HANDBOUND
AT THE
UNIVERSITY OF
TORONTO PRESS
J9*i
REVUE
HISTORIQUE
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HISTORIQUE
Paraissant tous les deux mois
SOUS LA DIRECTION DE
Gabriel MONOD et Charles BÉMONT.
Ne quid falsi audeat, ne quid veri non audeat historia.
Cicéron, de Orat., II, 15.
TRENTE-CINQUIÈME ANNÉE
TOME CENT CINQUIEME
Septembre -Décembre 1910.
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PARIS
FÉLIX ALCAN, Éditeur
108, BOULEVARD SAINT- GERMA IN
1910
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UNE
FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE
SOUS L'ANCIEN RÉGIME.
LES TRAITES DE LIES ET DE PASSERIES.
Entre le royaume de France et le royaume d'Espagne, il a
existé pendant les trois siècles de l'ancien régime une fédération
pyrénéenne. Ce fut un Etat singulier qui n'eut ni capitale, ni
gouvernement, ni armée, mais qui posséda des frontières, un
droit public, une politique et des adversaires. Il reposait surtout
un ensemble d'accords permanents conclus entre vallées fran-
çaises et vallées espagnoles et que l'on appelait lies el passeries,
traités d'alliance et de paix.
Les traités de lies et de passeries ne sont guère connus des
historiens. Ces curieux accords internationaux, probablement
uniques en leur genre, ont été seulement signalés ou partiel-
lement décrits dans quelques ouvrages relatifs aux Pyrénées1.
Mais, en dépit de leur intérêt, ils n'ont encore fait l'objet d'aucun
travail d'ensemble. La plupart d'entre eux sont restés inédits,
1. Dralet, Description des Pyrénées, 2 vol. in-8°, Paris, 1813, t. II, p. 206-
208; Castillon d'Aspet, Histoire des populations pyrénéennes, t. II, p. 101,
124, 370; Sénac-Moncaut, Histoire des États pyrénéens, t. IV, p. 630; J. Bour-
dette, Annales du Labéda, 4 vol. in-8°, Argelès, 1898-1899, 1. 1, p. xxi etpassim;
J.-Fr. Bladé, Essai sur l'histoire de la transhumance dans les Pyrénées
françaises (Revue des Pyrénées, 1894, p. 519-530). — Savary des Bruslons,
dans son Dictionnaire du commerce (3 vol. in-fol., Paris, 1741), avait consa-
cré quelques lignes très brèves aux passeries. — Le seul travail d'ensemble sur
la question est celui de P. de Castéran, Traités internationaux de lies et pas-
series (Revue des Pyrénées, t. IX, 1897). Il résume tout ce qui avait été dit
précédemment sur la question, et y ajoute un certain nombre de détails inté-
ressants, mais reste encore très incomplet.
Rev. Histor. CV. Ie'- FASC. 1
2 H. CAVAILLES.
enfouis dans d'obscures archives communales1. On n'a cherché
ni à les expliquer, ni à les comparer entre eux. On n'a su ni en
dire l'origine, ni en déterminer exactement le caractère.
C'est ce travail que nous nous sommes proposé de faire, et dont
nous soumettons ici le résultat. Nous chercherons d'abord
quelle est l'origine des traités de lies et de passeries, — ce qu'ils
ont été à l'époque de leur plein fonctionnement, — la place qu'ils
ont tenue dans l'histoire de notre pays, — pour quelles raisons
et de quelle manière ils ont disparu.
I.
Le milieu géographique. Les vallées.
Le cadre de la vie humaine est, dans les Pyrénées comme
dans tous les pays de montagnes, uniformément la vallée. Elle
est l'unité à la fois géographique, économique et politique.
La vallée fournit à ses habitants le plus essentiel de leurs
ressources. Le fond, occupé et approprié par les premiers
habitants, fut mis en culture. La zone étagée qui la domine immé-
diatement servit à un double usage : tandis que les parties d'accès
difficile, trop abruptes ou trop retirées, conservaient leurs bois
et étaient livrées à l'exploitation commune, le reste, défriché,
occupé et divisé parles mêmes procédés sommaires que le fond,
fournit encore quelques terres aux céréales et aux légumes, mais
surtout des prairies fauchables et le fourrage sec de l'hiver. Enfin
les hauts pâturages, la « montagne », restèrent indivis et furent
exploités par la communauté des habitants. Chacun eut le droit
d'y envoyer librement paître ses bêtes, comme il avait le droit
de se fournir de bois et de fruits dans la forêt. Quand il y eut des
profits en argent, ces profits furent partagés entre tous. Il y eut
là une manière de communisme. Que l'usufruitier fût la vallée, le
vicq ou la communauté de chaque locq (c'étaient les trois formes
ordinaires de l'exploitation collective), — le fait essentiel c'est
que la vallée fournit à ceux qui y élurent domicile ses productions
en même temps que son abri. De même qu'elle est un accident
1. Un seul de ces documents, le traité du « plan d'Arrem », était imprimé.
Aussi a-t-il fourni la matière de presque tout ce qui a été dit sur les lies et
passeries.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOCS l' ANCIEN REGIME. 3
topographique, la vallée est un fait d'ordre économique et
humain.
Mais si chacune d'elles forme un petit monde qui se suffit à
peu près à lui-même, aucune n'est complètement isolée. Par-
dessus les crêtes, au milieu des pâturages, s'ouvrent des passages
faciles, d'un accès commode pour les bêtes et pour les gens, plus
aisés sans conteste que les gorges étroites par quoi le torrent
s'échappe vers les régions basses. Vers les sommets, souvent, les
pentes s'adoucissent, d'amples herbages se déroulent d'un ver-
sant à un autre versant. Des sentiers, des pistes bien ménagées,
qu'un sûr instinct et un long usage ont placé là où la pente est
plus douce et le chemin plus aisé, assurent de faciles communi-
cations dans les hautes zones. Dans l'air léger et sec des sommets,
la marche est un plaisir plus qu'une fatigue. Et puis le mon-
tagnard est toujours un pâtre. Du fond de la vallée où il a fixé
sa maison et son champ et installé sa famille, il faut toujours
qu'il s'élève vers les prairies et vers les pâturages supérieurs.
Il est plus fréquemment attiré vers le haut que vers le bas, vers
les passages de la montagne que vers les gorges par lesquelles
on accède aux plaines.
C'est ce qui explique que les gens des vallées aient longtemps
entretenu moins de relations avec le plat pays qu'avec les vallées
voisines. Jusqu'à l'intendant d'Étigny, au xvme siècle, tous les
échanges du pays de Barèges avec les plaines françaises se sont
laits par le col du Tourmalet et le haut Adour. De la vallée d'Ossau
on passe aisément dans celle du Galhego, en Espagne, par le
col du Pourtalet, le Port vieux de Salhen et les vastes pâturages
du Roumiga. De même, au centre de la chaîne, le Plà de Béret
ouvre un magnifique passage entre la vallée supérieure de la
Garonne et la haute Noguera. Et ce n'est pas seulement par les
cols que les vallées se joignent et s'unissent : c'est par les her-
bages, les rocailles et les crêtes, partout où l'herbe pousse, où des
eaux sourdent, partout où les troupeaux peuvent vivre et où
l'homme peut passer.
Mais sur ces crêtes qu'il atteint, à l'ouverture des cols, dans
les hauts pâturages, il rencontre d'autres hommes partis des
versants opposés. Entre eux, des rapports se nouent. Et ainsi
une vie sociale se développe qui est propre à la montagne, tout
un ensemble de relations souvent très actives et très étroites.
Les montagnes ne sont pas toujours des barrières entre les
4 H. CAVAILLES.
hommes, mais très souvent des lieux de rencontre et d'échanges.
Et nous verrons plus loin qu'il y eut longtemps des Etats
pyrénéens, étendus sur la région montagneuse et s'arrêtant au
bord des plaines. Ils ont disparu un jour, mais les rapports qui
les avaient créés ont duré beaucoup plus longtemps qu'eux-mêmes
et beaucoup subsistent encore.
Ainsi les relations de voisinage entre les vallées limitrophes
Sont un des aspects les plus intéressants et un des faits les plus
considérables de la vie montagnarde. Mais il s'en faut que ces
relations aient toujours été faciles ou seulement pacifiques. Très
longtemps, la guerre fut une habitude, la forme la plus ordinaire
des rapports. C'est que les causes de conflit étaient innom-
brables.
Il arrivait en maint endroit que deux vallées contigues se
disputaient des pâturages, soit parce que leur situation topogra-
phique prêtait à des contestations, soit parce qu'il existait, en
faveur de l'un ou de l'autre des rivaux, d'anciens droits histo-
riques ou des titres de propriété d'interprétation malaisée. Ailleurs,
des bergers transhumants ne pouvaient atteindre leur « mon-
tagne » qu'en empruntant sur un parcours plus ou moins long
le territoire de la vallée voisine. Et nombreux étaient les pâtu-
rages qui manquaient d'eau pour abreuver les troupeaux, de
forêts pour les abriter, tandis que, tout près, mais en terre
étrangère, des eaux abondantes jaillissaient du sol, et de ver-
doyantes futaies opposaient la fraîcheur de leur ombre aux
ardeurs du soleil méridien. Il fallait d'ailleurs compter avec les
empiétements des pâtres, volontaires ou involontaires, avec
l'avidité et les besoins de populations naturellement rudes,
souvent à l'étroit dans leurs vallées. Des bêtes s'égaraient...
Elles étaient confisquées, souvent reprises de vive force. Et des
batailles s'engageaient...
Enfin il y avait de bons et de mauvais pâturages : les mauvais,
où l'herbe est rare et sèche; — les bons, où elle est drue, nour-
rissante et parfumée, indemne de plantes inutiles ou dangereuses.
C'étaient d'éternels sujets de discorde. On se disputait surtout
ceux qui regardaient au midi, parce qu'ils sont les premiers
débarrassés des neiges hivernales, et que d'ailleurs la végétation
y est toujours plus active. Mais on ne dédaignait pas les pentes
tournées à l'ouest et au nord, car on savait que, mieux arrosées
par les pluies, elles conservent plus longtemps la fraîcheur
UNE FEDERATION PYRENEENNE SOUS L ANCIEN REGIME. 5
de leurs herbages. Cette considération-là, l'exposition des ver-
sants, essentielle dans tous les paj'S de montagnes, présentait
dans les Pyrénées un intérêt tout particulier parce que les deux
versants étant respectivement tournés vers le sud et vers le
nord (ce dernier étant d'ailleurs exposé aux vents humides de
l'océan), les herbages espagnols sont déjà brûlés et appauvris
depuis longtemps alors que les nôtres sont encore abondants et
verts. De tous temps, les habitants des vallées espagnoles ont
réclamé le droit de mener en été leurs troupeaux dans les mon-
tagnes françaises. Et tous les ans, d'un bout à l'autre de la
chaîne, ils envahissent une partie du versant adverse, pour rentrer
chez eux l'été fini. Il y a là un phénomène d'une ampleur singu-
lière, une sorte de marée, marquée au rythme des saisons et qui,
chaque année, se reproduit avec la même régularité que l'ascen-
sion et le retour du soleil. Ces empiétements périodiques étaient
pour nos voisins une impérieuse nécessité. Mais on comprend
aisément qu'ils fussent la cause d'interminables discussions.
Aux conflits d'ordre pastoral s'ajoutèrent d'autres difficultés
qui provenaient du simple voisinage des vallées : meurtres, atten-
tats contre les personnes et la propriété, police des frontières,
extradition des malfaiteurs, réglementation des dettes entre
« voisins » de communautés différentes. C'étaient là autant de
querelles possibles qu'il était difficile d'éviter, car les vallées
étant indépendantes et quasi -souveraines, chacune avait sa
loi et ses tribunaux. Enfin, la question des échanges commer-
ciaux n'était pas moins importante. Il s'était produit une certaine
spécialisation dans le travail et la production. D'autre part, les
vallées étaient naturellement des lieux de passage et des voies
de transit pour les produits des plaines voisines. Les échanges
étaient donc très fréquents. Par les ports de la montagne, les
Espagnols venaient acheter les vins et les blés des plaines fran-
çaises, des bois, des tissus et des animaux. Ils apportaient de leur
coté des fruits, des laines, des métaux ou du sel. Parfois l'échange
se faisait à la frontière même. On montre encore sur certains
points de la ligne de faîte des trous de forme régulière creusés
dans la roche et qui servaient à mesurer le sel1. Plus souvent
les transactions se faisaient dans les villages de la vallée et don-
naient lieu à des foires importantes dont il sera parlé plus loin.
1. Bulletin pyrénéen, 1906, p. 142.
H. cav\ii.i,i:s.
( les rapports de voisinage étaient autant d'occasions de conflits.
Pour les régler, il n'y eut pendant des siècles qu'un seul procédé
et une seule loi : la force. Ce furent des batailles incessantes, où
il \ eut des morts et des blessés. Ce furent des représailles, des
vengeances et des rancunes sans fin que les générations se trans-
mettaient intégralement et qui alimentaient de nouveaux conflits .
Longtemps les gensd'Ossau sortirent de leur vallée et descendirent
avec toute leur ost, rangés en bataille et enseignes déployées,
« ab arms host feyt et senhe desplegats », sur le Pont-Long et
autres lieux de la terre de Béarn1. Pendant des siècles, les Baré-
geois bataillèrent contre les gens de Broto et contre ceux de
Bielsa sur les hauts pâturages d'Ossoue, de Gavarnie et deTrou-
mouse. A la fin du xviii0 siècle, les gorges et défilés de Pouey-
Espé et de Bielsa étaient encore « habités par des troupes d' Ara-
gonais armés de gros mousquets et bardés de rosaires » -.
De vallée à vallée, ce furent partout les mêmes rivalités et
les mêmes rancunes. Un jour vint cependant où l'on se fatigua
de ces incessantes rencontres. Alors on s'efforça de les éviter...
Parfois on régla le différend à la manière féodale par un combat
singulier. Ainsi firent, dit-on, les pâtres des Quatre-Véziaux
d'Aure, d'accord avec ceux de Campan3.
Il arriva aussi que l'on soumit le conflit à un arbitrage. Une
légende reproduite par Marca4 et, après lui, par tous les histo-
riens béarnais, rapporte que les Aspois étant entrés en armes
dans les vallées du Lavedan, en Bigorre, un abbé laïc d'un village
proche du monastère de Saint-Savin monta sur un sureau. Et
là, « ayant lu quelques conjurations dans un livre de magie, il
troubla le sens de l'entendement des Aspois, en telle sorte qu'ils
furent mis hors de défense par la force des enchantemens et
demeurèrent exposés à la discrétion de leurs ennemis... qui les
tuèrent tous de sang-froid... ». Pour les punir de leur cruauté et
de leur obstination à ne pas réparer leur injure, le pape lança
un interdit sur la terre de Lavedan, qui fut suivi d'une telle
malédiction que l'humeur végétante et séminale fut desséchée
1. Far général, rubr. XVII (des Ossalois), art. 33.
2. Picqué, Voyage aux Pyrénées françaises, 3e édition. Paris, 1829, p. 220.
3. Bulletin pyrénéen, 1904-1905, p. 522-523. L'histoire légendaire de ce com-
bat, lies répandue dans la vallée d'Aure, parait n'être qu'une ingénieuse com-
position de date récente.
4. Marca. Histoire de Béarn. p. 252 et suiv.
UNE FEDERATION PYRENEENNE SOCS L'ANCIEN REGIME. /
en toute la terre, que les herbes et les arbres cessèrent de fleurir
et de fructifier, les brebis et les juments de porter leur fruit et
les femmes d'engendrer. Gela dura six ans. Les hommes du
Lavedan envoyèrent alors deux prud'hommes en cour de Rome
pour demander l'absolution de l'interdit. Le pape la leur accorda.
Mais il les força à conclure avec les Aspois une paix perpétuelle
et à leur payer annuellement et à perpétuité la somme de trente
sols morlaas. C'est là l'origine du fameux tribut des médailles
que les Labédanais ont acquitté jusqu'en 1789.
Mais ces arbitrages étaient encore insuffisants. C'est alors que
les montagnards s'efforcèrent de prévenir les conflits en con-
cluant des accords destinés à régler pacifiquement les différends
qui pourraient se produire.
Les vallées, ne l'oublions pas, étaient indépendantes. Même
engagées dans les États montagnards, même très longtemps
après que ceux-ci eurent disparu au profit des Etats de la
plaine, elles conservèrent le plein exercice de leur souveraineté.
Non seulement elles pouvaient posséder en toute propriété la
terre, exploiter librement les pâturages, les forêts, les eaux et
les carrières, mais elles exerçaient à peu près librement tous les
droits régaliens. Elles ne payaient pas les redevances féodales,
car, en montagne, tout le monde était libre et les communautés
étaient personnes nobles. Le service militaire, qu'elles devaient
en cette qualité et qui était à peu près leur seule obligation, était
entouré de nombreuses garanties. Ainsi les gens d'Ossau ne
devaient prendre les armes que trois fois par an, et seulement
après que le vicomte avait exposé ses griefs dans une assemblée
spécialement convoquée à cet effet. Ceux de Barèges ne devaient
l'ost que dans des cas très nettement spécifiés, en cas d'invasion,
par exemple. Encore n'étaient-ils tenus d'aller que jusqu'à une
limite fixée par le for et avaient-ils le privilège de marcher à
l'avant-garde et, dans la bataille, autour du drapeau. Les mêmes
garanties entouraient l'exercice de la justice : les hommes de
Barèges ne pouvaient être jugés que par la cour de Barèges.
Ossau était lieu d'asile, et tout fugitif pouvait y vivre sans crainte.
Ainsi chaque vallée était comme une terre libre, où le suzerain
n'était plus tout à fait chez lui. Dans le pays d'Aspe, le
vicomte n'entrait jamais sans exiger deux otages, qui répon-
daient de sa sécurité personnelle. Il s'avançait à cheval jusqu'à
un ruisseau nommé le Loo. Et là, placé au milieu du courant, il
H. CAVAILLES.
recevait les hommages des Aspois et se faisait livrer leurs otages.
Indépendantes et quasi-souveraines, les vallées étaient comme
de petites nations. Chacune d'elles formait une personne morale,
un corps constitué et complet ou, comme on disait au moyen âge,
une université. Naturellement, elle se gouvernait elle-même.
L'autorité suprême appartenait au peuple des habitants, des « voi-
sins » investis d'une sorte de bourgeoisie rustique. Sur convoca-
tion des magistrats, ils se réunissaient en assemblée générale au
chef-lieu de la vallée, ceux de Barèges à Luz, ceux de Cauterets
dans le cloître de Saint-Savin, ceux d'Ossau dans le « Sagrary » 1
de l'église de Bielle. Seuls les Aspois se réunissaient à l'écart de
toute localité, au centre même du pays, sur un plateau dominant
le gave, à l'ombre d'un groupe de tilleuls séculaires qui avait
fait donner à ce lieu le nom de Tilhabé. C'était donc le peuple
tout entier qui formait l'assemblée souveraine de la vallée, et,
comme on disait en Azun, « la cort de parlament ». Il y avait
là une véritable organisation républicaine. Et c'était bien une
« république » que voulait être le petit Etat de Saint-Savin.
Ossau, Aspe et Barétous étaient aussi des républiques : bien
plus tard, au xvne siècle, elles le rappelleront encore dans leurs
déclarations générales2.
Véritables seigneuries collectives, les vallées exercèrent à
peu près tous les droits régaliens : guerre, justice, impôts, droits
de légiférer et de posséder en toute propriété, sans omettre le
droit de conclure des traités. Jusqu'au xvie siècle, elles en
jouirent à peu près sans limitation. A partir de cette époque,
l'action de la monarchie se fit sentir de façon effective pour s'affir-
mer décidément avec les progrès de l'absolutisme et sous le règne
des intendants. Mais, même alors, elle resta précaire et vague.
Et jusqu'à la Révolution, les vallées conservèrent, sous forme de
franchises, de coutumes ou de privilèges, une grande partie de
leurs anciennes libertés. Ainsi en fut-il du plus singulier et du
plus excessif de ces privilèges : celui de conclure des traités
avec l'étranger.
Ce sont ces traités qui font l'objet de notre étude.
1. Le « Sagrary » (sacrarium) était une salle voûtée située au-dessus de la
sacristie de l'église Saint-Vivien de Bielle.
2. Il reste des vestiges de cette ancienne organisation dans les assemblées
syndicales des vallées.
UNE FEDERATION PYRENEENNE SOUS L ANCIEN REGIME. 'J
II.
Origine des traités de lies et de passeries.
Les premières conventions entre vallées.
On désigne communément sous le nom de lies et de passeries
les traités conclus entre vallées françaises et vallées espagnoles
et rigoureusement observés pendant trois siècles de notre histoire,
jusqu'à la fin de l'ancien régime. Ce sont ces grandes conventions
qui ont attiré l'attention des historiens et que citent parfois les
ouvrages relatifs aux Pyrénées. Mais leur origine est restée très
obscure et leur caractère mal défini parce qu'on n'a pas songé à
les comparer entre elles. En réalité, il y a dans leur histoire deux
périodes parfaitement distinctes : la première qui embrasse toute
l'époque féodale et s'étend jusqu'à la fin du xve siècle ; — la
seconde qui comprend les xvie, xvne et xvme siècles. L'étude
de la première, par laquelle nous commencerons naturellement,
va nous expliquer l'origine et nous permettre de comprendre le
caractère des actes conclus pendant la seconde, la plus inté-
ressante. Mais il nous faut au préalable préciser la situation
respective des vallées à l'époque où ces premières conventions
furent conclues.
Il n'y avait pas alors de royaume d'Espagne ; et le royaume de
France n'était qu'une juxtaposition d'États féodaux en fait indé-
pendants. Alors les Pyrénées n'étaient pas une limite politique,
car l'idée qu'une chaîne de montagnes doit être une barrière
entre deux peuples ne s'est imposée qu'assez tard. Les montagnes
unissaient les hommes bien plus qu'elles ne les séparaient. La vie
intérieure dont elles étaient le cadre faisait d'elles des régions de
grande unité. Et cette unité avait tout naturellement trouvé son
expression dans de vastes États établis sur les deux penchants
de la montagne. Il en fut ainsi dans les Alpes. Il en fut de même
dans les Pyrénées, bien que les vallées y fussent moins larges et
sans doute moins peuplées et que les communications y fussent
plus difficiles de l'un à l'autre versant. Comme le Dauphiné, la
Savoie, les Cantons suisses ou les domaines autrichiens dans les
Alpes, les Etats pyrénéens de Catalogne, d'Aragon et de Navarre
réunirent sous une même loi des populations séparées en appa-
rence par de puissantes chaînes. Au xme siècle, la juridiction des
10 H. C A VAILLES.
comtes de Toulouse s'étendait encore sur la Catalogne, tandis
que le roi d'Aragon se prétendait suzerain des comtes de Foix et
des vicomtes de Béarn, et que les seigneurs des Quatre- Vallées
se trouvaient apparentés à leur maison. A la même époque, et
bien au delà du xnic siècle, le roi de Navarre régnait à la ibis sur
les bords de l'Ebre et sur les eaux tributaires de l'Adour. Alors
les limites des États pyrénéens suivaient le pied des monts au lieu
d'être dessinées par les crêtes.
Ainsi réunies sous une même domination, les vallées ne virent
pas se dresser entre elles ces obstacles qui naissent des pré-
tentions rivales des États. Et comme, d'autre part, elles étaient
à peu près complètement indépendantes, elles purent librement
échanger, combattre ou négocier. Les traités qu'elles conclurent
se ressemblèrent tous parce que les vallées qui les contractaient
se trouvaient toutes, les unes vis-à-vis des autres, dans les mêmes
rapports réciproques. Et voilà le caractère essentiel des accords
conclus à l'époque féodale : les traités entre Français et Espagnols
(en supposant que l'on puisse dès cette époque employer ces
deux appellations) ne se distinguent en rien de ceux qui furent
conclus par des Français entre eux ou par des Espagnols entre
eux. Et nous pouvons les étudier ensemble.
D'abord, ils sont les uns et les autres de la même époque. Il
est vrai, les textes les plus anciens qui nous soient parvenus des
traités entres vallées françaises et espagnoles ( Saint-Savin-Pan -
ticosa1, Ossau-Tena2, Vicdessos- Ferrera3, Barétous-Roncal4,
Barèges-Bielsa5, Barèges-Broto u) ne remontent pas au delà du
xive siècle, alors que nous connaissons par des textes du
xnIJ siècle plusieurs accords conclus entre des vallées de même
versant (Bagnères-de-Bigorre et le Lavedan7, Bagnères-de-
Bigorre, Tarbes et Ibos8, Ossau et Barèges9, Aspe et Os-
1. 1314. Arch. des Hautes-Pyrénées, E 897.
2. 1328. Arch. de la vallée d'Ossau, Cartulaire de la vallée (Livre rouge),
AA1, fol. 5; cf. Ibid., DD63.
3. 1355. Arch. municipales de Vicdessos.
4. 1375. Arch. des Basses-Pyrénées, E2186.
5. 1384. Bourdette, Annales du Labéda, t. II, p. 531-533.
6. 1390. Ibid., t. II, p. 125-128. D'après Davezac-Macaya (Essais historiques
sur la Bigarre, Bagnères, 1823, t. II, p. 76), il y aurait eu un traité de paix
entre Barèges et Broto dès 1319.
7. 1171-1175. Davezac-Macaya, ourr. cité, t. I, p. 246.
8. 1294. Arch. de Bagnères-de-Bigorre. Publ. par Dejeanne, Revue de lin-
guistique et de philologie comparée, 1883, t. XVI, p. 163.
9. 1258. Arch. des Hautes-Pyrénées, F 20, fol. 65-67.
I NE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOCS L'ANCIEN RÉGIME. 1 1
sau1). Mais cette différence de date est tout apparente, car nous
savons, à n'en pas douter, que les documents franco-espagnols du
xive siècle avaient eux-mêmes été précédés d'autres accords beau-
coup plus anciens. Le traité de 1328 entre les hommes d'Ossau
et ceux de Tena cite « la carte de la patz antica. » Et dans le
rafraîchissement de 1646 de ce même acte, il est fait mention
« d'un autre si vieux et si antique que l'on a perdu tout souvenir
de son origine2 » . D'autre part, certaines dispositions de ces mêmes
pactes, comme le tarif des compositions, remontent bien au delà
du xivc siècle et permettent de leur attribuer une date certai-
nement plus ancienne3. De tous ces faits, on doit conclure que
les traités franco-espagnols sont contemporains des premières
conventions conclues entre vallées de même versant, que les
uns et les autres ont été vraisemblablement rédigés au xnc siècle
et qu'ils ont été certainement précédés d'accords beaucoup plus
anciens qui étaient de simples ententes verbales.
Les deux groupes de traités étaient donc de même date. Ils
ont eu aussi le même caractère et le même objet. Une étude rapide
va nous permettre de constater qu'ils sont essentiellement des
conventions pastorales, des traités d'abornements, de compas-
cuité et de voisinage sans aucun caractère politique. En voici
les principales dispositions.
D'abord les traités proclament la paix, une paix perpétuelle,
placée sous la garantie unique de la foi jurée et des châtiments
que Dieu réserve aux traîtres. La paix des hommes d'Ossau avec
ceux de Tena4 est solennellement jurée sur les saints Evangiles
et sur la vraie croix « corporellement touchés ». La paix de
Barèges avec Broto5 est conclue pour cent un ans. Celui qui
l'aura violée sera réputé faux et traître. La paix d'Ossau sera
perpétuelle.
Ces traités de paix sont aussi des conventions d'abornements très
1. 1187 et 1225. Arch. de la vallée d'Ossau, AA 1 {Livre rouge), fol. 20. —
1270. Arch. des Basses-Pyrénées, E 2334.
2. « Se Lan mention de otra tan vieja y antigua que no hay délia memoria
ni de su principio. » Arch. de la vallée d'Ossau, DD74.
3. Voir les tarifs de compositions des traités de Saint-Savin avec Panticosa
et d'Ossau avec Tena. Le dernier est à peu près identique au tarif contenu
dans le For de Morlaas et dans le For général de Béarn, rédigés le premier
en 1220, le second en 1288, mais beaucoup plus anciens eux-mêmes, probable-
ment de la lin du xr siècle.
4. 1328, art. 1. Arch. de la vallée d'Ossau, DD 63.
5. 1390. Dans Bourdette, Annales du Labéda, t. II, p. 127.
12 H. CAVAILLÈS.
minutieux qui fixent les limites des pâturages respectifs, décrivent
le terrain, énumèrent les rochers marqués et les bornes sépara-
tives. « Nous, arbitres, dit l'accord de Barétous avec Roncal1,
avons signalé et croisé, en creusant au bas de la dite pierre Saint-
Martin et par les côtés, sur lesquels il a été fait diverses croix
incisées au marteau et ciseau sur pierre ferme. Et de là, il a été
fait diverses croix et signaux jusqu'à la première colline d'où
l'on voit la plaine... » D'autres fixent delà même manière les
limites des pâturages communs2.
