devait  comprendre  mieux  qu'un  autre  que  l'on  sacrifiât 
ses  sentiments  à  ce  qu'on  croit  l'intérêt  de  son  empire  ' .  » 

1.  Montebello,  17 -mai  1859. 


52  FBÀNÇOIS-CHARLES   ROUX. 

Telles  sont  les  conditions  dans  lesquelles  s'engage  la  guerre 
d'Italie.  Par  haine  de  l'Autriche  et  désir  de  lier  partie  avec  la 
France,  la  Russie  s'est  faite,  en  somme,  la  complice  de  Napo- 
léon III  et  a  souscrit  envers  lui  à  certains  engagements.  Elle 
s'acquitte  loyalement  de  ce  qu'elle  a  promis  :  ordre  est  donné 
aux  trois  corps  d'armée  du  prince  Michel  Gortchakoff,  en 
Pologne,  de  compléter  leurs  effectifs,  et  au  5e  corps  de  se  porter 
sur  la  frontière.  Quant  à  l'Allemagne,  la  célèbre  circulaire  du 
27  mai  1859  lui  enjoint,  assez  impérieusement,  de  se  tenir  tran- 
quille, et,  personnellement,  Alexandre  II  agit  dans  le  même 
sens  sur  toute  sa  famille  allemande. 

Mais  la  complicité  acceptée  dans  cette  aventure  ne  met  pas 
le  gouvernement  russe  à  l'abri  de  l'inquiétude.  Il  était  inévi- 
table que  la  guerre  d'Italie  ranimât  cet  instinct  d'ordre  et  de 
solidarité  monarchique  qui  veillait  dans  l'âme  d'Alexandre  II  et 
que  l'affaire  de  Naples  avait  mis  sur  ses  gardes.  «  Tout  ce  qui 
tendra  à  conserver  à  la  lutte,  aujourd'hui  engagée,  »  écrivait 
Montebello,  «  un  caractère  purement  politique  sera  toujours 
hautement  approuvé  ici.  C'est  en  représentant  la  guerre  d'Italie 
comme  fatalement  destinée  à  devenir  révolutionnaire  que  l'Au- 
triche cherche  à  agir  sur  l'opinion  et  touche  une  corde  sen- 
sible1. » 

La  guerre  engagée,  l'Autriche,  en  effet,  n'a  pas  encore 
renoncé  à  modifier  les  dispositions  de  la  Russie.  —  Peut-être 
un  négociateur  plus  haut  placé  et  plus  influent  à  Saint-Péters- 
bourg sera-t-il  mieux  écouté  que  Karolvi  :  et  la  cour  de  Vienne 
tâte  le  terrain  en  vue  d'une  mission  qui  serait  confiée  au  prince 
Windischgraetz.  «  Elle  me  serait  très  désagréable  »,  déclare 
Alexandre  II  à  Montebello,  «  et  j'espère  qu'elle  n'aura  pas  lieu. 
S'il  vient  (le  prince  Windischgraetz),  je  le  traiterai  avec  tous 
les  égards  qu'il  mérite;  mais,  quel  que  soit  le  ministre  que 
prenne  l'empereur  d'Autriche,  quelque  sympathique  que  me 
soient  les  personnes  qu'il  m'enverra,  elles  n'obtiendront  rien  de 
moi.  Je  vous  le  répète,  je  serai  inébranlable-.  » 

Quelle  meilleure  garantie  Montebello  aurait-il  pu  souhaiter 
pour  être  assuré  que  «  les  égards  envers  la  personne  du  prince 
ne  seraient  suivis  pour  l'ambassadeur  ni  d'un  succès,  ni  d'une 


1.  Montebello,  2  mai  1859. 

2.  Montebello,  17  mai  1859. 


LA   RUSSIE   ET   LA    POLITIQUE    ITALIENNE    DE   NAPOLEON    III.  53 

apparence  de  succès,  car  »,  ajoutait-il,  «  l'apparence  seule  aurait 
déjà  de  la  gravité1?  » 

Les  contemporains  ont  cru  discerner  de  la  part  d'Alexandre  II 
et  de  Gortchakoff,  comme  une  intime  satisfaction  à  repousser 
les  avances  et  les  ouvertures  de  l'Autriche.  Il  semble  bien,  en 
effet,  que  l'amour-propre  du  tsar  et  de  son  ministre  ait  trouvé 
l'occasion  d'une  revanche  à  voir  la  cour  de  Vienne  multiplier 
les  efforts  et  les  démarches  pour  reconquérir  leurs  bonnes 
grâces,  faire  amende  honorable,  reconnaître  ses  torts,  promettre 
de  les  racheter,  aller  en  un  mot  aussi  loin  que  sa  dignité  lui 
permettait  d'aller.  Comment  n'auraient-ils  pas  éprouvé  quelque 
charme  à  une  résistance  qui  les  vengeait,  en  quelque  sorte,  de 
leurs  propres  humiliations  et  punissait  de  son  ingratitude  une 
alliée  inconstante?  «  Tout  en  disant  »,  écrit  Montebello,  «  que 
la  rancune  ne  doit  pas  inspirer  la  politique  d'une  grande  puis- 
sance, le  prince  Gortchakoff  développait  ce  thème  avec  assez  de 
complaisance  pour  laisser  voir  que,  si  le  temps  de  la  politique 
de  sentiment  était  passé,  celui  de  la  politique  de  ressentiment 
ne  l'était  pas  »'2. 

Si  inflexibles  qu'ils  se  fussent  montrés  envers  l'Autriche, 
Alexandre  II  et  Gortchakoff  n'en  ont  pas  moins  été  spontané- 
ment émus  de  l'essor  que  la  guerre  d'Italie  donnait  aux  passions 
révolutionnaires.  Cette  guerre  est  à  peine  déclarée  que  déjà  ils 
redoutent  de  la  voir  dégénérer  en  insurrection  nationale  et 
mettent  la  France  en  garde  contre  cet  écueil.  «  Le  prince  Gort- 
chakoff a  plus  d'une  fois  insisté  auprès  de  moi  »,  écrit  Monte- 
bello, «  sur  l'importance  de  ne  point  laisser  prendre  à  la  guerre 
un  caractère  irrégulier  »3. 

Il  était  plus  facile  de  signaler  le  danger  que  de  l'éviter,  et 
demander  à  Napoléon  III  de  réfréner  les  passions  qu'il  venait 
satisfaire,  c'était  exiger  de  lui  l'impossible.  L'Autriche  l'avait 
très  bien  compris  ;  aussi  avait-elle  adopté  une  tactique  très 
habile  en  assimilant  le  conflit  à  la  lutte  du  principe  révolution- 
naire contre  le  principe  conservateur  dont  elle  se  proclamait  le 
champion.  Le  manifeste  lancé  par  Napoléon  III  partant  pour 
l'Italie  fournit  à  Karolvi  la  première  occasion  d'exploiter  ce 
thème  et  à  Montebello  de  le  réfuter  :  «  Je  ne  saurais  trop  vous 

1.  Montebello,  9  mai  1859. 

2.  Id.,  29  avril  1859. 

3.  Id.,  9  mai  1859. 


54  FRANÇOIS-CHARLES   ROUX. 

dire  »,  mandait  notre  ambassadeur  à  Walewski,  «  combien  la 
susceptibilité  est  vive  sur  ce  point  et  combien  nous  devons 
être  soigneux  d'éviter  tout  ce  qui  peut  l'éveiller  »1.  Tout  en 
démentant  les  allégations  de  son  collègue  d'Autriche,  Monte- 
bello  était  bien  forcé  de  s'avouer  à  lui-même  qu'elles  contenaient 
une  part  de  vérité.  «  Plus  ce  caractère  est  au  fond  des  choses  », 
disait-il  en  parlant  du  caractère  révolutionnaire  de  la  guerre, 
«  plus  nous  devons  mettre  de  soins  à  conjurer  ce  mauvais  côté 
de  notre  situation  »~. 

C'était  reconnaître  implicitement  que  les  arguments  de  l'Au- 
triche portaient.  Quelque  plaisir,  en  effet,  qu'Alexandre  II  et 
Gortchakoff  éprouvassent  à  voir  l'Autriche  battue,  et  battue  par 
nos  mains,  tout  ce  qui  «  sentait  la  Révolution  »  tendait  à  nous 
aliéner  leurs  sympathies.  Les  mots  de  nationalité  et  de  civilisa- 
tion sonnaient  désagréablement  à  leurs  oreilles.  Gortchakoff 
glissait  dans  le  premier  projet  de  sa  célèbre  circulaire  aux  Etats 
allemands  un  coup  de  patte  contre  ces  expressions,  et  Monte- 
bello  devait  s'employer  à  lui  faire  effacer  cette  boutade,  qui  avait 
comblé  d'aise  le  vieux  Nesselrode. 

Les  événements  eurent  bientôt  fait  de  démontrer  à  Alexandre  II 
et  à  Gortchakoff  qu'il  était  impossible  à  Napoléon  III  de  répu- 
dier l'alliance  du  parti  unitaire  italien,  et  même  qu'il  lui  était 
nécessaire  de  s'appuyer  sur  ce  parti,  d'autant  plus  que  sa  lutte 
avec  l'Autriche  devenait  plus  âpre  et  plus  impitoyable.  D'autre 
part,  les  défaites  de  l'Autriche  devaient  naturellement  tendre  à 
atténuer  chez  Alexandre  II  et  chez  Gortchakoff  l'intensité  de 
leur  ressentiment  contre  elle.  Leur  vengeance  était  suffisamment 
assouvie  et  par  les  victoires  de  la  France  et  par  leur  propre 
participation  aux  événements.  Les  dispositions  de  Gortchakoff 
envers  la  cour  de  Vienne  n'en  ont  pas  été  sensiblement  modi- 
fiées ;  celles  d'Alexandre  II  l'ont  été  davantage  ;  on  constate  chez 
lui,  depuis  Solferino,  une  tendance  à  se  relâcher  de  ses  rigueurs 
envers  elle. 

Il  est  rare  que  les  défaites  d'un  peuple  lui  ramènent  les  sym- 
pathies d'un  souverain  neutre,  ce  souverain  fût-il  Alexandre  II. 
La  France  est  paj'ée  pour  le  savoir.  Ce  n'est  donc  pas  à  la  pitié 
qu'il  faut  faire  remonter  l'origine  du  léger  revirement  qui  se 

1 .  Montebello,  9  mai  1859. 

2.  Id.,  27  mai  1859. 


LA   RUSSIE    ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE    DE   NAPOLEON    III.  55 

manifeste  chez  le  tsar.  Ce  peut  être  à  l'appréhension  de  voir  par 
trop  affaiblir  l'Autriche.  C'est  surtout,  croyons-nous,  à  la  crainte 
de  la  Révolution,  par  laquelle  Napoléon  III  se  trouvait  débordé 
en  Italie.  L'inquiétude  qu'éprouvait  Alexandre  II  à  voir  la  Révo- 
lution gagner  du  terrain  devait,  en  effet,  lui  faire  désirer  la  paix 
comme  le  seul  moyen  d'enrayer  les  progrès  du  mouvement 
révolutionnaire.  S'il  n'a  point  fait  état  de  cet  argument  pour 
engager  Napoléon  III  à  s'arrêter  après  Solferino,  il  ne  s'ensuit 
nullement  que  sa  propre  décision  n'en  ait  pas  été  largement 
influencée.  Ainsi  du  moins  en  a  jugé  Napoléon  III  lui-même  qui, 
dans  une  lettre  autographe  adressée  peu  après  à  Alexandre  II, 
déclare  avoir  déposé  les  armes  pour  ne  pas  agir  contre  la  poli- 
tique russe  en  soulevant  la  Galicie  et  la  Hongrie. 

A  la  crainte  de  la  Révolution  est  venu  se  joindre  un  autre 
sentiment  qui  a  exercé  aussi  une  influence  décisive  sur  les  dis- 
positions du  tsar  :  c'est  l'attachement  à  la  Prusse,  avec  laquelle 
il  lui  eût  fallu  peut-être  entrer  en  conflit  pour  permettre  à  la 
France  de  poursuivre  sa  marche.  Ces  deux  considérations  ont 
certainement  eu  beaucoup  plus  de  part  qu'un  intérêt  tardif  pour  la 
conservation  de  l' Autriche,  à  la  résolution  que  prit  Alexandre  II, 
après  Solferino,  d'envoyer  un  de  ses  aides  de  camp  à  Napo- 
léon III,  avec  une  lettre  lui  conseillant  de  s'arrêter. 

A  aucun  moment,  pendant  la  guerre  d'Italie,  l'exécution  des 
promesses  que  la  Russie  avait  faites  à  la  France  n'a  donc  été 
entravée,  ou  seulement  contrariée  par  le  souci  de  ménagements 
à  garder  envers  l'Autriche.  S'il  est  vrai  qu'après  Solferino 
l'appui  d'Alexandre  II  et  de  Gortchakoff  a  faibli  au  point  de  for- 
cer la  France  à  s'arrêter,  il  n'en  faut  pas  chercher  la  raison 
dans  une  tardive  rentrée  en  grâce  de  l'Autriche  à  Saint-Péters- 
bourg, mais  bien  dans  les  considérations  auxquelles  cette  puis- 
sance a  été  à  peu  près  totalement  étrangère,  encore  qu'elle  en 
ait  bénéficié. 

Les  soucis  que  leur  avait  inspirés  l'avenir  peuvent  se  mesu- 
rer à  l'immense  satisfaction  que  provoquèrent,  chez  Alexandre  II 
et  Gortchakoff,  les  préliminaires  de  Villafranca.  La  conclusion 
de  la  paix  les  délivrait  en  effet  de  leurs  préoccupations  les 
plus  immédiates  et  les  plus  pressantes.  Les  conditions  en  étaient 
exactement  conformes  à  leurs  vœux,  en  consacrant  un  affaiblis- 
sement raisonnable  de  l'Autriche  au  profit  du  Piémont,  sans  con- 
cession directe  à  la  Révolution.  Mais  pour  être  éclairci,  l'horizon 


56  FRANÇOIS-CHARLES   ROUX. 

politique  n'en  était  pas  déblaie  de  tout  nuage.  Les  trois  quarts 
de  l'Italie  attendaient  encore  l'indépendance  et  la  liberté  que  la 
paix  ne  leur  avait  pas  données  ;  le  sentiment  national  protestait 
contre  un  résultat  disproportionné  avec  les  espérances  qu'il 
avait  conçues;  l'opinion  publique  réclamait  l'unité  sous  le 
sceptre  du  Piémont  ;  les  forces  qui  s'étaient  levées  et  organisées 
à  l'appel  de  Victor-Emmanuel  et  de  Napoléon  III  restaient 
debout,  enhardies  par  le  succès,  irritées  par  la  déception. 

La  satisfaction  de  voir  la  paix  rétablie  n'a  pas  empêché 
Alexandre  II  et  Gortchakoff  de  discerner  ces  points  noirs.  Leurs 
efforts  ont  immédiatement  tendu  à  les  dissiper.  Le  seul  moyen 
d'empêcher  que  l'ordre  de  choses  établi  à  Villafranca  fût  dépassé, 
c'était,  selon  eux,  de  le  faire  sanctionner  le  plus  tôt  possible  par 
l'Europe.  Il  fallait  se  hâter  de  donner  aux  arrangements  pris 
directement  entre  les  deux  souverains  de  France  et  l'Autriche  la 
ratification  et  la  garantie  de  l'Europe  entière.  Seul  l'accord  des 
grandes  puissances  pouvait  obliger  le  Piémont  à  se  renfermer 
dans  les  limites  des  clauses  de  Villafranca.  Il  n'était  pas  inutile 
non  plus  d'apposer  sur  ces  conditions,  quelque  peu  viciées 
dans  leur  principe  par  l'esprit  révolutionnaire,  l'estampille  du 
droit  public  européen.  Ces  divers  résultats  ne  pouvaient  être 
que  l'œuvre  d'un  congrès,  auquel  seraient  invitées  toutes  les 
grandes  puissances.  La  perspective  d'y  représenter  son  souverain 
souriait  particulièrement  à  Gortchakoff,  que  ne  laissait  pas  indif- 
férent l'espoir  de  s'y  tailler  un  rôle  à  sa  convenance  et  de  faire 
reconnaître  à  la  fois  sa  supériorité  et  ses  principes. 

Cet  espoir  ne  tarde  pas  à  lui  échapper.  Fomentée  par  le  Pié- 
mont, la  révolution  éclate  dans  les  duchés;  l'Italie  centrale 
chasse  ses  gouvernants  et  réclame  son  annexion  à  la  monarchie 
de  Savoie.  Partout  les  souverainetés  légitimes  sont  renversées, 
les  pouvoirs  réguliers  remplacés  par  des  dictatures  révolution- 
naires. Le  cabinet  de  Turin  a  pris  la  tête  du  mouvement  dont  il 
s'apprête  à  profiter. 

Un  Nicolas  Ier  se  fût  peut-être,  dans  les  mêmes  circonstances, 
porté  à  quelque  extrémité,  eût  lancé  un  défi  à  la  révolution, 
entraîné  les  souverains  de  droit  divin  à  une  croisade  contre  les 
peuples  et  leurs  alliés  couronnés.  Mais,  Alexandre  II  et  Gort- 
chakoff sont  aussi  peu  enclins  l'un  que  l'autre  à  ces  partis 
extrêmes,  dont  les  éloignent  leur  caractère,  leurs  maximes  poli- 


LA   RUSSIE    ET    LA    rOLITIQlE    ITALIENNE   DE   NAPOLEON    III.  0  I 

tiques  et  la  situation  de  la  Russie  au  regard  de  l'Europe.  Bien 
que  généreux,  chevaleresque  même,  profondément  imbu  des 
principes  autocratiques,  Alexandre  II  n'a  rien  d'un  paladin  ;  un 
sens  pratique  très  aiguisé  tempère  et  comprime  les  élans  de  sa 
sensibilité,  de  son  orgueil  ou  de  sa  foi  monarchique.  Gortchakoff, 
qui  se  donne  volontiers  les  airs  d'un  théoricien,  se  targue  d'ap- 
pliquer un  système  et  affecte  une  grande  rigueur  sur  les  prin- 
cipes, est  au  fond  un  simple  empirique  qui  met  son  empirisme 
au  service  d'une  cause  nullement  désintéressée. 

Ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  n'ait,  comme  aussi  Alexandre  II,  quelques 
maximes  politiques,  nous  entendons  par  là  quelques  idées  direc- 
trices. La  principale,  et  en  tout  cas  la  seule  qui  nous  intéresse 
ici,  est  un  parti  pris  de  réaction  contre  la  prétention  de  Nico- 
las Ier  à  se  considérer  comme  le  champion  du  droit  monarchique 
et  à  régenter  l'Europe.  «  On  a  assez  longtemps  abusé  de  la 
Russie  au  moyen  des  grands  mots  de  légitimité  et  de  principes 
conservateurs  »,  s'écrie  Gortchakoff  devant  Montebello,  «on  lui 
a  persuadé  qu'il  était  de  son  intérêt  d'épuiser  ses  trésors  et  de 
verser  son  sang  pour  leur  défense  et,  au  jour  du  danger,  on  l'a 
abandonnée  et  trahie1!  »  Ne  nous  attendons  pas  à  trouver  sur 
les  lèvres  d'Alexandre  II  une  critique  aussi  acerbe  de  la  poli- 
tique de  son  père.  «  Il  ne  m'appartient  pas  d'accuser  mon  père  », 
a-t-il  dit  à  Morny,  comme  pour  s'excuser  d'ajouter  seulement  : 
«  Il  se  croyait  trop  peut-être  le  dépositaire  des  formes  tradition- 
nelles »2.  La  piété  filiale  empêche  manifestement  .Alexandre  II 
de  désavouer  la  politique  de  Nicolas  Ier;  mais  s'il  a  cherché  à 
l'expliquer,  à  la  justifier,  n'est-ce  pas  la  meilleure  preuve  qu'il 
la  condamnait? 

Eût- il  voulu  d'ailleurs  la  suivre  qu'il  n'en  eût  pas  eu  les 
moyens.  La  situation  de  la  Russie  en  Europe  n'est  pas  ce  qu'elle 
était  au  temps  de  Nicolas  Ier  et  de  Nesselrode.  Alexandre  II  et 
Gortchakoff  dirigent  la  politique  d'un  état  récemment  vaincu, 
encore  incomplètement  remis  de  sa  défaite;  leur  pa}*s  a  subi,  au 
congrès  de  1856,  des  conditions  auxquelles  ils  ne  se  résignent 
pas  et  dont  l'abrogation  est  l'objectif  invariable,  constant  de 
leur  diplomatie.  Effacer  les  clauses  humiliantes  du  traité  de  Paris, 


1.  Montebello,  16  septembre  1859. 

2.  Une  ambassade  en  Russie. 


58  F1UNÇ0IS-CHARLES   ROUX. 

rendre  à  la  Russie  son  prestige  traditionnel  et  son  ancienne  pré- 
pondérance en  Orient  est  le  but  vers  lequel  ils  marchent  patiem- 
ment, sans  hâte,  mais  aussi  sans  relâche.  Pour  saisir  les  causes 
de  leur  attitude  en  présence  des  problèmes  internationaux  quels 
qu'ils  soient,  il  importe  de  ne  pas  perdre  de  vue  cette  préoccu- 
pation, constamment  présente  à  leur  esprit.  Elle  n'est  pas  exclu- 
sive d'autres  considérations,  d'autres  intérêts,  mais  elle  domine 
et  prime,  au  besoin,  tout  ce  qui  ne  se  rapporte  pas  à  elle  hormis, 
bien  entendu,  le  souci  de  sauvegarder  l'intégrité  de  l'empire. 
Elle  est  la  cause  principale  des  sympathies  et  des  antipathies  de 
la  Russie. 

Or,  dans  l'œuvre  de  réparation  et  de  relèvement  qu'ils  ont 
entreprise,  Alexandre  II  et  Gortchakoff  ont,  à  son  insu,  réservé  à 
la  France  une  sorte  de  collaboration  inconsciente.  Dans  l'état 
de  l'Europe  après  la  guerre  de  Crimée,  la  bonne  grâce  inespérée 
du  gouvernement  français,  ses  sympathies  avouées  pour  la 
Russie  leur  sont  apparues  à  juste  titre  comme  une  circonstance 
exceptionnellement  favorable  à  leurs  desseins.  C'est  sur  lui  qu'ils 
ont  compté  et  comptent  encore  pour  leur  en  faciliter  l'exécution. 
Le  besoin  qu'ils  ont  de  lui,  l'espoir  qu'ils  fondent  sur  son  con- 
cours les  obligent  à  tenir  compte,  dans  une  certaine  mesure,  de 
sa  politique,  de  ses  tendances,  même  si  elles  vont  à  l'encontre 
des  principes  qu'ils  ne  peuvent  renier. 

Mais  de  là  à  assister  aux  événements  en  spectateurs  indiffé- 
rents, il  y  a  loin.  L'insurrection  de  l'Italie  centrale  ne  surprend 
pas  Alexandre  II  ni  Gortchakoff,  mais  les  émeut  beaucoup. 
«  Quoique  le  temps  soit  passé  »,  écrit  Montebéllo,  «  où,  suivant 
l'expression  du  prince  Gortchakoff,  la  Russie  s'était  faite  la 
maréchaussée  de  l'Europe,  on-  ne  s'est  pas  accoutumé  ici  à  voir 
tomber  un  trône  avec  indifférence,  ce  trône  fût-il  le  plus  petit  de 
l'Europe1.  » 

Grands  ou  petits,  les  trônes,  pourvu  qu'ils  soient  légitimes, 
ont  en  effet,  aux  yeux  de  la  Russie  de  ce  temps,  les  mêmes  titres 
à  l'intangibilité,  qu'ils  tiennent  du  droit  monarchique,  du  droit 
divin.  Chaque  fois  qu'un  trône  s'écroule,  tous  les  autres  sont 
atteints  dans  le  principe  qui  constitue  leur  base  et  fait  leur  soli- 
dité. Tolérer  que  la  volonté  d'un  peuple  les  élève  et  les  renverse 

1.  Montebéllo,  2  septembre  1859. 


LA    RUSSIE   ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE  DE    NAPOLEON    III.  59 

à  son  gré,  c'est  sanctionner  la  substitution  à  l'ancien  droit 
monarchique  d'un  droit  nouveau  :  le  droit  populaire.  Permettre 
aux  peuples  de  disposer  d'eux-mêmes,  de  se  grouper  d'après 
leurs  affinités,  de  se  séparer  d'après  leurs  antipathies,  c'est 
étendre  le  même  principe  aux  relations  internationales,  faire 
subir  le  même  sort  à  l'ancien  droit  public  européen . 

Or,  c'est  à  cette  conséquence  qu'aboutit  la  lutte  engagée  en 
Italie,  entre  ces  deux  principes  opposés,  entre  ces  deux  droits 
contradictoires.  Pour  que  la  Russie  y  fût  indifférente,  il  aurait 
fallu  qu'elle  eût  oublié  la  Pologne  et  la  Finlande,  et  l'autocratie  et 
le  servage,  et  tout  ce  qui  le  rendait  solidaire  de  tous  les  princes 
qui  régnent  sur  un  peuple  par  la  grâce  de  Dieu  et  sous  la  foi  des 
traités.  L'intérêt  qu'Alexandre  II  et  Gortchakoff  prenaient  aux 
affaires  d'Italie  n'avait  donc  sa  raison  d'être  ni  dans  un  senti- 
ment de  sympathie  pour  les  princes  dépossédés  ou  menacés,  ni 
dans  une  prévention  exagérée  contre  toute  modification  au 
statu  quo  territorial  de  la  péninsule.  Que  Modène,  Parme  et 
Florence  fussent  ou  ne  fussent  pas  dévolus  au  Piémont,  c'est  ce 
qui  ne  leur  importait  guère.  Leur  intérêt  était  d'une  tout  autre 
nature,  essentiellement  théorique  et  cependant  essentiellement 
égoïste. 

Le  sort  les  contraignait  au  rôle  de  censeurs  impuissants;  il 
avait  au  contraire  mis  aux  mains  d'un  autre  les  armes  qui  leur 
faisaient  défaut  à  eux-mêmes.  Napoléon  III  était,  du  moins  le 
croyaient-ils,  en  mesure  de  couper  court  au  mouvement  unitaire 
italien.  Il  ne  le  pouvait  pas  seulement  à  leurs  yeux,  il  le  devait, 
comme  ayant  contribué  à  déterminer  et  à  précipiter  la  crise.  Mais 
qu'importait  qu'il  le  pût  et  qu'il  le  dût,  s'il  ne  le  voulait  pas? 
C'est  donc,  en  dernière  analyse,  de  sa  volonté,  de  ses  dispositions 
que  dépendait  la  sauvegarde  des  principes  auxquels  était  lié  l'in- 
térêt de  la  Russie. 

Supposer  qu'Alexandre  II  et  Gortchakoff  ont  cru  Napoléon  III 
spontanément  disposé  à  enrayer  la  révolution  italienne  serait 
faire  trop  de  crédit  à  leur  naïveté.  Mais  il  leur  convenait  à  tous 
égards  de  ne  pas  paraître  en  douter.  D'abord  c'était  la  seule 
manière  d'influer  sur  ses  dispositions,  de  neutraliser  ses  sym- 
pathies italiennes,  de  l'amener  à  compter  avec  les  désirs  de  la 
Russie;  et,  si  présomptueux  que  fût  cet  espoir,  il  n'est  pas  dou- 
teux qu'Alexandre  II  et  Gortchakoff  s'en  sont  bercés,  même  plus 


60  FRÀNÇOIS-CHAELES   RODX. 

longtemps  que  de  raison.  Ensuite,  c'était  encore  le  meilleur 
moyen  d'amener  Napoléon  III,  s'il  venait  à  décevoir  leur  attente 
et  leur  confiance,  à  les  dédommager,  sur  un  autre  terrain,  des 
épreuves  mêmes  auxquelles  il  aurait  soumis  leur  fidélité.  En  tout 
état  de  cause,  leur  intérêt  les  incitait  donc  à  ne  rien  lui  dissimuler 
des  tourments  que  leur  causaient  les  événements  de  la  pénin- 
sule, à  remettre  leur  cause  entre  ses  mains,  à  affecter  une  con- 
fiance absolue  dans  son  zèle  pour  les  principes  monarchiques. 

C'est  sous  le  couvert  de  cet  euphémisme  que  parviennent  à 
Napoléon  III  les  premières  invites  de  la  Russie.  «  La  guerre 
d'Italie  a  malheureusement  fait  naître  » ,  écrit  Montebello, 
«  une  certaine  confusion  morale,  devant  laquelle  l'empereur  a 
eu  la  gloire  de  s'arrêter;  son  esprit  élevé  saura  raffermir  ces 
ébranlements1.  » 

La  révolution  garde  ses  positions,  la  France  reste  l'arme  au 
pied,  et  cependant  Alexandre  II  et  Gortchakoff  n'en  témoignent 
ni  surprise,  ni  émotion.  Ont-ils  voulu  laisser  à  Napoléon  III  le 
temps  dont  il  avait  besoin  pour  accomplir  son  évolution  et  ména- 
ger les  transitions?  Ont-ils  craint  de  démasquer  prématurément 
leur  défiance  et  leurs  appréhensions?  Napoléon  III  a-t-il  obtenu 
d'eux,  en  faveur  du  Piémont,  une  sorte  de  quitus  pour  l'éman- 
cipation des  duchés?  Cette  dernière  hypothèse  paraît  être  la 
vraie. 

A  la  fin  de  septembre  1859  part  pour  Pétersbourg  un  officier 
d'ordonnance  de  l'empereur,  le  colonel  Reille.  Il  a  pour  mission 
officielle  de  porter  au  tsarévitch,  qui  vient  d'atteindre  sa  majo- 
rité, le  grand  cordon  de  la  Légion  d'honneur.  Mais,  avant  de 
quitter  les  Tuileries,  il  a  reçu  de  Napoléon  III  une  lettre  auto- 
graphe pour  Alexandre  II.  Il  la  lui  remet  le  21  septembre,  a  une 
longue  entrevue  avec  Gortchakoff  et  rapporte  à  Paris  une 
réponse  du  tsar.  Sur  le  contenu  de  ces  deux  lettres,  les  seules 
indications  que  nous  possédions  sont  des  allusions  échappées  à 
Gortchakoff  et  à  Montebello,  au  hasard  de  la  conversation.  Elles 
ne  font  pas  mention  d'une  entente  sur  le  sort  des  duchés.  Mais 
cette  entente,  peut-être  verbale,  plus  probablement  tacite,  n'en 
résulte  pas  moins  des  faits.  Napoléon  III  a  dû  s'assurer,  non 
pas  l'approbation,  non  pas  même  le  consentement  d'Alexandre  II 

1.  Montebello,  2  septembre  1859. 


LA    RUSSIE    ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE    DE    NAPOLEON    III.  61 

et  de  Gortchakoff  à  l'émancipation  des  duchés,  mais  leur  rési- 
gnation au  fait  accompli  et  à  ses  conséquences. 

Les  motifs  de  cette  résignation  sont  aisés  à  déterminer. 
D'abord  Alexandre  II  et  Gortchakoff  ne  se  résignaient  qu'à  ce 
qui  était  fait  ou  imminent  ;  or,  vouloir  revenir  sur  ce  qui  était 
fait,  —  l'émancipation  des  duchés,  —  ou  empêcher  ce  qui  était 
imminent,  —  leur  réunion  au  Piémont,  —  paraissait  également 
chimérique.  En  faisant  la  part  du  feu,  on  se  réservait  la  possibilité 
de  protéger  plus  efficacement  contre  l'incendie  le  reste  de  l'Italie. 

En  outre,  l'idée  d'un  congrès  n'était  pas  encore  abandonnée; 
elle  laissait  subsister  une  faible  chance  de  voir  l'Europe  prendre 
en  mains  l'a  question  italienne  et  enlever  aux  peuples  de  la 
péninsule  le  règlement  de  leurs  propres  affaires.  Enfin  la  con- 
cession faite  aux  vœux  de  Napoléon  III  pouvait  devenir  à  ses 
jeux  une  sorte  d'engagement  moral  à  ne  pas  permettre  que  la 
limite  en  fût  dépassée. 

Napoléon  III  a  certainement  encouragé  ces  illusions  par  des 
déclarations  de  principe  sur  ses  sentiments  conservateurs. 
Est-ce  là  tout  ce  qu'il  a  donné  en  échange  du  quitus  obtenu  pour 
l'émancipation  des  duchés?  Il  est  probable,  sans  qu'on  puisse 
en  aucune  façon  l'affirmer,  que  Reille  a  été  autorisé  à  faire 
quelque  allusion  vague  à  l'empire  ottoman,  en  laissant  entrevoir 
la  complaisance  possible  de  l'empereur  des  Français  pour  la  poli- 
tique des  Russes  en  Orient. 

Dès  l'instant  qu'ils  renonçaient  à  poursuivre  la  fin ,  Alexandre  II 
et  Gortchakoff  renonçaient  à  poursuivre  les  moyens.  En  se  rési- 
gnant à  passer  condamnation  sur  le  soulèvement  des  duchés  et 
sur  ses  conséquences  fatales,  ils  consentaient  du  même  coup  à 
tenir  Napoléon  III  quitte  de  toute  intervention ,  tant  que  le 
champ  d'action  du  Piémont  resterait  limité  à  cette  partie  de 
l'Italie  centrale.  Aussi  longtemps  qu'il  en  fut  ainsi,  l'abstention 
de  la  France  n'a  provoqué  de  leur  part  ni  observations,  ni 
doléances.  Tout  au  plus  ont-ils  rompu  le  silence,  lorsque  le  Pié- 
mont a  déclaré  accepter  les  vœux  d'annexion  des  duchés. 
Encore  se  sont-ils  bornés  à  demander  que  le  gouvernement 
français  «  ne  se  presse  pas  de  reconnaître  les  annexions  ». 

C'était  dire  qu'ils  ne  mettaient  même  pas  en  doute  cette  recon- 
naissance et  la  considéraient  comme  inévitable,  tout  en  souhai- 
tant qu'elle  se  fît  un  peu  attendre. 


62      F.-C.  ROUX.  —  LA  RUSSIE  ET  LA  POLITIQUE  ITALIENNE  DE  NAPOLEON. 

Mais,  s'ils  ont  pris  leur  parti  de  l'abstention  de  Napoléon  III, 
ils  ne  sont  pas  disposés  à  admettre  son  intervention,  même 
morale,  en  faveur  de  la  révolution.  Lorsqu'il  l'oublie,  un  sévère 
rappel  à  l'ordre  l'en  fait  souvenir. 

Sous  le  titre  le  Pape  et  le  congrès,  paraît  sans  nom  d'auteur 
une  brochure  émettant  sur  la  question  italienne  des  idées  beau- 
coup plus  inspirées  des  revendications  nationales  que  des  prin- 
cipes conservateurs.  L'opinion  en  attribue  aussitôt  la  paternité 
à  l'empereur,  qui  ne  la  renie  pas.  Cette  incartade  fait  scandale 
à  Pétersbourg,  où  elle  est  jugée  du  plus  mauvais  goût.  «  Je  ne 
comprends  pas  »,  dit  Gortchakoff  à  Montebello,  «  que  vous  hési-' 
tiez  à  faire  mettre  un  désaveu  formel  au  Moniteur.  C'est  un 
ami  qui  vous  parle  ainsi  :  l'Europe  a  besoin  de  repos;  si  vous  la 
troublez  ainsi  périodiquement,  vous  inspirerez  la  défiance  à 
tout  le  monde  et  vous  finirez  par  vous  aliéner  vos  meilleurs 
amis1.  »  C'était  un  véritable  avertissement,  et  rarement,  il  faut 
en  convenir,  gouvernement  en  a  reçu  de  mieux  fondé,  de  plus 
catégorique  et  de  plus  loyal. 

François-Charles  Roux. 
(Sera  continué.) 

1.  Montebello,  janvier  1860. 


MÉLANGES  ET  DOCUMENTS 


L'AFFAIRE  DE  MANTOUE  EN   1613. 


L'AVIS    DE   VILLEROY  A  MARIE    DE    MEDICIS 

(8  NOVEMBRE    l(i  13). 


A  la  fin  de  l'année  1612  mourut  François,  duc  de  Mantoue,  lais- 
sant une  veuve,  Marguerite,  fille  de  Charles- Emmanuel  de  Savoie, 
et  une  fille  de  quatre  ans,  la  princesse  Marie.  L'héritier  légitime 
était  le  frère  du  défunt,  le  cardinal  Ferdinand  de  Gonzague.  qui  devait 
être  proclamé  duc,  en  l'absence  d'un  successeur  mâle.  La  question 
restait  encore  douteuse,  car,  disait-on,  Marguerite  était  enceinte.  En 
attendant  la  délivrance  de  sa  belle-sœur,  le  cardinal  prit  en  mains  le 
pouvoir'. 

Cette  affaire  de  succession  attira  aussitôt  l'attention  des  trois  puis- 
sances qui  avaient  tant  d'intérêts  particuliers  à  surveiller  dans  l'Italie 
du  Nord,  la  Savoie,  la  France  et  l'Espagne. 

1.  L'histoire  du  conflit  est  très  insuffisamment  décrite  chez  les  premiers 
historiens  de  Louis  XIII  :  Le  Vassor  {Histoire  de  Louis  XIII...,  1757,  t.  I)  et 
le  P.  Grifl'et  (Histoire  du  règne  de  Louis  XIII...,  1758,  t.  I);  Vittorio  Siri, 
dans  ses  Memorie  recondite,  t.  III,  p.  31  et  suiv.,  est  plus  complet;  Bazin, 
dans  son  Histoire  de  France  sous  Louis  XIII,  1846,  in-8°,  t.  I,  semble  s'être 
inspiré  de  Siri  ;  B.  Zeller,  dans  la  Minorité  de  Louis  XIII.  Marie  de  Médicis 
et  Villeroy,  1897,  in-8°,  fait  oublier  les  auteurs  précédents;  il  nous  a  fait  con- 
naître la  première  partie  du  conflit  (jusqu'au  mois  de  juillet)  d'après  les  sources 
vénitiennes  et  florentines.  Il  ne  dit  que  quelques  mots  sur  la  fin  du  conflit 
(juillet-décembre)  et  ne  parle  pas  de  l'Avis  de  Villeroy.  Il  n'a  pas  exploité  cer- 
taines sources  manuscrites  très  importantes  :  les  papiers  de  Simancas,  K.  1468, 
K.  1609,  les  dépèches  du  nonce  Ubaldini,  dont  les  copies  sont  conservées  dans 
le  fonds  italien,  n°  35.  Un  historique  complet  de  l'afl'aire  devrait  être  précédé 
d'un  dépouillement  de  ces  sources  et  de  recherches  aux  archives  de  Turin. 
Nous  avons  tenté  surtout  dans  cette  courte  étude  de  faire  connaître  les  inten- 
tions et  la  politique  du  gouvernement  français  et  mettre  en  valeur  l'Avis  de 
Villeroy  à  la  Régente,  du  8  novembre  1613. 


64  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

Charles-Emmanuel  Ier,  qui  fui  le  plus  ambitieux  cl  le  plus  turbu- 
lent des  ducs  de  Savoie,  avait  passé  sa  vie  à  méditer  de  prodigieux 
rêves  de  grandeur  et  de  conquêtes.  Il  avait  voulu  être  empereur,  roi 
de  Pologne,  de  Provence,  de  Chypre,  deMoréc,  d'Albanie,  de  Sicile, 
de  Sarclaigne;  à  défaut  de  la  couronne  de  France,  il  avait  convoité 
la  Provence  et  le  Dauphiné.  Ces  chimères  ne  l'avaient  pas  détourné 
de  desseins  plus  positifs  et  plus  facilement  réalisables.  Si  dans  sa 
lutte  contre  Henri  IV  il  avait  perdu  ses  territoires  au  delà  du 
Rhône,  il  avait  gardé  le  marquisat  de  Saluées,  s'était  débarrassé  des 
garnisons  françaises,  était  resté  maître  chez  lui.  A  aucun  prix  il  ne 
voulait  rester  le  chef  d'un  médiocre  État  montagnard,  et  sans  trêve 
il  guettait  à  tous  les  points  de  l'horizon  l'occasion  d'agrandir  son 
duché,  par  la  paix  ou  par  la  guerre,  par  les  voies  honnêtes  ou  par 
la  perfidie.  Depuis  longtemps  les  ducs  de  Savoie  avaient  des  préten- 
tions sur  le  Montferrat,  dont  Charles-Quint  avait  donné  l'investi- 
ture aux  Gonzague.  Charles-Emmanuel  les  avait  abandonnées  à  sa 
fille  en  la  donnant  au  duc  de  Mantoue.  La  disparition  de  son  gendre 
n'offrait-elle  pas  au  duc  l'occasion  de  reprendre  ses  projets  ambi- 
tieux? 

La  ligne  de  conduite  du  gouvernement  français  était  tracée 
d'avance  avec  une  netteté  parfaite  et  nul,  dans  le  royaume,  n'émit  le 
moindre  doute  sur  ce  qui  était  de  l'intérêt  évident  du  pays.  Nos  rois 
étaient  de  vieux  alliés  des  Gonzague.  Le  duché  de  Mantoue-Mont- 
ferrat  était  un  des  plus  forts  parmi  ces  petits  États  indépendants  de  la 
péninsule  qui  se  tournaient  d'instinct  vers  la  France  pour  être  pro- 
tégés contre  les  Savoyards  ou  les  Espagnols.  Cette  fois,  le  rôle 
était  beau,  car  l'intérêt  du  royaume  se  confondait  avec  la  justice  et 
avec  la  cause  de  la  paix  publique  dont  la  Régente  voulait  être  la 
«  protectrice  »  ' . 

La  situation  de  l'Espagne  était  au  contraire  très  équivoque.  Du 
temps  de  Henri  IV  on  n'aurait  pas  douté  un  seul  instant  de  ses  inten- 
tions ;  les  deux  rois  catholiques  se  faisaient  la  guerre  «  en  renards  » , 
cherchant  à  «  s'entre  malfaire  »  le  plus  possible,  vivant  entre  eux, 
comme  disait  d'Ossat,  «  en  perpétuelle  inquiétude  et  en  quelque 
danger  »2.  Leurs  conflits  étaient  particulièrement  envenimés  dans 
la  plaine  du  Pô  par  l'action  d'un  dangereux  homme  de  guerre, 
Fuentès,  gouverneur  du  Milanais,  qui  pendant  dix  ans,  par  ses 
armements,  ses  menaces  perpétuelles,  avait  été  la  terreur  des  Gri- 
sons, des  Vénitiens  et  de  tous  les  états  non  inféodés  à  l'Espagne.  Le 

1.  Voir  plus  loin  l'Avis. 

2.  D'Ossat  à  Villeroy,  10  février  1603,  Lettres  du  cardinal  d'Ossat,  éd. 
d'Amsterdam,  1735,  in-12,  t.  II,  p.  589. 


l'affaire  de  mantoue  en  1613.  65 

gouvernement  de  la  régence,  inspiré  par  Villeroy,  avait  résolument 
renoncé  à  une  politique  d'hostilités  qui  pouvait  être  infiniment  dan- 
gereuse pour  un  royaume  troublé,  gouverné  par  une  femme  et  un 
enfant.  On  avait  arrêté  les  mariages  espagnols  et  signé  un  traité 
d'alliance  défensive  entre  les  deux  États  (30  avril  1611).  Les  deux 
gouvernements  s'appliquaient  à  vivre  en  bonne  intelligence  et  en 
amitié  sincère;  en  haut,  la  bonne  volonté  ne  manquait  pas.  Phi- 
lippe III  et  ses  ministres  étaient  des  tempéraments  pacifiques. 
Fuentès  avait  été  remplacé  dans  le  Milanais  par  un  gouverneur  plus 
conciliant,  le  marquis  de  l'Ynoyosa.  La  Bégente,  Villeroy  et  la  plu- 
part des  membres  du  Conseil  voulaient  la  paix;  Villeroy,  qui  était 
le  chef  de  la  diplomatie  française,  se  montrait  particulièrement 
souple,  modéré,  ingénieux  dans  Fart  de  maintenir  entre  les  deux 
pays  de  bonnes  relations.  Une  telle  œuvre  était  quelquefois  difficile. 
L'alliance  avait  contre  elle  des  ennemis  acharnés  dans  les  deux 
royaumes  :  en  France,  le  parti  huguenot,  qui  redoutait  un  retour 
offensif  de  l'esprit  d'intolérance,  et  les  grands  seigneurs  mécon- 
tents, les  Condé  et  les  Soissons,  qui  flattaient  les  protestants. 
Au  dehors,  certains  princes  travaillaient  de  toutes  leurs  forces  à 
désunir  les  deux  pays  ;  le  plus  habile  était  le  duc  de  Savoie  qui  cher- 
chait à  pêcher  en  eau  trouble  cl  qui  était  fort  quand  la  France  et  l'Es- 
pagne étaient  affaiblies  par  leurs  querelles.  Enfin,  les  deux  royaumes 
avaient  été  si  longtemps  aux  prises  l'un  avec  l'autre  que  les  sujets  de 
dispute  n'avaient  pu  disparaître  par  enchantement;  bien  des 
méfiances  subsistaient,  entretenues  parfois  par  des  gouverneurs  ou 
des  agents  plus  zélés  que  leurs  maîtres,  tels  que  le  vice-roi  de 
Navarre  et  le  marquis  de  La  Force,  son  voisin,  qui,  en  1613,  avaient 
ranimé  le  vieux  différend  des  frontières  pyrénéennes.  Il  était  extrê- 
mement difficile  de  concilier  sur  certains  points  des  intérêts  opposés. 
On  respectait  la  trêve  des  Pays-Bas.  On  élait  arrivé  à  un  modus 
vivendi  au  sujet  des  affaires  d'Allemagne  ;  mais  comment  s'entendre 
parfaitement  en  Italie  dont  l'hégémonie  était  convoitée  par  les  deux 
nations  catholiques? 

Les  événements  traînèrent  pendant  les  quatre  premiers  mois  de 
1613  et  tout  à  coup  se  précipitèrent  a  la  fin  d'avril.  On  apprit  offi- 
ciellement que  la  duchesse  n'était  pas  enceinte  et  qu'elle  voulait 
quitter  Mantoue  pour  se  retirer  à  Turin.  Le  cardinal  la  laissait  libre, 
mais  il  était  résolu  à  garder  la  jeune  princesse  Marie.  L'empereur 
Mathias,  son  suzerain,  lui  avait  en  effet  attribué  la  tutelle  de  sa 
nièce,  dans  l'espoir  d'éviter  un  conflit  entre  la  Franco,  la  Savoie  et 
l'Espagne.  Mais  alors  Charles-Emmanuel  découvrit  brutalement 
ses  desseins.  Il  occupa  les  villes  de  Trino,  de  Moncalvo  et  d'Alba 
Rev.  Histor.  CV.  1er  fasc.  5 


66  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

et  marcha  avec  ses  canons  contre  Casai,  la  grande  place  forte  du 
Montferrat.  Le  duc  Charles  de  Nevers,  parent  du  cardinal,  qui 
voyageait  à  ce  moment  sur  la  côte  méditerranéenne,  ayant  appris 
celle  nouvelle,  se  jeta  avec  quelques  hommes  dans  Casai  pour  la 
défendre. 

Le  cardinal  et  le  duc  de  Nevers  réclamèrent  aussitôt  l'appui  du 
gouvernement  de  la  Régente.  La  Reine  et  ses  ministres  parlèrent 
avec  énergie.  On  écrivit  immédiatement  au  duc  de  Savoie  qu'il  eût 
à  renoncer  à  ses  entreprises  et  à  restituer  les  villes  usurpées.  Le 
maréchal  de  Lesdiguières  reçut  l'ordre  de  se  tenir  prêt  sur  la  fron- 
tière savoyarde.  La  noblesse  française,  avide  de  gloire  et  d'aventures, 
tressaillit  d'aise  au  bruit  de  ces  préparatifs.  Le  duc  de  Longueville, 
neveu  de  Nevers,  et  ses  jeunes  compagnons  de  cour,  demandèrent  à 
partir  pour  Casai  et  Mantoue.  La  Reine  qui,  à  ce  moment,  était 
brouillée  avec  Condé,  —  pour  la  quatrième  fois  depuis  la  mort 
de  Henri  IV,  —  le  rappela  à  la  cour  pour  montrer  à  l'étranger  une 
noblesse  unie.  M.  le  Prince  proposa  aussitôt  de  dresser  de  nom- 
breuses troupes  de  guerre  et  d'employer  l'argent  de  la  Bastille.  Le 
jeune  roi  Louis  XIII,  qui  avait  hérité  du  courage  de  son  père,  bat- 
tait des  mains  et  disait  à  sa  mère  :  «  Madame,  je  suis  bien  aise,  il 
faut  faire  la  guerre 1 .  » 

Les  ministres  avaient  conseillé  ces  mesures  énergiques,  sans  par- 
tager l'enthousiasme  des  seigneurs.  Villeroy  disait  qu'on  ne  pouvait 
penser  à  franchir  «  ce  saut  sans  frémissement  et  horreur  ».  Il  fallait 
tenter  tout  autre  moyen  avant  de  déclarer  une  guerre  qui  amènerait 
la  rupture  entre  la  France  et  l'Espagne,  l'écroulement  d'une  poli- 
tique d'entente  et  de  mariage  dont  le  roi  et  la  France,  estimait  le 
vieux  ministre,  avaient  déjà  recueilli  «  tant  de  contentement  et  de 
bien  »2. 

L'attitude  des  Espagnols  était  assez  inquiétante.  Le  gouverneur 
du  Milanais  n'avait  rien  fait  pour  s'opposer  aux  entreprises  du  duc 
de  Savoie.  Cette  «  froideur  et  lenteur  »  autorisait  toutes  les  suppo- 
sitions. Etait-ce  de  la  complicité  ou  de  la  faiblesse?  Les  plus  «  intel- 
ligents »,  dit  Villeroy,  l'attribuaient  «  à  l'un  et  à  l'autre  défaut  ».  Ne 
pouvait-on  pas  redouter  que  les  Espagnols,  sans  avoir  l'intention 
réelle  de  faire  la  guerre  à  la  France,  ne  cédassent  à  la  tentation  de 
s'emparer  en  pleine  paix  de  quelques  bonnes  places,  d'accord  avec 
la  Savoie? 

On  résolut  donc  de  négocier  directement  avec  la  cour  de  Madrid. 

1.  Héroard,  Journal  sur  l'enfance  et  la  jeunesse  de  Louis  XIII,  t.  II, 
p.  127. 

2.  "Voir  plus  loin  Y  Avis. 


l'affaire  de  mantoue  en  1613.  67 

L'ambassadeur  français  fit  auprès  du  roi  Philippe  III  et  du  duc  de 
Lerme  des  démarches  pressantes  en  faveur  de  la  paix.  Pendant  plu- 
sieurs semaines,  on  n'obtint  que  des  réponses  vagues.  Durant  cette 
période,  la  diplomatie  française  avait  agi  très  adroitement.  Procla- 
mant fort  haut  la  justice  de  sa  cause,  elle  avait  cherché  à  nouer 
autour  de  Mantoue  un  faisceau  de  sympathies  et  d'ententes  assez 
fort  pour  faire  impression  aux  Espagnols.  On  avait  sollicité  l'Em- 
pereur, on  avait  prié  le  grand-duc  de  Toscane  de  coopérer  à  une 
démonstration  armée  contre  la  Savoie.  On  avait  demandé  l'appui  du 
pape  Paul  V  qui  ne  voulut  pas  se  déranger.  On  était  naturellement 
d'accord  avec  Venise  dont  le  zèle,  au  dire  de  Villeroy,  avait  plutôt 
besoin  d'être  modéré,  car  la  République  de  Saint-Marc  aurait  été 
enchantée  de  voir  éclater  une  guerre  entre  la  France  et  l'Espagne. 

Cette  politique  eut  de  bons  résultats.  Au  début  du  mois  de  juin, 
le  roi  d'Espagne  se  décida  à  donner  au  gouverneur  de  Milan  l'ordre 
formel  de  forcer  le  duc  de  Savoie  à  restituer  les  places  conquises. 


L'affaire  semblait  terminée.  Les  historiens  de  Louis  XIII  l'ar- 
rêtent presque  tous  à  cette  date,  en  ajoutant  qu'un  arrangement 
inspiré  par  les  Espagnols  assoupit  bientôt  les  démêlés  du  duc  de 
Savoie  et  du  duc  de  Mantoue,  à  la  satisfaction  de  ces  derniers  et  de 
la  France.  Ils  ont  négligé  de  décrire  la  seconde  phase  du  conflit  qui 
dura  encore  six  mois,  et  fut  si  grave  que  l'on  dut  poser  à  nouveau 
au  conseil  du  roi  la  question  d'une  intervention  armée. 

Le  duc  de  Savoie  avait  renoncé  à  parler  ouvertement  de  guerre 
et  avait  congédié  les  troupes  rassemblées  sur  la  frontière  française. 
Mais  il  avait  concentré  ses  soldats  aux  portes  du  Montferrat  et  il 
continuait  à  menacer  et  à  intimider  le  duc  de  Mantoue.  Les  troupes 
du  gouverneur  de  Milan  occupaient  le  plat  pays  de  Montferrat,  y 
vivaient  à  discrétion  et  ruinaient  les  campagnes  ;  ils  s'étaient  même 
emparés  de  deux  places  voisines  de  Casai,  comme  sïls  voulaient 
bloquer  cette  ville,  et  refusaient  le  passage  aux  gens  du  cardinal  qui 
portaient  des  armes  et  des  munitions'.  Avait-on  joué  les  Français, 
et  le  Montferrat  allait-il  être  indéfiniment  occupé  par  les  Savoyards 
et  les  Espagnols? 

Villeroy  et  le  gouverneur  de  la  Régence  comprirent  alors  que  leur 
premier  effort  d'énergie  avait  été  insuffisant  et  se  demandèrent  s'il 
ne  fallait  pas  armer  de  nouveau  pour  protéger  le  duc  de  Mantoue. 

t.  Cette  situation  est  nettement  indiquée  dans  ['Avis  qui  fait  un  court  his- 
torique de  l'affaire. 


68  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

Déjà,  le  1er  août,  Marie  de  Médicis  avait  tenu  un  langage  assez  fier 
dans  une  audience  accordée  à  l'ambassadeur  espagnol  Cardenas; 
elle  lui  avait  dit  que  son  fils  n'était  pas  un  prince  d'Italie,  un  duc  de 
Bourgogne  ou  un  roi  de  Navarre,  et  que  malgré  l'amitié  unissant  les 
deux  couronnes,  si  l'on  ne  faisait  aucun  cas  des  justes  revendications 
du  royaume,  le  roi  de  France  saurait  faire  son  devoir'.  Cardenas, 
ami  de  la  paix,  était  réellement  inquiet  de  ces  déclarations  belli- 
queuses ;  il  attribuait  la  surexcitation  des  Français  aux  bruits  répan- 
dus par  Charles-Emmanuel  sur  sa  prétendue  complicité  avec  les 
Espagnols  et  aux  lenteurs  et  retards  de  toute  espèce  de  la  diplo- 
matie de  Madrid.  Une  sorte  de  panique  s'était  emparée  des  états 
indépendants  de  la  péninsule.  Tous,  sauf  Lucques  et  Parme,  à 
demi  vassaux  de  l'Espagne,  sollicitaient  l'assistance  de  la  Régente2. 

Alors  la  diplomatie  française  recommença  patiemment  à  la  fin  de 
1613,  dans  le  même  esprit  et  par  les  mêmes  méthodes,  son  travail 
des  premiers  mois  de  l'année.  L'ambassadeur  espagnol  n'obtenait 
que  des  réponses  dilatoires  de  son  gouvernement.  Vaucelas,  notre 
représentant  à  Madrid,  reçut  l'ordre  d'entamer  de  nouvelles  négocia- 
tions. Les  ministres  continuaient  à  parler  avec  fermeté,  tout  en  évi- 
tant soigneusement  d'offenser  les  Espagnols  par  la  moindre  parole 
ambiguë.  Villeroy  allait  répétant  que,  si  la  France  voulait  désarmer 
le  duc  de  Savoie,  c'était  pour  le  repos  de  l'Italie  et  le  bien  de  la 
Chrétienté  et  pour  l'union  des  deux  couronnes3. 

Au  début  de  novembre,  on  ne  savait  encore  rien  de  précis  sur  les 
intentions  de  l'Espagne.  On  délibéra  de  nouveau  au  conseil  du  roi. 
Villeroy  rédigea  son  avis  sous  forme  de  lettre  adressée  à  la  Reine 
mère  le  9  novembre  1613. 

La  première  partie  de  la  lettre  est  un  historique  de  la  question. 
Villeroy  retrace  les  efforts  qui  ont  été  faits  par  la  diplomatie  fran- 
çaise pour  résoudre  pacifiquement  le  conflit  depuis  la  mort  du  duc. 
Il  rappelle  les  préparatifs  militaires  qui  furent  ordonnés  après  l'in- 
vasion du  Montferrat  et  la  solution  provisoire  du  litige  par  la  res- 
titution de  cette  province.  Mais  celle-ci  n'a  été  suivie  ni  du  désarme- 
ment du  Savoyard  ni  du  retrait  des  troupes  milanaises,  et  la  France 
est  obligée  d'intervenir  de  nouveau. 

La  deuxième  partie  est  consacrée  à  l'examen  des  deux  sortes  de 
moyens  propres  à  remédier  à  cette  inquiétante  situation  :  la  «  négo- 

1.  Cardenas  à  Philippe  III,  1er  août  1613  (papiers  de  Simancas,  K.  1468,  p.  58). 

2.  Ibid.,  14  septembre  (ibid.,  K.  1468,  p.  96). 

3.  Cardenas  à  Philippe  III,  15  octobre  1613  (4°  lettre),  K.  1468,  p.  110.  — 
Voir  aussi  les  dépêches  du  nonce  Ubaldini  des  8,  14  et  24  octobre  (Bibl.  nat., 
fonds  italien  35,  fol.  255  et  suiv.). 


l'affaire  de  mantoue  en  1613.  69 

dation  et  douceur  »,  «  l'autorité,  force  et  puissance  ».  Il  faut 
employer  le  premier  et  faire  l'impossible  avant  de  s'engager  dans 
l'autre  voie.  Villeroy  propose  d'envoyer  une  personne  exprès  auprès 
du  roi  d'Espagne  pour  savoir  clairement  ses  intentions,  une  autre 
auprès  du  pape  pour  obtenir  sa  médiation,  et  donner  beaucoup  de 
publicité  et  de  solennité  à  ces  ambassades.  Si  les  moyens  pacifiques 
échouent,  il  faudra  se  résigner  à  la  guerre,  malgré  l'incertitude  du 
succès,  car  l'abandon  du  duc  de  Mantoue  serait  la  honte  et  l'abais- 
sement de  la  France. 


On  peut  se  demander  pourquoi  Villeroy  crut  devoir  mettre  par 
écrit  ce  qu'il  pensait.  La  question  de  Mantoue  était  très  grave  et 
pouvait  amener  de  redoutables  complications.  Pour  la  première  fois 
depuis  le  début  de  la  Régence,  le  gouvernement  armait.  (L'expédition 
de  Juliers,  exécutée  avec  les  troupes  rassemblées  par  Henri  IV, 
n'avait  pas  menacé  la  paix  générale.)  La  possibilité  d'une  guerre,  le 
plus  terrible  malheur  qui  pût  fondre  sur  la  Régence,  justifiait  la  forme 
inusitée  d'une  rédaction  d'avis.  Rappelons-nous  aussi  combien  cette 
politique  énergique  était  à  ce  moment  populaire.  C'était  une  vraie 
«  furie  »  au  dire  de  l'ambassadeur  Cardenas1.  Les  vieux  ministres 
pacifiques  risquaient  de  devenir  suspects;  au  mois  de  juin,  Condé 
et  les  grands  avaient  accusé  Villeroy  de  traîner  les  négociations  en 
longueur,  de  n'assister  le  duc  de  Mantoue  que  de  bonnes  paroles; 
Concini  avait  exprimé  son  mécontentement  à  l'envoyé  vénitien  Sci- 
pione  Ammirato  en  lui  disant  qu'en  France  «  on  ne  ferait  rien  qui 
vaille  »  parce  que  les  ministres  étaient  tous  Espagnols2.  Les  Hugue- 
nots avaient  repris  leur  antienne  et  reprochaient  aux  ministres 
d'être  vendus  aux  Espagnols3.  Pour  conserver  son  influence,  Ville- 
roy avait  donc  besoin  de  détruire  cette  légende,  de  montrer  publi- 
quement que,  s'il  préférait  la  voie  pacifique,  c'était  dans  l'intérêt  du 
pays,  mais  que  le  jour  où  les  moyens  diplomatiques  ne  pourraient 
sauvegarder  la  dignité  royale,  il  n'hésiterait  pas  à  demander  à  la 

1.  Cardenas  à  Philippe  III,  1°'  août  1613  (papiers  de  Simancas,  K.  1467,  p.  58). 
«  Es  una  furia  popular  que  todos  dizen  guerra,  guerra  con  tanto  impelu  y 
desseo  que  pareçe  han  de  alcançar  el  cielo  por  mover  armas  y  pasa  esto  taz 
adelanle  que  deve  dedar  mucho  cuydado  a  la  Reyna  y  sus  ministros.  » 

2.  Dépêche  de  Scipione  Ammirato  du  6  juin,  citée  par  B.  Zeller,  p.  131; 
dépèche  de  Bartolini  du  11  juin,  citée  par  le  même,  p.  133. 

3.  Le  nonce  Ubaldini  à  l'archevêque  de  Capoue,  nonce  à  Madrid,  5  novembre 
1613  (fonds  italien  35,  fol.  270). 


70  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

Reine  de  rompre.  Voilà  pourquoi,  nous  semble-t-il,  il  rédigea  cet 
Avis  destiné  à  Marie  de  Médicis  et  à  son  entourage. 

La  guerre  redoutée,  mais  acceptée  d'avance  avec  fermeté  par 
Villeroy,  n'éclata  pas.  Évidemment,  le  duc  de  Savoie,  avec  son 
machiavélisme  habituel,  s'était  vanté,  pour  intimider  la  France,  d'être 
assisté  par  toutes  les  forces  de  l'Espagne.  C'était  une  grosse  exagé- 
ration. Mais  il  est  certain  aussi  que  le  gouvernement  espagnol 
n'avait  pas  une  attitude  très  franche.  Il  avait  essayé  de  pêcher  en  eau 
trouble,  comptant  sur  la  faiblesse  de  la  Régente  ;  il  avait  traîné  les 
négociations  en  longueur,  espérant  lasser  la  patience  des  Français  et 
faire  reconnaître  l'occupation  de  quelques  villes  du  Montferrat.  Cepen- 
dant le  roi  d'Espagne  était  aussi  sincèrement  attaché  que  la  Régente 
à  l'alliance  des  deux  couronnes.  Quand  il  vit  l'ardeur  belliqueuse 
d'une  partie  des  'Français  et  la  fermeté  digne  de  leur  gouvernement, 
il  céda,  car  il  estimait  qu'il  ne  fallait  pas  rompre  pour  une  affaire 
aussi  mesquine.  Comme  d'habitude,  l'Espagne  céda  sans  en  avoir 
l'air;  cette  nation  savait  mettre  un  talent  prodigieux  à  sauver  le 
point  d'honneur.  Elle  avait  d'ailleurs  dissimulé  si  adroitement  son 
jeu,  elle  s'était  si  peu  ouvertement  compromise  dans  les  affaires  de 
la  péninsule  qu'elle  put,  sans  paraître  reculer  devant  la  France, 
faire  désarmer  définitivement  et  le  duc  de  Savoie  et  le  gouverneur 
du  Milanais.  Dès  le  début  du  mois  de  décembre,  la  cour  de  Madrid 
adopta  cette  résolution  pacifique,  et  cette  longue  affaire  s'acheva,  à 
la  fin  de  1613,  par  un  accommodement  général.  Charles-Emmanuel 
renvoya  ses  troupes.  Le  marquis  de  l'Ynoyosa  évacua  les  places  du 
Montferrat.  Le  duc  de  Mantoue  renonça  à  demander  la  réparation 
des  dégâts  commis  par  les  ennemis  aux  forteresses  du  pays  ;  il  pro- 
mit aussi  de  ne  pas  punir  les  rebelles  du  Montferrat  qui  s'étaient 
donnés  au  duc  de  Savoie.  Et  tout  se  termina,  comme  dans  un  roman 
bien  fait,  par  un  mariage.  Le  cardinal-duc  «  montrait  avoir  quelque 
affection  pour  l'infante  veuve  de  son  frère  »  ;  fortifié  «  en  cette 
volonté  »1  par  la  cour  de  France,  approuvé  par  l'Espagne,  muni 
des  dispenses  pontificales,  il  épousa  sa  belle- sœur,  et  la  paix  régna 
dans  la  plaine  du  Pô. 

Nous  ne  voulons  point  porter  un  jugement  général  sur  la  poli- 
tique de  la  Régence  qui  n'a  point  encore  été  explorée  en  détails. 
Nous  songeons  encore  moins  à  louer  ou  à  blâmer  comme  on  aimait 
jadis  à  le  faire.  Nous  ne  pouvons  cependant  terminer  le  récit  de 
l'affaire  de  Mantoue  sans  une  simple  observation.  On  a  presque 
toujours  reproché  à  la  politique  extérieure  de  la  Régence  sa  faiblesse 

1.  Selon  l'expression  de  Villeroy  dans  l'Avis. 


l'affaire  de  mantoue  en  1613.  71 

et  sa  timidité;  on  a  employé  le  grand  mot  d'abdication  devant 
l'Espagne.  L'histoire  de  la  succession  de  Mantoue  et  VAvis  de  Ville- 
roy  ne  prouvent-ils  pas  que  ce  gouvernement  sut  concilier  la  sou- 
plesse et  la  fermeté  et  que,  tout  en  restant  l'alliée  de  l'Espagne  dans 
l'intérêt  d'une  paix  nécessaire,  la  France  ne  fut  pas  en  cette  affaire 
la  dupe  d'une  puissante  amie  et  n'eut  à  faire  aucun  sacrifice  de  sa 
dignité? 


Pour  bien  connaître  le  caractère  de  VAvis  de  Villeroy,  il  faut  le 
distinguer  des  innombrables  écrits  qui  portent  le  même  nom. 

En  aucun  temps,  on  n'a  publié  en  France  autant  d'avis,  de  con- 
seils, de  «  discours  en  forme  d'avis  »,  de  complaintes,  de  remercie- 
ments, d'exhortations,  d'éloges,  de  remontrances  ayant  pour  fin  de 
régler  la  conduite  du  gouvernement.  On  savait  la  Régente  faible,  les 
ministres  et  les  grands  divisés,  les  princes  et  les  seigneurs  disposés  à 
se  soulever,  les  huguenots  mécontents.  Des  problèmes  nouveaux  et 
graves  se  posaient  :  les  mariages  franco-espagnols,  la  guerre  civile, 
les  États-Généraux.  La  censure  des  livres  était  très  relâchée.  C'était 
presque  la  liberté  de  la  presse.  Tout  le  monde  voulut  dire  son 
mot  sur  la  chose  publique.  Aussi  cette  littérature  qui  sévit  de  1610 
à  1620  fut-elle  d'une  abondance  extraordinaire.  La  Bibliothèque 
nationale  possède  une  centaine  de  ces  avis1.  La  bibliothèque  de 
l'Institut  est  plus  riche  encore2.  Parmi  les  auteurs  qui  ont  signé, 
on  relève  les  noms  de  quelques  bourgeois,  officiers  royaux  ou  par- 
lementaires tels  qu'Edme  Callon,  avocat  au  parlement  de  Dijon0, 
Bernard  de  Sainte-Hélène,  conseiller  du  roi,  lieutenant  général  au 
bailliage  du  Chalouris*,  Antoine  Arnauld5  et  Nicolas  Pasquier6, 
fils  d'Etienne  Pasquier,  ces  derniers  auteurs  de  graves  et  sages 

1.  Voir  leur  énumération  dans  le  Catalogue  de  l'Histoire  de  France,  t.  I, 
p.  434  et  suiv. 

2.  Ils  sont  groupés  dans  des  recueils  factices,  année  par  année,  sous  le  titre 
de  Mélanges  sur  le  règne  de  Louis  XIII.  Recueils  de  pièces  in-18  (X.  a.  455 
et  suiv.).  Quelques-unes  de  ces  pièces  se  retrouvent  à  la  Bibl.  nationale;  voir 
aussi  à  la  bibl.  de  l'Arsenal  le  ms.  5427  :  Cinq  avis  importons  donnez  au  roi 
Louis  XIII  pour  le  gouvernement  de  son  état. 

3.  <  Avis  à  la  France  ».  Lyon,  1610,  in-8°. 

4.  «  Propos  tenus  au  Roi  et  à  la  Reine  Régente  sa  mère,  le  15  juillet  1610, 
par  le  sr  Bernard...  »  (S.  1.  n.  d.),  in-8°  (Ibid.,  p.  98). 

5.  «  Utile  et  salutaire  avis  au  Roi  pour  bien  régner...  »  (S.  1.),  1612,  in-8° 
(par  Ànt.  Arnauld,  d'après  le  P.  Lelong). 

6.  «  Advis  très  burable  à  la  Reine  mère  du  Roi  régente  en  France  ».  Paris, 
1610,  in-8°. 


72  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

dissertations.  La  plupart  sont  anonymes  ou  signés  de  noms  de  fan- 
taisie. Toutes  les  causes  sont  défendues,  la  cause  royale,  la  cause  des 
princes,  la  cause  des  huguenots,  la  cause  populaire  et  paysanne.  Le 
gouvernement  est  soutenu  par  des  panégyriques  outranciers,  œuvres 
d'auteurs  à  gage,  ou  par  des  avis  désintéressés  de  bourgeois  patriotes 
qui  conservent  leur  franc-parler.  On  y  trouve  tous  les  styles,  le  genre 
simple  et  grave  d'un  Pasquier,  ou  de  l'auteur  du  Caton  français 
au  Roy*,  le  genre  pittoresque,  ironique  et  plébéien  de  «  maître 
Guillaume  »,  auteur  de  la  Consolation  des  malcontents  dédiée 
au  Roi  son  ami2,  et  aussi  la  manière  boursouflée  et  péclantesquc 
de  quelques  cuistres  inconnus3. 

Malgré  la  similitude  des  titres  et  des  sujets  traités,  les  avis  de 
Villeroy  sont  conçus  dans  un  esprit  très  différent.  Ils  sont  écrits  non 
par  un  sujet  irresponsable,  mais  par  un  ministre  au  pouvoir.  Ce 
ministre  était  le  plus  expérimenté  et  le  plus  influent  de  tous  et  sous 
la  Régence,  après  la  disgrâce  de  Sully,  il  joua  le  principal  rôle  dans 
la  direction  des  affaires.  Attaquer  la  conduite  du  gouvernement, 
c'était  pour  une  bonne  part  attaquer  la  politique  de  Villeroy.  Or, 
Villeroy  avait  un  tempérament  de  publiciste.  Cet  «  homme  de  plume  » , 
comme  l'appelait  Sully4,  cet  esprit  si  réfléchi  et  si  prudent  s'en- 
ferma à  Conflan s.  dans  sa  maison  de  campagne,  dans  certaines  cir- 
constances graves  de  sa  vie,  et  y  rédigea  de  longs  mémoires  pour 
défendre  sa  politique.  De  1589  à  1594,  il  écrivit  deux  apologies,  des 
lettres  manifestes  au  roi  de  Navarre,  des  avis  à  Mayenne  et  un  dis- 
cours, qu'il  ne  prononça  jamais,  pour  les  Etats  de  15935.  Sous 
Henri  IV,  il  n'écrivit  rien,  sauf  le  manifeste  sur  l'affaire  l'Hoste, 
parce  qu'il  avait  la  confiance  de  son  maître.  Sous  le  gouvernement 
faible  de  la  Régente,  il  revint  à  ses  anciens  procédés.  Il  n'écrivait  pas 
pour  le  public,  mais  pour  la  Reine,  les  membre  du  conseil  et  les 
grands,  afin  de  résoudre  un  problème  particulier  de  politique  inté- 
rieure ou  extérieure,  tout  en  défendant  des  principes  généraux. 

Villeroy  a  rédigé  à  l'époque  de  la  Régence  quatre  Avis  à  la  Reine 

1.  Le  Caton  français  au  Roi.  Paris,  1614  (attribué  au  premier  président  de 
Harlay). 

2.  Paris,  1614.  —  Voir  aussi  un  amusant  dialogue  intitulé  :  le  Lourdaut 
vagabond,  de  la  même  année.  Ces  pièces,  la  précédente  et  les  suivantes  sont 
dans  la  collection  de  l'Institut. 

3.  Voir  particulièrement  le  Conseiller  fidèle  à  Mgr  le  prince  de.  Coudé, 
Paris,  1615,  et  Tyrtœus  aux  Français,  qui  sont  dans  la  note  pédante. 

4.  Sully,  Économies  royales,  éd.  Michaud,  t.  I,  p.  370. 

5.  Ces  apologies  ont  été  plusieurs  fois  publiées  sous  le  titre  de  Mémoires 
délai.  La  dernière  édition  est  celle  de  Michaud  et  Poujoulat.  Paris,  1838, 
in-8%  lre  série,  t.  XI. 


l'affaire  de  mantoue  en  1613.  73 

mère  :  on  1611.  il  examine  les  mesures  à  prendre  pour  empêcher 
les  troubles,  en  faisant  dissoudre  les  confédérations  de  princes  et 
grands  seigneurs  mécontents';  le  10  octobre  1612,  il  expose  son 
avis  «  sur  la  demande  de  Quillebeuf  faite  par  M.  le  comte  de  Sois- 
sons  »2;  le  8  novembre  1613,  «  sur  les  différends  de  Mantoue  »  ;  le 
10  mars  1614,  «  sur  la  paix  à  conclure  avec  les  princes  »3.  Le  troi- 
sième de  ces  avis  que  nous  publions  est  resté  inédit  ainsi  que  les 
avis  de  1611  et  de  1612.  Il  est  reproduit  dans  six  manuscrits  :  Bibl. 
nat.,  f.  fr.  4028,  17334,  17359;  Nouv.  acq.  fr.  7260;  bibl.  Arsenal, 
n°  5427  et  F.  Dupuy,  n°  3.  C'est  celui  du  fonds  Dupuy,  le  plus  cor- 
rect et  le  plus  connu,  que  nous  avons  transcrit. 

De  cet  avis,  comme  des  autres,  toute  polémique  personnelle 
est  absente.  Par  là  ce  genre  d'écrit  diffère  des  deux  grandes  Apo- 
logies. Villeroy  a  soin  de  dissimuler  tout  ce  qui  peut  rappeler  les 
contradictions,  les  intrigues,  le  désaccord  du  personnel  gouver- 
nemental. Les  avis  ont  une  belle  allure  grave,  ordonnée,  imperson- 
nelle; le  ton  est  élevé;  les  conseils  semblent  donnés  non  par  Villeroy, 
secrétaire  d'Etat,  mais  par  la  sagesse  et  la  raison  mêmes  s'adressant 
à  l'intelligence  et  au  cœur  de  la  Reine. 

Ceci  suffit  à  nous  faire  comprendre  le  style  des  Avis.  Villeroy 
n'était  pas  un  grand  lettré;  il  n'avait  pas  étudié  aux  universités,  il 
avait  été  employé  aux  affaires  de  l'Etat  à  l'âge  où  d'autres  apprennent 
encore.  Il  savait  très  peu  de  latin  et  ignorait  l'art  de  faire  de  beaux 
discours  ou  des  morceaux  de  style  soigné.  Il  écrivait,  tout  naturelle- 
ment, avec  une  certaine  facilité;  ses  idées  s'enchaînaient  bien 
parce  qu'il  avait  l'esprit  très  clair;  le  ton  était  plein  de  bonhomie, 
de  familiarité  ;  la  langue  était  émaillée  de  locutions  populaires  et  de 
proverbes  pittoresques.  Le  style  des  Avis  est  toutefois  un  peu  diffé- 
rent. Il  a  perdu  une  partie  de  ces  qualités  familières.  En  lisant  l'Avis 
de  1613,  qui  est  à  notre  sens  le  mieux  ordonné  et  le  plus  châtié  de 

1.  Cinq-Cents  Colbert,  n°  19. 

2.  Bibl.  nat.,  f.  fr.  4028,  17334,  17359;  nouv.  acq.  fr.  7260;  bibl.  Arsenal, 
ir  5427  ;  f.  Dupuy;  n°  3. 

3.  Mêmes  sources  que  le  précédent,  plus  une  copie  conservée  f.  fr.  18141. 
Nous  avons  publié  cet  avis  dans  la  Revue  Henri  IV.  Paris,  1908  (avril-mai), 
t.  II,  n°  2,  p.  79  et  suiv.  Cette  revue  bimensuelle,  qui  a  paru  à  Paris,  à  la 
librairie  Champion,  en  1905  et  en  1906,  a  publié  un  certain  nombre  d'articles 
et  de  documents  inédits  relatifs  à  l'histoire  du  règne  et  signés  par  MM.  Cham- 
berland,  Baguenault  de  Puchesse,  Brière,  Couzard,  Latïleur  de  Kermaingant, 
Jadart,  Souchon,  Nouaillac,  etc.  Après  une  année  d'interruption,  elle  a  reparu 
au  début  de  1908  réorganisée  sous  la  direction  de  M.  Chamberland,  professeur 
au  lycée  de  Reims,  et  se  propose  d'être  l'organe  commun  aux  travailleurs  qu'a 
tentés  la  riche  et  complexe  histoire  de  Henri  IV. 


74  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

tous,  on  verra  que  Villeroy  a  tenté  d'écrire  d'une  manière  grave  et 
soutenue.  Mais  son  intelligence  nette  et  son  sens  pratique  d'homme 
d'affaires  l'ont  préservé  de  l'enflure,  de  la  solennité  et  du  pathos. 
Son  défaut  même  de  culture  étendue  et  la  simplicité  de  son  caractère 
ont  sauvé  le  naturel  du  style.  Les  Avis  sont  parmi  les  écrits  poli- 
tiques de  l'époque  les  seuls  que  n'orne  aucune  citation,  aucun  sou- 
venir de  l'antiquité;  partout  ailleurs,  on  voit  défiler  en  rangs  plus 
ou  moins  serrés  les  Alexandre,  les  Caton,  les  César  et  autres  per- 
sonnages classiques.  Cet  Avis  du  9  novembre  1613  est  une  disserta- 
tion bien  composée,  très  claire  et  très  simple.  Il  importait  de  remar- 
quer ses  qualités  littéraires,  après  avoir  fait  ressortir  son  intérêt 
comme  document  historique'. 

J.  NOUAILLAC. 


AVIS  DE  VILLEROY  A  LA  REGENTE 

(8  NOVEMBRE  1613). 

Madame, 

Il  est  question  de  donner  conseil  à  V.  M.  sur  les  affaires  de  Man- 
toùe.  Geste  délibération  est  très  importante  et  plus  difficile  à  résoudre 
qu'aucune  qui  se  soit  présentée  depuis  vostre  régence. 

Car  il  ne  s'agit  pas  seulement  de  protéger  le  cardinal  duc  de  Man- 
toùe  et  sa  maison,  à  quoi  nos  traittez,  vostre  affinité  et  la  justice  de 
sa  cause  obligent  le  Roi  et  vous  et  par  conséquent  le  roiaume,  mais 
il  y  va  de  la  conservation  et  dignité  roialle  de  Voz  Maj estez,  et  par 
tel  exemple  de  celle  des  autres  amis  et  alliez  de  la  France. 

Quoi  sagement  préveu  par  V.  M.,  à  la  mesme  heure  que  l'advis  lui 
fut  donné  du  deceds  du  dernier  duc  de  Mantoùe,  frère  aisné  de  celui 
qui  règne,  elle  advertit  le  Pape,  l'Empereur  et  le  roi  d'Espagne  par 
letres  et  courriers  exprès  qu'il  falloit  prendre  garde  aus  mouvemens 
et  altérations  que  cela  pouvoit  engendrer  à  cause  des  prétentions 
anciennes  du  duc  de  Savoie  sur  le  Montferrat,  renforcées  à  présent 
par  celles  de  la  fille  du  dit  duc,  vefve  du  deffunt  duc  de  Mantoùe,  et 
de  sa  petite-fille. 

Le  Pape  s'esmeut  peu  à  vostre  susdit  advis,  n'en  recognoissant  et 
appréhendant  peut-estre  la  conséquence.  L'Empereur  monstra  en 
avoir  soin2;  et  le  roi  d'Espagne  permit  que  le  courrier  que  vous  aviez 

1.  Qu'il  me  soit  permis  de  citer  mon  livre  sur  Villeroy  secrétaire  d'État 
et  ministre  de  Charles  IX,  Henri  III  et  Henri  IV.  Paris,  Champion,  1909. 
La  politique  du  ministre  pendant  les  années  de  minorité  de  Louis  XIII  a  été 
exposée  très  brièvement  dans  le  dernier  chapitre. 

2.  Voir  Siri,  Memorie  recondite,  t.  III,  p.  31-32.  —  On  avait  demandé  à 


l'affaire  de  mantoùe  en  1613.  75 

dépesché  exprès  pour  ce  seul  effect  nous  fust  renvoie  par  vostre 
ambassadeur  sans  response,  après  plusieurs  et  diverses  instances 
réitérées  par  lui  tant  à  la  personne  du  dit  roi  qu'à  l'endroit  de  ses 
principaux  officiers1. 

V.  M.  trouva  cela  estrange  et  en  fit  mauvais  jugement;  toutesfois, 
elle  fut  destournée  de  s'en  formaliser  davantage  par  la  considération 
de  vos  dernières  alliances  avec  le  dit  roi,  de  la  bonne  foi  et  sincérité 
qu'il  a  tousjours  professée  à  la  cognoissance  que  V.  M.  sçait  qu'il  a 
esprouvée  comme  les  autres  du  courage  du  dit  duc  de  Savoie  et  de 
ses  fins,  comme  de  l'intérest  que  le  dit  Roi  catholique  ha  de  mainte- 
nir le  repos  public  de  la  chrestienté  et  spécialement  celui  de  l'Italie  à 
l'imitation  du  feu  roi  son  père,  lequel  tant  qu'il  a  vescu  s'est  abstenu 
avec  grande  prudence  de  donner  aux  princes  et  potentats  d'Italie 
aucun  subjet  de  meffiance  de  sa  domination  et  de  son  voisinage. 

V.  M.  trouva  bon  aussi,  sur  le  conseil  qui  vous  en  fut  donné  par 
les  princes  et  seigneurs  qui  estoient  lors  auprès  du  Roi,  de  faire  dire 
au  dit  duc  de  Savoie  premièrement  par  vostre  agent  résident  auprès 
de  lui  et  depuis  par  la  voie  de  M.  le  mareschal  de  Lesdiguières,  que 
vous  désiriez  qu'il  choisît  celle  de  la  douceur  et  justice  en  sa  pour- 
suitte  et  conduite  des  affaires  qu'il  pouvoit  avoir  à  démesler  avec  le 
dit  cardinal  duc  de  Mantoùe  tant  pour  lui  que  pour  sa  fille  et  sa 
petite-fille,  sans  y  emploier  la  force  pour  ne  troubler  la  paix  publique, 
d'autant  que  V.  M.  et  la  France  estoient  obligez  à  la  conserver  et 
protéger  ledit  cardinal  et  sa  maison,  offrant  néantmoins  vostre  entre- 
mise et  l'autorité  du  Roi  pour  faire  décider  et  composer  leurs  diffé- 
rents par  la  douceur. 

La  response  du  duc  de  Savoie  fut  véritablement  plus  accompagnée 
de  respect  envers  Voz  Majestez  qu'elle  ne  fut  suivie  d'effets  corres- 
pondans  à  vostre  susdite  déclaration  et  office. 

V.  M.  tint  le  dit  duc  de  Mantoùe  adverti  de  vos  diligences  et  inten- 
tions en  sa  faveur,  comme  du  succès  d'icelles  ;  dont  il  vous  remercia, 
en  suppliant  V.  M.  de  continuer. 

Et  néantmoins,  recognoissant  que  l'autorité  de  l'Empereur,  et  les 
armes  de  l'Espagne  pouvoient  plus  promptement  et  seurement  le 
garantir  contre  les  desseins  et  mouvemens  du  duc  de  Savoie,  il  est 

l'Empereur  d'employer  son  autorité  à  empêcher  que  l'Infante  veuve  et  sa  fille 
ne  sortissent  de  Mantoùe.  La  conduite  de  Mathias  fut  assez  ferme  et  conforme 
aux  intérêts  de  la  France.  Il  maintint  ses  droits  de  suzerain,  lança  une  pro- 
clamation pour  les  affirmer  et  attribua  la  tutelle  de  la  jeune  princesse  à  son 
oncle  Ferdinand. 

t.  Il  faut  ajouter  qu'un  courrier  fut  envoyé  à  Venise  pour  disposer  la  Répu- 
blique à  embrasser  la  défense  du  Montferrat  si  le  duc  de  Savoie  cherchait  à 
s'en  emparer.  D'autre  part,  Marie  de  Médicis  avait  entamé  une  correspondance 
avec  le  grand-duc  de  Toscane  pour  l'encourager  à  se  joindre  à  la  France  et  à 
coopérer  au  besoin  à  une  manifestation  armée  contre  la  Savoie.  Voir  les  lettres 
des  22  et  23  mai  publiées  en  appendice  par  B.  Zeller,  p.  347  et  348. 


76  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

certain  qu'il  eut  lors  son  principal  recours  à  l'un  et  à  l'autre.  Ce  qui 
fut  par  V.  M.,  de  sa  bonté  et  rie  sa  judicieuse  prudence,  plus  attribué 
à  la  nécessité  et  aus  conseillers  du  dit  duc  qu'à  son  inclination  ni  à 
aucune  irrévérence  et  mespris  du  nom  et  protection  de  Vos  Majestez1. 

Lesquelles  aians  sceu  que  le  dit  cardinal  monstroit  avoir  quelque 
affection  pour  l'Infante  vefve  de  son  frère,  V.  M.  fut  conseillée  de  le 
fortifier  en  cette  volonté,  jugeant  si  Sa  Saincteté  le  dispensoit  de  faire 
le  dit  mariage  que  c'estoit  un  très  bon  et  très  prompt  moien  d'amor- 
tir les  querelles  d'entre  ces  deux  maisons  qui  estoient  allumées  artifi- 
cieusement  par  ceux  qui  projettoient  dès  lors  et  s'attendent  encore 
peut-estre  à  présent  d'en  proffiter  aus  despens  peut-estre  de  l'une  et 
de  l'autre  maison. 

Ce  que  le  dit  duc  a  fondé  sur  le  manquement  de  la  parole  préten- 
due avoir  esté  donnée  par  le  dit  cardinal  pour  le  séquestre  entre  les 
mains  du  duc  de  Modène,  dont  il  est  certain  que  le  dit  cardinal  fut 
bien  aise  d'avoir  quelque  subjet  de  se  desvelopper,  ainsi  qu'il  a 
publié,  pour  avoir  mieux  recogneu  les  fins  ausquels  tendoient  ceux 
qui  le  demandoient,  les  autres  qui  le  favorisoient  et  ceux  qui  lui  don- 
noient  tel  conseil. 

Quels  ont  esté  les  exploits  d'armes  faits  par  le  duc  de  Savoie  au 
Montferrat,  chacun  en  a  cognoissance,  comme  de  la  froideur  et  len- 
teur du  gouverneur  de  Milan  à  s'y  opposer,  interprétée  par  aucuns  à 
connivence,  par  les  autres  à  foiblesse  et  par  les  plus  intelligens  à  l'un 
et  à  l'autre  defîaut. 

Tant  y  a  que  V.  M.  fut  conseillée,  voire  forcée  du  devoir  de  vraie 
et  bonne  parente2  et  de  protectrice  de  la  paix  publique,  comme  cligne 
régente  de  ce  grand  roiaume,  de  secourir  le  prince  injustement  assailli 
et  opprimé,  voiant  que  de  la  part  d'Espagne  il  tardoit  tant  à  recevoir 
l'assistance  et  consolation  qui  lui  estoit  nécessaire  contre  l'espérance 
donnée  à  lui  et  à  ses  amis  et  par  exprès  à  V.  M.  par  letres  mesmes 
redoublées  du  dit  gouverneur  de  Milan  à  elle  envoiez  par  courriers 
exprès  et  par  les  propos  tenus  sur  ce  subjet  à  vostre  ambassadeur  en 
Espagne.  A  quoi  l'auroit  encore  excité  la  considération  de  M.  de 
Nevers,  lequel,  comme  prince  généreux  intéressé  en  la  cause  du  dit 
duc  de  Mantoûe  et  de  sa  maison,  s'estoit  très  à  propos  jette  dedans 
Casai,  aiant  appris  à  Savonne,  conduisant  en  Italie  la  duchesse 
d'Ornano  sa  belle-sœur,  que  ledit  duc  avoit  assailli  avec  armes  décou- 

1 .  Sous  ce  langage  courtois,  il  faut  reconnaître  l'expression  d'un  vif  mécon- 
tentement. On  fut  très  irrité  en  France  contre  le  cardinal  duc,  à  qui  on  repro- 
chait d'être  inconstant,  timide,  mou  et  de  se  défier  de  la  France.  La  reine 
l'excusait  comme  un  jeune  prêtre  embarrassé  dans  un  labyrinthe  d'atl'aires. 
Voir  les  dépèches  de  Villeroy  à  Léon  Brulart,  dans  Siri,  Memorie  recondite, 
t.  111,  ]».  33. 

2.  Le  duc  Vincent  Ier,  qui  régna  de  1587  à  1612,  avait  épousé  Éléonor  de 
Médicis,  sœur  de  la  Reine  régente. 


L'AFFAIRE    DE    MANTOUE    EN    1613.  77 

vertes  les  places  du  dit  Montferrat  et  par  surprise  ja  occupé  quelques- 
unes  d'icelles. 

Quelle  a  esté  la  diligence  et  despense  emploiée  par  le  Roi  et  V.  M. 
à  préparer  et  dresser  ce  secours  après  la  résolution  d'icelui  prise  par 
V.  M.  avec  monseigneur  le  prince  de  Condé  par  vous  appelé  et  attendu 
pour  cet  effet  et  les  autres  princes  et  officiers  et  grands  du  roiaume, 
chacun  en  a  cognoissance  ' ,  et  puis  dire  que  la  despense  extraordi- 
naire qui  a  esté  faicte  est  revenue  à  plus  de  huit  ou  neuf  cens  mil 
livres,  somme  non  petite  en  esgard  à  l'ordinaire  que  vous  supportez 
pour  maintenir  le  roiaume  en  paix,  qui  surpasse  et  excède  plus  de 
trois  millions  de  livres  celle  qui  se  faisoit  du  temps  du  feu  Roi  ; 
laquelle  néantmoins  nous  pouvons  dire  très  bien  emploiée  puisque  vous 
avez  recueilli  et  jouissez  encore  heureusement  avec  toute  la  France 
et  au  bénéfice  et  advantage  de  toute  la  République  chrestienne  par  la 
grâce  de  Dieu  et  la  bonne  assistance  de  tous  les  susdits  princes  et 
seigneurs  et  des  gens  de  biens  du  royaume,  de  la  concorde  et  tran- 
quilité  publique  par  nous  tant  désirée  et  à  tous  si  utile  et  nécessaire. 

Chacun  dedans  et  dehors  le  roiaume  a  recogneu  par  les  prompts 
effets  qui  s'en  sont  ensuivis  combien  vostre  armement  estoit  néces- 
saire au  dit  cardinal  duc  de  Mantoùe  et  à  ses  affaires,  car  encores  que 
nous  aions  occasion  de  croire  que  l'intention  du  roi  d'Espagne  estoit 
que  les  places  prises  au  dit  Montferrat  par  le  dit  duc  de  Savoie  fussent 
restituées  au  dit  cardinal  duc  de  Mantoùe,  sa  parole  et  sa  foi  y  estoit 
bien  avant  engagée  outre  les  raisons  publicques  et  secrètes  qui  l'ont 
peu  et  deu  mouvoir  à  ce  faire  ;  puisque  par  effet  elles  lui  ont  esté  ren- 
dues, il  est  vraisemblable  que  la  jalousie  des  armes  de  France,  mesme 
delà  les  monts,  n'a  pas  peu  servi  à  l'accélération  de  la  dite  resti- 
tution2. 

Après  laquelle  V.  M.  fut  conseillée  de  descharger  les  finances  du 
Roi  et  les  princes  du  royaume  de  la  susdite  despense  extraordinaire 

1.  D'après  une  lettre  de  l'ambassadeur  vénitien,  du  30  mai  1613,  on  décida 
que  l'on  paierait  20,000  fantassins  et  2,000  cavaliers,  sur  lesquels  2,000  fantas- 
sins et  1,800  cavaliers  entreraient  en  Piémont  sous  Lesdiguières ;  6,000  fantas- 
sins commandés  par  Guise  s'établiraient  en  Provence,  2,000  fantassins  et 
2,000  cavaliers  sous  M.  le  Grand  pénétreraient  en  Savoie  (voir  B.  Zeller,  p.  129). 
—  Condé  avait  proposé  de  tirer  l'argent  des  caves  de  la  Bastille.  11  s'était  mon- 
tré le  plus  belliqueux  de  tous  les  conseillers  et  avait  toujours  prononcé  des 
discours  «  accompagnati  da  qualche  passione  »,  dit  l'ambassadeur  vénitien. 
Voir  la  dépêche  du  11  juin,  Bibl.  nat.,  fonds  italien  1766,  fol.  81. 

2.  Villeroy  ne  parle  pas  du  rôle  joué  par  l'Espagne  dans  foule  cette  affaire. 
Les  lettres  de  l'ambassadeur  vénitien  du  17  au  21  juin  nous  apprennent  que  le 
secrétaire  du  gouverneur  de  Milan  passa  à  Lyon  le  7  juin  et  dit  à  d'Alincourt, 
gouverneur  de  la  ville,  qu'il  portait  au  marquis  de  l'Ynoyosa,  gouverneur  du 
Milanais,  l'ordre  du  Boi  de  rétablir  le  statu  quo.  Bientôt  une  lettre  du  roi 
d'Espagne  à  la  Reine  l'informa  qu'il  avait  donné  ordre  au  gouverneur  de  Milan 
de  faire  mettre  bas  les  armes  au  duc  de  Savoie. 


78  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

et  de  la  foule  qu'elles  en  recevoient  par  un  prompt  licentiement  des 

dits  gens  de  guerre. 

A  quoi  V.  M.  fut,  encore  requise  par  lettres  expresses  dudit  gou- 
verneur de  Milan  et  de  la  part  du  dit  roi  d'Espagne,  asseurant  que  les 
choses  promises  en  faveur  du  dit  cardinal  de  Mantoùe  seroient  accom- 
plies. Il  remonstroit  aussi  à  V.  M.  plus  la  séparation  de  nos  forces 
seroit  prompte,  celle  que  le  duc  de  Savoie  devoit  faire  des  siennes 
seroit  aussi  avancée  et  effectuée  suivant,  l'intention  du  dit  roi  d'Es- 
pagne, à  cause  de  la  mefïïance  que  le  dit  duc  feignoit  avoir  d'icelles, 
mais  en  effet  pour  celle  que  sans  fiction  le  dit  gouverneur  de  Milan 
en  avoit  plus  grande  que  le  dit  duc,  comme  il  n'a  depuis  que  trop 
apparu  et  apparoist  encore  à  présent  par  le  procédé  du  dit  gouverneur 
et  par  les  conseils  qu'a  depuis  pris  le  roi  d'Espagne. 

Car  au  lieu  de  faire  désarmer  le  dit  duc  de  Savoie  et  remettre  les 
choses  en  plene  quiétude,  ainsi  qu'elles  estoient  au  dit  Montf errât  et 
ailleurs  devant  l'hostilité  ouverte  par  le  dit  duc,  comme  la  raison 
vouloit  qu'il  fust  fait,  et  V.  M.  l'attendoit  des  espérances,  voire  des 
asseurances  que  l'on  lui  en  donnoit,  les  gens  de  guerre  du  dit  duc 
ont  esté  maintenus  ensemble,  et  plus  tost  augmentés  que  retranchés, 
et  logés  aus  portes  du  dit  Montferrat  pour  menacer  et  intimider  le 
duc  de  Mantoùe;  et  ceux  de  Milan  ont  tousjours  vescu  depuis  à  dis- 
crétion dedans  le  dit  Montferrat  à  la  ruine  et  désolation  entière  d'ice- 
lui,  y  consommant  et  mangeant  entièrement  les  vivres,  de  sorte  que 
les  places  ne  peuvent  plus  estre  assistées  et  nourries,  ni  mesme  celle 
de  Casai,  de  laquelle  seule  l'on  sçait  que  dépend  l'entière  conserva- 
tion du  païs  soubs  la  domination  du  dit  duc  de  Mantoùe,  légitime  sei- 
gneur et  héritier  du  dit  marquisat  :  de  manière  que  l'on  a  juste  argu- 
ment de  souhsçonner  que  le  dégast  et  la  retenue  des  dits  gens  de 
guerre  au  dit  pays  se  fait  à  poste  et  par  commandement  pour  affamer 
la  forteresse  de  Casai;  et  d'autant  plus  que  l'on  voit  que  les  dits 
Espagnols  se  sont  depuis  peu  emparez  du  chasteau  de  Pontesture'  et 
de  la  ville  d'Acqui,  places  voisines  du  dit  Casai,  et  par  lesquelles  l'on 
peult  comme  bloquer  la  dite  place  ;  en  laquelle  non  plus  qu'aus  autres 
il  n'est  desja  plus  permis  au  dit  duc  de  Mantoùe  d'envoier  et  faire 
passer  et  entrer  armes  et  munitions  de  guerre  ni  vivres  que  par  la 
volonté  et  permission  des  dits  Espagnols,  ayans  naguères  refusé  le 
chemin  et  passage  pour  quelque  balle  d'armes  que  le  dit  duc  de  Man- 
toùe envoioit  au  dit  pays  pour  distribuer  aux  habitans  d'icelui  que  le 
duc  de  Savoie  a  entièrement  désarmez. 

V.  M.  est  à  présent  mieux  informée  des  dernières  intentions  et  rai- 
sons du  dit  cardinal  sur  la  délivrance  de  la  princesse  et  de  Testât  pré- 
sent de  ses  affaires  par  la  depesche  du  secrétaire  de  vostre  ambassa- 

i.  Ponte  di  Stura  ou  Pontesture,  ou  encore  pont  d'Esture  (Bassompierre, 
Mémoires  de  ma  vie,  éd.  Chantérac,  t.  IV,  p.  297),  est  une  place  forte  de  la 
province  d'Alexandrie  qui,  ainsi  qu'Acqui,  est  très  près  de  Casai. 


l'affaire  de  mantoue  en  1613.  79 

deur  à  Venise  qui  vous  a  esté  envoiée  à  son  instance,  pour  sur  cela 
fonder  vos  conseils  et  résolutions,  après  la  response  que  vous  rece- 
vrez du  costé  d'Espagne;  laquelle  il  semble  que  V.  M.  doive  attendre 
devant  que  d'entrer  plus  avant  en  cette  délibération. 

Toutesfois,  d'autant  que  celles  d'Espagne  sont  ordinairement  tar- 
dives et  ambiguës,  que  les  affaires  du  dit  cardinal  au  Mon tf errât  et 
ailleurs  empirent  à  veuë  d'œil  et  ont  tout  besoin  d'estre  relevées  et 
soustenues  promptement  par  effets  dignes  de  l'autorité  et  nom  de 
V.  M.,  quand  ce  ne  seroit  que  pour  ne  laisser  deschoir  et  abbatre  les 
volontez  et  courages  des  autres  princes  et  potentats,  qui  par  compas- 
sion et  par  intérest  lui  ont  jusques  à  présent  départi  leur  amitié  et 
assistance,  il  semble  que  V.  M.  ne  peut  trouver  que  bon  qu'il  soit  par 
advance  discouru  par  vos  serviteurs  sur  ceste  matière  avec  franchise, 
fidélité  et  affection  deùes  au  service  de  Voz  Majestez  pour  en  estre 
usé  par  votre  prudence,  ainsi  qu'elle  jugera  par  les  meilleurs  conseils 
qui  lui  seront  départis  estre  à  faire  pour  le  service  du  Roi  et  le  con- 
tentement de  V.  M.,  à  quoi  conspirent  et  aspirent  les  vœux  de  vos 
fidèles  subjets  et  serviteurs. 

Madame,  il  n'y  a  que  deux  moiens  d'arrester  le  cours  des  accidens 
et  malheurs  desquels  ces  mouvemens  nous  menacent  comme  le  reste 
de  la  chrestienté.  L'un  est  celui  de  la  négotiation  et  douceur;  et  l'autre 
par  une  auctorité,  force  et  puissance  propre  et  suffisante  à  un  tel  effet. 

Le  premier  doit  estre  non  seulement  préféré  au  dernier,  mais  je  dis 
qu'il  faut  tenter  et  faire  l'impossible  devant  que  de  s'engager  en 
cestui-ci  ni  par  délibération  ni  par  aucune  action,  d'autant  que  les 
inconvéniens,  périls  et  malheurs  qui  en  naistroient  indubitablement 
et  inévitablement  sont  encore  plus  grands  qu'ils  ne  peuvent  estre  à 
présent  prévenus,  prédits  ni  appréhendez  par  V.  M.  ni  par  autre  per- 
sonne vivante,  quelque  clairvoiante  ou  expérimentée  qu'elle  puisse 
estre  aux  affaires  du  monde. 

V.  M.  prudemment  a  ja  commencé  à  tenter  le  premier  remède  par 
les  langages  qu'elle  a  tenus  à  l'ambassadeur  d'Espagne  et  les  comman- 
demens  qu'elle  a  faits  au  sieur  de  Vaucelas  ;  de  quoi  il  semble  qu'il 
faut  bien  espérer  si  vos  raisons  et  remonstrances  ne  rencontrent  l'es- 
prit du  roi  d'Espagne  et  de  ses  conseillers  aussi  aliénés  du  soin  et 
désir  de  conserver  la  paix  publique  et  estreindre  une  parfaitte  amitié 
et  alliance  avec  Vos  Majestez,  qu'ils  s'y  sont  jusques  à  présent  mons- 
trez  affectionnez1. 

Toutesfois,  comme  il  semble  que  ces  affaires  pressent,  voire  forcent 
la  patience  et  longanimité  ordinaire  de  V.  M.  en  la  direction  de  celles 

1.  On  trouve  aux  Archives  nationales,  dans  les  papiers  de  Simancas,  K.  1468, 
p.  113,  l'original  de  la  lettre  écrite  le  15  octobre  par  la  Reine  à  Philippe  III, 
afin  d'accréditer  auprès  de  lui  son  ambassadeur  pour  négocier  sur  les  affaires 
de  Mantoue. 


80  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

du  royaume,  j'estime  qu'il  est  à  propos,  voire  nécessaire  que  V.  M. 
réitère  sans  remise  aucune  les  offices  qu'elle  a  commencez  envers  le 
dit  roi  d'Espagne,  mais  par  personne  expresse  de  qualité,  nourrie  et 
entendue  aus  affaires  d'Estat,  pour  fournir  et  départir  de  soi  et  sur- 
le-champ  aus  questions,  ouvertures  et  difficultez  qui  lui  pourront  estre 
formées  et  par  la  conduite  descouvrir  les  dernières  intentions  du  dit 
roi  d'Espagne,  pour  pouvoir  à  présent  mieux  bastir  vos  résolutions; 
davantage  cette  dépesche,  qui  sera  publique  et  sçeûe  de  tous,  conso- 
lera grandement  le  duc  de  Mantoùe  et  ceux  de  sa  maison  et  pareille- 
ment les  autres  amis  et  alliez  de  la  France,  acquerra  réputation  à 
V.  M.  et  aidera  à  justiffier  à  présent  et  à  l'advenir  vos  actions  et 
in teii lions  quelque  résolution  que  vous  preniez.  V.  M.  peut  en  mesme 
temps  envoier  deux  autres  personnages  en  Italie,  l'un  au  Pape,  l'autre 
au  dit  duc  de  Mantoùe,  pour  requérir  l'aide  et  assistance  de  Sa  Sainc- 
teté  en  cette  occasion  plus  importante  à  l'Église  de  Dieu  et  au  repos 
de  la  chrestienté  comme  de  l'Italie,  et  par  conséquent  à  l'auctorité  du 
Saint-Siège,  que  nul  autre  qui  se  soit  présentée  depuis  son  pontificat; 
lui  déclarer  ce  à  quoi  vous  engage  l'intérest  et  la  réputation  de  la 
France  en  cas  de  guerre,  vostre  désir  de  l'éviter  par  tous  moiens 
honestes  et  compatibles  avec  la  dignité  et  conservation  de  ceste  cou- 
ronne très  chrestienne.  L'espoir  que.  vous  avez  en  sa  prudence,  et  sa 
justice  pour  ce  regard,  les  malheurs  qui  naistront  d'une  nonchalance 
ou  indifférence  de  la  part  de  Sa  Saincteté  qui  seroient  suivis  d'effets 
encore  plus  périlleux  et  irrémédiables  que  l'on  ne  peut  prédire,  si 
sa  dite  Saincteté  par  ses  actions  et  jugemens  s'escartoit  aucunement 
de  la  neutralité  et  du  devoir  de  père  commun  jaloux  de  l'entretène- 
ment  de  la  paix  de  la  chrestienté,  et  en  particulier  de  l'Italie,  comme 
l'espérance  donnée  de  sa  conduite  depuis  son  exaltation  manifeste 
qu'elle  en  a  faitte4.  A  quoi  l'on  peut  adjouster  et  lui  faire  remarquer 
tous  les  désadvantages  pour  le  public  et  pour  le  particulier,  et  mesme 
pour  nostre  religion,  qui  naistront  en  quantité  et  qualité  incompré- 


1.  Le  portrait  du  pape  Paul  V  est  un  peu  llatté  pour  la  circonstance.  Garni  Mo 
Borghese,  qui  fut  pape  de  1605  à  1621,  était  un  théologien  défendant  avec 
rigueur  les  droits  de  l'Église,  mais  un  mauvais  politique.  En  1606,  il  faillit  déchaî- 
ner la  guerre  en  Italie  en  soutenant  avec  trop  de  raideur  les  droits  du  Saint- 
Siège  dans  le  conllit  avec  Venise.  Dans  toute  l'affaire  de  Mantoùe,  il  n'eut 
qu'une  seule  préoccupation,  fuir  les  responsabilités.  Il  refusa  constamment  de 
s'engager  dans  une  atlaire  si  épineuse  qui  pouvait  lui  attirer  le  ressenti- 
ment d'une  ou  plusieurs  puissances  catholiques.  Dès  le  8  mai,  Brèves,  notre 
ambassadeur  à  Rome,  annonçait  à  la  Régente  que  Paul  V  ne  voulait  pas  aider 
Ferdinand  (voir  Siri,  Ibid.,  p.  75).  Le  pape  avait  d'autres  mobiles  que  le  désir 
du  repos.  11  avait  conservé  du  ressentiment  contre  le  feu  duc  de  Mantoùe  qui, 
dans  l'affaire  de  l'Interdit  (1606-1608),  s'était  mis  du  côté  des  Vénitiens;  à 
plus  forte  raison  se  défiait-il  des  Vénitiens  qui  poussaient  à  une  politique 
hostile  à  l'Espagne.  Le  pape  ne  retrouva  la  voix  que  pour  louer  les  cours  de 
France  et  d'Espagne,  lorsqu'elles  se  furent  mises  d'accord  (voir  les  dépêches 


l'affaire  de  mantoue  en  1613.  81 

hensibles  de  l'infraction  de  paix  estant  faitte  de  la  part  du  dit  roi 
d'Espagne,  mesme  mespris  et  contemnement  des  remonstrances  et 
prières  de  V.  M.  et  sans  mettre  en  considération  leurs  personnes  et 
couronnes,  à  la  veille  de  la  perfection  de  leurs  doubles  alliances  avec 
le  dit  roi. 

De  toutes  lesquelles  considérations  et  raisons,  comme  de  plusieurs 
autres  encore  qui  y  concurrent  et  peuvent  estre  adjoustées,  l'on  dres- 
sera l'instruction  de  l'envoie  vers  Sa  Saincteté  pour  faire  valoir  davan- 
tage sa  légation  :  laquelle  à  mon  advis  ne  sera  de  peu  d'efficace,  estant 
commise  à  personne  capable  et  propre  pour  bien  s'en  acquiter  et  pour 
estre  respectée  de  Sa  Saincteté  et  du  sacré  collège.  Il  semble  aussi 
que  M.  le  duc  et  Mme  la  duchesse  de  Lorraine1  doivent  estre  advertis 
par  V.  M.  par  homme  exprès  ou  par  lettres  portées  par  le  courrier  qui 
sera  depesché  vers  l'Empereur  de  vos  dites  intentions  et  délibérations 
et  de  l'ordre  que  vous  avez  délibéré  de  tenir  à  l'exécution  d'icelles, 
affin  qu'elles  soient  en  toutes  manières  secondées  par  Leurs  Altesses 
comme  elles  y  sont  tenues  par  leur  proximité  et  par  leur  alliance  et 
ont  souvent  fait  dire  à  Leurs  Majestez  y  estre  disposées. 

Il  faut  donc  se  résoudre  à  faire  toutes  sortes  de  devoirs,  offices  et 
efforts  que  l'on  peut  excogiter,  et  éviter  ce  précipice.  Mais  si  Dieu  per- 
met pour  nos  péchez  que  l'on  ne  puisse  divertir  le  dit  roi  d'Espagne 
de  la  volonté  d'avoir  la  dite  princesse  Marie,  mesme  devant  que  l'on 
ait  esclairci  ses  droits  et  convenu  d'iceux,  sous  prétexte  que  son  nom 
y  est  engagé  ou  pour  autres  considérations  et  raisons  advantageuses 
pour  lui  et  pour  ses  Estats,  dont  il  prétend  se  prévaloir,  doit-on  con- 
seiller à  V.  M.  de  consentir  et  donner  les  mains  au  dit  dépost  et  pas- 
ser par-dessus  toutes  les  raisons  et  considérations  qui  militent  au 
contraire. 

Pour  moi,  Madame,  j'advoue  que  je  ne  puis  approuver  cette  opinion 
quoi  qui  en  puisse  arriver,  d'autant  que  ce  sera  abandonner  lâche- 
ment premièrement  le  dit  cardinal  et  sa  maison  en  une  cause  juste 
contre  la  protection  que  vous  lui  devez  mesmes  parles  traittez  de  paix 
et  davantage  desgouter  par  tel  exemple  de  vostre  bienveillance  et 
alliance  vos  autres  amis,  voisins  et  alliez,  à  la  honte  de  la  France.  Ce 
qui  produira  des  accidens  pour  V.  M.  très  dangereux  et  pour  ledit  roi 
d'Espagne  très  avantageux  ;  car,  comme  il  aura  gaigné  ce  point  contre 
vostre  volonté,  il  faudra  non  seulement  que  le  dit  duc  de  Mantoue 

d'Ubaldini,  fonds  italien  35).  Le  5  novembre  (fol.  273),  Villeroy  avait  exposé  au 
nonce  ses  idées  sur  ce  que  devait  être  le  rôle  du  pape,  neutre  dans  les  que- 
relles, pacificateur,  père  commun  et  médiateur  de  la  chrétienté.  C'était  un  des 
principes  les  plus  fermes  de  Villeroy  en  matière  de  politique  étrangère.  Cf.  Vil- 
leroy, p.  414-428  (la  Conquête  de  Rome.  Villeroy  principal  conseiller  de  la 
politique  romaine  de  Henri  IV). 

1.  Henri  de  Lorraine,  qui  succéda  à  Charles  II  de  Lorraine  en  1608,  avait 
épousé  en  secondes  noces,  en  1606,  Marguerite  de   Gonzague.  Nous  n'avons 
trouvé  aucune  trace  d'intervention  des  princes  de  Lorraine  dans  cette  affaire. 
Rev.  Histor.  CV.   1er  FASC.  6 


82  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

fleschisse  servilement  à  son  vouloir,  mais  ce  sera  proprement  lui  dres- 
ser une  eschelle  pour  monter  et  parvenir  à  la  monarchie  entière  de 
l'Italie,  et  ensuite  de  cela  au  reste  de  la  chrestienté,  de  laquelle  la 
France  a  tousjours  esté  le  contrepoids  de  la  balance,  assistée  des  amis 
et  alliez  d'icelle  intéressez  en  la  mesme  cause. 

Lesquels  justement  offensez  de  la  cheute  du  dit  duc  et  de  sa  maison, 
qu'ils  imputeraient  avec  quelque  raison  au  manquement  de  la  protec- 
tion et  amitié  de  V.  M.  pour  le  bas  aage  du  Roi,  seroient  entièrement 
désespérez  de  l'une  et  de  l'autre;  de  sorte  que  Vos  Maj estez  se  trou- 
veraient bien  tost  aussi  décriées  que  délaissées  et  abandonnées  de 
toutes  parts,  et  partant  réduittes  à  la  discrétion  et  merci  de  ceux  qui 
pour  proffiter  de  cette  occasion  auraient,  contre  tout  ordre  de  justice 
et  de  respect  de  Vos  Majestez  et  de  la  paix  de  la  chrestienté,  passé  par- 
dessus les  considérations  des  deux  alliances  traittées  sainctement  de 
votre  parole  et  prestes  à  solenniser,  en  mesprisant  vos  remonstrances, 
prières  et  intérest  et  violans  la  foi  publicque,  en  laquelle  nommément 
la  maison  de  Gonzague  est  comprise  comme  plusieurs  autres,  et  ce, 
soubs  prétexte  et  couleur  de  disposer  d'une  jeune  princesse  qui  est 
vostre  parente  comme  elle  est  du  dit  Roi,  pour  contenter  le  dit  duc  de 
Savoie,  ou  pour,  soubs  le  nom  de  ce  dit  prince,  débatre  et  prétendre  le 
Montferrat  et  sur  cela  s'en  emparer,  et  peut-estre  après  ceste  con- 
queste  passer  avec  le  mesme  mespris  de  Vos  Majestez  à  autres  plus 
importantes  ;  de  quoi  il  n'i  a  pas  apparance  de  raison  de  croire  que  si 
les  dites  alliances  non  encore  faittes  n'ont  peu  les  divertir,  qu'estans 
parfaittes  ils  en  soient  plus  respectueux  à  vostre  endroit. 

Quoi  donc  dira-t-on,  faut-il  prendre  le  hazard  de  rompre  des 
alliances  et  mariages  si  convenables,  si  honorables  et  utiles  à  vostre 
couronne  comme  à  celle  d'Espagne,  desquels  Vos  Majestez  et  la  France 
ont  desja  recueilli  tant  de  contentement  et  de  bien  pour  vostre  cou- 
ronne, pour  favoriser  et  supporter  la  maison  de  Mantoûe  ou  seu- 
lement empescher  le  dépost  de  la  dite  princesse  affectionnée  par  le  dit 
roi  d'Espagne?  Véritablement,  Madame,  ce  sault  est  si  périlleux  qu'il 
ne  peut  estre  franchi  sans  frémissement  et  horreur. 

Et  d'autant  plus  qu'il  est  encore  douteux  et  incertain,  quand  Vos 
Majestez  s'opposeront  aus  desseins  et  vouloir  du  dit  roi  d'Espagne,  que 
vous  en  veniez  à  bout,  estant  secondé  comme  il  est  du  dit  duc  de 
Savoie. 

Car  ils  sont  desja  armez  puissamment,  préparez  et  logez  et  puis- 
samment et  commodément  pour  advancer  leur  effet  devant  que  vous 
aiez  de  quoi  l'empescher.  Car  encore  que  la  France  abonde  en  capi- 
taines et  gens  de  guerre  plus  qu'elle  n'a  oncques  esté,  si  faut-il  du 
temps  et  de  l'argent  à  bon  escient  pour  les  mettre  et  entretenir  en 
besongne. 

De  manière  que  Vos  Majestez  courent  fortune,  si  présentement  elles 
se  déclarent  et  prennent  ouvertement  l'affirmative  pour  le  dit  duc  de 
Mantoûe  contre  le  dit  roi  d'Espagne,  que  la  honte  entière  en  demeure 


l'affaire  de  mantoue  en  1613.  83 

à  Voz  Majestez  et  à  la  France,  accompagnée  de  regret  pour  le  dom- 
mage que  vous  en  recevrez  ;  et  partant  que  vous  encourriez  le  reproche 
et  le  mespris  qui  suit  ceux  qui  par  impuissance  ne  peuvent  garentir 
leurs  amis  de  naufrage. 

Car  il  est  certain  que  le  roi  d'Espagne  ha  de  grands  advantages  sur 
vous  en  l'exécution  de  ce  dessein  ;  et  partant  qu'il  sera  difficile  que 
vous  l'empeschiez  s'il  est  résolu  de  le  pousser  avant  aussi  courageu- 
sement qu'il  semble  estre  en  son  pouvoir  d'en  advancer  l'exécution. 

Je  conclus  donc,  Madame,  avec  la  permission  de  V.  M.,  qu'il  faut 
faire  toutes  sortes  de  diligences  et  devoirs  envers  le  roi  d'Espagne  et 
les  autres  princes  et  potentats  ici  dénommez  pour  composer  et  accor- 
der aimablement  ceste  querelle  le  plus  promptement  que  faire  se 
pourra  et  empescher  que  le  dit  Roi  ne  s'y  engage  plus  avant,  en 
recherchant  et  moiennant  qu'il  soit  contenté  en  son  désir  par  tous 
moiens  honnestes  et  équitables  et  non  préjudiciables  insupportable- 
ment  à  vostre  réputation  ni  à  vos  alliez. 

Mais  si  vous  ne  pouvez  en  venir  à  bout,  j'estime  que  V.  M.  doit 
hazarder  toutes  choses  plustost  que  de  laisser  entamer  la  réputation 
du  Roi,  la  vostre  et  celle  de  la  France  et  opprimer  vos  alliez.  En  quoi 
je  supplie  le  roi  des  rois,  vrai  protecteur  de  la  justice  et  defîenseur  des 
affligez,  qu'il  veuille  assister  et  fortiifier  V.  M.  en  ses  conseils  et  droites 
intentions,  affin  que  le  succès  en  soit  à  sa  gloire  et  à  vostre  advantage 
et  de  la  France,  comme  jusqu'à  présent  il  lui  a  pieu  diriger  et  con- 
duire depuis  vostre.  régence  par  son  Saint  Esprit  vos  conceptions  et 
actions  roialles  pour  la  conservation  et  manutention  de  la  personne  et 
autorité  souveraine  du  Roi  et  de  la  paix  du  roiaume,  de  laquelle 
dépend  le  bonheur  de  la  République  chrestienne  et  de  l'Église  uni- 
verselle. 

Fait  à  Conflans1,  le  vme  jour  de  novembre  1613. 

1.  A  Conllans,  près  Charenton,  était  la  maison  de  campagne  de  Villeroy,  son 
lieu  préféré  de  retraite,  dont  Ronsard  avait  célébré  les  charmes.  Conllans  élail 
célèbre  par  ses  beaux  jardins  (voir  le  mémoire  consacré  au  village,  au  château 
et  aux  seigneurs  de  Conflans  par  P.  Hartmann  dans  les  Mémoires  de  lu 
Société  de  l'histoire  de  Paris,  t.  XXXV,  1908). 


BULLETIN   HISTORIQUE 


NECROLOGIE. 
Léopold    DELISLE. 


La  mort  de  M.  Delisle  est  une  grande  perte  pour  l'érudition  fran- 
çaise. Si  l'histoire  de  nos  institutions,  de  nos  gloires  médiévales 
était  plus  en  faveur  en  France,  cette  mort  serait  considérée  comme 
un  deuil  national. 

Léopold-Victor  Delisle  naquit  à  Valognes  (Manche)  le  24  octobre 
1826.  Il  était  de  souche  vigoureuse  et  saine,  solidement  charpenté, 
avec  un  tempérament  sanguin  et  les  plus  heureuses  facultés  :  il  avait 
le  don  et  le  goût  de  l'observation  précise,  un  jugement  sûr,  clair  et 
pénétrant,  peu  d'imagination,  mais  une  rare  aptitude  à  recueillir  les 
faits,  à  les  cataloguer,  à  les  classer  dans  l'ordre  le  plus  logique,  une 
mémoire  rapide,  étendue  et  tenace,  une  puissance  de  travail  que 
l'âge  devait  à  peine  amortir;  d'autre  part,  beaucoup  de  sens  pra- 
tique, un  esprit  prudent,  avisé  dans  les  affaires;  il  était  bienveillant 
avec  les  personnes,  d'une  bienveillance  qui  n'allait  pas  sans  quelque 
réserve  ni  détours,  mais  qui  savait  encourager  et  guider  les  travail- 
leurs. Ces  dons  s'unissaient  d'ailleurs  dans  un  si  bel  équilibre  qu'ils 
donnaient  l'impression  d'une  nature  d'élite,  capable  d'aborder  les 
plus  grands  sujets  ou  les  questions  les  plus  délicates  et  d'y  réussir 
sans  qu'on  sentit  l'effort. 

Dans  ses  Souvenirs  de  jeunesse* ,  L.  Delisle  a  conté  comment, 
alors  qu'il  était  encore  sur  les  bancs  du  collège,  il  fut  attiré  vers 
l'étude  des  antiquités  de  sa  province  natale  par  un  vieillard,  Charles 
Duhérissier  de  Gerville,  ancien  émigré,  qui  fut  un  des  fondateurs 
de  la  Société  des  Antiquaires  de  la  Normandie2.  Il  apprit  la  paléo- 
graphie en  copiant  le  cartulaire  de  Saint-Sauveur-le-Vicomte  que 
Gerville  lui  prêta.  Le  premier  acte  transcrit  dans  ce  cartulaire  est 
une  charte  du  roi  d'Angleterre  Henri  II,  et  l'on  sait  que  c'est  aux 

1.  Publiés  en  tête  de  ses  Recherches  sur  la  librairie  de  Charles  V  (1907). 

2.  L.  Delisle  a  publié  en  1853  une  Notice  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de 
M.  de  Gerville. 


NÉCROLOGIE.  85 

chartes  normandes  de  ce  même  roi  qu'il  consacra  son  dernier  travail. 
Le  rapprochement  de  ces  deux  faits  est  sans  doute  l'œuvre  du 
hasard;  il  montre  cependant  l'unité  que  L.  Delisle  sut  mettre  dans 
une  vie  où  tant  d'autres  soins  retinrent  son  attention. 

Il  entra  à  l'Ecole  des  chartes  à  la  fin  de  1845.  Il  a  résumé  lui- 
même,  en  peu  de  mots  qui  ne  manquent  pas  de  saveur,  l'emploi  de 
son  temps  pendant  les  trois  années  qu'il  y  resta  :  «  En  1846,  j'avais 
à  suivre  un  seul  cours,  que  M.  Guérard1  faisait  dans  les  combles  de 
la  Bibliothèque  royale  et  qu'il  dut  interrompre  à  plusieurs  reprises 
par  raison  de  santé.  En  1847,  la  réorganisation  de  l'Ecole,  transférée 
aux  Archives  du  royaume,  dans  un  local  encore  à  moitié  approprié, 
réduisit  à  trois  mois  la  durée  des  cours;  en  1848,  les  événements 
amenèrent  une  assez  longue  fermeture  de  l'Ecole.  »  Heureusement, 
il  était  de  ces  étudiants  à  qui  suffit  une  bonne  méthode  et  qui,  dès 
le  début,  savent  organiser  leur  travail  d'une  façon  vraiment  scienti- 
fique. Il  sortit  de  l'Ecole  le  15  janvier  1849,  troisième  d'une  pro- 
motion dont  les  deux  premiers  étaient  Aug.  Himly  et  Ad.  Tardif. 
Sa  thèse  :  Essai  sur  les  revenus  publics  en  Normandie  au 
XIIe  siècle,  n'a  jamais  été  publiée  en  entier2.  Une  dissertation  : 
Des  monuments  paléographiques  concernant  Vusage  de  prier 
pour  les  morts,  qui  avait  paru  un  peu  auparavant,  fut  distinguée 
par  l'Académie  des  inscriptions  qui  lui  accorda  une  médaille;  c'était. 
dit  le  rapporteur,  «  un  morceau  achevé  ;  pour  un  début  dans  la 
science,  il  serait  difficile  de  rien  produire  qui  montrât  mieux  tous 
les  caractères  de  la  maturité  »3.  L.  Delisle  justifia  cet  éloge  par 
une  suite  rapide  de  remarquables  travaux  :  Études  sur  la  con- 
dition de  la  classe  agricole  et  l'état  de  l'agriculture  en  Nor- 
mandie au  moyen  âge  (1851),  modèle  d'histoire  économique  tirée 
entièrement  des  documents  d'archives  et  qu'on  a  pu  réimprimer 
en  1903  sans  qu'il  eût  vieilli;  Cartulaire  normand  de  Phi- 
lippe-Auguste, Louis  VIII,  saint  Louis  et  Philippe  le  Hardi 
(1852);  Notice  sur  Orderic  Vital  (1855),  admirable  étude  cri- 
tique où  sont  démêlées  avec  une  rare  sagacité  les  diverses  rédactions 
de  YHistoria,  déterminées  la  composition  et  la  valeur  de  cette 

1.  Benjamin  Guérard,  l'éditeur  du  Polyptyque  d'îrminon. 

2.  Plusieurs  chapitres  ont  paru  dans  la  Bibl.  de  l'École  des  chartes,  2e  série, 
t.  V,  et  3"  série,  t.  I.  Voir  la  Bibliographie  des  travaux  de  M.  Léopold 
Delisle,  par  Paul  Lacombe,  p.  5. 

3.  Voir  celte  même  Bibliographie,  p.  2.  La  Dissertation  est  dans  la  Bibl.  de 
l'École  des  chartes,  2e  série,  t.  III,  p.  361-411.  On  peut  la  considérer  comme 
la  préface  du  recueil  intitulé  Rouleaux  des  morts,  du  IV  au  XVe  siècle  (Soc. 
de  l'hist.  de  France,  1866). 


80  BULLETIN    HISTORIQUE. 

œuvre,  aussi  précieuse  que  confuse1  ;  Catalogue  des  actes  de  Phi- 
lippe-Auguste, avec  une  substantielle  introduction  sur  les  sources, 
les  caractères  et  l'importance  historiques  de  ces  documents  (1856); 
Mémoire  sur  les  actes  d'Innocent  III  (1857) 2,  où  l'auteur  fixait 
les  règles  employées  pour  leur  rédaction  à  la  chancellerie  pontificale 
et  donnait  le  moyen  sûr  de  les  distinguer  des  actes  émanés  des  papes 
Innocent  II  et  Innocent  IV.  Ces  travaux  dans  des  genres  si  divers 
avaient  ce  trait  commun  :  ils  épuisaient  le  sujet;  sobres  en  considé- 
rations générales,  mais  abondants  en  faits  nouveaux,  riches  en 
documents  inédits,  ils  satisfaisaient  l'esprit  par  ce  qu'ils  apportaient 
d'original  et  de  définitif.  Aussi  comprend-on  que  l'Académie  des 
inscriptions  se  soit  hâtée  d'élire  L.  Delisle  parmi  ses  membres  ordi- 
naires (11  décembre  1857).  Il  venait  d'avoir  trente  et  un  ans  et 
n'était  encore  que  simple  employé  au  département  des  manuscrits 
de  la  Bibliothèque  impériale  ;  mais  sa  vie  était  désormais  fixée  :  la 
Bibliothèque  et  l'Académie  allaient  devenir  les  deux  centres  princi- 
paux de  sa  prodigieuse  activité.  Quelques  mois  auparavant,  il  avait 
épousé  (10  juin)  Laure  Burnouf,  fille  aînée  du  grand  indianiste;  en 
elle  il  trouva  non  seulement  une  compagne  tendre  et  dévouée,  mais 
une  collaboratrice  aussi  intelligente  que  discrète.  Elle  devait  être  le 
charme  et  le  soutien  de  sa  studieuse  vie. 

En  L.  Delisle,  l'Académie  trouvait  un  auxiliaire  admirable  pour 
les  grandes  publications  qu'elle  avait  héritées  des  Bénédictins.  Il  fut 
un  des  meilleurs  ouvriers  du  Recueil  des  historiens.  S'il  n'a  guère 
fait  que  surveiller  de  haut  la  réimpression  des  dix-neuf  premiers 
volumes,  il  fournit  beaucoup  de  textes  aux  tomes  XXII  (1865)  et 
XXIII  (1876);  il  prépara  et  rédigea  en  entier  l'énorme  tome  XXIV, 
qui  contient  les  enquêtes  ordonnées  par  saint  Louis  et  ses  succes- 
seurs immédiats,  c'est-à-dire  une  bonne  partie  de  l'histoire  admi- 
nistrative et  sociale  de  la  France  au  xme  siècle.  Il  a  publié  en  outre 
de  savantes  dissertations  dans  les  Mémoires  de  VInstitut3,  dans 
les  Notices  et  extraits  des  manuscrits*,  dans  YHistoire  litté- 
raire de  la  France,  dont  il  enrichit  le  tome  XXXII  de  nombreuses 

1.  Cette  notice  ligure  en  tête  de  l'Historia  ecclesiastica  qu'Aug.  Le  Prévost 
avait  été  chargé  d'éditer  pour  la  Société  de  l'Histoire  de  France.  Elle  a  été 
résumée  et  remaniée  dans  l'article  sur  Orderic  Vital  de  la  Biographie  Didot 
(1862). 

2.  Publié  dans  la  Bibl.  de  l'École  des  chartes,  4°  série,  t.  III  et  IV. 

3.  Mémoire  sur  les  ouvrages  de  Guillaume  de  Nangis,  t.  XXVII,  2e  partie 
(1873);  Mémoire  sur  les  opérations  financières  des  Templiers,  t.  XXXIII, 
2'  partie  (1889). 

4.  Notice  sur  les  mss.  de  Bernard  Gui,  t.  XXVII,  2"  partie  (1879);  Notice 
sur  la  chronique  d'un  anonyme  de  Béthune,  t.   XXXIV,  lrc  partie  (1891); 


NÉCROLOGIE.  87 

notices  sur  des  chroniqueurs  français  du  xme  et  du  xive  siècle,  sans 
compter  une  foule  de  communications  insérées  dans  les  Comptes- 
rendus  de  l'Académie  et  d'articles  critiques  qu'il  donna  au  Journal 
des  Savants.  Plusieurs  de  ces  derniers  sont  des  dissertations  origi- 
nales sur  des  questions  de  bibliographie  ou  d'histoire. 

C'est  en  novembre  1852  que  L.  Delisle  entra  à  la  grande  Biblio- 
thèque de  la  rue  de  Richelieu.  B.  Guérard,  qui  venait  d'être  nommé 
conservateur  du  département  des  manuscrits,  le  prit  avec  lui  comme 
attaché  ;  il  y  franchit  successivement  tous  les  degrés  de  la  hiérarchie; 
de  conservateur  du  département  des  manuscrits  (1871),  il  devint 
administrateur  général  en  remplacement  de  Jules  Taschereau 
(14  septembre  1874)  et  il  dirigea  la  Bibliothèque  pendant  plus  de 
trente  ans.  A  son  arrivée,  le  désordre  était  grand.  Dans  le  dépôt 
des  manuscrits,  dont  le  nombre  s'était  considérablement  augmenté 
depuis  le  catalogue  dont  la  publication  avait  commencé  en  1739,  les 
recherches  étaient  devenues  difficiles,  parfois  infructueuses,  parce 
que  beaucoup  d'articles  avaient  été  omis  ou  maladroitement  interca- 
lés. L.  Delisle  contribua  plus  que  personne  à  la  rédaction  des  cata- 
logues d'après  le  plan  tracé  par  B.  Guérard  et  N.  de  Wailly.  C'est  à  lui 
qu'on  doit  VInventaire  desmss.  latins  conservés  à  la  Bibl.  nat. 
sous  les  nos  8823-18613* ,  VInventaire  général  et  méthodique 
des  mss.  français  (2  vol.,  1876-1878),  VInventaire  alphabétique 
des  mss.  latins  et  français  ajoutés  au  fonds  des  nouvelles 
acquisitions  pendant  les  années  1815-1891  (1891).  Pour  accom- 
plir une  telle  œuvre,  un  labeur  acharné  ne  suffisait  pas,  il  fallait 
encore  «  bien  connaître  l'histoire  de  la  maison,  savoir  distinguer 
l'écriture  et  les  marques  des  premiers  possesseurs  des  manuscrits, 
surtout  l'écriture  et  les  chiffres  des  anciens  bibliothécaires...  Tout 
employé  devait  connaître  à  fond  l'histoire  de  la  Bibliothèque  »2. 
Après  avoir  appris  cette  histoire,  afin  d'y  trouver  un  guide  pour  ses 
propres  recherches,  L.  Delisle  l'écrivit  et  la  publia  sous  le  titre  :  le 
Cabinet  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  impériale  [natio- 
nale]3; il  y  ajouta  des  notes  qui  contiennent  les  éléments  d'une 
histoire  de  la  calligraphie,  de  la  miniature,  de  la  reliure  et  du  com- 
merce des  livres  à  Paris  avant  l'invention  de  l'imprimerie.  «  Entre- 
prise quelque  peu  téméraire  »,  dit-il  avec  ce  ton  plus  que  modeste 

Notice  stir  les  mss.  originaux  d'Adhémar  de  Cliabannes,  t.  XXXV,  lrc  partie 
(1806).  La  chronique  de  l'anonyme  de  Bélhune  fut  plus  tard  assez  malencon- 
treusement insérée  à  la  fin  du  t.  XXIV  du  Recueil  des  historiens. 

1.  Publié  de  1863  à  1871  dans  la  Bibl.  de  l'École  des  chartes. 

2.  Souvenirs  de  jeunesse,  p.  11. 

3.  Trois  volumes,  1868-1881,  dans  la  collection  des  «  volumes  verts  »  de  la 
ville  de  Paris. 


88  1>I  LLETIN    IIISTOUIQDE. 

dont  il  no  se  départit  jamais  en  parlant  de  lui-même;  «  aujourd'hui, 
l'ouvrage  serait  à  reprendre  en  sous-œuvre,  de  fond  en  comble, 
avec  un  choix  de  pièces  justificatives,  sur  des  hases  beaucoup  plus 
larges  ».  Il  dul  se  contenter  d'en  refaire  la  partie  qui  se  rapporte  à 
1'  «  enfance  »  de  l'établissement  ;  ce  sont  ses  Recherches  sur  la 
librairie  de  Charles  Y  parues  en  19071. 

En  ce  qui  concerne  le  département  des  imprimés,  le  désordre,  il 
y  a  un  demi-siècle,  était  encore  plus  grand  et  plus  préjudiciable  au 
public  que  dans  celui  des  manuscrits.  Pendant  longtemps,  il  u'j 
avait  pas  eu  du  tout  de  catalogues;  puis  on  commença  une  série,  de 
catalogues  méthodiques,  dont  ceux  qui  sont  consacrés  à  l'histoire  de 
France  et  aux  sciences  médicales  furent  assez  rapidement  imprimés; 
mais  il  fallut  abandonner  une  entreprise  dont  les  mécomptes  contre- 
balançaient par  trop  les  services.  A  partir  de  1875,  tous  les  livres 
entrant  à  la  Bibliothèque  reçurent  une  cote,  et  les  fiches  furent 
classées  dans  une  seule  série  alphabétique;  bientôt  la  fiche  biblio- 
graphique de  chacun  d'eux  fut  imprimée  dans  des  Bulletins  men- 
suels; on  s'acheminait  ainsi  vers  le  Catalogue  général  par  ordre 
alphabétique  qui  exigea  encore  une  longue  préparation,  tant  était 
grand  l'arriéré  des  livres  entrés  avant  1875  qui  n'avaient  pas  encore 
été  catalogués.  Le  tome  I  de  ce  Catalogue  général  parut  enfin  en 
18972  avec  une  préface  de  M.  Delisle  sur  l'origine  et  le  développe- 
ment des  collections  qui  sont  rangées  sur  les  rayons  de  la  Biblio- 
thèque, les  classements  qu'elles  ont  reçus,  les  catalogues  projetés, 
entrepris  ou  rédigés  à  diverses  époques. 

Ce  n'est  pas  tout,  car  L.  Delisle  eut  encore  une  part  personnelle 
dans  certains  accroissements  importants  qui  vinrent  enrichir  la 
Bibliothèque,  surtout  le  département  des  manuscrits.  Son  plus  beau 
succès  à  cet  égard  fut  l'achat  d'une  partie  des  manuscrits  possédés 
par  le  vieux  comte  d' Ashburnham .  Un  lot  important  de  ces  volumes 
provenait  de  nos  bibliothèques  publiques,  d'où  ils  avaient  été  sous- 
traits par  le  trop  fameux  Libri.  L.  Delisle  travailla  et  réussit  à 
prouver  le  fait  pour  chacun  d'eux  avec  une  telle  évidence  que  les 
autres  acheteurs  se  retirèrent  devant  lui,  en  reconnaissant  à  la 
France  un  droit  exclusif  de  préemption;  puis  il  engagea  de  longues 
et  délicates  négociations  pour  trouver  l'argent  nécessaire  à  cette 
acquisition.  Il  eut  enfin  la  joie  de  faire  rentrer  dans  nos  biblio- 
thèques une  partie  des  trésors  qu'on  leur  avait  dérobés3. 

1.  Deux  volumes  précédés  d'un  Hommage  à  l'Académie  des  inscriptions  et 
belles-lettres  et  des  Souvenirs  de  jeunesse. 

2.  Ce  catalogue  ne  contient  que  les  livres  publiés  avec  un  nom  d'auteur. 

3.  Voir  le  Catalogue  des  mss.  du  fonds  Libri  et  Barrois,  1888;  la  préface 
contient  lbistorique  de  la  question. 


NÉCROLOGIE.  89 

Enfin,  si  les  conditions  de  travail  à  la  Bibliothèque  se  sont  amé- 
liorées dans  des  proportions  considérables  depuis  une  vingtaine 
d'années,  le  mérite  en  revient  pour  une  bonne  part  à  sa  persévérance, 
à  son  ingéniosité  ;  il  fallut,  il  est  vrai,  l'obliger  quelquefois  à  marcher 
dans  la  voie  du  progrès  plus  vite  qu'il  n'aurait  voulu  ;  mais  il  sut  faire 
bon  visage  à  des  exigences  même  impatientes,  et  il  croyait  sans  doute 
qu'on  ne  l'enlèverait  pas  à  sa  chère  Bibliothèque  tant  qu'il  garderait 
sa  belle  santé  physique  et  intellectuelle.  Les  services  inappréciables 
qu'il  y  avait  rendus  pendant  plus  de  cinquante  ans  ne  l'empêchèrent 
pas  d'être  mis  brusquement  à  la  retraite  (21  février  1905).  Il  conserva 
de  cette  disgrâce  une  amertume  qu'il  ne  chercha  pas  à  dissimuler. 

L'Académie  et  la  Bibliothèque  n'accaparèrent  pas  toute  l'activité 
de  L.  Delisle.  Loin  de  là.  Bien  qu'il  eût  appris  peu  de  choses  à 
l'Ecole  des  chartes,  il  lui  fut  toute  sa  vie  reconnaissant  de  l'ensei- 
gnement qu'il  avait  puisé  auprès  du  plus  savant  des  maîtres.  Il  entra 
de  bonne  heure  au  Comité  de  publication  de  sa  Bibliothèque;  il  y 
fit  paraître  quelques-uns  de  ses  meilleurs  mémoires;  il  y  prodigua 
les  comptes-rendus  de  livres  sur  les  sujets  les  plus  divers  de  paléo- 
graphie, de  diplomatique,  de  bibliographie.  Ces  écrits  ont  été  pour 
les  élèves  un  enseignement  fécond  et  qui  comblait  les  lacunes  de 
certains  cours  par  trop  insuffisants.  Quand  il  fut  devenu  président 
du  Conseil  de  perfectionnement  de  l'Ecole,  il  prit  en  outre  une 
grande  part  à  sa  vie  intérieure,  à  la  réorganisation  des  études  sous 
les  fermes  directions  de  J.  Quicherat  et  de  Paul  Meyer.  Grande  fut 
aussi  son  influence  dans  les  réunions  des  Sociétés  savantes,  dans 
les  nombreux  comités  techniques  dont  il  faisait  partie,  et  dont  il 
suivait  les  délibérations  avec  une  ponctualité  exemplaire,  en  parti- 
culier dans  le  Comité  des  travaux  historiques,  pour  lequel  il  était 
toujours  prêt  à  rédiger  des  rapports,  des  instructions  d'un  caractère 
à  la  fois  scientifique  et  pratique1 .  On  ne  saurait  trop  admirer  l'impor- 
tance des  résultats  obtenus  par  les  jugements  qu'il  portait  sur  les 
livres,  par  la  méthode  qu'il  appliquait  dans  ses  propres  travaux  et  que 
tant  d'autres  se  proposaient  pour  modèle.  Car  il  ne  cessa  de  pro- 
duire ;  ses  premiers  travaux  avaient  pu  faire  espérer  qu'on  aurait  en 
lui  un  grand  historien;  n'allait-il  pas  nous  donner  une  biographie 
de  Philippe-Auguste,  une  histoire  de  la  littérature  latine  au  moyen 
âge?  Mais  il  se  défiait  de  lui-même,  ou  bien  il  hésitait  à  se  risquer 
dans  le  domaine  des  idées  générales.  Il  préférait  se  cantonner  dans 

1.  Instructions  concernant  les  communications  de  textes  (1875);  Instruc- 
tions... Littérature  latine  et  histoire  du  moyen  âge  (1890).  Ajouter  les  Ins- 
tructions pour  la  rédaction  d'un  inventaire  des  Incunables  conservés  dans 
les  bibliothèques  publiques  (1886);  Instructions  pour  la  mise  et  le  maintien 
en  ordre  des  livres  d'une  bibliothèque  (1890;  nouv.  éd.  en  1908),  etc. 


90  BULLETIN    HISTORIQUE. 

celui  des  faits,  des  documents,  publier  des  textes  et  les  mettre  en 
valeur,  éditer  par  exemple  une  lettre  adressée  à  la  reine  Blanche  par 
un  habitant  de  La  Rochelle  avec  un  savoureux  commentaire',  tenter 
la  restitution  d'un  volume  des  Olim  perdu  depuis  le  xvie  siècle2, 
préparer  des  recueils  d'actes  ou  de  chroniques  pour  la  Société  de 
l'histoire  de  Normandie3,  pour  la  collection  des  Documents  inédits4, 
ou  bien  encore  recueillir  et  faire  photographier  des  chartes,  des  des- 
sins, des  manuscrits  intéressants  pour  l'histoire  de  l'écriture,  de  la 
calligraphie,  de  l'enluminure,  de  la  littérature  médiévale5  ;  ou  mieux 
enfin  rédiger  des  catalogues  et  des  inventaires  de  livres  imprimés  ou 
manuscrits. 

L'année  1902  fut  une  année  particulièrement  mémorable  pour 
M.  Delisle.  Il  y  avait  cinquante  ans  qu'il  était  entré  à  la  Biblio- 
thèque, qu'il  était  membre  de  la  Société  de  l'histoire  de  France  et  de 
la  Société  de  l'École  des  chartes.  Ce  triple  anniversaire  fut  célébré 
avec  l'éclat  que  méritaient  tant  de  services  rendus  à  la  connaissance 
des  institutions,  des  hommes  et  des  livres  du  moyen  âge.  L'hom- 
mage qui  dut  le  plus  réjouir  son  cœur  et  flatter  son  légitime 
orgueil  fut  la  Bibliographie  de  ses  travaux  rédigée  par  M.  Paul 
Lacombe6,  qui  eut  la  délicate  pensée  d'y  ajouter  celle  des  publica- 
tions de  Mme  Léopold  Delisle,  interprétant  ainsi  les  sentiments 
de  M.  Delisle,  heureux  de  voir  associer  le  nom  de  sa  femme 
au  sien.  Leur  union  dura  quarante  -  sept  ans  dans  la  plus  heu- 
reuse et  la  plus  complète  des  intimités7  que  la  mort  vint  rompre 
le  11  mars  1905,  le  jour  même  où  ils  devaient  quitter  la  Biblio- 
thèque nationale.  Ce  double  déchirement  aurait  abattu  un  homme 
moins  robuste.  Il  résista  néanmoins  et  se  remit  au  travail.  II 
reprit  les  chartes  de  Henri  II  qu'il  avait  copiées  au  sortir  de 
l'École  et,  quand  il  eut  découvert  un  élément,  insoupçonné  jusqu'à 

1.  Bibl.  de  l'École  des  chartes,  4e  série,  t.  II  (185G). 

2.  Dans  les  Actes  du  Parlement  de  Paris,  publ.  par  Boutaric,  t.  I  (1863). 

3.  Actes  normands  de  la  Chambre  des  comptes  sous  Philippe  de  Valois 
(1871);  Chronique  de  Robert  de  Torigni,  abbé  du  Mont-Saint-Michel  (1871-73). 

4.  Mandements  et  actes  divers  de  Charles  V  recueillis  dans  les  collections 
de  la  Bibliothèque  nationale  (1874). 

5.  Monasticon  gallicanum,  collection  de  168  planches,  de  vues  topogra- 
phiques représentant  les  monastères  de  l'ordre  de  saint  Benoit  (1871),  le  tout 
reproduit  par  les  soins  de  M.  Peigné-Delacourt,  avec  une  préface  par  M.  Léo- 
pold Delisle;  Mélanges  de  paléographie  et  de  bibliographie,  avec  un  atlas 
(1880);  Le  premier  registre  de  Philippe-Auguste  (1883);  l'Apocalypse  en  fran- 
çais au  XIII"  siècle,  par  L.  Delisle  et  P.  Meyer;  reproduction  phototypique 
(1901),  etc. 

6.  Bibliographie  des  travaux  de  M.  Léopold  Delisle  (1902). 

7.  «  Six  mois  après  le  jour  béni  de  notre  union  »,  écrit  M.  Delisle  dans  ses 
Souvenirs  de  jeunesse. 


NÉCROLOGIE.  91 

lui,  qui  permettait  d'apporter  un  commencement  d'ordre  dans  la 
chronologie  trop  souvent  confuse  des  actes  émanés  de  la  chancellerie 
anglaise  sous  ce  grand  règne,  il  se  mit,  avec  une  ardeur  juvénile,  à 
en  dresser  le  catalogue.  Il  n'a  pu  en  donner  que  les  prolégomènes1, 
fort  importants  d'ailleurs  pour  l'histoire  anglo-normande  dans  la 
seconde  moitié  du  xne  siècle.  Des  signes  trop  visibles  montraient 
que  le  temps  accomplissait  sur  lui  son  œuvre  de  destruction;  les 
épaules  se  voûtaient,  la  mémoire  le  trahissait  quelquefois;  mais 
c'est  seulement  dans  les  toutes  dernières  semaines  qu'on  le  vit  et 
qu'il  se  sentit  sérieusement  atteint2.  Il  mourut  subitement  le 
22  juillet  à  Chantilly,  dans  ce  beau  domaine  dont  il  était  un  des 
conservateurs  et  où  il  avait  retrouvé  une  précieuse  bibliothèque3. 

D'autres  diront  ce  que  fut  M.  Delisle  dans  le  fond  de  sa  nature, 
dans  l'intimité  de  son  foyer;  ils  parleront  de  son  désintéressement, 
de  l'ardeur  avec  laquelle  il  servait  ses  amis,  ses  fidèles,  vieux  et 
jeunes.  S'il  eut  des  partis  pris  qui  le  rendirent  parfois  injuste, 
le  nombre  de  ceux  qu'il  aida  de  ses  conseils  est  infini.  Les  erreurs 
qu'on  a  pu  lui  reprocher  s'oublieront;  mais  son  nom  demeurera 
au  même  titre  que  celui  des  illustres  savants  du  xvne  et  du 
xvme  siècle,  non  pas  peut-être  des  plus  grands,  de  ceux  qui  ont  jeté 
les  fondements  de  la  science  historique,  car  il  a  dispersé  dans  trop 
de  directions  différentes  les  trésors  de  son  érudition  ;  mais  il  occu- 
pera une  place  éminente  parmi  les  plus  laborieux,  les  plus  intelli- 
gents, les  plus  utiles  continuateurs  de  dom  Bouquet  et  de  dom  Rivet, 

des  Baluze  et  des  Bréquigny. 

Ch.  Bémont. 

1.  Voir  Rev.  histor.,  t.  CIV,  p.  95. 

2.  La  veille  de  sa  mort,  il  écrivit  du  musée  Condé  au  secrétaire  de  l'Acadé- 
mie de  Mâcon,  président  du  comité  pour  les  fêtes  du  millénaire  de  Cluny  : 
«  ...  dans  ces  dernières  semaines,  mes  infirmités  de  vieillesse  ont  pris  un 
caractère  tel  que  je  dois  renoncer  aux  occupations  (fui  ont  fait  le  charme  de 
ma  vie...  Non  seulement  je  suis  matériellement  hors  d'état  de  voyager,  mais 
je  suis  incapable  de  rédiger  un  discours  susceptible  d'être  lu  à  cette  cérémo- 
nie. Ces  jours-ci,  je  me  suis  démis  des  fonctions  que  j'avais  cru  pouvoir  con- 
server dans  plusieurs  sociétés  ou  commissions  de  Paris  et  de  province.  Ma 
vue  s'est  bien  affaiblie,  ma  mémoire  me  trahit  à  chaque  instant;  souvent  j'ai 
grand'peine  à  rester  debout  ou  à  faire  quelques  pas...  Je  vous  supplie  de 
prendre  en  pitié  mes  quatre-vingt-cinq  années  qui  seront  accomplies  dans 
quelques  semaines.  L'heure  du  repos  a  sonné  pour  moi  et  j'aurais  dû  m'en 
apercevoir  plus  tôt...  »  {Le  Temps,  à  la  date  du  27  juillet  1910). 

Cette  lettre  est  du  21  juillet  au  soir;  le  22,  à  onze  heures  du  matin,  Léopold 
Delisle  s'éteignait  en  s'entretenant  avec  un  visiteur  de  son  édition  des  actes 
de  Henri  II. 

3.  Voir  Chantilly.  Le  Cabinet  des  livres.  Imprimés  antérieurs  au  XVl°  siècle, 
par  L.  Delisle.  In-4°,  1905. 


92  BULLETIN    HISTORIQUE. 


ANTIQUITE  ROMAINE. 

I.  Généralités.  —  Il  y  a  environ  dix  ans,  M.  Bouché-Leclercq 
a  publié  un  volume,  intitulé  Leçons  d'histoire  grecque,  dans 
lequel  étaient  réunies  plusieurs  leçons  d'ouverture  prononcées  à  la 
Sorbonne  entre  1880  et  1899.  II  a  donné  un  pendant  et  un  complé- 
ment à  ce  premier  volume  en  publiant  l'an  dernier  ses  Leçons 
d'histoire  romaine*.  On  y  retrouve  la  même  science  puisée  aux 
meilleures  sources;  la  même  compréhension,  pénétrante  et  sereine, 
de  la  vie  antique,  de  ses  conditions  et  de  ses  vicissitudes;  le  même 
souci,  très  haut  et  très  noble,  d'offrir  au  temps  présent  l'image  fidèle 
du  passé  pour  le  mettre  en  garde  contre  des  fautes  déjà  commises, 
des  catastrophes  jadis  éprouvées.  «  Sans  me  faire  illusion  sur  l'ef- 
ficacité des  enseignements  de  l'histoire,  je  crois  plus  opportun  que 
jamais  de  les  rappeler  à  une  démocratie  entraînée  par  sa  logique 
interne  à  des  expériences  déjà  faites  autrefois  à  Athènes  et  à  Rome. . .  » 
Mais,  pour  que  ces  leçons  de  l'histoire  soient  vraiment  utiles,  il  faut 
qu'elles  se  fondent  sur  des  analogies  réelles  et  non  sur  des  ressem- 
blances purement  verbales.  Ici  encore,  M.  Bouché-Leclercq  précise, 
avec  une  clarté  lumineuse,  les  conditions  nécessaires  de  l'œuvre  his- 
torique telle  qu'il  la  conçoit  et  l'exécute  :  «  Les  peuples  sont  des 
organismes  vivants  :  les  vicissitudes  de  leur  existence  sont  tou- 
jours l'effet  de  causes  multiples  qui  agissent  toutes  ensemble  et  ne 
se  laissent  pas  ramener  à  une  impulsion  unique.  L'analyse  doit 
démêler,  mais  non  pas  séparer  ces  forces  associées...  On  doit  com- 
mencer par  enregistrer  des  faits  aussi  exacts  et  aussi  nombreux  que 
possible;  puis,  au  lieu  de  les  isoler,  sous  prétexte  de  les  mieux  voir, 
il  faut  s'attacher  à  en  montrer  l'enchaînement,  la  cohérence,  l'ac- 
tion réciproque,  sans  se  préoccuper  de  satisfaire  les  esprits  impa- 
tients qui  se  hâtent  pour  leur  compte  et  pressent  les  autres  de  con- 
clure. »  Il  n'est  aucune  des  dix  études,  réunies  dans  ces  Leçons 
d'histoire  romaine,  où  ne  se  reflètent  cette  conception  et  cette 
méthode.  Qu'il  s'agisse  des  institutions  religieuses  de  Rome,  des 
rapports  de  Rome  avec  l'Orient  hellénistique,  de  la  fin  de  la  Répu- 
blique romaine,  du  principat  d'Auguste,  de  l'empire  romain  aux 
divers  siècles  de  son  existence  ou  de  l'administration  financière  du 
Bas-Empire,  M.  Bouché-Leclercq,  après  avoir  reconstitué  le  passé 

1.  A.  Bouché-Leclercq,  Leçons  d'histoire  romaine.  Paris,  Hachette,  1909, 
vm-294  p.  in-12. 


ANTIQUITÉ   ROMAINE.  93 

avec  une  scrupuleuse  conscience  et  une  exactitude  qu'il  serait  bien 
difficile  de  prendre  en  défaut,  en  tire  toujours  pour  le  présent  une 
leçon  d'autant  plus  expressive  qu'elle  est  sobre,  discrète,  dénuée  de 
toute  érudition  pédante.  Et  c'est  encore  un  des  caractères  distinc- 
tifs,  en  même  temps  qu'un  des  charmes  de  ce  volume,  que  la  science 
profonde  de  l'auteur  y  soit  comme  dissimulée.  Il  n'a  voulu  présen- 
ter à  ses  auditeurs  d'abord,  au  grand  public  ensuite,  que  la  conclu- 
sion synthétique  de  ses  vastes  recherches.  On  comprend,  à  la  lec- 
ture d'un  tel  livre,  tout  ce  que  l'art  de  la  composition  ajoute  de  vie 
interne  et  de  force  aux  analyses  minutieuses  qui  constituent  la  pre- 
mière, mais  non  la  seule  tâche  du  véritable  historien. 

II.  Biographies.  —  De  ces  analyses,  qui  conviennent  à  des  sujets 
restreints  et  dont  la  nécessité  doit  être  démontrée  h  tous  les  étudiants 
en  histoire,  M.  G.  Bloch  a  donné  un  modèle  dans  sa  biographie  de 
M.  Aemilius  Scaurus1.  Cette  biographie,  par  laquelle  s'ouvre  le 
XXVe  volume  de  la  bibliothèque  de  la  Faculté  des  lettres  de  l'Uni- 
versité de  Paris,  est  surtout  une  œuvre  de  critique.  M.  Aemilius 
Scaurus,  consul,  censeur  et  prince  du  Sénat  à  la  fin  du  11e  et  au 
début  du  ier  siècle  av.  J.-C,  fut  pendant  près  de  trente  ans  le  per- 
sonnage politique  le  plus  influent  de  Rome.  Cicéron  en  fait  un  éloge 
enthousiaste,  sans  restriction.  Tacite,  Sénèque,  Valère-Maxime, 
Juvénal  lui-même  s'associent  à  ces  louanges.  Seul  Salluste  émet 
une  autre  opinion.  Il  ne  conteste  pas  les  qualités  d'activité,  d'éner- 
gie, d'intelligence  du  personnage;  mais  il  prétend  que  sous  des  appa- 
rences austères  son  âme  était  cupide  et  vénale.  La  plupart  des  his- 
toriens modernes  ont  adopté,  avec  plus  ou  moins  de  réserves,  l'avis 
de  Salluste.  M.  G.  Bloch  pense  qu'il  est  nécessaire  de  reviser  le  pro- 
cès. Tel  est  le  but  de  son  étude.  Mais,  précisément  parce  que  le  rôle 
de  Scaurus  a  été  capital  à  son  époque,  M.  G.  Bloch  a  été  amené  à 
étudier  en  même  temps  l'histoire  intérieure  de  la  République  pendant 
près  d'un  demi-siècle.  Il  l'a  fait  avec  une  préoccupation  constante 
d'exactitude  historique  et  d'équité  morale  qui  donne  à  ses  conclu- 
sions une  indéniable  valeur.  Il  lui  a  été  certes  impossible  de  contes- 
ter que  Scaurus  ait  fait  preuve  de  cupidité  dans  ses  rapports  avec 
les  sujets  de  Rome,  ni  qu'il  ait  pris  envers  Jugurtha  une  attitude 
au  moins  inattendue,  sinon  suspecte.  Mais  il  s'est  efforcé  de  prou- 
ver d'une  part  qu'il  n'a  été  ni  meilleur  ni  plus  mauvais  que  les 
hommes  de  son  temps,  Caton  peut-être  excepté,  et  qu'en  tout  cas 
Salluste  n'était  guère  qualifié  pour  s'ériger  en  censeur;  d'autre  part, 
que  la  trahison  reprochée  à  Scaurus  à  propos  de  la  guerre  de 

1.  G.  Bloch,  M.  Aemilius  Scaurus.  Paris,  F.  Alcan,  1908  (1909),  80  p.  in-8". 


94  BULLETIN    HISTORIQUE. 

Jugurtha  n'est  pas  démontrée.  «  Scaurus  »,  écrit-il,  «  n'a  pas  été 
le,  héros  pur  et  sans  tache  dont  l'image  idéalisée  a  passé  à  l'état  de 
type  conventionnel  dans  la  littérature  impériale.  Il  n'a  pas  été  non 
plus  le  politicien  sans  conscience,  le  trafiquant  sans  scrupules  que 
nous  représente  Salluste.  » 

Le  livre  que  M.  René  Waltz  a  consacré  à  la  Vie  de  Sénèque* 
est  dédié  à  M.  G.  Bloch.  On  y  retrouve  le  souci  de  porter  sur  un 
grand  personnage  de  l'histoire  romaine  un  jugement  exempt  de 
toute  passion,  fondé  uniquement  sur  des  faits  certains.  La  tentative 
est  louable,  mais,  en  ce  qui  concerne  Sénèque,  singulièrement  ardue. 
Car,  quoi  que  prétende  M.  Waltz,  il  y  a  en  Sénèque  deux  éléments 
entre  lesquels  la  conciliation  logique  et  morale  paraît  bien  peu  vrai- 
semblable :  le  philosophe  et  l'homme  d'État.  Pour  juger  le  ministre 
complaisant  de  Néron,  M.  Waltz  a  trop  subi  l'influence  de  la  sym- 
pathie et  de  l'admiration  qu'il  éprouve  pour  le  philosophe.  Sans 
doute,  il  est  fort  mal  à  l'aise  quand  il  lui  faut  apprécier  la  part  que 
Sénèque  a  prise,  peut-être  inconsciemment,  au  meurtre  d'Agrip- 
pine.  Mais  il  s'efforce  d'excuser  l'attitude  du  philosophe;  il  ne  le 
blâme  pas  formellement  d'avoir  rédigé  le  message  fameux  dans 
lequel  Néron  tentait  de  justifier  son  forfait  devant  le  Sénat  en  rap- 
pelant tous  les  crimes  accomplis  ou  médités  par  sa  mère.  Il  se  borne 
à  juger  le  message  inhabile  et  cynique.  «  Mieux  eût  valu  »,  ajoute- 
t-il,  «  proclamer  résolument,  au  nom  de  l'intérêt  politique,  la  légi- 
timité du  meurtre.  Cette  thèse,  soutenable  si  l'on  avait  pris  soin 
de  donner  au  meurtre  les  apparences  d'un  acte  de  justice  et 
de  défense  sociales...,  eût  causé  moins  d'indignation.  »  M.  Waltz 
n'est  même  pas  éloigné  d'approuver  Sénèque,  comme  Burrhus, 
d'avoir  gardé  pendant  trois  ans  encore  la  situation  qu'ils  occupaient 
auprès  de  l'empereur.  Ce  n'est  là  qu'un  épisode.  Mais  est-il  possible 
de  souscrire  à  ce  jugement  général  porté  sur  la  valeur  politique  de 
Sénèque  :  «  Continuateur  lointain  d'Auguste,  précurseur  lointain 
des  Antonins,  liant  le  passé  à  l'avenir  par-dessus  l'abîme  des  tyran- 
nies sanglantes  et  des  révolutions  militaires,  Sénèque,  en  tant 
qu'homme  d'État,  a  donc  bien  mérité  non  seulement  des  hommes 
de  son  époque,  mais  de  la  postérité  civilisée  tout  entière...  Son 
influence  de  moraliste  se  fit  sentir  d'une  manière  aussi  efficace  sur 
l'administration  de  la  chose  publique  que  sur  la  conduite  privée  de 
quelques  amis  qui  acceptaient  sa  discipline,  et  si  jamais  la  Rome 
impériale  eut  l'illusion  de  posséder  réunis  tous  les  avantages  des 
institutions  libres,  ce  fut  sous  l'éphémère  régence  qu'il  lui  fut  donné 

1.  René  Waltz,  Vie  de  Sénèque.  Paris,  Perrin  et  Cio,  1909,  462  p.  in-8". 


ANTIQUITÉ    ROMAINE.  95 

d'exercer.  »  Cette  conclusion  paraîtra  plus  paradoxale  encore,  si  on 
la  rapproche  des  premières  pages  du  livre  où  M.  Waltz  affirme  que 
pendant  les  huit  premières  années  du  règne  de  Néron  Sénèque, 
«  toujours  présent  et  presque  toujours  invisible  »,  a  été  l'âme  de 
l'État  romain,  le  véritable  chef  de  l'empire,  «  s'évertuant  à  réparer 
les  fautes  qu'il  n'a  pu  empêcher,  même  quand  ces  fautes  sont  des 
crimes  ».  Or,  ces  huit  premières  années  du  règne  de  Néron  sont 
marquées  surtout  par  l'empoisonnement  de  Britannicus,  le  meurtre 
d'Agrippine  et  celui  de  Domitia,  tante  du  prince.  M.  Waltz  croit 
qu'il  y  eut  alors  une  application  heureuse  du  système  de  la  dyarcbie, 
système  laissant  au  Sénat  une  part  réelle  dans  l'administration  de 
l'État,  une  influence  active  sur  le  gouvernement.  Mais  on  sait  aujour- 
d'hui que  le  système  de  la  dyarchie  n'a  jamais  existé  en  fait,  qu'il 
faut  y  voir  uniquement  une  théorie  philosophique  et  politique  conçue 
de  nos  jours  par  des  historiens,  mais  non  vraiment  appliquée  dans 
l'empire  romain.  Le  pouvoir  de  l'empereur  n'a  jamais  été  limité  ni 
contrebalancé  sérieusement  par  l'initiative  du  Sénat;  d'ailleurs 
pouvait-il  l'être  sérieusement,  puisqu'en  réalité  l'empereur  était 
maître  à  la  fois  du  recrutement  des  sénateurs  et  de  l'ordre  même  de 
leurs  délibérations?  Il  n'est  d'ailleurs  pas  très  malaisé  de  comprendre 
par  quelle  méthode  M.  Waltz  en  est  arrivé  à  sa  conclusion.  Que 
l'on  se  reporte  aux  premières  lignes  de  son  livre.  «  J'ai  scruté  à  fond 
les  documents  et  j'ai  cru  qu'il  était  d'une  bonne  méthode  de  les 
interpréter  à  la  seule  lumière  du  bon  sens,  chaque  fois  que  les  éclair- 
cissements proprement  scientifiques  faisaient  défaut.  Aussi  ne  me 
suis-je  interdit,  en  présence  des  incertitudes  ou  des  lacunes  de  l'his- 
toire, ni  les  inductions  ni  les  hypothèses,  à  condition  qu'elles  fussent 
conformes  aux  lois  de  la  logique  et  de  la  psychologie,  ou,  pour 
mieux  dire,  aux  lois  mêmes  de  la  vie  et  de  la  nature  humaine.  »  Il 
ne  faut  chercher  en  histoire  ni  la  logique  ni  l'unité  psychologique  ni 
même  le  bon  sens  :  il  faut  voir  les  faits,  seulement  les  faits,  et  en 
tirer,  après  un  examen  critique  purement  objectif,  les  conclusions 
qu'ils  comportent,  quelles  qu'elles  soient. 

III.  Institutions,  droit,  religion.  —  M.  Pallu  de  Lessert 
s'est  proposé  de  déterminer  quelle  avait  été  l'œuvre  géographique 
d' Agrippa  et  d'Auguste1.  On  sait  que,  dans  son  Histoire  natu- 
relle, Pline  l'Ancien  nomme  souvent  Agrippa  et  parfois  Auguste 
parmi  les  sources  auxquelles  il  a  puisé  de  nombreux  renseignements 

1.  C.  Pallu  de  Lessert,  l'Œuvre  géographique  d' Agrippa  et  d'Auguste 
(extrait  des  Mémoires  de  la  Société  nationale  des  Antiquaires  de  France, 
t.  LXVIII).  Paris,  1909,  84  p.  in-8°. 


96  BULLETIN    HISTORIQUE. 

géographiques  cl  statistiques.  D'autre  part,  l'on  a  attribué  au  pre- 
mier empereur  et  à  son  gendre  l'origine  des  données  de  même  ordre 
contenues  dans  plusieurs  ouvrages  de  basse  époque,  la  Dimensura- 
tio  ou  Demonstratio  provinciarium  Hieronymi  presbyteris, 
l'écrit  du  moine  irlandais  Dicuil,  la  Divisio  orbis  terrarum,  don- 
nées dont  quelques-unes  offrent  une  ressemblance  frappante  avec 
divers  passages  de  Pline.  Les  documents  à  l'aide  desquels  on  peut 
examiner  et  résoudre  la  question  posée  par  M.  Pallu  de  Lessert  ne 
sont  pas  très  nombreux  ni  d'une  précision  toujours  satisfaisante. 
Mais  surtout  l'étude  du  problème  a  été  compliquée  par  les  hypo- 
Lbèses  fragiles,  sinon  fantaisistes,  qu'ont  édifiées  des  savants  alle- 
mands, Mommsen,  Petersen.  Schweder,  d'autres  encore.  Sans  doute 
dans  ces  dissertations  tout  n'est  pas  inutile  :  des  remarques  de 
détail,  des  observations  intéressantes  y  peuvent  être  glanées;  mais 
le  plus  clair  résultat  de  ces  travaux  a  été  d'embrouiller  encore  cette 
question  par  elle-même  assez  compliquée.  M.  Pallu  de  Lessert  com- 
mence par  dégager  la  discussion  de  tous  «  les  éléments  parasitaires  » , 
puis  il  présente  des  conclusions  fondées  uniquement  sur  l'examen 
des  documents  antiques.  Ces  conclusions  sont  les  suivantes  : 
«  A  Agrippa,  l'on  doit  uniquement  la  carte  du  Portique  de  Polla  ; 
aucune  preuve  sérieuse  ne  justifie  jusqu'ici  l'existence  de  ses  pré- 
tendus Commentaires.  Auguste  ne  fit  qu'achever  l'exécution  de  cette 
carte  préparée  par  son  gendre  et  commencée  par  la  sœur  de  celui-ci. 
Pline,  enfin,  a  dû  trouver  les  documents  statistiques  qu'il  utilise, 
d'abord  dans  un  recueil  officiel  des  Forrnulae  [provinciarum] 
dont  la  rédaction  se  place  approximativement  entre  l'an  27  et  l'an  20 
av.  J.-C,  et  pour  le  surplus  dans  divers  actes  administratifs  édictés 
depuis  cette  époque,  tant  en  vue  de  la  réorganisation  de  l'Italie  que 
de  l'organisation  des  nouvelles  provinces.  » 

M.  F.  Desserteaux  a  entrepris  une  série  d'Études  sur  la  For- 
mation historique  de  la  Capitis  deminutio.  La  première,  qui 
porte  sur  V Ancienneté  respective  des  cas  et  des  sources  de  la 
Capitis  deminutio*,  ne  se  rattache  pas  moins  à  l'histoire  propre- 
ment dite  qu'à  la  science  du  droit.  La  méthode  de  Fauteur  est  en 
effet  essentiellement  historique.  Après  avoir  rappelé  les  nombreux 
travaux  consacrés  à  cette  institution,  M.  Desserteaux  ajoute  : 
«  Une  théorie,  qui,  comme  celle  de  la  Capitis  deminutio,  remonte 
aux  origines  et  est  encore  vivante  du  temps  de  Justinien,  constitue 
nécessairement  un  ensemble  complexe  formé  d'apports  successifs  sur- 

1.  F.  Desserteaux,  Études  sur  la  formation  historique  de  la  Capitis  demi- 
nutio. Tome  I  :  Ancienneté  respective  des  cas  et  des  sources  de  la  Capitis 
deminutio.  Paris  et  Dijon,  1909,  387  p.  in-8\ 


ANTIQUITÉ   ROMAINE.  97 

venus  à  des  époques  diverses  et  soumis  à  des  transformations  qui 
peuvent  être  en  désaccord  avec  la  notion  de  l'institution  primitive  et 
obéir  à  d'autres  idées  directrices...  Je  vais  commencer  par  prendre 
l'institution  par  le  côté  le  plus  facile  à  préciser,  ses  cas  d'application  ; 
je  les  fixerai  à  l'aide  des  textes  et  abstraction  faite  de  toute  construc- 
tion juridique  a  priori...;  comme  il  est  incontestable  que  ces  cas  n'ont 
pas  existé  de  tout  temps,  j'essaierai  de  remonter  pour  chacun  d'eux 
à  son  époque  d'apparition  et,  procédant  par  élimination  des  plus 
récents,  d'arriver  aux  cas  originaires  qui,  si  on  pouvait  les  entre- 
voir, donneraient  le  point  de  départ  et  la  notion  de  l'institution  pri- 
mitive... »  En  un  mot,  M.  Desserteaux  veut  d'abord  préciser  les 
faits  concrets,  en  quoi  ont  consisté  les  divers  cas  de  Capitis  demi- 
nutio;  il  tient  le  plus  grand  compte  de  l'évolution  qui  s'est  pro- 
duite à  Rome  comme  partout  dans  les  institutions;  pour  lui,  les 
textes  des  grands  jurisconsultes  sont  non  le  point  de  départ,  mais 
au  contraire  le  terme  auquel  ont  abouti  ces  institutions.  Par  l'ap- 
plication de  cette  méthode,  M.  Desserteaux  a  pu  apporter  beaucoup 
de  clarté  dans  une  question  jusque-là  complexe  et  fort  obscure.  Il 
a  démontré,  par  une  analyse  minutieuse  et  critique  des  cas  connus 
de  Capitis  deminutio,  que  l'origine  de  cette  institution  est  l'entrée 
du  civis  en  servitude  ou  sa  mise  in  mancipio,  c'est-à-dire  la  perte 
de  la  civitas  libertasque,  de  la  qualité  de  citoyen  romain  et  de  la 
liberté,  considérées  pendant  longtemps  comme  inséparables.  Il  en 
fut  ainsi  à  peu  près  jusqu'à  l'empire.  Avec  l'empire,  avec  l'extension 
et  l'organisation  de  plus  en  plus  complexe  du  monde  romain,  la  qua- 
lité de  citoyen  romain  et  la  liberté  ne  furent  plus  considérées  à  Rome 
comme  inséparables;  on  admit  qu'il  pût  y  avoir  dans  l'Etat  romain 
des  êtres  libres  qui  ne  fussent  pas  cives  romani;  la  personnalité 
juridique  se  subdivisa  en  trois  éléments  essentiels,  libertas,  civi- 
tas, familia,  et  la  Capitis  deminutio  évolua  conformément  à  ces 
nouvelles  conceptions.  L'évolution  générale  de  la  Capitis  deminu- 
tio sera  exposée  par  M.  Desserteaux  dans  un  autre  travail. 

Pour  être  une  brève  et  sobre  étude  de  trente-trois  pages  seule- 
ment, le  mémoire  de  M.  Franz  Cumont  sur  la  Théologie  solaire 
du  paganisme  romain  n'en  est  pas  moins  d'une  réelle  importance 
et  d'un  vif  intérêt  ' .  Le  culte  du  soleil  fut  la  dernière  forme  du  paga- 
nisme romain  ;  Aurélien  et  Julien  l'Apostat  furent  des  adorateurs 
fervents  de  Sol  Invictus  ou  d'Hélios.  M.  F.  Cumont  s'efforce 


1.  F.  Cumont,  la    Théologie  solaire   du  paganisme  romain  (extrait   des 
Mémoires  présentés  par  divers  savants  à  l'Académie   des  inscriptions   et 
belles-lettres,  t.  XII,  2e  partie).  Paris,  Klincksieck,  1909,  33  p.  in-4°. 
REV.   HlSTOR.  CV.   1er  FA.SC.  7 


98  BULLETIN    HISTORIQUE. 

d'expliquer  «  quelles  raisons  firent  accorder  au  Soleil  cette  souve- 
raineté et  sur  quel  fondement  théologique  reposa  l'idée  de  son  hégé- 
monie ».  Il  n'en  était  pas  ainsi  à  l'origine.  En  Grèce,  à  l'époque 
classique,  Héllos  ne  tenait  dans  le  panthéon  qu'un  rang  secondaire  ; 
le  Sol  Incliges  du  Latium  n'avait  de  même  qu'un  pouvoir  restreint 
et  une  situation  modeste.  Dans  l'antique  religion  babylonienne,  le 
dieu  lunaire  Sin  était  plus  important  et  plus  puissant  que  le  dieu  du 
soleil  Shamash.  C'est  aux  progrès  mêmes  de  l'astronomie  scienti- 
fique et  à  l'influence  de  ces  progrès  sur  l'astrologie  que  M.  Cumont 
attribue  la  prédominance  finale  du  culte  solaire.  De  plus  en  plus, 
les  astronomes  antiques  comprirent  le  rôle  considérable  que  le  soleil 
joue  dans  la  vie  de  l'univers  ;  c'est  lui  qui,  avec  la  lumière  et  la  cha- 
leur, distribue  partout  la  fécondité  et  la  joie;  il  est  «  l'ordonnateur 
de  l'harmonie  cosmique,  le  maître  des  quatre  éléments  et  des  quatre 
saisons  »  ;  c'est  lui  .qui  lance  les  astres  dans  l'espace  et  qui  les 
ramène  vers  lui  avec  une  sûreté  infaillible;  il  est  une  lumière  intel- 
ligente, cpôç  vcepév;  il  est  la  raison  directrice  du  monde.  «  De  ces 
spéculations  astronomiques,  les  Chaldéens  avaient  déduit  toute  une 
dogmatique  religieuse.  Le  soleil,  placé  au  milieu  des  planètes  super- 
posées, règle  leurs  mouvements  harmonieux  ;  sa  chaleur  les  pous- 
sant en  avant,  puis  les  ramenant  en  arrière,  il  modifie  constamment 
suivant  ses  divers  aspects  la  direction  de  leur  cours  et  leur  action 
sur  la  terre.  Cœur  ardent  du  monde,  il  vivifie  tout  ce  grand  orga- 
nisme et,  commandant  aux  étoiles,  il  règne  sur  l'univers.  Le  rayon- 
nement de  sa  splendeur  illumine  l'immensité  divine  des  deux,  mais 
en  même  temps  clarté  intelligible,  il  est  l'origine  de  toute  raison  et 
projette  sans  cesse  ici-bas,  semeur  infatigable,  la  multitude  des 
âmes...  Dans  sa  course  rapide,  rapprochant  tour  à  tour  et  écartant 
de  lui  les  autres  corps  célestes,  associant  et  dissociant  les  éléments, 
ramenant  l'alternance  des  saisons  et  des  jours  et  provoquant  à  la 
fois  la  naissance  et  la  mort,  ce  foyer  incandescent,  source  éternelle 
de  toute  énergie,  réunit  en  lui  des  forces  contraires  qui,  balancées 
suivant  les  lois  du  rythme  cosmique,  produisent  la  série  indéfinie 
des  phénomènes  matériels  et  moraux.  »  C'est  vraisemblablement  au 
stoïcien  Posidonius  d'Apamée  qu'il  faut  attribuer  la  première  sys- 
tématisation de  cette  théologie  solaire.  Il  ne  semble  pas,  quoi  qu'af- 
firme en  terminant  M.  Cumont,  que  cette  théologie  ait  vraiment 
passé  dans  la  religion  populaire. 

IV.  Les  provinces.  —  A.  La  Gaule.  —  Dans  le  troisième 
volume  de  sa  magistrale  Histoire  de  la  Gaule*,  M.  C.  Jullian 

1.  C.  Jullian,  Histoire   de   la   Gaule;  t.  III  :   la  Conquête  romaine  et  les 
premières  invasions  germaniques.  Paris,  Hachette  et  Cie,  1909,  G07  p.  in-8°. 


ANTIQUITÉ    ROMAINE.  99 

aborde  le  récit  des  événements  qui  ont  amené  Rome  au  delà  des 
Alpes.  Il  raconte  la  première  intervention  romaine  en  faveur  de 
Marseille  et  la  création  de  la  province  de  Gaule  narbonnaise  ;  il  montre 
comment,  à  la  même  époque,  la  civilisation  gauloise  et  la  prospérité 
de  Marseille  sont  entrées  en  décadence.  De  125  à  49  av.  J.-C,  les 
vicissitudes  par  lesquelles  toute  la  Gaule  a  passé;  les  invasions  ger- 
maniques qu'elle  a  subies  et  celles  qui  l'ont  menacée  ;  les  discordes 
intérieures  qui  l'ont  déchirée  et  livrée  plus  facilement  aux  convoi- 
tises de  Rome;  les  répercussions  que  l'histoire  de  la  République 
romaine  a  eues  sur  ses  propres  destinées;  enfin  la  lutte  suprême, 
d'abord  éparse  et  successive,  puis  concentrée  et  devenue  vraiment 
nationale,  entre  César  et  les  chefs  gaulois  :  tous  ces  événements  sont 
évoqués  et  retracés  par  M.  C.  Jullian  avec  une  sûreté  et  une  ampleur 
qui  attestent  chez  l'historien  de  la  Gaule  une  égale  maîtrise  dans 
les  minutieux  travaux  de  l'analyse  et  dans  les  reconstitutions  à  l'a 
fois  scientifiques  et  esthétiques  de  la  synthèse.  La  narration  se  déve- 
loppe, sous  les  yeux  du  lecteur,  comme  une  vaste  fresque,  admira- 
blement composée,  dont  les  plans  divers  et  les  multiples  person- 
nages se  superposent  ou  se  succèdent  sans  se  confondre  jamais. 
M.  C.  Jullian  prouve  par  son  exemple  que  les  qualités  littéraires 
ajoutent  non  seulement  un  grand  charme,  mais  une  force  véritable, 
et  d'ailleurs  légitime,  aux  démonstrations  scientifiques. 

La  majeure  partie  du  tome  III  de  l'Histoire  de  la  Gaule  est  con- 
sacrée à  la  conquête  du  pays  par  Jules  César.  C'est  dans  l'ensemble 
un  modèle  d'exposé  historique.  Mais  M.  C.  Jullian  nous  semble 
trop  sévère  pour  César.  Le  portrait  qu'il  en  trace  (p.  167-173)  est-il 
bien  équitable?  Il  nous  paraît  difficile  d'admettre  que  l'âme  de  César 
n'ait  même  pas  valu  celle  de  Pompée,  dont  au  fond  les  ambitions 
n'ont  été  ni  moins  égoïstes  ni  moins  coupables;  elles  ont  été  simple- 
ment moins  franches  et  se  sont  abritées  hypocritement  derrière  les 
formes  surannées  d'une  constitution  depuis  longtemps  abolie  en  fait. 
Nous  ne  pouvons  non  plus  souscrire  à  cette  sentence  finale  :  «  Si 
les  circonstances  l'avaient  laissé  à  Rome,  il  eût  ressemblé  plus  à 
Catilina  qu'aux  Gracques.  Placé  par  son  proconsulat  en  face  d'enne- 
mis à  combattre,  il  devint  le  plus  meurtrier  des  conquérants  qu'ait 
produits  le  peuple  romain.  »  M.  C.  Jullian  n'accorde  sans  doute  pas 
grande  importance  à  la  double  décision  de  reconstruire  Carthage  et 
Corinthe.  Il  nous  semble,  au  contraire,  que  c'est  là  peut-être  l'acte 
capital  de  la  politique  de  César,  celui  par  lequel  son  génie  a  le  mieux 
indiqué  les  voies  nouvelles  à  suivre  désormais.  Qu'il  ait  envoyé  à  la 
mort  un  grand  nombre,  un  trop  grand  nombre  d'individus,  nous  le 
concédons  (quoique  à  cet  égard  les  noms  de  Scipion  Emilien,  de 


100  BULLETIN    HISTORIQUE. 

Marius,  de  Sylla,  nous  paraissent  beaucoup  plus  tachés  de  sang 
humain  que  celui  de  César)  ;  mais  il  n'a  point  traité  la  Gaule  ni 
l'Egypte  comme  le  second  Africain  a  traité  Numance  et  Carthage, 
comme  Mummius  a  traité  Corinthe.  Il  a  été  le  premier  et  le  puis- 
sant inspirateur  de  cette  colonisation  romaine  qui  a,  pendant  plu- 
sieurs siècles,  donné  une  incomparable  prospérité  à  l'Afrique  du 
Nord  et  à  la  plus  grande  partie  de  l'Europe  occidentale.  M.  C.  Jul- 
lian  nous  excusera  d'avoir  indiqué  aussi  nettement  l'unique  objec- 
tion que  nous  croyons  devoir  formuler  après  avoir  lu  son  troisième 
volume;  cette  divergence  d'opinion  ne  nous  empêche  pas  d'admirer 
la  science  solide,  la  dialectique  vigoureuse  et  le  beau  talent  d'écri- 
vain qu'il  consacre  à  cette  histoire  de  nos  origines. 

L'ouvrage  de  M.  de  La  Ville  de  Mirmont  sur  YAstrologie 
chez  les  Gallo-Romains*  et  le  volume  de  M.  Paul  Allard  sur 
SaÎ7it  Sidoine  Apollinaire2  nous  transportent  à  la  fin  de  la 
période  gallo-romaine.  M.  de  La  Ville  de  Mirmont  établit,  avec  de 
nombreuses  preuves  à  l'appui,  que  l'astrologie  n'a  jamais  fait  partie 
des  disciplines  du  druidisme  et  que  les  pratiques  astrologiques,  deve- 
nues chères  aux  Gallo-Romains,  sont  d'origine  grecque.  Ces  pra- 
tiques ont  été  introduites  en  Gaule  quand  la  Gaule  a  subi  l'influence 
de  Rome.  Elles  y  sont  venues  de  l'Orient.  M.  de  La  Ville  de  Mir- 
mont passe  ensuite  en  revue  tous  les  écrivains  gallo-romains,  païens 
ou  chrétiens,  du  ive,  du  ve  et  du  commencement  du  vie  siècle, 
Ausone,  l'auteur  du  Querolus,  Paulin  de  Noie,  Sidoine  Apollinaire, 
Ennodius,  Avitus,  saint  Césaire  d'Arles;  il  relève  toutes  les  allu- 
sions que  leurs  œuvres  contiennent  à  l'astrologie  et  à  I'astrolàtrie, 
toutes  les  attaques  dirigées  par  eux  contre  ces  superstitions  et  les 
pratiques  qui  en  dérivent.  De  cet  examen,  fait  avec  une  connais- 
sance étendue  et  précise  de  la  littérature  gallo-romaine,  deux  con- 
clusions ressortent  :  d'une  part  l'astrologie  a  été  en  grande  faveur 
chez  les  Gallo-Romains  ;  les  lettrés  s'en  occupaient,  les  petites  gens 
n'hésitaient  pas  à  y  recourir;  les  ignorants  et  les  naïfs  se  lais- 
saient facilement  duper  par  les  astrologues.  D'autre  part,  il  est 
visible  que  beaucoup  d'évêques  et  d'auteurs  chrétiens  se  sont  abste- 
nus de  combattre  les  superstitions  astrologiques;  saint  Martin  de 
Tours,  dont  la  propagande  contre  le  paganisme  a  été  si  active,  si 
violente  même,  paraît  ne  s'être  jamais  élevé  contre  la  croyance  aux 

1.  H.  de  La  Ville  de  Mirmont,  l'Astrologie  chez  les  Gallo-Romains  (fasci- 
cule VII  de  la  Bibliothèque  des  Universités  du  Midi).  Bordeaux  et  Paris,  1904 
(paru  seulement  en  1909),  182  p.  in-8°. 

2.  P.  Allard,  Saint  Sidoine  Apollinaire  (431-489).  Paris,  V.  Lecoffre,  1910, 
xn-211  p.  in-12. 


ANTIQUITÉ   ROMAINE.  101 

influences  sidérales  :  «  La  plupart  des  auteurs  ecclésiastiques,  con- 
clut M.  de  La  Ville  de  Mirmont,  ont  l'air  de  craindre  de  se  hasar- 
der sur  un  terrain  brûlant  où  le  feu  se  cache  mal  à  l'abri  d'une 
couche  de  cendres  perfides...  Tous  ces  écrivains  espèrent  sans  doute, 
en  ne  disant  rien  de  la  superstition  chère  à  leurs  compatriotes,  arri- 
ver à  en  détourner  l'attention...  Peut-être  veulent-ils  ne  pas  consi- 
dérer la  superstition  qui  désole  l'église  catholique  des  Gaules  et 
essayer  de  l'étouffer  par  une  sorte  de  conspiration  du  silence.  » 

La  biographie  de  Sidoine  Apollinaire  par  M.  Paul  Allard  fait 
partie  de  la  Collection  des  Saints,  que  la  librairie  Victor  Lecoffre 
publie  sous  la  direction  de  M.  Henri  Joly.  M.  P.  Allard  ne  s'est 
pourtant  pas  cru  obligé  de  passer  sous  silence  ou  de  reléguer  au 
second  plan  ce  qui,  dans  la  vie  de  Sidoine  Apollinaire,  précède  son 
épiscopat.  Sans  doute,  c'est  la  vie  de  l'évêque  et  les  vertus  du  saint 
qu'il  a  «  eu  le  plus  de  plaisir  à  mettre  en  lumière.  Mais,  pour  com- 
prendre tout  à  fait  cette  vie,  il  faut  encore  la  placer  dans  son  milieu 
et  autant  que  possible  reconstituer  ce  milieu  de  révolutions  et  d'in- 
vasions qui  lui  servit  de  cadre  ».  De  plus,  Sidoine  Apollinaire  fut, 
en  même  temps  qu'un  fervent  chrétien  et  un  évêque,  un  des  der- 
niers et  des  plus  ardents  patriotes  de  la  Gaule  ;  «  il  y  eut  du  patrio- 
tisme jusque  dans  son  amour  obstiné  des  lettres  ;  il  défendit  contre 
les  Barbares  la  langue  latine  avec  autant  d'énergie  que  sa  province 
d'adoption  et  sa  ville  épiscopale  ».  M.  P.  Allard  montre  que  la  vie 
de  Sidoine  Apollinaire  se  divise  en  deux  périodes  séparées  par  un 
intervalle  de  trois  années  :  la  période  mondaine  pendant  laquelle  il 
joua  un  rôle  politique  brillant  et  devint  préfet  de  Rome,  et  la  période 
ecclésiastique  caractérisée  par  l'épiscopat  de  Clermont-Ferrand  ; 
entre  ces  deux  périodes,  et  servant  de  transition  de  l'une  à  l'autre, 
s'intercale  une  retraite  de  trois  années.  Par  un  souci  d'impartialité 
tout  à  fait  méritoire,  M.  P.  Allard  a  consacré  autant  de  chapitres  et 
presque  le  même  nombre  de  pages  aux  deux  parties  de  la  vie  de 
Sidoine  Apollinaire.  Le  tableau  qu'il  trace  de  la  haute  société  gallo- 
romaine  et  romaine,  dans  laquelle  son  héros  a  d'abord  vécu  et  tenu 
un  rang  considérable,  n'est  pas  moins  complet  ni  moins  brillant  que 
la  description  du  petit  monde  arverne  auquel  il  a  consacré  ses  der- 
nières années. 

B.  Les  provinces  africaines.  —  En  Afrique,  ce  n'est  plus  seu- 
lement du  sol  même,  c'est  aussi  du  fond  de  la  mer  que  surgissent 
les  antiquités.  En  1907,  des  Grecs  pécheurs  d'épongés  découvrirent 
à  cinq  kilomètres  au  nord-est  de  Mahedia,  en  mer,  plusieurs  statues 
de  bronze;  informé  de  cette  curieuse  découverte,  M.  Merlin,  le 
savant  directeur  du  Service  des  antiquités  de  la  régence  de  Tunis, 


[02  BDLLETIJ\    HISTORIQUE. 

en  comprit  aussitôt  l'intérêt.  Après  avoir  assuré  au  musée  du  Bardo 
la  possession  des  bronzes  ainsi  retrouvés,  il  a  entrepris  des  recherches 
méthodiques  à  l'endroit  même  qu'un  heureux  hasard  lui  désignait 
comme  un  gisement  probable  d'œuvres  d'art  naufragées.  Ces  espé- 
rances n'ont  pas  été  trompées.  De  nouveaux  bronzes,  des  marbres, 
même  des  inscriptions  grecques  ont  été  retirées  de  la  vase  marine. 
Il  est  à  souhaiter  qu'un  travail  d'ensemble  soit  consacré  à  ces 
recherches  originales  quand  elles  seront  terminées.  Mais  M.  Merlin 
et  son  collaborateur  M.  Poinssot  n'ont  pas  voulu  attendre  jusque-là 
pour  présenter  au  public,  dans  une  étude  documentée  et  scientifique, 
les  plus  belles  pièces  de  ce  trésor  sous-marin,  en  particulier  un 
Éros,  œuvre  de  Praxitèle,  un  hermès  de  Dionysos,  signé  de  Boethos 
le  Chalcédonien,  deux  corniches  avec  les  bustes  de  Dionysos  et 
d'Ariane,  deux  statuettes  d'Hermaphrodite  et  d'Éros  lampado- 
phores1.  Le  commentaire  de  MM.  Merlin  et  Poinssot  est  d'une 
sobriété  élégante  qui  n'exclut  ni  l'érudition  ni  le  sens  esthétique.  On 
le  lira  avec  agrément  et  profit. 

.1.  Tout ain. 


HISTOIRE  BYZANTINE. 

PUBLICATIONS    DES    ANNEES    1907-1910. 

I.  Publications  d'ensemble.  —  M.  Paul  Marc,  un  des  nou- 
veaux directeurs  de  la  Byzantinische  Zeitschrift,  a  entrepris  de 
continuer  les  travaux  préparatoires  à  la  publication  du  Corpus  des 
diplômes  byzantins  que  la  mort  du  regretté  Krumbacher  a  laissés 
inachevés.  Dans  un  rapport  présenté  à  l'assemblée  de  l'Association 
internationale  des  Académies2,  il  a  donné  des  renseignements  sur  le 
travail  accompli  jusqu'ici  et  fourni  des  spécimens  d'éditions  de 
diplômes  ou  de  regestes.  Six  cents  diplômes  impériaux  ont  été 
réunis,  mais  c'est  à  peine  si  l'on  possède  deux  cents  originaux,  dont 
la  plus  grande  partie  appartient  aux  derniers  siècles  de  l'Empire. 
En  outre,  il  semble  qu'il  y  aurait  intérêt  à  comprendre  dans  le 

1.  A.  Merlin  et  L.  Poinssot,  Bronzes  trouvés  en  mer  près  de  Mahdia  (  Tuni- 
sie) (extrait  des  Monuments  et  mémoires  publiés  par  l'Académie  des  inscrip- 
tions et  belles-lettres  (fondation  Eugène  Piot),  t.  XVII,  1"  fasc).  Paris, 
E.  Leroux,  1909,  31  p.  in-4%  3  pi.  hors  texte  et  5  fig.  dans  le  texte. 

2.  Paul  Marc,  Corpus  der  griechischen  Urkunden  des  Mittelallers  und  der 
neueren  Zeit.  Bericht  und  Druckproben.  Munich,  1910,  32  p.  in-8°. 


HISTOIRE    BYZANTINE.  103 

Corpus  les  novelles  ou  constitutions  antérieures  à  l'an  1000  qui 
tiennent  le  milieu  entre  les  diplômes  et  les  lois.  Suivant  le  modèle 
emprunté  aux  publications  de  diplômes  occidentaux,  chaque  diplôme 
sera  précédé  d'une  date  et  d'une  courte  notice,  indiquant,  autant 
que  possible,  le  lieu  de  dépôt  et  les  caractères  extrinsèques.  Pour  les 
regestes,  on  prendra  modèle  sur  la  publication  d'Engelbert  Miihl- 
bacher  :  Die  Regesten  des  Kaiserreichs  unter  den  Karolin- 
gern. 

II.  Histoires  particulières.  Ancien  empire  (ve-vme  siècles). 
—  Les  marches  orientales  de  l'empire  byzantin,  sans  la  connaissance 
desquelles  l'histoire  des  rapports  avec  l'empire  perse  et  les  Arabes 
demeure  impossible,  viennent  d'être  l'objet  d'études  topographiques 
et  archéologiques  de  premier  ordre.  M.  Al.  Musil,  l'explorateur  de 
Kosseïr  Amra,  a  publié  un  travail  d'ensemble  sur  les  pays  de  Moab 
et  d'Edom  '  ;  on  y  trouvera  des  renseignements  sur  les  ruines  d'églises 
et  de  forteresses  du  commencement  du  moyen  âge,  ainsi  que  sur  les 
tribus  arabes  placées  sous  le  protectorat  de  l'empire.  Bien  que  l'ou- 
vrage de  M.  Chapot  sur  la  frontière  de  l'Euphrate2ait  été  ici  même 
l'objet  d'un  compte-rendu3,  il  est  impossible  de  ne  pas  signaler  l'in- 
térêt de  premier  ordre  qu'il  présente  pour  l'histoire  byzantine.  Il 
deviendra  le  manuel  nécessaire  de  tous  ceux  qui  voudront  étudier 
l'histoire  des  guerres  contre  les  Perses  et  celle  de  la  conquête  arabe. 
Les  byzantinistes  apprécieront  en  particulier  l'étude  sur  l'organisa- 
tion de  l'armée  au  vie  siècle  et  surtout  la  description  topographique 
et  archéologique  de  la  frontière,  où  les  moindres  forteresses  ont  été 
relevées  et  situées. 

M.  Leuthold  a  examiné  au  point  de  vue  critique  les  témoignages 
relatifs  aux  négociations  et  aux  événements  qui  ont  précédé  l'expé- 
dition de  Bélisaire  contre  les  Ostrogoths4,  de  535  à  537.  Procope  est 
notre  source  principale  ;  l'auteur  a  analysé  son  récit  et  déterminé  sa 
méthode  chronologique.  Procope  compte  les  années  de  Justinien  non 
depuis  son  avènement  réel  (1er  août  527),  mais  depuis  son  associa- 
tion au  trône  par  Justin  (1er  avril  527). 

Le  pape  Grégoire  le  Grand  s'est  trouvé  en  trois  circonstances  en 
conflit  avec  l'empereur  Maurice  ou  ses  agents,  d'abord  à  propos  de 
la  paix  avec  les  Lombards,  puis  à  cause  de  la  novelle  défendant  aux 

1.  Alois  Musil,  Arabia  Petraca,  4  vol.  in-8°.  Vienne,  Hôlder,  1907-1908. 

2.  Chapot,  la  Frontière  de  l'Euphrate,  de  Pompée  à  la  conquête  arabe. 
Paris,  Fontemoing,  1907,  xv-408  p.  in-8°. 

3.  Rev.  hist.,  t.  Cil,  p.  360. 

4.  H.  Leuthold.  Cntersuchungen  zur  ostgolfiischen  Geschichle  derJahre  535- 
537.  Iéna,  1908,  55  p.  in-8°  (Inaug.  Dissert,  der  phil.  Fakultat  der  Univ.  Jena). 


104  BDLLETIH    IIISTOKIQUE. 

soldats  cl  aux  curiales  de  devenir  clercs  ou  moines,  enfin  sur  la 
question  du  titre  d'  «  œcuménique  »  pris  par  le  patriarche  de  Cons- 
tantinople,  Jean  le  Jeûneur,  au  synode  de  587.  Tels  sont  les  trois 
épisodes  de  l'histoire  des  rapports  entre  les  papes  et  Constantinople 
qu'a  examinés  M.  Patrono1;  son  étude  est  un  morceau  détaché 
d'un  livre  qu'il  prépare  sur  l'histoire  de  Maurice  et  qui  comblera 
une  lacune  importante  de  l'érudition  byzantine.  Comme  le  fait 
remarquer  très  justement  l'auteur,  la  période  qui  s'étend  entre  la 
mort  de  Justinien  et  l'avènement  d'Héraclius  a  été,  par  un  préjugé 
fort  répandu,  considérée  comme  une  époque  sans  intérêt,  pendant 
laquelle  l'empire  byzantin  aurait  dormi  d'une  sorte  de  sommeil 
léthargique.  En  réalité,  des  empereurs  comme  Tibère  et  Maurice 
ont  déployé  des  qualités  remarquables  pour  sauver  l'héritage  de  Jus- 
tinien et  défendre  l'immense  superficie  de  territoires  qu'il  leur  avait 
léguée;  il  faut  les  admirer  d'avoir  pu  mener  à  bien,  sans  succomber 
sous  l'effort  des  Barbares,  une  tâche  aussi  prodigieuse.  Nous  sommes 
là-dessus  pleinement  d'accord  avec  M.  Patrono,  mais  peut-être  l'ad- 
miration très  légitime  qu'il  a  pour  Maurice  l'a-t-il  conduit  à  juger 
avec  quelque  partialité  les  actes  de  Grégoire  le  Grand.  Nous  recon- 
naissons cependant  volontiers  qu'il  a  détruit  encore  une  légende,  en 
justifiant  Maurice  du  reproche  d'avoir  abandonné  l'Italie  à  son 
malheureux  sort.  Le  fait  que  Grégoire  a  demandé  instamment  des 
secours  ^voir  par  exemple  sa  lettre  au  cornes  excubit.  Constantin, 
Gregor  Epist.,  I,  31;  éd.  Ewald.  I,  43-44;  n'implique  nullement 
que  l'Italie  ait  été  laissée  sans  défense  contre  les  Lombards;  on  voit 
au  contraire  Maurice  envoyer  trente  livres  d'or  au  pape  et  des  pré- 
sents pour  la  milice  de  Rome.  La  question  des  rapports  entre  le 
pape  et  l'exarque  de  Ravenne,  Romain,  est  plus  difficile  à  résoudre. 
On  sait  que  Romain  rompit  en  592  la  paix  que  le  pape  avait  conclue 
de  sa  propre  autorité  avec  les  Lombards  et  attira  ainsi  sur  Rome 
des  représailles  qui  auraient  pu  être  funestes  sans  le  courage  déployé 
par  le  pape  et  les  habitants.  M.  Patrono  explique  cette  attitude  par 
une  opposition  entre  les  intérêts  particuliers  de  Rome  et  ceux 
de  la  politique  impériale.  Le  pape  ne  songeait  qu'à  délivrer  Rome 
d'un  danger  pressant;  l'exarque  trouvait  le  moment  peu  favo- 
rable  pour  conclure  un  traité  qui,  étendu  à  toute  l'Italie,  aurait 
contrarié  l'action  dissolvante  exercée  par  la  diplomatie  byzantine  sur 
les  ducs  lombards.  A  cette  époque,  et  M.  Patrono  le  fait  remarquer 

1.  C.  Patrono,  stiidi  Bizantini.  Bel  conflitti  Ira  l'hnperatore  Maurizio 
Tiberio  e  il  papa  Gregorio  Mngno.  Padova,  1909,  39  p.  in-8°  (extr.  de  Rivista 
di  Storia  Antica). 


HISTOIRE    BYZANTINE. 


105 


avec  M.  Diehl,  la  question  de  la  domination  en  Italie  était  loin 
d'être  résolue  et  l'empire  byzantin  pouvait  encore  lutter  avec  l'espoir 
du  succès.  Est-il  vrai. que  le  pape  soit  venu  s'opposer  malencon- 
treusement à  cette  politique  savante?  M.  Patrono  va  jusqu'à  parler 
(p.  13)  de  sa  fourberie  et  l'accuse  (p.  12)  d'avoir  opposé  à  la  fureur  des 
Lombards  des  lamentations  plus  que  des  actes.  Ce  sont  là  de  bien  gros 
mots  et  des  accusations  injustes.  Les  preuves  de  l'activité  et  de  l'es- 
prit d'initiative  du  pape  manquent  si  peu  que  M.  Patrono  est  le  pre- 
mier à  les  lui  reprocher.  Ensuite  les  intérêts  des  Romains  étaient-ils 
si  différents  de  ceux  de  l'empire  et  la  nouvelle  de  la  prise  de  la  vieille 
Rome  par  les  Lombards  n'eût-elle  pas  jeté  la  consternation  à  Cons- 
tantinople  et  ruiné  à  tout  jamais  le  prestige  de  l'empire  en  Occi- 
dent? Enfin  l'initiative  du  pape  et  son  intervention  incessante  dans 
les  questions  administratives  n'est  pas  un  fait  qu'on  puisse  présenter 
comme  isolé  à  une  époque  où  tous  les  évêques  d'Occident  et  même 
d'Orient  exerçaient  dans  leur  cité  une  autorité  d'ordre  temporel.  Ne 
voit-on  pas  les  empereurs  favoriser  cette  tendance  et  n'est-ce  pas  à 
Grégoire  lui-même  que  l'empereur  adresse,  pour  qu'il  la  publie  en 
Occident,  sa  loi  sur  l'entrée  dans  les  ordres  religieux'? 

Dans  l'affaire  de  la  novelle  de  592  et  dans  celle  du  titre  d'œcumé- 
nique,  le  pape  a  défendu  l'idée  de  la  supériorité  du  pouvoir  spirituel 
de  l'Église  sur  la  société  laïque  et  du  pape  sur  toutes  les  églises. 
Par  là  il  a  été  un  précurseur,  mais  on  ne  voit  pas  qu'il  ait  songé  à 
se  séparer  de  l'empire;  comme  l'a  montré  M.  Patrono,  il  paraît 
avoir  publié  dès  592  (et  non  en  597)  la  loi  même  contre  laquelle  il 
envoyait  des  protestations  à  l'empereur.  Il  ne  pouvait  admettre, 
d'autre  part,  le  titre  équivoque  d'œcuménique  qui  semblait  accorder 
au  patriarche  de  Constantinople  un  pouvoir  universel.  Telles  sont 
les  observations  que  suggère  cette  intéressante  étude  qui  fait  bien 
augurer  du  travail  d'ensemble  dont  elle  est  détachée. 

Comment  expliquer  la  rapidité  foudroyante  avec  laquelle  les 
Arabes  ont  conquis  les  provinces  orientales  de  l'empire  byzantin? 
En  composant  des  «  Annales  de  l'Islam  »,  M.  Leone  Caetani  di 
Teano  a  essayé  de  répondre  à  cette  question2.  Le  tableau  qu'il  trace 
de  la  situation  de  l'empire  byzantin  est  chargé  de  traits  un  peu  noirs. 
L'armée  de  mercenaires,  formée  de  nations  les  plus  diverses  (p.  2), 
est  une  tradition  romaine  dont  le  maintien  a  fort  bien  réussi  aux 


1.  Cf.  la  mission  confiée  par  Héraclius  auprès  des  Arabes  au  patriarche 
d'Alexandrie  Cyrus  en  641. 

2.  Leone  Caetani  di  Teano,  Bisanzio  e  la  chiesa  orientale  alla  vigilia  délia 
invasione  araba.  Florence,  Biblioteca  scientilico-religiosa,  1907,  43  p.  in-8°. 


106  BULLETIN    BISTOU1QCE. 

empereurs  byzantins;  c'est  grâce  à  cet  instrument  qu'ils  ont  pu 
assurer  à  l'empire  mille  ans  de  durée.  De  même  l'auteur  semble 
sévère  pour  les  successeurs  de  Justinien  (p.  8).  Il  arrive  enfin  à 
donner  la  véritable  explication  du  succès  des  Arabes  en  exposant  la 
situation  religieuse  de  l'Orient  et  la  haine  des  Orientaux  contre  le 
christianisme  hellénique  des  conciles.  Héraclius  a  exaspéré  ces  sen- 
timents d'hostilité  après  sa  victoire  sur  la  Perse  par  une  série  d'actes 
maladroits  :  tributs  levés  en  Orient  pour  indemniser  les  églises  qu'il 
avait  dépouillées  de  leurs  trésors  avant  la  guerre,  tentative  d'unifi- 
cation religieuse  (Ecthesis),  persécution  cruelle  des  Juifs  regardés 
comme  des  alliés  des  Perses.  Dès  que  les  Arabes  se  présentèrent,  les 
Orientaux  les  accueillirent  comme  des  libérateurs.  Le  mot  de  Barhe- 
brœus  (p.  40)  est  significatif  :  «  Deus  ultionum  per  Ismaelitas  e 
manibus  Graecorum  nos  liberavit.  »  On  peut  le  rapprocher  de  celui 
du  chroniqueur  copte  Jean  de  Nikiou,  qui  attribue  les  malheurs  de 
l'empire  et  la  conquête  de  l'Egypte  à  la  diffusion  du  «  dogme  impie  » 
des  deux  natures  (Notices  et  extraits  des  mss. ,  t.  XXIV,  i,  p.  586 1. 
Une  autre  circonstance  paraît  avoir  favorisé  le  succès  des  Arabes, 
du  moins  en  Syrie,  ce  fut  le  grand  nombre  de  compatriotes  qu'ils  y 
trouvèrent  déjà  établis  et  qui  s'étaient  détachés  du  gouvernement 
impérial  dès  qu'on  avait  cessé  de  leur  verser  des  subsides1. 

M.  Caetani  di  Teano  s'est  posé  la  même  question  à  propos  de 
l'empire  perse,  dont  il  a  étudié  la  situation  à  la  veille  de  l'invasion 
arabe2.  Après  un  résumé  excellent  de  l'histoire  de  l'état  sassanide 
depuis  les  origines,  l'auteur  détermine  les  raisons  qui  ont  amené  la 
disparition  si  rapide  de  cet  empire  devant  l'invasion  arabe  :  existence 
d'une  féodalité,  reste  du  régime  des  Parthes,  que  les  rois,  depuis 
Ardeschir,  avaient  été  impuissants  à  détruire  et  dont  ils  avaient 
sans  cesse  à  réprimer  les  révoltes;  clergé  tout-puissant  et  oppres- 
seur; administration  rudimentaire  etvexatoire;  coutume  déplorable 
des  transportations  violentes  de  peuples  ;  enfin  guerres  incessantes 
contre  Byzance  et  les  Turcs.  Telles  sont  les  causes  qui  ont  amené 
la  chute  de  cet  état  d'aspect  si  brillant,  mais  M.  L.  0.  di  Teano 
remarque  avec  raison  que  les  Arabes  ne  mirent  que  trois  ans  à 
conquérir  la  Babylonie,  tandis  qu'ils  durent  lutter  pendant  dix- 
sept  ans  pour  soumettre  le  Farsistan,  véritable  cœur  de  la  nationa- 
lité persane. 


1.  Cf.  Pernice,  Eraclio,  y.  '246;  Dussaud,  les  Arabes  en  Syrie  avant  f  Islam. 
Paris,  1907. 

2.  L.  Caetani  di  Teano,  Causa  délia  decadenza  dell'  impero  sassanida  alla 
vigilia  dell  invasioue  araba.  Rome,  Ferrari,  1907,  28  |>.  in-8°. 