Ils règlent l'usage des herbes, des eaux et des bois, le passage
du bétail d'un pâturage dans un autre, dans le cas où il doit
emprunter un territoire étranger. Le traité de 1297 entre Tarbes
et Ibos établit les limites que le bétail malade ne pourra dépas-
ser, les points où il pourra boire, les routes qu'il devra suivre.
Plus curieux et à coup sûr plus connu est l'accord conclu en
1375 entre les Navarrais de la vallée de Roncal et les Béarnais
de Barétous. Sur leur commune frontière, les pâtres des deux
pays avaient longtemps bataillé, car, le territoire béarnais
manquant de sources pour les troupeaux, les bergers de ce
côté-là de la frontière tenaient à mener leurs bêtes sur les pâtu-
rages navarrais où ils savaient trouver de l'eau, et leurs voisins
prétendaient les en empêcher. Après d'innombrables rencontres,
les deux parties décidèrent de se soumettre à un arbitrage, et la
décision des arbitres, acceptée des deux côtés, devint le traité
de 1375. Il reconnaissait aux Béarnais le droit de mener leurs
bêtes en Navarre, mais les astreignait à certaines obligations.
« Les habitants du lieu d'Arette, dit-il, pourront entrer avant et
premièrement pour le présent et l'avenir avec leurs troupeaux
et bestiaux, grands et petits, soit. des leurs propres, soit avec
ceux qu'ils ont accoutumé d'y mener des habitants de la vallée de
Barétous, dans le territoire et terme du port du milieu conten-
tieux, depuis le jour et fête des sept martyrs et non avant, pour
y pacager pendant vingt-huit jours durant et ensuivant, de les
abreuver aux dites fontaines, franchement et librement, à la
charge de ne pouvoir parquer ni gîter de nuit dans ledit port
contentieux...3. » En compensation, et sans doute pour marquer
1. 1375. Arch. des Basses-Pyrénées, E2186. Voir le compromis de 1425 entre
Saint-Savin et Panticosa (Arch. des Hautes-Pyrénées, E 897).
2. Barèges-Broto, 1390.
3. Traité de 1375. Trad. Marque, Roncal et Barétous. La Junte, dans le
Glaneur d'Oloron, 26 juin, 3, 10 et 17 juillet 1897.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN REGIME. 13
qu'ils n'avaient sur le versant navarrais qu'un simple droit
d'usage, les Béarnais s'engageaient à fournir un tribut annuel
de « trois vaches génisses de l'âge de deux ans ». Telle est l'ori-
gine de ce singulier usage qui s'est conservé jusqu'à nous. Le
tribut des trois vaches n'est, en somme, que le prix de location
des herbes et des eaux, le simple loyer du territoire dont le
traité reconnaissait l'usage aux Béarnais1.
Les vallées défendaient avec une extrême énergie leur droit
exclusif à exploiter elles-mêmes leurs pâturages. Tout animal
étranger surpris à pacager sur leurs terres était impitoyablement
saisi, en vertu du droit de carnal ou camau, une des formes du
droit de pignore et, à vrai dire, la plus usitée. Le droit de car-
naler les animaux qui broutaient indûment les herbes de la
vallée ou buvaient ses eaux était un droit fondamental dont les
traités s'appliquent à mettre le principe hors de contestation.
« Voulons, ordonnons et arrêtons... qu'il y ait droit de pignore
pour toujours entre les habitants de Quinon de Panticosa et ceux
du Lavedan. » Et pour mieux établir ce droit et le défendre
contre toute atteinte, le même traité ajoute que tout particulier
convaincu d'avoir enlevé une pignore par la force ou de s'être
révolté contre ceux qui la font légitimement sera arrêté, jugé
comme voleur manifeste et pendu par le pied'2.
Les contractants avaient d'excellentes raisons pour insister
sur le droit de carnal et le maintenir jalousement. D'abord, ils
avaient une raison juridique, l'usage de confisquer les bêtes
étrangères étant comme une affirmation du droit de propriété
supérieure de la vallée sur les herbages où les animaux avaient
été surpris. Mais nous croyons qu'il y avait autre chose. Les
montagnards savaient que, faute de l'établir clairement et de le
réglementer, la vallée s'exposait à toutes sortes de dangers : en
vertu du droit de marque ou de représailles3 qui, longtemps,
avait été la seule règle des rapports entre habitants des vallées,
un créancier ou simplement un homme qui se croyait lésé dans
ses intérêts était autorisé à se dédommager non seulement sur
son débiteur, mais sur les « voisins » de celui-ci et sur tous ceux
de son quartier ou de sa vallée. Si le droit de carnaler les ani-
1. Voir, plus loin, en. iv et vi.
2. Saint-Savin-Panticosa (1314).
3. On verra plus loin quel usage les gouvernements ont fait du droit de
représailles en délivrant des lettres de marque.
14 H. CA VAILLES.
maux étrangers avait été laissé à l'initiative de chaque particu-
lier, il en aurait été naturellement fait abus, ce qui aurait amené
des représailles de la part de la vallée lésée sur celle où la bote
aurait été carnalée. C'est pour éviter ces excès que les vallées
s'entendent et réglementent la pratique des pignores. Elles
s'engagent à ne pas pignorer le bétail perdu, si la bonne foi du
propriétaire est démontrée1, à ne pas prendre une bête portant
sonnette, à prévenir dans les trois jours le propriétaire de l'ani-
mal confisqué. Elles décident que certains lieux, des chemins
ou des abris, seront hors des atteintes des carnaleurs2. Elles
remplacent parfois la saisie directe du bétail par un droit en
argent fixé à l'avance et uniforme3. Enfin elles arrêtent que nul
ne pourra pignorer s'il n'y est autorisé par toutes les communes
de son parti4. Voilà la précaution essentielle : pour éviter les
abus du droit de pignore, chaque vallée se charge de l'exercer
elle-même. A l'initiative des individus, elle substitue sa propre
responsabilité.
Les dispositions qui précèdent sont propres à prévenir les
conflits. D'autres sont destinées à punir les attentats contre la
propriété et contre les personnes.
Les voleurs de bétail sont très sévèrement traités, chose toute
naturelle dans une société qui vit surtout de l'élevage5. Quant
aux personnes, elles sont protégées par des tarifs de com-
positions que l'on retrouve dans tous les traités". Chacun d'eux
fixe les sommes à payer, en cas de violences, aux victimes ou à
leurs familles. L'accord des hommes d'Ossau avec leurs voisins
1. Ossau-Tena (1328), art. 17.
2. Ibid., art. 19; Barèges-Broto (1390).
3. Ossau-Tena; Barèges-Broto.
4. Saint-Savin-Panticosa (1314).
5. Le vol d'une vache entraîne une amende de vingt-cinq sous morlaas ; d'un
cheval, trente sous; d'un âne vingt sous; d'un mouton trois sous (Ossau-Tena,
1328). Si le voleur s'est emparé de toute une cabane de gros ou de menu bétail,
il paiera neuf cents sous morlaas (ibid.). Les traités entre Ossau et Aspe (1270),
entre Saint-Savin et Panticosa (1314) contiennent, à peu de chose près, les mêmes
dispositions.
6. Les tarifs de compositions étaient très fréquents dans les chartes d'affran-
chissement du xtr siècle. Ils tendaient surtout à empêcher le seigneur d'em-
ployer son droit de justice à tirer de l'argent des habitants. C'est le cas pour
les Fors de Béarn (Fors de Béarn, éd. Mazure ; For général, XLIX, art. 158,
159, 160; LI, 163-165; LU, 178, 179; For de Morlaas, XXIV, 36, etc.). Les
traités ont adopté ce régime qu'ils jugeaient utile au maintien de la paix.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN RÉGIME. 15
de Tena (1328) fixe à 900 sous morlaas le prix d'un meurtre ; à
450 sous celui d'un membre perdu, main, pied, œil ou nez; à
100 sous une « plaie majeure » ou une dent; à quarante sous,
la valeur d'un coup de bâton1. Divers articles indiquent les
moyens de faire la preuve, les dates auxquelles auront lieu les
paiements, la procédure à suivre, ênumèrent les parents qui
pourront prétendre à la composition en cas de mort de la vic-
time2. Tout cela était encore très barbare, mais valait mieux
sans aucun doute que la guerre quotidienne de vallée à vallée.
Enfin, pour l'application de ces mesures, les traités déter-
minent et fixent les rapports des habitants de chacune des deux
vallées avec la vallée alliée. Les habitants unis par la paix
(jiatzers) doivent s'aider mutuellement, et celui qui refusera son
aide à un plaignant encourra une amende, sauf dans le cas de
raison majeure3. Vis-à-vis de l'allié, les hommes d'une même
vallée doivent partager les mêmes responsabilités : « Si un ou des
Barégeois se rendent coupables de meurtre, de pillerie, d'in-
cendie..., etc., envers un Bielsois, le dommage sera réparé par
les coupables suivant l'estime qui en sera faite par six hommes
élus, trois parmi les Barégeois, trois parmi les Bielsois. En cas
d'insuffisance de leurs biens, la vallée de Barèges en corps fera
le manquant4. » Deux articles du traité de 1328 entre Ossau et
Tena établissent avec une remarquable netteté la gradation des
responsabilités : l'homme; les vesis (voisins, « bourgeois » du
même lieu) ; le vicq (béarnais) ou quinhon (aragonais), quartier
d'une même vallée; la vallée entière (tota la val)h. Enfin les
traités garantissent la sécurité et les biens des habitants du
pays allié de passage dans l'autre pays. Les habitants de chaque
vallée pourront donc en toute sécurité circuler, aller et revenir
dans toute l'étendue de la vallée voisine''.
Des articles spéciaux garantissaient tout particulièrement la
sécurité des hôpitaux de montagnes. Ces hôpitaux étaient alors
fort nombreux, car les Pyrénées étaient pays de passage. Les
1. Ossau-Teîïa (1328); Saint-Saviii-Panticosa (1314); Bagnères-de-Bigorre-
Barèges (1171-1175), etc.
2. Ossau-Aspe (1187).
3. Traité d'Ossau avec Tena (1328), art. 21; traité de 1187-1225 (Ossau-
Aspe).
4. 1384, art. 7.
5. Art. 8 et 2G.
6. 1384, art. 9. Tarbes-Bagnères-Ibos (1294).
16 H. CAVAILLÈS.
ports de la montagne étaient très fréquentés, bien plus qu'ils ne
le sont aujourd'hui. Marchands qui, de France, allaient vers les
pays chrétiens ou musulmans de l'Espagne; soldats, coureurs
d'aventures et chevaliers, allant porter aux croisés d'outre-monts
le secours de leur épée, leurs énergies et aussi leurs folles ambi-
tions; pèlerins enfin, très nombreux, attirés par les mérites de
Saint-Jacques de Compostelle, tous franchissaient les cols des
Pyrénées, surtout ceux du Béarn et de la Basse-Navarre, d'accès
plus facile. Pour secourir les voyageurs, des moines d'ordres
divers, des Hospitaliers le plus souvent, y installèrent des hôpi-
taux. Ainsi fut fondé l'hôpital de Saint-Jean de Gavarnie, au
pied du port qui mène à Torla 1 . Ailleurs se développèrent d'autres
établissements étrangers à l'ordre de Saint-Jean et, pour la plu-
part, beaucoup plus anciens. Le plus fameux de ceux-là fut l'hô-
pital de Sainte-Christine, fondé vers 1108 par Gaston IV, vicomte
de Béarn, sur le versant méridional du Somport, à l'entrée du
royaume d'Aragon. Cet établissement, très richement doté par
les souverains de Béarn, les rois d'Aragon, de Hongrie et de
Bohême, et par nombre de seigneurs espagnols et français,
devint un des plus florissants de la chrétienté et détacha plusieurs
maisons en Béarn2 et en Basse-Navarre. Tous ces établissements
furent placés sous la sauvegarde des traités. La convention de
la vallée d'Aspe avec la vallée d'Ossau déclare que l'hôpital de
Sainte-Christine est mis, avec toutes ses dépendances, ses
moines, ses serviteurs, ses hôtes et tous les objets qu'il possède,
sous la protection des contractants3.
Enfin, les vallées désignent des agents publics chargés de
veiller à l'exécution des pactes. Ces agents, que nous pourrions
appeler les « répondants de la paix », sont mentionnés dans plu-
sieurs traités4. Ils étaient choisis par chaque vallée dans la
vallée alliée et parmi ses habitants, à raison de un de chaque
côté. Il pouvait y en avoir deux5. Ces « juges champêtres »
1. A. du Bourg {Histoire du grand prieuré de Toulouse de l'ordre de
Malte, 1883) donne la liste des établissements hospitaliers. Cf. Casteran, art.
cité, p. 8, note 1.
2. Gabas, entre autres.
3. 1187-1225.
4. Ils sont désignés par les noms de fidance besiau (Aspe-Ossau, 1187-1225),
fidancia vicinalis (ibid., 1270), juge champêtre (trad. du traité de Saint-Savin-
Panticosa, 1314), fermaza patzera ou franca patzera (Ossau-Tena, 1328).
5. Par exemple Aspe-Ossau (1187-1225).
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS i/ANCIEN RÉGIME. 17
étaient chargés de surveiller les pâturages, de trancher les con-
flits, de faire des saisies, de prononcer des amendes. Ils étaient
armés. Chacun était tenu de leur obéir; des peines et des
amendes étaient portées contre ceux qui contrevenaient à leurs
ordres ou leur imposaient des déplacements inutiles. Le meur-
trier d'un répondant de la paix devait payer une composition
double de la composition ordinaire. A côté de ces agents, les
traités mentionnent les arbitres, les experts1 et témoins2 et en
réglementent les fonctions.
Grâce à la conclusion des traités, les conflits devinrent d'assez
bonne heure beaucoup plus rares et surtout moins graves. Il
n'y eut pas, sur les sommets les plus inaccessibles, un rocher,
un brin d'herbe, un mince filet d'eau qui ne fussent attribués à
l'une ou à l'autre des vallées, et dont l'usage ne fût parfaitement
réglementé. Et les autres différends qui pouvaient naître entre
les montagnards étaient pour la plupart prévus et recevaient une
solution satisfaisante. Ainsi, d'un bout à l'autre et sur les deux
versants de la chaîne, il y eut une infinité de conventions et
d'ententes, cartas de pax ou patzariâs3, patzerias^, cartas
de la patzb, carta qua continetur paœQ, concordats et
partages1. Ce sont de frustes arrangements, maladroits et
naïfs, de rudes traités pleins de longueurs, de répétitions et d'obs-
curités. Mais ces informes monuments d'un âge de violence
nous intéressent parce qu'ils marquent un effort d'organisation
et qu'ils sont un recours émouvant du droit contre la force.
Chaque vallée avec chaque vallée a traité, et ainsi toutes se sont
prémunies contre les conflits qui pouvaient naître de leur voi-
sinage, de leurs intérêts rivaux, des mœurs batailleuses du
temps où l'on vivait.
En dépit de quelques variantes inévitables, tous ces traités se
ressemblent. Il n'y a aucune différence entre ceux qui unissent
des vallées de même versant et ceux qui unissent des vallées
opposées. Nous dirons plus : les traités pyrénéens de l'époque
1. Barèges-Bielsa (1384), art. 6, 7.
2. Ossau-Tena (1328), art. G, 7.
3. Ossau-Tena.
4. Barétous-Roncal.
5. Ossau-Aspe.
6. Bagnères-de-Bigorre et Barèges.
7. Arch. d'Ossau, DD 75.
REV. HlSTOR. CV. 1er FASC.
18 H. CAVAILLES.
féodale ressemblent à beaucoup de conventions conclues par des
communautés alpestres et autres populations montagnardes. Ils
présentent même d'incontestables analogies et une étroite
parenté avec les traités adoptés un peu partout par les paroisses
du plat pays soit spontanément, soit sous l'influence de l'Eglise1.
L'association, le serment2, les garanties étendues aux animaux
et aux granges, la protection spéciale assurée aux hôpitaux et
aux monastères, les peines prononcées contre les infracteurs de
la paix sont autant de traits communs. Les premiers traités
pyrénéens sont des conventions pastorales et ont été librement
conclus par des communautés souveraines. Et par ces deux
traits, ils se distinguent de la plupart des traités similaires et
contemporains. Mais, pour tout le reste, ils ne présentent avec
ceux-là aucune différence fondamentale. Ils répondent aux
mêmes besoins et ont le même objet : la paix. Et l'on peut ainsi
les considérer les uns et les autres comme des institutions
analogues.
Nous nous proposons de montrer que des circonstances pure-
ment historiques allaient, de plusieurs de ces traités pyrénéens,
faire sortir des actes très différents : les grands traités de lies et
de passeries des xvie, xvne et xvnr3 siècles.
III.
Transformation des conventions pastorales
en traités politiques.
Un grand changement s'accomplit un jour dans la situation
des vallées. En 1173, les Béarnais refusèrent de reconnaître
l'acte d'hommage par lequel la vicomtesse Marie avait placé ses
domaines sous la suzeraineté de l' Aragon, et l'avènement de la
maison de Moncade consacra l'état de souveraineté de leur
petit pays. Un siècle plus tard (1292), la Bigorre, que tant de
liens unissaient au Béarn, était placée par ordre de Philippe IV
1. Voir dans Sémichon, la Paix et la Trêve de Dieu (2 vol. in-16, Paris,
1869), la constitution de la Paix et de la Trêve de Toulouges, t. I, p. 63, de
Clermont, 139, et passim.
2. Les associés pouvaient être appelés à jurer la paix depuis l'âge de qua-
torze ans {Ibid., t. II, p. 39). Le traité de Barèges-Bielsa de 1384 impose ce
serment dès l'âge de douze ans.
UNE FEDERATION PYRENEENNE SOUS L'ANCIEN REGIME. 19
le Bel sous le séquestre royal. Enfin, en 1258, le traité de Gor-
beil faisait, pour la première fois, des Pyrénées la limite entre
les deux royaumes de France et d'Aragon : tandis que le comté
de Barcelone devenait définitivement espagnol, le comté de Foix
restait français, et l' Aragon abandonnait pour toujours ses pré-
tentions sur la région placée au nord du Roussillon.
Ainsi s'effaçait l'ancien enchevêtrement des frontières; les
deux versants des Pyrénées s'apprêtaient à suivre des destinées
différentes. Seule, la vallée d'Aran, restée espagnole, demeurait
comme un témoin de la confusion passée. De l'Atlantique au
Roussillon, la crête des montagnes séparait désormais deux
Etats distincts, organismes plus robustes, mieux armés et plus
exigeants que les anciens Etats montagnards. Prenant leur
force et leur point d'appui dans les plaines voisines, ils étaient
dès leur naissance des étrangers l'un pour l'autre; ils seront
bientôt des rivaux et des ennemis. Tel est le fait initial qui, entre
les traités, établit un double classement : les uns restèrent de
simples conventions pastorales; les autres, de très bonne heure,
acquirent tous les caractères de véritables traités internationaux.
Les vallées d'un même versant continuant à vivre d'une vie
commune, rien ne fut changé dans leur situation respective.
Aussi les conventions qui les unissaient conservèrent-elles tous
leurs caractères primitifs, qui étaient d'être avant tout des
conventions pastorales. Elles allèrent même en se simplifiant.
Les clauses relatives à la répression des crimes, les tarifs de com-
positions disparurent peu à peu. Et les traités ainsi allégés ne
furent plus que de simples actes d'abornements, de dépaissance
et de compascuité. Ceux-là, il est impossible de les compter dans
nos dépôts d'archives. Très nombreux, ils règlent encore et main-
tiennent de très anciens droits, alimentent maints procès entre
des vallées ou des communes1. De ces conventions, nous n'au-
rons pas à nous occuper plus longuement.
Les traités conclus entre des vallées de versants opposés
devinrent des conventions de caractère international. Cette trans-
1. Les archives des Basses-Pyrénées conservent d'innombrables conventions
entre la vallée d'Ossau et la vallée d'Aspe; entre la vallée d'Ossau et la ville
de Pau ou l'évêque de Lescar. Les traités de 1187 et de 1270, cités plus haut,
contiennent des tarifs de compositions. Les conventions plus récentes n'en
contiennent plus. — Voir aussi dans Bourdette [le Labéda, p. 231-247) le
traité conclu entre Arcizas-Daban et Arras.
20 H. CAVAILLÈS.
formation, qui fut très lente et mit deux siècles à s'achever,
s'accomplit par l'adjonction aux anciens pactes de dispositions
nouvelles qui en changèrent profondément le sens. La vallée de
Vicdessos, dans le pays de Foix, avait obtenu en 1293 du comte
Roger Bernard la faculté de commercer et de traiter librement
avec les Catalans du val de Ferrera et du comté de Paillas.
Lorsque, en 1355, les deux vallées renouvelèrent leurs anciens
accords, elles eurent grand soin d'y insérer formellement ce
droit essentiel. Les gens de Barèges et de Broto l'inscrivirent de
leur côté dans leur concorde, conclue en 1390. Nous ignorons
s'il en fut de même dans les vallées des Pyrénées centrales,
puisque nous n'avons pas conservé dans sa forme primitive le
traité qu'elles devaient conclure plus tard, mais la chose est des
plus vraisemblables, car nous savons que le Comminges obtint à
son tour, en 1315, du comte Bernard VII la liberté de commer-
cer avec les Espagnols, même en temps de guerre. Ces disposi-
tions sont significatives. Si les habitants des vallées sentent le
besoin d'affirmer leur droit d'échanger librement leurs produits,
c'est que ce droit est menacé. C'est, en effet, au xive siècle
qu'ont paru les premières traites à l'entrée et à la sortie des mar-
chandises, conséquence des charges grandissantes de la monar-
chie. Contre ce grave danger, les montagnards se prémunissent
mutuellement. Et il n'est pas indifférent de remarquer que ces
précautions apparaissent au lendemain même du jour où les vicis-
situdes de l'histoire ont rattaché les vallées à des Etats différents.
Presque simultanément paraît une autre innovation. Le traité
de 1384 entre les vallées de Barèges et de Bielsa envisageait la
possibilité d'une guerre entre l' Aragon et l'Angleterre. Dans ce
cas, les deux vallées, comprenant qu'il leur serait difficile de
maintenir leurs bons rapports, s'engagèrent à se donner mutuel-
lement un délai en cas de rupture1. Cette précaution ne fut pas
inscrite encore dans la passerie béarnaise de 1328, mais nous
savons que les communautés agirent absolument comme si
l'état de guerre n'eût pas existé dans leur voisinage. Les trois
vallées d'Ossau, d'Aspe et de Barétous réussirent à observer la
plus stricte neutralité pendant toute la durée de la guerre de
Cent ans et continuèrent à traiter, sans le concours du vicomte,
avec les communautés de Guyenne et de Gascogne pour
1. Art. 5 (Bourdette, Annales du Labéda, t. II, p. 531-533).
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN RÉGIME. 21
avoir le droit de pacage sur leurs terres. Elles traitèrent dans
les mêmes conditions avec les communautés voisines de l' Aragon
et de la Navarre1. Enfin nous savons que les Fueros de la vallée
d'Aran (1309) réservaient expressément aux habitants la faculté
de faire la paix avec leurs voisins sans le consentement du roi'2.
Les exigences fiscales des Etats et les dangers de la guerre
menaçaient la sécurité et l'indépendance des vallées. C'est
contre ce danger qu'elles cherchèrent à se prémunir en contrac-
tant des engagements réciproques. La fixation d'une frontière,
les empiétements du pouvoir central, la guerre de Cent ans
furent le point de départ de cette transformation des traités.
L'évolution s'acheva au xvie siècle. A ce moment, l'unité
triomphait définitivement des deux côtés de la frontière. Au
nord, la France devenait un grand Etat, centralisé, puissam-
ment organisé, avec une armée, une politique, des adversaires.
Au sud, l'union de l' Aragon, de la Castille et de la Haute-
Navarre faisait de l'Espagne une puissance pareillement
redoutable. Enfin, entre ces deux royaumes limitrophes, égale-
ment armés pour la lutte, une guerre éclatait, qui se prolongea
pendant deux siècles. Les motifs de cette guerre, question
italienne, héritage bourguignon, succession espagnole, étaient
indifférents aux populations pyrénéennes. Que leur importait
l'équilibre européen et qu'avaient-elles à faire des guerres de
magnificence?
Il arriva donc ceci. De petits pays indépendants, longtemps
ennemis et rivaux, avaient réussi, par des traités librement con-
clus, à établir entre eux des relations supportables et comme une
loi de la montagne. Tout d'un coup, par l'effet d'une querelle
qui leur est étrangère, ils se sentent menacés d'être une fois de
plus opposés les uns aux autres et pour longtemps encore adver-
saires. Alors ils s'attachent à maintenir les anciens pactes, puis
à les compléter en les adaptant à la situation nouvelle. Ainsi
s'élaborent les traités de lies et de passeries. L'époque qui les a
vus s'achever est la même qui a vu naître la grande diplomatie
européenne.
L'évolution terminée, les nouveaux traités se trouvèrent être
à la fois des accords d'ordre économique destinés à garantir la
1. L. Cadier, les États de Béarn, p. 307.
2. Collection de Fueros y Cartas Pueblas de Espana, por la Real Acade-
mia de Hlsloria, Madrid, 1852. « Aran. »
22 H. CAVAILLE9.
liberté des transactions, et surtout des pactes de garantie contre
les risques de la guerre. C'est le trait essentiel des accords de-
lies et de passeries que leur formation définitive, le terme de
leur évolution, coïncide avec l'apparition des grandes
guerres^. Dans la passerie béarnaise de la lion Galhego, dont
on peut suivre les transformations successives dans les nom-
breux documents conservés aux archives d'Ossau2, on voit, pour
la première fois en 1552, apparaître le nom du roi de France et
la mention des « mouvements de guerre qui sont » entre lui et
le roi d'Aragon, et tout aussitôt s'affirmer l'engagement réci-
proque de s'avertir de toute « assemblée » qui se ferait sur les
terres d'Aragon ou de Béarn. Cet engagement est la marque, le
trait distinctif des passeries. Elles sont avant tout des traités de
« surséance de guerre »3.
En fait, avec ce double caractère, les nouvelles conventions
se différencient profondément des anciennes. Par les premières,
les alliés s'entendaient pour régler pacifiquement les conflits qui
provenaient d'eux-mêmes; par les autres ils se garantissent
contre les risques venus du dehors. Menacées d'être absorbées
dans l'unité générale et de se voir imposer une politique con-
traire à leurs goûts et à leurs besoins, les vallées s'unissent pour
défendre le plus qu'elles peuvent leurs anciennes franchises et
surtout le droit qu'elles ont toujours eu de commercer librement
et de vivre en paix avec leurs voisines. Les premiers accords
avaient été des actes de pariage et des conventions arbitrales.
Les nouveaux sont de véritables traités de garantie et tout au
moins d'alliance défensive.
Enfin une dernière innovation complète le contraste. Pour
mieux défendre leurs biens et leur sécurité, les vallées tendent à
se grouper en manière fédérative sur les points les plus mena-
1. Les dates des rafraîchissements des mêmes pactes coïncident de même
avec les périodes de recrudescence ou de reprise de la guerre : 1513 et 1514,
1552, 1646 et 1648, 1666, 1719, etc.
2. Notamment un petit registre coté DD63. On peut suivre l'histoire de la
grande passerie béarnaise de 1328 jusqu'à sa disparition en passant par le
traité élargi de 1514, c'est-à-dire pendant cinq siècles. De toutes les passeries,
c'est celle qui a le plus complètement échappé à l'attention. C'est cependant
celle dont l'histoire est, à notre sens, la plus utile à connaître pour l'intelli-
gence de la question. Nous n'avons pu retrouver les formes primitives de la
passerie du plan d'Arrem, avant le traité de 1513. On ne connait avant cette
date que la concession de Bernard VII au Comminges.
3. Surcienso ou abslincnso de guerre (traité du plan d'Arrem).
ONE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SODS L'ANCIEN RÉGIME. 23
ces. Au centre, la vallée d'Aran ne peut s'approvisionner qu'en
France. Un commerce actif, de fréquents rapports se sont
établis. Les traites et la guerre y sont plus qu'ailleurs gênants.
A l'ouest, la vallée d'Ossau et la vallée d'Aspe conduisent
toutes deux à des passages très fréquentés. C'est sur ces deux
points que les montagnards font porter leur principal effort. A
quelques mois d'intervalle, deux grandes conventions sont con-
clues. En 1513, les vallées des Pyrénées centrales, Louron,
Larboust, Oueil, Bagnéres, Saint-Béat, Aspet, Castillonnais,
Couserans, Aure, Nestes, Comminges, du côté français; Pail-
las, Villemur, Aran, Ribagorça, Vénasque, Gistain, Bielsa et
toute la conque d'Ourcau, du côté espagnol, renouvelaient
de versant à versant leurs antiques alliances et les faisaient sanc-
tionner par le pouvoir central. C'est la fameuse passerie du
plan d'Arrem1. L'année suivante (1514), les vallées béarnaises
d'Ossau, d'Aspe et de Barétous, les vallées aragonaises de
Tena, Canfranc, Yillanua,... Aragues, Echo, Anso concluaient
un véritable traité d'alliance et de paix2 et obtenaient de leurs
souverains respectifs, en lutte au sujet de la Navarre, que la
guerre fût limitée au seul royaume de Navarre et ne s'étendît
pas aux autres domaines, Aragon et Béarn.
En dehors de ces deux groupes élargis, il y en eut d'autres
plus étroits. De l'ouest à l'est, les vallées renouvelèrent et
rafraîchirent leurs anciens pactes : Cize et Aezcoa en Navarre3,
puis Barétous et Roncal4, Ossau et Tena5, Azun et Tena6,
Barèges et Bielsa7, Aure et Bielsa8, Vicdessos et Ferrera9. Et
ainsi, d'un bout de la chaîne à l'autre, presque toutes les vallées
se trouvèrent liées à leurs voisines du versant opposé par des
pactes et des traités10.
1. Arch. de la Haute-Garonne, E891 (imprimé).
2. Arch. des Basses-Pyrénées, E331.
3. 1556. Arch. des Basses-Pyrénées, E2321.
4. 1642. Arch. municipales d'Arette.
5. 1552 et 1646. Arch. de la vallée d'Ossau, DD 63 et 74.
6. 1719. Texte dans Bourdette, Annales du Labéda, t. III, p. 465-469.
7. 1648. Dans Souvenirs de la Bigorre, t. VIII, p. 61-66.
8. 1718.
9. 1666. Arch. municipales de Vicdessos.
10. Les habitants d'Ordino, dans le val d'Andorre, étaient, de même, unis
par un traité de passerie avec ceux de Siguer et de Miglos dans la vallée de
Vicdessos [Mémoire concernant les privilèges des lies et passeries. Arch. de
l'Ariège).
24 H. CAVAILLÈS.
Telle est l'histoire des traités de lies et de passeries. Entre
eux et les conventions pastorales si nombreuses dans les Pyré-
nées, il n'y a eu, à l'origine, aucune différence. Les uns et les
autres étaient alors en tout point semblables. Mais la formation
des deux grands États monarchiques de France et d'Espagne et
leur hostilité séculaire ont été le point de départ et la cause d'une
évolution qui en a fait de véritables traités politiques internatio-
naux. Au xvi° siècle, la transformation est complète : le régime
des lies et passeries est alors organisé. Il durera autant que la
monarchie absolue, jusqu'à la fin du xvnie siècle.
IV.
Les traités de lies et de passeries (xvie-xvnie siècle).
§ 1 . Comment étaient conclus les traités de lies et de pas-
series. — Les traités de passeries émanaient de l'initiative des
vallées et étaient conclus par elles, indépendamment de toute
intervention du pouvoir central. Les deux communautés con-
tractantes conduisaient librement les négociations qui, entourées
de toutes les garanties désirables, aboutissaient à un traité par-
faitement régulier.
Au xvie, au xvne et au xvme siècle, les cantons montagnards
des Pyrénées subissaient de plus en plus les effets de la centrali-
sation monarchique. Mais leur organisation ancienne subsistait
encore dans ses traits essentiels. Si les assemblées générales
de la vesiau avaient à peu près disparu partout, les petites
assemblées représentatives étaient toujours aussi vivantes.
Chaque village (locq), chaque quartier (vie) avait la sienne. Et
les affaires communes dépendaient d'un conseil composé de
magistrats élus par les différents villages et qui, sous le nom de
consulat ou de jurade, se réunissait au chef-lieu de la vallée.
C'est cette assemblée qui exerçait ce qui subsistait alors des
droits de justice, décidait des entreprises communes, payait les
impôts au roi, administrait les pâturages et les bois, les « mon-
tagnes générales », comme on disait en Ossau. C'est elle qui
menait les négociations avec la vallée voisine et désignait les
ambassadeurs. Ainsi ont fait toutes les communautés, Roncal,
Tena ou Broto en Espagne, comme Barétous, Ossau et Barèges
UNE FEDERATION PYRENEENNE SODS L ANCIEN REGIME. Z.i
en France. Nous prendrons comme exemple les relations entre
la vallée d'Ossau et celle de Terïa, sur lesquelles nous sommes
abondamment renseignés par les documents.
En 1646, les deux pays renouvelèrent le traité qui les unis-
sait. Une revision était depuis longtemps nécessaire, parce que
le vieux traité de 1328, toujours en vigueur, était devenu incom-
préhensible. Beaucoup de ces dispositions étaient inutiles ou
caduques. D'autres, qui s'y étaient à diverses époques surajou-
tées, ne faisaient pas corps avec l'ensemble du document. On
procéda donc au rafraîchissement du traité. Le préambule du
nouvel acte nous dit très exactement comment s'accomplit cette
importante opération.
« Le 6 août 1646, à la source du Galhego et à la frontière et
borne qui sépare le royaume de France du royaume d'Espagne,
se sont rencontrés l'honorable Jean de Claverie , jurât de
Laruns, ... [les honorables jurats de Sainte-Colome, de Bielle, de
Bilhères, de Buzy et d'Arudy] ; le noble Henri d'Espalungue,
écuyer et seigneur dudit lieu et des abbajres de Laruns ' ; ...
maître Jean de Santorens, docteur en droit et avocat au Conseil
de Navarre; Raymond d'Abbadie, abbé d'Yseste, syndic et
notaire public de la vallée d'Ossau, d'une part ; — et les hono-
rables Pedro de Lanuza, habitant du lieu de Salhen, lieutenant
de justice de la vallée de Tena ; ... le licencié Miguel Ysabal,
prébende du Collège impérial et royal de monseigneur Saint-
Jacques, de la cité d'Huesca, professeur de décrétâtes en son
Université et recteur du lieu de Panticosa; ... [un « voisin »
de chacun des lieux de Salhen, Lanuza, Panticosa, Tramacas-
tilla, Escarilla,] ... Miguel Andres Sorrosal, notaire royal, habi-
tant du lieu du Pueyo ; le licencié Mathias Ximenès, recteur
du lieu de Tramacastilla et commissaire du Saint-Office de l'in-
quisition d'Aragon, d'autre part; — tous syndics, députés et
procureurs des dites vallées d'Ossau et de Tena, ainsi qu'il
résulte des pouvoirs suivants... » Cette déclaration est en effet
suivie de la copie des deux pouvoirs. L'un a été remis aux dépu-
tés d'Ossau par la jurade réunie à Bielle au lieu ordinaire de ses
séances le 25 juillet ; l'autre a été donné aux députés de Tena
par la junte de la dite vallée, réunie au Pueyo, le 26 du même
mois, à la « casa de la Val de Tena », et suivant la forme accou-
1. Abbé laïc de Laruns.
26 H. CAVAILLÈS.
tumée. Les députés, les témoins et les notaires ont tous signé la
déclaration ' .
Le grand traité de 1514 fut conclu d'une façon assez diffé-
rente. Il fut négocié entre les Etats et le seigneur de Béarn, les
Cortès et le vice-roi d'Aragon. Cette intervention du pouvoir cen-
tral dans les affaires des communautés s'explique par l'impor-
tance des intérêts en jeu et par le fait que, de chaque côté,
c'était tout un groupe de vallées, non une vallée seule qui trai-
tait. En réalité, ce sont les communautés qui, cette fois encore,
menèrent les négociations. Les Etats de Béarn avaient engagé,
dès 1488, une correspondance suivie avec les Etats d'Aragon
pour les inviter à mettre fin aux exactions des gens de Canfranc.
Parla suite, les négociations portèrent sur l'abolition des lettres
de marque2. Mais chaque fois les vallées intervinrent directe-
ment dans la préparation du traité et jouèrent le rôle décisif. Le
texte lui-même spécifie d'ailleurs que « les syndics particu-
liers . . . des vallées d'Aragon et de Béarn » étaient présents à
Canfranc au moment de la lecture de l'acte. Le traité de 1514
est donc bien plutôt l'œuvre des populations que celle de l'auto-
rité seigneuriale. C'est une passerie élargie, mais ce n'est qu'une
passerie. Le traité du plan d'Arrem, où l'intervention des agents
du roi a été plus marquée, il est vrai, a été lui aussi conclu par
les gens des vallées.
Les vallées traitaient donc librement, et longtemps le droit
qu'elles avaient de négocier et de conclure des accords avec
l'étranger resta intact. Ce n'est guère que dans la seconde moitié
du xvne siècle que la situation changea. Mais, même alors, il
fallut à la monarchie de très longs efforts et beaucoup de persé-
vérance pour limiter le droit de traiter. Le moment n'est pas
encore venu d'exposer l'histoire de cette action. Retenons seule-
ment que les lies et les passeries ont été et sont restées jusqu'à la
fin des accords libres, spontanés et populaires.
§ 2. Objet et stipulations des traités de passeries. — Les
grands traités de passeries des xvie, xvne et xvme siècles sont
sortis des anciennes conventions pastorales. De leurs origines,
1. Arch. de la vallée d'Ossau, DD74.
2. Il eu sera question dans une autre partie de ce travail. Sur le rôle des
États dans ces négociations, voir L. Cadier, les États de Béarn, Paris, 1888,
p. 309-311 ; P. Boissonnade, Histoire de la réunion de la Navarre à la Cas-
tille, p. 429.
ONE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN REGIME. 27
ils ont conservé quelques traits à moitié effacés, mais intéres-
sants précisément parce qu'ils établissent leur étroite parenté
avec les anciens actes.
Tout d'abord, les dispositions relatives aux limites et aux bor-
nages à l'usage des eaux, des herbes et des bois sont fréquem-
ment renouvelées et conservées1. Les tarifs de compositions sub-
sistent dans certains traités. Il est vrai qu'ils changent de
caractère et prennent celui d'une simple indemnité2. Enfin, le
droit que possède chaque vallée de s'emparer des animaux étran-
gers pâturant sur ses domaines est intégralement maintenu. Il
est seulement soumis à une nouvelle réglementation. Le carnal
est généralement supprimé et remplacé par un droit fixe en
argent3.
Il subsiste donc dans les nouveaux traités maintes disposi-
tions anciennes. Par elles, ils conservent un caractère d'ar-
chaïsme qui les rattache aux primitives conventions pastorales
et qui se révèle déjà par la longueur de leur texte, la fréquence
des répétitions, l'obscurité et la rudesse de la langue, le patois
roman, dans laquelle ils sont rédigés. Mais, ces réserves faites,
il reste que les uns et les autres présentent de profondes diffé-
rences qui se peuvent résumer en ces quelques mots : les trai-
tés de passeries sont désormais des conventions commerciales et
des traités de surséance de guerre.
Ils affirment d'abord la liberté du commerce. C'était là un des
privilèges les plus anciens, un de ceux auxquels les monta-
gnards tenaient le plus. Ils en avaient joui de tout temps, et
les dispositions insérées dans les concessions princières du
xive siècle, ou dans les traités de la même époque, n'avaient
1. La sentence de Cize avec Aezcoa (1556) reste en vigueur. La question des
pâturages d'Ossoue est, une fois de plus, réglée par le traité de Tarbes (1624)
(Bourdette, Annales du Labéda, t. III, p. 157). La transaction de 1375 entre
Barétous et Boncal est renouvelée en 1642.
2. Tandis que le traité Ossau-Tena de 1328 déclare qu'après avoir acquitté
la somme tivée, le coupable sera à l'abri de toute autre poursuite, le même
traité renouvelé en 1646 stipule formellement que le paiement de la composi-
tion ne pourra, en aucune manière, remplacer l'action de la justice, ni effacer
les droits des gouvernements (Arch. de la vallée d'Ossau, DD 63, art. 2; DD 74,
art. 2-6; cf. Azun-Teiïa (1719), art. 6).
3. Traité de 1646, art. 11; cf. Azun-Teiïa, art. 7.
28 II. CATAILLÈS.
fait que reconnaître un état de fait à une époque où il pouvait
paraître utile d'en obtenir la reconnaissance officielle. Mais, du
xvi° au xvme siècle, avec les progrès de l'absolutisme, ces liber-
tés se trouvèrent très gravement menacées. La royauté, poussée
par d'impérieux besoins financiers et, plus tard, par le désir de
favoriser l'industrie naissante, multiplie les taxes, s'efforce de
généraliser les gabelles, établit des droits de traites et de foraines
et empiète tous les jours davantage sur les franchises locales.
Ces mesures étaient pour les habitants des vallées de vifs
sujets d'inquiétude. Elles portaient atteinte à des droits très
anciens et rendaient difficiles les transactions commerciales. De
vallée à vallée, il se faisait, en effet, un commerce des plus
actifs, échange des produits particuliers de chacune d'elles, mais
aussi commerce de transit. Les « ports » étaient alors beaucoup
plus fréquentés qu'ils ne le sont aujourd'hui. Les transactions
commerciales, concentrées à notre époque en deux grands cou-
rants aux deux extrémités des Pyrénées, étaient alors disper-
sées, et les vallées profitaient plus uniformément de cette acti-
vité. Pour plusieurs d'entre elles, le commerce international
était une ressource de premier ordre. Il donnait lieu à des foires
importantes. Les grandes ramades aragonaises, le gros bétail
des vallées françaises venaient en foule aux foires de Gavarnie
en Barèges et de Guchen en Aure, où l'on voit encore chaque
année aux mêmes époques (23 juillet et 29 septembre) leurs
pittoresques rassemblements. On conçoit dès lors l'émotion qui
s'empara des habitants des vallées à l'annonce des mesures res-
trictives. Les protestations furent unanimes. Les intéressés
affirmèrent énergiquement leurs droits et leurs privilèges com-
merciaux et se mirent en mesure de les défendre contre les
atteintes du pouvoir royal. Le traité de Tarbes (1624) entre
Barèges et Broto déclare que « les habitants pourront négocier
et trafiquer,... entrer et sortir dans les dites deux vallées, avec
marchandises ou autrement, en toute franchise, sûreté et liberté,
sans qu'il soit méfait en aucune manière que ce soit » '. Le traité
entre Vicdessos et le val de Ferrera, rafraichi en 16662, renou-
velle formellement les antiques franchises en matière écono-
mique.
1. Voir aussi le traité conclu entre Barèges et Bielsa (1648).
2. Arch. de Vicdessos. — Voir aussi le Mémoire concernant les privilèges
des lies et passeries (arch. de l'Ariège).
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN REGIME. 29
Deux régions se trouvèrent plus particulièrement lésées par
les restrictions apportées à la liberté des transactions, pour la
raison que le commerce de France en Espagne et inversement
y avait pris une importance particulière. Nous voulons parler
du Comminges et des autres petits pays du centre; du Béarn
dans la partie occidentale de la chaîne. C'est sur ces deux points
que porta le principal effort de négociation et d'entente entre les
vallées.
Dans les Pyrénées centrales, le val d'Aran, dépendance poli-
tique de la Catalogne, mais dépendance physique de la France,
ne s'ouvrait que du côté français et ne pouvait s'approvisionner
que dans notre Midi gascon ou languedocien. Vers l'Espagne,
il ne communiquait, par des passages le plus souvent difficiles,
qu'avec des vallées isolées et de médiocres ressources. Seules
les vallées françaises pouvaient lui fournir les produits indis-
pensables. Du Comminges, des Quatre- Vallées, du Nébouzan, du
Couserans, il recevait les produits du sol et les marchandises
admises en transit : le blé et les autres céréales, millet, orge,
avoine, légumes ; les vins ; les moutons, porcs, brebis et chèvres ;
le poisson salé des ports de l'Atlantique ; les tissus, draps, cadis,
serges, toiles et étoffes de laine1 que produisait alors en abon-
dance la région pyrénéenne. Ces produits ne s'arrêtaient pas
aux villages aranais. Par le plà de Béret et les autres passages
de la chaîne, ils pénétraient dans les vallées de Paillas, de Riba-
gorza, de Vénasque, dans le comté de Villemur, toute la haute
Catalogne et descendaient même dans les plaines. « Les Espa-
gnols », écrit un anonyme du xvne siècle, « ne peuvent vivre
sans nos grains »2. Tel de leurs marchands, en une seule com-
mande, prétend exporter 100,000 setiers; telle province, comme
la Catalogne, en quelques jours, achète pour 300,000 sequins
de céréales à nos Languedociens3. L'intendant Legendre écrit
le 26 août 1703 : « Du blé que nous faisons passer en Espagne,
le pays tire au moins 200,000 écus par an4. » Les Espagnols
1. Arrêt du Conseil d'État du roi (1664). Aich. de la Haute-Garonne, E891.
2. Moyen d'enrichir la France de la dépouille des Indes, in-4°, s. 1. n. d.,
p. 4; cité par Boissonnade, la Production et le commerce des céréales, des
vins et des eaux-de-vie en Languedoc dans la seconde moitié du XVIIe siècle
{Annales du Midi, t. XVII, 1905).
3. Boissonnade, lbid.
4. M. de Boislisle, Correspondance des contrôleurs généraux des finances
avec les intendants des provinces, t. II, n. 516.
30 H. CATAILLÈS.
importaient aussi beaucoup de nos vins, surtout ceux du Lan-
guedoc. Or, une part considérable de ce trafic empruntait alors
les hauts passages de la chaîne, ceux du centre en particulier.
Le même intendant Legendre affirme en 1710 que, aux foires
de Saint-Béat, Bagnères-de-Luchon , Saint-Girons et autres
lieux, les Espagnols ont porté tous les ans plus de 800,000 livres
d'argent comptant1.
En sens inverse, les Espagnols portaient en France la laine
de leurs troupeaux et le sel des carrières espagnoles : Solsona,
Trago, la montagne de Cardona renommée entre toutes, les fon-
taines salées de Géri exploitées de temps immémorial dans la
haute vallée de la Noguera Ribagorçana'2. Le sel était une den-
rée de première nécessité pour les troupeaux. Il s'en faisait un
grand commerce, car on préférait au sel de France le sel d'Es-
pagne et surtout celui de Cardona, auquel on attribuait toutes
sortes de mérites, jusqu'à la faculté de préserver le bétail de la
peste. Et comme les provinces françaises voisines des Pyrénées
jouissaient de nombreux privilèges en matière de gabelles3, on
en pouvait acheter des quantités considérables. Enfin la vallée
d'Aran envoyait en France ses bois et ceux des vallées limi-
trophes ; ils descendaient le long de la Garonne et aboutissaient
à Toulouse.
Le centre principal de tous ces échanges était Saint-Béat, où
se tenaient à diverses époques de l'année des foires importantes.
Celle de la Saint-Martin d'hiver (12 novembre) durait vingt
jours et attirait des Espagnols et des Français de toutes les val-
lées confédérées. Les marchands auvergnats et limousins les
fréquentaient avec bien d'autres gens des plaines. Luchon, elle
aussi, était un marché très animé. On y trafiquait principalement
du sel. Toute la région voisine participait largement à cette
activité.
On devine le malaise qui régna dans le pays quand on sentit
ce commerce menacé. Au début du xvie siècle, les habitants
adressèrent au roi Louis XII de vives et pressantes réclamations
1. Lettres des 11 novembre et 24 décembre 1710 (de Boislisle, lbid., t. III,
n. 890).
2. Marca, Hispanica, p. 205, 218, 1186.
3. Le Labour, la Basse-Navarre, la Soûle, le Béam, le Nébouzan étaient pro-
vinces franches; la Bigorre, les Quatre-Vallées, le Comminges, le Couserans,
Foix, etc., pays rédimés; le Boussillon, pays de petite gabelle.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS LANCIEN RÉGIME. 31
au sujet des droits de foraine et de traite. Ils se plaignaient que
les tarifs des droits du roi fussent dans une extrême confusion ;
que certaines marchandises y étaient appréciées le double de
leur valeur, quelques autres la moitié et un petit nombre ne
l'étaient pas du tout, de sorte que les commis les taxaient arbi-
trairement. L'entrée des laines d'Espagne, par exemple, était
frappée d'un droit si exorbitant que les Hollandais tentaient d'en
enlever l'achat aux pays frontières1. Aggravant ce danger, la
guerre débutait avec l'Espagne et menaçait d'interrompre com-
plètement les transactions.
C'est pour parer à ce double péril que les vallées des Pyrénées
centrales renouvellent leurs vieux accords par un traité géné-
ral : la grande passerie du plan d'Arrem (1513). Ce traité affirme
une fois de plus le droit qu'auront les habitants, d'un côté
comme de l'autre, de commercer librement, même en temps de
guerre'2. Louis XII donna aussitôt satisfaction à ces vœux et
n'hésita pas à désavouer et à traduire devant le Parlement M. de
Labastide-Pomès, son lieutenant en Guyenne, qui s'était cru
fondé, pendant la guerre de Navarre, à arrêter par représailles,
sur le marché de Saint-Béat, tous les marchands aragonais dont
il avait confisqué les marchandises3. Au siècle suivant, Louis XIII
accorda des lettres patentes qui confirmèrent de nouveau ces
privilèges et défendirent de faire « aucune saisie, ni exécutions
sur les biens, bestiaux, marchandises et autres choses amenées
durant les vingt jours de ladite foire de Saint-Martin d'hyver,
ni aucun emprisonnement sur les personnes des frontaliers pour
dettes, ni affaires civiles pendant le dit temps » (1634). Louis XIV
maintint et confirma la franchise et se contenta d'imposer les
produits de droits très modérés4.
Dans les Pyrénées occidentales, les deux vallées d'Aspe et
d'Ossau constituaient une double voie d'échanges, très active et
très fréquentée. Elles aboutissaient l'une et l'autre à des cols
accessibles pendant la plus grande partie de l'année. Le port
vieux de Salhen et le Pourtalet menaient vers le Galhego et
Salhen. Le col des Moines, plus difficile, le Somport ou col de
Peyrenère, beaucoup plus bas, aboutissaient au rio Aragon et à
1. Castillon d'Aspet, Histoire des populations pyrénéennes..., t. II, p. 123.
2. Art. 2.
3. Lettres patentes du dernier janvier 1512.
4. Arrêt du Conseil d'État du roi du 11 mars 1664.
32 H. CAVAILLES.
Jaca. Plus à l'ouest s'ouvraient d'autres passages, le portd'Anso
entre autres.
Aujourd'hui, le plus fréquenté est le Somport : l'intendant
d'Étignv a conduit jusque-là la belle route de la vallée d'Aspe,
construite à grands frais par la province. Mais, il y a trois
siècles, le trafic se faisait surtout à dos de mulets et se répar-
tissait entre les divers passages. Au delà des ports, tout près de
la frontière, l'hôpital de Sainte-Christine était accessible des deux
vallées françaises. Il fut abandonné, il est vrai, en 1569, mais
le lieu resta très fréquenté. C'était un rendez-vous commode.
A travers les hauts pâturages, les sentiers et les chemins de
montagnes s'y nouaient, routes faciles par les beaux jours de
l'été. Chaque année, le 25 juillet, qui était la fête de Saint-
Jacques, de longues files d'animaux, des troupeaux, des pâtres
et des marchands s'y rendaient, venus d'Aragon et du Béarn,
assurés d'y trouver des franchises étendues et la liberté des
transactions. La vente du bétail, des denrées et autres objets y
donnait lieu aux échanges les plus actifs1.
Plus bas et plus loin des cols, on rencontrait d'autres mar-
chés, plus fréquentés encore. En Aragon, c'était Jaca, vieille
ville fortifiée, un des centres les plus célèbres des Pyrénées
espagnoles. Du côté français, les trois vallées d'Ossau, d'Aspe
et de Barétous aboutissaient à Oloron, la clef du pays, la grande
place de commerce de la région. Le commerce y avait toujours
été libre depuis l'époque lointaine où le vicomte Centulle IV,
voulant repeupler la ville, lui avait octroyé, par la fameuse
charte de poblation de 1080, un for et des franchises plus
avantageuses que celles des autres villes du Béarn. Cet acte lui
concédait en particulier la liberté absolue des transactions com-
merciales. Deux foires furent créées par la suite (1306), l'une
en mai, l'autre en septembre, au début et à la fin de la belle
saison, quand s'ouvrent, puis se ferment les passages de la mon-
tagne. Pendant trois siècles, ces foires attirèrent une foule
énorme. Aragonais, Navarrais, Catalans, Béarnais et Gascons
pouvaient en toute liberté, sans payer aucune sorte de droits et
sans être inquiétés d'aucune façon, se livrer à toute espèce
d'opérations commerciales. Jusqu'à la fin du xve siècle, ce fut le
1. Mémoire concernant le Béarn, dressé par M. Pinon, intendant, en
l'année 1698, publié par L. Soulice, dans le Bull, de la Société des sciences,
lettres et arts de Pau (IIe série, t. XXX, 1905, p. 144).
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN RÉGIME. 33
libre-échange le plus complet. L'Espagne envoyait ses laines,
ses huiles, ses savons et généralement des matières premières.
La France envoyait son blé, son vin ; les mules et les chevaux,
les porcs et les salaisons du Béarn et du pays basque. Enfin la
région oloronaise fournissait des produits manufacturés. La ville
était alors en pleine prospérité industrielle. Dans ses ateliers,
dans les localités de sa banlieue et des environs, elle disposait de
plusieurs centaines de métiers à bas. Elle fabriquait aussi des
jupes, des bérets, des draps grossiers de cordeilhats, plus tard
du papier1. Enfin d'autres produits, venus de plus loin, transi-
taient par Oloron et par les vallées. Ce commerce très actif était
d'ailleurs facilité par l'excellente réputation des monnaies béar-
naises, frappées dans les ateliers de Morlaas, et qui avaient
cours dans tout le midi de la France et fort loin sur le territoire
espagnol.
Au début du xvie siècle, les franchises oloronaises étaient
encore intactes. Une charte de Gaston XI avait bien permis, en
1471, aux habitants d'établir à leur profit exclusif un droit d'en-
trée sur les marchandises, en réponse aux taxes que les Espa-
gnols percevaient depuis peu aux portes de Canfranc. Mais ces
droits étaient peu élevés et n'avaient nullement entravé les
transactions. L'activité économique du pays et de la ville
avait même, à cette époque, atteint une prospérité sans pré-
cédents. On conçoit sans peine que les Béarnais aient tenu
à la maintenir le plus possible et l'aient vigoureusement défen-
due quand elle se trouva menacée par les exigences fiscales de
leurs souverains et surtout parla guerre. Le premier objet du
grand traité de 1514 est de défendre la liberté des transactions :
« Que les voisins et habitants des dites vallées et autres per-
sonnes quelles qu'elles soient du royaume d'Aragon puissent
envoyer, enlever et transporter leurs marchandises, choses et
biens par toute la dite seigneurie de Béarn, par voituriers, ser-
viteurs et commissionnaires, « voisins » et habitants de la sei-
gneurie de Béarn. Et que les « voisins » et habitants de la sei-
gneurie de Béarn puissent [en user de même] dans tout le
royaume d'Aragon. Quelle que soit la nature ou l'espèce des
1. Marque, le Glaneur d' Oloron (20 août 1904); les Industries et le com-
merce oloronais avant la Révolution (ne dit rien des passeries). — Voir aussi
Mémoire de l'intendant Pinon, p. 129.
Rev. Histor. CV. 1er FASC. 3
34 H. CAVAILLÈS. — UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN RÉGIME.
marchandises, biens et choses, qu'elles puissent circuler, celles
de Béarn en Aragon et celles d'Aragon en Béarn, sauves, sûres,
libres de toute entrave et de toute contrainte, à la condition
qu'elles acquittent les péages et les autres droits légitimes », et
qu'elles ne soient pas contrebande de guerre1.
Pour assurer la sécurité des voyageurs et des échanges, le
même traité place les hôpitaux et autres maisons religieuses
sous la garantie des traités. « Comme le monastère de Sainte-
Christine et les maisons de Peyrenère et de Segoter de la vallée
de Terïa, et celle de Gabas de la vallée d'Ossau sont situées dans
des lieux stériles et inhabités et qu'elles rendent de grands ser-
vices aux voyageurs, en été comme en hiver, en paix comme en
guerre..., il est ordonné que personne ne soit assez osé pour
rien entreprendre contre les chanoines, hospitaliers, hôtes et
autres personnes quelles qu'elles soient qui se trouvent dans les
dites maisons, ni contre les troupeaux et autres marchandises
qui appartiennent à ces maisons ou qui y ont trouvé asile »2.
Un siècle et demi plus tard, environ, le traité renouvelé entre
Ossau et Teiïa3 affirmait de nouveau la liberté du commerce, à
une époque où il était singulièrement plus menacé par le régime
douanier de la monarchie. Le commerce oloronais était alors en
pleine décadence. Les accords de lies et de passeries ne purent
maintenir l'ancienne prospérité. Du moins réussirent-ils à
défendre les franchises des vallées et à leur conserver des avan-
tages économiques très appréciables4.