HISTOIRE   BYZANTINE.  107 

III.  Époque  des  iconoclastes  et  dynastie  macédonienne.  — 
Le  principal  champion  des  images,  le  bienheureux  Théodore  de 
Stoudion,  n'en  est  plus  à  compter  ses  biographes.  Après  les  travaux 
de  miss  A.  Gardner1  et  de  l'abbé  Marin2,  M.  Nikolaj  Grossit  a 
écrit  un  livre  substantiel  sur  la  vie  et  les  œuvres  de  Théodore3.  Les 
écrits  de  Théodore,  qui  ne  sont  pas  encore  tous  édités,  sont  l'objet 
d'une  étude  critique  et  bibliographique  des  plus  utiles. 

La  collection  de  monographies  consacrées  par  des  érudits  de  divers 
pays  aux  règnes  des  empereurs  byzantins  vient  de  s'enrichir  d'une 
histoire  de  Basile  Ier,  due  à  M.  A.  Vogt4.  Le  fondateur  de  la  dynas- 
tie macédonienne  n'avait  guère  donné  lieu  jusqu'ici  qu'à  des  études 
de  détail;  il  manquait  un  ouvrage  d'ensemble  qui  permît  de  déter- 
miner son  rôle  exact  dans  l'histoire  byzantine,  et,  si  l'on  peut  adres- 
ser un  reproche  à  l'auteur,  c'est  peut-être  d'avoir  grossi  ce  rôle  et 
d'avoir  considéré  Basile  comme  une  sorte  de  nouveau  fondateur  de 
l'empire.  D'ailleurs,  pour  apprécier  ce  qui,  dans  la  réorganisation 
de  l'empire,  convient  à  Basile,  il  faudrait  connaître  mieux  les  empe- 
reurs iconoclastes  et  en  particulier  le  règne  de  Théophile.  Si  l'on 
étudiait  l'histoire  de  ce  prince,  on  verrait  probablement  qu'il  faut 
lui  attribuer  pas  mal  de  réformes  administratives  et  une  grande 
partie  de  la  renaissance  artistique,  dont  M.  A.  Vogt  fait  honneur  à 
Basile.  Cette  réserve  faite,  nous  ne  pouvons  que  nous  féliciter  de  la 
publication  de  cette  excellente  étude.  Une  introduction  est  consacrée 
à  l'étude  critique  des  sources  de  l'histoire  de  Basile.  L'auteur 
divise  les  témoignages  en  deux  catégories  :  ceux  qui  sont  favorables 
à  Basile  (surtout  la  Vita  Basilii  de  Constantin  Porphyrogénète, 
version  dynastique  et  officielle)  et  ceux  qui  lui  sont  hostiles  (conti- 
nuation de  Georges  le  Moine,  Léon  le  Grammairien,  pseudo- 
Siméon  Magister).  Aux  œuvres  historiographiques,  il  faut  ajouter 
les  actes  des  conciles  de  Constantinople,  la  correspondance  de  Pho- 
tius  et  la  vie  d'Ignace,  que  M.  Vogt  rend  avec  Vasiljevskij  à  Nicé- 
tas,  enfin  le  «  Livre  du  Préfet  »  codifié  sous  Léon  VI,  mais  valable 
pour  l'époque  de  Basile.  L'ouvrage  est  divisé  en  quatre  parties.  Le 
premier  livre  est  une  étude  sur  les  origines  de  Basile  et  sur  les  cir- 
constances au  milieu  desquelles  il  est  arrivé  au  pouvoir.  Etait-il 
Slave  ou  Arménien?  M.  Vasiljev  (Viz.  Vrem.,  1905,  i)  le  fait  des- 

1.  Voir  Rev.  histor.,  t.  XCI,  p.  333. 

2.  Ibid.,  t.  XCIX,  p.  382. 

3.  Nikolaj  Grossu,  le  Bienheureux  Théodore  de  Stoudion,  son  te?nj)s,  sa 
rie  et  ses  œuvres  (en  russe).  Kiev,  1907,  xxn-312  p. 

4.  A.  Vogt,  Basile  I",  empereur  de  Bijzancc  (867-886),  et  la  civilisation 
byzantine  à  la  fin  du  IX'  siècle.  Paris,  Picard,  1908,  xxxn-447  p.  in-8°. 


108  BULLETIN    HISTORIQUE. 

cendre  d'une  famille  d'Arméniens  établis  en  Macédoine  et  alliée 
peut-être  à  des  Slaves.  C'est  la  solution  qu'adopte  M.  Vogt.  En 
réalité,  l'origine  arménienne  semble  la  plus  probable;  l'alliance  avec 
des  familles  slaves  n'est  qu'une  conjecture  qui  repose  sur  le  témoi- 
gnage d'historiens  arabes  pour  lesquels  le  mot  slave  est  synonyme 
de  macédonien.  Le  personnage  même  de  Basile  a  été  très  bien  étu- 
dié par  M.  Vogt,  qui  montre  toute  la  complexité  et  les  contrastes  de 
son  caractère.  C'est  un  portrait  bien  vivant  que  celui  de  cet  aventu- 
rier arrivé  au  trône  et  devenant  subitement  le  plus  paisible,  le  plus 
religieux  des  empereurs,  soucieux  de  l'ordre  social  et  de  la  bonne 
administration.  M.  Vogt  n'a  pas  dissimulé  d'ailleurs  les  tares  de 
cette  famille  macédonienne,  qui  étaient  la  fable  de  Byzance,  et  les 
discordes  de  la  famille  impériale.  Cet  empereur  si  bon  pour  ses 
sujets,  dont  il  cherche  à  améliorer  le  sort,  est  pour  les  siens  un  vrai 
tyran  domestique.  Le  bâtard  de  Michel  III  et  d'Eudocie,  qu'il  avait 
été  contraint  de  reconnaître  pour  son  fils,  lui  était  odieux.  Il  songea 
d'abord  à  assurer  sa  succession  à  Constantin,  fils  de  sa  première 
femme,  mais  lorsque  ce  prince  fut  mort,  à  la  douleur  de  Basile  se 
mêla  une  véritable  rage  qui  faillit  être  funeste  au  futur  Léon  VI. 
Après  avoir  voulu  lui  faire  crever  les  yeux.  Basile  dut  le  reconnaître 
comme  successeur  en  lui  adjoignant  toutefois  son  frère  Alexandre, 
seul  «  porphyrogénète  »  né  depuis  son  avènement.  —  Dans  le 
IIe  livre,  l'auteur  examine  l'œuvre  administrative  de  Basile,  ainsi  que 
sa  politique  religieuse.  Une  étude  intéressante  est  consacrée  à  l'atti- 
tude de  Basile  en  face  des  grands  propriétaires  fonciers;  il  est  loin 
d'avoir  eu  à  leur  égard  la  politique  hardie  qui  sera  celle  de  ses  suc- 
cesseurs; bien  plus,  il  a  été  lui-même  un  de  ces  grands  propriétaires 
en  incorporant  à  chacun  des  palais  impériaux  plusieurs  fonds  de 
terre  avec  leurs  habitants.  Son  intervention  n'en  a  pas  moins  été 
bienfaisante  dans  la  vie  des  classes  rurales  par  les  mesures  qu'il  a 
prises  pour  assurer  aux  paysans  des  garanties  contre  les  collecteurs 
d'impôts.  L'affaire  de  Photius  tient  dans  l'ouvrage  de  M.  Vogt  une 
place  légitime,  et  il  a  très  bien  réussi  à  déterminer  le  point  de  vue 
auquel  s'est  placé  Basile.  Son  antipathie  pour  Photius  est  évidente, 
mais  le  but  auquel  il  aspire,  c'est  l'établissement  solide  et  durable 
de  la  paix  religieuse.  C'est  en  homme  d'Etal  qu'il  agit  en  rétablis- 
sant Ignace  (867)  et  en  cherchant  à  obtenir  des  légats  pontificaux 
venus  à  Constantinople  un  jugement  régulier  de  Photius  au  lieu 
d'une  condamnation  sans  preuves.  C'est  après  avoir  échoué  qu'il 
rompt  avec  le  pape,  et  c'est  encore  pour  fonder  une  paix  définitive 
qu'il  rétablit  Photius  en  877.  La  question  des  rapports  entre  l'église 
grecque  et  Rome  a  été  bien  caractérisée  par  M.  Vogt;  il  montre  que 


HISTOIRE    BYZANTINE.  109 

les  Grecs  ont  toujours  reconnu  au  pape  une  primauté  d'honneur, 
mais,  sauf  les  Studites,  ils  ont  refusé  de  reconnaître  sa  primauté  de 
juridiction.  —  Le  IIIe  livre  est  une  étude  sur  les  guerres  et  la  diplo- 
matie de  Basile;  la  voie  était  déjà  ouverte  par  les  livres  de 
MM.  Vasiljev  (Byzance  et  les  Arabes)  et  Gay  [l'Italie  méridio- 
nale et  l'empire  byzantin).  La  description  de  l'armée  qui  termine 
le  livre  a  pour  principale  source  les  Tactica  de  Léon  VI.  —  Enfin, 
dans  un  IVe  livre,  M.  Vogt  a  dressé  un  tableau  de  la  civilisation 
byzantine  à  la  fin  du  ixe  siècle,  en  étudiant  la  condition  des  terres,  le 
sort  des  paysans,  le  développement  économique  et  artistique.  Cette 
enquête  sur  un  des  règnes  les  plus  importants  de  l'histoire  byzantine 
apporte  à  cette  histoire  des  éléments  précieux.  En  rétablissant  Tordre 
dans  les  finances  et  l'administration,  en  cherchant  à  fonder  la  paix 
religieuse,  en  se  défendant  contre  les  Barbares,  Basile  a  accompli 
une  œuvre,  moins  brillante  peut-être  que  celle  que  lui  attribue 
M.  Vogt.  mais  qui  devait  permettre  à  ses  successeurs  de  reprendre 
l'offensive  contre  les  ennemis  de  l'empire. 

L'Académie  des  sciences  de  Saint-Pétersbourg  a  entrepris  de  réunir 
en  volumes  les  publications,  éparses  dans  un  grand  nombre  de  revues, 
d'un  des  principaux  représentants  de  l'érudition  byzantine  en  Rus- 
sie, de  Vasiljevskj  (1838-1899).  Le  tome  I1  comprend  une  série 
de  travaux  devenus  classiques  et  consacrés  à  l'histoire  byzantine  des 
xie-xne  siècles  :  Byzance  et  les  Petchénègues  (1048-1094)2.  —  La 
droujina  varangue-russe  et  varangue-anglaise  à  Constantinople  au 
xie  siècle3  ;  on  sait  que  cette  étude  a  établi  pour  la  première  fois  une 
distinction  entre  les  deux  éléments  différents  dont  se  composait  la 
garde  varange.  A  l'article  de  Vasiljevskj  est  jointe  la  réponse  où 
Plovaiskof  discutait  ses  conclusions.  Les  byzantinistes  ne  peuvent 
que  remercier  l'Académie  de  Saint-Pétersbourg  d'une  publication 
qui  leur  sera  si  utile. 

IV.  Époque  des  Comnènes  et  des  Anges.  —  Le  31  juillet  1201, 
les  habitants  de  Constantinople,  qui  avaient  déjà  en  plusieurs  occa- 
sions manifesté  leur  mécontentement  contre  le  régime  établi  par 
l'usurpateur  Alexis  III  l'Ange,  se  révoltèrent  et  proclamèrent  empe- 
reur un  survivant  de  la  dynastie  déchue,  Jean  Comnène.  Cette 
affaire  fut  une  simple  échauffourée  ;  après  avoir  été  maître  du  palais 
impérial  pendant  quelques  heures,  Jean,  qui  semble  avoir  été  un 

1.  Travaux  de  B.  G.  Vasiljevskj,  publiés  par  l'Académie  impériale  des 
sciences  (en  russe).  Saint-Pétersbourg,  1908,  v-401  p.  in-8°. 

2.  Publié  en  1872  dans  le  Journal  du  ministère  de  l'Instruction  publique 
de  Russie. 

3.  Publié  dans  le  même  Journal  en  1874-1875. 


110  BULLETIN    HISTORIQUE. 

personnage  des  plus  médiocres,  fut  abandonné  de  ses  partisans  el  tué 
par  les  gardes  d'Alexis  III.  On  connaissait  les  détails  de  cet  épisode 
par  le  récit  de  Nicétas  Acominatos1  et  par  les  panégyriques  adressés 
à  Alexis  IIP.  M.  Heisenberg  a  retrouvé  dans  le  Cod.  Ambrosia- 
nus  F  96  un  discours  d'un  certain  Nicolas  Mesarites3  qui,  non  seu- 
lement raconte  les  péripéties  de  cette  journée,  mais  donne  les  détails 
les  plus  précieux  sur  la  topographie,  encore  si  obscure,  du  Grand 
Palais  impérial.  M.  Heisenberg  a  publié  le  texte  inédit  du  manuscrit 
de  Milan  et  l'a  fait  suivre  d'un  commentaire  historique  et  archéolo- 
gique. Cette  publication  n'est  d'ailleurs  qu'un  spécimen  de  l'édition 
des  œuvres  complètes  de  Nicolas  Mesarites  qu'il  prépare.  La  décou- 
verte de  ces  œuvres  a  enrichi  l'histoire  byzantine  d'une  source  nou- 
velle. Elles  se  trouvent  dans  deux  manuscrits  de  Milan  (F  96  sup. 
=  A  et  F  93  sup.  =  B),  dont  les  feuillets  sont  malheureusement  en 
désordre;  plusieurs  des  morceaux  qu'ils  contiennent  existent  sans 
nom  d'auteurs  dans  d'autres  manuscrits4.  Tous  ces  morceaux 
forment  un  témoignage  contemporain  de  premier  ordre  pour  l'his- 
toire d'Alexis  III  et  des  empereurs  de  Nicée.  Après  avoir  en  effet 
occupé  la  charge  importante  d'  «  èiù  tôv  xpdrewv  »  de  Sainte- Sophie 
et  de  gardien  des  reliques  du  palais  impérial.  Nicolas  Mesarites 
devint  métropolite  d'Ephèse  et  fut  un  des  évêques  les  plus  influents 
de  l'empire  de  Nicée.  On  voit  donc  tous  les  services  que  rendra  une 
édition  de  ses  œuvres. 

V.  Epoque  de  la  quatrième  croisade.  Principautés  franques. 
—  L'histoire  des  principautés  franques  du  Levant,  qui  a  été  dans 
ces  dernières  années  l'objet  de  travaux  si  complets,  a  donné  lieu  à 
un  nouveau  travail  d'ensemble,  celui  de  M.  W.  Miller5. 

VI.  Epoque  des  Paléologues.  —  Le  deuxième  volume  de  l'his- 
toire de  l'empire  ottoman,  par  M.  Jorga6,  comprend  l'histoire  de  la 
formation  de  cet  empire  sous  Mahomet  II  et  celle  de  son  affermisse- 

1.  T.  III,  p.  7,  éd.  de  Bonn,  697-699. 

2.  Celui  de  Nicétas,  éd.  Sathas,  Bibl.  medii  Mvi,  t.  I,  p.  84-89,  et  celui  de 
Nicéphore  Chrysoberge,  éd.  Treu.  Breslau,  1892. 

3.  Aug.  Heisenberg,  Nikolaos  Mesarites.  Die  Palastrevolution  des  Johannes 
Komnenos.  Wurzbourg,  Stùrtz,  1907,  77  p.,  avec  un  fac-similé  (Prog.  Gymn. 
Wùzbourg). 

4.  En  particulier  la  controverse  d'un  métropolite  d'Ephèse  avec  le  cardinal 
Pelage  en  1213,  publiée  par  Arsenij  d'après  un  manuscrit  de  Moscou  et  utili- 
sée par  W.  Norden,  Das  Pappstum  und  Byzanz. 

5.  W.  Miller,  The  Latins  in  the  Levant.  A  history  of  frankish  Greece 
(120b-1566).  London,  Murray,  1908,  xx-676  p.  in-8°  (ne  nous  a  pas  été  com- 
muniqué). 

6.  Nie.  Jorga,  Geschichte  des  Osmanischen  Reiches  nach  den  Quellen  dar- 
(jestcllt;  t.  II  :  U53-1538.  Gotha,  Perthes,  xvn-453  p.  (coll.  Heeren). 


HISTOIRE    BYZANTINE. 


lit 


ment  territorial  de  Bajazet  II  à  Soliman  II.  On  retrouve  dans  ce 
volume  l'excellente  information  et  les  qualités  d'exposition  déjà 
signalées  dans  le  premier1.  Les  byzantinistes  liront  avec  un  intérêt 
tout  spécial  le  premier  chapitre  consacré  au  récit  de  la  prise  de 
Oonstantinople.  Grâce  aux  recherches  faites  par  lui  à  Venise  et  à 
Gênes,  et  résumées  dans  ses  Notes  et  extraits  pour  servir  à  l'his- 
toire des  croisades  au  XVe  siècle2,  M.  Jorga  a  pu  élucider  la 
question  des  secours  envoyés  à  l'empire  byzantin  par  l'Occident.  En 
face  des  discordes  chrétiennes  et  de  l'esprit  formaliste  des  Occiden- 
taux du  moyen  âge,  le  jeune  sultan,  avide  d'action,  appuyé  sur  des 
forces  homogènes,  dont  l'auteur  a  tracé  un  portrait  bien  vivant, 
avait  la  victoire  assurée.  Le  chapitre  suivant  contient  un  tableau 
intéressant  et  nouveau,  grâce  à  la  connaissance  des  sources  ita- 
liennes, de  l'impression  produite  par  cet  événement  en  Occident,  où 
l'on  s'agita  beaucoup,  où  l'on  écrivit  plus  encore,  mais  où  l'on  agit 
fort  peu.  L'histoire  officielle  de  l'empire  byzantin  se  termine  à  la 
prise  de  Oonstantinople  ;  il  n'en  est  pas  de  même  de  l'histoire  des 
croisades,  dont  l'idée  continue  à  vivre  en  Europe  jusqu'au  xvne  siècle. 
En  décrivant  les  progrès  de  la  conquête  ottomane  sous  Mahomet  II 
et  ses  successeurs,  M.  Jorga  a  donné  une  place  importante  à  la  place 
tenue  dans  la  politique  européenne  par  les  projets  de  croisade,  dont 
quelques-uns  ont  été  près  de  se  réaliser.  Enfin  on  lira  avec  intérêt 
les  chapitres  qui  terminent  chacun  de  ces  deux  livres  et  qui  pré- 
sentent un  tableau  d'ensemble  de  la  société  et  des  institutions  otto- 
manes, d'abord  sous  le  règne  de  Mahomet  II,  ensuite  sous  celui  de 
Soliman  II. 

VIL  Histoire  des  institutions.  —  M.  Ferrari  a  édité  d'après 
des  papyrus  égyptiens  de  la  collection  Vitelli  (Florence)  trois  con- 
trats privés3  :  les  deux  premiers  sont  des  fragments  de  location  de 
terre,  dont  une  datée  du  1er  octobre  552;  le  troisième  est  une 
reconnaissance  de  dette  du  29  décembre  514.  Les  trois  documents 
proviennent  du  village  d'Aphrodites,  nome  d'Antaioupolis. 

Au  cours  de  fouilles  entreprises  à  Éphèse,  la  mission  autri- 
chienne a  découvert  deux  inscriptions  gravées  sur  un  monument 
d'une  rue  en  bordure  de  l'agora.  Ce  sont  deux  fragments  d'édits 
impériaux,  dont  M.  Diehl  a  proposé  une  explication4  :  l'un  peut 

1.  Rev.  histor.,  t.  XCIX,  p.  389. 

2.  Revue  de  l'Orient  latin,  t.  IV- VIII. 

3.  Giannino  Ferrari,  Tre  papiri  inediti  dell'  età  bizanlina.  Venise,  Ferrari, 
1908,  9  p.  in-8°. 

4.  Charles  Diehl,  Note  sur  deux  inscriptions  byzantines  d' Éphèse.  Paris, 
Picard,  1908,  7  p.  in-8°. 


112  BULLETIN    HISTORIQUE. 

être  daté  du  11  février  585  et  attribué  à  Maurice;  l'autre  est  peut- 
être  du  même  prince,  et  tous  deux  semblent  se  rapporter  à  une 
prohibition  de  la  vénalité  des  charges,  déjà  édictée  par  une  novelle 
de  Justinien  en  535.  La  situation  même  de  ces  inscriptions  est  un 
exemple  curieux  des  procédés  employés  pour  assurer  la  publicité 
aux  ordonnances  impériales. 

M.  Aussaresses,  qui  avait  déjà  consacré  une  notice  au  Strate- 
gicon  attribué  à  l'empereur  Maurice1,  s'est  servi  de  ce  texte  pour 
donner  une  description  complète  de  l'organisation  militaire  dans 
l'empire  byzantin  à  la  fin  du  vie  siècle2.  Il  étudie  successivement  le 
mode  de  recrutement,  l'organisation  des  cadres,  la  hiérarchie,  la  dis- 
cipline, l'armement,  l'administration,  les  services  auxiliaires,  la  tac- 
tique. C'est  là  un  tableau  complet  et  intéressant;  malheureusement, 
la  question  est  de  savoir  à  quelle  époque  il  faut  l'attribuer.  Les  con- 
clusions de  M.  Aussaresses  sur  l'époque  du  Strategicon  sont  en 
contradiction  avec  les  arguments  très  forts  donnés  par  R.  Vari 
{Byz.  Zeit.,  t.  XV,  p.  45  et  suiv.)  ;  elles  ont  été  de  plus  combattues 
par  M.  Patrono3  qui,  après  avoir  étudié  aussi  les  manuscrits  du 
Strategicon,  conclut  que  la  version  de  ce  traité  conservée  à  Milan 
est  certainement  postérieure  aux  Tactica  de  l'empereur  Léon  VI 
(886-911).  C'est  donc  tout  au  plus  au  xe  siècle  qu'il  faut  placer 
l'étude  mise  sous  le  nom  de  l'empereur  Maurice.  Il  se  peut  néan- 
moins que  le  Strategicon  ait  été  composé  à  l'aide  d'éléments  glanés 
dans  des  écrivains  antérieurs  (et  c'est  ce  que  tendraient  à  prouver  les 
rapports  signalés  par  M.  Aussaresses  entre  ce  texte  et  Théophylacte 
de  Simocatta)  ;  mais  c'est  là  justement  ce  qu'il  faudrait  commencer 
par  établir,  avant  de  s'en  servir  pour  décrire  les  institutions  mili- 
taires du  vie  siècle. 

M.  Andreades  a  publié  des  études  intéressantes  sur  les  ques- 
tions économiques  (budget,  armée,  flotte),  d'après  le  témoignage  des 
chroniques  byzantines*. 

Une  question  qui  mériterait  une  monographie  est  celle  de  la  per- 
sistance du  latin  dans  la  terminologie  officielle  de  Byzance.  En 
attendant  que  ce  travail  devienne  possible,  M.  Renauld  y  a  apporté 

1.  Voir  Rev.  histor.,  t.  XCI,  p.  32G. 

2.  Aussaresses,  l'Armée  byzanlive  à  la  fin  du  VIe  siècle,  d'après  le  Strate- 
gicon de  l'empereur  Maurice.  Paris,  Fontemoing,  1909,  115  p.  in-8°  (bibl.  des 
universités  du  Midi,  fasc.  XIV). 

3.  Rivista  Abruzzese,  t.  XXI,  p.  635  et  suiv.  C'est  par  erreur  qu'en  signa- 
lant l'ouvrage  de  M.  Patrono  sur  les  Perses  et  les  Byzantins  (Rev.  hist., 
t.  XCIX,  p.  381)  je  lui  avais  reproché  d'ignorer  l'étude  de  M.  Aussaresses. 

4.  Andreades,  «  IIep\  tûv  oîxovo|juxwv  toO  BuÇavnou.  »  Athènes,  1908  (extr.  de 
'EmOedopYidii;  xcuvwvtxwv  xoà  vojitxwv  È7rt(7Tï)(i(j)v,  t.  I,  p.  22-46). 


HISTOIRE   BYZANTINE.  113 

une  utile  contribution1  en  dressant  le  lexique  des  mots  latins 
employés  dans  les  ouvrages  juridiques  de  Psellos2. 

VIII.  Histoire  de  l'Église.  —  M.  Vogt  a  publié  un  texte  hagio- 
graphique  du  xe  siècle  resté  jusqu'ici  inédit3  et  qui  fournit  des  détails 
intéressants  sur  les  institutions  et  les  mœurs  monastiques,  ainsi 
que  sur  l'histoire  des  couvents  du  mont  Olympe.  C'est  la  vie  de 
saint  Luc  le  Stylite,  conservée  dans  un  seul  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque nationale  (ms.  grec  1458,  fol.  113-132).  Ce  solitaire  vécut 
environ  quarante-cinq  ans  sur  une  colonne  de  la  région  d'Eutrope, 
située  entre  Chalcédoine  et  le  palais  d'Hieria.  On  trouvera  dans  sa 
vie  des  renseignements  intéressants  sur  la  politique  religieuse  des 
empereurs  et  des  allusions  au  patriarche  Théophylacte  (933-956),,  fils 
de  Romain  Lécapène. 

M.  Millet  a  consacré  une  intéressante  notice  au  culte  de  la  croix 
par  les  iconoclastes4  d'après  une  inscription  trouvée  près  de  Sinasos 
en  Cappadoce.  L'inscription,  où  la  croix  est  qualifiée  de  «  force  de 
l'Eglise  »,  se  trouve  dans  une  chapelle  dont  la  décoration  purement 
linéaire  répond  bien  à  la  conception  artistique  des  iconoclastes; 
c'est  ce  qui  fait  sa  grande  valeur.  M.  Millet  a  rassemblé  les  textes 
qui  montrent  cette  prédilection  des  iconoclastes  pour  l'image  de  la 
croix  dépouillée  du  crucifié.  Il  n'y  avait  là  aucune  contradiction;  la 
croix  est  un  symbole  mystique,  tandis  que  le  crucifix  est  une  repré- 
sentation matérielle.  On  retrouve  la  même  pratique  chez  les  Syriens 
du  vie  siècle.  Enfin  un  autre  caractère  curieux  de  la  croix  de  Sina- 
sos est  d'être  une  reproduction .  telle  qu'on  la  figurait  à  Byzancc 
depuis  le  ive  siècle,  de  la  croix  vue  par  Constantin  avant  la  bataille 
du  pont  Milvius  ;  une  croix  de  forme  analogue,  avec  les  bras  pattes 
et  deux  branchages  partant  du  pied,  avait  été  élevée  par  Constantin 
sur  le  Forum. 

On  trouvera  dans  le  volume  écrit  par  dom  Placide  de  Meester 
après  un  voyage  au  mont  Athos5  des  renseignements  complets  sur 
l'histoire  des  monastères  de  la  sainte  montagne  et  sur  leur  situation 
actuelle  (énumération  des  monastères,  structure  des  couvents  et  des 

1.  E.  Renaukl,  les  Mots  latins  dans  la  «  Synopsis  Legum  »  et  te  «  De 
legum  nominibus  »  de  Michel  Psellos.  Toulouse,  Privât,  1908,  19  p.  in-8°. 

'2.  Cf.  le  lexique  analogue  dressé  par  Triantaphyllidès  ]>our  Théophile  et  les 
Novelles  de  Juslinien  (Bibl.  de  l'École  des  hautes  études,  l'asc.  82). 

3.  A.  Vogt,  Vie  de  saint  Luc  le  Stylite.  Paris,  Picard,  1909,  50  p.  iii-8°. 

4.  Gabriel  Millet,  les  Iconoclastes  et  la  croix.  Paris,  Fontemoing,  1910, 
13  p.  in-8". 

5.  Dom  Placide  de  Meester,  Voyage  de  deux  Bénédictins  aux  monastères 
du  mont  Athos.  Paris,  Desclée,  de  Brouwer  et  G'\  1908,  vi-316  p.  in-8°. 

Rev.  Histor.  CV.  1er  fasc.  8 


114  BULLETIN    HISTORIQUE. 

églises,  institutions  monastiques,  offices,  cérémonial,  discipline, 
culture  intellectuelle).  Cet  ouvrage  n'a  pas  seulement  la  valeur  d'un 
simple  guide,  mais  on  est  heureux  d'y  trouver  des  impressions  per- 
sonnelles et  des  descriptions  vivantes;  il  eût  gagné  à  être  accompa- 
gné d'une  bibliographie,  même  sommaire. 

M.  Draeseke,  dont  nous  avons  déjà  signalé  les  travaux  sur  le 
patriarche  Jean  Veccos,  étudie  spécialement,  d'après  le  traité  de  cet 
auteur,  «  sur  l'union  et  la  paix  entre  les  Eglises  de  l'ancienne  et  de 
la  nouvelle  Rome  »  ' ,  les  difficultés  de  langage  qui  contribuaient  à 
séparer  les  Grecs  des  Occidentaux.  Des  historiens  animés  d'un 
esprit  réaliste  ont  soutenu  que  ces  querelles  théologiques  n'avaient 
aucune  importance  en  face  des  intérêts  politiques  ;  la  vérité  est  que 
deux  fois,  au  xmeet  au  xve  siècle,  ces  questions,  qualifiées  de  misé- 
rables, ont  empêché  les  politiques  d'établir  l'union  qu'ils  rêvaient. 
On  saura  donc  gré  à  M.  Draeseke  d'avoir  dévoilé  une  des  causes 
secrètes  qui  rendaient  stériles  les  discussions  entre  théologiens  des 
deux  partis,  à  savoir  la  difficulté  d'employer  deux  vocabulaires  iden- 
tiques et  de  rendre  les  termes  grecs  par  des  vocables  latins  corres- 
pondants2. 

On  sait  quelle  fut  l'importance  des  sectes  manichéennes  dans 
l'empire  byzantin  et  dans  tout  l'Orient.  En  publiant  une  analyse  du 
«  Livre  des  Scholies  »  de  Théodore  bar  Khôni,  évèque  nestorien  de 
Kachgar  (vie-vne  siècles),  M.  Oumont  a  donc  rendu  un  grand  ser- 
vice aux  études  sur  les  hérésies  orientales  et  celles  du  reste  de  l'Eu- 
rope qui  en  sont  dérivées3.  Le  traité  de  Théodore  renferme  en  effet 
«  l'exposé  le  plus  détaillé  que  nous  possédions  de  la  cosmogonie 
manichéenne  » .  Le  texte  est  écrit  dans  le  dialecte  syriaque  de  Baby- 
lonie,  voisin  de  celui  même  dont  s'était  servi  Màni,  «  et  il  nous  a 
conservé  notamment  la  forme  originale  des  noms  attribués  par 
celui-ci  aux  esprits  célestes  ou  infernaux  qui  interviennent  dans  la 
création  ».  On  voit  toute  l'importance  de  cette  nouvelle  contribution 
apportée  par  M.  Cumont  à  l'étude  des  religions  orientales. 

IX.  Histoire  et  topographie  de  Constantinople.  —  L'ou- 
vrage de  M.  Gurlitt4  sur  l'architecture  de  Constantinople  sera  après 
son  achèvement  un  des  monuments  les  plus  considérables  qu'on  ait 

1.  J.  Draeseke,  Analecta  byzantina.  Wandsbeck,  Puvogel,  1909,  20  p.  in-4°. 

2.  L'entente  sur  la  procession  du  Saint-Bsprit  dépendait  de  la  traduction 
des  mots  èxTtope'jEffôai  (procedere),  ôiâ  (per),  èx  (a),  etc.. 

3.  F.  Cumont,  Recherches  sur  le  manichéisme;  I  :  la  Cosmogonie  mani- 
chéenne d'après  Théodore  Bar  Khoni.  Bruxelles,  Lamertin,  1908,  80  p.  in-8°. 

4.  Cornélius  Gurlitt,  Die  Baukunst  Konstantinopels.  Berlin,  Wasmuth, 
depuis  1907,  40  p.  et  atlas  in-fol.  (en  cours  de  publication). 


HISTOIRE   BYZANTINE.  115 

élevés  à  la  mémoire  de  l'ancienne  Byzance.  Bien  qu'il  ne  soit  pas  encore 
entièrement  terminé,  on  peut  déjà  juger  de  l'importance  de  ce  livre  qui 
sera  un  répertoire  précieux  pour  tout  ce  qui  touche  aux  monuments 
qui  subsistent  de  la  Constantinople  du  moyen  âge  et  aux  construc- 
tions dues  aux  sultans.  A  côté  de  l'œuvre  des  architectes  byzantins, 
l'auteur  a  présenté  celle  des  artistes  italiens  de  la  Renaissance  au 
service  des  sultans.  Dans  ses  magnifiques  planches,  M.  Gurlitt  ne 
s'est  pas  contenté  de  donner  des  reproductions  photographiques  des 
monuments  actuels,  mais  il  a  relevé  les  plans  et  les  coupes  d'un 
grand  nombre  d'édifices,  il  a  même  proposé  quelques  restitutions 
ingénieuses  de  monuments  aujourd'hui  ruinés.  Un  texte  accompagne 
ces  vues;  il  est  entremêlé  de  figures  théoriques  des  plus  utiles  et  il 
donne  des  notices  complètes  sur  les  monuments  reproduits.  M.  Gur- 
litt a  déjà  étudié  ainsi  :  la  Porte  d'or,  la  Grande  Muraille,  les 
palais  impériaux  et  l'hippodrome,  les  aqueducs,  les  colonnes  triom- 
phales, les  églises  Sainte-Irène,  Saint-Serge  et  Saint-Bacchus, 
Sainte-Sophie,  les  Saints-Apôtres  et  les  églises  de  moindre  impor- 
tance. Ce  bel  ouvrage  rendra  les  plus  grands  services  aux  travail- 
leurs par  la  masse  de  documents  qu'il  leur  apporte,  ainsi  que  par  la 
méthode  scientifique  et  le  soin  qui  ont  présidé  à  la  reproduction  des 
monuments. 

Le  livre  de  Djelal  Essad  Bey  sur  Constantinople'  est  certaine- 
ment la  première  contribution  qu'un  érudit  ottoman  ait  apportée  à 
l'histoire  byzantine.  L'auteur  s'est  proposé  de  rassembler  les  témoi- 
gnages les  plus  notoires  relatifs  à  l'histoire  et  à  la  topographie  de 
Constantinople  en  profitant  des  travaux  de  ces  dernières  années.  Il 
a  écrit  un  livre  clair  et  dont  les  différentes  parties  sont  bien  dis- 
tribuées. Il  étudie  successivement  l'histoire  de  Byzance,  des  origines 
à  1453,  la  topographie  de  la  ville  du  moyen  âge,  les  édifices  byzan- 
tins. Cette  partie  n'offre  rien  de  nouveau,  mais  elle  forme  un  résumé 
très  commode  des  principaux  travaux  des  archéologues.  La  seconde 
partie,  au  contraire,  est  une  description,  d'un  caractère  tout  à  fait 
nouveau,  de  la  ville  turque  et  de  ses  édifices,  mosquées,  fontaines, 
cimetières,  bains,  bazar,  palais,  etc.  Cette  étude  est  précédée  d'un 
historique  de  l'art  ottoman,  dont  l'auteur  cherche  à  démontrer  l'ori- 
ginalité. Une  abondante  illustration  accompagne  cet  ouvrage  qui  se 
termine  par  une  bibliographie  bien  informée.  Le  livre  de  Djelal 
Essad  Bey  sera  un  guide  commode  pour  tout  ce  qui  touche  à  la  topo- 
graphie et  aux  monuments  de  Byzance. 

1.  Djelal  Essad,  Constantinople.  De  Byzance  à  Stamboul,  traduit  du  turc 
par  l'auteur.  Paris,  Laurens,  1909,  iv-289  p.  in-8"  (préface  de  Ch.  Diehl). 


116  BULLETIN    HISTORIQUE. 

M.  Jean  Ebersolt  a  consacre  au  grand  Palais  impérial  de  Cons- 
tantinople  une  étude1  qui,  grâce  à  une  méthode  rigoureuse,  renou- 
velle dans  une  large  mesure  l'idée  qu'on  se  faisait  du  théâtre 
habituel  de  la  vie  des  empereurs  d'après  les  travaux  de  Laharte, 
Paspatis  ou  Bjeljaev.  En  utilisant  les  textes  déjà  connus,  dont  les 
plus  importants  sont  ceux  du  Livre  des  cérémonies,  et  en  mettant 
à  profit  le  discours  de  Nicolas  Mesarites  publié  par  Heisenberg  (voy. 
plus  haut),  M.  Ebersolt  est  arrivé  à  dresser  une  chronologie  exacte 
des  monuments  du  grand  Palais  depuis  l'époque  de  Constantin  jus- 
qu'aux dernières  constructions  du  xie  siècle.  Il  montre  comment  le 
centre  de  la  vie  palatine,  d'abord  concentrée  autour  de  Daphné,  de 
Constantin  au  vic  siècle,  s'est  déplacé  vers  l'est  après  la  construc- 
tion du  Chrysotriclinium  par  Justinien  II.  II  cherche,  d'après  les 
renseignements  fournis  par  les  ruines  de  Spalato  ou  de  Mschatta,  à 
reconstituer  le  plan  et  l'aspect  du  palais  primitif  de  Constantin. 
Grâce  à  des  relevés  topographiques  exécutés  par  M.  Ad.  Thiers  et 
dont  les  résultats  sont  consignés  sur  le  plan  luxueux  placé  à  la  fin 
du  volume,  M.  Ebersolt  a  pu  établir  d'une  manière  plus  exacte 
qu'on  ne  l'avait  fait  jusqu'ici  la  situation  réciproque  de  l'hippo- 
drome et  des  diverses  parties  du  grand  Palais.  Sans  doute,  dans  la 
restitution  ainsi  tentée,  il  demeure  une  part  d'hypothèse;  néan- 
moins M.  Ebersolt  a  su  la  réduire  au  minimum,  et,  par  les  nom- 
breux textes  qui  y  sont  rassemblés  et  commentés,  son  livre  est 
appelé  à  devenir  un  répertoire  indispensable  à  consulter  pour  qui- 
conque voudra  étudier  avec  précision  la  biographie  des  empereurs 
qui  habitèrent  le  grand  Palais.  Enfin  après  avoir  ainsi  déterminé 
l'ordre  chronologique  des  constructions,  M.  Ebersolt  a  essayé, 
d'après  ces  résultats,  une  critique  du  Livre  des  cérémonies  qui  lui  a 
permis  de  fixer  l'époque  où  ont  été  rédigés  les  morceaux  disparates 
dont  il  se  compose. 

A  l'aide  des  mêmes  sources,  M.  Ebersolt  a  essayé  de  reconstituer 
la  topographie  de  l'église  Sainte-Sophie  et  de  ses  dépendances  à 
l'époque  où  fut  rédigé  le  Livre  des  cérémonies2.  En  comparant  ce 
texte  à  la  disposition  actuelle  des  lieux  il  a  pu  déterminer  la  situa- 
tion exacte  de  l'horologion,  de  la  Belle  Porte,  du  patriarcat,  du  baptis- 
tère et  du  skenophylakion.  Rien  ne  peut  mieux  contribuer  que  les 
études  de  ce  genre  à  donner  une  précision  nouvelle  au  commentaire 
des  sources  historiques. 

1.  Jean  Ebersolt,  le  Grand  Palais  de  Constantinople  et  le  Livre  des  céré- 
monies. Paris,  Leroux,  1910,  xv-237  p.  in-8°. 

2.  Jean  Ebersolt,  Sainte-Sophie  de  Constantinople,  étude  de  topographie 
d après  les  Cérémonies.  Paris,  Leroux,  1910,  iv-38  p.  in-8° 


HISTOIRE    BYZANTINE.  117 

Au  cours  d'une  mission  à  Constantinople ,  M.  J.  Ebersolt  a 
étudié  un  certain  nombre  de  monuments  mal  connus  jusqu'ici'. 
Par  suite  du  grand  incendie  d'août  1908,  il  a  pu  examiner  et  pho- 
tographier la  base  de  la  colonne  de  Marcien,  dissimulée  jusque-là 
dans  la  cour  d'une  maison  ;  on  n'en  connaissait  encore  que  le  cha- 
piteau et  l'entablement  orné  d'aigles  ;  sur  le  soubassement  en  marbre 
étaient  sculptés  des  boucliers  ornés  de  croix  à  six  branches,  entourés 
d'une  guirlande,  ainsi  que  deux  Victoires  de  style  tout  antique  tenant 
une  couronne  timbrée  de  la  croix.  Les  églises  étudiées  vont  du 
ve  au  xivc  siècle,  et  présentent  les  différentes  variétés  de  l'art  byzan- 
tin. Ce  sont  :  la  basilique  de  Stoudion  (Mir-Achor-Djami),  en 
ruines  avec  sa  citerne  intacte;  l'église  octogonale  de  Saint-Serge  ou 
petite  Sainte-Sophie  (Kutchuk-Aya-Sofla) ,  élevée  par  Justinien; 
l'église  Sainte-André  (IIodja-Moustafa-pacha-djami),  plan  triconque 
défiguré;  l'église  de  la  Vierge  (Kalender-Djami) ,  coupole  sur  pen- 
dentifs; l'église  Sainte-Théodosie  (Gul-Djami) ,  coupole  centrale 
flanquée  de  quatre  voûtes  en  berceau;  Sainte- Théodore- Tiron 
(Kilisse-Djami)  ;  le  Pammacanistos  (Fétiyé-Djami),  xme  siècle;  le 
Pantocrator  (Zeïrek-Djami).  Les  monuments  étudiés  par  M.  Eber- 
solt ont  été  relevés  aux  frais  de  l'Académie  des  inscriptions  par 
M.  A.  Thiers,  architecte.  La  publication  de  ces  dessins,  accompagnés 
de  notices  historiques,  jettera  un  jour  nouveau  sur  la  Constantinople 
byzantine  dont  ces  monuments  sont  les  vestiges. 

X.  Histoire  des  provinces  et  peuples  voisins  de  l'empire. 
—  L'histoire  des  provinces  byzantines  et  des  pays  voisins  se  confond 
en  grande  partie  aveo  celle  des  progrès  ou  du  recul  de  l'hellénisme. 
A  ce  point  de  vue,  un  cerlain  nombre  de  découvertes  récentes  ont  une 
grande  importance. 

Une  expédi  tion  allemande  organisée  à  Francfort  explore  depuis  1 905 
un  des  sanctuaires  les  plus  importants  de  l'Egypte  chrétienne,  celui  de 
Saint-Ménas,  la  «  Lourdes  égyptienne  »,  qui  fut  au  ve  siècle  un  des 
principaux  pèlerinages  fréquentés  par  les  Orientaux.  Le  directeur 
des  fouilles,  M.  C.  Kaufmann,  a  présenté  en  un  élégant  petit  volume 
les  principaux  résultats  de  ses  découvertes  et  l'ensemble  des  con- 
naissances acquises  sur  les  églises  et  les  bâtiments  à  l'usage  des 
pèlerins  dont  elles  étaient  entourées2.  Ce  fut  le  7  juillet  1905  que 
l'emplacement  de  la  ville  de  Saint-Ménas  fut  reconnu  et  les  fouilles 
ont  continué  jusqu'à  la  fin  de  1907.  En  attendant  le  grand  ouvrage 

1.  J.  Ebersolt,  Étude  sur  la  topographie  et  les  monuments  de  Constanti- 
nople. Paris,  Leroux,  1909,  41  p.  in-8°. 

2.  Cari  Kaufmann,  Der  Menastempel  und  die  Heiligtumer  von  Karm  Abu 
Mina  in  der  aegyptischen  Mariûtwuste .  Francfort,  Baer,  1909,  88  p.  in-12. 


118  I.IILLETIN    HISTORIQUE. 

destiné  à  en  exposer  les  résultats,  ce  guide,  très  bien  rédigé,  nous 
donne  une  idée  avantageuse  des  véritables  richesses  qui  ont  été 
découvertes.  Ce  fut  à  la  fin  du  ive  siècle  que  le  culte  de  Saint-Ménas 
s'implanta  dans  le  désert,  à  l'ouest  d'Alexandrie;  il  devint  bientôt 
florissant  et  se  répandit  dans  toute  l'Egypte,  puis  dans  le  nord  de 
l'Afrique,  à  Chypre,  à  Salone,  jusqu'à  Arles.  Ce  fut  à  ce  moment 
que  l'on  commença  à  élever  les  constructions  dont  la  mission  Kauf- 
mann  a  retrouvé  les  restes  :  une  basilique  sépulcrale;  une  basilique 
plus  grande  élevée  par  ordre  d' Arcadius  au  ve  siècle  avec  trois  nefs,  un 
transept  et  une  abside  en  saillie;  un  baptistère  que  l'on  a  pu  compa- 
rer à  celui  des  Orthodoxes  de  Ravenne;  une  autre  basilique  sépul- 
crale avec  abside  en  trèfle;  des  piscines,  des  citernes,  des  cryptes,  un 
grand  nombre  de  chambres  et  de  corridors  appartenant  à  des  xeno- 
dochia  destinés  à  abriter  les  pèlerins;  des  fours  servant  à  la  fabrica- 
tion des  «  eulogies  de  Saint-Ménas  »,  de  ces  petites  ampoules  en 
verre  sur  lesquelles  le  saint  est  représenté  entre  deux  chameaux 
agenouillés  et  qu'on  exportait  dans  le  monde  entier,  après  les  avoir 
remplies  de  l'eau  de  la  source  de  Saint-Ménas.  Les  nombreux  graffiti 
retrouvés  apportent  des  renseignements  précieux  sur  l'origine  des 
pèlerins,  qui  viennent  de  toutes  les  parties  du  monde  méditerranéen, 
et  sur  les  vertus  miraculeuses  qu'ils  attribuaient  à  l'eau  de  Saint- 
Ménas.  Ce  fut  seulement  en  849  que  ces  sanctuaires  furent  dévastés 
et  dépouillés  de  leurs  colonnes  qui  allèrent  enrichir  les  mosquées  du 
Caire.  On  voit  quels  éléments  précieux  ces  belles  découvertes  ont 
apporté  à  l'histoire  religieuse  de  l'Egypte  sous  la  domination  byzan- 
tine et  à  l'expansion  des  cultes  orientaux  en  Occident. 

M.  Adonc  a  écrit  une  histoire  de  l'Arménie  à  l'époque  de  Justi- 
nien1.  M.  Karolides  a  étudié  la  ville  d'Amorium  en  Asie  Mineure 
dans  l'histoire  et  la  légende2.  M.  Cumont,  qui  avait  déjà,  en  étudiant 
les  Actes  de  saint  Dasius  à  Durostorum  en  Mésie,  apporté  une 
contribution  utile  à  l'histoire  des  progrès  de  l'hellénisme  dans  le 
nord  de  la  péninsule  des  Balkans3,  vient  de  retrouver  à  Ancône  le 
tombeau  de  ce  saint,  conservé  à  la  cathédrale *.  Ce  fut  peut-être  à  la 
suite  du  pillage  de  Durostorum  par  les  Avars  (579)  qu'eut  lieu  cette 
translation  des  reliques  d'un  saint  grec  en  Italie. 

M.  Kugener  a  apporté  par  ses  travaux  des  témoignages  impor- 

1.  Adoné,  l'Arménie  à  l'époque  de  Justinien  (en  russe).  Saint-Pétersbourg, 
1908,  xiv-526  p.  in-8°. 

2.  Karolides,  'n  Ttôkç  'Afiôptov.  Athènes,  1908,  30  p.  in-8°. 

3.  Analecta  Bollandiana,  t.  XVI,  p.  11. 

4.  Cumont,  le  Tombeau  de  saint  Dasius  de  Durostorum.  Bruxelles,  1908, 
4  p.  in-8°. 


HISTOIRE    BYZANTINE.  119 

tants  sur  le  recul  de  l'hellénisme  en  Syrie  avant  l'invasion  arabe. 
L'étude  d'une  inscription  trilingue  découverte  à  Zébed  dans  le  désert 
entre  Alep  et  l'Euphrate  (aujourd'hui  au  musée  du  Cinquantenaire 
de  Bruxelles)  nous  montre  qu'en  514,  date  de  la  consécration  de 
l'oratoire  de  saint  Serge  rapportée  sur  cette  inscription,  le  grec  était 
la  langue  officielle  de  cette  localité,  tandis  que  le  syriaque  en  était  la 
langue  indigène1 .  La  double  inscription  en  grec  et  en  syriaque  gravée 
sur  le  linteau  et  indiquant  la  date  de  la  fondation  de  l'oratoire  est 
suivie  :  1°  dune  seconde  inscription  grecque;  2°  d'une  inscription 
arabe,  toutes  deux  du  vie  siècle.  L'inscription  arabe  présente  l'inté- 
rêt d'être  «  le  plus  ancien  monument  de  l'écriture  arabe  avant  Maho- 
met »  et  un  témoignage  de  la  vénération  des  Arabes  chrétiens  pour 
saint  Serge.  Un  traité  d'astronomie  syriaque  mis  sous  le  nom  de 
Denys  l'Aéropagite  et  composé  au  vie  siècle2,  probablement  par  un 
habitant  d'Édesse,  contient  des  attaques  curieuses  contre  la  science 
hellénique  et  contre  Aristote.  C'est  un  des  nombreux  témoignages 
de  la  décadence  croissante  de  l'hellénisme  en  Orient  dont  l'expansion 
arabe  devait  profiter. 

M.  Goetz, connu  déjà  par  ses  travaux  sur  l'histoire  de  l'Eglise  russe3, 
a  écrit  une  étude  d'ensemble  sur  l'histoire  des  rapports  entre  l'Eglise 
naissante  et  les  grands  princes  de  Kiev4.  L'histoire  religieuse  de  la 
Russie  au  moyen  âge  est  liée  intimement  à  celle  de  l'expansion  de 
l'hellénisme  sous  sa  forme  religieuse.  Après  une  étude  complète  des 
sources  et  des  origines  de  l'église  fondée  par  des  Grecs  et  organisée 
sur  le  modèle  byzantin,  l'auteur  montre  comment  les  grands  princes 
russes  dans  leurs  rapports  avec  l'Église  se  sont  inspirés  du  droit  impé- 
rial de  Constantinople.  Le  fondateur  de  l'église  russe,  Vladimir,  est 
devenu  un  nouveau  Constantin;  le  pouvoir  a  été  donné  par  Dieu  à 
lui  et  à  ses  successeurs  pour  punir  les  méchants  et  récompenser  les 
bons.  A  son  avènement,  le  grand  prince  est  intronisé  dans  une  céré- 
monie religieuse  qui  ressemble  à  celle  du  sacre  des  empereurs.  La 
liturgie  contient  des  prières  pour  le  prince.  Une  union  intime  existe 
entre  l'Église  et  l'État,  dont  les  domaines  ne  se  distinguent  pas.  Les 
princes  donnent  l'exemple  de  la  piété,  ajoutent  un  nom  grec  à  leur 

1.  Kugener,  Note  sur  l'inscription  trilingue  de  Zebed.  Paris,  Impr.  nat., 
20  p.  in-8";  Nouvelle  note  sur  l'inscription  trilingue  de  Zebed.  Rome,  1908, 
10  p.  in-8°. 

2.  Kugener,  Un  traité  astronomique  et  météorologique  syriaque  attribué  à 
Denys  l'Aréopagite.  Paris,  Leroux,  1907,  02  p.  in-8°. 

3.  Voir  Rev.  hist.,  t.  XCI,  p.  342. 

4.  Gœtz,  Staat  und  Kirche  in  Altrussland,  Kiever  Période,  988-1240.  Ber- 
lin, A.  Duncker,  1908,  vm-214  p.  in-8°. 


120  BULLETIN    HISTORIQUE. 

nom  slave,  bâtissent  des  églises  et  des  monastères,  prennent  l'habit 
monastique  à  leur  lit  de  mort,  correspondent  avec  les  moines  et  les 
évoques  et  discutent  avec  eux  des  questions  de  dogme,  de  discipline, 
parfois  même  de  politique.  Les  grands  princes  n'ont  pas  cependant 
sur  l'Église  une  autorité  aussi  considérable  que  les  basileis.  D'abord 
ils  ont  reçu  le  dogme  tout  fait  de  Byzance.  D'autre  part,  l'Église 
russe  est  subordonnée  à  Constantinople;  son  chef,  le  métropolitain, 
n'est  pas  élu,  mais  nommé  par  le  patriarche  de  Constantinople;  il 
est  presque  toujours  un  grec  et  ses  décisions  sont  soumises  à  l'appel 
du  patriarche.  Depuis  le  xnc  siècle,  le  haut  clergé  n'est  plus  recruté 
exclusivement  parmi  les  Grecs  ;  il  n'en  est  pas  de  même  du  métro- 
polite, qui  a  toujours  été  Grec  et  est  devenu  de  plus  en  plus  étranger 
à  l'église  qu'il  gouvernait.  Enfin  la  division  de  la  Russie  en  princi- 
pautés indépendantes  a  favorisé  la  décentralisation  ecclésiastique  et 
les  évêques  n'ont  pas  tardé  à  acquérir  une  véritable  autonomie  vis- 
à-vis  du  métropolitain.  Telle  est  l'originalité  de  l'histoire  de  l'Eglise 
russe  :  cependant  un  fait  domine  toute  cette  histoire  depuis  son 
origine,  c'est  le  pouvoir  ecclésiastique  que  le  prince  s'est  arrogé  à 
l'imitation  des  empereurs  byzantins. 

XI.  Histoire  de  la  civilisation.  —  Aucun  ouvrage  ne  nous  fait 
mieux  pénétrer  dans  l'histoire  intellectuelle  des  monastères  grecs  du 
moyen  âge  que  le  monument  élevé  par  Mme  Marie  Vogel  et  M.  Gardt- 
hausen  aux  copistes  des  manuscrits  grecs1.  Trois  mille  noms  de 
copistes  ont  été  relevés  sur  les  manuscrits  grecs  des  bibliothèques 
européennes;  à  chaque  article,  on  trouve  des  détails  biographiques, 
la  liste  des  manuscrits  copiés  et  des  références.  A  côté  des  moines 
du  haut  moyen  âge  figurent  les  humanistes  des  xve-xvie  siècles, 
Lascaris,  Palaeocappa,  etc. 

M.  Schlumberger  a  apporté  une  nouvelle  contribution  à  l'histoire 
de  la  sigillographie  et  des  petits  monuments  de  l'art  byzantin*2. 
Comme  toujours,  les  saints  militaires,  saint  Georges,  saint  Théo- 
dore Tiron,  jouent  un  grand  rôle  sur  ces  plaques  ou  sur  ces  intailles. 
Sur  une  croix  processionnelle  de  bronze  provenant  de  Homs  (Syrie) 
se  trouve  le  nom  de  Théognis,  général  de  Tibère  (581).  La  série 
ecclésiastique  s'est  augmentée  de  plusieurs  sceaux  de  métropolitains 
et  de  celui  d'un  patriarche  de  Jérusalem. 

Le  Manuel  d'art  byzantin  de  M.  Diehl3  est  une  synthèse  con- 

1.  Marie  Vogel  et  Gardthausen,  Die  griechischen  Schreiber  des  Mittelatters 
und  der  Renaissance.  Leipzig,  1909,  508  p.  in-S°  (Beiheft  XXXIII  zum  Zen- 
tralblatt  fur  Bibliothekwesen). 

2.  G.  Schlumberger,  Monuments  byzantins  inédits.  Paris,  Impr.  nat.,  1910, 
13  p.  in-8°. 

3.  Charles  Diehl,  Manuel  d'art  byzantin.  Paris,  Picard,  1910,  xi-837  p.  in-8°. 


HISTOIRE    BYZANTINE.  121 

sidérable  dans  laquelle  sont  étudiés  tous  les  monuments  importants 
qui  ont  été  découverts  ou  remis  en  lumière  au  cours  de  ces  dernières 
années.  Dans  son  illustration,  en  particulier,  l'auteur,  sans  négliger 
les  reproductions  classiques,  a  fait  une  large  place  aux  monuments 
peu  connus  qui  n'avaient  été  reproduits  que  dans  des  publications 
académiques  ou  dans  des  revues  spéciales.  Certaines  parties  de  l'ou- 
vrage, comme  les  chapitres  sur  les  fresques  des  grottes  de  Cappa- 
doce  et  des  églises  russes,  et  toute  l'étude  sur  l'art  byzantin  à 
l'époque  des  Paléologues  seront  pour  le  public  de  véritables  révéla- 
tions. Le  mérite  de  la  nouveauté  est  donc  un  des  attraits  de  ce  livre 
et.  grâce  au  répertoire  complet  qu'il  présente  et  à  l'abondante  biblio- 
graphie disposée  dans  un  ordre  méthodique,  dont  il  est  accompagné, 
il  est  destiné  à  rendre  les  plus  grands  services.  Mais,  en  outre,  il  est 
autre  chose  et  plus  qu'un  simple  manuel.  M.  Diehl  qui,  par  tous 
ses  travaux  antérieurs,  était  admirablement  préparé  à  composer  cette 
synthèse  a  voulu  la  présenter  dans  un  ordre  historique  ;  l'explica- 
tion du  développement  de  l'art  byzantin  tient  dans  son  livre  une 
place  aussi  grande  que  la  description  des  monuments.  Bien  plus, 
comme  il  était  inévitable,  il  a  dû  prendre  parti  dans  la  question  si 
controversée  de  l'originalité  de  l'art  byzantin,  et  la  thèse  qu'il  a  adop- 
tée d'une  manière  très  nette,  et  au  service  de  laquelle  il  a  mis  toutes 
les  ressources  de  son  érudition  et  d'une  exposition  pleine  de  clarté, 
ne  constitue  pas  un  des  moindres  intérêts  de  son  livre. 

Dans  une  première  partie,  consacrée  à  l'origine  de  l'art  byzantin, 
l'auteur  abandonne  la  théorie  de  l'art  impérial  romain  et  rend  pleine 
justice  aux  études  d'Aïnalov  et  de  Strzygowski  sur  la  domination 
incontestable  exercée  par  l'art  hellénistique,  imprégné  d'éléments 
orientaux,  à  la  fin  de  l'antiquité.  Il  analyse  les  éléments  que  l'art 
byzantin  a  reçus  de  la  Syrie  (décoration  sculptée,  iconographie),  de 
l'Egypte  (goût  de  la  polychromie,  du  dessin  pittoresque  et  du  por- 
trait réaliste),  de  l'Asie  Mineure  (édifices  à  coupoles  sur  pendentifs, 
églises  à  croix  grecque,  etc.).  Peut-être  une  part  plus  importante 
eût-elle  pu  être  faite  à  la  Perse  et  surtout  à  la  Mésopotamie,  dont 
on  commence  à  entrevoir  l'activité  créatrice.  Il  est  incontestable  que 
ces  éléments  étrangers  ont  subi  dans  une  certaine  mesure  l'influence 
du  milieu  nouveau  dans  lequel  ils  se  sont  combinés.  Il  est  impos- 
sible d'expliquer  le  développement  de  l'art  byzantin  si  l'on  oublie 
les  carrières  de  Proconnèse  qui  lui  ont  fourni  ses  matériaux  et  le 
programme  que  les  exigences  de  la  cour  impériale  ou  les  conditions 
matérielles  de  la  nouvelle  capitale  ont  imposé  aux  artistes.  Bien 
plus,  dès  l'origine,  l'art  byzantin  prend  un  caractère  particulariste 
en  éliminant  certains  éléments  orientaux  (basilique  voûtée,  arcs 
brisé  et  outrepassé,  porche  syrien  entre  deux  tours)  qui  restèrent 


122  BULLETIN    HISTORIQUE. 

inconnus  à  Constantinople  ;  en  outre,  tandis  que  la  tradition  hellé- 
nistique s'affaiblissait  de  plus  en  plus  en  Orient,  elle  se  maintint  à 
Byzance  à  travers  les  siècles.  L'art  byzantin  est  donc  une  importa- 
tion orientale  en  Europe,  mais  il  n'a  pas  tardé  à  former  une  pro- 
vince autonome  et  il  semble  difficile  de  contester  cette  conclusion. 

Où  les  divergences  apparaissent,  c'est  lorsqu'il  s'agit  d'apprécier 
le  rôle  historique  de  cet  art.  N'a-t-il  été  qu'une  longue  survivance, 
et  a-t-il  fallu  pour  le  renouveler  de  nouveaux  apports  étrangers,  ou 
bien  a-t-il  eu  un  développement  organique  indépendant  des  influences 
extérieures?  Son  action  a-t-elle  été  restreinte  à  l'empire  byzantin, 
ou  bien  est-ce  par  son  intermédiaire  que  les  peuples  slaves  et  même 
les  Occidentaux  ont  subi  l'influence  de  l'art  oriental?  De  ces  deux 
thèses  contradictoires,  M.  Diehl  défend  celle  du  développement  ori- 
ginal et  de  l'action  toute  puissante  de  l'art  byzantin  ;  il  cherche  à  en 
montrer  l'évolution  régulière,  dont  les  moments  sont  marqués  par 
trois  grandes  époques  :  vie  siècle,  époque  des  Macédoniens  et  des 
Comnènes,  époque  des  Paléologues. 

Dans  les  monuments  de  la  première  époque,  M.  Diehl  relève  avec 
raison  les  perfectionnements  apportés  aux  procédés  architecturaux 
et  qui  ont  rendu  possible  la  construction  de  Sainte- Sophie;  mais  il 
ne  faut  pas  oublier  que  les  seuls  architectes  dont  les  noms  nous 
soient  parvenus  étaient  originaires  d'Asie  Mineure;  Sainte-Sophie 
est  donc  moins  un  point  de  départ  (une  école  artistique  ne  débute 
pas  par  des  chefs-d'œuvre)  que  la  création  suprême  des  écoles  artis- 
tiques de  l'Asie.  L'architecture  byzantine  est  donc  à  sa  naissance 
toute  orientale  et  l'examen  des  autres  arts  amène  à  la  même  con- 
clusion. La  victoire  de  l'Orient  s'affirme  dans  la  sculpture  sur 
pierre  ou  sur  ivoire,  dans  la  technique  de  l'orfèvrerie,  dans  la  déco- 
ration des  tissus  empruntée  à  l'Egypte  ou  à  la  Perse,  dans  les  icônes 
qui  ont  gardé  jusqu'au  bout  la  tradition  de  la  peinture  égyptienne. 
De  même,  c'est  avec  peine  que  M.  Diehl  résout  exclusivement  en 
faveur  de  Byzance  la  question  des  mosaïques  de  Ravenne,  où  il 
constate  lui-même  un  certain  archaïsme,  et  celle  des  miniatures  dont 
il  est  obligé  d'admettre  en  partie  la  provenance  syrienne  ou  alexan- 
drine.  Le  fait  même  de  la  ressemblance  entre  le  Christ  barbu  de 
Ravenne  et  celui  du  Codex  Rossanensis  tendrait  à  prouver  que 
les  mosaïques  de  Ravenne  ne  sont  pas  nécessairement  byzantines. 
Sans  doute  l'influence  de  Constantinople  s'est  exercée  dès  cette 
époque,  comme  le  prouve  l'importation  des  chapiteaux  en  marbre 
de  Proconnèse,  mais  Byzance  n'a  fait  que  donner  ce  qu'elle  avait 
reçu  elle-même  d'ailleurs.  La  vérité,  c'est  qu'avant  l'invasion  arabe 
il  existe  dans  le  monde  méditerranéen  une  école  d'art  hellénistique- 


BISTOIRE    BYZANTINE. 


123 


oriental  dont  Constantinople  n'est  qu'un  des  centres  principaux. 
Si  l'influence  byzantine  règne  en  Italie,  et,  en  particulier,  à  Rome, 
il  est  peut-être  difficile  de  la  trouver  dans  les  églises  arméniennes, 
et  on  ne  peut  admettre  qu'à  l'époque  carolingienne  Byzance  ait  con- 
servé en  Europe  «  la  direction  générale  de  l'art  »  (p.  363). 

Après  la  querelle  des  images,  les  conditions  sont  très  différentes 
et  l'école  byzantine  est  devenue  la  principale,  mais  non  la  seule 
école  d'art  chrétien  oriental.  L'art  byzantin  se  distingue  alors  par 
des  caractères  qui  lui  sont  propres  et  que  M.  Diehl  a  bien  mis  en 
lumière  :  quelle  que  soit  l'origine  de  l'église  en  croix  grecque,  elle 
n'en  est  pas  moins,  à  partir  du  xe  siècle,  le  monument  caractéris- 
tique de  l'architecture  byzantine;  de  même,  en  admettant  l'origine 
antérieure  de  la  plupart  des  motifs  de  l'iconographie  byzantine,  la 
réunion  systématique  de  ce  cycle  de  figures  et  de  scènes  dans  les 
églises  grecques  n'en  est  pas  moins  une  originalité  ;  enfin,  si  la  plu- 
part des  manuscrits  sont  la  reproduction  de  prototypes  anciens,  on 
peut  parfois  constater  dans  les  copies  des  variantes  qui  impliquent 
des  tendances  nouvelles;  l'existence  d'une  école  byzantine  à  cette 
époque  est  une  réalité  et  il  serait  vain  de  vouloir  chercher  ailleurs 
une  persistance  de  la  tradition  hellénique  comparable  à  celle  qui 
règne  dans  les  mosaïques  de  Daphni.  M.  Diehl  a  d'ailleurs  fait  à 
l'Orient  la  part  qui  lui  revient  dans  l'origine  des  techniques  usitées 
dans  l'art  byzantin  du  xr  siècle  ;  le  seul  reproche  qu'on  pourrait  lui 
adresser  serait  d'avoir  voulu  trop  étendre  l'influence  de  cette  école 
en  revendiquant  pour  elle  les  églises  à  coupoles  du  Périgord. 

Enfin  reste  la  dernière  période  de  l'art  byzantin  qui  commence 
après  la  restauration  de  l'Empire  par  Michel  Paléologue.  L'art  nou- 
veau, qui  s'est  développé  à  Constantinople,  dans  les  provinces  et  les 
pays  slaves,  présente  un  assez  grand  caractère  d'unité.  La  recherche 
du  pittoresque,  l'observation  réaliste,  le  goût  des  types  individuels 
et  même  populaires,  l'entente  de  la  décoration,  la  science  raffinée  de 
la  couleur,  qui  produit  une  peinture  toute  impressionniste,  tels  en 
sont  les  principaux  caractères.  Pour  expliquer  cette  renaissance, 
M.  Diehl  rejette  l'hypothèse  d'un  retour  à  des  prototypes  syriens  et 
il  faut  avouer  que  les  qualités  originales  d'exécution,  qu'on  trouve 
dans  ce  nouvel  art,  lui  donnent  raison.  Peut-être  fait-il  trop  bon 
marché  de  l'influence  occidentale,  contestable  peut-être  dans  la  pein- 
ture, mais  qui  paraît  très  visible  dans  les  églises  de  Mistra  et  de 
Trébizonde.  D'autre  part,  s'il  y  a  eu  une  réelle  transformation  de 
l'art  byzantin  au  xive  siècle,  il  ne  faudrait  pas  trop  insister  sur  son 
caractère  d'originalité.  Les  paysages  pompéiens,  qui  forment  les 
fonds  des  mosaïques  de  Kahrié-Djami  ou  des  fresques  de  Mistra,  ne 


124  BULLETIN    HISTOIUQUE. 

sont  qu'un  retour  à  l'antique;  quelques  portraits,  comme  celui  de 
Jean  Cantacuzène,  sont  admirables  de  vérité,  mais  si  l'observation 
de  la  nature  a  tenté  certains  artistes,  elle  n'a  pu  les  affranchir  des 
traditions  étroites  qui  pesaient  sur  l'art  byzantin  depuis  ses  origines. 
L'hellénisme  n'a  fourni  à  cet  art  que  des  motifs  de  décoration, 
mais  il  a  toujours  gardé  son  caractère  oriental;  si  l'on  peut  admettre 
avec  M.  Diehl  qu'il  n'est  pas  toujours  resté  semblable  à  lui-même, 
c'est  à  condition  d'ajouter  que  ses  transformations  ont  eu  moins  le 
caractère  d'un  développement  organique  que  celui  de  renaissances 
suivies  de  périodes  d'affaiblissement. 

Nous  avons  insisté  sur  l'idée  maîtresse  qui  donne  à  ce  livre  toute 
son  originalité;  il  nous  semble  que  son  principal  mérite  est  d'avoir 
dégagé  par  une  analyse  minutieuse  les  caractères  que  présente  l'art 
byzantin  aux  divers  moments  de  son  histoire;  aussi,  malgré  les 
réserves  que  nous  avons  cru  devoir  présenter,  il  serait  injuste  de  ne 
pas  reconnaître  le  grand  service  que  M.  Diehl  a  rendu  à  l'histoire 
de  l'art  byzantin  en  dissipant  bien  des  obscurités  et  en  déterminant, 
d'une  manière  nette,  les  différences  de  style  qui  appartiennent  à 
chaque  époque. 

Les  églises  byzantines  de  Salonique  transformées  en  mosquées  ont 
été  l'objet  dans  ces  derniers  temps  de  restaurations  intelligentes  qui 
ont  fait  réapparaître  des  mosaïques  admirables  dissimulées  sous  le 
badigeon  ou  le  papier.  M.  Letourneau  a  relevé  les  mosaïques  de  la 
coupole  et  de  l'abside  de  l'église  Sainte-Sophie;  après  avoir  étudié 
de  son  côté  ces  mosaïques,  M.  Ch.  Diehl  a  cherché  à  en  détermi- 
ner les  dates1.  Dans  l'abside,  on  trouve  des  traces  d'une  décoration 
des  ve-vie  siècles  (la  grande  croix  sur  fond  d'or),  tandis  que  la 
madone  trônant  au  fond  est  un  monument  fort  curieux  de  la  pre- 
mière restauration  des  images.  On  sait  combien  sont  rares  les  œuvres 
de  cette  époque.  La  date  est  donnée  par  les  monogrammes  de  Cons- 
tantin VI,  d'Irène  et  de  l'évèque  Théophile.  La  coupole  offre  égale- 
ment des  figures  de  deux  époques  :  tandis  que  le  Pantocrator,  à  la 
figure  courte,  à  la  main  démesurée,  appartient  à  un  décor  primitif 
auquel  se  rapporte  une  inscription  malheureusement  incomplète,  la 
madone,  les  apôtres  et  les  anges  qui  l'entourent  ont  été  appliqués 
plus  tard  sur  ce  fond  d'or  primitif.  En  comparant  la  figure  du 
Christ  aux  miniatures  syriaques  du  vie  siècle,  M.  Diehl  conclut 
que  les  restes  de  la  première  décoration  datent  du  vne  siècle,  tandis 
que  les  personnages  qui  entourent  la  coupole  se  rattachent  à  l'art 

1.  CU.  Diehl  et  M.  Letourneau,  les  Mosaïques  de  Sainte-Sophie  de  Salo- 
nique. Paris,  Leroux,  1908,  24  p.  in-4°. 


HISTOIRE   BYZANTINE.  125 

de  Daphni,  de  Saint-Marc  de  Venise,  de  Vatopédi  et  appartiennent 
à  l'époque  macédonienne  (xe-xie  siècles).  On  voit  quelle  est  L'impor- 
tance de  ces  constatations  pour  l'histoire  de  l'art  byzantin. 

L'église  Saint-Démétrius  de  Salonique  décrite  par  Papageorgiu 
[Byz.  Zeit.,  t.  XVII,  p.  321-381)  a  été  étudiée  par  M.  Uspensku 
qui  en  a  relevé  les  mosaïques'.  Se  fondant  sur  le  témoignage  d'un 
manuscrit  du  xne  siècle  (Bibl.  nat.,  ms.  grec  1517),  M.  Tafrali 
démontre,  contrairement  aux  conclusions  de  M.  Uspenskij,  que  l'in- 
cendie qui  ravagea  cette  église  eut  lieu  entre  629-634,  que  la  res- 
tauration fut  entreprise  aussitôt  après  le  sinistre  et  achevée  assez 
vite,  que  le  personnage  nommé  Léon  sur  une  inscription  de  la 
mosaïque  ne  peut  être  identifié  avec  Léon  III  PIsaurien;  il  s'agit  de 
1'  «  éparque  »  Léon,  dont  parle  le  manuscrit2. 

Le  XIIe  Bulletin  de  l'Institut  archéologique  de  Russie  de  Cons- 
tantinople  est  consacré  à  une  œuvre  importante  de  la  miniature 
byzantine,  au  précieux  Octateuque  de  la  bibliothèque  du  Sérail  dont 
l'étude  avait  été  impossible  jusqu'ici3.  M.  Uspenskij  a  pu,  grâce  à 
un  iradé  spécial  du  sultan,  examiner  et  photographier  les  miniatures 
de  ce  précieux  manuscrit.  Dans  l'album  qui  accompagne  sa  publi- 
cation il  a  fait  reproduire  195  miniatures  auxquelles  il  a  ajouté 
d'autres  miniatures  provenant  d'octateuques  apparentés  à  celui  du 
Sérail,  ceux  du  Vatican,  du  mont  Athos,  de  Smyrne.  Ces  divers 
manuscrits  forment  un  groupe  d'œuvres  semblables  inspirées  pro- 
bablement d'un  même  prototype  plus  ancien.  On  relève  par  exemple 
des  rapports  intéressants  entre  quelques-unes  de  leurs  miniatures 
et  celles  du  Rouleau  de  Josué  du  Vatican.  Un  autre  intérêt  de  ce 
manuscrit,  c'est  le  témoignage  qu'il  nous  apporte  sur  le  mouvement 
intellectuel  à  l'époque  des  Comnènes.  Il  a  été  écrit  en  effet  pour 
le  prince  Isaac,  fils  d'Alexis  Comnène,  qui  en  a  composé  le  prologue 
dans  la  première  moitié  du  xne  siècle.  Ce  prince  peu  connu,  dont 
M.  Uspenskij  a  reconstitué  la  biographie,  avait  fondé  le  monastère 
de  la  «  Cosmosoteira  »  en  Thrace,  dont  l'église  subsiste  encore 
aujourd'hui. 

M.  Strzygowski  a  continuer  à  prouver  par  des  exemples  carac- 
téristiques l'influence  profonde  exercée  par  l'art  oriental  de  la  fin 
de  l'antiquité  sur  le  développement  artistique  de  l'Europe.  C'est 
ainsi  qu'il  montre  comment  la  tablette  en  forme  de  sigma  employée 

1.  Bull,  de  l'Institut  archéologique  de  Russie  à  Constanlinople,  l.  XIX. 

2.  Tafrali,  Sur  les  réparations  faites  au  VH°  siècle  à  l'église  de  Saint- 
Démétrius  de  Salonique.  Paris,  Leroux,  1909,  7  p.  in-8°. 

3.  Th.  Uspensky,  l 'Octateuque  de  la  bibliothèque  du  Sérail  à  Constanti- 
nople.  Sofia  cl  Leipzig,  Harrassowitz,  1907,  '255  p.  in-4°  el  album  de  47  pi. 


I2G  BULLETIN    J11ST0RIQUE. 

par  les  Coptes  et  les  Arabes  comme  stèle  funéraire  a  donné  une  des 
formes  de  l'autel  chrétien,  puis  celle  du  réfectoire  monastique1 
(Daphni,  Lavra,  etc.).  Il  suit  de  même  le  développement  de  la 
coupole  persane  supportée  par  des  trompes  d'angles  et  qui,  dans 
l'architecture  byzantine  (Saint-Luc,  Daphni),  se  substitue  à  la  cou- 
pole sur  pendentifs2.  Enfin,  après  Herman  Thiersch.  il  recherche 
dans  l'antiquité  classique  et  dans  l'Orient  antique  la  forme  architec- 
turale qui  a  donné  naissance  au  minaret  musulman3. 

M.  G.  Millet  a  commencé  à  publier  les  relevés  des  monu- 
ments de  Mistra4.  Nous  reviendrons  sur  cet  important  travail  qui 
comblera  les  lacunes  de  nos  connaissances  sur  l'art  byzantin  des 

xive  et  xve  siècles. 

Louis  Bréhier. 


HISTOIRE  DE  FRANCE. 

RÉVOLUTION    ET    EMPIRE. 
(Suite  et  finb.) 

Dans  son  livre  la  Grande  Révolution6 ,  M.  Pierre  Kropotkine 
retrace,  une  fois  de  plus,  à  son  point  de  vue  spécial  (celui  de  l'anar- 
chie révolutionnaire),  le  tableau  d'ensemble  du  mouvement  de  1789- 
1795.  Nous  connaissons  bien,  selon  lui,  le  courant  de  la  pensée 
d'alors,  mais  l'histoire  de  l'autre  courant,  celui  de  l'action  popu- 
laire, «  n'a  pas  même  été  ébauchée  »  (p.  6).  On  pouvait  croire 
cependant  que  Michelet,  Louis  Blanc  et  M.  Jaurès  avaient  consacré 
des  pages  nombreuses  et  brillantes  à  ce  personnage  nouveau,  le 

1.  Strzygowski,  Der  sigmafôrmige  Tisch  und  der  xlteste  Typus  des  Refek- 
toriums.  Heidelberg,  Winter,  1909,  10  p.  in-4°. 

2.  Strzygowski,  Die  persische  Trompen  Kuppel.  Heidelberg,  Winter,  1909, 
15  p.  in-4\ 

3.  Strzygowski,  Antike,  Islam  und  Occident.  Leipzig,  Teubner,  1909,  18  p. 
in-8°. 

4.  G.  Millet,  Monuments  byzantins  de  Mistra  (matériaux  pour  l'étude  de 
l'architecture  et  de  la  peinture  en  Grèce  aux  xiv°  et  xve  siècles),  atlas  de 
152  pi.  Paris,  Leroux,  1910,  in-fol.  (Monuments  de  l'art  byzantin  publiés  sous 
les  auspices  du  ministère  de  l'Instruction  publique,  II). 

5.  Voir  Revue  historique,  t.  CIV,  p.  377. 

6.  Pierre  Kropotkine,  la  Grande  Révolution,  1789-1793,  2e  éd.  Paris,  Stock, 
1909,  vn-749  p.  in-8°.  L'auteur  donne  plus  que  le  titre  ne  promet,  car  il  raconte 
encore  la  fin  de  la  Convention. 


HISTOIRE    DE   FRANCE.  127 

peuple,  qui  surgit  aux  alentours  de  1789,  fait  succéder  les  émeutes 
politiques  aux  émeutes  de  la  famine,  puis  se  lance  dans  les  jacque- 
ries rurales  et  le  mouvement  agraire  jusqu'à  ce  que  la  réaction  soit 
définitivement  vaincue  en  juin  1792.  Encore  la  révolution  du  10  août 
n'a  nullement  suffi  pour  atteindre  ce  but.  Il  a  fallu  guillotiner  le  roi 
et  chasser  les  Girondins  de  la  Convention1  pour  amener  celle-ci  à 
restituer  aux  paysans  les  terres  enlevées  jadis  par  les  seigneurs  et 
les  bourgeois  (p.  275).  Le  livre  est  écrit  avec  une  chaleur  presque 
persuasive  et  un  enthousiasme  humanitaire  qui  voit  déjà  la  Russie, 
l'Allemagne  et  l'Autriche  prêtes  à  commencer  également  leurs  révo- 
lutions sociales.  On  reste  persuadé  que  l'auteur  est  d'une  entière 
bonne  foi,  et  c'est  précisément  ce  qui  attriste  quelque  peu  quand  on 
rencontre  chez  lui  l'apologie  détaillée  des  massacres  de  septembre 
(p.  374-391)  ou  le  panégyrique  de  Marat  (p.  579) a.  Mais  la  lecture 
de  son  livre  est  instructive  ;  en  étudiant  des  écrits  de  ce  genre,  même 
quand  ils  nous  semblent  un  travestissement  involontaire  du  passé, 
ils  permettent  de  mieux  comprendre  les  passions  politiques  et 
sociales  de  l'époque  contemporaine  et  l'on  peut  profiter  des  lueurs 
qu'ils  projettent  sur  l'avenir3. 

M.  Hocquart  de  Turtot  n'a  raconté  qu'un  des  premiers  cha- 
pitres du  drame  révolutionnaire  dahs  sa  Conquête  des  Communes*; 
il  comprend,  sous  ce  titre,  l'histoire  parlementaire  des  mois  de  mai, 
juin,  juillet  1789.  Peut-être  se  trompe-t-il,  croyant  traiter  «  un 
sujet  nouveau  »,  en  nous  racontant  les  débuts  de  la  Constituante  et 
ce  duel  inégal  entre  la  royauté  inerte  et  mal  conseillée  et  l'esprit 
nouveau  du  tiers  accourant  à  Versailles,  impatient  de  réformes, 
avide  de  libertés.  On  ne  trouvera  rien  de  bien  neuf  dans  son  volume, 
ni  pour  les  faits  ni  pour  les  idées5.  L'auteur  blâme  sans  doute  dou- 
cement la  maladresse  de  Louis  XVI,  mais  il  accentue  surtout,  «  avec 
un  sentiment  de  tristesse  » ,  Yusurpation  des  députés  avant  et  après 
la  séance  du  Jeu  de  Paume.  Sans  vouloir  dissimuler  l'ignorance  de 

1.  Ces  Girondins  sont  d'ailleurs  «  la  Contre-Révolution  ».  «  La  Révolution 
ne  pouvait  s'arrêter  inachevée;  elle  dut  passer  outre  sur  leurs  corps  »  (p.  462). 

2.  M.  Kropotkine  nous  affirme  qu'il  ne  fut  «  nullement  sanguinaire  »,  qu'il 
aurait  désapprouvé  la  Terreur  et  que  c'est  même  le  seul  des  hommes  mar- 
quants de  la  Révolution  qui  ait  vu  les  choses  en  grand  (p.  580). 

3.  Il  y  aurait  plus  d'une  remarque  de  détail  à  faire,  mais  M.  Kropotkine 
n'a  pas  voulu  écrire  un  livre  d'érudition.  C'est  une  œuvre  de  doctrine  et  de 
propagande,  et  c'est  comme  telle  seulement  qu'il  est  équitable  de  la  juger. 

4.  E.  Hocquart  de  Turtot,  la  Conquête  des  Communes,  mai-juillet  1789. 
Paris,  Perrin  et  Ci6,  1910,  vn-279  p.  in-18. 

5.  Le  livre  est  fait  avec  le  Moniteur  et  les  Mémoires  bien  connus  de  Bailly, 
Malouet,  Ferrières,  etc. 


128  BULLETIN    HISTORIQUE. 

la  reine  ni  l'insuffisance  du  roi,  il  ne  s'est  pas  suffisamment  rendu 
compte  de  l'incapacité  absolue  du  monarque.  Il  s'efforce  sincèrement 
d'être  impartial,  mais  certaines  affirmations  témoignent  d'une  con- 
fiance trop  naïve  aux  assertions  des  contre-révolutionnaires1. 

En  parlant  de  l'influence  supposée  de  la  franc-maçonnerie  à  cette 
époque,  M.  Hocquart  de  Turtot  s'est  laissé  aller  à  dire  que  «  la 
chose  lui  paraissait  peu  sérieuse  »  (p.  226).  Cet  aveu  vaudra  sans 
doute  à  l'auteur  les  reproches  de  M.  Gustave  Bord,  l'auteur  de  la 
Conspiration  révolutionnaire  de  11892;  dans  ce  livre,  il  prétend 
montrer,  —  thèse  qui  n'est  pas  nouvelle,  puisque  l'abbé  Barruel  la 
développait  il  y  a  plus  de  cent  ans  déjà,  —  que  toute  la  Révolution 
jaillit  des  loges  comme  Minerve  de  la  tête  de  Jupiter.  M.  Bord  y  a 
mis  beaucoup  d'entrain,  soutenu  par  une  érudition  très  documentée 
sur  de  nombreux  points  de  l'histoire  révolutionnaire.  Il  ne  démontre 
en  définitive  qu'une  chose,  dont  aucun  historien  sérieux  n'a  jamais 
douté,  c'est  que  beaucoup  des  personnages  marquants,  surtout  au 
début  du  mouvement  révolutionnaire,  étaient  affiliés  aux  loges  et 
même  y  avaient  joué  un  rôle.  On  était  alors  d'une  loge  maçonnique 
comme  on  est  aujourd'hui  d'un  cercle  ou  d'une  association  savante 
ou  sportive.  Les  intelligences  en  éveil,  les  ambitions  inquiètes 
devaient  s'y  grouper  tout  naturellement.  Mais  conclure  de  ce  fait  à 
l'existence  d'une  «  conspiration  »  organisée  en  France  par  les  loges 
en  faveur  du  duc  d'Orléans  me  semble  bien  risqué,  et  plus  encore 
de  nous  montrer  les  agents  de  la  maçonnerie  travaillant  fiévreuse- 
ment à  la  dissolution  de  l'Etat3.  Si  l'auteur  nous  présente  ainsi  des 
fantaisies  plus  ou  moins  historiques  dans  son  chapitre  des  Com- 
plices, ce  sont  des  scènes  d'un  réalisme  bien  lugubre  qu'il  nous 
dépeint  dans  celui  des  Victimes,  où  il  raconte  la  fin  lamentable  de 
Launey,  Flesselles,  Bertier  et  Foulon  avec  beaucoup  de  détails  nou- 
veaux4. Il  y  a  autre  chose  pourtant  dans  le  mouvement  de  1789  que 
des  tyranneaux  de  village  comme  Gléron-Rappe  ou  des  monstres 

1.  Comme  lorsqu'il  assure  que  les  rassemblements  de  troupes  en  juillet  ne 
visaient  nullement  un  coup  de  force  (p.  179).  —  P.  5,  lire  1588  pour  1688; 
p.  182,  lire  Falckenhayn  pour  Fackenhein. 

2.  Gustave  Bord,  la  Conspiration  révolutionnaire  de  1789.  Les  complices. 
Les  victimes.  Paris,  Bibliothèque  d'histoire  moderne,  1909,  xxn-447  p.  in-8°, 
planches. 

3.  L'auteur  semble  ignorer  que  les  révolutions  ne  réussissent  jamais  que 
quand  les  temps  sont  venus,  c'est-à-dire  quand  les  gouvernants,  quels  qu'ils 
soient,  succombent  sous  le  poids  de  leurs  propres  maladresses,  de  leurs  fautes 
ou  de  leurs  crimes;  l'histoire  de  notre  pays  est  là  pour  le  prouver;  je  ne  parle 
pas,  bien  entendu,  des  coups  d'État  faits  par  les  gouvernements  eux-mêmes. 

4.  250  pages  sont  consacrées  à  Bertier,  à  Foulon  et  à  leurs  assassins. 


HISTOIRE    DE    FRANCE. 


129 


comme  le  cuisinier  Dénot.  Puisque  l'auteur  reproche  àprement  aux 
«  historiens  révolutionnaires  »  de  faire  tant  d'efforts  «  aux  dépens 
de  la  vérité  pour  conserver  intactes  les  légendes  de  1789  »  (p.  406), 
il  est  permis  de  lui  répondre  qu'on  fausse  également  l'histoire  quand 
on  affirme  que  ce  sont  «  des  bandes  soudoyées  qui,  pour  le  compte 
d'ambitieux,  ont  joué  le  principal  rôle  »  dans  cette  révolution  et 
qu'on  nie  de  la  sorte  les  aspirations  légitimes  de  la  nation  tout 
entière,  sauf  quelques  milliers  de  privilégiés'. 

M.  Gaston  Maugras  a  pu  mettre  autrefois  la  main  sur  une  cor- 
respondance adressée  de  Paris  à  ses  parents  par  le  fils  d'un  arma- 
teur bordelais  venu  dans  la  capitale  pour  y  poursuivre  ses  études.  Il 
l'a  publiée  sous  le  titre,  qui  n'est  pas  absolument  exact,  de  Journal 
d'un  étudiant2  et  vient  d'en  publier  une  seconde  édition.  Ces 
lettres  nous  donnent  les  impressions  très  prime-sautières  du  jeune 
Edmond  Géraud  exprimées,  au  courant  de  sa  plume,  avec  un 
entrain,  je  serais  presque  tenté  de  dire  avec  une  outrecuidance 
extrême3,  car  il  entrait  à  peine  dans  son  quinzième  printemps  quand 
il  entama  cette  correspondance  sur  les  questions  du  jour  avec  «  papa  » 
et  «  maman  ».  Évidemment,  les  opinions  d'un  jouvenceau,  si  peu 
capable  encore  de  juger  les  hommes  et  les  choses,  n'ont  d'impor- 
tance pour  nous  que  parce  qu'on  y  perçoit  l'écho  des  bruits  de  la 
foule,  de  cette  foule  changeante  qui  d'abord  s'extasie  sur  les  vertus 
de  Louis  XVI,  le  nouveau  «  bien-aimé  »,  sauf  à  le  conspuer,  douze 
mois  plus  tard,  comme  le  «  bœuf  couronné  ».  Géraud,  lui  aussi-, 
brûlera  plus  tard  avec  entrain  ce  qu'il  avait  adoré  d'abord4.  Et  il  a 

1.  On  à  peine  à  comprendre  comment  M.  Bord  parle  encore  «  de  la  légende 
du  complot  de  la  cour  »  après  tout  ce  que  l'on  sait  aujourd'hui  de  l'attitude 
de  la  famille  royale  pendant  toute  l'année  1789.  —  P.  21,  il  me  semble  bien 
douteux  que  M.  Jean  de  Turckheim,  un  des  députés  de  Strasbourg,  très  con- 
servateur et  bientôt  émigré,  ait  fait  partie  du  club  Breton. 

2.  Gaston  Maugras,  Journal  d'un  étudiant  (Edmond  Géraud)  pendant  la 
Révolution,  1789-1793,  nouv.  éd.  Paris,  Plon-Nourrit  et  Cie,  1910,  vn-331  p. 
in-18. 

3.  Le  modèle  du  genre  est  la  lettre  (p.  300-303)  :  «  Tu  m'as  demandé,  papa, 
mon  sentiment  sur  chacun  des  députés  de  Paris,  etc.  »,  dans  laquelle  Edmond, 
avec  une  aisance  parfaite,  juge  et  définit  Robespierre,  Marat,  Danton,  Camille 
Desmoulins,  Collot  d'Herbois,  Billaud-Varennes,  etc. 

4.  Dès  septembre  1791,  Duport  n'est  plus  qu'un  «  courtisan  vil  et  abject  », 
l'honnête  Ramond  de  Carbonnières  un  «  misérable  d'une  méchanceté  réflé- 
chie »;  il  gémit  de  l'indicible  «  duplicité  du  traître  Lafayette  ».  Il  avait  écrit 
d'abord  :  «  Notre  liberté  ne  peut  s'assurer  qu'autant  qu'elle  aura  pour  lit  des 
matelas  de  cadavres;  je  consens  à  devenir  l'un  de  ces  cadavres  »;  après  trois 
mois  de  service  en  1793  dans  l'armée  des  Pyrénées,  il  rentrait  à  Bordeaux,  où 
il  «  vécut  paisible  et  ignoré  »  en  faisant  de  la  littérature. 

Rev.  Histor.  CV.  1er  FASC.  9 


130  BULLETIN    HISTORIQUE. 

adoré  bien  des  choses,  Vestris  et  MUe  Raucourt,  le  Lycée  et  le  club 
des  Jacobins,  Mirabeau  et  l'abbé  Delille,  les  soldats  de  Châteauvieux 
et  «  l'inestimable  Pétion  ».  Il  faut  pourtant  reprocher  au  volume  de 
M.  Maugras  un  assez  grave  défaut.  Au  lieu  de  nous  donner  simple- 
ment les  lettres  de  l'étudiant,  avec  quelques  notes  nécessaires,  il  a 
voulu  présenter  à  ses  lecteurs  un  tableau  complet  de  Paris  pendant 
les  premières  années  de  la  Révolution  ;  c'est  pourquoi  nous  trou- 
vons, au  milieu  des  missives,  parfois  non  datées,  de  l'étudiant,  des 
morceaux  du  Journal  d'une  bourgeoise  publié  par  M.  Lockroy, 
de  la  Correspondance  secrète  de  M.  de  Lescure,  des  fragments  de 
Mercier,  etc. ,  si  bien  qu'on  ne  sait  pas  toujours  qui  parle  ;  ce  n'est 
pas  là  une  bonne  méthode  pour  faire  apprécier  un  document  histo- 
rique par  un  public  sérieux. 

Depuis  le  retour  de  Varennes,  le  club  des  Cordeliers  a  été  le 
centre  de  l'agitation  révolutionnaire  dans  la  capitale,  agitation  qui, 
se  refusant  à  tenir  compte  ni  de  la  Constituante  ni  de  la  Constitu- 
tion, visait  un  bouleversement  qui  aboutirait  à  la  disparition  de  la 
monarchie.  M.  Mathiez  a  pensé  avec  raison  qu'il  serait  intéressant 
d'étudier  de  plus  près  l'activité  du  club  du  20  juin  au  7  août  1791  ; 
il  a  reconstitué,  dans  la  mesure  du  possible,  ses  délibérations  et  ses 
actes  d'après  son  journal  officiel,  ses  placards  et  d'autres  papiers 
provenant  de  Momoro,  de  l'avocat  Buirette  de  Verrières,  un  des 
accusés  dans  l'affaire  du  Champ-de-Mars,  de  Bernard  de  Beauvoir, 
l'accusateur  public  chargé  des  poursuites1.  Ces  pièces  sont  accom- 
pagnées d'éclaircissements,  dont  le  premier  expose  les  origines  du 
club  et  son  rôle  avant  la  fuite  du  roi  ;  le  second  s'occupe  du  mas- 
sacre du  Champ-de-Mars,  dont  l'histoire  reste,  malgré  toutes  les 
données  nouvelles,  bien  contradictoire2  ;  le  troisième  est  consacré  aux 
poursuites  judiciaires  et  précède  l'information  secrète,  l'interroga- 
toire des  accusés,  les  conclusions  du  ministère  public  et  l'ordonnance 
du  tribunal.  Quelle  que  puisse  être  l'opinion  des  historiens  futurs 
sur  ces  «  premiers  martyrs  de  la  cause  démocratique  » 3,  tous  remer- 

1.  Le  Club  des  Cordeliers  pendant  la  crise  de  Varennes  et  le  massacre  du 
Champ-de-Mars,  documents  en  grande  partie  inédits,  publiés  avec  des  éclair- 
cissements, des  notes  et  une  planche  par  Albert  Mathiez.  Paris,  H.  Champion, 
1910,  iv-392  p.  in-8°.  —  Malheureusement,  plusieurs  pages  (p.  145  et  152)  sont 
presque  illisibles,  par  suite  d'un  mauvais  tirage. 

2.  Le  chiffre  des  victimes  varie  de  13  à  400.  Il  semble  admis  que  le  pre- 
mier blessé  d'un  coup  de  feu  fut  un  dragon. 

3.  D'autres  verront  plutôt  en  eux  des  anarchistes  rebelles  à  la  loi,  poussés 
par  des  meneurs  qui  s'échappent  prudemment  de  l'autre  côté  de  la  Manche  ou 
se  terrent  dans  Paris  même  et  ne  retrouvent  leur  verve  gouailleuse  et  accusa- 
trice que  lorsqu'ils  ne  craignent  plus  la  prison. 


HISTOIRE    DE   FRANCE.  131 

cieront  volontiers  M.  Mathiez  d'avoir  réuni  avec  un  soin  aussi  scru- 
puleux les  documents  nécessaires  pour  reprendre  à  fond  cette  ques- 
tion si  controversée  dès  lors  et  qui  l'est  restée  jusqu'à  ce  jour1. 

C'est  une  étape  décisive  dans  la  carrière  de  la  Révolution  que 
nous  franchissons  avec  M.  de  Vaissière,  qui  a  consacré  tout  un 
volume  à  la  Mort  du  roi2.  L'auteur  a-t-il  simplement  voulu 
refaire  le  récit  de  l'exécution  de  Louis  XVI  d'après  tous  les  docu- 
ments actuellement  accessibles,  ou  bien  n'aurait-il  pas  visé  surtout 
à  apitoyer  le  grand  public  sur  «  la  passion  du  Roi-Martyr  »?  C'est 
dans  ce  but  sans  doute  qu'il  s'est  abstenu  de  faire  la  moindre  allu- 
sion aux  fautes  du  malheureux  monarque,  à  ce  qu'on  devrait  appe- 
ler, à  notre  point  de  vue  moderne,  ses  crimes,  s'il  n'était  équitable 
de  lui  tenir  compte  des  tares  de  son  éducation  première,  de  son 
incapacité  mentale,  des  conseillers  détestables  dont  il  suivit  docile- 
ment les  avis,  se  parjurant  avant  Varennes,  mentant  après,  pour- 
suivant jusqu'au  10  août  les  complots  avec  l'étranger-.  C'est  donc  un 
récit  d'allures  plutôt  hagiographiques  qu'on  trouvera  dans  le  volume 
de  M.  de  Vaissière,  et  je  ne  vois  pas  d'ailleurs  qu'il  ait  apporté  beau- 
coup de  matériaux  nouveaux  sur  son  sujet.  Mais  on  sera  d'accord 
pour  reconnaître  qu'il  les  a  bien  groupés,  qu'il  élucide  plusieurs 
points  douteux3  et  que  le  ton  de  la  narration  cadre  bien  avec  les  épi- 
sodes successifs  de  cette  tragique  journée.  En  suivant  Louis  XVI 
depuis  la  dernière  soirée  passée  dans  l'enceinte  du  Temple  jusqu'au 
cimetière  de  la  Madeleine,  nous  éprouvons  un  sentiment  de  commi- 
sération profonde  devant  les  duretés  inutiles  infligées  au  condamné 
et  devant  la  détresse  mentale  de  ses  heures  ultimes.  Si  l'auteur  a 
fait  justice  de  plusieurs  des  légendes  que  la  Restauration  fit  éclore, 
il  nous  semble  pourtant  admettre  encore  trop  de  mots  ou  de  détails 
contestables4  sur  la  foi  de  sources  en  partie  peu  sûres5. 

1.  P.  198,  lire  Seligmann  pour  Sélignan  et,  p.  208,  Fleischmann  pour 
Fleichsmann. 

2.  Pierre  de  Vaissière,  la  Mort  du  roi  (21  janvier  1793).  Paris,  Perrin  et  Cie, 
1909,  vn-225  p.  in-18  illustré. 

3.  Pas  tous  cependant;  pour  ce  qui  est  du  mot  de  l'abbé  Edgeworth  :  «  Fils 
de  saint  Louis...  »,  il  admet  seulement  qu'il  n'y  a  pas  de  «  raison  absolue  » 
pour  le  rejeter.  Sur  la  question  de  l'ordre  donné  aux  tambours,  il  penche  à 
croire  que  quatre  hommes  (Berruyer,  Santerre,  etc.)  «  hurlèrent  »  à  la  fois 
l'ordre  d'étouffer  la  voix  du  condamné. 

4.  Par  exemple  le  sérieux  de  la  tentative  de  rescousse  du  baron  de  Batz,  la 
présence  du  duc  d'Orléans  au  supplice,  etc. 

5.  Souvenirs  de  George  Duval,  Mémoires  de  Pasquier,  de  Sanson,  de 
Touchard-Lafosse.  Le  récit  est  accompagné  d'illustrations  nombreuses  (por- 
traits, monuments,  couperet  de  la  guillotine,  «  chemise  quittée  par  Louis  XVI 
le  matin  du  '21  janvier  »,  etc.). 


132  BULLETIN    HISTORIQUE. 

Un  volume  que  tout  le  monde  parcourra  avec  plaisir  et  dont  tous 
ceux  qui  s'occupent  de  l'histoire  de  la  Révolution  seront  reconnais- 
sants à  l'auteur,  c'est  celui  de  M.  le  lieutenant-colonel  Hartmann 
sur  les  Officiers  de  l'armée  royale  et  la  Révolution1  ;  on  y  trou- 
vera tout  ce  que  promet  le  titre  précis  de  l'ouvrage.  Ce  n'est  pas  une 
histoire  générale  de  l'armée  française  pendant  la  période  révolution- 
naire; l'auteur  y  expose  les  mutations  professionnelles  et  les  crises 
politiques  par  lesquelles  a  passé  le  corps  des  officiers  de  l'armée 
royale  depuis  l'année  1788  jusqu'au  moment  où  l'armée  royale  cessa 
d'exister,  c'est-à-dire  jusqu'au  10  août  1792.  Un  chapitre  final  résume 
les  dures  épreuves  par  lesquelles  eurent  à  passer  les  derniers  repré- 
sentants de  l'ex-armée  royale  restés  fidèles  à  la  France  républicaine, 
du  10  août  au  9  thermidor  de  l'an  II2.  M.  Hartmann  expose  avec 
une  équité  parfaite  la  situation  pénible  du  corps  d'officiers  d'alors, 
les  motifs  admissibles  et  d'autres,  moins  acceptables,  qui  ont  déter- 
miné l'émigration  militaire.  Sans  cacher  le  moins  du  monde  l'atti- 
tude indisciplinée  de  certains  régiments  vis-à-vis  de  leurs  officiers, 
attitude  qui  a  pu  très  légitimement  dégoûter  l'officier  noble  de  ser- 
vir plus  longtemps,  M.  Hartmann  a  pourtant  établi  d'une  façon  non 
douteuse  que  pour  certaines  périodes  d'émigration  plus  intense  «  la 
cause  déterminante  de  l'exode  ne  fut  pas  l'attitude  des  soldats  » 
(p.  357)  ;  que  la  longanimité  des  ministres  de  la  Guerre  constitution- 
nels, La  Tour  du  Pin,  de  Grave,  Duportail  et  même  Narbonne,  a 
plutôt  accentué  la  crise  en  ne  débarrassant  pas  l'armée  d'éléments 
absolument  indignes  de  confiance  avant  les  préliminaires  de 
guerre;  en  gardant  certains  officiers  nobles  à  la  tête  des  régiments 
patriotes,  ils  firent  d'eux,  au  lieu  de  simples  émigrés,  de  tristes 
déserteurs  (p.  241)  ;  on  comptait  sans  doute  que  la  majorité  serait 
plus  française  que  royaliste  (p.  440)  ;  c'est  le  contraire  qui  se  pro- 
duisit. Le  colonel  Hartmann  a  puisé  de  nombreux  détails  topiques 
dans  les  écrits  du  temps,  les  Mémoires,  les  archives  historiques  de 
la  Guerre.  Il  aurait  été  désirable  qu'il  citât,  d'une  façon  plus  pré- 
cise, les  sources  de  cette  dernière  catégorie.  Assurément,  son  tra- 
vail inspire  toute  confiance,  mais  on  voudrait  pouvoir  mettre,  le  cas 
échéant,  la  main  sur  tel  dossier  qu'il  utilise,  mais  dont  il  ne  cite  pas 
la  cote.  Cela  aurait  peut-être  un  peu  grossi  le  volume,  mais  le  spé- 

1.  Lieutenant-colonel  L.  Hartmann,  les  Officiers  de  l'armée  royale  et  la 
Révolution.  Paris,  F.  Alcan,  1910,  iv-540  p.  in-8". 

2.  Après  la  réaction  de  thermidor,  en  1795,  on  retrouve  environ  1,000  à 
1,100  officiers  de  l'ancienne  armée  (sur  6  à  7,000  gentilshommes  qu'elle  comp- 
tait) et  qui  ne  sont  plus  des  nobles  ou  des  royalistes,  mais  seulement  des 
soldats  «  qui  au  culte  du  Roi  ont  substitué  celui  de  la  Patrie  »  (p.  528). 


HISTOIRE   DE    FRANCE.  133 

cialiste  aurait  été  satisfait1.  Les  Nouvelles  lettres  du  comte 
Valentin  Esterhazy2,  que  met  au  jour  M.  Ernest  Daudet,  nous 
montrent,  une  fois  de  plus,  l'incurable  frivolité  de  cette  noblesse 
militaire  qui  fuyait  la  France  et  la  Révolution,  et  plus  encore  son 
manque  total  de  perspicacité3.  Dans  le  premier  volume  de  cette 
correspondance  avec  sa  femme  (1784-1792),  le  comte  nous  avait 
initié  à  la  vie  mondaine  avant  la  grande  crise,  puis  au  mouvement 
de  rémigration  d'Allemagne  ;  ici  nous  le  trouvons  comme  représen- 
tant des  princes  à  la  cour  de  Catherine  II  ;  mais  ses  descriptions  de 
la  haute  société  de  Saint-Pétersbourg  et  du  monde  russe  en  géné- 
ral4 ne  nous  fournissent  que  bien  peu  de  détails  nouveaux  sur  un 
sujet  si  souvent  traité  déjà5. 

En  fait  de  travaux  relatifs  à  l'histoire  départementale  et  locale  de 
cette  période,  nous  avons  d'abord  à  mentionner  le  volume  de 
M.  Roger  Doucet  sur  YEsprit  public  dans  le  département  de 
la  Vienne6.  Basée  sur  un  dépouillement  consciencieux  des  cartons 
afférents  des  Archives  nationales,  c'est  une  étude  détaillée  des  dif- 
férents courants  politiques  qui  ont  agité  ce  département  depuis  la 
convocation  des  États- Généraux  jusqu'à  la  veille  du  18  brumaire. 
Ce  n'est  point  du  tout,  —  et  l'auteur  a  soin  de  nous  en  avertir  dès 
la  première  ligne  de  sa  thèse,  —  «  une  histoire  générale  de  la  Vienne 

1.  J'ai  noté  en  passant  quelques  petits  errata  :  p.  314,  lire  Bruchsal  pour 
Brucksal  et  Schoenbornlust  pour  Schoenburhist.  —  P.  354,  Royal-Champagne 
n'était  pas  en  garnison  à  Strasbourg  en  1791.  —  P.  445,  lire  Haesingen  pour 
Hoesingen.  Le  camp  de  Plobsheim,  à  quelques  kilomètres  de  Strasbourg,  ne 
pouvait  surveiller  les  passages  du  Haut-Rhin.  —  P.  467,  lire  Waldighoffen  pour 
Waltigothen. 

2.  Nouvelles  lettres  du  comte  Valentin  Esterhazy  à  sa  femme,  1792-1795, 
publ.  par  Ernest  Daudet.  Paris,  Pion,  1909,  n-391  p.  in-8°. 

3.  «  Rien  n'est  plus  aisé  »,  écrit  Esterhazy,  «  que  de  faire  aller  chacun  à  la 
place  où  il  était  au  1er  janvier  1789  »  et  de  «  rayer  les  quatre  années  de  licence 
et  d'abomination  des  annales  de  la  France  »  (p.  68).  Encore  en  octobre  1792,  il 
voit  la  Convention  «  se  retirer  derrière  la  Loire  »  (p.  159)  et  c'est  en  novembre 
seulement  qu'il  avoue  que  «  le  mal  français  gagne  partout  »  (p.  187). 

4.  Le  troisième  appendice  du  volume  donne  une  esquisse  d'une  trentaine  de 
pages,  la  Vie  russe  en  1791.  — P.  192,  lire  Bischofswerder  pour  Bischoffsverde  ; 
p.  205,  lire  Langeron  pour  Langerou;  p.  358,  lire  Laudon  pour  Landon. 

5.  Rien  qu'il  ne  cesse  de  déclarer  à  sa  «  chatte  minette  »  chérie  (pie  «  le 
bonheur  n'est  pour  lui  que  dans  ses  bras  »  (p.  3,  4,  15,  17.  30.  96,  140),  la 
comtesse  nourrit  l'idée  fixe  que  son  époux  est  un  des  amants  de  la  vieille 
Catherine.  «  Je  le  jure  d'honneur  qu'il  n'y  a  rien  du  tout  entre  l'impératrice 
et  moi  »,  s'écrie-t-il,  p.  188.  Cependant,  il  avoue  qu'elle  «  aimait  à  miauler  » 
(p.  146). 

6.  Roger  Doucet,  agrégé  d'histoire,  l'Esprit  public  dans  le  département  de 
la  Vienne  pendant  la  Révolution.  Paris,  H.  Champion,  1910,  427  p.  in-8°. 


134  BULLETIN    HISTORIQUE. 

pendant  la  Révolution  »  ;  l'exposition  de  M.  Doucet  se  développe 
infiniment  plus  dans  la  sphère  des  idées  que  dans  celle  des  faits.  De 
là  une  certaine  froideur,  un  peu  de  monotonie  dans  le  récit;  la  pru- 
dence très  louable  avec  laquelle  l'auteur  formule  ses  hypothèses  sur 
la  force  relative  des  partis1,  sur  le  véritable  but  de  leurs  efforts,  sur 
les  résultats  toujours  passagers  obtenus  tantôt  par  l'un,  tantôt  par 
l'autre,  refroidira  sans  doute  un  peu  le  lecteur  ordinaire,  auquel  cette 
placidité  d'idéologue  au  milieu  de  l'effervescence  révolutionnaire 
paraîtra  peut-être  d'un  singulier  effet.  Mais  c'est  le  tempérament  du 
département  lui-même  ;  il  n'y  a  eu  probablement  ni  terroristes  bien 
féroces  ni  royalistes  très  enragés  dans  une  région  où,  selon  l'auteur, 
«  la  masse  de  la  population  resta  indifférente  à  tous  les  événements 
politiques  »  (p.  410) 2.  M.  Charles  Godard  a  entrepris  un  dépouille- 
ment analogue  des  sources  locales  dans  sa  très  vivante  étude  sur  le 
Conseil  général  de  la  Haute-Loire  et  l'administration  dépar- 
tementale de  1100  à  18003.  Contrairement  à  M.  Doucet,  M.  Godard 
nous  a  peut-être  un  peu  trop  chichement  fourni  des  aperçus  généraux  ; 
il  a  trop  exclusivement  composé  son  livre  de  documents  juxtaposés, 
mais  son  récit  est  précieux  par  la  foule  de  détails  précis  qu'il  four- 
nit, comme  par  le  désir  évident  de  l'auteur  d'être  toujours  impar- 
tial. C'est  donc  une  contribution  très  utile  à  l'histoire  de  la  transfor- 
mation de  la  France  d'autrefois  en  une  France  nouvelle.  L'ancien 
Velay,  devenu  le  département  de  la  Haute-Loire,  fut  un  des  nou- 
veaux territoires  où  les  conflits  politiques  et  surtout  religieux  furent 
le  plus  violents4,  où  modérés  et  radicaux  se  combattirent  le  plus 
âprement,  où,  dès  septembre  1794,  la  réaction  royaliste  et  cléri- 
cale se  manifesta  tantôt  par  des  soulèvements  en  masse,  tantôt  par 
des  brigandages  isolés.  «  les  autorités  fermant  volontiers  les  yeux 
sur  les  représailles  exercées  à  l'égard  des  terroristes  »  (p.  141).  Cette 
alliance  des  prêtres  et  des  conscrits  réfractaires  domina  la  majeure 
partie  du  département  jusqu'au  Consulat,  et  le  territoire  perdit  dans 

1.  Faire  «  la  statistique  des  partis  »,  avec  les  moyens  que  l'auteur  avait  à  sa 
disposition,  me  semble,  à  vrai  dire,  une  tâche  impossible;  on  y  reste  forcé- 
ment dans  le  vague,  les  textes  étant  trop  imprécis  et  les  groupements  trop 
llottants. 

2.  Cela  ne  peut  pas  constituer  une  «  originalité  »  pour  les  Viennois  que  «  leur 
opinion  comme  leur  politique  sont  déterminées  par  leurs  intérêts  »  ;  il  en  a 
toujours  et  partout  été  ainsi. 

3.  Le  Conseil  général  de  la  Haute-Loire,  le  Directoire  et  l'administration 
départementale  de  1190  à  1800,  par  Charles  Godard,  docteur  es  lettres.  Paris, 
H.  Champion,  1909,  xvm-287  p.  gr.  in-8". 

4.  Il  faut  voir,  p.  49,  50,  51,  206,  l'attitude  inouïe  des  femmes  catholiques 
vis-à-vis  des  curés  assermentés. 


HISTOIRE    DE    FRANCE. 


135 


ces  années  difficiles  une  notable  partie  de  sa  population  ainsi  qu'une 
partie  de  ses  vieilles  industries 4 .  Je  regrette  de  ne  pouvoir  donner 
aussi  pleinement  le  même  éloge  d'impartialité  sereine  à  une  troisième 
monographie  du  même  genre,  celle  que  M.  Joseph  Hamon,  docteur 
en  droit,  a  consacrée  à  la  Vie  municipale  dans  les  communes  du 
canton  de  Passais2.  Il  nous  fait  un  bien  sombre  tableau  de  ce  coin 
de  terre  breton  pendant  la  période  révolutionnaire  et  l'on  y  voit  s'en 
aller  «  sous  le  régime  de  la  liberté  métaphysique  les  derniers  restes 
des  libertés  municipales  »  (p.  167);  mais  il  ressort  de  son  propre 
récit  que  les  citoyens  du  canton  de  Passais  qui  avaient  volontiers 
banqueté  aux  fêtes  de  la  Fédération,  qui  n'avaient  pas  opposé  «  la 
moindre  résistance  »  (p.  70)  à  la  constitution  civile  du  clergé,  répon- 
dirent par  «  un  effroyable  tumulte  »  quand  on  leur  demanda  de 
s'inscrire  parmi  les  défenseurs  de  la  patrie  (p.  97).  Ce  n'est  ni  le 
zèle  religieux  ni  la  ferveur  royaliste  qui  les  travaille  quand  ils  pillent 
et  dévastent  la  contrée.  Les  autorités  ont  essayé  de  désarmer  les 
réfractaires,  d'empêcher  ces  excès.  M.  Hamon  appelle  cela  prendre 
des  «  mesures  terroristes  »  (p.  127).  Là-dessus,  les  émeutiers  «  se 
mettent  à  concevoir  une  haine  terrible  contre  les  officiers  munici- 
paux »  (p.  195)  et  se  «  laissent  aller  facilement  aux  crimes  privés  » 
(p.  213).  Avec  de  pareils  administrés,  comment  les  administrateurs 
ne  seraient-ils  pas  devenus  faibles,  inertes,  pusillanimes?  En  1795, 
«  il  n'y  a  plus  dans  tout  le  pays  de  municipalité  en  activité  »  (p.  226) . 
Et  l'auteur  conclut  :   «  L'ignorance,  la  pauvreté  particulière,  la 
misère  générale,  la  pleine  désorganisation,  voilà  le  résultat  auquel 
aboutit  la  Révolution  dans  les  communes  du  canton  de  Passais  » 
(p.  268).  A  qui  la  faute,  sinon  à  ces  populations,  passives  sous  la 
main  de  quelques  meneurs,  qui  les  insurgent  contre  l'ordre  de  choses 
nouveau  qu'il  serait  de  leur  intérêt  de  soutenir?  Sans  doute  la  Cons- 
tituante a  eu  tort  de  croire  les  Français  plus  intelligents  qu'ils 
n'étaient,  créant  un  état  «  bon  pour  des  hommes  fictifs,  parfaite- 
ment bons  et  également  libres  »,  mais  le  crime  de  ceux  qui  ont 
exploité  cette  bêtise  n'en  est  pas  moins  grand  et  ils  en  restent  res- 
ponsables devant  l'histoire.  Ces  observations  générales  ne  nous 
empêcheront  pas  de  reconnaître  la  somme  de  travail  considérable 
représentée  par  la  thèse  de  M.  Hamon,  le  zèle  consciencieux  avec 

1.  Notamment  l'industrie  dentellière.  La  Haute-Loire  perdit  37,000  habitants 
de  1790  à  l'an  X. 

2.  Joseph  Hamon,  docteur  en  droit,  la  Vie  municipale  clans  les  communes 
du  canton  de  Passais  pendant  la  Révolution.  Rennes,  impr.  Oberthur,  1909, 
316  p.  gr.  in-8°.  —  Passais  est  un  canton  de  l'arrondissement  de  Domfront 
(Orne)  qui  comptait  145,000  âmes  en  1791  et  99,000  seulement  en  1906. 


136  BULLETIN    HISTORIQUE. 

lequel  il  a  fouillé  les  archives  de  ces  neuf  communes  dont  il  raconte 
l'histoire.  C'est  par  centaines  que  nous  devrions  compter  de  pareilles 
monographies  locales. 

Nous  avons  parlé  autrefois  du  premier  volume  de  Y  Histoire  de 
la  guerre  de  la.  Vendée* ,  rédigée  par  M.  l'abbé  Deniau,  sous  la 
direction  de  dom  Chamard,  prieur  de  l'abbaye  de  Saint-Martin-de- 
Ligugé2.  La  mort  ayant  enlevé  successivement  ces  deux  auteurs,  on 
nous  annonce  que  M.  l'abbé  Uzureau  assurera  la  publication  des 
derniers  volumes  de  l'ouvrage  (t.  IV,  p.  668).  Il  n'y  a  pas  lieu  de 
revenir  sur  ce  que  nous  disions  alors  des  tendances  d'un  ouvrage  où 
les  troupes  françaises  sont  toujours  «  l'ennemi  »,  où  la  lumière  et 
l'ombre  sont  très  inégalement  partagées  entre  les  combattants  et  où 
l'appréciation  morale  des  faits  semble  varier  selon  qu'ils  se  passent 
à  l'abri  de  tel  ou  tel  drapeau3.  Nous  voudrions  recommander  au 
nouvel  éditeur  responsable  de  cette  lugubre  histoire  de  nos  guerres 
civiles,  où  l'on  dressait  jusqu'aux  enfants  de  neuf  ans  à  canarder 
les  bleus,  où  l'on  voit  aussi  ces  derniers  massacrer  des  centaines 
d'êtres  sans  défense,  de  n'accueillir  tant  de  détails  horribles,  —  il  y 
en  a  déjà  suffisamment  qui  sont  véridiques,  —  qu'après  le  contrôle 
le  plus  sévère  et  sans  invoquer  si  fréquemment  les  «  assertions  »  de 
témoins  anonymes  ou  les  «  traditions  du  pays  »4.  Une  autre  His- 
toire de  la  guerre  de  Vendée,  celle  d'un  contemporain,  Joseph 
Clémanceau,  juge  au  tribunal  de  Beaupréau,  a  été  mise  au  jour  par 
M.  l'abbé  Uzureau5.  Prisonnier  des  Vendéens,  de  mars  à  octobre 
1793,  puis  libéré,  négociant,  fonctionnaire  impérial,  Clémanceau  se 

1.  Histoire  de  la  guerre  de  Vendée,  par  l'abbé  Deniau,  sous  la  direction  de 
dom  Chamard.  Angers,  Siraudeau,  s.  d.,  t.  II  (774  p.),  t.  III  (720  p.),  t.  IV 
(681  p.),  in-8'. 

2.  Voy.  Rev.  hist.,  t.  XCII,  p.  101. 

3.  C'est  ainsi  que  l'on  rencontrera  l'éloge  de  la  trahison  de  certains  républi- 
cains (t.  IV,  p.  64);  que  l'auteur  trouvera  (parlant  du  meurtre  du  petit  Barra) 
qu'on  «  fait  bien  du  fracas  pour  un  mince  événement  »  (t.  IV,  p.  22).  Quand 
La  Rochejacquelin,  «  le  premier  des  héros  de  la  Vendée  »,  tire,  comme  des 
moineaux,  les  inoffensifs  curés  assermentés  qui  essaient  de  fuir,  ceux-ci  sont 
«  victimes  des  lois  de  la  guerre  »  (t.  IV,  p.  216),  mais  lorsqu'un  prêtre  réfrac- 
taire  est  massacré  par  les  colonnes  mobiles,  c'est  un  crime  inexpiable.  — 
Certains  détails  coinplaisamment  étalés  (par  exemple  les  oreilles  grillées  et 
mangées  à  la  vinaigrette,  t.  IV,  p.  159)  sont  certainement  des  racontars  pos- 
thumes. 

4.  P.  568  (t.  IV),  le  9  thermidor  (de  l'an  II)  est  placé  en  l'an  XI.  —  P.  572, 
on  fait  mourir  le  général  Alexandre  Dumas  à  l'armée  des  Pyrénées-Orientales, 
alors  qu'il  est  mort  à  Villers-Cotterets  en  1806. 

5.  Joseph  Clémanceau,  Histoire  de  la  guerre  de  la  Vendée  (1793-1815), 
publ.  par  les  soins  de  l'abbé  F.  Uzureau.  Paris,  Nouvelle  Librairie  nationale, 
1909,  xxxv-377  p.  in-18. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  137 

fixa  plus  tard  à  Angers  et  y  composa,  de  1825  à  1829,  différents 
ouvrages  restés  inédits,  dont  le  présent,  qui  «  fait  partie  d'une  col- 
lection privée  ».  L'éditeur  ignore  où  ni  quand  est  mort  Clémanceau 
(p.  xxxv).  Les  souvenirs  de  ce  dernier  ne  pouvaient  plus  être  très 
précis1,  puisqu'il  les  rédigeait  trente-cinq  ans  après  les  événements; 
mais  on  peut  l'en  croire  quand  il  affirme  que  ce  ne  fut  «  point  par 
amour  de  la  royauté,  dont  les  Vendéens  s'occupaient  très  peu  dans 
ce  temps-là,  encore  moins  pour  soutenir  la  cause  des  ex-nobles,  qu'ils 
n'aimaient  pas,  que  les  habitants  prirent  les  armes...,  ce  fut  pour 
défendre  et  garder  leurs  bons  prêtres  »  (p.  12).  Il  reste  prouvé  aussi, 
par  son  récit,  que,  dès  les  premiers  jours  de  l'insurrection  de  mars 
1793,  les  insurgés,  avant  toutes  représailles,  avaient  commis  des 
égorgements  collectifs  à  Mortagne,  Tiffauge  et  Machecoul  (p.  23-24). 
C'est  sous  Charles  X  que  ce  narrateur,  très  prudent,  et  qui  recon- 
naît impartialement  le  mérite  de  certains  chefs  vendéens,  parle  de 
«  tigres  cruels  et  fanatiques  »  et  qu'il  raconte  comment  des  prêtres 
(qu'il  nomme)  criaient  à  leurs  ouailles  :  «  Exterminez  les  ennemis 
de  Dieu,  c'est  le  moyen  d'attirer  sur  vous  les  faveurs  célestes  » 
(p.  110,  115).  Cette  lutte  néfaste,  où  partout  «  on  marche  dans  le 
sang  »,  il  ne  la  raconte  d'ailleurs,  avec  quelques  détails,  que  jus- 
qu'à la  pacification  de  1795;  le  reste,  jusqu'aux  mouvements  de 
1815,  est  relaté  très  en  raccourci. 

Avant  de  quitter  l'époque  révolutionnaire  pour  celle  du  Consulat 
et  de  l'Empire,  il  nous  reste  à  mentionner  encore  deux  recueils  for- 
més d'articles  de  revues  et  de  journaux,  suites  de  séries  depuis  long- 
temps commencées.  C'est  d'abord  le  sixième  volume  des  Etudes  et 
leçons  sur  la  Révolution  française2,  de  M.  Alphonse  Aulard. 
Nous  y  signalerons  le  travail  sur  les  Premiers  historiens  de  la 
Révolution  :  Rabaut-Saint-Etienne,  Montjoye,  Pages,  Fantin  des 
Odoards,  Lacretelle,  Toulongeon,  etc.  On  nous  y  présente  pour  la 
première  fois,  dans  leur  ensemble  et  d'une  façon  scientifique,  ce 
qu'on  pourrait  appeler  les  incunables  de  la  Révolution,  avec  l'ana- 

1.  On  voit  bien,  à  certaines  phrases  un  peu  sentencieuses,  que  l'ex-percep- 
teur  de  Saint-Florent-le-Vieil  écrivait  pour  le  bénéfice  de  «  l'inexorable  pos- 
térité »  (p.  352-368).  M.  Uzureau  a  montré,  dans  ses  notes,  que,  s'il  se  trompe 
parfois,  on  ne  saurait  l'accuser  d'avoir  caché  intentionnellement  la  vérité.  Il 
ne  faut  pas  oublier  non  plus  qu'il  composa  son  récit  alors  que  déjà  de  nom- 
breux écrits  sur  la  matière  avaient  paru,  tant  sous  l'Empire  que  sous  la  Res- 
tauration. Il  n'est  vraiment  une  source  pour  nous  que  quand  il  raconte  ses 
impressions  personnelles  de  captivité  el  ce  qu'il  a  pu  voir  après  sa  mise  en 
liberté. 

2.  Études  et  leçons  sur  la  Révolution  française,  par  Alphonse  Aulard, 
professeur  à  l'Université  de  Paris,  6e  série.  Paris,  F.  Alcan,  1910,  307  p.  in-18. 


138  BULLETIN    HISTORIQUE. 

lyse  de  leurs  idées  et  de  leur  méthode,  ce  qui  fournit  des  points  de 
comparaison  curieux  avec  l'état  actuel  de  ces  mêmes  études.  Men- 
tionnons encore  les  Lettres  de  l'abbé  Barbotin,  député  du  clergé 
du  Ilainaut  aux  Etats  Généraux,  «  sorte  de  Sancho  Panc-a  en  sou- 
tane »,  et  la  note  sur  YÉtat  de  l'enseignement  primaire  dans  la 
Haute-Garonne  en  l'an  VI,  qui  nous  fournit  des  renseignements 
précis  et  lamentables  sur  l'absence  presque  complète  d'une  instruc- 
tion populaire  sérieuse,  après  tous  les  beaux  discours  et  les  belles 
lois  de  nos  assemblées1.  Pour  les  vieilles  maisons  et  les  vieux  papiers 
du  Paris  révolutionnaire2,  de  M.  Gustave  Lenôtre,  nous  en 
sommes  à  la  quatrième  série.  Selon  son  habitude,  M.  Lenôtre  nous 
mène  un  peu  partout,  dans  les  vivants  et  pittoresques  croquis  qu'il 
y  a  réunis.  Tout  n'est  pas  d'un  intérêt  égal  dans  ces  glanes  à  tra- 
vers l'histoire  inconnue;  le  sort  du  mamelouk  Roustan,  de  l'archi- 
viste Berthelemy,  du  couple  Tison,  geôliers  du  Temple,  de  la  cour- 
tisane Catherine  Thevenin,  maîtresse  d'un  jour  du  comte  d'Artois, 
nous  laisse  assez  indifférent.  Les  études  sur  Herman,  le  président  du 
tribunal  révolutionnaire,  guillotiné  le  7  mai  1795  ;  sur  la  prétendue 
princesse  Stéphanie-Louise  de  Bourbon-Conti,  morte  de  froid  ou  de 
faim  en  1825,  «  au  pied  d'une  borne,  en  face  des  Tuileries  »;  sur 
les  amours  séniles  de  la  «  veuve  de  Jean-Jacques  »  avec  un  groom 
de  M.  de  Girardin,  éveillent  un  intérêt  plus  vif,  à  cause  de  leur 
nom,  de  leurs  fonctions,  de  leur  passé;  mais  les  plus  curieuses 
parmi  ces  figures  détachées  sont  celle  de  P. -F.  Guillot,  dit  de  Fol- 
leville,  recteur  de  N.-D.  de  Dol,  qui,  après  avoir  été  jureur  et  soldat, 
eut  la  malencontreuse  idée  de  se  faire  passer  pour  évêque,  siégea 
dans  les  conseils  de  la  Vendée,  comme  évêque  d'Agra  in  partibus 
infîdelium,  et  fut  guillotiné  comme  contre  -  révolutionnaire  à 
Angers,  en  janvier  1794;  celle  aussi  de  Thomazeau,  le  fermier 
fidèle  et  peut-être  l'amant  passionné  mais  muet  de  Marie-Adélaïde 
de  La  Rochefoucauld,  cette  amazone  intrépide  qui  fut  une  des  maî- 
tresses de  Charette;  ils  furent  fusillés  ensemble  sur  la  plage  des 
Sables,  le  5  pluviôse  de  l'an  IL 

M.  Gustave  Hue  nous  raconte  Un  Complot  de  police  sous  le 
Consulat3;  c'est  l'histoire  de  la  conspiration,  plus  ou  moins  authen- 

1.  Nos  lecteurs  connaissent  l'aventure  quasi-tragique  de  François  Robert,  le 
député  montagnard  de  Paris,  qui  frisa  la  guillotine  comme  accapareur, 
Robert-Rhum,  ayant  paru  ici  même. 

2.  Paris  révolutionnaire.  Vieilles  maisons,  vieux  papiers,  4e  série,  par 
G.  Lenôtre.  Paris,  Perrin  et  Cie,  7e  éd.,  1910,  xxxv-367  p.  in-18,  planches. 

3.  Gustave  Hue,  Un  Complot  de  police  sous  le  Consulat.  La  conspiration 
de  Ceracchi  et  Aréna  (vendémiaire  an  IX).  Paris,  Hachette,  1909,  26'2  p.  in-18. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  139 

tique,  de  Ceracchi  et  d'Aréna  (en  vendémiaire  de  l'an  IX),  dont  le 
vrai  créateur  fut  un  ex-capitaine  Harel,  qui,  après  avoir  échangé 
avec  le  sculpteur  italien  des  propos  violents  et  frondeurs  chez  un 
tiers,  alla  dénoncer  ses  interlocuteurs  à  la  police  et  fut  chargé  par 
elle  de  continuer  le  rôle  d'agent  provocateur;  les  prétendus  com- 
plices furent  des  mouchards  et  c'est  la  préfecture  de  police  qui 
fournit  pistolets  et  poignards.  M.  Hue  nous  raconte,  d'après  les 
dossiers  de  cette  préfecture,  les  menées  ignobles  et  louches  qui 
aboutirent  à  la  mise  en  accusation  et  à  la  condamnation  de  conspi- 
rateurs qui  ne  s'étaient  même  jamais  vus  pour  la  plupart;  l'attentat 
royaliste,  —  très  réel,  celui-là,  —  du  3  nivôse,  entraîna  la  mort 
d'Aréna,  Ceracchi,  Demerville  et  Topino-Lebrun.  Dans  cette  étude, 
publiée  d'abord  par  le  Correspondant,  l'auteur,  romancier  expert, 
a  cédé  peut-être,  çà  et  là,  au  penchant  de  romancer  un  peu  son 
sujet,  mais  l'ensemble  paraît  sérieux  et  fournit  une  preuve  nouvelle, 
effrayante,  de  ce  qu'était  la  justice  du  premier  Consul.  C'est  égale- 
ment à  cet  endroit  que  l'on  peut  mentionner  le  troisième  et  dernier 
volume  de  la  Correspondance  du  duc  d'Enghien,  publiée  par 
M.  le  comte  Boulay  de  la  Meurthe1.  Il  contient  une  introduction 
d'une  quarantaine  de  pages  sur  les  Sources,  et  puis,  en  une  série 
de  chapitres,  l'histoire  des  événements  qui  se  rattachent  à  l'exécu- 
tion du  prince  dans  les  fossés  de  Vincennes,  le  deuil  de  la  famille 
royale,  les  protestations  du  comte  de  Provence,  l'agitation  dans  les 
cours  de  l'Europe,  les  notes  diplomatiques  de  la  Russie  à  Ratis- 
bonne  et  à  Paris,  la  proclamation  de  l'Empire,  les  poursuites  contre 
les  royalistes,  le  procès  de  Moreau  et  de  Georges,  l'abandon  de 
Louis  XVIII  par  ses  premiers  défenseurs,  sauf  le  roi  de  Suède,  et 
le  pape  venant  à  Notre-Dame  consacrer  de  ses  propres  mains  le 
régime  nouveau.  Le  dossier,  que  l'éditeur  a  réuni  au  prix  de  longs 
efforts  et  qu'il  a  commenté  d'une  façon  si  suivie,  semble  désormais 
complet.  Une  bonne  table  des  noms  de  personnes  et  de  lieux  rend 
facile  les  recherches  dans  l'ouvrage. 

C'est  de  la  même  époque,  à  peu  près,  que  s'occupe  le  livre  de 
M.  C.  Latreille,  l'Opposition  religieuse  au  Concordat2. 
Auteur  d'un  intéressant  travail  sur  Joseph  de  Maistre  et  la 
Papauté,  dont  nous  avons  parlé  récemment,  il  étudie  dans  ce  nou- 
veau volume  l'opposition  faite  au  Concordat  de  Bonaparte  (signé 

1.  Correspondance  du  duc  d'Enghien  (1801-1804)  et  documents  sur  son 
enlèvement  et  sa  mort,  publ.  par  le  comte  Boulay  de  la  Meurthe.  T.  III. 
Paris,  A.  Picard  et  fils,  1910,  xlviii-639  p.  in-8°,  fac-similé. 

2.  C.  Latreille,  l'Opposition  religieuse  au  Concordat  de  1792  à  1803.  Paris, 
Hachette,  1910,  xx-290  p.  in-18. 


140  BULLETIN    niSTOUIQDE. 

d'ailleurs  par  lui  «  par  politique  et  non  par  conviction  religieuse  ») 
dans  certains  milieux  et  par  certaines  personnalités  ecclésiastiques. 
Sur  le  Concordat  lui-même,  il  ne  nous  apprend  rien  de  très  neuf, 
puis  il  fournit  des  détails  curieux  sur  l'attitude  de  l'ancien  épiscopat 
gallican,  réfugié  en  Angleterre,  en  Allemagne,  en  Italie,  etc.,  contre 
l'action  unilatérale  du  Saint-Siège  et  sur  sa  connivence  avec  le  pou- 
voir civil.  Il  est  permis  de  croire  que  M.  Latreille  oublie  un  peu  trop 
les  sentiments  royalistes  intransigeants  de  ces  hauts  dignitaires,  en 
admirant  leur  «  sincérité  absolue  »  dans  cette  protestation  contre  «  la 
faiblesse  pontificale  exploitée  par  un  homme  d'Etat  sans  scrupule  ». 
Ont-ils  seulement  refusé  «  d'obéir  au  successeur  de  saint  Pierre  pour 
rester  les  champions  de  l'Eglise?  »  Mais,  tout  en  différant  d'opinion 
à  ce  sujet,  on  suivra  volontiers  l'auteur  dans  le  récit  de  cette  lutte 
inégale  entre  les  évêques  récalcitrants  et  la  curie  romaine  ;  il  nous 
annonce  un  second  volume  sur  la  Petite  Église,  qui  fera  suite  à 
celui-ci. 

Les  conférences  de  M.  Frédéric  Masson,  de  l'Académie  française, 
sur  Napoléon1,  rentrent  dans  le  domaine  de  l'éloquence  historique 
plutôt  que  de  l'histoire  érudite.  «  Ici  »,  dit  l'auteur  lui-même,  «  on 
ne  voit  plus  que  Lui,  et  autour  de  Lui,  comme  dans  l'histoire,  tout 
est  comparse  »  (p.  95).  Il  est  certain  qu'on  entrevoit  à  peine  dans  le 
tableau  brillant  du  conférencier  les  peuples  misérables  et  foulés,  la 
France  elle-même  énervée  par  un  surmenage  insensé,  et  qu'on  n'ap- 
prend guère  que  tout  cet  éclat  vertigineux,  tout  ce  fracas  mondial 
aboutirent  à  une  diminution  de  territoire  et  d'influence  durables  de 
notre  pays  en  Europe.  L'auteur  voudrait  «  incliner  devant  le 
Héros  »,  dont  le  palais  est  un  «  temple  »,  l'univers  entier,  le  pré- 
cipiter, dans  un  élan  d'ivresse  enthousiaste,  «  aux  pieds  de  l'Idole  ». 
«  Tout  ce  que  nous  pouvons  être,  nous  le  sommes  par  lui  »,  dit 
M.  Masson,  mais  il  oublie  trop  tout  ce  que  nous  ne  sommes  plus, 
grâce  à  Napoléon2.  Il  veut  apitoyer  son  auditoire  sur  les  tortures 
subies  par  le  prisonnier  de  Sainte-Hélène,  mais  il  se  tait,  —  à  dessein, 
—  sur  celles  que  le  premier  Consul,  et  plus  encore  l'empereur,  a  infli- 
gées à  la  Liberté  et  à  la  Justice.  Il  va  sans  dire  que,  connaisseur 
émérite  de  l'épopée  impériale3,  il  a  raconté  des  choses  fort  intéres- 

1.  Frédéric  Masson,  de  l'Académie  française,  Sur  Napoléon,  huit  confé- 
rences. Paris,  Ollendorf,  1909,  x-289  p.  in-18. 

2.  «  Nul  n'a  plus  contribué  que  Napoléon  à  modeler  l'Europe  contempo- 
raine »,  dit  très  justement  M.  E.  Driault  dans  l'ouvrage  dont  nous  allons  par- 
ler (p.  336). 

3.  Quand  M.  Masson  sort  de  sa  spécialité,  son  érudition  est  moins  sûre; 
ainsi,  p.  149,  quand  il  cite  les  trois  écrivains  Cuspidien  (lire  Cuspinien), 


HISTOIRE    DE   FRANCE. 


141 


santés  et  piquantes  à  son  auditoire,  en  traitant  des  sujets  aussi 
variés  [Jeunesse  de  Napoléon,  Napoléon  et  les  femmes,  la 
Malmaison  et  Joséphine,  le  Sacre*,  le  Pape  et  l'Empereur, 
les  Missionnaires  de  Sainte-Hélène,  etc.),  mais  on  ne  peut  s'em- 
pêcher de  constater  que  c'est  en  admirateur  passionné,  et  non  pas 
en  juge  équitable,  qu'il  a  parlé  de  «  Lui  ». 

Plus  simple  d'allures,  mais  aussi  plus  conscient  des  devoirs  de 
l'historien,  M.  Driault  continue  ses  études  patientes  et  fruc- 
tueuses sur  la  politique  de  Bonaparte  consul  et  de  Napoléon  empe- 
reur. Son  nouveau  volume,  Napoléon  et  l'Europe,  a  pour  sous- 
titre  :  la  Politique  extérieure  du  premier  Consul2;  il  nous  y 
donne  un  tableau  d'ensemble  de  sa  politique  extérieure  depuis  le 
18  Brumaire  jusqu'à  la  rupture  de  la  paix  d'Amiens,  paix  qui  ne 
fut  jamais  qu'une  trêve  signée,  de  part  et  d'autre,  sans  grande  con- 
fiance réciproque.  L'attitude  du  général  Bonaparte  dans  les  affaires 
de  Hollande,  d'Allemagne  et  d'Italie  autorisait  assurément  les 
Anglais  à  douter  de  la  sincérité  du  premier  Consul,  et  M.  Driault 
a  raison  de  parler  de  ses  «  provocations  »,  de  ses  «  usurpations  »  con- 
tinuelles (p.  275).  D'ailleurs,  la  lutte  seule  pour  l'empire  des  mers 
aurait  suffi  pour  remettre  aux  deux  antagonistes  les  armes  à  la 
main.  Sans  doute,  après  la  rupture  de  mai  1803,  Bonaparte  a  par- 
faitement joué  l'indignation  vertueuse  contre  la  perfide  Albion, 
«  calcul  d'ailleurs  fort  habile,  puisqu'il  lui  a  réussi,  non  seulement 
alors,  mais  depuis,  dans  l'opinion  de  beaucoup  d'historiens  » 
(p.  406);  «  mais  »,  comme  ajoute  l'auteur,  «  il  est  impossible  que 
l'histoire  en  reste  dupe  »  (p.  413).  Tout  ce  qu'on  peut  dire  de  plus 
topique  pour  défendre  la  politique  du  premier  Consul,  c'est  qu'étant 
si  merveilleusement  doué  pour  la  guerre,  «  il  lui  était  difficile,  sinon 
impossible,  d'être  un  pacifique  »  (p.  473) 3. 

Krants  (lire  Krantz)  et  Mainbourg  (lire  Maimbourg)  comme  sources  pour 
l'histoire  du  moyen  âge. 

1.  C'est  là  qu'il  réclame  une  statue  pour  David,  le  grand  artiste,  mais  le 
triste  personnage  politique  que  l'on  sait,  et  qu'il  abhorrerait  certainement 
comme  admirateur  de  Marat,  si  David,  abandonnant  ses  amis,  n'était  devenu 
l'admirateur  de  Bonaparte. 

2.  Edouard  Driault,  Napoléon  et  l'Europe.  La  politique  extérieure  du  pre- 
mier Consul,  1800-1803.  Paris,  Félix  Alcan,  1910,  vi-481  p.  in-8\ 

3.  Nous  ne  méconnaissons  pas  pour  cela  l'égoïsme  calculateur  de  la  politique 
anglaise  d'alors.  —  Quelques  petits  errata  :  p.  45,  lire  Wickham  pour  Wickam. 
—  P.  48,  lire  Anconne  (Drôme)  pour  Ancône.  —  P.  245,  lire  Lenthe  pour 
leuthe.  —  P.  337.  Il  est  injuste  de  dire  que  Sheridan  fut  un  ennemi  passionné 
de  la  France,  puisqu'il  occupa  une  place  dans  le  ministère  de  Fox.  —  P.  399. 
Lombard  n'était  pas  «  ministre  »  prussien  en  1803,  mais  «  secrétaire  intime  du 
cabinet  royal  ». 


142  BULLETIN    HISTORIQUE. 

On  a  déjà  publié  bien  des  volumes  sur  les  guerres  de  l'Empire 
dans  la  péninsule  ibérique,  d'un  côté  comme  de  l'autre  des  Pyré- 
nées. Il  y  a  beaucoup  à  dire  encore  cependant  sur  cet  épisode  lamen- 
table de  l'histoire  napoléonienne,  et  la  lecture  de  l'ouvrage  de 
M.  Pierre  Conard,  Napoléon  et  la  Catalogne*,  en  fournit  la 
preuve  convaincante.  Nous  n'en  possédons  encore  que  le  premier 
volume,  qui  porte  le  sous-titre  :  la  Captivité  de  Barcelone,  et  qui 
embrasse  les  événements  de  la  région  catalane,  de  février  1808  à 
janvier  1810,  c'est-à-dire  depuis  le  début  de  l'occupation  française  jus- 
qu'au renvoi  du  général  Duhesme  par  Augereau.  Le  récit  est  pré- 
cédé d'une  longue  introduction  sur  les  sources,  avec  maint  bon  con- 
seil sur  leur  emploi,  dont  les  débutants  dans  le  métier  d'historien 
feront  leur  profit.  M.  Conard  nous  présente  moins  un  tableau  des 
faits  militaires  qu'une  histoire  de  l'administration  de  la  province  ; 
son  récit  est  établi  avec  beaucoup  de  soin  et  de  critique,  d'après  les 
documents  des  archives  espagnoles  et  françaises.  C'est  cette  histoire 
impartiale  qui  constitue  surtout  la  nouveauté  de  son  travail.  On  y 
apprend  comment  des  chefs  sans  scrupule,  comme  Duhesme,  appli- 
quaient le  mot  terrible  de  Napoléon  :  «  La  guerre  justifie  tout  »  ; 
mais  on  en  voit  aussi  les  suites.  Dès  1810,  un  témoin  français, 
Carrion-Nisas,  écrivait  :  «  Ruinés  dans  leur  territoire,  ruinés  dans 
leur  commerce,  les  Catalans  sont  aujourd'hui  les  plus  exaspérés  de 
tous  les  Espagnols  »  (p.  368).  L'incendie  des  villes,  les  exécutions 
en  masse  des  insurgés,  les  voleries  cyniques  des  fonctionnaires  qua- 
siment irresponsables2  faisaient  oublier  les  quelques  changements 
favorables  que  le  pouvoir  impérial  apportait  aux  abus  administra- 
tifs d'autrefois.  Le  style  de  M.  Conard  est  fort  sobre  et  ne  vise 
jamais  à  l'effet  dramatique  ;  l'auteur  est  d'autant  plus  convaincant 
quand  il  montre  les  conséquences  de  cette  politique  de  forban,  sans 
profit  pour  la  gloire  impériale,  sans  profit  surtout  pour  la  France  ni 
pour  l'Espagne,  et  qu'il  conclut  :  «  Le  vrai  responsable  de  la  ruine 
de  Barcelone,  de  la  misère  et  de  l'exaspération  des  Catalans  était 
Napoléon  »  (p.  384).  —  Puisque  nous  parlons  de  l'Espagne,  men- 
tionnons tout  de  suite  le  quatrième  volume  de  la  Correspondance 
du  comte  de  La  Forest3,  ambassadeur  de  France  à  la  cour  du  roi 
Joseph,  correspondance  publiée  par  M.  Geoffroy  de  Grandmaison. 

1.  Pierre  Conard,  Napoléon  et  la  Catalogne,  1808-18H.  T.  I  :  la  Captivité 
de  Barcelone.  Paris,  F.  Alcan,  1910,  xliv-473  p.  in-8°,  carte. 

2.  A  côté  de  Duhesme,  il  faut  signaler  surtout  le  général  Lechi  et  le  com- 
missaire général  Casanova;  mais,  à  côté  des  grands  voleurs,  il  y  avait  la  foule 
des  petits. 

3.  Correspondance  du  comte  de  La  Forest,  ambassadeur  de  France  en 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  143 

Ce  nouveau  tome  contient  les  dépêches  du  comte,  de  juillet  1810  à 
mars  1811.  Sa  situation  devient  de  plus  en  plus  embarrassée,  à 
cause  du  mécontentement  croissant  de  Napoléon,  des  brouilles  entre 
les  maréchaux,  des  bouderies  de  Joseph,  effarouché  par  la  mise  à 
pied  du  roi  de  Hollande1.  Naturellement,  le  roi  d'Espagne  n'a  guère 
envie  de  causer  avec  le  représentant  officiel  de  son  frère2,  surtout 
quand  l'empereur  a  formulé  son  terrible  ultimatum,  que  si  Joseph 
ne  parvient  pas  à  s'arranger  avec  les  cortès  de  Cadix,  il  se  dédom- 
magera de  tous  ses  débours  en  annexant  les  provinces  de  la  rive 
gauche  de  l'Èbre  et  n'agira  plus  qu'au  gré  des  intérêts  français, 
sans  se  préoccuper  du  roi.  Joseph  songe  à  démissionner  alors,  lui 
aussi;  il  déclare  que  «  le  roman  tire  à  sa  fin  ».  Il  finit  même  par 
consulter  sur  ce  point  délicat  La  Forest  qui  lui  conseille  amicale- 
ment d'y  bien  réfléchir.  Entre  temps,  la  misère  financière  est  deve- 
nue telle  que  le  roi  vend  secrètement  les  vases  sacrés  de  sa  propre 
chapelle  pour  payer  le  pain  de  la  garnison  de  Madrid  (p.  521). 

Parmi  les  mémoires  militaires  de  l'époque,  nous  avons  d'abord  à 
mentionner  le  second  volume  de  ceux  du  général  Griois,  édités  par 
M.  Arthur  Chuquet3.  Ce. second  tome  est  beaucoup  plus  intéres- 
sant que  le  premier,  parce  que  les  faits  de  guerre  y  sont  plus 
notables  et  qu'on  y  rencontre  beaucoup  moins  de  commérages 
amoureux.  Le  drame  effroyable  de  la  campagne  de  Russie  y  tient 
une  grande  place  ;  tant  de  fois  déjà  racontée  par  des  témoins  échap- 
pés au  cataclysme,  cette  retraite  légendaire  exerce  toujours  encore 
sur  nous  une  fascination  singulière,  et  certains  traits  d'égoïsme 
féroce,  d'insensibilité  monstrueuse  racontés  par  Griois  font  frémir4. 
On  trouvera  d'intéressants  détails  aussi  sur  la  campagne  de  Saxe, 
la  bataille  de  Hanau,  la  campagne  de  France  où  Griois  voit  l'empe- 

Espagnc,  publ.  par  M.  Geoffroy  de  Grandmaison.  T.  IV.  Paris,  A.  Picard, 
1910,  588  p.  in-8°,  portr. 

1.  Signalons  en  passant  la  dépêche  du  26  septembre  1810,  où  l'on  raconte 
l'histoire  des  50  tableaux  dont  Joseph  devait  faire  cadeau,  par  ordre,  à  l'em- 
pereur, alors  qu'il  voulait  les  garder  (p.  153). 

2.  «  Il  juge  les  entretiens  avec  moi  très  superflus  »,  écrivait  l'ambassadeur 
le  11  octobre  1810  (p.  173). 

3.  Mémoires  du  général  Griois,  1792-1822,  publ.  par  son  petit-neveu,  avec 
introduction  et  notes  par  Arthur  Chuquet,  membre  de  l'Institut.  T.  II.  Paris, 
Plon-Nourrit  et  Cie,  1909,  xxv-391  p.  in-8°. 

4.  Je  note,  non  pas  en  moraliste,  mais  plutôt  en  psychologue,  que  le  colo- 
nel Griois,  échappé  à  une  mort  presque  certaine,  avec  les  cheveux  «  complète- 
ment blancs  »,  la  face  encore  «  cadavérique  »,  n'a  rien  de  plus  pressé  à  faire,  en 
arrivant  à  Glogau,  que  de  se  ruer  chez  les  pourvoyeuses  pour  avoir  «  des  filles 
dont  nous  étions  affamés  »  (p.  214).  C'est  à  une  mentalité  pareille  que  l'Em- 
pire avait  réduit  les  meilleurs! 


144  BULLETIN    HISTORIQUE. 

reur  de  près  à  Montmirail  (p.  295),  etc.  Détail  caractéristique  pour 
l'armée  d'alors,  au  moment  de  la  capitulation  de  Paris,  notre  auteur 
ignorait  jusqu'au  nom  des  membres  de  la  famille  royale  qu'il  allait 
servir!  Resté  en  fonctions  jusqu'en  1822,  le  général  quittait  le  ser- 
vice pour  se  retirer  à  Paris;  c'est  là  qu'il  écrivit  ses  Mémoires. 

M.  le  général  Bonnal  a  mis  au  jour  le  premier  volume  d'une 
Vie  militaire  du  maréchal  Ney'.  N'y  ayant  pas  joint  un  seul 
mot  de  préface,  qui  nous  orienterait  sur  ses  sources2  et  sur  la  façon 
dont  il  entend  traiter  son  sujet,  il  est  assez  difficile  de  prévoir  s'il 
aura  deux,  trois  ou  même  quatre  volumes.  Vu  l'extrême  brièveté 
des  renseignements  fournis  sur  le  milieu  dont  est  sorti  Ney  et  sur 
sa  première  jeunesse,  il  s'agit  évidemment  d'un  travail  plutôt  tech- 
nique, écrit  pour  les  militaires3;  l'histoire  générale  du  temps,  ce  qui 
constituerait,  pour  ainsi  dire,  le  fond  du  tableau,  fait  à  peu  près 
défaut  dans  le  récit  de  M.  Bonnal,  qui  s'étend,  dans  ce  tome  Ier, 
jusqu'au  départ  de  Suisse  du  général  (janvier  1804).  Dans  les  rares 
excursions  de  l'auteur  en  dehors  de  son  domaine  spécial,  il  y  aurait 
à  relever  certaines  inexactitudes,  comme  dans  l'exposé  du  conflit 
constitutionnel  au  sein  des  Cantons  helvétiques,  conflit  que  Ney  fut 
chargé  de  régler  par  la  force  des  baïonnettes.  Si  les  mérites  profes- 
sionnels du  futur  maréchal  sont  mis  en  pleine  lumière  par  lui,  il 
nous  fournit  plus  rarement  l'occasion  de  juger  l'homme4.  L'ortho- 
graphe des  noms  de  personnes  et  de  lieux  a  été  malheureusement 
trop  superficiellement  revisée  et  il  faudrait  un  assez  long  erratum 
pour  redresser  toutes  les  déformations  qui  déparent  le  texte3. 

1.  Général  H.  Bonnal,  la  Vie  militaire  du  maréchal  Ney,  duc  d'Elchingen, 
prince  de  la  Moskowa.  T.  I.  Paris,  R.  Chapelot  et  Cie,  1910,  418  p.  gr.  in-8°, 
portr.  et  cartes. 

2.  L'auteur  a  certainement  établi  sa  biographie  sur  les  archives  de  la  Guerre  ; 
on  s'en  rend  compte  à  la  lecture,  mais  on  aurait  désiré  quelques  renseignements 
préliminaires  et  des  renvois  précis  aux  dossiers  consultés. 

3.  Le  général,  qui  marque  quelque  dédain  pour  la  «  stupidité  des  plumitifs  » 
et  se  moque  quelque  part  d'un  «  ingénieur  doublé  d'un  intellectuel,  »  ne 
semble  pas  avoir  songé  à  un  public  de  simples  civils.  Les  militaires,  au  con- 
traire, feront  leur  profit  de  mainte  observation  professionnelle,  de  maint  con- 
seil pratique  donné  par  l'auteur  au  cours  de  son  récit. 

4.  On  peut  lire  pourtant,  p.  398,  cette  indication  :  «  L'évolution  de  son 
esprit  s'était  faite  sous  l'empire  des  réalités,  montrant  l'inanité  des  systèmes 
construits  de  toutes  pièces  par  des  idéologues  affectés  de  sectarisme  et  trop 
souvent  malhonnêtes.  »  Ignorant  les  détails  de  cette  conversion  politique  de 
Ney,  je  ne  veux  pas  mettre  en  doute  sa  sincérité.  Mais,  en  tout  état  de  cause, 
c'était  là  une  théorie  commode,  qui  lui  permettait  de  lâcher  les  opinions  jaco- 
bines de  sa  jeunesse  pour  faire  (ainsi  que  l'écrivait  un  de  ses  amis)  de  Bona- 
parte «  la  pierre  angulaire  de  notre  félicité  commune  ». 

5.  Ainsi,  le  diplomate  Bonnier,  la  victime  de  l'attentat  de  Rastatt,  devient 


HISTOIRE    DE    FRANCE.  145 

C'est  avec  un  vif  plaisir,  mais  non  sans  émotion,  que  nous  avons 
parcouru  l'ouvrage  posthume  de  Henri  Lot  sur  les  Deux  généraux 
Ordener*.  Collaborateur,  comme  moi,  de  la  Revue  critique,  dès  ses 
débuts,  Lot  y  écrivait  sur  l'histoire  de  la  Révolution  et  de  l'Empire 
des  articles  que  nous  jugions  tous  des  plus  remarquables  et  qui 
promettaient  à  la  France  un  historien  d'élite.  Dans  cette  étude,  consa- 
crée à  la  mémoire  de  son  grand-père  et  de  son  oncle,  il  n'a  pas  seu- 
lement élevé  un  monument  de  piété  familiale2,  mais  fourni  un  vrai 
modèle  de  biographie  militaire  par  la  simplicité  du  style,  la  sûreté 
de  la  critique,  l'annotation  sobre  et  vraiment  utile,  qualités  qui 
n'y  excluent  nullement  la  chaleur  patriotique,  mais  sans  fausse 
éloquence.  Il  appliquait  simplement,  comme  il  le  dit  dans  son  avant- 
propos,  «  à  l'étude  historique  des  quatre-vingts  dernières  années 
les  procédés  de  la  science  » ,  mais  c'était  alors  une  qualité  fort  rare 
et  elle  n'est  pas  encore  devenue  commune  aujourd'hui.  Il  est  bien 
regrettable  que  cette  double  biographie,  celle  du  père,  Michel  Orde- 
ner,  le  paysan  lorrain,  mort  à  Compiègne,  en  181 1,  et  celle  du  fds, 
le  colonel  des  dernières  charges  de  cavalerie  de  Waterloo,  mort 
général,  lui  aussi,  en  1862,  n'ait  pas  été  publiée  trente  ans  plus  tôt. 
L'auteur  a  été  partiellement  frustré  de  la  sorte  du  mérite  de  ses 
longues  recherches  sur  l'affaire  du  duc  d'Enghien  (à  laquelle  le  géné- 
ral Ordener  fut  mêlé)  ;  il  avait  réuni  bien  des  pièces  que  nous  avons 
connues  d'abord  par  le  travail  de  M.  le  comte  Boulay  de  la  Meurthe3. 

Un  autre  ouvrage  posthume  de  biographies  militaires,  c'est  la 
troisième  série  des  Grands  cavaliers  du  premier  Empire4  de 
M.  le  général  Thoumas.  Si  la  publication  du  présent  volume  a  tant 
tardé,  c'est  que  la  dernière  étude  du  volume,  celle  sur  le  général 

Boursier,  M.  de  Mullinen,  Mxdhiren,  Hompesch,  Hompspech,  Sandhofen, 
Sanhofen,  Kehl,  Khel,  Fùrfeld,  Furseld,  Moerlen,  Merle,  etc.,  etc. 

1.  Henri  Lot,  archiviste  aux  Archives  nationales,  les  Deux  généraux  Orde- 
ner, préface  de  Félix  Rocquain,  membre  de  l'Institut.  Paris,  Royer  et  Cher- 
novitz,  1910,  vn-392  p.  gr.  in-8",  portr.  et  cartes.  —  M.  H.  Lot  est  mort  en 
1878. 

2.  Le  livre  est  dédié  à  la  mémoire  de  son  frère,  Camille  Lot,  officier  de  cui- 
rassiers, qui  périt  dans  une  des  charges  folles  et  glorieuses  de  son  régiment 
à  travers  les  houblonnières  de  Morsbronn. 

3.  Henri  Lot,  qui  avait  le  respect  des  minuties  comme  des  grandes  règles 
de  la  critique,  aurait  regretté  certaines  fautes  d'impression  qui  déparent  son 
excellent  travail.  11  faut  lire  Deutz,  Saeckingen,  Moesskirch,  Vandeleur, 
Ripert  de  Montclar,  etc.,  pour  Deust,  Sackingen,  Masskirch,  Vaudeleur, 
Repert  de  Montelar,  etc. 

4.  Les  Grands  cavaliers  du  premier  Empire.  Notices  biographiques  par  le 
général  Thoumas,  3e  série.  Paris  et  Nancy,  Berger-Levrault,  1909,  n-439  p. 
in-8",  portr. 

Rev.  Histor.  CV.  1er  FASC.  10 


146  BULLETIN    HISTORIQUE. 

Espagne,  était  à  peine  commencée  quand  l'auteur  mourut  en  1893, 
et  elle  n'a  été  terminée  que  récemment  par  M.  le  capitaine  H.  Chop- 
pin.  On  connaît  les  deux  premières  séries  de  ces  croquis  animés  que 
le  général  Thoumas  publia  d'abord  dans  la  Revue  de  cavalerie, 
esquisses  sans  notes  aucunes  ni  renvois  aux  sources,  mais  pour  les- 
quelles il  utilisait  pourtant  des  documents  inédits  ;  il  savait  y  faire 
revivre,  d'un  crayon  pittoresque,  les  grands  sabreurs  et  manœu- 
vriers de  1  épopée  napoléonienne.  La  plus  longue  de  ces  nouvelles 
études  est  consacrée  à  Grouchy  et  discute,  une  fois  de  plus,  d'une 
façon  qui  nous  semble  équitable,  le  problème  de  sa  conduite  à 
Waterloo.  Signalons  encore  les  portraits  de  d'Hautpoul,  Caulain- 
court  et  Bessières,  et  quelques  autres,  moins  connus.  Vagnair  de 
Marisy,  Espagne,  Lefebvre-Desnoëttes,  ou  connus  surtout  comme 
personnages  politiques,  tels  Latour-Maubourg  et  Sébastiani1. 

M.  le  prince  Murât  et  M.  Paul  Le  Brethon  ont  fait  paraître, 
depuis  notre  dernier  bulletin,  deux  nouveaux  volumes  des  Lettres 
et  documents  pour  servir  à  l'histoire  de  Joachim  Murât-,  le 
troisième  et  le  quatrième  de  cette  importante  collection.  Le  tome  III 
comprend  la  correspondance  de  Murât  durant  le  temps  qu'il  fut 
gouverneur  de  Paris  (15  janvier  1804-12  août  1805).  Sur  les 
938  pièces  qu'il  renferme,  les  deux  tiers  n'ont  guère  d'intérêt  pour 
l'historien  ;  ce  sont  des  réponses  à  des  solliciteurs ,  humbles  ou 
titrés,  qui  ne  manquent  jamais  aux  puissants  du  jour.  Si  l'on  peut 
y  constater  la  bonhomie  du  général,  accueillant  d'ordinaire  les 
quémandeurs,  qui  lui  demandent  tout,  depuis  une  bourse  de  lycée, 
une  place  de  juge,  un  permis  de  chasse,  une  chaire  de  professeur, 
jusqu'à  une  plaque  de  grand'croix,  ces  correspondances  ne  donnent 
pas  une  bien  haute  opinion  de  l'humanité  d'alors,  qui  était  un  peu 
celle  de  tous  les  temps.  On  doit  attacher  plus  d'importance  aux 
pièces  qui  se  rapportent  au  procès  du  duc  d'Enghien.  Il  y  eut  vrai- 
ment, semble-t-il,  une  velléité  de  révolte  de  la  part  du  gouverneur 
de  Paris  contre  la  volonté  du  premier  Consul,  qui  entendait  le 
mêler  plus  étroitement  à  l'attentat  de  Vincennes,  mais  il  ne  faudrait 

1.  Quelques  errata  seraient  nécessaires  pour  les  noms  de  lieux.  Lire,  par 
exemple,  Poischwitz  pour  Plesswitz,  Erlangen  pour  Erlang,  etc.  Une  erreur 
plus  grave,  c'est  de  faire  nommer  le  père  du  général  Espagne  à  Y  École  cen~ 
traie  de  la  Creuse  par  le  ministre  Galonné.  Il  y  a  confusion  avec  le  collège 
d'Aubusson. 

2.  Lettres  et  documents  pour  servir  à  l'histoire  de  Joachim  Murât,  1767- 
1815,  publ.  par  le  prince  Murât  avec  une  introduction  et  des  notes  par  Paul 
Le  Brethon.  T.  III.  Paris,  Plon-Nourrit  et  C",  1909,  490  p.  in-8",  portr.; 
t.  IV,  1910,  514  p.  in-8%  portr. 


HISTOIRE    DE    FRANCE.  I  Ï7 

pas  s'exagérer  la  résistance  de  Murât  à  son  impérieux  beau-frère. 
Il  donna  bien  vite  la  signature,  refusée  d'abord.  Le  tome  IV  est, 
dans  sa  première  moitié,  presque  exclusivement  consacré  à  la  cam- 
pagne d'Autriche  ;  dans  la  seconde,  nous  assistons  à  la  prise  de 
possession  et  à  l'organisation  du  grand-duché  de  Berg.  Après  le 
livre  si  détaillé,  si  consciencieux  de  M.  Charles  Schmidt  sur  cette 
matière,  on  n'y  trouvera  naturellement  que  peu  de  données  nouvelles. 
Le  volume  se  termine  par  la  campagne  de  Prusse  ;  nous  citerons  une 
lettre  curieuse  à  l'empereur,  écrite  par  Murât  à  Varsovie  (29  no- 
vembre 1806)  pour  orienter  Napoléon  sur  les  dispositions  des  Polo- 
nais1. Un  autre  travail  relatif  à  la  Dernière  année  du  règne  de 
Joachim  Murât2,  celui  de  M.  le  commandant  H.  Weil,  en  est 
arrivé  à  son  cinquième  volume.  Rédigé,  comme  on  sait,  sous  forme 
d'annales,  il  suit,  jour  par  jour,  l'activité  politique  et  militaire  du 
roi  de  Naples;  les  tomes  III-V  embrassent  les  quelques  mois  qui 
s'étendent  du  27  février  au  12  août  1815.  Nous  l'y  voyons  se  pré- 
parer à  rompre  avec  l'Autriche,  au  moment  même  où  son  représen- 
tant à  Vienne  offre  de  signer  la  déclaration  des  alliés  contre  Bona- 
parte, puis  entamer  une  lutte  sans  issue,  qui  se  termine  par  la 
défaite  et  la  fuite,  en  attendant  les  balles  qui  le  frapperont  au  Pizzo, 
sept  semaines  plus  tard.  Victime,  à  coup  sûr,  des  intrigues  de 
Metternich.  Murât  le  fut  surtout  de  son  incapacité  absolue  à  se 
rendre  compte  de  l'état  véritable  de  l'Italie,  de  son  impuissance  à  y 
jouer  un  rôle  en  dehors  de  l'influence  napoléonienne3  et  de  son  impé- 
ritie  militaire  quand  la  dernière  partie  dut  être  engagée,  au  milieu 
de  l'indifférence  absolue  des  populations  de  la  péninsule. 

M.  de  Lanzac  de  Laborie  poursuit  avec  diligence  et  succès  son 
travail  encyclopédique  sur  le  Paris  de  Napoléon  l"k.  Son  sixième 
volume  est  consacré  tout  entier  au  monde  des  affaires  et  du  travail. 
L'auteur  nous  y  entretient  successivement  du  commerce  parisien 
depuis  le  18  Brumaire  et  des  crises  fréquentes  qui  le  tourmentent 
après  la  rupture  de  la  paix  d'Amiens  et  la  proclamation  du  blocus 
continental.  Il  nous  expose  l'activité  du  Tribunal  de  commerce  et  de 

1.  T.  III,  p.  526,  Shée  est  appelé  préfet  du  Haut-Rhin;  c'est  Bas-Rhin  qu'il 
faut  lire.  —  T.  IV,  p.  237,  lire  Horstmar  pour  Hortsmar  et,  p.  288,  Preis- 
werck  pour  Freisswerck. 

2.  Commandant  H.  Weil,  Joachim  Mural  roi  de  Naples.  La  dernière  année 
de  son  règne  (mai  181i-mai  1815).  T.  III-V.  Paris,  A.  Fontemoing,  1909-1910, 
646  p.,  576  p.,  647  p.  in-8°,  cartes. 

3.  Il  n'a  jamais  vu  l'absurdité  qu'il  y  avait  à  vouloir  jouer,  lui,  l'étranger 
détesté,  le  rôle  de  protagoniste  de  la  nationalité  italienne. 

4.  L.  de  Lanzac  de  Laborie,  Paris  sous  Napoléon.  Le  monde  des  affaires  et 
du  travail.  Paris,  Plon-Nourrit  et  C!",  1910,  iv-354  p.  in-18. 


148  BULLETIN    niSTOIUQUE. 

la  Chambre  de  commerce  de  la  capitale  et  nous  décrit  au  prix  de 
quelles  concessions  et  après  quelles  difficultés  le  gouvernement 
impérial,  —  bien  puissant  pourtant,  —  obtint  enfin  l'introduction, 
bien  imparfaite  encore,  du  système  des  poids  et  mesures  et  des 
monnaies  voté  par  les  assemblées  républicaines.  Parmi  tous  ces  cha- 
pitres, ceux  sur  la  création  de  la  Banque  de  France,  sur  l'établisse- 
ment de  son  monopole,  sur  les  interventions  continuelles  de  l'em- 
pereur dans  la  fixation  du  cours  de  rente,  sur  l'activité  des  agents  de 
change  sont  les  plus  neufs  et  les  plus  intéressants.  L'auteur  s'est 
acquis  des  droits  à  la  reconnaissance  spéciale  des  historiens  qui  s'oc- 
cupent de  cette  époque,  pour  avoir  exposé,  d'une  façon  si  lucide  et 
dans  un  langage  aussi  compréhensible,  des  questions  techniques 
fort  négligées  d'ordinaire  par  les  essayistes  de  l'ère  napoléonienne. 
On  trouvera  moins  de  détails  sur  l'industrie;  cependant,  nous  visi- 
tons les  fabriques  de  toiles  peintes  d'Oberkampf  à  Jouy  et  les  sucre- 
ries de  Delessert  à  Passy.  Le  chapitre  le  plus  court  (ce  serait  cer- 
tainement le  plus  long,  s'il  s'agissait  de  notre  époque)  est  celui  que 
l'auteur  consacre  aux  ouvriers.  Il  y  en  avait  alors  de  70,000  à 
80,000  à  Paris,  pas  dangereux  au  fond,  parce  que  dégoûtés  de  la 
politique,  mais  craints  néanmoins  plutôt  qu'aimés  par  l'empereur, 
auquel  ses  souvenirs  de  sous-lieutenant,  durant  la  Terreur,  conseil- 
laient de  ménager  les  faubouriens  révolutionnaires  d'autrefois. 

Rod.  Reuss. 


HISTOIRE  DE  RUSSIE. 

PUBLICATIONS    DE    l' ANNEE  1909. 

Époque  de  Kiev,  ixe-xme  siècles.  —  Il  y  a  longtemps  que 
lattention  des  historiens  russes  ne  se  fixe  plus  sur  les  premiers 
siècles  de  l'histoire  de  Russie.  Ce  qui,  il  y  a  un  demi-siècle,  parais- 
sait offrir  un  intérêt  exclusif  n'attire  plus  que  de  rares  chercheurs, 
tels,  par  exemple,  que  M.  Pressniakov  dans  son  livre  sur  le  droit 
princier1  et  de  M.  Stchepkine  dans  son  intéressant  article  sur  la 
succession  au  trône  de  Norvège  du  ixe  au  xme  siècle2.  Le  livre  de 
M.  Pressniakov  est  un  exposé  d'idées  originales  sur  l'histoire  de  la 

1.  Kniajoïe  pravo.  Saint-Pétersbourg,  1909,  in-8°,  305  p. 

2.  Poriadok  prcstolonasledia  ou  drevnie-Norvejskikh  konungov,  dans  le 
recueil  présenté  au  professeur  Klutchevski  par  ses  élèves  et  amis  à  l'occasion 
du   30e  anniversaire  de   professorat  à  l'Université  de  Moscou  (5  décembre 


HISTOIRE    DE    RUSSIE.  149 

Russie  aux  ixe-xme  siècles  basées  sur  l'étude  comparée  des  anti- 
quités slaves  et  germaniques.  Ces  idées  diffèrent  sensiblement  de 
celles  qui  ont  été  généralement  admises  à  présent  sur  l'origine  et 
l'histoire  primitive  de  la  Russie.  Ainsi  l'auteur  pense  que  les 
princes  de  la  maison  de  Rurik,  au  lieu  de  succéder  au  trône  à  tour 
de  rôle,  tiraient  leur  origine  du  droit  de  posséder  ce  qui  avait 
appartenu  aux  ascendants  directs.  C'est  dans  une  société  toute  pri- 
mitive que  surgit  le  pouvoir  princier;  le  prince  et  sa  «  droujina  », 
troupe  de  guerriers  à  son  service  personnel,  furent  les  premiers  orga- 
nisateurs de  cette  société  et  les  fondateurs  de  l'Etat  russe.  Cepen- 
dant, en  plaçant  au  premier  rang  le  pouvoir  princier,  l'auteur 
semble  oublier  les  «  vétché  » ,  —  assemblées  populaires,  —  si  spéciales 
à  la  vieille  Russie  et  dont  l'origine  se  perd  dans  la  nuit  des  temps.  Il 
est  du  reste  difficile  de  préciser  les  premières  étapes  historiques  de 
la  Russie.  Les  sources  précieuses  que  nous  possédons  pour  l'his- 
toire des  ixe-xine  siècles  ont  trop  de  lacunes  pour  qu'il  soit  possible 
de  bien  expliquer  les  faits.  L'historien  qui  tâche  de  faire  revivre  ce 
que  la  mémoire  des  hommes  n'a  pas  pu  conserver  est  obligé  de  se 
lancer  dans  des  hypothèses  ingénieuses  peut-être,  mais  bien  diffi- 
ciles à  prouver.  C'est  le  cas  pour  notre  auteur;  il  faut  reconnaître 
néanmoins  que  certaines  de  ses  observations  sur  les  débuts  histo- 
riques de  la  Russie  augmenteront  nos  connaissances  à  ce  sujet. 

En  retraçant  les  annales  de  la  Norvège  au  temps  des  Inglings, 
M.  Stchepkine  s'attache  à  prouver  que  la  succession  au  trône  de  ce 
pays  était  conforme  au  droit  de  succession  des  «  odhals  »  ou  terres 
nobles.  L'idée  de  1'  «  odhal  »,  importée  en  Russie  par  les  princes 
Scandinaves,  s*est  trouvée  aux  prises  avec  le  droit  de  succession  de 
père  à  fils  en  usage  chez  les  Slaves.  Les  deux  influences  ont  abouti 
à  une  combinaison  très  compliquée  et  propre  à  la  Russie  seule. 
L'article  de  M.  Stchepkine  ainsi  que  le  livre  de  M.  Pressniakov 
sont  des  études  d'histoire  comparée  ;  c'est,  à  notre  avis,  le  seul  et  vrai 
moyen  d'accroître  nos  connaissances  sur  les  premiers  siècles  de 
l'histoire  de  Russie. 

Moyen  âge,  xme-xve  siècles.  —  Cette  époque  est  tout  aussi 
peu  représentée  parmi  les  publications  de  l'année  1909  que  la  pré- 
cédente. Comme  pour  la  période  primitive,  il  y  a  peu  d'espoir 
que  la  découverte  de  sources  nouvelles  vienne  jeter  la  lumière  sur 
l'obscure  histoire  d'une  série  de  petites  principautés,  domaines  à 
moitié  indépendants,  parmi  lesquelles  celle  de  Moscou  faisait  les 

1879-5  décembre  1909.  Moscou,  1909,  in-8",  828  p.).  Sur  41  articles,  30  se  rap- 
portent à  l'histoire  de  Russie.  Les  plus  importants  sont  mentionnés  dans  ce 
Bulletin  aux  époques  auxquelles  ils  se  rapportent. 


150  BULLETIN    HISTORIQUE. 

premiers  pas  vers  sa  grandeur  future.  Signalons  tout  d'abord  la 
seconde  édition  de  l'intéressant  ouvrage  sur  le  patronat  du  regretté 
M.  Pavlov-Silvanski.  dont  la  mort  prématurée  a  privé  l'histoire 
de  Russie  d'un  infatigable  chercheur  et  d'un  écrivain  de  talent1.  Un 
des  plus  grands  mérites  de  l'œuvre  historique  de  M.  Pavlov-Silvanski 
a  été  d'avoir  soutenu  et  affirmé  cette  thèse  que  la  Russie  a  connu,  à 
l'état  embryonnaire  du  moins,  toutes  les  grandes  institutions  féo- 
dales propres  à  l'Europe  occidentale.  Un  ouvrage  sur  le  patronat, 
paru  il  y  a  une  dizaine  d'années,  était  une  des  études  préliminaires 
qui  devaient  servir  de  base  à  un  grand  ouvrage  sur  la  féodalité  en 
Russie  resté  inachevé. 

M.  Bahrouchine  a  publié  un  article  très  documenté  sur  l'admi- 
nistration et  l'économie  des  domaines  princiers  aux  xve  et  xvie  siècles2. 
Une  principauté  russe  du  moyen  âge  n'est  qu'une  grande  propriété 
privée.  Le  prince  est  un  gros  fermier  qui  gère  son  domaine  en 
exploitant  ses  richesses  naturelles.  Le  fait  est  connu  ;  mais  l'article 
de  M.  Bahrouchine  en  donne  un  tableau  si  vivant  et  si  détaillé  que 
l'on  ne  saurait  le  passer  sous  silence.  Cependant  une  lente  évolution 
économique  fait  péricliter  l'ancien  ordre  des  choses.  Le  capital  fait 
défaut;  la  circulation  de  l'argent  se  modifie;  la  valeur  des  produits 
bruts  diminue.  Vers  le  milieu  du  xvie  siècle,  tous  les  anciens 
domaines  princiers  qui  subsistaient  encore  étaient  criblés  de  dettes, 
ce  qui  n'a  pas  peu  contribué  à  l'écroulement  des  dernières  principau- 
tés indépendantes;  elles  n'eurent  plus  la  force  de  lutter  contre  le 
pouvoir  et  l'argent  des  grands  princes  de  Moscou. 

En  fait  de  documents  relatifs  au  moyen  âge  russe,  il  convient  de 
signaler  deux  publications:  destinées  aux  étudiants  des  universités, 
elles  présentent  néanmoins  une  importance  plus  grande.  La  Faculté 
des  lettres  de  l'Université  de  Moscou  a  fait  paraître,  rédigée  par  le 
privat-docent  Iakovlev,  l'édition  complète  des  chartes  administra- 
tives et  judiciaires  octroyées  par  les  grands  princes  et  tsars  de  Mos- 
cou à  différentes  localités  du  pays  aux  xive-xvme  siècles3.  Les  plus 
anciennes  de  ces  chartes  déterminent  les  droits  et  le  pouvoir  des 


1.  Décédé  le  16/29  septembre  1908.  Les  amis  de  l'auteur  ont  entrepris  de 
publier  une  nouvelle  édition  de  ses  œuvres  les  plus  importantes.  Deux 
volumes  ont  paru  jusqu'à  présent.  Le  premier  contient  un  article  sur  le  patro- 
nat [Lioudi  kabalniyie  i  dohladnyie)  et  l'histoire  de  la  noblesse  (Po.sov- 
darevy  Slougilyie  lioudi);  le  deuxième  est  un  recueil  d'articles  sur  l'histoire 
des  xvnr-xixc  siècles.  Saint-Pétersbourg,  1908.  in-8°,  2  vol. 

2.  Kniageskme  khozialstvo  XVI  i  pervoï  poloviny  XVI  véka.  Dans  le 
«  recueil  »  Klutchevski. 

3.  Namestnitchii  goubnyia  i  zemskia  oustatnyia  gramoty  Moskovskago 
gosoudarslva.  Moscou,  1909,  in-8°,  208  p. 


HISTOIRE   DE   RUSSIE.  151 

lieutenants  princiers  (namestniki) ,  celles  du  xvie  siècle  introduisent 
dans  certaines  provinces  une  autonomie  locale  qui  subsista  en  partie 
au  siècle  suivant.  La  découverte  de  nouvelles  chartes  a  rendu  les 
anciennes  éditions  insuffisantes;  l'édition  présente  étant  complète 
peut  servir  de  manuel  pour  l'étude  de  l'administration  locale  de  la 
Moscovie.  Les  testaments  et  les  traités  des  princes  des  xive-xvie  siècles, 
publiés  dans  le  même  but  de  faciliter  l'étude  des  sources  du  moyen 
âge  russe,  font  partie  d'une  série  de  publications  analogues  rédigée 
par  les  professeurs  d'histoire  de  Russie  à  l'Université  de  Moscou1. 

Russie  occidentale  et  Lithuanie  ,  xive-xvne  siècles.  — 
Outre  l'étude  détaillée  des  droits  de  la  petite  noblesse  du  grand- 
duché  de  Lithuanie  par  le  professeur  Leontovitch,  parue  dans  le 
Journal  du  ministère  de  l'Instruction  publique  dans  le  courant  de 
1908  et  de  19093,  il  a  paru  sur  l'histoire  du  grand-duché  de 
Lithuanie  quelques  articles  qui  méritent  d'être  signalés.  Le  profes- 
seur Lubavski  s'est  arrêté  à  la  question  souvent  débattue  des  droits 
politiques  des  Grecs  orthodoxes  dans  le  grand-duché  de  Lithuanie, 
en  se  basant  sur  des  sources  nouvellement  découvertes3.  C'est  l'éphé- 
mère union  religieuse  de  Florence  d'abord  et  la  propagande  du  cal- 
vinisme parmi  l'aristocratie  lithuanienne  ensuite  qui  donnèrent  aux 
orthodoxes  les  droits  politiques  qui,  depuis  l'union  de  Jagellon, 
avaient  été  le  privilège  des  catholiques.  M.  Pitcheta  expose  le  rôle 
dominant  que  l'antagonisme  entre  l'aristocratie  lithuanienne  [pany] 
et  la  petite  noblesse  rurale  (chliakhta,  orthographe  polonaise 
szlachta)  de  la  Lithuanie  et  de  la  Russie  occidentale  a  joué  dans 
l'histoire  de  la  réunion  définitive  du  grand-duché  à  la  Pologne  en 
1569 4.  Le  professeur  Lappo  s'attache  à  des  questions  plus  spéciales; 
il  étudie  les  droits  et  l'organisation  des  bourgeois  chevaliers  de 
Vitebsk,  dont  le  service  militaire  était  pareil  à  celui  des  nobles,  et 
l'organisation  des  tribunaux  municipaux  selon  les  statuts  du  grand- 
duché  de  Lithuanie  de  1566  et  de  1589 s. 

Parmi  les  documents  touchant  l'histoire  de  la  Russie  occiden- 

1.  Doukhovnyia  i  dogovornyia  gramoty  kniaziei  velikikh  i  oudielnykh, 
dans  la  série  des  Documents  pour  servir  à  l'histoire  de  la  Russie  [Pamiatniky 
rousskoi  istorii).  Autres  livraisons  importantes  de  la  même  série  :  Documents 
pour  servir  à  l'histoire  de  Novgorod  (Pamiatniky  istorii  velikago  Novgoroda) 
et  Documents  pour  servir  à  l'histoire  des  paysans  du  xiv"  au  xix"  siècle 
{Pamiatniki  istorii  krestian  XIV-XIX  vekov).  Tous  parus  à  Moscou,  1909. 

2.  Pravosposobnost  litovsko-rousskoi  chliakhty. 

3.  Kvoprossou  ob  ogranifchenti polititcheskikh  prav pravoslavnykh  kniaziei, 
panovi  chliakhty  v  vel.  kn.  Litovskom.  Dans  le  «  recueil  Klutchevski  »,  de 
même  que  les  deux  articles  suivants. 

4.  Litovsko  polskiia  ounii  i  otnochénié  k  nim  Utovsko  rousskoi  chliakhty. 

5.  Konnyie  mestchanié  Vitebskie  et  Grodskii  soud  v  velikom  kniagestve 


152  BULLETIN    HISTORIQUE. 

taie,  citons  le  tome  XXXV  des  Actes  de  la  commission  archéo- 
gra/phique  de  Vilna*,  qui  contient  des  documents  se  rapportant 
aux  guerres  contre  la  Moscovie  de  1654  à  1669.  Ces  documents 
donnent  une  idée  très  claire  de  la  crise  financière  que  traversait  à 
cette  époque  la  Lithuanie,  des  opérations  militaires  contre  les  Mos- 
covites et  de  la  déplorable  situation  économique  du  pays  dévasté 
par  la  guerre. 

Le  professeur  M.  Grouchevski  a  contribué  à  l'étude  de  l'histoire 
de  la  petite  Russie,  autrement  dite  Ukraine,  en  publiant  le 
tome  VII  de  YHistoire  de  l'Ukraine,  grand  ouvrage  en  langue 
petite  russienne  entrepris  depuis  plusieurs  années2.  Le  volume  paru 
contient  l'exposé  de  l'histoire  de  l'Ukraine  depuis  le  milieu  du 
xve  siècle.  L'auteur  étudie  surtout  l'origine  des  cosaques  et  les  cir- 
constances qui  ont  préparé  le  rôle  prépondérant  que  ces  derniers 
furent  appelés  à  jouer  sous  Bathory  et  ses  successeurs. 

La  Moscovie,  xvie-xvne  siècles.  —  Les  sources  de  l'histoire 
de  la  Moscovie  étant  inépuisables  et  loin  d'être  suffisamment 
étudiées,  c'est  de  ce  côté  tout  naturellement  que  se  portent  depuis 
longtemps  les  études  historiques  en  Russie.  Parmi  les  publications 
de  l'année  1909,  l'attention  est  tout  d'abord  attirée  par  le  livre  de 
M.  Bogoslovski3  sur  l'autonomie  dont  jouissaient  aux  xvie  et 
xviie  siècles  les  communes  municipales  et  rurales  du  nord  de  la 
Russie.  Le  tome  Ier  contient  une  étude  importante  sur  la  géographie 
administrative  de  l'immense  pays  situé  entre  le  lac  Ladoga  et  les 
monts  Oural  ;  l'auteur  s'arrête  ensuite  à  l'histoire  de  la  population 
et  de  la  propriété  foncière;  dans  la  dernière  partie  du  livre,  qui  est 
en  même  temps  la  plus  importante,  il  décrit  les  institutions  électives 
et  autonomes  auxquelles  furent  confiées,  dès  le  règne  d'Ivan  IV,  la 
justice  et  l'administration  locales.  Le  tome  II ,  impatiemment 
attendu,  traitera  de  l'histoire  proprement  dite  de  ces  institutions 
pour  l'étude  desquelles  les  documents  du  xvne  siècle  sont  d'une 
richesse  inépuisable.  L'ouvrage,  richement  documenté  et  très  bien 
écrit,  idéalise  peut-être  un  peu  la  vie  sociale  et  les  aptitudes  poli- 
tiques des  paysans  au  xvne  siècle  ;  il  est  à  regretter  aussi  que  l'auteur 

Litovskom  v  XVII  Sloletii.  Ce  dernier,  dans  le  Journal  du  ministère  de  l'Ins- 
truction publique,  1909,  janvier. 

1.  Akti   izdavalemyie  Vilenskoî  commissiei  dla  razbora  drevnikh  aktov, 
t.  XXXV.  Vilna,  1909,  in-4\ 

2.  Istoria  Oukraini-Roussi.  T.  VII  :  Kosatski  tçhassi  do  rokou  1625.  Kiev  i 
Lvov,  1909,  in-8°. 

3.  Zemskoie  samooupravlénié  na  siévérié    v   XVII   véké.  Moscou,  1909, 
in-8°,  vm-32 1-105  p. 


HISTOIRE   DE   RUSSIE.  153 

arrête  ses  recherches  au  milieu  du  xvne  siècle;  néanmoins,  l'ouvrage 
de  M.  Bogoslovski  offre  le  plus  haut  intérêt  et  prendra  sûrement  la 
place  qui  lui  est  due  parmi  les  ouvrages  classiques  de  la  littérature 
historique  de  la  Russie.  A  l'ouvrage  cité  se  rattache  en  quelque  sorte 
une  belle  étude  de  M.  Storogev  sur  les  domaines  du  clergé  dans  la 
province  de  Vologda  d'après  les  cadastres  de  1627-1630'.  M.  Iakov- 
lev  a  contribué  à  l'élude  de  l'histoire  des  troubles  (1598-1613)  par 
un  article  sur  les  causes  de  ces  troubles,  expliquées  par  les  contem- 
porains russes.  L'esprit  religieux  d'alors  s'y  montre  dans  toute  sa 
force.  Ce  sont  les  péchés  de  la  nation  qui  sont  considérés  comme  la 
cause  principale  des  calamités  politiques;  ils  ont  amené  la  colère 
divine  sous  forme  de  famines,  de  faux  tsars,  de  guerres  civiles.  Les 
troubles  se  développant,  une  autre  idée  surgit  :  l'inertie  générale, 
l'esprit  passif  de  la  nation  expliquent  la  persistance  de  la  colère 
divine  ;  l'union  de  tous  pour  libérer  la  patrie  mourante  doit  appor- 
ter le  salut.  C'est  ainsi  que  les  contemporains  expliquaient  le  succès 
de  Minine  et  Porjarski2.  Un  travail  spécial  a  été  consacré  par 
M.  Vesselovski  aux  impôts  extraordinaires  perçus  sous  le  règne 
du  premier  Romanov3.  On  trouve  ici  l'explication  de  certaines  ques- 
tions d'histoire  financière  restées  obscures  jusqu'à  présent.  Pen- 
dant l'époque  des  troubles,  le  gouvernement,  pour  augmenter  ses 
ressources,  avait  recours  aux  emprunts,  à  l'altération  des  monnaies 
et  à  la  vente  des  terres  de  l'État.  Le  gouvernement  provisoire  de 
Minine  et  Pojarski  eut  pour  la  première  fois  recours  à  l'emprunt  forcé 
qui  devint  depuis  le  moyen  par  excellence  de  remplir  le  trésor  vide. 
L'emprunt  forcé  était  perçu  de  façon  différente  selon  qu'il  s'agissait 
de  paysans  ou  de  bourgeois.  En  1616,  il  fit  place  à  un  impôt  perma- 
nent de  répartition.  Signalons  ici  la  2e  édition,  revue  et  complétée, 
des  monuments  historiques  sur  les  temps  des  troubles  qui  forment 
le  tome  XIII  de  la  Bibliothèque  historique  russe4. 

Le  livre  de  M.  Moulioukine  sur  l'arrivée  des  étrangers  en  Mos- 

1.  Monastyrskoïé  zemlevladiénié  na  Vologdie  po  dannym  1627-1630  godov. 
Dans  le  «  recueil  Klutchevski  ». 

2.  Bézoumnoié  moltchanié.  Pritchiny  smouty  po  vzgliadam  rousskikh 
sovriemennikov  ieia.  Dans  le  «  recueil  »  Klutchevski. 

3.  Sem  sborov  zaprosnykh  i  piatinnykh  dienieg  v  pervyie  gody  zarstvova- 
nia  Mikhaila  Feodorovileha.  Moscou,  1909,  in-8",  233  p. 

4.  Pamiatniky  drevniei  rousskoi  pismennosti  otnossiastchiesiei  v  Smout- 
nomou  Vremeni.  Saint-Pétersbourg,  1909,  in-8°,  1472  p.  Outre  la  bibliothèque 
historique,  la  Commission  impériale  archéographique,  qui  a  pour  but  de  publier 
les  documents  antérieurs  à  1700,  fait  paraître  les  Annales  de  la  Commission 
(Lietopis  ransatii;  21  vol.  parus)  et  le  Recueil  complet  des  Annales  russes 
(Polaoie  Sobranie  rousskikh  lietopissei;  20  vol.  parus). 


154  BULLETIN    HISTORIQUE. 

covie'  a  pour  but  d'analyser  la  situation  et  les  droits  des  étrangers  à 
leur  arrivée  dans  les  états  du  tsar;  en  Moscovie,  une  autorisation 
était  nécessaire  pour  franchir  la  frontière.  Cette  autorisation  était 
facilement  obtenue  par  les  marchands;  tous  les  autres  immigrants 
devaient  obtenir  une  invitation  spéciale  du  gouvernement.  Le 
16  novembre  1696,  un  oukase  du  tsar  Pierre  donna  à  tous  les 
étrangers  le  libre  accès  de  la  Russie.  Les  conclusions  qu'on  tire  de 
ce  livre  ne  sont  ni  très  riches  ni  très  neuves  ;  mais  l'ouvrage  est 
fortement  documenté  et  s'appuie  sur  de  minutieuses  recherches 
dans  les  archives. 

Le  professeur  Kapterev  a  fait  paraître  le  tome  I  d'un  grand 
ouvrage  sur  le  patriarche  Nicone  et  le  tsar  Alexis2.  La  thèse  qu'il 
soutient  peut  être  résumée  comme  suit  :  les  réformes  ecclésias- 
tiques de  Nicone  provenaient  d'une  confiance  aveugle  du  patriarche 
dans  l'Église  grecque,  quoique  cette  dernière  se  fût  fortement  éloi- 
gnée des  traditions  de  l'Église  primitive.  Les  pratiques  de  l'Eglise 
nationale,  auxquelles  Nicone  déclara  une  guerre  acharnée,  se  rappro- 
chaient au  fond  beaucoup  plus  de  celle  de  l'Église  primitive  que 
tout  ce  que  le  patriarche  a  emprunté  à  l'Église  grecque  du  xvii6  siècle. 
L'Église  officielle  et  les  réformateurs  grécophiles  qui  étaient  à  sa 
tête  terrorisaient  le  peuple  en  éliminant  brutalement  ce  que  l'Eglise 
russe  avait  fidèlement  conservé  pendant  des  siècles.  La  réforme 
ecclésiastique  n'était  cependant  considérée  par  son  promoteur  que 
comme  une  partie  secondaire  de  son  œuvre.  Le  but  auquel  il  visait 
était  la  primauté  de  l'Église  sur  l'État,  du  patriarche  sur  le  tsar. 
C'est  ce  que  l'auteur  se  propose  de  traiter  dans  le  volume  suivant. 

La  littérature  russe  possède  des  ouvrages  classiques  sur  quelques- 
uns  des  voyages  d'Européens  en  Moscovie.  Citons  ceux  de  Zamy- 
slovski  sur  Herberstein  et  de  Seredonine  sur  Fletcher.  Nous 
devons  à  un  savant  allemand,  M.  Fr.  Dukmeyer3,  une  étude 
approfondie  sur  le  Diarium  de  Korb,  secrétaire  de  l'ambassade 
impériale  en  1697  et  1698,  qui  assista  au  retour  de  Pierre  de  son 
premier  voyage  en  Europe  et  au  fameux  procès  des  streltzi.  La  pre- 
mière partie  du  livre  contient  l'histoire  du  Diarium  et  des  persécu- 
tions que  l'auteur  eut  à  subir  de  la  part  de  Pierre  le  Grand,  ainsi  que 
la  biographie  de  Korb  ;  la  seconde  traite  de  la  situation  diploma- 
tique internationale  et  de  l'état  dans  lequel  se  trouvait  la  Russie  à  la 

1.  Priezd  inostrantsev  v  Moskovskoie  gosoudarstvo.  Saint-Pétersbourg, 
1909,  in-12,  284  p. 

2.  Patriarkh  Nikon  i  tsar  Alexei  Mikhallovitch.  Serguiev  Posad.,  1909, 
in-8°,  524  p. 

3.  Korbs  Diarium  if  incris  m  Moscoviam  und  Quellen  die  es  erganzen. 
I  Band.  Berlin,  1909,  in-8u,  vm-4G2  p. 


HISTOIRE   DE   RUSSIE.  155 

fin  du  xviie  siècle.  Ecrit  avec  un  soin  consciencieux,  le  livre  de 
M.  Dukmeyer  éclaire  amplement  l'épisode  historique  quïl  étudie. 

L'histoire  des  paysans  et  les  origines  du  servage  ne  cessent  jamais 
d'intéresser  les  historiens  russes.  Dans  le  recueil  offert  au  profes- 
seur Klutchevski,  on  trouve  trois  articles  d'un  grand  intérêt  se  rap- 
portant à  l'histoire  des  paysans.  Dans  l'un,  purement  historique,  le 
professeur  Rojdestvenski1,  expose  les  efforts  faits  entre  1637  et 
1648  par  la  petite  noblesse  rurale  pour  supprimer  les  droits  des 
paysans  de  passer  d'un  domaine  à  un  autre;  les  deux  autres,  parles 
professeurs  Diakonov2  et  Lappo-Danilevsky3,  contiennent  une 
analyse  juridique  des  actes  instituant  le  servage. 

La  Commission  impériale  d'archéologie  a  fait  paraître  le 
tome  XXVI  de  la  Bibliothèque  historique  russe  contenant  des 
documents  sur  les  relations  du  gouvernement  des  tsars  et  des 
cosaques  du  Don  de  1645  à  1649^  et  le  tome  XXI  des  Annales  de  la 
commission,  où  se  trouve  le  catalogue  des  actes  qui  ont  été  trans- 
férés à  la  commission  de  Koungour  et  de  Solikamsk  (gouvernement 
de  Perm).  C'est  une  collection  très  précieuse  pour  l'histoire  de 
l'époque  des  troubles  ainsi  que  pour  celle  de  l'administration  locale 
pendant  le  xvne  siècle  et  la  première  moitié  du  xvme  (1605-1785) 3. 

xvme  siècle.  —  Le  xvmc  siècle  est  une  époque  à  part  dans  l'his- 
toire de  Russie.  C'est  l'époque  de  transition  par  excellence  où  le 
vieil  esprit  moscovite  lutte  contre  les  réformes  utilitaires  et  tout 
extérieures  de  Pierre  le  Grand.  Le  règne  du  réformateur  attire  tou- 
jours l'attention  des  historiens  ;  c'est  par  lui  que  nous  commence- 
rons. La  fin  de  l'année  1909  a  vu  paraître  le  tome  IV  du  Cours 
d'histoire  de  la  Russie  par  le  professeur  Klutchevski.  Tous 
ceux  qui  s'occupent  d'histoire  russe  savent  ce  que  représente  le  nom 
de  l'éminent  professeur  aux  yeux  des  historiens  russes  actuellement 
vivants.  Deux  ou  trois  générations  de  travailleurs  ont  formé  leurs 
idées  sur  celles  de  l'auteur  de  ce  fameux  cours  professé  à  l'Univer- 
sité de  Moscou  à  partir  de  1879.  Il  y  a  quelques  années,  le  profes- 
seur Klutchevski  a  commencé  à  publier  ce  cours  en  volumes  sépa- 
rés, paraissant  à  des  intervalles  de  un  à  deux  ans.  Le  présent 

1.  Iz  istorii  otmieny  ourotchnyk/i  let  dla  syska  beglykh  krestian  v  Mosk. 
gosoudarstve  XVII  v. 

2.  K  voprossou  o  krestianskoi  poriadnoi  zapici  i  slougiloi  kabale. 

3.  Slougilyia  kabaly  pozdnieichago  tipa. 

4.  Rousskaïa  IstorUcheskaïa  bïblioteka.  T.  XXVI  :  Donskia  diela.  Saint- 
Pétersbourg,  1909,  in-8°. 

5.  Opissanie  aktov  kliraniastchikhsia  v  arkhive  Imp.  Arkh.  Komissii. 
Akty  Koungourskaro  i  Solikamskago  ouiezdn.  souda.  Saint-Pétersbourg,  1909, 
in-8°. 


156  BULLETIN    HISTOHIQCE. 

volume  contient  l'histoire  de  Pierre  le  Grand  et  de  ses  successeurs 
jusqu'à  l'avènement  de  Catherine  IL  II  ne  faut  pas  y  chercher  le 
récit  des  faits  et  gestes  du  grand  tsar  et  de  ses  peu  remarquables 
successeurs.  C'est  une  suite  de  descriptions  brillantes,  d'apprécia- 
tions fines  et  spirituelles  et  d'analyses  profondes.  A  côté  du  portrait 
de  Pierre,  qui  n'a  pas  son  égal  dans  la  littérature  russe,  on  voit  défi- 
ler ses  collaborateurs  et  compagnons  ;  au  fond  du  tableau  se  montre 
le  peuple,  abasourdi  de  tout  ce  que  fait  son  extraordinaire  souve- 
rain, croyant  le  trône  occupé  par  l'antéchrist  lui-même.  Le  tableau 
de  la  société  russe  à  la  mort  de  Pierre  est  saisissant.  Les  pages  con- 
sacrées à  l'époque  de  réaction  qui  a  suivi  les  réformes  ne  le  sont  pas 
moins.  Le  deuxième  centenaire  de  la  bataille  de  Poltava  (27  juin- 
10  juillet  1909)  a  ranimé  l'intérêt  pour  l'étude  de  la  guerre  du  Nord. 
La  Société  impériale  d'histoire  militaire,  récemment  créée,  a  consa- 
cré les  quatre  premiers  volumes  de  ses  travaux  à  la  campagne  de 
1708-1709.  Outre  une  collection  de  documents  forts  intéressants,  on 
y  trouve  un  article  très  détaillé  sur  la  bataille  de  Poltava  par 
M.  Younakov1. 

L'étude  méthodique  de  l'époque  qui  a  suivi  le  règne  de  Pierre  le 
Grand  en  est  encore  à  ses  débuts.  Quelques  ouvrages  sur  les  insti- 
tutions et  sur  l'histoire  politique  des  successeurs  de  Pierre  sont  à 
signaler  tout  d'abord.  Le  prince  Viazemski  s'est  occupé  du  Con- 
seil supérieur  secret  dans  ses  rapports  avec  l'histoire  politique  de 
1726  à  17302.  C'est  l'histoire  du  Conseil  au  jour  le  jour  et  l'ana- 
lyse détaillée  de  ses  fonctions  administratives  et  judiciaires.  L'au- 
teur se  base  sur  les  documents  publiés  dans  le  Recueil  de  la. 
Société  d'histoire  russe  et  les  étudie  à  fond.  Il  est  à  regretter 
cependant  qu'il  semble  ignorer  des  ouvrages  sur  le  règne  de  Pierre, 
récemment  parus,  tels  par  exemple  que  le  livre  de  M.  Bogoslovski 
sur  l'administration  locale  sous  Pierre. 

L'idée  de  refaire  l'histoire  du  règne  d'Anne  et  de  passer  au  crible 
de  la  critique  les  traditions  qui  ont  laissé  à  cette  époque  une  si 
triste  mémoire  était  sans  contredit  juste.  Il  est  regrettable  que  son 
exécution,  telle  que  l'offre  le  livre  de  M.  Stroiev3,  laisse  tant  à  dési- 
rer. A  côté  de  faits  nouveaux  et  de  pages  d'une  réelle  valeur,  on  y 
trouve  des  idées  fort  contestables  ;  notons  par  exemple  une  apologie 
de  l'impératrice  Anne  qui  semble  plutôt  un  réquisitoire.  L'auteur  a 
voulu  reviser  la  tradition  :  il  l'a  fait  triompher  malgré  lui.  C'est  à 

1.  Troudy  Imp.  rous.sk.  voienno-istoritclieskago  obstchestva.  Doeumenty 
Sievernoï  voiny.  Poltavskii  period.  Saint-Pétersbourg,  1909,  4  vol.  in-8°. 

2.  Verkhovnyi  taïnyi  sovet.  Saint-Pétersbourg,  1909,  in-8°,  x-423  p. 

3.  Bironovslchina  i  kabinel  ministrov,  Saint-Pétersbourg,  1909,  in-8",  205  p. 


HISTOIRE   DE   RUSSIE.  157 

cette  même  époque  que  se  rapporte  le  tome  X  des  documents  rela- 
tifs au  Cabinet  des  ministres  d'Anne1  et  les  «  Procès-verbaux  du 
Sénat  »  de  1737,  deux  volumes  rédigés  parle  professeur Filippov2. 

La  sécularisation  des  domaines  du  clergé  est  peut-être  le  plus 
important  des  actes  de  Catherine  II  ;  néanmoins,  l'étude  de  cette 
grande  réforme  est  loin  d'être  terminée.  Pierre  le  Grand  s'empara 
des  revenus  de  l'Eglise  sans  pourtant  les  confisquer.  Vers  la  fin  de 
son  règne,  il  dut  faire  même  un  pas  en  arrière  en  restituant  au 
Synode  récemment  institué  l'administration  du  temporel  ecclésias- 
tique. Ce  fut  le  commencement  d'une  lutte  opiniâtre  engagée  par 
celui-ci  pour  la  conservation  de  ses  biens.  Cette  lutte  est  traitée 
dans  le  livre  de  M.  Verkhovski  sur  «  les  domaines  du  Synode,  des 
évèchés  et  des  couvents  sous  les  successeurs  de  Pierre  le  Grand  »3. 
L'auteur  retrace  l'histoire  du  «  collège  »  composé  de  fonctionnaires 
laïques  qui,  dès  17-26.  dut  gérer  les  intérêts  économiques  de  l'Église 
et  l'histoire  des  domaines  eux-mêmes.  Il  arrive  à  la  conclusion  que 
l'état  provisoire  établi  en  1726  ne  pouvait  durer  longtemps.  Les 
émeutes  des  paysans  amenèrent  le  gouvernement  à  des  mesures 
décisives  qui  reçurent  un  commencement  d'exécution  sous  Pierre  III. 
Catherine  II  craignit  d'abord  d'insister;  elle  établit  cependant  une 
commission  spéciale  pour  élaborer  un  plan  d'améliorations  dans 
l'administration  des  biens  ecclésiastiques  ;  la  réforme  fiscale  suivit 
bientôt  en  1764.  Ecrit  avec  une  certaine  sécheresse,  le  livre  de 
M.  Verkhovski  est  une  importante  contribution  à  l'étude  du  tempo- 
rel des  églises  russes. 

Celui  de  M.  Kiesewetter  sur  la  charte  municipale  de  1785 4 
expose  les  origines  du  document  et  la  part  personnelle  que  Cathe- 
rine II  prit  à  sa  rédaction.  L'auteur  montre  qu'il  a  pour  sources 
d'abord  la  charte  de  la  noblesse,  qui  fut  publiée  en  même  temps, 
mais  qui  avait  été  rédigée  antérieurement,  ensuite  le  droit  muni- 
cipal allemand,  qui  avait  déjà  inspiré  les  règlements  municipaux  des 
provinces  baltiques  et  de  la  Suède.  La  dernière  partie  du  livre  con- 
tient l'histoire  de  l'application  de  la  charte,  de  1785  à  1796,  écrite 

1.  Sbornik  rousskago  istoritcheskago  obstchestva,  t.  CXXX.  Saint-Péters- 
bourg, 1909,  in-8°.  Boumagui  kabineta  Ministrov  imperatritzy  Anny  Ioannovny. 

2.  Journaly  pravitelstvouioustchago  Senata  za  1131.  Moscou,  1909,  in-4°. 

3.  Nacielionnyia  niedvigimyia  imenia  sv.  sinoda,  arkhiereiskikh  domov  i 
monastyriei  pri  preiemnikakh  Petra  Velikago.  Saint-Pétersbourg,  1909,  in-8°, 
x-345-185  p. 

4.  Gorodovo'ié  pologénié  Ekateriny  H  1185  goda.  Moscou,  1909,  in-8°, 
viii-473  p.  —  Nous  ne  parlons  pas  de  l'ouvrage  de  M.  Pissarevski  sur  la  colo- 
nisation étrangère  en  Bussie  au  xvin"  siècle,  parce  qu'il  a  déjà  fait  ici  l'objet 
d'un  compte-rendu  spécial  (t.  CIV,  p.  401). 


158  BULLETIN    HISTORIQUE. 

surtout  d'après  les  documents  tirés  des  archives  de  la  ville  de  Mos- 
cou. Le  travail  est  du  plus  haut  intérêt;  il  serait  à  désirer  que  tous 
les  grands  actes  de  la  législation  de  Catherine  II  eussent  leur  histoire 
aussi  bien  faite.  Signalons  en  passant  les  tomes  XII  et  XIII  des 
«  Archives  du  Sénat  »  qui  contiennent  les  procès-verbaux  du  Sénat 
de  1762  à  1765  et  les  oukases  impériaux  des  mêmes  années1. 

xixe  siècle.  —  De  tous  les  ouvrages  sur  l'histoire  moderne  de  la 
Russie,  le  plus  intéressant  peut-être  qui  ait  paru  dans  ces  dernières 
années  est  celui  que  S.  A.  I.  le  grand-duc  Nicolas  Mikhailovitch  a 
consacré  à  la  délicate  figure  de  la  femme  d'Alexandre  Ier2,  figure  très 
effacée  tant  que  vécut  cette  princesse,  mais  qui  se  révèle  sous  un 
aspect  inattendu  aux  yeux  de  l'histoire.  L'ouvrage,  publié  en  russe 
et  en  français,  contient  une  biographie  de  l'impératrice  Elisabeth, 
documentée  et  concise  à  la  fois.  Cette  biographie  sert  d'introduction 
aux  lettres  qu'Elisabeth  adressait  à  sa  mère,  la  princesse  Amélie 
de  Bade.  Cette  dernière,  qui  survécut  à  sa  fille,  a  soigneusement 
gardé  ces  lettres,  qui  sont  conservées  maintenant  aux  archives  du 
grand-duché  de  Bade.  Les  lettres  publiées  sont  au  nombre  de  909  ; 
elles  embrassent  une  période  de  trente -trois  ans  et  forment  un 
document  historique  d'une  valeur  inestimable.  La  souveraine,  relé- 
guée au  second  rang  par  sa 'bruyante  et  orgueilleuse  belle-mère, 
unie  à  un  empereur  qui,  pendant  un  certain  temps,  fut  une  des 
personnalités  les  plus  marquantes  de  l'Europe,  se  révèle  comme  une 
observatrice  fine  et  spirituelle  et  surtout  comme  la  femme  d'un 
grand  et  noble  cœur  et  d'une  intelligence  bien  supérieure  à  son 
entourage.  On  la  voit  traverser  la  vie  :  gentille  fillette  à  la  cour  de 
Catherine,  jeune  femme  terrifiée  par  l'empereur  Paul,  radieuse  sou- 
veraine, ayant  conquis  par  son  courage  et  sa  présence  d'esprit  au 
moment  de  la  mort  de  Paul  l'estime  et  l'admiration  univer- 
selles. Puis  c'est  l'épouse  délaissée,  fière  et  aimante  quand  même, 
la  mère  infortunée  pleurant  ses  enfants,  la  bienfaitrice  discrète,  qui 
paraissent  tour  à  tour  pour  faire  place  à  l'idylle  des  dernières  années 
où  Elisabeth  a  vu  «  son  empereur  »  revenir  auprès  d'elle  en  ami  tendre 
et  dévoué.  Les  portraits  qu'elle  trace  des  personnes  de  la  cour  et  de 
la  Société  de  Saint-Pétesbourg  sont  surtout  remarquables.  Le  point 
faible  de  cette  source  historique  si  précieuse,  c'est  quand  le  senti- 
ment de  l'impératrice  s'en  mêle.  Toute  sa  vie  elle  se  fit  des  illusions 
sur  Alexandre  ;  les  invasions  des  Français  dans  le  pays  de  Bade,  sa 
patrie,  lui  font  garder  contre  la  France  et  contre  «  Bonaparte  »  un 

1.  Senatskii  arkhiv,  t.  XII  et  XIII.  Saint-Pétersbourg,  1909,  in-8°. 

2.  Imperatzitza  Elisaveta  Alexeïevna,  souprouga  imperatora  Alexandra  1. 
Saint-Pétersbourg,  1908-1909,  3  vol.  in-8°. 