H. Ca VAILLES.
(Sera continué.)
1. Traité de 1514, art. 8.
2. lbid., art. 6.
3. 1646, art. 44.
4. Voir plus loin, ch. vi.
LA RUSSIE
ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLÉON III.
La politique italienne de Napoléon III s'est inspirée de prin-
cipes qui étaient la négation même du pouvoir d'Alexandre II : le
principe des nationalités, le droit des peuples. Il était donc iné-
vitable qu'elle mît à jour la contradiction de ces principes avec
ceux que l'empereur de Russie était intéressé à sauvegarder.
Alexandre II et Gortchakoff n'ont pas été longs à s'alarmer des
tendances affirmées par l'action de la France en Italie ; leurs
premières craintes à cet égard datent de leurs premiers essais
d'entente avec Napoléon III et de leur plus grande intimité
avec lui.
L'affaire de Naples laissa alors deviner l'orientation qu'allait
prendre la politique française; elle fut, en quelque sorte, pour
Alexandre II comme pour Napoléon III, la pierre de touche de
leurs dispositions respectives.
Le roi des Deux-Siciles gouvernait mal, au gré de la France
et de l'Angleterre. Ces deux puissances lui adressèrent des
représentations auxquelles il refusa de faire droit; à ce refus,
elles répondirent par une rupture diplomatique et la menace
d'une démonstration navale.
Le gouvernement russe n'a pas attendu l'annonce de la
démonstration navale pour s'émouvoir de l'intervention franco-
anglaise à Naples et manifester son émotion. lia suffi des repré-
sentations adressées au roi des Deux-Siciles pour que Gortcha-
koff vît « avec un sentiment de dignité blessée les gouvernements
de France et d'Angleterre s'arroger ainsi le droit de régenter
un souverain indépendant »1. Il ne dissimula pas à Morny son
regret que la Russie n'eût pas « dit son mot dans la question »,
et prétendit que, de plusieurs côtés déjà, on lui reprochait de
garder le silence. Aussitôt, d'ailleurs, il rompt ce silence et dit
1. Morny, G septembre 1856. — Toutes les citations qui ne portent d'autre
référence qu'un nom et une date sont extraites de correspondances inédites.
36 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
son mot. Une circulaire de lui vient à propos proclamer les prin-
cipes de non-intervention.
Les choses en sont là lorsqu'un télégramme de Brunnof1
apprend à Gortchakoff l'envoi de l'escadre anglo-française dans
les eaux de Naples. Le soir même, Morny reçoit la visite du
ministre russe, en proie à « une émotion très vive ». L'arrivée
de cette force navale, venant évidemment pour protester contre
l'autorité du roi des Deux-Siciles, ne va-t-elle pas inciter le
peuple à une révolution ? Morny, qui, au fond, partage les
craintes de son visiteur, le calme cependant de son mieux et
l'engage à prendre l'affaire « avec moins de vivacité ». Mais
Gortchakoff tient bien peu compte de ce conseil, car, le lende-
main matin, Morny est réveillé par une lettre confidentielle dont
voici les principaux passages :
... Je ne puis que vous répéter à quel point nous serions désolés que
le gouvernement si sage de l'empereur Louis-Napoléon s'associât à la
violence de la marche de votre voisine d'outre-Manche. Il est impos-
sible de découvrir l'ombre d'un droit dans la pression menaçante qu'il
s'agit d'exercer sur le roi de Naples... Vous savez à quel point nous
désirons nous réunir à vous sur le terrain où se jugent les questions du
droit public européen. Vous nous forcez à une scission si l'on persé-
vère à mettre en pratique les procédés concertés à l'égard de Naples...
Je vous confie, mon cher comte, que l'empereur mon maître ressent
très fortement l'attaque dirigée contre l'autorité souveraine de tous les
pays dans la personne du roi de Naples et que je ne serais pas étonné
de recevoir l'ordre de protester formellement2.
Fidèle à son rôle conciliateur, Morny s'efforce encore d'apai-
ser cette émotion. Justifier l'intervention franco-anglaise à
Naples n'eût servi qu'à faire dégénérer la discussion en polé-
mique et, par conséquent, à l'envenimer. D'ailleurs, pour sou-
tenir cette polémique à armes égales, n'eût-il pas manqué à
Morny une force indispensable : la conviction, la foi? Aussi
évite-t-il soigneusement, dans sa réponse à Gortchakoff, d'abor-
der le fond de la question et se borne-t-il à lui parler raison et
bon sens :
La bonne politique consiste à retirer tous les petits tisons encore un
peu allumés dans tous les coins de l'Europe. Après les grandes con-
1. Ambassadeur de Russie à Londres, chargé de l'ambassade à Paris en
attendant l'arrivée du comte Kisselef.
2. Morny, même date.
LA RUSSIE ET LA POLITIQCE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 37
vulsions récentes, il est difficile que tout rentre absolument dans
l'ordre et le droit strict, que chaque planète reprenne sa marche régu-
lière. Mais il importe au repos du monde que les trois plus grandes
puissances arrivent à vivre entre elles en bon accord; pour cela, il
faut quelles aient réciproquement des sentiments d'égard, de respect,
de confiance. On peut y arriver en jetant de l'eau sur la braise encore
chaude.
En même temps qu'il prêche à Pétersbourg le calme et la
patience, Morny prêche la modération à Paris. Mais il ne tarde
pas à s'apercevoir qu'il s'est abusé en croyant le gouvernement
français disposé à tenir compte, dans une mesure si faible soit-
elle, des vœux du gouvernement russe. Le malentendu latent
entre Napoléon III et son ambassadeur se fait jour dans deux
télégrammes échangés les 12 et 14 septembre 1856.
Brunnoff s'étant, bien gratuitement, figuré que l'empereur
inclinait à se rendre aux instances de la Russie et l'ayant
télégraphié à Pétersbourg, Morny s'était immédiatement fait
l'écho de la satisfaction causée par cette nouvelle controuvée, à
laquelle il avait ajouté foi ; et il en avait pris texte pour encou-
rager Napoléon III dans ses prétendues dispositions. Celui-ci
lui répond :
L'empereur est très touché des prévenances et des bons procédés
de l'empereur Alexandre. Mais une intimité ne peut s'établir que par
umj communauté d'intérêts et une identité de conduite sur les ques-
tions en litige; et si, comme par le passé, nous trouvons toujours la
Russie dans le camp opposé, soit en Italie ou en Espagne, soit en
Allemagne ou en Belgique, il sera bien difficile d'établir des rapports
amicaux, tels que ceux que nous voudrions qui existassent1.
A quoi Morny réplique :
Reçu la dépêche de l'empereur, je n'ai jamais pensé autrement.
Mais est-ce sur l'ancien système ou sur le nouveau que reposent
ses observations? Le prince Gortchakoff prétend justement inaugurer
une politique nouvelle ; point d'ingérence russe dans les affaires des
autres puissances; respect des droits, politique plus libérale à l'inté-
rieur et à l'extérieur; excellents rapports avec la France; large part
faite à l'influence de l'empereur Napoléon ; bons rapports avec l'An-
gleterre; aussi mauvais que possible avec l'Autriche. C'est après ces
déclarations que je me suis permis d'engager Sa Majesté à tenir
1. 12 septembre 1856.
38 FRANÇOIS-CHARLES KOUX.
compte des désirs manifestés ici sur la Grèce et sur Naples. Après
tout, il est possible qu'on me trompe1.
Le malentendu initial qui a existé entre Napoléon III et
Morny et influé sur toute la mission du second tient, en rac-
courci, dans ces deux télégrammes. Le nouveau système de la
Russie et les chances que ce système offre à une alliance entre
elle et la France valent bien, pense Morny, quelques conces-
sions de notre part aux principes de l'empereur Alexandre.
C'est au tsar, pense au contraire Napoléon III, à sacrifier ses
principes aux tendances dont s'inspire notre politique, s'il veut
pouvoir compter sur l'amitié de la France.
Ce malentendu fait, en quelque sorte, pendant à celui qui a
existé simultanément entre l'empereur et son ambassadeur sur
l'alliance anglaise et la politique orientale. Sur ces deux points
aussi, Morny a estimé que l'alliance de la Russie justifiait des
concessions, dont Napoléon III, qui ne voulait pas alors de
cette alliance, était bien loin de la juger digne : et c'est de la
Russie que l'empereur s'est obstiné à attendre sur ce terrain
tous les sacrifices d'ambition, d'intérêt, comme ailleurs tous les
sacrifices de principes2.
Le développement de cette intervention à Naples, à laquelle
Napoléon III refuse de renoncer, fait s'entrechoquer les prin-
cipes contradictoires qui dominent la politique française et la
politique russe. Rien ne fait mieux toucher du doigt cette con-
tradiction et assister, en quelque sorte, à ce choc qu'un entre-
tien de Morny avec Alexandre II3, peu de temps après le rap-
pel des ministres de France et d'Angleterre à Naples et l'ordre
donné aux escadres d'appareiller. « Cela me fait beaucoup de
peine et cela m'inquiète », dit le tsar à l'ambassadeur, en par-
lant de ces mesures, et, feignant d'en attribuer l'initiative à
l'Angleterre, il exprime la crainte que les agents de cette puis-
sance « ne fomentent à Naples une révolution dont les consé-
quences peuvent être de mettre le feu à toute l'Italie. Certes »,
ajoute-t-il, avec plus ou moins de conviction, « c'est bien con-
traire à votre politique ». Puis, comme Morny rejette sur le roi
1. 14 septembre 1856.
2. Cf. notre article sur la Russie et l'alliance anglo-française après la
guerre de Crimée, dans la Revue historique, t. CI (1909), p. 272-315.
3. Extrait des Mémoires du duc de Morny, Une ambassade en Russie, 1856
(Paris, Ollendorf, 1892), p. 101-102.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 39
des Deux-Siciles la responsabilité de la démonstration navale,
qu'il s'applique à présenter comme une réplique nécessaire à
l'impertinence du gouvernement napolitain, Alexandre II
reprend : « Ce n'est pas moins un acte d'ingérence dans le gou-
vernement extérieur d'un roi libre qui vous amené à cet acte
d'intimidation, et alors, c'est la dislocation de principes que
tous les gouvernements ont intérêt à conserver, et en dehors
desquels il n'y a plus rien de stable. »
C'était véritablement la synthèse de la situation qu'Ale-
xandre II venait de faire, en définissant de la sorte la raison
d'être de la réprobation que rencontrait de sa part l'intervention
franco-anglaise à Naples. En vain Morny croyait-il possible
que, « partant de deux points opposés », le tsar et l'empereur
des Français dussent « arriver à se rencontrer sur un terrain à
peu près identique », et qu' « en faisant chacun un pas » du
côté de l'autre, ils parvinssent souvent à s'entendre. Pour que
son espoir ne fût pas chimérique, il eût fallu qu'effectivement
Napoléon III fût disposé à « faire un pas » du côté d'Alexandre II,
c'est-à-dire à sacrifier quelque chose de ses desseins. A défaut
de cette condition, l'entente, la bonne harmonie entre eux ne
pouvait subsister qu'au prix de concessions perpétuelles de la
part de la Russie et, comme son intérêt devait nécessairement
imposer à ses concessions une limite, si lointaine fût-elle, un
jour devait fatalement arriver où l'opposition de leurs principes
mettrait en conflit les deux souverains.
S'il est exact que cette opposition de principes constituait un
germe de mort pour l'entente d'Alexandre II et de Napoléon III,
nous ne croyons pas, par contre, qu'elle ait suffi, au début, à
empêcher entre eux un rapprochement plus étroit ni qu'il faille
y attribuer l'échec de la tentative d'alliance poursuivie par
Morny et par Gortchakoff. Ce qui a fait échouer cette tentative,
ce n'est pas une contradiction de principes qui ne tournera à
l'incompatibilité absolue que beaucoup plus tard, quand la
Pologne sera en cause : c'est le refus de Napoléon III de se
laisser détacher de l'alliance anglaise. Non seulement pendant
l'affaire de Naples, mais pendant toute la durée de la crise ita-
lienne, dont cette affaire n'est que le prologue, l'intérêt de la
Russie à pouvoir compter sur la France, l'espoir qu'elle fonde
sur l'amitié de Napoléon III sont assez grands, assez décisifs
pour compenser à ses yeux le sacrifice de principes dont l'ap-
40 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
plication en Italie ne menace encore sa sécurité qu'indirecte-
ment. Ce n'est pas à dire que ce sacrifice ait été indifférent au
tsar et à Gortchakoff ; c'est au contraire aux hésitations, aux
révoltes, aux luttes dont il a été l'occasion de leur part que la
suite des événements va nous faire assister.
Ni les fêtes du couronnement, ni les irritantes questions de
Bolgrad et de l'île des Serpents, qui risquent, à ce moment
même, de remettre le feu aux poudres, ne font entièrement
diversion aux préoccupations causées à Pétersbourg par l'affaire
de Naples. Sans doute, après leur récent entretien, Alexandre II
en parle-t-il à Morny « sans la moindre aigreur et avec une
grande confiance dans les intentions de l'empereur Napoléon » '.
Mais il n'en a pas moins hâte de savoir l'incident clos. Gort-
chakoff, de son côté, exhorte la cour de Naples, par l'intermé-
diaire de son ministre à Pétersbourg, Regina, à se montrer con-
ciliante, surtout envers Napoléon III.
Malheureusement, au moment même où le gouvernement
russe renonce à importuner la France par d'inutiles représen-
tations et met une sourdine à ses doléances , les journaux
s'avisent de divulguer une circulaire adressée par Gortchakoff
à ses agents un mois auparavant. Brunnoff, ne pouvant douter
dès lors que Walewski en connaisse l'existence, vient lui en
donner lecture, et le ministre de Napoléon III trouve la circu-
laire très peu à son goût. « Si l'on doit y voir un exposé de
principes », mande-t-il à Morny, « cet exposé est en contradic-
tion avec les assurances que notre ambassadeur a reçues de la
Russie sur ses dispositions »-. Voilà de nouveau Morny con-
traint à dissiper ce nuage. C'est à tort qu'à Paris on a attaché
de l'importance à cette circulaire ; à Pétersbourg, elle n'a occupé
que Gortchakoff; l'empereur n'en a même pas eu connaissance ;
Gortchakoff prétend n'avoir jamais eu en vue le gouvernement
français ; il convient de mettre la circulaire sur le compte d' « un
petit goût pour la prose », d'«une petite satisfaction d'écri-
vain » qui sont travers coutumiers au ministre d'Alexandre II .
Ayant reçu sur les doigts, Gortchakoff retient, pendant
quelque temps, sa langue et sa plume. Mais alors, c'est Morny
qui rend la bride à son humeur frondeuse et qui, n'ayant plus
1. Morny, 29 septembre 1856.
2. Walewski, 1" octobre 1856.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 41
matière à gronder par procuration, morigène son gouvernement
en son nom et pour son compte. « En mon âme et conscience»,
écrit-il à Walewski, « je crois que nous faisons fausse route a
Naples » 1 . Et il dénonce les dangers d'une politique qui prépare
à la France des difficultés sans nombre, va à rencontre des prin-
cipes d'ordre, de stabilité, de paix, porte atteinte à la situation
morale de l'empereur en Europe et entame la confiance qu'il
inspirait.
Alexandre II et Gortchakoff ont alors trop besoin du concours
de la France pour risquer de se l'aliéner en critiquant son atti-
tude à Naples. C'est le moment où la fermeté de l'empereur les
tire à leur honneur des affaires de Bolgrad et de l'île des Ser-
pents. Mais, aussitôt ces affaires réglées, ils prennent l'initiative
d'une démarche amicale auprès de la reine Victoria et de Napo-
léon III. A vrai dire, les circonstances ont plus fait que cette
démarche amicale pour tenir les escadres anglo- françaises
éloignées de Naples : toujours est-il qu'elles restèrent l'une à
Malte et l'autre à Toulon.
Mais les relations diplomatiques restaient rompues, et c'en
était encore assez pour contrarier le gouvernement russe. Aussi
entreprend-il de réconcilier la cour des Deux-Siciles avec ses
deux puissants adversaires. L'affaire paraît assez importante au
tsar pour qu'il en parle à Napoléon III, lorsqu'il se rencontre
avec lui à Stuttgard, et l'empereur accueille, cette fois, avec
bienveillance les instances d'Alexandre II en faveur d'un rap-
prochement. Peu après revient aux oreilles de Gortchakoff l'écho
d'assurances satisfaisantes données, à cet égard, par Walewski
au ministre de Prusse à Paris. Aussitôt Gortchakoff de s'en féli-
citer bruyamment et d'en remercier chaleureusement le chargé
d'affaires de France à Pétersbourg, M. de Châteaurenard :
L'empereur pn a éprouvé la plus vive satisfaction. Il est personnel-
lement reconnaissant à l'empereur Napoléon de ce que Sa Majesté a
1. Parmi les arguments dont il appuie ce jugement, il en est un qui prend
une saveur particulière, si l'on songe que c'est un fils de la reine Hortense qui
le fait valoir auprès d'un fils du roi Louis. Condamnant une restauration pos-
sible de l'héritier de Murât à Naples, Morny écrit : « L'empereur Napoléon a
dû sa chute à plusieurs causes; mais, à mon avis, l'une des plus intenses' a
été l'usage qu'il a fait de ses frères sur différents trônes de l'Europe et la con-
duite de ces mêmes frères » {Une ambassade en Russie, lettre de Morny à
Walewski du 14 octobre 1856).
42 PRANÇOIS'-CHABLES KOUX.
bien voulu donner suite aux bonnes dispositions qu'Elle avait mani-
festées lors de l'entrevue de Stuttgàrd. L'empereur m'a chargé de faire
parvenir à Sa Majesté l'empereur Napoléon l'expression de ses senti-
uienis et la confiance qu'il' a de voiries deux puissances renouer bien-
tôt leurs relations diplomatiques avec la cour de Naples. Sa Majesté
attache le plus grand prix à ce résultat, non seulemenl parce qu'Elle y
trouvera un témoignage éclatant de la considération personnelle que
l'empereur Napoléon a pour elle, mais aussi parce que le rétablisse-
ment des rapports avec la cour de Naples constatera une fois de plus,
aux yeux de l'Europe, jusqu'à quel point l'entente des deux souverains
est personnelle et combien elle est destinée à avoir les plus heureuses
conséquences1.
Voilà bien de la reconnaissance pour la simple annonce d'une
mesure à laquelle la Russie n'est pas directement intéressée. Au
premier abord, on est tenté d'en attribuer l'excès au besoin
d'amplification et de redondance habituel à ce méridional du
Nord qu'est Gortchakoff. Mais, à quelque temps de là, au cercle
de cour du 1er janvier, Alexandre II lui-même charge Château-
renard de transmettre ses remerciements à Napoléon III et à
Walewski et il exprime sa satisfaction « de voir que l'empereur
Napoléon a conservé un bon souvenir de leur entretien à Stutt-
gàrd »2. Il faut donc bien admettre que Gortchakoff a fidèle-
ment rendu les sentiments de son souverain et que, jusqu'au
dernier moment, la solution amiable de l'affaire de Naples a
tenu très à cœur au tsar.
Cette affaire n'était, pour Napoléon III, qu'une entrée en
matière, l'amorce d'une politique qui réservait aux principes du
gouvernement russe des démentis et des déconvenues autrement
plus graves. Cette politique se laisse deviner dès le début du
conflit qui s'élève entre le Piémont et l'Autriche, aux sympa-
thies avérées de Napoléon III pour le Piémont et à ses efforts
pour lui assurer, dans le cas inévitable d'une guerre, une vic-
toire dont le prix soit l'acquisition de la Lombardie, avec la
suprématie sur l'Italie constituée en système fédératif. En
admettant même qu'Alexandre II et Gortchakoff n'aient pas vu,
de prime abord, où les conduirait la politique de Napoléon III,
il est difficile de supposer que la cause du Piémont ait pu, par
1. Châteaurenard, janvier 1858.
2. Id., ibid.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLÉON III. 43
elle-même, obtenir leurs sympathies. Dans le conflit austro-
piémontais, c'est incontestablement du côté de l'Autriche
qu'était la sauvegarde des principes chers au gouvernement
russe. Si donc le tsar a consenti à s'associer, dans une certaine
mesure, à la politique de Napoléon III et à prêter, de la sorte,
un appui indirect au Piémont, c'est que des considérations d'un
autre ordre l'ont incliné à une compromission temporaire avec
les défenseurs du principe des nationalités.
Ces considérations se rattachent à un désir persistant de lier
partie avec la France, d'acquérir des titres à sa gratitude et à
un ressentiment profond contre l'Autriche. Il nous faut pour les
expliquer remonter à quelques mois en arrière.
En politique, le premier mot que se disent deux adversaires
qui se réconcilient est le plus souvent une parole de haine
contre un tiers. Il en fut ainsi de la France et de la Russie en
1856 comme en 1807. « Je hais les Anglais autant que vous et
serai votre second en tout ce que vous tenterez contre eux »,
avait dit Alexandre Ier à Napoléon, en mettant le pied sur le
radeau de Niémen l. « Je n'aime pas l'Autriche plus que vous et
ne m'opposerai à rien de ce que vous entreprendrez contre elle »,
aurait pu dire Alexandre II à Napoléon III, en l'abordant à
Stuttgard.
S'ils n'ont pas énoncé cette pensée en termes aussi catégo-
riques, le tsar et son ministre ont fait en sorte de la donner à
entendre presque aussi clairement. Dès le congrès de Paris,
Orloff prend soin de ne laisser aucun doute sur ce point à Napo-
léon III. La malveillance et l'acrimonie des plénipotentiaires
autrichiens leur attirent de sa part de cinglantes ripostes. Il n'a
pas pour eux les ménagements que, dans les discussions les plus
chaudes, il sait garder envers les Anglais. Il ne leur en cache
pas la raison : « Il y aura longtemps en Russie », dit-il à Hub-
ner, « un profond ressentiment contre l'Autriche ». Si sa fran-
chise ne rend pas les Autrichiens plus habiles, du moins les
rend-elle, pour un moment, plus clairvoyants. « L'empereur »,
écrit Hubner, « comprend que la Russie est implacable »2.
A peine Gortchakoff a-t-il pris la direction des affaires que
la préoccupation de définir son attitude envers l'Autriche appa-
1. A Tilsitt.
2. Souvenirs d'un ambassadeur d'Autriche à Paris, par le baron de Hub-
ner. Paris, Pion, 1900.
44 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
raît à chaque instant dans ses paroles et dans ses actes. Parti
de Vienne, sans avoir présenté ses lettres de rappel, il y
retourne, quelques semaines après, tout exprès pour prendre
officiellement congé de la cour.
Au premier abord, cette démarche, pourtant toute naturelle,
fut interprétée comme une tentative de rapprochement de la
Russie du côté de l'Autriche :
Priée par les hommes d'État allemands, conseillée par sa propre
habileté, la Russie, écrivait notre ministre à Dresde, aurait consenti
à pardonner à l'Autriche et à se rapprocher d'elle... Le prince Gort-
chakofï se serait chargé d'aller étudier lui-même la position à Vienne
et de laisser deviner, si les circonstances s'y prêtaient, qu'il y avait
cependant des accommodements avec le tsar1.
Son séjour à Vienne se prolonge beaucoup plus longtemps
que ne l'exige l'accomplissement de la formalité dont il est venu
s'acquitter. « Je pense », écrit Bourqueney, « qu'il aurait fallu
moins de temps pour congédier des gens et faire emballer des
meubles. Mais je ne m'étonne pas de voir le prince Gortchakoff
prolonger l'occasion d'établir, avec une certaine solennité, le
programme de sa politique future sur le terrain où sa politique
passée a été exposée aux mécomptes les plus sévères »2. Qu'il
eût gardé de ces mécomptes un cuisant souvenir, c'est ce dont
on ne pouvait douter à Vienne. On n'en fut que plus surpris de
constater combien il laissait peu paraître de dépit. « On s'atten-
dait ici », écrit Bourqueney, « à le voir plus irrité. Au fond, on
s'applaudit de trouver plus de neutralité que de colère sous les
formes un peu dramatiques de son discours ». Ce qui parut le
plus symptomatique dans ses déclarations, ce fut l'insistance qu'il
mettait à répudier la politique de rancune ; et, de fait, il ne fai-
sait allusion à l'ingratitude de l'Autriche que pour se défendre
personnellement de vouloir en tirer vengeance. « Le nouveau
ministre des Affaires étrangères désavoue », écrivait Bourque-
ney, « la politique de rancune, tout en constatant le ressenti-
ment profond qui règne contre l'Autriche dans toutes les classes
de la nation russe et en admettant qu'il y a à en tenir compte »3.
A tout prendre, il y avait loin de cette déclaration à une
1. Forlh-Rouen, 28 juin 1856.
2. Bourqueney, ambassadeur de France à Vienne, 15 juin 1856.
3. Bourqueney, 15 juin 1856.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 45
garantie formelle de sécurité, et l'on pouvait se demander ce
qu'il y avait de plus significatif, de l'affirmation du début ou de
la restriction de la fin. Telle n'est pas cependant l'impression
qui prévalut à Vienne sur le moment même. Des paroles de
Gortchakoff, on fut porté à ne retenir que le désaveu donné à la
politique de rancune et, dans ce désaveu même, on voulut voir
une invite, une avance faite à l'Autriche. « En désavouant
ouvertement, avec tout le monde, la politique de ressentiment,
le prince Gortchakoff», écrit Bourqueney, « faisait un pas qui
pouvait conduire à la reprise de la politique de sentiment
J'ai toujours vu le prince si facile aux illusions que je n'oserais
affirmer qu'il n'arrivât ici sous l'empire de celle que je viens
d'indiquer »1.
Cette conjecture fait-elle plus d'honneur à l'imagination qu'à
la perspicacité de Bourqueney ? Toujours est-il que telle fut aussi
l'opinion delà cour de Vienne. Persuadée comme Bourqueney que
Gortchakoff venait à elle la main tendue et n'attendait qu'un
signe d'elle pour se mettre à sa discrétion, cette cour prit à
tâche de décourager les velléités de rapprochement que, bien
gratuitement, selon nous, elle prêtait à son hôte. Loin de se
mettre pour lui en frais d'amabilité, elle lui fit un accueil guindé
et froid, strictement limité à ce qu'exigeaient les convenances.
« Le prince n'a trouvé », écrit Bourqueney, « qu'une cour froi-
dement, dignement polie, un ministre sans aigreur mais sans
empressement, une politique conséquente, suivant l'exécution
du traité du 30 mars Cela est trop clair pour n'avoir pas été
compris2. »
Au retour de ce voyage à Vienne, Gortchakoff rencontre
Baudin3 à Stettin. Ses dispositions envers l'Autriche sont un
des thèmes qu'il développe le plus longuement à notre chargé
d'affaires, sur le navire où ils ont pris passage ensemble pour
Pétersbourg. Son amertume s'épanche ici plus librement qu'à
Vienne. Aux protestations de sympathie pour la France suc-
cèdent, comme un complément naturel , comme un corollaire
1. Bourqueney, 25 juin 1856.
2. Bourqueney, 25 juin 1856.
3. Baudin, premier secrétaire d'ambassade, avait été chargé d'assurer la
gérance de l'ambassade de France à Pétersbourg en attendant l'arrivée de
Morny. Quand Gortchakoft' le rencontra à Stettin, Baudin se rendait à son
poste, par mer, de Stettin à Pétersbourg.
46 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
nécessaire, les professions de foi les plus nettes de défiance
envers l'Autriche. Pour les justifier, Gortchakoff ne s'abrite
plus, comme à Vienne, derrière le sentiment national : il parle
en son nom et pour son compte. Il ne se défend pas de partager
les impressions de ses compatriotes et, sans revenir sur le désa-
veu qu'il a donné, à Vienne, à la politique de ressentiment, il
s'abstient cependant de le renouveler.
Rapprochées les unes des autres, les déclarations de Gort-
chakoff aux Autrichiens et à Baudin présentent donc des diffé-
rences qui, pour n'être pas essentielles, n'en sont pourtant pas
négligeables. Les deux mêmes éléments s'y combinent bien,
mais dans une proportion inverse ; dans les unes la neutralité
l'emporte sur la colère, dans les autres la colère domine la neu-
tralité. A quelle cause convient-il d'attribuer cette différence?
A première vue, on est tenté d'y voir la confirmation des
soupçons conçus par Bourqueney. Venu à Vienne dans l'inten-
tion de préparer les voies à une réconciliation avec l'Autriche,
Gortchakoff aurait été dépité de voir ses avances repoussées et
en serait reparti plus antiautrichien qu'il n'y était arrivé. Mais
c'est, selon nous, aller chercher bien loin la solution d'un pro-
blème qui s'explique tout naturellement, sans le secours d'au-
cune conjecture.