HISTOIRE   DE   RUSSIE.  159 

ressentiment  qu'il  lui  est  difficile  de  vaincre.  Notons  aussi  le  charme 
captivant  du  style  de  l'impératrice  ;  détestant  la  France,  elle  s'ex- 
prime en  français  avec  une  grâce  et  une  pureté  qui  auraient  pu  faire 
honneur  à  une  Française. 

Un  très  important  article  sur  Spéransky,  le  fameux  ministre 
d'Alexandre  Ier,  par  M.  Sérédonine  a  paru  dans  le  Dictionnaire  bio- 
graphique russe1.  Notons  surtout  l'analyse  détaillée  et  assez  critique 
des  projets  constitutionnels  de  Spéransky  et  l'exposé  des  sources 
de  ces  projets;  c'est  surtout  la  constitution  française  de  l'an  VIII 
qui  fut  mise  par  lui  à  contribution. 

Le  centenaire  de  1812  approchant,  la  Société  impériale  d'histoire 
de  Russie  a  commencé  la  publication  de  documents  touchant  cette 
époque.  Le  premier  volume  de  cette  collection  contient  des  actes  du 
gouvernement  provisoire  des  provinces  russes  occupées  par  l'armée 
française  en  18122.  Dans  l'introduction.  M.  Voïenski  expose  quelques 
idées  qui  valent  la  peine  d'être  signalées.  La  légende  patriotique  de 
1812  doit  céder  la  place  à  l'étude  impartiale.  Les  guerres  contre 
Napoléon  ont  été  faites  non  par  la  Russie,  mais  par  l'Angleterre. 
1812  n'est  qu'un  épisode  de  la  grande  lutte  de  ces  deux  pays  dans 
laquelle  la  Russie  fut  entraînée  parce  qu'économiquement  elle  dépen- 
dait de  l'Angleterre.  Le  blocus  continental  frappait  la  noblesse  ter- 
rienne, hostile  à  la  politique  suivie  par  Alexandre  après  Tilsitt.  La 
haine  de  la  noblesse  russe  pour  Napoléon  fut  le  grand  levier  du  patrio- 
tisme russe  en  1812.  L'ennemi  hors  du  pays,  l'orgueil  national  était 
vengé  et  la  Russie  n'avait  plus  d'intérêt  à  continuer  la  guerre.  Ce 
furent  les  intérêts  de  la  Prusse  qui  eurent  alors  le  dessus.  Les 
guerres  de  1813-1815  eurent  pour  résultat  une  Prusse  plus  forte  et 
le  pouvoir  mondial  de  l'Angleterre. 

Certaines  améliorations  dans  les  conditions  pour  l'étude  de  l'his- 
toire de  Russie  au  xixe  siècle,  survenues  depuis  1905,  ont  ranimé 
l'intérêt  pour  l'histoire  politique  des  règnes  d'Alexandre  Ier  et  de 
Nicolas  Ier.  Les  sociétés  secrètes  et  la  conjuration  des  décembristes 
ont  été  depuis  cette  époque  le  sujet  de  travaux  d'une  réelle  valeur. 
Le  nouvel  ouvrage  de  M.  Semevski  sur  «  les  idées  politiques  et 
sociales  des  décembristes  »  appartient  sans  contredit  au  nombre  de 
ces  derniers3.  L'auteur  a  rassemblé  dans  ce  gros  volume  les  articles 

1.  Rousskii  biographitscheskii  slovar  (2  vol.  parus  en  1909  :  lettres  P,  R,  S; 
autres  articles  à  noter  :  Pougatchev,  Pouchkine,  Razoumovski,  Soloviov). 

2.  Sbornik.  T.  CXXVIII  :  Aktij,  dokoumenty  i  materialy  dla  politicheskoï  i 
bytovol  istorii  1812  goda.  Saint-Pétersbourg,  1909. 

3.  PolUitcheskia  i  sotsialnyia  idiei  dekabristov.  Saint-Pétersbourg,  in-8", 
xn-693  p. 


160  BULLETIN    HISTORIQUE. 

qu'il  avait  publiés  précédemment  dans  différentes  revues.  Les  cha- 
pitres où  il  est  question  de  l'influence  des  idées  occidentales  et  des 
projets  de  constitution  et  de  réformes  élaborés  par  les  membres  des 
sociétés  secrètes  sont  particulièrement  intéressants.  Pestel,  le  plus 
remarquable  des  conjurés  de  1825,  forme  le  sujet  de  deux  essais  par 
M.  SyromiatiNikov1  et  feu  M.  Pavlov-Silvanski2. 

La  Revue  historique  a  déjà  signalé  l'Histoire  de  la  Russie  au 
xixe  siècle3,  publiée  par  la  maison  Granat  et  O  et  destinée  au  grand 
public.  L'édition  a  continué  depuis  et  touche  à  sa  fin.  Cet  ouvrage, 
premier  essai  d'une  histoire  complète  de  la  Russie  au  xixe  siècle,  est 
un  travail  collectif.  Les  articles  y  sont  sérieux  et  documentés  ;  aussi 
les  spécialistes  eux-mêmes  devront-ils  consulter  cet  ouvrage  pour 
les  questions  touchant  aux  règnes  d'Alexandre  II,  Alexandre  III  et 
Nicolas  IL  Les  chapitres  sur  les  réformes  municipales  de  1870  et 
de  1892,  les  réformes  du  zemstvo  de  1863  et  de  1890  sont  d'un  grand 
intérêt.  L'exposé  de  l'histoire  politique  du  xixe  siècle,  par  M.  Po- 
krovski,  représente,  en  dehors  du  livre  de  M.  Milioukov  [Russia 
and  its  crisis),  dont  il  n'a  jamais  paru  d'édition  russe,  et  du  manuel 
bref  et  succinct  de  M.  Kornilov4,  tout  ce  que  nous  possédons  sur 
cette  époque  si  curieuse  et  si  mouvementée.  Néanmoins,  l'ouvrage 
en  question  n'est  pas  de  ceux  auxquels  on  peut  se  fier  les  yeux  fer- 
més. Presque  tous  les  collaborateurs  sont  les  membres  de  partis 
politiques  de  l'extrême  gauche,  et  leur  œuvre  est  plutôt  un  moyen 
de  propagande  politique  qu'un  ouvrage  d'histoire.  Chose  plus  grave 
encore,  les  chapitres  consacrés  aux  pays  annexés,  Pologne,  Cau- 
case, provinces  baltiques,  sont  animés  d'un  esprit  nationaliste  étroit 
et  contraire  à  l'impartialité  scientifique. 

G.  Gautier. 


1.  Polilitsheskaia  doclrina  nakaza  Pestela.  Dans  le  «  recueil  »  Klutchevski. 

2.  P.  I.  Pestel.  Dans  le  2e  volume  de  l'édition  posthume  des  œuvres  conte- 
nant les  travaux  sur  l'histoire  de  Russie  aux  xviii"  et  xixe  siècles.  Saint- 
Pétersbourg,  1909,  in-8°,  401  p. 

3.  Istoria  Rossii  XlXvêka.  30  livraisons  à  80  pages  ont  paru  jusqu'à  présent. 
Cf.  Rev.  histor.,  t.  XCIX,  p.  374. 

4.  Obstchestvennoïe  dvigénië  pri  Alexandrie  II  (1855-1881).  Moscou,  1909, 
263  p. 


HISTOIRE    DES    PATS-BAS. 


HISTOIRE  DES  PAYS-BAS. 


161 


Depuis  1885,  le  gouvernement  hollandais  a  chargé  successive- 
ment plusieurs  historiens  de  missions  ayant  pour  but  de  rechercher 
et  d'inventorier  les  collections  de  documents  intéressant  l'histoire 
des  Pays-Bas  qui  se  trouvent  dans  les  archives  et  dans  les  biblio- 
thèques étrangères.  M.  Kernkamp,  qui,  en  1903,  a  publié  un  rap- 
port sur  ses  recherches  dans  les  dépôts  Scandinaves,  s'est  acquitté 
d'une  seconde  mission  vers  la  Baltique  dont  l'objet  cette  fois  était 
non  seulement  de  compléter  ses  travaux  antérieurs,  mais  d'exami- 
ner aussi  les  dépôts  des  villes  baltiques  de  l'Allemagne.  Le  volumi- 
neux rapport  sur  cette  mission1  contient  les  résultats  de  visites  effec- 
tuées dans  onze  villes,  et  bien  que  deux  fois,  à  Wismar,  où  il  manque 
un  inventaire,  et  à  Stralsund,  où  les  archives  ne  sont  ouvertes  au 
public  que  deux  jours  par  semaine,  un  examen  sérieux  ait  été  impos- 
sible, ces  résultats  sont  copieux  pour  l'histoire  politique,  écono- 
mique, littéraire,  ecclésiastique.  C'est  surtout  dans  les  dépôts  de 
Copenhague  et  de  Danzig  que  M.  Kernkamp  a  puisé  de  précieux 
renseignements  et  des  documents  intéressants,  surtout  pour  le  xvie 
et  le  xviie  siècle;  il  les  a  publiés  dans  son  rapport,  soit  intégrale- 
ment, soit  par  extraits.  D'excellentes  tables  permettent  d'utiliser 
facilement  cet  important  rapport. 

Le  travail  que  M.  Brom  poursuit  à  Rome  est  de  la  même  sorte. 
Comme  nous  avons  déjà  signalé  ici  même  (Rev.  hist.,  t.  Cil  et 
CIV,  p.  237)  les  deux  parties  de  son  Catalogue  des  archives  Vati- 
canes,  nous  n'y  reviendrons  pas,  sinon  pour  ajouter  que  l'auteur  a 
publié  en  français  un  petit  livre  sur  lequel  je  me  permets  d'appeler 
l'attention;  c'est  le  Guide  aux  archives  du  Vatican2. 

Dans  une  thèse  d'Utrecht  sur  la  haute  cour  de  justice  en  Zélande, 
dite  de  hooge  vierschaar,  M.  Lasonder  a  étudié  en  détail  le  carac- 
tère, la  composition,  les  fonctions  de  cette  institution,  surtout  au  xve 
et  au  xvie  siècle,  et  ensuite  sous  la  République;  il  a  mis  en  lumière 
ce  fait  que,  malgré  les  changements  inévitables  qu'amena  la  fonda- 
tion de  la  République,  les  vieilles  formes  particulières  ont  persisté. 
C'est  de  cette  manière  et  en  comparant  aussi  les  institutions  judi- 
ciaires d'autres  provinces  avec  celles  de  la  Zélande  que  l'auteur 

1.  Rijks  Geschiedkundige  Publicatien.  Kernkamp,  Baltische  Archivalia. 
's  Gravenhage,  M.  Nyhoff,  1909,  in-8%  xxn-363  p. 

2.  Gisbert  Brom,  Guide  aux  archives  du  Vatican.  Rome,  Lœscher  et  Cie, 
1910,  in-8%  vn-96  p. 

Rev.  Histor.  CV.  1er  fasc.  11 


162  BULLETIN    HISTORIQUE. 

arrive  à  la  conclusion  suivante  :  tandis  qu'au  moment  où  éclata  le 
soulèvement  des  Pays-Bas  contre  Philippe  II,  la  centralisation 
administrative  des  provinces  était  à  peu  près  achevée,  l'organisation 
judiciaire  était  encore  en  voie  de  formation;  la  guerre  de  Quatre- 
vingts  ans  ayant  interrompu  ce  travail,  l'unité  dans  la  juridiction 
et  dans  la  législation  continua  de  faire  défaut  tant  que  Ja  Répu- 
blique des  Provinces-Unies  a  existé;  elle  ne  fut  réalisée  que  par  la 
domination  de  Napoléon  Ier.  A  cette  étude'  bien  faite,  M.  Lasonder 
a  ajouté  un  appendice  contenant  une  douzaine  de  pièces  justificatives. 

Sur  les  relations  entre  Guillaume  le  Taciturne  et  son  pays  natal, 
Nassau-Dillenbourg,  M.  Cari  Donges  a  publié  un  volume  de  plus 
de  200  pages2.  Décidément,  c'est  un  peu  long,  car  l'auteur  se  com- 
plaît à  répéter  trop  de  choses  fort  connues  depuis  longtemps  dans  un 
style  prolixe  et  çà  et  là  boursouflé.  Le  livre  n'est  cependant  pas 
dénué  d'intérêt.  Dans  le  chapitre  iv  l'auteur,  à  l'aide  de  documents 
inédits,  a  étudié  les  secours  que  le  prince  d'Orange  a  tirés  des  pays  de 
Dillenbourg;  il  a  divisé  ce  chapitre  en  deux  parties,  l'une  traitant  du 
château  de  Dillenbourg  comme  point  d'appui  militaire  pendant  les 
années  1567-1572,  l'autre  exposant  les  secours  en  argent  que  le 
comte  Jean  de  Nassau-Dillenbourg  a  procurés  à  son  frère  Guillaume. 
D'intéressants  renseignements  montrent  l'importance  de  ces  secours 
pour  les  expéditions  de  1568  et  de  1572.  Toutefois,  l'auteur  exagère 
la  part  qu'ils  ont  eue  sur  le  cours  des  événements.  Au  bout  du 
compte,  ce  ne  sont  pas  les  armées  du  prince  qui  ont  décidé  du  suc- 
cès, mais  les  villes  hollandaises  et  zélandaises  se  soulevant  conlie 
le  gouvernement  du  duc  d'Albe.  Pour  la  première  partie  de  ce 
chapitre,  M.  Donges  ne  paraît  pas  avoir  connu  la  correspondance 
du  prince  d'Orange  avec  Jacques  de  Wesembeke,  publiée  par  M.  van 
Someren  (1896)  et  surtout  les  études  importantes  de  feu  M.  Fruin. 
intitulées  Prins  Willem  I  in  het  jaar  4570  et  Nederland 
betrokken  in  de  politiek  der  groote  mogendheden  (Verspreide 
Geschriften,  t.  II).  M.  Donges  a  donné  quelques  portraits  de  Guil- 
laume le  Taciturne  et  de  membres  de  sa  famille  et,  dans  un  utile 
appendice,  il  a  publié  une  vingtaine  de  documents  relatifs  principa- 
lement aux  affaires  financières,  à  l'engagement  des  objets  précieux, 
aux  frais  des  expéditions,  etc. 

Il  y  a  peu  d'années,  une  société,  appelée  De  Linschoten-Vereeni- 
ging,  s'est  constituée  dans  le  but  de  publier  des  narrations  néerlan- 
daises de  voyages,  soit  inédites,  soit  devenues  très  rares.  Elle  a 

1.  L.  W.  A.  M.  Lasonder,  Bijdrage  tôt  de  geschiedenisvan  dehooge  vierschaar 
in  Zeeland.  's  Gravenkage,  M.  Nyhofl',  1909,  in-8°,  xxi-152  p. 

2.  Cari  Donges,  Wilhelm  der  Schweiger  und  Nassau-Dillenburg.  Dillen- 
burg,  M.  Weidenbach,  1909,  in-8°,  n-226  p. 


HISTOIRE   DES    PATS-BAS.  163 

débuté  par  le  voyage  entrepris  en  1611  par  Jan  Cornelisz  May; 
l'édition,  due  au  savant  archiviste  d'Utrecht  M.  S.  Muller,  a  paru 
au  moment  où  fut  célébrée  en  Amérique  la  découverte  trois  fois 
séculaire  de  Hudson '.  M.  Muller,  qui,  par  des  études  antérieures 
sur  la  Compagnie  néerlandaise  du  nord,  s'était  beaucoup  occupé  de 
l'histoire  des  voyages  vers  l'Océan  arctique,  a  exposé,  dans  une  intro- 
duction d'un  haut  intérêt,  les  circonstances  dans  lesquelles  s'accom- 
plit l'expédition  de  Jan  Cornelisz  May.  Sous  l'impression  des  décep- 
tions causées  par  les  tentatives  infructueuses  faites  au  xvie  siècle 
pour  trouver  le  passage  des  Indes  par  le  nord-ouest,  on  sembla  pen- 
dant quelque  temps  se  désintéresser  des  voyages  d'exploration  dans 
ces  contrées  glaciales  ;  bientôt  cependant  les  expéditions  de  Hudson 
ravivèrent  l'esprit  d'entreprise.  A  Amsterdam,  le  pasteur  Plancius, 
animé  d'une  ardeur  non  moins  grande  pour  les  explorations  géogra- 
phiques que  pour  les  dogmes  calvinistes,  puisa  dans  les  récits  des 
voyagesde  Hudson  de  nouveaux  arguments  en  faveur  de  sa  théorie  per- 
sonnelle ;  il  était  convaincu  qu'en  se  dirigeant  hardiment  vers  le  nord, 
sans  suivre  timidement  les  côtes,  on  gagnerait  une  mer  sans  glaces; 
ainsi  on  serait  à  même  de  venir  tout  près  du  pôle  d'où,  en  se  diri- 
geant un  peu  vers  l'est,  on  atteindrait  aisément  un  détroit  qui  con- 
duirait enfin  au  pays  mystérieux  de  Cathay  et  aux  Indes  orientales. 
Hudson,  entré  au  service  néerlandais,  devait  mettre  en  pratique  les 
idées  de  Plancius  dans  son  troisième  voyage  ;  on  sait  comment,  forcé 
d'abandonner  son  projet  par  l'insubordination  de  l'équipage,  il  se 
tourna  vers  les  côtes  de  l'Amérique  et  explora  soigneusement  la 
rivière  qui  porte  son  nom.  L'insuccès  de  cette  expédition,  par  rap- 
port au  projet  véritable,  n'avait  pas  du  tout  démontré  que  les  théo- 
ries de  Plancius  étaient  fausses,  et  celui-ci  restait  convaincu  de  leur 
justesse.  Lorsqu'en  1610  deux  hommes  s'offrirent  à  l'amirauté 
d'Amsterdam  pour  tenter  de  nouveau  le  voyage,  Plancius  les  soutint 
de  tout  son  crédit  et,  les  États- Généraux  ayant  donné  leur  consen- 
tement, deux  navires  furent  équipés.  Le  commandement  de  l'expé- 
dition fut  confié  à  Jan  Cornelisz  May  qui  appartenait  à  une  famille 
dont  plusieurs  membres  ont  rendu  de  grands  services  à  l'explora- 
tion des  régions  polaires.  Le  départ  du  Texel  eut  lieu  le  28  mars 
1611  ;  bientôt  les  espérances  furent  cruellement  trompées.  Pendant 
plus  de  quatre  mois,  on  fit  d'inutiles  efforts  pour  gagner  la  mer 
sans  glaces;  partout  on  se  heurta  à  d'infranchissables  barrières  de 
glaces.  May  se  dirigea  alors  vers  les  côtes  du  Canada,  puis,  navi- 

1.  Werken  uitgegeven  door  de  LinscJioten-Vereeniging.  De  rets  van  Jan 
Cornelisz  May,  1611-1612.  Verzarneling  van  bescheiden  uitgegeven  door 
Mr.  S.  Muller  Fz.  "s  Gravenhage,  M.  Nyhoff,  1909,  in-8»,  lvi-226  p. 


164  BtILLETWi    HISTORIQUE. 

guantvers  le  sud,  il  explora  les  cotes  jusqu'à  40°  30'.  Vers  la  fin  de 
février  1612,  May,  avec  un  des  navires,  partit  de  nouveau  pour 
l'Océan  glacial;  cette  nouvelle  tentative  n'eut  pourtant  pas  plus  de 
succès  que  celle  de  l'année  précédente  et,  le  3  octobre  1612,  May  et 
son  équipage  étaient  de  retour  dans  la  patrie.  C'est  le  journal  de  ces 
voyages  tenu  par  Jan  Cornelisz  May  lui-même  que  M.  Muller  a 
publié  très  soigneusement  avec  tous  les  éclaircissements  désirables  et 
avec  un  appendice  fort  important  qui  contient  un  recueil  de  docu- 
ments relatifs  au  voyage  lui-même  et  à  sa  préparation.  Il  y  a  lieu  de 
féliciter  la  Linschoten-Vereeniging  de  ce  début. 

Il  y  a  déjà  longtemps  que  Ranke  a  appelé  l'attention  sur  l'impor- 
tance des  relations  des  ambassadeurs  vénitiens,  et  depuis  lors  nombre 
de  publications  en  Italie,  en  Belgique,  en  Autriche,  en  Angleterre 
ont  été  puisées  à  cette  source.  A  son  tour,  M.  Blok  a  recueilli  celles 
qui  se  rapportent  aux  Pay-Bas  depuis  1600;  il  y  a  joint  d'autres 
pièces,  des  instructions,  des  avis,  des  récits  de  voyage  surtout;  c'est 
un  ensemble  de  dix-huit  documents  sur  l'époque  de  1 607  à  1 7 1 3 ,  dont 
quatorze.sont  inédits  ;  parmi  les  quatre  pièces  déjà  publiées,  le  récit 
du  voyage  de  Giorgio  Giorgi  en  1626  par  Francesco  Belli  est  telle- 
ment rare  qu'on  peut  le  ranger  à  peu  près  parmi  les  documents 
inédits1.  L'étude  des  relations  ne  laisse  pas  d'être  fatigante  tant  y 
abondent  inévitablement  les  répétitions;  sans  doute  les  envoyés 
étaient  pour  la  plupart  des  observateurs  attentifs  et  pénétrants;  mais 
ce  qu'ils  nous  disent,  les  uns  après  les  autres,  sur  l'organisation  du 
gouvernement,  sur  l'armée,  la  flotte,  les  compagnies  des  Indes  occi- 
dentales et  orientales,  le  commerce,  l'industrie  n'ajoute  en  général 
pas  grand'chose  à  ce  que  nous  savons  par  ailleurs  tout  aussi  bien 
ou  mieux2.  On  y  trouve  néanmoins  des  observations  remarquables 
soit  sur  les  hommes  et  les  femmes  de  la  cour  stathoudérienne  et  les 
hommes  d'état,  soit  sur  les  finances,  l'armée,  les  rapports  de  la 
République  avec  les  autres  puissances,  sur  les  mœurs  et  les  cou- 
tumes, la  situation  des  catholiques,  etc.  Du  reste,  M.  Blok  a  aug- 
menté considérablement  l'importance  de  sa  publication  par  ses  notes 
et  surtout  par  les  introductions,  placées  à  la  tète  de  chaque  docu- 

1.  Hijks  Geschiedkundige  Publicalien.  P.  J.  Blok,  Relazioni  Venetiane. 
Venetiaansche  berichten  over  de  Nederlanden,  1600-1795.  's  Gravenhage, 
M.  Nyhoff,  1909,  in-4°,  xxix-420  p. 

2.  Le  plus  souvent,  M.  Blok  a  signalé  les  erreurs  qui  se  trouvent  dans  les 
relations,  mais  quelquefois  il  n'en  dit  rien;  c'est  un  peu  déroutant  pour  ceux 
qui  n'ont  pas  une  connaissance  suffisante  des  institutions  de  la  Bépublique, 
car  ils  s'imagineront  que  les  informations  sont  correctes  toutes  les  fois  que 
l'éditeur  ne  les  avertit  pas  du  contraire.  Il  aurait  mieux  valu  soit  n'en  dire 
rien  du  tout,  soit  signaler  toujours  les  erreurs.  La  dernière  méthode  aurait  été 
sans  doute  la  meilleure. 


HISTOIRE    DES   PAYS-BAS.  165 

ment,  pour  lesquelles  il  a  puisé  aussi  dans  les  lettres  des  ambassa- 
deurs. M.  Blok  y  fait  mieux  comprendre  et  apprécier  les  documents 
et  en  même  temps  il  réussit  à  esquisser  l'histoire  des  rapports  entre 
les  deux  Républiques  d'après  les  sources  vénitiennes;  il  complète 
ainsi  l'ouvrage  intitulé  Nederland  en  Venetie  de  feu  M.  de  Jonge, 
qui  a  étudié  ces  mêmes  rapports  à  l'aide  des  documents  néerlandais. 
En  appendice,  M.  Blok  a  publié  une  liste  des  recueils  de  lettres  rela- 
tives aux  Pays-Bas  qui  se  trouvent  aux  archives  de  l'Etat  de  Venise, 
une  liste  des  relations  vénitiennes  qui  traitent  des  Pays-Bas  et  une 
liste  des  sources  pour  l'histoire  des  rapports  entre  Venise  et  les  Pro- 
vinces-Unies que  possèdent  les  archives  de  l'Etat  à  La  Haye.  Les 
taltles  des  noms  de  personnes  et  de  lieux  n'ont  pas  été  dressées  par 
M.  Blok,  mais  par  M"e  Brons.  J'ai  eu  le  regret  de  constater  qu'elles 
laissent  à  désirer;  dans  soixante-treize  pages  du  texte  italien  j'ai 
remarqué  une  vingtaine  d'omissions  de  noms  propres;  p.  68, 
apparemment  parce  que  MIle  Brons  n'a  pas  compris  le  texte  ita- 
lien, elle  a  pris  Gravisenda  (Gravesend)  pour  la  place  néerlandaise 
's  Gravensande;  et  quand  elle  enregistre  le  nom  de  Marco  Polo, 
elle  y  ajoute  la  qualification  :  gentilhomme  vénitien,  mais  ne  dit 
pas  qu'il  s'agit  du  célèbre  voyageur. 

Dans  la  collection  de  VAllgemeine  Staatengeschichte,  publiée 
à  présent  sous  la  direction  de  M.  Lamprecht,  a  paru  le  tome  IV  de 
['Histoire  du  peuple  néerlandais  par  M.  Blok,  traduit  en  alle- 
mand par  M.  Houtrouw'.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  rendre  compte  ici  de 
nouveau  de  ce  volume  qui  se  rapporte  aux  années  1609-1648  et 
dont  il  a  été  fait  mention  dans  cette  Revue  lorsqu'il  a  été  publié  en 
néerlandais  (1899).  Notons  cependant  que  M.  Blok  a  mis  à  profit 
cette  occasion  pour  utiliser  des  publications  postérieures  à  1899; 
elles  sont  signalées  au  bas  des  pages  et  rà  et  là  elles  ont  donné  lieu 
à  une  petite  rectification  ou  à  l'insertion  de  quelques  lignes  qui  pour- 
tant n'amènent  pas  un  changement  essentiel  dans  le  texte.  En 
feuilletant  la  traduction,  je  me  suis  convaincu  qu'en  général  M.  Hou- 
trouw  s'est  bien  acquitté  de  sa  tâche,  quoiqu'il  n'ait  pas  toujours  com- 
pris tout  à  fait  la  valeur  des  expressions  néerlandaises  ;  par  exemple 
p.  81,  le  mot  néerlandais  alvast  est  traduit  inexactement  par  aufs 
engste;  p.  85,  Und  nicht  weniger  wichtig  ne  rend  pas  le  néer- 
landais :  En  weinig  minder  belangrijk;  p.  263,  la  traduction  du 
néerlandais  :  Met  het  verzetten  der  regeeringen  par  Mit  dem 
Wechsel  des  Regierung  Systems  est  décidément  fausse,  et  l'expli- 

1.  Allgemeine  Staatengeschichte.  I  Abteilung  :  Geschichte  der  europaischen 
Staalen.  Geschichte  der  Niederlande  von  P.  J.  Blok.  Vierter  Bancl.  Gotha, 
F. -A.  Perthes,  1910,  in-8°,  562  p. 


1GG  BULLETIN    HISTORIQUE. 

cation  du  mot  néerlandais  doocleter,  donnée  par  M.  Houtrouw 
p.  439,  donne  une  interprétation  erronée  des  paroles  prononcées  par 
l'amiral  de  With. 

M.  Knuttel  poursuit  la  publication  des  actes  des  synodes  particu- 
liers de  la  Hollande  méridionale,  dont  il  a  été  rendu  compte  dans  le 
bulletin  précédent  [Rev.  hist.,  t.  OU).  Le  tome  II  comprend  l'époque 
de  1634  à  1645 1  ;  de  même  que  dans  le  tome  Ier,  on  y  trouve,  outre 
les  affaires  purement  ecclésiastiques,  beaucoup  de  renseignements 
sur  l'histoire  des  mœurs  et  de  la  vie  sociale.  Dans  l'introduction, 
M.  Knuttel  a  donné  un  aperçu  intéressant  des  rapports  entre  les 
gouvernements  et  les  autorités  ecclésiastiques  qui  s'efforçaient  en 
vain  de  se  soustraire  à  la  surveillance  et  à  l'ingérence  des  régences 
provinciales  et  communales. 

M.  Japikse  s'est  chargé  de  poursuivre  la  publication  des  lettres 
de  Jean  de  Witt,  dont  le  tome  I,  paru  en  1906,  était  l'œuvre  de 
M.  Kernkamp.  Pour  comprendre  le  caractère  de  cette  publication,  il 
faut  se  rappeler  que  feu  M.  Fruin  avait  fait  pour  son  usage  per- 
sonnel des  copies  et  des  extraits  delà  correspondance  de  Jean  de  Witt, 
qui  se  trouve  aux  archives  de  l'Etat  à  La  Haye,  laissant  de  côté 
toutes  les  lettres  qui  ont  été  recueillies  dans  l'édition  de  17232,  mais 
reliant  chacun  de  ces  extraits  par  un  commentaire  qui  les  mettait  en 
pleine  valeur.  C'est  la  publication  de  ces  dossiers  formés  par  M.  Fruin 
que  M.  Japikse  a  entreprise  après  que  M.  Kernkamp  eut  prié  d'en  être 
déchargé.  Dans  le  tome  II3,  qui  contient  les  lettres  de  1658  à  1664, 
M.  Japikse  s'est  acquitté  parfaitement  bien  de  sa  tâche;  tous  les 
extraits  ont  été  collationnés,  annotés  pour  autant  que  les  notes  de 
M.  Fruin  ne  suffisaient  pas,  complétés  et  augmentés  s'il  était  néces- 
saire pour  mettre  mieux  en  lumière  les  méthodes  de  gouvernement 
ou  le  caractère  de  Jean  de  Witt.  Un  inconvénient  de  la  présente 
publication  c'est  que,  dans  les  premiers  volumes,  on  ne  trouve  que  les 
lettres  de  Jean  de  Witt  et  que  les  lettres  à  lui  adressées  ne  suivront 
que  plus  tard4  ;  mais  si  on  avait  cherché  à  corriger  cet  arrangement 

1.  Rijks  Geschiedkundige  Publicatien.  Knuttel,  Acta  der  particulière  syno- 
den  van  Zuid-Holland,  tweede  deel.  's  Gravenhage,  M.  Nyhoff,  1909,  in-8°, 
xxvn-554  p. 

2.  Cette  édition  est  intitulée  Brieven  geschreven  ende  gewisselt  tusschen  den 
Heer  Johan  de  Witt  ende  de  Gcvolmachtigden  van  den  Staedt  der  Vereenighde 
Nederlanden  (correspondance  entre  Jean  de  Witt  et  les  envoyés  de  la  Répu- 
blique, de  1652  à  1669). 

3.  Brieven  van  Johan  de  Witt.  Tweede  deel  (1657)  1658-1664,  bewerkt  door 
Robert  Fruin,  uitgegeven  door  N.  Japikse.  Werken  van  het  Historisch 
Genootschap  te  Utrecht.  Amsterdam,  Joh.  Mûller,  1909,  in-8°,  xix-651  p. 

4.  La  lettre  de  J.  de  Witt  à  Tyman  Tilvoren,  mentionnée  p.  227,  note,  est 
une  réponse  à  une  lettre  de  Tyman  Tilvoren  du  18  septembre  1658. 


HISTOIRE    DES    PAYS-BAS.  167 

peu  recommandable  en  soi,  on  aurait  dû  changer  tout  Tordre  des 
dossiers  de  M.  Fruin  et  supprimer  aussi  les  résumés  qui  lient 
les  extraits  l'un  à  l'autre,  et  c'est  ce  qu'on  n'a  pas  voulu  faire,  afin 
de  laisser  intacte  autant  que  possible  l'œuvre  du  maître  vénéré. 
Ceux  qui  se  mettent  à  l'étude  des  volumes  publiés  dans  l'attente 
d'y  puiser  beaucoup  d'informations  sur  la  politique  générale  de 
l'époque  seront  vite  déçus;  certes  les  documents  de  cette  sorte  ne 
manquent  pas  tout  à  fait1,  mais  ils  sont  peu  nombreux  auprès  de 
ceux  qui  concernent  le  caractère  de  Jean  de  Witt,  ses  relations  avec  les 
régents  des  villes  de  Hollande,  spécialement  avec  ceux  d'Amsterdam 
et  de  Dordrecht,  ses  négociations  avec  les  Zélandais,  avec  la  prin- 
cesse royale  (la  veuve  du  stathouder  Guillaume  II)  et  avec  la  prin- 
cesse douairière  (la  mère  de  Guillaume  II),  bref,  les  moyens  qu'il 
mettait  en  œuvre  pour  raffermir  et  fortifier  son  crédit  et  diriger  ses 
maîtres,  les  États  de  Hollande.  C'est  là  le  haut  intérêt  de  cette 
importante  publication. 

En  1653,  Guillaume  van  der  Goes  dut  s'enfuir  de  La  Haye  et  de 
la  République  à  cause  d'un  duel;  après  avoir  parcouru  plusieurs 
pays,  il  s'établit  à  Vienne,  où  il  demeura  jusqu'à  ce  qu'en  1673  il 
obtînt  des  lettres  de  pardon.  Pendant  son  exil,  du  moins  depuis  1659, 
il  fut  en  correspondance  régulière  avec  son  frère  Adrien  qui  résidait 
à  La  Haye.  En  1899,  M.  Gonnet  a  publié  le  tome  I  de  cette  correspon- 
dance relative  aux  années  1659  à  1668;  après  un  intervalle  de  dix  ans, 
il  nous  donne  dans  le  tome  II  les  lettres  de  1669  à  16732.  Bien  que 
l'importance  de  cette  publication  ne  soit  pas  proportionnée  à  son 
étendue,  elle  ne  manque  pas  d'intérêt;  elle  contient  beaucoup  d'infor- 
mations sur  l'opinion  publique,  sur  les  impôts  écrasants,  sur  le  prix 
des  produits  agricoles  et  des  terres,  çà  et  là  aussi  sur  les  événements 
politiques  (par  exemple  sur  la  catastrophe  des  frères  de  Witt).  Il  faut 
regretter  pourtant  que  M.  Gonnet  se  soit  acquitté  trop  discrètement 
de  ses  devoirs  d'éditeur;  il  s'est  borné  à  faire  imprimer  le  texte  des 
lettres,  ajoutant  quelquefois  une  note  pour  expliquer  le  sens  de 
mots  ou  d'expressions  qui  n'ont  pas  besoin  d'explication  ou  qu'il 
explique  inexactement  (p.  105),  mais  il  s'est  gardé  soigneusement 
de  donner  des  renseignements  sur  les  personnes  et  les  affaires  dont 
il  est  fait  mention  dans  les  lettres,  méthode  qui  n'est  pas  admissible 
dans  une  édition  scientifique. 

En  publiant  le  tome  III,  qui  contient  les  années  1700  à  1702, 

1.  Je  fais  remarquer  que  les  leltres  des  p.  46  à  59  ont  été  publiées  par  René 
Dollot,  les  Origines  de  la  neutralité  de  la  Belgique,  p.  541  et  suiv. 

2.  Briefwissellïng  tusschen  de  Gebroeders  van  der  Goes  (1659-1673),  uitge- 
geven  door  C.  J.  Gonnet.  Tweede  deel.  Werkcn  van  het  Historiscli  Genoot- 
schap  te  Utrecht.  Amsterdam,  Joli.  Muller,  1909,  in-8°,  588  p. 


168  BULLETIN    HISTORIQUE. 

M.  Kramer  a  achevé  la  troisième  série  des  Archives  ou  Correspon- 
dance inédile  de  la  maison  d'Orange-Nassau1.  Grâce  à  celte  publi- 
catîon,  les  historiens  peuvent  maintenant  étudier  toute  la  correspon- 
dance entre  Guillaume  III  et  le  conseiller  pensionnaire  Heinsius  de 
1689  à  1702.  Il  est  superflu  d'appeler  l'attention  sur  l'intérêt  de 
cette  correspondance,  qui  constitue  une  source  de  la  plus  haute 
importance  pour  l'histoire  politique  de  l'Europe  pendant  cette  époque. 
Quoique  plusieurs  historiens  y  aient  déjà  puisé,  cette  publication  nous 
met  pour  la  première  fois  à  même  d'étudier  toute  la  suite  des  idées 
de  ces  deux  hommes  d'état  et  les  obstacles  qu'ils  eurent  à  vaincre 
en  Angleterre  et  dans  la  République  pour  faire  triompher  leur  poli- 
tique. Pour  s'en  convaincre,  il  suffît  par  exemple  de  comparer  avec 
cette  publication  les  parties  correspondantes  de  l'ouvrage  de  M.  Le- 
grelle  sur  la  France  et  la  succession  d'Espagne;  M.  Legrelle  avait 
cependant,  lui  aussi,  consulté  les  Archives  royales  de  La  Haye.  Il 
va  de  soi  que  les  lettres  offrent  aussi  des  informations  intéressantes 
sur  la  part  qui  revient  à  Guillaume  III  et  Heinsius  dans  l'œuvre 
commune.  On  était  enclin  à  représenter  Heinsius  comme  un  ser- 
viteur docile  qui  recevait  toutes  les  idées  de  Guillaume  et  subissait 
profondément  sa  direction.  Il  n'en  est  rien.  Très  souvent,  c'est 
Heinsius  qui  prend  l'initiative,  émet  des  idées,  donne  des  conseils 
qui  sont  acceptés  par  Guillaume;  plusieurs  fois,  c'est  celui-ci  qui 
demande  l'opinion  du  conseiller  pensionnaire  ;  d'ailleurs,  l'accord  est 
toujours  facile  parce  qu'il  y  a  entre  eux  cette  communauté  de  vues 
qui  est  la  garantie  sûre  d'une  collaboration  parfaite. 

Dans  la  quatrième  série  du  même  recueil,  le  tome  III  a  été  publié 
par  Fauteur  du  présent  bulletin2,  il  contient  des  documents  relatifs 
aux  affaires  étrangères  de  1749  à  1755  et  aux  affaires  intérieures  de 
la  République  de  1751  à  1755;  de  même  que  pour  le  tome  I,  ce  sont 
surtout  des  papiers  de  W.  Bentinck  que  les  matériaux  les  plus  impor- 
tants de  ce  volume  ont  été  tirés.  On  lira  avec  intérêt  la  correspon- 
dance entre  Guillaume  IV  et  Bentinck  pendant  la  mission  de  celui-ci 
à  Vienne;  cette  mission  avait  pour  but  d'engager  le  prince  Louis  de 
Brunswick -Wolfenbùttel  au  service  de  la  République.  D'un  intérêt 
plus  général  sont  les  documents  qui  ont  rapport  aux  tentatives 
faites  pour  raffermir  l'ancien  système  d'alliance  entre  les  puissances 
maritimes  et  l'Autriche;  la  correspondance  de  Bentinck  avec  le  duc 

1.  Archives  ou  Correspondance  inédite  de  la  maison  cl Orange-Nassau, 
3"  série,  publiée  par  M.  Kramer;  t.  III  :  1700-1702.  Leyde,  A.  W.  Sythoff,  1909, 
in-8°,  xxxi-709  p. 

2.  Archives  ou  Correspondance  inédite  de  la  maison  d'Orange-Nassau, 
Y  série,  publiée  par  Th.  Bussemaker;  t.  III  :  17i9  (175V-1755.  Leyde, 
A.  W.  Sythoff,  1909,  in-S",  xli-671  p. 


HISTOIRE    DES    PAYS-BAS. 


169 


de  Newcastle  et  le  comte  de  Kaunitz,  celle  de  Marie-Thérèse  et  de 
Brunswick  et  beaucoup  d'autres  documents  nous  font  assister  à 
l'avortement  de  ces  efforts  ;  nombre  de  pièces  mettent  en  lumière  la 
part  considérable  que  les  négociations  infructueuses  sur  l'exécution 
du  traité  de  la  Barrière  ont  eue  au  renversement  des  alliances.  De 
même  que  sur  la  politique  étrangère,  ce  volume  contient  beaucoup  de 
matériaux  sur  les  affaires  intérieures  de  la  République  pendant  cette 
époque  ;  il  donne  des  informations  très  intéressantes  sur  une  époque 
assez  mal  connue  jusqu'à  présent,  en  particulier  sur  le  caractère 
de  la  princesse  Anne  qui  exerça  les  fonctions  stathoudériennes 
pendant  la  minorité  de  son  fils,  sur  ses  méthodes  de  gouvernement, 
sur  les  personnages  et  les  partis  qui  se  combattaient  autour  d'elle, 
sur  la  conduite  des  bourgmestres  d'Amsterdam,  sur  les  délibérations 
des  États  de  Hollande,  etc. 

M.  Oolenbrander  a  achevé  la  publication  des  documents  relatifs 
aux  délibérations  sur  les  constitutions  néerlandaises;  le  tome  II'  a 
un  intérêt  non  moins  grand  pour  les  Belges  que  pour  les  Néerlandais, 
parce  qu'il  s'agit  dans  ce  volume  de  la  loi  fondamentale  de  1815  qui 
fut  appliquée  au  beau  royaume  formé,  en  vertu  des  décisions 
des  grandes  puissances  et  en  conformité  des  vœux  du  roi,  par 
l'union  des  Pays-Bas  du  nord  et  du  sud,  union  malheureuse, 
brisée  par  la  révolution  de  1830,  mais  qui,  malgré  cette  existence 
éphémère,  a  eu  des  résultats  importants  pour  les  deux  parties. 
M.  Oolenbrander  s'est  efforcé  de  rendre  son  recueil  aussi  complet 
que  possible.  Il  aurait  voulu  pouvoir  utiliser  les  papiers  conservés 
dans  les  archives  appartenant  aux  descendants  des  membres  belges 
de  la  commission  chargée  d'élaborer  la  loi  fondamentale  de  1815. 
Bien  que  les  résultats  de  ces  recherches  n'aient  pas  été  très  riches,  il 
a  pu  ajouter  aux  documents  déjà  publiés  qu'il  a  recueillis  dans  ce 
volume  nombre  de  pièces  inédites  tirées  des  archives  de  l'Etat  et  de 
plusieurs  archives  privées.  Pour  la  première  partie,  qui  contient  des 
documents  relatifs  à  l'histoire  diplomatique  de  l'union  des  provinces 
belges  au  royaume  des  Pays-Bas,  les  documents  inédits  ont  été 
puisés  principalement  dans  le  Record  Office  à  Londres.  Dans  une 
ample  introduction,  où  l'éditeur  a  rendu  compte  de  ses  recherches 
et  fait  des  observations  sur  les  documents  publiés,  il  a  aussi  donné 
un  exposé  intéressant  de  ce  qui  s'est  passé  depuis  1789  jusqu'à  1815 
par  rapport  à  l'union  des  Pays-Bas  du  nord  et  du  sud. 

Th.  BUSSEMAKER. 

1.  H.  T.  Colenbrander,  Oiitstaan  der  grondwet.  Bronnenverzamling.  II  deel, 
1909.  's  Gravenhage,  Nyhoff. 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


R.  W.  Carlyle,  C.  I.  E.,  et  A.  J.  Carlyle,  M.  A.  A  history  of 
médiéval  political  Theory  in  the  "West.  Vol.  II  :  The  politi- 
cal  Theory  of  the  Roman  lawyers  and  the  canonists,  from 
the  tenth  Century  to  the  thirteenth  Century,  par  A.  J.  Car- 
lyle. Edimbourg  et  Londres,  William  Blackwood  et  fils,  1909. 
In-8°,  xix-274  pages. 

C'est  à  l'étude  des  sources  des  théories  politiques  du  moyeu  âge  que 
se  sont  consacrés  MM.  R.  W.  et  A.  J.  Carlyle.  Dans  un  précédent 
volume,  après  avoir  porté  leur  attention  sur  les  écrits  des  juriscon- 
sultes romains  et  sur  ceux  des  Pères  de  l'Eglise  qui  se  sont  succédé 
du  Ier  au  VIe  siècle,  ils  ont  examiné  les  théories  qui  furent  mises  en 
circulation  au  ixc  siècle,  c'est-à-dire,  à  l'époque  de  la  Renaissance 
carolingienne.  Ils  sont  arrivés  à  cette  conclusion  que,  quelle  que 
puisse  être  la  part  originale  de  l'esprit  germanique,  dès  que  les  hommes 
du  IXe  siècle  ont  voulu  donner  une  forme  littéraire  aux  conceptions 
politiques  de  leur  temps,  ces  conceptions  ont  reproduit  en  grande  par- 
tie des  notions  qu'ils  ont  trouvées  dans  l'héritage  de  l'antiquité.  Cet 
héritage  leur  a  été  transmis  par  la  littérature  ecclésiastique  ;  c'est,  en 
général,  aux  ouvrages  des  Pères  qu'ils  ont  emprunté  le  cadre  de  leurs 
doctrines. 

Le  présent  volume,  qui  porte  la  signature  de  M.  A.  J.  Carlyle,  traite 
des  théories  politiques  répandues  en  Occident  du  Xe  siècle  jusqu'au 
milieu  du  xme  ;  l'auteur  s'arrête  intentionnellement  à  l'époque  où  se 
réalise  dans  le  monde  des  idées  un  changement  considérable  par  le 
triomphe  définitif  de  l'influence  aristotélicienne.  C'est  seulement  sur 
les  écrits  des  légistes  et  des  canonistes  que  portent  les  investigations 
de  M.  Carlyle;  la  période  qu'il  étudie  est  d'ailleurs  couronnée  par 
deux  faits  de  grande  importance  :  l'apparition  de  la  grande  glose 
d'Accurse  dans  le  domaine  du  droit  romain  et,  dans  le  domaine  cano- 
nique, la  promulgation  des  Décrétales  de  Grégoire  IX.  Le  volume  de 
M.  Carlyle  est  divisé  en  deux  parties;  la  première  traite  des  doc- 
trines des  légistes,  la  seconde  est  consacrée  à  celle  des  canonistes. 

La  première  partie  s'ouvre  par  une  étude  des  notions  fondamen- 
tales sur  lesquelles,  selon  les  légistes,  reposent  le  droit  et  la  loi.  L'au- 
teur y  examine  le  sens  que  prennent,  dans  les  ouvrages  des  premiers 
interprètes  du  droit  romain,  les  expressions  aequitas,  justitia  et  jus 
et  le  sort  qu'ont  fait  ces  jurisconsultes  à  la  fameuse  division  tripar- 


A.    J.    CARLYLE    :    THE    P0LIT1CAL    THEORY    OF    THE   CANONISTS.       171 

tite  du  droit  en  jus  naturale,  jus  gentium  et  jus  civile;  en  outre, 
s' inspirant  de  l'ouvrage  de  M.  S.  Brie,  il  esquisse,  d'après  les  légistes, 
la  théorie  de  la  coutume.  Il  ne  se  borne  pas  à  poser  des  principes 
généraux,  il  suit  l'application  qu'en  ont  faite  les  légistes  quand  il  s'est 
agi  de  construire  les  théories  du  servage,  de  la  propriété,  de  l'autorité 
politique  et  des  relations  entre  la  puissance  spirituelle  et  la  puissance 
temporelle. 

La  deuxième  partie,  consacrée  aux  canonistes,  est  composée  d'après 
un  plan  à  peu  près  semblable.  Après  y  avoir  exposé  les  doctrines  des 
premiers  canonistes  sur  les  principes  philosophiques  du  droit,  ce  qui 
comporte  l'analyse,  à  ce  point  de  vue  nouveau,  des  notions  de  droit 
naturel,  de  droit  des  gens,  de  droit  civil  et  de  coutume,  M.  Carlyle 
recherche,  dans  les  œuvres  des  canonistes,  leur  manière  de  com- 
prendre le  servage,  la  propriété  et  les  relations  entre  les  deux  pou- 
voirs ;  entre  temps,  il  n'a  pas  négligé  de  préciser  la  notion  de  la  loi 
canonique,  en  tant  qu'elle  se  distingue  de  la  loi  naturelle  et  des  livres 
saints,  et  de  montrer  la  place  que  tient,  dans  la  formation  de  cette  loi, 
l'autorité  législative  des  papes. 

Il  est  impossible  d'analyser  ce  livre,  fait  lui-même  d'une  série  de 
résumés  des  théories  que  les  anciens  jurisconsultes  avaient  ample- 
ment développées.  Ce  qui  importe  surtout,  ce  me  semble,  c'est  de 
faire  .  connaître  l'idée  générale  d'après  laquelle  il  a  été  conçu.  L'au- 
teur, très  résolument,  entend  n'étudier  que  les  doctrines  des  juristes 
qui  n'ont  point  quitté  les  templa  serena  pour  se  jeter  dans  le  milieu 
des  idées  et  prendre  part  aux  polémiques  qui  ont  fait  rage  à  certaines 
époques  du  moyen  âge.  C'est  à  cette  condition  seulement,  pense-t-il, 
qu'on  peut  se  rendre  compte  des  doctrines  reçues;  même  dans  les 
documents  pontificaux,  «  il  est  extrêmement  important  de  distinguer 
les  phrases  représentant  l'opinion,  élaborée  avec  soin,  des  autorités 
ecclésiastiques,  d'expressions  employées  dans  la  ferveur  de  la  con- 
troverse »,  qui  ont  pu  répondre  à  un  sentiment  momentané,  mais  qui 
ne  sauraient  être  considérées  comme  traduisant  d'une  manière  adé- 
quate le  jugement  de  l'Eglise1.  A  plus  forte  raison,  quand  il  s'agit 
d'écrits  privés,  l'auteur  n'entend  retenir  que  les  ouvrages  composés  de 
sang-froid  et  aboutissant  à  des  conclusions  raisonnables  et  raison- 
nées2.  C'est  ainsi  qu'il  ne  fait  jamais  appel  aux  nombreux  écrits  de 
polémique  qu'a  suscités  la  querelle  des  investitures;  il  ne  cite  pas  les 
Libelli  de  lite  Imperatorum  et  Pontificum.  Il  va  plus  loin  et  s'at- 
tache à  n'employer  que  des  extraits  d'ouvrages  techniques  de  droit 
canonique  ou  civil  ;  il  ne  se  sert  pas  des  écrits  du  Xe  au  xne  siècle  qui 
ne  lui  semblent  pas  porter  ce  caractère,  par  exemple  de  ceux  d'Abbon 
et  d'Hugues  de  Fleury,  de  Jean  de  Salisbury  ou  d'Honorius  d'Autun; 
il  ne  consulte  que  les  compilations  canoniques  d'Yves  de  Chartres  et 

1.  P.  214. 

2.  P.  93. 


172  COMPTES-RENDUS   CKITIQCES. 

non  sos  lettres.  Visiblement,  il  tient  à  écarter  avec  une  rigueur,  peut- 
être  exagérée,  les  documents  dont  l'auteur  a  pu  se  laisser  plus  ou 
moins  influencer  par  les  événements  et  les  passions  de  son  temps. 

Grâce  à  cette  méthode,  que  l'on  n'accusera  pas  d'être  téméraire, 
M.  Carlyle  arrive  à  des  résultats  intéressants.  Notamment,  il  fait 
apparaître  certains  principes  qui  constituent  comme  le  terrain  com- 
mun sur  lequel  peuvent  évoluer  légistes  et  canonistes.  Comme  les 
canonistes,  beaucoup  de  légistes  s'accordent  à  reconnaître  que  la  loi 
positive  dépend  étroitement  des  principes  éternels  de  justice,  dont 
elle  n'est  que  l'application  aux  circonstances  de  la  vie,  si  bien  que 
cette  loi  non  seulement  procède  de  la  justice,  mais  ne  saurait  être  en 
désaccord  avec  elle.  Comme  les  canonistes,  les  légistes,  offusqués  par 
certaines  institutions  généralement  admises,  l'esclavage  et,  pour 
quelques-uns  d'entre  eux,  la  propriété  privée,  se  tirent  de  la  difficulté 
en  s'attachant  à  l'idée  d'une  différence  profonde  entre  la  condition 
actuelle  de  l'humanité  et  la  condition  primitive,  pour  laquelle  fut 
faite  la  loi  naturelle.  Au  surplus,  tous  les  légistes  ne  semblent  pas  à 
M.  Carlyle  mériter  la  réputation  de  partisans  déterminés  et  intransi- 
geants de  l'absolutisme  qui  leur  a  été  faite  depuis  longtemps.  Plu- 
sieurs d'entre  eux  se  refusent  à  admettre  la  doctrine  d'après  laquelle 
le  peuple  romain  aurait  irrévocablement  transféré  sa  souveraineté  à 
l'empereur.  «  Il  est  de  grande  importance  »,  fait  observer  l'auteur, 
«  qu'un  légiste  illustre  comme  Azon  reconnaisse  au  peuple  la  faculté 
de  reprendre  un  jour  l'autorité  qu'il  a  déléguée,  comme  d'ailleurs  il 
l'a  fait  antérieurement1.  »  Aussi  M.  Carlyle  croit-il  pouvoir  affirmer 
que  l'opinion  d'après  laquelle  la  renaissance  de  l'étude  du  droit  romain 
fut  défavorable  au  progrès  de  la  liberté  politique,  si  elle  contient 
quelques  éléments  de  vérité,  ne  doit  être  acceptée  que  sous  de  très 
graves  réserves,  au  moins  en  ce  qui  concerne  le  XIIe  siècle  et  le  com- 
mencement du  xme2. 

Quand  il  en  vient  aux  relations  entre  les  deux  pouvoirs,  l'auteur 
fait  encore  apparaître  des  idées  qui  semblent  communes  aux  légistes 
et  aux  canonistes  :  ce  sont  celles  qui  sont  énoncées  dans  la  célèbre 
décrétale  du  pape  Gélase  Ie1'3.  On  ne  peut  douter,  dit-il,  que  les  légistes 
ne  considèrent  l'Église  comme  distincte  de  l'Etat  et  munie  d'un  carac- 
tère et  d'une  autorité  qui  viennent  de  Dieu.  De  même  les  canonistes 
se  conforment  à  la  tradition  de  Gélase  en  enseignant  que  les  deux 
autorités,  la  spirituelle  et  la  temporelle,  sont  l'une  et  l'autre  d'origine 
divine;  elles  ont  été  distinguées  par  le  Christ  lui-même,  qui  était  à  la 
fois  roi  et  prêtre.  Le  principe  de  la  loi  canonique,  toujours  proclamé 
à  cette  époque,  est  que  le  domaine  de  chacune  d'elles  est  distinct  et 

1.  P.  65. 

2.  P.  75. 

3.  Jaffé-Wattenbach,  Regesta  Pontificum  Romanorum,  n°  632. 


A.    .1.    CARLYLE    :    THE    POLÏTICAL   THEORY   OF    THE   CANONISTS.       173 

que  l'une  et  l'autre  sont  souveraines  dans  leur  sphère1.  Sans  doute, 
comme  les  deux  autorités  gouvernent  les  mêmes  sujets,  des  conflits 
peuvent  s'élever  contre  elles,  conflits  dont  la  solution  ne  sera  pas  tou- 
jours aisée.  Pour  les  résoudre  a  été  soutenue,  entre  autres  systèmes, 
une  opinion  qui  donne  en  tout  cas  la  décision  dernière  au  pape,  chef 
de  la  hiérarchie  ecclésiastique.  M.  Carlyle  croit  devoir  faire  remar- 
quer que,  quelles  que  soient  les  doctrines  proposées  dans  le  feu  des 
controverses,  la  loi  canonique,  au  cours  de  la  période  qu'il  étudie,  n'a 
pas  admis  cette  solution  radicale,  répudiée  d'ailleurs  par  les  grands 
papes  de  cette  époque,  en  tant  que  leur  enseignement  a  été  incorporé 
aux  recueils  de  droit  canon2.  On  en  peut  conclure  qu'entre  les  deux 
législations  il  n'y  a  pas  de  désaccord  essentiel  sur  les  principes  géné- 
raux ;  la  même  conclusion  se  dégage  d'ailleurs  de  l'examen  de  cer- 
taines questions  particulières.  Ainsi,  pour  les  légistes,  «  le  clergé,  en 
tant  que  clergé,  n'est  soumis  qu'à  la  juridiction  de  l'Église  »3.  D'autre 
part,  la  loi  canonique,  encore  au  temps  des  Décrétales  de  Grégoire  IX, 
ne  connaît  rien  des  théories  qui  placeraient  les  membres  du  clergé 
en  dehors  de  la  sphère  de  l'autorité  séculière.  Comme  ecclésias- 
tiques, ils  peuvent  être  soustraits  à  cette  autorité;  mais,  comme 
hommes,  ils  lui  sont,  en  tout  cas,  soumis  jusqu'à  un  certain  degré.  Il 
va  de  soi  que  de  telles  solutions  ne  sauraient  supprimer  tous  les  con- 
flits; mais  au  moins  sont-elles  de  nature  à  faciliter  les  transactions 
par  lesquelles,  le  plus  souvent,  ils  se  termineront. 

Ainsi  l'auteur  montre  sous  divers  aspects,  dans  ce  volume,  les  con- 
ceptions politiques,  fondées  sur  la  jurisprudence  romaine  et  les  écrits 
des  Pères,  que  développent  à  l'envi  les  légistes  et  les  canonistes. 
Ceux-là  procèdent  davantage  des  jurisconsultes  romains;  ceux-ci 
font  des  emprunts  plus  nombreux  à  la  littérature  patristique.  Parfois 
ils  s'inspirent  de  l'esprit  chrétien  pour  modifier  certaines  règles  juri- 
diques, par  exemple  celles  qui  concernent  le  mariage  des  serfs;  par- 
fois ils  s'efforcent  de  rattacher  au  cadre  des  idées  antiques  des  notions, 
telles  que  la  coutume,  qui  prennent  au  moyen  âge  une  importance 
particulière;  en  tout  cas,  ils  demeurent  fidèles  à  la  tradition  qu'avait 
renouée  la  Renaissance  carolingienne  et  par  là  ils  sont  dans  le  droit 
fil  de  l'antiquité.  Quel  sera  le  sort  de  ces  constructions  doctrinales  à 
la  fin  du  xme  siècle  et  au  xive,  c'est  la  question  qui  sera  sans  doute 
traitée,  dans  le  prochain  volume.  Souhaitons  que  MM.  Carlyle  puissent 
sans  tarder  conduire  à  bonne  fin  leur  intéressante  entreprise  ! 

Paul  Fournier. 

1.  P.  233.  Il  est  à  remarquer  qu'on  retrouve  une  pensée  analogue  dans  l'en- 
cyclique Immortale  Del  de  Léon  XIII,  du  1"  novembre  1885. 

2.  P.  225. 

3.  P.  81. 


174  COMPTES-REIN  DUS    CRITIQUES. 

L.  von  Pastor.  Geschichte  der  Pâpste  seit  dem  Ausgang  des 
Mittelalters.  Fûnfter  Band  :  Paul  III,  1534-1549.  Fribourg- 
en-Brisgau,  Ilerder,  1909.  In-8°,  xliv-891  pages.  Prix,  broché  : 
12  m.  50;  relié  :  14  m.  50. 

Dans  ce  volume,  qui  paraît  deux  ans  seulement  après  celui  qui  trai- 
tait de  Clément  VII,  la  méthode  suivie  par  l'auteur  n'a  point  changé1. 
Les  sources  manuscrites  les  plus  utilisées  sont  les  brefs,  les  rapports 
d'ambassadeurs  conservés  à  Florence,  Mantoue,  Modène,  Lucques, 
Vienne,  les  diaires,  les  correspondances,  en  particulier  celle  du  car- 
dinal Ercole  Gonzaga,  témoin  très  bien  placé,  très  bien  renseigné,  et 
que  sa  malveillance  pour  les  Farnèse  mettait  à  l'affût  des  informa- 
tions. A  la  fin  de  l'ouvrage,  quatre-vingts  documents  inédits  sont  publiés 
comme  pièces  justificatives. 

L'histoire  des  relations  de  Paul  III  avec  Charles-Quint  et  l'Alle- 
magne ou  de  la  question  conciliaire  et  des  premières  sessions  du  Con- 
cile de  Trente  occupe  la  plus  grande  partie  du  livre  :  chapitres  i, 
la  Question  du  Concile  dans  les  années  153k  à  1539;  m,  Tenta- 
tives du  pape  en  faveur  de  la  paix  et  de  la  croisade,  prise  de 
Tunis  et  visite  de  Charles-Quint  a  Rome,  conférences  de  Nice,  la 
Sainte-Ligue  et  la  guerre  contre  les  Turcs;  v,  la  Question  con- 
ciliaire de  1539  à  15kl  ;  enfin  les  chapitres  vin  à  xm,  qui  exposent 
les  faits  d'une  façon  continue  depuis  1541  jusqu'à  la  mort  du  pape. 
Le  récit  de  l'auteur  se  fonde  principalement  sur  les  deux  grandes 
séries  de  publications  documentaires  qu'il  avait  à  sa  disposition  : 
les  tomes  I-IV,  VIII-X  des  Nuntiaturberichte  aus  Deutschland 
(en  outre  le  tome  V  communiqué  en  bonnes  feuilles),  d'autre  part,  les 
matériaux  pour  l'histoire  du  Concile  de  Trente  jusqu'à  présent  édités 
sous  la  direction  de  Mgr  Elises.  En  revanche,  les  papiers  des  nonces 
en  France  restent  toujours  inédits.  M.  Pastor  ne  cite  cette  nonciature 
que  dans  trois  ou  quatre  notes  sans  importance  :  c'est  là  une  lacune 
dont  il  n'est  nullement  responsable  et  qu'il  nous  appartient  particu- 
lièrement, à  nous  Français,  de  déplorer,  mais  qui  nous  paraît  grave 
pour  la  connaissance  de  Paul  III  et  de  sa  diplomatie. 

Le  chapitre  n  étudie  les  travaux  des  commissions  romaines  de 
réforme  ecclésiastique  avant  le  Concile  de  Trente,  la  transfor- 
mation du  Sacré-Collège.  On  regrettera  que  M.  Pastor  n'ait  pas 
explicitement  rapporté  les  décisions  prises  par  les  cardinaux  réforma- 
teurs, mais  simplement  renvoyé,  p.  141,  n.  1,  p.  147,  n.  2,  à  d'autres 
ouvrages.  Lui-même  reconnaît  qu'il  est  bien  difficile  de  savoir  ce  qui 
fut  vraiment  exécuté  ;  seules  des  monographies  des  différentes  insti- 
tutions :  daterie,  pénitencerie,  chambre,  pourront  nous  renseigner. 

1.  Cf.  ce  que  nous  en  avons  dit,  à  propos  du  tome  IV,  dans  la  Revue  histo- 
rique, t.  XCVII,  n  (1908),  p.  418-423. 


L.    VON    PASTOR    :    GESCHICHTE   DER   PAPSTE.  175 

Parmi  les  pièces  justificatives,  p.  823-827,  un  curieux  édit  de  1536 
pour  la  réforme  du  clergé  de  la  ville  de  Rome. 

Dans  le  cours  du  chapitre  iv,  consacré  à  l'état  de  l'Église,  à  l'élé- 
vation de  la  famille  Farnèse  jusqu'en  1538,  se  trouve  une  étude  de 
la  vie  de  cour  à  Rome  et  des  fêtes  du  Carnaval  sous  Paul  III  qui  met 
en  valeur  l'autre  aspect,  encore  très  païen,  de  ce  pontificat  à  double 
face.  On  remarquera  cette  cavalcade  du  carnaval  de  1545  :  des  figu- 
rations antiques  accompagnées  d'édifiantes  inscriptions  explicatives, 
par  exemple  Androclès  et  le  lion,  symbolisant  les  hérétiques  qui  ont 
recours  au  pape. 

Sur  l'évolution  de  l'esprit  réformateur  pendant  le  pontificat,  il  faut 
se  reporter  d'abord  à  la  fin  du  chapitre  v,  où  l'auteur  suit,  jusqu'à  la 
mort  de  Contarini  en  1542,  l'action  des  tendances  libérales  que  person- 
nifiait ce  cardinal,  et  la  réaction  des  tendances  conservatrices  et  répres- 
sives. Les  progrès  de  ce  nouvel  esprit,  représenté  par  le  cardinal 
Caraffa,  sont  exposés  au  chapitre  xiv.  Là  en  effet,  entre  Y  achèvement 
de  la  révolution  religieuse  en  Angleterre  et  en  Scandinavie  et  la 
propagation  du  christianisme  hors  d'Europe,  l'examen  de  la  pro- 
pagande protestante  en  France,  Pologne  et  Italie  amène  à  la  fon- 
dation de  l'inquisition  romaine.  A  ce  propos,  on  remarquera  cette 
note  p.  712,  n.  3  :  «  A  la  fin  de  1901,  je  fis  une  première  requête,  qui 
fut  suivie  de  deux  autres,  pour  être  admis  à  consulter  les  archives  de 
l'inquisition  romaine.  Tout  ce  que  j'ai  pu,  après  quatorze  mois  de 
démarches,  apprendre  de  l'archiviste,  le  P.  G.  M.  van  Rossum,  c'est 
que  pour  l'époque  de  Paul  III  rien  n'a  subsisté  des  procès  intentés 
pour  hérésie,  tandis  qu'en  revanche  les  décréta  de  l'inquisition  sont 
conservés.  Le  droit  d'examiner  ces  derniers  documents  m'a  été,  mal- 
gré la  recommandation  la  plus  haute,  absolument  refusé.  »  Sur  la  dif- 
fusion des  idées  protestantes  en  Italie,  M.  Pastor  signale,  p.  703,  de 
très  importants  documents  nouveaux  par  lui  trouvés  soit  au  Vatican 
(une  lettre  d'Aléandre),  soit  dans  les  archives  générales  de  l'ordre  des 
Ermites  de  Saint- Augustin  à  Rome.  Il  doit  les  publier  dans  son  recueil 
d'Acta  inedita.  Souhaitons  qu'il  ne  tarde  point. 

Toute  cette  partie  du  livre  est,  on  le  voit,  un  peu  dispersée.  La  con- 
version au  protestantisme  du  capucin  B.Ochino,  qui  a  provoqué 
dans  les  esprits  une  crise  très  grave,  est  racontée  à  trois  reprises  au 
chapitre  v,  au  chapitre  xiv  et  au  chapitre  vi  à  propos  de  l'ordre  des 
Capucins. 

Dans  les  chapitres  vi  et  vu,  M.  Pastor  expose  en  effet  dans  son 
ensemble  l'activité  réformatrice,  d'abord  des  Théatins,  des  Barnabites, 
des  Ursulines,  des  Capucins,  puis  d'Ignace  de  Loyola  et  de  la  Société 
de  Jésus.  Le  ton  est  presque  hagiographique  (cf.  p.  363).  Le  long  récit 
de  la  vie  d'Ignace,  des  progrès  de  ses  compagnons  en  Europe,  de  leur 
activité  à  Trente,  l'analyse  superficielle  des  exercices  spirituels,  celle 
très  détaillée  des  constitutions  (qui  sont  cependant  seulement  de  1550) 
sont  loin  d'avoir  la  pénétration  des  pages  consacrées  aux  étapes  de  la 


176  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

pensée  du  fondateur,  aux  circonstances  qui  ont  progressivement 
déterminé  le  caractère  de  la  Compagnie,  par  M.  II.  Boehmer  dans  son 
petit  livre  sur  les  Jésuites,  récemment  traduit  par  M.  G.  Monod.  La 
seconde  édition  allemande  de  ce  livre  est  de  1907;  cependant,  dans  sa 
riche  bibliographie,  M.  Pastor  ne  l'a  pas  cité. 

Parmi  les  pièces  justificatives,  un  relevé  (p.  863-867)  des  brefs  de 
Paul  III  intéressant  les  réformes  (uniquement  des  réformes  de  cou- 
vents), des  dépouillements  analogues  pour  l'œuvre  de  certains  prélats 
réformateurs,  Marcello  Cervini,  comme  évèque  de  Reggio,  le  cardinal 
Morone,  légat  à  Bologne,  sont  commentés  au  début  du  chapitre  vi. 

Le  chapitre  xv,  Paul  III  Mécène  des  lettres  et  des  arts,  se  com- 
pose d'une  série  de  notices.  Signalons  notamment  des  extraits  de 
comptes  sur  la  décoration  de  la  voûte  de  la  Sala  Regia  et  de  la  cha- 
pelle Pauline,  les  impressions  produites  sur  les  premiers  spectateurs 
par  le  Jugement  dernier  de  la  Sixtine,  d'après  le  cardinal  Gonzague. 
C'est  une  décision  de  la  congrégation  du  Concile  du  20  janvier  1564, 
un  mois  avant  la  mort  de  Michel-Ange,  qui  a  ordonné  de  couvrir  les 
nudités  de  la  fresque. 

Comme  les  précédents,  ce  nouveau  livre  de  l'historien  catholique  des 
papes  est  un  guide  d'une  surabondante  richesse  à  travers  les  faits  et 
la  bibliographie.  Dans  ce  long  exposé  narratif,  les  discussions  critiques 
sont  rares  :  de  simples  notes  signalent  et  résolvent  un  peu  vite,  p.  35, 
n.  5,  la  controverse  soulevée  par  M.  Friedensburg  sur  la  sincérité  de 
Paul  III  lors  de  ses  premières  démarches  pour  la  réunion  du  Concile; 
p.  336  et  337,  les  discussions  sur  l'orthodoxie  des  idées  de  Contarini 
et  de  ses  amis.  Pas  de  jugement  final  sur  ce  pontificat  de  transition  ; 
les  pages  de  l'introduction,  Charakteristik  Pauls  III,  n'en  tiennent 
pas  lieu  suffisamment.  Comme  composition  et  comme  forme,  le 
«  Paul  III  »  de  M.  Pastor  nous  semble  inférieur  à  son  «  Léon  X  ». 

Pierre  Bourdon. 


Rétif  de  la  Bretonne.  Aventures  galantes  des  dames  du 
XVIIIe  siècle,  publiées  par  M.  J.  Grand  -Carteret.  Paris, 
Louis  Michaud,  1910.  In-8°,  450  pages. 

—  Les  Nuits  révolutionnaires.  Impressions  et  récits  contempo- 
rains publiés  avec  une  introduction  par  P.  Funck-Brentano  et 
illustrés  d'après  les  documents  du  temps.  Paris,  A.  Fayard, 
1910.  In-4°,  170  pages. 

M.  Funck-Brentano  a  extrait  de  l'énorme  fatras  des  Nuits  de  Paris 
de  Rétif  de  La  Bretonne  ce  qui,  dans  les  XVe  et  XVIe  parties  parues 
en  1790  et  1794,  a  le  caractère  de  récits  historiques  ou  de  tableaux  de 
la  vie  parisienne.  On  se  tromperait  si  l'on  croyait  trouver  dans  ces 
récits  beaucoup  de  choses  nouvelles.  On  est  même  étonné   qu'un 


RÉTIF    DE   LA    BRETONNE    :    LES   NUITS   RÉVOLUTIONNAIRES.  177 

homme  qui,  comme  Rétif,  vivait  dans  la  rue  et  se  qualifiait  lui-même 
de  «  hibou  »  ou  «  spectateur  nocturne  »  n'ait  pas  eu  occasion  de  voir 
plus  de  choses  restées  inconnues  aux  autres  témoins  contemporains. 
Et,  de  plus,  on  ne  peut  se  défendre  d'une  assez  grande  méfiance  sur 
l'exactitude  de  quelques  détails  de  ces  récits  (par  exemple  l'étrange 
histoire  du  Suisse  et  de  la  dame  mystérieuse  le  soir  de  la  fuite  de 
Varennes,  p.  87),  bien  que  Rétif  ait  pourtant  le  souci  d'être  vrai  et 
que  l'un  des  principaux  mérites  de  ses  narrations  soit  dans  les  frag- 
ments de  conversations  ou  d'aventures  inachevées  dont  elles  sont  par- 
semées. Rétif,  écrivain  inculte,  lourd  et  incorrect,  est  dépourvu  de 
tout    talent  narratif.   Ce    qui   fait  l'intérêt   des    pages  extraites  par 
M.  Funck-Brentano,  c'est  la  tranquillité  lente  et  l'espèce  de  candeur 
avec  laquelle  il  raconte  ce  qu'il  a  vu  ou  entendu  depuis  le  pillage  de 
la  maison  Réveillon  jusqu'à  l'exécution  de  Marie-Antoinette,  entre- 
mêlant ses  récits  de  réflexions  politiques  où  se  reflète  exactement  la 
mentalité  de  la  population  parisienne.  Nulle  part,  je  pense,  on  ne 
peut  mieux  se  rendre  compte  du  mélange  de  sentiments  généreux  et 
brutaux,  de  raisonnements  sensés  et  stupides,  d'entraînements  ins- 
tinctifs qui  a  fait  passer  les  masses  des  rêves  de  fraternité  et  de  liberté 
et  de  la  foi  monarchique  des  premiers  jours  de  la  Révolution  à  la  sau- 
vagerie tyrannique  de  la  Terreur.   Rétif,  qui  est  une  âme  sensible 
et  qui  se  croit  philosophe,  tout  en  ressentant  de  l'horreur  devant  les 
actes  de  cannibalisme  dont  la  Révolution  fut  souillée  dès  les  premiers 
jours,  suit  aveuglément  les  instincts  des  foules  et  trouve  toujours  des 
raisons  d'approuver  tout  ce  qu'elles  font  ou  approuvent.  Avec  une 
égale  sincérité,  il  s'attendrit  d'admiration  sur  les  vertus  et  la  bonté  de 
Louis  XVI  lorsqu'il  rentre  à  Paris  après  les  journées  d'octobre  1789 
et  sur  le  triomphe  de  Marat  acquitté  par  le  tribunal  révolutionnaire  ; 
il  trouve  des  justifications  ou  des  excuses  pour  toutes  les  violences, 
pour  les  massacres  de  Septembre  ou  la  proscription  des  Girondins, 
comme  il  applaudira  plus  tard  au  18  brumaire.  C'est  là  ce  qui  fait  le 
prix  de  ces  pages  ternes,  traînantes  et  pourtant  vivantes  ;  elles  sont 
un  miroir  grossier,  mais  fidèle,  où  l'on  saisit  mieux  qu'ailleurs  l'état 
d'agitation,  de   désordre,  d'insécurité,  d'inquiétude,  d'oppression,  de 
tristesse  et  de  peur  qui  a  pesé  sur  Paris  pendant  les  années  1789 
à  1794  et  le  fatal  enchaînement  des  actes,  des  pensées  et  des  senti- 
ments du  peuple  entraîné  par  le  mouvement  révolutionnaire.  Mais, 
quoi  qu'en  dise  M.  Funck-Brentano  dans  la  très  intéressante  intro- 
duction où  il  a  admirablement  retracé  les  vicissitudes  de  la  carrière 
de  Rétif  de  La  Bretonne  et  les  misères  de  ses  dernières  années  et  ana- 
lysé son  état  d'esprit  pendant  la  Révolution,  nous  ne  trouvons  pas 
trace,    chez  ce    fatigant   bavard,   du    «    génie    »    que   M.   Funck   y 
découvre,  et  nous  croyons  que  l'histoire  ne  tirera  rien  de  très  nouveau 
des  extraits  des  Nuits  de  Paris.  Je  ferai  une  exception  pour  les 
pages    consacrées    aux   massacres   de   Septembre,  qui  abondent  en 
détails  d'une  précision  sinistre  et  donnent  une  idée  très  complète  de 
A:;       Histor  .  CV.  1er  fasc.  12 


178  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

l'aspect  do  Paris  pendant  que  se  déroulaient  ces  scènes  de  sauvagerie 
et  de  luxure,  auxquelles  Rétif  bien  entendu  finit  par  trouver  une  expli- 
cation dans  la  nécessité  de  se  débarrasser  des  prêtres  réfractaires. 
Utilisons  pour  la  connaissance  du  xvme  siècle  les  verbeux  et  plats 
ouvrages  que  Rétif  a  accumulés  pendant  sa  longue  vie  ;  mais  ne 
cédons  pas  à  la  tendance  qui  se  manifeste  depuis  quelque  temps  d'en 
faire  un  grand  écrivain  ou  un  peintre  de  mœurs  très  remarquable. 
M.  Grand-Carteret  a  récemment  publié  un  volume  <¥  Aventures 
galantes  des  dames  du  XVIIIe  siècle,  extraites  de  l'immense  fatras 
des  Contemporains.  On  les  lira  avec  curiosité,  parce  que  ce  sont  des 
faits  divers  empruntés  vraisemblablement,  comme  l'affirme  Rétif,  à 
la  vie  réelle;  mais  on  sera  rebuté  par  leur  platitude  et  la  prolixité  de 
ces  nouvelles  qui  font  triste  figure  à  côté  des  petits  chefs-d'œuvre 
laissés  par  les  conteurs  galants  du  xvme  siècle,  de  Marmontel  à 
Laclos. 

G.  Monod. 


Recherches  sur  la  ville  et  sur  l'église  de  Bayonne.  Manuscrit 
du  chanoine  René  Veillet,  publié  pour  la  première  fois  avec  des 
notes  et  des  gravures  par  M.  l'abbé  V.  Dubarat  et  M.  l'abbé 
J.-B.  Daranatz,  chanoines  honoraires  de  Bayonne.  Tome  I. 
Bayonne,  Lasserre;  Pau,  Lafon  et  Ribaut,  1910.  In-4°,  cvin- 
579  pages.  Prix  :  50  fr. 

L'auteur  de  ces  Recherches,  le  chanoine  René  Veillet,  naquit  à 
Bayonne  en  mai  1639  et  mourut  le  22  février  1714.  Après  avoir  étudié 
pendant  quatorze  ans  à  l'Université  de  Paris  la  philosophie  et  la  théo- 
logie (1658-1672),  il  entra  au  service  du  duc  de  Montausier,  dont  il 
quitta  la  maison  en  1686,  avec  une  pension  de  1,500  livres  par  an.  Il 
revint  alors  dans  sa  ville  natale,  où  il  avait  su  ne  pas  se  faire  oublier. 
Il  était  déjà  chanoine  théologal  à  la  cathédrale;  il  devint  vicaire 
général  en  1693,  officiai  en  1700,  vicaire  capitulaire  et  officiai  en  1708; 
chacune  de  ces  nominations  paraît  avoir  été  obtenue  à  la  suite  d'efforts 
ou  d'intrigues  sur  lesquels  l'auteur  de  la  préface,  M.  l'abbé  Daranatz, 
donne  d'abondants  renseignements. 

C'est  par  l'archéologie  que  Veillet  fut  amené  à  l'histoire.  «  C'est 
par  pur  hasard  »,  dit-il  lui-même  (p.  lxxiii),  «  que  je  me  suis  engagé 
à  la  composition  de  cet  ouvrage.  En  regardant  un  jour  la  haute  voûte 
de  notre  église  cathédrale,  j'y  découvris  de  certaines  armes  qui,  ne 
m'étant  pas  inconnues,  me  firent  conjecturer  que  cette  partie  de 
l'église  avait  été  bâtie  durant  ou  à  peu  près  la  vie  de  celui  qui  avait 
porté  ces  armes...  et  peu  à  peu  j'ai  poussé  ma  curiosité  jusqu'à  vouloir 
découvrir  en  quel  temps  chaque  partie  de  ce  grand  édifice  avait  été 
construite  »  ;  puis  il  poussa  ses  recherches  «  dans  tout  le  corps  de 
l'église,  refouillant  dans  les  archives  du  chapitre,  parcourant  quelques 


R.  VEILLET  :  RECHERCHES  SUR  LA  VILLE  ET  l'e'gLISE  DE  RAYONNE.   179 

anciens  registres  de  l'hôtel  de  ville,  déchiffrant  beaucoup  de  vieux  titres 
dans  nos  plus  anciennes  communautés  et  dans  quelques  maisons  parti- 
culières ».  C'est  ainsi  qu'il  connut  et  utilisa  largement  le  Livre  d'or  de 
Bayonne,  dont  on  nous  annonce  comme  très  prochaine  une  édition 
critique1.  Il  ne  manquait  pas  de  guides  ou  de  modèles  :  Oihénart  et 
les  frères  de  Sainte-Marthe,  qui  avaient  établi  la  succession  des  évêques 
depuis  le  légendaire  saint  Léon,  Marca,  qui  avait  publié  tant  de  textes 
précieux  sur  le  Béarn  et  les  pays  voisins  durant  le  haut  moyen  âge, 
Lopès,  l'historien  de  l'église  Saint-André  de  Bordeaux,  dont  il  paraît 
s'être  inspiré,  du  moins  dans  les  lignes  très  générales2.  A  côté  de  ces 
érudits  que  l'on  n'a  cessé  de  révérer,  Veillet  place  en  outre  Com- 
paigne,  qui  a  perdu  tout  crédit  auprès  des  historiens  depuis  qu'il  a 
été  convaincu  d'avoir  falsifié  des  documents3.  Les  années  de  prépa- 
ration furent  longues  :  la  seconde  partie  ne  fut  pas  rédigée  avant  1706 
et  son  ouvrage  était  à  peine  terminé  quand  il  mourut. 

Il  est  resté  manuscrit  pendant  deux  siècles,  mais  non  ignoré.  La 
plupart  des  historiens  bayonnais  l'on  consulté.  On  en  fit  d'assez  nom- 
breuses copies  partielles4.  Après  de  nombreuses  vicissitudes,  l'original 
parvint  enfin  aux  archives  municipales  de  Bayonne,  où  il  se  trouve 
encore  aujourd'hui5.  Il  n'est  plus  intact;  des  mains  ignorantes  l'ont 
lacéré  en  1858.  A  l'aide  des  copies  qu'on  en  possède,  on  a  pu  recons- 
tituer le  texte  intégral. 

L'œuvre  est  divisée  en  cinq  parties.  Dans  la  première,  Veillet  parle 
des  «  antiquitez  »  de  la  ville  et  de  ses  premiers  évoques,  jusqu'au 
moment  où  la  ville  changea  son  nom  de  Labourd  en  celui  de 
Bayonne  (xne  siècle)  ;  dans  la  seconde,  il  donne  la  suite  des  évêques 
proprement  dits  de  Bayonne,  depuis  le  xne  siècle  jusqu'à  l'épiscopat 
d'André  Druillet  (1707-1727),  dont  Veillet  ne  dit  rien;  dans  la  troi- 
sième, il  essaie  de  déterminer  les  époques  où  ont  été  construites  les 
différentes  parties  de  la  cathédrale;  dans  la  quatrième,  il  fait,  pour 

1.  Le  Livre  d'or  est  le  cartulaire  de  la  cathédrale  de  Bayonne;  on  y  a  trans- 
crit 96  documents,  dont  le  plus  ancien  est  la  charte  d'Arsius  (vers  980)  et  le 
plus  récent  est  de  1310.  Il  est  aujourd'hui  aux  archives  départementales  des 
Basses-Pyrénées.  M.  Dubarat  en  a  donné  une  analyse  détaillée  dans  ses  Études 
d'histoire  locale  et  religieuse,  t.  I,  p.  17;  une  édition,  préparée  par  feu  l'abbé 
Bidache,  est  en  cours  d'impression  [Recherches,  p.  32,  note  8;  p.  38,  note  2; 
p.  100,  note  2). 

2.  Voir  Préface,  p.  lxxv. 

3.  Bertrand  de  Compaigne,  avocat  du  roi  au  présidial  de  Dax,  est  l'auteur 
d'un  Catalogue  des  evesques  d'Acqz  et  d'une  Chronique  de  la  ville  et  diocèse 
de  Bayonne.  Il  a  inséré  dans  le  premier  de  ces  ouvrages  une  charte  pour 
l'abbaye  de  Divielle  qui  est  un  faux  manifeste  (voir  les  articles  de  MM.  Duba- 
rat et  Degert  dans  les  Études  historiques  et  religieuses  du  diocèse  de  Bayonne, 
en  juin  et  juillet  1898).  «  La  probité  historique  et  professionnelle  du  magistrat 
dacquois  en  sort  fort  amoindrie  »  [Recherches,  p.  18,  note  3). 

4.  Une  liste  de  18  de  ces  copies  est  donnée  dans  la  Préface,  p.  lxxi-lxxii, 

5.  Il  a  été  donné  par  M"°  Julie  Lesseps  en  1864. 


180  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

employer  ses  propres  expressions  (p.  3),  «  une  petite  histoire  des  cha- 
noines des  églises  cathédrales  en  général;  de  leur  origine,  fonctions, 
manière  de  vivre,  noms,  droits,  dignitez,  relachemens  et  réformes  »  ; 
dans  la  cinquième  enfin,  il  note  les  faits  les  plus  importants  con- 
cernant le  chapitre  de  Bayonne  et  ses  rapports  avec  l'évèque,  avec  les 
prébendiers  et  avec  le  «  corps  de  ville  ».  Dans  le  tome  I,  que  nous 
annonçons  aujourd'hui,  figurent  les  trois  premières  parties;  les 
deux  autres  paraîtront  dans  le  tome  II  qui  contiendra  en  outre  une 
dissertation  sur  la  célèbre  inscription  d'Hasparren  communiquée  par 
Veillet  aux  Mémoires  de  Trévoux  (1704).  Nous  posséderons  donc 
l'œuvre  entière  du  docte  chanoine.  Elle  nous  est  présentée  avec  la  plus 
scrupuleuse  fidélité;  on  en  a  reproduit  les  ratures,  les  remaniements, 
les  additions,  l'orthographe  ;  on  la  traite  avec  autant  de  piété  et  d'amour 
que  s'il  s'agissait  d'une  grande  œuvre. 

Mérite-t-elle  qu'on  lui  fasse  tant  d'honneur?  Sans  doute,  Veillet  fut 
un  chercheur  consciencieux  et,  sur  plus  d'un  point  délicat,  il  fit  preuve 
de  sagacité;  mais  il  manque  aussi  trop  souvent  d'esprit  critique, 
par  exemple,  quand  il  accepte,  sans  réserve,  les  récits  légendaires 
concernant  saint  Léon,  l'apôtre  et  le  patron  de  l'église  cathédrale1,  ou 
certains  actes  faux  mis  en  circulation  par  Compaigne.  Ce  qu'il  dit  des 
Wisigoths  et  des  Normands  prouve  combien  étaient  incertaines  ses 
notions  sur  l'époque  mérovingienne  ou  carlovingienne.  Que  nous 
apprend-il  aujourd'hui  de  nouveau,  de  vraiment  important?  Pour  la 
partie  ancienne,  sa  principale  source  est  le  Livre  d'or;  qui  consultera 
Veillet  quand  nous  aurons  le  texte  même  du  cartulaire  de  la  cathé- 
drale? En  vérité,  son  ouvrage  aurait  pu  rester  inédit  sans  grand  dom- 
mage pour  nos  connaissances,  et  l'on  se  prend  à  regretter  la  dépense 
considérable  de  temps  et  de  savoir  qu'il  en  a  coûté  à  MM.  Dubarat  et 
Daranatz. 

Ceux-ci  en  effet  se  sont  acquittés  de  leurs  devoirs  d'éditeurs  de  la 
manière  la  plus  digne  d'éloge.  La  préface  contient  des  indications 
très  étendues  sur  René  Veillet,  sur  son  père,  Jean  Veillet,  sur  son 
grand-père,  Pierre  Veillet,  dont  le  nom  paraît  pour  la  première  fois 
à  Bayonne  en  1606,  sur  les  nombreux  frères  et  sœurs  du  chanoine 
(Jean  Veillet  n'eut  pas  moins  de  dix-neuf  enfants),  sur  les  familles 

1.  La  légende  de  saint  Léon  paraît  avoir  été  fabriquée  au  xvne  siècle.  L'abbé 
de  Saint-Cyran  est  l'auteur  de  leçons  sur  l'office  de  ce  saint  que  Veillet  a  eu  le 
tort  de  prendre  au  sérieux.  Les  auteurs  des  Recherches  paraissent  éprouver  une 
certaine  satisfaction  à  dénoncer  cette  supercherie  littéraire;  mais  ce  qu'ils 
reprochent  surtout  au  «  trop  célèbre  abbé  »,  c'est  son  jansénisme  (p.  56,  note  5  ; 
p.  58,  note  4);  de  même,  s'ils  qualifient  Le  Nain  de  Tilleinont  de  «  très  célèbre 
historien  ecclésiastique  »,  ils  ne  peuvent  s'empêcher  d'ajouter  ce  regret  :  «  Il  eut 
le  malheur  de  donner  dans  le  jansénisme  et  en  fut  un  des  principaux  adeptes  » 
(p.  30,  note  1).  Ce  sont,  d'ailleurs,  avec  quelques  remarques  sur  la  constitu- 
tion civile  du  clergé,  à  peu  près  les  seules  traces  de  parti  pris  qu'on  puisse 
relever  dans  l'ouvrage.  C'est  bien  innocent. 


11.  VEILLET  :  RECHERCHES  SUIl  LA  VILLE  ET  l'ÉGLISE  DE  BAYONNE.       181 

alliées  :  les  Lahet,  les  Lesseps1.  Quant  au  texte,  il  est  annoté  avec 
une  déférente  sobriété,  mais  avec  le  souci  de  ne  laisser  rien  passer  qui 
doive  être  repris.  Or,  les  éditeurs  sont  des  érudits  qui  connaissent  à 
fond  l'histoire  religieuse  de  leur  ville  et  de  leur  diocèse.  L'un  d'eux, 
M.  Dubarat,  est  particulièrement  connu  par  la  sûreté  et  l'étendue  de 
son  érudition.  Dans  une  édition  et  commentaire  du  Missel  de  Bayonne 
de  15k3,  il  avait  déjà  traité  en  détail  la  plupart  des  problèmes  que  pose 
la  lecture  des  Recherches  et  il  a  suffi  le  plus  souvent  d'y  renvoyer. 
L'annotation  est  donc  aussi  substantielle  que  bien  informée;  elle  devra 
être  consultée  par  tous  ceux  qui  auront  à  s'occuper  de  l'histoire  reli- 
gieuse de  Bayonne. 

Quant  à  l'histoire  civile,  elle  n'apparaît  que  tout  à  fait  à  l'arrière- 
plan2. 

Veillet,  on  l'a  déjà  dit,  n'a  pas  poussé  l'histoire  des  évêques  de 
Bayonne  plus  loin  que  l'année  1707.  Les  éditeurs  ont  jugé  utile  de 
continuer  l'œuvre  de  leur  confrère  jusqu'à  nos  jours.  Toute  la  fin  de 
la  seconde  partie  (p.  255-329)  est  donc  leur  œuvre  propre.  On  leur  saura 
gré  de  cette  addition. 

C'est  affaire  aux  archéologues  d'apprécier  la  valeur  de  la  3e  partie, 
où  Veillet  parle  de  l'époque  où  fut  fondée  l'église  cathédrale  de  Bayonne, 
des  différentes  époques  de  sa  construction,  de  sa  décoration,  etc.;  mais 
il  importe  de  signaler  une  suite  de  planches  où  sont  reproduits  diffé- 
rents aspects  de  la  cathédrale,  des  sculptures,  quelques  tableaux 
anciens,  tous  les  vitraux.  Il  faut  d'ailleurs  faire  cette  remarque  que  le 
volume  est  illustré  par  un  grand  nombre  de  gravures,  de  cartes,  de 
plans3,  de  fac-similés4  généralement  bien  choisis  et  bien  placés.  La 
partie  artistique  a  été  dirigée  par  des  hommes  de  science  et  de  goût. 

Une  assez  grande  place  est  donnée  à  la  fin  du  volume  aux  documents 

1.  Voir,  en  regard  de  la  p.  xli,  le  tableau  généalogique  des  Lahet  depuis  le 
milieu  du  xve  siècle  et,  pages  xlii-xlvii,  les  notes  sur  la  famille  de  Lesseps  à 
laquelle  appartenait  M11"  Julie  Lesseps,  qui  fut  le  dernier  possesseur  du  manus- 
crit de  Veillet,  et  Ferdinand  de  Lesseps,  le  créateur  du  canal  de  Suez. 

2.  A  noter  cependant  de  très  utiles  remanpies  sur  les  enceintes  de  Bayonne, 
avec  plusieurs  plans  de  la  ville,  dont  un  a  été  gravé  sur  les  indications  mêmes 
de  Veillet.  En  dehors  de  la  constitution  donnée  à  la  ville  par  la  charte  de  Jean 
Sans-Terre  en  1215  (on  aurait  dû  à  propos  rappeler  au  moins  ce  qu'en  a  dit 
Giry  dans  ses  Établissements  de  Rouen),  Veillet  ne  dit  presque  rien  des  insti- 
tutions municipales  au  temps  de  la  domination  anglaise,  mais  il  s'étend  lon- 
guement sur  la  constitution  de  1482. 

3.  Certaines  gravures  sont  même  répétées;  ainsi  une  vue  cavalière  du  cou- 
vent des  Jacobins  (essai  de  restauration  par  Rohault  de  Fleury),  p.  114  et  119; 
le  plan  de  la  cathédrale  au  xvie  siècle,  p.  354  et  379. 

4.  On  retrouve  ici,  en  face  de  la  p.  38,  le  fac-similé  de  la  charte  d'Arsius, 
le  premier  évêque  connu  de  Bayonne  après  saint  Léon;  cette  charte,  dont  nous 
n'avons  d'ailleurs  qu'une  copie  exécutée  au  xi°  ou  au  xii"  siècle,  est  fausse  ou 
interpolée,  «  car  les  signataires  du  document  ne  vivaient  pas  à  la  même 
époque  »  [Recherches,  p.  39,  note  3).  Une  transcription  en  est  donnée  p.  401. 


182  COMPTES- KEN  DUS   CRITIQUES. 

et  aux  pièces  justificatives  (p.  395-542).  On  aurait  pu  sans  dommage 
en  éliminer  quelques-uns,  par  exemple  la  dissertation  de  Nicolas 
Sanson  sur  le  nom  primitif  de  Bayonne  et  la  Civitas  Boatium;  en 
abréger  certains  autres,  tels  que  les  emprunts  faits  aux  Annales 
archéologiques  de  Didron;  mais  il  est  vrai  qu'il  est  commode  de  trou- 
ver réunis  en  un  même  volume  l'ensemble  des  textes  relatifs  à  un 
même  objet.  Par  contre,  des  textes  comme  les  testaments  de  plusieurs 
membres  des  familles  de  Lahet  et  de  Castelnau,  les  fondations  et 
obits  pour  ces  mêmes  familles  (xvie-xvnc  siècles),  les  actes  relatifs  à 
Jean  Sossiondo,  évêque  de  Bayonne,  mort  en  1578,  et  à  la  maison 
qu'il  possédait  à  Ascaim  (avec  de  jolies  reproductions  photographiques), 
etc.,  seront  lus  avec  profit.  On  nous  promet  pour  le  tome  II  des  tables 
onomastiques  très  détaillées;  elles  sont  indispensables,  en  effet,  pour 
qu'on  puisse  utiliser  la  masse  vraiment  imposante  de  renseignements 
contenus  dans  cette  publication  si  estimable  et  qui  rendra  de  si  réels 
services'1. 

Ch.  BÉMONT. 


Georges  Bousquet.  Histoire  du  peuple  bulgare  depuis  les  ori- 
gines jusqu'à  nos  jours.  Paris,  Chaix.  In-12,  n-435  pages. 

La  nation  bulgare  présente  un  des  phénomènes  les  plus  curieux  de 
résurrection  que  l'on  trouve  dans  l'histoire  de  la  péninsule  des  Balkans. 
Constituée  au  vne  siècle  par  le  mélange  de  conquérants  d'origine 
turque  avec  une  population  slave,  entrée  au  ixe  siècle  dans  le  cercle 
des  nations  civilisées,  grâce  à  sa  conversion  au  christianisme,  elle 
devint  sous  le  tsar  Siméon  une  des  grandes  puissances  de  la  pénin- 
sule et  menaça  Constantinople.  Une  première  fois,  à  la  suite  de  la 
conquête  byzantine,  cette  nation  disparut  de  l'histoire  et  pendant  près 
de  deux  siècles  son  territoire  devint  un  thème  impérial.  Cependant, 
l'hellénisme  ne  put  en  venir  à  bout  et  elle  se  réveilla  à  la  fin  du 
xiie  siècle  avec  la  dynastie  des  Asen.  Ce  second  empire  bulgare  dis- 
parut à  son  tour  devant  la  conquête  turque  au  XIVe  siècle  et  cette  fois 
la  nation  bulgare  semblait  bien  morte.  Elle  devait  cependant  ressus- 
citer une  seconde  fois  au  xixe  siècle,  et  aujourd'hui  l'État  bulgare, 
après  avoir  conquis  son  indépendance,  est  redevenu  comme  au  temps 
des  anciens  tsars  un  des  facteurs  les  plus  importants  de  la  politique 
orientale. 

Telle  est  l'histoire  si  attachante  que  M.  Bousquet  a  racontée  dans 

1.  Il  y  a,  p.  565-566,  une  assez  longue  liste  de  corrections  et  d'additions.  Si 
l'on  en  donne  une  seconde  au  t.  H,  on  pourra  corriger  la  note  vraiment  trop 
insuffisante  sur  Walsingham,  p.  180,  et  les  noms  des  éditeurs  des  Rôles  gascons 
(p.  402).  Il  faut,  je  crois,  faire  imprimer  Francisque-Michel  (avec  un  trait 
d'union)  et  il  faut  certainement  changer  le  prénom  de  Bémont  (Charles  au 
lieu  de  Paul). 


GEORGES   BOUSQUET    :    HISTOIRE    DU    PEUPLE   BULGARE.  183 

un  volume  clair  et  agréable  à  lire,  qui  comble  une  des  lacunes  de 
notre  littérature  historique.  Ce  qui  donne  à  cette  étude  une  valeur 
spéciale,  c'est  que  l'auteur,  établi  en  Bulgarie  depuis  plusieurs  années, 
en  a  appris  la  langue,  a  parcouru  le  pays  et  a  reçu  des  informations 
directes  sur  une  partie  des  événements  qu'il  raconte.  Il  a  écrit  son 
livre  avec  une  sympathie  très  vive  pour  cette  démocratie  de  paysans, 
d'extérieur  un  peu  rude,  mais  pleine  de  vitalité  et  curieuse  de  la  cul- 
ture moderne  ;  il  n'en  a  pas  moins  montré  dans  le  récit  des  événe- 
ments qui  se  sont  passés  sous  nos  yeux  une  véritable  impartialité  et 
il  n'a  jamais  quitté  le  ton  objectif  de  l'histoire.  Bien  qu'il  se  défende 
dans  son  avant-propos  d'écrire  une  œuvre  d'érudition,  M.  Bousquet 
est  bien  informé  des  travaux  dont  la  Bulgarie  a  été  l'objet;  c'est 
cependant  de  ce  côté  que  l'on  peut  faire  quelques  réserves  et  signaler 
quelques  améliorations  possibles. 

L'histoire  bulgare  du  moyen  âge  ne  comprend  que  le  quart  du 
volume.  Elle  est  exposée  avec  clarté  et,  avec  un  souci  parfait  de  la 
composition,  l'auteur  a  su  se  restreindre  à  son  sujet  sans  raconter 
toute  l'histoire  de  la  péninsule  des  Balkans  pendant  cette  période.  A 
propos  des  Bulgares  primitifs,  il  est  fâcheux  qu'il  n'ait  tiré  aucun 
parti  des  belles  fouilles  exécutées  par  l'Institut  archéologique  russe  de 
Constantinople  à  Aboba-Pliska  (voy.  Rev.  hist.,  t.  XCVII,  p.  207); 
c'est  un  des  témoignages  les  plus  importants  que  l'on  possède  sur  les 
Bulgares  au  moment  de  leur  conversion  au  christianisme.  De  même 
la  connaissance  de  l'histoire  byzantine,  si  intimement  liée  à  celle  des 
Bulgares,  n'est  pas  toujours  suffisante.  Parler  d'intrigues  de  harem 
dans  la  Constantinople  impériale  (p.  11)  est  un  anachronisme,  au  moins 
dans  la  forme.  L'entrevue  de  Romain  Lécapène  (p.  25)  et  du  tsar 
Siméon  en  924  est  racontée  d'une  manière  inexacte  et  aucune  allusion 
n'est  faite  à  l'attitude  pleine  de  dignité  de  l'empereur,  dont  la  fermeté 
sauva  Constantinople.  Après  la  conquête  byzantine,  le  patriarche 
devint  non  pas  évêque  (p.  48),  mais  archevêque,  et  il  est  inexact  de 
dire  que  l'Eglise  bulgare  resta  autocéphale  :  elle  fut  au  contraire  gou- 
vernée par  des  évêques  recrutés  dans  le  clergé  de  Sainte-Sophie  et 
propagateurs  fougueux  de  l'hellénisme.  Enfin,  ce  ne  sont  pas  les 
Slaves  (p.  4)  qui  ont  détruit  l'état  des  Avars,  mais  bien  les  Francs  de 
Charlemagne.  Dans  la  bibliographie,  on  s'étonne  de  ne  pas  voir  figu- 
rer des  ouvrages  aussi  importants  que  ceux  de  Gerland  sur  l'empire 
latin,  de  Jorga  sur  l'empire  ottoman,  de  Xénopol  sur  les  Roumains. 
M.  Bousquet  n'a  tenu  aucun  compte  des  résultats  des  recherches  de 
Xénopol  sur  la  formation  du  second  empire  bulgare,  où  l'élément 
valaque  joua,  au  début  du  moins,  un  rôle  plus  important  qu'il  ne  l'in- 
dique. Les  fondateurs  mêmes  de  la  dynastie,  les  Asen,  paraissent 
bien  avoir  été  des  Valaques  (Nicét.  Chon.,  éd.  de  Bonn,  p.  617)*. 

Malgré  ces  imperfections,  qu'il  serait  facile  de  faire  disparaître, 

1.  M.  Bousquet  nous  permettra. en  outre  de  lui  signaler  un  assez  grand 
nombre  de  fautes  d'impression  et  une  orthographe  des  noms  propres  décon- 


184  COMPTES-HEMIUS   CRITIQUES. 

M.  Bousquet  a  étudié  avec  beaucoup  de  précision  les  transformations 
de  la  Bulgarie  au  moyen  âge.  Il  a  donné  des  détails  curieux  sur  l'in- 
fluence dissolvante  de  la  doctrine  nihiliste  des  Bogomils,  et  dans  un 
chapitre  d'ensemble  il  a  résumé  tout  ce  que  l'on  sait  sur  l'état  social 
de  la  nation  bulgare  aux  premiers  siècles  de  son  histoire. 

L'histoire  de  la  Bulgarie  moderne  est  traitée  avec  plus  de  décails,  et 
dans  cette  partie  l'information  de  l'auteur  a  un  caractère  tout  person- 
nel qui  rend  la  lecture  de  son  livre  très  attachante.  Après  avoir 
montré  ce  qu'étaient  devenus  les  Bulgares  maltraités  par  les  pachas 
turcs  et  «  dénationalisés  »  par  les  indignes  pasteurs  que  leur  envoyait 
le  Phanar,  il  étudie  l'histoire  du  réveil  de  ce  peuple  qui  semblait  avoir 
perdu  toute  conscience  de  lui-même.  Le  mouvement  est  parti  d'abord 
des  érudits  qui  essayèrent  de  reconstituer  la  langue  et  la  littérature 
nationales.  En  1762,  l'higomnène  Païci  du  monastère  de  Kilendar  au 
mont  Athos  écrivit  une  «  Histoire  slave-bulgare  des  peuples,  des 
tsars  et  des  saints  ».  En  1800,  le  pope  Stoïko  Vladislavof  publia  le 
premier  livre  imprimé  en  bulgare.  Puis  vint  le  réveil  religieux  qui 
aboutit  en  1872  à  la  création  de  l'exarchat  et  à  la  multiplication  des 
écoles  bulgares.  Le  terrain  était  alors  préparé  pour  l'action  politique 
qui  fut  entreprise  avec  un  véritable  héroïsme  par  une  poignée 
d'hommes  au  milieu  des  difficultés  de  tout  genre  et  malgré  les  repré- 
sailles sanguinaires  des  Turcs.  Ce  qui  ressort  du  récit  de  M.  Bous- 
quet, c'est  le  patriotisme  indomptable  des  Bulgares  qui  bravent  les 
supplices  et  ne  veulent  pas  se  résoudre  à  être  de  simples  instruments 
dans  la  main  des  puissances  européennes.  Comment  la  Bulgarie  a  pu 
survivre  à  l'organisation  défectueuse  que  l'Europe  lui  avait  octroyée 
de  si  mauvaise  grâce  en  1879,  comment  elle  a  pu  se  dégager  de  la 
suzeraineté  nominale  de  la  Porte  et  de  la  suzeraineté  de  fait  de  la 
Russie,  c'est  ce  que  M.  Bousquet  raconte  dans  la  dernière  partie  de 
son  livre.  Le  caractère  brouillon  et  impulsif  du  malheureux  prince 
Alexandre,  le  régime  de  terreur  instauré  par  Stamboulof,  la  politique 
sage  et  habile  du  tsar  Ferdinand  y  sont  appréciés  en  toute  impartia- 
lité. Dans  un  chapitre  d'ensemble,  l'auteur  fait  un  tableau  du  déve- 
loppement remarquable  des  forces  intellectuelles  et  économiques  de 
la  Bulgarie  pendant  ces  vingt  dernières  années.  Comme  il  le  montre 
en  terminant,  la  nation  bulgare,  après  avoir  retrouvé  ses  titres  et 
reconquis  sa  place  en  Europe,  a  renoué  désormais  ses  traditions  et 
elle  est  à  un  nouveau  tournant  d'une  histoire  qui  s'annonce  pour  elle 
pleine  de  promesses. 

Louis  Bréhier. 

eertante  pour  le  lecteur  français  ou  même  tout  à  fait  inexacte  :  Ludovic  le 
Germain  (p.  14-16);  les  Madgyars  (p.  21);  Romain  Lacapène  (p.  23);  Nicolas 
Mislik  (p.  24);  les  Varings  (p.  52);  l'empereur  Henrique,  etc. 


NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 


Histoire  de  l'Antiquité. 


—  B.  Bouzeskoul.  Histoire  de  la  démocratie  athénienne  (en 
russe)  (Saint-Pétersbourg,  Stasioulevitch,  1909,  in-8°,  vn-468  p.)-  — 
Dans  ce  volume,  consacré  à  l'histoire  d'Athènes  des  origines  à  l'époque 
macédonienne,  l'auteur  étudie  d'abord  dans  une  courte  introduction 
les  institutions  primitives  de  la  Grèce  et  leur  évolution.  L'hypothèse 
d'un  pouvoir  monarchique  très  fort  dans  les  cités  grecques  de  l'âge 
héroïque  me  paraît  dénuée  de  fondement;  il  y  a  confusion  entre  la 
Grèce  égéenne  et  la  Grèce  homérique.  En  quatre  parties  très  substan- 
tielles, M.  Bouzeskoul  décrit  successivement  l'origine,  l'épanouisse- 
ment, les  crises  et  la  chute  de  la  démocratie  athénienne.  Une  bonne 
bibliographie,  où  figurent  les  principaux  travaux  parus  en  Occident 
et  quelques  ouvrages  russes  moins  connus,  accompagne  ce  volume. 

L.  B. 

Histoire  de  France. 

—  Aldus  Ledieu.  A  la  mémoire  de  M.  Ernest  Prarond,  1821- 
1909  (Abbeville,  impr.  A.  Lafosse,  1910,  in-8°,  xxix-97  p.).  —  M.  Pra- 
rond, dont  nous  avons  annoncé  la  mort  l'an  dernier,  méritait  qu'on 
réunît  les  discours  prononcés  sur  sa  tombe,  les  principaux  articles 
publiés  après  son  décès  dans  les  journaux  locaux.  Ce  qui  le  recom- 
mandera davantage  au  souvenir  de  la  postérité,  ce  sont  ses  œuvres,  dont 
on  trouvera  dans  cette  brochure  une  bibliographie  complète.  —  Ch.  B. 

—  Ex  Guidonis  de  Bazochiis  Cronosgraphie  libro  septimo. 
Letzter  Teil,  bis  zum  Schluss,  1199.  hgg.  von  Alexander  Cartel- 
lieri,  bearbeitet  von  Wilhelm  Fricke  (Jéna,  Kœmpfe,  1910,  in-8°, 
23  p.).  —  M.  Cartellieri  a  fait  transcrire  par  un  de  ses  élèves  et 
imprimer  avec  quelques  corrections  le  texte  de  Gui  de  Bazoches  (1180- 
1199),  d'après  le  manuscrit  de  Paris,  latin  4998.  Le  commentaire  a  été 
donné  par  le  professeur  dans  les  exercices  pratiques  dirigés  par  lui. 
Il  n'en  est  rien  passé  dans  la  présente  brochure. 

—  Henri  Hauser.  Études  sur  la  Réforme  française  (Paris,  A. 
Picard  et  fils,  1909,  in-12,  xiv-308  p.).  —  Bien  que  formé  d'une  série 
d'essais  qu'aucun  plan  préconçu  ne  relie,  sur  l'Humanisme  et  la 
Réforme,  Aimé  Maigret,  la  Réforme  et  les  classes  populaires,  la 
sédition  de  la  «  Rebeine  »  à  Lyon  en  1529,  Nîmes,  les  consulats  et  la 


186  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

Réforme,  la  Réforme  en  Auvergne,  les  petits  livres  du  xvie  siècle, 
l'Histoire  des  persécutions  et  martyres  d'Aristide  Chandieu,  le  volume 
de  M.  Hauser  trouve  une  certaine  unité  dans  les  idées  essentielles  qui 
s'en  dégagent  pour  l'histoire  de  la  Réforme  française.  Il  montre  tout 
d'abord  que  cette  réforme,  celle  du  moins  dont  Lefèvre  d'Étaples  a  été 
le  premier  et  le  plus  caractéristique  représentant,  a  été  en  profond 
accord  et  harmonie  avec  le  mouvement  de  l'humanisme  et  a  paru  un 
instant  sur  le  point  d'entraîner  l'élite  des  intelligences  françaises  ;  que 
Calvin,  humaniste  lui  aussi  à  ses  débuts,  a  opéré  la  rupture  entre 
l'humanisme  et  la  Réforme,  et  qu'alors  les  humanistes,  tout  en  empê- 
chant la  pensée  française  d'être  opprimée  par  Rome  ou  Genève,  se 
sont  trouvés  sans  direction  et  sans  doctrine.  En  second  lieu,  M.  Hauser 
réfute  l'idée  très  répandue  que  la  Réforme  n'a  eu  en  France  de  prise 
réelle  que  sur  les  lettrés  et  la  noblesse  et  n'a  rien  eu  de  populaire  ni 
de  national.  Il  montre,  au  contraire,  qu'à  ses  débuts  la  Réforme  a 
profondément  remué  les  masses  populaires,  mais  surtout  les  classes 
ouvrières.  Elle  a  eu  peu  d'action  sur  les  paysans  qui  seuls  auraient 
pu  lui  donner  une  base  solide.  Dans  son  étude  sur  la  sédition  popu- 
laire ou  «  Rebeine  »  de  Lyon  du  25  avril  1529,  M.  Hauser  démontre 
la  justesse  de  l'affirmation  de  Symphorien  Champier,  qui  a  vu  un 
élément  religieux  et  une  influence  du  luthéranisme  dans  cette  sédition. 
Les  études  sur  le  rôle  des  Consulats  dans  la  Réforme  et  sur  la 
Réforme  en  Auvergne  amènent  aussi  l'auteur  à  conclure  que  les  popu- 
lations urbaines  ont  été  plus  contaminées  par  la  Réforme  qu'on 
ne  l'a  cru  et  que  la  mollesse  des  consulats  urbains  à  défendre  le 
catholicisme  a  beaucoup  aidé  la  diffusion  de  la  Réforme  dans  tout  le 
sud-ouest.  Ces-  quelques  indications  peuvent  donner  une  idée  de 
l'originalité  et  de  l'importance  du  petit  livre  de  M.  Hauser  dont  toutes 
les  parties  reposent  sur  une  étude  directe  et  pénétrante  des  sources 
manuscrites.  G.  M. 

—  Arthur  Chuquet,  membre  de  l'Institut.  Épisodes  et  portraits, 
2e  série  (Paris,  Honoré  Champion,  1910,  in-18,  234  p.).  —  C'est  une 
nouvelle  série  d'études  critiques  que  nous  offre  le  savant  académicien  ; 
elles  s'étendent  chronologiquement  de  Louis  XIV  à  la  guerre  de  1870. 
M.  A.  Chuquet,  en  rendant  compte  de  publications  historiques  nou- 
velles, sait  toujours  ajouter  de  son  fond  inépuisable  des  détails  inédits 
ou  formuler  sur  les  personnages  qu'il  étudie  des  jugements  topiques; 
c'est  assez  dire  qu'on  le  lira  donc  toujours  avec  un  vif  intérêt,  soit 
qu'il  résume  les  mémoires  si  curieux  de  Primi  Visconti,  soit  qu'il 
apprécie  l'ouvrage  de  M.  Duquet  sur  Frœschwiller.  Nous  ne  mention- 
nerons ici  que  celles  de  ces  esquisses  qui  rentrent  dans  notre  domaine 
propre;  celle  sur  Antoine  Tortat,  commis  de  la  Convention  après 
thermidor,  mort  président  de  tribunal  un  demi-siècle  plus  tard,  et  qui 
rédigea  des  souvenirs  fragmentaires  sur  les  luttes  en  Vendée  (1794- 
1795);  celles  sur  les  mémoires  militaires  du  général  Le  Grand,  qu'il 
soumet  à  une  critique  écrasante,  et  sur  le  journal  du  Dromadaire 


HISTOIRE    DE    FRANCE.  187 

François,  dont  la  campagne  d'Egypte  est  copiée  en  partie  dans 
Victoires  et  Conquêtes;  voici  encore  les  Souvenirs  du  baron  de 
Cosneau,  cet  amusant,  mais  trop  peu  véridique  personnage  qui  se 
croyait  l'émule  de  Napoléon;  le  tableau  du  séjour  de  l'empereur  à 
Finkenstein  au  printemps  de  1807.  D'autres  études  font  connaître  au 
lecteur  le  sergent-major  badois  Steinmiiller,  le  garde  d'honneur 
genevois  Cramer,  l'officier  d'état-major  polonais  Grabowski.  M.  Arthur 
Chuquet  a  su  donner  chaque  fois,  en  quelques  pages,  le  suc  et  la 
moelle  de  leurs  récits.  R. 

—  F.  Uzureau.  Andega.via.na,  9e  série  (Paris,  A.  Picard;  Angers, 
Siraudeau,  1910,  gr.  in-8°,  494p.).  —  Les  Andegaviana  de  M.  l'abbé  Uzu- 
reau sont  une  vieille  connaissance  de  nos  lecteurs.  Ce  9e  volume  com- 
prend de  nouveau  toute  une  série  d'études,  d'extraits  de  manuscrits  ou 
d'imprimés  rares  qui  nous  conduisent  de  saint  Maurille,  évêque  d'An- 
gers au  Ve  siècle,  jusqu'à  la  duchesse  de  Berry,  en  1828.  Nous  relevons 
dans  ce  recueil  un  travail  sur  les  Élections  du  tiers  état  dans  la 
sénéchaussée  de  Saumur,  des  recherches  sur  l'histoire  religieuse  de 
différentes  communes  angevines  (Anillé,  La  Jumellière,  Maulevrier, 
Louroux-Béconnais,  Pin-en-Mauges,  etc.)  pendant  la  Révolution; 
l'histoire  des  cantons  de  Maine-et-Loire  de  1790  à  1909;  la  Police 
secrète  dans  le  Maine-et-Loire  sous  le  premier  Empire  (180k- 
1805);  j'y  ajouterais  certaines  fiches  administratives  assez  curieuses 
sur  des  personnages  officiels  d'Angers  en  1843.  —  Nous  avons  reçu 
en  outre,  du  même  auteur,  deux  plaquettes  :  le  Clergé  de  Denée  et 
des  Jubeaux  (deux  paroisses  du  diocèse  d'Angers)  pendant  la  Révo- 
lution (Angers,  impr.  Grassin,  1909,  in-8°,  17  p.)  et  V Assemblée  pro- 
vinciale d'Anjou  et  l'élection  de  La  Flèche  (Angers,  Grassin,  s.  d., 
in-8°,  19  p.);  M.  l'abbé  Uzureau  nous  y  raconte  la  querelle  prolongée 
entre  les  deux  assemblées  provinciales  du  Maine  et  de  l'Anjou  (1788- 
1790),  au  sujet  de  l'incorporation  des  soixante-treize  paroisses  de 
l'élection  de  La  Flèche  à  l'une  ou  à  l'autre  des  deux  régions.  —  R. 

—  J.  Cart.  Le  10  août  1192  à  Paris  et  le  régiment  des  gardes 
suisses  (Paris,  Fischbacher,  1909,  in-8°,  63  p.).  —  Cette  étude,  tirage 
à  part  de  la  Revue  des  études  historiques,  n'est  pas,  à  vrai  dire,  un 
tableau  général  de  la  journée  du  10  août.  Elle  ne  la  retrace  que  dans 
la  mesure  on  les  bataillons  de  la  garde  royale  participèrent  aux  péri- 
péties de  cette  journée.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  particulièrement  neuf 
pour  nous,  ce  n'est  ni  le  combat  lui-même  ni  les  massacres  qui  le  sui- 
virent immédiatement,  mais  l'exposé  de  l'impression  fâcheuse  produite 
en  Suisse  même  par  ces  scènes  lugubres,  par  le  procès  du  major 
Bachmann,  par  les  boucheries  subséquentes  du  2  au  4  septembre. 
Tandis  qu'à  Paris  on  parlait  de  la  trahison  des  mercenaires  étran- 
gers, on  s'emportait  à  Berne  contre  l'assassinai  de  compatriotes,  et 
les  phrases  sentimentales  de  l'appel  de  la  Convention  nationale  aux 
«  frères  et  alliés  »,  lancé  le  9  octobre,  n'offrirent  qu'une  médiocre 
consolation  aux  parents  et  amis  des  sept  à  huit  cents  victimes.  Quand 


1|S|^  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

l'auteur  déclare  que  jusqu'au  10  août  les  régiments  suisses  au  service 
de  France  n'avaient  été  mêlés  à  aucun  des  incidents  de  la  Révolution 
(]).  7),  il  oublie  Châteauvieux  à  Nancy,  Ernst  à  Marseille,  Vigier  à 
Strasbourg  qui  avaient  figuré  dans  certains  mouvements  locaux,  dans 
les  villes  en  question.  R. 

—  Journal  et  souvenirs  de  Gaspard  Schumacher,  capitaine  aux 
Suisses  de  la  garde  royale  (1108-1830),  traduits  avec  introduction 
par  Pierre  d'Hugues  (Paris,  A.  Fayard,  s.  d.  (1910),  in-8°,  137  p.,  ill.). 
—  Un  de  ces  journaux  d'officiers  subalternes  qui  sortent,  innom- 
brables, de  tant  de  tiroirs,  et  qui  auraient  pu  rester  inédits,  sans  grand 
dommage  pour  l'histoire.  Ce  brave  Lucernois  qui  servit  la  France 
pendant  trente  ans,  sans  jamais  apprendre  à  écrire  notre  langue,  est  né 
en  1776  et  mourut  à  Orléans  en  1847.  Après  avoir  été  d'abord  soldat 
dans  son  pays,  il  fut  incorporé  dans  l'armée  napoléonienne  en  1807, 
mais  «  jamais  âme  de  soldat  ne  fut  moins  belliqueuse  »,  comme  le 
déclare  l'éditeur  lui-même,  et  sa  façon  de  raconter  ses  campagnes  est 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  prosaïque.  Néanmoins,  les  récits  de  la  capitu- 
lation de  Baylen,  des  atrocités  des  guérilleros  espagnols  et  des  pon- 
tons de  Cadix,  des  horreurs  de  la  retraite  de  Moscou  fournissent 
quelques  traits  d'autant  plus  émouvants  qu'ils  sont  dits  avec  une  pla- 
cidité que  rien  ne  semble  avoir  pu  ébranler.  C'est  sous  la  Restaura- 
tion seulement  que  Schumacher  devint  capitaine  ;  il  n'a  pas  figuré  le 
moins  du  monde  dans  les  scènes  de  la  Révolution  de  juillet,  sur 
laquelle  on  nous  fournit  une  dizaine  d'illustrations.  —  P.  108,  lire 
Canstatt  pour  Ranstatt;  p.  79,  Insterbug  (qui  est  dans  la  Prusse 
orientale)  ne  peut  être  une  étape  entre  Munster  et  Osnabruck.  —  R. 

—  L'-colonel  Sauzey.  Les  Allemands  sous  les  aigles  françaises. 
Essai  sur  les  troupes  de  la  Confédération  du  Rhin.  T.  V  :  Nos 
alliés  les  Bavarois,  avec  une  préface  de  M.  Arthur  Chuquet  (Paris, 
R.  Chapelot  et  Cie,  1910,  in-8°,  x-442  p.,  pi.  coloriées).  —  Après 
nous  avoir  parlé  des  Francfortois,  des  Badois,  des  Saxons  et  des  con- 
tingents des  petits  États  de  la  Thuringe,  M.  le  colonel  Sauzey  nous 
entretient,  dans  ce  nouveau  volume,  des  soldats  du  roi  Maximilien- 
Joseph  qui,  de  1806  à  1812,  combattirent  aux  côtés  de  nos  soldats  clans 
les  campagnes  impériales.  L'auteur,  chaudement  recommandé  par 
M.  Arthur  Chuquet,  a  utilisé,  entre  autres,  les  papiers  du  général 
d'Albignac,  qui  fut  chef  d'état-major  du  corps  bavarois  en  1812.  Il 
nous  raconte  successivement  les  succès  et  les  revers  des  campagnes 
de  Moravie  (1805),  Silésie  (1806),  Tyrol  et  Autriche  (1809)  et  surtout 
celle  de  Russie,  qui  causa  des  pertes  énormes  à  la  Bavière.  Ils  étaient 
25,000  hommes  en  partant;  ils  reçurent  deux  fois  de  notables  renforts 
et,  lors  de  leur  retour  à  Bamberg,  en  avril  1813,  ils  ne  comptaient  plus 
que  1,030  soldats!  Ils  combattirent  encore  à  Bautzen  et  Vurschen, 
aidèrent  à  défendre  Thorn  et  Dantzig,  mais  l'armistice  de  Ried 
(8  octobre)  en  fit  des  adversaires,  et  c'est  comme  ennemis  que  Napo- 
léon les  écrasait  à  Hanau.  —  P.  54,  «  Anhalt-PJœss  »,  lire  Pless; 


HISTOIRE   DE    FRANCE.  189 

p.  122,  «  la  porte  Sendlinger  »  (Sendlïnger  Thor,  il  aurait  fallu  dire  : 
«  La  porte  de  Sendlingen)  ;  p.  125,  lire  Kolowrat,  pour  Collowrath; 
p.  281,  lire  Clément  de  Ris,  pour  Clément  de  Dis,  etc.  R. 

—  Pierre  Leguay.  La  Sorbonne  contemporaine  (Paris,  B.  Gras- 
set, in-12,  180  p.).  —  On  lira  avec  intérêt  ce  spirituel  et  malicieux 
petit  livre  écrit  par  un  homme  bien  informé  en  général,  quoique  son 
information  soit  parfois  trop  influencée  par  les  élucubrations  de 
Y  Action  française,  qu'il  est  trop  intelligent  d'ailleurs  pour  accepter 
les  yeux  fermés1.  Pour  M.  Leguay,  c'est  dans  la  Sorbonne  que  se 
concentre  tout  le  mouvement  universitaire  de  France,  et,  dans  la  Sor- 
bonne, il  n'y  a  que  la  Faculté  des  lettres  qui  ait  une  réelle  importance 
au  point  de  vue  de  l'évolution  de  l'enseignement.  Or,  d'après  lui, 
toute  cette  évolution  a  pour  objet  d'adapter  l'enseignement  des  lettres 
à  la  démocratie,  et,  pour  y  arriver,  de  lui  donner  un  caractère  de  plus 
en  plus  scientifique,  plus  érudit,  plus  historique.  S'il  y  a  beaucoup  de 
traits  justes  et  finement  marqués  dans  la  caractéristique  donnée  par 
M.  Leguay  des  divers  enseignements  de  la  Sorbonne  littéraire,  si  sa 
thèse  générale  peut  sembler  justifiée  par  des  citations  bien  choisies  de 
M.  Seignobos,  elle  n'en  est  pas  moins  un  aimable  paradoxe.  Le  carac- 
tère de  plus  en  plus  historique,  érudit  et  scientifique  de  l'enseigne- 
ment supérieur  des  lettres  tient  à  l'évolution  intellectuelle  de  l'époque 
contemporaine  en  général  et  n'a  rien  de  démocratique.  L'envahissement 
démocratique  de  la  Sorbonne  par  l'excès  de  préparation  aux  examens, 
par  l'abaissement  de  certaines  études,  par  la  transformation  d'une 
partie  de  l'activité  de  la  Sorbonne  en  une  préparation  d'examens  de 
français  pour  les  étrangers  est  un  mal  réel  que  M.  Leguay  n'a  pas 
signalé. 

—  Inventaire  des  sceaux  de  la  collection  des  pièces  originales 
du  Cabinet  des  titres  de  la  Bibliothèque  nationale,  par  J.  Roman, 
t.  I  (Paris,  Impr.  nationale,  1909,  libr.  E.  Leroux,  in-4°,  943  p.).  — 
La  collection  des  pièces  originales  du  Cabinet  des  titres  renferme 
environ  15,000  sceaux  ou  cachets;  M.  Roman  en  publie  et  décrit  envi- 
ron 11,000.  C'est  qu'il  a  systématiquement  écarté  tous  ceux  qui  sont 
postérieurs  à  l'an  1600  et  aussi  ceux  qui  ont  été  déjà  décrits  soit  par 
Douët  d'Arcq,  dans  son  Inventaire  des  sceaux  conservés  aux 
Archives  nationales,  soit  par  Demay,  dans  son  Inventaire  des 
sceaux  de  la  collection  Clairambault.  Quant  aux  «  pièces  origi- 
nales »  elles-mêmes,  elles  proviennent  de  Gaignières,  de  Clairambault, 

1.  C'est  à  cette  source  frelatée  que  M.  Leguay  a  sans  doute  puisé  la  prétendue 
citation  de  M.  Pariset  p.  177  et  ce  qu'il  dit  p.  166  de  M.  Monod,  «  professeur  en 
Sorbonne,  où  il  se  fait  perpétuellement  suppléer  ».  M.  Monod  a  été  avec  ses 
collègues  de  l'École  normale  versé  dans  les  cadres  de  la  Sorbonne  à  un  moment 
où  sa  santé,  puis  la  maladie  et  la  mort  d'un  fils  l'obligèrent  à  rester  en  congé. 
Au  bout  d'une  année  (1905),  il  prenait  sa  retraite.  M.  Monod  a  assez  enseigné, 
de  1868  à  1904,  sans  mesurer  son  temps  ni  sa  peine,  pour  n'être  pas  compté 
parmi  les  professeurs  qui  se  font  perpétuellement  suppléer. 


190  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

de  Beaumarchais  (qui  acheta  en  1837  une  énorme  quantité  de  parche- 
mins échappés  à  l'incendie  de  la  Chamhre  des  Comptes  de  Paris)  et 
des  généalogistes  d'Hozier  et  Chérin.  Elles  forment  aujourd'hui  une 
collection  de  3,061  volumes  rangés  dans  le  fonds  français  de  la  Biblio- 
thèque nationale  (nos  26484  à  29545).  Il  n'est  pas  douteux  que  l'inven- 
taire de  M.  Roman  ne  rende  les  mêmes  services  que  ceux  de  Douët 
d'Arcq  et  de  Demay,  si  souvent  consultés  par  les  historiens. 

Histoire  d'Allemagne. 

—  Georg  Schwarz.  Die  Vorgeschichte  des  Feldzuges  von  1196 
in  Italien  und  die  Gefechte  vont  10-15  april  (Bonn,  1910, 109  p.).  — 
Dans  cette  thèse,  consacrée  aux  préparatifs  et  aux  commencements  de 
la  campagne  d'Italie  1796  jusqu'à  la  bataille  de  Dego,  M.  Schwarz  a 
profité  surtout  des  ouvrages  de  Gabriel  Fabry  et  de  Kuhl. 

—  Ludwig  Schemann.  Gobineaus  Rassenvterk.  Aktenstùcke.  und 
Betrachtung  zur  Geschichte  und  Kritik  des  Essai  sur  l'inégalité 
des  races  humaines  (Stuttgart,  Fr.  Frommann,  1910,  xliv-544  p., 
10  m.  50).  —  M.  Schemann,  le  chef  des  «  gobinistes  »  allemands,  en 
préparant  une  biographie  de  Gobineau  et  une  histoire  de  la  théorie 
des  races,  vient  de  publier  un  volume  qui  contient  des  matériaux  des- 
tinés à  servir  de  base  à  ces  deux  grands  travaux  projetés.  M.  Schemann 
tient  à  démontrer  que  l'Essai  sur  l'inégalité  des  races  humaines 
n'a  pas  été  ignoré  ou  négligé  par  les  contemporains,  comme  on  l'a 
souvent  prétendu  ;  et  il  le  prouve  en  reproduisant  des  extraits  de  livres 
et  de  revues  et  des  lettres  adressées  à  Gobineau.  Il  prétend  que  Renan 
a  été  fortement  influencé  par  Gobineau,  mais  il  faut  avouer  que  les 
différences  d'opinions  ont  été  bien  plus  grandes  que  les  quelques  res- 
semblances, et  les  reproches  dirigés  par  M.  Schemann  contre  Renan 
ne  me  paraissent  nullement  justifiés.  Dans  la  seconde  partie  de  son 
livre,  M.  Schemann  discute  l'Essai  sous  des  points  de  vue  différents 
et  il  publie  quelques  fragments  inédits  de  Gobineau.  Ce  n'est  pas  ici 
le  lieu  de  critiquer  la  doctrine  gobiniste  qui  est  plutôt  une  matière  de 
foi  qu'une  théorie  scientifique,  mais  «  l'incrédule  »  conviendra  que 
M.  Schemann,  malgré  son  admiration  extrême  pour  Gobineau,  n'est 
pas  du  tout  aveugle  envers  les  faiblesses  et  les  erreurs  de  son  héros. 

P.  D. 

Histoire  d'Angleterre. 

—  II.  A.  L.  Fisher.  Frederick  William  Maitland,  Downing 
prof  essor  of  the  laws  of  England.  A  biographical  sketch  (Cam- 
bridge, at  the  University  Press,  1910,  in-8°,  179  p.).  —  Opuscule  d'une 
lecture  aussi  touchante  qu'instructive.  Maitland  a  été  un  admirable 
professeur  et  ses  œuvres  ont  renouvelé  la  conception  de  l'histoire  des 
institutions  anglaises  au  moyen  âge.  Son  enseignement  par  la  parole 
et  par  la  plume  est  fort  bien  exposé  par  un  homme  qui  a  vécu  dans 


HISTOIRE    D'AUTRICHE.  191 

l'intimité  de  Maitlancl  (celui-ci  avait  épousé  la  sœur  aînée  de  M.  Fisher) 
et  qui  est  un  des  maîtres  de  l'histoire.  On  lit  avec  un  intérêt  particu- 
lier les  lettres  écrites  par  Maitland  à  M.  Paul  Vinogradofî  et  à  Sir 
Frederick  Pollock,  deux  amis  très  chers,  dont  le  nom  peut  être  diffi- 
cilement séparé  du  sien.  Le  récit  est  sobre,  volontairement  imper- 
sonnel; mais  l'homme  dont  M.  Fisher  a  fixé  les  principaux  traits  était 
si  richement  orné  des  dons  de  l'intelligence  que  le  simple  exposé  de 
ses  idées  le  fait  revivre  tel  qu'il  doit  rester  dans  le  souvenir  de  la 
postérité.  Ch.  B. 

—  Delavaud.  Les  origines  norvégiennes  des  archipels  écossais 
(F.  Alcan,  1910,  in-8°,  206  p.).  —  Article  tiré  à  part  des  Annales  des 
sciences  politiques  (15  mars  1910).  L'auteur  y  résume  les  principales 
étapes  de  l'occupation  des  Shetlands  et  des  Orcades  par  les  Scandi- 
naves, en  particulier  les  Norvégiens,  depuis  l'expédition  victorieuse 
de  Harald  aux  Longs  cheveux  en  872  jusqu'au  traité  de  1489  par 
lequel  le  roi  de  Norvège  vendit  à  réméré  ces  archipels  au  roi  d'Ecosse, 
et  jusqu'au  traité  de  Breda  par  lequel  le  roi  de  Danemark  abandonna, 
non  sans  peine  ni  réserve,  ses  prétentions  sur  les  Orcades  (1667). 
Juridiquement,  on  pourrait  encore  plaider  aujourd'hui  que  la  souve- 
raineté du  roi  d'Angleterre  sur  ces  îles  n'est  pas  absolue. 

—  The  great  roll  of  the  pipe  for  the  twenty-seventh  year  of 
the  reign  of  king  Henry  the  second,  1180-1181.  Publ.  de  la  Pipe 
roll  Society,  n°  30  (1909,  in-8°,  xxx-201  p.).  —  Puisque  ces  rôles 
contiennent  les  recettes  et  les  dépenses  des  shériffs,  c'est-à-dire  le  bud- 
get même  de  la  royauté,  il  importe  de  savoir  quel  degré  de  confiance 
ils  méritent.  Or,  M.  Round  constate  dans  la  préface  de  grandes  irrégu- 
larités d'écritures,  par  exemple  en  ce  qui  concerne  les  terres  du  comte 
Eustache  de  Boulogne,  ce  qu'on  appelait  alors  «  l'honneur  de  Bou- 
logne »;  le  compte  qui  les  concerne  a  été  rendu  en  1178,  omis  en 
1180  et,  dans  le  présent  rôle,  mentionné  seulement  pour  une  moitié  de 
l'année.  A  noter  aussi  les  fréquentes  mentions  de  Ranulf  de  Glanville, 
qui,  en  sa  qualité  de  «  justiciarius  »  et  pendant  l'absence  de  Henri  II, 
était  comme  le  vice-roi  de  l'Angleterre. 

Histoire  d'Autriche. 

—  Alfons  Dopsch.  Die  altère  Sozial-  und  Wirtschaftsverfassung 
der  Alpenslaven  (Weimar,  Hermann  Bôhlau,  1909,  vn-179  p.).  — 
Dans  cette  brochure  très  bien  documentée,  M.  Dopsch  réfute  les 
hypothèses  soutenues  par  M.  Peisker  sur  les  institutions  sociales  et 
économiques  des  Slaves  de  la  Styrie  et  de  la  Carinthie.  M.  Peisker 
avait  prétendu  qu'il  existait  parmi  les  Slaves  des  Alpes  deux  classes 
sociales  bien  différentes,  les  «  supani  »,  les  anciens  seigneurs,  réduits 
par  les  conquérants  germaniques,  mais  vivant  comme  leurs  ancêtres 
de  l'élevage,  et  les  «  paysans  »,  qui  étaient  des  agriculteurs.  M.  Dopsch 
prouve  que  cette  hypothèse  n'est  pas  fondée  et  que  les  «  supani  » 


192  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

n'étaient  en  vérité  que  des  agents  seigneuriaux,  ne  se  distinguant  pas 
des  autres  paysans  par  leur  origine,  mais  seulement  par  leur  fonction. 
Par  cette  constatation,  les  autres  hypothèses  de  M.  Peisker  sur  les 
institutions  slaves  existant  avant  la  conquête  germanique  tombent 
également.  P.  D. 

—  A.  Fournier.  Wie  wir  zu  Bosnien  ha.rn.en  (Vienne,  Chr. 
Reiner's  Sœhne,  1909,  in-8°,  9G  p.).  —  Cet  opuscule  de  M.  Fournier 
donne  un  aperçu  très  complet  et  très  précis  des  événements  antérieurs 
au  Congrès  de  Berlin  qui  ont  préparé  l'annexion  de  la  Bosnie  et  de 
l'Herzégovine  (avec  raison,  l'auteur  ne  consacre  que  vingt  pages  à  la 
période  de  1878  à  1909,  car  quelque  opinion  qu'on  ait  sur  la  manière 
à  la  fois  perfide  et  brutale  dont  s'est  opérée  l'annexion  définitive,  tout 
homme  de  bon  sens  a,  dès  1878,  considéré  l'annexion  comme  faite). 
Or,  c'est  des  accords  de  l'Autriche  avec  la  Russie  qu'est  sortie  cette 
annexion,  désirée  par  le  parti  militaire  autrichien  depuis  qu'en  18G6 
l'Autriche  avait  dû  reporter  vers  l'Orient  ses  vues  d'avenir.  Au  prin- 
temps de  1873,  par  l'arrangement  de  Schœnbrunn,  Alexandre  II  et 
François-Joseph  s'étaient  promis  d'agir  de  concert  dans  les  affaires 
d'Orient.  L'insurrection  de  la  Bosnie  et  de  l'Herzégovine  et  les  hos- 
tilités de  la  Serbie  et  du  Monténégro  avec  la  Turquie  amenèrent  la 
convention  de  Reichstadt  entre  les  deux  empereurs,  par  laquelle,  en 
cas  d'une  guerre  victorieuse  de  la  Russie  contre  les  Turcs,  l'Autriche 
occuperait  la  Bosnie  et  l'Herzégovine,  tandis  que  la  Russie  annexe- 
rait la  Bessarabie.  Ces  conditions  se  trouvèrent  répétées  dans  le  traité 
militaire  secret  de  Budapest  du  15  janvier  1877  et  la  convention  de 
Vienne  du  18  mars.  La  Russie,  au  traité  de  San-Stefano,  essaya  de 
jouer  l'Autriche,  qui  avait  pourtant  observé  tous  ses  engagements, 
et  favorisa  l'autonomie  de  la  Bosnie  et  de  l'Herzégovine  qui  avait 
toujours  été  réclamée  par  l'Angleterre;  mais,  tandis  que  la  Russie 
croyait  lier  l'Angleterre  à  sa  politique  par  un  traité  secret,  celle-ci, 
avec  une  duplicité  admirable,  pour  s'assurer  l'appui  de  l'Autriche  dans 
son  projet  de  conquête  de  Cypre,  concluait  avec  elle  un  accord  où 
elle  lui  promettait  d'appuyer  ses  projets  bosniaques  au  futur  congrès. 
Tout  ce  qui  a  suivi  depuis  était  la  conséquence  forcée  de  ces  prélimi- 
naires. Les  Russes  ont  beau  aujourd'hui  renier  leur  responsabilité, 
elle  découle  de  leurs  propres  documents  d'État  utilisés  par  Tatitschew 
dans  son  livre  sur  Alexandre  II  et  par  Gorjainow  dans  son  ouvrage  : 
Der  Bosporus  und  die  Dardanellen.  Faute  de  les  avoir  connus, 
M.  Ilanotaux  a  imparfaitement  exposé  dans  son  Histoire  de  la 
France  contemporaine  ce  qui  touche  à  la  question  bosniaque. 
L'inertie  de  la  Russie  lors  de  l'annexion  trouve  là  son  explication. 

G.  M. 

Histoire  du  Brésil. 

—  Ricardo  Rojas.  La  Restauraciôn  nationalista.  Informe  sobre 
Educaciôn  (Buenos-Aires,  Ministerio  de  justicia  é  instrucion  pûblica, 


HISTOIRE    DES    e'tATS-UNIS.  193 

1909,  in-8°,  513  p.).  —  Notre  futur  collaborateur  pour  l'histoire  de 
l'Amérique  latine,  M.  Ricardo  Hojas,  chargé  d'une  mission  du  gou- 
vernement brésilien  en  Europe  pour  y  étudier  les  méthodes  d'ensei- 
gnement historique,  vient  de  publier  l'important  rapport  adressé  par 
lui  en   1909  au  ministre  qui  l'avait  délégué.  Ce  rapport  est  à  la  fois 
théorique  et  pratique.  On  y  trouvera,  sous  une  forme  à  la  fois  claire 
et  élégante,  éloquente  souvent,  un  exposé  des  théories  sur  la  méthode 
historique  en  général  et  sur  l'histoire  de  l'histoire,  des  renseignements 
très  précis  sur  l'enseignement  historique  en  Angleterre,  en  France,  en 
Allemagne,  en  Italie,  en  Espagne  et  aux  États-Unis,  enfin  un  tableau 
de  l'état  et  des  lacunes  de  l'enseignement  historique  au  Brésil  et  des 
services  que  l'enseignement  de  l'histoire  réformé  peut  rendre  à  la 
régénération  du  pays,  au  développement  de  la  conscience  nationale. 
M.  Rojas  nous  parait  avoir  admirablement  compris  et  montré  com- 
ment c'est  en  reconstituant  le  passé  national,  en  faisant  comprendre 
les  rapports  de  l'histoire  avec  le  sol,  en  donnant  au  peuple  conscience 
de  la  manière  dont  son  unité  s'est  formée  d'éléments  divers  que  l'his- 
toire arrive,   sans  cesser  d'être  scientifique,  à  jouer  un  rôle  moral, 
civique,  politique  et  presque  religieux.  M.  Rojas  indique  les  mesures 
pratiques  à  prendre  pour  donner,  au  Brésil,  à  l'enseignement  historique 
les  instruments  dont  il  a  besoin,  et  il  termine  en  appliquant  à  l'his- 
toire les  paroles  fameuses  d'Ézéchiel  :  «  Esprit,  viens  des  quatre  vents 
de  l'horizon  et  souffle  sur  ces  morts,  ils  vivront.  »  G.  M. 

Histoire  d'Espagne. 

—  Général  Kirpatrick  de  Closeburn.  Souvenirs  de  la  dernière 
guerre  carliste,  1872-1876  (Paris,  Alph.  Picard,  s.  d.,  in-8°,  422  p.). 
—  L'ouvrage  est  précédé  d'une  introduction  où  sont  établis  les  droits 
de  don  Carlos  avec  cette  curieuse  formule  au  sujet  de  la  renonciation 
de  Philippe  V  à  la  couronne  de  France,  «  qu'une  renonciation  d'une 
couronne  successorale  n'est  point  valide  pour  la  postérité  de  celui  qui 
renonce,  quoiqu'elle  soit  valide  pour  lui-même  ».  A  part  cela,  l'auteur 
raconte  quelques  épisodes  des  opérations  en  Catalogne,  la  marche  sur 
Cuença  au  sud  de  l'Eure  sur  le  chemin  de  Madrid,  le  commandement 
de  don  Carlos  en  Navarre,  le  siège  de  Bilbao  et  la  bataille  de  Somor- 
rostro,  la  prise  d'Estella  par  Martinez  Campos.  D'ailleurs,  ce.  général 
ne  prit  pas  une  part  très  active  à  la  guerre;  il  fut  employé  en  mis- 
sions diplomatiques,  notamment  à  Londres,  avec  peu  de  succès,  car 
les  catholiques  d'Angleterre  voulaient  bien  prier  pour  don  Carlos, 
mais  ils  continuaient  d'envoyer  leur  argent  à  Rome.  E.  D. 

Histoire  des  États-Unis. 

—  Kaskaskia  Records,  1778-1790,  avec  une  introduction  et  des 
notes  par  Clarence  Walworth  Alvord  (fait  partie  des  Collections  ol' 

Rev.  Histor.  CV.  1er  FASC.  13 


194  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

the  Illinois  State  historical  library,  t.  V;  t.  II  de  la  «  Virginia 
séries  ».  Springlleld,  4909,  in-8°,  L-681  p.).  —  Ces  documents  jettent 
beaucoup  de  lumière  sur  les  événements  qui  préparèrent  l'annexion 
de  l'Illinois  aux  Etats-Unis  et  sur  les  hommes  qui  y  prirent  part. 
Kaskaskia  était  le  centre  politique  d'un  territoire  où  dominait  l'élément 
français.  La  correspondance  du  P.  Gibault  nous  fait  en  particulier 
connaître  la  triste  situation  morale  et  sociale  où  se  trouvèrent  les 
habitants  pendant  cette  période  troublée  où,  séparés  de  la  France,  ils 
n'étaient  pas  encore  rattachés  à  la  Confédération  commençante.  Le 
voisinage  du  Kentucky  attira  de  bonne  heure  des  pionniers  améri- 
cains, et  au  bout  de  peu  d'années  le  rattachement  devint  inévitable. 
Les  documents  publiés  dans  le  présent  volume  nous  permettent  d'en 
suivre  les  progrès.  Ceux  qui  sont  écrits  en  français  sont  accompagnés 
d'une  traduction  en  anglais.  Plusieurs  beaux  portraits  et  des  fac-simi- 
lés ornent  cet  intéressant  volume.  B. 

—  Félix  Klein.  La  séparation  aux  États-Unis  :  histoire,  lois, 
coutumes,  documents  (Paris,  Bloud,  1908,  in-16,  126  p.).  —  L'an- 
cienne intolérance  religieuse  des  premières  colonies  puritaines  de 
l'Amérique  du  Nord  a  été  toute  changée  par  la  guerre  de  l'indépen- 
dance où  les  catholiques  se  comportèrent  bravement,  où  la  cause  des 
insurgents  fut  d'ailleurs  soutenue  par  des  puissances  catholiques,  la 
France  et  l'Espagne.  C'est  pourquoi,  aux  Etats-Unis,  la  séparation  est 
bienveillante,  «  l'Etat  ne  mettant  de  limite  à  la  liberté  religieuse  des 
citoyens  que  lorsqu'au  nom  de  leur  religion  même  ils  entrent  en 
conflit  évident  et  actuel  avec  une  loi  de  la  République  »  ;  on  ne  sau- 
rait mieux  dire.  Aux  États-Unis,  la  séparation  est  libérale,  et  M.  Klein 
oppose  les  lois  américaines  aux  lois  françaises  et  aux  rapports  de 
M.  Briand.  Aux  Etats-Unis,  la  séparation  est  chrétienne,  la  coutume 
veut  que  les  gouvernements  ne  soient  pas  indifférents  aux  pratiques 
religieuses.  D'où  il  résulte  que  les  États-Unis  ne  sont  pas  la  France; 
on  peut  le  regretter,  mais  il  faut  en  prendre  son  parti  :  on  n'effacera 
pas  les  différences  qui  séparent  ces  deux  nations.  Dans  les  documents, 
on  lira  une  lettre  de  Mgr  Ireland  sur  les  conditions  légales  de  l'Église 
dans  le  Minnesota,  des  extraits  des  lois  américaines,  le  rapport  de 
M.  Briand  déposé  le  4  mars  1905.  E.  D. 

Histoire  de  Hongrie. 

—  Parmi  les  dernières  publications  historiques  de  la  Hongrie,  il 
importe  de  signaler  les  suivantes  :  1°  Arpad  et  les  Arpadiens 
(Arpad  es  az  Arpàdoh.  Budapest,  Franklin,  s.  d.  [1908],  in-i'ol., 
xvm-397  p.,  avec  de  nombreuses  illustrations),  ouvrage  publié  par  un 
groupe  de  savants  et  d'artistes  sous  la  direction  de  D.  Csânki.  — 
A  l'occasion  du  millénaire  de  la  mort  d'Arpad  (907),  la  Hongrie  a 
voulu  payer  son  tribut  de  reconnaissance  au  conquérant  du  pays.  Il 
n'est  guère  possible  de  lui  élever  de  statues,  puisqu'on  ne  sait  rien  de 


HISTOIRE    DE    HONGRIE.  195 

sa  physionomie  ;  on  ne  peut  honorer  son  tombeau,  puisqu'on  ne  sait 
pas  où  il  fut  enterré.  Le  volume  se  compose  d'une  vingtaine  d'études 
qui  donnent  la  quintessence  des  recherches  sur  l'époque  arpadienne, 
c'est-à-dire  sur  les  quatre  premiers  siècles  de  l'histoire  de  Hongrie. 
Les  auteurs  de  ces  études  sont  des  érudits  île  premier  ordre  et  les 
meilleurs  artistes  les  ont  secondés  pour  faire  de  ce  volume  un  petit 
chef-d'œuvre.  Nous  nous  bornons  à  indiquer  le  titre  des  travaux  : 
A.  Domanovszky,  Les  sources  historiques;  J.  Szinnyei,  L'origine  et 
la  langue  des  Hongrois,  leur  civilisation  à  l'époque  d'Arpad;  J.  [liés, 
L'organisation  de  la -société  et  de  l'Etat;  A.  Màrki,  Les  lieux  de  séjour 
des  Hongrois.  L'Europe  à  l'époque  de  la  prise  de  possession  de  la 
Hongrie;  J.  Rônai  Horvàth,  L'art  guerrier  des  Hongrois.  Les  cam- 
pagnes; J.  Hampel,  Les  monuments  archéologiques;  M.  Wertner, 
La  race  d'Arpad  (la  généalogie);  J.  Karàcsonyi,  Les  possessions 
d'Arpad;  J.  Szendrei,  Le  tombeau  d'Arpad;  J.  Sebestyén,  Arpad 
dans  la  légende;  Z.  Beôthy,  Arpad  dans  la  poésie  hongroise;  A.  Ber- 
zeviczy,  Arpad  dans  les  arts  ;  D.  Csànki,  Caractère  d'Arpad  ;  D.  Angyal, 
Les  Arpadiens  dans  la  politique  de  l'Europe;  A.  Kàrolyi,  Les  Arpa- 
diens  et  la  royauté  nationale;  R.  Békefi,  Les  Arpadiens  et  l'Église; 
J.  Karàcsonyi,  Les  saints  de  la  maison  Arpad;  E.  Varju,  L'icono- 
graphie des  Arpad;  L.  Fejérpataky,  Les  armoiries  des  Arpad: 
L.  Mangold,  Bibliographie  (p.  365-394,  en  3  colonnes;  il  serait  à  sou- 
haiter que  nous  eussions  pour  chaque  époque  de  l'histoire  de  Hongrie 
une  bibliographie  aussi  complète).  Les  planches  hors  texte  et  les 
reproductions  de  certaines  pages  de  manuscrits  sont  fort  belles  et 
font  de  ce  volume  le  pendant  de  celui  que  l'érudition  magyare  a  con- 
sacré au  roi  Bêla  III  (cf.  Rer.  hist.,  sept.-oct.  1901).  Les  amateurs 
d'ouvrages  de  luxe  pourront  le  consulter  à  la  Bibliothèque  nationale 
(Rés.  gM25). 

2°  Une  des  plus  anciennes  familles  nobles  hongroises,  dont  les 
ancêtres  ont  déjà  joué  un  rôle  à  l'époque  arpadienne,  celle  des  Héder- 
vàry,  s'est  décidée  à  publier  les  chartes  et  les  documents  de  ses 
archives.  Le  regretté  baron  B.  Radvànszky  avait  pris  l'initiative  de 
cette  publication,  dont  il  n'a  pu  voir  le  premier  tome  qui  vient  de 
paraître  sous  le  titre  :  Recueil  des  chartes  de  la  famille  Hédervàry 
{A  Hédervàry-csalàd  oklevéltàra,  t.  I.  Budapest,  Académie,  1909, 
in-8°,  viii-604  p.),  par  les  soins  de  M.  Zâvodszky.  Ce  volume  contient 
418  documents  tirés  en  grande  partie  des  archives  de  Hédervâr  et 
complétés  par  ceux  qui  se  trouvent  dans  les  Archives  royales  et  au 
Musée  national  de  Budapest.  Tous  ces  documents,  qui  vont  de  1231  à 
l")-2lj.  sont  en  latin.  M.  Zâvodszky  y  a  ajouté,  dans  une  brochure  à 
part,  la  reproduction  en  phototypie  de  cinq  chartes  particulièrement 
intéressantes. 

3°  M.  R.  Békefi,  l'historien  de  l'enseignement  en  Hongrie,  nous 
donne  dans  son  étude  sur  l'Université  de  Pécs  (A  pécsi  egyetem. 
Budapest,  Académie,  1909,  138  p.  et  4  planches)  des  renseignements 


196  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

très  intéressants  sur  cette  première  Université  hongroise.  Elle  fut 
fondée  par  Louis  le  Grand,  de  la  maison  d'Anjou,  en  1367,  sur  les 
instances  de  Guillaume,  évêque  de  Pécs  (Cinq-Églises),  ancien  cha- 
pelain et  secrétaire  du  roi,  pour  retenir  la  jeunesse  studieuse  dans  le 
pays.  Calquée  sur  le  modèle  de  celles  de  Prague  (1348),  de  Cracovie 
(1364)  et  de  Vienne  (1365),  elle  fut  confirmée  par  Urbain  V.  La  bulle 
est  datée  d'Avignon,  le  1er  septembre  1367,  et  se  trouve  presque  iden- 
tique à  celles  des  trois  universités  mentionnées.  La  papauté,  voulant 
favoriser  l'Université  de  Paris  et  peut-être  aussi  par  crainte  des  doc- 
teurs hérétiques,  n'avait  pas  accordé  à  ces  universités  l'enseignement 
de  la  théologie.  Parmi  les  professeurs  de  l'Université  de  Pécs,  il  y 
avait  de  nombreux  Italiens,  notamment  Galvano,  fils  de  Bettino  de 
Bologne,  qui  jouissait  d'un  traitement  de  G00  florins  d'or,  traitement 
huit  fois  supérieur  à  celui  des  professeurs  de  Cracovie.  On  croyait 
jusqu'ici  que  l'Université  de  Pécs  périt  entre  1543  et  1547,  lorsque  la 
ville  tomba  entre  les  mains  des  Turcs.  M.  Békefi  démontre,  grâce  à 
une  lettre  adressée  par  le  roi  Mathias  Corvin  au  pape  Paul  II  en  1465, 
que  l'Université  n'existait  plus  alors.  Un  passage  du  récit  du  voyageur 
turc  Evlia  Cselebi,  qui  a  visité  la  Hongrie  entre  1660  et  1666,  a  per- 
mis à  M.  Békefi  de  déterminer  l'emplacement  de  l'Université,  dont  les 
bâtiments  servaient,  au  xvne  siècle,  de  caserne.  L'étude  nous  fait 
encore  connaître  quelques  discours  sacrés  prononcés  à  l'Université  et 
dont  le  texte  est  conservé  dans  un  manuscrit  latin  de  la  bibliothèque 
de  Munich  (lat.  22363  b);  parmi  ces  discours,  il  y  en  a  douze  sur  des 
saints  hongrois  que  nous  trouvons  reproduits  ici.  Le  savant  hongrois 
cite  souvent  l'édition  du  Cartulaire  de  l'Université  de  Paris,  mais  il 
ne  mentionne  comme  éditeur  que  M.  Denifle;  or,  M.  Châtelain  y  a 
collaboré  et  son  nom  figure  aussi  sur  le  titre. 

4°  M.  S.  Borovszky  publie  le  premier  volume  de  l'Histoire,  du 
Comitat  de  Borsod  (Borsod  vàrmegye  tôrténete,  t.  I.  Budapest, 
1909,  xvi-419  p.,  illustré).  C'est  une  des  meilleures  monographies  qu'on 
ait  consacrées  à  une  contrée  hongroise.  Elle  diffère  des  autres  monogra- 
phies dans  ce  sens  que  M.  Borovszky  s'est  chargé  tout  seul  d'étudier  le 
comitat  sous  tous  les  aspects  depuis  les  temps  les  plus  anciens  jus- 
qu'en 1711,  c'est-à-dire  la  défaite  de  Râkôczi.  Quand  on  parcourt  la 
liste  des  archives  (p.  xn-xiv)  d'où  l'auteur  a  tiré  sa  documentation,  on 
est  saisi  de  respect  devant  un  tel  labeur.  Le  comitat,  son  chef-lieu 
Miskolcz,  la  ville  de  Dios-Gyor  et  la  forteresse  Szendrô  ont  joué  un 
rôle  assez  important  dans  l'histoire  de  Hongrie.  M.  Borovszky  suppose 
que  le  premier  chroniqueur  hongrois,  l'Anonyme  du  roi  Bêla,  était 
originaire  de  cette  contrée,  car  il  ne  décrit  aucun  comitat  avec  autant 
d'exactitude  que  le  comitat  de  Borsod.  Le  célèbre  registre  de  Nagy- 
Vàrad,  dont  M.  Borovszky  avec  M.  Karâcsonyi  ont  donné  une  édition 
critique  (cf.  Rev.  hist.,  juillet-août  1904),  a  fourni  maints  traits  pour 
retracer  la  vie  sociale  de  cette  contrée  au  moyen  âge.  Le  tableau  de 
la  situation  des  grands  seigneurs,  des  nobles  et  des  jobhagyones,  du 


niSTOIRE    DE    HONGRIE.  197 

mouvement  hussite,  de  l'occupation  par  les  Turcs,  les  pages  sur  la 
Réforme  qui  y  trouva  de  nombreux  adeptes,  sur  la  vie  scolaire,  sur 
l'organisation  autonome  du  Comitat,  sur  les  luttes  pour  la  liberté  de 
conscience  sous  Bocskay  et  les  Râkôczi  sont  très  réussis.  C'est 
d'après  des  documents  inédits  que  M.  Borovszky  donne  la  liste  de 
toutes  les  lettres  de  noblesse  octroyées  de  1512  à  1717.  —  Les  illus- 
trations ne  sont  pas  nombreuses,  mais  elles  sont  fort  bien  exécutées 
et  les  portraits  ont  une  valeur  iconographique. 

5°  L'étude  de  M.  D.  Szabô  sur  l'Histoire  des  diètes  hongroises  à 
l'époque  de  Louis  II  {A  magyar  orszàggyùlések  tôrténete  II. 
Lajos  horàban.  Budapest,  Académie,  1909,  in-8°,  vm-282  p.)  se 
divise  en  deux  parties.  Dans  les  110  premières  pages,  l'auteur  expose, 
d'après  les  documents,  le  triste  état  du  pays  entre  1516  et  1526,  la 
discorde  de  l'oligarchie  qui  avait  amené  la  catastrophe  de  Mohàcs. 
Dans  la  seconde  partie,  nous  trouvons  les  documents  se  rapportant 
aux  différentes  diètes,  documents  en  partie  déjà  connus,  en  partie 
inédits.  Presque  tous  sont  en  latin,  quelques-uns  seulement  en  alle- 
mand ou  en  italien. 

6°  Le  nouveau  volume  des  Monumenta  Hungariae  historica  con- 
tient la  Correspondance  et  les  Actes  du  général  Georges  Basta 
{Basta  Gyôrgy  hadvezér  levelezése  es  iratai;  t.  I  :  1597-1602.  Buda- 
pest, Académie,  1909,  in-8°,  xliv-758  p.),  édités  par  André  Veress, 
auquel  nous  devons  déjà  une  bonne  biographie  de  la  reine  Isabelle, 
veuve  de  Jean  Zâpolya,  et  les  Lettres  d'Alphonse  Carrillo  (cf.  Rev.  hist. , 
juillet-août  1907).  Il  a  réuni  dans  ce  volume  963  documents  presque 
tous  en  italien,  en  latin  ou  en  allemand.  Basta.  d'origine  italienne. 
avait  guerroyé  d'abord  dans  les  Pays-Bas;  général  hardi,  mais  cruel, 
la  cour  de  Vienne  l'envoya  en  Transylvanie  pour  combattre  d'abord 
Bàthory,  puis  le  woïwode  Michel.  Comme  gouverneur,  il  y  a  laissé 
les  souvenirs  les  plus  tristes.  Le  soulèvement  de  Bocskay  a  mis  fin  à 
sa  tyrannie.  Les  nombreuses  lettres  qu'il  adressa  à  Mathias  et  à 
Maximilien,  aux  comitats  hongrois,  éclairent  plusieurs  points  de  l'his- 
toire de  la  Transylvanie  et  permettront  de  retracer  le  portrait  moral 
de  ce  général  qui,  tout  en  étant  l'instrument  de  l'Autriche,  demanda 
l'organisation  d'une  armée  hongroise,  persuadé  qu'elle  rendrait  plus 
de  service  que  les  mercenaires  autrichiens.  M.  Veress  a  tiré  ces  docu- 
ments, en  grande  partie,  des  archives  hongroises,  mais  Parme, 
Modène  et  Rome  ont  également  fourni  bon  nombre  de  missives. 

7°  La  dernière  publication  du  regretté  Coloman  Thaly  intéressera 
particulièrement  les  historiens  français.  C'est  une  édition  d'une  partie 
des  Mémoires  de  César  de  Saussure  sur  son  séjour  en  Turquie,  à 
Constantinople  d'abord,  puis  à  Rodosto  comme  «  gentilhomme  des 
commandements  »  du  prince  François  Râkôczi,  en  1734  et  1735.  Le 
manuscrit  de  ces  Mémoires,  que  de  Saussure  composa  entre  1740  et  1742, 
n'était  pas  inconnu  aux  contemporains.  Voltaire  l'avait  eu  entre  les 
mains.  De  nos  jours,  M.  van  Muyden  en  a  publié  une  partie  sous  le 


198  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

titre  :  Lettres  ei  voyages  de  Monsieur  César  de  Saussure  en  Alle- 
magne, en  Hollande  et  en  Angleterre,  1725-1729  (Lausanne,  1903). 
C'ost  à  Londres  que  Saussure  lit  la  connaissance  de  Lord  Kinnoul 
qui,  nommé  ambassadeur  auprès  de  la  Porte  ottomane,  l'emmena  à 
Constantinople  comme  secrétaire.  Là.  quelques  seigneurs  hongrois 
l'engagèrenl  à  venir  les  voir  à  Rodosto.  Il  s'y  rendit  et  entra,  en 
173i,  au  service  du  prince  donl  il  revit  les  manuscrits  français.  Il  y 
resta  jusqu'après  la  mort  de  Râkôczi  et  donna  dans  ses  Mémoires, 
sous  forme  de  lettres,  non  seulement  des  détails  sur  la  vie  et  le  rôle 
de  Râkôczi  en  Hongrie,  mais  aussi  des  notes  intéressantes  sur  les 
deux  dernières  années  de  sa  vie.  M.  Thaly,  ayant  eu  connaissance  de 
ces  Mémoires,  les  fit  copier  à  Lausanne  et  les  édita  avec  une  traduc- 
tion hongroise  et  une  introduction  de  82  pages  :  Lettres  de  Turquie 
(1730-1739):  Notices  (17k0)  de  César  de  Saussure  (De  Saussure 
Czézàrnak  torôhorszàgi  lèvelei  1730-39-bôl  es  fôljegyzései  I7k0-bôl. 
Budapest,  Académie,  1909,  in-8°,  380  p..  avec  le  portrait  de  Saussure). 
La  partie  des  Lettres,  qui  n'est  qu'un  extrait  de  l'ouvrage  de  Râkôczi 
(Histoire  des  révolutions  de  Hongrie.  La  Haye,  1739),  n'offre 
presque  rien  de  nouveau;  mais  il  y  a  deux  longues  lettres  qui  sont 
importantes.  D'abord  celle  où  Saussure  raconte  la  trahison  de  Bohn. 
officier  danois  attaché  comme  secrétaire  à  Ràkôczi  pendant  dix  ou 
douze  ans  et  qui,  en  réalité,  n'était  qu'un  espion  au  service  de  l'Au- 
triche et  a  trahi  uon  seulement  son  maître,  mais  aussi  le  pacha  Bon- 
neval  et  l'ambassadeur  de  France  à  Constantinople.  le  marquis  de 
Villeneuve.  Démasqué  lors  de  son  voyage  à  Paris  en  1734,  il  fut  arrêté 
et  envoyé  à  la  Bastille,  où  il  resta  jusqu'en  1738.  Cette  partie  des 
Mémoires  peut  être  complétée  et  rectifiée  parles  documents  conserves 
aux  archives  des  Affaires  étrangères  à  Paris  et  par  ceux  de  la  Bas- 
tille. M.  Thaly  n'en  a  pas  eu  connaissance  et  nous  avons  démontré  en 
les  publiant  (Revue  de  Hongrie,  janv.  et  févr.  1910)  que  l'introduc- 
tion de  son  ouvrage  aurait  pu  gagner  en  exactitude  s'il  les  avait  con- 
sultés. La  seconde  lettre  importante  est  celle  qui  se  rapporte  à  la  mort 
et  à  l'enterrement  de  Râkôczi  dans  le  couvent  des  Jésuites  à  Constan- 
tinople. Cette  lettre  complète  les  renseignements  contenus  dans  les 
Lettres  de  Turquie  de  Mikes.  le  fidèle  gentilhomme  de  la  Chambre 
du  prince.  —  M.  Thaly  a  ajouté  à  son  volume  intéressant  l'inventaire 
du  mobilier  de  Ràkôczi  à  Rodosto,  inventaire  dressé,  en  1736,  par 
François  Belin,  premier  secrétaire  d'ambassade  à  Constantinople. 

8°  M.  A.  Hodinka,  chargé  par  l'Académie  hongroise  d'écrire  l'his- 
toire des  églises  grecques  en  Hongrie,  nous  offre  aujourd'hui  un 
volume  compact  sur VÉvêché grec-cal holique  de  Munhàcs{A  mun- 
kâcsi  gôrôg-katholikus  pûspôkség  tôrténete.  Budapest,  Académie, 
1910,  in-8°,  vin-856  p.),  évêché  qui,  selon  lui.  résume  toute,  l'histoire 
du  peuple  ruthène  (petits  Russiens).  Les  églises  roumaines  et  serbes  de 
Hongrie  viendront  à  leur  tour.  M.  Hodinka  a  puisé  dans  toutes  les 
archives  nationales,   ecclésiastiques   et   privées   de  la   Hongrie;   il   a 


HISTOIRE    DE    HONGRIE.  199 

étendu  ses  recherches  jusqu'à  Rome,  et  son  volume  fait  honneur  à  la 
jeune  école  historique  magyare.  Après  un  résumé  rapide  de  l'histoire 
des  Ruthènes  jusqu'en  1458,  il  expose,  dans  une  première  partie, 
l'histoire  extérieure  de  l'évêché  de  1458  à  1800,  et,  dans  une  seconde 
partie,  son  histoire  intérieure;  il  donne  des  détails  intéressants  sur  la 
vie  intellectuelle  des  Grecs  unis,  sur  leur  liturgie,  sur  le  clergé  des 
campagnes  et  leur  action.  Un  index  très  détaillé  (p.  820-85?)  facilite 
les  recherches. 

9°  M.  Benjamin  Kâllay  s'est  acquis  une  renommée  européenne 
comme  gouverneur  de  la  Bosnie  et  de  l'Herzégovine.  C'était  un 
homme  d'État  doublé  d'un  historien  très  bien  informé.  Sa  carrière 
politique  le  mit  en  contact  avec  les  Slaves  du  Sud  et,  pour  comprendre 
leurs  aspirations,  il  a  étudié  leur  histoire  et  fouillé  leurs  archives. 
Son  Histoire  des  Serbes  (1877),  traduite  en  allemand,  est  devenue 
classique  et,  selon  Laveleye,  à  Belgrade  même,  on  reconnaît  que  c'est 
la  meilleure  qui  existe.  Malgré  le  labeur  absorbant  de  son  adminis- 
tration, il  avait  continué  ses  recherches,  mais  la  mort  est  venue  le 
surprendre  au  milieu  de  son  travail.  C'est  un  de  ses  amis,  M.  Louis 
Thallôczy,  l'homme  de  Hongrie  qui  connaît  le  mieux  les  Slaves  du 
Sud,  qui  vient  de  publier  les  parties  achevées  de  son  Histoire  du 
soulèvement  serbe  (A  szerb  felkelés  torténete,  1807-1810.  Budapest, 
Académie,  1909,  2  vol.  in-16,  405  et  415  p.,  avec  le  portrait  de  Kâllay). 
Ces  deux  volumes  forment  la  suite  de  l'ouvrage  paru  en  1877  et  nous 
donnent  le  récit  du  soulèvement  d'après  les  recherches  faites  dans  les 
archives  de  Vienne,  de  Paris  et  dans  les  pays  slaves  et  d'après  les 
dernières  publications  serbo-croates.  Kâllay  a  encore  pu  utiliser  la 
thèse  de  M.  Pisani  sur  la  Dalmatie,  mais  les  volumes  récents  de 
MM.  Driault  (/a  Politique  orientale  de  Napoléon)  et  Yakschitch 
(l'Europe  et  la  résurrection  de  la  Serbie)  ont  paru  après  sa  mort. 
Il  nous  donne  un  exposé  large  et  abondamment  documenté  du  soulè- 
vement et  des  portraits  des  personnages  qui  y  ont  participé.  M.  Thal- 
lôczy a  ajouté  le  Journal  de  voyage  de  Kâllay  en  Serbie  et  en  Bosnie 
(1868  et  1871),  puis  l'éloge  qu'il  a  prononcé  sur  lui  à  la  séance  solen- 
nelle de  l'Académie  en  1909,  enfin  des  notes  biographiques  sur  les 
Slaves  qui  figurent  dans  le  texte.  Les  documents  français  reproduits 
dans  les  notes  sont  d'une  grande  correction,  ce  qui  est  assez  rare  dans 
les  publications  hongroises.  I.  Kont. 

—  Cte  Joseph  de  Mailâth.  La  Hongrie  rurale,  sociale  et  poli- 
tique, préface  de  M.  René  Henry  (Paris.  Alcan,  in-8°,  348  p.).  — 
Comme  le  titre  l'indique,  il  y  a  trois  parties  dans  ce  livre  :  un  tableau 
de  la  Hongrie  rurale,  étudiée  surtout  au  point  de  vue  des  associations, 
de  la  coopération,  ce  qui  est  pour  l'auteur,  grand  propriétaire  en  Hon- 
grie, l'occasion  d'exposer  son  propre  programme  agraire,  avec  deux 
discours  prononcés  par  lui  sur  ce  sujet  à  la  Chambre  des  magnats  en 
1907  ;  il  y  a  ensuite  une  très  courte  étude  et  très  vive   critique  du 


200  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

socialisme  et  des  socialistes  eu  Hongrie;  enfin  un  exposé  do  la  poli- 
tique hongroise  au  commencement  du  x.v  siècle  E.  D. 

Histoire  d'Italie. 

—  Albert  Dauzat.  L'Italie  moderne  (Paris,  Charpentier,  1909,  in-18, 
XV-387  p.).  —  Dans  ce  livre  de  journalisme  aimable,  informé,  sympa- 
thique aux  Italiens,  ou  ne  trouvera  rien,  ou  à  peu  près,  sur  l'évolution 
intellectuelle  et  artistique  de  l'Italie,  sur  la  question  agraire  et  sur  son 
corollaire,  la  question  de  l'émigration;  le  mouvement  ouvrier  est  traité 
trop  succinctement;  le  chapitre  consacré  à  l'orientation  politique  et 
sociale  est  au  contraire  bourré  de  trop  de  choses.  Mais  l'ensemble  est 
amusant,  bien  venu,  et  l'on  trouve,  à  propos  de  l'analphabétisme,  des 
notes  curieuses  sur  les  tendances  patriotiques  de  l'enseignement  pri- 
maire et  des  pages  intéressantes  sur  l'influence  de  la  langue  française 
en  Italie.  G.  Bx. 

—  Dott.  Luigi  La  Rocca.  Istruzioni  al  Marchese  Falletti  di  Casta- 
gnola,  vicerè  di  Sardegna  dal  1831  al  1835  (sic)  (Catania,  Giannotta, 
s.  d.,  in-8°,  24  p.).  —  Les  dates  données  par  le  titre  de  cet  opuscule 
sont  fausses  :  il  faut  lire  1731-1735,  et  il  s'agit  des  instructions  don- 
nées par  Charles-Emmanuel  II,  roi  de  Sardaigne,  le  30  octobre  1731,  au 
marquis  Falletti  di  Castagnola,  le  premier  gouverneur  d'origine  pié- 
montaise  en  Sardaigne  après  la  domination  espagnole.  Dans  ces  ins- 
tructions, on  recommande  au  gouverneur  de  suivre  la  tradition  espa- 
gnole, de  réconcilier  les  partis,  —  Sardes  dévoués  aux  Autrichiens,  — 
et  d'employer  la  langue  espagnole,  et  on  lui  donne  la  marche  à  suivre 
en  ce  qui  touche  la  perception  des  impôts,  l'instruction  des  poursuites 
criminelles,  les  rapports  de  l'État  avec  le  clergé.  G.  Bn. 

—  Pietro  Orsi.  Ultalia  moderna.  Storia  degli  ultimi  150  anni. 
Collezione  storica  Villari  (Milano,  U.  Iloepli,  1910,  in-16,  xvi-496  p.). 
—  La  première  édition  de  l'excellent  petit  manuel  de  M.  Orsi  date  de 
1900,  la  seconde  de  1902.  La  troisième,  que  nous  avons  sous  les  yeux, 
a  trente-huit  pages  de  plus  que  la  précédente,  mais  vingt  chapitres  au 
lieu  de  vingt  et  un,  car  les  chapitres  xvi-xvm,  où  était  naguère 
racontée  l'évolution  de  l'Italie  entre  1861  et  1870,  ont  été  réunis  en  un 
seul,  et  l'on  trouve  eu  revanche  un  chapitre  sur  le  règne  en  cours  de 
Victor-Emmanuel  IL  Les  pages  consacrées  par  M.  Orsi  au  mouvement 
intellectuel  et  artistique  ont  à  peine  été  retouebées:  on  regrettera, 
d'autre  part,  île  ne  pas  trouver  dans  cette  édition  plus  que  dans  les 
précédentes  la  moindre  notion  d'histoire  économique  et  sociale.  La 
bibliographie  sommaire  qui  termine  l'ouvrage  s'est,  en  revanche, 
enrichie  de  nombreuses  additions  (51  pages  au  lieu  de  43).  —  G.  Bx. 

—  George  Macaulay  Trevelyax.  Garibaldi  e  ?;)  difesa  délia 
Repubblica  romana  (Bologna,  Zanichelli,  1909,  in-8°,  xin-433  p.).— 
J'ai  signalé  jadis   l'ouvrage  de  M.  Trevelyan  sur  Garibaldi  en   184'.) 


HISTOIRE    D1ORIEIVT.  201 

(t.  XCVII,p.  404-405).  De  cet  ouvrage,  capital  pour  l'histoire  de  la  Répu- 
blique romaine,  Mnin  Emma  Bice  Dobelli  a  donné,  d'après  la  quatrième 
édition  anglaise,  une  traduction  italienne  corrigée  et  augmentée  par 
l'auteur.  Les  adjonctions  ne  sont,  pas  nombreuses  et  portent  essentiel- 
lement sur  les  alentours  d'U.  Bassi  (p.  347  et  suiv.)  et  sur  la  bibliogra- 
phie. D'autre  part,  on  trouve  dans  cette  tradition  des  appendices  nou- 
veaux sur  le  témoignage  de  Palmerston  en  ce  qui  touche  les  atrocités 
autrichiennes,  la  carrière  et  le  témoignage  du  Garibaldien  anglais 
Forbes,  le  débarquement  des  bragozzi  garibaldiens,  les  témoignages  de 
Mini  et  Stocchi,  enfin  la  mort  d'Anita  Garibaldi  ;  M.  Trevelyan  n'a  pas 
eu  de  peine  à  démontrer  l'absurdité  de  la  légende  qui  assure  que  la 
femme  de  Garibaldi  a  été  étranglée.  G.  Bn. 

Histoire  d'Orient. 

—  Joseph  Hell.  Die  Kultur  der  Araber  (Leipzig,  Quelle  et  Meyer, 
in-16,  144  p.;  prix  :  1  m.  Collection  intitulée  :  Wissenschaft  und 
Bildung).  —  Résumé  très  rapide  et  qui  paraît  bien  informé  sur  la 
civilisation  arabe  avant  l'Islam,  au  temps  de  Mahomet,  puis  dans  les 
régions  occupées  par  les  Musulmans. 

—  Friedrich  Groh.  Der  Zusammenbruch  des  Reiches  Jérusalem, 
1187-1189  (Iéna,  B.  Vopelius,  1909,  in-8°,  xxiv-79  p.).  —  M.  F.  Groh 
a  étudié,  d'après  le  témoignage  des  sources  occidentales  et  arabes,  la 
campagne  de  Saladin  contre  le  royaume  de  Jérusalem  en  1187,  la 
bataille  de  Hittin,  le  siège  et  la  prise  de  Jérusalem  et  l'occupation  de 
toutes  les  places  du  royaume.  La  chronologie  des  événements  est 
discutée  et  établie  avec  soin.  Une  abondante  bibliographie  précède 
l'ouvrage.  Dans  un  appendice,  l'auteur  cherche  à  justifier  Raimond  de 
Tripoli  du  reproche  de  trahison  en  soutenant  que,  s'il  a  pris  des  troupes 
musulmanes  à  son  service  pour  lutter  contre  Guy  de  Lusignan,  il  n'a 
fait  que  suivre  un  usage  courant;  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que, 
d'après  l'auteur  de  VEstoire  d'Eracles  (Histor.  occid.  Crois.,  t.  II, 
p.  36),  il  a  livré  au  fils  de  Saladin,  à  contre-cœur  il  est  vrai,  le  passage 
du  gué  de  Jacob  et  favorisé  ainsi  l'invasion  du  royaume.       L.  B. 

—  Archdeacon  Dowlino,  D.  D.  The  patriarchate  of  Jérusalem 
(London,  Soc.  forpromot.  Christian  Knowledge,  1909,  in-12,  xm-70p.). 
—  Cette  élégante  notice,  illustrée  de  curieuses  photogravures,  est  con- 
sacrée à  la  situation  présente  du  patriarcat  orthodoxe  de  Jérusalem. 
Après  avoir  rappelé  quelques  dates  de  l'histoire  de  cette  institution  et 
donné  la  liste  des  patriarches  au  XIXe  siècle,  l'archidiacre  Dowling 
consacre  un  chapitre  à  la  biographie  du  patriarche  actuel  Damianus, 
originaire  de  Samos,  et  à  celle  du  savant  évêque  du  Jourdain  Épipha- 
nius.  Il  donne  ensuite  des  renseignements  sur  l'état  actuel  de  la  hié- 
rarchie ecclésiastique,  sur  l'archevêché  autonome  du  Sinai,  sur  la 
constitution  du  Saint-Synode  de  Jérusalem,  sur  la  place  occupée  par 


202  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

les  Grecs  dans  l'église  du  Saint-Sépulcre  et  sur  les  établissements 
principaux  qui  dépendent  du  patriarcat  (monastère  de  Saint-Constan- 
tin avec  sa  riche  bibliothèque  provenant  de  Saint-Sabas,  imprimerie 
patriarcale  où  s'édite  depuis  1904  la  revue  intitulée  .Ve;i  Sion,  les  hôpi- 
taux et  hospices  des  pèlerins,  le  monastère  de  la  Croix  où  est  établi 
un  séminaire  pour  le  recrutement  du  clergé,  enfin  des  sanctuaires  plus 
anciens  et  toujours  vénérés  de  Saint-Sabas  et  Saint-Théodose).  Un 
appendice  donne  quelques  détails  intéressants  sur  l'activité  de  la 
Société  impériale  russe  de  Palestine  et  sur  la  célèbre  mosaïque  de 
Mâdabà.  On  trouvera  dans  ce  petit  livre  des  renseignements  précis  sur 
la  situation  actuelle  de  l'orthodoxie  hellénique  en  Palestine.  —  L.  B. 

—  Paul  Imbert.  La  rénovation  de  l'empire  ottoman.  Affaires  de 
Turquie,  avec  2  cartes  hors  texte  (Paris,  Perrin,  1909,  in-12,  xvi- 
311  p.).  —  Annonçant  par  les  événements  récents  et  par  ceux  du  der- 
nier règne  «  le  réveil  de  la  race  turque  »,  M.  Imbert  a  écrit  ici  quelques 
chapitres  très  intéressants  et  sérieusement  documentés  sur  la  politique 
des  chemins  de  fer,  le  chemin  de  fer  de  Bagdad,  les  voies  ferrées  des 
Balkans,  la  ligne  de  La  Mecque.  Les  chapitres  sur  le  protectorat  français 
d'Orient,  sur  les  Réformes  et  le  Tanzimat  sont  moins  nouveaux.  Celui 
de  la  Turquie  constitutionnelle  est  un  des  meilleurs  tableaux  que  l'on 
puisse  lire  sur  les  suites  de  la  Révolution  de  1908.  Réserves  faites  sur 
l'admiration  qui  s'exprime  ici  maintes  fois  au  sujet  de  la  politique  du 
sultan  Abd-ul-Hamid  II,  on  aura  dans  ce  petit  livre  un  guide  très 
précieux  sur  la  situation  actuelle  de  la  question  d'Orient.  —  E.  D. 

—  Jean  Rodes.  La  Chine  nouvelle  (Paris.  Alcan,  1910,  329  p.). 
—  Bien  renseigné  par  un  voyage  en  Chine  à  l'occasion  d'une  mission 
de  la  Société  de  Géographie,  M.  Jean  Rodes  en  étudie  le  gouverne- 
ment, la  dernière  succession  au  trône,  la  grande  impératrice  douai- 
rière Tseu-IIsi,  venue  elle-même  à  la  politique  des  réformes,  puis  le 
parti  des  réformes  et  ses  destinées  très  troublées,  la  grandeur  et  la 
chute  de  son  chef  Yuan-Chi-Kaï.  En  effet,  les  fluctuations  de  la  poli- 
tique, les  conspirations  et  les  intrigues  qui  se  croisent  au  palais  impé- 
rial, la  mauvaise  volonté  des  mandarins,  mal  préparés  et  très  mal  dis- 
posés pour  les  institutions  occidentales,  tout  cela  compromet  la  réforme 
nécessaire,  et  M.  Rodes  demeure  sceptique  à  son  égard.  En  effet,  il 
résulte  de  son  enquête  très  patiente  et  très  pénétrante  que  le  travail 
des  réformes,  auquel  la  Chine  sembla  d'abord  se  mettre  fiévreuse- 
ment, est  cependant  très  peu  avancé  et  sans  doute  peu  sincère  :  il  y 
a  encore  peu  de  changement  dans  l'armée  et  la  marine  ;  l'enseigne- 
ment est  toujours  incliné  vers  la  culture  littéraire  et  morale  plus  que 
vers  les  sciences  modernes;  l'interdiction  de  l'opium  n'est  peut-être 
qu'un  bluff  ou  une  habileté  ;  la  préparation  des  lois  constitutionnelles 
est  très  lente,  peu  loyale,  l'échéance  en  est  sans  cesse  reculée,  et  le 
parti  des  mécontents  s'accroît  de  nouveau  ;  en  ce  qui  concerne  les  che- 
mins de  fer,  les  Chinois  n'ont  guère  que  la  volonté  d'en  reprendre  la 


HISTOIRE    DES    PAYS-BAS.  203 

propriété  pour  en  arrêter  peut-être  ensuite  la  construction  et  l'exploi- 
tation. M.  Rodes  termine  son  livre  très  utile  par  une  étude  intéres- 
sante de  la  psychologie  du  peuple  chinois,  de  son  nouveau  patriotisme, 
qui  est  un  mélange  de  modernisme  et  de  xénophobie  (comme  au 
Japon),  de  l'action  révolutionnaire  des  étudiants,  pour  la  plupart  venus 
du  Japon.  Il  définit  le  Keming,  ou  «  la  Révolution  »,  avec  son  chef 
Seng-Weng  ou  le  docteur  Takano,  en  marche  vers  la  régénération  par 
la  République  chinoise,  par  le  concours  insaisissable  et  toujours 
redoutable  des  sociétés  secrètes,  élément  dont  il  faut  tenir  grande- 
ment compte  dans  ce  pays  mystérieux.  E.  D. 

Histoire  des  Pays-Bas. 

—  N.  Iapikse.  Brieven  van  Johan  de  Witt;  2e  partie  :  1651 -166k 
(Amsterdam,  J.  Millier,  1909.  1  vol.  in-8°,  xix-652  p.).  —  Nous  n'avons 
pas  à  revenir  sur  ce  qui  a  été  dit  plus  haut  (p.  166)  de  ce  tome  II. 
Mais  nous  avons  le  devoir  d'ajouter  une  constatation  très  importante 
faite  par  le  savant  éditeur,  c'est  que  Combes,  dans  la  Correspon- 
dance française  de  Jean  de  Witt*,  a  souvent  arrangé  des  mémoires 
sans  date  pour  leur  donner  la  forme  épistolaire,  et  qu'il  a  même 
poussé  l'inconscience  jusqu'à  les  dater  à  sa  guise.  Voilà  du  coup  la 
publication  de  Combes  discréditée  et  son  auteur  suspect  d'avoir  traité 
ses  documents  avec  la  plus  fâcheuse  désinvolture,  sans  se  gêner  pour 
les  dénaturer.  A.  Waddington. 

—  Bijdragen  en  Mededeelingen  van  het  Historisch  Genoot- 
schap  te  Utrecht  (Amsterdam,  J.  Mùller,  1909,  t.  XXX,  in-8°,  cxi- 
400  p.).  —  Le  nouveau  volume  des  «  Bijdragen  »  de  la  Société  histo- 
rique d'Utrecht  renferme,  comme  de  coutume,  à  côté  de  rapports  sans 
valeur  historique,  quelques  documents  intéressants.  Tels  sont  :  les 
pièces  inédites  concernant  la  capitulation  trop  prompte  d'Amersfoort 
en  1629,  communiquées  par  M.  van  Dam  van  Isselt:  une  lettre  de  1769, 
en  français,  sur  la  vie  à  Utrecht.  communiquée  par  M.  Cramer;  des 
actes  (résolutions  de  conseils  municipaux,  sentences  et  pièces  notariéesl 
relatifs  à  la  Compagnie  du  Nord,  qui  jouit  de  1614  à  1642  du  mono- 
pole de  la  pêche  des  baleines,  commentés  par  M.  van  Brakel;  enfin  et 
surtout  un  mémoire  de  1728  sur  la  République  des  Provinces-Unies. 
Ce  mémoire,  en  français,  rédigé  par  le  marquis  de  Fénelon,  ambassa- 
deur de  France,  pour  un  remplaçant  provisoire.  M.  de  La  Baune,  a  été 
publié  par  M.  Th.  Bussemaker;  il  nous  renseigne  excellemment  sur 
la  situation  de  la  République  à  une  époque  mal  connue,  sur  la  déca- 
dence qui  s'annonce,  le  ralentissement  du  commerce  et  l'accroissement 
du  nombre  des  rentiers,  les  conséquences  néfastes  du  système  de  la 
Barrière.  Les  relations  avec  les  différentes  puissances  européennes 
sont  bien  expliquées  et  les  principaux  personnages  politiques,  notam- 

1.  Dans  la  collection  des  Documents  inédits.  Paris,  1873,  in-4°. 


204  MITES   BIBLIOGKAPHIQUES. 

ment  le  pensionnaire  Slingeland  et  le  greffier  Fagel,  heureusement 
caractérisés.  Feu  M.  Pynacker  Hordyk  avait  recueilli  douze  chartes 
inédites  du  XIIe  siècle  relatives  aux  Pays-Bas;  après  sa  mort,  M.  S. 
Muller  s'est  chargé  d'éditer  ces  documents  avec  les  notes  qu'y  avait 
jointes  M.  P.  A.  Enfin  une  lettre  sur  les  États  de  Hollande  assemblés 
le   17  novembre  1472  à  Delft  est  publiée  par  M.  Kesper. 

A.  Waddington. 

—  Comte  Adolphe  du  Chastel.  Les  Hollandais  avant,  pendant  et 
après  la  Révolution  de  1830  (Bruxelles,  libr.  Albert  Dewit,  1908).  — 
Ce  modeste  petit  livre,  qui  n'apprendra  rien  de  bien  neuf  aux  érudits, 
a  ce  mérite,  dit  l'auteur,  de  «  faire  comprendre  l'état  d'âme  des  Belges 
qui  ont  cru  devoir  rester  fidèles  à  la  maison  de  Nassau  ».  Cela  est 
vrai,  du  moins  en  ce  qui  concerne  l'état  d'âme  du  comte  Fortuné  du 
Chastel,  car  c'est  à  l'aide  de  la  correspondance  de  celui-ci  que  l'auteur 
a  composé  son  récit;  on  lira  avec  intérêt  les  informations  qu'il  donne 
sur  la  campagne  du  1er  au  14  août  1831  et  surtout  sur  le  sort  des  Belges 
restés  fidèles  au  roi  Guillaume  Ier.  Mais  d'autre  part  l'auteur  n'a  pas 
cherché  à  vérifier  les  faits  «  afin  de  ne  pas  faire  perdre  leur  saveur  » 
aux  mémoires  et  lettres  dont  il  s'est  servi  ;  cette  saveur,  le  lecteur  ne 
la  peut  pas  goûter  parce  que  M.  du  Chastel  ne  nous  offre  pas  les  docu- 
ments eux-mêmes,  mais  seulement  le  récit  qu'il  en  a  tiré;  le  plus  sou- 
vent on  ne  sait  pas  trop  si  c'est  le  comte  Adolphe  ou  bien  le  comte 
Fortuné  qui  parle.  Th.  B. 

Histoire  de  Pologne. 

—  Dmowski.  La  question  polonaise,  traduit  du  polonais  par  V. 
Gasztowtt,  préface  par  Anatole  Leroy-Beaulieu  (Paris,  Colin, 
1909,  in-12,  xxiv-332  p.).  —  M.  Dmowski,  député  de  Varsovie  à  la 
Douma,  président  du  Kolo  ou  du  club  polonais  à  Saint-Pétersbourg, 
s'efforce  de  détruire  l'alliance  russo-allemande  persécutrice  de  la 
Pologne  ;  il  «  offre  aux  Russes  la  main  des  Polonais  »  ;  il  voudrait 
organiser  le  Polentum  contre  le  Deutschtum,  l'entente  de  tous  les 
frères  slaves,  et  non  l'écrasement  des  uns  par  les  autres;  la  préface 
de  M.  Anatole  Leroy-Beaulieu,  qui  roule  sur  ce  thème,  est  admirable. 
Il  y  a  en  effet  20  millions  de  Polonais,  dressés  contre  l'hégémonie 
allemande,  à  l'avant-garde  du  monde  slave;  mais  ils  demeurent  divisés 
entre  les  trois  pays  co-partageants,  et  leur  organisation  nationale  est 
impossible.  Dès  lors  les  Allemands  continuent  leur  poussée  sur  l'Europe 
orientale,  à  travers  les  Slaves  désunis,  comme  toujours  depuis  le 
moyen  âge.  Cependant  la  nationalité  polonaise  s'est  réveillée,  par 
l'instruction,  par  la  culture,  par  la  formation  de  la  conscience  natio- 
nale chez  le  peuple  qui  autrefois  n'avait  souci  que  de  ses  querelles 
avec  la  noblesse  ;  le  temps  est  fini  du  romantisme  révolutionnaire 
antirusse  de  1830  ou  de  1863;  il  faut  en  venir  au  réalisme  devant  la 
force  des  circonstances-  actuelles;  il  faut  éviter  les  illusions.  Mais  la 


HISTOIRE    DE   SUISSE.  205 

conclusion  de  M.  Dmowski  est  mélancolique  :  la  Russie  prendra-t-elle 
cette  main  tendue?  Cela  n'est  pas  vraisemblable  sous  le  gouvernement 
actuel.  E.  D. 

Histoire  de  Roumanie. 

—  A.-D.  Xénopol.  Les  Roumains.  Histoire,  état  matériel  et 
intellectuel  (Paris,  Delagrave,  in-12,  156  p.).  —  Ce  petit  volume,  qui 
contient  les  huit  remarquables  leçons  faites  par  M.  Xénopol  au  Col- 
lège de  France  en  1908,  résume  les  données  essentielles  de  l'histoire 
de  la  Roumanie.  M.  Xénopol  expose  et  défend  avec  talent  la  thèse  qui 
considère  les  Roumains  actuels  comme  les  descendants  des  Daco- 
Romains  qui  ont  occupé  la  Dacie  romaine  du  IV  au  me  siècle  de 
notre  ère.  Cette  occupation  confère,  à  ses  yeux,  aux  Roumains  un 
droit  historique,  éminent  même,  sur  les  territoires  où  aujourd'hui  ils 
subissent  un  joug  étranger.  On  lira  en  France  avec  un  intérêt  parti- 
culier les  très  beaux  chapitres  où  M.  Xénopol  expose  l'entrée  de  la 
Roumanie  dans  la  civilisation  occidentale  par  l'influence  de  la 
Renaissance  d'abord,  puis  de  la  France,  qui  a  agi  sur  la  Roumanie 
par  son  esprit  et  par  sa  politique.  Et  on  trouvera  dans  les  derniers 
chapitres  de  sérieux  avertissements  sur  l'urgence  qu'il  y  a  à  ne  pas 
laisser  des  rivaux  prendre  notre  place  en  Roumanie  au  point  de  vue 
intellectuel  comme  au  point  de  vue  économique.  Il  y  a  là  tout  un 
champ  d'action  qu'on  ne  doit  pas  négliger:  G.  M. 

Histoire  de  Suisse. 

—  Charles  Seitz.  L'historien  Niebuhr,  citoyen  de  Genève 
(Genève,  Georg  et  Cie,  1909,  in-8°,  20  p.).  —  Le  travail  de  M.  Seitz 
est  un  des  nombreux  mémoires  publiés  à  l'occasion  du  jubilé  de 
l'Université  de  Genève.  Il  nous  y  raconte  comment  l'illustre  historien 
critique  des  origines  de  Rome,  qui  fut  aussi  diplomate  prussien,  reçut 
de  la  petite  république  le  droit  de  bourgeoisie  dans  cette  cité.  Le  gou- 
vernement genevois  voulait  le  récompenser  de  son  intervention  béné- 
vole auprès  du  Saint-Siège  (auprès  duquel  Niebuhr  était  accrédité  par 
Frédéric-Guillaume  III)  afin  d'obtenir  pour  la  république  le  transfert 
de.  ses  sujets  catholiques  de  l'obédience  de  l'évèque  de  Chambéry  à 
celle  de  l'évèque  de  Lausanne.  Cette  demande,  appuyée  par  l'Au- 
triche, l'Angleterre  et  la  Russie,  était  contrecarrée  par  la  Sardaigne; 
notre  historien  finit  cependant  par  obtenir  de  Pie  VII,  le  20  septembre 
1819,  le  bref  Inter  multiplices  qui  ratifiait  l'arrangement  désiré.  Le 
conseil,  enchanté,  vota  la  remise  à  Niebuhr  du  diplôme  de  bourgeoi- 
sie, d'une  riche  tabatière  et  d'une  somme  de  huit"  mille  francs.  Par 
une  lettre  du  9  février  1820,  celui-ci  accepta  diplôme  et  tabatière,  mais 
refusa  l'argent. 

—  Un  Genevois  d'autrefois  :  Henri-Albert  Gosse  (1153-1816), 


206 


NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 


d'après  des  lettres  el  des  documents  inédits  par  Danielle  Plan  (Paris, 
Fischbacher;  Genève,  Kûndig,  1909,  in-8°,  522-CIX  p.,  portraits  et 
fac-similés).  —  C'est  un  gros,  bien  gros  volume  que  l'auteur  consacre 
à  la  biographie  d'un  modeste  apothicaire  genevois;  mis  en  devoir  de 
le  parcourir,  on  commence  par  soupirer  de  ce  que  lit  piété  de  ses  des- 
cendants ait  conservé  avec  tant  de  respect  les  papiers  accumulés  par 
le  botaniste  émérite,  le  diplomate  de  rencontre  que  l'ut  Henri-Albert 
Gosse,  le  «  solitaire  de  Mornex  ».  Mais  le  livre  est  écrit  avec  tant  de 
simplicité,  si  rempli  de  détails  caractéristiques  sur  la  Genève  de  la  fin 
du  xvme  et  aux  débuts  du  xixc  siècle,  qu'on  finit  par  y  prendre  plai- 
sir, même  quand  il  s'agit  d'un  mémoire  «  sur  les  accidents  résultant 
de  la  liberté  laissée  aux  cochons  de  se  promener  dans  les  rues  », 
rédigé  par  M.  Gosse,  ou  d'une  «  sauce  genevoise  pour  accommoder  les 
truites  du  lac  »,  inventée  par  Madame.  De  tous  les  chapitres  de  l'ou- 
vrage, ceux  qui  intéresseront  le  plus  un  public  français  sont  ceux  que 
Mlle  Plan  consacre  à  Gosse  et  ses  amis  Roland.  Notre  pharmacien 
fut  en  effet  très  lié  avec  le  futur  ministre  de  Louis  XVI  et  de  la  Con- 
vention et  avec  sa  femme.  On  y  trouvera  non  seulement  des  lettres 
de  Mme  Roland,  mais  la  correspondance  amoureuse  inédite  de  Louis 
Bosc  avec  sa  fille,  Eudoxie  Roland.  Signalons  encore  les  missions  de 
Gosse  auprès  du  Directoire,  ses  relations  avec  le  «  vertueux  » 
Larévellière-Lépeaux,  avec  le  général  Bonaparte,  dont  il  vante 
«  l'affabilité  et  la  bonté  »  et  dont  il  espère  un  instant  obtenir  la  con- 
servation de  l'indépendance  genevoise.  —  P.  373,  au  lieu  de  Fruguet, 
lire  Truguet.  R. 

—  Dr  Joh.  Mever.  Die  frûheren  Besitzer  von  Arenenberg .  Kôni- 
gin  Hortense  und  Prinz  Ludwig  Napoléon  (Frauenfeld,  Huber, 
1908,  in-8°,  437  p.).  —  Ce  livre  est  écrit  d'après  les  ouvrages  de 
Mmed'Arjuzon  et  de  Fourmestreaux  sur  la  reine  Hortense,  d'après  les 
mémoires  du  prince  Eugène,  les  mémoires  de  Mlle  Louise  Cochelet,  la 
correspondance  de  Mme  Campan.  Il  est  illustré  de  quelques  tableaux 
et  portraits  tirés  d'Arenenberg,  dont  quelques-uns  sont  intéressants. 
Mais  plus  de  la  moitié  du  volume  est  occupé  par  le  récit  de  la  vie 
d'Hortense  et  de  son  fils  avant  leur  établissement  à  Arenenberg  :  l'en- 
fance d'Hortense,  Hortense  en  pension,  chez  Mme  Campan,  à  Saint- 
Germain,  la  vie  à  la  Malmaison,  un  mariage  forcé,  une  malheureuse 
reine,  l'enfance  de  Louis-Napoléon.  Hortense  acheta  Arenenberg  en 
1817;  sauf  quelques  courts  séjours  à  Augsbourg,  elle  y  vécut  dès  lors, 
parmi  les  études  et  autres  travaux  de  son  fils;  elle  y  mourut.  Arenen- 
berg, alors  vendu  à  Karl  Keller,  fut  plus  tard  racheté  par  Napoléon  III. 

E.  D. 


RECUEILS  PÉRIODIQUES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES. 


France. 

i.  —  Revue  des  études  historiques.  T.  LXXVI ,  1910,  mars- 
avril.  —C.  Stryienski.  La  vocation  de  Mme  Louise,  tille  de  Louis  XV 
(son  entrée  au  Carmel  de  Saint-Denis  en  1770;  la  mort  du  roi).  — 
C.  Fauhe.  Le  règlement  du  collège  de  Vienne  en  1550  (analyse  et 
longs  extraits).  —  A.  Auzous.  La  dernière  campagne  de  l'amiral  de 
Linois,  1803-1806  (fin).  =  C. -rendu  :  A.  Hastin.  Le  Luxembourg,  son 
histoire  domaniale,  architecturale,  décorative  et  anecdotique  (jusqu'en 
1611;  utile).  =  Mai-juin.  P.  de  VaisSIÈre.  M.  de  Lordat,  page  du 
roi  en  la  Petite-Écurie,  cornette  aux  chevau-légers,  1725-1765  (d'après 
sa  correspondance  avec  son  oncle,  le  comte  de  Lordat,  brigadier  des 
armées  du  roi).  —  P.  Morane.  Alexandre  Ier,  Constantin  et  la 
Pologne,  1815-1825  (utilise  des  documents  d'archives  surtout  fran- 
çaises). =  C. -rendus  :  Rozet  et  Lembey.  L'invasion  de  la  France  et 
le  siège  de  Saint-Dizier  par  Charles-Quint  en  1544,  d'après  les  dépêches 
italiennes  de  Francesco  d'Esté,  de  Hieronymo  Feruffino,  de  Camillo 
Capilupo  et  de  Bernardo  Navajes  (important  recueil  d'actes).  —  Walis- 
zewski.  Souvenirs  de  la  comtesse  Golovine,  née  princesse  Galitzine, 
1766-1821.  =  Juill.-aoùt.  Fromageot.  Une  cousine  du  Grand  Condé  : 
Isabelle  de  Montmorency,  duchesse  de  Châtillon.  puis  de  Mecklem- 
bourg  (1er  art.).  —  A.  Pellerin.  Une  victime  de  la  délation  dans 
l'armée  en  1793  :  le  général  Collier  de  La  Marlière  (dénoncé  par 
Lavalette,  ci-devant  comme  lui,  La  Marlière,  ancien  chef  d'état-major 
o-énéral  de  l'armée  du  Nord  et  des  Ardennes,  fut  arrêté  le  31  août, 
comparut  devant  le  tribunal  révolutionnaire  le  25  novembre  et  exécuté 
le  27). 

2.  _  Revue  des  questions  historiques.  T.  XLIV,  1910,  1er  avr. 

—  Hyrvoix  de  Landosle.  L'enlèvement  du  grand  prieur  de  Ven- 
dôme. 1710  iler  art.,  où  l'auteur  trace  un  portrait  du  duc  de  Vendôme 
et  du  grand  prieur  son  frère;  puis  il  raconte  quelques  voies  de  l'ait 
commises  par  l'ambassadeur  de  France  en  Suisse,  avant  celle  dont  fut 
victime  le  grand  prieur.  Suite  le  1er  juill.  :  enlèvement  du  grand  prieur 
près  de  Coire,  le  28  octobre  1710.  Il  obtint  sa  liberté  en  signant  un 
«  revers  »  ignominieux  qu'il  était  d'avance  décidé  à  ne  pas  exécuter). 

—  Ch.  Bournisien.  Conséquences  économiques  et  sociales  de  la  vente 
des  biens  nationaux  (favorise  l'émancipation  des  bourgeois  et  des  fer- 
miers riches  et  le  bien-être  des  petits  ruraux  et  bourgeois,  mais  ne 


21)8  RECUEILS    PKRIODIQDES. 

modifie  pas  le  régime  économique  de  la  propriété).  —  L.  Kroger.  La 
o-uerre  de  la  Chouannerie  de  janv.  à  juin  1795  (dans  le  Maine,  d'après 
des  documents  communiqués  par  le  vicomte  de  Moutesson  et  notam- 
ment la  correspondance  du  général  Duhesme).  —  P.  Montarlot. 
Louis  Bonaparte,  roi  de  Hollande,  après  son  abdication  (efforts  vains 
de  Napoléon  pour  faire  rentrer  son  frère  en  Krancc  en  1810;  Louis 
Bonaparte  se  fixa  à  Gratz  où  il  resta  jusqu'en  1813).  —  Paul  Allard. 
Les  philosophes  scolastiques  et  l'esclavage  (leur  enseignement  sur  la 
servitude;  M.  Allard  essaie  de  montrer,  en  passant  en  revue  les  prin- 
cipaux de  ces  philosophes,  dans  quelle  mesure  ils  se  sont  séparés 
d'Aristote).  —  Strowski.  Sur  Port-Royal  et  le  jansénisme  (art. 
court,  mais  d'un  haut  intérêt;  revue  des  ouvrages  les  plus  récents 
parus  sur  le  jansénisme;  M.  Strowski  conclut  en  disant  qu'il  a  man- 
qué au  jansénisme  un  homme  et  une  doctrine).  —  L'-colonel  L.  Picard. 
Le  siège  de  Dantzig  il  y  a  cent  ans  (1807;  récit  détaillé;  suite  et  fin 
en  juillet).  =  C. -rendus  :  R.-L.  Schuyler.  The  Transition  in  Illinois 
from  British  to  American  government  (récit  clair).  —  J.  Audouard. 
Un  drame  passionnel  à  la  fin  du  xvme  s.  Le  crime  du  marquis  d'En- 
trecasteaux  (très  documenté).  =  1er  juill.  M.  Prévost.  Autour 
de  la  fête  de  la  Kédération.  La  vie  parisienne  du  10  au  20  juill. 
1739  —  g.  Saint-Yves.  La  lutte  contre  Napoléon  dans  l'Inde  :  la 
chute  de  Tipou  sultan  (Tipou,  fils  d'Haïder  Ali,  vaincu  par  Wellesley, 
le  futur  Wellington,  en  1799).  —  M.  Sepet.  Jeanne  d'Arc  et  ses  plus 
récents  historiens.  —  A.  Legris.  Le  graduel  de  l'église  cathédrale  de 
Rouen  à  la  fin  du  xne  s.  —  J.  de  Ghellinck.  Les  œuvres  de  Jean  de 
Damas  en  Occident  au  xne  s.  Citations  du  De  fide  orthodoxa  chez  Pierre 
Lombard.  —  G.  Gautherot.  Les  cahiers  de  1789.  La  rédaction  arti- 
ficielle des  doléances  révolutionnaires  (ces  doléances  «  ne  représentent 
point  l'opinion  profonde  du  peuple  français  ;  elles  ne  sont  que  le  pro- 
duit artificiel  des  menées  d'un  parti,  le  parti  philosophique  »)•  = 
C. -rendus  :  E.  Dupuy.  Américains  et  Barbaresques,  1776-1824  (très 
intéressant;  mais  pourquoi  nul  renvoi  aux  sources?).  —  P.  Thomas. 
La  Santa  Casa  dans  l'histoire  (sans  valeur).  —  Eschbach.  La  vérité  sur 
le  fait  de  Lorette  (échoue  complètement  dans  ses  efforts  pour  réfuter 
ceux  qui  tiennent  l'authenticité  de  la  maison  de  Lorette  comme  insuf- 
fisamment prouvée.  Dépose  par  A.  Fiérens  des  conclusions  de.  l'abbé 
Chevalier).  =  Bulletin  :  Goldsilrer.  Courrier  allemand. 

3.  —  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature.  1910,  23  juin. 
—  Olmstead.  Western  Asia  in  the  days  of  Sargon  of  Assyria,  722- 
705  B.  C.  (utile  et  en  partie  nouveau).  —  Rocheblave.  Agrippa  d'Au- 
bigné  (bon).  —  Desbrière.  La  campagne  du  général  Bourbaki  dans 
l'est  (trois  gros  volumes  bourrés  de  documents;  remarquable).  = 
30  juin.  Brownson.  Xenophon's  Hellenika  (bonne  édition  de  morceaux 
choisis  pour  les  classes).  —  Bratli.  Kilip  II  af  Spanien  (étude  très 
approfondie  sur  le  caractère  de  Philippe  II;  mais  l'auteur  s'est  laissé 
emporter  trop  loin  par  son  désir  de  parler  de  ce  roi  avec  impartialité  : 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  209 

il  en  fait  un  portrait  trop  flatté  que  les  témoignages  contemporains  ne 
justifient   pas).   =  7  juill.  Arma.inga.ud.   Montaigne  pamphlétaire. 
L'énigme  du  Contr'Un  (le  Contr'Un  a  été  utilisé  clans  le  Réveille- 
matin  des  François,  qui  parut  avant  le  22  mars  1574;  or,  Charles  IX 
mourut  le  3Q  mai  de  la  même  année;  le  «  tyran  »  du  Contr'Un  ne 
peut  donc  être  Henri  III,  mais  hien  Charles  IX.  Ainsi  croule  l'argu- 
mentation du  Dr  Armaingaud.  Discussion  très  serrée  par  H.  Hauser). 
—  E.  Picard.  Hohenlinden  (ouvrage  de  mérite  où  sont  utilisés  de 
nombreux  documents  inédits.  A.  Chuquet  y  relève,  avec  une  sévé- 
rité qui  semble  excessive,  des  lacunes  et  des  erreurs  notables  dans 
la  bibliographie,   beaucoup   de   faits   contestables   dans   le   texte).  =z 
14  juill.   F.   Cumont.   La    théologie    solaire  du  paganisme    romain 
(bon).  —  F.  Hayem.  Le  maréchal  d'Ancre  et  Léonora  Galigaï  (ce 
travail  posthume  s'arrête  à  l'année  1613;  intéressant).  —  D'Ph.  Maré- 
chal. Une  cause  célèbre  au  xvme  s.  Béatrix  de  Cusance,  Charles  IV 
de  Lorraine,  Caroline  d'Autriche  (récit  très  piquant  et  qui  apporte 
beaucoup  de  faits  nouveaux).  —  Mareschal  de  Bièvre.  Le  marquis 
de  Bièvre,  sa  vie,  ses  calembours,  ses  comédies,  1747-1789  (amu- 
sant). —  B.  de  La.com.be.  La  vie  privée  de  Talleyrand  (étudie,  d'après 
les  papiers  de  Mgr  Dupanloup,  le  mariage,  la  retraite  et  la  mort  de  ce 
personnage   qui   demeure  toujours  un  peu  mystérieux).  =  21  juill. 
A.    Fribourg.    Discours    de    Danton,   édition    critique  (long   article 
d'A.  Mathiez  tendant  à  montrer  de  combien  il  s'en  faut  que  cette  édi- 
tion soit  vraiment  critique).  =  28  juill. -4  août,  l'ngnad.  Keilschrift- 
texte  der  Gesetze  Hammurapis  (utile  reproduction  autographique  du 
code  d'Hammourabi,  auquel  ont  été  joints  plusieurs  fragments  assy- 
riens ou  néo-babyloniens  qui  le  complètent).  — Evans.  Scripta  Minoa 
(t.  I;  très  utile;  remarques  importantes  sur  les  écritures;  il  reste  à 
déchiffrer  les  textes). 