A Vienne, la prudence la plus élémentaire avait obligé
Gortchakoff à se contenir, à s'observer, et lui imposait une
contrainte qui n'était plus de mise lorsqu'il s'adressait à la
France. Avec elle, il n'avait que faire d'euphémismes et de pré-
cautions oratoires ; il avait son franc-parler ; bien plus, l'intérêt
dé la Russie le poussait plutôt à forcer la note et à hausser le
ton. Rien d'étonnant par suite à ce qu'on remarque de sa part
comme une tendance à faire parade de son ressentiment contre
l'Autriche, un certain empressement à aborder ce sujet avec nos
représentants, une certaine complaisance à s'y étendre. A
Vienne, il a mis une sourdine; pour se faire entendre à Paris,
il a appuyé sur la corde.
Ce n'est donc ni dans ses déclarations de Vienne, ni dans ses
entretiens avec Baudin qu'il faut chercher l'expression d'une
pensée qu'il a, tour à tour, atténuée et exagérée : c'est entre les
deux. Du reste, la part faite, dans les deux sens, à l'exagéra-
tion, les dispositions de Gortchakoff envers l'Autriche appa-
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLÉON III. 47
raissent encore comme rien moins qu'amicales. Au demeurant,
le contraire eût été surprenant.
Ministre de Russie à Vienne pendant la période la plus cri-
tique de la guerre de Crimée, il avait dû faire bonne mine à l'in-
gratitude autrichienne. « On comprend aisément », écrit un
témoin de cette époque1, « quel trésor de fiel ce séjour de Vienne
a dû amasser dans le cœur ulcéré du patriote russe » . A cette
amertume personnelle était venue se joindre une prévention rai-
sonnée contre un pajs dont il avait dit : « L'Autriche n'est pas
un État, ce n'est qu'un gouvernement. » A tort ou à raison
enfin, il a vu l'intérêt de la Russie à pactiser avec des Etats que
leurs ambitions devaient, tôt ou tard, mener à un conflit avec
l'Autriche. Il a espéré de ses complaisances, tour à tour, pour
la France et pour la Prusse, un profit en comparaison duquel
le sacrifice d'une plus ou moins grande part de la puissance
autrichienne lui a paru très léger, sinon indifférent. Les résul-
tats de sa politique expliquent et justifient le jugement qu'un
Autrichien2 a porté sur lui : « Gortchakoff a été, par principe,
adversaire de l'Autriche. »
Ainsi formulé, ce jugement est trop absolu pour pouvoir être
appliqué à Alexandre II. Son attitude, son langage n'ont pas
toujours, par la suite, été à l'unisson de ceux de Gortchakoff.
Leurs dispositions ont quelquefois paru différentes, pour ne pas
dire contradictoires, aux agents autrichiens. L'un d'eux, qui fut
deux fois accrédité à Saint-Pétersbourg, n'a pas craint de con-
clure de ces divergences que « l'orientation donnée par Gort-
chakoff à la politique russe n'a répondu en aucune façon aux
sentiments de son souverain »3. L'exagération d'une telle asser-
tion saute aux yeux. Alexandre II n'était pas homme à se laisser
conduire au rebours de ses désirs. La différence qui distingue
ses sentiments de ceux de Gortchakoff est une différence de
degré, d'intensité. Encore cette différence n'est-elle nullement
apparue au début du règne d'Alexandre II .
Le prince Lichtenstein étant venu à Varsovie le complimen-
1. Julian Klaczko, fonctionnaire du ministère autrichien, des Affaires étran-
gères, auteur de l'ouvrage très connu intitulé : Deux chanceliers : Bismarck
et Gortchakoff.
2. Le comte Revertera, chargé d'affaires d'Autriche à Pétersbourg, auteur de
souvenirs diplomatiques publiés dans la Deutsche Revue.
3. Revertera, op. cit.
40 FRANÇOIS-CHARLES ROT'X.
ter au nom de l'empereur François-Joseph, il le reçoit assez
froidement. « Le ressentiment », lui dit-il, « est complètement
étranger à mon cœur. Il ne peut m'influencer dans mes rap-
ports avec l'Autriche. Mais je ne saurais vous dissimuler que,
l'irritation de mes peuples contre votre pays est profonde et que
malgré moi, les affaires pourront bien se ressentir de cette irri-
tation K » A quelques mots près, c'est la pensée même que Gort-
chakoff a exprimée à Vienne : même affirmation de sentiments
personnels exempts de tout désir de vengeance ; même restric-
tion qui en affaiblit singulièrement la valeur.
L'antipathie d'Alexandre II envers l'Autriche a tiré sa force
d'une sorte d'indignation contre un procédé qu'il considérait
comme un manque de foi. Sept ans après les événements de 1849,
il ne pouvait contenir sa colère, au souvenir du jour où son
père, de ce même palais du Kremlin, où il contait le fait à
Mornv, avait donné l'ordre aux troupes russes de marcher au
secours de la monarchie autrichienne : « Ah ! cette Autriche !
Quelle politique perfide ! » s'écriait-il en évoquant ce souvenir.
La cour, la société n'ont eu aucune violence à se faire pour
être au diapason du souverain. Lorsque le prince Esterhazy, à
la veille de demander ses audiences, s'aperçut qu'il avait oublié
à Vienne ses lettres de créance, l'entourage de l'empereur ne
prit pas la peine de déguiser la satisfaction que lui causait cette
omission, qui donnait le pas à l'ambassadeur de France sur tous
ses collègues.
La France a donné aux manifestations de ce sentiment une
attention qui dénote l'intérêt qu'elle y a attaché. Alexandre II
et Gortchakoff semblent avoir d'abord pris à tâche de satisfaire
sa curiosité et de combler ses vœux. S'attendaient-ils à ce qu'elle
leur en témoignât plus de reconnaissance ? La chose est pos-
sible, car, après le refus opposé par la France à leur proposi-
tion de traité2, on remarque comme une détente dans leur atti-
tude envers l'Autriche.
Recevant en audience de congé ce même Esterhazy, dont la
déconvenue rencontrait, moins d'un an auparavant, un accueil
si peu charitable, Alexandre II lui dit « qu'il verrait avec plai-
1. Louis Thouvenel, Trois années de la question d'Orient, 1856-1859. Paris,
Calmann-Lévy, 1897.
2. Cf. notre article cité de la Revue historique, t. CI (1909).
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 19
sir que les relations entre la Russie et l'Autriche reprissent un
caractère de bonne harmonie plus conforme aux anciennes
traditions des deux cours ». Gortchakoff, qui, jusqu'alors, ne
perdait pas une occasion de parler de l'Autriche avec aigreur,
avait adouci son langage. Le feld-maréchal Radetzki ayant eu
un accident, le tsar faisait chaque jour demander de ses nou-
velles à Vérone par le télégraphe.
Mieux vaut quelquefois se faire un peu prier que de s'offrir
avec trop d'empressement. Le gouvernement français, qui était
resté insensible en apparence aux manifestations d'antipathie
de la cour de Pétersbourg pour celle de Vienne, s'inquiète de
ne plus observer d'indices de ce sentiment. A l'affût des
moindres symptômes de rapprochement entre ces deux pays, il
déplore d'en remarquer. C'est ce que Walewski écrit à Morny :
Il me revient de toutes parts à la fois, et de manière à faire supposer
qu'on obéit à des instructions uniformes, que l'attitude et le langage
des agents des deux cours se sont, durant ces derniers temps, sensi-
blement modifiés. L'Autriche aurait, dit-on, tenté d'apaiser le mécon-
tentement de la Russie et, réussissant à faire oublier les causes qui
l'avaient fait naître, elle aurait provoqué un rapprochement qui ten-
drait à rétablir les relations qu'elle entretenait autrefois avec le cabi-
net de Pétersbourg1.
Livrés à eux-mêmes, Alexandre II et Gortchakoff auraient
sans doute fini par revenir insensiblement à des rapports ami-
caux avec Vienne. Leurs sentiments personnels, si sincères
qu'ils fussent, n'étaient pas et ne pouvaient être longtemps une
garantie suffisante contre un revirement graduel de la Russie
du côté de l'Autriche. Le seul moyen d'en assurer, d'en accroître
même la force et la stabilité consistait dans une entente de la
France avec la Russie, qui tînt en haleine les sympathies et les
convoitises à Pétersbourg.
Plus les affaires se gâtent sur le Danube'2 et en Italie, plus la
nécessité de cette entente s'impose à Napoléon III. Les bases
en sont jetées à Stuttgard par les deux souverains en personne,
assistés de leurs ministres. L'échange de vues se poursuit au
cours des deux années qui suivent, au point d'aboutir à un
1. Walewski, 17 juin 1857.
2. Pendant les années 1856, 1857 et 1858, l'affaire des principautés donne
lieu à d'activés négociations.
Rev. HlSTOR. CV. Ie'' FASC. 4
50 FRANÇOIS-CHARLES Roi A.
accord proprement dit, d'aucuns disent à un traité secret, en
tout cas à des engagements précis en vue d'une hypothèse
déterminée.
Les étapes de ce rapprochement sont marquées par la visite
du prince Napoléon à Varsovie, en septembre 1858, et par les
deux missions du commandant La Roncière Le Noury à Saint-
Pétersbourg, en janvier et en février 1859.
Dès le moment où Napoléon III s'est résolu à imprimer cette
direction à sa politique, celle de la Russie envers l'Autriche
s'est dégagée des hésitations et des incertitudes qui s'y étaient
un instant glissées. Soutenus, stimulés même par l'intérêt d'une
entente avec la France, les sentiments personnels d'Alexandre II
et de Gortchakoff sont restés, en somme, jusqu'à l'issue de la
campagne d'Italie, à l'abri de toute atteinte et de toute influence.
Sans doute, en quittant Stuttgard, Alexandre II se rend-il à
Weimar, où il rencontre François-Joseph. Mais il a soin d'en
prévenir Napoléon III et de le rassurer d'avance sur le résultat
de cette entrevue. De retour à Pétersbourg, Gortchakoff dément,
en causant avec Baudin, l'opinion d'après laquelle Weimar
aurait été « le correctif » de Stuttgard. C'est à peine s'il ne jus-
tifie pas son souverain d'avoir accepté cette rencontre, à laquelle
il lui était impossible de se dérober. « Quant au résultat », con-
clut-il, « il a été ce que le comte Walewski et moi avions pré-
sagé ensemble, dans nos conversations de Stuttgard. Il n'y a
rien de changé dans les situations respectives, il n'y a que deux
souverains qui se sont rencontrés »1. Passant par Francfort, il
a dit la même chose à Bismarck.
Malgré tout, les dispositions de la Russie envers l'Autriche
continuent à faire, de la part de la France, l'objet d'une atten-
tion de tous les instants. C'est le premier point sur lequel se
portent les observations du duc de Montebello, lorsqu'il vient
prendre possession de l'ambassade de France à Pétersbourg2.
C'est aussi le premier sur lequel il se trouve en état de rassurer
son gouvernement. Dès l'audience qu'il lui accorde à son arri-
vée, Alexandre II lui apparaît en complet antagonisme avec
l'Autriche au sujet du Monténégro. Quant à Gortchakoff, il
donne cours à la plus violente amertume contre le cabinet de
Vienne et s'exprime même à son égard en termes très hostiles.
1. Baudin, 2 octobre 1857.
2. Montebello, 18 mai 1858.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 51
La sincérité des sentiments d'Alexandre II et de Gortchakoff
est garantie par les engagements qu'ils ont contractés envers
la France. Leur commune animosité contre l'Autriche a pris
corps, pour ainsi dire, dans ces engagements qui en sont comme
l'expression matérielle et la conclusion pratique. On connaît les
services auxquels ils se sont obligés envers Napoléon III : neu-
tralité bienveillante; concentration sur la frontière de Galicie
d'une force suffisante pour immobiliser une armée autrichienne;
pression sur l'Allemagne pour la faire tenir tranquille. Et sans
doute n'est-ce pas la rancune contre l'Autriche qui a déterminé
la Russie à souscrire à ces engagements : mais c'est bien ce
sentiment qui les a rendus possibles.
Sûr de la complicité de la Russie, Napoléon III a pris nette-
ment position en faveur du Piémont, qui a, de son côté, tra-
vaillé à se faire déclarer la guerre par l'Autriche.
A mesure que sa situation est devenue plus critique, l'Au-
triche a fait des efforts de plus en plus énergiques pour détacher
la Russie de la France et la gagner à sa cause. Son nouveau
ministre à Pétersbourg, le comte Karolyi, reçoit pour mission
de proposer à Alexandre II l'oubli du passé et le rétablissement
des anciennes relations d'amitié. Pour augmenter l'attrait de ses
offres, il est autorisé à parler des sacrifices que la cour de
Vienne est disposée à faire et à prouver qu'aucune alliance ne
peut rapporter à la Russie autant que lui donnerait celle de
l'Autriche (avril 1859). La Russie ne se laisse pas plus émou-
voir par les remords de François-Joseph que tenter par ses
invites.
En répondant à Karolyi, Gortchakoff rejette sur l'Autriche
toute la responsabilité de la rupture de l'ancienne alliance ; le
temps de la politique de sentiment était passé et la Russie enten-
dait garder sa liberté d'action. Alexandre II met peu d'empres-
sement à recevoir le nouveau ministre d'Autriche ; il lui parle
de manière à ne lui laisser aucun espoir : « Hier encore », dit-il
à Montebello, « j'ai vu Karolyi; ce qu'il me demandait, c'était
de la sécurité pour l'Autriche. Il aurait voulu que je prisse l'en-
gagement de rester neutre : j'ai été inébranlable. Il a fait appel
à mes sentiments : je lui ai répondu que l'empereur François-
Joseph devait comprendre mieux qu'un autre que l'on sacrifiât
ses sentiments à ce qu'on croit l'intérêt de son empire ' . »
1. Montebello, 17 -mai 1859.
52 FBÀNÇOIS-CHARLES ROUX.
Telles sont les conditions dans lesquelles s'engage la guerre
d'Italie. Par haine de l'Autriche et désir de lier partie avec la
France, la Russie s'est faite, en somme, la complice de Napo-
léon III et a souscrit envers lui à certains engagements. Elle
s'acquitte loyalement de ce qu'elle a promis : ordre est donné
aux trois corps d'armée du prince Michel Gortchakoff, en
Pologne, de compléter leurs effectifs, et au 5e corps de se porter
sur la frontière. Quant à l'Allemagne, la célèbre circulaire du
27 mai 1859 lui enjoint, assez impérieusement, de se tenir tran-
quille, et, personnellement, Alexandre II agit dans le même
sens sur toute sa famille allemande.
Mais la complicité acceptée dans cette aventure ne met pas
le gouvernement russe à l'abri de l'inquiétude. Il était inévi-
table que la guerre d'Italie ranimât cet instinct d'ordre et de
solidarité monarchique qui veillait dans l'âme d'Alexandre II et
que l'affaire de Naples avait mis sur ses gardes. « Tout ce qui
tendra à conserver à la lutte, aujourd'hui engagée, » écrivait
Montebello, « un caractère purement politique sera toujours
hautement approuvé ici. C'est en représentant la guerre d'Italie
comme fatalement destinée à devenir révolutionnaire que l'Au-
triche cherche à agir sur l'opinion et touche une corde sen-
sible1. »
La guerre engagée, l'Autriche, en effet, n'a pas encore
renoncé à modifier les dispositions de la Russie. — Peut-être
un négociateur plus haut placé et plus influent à Saint-Péters-
bourg sera-t-il mieux écouté que Karolvi : et la cour de Vienne
tâte le terrain en vue d'une mission qui serait confiée au prince
Windischgraetz. « Elle me serait très désagréable », déclare
Alexandre II à Montebello, « et j'espère qu'elle n'aura pas lieu.
S'il vient (le prince Windischgraetz), je le traiterai avec tous
les égards qu'il mérite; mais, quel que soit le ministre que
prenne l'empereur d'Autriche, quelque sympathique que me
soient les personnes qu'il m'enverra, elles n'obtiendront rien de
moi. Je vous le répète, je serai inébranlable-. »
Quelle meilleure garantie Montebello aurait-il pu souhaiter
pour être assuré que « les égards envers la personne du prince
ne seraient suivis pour l'ambassadeur ni d'un succès, ni d'une
1. Montebello, 2 mai 1859.
2. Montebello, 17 mai 1859.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 53
apparence de succès, car », ajoutait-il, « l'apparence seule aurait
déjà de la gravité1? »
Les contemporains ont cru discerner de la part d'Alexandre II
et de Gortchakoff, comme une intime satisfaction à repousser
les avances et les ouvertures de l'Autriche. Il semble bien, en
effet, que l'amour-propre du tsar et de son ministre ait trouvé
l'occasion d'une revanche à voir la cour de Vienne multiplier
les efforts et les démarches pour reconquérir leurs bonnes
grâces, faire amende honorable, reconnaître ses torts, promettre
de les racheter, aller en un mot aussi loin que sa dignité lui
permettait d'aller. Comment n'auraient-ils pas éprouvé quelque
charme à une résistance qui les vengeait, en quelque sorte, de
leurs propres humiliations et punissait de son ingratitude une
alliée inconstante? « Tout en disant », écrit Montebello, « que
la rancune ne doit pas inspirer la politique d'une grande puis-
sance, le prince Gortchakoff développait ce thème avec assez de
complaisance pour laisser voir que, si le temps de la politique
de sentiment était passé, celui de la politique de ressentiment
ne l'était pas »'2.
Si inflexibles qu'ils se fussent montrés envers l'Autriche,
Alexandre II et Gortchakoff n'en ont pas moins été spontané-
ment émus de l'essor que la guerre d'Italie donnait aux passions
révolutionnaires. Cette guerre est à peine déclarée que déjà ils
redoutent de la voir dégénérer en insurrection nationale et
mettent la France en garde contre cet écueil. « Le prince Gort-
chakoff a plus d'une fois insisté auprès de moi », écrit Monte-
bello, « sur l'importance de ne point laisser prendre à la guerre
un caractère irrégulier »3.
Il était plus facile de signaler le danger que de l'éviter, et
demander à Napoléon III de réfréner les passions qu'il venait
satisfaire, c'était exiger de lui l'impossible. L'Autriche l'avait
très bien compris ; aussi avait-elle adopté une tactique très
habile en assimilant le conflit à la lutte du principe révolution-
naire contre le principe conservateur dont elle se proclamait le
champion. Le manifeste lancé par Napoléon III partant pour
l'Italie fournit à Karolvi la première occasion d'exploiter ce
thème et à Montebello de le réfuter : « Je ne saurais trop vous
1. Montebello, 9 mai 1859.
2. Id., 29 avril 1859.
3. Id., 9 mai 1859.
54 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
dire », mandait notre ambassadeur à Walewski, « combien la
susceptibilité est vive sur ce point et combien nous devons
être soigneux d'éviter tout ce qui peut l'éveiller »1. Tout en
démentant les allégations de son collègue d'Autriche, Monte-
bello était bien forcé de s'avouer à lui-même qu'elles contenaient
une part de vérité. « Plus ce caractère est au fond des choses »,
disait-il en parlant du caractère révolutionnaire de la guerre,
« plus nous devons mettre de soins à conjurer ce mauvais côté
de notre situation »~.
C'était reconnaître implicitement que les arguments de l'Au-
triche portaient. Quelque plaisir, en effet, qu'Alexandre II et
Gortchakoff éprouvassent à voir l'Autriche battue, et battue par
nos mains, tout ce qui « sentait la Révolution » tendait à nous
aliéner leurs sympathies. Les mots de nationalité et de civilisa-
tion sonnaient désagréablement à leurs oreilles. Gortchakoff
glissait dans le premier projet de sa célèbre circulaire aux Etats
allemands un coup de patte contre ces expressions, et Monte-
bello devait s'employer à lui faire effacer cette boutade, qui avait
comblé d'aise le vieux Nesselrode.
Les événements eurent bientôt fait de démontrer à Alexandre II
et à Gortchakoff qu'il était impossible à Napoléon III de répu-
dier l'alliance du parti unitaire italien, et même qu'il lui était
nécessaire de s'appuyer sur ce parti, d'autant plus que sa lutte
avec l'Autriche devenait plus âpre et plus impitoyable. D'autre
part, les défaites de l'Autriche devaient naturellement tendre à
atténuer chez Alexandre II et chez Gortchakoff l'intensité de
leur ressentiment contre elle. Leur vengeance était suffisamment
assouvie et par les victoires de la France et par leur propre
participation aux événements. Les dispositions de Gortchakoff
envers la cour de Vienne n'en ont pas été sensiblement modi-
fiées ; celles d'Alexandre II l'ont été davantage ; on constate chez
lui, depuis Solferino, une tendance à se relâcher de ses rigueurs
envers elle.
Il est rare que les défaites d'un peuple lui ramènent les sym-
pathies d'un souverain neutre, ce souverain fût-il Alexandre II.
La France est paj'ée pour le savoir. Ce n'est donc pas à la pitié
qu'il faut faire remonter l'origine du léger revirement qui se
1 . Montebello, 9 mai 1859.
2. Id., 27 mai 1859.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 55
manifeste chez le tsar. Ce peut être à l'appréhension de voir par
trop affaiblir l'Autriche. C'est surtout, croyons-nous, à la crainte
de la Révolution, par laquelle Napoléon III se trouvait débordé
en Italie. L'inquiétude qu'éprouvait Alexandre II à voir la Révo-
lution gagner du terrain devait, en effet, lui faire désirer la paix
comme le seul moyen d'enrayer les progrès du mouvement
révolutionnaire. S'il n'a point fait état de cet argument pour
engager Napoléon III à s'arrêter après Solferino, il ne s'ensuit
nullement que sa propre décision n'en ait pas été largement
influencée. Ainsi du moins en a jugé Napoléon III lui-même qui,
dans une lettre autographe adressée peu après à Alexandre II,
déclare avoir déposé les armes pour ne pas agir contre la poli-
tique russe en soulevant la Galicie et la Hongrie.
A la crainte de la Révolution est venu se joindre un autre
sentiment qui a exercé aussi une influence décisive sur les dis-
positions du tsar : c'est l'attachement à la Prusse, avec laquelle
il lui eût fallu peut-être entrer en conflit pour permettre à la
France de poursuivre sa marche. Ces deux considérations ont
certainement eu beaucoup plus de part qu'un intérêt tardif pour la
conservation de l' Autriche, à la résolution que prit Alexandre II,
après Solferino, d'envoyer un de ses aides de camp à Napo-
léon III, avec une lettre lui conseillant de s'arrêter.
A aucun moment, pendant la guerre d'Italie, l'exécution des
promesses que la Russie avait faites à la France n'a donc été
entravée, ou seulement contrariée par le souci de ménagements
à garder envers l'Autriche. S'il est vrai qu'après Solferino
l'appui d'Alexandre II et de Gortchakoff a faibli au point de for-
cer la France à s'arrêter, il n'en faut pas chercher la raison
dans une tardive rentrée en grâce de l'Autriche à Saint-Péters-
bourg, mais bien dans les considérations auxquelles cette puis-
sance a été à peu près totalement étrangère, encore qu'elle en
ait bénéficié.
Les soucis que leur avait inspirés l'avenir peuvent se mesu-
rer à l'immense satisfaction que provoquèrent, chez Alexandre II
et Gortchakoff, les préliminaires de Villafranca. La conclusion
de la paix les délivrait en effet de leurs préoccupations les
plus immédiates et les plus pressantes. Les conditions en étaient
exactement conformes à leurs vœux, en consacrant un affaiblis-
sement raisonnable de l'Autriche au profit du Piémont, sans con-
cession directe à la Révolution. Mais pour être éclairci, l'horizon
56 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
politique n'en était pas déblaie de tout nuage. Les trois quarts
de l'Italie attendaient encore l'indépendance et la liberté que la
paix ne leur avait pas données ; le sentiment national protestait
contre un résultat disproportionné avec les espérances qu'il
avait conçues; l'opinion publique réclamait l'unité sous le
sceptre du Piémont ; les forces qui s'étaient levées et organisées
à l'appel de Victor-Emmanuel et de Napoléon III restaient
debout, enhardies par le succès, irritées par la déception.
La satisfaction de voir la paix rétablie n'a pas empêché
Alexandre II et Gortchakoff de discerner ces points noirs. Leurs
efforts ont immédiatement tendu à les dissiper. Le seul moyen
d'empêcher que l'ordre de choses établi à Villafranca fût dépassé,
c'était, selon eux, de le faire sanctionner le plus tôt possible par
l'Europe. Il fallait se hâter de donner aux arrangements pris
directement entre les deux souverains de France et l'Autriche la
ratification et la garantie de l'Europe entière. Seul l'accord des
grandes puissances pouvait obliger le Piémont à se renfermer
dans les limites des clauses de Villafranca. Il n'était pas inutile
non plus d'apposer sur ces conditions, quelque peu viciées
dans leur principe par l'esprit révolutionnaire, l'estampille du
droit public européen. Ces divers résultats ne pouvaient être
que l'œuvre d'un congrès, auquel seraient invitées toutes les
grandes puissances. La perspective d'y représenter son souverain
souriait particulièrement à Gortchakoff, que ne laissait pas indif-
férent l'espoir de s'y tailler un rôle à sa convenance et de faire
reconnaître à la fois sa supériorité et ses principes.
Cet espoir ne tarde pas à lui échapper. Fomentée par le Pié-
mont, la révolution éclate dans les duchés; l'Italie centrale
chasse ses gouvernants et réclame son annexion à la monarchie
de Savoie. Partout les souverainetés légitimes sont renversées,
les pouvoirs réguliers remplacés par des dictatures révolution-
naires. Le cabinet de Turin a pris la tête du mouvement dont il
s'apprête à profiter.
Un Nicolas Ier se fût peut-être, dans les mêmes circonstances,
porté à quelque extrémité, eût lancé un défi à la révolution,
entraîné les souverains de droit divin à une croisade contre les
peuples et leurs alliés couronnés. Mais, Alexandre II et Gort-
chakoff sont aussi peu enclins l'un que l'autre à ces partis
extrêmes, dont les éloignent leur caractère, leurs maximes poli-
LA RUSSIE ET LA rOLITIQlE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 0 I
tiques et la situation de la Russie au regard de l'Europe. Bien
que généreux, chevaleresque même, profondément imbu des
principes autocratiques, Alexandre II n'a rien d'un paladin ; un
sens pratique très aiguisé tempère et comprime les élans de sa
sensibilité, de son orgueil ou de sa foi monarchique. Gortchakoff,
qui se donne volontiers les airs d'un théoricien, se targue d'ap-
pliquer un système et affecte une grande rigueur sur les prin-
cipes, est au fond un simple empirique qui met son empirisme
au service d'une cause nullement désintéressée.
Ce n'est pas à dire qu'il n'ait, comme aussi Alexandre II, quelques
maximes politiques, nous entendons par là quelques idées direc-
trices. La principale, et en tout cas la seule qui nous intéresse
ici, est un parti pris de réaction contre la prétention de Nico-
las Ier à se considérer comme le champion du droit monarchique
et à régenter l'Europe. « On a assez longtemps abusé de la
Russie au moyen des grands mots de légitimité et de principes
conservateurs », s'écrie Gortchakoff devant Montebello, «on lui
a persuadé qu'il était de son intérêt d'épuiser ses trésors et de
verser son sang pour leur défense et, au jour du danger, on l'a
abandonnée et trahie1! » Ne nous attendons pas à trouver sur
les lèvres d'Alexandre II une critique aussi acerbe de la poli-
tique de son père. « Il ne m'appartient pas d'accuser mon père »,
a-t-il dit à Morny, comme pour s'excuser d'ajouter seulement :
« Il se croyait trop peut-être le dépositaire des formes tradition-
nelles »2. La piété filiale empêche manifestement .Alexandre II
de désavouer la politique de Nicolas Ier; mais s'il a cherché à
l'expliquer, à la justifier, n'est-ce pas la meilleure preuve qu'il
la condamnait?
Eût- il voulu d'ailleurs la suivre qu'il n'en eût pas eu les
moyens. La situation de la Russie en Europe n'est pas ce qu'elle
était au temps de Nicolas Ier et de Nesselrode. Alexandre II et
Gortchakoff dirigent la politique d'un état récemment vaincu,
encore incomplètement remis de sa défaite; leur pa}*s a subi, au
congrès de 1856, des conditions auxquelles ils ne se résignent
pas et dont l'abrogation est l'objectif invariable, constant de
leur diplomatie. Effacer les clauses humiliantes du traité de Paris,
1. Montebello, 16 septembre 1859.
2. Une ambassade en Russie.
58 F1UNÇ0IS-CHARLES ROUX.
rendre à la Russie son prestige traditionnel et son ancienne pré-
pondérance en Orient est le but vers lequel ils marchent patiem-
ment, sans hâte, mais aussi sans relâche. Pour saisir les causes
de leur attitude en présence des problèmes internationaux quels
qu'ils soient, il importe de ne pas perdre de vue cette préoccu-
pation, constamment présente à leur esprit. Elle n'est pas exclu-
sive d'autres considérations, d'autres intérêts, mais elle domine
et prime, au besoin, tout ce qui ne se rapporte pas à elle hormis,
bien entendu, le souci de sauvegarder l'intégrité de l'empire.
Elle est la cause principale des sympathies et des antipathies de
la Russie.
Or, dans l'œuvre de réparation et de relèvement qu'ils ont
entreprise, Alexandre II et Gortchakoff ont, à son insu, réservé à
la France une sorte de collaboration inconsciente. Dans l'état
de l'Europe après la guerre de Crimée, la bonne grâce inespérée
du gouvernement français, ses sympathies avouées pour la
Russie leur sont apparues à juste titre comme une circonstance
exceptionnellement favorable à leurs desseins. C'est sur lui qu'ils
ont compté et comptent encore pour leur en faciliter l'exécution.
Le besoin qu'ils ont de lui, l'espoir qu'ils fondent sur son con-
cours les obligent à tenir compte, dans une certaine mesure, de
sa politique, de ses tendances, même si elles vont à l'encontre
des principes qu'ils ne peuvent renier.
Mais de là à assister aux événements en spectateurs indiffé-
rents, il y a loin. L'insurrection de l'Italie centrale ne surprend
pas Alexandre II ni Gortchakoff, mais les émeut beaucoup.
« Quoique le temps soit passé », écrit Montebéllo, « où, suivant
l'expression du prince Gortchakoff, la Russie s'était faite la
maréchaussée de l'Europe, on- ne s'est pas accoutumé ici à voir
tomber un trône avec indifférence, ce trône fût-il le plus petit de
l'Europe1. »
Grands ou petits, les trônes, pourvu qu'ils soient légitimes,
ont en effet, aux yeux de la Russie de ce temps, les mêmes titres
à l'intangibilité, qu'ils tiennent du droit monarchique, du droit
divin. Chaque fois qu'un trône s'écroule, tous les autres sont
atteints dans le principe qui constitue leur base et fait leur soli-
dité. Tolérer que la volonté d'un peuple les élève et les renverse
1. Montebéllo, 2 septembre 1859.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 59
à son gré, c'est sanctionner la substitution à l'ancien droit
monarchique d'un droit nouveau : le droit populaire. Permettre
aux peuples de disposer d'eux-mêmes, de se grouper d'après
leurs affinités, de se séparer d'après leurs antipathies, c'est
étendre le même principe aux relations internationales, faire
subir le même sort à l'ancien droit public européen .
Or, c'est à cette conséquence qu'aboutit la lutte engagée en
Italie, entre ces deux principes opposés, entre ces deux droits
contradictoires. Pour que la Russie y fût indifférente, il aurait
fallu qu'elle eût oublié la Pologne et la Finlande, et l'autocratie et
le servage, et tout ce qui le rendait solidaire de tous les princes
qui régnent sur un peuple par la grâce de Dieu et sous la foi des
traités. L'intérêt qu'Alexandre II et Gortchakoff prenaient aux
affaires d'Italie n'avait donc sa raison d'être ni dans un senti-
ment de sympathie pour les princes dépossédés ou menacés, ni
dans une prévention exagérée contre toute modification au
statu quo territorial de la péninsule. Que Modène, Parme et
Florence fussent ou ne fussent pas dévolus au Piémont, c'est ce
qui ne leur importait guère. Leur intérêt était d'une tout autre
nature, essentiellement théorique et cependant essentiellement
égoïste.
Le sort les contraignait au rôle de censeurs impuissants; il
avait au contraire mis aux mains d'un autre les armes qui leur
faisaient défaut à eux-mêmes. Napoléon III était, du moins le
croyaient-ils, en mesure de couper court au mouvement unitaire
italien. Il ne le pouvait pas seulement à leurs yeux, il le devait,
comme ayant contribué à déterminer et à précipiter la crise. Mais
qu'importait qu'il le pût et qu'il le dût, s'il ne le voulait pas?
C'est donc, en dernière analyse, de sa volonté, de ses dispositions
que dépendait la sauvegarde des principes auxquels était lié l'in-
térêt de la Russie.
Supposer qu'Alexandre II et Gortchakoff ont cru Napoléon III
spontanément disposé à enrayer la révolution italienne serait
faire trop de crédit à leur naïveté. Mais il leur convenait à tous
égards de ne pas paraître en douter. D'abord c'était la seule
manière d'influer sur ses dispositions, de neutraliser ses sym-
pathies italiennes, de l'amener à compter avec les désirs de la
Russie; et, si présomptueux que fût cet espoir, il n'est pas dou-
teux qu'Alexandre II et Gortchakoff s'en sont bercés, même plus
60 FRÀNÇOIS-CHAELES RODX.
longtemps que de raison. Ensuite, c'était encore le meilleur
moyen d'amener Napoléon III, s'il venait à décevoir leur attente
et leur confiance, à les dédommager, sur un autre terrain, des
épreuves mêmes auxquelles il aurait soumis leur fidélité. En tout
état de cause, leur intérêt les incitait donc à ne rien lui dissimuler
des tourments que leur causaient les événements de la pénin-
sule, à remettre leur cause entre ses mains, à affecter une con-
fiance absolue dans son zèle pour les principes monarchiques.
C'est sous le couvert de cet euphémisme que parviennent à
Napoléon III les premières invites de la Russie. « La guerre
d'Italie a malheureusement fait naître » , écrit Montebello,
« une certaine confusion morale, devant laquelle l'empereur a
eu la gloire de s'arrêter; son esprit élevé saura raffermir ces
ébranlements1. »
La révolution garde ses positions, la France reste l'arme au
pied, et cependant Alexandre II et Gortchakoff n'en témoignent
ni surprise, ni émotion. Ont-ils voulu laisser à Napoléon III le
temps dont il avait besoin pour accomplir son évolution et ména-
ger les transitions? Ont-ils craint de démasquer prématurément
leur défiance et leurs appréhensions? Napoléon III a-t-il obtenu
d'eux, en faveur du Piémont, une sorte de quitus pour l'éman-
cipation des duchés? Cette dernière hypothèse paraît être la
vraie.
A la fin de septembre 1859 part pour Pétersbourg un officier
d'ordonnance de l'empereur, le colonel Reille. Il a pour mission
officielle de porter au tsarévitch, qui vient d'atteindre sa majo-
rité, le grand cordon de la Légion d'honneur. Mais, avant de
quitter les Tuileries, il a reçu de Napoléon III une lettre auto-
graphe pour Alexandre II. Il la lui remet le 21 septembre, a une
longue entrevue avec Gortchakoff et rapporte à Paris une
réponse du tsar. Sur le contenu de ces deux lettres, les seules
indications que nous possédions sont des allusions échappées à
Gortchakoff et à Montebello, au hasard de la conversation. Elles
ne font pas mention d'une entente sur le sort des duchés. Mais
cette entente, peut-être verbale, plus probablement tacite, n'en
résulte pas moins des faits. Napoléon III a dû s'assurer, non
pas l'approbation, non pas même le consentement d'Alexandre II
1. Montebello, 2 septembre 1859.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 61
et de Gortchakoff à l'émancipation des duchés, mais leur rési-
gnation au fait accompli et à ses conséquences.
Les motifs de cette résignation sont aisés à déterminer.
D'abord Alexandre II et Gortchakoff ne se résignaient qu'à ce
qui était fait ou imminent ; or, vouloir revenir sur ce qui était
fait, — l'émancipation des duchés, — ou empêcher ce qui était
imminent, — leur réunion au Piémont, — paraissait également
chimérique. En faisant la part du feu, on se réservait la possibilité
de protéger plus efficacement contre l'incendie le reste de l'Italie.
En outre, l'idée d'un congrès n'était pas encore abandonnée;
elle laissait subsister une faible chance de voir l'Europe prendre
en mains l'a question italienne et enlever aux peuples de la
péninsule le règlement de leurs propres affaires. Enfin la con-
cession faite aux vœux de Napoléon III pouvait devenir à ses
jeux une sorte d'engagement moral à ne pas permettre que la
limite en fût dépassée.
Napoléon III a certainement encouragé ces illusions par des
déclarations de principe sur ses sentiments conservateurs.
Est-ce là tout ce qu'il a donné en échange du quitus obtenu pour
l'émancipation des duchés? Il est probable, sans qu'on puisse
en aucune façon l'affirmer, que Reille a été autorisé à faire
quelque allusion vague à l'empire ottoman, en laissant entrevoir
la complaisance possible de l'empereur des Français pour la poli-
tique des Russes en Orient.
Dès l'instant qu'ils renonçaient à poursuivre la fin , Alexandre II
et Gortchakoff renonçaient à poursuivre les moyens. En se rési-
gnant à passer condamnation sur le soulèvement des duchés et
sur ses conséquences fatales, ils consentaient du même coup à
tenir Napoléon III quitte de toute intervention , tant que le
champ d'action du Piémont resterait limité à cette partie de
l'Italie centrale. Aussi longtemps qu'il en fut ainsi, l'abstention
de la France n'a provoqué de leur part ni observations, ni
doléances. Tout au plus ont-ils rompu le silence, lorsque le Pié-
mont a déclaré accepter les vœux d'annexion des duchés.
Encore se sont-ils bornés à demander que le gouvernement
français « ne se presse pas de reconnaître les annexions ».
C'était dire qu'ils ne mettaient même pas en doute cette recon-
naissance et la considéraient comme inévitable, tout en souhai-
tant qu'elle se fît un peu attendre.
62 F.-C. ROUX. — LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON.
Mais, s'ils ont pris leur parti de l'abstention de Napoléon III,
ils ne sont pas disposés à admettre son intervention, même
morale, en faveur de la révolution. Lorsqu'il l'oublie, un sévère
rappel à l'ordre l'en fait souvenir.
Sous le titre le Pape et le congrès, paraît sans nom d'auteur
une brochure émettant sur la question italienne des idées beau-
coup plus inspirées des revendications nationales que des prin-
cipes conservateurs. L'opinion en attribue aussitôt la paternité
à l'empereur, qui ne la renie pas. Cette incartade fait scandale
à Pétersbourg, où elle est jugée du plus mauvais goût. « Je ne
comprends pas », dit Gortchakoff à Montebello, « que vous hési-'
tiez à faire mettre un désaveu formel au Moniteur. C'est un
ami qui vous parle ainsi : l'Europe a besoin de repos; si vous la
troublez ainsi périodiquement, vous inspirerez la défiance à
tout le monde et vous finirez par vous aliéner vos meilleurs
amis1. » C'était un véritable avertissement, et rarement, il faut
en convenir, gouvernement en a reçu de mieux fondé, de plus
catégorique et de plus loyal.
François-Charles Roux.
(Sera continué.)
1. Montebello, janvier 1860.
MÉLANGES ET DOCUMENTS
L'AFFAIRE DE MANTOUE EN 1613.
L'AVIS DE VILLEROY A MARIE DE MEDICIS
(8 NOVEMBRE l(i 13).
A la fin de l'année 1612 mourut François, duc de Mantoue, lais-
sant une veuve, Marguerite, fille de Charles- Emmanuel de Savoie,
et une fille de quatre ans, la princesse Marie. L'héritier légitime
était le frère du défunt, le cardinal Ferdinand de Gonzague. qui devait
être proclamé duc, en l'absence d'un successeur mâle. La question
restait encore douteuse, car, disait-on, Marguerite était enceinte. En
attendant la délivrance de sa belle-sœur, le cardinal prit en mains le
pouvoir'.
Cette affaire de succession attira aussitôt l'attention des trois puis-
sances qui avaient tant d'intérêts particuliers à surveiller dans l'Italie
du Nord, la Savoie, la France et l'Espagne.
1. L'histoire du conflit est très insuffisamment décrite chez les premiers
historiens de Louis XIII : Le Vassor {Histoire de Louis XIII..., 1757, t. I) et
le P. Grifl'et (Histoire du règne de Louis XIII..., 1758, t. I); Vittorio Siri,
dans ses Memorie recondite, t. III, p. 31 et suiv., est plus complet; Bazin,
dans son Histoire de France sous Louis XIII, 1846, in-8°, t. I, semble s'être
inspiré de Siri ; B. Zeller, dans la Minorité de Louis XIII. Marie de Médicis
et Villeroy, 1897, in-8°, fait oublier les auteurs précédents; il nous a fait con-
naître la première partie du conflit (jusqu'au mois de juillet) d'après les sources
vénitiennes et florentines. Il ne dit que quelques mots sur la fin du conflit
(juillet-décembre) et ne parle pas de l'Avis de Villeroy. Il n'a pas exploité cer-
taines sources manuscrites très importantes : les papiers de Simancas, K. 1468,
K. 1609, les dépèches du nonce Ubaldini, dont les copies sont conservées dans
le fonds italien, n° 35. Un historique complet de l'afl'aire devrait être précédé
d'un dépouillement de ces sources et de recherches aux archives de Turin.
Nous avons tenté surtout dans cette courte étude de faire connaître les inten-
tions et la politique du gouvernement français et mettre en valeur l'Avis de
Villeroy à la Régente, du 8 novembre 1613.
64 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Charles-Emmanuel Ier, qui fui le plus ambitieux cl le plus turbu-
lent des ducs de Savoie, avait passé sa vie à méditer de prodigieux
rêves de grandeur et de conquêtes. Il avait voulu être empereur, roi
de Pologne, de Provence, de Chypre, deMoréc, d'Albanie, de Sicile,
de Sarclaigne; à défaut de la couronne de France, il avait convoité
la Provence et le Dauphiné. Ces chimères ne l'avaient pas détourné
de desseins plus positifs et plus facilement réalisables. Si dans sa
lutte contre Henri IV il avait perdu ses territoires au delà du
Rhône, il avait gardé le marquisat de Saluées, s'était débarrassé des
garnisons françaises, était resté maître chez lui. A aucun prix il ne
voulait rester le chef d'un médiocre État montagnard, et sans trêve
il guettait à tous les points de l'horizon l'occasion d'agrandir son
duché, par la paix ou par la guerre, par les voies honnêtes ou par
la perfidie. Depuis longtemps les ducs de Savoie avaient des préten-
tions sur le Montferrat, dont Charles-Quint avait donné l'investi-
ture aux Gonzague. Charles-Emmanuel les avait abandonnées à sa
fille en la donnant au duc de Mantoue. La disparition de son gendre
n'offrait-elle pas au duc l'occasion de reprendre ses projets ambi-
tieux?
La ligne de conduite du gouvernement français était tracée
d'avance avec une netteté parfaite et nul, dans le royaume, n'émit le
moindre doute sur ce qui était de l'intérêt évident du pays. Nos rois
étaient de vieux alliés des Gonzague. Le duché de Mantoue-Mont-
ferrat était un des plus forts parmi ces petits États indépendants de la
péninsule qui se tournaient d'instinct vers la France pour être pro-
tégés contre les Savoyards ou les Espagnols. Cette fois, le rôle
était beau, car l'intérêt du royaume se confondait avec la justice et
avec la cause de la paix publique dont la Régente voulait être la
« protectrice » ' .
La situation de l'Espagne était au contraire très équivoque. Du
temps de Henri IV on n'aurait pas douté un seul instant de ses inten-
tions ; les deux rois catholiques se faisaient la guerre « en renards » ,
cherchant à « s'entre malfaire » le plus possible, vivant entre eux,
comme disait d'Ossat, « en perpétuelle inquiétude et en quelque
danger »2. Leurs conflits étaient particulièrement envenimés dans
la plaine du Pô par l'action d'un dangereux homme de guerre,
Fuentès, gouverneur du Milanais, qui pendant dix ans, par ses
armements, ses menaces perpétuelles, avait été la terreur des Gri-
sons, des Vénitiens et de tous les états non inféodés à l'Espagne. Le
1. Voir plus loin l'Avis.
2. D'Ossat à Villeroy, 10 février 1603, Lettres du cardinal d'Ossat, éd.
d'Amsterdam, 1735, in-12, t. II, p. 589.
l'affaire de mantoue en 1613. 65
gouvernement de la régence, inspiré par Villeroy, avait résolument
renoncé à une politique d'hostilités qui pouvait être infiniment dan-
gereuse pour un royaume troublé, gouverné par une femme et un
enfant. On avait arrêté les mariages espagnols et signé un traité
d'alliance défensive entre les deux États (30 avril 1611). Les deux
gouvernements s'appliquaient à vivre en bonne intelligence et en
amitié sincère; en haut, la bonne volonté ne manquait pas. Phi-
lippe III et ses ministres étaient des tempéraments pacifiques.
Fuentès avait été remplacé dans le Milanais par un gouverneur plus
conciliant, le marquis de l'Ynoyosa. La Bégente, Villeroy et la plu-
part des membres du Conseil voulaient la paix; Villeroy, qui était
le chef de la diplomatie française, se montrait particulièrement
souple, modéré, ingénieux dans Fart de maintenir entre les deux
pays de bonnes relations. Une telle œuvre était quelquefois difficile.
L'alliance avait contre elle des ennemis acharnés dans les deux
royaumes : en France, le parti huguenot, qui redoutait un retour
offensif de l'esprit d'intolérance, et les grands seigneurs mécon-
tents, les Condé et les Soissons, qui flattaient les protestants.
Au dehors, certains princes travaillaient de toutes leurs forces à
désunir les deux pays ; le plus habile était le duc de Savoie qui cher-
chait à pêcher en eau trouble cl qui était fort quand la France et l'Es-
pagne étaient affaiblies par leurs querelles. Enfin, les deux royaumes
avaient été si longtemps aux prises l'un avec l'autre que les sujets de
dispute n'avaient pu disparaître par enchantement; bien des
méfiances subsistaient, entretenues parfois par des gouverneurs ou
des agents plus zélés que leurs maîtres, tels que le vice-roi de
Navarre et le marquis de La Force, son voisin, qui, en 1613, avaient
ranimé le vieux différend des frontières pyrénéennes. Il était extrê-
mement difficile de concilier sur certains points des intérêts opposés.
On respectait la trêve des Pays-Bas. On élait arrivé à un modus
vivendi au sujet des affaires d'Allemagne ; mais comment s'entendre
parfaitement en Italie dont l'hégémonie était convoitée par les deux
nations catholiques?
Les événements traînèrent pendant les quatre premiers mois de
1613 et tout à coup se précipitèrent a la fin d'avril. On apprit offi-
ciellement que la duchesse n'était pas enceinte et qu'elle voulait
quitter Mantoue pour se retirer à Turin. Le cardinal la laissait libre,
mais il était résolu à garder la jeune princesse Marie. L'empereur
Mathias, son suzerain, lui avait en effet attribué la tutelle de sa
nièce, dans l'espoir d'éviter un conflit entre la Franco, la Savoie et
l'Espagne. Mais alors Charles-Emmanuel découvrit brutalement
ses desseins. Il occupa les villes de Trino, de Moncalvo et d'Alba
Rev. Histor. CV. 1er fasc. 5
66 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
et marcha avec ses canons contre Casai, la grande place forte du
Montferrat. Le duc Charles de Nevers, parent du cardinal, qui
voyageait à ce moment sur la côte méditerranéenne, ayant appris
celle nouvelle, se jeta avec quelques hommes dans Casai pour la
défendre.
Le cardinal et le duc de Nevers réclamèrent aussitôt l'appui du
gouvernement de la Régente. La Reine et ses ministres parlèrent
avec énergie. On écrivit immédiatement au duc de Savoie qu'il eût
à renoncer à ses entreprises et à restituer les villes usurpées. Le
maréchal de Lesdiguières reçut l'ordre de se tenir prêt sur la fron-
tière savoyarde. La noblesse française, avide de gloire et d'aventures,
tressaillit d'aise au bruit de ces préparatifs. Le duc de Longueville,
neveu de Nevers, et ses jeunes compagnons de cour, demandèrent à
partir pour Casai et Mantoue. La Reine qui, à ce moment, était
brouillée avec Condé, — pour la quatrième fois depuis la mort
de Henri IV, — le rappela à la cour pour montrer à l'étranger une
noblesse unie. M. le Prince proposa aussitôt de dresser de nom-
breuses troupes de guerre et d'employer l'argent de la Bastille. Le
jeune roi Louis XIII, qui avait hérité du courage de son père, bat-
tait des mains et disait à sa mère : « Madame, je suis bien aise, il
faut faire la guerre 1 . »
Les ministres avaient conseillé ces mesures énergiques, sans par-
tager l'enthousiasme des seigneurs. Villeroy disait qu'on ne pouvait
penser à franchir « ce saut sans frémissement et horreur ». Il fallait
tenter tout autre moyen avant de déclarer une guerre qui amènerait
la rupture entre la France et l'Espagne, l'écroulement d'une poli-
tique d'entente et de mariage dont le roi et la France, estimait le
vieux ministre, avaient déjà recueilli « tant de contentement et de
bien »2.
L'attitude des Espagnols était assez inquiétante. Le gouverneur
du Milanais n'avait rien fait pour s'opposer aux entreprises du duc
de Savoie. Cette « froideur et lenteur » autorisait toutes les suppo-
sitions. Etait-ce de la complicité ou de la faiblesse? Les plus « intel-
ligents », dit Villeroy, l'attribuaient « à l'un et à l'autre défaut ». Ne
pouvait-on pas redouter que les Espagnols, sans avoir l'intention
réelle de faire la guerre à la France, ne cédassent à la tentation de
s'emparer en pleine paix de quelques bonnes places, d'accord avec
la Savoie?
On résolut donc de négocier directement avec la cour de Madrid.
1. Héroard, Journal sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII, t. II,
p. 127.
2. "Voir plus loin Y Avis.
l'affaire de mantoue en 1613. 67
L'ambassadeur français fit auprès du roi Philippe III et du duc de
Lerme des démarches pressantes en faveur de la paix. Pendant plu-
sieurs semaines, on n'obtint que des réponses vagues. Durant cette
période, la diplomatie française avait agi très adroitement. Procla-
mant fort haut la justice de sa cause, elle avait cherché à nouer
autour de Mantoue un faisceau de sympathies et d'ententes assez
fort pour faire impression aux Espagnols. On avait sollicité l'Em-
pereur, on avait prié le grand-duc de Toscane de coopérer à une
démonstration armée contre la Savoie. On avait demandé l'appui du
pape Paul V qui ne voulut pas se déranger. On était naturellement
d'accord avec Venise dont le zèle, au dire de Villeroy, avait plutôt
besoin d'être modéré, car la République de Saint-Marc aurait été
enchantée de voir éclater une guerre entre la France et l'Espagne.
Cette politique eut de bons résultats. Au début du mois de juin,
le roi d'Espagne se décida à donner au gouverneur de Milan l'ordre
formel de forcer le duc de Savoie à restituer les places conquises.
L'affaire semblait terminée. Les historiens de Louis XIII l'ar-
rêtent presque tous à cette date, en ajoutant qu'un arrangement
inspiré par les Espagnols assoupit bientôt les démêlés du duc de
Savoie et du duc de Mantoue, à la satisfaction de ces derniers et de
la France. Ils ont négligé de décrire la seconde phase du conflit qui
dura encore six mois, et fut si grave que l'on dut poser à nouveau
au conseil du roi la question d'une intervention armée.
Le duc de Savoie avait renoncé à parler ouvertement de guerre
et avait congédié les troupes rassemblées sur la frontière française.
Mais il avait concentré ses soldats aux portes du Montferrat et il
continuait à menacer et à intimider le duc de Mantoue. Les troupes
du gouverneur de Milan occupaient le plat pays de Montferrat, y
vivaient à discrétion et ruinaient les campagnes ; ils s'étaient même
emparés de deux places voisines de Casai, comme sïls voulaient
bloquer cette ville, et refusaient le passage aux gens du cardinal qui
portaient des armes et des munitions'. Avait-on joué les Français,
et le Montferrat allait-il être indéfiniment occupé par les Savoyards
et les Espagnols?
Villeroy et le gouverneur de la Régence comprirent alors que leur
premier effort d'énergie avait été insuffisant et se demandèrent s'il
ne fallait pas armer de nouveau pour protéger le duc de Mantoue.
t. Cette situation est nettement indiquée dans ['Avis qui fait un court his-
torique de l'affaire.
68 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Déjà, le 1er août, Marie de Médicis avait tenu un langage assez fier
dans une audience accordée à l'ambassadeur espagnol Cardenas;
elle lui avait dit que son fils n'était pas un prince d'Italie, un duc de
Bourgogne ou un roi de Navarre, et que malgré l'amitié unissant les
deux couronnes, si l'on ne faisait aucun cas des justes revendications
du royaume, le roi de France saurait faire son devoir'. Cardenas,
ami de la paix, était réellement inquiet de ces déclarations belli-
queuses ; il attribuait la surexcitation des Français aux bruits répan-
dus par Charles-Emmanuel sur sa prétendue complicité avec les
Espagnols et aux lenteurs et retards de toute espèce de la diplo-
matie de Madrid. Une sorte de panique s'était emparée des états
indépendants de la péninsule. Tous, sauf Lucques et Parme, à
demi vassaux de l'Espagne, sollicitaient l'assistance de la Régente2.
Alors la diplomatie française recommença patiemment à la fin de
1613, dans le même esprit et par les mêmes méthodes, son travail
des premiers mois de l'année. L'ambassadeur espagnol n'obtenait
que des réponses dilatoires de son gouvernement. Vaucelas, notre
représentant à Madrid, reçut l'ordre d'entamer de nouvelles négocia-
tions. Les ministres continuaient à parler avec fermeté, tout en évi-
tant soigneusement d'offenser les Espagnols par la moindre parole
ambiguë. Villeroy allait répétant que, si la France voulait désarmer
le duc de Savoie, c'était pour le repos de l'Italie et le bien de la
Chrétienté et pour l'union des deux couronnes3.
Au début de novembre, on ne savait encore rien de précis sur les
intentions de l'Espagne. On délibéra de nouveau au conseil du roi.
Villeroy rédigea son avis sous forme de lettre adressée à la Reine
mère le 9 novembre 1613.
La première partie de la lettre est un historique de la question.
Villeroy retrace les efforts qui ont été faits par la diplomatie fran-
çaise pour résoudre pacifiquement le conflit depuis la mort du duc.
Il rappelle les préparatifs militaires qui furent ordonnés après l'in-
vasion du Montferrat et la solution provisoire du litige par la res-
titution de cette province. Mais celle-ci n'a été suivie ni du désarme-
ment du Savoyard ni du retrait des troupes milanaises, et la France
est obligée d'intervenir de nouveau.
La deuxième partie est consacrée à l'examen des deux sortes de
moyens propres à remédier à cette inquiétante situation : la « négo-
1. Cardenas à Philippe III, 1er août 1613 (papiers de Simancas, K. 1468, p. 58).
2. Ibid., 14 septembre (ibid., K. 1468, p. 96).
3. Cardenas à Philippe III, 15 octobre 1613 (4° lettre), K. 1468, p. 110. —
Voir aussi les dépêches du nonce Ubaldini des 8, 14 et 24 octobre (Bibl. nat.,
fonds italien 35, fol. 255 et suiv.).
l'affaire de mantoue en 1613. 69
dation et douceur », « l'autorité, force et puissance ». Il faut
employer le premier et faire l'impossible avant de s'engager dans
l'autre voie. Villeroy propose d'envoyer une personne exprès auprès
du roi d'Espagne pour savoir clairement ses intentions, une autre
auprès du pape pour obtenir sa médiation, et donner beaucoup de
publicité et de solennité à ces ambassades. Si les moyens pacifiques
échouent, il faudra se résigner à la guerre, malgré l'incertitude du
succès, car l'abandon du duc de Mantoue serait la honte et l'abais-
sement de la France.
On peut se demander pourquoi Villeroy crut devoir mettre par
écrit ce qu'il pensait. La question de Mantoue était très grave et
pouvait amener de redoutables complications. Pour la première fois
depuis le début de la Régence, le gouvernement armait. (L'expédition
de Juliers, exécutée avec les troupes rassemblées par Henri IV,
n'avait pas menacé la paix générale.) La possibilité d'une guerre, le
plus terrible malheur qui pût fondre sur la Régence, justifiait la forme
inusitée d'une rédaction d'avis. Rappelons-nous aussi combien cette
politique énergique était à ce moment populaire. C'était une vraie
« furie » au dire de l'ambassadeur Cardenas1. Les vieux ministres
pacifiques risquaient de devenir suspects; au mois de juin, Condé
et les grands avaient accusé Villeroy de traîner les négociations en
longueur, de n'assister le duc de Mantoue que de bonnes paroles;
Concini avait exprimé son mécontentement à l'envoyé vénitien Sci-
pione Ammirato en lui disant qu'en France « on ne ferait rien qui
vaille » parce que les ministres étaient tous Espagnols2. Les Hugue-
nots avaient repris leur antienne et reprochaient aux ministres
d'être vendus aux Espagnols3. Pour conserver son influence, Ville-
roy avait donc besoin de détruire cette légende, de montrer publi-
quement que, s'il préférait la voie pacifique, c'était dans l'intérêt du
pays, mais que le jour où les moyens diplomatiques ne pourraient
sauvegarder la dignité royale, il n'hésiterait pas à demander à la
1. Cardenas à Philippe III, 1°' août 1613 (papiers de Simancas, K. 1467, p. 58).
« Es una furia popular que todos dizen guerra, guerra con tanto impelu y
desseo que pareçe han de alcançar el cielo por mover armas y pasa esto taz
adelanle que deve dedar mucho cuydado a la Reyna y sus ministros. »
2. Dépêche de Scipione Ammirato du 6 juin, citée par B. Zeller, p. 131;
dépèche de Bartolini du 11 juin, citée par le même, p. 133.