4.  —  Journal  des  savants.  1910,  juin.  —  H.  Cordier.  Les  fouilles 
en  Asie  centrale  (fin;  à  propos  de  celles  que  M.  Pelliot  a  si  heureuse- 
ment conduites;  résume  l'histoire  de  l'Asie  centrale  aux  temps  du 
moyen  âge).  —  L.  Hourticq.  L'art  religieux  de  la  fin  du  moyen  âge 
en  France  (à  propos  de  l'ouvrage  de  L.  Mâle;  fin  en  juill.).  zz  Juill. 
G.  DE  Sanctis.  La  légende  historique  des  premiers  siècles  de  Rome 
(3e  article  ;  «  les  efforts  qu'on  a  tentés  pour  démontrer  en  bloc  la  faus- 
seté des  documents  antérieurs  à  l'an  390  ont  été  impuissants.  Ce  qui 
est  authentique,  en  premier  lieu  les  Fastes,  nous  donne  un  cadre  sûr 
pour  ordonner  chronologiquement  les  éléments  historiques  de  la 
légende  »). 

5.  —  Feuilles  d'histoire.  Mars  1910.  —  F.  Tastevin.  Les  colonies 
françaises  de  la  Basse-Volga  (fin  ;  il  y  eut  beaucoup  de  Français  parmi 
les  23,000  colons  embauchés  dans  les  104  colonies  de  la  Basse-Volga 
de  1764  à  1768.  Ils  éprouvèrent  bien  des  déboires.  A  partir  de  1779, 
l'élément  français  se  perdit  dans  la  masse  des  colons  d'autres  natio- 

Rev.  Histor.  CV.   Ier  FA.SC.  li 


210  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

aalitéSj  surtoul  des  Allemands).  —  E.  Welvert.  L'officier  bonbonnier 
du  roi  (Joseph-Pierre  Martin  qui,  sous  Louis  XVI  étail  chargé  d'in- 
venter des  bonbons  pour  la  cour.  On  ne  suit  s'il  émigra,  mais  en  1811 
il  était  à  Versailles  et  chercha  sans  succès  à  rentrer  en  fonction 
auprès  de  Napoléon).  —  L.  Hennet.  L'ascension  de  Mllc  Chasot  à 
Lubeck  en  17!);!  (avec  Marchand).  —  E.  Cazalas.  La  mission  de  Nar- 
bonne  à  Vilna  en  1812  (d'après  les  rapports  de  police  publ.  p. 
M.  Voensky  dans  la  Rousskaïa  Starina,  1907,  t.  (XXXI,  Narbonne 
séjourna  à  Vilna  du  18  au  20  mai  et  son  but  n'était  pas  seulement  de 
détourner  les  Russes  de  l'offensive,  mais  aussi  de  se  renseigner  sur 
l'état  du  pays  et  des  esprits.  On  le  sentit  et  on  hâta  son  départ).  — 
G.  Eberlé.  Nice  en  1814  (tableau  de  la  ville  après  le  départ  des  Fran- 
çais). —  Cte  Forbix-Gardanne.  Marseille  en  1815  (il  organisa  un  corps 
de  7,000  hommes  pour  l'opposer  aux  «  fureurs  dévastatrices  de  Brune  »). 
—  A.  GrÙn.  Cambon  après  la  Révolution  (il  vécut  dans  la  retraite, 
s'occupant  d'agriculture,  après  le  9  thermidor  qu'il  déplora.  11  repré- 
senta l'Hérault  à  la  chambre  des  Cent-Jours,  protesta  contre  le  rappel 
des  Bourbons  et  mourut  en  exil  à  Bruxelles  le  15  févr.  1820).  — 
L'  Brun.  La  compagnie  des  francs-tireurs  de  Blidah  en  1870  (elle  eut 
une  brillante  conduite  sur  la  Loire  de  fin  novembre  1870  au  26  janv. 
187  h.  —  Ch.  Bastide.  L'organisation  actuelle  de  l'armée  de  l'Inde. 
=  Avril.  P.  Laborderie.  La  création  des  Conseils  supérieurs  (fin  en 
mai.  Eloge  justifié  de  la  réforme  tentée  par  Maupeou  et  qui  ne  dura 
que  quarante-deux  mois.  M.  Laborderie  dit  que  Maupeou  comptait  sur 
les  Jésuites  pour  le  succès  de  son  œuvre.  Mais  que  pouvaient  les 
Jésuites  en  1772?).  —  A.  Chuquet.  Les  républicains  en  1789  (les  bro- 
chures, De  la  République  et  de  la  Monarchie  et  la  Captivité  de 
Babylone  de  1789,  et  une  foule  de  textes  de  1790  prouvent  que  le 
républicanisme  existait  en  France  dès  89).  —  Le  lieutenant  Houchard 
en  1791  (neuf  belles  lettres  écrites  d'Ardres  à  sa  femme).  —  Lettres  de 
Bonaparte  de  1794  (suite  en  mai  et  juin.  124  billets  de  janv.  à  juill. 
1794).  —  La  légion  de  la  Moselle  en  1792.  —  F.  Hausser.  Notice  sur 
le  général  Morand  (né  en  1757,  tué  en  avril  1813,  et  lettre  de  sa  femme 
du  10  mars  1795  réclamant  pour  lui  un  poste  «  analogue  à  son 
grade  »).  —  G.  Devèze.  Dix  ans  d'émigration  (à  propos  des  curieux 
Souvenirs  de  Fr.  de  Cézac,  publ.  p.  M.  de  Maricourt).  —  E.  Cazal. 
Talleyrand  et  Alexandre  (trois  curieuses  lettres  de  Talleyrand  à 
Alexandre  des  25  mars  et  2G  déc.  1808  et  15  sept.  1810  qui  montrent 
son  désir  ardent  d'une  alliance  entre  Alexandre  et  Napoléon).  — 
A.  Biovès.  La  comtesse  Bronlow  à  Paris,  1814-1815  (lin  eu  mai; 
d'après  ses  Slight  réminiscences  of  a  Septuagenarian,  from  1802 
to  1815).  —  E.  Dupuy.  Le  journal  de  la  reine  Victoria  (d'après  une 
conférence  de  Lord  Escher).  —  La  guillotine  trahie  par  Guillotin  (le 
fameux  docteur  envoyait  aux  prisonniers  de  la  Terreur  des  pastilles 
d'opium  pour  échapper  à  la  guillotine).  —  La  Terreur  blanche  à  Péri- 
gueux   (d'après  les  notes  de  J.-B.  Monteyrol,  publ.  p.  M.  Dujarric- 


RECUEILS   PERIODIQUES. 


211 


Descombes).  =:  Mai.  A.  G  aux.  Mme  de  Forcalquier  (extrait  des  lettres 
de  cette  belle  dévote,  ennemie  de  Choiseul,  à  Joly  de  Fleury  au  sujet 
d'Helvetius,  de  Choiseul,  de  l'abbé  de  Broglie,  etc.).  —  E.  Welvert. 
La  dauphine  Marie-Antoinette  et  sa  tante  Mme  Adélaïde  (Mercy-Argen- 
teau,  qui  puisait  ses  renseignements  à  des  sources  souvent  frelatées  et 
obéissait  à  ses  préventions  autrichiennes,  a  accusé  sans  doute  à  tort 
Mme  Adélaïde  et  Mme  de  Narbonne  d'intrigues  pour  avoir  voulu  faire 
comprendre  à  la  dauphine  ses  nouveaux  devoirs).  —  A.  CHUQUET. 
Buzot  et  Mme  Roland  (important  et  vivant  article  où  l'auteur  analyse 
avec  force  et  finesse  l'amour  de  Buzot  et  de  Mme  Roland  et  fait  ressor- 
tir les  rares  qualités  de  Buzot,  le  plus  clairvoyant  et  le  plus  énergique 
des  Girondins,  qui  contribua  plus  que  tout  autre  a  exciter  contre  eux 
la  haine  et  la  vengeance  des  Jacobins).  —  F.  Hausser.  Tchernychev 
et  l'agence  russe  d'espionnage,  1810-1812  (le  détail  de  l'espionnage 
militaire  auquel  se  livra  Tchernychev  grâce  à  Michel,  attaché  au 
ministère  de  la  Guerre,  condamné  et  exécuté  en  1812,  et  à  ses  complices 
Saget,  Salmon  et  Mosès,  est  aujourd'hui  connu  grâce  à  la  publication 
de  sa  correspondance  avec  le  ministre  russe  Barclay  de  Tolly  dans 
l'ouvrage  la  Guerre  nationale  de  1812,  traduit  en  français).  —  Une 
conversation  de  Totleben  avec  Napoléon  III  (publ.  p.  Schilder  dans  la 
Rouskaïa  Starina,  1885).  —  La  mort  de  Louis  XVI  (lettre  de  Miss  Bur- 
ney  du  4  févr.  1793,  écrite  d'après  les  récits  des  émigrés  qui  entou- 
raient Narbonne).  =  Juin.  G.  Picavet.  La  comète  de  1664  (impres- 
sions de  Mme  de  Sévigné  et  de  Guy  Patin).  —  G.  Devèze.  La  Compagnie 
des  Indes  de  François  Martin  (à  propos  du  livre  de  C.  Kaeppelin, 
Étude  sur  l'histoire  du  commerce  etdes  établissements  dans  l'Inde 
sous  Louis  XIV).  —  E.  Welvert.  Marie-Antoinette  et  Mme  du  Barry 
(analyse  minutieuse  de  l'attitude  hostile  observée  par  la  dauphine, 
malgré  les  conseils  de  Mercy-Argenteau,  à  l'égard  de  la  favorite, 
d'accord  avec  ses  tantes  qui  faiblissent  à  la  fin).  —  La  trahison  de 
Dumouriez  (récit  de  Bonnefont,  le  seul  des  sept  volontaires  de  Saône- 
et-Loire  qui  ait  pu  se  sauver  après  avoir  sommé  le  général  de  se  sou- 
mettre aux  ordres  de  Paris).  —  La  journée  du  1er  prairial  (récit  de 
Thirus  de  Pautrizel,  député  de  la  Guadeloupe  à  la  Convention,  arrêté 
le  6  prairial  an  II  sur  la  dénonciation  du  général  Morgan).  —  A.  de 
Tarlé.  Menou  et  Daure  en  Egypte  (correspondance  de  Menou  avec 
l'ordonnateur  en  chef  Daure  qu'il  avait,  malgré  les  autres  généraux, 
relevé,  de  ses  fonctions).  —  L'arrestation  du  duc  d'Enghien  (lettres  du 
général  Carrié  du  13  sept.  1814  au  ministre  de  la  Guerre  et  du  4  nov. 
au  roi,  pour  attester  que,  s'il  commanda  comme  colonel  les  300  dra- 
gons qui  arrêtèrent  le  duc  d'Enghien,  il  ignorait  absolument  la  nature 
de  la  mission  qu'ils  accomplissaient).  —  J.  Durrieux.  Le  corsaire 
Delattre  (de  Dunkerque  qui,  de  1793  à  1805,  captura  soixante-cinq 
navires  anglais).  — J.  Ramraud.  L'abolition  de  la  féodalité  napolitaine 
par  Joseph  et  Murât  (signale  le  beau  livre  de  M.  Trifone,  Fundi  e 
domani,  eversionc  délia   feudalità   »/<■//<'   provincie   napoletane, 


212  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

1909).  —  Les  Alsaciens-Lorrains  et  la  légion  étrangère  (très  intéres- 
sant article  sur  les  services  rendus  dans  .la  légion  étrangère  par  nos 
compatriotes  d'Alsace-Lorraine). 

6.  —  La  Révolution  française.  1910,  14  mars.  —  René  Baticle. 
Le  plébiscite  sur  la  Constitution  de  1793  (les  amendements  fédéra- 
listes, politiques,  administratifs,  religieux,  économiques;  la  suite  le 
14  avril).  —  Vialla.  L'insurrection  d'Arles  et  la  première  expédition 
marseillaise  (sept.  1791).  —  A.  Aulard.  Un  arrêté  du  conventionnel 
Siblot  sur  les  prêtres  (très  rigoureux).  —  Un  aéronaute  patriote  en 
1791  (texte  d'un  document  absurde  sur  l'utilisation  des  aérostats).  = 
C. -rendus.  H.  Sée  et  A.  Lesort.  Cahiers  de  doléances  de  la  séné- 
chaussée de  Rennes  pour  les  États-Généraux  de  1789  (bon).  — 
P.  Samuel.  Du  droit  de  pétition  dans  la  Révolution  (soigné,  mais 
incomplet).  =r  14  avr.  H.  Labroue.  La  commune  d'Angoisse  (Dor- 
dogne)  pendant  la  Révolution,  d'après  les  registres  municipaux  (ana- 
lyse faite  dans  l'ordre  chronologique).  —  J.  Destrem.  Quelques  docu- 
ments sur  le  19  brumaire  (trouvés  dans  les  cartons  de  la  Commission 
intermédiaire  du  Conseil  des  Cinq-Cents).  —  Les  écoles  centrales 
défendues  par  le  philosophe  Destutt  de  Tracy  (lettre  de  ce  philosophe 
au  citoyen  Droz).  =:  C. -rendus  :  Letaconnoux.  Les  subsistances  et  le 
commerce  des  grains  en  Bretagne  au  xvme  s.  (intéressant).  — 
G.  Lechartier.  Les  services  de  la  Grande  Armée  en  1806-1807  (utile). 

7.  —  Revue  des  études  anciennes.  T.  XII,  n°  2,  1910.  — 
H.  Lechat.  Notes  archéologiques,  art  grec  (résumé  par  ordre  de 
matières  d'articles  parus  dans  des  revues  d'archéologie).  —  C.  Jullian. 
Notes  gallo-romaines  (suite  :  notes  sur  Lucain  géographe).  —  G.  Dot- 
tin.  Les  études  celtiques  depuis  1900  (rapide  aperçu).  —  E.  Duprat. 
La  route  d'Agrippa  à  Avignon  (sa  direction  ;  son  histoire  au  moyen 
âge).  =  C. -rendu  :  É.  Bourciez.  Éléments  de  linguistique  romane  (très 
utile). 

8.  —  Bulletin  hispanique.  T.  XII,  n°  2,  1910.  —  P.  Paris.  Pro- 
menades archéologiques  en  Espagne  (suite  ;  Tarragone).  —  L.  Micheli. 
Inventaire  de  la  collection  Edouard  Favre  (suite).  —  E.  Pineyro.  Blanco 
White  (suite).  =  Juill.-sept.  A.  Schulten.  Les  camps  de  Scipion  à 
Numance  (3e  rapport,  1908,  avec  des  plans  et  des  photographies).  — 
G.  Daumet.  Jean  de  Rye  au  siège  d'Algésiras  (publie  deux  lettres 
adressées  par  Clément  VI  à  Alphonse  XI  en  faveur  de  cet  aventurier, 
1344,  1347).  —  L.  Micheli.  Inventaire  de  la  collection  d'Edouard 
Favre  (suite). 

9.  —  Annales  de  géographie.  T.  XIX,  1910,  15  janv.  —  L.  Gal- 
lois. L'origine  du  nom  de  Faucilles  (ce  nom  est  dû  à  une  inadvertance 
d'Ortelius,  géographe  du  XVIe  s.;  d'abord  synonyme  de  Vosges,  il  a 
fini  par  désigner  une  chaîne  imaginaire).  =:  15  mars.  Ph.  Arbos.  La 
plaine  du  Roussillon  (deux  paragraphes  sont  consacrés  à  l'évolution 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  213 

de  l'économie  rurale  et  à  la  répartition  de  la  population  depuis  la  fin 
du  xvme  s.).  =  15  mai.  A.  Frirourg.  La  transhumance  en  Espagne 
(avec  trois  croquis  dans  le  texte  et  deux  cartes  en  couleur  hors  texte). 
—  S.  LÉvi.  La  mission  Pelliot  en  Asie  centrale.  =  15  juill.  Alf.  Ury. 
La  crue  de  janv.  1677  à  Paris  (contributions  à  l'histoire  du  régime  de 
la  Seine).  —  P.  Girardin.  Le  dictionnaire  géographique  de  la  Suisse 
(publié  sous  les  auspices  de  la  Société  neuchâteloise  de  géographie  en 
six  volumes,  1902-1910). 

10.  —  Le  bibliographe  moderne.  T.  XII,  1909,  janv.-févr.  — 
P.  LaCûmbe.  Un  souvenir  de  l'entrée  du  roi  Henri  IV  à  Paris  (22  mars 
1594).  Notice  sur  un  document  conservé  au  musée  Condé.  —  M.  Pri- 
net.  Portrait  de  Jean  de  Vienne,  seigneur  de  Listenois,  miniature  de 
la  fin  du  xve  s.  —  H.  Patrv.  Le  bénédictin  Claude-Cyrille  Peuchot 
(premier  archiviste  de  la  Haute-Marne,  1745-1817).  =  Mars-août. 
L.-G.  Pélissier.  Un  collaborateur  de  Montfaucon  (lettres  de  l'archéo- 
logue Bon  de  Saint-Hilaire  à  dom  Bernard  de  Montfaucon,  1722-1740). 
=  C. -rendus  :  F. -M.  Kircheisen.  Bibliographie  du  temps  de  Napo- 
léon (comprenant  l'histoire  des  États-Unis;  utile).  —  C.  Couderc. 
Album  de  portraits  d'après  les  collections  du  département  des  manus- 
crits il77  planches  accompagnées  de  notices  intéressantes). 

11.  —  Romania.  T.  XXXIX,  1910,  janv.  —  Paul  Meyer.  Les 
enfances  Gauvain  ;  fragment  d'un  poème  perdu  (texte  et  commentaire  : 
le  poème  ne  paraît  pas  antérieur  au  xme  s.;  comparaison  de  ces  frag- 
ments avec  une  composition  latine  intitulée  De  ortu  Walwanii 
nepotis  Arthuri).  —  Mario  Roques.  Fragments  d'un  ms.  du  Roman 
de  Renart  (extraits  du  ms.  5237  des  nouv.  acq.  fr.  de  la  Bibl.  nat.).  — 
Paul  Meyer.  Prière  en  quatrains  à  la  Vierge  (sermons;  publication  de 
textes l.  —  A.  Langfors.  La  vie  de  sainte  Catherine  par  le  peintre 
Estienne  Lanquelier  itexte  de  cette  vie;  à  la  suite  deux  intéressantes 
notes  de  MM.  Durrieu  et  A.  Thomas  sur  le  peintre  Etienne  Lanque- 
lier que  M.  Durrieu  identifie  au  peintre  en  titre  de  Jean,  duc  de  Berry  ; 
M.  A.  Thomas  conteste  cette  identification).  —  H.  Suchier.  La  fille 
sans  mains  (suite;  publication  d'une  nouvelle  latine  intitulée  Ystorin 
régis  Franchorum  et  filie  in  qua  adulterium  comitere  voluit).  — 
A.  Parducci  et  Paul  Meyer.  Fragment  d'un  ancien  chansonnier  pro- 
vençal trouvé  à  la  bibl.  Classense  de  Ravenne).  —  T.-Atkinson  Jen- 
kins.  Melite  (serait  identique  au  nom  de  l'île  de  Malte).  =  C. -rendus  : 
J.  Angla.de.  Le  troubadour  Rigaut  de  Barbezieux  (monographie 
incomplète  sur  quelques  points).  —  .4.  Darmesteter.  Les  gloses  fran- 
çaises de  Raschi  dans  la  Bible  (notes  de  Louis  Brandin  et  introduction 
de  Julien  Weill.  Raschi  est  un  rabbin  du  XIe  s.). 

12.  —  Revue  archéologique.  T.  XV,  1910,  janv.  —  A.-J.  Reinach. 
Le  disque  de  Phaistos  et  les  peuples  de  la  mer  (ce  disque,  trouvé  en 
Crète,  daté  du  XVIIIe  s.  av.  J.-C,  paraît  pouvoir  être  attribué  aux 
peuples  de  la  mer).  —  Ch.  Picard.  Statuette  archaïque  de  femme 


214  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

assise,  musée  du  Louvre  (appartient  au  groupe  crétois-péloponésien  ; 
peuf  être  datée  des  environs  de  600).—  G.  Ferrero.  La  date  de  l'an- 
nexion de  la  Gaule  (celle  de  5T-.r.li  esl  plus  probable  que  celle  de 
51-50  proposée  pur  M.  Jullian).  —  C.  Jullian.  Réponse  à  M.  Ferrero 
(critique  de  l'hypothèse  de  M.  Ferrero).  —  L.  Delaporte.  Cylindres 
royaux  de  l'époque  de  la  première  dynastie  babylonienne  (description 
de  cinq  cylindres).  —  S.  Reinach.  Les  têtes  des  médaillons  de  l'arc 
de  Constantin  à  Rome  (les  médaillons  semldeni  relut  ils  a  Hadrien, 
mais  il  y  a  eu  des  substitutions  de  têtes  impériales  a  d'autres  plus 
anciennes).  —  J.  Hatzfeld.  Démétrius  Poliorcète  et  la  Victoire  de 
Samothrace  (critique  de  l'opinion  de  Benndorf  qui  voit  dans  cette 
statue  un  trophée  élevé  par  Démétrius  Poliorcète  après  la  vic- 
toire de  Salamine;  M.  Hartzfeld  y  voit  l'œuvre  d'un  artiste  de 
Rhodes).  —  G.  Ancey.  Sur  deux  épigrammes  de  Crinagoras.  — 
E.  Mâle.  Le  groupe  de  la  Visitation  a  la  cathédrale  de  Reims  (cri- 
tique des  dates  proposées).  —  S.  Reinach.  Quinze  siècles  d'histoire 
babylonienne,  3000-1500  av.  J.-C.  (intéressant  résume  d'un  précis 
d'Ed.  Meyer).  =  C. -rendus  :  M.  Hœrnes.  Natur-und  Urgeschichte  der 
Menschen  (utile  tableau  des  civilisations  primitives).  —  Angelo  Mosso. 
Le  origini  délia  civiltà  mediterranea  (intéressant,  parce  que  l'auteur 
est  très  versé  dans  les  sciences  naturelles!.  —  A.  von  Domaszewski. 
Geschichte  der  romischen  Kaiser  (écrit  par  un  savant  pour  le  grand 
public).  —  C.  Boulanger.  Le  cimetière  franco-mérovingien  et  caro- 
lingien de  Marchepelot,  Somme  (très  documenté  sur  l'industrie  des 
Barbares).  =  Mai-juin.  W.  Deonna.  Le  Gaulois  de  Délos  (ce  prétendu 
Gaulois  n'est  qu'un  jeune  géant  pergaménien.  Les  Gaulois  ne  hurlent 
pas  d'une  manière  aussi  désespérée).  —  Th.  Reinach.  Un  nouveau 
sous-préfet  romain  de  Tarantaise  (d'après  une  inscription  trouvée  sur 
la  colline  de  Saint-Sigismond,  sur  l'emplacement  de  l'ancienne  Axima 
Ceutronum).  —  F.  de  Mély.  Les  miniaturistes  et  leurs  signatures  (à 
propos  de  l'exposition  du  Burlington-Club). 

13.  —  Revue  de  l'histoire  des  religions.  T.  LXL  1910,  n°  1.  — 
Goblet  d'Alviella.  L'animisme  et  sa  place  dans  l'évolution  religieuse 
(c'est  la  croyance  à  l'existence  des  esprits  ;  il  précède  le  fétichisme  et 
l'idolâtrie;  il  a  pour  corollaire  la  sorcellerie:  il  implique  l'anthropo- 
morphisme, mais  on  aurait  tort  d'y  voir  la  dégénérescence  d'un  mono- 
théisme primitif;  article  intéressant  et  fait  avec  logique,  mais  abstrait). 

paul  Monceaux.  L'église  donatiste  au  temps  de  saint  Augustin 

(histoire  de  la  décadence  du  donatisme,  391-422,  faite  surtout  à  l'aide 
des  œuvres  de  saint  Augustin).  =  C. -rendus  ;  Â.  von  Hoonacher.  Les 
douze  petits  prophètes  traduits  et  commentés  (ouvrage  conçu  dans  un 
esprit  traditionnaliste,  mais  bon  instrument  de  travail).  —  F.-C.  Cony- 
beare.  Myth,  Magic  and  Morals  (intéressante  étude  sur  les  origines 
chrétiennes).  —  Firmin  Nicolarclot.  Les  procédés  de  rédaction  des 
trois  premiers  évangélistes  (nouveau).  =  N°  2.  P.  Casanova.  La 
Malhamat  dans  l'Islam  primitif  (l'auteur  essaie  de  démontrer   que 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  215 

«  malhamat  »  signifie  fin  du  monde).  —  Isidore  Lévy.  Sarapis  (suite; 
critique  de  la  légende  sinopique).  —  A.-J.  Reinach.  Itanos  et  1'  «  in- 
ventio  scuti  »  (fin  ;  l'auteur  montre  comment  on  finit  par  considérer 
Itanos  le  Samnite  comme  l'inventeur  du  bouclier).  =:  C. -rendu  : 
Ch.  Guignebert.  La  primauté  de  Pierre  et  la  venue  de  Pierre  à  Rome 
(ouvrage  clair  et  critique).  =  N°  3,  mai-juin.  Ph.  Berger.  Un  nouveau 
tarif  des  sacrifices  à  Cartilage.  —  R.  Basset.  Recherches  sur  la  reli- 
gion des  Berbères.  —  L.  Delaporte.  Le  premier  fragment  d'une  nou- 
velle version  du  déluge  babylonien.  =  C. -rendus  :  Campbell.  Two  the- 
ban  queens  :  Nefert  Ari  and  Ty-ti,  and  their  tombs  (bon).  —  Drews. 
Die  Christusmythe  (livre  inutile;  il  s'y  trouve  deux  thèses  :  «  l'une 
n'était  plus  à  prouver,  l'autre  reste  à  établir  »). 

14.  —  Revue  d'histoire  rédigée  à  l'État-major  de  l'armée. 

1910,  juin.  —  La  manœuvre  de  Pultusk  (suite  en  juillet).  =  Docu- 
ments :  Fragment  des  mémoires  de  Guy-Louis-Henri  de  Valory, 
enseigne  au  régiment  de  Piémont  (sur  les  campagnes  de  1708  à  1709 
en  Flandre,  en  particulier  sur  Malplaquet.  L'enseigne  Valory  fut  plus 
tard  le  marquis  de  Valory,  ambassadeur  de  France  à  la  cour  prus- 
sienne de  1739  à  1750;  suite  en  juill.).  —  La  correspondance  inédite 
de  Napoléon  aux  archives  de  la  Guerre  (suite).  =:  Juill.  La  campagne 
de  1813  (Ie1'  art.).  —  La  guerre  de  1870.  La  défense  nationale  en  pro- 
vince (mesures  générales  d'organisation;  suite). 

15.  —  Annales  des  sciences  politiques.  1909,  15  nov.  —  Angel 
Marvaud.  Le  problème  agraire,  en  Espagne  (fin.  En  Galice;  le  morcel- 
lement exagéré  de  la  propriété  ;  les  charges  des  colons  ;  remèdes  pro- 
posés. Clair,  mais  un  peu  rapide).  —  Edouard  Payen.  Les  progrès 
d'une  région  de  France  (les  cultivateurs  en  Sologne  ;  leur  progrès 
depuis  cinquante  ans).  =z  1910,  15  janv.  A.  Arnauné.  Le  système 
commercial  de  Colbert  (la  fin  dans  le  n°  du  15  mars.  Les  principes  de 
ce  système  :  diminuer  les  importations  de  marchandises  et  les  sorties 
d'argent,  augmenter  les  exportations  et  les  entrées  d'argent;  ses  appli- 
cations :  les  tarifs  de  1664  et  de  1667;  la  lutte  avec  l'Angleterre;  les 
traités  de  commerce).  —  O.  Festy.  L'insurrection  de  Lyon  en  1831 
(d'après  des  documents  inédits  et  surtout  des  lettres  du  procureur  géné- 
ral près  la  cour  de  Lyon).  ■=.  15  mars.  Delavaud.  Les  origines  norvé- 
giennes des  archipels  écossais,  871-1667.  Voir  plus  haut,  p.  191. 

16.  —  Le  Correspondant.  10  févr.  1910.  —  E.  de  Budé.  Souve- 
nirs du  général  Bertrand  (extraits  des  Souvenirs  inédits  d'Amédée 
Massé  qui  fut  secrétaire  du  général  lors  de  son  gouvernement  des  pro- 
vinces illyriennes.  On  y  trouve  des  détails  intéressants  sur  l'activité 
de  Bertrand  en  Illyrie  en  1812  et  sur  la  campagne  d'Allemagne  de 
1813).  —  Cte  Daru.  Associations  et  sociétés  de  provinciaux  à  Paris 
(fin  le  25  févr.;  curieux  chapitre  d'histoire  sociale).  =  25  févr.  R.  Val- 
lery-Radot.  La  jeunesse  du  duc  d'Aumale  (d'après  sa  correspondance 
avec  Cuvillier-Fleury).  —  Brémond.  Un  complot  contre  Fénelon.  La 


216  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

solitaire  des  Rochers  (dans  un  style  bien  bizarre,  M.  Brémond  met  à 
peu  près  hors  de  doute  que  les  Lettres  d'une  solitaire  inconnue, 
répandues  manuscrites  en  1694-1698,  publiées  pour  la  première  fois 
en  1797  et  louées  par  M.  Gazier  dans  ses  Mélanges  de  1904,  sont  une 
fabrication  du  P.  Luc  de  Bray  dirigée  contre  Fénelon  et  Mme  Guyon). 
—  F.  Roz.  L'esprit  américain  et  la  littérature  américaine,  zr  10  mars. 
G.  Bord.  Les  crues  de  la  Seine.  —  P.  de  Quirielle.  Les  sentiments 
de  l'Alsace  (excellent  article  où  le  livre  de  Delahache,  la  Carte  au 
liseré  vert,  aurait  dû  être  signalé).  —  Lanzac  de  Laborie.  Dom 
Guéranger  et  son  œuvre  (protestation  motivée  contre  l'ouvrage  ano- 
nyme en  2  vol.  sur  D.  Guéranger,  publié  récemment  chez  Pion. 
D.  Guéranger  a  rendu  d'incontestables  services  en  restaurant  la  con- 
grégation bénédictine  à  Solesme,  à  Ligugé  et  à  Marseille,  en  publiant 
Y  Année  liturgique  et  en  encourageant  les  études  de  liturgie  et  de 
musique  religieuse;  mais  il  a  apporté  dans  ses  publications  sur  les 
origines  des  églises  de  Gaule,  sur  l'Édit  de  Nantes  et  dans  ses 
polémiques  contre  les  catholiques  libéraux,  Montalembert,  Broglie, 
d'Haussonville,  etc.,  l'intolérance  sectaire  la  plus  violente  et  la  plus 
ignare).  —  Desjoyeaux.  Les  couleurs  des  drapeaux  français  (les  trois 
couleurs  étaient  les  «  couleurs  du  roi  ».  C'est  le  comte  Henry  de  Virieu 
qui,  le  22  octobre  1790,  les  fit  adopter  par  la  Constituante  pour  la 
marine.  Le  30  juin  1791,  le  drapeau  tricolore  devient  celui  de  toute 
l'armée).  =  25  mars.  E.  Gachot.  Le  mariage  de  Napoléon  et  de  Marie- 
Louise  (d'après  de  nombreux  documents  inédits  qui  mettent  en  lumière 
le  zèle  avec  lequel  Metternich  a  travaillé  au  mariage.  Texte  du  rap- 
port de  MM.  Cramayel,  de  Priéj  et  du  Hamel  sur  le  mariage  fictif  à 
Vienne.  M.  Gachot  confirme  la  tradition  d'après  laquelle  «  le  plus  mal 
élevé  des  grands  hommes  »  prit  à  Compiègne  à  la  houzarde  la  fille 
des  Habsbourg  avant  les  cérémonies  régulières).  —  P.  BosQ.  La  cons- 
piration Charabot,  1803  (refait  avec  plus  de  détail  le  récit  de  ce  com- 
plot jacobino-royaliste  qui  devait  livrer  Toulon  et  Marseille  aux  Anglais, 
que  M.  Gaffarel,  non  cité  par  M.  Bosq,  avait  déjà  raconté  dans  les 
Annales  de  Provence).  =  10  avril.  E.  Lamy.  Le  conventionnel  André 
Dumont  (fin  le  25  avril.  D'après  l'étude  de  M.  E.  de  Rougé.  Cet 
obscur  conventionnel,  qui  se  qualifiait  de  maratiste,  fut  parmi  les  pre- 
scripteurs des  Girondins  et  fut  commissaire  dans  la  Somme,  où  il  se 
montra  encore  plus  grossier  en  paroles  que  féroce  dans  ses  actes, 
se  retourna  avec  violence  contre  les  Jacobins  après  le  9  thermidor,  se 
vanta  de  sa  modération,  fut  élu  au  Conseil  des  Cinq-Cents  par  onze 
départements;  mais,  attaqué  comme  ancien  terroriste,  ne  fut  pas  réélu 
en  1796,  fut  sous  l'Empire  sous-préfet  d'Abbeville  et  préfet  du  Pas-de- 
Calais  en  1815,  fut  exilé  sous  la  Restauration  et  mourut  en  1836. 
M.  Lamy  construit  sur  cet  obscur  et  médiocre  personnage  une  psycho- 
logie du  Jacobin  très  contestable  et  qui  vise  surtout  les  Jacobins 
de  1910).  =25  avril.  Faguet.  Les  ennemis  de  J.-J.  Rousseau  (montre 
que   Mme  Frederika   Macdonald   a  eu  raison  de  démontrer  que  les 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  217 

Mémoires  de  Mme  d'Épinay  ne  méritent  aucune  créance  et  ont  été  tri- 
patouillés par  Mme   d'Épinay  elle-même,   Diderot    et  Grimm,   mais 
qu'elle  a  tort  de  croire  Rousseau  innocent  de  toutes  les  vilenies  dont 
il  a  été  accusé).  —  Lettres  de  Chateaubriand  à  Rosalie  et  à  Charles  de 
Constant  (écrites  de  1826  à  1835.  Quelques  détails  intéressants).  =: 
10  mai.  Adrienne  Cambry.  Jeanne  d'Arc  à  Paris.  L'église  où  elle  pria 
(c'est  l'église  Saint-Denys-de-la-Chapelle  au  village  de  la  Chapelle- 
Saint-Denis  qui  contient  encore  des  piliers  existant  lorsque  Jeanne 
d'Arc  vint  y  prier  les  6,  7  et  8  septembre  1429).  =  25  mai.  Mgr  Cha- 
pon. L'Église  de  France  sous  le  pontificat  de  Léon  XIII  (vague).  — 
C.  Lamy.  Russes  et  Bulgares  d'il  y  a  trente  ans  (d'après  l'ouvrage  si 
curieux  d'E.   Queillié   :   les  Commencements   de  l'Indépendance 
bulgare  et  le  prince  Alexandre,  qui  a  tant  grandi  le  prince).  —  Lan- 
zac  de  Laborie.  Quelques  révolutionnaires   (intéressantes    analyses 
des  ouvrages  de  J.   Charrier,  Claude-Fauchet  ;  A.  Dunoyer,  Deux 
jurés  du  tribunal  révolutionnaire  ;  R.  Arnaud,  le  Fils  de  Fréron; 
baron  Despatys,  la  Révolution,  la  Terreur  et  le  Directoire  d'après 
les  Mémoires  de  Gaillard;  L.  Pingaud,  Jean  de  Bry).  —  10  juin. 
R.   Vallery-Radot.  Le  premier  exil  du  duc  d'Aumale  (d'après  sa 
correspondance).  —  Baron  J.  de  Witte.  Vingt-six  ans  de  gouverne- 
ment catholique  en  Belgique  (M.  de  Witte  attribue  aux  catholiques  la 
prospérité  matérielle  de  la  Belgique  due  au  roi  et  à  la  nation  entière  ; 
il  attribue  aux  catholiques  belges  une  modération  et  une  tolérance  qui 
est  démentie  par  tous  leurs  actes.  La  décadence  graduelle  de  l'enseigne- 
ment public  est  due  à  la  tyrannie  cléricale  qui,  représentée  au  ministère 
des  Sciences  et  Lettres  par  le  chevalier  Descamps-David,  refuse  de  don- 
ner à  un  savant  comme  M.  Cumont  la  chaire  à  laquelle  il  a  droit.  Les 
catholiques  sont  de  plus  les  adversaires  décidés  de  l'esprit  français  en 
Belgique).  —  C.  Jollivet.  Les  cercles  mondains.  —  M.  Dumoulin. 
Le  cabaretier  du  Trianon  (Charles  Langlois  qui,  après  avoir  mené  des 
jours  heureux  et  prospères  comme  limonadier  à  Versailles,  fut,  mal- 
gré son  civisme,  dénoncé  en  1793,  accusé  de  conspiration,  emprisonné 
quatre  mois  et  enfin  acquitté  par  le  tribunal  révolutionnaire  l'avant- 
veille  de  la  chute  de  Robespierre.  Sous  le  Consulat,  il  eut  l'idée 
géniale  de  louer  le  Petit-Trianon  pour  y  établir  un   restaurant).  ■=. 
25  juin.  Mgr  Batiffol.  La  papauté  vue  d'Allemagne  (apologie  de  la 
papauté    ingénieusement   tirée   du  livre    du  professeur  Krueger,   de 
Giessen,  Das  Papsttum,  seine  Idée  und  ihr  Traeger). —  La  ques- 
tion de  la  Crète.  Les  origines.  Les  rivalités.  Les  complications.  L'ave- 
nir. —  H.  Brémond.  La  jeunesse  de  Wesley  (loue  la  thèse  de  M.  A. 
Léger  sur  ce  sujet).  —  N.  de  Chazan.  Paris  au  surlendemain  de  la 
Terreur  (annonce  la  réimpression  par  MM.  Usteri  et  Ritter  des  précieux 
Souvenirs  de  mon  dernier  voyage  à  Paris,  1795,  d'H.  Meister). 

17.  —  La  Revue.  15  mars.  —  Ly-Chao-pée.  La  littérature  et  la 
presse  chinoise.  —  Cte  H artfeld.  Les  journaux  satiriques  en  Chine.  — 
Marcel  Laurent.  Le  siège  de  Paris  (extraits  curieux  des  pièces  de  l'en- 


218  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

quête  sur  le  gouvernement  de  la  défense  nationale  et  surtout  des  notes 
du  préfet  de  police  Cresson.  On  voit  la  Commune  se  former  jour 
après  jour).  =  1er  mai.  Manuel  Ugarte.  Le  prochain  congrès  franco- 
américain  (prouve  que  ce  congrès  ne  peut  que  préparer  une  mainmise 
des  États-Unis  sur*  l'Amérique  du  Sud).  —  Faguet.  Église  et  reli- 
gion (forte  critique  des  Lettres  sur  les  études  ecclésiastiques  de 
Mgr  Mignot  où  ce  prélat  fait  reposer  la  religion  sur  l'Église  et  non 
l'Eglise  sur  la  religion,  ce  qui  est  utile  pour  l'orthodoxie  et  dange- 
reux pour  la  religion).  =.  15  mai.  Lettres  du  Comte  de  Paris  à  Régis 
de  Trobriand  (de  1881  à  1890;  très  curieuses  pour  la  psychologie  du 
prince  au  moment  des  lois  d'exili.  —  FaGUET.  Marie  Stuart  (à  propos 
du  livre  de  Filon.  Faguet  dit  avec  raison  que  rien  dans  la  vie  de 
Marie  Stuart  ne  mérite  la  sympathie.  Sa  mort  tragique  lui  a  seule  donné 
l'auréole).  —  A.  Maybon.  Le  bouddhisme  hors  d'Asie  (en  Angleterre, 
Allemagne,  Hongrie,  Amérique.  Le  néo-bouddhisme.  Curieux).  — 
Brada.  Autour  du  roi  Edouard  VIL  =z  1er  juin.  M.  Lewandoyvski. 
L'Argentine  au  XXe  siècle  (fin  le  15  juin).  —  Marius-Ary  Leblond.  La 
Pologne  d'aujourd'hui.  —  A.  Péreire.  Trois  filles  d'opéra  (Mlle  Salle, 
la  vertueuse  ballerine,  d'après  M.  E.  Dacier;  MUe  Duthé,  la  perversité 
même,  d'après  ses  Souvenirs  publiés  par  Paul  Ginisty;  Fanny  Essler, 
la  danseuse  viennoise,  d'après  M.  A.  Christian).  z=  15  juin.  La  crise 
des  partis  politiques  en  France.  —  Gaubert.  Un  catholique  russophobe 
(A.  de  Lamothe,  dont  les  romans  sur  la  révolution  polonaise  de  1863, 
les  Faucheurs  de  la  mort,  les  Martyrs  de  Sibérie,  Marpha,  eurent 
beaucoup  d'influence  sur  les  catholiques).  —  H.  de  Gallier.  Comment 
on  était  servi  autrefois  (fin  le  lerjuill.  Amusants  détails  sur  la  domes- 
ticité sous  l'ancien  régime). 

18.  —  La  Revue  de  Paris.  1910,  15  mars.  —  J.  Delavaud.  L'édu- 
cation d'un  ministre  (d'après  les  lettres  de  Colbert  de  Croissy  à  son 
fils,  le  futur  marquis  de  Torcy;  intéressant).  —  Conseils  à  un  futur 
ministre  (on  publie  ici  vingt-deux  lettres  de  Colbert  de  Croissy,  1684- 
1688).  =  1er  avril.  Aali-pacha.  Testament  politique  (suite  et  fin  le 
1er  mai;  adressé  à  S.  M.  le  sultan  Abdul  Aziz,  empereur  des  Ottomans 
et  daté  de  Bébek.  septembre  1871.  Aali-pacha,  qui  avait  été  cinq  fois 
grand  vizir  et  six  fois  ministre  des  Affaires  étrangères,  est  mort  en 
1872).  — E.-F.  Gauthier.  La  conquête  du  Sahara  touareg.  —  L.  Batif- 
fol.  Louis  XIII  jeune  homme  (ses  aptitudes,  ses  goûts,  ses  talents). 
rr  Ier  mai.  Fréd.  MaSSON.  Arthur  Dillon,  général  en  chef  de  l'armée 
des  Ardennes,  1750-1794  (suite  le  1er  juin,  fin  le  15  juin;  biographie 
minutieuse.  Il  y  eut  au  moins  trois  Arthur  Dillon  vers  la  fin  de  l'an- 
cien régime,  sans  compter  Théobald  Dillon  qui  fut  massacré  par  ses 
soldats  en  1792.  Le  futur  général  en  chef  a  été  souvent  surnommé 
«  le  beau  Dillon  »,  sans  doute  par  suite  d'une  méprise.  Le  «  beau  Dil- 
lon »  s'appelait  Edouard.  Arthur  Dillon,  propriétaire  du  régime  irlan- 
dais qui  porte  son  nom,  n'était  pas  un  courtisan  favori  ;  il  servit  la  Répu- 
blique avec  autant  de  foi  que  de  bravoure  intelligente;  c'est  lui,  non 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  *-»° 

Dumouriez,  à  qui  il  faudrait  attribuer  les  succès  de  1792;  mais,  vic- 
time des  factions,  il  fut  traduit  devant  le  tribunal  révolutionnaire  sous 
la  fausse  inculpation  d'avoir  conspiré  contre  la  liberté  et  la  souverai- 
neté du  peuple,  et  décapité).  =  1"  juill.  L.  de  ContÈNSON.  Un  agent 
royaliste  en  1814  (publie  la  correspondance  échangée  entre  les  agents 
du  comte  de  Provence  et  le  baron  de  La  Barthe  de  La  Coustête  qui 
avait  été  envoyé  en  France  en  décembre  1813  pour  y  rappeler  l'ancien 
nom  des  Bourbons;  fin  le  15  juill.). 

19.  —  Revue  des  Deux  Mondes.  15  mars  1910.  —  Lettres  du  roi 
Louis-Philippe  et  du  prince  de  Talleyrand  à  Sébastiani.  Guerre  de  la 
Belgique  contre  la  Hollande,  1831  (publiées  sans  soin  par  le  Cle  Horace 
de  Choiseul).  —  E.  Daudet.  Une  vie  d'impératrice  (analyse  des  t.  II 
et  III  de  la  vie  de  l'impératrice  Elisabeth,  femme  d'Alexandre  Ier,  par 
le  grand-duc  Nicolas.  Cette  vie  fut  un  morne  martyre).  =  1er  avril. 
A.  Leroy-Beaulieu.  La  Russie  nouvelle  et  la  liberté  religieuse;  I  :  Les 
catholiques;  II  :  Les  Israélites  (fin  le  15  avril  :  Les  vieux  croyants. 
Le  rétablissement  du   patriarcat.  La  convocation  d'un   concile.  Les 
vieux   croyants  ont   seuls  vraiment   profité  des  promesses  de  liberté 
religieuse  faites  en  1905.  Ni  le  patriarcat  ni  le  concile,  d'ailleurs  impro- 
bable, ne  donneront  à  l'Église  orthodoxe  la  liberté  et  la  réforme  dont 
elle  a  besoin).  —  G.  Loisel.  Les  ménageries  de  Versailles  et  du  Tria- 
non.  _  h.  Welschinueu.  La  captivité  de  Napoléon  III  à  Wilhelms- 
hœhe  (fin  le  15  avril;  d'après  les  notes  du  général  de  Monts,  gouver- 
neur de  Cassel,  et  celles  du  journaliste  A.  Mels-Cohn.  Très  curieux 
tant  parles  détails  sur  les  occupations  de  Napoléon  a  Wilhemshcehe, 
les  visites  qu'il  y  reçut  et  les  intrigues  qui  l'entourèrent,  que  par  l'ana- 
lyse des  brochures  peu  connues  de  Napoléon  sur  les  relations  de  la 
France,  de  l'Allemagne  avec  la  France  sous  son  règne  et  sur  la  guerre 
,],>  1870).  —  Ch.  de  Lasteyrie.  L'impôt  sur  le  revenu  sous  l'Ancien 
régime  (cet.  article,  fondé  en  partie  sur  des  documents  inédits,  a  pour 
objet  de  montrer  que   notre  système   fiscal   actuel,   qui   est  dû  aux 
réformes  de  l'Assemblée  constituante,  a  été  inspiré  par  la  pensée  de 
mettre  fin  non  seulement  a  l'inégalité  des  charges,  mais  aussi  aux  injus- 
tices et  à  l'impopularité  des  taxes   frappant  le  revenu).  =  15  avril. 
Vte  d'Avenel.  L'évolution  des  dépenses  privées  depuis  sept  siècles; 
III  :  Le  service  de  table  et  la  cuisiue.  —  G.  Govau.  Bismarck  et  la 
Papauté.  La  guerre  1870-1872;  III  :   Les  vieux   catholiques.  Leurs 
premières  victoires  (excellente  analyse  du  mouvement  antiinfaillibi- 
liste  en  Allemagne  et   en   particulier  en  Bavière.  Suppression  de  la 
«  division  catholique  »  au  ministère  des  Cultes  de  Berlin  ;  fondation  de 
l'Église  des  vieux  catholiques  après  le.  congrès  de  Munich  en  sep- 
tembre 1871  sur  lequel  M.  Goyau  passe  trop  rapidement,  bien  qu'il 
décrive  très  exactement  le  rôle  de  Dudlinger;  enfin  premières  hostili- 
tés de  Bismarck  et  du  Reichstag  contre  les  ultramontains,  à  l'instiga- 
tion de  la  Bavière).  —  P.  Hazard.  L'âme  italienne  de  la  Révolution 
française  au  Risorgimento  (à  propos  du  livre  de  Julien  Luchaire  sur 


220  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

l'Évolution  intellectuelle  de  l'Italie  de  1815  à  1830  où  l'on  voit  l'Ita- 
lie passer  du  nationalisme  littéraire  au  nationalisme  politique  et  la 
renaissance  catholique  de  Manzoni,  aussi  importante  et  plus  sincère  que 
celle  de  Chateaubriand,  s'opposer  au  pessimisme  de  Léopardi).  —  T.  de 
Wyzewa.  L'aventure  tragique  de  Jane  Grey  (à  propos  du  livre  de 
R.  Davey  :  The  Nine  days  Queen,  Lady  Jane  Grey  and  lier  Urnes 
(bonne  psychologie  de  cette  naïve  victime  de  l'ambition  de  son  beau- 
père  et  de  son  mari  et  des  humanistes  protestants.  Sans  s'attendrir 
autant  que  M.  de  Wyzewa  sur  l'humanité  de  Marie  Tudor,  on  recon- 
naîtra' avec  lui  qu'elle  a  sacrifié  à  regret  Jane  Grey.  Qui  sait  si  ce 
«  précédent  »  n'a  pas  été  funeste  à  Marie  Stuart?).  =  1er  mai.  Vte  E. 
de  Vogué.  Ségur  et  ses  Mémoires  (dernières  et  brillantes  pages  de 
l'écrivain,  préface  d'une  édition  nouvelle  de  la  Campagne  de  Russie. 
M.  de  Vogué  fait  observer  que  les  Mémoires  de  Philippe  de  Ségur, 
parus  en  7  vol.  en  1873  et  si  précieux,  sont  presque  inconnus.  L'his- 
toire littéraire  de  Petit  de  Julleville  les  ignore.  M.  de  Vogué  aurait  pu 
ajouter  que  Vapereau  les  ignore  aussi  et  que  le  nom  même  du  général 
Ph.  de  Ségur  est  absent  du  Dézobry  corrigé  (?)  par  Darsy).  —  G.  Fer- 
rero.  Rome  dans  la  culture  moderne  (très  éloquent  plaidoyer  en 
faveur  de  la  tradition  romaine  considérée  comme  nécessaire  au  main- 
tien de  la  vitalité  et  de  l'équilibre  des  nations  modernes,  surtout  des 
nations  latines.  Nécessité  de  garder  la  connaissance  et  la  conscience  syn- 
thétiques de  l'histoire  de  la  civilisation,  de  l'esprit  et  du  droit  romains. 
M.  Ferrero  plaide  en  faveur  de  l'historicité  d'un  Romulus,  fondateur 
de  Rome).  —  A.  Filon.  La  Chambre  des  lords  dans  le  passé  et  dans 
l'avenir  (M.  Filon  y  voit  la  représentation  de  la  propriété  foncière  et  la 
partie  la  plus  ancienne  et  aussi  la  plus  importante  du  Parlement. 
Elle  ne  pourra  être  modifiée  que  par  un  référendum).  —  Rouire.  La 
transformation  de  la  Chine.  L'évolution  des  idées  chinoises.  =  15  mai. 
G.  Hanotaux.  Jeanne  d'Arc.  I  :  La  formation  (suite  les  1er  et  15  juin. 
M.  Hanotaux  croit  avec  raison  qu'il  y  a  encore  beaucoup  à  faire,  à 
trouver  et  à  dire  pour  qu'on  possède  une  histoire  critique  de  Jeanne 
d'Arc.  Lui-même,  sans  refaire  l'histoire  de  l'héroïne,  donne  son  senti- 
ment ou  plutôt  ses  impressions  sur  les  mystères  de  sa  formation,  de 
sa  mission,  de  son  abandon  et  de  sa  condamnation.  Ses  impressions, 
qui  sont  d'un  homme  très  intelligent  et  très  instruit,  donnent  une  idée 
assez  vive  du  caractère  merveilleux  de  la  vie  de  Jeanne  et  du  milieu 
où  elle  s'est  développée,  mais  elles  manquent  trop  de  clarté  et  de  pré- 
cision pour  permettre  d'asseoir  un  jugement.  Le  mystère  reste  un 
mystère).  —  A.  Mézières.  Les  premières  années  du  duc  d'Aumale 
(d'après  le  journal  de  la  correspondance  de  Cuvillier-Fleury).  =  1er  juin. 
A.  Filon.  Le  caractère  et  l'œuvre  politique  d'Edouard  VII  (exposé 
impartial  et  persuasif  des  raisons  qui  permettent  de  regarder  Edouard  VII 
comme  un  grand  roi).  —  A.  Gazier.  L'école  primaire  et  les  évêques 
constitutionnels  sous  le  Directoire  (Grégoire  et  ses  collègues,  par  une 
encyclique  de  décembre  1795  (nivôse  an  IV)  cherchèrent  à  reconstituer 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  221 

dans  toutes  les  paroisses  des  écoles  primaires  chrétiennes  ;  ils  en 
créèrent  beaucoup,  des  curés  se  firent  instituteurs  et  des  presbytères 
furent  maisons  d'école.  Le  Directoire  s'en  émut  et  chercha  à  oppo- 
ser des  écoles  laïques  à  ces  écoles  chrétiennes.  Le  Concile  national  de 
France  adressa  le  5  novembre  1797  une  letfre  synodique  aux  maîtres 
chargés  de  l'instruction  de  la  jeunesse.  Ces  efforts  eurent  des  résultats 
sérieux,  jusqu'ici  ignorés).  =.  15  juin.  V.  du  Bled.  Les  comédiens  et 
la  société  polie.  —  R.  PiNON.  Une  confédération  balkanique  est-elle 
possible?  (l'histoire  porte  à  croire  que  non,  car  il  faudrait  que  la  Tur- 
quie en  fît  partie). 

20.  —  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  Comptes- 
rendus  des  séances  de  l'année  1910.  Bulletin  d'avril-mai.  —  P.  Dur- 
rieu.  L'enlumineur  flamand  Simon  Bening  (né  en  1483  ou  1484,  mort 
à  Bruges  en  1561).  —  Fr.  Novati.  Rapports  littéraires  de  l'Italie  et  de 
la  France  au  XIe  siècle  (résume  ce  qu'il  doit  exposer  en  détail  dans  le 
6e  chapitre  de  ses  Origini  délia  letteratura  italiana,  qui  vont  bien- 
tôt paraître). 

21.  —  Séances  et  travaux  de  l'Académie  des  sciences  morales 
et  politiques.  Compte-rendu,  1910,  juin.  —  E.  Levasseur.  Aperçu 
de  l'histoire  des  monnaies  et  du  commerce  d'argent  en  France  au 
moyen  âge  (la  monnaie  sous  les  premiers  Valois  ;  Charles  V  et 
N.  Oresme;  les  changeurs  et  la  lettre  de  change  ;  les  Lombards  et  les 
Juifs).  —  A.  Chuquet.  Buzot  et  Mme  Roland  (fort  intéressant  tableau 
de  leurs  relations  ;  montre  ce  que  l'amour  de  Marie  Phlipon  a  fait 
pour  Buzot  et  combien  cet  amour  est  honorable  pour  ce  dernier).  z= 
Juillet.  E.  Rodocanachi.  Richesse  des  cardinaux  romains  au  temps  de 
Jules  II  et  de  Léon  X  (plusieurs  furent  très  riches,  mais  ils  ne  possé- 
daient leurs  biens  qu'à  titre  précaire  et  souvent  ceux-ci,  après  leur 
mort,  faisaient  retour  au  Saint-Siège.) 

22.  —  Société  nationale  des  Antiquaires  de  France.  1910. 
Séance  du  1er  juin.  —  M.  Maurice  Roy  apporte  quelques  nouvelles 
dates  intéressantes  pour  la  biographie  des  artistes  italiens  établis  à 
Paris  au  XVIe  s.,  notamment  de  Luca  Penni  et  de  son  frère  Barto- 
lomeo.  =:  8  juin.  M.  Martroye  cherche  à  établir  que  le  siège  épisco- 
pal  dit  de  Maximien  conservé  à  Ravenne  serait  celui  de  Maximus, 
évèque  de  Salone  en  Dalmatie  vers  342.  —  M.  Mirot  donne  lecture 
de  quelques  lettres  de  Jean  de  Piles  fort  intéressantes  pour  la  topo- 
graphie de  Rome  au  xvie  s.  —  M.  Serbat  étudie  quelques  textes  et 
dessins  relatifs  à  l'église  de  Saint-Jean-en-Grève  à  Paris.  =  15  juin. 
M.  de  Mély  appelle  l'attention  sur  plusieurs  inscriptions  qui  donnent 
des  noms  de  miniaturistes  dans  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale et  dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal.  —  M.  Tou- 
tain  signale  une  dédicace  à  la  grande  mère  des  Dieux  relevée  par 
M.  Cagnat  dans  les  ruines  de  Djemila  (Afrique).  =  22  juin.  M.  Joulin 
étudie  les  fouilles  entreprises  depuis  plusieurs  années  à  Ampurias 


222  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

(Espagne)  el  leur  importance  pour  l'histoire  de  la  civilisation  hellé- 
nique. =  29  juin.  M.  HÉRON  DE  VlLLEFOSSE  communique  divers 
objets  gallo-romains  provenant  de  Mérouville  (Eure-et-Loir).  — 
M.  Brtjston  prouve  que  l'inscription  d'Autun  dite  de  Pectorius  est 
entièrement  en  acrostiche  et  propose  de  nouvelles  lectures  pour  les 
derniers  vers.  —  M.  MaRTROYE  étudie  la  manière  dont  sont  signalés 
certains  événements  au  point  de  vue  de  leur  date  dans  les  chroniqueurs 
hyzantins.  =  6  juill.  M.  Maurice  étudie  les  monnaies  astrologiques 
de  I  époque  constantinienne.  —  M.  le  Dr  Guebhard  apporte  le  résul- 
tat d'une  découverte  d'objets  en  bronze  décorés  faite  à  Clans  (Alpes- 
Maritimes)  et  en  indique  tout  l'intérêt.  =z  13  juill.  M.  Chapot  signale 
des  tours  antiques  d'Aix -eu-Provence  démolies  à  la  fin  du  XVIIIe  s. 
et  considérées  généralement  comme  ayant  été  originairement  des 
mausolées  ;  il  rapproche  l'une  d'elles  d'un  monument  circulaire  décou- 
vert à  Ephèse  et  qu'on  interprète  comme  un  édifice  commémoratif 
d'apparat.  —  M.  Brustox  recherche  le  sens  de  l'inscription  d'Aber- 
kios  trouvée  en  Phrygie  et  en  apporte  une  nouvelle  interprétation.  =z 
■21  juill.  M.  Monceaux  apporte  quelques  plombs  hyzantins  récemment 
trouvés  a  Carthage  par  le  R.  P.  Delattre. 

23.  —  Mémoires  de  la  Société  éduenne.  Nouv.  série,  t.  XXXVII. 
Autun,  1909.  —  Max  Boirot.  Notice  sur  un  reliquaire  attribué  à 
l'époque  carolingienne  et  contenant  une  phalange  d'un  doigt  de  saint 
Léger,  évêque  d'Autun  (ce  reliquaire  est  un  barillet  creusé  dans  un 
morceau  de  bois  dur,  orné  de  deux  pierres  brillantes,  avec  une  ins- 
cription de  trois  lignes  gravée  en  pointillé  sur  les  douves  du  barillet). 
—  Ch.  Boëll.  Le  passage  du  pape  Pie  VII  à  Autun  en  1805.  —  A.  de 
Charmasse.  Origine  des  paroisses  rurales  dans  le  département  de 
Saône-et-Loire.  —  P.  Muguet.  Le  prieure  du  Val-Saim-Benoît 
(suitei.  —  P.  Montarlot.  Les  députés  de  Saône-et-Loire  aux  assem- 
blées de  la  Révolution,  1789-1799  (suite;  4*  partie  :  Conseil  des  Cinq- 
Cents  et  Conseil  des  Anciens).  —  Eug.  Fvot.  Montvaltin  (monogra- 
phie d'un  village  qui,  ainsi  que  le  Creuzot,  dépendait  de  la  paroisse 
du  Breuil.  C'est  un  fief  qui  appartient  à  la  famille  de  Torcy.  Chrono- 
logie des  seigneurs  de  Torcy  de  1246  à  1780).  —  G.  Valat.  Un  cas 
de  formariage  au  xve  s.  —  R.  Gadant.  Note  sur  deux  monnaies 
romaines  trouvées  à  Autun  i  frappées  l'une  en  l'honneur  de  l'Hercule 
romain,  c'est-à-dire  de  Postumus.  l'autre  au  nom  de  Carausius).  — 
Mélanges  d'histoire  et  d'archéologie,  de  numismatique  et  de  biblio- 
graphie (à  signaler  :  l°une  nomenclature  chronologique  des  médailles 
romaines  trouvées  sur  le  sol  éduen,  où  figure  le  nom  des  Gaules  ; 
2°  une  note  sur  une  édition  des  coutumes  générales  du  parlement  de 
Bourgogne  datée  de  1531). 

24.  —  Revue  de  Gascogne.  1910.  juin.  —  B.  Duplanté-Marceil- 
lac.  Une  source  peu  connue  de  l'histoire  gasconne  :  les  arrètistes  du 
parlement  de  Toulouse.  —  J.  Lestrade.  Le  dernier  évêque  de  Com- 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  223 

minges  :  Antoine-Eustache  d'Osmond,  1754-1823  (en  appendice 
pièces  relatives  à  l'incident  soulevé  par  la  nomination  d'Eustache 
d'Osmond  à  l'archevêché  de  Florence,  1811-1814.  Ces  documents 
viennent  s'ajouter  à  ceux  qu'avait  déjà  utilisés  M.  Marmottan  pour 
l'étude  publiée  dans  la  Rev.  hist,  t.  LXXXVI,  p.  58;  suite  en  juill.- 
aout).  _  P.  GaBENT.  Lettres  d'un  prêtre  auxitain  réfugié  en  Angle- 
terre (fin;  Darré  n'obtint  la  permission  de  rentrer  en  France  qu'en 
1803;  pendant  ses  dernières  années  d'exil,  il  fut  professeur  au  collège 
de  Maynooth  en  Irlande).  —  C. -rendu  :  A.  Chauliac.  Histoire  de 
l'abbaye  de  Sainte-Croix  de  Bordeaux  (très  consciencieux,  mais  peu 
de  sens  critique).  =  Juill.-août.  P.  Coste.  Saint  Vincent  de  Paul 
a-t-il  pris  à  Marseille  les  fers  d'un  forçat?  (il  y  a  dans  cette  histoire 
tant  d'invraisemblances  accumulées  qu'elle  doit  être  tenue  pour  légen- 
daire; cette  légende  avait  d'ailleurs  déjà  cours  du  vivant  même  de 
M.  Vincent).  —  Duplanté-Marceillac.  L'histoire  gasconne  et  les 
arrêtistes  du  parlement  de  Toulouse  (suite  ;  cite  les  principaux  arrêts 
intéressant  l'histoire  gasconne  en  suivant  l'ordre  chronologique  depuis 
1340).  _  J.  Bonnet.  Lettres  inédites  de  Marca  (fin;  en  tout,  31  lettres). 

—  Bacalerie.  A  propos  d'un  trésor  trouvé  à  Auch  (publie  le  dossier 
de  cette  affaire,  qui  se  produisit  en  1690.  Il  y  est  question  moins  du 
trésor  que  de  l'emploi  qu'on  lui  destinait). 

25.  —  Revue  de  l'Agenais.  1910,  mars-avril.  —  J.  Dubois.  Étude 
sur  la  famille  du  physicien  Jacques  de  Romas,  1550-181 1.  —  J.  Mon- 
méja.  Huit  douzaines  de  fiches  chronologiques  pour  servir  à  l'histoire 
de  la  vie  et  des  travaux  de  J.  de  Romas.  —  R.  Bonnat.  Deux  physi- 
ciens du  xvme  s.  :  Romas  et  Vivens.  —  A.  Durengues.  Lettres  du 
général  Ressayre  (écrites  la  plupart  du  camp  français  sous  Varna  en 
juillet-août  1854).  —  J.-R.  Marboutin.  Notes  historiques  sur  Lafox. 

—  Vte  du  Motey.  Une  paroisse  Saint-Caprais  au  diocèse  de  Séez  (à 
Aubry  en  Exmes).  =  Mai.  Durengues.  Lettres  du  général  Ressayre 
(suite).  —  R.  Marboutin.  Monluc  au  château  de  Laugnac,  1567. 

Allemagne. 

26.  —  Archiv  fur  Kulturgeschichte.  T.  VIII,  n°  1,  1910.  — 
Heinrich  Finke.  Les  goûts  littéraires,  scientifiques  et  artistiques  des 
rois  d'Aragon  du  xme  et  du  xive  s.  (la  plupart  de  ces  rois  ont  été 
très  cultivés  ;  plusieurs  ont  fait  des  vers  ;  Jayme  Ier  et  Pedro  IV  ont 
été  historiens;  ils  ont  eu  le  goût  des  livres  et  des  œuvres  d'art.  Article 
bref,  mais  intéressant).  —  E.  A.  Stùckelberg.  Géographie  hagiogra- 
phique (l'auteur  montre  l'intérêt  que  présenteraient  des  cartes  hagio- 
graphiques où  seraient  indiqués  les  vocables  des  églises  et  des  autels, 
les  patrons  des  confréries,  les  reliques,  les  statues,  les  noms  de 
baptême  prédominants  dans  la  région).  —  Heinrich  Ritter  VON  Srbik. 
Aventuriers  à  la  cour  de  Léopold  Ie'1  (notes  historiques  sur  quelques 
alchimistes  :  Jean-Baptiste  Liefrinck,  Schellenberg,  etc.).  —  Wilhelm 


224  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

Stieda.  Compte  d'un  étudiant  d'Iéna  au  xviiie  s.  =  C. -rendus  : 
Joseph  Se  il:.  Die  Verehrung  des  hl.  Joseph  in  ihrer  geschichtlichen 
Entwicklung  bis  zum  Konzilvon  Trient  dargestellt  (utile). — Friedrich 

Noack.  Deuisches  Lehen  in  Rom  1700-1900  (bien  documenté). 

27.  —  Bonner  Jahrbûcher.  CXVIII  (1909).  —  II.  Schùene.  La  chi- 
rurgie militaire  dans  l'antiquité  (d'après  Paulos  d'Egine,  sur  la  forme 
des  pointes  de  javelots).  —  Fr.  REUSS.  Alexandre  le  Grand  chez  les 
Malli  (Arrien,  VI,  9-11,  suit,  pour  le  récit   de  cet  épisode,  le   récit 
ampoulé    d'un    historien    postérieur,    bien    qu'il    eût    de    meilleures 
sources  à  sa  disposition  ;  important  pour  le  jugement  à  porter  sur  cet 
auteur).  —  Aug.  Fkickenhaus.  Deux  problèmes  de  topographie  (topo- 
graphie de  deux  villes  construites   à  la   manière  des   Grecs   et   qui 
subirent  plus  tard  l'influence  romaine  :  1°  Emporion  ou  Ampurias  en 
Espagne  :  on  apporte  ici  de  nombreuses  corrections  au  mémoire  de 
Schulten  dans   les  Neue  Jahrbûcher,  XIX,   1907.  2°  Arrettium   ou 
Arezzo  en  Étrurie).  —  W.  Levison.  Le  développement  de  la  légende 
de  Séverin  de  Cologne  (Grégoire  de  Tours  nous  apprend  seulement 
que  ce   Séverin   fut   contemporain  de   saint  Martin.   Se   référant   au 
travail   de  dom   Henri   Quentin,   paru  dans  les  Mélanges   Couture 
en  1902,  l'auteur  montre  que  les  vies  de  saint  Séverin  de  Cologne 
ont  tout  simplement  appliqué  à  celui-ci  les  récits  concernant  saint 
Seurin  de  Bordeaux).  —  E.  Fabricius.  La  description  d'un  camp  par 
Hygin  (l'étude  des  vestiges  qui  nous  restent  des  constructions  mili- 
taires permet  maintenant  de  mieux  comprendre  le  texte  d'Hygin  et  de 
corriger  les  erreurs  qui  s'y  sont  glissées).  —  A.  von  Salis.  L'image 
d'un  Germain  (d'après  un  petit  buste  en  terre  cuite  conservé  au  musée 
d'arts  de  Bonn).  —  Aug.  OxÉ.  La  plus  ancienne  répartition  des  troupes 
dans  le  camp  des  légionnaires  de  Neuss  (étudie  en  outre  le  plan  d'un 
camp  tracé  par  Polybe  et  par  Tite-Live,  puis  l'emplacement  assigné 
aux  légionnaires,  à  la  cavalerie  et  aux  auxiliaires  dans  le  camp  de 
Neuss).  —  E.  Sadée.  L'invasion  des  Cimbres  dans  la  vallée  de  l'Adige 
en  102  av.  J.-C.  (quand  on  associe  l'étude  des  lieux  à  l'examen  des 
maigres  sources  que  nous  avons  sur  cet  événement,  on  peut  aller  plus 
loin  que  Mûllenhof  dans  sa  Deutsche  Altertumshunde,  II,  138.  L'in- 
vasion se  produisit  dans  l'hiver  de  l'an  102;  Catulus  couvrit  l'issue  de 
la  voie  du  Brenner  aux  «  Klausen  »  de  Vérone.  On  peut  encore  recon- 
naître les  particularités  tactiques  de  sa  position  sur  l'Adige  :  il  établit 
son  centre  sur  la  rive  droite  du  fleuve,  sur  le  plateau  de  Rivoli.  En 
détruisant  le  pont,  les  Cimbres  voulaient  interdire  à  l'ennemi  la  pos- 
sibilité de  prendre  l'offensive  sur  la  rive  gauche,  puis  franchir  eux- 
mêmes  le  fleuve  sur  une  digue  pour  attaquer  l'ennemi  sur  la  rive 
droite.  Ces  deux  mesures  furent  couronnées  par  un  résultat  inattendu  : 
les  Romains  furent  pris  en  panique.  Catulus  abandonna  sa  position 
défensive,  mais  gagna  résolument  sa  ligne  de  retraite  déjà  menacée 
par  l'ennemi.  Avec  une  carte).  —  H.  Lehner.  Une  tête  romaine  en 
marbre  trouvée  à  Schwarzrheindorf  (des  fouilles  opérées  en  cet  endroit 


RECDEILS    PÉRIODIQUES.  "225 

ont  abouti  à  faire  écarter  l'hypothèse  qu'il  y  eut  là  une  tête  de  pont 
établie  sur  la  rive  droite  du  fleuve,  en  face  du  camp  de  Bonn;  on  n'y 
a  trouvé  aucune  trace  d'antiquités  romaines).  —  M.-L.  Strack.  Aulus 
Hirtius  (il  fut  probablement  chef  de  la  chancellerie  et  auxiliaire  de 
J.  César  pour  la  publication  de  ses  Commentaires;  cette  hypothèse 
explique  l'unité  du  Corpus  Ca.esa.ria.num.  Les  notes  du  quartier 
général  et  les  rapports  des  chefs  de  détachements  ont  fourni  la 
substance;  Hirtius  développa  les  détails,  les  chiffres,  les  noms  d'après 
les  actes;  puis  César  intervint  pour  donner  au  récit  la  forme  qui  lui 
appartenait.  Sans  doute  Hirtius  essayait-il  d'imiter  le  style  du  maître. 
Ainsi  s'expliquent  les  ressemblances  et  les  différences  dans  la  langue 
des  parties  controversées.  A  quoi  ressemblaient  les  matériaux  d'Hir- 
tius?  Nous  le  voyons  par  le  Bellum  Hispaniense  et  une  partie  du 
Bellum  africanum.  Comparaison  avec  Bismarck  et  Lothar  Bûcher). 
—  Al.  Riese.  L'inscription  de  Clematius  et  les  martyrs  de  Cologne 
(cette  inscription  est  le  seul  témoignage  que  l'on  possède  pour  les 
martyrs  de  Cologne,  les  onze  mille  vierges  martyrisées  sous  le  règne 
de  Constance.  Or,  la  première  phrase  appartient  au  ive  siècle;  la 
seconde  a  éW  composée  après  852.  L'inscription  de  l'église  de  sainte 
Ursule  à  Cologne  est  une  copie  très  habile  de  l'inscription  originale 
de  Clematius,  augmentée  de  la  seconde  phrase).  —  P.  Steiner. 
Marques  de  potier  provenant  de  Vetera  Castra  (Xanten  ;  elles  pro- 
viennent de  la  5e  et  de  la  15e  légion,  plus  un  troisième  type  non  encore 
expliqué).  —  Rud.  Schultze.  Les  portes  de  villes  romaines  (mémoire 
très  détaillé  de  72  pages).  =  Appendice  :  la  Commission  provinciale 
pour  les  monuments  et  les  Sociétés  pour  les  antiquités  et.  l'histoire 
de  la  province  rhénane,  1907-1908  (mémoire  de  191  pages  avec  de 
nombreux  dessins). 

28.  —  Byzantinische  Zeitschrift.  T.  XIX.  1-2,  mai  1910.  —Jean 
Maspero.  Un  papyrus  littéraire  d'Aphrodite  (éloge  adressé  à  Jean, 
stratiarque  de  Thèbes,  vie  s.).  —  S.  Pétridès.  Épitaphe  de  Théodore 
Kamateros  (Cod.  Paris.,  gr.  2925,  fol.  5-6;  due  à  Jean  Tzetzès).  — 
M.  Treu.  Un  discours  de  Tamerlan  (texte  grec  de  Manuel  Moros, 
écrivain  du  xvie  s.,  Cod.  Ambros.,  gr.  598;  prononcé  avant  une  expé- 
dition contre  le  Kiptchak).  —  Graf.  La  vie  arabe  de  saint  Xénophon 
et  de  sa  famille  (traduction  allemande  du  Cod.  Vat.,  arab.  71,  écrit  en 
884  à  Saint-Sabas  de  Jérusalem).  —  G.  de  Saraghian.  Un  fragment 
grec  d'histoire  ecclésiastique  de  l'Arménie  (Cod.  Paris.,  gr.  900;  doit 
être  d'Isaac  d'Arménie  chassé  de  son  pays  au  xue  s.  à  cause  de  ses 
opinions  religieuses  favorables  aux  Grecs).  —  H.  Grégoire.  Géogra- 
phie byzantine  (Euchaïta  identifiée  à  Avghat-Hadji-Keui  sur  la  route 
d'Amasia  à  Tchorum).  —  P.  Orsi.  Restes  byzantins  en  Sicile  (trésor 
de  Pantalica,  nécropoles  de  Caltagirone  et  Magnisi,  musée  de  Syra- 
cuse). —  Brandenrurg.  Restes  byzantins  et  seldjoucides  dans  le 
Turkmen-Dagh.  —  J.  Bury.  Le  cycle  chronologique  des  Bulgares 
Rev.  Histor.  CV.  Ie1  fasc.  15 


226  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

(restitution  de  la  chronologie  des  Khans  bulgares  d'après  les  inscrip- 
tions de  Chatalar). 

29    _  Historische  Vierteljahrschrift.  T.   XIII,   Q°  1,    1910.  — 

Wilhelm  Busch.  Les  guerres  anglaises  pendant  l'année  1513  :  Gui- 
negate  et  Flodden  (la  campagne  de  Henri  VIII  et  de  Maximilien  contre 
la  France.  Récit  détaillé  de  cette  campagne  depuis  l'alliance  de  Maxi- 
milien avec  l'Angleterre  en  mars  1513  jusqu'au  traité  de  Londres  du 
7  août  1514.  Important  article  dans  lequel  l'auteur  décrit  avec  préci- 
sion la  politique  de  Henri  VIII,  de  Louis  XII,  de  Ferdinand  d'Es- 
pagne et  de  Maximilien).  =  C.-rendus  :  Sigefried  Rietschel.  Das 
Burggrafenamt  und  die  hohe  Gerichtsbarkeit  in  den  deutschen 
Bischofsstàdten  wâhrend  des  frûheren  Mittelalters  (important  ouvrage 
où  l'auteur  montre  qu'il  n'a  jamais  existé  de  «  comtes  des  villes  » 
(Stadtgrafen)  spéciaux  possédant  la  haute  justice  dans  l'enceinte  des 
villes  ;  cette  hypothèse  erronée  provient  de  ce  qu'on  ignorait  la  fonc- 
tion originelle  des  burgraves  qui  ont  été  primitivement  des  fonction- 
naires militaires  ayant  le  commandement  de  forteresses).  —  Cohen. 
Die  Verschuldung  des  baùerlichen  Grundbesitzes  in  Bayern  (ouvrage 
intéressant  pour  l'histoire  de  l'économie  rurale). 

30.  —  Historisches  Jahrbuch.  T.  XXXI,  1910,  n°  1 .  —  M.  Buchner. 
Les  taxes  perçues  sur  les  fiefs  d'empire  avant  la  publication  de  la 
Bulle  d'or  (leur  origine  :  l'auteur  la  trouve  dans  le  «  jus  spolii  »  ;  leur 
partage  entre  les  officiers  de  la  cour  impériale  :  ils  sont  considérés 
progressivement  comme  une  rémunération  des  services  rendus  par 
ces  officiers  au  moment  de  l'investiture).  —  A.  Vàth.  La  question  des 
«  faux  »  rédigés  à  Obermùnster  et  à  Niedermiinster,  à  Ratisbonne 
(l'auteur  réfute  l'accusation  portée  par  Fr.  Wilhelm  contre  les  reli- 
gieuses de  ces  deux  couvents  d'avoir  falsifié  le  diplôme  d'un  légat  du 
pape,  de  1246,  qui  aurait  été  défavorable  à  leur  liberté).  — J.  Hefner. 
Fragments  d'un  légendaire  de  Wùrzbourg  du  XIe  s.  (on  y  trouve  les 
deux  derniers  tiers  du  texte  de  la  Vita  S.  Gaugerici  episcoipi  Came- 
racensis  et  la  moitié  de  celui  du  Martyrium  S.  Ariani).  —  P.  Albert. 
Qui  est  l'auteur  du  Chronicon  Got\<; icense ?  (Gottfried  Bessel,  abbé 
de  Gôttweih  en  1732).  —  M.  Grabmann.  Un  manuscrit  nouvellement 
découvert  de  Gandulphus  (il  s'agit  d'un  manuscrit  ancien  des  sen- 
tences de  ce  canoniste  bolonais).  =  C. -rendu  :  Joh.  Chrzonz.  Kir- 
chengeschichte  Schlesiens  (remarques  intéressantes  sur  l'histoire  reli- 
gieuse de  la  Silésie).  =  N°  2.  H.  Grauert.  Les  écoles  d'Erfurt  avant 
la  fondation  de  l'Université  (d'après  un  acte  de  1282  contenant  des 
règlements  scolaires).  —  Endres.  L'année  de  la  naissance  et  la  chro- 
nologie de  la  première  moitié  de  la  vie  d'Albert  le  Grand  (il  serait  né 
vers  1207).  —  S.  Merkle.  Études  critiques  de  sources  sur  l'histoire 
du  Concile  de  Trente  (historique  des  discussions  qui  eurent  lieu  à  la 
fin  de  janvier  1546  au  sujet  de  la  priorité  à  accorder  aux  délibérations 
relatives  aux  dogmes  ou  à  celles  qui  concernaient  la  réforme;  l'au- 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  227 

teur  compare  diverses  versions  contemporaines).  —  G.  Morin.  Une 
lettre  inédite  de  Montalembert  (écrite  le  20  décembre  1869  à  l'occasion 
de  l'envoi  d'une  brochure  sur  le  Concile  du  Vatican).  —  Sauerland. 
La  charte  de  fondation  de  la  Chartreuse  de  Pavie  (1394).  =  C. -rendu  : 
Grabmann.  Die  Geschichte  der  scolastischen  Méthode  (t.  I  :  des  ori- 
gines au  début  du  XIIe  s.  Très  utile). 

31.  —  Neues  Archiv.  T.  XXXV,  n°  2,  1910.  —  Wilhelm  Levisûn. 
A  travers  les  bibliothèques  d'Angleterre  (suite  :  manuscrits  anglais  du 
Liber  pontifwalis.  L'auteur  en  étudie  très  minutieusement  deux 
manuscrits;  en  appeudice,  publication  des  Dicta  Aelfredi  régis  et 
d'une  lettre  de  Pascal  II  à  Robert,  duc  de  Normandie).  —  Emil 
Seckel.  Études  sur  Benedictus  Levita  (suite;  l'auteur  recherche  les 
sources  de  la  fin  du  second  livre).  —  Adolf  Pischek.  Additions  au 
catalogue  des  actes  de  l'empereur  Charles  IV  (analyse  de  88  actes  non 
compris  dans  l'ouvrage  de  Bôhmer-IIuber  et  trouvés  aux  archives  de 
Stuttgart).  —  Marie  Schulz.  La  méthode  de  travail  de  Sigebert  de 
Gembloux  dans  le  Liber  de  scriptoribus  ecclesiasticis  (Sigebert  a 
utilisé  les  préfaces  des  auteurs  dont  il  a  parlé).  —  Gustav  Sommer- 
feldt.  Remarques  sur  les  biographies  de  Hildegarde  de  Bingen, 
abbesse  de  Rupertsberg  (morte  le  17  septembre  1 179  ;  le  moine  Dietrich 
en  composa  une  avant  1188  et  Guibert  de  Gembloux  en  commença 
une  autre  dont  un  fragment  a  été  conservé).  —  F.-W.-E.  Roth.  Une 
lettre  de  Gabriel  Biel  (1462;  donne  des  détails  intéressants  pour  l'his- 
toire de  Mayence). 

32.  —  Gœttingische  gelehrte  Anzeigen.  1910,  juin.  —  Fr.  Draun. 
Die  Entwicklung  der  spanischen  Provinzialgrenzen  in  romischer  Zeit 
(bonne  étude  sur  la  géographie  de  l'Espagne  dans  l'antiquité).  — 
Fr.  Hegi.  Die  ge;echteten  Rsete  des  Erzherzogs  Sigmund  von  (Ester- 
reich  und  ihre  Beziehungen  zur  Schweiz,  1487-1499  (plein  de  faits 
nouveaux  et  bien  présentés).  —  Fr.  Eulenburg.  Die  Entwicklung  der 
Universiteet  Leipzig  in  den  letzten  hundert  Jahren  (bon).  —  Friedrich, 
Freiherr  von  Schrôtter.  Beschreibung  der  neuzeitlichen  Miinzendes 
Erzstiftes  und  Stadt  Magdeburg,  1400-1682. 

33.  —  Forschungen  zur  Brandenburgischen  und  Preussischen 
Geschichte.  T.  XXII,  n°  2,  1909.  —  Schill.  L'établissement  de  la 
fonction  de  «  Landrat  >>  dans  les  provinces  de  Clèves  et  de  Mark 
(1753;  cet  établissement  eut  pour  but  de  contribuer  au  mouvement  de 
centralisation  et  de  resserrer  l'union  de  ces  provinces  avec  le  gouver- 
nement prussien;  la  noblesse  locale  s'y  opposa).  —  H.  Drevhaus.  Le 
journal  «  der  Preussische  Correspondent  »  en  1813  et  1814  et  la  col- 
laboration de  ses  fondateurs  Niebuhr  et  Schleiermacher  (intéressant 
article  où  l'importance  politique  de  ce  journal  est  mise  en  lumière). 
—  A.  Ernst.  L'origine  de  la  propriété  (dominium)  dans  le  Brande- 
bourg (le  droit  de  percevoir  le  cens  et  par  suite  la  propriété  a  appar- 
tenu aux  chevaliers  et  non  au  margrave  aussitôt  après  la  colonisa- 


228  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

tion).  —  M.  IIass.  La  forme  des  actes  et  le  style  de  la  chancellerie 
dans  l'ancienne  Prusse  (depuis  la  seconde  moitié  duxvnes.;  étude  de 
diplomatique).  —  H.  Droysen.  Extraits  des  lettres  de  la  duchesse 
Charlotte  de  Brunswick  (1733-1797.  Ces  lettres  sont  conservées  à 
Charlottenhurg).  =  C. -rendus  :  Ilans  Spangenberg.  Ilof-  und  Zen- 
tralverwaltung  der  Mark  Brandenburg  im  Mittelalter  (très  scientifique). 
—  Briefwechsel  Friedrichs  des  Grossen  mit  Voltaire.  Herausgegeben 
von  R.  Koser  und  II.  Droysen  (nouvelle  édition  accompagnée  d'excel- 
lentes notes).  —  //.  Haupt.  Voltaire  in  Frankfurt  1753  (l'auteur  s'est 
servi  de  documents  qui  n'avaient  pas  encore  été  utilisés).  —  K.  Heidrich. 
Preussen  im  Kampfe  gegen  die  franzôsische  Révolution  (manque 
d'idées  d'ensemble). 

Autriche. 

34.  —  Jahreshefte  des  oesterreichischen  archaeologischen 
Instituts  in  Wien.  Bd.  XII,  1909.  —  W.  HelbiG.  Un  bouclier  rond 
d'Homère  avec  une  seule  poignée  (le  bouclier  homérique  rond  n'a  pas, 
comme  celui  des  hoplites  helléniques,  deux  attaches,  mais  une  seule, 
ce  qui  est  conforme  aux  représentations  assyriennes,  phéniciennes, 
syriennes  et  égyptiennes  ;  on  le  retrouve  également  en  Grèce  à  l'époque 
mycénienne,  à  la  période  du  dipylon  et  jusqu'aux  temps  archaïques, 
tandis  que  le  bouclier  rond  à  deux  attaches  ne  se  rencontre  qu'à  par- 
tir du  VIIe  s.;  même  pour  le  milieu  éolien  où  est  née  la  poésie  homé- 
rique, on  a  constaté  dans  certaines  fouilles  le  bouclier  rond  à  une 
seule  poignée.  Cette  forme  de  bouclier  convient  parfaitement  au  mode 
de  combat  usité  aux  temps  homériques,  tandis  que  le  bouclier  à  double 
attache  correspond  à  la  tactique  plus  récente  du  combat  dans  la  for- 
mation compacte  de  la  phalange).  —  Ad.  Wilhelm.  Inscriptions 
d'Erythrée  et  de  Chios  (I,  d'Erythrée,  de  la  fin  du  Ve  s.  ou  du  com- 
mencement du  IVe,  concernant  le  droit  de  cité  et  l'administration  de 
la  justice;  II,  de  Chios  :  loi  relative  au  marché  public;  III,  de  Pirée  : 
édit  de  l'empereur  Julien  sur  les  douanes  et  règlement  du  marché  aux 
poissons).  —  H.  Hofmann.  Pierres  tombales  de  l'époque  romaine 
trouvées  à  Walbersdorf  près  d'Ôdenburg  (tombes  de  vétérans  du  com- 
mencement du  Ier  s.  ap.  J.-C).  —  R.  Œhler.  Recherches  nouvelles 
sur  la  bataille  du  Muthul  (dans  Salluste,  Jugurtha,  48;  études  topo- 
graphiques sur  la  campagne  de  Métellus  en  109  av.  J.-C).  =Beiblatt. 
M.  Abramic  et  A.  Colnago.  Recherches  dans  la  Dalmatie  septentrio- 
nale (1°  le  réseau  des  voies  antiques;  3°  Fouilles  à  Starigrad,  l'antique 
Argyruntum,  à  qui  Tibère  conféra  le  droit  de  cité  en  34-35  ap.  J.-C, 
ainsi  que  le  montrent  de  nouveaux  fragments  de  l'inscription  C.  I.  L., 
III,  14322).  —  Jul.  Jung.  Inscription  d'Apulum  (dédiée  par  les  Cana- 
benses  en  l'honneur  d'un  praefectus  castrorum  de  la  13e  légion).  — 
N.  Vulic.  Inscriptions  antiques  de  Serbie  (beaucoup  de  nouvelles 
inscriptions  latines). 


RECUEILS   PERIODIQUES.  229 

35.  —  Mitteilungen  der  Instituts  fur  osterreichische  Ge- 
schichtsforschung.  T.  XXXI,  1910,  n°  1.  —  R.  Sternfeld.  Le 
conclave  de  1280  et  l'élection  de  Martin  IV,  1281  (si,  après  la  mort  de 
Nicolas  III,  les  cardinaux  ont  élu  non  pas  un  Orsini,  mais  le  Français 
Martin  IV,  c'est  que  ceux  qui  étaient  attachés  au  parti  français  et  au 
parti  gibelin  se  sont  unis  dans  leur  haine  contre  les  Orsini.  A  la  suite 
de  cet  article  très  intéressant,  appendice  consacré  à  l'historien  Mala- 
spina).  —  F.  Kern.  Mélanges  d'histoire  du  xme  et  du  xive  s.  (III.  La 
politique  extérieure  de  Rodolphe  de  Habsbourg  :  cette  politique  a  été 
celle  d'un  commerçant  prudent,  notamment  lorsque  des  intrigues 
furent  nouées  en  1277  pour  reconstituer  le  royaume  d'Arles;  IV.  Di- 
plômes inédits  de  Frédéric  Ier  et  Frédéric  II;  V.  La  France  et  les  Fri- 
sons :  échange  de  lettres  entre  Philippe  VI  et  les  Frisons,  qui  avait 
pour  objet  de  demander  leur  appui  contre  la  coalition  formée  en  1337. 
L'auteur  a  utilisé  des  documents  des  Arch.  nationales).  —  F.-C.  Wit- 
tichen.  Gentz  et  Metternich  (leur  jeunesse;  comparaison  de  leurs 
idées  politiques  ;  l'auteur  essaie  de  montrer  les  effets  bienfaisants  de 
la  politique  de  Metternich).  —  O.  Freiherr  von  Mitis.  Un  diplôme 
du  comte  Konrad  von  Raabs  de  1175  (intéressant  pour  l'étude  de  la 
diplomatique  des  actes  privés).  =  O. -rendus  :  G. -M.  Dreves.  Hymno- 
logische  Studien  zu  Venantius  Fortunatus  und  Rabanus  Maurus 
(méritoire).  —  R.  Bemmann.  Zur  Geschichte  des  Reichstags  im 
xv  Jahrhundert  (documentation  inédite).  —  Th.  Schiemann.  Ge- 
schichte Russlands  unter  Kaiser  Nikolaus  I  (t.  I  et  II.  Très  important). 

Grande-Bretagne. 

36.  —  The  english  historicàl  Review.  1910,  juill.  —  Caspari. 
La  bataille  du  lac  de  Trasimène  (les  récits  de  Tite-Live  et  de  Polybe 
peuvent  parfaitement  se  concilier;  d'autre  part,  aucun  emplacement 
sur  les  bords  du  lac  ne  cadre  exactement  avec  aucune  des  descriptions 
que  l'antiquité  nous  en  a  transmises;  néanmoins,  l'hypothèse  que  la 
bataille  se  livra  dans  les  environs  de  Sanguineto-Tuoro  est  la  plus 
vraisemblable).  —  Miss  Dibben.  Les  secrétaires  au  xme  et  au  xive  s. 
(de  1307  à  1367,  presque  tous  les  gardiens  du  sceau  privé  d'Angle- 
terre sont  en  même  temps  secrétaires  du  roi  ;  il  est  donc  probable  que 
la  fonction  essentielle  du  secrétaire  était  de  garder  le  sceau  privé,  le 
secretum  régis).  —  Allen.  L'évêque  de  Durham  Shirwood  et  sa 
bibliothèque  (John  Shirwood  fut  évèque  de  Durham  de  1484  à  1494; 
c'est  à  Rome  qu'il  acheta  la  plupart  de  ses  mss.  et  livres  grecs  et 
latins.  Son  successeur  Foxe  donna  les  livres  latins  au  collège  de  Cor- 
pus Christi,  à  Oxford;  ils  y  sont  encore,  mais  que  sont  devenus  les 
livres  grecs?).  —  Schoolcraft.  L'Angleterre  et  le  Danemark,  1660- 
1667.  —  Clapham.  Les  dernières  années  des  actes  de  navigation  (de 
1821  à  1849).  —  Conybeare.  Un  récit  du  sac  de  Jérusalem  en  614 
(traduction  anglaise  d'un  récit  composé  en  grec  par  Antiochus  Strate- 


230  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

gos,  mais  dont  on  ne  connaît  qu'une  traduction  en  géorgien  faite  pro- 
bablement au  Xe  s.).  —  PEARSON.  Un  mythe  relatif  à  Edouard  le 
Confesseur  (rien  ne  prouve  qu'il  ait  été  un  Albino).  —  Orton.  Un 
point  de  l'itinéraire  de  Henri  IV,  1070-1077  (le  lieu  où  Henri  IV  vint 
négocier  avec  sa  belle-mère,  Adélaïde;  de  Turin,  pour  obtenir  le  pas- 
sage des  Alpes  est  appelé  dans  les  mss.  de  Lambert  de  Hersfeld 
Ciuis  ou  Cuus;  c'est  aujourd'hui  Coise,  où  il  y  avait  alors  un  prieuré 
soumis  à  l'abbaye  de  Novalèse).  —  Norgate.  Ultinerarium  Pere- 
grinorum  et  le  poème  d'Ambroise  (G.  Paris  a  prétendu  à  tort  que  l'au- 
teur de  Yltinerariiun  est  un  plagiaire,  qu'il  s'est  contenté  de  traduire, 
en  le  démarquant,  le  poème  en  français  d'Ambroise.  En  réalité, 
Richard,  chanoine  de  la  Trinité  de  Londres,  qui  assista  à  la  troisième 
croisade,  ainsi  qu'Ambroise,  écrivit  Yltinerarium,  dont  une  première 
rédaction  fut  traduite  en  vers  français  par  le  trouvère  Ambroise;  puis 
il  reprit  son  récit  et  y  apporta  des  additions,  des  altérations  qui  ont 
modifié  le  caractère  de  l'œuvre.  Il  n'y  a  pas  eu  de  plagiai  ;  Ambroise 
a  fait  son  métier  en  mettant  en  langue  vulgaire  les  notes  que  lui  avait 
fournies  le  chanoine,  son  compagnon  et  peut-être  son  ami).  — 
Miss  Scofield.  Jean  Malet,  seigneur  de  Graville,  et  Edouard  IV, 
1475  (Jean  Malet  fut  pris  dans  Holy  Island  en  1 402,  lors  d'une  expé- 
dition malheureuse  tentée  par  Marguerite  d'Anjou  pour  rétablir 
Henri  VI  sur  le  trône.  Fatigué  de  sa  captivité,  il  prêta  serment  d'al- 
légeance à  Edouard  IV  au  moment  où  celui-ci  se  préparait  à  envahir 
la  France  et  transféra  tous  ses  biens  en  France  à  John  Forster  comme 
représentant  les  30,000  écus  d'or  de  sa  rançon.  L'acte,  ici  publié,  est 
du  21  juin.  Mais,  ces  biens,  il  fallait  les  conquérir  et,  l'expédition 
anglaise  ayant  échoué,  l'engagement  devint  lettre  morte.  Jean  Malet 
fut  retenu  en  prison  jusqu'en  1478,  époque  à  laquelle  son  fils  Louis 
fournit  l'argent  de  la  rançon,  d'ailleurs  sous  de  bonnes  cautions).  — 
Bayne.  Le  couronnement  de  la  reine  Elisabeth  (publie  un  récit  inédit 
de  la  création  des  chevaliers  du  Bain,  le  13  janv.  1559,  cérémonie  qui, 
pendant  au  moins  deux  siècles,  fit  partie  du  couronnement).  —  Rose. 
Le  duc  de  Richmond  et  la  conduite  de  la  guerre  en  1793  (adressées  à 
Pitt,  le  3  et  le  5  avril  1793).  =  ('.-rendus  :  Gwatkin.  Early  church 
history  to  a.  d.  313  (remarquable,  mais  l'auteur  gâte  son  œuvre  par 
son  parti  pris  d'hostilité  envers  le  catholicisme).  —  Atchley.  A  his- 
tory of  the  use  of  incense  in  divine  worship  (bon).  —  NeM'ett.  Canon 
Pietro  Casola's  pilgrimage  to  Jérusalem  in  the  year  1494  (très  intéres- 
sant). —  Kooperberg.  Margaretha  van  Oostenrijk,  landvoogdes  der 
Nederlanden,  tôt  den  Vrede  van  Kamerijk  (c'est  le  meilleur  ouvrage 
qui  ait  encore  paru  sur  Marguerite  d'Autriche;  l'auteur  y  a  publié  une 
longue  série  de  lettres  de  Mercurio  Gattinara  à  la  régente).  —  Dunin- 
Borkowski.  Der  junge  Spinoza.  Leben  und  Werrlegang  im  Lichte  der 
Weltphilosophie  (on  n'a  encore  rien  publié  d'aussi  détaillé,  ni  de  plus 
substantiel  sur  Spinosa).  —  Mahaffy.  Calendar  of  state  papers.  Ireland, 
1666-1669.  —  Chance.  George  I  and  the  Northern  war  (remarquable). 
—  Maxwell.  A  century  of  empire  (très  intéressant).  —  Bjôrkman. 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  231 

Nordische  Personennamen  in  England  in  alt-und  frùhmittelenglischer 
Zeit  (méthode  excellente  ;  l'auteur  n'a  pas  épuisé  toutes  les  sources 
connues  d'information).  —  Henderson.  The  norse  influence  on  celtic 
Scotland  (important).  —  Clay.  The  médiéval  hospitals  of  England 
(bon).  —  Craster.  A  history  of  Northumberland  (t.  IX;  bon).  —  Bra- 
senose  collège  register,  1509-1909.  —  Brasenose  collège  Quatercente- 
nary  monographs  (intéressant).  —  Dunn-Pattison.  The  Black  Prince 
(sans  valeur).  —  Mrs.  Green.  Elisabeth,  queen  of  Bohemia  (nouvelle 
édition  améliorée  de  cette  excellente  biographie). 

37.  —  The  Athenœum.  1910,  4  juin.  —  H.  S.  R.  Elliot.  The  let- 
ters  of  John  Stuart  Mill.  —  Round.  Peerage  and  pedigree  (remar- 
quable). =:  1 1  juin.  Ch.  J.  Griffïths.  A  narrative  of  the  siège  of  Delhi, 
with  an  account  of  the  mutiny  at  Ferozepore  in  1857  (quoique  l'auteur 
ait  pris  une  part  personnelle  à  ces  événements,  son  récit  ajoute  peu 
de  chose  à  ce  que  l'on  savait  déjà).  —  Frazer.  Totemism  and  exo- 
gamy  (ouvrage  de  première  importance,  en  4  vol.;  suite  le  18  juin).  =z 
18  juin.  Snead  Cox.  The  life  of  cardinal  Vaughan  (cette  biographie 
est  presque  une  autobiographie,  trop  longue,  mais  non  dénuée  d'inté- 
rêt). —  Ch.  Oman.  England  before  the  Norman  Conquest  (résumé 
intelligent,  plein  de  vie,  bien  informé;  la  partie  concernant  la  Bre- 
tagne à  l'époque  romaine  est  remarquable.  Traces  nombreuses  d'une 
rédaction  trop  hâtive  ;  les  considérations  finales  feraient  tort  au  livre 
si  elles  n'étaient  pas  si  brèves).  —  R.  M.  Clay.  The  médiéval  hos- 
pitals of  England  (excellent;  bibliographie  très  abondante;  78  belles 
illustrations).  =  25  juin.  II.  .V.  Williams.  The  fascinating  duke  de 
Richelieu,  1696-1788  (intéressant).  —  A.  II.  Mathew.  The  life  and 
times  of  Ilildebrand,  pope  Gregory  VII  (compilation  sans  valeur).  — 
L.  W.  King.  A  history  of  Sumer  and  Akkad  (très  savant  livre,  bien 
illustré,  avec  des  cartes  et  un  index  fort  complet).  —  Chambers.  A 
constitutional  history  of  England  (bon  manuel).  —  Medley.  Original 
illustrations  of  english  constitutional  history  (bon  choix  de  documents 
bien  commentés),  rz:  9  juill.  Ch.  Cox.  The  parish  registers  of  England 
(utile.  Les  plus  anciens  registres  paroissiaux  remontent  au  temps  de 
Th.  Cromwell).  —  Comey.  The  voyage  of  cap.  don  Felipe  Gonzalez  in 
the  ship  of  the  line  San  Lorenzo  to  Easter  Island  in  1770-1771  (publie 
deux  textes  sur  la  découverte  de  l'île  de  Pâques  en  1722  et  en  1770-7 1). 
=  16  juillet.  Hudson  et  Tingey.  The  records  of  the  city  of  Nor- 
wich;  vol.  II  (important).  —  Aubrey.  The  history  and  antiquity  of 
Southampton,  by  John  Speed  (utile.  Cette  chronique  fut  écrite  vers 
1770).  =23  juillet.  .V.  Halle.  Life  of  Reginald  Pôle  (très  intéressant). 
=  6  août.  Mary  Hamilton.  Greek  saints  and  their  festivals  (l'auteur 
a  recueilli  un  très  grand  nombre  d'observations  sur  les  légendes  reli- 
gieuses et  les  fêtes  des  Grecs  orthodoxes,  dans  l'intention  de  montrer 
les  survivances  du  passé  païen  dans  les  croyances  et  les  usages 
actuels;  mais  quel  est  le  système  religieux  de  la  Grèce  ancienne 
qu'elle  prend  comme  terme  de  comparaison?). 


232  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

38.  —  The  American  historical  Review.  1010,  avril.  —  J.  F. 
BALDWIN.  Le  conseil  du  roi  et  la  chancellerie;  l«*  art.  (montre  com- 
ment la  chancellerie,  considérée  comme  cour  de  justice,  se  sépara 
peu  à  peu  du  conseil,  ou  plutôt  comment  ce  dernier  se  spécialisa  dans 
une  sphère  de  son  activité;  comment,  en  second  lieu,  l'institution  du 
sceau  privé  amena  peu  à  peu  cette  nouvelle  distinction  que  le  conseil 
fût  le  tribunal  supérieur  en  matière  criminelle  et  la  chancellerie  en 
matière  civile.  Cette  double  évolution  s'opéra  dans  le  cours  du  xive  s.). 

—  G.  S.  Ford.  Wôllner  et  l'édit  de  religion  en  Prusse  en  1788  ;  2e  art. 

—  J.  W.  FûSTER.  Le  conflit  pour  les  Lois  de  réforme  au  Mexique 
(ces  lois  réformatrices,  votées  par  le  parti  libéral  en  1861,  édictaient 
la  séparation  de  l'Église  et  de  l'Etat;  les  hiens  de  l'Église,  non 
employés  pour  le  culte  paroissial,  furent  confisqués;  les  maisons  reli- 
gieuses fermées,  sauf  les  sœurs  de  charité,  françaises  pour  la  plupart, 
qui  restèrent  jusqu'en  1873.  La  lutte  menée  par  le  parti  libéral  est 
exposée  par  un  homme  qui  a  suivi  de  près  les  événements  et  qui  eut 
à  intervenir  en  faveur  des  sœurs  de  charité.  Le  triomphe  du  parti 
libéral  est  complet  aujourd'hui,  et  du  Mexique  son  influence  s'est 
propagée  dans  les  autres  pays  de  l'Amérique  latine).  —  J.  F.  Rhodes. 
La  société  secrète  des  Molly  Maguires  dans  la  région  de  l'anthracite 
en  Pensylvanie  (société  de  mineurs,  Irlandais  pour  la  plupart  et  catho- 
liques romains;  son  organisation,  meurtres  qu'elle  décréta  et  qu'elle 
sut  faire  exécuter  de  1865  à  1875.  La  société  disparut  à  la  suite  d'un 
procès  qui  coûta  la  vie  à  dix-neuf  membres,  pendus  de  1876  à  1878). 
=  Documents  :  1°  Lettre  du  major  général  Johann  Kalh,  1777  (lettre 
en  français  adressée  à  M.  de  Saint-Paul,  «  chef  des  bureaux  de  la 
Guerre  à  la  cour  de  France  »;  elle  jette  quelque  lumière  sur  les  rap- 
ports entre  Kalb  et  Lafayette).  —  2°  Lettre  du  marquis  de  Rocking- 
ham  concernant  la  défense  organisée  contre  J.  Paul  Jones,  1770 
(adressée  le  28  sept.  1770  à  Lord  Weymouth,  secrétaire  d'État).  — 
3°  Lettre  de  Quincy  Adams  (de  Gand,  le  18  juill.  1814).  —  4°  Lettre 
de  William  Henry  Trescot  sur  la  «  reconstruction  »  dans  la  Caroline  du 
Sud  en  1867.  =  C. -rendus  :  W.  J.  Thomas.  Source  book  for  social 
origins  (résumé  des  œuvres  relatives  au  sauvage  et  à  l'homme  préhis- 
torique, en  47  chapitres,  pourvus  chacun  d'une  abondante  bibliogra- 
phie. Important).  —  Balch.  The  New  Cyneas  of  Éméric  Crucé  (texte, 
avec  traduction  en  regard,  d'un  livre  très  rare,  publié  en  1623;  l'au- 
teur du  Nouveau  Cynéas  y  donne  aux  princes  des  conseils  tendant  à 
établir  la  paix  universelle  et  la  liberté  commerciale).  —  W.  Sickel. 
Sheridan.  from  new  and  original  material;  including  a  ms.  diary  by 
Georgiana,  duchess  of  Devonshire  (beaucoup  de  documents  nouveaux 
sur  l'époque  de  Georges  III  :  le  journal  de  la  duchesse  se  rapporte  aux 
débats  parlementaires  sur  la  régence  en  1788-1780.  Mais  la  biogra- 
phie de  Sheridan  laisse  beaucoup  à  désirer  ;  il  s'y  trouve  vraiment 
trop  de  lacunes).  —  Garnett.  The  life  of  Dr  W.  J.  Fox,  public  teacher 
and  social  reformer,  1786-1864  (très  intéressant,  Fox  journaliste, 
député  radical,  fut   un  ardent  avocat  de  la  liberté  religieuse,  de  l'en- 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  233 

seignement  populaire,  de  la  réforme  électorale,  du  féminisme).  — 
Sir  Herbert  Maxwell.  A  century  of  empire,  1801-1900;  vol.  I.  1801- 
1832  (c'est  moins  une  histoire  qu'un  plaidoyer  :  l'auteur  est  résolu- 
ment hostile  aux  whigs.  Il  se  complaît  surtout  aux  intrigues  des 
partis,  où  il  se  meut  avec  aisance  et  non  sans  perspicacité).  —  F:\ast. 
The  german  élément  on  the  United  States  (excellent).  —  Mathews. 
The  expansion  of  New  England;  the  spread  of  New  England  seule- 
ment and  institutions  to  the  Mississipi  river,  1620-1865  (la  première 
partie,  jusqu'en  1781,  est  instructive  et  faite  avec  beaucoup  de  soin; 
la  seconde  mérite  moins  de  créance  ;  les  cartes  ne  sont  pas  établies 
sur  de  solides  bases).  —  Callender.  Sélections  from  the  économie 
history  of  the  United  States,  1765-1860  (instructif).  —  Avery.  A  his- 
tory  of  the  United  States  and  its  people  ;  vol.  VI,  1776-1787  (bon).  — 
V.  H.  Paltsits.  Minutes  of  the  commissioners  for  detecting  and 
defeating  conspiracies  in  the  state  of  New  York.  Albany  country  ses- 
sions, 1778-1781.  — Sutcliffe.  Robert,  Fulton  and  the  «  Clermont  » 
(excellente  biographie,  par  la  petite-fille  de  l'inventeur).  —  Garrison. 
Diplomatie  correspondence  of  the  Republic  of  Texas  (correspondance 
avec  les  États-Unis  jusqu'en  1842;  important).  —  Munford.  Virgi- 
nia's  attitude  toward  siavery  and  sécession  (très  incomplet).  —  Ale- 
xander.  A  political  history  of  the  state  of  New  York  (intéressant  et 
assez  bien  informé.  —  Alonso  de  Léon  et  F.  Sanche:  de  Zamora. 
Ilistoria  de  Nuevo  Léon,  cou  noticias  sobre  Coahuila,  Tejas  y  Nuevo 
Mexico  (contient  :  1°  l'histoire  de  Nuevo  Leôn  jusqu'en  1649,  par  le 
capitaine  Alonso  Léon  de  Cadereyta,  mort  en  1661  ;  2°  une  continua- 
tion anonyme,  capitale  pour  l'histoire  ancienne  du  Texas,  de  1650  à 
1690;  on  y  trouve  de  précieux  renseignements  sur  Cavalier  de  La 
Salle;  3°  un  récit  de  la  découverte  et  île  la  colonisation  de  Rio  Blanco 
par  Fernando  Sânchez  de  Zamora.  Important).  —  Krehbîel.  The 
Interdict;  its  history  and  its  opération.  1198-1216  (intéressant).  — 
Whîtley.  Minutes  of  the  gênerai  assembly  of  the  gênerai  Baptisl 
churches  in  England,  with  kindred  Records;  vol.  I.  1634-1728.  —  Day. 
Calendar  of  the  Sir  William  Johnson  mss.  in  the  New  York  State 
library  (6,550  pièces  de  1733  à  1808;  important  pour  l'histoire  de  l'étude 
de  New-York).  =  Juill.  Teggart.  Les  circonstances  ou  la  substance 
de  l'histoire.  —  LARSON.  La  politique  de  Cnut  considéré  comme  roi 
d'Angleterre  (cette  politique  n'a  pas  été  dirigée  par  un  dessein  continu 
dès  le  début;  elle  a  changé;  elle  n'a  pas  eu  pour  objet  de  faire  de 
l'Angleterre  le  centre  des  possessions  du  grand  chef  Scandinave.  C'est 
seulement  après  son  retour  de  Norvège  en  1027  qu'on  peut  lui  attri- 
buer une  politique  proprement  anglaise.  Ses  lois  paraissent  dater  de 
cette  époque).  — Baldwin.  Le  conseil  du  roi  et  la  chancellerie;  2e  art. 
(très  intéressante  étude  sur  les  «  cas  »  qui  étaient  déférés  à  la  chan- 
cellerie, d'après  les  archives  mêmes  de  cette  cour).  —  Ambler.  La 
rupture  entre  la  Virginie  orientale  et  la  Virginie  occidentale  (avant  la 
guerre  de  la  Sécession).  —  Du  Bois.  La  «  reconstruction  »  et  ses  avan- 
tages (dans  le  grand  effort  accompli  pour  reconstruire  la  vie  politique 


234  RECUEILS    PKRTODIQUES. 

et  sociale  dans  les  états  du  Sud  après  la  guerre,  la  question  des  noirs 
affranchis  a  tenu  une  grande  place.  Montre  comment  ont  pu  s'établir 
des  gouvernements  nègres  et  qu'il  a  pu  en  sortir  quelque  bien.  Le 
droit  de  vote  accordé  aux  nègres  n'a  donc  point  été  aussi  malfaisant 
qu'on  le  dit).  =  Documents  :  Fish.  Documents  relatifs  aux  mesures 
prises  pour  ajuster  l'organisation  catholique  romaine  dans  les  États- 
Unis  aux  conditions  de  l'indépendance  nationale,  1783-1789.  =  C. -ren- 
dus :  Hartung.  Die  Geschichte  des  Framkischen  Kreises,  1521-1559 
(excellent  tableau  du  Cercle  de  Franconie  au  xvie  s.).  —  Welsford. 
The  strength  of  England  (bon  résumé  de  l'histoire  politique  et  écono- 
mique de  l'Angleterre  depuis  l'époque  saxonne  jusqu'au  règne  de 
Charles  Ie').  —  Lodge.  The  history  of  England  from  the  Restaura- 
tion lo  the  death  of  William  III  (c'est  la  meilleure  histoire  de  la  Res- 
tauration qu'on  ait  écrite  depuis  Lingard.  L'information  est  parfois 
insuffisante  et.  par  conséquent  aussi,  le  jugement  de  l'auteur  sur  les 
faits  et  sur  les  personnes).  —  Thompson.  The  Kulturkampf  (super- 
ficiel). —  O'Donnell.  A  history  of  the  Irish  parliamentary  party  (l'au- 
teur, député  au  Parlement  anglais,  raconte  ses  relations  avec  Parnell 
et  Biggar,  chefs  du  parti  irlandais  qui,  affirme-t-il,  ne  faisaient  rien 
sans  son  avis.  Il  a  fait  l'apologie  de  sa  personne  et  de  son  parti).  — 
Okuma.  Fifty  years  of  New  Japan  (utile  traduction  d'un  ouvrage  capi- 
tal pour  l'histoire  du  Japon  pendant  les  cinquante  dernières  années). 

—  Low.  The  american  people  (prétentieux,  systématique  et  superfi- 
ciel). —  E.  Abbott.  Women  in  industry  (importance  de  la  femme 
dans  l'industrie  en  Amérique).  —  Paullin.  Commodore  J.  Rodgers, 
1773-1838  (excellent).  —  Commons,  Philipps,  Gilmore,  Summer 
et  Andrews.  A  documentary  history  of  american  industrial  society; 
vol.  III-IV  :  Labor  conspiracy  cases,  1806-1842  (important).  —  J.  B. 
Moore.  The  works  of  James  Buchanan  ;  vol.  X,  1856-1860;  vol.  XI, 
1860-1868.  —  Dyer.  A  compendium  of  the  Rébellion  (beaucoup  de 
faits  et  de  chiffres  puisés  aux  sources  olïicielles).  —  Fite.  Social  and 
industrial  conditions  in  the  North  during  the  Civil  war  (bon).  — 
Myers.  History  of  the  great  american  fortunes  (ce  livre,  écrit 
dans  un  esprit  socialiste  très  ardent,  serait  mieux  intitulé  :  les 
Crimes  des  riches.  Beaucoup  de  faits).  —  Flom.  A  history  of  Norwe- 
gian  immigration  to  the  United  States  to  the  year  1848  (bon).  —  Coo- 
lidge.  Chinese  immigration  (utile  statistique;  bonne  bibliographie). 

—  Wilson.  The  life  and  letters  of  James  Wolfe  (beaucoup  de  négli- 
gences; l'auteur  n'a  nullement  réussi,  comme  il  le  prétend,  à  rendre 
clair  le  récit  de  la  campagne  de  Québec).  —  Robertson.  Francisco  de 
Miranda  and  the  revolutionizing  of  spanish  America  (récit  intéressant 
et  neuf  des  efforts  tentés  par  Miranda  pour  intéresser  les  puissances 
européennes,  en  particulier  l'Angleterre,  à  l'indépendance  des  colo- 
nies espagnoles).  —  Fortoul.  Historia  constitucional  de  Venezuela 
(remarquable). 


CHRONIQUE. 


France.  —  Nous  avons  le  regret  d'apprendre  la  mort  de  M.  le  géné- 
ral de  Beylié,  commandant  de  la  3e  brigade  d'Indo-Chine  et  corres- 
pondant de  l'Institut.  Né  à  Strasbourg  en  1849,  M.  le  général  de 
Beylié  avait  mis  à  profit  ses  voyages  aux  colonies  pour  publier  des 
ouvrages  très  appréciés  d'archéologie  orientale.  Nous  avions  signalé 
ici  même  son  travail  d'ensemble  sur  l'Habitation  byzantine  (Paris, 
1902).  En  1907,  il  publia  une  étude  sur  l'Architecture  hindoue  en 
Extrême-Orient,  ainsi  que  le  récit  d'une  exploration  archéologique 
des  monuments  de  Samara  qui  apporta  des  éclaircissements  nouveaux 
sur  l'origine  mésopotamienne  de  l'architecture  arabe.  En  1909,  son 
travail  sur  la  Kalaa  des  Beni-Hammad,  capitale  berbère  de  l'Afrique 
du  Nord  au  XIe  siècle,  révéla  un  des  prototypes  de  l'architecture  de 
l'Alhambra.  Doué  d'un  grand  esprit  d'initiative,  M.  le  général  de  Beylié 
avait  entrepris  d'assurer  la  conservation  des  monuments  d'Angkor- 
Vat.  Il  a  péri,  noyé  dans  les  eaux  du  Mékong,  au  moment  où  il  pré- 
parait une  étude  complète  sur  ces  édifices  mystérieux.  L.  B. 

—  Nous  apprenons,  trop  tard  pour  pouvoir  leur  consacrer  une  notice 
détaillée,  la  mort  de  M.  Armand  d'Herbomez  et  celle  de  l'éminent 
américaniste  Henry  Harrisse. 

—  L'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  a  décerné  le  premier 
prix  Gobert  à  M.  Louis  Mâle  (l'Art  religieux  en  France  à  la  fin  du 
moyen  âge)  et  le  second  prix  à  M.  Robert  Michel  (l'Administration 
royale  dans  la  sénéchaussée  de  Beaucaire).  Elle  a  en  outre  récom- 
pensé les  ouvrages  suivants  :  Lettres  de  Champollion.  publiées  par 
Mlle  IL  Hartlebex;  Catalogue  sommaire  des  mss.  sanscrits  et 
pâlis  de  la  Bibliothèque  nationale,  par  M.  Cabaton  ;  Chronogra- 
phie  syriaque  d'Elia  bar  Sinaya,  par  M.  Delaporte. 

—  La  Société  centrale  des  architectes  français,  dans  sa  séance 
du  25  juin,  a  décerné  trois  médailles  d'archéologie.  M.  Paul  Wallon, 
dans  un  élégant  rapport,  a  excellemment  analysé  les  travaux  des  lau- 
réats :  M.  Bizot,  le  conservateur  octogénaire  du  musée  de  Vienne, 
qui  a  réussi  à  reconstituer  dans  son  entier  le  plan  du  cirque  de  Vienne, 
le  seul  qui  ait  encore  été  dressé  pour  la  Gaule;  feu  M.  le  général 
de  Beylié.  qui  avait  pour  ainsi  dire  créé  le  musée  de  Grenoble;  enfin 
MM.  G.  Fougères,  notre  collaborateur,  et  J.  Hulot,  qui  ont  con- 
sacré un  admirable  ouvrage  à  la  restauration  de  Sélinonte. 

—  Vient  de  paraître  chez  J.  de  Gigord  (ancienne  librairie  Pous- 
sielgue),  dans  le  Corpus  scriptorum  christianorum  orientalium 
[Scriptores  aethiopici,  sér.  II,  t.  XXIV,  fasc.  1),  un  volume  inti- 


236  CHRONIQUE. 

tulé  :  Vitae  sanctorum  indigenarum  :  Abakerazun  et  Tahla 
Hawaryai,  texte  éthiopien  et,  traduction  latine.  Il  a  existé  en  Ethiopie, 
au  commencement  du  xvc  siècle,  une  curieuse  secte  monacale  dite 
des  «  Stéphanistes  »  du  nom  de  son  fondateur,  un  certain  Etienne; 
considérée  comme  hérétique  et  rebelle  à  l'autorité  royale,  elle  dispa- 
rut promptement.  La  vie  du  moine  Abakerazun  est  le  seul  des  écrits 
émanant  de  cette  secte  qui  soit  connu  jusqu'ici.  M.  Conti-Rossini  l'a 
fait  suivre  d'une  autre  vie,  celle  de  Takla  llawaryat,  contemporain 
d'Abakerazun. 

—  La  librairie  Fontemoing  a  entrepris  de  rééditer  le  Sanctuarium 
seu  Vitae  Sanctorum  ex  diversis  codicibus  collectae  de  Boninus 
Momiîritius.  Cette  nouvelle  édition,  dirigée  par  un  Bénédictin  de 
Solesmes,  est  la  reproduction  scrupuleuse  de  l'édition  originale;  les 
abréviations  sont  résolues,  mais  la  ponctuation  est  respectée,  ainsi  que 
toutes  les  autres  particularités  du  texte,  à  l'exception  des  fautes  mani- 
festement imputables  aux  typographes.  Des  variantes  empruntées, 
suivant  les  circonstances,  soit  aux  manuscrits,  soit  aux  meilleures  édi- 
tions des  mômes  textes,  suppléent  autant  que  possible  aux  insuffi- 
sances des  exemplaires  utilisés  par  Mombritius.  Les  tables  feront  de 
l'ouvrage  ainsi  rajeuni  un  utile  instrument  pour  les  études  d'hagiogra- 
phie comparée  (2  vol.  in-8°,  700  et  800  p.  Prix  :  90  fr.). 

—  M.  Hubert  Pernot  a  publié  chez  Champion  le  Siège  de  Malte 
par  les  Turcs  en  1565  par  P.  Gentil  de  Vendosme  et  Antoine 
Achélis,  en  français  et  en  grec,  d'après  les  éditions  de  1567  et  1571. 
In-8°,  xvi-200  p.,  avec  20  reproductions. 

—  La  librairie  Giard  et  Brière  a  publié  une  traduction  française  de 
l'ouvrage  du  Dr  Oscar  Martens  :  Un  grand  État  socialiste  au 
XVe  siècle;  constitution  historique,  sociale  et  politique  du 
royaume  de  Tahuan-tinsuyu,  État  des  Incas  sur  le  haut  plateau 
de  l'Amérique  du  Sud,  vin-93  p. 

—  La  librairie  Firmin-Didot  a  publié  le  t.  I  d'une  Histoire  poli- 
tique et  religieuse  de  l'Arménie  par  Fr.  Tournebize;  ce  volume 
s'arrête  en  l'année  1393.  In-8°,  876  p.,  avec  3  cartes.  Prix  :  10  fr. 

—  La  librairie  Charles-Lavauzelle  a  entrepris  une  traduction  de  la 
Guerre  nationale  de  1812,  ouvrage  publié  par  le  Comité  scientifique 
du  grand  état-major  russe.  La  1re  section  qui  comprend  la  correspon- 
dance des  personnages  officiels  et  des  services  de  l'État  comprend 
déjà  6  volumes  consacrés  à  la  préparation  à  la  guerre  en  1810  et  en 
1811.  Le  traducteur  est  le  capitaine  du  génie  breveté  E.  Cazalas. 

—  La  librairie  Jean  Schemit  a  mis  en  vente  un  Index  du  Mercure 
<tc  France,  1672-1832,  donnant  l'indication,  par  ordre  alphabétique, 
de  toutes  les  notices,  mentions,  annonces,  planches,  etc.,  concernant 
les  beaux-arts  et  l'archéologie.  Il  est  précédé  d'une  Introduction  his- 
torique par  M.  Etienne  Deville  (in-8°,  xl-268  p.;  prix  :  15  fr.). 

—  Le   Département  des  imprimés  de  la  Bibliothèque  nationale  a 


CHRONIQUE.  237 

publié,  de  1882  à  1908,  un  Bulletin  mensuel  des  livres  imprimés  en 
France  et  entrés  à  la  Bibliothèque.  Dans  chacun  des  fascicules  de. ce 
Bulletin,  les  ouvrages  y  ont  été  classés  suivant  l'ordre  alphabétique  des 
noms  des  auteurs  ou  des  titres  pour  les  anonymes.  A  partir  de  1909, 
une  double  mesure  a  été  appliquée  :  1°  ou  classe  les  notices  suivant 
un  ordre  méthodique;  2°  ces  mêmes  notices  reçoivent  une  numérota- 
tion continue  en  vue  de  faciliter  l'usage  îles  tables  pour  chacun  des 
volumes  que  constitue  la  réunion  des  douze  fascicules  mensuels.  Ces 
tables  sont  au  nombre  de  trois  :  une  où  sont  mentionnés  les  noms  des 
auteurs,  des  éditeurs  et  des  traducteurs;  une  seconde  qui  est  la  table 
des  matières  proprement  dite;  une  troisième  où  sont  rappelés  les 
titres  des  périodiques  nouveaux.  Dans  la  table  des  matières,  «  on  a 
noté  sous  les  mots  les  plus  spéciaux  les  sujets  traités  dans  chaque 
ouvrage;  on  y  a  en  outre  inséré  quelques  articles  synthétiques  corres- 
pondant aux  divers  sujets  qui  ont  le  plus  sollicité  l'activité  des  écri- 
vains ».  Ces  lignes  sont  empruntées  à  l'avertissement  placé  en  tête  du 
Bulletin  mensuel  des  récentes  publications  françaises.  Nouvelle 
série,  année  1909,  qui  est  en  vente  chez  Champion.  Cet  avertissement 
est  signé  par  M.  A.  Vidier. 

Allemagne.  —  La  11e  réunion  des  historiens  allemands  s'est  tenue 
à  Strasbourg  du  15  au  19  septembre  1909.  Des  lectures  y  ont  été  faites 
sur  les  conciles  du  IVe  siècle,  par  E.  Schwartz  ;  Machiavel,  Th.  More 
et  la  conception  de  l'Etat  à  l'époque  de  la  Renaissance,  par  E.  Bran- 
denrurG;  l'examen  historique  de  l'art  en  Alsace,  par  G.  DehîO;  les 
époques  de  l'histoire  ancienne  de  Venise,  par  W.  Lessel;  Dante  con- 
sidéré comme  historien,  par  H.  Finke  ;  les  Allemands  dans  la  guerre 
civile  d'Amérique,  par  W.  Kaufmann;  Walpole  premier  ministre, 
par  W.  Michael;  Bennigsen  et  les  époques  du  libéralisme  parlemen- 
taire en  Allemagne  et  en  Prusse,  par  H.  Oncken;  les  diversions  et  les 
erreurs  des  Croisades,  par  R.  Sterxfeld.  Ces  lectures  ont  été  résu- 
mées dans  le  Bericht  ùber  die  elfte  Versammlung  deutscher  His- 
toriker  zu  Strassburg ,  15-19  septembre  1909  (Leipzig,  Duncker  et 
Humblot,  1910.  In-8°,  66  p.).  Plusieurs  ont  paru  en  entier  dans  le 
t.  CIV  de  la  Historische  Zeitschrift. 

—  M.  le  professeur  A.  Heisenberg  et  M.  le  Dr  Paul  Marc  ont  suc- 
cédé à  Karl  Krumbacher  comme  directeurs  de  la  Byzantinische 
Zeitschrift;  dans  la  notice  nécrologique  qu'ils  ont  consacrée  à  leur 
regretté  prédécesseur  (n°  du  12  mai  1910},  ils  affirment  qu'ils  feront 
tous  leurs  efforts  pour  conserver  à  la  Revue  le  caractère  que  lui  avait 
donné  son  fondateur.  L.  B. 

Angleterre.  —  M.  Goldwin  Smith  est  mort  en  juin  dernier  à 
l'âge  de  87  ans.  Après  avoir  été  professeur  royal  d'histoire  à  Oxford 
(1858-1866),  il  alla  enseigner  l'histoire  d'Angleterre  et  des  institutions 
anglaises  à  l'Université  Cornell  (1866-1871),  puis  à  Toronto,  où  il  a 
fini  ses  jours.  Esprit  brillant,  d'idées  très  indépendantes  en  religion 
comme  en  politique,  il  était  plus  homme  de  parole  que  de  plume  et  il 


238  CHRONIQUE. 

n'écrivit  que  vers  la  fin  de  sa  vie  :  Canada  and  the  canadien  ques- 
tion (1891);  the  United  Kingdom,  a  political  history  (2  vol.,  1899). 

—  Le  D1'  Frederick  James  Furnivall  vient  de  mourir  à  l'âge  de 
85  ans.  Il  était  ué  le  4  février  182ô.  11  entra  au  barreau  en  1849  et  prit 
une  part  active  aux  questions  sociales  du  jour  ;  puis  il  changea  brus- 
quement de  carrière.  Il  devint  un  des  secrétaires  de  la  Philological 
Society,  qui  s'était  proposé  de  publier  un  dictionnaire  complet  de  la 
langue  anglaise;  il  occupa  ce  poste  pendant  cinquante  ans.  En  1864, 
il  fonda  la  Early  english  text  Society,  à  l'œuvre  de  laquelle  il  prit 
une  part  très  active,  et  il  contribua  à  la  fondation  d'autres  sociétés 
savantes  :  la  Chaucer  Society  (1868),  la  Ballad  Society,  la  Wiclif 
Society  (1882),  qui  ont  produit  beaucoup  d'éditions  importantes  pour 
l'histoire  littéraire  et  sociale  de  l'Angleterre  de  Chaucer  à  Shakespeare. 

—  Le  1er  juillet  est  mort  M.  Martin  André  Sharp  Hume.  Il  était  né 
à  Londres  le  8  décembre  1849.  Comme  il  avait  servi  dans  l'armée 
anglaise,  où  il  avait  conquis  le  grade  de  major,  on  l'appelait  couram- 
ment le  «  Major  Hume  ».  Il  avait  passé  une  partie  de  sa  jeunesse  à 
Madrid,  possédait  à  fond  la  langue  espagnole,  connaissait  bien  les 
hommes  et  les  choses  de  l'Espagne  contemporaine,  surtout  l'époque  et 
les  alentours  de  la  révolution  de  1868;  aussi  ses  amis  l'appelaient-ils 
volontiers  «  don  Martin  ».  Chargé  de  continuer  pour  la  série  de 
Calendars  of  state  papers  le  dépouillement  des  papiers  espagnols  com- 
mencé par  don  Pasqual  de  Gayangos,  il  se  prit  de  passion  pour  l'his- 
toire de  l'Espagne  au  xvie  siècle  et  publia  successivement  :  Philipp  II 
of  Spain  (série  des  Foreign  statesmen),  The  courtships  of  Elisa- 
beth (1896),  The  year  of  the  Armada  (1896;  c'est  une  histoire  de  la 
Contre-Armada),  The  great  Lord  Burghley  (1898);  Spam,  i479- 
1788  (assez  bon  résumé  de  l'histoire  d'Espagne,  1898),  Treason  and 
plot  (histoire  des  complots  contre  la  vie  d'Elisabeth,  1901);  enfin  un 
recueil  de  biographies  ou  d'anecdotes  rédigé  en  langue  espagnole  : 
Espanoles  e  Ingleses  en  el  siglo  XVI  (1903).  Ces  œuvres  sont 
intéressantes,  mais  hâtives,  et,  malgré  quelque  emploi  de  documents 
inédits,  superficielles. 

—  La  librairie  Nisbet  doit  publier  très  prochainement  un  ouvrage 
sur  la  pairie  anglaise  par  un  avocat,  M.  Geoffrey  Ellis,  auteur  de  l'ar- 
ticle Peerage  dans  la  11e  édition  actuellement  en  préparation  de 
l' Encyclop&dia  britannica. 

—  La  Cambridge  medieeval  history  a  subi  d'importants  retards; 
le  t.  I,  annoncé  d'abord  pour  le  printemps  dernier,  ne  paraîtra  pas 
avant  la  fin  de  cette  année.  Depuis  plusieurs  mois,  néanmoins,  l'en- 
treprise a  reçu  une  impulsion  nouvelle  qui  ne  peut  manquer  de  don- 
ner prochainement  ses  fruits. 

Belgique.  —  L'Académie  royale  flamande  vient  de  nommer  une  com- 
mission chargée  de  rechercher  et  d'inventorier,  dans  toutes  les  biblio- 
thèques publiques  et  privées  du  pays,  les  incunables  en  langue  flamande. 


CHRONIQUE.  239 

Suisse.  —  La  mort  de  Léopold  Micheli,  qu'un  accident  survenu 
sur  la  côte  de  Bretagne  le  23  juin  dernier  a  brusquement  enlevé  à 
l'affection  de  sa  famille  et  de  ses  amis,  laisse  un  grand  vide  dans  le 
petit  groupe  des  historiens  genevois.  Élève  de  l'École  des  chartes,  il 
avait  obtenu  le  diplôme  d'archiviste-paléographe  en  1903  en  soutenant 
une  thèse,  restée  jusqu'ici  inédite,  sur  les  Institutions  municipales 
de  Genève  au  XVe  siècle.  Membre  du  comité  de  la  Société  d'histoire 
et  d'archéologie  de  Genève  depuis  1905  en  qualité  de  secrétaire,  puis 
de  vice-président,  il  participait  activement  aux  travaux  de  la  Société. 
Il  achevait  précisément  la  publication  du  t.  III  des  Registres  du  Con- 
seil de  Genève  (Ik77-lb87),  dont  il  était  le  principal  collaborateur.  Il 
faisait  aussi  partie  du  comité  de  la  Société  du  musée  historique  de  la 
Réformation  et  avait  inséré  dans  la  plaquette  parue  sous  le  titre  de 
Troisième  centenaire  de  la  mort  de  Bèze,  novembre  1905  (Genève, 
1906,  p.  70-78),  une  bibliographie  partielle  des  œuvres  du  réformateur. 

Mais  c'est  à  la  Bibliothèque  publique  et  universitaire  de  sa  ville 
natale  que  Micheli  consacrait  le  meilleur  de  ses  forces.  Nommé  en 
janvier  1904  au  poste  nouvellement  créé  de  conservateur  des  manus- 
crits, il  était  devenu  conservateur  en  titre  deux  ans  plus  tard.  Pen- 
dant ces  quelques  années,  il  a  déployé  une  activité  remarquable  dans  le 
département  plus  spécialement  confié  à  ses  soins.  On  lui  doit,  en  par- 
ticulier, le  classement  de  la  «  Correspondance  ecclésiastique  »,  cette 
importante  série  dont  la  richesse  est  bien  connue  de  tous  les  histo- 
riens du  protestantisme  de  langue  française,  et  celui  de  la  belle  col- 
lection de  documents  espagnols  donnée  à  la  bibliothèque  par  M.  Edouard 
Favre  et  dont  l'Inventaire,  heureusement  terminé  par  les  soins  de 
Micheli,  est  en  cours  d'impression  dans  le  Bulletin  hispanique 
(t.  XI  et  XII,  1909-1910). 

Tous  ceux  qui  ont  connu  Léopold  Micheli  savent  avec  quelle  bonne 
grâce  et  quelle  modestie  le  jeune  érudit  mettait  au  service  de  qui 
recourait  à  lui  le  trésor  de  sa  culture  et  de  son  dévouement.  Travail- 
leur infatigable,  à  la  conscience  scrupuleuse,  à  l'intelligence  ouverte 
et  au  cœur  chaud,  il  s'est  tant  dépensé  pour  les  autres  (non  seulement 
sur  le  terrain  de  l'histoire,  mais  aussi  sur  celui  des  œuvres  sociales  et 
religieuses  auxquelles  il  s'intéressait),  qu'il  n'est  pas  arrivé  à  donner 
sa  mesure  par  des  publications  scientifiques  personnelles.  Il  n'en  a  pas 
moins  tracé  un  sillon  fécond  et  lumineux  dans  une  carrière  trop  tôt 
brisée  dont  ses  amis  conservent  avec  reconnaissance  le  souvenir 
vivifiant.  V.  v.  B. 


NOUVELLES  PUBLICATIONS  FRANÇAISES 

RELATIVES   A   L'HISTOIRE    DE   FRANCE. 
(Sauf  indications  contraires,  les  volumes  sont  in-8°  et  édités  à  Paris.) 

Inventaires  et  catalogues.  —  L.  Cetier.  Catalogue  des  actes  des  évoques 
du  Mans  jusqu'à  la  lin  du  xnr  s.  Champion,  lxxvij-408  p.  —  Index  alphabé- 


240  CHRONIQUE. 

tique  des  cinquante  premiers  volumes  il»;  la  Revue  des  Éludes  juives.  Durla- 
clicr,  in-8"  à  '2  col.,  vn-430  p.   Prix  :  12  fr.  50. 

Doci  ments.  —  A.  Lesort.  Chronique  et  chartes  de  l'abbaye  de  Saint-Mihiel 

(t.  VI  des  Mettensià).  Klincksieck,   116  p. 

Histoire  générale.  —  H.  Fray.  Histoire  de  la  lèpre  en  France.  I.  Lépreux 
el  caigots  du  sud-ouest.  Champion,  xxvi-780  p.  et  23grav.  —  Grasset.  Malaga, 
province  française,  1811-1812.  Charles-Lavauzelle,  607  p.  Prix  :  10  fr.  — Jos. 
Viaud.  Les  époques  critiques  du  patriotisme  français.  I.  L'émigration  contre 
la  Révolution,  1789-1900.  IJ,  Les  partis  politiques  contre  Napoléon,  1814-1815. 
Bloud.  in-16,  x-27ô  p. 

Histoire  locale.  —  Cli.  Aimond.  Les  relations  de  la  France  et  du  Verdu- 
nois  de  1270  à  1552.  Champion,  xvm-576  p.  et  1  carte.  —  H.  d'Alméras.  La  vie 
parisienne  sous  la  Restauration.  A.  Michel,  423  p.,  avec  gravures,  musique  et 
fac-similé.  —  Ch.  de  Beaurepaire.  Derniers  mélanges  historiques  et  archéo- 
logiques concernant  le  département  de  la  Seine-Inférieure  et  plus  spécialement 
la  ville  de  Rouen.  353  p.  —  L.  Besnard.  Un  monastère  de  Clarisses  à  Beau- 
mont-le-Vicomte,  1632-1657.  Mamers,  impr.  Fleury,  341  p.  —  E.  Chauvet.  Nan- 
tis. Recherches  historiques.  Provins,  Louage,  vi-157  p. — fi.  Gadave.  Les  docu- 
ments sur  l'histoire  de  l'Université  de  Toulouse  et  spécialement  de  sa  Faculté 
de  droit  civil  et  canonique,  1299-1789.  Toulouse,  Privât,  xm-381  p.  —  G.  Bou- 
dart.  Les  châteaux  royaux  de  Saint-Germain-en-Laye,  1124-1789.  Saint-Ger- 
main, Mirvault  (Archives  du  Pincerais,  t.  I).  —  F.  Jacquemin.  Recherches  sur 
la  justice  à  Sedan,  depuis  la  Révolution  jusqu'à  nos  jours.  Sedan,  impr.  Laroche, 
108  p.  —  E.  Labadie.  La  presse  bordelaise  pendant  la  Révolution.  Biblio- 
graphie historique.  Bordeaux.  Mollat,  xxn-300  p.  Prix  :  15  fr.  —  A.  Ledent. 
Les  invasions  de  1814-1815  et  1870  à  Montargis.  Charles-Lavauzelle,  107  p.  — 
L.  Monnier.  Histoire  de  la  ville  de  Vesoul,  t.  II.  Vesoul.  Bon,  448  p.  —  J.  Pra- 
jou.r.  Roanne  au  xvir  siècle.  Lyon.  Brun,  in-16.  52  p.  —  P.  Roussel.  Histoire 
du  collège  de  Meaux,  1556-1909.  Meaux,  impr.  Belle.  —  fi.  fiumeuu.  Notices 
historiques  sur  les  cantons  de  la  Haute-Garonne.  Toulouse,  Privât.  48  p.  — 
Capitaine  de  Sandt.  La  défense  de  Nancy  en  1792.  Nancy,  impr.  Bertrand, 
169  p. 


Erratum  du  précédent  numéro. 

M.  Robert  Launat,  dont  nous  avons  annoncé,  t.  Cl  V,  p.  423.  le  livre  Des  journées 
et  des  hommes,  nous  prie  de  dissiper  une  «  fâcheuse  équivoque  ».  En  parlant 
de  l'écharpe  nationale  qu'il  désigne,  avec  une  nuance  de  mépris,  par  l'expres- 
sion d'  «  étoffe  tricolore  »,  il  ne  songeait  pas  au  drapeau  français.  «  Il  ne  s'agis- 
sait ici  ».  nous  écrit-il,  «  que  de  l'insigne  parlementaire.  Beaucoup  dès  lors 
excuseront  mon  manque  de  respect  ». 


L'un  des  propriétaires-gérants,  G.  Monod. 


Nogent-le-Rotrou,  imprimerie  Daupei.ey-Gouverxeur. 


UNE 

FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE 

SOUS  L'ANCIEN  RÉGIME. 


LES  TRAITES  DE  LIES  ET  DE  PASSERIES. 
(Suite  et  fin1.) 


Les  lies  et  passeries  ne  sont  pas  seulement  des  traités  écono- 
miques. Elles  sont  aussi  et  surtout  des  «  traités  de  surséance  de 
guerre  ».  C'est  là,  on  l'a  vu,  leur  caractère  essentiel  et  leur 
grande  originalité.  La  crainte  de  la  guerre  les  anime  tous.  Elle 
paraît  même  dans  les  articles  spécialement  consacrés  aux  ques- 
tions pastorales  ou  commerciales.  C'est  cet  aspect  des  traités 
qui  doit,  avant  tout,  retenir  notre  attention. 

Deux  siècles  durant,  la  guerre  a  été  la  forme  habituelle  des 
rapports  entre  la  France  et  l'Espagne.  Il  y  a  eu  sans  doute  des 
trêves,  mais  elles  ont  été  courtes.  Pendant  deux  cents  ans,  la 
France  n'a  pas  fait  une  guerre  qui  n'ait  été  directement  entre- 
prise contre  l'Espagne  ou  qui  n'ait  entraîné  un  conflit  avec 
elle.  Or,  la  véritable  frontière,  celle  qui  fut  permanente,  c'est 
celle  des  Pyrénées.  Sans  doute,  elle  ne  fut  presque  jamais  le 
théâtre  de  très  grandes  opérations  militaires.  Elle  ne  vit  aucune 
de  ces  batailles  rangées  où,  en  d'autres  lieux,  la  jeune  infanterie 
française  affronta  les  bandes  espagnoles  et  où  se  fondèrent  les 
grandes  réputations  militaires.  Mais  l'état  de  guerre  y  fut  habi- 
tuel. Chacun  des  deux  territoires  se  sentit  menacé  par  les  armées 
ennemies  établies  aux  villes  frontières,  à  Foix,  Lourdes  et 
Bayonne,  ou  Saragosse  et  Pampelune.  Et  puis  il  se  forma  une 

1.  Voir  ci-dessus,  p.  1. 

Rev.  Histor.  CV.  2e  fasc.  16 


242  H.    CAVAILLÈS. 

classe  d'hommes  recrutée  parmi  les  violents,  les  déserteurs  et  les 
désœuvrés,  qui  tinrent  la  campagne  pour  leur  propre  compte, 
vécurent  de  rapines  et  de  brigandages  et  ne  reconnurent  aucune 
loi.  Ce  furent  les  miquelets  abhorrés,  terreur  des  pâtres,  .des 
marchands,  des  laboureurs,  de  tous  les  pacifiques  de  la  mon- 
tagne et  de  la  vallée.  Ce  sont  ces  «  vagabonds,  coureurs  de 
grands  chemins  et  autres  malfaiteurs  »  dont  parle  la  passerie  du 
plan  d'Arrem.  Voleurs  de  troupeaux,  détrousseurs  de  marchands, 
incendiaires  et  meurtriers,  ils  troublaient  la  vie  pastorale,  ren- 
daient impossible  toute  transaction,  menaçaient  les  habitations 
isolées,  les  hameaux  et  même  les  villes.  Pendant  deux  siècles, 
on  peut  s'imaginer  aisément  que  l'état  accoutumé  de  ce  pays  a 
été  l'insécurité,  l'ignorance  du  lendemain,  la  crainte  de  périls 
toujours  menaçants. 

Ce  qu'étaient  ces  hommes,  il  est  facile  de  l'imaginer  par  la 
terreur  qu'ils  inspirèrent  et  parles  dégâts  qu'ils  commirent.  Mais 
nous  avons  contre  eux  le  témoignage  des  officiers  du  roi.  Les 
généraux  espagnols  et  français  cherchèrent  plus  d'une  fois  à 
utiliser  les  miquelets  dans  les  opérations  de  la  guerre  en  les 
plaçant  sous  leurs  ordres.  Ainsi  furent  organisées  des  compa- 
gnies franches  composées  de  «  fusiliers  »  ou  «  arquebusiers  de 
montagnes  ».  Ils  furent  très  sévèrement  jugés  par  nos  officiers. 
Voici  ce  que  l'un  d'eux  écrivait  en  1719,  pendant  la  guerre  de 
la  quadruple  alliance,  au  maréchal  de  Berwick  :  «  Je  suys  outré 
contre  nos  miquelets  qui  n'ont  jamais  voullu  mordre  et  qui  ont 
fait  la  plus  mauvaise  contenance  du  monde.  Ce  sont  de  franches 
canailles  qui  ne  songent  qu'à  voiler,  piller,  assassiner,  dépouil- 
ler les  prisonniers  ou  qui  les  laissent  échapper1.  » 

Les  violences  qu'ils  ont  commises  sont  incalculables.  A  toutes 
les  époques  de  guerre  elles  se  renouvellent.  En  1514 ,  les 
Aragonais  pillent  plusieurs  fois  le  monastère  et  les  maisons  de 
Sainte-Christine,  Peyrenère,  Segoter  et  Gabas'2;  en  1523,  l'hô- 
pital et  le  hameau  de  Gavarnie.  En  1643,  la  vallée  de  Cauterets 
est  attaquée  de  nuit  par  huit  cents  miquelets.  Ils  sont  d'ailleurs 


1.  Baron  de  Lassus,  les  Guerres  du  XVIIIe  siècle  sur  les  frontières  du 
Comminges,  du  Couserans  et  des  Quatre-Vallées.  Saint-Gaudens,  Abadie, 
1895,  3"  éd.,  in-8%  t.  II,  p.  264-268.  —  Les  généraux  du  roi  de  France  ne 
firent  qu'assez  rarement  usage  des  miquelets.  Les  Espagnols  semblent  les  avoir 
employés  plus  fréquemment. 

2.  Traité  de  1514,  art.  6. 


UNE   FÉDÉRATION    PYRENEENNE   SOUS    L'ANCIEN    Re'gIME.  243 

victorieusement  repoussés.  Le  traité  rafraîchi  de  Barèges-Bielsa, 
qui  est  de  1674,  parle  encore  des  troubles  «  qui  à  présent  sont 
en  Espagne  et  sur  les  ports  à  l'occasion  des  miquelets  »1.  En 
1707,  l'archiduc  Charles,  ayant  jeté  des  troupes  en  Bigorre  par 
Gavarnie,  ces  troupes  furent  repoussées  parles  Barégeois.  «  Il 
en  coûta  plusieurs  habitants,  maisons  avec  les  meubles  et  grains, 
granges  remplies  de  fourrage,  qu'ils  tuèrent,  pillèrent  et  brû- 
lèrent. On  perdit  encore  quantité  de  troupeaux  qui  pâturaient 
sur  la  montagne'2.  »  L'année  suivante,  huit  cents  miquelets, 
passant  par  Bielsa,  descendent  dans  la  vallée  de  Héas,  pillent 
les  maisons  du  hameau  et  poussent  jusqu'à  Gèdre,  où  ils  tuent 
plusieurs  habitants,  pillent  et  brûlent  plusieurs  maisons.  En 
1711,  un  fort  parti  de  troupes  régulières  avec  des  bandes  de 
miquelets  et  d'Aranais  incendièrent  et  pillèrent  de  fond  en 
comble  Bagnères-de-Luchon.  Ils  repassèrent  en  Espagne  en 
poussant  devant  eux  des  troupeaux  de  bœufs  et  de  vaches,  toute 
la  fortune  du  pays  dévasté.  Et  avant  la  fin  de  la  guerre,  il  y  eut 
encore  de  nouvelles  incursions  de  miquelets  dans  le  Couserans 
et  le  pays  de  Foix.  La  vallée  d'Ustou  et  celle  de  Vicdessos 
furent  saccagées3.  Longtemps  le  souvenir  de  ces  dévastations 
devait  rester  vivant  au  cœur  des  populations.  Il  n'est  pas  encore 
complètement  effacé. 

Pour  protéger  les  habitants  des  vallées  contre  des  dangers 
toujours  renouvelés,  la  royauté  ne  faisait  rien,  ou  pas  grand'- 
chose.  Les  garnisons  étaient  rares,  car  on  réservait  toutes  les 
forces  pour  d'autres  usages  et  d'autres  lieux.  D'ailleurs,  les  mon- 
tagnards étaient  censés  être  les  défenseurs  de  leurs  frontières, 
et  l'on  se  croyait  quitte  envers  eux  en  leur  accordant  quelques 
exemptions  d'impôts.  Aussi  les  soldats  du  roi  ne  s'aventuraient 
guère  dans  ces  lieux  «  bossus  »  et  «  incommodes  »  qu'habitaient 
les  montagnards..  Enfin  les  gouvernements,  des  deux  côtés  de  la 
frontière,  aggravèrent  leurs  torts  en  recourant  à  la  détestable 
pratique  des  lettres  de  marque,  comme  le  vicomte  de  Béarn  et 
le  roi  d'Aragon  au  moment  de  la  guerre  de  Navarre.  Investis 
d'une  sorte  de  fonction  officielle,  assurés  de  l'impunité,  attirés 
parla  certitude  de  profits  abondants,  les  malfaiteurs  pullulèrent. 
A  la  guerre  régulière,  ils  ajoutèrent  les  violences  de  soldats  sans 

1.  Souvenir  de  la  Bigorre,  t.  VIII,  p.  61-66. 

2.  Bourdette,  Annales  du  Labéda,  t.  III,  p.  437. 

3.  Baron  de  Lassus,  ouvr.  cit.,  t.  I. 


244  H.    CA VAILLES. 

chefs  et  sans  discipline  qui  mettaient  leurs  fonctions  passagères 
au  service  de  leur  cupidité  ou  de  leurs  rancunes.  Les  lettres  de 
marque  finirent,  il  est  vrai,  par  être  supprimées,  mais,  même 
alors,  il  arriva  plus  d'une  fois  aux  gouvernements  d'avoir 
recours  à  ces  auxiliaires  de  rencontre. 

Les  vallées  n'avaient  donc  à  compter  que  sur  elles-mêmes 
pour  se  défendre.  Et  c'est  pourquoi  elles  convinrent  les  unes 
avec  les  autres  d'un  certain  nombre  de  précautions  qui  sont  le 
plus  essentiel  des  traités  de  lies  et  de  passeries.  Parmi  ces  pré- 
cautions, il  faut  distinguer  celles  qui  ont  pour  objet  de  diminuer 
les  risques  de  la  guerre  officielle  et  celles  qui  visent  les  attaques 
des  irréguliers. 

Tout  d'abord,  les  alliés  établissent,  comme  une  sorte  de  prin- 
cipe, que  si  la  guerre  éclate  entre  la  France  et  l'Espagne,  la 
paix  subsistera  entre  les  vallées.  «  Les  parties  [contractantes] 
des  pays  frontières,  dit  le  traité  du  plan  d'Arrem,  ne  s'attaque- 
ront pas...;  elles  ne  feront  les  unes  contre  les  autres  aucun 
exercice  de  guerre...  Il  leur  est  défendu  de  se  livrer  à  des  voies 
de  fait...,  sous  peine  d'être  pendus  et  étranglés1.  » 

Les  Béarnais  allèrent  plus  loin.  Leur  vicomte,  Jean  d'Albret, 
disputait  à  Ferdinand  d'Aragon  le  royaume  de  Navarre.  Devaient- 
ils  eux-mêmes  épouser  sa  querelle  et  se  laisser  entraîner  dans  la 
guerre?  Les  Etats  ne  le  pensèrent  pas.  Ils  s'efforcèrent  de  loca- 
liser le  conflit  et  de  maintenir  les  rapports  de  bon  voisinage 
avec  les  Aragonais.  Ils  y  réussirent.  Le  traité  de  1514,  qui  fut 
leur  œuvre,  déclare  que  la  paix  continuera  comme  par  le  passé 
et  que,  ni  d'une  part  ni  de  l'autre,  il  ne  sera  fait  aucune  attaque 
contre  les  vallées  adverses.  Les  habitants  seront  instruits  de 
cette  résolution  par  cri  public  dans  la  ville  de  Canfranc,  dans 
les  cités  de  Jaca  et  d'Oloron  et  dans  les  autres  lieux  des  dites 
vallées2.  Le  même  traité  ajoute  que  si  quelque  vallée  n'avait 
pas  conclu  d'accord  préalablement  à  la  guerre,  elle  aurait  encore 
le  droit  d'en  négocier  un,  après  le  début  des  hostilités3. 

Tous  les  traités  affirment  le  même  principe  :  l'état  de  guerre 
entre  les  gouvernements  ne  changera  rien  aux  relations  entre 
les  frontaliers.  Les  anciens  contrats  resteront  en  vigueur.  Cha- 


1.  Art.  1  et  13. 

2.  Art.  4. 

3.  1514,  art.  1  et  2. 


UNE    FÉDÉRATION    TYRÉNÉENNE    SOUS    L'ANCIEN    RÉGIME.  245 

cun  pourra  sans  crainte  se  livrer  à  ses  occupations  accoutu- 
mées, «  faire  paître,  herbager,  exploiter  en  toute  sécurité  ses 
troupeaux  de  gros  et  de  petit  bétail  en  tous  lieux,  dans  les 
ports,  limites  et  montagnes  de  chaque  vallée  »'.  Il  est  interdit 
d'enlever  les  animaux,  d'attaquer  les  bergers,  majoraux,  pas- 
teurs et  chefs  de  ramades2...  Ces  dispositions  intéressaient  tout 
le  monde,  ceux  qui  pâturaient  sur  leurs  propres  montagnes 
comme  ceux  qui,  en  vertu  des  vieux  droits  d'usage,  menaient 
leurs  bêtes  pacager  sur  les  montagnes  étrangères,  ainsi  les  Ara- 
gonais  de  Broto  dans  les  quartiers  d'Ossoue;  les  Français  du 
Couserans  et  d'ailleurs  qui  conduisaient  leurs  milliers  de  bêtes 
à  laine,  de  vaches  et  de  chevaux  transhumer  dans  les  magni- 
fiques herbages  du  plâ  de  Béret3...  Ce  droit  de  pacager  libre- 
ment, même  en  guerre,  les  gouvernements  le  reconnaissaient. 
En  1693,  un  habitant  de  Campan  ayant,  en  vertu  d'un  arrêt  du 
parlement  de  Toulouse,  enlevé  10,000  têtes  de  bétail  à  laine 
appartenant  à  un  prêtre  de  la  vallée  de  Tena  et  qui  paissaient 
dans  les  montagnes  de  Gavarnie,  la  vallée  de  Barèges,  craignant 
des  représailles,  se  plaignit  à  l'intendant  de  cette  violation  des 
passeries.  L'intendant  lui  donna  raison,  fit  rendre  les  animaux, 
emprisonner  l'agresseur,  puis  renouvela  la  défense  d'enlever  les 
troupeaux  espagnols4. 

Cependant  il  peut  arriver  que  la  paix  soit  effectivement  rom- 
pue par  le  fait  des  circonstances  ou  par  la  volonté  des  rois  dont 
les  traités  réservent  expressément  les  droits.  Dans  ce  cas,  les 
alliés,  acceptant  une  situation  à  laquelle  ils  ne  peuvent  se  sous- 
traire, s'efforcent  d'en  limiter  les  dangers. 

D'abord  ils  s'engagent  à  s'avertir  mutuellement  de  la  rupture. 
Le  traité  de  1513  fixe  à  l'avance  les  lieux  où  l'avis  devra  être 
porté  de  part  et  d'autre.  Il  spécifie  que  l'avertissement  devra 
être  notifié  par  message  exprès  et  au  moyen  de  lettres  signées 
de  l'un  des  personnages  figurant  au  traité.  A  partir  de  la  remise 
de  l'avis,  la  paix  devra  être  respectée  pendant  trente  jours 
encore,  délai  pendant  lequel  les  intéressés  pourront  ramener 
leurs  troupeaux,  mettre  en  sécurité  leurs  marchandises  et  se 

1.  1514,  art.  3  et  4.  —  Traités  de  1552  et  de  1646. 

2.  Traité  de  1513,  art.  4;  Barèges-Bielsa  (1648);  Azun-Tena  (1719),  art.  3. 

3.  H.  Cabannes,  les  Chemins  de  transhumance  dans  le  Couserans  {Bull, 
de  géographie  historique  et  descriptive,  n°  2,  1899). 

4.  Bourdette,  Annales  du  Labéda,  t.  III,  p.  401-402. 


246  H.    CA VAILLES. 

retirer  eux-mêmes  en  lieu  sur1.  Le  traité  de  1514  fixe  ce  délai 
à  huit  jours2. 

Les  précautions  contre  les  irréguliers,  les  coureurs  d'aven- 
tures et  autres  batteurs  d'estrade  sont  de  beaucoup  les  plus 
nombreuses,  surtout  dans  les  deux  grands  traités  de  1513  et  de 
1514.  Les  alliés  demandent  et  finissent  par  obtenir  la  suppres- 
sion des  lettres  de  marque3.  Ils  multiplient  les  précautions  contre 
les  miquelets  et  s'engagent  à  s'avertir  mutuellement  de  leur 
approche.  Toujours  très  précis,  le  traité  aragonais-béarnais  s'ex- 
primait ainsi  :  «  Si  des  personnes  d'une  vallée  ou  étrangères  à 
cette  vallée  se  rassemblent  et  se  retirent  en  quelque  lieu  de  cette 
vallée,  et  de  là...  font  quelque  entreprise  de  pillage  (cavalgada) 
dans  l'autre  vallée,  que  les  «  voisins  »  et  habitants  du  lieu  où 
elles  se  rassembleront  soient  tenus  et  obligés  de  s'assurer  de  la 
dite  bande  pendant  six  jours,  afin  que  celui  qui  voudra  rentrer 
en  possession  de  son  bien  le  puisse  faire.  Ils  devront  avertir 
ceux  qui  auront  été  volés.  Et  s'ils  ne  savent  pas  en  quel  endroit 
ont  été  commises  les  déprédations,  ils  devront  avertir  les  jurats 
du  premier  lieu  de  la  vallée  voisine.  On  fera  connaître  le  fait 
par  cri  public  à  Urdos,  à  Arette  ou  Laruns  en  Béarn,  Salhen, 
Canfranc,  Echo  ou  Anso  en  Aragon4.  »  Le  traité  de  Barèges- 
Bielsa  dit  que  s'il  s'assemble  des  gens  à  cinq  lieues  à  la  ronde  de 
juin  à  octobre,  et  si  le  nombre  de  ces  gens  excède  cinquante, 
les  vallées  s'en  donneront  avis  dans  la  journée.  Exception  est 
faite  pour  les  soldats  qui  viennent  et  restent  à  Tarbes  et  à 
Lourdes,  places  de  guerre  ou  de  garnison5. 

Les  vallées  sont  déclarées  responsables,  et  des  sanctions  sont 
prononcées  contre  celles  qui  ne  se  conformeraient  pas  à  ces  dis- 
positions. «  Les  hommes  de  la  vallée  où  les  bestiaux  ont  été  pris 
seront  tenus  de  les  restituer  ou  de  payer  entièrement  à  l'estima- 
tion des  juges  compétents6.  »  Le  voleur  devra  restituer  ou  payer 
ce  qu'il  aura  pris,  dit  le  traité  béarnais,  et  il  établit  avec  une 


1.  Art.  8. 

2.  Art.  12.  —  Mêmes  précautions  dans  le  traité  Ossau-Tena  de  1552.  Elles 
sont  reproduites  intégralement  dans  le  traité  de  1646,  art.  1.  —  Cf.  Azun-Tena 
(1719),  art.  4. 

3.  Traité  du  plan  d'Arrem,  art.  12;  traité  de  1514. 

4.  1514,  art.  5  et  9. 

5.  1648. 

6.  1513,  art.  4. 


UNE    FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SOUS   L'ANCIEN   RÉGIME.  247 

extrême  netteté  la  responsabilité  collective  des  vallées  vis-à-vis 
de  leurs  alliés J . 

Tout  semble  donc  prévu.  Mais  il  faut  compter  encore  avec 
l'habileté  des  malfaiteurs  qui,  tout  en  respectant  en  apparence 
la  paix,  peuvent  user  de  beaucoup  de  prétextes  pour  la  troubler. 
Cette  préoccupation  inspire  un  grand  nombre  de  prescriptions 
dont  l'objet  est  d'obtenir  le  règlement  pacifique  et  légal  des 
conflits  particuliers  afin  d'éviter  tout  prétexte  de  représailles. 
Telles  sont,  pour  préciser,  les  dispositions  relatives  aux  dettes. 
En  vertu  de  l'ancien  droit  de  représailles,  tout  créancier  se 
croyait  fondé  à  se  dédommager  non  seulement  sur  les  biens  de 
son  débiteur,  mais  encore  sur  ceux  de  ses  concitoyens.  Les 
alliés  s'entendent  pour  supprimer  cette  espèce  de  droit  collectif 
que  chaque  vallée  pouvait  prétendre  avoir  sur  la  vallée  du  débi- 
teur. Ils  établissent  de  façon  précise  les  droits  du  créancier  et 
la  forme  suivant  laquelle  devra  se  faire  la  poursuite  et  le  rem- 
boursement de  la  dette.  Le  traité  de  Galhego  prononce  la  peine 
de  neuf  cents  sous  morlaas  contre  ceux  qui  prétendront  exi- 
ger le  recouvrement  d'une  créance  dans  laquelle  ils  ne  seront 
ni  créanciers,  ni  cautions,  ni  principaux  intéressés2.  C'est  la 
précaution  essentielle,  mais  il  y  en  a  d'autres.  «  Le  recouvre- 
ment des  dettes  devra  être  fait  suivant  des  formes  régulières, 
suivant  les  pratiques  et  les  procédures  des  cours3.  »  —  «  Si  le 
créancier  a  un  titre,  il  citera  son  débiteur  devant  la  justice 
ordinaire  de  la  vallée  ou  devant  les  jurés  en  vertu  du  traité  de 
paix.  S'il  n'en  a  pas,  il  ne  pourra  s'adresser  à  la  justice  ordi- 
naire, mais  seulement  aux  jurés4.  »  —  «  Nul  voisin  ne  pourra 
saisir  les  bestiaux  d'un  voisin  d'une  autre  vallée  dans  le  temps 
qu'ils  seront  aux  pâturages  des  montagnes  ou  pendant  qu'on  les 
y  conduira  ou  qu'on  les  en  ramènera...,  sous  peine  de  la  perte 
générale  de  ses  biens  en  faveur  de  sa  vallée  et  de  poursuites 
comme  infracteur  de  la  concorde5.  »  —  «  Les  saisies  ne  pour- 


1.  1514,  art.  5. 

2.  1646,  art.  36  et  43.  —  Le  for  général  de  Béarn  disait  déjà  :  i  Que  per- 
sonne ne  saisisse  ni  n'arrête  un  autre  homme  par  représailles  sur  le  chemin,  ni 
dehors,  ni  dans  le  village,  s'il  n'est  débiteur  ou  caution  »  (For  général, 
rubr.  XXXIII,  art.  74). 

3.  1513,  art.  12. 

4.  1646,  art.  20  et  23. 

5.  Azun-Tena  (1719),  art.  3,  et  2,  4,  5. 


248  n.   CA VAILLES. 

ront  être  faites  du  côté  d'Ossau  que  par  les  majoraux  ou  les 
gardes  ;  du  côté  de  Tena  que  par  les  veneurs,  gardes  et  chefs  de 
ramades  nommés  par  l'une  ou  par  l'autre  vallée'.  »  D'autres 
mesures  sont  destinées  à  garantir  les  intérêts  du  créancier,  du 
débiteur  lui-même  et  de  tous  les  hommes  de  la  vallée'2. 

Les  alliés  accumulent  toutes  les  précautions  capables  de  dimi- 
nuer les  chances  de  rupture.  Le  traité  du  Galhego  décide  que, 
chaque  fois  qu'il  se  produira  un  différend  entre  des  frontaliers, 
la  cause  devra  être  soumise  à  l'examen  de  trois  jurés  au-dessus 
de  tout  soupçon  ou,  à  leur  défaut,  à  l'examen  de  la  junte3.  C'est 
aussi  à  trois  «  voisins  »,  hommes  de  bien,  que  devront  s'adresser 
ceux  que  divise  toute  affaire  que  le  traité  n'aurait  pas  prévue. 
Ces  arbitres  jureront  sur  la  croix  et  sur  les  quatre  évangiles  de 
juger  bien  et  loyalement.  Et  leur  sentence  aura  la  même  valeur 
que  si  elle  avait  été  rendue  par  les  jurés  eux-mêmes4.  D'autres 
articles  prévoient  et  règlent  les  formes  dans  lesquelles  se  feront 
les  extraditions5.  Enfin,  si,  en  dépit  de  ces  précautions  multi- 
pliées, il  arrivait  que  la  paix  fût  troublée  quand  même,  les  trai- 
tés établissent  que  les  attentats  isolés  et  individuels  ne  pourront 
rien  contre  la  paix,  qui  durera  en  dépit  de  tout6. 

Traités  économiques,  traités  de  «  surséance  de  guerre  »,  tels 
sont  les  accords  de  lies  et  de  passeries.  Avant  tout,  ils  proclament 
la  paix,  qui  est  indispensable  aux  alliés.  A  la  violence  et  à  la 
guerre,  ils  s'efforcent  de  substituer  des  arrangements  réguliers, 
convenus  et  adoptés  à  l'avance.  Si  la  guerre  ne  peut  être  évitée, 
du  moins  veulent-ils  en  limiter  les  souffrances,  en  distinguant 
les  belligérants  et  les  coureurs  d'aventures  et  en  abolissant  le 
droit  de  représailles.  Empêcher  les  frontaliers  de  se  rendre  jus- 
tice à  eux-mêmes,  ce  qui  offrait  de  trop  faciles  prétextes  aux 
gens  sans  scrupules  ;  investir  les  magistrats  des  vallées  de  l'au- 
torité nécessaire  pour  régler  les  conflits  et  poursuivre  les  mal- 
faiteurs ;  substituer  enfin  à  l'action  des  individus  la  responsabi- 
lité collective  des  vallées  les  unes  vis-à-vis  des  autres,  tel  fut  le 
régime  instauré  par  les  passeries.  On  ne  peut  nier  qu'avec  ses 

1.  1646,  art.  16.  L'art.  25  parle  aussi  d'un  corredor,  agent. 

2.  Traité  du  Galhego  (1646),  art.  20-30,  36-40.  —  Voir  aussi  Barèges-Bielsa 
(1648). 

3.  Ibid.,  art.  31. 

4.  Ibid.,  art.  42. 

5.  Barèges-Bielsa  (1648). 

6.  Traité  du  plan  d'Arrem  (1513),  art.  3;  traité  de  1514,  art.  10. 


UNE   FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE   SOUS    L'ANCIEN    RÉGIME.  249 

imperfections  il  ne  constituât  un  effort  remarquable  vers  un  état 
de  droit  et  de  légalité. 

§  3.  L'application  des  traités.  La  vie  fêdêrative  dans  les 
Pyrénées.  —  Les  montagnards  ne  se  contentèrent  pas  de  con- 
clure des  traités  de  paix  et  d'alliance,  de  défendre  la  liberté  de 
leurs  transactions  et  la  sécurité  de  leurs  vallées  contre  les  entre- 
prises des  gens  de  la  plaine.  Ils  voulurent  assurer  le  respect  des 
engagements  réciproques  et  la  stricte  exécution  des  mesures 
prises  en  commun.  Ils  voulurent  juger  les  conflits,  punir  les 
infracteurs,  aviser  à  toutes  les  mesures  qu'il  pouvait  être  utile 
d'adopter  en  vue  du  bien  général,  enfin  renouveler  périodique- 
ment les  vieux  pactes  et  les  garantir  contre  toute  interprétation, 
toute  déformation  possible.  Le  régime  des  lies  et  passeries  abou- 
tit naturellement  à  des  entrevues  périodiques  où  se  rencon- 
trèrent les  délégués  des  vallées  contractantes.  A  ces  entrevues, 
chacun  apporta  les  habitudes  de  libre  discussion  qu'il  avait  pui- 
sées dans  la  pratique  journalière  des  affaires,  en  une  région  où 
les  libertés  locales  étaient  restées  très  vivantes.  Avec  elles  se 
développa  ainsi  un  véritable  régime  de  délibérations  qui  fut  tout 
particulièrement  curieux  et  intéressant. 

Les  députés  des  vallées  alliées  se  rencontraient  à  époques 
régulières  sur  des  points  fixés  à  l'avance  par  la  tradition  ou  par 
le  texte  même  des  traités.  Leurs  entrevues,  appelées  bistes  ou 
juntes,  furent  à  la  fois  des  assemblées  politiques  et  des  tribu- 
naux. Pendant  plusieurs  siècles,  ces  petits  parlements  populaires 
vécurent,  délibérèrent,  rendirent  des  sentences  et  des  jugements 
avec  la  même  régularité  et  le  même  succès. 

Les  Français  de  Vicdessos,  les  Catalans  du  val  de  Ferrera  et 
du  comté  de  Paillas  se  réunissaient  à  Vicdessos.  L'assemblée  y 
était  suivie  d'un  repas  en  commun  et  d'un  divertissement  dont 
la  tradition  imposait  tous  les  frais  aux  Espagnols.  Les  députés 
du  Couserans,  du  Comminges,  des  Quatre-Vallées  et  du  Nébou- 
zan  se  rencontraient  avec  les  Espagnols  de  Paillas,  de  Riba- 
gorza  et  d'Aran  au  plan  d'Arrem,  étroite  pelouse  située  sur  ter- 
ritoire français,  mais  tout  près  de  la  frontière,  à  quelques  centaines 
de  mètres  du  Pont-du-Roi,  sur  la  rive  gauche  de  la  Garonne. 

Les  entrevues  entre  les  délégués  de  Barèges  et  ceux  de  Bielsa 
avaient  lieu  alternativement  à  Pinède  et  à  l'hôpital  de  Héas1. 

1.  Paxerie  entre  les  vallées  de  Barège  avec  celle  de  Beausse  (1648),  dans 
Souvenir  de  ta  Bigorre,  t.  VIII,  p.  61-6G. 


250  B.    CAVAILLÈS. 

Entre  Barèges  et  Broto,  il  était  convenu  que  deux  ou  trois 
députés  de  chaque  vallée  se  rendraient  annuellement  à  l'hôpital 
de  Gavarnie  au  jour  de  la  fête  de  sainte  Madeleine  (22  juillet); 
et  là,  sur  l'autel  de  ladite  sainte,  confirmeraient  la  paix  et  juge- 
raient souverainement  toutes  les  questions  intervenues  dans 
l'année1.  On  peut  encore  voir  à  Gavarnie,  sur  le  chemin  du 
port,  une  haute  maison  aux  murs  nus  et  aux  étroites  fenêtres, 
d'aspect  espagnol,  qui  fut  pendant  longtemps  le  lieu  de  rendez- 
vous  des  délégués. 

Les  députés  de  la  Rivière  de  Saint-Savin  se  rencontraient 
avec  ceux  du  Quinon  de  Panticosa  à  la  limite  des  deux  vallées. 
Ces  réunions  périodiques  attiraient  un  grand  nombre  d'habi- 
tants des  deux  pays.  On  y  trafiquait  de  bétail,  on  y  affermait  les 
herbages  indivis.  Le  souvenir  de  ces  antiques  marchés  s'est 
conservé  dans  le  nom  du  passage  qui  unit  sur  ce  point  les  deux 
versants.  On  l'appelle  toujours  le  port  de  Marcadau2.  Les  entre- 
vues des  gens  de  Tena  avec  ceux  de  la  vallée  d'Azun  avaient 
lieu  tous  les  cinq  ans  à  la  Pierre  de  Saint-Martin,  sur  la  fron- 
tière3. 

Sur  la  montagne  d'Arias  avait  lieu  la  plus  singulière  et,  à 
coup  sûr,  la  plus  célèbre  de  toutes  ces  rencontres.  C'est  là,  sur 
les  confins  du  Béarn  et  de  la  Navarre  espagnole,  que  les  gens  de 
Barétous  remettaient  à  ceux  de  Roncal  le  tribut  annuel  de  trois 
génisses  auquel  ils  s'étaient  obligés  parle  traité  de  13754.  Pierre 
de  Marca,  qui  écrivit  au  xvne  siècle  son  Histoire  de  Béarn,  la 
décrit  comme  il  suit  d'après  un  auteur  espagnol  : 

Le  treiziesme  du  mois  de  juin,  les  jurats  des  sept  communautés 
de  Roncal  s'assemblent  avec  sept  jurats  et  un  notaire  de  la  vallée  de 
Barétous,  sur  le  coupeau  des  monts  Pyrénées,  à  la  frontière  de 
Bearn,  en  un  lieu  nommé  Arnace,  où  il  y  a  une  pierre  haute  d'une 
toise  et  demie,  qui  sert  de  borne  et  limite  aux  deux  Royaumes.  Les 
députés  estant  chascun  en  sa  terre,  sans  s'estre  salués  ni  bienvei- 
gnés  auparavant,  ceux  de  Roncal  demandent  aux  Béarnois  s'ils 

1.  Paix  de  1390  entre  le  val  de  Broto  et  les  vallées  du  Lavedan  (Bourdette, 
Annales  du  Labéda,  t.  II,  p.  127). 

2.  A.  Meillon,  les  Pierres  de  Saint-Martin,  dans  Bulletin  pyrénéen, 
XII»  année,  1907,  p.  37. 

3.  Paix  de  1719  entre  la  vallée  d'Azun  et  la  vallée  de  Tena  (Bourdette, 
ouvr.  cité,  t.  III,  p.  469). 

4.  Voir  plus  haut,  ch.  n. 


UNE   FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE   SOUS   L'ANCIEN    RÉGIME.  251 

veulent  jurer  à  l'accoustumée  les  conditions  de  la  paix  ;  lesquels  y 
consentans,  les  Roncalois  répliquent  et  disent  aux  Béarnois  qu'ils 
estendent  leur  pique  à  terre,  tout  le  long  des  limites,  pour  figurer 
la  Croix  sur  laquelle  se  doit  faire  le  serment.  Ce  que  les  Béarnois 
exécutant  de  leur  part,  les  Roncalois  abatent  aussi  leur  pique  et  la 
couchent  sur  celle  des  Béarnois,  le  fer  traversant  du  costé  de  Béarn, 
pour  figurer  la  sommité  de  la  Croix.  Les  Béarnois  et  Roncalois 
agenouillés  mettent  conjointement  leurs  mains  sur  ces  deux  piques 
entrelassées  en  forme  de  croix.  Estans  en  cette  posture,  le  notaire  de 
Barétous  reçoit  leur  serment  solennel,  sur  cette  Croix  et  sur  les 
Evangiles,  de  garder  et  observer  toutes  les  pactions  et  conditions 
accoustumées,  suivant  les  titres  et  documents  qui  ont  esté  expédiés 
sur  ce  sujet.  A  quoi  ils  respondent,  disant  cinq  fois  à  haute  voix  : 
Paz  absent,  c'est-à-dire  que  leur  paix  continuera  doresnavant.  Ce 
fait,  les  députés  se  lèvent,  se  saluent,  parlent  et  communiquent 
ensemble,  comme  bons  amis  et  voisins.  A  mesme  temps  sortent 
d'un  bois  trente  hommes  de  Barélous,  divisés  en  trois  bandes,  qui 
conduisent  trois  vaches  choisies  et  sans  tare,  qui  sont  de  mesme 
âge,  de  mesme  poil  et  de  mesme  marque.  Estans  arrivés  à  la  fron- 
tière des  Royaumes,  les  Béarnois  font  avancer  l'une  des  vaches,  en 
telle  sorte  qu'elle  a  la  moitié  du  corps  sur  la  terre  de  Navarre  et 
l'autre  sur  la  terre  de  Béarn,  laquelle  est  reconnue  par  les  Ronca- 
lois pour  savoir  si  elle  est  conditionnée  selon  les  accords;  ils  la 
retirent  après  devers  eux  et  la  tiennent  sous  bonne  et  seure  garde, 
d'autant  que,  si  elle  eschapoit  et  revenoit  en  Béarn,  la  vallée  de  Baré- 
tous n'est  point  obligée  de  la  rendre.  Suivant  le  mesme  ordre,  on 
fait  la  délivrance  des  deux  autres  vaches.  Ensuite  les  Roncalois 
traitent  ceux  de  Barétous  de  pain,  de  vin  et  de  jambons,  et  tout  le 
reste  de  la  journée  les  Béarnois  tiennent  un  marché  ouvert  de  bétail, 
dans  une  prairie  qui  est  du  costé  de  Béarn 1 . 

Moins  connues,  mais  à  coup  sûr  plus  actives,  furent  les  entre- 
vues des  gens  de  Tena  et  d'Ossau.  Elles  eurent  lieu  d'abord  dans 
les  villages  les  plus  élevés  de  chaque  vallée,  alternativement  à 
Gabas  et  à  Salhen,  plus  tard  à  la  limite  des  deux  pays,  en  un  lieu 
nommé  la  hon  Galhego,  c'est-à-dire  la  source  du  Galhego2.  Il  y 
avait  là,  on  l'a  vu,  une  voie  commerciale  fréquentée.  Mais 
c'était  surtout  un  lieu  d'élection  pour  la  vie  pastorale.  Sur  le 
revers  méridional  du  col,  dominés  par  de  hauts  escarpements 

1.  Marca,  Histoire  de  Béarn.  Paris,  1640,  1.  VI,  ch.  xxvi,  g  VI,  p.  554. 

2.  Le  Galhego,  affluent  de  l'Èbre. 


252  H.    CAVAILLÈS. 

rocheux,  se  développaient  d'amples  pâturages1.  Des  pentes 
douces,  d'un  accès  facile,  des  herbes  abondantes  et  parfumées, 
les  eaux  claires  de  la  source,  un  beau  cadre  de  montagnes  et, 
par  l'ouverture  des  vallées,  l'horizon  effacé  des  plaines  loin- 
taines, tel  était  le  site,  rendez-vous  traditionnel  des  alliés.  Tous 
les  trois  ans  au  moins,  plus  souvent  encore  si  besoin  était,  à  la 
date  du  1er  juillet2,  les  délégués  se  retrouvaient  au  même  lieu. 
Une  suite  à  peu  près  ininterrompue  de  documents  montre  la 
vitalité  de  ces  assises  régulières,  la  place  qu'elles  tinrent,  des 
siècles  durant,  dans  la  vie  de  ces  populations  pastorales. 

Tout  se  passait  comme  la  tradition  le  voulait.  Le  nom  de  Dieu 
invoqué,  on  commençait  par  vérifier  les  pouvoirs  des  délégués. 
Puis  l'assemblée  se  constituait  en  tribunal  pour  juger  les  affaires 
pendantes,  civiles  ou  criminelles,  connaître  des  attentats  com- 
mis au  préjudice  des  individus  ou  des  communautés,  et,  d'une 
manière  générale,  réprimer  toute  infraction  à  la  paix  jurée. 
Veut-on  quelques  exemples  des  affaires  qui  venaient  devant  ce 
singulier  tribunal? 

Au  mois  d'août  1674,  un  Béarnais  de  Pontacq,  étranger  aux 
deux  vallées  alliées,  s'est  transporté  sur  les  montagnes  d'Artouste, 
en  Ossau,  où  il  a  enlevé  2,000  têtes  de  bétail  à  laine  et  de 
chèvres,  propriété  de  la  vallée  de  Tena.  Par  représailles,  les  gens 
de  Panticosa  se  portent  en  armes  sur  les  montagnes  de  Laruns, 
enlèvent  des  animaux  de  tout  poil,  vaches,  moutons,  brebis  et 
chevaux,  d'une  valeur  très  supérieure  à  celle  du  troupeau  volé, 
et  les  emmènent  en  Espagne  au  grand  préjudice  des  Ossalois  qui 
n'étaient  en  rien  responsables  de  l'attentat.  Il  en  résulta  de 
grands  désordres  et  un  état  d'hostilité  des  plus  préjudiciables 
aux  relations  des  deux  vallées.  Finalement,  l'affaire  fut  portée 
devant  une  assemblée  réunie  à  la  lion  Galhego  le  2  août  1676 
«  en  grande  douceur  et  en  bonne  intelligence  ».  Les  habitants 
de  Panticosa  furent  condamnés  à  payer  500  livres  Jacques, 
monnaie  d'Espagne,  la  moitié  à  la  Saint-Michel  de  septembre, 
l'autre  moitié  l'année  suivante,  pour  être  réparties  par  les  magis- 
trats de  la  vallée  entre  les  victimes  des  troubles3. 

1.  Le  Roumiga. 

2.  Traité  de  1646,  art.  45. 

3.  Arch.  de  la  vallée  d'Ossau,  DD  75.  —  Pour  cette  affaire  et  toutes  les 
affaires  analogues,  voir  aussi  le  Registre  des  délibérations  de  la  Jura.de, 
BB  1  et  suiv..  passim. 


UNE   FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE   SOUS    L'ANCIEN   RÉGIME.  253 

Le  Ie'  juillet  1686,  le  tribunal  rendit  dix-neuf  sentences;  le 
4  juillet  1689,  seize.  Ce  jour-là,  les  assassins  de  Jean  de  Beig- 
béder,  tué  sur  la  montagne  de  Saubiste,  furent  condamnés  à 
payer  quarante-quatre  livres  Jacques,  en  deux  annuités,  à  la 
fille  du  mort.  Parfois  l'assemblée  s'en  remettait  à  la  décision  des 
jurats  de  Laruns  ou  du  seigneur  juge  de  Tena1. 

Parfois  on  était  bien  près  de  ne  pas  s'entendre,  comme  il 
arriva  le  4  juillet  1713.  Des  Ossalois  avaient  enlevé  un  certain 
nombre  d'animaux  à  des  habitants  de  Tena.  L'assemblée  réunie, 
les  députés  de  la  vallée  espagnole  firent  savoir  qu'ils  rompraient 
la  paix  si  satisfaction  ne  leur  était  pas  donnée,  et  qu'ils  avaient 
des  pouvoirs  spéciaux  pour  conclure  dans  ce  sens.  Les  députés 
d'Ossau,  dont  les  pouvoirs  étaient  limités  au  règlement  des 
affaires  courantes  et  à  la  confirmation  de  la  paix,  offrirent  de 
remettre  le  différent  à  des  arbitres.  Finalement,  les  Espagnols 
quittèrent  l'assemblée,  se  «  mirent  à  part  »,  et,  revenant  en 
séance,  déclarèrent  la  paix  rompue.  Sur  quoi,  les  Français  déga- 
gèrent leur  responsabilité  des  suites  que  pourrait  avoir  la  rup- 
ture et  l'on  se  sépara.  Toutefois,  l'affaire  fut  réglée  pacifiquement 
deux  ans  plus  tard.  La  vallée  d'Ossau  fut  condamnée,  en  corps, 
à  payer  412  livres  tournois,  monnaie  de  France2. 

Une  fois  les  litiges  tranchés,  l'assemblée  s'occupait  de  main- 
tenir la  paix  traditionnelle.  Le  traité  de  paix,  soumis  à  l'appro- 
bation des  députés,  était  une  fois  de  plus  confirmé,  quelquefois 
sans  modification,  quelquefois  remanié  ou  amélioré,  comme  il 
arriva  le  6  août  16463.  Puis  le  procès-verbal  de  la  séance  et, 
s'il  y  avait  lieu,  le  traité  de  paix  modifié  étaient  transcrits  de 
la  main  des  notaires  toujours  présents,  et  signés  de  tous  les  délé- 
gués. Enfin,  un  repas  en  commun  réunissait  tous  les  assis- 
tants. 

Les  assises  de  la  hou  Galhego  se  sont  renouvelées  périodi- 
quement jusqu'à  la  fin  de  l'ancien  régime.  Elles  ont  toutes  été 
suivies  de  procès-verbaux  réguliers  et  ont  donné  lieu  à  une  cor- 
respondance importante  entre  les  jurats  d'Ossau  et  les  autorités 
de  la  vallée  de  Tena,  parfois  aussi,  vers  la  fin,  avec  les  repré- 
sentants de  l'autorité  monarchique.  Ces  documents  étaient  con- 

1.  Arch.  de  la  vallée  d'Ossau,  DD78. 

2.  Ibid.,  DD  78. 

3.  Ibid.,  DD  74.  —  Il  y  eut  aussi  des  modifications  en  1676  (DD  75). 


254  II.    CAVA1LLÈS. 

serves  dans  un  coffre  spécial  déposé  à  l'église  de  Bielle.  Ils 
forment  aujourd'hui  un  fonds  particulier  aux  archives  des  Basses- 
Pyrénées. 

§  4 .  Portée  du  mouvement  fédératif.  —  Il  a  été  dit  précé- 
demment1 que  deux  groupes  fédératifs  distincts  tendirent  à 
s'organiser  au  début  du  xvie  siècle,  l'un  au  centre,  l'autre  à 
l'ouest  de  la  région  pyrénéenne,  et  qu'en  dehors  de  ces  deux 
groupes,  les  anciennes  associations  plus  restreintes  se  main- 
tinrent de  part  et  d'autre  de  la  chaîne.  De  l'est  à  l'ouest, 
presque  toutes  les  vallées  se  trouvèrent  unies  par  des  rapports 
réguliers  et  permanents.  Et  c'est  ainsi  que  les  traités  de  passe- 
ries  qui  n'avaient  été  à  l'origine  que  de  simples  conventions 
pastorales,  ayant  pris,  sous  l'influence  des  événements,  le  carac- 
tère de  traités  politiques,  devinrent  finalement  le  lien  constitutif 
d'une  véritable  fédération. 

L'organisation  fédérative  de  ce  singulier  État  pyrénéen  est 
marquée  avec  une  grande  précision  par  le  texte  des  passeries. 
L'une  des  plus  anciennes,  la  passerie  de  1328  d'Ossau  avec 
Tena2,  établissait  déjà  que,  si  un  habitant  condamné  à  payer  une 
amende  à  la  vallée  alliée  se  trouve  dans  l'impossibilité  de  s'ac- 
quitter, ses  «  voisins  »,  habitants  d'un  même  lieu  (locq),  seront 
solidairement  responsables  de  sa  dette.  S'ils  ne  peuvent  y  suffire, 
la  charge  sera  partagée  par  tout  le  quartier  (vicq  ou  quinhon), 
et  si  ce  dernier  ne  peut  à  son  tour  répondre,  c'est  le  val  tout 
entier  qui  répondra.  Le  grand  traité  béarnais-aragonais  de  1514 
établit  la  même  gradation,  mais  il  ajoute  que  si  la  vallée  ne  peut 
payer,  les  autres  vallées  béarnaises  ou  aragonaises  seront  soli- 
dairement responsables3.  Il  y  a  là  un  terme  de  plus  qui  marque 
parfaitement  l'extension  territoriale  de  la  fédération  au  début 
du  xvie  siècle.  Du  «  voisin  »,  simple  citoyen  de  la  communauté, 
on  passe,  par  une  sorte  de  hiérarchie,  au  village,  au  quartier, 
à  la  vallée  et  l'on  aboutit  finalement  à  la  grande  association  fédé- 
rative montagnarde.  Si  chaque  vallée  à  sa  loi  propre,  la  passe- 
rie est  la  loi  commune  qui  l'unit  aux  autres  vallées.  Par  elle,  et 
sur  tout  le  territoire  confédéré,  les  associés  étaient  assurés  de 


1.  A  la  fin  du  ch.  m. 

2.  Art.  8. 

3.  Art.  5. 


UNE    FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SOUS    L'ANCIEN    RÉGIME.  255 

trouver  un  statut  spécial  et  comme  un  droit  de  cité  pyrénéen. 

Enfin,  cet  Etat  a  des  limites  parfaitement  nettes.  Le  même 
traité  de  1514 [  marque  avec  le  plus  grand  soin  les  lieux  où  l'ac- 
tion des  passeries  cesse  de  se  faire  sentir  du  côté  de  la  plaine  : 
Bielle,  dans  la  vallée  d'Ossau;  Bedous,  dans  la  vallée  d'Aspe; 
Aramits,  dans  celle  de  Barétous.  Du  côté  espagnol,  elle  s'étend 
dans  la  vallée  de  Canfranc  jusqu'à  Castiello,  et  sur  la  totalité  des 
autres  vallées  alliées  :  Teïïa,  Borau,  Aysa,  Aragues,  Echo  et 
Anso.  Le  traité  du  plan  d'Arrem  de  1513  est  beaucoup  plus 
compréhensif.  Il  cite  du  côté  espagnol  les  vallées  de  Bielsa  et  de 
Gistain  jusqu'à  Salino  et  Sacraviello,  tout  le  comté  de  Ribagorça 
jusqu'à  la  sierra  de  Monteil,  tout  le  marquisat  de  Paillas  et  tout 
le  comté  de  Villemur.  Du  côté  français,  la  région  confédérée 
s'étend  jusqu'à  une  ligne  qui  unit  Sarrancolin,  Saint-Bertrand 
de  Comminges,  Saint-Lizier,  et  enferme  les  vallées  de  Barousse, 
du  Louron,  Larboust,  Oueil,  Luchon,  la  ville  de  Saint-Béat,  la 
seigneurie  d'Aspet,  la  ville  de  Saint-Girons,  le  vicomte  de  Cou- 
serans  et  la  baron  nie  de  Castillon2.  Enfin,  en  dehors  de  ces 
deux  groupes  principaux,  la  frontière  était  marquée  pour  chaque 
association  par  la  limite  aval  des  vallées  associées.  La  zone  con- 
fédérée formait  donc,  d'un  bouta  l'autre  des  Pyrénées,  un  vaste 
territoire  que  des  limites  bien  tracées  séparaient  des  régions 
étrangères.  Ce  territoire  était  la  patzaria,  le  pays  où  régnait  la 
paix.  Ses  habitants  étaient  les  patzers,  les  hommes  unis  par  la 
paix3. 

Des  territoires  libres  se  gouvernant  eux-mêmes  par  leurs 
assemblées;  entre  ces  territoires,  des  rapports  nettement  défi- 
nis, des  intérêts  communs,  une  politique,  des  devoirs  réciproques 
vis-à-vis  de  l'étranger,  il  y  avait  bien  là  les  linéaments  d'une 
vie  fédérative  très  active.  De  fait,  il  y  eut  un  moment,  au  début 
du  xvie  siècle,  où  la  région  pyrénéenne  présenta  toutes  les  appa- 
rences d'un  futur  Etat  fédératif  destiné  à  vivre  entre  la  France 
et  l'Espagne.  Mais  ce  moment  fut  très  court.  Et  nous  dirons 
plus  loin  pourquoi  la  fédération  pyrénéenne  ne  se  forma  jamais. 

1.  Art.  7. 

2.  Art.  2. 

3.  Traité  de  1328,  art.  21. 


258  II.    CAVAILLES. 


V. 


Les    traités    de    lies    et    de    passeries 
dans  l'histoire  generale. 

La  conclusion  des  traités  de  lies  et  de  passeries  entre  les  val- 
lées françaises  et  les  vallées  espagnoles;  la  formation,  entre  les 
deux  royaumes,  d'une  sorte  de  fédération  très  jalouse  de  ses 
privilèges  et  très  difficile  à  surveiller  ne  pouvait  manquer  d'avoir 
une  influence  sur  le  cours  de  l'histoire  générale.  L'intervention 
des  populations  dans  cette  histoire  n'apparaît  pas  toujours  dans 
les  documents  avec  la  même  netteté.  A  l'époque  où  elle  se  pro- 
duisit, elle  échappa  même  très  souvent  aux  agents  du  roi,  on 
verra  tout  à  l'heure  pourquoi.  Mais  elle  fut  continuelle.  Et  elle 
se  révèle  à  nous  par  des  actes  qui  ne  laissent  aucun  doute  sur 
les  effets  qu'elle  était  capable  de  produire. 

En  matière  économique,  le  régime  des  lies  et  passeries  a  per- 
mis aux  habitants  des  vallées  de  défendre  efficacement  contre 
les  entreprises  de  l'Etat  le  droit  qu'ils  avaient  toujours  eu  de 
commercer  librement  avec  l'étranger.  En  veut-on  quelques 
preuves? 

Lorsqu'il  parut  nécessaire  à  l'un  ou  à  l'autre  des  deux  gou- 
vernements de  limiter  l'exportation  des  bestiaux  de  France  en 
Espagne,  pour  des  raisons  d'hygiène,  pour  des  motifs  d'ordre 
militaire  ou  commercial,  on  se  heurta  toujours  à  de  très  vives 
résistances.  Voici  ce  que  raconte  à  ce.  sujet  (1667)  Louis  de 
Froidour,  qui  fut  grand  maître  réformateur  des  eaux  et  forêts  à 
l'époque  de  Colbert  : 

Les  habitants  de  la  vallée  [d'Aran]  ne  pouvant  pendant  les  six 
mois  de  l'hiver  ny  commercer  ni  communiquer  avec  les  Catalans, 
sont  obligez  d'avoir  recours  aux  François  pour  leur  subsistance,  et 
ce  sont  eux  qui  sans  contredit  sont  le  plus  intéressez  à  l'observation 
des  lies  et  passeries  ;  ce  sont  aussi  ces  habitants  et  ceux  de  la  vallée 
de  Saint-Béat  qui  en  poursuivent  ordinairement  les  traitez...  et  qui 
les  font  confirmer  par  lettres  pattentes  des  roys. 

...  Incontinent  après  que  les  Espagnols  eurent  fait  déclarer  la 
guerre  sur  les  frontières1,  les  habitants  de  cette  vallée  députèrent 

1.  Il  s'agit  de  la  guerre  de  Dévolution. 


UNE   FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SOUS    L'ANCIEN    RÉGIME.  257 

deux  consuls  avec  un  sindic  vers  Barbasan  et  Despouy,  capitaines 
chastellains  de  Frontignes  et  de  Saint-Béat,  pour  sçavoir  comment 
ils  avoient  dessein  d'en  user,  protestant  au  nom  de  la  communauté 
de  leur  vallée  et  de  leurs  voisins  qu'ils  entretiendroient  religieuse- 
ment et  exactement  les  traittez  et  accordz  des  passeries...  Voul- 
lurent  mesme  pour  seureté  plus  grande  s'y  obliger  par  escript... 

Suivant  cela,  j'ay  veu  plusieurs  François  qui  passoient  en  Aran 
et  j'ay  veu  aussi  plusieurs  Aranois  passer  du  costé  de  France  et  y 
voiturer  à  charges  de  muletz  et  de  chevaux  des  laynes  et  du  sel1. 

Les  agents  du  roi  qui  connaissaient  ces  usages  savaient  qu'il 
était  impossible  de  n'en  pas  tenir  compte.  Ils  ne  cessèrent  de 
conseiller  la  modération  et  de  réclamer  du  gouvernement  une 
large  tolérance.  En  1645,  M.  de  Signian,  capitaine  des  vallées 
d'Oueil  et  de  Luchon,  adresse  une  requête  au  roi  en  laveur  des 
lies  et  passeries,  montre  les  inconvénients  qu'aurait  leur  suspen- 
sion et  fait  valoir  que,  si  le  commerce  est  interrompu  vers  les 
vallées  d'Oueil  et  de  Luchon,  les  Aragonais  n'y  perdront  rien  et 
iront  se  pourvoir  du  côté  d'Aure  et  de  Béarn2.  Le  5  juillet  1695, 
de  Bezons,  intendant  à  Bordeaux,  écrit  au  contrôleur  général  : 

...  J'ay  eu  l'honneur  de  vous  mander  qu'il  y  a  un  traité  de  lies 
et  passeries  qui  fait  que  les  habitans  des  deux  frontières  se  four- 
nissent réciproquement  les  choses  dont  elles  ont  besoin...  Je  suis 
demeuré  ferme  jusqu'à  présent  à  ne  laisser  passer  aucuns  bestiaux 
par  la  Bigorre...  Mais  j'ay  cru  devoir  vous  proposer  [l'expédient] 
de  ...  laisser  passer  ...  ce  qui  seroit  absolument  nécessaire  pour  la 
consommation  des  lieux  voisins  des  vallées  de  Bigorre...  Les  habi- 
tans de  Bigorre  demandent  avec  grande  insistance  que  Ton  permette 
le  passage  des  bestiaux,  parce  qu'ils  disent  que  c'est  l'unique  moyen 
qu'ils  ont  pour  avoir  de  l'argent,  et  que  le  traité  des  lies  et  passeries 
se  rompra  si  l'on  ne  permet  ce  passage...3. 

Pendant  la  guerre  de  la  Succession  d'Espagne,  si  l'on  réussit 
à  suspendre  momentanément  l'exercice  des  franchises  sur  les 
points  où  se  produisirent  des  opérations  militaires  importantes, 

1.  Froidour,  Lettres,  III  {Revue  de  Gascogne,  1898). 

2.  Mémoire  pour  obtenir  la  confirmation  des  lies  et  passeries  entre  les 
volées  de  France  et  d'Espaigne  (Arch.  des  Affaires  étrangères,  fonds  de  France, 
n°  1634,  p.  124-127). 

3.  A.  de  Boislisle,  Correspondance...,  t.  I,  n°  1445;  cf.  t.  II,  n°  516  (1703); 
t.  III,  n°  965  (1711). 

Rev.  Histor.  CV.  2e  FASC.  17 


258  H.    CAVAILLÈS. 

il  fallut,  pour  les  autres  parties  de  la  chaîne,  fermer  les  yeux  ou 
laisser  faire  ouvertement  au  moins  le  commerce  des  bestiaux  : 
«  C'est  le  principal  commerce  des  Pyrénées,  écrit  le  22  août  1711 
de  Gourson,  intendant  à  Bordeaux.  Il  n'a  pu  être  interrompu 
même  dans  les  guerres  les  plus  vives  avec  l'Espagne,  les  habi- 
tants des  frontières  des  deux  royaumes  n'ayant  jamais  violé  le 
traité  de  lies  et  de  passeries  qui  est  fait  depuis  longtemps  entre 
eux.  »  Le  23  janvier  et  le  13  février,  il  proteste  de  nouveau  contre 
les  mesures  de  prohibition  prises  à  la  demande  de  M.  le  duc  de 
Vendôme  et  de  ses  officiers.  Et  le  10  mai  1712,  Barrillon,  inten- 
dant en  Béarn,  demandait  de  permettre  la  sortie  des  bestiaux 
pour  la  foire  de  Sainte-Christine  en  Aragon  :  «  On  prétend  », 
dit-il,  «  que  cela  n'iroit  pas  à  plus  de  3  ou  400  têtes  de  bœufs,  et 
il  est  certain  que  ces  montagnards,  accoutumés  à  ce  commerce, 
ne  se  résoudroient  jamais  à  amener  leurs  bestiaux  dans  la  plaine 
pour  les  y  vendre,  et  je  ne  crois  pas  que,  quelque  rigoureuses 
que  fussent  les  défenses,  on  pût  venir  à  bout  de  les  empêcher 
d'en  mener  à  cette  foire  :  tous  les  passages  sont  ouverts  en  cette 
saison,  il  seroit  impossible  de  les  garder,  et  vous  savez  combien 
il  est  difficile  d'empêcher  le  peuple,  surtout  un  peuple  aussi 
farouche  que  les  montagnards,  de  suivre  les  anciens  usages. 
Vous  n'ignorez  pas  non  plus  qu'à  quelque  prix  que  ce  soit,  les 
habitants  des  montagnes  de  France  et  d'Espagne  veulent  con- 
server leur  union,  que  jamais  les  guerres  les  plus  vives  n'ont 
pu  interrompre.  Outre  l'argent  qui  en  vient  en  ce  pays-ci,  ils 
en  retirent  du  grain,  dont  ils  ont  un  besoin  nécessaire...  ». 

C'est  probablement  à  la  suite  de  cette  intervention  que  le  con- 
sistoire de  la  députation  de  Pampelune  obtint  permission  d'ache- 
ter pour  cette  ville  quatre  cents  bœufs  en  Béarn  et  en  Navarre1. 

Dans  les  Pyrénées  centrales,  il  était  impossible  d'user  de  la 
même  tolérance,  parce  qu'on  se  rapprochait  de  la  Catalogne,  où 
l'archiduc  tenait  la  campagne  contre  les  troupes  françaises. 
Celles  du  prétendant  avaient  de  nombreux  fournisseurs  dans  la 
vallée  d'Aran,  qui  lui  était  presque  tout  entière  dévouée.  Ils 
recevaient  de  France  du  bétail,  des  grains,  des  vivres  de  toute 
espèce,  des  mules  et  des  chevaux,  fort  utiles  aux  armées  enne- 
mies qui  opéraient  dans  ces  pays  de  faibles  ressources.  Aussi 
le  duc  d'Orléans,  qui  commandait  alors  l'armée  de  Catalogne 
avec  le  maréchal  de  Berwick,  interdit-il  de  fournir  aux  Espa- 

1.  A.  de  Boislisle,  Correspondance...,  t.  III,  n°  1121. 


UNE    FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE   SOUS    l' ANCIEN    REGIME.  259 

gnols  du  parti  de  l'archiduc  des  grains,  vivres  ou  bestiaux 
(1708).  Cette  ordonnance,  affichée  à  Saint-Béat,  y  excita  la 
plus  vive  rumeur  et  fit  beaucoup  de  mécontents  des  deux  côtés 
de  la  frontière,  malgré  la  promesse  de  l'intendant  que  les  traités 
n'étaient  pas  supprimés,  mais  simplement  suspendus.  Le  duc 
d'Orléans  n'en  tint  aucun  compte,  et  l'intendant  de  Montauban, 
Le  Gendre,  renouvela  et  maintint  rigoureusement  l'interdiction 
de  commercer.  Cela  n'empêcha  pas  d'incorrigibles  contreban- 
diers de  fournir  des  grains,  des  bestiaux,  moutons,  chevaux  et 
mulets  aux  troupes  de  l'archiduc  par  les  vallées  d'Aran,  de 
Vénasque  et  de  Paillas.  Les  fraudeurs  étaient  introuvables. 
Tout  le  monde  les  protégeait  et  il  n'est  pas  jusqu'aux  commis 
de  la  foraine  de  Saint-Béat,  de  Luchon  et  autres  lieux  qui  ne 
fussent  leurs  complices.  La  contrebande  de  guerre  se  pratiqua, 
avec  mille  précautions  et  ruses,  et  mit  le  plus  souvent  en  défaut 
les  mesures  les  plus  habiles  et  la  vigilance  la  plus  assidue.  Et  il 
en  fut  ainsi  jusqu'au  jour  où  la  prise  de  Vénasque  (16  septembre 
1711)  permit  de  surveiller  plus  efficacement  les  deux  côtés  de 
la  frontière  et  força  les  troupes  de  l'archiduc  à  s'éloigner  vers 
la  basse  Noguera.  La  vallée  d'Aran  rentra  alors  tout  entière 
sous  l'autorité  de  Philippe  V,  et  l'intendant  Le  Gendre  put  rap- 
porter les  ordonnances  suspensives  et  remettre  en  vigueur  les 
traités  de  lies  et  de  passeries.  Le  jour  où  la  foire  de  Saint-Béat 
se  rouvrit,  les  Espagnols  y  accoururent  en  foule  et  il  s'y  débita 
pour  plus  de  600,000  livres  de  marchandises1. 

Ainsi  l'attachement  aux  vieilles  franchises  commerciales  était 
si  vif  que  la  guerre  elle-même  n'en  arrêtait  pas  l'effet.  Ceux 
qui  vivaient  en  contact  journalier  avec  les  populations  monta- 
gnardes ne  le  dissimulaient  pas,  et  ils  conseillaient  de  céder.  On 
céda  ;  on  laissa  de  larges  libertés  qui  subsistèrent  jusqu'en  1789. 
Et  quand  le  gouvernement  voulut  entreprendre  sur  elles,  on  se 
passa  de  son  autorisation,  et  la  contrebande  se  fit  ouvertement. 
La  nature  montagneuse  du  pays,  la  difficulté  des  communica- 
tions, mais  surtout  la  complicité  des  populations  frontières  qui 
toujours  se  donnaient  l'éveil,  tout  cela  rendait  la  surveillance 
illusoire.  En  somme,  jusqu'à  la  fin  de  l'ancien  régime,  les  val- 
lées continuèrent  à  jouir  d'une  situation  privilégiée  en  matière 
économique  2. 

t.  Baron  de  Lassus,  ouvr.  cité,  I. 

2.  A  l'exception  de  Bayonne  el  du  Labour,  pays  «  à  l'instar  de  l'étranger 


2G0  n.   CAVAILLÈS. 

C'est,  en  effet,  le  régime  des  lies  et  passeries  qui  a  permis  aux 
petits  cantons  montagnards  des  Pyrénées  de  maintenir  aussi  long- 
temps leurs  avantages  commerciaux.  Entre  eux,  ils  ont  pu  s'en- 
tendre par-dessus  les  frontières  et  s'assurer  les  uns  aux  autres  des 
franchises  que  leurs  gouvernements  leur  auraient  certainement 
refusées.  Vis-à-vis  du  pouvoir  central,  les  traités  fournissaient 
aux  communautés  un  merveilleux  élément  de  discussion.  Chaque 
fois  que  l'État  a  voulu  porter  une  atteinte  quelconque  aux 
anciens  droits,  elles  ont  protesté  de  leur  loyalisme,  mais  elles 
ont  objecté  l'obligation  de  garder  la  foi  jurée  et  de  respecter  des 
engagements  séculaires.  Elles  ont  plaidé,  non  leur  seule  cause, 
mais  aussi  la  cause  de  l'allié  traditionnel.  Les  lies  et  passeries  ont 
ainsi  été  une  machine  de  guerre  contre  les  prétentions  du  fisc. 

En  matière  de  guerre,  on  conçoit  combien  l'engagement  pris 
par  les  alliés  de  s'avertir  de  l'approche  de  l'ennemi  était  de 
nature  à  entraver  les  opérations  militaires.  Il  est  vrai  que  la 
mesure  visait  les  miquelets  et  les  partisans  plutôt  que  les 
soldats  du  roi,  mais  on  ne  se  faisait  pas  faute  de  l'étendre  à 
ceux-là.  Nous  sommes  beaucoup  moins  renseignés  sur  l'usage 
qui  fut  fait  de  cet  article,  —  le  plus  singulier  et  le  plus  grave 
de  tous  cependant,  —  que  sur  l'application  des  stipulations 
commerciales.  Et  cela  n'est  pas  étonnant,  car  la  pratique  en 
était  secrète.  Par  les  sentiers  des  montagnes,  par  les  forêts  et 
par  les  crêtes,  échappant  à  toute  surveillance,  les  émissaires 
gagnaient  le  territoire  étranger.  Et  leurs  expéditions  laissaient 
peu  de  traces.  D'ailleurs,  les  rencontres  qui  ne  manquèrent 
pas  de  se  produire  sur  la  frontière  des  Pyrénées  pendant  deux 
siècles  de  guerre  entre  les  armées  du  Roi  Très  Chrétien  et  celles 
de  Sa  Majesté  Catholique  nous  sont  assez  mal  connues.  Nous  en 
savons  assez  toutefois  pour  juger  des  embarras  que  les  traités 
de  passeries  suscitèrent  à  ceux  qui  dirigeaient  les  opérations. 
Pendant  toute  la  guerre  de  la  Succession  d'Espagne,  sous  cou- 
vert de  contrebande,  on  renseigna  l'ennemi  qui  put  se  mettre  à 
l'abri  du  danger  ou  frapper  lui-même  à  coup  sûr.  Ainsi  fit-il  en 
septembre  1711  en  pillant  et  en  incendiant  Luchon.  Contre- 
bande et  espionnage  allaient  de  pair. 

L'histoire  des  révoltes  populaires  sous  l'ancienne  monarchie 

effectif  »,  la  région  pyrénéenne  se  rattachait  tout  entière  aux  provinces 
«  réputées  étrangères  ».  On  sait  qu'en  Espagne  les  provinces  basques  ont  con- 
servé des  franchises  très  étendues.  La  véritable  limite  douanière  de  l'Espagne 
est  celle  qui  sépare  ces  pays  de  la  Castille. 