3. Le nonce Ubaldini à l'archevêque de Capoue, nonce à Madrid, 5 novembre
1613 (fonds italien 35, fol. 270).
70 MELANGES ET DOCUMENTS.
Reine de rompre. Voilà pourquoi, nous semble-t-il, il rédigea cet
Avis destiné à Marie de Médicis et à son entourage.
La guerre redoutée, mais acceptée d'avance avec fermeté par
Villeroy, n'éclata pas. Évidemment, le duc de Savoie, avec son
machiavélisme habituel, s'était vanté, pour intimider la France, d'être
assisté par toutes les forces de l'Espagne. C'était une grosse exagé-
ration. Mais il est certain aussi que le gouvernement espagnol
n'avait pas une attitude très franche. Il avait essayé de pêcher en eau
trouble, comptant sur la faiblesse de la Régente ; il avait traîné les
négociations en longueur, espérant lasser la patience des Français et
faire reconnaître l'occupation de quelques villes du Montferrat. Cepen-
dant le roi d'Espagne était aussi sincèrement attaché que la Régente
à l'alliance des deux couronnes. Quand il vit l'ardeur belliqueuse
d'une partie des 'Français et la fermeté digne de leur gouvernement,
il céda, car il estimait qu'il ne fallait pas rompre pour une affaire
aussi mesquine. Comme d'habitude, l'Espagne céda sans en avoir
l'air; cette nation savait mettre un talent prodigieux à sauver le
point d'honneur. Elle avait d'ailleurs dissimulé si adroitement son
jeu, elle s'était si peu ouvertement compromise dans les affaires de
la péninsule qu'elle put, sans paraître reculer devant la France,
faire désarmer définitivement et le duc de Savoie et le gouverneur
du Milanais. Dès le début du mois de décembre, la cour de Madrid
adopta cette résolution pacifique, et cette longue affaire s'acheva, à
la fin de 1613, par un accommodement général. Charles-Emmanuel
renvoya ses troupes. Le marquis de l'Ynoyosa évacua les places du
Montferrat. Le duc de Mantoue renonça à demander la réparation
des dégâts commis par les ennemis aux forteresses du pays ; il pro-
mit aussi de ne pas punir les rebelles du Montferrat qui s'étaient
donnés au duc de Savoie. Et tout se termina, comme dans un roman
bien fait, par un mariage. Le cardinal-duc « montrait avoir quelque
affection pour l'infante veuve de son frère » ; fortifié « en cette
volonté »1 par la cour de France, approuvé par l'Espagne, muni
des dispenses pontificales, il épousa sa belle- sœur, et la paix régna
dans la plaine du Pô.
Nous ne voulons point porter un jugement général sur la poli-
tique de la Régence qui n'a point encore été explorée en détails.
Nous songeons encore moins à louer ou à blâmer comme on aimait
jadis à le faire. Nous ne pouvons cependant terminer le récit de
l'affaire de Mantoue sans une simple observation. On a presque
toujours reproché à la politique extérieure de la Régence sa faiblesse
1. Selon l'expression de Villeroy dans l'Avis.
l'affaire de mantoue en 1613. 71
et sa timidité; on a employé le grand mot d'abdication devant
l'Espagne. L'histoire de la succession de Mantoue et VAvis de Ville-
roy ne prouvent-ils pas que ce gouvernement sut concilier la sou-
plesse et la fermeté et que, tout en restant l'alliée de l'Espagne dans
l'intérêt d'une paix nécessaire, la France ne fut pas en cette affaire
la dupe d'une puissante amie et n'eut à faire aucun sacrifice de sa
dignité?
Pour bien connaître le caractère de VAvis de Villeroy, il faut le
distinguer des innombrables écrits qui portent le même nom.
En aucun temps, on n'a publié en France autant d'avis, de con-
seils, de « discours en forme d'avis », de complaintes, de remercie-
ments, d'exhortations, d'éloges, de remontrances ayant pour fin de
régler la conduite du gouvernement. On savait la Régente faible, les
ministres et les grands divisés, les princes et les seigneurs disposés à
se soulever, les huguenots mécontents. Des problèmes nouveaux et
graves se posaient : les mariages franco-espagnols, la guerre civile,
les États-Généraux. La censure des livres était très relâchée. C'était
presque la liberté de la presse. Tout le monde voulut dire son
mot sur la chose publique. Aussi cette littérature qui sévit de 1610
à 1620 fut-elle d'une abondance extraordinaire. La Bibliothèque
nationale possède une centaine de ces avis1. La bibliothèque de
l'Institut est plus riche encore2. Parmi les auteurs qui ont signé,
on relève les noms de quelques bourgeois, officiers royaux ou par-
lementaires tels qu'Edme Callon, avocat au parlement de Dijon0,
Bernard de Sainte-Hélène, conseiller du roi, lieutenant général au
bailliage du Chalouris*, Antoine Arnauld5 et Nicolas Pasquier6,
fils d'Etienne Pasquier, ces derniers auteurs de graves et sages
1. Voir leur énumération dans le Catalogue de l'Histoire de France, t. I,
p. 434 et suiv.
2. Ils sont groupés dans des recueils factices, année par année, sous le titre
de Mélanges sur le règne de Louis XIII. Recueils de pièces in-18 (X. a. 455
et suiv.). Quelques-unes de ces pièces se retrouvent à la Bibl. nationale; voir
aussi à la bibl. de l'Arsenal le ms. 5427 : Cinq avis importons donnez au roi
Louis XIII pour le gouvernement de son état.
3. < Avis à la France ». Lyon, 1610, in-8°.
4. « Propos tenus au Roi et à la Reine Régente sa mère, le 15 juillet 1610,
par le sr Bernard... » (S. 1. n. d.), in-8° (Ibid., p. 98).
5. « Utile et salutaire avis au Roi pour bien régner... » (S. 1.), 1612, in-8°
(par Ànt. Arnauld, d'après le P. Lelong).
6. « Advis très burable à la Reine mère du Roi régente en France ». Paris,
1610, in-8°.
72 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
dissertations. La plupart sont anonymes ou signés de noms de fan-
taisie. Toutes les causes sont défendues, la cause royale, la cause des
princes, la cause des huguenots, la cause populaire et paysanne. Le
gouvernement est soutenu par des panégyriques outranciers, œuvres
d'auteurs à gage, ou par des avis désintéressés de bourgeois patriotes
qui conservent leur franc-parler. On y trouve tous les styles, le genre
simple et grave d'un Pasquier, ou de l'auteur du Caton français
au Roy*, le genre pittoresque, ironique et plébéien de « maître
Guillaume », auteur de la Consolation des malcontents dédiée
au Roi son ami2, et aussi la manière boursouflée et péclantesquc
de quelques cuistres inconnus3.
Malgré la similitude des titres et des sujets traités, les avis de
Villeroy sont conçus dans un esprit très différent. Ils sont écrits non
par un sujet irresponsable, mais par un ministre au pouvoir. Ce
ministre était le plus expérimenté et le plus influent de tous et sous
la Régence, après la disgrâce de Sully, il joua le principal rôle dans
la direction des affaires. Attaquer la conduite du gouvernement,
c'était pour une bonne part attaquer la politique de Villeroy. Or,
Villeroy avait un tempérament de publiciste. Cet « homme de plume » ,
comme l'appelait Sully4, cet esprit si réfléchi et si prudent s'en-
ferma à Conflan s. dans sa maison de campagne, dans certaines cir-
constances graves de sa vie, et y rédigea de longs mémoires pour
défendre sa politique. De 1589 à 1594, il écrivit deux apologies, des
lettres manifestes au roi de Navarre, des avis à Mayenne et un dis-
cours, qu'il ne prononça jamais, pour les Etats de 15935. Sous
Henri IV, il n'écrivit rien, sauf le manifeste sur l'affaire l'Hoste,
parce qu'il avait la confiance de son maître. Sous le gouvernement
faible de la Régente, il revint à ses anciens procédés. Il n'écrivait pas
pour le public, mais pour la Reine, les membre du conseil et les
grands, afin de résoudre un problème particulier de politique inté-
rieure ou extérieure, tout en défendant des principes généraux.
Villeroy a rédigé à l'époque de la Régence quatre Avis à la Reine
1. Le Caton français au Roi. Paris, 1614 (attribué au premier président de
Harlay).
2. Paris, 1614. — Voir aussi un amusant dialogue intitulé : le Lourdaut
vagabond, de la même année. Ces pièces, la précédente et les suivantes sont
dans la collection de l'Institut.
3. Voir particulièrement le Conseiller fidèle à Mgr le prince de. Coudé,
Paris, 1615, et Tyrtœus aux Français, qui sont dans la note pédante.
4. Sully, Économies royales, éd. Michaud, t. I, p. 370.
5. Ces apologies ont été plusieurs fois publiées sous le titre de Mémoires
délai. La dernière édition est celle de Michaud et Poujoulat. Paris, 1838,
in-8% lre série, t. XI.
l'affaire de mantoue en 1613. 73
mère : on 1611. il examine les mesures à prendre pour empêcher
les troubles, en faisant dissoudre les confédérations de princes et
grands seigneurs mécontents'; le 10 octobre 1612, il expose son
avis « sur la demande de Quillebeuf faite par M. le comte de Sois-
sons »2; le 8 novembre 1613, « sur les différends de Mantoue » ; le
10 mars 1614, « sur la paix à conclure avec les princes »3. Le troi-
sième de ces avis que nous publions est resté inédit ainsi que les
avis de 1611 et de 1612. Il est reproduit dans six manuscrits : Bibl.
nat., f. fr. 4028, 17334, 17359; Nouv. acq. fr. 7260; bibl. Arsenal,
n° 5427 et F. Dupuy, n° 3. C'est celui du fonds Dupuy, le plus cor-
rect et le plus connu, que nous avons transcrit.
De cet avis, comme des autres, toute polémique personnelle
est absente. Par là ce genre d'écrit diffère des deux grandes Apo-
logies. Villeroy a soin de dissimuler tout ce qui peut rappeler les
contradictions, les intrigues, le désaccord du personnel gouver-
nemental. Les avis ont une belle allure grave, ordonnée, imperson-
nelle; le ton est élevé; les conseils semblent donnés non par Villeroy,
secrétaire d'Etat, mais par la sagesse et la raison mêmes s'adressant
à l'intelligence et au cœur de la Reine.
Ceci suffit à nous faire comprendre le style des Avis. Villeroy
n'était pas un grand lettré; il n'avait pas étudié aux universités, il
avait été employé aux affaires de l'Etat à l'âge où d'autres apprennent
encore. Il savait très peu de latin et ignorait l'art de faire de beaux
discours ou des morceaux de style soigné. Il écrivait, tout naturelle-
ment, avec une certaine facilité; ses idées s'enchaînaient bien
parce qu'il avait l'esprit très clair; le ton était plein de bonhomie,
de familiarité ; la langue était émaillée de locutions populaires et de
proverbes pittoresques. Le style des Avis est toutefois un peu diffé-
rent. Il a perdu une partie de ces qualités familières. En lisant l'Avis
de 1613, qui est à notre sens le mieux ordonné et le plus châtié de
1. Cinq-Cents Colbert, n° 19.
2. Bibl. nat., f. fr. 4028, 17334, 17359; nouv. acq. fr. 7260; bibl. Arsenal,
ir 5427 ; f. Dupuy; n° 3.
3. Mêmes sources que le précédent, plus une copie conservée f. fr. 18141.
Nous avons publié cet avis dans la Revue Henri IV. Paris, 1908 (avril-mai),
t. II, n° 2, p. 79 et suiv. Cette revue bimensuelle, qui a paru à Paris, à la
librairie Champion, en 1905 et en 1906, a publié un certain nombre d'articles
et de documents inédits relatifs à l'histoire du règne et signés par MM. Cham-
berland, Baguenault de Puchesse, Brière, Couzard, Latïleur de Kermaingant,
Jadart, Souchon, Nouaillac, etc. Après une année d'interruption, elle a reparu
au début de 1908 réorganisée sous la direction de M. Chamberland, professeur
au lycée de Reims, et se propose d'être l'organe commun aux travailleurs qu'a
tentés la riche et complexe histoire de Henri IV.
74 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
tous, on verra que Villeroy a tenté d'écrire d'une manière grave et
soutenue. Mais son intelligence nette et son sens pratique d'homme
d'affaires l'ont préservé de l'enflure, de la solennité et du pathos.
Son défaut même de culture étendue et la simplicité de son caractère
ont sauvé le naturel du style. Les Avis sont parmi les écrits poli-
tiques de l'époque les seuls que n'orne aucune citation, aucun sou-
venir de l'antiquité; partout ailleurs, on voit défiler en rangs plus
ou moins serrés les Alexandre, les Caton, les César et autres per-
sonnages classiques. Cet Avis du 9 novembre 1613 est une disserta-
tion bien composée, très claire et très simple. Il importait de remar-
quer ses qualités littéraires, après avoir fait ressortir son intérêt
comme document historique'.
J. NOUAILLAC.
AVIS DE VILLEROY A LA REGENTE
(8 NOVEMBRE 1613).
Madame,
Il est question de donner conseil à V. M. sur les affaires de Man-
toùe. Geste délibération est très importante et plus difficile à résoudre
qu'aucune qui se soit présentée depuis vostre régence.
Car il ne s'agit pas seulement de protéger le cardinal duc de Man-
toùe et sa maison, à quoi nos traittez, vostre affinité et la justice de
sa cause obligent le Roi et vous et par conséquent le roiaume, mais
il y va de la conservation et dignité roialle de Voz Maj estez, et par
tel exemple de celle des autres amis et alliez de la France.
Quoi sagement préveu par V. M., à la mesme heure que l'advis lui
fut donné du deceds du dernier duc de Mantoùe, frère aisné de celui
qui règne, elle advertit le Pape, l'Empereur et le roi d'Espagne par
letres et courriers exprès qu'il falloit prendre garde aus mouvemens
et altérations que cela pouvoit engendrer à cause des prétentions
anciennes du duc de Savoie sur le Montferrat, renforcées à présent
par celles de la fille du dit duc, vefve du deffunt duc de Mantoùe, et
de sa petite-fille.
Le Pape s'esmeut peu à vostre susdit advis, n'en recognoissant et
appréhendant peut-estre la conséquence. L'Empereur monstra en
avoir soin2; et le roi d'Espagne permit que le courrier que vous aviez
1. Qu'il me soit permis de citer mon livre sur Villeroy secrétaire d'État
et ministre de Charles IX, Henri III et Henri IV. Paris, Champion, 1909.
La politique du ministre pendant les années de minorité de Louis XIII a été
exposée très brièvement dans le dernier chapitre.
2. Voir Siri, Memorie recondite, t. III, p. 31-32. — On avait demandé à
l'affaire de mantoùe en 1613. 75
dépesché exprès pour ce seul effect nous fust renvoie par vostre
ambassadeur sans response, après plusieurs et diverses instances
réitérées par lui tant à la personne du dit roi qu'à l'endroit de ses
principaux officiers1.
V. M. trouva cela estrange et en fit mauvais jugement; toutesfois,
elle fut destournée de s'en formaliser davantage par la considération
de vos dernières alliances avec le dit roi, de la bonne foi et sincérité
qu'il a tousjours professée à la cognoissance que V. M. sçait qu'il a
esprouvée comme les autres du courage du dit duc de Savoie et de
ses fins, comme de l'intérest que le dit Roi catholique ha de mainte-
nir le repos public de la chrestienté et spécialement celui de l'Italie à
l'imitation du feu roi son père, lequel tant qu'il a vescu s'est abstenu
avec grande prudence de donner aux princes et potentats d'Italie
aucun subjet de meffiance de sa domination et de son voisinage.
V. M. trouva bon aussi, sur le conseil qui vous en fut donné par
les princes et seigneurs qui estoient lors auprès du Roi, de faire dire
au dit duc de Savoie premièrement par vostre agent résident auprès
de lui et depuis par la voie de M. le mareschal de Lesdiguières, que
vous désiriez qu'il choisît celle de la douceur et justice en sa pour-
suitte et conduite des affaires qu'il pouvoit avoir à démesler avec le
dit cardinal duc de Mantoùe tant pour lui que pour sa fille et sa
petite-fille, sans y emploier la force pour ne troubler la paix publique,
d'autant que V. M. et la France estoient obligez à la conserver et
protéger ledit cardinal et sa maison, offrant néantmoins vostre entre-
mise et l'autorité du Roi pour faire décider et composer leurs diffé-
rents par la douceur.
La response du duc de Savoie fut véritablement plus accompagnée
de respect envers Voz Majestez qu'elle ne fut suivie d'effets corres-
pondans à vostre susdite déclaration et office.
V. M. tint le dit duc de Mantoùe adverti de vos diligences et inten-
tions en sa faveur, comme du succès d'icelles ; dont il vous remercia,
en suppliant V. M. de continuer.
Et néantmoins, recognoissant que l'autorité de l'Empereur, et les
armes de l'Espagne pouvoient plus promptement et seurement le
garantir contre les desseins et mouvemens du duc de Savoie, il est
l'Empereur d'employer son autorité à empêcher que l'Infante veuve et sa fille
ne sortissent de Mantoùe. La conduite de Mathias fut assez ferme et conforme
aux intérêts de la France. Il maintint ses droits de suzerain, lança une pro-
clamation pour les affirmer et attribua la tutelle de la jeune princesse à son
oncle Ferdinand.
t. Il faut ajouter qu'un courrier fut envoyé à Venise pour disposer la Répu-
blique à embrasser la défense du Montferrat si le duc de Savoie cherchait à
s'en emparer. D'autre part, Marie de Médicis avait entamé une correspondance
avec le grand-duc de Toscane pour l'encourager à se joindre à la France et à
coopérer au besoin à une manifestation armée contre la Savoie. Voir les lettres
des 22 et 23 mai publiées en appendice par B. Zeller, p. 347 et 348.
76 MELANGES ET DOCUMENTS.
certain qu'il eut lors son principal recours à l'un et à l'autre. Ce qui
fut par V. M., de sa bonté et rie sa judicieuse prudence, plus attribué
à la nécessité et aus conseillers du dit duc qu'à son inclination ni à
aucune irrévérence et mespris du nom et protection de Vos Majestez1.
Lesquelles aians sceu que le dit cardinal monstroit avoir quelque
affection pour l'Infante vefve de son frère, V. M. fut conseillée de le
fortifier en cette volonté, jugeant si Sa Saincteté le dispensoit de faire
le dit mariage que c'estoit un très bon et très prompt moien d'amor-
tir les querelles d'entre ces deux maisons qui estoient allumées artifi-
cieusement par ceux qui projettoient dès lors et s'attendent encore
peut-estre à présent d'en proffiter aus despens peut-estre de l'une et
de l'autre maison.
Ce que le dit duc a fondé sur le manquement de la parole préten-
due avoir esté donnée par le dit cardinal pour le séquestre entre les
mains du duc de Modène, dont il est certain que le dit cardinal fut
bien aise d'avoir quelque subjet de se desvelopper, ainsi qu'il a
publié, pour avoir mieux recogneu les fins ausquels tendoient ceux
qui le demandoient, les autres qui le favorisoient et ceux qui lui don-
noient tel conseil.
Quels ont esté les exploits d'armes faits par le duc de Savoie au
Montferrat, chacun en a cognoissance, comme de la froideur et len-
teur du gouverneur de Milan à s'y opposer, interprétée par aucuns à
connivence, par les autres à foiblesse et par les plus intelligens à l'un
et à l'autre defîaut.
Tant y a que V. M. fut conseillée, voire forcée du devoir de vraie
et bonne parente2 et de protectrice de la paix publique, comme cligne
régente de ce grand roiaume, de secourir le prince injustement assailli
et opprimé, voiant que de la part d'Espagne il tardoit tant à recevoir
l'assistance et consolation qui lui estoit nécessaire contre l'espérance
donnée à lui et à ses amis et par exprès à V. M. par letres mesmes
redoublées du dit gouverneur de Milan à elle envoiez par courriers
exprès et par les propos tenus sur ce subjet à vostre ambassadeur en
Espagne. A quoi l'auroit encore excité la considération de M. de
Nevers, lequel, comme prince généreux intéressé en la cause du dit
duc de Mantoûe et de sa maison, s'estoit très à propos jette dedans
Casai, aiant appris à Savonne, conduisant en Italie la duchesse
d'Ornano sa belle-sœur, que ledit duc avoit assailli avec armes décou-
1 . Sous ce langage courtois, il faut reconnaître l'expression d'un vif mécon-
tentement. On fut très irrité en France contre le cardinal duc, à qui on repro-
chait d'être inconstant, timide, mou et de se défier de la France. La reine
l'excusait comme un jeune prêtre embarrassé dans un labyrinthe d'atl'aires.
Voir les dépèches de Villeroy à Léon Brulart, dans Siri, Memorie recondite,
t. 111, ]». 33.
2. Le duc Vincent Ier, qui régna de 1587 à 1612, avait épousé Éléonor de
Médicis, sœur de la Reine régente.
L'AFFAIRE DE MANTOUE EN 1613. 77
vertes les places du dit Montferrat et par surprise ja occupé quelques-
unes d'icelles.
Quelle a esté la diligence et despense emploiée par le Roi et V. M.
à préparer et dresser ce secours après la résolution d'icelui prise par
V. M. avec monseigneur le prince de Condé par vous appelé et attendu
pour cet effet et les autres princes et officiers et grands du roiaume,
chacun en a cognoissance ' , et puis dire que la despense extraordi-
naire qui a esté faicte est revenue à plus de huit ou neuf cens mil
livres, somme non petite en esgard à l'ordinaire que vous supportez
pour maintenir le roiaume en paix, qui surpasse et excède plus de
trois millions de livres celle qui se faisoit du temps du feu Roi ;
laquelle néantmoins nous pouvons dire très bien emploiée puisque vous
avez recueilli et jouissez encore heureusement avec toute la France
et au bénéfice et advantage de toute la République chrestienne par la
grâce de Dieu et la bonne assistance de tous les susdits princes et
seigneurs et des gens de biens du royaume, de la concorde et tran-
quilité publique par nous tant désirée et à tous si utile et nécessaire.
Chacun dedans et dehors le roiaume a recogneu par les prompts
effets qui s'en sont ensuivis combien vostre armement estoit néces-
saire au dit cardinal duc de Mantoùe et à ses affaires, car encores que
nous aions occasion de croire que l'intention du roi d'Espagne estoit
que les places prises au dit Montferrat par le dit duc de Savoie fussent
restituées au dit cardinal duc de Mantoùe, sa parole et sa foi y estoit
bien avant engagée outre les raisons publicques et secrètes qui l'ont
peu et deu mouvoir à ce faire ; puisque par effet elles lui ont esté ren-
dues, il est vraisemblable que la jalousie des armes de France, mesme
delà les monts, n'a pas peu servi à l'accélération de la dite resti-
tution2.
Après laquelle V. M. fut conseillée de descharger les finances du
Roi et les princes du royaume de la susdite despense extraordinaire
1. D'après une lettre de l'ambassadeur vénitien, du 30 mai 1613, on décida
que l'on paierait 20,000 fantassins et 2,000 cavaliers, sur lesquels 2,000 fantas-
sins et 1,800 cavaliers entreraient en Piémont sous Lesdiguières ; 6,000 fantas-
sins commandés par Guise s'établiraient en Provence, 2,000 fantassins et
2,000 cavaliers sous M. le Grand pénétreraient en Savoie (voir B. Zeller, p. 129).
— Condé avait proposé de tirer l'argent des caves de la Bastille. 11 s'était mon-
tré le plus belliqueux de tous les conseillers et avait toujours prononcé des
discours « accompagnati da qualche passione », dit l'ambassadeur vénitien.
Voir la dépêche du 11 juin, Bibl. nat., fonds italien 1766, fol. 81.
2. Villeroy ne parle pas du rôle joué par l'Espagne dans foule cette affaire.
Les lettres de l'ambassadeur vénitien du 17 au 21 juin nous apprennent que le
secrétaire du gouverneur de Milan passa à Lyon le 7 juin et dit à d'Alincourt,
gouverneur de la ville, qu'il portait au marquis de l'Ynoyosa, gouverneur du
Milanais, l'ordre du Boi de rétablir le statu quo. Bientôt une lettre du roi
d'Espagne à la Reine l'informa qu'il avait donné ordre au gouverneur de Milan
de faire mettre bas les armes au duc de Savoie.
78 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
et de la foule qu'elles en recevoient par un prompt licentiement des
dits gens de guerre.
A quoi V. M. fut, encore requise par lettres expresses dudit gou-
verneur de Milan et de la part du dit roi d'Espagne, asseurant que les
choses promises en faveur du dit cardinal de Mantoùe seroient accom-
plies. Il remonstroit aussi à V. M. plus la séparation de nos forces
seroit prompte, celle que le duc de Savoie devoit faire des siennes
seroit aussi avancée et effectuée suivant, l'intention du dit roi d'Es-
pagne, à cause de la mefïïance que le dit duc feignoit avoir d'icelles,
mais en effet pour celle que sans fiction le dit gouverneur de Milan
en avoit plus grande que le dit duc, comme il n'a depuis que trop
apparu et apparoist encore à présent par le procédé du dit gouverneur
et par les conseils qu'a depuis pris le roi d'Espagne.
Car au lieu de faire désarmer le dit duc de Savoie et remettre les
choses en plene quiétude, ainsi qu'elles estoient au dit Montf errât et
ailleurs devant l'hostilité ouverte par le dit duc, comme la raison
vouloit qu'il fust fait, et V. M. l'attendoit des espérances, voire des
asseurances que l'on lui en donnoit, les gens de guerre du dit duc
ont esté maintenus ensemble, et plus tost augmentés que retranchés,
et logés aus portes du dit Montferrat pour menacer et intimider le
duc de Mantoùe; et ceux de Milan ont tousjours vescu depuis à dis-
crétion dedans le dit Montferrat à la ruine et désolation entière d'ice-
lui, y consommant et mangeant entièrement les vivres, de sorte que
les places ne peuvent plus estre assistées et nourries, ni mesme celle
de Casai, de laquelle seule l'on sçait que dépend l'entière conserva-
tion du païs soubs la domination du dit duc de Mantoùe, légitime sei-
gneur et héritier du dit marquisat : de manière que l'on a juste argu-
ment de souhsçonner que le dégast et la retenue des dits gens de
guerre au dit pays se fait à poste et par commandement pour affamer
la forteresse de Casai; et d'autant plus que l'on voit que les dits
Espagnols se sont depuis peu emparez du chasteau de Pontesture' et
de la ville d'Acqui, places voisines du dit Casai, et par lesquelles l'on
peult comme bloquer la dite place ; en laquelle non plus qu'aus autres
il n'est desja plus permis au dit duc de Mantoùe d'envoier et faire
passer et entrer armes et munitions de guerre ni vivres que par la
volonté et permission des dits Espagnols, ayans naguères refusé le
chemin et passage pour quelque balle d'armes que le dit duc de Man-
toùe envoioit au dit pays pour distribuer aux habitans d'icelui que le
duc de Savoie a entièrement désarmez.
V. M. est à présent mieux informée des dernières intentions et rai-
sons du dit cardinal sur la délivrance de la princesse et de Testât pré-
sent de ses affaires par la depesche du secrétaire de vostre ambassa-
i. Ponte di Stura ou Pontesture, ou encore pont d'Esture (Bassompierre,
Mémoires de ma vie, éd. Chantérac, t. IV, p. 297), est une place forte de la
province d'Alexandrie qui, ainsi qu'Acqui, est très près de Casai.
l'affaire de mantoue en 1613. 79
deur à Venise qui vous a esté envoiée à son instance, pour sur cela
fonder vos conseils et résolutions, après la response que vous rece-
vrez du costé d'Espagne; laquelle il semble que V. M. doive attendre
devant que d'entrer plus avant en cette délibération.