UNE    FÉDÉRATION    TTUÉNÉENNE   SOCS   i/ANCIEN   REGIME.  261 

nous  fournit  un  exemple  encore  plus  manifeste  de  la  connivence 
des  populations  frontières.  L'épisode  est  connu,  mais  aucun  de 
ceux  qui  l'ont  raconté  n'a  su  y  voir  les  curieuses  complications 
qu'y  produisit  l'intervention  des  traités.  Voici  l'histoire  : 

Audijos  était  un  gentilhomme  de  Chalosse,  ancien  cavalier  du 
régiment  de  Créqui.  En  1664,  le  roi  ayant  voulu  imposer  aux 
Landes  l'impôt  de  la  gabelle,  une  insurrection  éclata  à  Haget- 
mau.  Les  villages  s'armèrent  et  la  révolte  se  répandit.  Audijos, 
roué  vif  en  effigie  pour  complicité  avec  les  rebelles,  s'en  déclara 
le  chef.  A  la  fin  de  l'année,  le  Conseil  du  roi  ayant  prononcé  la 
réunion  de  la  fontaine  de  Salies  au  Domaine,  la  révolte  gagna 
le  Béarn  et  une  partie  de  la  Bigorre.  Dans  ces  pays  très  acci- 
dentés et  en  partie  couverts  de  bois,  au  milieu  de  populations 
déjà  acquises  aux  ennemis  de  la  gabelle,  Audijos  n'eut  aucune 
peine  à  échapper  aux  soldats  du  roi.  Alors  commença  une 
guerre  de  partisans  qui,  avec  de  longues  accalmies  et  de  sou- 
daines reprises,  dura  une  douzaine  d'années.  Au  début  de  1665, 
Audijos  se  jeta  dans  le  Lavedan  où  les  montagnards  se  soule- 
vèrent en  sa  faveur.  Un  certain  Miguel  Joan,  gentilhomme  espa- 
gnol de  Salhen,  qui  avait  du  bien  et  du  crédit  dans  les  vallées, 
offrait  de  l'argent  et  des  munitions  aux  insurgés.  On  put  croire 
un  instant  que  le  mouvement  allait  prendre  une  redoutable 
extension  grâce  à  la  connivence  des  frontaliers  espagnols.  Il 
n'en  fut  rien.  Mais  il  ne  semble  pas  douteux  que  les  antiques 
relations  facilitèrent  l'intervention  des  montagnards  aragonais. 
Cette  intervention  est  d'ailleurs  entourée  d'un  certain  mystère. 
Il  est  visible  que  l'intendant  Pellot  ne  put  obtenir  aucun  détail 
précis  de  ceux  qu'il  interrogea.  Personne  ne  voulut  parler. 

Revenu  un  peu  plus  tard  en  Béarn  (avril-juillet  1665), 
Audijos  passa  sans  difficulté  sur  le  territoire  espagnol.  Par  la 
vallée  d'Ossau,  il  gagna  Salhen  et  se  réfugia  chez  Miguel  Joan, 
attendant  une  occasion  favorable  pour  rentrer  en  France.  Au 
commencement  du  mois  d'août,  M.  de  Poudenx,  syndic  du  pays 
de  Béarn,  envoya  un  détachement  de  vingt  dragons  avec  ordre 
de  pénétrer  en  Espagne  et  d'enlever  Audijos  à  Salhen.  L'officier 
qui  commandait  le  détachement  revint  sans  avoir  rien  fait  et 
rapporta  qu'il  y  avait  cinq  grandes  lieues  du  dernier  village  de 
France  jusqu'à  Salhen,  que  ce  bourg  comptait  deux  cents  habi- 
tants armés,  au  milieu  desquels  se  trouvait  la  maison  de  Miguel 
Joan,  maison  «  forte  de  murailles  »,  dans  laquelle  demeurait  Audi- 
jos. Il  faudra  se  servir  d'autres  voies  et  recourir  à  l'intrigue. 


262  H.    CAVAILLES. 

«  Quelque  précaution  qu'on  porte  à  cette  affaire  »,  ajoute-t-il,  «  et 
quelque  secret  qu'on  y  garde,  Audijos  ne  laisse  pas  d'être  averty 
de  tout  ce  qui  se  passe,  car  la  plus  grande  partie  des  peuples 
de  ce  pays-ci  sont  des  espions  et  on  ne  saurait  rien  faire 
qu'il  n'en  ait  aussitôt  avis  ».  En  effet,  le  fugitif  continua  à 
entretenir  une  correspondance  suivie  avec  la  France.  Il  ne  se 
faisait  rien,  aucun  mouvement  de  troupes,  dont  il  ne  fût  immé- 
diatement avisé. 

L'intendant  décida  cependant  de  faire  une  nouvelle  tentative. 
Le  11  septembre,  une  troupe  de  dragons  franchit  la  frontière  et 
s'avança  jusqu'à  une  petite  lieue  de  Salhen  où  elle  s'installa 
dans  un  bois.  Elle  y  resta  vingt-quatre  heures  et  se  retira  sans 
avoir  rien  obtenu.  Miguel  Joan,  «  ayant  eu  advis  de  cette  mar- 
che »,  avait  fait  sortir  son  hôte  de  sa  maison  et  avait  favorisé  sa 
fuite.  Après  ce  nouvel  échec,  il  fut  décidé  qu'Audijos  étant 
maintenant  sur  ses  gardes,  il  était  inutile  de  renouveler  la  ten- 
tative. Il  réussit  à  rentrer  en  France  et  reparut  en  Ghalosse  à  la 
fin  de  l'année1. 

Il  est  impossible  de  ne  pas  établir  un  rapport  entre  l'accueil 
qu'Audijos  trouva  dans  les  vallées  espagnoles,  la  sécurité  avec 
laquelle  il  put  manœuvrer  et  le  régime  des  lies  et  passeries.  Le 
traité  du  Galhego  spécifie  formellement  que  l'on  s'avertira  de 
l'approche  des  gens  de  guerre.  C'est  en  vertu  de  ces  arrange- 
ments, cela  ne  peut  faire  aucun  doute,  qu'Audijos  a  pu  circuler 
en  toute  sécurité  dans  les  vallées,  passer  de  France  en  Espagne 
et  d'Espagne  en  France  sans  être  inquiété.  C'est  à  eux  qu'il 
doit  d'avoir  échappé  aux  guets-apens  d'août  et  de  septembre 
1665.  Les  Ossalois  étaient  d'accord  avec  les  gens  de  Tena  pour 
garantir  la  sécurité  d' Audijos. 

Il  est  vrai  que  la  jurade  prit,  sur  l'invitation  de  M.  de 
Pouyanne,  lieutenant  général  du  roi,  toutes  mesures  pour  fer- 
mer les  passages.  Elle  informa  les  villages  de  la  vallée  de  Tena 
qu'Audijos  ni  ses  complices  ne  devaient  trouver  en  Ossau  ni 
munitions  de  guerre  ni  de  bouche  et  les  engagea  à  les  traiter  de 
même.  Elle  fit  garder  les  cols  par  des  soldats  fournis  par  les  trois 
vicqs  de  la  vallée,  à  tour  de  rôle  2.  Mais  le  zèle  de  la  jurade  était 

1.  A.  Communay,  Audijos.  La  gabelle  en  Gascogne  (Arch.  historiques  de  la 
Gascogne,  fasc.  XXIV).  Paris  et  Auch,  1893. 

2.  Arch.  de  la  vallée  d'Ossau.  Registre   des   délibérations,  BB  2  (7   mars, 
17  et  29  juillet). 


UNE   FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SOUS   i/ANCIEN   REGIME.  263 

purement  officiel.  Elle  ne  pouvait  se  dispenser  de  prendre  les 
mesures  qu'on  lui  imposait  au  nom  du  roi.  Le  soin  qu'elle  prit 
d'informer  les  villages  espagnols  des  sanctions  prises  contre 
ceux  qui  protégeraient  Audijos  est  lui-même  suspect.  Il  est  un 
avertissement  amical  bien  plus  qu'une  menace.  Froidour  qui  a 
vu  très  clair  dans  toute  cette  affaire  des  gabelles,  parce  qu'il 
connaît  bien  les  gens  des  montagnes,  auxquels  il  inspire  con- 
fiance, déclare  que  «  si  l'on  a  obligé  ces  peuples  à  lui  faire  la 
guerre,  il  faut  convenir  qu'ils  n'en  ont  fait  que  le  semblant, 
regardant  toujours  cet  homme  comme  leur  libérateur  »  ' . 

L'affaire  d' Audijos  montre  la  solidarité  des  vallées  devant  les 
prétentions  des  deux  États  voisins. 


VI. 

décadence  des  lies  et  passeries.  leur  disparition. 
Ce  qu'il  en  reste. 

Le  régime  presque  fédératif  qui  s'établit  à  la  faveur  des  traités 
de  lies  et  de  passeries  était  une  limitation  des  abus  de  la  guerre 
et  comme  une  protestation  de  l'ancienne  indépendance  des  val- 
lées contre  le  despotisme  monarchique.  Nécessairement,  il  attira 
l'attention  des  gouvernements  qui  s'efforcèrent  de  limiter  cet 
usage  et  d'en  réglementer  l'exercice.  Et  ainsi,  à  mesure  que  les 
vallées  sont  moins  isolées  et  moins  libres,  à  mesure  que  l'action 
du  pouvoir  central  s'y  fortifie,  l'efficacité  de  ces  ententes 
devient  moins  certaine  et  l'on  voit  peu  à  peu  s'affirmer  leur 
décadence. 

Dès  le  début,  le  pouvoir  seigneurial  s'efforça  d'intervenir 
dans  les  conventions  conclues  avec  des  vallées  étrangères.  On 
a  vu  qu'en  1293,  le  comte  Roger  Bernard  avait  reconnu  à  la 
vallée  de  Vicdessos  la  faculté  de  commercer  et  de  traiter  libre- 
ment avec  les  Catalans  du  val  de  Ferrera  et  avec  les  habitants 


1.  Froidour,  Mémoire  du  pays  et  des  États  de  Bigorre,  éd.  Bourdette, 
p.  37-38.  —  Il  n'est  pas  impossible  que  le  même  traité  ait,  en  1590,  facilité  la 
fuite  en  Béarn  d'Antonio  Pérez,  ministre  de  Philippe  II.  Il  y  a  plus  d'un  point 
commun  entre  l'insurrection  gasconne  et  béarnaise  de  1664-65  et  l'insurrection 
de  l'Aragon  en  1590.  Le  Justiza  d'Aragon,  chef  de  l'insurrection,  s'appelait 
don  Juan  de  Lanuza.  Ces  Lanuza  étaient  les  premiers  personnages  de  la  vallée 
de  Teiïa.  Ils  figurent  dans  tous  les  textes  de  la  passerie  du  Galhego. 


264  H.    CAVAILLÈS. 

du  comté  de  Paillas  ;  qu'en  1315,  le  comte  Bernard  VII  avait 
accordé  au  Comminges  l'autorisation  formelle  de  commercer 
avec  les  Espagnols,  même  en  temps  de  guerre.  Ce  droit  fut,  par 
la  suite,  confirmé  par  Charles  VIII,  par  Louis  XII  et  par  leurs 
successeurs.  Cependant,  à  l'origine,  l'intervention  du  pouvoir 
central  est,  le  plus  souvent,  toute  formelle.  Et  si  le  seigneur 
accorde  son  autorisation,  c'est  beaucoup  moins  pour  concéder 
à  ses  tenants  une  liberté  nouvelle  que  pour  confirmer  un  droit 
préexistant,  consacrer  une  entente  conclue  sans  lui  et  empê- 
cher, si  l'on  peut  dire,  la  prescription  de  ses  droits  de  souverai- 
neté. En  réalité,  la  royauté  subissait  ces  usages  et  ne  les 
autorisait  que  malgré  elle,  car  il  est  difficile  d'admettre  qu'elle 
aurait  consenti  sans  regrets,  si  elle  avait  pu  l'empêcher,  à  laisser 
conclure  des  arrangements  qui  limitaient  sa  prérogative  et  qui 
pouvaient  avoir  plus  d'un  inconvénient  pour  ses  rapports  avec 
le  royaume  voisin. 

Mais  bientôt  la  situation  changea,  et  la  royauté  put  agir 
plus  efficacement.  Elle  multiplia  peu  à  peu  les  occasions  d'inter- 
venir. La  vieille  passerie  du  plan  d'Arrem  fut  de  nouveau 
confirmée  par  Henri  IV1,  par  Louis  XIII2  et  par  Louis  XIV3. 
La  réunion  du  Béarn  à  la  France  porta  un  coup  très  sensible  à 
la  liberté  de  traiter.  Désormais,  les  vallées  béarnaises  furent 
tenues  d'en  demander  l'autorisation.  En  1646,  le  marquis  de 
Pouvanne,  lieutenant  général  pour  Sa  Majesté  en  Navarre  et  en 
Béarn,  ratifia  le  traité  du  Galhego,  mais  ordonna  «  que  lorsque 
les  'suppliants  voudront  faire  quelque  assemblée  avecque  les 
députés  de  la  vallée  de  Tena,  ils  en  demanderont  la  permission  à 
celuy  qui  commandera  dans  la  province  »4. 

Pour  fortifier  ses  prétentions,  la  royauté  s'appliqua  à  démon- 
trer que  les  lies  et  passeries  étaient  d'institution  monarchique  : 
un  mémoire  rédigé  au  xvme  siècle  prétend  même  en  faire 
remonter  l'origine  à  Fortien  et  à  Sanche  Garcias,  rois  de 
Navarre5.  Peu  à  peu,  par  la  constance  qu'elle  mit  à  intervenir, 
à  confirmer  ou  à  limiter,  la  royauté  parvint  à  établir  son  droit 


1.  En  1594. 

2.  En  1634. 

3.  En  1664  et  1671.  En  1664,  le  roi  réussit  même  à  limiter  le  droit  de 
commercer  librement  et  imposa  plusieurs  droits  sur  diverses  marchandises. 

4.  Arch.  de  la  vallée  d'Ossau,  DD  74.  Voir  aussi  ibid.,  DD  75. 

5.  Arch.  des  Hautes-Pyrénées,  E  37. 


UNE   FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE   SOCS   L'ANCIEN    RÉGIME.  265 

d'autoriser  les  traités  ou  d'en  suspendre  les  effets.  Et  un  jour, 
l'habitude  fut  si  bien  prise  que  les  intéressés  en  vinrent  à  récla- 
mer spontanément  l'autorisation  qu'on  leur  imposait.  Ainsi  ont 
fait,  en  1709,  les  Barégeois  pour  leur  traité  avec  Bielsa1,  et,  en 
1719,  les  hommes  d'Azun  pour  leur  traité  avec  Teùa2.  Nous 
voyons  même,  en  1709,  la  vallée  de  Barèges  demander  au  roi 
la  permission  de  continuer  ses  passeries.  Cette  permission  lui 
fut  accordée3. 

Ainsi  les  agents  du  roi  tendent  à  considérer  les  traités  de  lies 
et  de  passeries  comme  de  simples  actes  administratifs,  et  les 
libertés  qu'ils  affirment  comme  de  simples  tolérances  dont  on 
interrompt  ou  rétablit  les  effets  tour  à  tour  suivant  les  nécessités 
du  moment.  Nous  avons  vu  interdire  en  1708  et  rétablir  en  1713 
tout  commerce  avec  les  Espagnols,  et  principalement  les  fourni- 
tures de  grains,  de  vivres  et  de  bestiaux. 

Il  y  a  plus  encore.  La  royauté  procède,  à  l'endroit  de  ces 
vieux  traités,  à  une  sorte  d'enquête.  Elle  veut  savoir  s'ils  sont 
vraiment  utiles  ou  si  l'on  peut  s'en  passer.  C'est  le  droit  même 
qu'elle  semble  vouloir  contester.  Des  deux  côtés,  Espagne  et 
France,  les  gouvernements  s'informent.  En  1613,  le  roi  d'Es- 
pagne Philippe  III  charge  le  docteur  Gracia  de  Tolba  d'une  mis- 
sion dans  la  vallée  d'Aran.  Ce  personnage  se  prononce  contre 
l'utilité  des  passeries  qui,  dit-il,  ont  peu  d'importance  et  occa- 
sionnent de  grands  dommages  à  la  vallée4.  Vers  la  fin  du  siècle, 
le  gouvernement  de  Versailles  adresse  à  son  représentant  dans 
le  pays  de  Foix  un  questionnaire  sur  les  «  privillèges  des  lies  et 
passeries  ».  Le  roi  veut  savoir  en  quoi  consistent  ces  privilèges 
et  «  s'ils  tournent  plus  à  l'avantage  des  François  que  des  Espa- 
gnols ».  Le  mémoire  rédigé  en  réponse  à  ce  questionnaire 
affirme  que  les  lies  et  passeries  «  tournent  plus  à  l'avantage  des 
François  que  des  Espagnols,  tant  pour  l'honoraire  que  pour 
l'utille  et  [que]  l'on  ne  sçauroit  s'en  passer  ni  tirer  le  même 
avantage  des  provinces  voisines  sans  rompre  entièrement  le 

1.  Souvenir  de  la  Bigorre,  t.  VIII,  p.  61-66. 

2.  Bourdette,  Annales  du  Labéda,  t.  NI,  p.  469. 

3.  Ibid.,  t.  III,  p.  443. 

4.  Relacion  al  Rey  don  Phelipe  III  del  nombre,  sitio...  del  valle  de  Aran; 
de  los...  costumbres,  leyes  y  govierno,  por  el  doctor  Juan-Francisco  de  Gra- 
cia de  Tolba.  Huesca,  ano  1613.  Réédité  à  Bagnères-de-Bigorre  par  la  Société 
Raraond,  1889,  p.  92. 


266  II.     CAVA  II.I.KS. 

coraerce  et  ruiner  tous  les  habitants  des  frontières  »'.  En 
1684,  l'intendant  de  Montauban,  du  Bois  du  Baillet,  écrit  à 
son  tour  :  Sans  «  le  traité  des  lies  et  passeries...,  tout  le  com- 
merce est  mort  sur  toute  la  frontière  des  Pyrénées.  M.  de  Chas- 
teauneuf  m'a  fait  l'honneur  de  m'écrire  que  S.  M.  trouvoit  bon 
que  ces  traités  fussent  entretenus,  pourvu  que  les  Espagnols  le 
demandassent...  Il  paroist  que  le  vice-roy  de  Catalogne  l'a 
accordé  aux  frontaliers  d'Espagne. 

«  ...  Si  ces  traités  ne  sont  bientost  entretenus,  la  rupture  du 
commerce  arrivant,  les  fermes  de  S.  M.  diminueront  considéra- 
blement et  les  habitans  qui  habitent  (sic)  les  lieux  situés  dans 
l'étendue  des  lies  et  passeries  seront  hors  d'estat  de  payer  leur 
taille  »2.  Enfin,  on  a  vu  plus  haut  que  l'intendant  du  Béarn, 
Barrillon,  affirmait  en  1712  la  nécessité  de  maintenir  les  privi- 
lèges. Il  est  vrai  que  l'intendant  Bàville  soutenait  en  1697  une 
thèse  contraire,  affectant  même  de  croire  que  les  principales 
dispositions  des  passeries  étaient  tombées  en  désuétude3.  Mais 
ce  n'était  pas  l'opinion  courante. 

D'ailleurs,  les  agents  du  roi  ne  purent  rien  contre  les  vieux 
usages.  Si  l'on  put  un  moment,  — très  court,  — limiter  le  trafic 
dans  les  Pyrénées  centrales,  c'est  que  la  guerre  de  la  Succes- 
sion d'Espagne  avait  rassemblé  sur  ce  point  des  forces  impor- 
tantes et  qu'il  fut  possible  d'y  exercer  une  surveillance  effective. 
Encore  ne  réussit-on  qu'à  moitié.  Partout  ailleurs,  licite  ou 
illicite,  le  commerce  continua  à  se  faire  librement,  favorisé  sou- 
vent par  l'inaction  des  intendants  divisés  sur  l'opportunité  des 
mesures  restrictives.  Les  lies  et  passeries  restèrent  en  vigueur. 
Comme  par  le  passé,  on  continua  à  s'avertir  des  dangers  de 
guerre,  à  échanger  librement,  à  se  réunir  sur  les  frontières  sui- 
vant les  formes  traditionnelles  et  à  trancher  les  différents  sans 
recourir  aux  gens  du  roi. 

Un  jour  vint  cependant  où  les  traités  de  lies  et  de  passeries 
perdirent  leur  ancienne  faveur.  Cette  décadence  ne  fut  pas  le 
résultat  direct  de  la  centralisation  monarchique.  La  cause  en 

1.  Mémoire  concernant  les  privilèges  des  lies  et  passeries.  Envoyé  en  no- 
vembre 168...  Archives  de  l'Ariège  (sans  cote). 

2.  A.  de  Boislisle,  Correspondance...,  t.  I,  n°  73.  Cet  argument  avait  été 
déjà  formulé  en  faveur  des  lies  et  passeries  dès  1645  par  M.  de  Signian,  capi- 
taine des  vallées  d'Oueil  et  de  Luchon,  dans  le  Mémoire  cité  plus  haut. 

3.  Voir  Bulletin  de  la  Société  ariégeoise,  2e  vol.,  n"  4   (mars  1887),  p.  141. 


UNE   FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE   SODS    L'ANCIEN    RÉGIME.  267 

est  ailleurs  :  il  faut  la  chercher  dans  la  transformation  qui  s'ac- 
complit au  xvme  siècle  dans  les  relations  de  la  France  et  de 
l'Espagne.  Après  1720,  l'état  de  guerre  cesse  entre  les  deux 
pays,  et  pendant  trois  quarts  de  siècle  une  paix  profonde  règne 
des  deux  côtés  de  la  frontière.  Désormais,  plus  de  craintes  d'in- 
vasion, plus  de  rassemblements  armés,  plus  de  coureurs  de 
montagnes  et  de  voleurs  de  troupeaux.  Les  articles  de  «  sur- 
séance de  guerre  »  deviennent  inutiles.  Les  traités  de  passeries 
avaient  eu  pour  raison  d'être  l'état  de  guerre  qui  pendant  plus 
de  deux  cents  ans  avait  partout  compromis  la  sécurité  des  fron- 
tières. La  paix  rétablie,  ils  tombèrent  d'eux-mêmes  en  désuétude, 
et  ce  que  n'avait  pu  faire  l'action  persévérante  des  gouverne- 
ments s'accomplit  naturellement  et  sans  effort.  On  oublia  les 
dangers  anciens.  On  abandonna  les  précautions  séculaires  que 
l'on  avait  prises  contre  eux.  On  cessa  de  traiter  directement 
avec  les  vallées  voisines  sans  l'avis  du  pouvoir  central.  Seules 
subsistèrent  les  anciennes  libertés  commerciales  qui,  bientôt,  ne 
se  distinguèrent  plus  des  innombrables  franchises  que  l'ancien 
régime  avait  maintenues  dans  les  autres  régions  de  France. 

Ainsi  les  mœurs  se  transformèrent.  On  perdit  peu  à  peu 
l'habitude  de  traiter  sans  contrôle  avec  les  vallées  étrangères. 
Et  un  jour,  il  se  trouva  que  les  habitants  préférèrent,  pour  le 
règlement  de  leurs  litiges,  avoir  recours  à  l'Etat  plutôt  qu'à 
leurs  tribunaux  populaires.  On  vit  la  vallée  d'Aure,  si  jalouse 
autrefois  de  ses  franchises,  renoncer  aux  avantages  qu'elles  lui 
procuraient  pour  obtenir  par  la  voie  diplomatique  le  règlement 
d'un  procès  avec  celles  de  Bielsa,  de  Gistain  et  de  Portolas1. 
Dans  le  conflit  qui  se  produisit  en  1713  entre  Ossau  et  Tena,  au 
sujet  d'un  vol  de  bétail,  les  députés  de  la  vallée  française,  pour 
éviter  de  restituer  les  animaux  détournés,  se  retranchent  der- 
rière les  ordres  du  roi  et  de  l'intendant.  Ils  font  valoir,  fait 
significatif,  l'article  44  de  la  passerie  suivant  lequel  le  commerce 
est  permis  entre  les  habitants  des  deux  vallées  sous  la  réserve 
du  bon  plaisir  du  roi  '2.  Il  est  très  intéressant  de  remarquer  que 
les  populations  françaises  ont,  les  premières,  consenti  à  laisser 
diminuer  leurs  anciens  privilèges,  sans  aucun  doute  parce 
qu'elles  avaient,  par  un  contact  prolongé  avec  les  représentants 


1.  P.  de  Casléran,  art.  cité,  p.  14. 

2.  Arch.  de  la  vallée  d'Ossau,   DD  78. 


268  H.    CAVAILLKS. 

du  pouvoir  central,  perdu  leurs  anciennes  méfiances,  mais  sur- 
tout parce  qu'elles  comprenaient  l'énorme  avantage  que  leur 
valait  l'appui  de  cette  force  incomparable  qu'étaient  la  diploma- 
tie et  la  puissance  militaire  de  la  France.  Au  contraire,  les 
Espagnols,  qui  se  sentaient  moins  soutenus  par  leur  gouverne- 
ment et  qui  avaient,  semble-t-il,  conservé  plus  d'attachement 
aux  libertés  locales,  en  réclamèrent  plus  longtemps  la  stricte 
exécution.  Ils  en  tiraient  d'ailleurs  plus  d'avantages  en  matière 
de  commerce  et  surtout  de  pâturage,  leurs  troupeaux  pouvant 
moins  facilement  se  passer  des  herbages  français  que  les  nôtres 
des  montagnes  espagnoles.  Mais  ils  se  soumirent  à  leur  tour  et 
se  résignèrent  à  l'abandon  des  anciens  accords.  Les  assemblées 
entre  les  habitants  d'Ossau  et  les  gens  de  Tena  semblent  avoir 
disparu  après  1771. 

Les  guerres  de  la  Révolution  et  de  l'Empire  consommèrent 
leur  ruine,  comme  celle  de  tant  d'autres  vieilles  choses.  La 
Révolution  fit  disparaître  ce  qui  restait  des  franchises  locales. 
Surtout,  elle  éveilla  le  patriotisme.  Les  Français  entreprirent 
des  guerres  de  propagande  et  de  conquête  ;  et  les  populations 
pyrénéennes,  dont  le  parti  était  désormais  celui  de  la  France,  se 
joignirent  aux  envahisseurs.  De  part  et  d'autre,  les  frontaliers 
violèrent  les  antiques  contrats  et  favorisèrent  l'invasion  du 
territoire  étranger.  En  1793,  des  troupes  françaises  occupèrent 
la  vallée  d'Aran  et  en  proclamèrent  l'annexion 1 .  En  1794,  une 
division  de  l'armée  espagnole  franchit  la  frontière  et  envahit  la 
vallée  d'Aspe.  Elle  était  secondée  par  2,000  hommes  de  milice 
et  de  nombreuses  bandes  de  montagnards  armés,  de  maraudeurs 
et  de  pillards.  Les  agresseurs  furent  arrêtés  par  les  gardes 
nationales  de  la  vallée  qui  livrèrent  devant  Lescun  un  combat 
des  plus  glorieux  et  les  forcèrent  à  repasser  la  frontière2. 
Désormais,  il  n'est  plus  question  de  s'avertir  en  cas  de  danger. 
Les  guerres  nationales  ont  fait,  pour  la  première  fois,  de  la 
limite  politique  une  frontière  morale,  de  chaque  côté  de  laquelle 
il  y  a  des  Français  et  des  Espagnols.  Avec  l'ancien  régime,  les 
traités  de  lies  et  de  passeries  sont  bien  morts. 


1.  La  vallée  d'Aran  fut  rendue  à  l'Espagne  par  le  traité  de  Bâle  (1795).  Elle 
fut  de  nouveau  annexée  en  1812  et  resta  française  jusqu'en  1815. 

2.  Voir    lieutenant   Schmuckel,   la   Guerre   dans   la  vallée  d'Aspe  et    la 
bataille  de  Lesmn.  Pau,  1900. 


UNE   FÉDÉRATION   PYRENEENNE   SOUS    L'ANCIEN    REGIME.  269 


Les  anciennes  relations  entre  les  vallées  n'ont,  toutefois,  pas 
disparu  sans  laisser  des  vestiges,  et  ces  vestiges  sont  nombreux. 
Tous  les  ans,  le  12  juillet,  les  habitants  de  la  vallée  française 
de  Barétous  remettent  aux  Navarrais  de  Roncal  le  tribut  des 
trois  génisses  auquel  ils  sont  tenus  par  les  usages  et  par  les 
traités.  Le  cérémonial  s'est  peu  modifié  depuis  Marca.  Ce  sont 
les  mêmes  gestes,  les  mêmes  piques  enrubannées,  les  mêmes 
paroles  sacramentelles  qui  scellent  la  foi  jurée.  Dans  ses  traits 
essentiels,  le  rite  est  resté  le  même l. 

Aux  confins  des  vallées  d'Ossau  et  de  Tena,  les  pâturages  du 
Roumiga  et  de  la  hon  GaDiego  sont  encore  le  lieu  d'entrevues 
périodiques,  renouvelées  tous  les  cinq  ans,  entre  les  représen- 
tants du  syndicat  du  Bas-Ossau2  et  une  délégation  des  munici- 
palités espagnoles  de  Salhen  et  de  Lanuza,  présidée  par  les 
alcades  des  deux  communes.  On  renouvelle  certains  arrange- 
ments adoptés  en  cas  de  pertes  d'animaux,  et  l'on  couronne 
l'entrevue  par  un  repas  en  commun. 

A  côté  des  coutumes,  il  est  resté  des  droits  historiques,  droits 
précis  et  positifs,  fondés  sur  des  accords  écrits,  des  conventions 
et  des  textes  et  consacrés  par  un  usage  séculaire.  Ces  droits, 
le  montagnard  continue  à  les  défendre  avec  une  opiniâtreté 
farouche-  et  un  instinct  obscur  mais  inébranlable  de  ce  qui  lui 
est  dû.  Il  a  réussi  à  les  maintenir  à  travers  mille  difficultés,  et 
s'il  n'a  pu  les  conserver  tous,  il  a  su  en  garder  les  plus  utiles  et 
ne  céder  les  autres  que  contre  des  compensations  positives.  En 
1856,  1858,  1862,  1863,  1866  et  1899  ont  été  conclus  entre 
la  France  et  l'Espagne  une  série  de  traités  et  de  conventions 
additionnelles,  dont  l'objet  a  été  tout  à  la  fois  de  fixer  un  tracé 
définitif  de  la  frontière  et  de  liquider  une  fois  pour  toutes  les 


1.  Un  détail  s'y  est  longtemps  surajouté  :  les  Navarrais  déchargeaient  leurs 
armes  dans  la  direction  de  la  France.  11  y  a  une  vingtaine  d'années,  à  la  suite 
d'une  petite  campagne  de  presse,  cette  partie  du  cérémonial  a  été  supprimée 
comme  attentatoire  à  la  dignité  de  la  France.  Cf.  Axel  Duboul,  le  Béarn  tri- 
butaire de  la  Navarre  en  1882.  Toulouse,  Montaubin,  1883;  M[arque],  Ron- 
cal et  Barétons.  La  Junte,  dans  le  Glaneur  dOloron  (26  juin  1897). 

2.  Le  Bas-Ossau,  s'étant  séparé  du  Haut-Ossau  en  1855,  a  eu,  dans  sa  part, 
la  montagne  d'Anéou,  qui  confine  au  territoire  espagnol. 


"270  H.    CAVAILLES. 

anciennes  contestations.  Ces  instruments  diplomatiques  con- 
tiennent des  dispositions  qu'il  n'est  pas  fréquent  de  rencontrer 
dans  les  traités  internationaux.  L'un  d'eux  reconnaît  aux  habi- 
tants de  la  vallée  française  de  Baïgorry,  moyennant  une  rente 
annuelle  de  huit  mille  francs,  la  jouissance  exclusive  et  perpé- 
tuelle des  pâturages  du  Pays  Quint,  avec  le  droit  d'y  construire 
des  cabanes  en  bois  ou  en  branchages.  Les  vallées  espagnoles 
de  qui  dépend  le  territoire  sont  tenues  de  régler  l'exploitation 
des  forêts  de  telle  manière  qu'elles  puissent  fournir  en  tout  temps 
aux  besoins  des  Français.  Elles  s'obligent  en  outre  à  ne  rien 
changer  à  l'état  où  les  pâturages  se  trouvaient  au  moment  de  la 
signature  du  traité.  Et  les  Français,  de  leur  côté,  s'interdisent 
de  défricher  le  sol,  de  faire  des  coupes  de  bois,  de  cultiver  la 
terre  ou  d'établir  des  constructions  autres  que  celles  précédem- 
ment spécifiées  '.  Voilà  donc  un  territoire  dont  la  situation  juri- 
dique est  des  plus  singulières.  Si  le  «  domaine  éminent  »  y 
appartient  à  l'Espagne,  le  «  domaine  utile  »  y  dépend  de  la 
France,  qui  n'a  que  le  droit  d'exploiter  le  fonds  sans  le  modi- 
fier, et,  en  fait,  personne  n'est  le  maître. 

Un  autre  traité  reconnaît  à  la  vallée  française  de  Barèges  et 
à  la  vallée  espagnole  de  Broto  la  propriété  commune  des  sept 
quartiers  d'Ossoue,  situés  sur  le  territoire  français  entre  le 
Vignemale  et  la  Brèche  de  Roland  jusqu'aux  communaux  de 
Gavarnie.  «  Le  pâturage  de  la  montagne  d'Ossoue  s'affermera 
aux  enchères  à  Luz...  en  présence  des  délégués  des  vallées  de 
Barèges  et  de  Broto,  à  des  conditions  absolument  égales  pour 
les  adjudicataires  français  et  espagnols.  Le  fermage  et  les 
charges  de  cette  propriété  seront  partagés  par  moitié  entre  les 
deux  vallées  »2.  Les  mêmes  accords  reconnaissent  aux  Espa- 
gnols d'Aran  et  aux  Français  de  Saint-Mamet  la  faculté  d'user 
en  franchise  des  chemins  qui  traversent  le  territoire  étranger 
pour  gagner  avec  leurs  animaux  ou  leurs  vivres  les  pâturages 
ou  les  localités  qu'ils  ne  pourraient  atteindre  directement3.  Les 
troupeaux  des  vallées  de  Cize  et  de  Aezcoa  pourront  paître  et 
s'abreuver  sur  le  territoire  de  chacune  d'elles,  à  la  condition  de 
ne  demeurer  sur  le  sol  étranger  que  le  jour,  de  «  soleil  à  soleil  », 

1.  Traité  de  délimitation  du  2  décembre  1856,  art.  15-16. 

2.  Traité  de  délimitation  du  14  avril  1862,  art.   15. 

3.  Convention  additionnelle  du  27  février  1863,  art.  8  et  10. 


UNE    FÉDÉRATION    PYRÉNÉENNE    SOUS    L'ANCIEN   RÉGIME.  271 

et  de  rentrer  dans  leurs  propres  domaines  pour  y  passer  la  nuit1 . 

Ces  arrangements,  et  beaucoup  d'autres  qui  concernent 
divers  points  de  la  frontière,  ont  résolu  définitivement  les 
anciens  litiges.  Il  semble  bien  que  cette  liquidation  générale  a 
été  plus  favorable  aux  Espagnols  qu'aux  Français.  En  tout  cas, 
à  l'époque  où  elle  s'accomplit,  elle  souleva  de  ce  côté-ci  de  la 
frontière  des  réclamations  véhémentes  qui  ne  se  sont  pas  tout 
à  fait  apaisées.  Mais,  quoi  qu'on  en  puisse  penser,  ces  traités 
ont,  une  fois  pour  toutes,  fixé  les  droits  respectifs  des  frontaliers 
en  leur  donnant  la  consécration  d'accords  internationaux 
complets  et  définitifs.  Placés  sous  la  garantie  officielle  des  deux 
Etats,  ces  vénérables  droits  d'usage,  jadis  propriétés  particu- 
lières d'obscures  vallées  pyrénéennes,  sont  désormais  propriété 
nationale  de  la  France  et  de  l'Espagne. 

Les  mêmes  traités  s'efforcent  de  prévoir  et  de  régler  les 
conflits  qui  doivent  nécessairement  se  produire  au  voisinage  de 
deux  populations  pastorales  en  contact  journalier.  L'un  d'eux 
contient  un  règlement  pour  la  saisie  des  bestiaux.  Il  prévoit  la 
nomination  de  gardes  assermentés,  fixe  les  pénalités  encourues 
par  les  propriétaires  de  troupeaux  surpris  sur  territoire  étran- 
ger «  dans  le  cas  où  il  n'y  aura  pas  de  convention  particu- 
lière »,  arrête  la  procédure  à  suivre  par  celui  qui  voudra 
rentrer  en  possession  de  son  bien,  les  indemnités  à  payer  pour 
la  garde  et  la  nourriture  des  animaux  et  le  paiement  des  messa- 
gers'2. Ce  règlement  s'inspire  visiblement  des  anciens  usages  et 
porte  l'empreinte  fidèle  des  pactes  d'autrefois. 

Il  y  a  plus.  Les  traités  reconnaissent  aux  frontaliers  la 
faculté  «  qu'ils  ont  toujours  eue  de  faire  entre  eux  les  contrats 
de  pâturage  ou  autres  qui  leur  paraîtront  utiles  ».  Mais,  à  l'ave- 
nir, l'approbation  du  préfet  et  du  gouverneur  civil  sera  indis- 
pensable, et  la  durée  du  contrat  ne  pourra  pas  excéder  cinq 
années3.  Les  conventions  perpétuelles  sont  interdites...  Sous  le 
couvert  de  ce  traité  se  sont  maintenues,  à  notre  époque,  de 
nombreuses  conventions  de  pâturages.  Ce  sont  les  faceries  du 
pays  basque4.  Si  ces  vieux  accords  se  sont  conservés  dans  la 


1.  Convention  additionnelle  du  28  décembre  1858,  annexe  III. 

2.  Convention  additionnelle  du  28  décembre  1858,  annexe  IV. 

3.  Traité  de  délimitation  du  14  avril  1862,  art.  23. 

4.  Il  n'y  a,  entre  le  terme  de  passerie  et  celui  de  facerie,  qu'une  différence 


272  II.    CAVAILLÈS. 

partie  occidentale  des  Pyrénées,  c'est  sans  doute  pour  la  raison 
que  les  deux  versants  relevèrent  très  longtemps  d'un  Etat 
unique,  la  Navarre,  qui  réunissait  alors  des  vallées  aujourd'hui 
étrangères  l'une  à  l'autre  l.  Il  n'est  pas  impossible  qu'ainsi  les 
anciennes  habitudes  y  aient  conservé,  plus  qu'ailleurs,  de  pro- 
fondes racines.  Mais  il  y  a  une  autre  raison.  A  l'ouest  delà 
chaîne,  la  frontière  politique  quitte  la  ligne  de  faîte.  Elle 
chevauche  sur  des  contreforts  latéraux  au  nord  de  la  grande 
chaîne.  Elle  sépare  ainsi  des  populations  qui,  en  fait,  vivent 
sur  le  même  versant  et  ont  des  relations  journalières.  Par-dessus 
les  montagnes  plus  basses,  les  pâturages  s'unissent  d'un  vallon 
à  l'autre,  et  les  troupeaux  vaguent  librement  en  deçà  et  au  delà 
des  limites  arbitraires  fixées  par  les  conventions  des  hommes. 
Les  faceries  modernes  sont  ainsi  de  simples  règlements  pasto- 
raux destinés  à  prévenir  ou  à  résoudre  les  conflits  qui  naissent  de 
cette  situation  particulière.  Elles  n'en  sont  pas  moins  intéres- 
santes. Dépouillées  de  tout  ce  qui  avait  donné  aux  passeries  de 
la  grande  époque  un  caractère  politique  ou  économique,  elles 
sont  revenues,  par  un  singulier  retour,  à  l'antique  simplicité 
des  primitives  conventions  pastorales2.  Seulement  elles  ont  pris 
un  aspect  nouveau.  Reconnues  officiellement  par  les  traités,  les 
faceries  font  aujourd'hui  partie  de  notre  droit  public,  en  même 
temps  que  de  notre  régime  administratif.  La  sous-préfecture  de 
Bayonne  a  même  rédigé  un  modèle  uniforme  de  facerie  qui, 
moyennant  quelques  variantes,  peut  servir  de  type  à  toutes  les 
conventions  du  même  genre. 

D'autre  part,  et  malgré  l'interdiction  de  conclure  des  conven- 
tions perpétuelles,  deux  des  anciens  traités  ont  subsisté.  Ce 
sont  les  «  faceries  perpétuelles  qui  existent,  de  droit  et  de  fait, 
entre  la  vallée  de  Gize  et  Saint-Jean-Pied-de-Port,  en  France, 
et  celle  d'Aezcoa,  en  Espagne  ;  et  entre  les  habitants  de  Baré- 

decriture,  imputable  probablement  aux  scribes  basques.  La  convention  addi- 
tionnelle du  28  décembre  1858  (annexe  III)  désigne  sous  le  nom  de  facerie  la 
sentence  de  1375  entre  Barétous  et  Roncal.  Or  cette  sentence  était  une  pas- 
serie  et,  on  le  sait,  des  plus  caractérisées.  Elle  se  désigne  elle-même  par  le 
nom  de  patserie.  —  Voir  aussi  W.  Webster,  Loisirs  d'un  étranger  au  pays 
basque,  p.  160-190. 

1.  C'est  le  cas  du  pays  de  Cize,  aujourd'hui  français,  et  de  la  vallée  d'Aezcoa, 
espagnole. 

2.  Abstraction  faite,  naturellement,  des  tarifs  de  composition  et  autres  dis- 
positions analogues. 


UNE   FEDERATION    PYRENEENNE   SOUS   i/ANCIEN   REGIME.  273 

tous,  en  France,  et  de  Roncal,  en  Espagne,  en  vertu  des  sen- 
tences arbitrales  de  1556  et  de  1375  et  des  sentences  confirma- 
tives  postérieures.  Elles  continueront,  pour  les  motifs  qui  leur 
sont  particuliers,  à  être  fidèlement  exécutées  de  part  et  d'autre  » 1 . 
Ainsi  la  diplomatie  moderne  a  fait  siens  les  humbles  pactes  des 
bergers  pyrénéens,  et  les  deux  gouvernements  de  France  et 
d'Espagne  ont  apposé  leur  signature  au  bas  de  deux  passeries 
authentiques-.  Le  fameux  tribut  des  trois  génisses  est  ainsi 
devenu  une  sorte  d'obligation  nationale3. 

Enfin,  —  dernier  contraste  et  dernière  analogie,  — le  jour  où 
les  traités  particuliers  qui  unissaient  les  vallées  ont  été  rempla- 
cés par  des  traités  généraux  conclus  entre  les  deux  Etats,  les 
antiques  assises  pastorales  ont  abdiqué  à  leur  tour  au  profit 
d'un  Conseil  arbitral  nommé  parles  deux  pays.  C'est  la  Commis- 
sion des  Pyrénées. 

La  Commission  des  Pyrénées  est  une  institution  assez 
singulière,  dans  laquelle  survit  l'antique  et  excellente  coutume 
de  régler  à  l'amiable  ou  de  soumettre  à  l'arbitrage  les  différends 
entre  les  frontaliers.  Mais  c'est  une  institution  toute  moderne. 
Présidée  de  part  et  d'autre  par  des  diplomates  attitrés  investis 
d'une  fonction  permanente  et  rétribuée,  composée  d'hommes  de 
«  la  carrière  »  et  de  fonctionnaires  désignés  par  leurs  gouver- 
nements, la  Commission  des  Pyrénées  a  pour  tâche  de  résoudre 
les  conflits,  de  trancher  les  menus  litiges,  de  maintenir  des 
relations  amicales  entre  habitants  des  vallées  voisines,  en  un 
mot  d'assurer  l'observation  des  traités.  A  Bayonne,  où  elle  se 
réunit  d'ordinaire,  elle  convoque  les  représentants  des  commu- 
nautés montagnardes,  maires,  alcades  ou  syndics.  Elle  se  fait 
exposer  les  causes,  écoute  les  doléances  des  plaignants  et  les 
explications  de  la  partie  adverse  et  s'efforce  de  mettre  tout  le 
monde  d'accord.  La  mission  est  souvent  délicate,  car  les  plai- 
deurs sont  gens  de  ressources  et  ne  cèdent  pas  volontiers.  Mais 
elle  est  parfois  imprévue  et  plaisante.  D'ailleurs,  les  hauts 
diplomates  de  la  Commission  scellent  d'ordinaire  leur  œuvre 

1.  Traité  de  délimitation  du  2  décembre  1856,  art.  13. 

2.  Ces  deux  documents  sont  conservés  aux  archives  des  Basses-Pyrénées  : 
Cize-Aezcoa  (1556),  E  2321  ;  Barétous-Roncal  (1375),  E  2186. 

3.  La  convention  additionnelle  du  28  décembre  1858  (annexe  III)  l'établit 
formellement. 

Rev.  Histor.  CV.  2e  fasc.  18 


274  II.    CAVAILLÈS. 

par  un   déjeuner  protocolaire.   Et  c'est  ainsi,  sans  le  savoir, 
qu'ils  sont  jusqu'au  bout  fidèles  à  la  tradition  ! 

La  Commission  des  Pyrénées  est  directement  l'héritière  des 
anciens  parlements  pastoraux. 


Conclusion. 

L'histoire  des  traités  de  lies  et  de  passeries  qui,  si  longtemps, 
unirent  les  vallées  françaises  aux  vallées  limitrophes  de  l'Es- 
pagne, est  loin  d'être  une  question  d'ordre  exclusivement  pyré- 
néen. Elle  présente  à  coup  sûr,  et  pour  plusieurs  raisons,  un 
intérêt,  beaucoup  plus  général  et  qui  dépasse  les  limites  mêmes 
de  la  région  où  ils  furent  conclus. 

Conventions  pastorales  et  traités  de  commerce,  les  lies  et 
passeries  sont  un  des  aspects  les  plus  curieux  de  la  vie  monta- 
gnarde, et,  en  cela,  ils  forment  un  chapitre  indispensable  de 
l'histoire  économique  et  de  la  géographie  humaine  dans  une 
grande  région  de  notre  pays.  Accords  de  surséance  de  guerre, 
ils  intéressent  les  rapports  de  la  France  et  de  l'Espagne  et 
montrent  que  les  Pyrénées  ne  se  sont  imposées  comme  fron- 
tière qu'après  de  séculaires  hésitations  et  une  longue  résistance 
des  populations  intéressées.  Dans  l'ordre  politique  enfin,  cette 
même  histoire  forme  une  des  pages  les  plus  curieuses  et  les 
moins  connues  des  progrès  de  la  centralisation  monarchique, 
les  plus  utiles  à  connaître  aussi,  puisqu'elle  nous  enseigne 
par  quels  procédés  l'autorité  s'est  implantée  dans  une  des  par- 
ties les  plus  lointaines  et  les  plus  indociles  de  tout  le  domaine 
royal. 

Il  reste  à  se  demander  pourquoi  les  vallées  se  sont  laissé 
assujettir  aux  Etats  de  la  plaine,  ou,  en  d'autres  termes,  pour 
quelles  raisons  le  mouvement  fédératif  qui,  dans  les  Alpes  devait 
aboutir  à  la  formation  d'un  Etat  montagnard  indépendant,  la 
Suisse,  n'a  rien  produit  de  durable  dans  les  Pyrénées.  Ce 
contraste  s'explique  par  des  raisons  géographiques  et  par  des 
raisons  historiques. 

Il  existe,  entre  les  vallées  des  Pyrénées  et  celles  des  Alpes, 
d'assez  profondes  différences.  Dans  les  Pyrénées,  les  vallées 
sont  courtes,  raides  de  pente,  fréquemment  étranglées  vers 
l'aval  et  souvent  isolées  des  plaines,  mais  trop  limitées  dans 
leurs  dimensions   et  dans  leurs  ressources  pour  s'affranchir 


UNE    FÉDÉIUTION    PYRÉNÉENNE    SOIS    l'aNCIEN    REGIME.  275 

complètement  de  celles-ci.  Les  grands  sillons  des  Alpes,  régu- 
lièrement développés,  de  fond  plat  et  de  pente  douce,  ne  sont 
guère  représentés  dans  les  Pyrénées,  tout  au  moins  sur  le  ver- 
sant septentrional.  Et  l'on  n'y  rencontre  pas  plus  souvent  de 
ces  groupes  de  vallées  convergentes,  étroitement  associées,  que 
la  nature  destinait  à  vivre  d'une  existence  commune  et  à  deve- 
nir le  cadre  d'un  organisme  politique  permanent  et  complet. 
Presque  toutes  parallèles  entre  elles,  elles  se  succèdent  de 
distance  en  distance  tout  le  long  de  la  chaîne,  et  sur  chaque 
versant.  Chacune  d'elles  ne  peut  avoir  de  relations  qu'avec  un 
petit  nombre  de  ses  voisines  et  subit  directement  l'attraction  du 
plat  pays  vers  lequel  elle  s'ouvre. 

Enfin  les  villes,  installées  à  l'issue  des  vallées,  simples  lieux 
d'échange  et  marchés  temporaires  des  produits  de  la  plaine  et 
de  la  montagne,  ont  d'autres  sentiments  et  d'autres  intérêts  que 
les  gens  des  régions  hautes.  Jadis,  les  montagnards  étaient  pour 
elles  des  voisins  incommodes,  des  étrangers,  parfois  des  ennemis. 
Et,  comme  les  agglomérations  de  l'intérieur  n'étaient  tout  au 
plus  que  de  grosses  bourgades,  la  vie  urbaine  était,  dans  les 
Pyrénées,  des  moins  actives  et  des  moins  agissantes.  Rien, 
dans  leur  passé,  ne  rappelle  ces  cités  pastorales  et  forestières 
qui,  dans  les  Alpes,  furent,  au  moment  décisif,  le  centre  de  la 
résistance  à  l'étranger  et  comme  les  points  de  cristallisation  de 
la  nationalité  suisse. 

Les  influences  historiques  n'ont  pas  été  moins  efficaces. 
Tandis  que  les  Alpes  se  dressent  entre  deux  domaines  qui,  pen- 
dant des  siècles,  ont  été  voués  au  morcellement  territorial  et  à 
l'impuissance  politique,  les  Pyrénées  sont  comprises  entre  deux 
régions  où  la  tendance  à  l'unité  s'est  de  très  bonne  heure  affir- 
mée. Au  xvie  siècle,  alors  que  le  principat  triomphait  en  Alle- 
magne et  en  Italie,  le  roi  de  France  rattachait  à  la  couronne 
tous  les  domaines  de  la  maison  de  Foix-Navarre  et  Philippe  II 
d'Espagne  abattait  ce  qui  restait  encore  des  libertés  aragonaises. 
Et  ainsi,  tandis  que  les  vallées  alpestres,  livrées  à  elles-mêmes, 
se  donnaient  une  organisation  indépendante,  les  cantons  mon- 
tagnards des  Pyrénées  se  trouvaient,  d'une  attraction  irrésis- 
tible, attirés  vers  le  plat  pays  et  bientôt  soumis  à  l'autorité  des 
gens  du  roi  ' . 

1.  L'Andorre,  seule,  a  conservé  son  autonomie,  humble  vestige  d'une  époque 
d'indépendance  et  de  vie  libre. 


276      H.  C  A  VAILLES.  —  UNE  FÉDÉRATION  PYRENEENNE  SOUS  l'àIVCIEN  RÉGIME. 

C'est  alors,  il  est  vrai,  que  se  produisit  le  curieux  effort 
d'entente  qui  fait  l'objet  de  notre  étude,  —  alors  que  les 
anciennes  conventions  pastorales  devinrent  les  traités  de  passe- 
ries  et  que  l'on  put  croire  à  la  formation  prochaine  d'une 
manière  de  fédération  pyrénéenne.  Mais  le  mouvement  venait 
trop  tard,  trois  siècles  après  la  conjuration  des  premiers  cantons 
suisses.  La  monarchie  avait  grandi  des  deux  côtés  de  la 
frontière.  Elle  s'était  armée  de  toutes  pièces.  Et,  en  face  de  la 
puissante  machine  administrative  qui  la  servait,  cette  grande 
manifestation  du  particularisme  pyrénéen  était,  dès  l'origine, 
vouée  à  la  défaite. 

La  confédération  pyrénéenne  vécut  cependant  trois  siècles. 
Pendant  trois  cents  ans,  les  traités  de  lies  et  depasseries  furent 
scrupuleusement  observés.  Ils  permirent  aux  montagnards  de 
se  protéger  contre  les  dangers  de  la  guerre  et  de  défendre  la 
liberté  de  leurs  transactions.  Ils  furent  même,  on  l'a  vu,  une 
gêne  très  sérieuse  pour  les  gouvernements  et,  sinon  de  droit, 
du  moins  de  fait,  une  véritable  limitation  de  la  souveraineté 
des  rois.  Mais  quelle  que  fût  leur  action,  il  fut  dès  le  début 
évident  que  la  Confédération  dont  ils  étaient  le  lien  ne  vivrait 
pas.  Les  traités  de  lies  et  de  passeries  ne  pouvaient  être  et  ne 
furent  qu'une  suprême  protestation  du  particularisme  monta- 
gnard contre  la  centralisation  grandissante.  Et  le  jour  où  ils 
disparurent  à  leur  tour  fut  la  victoire  des  gens  de  la  plaine  sur 
ceux  des  vallées,  le  triomphe  de  l'unité  sur  l'esprit  d'indépen- 
dance1. 

H.   Ca vailles. 

1.  Vers  l'époque  où  s'achevait  ce  travail,  les  archives  des  Basses-Pyrénées 
ont  été  en  partie  détruites  par  un  incendie.  Nous  savons  que  plusieurs  des 
documents  cités  plus  haut  ont  été  atteints,  sans  pouvoir  dire  encore  dans 
quelle  mesure  ils  ont  souffert  et  si  le  classement  des  pièces  doit  se  trouver 
modifié.  Nous  avons  conservé  heureusement  des  copies  complètes  des  traités  et 
des  extraits  des  autres  textes  utilisés. 


LA  RUSSIE 

ET  LA  POLITIQUE  ITALIENNE  DE  NAPOLÉON  III. 

(Suite  et  fin1.) 


Tant  que  les  duchés  ont  été  seuls  en  cause,  Alexandre  II  et 
Gortchakoff  ne  se  sont  pas  départis  de  leur  résignation  chagrine, 
mais  calme.  Lorsque,  victorieuse  sur  ce  point,  la  révolution 
a  entrepris  de  faire  subir  le  même  sort  au  royaume  de  Naples  et 
aux  États  du  pape,  ils  n'ont  plus  jugé  cette  attitude  compatible 
avec  leurs  intérêts. 

Le  changement  s'est  fait  sentir  dès  que  la  crise  s'est  dessinée 
dans  l'Italie  méridionale. 

Le  gouvernement  napolitain  ayant  dénoncé  à  Pétersbourg 
les  menées  des  révolutionnaires  sur  son  territoire,  avec  la  con- 
nivence du  Piémont,  Gortchakoff  répond  par  la  promesse  de 
l'appui  moral  de  la  Russie  et  de  son  intervention  officieuse  à 
Paris  et  à  Turin.  Appui  moral,  intervention  officieuse  sont 
monnaie  courante  entre  les  cabinets  et,  à  moins  d'être  bien  pré- 
somptueux, Alexandre  II  et  Gortchakoff  n'ont  pas  pu  s'abuser 
sur  la  valeur  pratique  de  ces  démonstrations.  Le  sort  du  roi  de 
Naples  n'eût-il  éveillé  que  peu  d'intérêt  de  leur  part  qu'ils  eussent 
été  tenus  cependant  à  ne  pas  reconduire  sans  y  mettre  des 
formes.  A  n'en  juger  que  par  les  résultats,  leur  intérêt  peut  donc 
paraître  un  intérêt  de  commande,  leur  émotion  une  émotion  de 
surface.  Montebello  a  pris  soin  de  mettre  le  gouvernement  fran- 
çais en  garde  contre  cette  erreur.  «  Il  ne  faudrait  pas  en  con- 
clure, »  écrit-il  à  propos  de  la  réponse  de  Gortchakoff  au  ministre 
de  Naples,  «  qu'on  voit  ici  avec  indifférence  et  sans  inquiétude 
le  travail  poursuivi  par  la  révolution  pour  arriver  à  l'unification 
de  l'Italie,  travail  qui  se  fait  avec  une  audacieuse  assurance  et 
auquel  le  Piémont  donne  ouvertement  son  appui  »'2. 

1.  Voir  ci-dessus,  p.  35. 

2.  Montebello,  24  avril  1860. 


278  FRANÇOIS-CHARLES    ROUX. 

Tout  autre  est  en  effet  la  conclusion  qui  se  dégage  de  l'attitude 
d'Alexandre  II  et  de  Gortchakoff.  Une  suite  ininterrompue  d'in- 
dices montre  combien  leur  conscience  a  été  troublée  et  leur  sécu- 
rité menacée  par  l'extension  nouvelle  de  la  révolution  et  les  pro- 
cédés  du  Piémont.  Une  proclamation  de  la  société  nationale  ita- 
lienne en  vue  de  débaucher  les  soldats  de  François  II  et  du  pape 
est  accueillie  à  Pétersbourg  avec  indignation.  Le  ministre  de 
Russie  à  Turin  est  invité  à  appeler  l'attention  de  Cavour  «  sur  la 
complaisance,  pour  ne  pas  dire  la  complicité  du  gouvernement 
piémontais  » .  Le  bruit  s'étant  répandu  que  Victor-Emmanuel  allait 
prendre  le  titre  de  roi  d'Italie,  Gortchakoff  déclare  que  la  Russie  a 
un  représentant  accrédité  auprès  du  roi  de  Piémont  et  qu'elle  n'en 
accréditera  certainement  pas  auprès  du  roi  d'Italie.  L'émotion 
redouble  à  la  nouvelle  du  départ  de  Garibaldi  pour  la  Sicile. 
Ordre  immédiat  est  donné  à  Stackelberg,  ministre  de  Russie  à 
Turin,  de  demander  des  explications  catégoriques  et  de  voir  le 
roi  en  personne.  Un  télégramme  de  Naples  révèle,  peu  après,  les 
circonstances  dans  lesquelles  se  sont  opérés  le  transport  et  le 
débarquement  des  Garibaldiens.  Elles  remplissent  Alexandre  II 
d'indignation.  Il  invite  le  gouvernement  piémontais  à  lui  faire 
savoir  si  les  autorités  génoises  qui  ont  laissé  s'organiser  et  partir 
l'expédition  seront  punies  et  si  Garibaldi  appartient  encore  à 
l'armée  sarde. 

Dans  leur  violence,  ces  démonstrations  restaient  cependant 
assez  inoffensives  et  assez  bénignes.  Pour  qu'elles  fussent  effi- 
caces, il  aurait  fallu  qu'elles  fussent  appuyées  par  la  menace 
d'une  sanction.  Cavour  ne  pouvait  évidemment  se  flatter  de 
voir  sa  politique  approuvée  à  Pétersbourg.  Les  semonces  et  les 
blâmes  de  la  Russie  n'auraient  pu  l'émouvoir  que  si,  des  paroles, 
il  avait  pu  craindre  de  la  voir  passer  aux  actes.  Or,  elle  n'était 
ni  en  situation  ni  en  humeur  de  le  faire,  et,  à  moins  de  donner 
le  change  à  Cavour,  ce  qui  était  au-dessus  de  leurs  moyens, 
Alexandre  II  et  Gortchakoff  devaient  se  résigner  à  gronder  en 
pure  perte.  Ils  étaient  trop  avisés  pour  ne  pas  s'en  rendre  compte. 
Plus  le  mal  va  s'aggravant,  plus  ils  se  convainquent  de  leur 
impuissance;  plus  ils  se  sentent  désarmés,  plus  ils  pressent  la 
France  d'intervenir. 

Le  gouvernement  français  s'était  borné  à  signaler  à  Cavour 
les  préparatifs  de  l'expédition  et  à  lui  adresser  ensuiteune  note 
de  blâme.  C'était  encore  trop  peu,  au  vœu  de  Gortchakoff,  qui 


LA    RUSSIE    ET   LA    POLITIQUE    ITALIENNE   DE   NAPOLÉON    III.         279 

s'empressa  de  confier  son  impression  à  Montebello.  «  En  pré- 
sence d'un  pareil  acte  de  brigandage,  je  ne  puis  cacher  à  Votre 
Excellence  »,  écrit  notre  ambassadeur,  «  que  l'expression  d'un 
blâme  a  paru  au  prince  Gortchakoff  un  peu  faible,  même  comme 
démarche  spontanée  de  notre  ministre  à  Turin,  et  qu'il  attend 
de  nous  davantage  » l . 

Napoléon  III  prêche  au  Piémont  la  sagesse  et  la  prudence,  au 
roi  de  Naples  l'énergie  dans  la  répression  et  la  tolérance  dans 
le  gouvernement,  à  tous  deux  l'esprit  de  conciliation.  Sans  doute 
n'est-ce  rien  de  tout  cela  que  Gortchakoff  a  voulu  entendre  par 
ce  mot  davantage;  car,  un  mois  après,  il  gourmande  le  gouver- 
nement français  sur  son  inaction  et  revient  à  la  charge  auprès 
de  lui  pour  obtenir  qu'il  en  sorte  :  «  Le  prince  Gortchakoff  est 
surpris  »,  télégraphie  Montebello,  «  de  l'irrésolution  de  la  France 
en  présence  d'événements  si  contraires  à  ses  intérêts.  Il  pense 
que  l'Europe  se  doit  à  elle-même  de  ne  pas  se  borner  à  une  action 
morale  et  d'empêcher  par  des  croisières  le  départ  et  le  débarque- 
ment de  nouvelles  bandes  »2. 

Cette  fois-ci,  Gortchakoff  a  renoncé  à  se  faire  entendre  à 
demi-mot  et  met,  pour  ainsi  dire,  les  points  sur  les  i.  Ce  qu'il 
attend  de  la  France,  ce  n'est  plus  une  action  morale  qui  a  fait 
son  temps,  ce  ne  sont  plus  des  conseils  dont  l'inutilité  a  été 
démontrée  :  ce  sont  des  mesures  matérielles.  L'insurrection 
vient  précisément  d'être  mise  en  échec  en  Sicile  ;  Garibaldi  est 
en  fuite,  beaucoup  de  rebelles  désarment.  Le  moment  paraît 
opportun  à  la  Russie  pour  isoler  le  foyer  de  la  Révolution  et 
l'empêcher  de  recevoir  des  secours  de  l'extérieur.  Il  suffit  pour 
cela  de  quelques  croisières  surveillant  les  ports  du  Piémont, 
d'où  peuvent  partir  les  secours,  et  les  côtes  de  la  Sicile  ou  de  la 
Calabre,  vers  lesquels  ils  peuvent  être  dirigés.  Pour  convertir 
la  France  à  la  nécessité  de  cette  sorte  de  blocus,  Gortchakoff 
lui  représente  que  son  intérêt,  sa  sécurité,  sa  situation  lui  en 
font  un  devoir  :  «  L'unité  de  l'Italie  ne  peut  vous  convenir.  Si 
vous  n'y  prenez  garde,  la  Sicile  va  être  livrée  à  l'Angleterre. 
Vous  aviez  là  un  seul  mot  à  dire,  et  toute  l'Europe  aurait  été  de 
votre  côté  »8. 

Charger  ne  fût-ce  qu'un  seul  navire  de  faire  la  police  dans 

1.  Montebello,  13  mai  1860. 

2.  ld.,  13  juin  1860. 

3.  Id.,  juin  1860. 


280  FRANÇOIS-CHARLES    ROUX. 

les  eaux  italiennes  et  de  s'opposer,  le  cas  échéant,  au  passage 
de  volontaires,  c'était  coopérer  par  mer  à  la  répression  de  l'in- 
surrection, c'était  intervenir.  C'est  là  ce  qu'Alexandre  II  et 
Gortchakoff  réclament  de  Napoléon  III,  en  lui  présentant  sa 
réponse  comme  une  sorte  de  critérium  auquel  ils  le  jugeront. 
Au  degré  de  fermeté  dont  il  se  montrera  capable  en  face  de  la 
Révolution  se  mesurera  la  confiance  dont  il  est  digne. 

Napoléon  III  n'était  pas  indifférent  à  la  crainte  de  s'aliéner  la 
confiance  d'Alexandre  II  et  de  Gortchakoff.  Il  était  disposé  à 
souscrire,  pour  la  conserver,  à  certaines  concessions.  Mais,  de 
ces  concessions  à  la  garantie  réclamée  de  lui,  il  y  avait  loin,  et 
il  ne  se  souciait  pas  de  franchir  cette  distance. 

Dans  son  for  intérieur,  son  parti  est  pris  de  ne  pas  entraver 
l'unification  de  l'Italie,  sous  la  seule  réserve  de  la  souveraineté 
temporelle  du  pape,  et,  plutôt  que  de  recourir  à  la  force  pour 
sauver  le  trône  de  Naples,  il  est  résolu  à  laisser  les  Deux-Siciles 
suivre  le  sort  des  duchés.  Mais  il  ne  lui  convient  pas  de  s'en 
expliquer  franchement  avec  Alexandre  II  et  Gortchakoff.  Il 
aime  mieux  éluder  leurs  invites  que  les  décliner,  opposer  à 
leurs  instances  le  silence  et  la  force  d'inertie  qu'un  refus  net 
et  catégorique. 

Cette  sorte  de  résistance  passive  ne  ralentit  pas  tout  d'abord 
leur  zèle.  Napoléon  III  restant  sourd  à  leurs  appels,  ils  tentent 
de  l'entraîner  à  une  action  commune  par  un  complet  et  loyal 
échange  de  vues.  Le  19  juin,  Gortchakoff  mande  Montebello  à 
Tzarskoë  et  lui  annonce  qu'Alexandre  II,  désirant  s'ouvrir  sans 
réserves  avec  nous,  a  chargé  son  ambassadeur  à  Paris  d'expo- 
ser sa  pensée  tout  entière  à  Thouvenel  et  de  demander  une 
audience  à  Napoléon  III.  Trois  jours  après,  parvient  à  Péters- 
bourg  la  nouvelle  de  la  tentative  désespérée  de  conciliation  à 
laquelle  a  recouru,  sans  illusion,  le  roi  de  Naples.  Gortchakoff 
y  voit  le  principe  éventuel  de  cette  action  commune  à  laquelle 
il  cherche  à  convertir  la  France.  Il  expose  à  Montebello  que  la 
résolution  prise  par  le  gouvernement  napolitain  d'élaborer  une 
constitution  libérale  pour  tout  le  royaume,  d'accorder  à  la  Sicile 
une  séparation  administrative  sous  un  prince  de  la  famille 
royale,  enfin  de  conclure  avec  le  Piémont  une  entente  inspirée 
des  intérêts  généraux  de  la  péninsule,  lui  paraît  offrir  les  bases 
possibles  d'un  arrangement.  Il  invite  la  France  à  joindre  ses 
efforts  à  ceux  de  la  Russie  pour  réconcilier  François  II  avec  ses 


LA   RUSSIE    ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE    DE   NAPOLÉON    III.         281 

sujets  siciliens  et  ses  adversaires  piémontais.  Napoléon  III  ne 
se  refuse  pas  à  cette  concession,  qui  rouvre  la  voie  à  l'action 
morale  et  exclut,  pour  quelque  temps,  l'éventualité  redoutée  de 
l'action  matérielle.  Des  instructions  analogues  sont  données  aux 
représentants  de  France  et  de  Russie  à  Turin,  en  vue  d'appuyer 
énergiquement  la  mission  extraordinaire  envoyée  de  Naples 
pour  négocier  une  alliance. 

Pour  que  cette  action  pût  être  efficace,  il  eût  fallu,  simultané- 
ment, imposer  une  trêve  aux  insurgés  ou  tout  au  moins  les  tenir 
en  respect.  Garibaldi  se  préparait  à  franchir  le  détroit  de  Mes- 
sine. Maîtresse  de  la  Sicile,  la  Révolution  allait  dépouiller  le  roi 
de  Naples  du  semblant  de  pouvoir  qu'il  conservait  encore  sur 
ses  états  de  terre  ferme.  Prêcher  l'apaisement  à  Turin  et  laisser 
le  détroit  libre  à  Messine,  c'était  détruire  d'une  main  ce  qu'on 
faisait  de  l'autre,  désavouer  tout  bas  ce  qu'on  disait  tout  haut. 
Il  fallait  se  hâter  de  fermer  le  passage  ou  se  résigner  à  une 
catastrophe. 

Napoléon  III  reste  encore  impassible.  Des  sollicitations,  Gort- 
chakoff  passe  alors  aux  reproches  et  aux  doléances.  Il  ne  veut 
pas  récriminer,  dit-il  à  Montebello,  mais  il  ne  veut  pas  non  plus 
taire  au  gouvernement  français  sa  façon  de  penser  :  il  n'estime 
pas  que  «  la  France  n'ait  d'autre  rôle  à  jouer  en  Italie  que  de 
surveiller  les  événements  sans  y  participer  et  ne  voit  pas  sans 
regret  une  abstention  qui  lui  semble  peu  compatible  avec  la 
solidarité  que  nous  reconnaissons  exister  entre  nous  et  le  Pié- 
mont »'. 

L'inertie  de  Napoléon  III  a  donc,  à  cette  époque,  ouvert  les 
yeux  à  Gortchakoff.  A  la  longue,  la  tactique  de  l'empereur  est, 
en  effet,  devenue  caduque.  L'approche  même  du  dénouement 
l'accule  fatalement  à  l'alternative,  ou  de  se  rendre  aux  avis  des 
Russes,  ou  de  se  démasquer  à  leurs  yeux,  ou  d'intervenir,  ou  de 
découvrir  son  jeu.  Même  alors,  il  a  espéré  se  dérober  à  cette 
alternative  et  amener  la  Russie  à  se  payer  de  mots.  Il  à  bien  été 
obligé  de  convenir  qu'il  n'interviendrait  pas  pour  le  moment. 
Mais,  afin  de  se  justifier  de  son  abstention,  il  en  a  rejeté  la  res- 
ponsabilité sur  l'Angleterre  et  sur  les  circonstances.  Il  avait 
proposé  à  l'Angleterre  d'empêcher  Garibaldi  de  franchir  le 
détroit  et  elle  avait  refusé.  La  situation  était  maintenant  trop 

1.  Montebello,  19  juillet  1860. 


282  FRANÇOIS-CHARLES   ROUX. 

désespérée  pour  qu'il  fût  possible  d'intervenir  autrement  qu'avec 
des  forces  considérables,  qu'il  ne  voulait  pas  y  consacrer.  Il 
n'entendait  pas  d'ailleurs  renoncer  définitivement  à  intervenir  : 
mais  il  remettait  cette  intervention  à  un  moment  où  elle  aurait 
chance  d'être  mieux  accueillie  par  les  populations. 

Cet  ajournement  problématique  n'a  pas  rendu  à  Alexandre  II 
et  à  Gortchakoff  les  illusions  qu'ils  avaient  perdues.  Pendant  la 
courte  lutte  qui  livra  le  royaume  de  Naples  aux  troupes  de  Gari- 
baldi,  ils  s'abstinrent  d'importuner  Napoléon  III  de  sollicitations 
qu'ils  savaient  inutiles.  Mais  l'agonie  de  cette  monarchie  leur  a 
inspiré  des  sentiments  que  Montebello  a  traduits  en  termes  sai- 
sissants : 

Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  dire  avec  quel  douloureux  intérêt  le  cabi- 
net de  Saint-Pétersbourg  a  suivi  les  phases  de  la  décomposition  rapide 
qui  a  amené  le  roi  François  II  à  s'enfermer  dans  Gaëte,  ni  avec  quelle 
profonde  compassion  on  a  vu  ce  jeune  souverain  si  honteusement 
trahi  ou  abandonné  par  ceux-là  même  sur  lesquels  il  devait  le  plus 
compter.  Tout  parait  fini...  L'on  a  hâte  de  détourner  les  yeux  de  ce 
triste  spectacle  et  on  les  reporte  avec  inquiétude  sur  les  conséquences 
des  événements  qui  viennent  de  s'accomplir1. 

Cette  phase  de  dissentiment  coïncide  avec  le  moment  où 
Alexandre  II  accepte  de  se  rencontrer  à  Varsovie  avec  l'empe- 
reur d'Autriche. 

La  conclusion  de  la  paix  n'avait  pas  fait  disparaître  l'intérêt 
de  l'Autriche  à  se  rapprocher  de  la  Russie.  L'expérience  lui 
avait  prouvé  ce  que  pouvait  lui  coûter  la  mauvaise  volonté  de 
cette  puissance.  La  Révolution  qui  régnait  en  Italie  menaçait  la 
Vénitie.  Elle  y  trouvait  un  argument  pour  détacher  Alexandre  II 
de  l'amitié  française.  Avec  une  persévérance  qui  n'était  pas 
sans  mérite  de  sa  part  après  les  événements  de  1859,  elle 
reprend  sa  négociation  à  Pétersbourg  et  choisit,  cette  fois-ci, 
son  porte-parole  dans  la  famille  même  d'Alexandre  IL  Le  propre 
beau-frère  du  tsar,  le  prince  Alexandre  de  Hesse,  général  dans 
l'armée  autrichienne,  est  envoyé  en  mission  à  la  cour  de  Russie 
pour  tenter  un  rapprochement.  «  Je  ne  vous  le  cacherai  pas  », 
déclare  Gortchakoff  au  duc  de  Montebello,  «  l'Autriche,  sous  un 
autre  nom  que  celui  de  Sainte-Alliance,  qui  a  fait  son  temps  et 
effaroucherait  aujourd'hui,  voudrait  refaire  l'alliance  des  trois 

1.  Montebello,  14  septembre  18G0. 


LA    RUSSIE    ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE   DE   NAPOLÉON    III.         283 

cours  du  Nord.  Il  y  aurait  là  les  éléments  d'une  coalition  contre 
la  France.  J'ai  déclaré  nettement  et  au  nom  de  l'empereur  que 
la  Russie  ne  se  prêterait  à  rien  de  pareil  » 1 . 

L'échec  du  prince  de  Hesse  ne  décourage  pas  encore  l'Au- 
triche. Alexandre  II  s'étant  rendu  à  Varsovie  en  octobre  1859, 
François-Joseph  lui  délègue  l'archiduc  Albert  et  le  baron  de 
Werner,  sous-secrétaire  d'Etat  aux  Affaires  étrangères,  avec 
mission  de  travailler  au  rapprochement  tant  désiré.  L'Autriche, 
déclarent-ils,  reconnaît  avoir  eu  des  torts  et  cherche  à  réparer  le 
mal  qu'elle  a  fait.  La  Russie,  répond  Gortchakoff,  ne  demande 
aucun  service,  et,  au  surplus,  laisse  entendre  le  chancelier,  «  la 
confiance  une  ibis  détruite  renaît  difficilement  ». 

L'Autriche  s'est  ingéniée  à  la  faire  renaître.  Elle  a  mis  en 
œuvre  la  diplomatie  la  plus  tenace,  les  plus  hautes  influences,  le 
crédit  de  l'archiduc  Albert,  l'ascendant  de  son  jeune  empereur. 
A-t-elle  jamais  complètement  réussi?  A  coup  sûr  non,  en  ce  qui 
concerne  Gortchakoff.  Avances,  promesses  ni  repentir  ne  par- 
vinrent jamais  à  triompher  entièrement  des  préventions  du  chan- 
celier. «  La  politique  de  l'Autriche  »,  disait-il  au  duc  de  Mon- 
tebello,  «  est  une  politique  sans  bonne  foi.  »  La  cour  de  Vienne 
a  été  mieux  récompensée  de  sa  peine  avec  Alexandre  II  :  ce 
n'est  pas  à  dire  qu'elle  ait  réussi  à  effacer  dans  l'esprit  du  tsar 
toutes  les  traces  du  passé.  Assouvie  par  les  défaites  de  l'Au- 
triche, la  rancune  d'Alexandre  II  s'est  apaisée  ;  sous  l'empire, 
d'autres  circonstances,  d'autres  sentiments  ont  pris  le  dessus. 
Il  semble  bien  cependant  qu'il  ait  subsisté  quelque  chose  de  son 
impression  première,  trop  peu  pour  l'empêcher  de  se  prêter  à  la 
reprise  de  relations  amicales  avec  l'Autriche,  assez  pour  lui 
interdire  une  intimité  plus  étroite  avec  elle. 

Ni  les  préventions  de  Gortchakoff  ni,  à  plus  forte  raison,  celles 
d'Alexandre  II  n'étaient  assez  fortes  pour  opposer  une  digue  au 
courant  qui  tendait  à  rapprocher  les  deux  cours.  Les  circons- 
tances ont  fait  pour  ce  résultat  plus  que  toute  la  persévérance  et 
la  ténacité  de  la  diplomatie  autrichienne. 

En  ranimant  en  eux  la  crainte  de  la  Révolution,  les  événe- 
ments d'Italie  firent  sentir  au  tsar  et  à  son  ministre  la  nécessité 
de  soutenir  l'Autriche,  en  même  temps  que  de  s'appuver  sur 
elle.  Aussi  une  amélioration  sensible  de  leurs  rapports  avec 

1.  Montebello,  16  septembre  1859. 


284  FRANÇOIS-CHARLES   ROUX. 

Vienne  coïncide-t-elle  exactement  avec  les  péripéties  qui  se 
déroulent  dans  la  péninsule.  Un  an  ne  s'est  pas  écoulé  depuis 
Villafranca  que  toute  trace  de  mésintelligence  et  de  froideur  a 
disparu  des  relations  des  deux  cours.  Un  nouveau  ministre 
d'Autriche,  le  comte  Thun,  reçoit  d'Alexandre  II  des  assurances 
et  des  témoignages  auxquels  ses  prédécesseurs  n'ont  pas  été 
habitués.  Une  cordialité  inaccoutumée  vient  marquer  les  mani- 
festations extérieures  par  lesquelles  la  cour  de  Russie  commé- 
more ses  liens  traditionnels  avec  celle  de  Vienne  :  au  dîner 
offert  par  le  tsar  au  comte  de  Thun  pour  l'anniversaire  de  la 
naissance  de  François-Joseph  assiste  une  délégation  du  régi- 
ment autrichien  Obreninski,  dont  la  fête  coïncide  avec  celle  de 
l'empereur.  Il  est  vrai  que  Gortchakoff,  dont  la  réserve  ne  s'as- 
socie qu'à  moitié  à  cette  bienveillance  de  forme,  est  là  pour 
l'empêcher  d'avoir  un  contre-coup  sur  le  fond.  Lorsque  le  comte 
Thun  tente  de  renouer  la  négociation  où  avaient  échoué  Karolvi 
et  le  prince  de  Hesse,  invoquant,  à  l'appui  de  son  offre  d'alliance, 
la  nécessité  de  lutter  en  Occident  contre  l'esprit  révolutionnaire 
et  l'intérêt  de  s'entendre  en  Orient  sur  la  succession  du  sultan, 
Gortchakoff  répond  qu'il  souhaite  le  maintien  de  l'empire  otto- 
man au  moyen  de  réformes  et  de  satisfactions  accordées  aux 
légitimes  griefs  des  chrétiens  et  met  Montebello  au  courant  de 
cet  entretien. 

L'année  1860  ne  se  passe  cependant  pas  sans  qu'un  fait  écla- 
tant vienne  consacrer  la  réconciliation  de  l'Autriche  et  de  la 
Russie  :  les  deux  empereurs  se  rencontrent  à  Varsovie. 
Alexandre  II  s'est  prêté  de  bonne  grâce  à  cette  entrevue,  dont 
l'initiative  appartient  à  François-Joseph,  et  rien  n'autorise  à 
penser  qu'il  s'y  est  rendu  à  contre-cœur.  Il  semble  au  contraire 
qu'il  ait  su  gré  à  l'empereur  d'Autriche  de  sa  démarche  et  n'ait 
pas  vu  sans  satisfaction  renaître  une  amitié  dont  la  rupture  lui 
avait  laissé  des  regrets.  «  A  mes  yeux  »,  dit-il  au  duc  de  Mon- 
tebello, «  la  visite  que  va  me  faire  l'empereur  d'Autriche  à  Var- 
sovie m'était  due  ;  il  y  couchera  dans  la  chambre  qu'il  a  occupée 
autrefois  auprès  de  mon  père.  »  «  J'ai  vu  dans  ces  paroles  »,  ajou- 
tait notre  ambassadeur,  «  l'expression  d'un  sentiment  intime 
où  se  mêlaient  la  générosité  qui  pardonne  et  la  piété  filiale  qui 
se  souvient  »  ' . 

1.  Montebello,  14  septembre  1860. 


LA    RUSSIE    ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE   DE   NAPOLEON    III.         285 

De  là  à  vouloir  se  jeter  clans  les  bras  de  l'Autriche,  il  y  avait 
loin  et  Alexandre  II  n'y  songeait  pas.  Il  prévoyait  que  la  cour 
de  Vienne  s'efforcerait  de  le  décider  à  renouer  avec  elle  l'inti- 
mité d'autrefois.  Mais  il  était  bien  résolu  à  ne  pas  s'y  prêter,  à 
résister  à  toute  sollicitation,  à  ne  se  laisser  entraîner  à  aucun 
acte,  à  aucun  engagement  dont  la  France  pût  prendre  ombrage. 
Le  soin  qu'il  prit  de  la  rassurer  d'avance  sur  cette  hypothèse 
démontre  la  fermeté  et  la  sincérité  de  sa  résolution . 

On  ne  voyait  jamais,  à  Paris,  sans  une  certaine  appréhension, 
les  deux  empereurs  du  Nord  se  rencontrer  et  échanger  leurs 
vues;  sous  l'influence  de  ces  craintes,  on  avait  tôt  fait  de  quali- 
fier de  volte-face  ce  qui  n'était  qu'une  évolution.  Alexandre  II 
n'a  rien  épargné  pour  réagir  contre  cette  opinion.  Aussitôt  l'en- 
trevue décidée,  Gortchakoff  mande  Montebello  pour  lui  annoncer 
la  nouvelle.  Deux  jours  après,  le  tsar  lui-même  exprime  le  désir 
de  voir  l'ambassadeur  de  France  : 

Vous  savez  que  le  prince  régent  de  Prusse  et  l'empereur  d'Autriche 
viendront  me  voir  à  Varsovie.  L'opinion  s'est  beaucoup  préoccupée 
de  cette  entrevue,  même  avant  qu'elle  fût  décidée.  On  y  a  vu  le  germe 
d'une  coalition.  J'ai  voulu  m'expliquer  avec  vous  sur  les  dispositions 
que  j'y  apporterai  :  je  n'ai  pas  besoin  de  vous  dire  qu'elles  seront  ami- 
cales pour  la  France.  Ce  n'est  pas  de  la  coalition  que  je  vais  faire  à 
Varsovie,  mais  de  la  conciliation,  et  je  suis  heureux  de  voir  que  le 
prince  régent  est  dans  les  mêmes  sentiments.  Quant  à  moi,  je  désire 
y  plaider  votre  cause,  pour  peu  que  vous  m'en  facilitiez  les  moyens. 
Dites  à  l'empereur  Napoléon  qu'il  peut  mettre  sa  confiance  en  moi 
et  que  je  resterai  fidèle  à  ce  que  nous  nous  sommes  promis  à  Stuttgart1. 

Le  gouvernement  russe  ne  s'en  tient  pas  à  ces  déclarations  : 
il  propose  à  la  France  de  se  faire  représenter  à  Varsovie.  Il 
était  fâcheux,  dit  Gortchakoff  à  Montebello,  qu'elle  fût  absente 
de  l'entrevue.  Thouvenel  ne  pourrait-il  y  venir  pour  quelques 
jours?  Montebello  objecta  que  ce  serait  un  congrès  sans  l'Angle- 
terre et  que,  d'ailleurs,  la  visite  de  notre  ministre  des  Affaires 
étrangères  aurait  un  air  d'intrusion.  Thouvenel  fut  du  même 
avis  :  «  Je  crois  »,  répondit-il,  «  que,  dans  l'état  des  esprits  en 
Allemagne  et  en  Angleterre,  cette  démarche  ne  serait  bonne  ni 
pour  la  Russie  ni  pour  nous.  Mais  je  suis  heureux  que  le  prince 
Gortchakoff  en  ait  eu  la  pensée  »'2.  Au  reste,  il  était  persuadé 

1.  Montebello,  14  septembre  1860. 

2.  Tbouvenel,  25  septembre  1860. 


28G  FRANÇOIS-CHARLES   ROUX. 

qu'il  ne  saurait  résulter  de  l'entrevue  de  Varsovie  aucun  préju- 
dice pour  les  deux  gouvernements. 

Sincère  ou  non,  cette  confiance  était  politique,  et  l'exprimer 
sans  restriction  était  le  meilleur  parti  que  pût  prendre  la 
France.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  l'annonce  de  l'entrevue, 
devançant  à  Paris  les  déclarations  rassurantes  d'Alexandre  II 
et  de  Gortchakoff,  y  avait  causé  une  certaine  émotion,  et  cette 
émotion  a  pu  ne  pas  être  étrangère  à  une  résolution  qui  vint, 
à  ce  moment  même,  rendre  l'essor  aux  espérances  du  tsar  et  de 
son  ministre. 

Cavour  ayant  signifié  au  gouvernement  pontifical  que,  s'il  ne 
licenciait  pas  les  étrangers  à  son  service,  les  Marches  et  l'Om- 
brie  seraient  occupées,  Napoléon  III  télégraphie  à  Victor-Emma- 
nuel que  la  France  s'y  opposerait.  Des  ordres  sont  donnés 
pour  renforcer  le  corps  d'occupation  français  à  Rome.  Notre 
ministre  à  Turin  est  chargé  de  signifier  à  Cavour  que,  si  l'assu- 
rance ne  lui  est  pas  donnée  que  l'armée  sarde  n'attaquera  pas 
les  troupes  pontificales,  les  relations  diplomatiques  seront  rom- 
pues entre  la  France  et  le  Piémont. 

Depuis  Villafranca,  aucune  nouvelle  n'a  été  accueillie  à 
Pétersbourg  avec  autant  de  joie.  Ce  que  n'ont  pu  obtenir  ni  les 
appels,  ni  les  doléances  de  la  Russie,  voici  qu'une  menace 
imprudente  du  Piémont  au  pape  permet  de  nouveau  de  n'en  pas 
désespérer.  Pour  s'expliquer  leur  satisfaction,  il  faut  se  rappe- 
ler les  alternatives  d'espoir  et  de  découragement  par  lesquelles 
ont  passé  Alexandre  II  et  Gortchakoff.  «  Le  premier  mouvement 
du  cabinet  de  Pétersbourg  »,  expose  Montebello,  «  avait  été  un 
vif  désir  de  nous  voir  profiter  de  la  position  que  notre  corps 
d'occupation  nous  donne  au  centre  de  l'Italie  pour  couper  le 
mouvement  unitaire.  Il  faut  convenir  que  ce  grand  parti  aurait 
présenté  des  avantages  incontestables  »{.  Ce  beau  rêve  s'est 
évanoui  sous  le  coup  des  démentis  répétés  de  la  réalité.  Et,  tout 
à  coup,  l'injonction  catégorique  de  Napoléon  III  au  Piémont  et 
sa  menace  de  rupture  diplomatique  viennent  ramener  du 
domaine  des  utopies  dans  celui  des  choses  possibles  l'hypothèse 
de  «  ce  grand  parti  »  et  de  ses  «  avantages  incontestables  »  : 
fermer  à  la  Révolution  la  route  de  la  Vénétie,  écarter  le  danger 
d'une  guerre  européenne,  permettre  au  Piémont  de  se  ressaisir 

1.  Montebello,  14  septembre  1860. 


LA   RUSSIE   ET   LA   POLITIQUE    ITALIENNE   DE   NAPOLÉON    III.  287 

et  de  se  reformer  dans  les  limites  des  annexions  accomplies, 
consolider  le  royaume  de  Naples.  On  se  reprit  à  espérer  à  Saint- 
Pétersbourg  que,  «  si  telle  n'avait  pas  été  d'abord  notre  poli- 
tique, la  force  des  choses  et  les  fautes  du  Piémont  nous  y  amè- 
neraient ». 

Gortchakoff  jugea  prudent  de  ne  pas  s'en  remettre  exclusive- 
ment à  ces  deux  influences  et  entreprit  immédiatement  de  les 
seconder.  Les  dispositions  actuelles  de  la  France  permettaient 
d'escompter  son  assentiment  à  un  accord  préalable  sur  les  déve- 
loppements ultérieurs  de  la  Révolution  italienne.  Une  attaque 
contre  la  Vénétie  en  était  généralement  considérée  comme  le 
terme  fatal.  L'Autriche  ne  se  laisserait  pas  dépouiller  sans  résis- 
tance. Le  Piémont  ne  laisserait  pas  écraser  la  Révolution  sans 
lui  porter  secours.  La  guerre  en  viendrait  donc  infailliblement  à 
se  rallumer.  Il  y  avait  bien  peu  de  chances  pour  qu'elle  restai 
limitée  à  l'Autriche  et  au  Piémont.  C'est  à  une  conflagration 
européenne  qu'il  fallait  s'attendre  si  on  ne  prenait  des  mesures 
immédiates  pour  y  parer.  «  Le  prince  Gortchakoff  pense  », 
écrivait  Montebello,  «  qu'il  serait  sage  de  chercher  dès  à  pré- 
sent à  conjurer  ce  danger,  en  tombant  d'accord  sur  la  limite 
dans  laquelle  se  renfermeraient  les  puissances  les  plus  directe- 
ment engagées  dans  la  question  »'. 

Ses  ambitions  ne  se  bornaient  pas  à  écarter  les  menaces  de 
l'avenir  ;  elles  tendaient  encore  à  soumettre  le  passé  à  une  revi- 
sion et  à  un  contrôle.  Ce  soin  devait,  selon  lui,  revenir  à  un 
congrès,  auquel  l'attitude  récente  de  la  France  semble  lui  avoir 
rendu  l'espoir  de  l'amener.  La  crainte  d'un  refus  l'a  empêché  de 
formuler  sa  pensée  en  termes  exprès  :  mais  il  l'a  clairement 
donnée  à  entendre.  En  prévision  de  l'entrevue  de  Varsovie,  il 
définissait  ainsi  son  programme  à  Montebello  :  «  Maintien  et 
exécution  du  traité  de  Zurich,  sauf  les  modifications  que 
pourra  y  apporter  un  congrès  européen;  neutralité  de  la 
France,  point  de  retour  de  la  Lombardie  à  l'Autriche;  maintien 
et  reconnaisance  du  traité  de  Turin.  »  Ainsi  n'avaient  un  carac- 
tère définitif  et  obligatoire  à  ses  veux  que  les  remaniements  ter- 
ritoriaux stipulés  par  des  traités.  Il  ne  se  refusait  pas  à  priori  à 
en  envisager  de  nouveaux,  mais  à  condition  qu'il  appartînt  à 
un  congrès  de  les  déterminer.  Jusque-là,  tout  ce  qui  avait  été 

1.  Montebello,  14  septembre  18G0. 


288  FRANÇOIS-CHARLES   ROUX. 

accompli  en  Italie  au  delà  du  traité  de  Zurich  n'avait  que  la 
valeur  d'un  état  de  fait,  révocable  à  tout  moment. 

Alexandre  II  n'étendait  pas  ses  regards  aussi  loin  et  s'en 
tenait  au  présent.  Aussi  ses  sollicitations  n'en  étaient-elles  que 
plus  difficiles  à  éluder.  Dès  qu'il  avait  connu  l'injonction  de 
Napoléon  III  au  Piémont,  il  avait  fait  mander  Montebello.  Notre 
ambassadeur  eut  la  bonne  fortune  de  pouvoir  lui  apprendre  que 
notre  rupture  diplomatique  avec  le  Piémont  était  un  fait  accom- 
pli. Le  tsar  s'en  montra  très  satisfait  et  lui  déclara  : 

Je  suis  certainement  le  souverain  le  moins  directement  intéressé 
dans  les  affaires  d'Italie.  Que  l'Italie  soit  unitaire  ou  fédérative,  peu 
m'importe.  Mais,  ce  qui  m'importe  beaucoup,  c'est  la  manière  dont  les 
événements  s'y  accomplissent.  Ce  sont  les  principes  anarchiques  que 
l'on  y  proclame  hautement  et  qui,  croyez-moi,  ne  s'arrêteront  pas  à 
la  barrière  des  Alpes.  Il  me  semble  que  la  France  ne  peut  voir  tout 
cela  d'un  œil  indifférent.  J'espère  donc  que  vous  persévérerez  dans  la 
voie  où  vous  êtes  entrés.  Vous  avez  déclaré  au  roi  de  Sardaigne  que 
s'il  entrait  dans  les  Marches  ou  dans  l'Ombrie  vous  vous  y  opposeriez. 
J'attends  avec  impatience  les  conséquences  de  cette  déclaration.  Votre 
position  en  Europe  dépend  beaucoup  de  ce  que  vous  allez  faire1. 

La  France  parut  d'abord  disposée  à  passer  de  la  menace  aux 
actes.  A  l'invasion  des  États  pontificaux  par  les  troupes  sardes, 
elle  répondit  par  le  renforcement  du  corps  d'occupation  de 
Rome,  que  l'adjonction  d'une  division  porta  à  l'effectif  de 
15,000  hommes.  On  n'en  fut  que  plus  désappointé  à  Pétersbourg 
lorsqu'on  dut  constater  qu'elle  n'était  pas  disposée  à  aller  au 
delà  de  l'intimidation.  Les  illusions  n'opposèrent  pas,  cette  fois, 
une  longue  résistance  aux  faits.  Dès  la  fin  de  septembre,  on  en 
était  venu  à  considérer  la  rupture  entre  Paris  et  Turin  comme 
«  peu  sérieuse  ».  Cette  nouvelle  déception  fut  suivie  d'une  recru- 
descence d'inquiétude.  Montebello  ne  put  se  défendre  d'expri- 
mer l'appréhension  que  lui  causait  ce  sentiment  croissant  d'in- 
sécurité :  «  En  présence  des  défiances  et  des  craintes  qu'inspire 
la  politique  de  la  France  »,  écrit-il,  «  les  souverains  cherchent 
à  se  rapprocher.  Il  nous  serait  bien  facile  de  faire  avorter  ce  tra- 
vail. Mais,  au  train  où  vont  les  choses  en  Italie,  le  sentiment 
d'un  danger  commun  finira  parles  unir  en  dépit  de  tout  »2. 


1.  Audience  du  15  septembre  1860. 

2.  Montebello,  28  septembre  1860. 


LA    lil'SSIE    ET    LA    POLITIQUE    ITALIEN>E    1)E   NAPOLÉON    III.         289 

L'approche  de  l'entrevue  de  Varsovie  avait  mis  la  France 
sur  ses  gardes.  Thouvenel  jugeait  ces  alternatives  d'espoir  et  de 
déception  plus  propres  à  éloigner  de  nous  la  Russie  qu'une  cer- 
titude positive  de  ce  qu'elle  pouvait  attendre  de  nous.  Au  silence 
équivoque  et  aux  réticences  du  gouvernement  impérial,  il  décida 
Napoléon  III  à  substituer  une  franche  et  catégorique  explica- 
tion. Le  cadre  en  était  tout  tracé  d'avance  par  les  ouvertures 
de  Gortchakoff  à  Montebello.  Thouvenel  se  l'appropria  et  consi- 
gna les  vues  du  gouvernement  français  dans  un  mémorandum 
que  Napoléon  III  paraphrasa  dans  une  lettre  autographe  à 
Alexandre  IL  Lettre  et  mémorandum  furent  adressés  à  Monte- 
bello, avec  ordre  de  communiquer  l'un  au  chancelier  et  de 
remettre  l'autre  au  tsar.  De  la  sorte,  la  Russie  saurait  à  quelles 
conditions  la  France  pourrait  adhérer  à  une  entente  entre  les 
puissances  dont  les  souverains  allaient  se  rencontrera  Varsovie. 

Tout  le  mémorandum  reposait  sur  l'hypothèse  d'une  attaque 
dirigée  par  le  Piémont  contre  l'Autriche  en  Vénétie.  Dans  ce 
cas,  la  France  s'engageait  à  ne  donner  aucun  appui  au  Piémont, 
pourvu  que,  de  leur  côté,  les  puissances  allemandes  restassent 
neutres.  L'état  de  choses  existant  avant  Villafranca  et  Zurich  ne 
saurait  être  rétabli  :  la  cession  de  la  Lombardie  au  Piémont  ne 
pouvait  donc  être  remise  en  cause.  L'Italie  serait  constituée  en 
système  fédératif  et  national  et  toutes  les  questions  relatives  à 
sa  constitution  politique  et  territoriale  seraient  discutées  en  con- 
grès européen,  «  sous  le  double  aspect  des  droits  des  souverains 
actuellement  dépossédés  et  des  concessions  nécessaires  pour 
assurer  la  stabilité  du  nouvel  ordre  de  choses  ».  Lors  même  que 
le  Piémont  viendrait  à  perdre  les  acquisitions  qu'il  avait  faites 
depuis  Villafranca,  la  cession  à  la  France  de  la  Savoie  et  de 
Nice  ne  serait  pas  remise  en  question. 

De  ce  que  disait  le  mémorandum,  il  était  facile  de  déduire  ce 
qu'il  sous-entendait.  La  France  s'engageait  à  la  neutralité,  dans 
le  cas  où  l'Autriche  serait  attaquée  en  Vénétie.  Mais  si 
c'était  l'Autriche  qui,  prenant  les  devants,  attaquait  le  Pié- 
mont? Alors,  la  France  ne  s'engageait  plus  à  rien,  et,  de  son 
silence,  on  devait  conclure  qu'elle  se  réservait  d'intervenir. 

Le  Piémont  prenant  l'offensive,  la  France  ne  s'engageait  qu'à 

la  neutralité.  Mais  si  le  Piémont  n'attaquait  pas  l'Autriche, 

quelle  attitude  observerait  la  France?  Le  mémorandum  était 

muet  sur  ce  point.  Mais  le  bon  sens  permettait  de  se  passer  de 

Rev.  IIistor.  CV.  2e  fasc.  19 


290  FRANÇOIS-CHARLES   ROUX. 

sa  réponse.  A  plus  forte  raison,  la  France  ne  recourrait-elle  pas, 
en  l'absence  d'une  agression  du  Piémont  contre  l'Autriche,  à 
des  mesures  de  coercition  qu'elle  ne  voulait  pas  prévoir,  même 
dans  ce  cas.  Le  caractère  négatif,  en  même  temps  que  condi- 
tionnel, de  son  engagement  excluait  donc  implicitement  l'hypo- 
thèse d'une  intervention  matérielle  de  sa  part  dans  les  condi- 
tions présentes. 

Le  Piémont  ayant  assumé  la  responsabilité  d'une  guerre  avec 
l'Autriche,  la  France  ne  refusait  pas  son  adhésion  à  un  congrès 
chargé  de  reconstituer  l'Italie,  en  respectant  les  stipulations  de 
Villafranca  et  de  Zurich.  Mais  si  la  guerre  n'éclatait  pas,  ou  si 
elle  éclatait  sur  l'initiative  de  l'Autriche,  quel  accueil  ferait  la 
France  à  une  proposition  de  congrès?  Elle  s'abstenait  de  le  dire  ; 
mais  le  mémorandum  prenant  pour  point  de  départ  l'hypothèse 
d'une  attaque  du  Piémont  contre  l'Autriche,  il  allait  de  soi  que, 
dans  toute  autre  hypothèse,  la  France  entendait  réserver  sa 
décision. 

Il  y  avait  loin  de  ce  programme  à  l'intervention  pure  et  simple 
qu'Alexandre  II  et  Gortchakoff  avaient  espérée  de  la  France. 
Tout  ce  qu'on  pouvait  attendre  d'eux  c'était  qu'ils  fissent  bonne 
mine  à  mauvais  jeu.  Aussi  Napoléon  III  et  Thouvenel  avaient- 
ils  pris  soin  d'introduire  dans  ce  jeu  une  carte  qui  devait  en 
transformer  singulièrement  la  valeur  aux  yeux  du  tsar  et  de  son 
ministre. 

Dans  une  seconde  partie,  le  mémorandum  français  traitait 
des  affaires  d'Orient  et  prévoyait  toute  une  gradation  de  mesures 
à  arrêter  de  concert,  selon  la  gravité  des  hypothèses  qui  pou- 
vaient se  produire  dans  l'empire  ottoman. 

Parallèlement  à  la  révolution  italienne  s'est  développée  en 
Orient  une  crise  qui  a  nécessité  de  constants  échanges  de  vues 
entre  les  cabinets  d'Europe.  La  question  des  principautés  n'était 
pas  encore  réglée  qu'avait  surgi  déjà  celle  du  Monténégro.  La 
Russie,  soutenue  par  la  France,  s'évertue  encore  à  défendre 
contre  la  Porte  l'indépendance  de  ce  petit  pays,  que  des  troubles 
très  graves  éclatent  en  Bosnie  et  en  Herzégovine.  La  répression 
de  ces  troubles  sert  de  prétexte  aux  Turcs  à  prétendre  s'empa- 
rer de  Grahovo,  occupé  par  les  Monténégrins,  et  voilà  la  ques- 
tion de  suzeraineté  compliquée  d'une  contestation  de  frontières 
et  d'une  menace  de  conflit  armé.  L'incident  aplani  par  la  diplo- 
matie européenne,  la  Roumélie  s'agite  et  l'Albanie  remue.  L'Eu- 
rope s'émeut,  formule  des  plaintes,  élève  des  revendications, 


LA    RUSSIE    ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE    DE   NAPOLEON    III.  291 

auxquelles  le  sultan  s'empresse  de  couper  court  en  chargeant  le 
grand  vizir  d'une  enquête  dans  les  provinces  troublées.  Mais 
cette  solution  bâtarde  ne  procure  aux  puissances  qu'un  répit 
très  limité.  Après  la  Turquie  d'Europe,  l'Asie  est  le  théâtre 
d'événements  sanglants,  et  ce  sont  les  massacres  de  Damas  et 
de  Beyrouth,  l'expédition  de  Syrie,  l'occupation  du  Liban. 

Chacune  des  phases  de  cette  crise  est,  de  la  part  du  gouver- 
nement russe,  l'objet  d'une  extrême  attention;  il  cherche  à 
tirer  parti  de  chacune  pour  élargir  le  débat  et  introduire,  à  la 
suite  d'un  incident  particulier,  la  question  d'Orient  proprement 
dite.  Dès  avril  1858,  pendant  la  réunion  à  Paris  de  la  confé- 
rence chargée  de  statuer  sur  l'affaire  des  principautés,  Gortcha- 
koff  suggère  à  la  France  de  saisir  les  plénipotentiaires  de  la 
question  des  chrétiens  de  Turquie.  Peu  de  temps  après,  il 
cherche  à  profiter,  en  vue  du  même  but,  des  négociations  pro- 
voquées par  le  conflit  turco- monténégrin  et  des  désordres 
survenus  en  Bosnie.  Ses  ouvertures  sont  froidement  accueillies 
par  Walewski,  qui  décline  poliment  la  proposition.  Gortcha- 
koff  la  renouvelle  au  printemps  de  1860  et,  cette  fois,  Thouve- 
nel  l'accueille  mieux  que  Walewski  :  elle  n'échoue  que  devant 
le  mauvais  vouloir  des  autres  puissances,  notamment  de 
l'Angleterre,  auprès  de  qui  la  France  l'a  appuyée.  Dans  l'été  de 
la  même  année,  Gortchakoff  propose  encore  d'en  faire  l'objet 
d'un  article  secret  inséré  dans  l'accord  relatif  à  l'expédition  de 
Syrie,  et  cette  inopportune  suggestion  réunit  tout  le  monde 
contre  lui. 

Ces  initiatives  répétées  ne  peuvent  laisser  au  gouvernement 
français  aucun  doute  sur  le  désir  qu'éprouve  la  Russie  de 
prendre  en  Orient  une  revanche  partielle  des  graves  déconve- 
nues infligées  à  sa  politique.  Ce  désir  est,  d'ailleurs,  si  naturel, 
si  logique,  qu'il  a  été  deviné  par  l'Autriche.  Montebello  a 
signalé  à  Thouvenel  l'affectation  de  complaisance  de  cette  puis- 
sance envers  la  Russie,  dans  la  question  des  chrétiens  de  Tur- 
quie. Des  assurances  de  bonne  volonté  et  de  concours  ont  été 
transmises  par  Thun  et  par  Revertera1  à  Gortchakoff,  qui  a 
répondu  que  l'attitude  de  la  cour  de  Vienne  dans  cette  affaire 
serait  considérée  à  Pétersbourg  comme  la  pierre  de  touche  de 
ses  nouvelles  dispositions. 

Encouragée  par  cet  accueil,  l'Autriche  pousse  bientôt  plus 

1.  Chargé  d'affaires  d'Autriche  à  Pétersbourg. 


292  I  IUNÇOIS-CIIARLES    ROUX. 

loin  l'insinuation  ;  «  elle  cherche  »,  écrit  un  peu  plus  tard 
Montebello,  «  à  prendre  la  Russie  par  son  faible,  en  se  montrant 
très  disposée  à  attacher  le  grelot  pour  l'abrogation  des  clauses 
du  traité  de  Paris  qu'elle  qualifie  d'exorbitantes,  seule  chose  à 
laquelle  le  prince  Gortchakoff  déclare  assez  dédaigneusement 
qu'elle  est  propre  »l.  Ces  dispositions  de  l'Autriche  prennent 
assez  de  corps  pour  motiver  une  demande  d'explications  de 
l'Angleterre  à  Vienne  ;  Rechberg  2  ne  les  nie  pas  et  lord  John 
Russel  reçoit  cet  aveu  avec  une  pénible  surprise. 

En  attirant  son  attention  sur  le  rapprochement  ébauché  entre 
Vienne  et  Pétersbourg,  la  prochaine  entrevue  de  Varsovie  ins- 
pire à  Thouvenel  le  désir  de  garantir  la  Russie  contre  la  tenta- 
tion de  céder  aux  avances  de  l'Autriche.  S'il  ne  dépend  pas  de 
lui  de  le  faire  au  moyen  de  concessions  sérieuses  en  Italie,  du 
moins  peut-il  enlever  à  l'Autriche  le  monopole  des  complai- 
sances pour  la  politique  russe  en  Orient.  Il  sait  qu'une  entente 
sur  ces  questions  avec  la  France  sourit  bien  plus  à  la  Russie 
qu'une  entente  avec  la  cour  de  Vienne  et  qu'un  mot  de  lui 
suffira  à  rendre  Gortchakoff  sourd  à  toutes  les  insinuations  de 
Rechberg.  Telles  sont  les  raisons  pour  lesquelles  il  se  décide  à 
prendre  l'initiative  de  propositions  visant  l'Orient. 

La  partie  de  son  mémorandum  traitant  de  ce  sujet  prévoit, 
comme  la  première,  diverses  hypothèses. 

Ou  bien  une  catastrophe  pourrait  être  prévenue  par  une 
intervention  européenne,  dont  la  France  admettait  pleinement 
qu'un  accord  préalable  entre  les  grandes  puissances  réglât 
d'ores  et  déjà  les  conditions;  faute  de  quoi  elle  ne  ferait  aucune 
objection  à  ce  que  l'Autriche  et  la  Russie  prissent  les  mesures 
qu'elles  jugeraient  nécessaires  pour  protéger  les  populations 
chrétiennes  de  Bosnie,  d'Herzégovine  et  de  Bulgarie.  Ou  bien 
l'action  collective  des  puissances  ne  réussirait  pas  à  conjurer 
une  catastrophe;  et  alors,  la  France  consentirait  volontiers  à 
rechercher  avec  la  Russie,  puis  à  faire  accepter  par  les  autres 
gouvernements,  les  bases  d'une  organisation  nouvelle  de  la  Tur- 
quie d'Europe  qui  exclurait  formellement  toute  acquisition  ter- 
ritoriale au  profit  d'un  des  États  signataires  du  traité  de  Paris. 
Ou  bien  enfin,  la  dissolution  de  l'empire  ottoman  entraînerait, 
contrairement  aux  vues  et  aux  efforts  des  deux  gouvernements, 


1.  Montebello,  16  octobre  1860. 

2.  Premier  ministre  autricbien. 


LA   RUSSIE    ET    LA    POLITIQUE   ITALIENNE    DE   NAPOLÉON    III.  293 

l'annexion  de  quelqu'une  de  ses  dépouilles  à  une  ou  plusieurs 
des  puissances  signataires  du  traité  de  1856  :  la  France  et  la 
Russie  s'entendraient  alors  pour  empêcher  que  l'équilibre  actuel 
des  forces  entre  les  grands  États  de  l'Europe  fût  altéré. 

Sans  doute  est-ce  à  cette  seconde  partie  du  mémorandum  que 
la  première  doit  d'avoir  été  aussi  bien  accueillie  à  Pétersbourg. 
A  îa  communication  du  mémorandum,  Alexandre  II  répondit  en 
faisant  dire  à  Montebello  qu'il  avait  été  très  sensible  à  cette 
marque  de  confiance  de  Napoléon  III,  donnait  son  entière  adhé- 
sion aux  principes  posés  par  le  gouvernement  français  et  s'em- 
ploierait volontiers  à  faire  prévaloir,  à  Varsovie,  ceux  qui 
concernaient  l'Italie;  car,  pour  les  autres,  il  préférait  qu'ils 
restassent  secrets  entre  la  France  et  lui.  Il  renouvela  de  vive 
voix  ces  mêmes  assurances,  en  recevant  des  mains  de  Monte- 
bello la  lettre  autographe  de  Napoléon  III,  envers  qui  il  s'est 
appliqué  à  ne  pas  demeurer  en  reste  de  cordialité  et  de  confiance. 
Il  s'est  plu  à  évoquer  le  souvenir  de  l'entrevue  de  Stuttgart, 
comme  pour  atténuer  et  démentir  d'avance  les  préventions  de 
la  France  contre  l'entrevue  de  Varsovie.  Il  semble  réellement 
s'être  excusé  presque  de  l'avoir  acceptée,  tant  il  a  mis  de  soin  à 
en  expliquer  minutieusement  les  circonstances  initiales.  Non 
seulement  enfin  il  a  promis  qu'il  n'y  serait  rien  dit  dont  la  France 
pût  prendre  ombrage,  mais  il  a  exprimé  le  désir  de  pouvoir  y 
être  utile  à  Napoléon  III,  en  faisant  partager  à  d'autres  la  con- 
fiance que  lui-même  éprouvait  pour  l'empereur  : 

Puisque  l'entrevue  de  Varsovie,  que  je  n'ai  pas  cherchée,  je  vous  le 
répète,  doit  avoir  lieu,  je  pense,  a-t-il  dit,  qu'on  peut  en  tirer  hon 
parti.  Depuis  quelque  temps,  il  s'est  élevé  en  Europe  des  défiances 
qui  pourraient  devenir  dangereuses  si  on  leur  laissait  prendre  plus  de 
corps.  Je  voudrais  contribuer  à  les  dissiper1. 

Arrivant  ensuite  à  l'examen  des  bases  mêmes  du  mémorandum, 
Alexandre  II  s'est  exprimé  ainsi  : 

Je  demande  à  l'empereur  Napoléon  de  me  faire  savoir  directement, 
de  lui  à  moi,  si  les  bases  d'entente  confidentielles  que  vous  avez  été 
autorisé  à  communiquer  au  prince  Gortchakofî  sont  bien  l'expression 
exacte  de  sa  pensée  et  s'il  se  les  approprie.  J'y  adhère  quant  à  moi 
complètement  et  je  suis  prêt  à  vous  donner  mon  concours  pour  les 
faire  prévaloir.  Mais  cette  assurance  m'est  nécessaire  pour  que  je 

1.  Audience  du  11)  octobre  1860. 


294  FRANÇOIS-CHARLES    ROUX. 

finisse  en  faire  à  Varsovie  l'usage  que  je  désire.  Je  ne  parle  que  de  ce 
qui  a  rapport  à  l'Italie. 

Etre  assuré  que  le  mémorandum  traduit  bien  fidèlement  la 
pensée  même  de  Napoléon  III,  voilà  la  seule  réserve  que  formule 
Alexandre  II  avant  de  faire  siennes  des  suggestions  aussi  dis- 
tantes de  la  solution  qu'il  avait  jusqu'alors  poursuivie  en  Italie. 
Quant  à  Gortchakoff,  c'est  sans  même  exprimer  une  réserve, 
sans  faire  l'ombre  d'une  observation  qu'il  donne  son  assentiment. 
Devant  une  adhésion  aussi  immédiate,  aussi  complète,  on  est 
conduit  à  se  demander  s'ils  n'avaient  pas  simulé  des  illusions, 
des  espérances  qu'ils  n'avaient  pas,  pour  amener  la  France  à 
leur  offrir,  sur  un  autre  terrain,  une  compensation  à  la  décep- 
tion qu'elle  s'imaginerait  leur  infliger  en  Italie.  L'hypothèse 
n'est  pas  inadmissible.  Toutefois,  pour  qu'elle  fût  vraie,  il  fau- 
drait d'abord  qu'Alexandre  II  et  Gortchakoff  eussent  lu,  depuis 
le  début  de  la  partie,  dans  le  jeu  de  Napoléon  III  ;  ensuite, 
qu'ils  eussent  joué  leur  rôle  avec  une  persévérance,  un  art,  un 
accent  de  conviction  et  de  sincérité  capable  de  tromper,  non 
seulement  à  distance  Walewski,  Thouvenel  et  Napoléon  III, 
mais  surplace  un  observateur  aussi  sagaceque  Montebello  ;  enfin, 
qu'ils  eussent  été  beaucoup  moins  accessibles  qu'ils  n'en  ont  eu 
l'air  à  la  crainte  de  la  révolution  et  du  droit  des  peuples  puisque, 
de  prime  abord  et  de  propos  délibéré,  ils  auraient  pris  leur  parti 
du  sacrifice  de  leurs  principes  et  ne  les  auraient  défendus  que 
pour  s'en  faire  payer  l'abandon. 

C'est  faire,  à  notre  avis,  la  part  bien  large  à  l'hypothèse,  dans 
le  seul  intérêt  de  ramener  à  un  principe  unique  la  politique 
d'Alexandre  II  et  de  Gortchakoff.  Or,  il  ne  nous  semble  pas  que 
leur  politique  puisse  être  subordonnée  à  une  préoccupation 
exclusive  de  toute  autre,  et  c'est  précisément  cette  opinion,  fon- 
dée sur  les  textes  et  sur  les  faits,  qui  nous  met  en  garde  contre 
la  tentation  d'admettre  les  hypothèses  précédentes.  La  poli- 
tique d'Alexandre  II  et  de  Gortchakoff  a  été  moins  que  toute 
autre  soumise  à  une  influence  unique,  et  il  serait  aussi  abusif 
de  vouloir  expliquer  leur  attitude  en  présence  de  l'unification 
italienne  par  la  seule  crainte  de  la  Révolution  et  du  droit  des 
peuples  que  par  la  seule  pensée  de  l'Orient.  C'est  dans  une 
combinaison  de  ces  deux  préoccupations  qu'il  faut  chercher 
l'explication  de  leurs  fluctuations,  de  leurs  contradictions  et  là, 
comme  en  beaucoup  d'autres  circonstances,  ils   ont  subi  l'in- 


LA    RUSSIE    ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE    DE   NAPOLÉON    III.  295 

fluence  d'intérêts  multiples,  dont  leur  attitude  a  été  en  quelque 
sorte  la  résultante. 

Tout  ce  qu'on  peut  conclure  de  l'accueil  fait  par  eux  au  mémo- 
randum de  Thouvenel,  c'est  que  la  perspective  d'une  entente 
avec  la  France  sur  les  affaires  d'Orient  compense,  à  leurs  yeux, 
le  démenti  infligé  à  leurs  principes  en  Italie  et  les  détermine  à  se 
contenter,  sur  ce  terrain,  d'une  satisfaction  partielle  et  limitée. 

Edifié  à  cet  égard,  Thouvenel  n'hésite  pas  à  compléter  l'œuvre 
commencée  par  le  mémorandum  et  la  lettre  autographe  de  Napo- 
léon III,  à  rompre  définitivement  avec  la  tactique  du  silence 
énigmatique  et  des  réticences  et  à  faire  pour  ainsi  dire  sa  confes- 
sion. Une  action  matérielle  immédiate  en  Italie  est  impossible, 
fait-il  dire  à  Pétersbourg.  D'abord,  le  résultat  même  en  serait 
éphémère.  Et  puis,  qui  s'en  chargerait?  L'Autriche  est  trop 
occupée  chez  elle.  La  Prusse  et  la  Russie  sont  mises  hors  de 
cause  par  leur  situation  géographique.  L'Angleterre  ne  s'en  sou- 
cierait pas.  Reste  donc  la  France.  Elle  ne  le  fera  pas  : 

La  France  ne  pourrait  recommencer  sous  Napoléon  III  en  Italie  ce 
qu'elle  a  entrepris  en  Espagne  sous  Louis  XVIII...  La  France  impé- 
riale n'est  pas  révolutionnaire.  La  haine  qu'elle  excite  dans  un  cer- 
tain camp  démontre  assez  qu'on  l'y  regarde  comme  l'ennemie  la  plus 
redoutable  et  la  plus  décidée  de  la  démagogie.  Mais  il  n'est  ni  dans 
sa  nature,  ni  dans  sa  puissance  d'empêcher  les  chutes  ou  les  transfor- 
mations que  le  temps  et  les  fautes  des  hommes  ont  préparées.  La  mal- 
veillance et  la  calomnie  peuvent  seules  prétendre  que  l'empereur  n'ait 
pas  vu  sans  un  profond  regret  se  dérouler  les  événements  dans  les 
États  romains  et  le  royaume  de  Naples...  Nous  n'approuvons  pas  ce 
qui  se  passe  en  Italie,  notre  conscience  désavoue  les  moyens  employés 
et  notre  raison,  d'un  autre  côté,  ne  nous  permet  pas  de  nous  y  faire  le 
champion  des  régimes  détruits.  Que  sortira-t-il  de  ce  volcan  en 
éruption  ?  Nul  ne  le  sait  et  il  serait  téméraire  de  se  tracer  d'avance  une 
conduite  arrêtée.  Consacrer  tous  ses  efforts  à  prévenir  une  guerre 
générale  et  désastreuse  pour  la  civilisation;  tâcher,  si  j'ose  ainsi  par- 
ler, que  les  puissances  bien  portantes  de  l'Europe,  grâce  à  une  entente 
intelligente  et  loyale,  ne  se  laissent  ni  gagner  par  les  terreurs  des 
puissances  malades,  ni  dominer  par  leurs  nécessités;  préparer  par 
cette  entente  une  solution  à  de  redoutables  problèmes  :  voilà,  à  mon 
avis,  le  but  que  doivent  se  proposer  les  cabinets  et  l'œuvre  à  laquelle 
nous  sommes  prêts  à  concourir1. 

C'est  bien  la  fin  de  l'équivoque  par  laquelle  le  gouvernement 
impérial  se  dérobait  depuis  deux  ans  à  l'alternative  qui  se  posait 

1.  Thouvenel,  17  octobre  1860. 


296  FRANÇOIS-CHARLES   ROUX. 

devant  lui.  Napoléon  III  lui-même  a  compris  l'impossibilité  de 
se  soustraire  plus  longtemps  à  cette  alternative  et  a  opté  pour  le 
môme  parti  que  son  ministre  :  la  franchise.  Ayant  mandé  Kisse- 
lef,  il  lui  déclare  qu'il  approuve  pleinement  les  bases  posées 
dans  le  mémorandum  ;  que  la  seule  hypothèse  dans  laquelle  ait 
raisonné  Thouvenel  est  celle  d'une  attaque  du  Piémont  contre 
la  Vénétie  ;  que  son  but  a  été  de  faire  connaître  à  la  Russie  les 
conditions  auxquelles,  dans  cette  hypothèse,  il  serait  possible  à 
la  France  :  1°  de  rester  neutre  ;  2°  de  travailler,  dans  un  congrès, 
au  rétablissement  d'un  ordre  normal  et  stable  en  Italie. 

La  franchise  de  Napoléon  III  et  de  Thouvenel  ne  provoque 
aucune  déception  à  Pétersbourg,  où  leurs  explications  ne  dis- 
sipent nullement  la  satisfaction  produite  parle  mémorandum,  et 
c'est  sous  l'impression  de  cette  satisfaction  qu'Alexandre  II  et 
Gortchakoff  se  mettent,  quelques  jours  après,  en  route  pour 
Varsovie. 

Leur  attitude,  au  cours  de  l'entrevue,  ne  laisse  aucun  doute 
sur  la  sincérité  de  leur  adhésion  aux  vues  de  la  France  et  de 
leur  renonciation  à  poursuivre  en  Italie  une  satisfaction  moins 
limitée  que  celle  à  laquelle  Napoléon  III  s'est  montré  disposé. 

L'Autriche  est  en  effet  venue  à  Varsovie  avec  l'intention  bien 
arrêtée  de  chercher  à  gagner  la  Russie  par  l'intérêt  et  par  la 
crainte  :  par  l'intérêt,  en  se  montrant  favorable  à  l'abrogation 
des  clauses  blessantes  du  traité  de  Paris  ;  par  la  crainte,  en  agi- 
tant aux  yeux  des  hommes  d'état  russes  le  spectre  de  la  révolu- 
tion. La  Russie  a  écarté  la  première  question,  en  déclarant 
qu'elle  ne  voulait  entraver  par  aucune  considération  person- 
nelle l'œuvre  de  conciliation  qu'elle  avait  entreprise.  Sur  la 
seconde,  elle  a  accepté  la  discussion  et  laissé  Rechberg  déve- 
lopper ses  arguments  sur  la  Vénétie,  la  Hongrie,  la  Pologne,  le 
Rhin  même  et  dévider  l'écheveau  de  ses  griefs  contre  la  France. 
A  toutes  ces  sollicitations,  Gortchakoff  a  opposé  la  même 
réponse  :  «  C'est  une  coalition  que  vous  nous  proposez  et  nous 
n'en  voulons  pas,  même  sous  la  forme  éventuelle  sous  laquelle 
vous  la  présentez.  »  Et,  retournant  contre  l'Autriche  l'argument 
sur  lequel  elle  avait  compté  le  plus  pour  détacher  la  Russie  de 
la  France,  il  a  continué  :  «  Une  coalition  irait  d'ailleurs  contre 
votre  but  ;  elle  jetterait  l'empereur  des  Français  dans  les  bras  de 
la  révolution.  L'Europe  est  malade,  nous  le  voyons  comme 
vous  ;  mais  nous  croyons  que  votre  remède  hâterait  la  crise  que 


LA   RUSSIE   ET   LA    POLITIQUE    ITALIENNE    DE   NAPOLEON    III.  297 

vous  redoutez.  Nous  avons  la  profonde  conviction  que  l'empe- 
reur des  Français  est  la  seule  individualité  avec  laquelle  on 
puisse  espérer  la  sortir  du  chaos  où  elle  menace  de  tomber  »  ' . 

L'effet  de  ce  langage  sur  Rechberg  et  François-Joseph  a  été 
profond.  Ils  y  ont  vu  le  démenti  le  plus  formel  aux  espérances 
que  leur  avaient  fait  concevoir  l'amélioration  survenue  dans  les 
dispositions  d'Alexandre  II,  la  facilité  même  avec  laquelle  il 
avait  accepté  l'entrevue.  Ils  en  ont  éprouvé  un  vif  désappointe- 
ment. «  Nous  avons  ôté  à  l'Autriche  »,  disait  Gortchakoff  à 
Montebello,  «  tout  espoir  d'un  concours  matériel  de  notre  part, 
et  l'empereur  a  déclaré  qu'il  ne  prendrait  jamais  les  armes  que 
pour  les  intérêts  de  son  Empire,  dont  il  voulait  être  le  juge.  En 
un  mot,  nous  avons  convaincu  l'Autriche  qu'elle  devait  déses- 
pérer d'entraîner  la  Russie  dans  une  coalition,  et  c'est  là  le 
grand  résultat  de  l'entrevue  de  Varsovie.  Je  n'espère  pas  que 
nous  ayons  beaucoup  modifié  au  fond  les  dispositions  de  cette 
puissance,  mais  elle  a  emporté  une  cruelle  déception  »2.  Et 
Montebello  définissait  lui-même  ainsi  le  résultat  moral  de  l'en- 
trevue :  «  Désormais,  on  saura  qu'il  faut  renoncer  à  entraîner  la 
Russie  dans  une  coalition  contre  la  France.  » 

On  pouvait  en  effet  le  savoir  d'autant  mieux  qu'une  entente 
était  apparue,  entre  la  France  et  la  Russie,  sur  la  question  qui 
paraissait  la  plus  susceptible  de  les  diviser.  Aussitôt  après  les 
explications  préliminaires,  Alexandre  II,  non  sans  réclamer  le 
secret  absolu,  avait  produit  les  idées  contenues  dans  le  mémo- 
randum de  Thouvenel.  L'accueil  fait  par  Rechberg  et  Hohen- 
zollern3  à  cette  communication  fut  froid.  Mieux  vaudrait, 
observa  Rechberg,  s'entendre  sur  les  moyens  de  prévenir  une 
agression  du  Piémont  contre  la  Vénétie  que  de  s'en  tenir  à 
raisonner  sur  cette  hypothèse;  les  vues  de  Napoléon  III  pour- 
raient servir  de  bases  aux  délibérations  d'un  congrès,  sans 
attendre  l'éventualité  prévue;  en  tout  état  de  cause,  au  cas  où 
l'Autriche  attaquée  serait  victorieuse ,  elle  ne  pouvait  prendre 
d'avance  aucun  engagement  relativement  à  la  Lombardie.  Quelle 
était,  demanda  Hohenzollern ,  la  portée  du  mot  abstention  appli- 
qué à  l'Allemagne?  Ce  mot  ne  devait  pas,  à  son  avis,  s'entendre 
de  mouvement  de  troupes  à  l'intérieur  du  territoire  fédéral.  En 
tout  cas,  l'abstention  de  l'Allemagne  cesserait  si  le  territoire 

1.  Montebello,  3  novembre  1860. 

2.  Id.,  ibid. 

3.  Premier  ministre  prussien. 


298  FRAiyçois-cnAiiLES  roux. 

fédéral  était  attaqué.  Les  réponses  de  Gortchakoff  furent  parfai- 
tement conformes  à  l'esprit  du  document  français.  L'Autriche, 
répliqua-t-il,  était  prévenue  des  conditions  auxquelles  la  France 
s'abstiendrait  de  soutenir  le  Piémont  et  il  avait  trop  de  confiance 
en  la  sagesse  de  la  cour  de  Vienne  pour  croire  qu'elle  franchi- 
rait les  limites  au  delà  desquelles  elle  trouverait  la  France  en 
face  d'elle.  Quant  à  l'idée  d'un  congrès,  il  la  jugeait  préma- 
turée, tout  en  se  déclarant  prêt  à  en  accueillir  la  proposition, 
si  l'Autriche  en  prenait  l'initiative.  Il  fut  convenu  que  chacun 
des  deux  ministres  d'Autriche  et  de  Prusse  remettrait  à  Gort- 
chakoff une  lettre  précisant  sa  pensée  et  celle  de  son  souverain  : 
Pétersbourg  serait  l'intermédiaire  des  échanges  de  vues  entre 
Paris,  Vienne  et  Berlin. 

La  mort  de  l'impératrice  mère,  en  rappelant  Alexandre  II  à 
Pétersbourg,  vint  couper  court  à  ces  pourparlers.  Le  tsar  reprit 
le  chemin  de  sa  capitale  sans  s'être  laissé  entraîner  au  delà  des 
limites,  encore  très  restreintes,  qu'il  avait  fixées  à  son  rappro- 
chement avec  Vienne.  Son  attitude,  au  dire  de  Montebello, 
avait  été  réservée;  celle  de  l'empereur  d'Autriche,  contrainte  et 
embarrassée.  Entre  le  tsar  et  lui,  François-Joseph  avait  senti 
s'interposer  des  souvenirs  que  le  temps  n'avait  pas  complètement 
effacés  et  surtout  une  tierce  personne  qu'Alexandre  II  tenait 
beaucoup  à  ménager. 

De  retour  à  Pétersbourg,  Gortchakoff  communiqua  à  Monte- 
bello les  lettres  des  ministres  de  François-Joseph  et  de  Frédéric- 
Guillaume.  Rechberg  proposait  de  s'entendre  pour  prévenir  une 
attaque  du  Piémont  contre  la  Vénétie  et  se  déclarait  prêt  à  par- 
ticiper à  toutes  négociations  ou  congrès  destinés  à  maintenir  le 
statu  quo  de  Villafranca  et  de  Zurich.  Il  refusait  énergiquement 
d'admettre  pour  l'Autriche,  en  cas  de  guerre,  l'inégalité  résul- 
tant d'une  garantie  accordée  au  Piémont  au  sujet  de  la  Lombar- 
die  et  protestait  non  moins  vigoureusement  contre  la  prétention 
d'imposer  l'abstention  à  l'Allemagne.  Plus  conciliante  de  fond 
et  de  forme,  la  lettre  de  Schleinitz  '  reconnaissait  que  le  mémo- 
randum français  renfermait  les  éléments  d'une  entente  possible  ; 
demandait  si  la  France  prétendait  interdire  à  l'Autriche  de  faire 
de  la  Lombardie  le  théâtre  d'opérations  militaires;  réclamait 
pour  l'Allemagne  le  droit  d'assurer,  par  des  mesures  de  précau- 
tion, la  sécurité  du  territoire  fédéral;  sollicitait  des  éclaircisse- 

1,  Ministre  des  Affaires  étrangères  de  Prusse. 


LA    RUSSIE    ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE   DE    NAPOLÉON    III.  299 

ments  sur  le  sort  réservé,  dans  la  reconstitution  future  de  l'Italie 
aux  souverains  dépossédés  ;  ergotait  enfin  sur  la  neutralisation 
d'une  partie  de  la  Savoie. 

De  ces  deux  lettres,  celle  de  Rechberg  au  moins  faisait  appa- 
raître, entre  les  vues  de  l'Autriche  et  celles  de  la  France,  une 
divergence  initiale,  une  antinomie  qui  ne  laissaient  aucune 
chance  à  une  entente. 

Entre  Paris  d'une  part,  Vienne  et  Berlin  de  l'autre,  s'engage 
cependant  une  négociation  où  la  Russie  joue  le  rôle  d'intermé- 
diaire, ou  plutôt  de  personne  interposée.  Satisfaite,  semble-t-il, 
de  l'importance  et  du  prestige  que  lui  donne  ce  rôle,  elle  s'y 
renferme  consciencieusement,  sans  rien  faire  pour  entraîner 
Napoléon  au  delà  des  limites  qu'il  a  mises  à  ses  propres  conces- 
sions. Le  système  préconisé  par  l'Autriche  concorde  pourtant 
infiniment  mieux  que  celui  de  la  France  avec  les  principes 
qu'Alexandre  II  et  Gortchakoff  se  sont  efforcés  de  faire  prévaloir, 
avant  la  réception  du  mémorandum  français.  La  convocation 
immédiate  d'un  congrès  destiné  à  prévenir  une  attaque  du  Pié- 
mont contre  la  Vénétie  et  à  évoquer  sans  délai  toute  la  question 
italienne  devant  l'Europe  eût  évidemment  offert  aux  principes 
conservateurs  une  revanche  bien  autrement  éclatante  et  com- 
plète que  la  garantie  d'une  neutralité  et  la  perspective  d'un  con- 
grès, subordonnés  tous  deux  par  la  France  à  une  condition 
expresse  :  l'offensive  du  Piémont.  Alexandre  II  et  Gortchakoff  ne 
sont  pas  tellement  inféodés  à  Napoléon  III  qu'ils  ne  s'en  rendent 
compte.  Sans  sortir  de  son  rôle  de  personne  interposée,  Gortcha- 
koff laisse  cependant  deviner  sa  préférence  pour  le  système  autri- 
chien, en  déclarant  son  adhésion  acquise  d'avance  à  toute  pro- 
position de  congrès,  d'où  qu'elle  émane.  Mais  à  cette  déclaration 
se  borne  la  manifestation  de  son  sentiment,  et  encore  l'atténue- 
t-il  en  ajoutant  qu'il  ne  prendra  l'initiative  d'aucune  proposition 
de  ce  genre. 

Les  observations  de  Rechberg  et  de  Schleinitz  provoquent 
une  réplique  de  Thouvenel,  et  cette  réplique  est  pour  lui  l'occa- 
sion d'accentuer  son  opposition  à  une  intervention  immédiate. 
De  cette  opposition,  il  donne  d'abord  les  raisons  officielles  :  la 
crainte  de  l'impression  que  produirait  en  Italie  la  convocation 
d'un  congrès  impliquant  une  immixtion  étrangère  ;  les  difficul- 
tés que  rencontrerait  l'accord  des  cabinets  ;  l'impossibilité  pour 
les  puissances  de  se  passer  de  l'adhésion  de  l'Angleterre  et,  pour 
celle-ci,  de  revenir  sur  l'opinion  émise.  Mais  à  Montebello  Thou- 


300  FRANÇOIS-CHARLES   ROUX. 

venel  donne  aussi  d'autres  raisons  et  découvre  le  fond  de  sa 
pensée  : 

La  Krance  est  décidée  à  répudier  toute  solidarité  dans  les  fautes  de 
l'Italie.  D'un  autre  côté,  il  ne  saurait  lui  convenir  de  s'aliéner  les 
sympathies  d'une  nation  voisine  en  lui  déniant  d'une  manière  absolue 
la  faculté  de  se  constituer  à  ses  risques  et  périls  sous  une  forme  nou- 
velle.  L'Angleterre  assurément  n'adopterait  jamais  un  pareil  plan  de 
conduite  et  il  ne  serait  conforme  ni  à  nos  intérêts  ni  même  à  ceux  de 
l'Europe  d'abandonner  la  péninsule  à  une  influence  exclusive.  Nous 
ne  saurions,  enfin,  dans  nos  déterminations  ultérieures,  faire  abstrac- 
tion des  relations  de  commerce  et  de  navigation  que  nous  entretenons 
avec  la  péninsule  et  les  sacrifier  à  des  principes  qui  ne  seraient  pas 
suivis,  dans  une  égale  mesure,  par  toutes  les  puissances1. 

Plus  le  langage  de  Thouvenel  s'affranchit  de  réticences,  plus 
on  aperçoit  la  divergence  des  mobiles  auxquels  obéit  sa  politique 
avec  les  idées  dont  s'inspirait,  au  début  de  la  crise  italienne, 
l'attitude  d'Alexandre  II  et  de  Gortchakoff  ;  et  plus  cette  diver- 
gence s'affirme,  plus  on  se  rend  compte  de  l'espèce  de  désiste- 
ment auquel  ont  souscrit  ces  derniers. 

La  même  conclusion  se  dégage  de  leur  conduite  en  présence 
de  l'agonie  de  la  monarchie  napolitaine.  En  novembre  1860,  le 
gouvernement  français  leur  communique  les  instructions  don- 
nées à  l'amiral  de  Tinan,  commandant  l'escadre  chargée  de  mettre 
le  blocus  devant  Gaëte.  Bornant  la  mission  de  cette  escadre 
à  empêcher  l'attaque  de  la  ville  par  mer,  sans  pouvoir  inter- 
venir contre  les  assaillants,  ces  instructions  réduisent  le  rôle  de 
cette  force  navale  à  une  démonstration  platonique  sans  effi- 
cacité possible.  Aucune  observation  n'est  faite,  aucun  vœu 
n'est  exprimé  à  Pétersbourg.  Peu  après  arrive  à  la  cour  de 
Russie  le  général  Cutroflano,  envoyé  par  le  roi  de  Naples 
auprès  d'Alexandre  II  pour  tenter  une  suprême  démarche.  Le 
tsar  le  reçoit,  malgré  son  grand  deuil,  lui  prodigue  les  assu- 
rances de  sympathie,  mais  ne  lui  laisse  aucune  illusion  quant  à 
l'espoir  d'une  assistance  effective. 

En  même  temps  prend  fin  la  négociation  amorcée  à  Varsovie 
sur  les  affaires  d'Italie.  La  Prusse,  la  première,  reconnaît  l'im- 
possibilité de  réunir  un  congrès  préventif.  L'Autriche,  après 
une  dernière  tentative  pour  amener  la  France  à  séparer,  en  tout 
cas,  sa  cause  de  celle  du  Piémont,  abandonne  aussi  la  partie  et 

1.  Thouvenel,  3  décembre  1860. 


LA    RUSSIE    ET    LA    POLITIQUE    ITALIENNE    DE    NAPOLEON    III.  301 

le  fait  savoir  à  Paris.  Au  début  de  1861,  Thouvenel  mande  à 
Pétersbourg  qu'il  considère  comme  épuisés  pour  le  moment  les 
pourparlers  engagés  à  A^arsovie. 

Un  revirement  des  plus  sensibles  s'est  donc  produit,  dans 
l'attitude  d'Alexandre  II  et  de  Gortchakoff  en  présence  de  la 
révolution  italienne,  à  dater  de  la  remise  du  mémorandum  de 
Thouvenel.  Ce  revirement  prouve  évidemment  qu'ils  ont  subi,  à 
partir  de  ce  moment,  l'influence  d'une  considération  étrangère 
aux  événements  de  la  péninsule,  et  cette  considération  ne  peut 
être  que  l'intérêt  d'une  entente  avec  la  France  sur  les  affaires 
d'Orient. 

Doit-on  en  conclure  que  la  crainte  d'une  révolution,  ou  bien 
n'avait  jamais  exercé  d'influence  véritable  sur  leur  esprit,  ou 
bien  ne  pouvait  pas,  à  l'occasion,  reprendre  ascendant  sur  eux? 
Montebello  ne  l'a  pas  pensé  et  s'est  efforcé  de  mettre  le  gouver- 
nement français  en  garde  contre  la  fausseté  et  le  danger  d'une 
telle  conclusion.  Rappelant  ce  que  Gortchakoff  avait  ditàRech- 
berg,  que  la  Russie  ne  pourrait  rester  l'amie  d'une  France 
révolutionnaire,  il  commentait  ainsi  cette  déclaration  : 

Le  prince  Gortchakoff  avait  peut-être  plus  raison  qu'il  ne  le  pen- 
sait lui-même  ;  car  son  esprit  très  libre,  et  que  le  culte  des  principes 
n'enchaîne  pas  plus  étroitement  qu'il  ne  le  faut,  pourrait  bien  être 
tenté  de  passer  certaines  bornes  :  mais  la  conscience  de  l'empereur 
l'arrêterait  sur  la  limite.  C'est  la  résultante  de  ces  deux  forces,  l'es- 
prit libre  du  prince  Gortchakoff  et  le  cœur  honnête  de  l'empereur 
Alexandre,  qui  compose  aujourd'hui  la  politique  de  la  Russie1. 

Cette  politique  subissait,  d'ailleurs,  l'empire  de  contingences 
supérieures  aux  dispositions  et  aux  tendances  personnelles  de 
tel  souverain  ou  de  tel  ministre,  et  ces  contingences  imposaient 
aux  complaisances  de  la  Russie  envers  la  Révolution  une 
limite  au  delà  de  laquelle  Alexandre  II  et  Gortchakoff  devaient 
nécessairement  se  retrouver  d'accord.  «  L'Autriche  »,  écrivait 
Montebello,  «  a  cherché  à  gagner  la  Russie  par  les  intérêts  et 
par  les  principes  :  elle  a  échoué.  Y  réussira-t-elle?  La  réponse 
à  cette  question  est  en  Hongrie  et  en  Pologne  ». 

François-Charles  Roux. 

1.  Montebello,  17  novembre  1860. 


MELANGES   ET   DOCUMENTS 


LOUIS  XIII  ET  SA  MÈRE. 


De  divers  recueils  manuscrits  de  la  Bibliothèque  nationale,  je  me 
propose  de  tirer  prochainement  une  correspondance  inédite  de 
Louis  XIII  avec  sa  mère  Marie  de  Médicis  et  la  reine  Anne  d'Au- 
triche, à  dater  de  l'époque  où  le  meurtre  de  Concini  lui  fit  prendre 
en  main  la  direction  des  affaires. 

On  me  permettra  ici  de  choisir,  comme  spécimens  saillants  et 
plus  importants  pour  l'histoire,  quelques  lettres  écrites  à  Marie  de 
Médicis  au  temps  où  celle-ci,  retirée  à  Angoulème  après  sa  fuite  de 
Blois,  obligea  son  fils  à  commencer  la  série  de  ses  voyages  à  travers 
le  royaume  qui  favorisèrent  son  goût  naturel  pour  le  genre  épisto- 
laire.  Deux  périodes  peuvent  être  distinguées  dans  cette  correspon- 
dance :  1°  avant  le  traité  d 'Angoulème  (20  avril  1619)  ratifié  par 
l'entrevue  de  Couzière  et  de  Tours,  septembre  16.19.  C'est  l'époque 
des  lettres  de  récriminations  et  de  plaintes,  des  plaidoyers  et  des 
réquisitoires,  sauf,  aux  approches  de  la  réconciliation,  quelques  billets 
affectueux;  2°  avant  et  après  la  paix  des  Ponts-de-Ce,  qui  suivit 
(10  août  1620)  la  bataille  livrée  en  ce  lieu.  Ici,  ce  sont  des  alterna- 
tives de  brouille  et  de  réconciliation,  les  réclamations  royales  devenant 
plus  vives  jusqu'à  la  rupture,  après  la  lettre  de  plainte  de  la  reine 
mère,  du  16  décembre  1619,  sur  les  termes  de  la  déclaration  en  faveur 
du  prince  de  Condé  sorti  de  la  Bastille,  pour  se  changer,  après 
l'accord  du  10  août  1620,  en  billets  presque  quotidiens  écrits  pendant 
toute  la  durée  de  l'expédition  de  Béarn.  En  préface  au  texte  de 
Louis  XIII,  il  convient  de  rappeler  les  dates  et  les  phases  princi- 
pales des  deux  guerres  engagées  entre  le  roi  et  sa  mère,  guerres  de 
plume  surtout  et  de  manifestes,  bien  qu'il  y  ait  eu  aussi  des  escar- 
mouches et  du  sang  versé.  Il  faut  aussi  dire  un  mot  du  manuscrit 
qui  nous  fournit  ces  lettres  royales,  longues  rédactions  bourrées 
d'apologie  et  d'accablantes  récriminations  au  temps  de  la  brouille, 
billets  rapides  et  fréquents,  d'une  affectueuse  insistance,  un  peu  ten- 
due et  inquiète,  après  les  traités  de  paix. 


LOUIS    XIII    ET    SA    MERE. 


303 


Dans  la  nuit  du  22  au  23  février  1619,  Marie  de  Médicis  quittait 
Blois  en  fugitive  et,  aidée  du  duc  d'Épernon,  qui  avait,  malgré 
le  refus  du  roi,  quitté  son  gouvernement  de  Metz  pour  favoriser 
cette  évasion,  se  retirait  à  Loches,  puis  à  Angoulème. 

De  la  première  ville,  elle  écrivait,  le  23  février,  une  lettre  bientôt 
imprimée  et  qui  parut  depuis  au  Mercure  françois,  pour  déclarer 
les  raisons  de  sa  retraite.  Une  seconde,  que  le  Mercure  n'a  point 
publiée,  mais  qui  fut  imprimée  en  1673  dans  une  relation  de  la  Négo- 
ciation du  comte  de  Béthune',  fut  écrite  de  Confolens,  le  1er  mars, 
et  le  10,  d' Angoulème,  une  troisième  que  le  Mercure  appelle  la 
seconde  lettre  de  la  reine  mère.  La  première  réponse  du  roi  ne  partit 
de  Paris  que  le  12  mars,  parue,  elle  aussi,  au  Mercure.  Le  comte 
de  Béthune  et  le  P.  de  Bérulle  avaient  été  envoyés  pour  négocier 
un  rapprochement,  celui-là  demeurant  près  de  Marie  de  Médicis 
jusqu'à  la  solution  définitive,  celui-ci  faisant  par  trois  fois  la  navette 
entre  le  roi  et  sa  mère.  Le  8  avril,  le  cardinal  de  la  Rochefoucauld 
partait  à  son  tour  en  ambassade  avec  des  dispositions  nouvelles  et 
les  pourparlers  duraient  jusqu'au  mois  d'août.  La  paix  d' Angoulème, 
qui  reconnaissait  à  la  reine  mère  le  gouvernement  d'Angers,  était 
sanctionnée  par  l'entrevue  à  Oouzière  et  la  réunion  à  Tours  de  la  mère 
et  du  fils  après  l'intervention  de  Richelieu,  rappelé  à  cet  effet  de  son 
exil  d'Avignon. 

La  paix  une  fois  conclue,  le  roi  revient  à  Paris,  laissant  sa  mère 
dans  son  nouvel  apanage  ;  il  ne  cesse  de  la  presser  de  reparaître  à  la 
cour.  Dans  ses  nombreux  billets,  l'affection  se  montre,  mais  aussi 
l'inquiétude,  car  Marie  de  Médicis,  qui  se  défie  toujours  de  Luynes  et 
de  Oondé,  ne  se  hâte  pas  de  céder  à  ces  instances  et  un  foyer  d'in- 
trigues rayonne  autour  de  l'exilée  volontaire.  La  déclaration  pro- 
mulguée en  parlement  pour  réhabiliter  Condé  est  l'occasion  de 
nouvelles  plaintes  et  la  série  reprend  des  plaidoyers  où  le  roi  accuse 
sa  mère,  ou  mieux  son  entourage,  déclarant  que  les  agitations  de  la 
Normandie,  où  Longueville  a  pris  le  parti  de  la  reine  mère,  le  forcent 
de  venir  en  armes.  D'inutiles  négociations  conduites  par  le  duc  de 
Bellegarde,  l'archevêque  de  Sens,  Du  Perron  et  le  président  Jeannin 
ne  peuvent  empêcher  le  conflit  qui  se  dénoue  aux  Ponts-de-Oé,  avec 
intervention  de  Bérulle  et  de  Richelieu.  Après  le  traité,  pendant 
l'expédition  de  Béarn  qui  suit  immédiatement  le  voyage  du  roi  en 

1.  Négotiation  commencée  au  mois  de  Mars  de  l'année  M.  DC  XIX.  arec 
la  reyne  Marie  de  Médicis,  Mère  du  Roy  Louis  XIII,  qui  avoit  esté  Régente 
en  France,  Par  Monsieur  le  comte  de  Béthune,  Et  continuée  conjointement 
avec  Monsieur  le  cardinal  de  la  Rochefoucault.  A  Paris,  chez  Antoine  Vitré, 
in-fol.,  194  p.,  s.  d.,  achevé  d'imprimer  le  29  nov.  1673. 


304  MÉLANGES   ET    DOCUMENTS. 

Bretagne,  puis  à  Bordeaux,  la  correspondance  redevient  affectueuse 
comme  si  la  bonne  entente  n'avait  été  jamais  obscurcie.  Louis  XIII 
ne  semble  pouvoir  passer  un  jour  sans  nouvelles  de  sa  mère.  Est-ce 
affection  pure  ou  souci  trop  naturel  à  un  esprit  soupçonneux,  c'est 
ce  que  permettra  d'étudier  le  texte  même  des  lettres  royales. 

Le  recueil  auquel  nous  les  empruntons  est  le  tome  98  des 
Cinq  Cents  Colbert;  c'est  un  registre  relié  après  coup,  où  d'ailleurs 
les  dates  se  croisent  et  s'entremêlent;  il  a  été  écrit,  d'un  bout  à 
l'autre,  de  la  main  du  même  copiste  qui  a  travaillé  au  registre  de 
Tronson  (fr.  2127)  que  j'éditerai  tout  entier1.  Mais  les  corrections  et 
additions  nombreuses  qui  constellent  les  lettres  les  plus  importantes 
nous  livrent  le  travail  attentif  du  roi,  par  l'entremise  d'un  secrétaire 
qu'il  sera  intéressant  d'identifier2.  Que  Louis  XIII  ait  dicté  d'abord 

1.  La  publication  d'un  manuscrit  autographe  de  Tronson,  conservé  à  la 
bibliothèque  Mazarine,  combiné  avec  son  quasi  doublet,  plus  complet  cepen- 
dant en  certaines  parties,  appartenant  au  fonds  Béthune,  de  la  Bibliothèque 
nationale,  figurera  dans  la  collection  de  la  Société  des  Bibliophiles  françois 
et  est  en  ce  moment  en  préparation.  Cf.  Documents  d'histoire,  juin  1910, 
p.  196  à  208. 

2.  Ce  pourrait  bien  être,  sauf  plus  ample  informé,  Arnaud  d'Andilly  lui- 
même  qui  aurait  possédé  cet  étrange  recueil,  déconcertant  en  plus  d'une  de 
ses  parties,  et  dont  une  description  sommaire  n'est  point  ici  superflue.  Ce 
volume  in-folio,  paginé,  de  233  pages,  est  rempli,  dans  sa  première  partie  jus- 
qu'à la  page  177,  de  172  lettres,  presque  toutes  adressées  par  Louis  XIII  à  sa 
mère,  sauf  la  lettre  de  celle-ci  contre  la  déclaration  en  faveur  de  Condé,  plu- 
sieurs du  roi  à  ses  sœurs  Henriette  et  Chrétienne,  une  au  moins  à  sa  femme 
Anne  d'Autriche,  une  aussi  à  un  particulier.  Les  annotations  et  corrections 
sont  d'une  main  certainement  différente  de  celle  du  roi,  bien  qu'offrant  une 
grande  similitude  avec  son  écriture,  et,  qui  plus  est,  son  orthographe  propre. 
Quand  même  on  n'en  serait  pas  averti  par  l'annotation  marginale  qui  figure  à 
côté  d'une  lettre  où  l'évêque  de  Luçon  est  nommé,  note  ainsi  conçue  :  Cest 
Euesque  de  luçon  fust  depuis  ce  grand  cardinal  de  Richelieu  renommé 
dans  son  temps,  il  y  en  a  une  preuve  plus  décisive  dans  une  des  pages  du 
morceau  qui  suit  les  lettres.  En  effet,  de  la  page  177  à  la  page  210  se  trouve, 
sans  titre,  le  mémoire  de  Nicolas  Vauquelin  des  Yveteaux,  composé  vers  1643, 
peu  de  temps  après  la  mort  de  Louis  XIII.  que  Prosper  Blanchemain  avait 
publié  sur  une  copie,  apparemment  postérieure  à  la  nôtre,  laquelle  offre  des 
divergences  intéressantes.  Or,  une  des  phrases  de  ce  mémoire  est  corrigée  de 
la  main  de  notre  collectionneur  de  lettres.  Il  est  donc  certain  que  l'annota- 
teur, quel  qu'il  soit,  a  survécu  à  Louis  XII 1.  Par  une  conjecture  qu'il  ne  m'est 
pas  loisible  de  développer  maintenant,  j'inclinerais  à  croire  que  Robert 
Arnuuld  d'Andilly,  qui  d'ailleurs  à  l'époque  où  furent  rédigées  ces  lettres  était 
assez  avant  dans  la  confiance  du  souverain  et  nous  a  confié  dans  ses  Mémoires 
qu'il  avait  été  à  la  veille  de  devenir  secrétaire  en  titre,  a  eu  en  sa  possession 
ce  recueil.  Rien  de  surprenant  d'ailleurs  qu'il  se  soit  procuré,  s'il  en  a  eu 
communication,  —  et  cela  est  vraisemblable,  —  le  travail  de  Vauquelin,  aussi 
bien  que  le  dernier  mémoire  qui  clôt  le  manuscrit,  lequel  consiste  dans  les 


LOUIS   XIII   ET    SA   MÈRE.  305 

ou  simplement  indiqué  dans  les  grandes  lignes  la  teneur  de  la  lettre, 
dès  qu'il  s'agit  surtout  de  ces  plaidoyers  par  lesquels  il  veut  réduire 
sa  mère  et  l'acculer  dans  ses  torts,  défendre  surtout  Luynes  et  ses 
autres  conseillers,  mais  plus  encore  revendiquer  l'indépendance  et 
la  responsabilité  de  ses  actes  contre  la  fiction  qui  le  suppose  pri- 
sonnier de  ses  favoris,  dans  les  corrections  il  insiste,  modifie,  atténue 
ou  renforce  la  pensée,  ajoute,  retranche,  condamne  les  expressions 
embarrassées  ou  emphatiques,  bref,  fait  partout  œuvre  d'excellent 
critique  et,  il  le  faut  dire,  de  bon  écrivain.  La  disposition  typogra- 
phique adoptée  ici  permettra  de  distinguer  le  texte  primitif  des 
retouches  et  additions,  les  passages  barrés  étant  enfermés  entre 
parenthèses  et  tous  les  mots  ajoutés  de  la  main  royale  imprimés  en 
italique'. 

Les  lettres,  au  manuscrit,  sont  assez  souvent  sans  date;  il  a  donc 
fallu  déterminer  leur  place,  parfois  par  conjectures  incertaines.  Au 
reste,  notre  but  est  ici  surtout  de  fixer,  grâce  à  des  textes  authen- 
tiques, deux  aspects  de  la  physionomie  de  Louis  XIII,  son  attitude 
d'avocat  passionné  et  militant  lorsqu'il  revendique,  contre  les 
défiances  de  sa  mère,  la  légitimité  et  l'entière  responsabilité  de  sa 
ligne  de  conduite  et  son  rôle  de  fils  respectueux  et  déférent.  De  toute 
façon,  il  combat  le  grief  capital  de  Marie  de  Médicis,  qui  déclare 
l'esprit  de  son  fils  aliéné  d'elle  par  «  les  personnes  »  auxquelles  il  a 
donné  sa  confiance,  lisez  Luynes  et  ses  frères.  Révolté  à  l'idée  qu'on 
le  puisse  croire  conduit  et  gouverné,  lui  si  jaloux  d'exercer  par  lui- 


conseils  adressés  d'Amiens  le  15  juin  1625  par  Marie  de  Médicis  à  Henriette  sa 
fille,  formellement  attribués,  dans  le  titre,  au  cardinal  de  Bérulle.  Au  reste, 
l'intérêt  des  lettres  du  roi  et  de  leurs  corrections  et  compléments  est  indépen- 
dant de  l'hypothèse  qui  marquerait  une  part  plus  ou  moins  active  prise  par 
Arnauld  d'Andilly  à  ces  missives.  Même  demeuré  anonyme,  l'auteur  de  cette 
collection  nous  a  conservé  une  série  fort  intéressante  des  lettres  royales,  dont 
il  est  presque  fâcheux  de  ne  pouvoir  présenter  au  public  que  des  extraits  et  des 
spécimens.  Pour  fournir  quelque  donnée  au  problème  sur  ce  possesseur  inconnu 
du  manuscrit,  il  faut  noter  que  la  dernière  pièce  annexée,  de  format  différent, 
est  une  lettre  signée  Étillard,  curé  d'Alluye,  et  adressée  à  M.  de  Ballesdens, 
conseiller  et  aumônier  du  roi,  prieur  de  Brie  et  de  Saint-Germain  d'Alluye, 
demeurant  rue  du  Collège  des  Chollets  à  Paris;  c'est  un  billet  d'affaires,  daté 
du  1er  juillet  1634.  Sur  les  plats  du  volume  se  lisent,  de  la  main  qui  a  fait  les 
corrections  et  additions  :  «  Paul  Cheurol,  demeurant  en  la  rue  des  Carmes  », 
et,  ailleurs  :  «  Reg(?)  del  sig  Marcello  Vescovro  de  la  bria  a  la  coscia  dritta.  » 
1.  J'ai  respecté  strictement  l'orthographe  du  correcteur;  elle  a  ses  particu- 
larités très  constantes,  et  il  arrive  qu'il  modifie  même  à  ce  point  de  vue  cer- 
tains mots.  Il  écrit  toujours  :  ausi,  intherest,  etc.  Pour  l'écriture  du  copiste, 
tout  en  la  reproduisant,  j'ai  transcrit  ses  i  et  u  en  j  et  v,  pour  éviter  une 
fatigue  de  lecture,  et  j'ai  suppléé  la  ponctuation  insuffisante. 

Rev.  Histor.  CV.  2e  fa.sc.  20 


306  MELANGES   ET    DOCUMENTS. 

même  son  métier  de  roi,  Louis  XIII  défend  les  siens,  mais,  avec  une 
égale  àprelé,  il  poursuit  et  accuse  l'entourage  de  sa  mère.  Contre  le 
duc  d'Epernon,  que  dans  une  instruction  secrète,  remise  de  sa 
main,  devant  Luynes  seul,  au  comte  de  Béthune,  il  a  essayé  de 
«  faire  livrer  »,  autorisant  son  envoyé  à  promettre  les  plus  brillants 
avantages  à  sa  mère  si  elle  veut  l'abandonner  et  le  désavouer,  il 
manifeste  l'acharnement  le  plus  passionné.  Après  la  paix  d'Angou- 
lême,  aux  approches  de  la  guerre  des  Ponts-de-Cé,  ce  seront  d'autres 
conseillers  qui,  par  ambition,  se  serviront  du  nom  de  la  reine,  et 
l'animosité  sera  la  même.  De  part  et  d'autre,  avec  un  système  suivi, 
les  interlocuteurs  se  supposent  mutuellement  aveuglés  ou  captifs,  et 
ce  n'est  pas  le  moindre  intérêt  de  ces  débats  que  de  surprendre  leur 
état  d'esprit  à  cet  égard. 

Il  faudrait,  pour  éclairer  pleinement  les  «  répliques  »  de 
Louis  XIII,  reproduire  non  seulement  les  quatre  lettres  de  Marie 
de  Médicis  parues  au  Mercure  françois  (23  février,  10  mars,  4  et 
11  avril  1619),  mais  encore  celle  des  1er  et  28  mars1  et  aussi  le 
manifeste  sans  date  qui  courut  avec  la  signature  de  Marie  de  Médicis, 
dont  Béthune  obtint  le  désaveu  et  que  flétrit  Louis  XIII  dans  sa 
lettre  du  8  avril.  Ces  pièces  ayant  été  imprimées  dans  la  Négociation 
de  Béthune,  on  y  peut  renvoyer  les  historiens  et  je  ne  donnerai  ici 
que  la  lettre  de  la  reine  du  16  décembre  1619,  d'autant  qu'elle  a  été 
corrigée  dans  notre  manuscrit. 

Aussi  bien,  suffit-il  à  notre  dessein  de  mettre  en  regard,  selon 
leurs  dates  successives,  les  longs  plaidoyers  rédigés  ou  retouchés 
par  le  roi  au  temps  des  brouilles  et  les  courts  billets  quotidiens 
envoyés  par  lui  à  sa  mère  après  les  réconciliations.  Ces  alternatives 
sont  éloquentes.  Bornons-nous  donc  au  texte,  sobrement  annoté, 
des  lettres  inédites  de  Louis  XIII  à  Marie  de  Médicis. 

Notre  manuscrit,  ou  du  moins  des  recueils  fort  semblables,  a  été 
connu  d'un  des  meilleurs  historiens  de  Louis  XIII,  le  continuateur 
du  P.  Daniel,  le  P.  Grifîet.  Quelques  pages  de  son  histoire,  à  cause 
des  références  qu'on  y  trouve  annexées,  méritent  dêtre  signalées  à 
cet  égard.  Peut-être  quelque  doublet  du  registre  même  qui  forme 
aujourd'hui  le  tome  98  des  Cinq  Cents  Colbert  fut-il  autrefois 
laissé  par  Louis  Tronson  avec  les  manuscrits  dont  son  fils,  le  supé- 
rieur du  séminaire  de  Saint-Sulpice,  enrichit  sa  bibliothèque.  Le 
recueil  autographe,  aujourd'hui  possédé  par  la  bibliothèque  Mazarine, 

1.  J'ai  reproduit  quelques-unes  des  lettres  de  Marie  de  Médicis  dans  un 
article  sur  le  P.  Suffren,  son  confesseur.  Voir  Revue  du  monde  ancien  et 
moderne,  15  mai  1910. 


LODIS   XIII    ET   SA   MÈRE.  307 

comprenant  un  choix  de  lettres  du  roi,  parmi  lesquelles  un  certain 
nombre  adressées  à  sa  mère,  n'explique  qu'en  partie  les  références 
fournies  par  le  P.  Griffet  dans  son  histoire  de  Louis  XIII.  On  n'y 
rencontre  rien  qui  réponde  au  signalement  donné  dans  cette  note 
marginale,  placée  en  regard  du  récit  des  premiers  pourparlers 
engagés  avec  la  fugitive  de  Blois  réfugiée  à  Angoulème  :  Diverses 
lettres  du  roi  et  de  la,  reine  mère  dans  les  manuscrits  du  sémi- 
naire de  Saint-Sulpice. 

«  Le  fils  et  la  mère  » ,  dit  l'historien,  «  s'écrivaient  l'un  à  l'autre  des 
lettres  pleines  de  reproches,  dans  lesquelles  ils  s'accusaient  mutuel- 
lement de  suivre  de  mauvais  conseils...  Marie  de  Médicis  présenta 
un  long  mémoire  où  elle  exposait  ses  griefs1;  il  contenait  des 
plaintes  amères  contre  le  gouvernement  et  des  invectives  contre 
Luynes  et  ses  frères  aussi  violentes  et  aussi  peu  mesurées  que 
toutes  celles  qu'on  avait  publiées  contre  le  maréchal  d'Ancre2.  » 

Griiïret  renvoie  également  à  la  même  source  pour  la  période  qui 
suivit  l'entrevue  de  Couzière.  Après  avoir  mentionné  la  réception 
solennelle  de  la  reine  mère  au  siège  de  son  nouveau  gouvernement, 
le  16  octobre  1619,  il  poursuit  :  «  Elle  parut  alors  réconciliée  avec 
le  roi  qui  lui  écrivait  souvent  pour  lui  demander  des  nouvelles  de  sa 
santé  et  pour  lui  donner  des  siennes.  »  Et  la  référence  marginale  est 
ainsi  conçue  :  «  Diverses  lettres  du  roi  et  de  la  reine  mère  dans  les 
manuscrits  du  séminaire  de  Saint-Sulpice3.  » 

Au  reste,  connue  ou  non,  notre  source  n'a  pas  été  exploitée  comme 
elle  le  mérite,  et  il  convient  de  donner  au  public  un  bon  nombre 
des  inédits  qu'on  y  a  laissés. 

E.  Griselle. 

1.  Le  «  mémoire  »  en  question  ici  est-il  une  des  lettres  de  la  reine  publiées 
par  le  Mercure  et  par  le  récit  de  la  mission  diplomatique  de  Béthune,  ou  le 
manifeste,  qui  courut  sous  la  signature  de  Marie  de  Médicis,  qu'elle  désavoua, 
et  dont  il  sera  question  plus  bas  dans  la  lettre  de  Louis  XIII  du  8  mai?  En 
tout  cas,  il  faut  admettre  que  si  les  lettres  de  réconciliation  et  d'amitié  se 
retrouvent,  à  la  rigueur,  dans  le  recueil  antographe  de  Tronson  ou  dans  le 
registre  conservé  à  la  Bibliothèque  nationale  (fr.  3722),  il  faut  admettre,  pour 
les  lettres  de  plaintes  et  les  longues  apologies  du  roi,  qu'une  autre  source 
assez  conforme  à  notre  98  des  Colbert  était  conservée  à  la  bibliothèque  de 
Saint-Sulpice  au  temps  où  le  continuateur  du  P.  Daniel  y  préparait  son 
ouvrage. 

2.  Histoire  de  France,  t.  XIII  (1610-1630).  Paris,  1756,  p.  247. 

3.  Ibid.,  p.  251.  Les  autres  citations  de  Grifiet  que  nous  aurons  occasion  de 
faire,  au  commencement  de  la  seconde  partie,  à  propos  des  plaintes  suscitées 
par  le  manifeste  en  faveur  de  Condé,  témoigneront  que  cet  historien  a  tiré 
bon  parti  de  ses  recherches  dans  la  bibliothèque  de  Saint-Sulpice,  certaine- 
ment alors  très  riche  en  documents  sur  cette  époque,  grâce  à  Tronson. 


308  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 


I. 

[Paris,  vers  le  27  mars  1619.] 
M[adame], 

Voz  dernières  lettres1  me  tesmoignent  comme  les  premières  qu'il 
n'est  plus  en  vostre  puissance  de  m'escrire  les  vrais  sentimens  de 
vostre  ame  touchant  le  gouvernement  de  mon  Estât.  Vous  sçavez 
qu'on  ne  le  peut  accuser  que  le  blasme  n'en  retombe  principalement 
sur  moy.  C'est  pourquoy  je  ne  doibs  point  croire  que  vous  me  vou- 
lussiez oster  la  gloire  de  mon  reigne  en  me  donnant  la  réputation  de 
n'agir  que  par  les  mouvemens  d'autruy.  On  ne  s'est  point  contenté 
d'avoir  tasché  de  vous  imprimer  une  mauvaise  croyance  de  mes 
affaires.  On  s'efforce  mesme  de  vous  donner  des  appréhensions  de 
mes  armes,  comme  s'il  estoit  croyable  que  je  les  voulusse  tourner 
contre  vous.  Mais,  bien  que  la  qualité  de  roy  me  dispense  de  rendre 
compte  de  mes  actions  à  autre  qu'à  Dieu,  je  veux  bien  neantmoins 
que  tout  le  monde  sçache  que  ma  resolution  est  de  ne  les  employer 
que  pour  maintenir  mon  aucthorité  et  la  tranquilité  publique  de  mon 
royaume  et  empescher  tous  les  mouvemens  qui  la  pourroient  troubler 
à  la  ruine  et  désolation  de  mon  peuple,  comme  aussy  pour  m'oposer 
aux  pernicieux  desseins  de  ceux  qui  soubs  vostre  nom  ont  levé  des 
gens  de  guerre  tant  dehors  que  dans  le  royaume  ;  ce  que  je  n'eusse 
jamais  creu  si  je  n'avois  veu  les  lettres  que  l'on  vous  a  faict  escrire 
tant  sur  ce  subject  que  pour  donner  mauvaise  impression  de  l'admi- 
nistration de  mes  affaires  à  plusieurs  princes  et  autres  de  mes  subjeets 
que  estrangers2  qui  n'y  ont  adjousté  foy.  La  cognoissance  que  les 
perturbateurs  du  repos  public  ont  tousjours  eue  de  l'affection  et  de 
l'honneur  que  je  vous  porte  leur  faict  espérer  que  ma  clémence  par- 
donnera indifféremment  tous  les  attentats  qu'ils  veullent  faire  soubz 
vostre  nom  contre  mon  auctorité.  Mais  je  sçauray  tousjours  distin- 
guer vostre  interrest  d'avec  le  leur,  n'ayant  autre  resolution  que  de 
vous  aymer  et  honorer  comme  ma  mère  et  de  les  punir  comme 
subjeets  rebelles  et  ennemys  de  mon  Estât.  La  nature  m'attache  si 
puissamment  à  tout  ce  qui  regarde  vostre  bien  et  vostre  mal  que  je 
suis  tenu  d'employer  pour  vostre  délivrance  tout  le  pouvoir  que  Dieu 
m'a  donné.  Ceux  qui  approchent  de  ma  personne  ont  tant  de  tesmoi- 

1.  Celles  du  1er  mars  ou  du  20  probablement,  car  c'est  sans  doute  à  la  lettre 
du  23  février  que  répondait  la  lettre  du  12  mars  confiée  par  le  roi  à  Béthune. 
Celle-ci,  quel  qu'en  soit  le  messager,  semble  avoir  été  remise  vers  le  27  mars  ; 
la  reine  y  aurait  répondu  aussitôt  par  celle  du  28  publiée  au  Mercure. 

2.  D'après  une  réponse  de  la  reine  au  duc  de  Nemours,  du  28  mars,  il  semble 
bien  avoir  fait  meilleur  accueil  que  les  autres  aux  sollicitations  dont  Béthune 
a  cité  des  spécimens  dans  sa  Négociation.  Cf.  Marie  de  Médicis  et  le  P.  Siif" 
fren  en  1619. 


LOUIS   XIII    ET    SA    MÈRE.  309 

gnages  du  respect  que  j'ay  tousjours  eu  en  vostre  endroict  que  vous 
devez  croire  qu'ilz  sont  désireux  de  vostre  bien  et  contentement  par  la 
mesme  raison  qu'ilz  sont  affectionnez  à  tout  ce  qui  est  de  mon  ser- 
vice. Ceux  qu'ilz  m'ont  rendus  et  continuent  de  me  rendre  sont  si 
signalez  qu'ilz  m'obligent  de  les  maintenir  et  protéger  avec  raison  et 
justice1.  Asseurez  vous,  Madame,  qu'il  n'y  a  bomme  si  hardy  que 
d'entreprendre  de  me  faire  aucune  proposition  contre  l'honneur  et  le 
respect  qui  vous  est  deub.  Si  d'aventure  vous  pensez  qu'il  y  ait  quelque 
chose  à  désirer  en  un  royaume  où  la  justice  et  la  paix  ont  egallement 
fleury  depuis  que  j'en  ay  pris  le  soing,  vous  me  pourrez  dire  quand 
vous  voudrez  ce  que  vous  en  croyez  en  vostre  ame  sans  en  faire  esclat- 
ter  les  plainctes  en  public.  Outre  que  cette  forme  seroit  contre  mon 
intention,  elle  feroit  sinistrement  juger  de  la  vostre,  parce  que  ceste 
voye  n'a  jamais  esté  pratiquée  que  par  ceux  qui  ont  le  plus  (sic) 
désiré  de  descrier  le  gouvernement  que  d'en  procurer  la  reformation. 
Je  vous  ay  mandé  par  mes  dernières  lettres2  et  vous  ay  faict  entendre 
par  le  sieur  de  Bethune  que  vous  pouviez  choisir  telle  qu'il  vous  plaira 
de  voz  maisons  ou  des  miennes  pour  y  vivre  avec  une  entière  liberté, 
tellement  qu'il  ne  tiendra  qu'à  vous  que  vous  ne  soyez  heureuse. 
Aydez  seulement  à  mon  bon  naturel  par  une  vraye  correspondance  de 
volonté  et  me  faictes  parroistre  des  tesmoignages  aussy  dignes  d'une 
bonne  mère  que  ceux  que  vous  recepvrez  de  moy  seront  dignes  d'un 
bon  filz.  Je  prie  Dieu,  Madame,  qu'il  vous  en  face  la  grâce  et  que  vous 
me  croyez  autant  que  je  suis  v[ostre],  etc.3. 

II. 

[Saint-Germain-en-Laye,  8  avril  1619.] 
Madame, 

Je  [mot  barré  illisible]  serois  touché  d'une  sensible  douleur  si  je 
croyois  que  voz  deux  dernières  lettres4  fussent  aussy  bien  parties  de 

1.  Cette  déclaration  en  faveur  de  Luynes  est  formelle  et  ne  devait  pas  laisser 
d'illusion  à  Marie  de  Médicis  sur  l'inefficacité  de  ses  plaintes  à  cet  égard. 

2.  Cf.  au  Mercure  la  lettre  du  12  mars. 

3.  Cinq  Cents  Colbert  98,  p.  5-8.  Cette  lettre  est  la  seconde  du  manuscrit  et 
vient  après  celle  du  12  mars,  reproduite  aussi  sans  rature  et  conforme  au  texte 
du  Mercure.  Elle  est  numérotée  2.  Cette  numérotation  n'est  pas  continuée 
et  les  autres  lettres  sont  mises  bout  à  bout  sans  aucun  chiffre.  Celle  qui 
vient  ensuite  commençait  par  Madame,  vous  aymant  et  trouvant  (fol.  8  v° 
à  15).  Celle  du  Mercure,  p.  180-185,  la  seconde  du  roi  à  sa  mère,  porte  au 
manuscrit  sa  date  du  23  avril  1619.  Elle  aussi  est  sans  rature  aucune.  Au  reste, 
la  place  dans  le  manuscrit  n'est  pas  toujours  une  garantie  infaillible  pour 
les  dates.  Ainsi  on  y  trouve,  p.  40  et  41,  la  lettre  écrite  d'Amboise  le  17  juil- 
let, placée  avant  d'autres  bien  antérieures  à  cet  instant  des  négociations. 

4.  Apparemment  celles  du  28  mars  (publiée  dans  Négociation)  et  du  4  avril, 
parue  au  Mercure. 


310  MÉLANGES    ET   DOCUMENTS. 

vostre  cœur  comme  de  vostre  main.  Mais,  cognoissant  l'artiffice  et  le 
dessein  de  ceux  qui  vous  (possèdent)1  approchent  et  vostre  facillité, 
pardonnez  moy,  Madame,  si  je  dis  trop  grande  à  vous  laisser  per- 
suader (à  ceux  qui  vous  approchent)  en  recevant  les  impressions 
qu'ils  vous  donnent,  je  reçois  donc  comme  d'eulx  et  non  comme  de 
vous  ce  qui  (offense)  blesse  (si  grandement)  tellement  esgallement 
mon  honneur,  et  le  vostre  par  conséquent,  sur  le  subjet  dont  il 
s'agict.  C'est,  Madame,  la  meffiance  dont  toutes  voz  lettres  sont 
plaines,  laquelle  vous  publiez  par  tout.  C'est  la  craincte  que  vous 
dictes  que  vous  avez  de  mes  armes  qui  estouffe?it  votre  voix  et  vous 
empesche  de  remonstrer  ce  qui  est  du  bien  de  mon  Estât  et  de  la  gloire 
de  mon  règne.  Sy  je  vous  ay  donné  juste  subject  de  meffiance,  je  ne 
veux  point  d'autre  juge  que  (moy)  vous.  Je  me  déclare  et  devant 
Dieu  et  devant  les  hommes  grandement  coupable.  Si  vous  dictes  que 
ce  sont  d'autres  qui  sont  auprès  de  moy  qui  le  font  contre  mon  gré. 
vous  me  reprochez  beaucoup  de  foiblesse  de  (ne  les  pouvoir  empes- 
cher)  le  pouvoir  souffrir  et  à  eux  qui  ne  subsistent  que  par  (ma 
faveur)  ma  seule  auctoritê  beaucoup  d'imprudence  et  de  témérité 
tout  ensemble  de  faire  une  chose  qui  m'est  désagréable  et  préjudi- 
ciable en  mesme  temps  à  ma  réputation.  Si  vous  la  prenez  avec 
fondement  ou  la  feignez  sans  subject,  Madame,  vous  me  faictes  (beau- 
coup de)  grand  tort.  Mais  vous  vous  en  faictes  bien  davantage,  car 
ceux  qui  en  jugeront  plus  favorablement  diminueront  sans  doute 
(quelque  chose)  de  l'estime  qu'on  a  eu  cidevant  de  vostre  (prudence) 
prudente  et  sage  conduitte  dans  les  affaires  les  plus  importantes 
de  cest  estât,  et  ceux  qui  en  (jugent)  jugeront  plus  librement  (soub- 
çonnent)  soubçonneront  que  vous  ayez  quelque  chose  sur  vostre  cons- 
cience qui  vous  empesche  de  vous  confiez  en  moy  comme  vous  devez 
(en  moy),  ce  que  je  sçay  toutefois  dans  la  miene  n'estre  (point;  mais) 
en  aucune  façon  :  car,  Madame,  depuis  (que)  le  temps  (qu'est  né) 
que  le  subject  de  ceste  mesfiance  a  jiris  naissance  dans  vostre 
esprit,  vous  n'avez  (esté)  laissé,  vingt  deux  mois  (despuis  vostre  des- 
part) (après)  durant  que  vous  estes  partie  de  la  court,  de  me  (solli- 
citant) solliciter  continuellement  avec  presse  (affin  que  je  ne  die  point 
davantage)  et  instance  de  trouver  bon  vostre  retour  près  de  moy  et 
de  voz  autres  enfans2.  Vous  (ne  trouviez)  ne  (pensies)  croyez  lors 
rien  de  dur  (en)  en  lestât  de  vostre  fortune  que  vostre  esloignement 
de  ma  personne  et  je  ne  differois  ausi  vostre  retour  que  pour  vous  le 
rendre  plus  doux  et  plus  utile  au  repos  de  mon  Estât,  quand  le  temps 
auroit  rendu  les  esprits  de  beaucoup  de  grandz  de  mon  royaume  qui 
(crioient  que  vous  aviez  procurés  leur  ruyne)  se  plaignoient  des  mau- 

1.  Les  mots  enfermés  entre  parenthèses  sont  ceux  qu'on  déchiffre  sous  les 
ratures  au  manuscrit.  On  a  imprimé  en  italique  les  corrections  et  surcharges 
qui  les  remplacent. 

2.  J'ai  publié  dans  Documents  iïhistoire  [février  1910,  p.  40-41)  l'instruction 
rédigée  pour  Cadenet,  chargé  d'opposer  un  refus  à  l'une  de  ces  demandes. 


LOUIS    XIII    ET    SA    MÈRE.  311 

vais  traittemens  receus  pendant  l'authorité  de  votre  gouverne- 
ment, plus  disposez  à  vous  rendre  l'honneur  et  le  respect  (qui  se 
doibvent  et  que  je  desirois)  que  justement  ils  (vous)  doibvent  à  vostre 
persone  et  à  vostre  qualité  nonobstant  tous  les  mescontentemens 
qu'ils  pourvoient  alléguer.  Quand  le  temps  en  est  venu,  Madame,  que 
toutes  choses  ont  esté  (bien)  mieux  disposées  pour  ce  regard  et  que 
je  vous  ay  faict  sçavoir  que  (j'allois  vers  vous)  volontiers  j'irois  vous 
trouver  pour  recevoir  de  vostre  bouche  les  advis  que  vous  aviés 
à  me  donner,  vous  vous  estes  retirée  et  esloignée  de  moy.  Je  ne  veux 
point  dire  ni  alléguer  (comment)  ny  par  (la  souvenance)  le  souvenir 
vous  en  augmenter  le  regret  (Madame).  Quel  peut  estre  le  subject  de 
vostre  meffiance,  Madame?  Il  y  a  près  de  six  semaines1  que  je  tiens 
le  sieur  comte  de  Bethune  près  de  vous,  persone  de  grande  probité 
que  vous  m'avés  mandé  vous  estre  fort  agréable  pour  l'apprendre, 
et  vous  n'avez  jusqu'au  jourd'huy  en  façon  quelconque  voulu  m'en 
esclaircir  par  lui  comme  vous  me  l'aviés  fait  espérer.  Celuy  qui  ne 
veut  pas  descouvrir  sa  playe  n'en  veut  pas  guérir.  Ausi,  Madame,  plus 
(anxieux)  soigneus  et  jalous  de  vostre  bien  et  de  vostre  repos  que 
vous  mesme,  je  recherche  ce  que  vous  ne  voulez  pas  (indiquer)  me 
faire  cognoistre  (mais  je  confesse  que  je  ne  le  puis  trouver)  si  vous 
(devez)  deviez  avoir  quelque  defïiance  et  quelque  craincte  s'estoit 
(quand)  lorsque  vous  partîtes  de  la  courf2que  la  mémoire  des  injures 
que  beaucoup  de  gens  (vous)  imputoient  à  vostre  authorité  estoit 
(fraiche)  encore  récente  et  l'aversion,  pour  ne  pas  dire  la  haine, 
quasi  publique  (telle  que  vous  sçavez).  Je  couvrois  tout  cela  de  mon 
auctorité  et  vous  donné  le  choix  de  mes  maisons  pour  avec  tous  les 
grandz  biens  et  commoditez  que  vous  (aviez)  aués  y  vivre  en  seureté 
et  en  repos  jusques  à  ce  que  les  affaires  de  mon  Estât  me  permissent 
de  vous  revoir.  Vous  y  avez  demeuré  avec  tout  pouvoir  (et  auctorité) 
n'ayant  autre,  force  auprès  de  (vous)  vostre  persone  que  vos  propres 
gardes.  Je  vous  y  faict  (annuellement)  très  souvent  visitter  par  les 
principaux  seigneurs  et  dames  (qui  estoient  près  de  moy)  de  (ma)  la 
court  et  ay  eu  outre  cela  un  soing  particulier  de  vous  faire  traitter 
favorablement  en  toutes  vos  affaires  (particulier).  J'ay  dissimulé 
beaucoup  de  choses  faictes  contre  moy  et  mon  Estât  par  plusieurs 
personnes  qui  vouloient  faire  croire  qu'ils  le  faisoient  par  vostre  par- 
ticipation et  pour  Vintherest  de  vostre  service.  Je  vous  en  ay  (tout 
faict  communiquer)  faict  tout  le  détail  (des  affaires)  confidemment 
et  vous  ay  assuré  que  je  n'avois  jamais  creu  que  vous  eussiez  pris 
aucune  part  à  leur  mauvais  desseins,  ny  mesme  que  vous  en  eussiez 
rien  sceu.  Quoy  donque?  Quelle  peut  estre  la  cause  qu'après  avoir 

1.  Béthune,  envoyé  de  Paris  le  12  mars,  arrivait  à  Angouléme  dix  jours  après. 
Ses  dépêches  au  roi  racontant  sa  première  entrevue  sont  du  22  mars,  voir 
Négociation,  p.  41. 

2.  Ainsi  le  correcteur,  qui  use  de  l'orthographe  court  et  non  cour,  corrige 
le  texte  du  scribe,  même  dans  ces  détails. 


312  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

tant  désiré  de  me  voir,  quand  je  suis  près  d'aller  vers  vous,  vous  vous 
esloignez  de  moy?  Certainement  je  ne  la  puis  comprendre  ny  seulle- 
ment  (veoir)  de  m'appercevoir  que  vostre  retraicte  se  faict  précisé- 
ment lors  {quelques)  tous  les  malcontents  (en)  de  mon  royaume 
publient  qu'ilz  y  veulent  mettre  le  feu,  qu'ilz  n'attendent  qu'un  chef 
et  que  vous  estiez  retirée  (avec  des  personnes)  dans  le  gouvernement 
d'une  personne  qui  m'avoi(en)t  (tout  fraischement)  tesmoigné  (leur) 
sa  désobéissance  et  faisoi(en)t  (agir)  esclatter  par  tout  (leur)  son  mes- 
contentement1  [et  particulièrement).  Je  vois  bien  que  vous  publiez 
en  vous  retirant  que  c'est  affin  de  pourveoir  en  liberté  par  l'advis  des 
grandz  du  royaume  et  (de  dehors  d'iceluy)  des  estrangers  aus 
desordres  qui  y  sont  et  me  remonstrer  ce  qui  est  du  bien  de  mon 
Estât  (de  la)  pour  sa  reformation  (d'iceluy)  et  (de)  pour  la  gloire  de 
mon  règne.  Madame,  n'avez  vous  point  en  vingt  deux  mois  de  sesjour 
à  Blois  eu  le  loisir  de  me  faire  entendre  ce  qui  m'est  si  nécessaire? 
M'avez  vous  si  longtemps  (tu)  voulu  taire  ce  qui  m'est  si  salutaire? 
Suis  je  si  mal  (né)  nai  que  je  me  deusse  offenser  de  ce  qu'une  mère 
m'eust  remonstré  pour  mon  bien  et  mon  aventage  (et  vous,  Madame, 
avec  vostre  conseil,  avez  vous  si  peu  de  prudence  et  d'adresse  de  ne 
pouvoir  dire  une  chose  si  veue  sans  me  donner  subject  d'offense).  Je 
vous  presse  (tout)  tous  les  jours  par  le  sieur  comte  de  Bethunes  de 
me  faire  sçavoir  ce  qu'il  vous  plaist  (de)  que  je  sache  par  lui  ou  si 
vous  voulés  vous  résoudre  (et)  à  me  le  dire  vous  mesme  soit  pour 
le  public  soit  pour  (le)  vostre  particulier.  Vous  ne  parlez  point,  et  au 
lieu  de  cela  on  ne  voit  que  lettres  et  courriers  qui  vont  (à)  en  vostre 
nom  par  touttes  mes  provinces  chercher  (des)  les  malcontents,  essayer 
d'en  faire  de  nouveaux  et  les  reunyr  avec  vous  pour  porter  voz 
plainctes.  Est  ce  de  ces  gens  la  que  je  doibs  attendre  de  salutaires 
conseilz?  Madame,  ne  vous  souvenez  vous  pas  que  ceste  prétendue 
reformation  d'Estat  a  esté  le  toxain  qui  a  excité  deux  fois  la  rébellion 
et  désolé  mon  royaume  pendant  vostre  régence  et  ne  sçavez  vous  pas 
en  vostre  conscience  que  mon  Estât  ne  fut  jamais  si  heureux  ny  si 
glorieux  pour  estre  sorty  fraîchement  de  tant  de  miserres  qu'il  estoit 
au  moment  que  vous  estes  sortie  de  Blois  et  que  vostre  retraitte  en 
un  lieu  suspect  a  commencé  d'altérer  les  espris?  Mais,  Madame, 
si  vous  avez  quelque  chose  si  salutaire  à  dire,  parlez  et  ne  me  laissez 
plus  languir  (et  tout  mon  royaume  faira  de  voz  sages  conseilz),  je  vous 
asseure  que  j'aurai  voz  conseils  très  agréables  s'ils  se  trouvent 
bons  et  que  je  ferai)  en  m'en  servant  que  tout  mon  royaume  s'en 
prévaudra  (je  vous  asseure  que  je  les  auray  très  agréables).  S'il  y  a 
quelque  chose  meslé  de  la  passion  (d'autres)  d'aufrui,  je  le  dissimu- 
leray  et  (du  bon)  tout  de  bon  je  ne  vous  en  sçauray  (le  gré  que  je 

1.  Louis  XIII  tient  à  désigner  clairement  Épernon  et  à  ne  pas  l'englober  dans 
la  formule  collective.  La  désobéissance  qu'il  avait  fraîchement  témoignée  était 
sa  lettre  du  Pont-de-Vichy,  7  février  1619,  rédigée  par  Balzac,  et  déclarant 
que,  malgré  le  refus  royal,  il  quittait  son  gouvernement  de  Metz. 


LOUIS    XIII    ET    SA    MÈRE.  313 

doibs)  point  mauvais  gré  puis  que  je  cognoistrai  clairement  que 
vous  agirés  avec  un  esprit  de  preocupation,  et  que  ce  ne  seront 
point  vos  sentimens  naturels.  Je  souffre  bien  sans  m'offencer 
(l'extrait  de  voz)  vos  plainctes  (qui  se  publient)  par  escript  en  forme 
de  manifeste  qui  courent  par  tout,  plaines  (de  faulsetez)  d'inven- 
tions et  de  calomnies  et  sur  tout  contre  ceus  qui  m'approchent 
(et  veus  bien  me  contenter  de  ce)  il  suffit,  Madame,  pour  me  con- 
tenter à  cest  esgard,  que  vous  auez  dit  pour  me  le  faire  savoir  à 
M.  de  Bethune  ou  autre  que  vous  les  desadvoue/A  Je  cognois  bien 
la  desordonnée  licence  qui  est  en  l'esprit  de  beaucoup  de  mes  subjects 
et,  comme  bon  père  et  plus  que  comme  roy,  je  m'y  rends  indulgent 
(et  laisse)  et  (attens)  attendrai  avec  le  plus  [de]  douceur  et  de  bonté 
leur  changement  et  repentir,  laissant  meurir  leurs  mauvaises 
humeurs,  plustost  que  de  venir  (au)  a  un  chastiment  exemplaire. 
Mais,  Madame,  je  ne  puis  supporter  daventage  en  vérité  vostre 
(lettre)  manière  d'agir  que  je  vois  servir  de  prétexte  à  tant  de  mau- 
vais (et  rebels)  subjets  (et  [mots  illisibles]  calamité  publique).  Mes 
armées,  dictes  vous,  vous  empeschent  de  pouvoir  m'envoier  en  seu- 
reté  des  advis  importans  à  mon  Estât  et  (vous  ne  parlez)  que  vous 
ne  parlerez  point  que  je  ne  cesse  mes  levées.  Et  quoy,  Madame,  voilà 
des  (armées  toutes  entières)  troupes  considérables  qui  sortent  d'au- 
près de  vous,  comme  si  elles  y  avoient  esté  mises  de  longtemps  en 
reserve  et  (couler)  mener  le  canon  pour  aller  battre  mes  places 
et  opprimer  mes  plus  fidelles  serviteurs  (par  toutes)  dans  mes 
provinces;  on  distribue  des  deniers,  on  erre  (sic)  (les)  des  hommes 
jusques  dans  Paris  en  ma  présence  et  vous  me  faictes  vous  mesme 
entendre  qu'il  y  en  a  bien  d'autres  qui  se  joindront  avec  vous.  (Soubz 
vostre  nom),  on  donne  des  commissions  soubs  vostre  nom  (comme 
reyne  de  France),  on  faict  des  ordonnances,  on  prenf  mes  deniers  en 
mes  receptes,  tout  cela  se  fait  en  qualité  de  roine  de  France,  ma 
mère,  quoique  pour  tant  je  sache  bien  que  cette  qualité  ne  donne 
ni  ces  prérogatives  ni  ces  aventages,  et  vous  demandez,  Madame, 
que  je  desarme,  affin  que  vous  (parliez)  puissiez  parier  en  liberté 
(Madame),  ne  permettez  point  qu'à  l'injure  qu'on  me  faict  qu'on  en 
adjouste  une  seconde,  que  ceux  qui  (en  temps)  tout  aultayit  qu'ils 
peuvent  (me  despouillent  de)  entreprenent  sur  mon  Estât  me  (fassent 
croire  que  je  n'en  sens  rien)  veulent  persuader  qu'ils  ne  le  font 
pas.  Je  leur  feray  bien  (parroistre)  que  je  ne  sçai  que  trop  le  con- 
traire. A  Dieu  ne  plaise  que  jamais  mes  armes  soient  tournées  contre 
vous,  je  les  tournerois  plustost  contre  moy  mesme,  et  quelque  (mal) 
préjudice  que  je  puisse  recepvoir  de  vous  et  d'autres  mesmes  à 
vostre  occasion,  pour  l'intherest  de  mon  service,  je  ne  perdray 
jamais  le  respect  que  je  vous  doibs  et  la  volonté  de  vous  honorer 
et  servir.  Mais  je  sçauray  bien  distinguer  vostre  personne  de  la  leur 

1.  Ce  Manifeste  désavoué  a  été  publié  dans  la  Négociation  de  Béthune, 
p.  112  à  116. 


314  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

et  séparer  leur  interrests  (sic)  des  vostres.  Hz  se  plaignent,  c'est 
a  dire  ilz  vous  font  plaindre  pour  eux  de  ce  qui  est  arrivé  à  Usarche 
et  à  Boulogne1,  et  disent  que  cela  est  au  préjudice  de  vostre  seu- 
reté.  Je  n'ay  point  encores  apris  que  ces  places  là  y  ayent  esté 
destinées.  Hz  vous  véullent  donc  faire  prendre  pour  offence  et  rup- 
ture de  traicté  de  ce  que  les  habitans  d'Usarche,  pour  esviter  l'op- 
pression d'une  garnison  qui  leur  a  esté  donnée  contre  ma  volonté,  se 
soient  mis  en  defîence  et,  après  avoir  esté  ofîencez  par  ceux  de  la  gar- 
nison, se  soient  jettez  entre  mes  bras  et  du  sieur  comte  de  Schomberg, 
a  qui  j'ay  donné  charge  expresse  de  les  protéger  en  mon  nom.  Ils 
vous  font  faire  ausi  la.  mesme  plaincte  (de  mesme)  de  ce  que  les  habi- 
tans de  Boulogne,  voyans  qu'on  vouloit,  sans  (mes)  mon  commande- 
ment, introduire  des  forces  de  dehors  dans  leur  ville,  se  sont  mis  en 
debvoir  de  l'empescher  et  ont  remis  leur  ville  entre  mes  mains.  Je  ne 
sçay  (de  quelle  condition  ilz  croyent  que  je  sois  devenu  que  je  ne 
puisse  plus  ny)  pas  s'ils  ont  peu  s'imaginer  que  je  manquois  de 
(pouvoir)  puissance  pour  protéger  mes  subjects  (ny)  et  pourveoir  à 
la  seureté  de  mes  villes,  et  qu'au  contraire  mes  subjects  et  mes  offi- 
ciers puissent  (user)  se  servir  de  mes  forces  et  de  mes  places  contre 
(mon  service)  l'intherest  de  mon  Estât  à  leur  volonté.  Je  ne  trouve 
pas,  Madame,  si  estrange  qu'ilz  en  usent  ainsy  comme  je  fais  que  vous 
l'approuviez  et  leur  prestiez  vostre  nom  et  jugiez  vostre  seureté  dimi- 
nuée quand  mes  subjects  les  remettent  en  mon  obéissance.  Madame, 
je  vous  conjure  par  vous  mesme,  par  le  nom  de  la  reyne  que  vous 
portez,  par  celuy  de  mère  que  vous  prenez  en  m'escrivant,  de  revenir 
un  peu  à  vous,  de  songer  à  ce  que  vous  faictes  et  considérer  quel  (sic) 
en  peut  estre  la  fin.  On  veut  se  servir  de  vostre  nom  et  emprunter 
vostre  main  pour  porter  le  flambeau  (et  embrazer  tout  ce  royaume  du 
feu)  d'une  guerre  civille  dans  (ce  royaume)  cest  Estât.  Sy  une  femme 
le  faisoit  en  un  royaume  estranger,  encores  seroist(ce)  e^e  blasmable. 
Si  une  mère  le  fait  au  royaume2  et  en  l'héritage  de  ses  enfans,  quel 
jugement  en  fera  le  siècle  présent  (et  que  la  prospérité)3  et  ceus  de 
l'advenir  mesmes  de  vous  qui  avez  desja  veue  par  plusieurs  fois  avec 
horreur  et  avec  compassion  les  prodiges  de  calamitez  et  misères  que 
trainent  avec  soy  les  guerres  civilles.  Prenez  donc  conseil  avec  Dieu, 
avec  la  nature,  avec  vostre  honneur  et  prudence.  Quel  efïect  sem- 
blable à  tant  de   belles  parolles  dont  vos   lettres   sont  plaines  qui 

1.  Pour  les  incidents  de  la  prise  d'Usarche  défendue  pour  le  compte  du  duo 
d'Épernon  et  par  suite  de  Marie  de  Médicis  et  prise  par  le  comte  de  Schom- 
berg pour  le  roi,  je  renvoie  à  mon  livre  :  Sous  Louis  XIII  et  Richelieu, 
p.  351  et  suiv.  Quant  à  l'affaire  de  Boulogne  remise  en  l'obéissance  du  roi, 
malgré  le  lieutenant  qui  la  voulait  garder  pour  Épernon,  la  relation  officielle 
qu'envoya  le  roi  à  sa  mère  par  l'entremise  du  cardinal  de  la  Rochefoucault  a 
été  publiée  dans  Négociation,  p.  140. 

2.  Les  mots  au  royaume  sont  fortement  soulignés  par  le  correcteur. 

3.  C'est  probablement  un  lapsus  du  scribe  recopiant  ou  prenant  à  la  dictée 
de  travers  les  mots  et  la  postérité  mesmes. 


LOUIS   XIII    ET   SA    MÈRE.  315 

semblent  ne  (respirent)  respire?'  crue  le  bon  heur  de  l'Estat  et  la  gloire 
de  mon  règne,  mais  il  se  trouve  directement  opposé  aux  actions  de 
ceux  qui  se  servent  de  vostre  nom  et  de  vostre  auctorité.  Pour  moy, 
Madame,  la  guerre  ne  me  faict  point  (peur)  de  peine  et  ne  m'in- 
quiette  pas.  L'exercice  des  armes  est  non  seulement  convenable  à 
mon  aage,  mais  agréable  à  mon  humeur.  Quand  je  ne  la  trouveray 
point  près  de  moy  je  l'iray  chercher  au  loing  et  croy  fermement  que 
(la  multitude)  le  grand  nombre  de  mes  ennemis  ne  (sera  qu'accrois- 
sement et  matière)  servira  que  de  matière  et  d'accroissement  à  ma 
gloire.  Certainement  il  semble  (davantage)  de  plus,  Madame,  que  Dieu 
veuille  restablir  l'auctorité  royalle  en  mon  Estât  par  la  rébellion  de  mes 
mauvais  subjects  {et  je  deverois  (sic)  dois  plus)  ne  la  pouvant  (plus 
estre)  ni  devant  plus  supporter  que  par  le  chastièment  (sic)  de  ceux 
qui  ont  perdu  le  respect  et  la  foy  qu'ilz  doibvent  à  la  Majesté  de  leur 
prince,  et  toutesfois  songeant  que  je  suis  autant  leur  père  (comme) 
que  leur  roy  et  que  ceux  qu'il  me  faut  chastier  sont  autant  mes 
enfans  que  mes  subjects,  je  prends  ausi  à  regret  la  verge  de  fer  à  la 
main  et  la  leur  veus  montrer  avant  que  de  les  frapper,  afin  de  les 
ramener  doucement  et  charitablement  à  leur  devoir  et  à  mon  obéis- 
sance. Pour  vous,  Madame,  je  n'auray  jamais  d'armes  pour  vous  mal 
faire  en  quelque  lieu,  estât  et  condition  que  vous  soyez,  et,  quelque 
traictement  que  vous  me  faciez,  mes  armes  ne  serviront  qu'à  vous 
asseurer  et  vous  defîendre,  et  si  jamais  ils  estoient  employées  (sic)  en 
sorte  qu'on  peust  dire  l'estre  contre  vous,  ce  sera  seulement  pour 
vous  empescher  de  vous  perdre  et  vous  délivrer  de  la  malheureuse 
servitude  (d'autres)  d'autruï  ou  vous  estes  malheureusement  tom- 
bée. Je  vous  (l'ay)  ai  faict  dire,  Madame.  Je  vous  le  répète  encore 
que  je  veux  et  entends  que  vous  ayez  plaine  et  entière  seureté,  tout 
honneur,  respect  et  auctorité  en  quelque  lieu  qu'il  vous  plaira  d'aller 
par  tout  mon  royaume,  sans  nul  excepter.  Je  vous  la  donne  devant 
Dieu,  devant  tous  les  roys  de  la  terre,  devant  tous  mes  peuples  que 
j'appelle  à  tesmoing  de  l'office  et  protestation  que  je  vous  en  fais, 
que  je  ne  pourrois  violer  sans  me  rendre  coupable  et  odieux  à 
Dieu  et  aux  hommes.  Que  sy,  outre  cela,  pour  guérir  vostre  esprit 
malade  de  cette  à  la  vérité  misérable  deffiance,  vous  desirez  quelque 
place  pour  vostre  seureté,  laquelle  toutesfois  vous  ne  trouverez 
jamais  ny  honnorable  pour  vous  ny  qui  vous  satisface  entièrement 
qu'en  mon  amitié  et  filialle  bien  veillance,  mon  cousin  le  cardinal  de 
la  Rochefoucault,  que  j'ai  envoie  de  nouveau  vous  trouver,  et  le 
sieur  comte  de  Bethune,  en  l'affection  et  fidélité  desquels  j'ai  entière 
confiance,  vous  auront  faictz  entendre  ce  que  j'accorde  pour  vostre 
contentement.  Ayméz  moy,  Madame,  aussy  chèrement  que  je  vous 
ayme  et  me  croyez,  je  vous  supplie,  et  vous  esviterez  (un  goulfre  de 
misère  et  calamité)  beaucoup  de  desplaisirs,  de  malheurs  où  ceux 
qui  font  semblant  de  flatter  vostre  passion  ont  dessein  de  vous  plonger1. 

1.  Cinq  Cents  Colbert  98,  p.  21  à  33.  Au  tome  97,  fol.  191  à  197,  une  copie 


316  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 


III. 

[Après  le  8  avril  1619.] 
Madame, 

Il  seroit  à  désirer  que  vous  fussiez  autant  esloignée  du  desseing  de 
vous  plaindre  de  mes  deportemens  que  je  le  suis  de  la  volonté  de  vous 
en  donner  aucun  subject.  Mais  ce  m'est  une  peine  très  grande  que 
(de  Testât  où  vous  estes  vous  rendez  à  présent)  dans  l'assiette  ou 
est  apresent  vostre  esprit  vous  interprétez  quasi  toutes  choses  en 
mauvaise(s)  part.  Je  tesmoigne  (à  ce  qui  vient)  à  ceu.s  qui  mènent 
de  vostre  part  la  douceur  qui  m'est  possible. 

Cependant,  vous  ne  laissés  de  me  faire  voir  (tousjours  des)  la  con- 
tinuation des  impressions  que  l'on  vous  donne  par  le  jugement  que 
vous  faictes  de  mes  actions.  Vous  dictes,  Madame,  crue  je  me  tiens 
importuné  de  voz  lettres.  Il  semble  en  cela  que  l'on  vous  faict  recher- 
cher plutost  ung  prétexte  de  vous  plaindre  que  (des)  les  considérations 
véritables  que  vous  avez  de  vous  contenter  de  tout  ce  qui  vient  de 
moy  ainsy  que  particulièrement  je  me  suis  efforcé  de  faire  par  les 
responces  que  j'ay  rendues  à  (toutes)  voz  lettres,  puis  que  donc  vous 
n'avez  aucun  subject  de  faire  (les)  ces  plainctes,  il  faut  que  j'en  accuse 
(le  lieu  où  vous  estes)  les  persones  qui  vous  approchent  qui  vous 
(faict)  font  sans  doute  interpréter  tout  autremens  ce  que  je  fais  pour 
le  mieux  et  changer  mesme  les  resolutions  que  le  sieur  comte  de 
Bethune  vous  avoit  fait  prendre  si  sagement  lors  qu'il  vous  fist 
entendre  mes  justes  intentions  avec  la  C07ifiance  dont  je  m'estois 
expliqué  à  lui  en  partant  d'auprès  de  moi,  comme  je  le  recognois 
par  ce  que  vous  (me  dittes  en)  m'escrivés  par  vostre  lettre  que  les 
parolles  que  le  sieur  de  Bethunes  vous  a  portéss  de  ma  part  vous 
avoient  données  beaucoup  de  satisfaction  et  de  (la)  confiance1.  J'ay 
creu  l'augmenter  (encore)  davantage  vous  envoyant  en  suitte  mon 
cousin  le  cardinal  de  la  Rochefoucault,  que  vous  aurez  maintenant 
veu  et  recogneu  par  (le  pouvoir)  les  ordres  que  je  luy  ay  donnés  qu'il 
ne  se  peut  rien  adjouster  au  désir  que  j'ay  de  vostre  contentement. 
Vous  voyez  donc,  Madame,  que  vous  avez  subject  de  vous  louer  de 


raturée  porte  :  «  De  Paris,  ce  5e  (?)  d'avril  1619,  »  et  la  date  barrée  :  «  De 
Saint-Germain-en-Laye,  ce  3e  d'avril  1619.  »  Dans  Négociation,  p.  142  à  149, 
la  lettre  se  trouve  avec  la  date  du  8  avril.  Les  divergences  y  sont  intéres- 
santes, par  exemple  cette  clausule  :  «  Ou  ceux  qui  pour  leurs  intherest  parti- 
culiers font  semblant  de  flater  vostre  passion  ont  dessein  de  vous  engager  pour 
tascher  d'en  tirer  advantage  et  de  s'en  prévaloir  a  vre  préjudice.  »  11  y  a  aussi 
dans  cet  exemplaire  des  corrections  de  la  même  main  qui  seront  à  étudier 
à  part. 

1.  L'allusion  semble  porter  sur  la  lettre  du  20  mars  qui  commence  par  un 
remerciement  sur  l'envoi  du  comte  de  Béthune  et  un  éloge  de  cet  ambassadeur. 


LOUIS    XIII    ET    SA    MERE. 


317 


moy,  non  pas  de  vous  en  plaindre.  Aussy,  quand  vous  serez  détrom- 
pée, je  m'asseure  que  vous  approuverez  ce  que  l'on  a  faict  à  Boulogne 
et  Usarche  pour  protéger  l'obéissance  que  mes  subjects  m'y  ont 
voulu  conserver  contre  la  violance  de  ceux  qui  s'en  vouloient  rendre 
maistres.  C'est  une  protection  si  juste  et  naturelle  que  je  croirois 
devoir  souffrir  un  jour  quelque  reproche  si  j'y  avois  manqué,  que  si 
je  (me)  voulois  (plaindre)  encores  à  former  des  plaintes  à  mon 
tour,  je  vous  dirois,  Madame,  que  je  trouve  (bien)  assés  estrange  que 
vous  (appelés)  appelliés  ces  lieux  là  les  places  de  vostre  seureté  et 
conservation  particulière,  comme  si  toutes  les  autres  de  mon  Estât 
ne  vous  estoient  autant  acquises  et  asseurées.  Il  n'y  peut  avoir  de 
distinction  que  par  les  désobéissances.  Mais  où  elles  seront  je  ne  veux 
pas  croire  que  vous  y  voulussiez  rechercher  aucune  sorte  de  seureté. 
Vous  n'en  pouvez  avoir  ce  me  semble  une  meilleure  qu'en  la  part 
que  vous  avez  si  légitimement  en  mon  affection.  Cela  (suffit)  vous 
doit  suffire,  Madame,  pour  me  donner  les  advis  que  vous  dictes 
importer  à  mon  service.  Je  vous  ay  tousjours  offert  de  les  recepvoir, 
soit  en  les  communiquant  au  sieur  comte  de  Bethune  ou  en  les  disant 
à  (telz)  tel  autre(s)  qu'il  vous  plaira  choisir.  Comme  apresent  vous 
avez  encor  près  de  vous  mon  cousin  le  cardinal  de  la  Rochefoucaut, 
par  lequel  vous  me  pouvés  fort  librement  assez  faire  entendre  voz 
intentions,  je  ne  vous  (reitereray)  confirmerai  point  de  nouveau  les 
offres  que  je  vous  ay  faictes  par  luy  pour  vous  mettre  en  repos.  Je 
les  confirme  seulement  avec  protestation  que  c'est  pour  vous  les  faire 
jouir  avec  l'honneur  qui  vous  est  deub  et  sera  tousjours  rendu  parti- 
culièrement par  ceux  qui  m'approchent  et  de  qui  je  me  sers  con- 
fidament.  C'est  donc  à  vous,  Madame,  à  (quitter)  banir  de  vostre 
esprit  touttes  ses  craintes  et  ombrages  que  j'ose  dire  imaginaires 
affin  de  prendre  les  asseurances  que  vous  offre  un  filz  qui  respire  le 
repos  de  sa  mère  autant  que  le  sien  propre.  Si  en  vous  offrant  ce  que 
Dieu  et  la  nature  m'obligent  vous  desnier  à  tout  les  deus  par  les  mau- 
vais conseilz  qui  vous  sont  donnez,  ce  que  la  raison  et  vostre  propre 
bien  et  aventages  de  vous  mesmes  demandent,  je  proteste  de  mon 
innocence  (en)  et  contre  tous  les  desplaisirs  que  vous  jugés  vous 
mesmes,  Madame,  qui  vous  pourront  arriver  estant  séparée  de  la 
bonne  intelligence  qui  doit  estre  entre  nous.  Ne  souffrez  pas  donc 
s'il  vous  plaist  qu'elle  reçoive  altération,  aymez  moy  plustost  autant 
que  vous  ayme  celuy  qui  est,  [etc.]1. 

1.  Ginq  Cents  Colbert  98,  p.  15-18.  Cette  lettre  paraît  inédite.  Elle  semble 
répliquer  à  la  lettre  écrite  par  Marie  de  Médicis  le  2  avril  1619,  dans  laquelle 
elle  se  plaint  des  armements  du  roi  et  surtout  des  incidents  d'Usarche  et  de 
Boulogne,  et  elle  a  dû  être  confiée  au  cardinal  de  la  Rochefoucauld,  dont  les 
instructions  sont  du  8  avril. 


318  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 


IV. 

[Paris,  9  avril  1619.] 
Madame, 

Vous  me  donnez  tousjours  des  espérances  de  rencontrer  en  voz 
actions  la  correspondance  qu'un  bon  fîlz  demeurant  dans  les  debvoirs 
ausquelz  la  nature  l'oblige  peut  attendre  d'une  mère  qui  n'a  d'autres 
interrestz  que  ceux  que  vous  me  représentez.  Mais  le  temps  ne  me 
fait  'veoir  que  des  desguisemens  avec  des  suittes  fort  contraires  aux 
bons  desseins  que  vous  (disposez)  mescrivés  par  voz  deus  dernières 
lettres  avoir  pour  le  bien  commun  de  tous  mes  subjects1.  Sy  vérita- 
blement touttes  voz  pensées,  Madame  (estoient),  aboient2  à  la  reffor- 
mation  de  mon  Estât  ainsy  que  vous  allez  par  tout  publiant3,  un 
(res)sentiment  (tant)  si  louable  se  manifesteroit  par  des  veritez  qui 
auroient-(de  la  convenance)  beaucoup  de  rapport  avec  ce  que  vous 
dictes  et  par  quelque  remarque  particulière  tousjours  plus  digne  de  con- 
sidération que  des  termes  généraux  (communs  en  la  bouche  des  subjectz 
qui  ne  veulent  mesprendre).  Vous  me  feriez  veoir  qu'il  y  a  du  mal  ou 
je  n'en  (puis)  ai  pu  encore  descouvrir4.  Vous  voulez  (vous),  Madame, 
que  je  sois  en  ombrage  de  (tous)  la  pluspart  de  ceux  qui  me  servent, 
que  leur  fidélité  me  soit  (constamment)  suspecte  par  l'inquiétude  et 
la  confusion  qu'apporte  d'ordinaire  une  accusation  générale  (et  quand 
de  meilleures  intentions),  j'ai  (faict)  peu  faire  peut  estre  pour  vous 
(plaire)  comjilaire  (des  sinistres)  de  mauvais  jugemens  qui  me  ren- 
draient coupables  devant  Dieu  et  tenu  des  hommes  pour  un  roy 
(indigne)  peu  digne  d'avoir  (de  fidels  subjects.  Mais)  des  serviteurs 
fidèles  si  (cela)  ces  soupçons*  (estoit)  estoient  pris  par  tout  de  la 
sorte  (que  vous  les  prenez)  qu'ilz  paroissent  dans  vostre  esprit.  Je 
vous  supplie  de  considérer  quelle  satisfactioii  et  quelle  seureté  vous 
pourriez  trouver  vous  mesme  dans  (mon)  ime  pareille  manière  de 
gouvernement  et  quelle  sorte  d'affection  (vous)  y  pourriez  vous  appor- 
ter quand  la  raison  jointe  à  la  justice  (destruira)  destruiroii  voz  sen- 
timens  remplis  de  def  fiances.  Car  toute  auctorité  souveraine  qui  ne 
protège  les  bons  ce  rend  odieuse  mesme  aus  meschans.  Quittez  donc  s'il 
vous  plaist  ces  termes  si  généraux  qui  ne  peuvent  suffisament  (conten- 
ter une  ame  désireuse  de)  un  esprit  fait  comme  le  mien  qui  demande 

1.  Cinq  Cents  Colbert  98,  p.  47-49;  Négociation,  p.  161.  Le  texte  de  la 
Négociation  adopte  les  corrections,  mais  contient  en  plus  une  phrase  absente 
de  notre  manuscrit  :  «  ...  mes  subjects  et  que  vous  le  protestez  si  souvent  au 
sieur  comte  de  Béthune  pour  mè  le  confirmer  de  votre  part  »  (p.  161). 

2.  Béthune  :  tendoient  à... 

3.  Béthune  :  le  publiant. 

4.  Béthune  :  où  je  n'en  ay  encores  pu  découvrir. 

5.  Béthune  :  si  les  soupçons... 


LODIS    XIII    ET   SA    MÈRE.  319 

et  cherche  la  vérité,  (elle)  il  n'y  (parvient)  sçauroit  parvenir  que  par 
des  particulières  et  exactes  cognoissances  [:]  où  il  vous  plaira  de  m'en 
donner,  Madame,  je  les  recevray  très  volontiers  et  si  vos  disposi- 
tions et  vos  sentimens  se  rencontrent  semblables  aux  (miennes) 
miens  ce  ne  sera  pas  inutillement  je  vous  en  asseure  puisque  vous 
me  trouverez  tousjours  dans  le  désir  que  tous  ceux  qui  sont  trompez 
doibvent  avoir  de  se  pouvoir  destromper.  Vous  ne  le  serez  jamais  en 
me  croyant  avec  la  defference  et  la  véritable  affection  que  je  suis, 
[Madame  ma  mère,  vostre  très  humble  et  obéissant  fils, 

Louis. 
De  Paris,  ce  9e  jour  d'avril  1619]  '. 


Madame, 

Bien  que  par  le  sieur  comte  de  Bethune  je  vous  aye  desja  faitsça- 
voir  mes  bonnes  intentions,  je  ne  laisseray  de  vous  envoyer  mon  cou- 
sin le  cardinal  de  la  Rochefoucault  pour  vous  (réitérer)  les  réitérer. 
(Sa  vertu  et)  son  zeHe  me  (font)  faict  espérer  un  heureux  succez  de 
son  voyage  luy  ayant  donné  (le)  un  nouveau  pouvoir  (nécessaire) 
tant  pour  vostre  repos  (et)  que  pour  celuy  de  mon  Estât.  Je  vous  prie 
de  le  croire  comme  moy  mesme  et  de  m'aymer  comme  je  vous  ayme. 
C'est,  M. 

Du  13  avril  1619  2. 

VI. 

[Paris,  vers  le  27  avril  1619?] 
Madame, 

J'ay  apris  par  le  rapport  (du  R.)  que  ma  faict  le  R.  Père  Berule  et 
par  ce  que  m'a  escript  par  lui  le  sieur  comte  de  Bethune  (par  lui) 
les  demandes  que  vous  faictes  pour  sortir  de  la  captivité  où  voz  enne- 
mis et  non  pas  vos  serviteurs  comme  vous  les  qualifiés  tel  vous 
ont  portées.  Elles  me  semblent  si  estranges  qu'il  paroist  (qu'un)  que 
le  mesme  esprit  qui  vous  a  persuadé  de  sortir  de  Blois  vous  (invite) 
excite  encore  maintenant  à  rechercher  les  moyens  de  me  donner  du 
mescontentement,  comme  j'en  reçois  de  très  sensibles  lors  que  l'on 
me  dit  que  vous  demandez  des  places  de  seureté.  Les  instructions  que 
j'ay  receues  de  vous,  Madame,  dans  ma  minorité  s'opposent  à  cette 
demande  qui  ne  peut  causer  que  de  la  douleur  à  tous  mes  bons  subjects 
et  estre  cause  enfin  d'un  très  mauvais  exemple  à  la  postérité.  Si  vous 
aviez  bien  pensé  à  cette  proposition  (sans  doute  qu'elle  vous  seroit  en 

1.  La  clausule  entre  crochets  avec  la  date  n'est  que  dans  Négociation. 

2.  Ibid.,  p.  49,  lettre  13. 


320  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

horreur),  vous  ne  l'auriês  pas  faitte  ou  du  moins  vous  y  aunes  eu 
beaucoup  de  répugnance  quand  on  vous  l'a  conseillée,  prenant 
tacitement  les  voyes  qu'un  divorce  de  religion  a  faict  autrefois  suivre 
dans  ce  royaume  à  ceux  qui  s'estoient  séparez  de  l'obéissance  qu'ils 
(doibvent)  dévoient  à  mes  prédécesseurs.  Vous  m'avez  si  souvent 
blasmé  ce  que  la  nécessité  (et  le)  et  la  considération  du  repos  public 
avoient  (lors)  dans  ces  temps  la  contrainct  de  faire1,  (qu'estant)  que 
si  vous  estiés  libre  vous  mesmes  pour  estre  arbitre  de  voz  demandes 
vostre  conscience  condamnerait  ce  que  vostre  jugement  a  tousjours 
trouvé  très  pernicieux  à  un  Estât.  Les  roys  sont  protecteurs  de  tous 
ceux  qui  vivent  soubz  leurs  (sic)  domination  (et  qui)  mais  quand  ils 
cherchent  seureté  ailleurs  (qu'en  sa)  que  dans  leurs  personne  et 
leurs  bienveillances  n'en  (doibt)  doivent  point  trouver  dans  les 
royaumes.  Touttes  celles  aussy  que  vous  pourriez  prétendre  d'autre 
manière  seraient  suspectes  et  scandaleuses  au  public  et  plaine  de 
deffiance(s).  En  les  vous  (octroyans)  accordans  je  sçais  que  je  péche- 
rais contre  les  loix  (divines  et  humaines)  (de  l'Estat  et  sa  politique) 
les  plus  politiques  d'un  Estât.  Mais  d'autant  que  vous  faictes  voir 
aux  yeux  d'un  chacun  les  conseilz  (inconsiderez)  imprudens  et 
mesmes  violens  qui  vous  sont  donnez,  je  veux  accroistre  la  gloire  de 
ceux  qui  m'aprochent  le  plus,  faisant  cognoistre  par  ma  patience  et 
les  resolutions  que  je  prens  avec  eux  la  bonté  et  la  douceur  de  leur 
naturel  et  les  sentimens  qu'ilz  me  donnent  à  vous  aymer  uniquement2, 
rechercher  vostre  repos  et  vous  mettre  en  estât  qu'ayez  occasion  de 
vous  louer  de  mes  deportemens.  A  cet  effect  je  vous  offre  encores  tel 
lieu  et  place  que  vous  voudrez  choisir  pour  y  vivre  avec  auctorité  et 
entière  liberté.  Si  ma  cour  vous  est  agréable,  vous  y  pouvez  venir,  y 
séjourner  et  changer  de  demeure  selon  voz  volontez  que  je  ne  borne- 
ray  jamais  que  pour  demeurer  dans  l'union  irai  doibt  estre  inséparable 
de  noz  cœurs.  Ne  croyez  point  que  je  puisse  concevoir  autre  desseing. 
Ceux  qui  craignent  le  chastiment  de  leur  démérites  (sic)  vous  veullent 
donner  de  l'ombrage  de  mes  armes  et  vous  faire  opposer  aux  moyens 
que  j'ay  de  punir  leurs  faultes  et  maintenir  mon  auctorité  qu'ilz 
veullent  opprimer  soubz  l'appuy  de  vostre  nom.  Vous  ayans  protesté 
(de)  et  fait  (déclarer)  asseurer  en  mon  nom  diverses  fois  quelles 
sont  mes  intentions  sur  ce  particulier,  vous  ne  devez  plus  tesmoigner 
avoir  de  la  craincte  des  trouppes  que  j'ay  comandées,  puisqu'elles  ne 
sont  que  pour  vous  tenir  en  seureté  et  vous  et  moy.  L'expérience  que 
j'ay  faicte  qu'un  estât  desarmé  est  tousjours  en  mespris,  souffre  aisé- 
ment les  conspirations  et  donnent  (sic)  de  la  hardiesse  mesmes  aux 

1.  Nous  avons  ici  un  écho  des  conversations  de  Marie  de  Médicis  avec 
Louis  XIII  avant  son  émancipation,  probablement  à  l'occasion  des  premières 
guerres  des  princes  et  sur  l'attitude  à  prendre  avec  les  réformés. 

2.  Cette  préoccupation  d'innocenter  Luynes  et  de  faire  tomber  les  préven- 
tions, de  Marie  de  Médicis  est  à  noter. 


LOUIS    XIII    ET    SA    MÈRE.  321 

plus  timides  pour  se  porter  aux  entreprises  téméraires,  m'oblige  de 
continuer  les  levées  que  j'ay  commancées  et  me  tenir  prest  soit  pour 
assister  mes  voisins  et  amis  ou  m'opposer  aux  mouvementz  de  ceux 
qui  voudrout  troubler  la  tranquilité  publique.  La  paix  universelle  qui 
estoit  en  ce  royaume  m'avoit  ces  jours  passez  faict  congédier  mes 
troupes,  espérant  par  cet  espargne  soulager  d'autant  mon  peuple. 
Aujourd'huy  que  je  recognois  que  pour  ce  peu  de  bien  et  d'aventage 
il  en  pourroit  naistre  beaucoup  de  maux,  je  suis  résolu  d'estre  dores- 
navant  en  estât  de  me  pouvoir  protéger  et  deffendre,  non  seulement 
pour  le  présent,  mais  autant  que  Dieu  me  donnera  de  vie  pour  régner 
sur  (ce)  mes  peuples  au  repos  (duquel)  desquels  j'establiray  (tout)  mon 
principal  contentement.  Vous  ne  pouvez,  Madame,  légitimement 
(reprouver)  blasmer  cette  resolution,  car  Dieu  (se  servant)  s'estant 
servie  (sic)  de  vous  pour  me  faire  naistre  roy  de  (cet  Estât)  ce  grand 
royaume  qui  est  plus  obligé  d'en  conserver  l'auctorité  entière  qui  est 
deue  (à  mes  jours)  à  mon  règne  que  vous,  Madame,  (de)  qui  (ils  ont 
reçeu  leur  origine)  deués  estre  mère  de  l'Estat  aussi  bien  que  du 
roy.  Ne  soyez  donc  plus  susceptible  d'aucun  ombrage  que  l'on  vou- 
droit  vous  donner  de  mes  armes,  car  n'ayant  autre  but  que  celuy 
que  doibt  avoir  un  bon  filz  qui  veut  régner  en  roy,  leur  puissance  ser- 
vira à  nous  maintenir  tout  deux  (sic)  en  Testât  que  nous  devons  estre 
contre  ceux  qui  se  voudraient  opposer  soubs  quelque  prétexte  que  ce 
soit  (car  je  l'ay  dict  que  de  cause  légitime  il  n'y  en  a  point).  Je  me 
promets  que  doresnavant  vous  contribuerez  plustost  à  mon  desseing 
que  de  le  contester  et  qu'estant  une  fois  destrompée  des  mauvaises 
impressions  qui  vous-  ont  esté  données  vous  approuverez  mes  senti- 
mens  (que  tout)  qui  sont  tels  qu'un  bon  prince  les  doibt  avoir.  (Je 
les  continueray)  ausi  les  veusie  continuer  par  ung  soing  non  moins 
charitable  envers  mes  subjectz  que  juste  et  ra[is]onnable  vers  vous, 
Madame,  de  qui  je  doibs  chérir  le  repos  et  embrasser  la  protection. 
C'est  ce  que  je  feray  tousjours  aussy  puissamment  que  vous  le  sçau- 
riez  désirer  justement  de  celuy  qui  est,  [etc.]1. 

1.  Cinq  Cents  Colbert  98,  p.  33-36,  lettre  8.  C'est  par  conjecture,  d'après 
le  ton  général,  que  l'on  peut  attribuer  cette  lettre  à  l'époque  du  second  retour 
de  Bérulle.  Il  rapportait  le  27  avril  les  propositions  de  la  reine,  jugées  insou- 
tenables. Peut-être  avant  de  renvoyer  le  4  mai  la  lettre  qui  va  suivre,  Louis  XIII 
écrivit-il,  dès  le  27,  au  reçu  des  demandes  de  sa  mère,  cette  lettre  où  il  motive 
longuement  son  refus.  Les  dates  sont  malaisées  à  déterminer  d'après  l'état  des 
négociations.  Ainsi  peut-on  contester  la  raison  qui  a  fait  refuser  la  date  du 
13  mai  au  fragment  que  M.  Pavie  a  cité  dans  son  excellent  ouvrage  :  la  Guerre 
entre  Louis  XIII  et  Marie  de  Médicis  (Angers,  1899).  Voici  cet  extrait  d'une 
lettre  absente  de  notre  manuscrit  :  «  La  sollicitude  pour  votre  repos  et  le 
désir  de  vous  complaire  m'ont  seuls  incliné  à  souscrire  à  votre  exorbitante 
exigence;  mais  envisagez  en  conscience  le  péril  d'un  tel  précèdent.  A  cet  égard, 
les  souvenirs  abhorrés  des  récentes  gueres  civiles  ne  justifient  que  trop  l'in- 
quiétude actuelle  du  royaume.  Desabusez-vous  des  perlides  conseils  de  rebelles 
Rev.  HlSTOR.  CV.  2e  FASG.  21 


322  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

VII. 

[Paris,  vers  le  4  mai  1619.] 
Madame, 
Vous  sçaurez  par  le  retour  du  père  de  Berulle  la  resolution  que  j'ay 
prise  sur  les  propositions  qu'il  m'a  faictes.  Je  m'asseure  qu'après  qu'il 
vous  aura  particulièrement  informée  de  mes  intentions  et  des  raisons 
sur  lesquelles  elles  sont  fondées,  vous  jugerez,  Madame,  que  je  n'ay 
rien  obmis  de  tout  ce  que  j'ay  estimé  pouvoir  faire  pour  le  bien  de 
mon  Estât  et  vostre  contentement  qui  doibvent  estre  tousjours  insé- 
parables. Mais  ce  que  je  désire  principalement  est  que  vous  croyez  que 
vous  n'esprouverez  jamais  rien  de  plus  véritable  que  les  effects  de 
mon  affection  dont  je  rechercheray  en  toutes  occasions  de  vous  donner 
tant  de  preuves  que  vous  cognoistrez  que  l'une  des  choses  du  monde 
que  je  passionne  davantage  est  de  nous  veoir  remis  en  une  si  parfaicte 
amitié  et  si  entière  intelligence  que  nous  n'ayons  jamais  autre  diffé- 
rend sinon  à  qui  se  rendra  plus  de  debvoir,  vous,  Madame,  d'une  très 
bonne  mère,  et  moy  d'un  très  affectionné  filz,  ce  que  je  me  prometz 
avec  la  grâce  de  Dieu  de  veoir  heureusement  réussir,  m'asseurant  sur 
vostre  bon  naturel  et  ayant  ma  conscience  pour  juge  qu'il  ne  me 
manque  aucune  condition  de  touttes  celles  qui  me  peuvent  donner  à 
juste  tiltre  le  nom  de,  [etc.]1. 

VIII.. 

[Tours,  après  le  28  mai  1619.] 
Madame, 
La  lettre  qu'il  vous  a  pieu  de  m'escrire  ne  m'a  pas  apporté  le  con- 
tentement que  je  m'estois  promis  et  que  ma  conduite  vers  vous  meri- 

redoutant  mes  châtiments,  et  par  là  intéressés,  pour  se  déclarer  contre  mon 
autorité  sous  votre  nom,  à  me  signaler  comme  votre  agresseur.  Vous  me 
voyez,  au  contraire,  armé  pour  vous  affranchir  de  l'accaparement  des  cabales. 
Nul  refuge  pour  vous  ne  vaudra  le  cœur  d'un  fds,  et  mes  bras  seront  tou- 
jours ouverts  pour  vos  recevoir.  »  La  date  du  13  mai,  donnée  par  l'Allegata 
de  l'ambassadeur  vénitien,  à  qui  on  doit  ce  passage,  traduit  semble-t-il  en 
langue  un  peu  moderne,  a  paru  trop  tardive  à  M.  Pavie.  Je  crois  au  contraire 
que,  même  après  la  date  du  4  mai,  époque  du  retour  de  Bérulle,  à  son  second 
voyage,  Louis  XIII  pouvait  encore  tenir  ce  langage,  et  même  plus  lard,  quel 
que  fût  l'état  des  négociations.  Voir  Pavie,  op.  cit.,  p.  89. 

1.  Cinq  Cents  Colbert  98,  p.  14-15.  On  ne  trouve  ni  dans  le  Mercure  ni 
dans  Négociation  cette  lettre  sans  date,  qui  fut  probablement  emportée  le 
4  mai  par  le  P.  de  Bérulle,  lors  de  son  troisième  voyage  à  Angoulême.  Nous 
savons  en  effet  que,  parti  le  13  mars  aussitôt  après  Béthune,  «  il  revint  le 
cinq  avril  »  et  s'en  retourna  le  9.  Cf.  Journal  d'Arnauld,  p.  412  et  416  :  «  M.  de 
Berule  repart  en  poste  pour  aller  à  Angoulesme.  M.  le  cardinal  de  la  Roche- 


LODIS   XIII    ET    SA    MERE.  323 

toit;  car  vous  blasmez  (les  forces  que  j'ay  mises)  la  resolution  que 
favois  prise  de  mettre  des  troupes  sur  pied  non  contre  vous,  mais 
contre  ceux  qui,  abusans  de  vostre  nom,  faisoient  des  pratiques  dedans 
et  dehors  le  royaume  pour  soulever  mes  subjects  et  eslever,  s'ilz 
eussent  peu,  les  princes  estrangers  pour  troubler  la  tranquillité  de  mon 
Estât,  lesquelles  (forces)  troupes  ont  à  la  vérité  esté  inutiles,  non  pour 
la  raison  particulière  contenue  en  vostre  lettre,  mais  pour  ce  que  au 
lieu  de  les  employer  j'ay  mieux  aymé  chercher  les  moyens  de  vous 
reconcilier  avec  moy  en  vous  asseurant  de  ma  bonne  volonté  et 
oubliant  à  vostre  instante  prière  (les  offences)  la  desobeissajice  et  les 
services  de  tous  ceux  qui  vous  ont  assistée1.  Elles  avoient  toutes  esté 
levées  avec  juste  subject  ou  plustost  par  nécessité  et  en  suivant 
l'exemple  des  roys  qui  sont  bien  conseillez  comme  j'ay  esté  jusques 
icy  par  la  grâce  de  Dieu,  lesquelz  n'attendeni  pas  qu'un  mouvement 
préparé  contre  leur  auctorité  et  le  salut  de  ceux  que  Dieu  a  soubmis  à 
leur  domination  soit  fortitïié  en  sorte  qu'il  ne  puissent  (sic)  mettre  leurs 
affaires  en  péril,  mais  vont  au  devant  par  prévoyance.  Considérez 
donc,  Madame,  comme  j'en  ay  usé.  Aussytost  que  je  fus  adverty  de 
vostre  départ  de  Blois,  j'envoyai  vers  vous  le  sieur  coynte  de  Bethunes, 
puis  quelque  temps  après  luy  mon  cousin  le  cardinal  de  la  Roche- 
foucaut  avec  des  offres  qui  vous  pouvoient  asseurer  que  je  ne  desirois 
rien  avec  plus  d'ardeur  que  de  vous  (ayrner,  honorer  et  respecter)  tes- 
moigner  (comme)  que  je  vous  aymois,  honorois  et  respectois 
comme  ma  bonne  mère,  par  tous  les  devoirs  et  offices  qu'on  peut 
requérir  d'un  fils  qui  a  tousjours  eu  emprainct  (en  l'ame)  dans  le 
cœur  tout  ce  à  quoy  la  loy  de  Dieu  et  celle  de  la  nature  l'obligent.  Il 
semble  neantmoins  que  l'on  vous  vueille  faire  rejetter  sur  moy,  comme 
une  faulte  commise  envers  vous,  ce  que  j'ay  faict  avec  si  bonne  inten- 
tion et  continué  tousjours  depuis,  encore  que  (la  foiblesse)  l'artifice 
de  ceux  qui  vous  ont  conseillée  de  m'escrire  en  (cette  sorte)  cette 
manière  et  les  forces  que  j'avois  assemblées  m'ayent  donné  le  (pou- 
voir) moien  et  le  (moyen)  pouvoir  de  surmonter  toutes  ces  diûicultez 
en  peu  de  jours  et  d'en  vesr  après  (à  rencontre  d'eux  comme)  contre 
eux  avec  tel  chastiment  qu'il  m'eust  pieu. 
Ayant  donc  (au)  dans  le  cœur  ce  que  je  veux  croire  avec  plaisir  de 

foucaukl  part  pour  aller  à  Angoulesme,  où  il  arrive  le  vendrecly  19,  avec  pou- 
voir d'offrir  Angers,  Chinon,  Pont-de-Cé.  Il  revient  le  15  juin.  »  De  ce  second 
voyage,  il  revint  le  27  avril  pour  rapporter  la  dernière  prétention  de  la  reine 
mère,  laquelle  «  demandoit  Amboise,  outre  ce  qui  luy  avoit  esté  accordé,  ce 
qui  luy  fut  refusé.  »  C'est  à  ce  retour  à  Angoulème,  où  il  repartit  le  4  mai, 
qu'il  porta  la  lettre  ci-dessus,  celle  même  qui,  rédigée  par  Arnauld  d'Andilly 
à  la  prière  de  Déageant,  arracha  des  larmes  de  tendresse  à  Marie  de  Médicis, 
déclarant  que  c'était  la  première  lettre  affectueuse  qu'elle  recevait  de  son  iils 
(Mémoires  d Arnauld  d'Andilly,  p.  388).  Ibid.,  p.  419  :  «  Il  repart  le  4  may 
pour  retourner  à  Angoulesme.  » 

1.  D'après  cette  phrase,  à  ce  point  des  négociations,  l'amnistie  du  duc  d'Éper- 
non  et  des  autres  complices  de  l'évasion  de  Blois  était  chose  acquise. 


324  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

vostre  bon  naturel,  n'entrez  plus  en   reproche  des   choses  passées, 
puisqu'on  (y)  ni  sçauroit  rien  remarquer  que  (plain  de  cinserité)  plein 
de  sincérité  de  ma  part.  Cherchez  plustost  vostre  contentement  en 
l'asseurance  que  vous  devez  prendre  de  mon  amitié,  vous  estes  trop 
interressée  (en  mon  bien  et  en  mon  mal)  au  bon  et  au  mauvais  suc- 
ces  de  mes  affaires,  mes  subjects  ne  peuvent  souffrir  oppression  ny 
mon  auctorité  estre  diminuée  que  vous  ne  vous  en  ressentiez.  Il  est 
temps  une  fois  pour  touttes  de  finir  ces  desordres  et  n'est  desja 
que  trop  tard  pour  (le  bien)  l'aventage  et  le  repos  de  mes  bons  subjects 
et  pour  vostre  (liberté)  bien  particulier,  vous  pouvant  dire  avec 
vérité  que  vous  ne  (pourries)  sçauriés  recouvrer  avec  plus  de  seurété 
(en  commenecant  par  vous)  et  de  satisfaction  vostre  première  liberté 
(que  par)  qu'en  acceptant  les  offres  que  je  vous  ay  faict  et  répétez  si 
souvent  et  faietz  encore  (à  présent)  de  nouveau  par  le  Père  de  Berulle, 
dont  la  prudhommie  et  la  sagesse  (et  sincérité)  vous  (estes)  sont  assez 
cognùes  et  croyez  que  j'accompliray  de  bonne  foy  et  avec  une  volonté 
immuable  tout  ce  que  je  vous  ay  promis  et  accordé  par  le  traitté 
fait  en  mon  nom  avec  vous  par  le  sieur  de  Dethune  et  mon  cou- 
sin  le  cardinal  de  la  Rochefoucault.  Il  s'acquittera  mieux  de  la 
créance  que  je  luy  ay  donnée  que  n'a  faict  le  comte  de  Brayne  de 
celle  qu'il  a  receu  de  vous  qu'il  a  retenue  à  soy  sans  me  l'exposer  et 
s'est  conduit  en  ma  cour  comme  s'il  y  estoit  venu  non  de  la  part  d'une 
mère  vers  son  filz  et  après  l'accommodement  conclud  et  arresté,  mais 
comme  s'il  eust  esté  de  la  part  de  quelque  ennemi  et  (au  temps  de 
l'hostilité)  que  l'on  eust  esté  encore  dans  le  tems  des  actes  d'hos- 
tilité*. J'attendray,  Madame,  d'apprendre  par  le  retour  du  sieur  «le 
la  Chesnaye  qui  vous  rendra  (cette)  la  présente  de  ma  part2,  Testât  de 
votre  santé  (vous  faisant)  voulant  de  plus  en  plus  vous  faire  cognoistre 

1.  Notez  cette  allusion  évidente  à  l'incident  que  raconte  en  ces  termes 
Arnauld  d'Andilly  dans  son  Journal  :  «  M.  le  comte  de  Brenne  vient  trouver  le 
roy  avec  des  lettres  de  la  reyne  mère;  n'ayant  point  encore  veu  Sa  Majesté,  et 
estant  dans  l'antichambre,  teste  nue  comme  tous  les  autres,  M.  de  Luynes 
passe  le  chapeau  à  la  main,  et  jettant  les  yeux  sur  M.  le  comte  de  Brenne, 
M.  le  comte  de  Brenne  se  tint  ferme,  et  se  recula  plustôt  que  de  s'avancer;  et 
M.  d'Elbeuf  passant  après,  il  luy  alla  faire  une  très  grande  révérence,  et  ensuite 
à  quelques  autres.  Le  roy,  qui  en  fut  fâché,  ne  receut  pas  trop  bien  le  comte 
de  Brenne,  lorsqu'il  luy  rendit  sa  lettre,  laquelle,  se  trouvant  estre  en  plus 
fâcheux  termes  qu'aucune  des  précédentes...,  on  commençoit  à  entrer  en 
défiance...  »  {Journal  inédit,  éd.  Halphen,  1857,  p.  425). 

2.  Cette  lettre,  nous  le  savons  par  Arnauld  d'Andilly,  ne  fut  pas  confiée  au 
comte  de  Brenne  :  «  30  [mai].  Le  roy  renvoyé  M.  le  comte  de  Brenne  sans 
lettre  (on  en  avoit  fait  une  de  quatre  lignes,  mais  qu'il  ne  voulut  pas  que  l'on 
luy  baillast),  avec  quelques  paroles  de  compliment  à  la  reyne,  et  chargé  de  luy 
dire  qu'il  luy  feroit  réponce  par  un  gentilhomme  exprès  »  {Journal  inédit, 
p.  420).  Elle  fut  portée  à  la  reine  par  M.  de  la  Chesnaye  nommé,  précisément 
sur  la  fin,  et  qui  partit  de  Tours  pour  Angoulème  le  1er  juin  :  «  Samedy, 
1"  [juin].  M.  de  la  Chesnaye  part  pour  aller  à  Angoulesme  »  [Ibid.). 


LODIS   XIII    ET   SA    MÈRE.  325 

les  véritables  sentimens  d'amitié  que  jai  pour  vostre  persone  et 
quoi  qu'on  vous  ait  en  divers  temps  voulu  persuader,  qu'il  ne  se 
peut  rien  adjouter  à  (l'affection)  celle  que  vous  porte...,  [etc.]'. 


IX. 

[Amboise,  17  juin,  ou  Tours,  19  juin.] 
Madame, 

Le  plaisir  que  vous  prenez  à  recevoir  de  mes  nouvelles  m'oblige  de 
vous  en  faire  part  souvent.  Mais  comme  je  n'aypas  moins  de  conten- 
tement lors  que  vous  me  faictes  sçavoir  des  vostres,  je  me  rends  soi- 
gneux de  vous  en  demander.  C'est  avec  un  désir  qu'elles  soient  très 
bonnes.  J'attendray  d'en  aprendre  au  retour  du  sieur  de  Marosan,  qui 
vous  asseurera  ce  pendant  du  bon  estât  auquel  il  m'a  laissé  et  pour 
ce  qu'il  vous  dira  de  ma  part  en  présence  de  mon  cousin  le  cardi- 
nal de  la  Rochefoucault  et  du  sieur  comte  de  Bethune  vous  y  aurez 
(toutte)  créance  s'il  vous  plaist.  Je  vous  supplie,  Madame,  de  m'aymer 
tousjours  autant  que  je  vous  ayme,  c'est  ce  que  je  souhaite  le  plus  au 
monde  et  que  vous  me  croyez  (ce  que)  comme  il  (vous)  suis  (c'est)  de 
cœur  et  d'affection. 

17  juin  L6192. 

X. 

Madame, 
J'avois  résolu  de  retirer  mes  canons  qui  sont  ez  villes  que  je  vous 
ay  baillées  pour  le  faire  mettre  en  mes  arsenaulx.  Ayant  apris  que 
vous  desirez  qu'ilz  demeurent  dans  lesdictes  places,  j'ay  commandé 
de  les  y  laisser  pour  vous  tesmoigner  en  cela  comme  vous  cognoistrez 
par  tout  que  je  préfère  vostre  contentement  a  toutte  aultre  considéra- 
tion. Cet  advis  m'est  arrivé  sur  le  départ  du  sieur  de  Marosan  et  après 
vous  avoir  escrit  par  luy  la  lettre  qu'il  vous  porte  de  moy.  Vous  rece- 
vrez cette  seconde  d'une  mesme  main  et  eu  mesme  temps,  qui  vous 
fera  cognoistre  mon  affection  en  tout  ce  que  vous  désirerez.  C'est... 

17  juin  16193. 

XI. 

Madame, 
Vous  sçavez  que  ce  que  l'on  désire  est  tousjours  attendu  avec  impa- 
tience :  puis  que  mon  contentement  est  de  vous  voir  et  que  vostre 
volonté  y  est  toutte  disposée,  je  vous  supplie  d'advancer  au  plustost 

i.  Cinq  Cents  Colbert  98,  p.  19  à  21. 

2.  Ibid.,  p.  55  et  56,  lettre  25. 

3.  Ibid.,  p.  5G,  lettre  26. 


326  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

vostre  voyage.  Le  ciel  favorise  cette  prière  par  la  diminution  des  cha- 
leurs et  tous  mes  bons  serviteurs  y  contribuent  leurs  vœux  et  leurs 
prières.  J'envoye  le  sieur  de  Brantes  pour  vous  convier  à  cela,  vous 
asseurer  que  vous  serez  la  très  bien  venue  et  pour  vous  tesmoigner 
plus  particulièrement  mes  affections  qui  seront  tousjours  telles  que  je 
vous  dois  et  que  vous  sçauriez  désirer1. 


XII. 

Madame, 

Ayant  sçeu  ■  vostre  indisposition,  je  vous  envoyé  le  Mayne  affin 
d'estre  promptement  asseuré  de  Testât  de  vostre  santé  qui  combat  par 
l'incertitude  que  j'en  ay  le  contentement  que  je  reçois  du  désir  que 
mon  cousin  le  duc  de  M[onbason]  et  le  sieur  comte  de  Bethune  (m'a) 
m'ont  faict  sçavoir  que  vous  aviez  de  me  voir  et  de  la  resolution  que 
vous  en  avez  prise.  Je  vous  prie  de  la  continuer  avec  une  ferme 
créance  que  vous  serez  la  très  bien  venue  et  cependant  attendue 
impatiemment  de  celuy  qui  est,  [etc.]2. 

XIII. 

Madame, 

Le  sieur  de  Villiers  vous  fera  sçavoir  de  quelle  sorte  je  reçois  ce 
qui  vient  de  vous  et  de  la  disposition  qu'il  a  trouvée  en  moy  très 
promptes  (sic)  à  favoriser  vos  demandes.  J'ay  commandé  à  mon  con- 
seil d'escrire  ce  dont  vous  m'avez  requis  afEn  que  vous  en  receviez 
contentement.  Ces  tesmoignages  de  mon  affection  vous  obligent  à  me 
donner  la  vostre.  Je  la  demande  et  la  désire  posséder  entièrement. 
C'est  le  plus  juste  dessein  que  peut  avoir,  [etc.]3. 

XIV. 

Madame, 

Sur  l'advis  que  j'ay  eu  que  vous  vous  disposiez  d'aller  à  Cougnac, 
j'ay  mandé  au  sieur  comte  de  Bethune  de  vous  faire  entendre  quelques 
choses  importantes  à  mon  service.  Vous  y  donnerez  s'il  vous  plaist 
toute  créance  et  ferez  (se)  sur  ce  qu'il  vous  (plaira)  dira  de  ma  part  la 
considération  que  vous  jugerez  nécessaire  pour  le  bien  de  mes  affaires 
et  pour  mon  contentement.  Comme  j'ayme  le  vostre  je  sçay  que  vous 
desirez  le  mien  et  d'une  pareille  affection  que  je  suis,  [etc.]. 

Au  Plessis  les  Tours,  le  22  juin  1619  ^ 

1.  Cinq  Cents  Colbert  98,  p.  53,  lettre  21. 

2.  Ibid.,  p.  52  v°,  lettre  19. 

3.  Ibid.,  lettre  20. 

4.  Ibid.,  p.  50,  lettre  14. 


LOUIS    XIII    ET    SA    MERE.  327 

XV. 

Madame, 

Je  voudrois  faire  plustost  avancer  les  occasions  qui  vous  peuvent 
apporter  du  contentement  que  d'en  retarder  l'exécution,  puisque 
sçachant  que  vous  aurez  (bien)  fort  aggreable  de  veoir  ma  sœur  la 
princesse  de  Piedmont,  je  ne  veux  pas  qu'elle  diffère  davantage  à  vous 
aller  rendre  à  Angoulesme  ses  treshumbles  devoirs  (d'une  visite) 
auparavant  son  partement  pour  Piedmont  (en  pouvoit  allonger  le 
temps,  mais  noz  affaires  n'ont  pas  permis  de  différer  plus  longue- 
ment). [Elle]  desiroit  (tresfort)  il  y  a  longtemps  d'avoir  l'honeur  (elle 
a  esté  très  désireuse  de  vous  veoir)  et  moy  j'estois  très  content  qu'elle 
(en)  fit  (le)  ce  voyage.  Je  le  seray  encore  (plus  parfaictement)  daven- 
tage  quand  je  sçauray  à  son  retour  que  mes  bonnes  intentions  ont  eu 
auprès  de  vous  tout  l'effect  que  je  men  prometz.  Je  souhaitte,  Madame, 
qu'elles  (mesmes)  vous  soient  entièrement  cogneues.  Ce  bien  regarde 
(celuy)  cet  avantage  que  nous  devons  egallement  rechercher.  Vous  ne 
pouvez,  ce  me  semble,  Madame,  recognoistre  ces  mesmes  intentions 
sans  m'aymer  tousjours  de  plus  en  plus  et  l'accroissement  de  (mon) 
vostre  affection  sera  tousjours  l'augmentation  du  mien  (amour).  Je 
ne  puis  me  veoir  aymé  que  je  n'ayme  encore  davantage.  C'est  ce  que 
vous  expérimenterez  tousjours  de  celuy  qui  est  parfaittement,  [etc.]  '. 

XVI. 

Madame, 

Ma  sœur,  la  princesse  de  Piedmont  (ma  sœur),  a  désiré  de  vous 
veoir  et  (de)  d'aller  recevoir  voz  commandementz  avant  que  de  s'ache- 
miner en  Piedmont,  ce  que  j'ay  eu  fort  agréable,  ayant  creu  que  ce 
voyage  vers  vous  estoit  non  seulement  de  son  debvoir  (et)  mais 
(qu'il  feroit  vostre)  que  vous  en  recevriés  un  particulier  contante- 
ment.  Son  bon  naturel  me  faict  croire  que  pour  changer  de  pays 
qu'elle  ne  s'esloignera  (point)  jamais  de  l'affection  et  du  respect 
auquel  sa  naissance  l'oblige,  dont  j'espère  que  vous  et  moy  demeure- 
rons tousjours  (bien)  très  satisfaictz2. 

XVII. 

Madame, 

J'ay  (été)  receu  bien  (desplaisant)  du  desplai'sir  d'aprendre  par 
(voz)  vostre  lettre(s)  le  combat  qui  s'est  faict  entre  le  marquis  de  The- 

1.  Cinq  Cents  Colbert  98,  p.  150,  lettre  142. 

2.  Ibid.,  p.  151,  lettre  143.  En  tète  de  la  lettre,  le  scribe  a  écrit  :  autre  sur 
le  mesme  subjet. 


328  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

mines  et  le  sieur  de  Richelieu,  et  que  ce  dernier  y  ait  esté  tué1. 
Sachant  combien  ceste  action  vous  aura  esté  désagréable  et  (la  fasche- 
rie  que  vous  en  aurez  receue)  vous  aura  causé  de  mescontentement. 
Je  vous  accorde  bien  volontiers  la  confiscation  qui  en  peut  eschoir  et 
voudrois  que  ce  mauvais  subject  ne  se  fust  point  présenté  de  vous  faire 
cette  gratiffication,  demeurant  tousjours  très  disposé  de  vous  tesmoi- 
gner  en  meilleures  occasions  les  asseurances  que  vous  debvez  prendre 
de  la  parfaicte  amitié  et  bienveillance  de,  [etc.]2. 


XVIII. 

Madame, 

(La  parfaicte)  L'union  que  je  recherche  d'establir  entre  nous  estant 
l'un  des  plus  dignes  et  louables  effects  qu'une  (bonne  volonté)  affec- 
tion mutuelle  peut  produire,  je  veux  ausi  de  mon  costé  par  tous 
moyens  dont  je  me  pourray  adviser  et  servir  vous  faire  veoir  combien 
je  la  désire.  Vous  sçavez,  Madame,  les  personnes  de  condition  et 
confiance  que  j'ay  desja  envoyées  à  cest  effect  qui  y  résident  encore 
et  celle  du  sieur  comte  de  Be thune  que  fay  voulu  qu'il  ne  bou- 
geast  d'auprès  de  vous,  Madame,  jusqu'à  ce  qu'il  [ait]  eu  l'hon- 
neur de  vous  accompagner  auprès  de  moy.  Je  vous  envoyé  encores 
mon  cousin  l[e]  d[uc]  de  Montbason  comme  estant  l'un  de  ceux  de 
ma  court  que  je  considère  et  (j')ayme  autant.  L'estime  et  la  con- 
fiance (en)  dans  laquelle  vous  et  moy  l'avons  tousjours  eu  me  fait 
croire  que  vous  adjousterez  plus  de  foy  à  ce  qu'il  vous  dira  de  ma 
part  qu'à  tout  autre  que  je  pourrois  envoyer.  Il  vous  asseurera  que 
je  ne  demande  pas  seulement  une  bonne  intelligence  avec  vous,  mais 
que  je  désire  que  vous  veniez  avec  une  entière  confiance  reprendre 
vostre  place  (à)  dans  ma  cour  aussy  bien  que  vous  l'avez  dans  mon 
cœur.  Ce  sera  pour  y  séjourner  tant  qu'il  vous  plaira  et  n'en  point 
partir  si  vous  l'avez  agréable.  C'est  un  moyen  pour  vivre  ensemble  en 
(parfaicte)  amitié.  Puis  donc,  Madame,  que  vous  sçavez  mes  intentions 
et  que  vous  les  voyez  entièrement  disposées  à  tout  ce  que  vous  avez 
désiré,  acheminez  vous  par  deçà,  je  vous  (supplie)  prie  au  plustost  et 


1.  Le  recueil  autographe  de  Tronson  contient  cette  lettre,  mais  avec  son 
ancien  texte  non  corrigé.  C'est  là  peut-être  que  le  P.  Griffet  l'aura  lue,  car  il  y 
fait  allusion  :  «  Comme  il  craignoit,  écrit-il  du  futur  cardinal,  que  si  l'on  fai- 
soit  le  procès  à  la  mémoire  du  marquis  de  Richelieu,  son  frère,  en  vertu  des 
edits  portés  contre  les  duels,  tous  ses  biens  ne  fussent  confisqués,  il  engagea 
la  reine  mère  à  demander  cette  confiscation  au  roi,  supposé  qu'elle  vînt  à  être 
ordonnée  par  la  justice  dans  le  dessein  de  la  remettre  à  l'évêque  de  Luçon.  » 
Et,  en  marge,  Griffet  ajoute  cette  référence  :  «  Lettre  du  roi  à  la  reine  mère, 
mss.  du  séminaire  de  Saint-Sulpice  »  (p.  249;  cf.  plus  haut,  p.  307,  n.  3). 

2.  Cinq  Cents  Colbert  98,  p.  50,  lettre  15. 


LOUIS    XIII    ET    SA    MÈRE.  329 

me  donnez  ce  contentement  que  nous  (revenions)  retournions  ensemble 
à  Paris.  Je  quitterois  cette  province  avec  regret  d'y  avoir  séjourné  si 
long  temps  à  vostre  occasion  et  d'en  partir  sans  vous,  j'attendray  sur 
ce  vostre  resolution  et  demeureray,  etc.  (Madame,  etc.). 

D'Amboise,  ce  17  juillet  1619  *. 

XIX. 

Madame, 

Je  ne  trouve  rien  de  trop  difficile  quand  il  s'agit  de  vostre  contente- 
ment. Il  me  faut  changer  mes  resolutions  les  plus  déterminées  (et 
laisser  en  arrière  des)  n'avoir  nul  esgard  aux  puissantes  considé- 
rations (très)  qui  avoient  fait  de  fortes  (et  puissantes)  imjiressions 
sur  mon  esprit.  Vous  le  cognoistrez  par  la  responce  que  vous  porte 
mon  cousin  le  duc  de  Montbason  (elle  tire  de  mon  affection)  et  qui 
est  une  preuve  signalée  du  pouvoir  que  vous  avez  sur  moy.  J'avois 
absolument  résolu  de  casser  les  deux  compagnies  (de)  du  Bour- 
det  et  de  Valence  qui  sont  du  régiment  de  mes  gardes,  ce  que 
je  (faisois)  pensois  faire  avec  tant  de  justice  que  pour  ne  m'en 
départir  et  m'y  rendre  plus  obligé  j'(ay)  avois  publié  ceste  mienne 
resolution  et  protesté  de  la  vouloir  effectuer.  Sur  quoy  les  plus 
(grands)  considérables  de  ma  cour  m'incitant  davantage  à  cela  me 
conseilloient  (de  faire  veoir)  de  donner  cet  exemple  pour  apprendre 
à  ceux  qui  servent  près  de  ma  personne  le  respect  et  l'obéissance 
qu'ilz  me  doibvent  et  soient  obligez  de  garder  plus  religieusement  que 
tous  autres  la  fidélité  de  ceux  que  les  charges  honorent  de  la  garde 
des  roys  doit  estre  si  pure  et  innocente  que  les  moindres  faultes  les 
rend  indignes  à  jamais  de  l'honneur  de  les  approcher,  que  s'ilz  contre- 
viennent à  ceste  obligation  tousjours  importante  à  un  estât  le  crime 
n'en  peut  estre  puny  trop  rigoureusement.  Ceux  pour  qui  vous  me 
parlez,  Madame,  ont  failly.  Mais  je  veux  pour  l'amour  de  vous  oublier 
leurs  fautes  ainsy  que  pour  vostre  considération  je  perds  les  ressenti  - 
mens  qui  m'en  pouvoient  rester,  vous  promettant  de  rechef  de  rece- 
voir lesdits,  etc.,  non  comme  coupables  ou  indifferends,  mais  de  les 
traicter  (très)  bien  favorablement  et  comme  s'ils  ne  se  fussent  jamais 
esloignez  de  leur  devoir  [et]  de  mon  service.  Je  veux  et  entendz  de 
plus  que  la  déclaration  que  je  vous  en  ay  faicte  soit  suivie  de  point 
en  point  et  accomplie  avec  une  entière  satisfaction  de  vostre  part.  Si 
je  n'eusse  eu  ce  desseing,  l'on  ne  vous  eust  promis  en  mon  nom  ce 
que  l'on  a  faict.  Ma  parolle  sera  gardée  inviolable  envers  tous  (les 
peuples)  et  plus  exactement  observée  en  vostre  endroict  qu'envers 
tous  autres,  puisque  oultre  la  qualité  de  roy,  en  laquelle  chacun  doibt 

1.  Cinq  Cents  Colbert  98,  p.  40  et  41,  lettre  10. 


330  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

prendre  toutte  asseurance,  j'ay  encores  celle  de  filz  (et  d'un  bon  filz) 
qui  m'oblige  à  une  plus  exacte  observation  de  mes  promesses.  Si  l'on 
vous  veut  donner  de  la  deffiance  pour  ce  regard,  tenez  telles  per- 
sonnes pour  suspectes  et  dangereuses  et  croyez  qu'ilz  ont  leurs  inter- 
restz  plus  en  recommandation  que  vostre  service.  Mes  intentions  n'ont 
qu'une  face,  l'extérieur  fait  veoir  l'intérieur.  (Pour)  Au  nom  de  Dieu, 
Madame,  que  la  (malice)  malignité  des  (meschans)  gens  artificieus 
et  intheressés  ne  me  face  point  paroistre  autre  que  tel  que  je  suis 
devant  luy  qui  voit  mon  cœur.  Je  sçay  qu'on  vous  a  voulu  faire  mal 
interpréter  (la  poursuitte  que  j'ay  faicte  (cideuant)  (pour)  autrefois  et 
sitost  après  vostre  retraitte  à  Angoulesme  la  proposition  que  je 
vous  fis  faire  par  le  sieur  comte  de  Bethune  de  vous  veoir  en 
quelque  lieu  et  le  véritable  désir  que  je  vous  ay  tesmoigné  que  j'en 
avois  pour  entendre  de  vostre  bouche  ce  que  vous  aviés  à  me  dire 
et  à  me  représenter  d'important  à  mon  service.  La  suitte  de  mes 
actions  et  vostre  propre  cognoissance  ne  condamnent  pas  moins  les 
soubçons  ausquels  l'on  s'est  efforcé  de  vous  porter  que  ceux  qui  les 
vous  ont  voulu  donner.  Cela  ne  m'empeschera  de  vous  dire  que  je 
souhaicte  passionnément  de  vous  voir  avant  que  de  quitter  cette  pro- 
vince. L'assemblée  de  ceux  de  la  religion  me  presse  de  partir  pour 
obvier  que  mon  séjour  en  ce  lieu  ne  les  incite  à  demander  une  autre 
ville  que  Loudun  et  ne  les  face  entrer  en  quelque  ombrage.  Selon  cela, 
jugez  si  vostre  commodité  permet  de  vous  acheminer  si  tost.  Si  ce 
temps  est  trop  précipité,  différez  et  partez  quand  il  vous  plaira  pour 
me  venir  trouver.  Séjournez  en  chemin  où  vous  l'aurez  agréable.  Je 
trouve  tout  bon,  car  j'ay  pris  une  telle  confiance  en  voz  promesses 
qu'il  n'y  a  rien  qui  me  puisse  donner  de  l'ombrage  de  vous  ny  de  voz 
actions.  Si  j'ay  à  craindre  quelque  chose  ce  sera  vostre  long  séjour 
par  delà  ennuyeux  à  mon  attente  et  à  tous  ceux  qui  souhaittent  de 
voir  noz  cœurs  plus  parfaictement  uniz  par  la  présence  de  l'un  de 
l'autre  qu'ilz  ne  le  peuvent  pas  estre  dans  l'esloignement.  La  craincte 
que  j'ay  eu  que  (l'arrivée  de)  le  voiage  que  ma  sœur  la  princesse]  de 
Piedmont  (auprès  de  vous)  vouloit  faire  à  Angoulesme  pour  vous 
rendre  ce  qu'elle  vous  doit  n'apportast  quelque  retardement  (à  vostre 
voyage)  au  vostre  vers  mou  m'a  obligé  de  lui  (faict)  faire  différer 
(celuy  qu'elle  vouloit)  le  sien  à  un  autre  temps.  Soudain  que  je 
sçauray  vostre  resolution  positive  au  jour  de  vostre  partement  pour 
une  entreveue  elle  vous  attendra  en  ce  lieu  où  (si  vous  ne  venez) 
elle  s'acheminera  où  vous  vous  serez,  et  pour  moy  je  vous  iray  attendre 
à  Fontainebleau  ou  par  tout  ailleurs  qu'il  vous  plaira  où  vous  serez 
la  très  bien  venue,  lorsque  vous  me  donnerez  le  contentement  de  vous  y 
veoir  et  asseurer  de  vive  voix  que  vous  ne  sçauriez  estre  aymée  plus 
que  vous  ayme  celuy  qui  est,  [etc.]1. 

1.  Cinq  Cents  Colbert  98,  p.  37-40,  lettre  9. 


LOUIS    XIII    ET    SA    MÈRE.  331 

XX. 

Madame, 

Aussy  tost  que  j'ay  sçeu  la  maladie  de  mon  frère,  je  vous  en  ay 
voulu  donner  advis  par  la  Borde  que  je  vous  envoyé.  Je  luy  ay  com- 
mandé de  passer  par  Sansevrier4  (sic)  affin  de  voir  Testât  auquel  il  est 
et  vous  en  porter  des  nouvelles  asseurées.  Celles  de  vostre  partement 
que  j'ay  apris  par  le  retour  du  sieur  de  Brantes  me  contentent  bien 
fort,  m'ayant  trouvé  dans  les  mesmes  désirs  et  impatiences  de  vous 
voir  que  je  vous  l'ay  tesmoigné.  Je  souhaitte  que  vostre  voyage  soit 
heureux  et  qu'en  bonne  santé  vous  puissiez  arriver  à  Tours,  où  je  vais 
vous  attendre.  Vous  recevrez  là  de  vive  voix  les  asseurances  d'une 
tresparfaicte  amité.  Cependant,  je  vous  supplie  de  croire  que  vous 
aymant  cordiallement  comme  je  fais  que  je  suis  aussy  de  coeur  et 
d'affection. 

[Vers  le  29  août  1619  2.] 

XXI. 

Madame, 

Vous  ne  pouviez  me  faire  recevoir  avant  vostre  arrivée  un  plus 
grand  contentement  que  de  m'envoyer  l'evesque  de  Lusson3  ayant 
donné  (sur)  à  la  confiance  que  vous  avez  en  luy  plus  de  foy  (et  [mot 
illisible])  de  créance  qu'à  tout  autre  qui  fut  venu  de  vostre  part.  Il 
retourne  vers  vous  avec  cognoissance  de  ma  bonne  volonté  et  (des) 
de  nmpatience(s)  que  j'ay  de  vous  veoir  et  de  vous  embrasser  me 
remettant  à  ce  qu'il  vous  en  dira  je  vous  reitereray  seulement  icy  la 
prière  que  je  vous  ay  faicte  de  prendre  soin  sur  les  chemins  de  vostre 
santé  et  de  croire  que  je  suis,  Madame*. 

[Vers  le  4  septembre5.] 

(Sera  continué.) 

1.  Lire  Champ-Chevrier.  Gaston  y  tomba  malade  le  27  août.  Cf.  Journal 
d'Arnauld  d'Andilly,  p.  444. 

2.  Cinq  Cents  Colbert  98,  p.  54,  lettre  22. 

3.  En  marge  la  curieuse  addition  du  correcteur  :  «  Cest  evesque  de  Luçon 
fust  depuis  ce  grand  cardinal  de  Richelieu  renommé  dans  son  temps.  » 

4.  Cinq  Cents  Colbert  98,  p.  54  et  55,  lettre  23. 

5.  La  lettre  a  dû  précéder  de  peu  l'entrevue  du  5  septembre  que  Richelieu 
fut  chargé  de  préparer. 


332  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

UNE  GRÈVE  DE  GAGNE-DENIERS  EN  1786 

A  PARIS. 


Au  xvme  siècle,  la  classe  ouvrière,  après  une  longue  servitude 
et  une  longue  résignation  inconsciente,  arrive  à  la  vie  sociale.  Trois 
phénomènes  arrachent  à  sa  torpeur  cette  masse  populaire,  la 
t'ouaillent,  l'excitent,  la  conduisent  à  poser  un  redoutahle  problème 
que  la  pensée  révolutionnaire  ne  résoudra  pas,  qui  depuis  s'est 
affirmé,  précisé,  a  poussé  ses  racines  jusqu'au  cœur  même  de  la 
société,  mais  est,  en  réalité,  esquissé  dès  l'agonie  de  l'ancienne 
monarchie.  La  pensée  des  philosophes,  tout  d'abord,  ensemence 
l'esprit  de  la  classe  dirigée  d'idées  de  liberté,  d'indépendance,  de 
dignité.  Elle  affirme  l'égalité  de  la  valeur  sociale  des  hommes  en 
dépit  des  différences  de  rang  et  de  fortune,  elle  libère  les  sujets  de 
la  superstition  des  hiérarchies.  Cette  profonde  révolution  morale 
survient  au  temps  où  les  ouvriers,  étouffés  dans  le  carcan  de  fer 
des  corporations,  écrasés  de  décrets,  de  lettres  patentes,  d'arrêts, 
tous  hostiles  à  leurs  intérêts  et  à  leurs  désirs,  découvrent  dans  leur 
vieille  organisation  des  abus  dont  le  développement  incessant  arrive 
à  son  apogée  :  la  corporation  qui,  jadis,  dans  le  principe,  a  été  une 
garantie  et  une  protection,  est  devenue  le  patrimoine  de  quelques 
maîtres  qui  se  transmettent  de  père  en  fils,  de  beau-père  à  gendre, 
maîtrises  et  privilèges,  éloignant  du  premier  rang,  soit  par  la  force 
des  choses,  soit  par  des  droits  de  réception  prohibitifs,  les  compa- 
gnons découragés.  Enfin,  la  crise  économique  où  se  débat  le  royaume, 
et  que  les  intendants  les  plus  optimistes  des  meilleures  généralités 
reconnaissent  eux-mêmes,  a  son  contre-coup  dans  le  monde  des 
travailleurs  et  vient  leur  apporter  l'enseignement  de  la  misère,  des 
salaires  de  famine  et  du  chômage. 

Sous  cette  triple  influence,  l'agitation  sourde,  la  verve  vengeresse, 
les  chansons  satiriques  contre  les  patrons,  contenues  jusqu'ici  dans 
l'intimité  des  «  confrairies  »  et  le  secret  des  compagnonnages,  se 
font  jour,  deviennent  agressives,  violentes,  les  aspirations  ouvrières 
s'y  condensent,  ou,  si  l'on  veut,  s'y  épanouissent,  et  il  semble  vrai- 
ment que  telle  parodie  chargée  de  haine,  comme  la  Farce  du  cru- 
chon* ,  inventée  devant  la  boutique  d'un  maître  détesté,  réponde, 

t.  Préfecture  de  police,  fonds  Lamoignon,  vol.  33,  note  du  fol.  557. 


UNE   GRÈVE   DE    GAGNE-DENIERS    EN    1786.  333 

tout  en  bas  de  Tordre  social,  aux  sarcasmes  d'un  Voltaire,  aux  har- 
diesses des  encyclopédistes. 

Mais  les  compagnons  ne  s'en  tiendront  pas  à  ce  jeu  ironique.  On 
s'énerve  à  railler  en  commun  ses  maîtres.  Lorsque  des  causes  plus 
précises  s'ajouteront  aux  injustices  latentes,  les  railleurs  se  soulève- 
ront. Les  ouvriers  vont  préluder  aux  grandes  journées  de  la  Révo- 
lution par  de  nombreux  mouvements  dans  le  cours  du  xvme  siècle, 
émeutes,  soulèvements,  grèves.  Il  serait  long  d'énumérer  toutes  ces 
agitations  partielles.  Rappelons  le  mouvement  des  tisseurs  en  1737 
à  propos  de  dispositions  sur  la  maîtrise.  Us  protestaient  en  même 
temps  contre  le  travail  des  femmes  et  les  inventions  de  Vaucanson * . 
En  1724,  les  bonnetiers,  fabricants  de  bas  au  métier,  se  mettent  en 
grève  pour  protester  contre  une  diminution  de  salaire  de  5  sols  par 
paire  de  bas  de  soie  et  de  2  sols  6  deniers  sur  les  bas  de  laine  fine2. 
C'est  une  grève  tout  à  fait  bien  organisée  ;  les  chômeurs  ont  un  tré- 
sorier, —  Michel,  —  qui  leur  distribue  des  secours  prélevés  sur  une 
caisse  commune.  Thoucinet,  garçon  imprimeur,  tâche  également  de 
déterminer  une  grève  des  ouvriers  de  sa  corporation3.  Même  mou- 
vement à  Mazamet  en  1788.  C'est  une  question  de  salaire  qui  a 
déterminé  la  grève*. 

Ces  mouvements  répétés,  fréquents,  bien  dirigés  et  exécutés  avec 
une  remarquable  discipline,  ne  frappent  cependant  pas  outre-mesure 
les  contemporains,  même  les  mieux  avisés.  Il  ne  semble  pas  qu'ils 
aient  compris  l'importance  de  ces  phénomènes  sociaux  et,  de  fait, 
les  documents  sont  rares,  capables  de  nous  renseigner  exactement 
sur  la  physionomie  et  la  marche  de  ces  premières  grèves  sérieuses. 
Même  Hardy,  ce  bourgeois  curieux,  ce  libraire  chroniqueur,  amateur 
d'anecdotes  et  de  détails,  ne  note  qu'en  passant  les  symptômes  pour- 
tant si  graves  compris  dans  le  cadre  de  son  Journal. 

Le  vendredi  11  octobre  1776,  éclate  une  grande  grève  chez  les 
maîtres  relieurs  et  doreurs  de  livres.  Toutes  les  corporations  qui 
touchent  à  cette  industrie  se  sentent  menacées.  Aux  syndics  et 
adjoints  de  la  communauté  des  maîtres  relieurs,  colleurs,  doreurs  de 
livres,  papetiers  se  sont  adjoints  les  libraires  et  imprimeurs,  jurés 
de  l'Université,  pour  demander  au  magistrat  de  police  d'employer  la 
rigueur.  Depuis  le  lundi  précédent,  il  n'y  a  plus  dans  les  ateliers  ni 
un  compagnon,  ni  un  ouvrier,  ni  une  plieuse,  ni  une  couseuse. 
Voici  donc  une  grève  générale  d'une  corporation  méthodiquement, 

1.  Germain  Martin,  les  Associations  ouvrières  au  XVHl"  siècle,  p.  126. 

2.  Ibid. 

3.  Archives  de  la  Bastille. 

4.  Germain  Martin,  Ibid. 


334  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

sérieusement  organisée  et  qui  réussit  avec  un  ensemble  que  les  syn- 
dicats modernes  atteignent  rarement.  La  cause  en  est  des  plus  inté- 
ressantes :  les  ouvriers  demandent  qu'on  leur  retranche  deux  heures 
de  travail  par  jour  «  en  les  assimilant  aux  ouvriers  des  maîtres 
papetiers-coleurs  qui  venoient  d'être  réunis  aux  maîtres  relieurs  par 
le  nouvel  Edit  de  rétablissement  des  corps  et  communautés  d'arts 
et  métiers  et  dont  ils  soutenoient  que  les  règlements  à  cet  égard 
dévoient  être  adoptés  par  préférence  à  ceux  de  la  communauté  des- 
dits maîtres  relieurs  »'.  Or,  il  semble  que  ces  malheureux  travail- 
laient seize  heures  par  jour,  car  lorsque,  intimidés  par  des  arresta- 
tions, les  compagnons  relieurs  reprennent  le  travail,  Hardy  ajoute  : 
on  ne  sait  à  quelles  conditions,  s'ils  abandonnent  leurs  prétentions 
«  relativement  à  la  continuité  des  seize  heures  de  travail  pour  chaque 
jour,  ce  qui  paroissoit  un  peu  exorbitant  ».  Le  compagnonnage 
était  riche.  Il  put  soutenir  la  lutte.  Des  apprentis  accoururent  de 
province  pour  s'embaucher  aux  ateliers.  On  leur  distribua  4  livres 
à  chacun  et  ils  s'en  retournèrent.  On  s'engagea  à  payer  chez  quelques 
gargotiers  du  canton  du  Mont-Saint-Hylaire  la  pension  des  compa- 
gnons les  plus  pauvres  et  qui  auraient  été  tentés  de  reprendre  l'ou- 
vrage. Le  mouvement  ne  prit  pas  une  forme  très  violente.  On  se 
contenta  de  parades  injurieuses  devant  les  boutiques  des  maîtres. 
Trop  longtemps,  le  monde  ouvrier  avait  courbé  la  tête  et  reculé 
devant  les  durs  châtiments  réservés  à  la  révolte  contre  les  mono- 
poles. Il  ne  résista  pas  à  l'intimidation.  On  arrêta  six  compagnons 
relieurs  et  tout  rentra  dans  l'ordre. 

La  grève  des  compagnons  charpentiers  de  1786  fut  plus  brutale. 
Il  y  eut  détournement  par  la  force  des  compagnons  restés  au  travail. 
Hardy,  peu  habitué,  —  comme  la  généralité  de  ses  contemporains, 
—  à  s'intéresser  aux  phénomènes  sociaux,  ne  fait  pour  ainsi  dire  que 
citer  le  mouvement  : 

Soulèvement  des  compagnons  charpentiers 
contre  leurs  maîtres. 

Du  jeudi  vingt-trois  mars  1786. 

Ce  jour,  dans  la  matinée,  les  compagnons  charpentiers  se  soulèvent 
contre  leurs  maîtres  à  l'occasion  de  ce  que,  par  un  nouveau  règle- 
ment,  il  avoit  été  stipulé  que,  moyennant  cinq  sols  de  plus  ajoutés 
par  chaque  journée  à  leur  paye  ordinaire,  ils  ne  pouvoient  plus 
emporter  à  l'avenir  chez  eux  un  seul  morceau  de  bois.  Ils  parcourent 

t.  Mes  loisirs  ou  Journal  d'evenemcns  tels  qu'ils  parviennent  à  ma  con- 
noissance.  Hardy,  Bibl.  nationale,  f.  fr.  6682,  fol.  281. 


UNE   GRÈVE    DE    GAGNE-DENIERS   EN    1786.  335 

les  divers  atteliers  de  la  ville  et  des  fauxbourgs,  forçant  leurs  cama- 
rades par  menaces  et  mauvais  traitements  d'y  abandonner  l'ouvrage 
et  de  les  suivre,  pourquoi  l'on  en  arrête  cinq  des  plus  mutins  qui  sont 
conduits  en  prison  en  attendant  qu'on  leur  fît  subir  une  peine  quel- 
conque pour  leur  opiniâtreté,  leur  révolte  et  leur  insubordination, 
qu'il  paroissoit  d'autant  plus  important  de  réprimer  qu'on  voyoit 
régner  comme  une  espèce  de  fermentation  parmi  les  compagnons  de 
différents  métiers,  tels  que  les  maréchaux,  les  serruriers,  les  boulan- 
gers, les  maçons,  etc.,  etc...'1. 

L'affaire  des  gagne-deniers  qui  se  produisit  la  même  année  retint 
davantage  l'attention  du  public  et  des  chroniqueurs.  C'est  qu'aussi, 
elle  touchait  à  la  tradition  séculaire  des  monopoles  fortement  établie, 
comme  un  dogme  économique  dans  les  cerveaux  de  l'ancien  régime, 
si  fortement  que  l'Édit  de  Turgot  qui  supprimait  les  maîtrises  et 
les  jurandes,  solennellement  enregistré  le  12  mars  1776  dans  un  lit 
de  justice  tenu  par  le  roi,  fut  abrogé  trois  mois  plus  tard  et  que  les 
privilèges  des  corporations  furent  rétablis.  Mais  plus  encore,  la 
grève  des  gagne-deniers  mettait  à  nu  les  expédients  auxquels  les 
finances  du  régime  étaient  réduites  tant  pour  subsister  que  pour  ali- 
menter des  favoris  qui,  par  leur  cortège  de  luxe,  donnaient  encore 
une  illusion  de  solidité  au  gouvernement  du  roi.  Or,  à  la  veille  de 
la  Révolution  et  pour  des  esprits  travaillés  par  une  tendance  d'oppo- 
sition, pour  des  sujets  accablés  d'impôts  et  livrés  à  tous  les  hasards 
d'une  administration  d'aventures,  pour  une  foule  qui  savait  que, 
dans  le  désarroi  de  la  fortune  de  la  France,  la  fortune  des  familles 
en  faveur  à  la  cour  continuait  à  s'affermir,  il  n'en  fallait  pas  tant 
pour  que  la  cause  des  gagne-deniers  suscitât  immédiatement  de  l'in- 
térêt. 

C'était  un  rouage  humble,  mais  indispensable  de  la  vie  de  la  capi- 
tale, que  les  gagne-deniers.  Ils  chargeaient  et  déchargeaient  les  voi- 
tures d'approvisionnements  sur  les  ports  et  aux  halles,  à  l'exclusion 
de  la  halle  au  blé,  où  des  commis  spéciaux  appelés  forts  de  la  halle 
au  blé  faisaient  cet  office.  Ils  s'occupaient  aux  déménagements,  au 
transport  des  colis  et  lettres  des  particuliers  dans  l'intérieur  de 
Paris,  ils  faisaient  les  commissions,  ils  aidaient  au  déplacement  des 
lourds  objets.  En  face  de  l'arbitraire  administratif,  ils  demeuraient 
sans  force,  parce  que  pauvres  et  ne  produisant  rien,  ils  n'avaient  pu 
s'organiser  en  corporation  régulière.  Ils  n'avaient  pas  la  hiérarchie  : 
apprentis,  compagnons,  maîtres.  Ils  n'avaient  pas  les  cadres  :  syn- 

1.  Mes  loisirs  ou  Journal  d'erenemens  tels  qu'ils  parviennent  à  ma  con- 
naissance. Hardy,  Bibl.  nationale,  f.  fr.  6685,  p.  315. 


336  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

dics,  adjoints.  Ils  s'étaient  simplement  groupés  entre  eux,  réunis 
par  de  communes  occupations,  une  même  misère  et  rapprochés  plus 
encore  les  uns  des  autres,  comme  il  arrive  à  ceux  qui  sont  au  bas 
de  l'échelle  sociale,  par  l'humilité  où  on  les  tenait.  Mais,  de  fait,  leur 
existence  légale  avait  implicitement  été  reconnue  par  nombre  d'arrêts 
de  police.  L'ordonnance  du  9  avril  1746,  par  exemple,  stipulait 
qu'ils  devaient  être  inscrits  aux  bureaux  de  la  police,  porter  à  la 
boutonnière  une  plaque  avec  d'un  côté  la  mention  «  fort  de  la  halle  » 
et  de  l'autre  un  numéro,  plaque  qui  leur  était  retirée  sur-le-champ 
«  dans  le  cas  où,  par  mauvaise  humeur  ou  défaut  d'attention,  ils 
feroient  tort  soit  aux  vendeurs,  soit  aux  acheteurs  »'.  Il  leur  était 
également  défendu  «  d'injurier  les  marchands  et  autres  particuliers, 
de  se  mêler  de  la  vente  ny  de  l'achat  d'aucunes  marchandises...,  ny 
d'avoir  aucune  dispute  entre  eux  »  sous  peine  d'interdiction,  de  des- 
titution, même  de  prison.  Ce  siècle  fut  poli  à  ce  point  qu'il  voulut 
exiger,  même  des  plus  humbles,  les  grandes  manières  !  Et  les 
amendes  dont  on  les  frappait  en  cas  de  contravention  allaient  jusqu'à 
200  livres!  Eux,  les  gagne-deniers,  ils  risquaient  d'avoir  à  payer 
cette  forte  somme  et  même  d'être  destitués  définitivement  de  leur 
état  pour  le  simple  fait  de  fumer  ou  d'avoir  leur  pipe  allumée  sur  le 
carreau  et  autres  endroits  où  ils  déchargeaient  les  marchandises  ! 

La  même  ordonnance  réglait  leurs  salaires  en  tant  que  forts  de  la 
balle  : 

Charge,  décharge  et  livraison  du  beurre  de  Gournay,  pour  chaque 

panier 5  sols 

Par  panier  de  fruits 7  sols 

Pour  chaque  panier  de  beurre  de  Chartres  et  Ferté   ...  7  sols 

—         —           de  beurre  d'Isigny 7  sols 

Par  panier  d'un  millier  au  plus  d'œufs  de  Gournay,  décharge.  1  sol 

—                   —                   —                   livrage     .  1  sol 

Leurs  salaires  varient  ainsi  de  1  sol  (œufs  de  Saint-Germain)  ou 
1  sol  6  deniers  (au  millier  d'œufs  brandis)  jusqu'à  10  sols  pour 
décharge  de  voitures  de  quatre  ou  cinq  paniers  contenant  vingt  mil- 
liers d'œufs  de  Picardie  (ils  touchaient  en  outre  8  sols  par  panier 
pour  livrage)  et  13  sols  pour  décharge  et  livrage  de  quatre  paniers 
(de  quatre  milliers  d'œufs  chacun)  d'œufs  de  Champagne2.  On  leur 
payait  2  livres  pour  décharger  une  voiture  d'artichauts. 


1.  Préfecture  de  police,  fonds  Lamoignon,  vol.  37. 

2.  On  ne  comprend  pas  bien  celte  variation  de  tarifs  suivant  la  provenance 
du  beurre  ou  des  œufs. 


UNE    GRÈVE    DE    GAGNE-DENIERS    EN    1786.  337 

Bien  que  cette  ordonnance  de  police  réservât  le  cas  où  un  mar- 
chand voudrait,  faire  faire  ces  travaux  par  ses  propres  domestiques, 
il  semble  bien  qu'il  y  eût  là  une  reconnaissance  implicite  de  l'exis- 
tence des  gagne-deniers  en  tant  que  groupement  affecté  à  un  travail 
réservé. 

Cette  reconnaissance  est  d'autant  plus  frappante  que,  dans  les 
ordonnances  antérieures,  —  par  exemple  celle  du  15  juillet  1724', 
—  on  avait  pris  la  peine  de  stipuler  nettement  qu'on  ne  la  leur 
accordait  pas  :  «  Que  les  gagne-deniers  et  autres  travailleurs  au  lieu 
desdits  officiers  supprimés  se  rendent  maîtres  des  ouvrages  et  ôtent 
aux  bourgeois  et  marchands  la  liberté  de  se  servir  et  d'employer  qui 
bon  leur  semble  et  sous  prétexte  de  leur  travail  exigent  des  sommes 
beaucoup  plus  fortes  que  les  salaires  ordinaires  et  raisonnables  et 
même  emportent  desdites  marchandises...  »  Et,  plus  loin,  il  est  fait 
défense  aux  gagne-deniers  de  travailler  aux  marchandises  sur  les 
ports  s'ils  n'en  sont  requis  par  les  marchands,  d'ôter  aux  bourgeois 
la  liberté  de  faire  faire  cette  besogne  par  qui  bon  leur  semble. 

Nous  avons  vu  que  l'ordonnance  de  1746  ne  réservait  plus  qu'en 
passant  la  faculté  pour  les  bourgeois  d'employer  leurs  domestiques 
et  conférait  aux  gagne-deniers  une  manière  de  privilège  en  leur 
imposant  une  plaque,  une  réglementation  précise  et  un  tarif  de 
salaires. 

Voici  le  cadre  dans  lequel  vivent  les  gagne-deniers,  la  dure  disci- 
pline à  laquelle  ils  sont  soumis,  quelques-uns  des  salaires  qu'ils 
reçoivent.  Essayons  de  reconstituer  un  peu  leur  existence,  leur 
aspect,  leurs  agissements.  Ils  sont  presque  tous  Savoyards  ou 
Auvergnats2.  Le  costume  le  plus  commun  parmi  eux,  c'est  «  le 
gillet  bleu  et  la  veste  brune  »,  à  laquelle  est  accrochée  la  plaque 
réglementaire.  Ils  sont  simples  et  gardent  en  eux  beaucoup  du 
paysan.  Quand  ils  se  révoltent,  c'est  armés  de  bûches  qu'ils  attaquent 
la  troupe  et  la  police  :  «  Il  y  avait  (à  la  porte  du  commissariat)  plus 
de  deux  cents  Savoyards  et  Auvergnats,  gagne-deniers  armés  de 
bûches3.  Ils  sont  paysans  encore  parce  qu'ils  ont  gardé  la  ruse  de 
l'homme  de  la  terre,  sa  façon  de  procéder,  presque  des  habitudes  de 
marché  de  village.  On  est  obligé  de  leur  défendre  «  d'aller  au-devant 
«  des  acheteurs,  de  les  contraindre  d'acheter  d'un  marchand  plutôt  que 
«  d'un  autre...  »  Ils  sont  frondeurs  aussi  et  turbulents  comme  des 
gens  qui  n'ont  rien  à  perdre  et  qui,  méprisés,  exploités,  malheureux, 

1.  Préfecture  de  police,  fonds  Lamoignon,  28*  vol. 

2.  Arch.  nationales,  commissaire  Dupuy,  rue  des  Noyers,  Y  1281G. 

3.  Ibid. 

Rev.  Histor.  CV.  2e  fasc.  22 


338  MÉLANGES    ET   DOCUMENTS. 

demeurés  très  enfants,  s'offrent  la  distraction  gratuite  et  la  satisfac- 
tion haineuse  de  railler  et  d'insulter  ceux  dont  ils  dépendent  : 

Il  se  fait  journellement  des  attroupemeus  considérables  et  des 
assemblées  tumultueuses  et  scandaleuses  dans  le  faux  bourg  Saint- 
Antoine,  composés  d'un  nombre  infini  d'ouvriers,  gagne-deniers  et 
gens  sans  état  ny  profession  qui  insultent  publiquement  des  mar- 
chands du  fauxbourg  en  chantant  des  chansons  devant  leurs  portes  et 
boutiques...  Il  a  été  fait  et  imprimé  plusieurs  chansons,  dont  quelques- 
unes  sont  contraires  aux  honnes  mœurs,  qui  sont  chantées  et  distri- 
buées publiquement1. 

Et  il  faut  croire  que,  dans  ces  manifestations  lyriques,  les  gagne- 
deniers  se  distinguèrent,  puisqu'on  fit  à  leur  usage  «  deffenses  à 
tous  ouvriers,  gagne-deniers  et  autres  du  fauxbourg  Saint-Antoine 
de  s'attrouper  dans  ledit  fauxbourg  Saint-Antoine  et  d'y  chanter  des 
chansons  devant  les  portes  des  marchands...  »,  sous  peine  d'empri- 
sonnement, même  de  punitions  corporelles. 

Tels  étaient  les  gagne-deniers,  isolés,  faibles,  mal  organisés,  un 
peu  primitifs,  rudes.  Le  gouvernement  crut  pouvoir,  sans  inconvé- 
nients, les  attaquer. 

Le  mercredi  28  décembre  1785,  on  vit  pour  la  première  fois  dans 
les  rues  de  Paris  circuler  des  petites  voitures  en  forme  de  fourgon. 
Elles  étaient  peintes  en  rouge  et  conduites  par  deux  hommes  du  plus 
pittoresque  costume  :  veste  verte  à  parements  et  collet  rouges, 
culotte  de  matelot,  grise,  chapeau  ciré  et  rabattu;  sur  la  poitrine, 
ils  portaient  une  plaque  de  métal  aux  armes  du  roi.  Le  même  jour 
parut  une  ordonnance,  annexée  au  Journal  de  Pains,  expliquant 
que  ces  voitures  étaient  «  destinées  à  transporter  toutes  sortes  de 
pacquets  gros  ou  petits  d'un  quartier  dans  un  autre,  pourquoi  elles 
faisaient  leur  ronde  quatre  fois  le  jour  dans  chaque  district  »2. 

Ce  système  de  transport  des  paquets  et  objets  divers,  que  les 
inventeurs  et  le  gouvernement  avaient  estimé  devoir  produire  de  gros 
bénéfices  parce  qu'il  correspondait  à  un  besoin  du  public,  n'était  pas 
original.  Il  était  point  par  point  imité  de  la  petite  poste  mise  à  la 
mode  par  M.  de  Chamousset,  maître  des  comptes.  Le  bureau  prin- 
cipal de  l'entreprise  était  situé  à  l'hôtel  des  Chiens,  tenu  par  un  sieur 
Valanges,  43,  rue  du  Mail,  dans  le  quartier  delà  place  des  Victoires. 
C'est  là  que  résidait  l'administration  avec,  à  sa  tête,  comme  direc- 
teur général,  M.  Duvalon.  D'autres  bureaux  secondaires  étaient 


1.  Préfecture  de  police,  fonds  Lamoignon,  vol.  33. 

2.  Journal  de  Hardy,  Bibl.  nationale,  f.  fr.  6685. 


UNE   GRÈVE    DE    GAGNE-DENIERS   EN    1786.  339 

disséminés  dans  divers  endroits  au  nombre  de  neuf  :  rue  Saint- 
Honoré,  vis-à-vis  les  écuries  du  roi  ;  rue  de  Bourbon-Villeneuve,  à 
l'hôtel  de  France;  rue  des  deux  Boules-Sainte-Opportune;  rue  de  la 
Verrerie,  au  coin  de  la  rue  de  la  Potterie;  rue  du  Figuier,  hôtel  de 
Sens  ;  rue  de  la  Marche,  vis-à-vis  le  Gagne-Petit:  rue  Saint- Victor, 
vis-à-vis  la  rue  du  Paon  ;  rue  des  Fossés-Monsieur-le-Prince  ;  rue 
du  Vieux-Colombier,  vis-à-vis  la  rue  Cassette.  Quelques  jours  plus 
tard,  le  18  janvier  1786,  par  un  prospectus  annexé  à  la  feuille  du 
Journal  de  Paris,  addition  en  deux  pages  d'impression  format 
in-4°,  revêtu  de  la  permission  de  M.  Thivoux-Decrosne,  lieutenant 
général  de  police  ' ,  «  l'entreprise  des  transports  intérieurs  des  pac- 
quets  et  ballots  créeait  200  dépôts  nouveaux  dans  différentes  rues 
de  Paris  ».  Quatre  fois  par  jour,  les  objets  déposés  étaient  recueillis 
par  les  voitures  rouges  :  à  huit  heures  et  à  onze  heures  du  matin,  à 
deux  heures  l'après-midi,  à  cinq  heures  le  soir.  Les  tarifs  avaient 
été  ainsi  établis  :  pour  les  paquets  d'une  livre  à  dix  (poids)  le  trans- 
port coûtait  5  sols;  de  dix  à  vingt  livres,  6  sols;  de  vingt  à  quarante 
livres,  7  sols;  de  quarante  à  soixante  livres,  8  sols;  de  soixante  à 
quatre-vingts  livres,  9  sols;  de  quatre-vingts  à  cent  livres,  10  sols; 
un  sol  d'augmentation  par  chaque  dix  livres  en  plus. 

Ce  monopole  était  accordé  à  une  puissante  compagnie  reconnue, 
installée  par  le  gouvernement  et  dans  laquelle,  on  le  devinait,  de 
grands  personnages  avaient  des  intérêts. 

Telle  était  l'institution  dont  la  cour  aux  abois  espérait  profits  pour 
elle  et  pour  ses  favoris  et  qui  enlevait  aux  gagne-deniers  une  partie 
importante  de  leur  privilège  ef  de  leur  raison  d'être.  Et  l'on  avait 
choisi  pour  dresser  en  face  de  ces  humbles  travailleurs  une  concur- 
rence qui  les  devait  tuer,  une  époque  de  quasi-chômage  où  la  misère 
déjà  se  faisait  rude  pour  eux  : 

Sans  chercher  à  vouloir  justifier  la  conduite  violente  et  très  répré- 
hensibje  des  gagne-deniers,  bien  des  gens  trouvoient  assez  extraordi- 
naire qu'on  eût  pris,  pour  faire  éclore  une  entreprise  si  propre  à  leur 
donner  de  l'humeur  et  à  jeter  le  trouble  parmi  eux,  la  saison  de  l'an- 
née la  plus  rigoureuse,  celle  où  l'on  ne  voyoit  que  trop  souvent  ces 
malheureux  se  morfondre  au  coin  des  rues  en  y  attendant  des  com- 
missions ou  des  travaux  qui  ne  venoient  point,  quoiqu'ils  en  eussent 
indispensablement  besoin  pour  vivre2. 

Les  gagne-deniers  protestèrent  immédiatement,  causèrent  quelques 
troubles  assez  anodins  encore  et  déclarèrent  la  grève.  Ils  cessèrent, 

1.  Journal  de  Hardy,  Bibl.  nat.,  f.  fr.  6685. 

2.  Ibid. 


340  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

ce  qui  était  fort  gênant  pour  l'alimentation  de  Paris,  de  charger  et 
décharger  sur  les  ports  et  aux  halles  comme  de  livrer  la  marchandise. 
Do  plus,  ils  attaquèrent  les  conducteurs  des  voitures  de  la  nouvelle 
régie  qui  ne  purent  plus  circuler  qu'escortés  de  plusieurs  soldats  de 
la  garde  de  Paris. 

Le  public  prit  fait  et  cause  pour  eux.  Il  comprit  immédiatement 
que  la  malheureuse  situation  des  gagne-deniers,  c'était  sa  situation, 
à  lui,  et  que  l'or  drainé  par  la  régie  pour  le  transport  des  paquets 
irait  rejoindre  l'or  que  lui-même  versait  sous  forme  de  monopoles  et 
d'impôts  dans  les  caisses  des  favoris.  —  C'était  le  but  poursuivi, 
bien  plus  que  l'utilité  commune,  pensait  toujours  ce  même  public, 
car  enfin  ces  voitures  rouges  qu'on  voulait  lui  imposer  faisaient 
double  emploi  avec  la  fonction  des  gagne-deniers,  sans  offrir  d'avan- 
tages nouveaux  bien  importants.  De  suite  le  bruit  courut  que  le 
gouvernement  avait  déjà  touché  sur  l'entreprise  90,000  livres.  On 
citait  tout  haut  les  noms  de  ceux  au  profit  de  qui  avait  été  institué 
ce  privilège  :  les  Polignac,  «  qui  jouissaient  à  la  cour  dans  le  moment 
actuel  du  plus  grand  crédit,  M.  le  baron  de  Breteuil,  ministre  du 
département  de  Paris,  etc.,  etc..  »'.  M.  le  chevalier  Dubois,  com- 
mandant du  guet  à  pied  et  à  cheval,  —  qui  va  être  chargé  de  répri- 
mer l'émeute,  —  était  lui-même  intéressé,  assurait-on,  dans  l'en- 
treprise. 

Pour  le  surplus  des  bénéfices,  on  racontait  que  leur  produit, 
«  lorsqu'il  auroit  cessé  d'être  imaginaire  pour  devenir  réel  et  effectif 
seroit  appliqué  à  l'intéressant  entretien  des  élèves  de  l'Opéra,  dont 
le  gouvernement  se  trouveroit  déchargé  au  moien  d'une  si  heureuse 
et  si  brillante  invention  »2. 

L'opinion  publique  était  si  nettement  hostile  à  la  nouvelle  régie, 
qu'en  dépit  de  leur  collaboration  à  une  œuvre  impopulaire,  on  pre- 
nait presque  en  pitié  les  employés  de  Duvalon,  exploités,  tenus, 
bridés  et  dont  chacun,  disait-on,  «  fut  obligé  de  consigner  d'avance 
150  livres  par  forme  de  cautionnement  et  de  donner  par  jour  deux 
sols  de  retenue  sur  la  paye  de  30  sols  pour  contribuer  à  son  habille- 
ment... »3.  Par  un  obscur  sentiment  de  justice  immanente,  on  pré- 
disait déjà  la  faillite  de  la  compagnie,  dont  on  se  réjouissait  par 
avance,  on  affirmait  qu'elle  ne  durerait  pas,  obligée  qu'elle  était,  — 
indépendamment  des  avances  déjà  faites  au  gouvernement  et  aux 
intéressés,  —  de  payer  ses  locations  50,000  livres. 

Le  parti  frondeur,  toujours  si  nombreux  à  Paris,  s'était  emparé 

1.  Journal  de  Hardy,  Bibl.  nat.,  f.  fr.  6685. 

2.  Ibid. 

3.  Ibid. 


UNE   GRÈVE   DE   GAGNE-DENIERS   EN    1786.  341 

du  mot  d'un  particulier  qui  voyant,  du  café  Manoury,  près  du  Pont- 
Neuf,  passer  les  voitures  rouges,  conduites  par  les  employés  à  la 
veste  verte,  —  couleur  de  la  livrée  du  ministre  du  département  de 
Paris,  —  avait  dit  :  voici  les  perroquets  de  Breteuil. 

Enfin,  le  duc  de  Penthièvre,  lui-même,  prince  du  sang,  se  sou- 
venant peut-être  de  la  popularité  lointaine  du  roi  de  la  halle,  ou 
dépité  de  ne  point  avoir  eu  sa  part  d'intérêt,  ou  comprenant  simple- 
ment la  force  nouvelle  de  l'opinion,  était  parti  en  toute  hâte,  dès  les 
premiers  troubles,  plaider  à  Versailles  pour  les  gagne-deniers. 

Cependant,  les  petites  voitures,  sorties,  suivant  l'expression  de 
Hardy,  «  pour  ainsi  dire  comme  de  dessous  les  pavés  » ,  continuaient 
leur  office,  munies  d'un  gros  grelot  destiné  à  avertir  le  public  de 
leur  passage  et  escortées,  chacune,  de  quatre  ou  cinq  soldats  du 
guet  à  pied,  la  baïonnette  au  fusil.  M.  de  Breteuil  avait  intérêt  à 
mettre  sa  puissance  au  service  de  la  régie  du  transport  des  paquets 
et  ballots. 

«  Le  juste  mécontentement  des  gagne-deniers  ne  pouvoit  se  con- 
tenir. »  Et  cependant  les  choses  se  seraient  peut-être  bornées  à 
quelques  chansons,  quelques  parades  et  une  désertion  du  travail 
relativement  calme,  lorsqu'au  matin  du  2  janvier  1786,  «  à  l'entrée 
de  la  rue  Gallande,  près  de  la  fontaine  Saint-Séverin  »,  un  gagne- 
denier  nommé  Maréchal  fit,  après  boire,  gageure  avec  un  camarade 
qu'il  oserait  avant  lui  dire  violemment  son  fait  au  premier  conduc- 
teur de  voiture  de  la  nouvelle  régie  qu'ils  rencontreraient.  Ils  sor- 
tirent du  cabaret.  Bientôt  paraît  sur  le  pavé  un  homme  en  veste 
verte  tirant  son  rouge  véhicule.  Maréchal  se  porte  à  sa  rencontre, 
l'injurie  et  l'empoigne  même.  Deux  particuliers  qui  passaient  par  là 
prennent  fait  et  cause  pour  le  tireur  de  voiture,  mettent  l'épée  à  la 
main  ;  des  gagne-deniers  accourent  à  la  rescousse  et  voici  la  bagarre 
engagée.  Une  des  épées  est  brisée  et  les  deux  partisans  des  «  perro- 
quets de  Breteuil  »  auraient  peut-être  regretté  leur  intervention 
sans  l'arrivée  de  deux  escouades  du  guet  et  de  la  garde  de  Paris.  La 
force  armée  livre  bataille  et  vers  une  heure  et  demie  ils  se  rendent 
maîtres  de  l'agresseur  qui,  sous  bonne  escorte,  est  conduit  rue  des 
Noyers  au  commissariat  de  police  de  M.  Dupuy.  La  bagarre  avait 
été  assez  sérieuse  si  l'on  en  juge  par  la  déposition  de  Bonaventure 
Depupetz,  un  des  hommes  attaqués,  devant  ce  même  commissaire 
Dupuy1  : 

Lundi  dernier,  passant  rue  Saint-Jacques,  au  coin  de  la  rue  Saint- 
Séverin,  et  conduisant  les  dites  voitures  de  transport  avec  ses  cama- 

1.  Arch.  nationales,  Y  12816. 


342  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

rades,  il  a  été  arresté  par  plusieurs  crocheteurs  et  gagne-deniers  qui 
les  ont  maltraités  à  coups  de  pieds  et  à  coups  de  poings,  ont  renversé 
le  déposant  par  terre,  continuoient  à  le  maltraiter... 

On  pouvait  croire  cependant,  après  l'arrestation  de  Maréchal,  que 
le  mouvement  était  terminé,  quand  soudain  vers  trois  heures,  la  rue 
des  Noyers,  sur  un  mot  d'ordre  parti  on  ne  sait  d'où,  est  envahie 
par  une  foule  de  gagne-deniers  qui  manifestent  ouvertement  leur 
intention  de  tirer  leur  camarade  des  mains  de  la  police.  Us  pénètrent 
dans  la  cour  du  commissariat.  C'est  un  tumulte  véritablement 
effrayant  de  chants  violents,  de  cris  exaspérés,  de  vociférations 
menaçantes.  Ils  sont  d'abord  deux  cents  manifestants;  une  voiture 
de  bois  passe,  ils  l'arrêtent,  la  pillent  et  à  coups  de  bûches  ils 
attaquent  le  poste  qui  n'est  pas  en  nombre.  L'un  d'eux  même,  armé 
de  ses  crochets  professionnels,  frappe  un  soldat  à  la  tête.  Cependant, 
le  nombre  des  émeutiers  s'augmente  de  tout  un  peuple  descendu  du 
faubourg  Saint-Marcel  et  qui  presse  de  plus  en  plus  la  garde  du 
poste.  Railleries  et  coups  tombent  à  la  fois  sur  les  soldats  qu'on 
essaye  de  désarmer.  Quelques  fusils  sont  cassés  à  coups  de  bâton. 

Une  escouade  de  200  hommes  du  guet,  baïonnette  au  fusil,  arrive 
en  courant  et,  maltraitant  les  grévistes,  les  repousse  hors  de  la 
rue  des  Noyers  qu'elle  occupe,  ne  laissant  plus  passer  que  les  voi- 
tures. Cinq  des  manifestants  sont  restés  aux  mains  de  la  police. 
M.  le  chevalier  Dubois  vient  en  personne  sur  le  terrain  de  la  mani- 
festation et  recommande  aux  officiers  de  charger  à  la  baïonnette 
ceux  qui  résisteront. 

Il  ne  fait  pas  bon  s'aventurer  dans  la  zone  dangereuse.  Vers 
quatre  heures  et  demie  du  soir,  Pierre  Clément,  âgé  de  trente-trois 
ans,  caissier  du  sieur  Germain,  receveur  des  impositions  royales, 
sort  de  son  bureau,  rue  Saint- Jacques,  et  veut  pénétrer  dans  la  rue 
des  Noyers.  Il  est  pris  pour  un  commis  de  la  nouvelle  régie  et  immé- 
diatement assailli  par  un  groupe  de  gagne-deniers  armés  de  bâtons. 
L'un  d'eux  le  frappe  violemment  d'un  coup  de  poing  à  l'épaule,  les 
bâtons  se  lèvent  sur  le  pseudo-commis,  terrorisé  par  d'affreuses 
menaces  et  des  invectives  épouvantables.  «  II  auroit  été  vraisembla- 
blement assassiné  si  une  femme  herboriste  qui  tient  une  petite  bou- 
tique au  coin  de  la  rue  des  Noyers  ne  luy  eût  donné  retraite  »4. 

Vers  six  heures  et  demie,  on  décide  d'écrouer  les  mutins  au  Châ- 
telet.  Il  faut  prendre  de  grandes  précautions.  On  barre  complète- 
ment la  rue  des  Noyers,  on  ne  laisse  plus  passer  que  les  personnes 

1.  Arch.  du  commissaire  Dupuy. 


UNE    GRÈVE    DE   GAGNE-DENIERS    EH    1786.  343 

«  bien  vêtues  »,  celles  qui  peuvent  justifier  qu'elles  y  demeurent  ou 
y  ont  des  affaires.  Puis  les  coupables  sortent  du  commissariat,  liés, 
garrottés,  escortés  chacun  de  trois  soldats  de  front,  entourés  d'une 
brigade  du  guet  à  cheval,  d'un  fort  piquet  de  soldats  à  pied,  baïon- 
nette au  canon.  Des  cavaliers  ouvrent  le  cortège  et  font  arrêter  les 
voitures,  des  cavaliers,  du  guet  à  pied  ferment  la  marche.  Enfin,  une 
brigade  du  guet  à  cheval  reste  d'arrière-garde.  Deux  cents  hommes 
pour  escorter  ces  quelques  malheureux  prisonniers  ! 

Pendant  que  les  grévistes  arrêtés  étaient  conduits  au  Chàtelet 
dans  cet  imposant  appareil,  cinq  cents  de  leurs  camarades  se  por- 
taient vers  le  ^quai  et  le  pont  de  la  Tournelle.  Ils  pensaient  que  Ton 
dirigerait  les  captifs  sur  la  Force,  ils  étaient  décidés  à  attaquer  l'es- 
corte sur  la  place  aux  Veaux.  D'instant  en  instant,  des  ouvriers 
descendus  du  faubourg  Saint-Antoine  venaient  se  mêler  à  la  foule. 
Quand  ils  connurent  leur  erreur,  furieux,  exaspérés,  ils  se  dirigèrent 
vers  la  rue  des  Noyers.  Dupuy,  reconnu,  fut  insulté.  Un  infernal 
tapage,  une  tumultueuse  manifestation  se  prolongea  assez  tard  dans 
la  soirée. 

En  dépit  de  la  sévérité  de  la  justice  que  l'on  pouvait  redouter  poul- 
ies fauteurs  de  trouble,  on  apprit  le  5  janvier  que  les  arrêtés,  «  après 
interrogatoire,  venaient  d'obtenir  le  préau,  ce  qui  semblait  annoncer 
qu'ils  ne  seroient  pas  traités  aussi  rigoureusement  qu'on  l'avoit 
appréhendé  d'abord  » i . 

L'accalmie  qui  suivit  cette  nouvelle  n'était  que  très  superficielle. 
Les  gagne-deniers  souffraient  terriblement  du  nouvel  état  de  choses, 
ils  étaient  décidés  à  lutter  encore  pour  leur  existence.  Seulement,  ils 
se  concertaient.  Le  10.  dans  la  journée2,  un  indicateur  de  police 
déguisé  en  maçon  et  qui  flânait  vers  le  marché  Daguesseau,  dans  le 
faubourg  Saint-Honoré.  entend  un  homme  engager  les  gagne- 
deniers  à  se  réunir  le  lendemain  de  grand  matin  à  l'endroit  convenu 
pour  porter  un  mémoire  à  Versailles.  L'indicateur  suit  cet  homme 
et  l'entend  faire  la  même  recommandation  en  plusieurs  lieux.  Au 
milieu  du  Pont-Neuf,  la  garde  de  Paris  arrête  l'excitateur.  Interrogé 
au  commissariat  de  police,  l'homme  avoue  qu'il  organise  pour  le 
lendemain  une  marche  sur  Versailles.  Le  commissaire  hésite  pour- 
tant à  l'incarcérer  et  en  réfère  au  lieutenant  général  de  police  Thi- 
roux-Decrosne.  Ce  dernier  envoie  le  messager  de  révolte  en  prison. 

1.  Journal  de  Hardy,  f.  fr.  6685. 

2.  Récit  d'un  procureur  au  Chàtelet  qui  tenait  ces  détails  de  bonne  source 
(Hardy). 


344  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

L'ordre  est  immédiatement  donné  au  chevalier  Dubois  d'occuper  de 
grand  matin  la  place  Louis  XV,  de  disperser  tous  les  groupes, 
d'empêcher  la  marche  sur  Versailles.  Dès  six  heures,  le  lendemain, 
toute  la  police  de  Paris  est  sur  pied,  assistée  du  guet  à  pied  et  à 
cheval.  Ces  forces  dispersent  bien  quelques  rassemblements  en  route 
vers  le  rendez-vous.  Mais  la  foule  devient  de  plus  en  plus  dense,  de 
plus  en  plus  puissante.  Tous  les  faubourgs  déversent  leur  peuple 
de  miséreux  vers  le  centre.  Les  gagne-deniers  tentent  de  détourner 
les  porteurs  d'eau  et  de  les  entraîner  à  leur  suite.  Le  chevalier 
Dubois,  ayant  avec  lui  le  jeune  de  Roquemont  et  suivi  de  vingt- 
quatre  cavaliers,  se  multiplie.  Vers  dix  heures  du  matin,  venant 
du  faubourg  Saint-Marcel,  il  gagne  le  faubourg  Saint-Germain  par 
la  rue  des  Noyers  et  la  rue  Saint- Jacques.  Les  mouvements  de 
troupes  continuent  : 

Vers  l'heure  de  midi,  on  voit  encore  traverser  de  la  rue  des  Mathu- 
rins  à  la  rue  des  Noyers  environ  cent  hommes  du  guet  à  pied,  précé- 
dés d'un  de  leurs  officiers  à  pied,  d'un  nombre  de  surnuméraires  du 
guet  à  cheval,  aussi  à  pied,  portant  mousquetons,  et  d'un  officier  du 
guet  à  cheval,  qui  revenoient  du  fauxbourg  Saint-Germain  et  alloient, 
disoit-on,  faire  leur  ronde  à  la  place  Maubert,  d'où  ils  dévoient  passer 
ensuite  au  fauxbourg  Saint-Antoine1. 

Cet  impressionnant  déploiement  de  forces  ne  servit  à  rien.  Il  eut 
d'ailleurs  beaucoup  plus  l'aspect  d'une  parade  que  d'une  sérieuse 
mesure.  Malgré  tout,  Dubois  était  gêné,  mal  à  son  aise  de  mettre 
ainsi  sa  recette  et  celle  de  ses  associés  sous  la  protection  de  la  force 
armée.  Les  gagne-deniers,  au  nombre  de  sept  à  huit  cents,  se  mirent 
en  route  pour  Versailles. 

C'est  là  un  événement  qui  mérite  attention.  Pour  la  première 
fois,  peut-être,  des  êtres  obscurs,  infimes,  qui,  aux  yeux  des 
nobles,  comptaient  moins  que  leur  meute  ou  leur  écurie,  osent 
s'adresser  directement  au  roi  ;  mais  surtout,  ils  en  appellent  au  sou- 
verain contre  les  privilégiés,  ils  vont  à  Versailles,  pleins  de  confiance 
dans  le  monarque,  pleins  d'espoir  en  sa  justice,  comme  devant  un 
juge  encore  non  informé  du  procès.  Le  coup  qui  nous  a  frappé, 
semblent-ils  dire,  a  été  porté  par  les  ministres,  mais  quand  le  roi 
saura!...  Sur  le  chemin  de  la  résidence  royale,  d'autres  vont  les 
suivre  bientôt;  le  peuple  a  trouvé  la  route  de  Versailles  et  après 
les  gagne-deniers  vont  s'avancer  les  bandes  révolutionnaires.  Ceux 

1.  Journal  de  Hardy,  f.  fr.  6685. 


UNE    GRÈVE   DE    GAGNE-DENIERS   EN    1786.  345 

qui  marcheront  immédiatement  derrière  cette  avant-garde  de  86 
auront  conservé  son  esprit.  C'est  pour  en  appeler  au  roi  comme  à 
un  arbitre  équitable  et  à  un  souverain  tutélaire  que  le  peuple  de 
Paris  se  mettra  en  marche  vers  l'autre  capitale  royale.  Il  faudra  les 
maladresses,  les  indécisions,  les  subterfuges  de  la  royauté  pour 
transformer  en  carmagnole  des  appels  de  suppliants.  Et  Louis  XVI, 
lui  aussi,  prélude  à  sa  future  attitude  :  pris  entre  les  âpres  exigences 
des  Polignac  et  des  autres  et  la  juste  cause  des  gagne-deniers,  il 
fera  répondre  qu'il  est  à  la  chasse! 

A  Sèvres,  une  brigade  de  maréchaussée  est  massée  près  de  la 
grille  du  parc  de  Saint-Cloud.  Les  premiers  gagne-deniers  arrivent, 
emportés  dans  une  course  folle;  ils  courent  à  perdre  haleine,  comme 
s'ils  étaient  poursuivis,  stupéfaits,  peut-être,  de  leur  hardiesse, 
comme  des  timides,  qui  se  jettent  tête  baissée  aux  plus  audacieuses 
aventures.  Une  foule  énorme  marche  assez  loin  derrière  eux. 

Les  officiers  de  la  maréchaussée  s'avancent  et  parlementent  avec 
les  premiers  de  la  foule.  Ils  ont  reçu  des  ordres  précis  leur  recom- 
mandant la  douceur,  la  modération,  de  tout  faire  et  tout  supporter 
pour  éviter  une  effusion  de  sang.  En  fin  de  compte,  ils  décident  les 
gagne-deniers  à  députer  douze  d'entre  eux  à  Versailles  avec  le  placet 
qu'ils  veulent  remettre  au  roi.  Mais  à  peine  cette  première  bande 
calmée  et  convaincue  a-t-elle  repris  le  chemin  de  Paris  qu'une  seconde 
colonne  plus  nombreuse  et  plus  excitée  se  rue  sur  la  maréchaussée 
et  la  déborde.  La  troupe  est  forcée  de  se  retirer  et  ouvre  la  route  du 
palais.  Cependant,  quelques  cavaliers  gagnent  Versailles,  ventre  à 
terre,  et  donnent  l'alarme.  Les  gardes  françaises  et  suisses  prennent 
immédiatement  position  dans  les  avenues,  tandis  que  d'autres 
troupes  se  tiennent  prêtes  à  les  appuyer.  Les  gagne-deniers  arrivent. 
On  parlemente  de  nouveau  ;  les  officiers.  «  du  ton  le  plus  imposant, 
quoiqu'en  même  temps  le  plus  modéré  et  le  plus  honnête,  étoient 
parvenus  à  leur  persuader  qu'ils  ne  pourroient  voir  le  roi  ni  parler 
à  Sa  Majesté  qui  étoit  à  la  chasse,  d'où  elle  ne  reviendroit  pas  de 
sitôt...  ».  Une  étrange  combinaison  intervient.  On  décide  d'un  com- 
mun accord  que  vingt-quatre  gagne-deniers  seront  admis  à  la  grille 
du  château,  douze  à  la  première  cour,  jusqu'à  la  deuxième  grille,  et 
six  seulement,  porteurs  d'un  mémoire,  seront  admis  dans  la  galerie. 
Ces  derniers  attendent  trois  heures  et,  quand  ils  sont  convaincus 
que  le  roi  est  absent,  ils  se  décident  à  laisser  leur  placet  entre  les 
mains  d'un  officier  des  gardes  du  corps.  Celui-ci  le  remettra  au  pre- 
mier gentilhomme  de  la  chambre,  qui  le  fera  passer  sous  les  yeux 
du  roi. 


346  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

La  foule  reprend  la  route  de  Paris  en  déclarant  qu'elle  reviendra 
si  satisfaction  n'est  pas  obtenue  le  mercredi  18  du  présent  mois. 

La  police  a  opéré  quelques  arrestations. 

Les  pouvoirs  publics  n'osèrent  pas  se  montrer  impitoyables. 
L'injustice  était  si  manifeste  qu'on  ne  distribua  que  pour  la  forme 
des  châtiments.  Une  première  sentence  qui  comportait  marque  et 
galère  fut  cassée,  et  si  l'on  se  reporte  aux  peines  qui,  pour  une 
légère  indépendance,  frappaient  les  compagnons  et  les  apprentis,  on 
a  le  droit  de  dire  que  l'épilogue  judiciaire  de  cette  grève  prouve  par 
sa  modération  la  justice  de  la  cause  défendue  par  les  gagne-deniers. 

Le  jeudi  19  janvier  1786,  vers  midi,  en  vertu  d'un  arrêt  rendu  la 
surveille  en  chambre  criminelle  du  Parlement,  sur  les  conclusions 
du  procureur  général  du  roi.  et  en  appel  de  la  sentence  du  lieutenant 
criminel  du  Chàtelet  de  Paris,  Bachin  de  Villefort,  Biaise  Chancel, 
gagne-denier  de  la  place  Cambrai,  Jean  Taillaud,  brocanteur  de  la 
Montagne-Sainte-Geneviève,  «  sont  conduits  avec  la  plus  nombreuse 
escorte  de  soldats  de  la  compagnie  de  robe  courte,  soutenus  de  plu- 
sieurs brigades  du  guet  à  cheval,  le  guet  à  pied  et  à  cheval  gardant 
de  plus  les  avenues  et  étant  distribué  de  tous  côtés  sur  leur  passage, 
des  prisons  du  Chàtelet,  par  le  Pont-au-Change,  les  rues  de  la 
Barillerie,  de  la  Vieille-Draperie,  de  la  Juiverie,  du  Petit-Pont  et 
Gallande,  à  la  place  Maubert,  ayant  chacun  un  écriteau  devant  et 
derrière  portant  ces  mots  :  «  Violent  et  rebelle  envers  la  garde  » , 
pour  y  être  et  demeurer  attachés  au  carcan  depuis  midi  jusqu'à  deux 
heures  à  des  poteaux  qu'on  avait  eu  la  précaution  d'y  faire  planter 
dès  sept  heures  du  matin1.  Pendant  l'exécution  de  cette  sentence, 
les  condamnés  étaient  gardés  par  une  brigade  du  guet  à  cheval  et 
une  escouade  du  guet  à  pied. 

Le  vendredi,  ils  subirent  une  nouvelle  exposition  «  dans  la  place 
des  haies  »  et  le  samedi  place  de  Grève.  Ils  furent  ensuite  bannis 
pour  neuf  ans  de  la  ville,  prévôté  et  vicomte  de  Paris,  interdits  de 
séjour  et  condamnés  chacun  à  3  livres  d'amende. 

D'ailleurs,  l'opinion  publique  ne  les  abandonna  point  :  pendant 
qu'ils  étaient  exposés  au  carcan,  la  foule,  émue,  fit  une  collecte  en 
leur  faveur.  Le  premier  jour,  place  Maubert,  on  recueillit  48  livres, 
236  le  troisième  jour,  sur  la  place  de  Grève. 

Quant  aux  premiers  auteurs  du  mouvement,  Antoine  Clément, 
dit  Maréchal,  François  Chassaint  et  Jacques  Cissac,  les  gagne- 
deniers  qui  avaient  parié  d'insulter  les  «  suppôts  de  la  nouvelle 

1.  Journal  de  Hardy,  f.  fr.  6685. 


UNE    GRÈVE   DE    GAGNE-DENIERS   EN    1786.  347 

régie  »,  ils  furent  mandés  dans  la  chambre  pour  y  être  admonestés, 
«  étant  debout  derrière  le  barreau  » ,  et  condamnés  chacun  à  3  livres 
d'amende. 

Les  petites  voitures  rouges  continuèrent  à  circuler,  sous  escorte, 
pendant  quelque  temps. 

Pratiquement,  la  grève  des  gagne-deniers  n'avait  eu  aucun 
résultat. 

Elle  ne  fut  cependant  pas  inutile.  C'était  un  de  ces  mouvements 
où  le  peuple  essayait  sa  force  et  préludait  à  des  actes  mieux  organi- 
sés et  mieux  dirigés.  Le  fait  même  d'avoir  osé  protester  si  violem- 
ment contre  une  décision  du  pouvoir,  et  d'avoir  voulu  en  appeler  au 
roi  contre  ses  favoris,  indiquait  à  quelle  maturité  les  idées  semées 
dans  les  esprits  par  un  siècle  de  philosophie  étaient  arrivées.  Ce 
qu'il  y  a  de  plus  impressionnant  enfin,  c'est  l'unanimité  de  l'opinion 
publique  contre  le  gouvernement.  Les  gagne-deniers  réalisèrent  un 
instant  sur  leur  cause,  dès  1786,  l'unité,  la  coalition  de  toutes  les 
amertumes  des  Parisiens  contre  le  régime.  Sous  forme  de  pitié  ou 
de  railleries,  dans  les  conversations  comme  dans  les  écrits,  en  famille 
comme  au  café,  l'opinion  publique  osa  se  montrer  nettement  favo- 
rable aux  révoltés  et,  tandis  que  la  justice  leur  infligeait  l'infamie 
du  carcan,  elle  leur  décerna,  sous  forme  de  collecte,  les  palmes  des 
opprimés. 

Marcel  Rouff. 


BULLETIN   HISTORIQUE 


NECROLOGIE. 
Albert    VANDAL. 


La  morl  prématurée  du  comte  Albert  Vandal,  enlevé  le  1er  sep- 
tembre 1910,  à  l'âge  de  57  ans,  laisse  d'inconsolables  regrets,  non 
seulement  aux  amis  qui  ont  eu  le  privilège  de  goûter  le  charme 
d'une  des  natures  les  plus  délicates,  les  plus  droites,  les  plus  atta- 
chantes qu'on  pût  voir,  mais  à  tous  ceux  qui,  sans  le  connaître 
personnellement,  ont  suivi  depuis  1882,  dans  sa  carrière  d'historien, 
ce  chercheur  scrupuleux  et  probe,  qui  unissait  à  la  science  une 
grande  richesse  d'idées,  des  vues  larges  et  pénétrantes,  et  un  talent 
d'écrivain  qui  prenait,  avec  chacune  de  ses  œuvres,  plus  d'ampleur 
et  d'éclat.  Il  suit  de  près  dans  la  tombe  Albert  Sorel,  dont  il  fut 
l'élève  et  l'ami,  le  collègue,  puis  le  successeur  à  l'École  des  sciences 
politiques.  C'était  un  esprit  de  la  même  famille,  un  historien  de  la 
même  école,  et,  de  même  qu'il  nous  semblait  avoir  conservé  en  lui 
quelque  chose  de  Sorel,  sa  mort  nous  fait  sentir  doublement  la 
grandeur  du  vide  laissé  par  celui-ci. 

Esprit  de  moindre  envergure  ou  tout  au  moins  de  moindre  har- 
diesse que  Sorel,  et  plus  soucieux  aussi  d'éviter  toute  généralisation 
hasardée,  tout  entraînement  d'imagination,  Vandal  a  néanmoins 
laissé  une  œuvre  qui,  bien  que  composée  d'études  détachées  et  cir- 
conscrites, constitue  cependant  un  ensemble  par  l'esprit  et  les  préoc- 
cupations qui  l'animent.  Ces  études  se  ramènent  à  deux  ou  trois 
questions  d'histoire  politique  solidaires  et  convergentes  et  qui  étaient 
rattachées  dans  l'esprit  de  Vandal  à  une  préoccupation  constante  : 
éclairer  l'histoire  et  la  politique  actuelles  de  la  France  par  la  con- 
naissance des  antécédents  directs  de  cette  histoire  et  de  cette  poli- 
tique ;  chercher  dans  le  passé  récent  de  notre  pays  des  leçons  pour 
le  présent  et  l'avenir.  J'aimerais  mieux  dire  des  «  lumières  »  que 
des  «  levons  »  ;  car  si  Vandal,  à  ses  débuts,  s'est  laissé  aller  à  des 
déclarations  un  peu  emphatiques  qui  pouvaient  faire  craindre  qu'il 
eût  mis  l'histoire  au  service  de  la  politique,  comme  lorsqu'il  écrivait  : 
«  C'est  le  désir  d'établir,  au  profit  exclusif  de  la  France,  ces  for- 


NECROLOGIE. 


349 


ti fiantes  leçons,  c'est  son  passé  seul,  dégagé  de  toute  autre  préoccu- 
pation, qui  doit  nous  inspirer  et  nous  guider  dans  l'étude  de  toutes 
les  parties  de  son  histoire  politique,  de  même  que  nos  anciens 
hommes  d'armes,  pour  marcher  à  l'ennemi  et  s'animer  au  combat, 
ne  poussaient  qu'un  cri  :  France!  »,  cette  phrase,  peu  claire,  signifie, 
au  fond,  qu'on  doit  étudier  le  passé  sans  le  déformer  au  gré  des 
passions  contemporaines  ' .  En  fait,  bien  que  Vandal  ait  subi,  comme 
nous  tous,  dans  ses  vues  historiques,  l'influence  de  ses  préférences 
politiques2,  il  a  fait  constamment  le  plus  loyal  effort  pour  se  docu- 
menter d'une  manière  complète,  pour  soumettre  ses  documents  à 
une  critique  scrupuleuse,  pour  ne  rien  avancer  dans  ses  récits  qu'il 
ne  pût  prouver,  pour  rester,  autant  que  possible,  l'observateur 
impartial  et,  comme  on  aime  à  dire  aujourd'hui,  objectif  du  passé. 
Mais  Vandal  estimait  en  même  temps  que,  pour  l'historien,  le  passé 
n'est  pas  mort,  mais  vivant,  et  il  apportait  tout  son  effort,  tout  son 
talent  à  lui  rendre  la  vie.  Pour  cela,  il  mettait  en  œuvre  toute  sa 
pénétration  de  psychologue  et  son  art  de  narrateur.  Pour  lui,  l'his- 
toire était  un  drame,  et  ce  n'était  qu'en  sachant  faire  vivre  les  per- 
sonnages du  drame,  en  donnant  aux  scènes  de  l'histoire  la  couleur 
et  le  mouvement  qu'on  fait  de  l'histoire  vraie.  Dans  ce  travail  d'évo- 
cation, il  s'attachait  à  laisser  parler  les  témoignages  contemporains, 
à  ne  rien  ajouter  à  ce  que  lui  fournissaient  les  sources  les  plus 
pures,  mais  il  ne  se  dissimulait  pas  ce  qu'il  y  a  de  personnel  et  de 
subjectif  dans  l'art  de  l'historien  évocateur  du  passé  ;  il  en  acceptait 
les  risques  sans  laisser  jamais  sa  conscience  de  savant  subir  d'éclipsé, 
de  même  qu'il  apportait  un  double  et  louable  scrupule  à  établir  la 
liaison  des  événements  historiques,  les  conséquences  inéluctables  de 
leur  action  réciproque  et  de  leur  marche,  et  en  même  temps  le  jeu  des 
individualités,  le  rôle  des  passions,  des  idées  personnelles  et  des  carac- 
tères. Le  talent  si  riche,  si  fin  et  si  fort  de  Vandal  était  fait  d'éléments 
très  divers.  Il  devait  sans  doute  quelque  chose  aux  maîtres  qu'il 
considérait  comme  des  modèles,  à  Tocqueville,  à  Taine,  à  Sorel;  il 

1.  Je  me  ferais  scrupule  d'insister  sur  le  patriotisme  de  Vandal,  si  ardent 
qu'il  fût.  Lui  faire  un  mérite  d'un  sentiment  si  naturel  chez  un  homme  à  l'es- 
prit droit  et  au  cœur  bien  placé,  comme  d'une  vertu  exceptionnelle,  serait,  me 
semble-t-il,  faire  injure  et  à  lui-même  et  à  tous  ses  confrères  en  histoire.  Certes, 
Vandal  était  profondément  patriote,  mais  il  n'aurait  pas  souffert  qu'on  l'en  louât, 
car  il  n'était  pas  de  ceux  qui  font  du  patriotisme  une  réclame  et  une  carrière. 

2.  Notre  collaborateur  M.  Reuss  a  indiqué  ici  même  (t.  LXXXIII,  p.  11,  et 
t.  XCIX,  p.  111)  les  points  sur  lesquels  le  fils  du  directeur  des  postes  du  second 
Empire  avait  pu  être  influencé  par  son  éducation  et  ses  tendances  bonapar- 
tistes; mais  il  a  eu  soin  de  faire  remarquer  que  Vandal  lui-même  a  regretté 
que  Bonaparte  n'ait  pas  su,  dans  son  œuvre  réparatrice,  sauver  ce  qui  eût  pu  la 
consolider,  la  liberté.  «  Cette  œuvre,  dit-il,  était  au-dessus  de  son  caractère.  » 


350  BULLETIN    HISTORIQUE. 

avait  aussi  beaucoup  appris  dans  la  vie  et  dans  le  monde  auquel  il 
aimait  à  se  mêler  et  où  il  trouvait  à  exercer,  avec  la  séduction  de 
son  esprit  et  de  sa  distinction  native,  ses  qualités  d'observateur  et 
d'analyste;  il  avait  pendant  dix  ans,  de  1877  à  1887,  au  Conseil 
d'Etat1,  pris  l'expérience  des  affaires  publiques;  mais  ses  rares  qua- 
lités me  paraissent  dues  surtout  à  la  conception  très  nette  qu'il 
s'était  faite  des  devoirs  de  l'historien,  et  aux  consciencieux  efforts 
par  lesquels  il  s'est  constamment  rapproché  de  l'idéal  qu'il  s'était 
formé  :  exactitude  et  précision  d'une  part,  de  l'autre  création  de  la 
vie,  discernement  du  caractère  des  hommes  et  du  sens  des  choses, 
une  philosophie  de  l'histoire  faite  d'observation,  de  logique  et  de 
psychologie,  et  enfin  recherche  d'une  forme  expressive  et  simple, 
qui  arrive  à  l'effet,  à  la  couleur  et  au  relief  à  force  de  justesse  et  de 
vérité  vue  et  sentie.  Ces  qualités,  qu'il  n'a  acquises  dans  leur  pléni- 
tude que  peu  à  peu,  surtout  en  ce  qui  concerne  le  style,  ont  fait  de 
lui  un  professeur  incomparable.  Il  excitait  chez  ses  élèves  de  l'École 
des  sciences  politiques  une  admiration  sans  bornes.  Il  apportait  à 
ses  leçons  cet  amour  de  la  correction,  de  la  perfection  qu'il  mettait 
en  toutes  choses  et  qui  lui  donnait  quelque  chose  d'accompli  partout 
où  il  se  trouvait,  dans  les  salons  comme  dans  sa  chaire,  dans  la  vie 
publique  comme  dans  l'intimité;  chacune  d'elles  était  une  œuvre 
d'art  et  on  s'émerveillait  de  ce  qu'il  pouvait  donner  d'attrait  et  de 
vie  aux  plus  arides  négociations  diplomatiques.  Ce  sont  ces  mêmes 
qualités  qui  font  de  tous  ses  livres,  construits  de  matériaux  si  solides 
et  si  nouveaux,  une  lecture  délicieuse. 

Je  n'ai  pas  à  redire  ici  le  sujet  des  ouvrages  d'Albert  Vandal  et  à 
insister  sur  leur  mérite.  La  Revue  historique  en  a  entretenu  ses 
lecteurs  et  leur  a  rendu  la  justice  qui  leur  était  due  à  mesure  qu'ils 
paraissaient2.  Mais  je  rappellerai  l'unité  secrète  qui  les  rattache 
les  uns  aux  autres.  Vandal  avait  débuté  dans  les  lettres  par  un 
charmant  petit  livre  d'impressions  de  voyage  en  Scandinavie  :  En 
karriole  à  travers  la  Suède  et  la  Norvège,  et  il  est  vraisem- 

1.  On  doit  déptorer  sans  doute,  pour  l'intérêt  de  la  chose  publique,  que  des 
partis  pris  politiques  aient  empêché  Vandal  de  continuer  à  servir  le  pays  au 
Conseil  d'État;  mais  il  l'a  peut-être  encore  mieux  servi,  grâce  à  cet  ostracisme, 
par  ses  livres  et  son  enseignement. 

2.  Voy.  t.  XIX,  p.  114;  XXXIII,  p.  356;  XL,  p.  214;  XL VI,  p.  93;  LU,  p.  356; 
LXXI,  p.  110;  XCIX,  p.  110.  Toutefois,  la  Revue  doit  faire  son  meâ  culpâ 
d'une  très  regrettable  omission.  Un  seul  des  volumes  de  Vandal  n'y  a  pas  été 
l'objet  d'un  compte-rendu;  c'est  le  troisième  et  admirable  volume  qui  clôt  l'ou- 
vrage sur  Napoléon  et  Alexandre,  celui  qui  est  consacré  à  la  Rupture,  qui 
met  en  présence  les  manœuvres  ténébreuses  des  deux  rivaux  et  conduit  de  1811 
au  passage  du  Niémen. 


NECROLOGIE. 


351 


blable  que  ce  sont  ses  voyages  en  Orient  et  dans  les  pays  du  Nord 
qui  Font  poussé  à  faire  des  rapports  de  la  France  avec  la  Turquie 
et  la  Russie  les  premiers  objets  de  ses  études.  Disons  plutôt  :  le 
premier  objet,  car  la  question  d'Orient  est  depuis  Pierre  le  Grand 
jusqu'à  Nicolas  Ier  mêlée  à  toutes  nos  relations  avec  la  Russie  et 
l'obstacle  permanent  qui  empêcha  la  France  et  la  Russie  de  conclure 
plus  tôt  une  alliance  souvent  ébauchée  et  toujours  abandonnée. 

Le  premier  livre  d'histoire  de  Vandal  :  Louis  XV  et  Elisabeth 
de  Russie,  imparfait  au  point  de  vue  de  la  composition  et  du  style, 
est  un  des  plus  riches,  des  plus  remarquables  qu'il  ait  écrits  au 
point  de  vue  des  idées.  Il  révélait  à  la  France  une  partie  de  son  his- 
toire politique  qu'elle  ignorait  et  lui  indiquait  nettement,  dés  1882, 
l'alliance  russe  comme  une  nécessité  de  l'avenir.  Il  montrait  qu'au 
xvme  siècle  la  France  s'était  lourdement  trompée  en  sacrifiant  à  sa 
politique  traditionnelle  d'alliance  avec  la  Suède,  la  Pologne  et  la 
Turquie  l'amitié  de  la  Russie  qui  s'offrait  à  elle  ;  en  prenant  pour 
règle  d'ignorer  la  Russie,  jusqu'au  jour  où  elle  accepta  son  alliance, 
mais  comme  à  contre-cœur,  et  uniquement  parce  qu'elle  se  mettait 
à  la  remorque  de  l'Autriche.  Cinq  ans  après,  c'est  à  Constantinople 
que  M.  Vandal  se  transportait  pour  étudier  dans  :  Une  ambassade 
française  en  Orient,  le  rôle  du  marquis  de  Villeneuve  qui  réussit 
à  imposer  aux  Russes  et  aux  Autrichiens  le  traité  de  Belgrade  de 
1739,  triomphe  de  la  Turquie  soutenue  par  la  France,  qui  ne  devait 
pas  avoir  de  lendemain,  et  dont  la  France  ne  devait  pas  profiter.  Le 
talent  d'écrivain  de  Vandal  prit  dans  ce  nouveau  livre  tout  son 
essor,  et  le  récit  des  aventures  du  pacha  Bonneval,  à  qui  il  avait 
consacré  déjà  une  notice  en  1885,  la  peinture  du  monde  turc,  les 
chapitres  consacrés  à  notre  commerce  dans  le  Levant,  à  la  succes- 
sion de  Pologne,   montraient  en  lui  un  homme  qui  sait  manier 
les  textes,  voir  simultanément  les  côtés  les  plus  variés  de  l'his- 
toire et  faire  revivre  les  hommes.  Une  fois  en  Orient,  M.  Van- 
dal avait  été  amené,  en  étudiant  les  antécédents  de  la  mission 
de  Villeneuve,  à  remonter  jusqu'à  Louis  XIV,  aux  projets  de  Ool- 
bert  sur  l'Egypte,  et  à  la  mission  du  marquis  de  Nointel  qui  réussit 
en  1673  à  obtenir  le  rétablissement  des  capitulations.  Toutefois,  ce 
ne  devait  être  qu'en  1900  que  M.  Vandal  donna  le  résultat  complet 
de  ses  recherches  sur  la  mission  de  Nointel.  En  1889,  il  n'avait  publié 
qu'un  mémoire  communiqué  à  l'Académie  des  sciences  morales  et 
politiques,  sur  Louis  XIV  et  l'Egypte.  Son  Odyssée  d'un  ambas- 
sadeur. Les  voyages  du  marquis  de  Nointel,  fut  comme  un 
intermède  au  milieu  de  ses  travaux  d'histoire  politique,  car  tout 
en  traitant  avec  un  très  grand  soin  la  partie  commerciale  de  son 


352  BULLETIN    HISTORIQUE. 

sujet,  il  s'attache  surtout  à  faire  revivre  le  singulier  ambassadeur, 
touriste,  curieux,  collectionneur,  qui  éblouit  les  Orientaux  de  son 
faste  pour  finir  son  ambassade  dans  la  misère,  et  qui  mérite  surtout 
la  réputation  d'un  protecteur  éclairé  des  arts.  Entre  temps,  M.  Van- 
dal  s'était  attaché  au  grand  ouvrage  dont  son  Elisabeth  n'était  que 
la  préface  :  Napoléon  Ier  et  Alexandre,  dont  les  trois  volumes 
parurent  de  1891  à  1897.  L'ouvrage  est  comme  un  drame  en  trois 
actes  :  VAlliance,  le  Déclin  de  l'alliance,  la  Rupture.  Ici  encore, 
c'est  la  Pologne  et  la  Turquie  qui  sont  l'obstacle  à  l'accord  entre  la 
France  et  la  Russie,  mais  plus  encore  les  ambitions  opposées  et 
également  démesurées  des  deux  empereurs.  Vandal  a  mené  avec  un 
art  consommé,  en  même  temps  qu'avec  une  connaissance  admirable 
de  tout  le  détail  de  la  diplomatie,  ce  triple  récit  et  il  a  mis  face  à  face 
les  deux  inoubliables  portraits  du  fourbe  mystique  et  du  conqué- 
rant insatiable  qui  se  proposaient  le  partage  d'un  monde  qu'ils  vou- 
laient chacun  se  réserver  pour  soi  seul.  Rien  de  plus  curieux  que  de 
voir  se  succéder  ces  trois  volumes,  si  différents  de  ton  et  de  couleur  : 
le  premier  tout  rempli  des  enivrements  d'une  amitié  grandiose,  sorte 
d'épithalame  héroïque  d'une  alliance  où  l'on  rêve  de  refaire  l'uni- 
vers au  milieu  des  fêtes;  le  second,  série  d'imbroglios  comiques  et 
de  négociations  de  mariages  où  l'on  se  dupe  des  deux  côtés;  le  troi- 
sième d'une  grandeur  sinistre  et  tragique,  où  l'on  sent  la  main  ter- 
rible de  la  fatalité  précipiter  Napoléon  à  l'abime  hors  de  ce  monde 
trop  étroit  pour  les  deux  rivaux.  —  Quand  on  est  aux  prises  avec 
Napoléon,  il  ne  vous  lâche  plus.  Vandal  l'avait  vu  courant  à  sa 
ruine  et  entraînant  avec  lui  la  France  au  gouffre.  Il  voulut  montrer 
plus  complètement  qu'on  n'avait  fait  jusqu'ici  les  causes  et  les  résul- 
tats de  V Avènement  de  Bonaparte  et  justifier  en  quelque  mesure 
la  France  de  s'être  donnée  à  Napoléon,  faire  ressortir  ce  qu'elle  dut 
à  son  génie  organisateur  et  pacificateur  au  sortir  de  l'anarchie  révo- 
lutionnaire. Les  deux  volumes  consacrés  par  M.  Vandal  à  décrire  la 
France  du  Directoire,  le  18  Brumaire  et  la  République  consulaire 
sont  ce  qui  est  sorti  de  plus  parfait,  de  plus  complet  de  sa  plume, 
au  point  de  vue  de  la  richesse  de  la  documentation  comme  de  la 
perfection  de  la  mise  en  œuvre.  On  lui  reprochera  d'avoir  fait  trop 
grande  la  part  des  éloges  accordés  à  Bonaparte,  d'avoir  trop  atténué 
les  ombres  du  tableau.  Ce  n'en  est  pas  moins  une  œuvre  de  tout 
premier  ordre.  Vandal  a  bien  rempli  tout  son  mérite,  mais  nous 
pleurons,  avec  l'homme  que  nous  aimions,  les  beaux  livres  que  nous 

attendions  encore  de  lui. 

G.  Monod. 


HISTOIRE    DE   FRANCE.  353 


HISTOIRE  DE  FRANCE. 

FIN  DU    MOYEN  AGE. 

(1328-1498.) 

Publications  de  documents.  —  Les  historiens  qui  veulent  étu- 
dier les  textes  du  xive  et  du  xve  siècle  dans  des  éditions  soigneuse- 
ment établies  sont  redevables  chaque  année  à  la  Société  de  l'Histoire 
de  France  de  nouveaux  et  excellents  instruments  de  travail.  La 
Chronique  des  règnes  de  Jean  II  et  de  Charles  V,  dont  cette 
Société  a  confié  la  publication  à  M.  Delachenal1,  est  connue 
depuis  longtemps;  c'est  la  dernière  partie  des  Grandes  Chroniques 
de  France,  attribuée  au  chancelier  Pierre  d'Orgemont,  et  nous 
n'avons  pas  besoin  de  rappeler  l'importance  de  ce  document  officiel, 
où  l'on  trouve  les  événements  exposés  avec  une  extrême  précision, 
non  point  toujours  tels  qu'ils  se  sont  passés,  mais  tels  que  Charles  V 
voulait  qu'ils  fussent  connus  de  la  postérité.  Il  a  été  imprimé  plu- 
sieurs fois  avec  le  corps  des  Graiides  Chroniques,  notamment 
dans  l'édition  de  Paulin  Paris.  Mais  Paulin  Paris  a  cru  devoir  uti- 
liser plusieurs  manuscrits  et  a  pris  dans  rétablissement  du  texte  des 
libertés  fâcheuses;  les  fautes  de  son  édition  altèrent  parfois  grave- 
ment la  vérité  historique.  M.  Delachenal  s'est  borné  à  reproduire  le 
manuscrit  de  Charles  V  (Bibl.  nat..  ms.  fr.  2813),  ce  qui  était  évi- 
demment la  seule  méthode  à  suivre.  Son  édition  comprendra  trois 
volumes,  dont  un  album  reproduisant  les  miniatures  de  ce  beau 
manuscrit.  Le  tome  I,  qui  vient  de  paraître,  est  relatif  au  règne  de 
Jean  le  Bon.  Il  est  annoté  avec  le  soin,  l'exactitude  et  la  compétence 
toute  spéciale  qu'on  devait  attendre  du  savant  historien  de  Charles  V. 

Dans  la  même  collection  vient  enfin  de  se  terminer  la  publication 
des  Lettres  de  Louis  XI,  qui  a  été  proposée  par  Mlle  Dupont  et 
agréée  par  le  Conseil  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France,  sur  un 
rapport  de  Léopold  Delisle,  il  y  a  quarante-deux  ans.  MIle  Dupont, 
Léopold  Pannier,  Etienne  Charavay,  Joseph  Vaesen  ont  travaillé 
tour  à  tour  à  cette  édition  et  sont  morts  avant  de  l'avoir  vue 
s'achever.  Le  tome  XI2,  imprimé  par  les  soins  de  M.   Bernard 

1.  Chronique  des  règnes  de  Jean  II  et  de  Charles  V,  publ.  par  R.  Delache- 
nal. T.  I  :  1350-1364.  Paris,  librairie  de  la  Société  de  I'Hist.  de  France,  1910, 
346  p. 

2.  Lettres  de  Louis  XI,  roi  de  France.  T.  XI  :  Préface,  Itinéraire  et  Tables, 

Rev.  Histor.  CV.  2e  fasc.  23 


354  BULLETIN    niSTORIQUE. 

de  Mandrot,  contient  une  substantielle  préface  de  ce  savant,  un 
Itinéraire  de  Louis  XI  que  Mlle  Dupont  et  ses  successeurs  avaient 
dressé  pour  parvenir  à  dater  ses  lettres,  et  enfin  une  Table  géné- 
rale. Ainsi  se  trouve  définitivement  ouvert  au  public  un  admirable 
monument  d'érudition,  digne  d'être  connu,  non  seulement  des  histo- 
riens professionnels,  mais  de  tous  les  curieux  que  peut  intéresser  la 
psychologie  d'un  grand  conducteur  d'hommes.  De  cette  collection 
de  plus  de  deux  mille  lettres,  quelques-unes,  destinées  à  des  puis- 
sances étrangères,  ont  été  écrites  ou  traduites  en  latin  dans  les 
bureaux  de  la  chancellerie  ;  presque  toutes  sont  en  français  ;  un  bon 
nombre  ont  été  dictées  «  de  mot  à  mot  »  par  Louis  XI,  qui  appelait 
ses  secrétaires  à  toute  heure  du  jour  et,  par  exemple,  «  le  matin,  à 
son  lever,  en  s'habillant  ».  Ces  missives,  «  devisées  »  par  le  roi  lui- 
même,  sont  faciles  à  distinguer.  Soit  que  Louis  donne  ses  instruc- 
tions aux  généraux  et  aux  diplomates  qu'il  emploie,  soit  qu'il  écrive 
affectueusement  à  ses  amis  François  Sforza  ou  Laurent  de  Médicis, 
ou  à  ses  bonnes  villes,  ou  qu'il  s'adresse  à  sa  femme,  à  sa  sœur,  à 
ses  compères,  l'allure  des  billets  qui  lui  appartiennent  en  propre  est 
bien  personnelle  et  reconnaissable ;  il  a  une  manière  à  lui,  alerte, 
précise,  tantôt  enjôleuse,  tantôt  cinglante  et  sèche,  parfois  brutale 
et  terrible.  Tel  nous  le  montrent  les  Mémoires  de  Commynes  et 
les  relations  des  ambassadeurs  italiens,  tel  il  se  révèle  lui-même 
dans  sa  correspondance  :  vif,  gouailleur,  aimant  la  gauloiserie  et 
les  gros  mots,  la  chasse,  le  vin  et  les  belles  filles,  curieux,  fureteur, 
soupçonneux,  fourbe,  cruel;  mais  aussi  d'une  activité  et  d'une  lar- 
geur d'esprit  merveilleuses  et  doué  en  somme  d'éminentes  qualités 
d'homme  d'État,  qu'il  gâte  par  une  certaine  bassesse  de  caractère, 
un  positivisme  cynique  et  parfois  répugnant.  Les  Lettres  de  Louis  XI 
ne  modifient  pas  essentiellement  l'idée  que  nous  nous  faisions  de 
lui,  parce  que  de  bons  observateurs  nous  l'avaient  fidèlement 
dépeint;  mais  elles  nous  donnent  des  certitudes  et  des  précisions,  et 
beaucoup  sont  vraiment  bien  amusantes.  L'édition  de  la  Société  de 
l'Histoire  de  France  pourra  subir  ça  et  là  quelques  corrections, 
notamment  pour  les  dates  des  lettres;  mais  elle  est  le  fruit  d'un 
énorme  effort  de  recherches  et  elle  est,  somme  toute,  un  modèle. 
Nous  regrettons  seulement  qu'on  n'ait  pas  reproduit  les  parties 
chiffrées  de  certaines  lettres1;  peut-être  auraient- elles  tenté  la 
patience  d'un  cryptographe  assez  habile  pour  les  mettre  en  clair. 

par  J.  Vaesen  et  B.  de  Mandrot.  Paris,  librairie  de  la  Société  de  l'Hist.  de 
France,  1909,  ix-333  p. 

1.  Notamment  la  lettre  écrite  de  Péronne  au  duc  de  Milan  le  13  octobre  1468 
(n»  396). 


HISTOIRE   DE    FRANCE.  355 

Le  onzième  volume  des  Documents  concernant  le  Poitou,  que 
M.  Paul  Guérin  extrait  patiemment  du  Trésor  des  chartes 1 ,  apporte 
une  contribution  d'autre  genre  à  l'histoire  du  règne  de  Louis  XI. 
Comme  les  tomes  précédents  de  cette  belle  publication,  il  est  riche 
surtout  en  documents  d'histoire  sociale.  Sur  un  total  de  cent  cin- 
quante actes,  quatre-vingl-dix-sept  sont  des  lettres  de  rémission, 
accordées  notamment  à  des  gens  d'armes,  des  francs-archers,  des 
gens  de  métier,  des  paysans.  Elles  attestent  l'extrême  brutalité  des 
mœurs;  le  nombre  relativement  élevé  des  fratricides  est  caractéris- 
tique. Elles  attestent  aussi  la  célérité  de  la  justice  royale,  dont  les 
criminels  ne  peuvent  plus  faire  fi;  en  contraste  avec  les  lettres  de 
rémission  du  temps  de  Charles  VII,  elles  donnent  l'impression 
qu'en  somme  le  Poitou  est  sauvé  de  l'anarchie.  Dans  son  Introduc- 
tion, M.  Guérin  donne  une  sorte  de  complément  à  sa  publication, 
en  exposant,  d'après  d'autres  sources  et  surtout  d'après  les  registres 
du  Parlement,  les  événements  remarquables  de  l'histoire  du  Poitou 
sur  lesquels  les  registres  du  Trésor  des  chartes  renseignent  peu  ou 
point;  il  raconte  l'installation  à  Poiliers,  en  1469,  du  parlement  qui 
siégeait  à  Bordeaux  et  expose  sommairement  les  rapports  de  Louis  XI 
et  de  la  ville  de  Poitiers. 

Comme  les  lettres  missives  et  les  lettres  de  rémission,  les  Comptes 
sont  des  textes  qui  nous  font  pénétrer  au  vif  de  la  réalité  historique. 
On  a  dit  ici  quel  intérêt  présente  la  publication  des  Comptes  inédits 
du  roi  René,  par  l'abbé  Arnaud  d'Agnel2,  et  quelle  était  la 
méthode  suivie  par  l'auteur3.  Dans  les  tomes  II  et  III  qui  la  ter- 
minent sont  groupés,  en  des  cadres  artificiels  qui  ont,  en  somme, 
plus  d'avantages  que  d'inconvénients,  les  comptes  relatifs  au  cos- 
tume, aux  meubles,  aux  mœurs.  Un  index  très  abondant,  de  plus 
de  cent  soixante  pages,  permet  de  manier  facilement  les  trois 
volumes.  L'annotation  est  suffisante.  L'édition  mérite  en  somme 
des  éloges,  bien  qu'on  y  puisse  relever  un  certain  nombre  de  fautes 
d'impression  que  ne  corrige  aucun  erratum.  L'histoire  du  roi  René, 
en  grande  partie  manquée  par  Lecoy  de  la  Marche,  est  à  refaire;  la 
publication  de  M.  Arnaud  d'Agnel  sera,  pour  qui  entreprendra  cette 
grosse  besogne,  d'un  précieux  secours. 

Les  Comptes  du  manoir  archiépiscopal  de  Rouen*,  pour 

1.  Paul  Guérin,  Recueil  des  documents  concernant  le  Poitou  contenus  dans 
les  Registres  de  la  chancellerie  de  France.  T.  XI  :  i4£5-i474  {Archives  his- 
toriques du  Poitou,  t.  XXXVIII),  1909,  xlv-539  p. 

1.  L'abbé  G.  Arnauld  d'Agnel,  les  Comptes  du  roi  René.  Paris,  Alph.  Picard, 
1909  (t.  II,  491  p.)  et  1910  (t.  III,  511  p.).  Chaque  volume  :  10  fr. 

3.  Voy.  l'article  de  M.  Lauer,  Rev.  hist.,  année  1908,  t.  III,  p.  310-312. 

4.  Comptes,  devis  et  inventaires  du  manoir  archiépiscopal  de  Rouen,  recueil- 


356  BULLETIN    HISTORIQUE. 

n'avoir  pas  la  même  importance,  seront  cependant  bien  accueillis 
des  archéologues  et  des  historiens.  Obligé  par  la  loi  de  séparation  de 
quitter  ce  manoir,  qu'il  avait  travaillé  à  restaurer  et  à  embellir. 
Mgr  Fuzet  lui  a  consacré  un  livre  luxueux.  Aux  documents  d'ar- 
chives'qu'il  a  fait  recueillir  par  l'abbé  Jouen,  il  a  ajouté  une  impor- 
tante introduction.  L'histoire  d'un  monument,  lorsqu'on  veut  non 
seulement  examiner  les  étapes  de  sa  construction,  mais  rappeler  les 
institutions,  les  faits,  les  personnages  dont  il  évoque  le  souvenir,  ne 
peut  manquer  d'être  assez  factice.  Les  deux  cents  pages  écrites  par 
Mgr  Fuzet,  sans  éviter  ce  défaut,  constituent  néanmoins  une  bonne 
monographie,  précise  et  intelligente,  d'histoire  ecclésiastique  et 
d'histoire  provinciale.  Quant  aux  documents,  ils  sont  présentés  par 
M.  l'abbé  Jouen  avec  un  appareil  d'érudition  qui,  semble-t-il,  aurait 
pu  être  allégé  sans  dommage.  Le  lexique  contient  sept  ou  huit  cents 
mots  prétendus  rares  ;  en  réalité,  la  plus  légère  différence  avec 
l'orthographe  moderne  (ung  pour  un,  tuillé  pour  tuile,  ytalien 
pour  italien,  etc.)  a  suffi  pour  qu'un  mot  eût  les  honneurs  d'une 
traduction  ou  d'une  explication.  Et  l'explication  laisse  parfois  rêveur1 . 
Plus  sobre,  et  parfois  trop  sobre,  est  l'édition  du  Livre  rouge  de 
Sainte-Marie  d'Auch,  dont  nous  avons  reçu  la  seconde  partie2. 
On  y  trouve  une  foule  de  documents  intéressants  :  tels,  au  point  de 
vue  de  la  discipline  ecclésiastique,  les  statuts  synodaux  de  1383,  les 
constitutions  synodales  de  Philippe  de  Levis,  les  statuts  de  l'église 
d'Auch,  etc.;  au  point  de  vue  de  l'administration  temporelle  des 
archevêques,  les  coutumes  de  Bassoues.  L'ouvrage  se  termine  par 
une  table  alphabétique  des  noms  et  des  matières,  à  laquelle  il  faut 
reprocher,  non  pas  une  longueur  excessive,  mais  au  contraire  des 
lacunes3.  Est-il  donc  difficile  de  faire  un  bon  index?  C'est  affaire  de 
patience  et  de  méthode,  deux  qualités  que  doivent  posséder  tous  les 
éditeurs  de  textes. 

lis  et  annotés  par  M.  le  chanoine  Jouen,  publiés  avec  une  introduction  his- 
torique par  Mgr  Fuzet.  Paris,  Alph.  Picard,  1908,  ccxliv-716  p.  in-4°,  avec 
plans  et  fac-similés.  Prix  :  25  fr. 

1.  Le  compte  de  1437  contient  la  phrase  suivante,  p.  149  :  «  A  Colin  Amiot, 
machon,  pour  avoir ...  faist . . .  une  demie  croysée  de  fenestres  et  m  autres  fenestres 
sur  rue  et  plusieurs  hachis  et  en  la  chambres  de  ses  clercs  deux  fenestres...  » 
Au  glossaire,  nous  trouvons  :  «  Hachis,  p.  149  :  viande  hachée  coupée  très  fin.  » 

2.  Abbé  J.  Dufl'our,  Livre  rouge  du  chapitre  métropolitain  de  Sainte-Marie 
d'Auch,  2e  partie,  paginée  de  la  p.  241  à  la  p.  519.  Paris,  Champion;  Auch, 
Cocharaux,  1908  (Arch.  hist.  de  la  Gascogne,  2°  série,  fasc.  12).  M.  Lauer  a 
donné  ici  un  compte-rendu  détaillé  de  la  première  partie  (Rev.  hist.,  1908, 
t.  III,  p.  312-313). 

3.  Au  mot  sorciers,  par  exemple,  je  ne  trouve  pas  de  référence  à  la  page  314, 
où  se  trouve  une  ordonnance  contre  les  sorciers. 


HISTOIRE   DE    FRANCE.  357 

Histoire  des  institutions.  —  L'histoire  des  finances  publiques 
continue  à  s'éclaircir  et  à  se  débarrasser  d'erreurs  depuis  longtemps 
ressassées.  Le  tome  III  des  Recherches  du  colonel  Borrelli  de 
Serres,  sans  avoir  peut-être  autant  d'importance  que  les  deux 
volumes  précédemment  parus,  est  riche  d'informations  nouvelles 
et  de  rectifications,  fondées  sur  les  documents  d'archives1.  Sauf  un 
mémoire  sur  les  Plus  anciens  présidents  au  Parlement,  où  il 
est  montré  que  ce  titre  a  été  donné  d'abord  à  de  grands  personnages 
sans  compétence  spéciale,  puis,  à  partir  du  milieu  du  xive  siècle,  à 
des  juristes  qui  étaient  depuis  longtemps  présidents  de  fait,  —  le 
nouveau  volume  de  M.  Borrelli  de  Serres  est  presque  exclusivement 
consacré  à  l'histoire  des  services  financiers  et  des  gens  de  finances. 
Il  commence  par  un  historique  du  Trésor  royal,  de  Philippe  IV  à 
Philippe  VI.  Au  moment  de  la  suppression  de  l'ordre  des  Templiers, 
le  Trésor,  qui  avait  été  installé  au  Louvre  de  1295  à  1303,  était  de 
nouveau  au  Temple,  mais  il  était  sous  la  surveillance  de  trésoriers 
du  roi  ;  après  la  suppression  de  l'ordre,  les  trésoriers  remplacèrent 
les  Templiers  comme  banquiers  du  roi.  Cette  organisation  man- 
quait d'unité,  il  fallait  nécessairement  une  direction  supérieure 
des  finances.  Le  tout-puissant  favori  Enguerrand  de  Marigny  s'en 
saisit  et  se  chargea  seul  de  l'administration  financière,  sans  s'attri- 
buer ni  titre,  ni  office,  ni  traitement  correspondant.  Il  se  contenta 
de  profits  occultes,  au  moyen  de  pratiques  irrégulières,  et  surtout 
au  moyen  d'un  dédoublement  momentané  du  Trésor.  Après  lui,  le 
Trésor  fonctionne  régulièrement,  sous  la  direction  d'un  «  souverain 
établi  par-dessus  les  trésoriers  ».  Dans  un  autre  mémoire,  M.  Bor- 
relli de  Serres  rectifie  sur  plusieurs  points  la  biographie  de  Marigny, 
démontre  qu'il  n'a  pas  été  créé  comte  de  Longueville  par  Philippe 
le  Bel.  Il  donne  aussi  des  notices  sur  le  trésorier  Pierre  Remy,  les 
Montagu,  les  Varye  et  autres  gens  de  finances.  Il  achève  de  ruiner 
la  légende  de  Jacques  Cœur,  «  ministre  des  Finances  »  de  Charles  VII , 
et  la  légende  de  Jean  Bureau,  qui  n'a  pas  été  grand  maître  de  l'artil- 
lerie ni  inventeur  technique.  Bien  que  M.  Borrelli  de  Serres  emploie 
trop  souvent  son  temps  à  réfuter  des  auteurs  dont  l'insuffisance 

1.  Recherches  sur  divers  services  publics,  du  XIIIe  au  XVII"  siècle.  T.  III  ; 
Notices  relatives  aux  XIVe  et  XVe  siècles.  Paris.  Alph.  Picard,  1910,  591  p. 
Prix  :  10  fr.  Voici  les  litres  des  notices  :  I,  le  Trésor  royal  de  Philippe  IV  à 
Philippe  VI.  —  II,  Officiers  des  finances  de  Philippe  IV  à  François  I0'  (liste  des 
trésoriers  de  France,  clercs  du  Trésor,  changeurs  du  Trésor,  etc).  —  III,  Les 
plus  anciens  présidents  au  Parlement.  —  IV,  Notes  sur  quelques-uns  des  gens 
de  finances.  —  V,  les  Feux  dans  le  Languedoc.  —  VI,  Trois  hypothèses  sur  les 
variations  monétaires  (réponse  aux  critiques  de  M.  Dieudonné).  —  VII,  la  Date 
de  Y  Estât  des  offices  (ce  petit  traité  est  de  1450-1452). 


358  BULLETIN    HISTORIQUE. 

scientifique  n'est  plus  à  démontrer,  son  livre,  que  nous  regrettons 
de  ne  pouvoir  analyser  tout  entier,  est  de  ceux  qu'on  ne  peut  pas 
ignorer.  Tous  ceux  qui  étudient  le  développement  des  institutions 
monarchiques  à  la  fin  du  moyen  âge  ont  contracté  une  dette  envers 
M.  Borrelli  de  Serres.  Il  est  de  cesérudits  qui,  par  leurs  recherches 
fécondes  dans  les  documents  inédits,  et  aussi  par  la  précision  de  leur 
intelligence,  leur  sincérité  envers  eux-mêmes  et  la  vigueur  de  leur 
esprit  critique,  renouvellent  tous  les  sujets  qu'ils  traitent. 

Les  travaux  de  M.  Borrelli  de  Serres  sur  les  variations  moné- 
taires du  xivc  siècle  ont,  avec  ceux  de  MM.  Bridrey,  Babelon,  Dieu- 
donné,  etc.,  aidé  M.  Adolphe  Landry  à  écrire  un  livre  d'ensemble 
sur  les  mutations  de  monnaies,  de  Philippe  le  Bel  à  Charles  VII1. 
Mais  M.  Landry  s'est  placé  à  un  point  de  vue  particulier.  Il  ne  fait 
pas  l'histoire  des  mutations;  il  n'a  pas  recherché  de  documents  iné- 
dits et  n'apporte  pas  de  faits  nouveaux.  Il  construit  une  théorie 
économique  des  mutations,  il  nous  donne  «  une  étude  systématique 
des  mutations  au  point  de  vue  économique  ».  Tout  en  s'aidant  des 
découvertes  de  l'érudition  moderne,  il  reprend  les  textes  les  plus 
connus,  tels  que  les  Ordonnances  royales,  et  s'applique  à  en  donner 
une  interprétation  cohérente,  que  ne  choque  ni  le  sens  commun,  ni 
les  données  de  l'histoire  générale,  ni  ce  que  nous  savons  des  idées 
du  moyen  âge.  Bref,  il  fait  œuvre  d'économiste,  tout  en  espérant,  et 
à  très  juste  titre,  être  utile  aux  historiens.  Son  livre,  écrit  avec  soin 
et  avec  le  souci  d'être  à  la  fois  clair  et  nuancé,  aura,  souhaitons-le, 
assez  de  lecteurs  pour  que  les  erreurs  ressassées  à  ce  sujet  dispa- 
raissent des  manuels  et  de  l'enseignement  historique.  Après  un  pre- 
mier chapitre  sur  le  système  monétaire  de  l'ancienne  France,  sont 
définis  les  modes  de  mutation;  il  y  a  eu  des  réductions  de  titre, 
quelquefois  même  des  réductions  de  poids,  mais  il  y  a  eu  surtout 
des  «  affaiblissements  »  de  monnaie  par  augmentation  arbitraire  de 
leur  cours  légal,  exprimé  en  monnaie  de  compte  ;  de  même  les  «  enfor- 
cissements  »,  plus  rares,  se  sont  opérés  surtout  par  l'abaissement 
du  cours  légal.  Pourquoi  ces  mutations?  Il  faut  se  ranger  aux  con- 
clusions de  M.  Borrelli  de  Serres,  repousser  l'idée  que  les  rois  aient 
usé  alternativement  des  affaiblissements  et  des  enforcissements  pour 
payer  moins  et  recevoir  plus.  Les  raisons  pour  lesquelles  on  muait 
les  monnaies  sont  tout  autres,  et  M.  Landry  les  énumère  méthodi- 
quement. Pour  lui,  la  principale  était  le  désir  des  rois  de  donner 

1.  Adolphe  Landry,  Essai  économique  sur  les  mutations  de  monnaies  dans 
l'ancienne  France,  de  Philippe  le  Bel  à  Charles  VU.  Paris,  Champion,  1910, 
xvn-219  p.  (Bibl.  de  l'École  des  Hautes-Études,  185e  fascicule).  Prix  :  7  i'r. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  359 

plus  de  travail  à  leurs  ateliers  monétaires,  d'augmenter  la  frappe  et 
par  suite  le  bénéfice  qu'ils  tiraient  de  leur  droit  de  monnayage.  Et 
en  effet  les  mutations  ont  activé  la  frappe,  mais,  tant  que  les  cens  et 
les  autres  revenus  du  domaine  ont  tenu  grande  place  dans  les 
recettes  royales,  les  affaiblissements  de  monnaie,  qui  ont  constam- 
ment fait  décroître  la  valeur  réelle  de  la  livre,  ont  diminué  les  pro- 
fits tirés  du  domaine  :  les  redevances  étant  fixées  une  fois  pour  toutes 
en  monnaie  de  compte,  la  diminution  des  quantités  de  métal  corres- 
pondant à  la  livre  était  préjudiciable  au  roi;  peut-être,  au  total, 
a-t-il  perdu  plus  que  gagné  aux  variations  monétaires.  En  tous  cas, 
la  diminution  de  la  valeur  de  la  livre  a  causé  un  tort  énorme  aux 
autres  grands  propriétaires.  On  a  eu  tort  de  dire  que  les  mutations 
ont  eu  peu  de  succès  et  de  conséquences  ;  les  prescriptions  royales 
passaient  véritablement  en  pratique,  jetaient  momentanément  le 
trouble  dans  les  transactions,  changeaient  les  prix,  et  elles  ont  eu 
pour  effet  durable  un  grand  déplacement  de  la  richesse,  au  détriment 
de  l'église  et  de  la  noblesse. 

Les  historiens  que  forment  maintenant  nos  Facultés  de  droit  con- 
tinuent à  nous  donner  d'excellents  travaux  sur  les  institutions  du 
moyen  âge.  M.  Ernest  Perrot  a  écrit  un  livre  intéressant  et  neuf 
sur  les  cas  royaux  * .  Il  y  étudie  successivement  les  différents  cas 
royaux,  la  théorie  juridique,  la  procédure  et  termine  par  une  com- 
paraison avec  les  cas  ducaux  en  Normandie.  Selon  lui,  jusqu'à  la 
fin  du  xive  siècle,  la  monarchie  n'a  point  cherché,  dans  les  «  casus 
ad  dominum  regem  pertinentes  »,  une  arme  de  guerre  contre  les  jus- 
tices seigneuriales.  Seuls,  le  cas  d'infraction  à  la  paix  et  le  cas  d'in- 
fraction aux  ordonnances  royales  paraissent  dériver  des  devoirs  du 
roi  comme  chef  de  la  nation  et  se  sont  établis  aux  xme  et  xive  siècles 
sur  des  principes  étrangers  et  contraires  au  principe  féodal  ;  tous  les 
autres  cas  ont  une  origine  qui  se  perd  dans  la  nuit  des  temps  et 
reposent  sur  cette  idée  de  droit  féodal  que  le  seigneur  ne  peut  pas 
recevoir  justice  de  la  main  d'un  vassal  :  dans  les  affaires  qui 
touchent  le  roi,  celui-ci  est  nécessairement  juge  et  partie.  La  dynas- 
tie capétienne  s'est  montrée  en  somme,  à  cet  égard,  beaucoup  moins 
envahissante  que  la  dynastie  anglo-normande.  Ces  conclusions  ne 
surprendront  sans  doute  qu'à  moitié  les  historiens  familiers  avec 
les  textes  des  xme  et  xive  siècles,  mais  personne  n'avait  encore  tiré 
au  clair  cette  question.  Voilà  une  très  utile  contribution  à  l'histoire 
du  droit  monarchique  en  France. 

1.  Les  Cas  royaux,  origine  et  développement  de  la  théorie  aux  XIIIe  et 
XIV  siècles.  Paris,  Arthur  Rousseau,  1910,  370  p. 


360  BULLETIN    HISTORIQUE. 

Sans  être  d'une  importance  égale.  l'Essai  sur  la  connaissance 
et  la  preuve  des  coutumes  en  justice,  dans  l'ancien  droit 
français  et  dans  le  système  romano-canonique,  par  M.  Hippo- 
lyte  Pissard\  est  un  livre  solide,  fortement  documenté  et  bien 
composé.  Comment  le  juge  acquérait-il  la  connaissance  de  la  cou- 
tume? Par  qui  la  preuve  de  la  coutume  était-elle  faite?  L'auteur 
étudie  cette  question  depuis  l'époque  barbare  jusqu'à  la  fin  de  l'an- 
cien régime  ;  on  lira  avec  un  intérêt  particulier  les  chapitres  sur 
l'origine,  le  développement  et  le  déclin  des  enquêtes  par  lurbe  qui, 
après  avoir  été  mises  régulièrement  en  pratique  par  saint  Louis 
pour  la  preuve  de  la  coutume,  ont  été  rendues  à  peu  près  inutiles 
par  la  rédaction  des  coutumes  à  partir  du  xve  siècle  et  ont  été  abolies 
par  l'ordonnance  d'avril  1667.  Sans  nier  l'influence  du  droit  nor- 
mand. M.  Pissard  pense  que  l'enquête  par  turbe  remonte  à  Yinqui- 
sitio  carolingienne,  par  l'intermédiaire  des  enquêtes  faites,  notam- 
ment au  temps  de  Philippe-Auguste,  pour  la  sauvegarde  des  droits 
royaux.  Nous  adoptons  d'autant  plus  volontiers  cette  opinion  que, 
pour  notre  part,  nous  ne  croyons  pas  que  la  monarchie  ait  jamais 
pu  cesser  tout  à  fait  d'avoir  des  missi  et  d'ordonner  des  enquêtes. 

Les  Recherches  sur  les  maîtres  des  requêtes  de  V Hôtel,  des 
origines  à  1350,  de  M.  André  Guillois,  éclairent  aussi  la  question 
de  la  justice  retenue  par  le  roi,  mais  cette  fois  au  point  de  vue  des 
relations  entre  les  divers  organes  de  justice  royale2.  Les  maîtres  des 
requêtes  de  l'Hôtel,  qui  avaient  pour  mission  de  recevoir  et  exami- 
ner les  requêtes  adressées  au  roi,  jugeaient  parfois  sur  le  fond,  sans 
qu'on  puisse  établir  une  délimitation  précise  de  compétence  entre  eux 
et  le  Parlement.  Adoptant  l'opinion  la  plus  répandue,  M.  Guillois 
aperçoit  l'origine  de  cette  institution  dans  les  Plaids  de  la  Porte, 
tels  que  les  décrit  Joinville.  Malgré  des  recherches  sérieuses  aux 
Archives  nationales,  l'auteur  n'a  pu  apporter  de  textes  nouveaux 
antérieurs  à  l'année  1316.  Mais,  à  partir  de  cette  date,  les  documents 
imprimés  ou  inédits  abondent.  On  voit  quel  est  le  nombre,  la  qua- 
lité, la  carrière  des  maîtres  des  requêtes  de  l'Hôtel;  quels  actes  ils 
commandent  en  vertu  de  leurs  fonctions  (faveurs  diverses  et  actes 
administratifs  d'une  part,  actes  relatifs  à  l'exercice  de  la  justice,  de 
l'autre)  ;  quel  rôle  ils  jouent  à  la  chancellerie  ;  quelle  est  leur  juridic- 
tion; quelle  situation  ils  occupent  au  Parlement;  quelles  missions 
le  roi  leur  confie  dans  le  royaume  et  au  dehors.  Le  livre  de 
M.  Guillois  fera  jusqu'à  nouvel  ordre  autorité  sur  la  matière.  Il  est 


1.  Paris,  Arthur  Rousseau,  1910,  223  p. 

2.  Paris,  Larose  et  Tenin,  1909,  281  p. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  361 

écrit  avec  le  sentiment  de  la  réalité  historique,  de  la  souplesse  et  de 
l'imprécision  des  institutions  du  moyen  âge.  L'auteur  a  d'ailleurs 
fait  aux  Archives  de  véritables  trouvailles  ;  je  citerai  surtout  un 
jugement  (pièce  justif.,  n°  6)  rendu  en  1325  par  les  maîtres  des 
requêtes  de  l'Hôtel  au  nom  de  la  Cour  du  roi,  texte  probablement 
unique  en  son  genre  jusqu'ici  et  qui  prouve  que  la  Curia  conser- 
vait encore  ses  pouvoirs  judiciaires  à  côté  du  Parlement  émané 
d'elle. 

Histoire  provinciale  et  féodale.  —  Une  Société  des  re- 
cherches historiques  du  Vaucluse  s'est  fondée  pour  publier  des 
«  Recherches  historiques  et  documents  sur  Avignon,  le  Comtat- 
Venaissin  et  la  principauté  d'Orange  ».  Des  archivistes  de  la  région 
et  des  savants  locaux.  MM.  Labande,  Girard,  Claude  Faure, 
Duhamel,  l'abbé  Requin,  etc.,  nous  promettent  des  travaux  sur 
les  institutions,  l'archéologie  et  les  arts,  la  vie  économique  et  sociale 
du  pays,  depuis  l'antiquité  jusqu'aux  temps  modernes.  Et  à  coup 
sûr  peu  de  provinces  méritent  mieux  que  celle-là  le  culte  des  gens 
de  goût  et  la  dévotion  des  curieux  du  passé. 

Les  deux  volumes  que  nous  avons  rerus  de  cette  collection  sont 
des  recherches  de  M.  Joseph  Girard,  conservateur  de  la  biblio- 
thèque d'Avignon,  et  du  Dr  Pansier  sur  la  Cour  temporelle 
d'Avignon  aux  XIVe  et  XVe  siècles*,  et  une  étude  de  M.  Claude 
Faure,  archiviste  delà  Drôme,  sur  V  Administration  et  l'Histoire 
du  Comtat-Venaissin  du  XIIIe  au  XVe  siècle.  (1229-1417)-. 

La  cour  temporelle  d'Avignon  avait  à  la  fois  des  attributions 
judiciaires  et  des  pouvoirs  administratifs  très  étendus.  Chargée  de 
faire  crier  à  certaines  dates  les  vieux  statuts  de  1246,  elle  y  ajoutait, 
pour  les  besoins  du  moment,  des  prescriptions  nouvelles,  et  en 
somme,  nous  disent  MM.  Girard  et  Pansier,  tout  ce  qui  concernait 
la  police  de  la  cité,  au  sens  le  plus  large  du  mot,  était  soumis  à  son 
pouvoir  général  de  réglementation.  Les  pièces  justificatives,  qui 
occupent  les  trois  quarts  de  ce  livre,  et  le  substantiel  mémoire  où 
elles  sont  utilisées  prouvent  en  effet  l'importance  de  la  cour  tempo- 
relle dans  la  vie  avignonnaise.  Les  historiens  d'Avignon  et  de  la 
société  urbaine  au  moyen  âge  trouveront  là  une  foule  de  détails  pré- 
cis et  intéressants.  Nous  citerons  notamment  un  acte  d'accord  conclu 
en  1452  entre  les  maîtres  chaudronniers  et  leurs  ouvriers,  que  nos 
deux  auteurs  qualifient  à  bon  droit  de  «  très  curieux  ». 

Les  éléments  du  livre  de  M.  Claude  Faure  ont  été  puisés  aux 


1.  Paris,  Champion;  Avignon,  Roumanille,  1909.  22^  p. 

2.  Ibid.,  1909,  230  p. 


362  BULLETIN    HISTORIQUE. 

archives  du  Vatican  et  aux  archives  du  département  de  l'Isère.  Son 
exposé  est  précis  et  bien  ordonné  et  laisse  une  impression  nette.  On 
y  suit,  à  travers  l'énumération  des  très  nombreux  petits  faits  que 
fournissent  les  documents  d'archives,  la  formation  territoriale  du 
Comtat-Venaissin,  cédé  en  1229  par  le  comte  de  Toulouse  à  l'Église 
et  annexé  définitivement  à  l'Etat  romain,  pour  cinq  siècles,  en  1274; 
le  développement  des  institutions  administratives,  judiciaires  et 
financières,  les  réformes  rendues  nécessaires  par  les  exactions  des 
recteurs,  la  concentration  finale  des  pouvoirs  entre  les  mains  d'un 
légat,  l'appauvrissement  dû  aux  épidémies  et  aux  pillages  des  rou- 
tiers. A  vrai  dire,  les  faits  de  la  vie  du  Comtat  de  1229  à  1417  ne 
sont  indiqués  qu'autant  qu'ils  expliquent  la  formation  et  la  déca- 
dence de  l'administration  pontificale,  et  on  ne  trouve  dans  ce  livre 
qu'une  partie  de  1'  «  Histoire  du  Comtat-Venaissin  »  annoncée  un 
peu  inexactement  dans  le  titre.  Mais  la  méthode  suivie  par  l'auteur 
pouvait  seule  donner  de  l'unité  à  son  livre.  La  seule  critique 
sérieuse  que  nous  ayons  à  lui  faire  est  de  n'avoir  pas  établi  un  rap- 
prochement du  même  genre  entre  les  institutions,  dont  l'étude  était 
le  véritable  objet  de  son  travail,  et  l'histoire  générale  de  la  papauté. 
Il  ne  fait  pas  remarquer  à  ses  lecteurs  que,  depuis  1274,  le  Comtat 
n'a  été  accru  et  diligemment  administré  que  par  les  papes  résidant 
à  Avignon  durant  la  première  moitié  du  xive  siècle.  Les  autres, 
résidant  à  Rome,  ou  possédés  du  désir  d'y  revenir,  ou  absorbés  par 
les  luttes  du  grand  schisme,  n'ont  guère  cherché  qu'à  exploiter  le 
Comtat.  C'est  Grégoire  XI  qui,  en  1372,  a  commencé  à  distribuer 
les  revenus  du  Comtat  à  ses  parents  et  amis.  C'est  à  la  fin  du 
xive  siècle  que  les  impositions  extraordinaires  deviennent  fréquentes 
et  lourdes  et  c'est  au  cours  également  de  ce  siècle  que,  dans  l'exer- 
cice de  la  justice,  les  fructueuses  amendes  se  substituent  aux  châti- 
ments corporels.  Il  faut  reconnaître  d'ailleurs  que  les  malheurs  du 
temps  faisaient  aux  gouvernements  la  tâche  difficile.  Dévastations 
des  gens  de  guerre,  insécurité,  anarchie,  ce  sont  des  phénomènes 
qu'on  constate  alors  en  France  ou  en  Bourgogne  aussi  bien  que 
dans  le  Comtat;  de  même,  l'aggravation  de  la  fiscalité,  le  dévelop- 
pement simultané  de  la  centralisation  et  de  la  consultation  des  Etats. 
Et  partout  la  misère  populaire  est  la  même. 

Les  deux  ouvrages  que  nous  venons  d'examiner  inaugurent 
heureusement  les  publications  de  la  Société  des  recherches  histo- 
riques du  Vaucluse.  Espérons  que  la  Société  aura  assez  de  res- 
sources pour  tenir  tout  ce  qu'elle  promet  et  aussi  pour  éditer  con- 
venablement les  travaux  qui  lui  seront  adressés.  Le  premier  volume, 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  363 

celui  de  MM.  Girard  et  Pansier,  est  imprimé  avec  un  soin  suffisant. 
Mais  on  n'en  peut  dire  autant  de  celui  de  M.  Claude  Faure. 

L'année  1 909-1 9 1 0  a  vu  paraître  deux  histoires  de  Philippe  le  Hardi , 
duc  de  Bourgogne,  bien  dissemblables  de  conception  et  d1  exécu- 
tion. M.  Otto  Cartellieri,  professeur  à  l'Université  de  Heidelberg, 
a  publié  une  courte  monographie,  d'ailleurs  très  bien  informée,  où 
l'on  trouvera  en  114  pages  tout  l'essentiel  sur  le  rôle  politique  du 
premier  des  ducs  de  Bourgogne- Valois  ' .  M.  Cartellieri  connaît  à 
fond  la  bibliographie  du  sujet  et  a  même  fait  suivre  son  petit  livre 
de  quelques  pièces  inédites.  Mais  on  voit  que  Philippe  le  Hardi  ne 
l'intéresse  que  comme  l'ancêtre  des  grands  ducs  d'Occident  du 
xve  siècle  et  il  résume  là  les  recherches  qu'il  a  été  amené  à  faire  sur 
les  origines  de  la  politique  bourguignonne;  ce  volume,  comme  il  le 
déclare  lui-même,  n'est  qu'une  introduction  à  une  Histoire  de  la 
maison  de  Bourgogne,  où  Philippe  le  Bon  et  Charles  le  Téméraire 
auront  la  large  place  qui  leur  est  due.  D'un  tout  autre  genre  est  le 
premier  volume  de  l'Histoire  de  Philippe  le  Hardi  de  M.  Ernest 
Petit2,  qui,  on  le  sait,  a  publié  une  histoire  très  touffue  des  Ducs 
de  Bourgogne  de  la  race  capétienne.  Le  premier  tome  de  la 
série  des  Ducs  de  Bourgogne  de  la  maison  de  Valois  concerne 
Philippe  le  Hardi  et  la  Bourgogne  de  1363  à  1380.  Les  principaux 
chapitres  sont  consacrés  à  la  lutte  contre  les  compagnies  et  aux  che- 
vauchées du  duc  contre  les  Anglais.  On  lira  avec  intérêt  l'appen- 
dice I,  les  États  de  Bourgogne  sous  Philippe  le  Hardi,  et 
avec  curiosité  l'appendice  II,  Amendes  de  justice,  coutumes  et 
usages  singuliers.  Dans  le  premier  chapitre  du  livre  sont  groupés, 
avec  un  défaut  de  méthode  qui  désarme  par  sa  candeur  même,  des 
renseignements  sur  la  jeunesse  de  Philippe;  des  lettres  missives 
provenant  de  divers  membres  de  la  famille  royale  et  relatives  aux 
sujets  les  plus  divers;  puis  des  textes  concernant  les  constructions 
et  les  résidences  de  Philippe  le  Hardi,  les  horloges,  les  sceaux.  Au 
reste,  l'auteur,  dans  sa  très  modeste  préface,  nous  déclare  avec 
bonhomie  qu'il  ne  prétend  pas  faire  l'histoire  des  ducs  de  Bourgogne, 
mais  mettre  à  la  portée  du  public  des  documents  d'archives  et  en 
composer  une  sorte  de  chronique,  un  de  ces  ouvrages  «  que  l'on  con- 
sulte quelquefois,  mais  que  l'on  ne  lit  que  rarement  ».  L'ouvrage 

1.  Geschichte  der  Herzoge  von  Burgund.  Band  I  :  Philipp  (1er  Kiihne.  Leip- 
zig, 1910,  xn-189  p. 

2.  Ducs  de  Bourgogne  de  la  maison  de  Valois,  d'après  des  documents  iné- 
dits. T.  I  :  Philippe  le  Hardi;  1"  partie  :  1363-1380.  Paris,  Alph.  Picard, 
1909,  xi-530  p. 


364  BULLETIN    HISTORIQUE. 

de  M.  Erncsl  Petit  a  en  effet  le  décousu,  les  lacunes,  les  prétentions, 
le  ton  anecdotique  et  naïf  et  aussi  parfois  la  saveur  d'une  chronique, 
j'entends  d'une  chronique  bien  informée,  fondée  sur  des  renseigne- 
ments sûrs  et  dont  l'auteur,  comme  pour  donner  plus  de  sécurité  à 
ses  lecteurs,  cite  souvent  en  entier  des  documents  d'archives  qui 
interrompent  l'exposé.  Prenons  donc  ce  livre  pour  ce  qu'il  est  et 
pour  ce  que  son  auteur  veut  qu'il  soit  et,  sans  dissimuler  notre  pré- 
férence pour  les  œuvres  fortement  composées  et  qui  tendent  à  épui- 
ser le  sujet  qu'elles  traitent,  remercions  M.  Petit  des  textes  inédits 
qu'il  nous  apporte  et  qu'utilisera  le  futur  historien  de  Philippe  le 
Hardi. 

Comment  se  ruinaient  les  vassaux  de  ces  fastueux  ducs  de  Bour- 
gogne, c'est  ce  que  nous  montre  très  clairement  l'histoire  des  sei- 
gneurs de  Pesmes,  écrite  par  MM.  de  Beauséjour  et  Godard  L  La 
deuxième  partie  de  cet  ouvrage  a  paru  quatorze  ans  après  la  pre- 
mière ;  elle  comprend  la  période  où  la  seigneurie  franc-comtoise  de 
Pesmes  appartient  à  la  maison  vaudoise  de  Grandson.  Les  obliga- 
tions d'ost,  très  fréquentes  et  lourdes,  les  guerres  privées,  les  rançons, 
la  diminution  des  revenus  due  aux  ravages  des  gens  de  guerre,  la 
participation  aux  fêtes  luxueuses  de  la  cour  ducale,  tout  cela  menait 
aux  emprunts,  aux  hypothèques  et  à  la  ruine.  Malgré  plusieurs 
mariages  qui  redorèrent  momentanément  son  blason,  la  maison  de 
Grandson  se  trouva  finalement  dépossédée  de  la  seigneurie  de  Pesmes 
en  1451.  Jean  de  Grandson.  réduit  à  une  vie  d'aventurier,  participa 
à  des  opérations  de  faux  monnayage  et  fut  condamné  et  exécuté 
secrètement  en  1455.  Les  habitants  de  Pesmes  avaient  durement 
souffert  de  leur  côté  du  malheur  des  temps,  mais  leur  condition  se 
trouva  finalement  améliorée;  dès  1416,  pour  repeupler  sa  seigneurie, 
Guillaume  de  Grandson  avait  aboli  la  mainmorte. 

La  maison  de  Bourgogne,  comme  on  le  sait,  a  eu  au  xve  siècle 
une  série  d'historiographes.  Au  premier  rang,  nous  devons  placer 
Georges  Chastellain,  bien  que  nous  n'ayons  conservé  de  son  œuvre 
principale  que  des  fragments.  Tout  bien  considéré,  c'est,  avec  Com- 
mynes,  le  plus  remarquable  des  chroniqueurs  français  du  xv°  siècle. 
Son  œuvre  présente  d'ailleurs  le  plus  intéressant  contraste  avec  celle 
du  compère  de  Louis  XL  Elle  n'est  point  desséchée  par  le  cynisme 
politique.  Elle  est  traversée  encore  par  un  souffle  chevaleresque, 

1.  Gaston  de  Beauséjour  et  Ch.  Godard,  Pesmes  et  ses  seigneurs,  du  XII'  au 
XVIII"  siècle.  2e  partie  :  De  1327  à  1451.  Maison  de  Grandson.  Vesoul,  impr. 
Bon,  sans  date,  236  p.  de  texte,  clxxxv  p.  de  Preuves  et  de  Tables,  15  planches 
et  ligures.  Tirage  à  part  du  Bulletin  de  la  Société  d'agriculture  de  l«  Hmde- 
Saône,  1906,  1908-1909. 


HISTOIRE    DE   FRANCE.  365 

anoblie  par  un  souci  remarquable  de  moralité,  par  le  mépris  de  la 
fourberie  et  des  petites  combinaisons.  La  position  ambiguë  de  la 
maison  de  Bourgogne  donne  au  loyalisme  de  Chastellain  une  tour- 
nure très  spéciale.  Il  se  déclare  «  bon  Françoys  »,  et  il  Test  en  effet, 
il  admire  et  aime  profondément  la  France,  mais  il  est  avant  tout  un 
fidèle  Bourguignon  et  il  regarde  son  maître  Philippe  le  Bon  comme 
une  victime  du  soupçonneux  Charles  VII  et  du  rusé  Louis  XL  Ces 
sentiments,  qu'il  exprime  en  un  style  boursouflé  et  grandiloquent, 
mais  souvent  pathétique  et  fort,  donnent  à  sa  chronique  et  à  ses 
opuscules  de  circonstance  un  accent  très  personnel,  beaucoup  de  vie 
et  d'intérêt.  Il  est  surprenant  que  son  œuvre  n'ait  pas  encore  fait 
l'objet  d'une  monographie  critique.  La  brochure  que  vient  de  publier 
M.  Gabriel  Pérouse  ne  comble  qu'en  partie  cette  lacune1.  Elle  est 
dépouillée  de  tout  appareil  critique  et  même  de  toute  référence,  et 
les  problèmes  d'érudition  ne  sont  pas  abordés;  à  vrai  dire,  c'est  un 
«  essai  »  où  successivement  l'homme  et  ses  idées,  l'historien,  le 
rhétoriqueur  sont  étudiés,  tels  que  nous  les  fait  connaître  l'édition 
fruste  et  vraiment  trop  rudimentaire  de  Kervyn  de  Lettenhove. 
M.  Pérouse  n'apprend  rien  de  bien  nouveau  à  ceux  qui  ont  lu 
Chastellain;  mais  il  dégage  avec  clairvoyance  et  précision  les  carac- 
tères de  ses  écrits.  Son  livre,  écrit  en  une  langue  un  peu  compli- 
quée, mais  souple  et  nuancée,  se  lit  avec  plaisir. 

Ch.  Petit-Dutaillis. 


EPOQUE    MODERNE. 

I.  Histoire  générale.  —  LalRevue  a  déjà  signalé2  le  service 
que  M.  Gabriel  Monod  a  rendu  à  l'histoire  impartiale  en  traduisant 
en  français  le  petit  livre  de  M.  Boehmer  sur  les  Jésuites.  Ce  sujet 
n'avait  guère  été  traité  que  par  des  panégyristes  ou  des  détracteurs, 
et  l'on  sera  heureux  d'avoir  ce  précis  rigoureusement  objectif,  clair, 
bien  ordonné,  vivant.  Suffisamment  complet  malgré  sa  brièveté,  il 
paraîtra  un  peu  sec  en  ce  qui  concerne  la  France,  très  nourri  au 
contraire  sur  la  Bavière  et  l'Autriche,  théâtres  de  l'activité  de  Cani- 
sius,  sur  les  missions  en  Asie  et  dans  l'Amérique  du  Sud.  C'est  le 
«  premier  siècle  de  la  Société  »  qui  est  étudié  avec  le  plus  d'ampleur. 


1.  Georges   Chastellain,   étude   sur  l'histoire  politique   et    littéraire   du 
XV  siècle.  Paris,  Champion,  1910,  161  p.  Prix  :  3  fr. 

2.  T.  CIV,  p.  167.  A  signaler,  en  phototypie,  le  portrait  d'Ignace  par  San- 
chez  Coello. 


366  BULLETIN    fllSTOIUQUE. 

Cet  utile  manuel  reste  un  peu  pauvre  d'idées  et  de  conclusions. 
Aussi  accueillera-t-on  avec  plaisir  Yîntroduct ion,  d'une  exception- 
nelle importance,  de  M.  Gabriel  Monod.  Il  y  examine  à  la  fois  des 
questions  critiques  et  quelques  points  de  l'histoire  des  Jésuites.  Il 
dépasse  peut-être  encore  M.  Bœhmer  dans  le  souci  de  l'objectivité 
absolue.  Il  considère  la  Société  comme  une  force,  —  force  qui  a, 
d'ailleurs,  évolué  dans  le  temps,  —  à  laquelle  on  peut  refuser  sa 
«  sympathie  »,  mais  non  son  «  admiration  »,  car  les  Jésuites  peuvent 
«  se  glorifier  d'avoir  restauré  au  xvie  siècle  la  puissance  de  l'Église 
catholique,  de  lui  avoir  insufflé  leur  esprit  ».  —  Je  ne  crois  pas  que 
jamais  personne,  en  pareil  sujet,  ait  fait  un  tel  effort,  suivi  d'un  tel 
succès,  vers  l'impartialité.  Tout  au  plus  peut-on  se  demander  si, 
«  dans  cet  effort  pour  être  juste  »,  M.  Monod  n'a  pas  «  péché  par 
excès  d'indulgence  ».  C'est  là  un  genre  de  péché  assez  rare,  même 
chez  les  historiens. 

La  Société  elle-même  a  entrepris,  on  le  sait,  de  nous  donner 
l'histoire  de  ses  diverses  «  assistances  » {  en  utilisant  les  recueils 
de  documents  conservés  dans  diverses  provinces  et  maisons  de  «  la 
Compagnie  »,  c'est-à-dire  ce  que  M.  G.  Monod  appelle  «  ses 
archives  d'Etat  »,  et  dont  il  a  pu  écrire  que  «  personne,  en  dehors  de 
la  Société,  ne  sait  même  où  elles  se  trouvent  »2.  Ce  mystère  ne  va 
pas  sans  inconvénients  :  ces  documents,  même  ceux  d'entre  eux  que 
la  Compagnie  s'est  décidée  à  publier,  échappent  actuellement  à  tout 
contrôle3. 

Dans  l'entreprise  collective,  la  France  a  été  réservée  au  P.  Fou- 
queray4.  Le  t.  I,  qui  va  jusqu'en  1575,  contient  certaines  parties 

1.  Ont  déjà  paru  deux  volumes  du  P.  Astrain  sur  l'Espagne,  1902-1905 
(voy.  Revue  hist.,  t.  XCVII,  p.  381),  un  du  P.  Duhr  sur  les  pays  allemands, 
1907,  deux  du  P.  Hughes  sur  l'Amérique  du  Nord,  1907  {Revue  hist.,  t.  Cil, 
p.  156,  et  t.  CIII,  p.  415),  un  du  P.  Venturi  sur  l'Italie,  1909. 

2.  Préface  aux  Jésuites  de  Bœhmer,  p.  vu. 

3.  Ibid.,  p.  vm  :  «  Les  historiens  n'éprouveront  une  sécurité  parfaite 
que  lorsqu'ils  pourront  eux-mêmes  être  admis  à  travailler  dans  les  archives 
de  la  Société  et  à  tout  contrôler.  »  Il  n'y  a  pas  parité  entre  le  Corpus  refor- 
matorum,  dont  tous  les  éléments  se  trouvent  dans  des  dépôts  publics  ou  d'ac- 
cès facile,  et  les  Monumenia  historica  Societatis  Jesu.  On  nous  dit  bien  (Fou- 
queray,  p.  xvn)  où  l'on  trouvera  la  liste  des  publications  déjà  parues,  que  les 
lettres,  par  exemple,  de  saint  François  Xavier  sont  publiées  ici  «  dans  leur 
vrai  texte  »,  tandis  que  les  premiers  éditeurs  avaient  pris  «  la  liberté  de 
changer  le  style,  de  paraphraser  le  texte  et  de  supprimer  quelques  passages  ». 
Mais  ces  affirmations  demeurent  invérifiables. 

4.  Histoire  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  France  des  origines  à  la  suppres- 
sion (1528-1762).  T.  I  :  les  Origines  et  les  premières  luttes  (1528-1575),  par 
le  P.  Henri  Fouqueray,  S.  J.  Paris,  A.  Picard,  1910.  In-8°,  xxv-673  p.  Index. 
Le  travail  avait  d'abord  été  conlié  au  P.  Mercier. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  367 

générales  qui  n'intéressent  que  très  indirectement  la  France  ' ,  comme 
si  le  nouvel  auteur  avait  voulu  combler  les  lacunes  d'une  publication 
antérieure2.  Mais  la  part  de  la  France  reste  assez  belle  pour  qu'il 
vaille  la  peine  d'examiner  de  près  l'information,  la  critique,  la 
méthode  du  P.  Fouqueray,  l'esprit  dans  lequel  il  écrit,  les  résultats 
auxquels  il  arrive. 

Les  archives  de  la  Compagnie  lui  ont  fourni.  —  à  côté  de  recueils 
déjà  publiés  et  trop  peu  connus  des  «  laïques  »3,  —  une  masse 
énorme  de  lettres  de  cardinaux,  d'évêques,  de  princes  et  de  Pères, 
d'instructions  et  de  documents,  d'  «  histoires  »  même  des  diverses 
«  provinces  »  de  la  Société.  A  ces  archives,  l'auteur  a  joint  nos 
dépôts  publics  parisiens  et  ceux  des  départements  où  il  a  pu  relever 
les  traces  de  l'action  de  la  Compagnie  antérieurement  à  1575.  Poul- 
ies imprimés,  malgré  l'étendue  de  sa  liste  bibliographique,  on  cons- 
tatera des  lacunes4,  des  bizarreries5,  on  s'étonnera  qu'il  se  serve 
d'éditions  vieillies6  et  on  sera  parfois  en  droit  de  se  demander  s'il  a 
manié  tous  les  ouvrages  qu'il  cite7. 

On  ne  pouvait  s'attendre  à  ce  qu'une  histoire  quasi-ofhcielle  des 
Jésuites  de  France  fût  absolument  objective.  Mais  on  était  en  droit 

1.  Les  ch.  in-v  sur  la  fondation  de  l'Institut,  les  Exercices,  les  Constitu- 
tions, sujets  insuffisamment  développés  par  le  P.  Astrain. 

2.  M.  Monod,  loc.  cit.,  signale  que  le  plan  adopté  (monographies  régionales) 
«  n'est  pas  sans  inconvénients  pour  un  ordre  dont  l'unité  et  la  centralisation 
sont  les  caractères  essentiels  ». 

3.  Les  Epistolae  P.  P.  Broeti,  etc.,  les  Epistolae  P.  Nadal,  les  Epistolae 
mixtae  (1539-1556),  les  Litterae  quadrimestres  (15Ï6-1556),  les  Monumenta 
paedagogica. 

4.  Les  deux  volumes  de  M.  Imbart  de  la  Tour  auraient  dû  être  cités  à  pro- 
pos du  ch.  i". 

5.  Les  sources  imprimées  sont  divisées  en  :  «  1°  Recueil  de  documents  et 
ouvrages  contemporains;  2°  Ouvrages  non  contemporains.  »  Pourquoi  faire 
ligurer  dans  cette  seconde  section  les  Documents  publiés  par  Carayon  et  la 
Bibliotheca  de  Possevin,  tandis  que  les  œuvres  de  Manare  ou  de  Maldonat 
sont  dans  la  première?  Pourquoi  y  mettre  Gaufreteau,  tandis  qu'on  n'y  met 
point  de  Lurbe?  Pourquoi  appeler  «  non  contemporains  »  de  Thou  et  le  Marty- 
rologe ?  est-ce  parce  que  le  P.  Fouqueray  n'en  connaît  que  les  éditions  de  1734 
et  de  1618V  —  Que  veut  dire  cette  note  sur  les  Archives  historiques  de  la 
Gironde  :  «  Cet  ouvrage...  est  composé  de  documents  d'un  intérêt  surtout 
local...  »?  Le  P.  Fouqueray  a-t-il  vu  cet  «  ouvrage  »?  —  P.  xxiv  :  «  Rodoco- 
nachi.  »  —  L'auteur  attaque  vivement  Pasquier,  mais  ignore  Faugère. 

6.  L'Histoire  ecclésiastique  citée  d'après  l'édition  de  Lille,  1841-42,  et,  ce 
qui  est  un  comble,  les  Opéra  Calvini,  d'après  celle  d'Amsterdam,  1561-1511 
{sic,  je  pense  qu'il  faut  lire  1671).  On  se  demande,  vraiment,  à  quoi  il  sert  que 
l'on  publie,  à  grands  frais,  des  éditions  critiques. 

7.  Nous  eu  verrons  une  preuve  pour  le  Livre  des  martyrs  de  Crespin  et 
pour  de  Thou. 


368  BULLETIN    HISTORIQUE. 

d'espérer  que,  riche  comme  elle  est  d'esprits  distingués,  la  Compa- 
gnie désignerait  pour  cette  tâche  un  érudit  rompu  aux  règles  de  la 
critique  historique.  On  pouvait  croire  que  cet  érudit  hésiterait  à  se 
servir  de  documents  manifestement  faux,  de  faux  aussi  grossiers 
que  la  lettre  de  Calvin  au  marquis  du  Poët1  ;  qu'il  nous  ferait  grâce 
des  histoires  stupides,  des  calomnies  cent  fois  réfutées  qui  ont  traîné 
des  pamphlets  de  Bolsec  dans  les  livres  d'Audin2;  qu'il  s'épargne- 
rait la  peine  de  faire  mourir  par  miracle  (ô  miracle  de  charité  chré- 
tienne!) les  adversaires  de  la  Compagnie3.  Mais  non;  pour  le 
P.  Fouqueray,  toute  affirmation  des  amis  de  saint  Ignace  ou  de  ses 
sectateurs  est  au-dessus  de  la  discussion,  même  lorsqu'il  s'agit  d'un 
texte  assez  tardif4.  Les  faits  embarrassants  pour  la  Compagnie  sont 
racontés  avec  mille  précautions,  atténués,  presque  passés  sous 
silence5.  Un  exemple  typique  de  cette  méthode  trop  prudente  nous 

1.  Il  suffisait  d'ouvrir  les  Lettres  françaises  de  Bonnet,  t.  II,  p.  588,  ou  les 
Opéra  Calvini  (l'édition  de  Brunswick),  t.  XX,  col.  588-592,  pour  s'apercevoir 
que  ces  lettres  (elles  sont  deux)  sont  apocryphes.  J'ajouterai  qu'il  suffit  de  les 
lire  pour  être  convaincu  que  ce  sont  des  fabrications  aussi  maladroites  que 
grossières;  elles  puent  le  faux. 

2.  Quelques  exemples.  P.  62  :  anecdote  grotesque  d'un  pasteur  bàlois  qui  se 
déclare  vaincu  par  les  arguments  des  Jésuites  et  menace  de  les  faire  jeter  en 
prison.  Mais  c'est  le  P.  Bodriguez  qui  parle,  «  une  quarantaine  d'années  (Fou- 
queray, p.  xix)  après  l'accomplissement  des  faits  ».  —  Sur  Bèze  (p.  252),  on 
ramasse,  sous  la  date  du  Colloque  de  Poissy,  cette  phrase  de  Fleury  :  «  Il 
venait  d'épouser  la  femme  d'un  maître  tailleur  de  Paris.  »  Bèze  était  marié, 
avec  une  jeune  fille,  depuis  plus  de  douze  ans!  —  Mais  le  plus  joli,  c'est  le 
sérieux  avec  lequel  on  nous  conte  (p.  333)  comment  Calvin  voulut  faire  le 
ressusciteur  de  morts,  «  fait,  dit  gravement  l'auteur,  que  les  historiens  de  la 
secte  ont  eu  bien  soin  de  laisser  dans  l'oubli  ».  Pas  du  tout,  et  s'il  avait 
feuilleté  l'art.  Calvin  de  la  France  protestante,  le  P.  Fouqueray  aurait  eu  la 
joie  d'ajouter  au  témoignage  unique  sur  lequel  il  s'appuie  (une  lettre  du  P.  du 
Coudret)  le  témoignage  non  moins  imposant  de  Bolsec,  qui  rapporte  la  chose 
en  son  ch.  xm.  —  Viret,  «  cet  apostat  »  qui  «  ne  possédait  pas  les  qualités 
d'un  réformateur,  mais...  toutes  celles  qui  pouvaient  servir  à  la  propagande  », 
nous  est  sérieusement  présenté  (p.  465)  comme  ordonnant  à  Lyon  des  prières 
publiques  pour  obtenir  que  le  ciel  bénît,  à  Malte,  les  armes  des  infidèles. 
L'affirmation  du  P.  Perpinien  paraît  une  caution  suffisante.  —  On  accepte  les 
exagérations  les  plus  puériles.  A  Dieppe  (p.  546),  sur  environ  6,000  huguenots, 
Possevin  en  convertit  2,500,  puis  Manare  4,000  dans  la  seule  année  1570.  A  ce 
compte,  comment  pouvait-il  rester  des  huguenots  à  Dieppe  à  la  fin  du 
xvie  siècle?  —  Marguerite  d'Angoulème  (p.  270)  meurt  «  dans  le  repentir  ». 
Les  réformés  sont  toujours  «  insolents  »  ou  «  hypocrites  ». 

3.  P.  407  :  «  Trois  semaines  après  avoir  écrit  cette  lettre,  Turnèbe  compa- 
raissait devant  le  Souverain  juge...  »  Voy.  aussi  p.  485. 

4.  Voy.  p.  25,  n.  2  :  «  M.  Quicherat  se  croit-il  donc  mieux  renseigné  que 
Bibadeneira...?  »  Voy.  p.  28,  n.  1,  un  texte  du  milieu  du  xvne  siècle. 

5.  P.  274,  le  P.  Pelletier  «  ramène  »  Benée  de  France  «  au  catholicisme  », 
mais  on  néglige  de  nous  dire  par  quels  moyens.  Noter  (p.  154)  la  façon  trop 


HISTOIRE    DE   FRANCE.  369 

est  fourni  par  l'exposé  du  rôle  du  P.  Edmond  Auger  à  Bordeaux 
après  la  Saint-Barthélémy1.  Tout  ce  qui  a  trait,  d'ailleurs,  à  la  res- 
ponsabilité qu'a  pu  encourir  la  Compagnie  dans  les  événements  de 
1572  est  traité  dans  le  même  goût,  conformément  aux  règles  de 
«  saine  critique  »  posées  par  M.  Ch.  Merki2. 

habile  dont  on  explique  le  départ  des  prélats  français  et  allemands  lorsque  le 
concile  fut  transféré  de  Trente  à  Bologne. 

1.  Ceci  vaut  la  peine  d'être  vu  de  près.  Voici  les  faits  :  Simon  Goulard,  dans 
ses  Mémoires  de  Charles  IX  (recueil  ignoré  du  P.  Fouqueray),  t.  I,  p.  380  el 
suiv.  (éd.  de  1579),  donne  un  récit  du  massacre  de  Bordeaux  :  la  richesse  des 
détails  précis,  l'abondance  des  noms  propres,  etc.,  permettent  de  croire  qu'il 
émane  d'un  témoin  oculaire.  Or,  ce  récit  met  directement  en  cause  le  P.  Auger, 
dont  les  prédications  furibondes  auraient  déchaîné  la  sédition.  Le  même  Gou- 
lard, en  rééditant  Crespin,  y  insère  ce  récit  (éd.  de  Toulouse,  1889,  t.  III, 
p.  727),  où  l'on  relèvera  un  résumé,  bien  inventé  s'il  est  inventé,  du  sermon 
prononcé  par  Auger  le  29  septembre.  Enfin  de  Thon  (éd.  de  1734,  t.  VI, 
p.  468)  prend  à  son  compte  les  affirmations  de  'Goulard.  —  D'autre  part,  les 
chroniqueurs  bordelais,  de  Lurbe,  de  Syrueilh  (non  cités  par  Fouqueray),  ne 
parlent  pas  d'Auger  à  ce  propos.  Le  cas  de  Gaufreteau  est,  à  la  vérité,  un  peu 
plus  compliqué.  Ce  chroniqueur  se  plaint  que  Goulard,  dans  son  récit  des 
massacres,  ait  commis  des  exagérations.  Mais  lui-même  reproduit  un  passage  du 
sermon  de  la  Saint-Michel,  non  pas,  assurément,  celui  qui  réclame  un  mas- 
sacre, mais  le  passage  relatif  au  procureur  général  Mulet.  Or,  Goulard  et  de 
Thou  disent  précisément  que  le  P.  Auger  invectivait  Mulet  parce  qu'il  était 
trop  tiède.  On  est  donc  en  droit  de  se  demander  si  Gaufreteau,  qui  écrit  après 
1632,  n'a  pas  voulu  atténuer  la  vérité.  Cela  méritait  examen,  puisque  Gaufre- 
teau authentique  au  moins  une  partie  du  récit  tle  Goulard.  —  Ajoutons  que, 
d'après  une  communication  que  veut  bien  me  faire  M.  P.  Courteault,  on  ne 
retrouve,  dans  les  archives  locales,  «  aucun  document,  ni  aucune  mention  de 
document  perdu  qui  fasse  allusion  au  rôle  du  P.  Edmond  Auger  dans  les  mas- 
sacres de  1572  ».  Il  y  avait  donc  lieu  ici  à  discussion  intéressante,  et  rien  ne 
nous  dit  que  cette  discussion  eût  tourné  contre  Auger.  Mais  que  fait  le  P.  Fou- 
queray? Il  parle  à  trois  reprises  du  séjour  du  P.  Auger  à  Bordeaux  :  il  le 
montre  d'abord  prêchant  les  avent  et  carême  de  1571-72  (p.  517)  et  s'occu- 
pant  de  la  fondation  du  collège.  Il  revient  sur  ces  prédications  (p.  540),  sans 
que  rien  permette  de  supposer  qu'elles  sont  immédiatement  antérieures  aux 
massacres.  Il  fait  seulement  allusion  à  une  lettre  du  P.  Nadal,  vicaire  général, 
en  date  du  10  septembre  1571,  lettre  d'où  il  semble  ressortir  que  le  P.  Auger 
n'apportait  pas  toujours  «  une  grande  réserve  dans  la  manière  de  réfuter  l'er- 
reur ».  Enfin  (p.  630,  n.  2)  le  P.  Fouqueray  consent  à  nous  apprendre  qu'il  n'a 
c  trouvé  dans  les  papiers  de  la  Compagnie  aucun  document  sur  le  massacre  à 
Bordeaux  »,  et  il  reproche  à  Gaullieur  d'avoir,  dans  son  Histoire  du  collège, 
accusé  l'éloquent  jésuite  «  sans  indiquer  aucune  source  ».  Les  sources  de 
Gaullieur  sont  Goulard  et  de  Thou,  cités  dans  la  propre  bibliographie  du 
P.  Fouqueray.  Les  affirmations  de  ces  auteurs  (classés  à  tort  dans  les  impri- 
més non  contemporains)  devaient  être  discutées.  Et  alors  deux  questions  se 
posent  :  Ou  le  P.  Fouqueray  ne  les  a  pas  lus  :  et  que  vaut  son  information? 
Ou  il  les  a  lus  :  et  que  penser  de  sa  critique? 

2.  P.  629  :  «  Durant  ces  heures  pénibles,  les  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus 

Rev.  Histor.  CV.  2e  fasc.  24 


370  BULLETIN    HISTORIQUE. 

Pour  écrire  une  histoire  critique,  une  première  chose  est  néces- 
saire, c'est  d'envisager  les  événements  humains  dans  leur  réalité 
humaine.  Pour  le  P.  Fouqueray,  au  contraire,  l'histoire  de  la  Com 
pagnie  est  l'histoire  des  interventions  de  Dieu  en  faveur  de  l'Ordre1. 
II  écrit  un  Discours  sur  l'histoire  universelle,  où  le  «  peuple  élu  » 
est  représenté  par  les  enfants  d'Ignace.  Il  n'est  donc  pas  étonnant 
que  le  môme  personnage,  la  même  institution,  le  même  corps  orga- 
nisé soit  tour  à  tour  par  lui  porté  aux  nues  ou  chargé  d'anathèmes, 
selon  qu'il  sert  ou  qu'il  contrarie  les  projets  de  la  Société2. 

On  devine,  dans  cette  conception  transcendantale  de  l'histoire,  ce 
que  peut  devenir  l'idée  de  tolérance.  Si  la  volonté  de  Dieu  est  que 
la  Société  de  Jésus  règne  sur  la  terre  pour  le  bien  de  l'humanité,  il 
s'ensuit  évidemment  que  toute  restriction  apportée  à  l'exécution  des 
plans  de  la  Compagnie,  du  «  plan  divin  »,  est  une  «  persécution  »3  ; 
toute  mesure  de  tolérance  envers  les  adversaires  est  une  «  perfi- 
die »4,  quand  elle  n'est'pas  un  «  sanglant  outrage  »  à  l'immuable 
vérité5.  L'esprit  qui  anime  le  P.  Fouqueray,  c'est  toujours,  en  dépit 

eurent  un  rôle  tout  charitable  et  apostolique.  »  Ce  rôle  consista  d'abord  à 
empêcher  de  massacrer  par  erreur  de  «  bons  catholiques  »  anglais  ou  écossais. 
A  Lyon,  Possevin  poussa  plus  loin  la  «  charité  »  :  il  rit  une  «  démarche  pour 
sauver,  au  moins  de  la  mort  étemelle,  deux  cents  calvinistes  »  condamnés  à 
mort.  C'est-à-dire  qu'il  voulut  profiter  de  la  terreur  inspirée  à  ces  malheureux 
pour  les  convertir.  Et  comme  son  «  affectueuse  »  sollicitude  échoua  devant 
leur  «  endurcissement  »,  ils  furent  massacrés.  Le  même  Possevin  nous  est 
déjà  représenté,  à  propos  de  la  croisade  qu'il  poussa  Emmanuel-Philibert  à 
faire  contre  les  Vaudois,  sous  les  plus  fausses  et  les  plus  doucereuses  couleurs. 
Comme  j'aime  mieux  (p.  355)  la  franchise  du  P.  Maldonat,  qui  écrit  du  Poi- 
tou, en  1570  :  «  Le  peuple  parait  tout  heureux  qu'on  le  force  à  se  convertir  »  ! 

1.  P.  1  :  «  Dieu...  n'inspira  point  d'un  seul  coup  à  Ignace...  »  P.  2  :  «  Sa 
mission  providentielle...,  le  développement  du  plan  divin.  »  P.  5  :  «  La  voie 
où  Dieu  veut  le  faire  entrer.  »  P.  302  :  «  Grâce  au  secours  de  Dieu...,  à  une 
protection  sensible  du  ciel...  ». 

2.  La  Faculté  de  théologie,  objet  de  ses  éloges  quand  elle  instruit  saint 
Ignace,  devient  indigne  de  pardon  quand  elle  s'oppose  à  l'établissement  du 
collège  de  Clermont.  Le  monopole  de  l'enseignement,  intolérable  aux  mains 
des  villes  ou  des  universités,  devient  saint  quand  il  fonctionne  pour  les  Jésuites 
(p.  467). 

3.  P.  231-233  :  nous  sommes  à  une  date  (1559)  où  déjà  fonctionne  le  collège 
de  Billom,  et  où  l'on  s'emploie  pour  ouvrir  celui  de  Paris.  On  nous  dit  que 
«  Henri  II  n'avait  jamais  cessé  »  de  favoriser  la  Compagnie.  Cela  n'empêche 
pas  le  P.  Cogordan  de  faire  «  plaider  auprès  du  nouveau  roi  la  cause  de  ses 
frères  persécutés  ». 

4.  P.  250,  à  Poissy  :  «  les  intentions  perfides  du  gouvernement  ».  Or,  ces 
intentions  consistent  à  «  poser  les  bases  d'une  tolérance  générale  et  d'un  accord 
entre  les  partis  religieux  ».  Cela,  en  vérité,  .ne  saurait  se  souffrir. 

5.  P.  264  :  l'édit  de  janvier,  «  sous  le  titre  dérisoire  d'édit  de  tolérance  »,  est 


HISTOIRE    DE    FRANCE.  371 

de  l'apparente  modération  de  la  forme,  celui  de  Claude  de  Saintes 
ou  d'Artus  Désiré.  Il  faut  donc  avoir  le  courage  de  le  dire,  au  risque 
d'être  soi-même  traité  de  «  sectaire  »  :  cette  Histoire  n'est  critique 
à  aucun  degré.  Elle  ne  donne  jamais  au  lecteur  le  sentiment  de  la 
sécurité. 

Est-ce  à  dire  qu'elle  soit  sans  intérêt  et  qu'elle  ne  nous  apprenne 
rien  de  nouveau  ?  Si  l'auteur  a  des  connaissances  historiques  par- 
fois douteuses ',  il  a  eu  à  sa  disposition  une  telle  masse  de  docu- 
ments précieux  que,  malgré  les  inquiétudes  que  nous  inspire  sa 
méthode,  nous  retrouvons  dans  son  livre  des  fragments  importants 
de  la  correspondance  des  Pères.  En  attendant  que  nous  ayons  obtenu 
la  clef  des  archives  jésuitiques,  nous  devrons  nous  servir  du 
P.  Fouqueray  pour  étudier  la  longue  résistance  opposée  par  Eus- 
tache  du  Bellay  à  l'établissement  des  Pères.  Il  nous  semble,  d'ail- 
leurs, qu'à  s'en  tenir  aux  lois  du  royaume,  l'évêque  et  la  Faculté 
étaient  dans  leur  rôle  en  s'opposant  à  cette  innovation.  Au  reste,  de 
tout  le  livre  ressort  ce  fait  capital  que  la  France  (j'entends  ses  parle- 
ments, son  clergé2,  ses  Universités,  ses  villes  de  commune)  a  tout 
fait  pour  ne  pas  recevoir  les  Jésuites  ;  qu'elle  a  été  contrainte  de  les 
accepter  par  l'obstination  de  quelques  personnages,  un  cardinal  de 
Tournon.  un  cardinal  de  Lorraine,  un  Guillaume  du  Prat.  Qua- 
rante ans  de  concordat  n'avaient  pas  déraciné  le  gallicanisme. 

Mais  il  est  un  point  plus  important  sur  lequel  les  lettres  des 
Pères,  —  tant  celles  qui  ont  déjà  été  publiées,  mais  que  personne 
n'allait  lire,  que  celles  qui  nous  sont  inaccessibles,  —  ont  une 
valeur  révélatrice  :  c'est  l'histoire  de  la  Réforme  dans  les  derniers 

«  un  sanglant  outrage  à  cette  religion  catholique...  »  P.  265  :  «  Préserver  la 
religion  de  l'outrage  que  lui  préparait  une  aveugle  tolérance.  »  —  Cf.  p.  33  : 
«  Mais  ces  manifestations  de  la  foi  [processions  de  1528]  eussent  été  sans  effet 
sur  les  sectaires  si  de  justes  châtiments  ne  les  eussent  terrifiés.  » 

1.  P.  627  :  «  Moncontour,  qui  termina  la  guerre...  »  P.  198  :  «  Jean  de 
Moustiers  de  Froissac  »,  c'est  Jean  des  Monstiers  de  Fraisse.  Le  «  Paceco  » 
de  la  p.  222  est  un  Pacheco;  l'auteur  n'a  pas  vu  qu'il  utilisait  un  texte  italien. 
Inversement,  s'il  lit  un  texte  espagnol,  il  fait  d'un  cardinal  de  Naples  (p.  230 
et  index)  «  le  cardinal  de  Napolès  ».  Pérussel  devient  Pérosel.  Ce  qui  est  plus 
grave,  le  Béarn  est  confondu  avec  le  comté  de  Foix  (p.  270),  parce  que  tous 
deux  dépendent  des  Albret.  —  P.  151,  le  texte  cité  ne  porte  certainement  pas 
le  solécisme  «  ez  la  conduite  ».  —  11  fallait  dire  que  la  princesse  de  la  p.  559, 
n.  3,  était  Françoise  d'Orléans  (voy.  duc  d'Aumale,  t.  II,  p.  95-96),  qui  fut 
toujours  une  assez  tiède  réformée,  et  dont  la  conversion  ne  dut  pas  coûter 
beaucoup  de  peines  à  Maldonat. 

2.  P.  236,  en  juillet  1560,  les  curés  de  Paris  «  conclurent  unanimement  que 
les  privilèges  de  la  Compagnie  de  Jésus  étaient  incompatibles  avec  les  libertés 
de  l'Église  gallicane  ». 


372  BULLETIN    HISTORIQUE. 

temps  du  règne  de  Henri  II  et  les  deux  ou  trois  années  qui  suivirent 
sa  mort.  On  ne  constatera  pas  sans  surprise,  dans  les  lettres  du 
P.  Broet,  à  quel  point  «  l'hérésie  »  était  puissante  en  France,  même 
dans  ce  Paris  où  l'on  voit  trop  facilement  le  champion-né  du  catho- 
licisme. Les  documents  relatifs  au  P.  Laynez1  montrent  le  rôle  con- 
sidérable joué  par  ce  Père  et  par  la  Société  tout  entière  dans  le 
retour  définitif  des  Valois  à  la  politique  d'intolérance.  C'est  aux 
Jésuites  quest  due  l'œuvre  de  contre- réformation.  Lorsqu'ils 
ouvrent  leurs  collèges,  les  enfants  arrivent  en  classe,  comme  à 
Pamiers  en  1560,  «  avec  les  psaumes  de  Marot  ou  un  catéchisme  de 
Calvin  ».  Les  Jésuites  entreprennent  d'arrêter  ce  mouvement,  de 
faire  rebrousser  chemin  à  la  France.  Avec  une  patience  et  une  sou- 
plesse vraiment  admirables,  ils  s'insinuent  partout,  cachent  leur 
véritable  caractère2,  se  dissimulent  au  besoin.  La  Société  se  fait 
«  toute  à  tous  » ,  et  emploie  tous  les  moyens  pour  arriver  à  cette  fin 
sacrée  :  rattacher  la  nation  gallicane  à  la  communion  romaine. 

Il  est  à  peine3  excessif  de  dire  que  c'est  la  Société  de  Jésus  qui  a, 
dans  ces  années  décisives,  empêché  la  France  de  verser  dans  l'héré- 
sie ou  dans  le  schisme.  Qu'on  le  regrette  ou  qu'on  s'en  réjouisse, 
tel  est  le  fait  qui  ressort,  avec  un  aveuglant  éclat,  des  matériaux 
utilisés  par  le  P.  Fouqueray.  Il  est  permis  de  regretter  que  la  Com- 
pagnie n'en  ait  pas  confié  la  mise  en  œuvre  à  un  ouvrier  plus  judi- 
cieux. 

II.  xvie  siècle.  —  M.  Fleury  Vindry  continue  ses  précieux 
dépouillements  sur  les  Parlementaires  français  au  XVIe  siècle*. 

1.  Le  plus  important  (mémoire  à  Catherine  contre  la  tolérance)  était  déjà 
dans  Grisar,  Jacobi  Laynez  disputationes  Tridentinae;  mais  qui  l'avait  lu? 
—  Le  P.  Fouqueray  fait  avec  raison  de  Laynez  l'antithèse  de  l'Hospital. 

2.  P.  236,  le  P.  Cogordan  porte  à  l'évêque  de  Paris  les  bulles  et  les  lettres 
patentes,  «  mais,  d'après  le  conseil  d'un  docteur  de  ses  amis,  il  se  garda  bien 
d'y  joindre  les  constitutions  de  la  Compagnie  ».  C'est  sans  doute  ce  qui  per- 
mit au  P.  Fouqueray  de  stigmatiser  (p.  272)  «  les  hypocrites  manœuvres  des 
réformés  ». 

3.  Je  dis  :  «  à  peine  »,  parce  que  les  Jésuites  ont  pu  se  vanter  quelque  peu 
et  grossir  les  succès  des  réformés. 

4.  Fleury  Vindry,  les  Parlementaires  français  au  XVIe  siècle.  T.  I  (2*  fasc.)  : 
Parlements  d'Aix  (réimpression),  Rouen,  Rennes,  Turin.  Paris,  H.  Cham- 
pion, 1910.  In-8°,  367  p.  —  L'auteur  a  réimprimé  le  chapitre  sur  Aix  pour  uti- 
liser le  travail,  qu'il  déclare  «  assez  remarquable,  mais  à  peu  près  dénué  de 
toute  critique  »,  paru  à  Aix  en  1909  sous  le  titre  de  Chronologie  des  cours 
souveraines  de  Provence.  Pour  le  parlement  de  Rennes,  la  publication  du 
«  merveilleux  ouvrage  »  de  M.  Saulnier  a  permis  à  M.  Fleury  Vindry  de  se 
borner  à  nous  donner  la  liste  des  magistrats.  Turin  a  fourni  très  peu  de  docu- 
ments. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  373 

La  partie  la  plus  importante  de  son  nouveau  fascicule  est  relative 
au  parlement  de  Rouen. 

Le  signataire  du  présent  Bulletin  a  réuni  en  un  volume  quelques 
études  relatives  aux  origines  et  à  la  propagation  de  la  Réforme  en 
France1. 

Nous  lisions  jusqu'à  présent  le  Journal  d'un  bourgeois  de 
Paris,  ce  texte  capital  pour  l'histoire  de  François  Ier,  dans  une  ver- 
sion fort  défectueuse  établie  par  Ludovic  Lalanne.  M.  V.-L.  Bour- 
rilly  reproduit  le  manuscrit  Dupuy  743  tel  qu'il  est,  «  avec  son 
désordre,  ses  répétitions,  ses  confusions  et  ses  lacunes  »2.  Sous 
cette  forme,  la  seule  qui  ait  une  valeur  critique,  le  texte  nous  appa- 
raît non  plus  comme  un  «  journal  »,  mais  comme  une  compilation, 
plus  ou  moins  analogue  à  la  Cronique  du  roi  François  I".  Cette 
compilation  se  compose  même  de  deux  parties,  dont  l'une  a  dû  être 
écrite  moitié  en  1520-1521,  moitié  en  1536,  et  dont  l'autre  doit 
avoir  été  établie  d'un  seul  coup,  vers  1535.  Il  est  difficile  d'en  déter- 
miner l'auteur  ou  les  auteurs3.  M.  Bourrilly  a  éclairé  ce  document 
par  une  annotation  à  la  fois  sobre  et  riche.  C'est  désormais  d'après 
son  édition  qu'il  faudra  citer  le  prétendu  Journal.  On  y  trouvera, 
en  appendice,  des  fragments  d'une  autre  chronique  manuscrite  déjà 
utilisée  par  Guiffrey. 

Sur  les  soixante-quatre  lettres  de  Charles-Quint  qui  sont  conser- 
vées aux  archives  de  Monaco,  quarante-trois  avaient  déjà  été  publiées 
par  Gustave  Saige.  Mais,  grâce  à  la  munificence  du  prince  et  au 
zèle  érudit  de  M.  Labande*,  nous  possédons  maintenant,  dans  une 
luxueuse  publication,  la  totalité  de  ces  lettres3,  adressées  aux  Gri- 
maldi,  à  don  Pedro  de  Tolède,  à  del  Vasto,  etc.  Elles  présentent 

1.  Henri  Hauser,  Éludes  sur  la  Réforme  française.  Paris,  A.  Picard,  1909. 
In-12,  xiv-308  p.  Voy.  la  note  de  M.  G.  Monod  dans  Revue  hist.,  t.  CV,  p.  185. 

2.  Le  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  le  règne  de  François  Ier  (1515- 
1536),  nouv.  éd.,  par  V.-L.  Bourrilly.  Paris,  A.  Picard  et  fils  (Collection  de 
textes  pour  servir  à  l'enseignement  de  l'histoire),  1910.  In-8°,  xxv-471  p. 
Index.  Un  index  chronologique  rétablit  l'ordre  des  faits. 

3.  La  conjecture  que  j'avais  risquée  (p.  v,  n.  3)  ne  me  paraît  plus  très 
défendable. 

4.  Recueil  des  lettres  de  l'empereur  Charles-Quint  qui  sont  conservées 
dans  les  archives  du  palais  de  Monaco...,  par  L.-H.  Labande.  Monaco,  impr. 
de  Monaco,  1910.  In-4°,  xvm-135  p.  Fac-similés.  Index. 

5.  Il  s'agit  de  64  lettres  représentées  par  des  originaux  ou  des  copies.  A 
l'appendice,  4  lettres  contenues  dans  un  imprimé  (Liber  inslrumentorum)  con- 
servé aux  mêmes  archives.  Ces  dernières  (1529-1544)  sont  adressées  au  vice- 
roi  de  Sicile  et  au  président  du  même  royaume  et  relatives  au  droit  qu'avaient 
les  Grimaldi  de  tirer  du  blé  de  la  Sardaigne  et  de  la  Sicile. 


374  BULLETIN    HISTORIQUE. 

autre  chose  encore  qu'un  intérêt  de  curiosité  :  le  prix  que  mettait 
l'empereur  à  la  fidélité  de  cet  allié  «  que  François  Ier  n'avait  pas  su 
attacher  à  sa  fortune  »,  en  fait  un  recueil  des  plus  utiles  pour  l'his- 
toire diplomatique  des  années  1524-1548. 

Parmi  les  causes  qui  arrêtèrent,  en  1544,  l'invasion  delà  France 
par  l'empereur,  il  faut  certainement  citer  la  résistance  opposée  à  ses 
troupes  par  la  ville  de  Saint-Dizier.  MM.  Rozet  et  Lembey  ' ,  ani- 
més par  le  patriotisme  local,  se  sont  peut-être  exagéré  l'importance 
de  cette  page  d'histoire  militaire.  Mais  il  ne  faut  pas  nous  en  plaindre, 
puisqu'aux  documents  flamands  déjà  utilisés  par  Paillard  et  Hérelle, 
ils  ont  joint  d'abondantes  sources  italiennes2.  Ces  sources,  qu'il  y 
aurait  eu  avantage  à  publier  sous  une  forme  plus  maniable3,  mettent 
en  lumière  le  rôle  du  comte  de  Sancerre,  du  capitaine  Lalande  et  de 
l'ingénieur  italien  Girolamo  Marini. 

Une  publication  comme  celle  des  Lettres  de  Catheinne  de 
Médicis,  poursuivie  pendant  près  de  trente  années,  ne  saurait  se 
concevoir  sans  un  abondant  supplément.  Le  nouvel  éditeur, 
M.  Baguenault  de  Puchesse,  a  rassemblé  dans  le  tome  X4  le 
fruit  de  ses  propres  recherches  et  aussi  les  lettres  de  Catherine  qui 
ont  été  publiées,  en  dehors  de  la  collection  éditée  par  Hector  de 
la  Ferrière  ou  par  lui-même,  par  divers  érudits,  en  tout  900  lettres 
qui  manquaient  aux  tomes  précédents  et  qui  couvrent  la  période 
1537-15875.  Sur  ces  900  lettres,  300  sont  adressées  au  seul  Bel- 
lièvre,  150  à  Villeroy,  82  à  Mandelot  :  M.  Baguenault  de  Puchesse 
a  donc  constitué  comme  un  dossier  de  ces  trois  personnages. 

Sous  sa  forme  nécessairement  condensée,  ce  volume  suffirait  à 
donner  une  idée  de  la  prodigieuse  activité  de  Catherine.  Il  n'est  pour 
ainsi  dire  pas  d'affaire  sur  laquelle,  à  côté  de  la  lettre  officielle, 
signée  du  roi,  émanant  de  la  chancellerie  royale,  il  n'existe  une  autre 

1.  Albin  Rozet  et  J.-F.  Lembey.  L'Invasion  de  la  France  et  le  siège  de 
Saint-Dizier  par  Charles-Quint  en  15kk.  Paris,  Pion,  1910.  In-8°,  vn-758  p. 
Index. 

2.  C'est-à-dire  les  correspondances  des  ambassadeurs  italiens  auprès  de 
Charles-Quint.  La  plus  importante  est  celle  du  Mantouan  Camillo  Capilupi.  Il 
manque  toujours  la  contre-partie  française  de  ces  sources. 

3.  Toutes  les  dépèches  nous  sont  données  d'abord  en  traduction  française 
(p.  205-508),  puis  en  italien  (p.  509-743),  sans  préjudice  de  l'analyse  qui  en  est 
faite  dans  le  récit.  Les  lecteurs  capables  de  critiquer  ces  documents  savent  en 
général  assez  d'italien  pour  les  lire,  et  d'ailleurs  la  traduction  n'est  pas  tou- 
jours d'une  exactitude  indiscutable.  —  P.  114,  n.  2,  lisez  :  CléTambault. 

4.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis...  T.  X.  Supplément  :  1537-1587.  Paris, 
Impr.  nationale  (coll.  des  Doc.  inéd.),  1909.  In-4°,  xv-662  p. 

5.  Plus  un  «  supplément  au  supplément  »  portant  sur  les  années  1554-1584. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  375 

lettre,  et  souvent  plus  importante,  de  la  reine-mère'.  Ces  deux 
séries  parallèles  s'éclairent  et  se  complètent,  et  il  faut  reconnaître  que 
celles  de  Catherine  (notamment  celles  de  l'interrègne  de  1574)  font 
souvent  le  plus  grand  honneur  à  son  énergie  et  à  son  esprit  de 
décision. 

La  publication  est  soignée2,  suffisamment  accompagnée  de  notes3, 
enrichie  de  pièces  justificatives4.  Quand  aura  paru  la  table  générale 
des  dix  volumes  qui  s'imprime  en  ce  moment,  les  Lettres  devien- 
dront le  plus  précieux  répertoire  de  faits  relatifs  à  l'histoire  de  France 
au  xvie  siècle. 

A  propos  de  la  publication  du  regretté  C.-P.  Bricka,  la  Revue5 
avait  signalé  tout  l'intérêt  qu'offrent  les  dépêches  et  la  personnalité 
de  Charles  de  Danzay,  qui  représenta  la  France  à  Copenhague 
durant  trente-neuf  années  consécutives  et  qui  fut  une  sorte  d'agent 
général  du  Très  chrétien  dans  les  pays  du  Nord.  M.  Alfred  Richard6, 

1.  Signalons  au  passage  les  lettres  sur  la  campagne  de  1552,  sur  le  siège  de 
Rouen,  la  remarquable  lettre  du  4  décembre  à  Villef  rançon  (François  II  res- 
pire encore,  et  déjà  Catherine  saisit  avec  vigueur  les  rênes  du  gouvernement), 
l'importante  pièce  (p.  59  a,  n.  2)  du  12  juin  1562  (promet  aux  huguenots  la 
retraite  des  triumvirs);  les  lettres  sur  la  paix  de  1563,  sur  le  renvoi  de  Chan- 
tonnay  (méfiance  à  l'égard  de  l'Espagne,  surtout  de  Granvelle,  qui  paie  Cathe- 
rine de  retour),  les  préludes  de  Bayonne,  la  levée  suisse  de  1567,  l'épée  et  le 
chapeau  offerts  par  Pie  V  au  vainqueur  de  Jarnac  (p.  254  b),  l'instruction  écrite 
pour  le  roi  de  Pologne  (p.  324  b).  Signalons  aussi  sa  correspondance  avec 
Renée  de  France. 

2.  P.  86,  1.  19,  la  lecture,  évidemment  fâcheuse  :  «  Gens,  ligueurs  »,  pour 
«  gens  de  guerre  »,  n'est  pas  le  fait  de  l'éditeur;  elle  est  prise  au  Bureau  de 
la  Ville  de  Paris.  P.  250,  n.  2,  un  malencontreux  «  nipoto  ».  P.  403  b  :  «  Jou- 
ney.  »  L'ordre  chronologique  est  bouleversé  pour  l'année  1573  (p.  322-327).  La 
même  lettre  est  imprimée  deux  fois,  p.  466  et  570,  confusion  d'autant  plus 
étrange  qu'une  note  de  la  p.  466  renvoie  à  la  p.  570. 

3.  Note  extraordinaire  sur  des  Adrets,  p.  58,  n.  1  :  elle  n'est  pas  à  sa  date, 
et  elle  est  rendue  inintelligible  par  une  coquille.  —  P.  79,  cette  lettre  est  évi- 
demment un  résumé  ou  une  traduction,  non  un  texte  authentique.  —  Sur  Fer- 
ralz,  il  aurait  fallu  citer  Gachard,  Biblioth.  nationale;  sur  Danzay,  Bricka, 
Indberetnincjer  fra  Charles  de  Danzais  til  det  franske  Hof,  dont  les  nos  65, 
66,  67  (et  aussi  74)  éclairent  la  lettre  de  la  p.  313. 

4.  Notamment  le  rôle  de  la  maison  de  Catherine  et  un  itinéraire  de  la  reine. 
—  J'ai  souvenir  qu'aux  archives  du  palais  de  justice  de  Riom,  M.  B.  de 
Puchesse  aurait  trouvé  un  dossier  sur  Catherine  de  Médicis  comme  duchesse 
d'Auvergne. 

5.  T.  LXXX,  p.  333  (l'article  n'est  pas,  comme  le  dit  M.  Richard,  p.  5,  de 
M.  G.  Monod,  mais  du  signataire  du  présent  Bulletin). 

6.  Alfred  Richard,  Un  diplomate  poitevin  au  XVIe  siècle  :  Charles  de  Dan- 
zay, ambassadeur  de  France  en  Danemark.  Poitiers,  Biais  et  Roy  (extr.  des 
Mém.  de  la  Soc.  des  Antiq.  de  l'Ouest,  3e  série,  t.  III),  1910.  In-8%  262  p.  En 
appendice,  une  lettre  inédite  de  Danzay  à  Catherine,  25  déc.  1566. 


376  BULLETIN    HISTORIQUE. 

Poitevin  comme  Danzay,  retrace  la  biographie  de  cet  habile  diplo- 
mate, à  qui  ses  relations  avec  les  lettrés  et  les  réformés1  donnaient 
une  véritable  autorité.  Rétablir  et  maintenir  l'union  entre  les  États 
Scandinaves,  faire  de  la  France  une  sorte  de  haute  tutrice,  de  média- 
trice de  cette  fédération  nordique,  employer  ce  faisceau  d'alliances, 
complété  par  l'alliance  polonaise,  pour  peser  sur  la  politique  alle- 
mande, telle  est  la  conception  à  laquelle  Danzay  a  voué  sa  vie  et  sa 
fortune2.  Ajoutez-y  un  plan  de  pénétration  commerciale  dans  la 
Baltique  et  l'ouverture  au  trafic  français  de  cette  Moscovie  dont 
l'Angleterre  entendait  se  réserver  le  fructueux  monopole3. 

L'émotion  provoquée  dans  le  monde  litLéraire  par  l'apparition  des 
articles  et  du  livre  de  M.  Armaingaud  sur  le  Contr'un  n'est  pas 
encore  calmée4.  Sans  songer  à  reprendre  ici  une  polémique  à  laquelle 
nous  avons  déjà  consacré  beaucoup  d'encre5,  disons  en  deux  mots 
pourquoi  la  thèse  de  M.  Armaingaud  nous  paraît  insoutenable  : 
1°  lorsque  les  huguenots  font  pour  la  première  fois  usage,  dans  les 
premiers  mois  de  1574,  des  fragments  du  Contr'un,  ils  ne  peuvent 
songer  à  les  appliquer,  et  en  fait  ils  n'en  font  l'application  qu'au 
seul  Charles  IX.  Quelque  haine  qu'ils  aient  pour  le  roi  de  Pologne, 
c'est  bien  le  roi  de  France,  c'est  le  «  chasseur  déloyal  »  qui  est  pour 
eux  «  le  tyran  »  ;  2°  transformé,  par  l'usage  qu'ils  en  font,  en  un  pam- 
phlet révolutionnaire,  le  Discours  de  la  Boétie  est  en  soi  l'œuvre 
d'un  rhétoricien,  un  centon  de  textes  antiques.  S'il  n'est  pas  de  1546, 
il  n'est  pas  davantage  de  1572  ou  1573,  mais  des  environs  de  1550. 
Le  seul  résultat  positif  auquel  arrive  M.  Armaingaud  nous  parait 
être  d'avoir  attiré  l'attention  sur  la  façon  dont  Montaigne  juge  la 
Saint-Barthélémy. 

Signalons  l'étude,  malheureusement  écrite  en  polonais,  deM.Wa- 
claw  Sobieski6  sur  l'effet  produit  en  Pologne  par  le  massacre  de 

1.  Il  s'emploie  activement,  d'accord  avec  Mornay,  en  faveur  de  l'union  des 
églises  protestantes. 

2.  Les  dernières  années  du  malheureux  ambassadeur  illustrent  douloureuse- 
ment l'histoire  de  la  carrière  diplomatique  sous  les  Valois  :  Danzay  mourut 
prisonnier  pour  dettes. 

3.  Je  lirais  (p.  137-138)  de  la  façon  suivante  les  initiales  qui  signent  le  traité 
sur  la  Concorde  :  Carolus  Quissarme  Danzaeus  Aquitanus. 

4.  Dr  Armaingaud,  Montaigne  pamphlétaire.  L'énigme  du  Contr'un.  Paris, 
Hachette,  1910.  In-8°,  xvi-341  p. 

5.  Voy.  Revue  critique,  7  juill.  1910,  p.  1-10. 

6.  Waclaw  Sobieski,  Polska  a  hugonoci  po  nocy  sw.  Bartlomieja.  Cracovie, 
Académie,  1910.  In-8°,  231  p.  Mon  collègue  M.  Eiseninann  a  bien  voulu  m'ai- 
der  à  me  reconnaître  dans  cet  ouvrage.  En  app.  (p.  128-228)  :  les  poslulata 
avec  les  notes  des  églises;  exposé  adressé  aux  ambassadeurs  par  les  Français 
réfugiés  en  Suisse  et  en  Allemagne,  etc. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  377 

Paris,  l'influence  de  cet  événement  sur  l'élection  du  duc  d'An- 
jou, les  efforts  tentés  par  les  ambassadeurs  polonais  en  faveur  des 
huguenots  de  France.  Fait  en  partie  avec  des  sources  ignorées  en 
France,  ce  travail  éclaire  l'histoire  des  Postulata  polonica,  et  aussi 
le  rôle  de  Jean  de  Monluc,  rôle  d'entremetteur  et  de  conciliateur. 
Les  correspondances  qui  s'échangèrent  entre  Cracovie  d'une  part, 
Genève  et  Zurich  de  l'autre  nous  font  voir  dans  les  ambassadeurs 
polonais  les  porte-parole  non  seulement  des  huguenots  de  la  Rochelle 
et  de  Sancerre,  mais  de  la  Réforme  européenne. 

Il  manquait  au  D'Aubigné  de  feu  M.  de  Ruble  une  table  des 
matières.  M.  P.  de  Vaissière  nous  a  rendu  le  service  de  munir  les 
neuf  volumes  de  l'Histoire  universelle  de  ce  complément  néces- 
saire'. Une  courte  préface,  due  à  M.  Baguenault  de  Puchesse, 
indique  discrètement  l'utilité  que  présenterait  une  étude  critique  sur 
les  sources  de  d'Aubigné2;  il  laisse  entendre  qu'Agrippa  historien 
en  sortirait  assez  diminué.  On  s'apercevrait  sans  doute  qu'il  a  traité 
certaines  sources  avec  une  désinvolture  vraiment  incroyable,  résu- 
mant à  la  diable  des  pages  qu'il  ne  se  donnait  pas  même  la  peine  de 
lire.  C'est  là  un  point  qui  n'est  pas  touché  dans  le  brillant  volume 
que  lui  consacre  M.  Rocheblave3.  On  y  voit  surtout  le  huguenot, 
le  fidèle  et  grincheux  serviteur  du  Béarnais,  le  fougueux  auteur  des 
Tragiques,  «  le  dernier  des  paladins  ».  On  y  trouvera  un  peu  de 
la  complaisance  que  tout  biographe  doit  à  son  client.  Mais  eût-il 
convenu  de  parler  en  un  froid  langage4  de  ce  grand  passionné? 

«  Né  au  pied  du  même  clocher  que  Diane  de  Châteaumorand  », 
M.  le  chanoine  O.-C.  Reure5  a  voulu  écrire  l'histoire  de  l'auteur  de 
VAstrée.  Malgré  son  patient  labeur6  et  sa  parfaite  connaissance  des 
lieux,  il  n'a  pas  dissipé  toutes  les  obscurités  du  sujet.  Après  comme 
avant  lui,  la  psychologie  de  Diane  reste  un  problème,  et  problème 

1.  Histoire  universelle...  T.  X  :  Table  des  matières.  Paris,  Laurens  (Soc. 
de  l'hist.  de  Fr.),  1909.  In-8",  v-374  p. 

2.  C'est  assez  dire  que  Ruble  ne  l'a  pas  faite. 

3.  S.  Rocheblave,  Agrippa  d'Aubigné.  Paris,  Hachette  (les  Grands  écrivains 
français),  1910.  In-16,  202  p.  Un  portrait,  dont  l'auteur  est  appelé  Sarburg 
sur  la  planche  et  Sardruck  p.  43. 

4.  Quelques  néologismes  peu  heureux,  p.  47  :  le  «  vaillantisme  huguenot  ». 
P.  169  :  «  D'Aubigné...  a  voulu  avoir  sa  peau.  »  —  Et  aussi  quelques  calem- 
bours, p.  149  :  croisés  et  tranche.  Je  n'aime  guère  (p.  148)  que  d'Aubigné, 
pour  écrire  Fœneste,  «  taille  à  l'envers  sa  plume  des  Tragiques  ».  —  P.  127  : 
<(  Louis  le  Grand  »  pour  «  Henri  le  Grand  ». 

5.  O.-C.  Reure.  La  vie  et  les  œuvres  de  Honoré  d'Urf'é.  Paris,  Pion,  1910. 
In-8",  xi-394  p.,  4  grav.  Index.  —  P.  149  :  Vaux,  lisez  Vaud. 

6.  Notamment  aux  archives  de  Châteaumorand  et  à  celle  du  château  de 
Léran  (Ariège).  Nombreux  documents  cités  ou  analysés  dans  le  texte. 


378  BULLETIN    HISTORIQUE. 

aussi  sa  rupture1  avec  Honoré  d'Urfé.  Trop  souvent  M.  Retire  pro- 
cède, par  voie  de  conjecture2  et  rejette  comme  improbable  tout  ce 
qui  ne  lui  paraît  pas  d'accord  avec  l'idée  qu'il  se  fait  de  son  héros. 
Mais  son  livre,  et  c'est  en  cela  qu'il  nous  intéresse  ici,  est  une  utile 
contribution  à  l'histoire  de  la  ligue  forézienne  et  à  celle  de  la  poli- 
tique française  en  Savoie  au  début  du  xvne  siècle3. 

III.  xviie  siècle.  —  On  éprouve  quelque  scrupule  à  parler  en 
toute  liberté  de  l'œuvre  inachevée  d'un  jeune  écrivain,  «  enlevé  pré- 
maturément ».  Œuvre  distinguée,  où  revivent  avec  intensité  les 
figures  de  Concini  et  de  Léonora  Galigaï4.  A  tous  deux,  mais  sur- 
tout à  la  maréchale  d'Ancre,  Fernand  Hayem  apporte  le  témoignage 
d'un  esprit  fin  et  ferme,  qui  va  droit  au  document,  qui  le  critique 
avec  précision  et  qui  ramène  à  leur  juste  mesure  les  exagérations 
romantiques  d'un  Michelet.  Il  est  seulement  fâcheux  qu'il  ait  manqué 
à  Fernand  Hayem  l'apprentissage  du  métier  d'historien  ou  que,  par 
un  juvénile  souci  d'élégance,  il  ait  délibérément  ignoré  ceux  qui 
avaient,  avant  lui,  traité  le  même  sujet5. 

L'un  de  ceux-ci,  M.  Louis  Batiffol,  reste  fidèle  à  l'époque  de 
Louis  XIII.  Sous  ce  titre  un  peu  factice,  Le  Roi  Louis  XIII  à 
vingt  ans6,  il  esquisse  la  psychologie  du  jeune  roi  entre  la  chute 

1.  P.  382,  M.  Reure  se  vante  d'avoir  détruit  une  «  légende  »,  celle  de  la  sépa- 
ration des  deux  époux.  Mais  il  avoue  qu'il  y  eut  «  séparation  à  l'amiable  », 
une  séparation  qui  dura  la  bagatelle  de  vingt-deux  ans;  et  même  après  la  récon- 
ciliation, Céladon  et  Astrée  font  «  ménage  à  part  ». 

2.  Notez  les  «  sans  doute  »,  les  «  nous  ne  croyons  pas  »,  les  «  probable- 
ment ». 

3.  Voy.,  p.  143,  le  rôle  assez  compliqué  joué  par  d'Urfé,  comme  seigneur  de 
Virieu.  Au  moment  de  la  négociation  des  mariages  espagnols,  il  a  mission  de 
rompre  la  promesse  qui  liait  Élisabetb  à  Victor-Amédée.  M.  Reure  publie  des 
fragments  de  lettres  inédites  de  Gueffier  à  Puiseux  et  de  d'Urfé  à  Villeroy. 

4.  Fernand  Hayem,  le  Maréchal  d'Ancre  et  Léonora  Galigaï.  Pion,  1910. 
In-8°,  vi-312  p.,  2  portr.  Le  volume  s'ouvre  par  une  notice  biographique  due  à 
M.  Abel  Lefranc.  —  Le  livre  s'arrêtait  à  1614.  Les  notes  laissées  par  l'auteur 
ont  permis  de  résumer  les  événements  de  1614  à  1617. 

5.  M.  Louis  Batiffol  avait  déjà  donné  (La  Vie  intime  d'une  reine  de  France) 
la  description  de  l'hystérie  de  Léonora,  et  d'après  les  mêmes  documents  que 
F.  Hayem,  croyant  les  avoir  découverts,  reproduit  en  annexes  (p.  215  à  la  fin). 
Il  semble  que  Hayem  aurait  pu  donner  davantage  sur  les  interrogatoires  d'André 
de  Lizza  (p.  297),  le  musicien  italien  qui  exerça  sur  Léonora  une  si  extraordi- 
naire influence.  —  Hayem  ne  parle  pas  assez  (p.  36-37)  des  singulières 
intrigues  de  Léonora  avec  Henriette  d'Enlraigues  et  du  rôle  que  ces  intrigues 
eurent  dans  le  mariage  de  Concini  (Batillbl,  p.  350).  Rien  (la  lacune  est 
étrange)  sur  la  vie  intime  du  ménage,  une  vie  que  les  documents  nous  dépeignent 
comme  infernale. 

6.  Louis  Batiffol,  Le  Roi  Louis  XIII  à  vingt  ans.  Paris,  Calmann-Lévy,  s. 
d.  [1910].  In-8°,  vn-698  p.,  1  portr.  Un  appendice  sur  Louis  XIII  et  Versailles. 


HISTOIRE   DE    FRANCE.  379 

de  Concini  et  1'  «  ascension  »  de  Richelieu.  Par  un  ingénieux  et 
judicieux  emploi  des  correspondances,  des  mémoires,  des  plaquettes, 
en  complétant  et  contrôlant  les  unes  par  les  autres,  il  arrive  à  nous 
donner  un  Louis  XIII  sensiblement  moins  effacé,  plus  volontaire, 
plus  autoritaire  même  que  ne  Font  vu  la  plupart  des  historiens. 
Malgré  plus  d'un  effort  tenté  en  ce  sens,  on  fait  encore  trop  de 
Louis  XIII  le  pâle  et  docile  instrument  d'un  grand  homme.  Une 
sensibilité  vive,  des  qualités  militaires  qui  excitaient  déjà  l'admira- 
tion de  Saint-Simon,  le  sentiment  de  sa  dignité  et  de  ses  devoirs  de 
roi,  tels  sont  dès  1620  les  traits  de  cette  figure.  Il  est  déjà  Louis 
le  Juste,  impitoyable  aux  duellistes  ;  déjà  il  sait,  dans  ses  rapports 
avec  sa  mère,  distinguer  en  soi  le  fils  et  le  souverain.  Sur  certains 
points,  M.  Batiffol  a  fait  d'heureuses  trouvailles.  Il  nous  montre 
comment  la  religion  sincère  de  Louis  XIII  et  son  désir  non  moins 
sincère  de  respecter  l'Edit  de  Nantes  s'associent  très  bien  avec  une 
sorte  de  manie  convertisseuse  ;  pas  de  mesures  de  rigueur,  mais  des 
places  données  aux  nobles  du  parti,  des  pensions  aux  ministres, 
bref,  tout  un  assez  vilain  marchandage  des  âmes  et,  comme  dit 
quelqu'un,  «  la  religion  mise  à  l'encan  ».  La  conscience  du  temps 
souffrait  cela.  —  Avec  les  deux  derniers  chapitres,  sur  Luynes1  et 
sur  Richelieu,  M.  Batiffol  rentre  dans  la  grande  histoire.  Il  retrace 
avec  beaucoup  d'exactitude  les  multiples  tentatives  de  l'évèque  de 
Luçon2,  l'ambitieuse  impatience  qui  lui  fait  tant  de  fois  manquer  le 
but  à  l'heure  où  il  croit  l'atteindre,  la  souplesse  avec  laquelle  cette 
nature  nerveuse,  après  une  crise  de  désespoir,  retrouve  un  mer- 
veilleux équilibre,  la  ténacité  qui  se  cache  sous  cette  apparente 
faiblesse3. 

Cette  ténacité  dans  la  poursuite  de  ses  fins  personnelles,  Riche- 
lieu en  a-t-il  constamment  fait  preuve  dans  sa  politique  étrangère? 

On  ne  saurait  exagérer  l'importance  que  présente,  pour  l'intelli- 
gence de  cette  question,  le  nouveau  tome,  —  le  quatrième,  —  du 
grand  ouvrage  de  M.  Edouard  Rott  sur  la  Repi*ésentation  diplo- 
matique de  la  France  en  Suisse*.  C'est  toute  l'affaire  de  la  Val- 

1.  Celui-ci,  de  même  que  le  chapitre  sur  la  chute  de  Concini,  sont  déjà  con- 
nus des  lecteurs  de  la  Revue. 

2.  P.  603,  M.  Batiffol  cite  la  lettre  du  roi  demandant  le  chapeau,  lettre  que 
les  historiens  de  Richelieu  ont  ignorée. 

3.  P.  643,  n.  2  :  «  Bâtons  invisibles,  »  lisez  invasibles.  —  L'imprimeur  de 
M.  Batiffol  répugne  à  mettre  un  accent  sur  les  imparfaits  du  subjonctif.  Est-ce 
en  manière  de  compensation  que  l'on  nous  gratifie,  p.  444,  de  cette  forme 
inattendue  :  «  acquérât  »  ! 

4.  Edouard  Rott,  Histoire  de  la  représentation  diplomatique  de  la  France 
auprès  des  cantons  suisses,  de  leurs  alliés  et  de  leurs  confédérés.  T.  IV  :  1626- 


380  BULLETIN    HISTORIQUE. 

teline  dans  sa  deuxième  période,  c'est-à-dire  à  partir  de  la  signature 
du  traité  de  Monçon.  Les  hauts  passages  des  Alpes  rhétiques,  — 
Bernina,  Splugen,  —  jouent  alors  un  rôle  capital  dans  la  politique 
européenne,  et  des  citadelles  aujourd'hui  bien  déchues,  —  Chia- 
venna,  Sondrio,  Tirano,  Bormio,  —  sont  des  pièces  maîtresses  sur 
l'échiquier  où  s'agitent  un  Tilly,  un  Wallenstein,  un  Gustave. 

Mais  il  y  a  autre  chose,  dans  ce  volume,  qu'un  consciencieux 
dépouillement  des  archives  diplomatiques  suisses,  françaises,  véni- 
tiennes, etc.  Il  y  a  une  conception,  en  partie  nouvelle,  de  la  poli- 
tique de  Richelieu,  —  nouvelle,  si  on  laisse  de  côté  quelques 
phrases,  généralement  regardées  comme  chimériques,  de  Michelet1. 
Richelieu  a  mis  un  tel  art  à  rétablir,  après  coup,  l'unité  de  sa  poli- 
tique, il  a  su  dresser  si  bien  la  statue  de  l'homme  qui  d'une  main 
détruit  La  Rochelle  et  de  l'autre  combat  la  puissance  des  Habsbourg, 
que  la  postérité  l'a  cru  sur  parole.  —  La  thèse  de  M.  Rott,  c'est  qu'en 
somme  la  politique  espagnole  triomphe  à  Monçon  et  aussi  dans  les 
négociations  de  1629-1631,  pour  n'échouer,  en  définitive,  qu'à 
Rocroi;  que  Richelieu,  incertain,  hésitant,  parfois  moins  ardent  et 
moins  résolu  que  son  roi,  ne  sait  pas  choisir  entre  la  diplomatie  de 
Fancan  et  celle  des  capucins,  qu'il  se  laisse  «  déborder  »  par  les 
intrigues  des  «  espagnolisés  » ,  de  la  reine-mère  et  de  Bérulle  ;  qu'il 
est  joué,  à  diverses  reprises,  par  du  Fargis  et  quasi-dupé  par  Bru- 
lart  et  le  P.  Joseph2;  qu'en  somme  sa  politique,  à  côté  de  «  mani- 
festations louables  »,  offre  aussi  «  des  défaillances  et  des  contra- 
dictions... Disgracié  au  lendemain  de  la  journée  des  Dupes  et  mort 
dans  la  retraite,  Richelieu  n'eût  sans  doute  pas  laissé  de  son  acti- 
vité un  souvenir  plus  durable  qu'Olivarès  de  la  sienne  ».  Assu- 
rément, il  y  a  lieu  de  tenir  compte,  plus  largement  que  ne  le  fait 
M.  Rott,  des  difficultés  au  milieu  desquelles  se  débattait  le  cardi- 
nal3. Mais  il  n'y  a  pas  lieu  d'admirer  béatement. 

Battu  à  Monçon  et  encore  après  Monçon,  il  éprouve  à  Mantoue 
un  nouvel  échec  qui  paraît  plus  directement  imputable  à  ses  hési- 
tations. C'est  seulement  en  1629,  après  La  Rochelle,  qu'il  lâche  la 
bride  à  Louis  XIII;  encore  n'est-ce  qu'un  «  feu  de  paille  ».  Il  ne 

1635;  lro  partie  :  l'Affaire  de  la  Valteline;  2e  partie  :  1626-1633.  Bumpliz, 
BentPli,  et  Paris,  F.  Alcan,  1909.  In-8°,  vn-707  p. 

1.  Voy.  Richelieu,  ch.  xxn  et  passim.  Voy.  aussi,  plus  récemment,  les  tra- 
vaux de  Kiïkelhaus  et  de  Wiens  sur  Fancan. 

2.  Il  faut  faire  cependant  la  part  de  la  comédie  dans  les  indignations  du 
cardinal.  11  peut,  surtout  après  Ratisbonne,  s'être  montré  plus  irrité  qu'il 
ne  l'était  en  réalité. 

3.  Michelet  dit  équitablement  :  «  Richelieu  doit  être  jugé  relativement  aux 
difficultés  de  sa  position.  » 


HISTOIRE    DE    FRANCE.  381 

voit  pas  l'importance  capitale  de  la  question  valteline,  si  bien  qu'en 
mai  1629  la  Rhétie  est  aux  mains  des  Habsbourg  et  l'ambassadeur 
du  Très  chrétien  à  Coire  est  incarcéré  parles  Impériaux.  L'échec  de 
Ratisbonne  est  quelque  peu  pallié  par  la  victoire  de  Schomberg  à 
Casai,  les  astucieuses  menées  du  cardinal  en  Piémont  et  la  «  comé- 
die de  Pignerol  »,  ainsi  que  par  la  mission  de  Rohan  à  Coire.  Mais 
Richelieu  a  bien  vite  fait  de  craindre  ses  alliés,  —  Gustave  et 
Rohan,  —  autant  que  ses  ennemis. 

Enfin,  contradiction  suprême,  démenti  éclatant  à  cette  politique 
des  Valois  et  de  Henri  IV,  dont  on  nous  le  donne  comme  un  fidèle 
continuateur,  le  vainqueur  des  huguenots  trame  avec  la  catholique 
Savoie  l'écrasement  de  Genève.  «  Malgré  le  soin  pris  par  Richelieu 
d'effacer  toutes  les  traces  de  cette  défaillance  »,  connue  seulement 
par  quelques  mémoires  (ceux  de  La  Force),  passée  sous  silence  par 
les  historiens,  M.  Rott  en  refait  l'histoire  d'après  les  dépèches 
anglaises  et  celles  du  nonce.  Ici,  il  s'agit  d'une  si  grosse  nouveauté 
que  les  simples  références  qu'il  nous  donne  sont  insuffisantes;  il 
nous  faudrait  au  moins  des  extraits.  Même  en  laissant,  pour  l'ins- 
tant, de  côté  cette  dernière  question,  on  voit  que  d'éléments  M.  Rott 
apporte  à  l'étude  critique  du  ministère  de  Richelieu  avant  les  années 
décisives  1635-1636. 

C'est  encore  Richelieu,  —  et  dans  une  de  ses  œuvres  les  plus 
remarquables,  —  que  l'on  retrouve  avec  le  tome  IV  de  YHistoire 
de  la  Marine  de  M.  Ch.  de  La  Roncière  1 .  Mais,  comme  le  pré- 
cédent s'achevait  avec  Henri  II2,  celui-ci  s'occupe  d'abord  de  notre 
marine  pendant  la  période  des  guerres  de  religion  et  de  Henri  IV. 
A  beaucoup  d'égards,  c'est  une  période  épique,  c'est  l'éveil  de  la 
France  à  la  politique  mondiale.  Sur  tous  les  océans,  et  parfois  sous 
tous  les  pavillons,  nos  hardis  gens  de  mer  s'envont  «  en  quête  d'un 
empire  colonial  ».  Nouvelle-France,  Frances  antarctique,  équi- 
noxiale,  arctique,  orientale,  Nouvelle-Guyenne,  etc.,  ces  créations 
plus  ou  moins  éphémères  apparaissent  sur  les  cartes.  Ce  problème 
prend  alors  tant  d'ampleur  que  le  volume  a  souvent  l'allure  d'une  his- 
toire de  la  colonisation  plus  que  d'une  histoire  de  la  marine3. 

M.  de  La  Roncière  rend  justice  à  ce  qu'il  y  eut  de  vraiment  génial 
dans  les  vues  de  Coligny,  lequel  fut,  autrement  qu'en  titre,  amiral 

1.  Ch.  de  La  Roncière,  Histoire  de  la  marine  française.  T.  IV  :  En  quête 
d'un  empire  colonial.  Richelieu.  Paris,  Pion,  1910.  In-8",  739  p.,  grav. 

2.  Voy.  Revue  hist.,  t.  XC1II,  p.  339. 

3.  Au  point  de  vue  technique,  signalons  le  chapitre  (p.  608  et  suiv.)  sur  les 
navires  à  aubes,  le  chariot-canot  automobile,  les  sous-inarins  du  P.  Mersenne 
et  de  Pradine. 


382  BULLETIN    HISTOIUQCE. 

de  France.  Il  ne  fait  pas  assez  voir  le  lien  qui  existait  entre  cette 
politique  maritime  et  coloniale  et  la  question  des  Pays-Bas.  Au 
reste,  les  conceptions  de  nos  hommes  d'Etat  et  les  admirables  efïorts 
de  nos  marins  étaient  voués  à  l'insuccès  :  la  guerre  civile  absorbait 
toutes  les  forces  de  la  nation  et  nos  dissensions  intérieures  sévis- 
saient même  aux  antipodes  '.  La  sauvage  cruauté  des  Espagnols  fit 
le  reste.  Si  Henri  IV  a  eu  le  sentiment  très  net  du  rôle  que  la  mer 
devait  jouer  dans  le  commerce  extérieur  delà  France,  c'est  avec  Riche- 
lieu seulement  que  s'élabore  la  reconstruction  systématique  de  notre 
marine.  L'auteur  montre  quelles  luttes,  —  contre  les  amiraux,  le 
général  des  galères,  etc.,  —  le  grand  maître  de  la  navigation  eut  à 
livrer  pour  unifier  et  centraliser  l'administration  navale.  Si  la  prise 
de  La  Rochelle  est  considérée,  presque  unanimement,  comme  une 
victoire  nationale,  c'est  parce  que  l'échec  de  la  flotte  anglaise  est  le 
signal  de  notre  émancipation  maritime. 

M.  de  La  Roncière  conte  tout  cela  en  un  style  ardent  et  imagé,  un 
vrai  style  de  corsaire,  où  passent  les  vivifiantes  senteurs  des  embruns 
et  le  fracas  des  abordages2. 

Nous  n'avions  des  Mémoires  de  Turenne  que  des  éditions  faites 
d'après  celle  de  Ramsay.  La  Société  de  l'Histoire  de  France  a 
chargé  M.  P.  Marichal  de  reproduire  le  manuscrit  autographe3. 
L'éditeur  a  joint  à  ce  texte  essentiel  des  notes  empruntées  surtout 
aux  Archives  du  quai  d'Orsay4. 

1.  Pour  Villegagnon,  l'auteur  suit  de  trop  près  le  récit  tendancieux  de  Heu- 
lhard.  Je  ne  vois  pas  (p.  16)  que  l'idée  «  généreuse  »  de  Coligny  :  «  exporter 
au  Brésil  une  religion  qui  n'avait  point  cours  en  France,  »  fût  une  idée 
«  absurde  »;  au  contraire.  C'est  à  cette  idée  que  les  colonies  anglaises  ont  dû 
leur  essor,  et  il  est  très  regrettable  que  Richelieu  ait  été,  sur  ce  point,  aveu- 
glé par  des  préoccupations  confessionnelles.  —  Voy.  Eugène  Guénin,  Premiers 
essais  de  colonisation.  Les  Français  au  Brésil  et  en  Floride  (1530-1568). 
Paris,  Eugène  Bigot,  1910.  Petit  in-8°,  100  p.  Fait  trop  exclusivement  avec  les 
sources  protestantes. 

2.  La  documentation  est  toujours  très  soignée.  Voy.  notamment  l'usage  fait 
des  mémoires  inédits  de  Beaulieu  de  Pairsac  (voyage  du  Levant,  1608-1610). 
—  P.  55,  n.  4,  on  signale  une  édition  de  le  Challeux  de  Dieppe,  1566.  Du  Ver- 
dier  et  Baudrier  (t.  IV,  p.  341)  disent  Lyon,  1566.  M.  de  La  Roncière  n'a-t-il 
pas  été  trompé  par  ce  fait  que  cette  édition  lyonnaise  est  datée  de  Dieppe, 
22  mai? 

3.  Mémoires  du  maréchal  de  Turenne,  publiés...  par  Paul  Marichal.  T.  I  : 
1643-1653.  Paris,  H.  Laurens  {Soc.  de  l'hist.  de  Fr.),  1909.  In-8°,  379  p.  L'ou- 
vrage sera  complet  en  deux  volumes.  M.  Marichal  a  reproduit,  avec  raison,  la 
graphie  du  ms.  (qui  appartient  au  marquis  de  Talhouët-Roy),  mais  pourquoi 
ne  pas  donner  en  note  la  transcription  des  noms  propres?  —  Il  signale  les 
interpolations  de  Champollion. 

4.  Le  premier  volume  a  48  pièces  justificatives,  dont  15  lettres  de  Mazarin 
qui  manquent  à  Chéruel. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  383 

L'une  des  dernières  campagnes  de  Turenne,  la  glorieuse  campagne 
d'Alsace  de  1674-1675,  a  tenté  le  général  Legrand-Girarde1. 
M.  P.  des  Robert2  l'avait  déjà  étudiée,  surtout  d'après  les  archives 
des  Affaires  étrangères.  M.  Legrand-Girarde  s'est  documenté  aux 
archives  de  la  Guerre  et  il  a  vu  de  près  les  plus  récents  ouvrages 
publiés  en  Allemagne  sur  ce  sujet.  Ses  connaissances  techniques  et 
sa  familiarité  avec  le  terrain  des  opérations  lui  ont  permis  de  débar- 
rasser l'histoire  de  Turenne  d'un  certain  nombre  de  légendes  roma- 
nesques3. Ramené  aux  proportions  d'un  homme,  Turenne  reste  un 
très  grand  homme,  et  la  marche  d'hiver  derrière  les  Vosges  une 
très  grande  chose.  Ajoutons  que  M.  Legrand-Girarde  donne  une 
idée  très  juste  des  conditions  de  la  guerre  au  xvne  siècle'''. 

Le  Clergé  de  France  n'est  pas  seulement,  au  xvne  siècle,  le  premier 
ordre  de  l'Etat;  il  n'est  pas  seulement  un  corps  spirituel,  capable  de 
donner  son  avis  sur  la  répression  de  l'hérésie  ou  les  rapports  de  la 
couronne  avec  le  Saint-Siège.  Il  est  encore  une  organisation  finan- 
cière que  M.  Cans  a  raison  de  comparer  avec  celle  des  Etats  provin- 
ciaux5. Comme  ces  Etats,  les  assemblées  du  clergé  sont  un  moyen 
pour  prélever,  en  bloc  et  d'un  seul  coup,  sur  une  collectivité  des 
impôts  que  celle-ci  répartira  ensuite,  et  d'après  ses  règles  propres, 
entre  ses  membres.  Nées,  à  l'origine,  d'une  opération  financière, 
d'un  contrat  entre  une  monarchie  famélique  et  une  église  riche0, 
les  assemblées  du  clergé  conserveront  toujours  ce  caractère.  Il  ne 
faut  pas  que  les  historiens  se  laissent  aveugler  par  les  incidents  plus 
ou  moins  dramatiques,  tels  que  ceux  de  1682;  le  rôle  essentiel  de 
l'assemblée  du  clergé  est  d'être  une  machine  à  répartir  des  décimes  et 

1.  Général  Legrand-Girarde,  Turenne  en  Alsace.  Campagne  de  1674-1675. 
Paris  et  Nancy,  Berger-Levrault,  1910.  In-8°,  xix-163  p.,  7  cartes  (dont  3  réduc- 
tions de  Beaurain),  3  médailles. 

2.  Inexactement  cité,  p.  xvi.  Voy.  Revue  hist.,  t.  LXXXV,  p.  339,  et 
t.  LXXXVI,  p.  138. 

3.  Excellente  discussion,  p.  112  et  suiv.,  sur  la  façon  même  dont  le  plan  de 
campagne  a  germé  chez  Turenne.  De  même  p.  150  (Turenne  a  gagné  Turckheim 
par  Wintzenheim  et  n'a  point  fait  la  folie  de  franchir  le  Hohenlandsberg). 

4.  P.  158.  Il  faut  notamment  insister,  pour  expliquer  le  peu  d'acharnement 
de  la  poursuite,  sur  la  nécessité  qui  s'imposait  à  Turenne  de  ménager  les 
populations  alsaciennes.  La  guerre,  alors,  se  compose  de  négociations  tout 
autant  que  de  batailles.  —  P.  vu  :  «  États  de  Bourgogne  »  pour  «  Comté  de 
Bourgogne  ». 

5.  Albert  Cans,  L'Organisation  financière  du  clergé,  de  France  à  l'époque 
de  Louis  XIV.  Paris,  A.  Picard,  1910.  In-8%  ix-321  p.  Index  et  carte.  —  Id., 
La  Contribution  du  clergé  de  France  à  l'impôt  pendant  la  seconde  moitié  du 
règne  de  Louis  XIV  (1689-1715).  Ibid.  In-8°,  xi-104  p.  La  thèse  secondaire 
est  une  illustration  partielle  de  l'autre. 

6.  Voy.  le  livre  de  M.  Serbal. 


384  BULLETIN    HISTORIQUE. 

à  consentir  des  dons  gratuits.  M.  Cans  étudie,  d'après  les  sources1, 
le  fonctionnement  de  cette  machine.  Les  officiers  du  clergé,  le  rece- 
veur général  constituent  un  véritable  ministère  des  Finances  de 
l'Église.  Ses  attributions  budgétaires  confèrent  à  l'assemblée  du 
clergé  une  vague  allure  de  parlement,  avec  brigue  électorale,  candi- 
dature officielle,  pression  gouvernementale,  etc.  Ce  qui  complique  la 
question  et  donne  aux  thèses  de  M.  Cans  un  intérêt  plus  puissant 
encore,  c'est  que  cette  organisation  financière  est  en  même  temps 
une  organisation  de  crédit.  Le  clergé  ne  donne  pas  seulement  de  l'ar- 
gent au  roi,  il  emprunte  pour  le  roi,  dont  le  crédit  est  déplorable;  il 
paie  des  rentes,  et  quoiqu'il  prétende,  en  théorie,  ne  pas  être  obligé 
à  servir  des  intérêts  à  ses  prêteurs,  il  n'en  est  pas  moins,  en  fait, 
le  principal  établissement  de  crédit  du  royaume.  C'est  donc,  avec 
l'histoire  financière,  celle  des  valeurs  mobilières  à  qui  M.  Cans 
apporte  une  solide,  une  excellente  contribution. 

Dans  l'ouvrage  compact  qu'il  a  consacré  à  la  dîme  royale  de  Vau- 
ban2,  M.  Maurice  Vignes  paraît  avoir  oscillé  entre  deux  concep- 
tions :  étudier  en  lui-même,  en  le  replaçant  dans  son  milieu  histo- 
rique, le  petit  livre  de  Vauban;  écrire  un  chapitre  d'  «  histoire  des 
doctrines  sur  l'impôt  ».  La  seconde  conception  l'emporte  décidément 
sur  la  première  et  Vauban  est  comme  noyé  au  milieu  de  ces  exposés 
qui  se  poursuivent  jusqu'à  nos  jours.  M.  Vignes  démêle  dans  la 
théorie  de  Vauban  trois  éléments  :  la  perception  de  l'impôt  en 
nature,  la  préférence  accordée  à  l'impôt  de  quotité,  l'idée  de  l'univer- 
salité de  l'impôt.  Au  lieu  d'envisager,  comme  l'eût  fait  un  historien, 
ces  trois  éléments  dans  leur  unité  synthétique,  M.  Vignes  leur 
applique  les  procédés  de  l'analyse  juridique.  Il  recherche,  dans  cha- 
cune de  ces  trois  directions,  les  «  origines  »  et  les  «  destinées  »  des 
principes  posés  par  Vauban3.  Par  suite  de  cette  division  tripartite,  le 
lecteur  n'a  jamais  le  sentiment  net  de  ce  qu'a  été  Vauban,  du  moment 
de  l'évolution  que  représente  son  œuvre.  Et  c'est  ainsi  qu'un  travail 
des  plus  estimables,  fruit  d'une  probité  laborieuse4,  très  utile  comme 
répertoire  de  noms  et  de  textes,  ne  saurait  nous  satisfaire  complète- 

1.  Procès-verbaux  des  assemblées,  rapports  des  agents  généraux,  mémoires 
du  clergé,  séries  G8  et  G9  des  Arcb.  nationales,  papiers  de  Le  Tellier,  de 
Noailles,  du  P.  Léonard,  Nouvelles  ecclésiastiques,  etc. 

2.  J.-B. -Maurice  Vignes,  Histoire  des  doctrines  sur  l'impôt  en  France.  Les 
origines  et  les  destinées  de  la  Dixme  royale  de  Vauban.  Paris,  Giard  et 
Brière,  1909.  In-18,  525  p. 

3.  Certaines  pages  (82-86,  295,  309-311,  357-361,  437,  441,  etc.)  ne  sont  que 
des  listes  d'ouvrages  où  l'on  retrouve  les  traces  de  l'influence  de  Vauban.  Notes 
de  cours  plutôt  que  pages  de  livre. 

4.  M.  Vignes  ne  s'est  pas  enfermé  dans  l'bistoire  doctrinale  française.  Il 
donne  fréquemment  des  aperçus  sur  le  sort  des  mêmes  doctrines  à  l'étranger. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  385 

ment.  —  Dans  la  recherche  des  «  origines  »,  M.  Vignes  attache  avec 
raison  une  haute  importance  au  Traitté  de  la  'politique  de  France 
de  Paul  Hay  du  Chastellet,  lequel  n'est  d'ailleurs  pas,  autant  qu'il 
le  croit,  «  absolument  inconnu  des  historiens  et  des  érudits  »'. 

IV.  xvme  siècle.  —  Dans  YHistoire  de  France  racontée  à  tous, 
dirigée  par  M.  Funck-Brentano,  le  XVIIIe  siècle'2  a  été  confié  à 
M.  C.  Stryienski.  Livre  aimable,  qu'on  lira  sans  ennui,  mais  qui 
est  beaucoup  plus  une  histoire  de  la  cour  de  France  et  de  la  famille 
royale  qu'une  histoire  de  la  nation  française3.  Mariages,  naissances, 
deuils,  voyages  princiers,  révolutions  de  palais,  anecdotes  d'anti- 
chambre ou  d'alcôve  y  tiennent  vraiment  trop  de  place  et  il  faut  de 
bons  yeux  pour  aller  découvrir,  dans  un  chapitre  dont  le  titre  est 
«  Naissance  de  Madame  Royale  »,  le  passage  sur  l'indépendance  des 
Etats-Unis.  On  s'étonnera  aussi,  en  raison  de  la  personnalité  de 
l'auteur,  que  le  chapitre  sur  les  arts  et  les  sciences  tourne  souvent  à 
la  simple  énumération1.  Le  livre  a  été  écrit  rapidement  :  les  juge- 
ments hâtifs5,  les  légendes  cent  fois  détruites6,  les  inexactitudes  et 
les  négligences  y  surabondent7. 

M.  Stryienski  nous  doit,  sur  ce  siècle  qu'il  connaît  si  intimement, 
autre  chose  que  ces  pages  remplies  au  courant  de  la  plume. 

1.  Aux  raisons  que  donne  M.  Vignes  pour  établir  que  Vauban  a  lu  et  utilisé 
du  Chastellet,  on  peut  ajouter  celle-ci  :  les  idées  si  remarquables  de  Vauban 
sur  les  eft'ets  de  la  Révocation  se  rapprochent  de  celles  qui  sont  exprimées  au 
cb.  m  du  Traitté  :  «  Des  Huguenots,  et  s'il  est  du  bien  de  l'Estat  de  les  faire 
sortir  hors  de  France  »,  quoique  du  Chastellet  se  déclare  hostile  aux  hugue- 
nots et  partisan  de  l'unité  de  foi.  Il  expose  tout  un  programme  de  destruction 
progressive  de  l'Édit  de  Nantes  par  des  procédés  lénitifs.  De  même  les  idées 
de  Vauban  sur  les  biens  d'église  et  les  religieux  (ch.  n  de  du  Chastellet). 

2.  Casimir  Stryienski,  Le  XVIIP  siècle.  Paris,  Hachette,  1909.  In-8°,  375  p. 

3.  La  politique  extérieure  de  1715  à  1717  est  traitée  bien  légèrement. 

4.  Que  pensent  les  musiciens,  et  qu'eût  pensé  Rameau  lui-même,  de  cette 
phrase  de  la  p.  335  :  «  Rameau,  fidèle  continuateur  de  Lulli  :  il  enrichit  cepen- 
dant l'orchestration  »?  —  P.  356,  le  mot  de  Voltaire  est  inexactement  rapporté. 

5.  P.  34  :  «  Le  Mississipi  n'était  qu'une  chimère;  »  en  réalité,  la  colonisa- 
tion de  la  Louisiane  était  une  affaire  très  sérieuse.  P.  177  :  «  Magnifique 
exemple,  en  somme,  de  ces  belles  libertés  du  royaume...  »  Il  s'agit  précisé- 
ment de  remontrances  qui  firent  envoyer  le  Parlement  à  Pontoise  !  Magnifique 
exemple,  en  effet. 

6.  P.  41  :  Dubois,  «  fils  d'un  apothicaire  ».  Pourtant  la  bibliographie  cite 
Bliard,  si  elle  ne  cite  pas  encore  Le  Secret  du  Régent  de  M.  E.  Bourgeois. 

7.  P.  3  :  Tortone,  en  Espagne,  pour  Tortose.  P.  127  :  «  Les  électeurs...  de 
Dresde  »;  il  s'agit  pourtant  d'une  famille  électorale  que  M.  Stryienski  connaît 
bien.  Qu'est-ce,  p.  28,  que  «  la  communauté  des  arts  et  métiers  »?  P.  175  : 
«  Décréter  la  cure  »,  il  s'agit  du  curé.  La  «  Dorimène  »  de  la  p.  179  ne  serait- 
elle  pas  une  Dorine?  P.  200  :  Willinghausen,  lisez  l'illinghausen.  P.  224,  péna- 
lité pour  vénalité.  P.  305  :  <  Place  du  Mai  »,  c'est  la  cour  du  Mai.  —  Nous 

Rev.  Histor.  CV.  2e  fasc.  25 


386  BULLETIN    HISTORIQUE. 

Le  second  volume  de  M.  E.  Bourgeois  est  consacré  à  l'entreprise 
d' Albéroni'.  La  lecture  en  est  plus  captivante  encore  que  celle  du 
premier;  le  sujet  en  a  plus  de  dramatique  unité;  la  forme  en  est  à 
la  fois  plus  châtiée  et  plus  vivante.  Fidèle  à  son  idée  directrice,  qui 
est  de  rechercher  dans  les  dessous  de  la  diplomatie  officielle  l'action 
persistante  et  efficace  de  la  «  diplomatie  secrète  »,  M.  Bourgeois 
voit  dans  la  tragédie  de  la  quadruple  alliance  un  scénario  parmesan. 
C'est  un  protégé,  une  créature  des  Farnèse  qui,  au  nom  de  Phi- 
lippe V,  règne  à  Madrid  ;  et  la  politique  espagnole  d'Alhéroni  doit 
avoir  pour  fin  ultime  la  délivrance  de  l'Italie. 

On  pourra  discuter  cette  thèse,  qui  s'appuie  d'ailleurs  sur  la  cor- 
respondance des  ducs  de  Parme  avec  leurs  envoyés  ;  on  pourra  lui 
opposer  le  sans-gêne  avec  lequel  les  Farnèse,  leur  coup  manqué, 
sacrifient  leur  ancien  serviteur2.  On  ne  pourra  refuser  à  M.  Bour- 
geois le  mérite  de  nous  avoir  retracé  de  façon  saisissante  l'œuvre 
espagnole  d'Elisabeth  Farnèse  et  d'Alhéroni.  Cet  homme  en  qui  l'on 
ne  voit  parfois  qu'un  aventurier  de  has  étage  nous  apparaît  ici 
comme  un  grand  ministre,  un  véritable  réformateur.  Il  a  fait  plus 
que  «  galvaniser  »  l'Espagne,  il  l'a  réveillée.  Il  lui  a  surtout  rendu, 
avec  une  marine,  sa  place  dans  la  Méditerranée. 

Ceci  était  l'instrument  de  sa  politique.  Mais  sa  politique  italienne, 
à  laquelle  il  sacrifiait  la  succession  de  France,  aurait  eu  besoin  de 
l'appui  de  la  France  et  des  puissances  maritimes.  Or,  le  duc  d'Or- 
léans et  Dubois,  préoccupés  uniquement  de  la  question  de  succes- 
sion, ne  font  rien  pour  effacer,  entre  Versailles  et  Madrid,  les  anciens 
malentendus.  Leur  envoyé,  Saint-Aignan,  est  chargé  de  complo- 

attendons,  pour  parler  du  t.  IX  de  l'Histoire  de  M.  Lavisse,  l'apparition  du 
dernier  fascicule. 

1.  Emile  Bourgeois,  La  Diplomatie  secrète  au  XVIIIe  siècle  :  ses  débuts. 
T.  II  :  Le  Secret  des  Farnèse;  Philippe  V  et  la  politique  d'Alhéroni.  Paris, 
A.  Colin,  s.  d.  In-8°,  iv-398  p.  Le  t.  III  sera  consacré  au  Secret  de  Dubois. 

2.  M.  Bourgeois  aboutit  (p.  253)  à  un  véritable  renversement  des  responsa- 
bilités. C'est  le  duc  de  Parme  qui  devient  une  sorte  de  brouillon  de  génie; 
Albéroni  n'est  plus  qu'un  docile  instrument.  La  comparaison  (p.  254)  entre  les 
dépêches  ostensibles  et  les  dépêches  secrètes  des  Farnèse  nous  révèle  leurs 
intentions  belliqueuses.  S'ils  n'envoient  pas  tout  à  fait  à  Albéroni  des  «  ordres  », 
comme  le  dit  M.  Bourgeois,  du  moins  ils  lui  écrivent  :  «  Vous  ne  devez  pas 
abandonner  l'Italie...,  »  et  celui-ci  répond  :  «  J'obéirai  à  ce  que  V.  A.  S.  m'or- 
donne. »  Il  semble  bien  que  le  centre  de  la  politique  espagnole  soit  à  Parme 
et  non  plus  à  Madrid.  Si,  dans  cette  théorie,  les  Farnèse  nous  apparaissent 
tout  de  même  un  peu  plus  grands  que  nature,  M.  Bourgeois  ne  dit  pas  assez 
que  cette  circonstance,  si  elle  excuse  en  un  certain  sens  Albéroni,  d'autre  part 
l'accable  :  ce  ministre  du  roi  catholique  a,  dans  une  crise  décisive,  sacrifié  les 
intérêts  et  presque  l'existence  de  l'Espagne  aux  ambitions  d'un  prince  italien. 
—  "Voy.,  sur  cette  grandeur  occulte  des  Famése,  p.  300. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  387 

ter,  à  la  cour  d'Espagne,  la  chute  d'Albéroni.  M.  Bourgeois  a  raison 
de  dire  que  cette  tentative  est  comme  une  justification  anticipée  de 
la  conspiration  de  Cellamare1.  Ceci  permet  de  ramener  à  leur 
juste  mesure  les  protestations  du  régent  et  de  son  ministre2. 

Il  manquait  à  Albéroni  l'une  des  qualités  qui  font  l'homme  d'Etat  : 
c'était  un  mauvais  calculateur  ;  il  a  cru  qu'il  pourrait  triompher  en 
Sicile.  Il  a  payé  cette  erreur  de  la  perte  de  cette  belle  flotte  qu'il 
avait  eu  tant  de  peine  à  constituer.  Il  tombe,  si  nous  acceptons  la 
thèse  de  son  nouvel  historien,  «  victime  de  l'entreprise  prématuré- 
ment imposée  en  1718  à  l'Espagne  par  les  ambitions  italiennes  delà 
maison  de  Parme  ».  Et,  par  un  imprévu  retour  des  choses,  sa  chute 
va  être  le  signal,  entre  les  deux  branches  de  la  maison  de  Bourbon, 
de  cette  réconciliation  qu'il  avait  rêvé  d'opérer3. 

Les  tomes  II  à  IV  de  la  Correspondance  du  maréchal  de  Bro- 
glie  avec  le  comte  de  Lusace  couvrent  la  période  qui  va  de  juin 
1760  à  décembre  1761,  c'est-à-dire  les  campagnes  de  Hesse  et  de 
Thuringe  contre  Ferdinand  et  Charles  de  Brunswick4.  Cette  corres- 
pondance, que  les  éditeurs,  le  duc  de  Broglie  et  M.  J.  Vernier, 
ont  enrichie  de  nombreux  documents  annexes9,  est  comme  un  com- 
mentaire perpétuel  du  tome  IV  du  monumental  ouvrage  de  M.  Wad- 

1.  Voy.  surtout  l'histoire  de  la  mission  de  Louville. 

2.  Tout  de  même  M.  Bourgeois  atténue  à  l'excès  l'importance  du  complot. 
L'affaire  Pontcallec,  qui  est  ici  passée  sous  silence,  prouve  que  le  plan  de  sou- 
lèvement de  la  Bretagne  n'était  pas  (p.  342-343)  absolument  «  sans  portée  ». 

3.  P.  169,  lire  Madrid  pour  Marly.  P.  215-216,  quelque  confusion  sur  les 
dates  des  négociations  de  1716  :  mars,  mai  ou  février?  —  Signalons  ici  la 
curieuse  brochure  de  Stanislas  Mnémon  :  la  Conspiration  du  cardinal  Albé- 
roni. La  franc-maçonnerie  et  Stanislas  Poniatowski  {fragment).  Cracovie, 
impr.  de  l'Université,  1909,  67  p.,  1  portr.  Brochure  quelque  peu  apocalyp- 
tique, où  l'on  met  en  lumière  les  rapports  de  la  politique  d'Albéroni  avec  les 
questions  nord-orientales,  que  M.  Bourgeois  a  laissées  de  côté.  Il  s'agit,  dans 
l'épilogue,  de  démontrer  que  la  franc-maçonnerie  se  relie  à  l'entreprise  d'Albé- 
roni :  j'avoue  que  les  arguments  de  Mnémon  ne  m'ont  point  convaincu.  —  Il 
n'y  a  rien  à  prendre,  ni  sur  la  conspiration  de  Cellamare  ni  sur  aucun  autre 
sujet,  dans  Une  petite-fille  du  grand  Gondé  :  la  duchesse  du  Maine,  reine  de 
Sceaux  et  conspiratrice  (1676-1753),  par  le  général  de  Piépape  (Paris,  Pion, 
1910.  In-8°,  in-387  p.,  2  portr.  en  héliogravure).  Un  exemple  de  la  façon  dont 
M.  de  Piépape  renvoie  à  ses  sources  (p.  154,  n.  5)  :  «  B.  N.,  mss.  (cote  des 
imprimés,  p.  995-996)  ».  —  C'est  le  type  du  livre  d'histoire  agréablement  inutile. 

4.  Correspondance  inédite  de  François-  Victor,  duc  de  Broglie,  maréchal 
de  France,  avec  le  prince  Xavier  de  Saxe,  comte  de  Lusace,  pour  servir  à 
l'histoire  de  la  guerre  de  Sept  ans  (1759-1761),  publ.  par  le  duc  de  Broglie 
et  Jules  Vernier.  Paris,  Albin  Michel,  s.  d.  In-8°;  t.  II  (juin-oct.  1760),  648  p., 
1  portr.;  t.  III  (oct.  1760-juin  1761),  664  p.;  t.  IV  (juin-déc.  1761),  729  p. 
Chaque  vol.  a  un  index.  Les  lettres  sont  numérotées  par  volume,  ce  qui  rendra 
les  références  compliquées.  —  Sur  le  t.  I,  voy.  Revue  hist.,  t.  LXXXV,  p.  340. 

5.  Récit  de  la  bataille  de  Torgau,  t.  III,  p.  90.  Au  t.  IV,  p.  651-662,  une 


388  BULLETIN    HISTORIQUE. 

dington  et  permet,  pour  presque  toute  l'année  1761,  d'en  attendre 
le  tome  V.  Le  maréchal  y  apparaît  comme  un  chef  d'armée  très 
sérieux,  préoccupé  des  subsistances  et  de  la  discipline  autant  que 
des  opérations  militaires,  trop  souvent  entravé  par  l'esprit  d'indé- 
pendance de  ses  sous-ordres  et  par  les  intrigues  de  cour.  11  est 
curieux  de  le  voir  ici  dans  son  rôle  de  mentor  d'une  altesse  royale. 
Ce  n'était  pas  une  mince  besogne  que  d'avoir  dans  son  armée,  à  la 
tête  d'un  corps  saxon,  un  prince  frère  de  la  dauphine.  Dans  les 
termes  d'une  politesse  raffinée,  et  en  ayant  l'air  de  solliciter  des  grâces 
plutôt  que  de  donner  des  ordres,  le  maréchal  fait  peu  à  peu  l'éduca- 
tion militaire  du  comte  de  Lusace  ' .  —  Les  éditeurs  ne  nous  disent 
pas  si  le  tome  IV,  extrait  comme  les  précédents  du  fonds  de  Saxe 
des  archives  de  l'Aube,  sera  le  dernier2. 

On  a  dit  ici.  il  y  a  sept  ans,  tout  le  bien  qu'il  faut  penser  de  la 
Marine  militaire  sous  Louis  XV  de  M.  Lacour-Gayet3.  Nos 
lecteurs  ne  seront  donc  pas  étonnés  d'apprendre  que  le  légitime  suc- 
cès de  cet  ouvrage  a  obligé  l'auteur  à  le  rééditer4.  Cette  édition, 
légèrement  augmentée,  a  été  revisée  et  mise  au  courant  avec  soin. 
Le  livre  lui-même  n'a  rien  perdu  de  son  actualité.  Aujourd'hui, 
comme  en  1901,  «  la  puissance  navale  de  la  France  demeure...  une 
condition  essentielle  de  sa  grandeur  dans  le  monde  »5. 

Dans  un  petit  volume  sur  Louis  XVI,  M.  Marius  Sepet  a 
repris  et  continué  les  études  qu'il  avait  antérieurement  consacrées 
aux  débuts  de  la  Révolution,  et  que  l'Académie  française  a  couron-» 
nées6.  L'esprit  du  nouveau  livre  est  donc  celui  des  précédents7. 
Après  une  très  brève  esquisse  des  premières  années  du  règne8,  c'est 
une  apologie  du  «  roi  martyr  »  et  une  attaque  passionnée  contre  les 
hommes  de  la  Révolution9  et  contre  presque  toutes  les  parties  de 

lettre  de  Guibert  aux  majors  des  régiments,  véritable  instruction  sur  le  service 
en  campagne. 

1.  Si  le  prince  Xavier  accepte  tout  du  maréchal,  sa  susceptibilité  se  réveille 
à  l'égard  du  comte  de  Broglie. 

2.  Signalons,  comme  complément  à  cette  correspondance,  celle  de  Turpin  de 
Crissé,  récemment  publiée  ici  même. 

3.  Revue  hist.,  t.  LXXIX,  p.  360. 

4.  G.  Lacour-Gayet,  La  Marine  militaire  de  la  France  sous  le  règne  de 
Louis  XV,  2e  éd.  Paris,  Champion,  1910.  In-8",  x-580  p.  La  1"  éd.  avait  561  p. 

5.  Peut-être  même  la  Revue  serait-elle,  sur  ce  point,  plus  affirmative  qu'en  1901. 

6.  Marius  Sepet,  Louis  XVI,  étude  historique.  Paris,  P.  Téqui,  1910.  In-12, 
494  p. 

7.  P.  4  :  la  religion  catholique  «  représente  chez  nous  la  seule  base  générale, 
solide  et  durable  de  la  moralité  privée  et  publique,  et,  par  conséquent,  de 
l'ordre  social  ». 

8.  P.  63,  à  propos  des  lettres  de  Turgot,  dire  qu'elles  sont  apocryphes. 

9.  Passe  pour  cette  esquisse  de  Desmoulins  (p.  199)  :  «  Un  jeune  vaurien  de 


HISTOIRE    DE    FRANCE.  389 

leur  œuvre',  surtout  contre  leur  œuvre  religieuse2.  L'auteur  s'ex- 
prime, d'ailleurs,  avec  une  relative  modération3,  et  il  accorde  que 
Louis  XVI  et  les  siens  eurent  quelque  part  de  responsabilité  dans 
leurs  propres  infortunes4. 

Le  mouvement  de  1789  est  si  éminemment  une  révolution  agraire 
qu'on  a  fréquemment  refusé  de  compter,  au  nombre  de  ses  causes, 
les  questions  industrielles.  M.  Roger  Picard  montre  fort  bien  que 
si  les  classes  industrielles5  ont  parlé  moins  souvent  et  moins  haut, 
dans  la  grande  consultation  nationale,  que  les  classes  rurales,  c'est 
parce  qu'elles  n'ont  eu  que  très  peu  et  très  irrégulièrement  l'occa- 
sion de  faire  entendre  leur  voix.  Mais,  soit  avec  les  trop  rares  cahiers 
des  corporations,  soit  avec  le  texte  même  des  cahiers  de  paroisses, 
soit  encore  avec  ces  documents  extra-légaux  qui,  sans  être  des 
cahiers  au  sens  propre  du  mot,  n'en  expriment  pas  moins  les 
«  doléances  »  d'une  collectivité,  il  est  possible  de  se  faire  une  idée  de 
l'état  de  l'industrie  et  du  commerce  et  des  vœux  des  hommes  qui 
s'adonnaient  à  ces  occupations.  Dans  l'intérieur  de  ces  groupes,  une 
division  se  marque,  fondée  sur  l'opposition  des  intérêts  et  l'inégalité 
des  droits  ;  déjà  s'ébauche  une  «  lutte  de  classes  »  ;  déjà  s'élabore  la 

la  basoche...  »  Mais  c'est  dépasser  les  bornes  que  d'appeler  Mme  Roland  (p.  370) 
une  «  femme...  de  mœurs  mauvaises  ». 

1.  Quoiqu'il  ait  utilisé  Sorel,  M.  Sepet  n'indique  point,  parmi  les  causes  de 
la  grande  guerre,  l'affaire  des  princes  possessionnés  en  Alsace,  qui  pose  si  tra- 
giquement le  conflit  de  droit  entre  la  Révolution  et  l'ancienne  Europe.  En  ne 
parlant  que  des  émigrés,  il  est  bien  plus  facile  de  faire  de  la  Législative  un 
ramassis  d'énergumènes. 

2.  Parler  (p.  243)  de  «  l'absurde  autant  que  schismatique  constitution  civile  », 
c'est  oublier  que  le  clergé  français  fut  bien  près  de  s'y  rallier,  et  qu'elle  ne 
devint  schismatique  qu'à  la  suite  d'une  condamnation  longtemps  retardée. 

3.  Quoiqu'il  use  largement  du  livre  d'Ad.  Wahl,  il  donne  une  appréciation 
assez  correcte  de  la  valeur  des  cahiers. 

4.  Il  montre  bien  (p.  341)  que  le  plan  adopté  par  la  cour  l'oblige  «  à  une 
duplicité  de  parole  et  d'action  continuelles  ».  Comment,  une  page  plus  loin, 
peut-il  écrire,  à  propos  d'un  «  accord  fictif  et  forcé  »,  que  celui-ci  fut 
«  embrassé  par  Louis  XVI  dans  les  intentions  les  plus  pures  »  et  avec  «  une 
part  de  sincérité  »?  Lui-même  cite,  p.  347  et  suiv.,  des  fragments  de  la  cor- 
respondance de  Marie-Antoinette  qui  donnent  la  mesure  de  cette  sincérité. 
M.  Sepet  estime  ne  pas  avoir  d'avis  à  formuler  sur  la  question  de  savoir  si, 
c  à*un  jour  donné,  l'introduction  de  la  cause  de  canonisation  du  roi  en  cour 
de  Rome  ne  serait  pas  impossible  ».  Cette  hypothèse  nous  paraît  très  vraisem- 
blable. Attendons-nous  à  voir  «  saint  Louis  XVI  ». 

5.  Roger  Picard,  Les  Cahiers  de  1789  et  les  classes  ouvrières.  Paris,  Marcel 
Rivière  (coll.  Systèmes  et  faits  sociaux),  1910.  In-8%  276  p.  Un  certain  flotte- 
ment dans  la  délimitation  du  sujet.  P.  1  et  23,  «  classes  laborieuses  »,  ce  qui 
n'est  pas  l'équivalent  de  «  classes  ouvrières  ».  Au  reste,  le  livre  traite  de 
toutes  les  classes  industrielles  et  commerçantes  et  ne  les  étudie  pas  seulement 
dans  leurs  rapports  avec  la  classe  ouvrière. 


390  BULLETIN    HISTORIQUE. 

théorie  d'un  «  quatrième  État  »,  déjà  même  ce  mot  est  prononcé,  et 
l'on  trouve  dans  telle  brochure  une  analyse  déjà  socialiste  de  la  pro- 
duction1. 

Dans  le  domaine  industriel  et  commercial,  comme  ailleurs,  le 
vœu  essentiel,  général,  à  peu  près  unanime,  est  l'abolition  du  pri- 
vilège; ici,  comme  ailleurs,  on  retrouve  une  aspiration  passionnée 
vers  l'unité  nationale.  Les  questions  industrielles  ont  donc  été  parmi 
les  facteurs  de  l'agitation  révolutionnaire.  Ainsi  s'explique  que  les 
classes  ouvrières,  relativement  silencieuses  pendant  la  période  prépa- 
ratoire, apparaissent  brusquement  sur  le  devant  de  la  scène  dès  que  la 
Révolution  est  commencée.  —  Il  n'y  a  qu'à  louer  dans  la  méthode 
à  la  fois  ingénieuse  et  prudente  de  M.  Picard;  elle  est  vraiment  d'un 
historien2.  Son  information  est  étendue  et  précise3. 

MM.  Funck-Brentano  et  Paul  d'Estrée  poursuivent  leurs  amu- 
santes et  vivantes  études  sur  «  les  organes  de  l'opinion  publique 
dans  l'aneienne  France  »4.  Ils  décrivent  l'existence  agitée,  scanda- 
leuse par  certains  côtés,  par  d'autres  quasi-héroïque,  des  «  ancêtres 
de  nos  journalistes  »,  et  aussi  de  nos  gazetières.  Monde  passable- 
ment interlope,  où  l'on  trouve  de  tout,  des  «  chevaliers  »  authentiques 
et  non  pas  seulement  des  chevaliers  d'industrie,  des  aventuriers  et 
des  aventurières,  des  policiers  plus  ou  moins  brûlés.  Singuliers 
bureaux  de  rédaction,  qui  se  tiennent  tantôt  dans  des  bouges,  tantôt 
dans  des  antichambres,  tantôt  même  (et  c'est  encore  le  plus  sûr)  à 
la  Bastille.  Les  auteurs  nous  montrent  quelle  redoutable  puissance 

1.  P.  45-46,  le  Cahier  du  4e  ordre.  P.  111  (Ocqueville),  c'est  déjà  du  Sis- 
mondi. 

2.  Bonne  discussion  (p.  2)  de  la  valeur  historique,  très  relative,  des  docu- 
ments législatifs.  —  Sur  la  valeur  et  la  portée  des  cahiers,  l'auteur  adopte, 
contre  les  exagérations  d'Ad.  Wahl,  des  idées  voisines  de  celles  qui  ont  été 
exprimées  ici  même  par  M.  Sée.  —  Sa  critique  des  sources  (notamment  des 
Archives  parlementaires)  est  à  la  fois  ferme  et  modérée. 

3.  Une  sorte  de  bibliographie  des  cahiers,  qui  peut  rendre  des  services.  — 
On  s'étonne  de  ne  pas  trouver  Ylnventaire  du  Conseil  de  commerce  de  Bon- 
nassieux  et  Lelong;  il  devrait  être  cité  p.  60.  —  Quelques  lapsus  :  p.  111, 
1.  14,  marchandises,  lisez  machines.  P.  157,  la  1.  14  est  un  double  de  la  1.  28. 
P.  231,  1.  6  :  lire  sans  doute  «  soumettre  aux  tribunaux  ordinaires  toutes  les 
affaires  ».  —Les  cahiers  de  la  p.  197  ne  sont  pas  «  peu  instruits  des  principes 
indispensables  aux  finances  »,  mais  imbus  des  principes  physiocratiques  que 
l'on  trouve  (p.  196)  dans  celui  de  Nemours.  —  M.  Picard  aurait  dû  marquer 
plus  fortement,  à  propos  de  certains  vœux  (p.  55,  57,  106,  etc.),  qu'il  s'agit 
de  réclamations  séculaires. 

4.  Fr.  Funck-Brentano,  Figaro  et  ses  devanciers,  avec  la  collaboration  de 
M.  Paul  d'Estrée.  Paris,  Hachette,  1909.  In-16,  viii-338  p.,  16  pi.  (toutes  d'ap. 
des  documents).  Les  limites  chronologiques  du  volume  sont  flottantes,  cepen- 
dant il  y  est  surtout  question  du  xvme  siècle.  La  documentation  a  été  princi- 
palement empruntée  aux  archives  de  la  Bastille. 


HISTOIRE    DE    FRANCE. 


391 


était  dès  lors  la  «  presse  »,  —  si  Ton  peut  donner  ce  nom  à  des  jour- 
naux qui,  le  plus  souvent,  étaient  manuscrits1,  —  et  comment  cette 
presse  employait  déjà,  pour  recruter  ou  retenir  la  clientèle,  les 
mêmes  moyens  qu'aujourd'hui  :  la  fausse  nouvelle,  l'écho  mondain, 
l'indiscrétion  plus  ou  moins  canaille,  la  pornographie,  le  chantage. 
Ces  «  nouvelles  à  la  main  »,  ces  «  gazetins  »  ont  leur  importance 
politique.  Il  y  a  des  feuilles  qui  sont  vendues  aux  cabinets  étrangers 
et  qui  font  en  France  de  la  politique  «  autrichienne  »  ou  anglaise  ; 
d'autres,  plus  ou  moins  autorisées  ou  tolérées,  défendent  le  ministère. 
A  l'étranger  (et  c'est  un  point  sur  lequel  nous  aurions  aimé  plus  de 
précision)2,  nos  ambassadeurs  ont  aussi  leurs  gazetiers  à  gages,  qui 
doivent  façonner  l'opinion  publique.  Quelques  figures,  les  unes 
burlesques,  les  autres  épiques,  quelques-unes  même  aimables,  illus- 
trent l'exposé  :  Cabaud  de  Rambaud,  de  Mouhy,  Mme  Doublet, 
Chevrier,  Fouilhoux.  Tous  semblent  des  épreuves  partielles  du  type 
immortel  dont  révocation  donne  au  volume  une  unité  un  peu  factice, 
celui  de  Figaro.  Le  plus  piquant,  c'est  de  voir,  parmi  les  abonnés 
des  gazetiers,  les  plus  grands  noms  de  l'Etat,  parfois  les  mêmes 
personnages  qui  sont  chargés  de  saisir  les  libelles.  Tant  il  est  vrai 
que  la  «  presse  »  répondait,  dès  lors,  à  un  vrai  besoin  public3. 

V.  Histoire  provinciale.  —  Le  tome  II  de  Y  Histoire  de  Nancy 
de  M.  Pfister4  aura  suivi  de  près  le  tome  III;  et  l'on  ne  peut, 
tout  d'abord,  qu'admirer  une  fois  de  plus  la  laborieuse  énergie  de 
l'auteur.  Le  présent  volume  comprend  la  période  1508-1624.  On  a 
déjà  dit,  ici  même5,  les  avantages  et  les  inconvénients  de  la  méthode 
adoptée  par  M.  Pfister,  disons  mieux,  de  la  méthode  qui  s'est 
imposée  à  lui.  Non  seulement  il  devait  relier  l'histoire  de  Nancy  à 
l'histoire  de  la  Lorraine,  mais  encore  il  lui  était  presque  impossible 
de  ne  pas  mener  de  front  l'histoire  politique  et  l'histoire  monumen- 
tale de  la  ville,  de  ne  pas  pousser  jusqu'au  bout,  jusqu'à  nos  jours, 
l'histoire  des  monuments  dont  il  signalait  la  fondation.  Et  ce  qu'il 
faisait  pour  les  monuments  ou  les  ensembles  architecturaux,  il  était 

1.  Ou  exceptionnellement  gravés. 

2.  Deux  mots  seulement,  p.  180-181. 

3.  Entraînés  par  leur  sujet,  M.  Funck-Brentano  et  son  collaborateur  négligent 
trop  la  presse  non  clandestine,  qui  avait  bien  aussi  son  importance.  Le  volume 
est  édité  avec  soin.  Je  n'y  ai  guère  relevé  qu'une  ponctuation  fautive  (p.  193); 
lire  :  «  ...  que  la  personne  qu'il  y  veut  mettre  n'y  soit.  Au  sujet  de  la  D11"  Ver- 
rière, il  est  très  sûr  qu'il  la  voit...  » 

4.  Gh.  Pfister,  Histoire  de  Nancy,  t.  II.  Paris  et  Nancy,  Berger-Levrault, 
1909.  Gr.  in-8°,  vm-1097  p.,  186  grav.,  45  grav.  hors  texte,  5  pi.  (dont  une  en 
couleur),  4  plans.  L'exécution  graphique  et  typographique  fait  de  l'ouvrage  un 
véritable  livre  de  luxe. 

5.  Voy.  l'art,  de  M.  G.  Monod  dans  Revue  hist.,  t.  XCVII,  p.  355  et  suiv. 


392  BULLETIN    HISTORIQUE. 

amené  à  le  faire  pour  les  institutions  elles-mêmes.  C'est  ainsi  que 
nous  trouvons  dans  ce  volume  une  histoire  du  palais  ducal  et  des 
transformations  qu'il  a  subies,  du  musée  lorrain,  dont  la  présence, 
espérons-le,  protégera  cette  charmante  relique  du  passé  contre  le 
vandalisme  des  démolisseurs  et  contre  les  entreprises,  presque  aussi 
dangereuses,  des  restaurateurs;  et  comme  la  place  delà  Carrière  est, 
en  quelque  sorte,  une  extension  du  palais,  l'histoire  de  cette  place 
est  conduite  jusqu'à  l'heure  présente'.  De  môme  que  le  troisième 
volume  nous  renseignait  sur  la  communauté  juive  nancéenne,  celui-ci 
nous  donne  non  seulement  l'histoire  de  la  Réforme,  mais  celle  du 
«protestantisme  à  Nancy  ».  Les  «  portes  de  Nancy  »  ont  fourni  un 
chapitre  qui  est  une  contribution  à  la  fois  à  l'histoire  militaire,  à  l'his- 
toire de  l'art  et...  à  l'histoire  du  béotisme  des  assemblées  munici- 
pales au  xixe  siècle.  La  création,  au  début  du  xvne  siècle,  d'un  grand 
nombre  d'établissements  religieux  nous  permet  de  passer  en  revue 
l'histoire  conventuelle,  l'histoire  charitable  et,  en  partie,  l'histoire 
pédagogique  de  Nancy. 

La  période  couverte  par  ce  deuxième  tome  est  riche  d'événements 
qui  intéressent  l'histoire  générale  de  la  France.  C'est  alors  que  des 
cadets  de  la  maison  de  Lorraine,  les  Guises,  deviennent  en  France 
les  protagonistes  du  parti  catholique;  c'est  alors  qu'un  duc  de  Lor- 
raine, Charles  III,  nourrit  plus  ou  moins  sérieusement  ces  préten- 
tions à  la  couronne  de  France  dont  nous  a  parlé  M.  Davillé,  en 
attendant  qu'il  fasse  épouser  à  son  fils  la  sœur  du  Béarnais. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  aux  lecteurs  de  cette  Revue  avec  quelle 
conscience,  avec  quelle  sûreté  prudente  le  livre  de  M.  Pfister  est 
écrit.  Je  préfère  attirer  l'attention  sur  quelques  points  particulière- 
ment importants. 

L'histoire  de  la  Réforme  à  Nancy  est  surtout  l'histoire  d'une 
répression.  Le  duc  Antoine,  ce  Simon  de  Montfort  de  la  croisade 
des  Rustauds,  peut  être  considéré  comme  le  type  parfait  du  souve- 
rain papiste  :  les  noms  de  Jean  Chastelain,  de  Jean  Leclerc,  de 
Wolfgang  Schuch  disent  avec  quelle  vigueur  sauvage  il  défend 
l'orthodoxie  lorraine  contre  les  infiltrations  qui  peuvent  venir  des 
Trois-Évêchés,  de  Strasbourg,  des  pays  étrangers  enclavés  en  Lor- 
raine2, comment  il  sait  éteindre  les  petits  foyers  allumés  à  Saint- 

1.  On  la  trouve  au  ch.  i,  g  III  et  IV,  et  au  ch.  iv,  g  II. 

2.  M.  Pfister  donne  (p.  97,  n  4)  un  relevé  des  Lorrains  réfugiés  à  Lausanne. 
Il  y  joint,  dit-il,  les  Lorrains  «  admis  à  la  bourgeoisie  de  Genève  ».  Je  crains 
qu'il  n'y  ait  là  une  légère  confusion  et  que  les  noms  qui  lui  ont  été  commu- 
niqués par  M.  Dannreuther,  d'après  «  les  registres  du  Conseil  »,  ne  soient  les 
noms  des  Lorrains  admis  comme  «  habitants  ».  Car  je  retrouve,  dans  des  notes 
déjà  anciennes,  et  assez  incomplètes,  que  j'ai  prises  sur  le  Registre  des  fiabi- 


HISTOIRE    DE   FRANCE.  393 

Mihiel  (le  célèbre  artiste  Ligier  Richier  est  l'un  des  fidèles  de  cette 
minuscule  communauté)  ou  à  Saint-Nicolas-du-Port1.  Il  faudra  le 
mariage  du  duc  de  Bar  avec  Catherine  de  Bourbon  pour  donner 
aux  protestants  nancéens,  pendant  quelques  années,  un  peu  d'air. 

A  côté  de  l'histoire  religieuse,  les  chapitres  les  plus  passionnants 
sont  ceux  qui  sont  relatifs  à  la  sorcellerie  à  Nancy.  Les  lecteurs  de 
cette  Revue  ont  eu  déjà  la  primeur  de  l'étude  sur  Nicolas  Rémy, 
cet  étonnant  «  Marteau  des  sorcières  »  qui,  en  toute  sûreté  de  cons- 
cience, se  vante  d'avoir  en  quinze  ans  envoyé  au  supplice  neuf  cents 
victimes,  une  soixantaine  en  moyenne  par  an  !  On  lira  également  le 
chapitre,  précis  comme  une  analyse  juridique,  vibrant  d'émotion 
concentrée  dans  sa  sobriété  voulue,  sur  la  procédure  suivie  à  l'égard 
des  sorciers  et  sorcières.  On  verra  comment  l'accusation  de  sorcel- 
lerie, mise  au  service  de  la  politique,  permettait  de  se  débarrasser  de 
ses  ennemis.  Mais  surtout  on  frissonnera  d'horreur  en  lisant  la 
monstrueuse  histoire  de  l'énergumène  de  Nancy,  Elisabeth  de  Ran- 
faing.  Comment,  au  début  du  xvne  siècle,  les  accusations  d'une 
hystérique  pouvaient  envoyer  au  bûcher  un  digne  homme  de  méde- 
cin, plus  clairvoyant  en  matière  de  maladies  nerveuses  que  la  plu- 
part de  ses  confrères,  c'est  ce  que  M.  Pfister  établit  d'après  des 
documents  en  partie  inconnus  jusqu'à  lui.  Je  répète  que  ce  véridique 
récit  donne  le  frisson.  Tantum  relligio  potuit  suadere  ma,lorum  ! 

Nous  devons  signaler  encore  les  chapitres  sur  l'industrie  et  les 
corporations.  Il  est  curieux  d'y  voir  comment  l'organisation  sociale 
du  duché  se  modèle  sur  celle  de  la  France  voisine,  comment  les 
mêmes  causes  y  amènent  les  mêmes  effets.  L'Etat  pousse,  pour  des 
raisons  de  fiscalité  et  de  police,  à  l'organisation  des  jurandes,  sauf 
quand  la  raréfaction  des  producteurs  et,  par  suite,  l'intérêt  du  con- 
sommateur lui  fait  préférer,  d'une  façon  plus  ou  moins  durable,  le 
régime  de  la  liberté  du  travail.  A  la  même  époque  où  Henri  IV,  en 
France,  constitue  la  politique  mercantiliste  et  dirige  le  premier  essor 
de  la  grande  industrie,  Charles  III  introduit  à  Nancy  des  «  manu- 
factures »  et  plante  des  mûriers  par  toute  la  Lorraine.  —  L'installa- 

tants,  un  certain  nombre  des  noms  relevés  (et  à  peu  près  pour  les  mêmes 
dates)  par  M.  Dannreuther  :  le  fourbisseur,  le  mercier  et  gantier,  le  salpêtrier 
de  Metz,  le  menuisier  de  «  Gerbez  ville  en  Lorraine  »,  le  cardeur  de  laine  de 
Charmay,  l'émigré  de  Vézelise.  Pour  les  admissions  à  bourgeoisie,  il  aurait 
fallu  se  reporter  au  Livre  des  bourgeois  de  Covelle.  Les  appendices  au  en.  n 
nous  donnent  la  liste  des  étudiants  lorrains  à  Genève  (le  Nicolaus  Eleuveus, 
ans  Antpuarpen  (?)  in  Lotharingia  est  un  Anversois,  Lotharingia  étant  pris 
ici  dans  son  sens  médiéval)  et  à  Heidelberg. 

1.  Intéressants  détails  (p.  109  et  suiv.)  sur  la  composition  du  groupe  de 
Saint-Mihiel  :  deux  nobles,  des  avocats,  des  marchands,  puis  «  une  série  d'ar- 
tisans, rangés  par  corps  de  métiers  ». 


394  BULLETIN    niSTORIQDE. 

tion  des  Jésuites  à  Pont-à-Mousson  en  1572,  en  1602  à  Nancy,  la 
création  de  leur  collège  en  1616,  le  développement  et  la  vie  de  leurs 
institutions  sont  retracés  dans  le  dernier  détail. 

De  cette  surabondance  d'informations  (je  n'ai  pu  en  donner  ici 
qu'une  très  lointaine  idée)1  ressort  avec  évidence  un  fait  essentiel  : 
entre  le  début  du  xvie  siècle  et  le  premier  quart  du  xvne,  la  place 
forte,  à  laquelle  s'était  heurté  le  Téméraire,  s'est  transformée  en  une 
grande  ville.  Non  seulement,  par  la  création  de  la  «  ville  neuve  », 
elle  a  élargi  sa  superficie,  juxtaposé  à  un  dédale  de  rues  tortueuses 
une  cité  moderne  et  régulière,  mais  elle  est  devenue  une  ville  d'art,  un 
centre  intellectuel,  religieux,  politique,  bref,  une  capitale.  C'est  pré- 
cisément alors  qu'elle  va  être,  périodiquement,  à  la  discrétion  de  son 
trop  puissant  voisin.  —  Félicitons-la  d'avoir  rencontré,  en  l'ancien 
professeur  de  sa  jeune  université,  un  digne  et  fidèle  interprète  de  son 
brillant  passé2. 

C'est  une  bien  étrange  histoire  que  celle  de  la  belle  Béatrix  de 
Cusance,  veuve  du  prince  de  Cantecroix-Granvelle,  qui  épousa  en 
1637  le  duc  Charles  IV  de  Lorraine,  déjà  marié  à  sa  cousine  Nicole. 
C'est  seulement  en  1663  que  celle  que  l'on  appelait  la  «  femme  de 
campagne  »  du  duc  fut  «  réépousée  »  in  extremis  par  son  volage 
époux,  alors  occupé  à  consacrer  une  nouvelle  union  avec  la  fille  d'un 
apothicaire  parisien,  puis  avec  une  chanoinesse.  Mais  plus  étrange 
encore  est  l'histoire  du  fils  de  Béatrix,  conçu  du  vivant  de  son  pre- 
mier mari  et  probablement  des  œuvres  du  second;  on  l'appelait, 
suivant  les  cas,  le  «  posthume  de  Cantecroix  »  ou  «  monseigneur 
François  de  Lorraine  » ,  —  sauf  quand  on  voulait  voir  en  lui  un 
enfant  supposé,  fils  d'une  «  garce  »  d'Anvers.  —  M.  Ph.  Maréchal3 
s'est  plu,  avec  sa  profonde  connaissance  des  choses  comtoises'',  à 
débrouiller  pour  nous  l'écheveau  compliqué  de  cet  imbroglio  politico- 
judiciaire,  où  l'un  de  ses  ancêtres,  Pierre  Mareschal,  joua  le  rôle  de 
défenseur  des  intérêts  de  Caroline  d'Autriche,  grand'mère  présumée 
du  «  posthume  » .  Ce  singulier  procès  en  recherche  de  paternité  se 
termina,  au  moins  provisoirement,  en  1662  devant  le  grand  conseil 

1.  Il  faudrait  mentionner  encore  les  passages  sur  Pierre  Gringore,  sur  le 
voyage  de  Henri  II  de  France,  sur  celui  de  Charles  IX,  sur  les  assemblées  de 
1580  et  de  1584,  etc. 

2.  M.  Pfister  annonce,  pour  une  date  indéterminée,  un  quatrième  tome  sur 
les  événements  dont  Nancy  fut  le  théâtre  de  1766  à  nos  jours. 

3.  Dr  Philippe  Maréchal,  Une  cause  célèbre  au  XVIIe  siècle.  Béatrix  de 
Cusance.  Caroline  d'Autriche.  Charles  IV  de  Lorraine.  Paris,  H.  Champion, 
1910.  In-8°,  xv-477  p.  Préface  de  M.  A.  Chuquet,  41  grav. 

4.  Mais  moins  profonde  des  choses  lorraines.  Il  aurait  fallu  dire  que  M.  Pfis- 
ter parle  de  Béatrix,  Histoire  de  Nancy,  t.  III,  p.  92  et  passim.  M.  Maréchal 
ne  cite  que  p.  240  l'étude  de  M.  Pingaud  sur  Béatrix. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  395 

de  Malines  par  un  arrêt  qui  refusait  au  «  posthume  »  le  titre  de 
prince  de  Cantecroix.  Quant  à  savoir  qui  était  ce  posthume,  et  ce 
qu'il  est  devenu,  c'est  un  point  qui  a  échappé  jusqu'ici  à  l'érudition 
minutieuse  de  l'auteur1. 

La  série  d'Études  sur  la  Réforme  et  les  guerres  de  religion 
en  Bourgogne,  inaugurée  en  1905  sous  la  direction  de  M.  Klein- 
clauz2,  a  été  reprise  sous  celle  de  MM.  Calmette  et  Hauser3.  La 
monographie  de  M.  Belle,  sur  les  débuts  de  la  Réforme  à  Dijon, 
prouve  que,  même  dans  cette  ville  où  le  catholicisme  finit  par  triom- 
pher, les  idées  nouvelles  s'étaient  fortement  implantées  ;  elles  s'étaient 
répandues  dans  le  clergé  régulier,  le  monde  parlementaire  et  sur- 
tout dans  la  population  artisane.  Quelques-uns  des  documents 
publiés  par  l'auteur  font  revivre,  avec  une  précision  dramatique,  les 
premiers  conventicules.  M.  Gros  étudie  le  Schisme  parlementaire 
qui,  en  face  de  la  cour  ligueuse  et  «  mayenniste  »  de  Dijon,  dressa 
le  parlement  royaliste  de  Flavigny,  plus  tard  transféré  à  Semur. 
Ici  comme  à  Paris,  le  parlement  «  ligueur  »  est  beaucoup  moins 
ligueur  que  les  pouvoirs  locaux,  et  il  se  montre  assez  disposé  à  un 
rapprochement  avec  la  section  royaliste.  C'est  dans  le  milieu  parle- 
mentaire que  se  forment  les  complots  qui  vont  préparer  l'entrée  de 
Henri  IV  à  Dijon4.  Un  de  ces  complots  a  fourni  à  M.  Drouot  un 
travail  élégant  et  solide,  plein  de  promesses.  Avec  une  sûreté  de 
méthode  et  une  finesse  d'analyse  rares  chez  les  débutants,  le  jeune 
érudit  s'est  essayé  à  démêler  les  nuances  multiples  dont  l'assemblage 
formait  la  couleur  ligueuse  ;  il  nous  a  montré  comment  ce  parti  s'est 

1.  Voy.  à  l'annexe  (p.  241  et  suiv.)  la  correspondance  inédite  de  Charles  IV 
et  de  Béatrix  pendant  la  captivité  du  premier  en  Espagne  (1654-59)  et  aux 
pièces  (p.  341  et  suiv.)  les  documents  judiciaires  extraits  de  la  collection  Chif- 
flet  et  des  archives  de  Belgique.  —  P.  227,  le  bref  d'Urbain  VIII  est  de  toute 
évidence  un  faux,  si  l'on  peut  employer  ce  gros  mot  pour  une  pièce  manifes- 
tement ironique,  —  fabriquée  par  les  adversaires  de  Béatrix.  P.  100,  pour  «  pro- 
génitures »,  lisez  «  progéniteurs  »,  et  pour  «  Tyrag  »,  lisez  «  Tyraq.  »,  c'est- 
à-dire  Tiraqueau,  l'ami  de  Babelais.  P.  284,  ponctuer  ainsi  :  «  désirer.  De  croire 
que...,  je  ne  suis  pas  assez  sot...  ».  Notez  que  M.  Maréchal  écrit  Cantecroy. 

2.  Voy.  Revue  fiisl.,  t.  XCIV,  p.  93-94. 

3.  Henri  Drouot,  Un  épisode  de  la  Ligue  à  Dijon.  L'affaire  la  Verne  (159b), 
avec  une  préface  de  M.  Calmette.  Dijon  (Revue  bourguignonne,  t.  XX),  1909. 
In-8°,  xvi-239  p.  —  Louis  Gros,  le  Parlement  et  la  Ligue  en  Bourgogne  {id., 
ibid.),  1910,  213  |>.  —  Edm.  Belle,  La  Réforme  à  Dijon,  des  origines  à  la  fin 
de  la  lieutenance-générale  de  Saulx-Tava?ies  1 1535-1570),  avant-propos  de 
M.  Hauser  [id.,  t.  XXI),  1910,  288  p. 

4.  Voy.  aux  appendices  des  listes  qui  complètent  et  rectifient  celles  de 
M.  Fleury  Vindry.  36  pièces  justificatives.  —  Il  y  a  bien  des  négligences  : 
à  plusieurs  reprises  «  duc  de  Lorraine  »  jiour  «  duc  de  Mayenne  ».  P.  13  : 
«  La  fraction  ligueuse,  »  lisez  «  non  ligueuse  ». 


396  BULLETIN    HISTORIQUE. 

peu  à  peu  désagrégé.  Il  y  a  là,  comme  le  fait  remarquer  M.  Cal- 
mette,  quelques  constatations  qui  dépassent  la  portée  d'une  étude 
sur  un  épisode  d'histoire  locale. 

Parmi  nos  anciens  parlements,  celui  de  Bretagne  a  plus  particu- 
lièrement attiré  l'attention  des  historiens.  Le  «  contrat  »  qui  liait  la 
province  à  la  monarchie  donne  aux  institutions  bretonnes  une  saveur 
spéciale;  et,  dans  le  sein  même  de  la  cour  de  Rennes,  la  présence, 
jusqu'en  1789,  de  conseillers  «  originaires  »  et  «  non  originaires  » 
est  comme  un  témoignage  persistant  des  conditions  dans  lesquelles 
s'est  opérée  l'union.  L'ouvrage  monumental  consacré  à  ce  parlement 
par  M.  Frédéric  Saulnier'  n'est  pas,  à  proprement  parler,  une 
histoire  de  la  compagnie  souveraine2.  C'est  surtout  un  répertoire 
biographique,  d'une  richesse  incomparable.  Les  1,200  notices  dont 
il  se  compose  fourmillent  de  renseignements  précieux3.  En  raison 
des  échanges  de  personnel  qui  s'opéraient  entre  les  divers  parlements, 
des  alliances  fréquentes  entre  des  familles  parlementaires  de  pro- 
vinces différentes,  enfin  du  droit  qu'avaient  les  conseillers  de  Paris 
de  cumuler  leur  charge  avec  une  charge  de  non  originaire  à  Rennes, 
ces  notices  embrassent  beaucoup  plus  que  l'horizon  de  la  Bretagne. 

C'est  surtout  au  xvme  siècle  que  ce  parlement  est  entré  en  conflit 
avec  la  royauté.  L'histoire  de  cette  crise  constitutionnelle  a  tenté 
M.  Le  Moy4.  De  consciencieux  dépouillements  aux  Archives  natio- 
nales, à  l'Arsenal,  à  la  Nationale  et  dans  les  archives  bretonnes  lui 
ont  permis  de  reconstituer  d'une  façon  à  peu  près  complète  la  vie 
du  corps  parlementaire,  la  condition  sociale  et  économique  de  ses 
membres  :  il  y  a  là  une  esquisse  qui  n'avait  encore  été  faite  pour 

1.  Frédéric  Saulnier,  Le  Parlement  de  Bretagne  (155b-1790).  Rennes,  Plihon 
et  Hommay,  1909.  Un  tome  en  2  parties  in-4°,  lxiii-892  p.  (le  2e  vol.  com- 
mence à  la  p.  477),  15  grav.  dans  la  1"  partie,  9  dans  la  seconde,  toutes 
d'après  des  documents.  Publication  soignée  et  luxueuse. 

2.  Celle-ci  n'est  traitée  que  dans  l'introduction.  On  y  trouvera  des  données 
sur  les  charges  parlementaires  et  leurs  prix. 

3.  Signalons  les  notices  sur  la  famille  bourguignonne  des  Alixant,  sur  Fran- 
çois d'Amboise  (qui  fit  le  voyage  de  Pologne  en  1574),  Anjorrant  (parent  des 
Anjorrant  de  Genève),  sur  les  Caradeuc,  qui  occupent  ici  une  place  d'honneur, 
sur  Descartes  le  père,  du  Fail,  du  Ferrier,  les  Fouquet,  Fumée,  Garrault,  le 
père  de  Hay  du  Chaslellet,  les  La  Noue,  les  Nully,  les  Sévigné,  Vêtus,  Viète,  etc. 

4.  A.  Le  Moy,  Le  Parlement  de  Bretagne  et  le  pouvoir  royal  au  XVIII'  s. 
Paris,  Champion,  1909.  In-8°,  xxm-605  p.  —  Id.,  Remontrances  du  parlement 
de  Bretagne  au  XVIIIe  siècle,  textes  inédits  précédés  d'une  introduction. 
Ibid.,  1909.  In-8°,  xcvn-164  p.  Thèses  présentées  devant  la  Faculté  des  lettres 
de  Rennes.  Nouvelle  preuve,  s'il  en  était  encore  besoin,  que  l'on  peut  être  doc- 
teur es  lettres,  et  avec  des  thèses  excellentes,  ailleurs  qu'à  Paris.  Il  serait 
même  souhaitable  que,  pour  les  thèses  d'histoire  provinciale,  les  candidats 
suivissent  l'exemple  de  M.  Le  Moy. 


HISTOIRE   DE    FRANCE.  397 

aucun  parlement  et  dont  certains  traits  sont  valables  pour  tous. 
Ensuite,  nous  pénétrons  dans  l'esprit  même  des  parlementaires. 
Nous  avons  affaire  à  un  parlement  où  sévit  l'absentéisme,  où  la  jus- 
tice est  à  la  fois  lente  et  partiale,  où  la  solidarité  remplace  l'équité, 
à  un  parlement  très  entiché  de  ses  prérogatives  nobiliaires  :  en  Bre- 
tagne surtout,  la  «  robe  »  voisine  avec  «  l'épée  ».  En  Bretagne  aussi 
vivent  encore  les  souvenirs  séparatistes  de  la  Ligue,  auxquels  la 
conspiration  de  Cellamare  et  l'affaire  Pontcallec  vont  donner  un 
renouveau.  Ce  parlement  était  donc  désigné,  avant  tout  autre,  pour 
s'opposer  aux  tendances  centralisatrices  de  la  royauté.  Mais  ce  n'est 
pas  à  propos  des  questions  religieuses  '  que  la  lutte  est  le  plus  vio- 
lente, c'est  à  propos  des  questions  d'impôts,  parce  que  les  réformes 
tentées  par  le  contrôle  général  étaient  plutôt  égalitaires  et  frappaient 
les  parlementaires  à  la  bourse.  C'est  de  l'affaire  des  Vingtièmes  que 
sort,  en  définitive,  l'affaire  La  Chalotais.  Sans  avoir  pour  les  «  pro- 
cureurs-généraux »  l'admiration  quasi-dévote  de  certains  historiens 
bretons,  M.  Le  Moy  leur  est  plus  favorable  que  MM.  Marion  et 
Carré;  il  semble  bien  avoir  établi  que  la  politique  de  d'Aiguillon  fut 
trop  souvent  «  mesquine  et  haineuse  »,  puérilement  et  maladroite- 
ment brutale,  systématiquement  ignorante  du  caractère  breton. 

L'affaire  d'Aiguillon  fut  le  signal  d'une  révolte  de  ces  divers  par- 
lements qui  se  considéraient  comme  les  «  classes  »  d'une  seule  et 
même  cour  souveraine.  Dès  lors,  l'histoire  du  parlement  de  Bretagne 
se  confond  avec  l'histoire  générale.  Comme  les  autres  parlements, 
celui-ci  perd  sa  popularité  à  mesure  que  la  Révolution  s'approche, 
à  mesure  que  l'on  s'aperçoit  mieux  que  l'opposition  parlementaire  a 
pour  principe,  non  pas  le  souci  du  bien  public,  mais  la  défense  des 
privilèges  honorifiques  et  pécuniaires  d'une  caste.  En  somme,  il 
avait  «  contribué  plus  que  toute  autre  cour,  —  et  sans  s'en  être 
rendu  compte,  —  à  l'ébranlement  d'une  monarchie  qui  ne  devait 
guère  lui  survivre  ».  C'est  ce  qui  fait  l'intérêt  exceptionnel  de  l'étude 
de  M.  Le  Moy,  étude  bien  préparée2,  bien  conçue,  et  dont  l'auteur, 
malgré  une  certaine  tendresse  pour  les  institutions  bretonnes,  a  su 
garder  intactes  la  lucidité  et  l'indépendance  de  son  jugement. 

Henri  Hauser. 

1.  Signalons  le  chapitre  très  nourri  sur  les  Jésuites.  —  Il  faudrait  aussi, 
pour  être  complet,  citer  les  passages  que  M.  Le  Moy  consacre  aux  conflits 
entre  le  parlement  et  une  autre  institution  bretonne,  les  États. 

2.  La  thèse  complémentaire  débute  par  une  bonne  étude  technique  sur  ce 
qu'étaient  les  remontrances,  leur  rédaction,  leur  présentation,  leurs  suites. 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


Antoine  Thomas.  Le  comté  de  la  Marche  et  le  parlement  de 
Poitiers  (1418-1436),  recueil  de  documents  inédits  tirés  des 
Archives  nationales.  Paris,  Champion,  1910.  In-8°,  314  pages. 
(Forme  le  174e  fascicule  de  la  Bibliothèque  de  VÉcole  des 
Hautes-Études.) 

La  Bibliothèque  de  l'École  des  Hautes-Études  vient  de  s'enrichir 
d'un  ouvrage  nouveau  qui  présente  le  plus  haut  intérêt,  non  seule- 
ment pour  l'histoire  provinciale,  mais  encore  pour  l'histoire  générale 
de  la  France  à  la  fin  du  moyen  âge.  L'ouvrage  du  savant  membre  de 
l'Institut  comprend  deux  parties  :  dans  une  introduction  excellente, 
qui  compte  soixante-dix-neuf  pages,  il  a  su  mettre  en  relief  les  prin- 
cipaux renseignements  qui  se  dégagent  des  actes  qu'il  publie.  Il  a  fait 
suivre  cette  introduction  de  la  publication  intégrale  ou  de  l'analyse  de 
346  documents,  annotés  avec  un  soin  extrême.  On  reconnaît  dans  ce 
travail  la  science  profonde,  linguistique  et  historique  d'un  de  nos 
maîtres  médiévistes. 

Les  documents  publiés  ou  analysés  par  M.  Thomas  appartiennent 
aux  Archives  du  Parlement  de  Paris,  transféré  à  Poitiers  par  le  dau- 
phin Charles,  le  futur  Charles  VII,  en  1418,  et  maintenu  au  chef-lieu 
de  l'Aquitaine  jusqu'en  1436.  Ils  sont  tirés,  pour  une  part,  des  registres 
X'a  8604,  9190  à  9201  et  X2*  18  à  21  conservés  aux  Archives  natio- 
nales ;  pour  l'autre  part  du  registre  spécial,  dit  des  présentations  ou 
des  inscriptions  au  rôle  des  affaires  judiciaires,  retrouvé,  grâce  à  l'in- 
telligente initiative  de  M.  Omont,  dans  les  collections  de  sir  Thomas 
Philipps  et  acheté  par  la  Bibliothèque  nationale,  où  il  forme  le  manus- 
crit 1968  des  nouvelles  acquisitions  latines. 

Grâce  à  cet  ensemble  de  sources  si  précieux,  il  est  possible  de 
reconstituer  le  tableau  de  la  vie  administrative  et  sociale  d'une  pro- 
vince de  la  France  centrale  à  l'époque  de  Charles  VI  et  de  Charles  VII. 
Avec  une  sagacité  et  une  patience  peu  communes,  M.  Thomas  a  su 
d'abord  délimiter  et  décrire  le  cadre  géographique  dans  lequel  se  sont 
passés  les  événements  qui  font  l'objet  des  actes  judiciaires  qu'il  a 
retrouvés.  La  tâche  est  d'autant  plus  méritoire  qu'il  n'est  pas  de  ter- 
rain plus  mouvant  et  dont  les  frontières  varient  davantage  que  celui 
de  la  géographie  féodale.  Il  a  condensé  les  résultats  de  cette  étude 
spéciale  dans  une  carte  en  couleurs,  la  meilleure  de  celles  qui  aient 
été  jusqu'à  présent  dressées,  d'où  ressortent  avec  une  clarté  remar- 


ANTOINE   THOMAS    :    LE   COMTE    DE   LA   MARCHE.  399 

quable  les  divisions  territoriales,  administratives,  judiciaires,  finan- 
cières de  la  Marche,  ainsi  que  la  bizarre  configuration  de  ce  comté. 
Au  point  de  vue  féodal  sans  doute,  la  Marche  forme  un  tout,  puisque 
ses  deux  parties,  Haute  et  Basse-Marche,  ont  été  toujours  réunies  par 
les  princes  de  la  même  maison,  celle  de  Bourbon  d'abord,  celle  d'Ar- 
magnac ensuite.  On  sait  que  ce  pays,  érigé  en  comté  au  Xe  siècle,  sous 
la  suzeraineté  des  comtes  de  Poitou,  ducs  d'Aquitaine,  était  passé  aux 
mains  des  Lusignan  au  xme  siècle,  pour  devenir,  à  partir  de  1314, 
domaine  apanage  au  profit  des  princes  de  la  maison  royale  des  Capé- 
tiens, puis  des  Valois.  Depuis  1317,  la  Marche  appartenait  à  la  mai- 
son de  Bourbon.  A  partir  de  1357,  elle  passait  à  la  branche  cadette 
de  cette  maison  représentée  successivement  par  Jacques  Ier  (mort  à 
Brignais  en  1362),  par  Jean  Ier  et  Jacques  II  de  Bourbon,  qui  se  fit 
moine  à  Besançon  en  1435  et  qui  y  mourut  en  1438,  après  avoir  pos- 
sédé le  comté  trente-deux  ans.  Anne  de  Bourbon,  nièce  de  Jacques  II 
et  femme  en  premières  noces  du  duc  de  Montpensier,  fils  du  duc  de 
Berry,  puis  en  secondes  noces  de  Louis  le  Barbu,  duc  de  Bavière, 
frère  de  la  reine  Isabeau  (1402),  avait  reçu  en  dot  la  Basse-Marche. 
Mais  depuis  1424  le  comte  Jacques  II  administre  cette  partie  du  comté 
sous  prétexte  de  défendre  les  intérêts  du  fils  d'Anne,  Louis  le  Bossu. 
Le  gendre  de  Jacques  II,  Bernard  d'Armagnac,  hérite  à  la  fois  de  la 
Haute-Marche,  lors  de  l'abdication  de  son  beau-père,  et  de  la  Basse- 
Marche.  Il  met  la  main  sur  cette  dernière  en  1438,  et  le  duc  de 
Bavière  se  résigne  à  accepter  le  fait  accompli  par  la  convention  de 
Genève  (1442),  moyennant  une  indemnité  de  11,000  florins  d'or.  Bien 
que  divisées  un  moment  entre  les  deux  branches  de  la  maison  de 
Bourbon,  les  deux  parties  du  comté  n'avaient  pas  varié  d'étendue 
depuis  1325.  Elles  eurent,  l'une  la  Basse-Marche,  jusqu'en  1477,  l'autre 
la  Haute-Marche,  jusqu'en  1578,  la  même  étendue. 

Le  comté  demeurait  dans  la  première  moitié  du  xve  siècle  un  des 
Etats  de  la  grande  féodalité  territoriale.  Il  s'étendait  sur  la  majeure 
part  du  département  actuel  de  la  Creuse,  sur  la  partie  septentrionale 
de  la  Haute-Vienne,  sur  le  sud  de  la  Vienne  (partie  des  arrondisse- 
ments de  Montmorillon  et  de  Civrai),  sur  quelques  communes  de 
l'Indre,  de  la  Charente  et  de  la  Corrèze.  Ses  principaux  centres  de 
population  étaient  Guéret  et  Aubusson,  Felletin,  Ahun  et  Chéne- 
railles,  Rançon  et  Champagnac,  Bellac  et  le  Dorât,  Charroux  et  Lus- 
sac-le-Château,  Saint-Germain-sur- Vienne,  Éguzon  et  Eygurande. 
Par  suite  des  hasards  des  successions,  des  achats,  des  ventes,  des 
partages,  il  manque,  il  est  vrai,  totalement  d'homogénéité  géogra- 
phique. Sa  configuration  est  étrange.  Il  se  compose,  dit  M.  Thomas, 
«  de  lambeaulx  tailladés,  semés  sur  la  surface  des  diocèses  de  Limoges 
et  de  Poitiers,  voire  un  peu  de  ceux  de  Bourges  et  de  Clermont.  Le 
corps  de  son  domaine  s'étend  sur  les  deux  rives  de  la  Creuse  de  sa 
source  au  delà  de  son  confluent  avec  la  Petite  Creuse  »^.  Mais  que  de 

1.  Introduction,  p.  xlviii  et  lvi. 


400  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

fragments  disséminés  sur  les  bords  de  la  Vienne,  de  la  Gartempe  et 
de  ses  affluents!  En  latitude,  le  comte  de  la  Marche  comprend  105  kilo- 
mètres depuis  l'rissac  (Indre)  jusqu'à  Bugeat  (Corrèze);  en  longitude, 
92  kilomètres  depuis  Beaumont  jusqu'à  Eygurande.  Mais  le  «  morcel- 
lement est  tel,  ajoute  M.  Thomas,  qu'on  ne  peut  évaluer  même 
aijproximalivement  la  superficie  ».  Le  territoire  occupé  par  l'an- 
cien comté  compte  en  1906  205,000  âmes.  La  division  de  la  Marche 
en  deux  régions  n'existait  que  depuis  la  constitution  du  douaire 
d'Anne  de  Bourbon.  Le  nom  de  Basse-Marche  n'apparaît  que  dans 
un  acte  du  15  septembre  1400.  Depuis  cette  époque,  on  distingue  la 
Haute-Marche  de  l'autre  fraction  du  comté. 

La  Haute-Marche  est  divisée,  à  l'époque  où  fonctionne  le  parlement 
de  Poitiers,  en  sept  chàtellenies  ou  prévôtés,  celles  d'Ahun,  d'Aubus- 
son,  de  Crozant,  du  Dognon,  de  Drouilles,  de  Felletin  et  de  Guéret, 
qui  formèrent  jusqu'en  1790  le  ressort  de  l'élection  de  Guéret.  Elle 
s'est  agrandie  depuis  1260  de  la  vicomte  d'Aubusson,  mais  elle  a  perdu 
depuis  la  fin  du  xme  siècle  ou  le  début  du  xive  le  territoire  de  la  future 
élection  de  Bourganeuf,  devenue  enclave  du  Poitou,  après  avoir  figuré 
dans  l'apanage  du  dernier  des  Lusignan  de  la  maison  comtale  d'An- 
goulème,  Gui,  mort  en  1309.  Vers  la  même  époque  ont  été  détachées 
de  la  Haute-Marche  quelques  menues  enclaves  en  faveur  du  chapitre 
Saint-Etienne  de  Limoges.  En  revanche,  la  Haute-Marche  s'est  annexé 
la  châtellenie  du  Doignon,  à  l'ouest  de  l'élection  de  Bourganeuf;  cette 
châtellenie,  divisée  en  deux  tronçons  inégaux,  contenait  dans  son  ter- 
ritoire la  célèbre  abbaye  de  Grandmont.  La  seigneurie,  revendue  par 
Jacques  de  Bourbon  au  prévôt  de  Paris,  Audoin  Chauveron,  et  passée 
par  mariage  à  la  maison  d'Aubusson,  resta  vassale  du  comté  de  la 
Marche.  Jean  de  Bourbon  a  également  agrandi  la  Haute-Marche  de  la 
châtellenie  de  Rochefort  en  Bas-Limousin,  annexion  qui  donna  lieu  à 
un  long  procès  avec  la  maison  du  Comborn  ;  celle-ci  finit  par  obtenir 
la  rétrocession  de  ce  domaine  au  milieu  du  XVe  siècle.  Plus  durables 
sont  les  acquisitions  faites  en  Combrailles,  où  la  Marche  a  trois 
enclaves,  dont  la  plus  importante  est  la  châtellenie  de  Montaigut. 
Dans  l'ensemble,  les  territoires  qui  composaient  la  Haute-Marche 
ont  actuellement  une  population  de  165,000  âmes. 

La  Basse-Marche,  dont  le  nom  n'apparaît  qu'au  début  du  XVe  siècle, 
bien  que  composée  de  domaines  moins  incohérents,  est  tout  aussi 
dépourvue  d'unité  géographique  que  la  Haute.  «  Elle  est,  dit  M.  Tho- 
mas, jetée  à  l'aventure  à  travers  le  cours  moyen  de  la  Gartempe,  de 
la  Vienne  et  de  la  Charente  ».  D'une  superficie  inférieure,  elle  est 
aujourd'hui  peuplée  de  100,000  habitants.  Elle  se  composait  de  sept 
chàtellenies,  celles  de  Bellac,  de  Rançon,  de  Champagnac,  du  Dorât, 
de  Calais,  de  Saint-Germain-sur- Vienne  et  de  Charroux.  Les  trois 
premières  avaient  été  confisquées  par  Charles  V  sur  la  veuve  d'Ai- 
mar  de  Valence,  de  la  maison  de  Lusignan,  alliée  des  Anglais,  et  attri- 
buées à  la  maison  de  Bourbon  (1372).  Il  faut  ajouter  que  le  comté  de 


ANTOINE  THOMAS  :  LE  COMTÉ  DE  LA  MARCHE.         401 

la  Marche  possédait  de  ce  côté  en  Poitou  les  châtellenies  de  Morthe- 
mer,  de  Brillac  et  de  Lussac-le-Château. 

La  carte  que  publie  M.  Thomas,  vrai  petit  chef-d'œuvre  de  netteté 
et  de  précision,  rend  plus  saisissante  cette  incohérence  territoriale 
qui  se  retrouvait  dans  la  plupart  des  États  féodaux.  La  Haute  et  la 
Basse-Marche  y  apparaissent  complètement  séparées  l'une  de  l'autre 
par  des  territoires  qui  dépendent' au  nord  du  Poitou  et  au  sud  du 
Haut-Limousin.  Bien  mieux,  la  châtellenie  du  Dognon,  elle-même 
divisée  en  deux  tronçons  inégaux,  figure  comme  un  îlot  noyé  dans  le 
territoire  du  Poitou.  D'autres  îlots  sont  les  enclaves  marchoises  en 
terre  limousine  et  poitevine.  Il  y  a  plus.  Le  tracé  des  limites  de  la 
Marche  est  d'une  complexité  telle  que  la  science  impeccable  et  la 
patience  méritoire  d'un  historien  comme  M.  Thomas  pouvaient  seules 
parvenir  à  le  reconstituer.  Il  y  est  arrivé  par  une  série  de  minutieuses 
recherches  d'où  ressort  la  confusion  parfois  inextricable  des  frontières 
féodales.  Pour  les  châtellenies  de  la  Basse-Marche,  du  côté  de  l'An- 
goumois  et  du  Poitou,  il  a  pu  réussir  à  reconstituer  entièrement  la 
ligne  des  limites.  Mais  vers  le  Haut-Limousin,  notamment  du  côté  de 
Châteauponsac  et  sur  quelques  points  de  la  frontière  poitevine  ou  de 
la  Basse-Marche,  la  délimitation  est  restée  très  douteuse;  de  même  à 
l'extrémité  des  châtellenies  de  Rançon  et  de  Champagnac.  Vers  le 
Berry,  le  Bourbonnais  et  le  Combrailles,  tantôt  les  limites  coïncident 
avec  de  véritables  frontières  géographiques  (rivières,  accidents  de 
terrain),  tantôt  elles  suivent  le  tracé  le  plus  capricieux;  il  en  est 
de  même  vers  le  Bas-Limousin. 

C'est  dans  cet  état  féodal  de  composition  hétérogène,  de  limites 
indécises,  pénétré  d'une  foule  de  côtés  par  les  domaines  du  roi  que 
la  maison  de  Bourbon-la-Marche  prétendit  jouer  au  xve  siècle  un 
rôle  fort  au-dessus  de  ses  forces.  Avec  Jacques  II  de  Bourbon,  la 
dynastie  marchoise  court  les  aventures.  Le  comte  ligure  parmi  les 
combattants  de  Nicopolis,  fait  en  1415  une  expédition  en  Italie  méri- 
dionale, en  revient  avec  un  titre  de  roi  (1420).  Il  mène  l'existence 
d'un  grand  seigneur  aventureux,  épris  de  grandeurs  et  de  faste,  trop 
à  l'étroit  dans  le  pauvre  cadre  du  comté  qu'il  fit  gouverner  par  procu- 
ration. Allié  aux  maisons  de  Bourbon  et  d'Armagnac,  il  garde  à 
Charles  VII  une  fidélité  chancelante  et  lui  accorde  un  appui  capricieux. 
Il  est  un  des  représentants  de  cette  grande  aristocratie  finissante  qui 
va  engager  avec  la  royauté  un  dernier  duel,  d'où  elle  sortira  écrasée 
par  le  génie  subtil  et  brutal  d'un  Louis  XI.  Le  comte-roi  tranche  au 
besoin  du  souverain.  Il  brave  les  gens  du  roi,  refuse  de  s'incliner 
devant  les  ordres  de  tribunaux  royaux.  On  sait  qu'en  1431,  assigné  à 
la  requête  de  la  Trémoille,  Jacques  II  ne  laissa  pas  arriver  jusqu'à 
lui  l'huissier  chargé  de  l'assigner.  Pas  un  notaire,  pas  un  huissier  royal 
n'eut  l'audace  de  le  citer  devant  le  Parlement  tant  on  redoutait  sa 
violence.  Avec  les  successeurs  de  Jacques  II,  la  lutte  était  destinée  à 
devenir  encore  plus  ouverte.  La  dynastie  marchoise  commence  dès  la 
Rev.  Histor.  CV.  2e  FASC.  26 


402  COMPTES-RENDDS    CR1TIQDES. 

période  qu'embrasse  le  recueil  de  documents  publiés  par  M.  Thomas 
à  s'engager  dans  la  voie  périlleuse  où  elle  trouvera  la  chute  finale. 

Aussi  fragile  que  la  base  territoriale  sur  laquelle  les  Bourbons-la- 
Marche  et  les  d'Armagnac  s'appuient  est  le  pouvoir  politique  dont  ils 
sont  les  détenteurs.  Ils  se  trouvent  retenus  par  une  foule  de  liens 
dans  la  dépendance  du  roi  ;  ils  sont  aux  prises  avec  une  multitude  d'ad- 
versaires, aussi  bien  dans  leurs  domaines  qu'au  dehors.  Ils  ne  peuvent 
se  soustraire  à  la  vassalité  qui  les  lie  au  duc  d'Aquitaine,  comte  de 
Poitiers,  c'est-à-dire  au  roi  au  point  de  vue  féodal,  ni  aux  devoirs  de 
subordination  qui,  au  point  de  vue  général,  leur  incombent  comme 
feudataires  de  la  couronne  de  France.  Ils  gouvernent  la  Marche,  sous 
le  contrôle  du  pouvoir  royal,  avec  le  seul  secours  des  vieilles  institu- 
tions traditionnelles,  sans  cette  forte  organisation  que  le  roi  a  pu  don- 
ner à  ses  domaines.  Les  comtes  de  la  Marche  administrent  avec  le 
concours  de  sénéchaux  dont  M.   Thomas  a  retrouvé  les  noms  et 
retracé  sobrement  les  biographies.  Il  n'y  a  qu'une  seule  sénéchaus- 
sée, ressort  judiciaire  et  administratif,  pourvue  d'un  seul  sénéchal, 
sauf  à  l'époque  où  Jean  de  Bourbon  crut  devoir  instituer  une  séné- 
chaussée particulière  pour  les  sept  châtellenies   de  Basse-Marche. 
Mais  cette  division  de  la  Marche  en  deux  circonscriptions  administra- 
tives ne  dure  que  six  ans  (1385-1391).  Après  1391,  la  Basse-Marche 
n'a  plus  de  sénéchal  particulier,  mais  un  gouverneur  investi  d'ail- 
leurs des  mêmes  pouvoirs  jusqu'en  1430.  Les  sénéchaux,  pris  en  géné- 
ral dans  la  noblesse  du  pays,  restent  parfois  de  longues  années  en 
fonctions  :  l'un  d'eux  a  possédé  le  titre  de  sénéchal  vingt-cinq  ans, 
entre  1428  et  1453.  Leur  autorité,  qui  se  limite  de  plus  en  plus  effec- 
tivement aux  affaires  militaires  et  administratives,  ne  s'étend  pas  sur 
la  châtellenie  de  Montaigut  en  Combrailles,  qui  conserve  son  autono- 
mie, avec  son  personnel  administratif  et  judiciaire  distincts.  La  plus 
importante  des  anciennes  attributions  du  sénéchal  dans  la  Haute- 
Marche,  du  gouverneur,  son  émule  dans  la  Basse-Marche,  est  passée 
à  leurs  lieutenants.  Ce  dernier  office  apparaît  dans  la  Marche  dès  1246  ; 
ses  attributions  ont  si  bien  grandi  que  le  lieutenant,  ne  laissant  plus 
au  sénéchal  qu'une  prééminence  honorifique,  exerce  au  XVe  siècle  au 
nom  du  comte  la  plénitude  des  pouvoirs  judiciaires;  il  porte  le  titre 
de  garde  de  la  justice  ou  de  garde  de  la  Marche,  et  il  reste  long- 
temps en  fonctions.  Sa  justice  est  ambulatoire.  Deux  fois  par  an  il  va 
tenir  de  grandes  assises  au  centre  des  principales  châtellenies  :  Ahun, 
Aubusson,  Crozant,  Drouilles,  Felletin,  Guéret,  etc.  Avec  le  sénéchal 
et  le  lieutenant  ou  garde,  un  autre  personnage,  le  procureur  du 
comte  ou  procureur  général,  dont  la  charge  apparaît  dès  1323,  forme 
le  tribunal  permanent  du  comté.  Il  veille  au  maintien  de  la  procédure 
et  des  droits  judiciaires  du  comte.  Cette  administration  centrale  est 
complétée  par  la  présence  d'un  chancelier  ou  garde  du  sceau,  chef 
des  notaires  du  comté,  juge  des  contestations  relatives  aux  actes  scel- 
lés et  auxiliaire  de  la  justice  dans  l'administration  générale.  Il  a  rem- 


ANTOINE  THOMAS  :  LE  COMTE  DE  LA  MARCHE.         403 

placé,  dans  la  seconde  moitié  du  xve  siècle,  les  chancelleries  par- 
ticulières qui  existaient  auparavant.  Cette  fonction  est  exercée  au 
XVe  siècle  par  un  personnage  qui  eut  sur  l'administration  marchoise 
une  influence  considérable,  Jean  Barton,  secrétaire  et  homme  de  con- 
fiance des  comtes.  A  cette  époque,  c'est-à-dire  depuis  1430,  ont  dis- 
paru les  fonctionnaires,  lieutenant,  procureur  général  et  les  deux 
gardes  du  sceau  qui  avaient  assuré  pendant  près  de  quarante  ans 
le  fonctionnement  de  la  justice  comtale  en  Basse-Marche.  Mais  la 
châtellenie  de  Montaigut  conserve  son  châtelain,  son  garde  du  sceau, 
son  capitaine,  son  bailli,  juge  d'appeaux,  ressortant  directement  au 
parlement,  indépendants  du  sénéchal  et  du  chancelier  de  la  Marche.  La 
cour  du  sénéchal  de  la  Marche  est  donc  un  tribunal,  en  principe  fort 
puissant,  puisqu'il  étend  sa  juridiction  sur  l'ensemble  du  comté.  Elle 
fonctionne  comme  cour  d'appel.  C'est  d'elle  que  relèvent  les  juges 
comtaux  de  première  instance  appelés  châtelains,  dont  le  ressort  est 
la  châtellenie,  et  qui  sont  au  nombre  de  neuf  en  Haute-Marche,  de 
sept  en  Basse-Marche.  De  sa  justice  dépendent  encore  les  sentences 
des  tribunaux  ou  justices  seigneuriales,  fort  nombreuses,  répandues 
dans  l'étendue  du  comté.  Toutefois,  comme  les  autres  grands  vassaux, 
les  comtes  de  la  Marche,  en  vue  de  soustraire  leurs  sujets  à  la  tenta- 
tion de  recourir  aux  juridictions  royales  supérieures,  ont  essayé  de 
multiplier  les  degrés  de  juridiction.  Ils  ont  créé  par  exemple  des 
enquêteurs  ou  commissaires  extraordinaires,  à  l'imitation  du  roi, 
pour  renforcer  l'action  ordinaire  de  leur  justice,  découvrir  et  punir  les 
atteintes  portées  à  leurs  droits  domaniaux  ou  à  leur  juridiction.  Tel 
est  le  cas  des  commissions  créées  en  1417,  comme  au  siècle  précédent, 
en  1319,  en  1325,  en  1379,  en  1447.  Vaines  tentatives!  L'édifice  judi- 
ciaire des  comtes  de  la  Marche  croule  de  tous  côtés  sous  l'assaut  de 
leurs  vassaux  récalcitrants,  d'une  part,  sous  l'attaque,  tantôt  sournoise, 
tantôt  ouverte  des  fonctionnaires  du  roi,  de  l'autre. 

Les  documents  recueillis  par  M.  Thomas  fournissent  peu  de  rensei- 
gnements sur  d'autres  causes  du  déclin  de  la  puissance  comtale,  à 
savoir  l'insuffisance  des  ressources  ou  des  pouvoirs  financiers  et  mili- 
taires des  comtes  de  la  Marche.  La  dilapidation  de  leurs  domaines, 
suite  des  aliénations  qu'ils  consentent  ou  des  usurpations  de  leurs 
vassaux,  paraît  n'être  pas  douteuse.  Ils  s'efforcent  péniblement  à  maii# 
tenir  leurs  droits,  tailles,  aides,  francs-fiefs,  nouveaux  acquêts.  Ils 
vivent  pour  une  bonne  part  des  pensions  et  des  dons  du  roi.  La  détresse 
de  leur  trésor  contribue  à  les  mettre  dans  la  dépendance  étroite  de  la 
royauté  qui  peut  à  volonté  leur  distribuer  une  part  de  ses  faveurs  pécu- 
niaires ou  lâcher  contre  eux  la  meute  de  leurs  créanciers.  Ce  dernier 
péril  est  si  peu  illusoire  qu'on  voit  en  1420  le  parlement  de  Poitiers 
condamner  le  comte  de  la  Marche  à  acquitter  une  dette  de  400  écus  et 
en  1461  faire  saisir  le  chancelier  du  comté  qui  s'est  porté  garant  d'une 
autre  obligation  de  son  maître.  Quant  aux  pouvoirs  militaires,  ils  ont 
singulièrement  été  diminués  par  le  progrès  de  la  puissance  royale,  et 


404  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

les  difficultés  que  les  comtes  ou  les  seigneurs  éprouvent  à  exercer 
leur  simple  droit  de  guet  indique  assez  le  médiocre  empressement 
que  mettent  leurs  sujets  à  les  seconder.  En  fait,  les  comtes  de  la 
Marche  ne  peuvent  compter  que  sur  les  troupes  qu'ils  soldent,  et  la 
pénurie  de  leurs  ressources  en  argent  a  eu  une  répercussion  naturelle 
sur  celle  de  leur  force  en  hommes  d'armes  ou  en  soldats. 

Des  documents  extraits  des  archives  du  parlement  de  Poitiers  res- 
sortent  d'autres  faits  généraux  utiles  pour  l'histoire  des  institutions. 
Le  spectacle  des  dernières  manifestations  de  l'anarchie  féodale,  favo- 
risée par  la  guerre  de  Cent  ans,  y  apparaît  clairement;  de  même  que 
celui  de  la  puissance  de  résistance  de  l'autorité  monarchique,  dont  ces 
temps  d'épreuve  n'ont  pu  ébranler  les  fortes  assises.  A  la  faveur  des 
guerres  anglaises  et  des  discordes  civiles,  la  petite  féodalité  provin- 
ciale revient  aux  traditions  de  la  pire  époque  du  moyen  âge.  Les  pro- 
cès que  le  parlement  de  Poitiers  est  appelé  à  juger  la  montrent  en 
proie  aux  discordes  familiales,  aux  rivalités  fratricides.  Les  guerres 
privées  sont  si  fréquentes  que  les  gens  du  roi  sont  continuellement 
occupés  à  essayer  de  les  enrayer  au  moyen  des  asseuremenls.  La 
noblesse  se  livre  aux  pires  brigandages  aux  dépens  des  clercs,  des  bour- 
geois et  des  paysans.  Elle  semble  avoir  trouvé  parfois  une  coupable 
complaisance  jusque  chez  les  olïiciers  du  comte  de  la  Marche.  Profon- 
dément divisée,  elle  n'a  qu'une  aspiration  commune,  celle  de  l'indé- 
pendance à  l'égard  de  ce  dernier  suzerain.  Toutes  les  fois  que  les  vas- 
saux se  sentent  assez  forts  pour  tenter  de  s'émanciper  avec  quelque 
chance  de  succès,  ils  se  soustraient  à  la  justice  comtale.  Les  uns 
organisent,  à  l'exemple  du  comte,  une  juridiction  à  deux  degrés,  avec 
des  châtelains  au  premier,  un  sénéchal  au  deuxième.  Ainsi  font  les 
seigneurs  de  Lussac,  de  Magnac-Laval,  de  Dognon,  de  la  Borne,  de 
Villeneuve.  Les  autres  s'efforcent  d'esquiver  la  juridiction  d'appel  du 
sénéchal  ou  des  châtelains  du  comte  et  de  porter  leurs  différends 
directement  au  parlement,  comme  les  seigneurs  de  Maleval  et  de  Saint- 
Marc.  Une  seule  autorité,  trop  lointaine  pour  se  faire  sentir  d'une 
manière  continue,  est  l'objet  d'un  respect  relatif  de  la  part  des  nobles 
marchois.  C'est  celle  du  roi,  auquel  ils  rendent  volontiers  le  devoir 
militaire  dans  la  lutte  contre  les  Anglais,  soit  par  loyalisme,  soit  par 
intérêt.  Le  clergé  offre  l'image  d'un  grand  corps  en  proie  aux  divi- 
sions et  à  la  préoccupation  des  intérêts  matériels.  Abbayes,  comman- 
deries,  prieurés,  chapitres  figurent  au  premier  rang  de  l'immense 
armée  des  plaideurs  qui  assiègent  les  avenues  du  parlement  de  Poi- 
tiers. Les  clercs  sont  en  querelle  à  propos  des  bénéfices  dont  ils  se 
disputent  âprement  la  possession,  souvent  à  main  armée  ;  les  plus 
infimes  vicaires,  aussi  bien  que  les  archiprêtres  et  que  les  cures,  en 
qui  les  bénéfices  majeurs  suscitent  de  violents  appétits.  La  lutte  est 
non  moins  vive  entre  le  clergé,  d'une  part,  la  petite  noblesse  et  la 
bourgeoisie,  de  l'autre.  Les  habitants  de  Saint-Savin,  par  exemple, 
ont  maille  à  partir  avec  le  chapitre  du  Dorât  et  les  bourgeois  de  Char- 


ANTOINE    THOMAS    :    LE    COMTE    DE    Li    MARCHE.  405 

roux  avec  leur  abbé.  Mais  les  clercs  ont  l'alliance  de  la  royauté,  et  le 
pouvoir  royal  les  soutient  d'ordinaire  contre  les  revendications  de  leurs 
rivaux. 

Le  tiers  état,  de  son  côté,  a  grandi  dans  le  comté  de  la  Marche.  Il 
s'enrichit,  semble-t-il,  par  le  commerce.  Guéret,  Aubusson,  Felletin, 
Magnac-Laval  paraissent,  d'après  les  documents  judiciaires,  avoir  été 
au  xve  siècle  des  centres  de  trafic  importants.  Les  dépôts  d'argent  se 
font  surtout  dans  deux  de  ces  villes,  Guéret  et  Felletin.  La  première 
a  été  érigée  en  commune  dès  1406.  Les  bourgeois  des  petites  villes 
marchoises,  telles  que  Charroux,  Bellac,  Châteauponsac,  sont  éner- 
giques et  entreprenants.  Ils  résistent  aux  entreprises  des  gens  de 
guerre.  Ils  tiennent  tète  aux  gens  d'église.  On  les  voit  à  Charroux 
s'insurger  contre  l'abbé  et  tenter  de  relever  leur  château-fort  de  ses 
ruines  pour  l'opposer  à  l'abbaye.  Ils  font  appel  à  la  royauté  contre  les 
violences  des  nobles,  et  c'est  leur  appui,  aussi  bien  que  celui  du  clergé, 
qui  donne  au  roi  des  moyens  d'influence  les  plus  actifs  contre  les  vel- 
léités d'indépendance  des  comtes. 

Déjà  se  fait  au  sein  des  classes  populaires  de  la  Marche  elle-même, 
fort  en  retard  sur  celles  de  la  plus  grande  partie  du  royaume,  un  sourd 
travail  d'émancipation.  Livrées  aux  extorsions  des  capitaines  et  des 
gens  de  guerre,  opprimées  par  des  féodaux,  elles  s'agitent  pour  conqué- 
rir la  liberté.  Les  serfs  d'ovine  (d'origine),  si  nombreux  et  si  malheu- 
reux dans  la  Marche,  cherchent  à  s'organiser  contre  leurs  oppresseurs. 
Le  recueil  dû  à  M.  Thomas  complète  heureusement  les  études  spé- 
ciales d'Autorde  sur  le  servage  marchois.  Les  documents  judiciaires 
prouvent  combien  persistante  fut  l'aspiration  des  serfs  vers  l'affran- 
chissement. Dans  les  régions  de  Dun-le-Palleteau,  de  Monteil-au- 
Vicomte  et  de  Prébenoît,  une  sorte  d'entente  fut  alors  conclue  entre 
les  opprimés.  Mais  elle  fut  réprimée  par  la  violence  :  les  féodaux  inté- 
ressés firent  appel  à  la  force  des  armes.  Les  gens  du  roi  eux-mêmes 
se  désintéressèrent  du  sort  des  serfs,  et  dans  le  grand  procès  engagé 
à  leur  sujet  devant  le  parlement  de  Poitiers,  l'avocat  des  asservis 
invoqua  vainement  le  droit  de  franchise  naturelle  des  habitants  du 
royaume.  La  royauté,  en  effet,  se  souciait  bien  davantage  de  ruiner 
l'autorité  politique  de  la  féodalité  que  de  porter  atteinte  aux  privi- 
lèges sociaux  de  ce  grand  corps.  Sa  principale  préoccupation  consiste 
à  soumettre  la  Marche  à  l'action  administrative  de  ses  agents,  les 
sénéchaux  du  Limousin  et  du  Poitou,  et  à  retirer  de  ses  habitants  les 
ressources  financières  dont  plus  que  jamais  la  politique  royale  ressent 
le  besoin.  Aussi,  dès  le  début  du  xive  siècle,  la  sénéchaussée  a-t-elle 
formé  une  circonscription  financière,  comprenant  toute  la  Haute- 
Marche  et  la  plus  grande  partie  de  la  Basse.  Depuis  1418,  apparaît 
l'élection  de  Guéret  qui  englobe  toute  la  Haute-Marche,  avec  la  châ- 
tellenie  de  Montaigut  en  Combrailles,  et  qui  est  formée  de  197  col- 
lectes. Quant  à  la  Basse-Marche,  elle  contribue  aux  aides,  pour  par- 
tie avec  le  Haut-Limousin  (chàtellenies  de  Bellac,  de  Rançon  et  de 


'lf)6  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

Champagnac),  pour  partie  avec  le  Poitou  (châtellenies  de  Charroux, 
de  Calais,  de  Saint-Germain  et  du  Dorât).  Cette  pauvre  région  est 
appelée  à  contribuer  aux  dépenses  d'un  gouvernement  obéré  à  un  tel 
point,  qu'en  1425,  on  voit  le  sénéchal  delà  Marche,  Jean  Barton,  prê- 
ter 2,000  livres  à  Charles  VII. 

Mais  l'action  la  plus  puissante  est  celle  qu'exerce  la  justice  royale 
en  un  temps  où  les  tribunaux  interviennent  avec  une  fréquence  incon- 
nue aujourd'hui  jusque  dans  les  détails  de  la  vie  de  tous,  et  où  ils  sont 
de  véritables  instruments  de  règne.  A  cet  égard,  la  persistance  de  leur 
intervention  exerce  une  influence  autrement  profonde  que  les  courts 
séjours  dans  la  Marche,  au  nombre  de  cinq,  auxquels  le  roi  se  résigne 
entre  1422  et  1443.  L'indépendance  judiciaire  fait,  en  effet,  défaut  au 
comté.  En  Basse-Marche,  les  trois  châtellenies  de  Bellac,  de  Champa- 
gnac et  de  Rançon  relèvent  en  appel  et  pour  les  cas  royaux  du  séné- 
chal de  Limousin,  et  les  quatre  autres  châtellenies  du  sénéchal  de 
Poitou.  Ces  dernières  sont  même  placées  dans  le  ressort  de  Mont- 
morillon,  partie  intégrante  du  comté  de  Poitiers,  dont  les  comtes  de 
la  Marche  sont  vassaux.  Bien  que  le  comte  de  la  Marche  prétende  en 
fait  au  privilège  de  pairie,  c'est-à-dire  à  l'appel  direct  au  parlement, 
les  officiers  du  roi  interviennent  à  l'envi  pour  contrarier  ou  pour 
annuler  l'autorité  du  sénéchal  marchois.  Ainsi  rivalisent  d'ardeur 
au  profit  de  l'autorité  judiciaire  du  roi,  non  seulement  les  séné- 
chaux de  Poitou  et  de  Limousin,  mais  encore  le  bailli  de  Tours,  juge 
des  exempts  de  Poitou,  les  baillis  de  Saint-Pierre-le-Moutier  et  de 
Montferrand,  ou  même  le  garde  du  sceau  royal  de  Limoges. 

Le  parlement  veille  de  son  côté  avec  un  soin  jaloux  pour  empêcher 
les  usurpations  judiciaires  du  comte  de  la  Marche  ou  pour  diminuer 
la  puissance  de  ce  vassal.  Lorsque  celui-ci  s'arroge  le  pouvoir  d'accor- 
der des  lettres  de  grâce,  de  rémission  ou  d'abolition,  dont  le  roi  reven- 
dique seul  l'octroi,  le  parlement  rappelle  à  l'ordre  l'usurpateur  féodal. 
S'il  lui  arrive  de  renvoyer  au  sénéchal  du  comte  les  plaideurs  qui 
essaient  de  se  soustraire  à  la  justice  comtale,  dans  bien  des  cas,  il 
retient  les  affaires  pour  les  juger  à  fond,  soit  que  le  procureur  géné- 
ral de  la  Marche  ait  négligé  de  revendiquer  les  droits  de  la  justice  féo- 
dale, soit  que  les  parties  vaillent  la  peine  d'être  classées  parmi  les  jus- 
ticiables du  roi.  C'est  ainsi  qu'on  accueille  d'ordinaire  les  requêtes  des 
vassaux  les  plus  puissants  du  comté,  tels  que  les  Rochechouart  et  les 
Dun-le-Palleteau,  ou  des  grands  établissements  religieux,  comme 
ceux  de  Charroux,  du  Dorât  et  de  Grandmont,  parfois  même  celles  des 
bénéficiers  les  plus  modestes.  Les  plus  humbles  agents  de  la  justice 
royale,  ces  sergents  royaux  qui  parfois  ne  savent  ni  lire  ni  écrire,  se 
font,  en  dépit  des  menaces  des  féodaux,  les  exécuteurs  intrépides  des  sen- 
tences des  gens  du  roi.  Dans  cette  lente  conquête  de  l'ancienne  France 
«  par  l'écriture  »,  suivant  la  formule  célèbre  de  Michelet,  le  parlement 
et  la  justice  monarchique  ont  certainement  tenu  les  premiers  rôles. 
Les  documents  extraits  des  archives  du  parlement  de  Poitiers  sont 


BOSSDET    :    CORRESPONDANCE.  407 

une  nouvelle  et  éclatante  preuve  de  ce  fait  pour  le  comté  de  la 
Marche.  Ils  démontrent  enfin  que  l'idée  de  patrie  a  progressé,  et  que, 
sous  sa  forme  première,  le  dévouement  dynastique,  elle  est  déjà  extrê- 
mement puissante.  En  dépit  des  malheurs  de  cette  sombre  période,  le 
loyalisme  des  sujets  du  comte  de  la  Marche  à  l'égard  de  Charles  VII 
s'affirme  par  l'octroi  de  subsides,  par  les  prises  d'armes  à  l'approche 
des  Anglais,  à  peine  ébranlé  quelquefois,  comme  à  l'époque  de  la 
sédition  de  Bellac  en  1424,  par  les  brutales  exigences  du  fisc  et  par  les 
désordres  des  gens  de  guerre. 

Aussi  riche  en  renseignements  sur  l'administration  générale  de  la 
France  au  xve  siècle  que  sur  l'histoire  particulière  de  la  Marche,  la 
publication  de  M.  Antoine  Thomas  se  recommande  donc  en  résumé 
par  des  qualités  et  par  un  intérêt  de  premier  ordre  à  l'attention  des 
historiens. 

P.  BOISSONNADE. 


Bossuet.  Correspondance.  T.  II  :  1677-1683,  et  t.  III  :  1684- 
1686.  Paris,  Hachette,  1909-1910.  2  vol.  in-8°,  526  et  575  pages, 
un  index  à  chaque  volume.  (Collection  les  Grands  Écrivains.) 

Ces  deux  tomes  de  l'édition  Ch.  Urbain  et  E.  Levesque  intéres- 
seront vivement  les  historiens.  L'un  tourne  autour  de  l'assemblée 
de  1682,  sur  laquelle  on  y  trouvera,  outre  les  lettres  de  et  à  Bossuet, 
d'abondants  documents.  Notons-y  également  des  données  sur  la  façon 
dont  Bossuet  entendait  l'application  de  l'Édit  «  à  la  rigueur  »  (affaire 
d'Hervart),  les  enlèvements  d'enfants,  etc.  Comme  curiosité,  une  lettre 
de  Marie-Thérèse  (p.  57),  où  cette  princesse  n'apparaît  pas  du  tout 
avec  la  médiocrité  d'intelligence  qu'on  lui  prête.  Le  t.  III,  avec  les 
derniers  échos  de  l'agitation  gallicane,  nous  apporte  surtout  des  pièces 
sur  la  veille  et  le  lendemain  de  la  Révocation.  Il  faut  avouer  que  le 
grand  évêque  n'y  paraît  pas  à  son  avantage  :  c'est  une  assez  vilaine 
chose  que  Bossuet  dragonneur  (p.  171)  et  proscripteur  d'assemblées 
(p.  321,  voy.  la  note  2,  où  les  éditeurs  opposent  l'âpre  parole  de  Bos- 
suet lui-même  aux  douceâtres  peintures  du  cardinal  de  Bausset).  Sa 
lettre  à  l'évêque  de  Saintes  (p.  333)  sur  l'assistance  à  la  messe  des 
«  nouveaux  catholiques  »  est  pleine  de  distinguos  scabreux  et  assez 
peu  respectueuse  des  consciences;  sur  ce  point,  le  Bossuet  de  1687 
vaut  moins  que  ne  vaudra  celui  de  1698;  il  vaut  moins  que  le  grand 
Arnauld,  dont  plusieurs  lettres  sont  données  ici.  Signalons,  sur  le  ter- 
rain de  la  controverse,  la  curieuse  correspondance  avec  Pierre  de 
Vrillac,  ou  plutôt  avec  Jean  Rou,  qui  prend  la  plume  au  nom  d'une 
des  ouailles  de  M.  de  Meaux.  Un  grand  nombre  de  lettres  se  rapportent 
au  travail  de  préparation  de  YHistoire  des  variations.  Plusieurs 
lettres  inédites  de  Louvois  et  de  la  secrétairerie  d'État,  l'une  interdi- 
sant (p.  187)  le  chant  des  psaumes,  même  dans  la  version  de  Godeau, 


408  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

les  autres  (p.  514  et  suiv.)  très  importantes  sur  les  suites  de  la  Révo- 
cation et  les  «  remuements  »  des  nouveaux  catholiques.  Il  faut  y  faire 
une  place  d'honneur  à  cette  phrase  vraiment  lapidaire  de  Louvois  (à 
propos  de  poursuites  contre  une  assemblée  clandestine!  :  «  Si  M.  de 
Rieutort  [capitaine  des  grenadiers  à  cheval]  y  avait  fait  jeter  sur  le 
carreau  une  douzaine,  cela  les  aurait  plus  corrigés  que  ne  feront 
toutes  les  poursuites  qu'on  fera  contre  eux.  »  —  Les  éditeurs,  ici 
comme  dans  le  premier  volume,  donnent  autant  que  possible  tout, 
recueillant  des  lettres  qui  semblaient  perdues  dans  divers  ouvrages, 
publiant  les  lettres  inédites,  collationnant  sur  les  manuscrits,  quand 
ils  existent,  les  lettres  déjà  connues,  enrichissant  leur  texte  d'appen- 
dices, sans  parler  des  documents  qu'ils  glissent  dans  les  notes.  — 
Quelques  vétilles  au  t.  III  :  p.  395,  note  3,  rappeler  que  Charles- 
Louis  est  le  propre  père  de  la  seconde  Madame.  P.  396,  note  7,  Gra- 

lien,  lire  Gratien. 

H.  Hauser. 


George  E.  Woodbine.  Four  thirteenth  century  law  tracts. 
New-Haven,  Yale  University  press;  Oxford.  University  press, 
1910.  In-12,  183  pages. 

Ceci  est  une  thèse  présentée  à  la  «  Faculty  of  the  graduate  school  » 
de  l'Université  d'Yale  pour  le  doctorat  en  philosophie.  Elle  contient  le 
texte  de  quatre  traités  de  jurisprudence  et  de  procédure  anglaise  com- 
posés au  temps  d'Edouard  Ier  ou  dans  les  toutes  dernières  années  de 
Henri  III.  Une  rapide  et  précise  introduction  donne  les  indications 
strictement  nécessaires  sur  le  caractère,  l'importance,  l'auteur  pos- 
sible de  chacun  d'eux  et  sur  les  manuscrits  qui  nous  les  ont  conservés. 

Ces  manuscrits  sont  fort  nombreux  ;  destinés  à  l'usage  des  juristes 
de  profession,  on  y  trouve  d'ordinaire  le  recueil  des  statuts  qui  sont 
le  fondement  écrit  de  la  loi  anglaise,  des  manuels  de  droit,  un  formu- 
laire, parfois  aussi  des  extraits  des  Year  boohs  ou  des  Plea  rolte.  Les 
manuels  (nos  quatre  traités  sont  du  nombre)  sont  des  documents  d'un 
caractère  exclusivement  privé,  mais  d'une  pratique  constante,  dignes 
par  conséquent  d'attirer  l'attention  du  juriste  et  de  l'historien. 

Le  premier  des  quatre  traités  publiés  par  M.  Woodbine  (Fet  asa- 
ver)  est  un  texte  en  anglo-français  connu  de  tous  ceux  qui  ont  manié 
l'édition  de  Fleta  donnée  par  Selden;  celui-ci  l'a  fait  imprimer  à  la 
suite  du  texte  latin  de  Fleta  sans  s'apercevoir  peut-être  que,  dans  le 
manuscrit  utilisé  par  lui,  le  texte  de  Fet  asaver  était  incomplet.  Il 
en  manque  environ  la  moitié;  sans  doute  le  copiste,  après  avoir  com- 
mencé par  transcrire  le  traité  en  français  à  la  suite  du  latin,  comme 
si  Fet  asaver  était  en  effet  une  suite  de  Fleta,  s'aperçut  ensuite  de 
son  erreur  et  interrompit  le  travail.  La  présente  édition  nous  donne 
pour  la  première  fois  le  texte  complet  de  ce  traité. 


G.    E.    WOODBINE    :    FOFR    THIRTEENTB    CENTURY   LAW   TRACTS.        409 

M.  Woodbine  en  connaît  plus  de  cinquante  manuscrits,  la  plupart 
du  commencement  du  XIVe  siècle  ;  il  a  établi  son  texte,  d'après  quatorze 
de  ces  manuscrits.  Il  pense  et  il  donne  de  bons  arguments  pour  faire 
croire  qu'il  a  été  rédigé  avant  le  premier  statut  de  Westminster  (1275), 
peut-être  même  avant  le  statut  de  Marlborough  (1267).  Il  note  les  rap- 
ports étroits  qui  le  rattachent  au  traité  intitulé  Magna  summa  et  dont 
l'auteur  est  Raoul  de  Hengham,  qui  était  en  1270  un  des  principaux 
juges  de  la  couronne,  et  il  suppose  que  Hengham  est  l'auteur  commun 
des  deux  traités.  Ce  sont  d'ailleurs  des  œuvres  médiocres;  ce  qui 
assura  le  succès  de  Fet  asaver,  c'est  que,  sous  une  forme  concise, 
il  contient  beaucoup  d'indications  utiles. 

Le  second  traité  est  intitulé  Judicium  essoniorum.  Il  a  été  com- 
posé après  Fet  asaver,  mais  avant  le  premier  statut  de  Westminster. 
Un  manuscrit  au  moins  l'attribue  à  Raoul  de  Hengham  et,  en  fait,  il  a 
de  nombreuses  ressemblances  avec  la  Summa  magna  de  ce  dernier. 
Il  complète  Fet  asaver  par  les  règles  minutieuses  qu'il  contient  sur 
la  pratique  des  excuses  et  des  défauts. 

Le  troisième  traité  :  Modus  componendi  brevia  (désigné  aussi  par 
les  trois  mots  de  l'ineipit  :  Cum  sit  necessarium),  a  été  compilé  peu 
après  le  second  statut  de  Westminster  (1285).  Un  bibliographe  du 
xvme  siècle,  Tanner,  l'attribue  aussi  à  Raoul  de  Hengham,  mais  sans 
vraisemblance.  Il  est  complété  par  un  traité  en  anglo-français  (le 
quatrième  de  la  présente  publication)  :  Exceptiones  ad  cassandum 
brevia.  M.  Woodbine  en  conclut  que  ces  deux  compilations  sont  du 
même  auteur.  Sans  doute,  il  n'est  pas  impossible  que  le  même  prati- 
cien ait  pu  employer  alternativement  l'une  et  l'autre  langue  ;  cepen- 
dant, le  fait  impose  une  certaine  circonspection.  La  question  d'attri- 
bution est  d'ailleurs  ici  secondaire,  tant  est  impersonnel  le  caractère 
de  ces  compilations,  et  il  faut  dire  que  M.  Woodbine  n'y  insiste  pas 
outre  mesure. 

Il  s'est  acquitté  de  sa  tâche  d'éditeur  avec  un  grand  soin  ;  les  textes, 
bien  ponctués,  munis  des  variantes  fournies  par  les  manuscrits,  se 
lisent  aisément.  Mais  il  n'y  a  aucun  commentaire.  C'est  affaire  à  l'his- 
torien du  droit  d'utiliser  comme  il  l'entend  les  renseignements  qu'ils 

contiennent. 

Ch.  BÉMONT. 


NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 


Histoire  de  l'Eglise. 


—  Edward  B.  Krehbiehl.  The  Interdict;  its  history  and  its  ope- 
ration,  with  spécial  attention  to  the  time  of  pope  Innocent  IV, 
publié  par  YAmerican  historical  Association  (Washington,  1909, 
vm-184  p.).  —  Utile  monographie  sur  l'Interdit  ecclésiastique,  ses 
origines,  son  caractère  juridique  et  ses  conséquences  jusque  vers  la 
fin  du  xne  siècle.  Elle  vaut  surtout  par  une  abondante  bibliographie. 
En  appendice,  l'auteur  étudie  un  à  un  les  cas  où  la  cour  de  Rome  a 
prononcé  ou  menacé  de  prononcer  l'interdit  pendant  les  dix-huit 
années  du  pontificat  d'Innocent  III.  Il  y  en  a  quatre-vingt-dix.  Le 
plus  célèbre  au  point  de  vue  général,  celui  du  grand  interdit  dont 
l'Angleterre  fut  frappée  de  1208  à  1214,  a  été  seulement  indiqué;  il 
eût  exigé  en  effet  des  développements  considérables  qui  auraient  brisé 
le  cadre  d'une  simple  dissertation.  Ch.  B. 

Histoire  de  France. 

—  Essai  sur  la  coutume  poitevine-  du  mariage  au  début  du 
XVe  siècle  d'après  le  vieux  «  Coustumier  du  Poictou  »  (4447) 
(Paris,  Champion,  1910,  xvn-580  p.).  —  Signalons,  sans  pouvoir  nous 
y  arrêter,  l'Essai  de  M.  Maurice  Lacombe,  avocat  à  Poitiers,  sur  la 
coutume  poitevine  du  mariage.  C'est  un  commentaire  copieux  du 
Coustumier  de  Poictou  de  1417.  M.  Lacombe  est  un  laborieux,  il  a 
bien  étudié  le  texte  de  la  coutume  et  mérite  de  n'être  pas  découragé. 
Mais  il  est  encore  inexpérimenté,  soit  qu'il  s'agisse  de  dresser  sa 
bibliographie,  soit  dans  sa  façon  de  conduire  son  exposé,  qui  est  trop 
touffu  et  souvent  peu  clair.  Ces  incertitudes  et  ces  obscurités  tiennent 
surtout  à  ce  que  les  idées  générales  sur  la  structure  et  l'évolution  du 
droit  coutumier  ne  sont  pas  suffisamment  familières  à  l'auteur.  —  P.-D. 

—  Histoire  de  la  lèpre  en  France.  I  :  Lépreux  et  cagots  du  sud- 
ouest.  Notes  historiques,  médicales,  philologiques,  suivies  de 
documents,  avec  une  préface  du  prof.  Gilbert  Ballet  (Paris,  Cham- 
pion, 1909,  xxvi-784  p.,  23  grav.,  dont  20  hors  texte;  prix  :  18  fr.).  — 
Quelle  est  l'origine  de  la  cagoterie,  dont  on  trouve  encore  des  spéci- 
mens dans  la  région  pyrénéenne?  Ces  cagots  qui  avaient  dans  les 
églises  du  village  les  portes  d'entrée  réservées  et  les  bénitiers  spéciaux 
que  tous  les  touristes  se  rappellent  avoir  vus,  faut-il  les  confondre 
avec  les  crétins,  ou  bien  était-ce  un  groupe  ethnographique,  une 


IIISTOIRE    DE    FRANCE. 


411 


«  race  maudite  »  d'origine  sarrasine  ou  espagnole?  Aucune  de  ces 
hypothèses  n'est  acceptable.  Les  cagots,  que  dans  le  sud-ouest  on 
laissait  en  liberté  sous  certaines  conditions,  étaient  des  lépreux;  et 
voilà  pourquoi  les  léproseries  étaient  si  rares  au  sud  de  la  Garonne. 
M.  le  Dr  H.-M.  Fay  le  démontre  abondamment  dans  un  beau  livre, 
enrichi  de  curieuses  illustrations,  et  qu'un  médecin  très  érudit  pou- 
vait seul  écrire.  Sa  conclusion  générale  s'impose  avec  évidence.  Les 
historiens,  les  philologues,  les  médecins  même  contesteront  sans  doute 
quelques-unes  de  ses  conclusions  particulières.  Le  Dr  Fay  estime 
que  la  claustration  des  lépreux  dans  le  nord  de  la  France  était  une 
barbarie  inutile.  Elle  semble  cependant  avoir  eu  pour  effet  l'extinction 
presque  complète  du  mal.  Au  reste,  l'auteur  reviendra  sans  doute  sur 
cette  question  ;  il  nous  annonce  une  série  d'études  sur  l'Histoire  de  la 
lèpre.  Petit-Dutaillis. 

—  Genestal.  Le  Procès  sur  l'état  de  clerc  aux  XIIIe  et 
XIVe  siècles.  —  Dans  ce  mémoire,  qui  figure  en  tête  du  Rapport 
annuel  de  l'École  pratique  des  hautes  études,  section  des  Sciences 
religieuses  (1909,  39  pages),  l'auteur  nous  apporte  une  utile  contri- 
bution à  l'histoire  du  privilège  de  for.  On  sait  que,  pour  obtenir  ce 
privilège,  beaucoup  de  gens  se  prétendaient  clercs  indûment.  A  qui 
appartenait-il  de  décider  de  leur  état?  Une  décrétale  de  Boni- 
face  VIII  restreignit  en  1298  la  compétence  des  tribunaux  séculiers  à 
ce  sujet.  M.  Genestal  montre  comment  ceux-ci,  et  particulièrement 
le  Parlement  de  Paris,  résistèrent  au  cours  du  xive  siècle  et  par- 
vinrent à  s'émanciper.  Petit-Dutaillis. 

—  Le  Bourreau  de  Jeanne  d'Arc,  d'après  des  documents  iné- 
dits (Rouen,  Cagniard;  Paris,  Champion,  1910,  in-8°,  82  p.).  — 
M.  Albert  Sarrazin  a  réuni  quelques  notes  biographiques  sur  Geof- 
froy Therage,  bourreau  du  bailliage  royal  de  Rouen,  qui  fut  proba- 
blement chargé  de  l'exécution  de  Jeanne  d'Arc.  Sa  brochure,  qui 
n'apporte  d'ailleurs  aucun  fait  nouveau  important,  est  luxueusement 
illustrée.  Petit-Dutaillis. 

—  Livre  des  fiefs  alsaciens  mouvants  de  l'Autriche  sous  Cathe- 
rine de  Bourgogne  (Paris,  Larose,  1910,  61  p.).  —  Sous  ce  titre, 
M.  Louis  Stouff  publie  un  catalogue  d'une  quinzaine  de  feuillets 
(archives  de  la  Côte-d'Or,  B  1047)  rédigé  probablement  vers  1423,  sur 
l'ordre  de  Catherine  de  Bourgogne,  fille  de  Philippe  le  Hardi  et  femme 
de  Léopold  le  Superbe,  duc  d'Autriche.  Ce  registre  de  fiefs,  qui  semble 
avoir  eu  surtout  pour  objet  de  fournir  des  renseignements  d'intérêt 
militaire,  a  été  composé  hâtivement,  sans  grand  soin,  et  ne  peut  don- 
ner une  idée  complète  et  exacte  de  la  situation  féodale  de  l'Alsace  à 
l'époque  de  sa  rédaction.  En  appendice,  M.  Stouff  a  publié  des  textes 
connexes,  tirés  de  l'urbaire  de  1303  et  de  l'état  des  fiefs  de  1361,  et 
quelques  actes  concernant  le  gouvernement  de  Catherine  de  Bour- 
gogne. Petit-Dutaillis. 


412  NOTES    BIBUOGIUPHIQUES. 

—  Henri  Prentout.  Les  Le  Prostré,  maçons  caen.na.is,  et  les 
monuments  de  la  Renaissance  (Caen,  1906,  in-8°,  23  p.).  —  Les 
maîtres  maçons  de  la  Renaissance  à  Caen  (Caen,  1910,  in-8°,  28  p., 
10  fig.).  —  La  monstrance  de  Notre-Dame-de-Froiderue  (Caen, 
1910,  11  p.,  1  fig.;  ces  deux  dernières  brochures  extraites  du 
LXXVe  Congrès  archéologique  de  France).  —  Dans  les  deux  pre- 
mières brochures,  M.  Prentout,  s'appuyant  sur  des  pièces  d'archives, 
rend  à  la  famille  protestante  des  Le  Prestre  son  rôle  dans  l'épanouis- 
sement de  la  renaissance  caennaise.  II.  HR. 

—  Frédéric  Lachèvre.  Le  livre  d'amour  d'Hercule  de  Lacger. 
Vers  pour  Iris...  (Paris,  Sansot,  1910,  in-12,  142  p.,  portrait  et  fac- 
similé).  —  A  la  savoureuse  biographie  que  M.  Emile  Magne  avait  con- 
sacrée à  Henriette  de  Coligny,  comtesse  de  la  Suze  (voy.  Rev.  hist., 
t.  XCIX,  p.  192),  M.  Lachèvre  ajoute  un  nouvel  et  piquant  élément  : 
les  vers  que  soupira  pour  la  belle  précieuse  un  de  ses  innombrables 
amants,  le  Gascon  Hercule  de  Lacger,  seigneur  de  Massuguiès.  La 
chute  de  l'héritière  des  Chastillon  eut  lieu  dans  ce  même  château  de 
Lumigny  où  s'étaient  tenues  les  fameuses  conférences  dans  lesquelles 
l'amiral,  Charles  IX  et  Louis  de  Nassau  élaboraient,  à  la  veille  de  la 
Saint-Barthélémy,  un  plan  de  campagne  aux  Pays-Bas.  Lacger  fut 
plus  tard  l'instigateur  assez  lâche  du  duel  qui  fit  de  Mme  de  Sévigné 
une  veuve.  IL  HR. 

—  Jean  Plattard.  L'œuvre  de  Rabelais  (sources,  invention  et 
composition)  (Paris,  Champion,  1910,  in-8°,  xxxi-374  p.).  —  L'au- 
teur, qui  s'inspire  de  la  méthode  de  M.  Lefranc,  nous  fournit  des  don- 
nées précises  sur  nombre  de  sujets  dont  on  parle  souvent  d'une  façon 
assez  vague  :  l'enseignement  et  le  «  pays  latin  »  dans  l'œuvre  de  Rabe- 
lais, le  droit  et  les  légistes,  la  médecine,  l'humanisme.  Il  arrive  ainsi 
à  démêler  ce  qui  fait  la  véritable  originalité  de  Rabelais.  —  H.  HR. 

—  Emile  Faguet.  Madame  de  Sévigné  (Paris,  Nilsson,  s.  d.,  in-16, 
201  p.,  4  grav.  Collection  Les  femmes  illustres).  —  Le  mot  de  petit 
chef-d'œuvre  n'est  peut-être  pas  trop  gros  pour  ces  quelques  pages 
d'un  charme  exquis  où  M.  Faguet  a  su  renouveler  le  plus  usé  des 
sujets.  Il  a  fait  de  Marie  de  Rabutin  une  représentante  et  comme  un 
«  extrait  »  de  l'esprit  de  son  temps.  «  Mme  de  Sévigné,  sans  la  sur- 
faire, est  tout  le  xviie  siècle  »,  qualités  et  défauts  aussi.  —  Quelques 
malices,  où  la  plus  délicieuse  ironie  se  mêle  à  quelques  grains  d'in- 
justice :  ne  s'avise-t-on  pas  que  l'idée  de  l'unité  morale  du  pays  était 
prédominante  chez  Bossuet,  «  exactement  comme,  de  nos  jours,  chez 
un  homme  d'aussi  grand  esprit  que  M.  Combes  ou  M.  Ferdinand 
Buisson  »  ?  C'est  nous  qui  soulignons  et  l'ironie  et  l'injustice. 

H.  HR. 

—  L.  Delavaud.  Documents  inédits  sur  le  duc  de  Saint-Simon 
(169k-llk6)  (La  Rochelle,  1910,  in-8°,  71  p.,  1  portrait;  celui  de  Pont- 
chartrain).  —  Saint-Simon,  depuis  quelque  temps,  n'a  pas  de  chance. 


HISTOIRE    DE    FRANCE. 


413 


A  tout  moment  (Chéruel,  M.  Bliard,  M.  Bourgeois)  on  le  prend  en 
flagrant  délit  de  camaraderie  presque  affectueuse  ou  de  flagornerie 
courtisanesque  avec  des  hommes  dont  il  a  dit,  dans  ses  terribles 
Mémoires,  pis  que  pendre.  Quoique  M.  Delavaud  n'ait  guère  retrouvé 
que  des  lettres  de  Jérôme  Phélypeaux  de  Pontchartrain  à  Saint- 
Simon,  ces  lettres  nous  permettent  de  conjecturer  quel  était  le  ton 
des  réponses.  Décidément,  «  cet  Alceste  avait  été  un  Philinte...  et  l'a 
oublié  ».  H-  HR- 

—  Comte  Gabriel  Mareschal  de  Bièvre.  Le  marquis  de  Bièvre, 
sa  vie,  ses  calembours,  ses  comédies,  4747-4789  (Paris,  Pion,  1910, 
in-8°,  v-430  p.,  1  héliogravure  et  5  grav.).  —  Plus  de  400  pages  sur 
un  diseur  de  bons  mots,  des  appendices,  un  index,  c'est  vraiment 
beaucoup  d'honneur.  Malgré  d'assez  piquantes  anecdotes  sur  le  monde 
de  la  galanterie  et  du  théâtre  au  xvme  siècle,  l'auteur  (qui  nous  avait 
donné  autrefois  une  étude  sur  un  autre  de  ses  ancêtres,  l'illustre 
chirurgien)  ne  parvient  pas  à  nous  intéresser  à  un  homme  dont  le 
principal  mérite  fut  de  porter  à  la  perfection  ce  genre  que  Chénier 
appelait  «  l'hébété  calembour  ».  H.  HR. 

—  J.  Fennebresque.  Versailles  royal  (Paris,  H.  Champion,  1910, 
in-8°,  viii-282  p.).  —  L'auteur  a  voulu  surtout  considérer  Versailles 
comme  «  un  champ  d'expériences  techniques  »,  insister  sur  la  valeur 
«  utilitaire  »  des  travaux  qui  y  ont  été  accomplis  par  la  royauté.  Nous 
craignons  que,  par  un  sentiment  de  piété  monarchique,  il  ne  se  soit 
exagéré  le  rôle  qu'a  pu  jouer  la  flottille  du  Grand  Canal  dans  l'histoire 
de  la  puissance  maritime  de  la  France  ou  celui  du  Potager  dans  les 
progrès  de  la  botanique  et  de  l'horticulture,  etc.  Malgré  de  savantes 
recherches  dans  les  archives,  il  n'apporte,  dans  aucun  de  ces  domaines 
de  l'histoire  de  la  technique,  rien  de  bien  décisivement  nouveau.  On 
goûtera  davantage  les  quelques  pages  émues,  sentimentales,  discrète- 
ment passionnées,  qu'il  consacre  à  Mme  Elisabeth  et  où  il  encadre 
trois  lettres  inédites  de  la  princesse  à  son  amie  Mme  des  Monstiers- 
Mérinville  (6  novembre  1790,  7  avril  et  2  juin  1791)  :  on  y  voit  à  quel 
point  la  question  religieuse  a  dominé  la  situation  de  la  famille  royale. 
M.  J.  Fennebresque  utilise  aussi  des  mémoires  de  la  comtesse  Diane 
de  Polignac.  —  P.  83,  n.  1,  l'expression  «  Sa  Majesté  l'empereur  et 
roi  »  ne  peut  étonner  que  ceux  qui  oublient  que  Napoléon  était  roi 
d'Italie.  H.  HR. 

—  Emile  Rhodes.  Les  trompettes  du  roi  (Paris,  Picard,  1909, 
in-8°,  70  +  4  p.,  8  pi.,  airs  de  trompettes).  —  Étude  sur  les  quatre 
charges  de  trompettes  de  la  chambre,  des  huit  autres  de  la  grande 
écurie,  des  quatre  trompettes  «  des  Menus-Plaisirs  ».  Ces  charges 
confèrent  la  noblesse;  elles  sont  transmissibles  par  survivance  ou  par 
vénalité.  A  côté  des  trompettes  de  la  grande  écurie,  il  y  a  trompettes 
des  gardes  du  corps,  des  gendarmes,  des  chevau-légers,  des  mousque- 
taires, etc.,  trompettes  de  la  reine  et  des  princes.  Il  est  assez  curieux 
de  constater  que  les  trompettes  du  roi  se  recrutent  dans  un  petit 


414  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

nombre  de  familles,  presque  toutes  originaires  d'un  coin  de  la  Haute- 
Auvergne  (cantons  de  Riom-ès-Montagnes  et  de  Condat).  —  Lire, 
p.  25  :  «  Garde  gardienne  »  ;  p.  27  :  «  Si  sur  ce  par  nous  ;  pour  raison 
de  ce  que  dessus;  ils  passent,  souffrent  et  laissent...  Contraignant  à 
ce  faire...  »  ;  p.  28  :  «  Gages,  droits  ».  H.  HR. 

—  Edmond  Lamouzèle.  Essai  sur  l'administration  de  la  ville 
de  Toulouse  h  la  fin  de  l'ancien  régime  (1783-1790)  (Paris,  Giard 
et  Brière,  1910,  in-8°,  138  p.).  —  Ce  dépouillement  des  procès-ver- 
baux de  divers  conseils  montre  combien  étendue  et  combien  com- 
plexe était  l'activité  d'une  grande  municipalité,  même  à  la  veille  de 
la  Révolution.  Toute  la  vie  économique  de  la  ville  se  concentre  autour 
du  Capitule.  H.  HR. 

—  Ulysse  Rouchon.  Recherches  sur  les  inondations  de  la  Loire 
supérieure  et  de  ses  affluents  dans  le  département  de  la  Haute- 
Loire  (Paris,  Champion,  1910,  in-8°,  xxxi-59  p.).  —  Très  conscien- 
cieuse étude  d'histoire  météorologique,  allant  de  1374  à  1907.  Bro- 
chure à  répandre  en  un  pays  où  l'on  a  eu  cet  étrange  spectacle  d'une 
commission  dite  des  inondations  qui  a  délibéré  longuement,  examiné 
toutes  les  faces  du  problème  et  oublié  (volontairement  ou  non)  de  se 
poser  une  seule  question  :  la  question  forestière.  M.  Rouchon,  en 
termes  modérés,  se  prononce  pour  le  reboisement.  H.  HR. 

—  Georges  Cirot.  Recherches  sur  les  juifs  espagnols  et  portu- 
gais à  Bordeaux,  lre  partie  (Bordeaux,  Féret,  1909,  in-8°,  198  p., 
2  pi.}.  —  Notes  d'un  grand  intérêt  sur  cette  puissante  communauté 
dont  les  membres,  considérés  d'abord  comme  «  nouveaux  chrétiens  » 
et  soumis  aux  rites  catholiques  du  baptême  et  du  mariage,  arrivent 
peu  à  peu  (vers  la  fin  du  xvne  siècle)  à  s'émanciper  :  le  curé  n'est  plus 
pour  eux  qu'un  officier  d'état  civil,  en  attendant  (xvme  siècle)  qu'ils 
se  passent  complètement  de  son  ministère.  L'organisation  centrale  est 
la  Sedaca,  association  charitable  qui,  par  une  évolution  analogue  à 
celle  des  confréries  de  métier,  devient  la  représentante  officielle  de  la 
«  nation  »  portugaise.  Elle  est,  dans  une  certaine  mesure,  reconnue 
par  les  pouvoirs  publics,  notamment  par  l'intendant;  elle  est  investie 
du  droit  de  percevoir  des  cotisations  et  des  amendes  sur  ses  membres 
et  d'en  poursuivre  judiciairement  le  paiement.  Elle  exerce  des  pou- 
voirs de  police  et  en  use  pour  écarter  de  la  «  nation  »,  sorte  d'aristo- 
cratie juive,  les  Juifs  de  qualité  inférieure.  Elle  paie  au  roi  des 
impôts,  qu'elle  répartit  ensuite  entre  ses  membres  ;  elle  fait  des  dons 
au  roi,  elle  emprunte,  elle  acquiert  ;  elle  finit  par  posséder  ses  cime- 
tières, au  sujet  desquels  M.  Cirot  a  fait  une  enquête  des  plus  fruc- 
tueuses. Ces  quelques  pages  sont  d'une  lecture  très  attrayante.  —  H .  HR. 

Histoire  de  Grande-Bretagne. 

—  The  Rev.  Edward  Craig  Trenholme.  The  story  of  Iona  (Edim- 
bourg, Douglas,  in-8°,  1909,  xv-173  p.,  avec  des  dessins  et  des  pho- 


HISTOIRE    DE    GRANDE-BRETAGNE.  415 

tographies).  —  L'histoire  d'Iona  peut  être  contée  en  peu  de  pages. 
C'est  l'île  où  l'Irlandais  saint  Colomba  alla  en  563  fonder  un  monas- 
tère qui  fut  célèbre  du  vie  au  vme  siècle;  de  là  partirent  en  effet  les 
missions  qui  convertirent  au  christianisme  les  populations  encore 
païennes  du  pays  qui  devait  prendre  plus  tard  le  nom  d'Ecosse.  On  y 
voit  encore  aujourd'hui  de  curieux  monuments,  croix,  pierres  tom- 
bales, etc.,  plus  anciens  que  les  invasions  danoises,  une  église  du 
xive  siècle  *  qu'on  vient  de  restaurer.  C'est  un  endroit  que  ne  manquent 
pas  de  visiter  les  touristes  voyageant  en  Ecosse.  Le  volume  que  vient 
de  lui  consacrer  M.  Trenholme,  simplement  écrit,  bien  documenté 
sans  en  avoir  l'air,  illustré  de  gravures  et  de  photographies  bien  choi- 
sies, leur  sera  le  meilleur  des  guides  au  point  de  vue  archéologique  et 
historique.  Ch.  B. 

—  The  great  Roll  of  the  Pipe  for  the  twenty  eighth  year  of  the 
reign  of  king  Henry  the  second,  A.  D.  1Î81-1Î82  (Londres,  publis- 
hed  by  the  Society,  1910,  in-8°,  xxviii-206  p.).  —  Dans  la  préface  à 
ce  volume,  M.  Round  attire  l'attention  sur  les  sommes  assez  considé- 
rables dépensées  par  Henri  II  pour  ses  châteaux.  A  noter  aussi  un 
cyrographe  relatant  un  accord  (finalis  concordia)  passé  entre  divers 
particuliers  devant  la  cour  du  roi  à  Westminster  (p.  107).  C'est  peut- 
être  le  plus  ancien  exemple  d'une  pratique  qui  deviendra  de  plus  en 
plus  fréquente  et  qui  consiste  à  faire  transcrire  sur  des  rôles  d'une 
incontestable  autorité  légale  des  actes  réglant  des  intérêts  privés.  A 
l'Index  nominum  est  ajouté  un  Index  rerum  où  l'on  aimerait  à 
retrouver  certaines  expressions  techniques  commentées  dans  l'Intro- 
duction. Ch.  B. 

—  Else  Gùtschow.  Innocenz  III  und  England  (Munich  et  Ber- 
lin, Oldenburg,  1904,  x-198  p.  Forme  le  tome  XVIII  de  la  Historische 
Dibliothek).  —  Nous  devons  nous  excuser  de  n'avoir  pas  annoncé 
plus  tôt  cet  ouvrage,  où  M.  Gùtschow  a  exposé  les  conflits  entre 
l'Église  et  l'Etat  en  Angleterre  depuis  le  début  du  règne  de  Henri  II 
jusqu'à  la  rupture  des  relations  entre  Innocent  III  et  Jean  sans  Terre 
et  à  la  soumission  de  ce  dernier  aux  conditions  imposées  par  la  cour 
de  Rome.  L'auteur  connaît  bien  les  sources.  On  ne  peut  dire  cepen- 
dant qu'il  ait  beaucoup  ajouté  à  ce  que  nous  savions  déjà  par  Stubbs, 
par  exemple,  qui  a  traité  la  question  de  près,  soit  dans  son  Histoire 
constitutionnelle,  soit  dans  ses  Litterae  Cantuarienses  (dont  l'auteur 
dénature  le  titre  en  Litterae  Canterburienses).  En  appendice,  il  a 
fait  un  examen  critique  du  traité  d'Avranches  par  lequel  Henri  en 
1172  rentra  en  grâce  auprès  du  Saint-Siège  après  le  meurtre  de  Tho- 
mas Becket.  Ch.  B. 

—  Chalfant  Robinson.  Was  king  Edward  the  second  a  degene- 

1.  M.  Trenholme  l'avait  attribuée  d'abord  à  la  fin  du  xir  siècle;  il  incline, 
dans  sa  préface,  à  l'opinion  mieux  informée  d'archéologues  qui  la  rajeunissent 
d'environ  un  siècle  et  demi. 


416  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

rate?  [20  p.]  (tiré  à  part  de  Y  American  journal  of  insanity ,  t.  LXVI, 
n°  3,  janvier  1910).  —  A  cette  question,  l'auteur,  qui  est  docteur  en 
philosophie,  non  en  médecine,  répond  par  l'affirmative.  Il  retrouve 
dans  Edouard  II  tous  les  traits  que  les  aliénistes  et  particulièrement  le 
Dr  Saury  constatent  chez  les  individus  atteints  de  tares  physiolo- 
giques et  moralement  irresponsables.  Edouard  II  était  dément,  et  l'on 
peut  signaler  chez  lui  de  véritables  accès  de  folie  furieuse.  La  reine  crai- 
gnit à  plusieurs  reprises  pour  sa  vie,  et  c'est  cette  terreur  qui,  jointe  à 
d'autres  causes  moins  légitimes,  lui  fit  abandonner  son  mari  et  cher- 
cher asile  en  France  auprès  du  roi  son  frère.  Telle  est  la  thèse  pré- 
sentée par  M.  Robinson  ;  elle  peut  se  soutenir  assurément  et  elle  est 
séduisante.  Je  ne  puis  dire  cependant  que  les  témoignages  allégués 
soient  convaincants.  Ch.  B. 

—  Archivdirektor  Prof.  Dr  Rudolf  Jung.  Die  englische  Flùchtlings- 
Gemeinde  in  Franfurt-am-Main,  155b-1559  (Francfort,  Jos.  Baer, 
1910,  in-8°,  66  p.  Forme  le  3e  fasc.  des  Frankfurter  historische 
Forschungen,  publ.  par  le  prof.  G.  Kiintzel).  —  On  sait  que  la 
réaction  catholique  sous  le  règne  de  Marie  Tudor  contraignit  les  prin- 
cipaux chefs  du  parti  protestant  à  s'enfuir  à  l'étranger.  Une  commu- 
nauté se  forma  à  Francfort,  où  un  certain  nombre  d'entre  eux  trou- 
vèrent un  bienveillant  asile.  Ils  se  mêlèrent  peu  d'ailleurs  avec  le 
reste  de  la  population  (un  seul  Anglais  épousa  une  femme  de  Franc- 
fort) et  ils  s'empressèrent  de  reprendre  le  chemin  de  leur  patrie  après 
l'avènement  d'Elisabeth.  Leur  existence  ne  fut  pas  toujours  pai- 
sible; il  y  eut  d'aigres  disputes  entre  le  parti  des  exaltés,  que  pous- 
sait Knox,  et  celui  des  modérés,  à  la  tête  duquel  était  Whittingham. 
Knox  dut  céder  la  place;  il  se  retira  auprès  de  Calvin.  —  Cette  his- 
toire a  été  brièvement  résumée  par  M.  Jung.  Il  décrit  en  outre  un 
curieux  monument,  conservé  aujourd'hui  au  musée  archéologique  de 
Francfort  :  c'est  une  colonnette  creuse,  en  argent  doré,  dont  le  socle 
porte  des  inscriptions  latines  où  les  exilés  expriment  leur  reconnais- 
sance au  Sénat  et  au  peuple  de  Francfort.  Mais  l'objet  propre  de  la 
brochure  consiste  en  une  liste  alphabétique  des  membres  de  la  com- 
munauté anglaise  avec  des  détails  biographiques  sur  chacun  d'eux. 
Pour  cela,  les  archives  de  la  ville  ont  été  largement  mises  à  profit. 

Ch.  B. 

—  Charles  Harding  Firth.  The  parallel  between  the  english 
and  american  civil  wars  (Cambridge,  at  the  University  Press,  1910, 
in-12,  50  p.;  prix  :  1  sh.  6  d.).  —  Conférence  lue  dans  la  «  chambre 
du  Sénat  »  à  Cambridge  le  14  juin  1910.  L'auteur  établit  un  instruc- 
tif parallèle  entre  les  deux  nations,  plus  particulièrement  entre 
Cromwell  et  Lincoln.  Il  s'attache  en  terminant  à  déterminer  les  con- 
séquences politiques  et  sociales  des  deux  grandes  guerres  civiles,  qui 
n'ont  pas  encore  porté  tous  leurs  fruits.  Ch.  B. 


RECUEILS  PÉRIODIQUES  ET  SOCIETES  SAVANTES. 


France. 
(Revues  générales. 


1.  —  Feuilles  d'histoire.  Juillet  1910.  —  Pol  ArGant.  Charles  de 
Lorraine  et  Béatrice  de  Cusance  (d'après  le  livre  récent  du  Dr  Pli.  Ma- 
réchal). —  Laborderie.  Paoli  homme  d'État  (le  rôle  de  Paoli  comme 
chef  du  gouvernement  en  Corse  vis-à-vis  des  Génois,  puis  des  Fran- 
çais, est  celui  d'un  novateur  de  génie  à  qui  il  n'a  manqué  qu'un  plus 
grand  cadre).  —  A.  Chuquet.  C.  Desmoulins  en  juillet  1789  (minu- 
tieuse reconstitution  d'un  intérêt  biographique  et  historique  capital).  — 
Vovard.  La  mort  de  l'amiral  Villeneuve  (il  se  suicida,  mais  on  pré- 
tendit qu'il  avait  été  assassiné  sur  l'ordre  de  Napoléon  par  le  capitaine 
de  vaisseau  Magendie.  Celui-ci  se  défendit  avec  indignation.  La  légende 
de  l'assassinat  fut  reproduite  dans  les  prétendus  Mémoires  de  Rob. 
Guillemard  parus  en  1826,  impudent  roman  fabriqué  par  un  comptable 
de  la  marine  nommé  Lardier).  —  R.  Guyot.  La  duchesse  de  Dino 
(courte  et  précise  biographie.  C'est  au  fond  une  Allemande  calcula- 
trice, non  une  Slave  passionnée).  —  La  défection  de  Ney  (récit  inédit 
du  général  Jarry).  —  H.  Déhérain.  Le  baron  Dhanis  (né  à  Londres 
en  1862,  mort  à  Bruxelles  en  1909;  il  fut  un  des  principaux  fondateurs 
de  l'Etat  belge  du  Congo  par  ses  victoires  sur  les  Arabes).  —  A.  Chu- 
quet. La  revanche  de  Pozzo  (le  duel  des  deux  Corses,  Bonaparte  et 
Pozzo,  datait  de  1791-1792).  —  Lettre  de  Frénilly  à  Henri  de  Bonald 
(au  sujet  des  Pensées  politiques  et  religieuses  de  celui-ci).  =  Août. 
Chuquet.  Le  Carnet  de  Kléber  (texte  de  ce  curieux  carnet  contenant 
des  notes  depuis  le  départ  pour  l'Egypte  jusqu'au  siège  d'Acre  ;  suivi 
de  pensées  diverses  tirées  d'un  autre  cahier,  beaucoup  plus  intéres- 
santes). —  Durieux.  Fénelon  en  1709  (précise,  d'après  les  documents 
de  la  Guerre,  son  rôle  bienfaisant  et  courageux).  —  H.  Malo.  Les 
corsaires  américains  à  Dunkerque  (suite  en  sept,  et  oct.  Reconstitue, 
d'après  les  archives  locales  de  Dunkerque  et  celles  de  la  Marine,  le 
rôle  brillant  et  presque  inconnu  joué  de  1779  à  1783  par  les  corsaires 
américains,  dont  Dowlin,  Fall,  Kenny,  Moultson,  Negus,  Ripner,  qui 
devinrent  lieutenants  de  frégates  du  roi).  —  G.  Devèze.  Un  prêtre  jaco- 
bin (Jaques  Robin  qui,  accusé  d'incivisme,  produisit  les  quatrains 
composés  par  lui  en  l'honneur  de  Brutus,  Rousseau,  Le  Peletier  et 
Marat).  —  Dardenne.  La  dotation  de  Bonaparte  (proposée  sans  succès 
Rev.  Histor.  CV.  2e  fasc.  27 


418  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

en  1797  par  Malibran,  député  de  l'Hérault).  —  A.  Rauchoix.  Le  colo- 
nel Espinassy  (texte  d'un  mémoire  de  lui  sur  son  rôle  à  la  Conven- 
tion). —  A.  de  Tarlé.  La  mission  du  colonel  Leclerc  à  Naples  en 
1810  (d'après  les  archives  de  la  Guerre  et  des  Affaires  étrangères.  Il 
fut  chargé  d'examiner  si  l'état  militaire  du  royaume  permettait  l'expé- 
dition de  Sicile  et  fut  très  mal  vu  de  Murât,  bien  qu'il  ne  lui  ait  été 
nullement  hostile).  —  Mme  de  Staël  et  la  princesse  Koutouzov  (lettres 
de  1812  et  1813  où  elle  encourage  Koutouzov  dans  sa  lutte  contre 
Napoléon  et  pleure  sa  mort).  —  H.  Moris.  La  réunion  de  Nice  à  la 
France  en  1860  (elle  fut  très  populaire).  —  H.  Barande.  Martin  des 
Pallières  et  le  prince  de  Joinville  (des  Pallières  se  fit  héroïquement 
blesser  à  Mogador  en  1844  sous  les  ordres  de  Joinville  qui  le  fit  déco- 
rer. En  1870,  ce  fut  lui  qui  fut  obligé  de  refuser  à  Joinville  le  privilège 
de  défendre  la  France  sous  un  faux  nom).  —  E.  Denis.  La  culture 
française  en  Russie  (à  propos  du  livre  de  M.  Haumant).  =  Septembre. 
G.  Devèze.  Un  prisonnier  de  la  Bastille  (Constantin  de  Renneville, 
prisonnier  de  1702  à  1713.  Ses  Mémoires,  V Inquisition  française, 
ne  sont  pas  aussi  peu  dignes  de  créance  qu'on  le  dit).  —  Tastevin. 
Les  calvinistes  français  en  Russie  (fin  en  octobre.  Il  y  eut  en  Russie, 
surtout  à  Moscou,  des  calvinistes  français,  suisses  et  hollandais,  dès  la 
fin  du  xvie  siècle.  Ils  furent,  en  1645,  relégués  extra  muros  et  souvent 
molestés,  mais,  après  la  Révocation,  ils  furent  très  bien  accueillis  et 
jouèrent  un  rôle  assez  important.  M.  Tastevin  donne  une  liste  d'offi- 
ciers, de  fonctionnaires,  de  professeurs,  de  médecins,  d'industriels 
d'origine  française  et  calviniste).  —  R.  Peyre.  La  France  et  l'Angle- 
terre dans  l'abolition  de  l'esclavage  (analyse  et  citation  d'une  très  belle 
lettre  du  peintre  R.  Bowyer  au  Premier  Consul  pour  l'inviter  à  pro- 
fiter de  la  paix  pour  inscrire  dans  le  traité  des  clauses  tendant  à  la 
suppression  de  l'esclavage.  Bonaparte  profita  au  contraire  de  la  paix 
pour  rétablir,  par  le  traité  du  30  floréal,  l'esclavage  et  la  traite  dans 
toutes  nos  colonies).  —  Charles  de  Villers  et  Montalivet  (lettres  iné- 
dites intéressantes  pour  le  rôle  joué  par  Villers  à  Brème).  —  Wel- 
WERT.  Lakanal  en  Amérique  (fin  en  octobre.  Curieux  article  plein  de 
choses  nouvelles  sur  les  aventures  de  Lakanal  en  Amérique,  ses 
déboires  comme  planteur  au  Kentucky,  son  projet  de  Confédération 
7iapoléonienne  pour  faire  de  Joseph  Bonaparte  un  roi  du  Mexique, 
son  passage  à  la  Nouvelle-Orléans  de  1823  à  1826  comme  recteur  de 
l'Université,  son  établissement  dans  l'Alabama,  d'où,  une  fois  réin- 
tégré à  sa  place  de  l'Institut  en  1834,  il  revint  en  1837  pour  mourir 
en  1845).  =  Octobre.  G.  Hardy.  Un  épisode  de  la  jeunesse  de  Bos- 
suet  (c'est  à  tort  que  Gërin  a  prétendu  que  Bossuet  fut  ultramontain 
dans  sa  jeunesse.  Dans  les  débats  relatifs  à  une  thèse  ultramontaine 
de  Drouet  de  Villeneuve  en  1663,  Bossuet  eut  un  rôle  habile,  opposant 
le  gallicanisme  des  évèques  au  gallicanisme  agressif  des  magistrats). 
—  Durieux.  Les  volontaires  de  la  Bastille  (Compagnie  Hulin  qui  fut, 
en  1790,  préposée  à  la  garde  de  l'hôtel  de  ville  et  de  l'Assemblée  natio- 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  419 

nale).  —  Lettres  et  apostilles  de  Murât  (1789  à  1806).  —  A.  de  Tarlé. 
La  trahison  de  Caulaincourt  (enguirlandé  par  les  Russes  et  séduit  par 
Talleyrand,  Caulaincourt,  de  1809  à  1811,  a  trahi  les  intérêts  de  Napo- 
léon). —  Devèze.  La  fin  du  général  Moreau  (d'après  E.  Daudet).  — 
Laborderie.  Royer  Collard  et  ses  opinions  politiques.  =  Les  Mélanges 
et  les  Réponses  aux  Questions  renferment  une  foule  de  menus  faits 
intéressants  dont  l'analyse  est  impossible. 

2.  —  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  Comptes- 
rendus  des  séances  de  l'année  1910.  Bulletin  de  juin.  —  Babelon. 
Mission  des  P.  P.  Jaussen  et  Savignac  en  Arabie  (Hedjaz).  —  Noël 
Valois.  Deux  nouveaux  témoignages  sur  le  procès  des  Templiers  (ils 
servent  «  à  mieux  faire  comprendre  la  mentalité  des  contemporains 
qui,  les  uns  applaudirent,  les  autres  assistèrent  avec  une  tristesse  rési- 
gnée à  l'exécution  des  Templiers  »).  —  Commandant  d'Ollone. 
Recherches  archéologiques  et  linguistiques  dans  la  Chine  occidentale. 
—  Ad.  Michaelis.  Notice  sur  un  nouveau  plan  d'Athènes,  de  l'an 
1687.  —  Holleaux.  Rapport  sur  les  travaux  exécutés  dans  l'île  de 
Délos  par  l'École  française  d'Athènes  pendant  l'année  1909  (avec  plu- 
sieurs reproductions  photographiques). 

3.  —  Séances  et  travaux  de  l'Académie  des  sciences  morales 
et  politiques.  Compte-rendu,  1910,  août.  —  A.  Chuquet.  L'ar- 
mée de  Sambre-et-Meuse  en  1796  (étudie  le  moral  de  l'armée  que 
Jourdan  conduisit  en  Allemagne  et  l'impression  qu'elle  fit  sur  le  peuple 
allemand;  d'après  un  petit  livre  publié  en  1797  par  Jules  Soden,  Die 
Franzosen  in  Franken,  im  Jahr  1191.  La  peinture  que  le  comte 
Soden  y  fait  du  soldat  français  est  repoussante).  —  G.  Schelle.  Tur- 
got  et  le  pacte  de  famine  (opinion  de  Turgot  sur  la  question  du  com- 
merce des  subsistances,  de  l'intervention  du  gouvernement,  de  la  cor- 
ruption de  certains  fonctionnaires  ;  mesures  qu'il  prit,  une  fois  ministre, 
pour  sauvegarder  l'honneur  de  son  maître).  — WelschinGer.  La  vic- 
toire de  Grùnwald,  15  juillet  1410  (à  l'occasion  du  5e  centenaire  de  la 
victoire  remportée  par  les  Polonais  sur  les  chevaliers  de  l'Ordre  teu- 
tonique).  =  Septembre.  A.  Espinas.  Notice  sur  la  vie  et  les  œuvres 
de  Gabriel  de  Tarde.  — A.  Esmein.  La  Chambre  des  lords  et  la  démo- 
cratie (le  principe  capital  de  la  Révolution  française,  la  souveraineté 
du  peuple,  pénètre  et  se  répand  en  Angleterre  ;  il  semble  que  la  vieille 
formule,  la  souveraineté  résidant  dans  le  Parlement,  soit  devenue 
presque  une  fiction  légale). 

4.  —  Annales  des  sciences  politiques.  1910,  15  juill.  —  Emile 
Levasseur.  Les  grandes  compagnies  de  commerce  sous  le  règne  de 
Louis  XIV  (créées  à  partir  de  1664;  leur  insuccès  doit  être  attribué 
au  manque  de  discipline  et  de  patience  des  armateurs,  à  la  guerre,  à 
l'opposition  qui  se  manifesta  en  France  et  aux  colonies).  —  G.  Scelle. 
La  politique  de  l'indépendance  bulgare  (il  semble  que  le  programme 
actuel  soit  l'indépendance  à  l'égard  de  l'Autriche  et  «  l'entrée  dans 


420  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

l'orbe  de  la  politique  slave  de  Pétersbourg  »).  —  Maurice  Caudel.  Le 
souverain  anglais  (la  nécessité  de  maintenir  la  puissance  anglaise  va 
renforcer  le  pouvoir  exécutif  et  rehausser  l'importance  de  la  Cou- 
ronne). 

5.  —  Revue  d'histoire  rédigée  à  l'État-major  de  l'armée.  1910, 
août.  —  La  campagne  de  1908-1909  en  Chouïa  (suite  en  sept.).  —  La 
manoeuvre  de  Pultusk  (suite,  continue  en  sept.).  —  L'armée  de  Wel- 
lington avant  Waterloo  (d'après  le  livre  du  major  général  Robinson; 
Wellington  n'avait  pas  la  certitude  d'être  soutenu  le  lendemain  par  les 
Prussiens  ;  «  il  fit  preuve  d'un  remarquable  esprit  de  décision  en  pre- 
nant, face  à  l'armée  française,  une  position  défensive  plutôt  que  de  se 
retirer  vers  Bruxelles  »).  —  La  guerre  de  1870-1871.  La  défense  natio- 
nale en  province,  organisation  du  train,  des  services  administratifs, 
du  ravitaillement;  suite,  continue  en  sept.).  =  Sept.  Zurich  (le  pas- 
sage de  la  Limmat,  25-26  sept.  1799).  —  Campagne  de  1813  (les  préli- 
minaires ;  le  commandement  du  prince  Eugène  ;  réorganisation  des 
débris  de  la  grande  armée). 

6.  —  Revue  générale  du  droit.  1910,  janv.-févr.  —  Sourdois. 
Le  mariage  et  le  divorce  sous  la  législation  intermédiaire,  1789-1804 
(suite  :  mars-avril  et  juillet-août).  =  Mars-avril.  C. -rendu  :  G.  May. 
Le  traité  de  Francfort  ;  étude  d'histoire  diplomatique  et  de  droit  inter- 
national (excellent). 

7.  —  Nouvelle  Revue  historique  de  droit  français  et  étran- 
ger. 1910,  mai-juin.  —  Paul  Fournier.  Études  critiques  sur  le  décret 
de  Burchard  de  Worms.  2e  étude  :  Comment  Burchard  présente  les 
textes  canoniques  (Burchard  a  jeté  dans  la  circulation  une  centaine  de 
fausses  décrétales,  plusieurs  centaines  de  faux  canons,  plus  de  soixante 
textes  pénitentiels  apocryphes).  —  J.  Vendeuvre.  La  «  libertas  » 
royale  des  communautés  religieuses  au  xie  siècle.  II  :  La  «  liberté  » 
vis-à-vis  des  évêques  (cette  «  liberté  »  ne  fut  jamais  absolue;  la  juri- 
diction pure,  exercée  par  l'évêque,  subsista).  =  Juill.-août.  E.  CuQ. 
Études  sur  les  contrats  de  l'époque  de  la  première  dynastie  babylo- 
nienne (les  opérations  de  crédit,  les  contrats  par  correspondance  et  le 
mandat,  le  prêt,  la  commission  d'achat  ou  de  vente,  le  dépôt,  les 
sûretés  personnelles  ou  réelles,  la  vente).  —  P. -F.  Girard.  Un  second 
manuscrit  des  extraits  alphabétiques  de  Probus  (il  s'agit  du  ms. 
latin  4841  conservé  à  Paris  ;  pour  l'intelligence  des  abréviations  juri- 
diques de  Valerius  Probus,  il  complète  le  ms.  d'Einsiedeln  n°  326, 
seul  connu  par  Mommsen).  —  L.  Debray.  Le  Vadimonium  sur  les 
actions  de  la  loi.  —  Paul  Fournier.  Études  critiques  sur  le  décret  de 
Burchard  de  Worms  (Burchard  altérait  les  textes  canoniques  qu'il 
citait  ;  tantôt  il  essayait  de  les  améliorer,  tantôt  il  les  complétait  ;  par- 
fois il  en  modifiait  le  sens;  le  Décret,  «  à  raison  d'un  bon  nombre  des 
documents  qu'il  contient,  forme  un  anneau,  et  non  des  moins  considé- 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  'l"2  1 

rables,  de  la  chaîne  des  apocryphes  si  nombreux  dans  l'histoire  du 
droit  canonique  depuis  le  vme  siècle  jusqu'au  XIe  »  ;  fin). 

8.  —  Études  des  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus.  1910.  20  mars. 

—  L.  Roure.  La  psychologie  de  saint  François  d'Assise  (suite  :  sa 
sainteté).  =  5  avril.  M.  Dubruel.  M.  Achille  Luchaire  et  son  dernier- 
ouvrage  :  Innocent  III  (l'enseignement  de  Luchaire;  critique  de  son 
ouvrage  sur  Innocent  III;  fin  le  20  avril).  —  A.  d'Alès.  Bulletin  d'an- 
cienne littérature  chrétienne  (intéressante  critique  d'ouvrages  parus  en 
1909  et  1910).  —  A.  Décisier.  Bulletin  de  l'histoire  du  moyen  âge 
linsulfisant).  =  20  avril.  J.  Berchois.  Kepler  et  l'intolérance  protes- 
tante (vexations  que  les  protestants  firent  subir  à  Kepler;  le  procès 
de  sorcellerie  intenté  contre  sa  mère).  —  P.  Dudon.  Lettres  inédites 
de  Lamennais  à  Ventura,  1827-1829  (suite  :  attaques  contre  Saint-Sul- 
pice;  l'idée  d'un  parti  catholique).  =20  mai.  L.  Lebessou.  La  seconde 
vie  d'un  sultan  du  Maroc  (Mohammed-el-Abbas  devenu  jésuite  sous  le 
nom  de  Balthazar  Mendez  de  Loyola  et  mort  en  1667).  —  G.  de  Jer- 
phanion.  Bulletin  d'histoire  byzantine.  =  5  juin.  B.  Vaughan. 
Quelques  traits  de  la  figure  d'Edouard  VIL  —  P.  Dudon.  Lettres  iné- 
dites de  Lamennais  à  Ventura,  1830-1833  (éclairent  la  situation  de 
Lamennais  et  de  son  journal  l'Avenir  à  l'égard  des  ultramontains  et  du 
pape.  Celui-ci  répondit  aux  espoirs  de  ceux  qui  prétendaient  allier  le 
catholicisme  à  la  liberté  en  publiant  l'encyclique  Mirarivos.  Ventura, 
général  des  théatins,  qui  avait  refusé  de  suivre  Lamennais  dans  les 
voies  périlleuses  ouvertes  par  l'Avenir,  essaya  plus  tard,  mais  en 
vain,  de  le  ramener  dans  le  sein  de  l'Église).  —  Eug.  Griselle.  La 
correspondance  de  Bossuet  et  de  Fénelon  (fin;  ajoute  quelques  com- 
pléments à  la  correspondance  publiée  par  MM.  Levesque  et  Urbain). 
=  20  juin.  Aug.  Hamon.  La  dévotion  au  Sacré-Cœur  de  Jésus,  après 
la  bienheureuse  Marguerite-Marie.  1690-1697.  —  Ch.  Burdo.  L'inva- 
sion des  Etats  romains  en  1867.  Journal  d'un  officier  de  zouaves 
pontificaux  (souvenirs  rédigés  en  1868;  suite  le  5  juill.;  fin  le  20  juill.). 

—  F.  Bliard.  «  La  République  n'a  pas  besoin  de  savants.  »  Cette 
parole  est-elle  authentique?  («  dans  l'état  actuel  des  recherches  et  mal- 
gré les  efforts  des  contradicteurs,  la  réponse  de  Colfinhal  demeure 
historiquement  certaine  »).  =  5  juill.  Jos.  Brucker.  Le  Père  Mathieu 
Ricci,  fondateur  des  missions  de  Chine,  1552-1610  (d'après  ses 
mémoires  autographes  et  sa  correspondance  originale;  suite  le  20  juill.). 

—  Paul  Bernard.  Un  prédicateur  populaire  aux  approches  de  la 
Réforme  :  Jean  Geiler  de  Kaisersberg,  1447-1510  (fin  le  20  juill.;  Gei- 
ler  était  né  à  Schaffouse,  ville  qui  appartenait  alors  au  duché  d'Al- 
sace, mais  il  fut  élevé  à  Kaisersberg,  dont  il  prit  le  nom).  =  5  août. 
L.  Roure.  Sainte  Claire  d'Assise.  —  Jos.  Dutilleul.  Convertis  et 
apostats,  1598-1660;  étude  de  psychologie  religieuse  (recherche  dans 
les  écrits  des  convertis  au  catholicisme  et  des  catholiques  passés  au 
protestantisme  les  motifs  de  leur  conversion;  suite   le  20  août).  = 


422  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

20  août.  Dom  F.  Cabrol.  Le  millénaire  de  Cluny.  —  Aug.  DÉCISIER. 
L'apologétique  de  Savonarole  (analyse  le  Triumphus  crucis,  après 
avoir  montré  comment  le  grand  dominicain  avait  d'avance  exécuté  le 
programme  d'action  que  contient  ce  traité).  —  G.  Sortais.  Bulletin 
d'histoire  de  l'art.  —  Yves  de  La  Brière.  La  Jeanne  d'Arc  de 
M.  Hanotaux.  =  5  sept.  L'âge  d'admission  à  la  première  communion 
(texte  latin  et  traduction  française  du  décret  de  la  sacrée  congrégation 
des  sacrements).  —  Lucien  Roure.  Jacques  Balmès  (à  l'occasion  du 
centenaire  de  sa  naissance).  —  L.  Laurand.  Nos  ancêtres  gaulois, 
d'après  un  ouvrage  récent  [Jullian].  —  J.  Burnichon.  En  Amérique 
latine,  quelques  précisions  (défend  le  rôle  des  Jésuites  dans  l'Amérique 
du  Sud).  —  P.  Bliard.  Un  essai  de  tribunal  populaire  (1794)  (le  con- 
ventionnel Lefiot  fait  juger,  à  Clamecy,  des  détenus  par  une  assemblée 
populaire).  =  20  sept.  Paul  Dudon.  Léon  XIII  et  l'église  de  France 
(1878-1894)  (à  propos  du  livre  de  Lecanuet).  —  J.  Brucker.  Le  Père 
Mathieu  Ricci,  fondateur  des  missions  de  Chine  (1552-1610). 

9. Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire  du  Protestantisme 

français.  T.  LVIII,  1910,  mars-avril.  —  Ch.  Schnetzler.  Neuveville 
et  le  Refuge  (Neuveville,  entre  Bienne  et  Neufchâtel  ;  fin  en  mai-juin). 
—  R.  Fromage.  Clément  Marot  (identification  d'Anne  :  Anne  de 
Beauregard).  —  R.  Garceta.  Notes  concernant  l'histoire  de  la 
Réforme  dans  le  pays  de  Bray  (Normandie).  —  F.  P[uaux].  Une  légi- 
timation en  1788  (François  Puaux,  né  en  1764).  —  D.  Benoit.  Colo- 
gnac  a-t-il  tué  Bagars?  Réponse  de  M.  Ch.  Bost.  =  Mai-juin.  Henri 
Monod.  Quelques  pages  d'Agrippa  d'Aubigné.  —  G.  Bonet-Maury. 
Relations  des  frères  de  Bohème  avec  les  protestants  français  (à  propos 
du  jubilé  de  Calvin  à  Prague).  —  M.  Rodriguez  et  A.  Elkan.  For- 
mule d'élection  d'un  modérateur.  —  F.  Puaux.  Du  Plessy-Mornay  et 
l'isthme  de  Suez  (il  en  avait  eu  l'idée  en  1584).  —  Ch.  Bruston.  La 
caricature  anticalviniste  de  Toulouse  (une  sculpture  de  Saint-Sernin 
représentant  un  âne  au-dessous  duquel  le  mot  Calvin).  =  Juill.-août. 
P.  Baer.  Les  protestants  de  Moulins  en  1561-1562  (avec  documents 
inédits).  —  L.  Delavau.  Les  nouveaux  convertis  dans  la  Saintonge  et 
l'Aunis,  1695-1700  (documents  tirés  des  archives  de  la  Marine).  — 
E.  Griselle.  Avant  et  après  la  Révocation  de  l'Édit  de  Nantes  (chro- 
nique des  événements  relatifs  aux  protestants  de  1682  à  1687).  — 
C. -rendus  :  Sobieski.  La  Pologne  et  les  Huguenots  au  lendemain  de 
la  Saint-Barthélémy.  —  L.  Guiraud.  Le  procès  de  Guillaume  Pelli- 
cier,  évoque  de  Maguelone-Montpellier  de  1522  à  1567.  =  Mélanges  : 
P.  Fonbrune-Berbinau.  Court  de  Gébelin  à  Paris  (1763-1784)  (d'après 
le  livre  de  Paul  Schmidt). 

10.  —  Revue  des  études  anciennes.  1910,  juill.-sept.  —  C.  Jul- 
lian. Notes  gallo-romaines.  XLVII  :  la  jeunesse  de  saint  Martin  (à 
propos  du  livre  d'Ad.  Régnier,  2e  éd.,  1907.  La  date  de  la  naissance 
du  saint  doit  être  placée  sans  doute,  non  pas  vers  316-317,  mais  vers 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  423 

335-336  ;  il  quitta  le  service  militaire  sous  Julien  en  356  à  vingt  et  un 
ans.  Étude  critique  sur  le  témoignage  de  Sulpice-Sévère,  qu'on  ne  peut 
récuser  sans  de  bonnes  raisons).  —  G.  Radet.  La  race  de  Cro-Magnon 
en  Espagne.  —  Espérandieu.  A  Alésia;  le  temple  de  Moritasgus.  — 
C.  Jullian.  Chronique  gallo-romaine. 

il.  —  Bulletin  de  correspondance  hellénique.  1910,  janv. -avril. 

—  Ch.DuGAS.  La  campagne  d'Agésilas  en  Asie  Mineure,  395.  Xénophon 
et  l'Anonyme  d'Oxyrynchos  (comparaison  du  récit  de  Xénophon  avec 
celui  de  l'Anonyme.  Ce  dernier  paraît  avoir  utilisé  les  notes  d'un 
homme  qui  a  suivi  la  campagne  de  près,  tandis  que  Xénophon  écrivit 
ses  Helléniques  assez  longtemps  après  les  événements.  L'Anonyme 
ne  saurait  d'ailleurs  être  identifié  avec  Théopompe).  —  G.  Millet. 
Les  iconoclastes  et  la  croix,  à  propos  d'une  inscription  de  Cappadoce. 

—  Dûrrbach  et  Schulhof.  Fouilles  de  Délos.  Inscriptions  financières 
(fin).  =  Mai-juill.  Hatzfeld.  Inscriptions  de  Rhodes.  —  A.-J.  Rei- 
nach.  Delphes  et  les  Bastarnes  (commentaire  très  détaillé  d'une  ins- 
cription de  Delphes  dont  on  donne  ici  une  reproduction  photogra- 
phique, et,  comme  point  de  comparaison,  avec  le  texte  d'Appien.  Des 
événements  dont  la  péninsule  des  Balkans  fut  le  théâtre  de  88  à  83). 

—  Vollgraff.  Inscriptions  d'Argos.  —  Roussel  et  Hatzfeld.  Ins- 
criptions de  Délos. 

12.  —  Revue  d'histoire  moderne  et  contemporaine.  1910,  mars- 
avril.  —  P.  Raphaël.  La  loi  du  31  mai  1850  (1er  article;  étude  sur  la 
loi  restreignant  le  suffrage  universel;  suite  en  mai-juin).  —  P.  Muret. 
Emile  Ollivier  et  le  duc  de  Gramont,  les  12  et  13  juillet  1870  (1er  article  ; 
examine  «  dans  quelle  mesure,  le  12  juillet,  Emile  Ollivier  a  conformé 
ses  actes  aux  opinions  sur  la  renonciation  de  la  Prusse  à  la  candidature 
Hohenzollern  et  sur  la  demande  de  garanties  qu'il  s'attribue  dans  YEm  - 
pire  libéral,  jusqu'à  quel  point  on  peut  considérer  sa  responsabilité 
comme  dégagée  par  une  décision  de  l'empereur  et  de  Gramont  prise  à 
son  insu  »).  —  P.  Conard.  Napoléon  et  la  Catalogne,  1808-1814.  La 
captivité  de  Barcelone,  février  1808-janvier  1810  (c'est  le  compte-rendu, 
fait  par  l'auteur  lui-même,  de  la  thèse  que  M.  Conard  a  soutenue  pour 
le  doctorat  es  lettres).  =  C. -rendus  :  Kleinclausz.  Histoire  de  Bour- 
gogne (louable  résumé).  —  Vignes.  Histoire  des  doctrines  sur  l'impôt 
en  France.  Les  origines  et  la  destinée  de  la  Dixme  royale  de  Vau- 
ban  (c'est  dans  le  Traité  politique  de  la  France  publié  en  1669  par 
le  marquis  Hay  du  Cbastelet  que  Vauban  a  pris  les  principales  idées 
de  sa  Dixme  ;  ce  dernier  ouvrage,  à  son  tour,  est  devenu  le  point  de 
départ  de  la  plupart  des  ouvrages  sur  l'économie  politique  publiés  au 
xvme  siècle).  —  Lachaze.  L'Assemblée  provinciale  du  Berry  sous 
Louis  XV  (compilation  médiocre).  —  Dubreuil.  Etude  historique  et 
critique  sur  les  Fareinistes  ou  Farinistes  (étude  plutôt  juridique  sur 
la  procédure  criminelle  usitée  à  la  fin  de  l'ancien  régime  et  au  début 
de  l'organisation  moderne,  à  propos  de  la  secte  des  Fareinistes  ;  cette 


424  RECUEILS    PERIODIQUES. 

secte,  fondée  à  Fareins,  non  loin  de  Trévoux,  parle  curé  Claude  Bon- 
jour aîné  et  par  son  frère  cadet,  François,  se  caractérisa  par  des  phéno- 
mènes de  possession,  de  prophétisme  et  de  convulsions  que  François 
Bonjour  déterminait  chez  ses  ouailles,  les  femmes  surtout.  On  peut 
y  voir  un  épisode  de  l'histoire  du  jansénisme  lyonnais).  =  Mai-juin. 
P.  Caron.  Les  publications  oiïicieuses  du  ministère  de  l'Intérieur  en 
1793  et  1794.  —  P.  Muret.  Les  articles  de  M.  Welschinger  et  de 
M.  J.  Reinach  sur  la  déclaration  de  guerre  et  sur  les  papiers  de  Cer- 
çay  (simple  résumé  des  articles  publiés  par  M.  Welschinger  dans  les 
Débats  et  par  M.  Reinach  dans  le  Temps.  Voir  par  contre  la  Rev. 
hist.,  t.  CIV,  p.  389).  =  C. -rendus  :  Legrand-Girarde.  Turenne  en 
Alsace.  Campagne  de  1674-1675  (ouvrage  assez  inutile).  —  Dehaut. 
Prêtres  victimes  de  la  Révolution  dans  le  diocèse  de  Cambrai,  1792- 
1799  (beaucoup  de  travail  et  de  l'esprit  critique;  la  mise  en  œuvre 
laisse  à  désirer).  =  Juill.-août.  Ph.  Sagnac.  Les  origines  de  la  Révo- 
lution. La  décomposition  de  l'Ancien  régime  (1788-mai  1789)  (la  crise 
politique  s'aggrave  d'une  crise  industrielle,  agricole,  financière;  les 
clubs,  les  sociétés  maçonniques,  les  sociétés  philanthropiques  se  fondent  ; 
apparition  de  nombreuses  brochures  ;  «  le  sentiment  très  vif  que  la 
nation  avait  de  sa  misère  et  de  ses  abus,  plus  encore  que  le  progrès 
des  lumières,  l'influence  de  la  philosophie,  de  l'Amérique  et  de  l'Angle- 
terre, —  si  importants  d'ailleurs,  —  fera  éclater  la  Révolution  de  Juil- 
let 1789  »).  —  Pierre  Mur*et.  Emile  Ollivier  et  le  duc  de  Gramont,  les 
12  et  13  juillet  1870  (le  t.  XV  de  l'Empire  libéral  est  à  la  fois  inexact 
et  incomplet;  Emile  Ollivier  «  n'eut  pas  l'autorité  que  lui  aurait  assurée 
le  concours  régulièrement  établi  de  ses  collègues  et  il  fut  désarmé  vis- 
à-vis  de  Gramont  qui  ne  cessa  d'ailleurs  de  lui  en  imposer  »).  — 
J.  Letaconnoux.  Bulletin  d'histoire  et  de  géographie  économiques.  = 
C. -rendus  :  M. -A.  Chiquet.  La  vie,  les  idées  et  l'œuvre  de  J.-A.  de 
Baïf.  —  Id.  Les  amours  de  J.-A.  de  Baïf  (excellente  monogra- 
phie; bonne  édition  de  texte).  — S.  Rocheblave.  Agrippa  d'Aubigné 
(un  des  meilleurs  volumes  de  la  collection  des  Grands  écrivains  ;  il  y 
manque  une  note  de  bibliographie  critique).  —  J.  Nouaillac.  Villeroy 
secrétaire  d'Etat  et  ministre.  —  Id.  Lettres  inédites  de  F.  d'Aus- 
sen  à  Jacques  Valette  (l'auteur  a  un  peu  surfait  son  héros  ;  les  lettres 
de  d'Aussen  (1597-1603,  conservées  à  La  Haye,  sont  bien  éditées).  — 
Ph.  Maréchal.  Une  cause  célèbre  au  xvne  siècle.  Béatrix  de  Cusance, 
Caroline  d'Autriche,  Charles  IV  de  Lorraine  (sujet  intéressant;  mise 
en  œuvre  parfois  maladroite).  —  Ch.  Gide  et  Ch.  Rist.  Histoire  des 
doctrines  économiques  depuis  les  physiocrates  jusqu'à  nos  jours  (le 
livre  répond  à  un  besoin,  il  est  bien  documenté  ;  copieuse  bibliogra- 
phie).—  Hocquart  de  Turtot.  La  conquête  des  communes  (médiocre). 
—  J.  Loridan.  La  terreur  rouge  à  Valenciennes  (partial).  — F.  Lennel. 
L'instruction  primaire  dans  le  département  du  Nord  pendant  la  Révo- 
lution (excellent).  —  Lettres  et  papiers  du  comte  de  Nesselrode,  t.  VII 
et  VIII  (le  chancelier  n'apparaît  pas  comme  un  esprit  original). 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  425 

13.  —  Revue  Fénelon.  1910,  juin.  —  A.  Rébelliau.  Fénelon  et 
le  P.  Quirini  (texte  authentique  de  huit  lettres  écrites  par  Fénelon  de 
1711  à  1714  au  P.  Quirini  pour  le  prémunir  contre  ses  faiblesses  pour 
le  jansénisme,  pour  la  science  et  les  savants).  —  Griselle.  Lettres 
autographes  de  Fénelon  à  retrouver  (notes  précieuses  recueillies  dans 
les  catalogues  d'autographes  et  ailleurs  en  vue  de  compléter  la  collec- 
tion des  lettres  de  Fénelon).  —  Le  procès  de  Mme  Guyon  (liste  des 
pièces  du  dossier  conservé  dans  les  papiers  de  La  Reynie).  —  Notre 
collaborateur.  M.  Griselle,  vient  de  fonder  simultanément  deux  revues 
trimestrielles  documentaires,  auxquelles  nous  souhaitons  une  cordiale 
bienvenue,  la  Revue  Fénelon  (librairie  H.  Leclerc,  5  fr.  par  an)  et 
les  Documents  d'histoire  (13,  rue  Lacépède,  10  fr.  par  an),  revêtue 
d'une  couverture  verte  sur  laquelle  le  sommaire  est  à  peu  près  illisible. 

14.  —  Documents  d'histoire.  1910,  mars.  —  Arrêts  portés  sous 
Henri  IV  de  1603  à  1610  en  faveur  des  Jésuites  (tirés  du  t.  XV  des 
portefeuilles  Godefroy  ;  analyse  d'autant  plus  précieuse  que  beaucoup 
des  actes  ont  disparu).  —  Le  procès  de  la  maréchale  d'Ancre  (suite 
dans  les  nos  suivants  ;  reproduction  de  la  procédure  conservée  dans 
les  500  de  Colbert).  —  Balzac  inconnu  (2  pièces  :  protestation  du  duc 
d'Epernon  contre  les  accusations  causées  par  la  défection  de  son  fils 
le  duc  de  Candale  ;  et  attaque  contre  le  prince  de  Condé  ;  suite  dans  les 
nos  suivants).  —  Instructions  diplomatiques  sous  Louis  XIII  (suite 
dans  les  nos  suivants;  tirées  d'un  recueil  autographe  de  Tronson. 
secrétaire  de  Louis  XIII  de  1617  à  1627,  conservé  à  la  Mazarine. 
Négociations  de  1623,  1624  pour  la  réunion  des  protestants).  —  L'op- 
position contre  Richelieu  (suite  dans  les  n°*  suivants.  Vers  satiriques 
tirés  d'un  volume  venant  de  Versailles  conservé  à  la  Bibl.  nationale). 
—  Un  pamphlet  de  l'abbé  de  Bonneval  contre  Napoléon  (manifeste  de 
1805  contre  le  Concordat).  —  Notes  de  Tronson  (notes  envoyées  en 
1624  et  1625  sur  l'état  du  protestantisme  en  Dauphiné,  Languedoc, 
Vivarais,  Cévennes.  Guyenne,  Rouergue).  —  Quatrième  volume 
manuscrit  du  P.  Rapin  (M.  G.  publiera  tout  ce  4e  vol.  contre  le  jan- 
sénisme, resté  inédit).  —  Autour  d'un  mandement  (documents  épisco- 
p'aux  pour  et  contre  Quesnel  à  propos  du  mandement  de  l'évèque  de 
Gap,  François  Berger  de  Malissollesi.  —  Interrogatoires  de  Mme  Guyon 
(publiés  d'après  les  papiers  de  La  Reynie).  —  La  politique  enchaînée 
(mémoire  des  prédications  du  P.  Séguiran,  jésuite,  et  d'autres  en 
faveur  de  Marie  de  Médicis).  —  Une  trente-septième  lettre  de  Bour- 
daloue  (documents  relatifs  aux  protestants  et  à  Condé).  —  Problèmes 
sur  Bossuet  et  Bourdaloue.  =  Juin.  Lettres  de  la  main  de  Louis  XIII 
(table  du  recueil  autographe  de  Louis  Tronson.  secrétaire  du  roi,  con- 
servé à  la  Mazarine).  —  Le  conspirateur  Drevet  (d'après  les  pièces 
recueillies  par  Tronson,  lettres  de  Du  Fargis,  ambassadeur  d'Espagne, 
de  M.  de  Colisieux,  etc.  Don  Carlo  Daro,  dit  Drevet,  fut  exécuté  à 
Paris  en  1625  pour  crime  d'espionnage).  —  Un  pamphlet  contre  Bos- 
suet (bibl.  Mazarine.  1117;  à  propos  de  la  condamnation  par  Bossuet 


426  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

du  livre  de  Marie  d'Agreda).  —  Lettre  du  duc  de  Chaulnes  à  M.  de 
Forbin  Janson,  évèque  de  Beauvais  (du  4  déc.  1689).  —  Trois  lettres 
d'Eusèbe  Renaudot  (nouvelles  à  la  main  relatives  aux  affaires  d'An- 
gleterre  de  mars  et  mai  1695).  —  Les  héritiers  de  l'avocat  Pageau  et 
la  succession  de  Bossuet  (mémoire  de  1760  en  faveur  de  la  veuve  du 
petit-fils  de  René  Pageau  qui  avait  prêté  à  MUo  de  Mauléon  45,000  1. 
sous  la  caution  de  Bossuet.  Les  héritiers  de  celui-ci  s'arrangèrent  pour 
ne  jamais  les  rendre.  Aventure  assez  fâcheuse  pour  le  prélat).  —  Lettres 
de  Bullion  sur  l'assemblée  de  Saumurdelôll  (des  portefeuilles  Gode- 
froy,  curieuses).  —  La  mission  de  Fénelon  en  Saintonge  (documents 
de  1683  et  1685  tirés  des  papiers  de  l'intendant  Arnoul).  —  Un  accu- 
sateur de  Bourdaloue,  prisonnier  à  Cahors  (Lupé  de  Maravat,  gentil- 
homme protestant,  écrivait  à  M.  de  Châteauneuf  des  prisons  de  Cahors 
le  10  mars  1689  pour  dénoncer  la  conduite  perfide  de  Bourdaloue).  — 
Essai  de  bibliographie  quiétiste  (à  suivre).  —  Une  apologie  de 
Mme  Guyon  annotée  par  Bossuet  (3  vol.  d'extraits  des  mystiques, 
copiés  par  une  des  filles  de  Mme  Guyon  et  conservés  à  la  Bibl.  natio- 
nale). —  Interrogatoires  de  François  Davant  (poète  et  quiétiste,  1698. 
Procès-verbaux  conservés  à  l'Arsenal;  à  suivre). 

15.  —  La  Révolution  française.  1910,  14  juill.  —  P.  Marichal. 
Calendrier  solaire,  julien,  grégorien  et  républicain  (deux  tableaux 
accompagnés  de  brèves  explications).  — A.  Aulard.  Napoléon  et  l'ins- 
truction publique.  Les  deux  premières  années  du  Consulat  (1er  art.). 
—  L.  Dubreuil.  Une  tenure  bretonne  :  le  domaine  congéable  (fin; 
ce  qu'est  devenu  ce  mode  de  tenure  depuis  la  Révolution  jusqu'à  la 
loi  du  8  février  1897,  «  véritable  charte  du  domaine  congéable  »).  — 
A.  Fribourg.  Le  club  des  Jacobins  en  1790,  d'après  de  nouveaux 
documents  (suite).  =  14  août.  A.  Aulard.  Napoléon  et  l'instruction 
publique  :  les  deux  premières  années  du  Consulat  (suite  et  fin  ;  résumé 
de  l'histoire  des  Écoles  centrales;  l'enseignement  supérieur;  le  budget 
de  l'Instruction  publique  en  1802  ne  dépasse  pas  cinq  millions  et 
demi).  —  A.  Houtin.  Le  Père  Tyrrell  et  la  Société  de  Jésus  (extraits 
du  mémoire  adressé  en  1904  par  Tyrrell  au  général  des  Jésuites  et 
publié  par  R.  Goût  dans  l'Affaire  Tyrrell).  —  A.  Frirourg.  Le  club 
des  Jacobins  en  1790  d'après  de  nouveaux  documents  (suite  et  fin; 
septembre  1790-février  1791).  —  La  question  Louis  XVII  et  les 
archives  russes  (extrait  d'un  article  de  M.  E.  Daudet  :  il  n'y  a  aucun 
document  sur  cette  question  dans  les  archives  russes).  =  14  sept. 
G.  BuSSiÈRE.  Drouet  prisonnier  de  guerre  et  son  parachute  (raconte 
à  nouveau,  en  critiquant  G.  Lenôtre,  la  tentative  d'évasion  de  Drouet, 
prisonnier  de  guerre  au  Spielberg,  en  juillet  1794).  —  Marcel  Rouff. 
Un  opéra  politique  de  Beaumarchais  (il  s'agit  de  Tarare,  achevé  en 
1784,  opéra  politique  et  social;  habile  publicité  faite  par  Beaumar- 
chais; Tarare  est  joué  31  fois  en  1787-1788).  —  A.  Aulard.  Napoléon 
et  l'instruction  publique  :  la  loi  du  11  floréal  an  X  et  son  application 
(rien  n'est  fait  en  faveur  de  l'enseignement  primaire;  la  liberté  de 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  427 

l'enseignement  secondaire  est  légalement  supprimée;  les  lycées  sont 
créés).  —  Cl.  Perroud.  La  famille  de  Mme  Brissot.  —  P.  Mautou- 
Chet.  Un  trait  de  Carnot  (il  s'intéresse  activement  à  un  ancien  mili- 
taire pauvre).  —  A.  Aulard.  Proscription  des  pièces  anticléricales  et 
du  «  Mariage  de  Figaro  »  en  l'an  II  (à  Marseille,  par  arrêté  de  la  Com- 
mission municipale). 

16.  —  Commission  de  recherche  et  de  publication  des  docu- 
ments économiques  de  la  Révolution.  Bulletin,  1908,  nos  3-4.  — 
C.  Bloch.  Notes  sur  la  législation  et  l'administration  de  l'assistance 
de  1789  à  l'an  VIII.  —  Id.  Recueil  des  principaux  textes  législatifs  et 
administratifs  concernant  l'assistance  de  1789  à  l'an  VIII.  —  Id.  Note 
sur  les  sources  aux  Archives  nationales  de  l'histoire  de  l'assistance 
publique  de  1789  à  l'an  VIII.  =  1909,  nos  1-2.  F.  Evrard.  Les  sub- 
sistances en  céréales  dans  le  département  de  l'Eure  de  1788  à  l'an  V 
(la  pénurie  commence  en  1792;  en  l'an  III  et  en  l'an  IV,  la  famine  est 
presque  générale;  la  question  des  approvisionnements  a  exercé  sur 
l'évolution  politique  locale  une  influence  très  sensible).  —  R.  Drouault. 
Les  routes,  les  relais  et  la  poste  aux  lettres  dans  le  district  du  Dorât 
pendant  la  Révolution  (les  lettres  parviennent  en  quatre  jours  de  Paris 
au  Dorât;  la  nouvelle  qui  se  transmit  le  plus  rapidement,  c'est  celle  de 
la  fuite  du  roi,  connue  au  Dorât  dès  le  24  juin).  —  P.  Caron.  L'état 
des  récoltes  et  des  approvisionnements  dans  la  généralité  d'Amiens  en 
août  1788  (permet  de  critiquer  la  manière  dont  Necker  prépara  l'arrêt 
du  7  septembre  1788  qui  suspendait  l'exportation  des  grains;  réponse 
de  l'intendant  d'Amiens  à  la  circulaire  de  Necker  du  20  août  :  il  se 
prononçait  contre  toute  entrave  à  l'exportation  des  grains  ;  les  autres 
réponses  permettraient  de  savoir  dans  quelle  mesure  l'arrêt  était  con- 
forme au  vœu  des  autorités  locales).  —  Documents  de  C.  Bloch  sur 
l'assistance  publique  dans  le  Loiret  (1792-an  IV);  de  Ch.  Schmidt  sur 
la  Commission  d'agriculture  et  des  arts  et  sur  l'agriculture  en  l'an  III  ; 
de  A.  Sécheret  sur  Raucourt  et  Haraucourt  (Ardennes).  =  Nos  3-4. 
Ch.  Schmidt.  L'industrie  de  1788  à  l'an  XI  :  instruction  pour  la  publi- 
cation des  documents,  notes  sur  la  législation  et  l'administration, 
recueil  de  textes  (lois,  arrêtés,  circulaires),  notes  sur  les  sources  de 
l'histoire  de  l'industrie  aux  Archives  nationales. 

17.  —  Polybiblion.  1910,  juill.  —  Froidevaux.  Histoire  coloniale 
et  colonisation.  =  C. -rendus  :  R.  Génier.  Vie  de  saint  Euthyme  le 
Grand,  377-473.  Les  moines  et  l'Église  en  Palestine  au  ve  s.  (bon).  — 
Urseau.  Cartulaire  noir  de  la  cathédrale  d'Angers  (excellent  travail 
de  reconstitution).  —  Baron  de  Villebois-Mareuil.  Histoire  généalo- 
gique de  la  maison  de  Villebois-Mareuil  (intéressant).  —  L.  Veuillot. 
Derniers  Mélanges.  Pages  d'histoire  contemporaine,  t.  IV,  1877-1879 
(ce  volume  termine  la  collection  de  ces  Mélanges,  qui  ne  compte  pas 
moins  de  22  volumes).  =  Août.  S.  Ouvrages  relatifs  à  l'histoire  du 
théâtre.  —  Cte  de  Sérignan.  Histoire,  art  et  sciences  militaires.  = 


428  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

C. -rendus  :  Garcia  Arista  y  Rivera.  Documents  rie  l'armée  française 
qui  assiégea  Saragosse,  1808-1809  (publie  le  Journal  des  attaques  du 
corps  impérial  du  génie  qui  bloquait  Saragosse  au  second  siège  de  la 
ville).  —  Les  Heures  dites  de  Jean  Pucelle,  manuscrit  de  la  collection 
de  M.  le  baron  Maurice  de  Rothschild  ;  notice  par  L.  Delisle. 

18.  —  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature.  1910,  H  août. 

—  Jastrow.  Die  Religion  Babyloniens  und  Assyriens;  livr.  12-14.  — 
Jeremias.  Das  Alter  der  babylonischen  Astronomie  ;  2e  Aufl.  (ne 
réussit  pas  à  prouver  que  les  Babyloniens  aient,  déjà  à  une  époque 
très  reculée,  constitué  un  corps  d'astronomie  vraiment  scientifique). 

—  Van  Esveld.  De  balneis  lavationibusque  Graecorum  (utile  recueil 
de  documents).  —  Ilberg  et  Wellmann.  Zwei  Vortrsege  zur  Ge- 
schichte  der  antiken  Medizin  (un  de  ces  mémoires  a  pour  but  de  réha- 
biliter Asclépiade  de  Bithynie,  assez  mal  jugé  par  Pline).  =  18  août. 
F.  Delitzsch.  Asurbanipal  und  die  assyrische  Kultur  seiner  Zeit 
(excellent  tableau  de  la  civilisation  assyrienne  à  l'époque  des  Sargo- 
nides).  —  L.-J.  Delaporte.  Chronographie  de  Mar  Elie  Bar  Shinaya, 
métropolitain  de  Nisibe  (traduction  du  texte  syriaque  et  arabe  de  cet 
ouvrage  de  chronologie;  elle  laisse  fort  à  désirer).  —  K.  Bûcher.  Die 
Frauenfrage  im  Mittelalter;  2e  Aufl.  (croit  pouvoir  démontrer  que  le 
nombre  des  femmes  en  Allemagne  au  moyen  âge  était  plus  grand  que 
celui  des  hommes  et  tire  de  ce  fait  des  conclusions  intéressantes  pour 
la  condition  des  femmes  ;  mais  le  fait  est-il  établi?).  =.  25  août-ler  sept. 
Heitland.  The  roman  republic  (bonne  mise  au  point,  à  l'usage  du 
public  lettré).  —  0.  Schiff.  Kœnig  Sigmund's  italienische  Politik  bis 
zur  Romfart,  1410-1431  (remarquable).  —  J.  Schnitzer.  Quellen  und 
Forschungen  zur  Geschichte  Savonarolas  ;  IV  (publie  d'importants 
fragments  de  la  chronique  rédigée  par  un  riche  négociant  florentin, 
Piero  Parenti,  qui  est  un  témoin  précieux  pour  les  événements  des 
années  1492-1498).  —  Tsaeche.  Chronik  von  Hunaweier  (bonne  mono- 
graphie). —  Fr.  Arnheim.  Luise  Ulrike,  die  schewedische  Schwester 
Friedrich's  des  Grossen;  II  (suite  de  la  correspondance  échangée  par 
Louise-Ulrique  avec  la  famille  royale  de  Prusse,  1747-1758).  =  8  sept. 
F.  Mourret.  Histoire  générale  de  l'Église  (t.  III  :  l'Église  et  le  monde 
barbare.  L'auteur  connaît  bien  les  sources  et  les  questions  controver- 
sées, mais  il  s'est  proposé  d'écrire  un  manuel  pratique  d'apologétique 
historique  plutôt  qu'un  livre  d'histoire  critique.  Il  se  tient  donc  par- 
tout, d'aussi  près  que  possible,  aux  opinions  traditionnelles).  = 
15  sept.  J.  François.  L'Église  et  la  sorcellerie  (bon  résumé  de  la 
question,  mais  l'auteur  semble  mal  connaître  les  livres  en  langue 
étrangère  publiés  sur  ce  sujet).  =  22  sept.  Lieblein.  Recherches  sur 
l'histoire  et  la  civilisation  de  l'ancienne  Egypte;  1er  fasc.  (bon  abrégé, 
qui  a  pour  base  le  système  de  Manéthon).  —  Sourdille.  La  durée  et 
l'étendue  du  voyage  d'Hérodote  en  Egypte  (bonne  dissertation.  L'au- 
teur pense  qu'Hérodote  ne  resta  pas  plus  de  quatre  mois  en  Egypte, 
ce  qui  paraît  trop  court  à  M.  Maspero).  —  Chauvin.  Bibliographie 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  429 

des  ouvrages  arabes  ou  relatifs  aux  Arabes  publiés  dans  l'Europe  chré- 
tienne de  1810  à  1885  (t.  VII-XI.  Important  pour  le  folklore  oriental). 
=  29  sept.  Erman.  Die  segyptische  Religion;  2e  Aufl.  (ouvrage  qui 
fait  autorité).  —  Ph.  Virey.  La  religion  de  l'ancienne  Egypte  (origi- 
nal et  contestable;  part  de  cette  idée  impossible  à  démontrer  que  la 
religion  égyptienne  a  d'abord  été  monothéiste  et  cherche  à  expliquer 
comment  elle  a  passé  au  polythéisme).  —  Sourdille.  Hérodote  et  la 
religion  de  l'Egypte  (t.  I.  Fort  intéressant).  —  H.  Peter.  Die  rômi- 
schen  sogen.  Dreissig  Tyrannen  (bon).  —  J.  Petersen.  Das  Rittertum 
in  der  Darstellung  des  Johannes  Rothe  (Rothe  est  l'auteur  d'un  Miroir 
de  la  chevalerie  écrit  vers  1412;  l'auteur  a  fait  de  louables  efforts  pour 
montrer  ce  qu'était  la  chevalerie  pour  cet  écrivain  et  il  contribue  à 
nous  faire  mieux  comprendre  ce  que  fut  cette  institution  au  xive  et  au 
xve  s.).  =  6  oct.  Junker.  Die  Stunden\v#chen  in  den  Osirismysterien 
nach  den  Inschriften  von  Denderà,  Edfu  und  Philae  (excellent  com- 
mentaire. Analyse  par  G.  Maspero).  —  Breassed-Ranke.  Geschichte 
iEgyptens  (traduction  fortement  remaniée  de  l'original  anglais.  Inté- 
ressant). —  A.  Blanchet.  Inventaire  des  mosaïques  de  la  Gaule  et  de 
l'Afrique;  t.  I.  —  Bouffet.  Bredom,  sa  paroisse,  sa  seigneurie,  son 
prieuré  et  les  paroisses  affiliées  (médiocre). 

19.  —  Revue  des  Deux -Mondes.  1er  juillet  1910.  —  G.  Hano- 
taux.  Jeanne  d'Arc.  IV.  L'abandon.  La  première  étape  (suite  et  fin 
les  15  juillet  et  1er  août.  V.  La  condamnation.  Jeanne  d'Arc  à  Rouen. 
VI.  Le  jugement  des  juges.  Le  jugement  de  l'histoire.  A  une  étude 
critique  pleine  d'excellentes  choses,  par  exemple  sur  l'abjuration  de 
Jeanne  d'Arc,  M.  Hanotaux  a  joint  des  considérations  de  philosophie 
historique  d'une  rhétorique  semi-mystique  qui  obscurcissent  le  sujet 
en  voulant  l'éclaircir  et  en  font  évanouir  le  sens  réel  à  force  de  l'élar- 
gir. Sur  un  seul  point,  M.  Hanotaux  a  bien  caractérisé  la  vraie  gran- 
deur de  Jeanne,  en  montrant  en  elle  une  Française  idéale,  la  repré- 
sentante de  ce  qu'il  y  a  de  meilleur,  il  ne  faut  pas  dire  «  dans  notre 
race  »,  ce  qui  ne  signifie  rien,  mais  dans  notre  peuple).  =  15  juillet. 
H.  Lorin.  Cent  ans  d'indépendance.  L'Amérique  latine  depuis  1810 
(bon  résumé).  —  Doumic.  Récentes  études  sur  Fénelon  (à  propos  du 
Fénelon  de  J.  Lemaître  et  des  Études  critiques  sur  Fénelon 
de  Moïse  Cagnac.  Regarde  Fénelon,  avec  Lemaître,  comme  un  dan- 
gereux et  chimérique  précurseur  des  philosophes  du  xvme  siècle  et 
critique  sévèrement  Y  Apologie  de  Fénelon  par  M.  Brémond,  si  dur 
pour  Bossuet  et  les  jansénistes).  =  1er  août.  G.  Goyau.  Bismarck  et 
la  papauté.  La  guerre,  1870-1872.  IV.  Les  débats  scolaires.  L'incident 
Hohenlohe.  La  loi  contre  les  Jésuites  (montre  de  quelle  manière  la 
lutte  contre  le  polonisme  et  la  crainte  de  la  prétendue  force  du  cléri- 
calisme français  sont  intervenus  pour  pousser  Bismarck  dans  sa  cam- 
pagne de  laïcisation  sectaire  et  de  persécution  contre  les  Jésuites. 
Excellents  portraits  de  Falk,  Windthorst,  Mallincrodt,  Reichensperger. 
M.  Goyau  ne  devrait  pas  dire  qu'il  n'y  avait  en  Allemagne,  en  1871,  que 


430  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

211  jésuites.  Il  sait  très  bien  qu'il  y  en  avait  plusieurs  milliers,  mais 
de  catégories  différentes,  et  que  pour  n'être  pas  jésuite  «  de  plein  exer- 
cice »,  si  je  puis  dire,  on  n'en  est  pas  moins  jésuite).  =  15  août.  Paul 
Nève.  Le  Congo  belge  (complète  et  impartiale  étude).  —  J.  Lafe- 
nestre.  Saint  François  d'Assise  et  l'art  italien.  I.  La  basilique  d'As- 
sise et  l'architecture  gothique  (met  bien  en  lumière  la  figure  de  frère 
Elie,  général  de  1228  à  1239,  qui  fut  l'initiateur,  mais  non  l'architecte 
des  constructions  d'Assise.  La  basilique  d'Assise  n'a  point  la  primauté 
parmi  les  églises  de  style  gothique  en  Italie,  mais,  une  fois  achevée 
en  1253  dans  ses  deux  parties  que  M.  Lafenestre  croit  avoir  été  con- 
çues simultanément,  elle  devint  un  modèle  inspirateur  pour  l'art  fran- 
ciscain). —  Th.  de  Wyzewa.  Un  journaliste  bismarckien,  M.  Maxi- 
milien  Harden.  =  1er  sept.  Albert  Petit.  Deux  conceptions  de 
l'histoire  de  la  Révolution.  Taine  et  M.  Aulard  (reprend,  avec  des  argu- 
ments nouveaux,  la  défense  de  l'œuvre  de  Taine  contre  les  critiques 
d'Aulard  faite  par  M.  A.  Cochin).  —  Fierens-Gevaert.  La  peinture 
flamande  au  xvne  siècle.  —  E.  Cavaignac.  L'apparition  du  capita- 
lisme à  Athènes  au  siècle  de  Périclès  (étudie  le  développement  de  la 
richesse  de  480  à  431,  le  rôle  de  la  production  du  blé,  première  base 
de  la  richesse,  puis  des  olives,  le  développement  de  la  richesse  mobi- 
lière née  des  avances  aux  propriétaires  et  accrue  rapidement  par  le 
commerce  maritime.  Quarante  ans  après  la  première  guerre  médique, 
des  banquiers  placent  et  font  fructifier  les  capitaux).  =z  15  sept.  A.  MÉ- 
zières.  Le  premier  exil  du  duc  d'Aumale  (d'après  sa  correspondance). 

—  Pichon.  Le  gouvernement  de  Sénèque  (il  fut  un  ministre  philan- 
thrope, ennemi  des  aventures,  mais  sachant  défendre  l'Empire,  fut 
coupable  de  complaisance  lors  des  meurtres  de  Britannicus  et  d'Agrip- 
pine,  favorisa  chez  Néron,  par  faux  calcul,  l'orgueil  et  la  sensualité). 

—  P.  Khorat.  Notes  sur  Madagascar  (étudie  l'œuvre  de  Galiéni  et 
d'Augagneur  qui  exige  des  millions  pour  être  consolidée  et  déve- 
loppée). 

20.  —  La  Revue  de  Paris.  1910,  1er  août.  —  Larreguy  de 
Civrieux.  Souvenirs  d'un  cadet  en  Espagne,  1812-1814  (fin  le  15  août; 
souvenirs  d'un  simple  soldat  rédigés  assez  longtemps  après  les  événe- 
ments. Intéressant).  =  15  août.  Lieutenant-colonel  Picard.  Sedan. 
Les  pourparlers  de  Donchery.  —  Gabillot.  Le  prieuré  de  Ronsard. 
=  1er  sept.  Lieutenant-colonel  Picard.  Sedan.  La  capitulation.  — 
Jean  Lemoine.  Le  marquis  de  Saint-Maurice  (ambassadeur  du  duc  de 
Savoie  auprès  de  Louis  XIV,  1668-1675;  introduction  au  recueil  de 
ses  lettres  écrites  de  France  et  conservées  aujourd'hui  aux  archives 
de  Turin;  suite  dans  les  numéros  des  15  sept,  et  1er  oct.).  =  15  sept. 
A.  Beaunier.  Les  costumes  de  M.  de  Chateaubriand. 

21.  —  Le  Correspondant.  10  juill.  1910.  —  Cte  Henry  DE  LarÈGle. 
Napoléon  III  et  le  maréchal  Randon  (très  intéressant  article  d'après 
la  correspondance  inédite  de  Randon  avec  l'empereur;  surtout  impor- 


RECUEILS   PERIODIQUES.  431 

tant  pour  l'expédition  du  Mexique  que  Randon  aurait  voulu  réduire 
le  plus  possible,  pour  la  question  romaine  où  l'on  voit  l'impératrice 
correspondre  par  Randon  avec  Mme  de  Montebello,  femme  du  général 
commandant  le  corps  expéditionnaire,  qui  négociait  avec  Pie  IX, 
enfin  pour  les  affaires  de  1866  où  Randon  jugeait  parfaitement  pos- 
sible une  mobilisation  qui  fut  ordonnée,  puis  arrêtée  sur  l'interven- 
tion du  prince  Napoléon  et  de  MM.  de  Lavalette  et  Rouher).  — 
L.  Bréhier.  L'art  français  au  moyen  âge  et  l'iconographie  religieuse 
(d'après  les  travaux  d'E.  Mâle).  =25  juill.  R.  P.  Lagrange.  Les  reli- 
gions orientales  et  les  origines  du  christianisme  (à  propos  du  livre  de 
F.  Cumont  sur  les  Religions  orientales  dans  le  paganisme  romain. 
Tout  en  admettant  des  infiltrations  païennes  dans  le  culte  chrétien, 
le  P.  Lagrange  nie  toute  influence  doctrinale  des  religions  orientales 
sur  le  christianisme.  Elles  lui  faisaient,  au  contraire,  obstacle).  = 
10  août.  P.  de  Quirielle.  Sur  les  champs  de  bataille  de  1870.  — 
Tavernier.  Proudhon.  L'homme  et  l'œuvre  (M.  Tavernier  en  fait  un 
pur  bravache,  fou  de  négation  et  de  destruction.  Il  fait  de  Herzen  un 
anarchiste  semblable  à  Bakounine.  Il  n'a  sans  doute  jamais  lu  Her- 
zen). —  J.  Tincey.  Jacques  de  Linière,  vice-roi  de  la  Plata  (récit  des 
héroïques  aventures  d'un  gentilhomme  du  Poitou,  né  en  1753,  entré 
au  service  de  l'Espagne  en  1774,  qui,  gouverneur  intérimaire  du  Para- 
guay, reconquit,  en  1806,  Buenos-Ayres  sur  les  Anglais  et  devint  vice- 
roi  de  l'Amérique  espagnole  ;  un  an  après  il  chassait  les  Anglais  de 
Montevideo.  Quand,  en  1810,  les  Argentins  proclamèrent  leur  indé- 
pendance et  offrirent  le  pouvoir  à  Linière,  il  resta  fidèle  à  l'Espagne, 
fut  fait  prisonnier  et  fusillé  par  ordre  de  l'Assemblée  de  la  Plata).  — 
Lechannel.  Les  Boy  Scouts  (expose  l'organisation  de  ces  corps  d'éclai- 
reurs  militaires  par  le  colonel  Baden-Powell,  depuis  1898,  parmi  les 
enfants  des  écoles,  et  qui  comptent  aujourd'hui  300,000  membres).  = 
25  août.  L.  de  Contenson.  Le  millénaire  de  l'abbaye  de  Cluny.  — 
Vte  de  Lapérouse.  Le  général  Brincourt  (admirable  histoire  d'un  des 
plus  héroïques  généraux  de  notre  armée,  écrite  d'après  sa  correspon- 
dance. Né  en  1823,  sorti  de  Saint-Cyr  en  1842,  Brincourt  servit  avec 
éclat  en  Afrique;  en  Crimée,  où  il  fut,  le  21  mars  1855,  laissé  pour 
mort  à  Inkermann,  percé  de  deux  coups  de  feu  et  de  onze  coups  de 
baïonnette,  et  où  il  reçut  encore  un  coup  de  biscaïen  à  la  main  le 
7  juin;  au  Mexique;  enfin  pendant  la  guerre  franco-allemande.  En 
1883,  le  général  Thibaudin  priva  sans  motif  l'armée  de  ce  chef  sans 
reproche).  —  Ch.  Patrimonio.  La  formation  de  l'Etat  monténégrin. 
—  Lanzac  de  Laborie.  La  femme  d'Alexandre  Ier.  =  10  sept. 
J.  Brunhes.  L'adaptation  humaine  aux  conditions  géographiques 
(cette  belle  étude  a  le  tort  de  débuter  par  une  page  emphatique  sur  le 
rôle  de  Jeanne  d'Arc  qui  serait  indépendant  de  toute  condition  géo- 
graphique, comme  si  le  rôle  de  la  fille  des  marches  de  Lorraine  n'était 
pas,  au  contraire,  le  produit  direct  de  notre  sol  comme  de  toute  notre 
histoire). —  M.  Dumoulin.  Le  père  d'Alfred  de  Musset  (curieux  article 


432  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

très  documenté  sur  Victor  de  Musset,  sur  sa  carrière  administrative 
dans  l'enregistrement  et  aux  ministères  de  l'Intérieur  et  de  la  Guerre 
et  sur  ses  nombreuses  œuvres  historiques,  très  oubliées,  mais  dont 
quelques-unes,  la  Relation  des  principaux  sièges...  depuis  1192, 
la  Suite  au  mémorial  de  Sainte-Hélène  et  les  Nouveaux  Mémoires 
secrets,  méritent  d'être  consultés,  car  ils  contiennent  des  témoignages 
et  des  documents  originaux). —  Abbé  Constant.  Le  schisme  d'Angle- 
terre sous  Henri  VIII  (excellente  analyse  des  causes  du  schisme  qui 
se  prépara  de  1529  à  1535  et  ne  fut  pas  uniquement  la  suite  du  divorce, 
mais  une  œuvre  combinée  du  Parlement  et  du  roi,  qui  prétendait  à  la 
suprématie  spirituelle).  —  H.  Bordeaux.  Saint  François  de  Sales  et 
sa  famille  (d'après  l'ouvrage  de  ce  titre  par  Mgr  Picard).  —  Des- 
joyeaux.  Notes  et  souvenirs  sur  A.  Vantlal.  —  Griselle.  L'abbé 
Trubert  (très  précieuse  relation  inédite  d'un  évadé  des  massacres  de 
Septembre;  accuse  Manuel  de  perfidie,  dont  le  rôle  paraît,  d'après  son 
récit  même,  avoir  été  humain).  —  H.  Brémond.  Le  secret  de  Port- 
Royal  (ce  secret  ce  serait,  d'après  les  Mémoires  de  l'abbé  Beurrier, 
récemment  mis  en  lumière  par  M.  Jovy  dans  le  deuxième  volume  de 
son  Pascal  inédit,  que  Pascal  n'était  pas  janséniste.  Malheureuse- 
ment le  passage  cité  par  M.  Brémond  ne  prouve  rien  du  tout).  = 
25  sept.  Guy  de  CassaGnac  et  Gustave  Hue.  Les  dernières  années 
de  Dumouriez  (avec  dix  lettres  inédites).  —  Lanzac  de  Larorie.  Les 
Gaulois  nos  ancêtres  (d'après  Jullian). 

22.  —  Le  Mercure  de  France.  16  mars  1910.  —  E.  Beaure- 
paire.  Le  ruisseau  de  Ménilmontant  et  la  Grange -Batelière  (il 
n'exista  jamais  de  ruisseau  de  Ménilmontant,  mais  un  marécage  où 
Hugues  Aubriot  fit  creuser  le  grand  égout.  Histoire  du  fief  de  la 
Grange-Batelière,  c'est-à-dire  de  la  grange  où  l'on  battait  le  blé,  qui 
d'abord  de  peu  d'importance  devint  une  source  de  richesse  au  xvii0 
et  au  xvme  siècle  par  la  construction  de  magnifiques  hôtels.  La  rue 
Vivienne  tire  son  nom  de  Louis  Vivien ,  seigneur  de  la  Grange- 
Batelière).  =  16  juin.  Marius-Ary  Lerlond.  La  captivité  d'une 
langue  (expose  les  résultats  des  efforts  de  russification  et  de  germani- 
sation en  Pologne.  La  littérature  polonaise  en  a  été  vivifiée,  mais  sauf 
en  Galicie,  où  le  polonais  est  resté  libre,  la  culture  générale  a  décru). 
—  M.  Fosseyeux.  Julie  d'Angennes  en  ménage  (important  pour  le 
coût  de  la  vie  au  xvne  siècle).  =  1er  juill.  P.  Bonnefon.  Le  chevalier 
de  Boufflers  au  Sénégal  (lettres  et  documents  inédits,  1785-1787). 

23.— La  Revue.  1er  juill.  1910.  —  Faguet.  Fénelon  (fin  le  15  juill. 
Habile  et  profonde  apologie  de  cet  homme  «  à  la  fois  plein  de  bon 
sens  et,  qui  avait  beaucoup  d'avenir  dans  l'esprit  »,  notre  contempo- 
rain dans  ses  idées  sur  l'éducation  des  filles,  précurseur  de  Montes- 
quieu en  politique,  en  morale  et  comme  directeur,  visant  haut  avec  le 
sens  du  juste  milieu,  enfin  ramenant  la  religion  à  l'amour  de  Dieu, 
rendant  la  religion  aimable).  —  H.  de  Gallier.  Comment  on  était 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  433 

servi  autrefois  (fin).  =  15  juill.  G.  Riou.  Le  bilan  du  modernisme 
(n'aura  été  qu'une  bonne  volonté  d'hommes  savants  et  distingués, 
mais  incapables  d'être  vrais).  —  Stead.  Le  vrai  roi  George  V  (dément 
la  légende  de  son  mariage  avec  la  fille  d'un  amiral  et  celle  de  son 
ivrognerie;  le  croit  supérieur  à  son  père).  —  Chuquet.  L'armée  de 
Sambre-et-Meuse  en  1796  (d'après  le  livre  du  comte  Jules  Soden, 
paru  à  Nuremberg  en  1797  :  les  Français  en  Franconie  en  1796, 
curieux  et  impartial,  fait  comprendre  les  maux  et  les  haines  qui 
furent  la  suite  de  l'invasion).  z=  15  août.  Mgr  Motjchegh.  A  la  veille 
des  nouveaux  massacres  arméniens  (révélations  sur  le  regain  de  natio- 
nalisme féroce  parmi  les  Jeunes  Turcs).  —  Marg.  Poradowska. 
L'aventure  de  Caroline  Bauer  (fin  le  1er  sept.;  très  amusant  récit  des 
amours  et  du  mariage  morganatique  de  Léopold  de  Cobourg,  le  futur 
roi  des  Belges,  avec  une  actrice,  nièce  du  baron  Christian  de  Stock- 
raar.  Très  curieux  pour  la  psychologie  de  Léopold,  qui  y  fait  triste 
ligure,  et  celle  de  Stockmar).  — J.  Troubat.  Sainte-Beuve  et  le  prince 
Napoléon.  =  15  sept.  A.  Droin.  La  tricoteuse  folle  (d'après  des  docu- 
ments inédits  des  archives.  Très  curieuse  histoire  d'une  jeune  fille 
folle  qui,  enfermée  à  la  Salpêtrière  en  1788,  libérée  par  la  Révolution, 
arrêtée  comme  royaliste  en  1792,  essaya  en  vain  d'obtenir  de  Fouquier- 
Tinville  d'être  jugée  et  guillotinée,  resta  enfermée  comme  folle  en  1793 
et  1794,  puis  libérée  prit  part  aux  émeutes  de  1795  causées  par  la 
famine,  fut  le  1er  prairial  au  nombre  des  meurtriers  de  Féraud  et  fut 
enfin  guillotinée  le  18  mai  1796).  —  P.  d'Enjoy.  Le  spiritisme  en  Chine. 
—  J.  de  Coussange.  La  princesse  Marie  d'Orléans  (d'après  le  livre 
de  M.  J.  Hœck).  —  R.  Radjel.  Les  tristesses  et  les  gaietés  du  Maroc. 

24.  —  Revue  hebdomadaire.  19  févr.  —  J.  Lemaître.  Fénelon. 
V.  Télémaque  (suite  et  fin  les  26  févr.,  5,  12,  19,  26  mars).  VI  et  VII. 
Mme  Guyon.  VIII.  L'affaire  du  Quiétisme.  IX.  Lettres  spirituelles.  Théo- 
ries politiques.  X.  La  fin  d'un  rêve.  Tout  en  ayant  en  lui  de  l'ambi- 
tieux, du  philosophe,  de  l'utopiste  et  de  l'aristocrate,  Fénelon  est  avant 
tout  un  mystique  et  un  mystique  actif.  C'est  un  précurseur  du  xviip 
et  du  xixe  siècle,  et  il  reste  obscur  ;  il  ne  se  connaît  pas  et  on  a  peine 
à  le  connaître).  —  26  févr.  F.  Masson.  L'éducation  de  Napoléon  III 
(de  toutes  les  influences,  après  celles  de  la  tradition  napoléonienne  et 
de  sa  mère,  la  plus  forte  fut  celle  de  Le  Bas,  l'helléniste,  iils  du  con- 
ventionnel). ==  12  mars.  F.  Funck-Brentano.  La  Bastille  sous  la 
régence  :  Rose  de  Launay.  —  P.  de  Quirielle.  Le  centenaire  de 
Léon  XIII  (fin  portrait  de  ce  pape  par  quelqu'un  qui  l'a  connu  et 
compris).  =  26  mars.  A.  Michel.  Les  cathédrales  de  France.  = 
16  avril.  A.  Vandal.  Le  second  Empire  et  la  Russie  (note  les  vel- 
léités de  rapprochement  après  la  guerre  de  Crimée  qui,  malheureuse- 
ment, échouèrent).  —  Duchesse  de  Dino.  Chronique  (fin  :  du  4  déc. 
1851  au  25  févr.  1853).  =  30  avril.  H.  Cochin.  Anagni  et  les  papes 
de  la  campagne  (fin  le  7  mai.  Boniface  VIII  est  le  représentant  le 
Rev.  Histor.  CV.  2e  fasc.  28 


434  RECUEILS    PERIODIQUES. 

plus  éminent  de  la  campagne  romaine  qui  exerça  une  grande  influence 
sur  la  papauté  au  xne  et  au  xmc  siècle.  Il  a  été  calomnié;  malgré  son 
favoritisme,  sa  fiscalité,  ses  violences,  ses  intentions  ont  été  pures  : 
il  a  cru  pouvoir  être  l'arbitre  de  la  chrétienté  à  un  moment  où  ce 
n'était  plus  possible).  —  F.  Funck-Brentano.  L'Église  de  France  et 
la  Révolution  (éloge  sans  réserve  de  l'ouvrage  de  M.  de  la  Gorce).  — 
R.  Moulin.  Force  et  faiblesse  de  la  Jeune  Turquie  (fin  le  7  mai).  = 
7  mai.  L.  Berthaud.  Jeanne  d'Arc  chef  de  guerre  (compare  Jeanne 
d'Arc  à  Skobeleff,  Kellermann,  Napoléon  et  Marlborough.  Va  pour 
les  deux  premiers,  des  entraîneurs  d'hommes,  mais  les  autres  !  A  vou- 
loir trop  grandir  Jeanne  d'Arc,  en  lui  donnant  tous  les  talents,  on 
pousse  à  la  rabaisser).  =  14  mai.  Hanotaux.  La  question  des  détroits 
(n'a  plus  autant  d'importance  depuis  le  canal  de  Suez).  —  R.  Henry. 
Les  Alsaciens.  =  21  mai.  G.  Lefèvre-Pontalis.  Le  berceau  du 
Parlement  d'Angleterre  (rapide  résumé  des  origines  du  Parlement).  — 
P.  Ginisty.  Un  pamphlétaire.  Martainville.  —  Lecanuet.  L'apaise- 
ment en  1890.  Le  toast  d'Alger  (récit  intéressant  et  précis  de  la  mani- 
festation républicaine  du  12  nov.  1890  faite  par  le  cardinal  Lavigerie, 
à  la  demande  de  Léon  XIII,  qui  favorisa  alors  l'esprit  nouveau  pré- 
conisé par  M.  Spuller,  mais  reçut  un  accueil  très  mélangé  dans  l'épis- 
copat.  «  Nos  évêques  sont  des  lièvres  mitres  »,  disait  Lavigerie. 
L'avenir  l'a  bien  prouvé,  au  grand  dam  de  l'Église).  —  25  mai. 
Vte  de  Reiset.  La  mort  de  Louis  XVIII  (d'après  les  Mémoires  publiés 
et  d'après  le  journal  inédit  de  Madame  Adélaïde).  =r  4  juin.  L.  Hu- 
bert. Le  développement  industriel  de  l'Allemagne  contemporaine.  — 
S.  Rocheblave.  Les  amours  d'un  héros  :  Agrippa  d'Aubigné  et  Diane 
Salviati.  =  11  juin.  F.  Dupin  de  Saint-André.  Une  fondatrice  de 
religion.  Mary  Baker  Eddy  (histoire  de  la  fondation  de  la  Christian 
Science,  un  des  plus  curieux  chapitres  de  l'histoire  de  la  crédulité 
religieuse;  fin  le  15  juin).  =  25  juin.  Général  Cuny.  Souvenir  d'un 
cavalier  (suite  et  fin  les  2,  9  et  16  juill.  Ces  souvenirs  très  remar- 
quables se  rapportent  aux  batailles  devant  Metz,  au  siège  de  Metz, 
après  lequel  Cuny  réussit  à  s'échapper  pour  servir  dans  l'armée  du 
Nord  et  à  la  bataille  de  Saint-Quentin).  —  H.  Cordier.  Le  Thibet, 
la  Chine  et  l'Angleterre  (aperçu  de  leurs  relations).  =  23  juill. 
Montalembert  et  Villemain.  Correspondance  inédite  (belle  lettre 
de  Montalembert  du  21  oct.  1839  sur  la  liberté  d'enseignement,  autre 
du  6  mai  1846,  où  il  traite  Cuvillier-Fleury  et  Michelet  de  sophistes  et 
de  cuistres,  puis  du  12  juillet  et  10  août  1852,  du  20  août  1853,  enfin 
six  lettres  importantes  de  1856,  1857  et  1859  où  l'on  trouve  un  juge- 
ment d'une  sévérité  prodigieuse  sur  l'Histoire  de  France  d'Henri 
Martin).  —  Jean  d'Elbée.  Le  chevalier  de  Lévis  (ami  de  Montcalm, 
qui  arriva  trop  tard  pour  prendre  part  à  la  bataille  de  Québec  et 
empêcher  la  prise  de  la  ville;  mais  qui  fit  encore,  en  décembre  1757, 
une  victorieuse  et  impuissante  campagne).  =  30  juill.  F.   Funck- 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  435 

Brentano.  Le  duc  de  Broglie  (à  propos  de  ses  discours).  =  6  août. 
M.  Sabatier.  Le  centenaire  du  Code  pénal.  —  L.  Batiffol.  Rois  en 
villégiature  au  château  de  Fontainebleau  (Henri  IV  et  Louis  XIII).  = 
13  août.  G.  de  Grandmaison.  La  Saint-Napoléon  en  Espagne  (récit 
piquant  de  la  fête  du  15  août  1810  en  Espagne,  parade  où  tout  était 
commandé).  =z  20  août.  E.  Magne.  Une  station  thermale  au  xvne  s. 
Forges-les-Eaux  (fait  revivre  les  visites  royales  dont  Forges  fut 
honorée). 

25.  —  Le  Bibliographe  moderne.  1909,  sept.-déc.  —  C.-M.  Bri- 
quet. Les  filigranes  ont-ils  un  sens  caché?  (critique  la  théorie  de 
H.  Bayley  qui  veut  crue  dès  leur  apparition,  vers  1282,  les  filigranes 
aient  été  des  emblèmes  où  les  sectes  mystiques  et  puritaines  du  moyen 
âge  auraient  caché  leurs  aspirations  et  leurs  traditions  ;  c'est  parmi  les 
Cathares  surtout  qu'ils  auraient  été  employés  et  maintenus  ;  c'est  en 
Provence  qu'il  faudrait  chercher  le  berceau  de  la  Renaissance  et  de  la 
Réforme;  pour  M.  Briquet,  les  filigranes  continuent  à  n'être  que  de 
simples  marques  de  fabrique).  —  Henri  Stein.  Iter  Helveticum;  notes 
d'un  voyage  d'archives  en  Suisse  (analyse  d'un  certain  nombre  de 
documents  intéressant  l'Histoire  de  France,  de  1319  à  1850).  — 
Ch.  Samaran.  Un  imprimeur  et  un  libraire  à  Bourges  à  la  fin  du 
XVe  s.  (Guyon  Calabre,  Jean  Coffin).  —  Ch.  Schmidt.  A  propos  de 
bâtiments  d'archives  (améliorations  matérielles  à  introduire  aux 
Archives  nationales  de  Paris). 

France. 
(Revues  locales.) 

26.  —  Revue  historique  de  Bordeaux.  1910,  mai-juin.  — 
Dr  G.  Martin.  Etudes  historiques  sur  la  vinification  (suite;  le  vin 
«  treuillis  »).  —  H.  Aimel.  Le  poids  public  à  Bordeaux  et  ses  anciennes 
corporations.  —  G.  Labadie.  La  topographie  de  Bordeaux  (fin). 

27.  —  Annales  de  Bretagne.  T.  XXV,  n°  3,  avril  1910.  — 
G.  Guenin.  Le  menhir  de  Kernuz.  —  Franck  Quessette.  La  fisca- 
lité royale  en  Bretagne  de  1689  à  1715  (en  même  temps  que  se  déve- 
loppe la  tendance  à  l'autonomie  administrative  de  la  province,  les 
charges  fiscales  augmentent;  les  impôts  nouveaux,  en  particulier  la 
capitation,  pèsent  presque  complètement  sur  le  paysan).  —  L.  Caillet. 
Don  de  la  châtellenie  de  Toufîou  à  Jean  II  de  Chalon,  prince  d'Orange, 
d'après  des  lettres  patentes  inédites  d'Anne  de  Bretagne,  Rennes, 
19  avril  1490.  —  Ferdinand  Lot.  Mélanges  d'histoire  bretonne  :  III. 
Gildœ  vita  et  translatio  (suite  et  fin).  =  C. -rendus  :  Sée  et  Lesort. 
Cahiers  de  doléances  pour  la  sénéchaussée  de  Rennes  (excellente 
publication).  —  A.  Le  Moy.  Le  parlement  de  Bretagne  et  le  pouvoir 
royal  au  xviif  siècle  (remontrances  du  parlement  de  Bretagne  au 


Î36  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

XVIIIe  siècle;  bons  travaux).  =:  T.  XXV,  n°  4,  juill.  1910.  G.  Dot- 
tin.  Bibliographie  bretonne  de  H.  d'Arbois  de  Jubainville.  —  A.  Le 
Névanic.  L'agriculture  en  Ille-et-Vilaine  de  1825  à  1870  (de  1825  à 
1848,  progrès  faibles;  de  1848  à  1870,  et  surtout  après  1860,  grands 
progrès).  —  A.  Rébillon.  Cahier  de  doléances  de  la  paroisse  de 
Saint  -Georges-  de  -Reintembault  (Ille-et-Vilaine).  —  G.  Mollat. 
Études  et  documents  sur  l'histoire  de  Bretagne  (1276-1404). 

28.  —  Revue  de  Bretagne.  T.  XLIII,  mars  1910.  —  Ll  Binet. 
La  défense  des  côtes  de  Bretagne  au  xvme  siècle  (suite  ;  la  ville  et  le 
port  d'Orient,  1666-1763).  —  Albert  Travers.  Armoricains  et  bretons 
(suite;  continue  en  avril).  —  F.  Uzureau.  La  paroisse  de  Saint-Ger- 
main-sur-Moine  en  1683  (procès-verbal  de  visite  conservé  aux  archives 
de  Nantes).  —  Notes  d'un  voyage  en  Bretagne  effectué  en  1780  par 
Louis  Desjobert  (suite;  continue  en  avril-mai-juin).  —  Abbé  Gré- 
goire. Les  biens  ecclésiastiques  pendant  la  Révolution  dans  le  dépar- 
tement de  la  Loire-Inférieure  (suite  en  mai,  juin,  juill.,  août,  sept.).  — 
A.  Orain.  La  chouannerie  légendaire  dans  l'Ille-et-Vilaine  (anecdote 
sur  la  chouannerie,  sans  indication  de  sources).  =  Avril.  Ll  Binet. 
La  défense  des  côtes  de  Bretagne  au  xvme  siècle  (le  Port-Louis;  à 
suivre).    —    Abbé    L.    Campion.    Statuts    synodaux    de    l'église    de 
Saint -Brieuc,    1480-1507  (suite;    fin    en    mai -juin).    =    Mai -juin. 
L'  Binet.  La  défense  des  côtes  de  Bretagne  au  xvme  siècle  (Belle- 
Isle   en  mer  pendant  la  guerre   de    la   Succession    d'Autriche).    — 
Etienne   Dupont.    Une    astrologue   bretonne  au  Mont-Saint-Michel 
(Tiphaine    Raguenel,    femme  de  Bertrand  Duguesclin,   séjourne    au 
Mont  de  1365  à  1370).   —  F.  Bourdais.  Un  économiste  breton  au 
xvme  siècle  (François-Joseph,  comte  de  Kersauzon,  auteur  de  projets 
sur  la  navigation  de  la  Bretagne,  1748  et  1765).  —  Hervé  du  Hal- 
GOUET.  Les  sentiments  de  dom  Morice  sur  l'origine  des  armoiries,  des 
sceaux  et  des  devises  (d'après  Arch.  nat.,   MM  758).  —  J.  Coupel. 
Études  documentaires  de  l'industrie  en  Ille-et-Vilaine  (suite  ;  papete- 
ries aujourd'hui  disparues;  imprimeries  sans  cesse  en  progrès).  = 
T.  XLIV,  juill.  F.  Saulnier.  Souvenirs  d'autrefois.  J.-B.  Deshayes- 
Dondart,   1731-1803   (il    était   commissaire   aux   saisies    réelles).    — 
J.  Coupel.  Un  filleul  de  la  ville  de  Rennes  (Yves-Julien  Rennes, 
Ph.  de  Coatgourden  de  Troujolly,  baptisé  en  1788).  —  Dom  Maturin 
Blayo.  Les  derniers  jours  de  l'abbaye  de  Saint-Melaine  de  Rennes 
(brève  histoire  de  l'abbaye;  son  état  en  1789;  inventaire  des  biens  en 
1790;  suite  en  août  et  sept.).  =  Août.  Vte  de  la  Lande  de  Calan. 
Mélanges  historiques  (suite  ;  dates  de  la  biographie  de  Saint-Corentin, 
de  celle  de  Saint-Ronan,  de  celle  de  Sainte- Vinnoe).  =  Sept.  F.  Uzu- 
reau. Les  paroisses^angevines  du  diocèse  de  Nantes  avant  1802  (liste). 
—  B.  Pocquet.  La  rénovation  religieuse  en  Bretagne  après  la  ligue 
(activité  de  Michel  le  Nobletz  et  du  P.  Maunoir). 

29.  —  Recueil  de  la  Commission  des  arts  de  la  Charente- 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  437 

Inférieure.  T.  XVIII,  1908-1909,  n°  2.  —  Ch.  Dangibeaud.  Le 
médailler  municipal  à  Saintes  (suite  du  catalogue  des  monnaies 
romaines).  =z  N°s  3-4.  Voyage  de  Napoléon  I"  à  Saintes,  Rochefort 
et  La  Rochelle  (1808;  récit  de  l'époque).  —  Pandin  de  LusSaudière. 
Saint-Jean-d'Angély  à  l'époque  de  la  Fronde,  1651  (deux  documents 
inédits).  —  G.  Musset.  Les  tremblements  de  terre  en  Aunis  et  dans 
les  régions  voisines  (1568-1908). 

30.  —  Revue  d'histoire  de  Lyon.  T.  IX,  1910,  n°  2.  —  Emile 
Leroudier.  Les  agrandissements  de  Lyon  à  la  fin  du  xvme  siècle 
(travaux  de  Perrache  et  de  Morand).  —  F.  Dutacq.  L'élection  de 
Louis-Napoléon  Bonaparte  à  Lyon  (oct.-déc.  1848)  (suite  et  fin;  l'élec- 
tion met  fin  à  la  crise  industrielle  ;  la  masse  ouvrière  vote  pour  Napo- 
léon en  haine  de  Cavaignac).  —  Eug.  Vial.  Présents  d'honneurs  et 
gourmandises  (énumère  les  présents  faits  par  la  ville  aux  person- 
nages influents  depuis  le  milieu  du  xive  s.  jusqu'à  la  Révolution  ;  suite 
au  n°  4).  =  N°  3.  L.  Lévy-Schneider.  Le  gouvernement  insurrection- 
nel de  l'Hôtel-de-Ville  en  novembre  1831  et  le  rôle  de  L.-M.  Pérenon 
(l'émeute  de  novembre  1831  ne  fut  pas  simplement  ouvrière  ;  «  le  car- 
lisme  à  son  déclin  et  le  républicanisme  à  son  aurore,  sans  compter  le 
bonapartisme  »,  essayèrent  de  capter  le  mouvement;  rôle  joué  par 
Pérenon,  «  fanatique  adepte  de  la  légitimité  »).  —  M.  Audin.  Plans  et 
vues  générales  de  Lyon  des  origines  à  la  fin  du  xvne  siècle  (inven- 
taire). =  N°  4.  L.  Lévy-Schneider.  Le  gouvernement  insurrection- 
nel de  l'Hôtel-de-Ville  en  novembre  1831  et  le  rôle  de  L.-M.  Pérenon 
(suite  et  fin;  «  le  coup  d'audace  fortuit  »  de  novembre  a  failli  réussir; 
l'attitude  des  ouvriers,  uniquement  préoccupés  d'une  augmentation  de 
salaire,  le  fait  échouer).  —  L.  Caillet.  Note  sur  l'artillerie  de  siège 
à  Lyon  en  1465. 

31.  —  La  Province  du  Maine.  1910.  janv.  —  A.  Ledru.  Dom 
Guéranger,  abbé  de  Solesmes  (à  propos  de  sa  récente  biographie  par 
un  moine  de  la  Congrégation  de  France;  suite  dans  les  livr.  de  févr.- 
aoùt).  —  Vte  Men.iot  d'Elbenne.  Jean  de  Lys,  sa  descendance  et  la 
prévôté  de  Vaucouleurs,  1456-1576  (fin).  =  Février.  G.  BusSON. 
Remarques  toponymiques  |  Vodebris  =  Voivres ,  Vobridis  =  Vou- 
vray).  =  Avril.  Busson.  Remarques  toponymiques  (Seuviliacus  = 
Éguillé).  =.  Mai.  Robveille  et  Froger.  La  communauté  d'habitants 
de  Montfort-le-Rotrou  (suite  en  juin-juill.-aoùtl.  z=  Juin.  Bezard. 
Remarques  toponymiques  (conteste  plusieurs  étymologies  proposées 
par  G.  Busson). 

32.  —  Revue  historique  et  archéologique  du  Maine.  T.  LXVII. 

2e  livr.  —  Trigeb.  L'ancien  évèché  du  Mans  avant  la  Révolution  (les 
bâtiments  de  l'évèché,  le  mobilier,  le  personnel  ;  suite  dans  la  3e  livrai- 
son). —  Mis  de  Beauchêne.  Louis  de  Montecler,  gouverneur  de  Laval 
sous  les  règnes  de  Henri  III  et  de  Henri  IV.  —  Roquet.  Pontvallain 


438  RECUEILS   PERIODIQUES. 

(suite  dans  la  3e  livr.  et  au  t.  LXVIII;  châtellenies  de  La  Faigne  et 
de  La  CJornillère).  —  Calendini.  Le  clergé  français  à  Munster,  de 
1796  à  1798  (dans  l'émigration).  =  3e  livr.  Ed.  de  Lorière.  Note  sur 
une  sépulture  ancienne  découverte  à  Chevillé  et  sur  les  seigneurs  du 
Rouleau  et  de  Hardanges.  =  T.  LXVIII,  l,e  livr.  Ed.  de  Lorière. 
Essai  historique  sur  Verdelles.  —  Fleury  et  Triger.  Les  églises  du 
Mans. 

33.  —  Revue  du  Midi.  1910,  15  mai.  —  G.  Maurin.  Études  sur 
le  premier  Empire  (circulaire  du  Ministre  de  la  police  générale,  du 
10  juillet  1810,.  sur  la  «  statistique  personnelle  »  des  départements  : 
renseignements  sur  les  sujets  notables  de  l'Empire,  sur  leur  vie  pri- 
vée, leurs  aptitudes,  leur  fortune  ;  par  une  nouvelle  circulaire,  en  date 
du  10  juillet  1811,  le  Ministre  demande  l'état  des  «  héritières  »  du 
département;  élaboration  des  réponses  à  ces  circulaires  dans  le  Gard). 

—  E.  Mazel.  Une  visite  à  l'IIospitalet  (pièces  de  céramique  antiques 
trouvées  à  l'IIospitalet  sur  le  Larzac).  —  L.  Gap.  Un  château  du  Bau- 
cet  au  début  du  XVIIe  s.  =  15  juin.  L.  d'Albiousse.  L'armoriai  de  la 
ville  d'Uzès  (notices  sur  les  ducs  d'Uzès).  —  Yrondelle.  Le  tombeau 
de  Christophe  de  Dohna  (il  avait  été  gouverneur  de  la  principauté 
d'Orange  de  1630  à  1637).  =  15  juill.  F.  Bruneton.  Quelques  pages 
d'un  livre  de  raison  (celui  de  Martin,  filateur  à  Saint-Hippolyte-du- 
Fort;  notes  de  1716  à  1722  :  les  effets  du  système  de  Law  dans  le 
Midi;  peste  et  disette  de  1720-1722).  =  15  août.  P.  Falgairolle.  A 
propos  de  Montcalm.  Notes  et  documents  inédits  (à  l'occasion  de 
l'inauguration  de  la  statue  de  Montcalm).  —  Dr  Laval.  L'assassinat 
du  général  Dours  à  Bollène  (Vaucluse)  (21  décembre  1795)  (suite  en 
sept.).  =  15  sept.  M.  Fabre.  Les  assemblées  préparatoires  aux  élections 
des  députés  aux  États-Généraux  de  1789  tenues  à  Uzès  (suite  en  oct.). 

—  A.  Robert.  Les  débuts  de  l'insurrection  des  Camisards  (l'affaire 
du  Pont  de  Montvert,  24  juillet  1702;  suite  en  oct.). 

34.  —  Bulletins  de  la  Société  des   Antiquaires  de  l'Ouest. 

3e  sér.,  t.  I,  1909,  n°  2.  —  Cte  de  Mondion.  Mondion  (Vienne  :  le  châ- 
teau et  ses  seigneurs,  la  paroisse  et  ses  curés).  —  C*  Deliquet.  Un 
gentilhomme  poitevin  au  xvme  s.  :  Laurens  du  Villars  (d'après  un 
livre  de  raison). 

35.  —  Bulletin  de  la  Société  d'histoire  et  d'archéologie  du 
VIIe  arrondissement  de  Paris.  1908,  déc.  —  Catalogue  de  la  pre- 
mière exposition  de  la  Société.  —  Vacquier.  Lieu  de  décapitation  de 
Bailly,  ancien  maire  de  Paris  (son  emplacement  probable  au  Champ- 
de-Mars). 

36.  —  Revue  des  Pyrénées.  T.  XXII,  1910,  n°  1.  —  F.  Galabert. 
Le  cahier  des  doléances  de  Monteils  près  de  Caussade  (Tarn-et- 
Garonne;  4  mars  1789  :  publication  de  son  texte).  —  A.  Lamouzèle. 
A  propos  de  Sermet,  évèque  constitutionnel  de  la  Haute-Garonne 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  439 

(lettres  et  documents  inédits  :  1791-1800).  —  Fr.  de  Gélis.  Autour  de 
Palaprat  (fin).  =  N°  2.  Edmond  Galabert.  Souvenirs  sur  Emile 
Pouvillon  (fin  dans  le  n°  3).  —  A.  Auriol.  La  psychologie  de  Botti- 
celli  à  propos  du  quatrième  centenaire  de  sa  mort,  17  mai  1510.  — 
J.  Adher.  La  Haute-Garonne  pendant  la  Révolution  (correspondance 
inédite  du  curé  constitutionnel  Dejean,  1791-1793  (fin  dans  le  n°3).  — 
U.  Lala.  L'enseignement  supérieur  de  la  physique  à  Toulouse  (de 
1832  à  1882).  =  N°  3.  G.  Desdevizes  du  Dézert.  Quelques  matinées 
aux  archives  du  Vatican  (notes  sur  les  documents  relatifs  à  l'Espagne). 

—  Léopold  Gros.  Théodore  Aubanel  (1829-1886). 

37.  —  Revue  savoisienne  51e  année,  1910,  n°  1.  —  L.  Caillet. 
Cession  de  Châtillon  et  de  Sallanches  à  Jean  de  Chalon,  seigneur 
d'Arles,  par  Humbert  II,.  ancien  dauphin  de  Viennois  (25  oct.  1552). 

—  F.  Miquet.  Recherches  sur  les  familles  des  émigrants  savoyards 
fixés  en  France  avant  1860  (suite;  est  continué  dans  le  n°  2).  — 
A.  Crolard.  Annecy  et  les  crues  du  lac  (de  1570  à  1910).  =  N°  2. 

F.  Miquet.  César  Duval  (sénateur  de  la  Haute-Savoie,  1841-1910). — 
J.  Désormaux.  Quelques  chansons  historiques  (chanson  du  duc  de 
Savoie;  Panavo,  chanson  satirique  de  1750  contre  les  Espagnols; 
chansons  patoises  de  1814  et  1815). 

Alsace. 

38.  —  Revue  d'Alsace.  T.  LXI,  1910,  janv.-févr.  —  C.  Oberrei- 
ner.  Nicolas  de  Bollwiller  d'après  les  State  Papers  de  Londres  (pour- 
quoi l'auteur  de  cet  article  adopte-t-il  la  forme  Jean  Sturmius?).  — 

G.  Gromer.  Les  béguinages  à  Haguenau  d'après  les  notes  inédites  de 
M.  Hanauer  (fin).  —  G.  de  Dartein.  Le  P.  Hugues  Peltre  et  sa  vie 
latine  de  sainte  Odile  (suite  en  mars-avril  et  juillet-août).  —  A.  Dor- 
lan.  Les  aspects  de  Sélestat  (suite  :  la  première  enceinte  de  Sélestat, 
1216;  suite  en  mars-avril  et  mai-juin).  —  A. -M. -P.  Ingold.  Lettres 
de  la  princesse  de  Talleyrand  à  un  Alsacien  (dans  les  papiers  de  l'Al- 
sacien L.  de  Béer,  gouverneur  de  Bénévent,  —  que  va  d'ailleurs  publier 
M.  Ingold,  —  se  trouvent  ces  quelques  lettres  sans  grande  impor- 
tance). —  Avec  le  présent  numéro  reprend,  en  appendice,  la  publica- 
tion du  journal  du  palais  du  Conseil  souverain  d'Alsace  par  A.  Holdt 
(année  1776).  =  Mars-avril.  F.  Zeyer.  Cahier  de  doléances  de  la  ville 
de  Riquewihr.  —  Ch.  Hoffmann.  La  suppression  de  l'administra- 
tion provinciale  et  le  nouveau  régime,  1790  (suite  :  l'impôt  ne 
rentre  pas;  mauvais  état  économique  de  l'Alsace).  —  C.  Oberreiner. 
César  et  Arioviste  en  Alsace  d'après  de  nouveaux  travaux  (d'après 
Gloeckler,  Feldzug  von  Csesar  gegen  Ariovist,  et  Jullian,  Hist.  de 
la  Gaule).  —  Mai-juin.  I.  Beuchot.  D'Aigrefeuille  à  Guebewiller 
(l'abbé  d'Aigrefeuille  devenu  membre  du  directoire  du  Haut-Rhin). 

—  Ch.  Hoffmann.  La  suppression  de  l'administration  provinciale  et 


440  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

le  nouveau  régime  (suite  :  formation  du  directoire  départemental  et 
des  directoires  de  districts  ;  suppression  de  l'intendant  et  du  Conseil 
souverain;  fin  en  juill.-août).  —  Suite  du  journal  de  Holdt  (1776). 
=:  Juill.-août.  A.  Dorlan.  Étude  sur  la  seconde  enceinte  de  Sélestat 
(1280).  —  E.  Baumgartner.  Cahier  de  doléances  de  la  ville  de  Neuf- 
Brisach.  —  Th.  Walter.  La  paroisse  de  Soulzmatt  avant  la  grande 
révolution  (depuis  1184).  —  Suite  du  journal  de  Holdt,  en  appendice 
(1776-1777).  =  Sept.-oct.  G.  Rémy.  Jean-Henri  Lambert,  sa  vie  et 
son  œuvre  (savant  mulhousien  né  en  1728;  suite  en  nov.-déc).  — 
C.  Oberreiner.  Expéditions  de  Nicolas  de  Bolhviller  en  1557  (d'après 
les  archives  de  Venise). 

Allemagne. 

39.  —  Historische  Vierteljahrschrift.  T.  XIII,  n°  2,  1910.  — 
H.  Ulmann.  Sur  une  nouvelle  manière  de  comprendre  Stein  (il  s'agit 
de  l'opinion  exprimée  par  Meinecke  dans  son  livre  récent  Weltbùr- 
gertum  und  Nationalstaat  :  Stein  n'aurait  pas  encore  eu  nettement 
la  conception  de  l'autonomie  nationale;  l'auteur  de  l'article  combat 
cette  opinion  et  montre  Stein  plus  allemand  que  «  weltbùrger  »).  = 
Mélanges.  Schmidler  critique  la  méthode  de  publication  des  Annales 
de  l'empire  allemand,  à  propos  du  t.  VII  de  G.  Meyer  von  Knonau, 
1116-1125.  —  F.  Stieve  dégage  de  la  légende  la  figure  historique 
d'Eccelino  III  le  Féroce  dont  il  a  écrit  en  1909  la  biographie.  — 
E.  Doenell  résume  les  entreprises  commerciales  des  Allemands  en 
Amérique  au  xvie  s.;  elles  sont  encore  mal  connues.  —  G.  Sommer- 
feldt  expose,  d'après  un  manuscrit  conservé  à  Vienne  (Cod. 
lat.  8219),  les  conseils  donnés  à  l'empereur,  en  1560-1561,  par  un 
officier  de  son  entourage,  pour  une  expédition  contre  les  Russes  et  les 
Turcs.  —  Pflugk-Harttung  publie,  d'après  les  archives  de  la  famille 
de  Gneisenau,  le  décret  du  6  juillet  1815  relatif  au  départ  de  Napoléon 
et  les  lettres  de  Decrès  le  transmettant  au  préfet  maritime  de  Roche- 
fort  et  au  général  Becker.  =  C. -rendus  :  P.  Hervé.  Papstum  und 
Papstwahl  im  Zeitalter  Philipps  II  (très  solide).  —  A.  Fournier.  Histo- 
rische studien  und  Skizzen  (cette  deuxième  série  est  très  importante). 
—  G.  Droysen.  J.-G.  Droysen  (bonne  biographie;  les  lettres  publiées 
sont  intéressantes).  =  T.  XIII,  n°  3,  1910.  B.  Hilliger.  Le  denier  et 
le  schilling  dans  la  loi  salique  I réponse  aux  critiques  de  Jàkel  et  de 
Rietschel).  —  Wilhelm  Busch.  Les  guerres  de  l'Angleterre  en  1513  : 
Guinegate  et  Flodden  (l'Angleterre  et  l'Ecosse  jusqu'à  la  rupture  ;  la 
campagne  et  la  bataille  de  Flodden,  août-sept.  1513).  =  C-rendus  : 
K.-H.  Jacob  signale  et  analyse  le  premier  volume  publié  par  les  deux 
sociétés  préhistoriques  allemandes,  la  Pràhistorische  Zeitschrift  de 
Schuchardt,  etc.,  et  le  Mannus,  Zeitschrift  fur  Vorgeschichte  de 
G.  Kossinna.  — R.  Wackernagel.  Geschichte  der  Stadt  Basel  (impor- 
tant non  seulement  pour  l'histoire  locale,  mais  pour  l'histoire  urbaine 


RECUEILS    PERIODIQUES.  441 

et  celle  de  la  civilisation  médiévale).  —  Erich  Caspar.  Petrus  diaco- 
nus  uud  die  Monte  Cassineser  Fàlschungen  (très  important).  — 
K.  Henking.  Johannes  von  Mûller,  1752-1809  (I  :  1752-1780.  L'auteur 
s'est  servi  des  papiers  inédits  de  J.  de  M.  conservés  à  Schafîhouse). 
—  Moritz  Jaffé.  Die  Stadt  Posen  unter  preussischer  Herrschaft.  — 
Lily  Braun.  Im  Schatten  der  Titanen.  Ein  Erinnerungsbuch  an  Baro- 
nin  Jenny  v.  Gustedt  (née  en  1811,  morte  en  1890;  important).  — 
Adolphe  de  Circourt.  Souvenirs  d'une  mission  à  Berlin  en  1848, 
publ.  par  G.  Bourgin  ;  t.  II  (utile).  —  M.  Philippson.  Neueste 
Geschichte  des  jùdischen  Volkes;  t.  II  (période  contemporaine; 
impartial). 

40.  —  Historische  Zeitschrift.  3e  sér.,  t.  VIII,  1910,  n°  3.  — 
Heinrich  Fincke.  Dante  historien  (l'Enfer  et  le  Purgatoire  sont  rem- 
plis de  jugements  et  de  portraits  qui  prouvent  chez  Dante  une  con- 
naissance parfaite  de  la  politique  de  son  temps).  —  Wolfgang  Michael. 
Walpole  premier  ministre  (procédés  employés  par  Walpole  pour 
arriver  au  pouvoir  et  s'y  maintenir).  —  Adalbert  Wahl.  Contribution 
à  l'histoire  des  partis  en  Allemagne  au  xixe  s.  (étude  de  l'évolution 
interne  du  parti  libéral  et  du  parti  conservateur;  contrairement  à 
Merkel  (Fragmente  der  Sozialwissenschaft),  l'auteur  veut  prouver 
que  le  parti  conservateur,  lui  aussi,  est,  en  un  certain  sens,  un  parti 
individualiste).  =  C. -rendus  :  R.  Sohm.  Wesen  und  Ursprung  des 
Katholizismus  (l'auteur  du  c. -rendu  expose  et  critique  le  système  de 
Sohm).  —  V.  Betzold,  E.  Gothein,  R.  Koser.  Staat  und  Gesellscbafi 
der  neueren  zeit;  2e  partie  :  die  Kultur  der  Gegenwart  (excellent 
résumé).  —  Annie  Mittelstœdt.  Der  Krieg  von  1859  (bon).  —  G.  von 
Below.  Landtagsakten  von  Jiilich-Berg,  1400-1610  (excellente  publi- 
cation). —  .4.  Stapylton-Barnes.  The  Man  of  the  Mask  (le  «  Masque 
de  fer  »  serait  l'abbé  Pregnani,  envoyé  par  Louis  XIV  en  Angleterre 
en  1669;  Pregnani  serait,  sous  un  autre  nom,  James  de  la  Cloche,  fils 
naturel  de  Charles  II  d'Angleterre,  disparu  en  1669;  l'hypothèse  n'est 
pas  soutenable).  —  .4.  Delplanque.  Fénelon  et  la  doctrine  de  l'amour 
pur  limportant).  =  T.  IX,  1910.  n°  1.  F.  von  Bezold.  Jean  Bodin 
considéré  comme  «  occultiste  »  et  sa  Démonomanie  (l'auteur  place 
Jean  Bodin  dans  son  milieu  historique  et  recherche  dans  quelle  mesure 
la  Démonomanie  est  inspirée  par  les  événements  contemporains).  — 
II.  von  Voltelini.  Les  principes  du  droit  naturel  et  les  réformes  du 
xvme  s.  (le  mouvement  de  réformes  et  «  le  despotisme  éclairé  »  sont 
inspirés  non  par  les  idées  venues  de  France,  mais  par  les  doctrines 
sur  le  droit  naturel  qui  étaient  enseignées  en  Allemagne.  Frédéric  II 
et  Joseph  II  ont  subi  l'influence,  non  des  auteurs  français,  mais  de 
Hille  et  Wolff  en  Allemagne,  de  Paul  Riegger  et  d'Antoine  Martini 
en  Autriche).  —  C.  Varrentrapp.  Lettres  écrites  à  Ranke  par  des 
historiens  allemands  et  français  (lettres  de  Niebuhr,  Schlosser,  F.  v. 
Raumer,   Stenzel.   Michelet   et    Mignet;    intéressanl    témoignage   de 


442  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

Ranke  sur  Michelet  en  1850).  =  C. -rendus  :  K.  von  Amira.  Le  bâton 
et  sa  signification  symbolique  dans  le  droit  germanique  (très  impor- 
tant). —  Paul  Bailleu.  La  reine  Louise  (excellente  biographie).  = 
T.  IX,  1910,  n°  2.  Ch.  Reuter.  Ebbon,  archevêque  de  Reims,  et 
Ansgar  (contribution  à  l'histoire  des  missions  chrétiennes  dans  le  nord 
de  l'Allemagne  et  en  particulier  à  celle  de  l'évêché  de  Hambourg).  — 
F.  Wiegand.  La  nomination  d'Edouard  Zeller  à  Marbourg  et  le  rôle 
de  A.  Vilmar  (Zeller,  qui  enseignait  la  théologie  à  Berne,  est  nommé 
en  1849  à  Marbourg;  Vilmar  essaie  d'empêcher  sa  nomination|.  — 
W.  Stolze.  Nouvelles  études  sur  la  guerre  des  paysans  (revue  des 
travaux  de  Hofmann,  Eitner,  Kôchl,  Paul  Haustein).  —  R.  Koser. 
Le  duché  de  Clève  et  les  négociations  pour  la  paix  en  1759-1760.  — 
Paul  Darmst^edter.  Nouvelles  sources  pour  l'histoire  économique  de 
la  Révolution  française  (résume  les  travaux  de  la  commission  créée 
en  1903,  à  Paris,  sur  l'initiative  de  Jaurès;  la  masse  de  documents 
publiés  est  déjà  considérable).  —  G.  Kaufmann.  Les  sources  de  l'his- 
toire de  la  presse  politique  en  Silésie  (rapide  revue  des  travaux  déjà 
publiés).  =:  C. -rendus  :  A.  Vogt.  Basile  Ier,  empereur  de  Byzance 
(bon).  —  H.  Gùnther.  Die  Habsburger  Liga,  1625-1635  (bonne  publi- 
cation de  documents).  —  F.  Frensdorff.  Von  und  ùber  Schlœzer 
(important  pour  l'historiographie).  —  J.  Bauer.  Schleirmacher  als 
patriotischer  Prediger  (excellent).  —  Veit  Valentin.  Frankfurt  am 
Main  und  die  Révolution  von  1848-1849  (bon).  —  G.  Lûders.  Die 
demokratische  Bewegung  in  Berlin  im  oktober  1848  (comble  une 
lacune).  —  H.  v.  Helmolt.  Weltgeschichte  ;  t.  V  (Europe  du  sud-est 
et  Europe  de  l'est.  Inégal). 

41.  —  Deutsche  Rundschau.  1910,  avril.  —  P.  Bailleu.  La  jeu- 
nesse de  Bismarck  (d'après  le  livre  de  Marcks).  —  J.  von  Eckardt. 
Souvenirs  de  ma  vie  (suite;  continue  jusqu'en  sept.  :  1867-1887).  — 
Lehmann-Haupt.  Sémiramis  et  son  temps.  —  F.  Salomon.  Les 
relations  anglo-allemandes  depuis  1870.  =  Juin.  G.  Dickruth.  Fré- 
déric II  et  Napoléon  Bonaparte  dans  leurs  premières  campagnes.  =: 
Juill.  R.  Garbe.  Les  éléments  d'origine  bouddhiste  dans  le  christia- 
nisme (on  peut  assurer  qu'il  n'y  en  a  pas).  —  Prehn  von  Dewitz. 
Contribution  à  l'histoire  secrète  des  finances  de  l'Autriche  pendant  et 
après  la  révolution  du  Brabant,  1789-1790  (d'après  des  documents  iné- 
dits conservés  à  Bruxelles  qui  montrent  l'importance  de  la  maison  de 
banque  Bethmann).  =  Août.  A.  Fournier.  Frédéric  Gentz  et  la  paix 
de  Schonbrunn  (lettres  de  Gentz  à  Kolowrat,  gouverneur  de  Bohême 
à  Prague,  de  juin  à  oct.  1809).  =  Sept.  Félix  Salomon.  Un  programme 
de  réformes  russe  au  xvme  s.  (les  instructions  données  par  Cathe- 
rine II,  en  1767,  à  la  commission  chargée  de  préparer  les  réformes). 
—  Paolo  Zendrini.  L'influence  de  Luther  sur  l'Italie  au  xvie  s.  = 
Oct.  Adolf  Lasson.  Pour  le  centenaire  de  l'Université  de  Berlin.  — 
K.  Stahlin.  La  direction  des  armées  allemandes  pendant  la  guerre 


RECUEILS    PERIODIQUES. 


443 


de  1870-1871  (la  guerre  lentement  préparée  par  Moltke;  pendant  la 
première  phase  de  la  guerre,  l'organisation  allemande  est  en  face  de 
la  routine  française  ;  pendant  la  seconde  phase,  elle  a  devant  elle  le 
simple  enthousiasme).  —  W.  Alter.  L'unification  de  l'Allemagne  et 
la  politique  autrichienne  (d'après  des  lettres  du  comte  Beust,  du 
ministre  bavarois  Bray-Steinburg,  du  comte  Vitzthum  et  des  ambas- 
sadeurs autrichiens  R.  Metternich  et  Chotek,  1867-1871). 

42.  —  Zeitschrift  fur  Brûdergeschichte.  1909,  n°  2.  —  Gottfried 
Schmidt.  Les  «  bandes  »  ou  sociétés  dans  l'ancien  Hernnhut  (créées 
en  1727,  les  petites  sociétés  ou  «  bandes  »,  répandues  dans  les  com- 
munautés moraves,  ont  leurs  statuts  précis  ;  dès  1736,  l'organisation 
des  bandes  est  moins  rigide;  elles  disparaissent  à  la  fin  du  xvme  s.). 

—  J.-Th.  Muller.  Un  discours  de  Zinzendorf  là  la  consécration  d'une 
église  à  Marienborn,  le  12  mai  1745).  =  1910,  n°  1.  En  souvenir  du 
9  mai  1760  (date  de  la  mort  de  Zinzendorf).  —  G.  Reichel  et  J.-Th. 
Muller.  Journal  de  Zinzendorf,  1716-1719  (suite;  notes  quotidiennes, 
en  latin,  en  allemand  et  en  français,  de  Zinzendorf,  alors  étudiant, 
suivies  de  lettres  de  et  à  Zinzendorf).  —  Id.  Les  portraits  de  Zinzen- 
dorf. —  Id.  Note  sur  un  journal,  «  der  Parther  ».  publié,  sans  nom 
d'auteur,  par  Zinzendorf,  dès  1724. 

Belgique. 

43.  —  Analecta  Bollandiana.  1910.  nos  1-2.  —  A.  Poncelet.  Le 
légendier  de  Pierre  Calo  (les  légendiers  ;  les  légendiers  abrégés  ;  le 
légendier  de  Pierre  Calo,  compilateur  dominicain  -j-  après  1230).  — 
H.  Delehaye.  L'invention  des  reliques  de  saint  Menas  à  Constanti- 
nople  (martyr  qui  remplissait  en  Egypte  le  rôle  attribué  à  saint  Pan- 
crace chez  les  Latins).  —  P.  Peeters.  Saint  Eleutherios-Guhistozad 
(étude  critique  sur  ce  personnage,  victime  de  la  persécution  de 
Sapor  II).  =  C. -rendus  :  E.  Caspar.  Petrus  Diaconus  und  die  Monte 
Cassineser  Fàlschungen  (inventaire  complet  des  travaux  de  ce  célèbre 
faussaire  du  xne  s.).  —  H.  Mertel.  Die  biographische  Form  der  grie- 
chischen  Heiligenlegenden  (montre  l'influence  de  la  rhétorique  sur  la 
forme  littéraire  des  vies  des  saints  grecques).  —  P.  Lindner.  Monas- 
ticon  metropolis  Salzburgensis  antiquae  (ouvrage  de  premier  ordre). 

—  J.  Wilpert.  Die  Papstgràber  und  die  Caciliengruft  in  der  kata- 
kombe  des  H.  Kallistus  (complète  les  travaux  de  Rossil.  —  S.  Beis- 
sel.  Geschichte  der  Verehung  Marias  in  Deutschland  wahrend  des 
Mittelalters  (beaucoup  de  science,  mais  accumulation  de  détails  et 
absence  de  vues  d'ensemble).  —  J.  Susta.  Die  Rômische  Curie  und 
das  Concil  von  Trient  unter  Pius  IV  (formera  un  Corpus  diploma- 
ticum  de  toute  première  valeur).  —  P.  lierre.  Papsttum  und  Papst- 
wahle  im  Zeitalter  Philipps  II  (grande  érudition;  critique  pénétrante; 
n'apprécie  pas  exactement  le  rôle  de  Philippe  II). 


I  I  I  RECUEILS   PERIODIQUES. 

44.  —  Analectes  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique  de  la 
Belgique.  1910,  a"  1 .  -  II.  Bosmans.  Correspondance  de  J.-B.  Mol- 
donado  de  Mons  (missionnaire  belge  au  Siam  et  en  Chine  au  xvne  s., 
1683  f  1699.  Lettres  adressées  au  grand  imprimeur  Moretus  d'An- 
vers, au  P.  de  la  Chaize,  aux  généraux  de  l'ordre,  au  bollandiste 
Henschen,  etc.). 

45.  —  Archives  belges.  1910,  n°  1.  —  C. -rendus  :  H.  Sage.  Le 
prince  Ferdinand  de  Rohan-Guéménée,  archevêque  de  Cambrai, 
régent  de  la  nation  liégeoise  (éclaircit  un  épisode  intéressant  et  peu 
connu  de  l'histoire  liégeoise).  —  A.  Walther.  Die  burgundische  Zen- 
tralbehorden  unter  Maximilian  I  und  Karl  V  (les  institutions  belges 
sont  la  reproduction  des  institutions  françaises,  mais  n'ont  exercé 
aucune  iniluence  sur  les  institutions  allemandes).  —  K.  Fribram. 
Geschichte  der  ôsterreichischen  Gewerbepolitik  von  1740  bis  1850 
(t.  I,  va  de  1740  à  1798;  retrace,  d'après  les  documents  des  archives 
et  d'une  manière  très  vivante,  les  effets  du  despotisme  éclairé).  — 
H.  Maillet.  L'Eglise  et  la  répression  sanglante  de  l'hérésie  (soutient 
que,  dans  les  temps  anciens,  l'Église  était  hostile  à  la  peine  de  mort 
pour  cause  d'hérésie;  elle  la  toléra  plus  tard).  z=.  N°  2.  E.  Herbig. 
Die  Bebriebsart  der  Tuchindustrie  Brùgges  im  Mittelalter  (insuffisance 
bibliographique  et  interprétation  peu  rigoureuse  des  textes).  =  N°  3. 
F.-D.-J.  Morrees.  Histoire  du  protestantisme  dans  la  principauté 
épiscopale  de  Liège  (manque  d'originalité).  =  N°  4.  V.  Brents.  La 
Belgique  au  xvne  s.  Albert  et  Isabelle.  Études  d'histoire  politique  et 
sociale  (particulièrement  important  pour  les  questions  économiques). 
—  C.  Buffin.  Documents  inédits  sur  la  Révolution  belge  (lettres  de 
Stœdler  au  prince  d'Aremberg  et  relation  du  bombardement  d'An- 
vers d'après  les  papiers  de  Chazol,  ancien  ministre  de  la  Guerre  ; 
beaucoup  de  détails  très  neufs).  —  A.  Vandevelde.  Les  métiers  des 
charpentiers  et  des  menuisiers  à  Bruges  du  xive  au  xixe  s.  (détails 
intéressants,  mais  manque  fâcheux  de  vues  d'ensemble).  —  T.  Mayer. 
Der  auswàrtige  Handel  der  Herzogtums  Ôsterreich  in  Mittelalter  (con- 
tient des  indications  nombreuses  sur  les  relations  commerciales  de 
l'Autriche  avec  les  Pays-Bas  au  moyen  âge).  =  N°  5.  H.  Pirenne. 
Les  anciennes  démocraties  des  Pays-Bas  (les  démocraties  urbaines 
du  moyen  âge  ne  furent  en  somme  que  des  démocraties  de  privilé- 
giés ;  fait  ressortir  les  antinomies  entre  les  cités  antiques  et  les  villes 
médiévales  des  Pays-Bas).  —  De  Bas  et  de  t'  Sercla.es.  La  campagne 
de  1815  aux  Pays-Bas  (réfute  les  calomnies  anglaises  concernant  le 
rôle  des  troupes  hollando-belges).  —  A.  Elhan.  Philippe  de  Marnix 
de  Sainte-Aldegonde  (c'est  la  biographie  la  plus  complète  et  la  plus 
objective  du  personnage). 

46.  —  Bulletin  de  la  classe  des  lettres  de  l'Académie  royale 
de  Belgique.  1910,  n°2. —  E.  Gossart.  La  révolution  des  Pays-Bas 
au  xvie  s.  dans  l'ancien  théâtre  espagnol  (étudie  spécialement  l'épi- 


RECDEILS   PÉRIODIQUES.  445 

sode  de  Don  Carlos).  =  N°  5.  Baron  de  Borchgrave.  La  science 
américaniste  au  début  du  XXe  s.  (histoire  des  études  américanistes 
et  exposé  des  résultats  acquis  au  congrès  de  Vienne  de  1908).  — 
M.  Vauthier.  Machiavélisme  et  raison  d'État  (le  machiavélisme  n'a 
pas  disparu  du  domaine  de  la  politique  internationale,  mais  il  est 
jusqu'à  un  certain  point  neutralisé  par  l'idée  d'une  communauté  entre 
nations  et  l'idée  d'humanité). 

47.  —  Bulletin  de  la  Commission  royale  d'histoire  de  Bel- 
gique. 1909,  n°  4.  Compte-rendu  de  la  séance  royale  du  8  novembre 
1909.  —  Le  75e  anniversaire  de  l'institution  de  la  Commission  fut 
célébré  par  une  séance  solennelle  que  présida  le  roi  Léopold  II. 
H.  Pirenne  retraça  l'histoire  des  travaux  de  la  Commission  et 
G.  Kurth  donna  lecture  d'une  dissertation  :  Notre  nom  national  (le 
nom  de  Belgique  est  antérieur  à  l'ère  chrétienne;  aperçu  de  son  his- 
toire depuis  César  jusqu'au  xixe  s.).  —  J.  Warichez.  Une  descrip- 
tio  villarum  de  l'époque  carolingienne  {descriptio  des  biens  de  l'ab- 
baye de  Lobbes,  sur  le  modèle  imposé  par  Charlemagne  dans  son 
capitulaire  de  810;  elle  date  de  868-869  après  les  dilapidations  de  «  l'im- 
pie Hubert  »).  —  1910,  n°  1.  A.  Pasture.  Inventaire  des  fonds  Bor- 
ghèse  des  archives  Vaticanes  au  point  de  vue  de  l'histoire  des  Pays- 
Bas  (xvie  et  xviie  s.).  =  N°  2.  V.  Fris.  Les  archives  de  Saint-Omer 
et  de  Lille  (décrit  plusieurs  documents  intéressant  l'histoire  des  Pays- 
Bas).  —  N.  de  Pauw.  L'enquête  sur  les  capitaines  de  Courtrai  sous 
Artevelde  (prouve  par  des  documents  inédits  la  légalité  du  gouverne- 
ment de  Jacques  van  Artevelde).  —  V.  Fris.  Sur  la  valeur  de  la 
Recherche  des  antiquitez  et  noblesse  de  Flandres  de  Philippe  de 
l'Espinoy  (valeur  documentaire  quasi  nulle.  L'auteur  a  été  l'un  des 
premiers  à  comprendre  la  valeur  des  registres  scabinaux  comme 
source  de  l'histoire  généalogique,  mais  il  n'a  pas  réussi  à  utiliser  ces 
documents  d'une  manière  judicieuse). 

48.  —  Bulletin  de  la  Société  d'histoire  et  d'archéologie  de 
Gand.  1909,  n°  8.  —  G.  Hulin.  Olivier  de  Gand,  sculpteur  en  Portu- 
gal (recherches  sur  cet  artiste  distingué  du  xvie  s.).  — V.  Fris.  Notes 
pour  servir  à  l'histoire  du  patriciat  gantois  (listes  des  échevins  et  patri- 
ciens du  xive  et  du  xve  s.).  =  1919,  nos  1-2.  V.  Fris.  Tableau  de  la 
Flandre  au  début  du  xvie  siècle  (d'après  une  description  détaillée, 
œuvre  d'Antonio  de  Beotin,  secrétaire  de  Louis  d'Aragon,  chargé,  en 
1517,  d'une  mission  du  pape  auprès  du  jeune  Charles-Quint). 

49.  —  Bulletin  de  la  Société  royale  belge  de  géographie. 

1909.  —  Rahir.  Biographies  du  major  Cambier  et  du  baron  Dhanis 
(deux  des  principaux  collaborateurs  de  Léopold  II  dans  son  œuvre 
coloniale).-  =  1910,  n°  1.  A.  Hutereau.  Documents  ethnographiques 
congolais  :  les  Manyanga  (la  vie  familiale;  la  vie  juridique).  —  J.  L. 
L'enseignement  colonial  à  l'Université  de  Louvain. 


446  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

50.  —  Bulletin  de  la  Société  scientifique  et  littéraire  du  Lim- 
bourg.  1909.  —  J.  Paquay.  Les  origines  chrétiennes  dans  le  diocèse 
de  Tongres  (manque  de  méthode  et  de  clarté). 

51.  —  Leodium.  1909.  —  U.  Berlière.  Louis  Sanctus  de  Beerin- 
gen  (contribution  à  la  biographie  de  cet  ami  de  Pétrarque).  —  E.  School- 
meesters.  Les  archiprètres  de  Liège  (cette  institution  remonte  pro- 
bablement au  ixe  s.).  =z  1910.  J.  Ceyssens.  Val-Dieu  et  les  derniers 
comtes  de  Dalhem  (rectifie  des  erreurs  commises  par  plusieurs  histo- 
riens au  sujet  de  la  prise  de  Dalhem  par  le  duc  de  Brabant  au  xme  s.). 

52.  —  Le  Musée  belge.  1909,  n°  1.  J.  Kayser.  La  terminologie 
de  l'architecture  grecque  (d'après  les  inscriptions).  —  J.  Van  den 
Gheyn.  Le  discours  d'ouverture  des  leçons  d'Adrien  Amerot,  deuxième 
professeur  de  grec  au  collège  des  Trois-Langues  à  Louvain  en  1545 
(document  inédit  et  intéressant  pour  l'histoire  de  l'humanisme  en  Bel- 
gique). =z  N°  2.  J.-P.  Waltzing.  Nouvelle  inscription  du  dieu  Inta- 
rabus  (découverte  à  Trêves  en  1907).  =  Nos  3-4.  Th.  Simar.  Chris- 
tophe de  Longueil,  humaniste  (né  à  Malines  en  1488,  mort  en  1522). 

—  A.  Jornar.  Sabazius  et  le  judaïsme  (étudie  l'influence  des  doc- 
trines juives  sur  le  culte  du  Zeus  phrygien  et  ne  croit  pas  qu'elle  ait 
été  particulièrement  sensible).  —  L.  Delaruelle.  Nicole  Bérault 
(étude  critique  sur  cet  humaniste  Orléanais  du  xvie  s.).  — J.-P.  Walt- 
zing. Inscription  métrique  des  thermes  romains  trouvés  à  Arlon  (inté- 
ressantes conjectures).  —  H.  Francotte.  L'organisation  de  la  cité 
d'Argos  (à  propos  des  fouilles  de  W.  Vollgraff).  =  1910,  n°  1.  P.  Grain- 
dor.  Fouilles  et  recherches  à  Tenos  (description  de  monnaies  et  d'ins- 
criptions découvertes  en  1908).  =  C. -rendus  :  T.  Mayer.  Handel 
Œsterreichs  im  Mittelalter  (importante  étude  d'histoire  économique; 
l'auteur  a  utilisé  les  registres  des  tonlieux  de  Passau  et  de  Presbourg). 

—  E.  Hennig.  Die  pàpstliche  Zehnten  aus  Deutschland  wàhrend  des 
Grossen  Schismas  (établit  que  ces  impôts  furent  très  lourds).  —  Wol- 
kan.  Der  Briefwechsel  des  Eneas  Silvius  Piccolomini  (beaucoup  de 
pièces  inédites). 

53.  —  Publications  de  la  section  historique  de  l'Institut 
grand-ducal  de  Luxembourg.  1909.  —  J.  Grob.  Recueil  d'actes  et 
documents  concernant  les  Frères  Mineurs  dans  l'ancien  duché  de 
Luxembourg  et  comté  de  Chiny,  précédé  d'une  notice  historique  (con- 
tribution très  importante  à  l'histoire  franciscaine  dans  les  Pays-Bas 
du  xme  s.  au  xixe.  —  Ch.  Schoack.  Les  Luxembourgeois,  soldats  de 
la  France,  1792-1815  (biographies  inédites  et  intéressantes). 

54.  —  Revue  de  bibliographie  et  de  bibliothéconomie  (Tijd- 
schrift  voor  boek  en  bibliotheekwezen).  1909.  —  J.-W.  Enschedé. 
Le  commerce  du  papier  dans  les  Pays-Bas  au  xvne  s.  (importante 
étude  d'histoire  économique).  —  C.-P.  Burger.  L'ancien  droit  mari- 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  447 

time  de  la  Hollande.  —  G. -A.  Evers.  Histoire  de  la  bibliothèque  de 
l'Université  d'Utrecht  (c'est  la  plus  ancienne  bibliothèque  de  la  Hol- 
lande; elle  fut  fondée  en  1584). 

55.  —  Revue  de  l'instruction  publique  en  Belgique.  1910,  n°  1. 

—  C. -rendus  :  T.  Lindner.  Weltgeschichte  seit  der  Vôlkerwande- 
rung  VI  (XVIIe  et  xvme  s.  Clair  et  précis;  n'a  pas  accordé  assez  d'im- 
portance à  l'histoire  des  Provinces-Unies).  —  E.  Gossart.  Charles- 
Quint,  roi  d'Espagne  (documentation  sûre,  grande  probité  scienti- 
fique). =  Nos  2-3.  S.  Feist.  Europa  im  Lichte  der  Vorgeschichte 
(excellente  introduction  à  l'étude  de  la  préhistoire).  —  0.  Cartellieri. 
Philippe  der  Kùhne,  Herzog  von  Burgund  (bien  documenté). 

56.  —  Revue  de  l'Université  de  Bruxelles.  1910,  n°  5.  — 
Cte  Goblet  d'Alviella.  De  la  méthode  comparative  dans  l'histoire 
des  religions  (c'est  un  instrument  très  utile,  mais  aussi  très  délicat,  et 
il  importe  de  ne  pas  en  abuser).  =N°  6.  J.  Ingenbleek.  L'impôt  sur 
le  revenu  et  la  guerre  de  1870.  —  E.  Stocquart.  La  condition  des 
enfants,  des  célibataires  et  des  prêtres  au  moyen  âge  en  Espagne.  = 
C. -rendu  :  G.  des  Marez.  Le  compagnonnage  des  chapeliers  bruxel- 
lois (bien  documenté,  abonde  en  détails  inédits). 

57.  —  Revue  d'histoire  ecclésiastique  de  Louvain.  1910,  n°  1. 

—  J.  de  Ghellinck.  Le  traité  de  Pierre  Lombard  sur  les  sept  ordres 
ecclésiastiques  :  ses  sources,  ses  copistes  (conclusion  :  les  sources  de 
P.  Lombard  sont  Yves  de  Chartres,  Hugues  de  Saint-Victor  et  Gra- 
tien).  —  F.  Bliemetzrieder.  Conclusions  de  Guillaume  de  Salvar- 
villa,  maître  en  théologie  à  Paris,  sur  la  question  du  concile  général 
pendant  le  grand  schisme  d'Occident,  1381  (document  inédit  de  la 
bibl.  de  Bâle;  réfute  les  objections  qui  s'étaient  produites  contre  la 
convocation  d'un  concile  général).  —  P.  Richard.  Origines  et  déve- 
loppement de  la  secrétairerie  d'État  apostolique,  1417-1823  (lre  partie, 
va  jusqu'au  pontificat  de  Léon  X  ;  étude  d'après  les  archives  du  Vati- 
can). =  C. -rendus  :  J.  Lebon.  Le  monophysisme  sévérien.  Étude 
historique,  littéraire  et  théologique  de  la  résistance  monophysiste  du 
concile  de  Chalcédoine  jusqu'à  la  constitution  de  l'église  jacobite 
(d'après  des  manuscrits  syriaques  inédits  du  British  Muséum).  — 
P.  Schmoll.  Die  Busslehre  der  Frùhscholastik  (va  du  xne  siècle  jus- 
qu'à saint  Thomas  d'Aquin;  travail  solide,  mais  trop  bref).  —  G.  Ber- 
big.  Spolatin  und  sein  Verhâltnis  zu  Martin  Luther  auf  Grundihres 
Briefwechsels  bis  zum  Jahre  1525  (rend  bien  compte  des  services  con- 
sidérables que  Spolatin  rendit  à  Luther,  notamment  à  la  cour  de  Fré- 
déric le  Sage).  —  J.  Schmidlin.  Die  Kirchliche  Zustànde  in  Deut- 
schland  vor  dem  dreisigjàhrigen  Kriege  (l'auteur  a  surtout  utilisé  les 
documents  des  archives  Vaticanes.  lre  partie  :  étude  de  la  vie  reli- 
gieuse dans  les  douze  diocèses  autrichiens).  —  Kraemer.  Correspon- 
dance inédite  de  la  maison  d'Orange-Nassau  (3e  série,  t.  III.  245  lettres 


448  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

échangées  entre  Guillaume  III  et  le  pensionnaire  Heinsius  pendant 
les  années  1700-1702).  =  N°  2.  L.  Laurand.  Le  «  Cursus  »  dans  la 
légende  de  saint  François  par  saint  Bonaventure  (il  présente  une  cer- 
taine variété,  et  la  critique  doit  en  tenir  compte).  —  H.  de  Jongh.  La 
Faculté  de  théologie  de  l'Université  de  Louvain  au  xve  siècle  et  au 
commencement  du  xvie  (étudie  d'après  les  sources  ses  débuts,  son 
organisation  et  son  enseignement).  =  C. -rendus  :  G.  Gromer.  Die 
Laienbeicht  im  Mittelalter  (esquisse  l'histoire  de  cette  institution 
depuis  ses  origines  jusqu'à  sa  disparition  dans  les  temps  modernes. 
Documentation  abondante).  —  Th.  Gra.ndera.th.  Histoire  du  concile 
du  Vatican  (t.  II  ;  révélations  peu  flatteuses  pour  certains  prélats 
adversaires  de  l'infaillibilité).  —  Khevenhûller  et  Schlitter.  Aus  der 
zeit  Maria  Theresias.  Tugebuch  des  Fursten  Khevenhûller  (beaucoup 
de  détails  sur  les  intrigues  de  la  cour).  —  M.  de  Wulf.  Histoire  de  la 
philosophie  en  Belgique  (intéressant,  mais  insuffisant  au  point  de  vue 
bibliographique).  —  A.  Van  de.  Velde.  Les  anciennes  corporations 
des  charpentiers  et  ébénistes  de  la  ville  de  Bruges  (d'après  les  docu- 
ments contemporains). 

58.  —  Revue  générale  de  Belgique.  1910,  n°  2.  —  J.  Mélot. 
Voltaire  à  Bruxelles  (détails  inédits).  —  C.  Buffin.  Le  23  septembre 
1830,  d'après  les  souvenirs  du  général  Capiaumont  (épisode  de  la 
révolution  belge  raconté  par  un  des  acteurs).  =z  N°  4.  C.  Woeste.  Le 
prince  de  Bulow  (cherche  à  démontrer  que  le  chancelier  a  surtout  pra- 
tiqué une  politique  d'expédients).  —  Baron  de  Borchgrave.  Le 
Dr  Cari  Lueger  (intéressante  étude  sur  l'histoire  des  partis  en  Autriche 
durant  les  trente  dernières  années  et  sur  l'œuvre  municipale  du  célèbre 
bourgmestre  de  Vienne  depuis  1897).  =  N°  6.  B.  de  Franqueville. 
Léon  XIII  et  la  Belgique  pendant  la  lutte  scolaire,  1878-80  (lre  partie 
d'un  exposé  de  la  diplomatie  pontificale  aux  prises  avec  le  cabinet 
frère  Orban). 

Grande-Bretagne. 

59.  —  The  Athenseum.  1910,  13  août.  —  Rhodes.  A  descriptive 
catalogue  of  the  mss.  in  the  library  of  Corpus  Christi  Collège,  Cam- 
bridge; 2e  partie  :  nos  101-156.  =  20  août.  Rooseboom.  The  scottish 
staple  in  the  Netherlands  (intéressant).  —  Calendar  of  the  Close  rolls 
preserved  in  the  P.  Record  Office.  Edward  III,  vol.  XI,  1360-1364.  — 
Hill.  Historical  roman  coins  (important).  —  Medallic  illustrations  of 
the  history  of  Great-Britain  and  Ireland  (contient  120  reproductions 
de  médailles  de  1695  à  1698;  publié  aux  frais  du  Brit.  Mus.).  = 
27  août.  Bayley.  The  civil  war  in  Dorset  (admirable  compilation,  qui 
se  propose  de  dire  tout  ce  qu'on  peut  savoir  sur  tout  le  détail  de  cette 
guerre). — Broxnap.  The  great  civil  war  in  Lancashire  (excellent; 
l'auteur,  qui  connaît  à  fond  les  détails  du  sujet,  sait  choisir  entre  eux; 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  449 

il  ne  dit  que  l'essentiel).  —  Winternitz.  General  index  to  the  names 
and  subject-matter  of  the  Sacred  books  of  the  East  (ce  vol.,  le  15e  et 
dernier  de  la  série  des  Sacred  books  of  the  East.  Très  important  pour 
l'étude  des  religions  non  chrétiennes  de  l'Orient).  =:  3  sept.  A.  Fr. 
Steuart.  News  letters  of  1715-1716  (lettres  privées  qui  font  connaître 
quelques  menus  faits  sur  le  soulèvement  des  Jacobites  en  1715).  — 
F.  L.  Petre.  Simon  Bolivar,  «  El  libertador  »  (compilation  intéres- 
sante, mais  qui  est  fort  loin  d'épuiser  le  sujet).  =  10  sept.  Ch.  Daw- 
son.  History  of  Hastings  castle  (bonne  étude  archéologique  et  histo- 
rique. L'auteur  a  en  outre  recueilli,  mis  en  bon  ordre  et  bien 
commenté  les  récits  des  chroniqueurs  relatifs  à  la  bataille  de  Has- 
tings). —  H.  F.  Berry.  Statutes  and  ordinances  and  acts  of  the  Par- 
liament  of  Ireland.  King  John  to  Henry  V.  Statute  rolls  of  the  Par- 
liament  of  Ireland.  Henry  VI  (très  important  recueil  de  textes).  = 
24  sept.  Ward  et  Waller.  Cambridge  history  of  english  literature. 
Vol.  V-VI  :  the  drama  to  1642  (compilation  remarquable,  excellente 
par  endroits,  avec  une  très  utile  bibliographie).  —  Houtsma,  Arnold 
et  Schaade.  The  Encyclopedia  of  Islam,  nos  V-VI.  —  Hamel.  An 
eighteenth  century  marquise  ;  a  study  of  Emilie  du  Châtelet  und  her 
times  (bon). 

60.  —  The  Nineteenth  Century.  1910,  août.  —  Duthie.  Les 
femmes  d'après  la  correspondance  des  Paston  (montre  l'influence 
exercée  par  la  femme  dans  la  bourgeoisie  au  xve  s.).  —  Lady  Paget. 
A  mariage  royal  (mariage  du  prince  de  Galles,  le  futur  Edouard  VII, 
avec  la  fille  du  prince  royal  de  Danemark;  Lady  Paget  fut  mêlée  très 
directement  aux  premiers  pourparlers).  —  W.  S.  Lillv.  Le  cardinal 
Vaughan  (à  propos  de  sa  biographie  récemment  publiée  par  J.  G. 
Snead-Cox). 

61.  —  Edinburgh  Review.  T.  CCXI,  janv. -avril  1910.  —  Lorenzo 
de  Medici  (M.  Horsburgh,  le  dernier  biographe  de  Laurent  de  Médicis, 
a  écrit  un  ouvrage  très  complet,  dont  les  détails  sont  admirables,  mais 
dont  l'ensemble  est  un  peu  trop  touffu.  Le  brillant  livre  de  M.  Arm- 
strong,  sur  Laurent,  pour  la  série  des  Heroes  of  the  Nations,  con- 
dense tout  l'essentiel  du  sujet.  Et  les  deux  gros  volumes  du  colonel 
Young,  The  Medici,  sont  un  excellent  résumé  de  l'histoire  de  cette 
famille).  —  Pitt  et  la  Triple  Alliance,  1788-1791  (Angleterre,  Hollande, 
Prusse.  D'après  des  documents  inédits,  notamment  la  Correspondance 
de  l'ambassadeur  Ewart  à  Berlin,  dont  le  frère  était  l'associé  du  père 
de  Gladstone.  A  la  veille  de  la  Révolution,  la  France  paraissait  tout 
influente  en  Europe,  et,  la  Prusse  s'humiliant  devant  elle,  un  ministre 
anglais  écrivait  ces  lignes  qui  nous  donnent  fort  à  réfléchir  aujour- 
d'hui :  «  C'est  une  attitude  lâche  et  dangereuse  pour  un  grand  pays 
de  vivre  dans  l'appréhension  continue  de  froisser  une  puissance  qui 
ne  sera  jamais  une  alliée  cordiale  et  n'inclinera  jamais  à  rien  accor- 

Rev.  Histor.  CV.  2e  fasc.  29 


450  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

(1er  en  échange  de  cette  soumission  complaisante,  n'ayant  d'autre 
objet  que  de  maintenir  le  pays  adverse  dans  la  paix  pour  assurer  son 
propre  avantage  »).  —  Le  Référendum  (montre  les  difficultés  énormes 
de  greffer  le  référendum  sur  la  constitution  anglaise;  mais  la  plupart 
des  critiques  dont  il  est  ici  l'objet  se  retournent  contre  la  démocratie. 
En  tout  cas,  l'institution  nouvelle  ne  se  prête  guère  à  l'impérialisme 
et  suppose  le  Home-Rule  d'abord  établi  non  seulement  en  Irlande, 
mais  en  Ecosse  et  dans  le  pays  de  Galles).  —  La  tyrannie  du  Nil 
(dans  un  précédent  article,  l'auteur  avait  essayé  de  prouver  que  l'art 
égyptien  et  aussi  la  religion,  la  science,  la  littérature  du  pays  étaient 
demeurés  immuables,  comme  si  l'intelligence  du  peuple  s'était  figée 
brusquement.  Il  s'efforce  de  démontrer  maintenant  que  cette  fixité 
tient  en  grande  partie  à  l'action  automatique  du  Nil,  qui,  pareillement 
au  Tigre  et  à  l'Euphrate,  donnant  aux  populations  riveraines  leur 
provende  assurée,  les  dispensait  de  tout  effort  d'esprit.  «  L'art  du  Nil 
ou  de  l'Euphrate  est  l'art  d'une  époque  enfantine  ou  primitive;  non 
pas  d'un  âge  enfantin  que  le  peuple  traverse,  mais  d'un  âge  enfantin 
où  il  le  fixe  »).  —  Le  gouverneur  Pitt  (le  fameux  gouverneur  de 
Madras,  grand-père  de  Lord  Chatham,  et  qui  apporta  en  Europe  le 
célèbre  diamant  le  Régent.  Détails  curieux  sur  la  Compagnie  des 
Indes).  —  L'Empire  libéral  (critique  du  dernier  volume  d'Emile  Olli- 
vier).  —  L'œuvre  de  réforme  :  Mary  Wollstonecraft,  Caroline  Norton 
(la  femme  de  Godwin  et  l'amie  de  Lord  Melbourne,  qui  ont  travaillé, 
toutes  les  deux,  à  l'amélioration  du  sort  des  femmes,  malgré  quantité 
de  péripéties  dans  leur  existence  intime).  —  Le  paysan  anglais  (d'après 
des  études  récentes,  surtout  l'excellente  Histoire  du  travailleur  agri- 
cole en  Angleterre,  par  le  Dr  Hasbach,  de  l'Université  de  Kiel.  C'est 
vers  la  fin  du  XIIe  siècle  que  le  régime  agricole  de  l'Angleterre  attei- 
gnit sa  forme  la  plus  «  harmonieuse  »  et  la  mieux  équilibrée.  Le  sort 
du  travailleur  journalier  commença  de  décliner  de  1200  à  1350,  «  sous 
l'influence  de  causes  à  la  fois  économiques  et  politiques  »;  puis,  aux 
xvme-xixe  siècles,  sa  situation  devint  lamentable.  On  s'efforce  de 
l'améliorer  en  se  rapprochant  du  régime  d'autrefois  et  en  rendant  à 
l'ouvrier  quelque  attache  personnelle  avec  le  sol  qu'il  cultive.  A  noter 
que,  déjà  au  xive  siècle,  on  s'effrayait  du  dépeuplement  des  campagnes 
au  profit  des  villes).  —  Un  siècle  de  la  vie  écossaise  (l'Ecosse,  de  la 
fin  du  xvme  siècle  au  milieu  du  xixe  :  réimpression  des  mémoires  du 
doyen  Ramsay,  de  Lord  Cockburn,  etc.  L'horreur  causée  par  les 
méfaits  de  la  Révolution  française  avait  amené  en  Angleterre  une 
violente  réaction  et  en  Ecosse  une  sorte  de  terreur  blanche).  —  Oliver 
Wendell  Holmes  (à  l'occasion  de  son  centenaire).  —  Histoires  de  la 
Révolution  française  (le  t.  VIII  de  la  grande  Histoire  moderne,  de 
Cambridge,  et  les  monographies  d'Hilaire  Belloc  sur  Danton,  Robes- 
pierre, Marie- Antoinette.  Estime  que  le  mouvement  révolutionnaire  a 
commencé  bien  avant  la  Révolution,  qui  représente  seulement,  dans 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  451 

le  cours  des  événements,  ce  qu'est  la  grande  cataracte  Victoria  pour 
le  cours  du  Zambèse).  —  La  Crète  de  Minos  (les  fouilles  de  M.  Evans. 
Résultats  acquis  pour  l'histoire  de  la  civilisation). 

62.  —  Quarterly  Review.  T.  CCXII,  janv. -avril  1910.  —  Byron  et 
Bonaparte  (malgré  le  titre  de  cet  article,  il  y  est  à  peine  question  de 
Bonaparte,  et  seulement  parce  que  l'ami  de  Byron,  Hobhouse,  lord 
Broughton,  dont  on  analyse  ici  les  Mémoires  au  sujet  du  poète,  fut 
lui-même  un  fervent  bonapartiste,  qui  publia,  dès  1816,  deux  volumes 
sur  Napoléon,  de  l'île  d'Elbe  à  Waterloo.  Quant  à  ses  Mémoires,  fort 
intéressants,  on  en  avait,  en  1865,  imprimé  cinq,  volumes  non  mis 
dans  le  commerce.  Aujourd'hui,  la  fille  de  lord  Byron,  lady  Dorches- 
ter,  vient  d'extraire  de  cet  ouvrage  deux  volumes  à  l'adresse  du  grand 
public,  et  nous  ne  saurions  trop  souhaiter  que  le  reste  soit  mis  bien- 
tôt à  la  disposition  générale  des  lecteurs).  —  Les  Archives  nationales 
(nécessité  pour  l'Angleterre  d'une  organisation  des  Archives  et  d'une 
Ecole  des  chartes  pareilles  à  celles  qui  existent  en  France,  et  qui  ont, 
du  reste,  exercé  une  si  grande  influence  sur  le  monde  savant  dans  le 
reste  de  l'Europe).  —  Jacopone  de  Todi.  Le  poète  du  Stabat  Mater 
(d'après  les  ouvrages  récents  d'Alvi  et  de  Brugnoli.  Une  petite  erreur 
liturgique  dans  cet  article.  Le  Stabat  ne  se  chante  pas  d'ordinaire  à 
la  messe,  chez  les  catholiques,  mais  seulement  au  salut,  ou  dans 
quelques  exercices  pieux  durant  le  temps  de  la  Passion).  —  Burney. 
La  vieille  Jérusalem  (nombreux  ouvrages  nouveaux  de  Merrill,  Paton, 
Conder,  Caldecott,  Sanday,  Wilson,  Knutzon,  Kittel,  Mommert,  et 
surtout  le  très  important  et  très  complet  livre  du  Dr  George  Adam 
Smith.  Maintient  l'emplacement  de  Sion,  de  la  vieille  cité  de  David  et 
de  Salomon,  sur  la  colline  d'Ophel,  au  sud  du  Haram  actuel).  —  Sir 
H.  Johnston.  Le  réveil  de  l'indigène  (difficultés  que  rencontreront  les 
Européens  dans  leurs  relations  présentes  avec  les  peuples  de  races 
étrangères.'  L'auteur  déclare  que  la  victoire  des  Japonais  «  marque  le 
premier  recul  de  la  race  caucasienne  depuis  l'époque  néolithique,  et 
le  premier  échec  des  chrétiens  depuis  la  délivrance  de  Vienne  », 
double  observation  plutôt  contradictoire,  puisqu'elle  reconnaît  impli- 
citement que  dès  avant  le  xvne  siècle,  les  chrétiens  de  race  blanche 
avaient  reculé  devant  les  Arabes,  les  Mongols  et  les  Turcs).  —  W. 
Lilly.  La  démocratie  en  Suisse  (l'histoire  et  la  constitution  présente 
de  la  Confédération.  Grand  éloge  de  la  Suisse  démocratique,  «  en 
somme,  la  plus  heureuse  démocratie  du  monde.  »  Mais,  peut-être, 
dans  cet  article,  dissimule-t-on  un  peu  trop  le  poids  très  lourd  et  par- 
fois très  dur  dont  elle  pèse  sur  le  citoyen.  Il  est  vrai  que,  chaque 
canton  demeurant  souverain,  en  principe,  avec  des  lois  différentes,  on 
peut,  au  besoin,  changer  de  canton  et  chercher  des  conditions  de  vie 
plus  favorables  sans  cesser  d'être  Suisse,  chose  impossible  en  France. 
Mais  il  est  parfois  à  craindre  aussi  que  cette  diversité  de  législation 
n'entraîne  le  dédain  de  la  légalité,  comme  il  arrive  aux  États-Unis). 


iV2  RECUEILS    PERIODIQUES. 

—  Sir  Charles  Dilke.  Avant  et  après  le  retour  de  l'île  d'Elbe  (impor- 
tant article.  Avoue  que  l'Angleterre  a  subventionné  les  conspirations 
contre  Bonaparte  et  reconnaît  que  Fouché  était  en  relations  avec  le 
gouvernement  anglais.  «  Le  Cabinet  britannique,  qui  aurait  pu  empê- 
cher Napoléon  de  quitter  l'île  d'Elbe  s'il  l'avait  voulu,  croyait  peut- 
être,  comme  il  l'a  toujours  affirmé,  que  Napoléon  débarquerait  en 
Italie.  Certains  ministres  n'étaient  pas  fâcbés  qu'il  en  courût  le  risque, 
qu'il  ébranlât  le  trône  des  Bourbons  et  bouleversât  la  France  même, 
ainsi  que  le  souhaitait  Metternich.  La  police  des  Bourbons  allait  jus- 
qu'à penser  que  Metternich  était  en  relations  directes  avec  l'île 
d'Elbe,  par  l'intermédiaire  de  sa  vieille  amie,  Caroline  Murât.  »  Au 
fond,  chacun  des  alliés  se  flattait  d'effrayer  les  autres,  en  les  mena- 
çant de  Napoléon).  —  Angus  (histoire  et  chroniques  du  comté  de  For- 
far  et  du  pays  de  Dundee).  —  La  société  et  la  politique  au  xixe  siècle 
(la  correspondance  de  la  comtesse  de  Westmoreland,  les  mémoires  de 
la  duchesse  de  Dino,  les  souvenirs  de  lady  Saint-IIélier.  Les  relations 
du  monde  et  de  la  politique  ont  subi  de  grands  changements.  Les  seules 
femmes  qui  prissent  une  part  active  à  la  politique  des  xvne  et  xvme  s. 
étaient  les  favorites  de  la  cour,  et  leur  puissance  était  reconnue. 
Au  xixe  s.,  leur  influence,  sinon  leur  pouvoir,  passe  aux  mains  des 
épouses  et  des  sœurs  des  politiciens.  Savoir  si  les  femmes  conserve- 
ront cette  influence  est  affaire  d'appréciation  ;  mais  il  semble  que  leur 
action  tende  plutôt  à  se  développer  »).  —  Miss  Bell.  Un  palais  dans 
le  désert  de  Syrie  (les  ruines  de  Kheidar).  —  Stanley  Lane-Poole. 
L'Inde  au  xvne  siècle  (les  Mémoires  de  Manucci).  —  La  Grèce  et  le 
roi  Georges  (vive  critique  de  la  politique  du  roi  de  Grèce  et  de  l'esprit 
de  son  peuple  :  «  Aujourd'hui,  la  Grèce  a  perdu  sa  caste  dans  le 
monde  des  nations.  Comme  facteur  politique,  personne,  ami  ou 
ennemi,  ne  tient  plus  compte  de  son  existence  »).  —  A.  V.  Dicey.  Le 
référendum  et  ses  critiques  (grande  admiration  pour  le  référendum  tel 
qu'il  fonctionne  en  Suisse;  demande  son  introduction  en  Angleterre.) 

Grèce. 

63.  —  Nécç  'E)vAY)vop.VYj[j,u>v  (publ.  par  Spyr.  P.  Lambros).  T.  VI, 
1909,  n°  2.  —  L'anthologie  du  ms.  de  Paris,  supp.  gr.  134  (fragments 
historiques  anonymes  relatifs  à  l'antiquité  grecque,  placés  à  la  suite 
d'extraits  de  Diogène  Laerce).  —  Diplôme  du  patriarche  de  Constan- 
tinople  Nil  en  faveur  du  monastère  de  Leucousiade  (Bibl.  nat.,  supp. 
gr.  1281.  Daté  de  1383.  Le  monastère  est  situé  rap^  x^v  BXaxîav,  en  Thes- 
salie,  et  il  est  question  dans  le  diplôme  de  Romains,  Serbes  et  Alba- 
nais). —  A  propos  de  Poliphant  (localité  citée  par  le  Livre  de  la  Con- 
queste  et  identifiée  à  Polyphengos,  l'ancienne  Phlious).  —  Deux 
discours  sur  Mazeppa  (d'après  un  ms.  du  monastère  de  Panteleïmon 
au  mont  Athos,  simple  exercice  de  rhétorique).  —  Nouveaux  peintres 


RECUEILS    PERIODIQUES. 


453 


grecs  antérieurs  à  la  prise  de  Constantinople  (voy.  Neos  Hellenomn., 
V,  270-289).  —  Note  autographe  de  Marc  Botzaris.  —  Léon  (VI)  et 
Alexandre  collègues  à  l'empire  faux  arguments  déjà  réunis,  Byz.  Zeit., 
IV,  92,  Lambros  ajoute  le  témoignage  dé  la  date  du  Cod.  Marcian.  808, 
écrit  en  905).  =  N°  3.  L'Iliade  de  la  cassette  (Plut.  Alex.,  8.  La  cas- 
sette où  Alexandre  enfermait  sa  précieuse  édition  de  l'Iliade  aurait 
été  une  tige  de  férule,  vàpOrjÇ,  vidée  préalablement  et  dont  la  forme 
convenait  aux  rouleaux  de  papyrus).  —  Documents  de  l'histoire  grecque 
du  moyen  âge  dans  les  archives  espagnoles  (contribution  nouvelle  à 
l'histoire  de  Constance  de  Hohenstaufen,  fille  de  Frédéric  II  et  veuve 
de  l'empereur  Jean  Vatatzès,  réfugiée  en  Aragon.  Voy.  Rev.  hist., 
LXXXVII,  347).  —  Réponse  à  une  question  sur  la  chronique  de  Pana- 
retos  (voy.  Neos  Hellenomn.,  IV,  257-295.  Ce  chroniqueur  de  Tré- 
bizonde  ne  vivait  plus  à  la  fin  du  XIVe  s.  et  il  est  impossible  de  savoir 
qui  a  achevé  sa  chronique).  —  Diplôme  du  patriarche  Sophronios  en 
faveur  du  monastère  des  Taxiarques  près  d'vEgion  (1775).  —  Maroulla 
de  Lemnos  (c'est  en  1477-78  qu'il  faut  placer  l'épisode  de  la  défense 
de  Lemnos  contre,  les  Turcs  par  la  jeune  héroïne  dont  parlent  les 
sources  vénitiennes  et  dont  Lambros  retrouve  la  trace  dans  un  poème 
latin  du  jésuite  Dondini  publié  en  1669).  —  La  Sainte-Montagne  et 
les  Catalans  (sauvegarde  accordée  aux  moines  de  l'Athos  d'après  une 
lettre  de  1308  adressée,  par  ordre  de  Jacques  II  d'Aragon,  au  médecin 
royal  Arnaldo  de  Villanova  ;  les  moines  n'en  eurent  pas  moins  à  souf- 
frir des  déprédations  des  Catalans,  comme  le  prouve  la  biographie 
anonyme  de  l'higoumène  serbe  de  Chiliandariou). 

Italie. 

64.  —  Rivista  di  storia  antica.  T.  XIII,  n°  2,  1910.  —  Carlo- 
Maria  Patrono.  Études  byzantines  :  des  conflits  entre  l'empereur 
Maurice  Tibère  et  le  pape  Grégoire  le  Grand  (fin  :  les  protestations  du 
pape  contre  le  titre  de  patriarche  œcuménique  pris  par  l'évêque  de 
Constantinople).  —  P.  Bonfante.  Les  affinités  juridiques  entre  les 
Grecs  et  les  Romains  (fin  :  le  testamentum  des  Romains  diffère  radi- 
calement de  la  ôiaô-rçxr)  des  Grecs.  L'auteur  termine  son  article  en 
affirmant  contre  De  Sanctis  qu'il  y  a  de  profondes  divergences  entre 
les  institutions  grecques  et  les  institutions  romaines).  —  G.  Pochet- 
tino.  La  fondation  de  Sybaris  (par  les  Achéens  vers  720).  —  Giovanni 
Costa.  La  chronologie  romaine  préflavienne  (la  liste  consulaire  et  le 
calendrier  romain;  les  divergences  chronologiques  des  listes  consu- 
laires. A  suivre).  =  C. -rendu  :  Emilio  Costa.  Storia  délie  fonti  del 
diritto  romano  (utile). 

65.  —  Archivio  storico  per  le  provincie  napoletane.  T.  XXXIV, 

1909,  n°  1.  —  B.  CROCE.  Lettres  inédites  de  Pietro  Colletta  à  Giu- 
seppe  Poerio  (suite  aux  nos  2  et  3).  —  F.  Nicolini.  Bibliographie  de 


454  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

Giannpne  (historien  napolitain,  1676-1748;  suite  'aux  n08  2  et  3).  = 
N°  2.  R.  Bevere.  La  seigneurie  de  Florence  aux  mains  de  Charles, 
fils  du  roi  Rohert,  pendant  les  années  1326  et  1327;  documents 
angevins  des  archives  de  Naples  (suite  ici  et  au  n°  3  :  documents). 
—  E.  Jallonghi.  Les  troupes  de  Bourbon  et  les  Français  du  Mont- 
Cassin,  1796-99  (épisode  de  la  résistance  de  Ferdinand  IV  de  Bour- 
bon, roi  de  Naples,  à  l'invasion  française).  —  P.  Egidi.  Charles  Ier 
d'Anjou  et  l'abbaye  de  S.  Maria  délia  Vittoria  près  Scurcola.  —  M. 
Schipa.  Le  peuple  de  Naples  de  1495  à  1522.  Curiosités  historiques 
(suite  au  n°  3.  Étude  des  privilèges  concédés  le  28  juin  1496  par  Fer- 
dinand II  de  Naples  au  menu  peuple  de  la  cité  auquel  il  était  rede- 
vable de  la  reprise  de  son  royaume  sur  Charles  VIII  de  France;  pri- 
vilèges concédés  le  26  oct.  1496  par  le  roi  Frédéric  de  Naples  ;  conflits 
entre  le  peuple  et  le  souverain,  1497-1498;  privilèges  royaux  de  1498- 
1499;  capitulations  de  1501  et  1503).  =  C. -rendu  :  Faraglia.  Storia 
délia  lotta  tra  Alfonso  V  d'Aragona  e  Renato  d'Angiô  (très  documenté, 
mais  l'auteur  a  peu  utilisé  les  recherches  des  historiens  modernes). 
=  N°  3.  A.  de  Francesco.  Origines  et  développement  du  régime  féo- 
dal dans  le  pays  de  Molise,  jusqu'à  la  fin  de  la  domination  normande 
(1°  époque  de  la  domination  lombarde  :  formation  du  domaine  du  monas- 
tère de  S.  Vicenzo  al  Volturno,  703-1071).  —  P.  Fedele.  L'étendard 
de  Lépante  (est  conservé  aujourd'hui  dans  la  cathédrale  de  Tolède).  = 
N°  4,  1909.  R.  Bevere.  L'occupation  de  la  seigneurie  de  Florence 
par  Charles,  fils  du  roi  Robert,  pendant  les  années  1326  et  1327  (suite  : 
analyse  de  documents  tirés  des  archives  de  Naples,  datés  de  février 
et  mars  1327).  —  A.  de  Francesco.  Origines  et  développement  de  la 
féodalité  dans  le  pays  de  Molise  jusqu'à  la  chute  de  la  domination 
normande  (suite  :  le  comté  lombard  de  Venafro,  954-1123;  le  comté 
lombard  d'Isernia,  964-1064);  le  comté  lombard  de  Larino,  976-1060; 
la  terre  de  Borrello,  977-1109).  —  M.  Schipa.  Le  peuple  de  Naples  de 
1495  à  1522  (fin).  —  R.  Trifone.  La  famille  napolitaine  au  temps  du 
duché  (intéressante  étude  sur  la  condition  juridique  de  la  famille  à 
Naples  jusqu'au  xie  siècle,  faite  à  l'aide  des  documents  recueillis  par 
Carpasso  dans  les  Monumenta  ad  Neapolitani  Ducatus  historiam 
pertinentia;  à  suivre).  —  P.  Egidi.  Charles  Ier  d'Anjou  et  l'abbaye 
de  Santa  Maria  délia  Vittoria  près  de  Scurcola  (suite  ;  la  fabrique  de 
l'abbaye;  curieuses  remarques  sur  les  salaires  des  ouvriers).  —  F.  Ni- 
colini.  Bibliographie  de  P.  Giannone  (suite).  =  C. -rendu  :  G.  Celi- 
donio.  La  diocesi  di  Valva  e  Sulmona;  vol.  I  :  Le  origini  cristiane 
(contient  de  judicieuses  études  hagiographiques). 

66.  —  Cultura  Moderna.  T.  III,  1910,  janv.  —Résurrection  (pro- 
gramme de  la  revue  :  étude  du  mouvement  scientifique  religieux  à 
l'étranger).  =  Févr.  Pia  Cremonini.  Adolphe  Harnack  (brève  bio- 
graphie). 


RECUEILS    PERIODIQUES. 


455 


67.  —  Brixia  Sacra.  T.  I,  n°  1,  1910,  janv.  —  Notre  programme 
(étude  de  l'histoire  ecclésiastique  du  diocèse  de  Brescia).  —  A. -M. 
Casoli.  Les  missions  des  Pères  P.  Segneri  et  G. -P.  Pinamonti  dans 
le  diocèse  de  Brescia  (1676;  à  suivre).  —  Paolo  Guerrini.  La  cure  et 
les  archiprètres  de  Corticelle  (depuis  les  origines;  à  suivre).  —  A. 
Besutti.  La  visite  apostolique  de  saint  Charles-Borromée  à  Asola 
(1580;  à  suivre). 

68.  —  Rivista  storica  benedettina.  T.  V,  1910,  janv. -mars.  — 
G.  Salvi.  L'  «  Insula  Liguriae  »  et  l'abbaye  de  S.  Eugenio  (historique 
de  cette  abbaye  construite  en  992  dans  cette  île,  qui  était  située  dans 
le  diocèse  de  Savone).  —  F.  Savio.  S.  Calocère  et  l'abbaye  de 
S.  Maria  et  S.  Martino  d'Albenga  (réfutation  de  quelques  légendes  sur 
ce  saint  et  son  culte).  —  I.  Schuster.  Glanures  sur  Farfa  (fin). 

69.  —  Bulletin  italien.  T.  X,  n°  2,  1910.  —  P.  Duhem.  La  tradi- 
tion de  Buridan  et  la  science  italienne  au  xvie  s.  (suite).  —  C.  Dejob. 
Le  politicien  à  Florence  au  xive  et  au  xvc  siècle  (suite;  les  périls  de 
la  fonction;  les  mœurs  des  politiciens  :  l'auteur  essaie  de  les  réha- 
biliter). 


CHRONIQUE. 


France.  —  Henry  Harrisse  est  mort,  le  13  mai  1910,  à  Paris,  où 
il  était  né  vers  1830.  Il  alla  tout  jeune  aux  États-Unis.  Il  fit  ses  études 
au  Collège  de  South  Carolina,  dans  la  ville  de  Columbia,  où  il  prit  le 
grade  de  maître  es  arts,  et  à  l'Université  de  la  Caroline  du  Nord,  où 
il  fit  son  droit.  Établi  à  Chicago,  il  réussit  peu  dans  la  pratique  du 
barreau  et  se  rendit  à  New-York,  où  il  entra  dans  l'étude  d'un  des 
principaux  jurisconsultes  de  la  ville.  Vers  1864,  il  fit  la  connaissance 
de  M.  S.  L.  Barlow,  de  New-York,  riche  collectionneur,  et  prit  un  vif 
intérêt  aux  trésors  bibliographiques  qu'il  possédait  sur  l'histoire  pri- 
mitive de  l'Amérique,  ce  qui  l'amena  à  publier  sa  monumentale 
Bibliotheca  americana  vetustissima  (New-York,  1866).  Il  y  décri- 
vait 304  rares  et  importants  livres  relatifs  à  l'Amérique  qui  ont  été 
publiés  entre  1492  et  1551.  Découragé  de  la  froideur  avec  laquelle  cet 
ouvrage  fut  accueilli  dans  son  pays,  il  revint  dans  la  ville  où  il  était 
né,  et  il  y  passa  le  reste  de  sa  vie.  C'est  à  Paris  qu'il  publia  un  sup- 
plément à  la  Bibliotheca  (1872);  c'est  un  recueil  de  notes  et  de  com- 
mentaires provenant  de  ses  recherches  dans  les  bibliothèques  euro- 
péennes. 

Ayant  fait  fortune,  paraît-il,  comme  avocat  ou  avoué  de  la  colonie 
américaine  à  Paris  et  comme  conseiller  du  Consulat  américain,  il 
commença  par  abandonner  ses  recherches  sur  l'Amérique  et  il  con- 
sacra même  deux  années  à  l'étude  de  l'égyptologie  sous  la  direction 
de  Maspero.  Puis,  ramené,  dit-on,  à  ses  premières  études  par  M.  Bar- 
low, il  se  proposa  d'élucider  les  obscurs  et  troublants  problèmes  con- 
cernant la  vie  et  les  voyages  de  Colomb,  des  Cabot,  d'A.  Vespuce, 
des  Cortereal.  Sur  ce  terrain,  il  publia  environ  soixante-dix  travaux, 
depuis  de  simples  brochures  jusqu'à  de  gros  livres,  qui  ont  été  signa- 
lés chacun  en  son  temps  dans  la  présente  Revue.  Rappelons-en  seu- 
lement quelques-uns.  Ses  Notes  pour  servir  à  V 'histoire,  à  la  biblio- 
graphie et  à  la  cartographie  de  la  Nouvelle-France  et  des  pays 
adjacents  (Paris,  1872)  contiennent  les  titres  de  187  publications 
parues  entre  1545  et  1700,  de  76  cartes  inédites,  de  111  autres  qui 
avaient  été  gravées  et  de  460  documents.  Ce  volume  est  basé  surtout 
sur  les  collections  de  la  Bibliothèque  nationale  et  du  Dépôt  des  cartes 
de  la  Marine  à  Paris.  Dans  Jean  et  Sébastien  Cabot  (Paris,  1882),  il 
publia  les  textes  les  plus  corrects  qu'on  put  avoir  des  documents  les 
plus  importants  relatifs  à  ces  deux  navigateurs.  Plus  tard  parut  en 
anglais  un  remaniement  de  ce  livre,  très  développé  pour  la  partie 


CHRONIQUE.  457 

narrative  et  critique,  sous  le  titre  :  John  Cabot  the  Discoverer  of 
North  America,  and  Sébastian  his  son  (Londres,  1896).  En  1884, 
Harrisse  fit  paraître  son  œuvre  monumentale  sur  Colomb  :  Christophe 
Colomb,  son  origine,  sa  uïe,  ses  voyages,  sa  famille  et  ses  descen- 
dants (Paris,  2  vol.),  qui  fut  le  travail  le  plus  considérable  sur  le 
sujet  jusqu'à  celui  de  M.  Henri  Vignaud,  en  cours  de  publication. 
D'égale  importance  est  son  History  of  the  discovery  of  North  Ame- 
rica qui  parut  pour  le  4e  centenaire  de  Colomb  (Londres,  1892)  et 
dont  on  a  dit  que  c'était  «  la  plus  importante  contribution  à  l'histoire 
de  la  géographie  de  l'Amérique  depuis  VExamen  critique  de  Hura- 
boldt  ».  En  1895,  il  publia  son  Americus  Vespuccius  (Londres),  où 
il  établit  au  moins  l'invraisemblance  du  voyage  attribué  à  Vespuce 
en  1497.  La  Diplomatie  history  of  America,  its  first  chapter, 
Ik52-lk9k  (Londres,  1897),  est  une.  introduction  à  l'étude  des  relations 
diplomatiques  où  la  découverte  de  l'Amérique  entraîna  les  puissances 
européennes  ;  il  contient  un  examen  des  donations  faites  par  le  pape 
au  Portugal  en  1452,  des  bulles  de  démarcation  et  du  traité  de  Torde- 
sillas.  La  dernière  grande  œuvre  de  Harrisse  fut  la  Découverte  et 
évolution  cartographique  de  Terre-Neuve  et  des  régions  circon- 
voisines  (Paris,  1900). 

Harrisse  fut  le  collaborateur  d'un  grand  nombre  de  revues  françaises 
et  étrangères  ;  d'ailleurs,  il  ne  se  renferma  pas  dans  le  domaine  de 
l'Amérique  au  temps  des  découvertes.  On  lui  doit  des  études  d'histoire 
économique,  telles  que  son  travail  sur  la  Banque  de  Saint-Geo7'ges 
à  Gênes,  et  de  bibliographie  littéraire  et  artistique,  tels  que  son  His- 
toire du  chevalier  des  Grieux  et  de  Manon  Lescaut  (Paris,  1877), 
ses  recherches  sur  de  Thou  et  l'abbé  Prévost,  son  livre  sur  Boilly, 
peintre,  dessinateur  et  lithographe. 

L'œuvre  de  Harrisse  vaut  surtout  par  le  côté  critique.  Son  éduca- 
tion et  son  expérience  juridique  lui  avaient  aiguisé  l'esprit;  il  savait 
trouver  les  points  faibles  dans  l'argumentation  de  ses  adversaires  et 
présenter  habilement  la  sienne  propre.  Il  avait  un  flair  heureux  dans 
les  recherches  qu'il  faisait  ou  qu'il  dirigeait  pour  son  compte  dans  les 
archives  et  dans  les  bibliothèques.  D'autre  part,  il  faut  bien  dire  que 
son  caractère  n'était  pas  exempt  d'aspérités,  qu'à  une  jalousie  natu- 
relle il  joignait  une  confiance  dans  son  propre  mérite  qui  le  portait  à 
mépriser  ceux  qui  travaillaient  sur  le  même  domaine  que  lui-même, 
à  considérer  leurs  travaux  comme  basés  totalement  sur  les  siens 
propres,  à  manifester  son  aversion  pour  l'Amérique  et  les  Américains, 
qu'il  accusait,  bien  à  tort  du  reste,  de  ne  pas  apprécier  suffisamment 
ses  œuvres.  Il  passa  les  dernières  années  de  sa  vie  dans  une  retraite 
qui  ressemblait  à  de  l'isolement  et  prit  les  plus  grandes  précautions 
pour  qu'on  ignorât  la  date  de  sa  mort  et  le  jour  de  ses  funérailles.  Il 
disparut  en  effet  après  une  longue  maladie,  sans  qu'on  en  sût  rien.  —  L. 

—  L'abbé  V.  Ermoni,  qui  a  été  notre  collaborateur,  est  mort  à 
Paris  le  19  mars  1910.  Il  était  né  en  1858,  à  Omessa  (Corse),  et  il  était 


158  CHRONIQUE. 

entré  dans  la  congrégation  des  Lazaristes  en  1878.  Il  enseigna  la  phi- 
losophie au  grand  séminaire  de  Saint-Flour  de  4884  à  1887;  puis  il 
devint  professeur  de  théologie  à  la  maison-mère  des  Lazaristes,  rue 
de  Sèvres.  C'est  à  partir  de  ce  temps  qu'il  s'appliqua  sérieusement  à 
l'étude  des  langues  orientales,  surtout  de  l'hébreu  et  du  syriaque, 
aussi  à  l'histoire  des  dogmes  chrétiens  et  à  l'histoire  de  l'Eglise.  Son 
livre,  De  Leontio  Byzantino  et  de  ejus  doctrina  theologica  (1895), 
est  une  thèse  de  doctorat  présentée  à  la  Faculté  de  théologie  de  l'Ins- 
titut catholique  de  Paris.  Son  étude  sur  Saint  Jean  Damascène 
(1904)  mérite  également  d'être  citée.  L'érudition  de  l'abbé  Ermoni 
était  très  étendue  et  l'esprit  critique  s'était  développé  en  lui  à  mesure 
qu'il  avait  élargi  le  cercle  de  ses  travaux  et  approfondi  ses  recherches 
historiques.  C'était  un  travailleur  infatigable  et  pendant  longtemps  il 
mena  de  front  un  enseignement  très  chargé  et  des  études  person- 
nelles, avec  des  publications  savantes.  D'ailleurs  théologien  prudent, 
qu'on  savait  très  ouvert,  mais  dont  l'orthodoxie  n'était  point  suspecte. 
Cependant  il  dut  quitter  sa  congrégation  en  1907,  l'année  de  l'Ency- 
clique Pascendi  dominici  gregis  contre  le  modernisme.  Il  resta  à 
Paris,  écrivant  pour  vivre.  La  société  religieuse  à  laquelle  il  avait 
donné  le  meilleur  de  son  activité  l'avait  sans  doute  oublié.  Il  est  mort 
à  la  peine,  recueilli  dans  ses  derniers  jours  à  l'hôpital  Saint-Joseph. 

A.  L. 

—  On  a  eu  une  belle  et  heureuse  idée  en  commémorant  les  10,  11 
et  12  septembre  dernier  le  Millénaire  de  Cluny,  la  vénérable  abbaye, 
mère  du  plus  puissant  et  du  plus  bienfaisant  des  ordres  rattachés  à  la 
règle  de  saint  Benoît,  qui  a,  du  Xe  au  xme  siècle,  accompli  dans  la 
société  du  moyen  âge  une  œuvre  plus  considérable  encore  que  celle 
qu'accomplirent  depuis  le  xme  siècle  les  Franciscains  et  les  Domini- 
cains. Les  guerres  de  religion  avaient  déjà  dispersé  une  partie  des 
trésors  d'art  et  de  livres  réunis  à  Cluny;  la  Révolution  a  amené  la 
dilapidation  de  tout  ce  qui  était  resté  ou  avait  été  reconstitué,  et  la 
destruction  de  la  plus  grande  et  de  la  plus  belle  partie  des  magnifiques 
édifices  qui  constituaient  l'abbaye.  C'est  dans  ce  qu'il  en  reste  que  fut 
tenu  le  congrès  historique  organisé  par  l'Académie  de  Mâcon  et  que 
se  célébrèrent  les  fêtes  religieuses  auxquelles  prirent  part  quatre 
archevêques,  neuf  évêques,  dix  abbés  et  deux  prélats  romains.  C'est 
là  aussi  que  se  déroula  un  magnifique  cortège  historique  auquel 
prirent  part  des  représentants  des  premières  familles  du  pays  et  repré- 
sentant la  réception  à  l'abbaye  de  Cluny  par  le  pape  Innocent  IV  de 
Blanche  de  Castille  et  de  Louis  IX.  L'Institut  de  France  était  large- 
ment représenté  à  cette  commémoration,  à  laquelle  M.  Léopold  Delisle 
avait  pris  un  intérêt  tout  particulier  et  qui  fut  placée  pour  ainsi  dire 
sous  l'invocation  de  sa  mémoire.  Un  service  solennel  fut  célébré  par 
l'évèque  d'Autun  en  son  honneur.  Aux  vêpres  pontificales  du  dimanche 
11  septembre,  Mgr  Baudrillart,  le  recteur  de  l'Institut  catholique  de 
Paris,  prononça  un  très  long  et  remarquable  discours  sur  «  Cluny  et 


CHRONIQUE.  459 

la  papauté  »,  où,  tout  en  refusant  à  Cluny  l'honneur  d'avoir  formé  le 
moine  Hildebrand,  il  montra  dans  l'ordre  de  Cluny  l'initiateur  et  l'ins- 
trument le  plus  puissant  de  la  réforme  de  l'Eglise  aux  XIe  et  XIIe  siècles. 
Il  a  éloquemment  rappelé  les  scènes  de  Canossa  où  l'indulgente  inter- 
vention d'Hugues  de  Cluny  obtint  pour  Henri  IV  un  pardon  qui  devait 
être  funeste  à  Grégoire  VII.  Au  congrès,  M.  Bazin  au  nom  de  l'Aca- 
démie française,  M.  Babelon  au  nom  de  l'Académie  des  inscriptions, 
M.  Imbart  de  la  Tour  ont  rappelé  avec  talent  les  services  rendus  par 
Cluny  à  l'Eglise  et  à  la  civilisation.  M.  Babelon  a  surtout  insisté  sur 
ce  que  l'art  et  les  études  savantes  ont  dû  à  Cluny;  M.  Imbart  de  la 
Tour  a  caractérisé  avec  un  rare  bonheur  le  rôle  catholique,  national, 
monacal  et  social  de  Cluny.  Les  passages  de  son  discours  sur  la 
manière  dont  les  Clunisiens  ont  compris  l'idéal  monastique  et  sur  le 
caractère  national  de  l'abbaye  mère  furent  particulièrement  remar- 
quables. Dom  Besse,  qui  représentait  les  Bénédictins,  a  rappelé  que 
l'histoire  de  Cluny,  à  partir  du  milieu  du  xme  siècle,  reste  encore  à 
écrire.  Parmi  les  communications  savantes  qui  furent  faites  ensuite  au 
congrès,  il  faut  signaler  celles  de  l'abbé  Terret  sur  l'art  clunisien,  du 
chanoine  Pottier  sur  les  relations  entre  Cluny  et  Moissac,  de 
M.  Lefèvre-Pontalis  sur  l'architecture  clunisienne,  de  M.  C.  Jullian 
sur  les  camps  de  César  de  la  région,  de  M.  Houdaye  sur  l'administra- 
tion rurale  des  moines.  Des  excursions  à  Saint-Point,  à  Berzé-le-Châ- 
tel,  à  Charlieu,  à  Paray-le-Monial  ont  contribué  aussi  à  laisser  à  tous 
les  participants  de  ces  belles  fêtes  d'inoubliables  souvenirs.  —  G.  M. 

—  La  jeune  et  active  Société  française  de  bibliographie  vient  de 
faire  paraître  un  important  travail  de  M.  Henri  Lemaître,  sous- 
bibliothécaire  à  la  Bibliothèque  nationale,  consacré  au  dépôt  légal  en 
France  (Histoire  du  dépôt  légal;  lre  partie  :  France.  Paris,  Picard, 
liv-130  p.  in-8°).  Obligatoire  sous  l'ancien  régime,  effectué  par  le 
libraire  ou  l'imprimeur  et  destiné  à  enrichir  les  collections  royales,  le 
dépôt,  dès  la  suppression  des  corporations  en  1791,  devint  facultatif 
et  les  auteurs  furent  simplement  invités  à  remettre,  dans  un  bureau 
de  l'Etat,  les  œuvres  sur  lesquelles  ils  voulaient  faire  établir  leurs 
droits.  A  ce  régime  libéral,  les  bibliothèques  ne  s'enrichirent  pas.  Le 
décret  du  5  février  1810,  —  provoqué  d'ailleurs  surtout  par  des  préoc- 
cupations de  surveillance  politique,  —  rétablit  le  dépôt  obligatoire. 
A  peu  près  régulièrement  effectué  pendant  une  quinzaine  d'années,  le 
dépôt  légal  fonctionna  médiocrement  après  1830;  actuellement,  il  est 
trop  souvent  encore  fait  sans  méthode.  Depuis  1850,  surtout,  plusieurs 
projets  de  loi,  —  publiés  dans  l'étude  de  M.  Lemaître,  —  ont  pour 
objet  la  réforme  de  la  législation;  les  congrès,  les  sociétés  savantes,  et 
en  dernier  lieu  la  Société  française  de  bibliographie  elle-même,  ne 
cessent  d'émettre  des  vœux,  de  formuler  des  réclamations.  Il  faut 
souhaiter  que  le  présent  volume,  si  documenté,  ne  soit  pas  simple- 
ment un  numéro  ajouté  à  la  bibliographie  du  sujet,  mais  qu'il  contri- 
bue à  faire  intervenir  une  solution  depuis  longtemps  attendue. 


460  CHRONIQUE. 

—  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  :  le  prix  de  Courcel 
(2,400  fr.)  a  été  partagé  également  entre  MM.  Ferdinand  Lot  et  Louis 
Halphen  pour  leur  ouvrage  le  Règne  de  Charles  le  Chauve  et 
M.  Van  den  Essen  pour  son  ouvrage  Études  critiques  et  littéraires 
sur  les  vitx  des  saints  mérovingiens  de  l'ancienne  Belgique. 

—  Voici  les  questions  qui  figurent  au  programme  de  l'agrégation 
d'histoire  pour  le  concours  de  1911  :  Histoire  ancienne.  I.  La  Chal- 
dée  et  l'Assyrie,  des  origines  à  la  prise  de  Babylone  par  Cyrus.  — 

II.  La  Grèce,  des  origines  à  la  fin  des  guerres  médiques  (479).  — 

III.  Histoire  intérieure  et  extérieure  de  Rome,  de  la  fin  des  guerres 
puniques  à  la  mort  d'Auguste.  —  Histoire  du  moyen  âge.  I.  La 
papauté,  depuis  le  commencement  du  ve  siècle  jusqu'à  l'avènement 
de  Grégoire  VIL  Expansion  du  christianisme  pendant  la  même 
période.  —  IL  Les  Hohenstaufen.  —  III.  Histoire  intérieure  et  exté- 
rieure de  la  France  sous  les  Valois,  de  1328  à  1515. — Histoire  moderne 
et  contemporaine.  I.  Louis  XIV.  —  IL  La  Prusse,  histoire  inté- 
rieure et  extérieure,  de  1786  à  1871.  —  III.  Histoire  intérieure  et  exté- 
rieure de  la  France,  de  1789  à  1889. 

Allemagne.  —  Adolf  Michaelis,  né  à  Kiel  en  1835,  était  le 
neveu  du  célèbre  professeur  Otto  Jahn  qui,  de  bonne  heure,  exerça 
sur  lui  une  profonde  influence.  Après  des  voyages  d'études  en  Ita- 
lie, en  Grèce,  en  Angleterre,  il  enseigna  à  Kiel,  à  Greifswald  et  à 
Tubingue,  puis,  de  1872  à  1907,  à  la  nouvelle  Université  de  Stras- 
bourg, où  il  fonda  un  Séminaire  archéologique  et  un  excellent  musée 
de  moulages.  Michaelis  a  beaucoup  écrit  et  secondé  avec  dévouement 
et  désintéressement  un  grand  nombre  d'archéologues,  tant  en  Alle- 
magne qu'à  l'étranger.  Son  ouvrage  capital  est  une  monographie  du 
Parthénon  (1871),  à  côté  duquel  se  placent,  par  leur  utilité  et  le  savoir 
dont  ils  témoignent,  ses  Ancient  marbles  in  great  Britain,  sa 
Geschichte  der  archaeologischen  Entdeckungen  im  XlXJahrhun- 
dert  (aussi  traduite  en  anglais)  et  les  éditions  successives  qu'il  donna 
du  tome  Ier,  relatif  à  l'art  antique,  du  Handbuch  der  Kunstgeschichte 
de  Springer.  Une  précieuse  série  de  mémoires  concerne  l'histoire  des 
collations  archéologiques  de  l'Italie  et  les  anciens  albums  de  dessins 
qui  en  fournissent  les  éléments.  Michaelis  publia  aussi  des  textes, 
notamment  la  description  de  l'Acropole  par  Pausanias,  avec  un  abon- 
dant commentaire,  et  le  conte  d'Éros  et  Psyché,  conservé  par  Apulée. 
Pendant  de  longues  années,  il  fut  un  des  directeurs  de  l'Institut  archéo- 
logique allemand;  il  était  membre  correspondant  de  l'Académie  des 
inscriptions,  pour  laquelle  il  rédigea  en  français  son  dernier  mémoire, 
sur  un  plan  vénitien  d'Athènes  récemment  découvert  à  Venise.  Avec 
lui  disparaît  un  des  représentants  les  plus  autorisés  de  cette  grande 
école  illustrée  par  Otfried  Mùller  et  Otto  Jahn,  où  la  connaissance  des 
monuments  et  des  textes  originaux  marchait  de  pair.  S.  R. 

—  Les  fêtes  du  centenaire  de  l'Université  de  Berlin  ont  été  célébrées 


CHRONIQUE.  461 

brillamment  les  11  et  12  octobre.  Le  nombre  des  invitations  avait  été 
strictement  limité  à  une  par  Université,  mais  toutes  les  universités  du 
monde,  y  compris  celle  de  Tokio,  y  étaient  représentées.  Ces  fêtes,  d'un 
caractère  surtout  officiel  et  auxquelles  l'Empereur  a  tenu  à  présider, 
ont  débuté  par  un  vrai  coup  de  théâtre,  auquel  applaudira  tout  le  monde 
savant.  Dans  le  discours  par  lequel  il  a  répondu  au  recteur  M.  Erich 
Schmidt,  Guillaume  II,  dans  un  très  beau  langage,  a  annoncé  que  de 
généreux  anonymes  ont  mis  à  sa  disposition  dix  millions  de  marks 
pour  créer  sous  son  patronage  une  société  destinée  à  créer  et  à  entre- 
tenir des  centres  de  recherches  scientifiques  purement  désintéressées. 
Ces  libéralités  ne  sont  pas  les  seules  que  le  centenaire  ait  provoquées. 
La  municipalité  de  Berlin  a  donné  à  l'Université  un  fonds  de 
200,000  marks  pour  des  bourses  de  voyages,  et  la  veuve  du  poète  von 
Wildenbruch  a  fait  don  des  droits  d'auteur  sur  les  œuvres  de  son 
mari  jusqu'à  concurrence  de  100,000  marks. 

—  M.  Bruno  Krusch,  archiviste  à  Osnabriick,  est  nommé  directeur 
des  archives  d'Etat  à  Hanovre. 

—  M.  A.  Bruning,  directeur  du  musée  westphalien  à  Munster,  est 
nommé  directeur  du  musée  provincial  à  Hanovre. 

—  Sous  la  direction  de  MM.  Schiemann,  de  Berlin,  Gœtz,  de  Bonn, 
O.  Hôtzch,  de  Posen,  H.  Uebersberger,  de  Vienne,  commence  la 
publication  d'une  nouvelle  revue  consacrée  spécialement  à  l'histoire 
de  l'Europe  orientale  (Zeitschrift  fur  Osteuropaeische  Geschichte). 
Cette  revue  sera  trimestrielle;  les  articles  en  français  y  seront  reçus. 

—  On  annonce  la  mort  de  Henri  Sauerland,  auteur  d'importants 
recueils  de  textes  relatifs  à  la  région  du  Rhin  et  à  la  Lorraine  et  tirés 
des  archives  du  Vatican. 

Angleterre.  —  M.  F.  J.  Amours  est  mort  le  9  septembre,  âgé  de 
69  ans,  à  Glasgow.  On  lui  doit  une  remarquable  édition  de  la  chro- 
nique écossaise  de  Wyntoun.  Le  t.  V  avait  paru  en  1908;  le  t.  VI, 
inachevé,  doit  contenir  l'introduction  et  les  notes.  Il  était  un  des 
hommes  qui  connaissaient  le  mieux  l'histoire  et  la  littérature  de 
l'Ecosse  au  moyen  âge. 

Autriche.  —  M.  Emile  Reisch,  professeur  d'archéologie  classique 
à  Vienne,  a  été  nommé  directeur  de  l'Institut  archéologique  autrichien. 

—  Julius  Jung,  professeur  d'histoire  ancienne,  est  mort  à  Prague. 
On  cite  surtout  parmi  ses  travaux  :  Fasten  der  provinz  Dacien  mit 
Beitràgeii  zur  rômischen  Verwaltungsgeschichte ,  Romer  und 
Romanen  in  den  Donaulàudern. 

Cuba.  —  Une  «  Académie  de  l'histoire  de  Cuba  »  a  été  créée  à  la 
Havane  par  décret  du  20  août  1910.  Composée  de  30  membres  nommés 
par  le  gouvernement  cubain,  cette  Académie  s'occupera  d'histoire  et 
d'archéologie  cubaines  et  publiera  une  revue. 


462  CHRONIQUE. 

Suisse.  —  L'historien  zuricois  Karl  Daendliker  est  mort  le  14  sep- 
tembre 1910,  dans  sa  soixante-deuxième  année.  Elève  de  Bùdinger  et  de 
Giesebrecht,  il  enseignait  à  l'École  normale  de  Kùssnacht  depuis  1872 
et  était,  depuis  1887,  professeur  extraordinaire  d'histoire  suisse  à 
l'Université  de  Zurich.  Son  Histoire  de  la  Suisse,  en  3  vol.  illustrés 
(Zurich,  1884-1887),  est  certainement  la  plus  répandue  et  la  plus  popu- 
laire (dans  le  meilleur  sens  du  mot)  des  histoires  nationales  destinées 
au  public  cultivé.  Les  mœurs  et  la  civilisation  y  tiennent  une  grande 
place  à  côté  des  événements  politiques.  Déjà  auparavant,  Daendli- 
ker avait  écrit,  sous  une  forme  plus  abrégée,  une  Histoire  du  peuple 
suisse  que  Mme  Jules  Favre  a  traduite  en  français  en  1879.  Daendli- 
ker est  encore  l'auteur  de  travaux  estimés  sur  l'histoire  zuricoise. 
Par  son  enseignement,  il  a  su  développer  chez  les  jeunes  régents 
zuricois  le  goût  des  études  historiques,  et  il  a  provoqué  l'éclosion  de 
toute  une  série  de  bonnes  monographies  locales,  en  vue  desquelles  il 
avait  écrit  un  guide  plein  de  conseils  judicieux  (Ortsgeschichte  und 
Heimatkunde  in  Wissenschaft  und  Schule.  Zurich,  1897).  Les 
dernières  années  de  sa  vie  ont  été  consacrées  à  cette  Histoire  de  la 
ville  et  du  canton  de  Zurich,  dont  nous  avons  signalé  le  début 
(1908)  dans  un  récent  Bulletin.  Deux  volumes  ont  paru,  et  l'on  peut 
espérer  que  la  préparation  du  troisième,  qui  devait  embrasser  le  xvme 
et  le  xixe  siècle,  était  suffisamment  avancée  pour  que  ce  couronne- 
ment d'une  carrière  toute  de  travail  et  de  dévouement  ne  demeure 
pas  inachevé. 

—  Trois  associations  historiques  de  Suisse,  la  Société  générale  d'his- 
toire, la  Société  des  monuments  historiques  et  la  Société  d'histoire 
de  la  Suisse  romande,  se  sont  rencontrées  à  Lausanne  le  5  et  le  6  sep- 
tembre. La  Société  des  monuments,  dont  l'actif  comité  dispose  en 
fait  des  crédits  que  la  Confédération  destine  chaque  année  à  la  conser- 
vation des  monuments  historiques,  a  entendu  deux  rapports  spéciaux. 
M.  O.  Schultess  l'a  mise  au  courant  de  l'état  actuel  des  recherches 
relatives  à  la  frontière  de  l'empire  romain  sur  la  rive  suisse  du  Rhin, 
et  M.  W.  Cart,  des  travaux  de  la  commission  chargée  de  dresser  la 
statistique  des  bronzes  romains  trouvés  en  Suisse.  Elle  a  appris  avec 
satisfaction  que  le  gouvernement  fédéral,  en  réponse  à  un  vœu  for- 
mulé depuis  longtemps,  prendra  sous  peu  l'initiative  d'un  concordat 
intercantonal  prévoyant  des  mesures  communes  pour  la  conservation 
des  monuments  historiques  de  la  Suisse.  Enfin  elle  a  visité  la  belle 
cathédrale  gothique  de  Lausanne,  après  avoir  suivi  l'exposé  de  M.  l'ar- 
chitecte cantonal  Bron  sur  les  restaurations  successives  dont  cet  édi- 
fice a  été  l'objet,  du  moyen  âge  jusqu'à  nos  jours.  On  sait  que  Viollet- 
le-Duc  fut  l'inspirateur  des  travaux  importants  exécutés  pendant  le 
dernier  tiers  du  xixe  siècle. 

Dans  une  première  séance,  la  Société  générale  d'histoire  a  décidé 
de  se  charger  de  la  publication  d'une  seconde  série,  commençant  en 


CHRONIQUE. 


463 


1305,  des  Acta  pontificum  helvetica,  tirés  des  archives  du  Vaticap, 
à  la  suite  d'une  entente  avec  l'Association  populaire  catholique  de  la 
Suisse,  qui  avait  pris,  il  y  a  deux  ans,  l'initiative  de  cette  entreprise. 

Le  château  de  Chillon,  —  dont  la  restauration  strictement  scienti- 
fique, dirigée  par  M.  A.  Naef,  archéologue  cantonal  vaudois,  a  fait  un 
monument  d'histoire  dans  toute  l'acception  du  terme,  —  a  servi  le 
6  septembre  de  rendez-vous  aux  trois  sociétés.  Le  rocher  sur  lequel 
il  est  bâti  était  occupé  dès  l'époque  préhistorique.  Au  moyen  âge,  la 
forteresse  des  comtes  de  Savoie  commandait  la  route  qui,  après  avoir 
franchi  les  Alpes  au  Grand-Saint-Bernard  ou  au  Simplon,  conduisait 
les  marchands  italiens  aux  foires  de  Champagne,  ou  ramenait  de 
Rome  dans  leur  pays  natal,  par  Avenches  et  le  plateau  suisse,  les 
pèlerins  allemands  et  Scandinaves.  La  visite  de  Chillon  fut  admira- 
blement préparée  par  une  conférence  de  M.  A.  Naef  sur  les  étapes 
successives  de  la  construction  du  château.  A  la  séance  principale, 
tenue  dans  la  salle  des  chevaliers,  M.  Ch.  Gilliard  a  retracé  le  sort 
des  «  seigneurs  et  paysans  dans  la  paroisse  de  Montreux  »,  qui  rele- 
vait en  partie  du  domaine  savoyard  de  Chillon.  Enfin,  le  banquet  fut 
servi  dans  la  grande  Salle  de  justice,  où  siégèrent  jadis  les  baillis  de 
Savoie,  puis  les  baillis  de  Berne. 

A  côté  du  but  scientifique  qu'elle  poursuit,  la  Société  générale  d'his- 
toire, qui  vient  d'accomplir  la  soixante-dixième  année  de  son  exis- 
tence, devait  avoir,  dans  la  pensée  des  hommes  qui  l'ont  fondée  à  une 
époque  où  le  particularisme  cantonal  était  beaucoup  plus  fort  qu'il  ne 
l'est  aujourd'hui,  la  mission  d'unir  plus  étroitement,  sur  le  terrain  de 
l'histoire,  les  représentants  des  deux  cultures  principales  qui  se  par- 
tagent la  Suisse,  en  leur  apprenant  à  se  mieux  connaître.  Fidèle  à  la 
tradition  pieusement  conservée  par  son  prédécesseur  Georges  de  Wyss, 
le  président  actuel  de  la  Société,  M.  le  professeur  Meyer  von  Kno- 
nau,  n'a  pas  eu  de  peine  à  démontrer  les  avantages  de  ces  liens  per- 
sonnels dans  son  discours  d'ouverture,  où  il  a  fait  revivre  la  figure 
sympathique  de  l'historien  vaudois  Louis  Vulliemin,  l'un  des  fonda- 
teurs de  la  Société  et  le  continuateur,  pour  la  Suisse  romande,  de 
l'histoire  nationale  de  Jean  de  Muller.  V.  v.  B. 


NOUVELLES  PUBLICATIONS  FRANÇAISES 

RELATIVES   A   L'HISTOIRE   DE   FRANCE. 
(Sauf  indications  contraires,  les  volumes  sont  in-8°  et  édités  à  Paris.) 

Documents.  —  Abbé  G.  Arnaud  d'Agnel.  Les  comptes  du  roi  René  publiés 
d'après  les  originaux  inédits.  T.  III.  Picard,  517  p.  —  R.  Delachenal.  Chro- 
nique des  règnes  de  Jean  II  et  de  Charles  V.  T.  I  :  1350-1364.  (Publ.  de  la 
Soc.  de  l'IIist.  de  France.)  Laurens,  352  p.  —  E.  Déprez.  Œuvres  complètes 


464  CHRONIQUE. 

de  Maximilien  Robespierre.  1"  partie  :  Robespierre  à  Arras.  (Soc.  des  études 
robespierristes.)  Leroux,  68  p.  —  A.  Fribourg.  Discours  de  Danton.  Préface  de 
G.  Lanson.  Hachette,  xxxvni-274  p.  —  F.  Japy.  Lettres  d'un  soldat  à  sa  mère 
de  1849  à  1870.  Champion,  296  p.  —  A.  de  Boislisle,  L.  Lecestre  et  /.  de 
Boislisle.  Mémoires  de  Saint-Simon.  T.  XXII.  Hachette,  557  p.  —  C.  stryenski. 
Mesdames  de  France,  tilles  de  Louis  XV.  Documents  inédits.  Émile-Paul,  vm- 
354  p.  —  A.  Tausserat-Radel.  Papiers  de  Barthélémy,  ambassadeur  de  France 
en  Suisse,  1792-1797.  T.  VI.  Alcan,  xxxvm-306  p. 

Histoire  locale.  —  Les  franchises  et  la  communauté  d'Aiton  (Savoie).  Gre- 
noble, J.  Rey,  212  p.  et  plan.  —  G.  Bourgeois.  Un  chirurgien  ardennais  au 
xvir  siècle  :  Jean  Bienaise.  Reims,  Matot,  87  p.  —  L.  Campion.  Statuts  syno- 
daux de  l'église  de  Saint-Brieuc  (1480-1507).  Champion,  59  p.  —  Abbé  M. 
Chaillan.  Recherches  historiques  et  archéologiques  sur  Gardane.  Picard,  181  p., 
avec  grav.  —  P.  Delarue.  Le  clergé  et  le  culte  catholique  en  Bretagne  pendant 
la  Révolution  ;  district  de  Dol.  Rennes,  Plihon  et  Hommay,  396  p.  —  /.  Depot- 
ter.  Le  pays  de  Lallœu.  Arras,  Baron-Demiantte,  324  p.,  avec  plan  et  grav.  — 
J.  Fennebresque.  Versailles  royal.  Champion,  vm-282  p.,  avec  grav.  —  E.  de 
Gigord.  Les  jésuites  d'Aubenas,  1601-1762.  Picard,  xx-504  p.,  avec  grav., 
sceaux,  fac-similé,  carte  et  plan.  —A.  Grosse-Duperon.  Le  collège  de  Mayenne. 
Mayenne,  Poirier,  227  p.,  avec  plan,  grav.,  fac-similé,  portr.  —  E.  Longin. 
Recueil  de  documents  sur  le  Beaujolais  à  la  fin  du  xvic  siècle.  Lyon,  Brun, 
xl-180  p. 

Histoire  générale.  —  A.  Chuquet.  Études  d'histoire,  3e  série.  Fonteinoing, 
283  p.  —  Crauffon.  Les  premières  responsabilités  de  1870.  Tulle,  Crauflbn, 
107  p.  —  L.  Duchesne.  Les  fastes  épiscopaux  de  l'ancienne  Gaule.  T.  II  : 
Aquitaine  et  Lyonnaises,  26  éd.  Fonteinoing,  494  p.  —  Dom  Du  Bourg.  Une 
extatique  au  xvne  siècle.  Jeanne-Marie  Romne  (1606-1670).  Perrin,  xiv-263  p. 
—  E.  Fleischmann.  Marat  et  sa  maîtresse.  («  Les  publications  modernes  ».) 
187  p.,  avec  ill.  —  M.  Krœll.  L'immunité  franque.  Rousseau,  xxm-363  p.  — 
S.  Lami.  Dictionnaire  des  sculpteurs  de  l'École  française  au  xvnr  siècle.  T.  I. 
Champion,  xn-441  p.  —  H.  Poule/,.  Les  volontaires  de  la  Meurthe  aux  armées 
de  la  Révolution  (levée  de  1791).  Berger-Levrault,  376  p.  —  L.  Teste.  Anatomie 
de  la  République  (1820-1910).  Librairie  du  xx8  siècle,  488  p. 


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Cumont  (Franz).  La  théologie  solaire 
du  paganisme  romain,  97. 

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t.  I,  114. 

—  Le  tombeau  de  saint  Dasius  de 
Durostorum,  118. 

Desserteaux  (F.).  Études  sur  la  for- 
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Kaufmann  (Cari).  Der  Menastempel 
und  die  Heiligtûmer  von  Karm  Abu 
Mina  in  der  segypt.  Mariutwùste, 
117. 

Kugener.  Note  sur  l'inscription  tri- 
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—  Un  traité  astronomique  et  météo- 
rologique syriaque  attribué  à  Denys 
l'Aréopagite,  119. 

La  Ville  de  Mirmont  (H.  de).  L'as- 
trologie chez  les  Gallo-Romains, 
100. 

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graphique d'Agrippa  et  d'Auguste,  95. 

Strzygowski.  Die  sigmafôrmige  Tisch 
und  der  aelteste  Typus  des  Refek- 
toriums.  Antike,  Islam  und  Occi- 
dent, 126. 

Waltz  (René).  Vie  de  Sénèque,  94. 

AUTRICHE. 

Dopsch  (Alfons).  Die  seltere  Social- 
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pen-Slaven,  191. 

Fournier  (A.).  Wie  wir  zu  Bosnien 
kamen,  192. 


Rojas  (Ricardo).  La  restauracion  na- 
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REV.   HistoR.   CV.   2e  FASC 


Closeburn  (général  Kirpatrick  de). 
Souvenirs  de  la  dernière  guerre 
carliste,  1872-76,  193. 

ÉTATS-UNIS. 

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Klein    (Félix).    La    séparation    aux 
États-Unis,  194. 


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Arnaud  d'Agnel  (abbé  G.).  Les 
comptes  du  roi  René,  t.  II  et  III, 
355. 

Aulard  (Alph.).  Études  et  leçons  sur 
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137. 

Bagucnault  de  Puchesse.  Voir  Ca- 
therine de  Médicis. 

Ballet  (Dr  Gilbert).  Histoire  de  la 
lèpre  en  France,  t.  I,  410. 

Batiffol  (Louis).  Le  roi  Louis  XIII  à 
vingt  ans,  378. 

Beauséjour  (Gaston  de)  et  Godard 
(Ch.).  Pesmes  et  ses  seigneurs, 
2°  partie,  364. 

Belle  (Edm.).  La  Réforme  à  Dijon, 
1535-1570,  395. 

Bonnal  (général  H.).  La  vie  militaire 
du  maréchal  Ney,  144. 

Bord  (Gustave).  La  conspiration  ré- 
volutionnaire de  1789,  128. 

Borrelli  de  Serres.  Recherches  sur 
divers  services  publics,  t.  III,  357. 

Bossuet.  Correspondance,  t.  II,  407. 

Boulay  de  la  Meurthe  (comte).  Cor- 
respondance du  duc  d'Enghien. 
t.  III,  139. 

Bourrilly  (V.-L.).  Le  journal  d'un 
bourgeois  de  Paris  sous  le  règne  de 
François  I",  373. 

Broglie  (duc  de)  et  Vernier  (Jules). 
Correspondance  inédite  de  François- 
Victor,  duc  de  Broglie,  maréchal 
de  France,  avec  le  prince  Xavier  de 

30 


166 


INDEX    lilBLIOGRAPUlQUE. 


Saxe,  comte  de  Lusace,  1759-1761, 
387. 

('art  (J.).  Le  10  août  à  Paris  et  le  ré- 
giment des  gardes  suisses,  187. 

CartelUeri  (Alex.).  Voir  Gui  de  lia- 
zoches. 

—  (Otto).  Geschichte  der  Herzoge  von 
Burgund,  t.  I,  363. 

Catherine  de  Médicis.  Lettres,  publ. 
p.  Baguenault  de  Pvcfiesse,  t.  X, 
374. 

Chuquet  (Arthur).  Épisodes  et  por- 
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Filippov.  Journaly  pravitelstvouioust- 

chago  Senata  za  1737,  157. 
On ttz.  Staat  und  Kirche  in  Altrussland, 

988-1240,  119. 
Grouchevski.  Istoria  Oukraïni,  t.  VII, 

152. 
Iakovlev.   Namestnitchii   goubnyia   i 

zemskia  oustavnyia  gramoty  Mos- 

kovskago  gosoudarstva,  150. 

—  Bézoumnoié  moltchanié,  153. 
Istoria  Rossii  xix  véka,  160. 
Kapterev.   Patriarkh    Nikon    i    tsar 

Alexei  Mikhaïlovitch,  154. 
Kiesewetter.     Gorodovoié     pologénié 

Ekateriny  II  1785  goda,  157. 
Klutchevski.  Cours  d'histoire  de   la 

Russie,  t.  IV,  155. 
Lappo-Danilevski.  Slougilyia  kabaly 

pozdnieichago  tipa,  155. 
Leontovitch.  Pravosposobnost  litov- 

sko-rousskoï  chliakhty,  151. 
Lubavski.  K  voprossou  ob  ogranitche- 

nii   politcheskikh   prav  pravoslav- 

nykh  kniazei,  151. 
Moulioukine.  Priezd  inostrantzev  v 

Moskovskoie  gosoudarstvo,  154. 
Nicolas  Mikhaïlovitch  (le  grand-duc). 

Imperatzitza  Elisaveta  Alexeievna, 

souprouga  imperatora  Alexandra  I, 

158. 
Painiatniky  drevniei  rousskoï  pisrnen- 

nosti  otnossiachtcheisia  k  Smoutno- 

raou  Vremeni,  153. 
Pavlov-Silvanski.  Kniageskoïe  kho- 

ziaïstvo    xvi    i     pervoï     poloviny 

xvi  véka,  150. 

—  P.  J.  Pestel,  160. 

Pitcheta.   Litovsko    polskiia  ounii   i 

otnochenié  k  nim  litovsko  rousskoï 

chliakhty,  151. 
Pokrovski.   Obstcuestvennoïé   dvigé- 

nié   pri   Alexandrie   II,    1855-1881, 

160. 
Pressniakov.  Kniajoïe  pravo,  148. 
Rojdestvenski.     Iz     istorii     otmieny 

ourotchnykh  let  dla  syska  beglykn 

krestian     v     Mosk.    gosoudarstve 

xvii  v.,  155. 
Rousskaia  istoritcheskaia  biblioteka, 

t.  XXVI,  155. 
Rousskii    biographitscheskii    slovar, 

159. 
Semevski.  Polititscheskia  i  sotsialnyia 

idiei  dekabristov,  159. 
Senatskii  arkhiv,  t.  XII  et  XIII,  158. 


Stchepkine.  Poriadok    prestolonasle- 

dia  ou  drevne-Norvejskikh  konun- 

gov,  149. 
Storogev.  Monastyrskoïé  zemlevladié- 

nié  na  Vologdie  po  dannyrn   1627- 

30  godov,  153. 
Slroiev.    Bironovstchina    i     kabinet 

ministrov,  156. 
Syromiatnikov.  Polititchcskaia  doc- 

trina  nakaza  Pestela,  160. 
Verkhovski.   Nacielionnyia   niedvigi- 

myia    imenia    sv.   sinoda,    arkhie- 

reiskikh  dornov  i   monastyriei  pri 

preiemnikakh  Petra  Velikago,  157. 
Vesselovski.  Sem  sborov  zaprosnykh 

i  piatinnykh  dienieg  v  pervyie  gody 

zarstvovania     Mikhaïla     Feodoro- 

vitcha,  153. 
Viazemski.  Verkhovnyi  tainyi  soret, 

156. 
Younakov.     Troudy     imp.     roussk. 

voïenno  -  istoritcheskago  obstchest- 

va.  Documenty  Sievernoï  voiny.  Pol- 

tavaskoi  periody,  156. 


Meyer  (Dr  Joh.).  Die  friiheren  Besit- 
zer  von  Arenenberg,  206. 

Plan  (Danielle).  Un  Genevois  d'autre- 
fois :  Henri-Albert  Gosse,  1753- 
1816,  205. 

Rott  (Edottard).  Histoire  de  la  repré- 
sentation diplomatique  de  la  France 
auprès  des  cantons  suisses,  t.  IV, 
379. 

Seitz  [Cliarles).  L'historien  Niebuhr, 
citoyen  de  Genève,  205. 

HISTOIRE    DE    L'ÉGLISE. 

Allard  (P.).  Saint  Sidoine  Apolli- 
naire, 101. 

Bœhmer.  Les  Jésuites,  avec  une 
introd.  par  G.  Monod,  365. 

Brom  [Gisbert).  Guide  aux  archives 
du  Vatican,  161. 

Cans  (Albert).  L'organisation  finan- 
cière du  clergé  de  France  à  l'époque 
de  Louis  XIV,  383. 

Carlyle  [A.  J.).  The  political  theory 
of  the  roman  lawyers  and  the  ca- 
nonists,  from  the  tenth  to  the  thir- 
teenth  century,  170. 

Fouqueray  (le  Père).  Histoire  de  la 
Compagnie  de  Jésus  en  France, 
t.  I,  366. 

Girard  (Jos.)  et  Dr  Pansier.  La  cour 
temporelle  d'Avignon  aux  xive  et 
xv°  s.,  361. 

Gutschow  (Else).  Innocenz  III  und 
England,  415. 


INDEX    BIBLIOGRAPHIQUE. 


471 


Krehbiehl  (Ediv.  B.).  The   interdict, 

with  spécial  attention  to  the  time 

of  pape  Innocent  IV,  410. 
Pastor    (L.    von).     Geschichte     der 

Paepste  seit  dem  Ausgang  des  Mit- 

telalters,  t.  V,  174. 

HISTOIRE    GÉNÉRALE. 

Bourgeois  (Emile).  La  diplomatie 
secrète  au  xvnr  s.,  t.  II  :  la  poli- 
tique d'Albéroni,  386. 


Driault  (Edouard).  Napoléon  et  l'Eu- 
rope, 1800-1803,  141. 

Firth  (Ch.  H.).  The  parallel  between 
the  english  and  american  civil  wars, 
416. 

Mnémon  (Stanislas).  La  conspiration 
du  cardinal  Albéroni,  La  franc- 
maconnerie  et  Stanislas  Ponia- 
tovvski,  387. 

Schemann  (Ludvig).  Gobineaus  Ras- 
senwerk,  190. 


TABLE  DES   MATIERES. 


ARTICLES  DE  FOND.  Pages 

Cavaillès  (Henri).  Une  fédération  pyrénéenne  sous  l'an- 
cien régime.  Les  traités  de  lies  et  de  passeries  .     .  1,241 

Roux  (François-Charles).  La  Russie  et  la  politique  italienne 

de  Napoléon  III 35,  277 

MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

Griselle  (E.).  Louis  XIII  et  sa  mère  (ire  partie).  ...  302 
Nouaillac  (J.).  L'affaire  de  Mantoue  en  1613.  L'avis  de 

Villeroy  à  Marie  de  Médicis  (8  novembre  1613).  .  63 
Rouff  (Marcel).   Une  grève  de  gagne-deniers  en  1786  à 

Paris 332 

BULLETIN  HISTORIQUE. 

Nécrologie  :  Léopold  Delisle,  par  Ch.  Bémont   ....  84 

—  Albert  Vandal,  par  G.  Monod 348 

Antiquité  romaine,  par  J.  Toutain 92 

Histoire  byzantine  (publications  des  années  1907-1910), 

par  L.  Bréhier 102 

Histoire  de  France  (fin  du  moyen  âge),  par  Ch.  Petit- 

Dutaillis 353 

—  (époque  moderne),  par  H.  Hauser 365 

—  (Révolution  et  Empire,   suite   et  fin),   par  Rod. 
Reuss 126 

Histoire  des  Pays-Bas,  par  Th.  Bussemaker  ....  161 
Histoire  de  Russie  (publications  de  l'année  1909),  par 

G.  Gautier 148 

COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

Bossuet.  Correspondance.  T.  II  et  III  (H.  Hauser)  .  .  407 
Bousquet  (G.).  Histoire  du  peuple  bulgare  (L.  Bréhier)  .  182 
Carlyle  (R.  W.  et  A.  J.).  A  history  of  médiéval  political 

Theory  in  the  West.  T.  II  (Paul  Fournier)     .     .      170 
Dubarat  (abbé  V.)  et  Daranatz  (abbé  B.).  Recherches  sur 
la  ville  et  sur  l'église  de  Bayonne,  manuscrit  du 

chanoine  Ph.  Veillet  (Ch.  Bémont) 178 

[Supplément  ad  numéro  de  Novembre-Décembre  1910.] 


TABLE    DES   MATIERES.  473 

Pages 

Pastor  (L.  von).  Geschichte  der  Paepste.  T.  V  (Pierre 

Bourdon) 174 

Rétif  de  la  Bretonne.  Aventures  galantes  des  dames  du 

xvme  siècle.  —   Les    nuits   révolutionnaires    (G. 

Monod) 176 

Thomas  (A.).  Le  comté  de  la  Marche  et  le  parlement  de 

Poitiers  (P.  Boissonnadei 398 

Woodbine  (G.  E.).  Four  thirteenth  century  law  tracts  (Ch. 

Bémont) 408 

NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 

Histoire  de  l'Antiquité  (Louis  Bréhier) 185 

Histoire  de  l'église  (Ch.  Bémont) 410 

Histoire  d'Allemagne  (Paul  Darmst^dter) 190 

Histoire  d'Autriche  (P.  Darmst^edter,  G.  Monod)   ...  191 

Histoire  du  Brésil  (G.  Monod) 192 

Histoire  d'Espagne  (E.  Driault) 193 

Histoire  des  États-Unis  (E.  Driault) 193 

Histoire  de  France  (Ch.  Bémont,  H.  Hauser,  G.  Monod, 

Ch.  Petit-Dutaillis,  Rod.  Reuss) 185,410 

Histoire  de  Grande-Bretagne  (Ch.  Bémont) 190,414 

Histoire  de  Hongrie  (I.  Kont,  E.  Driault) 194 

Histoire  d'Italie  (G.  Bourgin) 200 

Histoire  d'Orient  (L.  Bréhier,  E.  Driault) 201 

Histoire  des  Pays-Bas  (A.  Waddington) 203 

Histoire  de  Pologne  (E.  Driault) 204 

Histoire  de  Roumanie  (G.  Monod) 205 

Histoire  de  Suisse  (E.  Driault,  Rod.  Reuss) 205 


RECUEILS  PERIODIQUES  ET  SOCIETES  SAVANTES. 
(Liste  alphabétique  par  noms  de  pays.) 

ALLEMAGNE   ET   AUTRICHE. 

1.  Archiv  fur  Kulturgeschichte 223 

2.  Bonner  Jahrbiicher 224 

3.  Byzantinische  Zeitschrift 225 

4.  Deutsche  Rundschau 442 

5.  Forschungen  zur  Brandenb.  und  Preuss.  Gesch.      .     .  227 

6.  Gœttingische  gelehrte  Anzeigen 227 

7.  Historische  Vierteljahrschrift 226,440 

8.  Historische  Zeitschrift 441 

9.  Historisches  Jahrbuch 226 

10.  Jahreshefted.  œsterreich.  archa?olog.  Instituts  in  Wien.  228 


474 


TABLE    DES    MATIERES. 


11.  Mitteilungen  des  Inst.  fur  œster.  Geschichtsforschung.  229 

12.  Neues  Archiv 227 

13.  Zeitschrift  fur  Brùdergeschichte 443 

BELGIQUE. 

1.  Analecta  Bollandiana 443 

2.  Analectes  pour  servir  à  l'hist.  eccl.  de  la  Belgique  .     .  444 

3.  Archives  belges 444 

4.  Bulletin  de  la  classe  des  lettres  de  l'Acad.  royale  de 

Belgique 444 

5.  Bulletin  de  la  Commission  royale  d'hist.  de  Belgique  .  445 

6.  Bulletin  de  la  Soc.  d'hist.  et  d'archéol.  de  Gand  ...  445 

7.  Bulletin  de  la  Société  royale  belge  de  géographie     .     .  445 

8.  Bulletin  de  la  Soc.  scient,  et  litt.  du  Limbourg   ...  446 

9.  Leodium 446 

10.  Musée  belge  (le) 44G 

11.  Publications  de  la  sect,  hist.  de  l'Inst.  grand-ducal  de 

Luxembourg 446 

12.  Revue  de  l'instruction  publique  en  Belgique   ....  447 

13.  Revue  de  l'Université  de  Bruxelles 447 

14.  Revue  d'hist.  eccl.  de  Louvain 447 

15.  Revue  générale  de  Belgique 448 

16.  Tijclschrift  voor  bœk 446 

ÉTATS-UNIS. 

1.  American  historical  review  (the) 232 

FRANCE. 

1.  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres 221,419 

2.  Académie  des  sciences  morales  et  politiques   ....  221,419 

3.  Annales  de  Bretagne 435 

4.  Annales  de  géographie 212 

5.  Annales  des  sciences  politiques 215,419 

6.  Bibliographe  moderne,  (le) 213,435 

7.  Bulletin  de  Correspondance  hellénique 423 

8.  Bulletin  de  la  Soc.  de  l'histoire  du  protestantisme   .     .  422 

9.  Bulletin  de  la  Soc.  d'hist.  et  d'archéol.  du  VIIe  arr.  de 

Paris 438 

10.  Bulletin  de  la  Soc.  des  Antiquaires  de  l'Ouest     .     .     .  438 

11.  Bulletin  hispanique 212 

12.  Commission  des  doc.  économiques  de  la  Révolution    .  427 

13.  Correspondant  (le) 215,430 

14.  Documents  d'histoire 425 

15.  Études  des  Pères  de  la  Cie  de  Jésus 421 


TABLE   DES   MATIÈRES.  4/5 

Pages 

16.  Feuilles  d'histoire 209, 417 

17.  Journal  des  Savants 209 

18.  Mémoire  de  la  Société  éduenne 222 

19.  Mercure  de  France  (le) 432 

20.  Nouvelle  Revue  historique  de  droit  français  et  étranger.  420 

21.  Polybiblion 427 

22.  Province  du  Maine  (la) 437 

23.  Recueil  de  la  Comm.  des  arts  de  la  Charente-Inférieure.  436 

24.  Révolution  française  (la) 212,426 

25.  Revue  (la) 217,432 

26.  Revue  archéologique 213 

27.  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature 208,  428 

28.  Revue  d'Alsace 439 

29.  Revue  de  Bretagne 436 

30.  Revue  de  Gascogne 222 

31.  Revue  de  l'Agenais 223 

32.  Revue  de  l'histoire  des  religions 214 

33.  Revue  de  Paris  (la) 218,430 

34.  Revue  des  Deux  Mondes 219, 429 

35.  Revue  des  études  anciennes 212,422 

36.  Revue  des  études  historiques 207 

37.  Revue  des  Pyrénées 438 

38.  Revue  des  questions  historiques 207 

39.  Revue  d'histoire  de  Lyon 437 

40.  Revue  d'hist.  moderne  et  contemporaine 423 

41.  Revue  d'histoire  rédigée  à  l'Etat-maj or 215,420 

42.  Revue  du  Midi 438 

43.  Revue  Fénelon 425 

44.  Revue  générale  du  droit 420 

45.  Revue  hebdomadaire 433 

46.  Revue  historique  de  Bordeaux 435 

47.  Revue  historique  et  archéologique  du  Maine    ....  437 

48.  Revue  savoisienne 439 

49.  Romania 213 

50.  Société  nationale  des  Antiquaires  de  France  ....  221 

GRANDE-BRETAGNE. 

1.  Athenseum  (the) 231,448 

2.  Edinburgh  Review 449 

3.  English  historical  review  (the) 229 

4.  Nineteenth  Century  (the) 449 

5.  Quarterly  Review 451 

GRÈCE. 

1-  Néoç  'EXXyivo;j.yj[j.u)v. 452 


476  TABLE    DES   MATIERES. 

ITALIE. 

Pages 

1.  Archivio  storico  per  le  provincie  napoletane    ....  453 

2.  Brixia  sacra 455 

3.  Bulletin  italien 455 

4.  Cultura  moderna 454 

5.  Rivista  di  Storia  antica 453 

6.  Rivista  storica  benedettina 455 

CHRONIQUE. 

Allemagne  (L.  Bréhier,  S.  Reinach) 237,  460 

Angleterre 237,  461 

Autriche 461 

Belgique 238 

Cuba 461 

France  (L.  Bréhier,  A.  Loisy) 235,  456 

Suisse  (Van  Berchem) 239,  462 

Nouvelles  publications  françaises 239,  463 

Index  bibliographique 465 


L'un  des  propriétaires-gérants,  G.  Monod. 


Nogent-le-Rotrou,  imprimerie  Daupeley-Gouvernecr. 


BINDING  SECT.  JUL  12  196/ 


D 
1 

R6 
1. 105 


Revue  historique 


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