Toutesfois, d'autant que celles d'Espagne sont ordinairement tar-
dives et ambiguës, que les affaires du dit cardinal au Mon tf errât et
ailleurs empirent à veuë d'œil et ont tout besoin d'estre relevées et
soustenues promptement par effets dignes de l'autorité et nom de
V. M., quand ce ne seroit que pour ne laisser deschoir et abbatre les
volontez et courages des autres princes et potentats, qui par compas-
sion et par intérest lui ont jusques à présent départi leur amitié et
assistance, il semble que V. M. ne peut trouver que bon qu'il soit par
advance discouru par vos serviteurs sur ceste matière avec franchise,
fidélité et affection deùes au service de Voz Majestez pour en estre
usé par votre prudence, ainsi qu'elle jugera par les meilleurs conseils
qui lui seront départis estre à faire pour le service du Roi et le con-
tentement de V. M., à quoi conspirent et aspirent les vœux de vos
fidèles subjets et serviteurs.
Madame, il n'y a que deux moiens d'arrester le cours des accidens
et malheurs desquels ces mouvemens nous menacent comme le reste
de la chrestienté. L'un est celui de la négotiation et douceur; et l'autre
par une auctorité, force et puissance propre et suffisante à un tel effet.
Le premier doit estre non seulement préféré au dernier, mais je dis
qu'il faut tenter et faire l'impossible devant que de s'engager en
cestui-ci ni par délibération ni par aucune action, d'autant que les
inconvéniens, périls et malheurs qui en naistroient indubitablement
et inévitablement sont encore plus grands qu'ils ne peuvent estre à
présent prévenus, prédits ni appréhendez par V. M. ni par autre per-
sonne vivante, quelque clairvoiante ou expérimentée qu'elle puisse
estre aux affaires du monde.
V. M. prudemment a ja commencé à tenter le premier remède par
les langages qu'elle a tenus à l'ambassadeur d'Espagne et les comman-
demens qu'elle a faits au sieur de Vaucelas ; de quoi il semble qu'il
faut bien espérer si vos raisons et remonstrances ne rencontrent l'es-
prit du roi d'Espagne et de ses conseillers aussi aliénés du soin et
désir de conserver la paix publique et estreindre une parfaitte amitié
et alliance avec Vos Majestez, qu'ils s'y sont jusques à présent mons-
trez affectionnez1.
Toutesfois, comme il semble que ces affaires pressent, voire forcent
la patience et longanimité ordinaire de V. M. en la direction de celles
1. On trouve aux Archives nationales, dans les papiers de Simancas, K. 1468,
p. 113, l'original de la lettre écrite le 15 octobre par la Reine à Philippe III,
afin d'accréditer auprès de lui son ambassadeur pour négocier sur les affaires
de Mantoue.
80 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
du royaume, j'estime qu'il est à propos, voire nécessaire que V. M.
réitère sans remise aucune les offices qu'elle a commencez envers le
dit roi d'Espagne, mais par personne expresse de qualité, nourrie et
entendue aus affaires d'Estat, pour fournir et départir de soi et sur-
le-champ aus questions, ouvertures et difficultez qui lui pourront estre
formées et par la conduite descouvrir les dernières intentions du dit
roi d'Espagne, pour pouvoir à présent mieux bastir vos résolutions;
davantage cette dépesche, qui sera publique et sçeûe de tous, conso-
lera grandement le duc de Mantoùe et ceux de sa maison et pareille-
ment les autres amis et alliez de la France, acquerra réputation à
V. M. et aidera à justiffier à présent et à l'advenir vos actions et
in teii lions quelque résolution que vous preniez. V. M. peut en mesme
temps envoier deux autres personnages en Italie, l'un au Pape, l'autre
au dit duc de Mantoùe, pour requérir l'aide et assistance de Sa Sainc-
teté en cette occasion plus importante à l'Église de Dieu et au repos
de la chrestienté comme de l'Italie, et par conséquent à l'auctorité du
Saint-Siège, que nul autre qui se soit présentée depuis son pontificat;
lui déclarer ce à quoi vous engage l'intérest et la réputation de la
France en cas de guerre, vostre désir de l'éviter par tous moiens
honestes et compatibles avec la dignité et conservation de ceste cou-
ronne très chrestienne. L'espoir que. vous avez en sa prudence, et sa
justice pour ce regard, les malheurs qui naistront d'une nonchalance
ou indifférence de la part de Sa Saincteté qui seroient suivis d'effets
encore plus périlleux et irrémédiables que l'on ne peut prédire, si
sa dite Saincteté par ses actions et jugemens s'escartoit aucunement
de la neutralité et du devoir de père commun jaloux de l'entretène-
ment de la paix de la chrestienté, et en particulier de l'Italie, comme
l'espérance donnée de sa conduite depuis son exaltation manifeste
qu'elle en a faitte4. A quoi l'on peut adjouster et lui faire remarquer
tous les désadvantages pour le public et pour le particulier, et mesme
pour nostre religion, qui naistront en quantité et qualité incompré-
1. Le portrait du pape Paul V est un peu llatté pour la circonstance. Garni Mo
Borghese, qui fut pape de 1605 à 1621, était un théologien défendant avec
rigueur les droits de l'Église, mais un mauvais politique. En 1606, il faillit déchaî-
ner la guerre en Italie en soutenant avec trop de raideur les droits du Saint-
Siège dans le conllit avec Venise. Dans toute l'affaire de Mantoùe, il n'eut
qu'une seule préoccupation, fuir les responsabilités. Il refusa constamment de
s'engager dans une atlaire si épineuse qui pouvait lui attirer le ressenti-
ment d'une ou plusieurs puissances catholiques. Dès le 8 mai, Brèves, notre
ambassadeur à Rome, annonçait à la Régente que Paul V ne voulait pas aider
Ferdinand (voir Siri, Ibid., p. 75). Le pape avait d'autres mobiles que le désir
du repos. 11 avait conservé du ressentiment contre le feu duc de Mantoùe qui,
dans l'affaire de l'Interdit (1606-1608), s'était mis du côté des Vénitiens; à
plus forte raison se défiait-il des Vénitiens qui poussaient à une politique
hostile à l'Espagne. Le pape ne retrouva la voix que pour louer les cours de
France et d'Espagne, lorsqu'elles se furent mises d'accord (voir les dépêches
l'affaire de mantoue en 1613. 81
hensibles de l'infraction de paix estant faitte de la part du dit roi
d'Espagne, mesme mespris et contemnement des remonstrances et
prières de V. M. et sans mettre en considération leurs personnes et
couronnes, à la veille de la perfection de leurs doubles alliances avec
le dit roi.
De toutes lesquelles considérations et raisons, comme de plusieurs
autres encore qui y concurrent et peuvent estre adjoustées, l'on dres-
sera l'instruction de l'envoie vers Sa Saincteté pour faire valoir davan-
tage sa légation : laquelle à mon advis ne sera de peu d'efficace, estant
commise à personne capable et propre pour bien s'en acquiter et pour
estre respectée de Sa Saincteté et du sacré collège. Il semble aussi
que M. le duc et Mme la duchesse de Lorraine1 doivent estre advertis
par V. M. par homme exprès ou par lettres portées par le courrier qui
sera depesché vers l'Empereur de vos dites intentions et délibérations
et de l'ordre que vous avez délibéré de tenir à l'exécution d'icelles,
affin qu'elles soient en toutes manières secondées par Leurs Altesses
comme elles y sont tenues par leur proximité et par leur alliance et
ont souvent fait dire à Leurs Majestez y estre disposées.
Il faut donc se résoudre à faire toutes sortes de devoirs, offices et
efforts que l'on peut excogiter, et éviter ce précipice. Mais si Dieu per-
met pour nos péchez que l'on ne puisse divertir le dit roi d'Espagne
de la volonté d'avoir la dite princesse Marie, mesme devant que l'on
ait esclairci ses droits et convenu d'iceux, sous prétexte que son nom
y est engagé ou pour autres considérations et raisons advantageuses
pour lui et pour ses Estats, dont il prétend se prévaloir, doit-on con-
seiller à V. M. de consentir et donner les mains au dit dépost et pas-
ser par-dessus toutes les raisons et considérations qui militent au
contraire.
Pour moi, Madame, j'advoue que je ne puis approuver cette opinion
quoi qui en puisse arriver, d'autant que ce sera abandonner lâche-
ment premièrement le dit cardinal et sa maison en une cause juste
contre la protection que vous lui devez mesmes parles traittez de paix
et davantage desgouter par tel exemple de vostre bienveillance et
alliance vos autres amis, voisins et alliez, à la honte de la France. Ce
qui produira des accidens pour V. M. très dangereux et pour ledit roi
d'Espagne très avantageux ; car, comme il aura gaigné ce point contre
vostre volonté, il faudra non seulement que le dit duc de Mantoue
d'Ubaldini, fonds italien 35). Le 5 novembre (fol. 273), Villeroy avait exposé au
nonce ses idées sur ce que devait être le rôle du pape, neutre dans les que-
relles, pacificateur, père commun et médiateur de la chrétienté. C'était un des
principes les plus fermes de Villeroy en matière de politique étrangère. Cf. Vil-
leroy, p. 414-428 (la Conquête de Rome. Villeroy principal conseiller de la
politique romaine de Henri IV).
1. Henri de Lorraine, qui succéda à Charles II de Lorraine en 1608, avait
épousé en secondes noces, en 1606, Marguerite de Gonzague. Nous n'avons
trouvé aucune trace d'intervention des princes de Lorraine dans cette affaire.
Rev. Histor. CV. 1er FASC. 6
82 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
fleschisse servilement à son vouloir, mais ce sera proprement lui dres-
ser une eschelle pour monter et parvenir à la monarchie entière de
l'Italie, et ensuite de cela au reste de la chrestienté, de laquelle la
France a tousjours esté le contrepoids de la balance, assistée des amis
et alliez d'icelle intéressez en la mesme cause.
Lesquels justement offensez de la cheute du dit duc et de sa maison,
qu'ils imputeraient avec quelque raison au manquement de la protec-
tion et amitié de V. M. pour le bas aage du Roi, seroient entièrement
désespérez de l'une et de l'autre; de sorte que Vos Maj estez se trou-
veraient bien tost aussi décriées que délaissées et abandonnées de
toutes parts, et partant réduittes à la discrétion et merci de ceux qui
pour proffiter de cette occasion auraient, contre tout ordre de justice
et de respect de Vos Majestez et de la paix de la chrestienté, passé par-
dessus les considérations des deux alliances traittées sainctement de
votre parole et prestes à solenniser, en mesprisant vos remonstrances,
prières et intérest et violans la foi publicque, en laquelle nommément
la maison de Gonzague est comprise comme plusieurs autres, et ce,
soubs prétexte et couleur de disposer d'une jeune princesse qui est
vostre parente comme elle est du dit Roi, pour contenter le dit duc de
Savoie, ou pour, soubs le nom de ce dit prince, débatre et prétendre le
Montferrat et sur cela s'en emparer, et peut-estre après ceste con-
queste passer avec le mesme mespris de Vos Majestez à autres plus
importantes ; de quoi il n'i a pas apparance de raison de croire que si
les dites alliances non encore faittes n'ont peu les divertir, qu'estans
parfaittes ils en soient plus respectueux à vostre endroit.
Quoi donc dira-t-on, faut-il prendre le hazard de rompre des
alliances et mariages si convenables, si honorables et utiles à vostre
couronne comme à celle d'Espagne, desquels Vos Majestez et la France
ont desja recueilli tant de contentement et de bien pour vostre cou-
ronne, pour favoriser et supporter la maison de Mantoûe ou seu-
lement empescher le dépost de la dite princesse affectionnée par le dit
roi d'Espagne? Véritablement, Madame, ce sault est si périlleux qu'il
ne peut estre franchi sans frémissement et horreur.
Et d'autant plus qu'il est encore douteux et incertain, quand Vos
Majestez s'opposeront aus desseins et vouloir du dit roi d'Espagne, que
vous en veniez à bout, estant secondé comme il est du dit duc de
Savoie.
Car ils sont desja armez puissamment, préparez et logez et puis-
samment et commodément pour advancer leur effet devant que vous
aiez de quoi l'empescher. Car encore que la France abonde en capi-
taines et gens de guerre plus qu'elle n'a oncques esté, si faut-il du
temps et de l'argent à bon escient pour les mettre et entretenir en
besongne.
De manière que Vos Majestez courent fortune, si présentement elles
se déclarent et prennent ouvertement l'affirmative pour le dit duc de
Mantoûe contre le dit roi d'Espagne, que la honte entière en demeure
l'affaire de mantoue en 1613. 83
à Voz Majestez et à la France, accompagnée de regret pour le dom-
mage que vous en recevrez ; et partant que vous encourriez le reproche
et le mespris qui suit ceux qui par impuissance ne peuvent garentir
leurs amis de naufrage.
Car il est certain que le roi d'Espagne ha de grands advantages sur
vous en l'exécution de ce dessein ; et partant qu'il sera difficile que
vous l'empeschiez s'il est résolu de le pousser avant aussi courageu-
sement qu'il semble estre en son pouvoir d'en advancer l'exécution.
Je conclus donc, Madame, avec la permission de V. M., qu'il faut
faire toutes sortes de diligences et devoirs envers le roi d'Espagne et
les autres princes et potentats ici dénommez pour composer et accor-
der aimablement ceste querelle le plus promptement que faire se
pourra et empescher que le dit Roi ne s'y engage plus avant, en
recherchant et moiennant qu'il soit contenté en son désir par tous
moiens honnestes et équitables et non préjudiciables insupportable-
ment à vostre réputation ni à vos alliez.
Mais si vous ne pouvez en venir à bout, j'estime que V. M. doit
hazarder toutes choses plustost que de laisser entamer la réputation
du Roi, la vostre et celle de la France et opprimer vos alliez. En quoi
je supplie le roi des rois, vrai protecteur de la justice et defîenseur des
affligez, qu'il veuille assister et fortiifier V. M. en ses conseils et droites
intentions, affin que le succès en soit à sa gloire et à vostre advantage
et de la France, comme jusqu'à présent il lui a pieu diriger et con-
duire depuis vostre. régence par son Saint Esprit vos conceptions et
actions roialles pour la conservation et manutention de la personne et
autorité souveraine du Roi et de la paix du roiaume, de laquelle
dépend le bonheur de la République chrestienne et de l'Église uni-
verselle.
Fait à Conflans1, le vme jour de novembre 1613.
1. A Conllans, près Charenton, était la maison de campagne de Villeroy, son
lieu préféré de retraite, dont Ronsard avait célébré les charmes. Conllans élail
célèbre par ses beaux jardins (voir le mémoire consacré au village, au château
et aux seigneurs de Conflans par P. Hartmann dans les Mémoires de lu
Société de l'histoire de Paris, t. XXXV, 1908).
BULLETIN HISTORIQUE
NECROLOGIE.
Léopold DELISLE.
La mort de M. Delisle est une grande perte pour l'érudition fran-
çaise. Si l'histoire de nos institutions, de nos gloires médiévales
était plus en faveur en France, cette mort serait considérée comme
un deuil national.
Léopold-Victor Delisle naquit à Valognes (Manche) le 24 octobre
1826. Il était de souche vigoureuse et saine, solidement charpenté,
avec un tempérament sanguin et les plus heureuses facultés : il avait
le don et le goût de l'observation précise, un jugement sûr, clair et
pénétrant, peu d'imagination, mais une rare aptitude à recueillir les
faits, à les cataloguer, à les classer dans l'ordre le plus logique, une
mémoire rapide, étendue et tenace, une puissance de travail que
l'âge devait à peine amortir; d'autre part, beaucoup de sens pra-
tique, un esprit prudent, avisé dans les affaires; il était bienveillant
avec les personnes, d'une bienveillance qui n'allait pas sans quelque
réserve ni détours, mais qui savait encourager et guider les travail-
leurs. Ces dons s'unissaient d'ailleurs dans un si bel équilibre qu'ils
donnaient l'impression d'une nature d'élite, capable d'aborder les
plus grands sujets ou les questions les plus délicates et d'y réussir
sans qu'on sentit l'effort.
Dans ses Souvenirs de jeunesse* , L. Delisle a conté comment,
alors qu'il était encore sur les bancs du collège, il fut attiré vers
l'étude des antiquités de sa province natale par un vieillard, Charles
Duhérissier de Gerville, ancien émigré, qui fut un des fondateurs
de la Société des Antiquaires de la Normandie2. Il apprit la paléo-
graphie en copiant le cartulaire de Saint-Sauveur-le-Vicomte que
Gerville lui prêta. Le premier acte transcrit dans ce cartulaire est
une charte du roi d'Angleterre Henri II, et l'on sait que c'est aux
1. Publiés en tête de ses Recherches sur la librairie de Charles V (1907).
2. L. Delisle a publié en 1853 une Notice sur la vie et les ouvrages de
M. de Gerville.
NÉCROLOGIE. 85
chartes normandes de ce même roi qu'il consacra son dernier travail.
Le rapprochement de ces deux faits est sans doute l'œuvre du
hasard; il montre cependant l'unité que L. Delisle sut mettre dans
une vie où tant d'autres soins retinrent son attention.
Il entra à l'Ecole des chartes à la fin de 1845. Il a résumé lui-
même, en peu de mots qui ne manquent pas de saveur, l'emploi de
son temps pendant les trois années qu'il y resta : « En 1846, j'avais
à suivre un seul cours, que M. Guérard1 faisait dans les combles de
la Bibliothèque royale et qu'il dut interrompre à plusieurs reprises
par raison de santé. En 1847, la réorganisation de l'Ecole, transférée
aux Archives du royaume, dans un local encore à moitié approprié,
réduisit à trois mois la durée des cours; en 1848, les événements
amenèrent une assez longue fermeture de l'Ecole. » Heureusement,
il était de ces étudiants à qui suffit une bonne méthode et qui, dès
le début, savent organiser leur travail d'une façon vraiment scienti-
fique. Il sortit de l'Ecole le 15 janvier 1849, troisième d'une pro-
motion dont les deux premiers étaient Aug. Himly et Ad. Tardif.
Sa thèse : Essai sur les revenus publics en Normandie au
XIIe siècle, n'a jamais été publiée en entier2. Une dissertation :
Des monuments paléographiques concernant Vusage de prier
pour les morts, qui avait paru un peu auparavant, fut distinguée
par l'Académie des inscriptions qui lui accorda une médaille; c'était.
dit le rapporteur, « un morceau achevé ; pour un début dans la
science, il serait difficile de rien produire qui montrât mieux tous
les caractères de la maturité »3. L. Delisle justifia cet éloge par
une suite rapide de remarquables travaux : Études sur la con-
dition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Nor-
mandie au moyen âge (1851), modèle d'histoire économique tirée
entièrement des documents d'archives et qu'on a pu réimprimer
en 1903 sans qu'il eût vieilli; Cartulaire normand de Phi-
lippe-Auguste, Louis VIII, saint Louis et Philippe le Hardi
(1852); Notice sur Orderic Vital (1855), admirable étude cri-
tique où sont démêlées avec une rare sagacité les diverses rédactions
de YHistoria, déterminées la composition et la valeur de cette
1. Benjamin Guérard, l'éditeur du Polyptyque d'îrminon.
2. Plusieurs chapitres ont paru dans la Bibl. de l'École des chartes, 2e série,
t. V, et 3" série, t. I. Voir la Bibliographie des travaux de M. Léopold
Delisle, par Paul Lacombe, p. 5.
3. Voir celte même Bibliographie, p. 2. La Dissertation est dans la Bibl. de
l'École des chartes, 2e série, t. III, p. 361-411. On peut la considérer comme
la préface du recueil intitulé Rouleaux des morts, du IV au XVe siècle (Soc.
de l'hist. de France, 1866).
80 BULLETIN HISTORIQUE.
œuvre, aussi précieuse que confuse1 ; Catalogue des actes de Phi-
lippe-Auguste, avec une substantielle introduction sur les sources,
les caractères et l'importance historiques de ces documents (1856);
Mémoire sur les actes d'Innocent III (1857) 2, où l'auteur fixait
les règles employées pour leur rédaction à la chancellerie pontificale
et donnait le moyen sûr de les distinguer des actes émanés des papes
Innocent II et Innocent IV. Ces travaux dans des genres si divers
avaient ce trait commun : ils épuisaient le sujet; sobres en considé-
rations générales, mais abondants en faits nouveaux, riches en
documents inédits, ils satisfaisaient l'esprit par ce qu'ils apportaient
d'original et de définitif. Aussi comprend-on que l'Académie des
inscriptions se soit hâtée d'élire L. Delisle parmi ses membres ordi-
naires (11 décembre 1857). Il venait d'avoir trente et un ans et
n'était encore que simple employé au département des manuscrits
de la Bibliothèque impériale ; mais sa vie était désormais fixée : la
Bibliothèque et l'Académie allaient devenir les deux centres princi-
paux de sa prodigieuse activité. Quelques mois auparavant, il avait
épousé (10 juin) Laure Burnouf, fille aînée du grand indianiste; en
elle il trouva non seulement une compagne tendre et dévouée, mais
une collaboratrice aussi intelligente que discrète. Elle devait être le
charme et le soutien de sa studieuse vie.
En L. Delisle, l'Académie trouvait un auxiliaire admirable pour
les grandes publications qu'elle avait héritées des Bénédictins. Il fut
un des meilleurs ouvriers du Recueil des historiens. S'il n'a guère
fait que surveiller de haut la réimpression des dix-neuf premiers
volumes, il fournit beaucoup de textes aux tomes XXII (1865) et
XXIII (1876); il prépara et rédigea en entier l'énorme tome XXIV,
qui contient les enquêtes ordonnées par saint Louis et ses succes-
seurs immédiats, c'est-à-dire une bonne partie de l'histoire admi-
nistrative et sociale de la France au xme siècle. Il a publié en outre
de savantes dissertations dans les Mémoires de VInstitut3, dans
les Notices et extraits des manuscrits*, dans YHistoire litté-
raire de la France, dont il enrichit le tome XXXII de nombreuses
1. Cette notice ligure en tête de l'Historia ecclesiastica qu'Aug. Le Prévost
avait été chargé d'éditer pour la Société de l'Histoire de France. Elle a été
résumée et remaniée dans l'article sur Orderic Vital de la Biographie Didot
(1862).
2. Publié dans la Bibl. de l'École des chartes, 4° série, t. III et IV.
3. Mémoire sur les ouvrages de Guillaume de Nangis, t. XXVII, 2e partie
(1873); Mémoire sur les opérations financières des Templiers, t. XXXIII,
2' partie (1889).
4. Notice sur les mss. de Bernard Gui, t. XXVII, 2" partie (1879); Notice
sur la chronique d'un anonyme de Béthune, t. XXXIV, lrc partie (1891);
NÉCROLOGIE. 87
notices sur des chroniqueurs français du xme et du xive siècle, sans
compter une foule de communications insérées dans les Comptes-
rendus de l'Académie et d'articles critiques qu'il donna au Journal
des Savants. Plusieurs de ces derniers sont des dissertations origi-
nales sur des questions de bibliographie ou d'histoire.
C'est en novembre 1852 que L. Delisle entra à la grande Biblio-
thèque de la rue de Richelieu. B. Guérard, qui venait d'être nommé
conservateur du département des manuscrits, le prit avec lui comme
attaché ; il y franchit successivement tous les degrés de la hiérarchie;
de conservateur du département des manuscrits (1871), il devint
administrateur général en remplacement de Jules Taschereau
(14 septembre 1874) et il dirigea la Bibliothèque pendant plus de
trente ans. A son arrivée, le désordre était grand. Dans le dépôt
des manuscrits, dont le nombre s'était considérablement augmenté
depuis le catalogue dont la publication avait commencé en 1739, les
recherches étaient devenues difficiles, parfois infructueuses, parce
que beaucoup d'articles avaient été omis ou maladroitement interca-
lés. L. Delisle contribua plus que personne à la rédaction des cata-
logues d'après le plan tracé par B. Guérard et N. de Wailly. C'est à lui
qu'on doit VInventaire desmss. latins conservés à la Bibl. nat.
sous les nos 8823-18613* , VInventaire général et méthodique
des mss. français (2 vol., 1876-1878), VInventaire alphabétique
des mss. latins et français ajoutés au fonds des nouvelles
acquisitions pendant les années 1815-1891 (1891). Pour accom-
plir une telle œuvre, un labeur acharné ne suffisait pas, il fallait
encore « bien connaître l'histoire de la maison, savoir distinguer
l'écriture et les marques des premiers possesseurs des manuscrits,
surtout l'écriture et les chiffres des anciens bibliothécaires... Tout
employé devait connaître à fond l'histoire de la Bibliothèque »2.
Après avoir appris cette histoire, afin d'y trouver un guide pour ses
propres recherches, L. Delisle l'écrivit et la publia sous le titre : le
Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale [natio-
nale]3; il y ajouta des notes qui contiennent les éléments d'une
histoire de la calligraphie, de la miniature, de la reliure et du com-
merce des livres à Paris avant l'invention de l'imprimerie. « Entre-
prise quelque peu téméraire », dit-il avec ce ton plus que modeste
Notice stir les mss. originaux d'Adhémar de Cliabannes, t. XXXV, lrc partie
(1806). La chronique de l'anonyme de Bélhune fut plus tard assez malencon-
treusement insérée à la fin du t. XXIV du Recueil des historiens.
1. Publié de 1863 à 1871 dans la Bibl. de l'École des chartes.
2. Souvenirs de jeunesse, p. 11.
3. Trois volumes, 1868-1881, dans la collection des « volumes verts » de la
ville de Paris.
88 1>I LLETIN IIISTOUIQDE.
dont il no se départit jamais en parlant de lui-même; « aujourd'hui,
l'ouvrage serait à reprendre en sous-œuvre, de fond en comble,
avec un choix de pièces justificatives, sur des hases beaucoup plus
larges ». Il dul se contenter d'en refaire la partie qui se rapporte à
1' « enfance » de l'établissement ; ce sont ses Recherches sur la
librairie de Charles Y parues en 19071.
En ce qui concerne le département des imprimés, le désordre, il
y a un demi-siècle, était encore plus grand et plus préjudiciable au
public que dans celui des manuscrits. Pendant longtemps, il u'j
avait pas eu du tout de catalogues; puis on commença une série, de
catalogues méthodiques, dont ceux qui sont consacrés à l'histoire de
France et aux sciences médicales furent assez rapidement imprimés;
mais il fallut abandonner une entreprise dont les mécomptes contre-
balançaient par trop les services. A partir de 1875, tous les livres
entrant à la Bibliothèque reçurent une cote, et les fiches furent
classées dans une seule série alphabétique; bientôt la fiche biblio-
graphique de chacun d'eux fut imprimée dans des Bulletins men-
suels; on s'acheminait ainsi vers le Catalogue général par ordre
alphabétique qui exigea encore une longue préparation, tant était
grand l'arriéré des livres entrés avant 1875 qui n'avaient pas encore
été catalogués. Le tome I de ce Catalogue général parut enfin en
18972 avec une préface de M. Delisle sur l'origine et le développe-
ment des collections qui sont rangées sur les rayons de la Biblio-
thèque, les classements qu'elles ont reçus, les catalogues projetés,
entrepris ou rédigés à diverses époques.
Ce n'est pas tout, car L. Delisle eut encore une part personnelle
dans certains accroissements importants qui vinrent enrichir la
Bibliothèque, surtout le département des manuscrits. Son plus beau
succès à cet égard fut l'achat d'une partie des manuscrits possédés
par le vieux comte d' Ashburnham . Un lot important de ces volumes
provenait de nos bibliothèques publiques, d'où ils avaient été sous-
traits par le trop fameux Libri. L. Delisle travailla et réussit à
prouver le fait pour chacun d'eux avec une telle évidence que les
autres acheteurs se retirèrent devant lui, en reconnaissant à la
France un droit exclusif de préemption; puis il engagea de longues
et délicates négociations pour trouver l'argent nécessaire à cette
acquisition. Il eut enfin la joie de faire rentrer dans nos biblio-
thèques une partie des trésors qu'on leur avait dérobés3.
1. Deux volumes précédés d'un Hommage à l'Académie des inscriptions et
belles-lettres et des Souvenirs de jeunesse.
2. Ce catalogue ne contient que les livres publiés avec un nom d'auteur.
3. Voir le Catalogue des mss. du fonds Libri et Barrois, 1888; la préface
contient lbistorique de la question.
NÉCROLOGIE. 89
Enfin, si les conditions de travail à la Bibliothèque se sont amé-
liorées dans des proportions considérables depuis une vingtaine
d'années, le mérite en revient pour une bonne part à sa persévérance,
à son ingéniosité ; il fallut, il est vrai, l'obliger quelquefois à marcher
dans la voie du progrès plus vite qu'il n'aurait voulu ; mais il sut faire
bon visage à des exigences même impatientes, et il croyait sans doute
qu'on ne l'enlèverait pas à sa chère Bibliothèque tant qu'il garderait
sa belle santé physique et intellectuelle. Les services inappréciables
qu'il y avait rendus pendant plus de cinquante ans ne l'empêchèrent
pas d'être mis brusquement à la retraite (21 février 1905). Il conserva
de cette disgrâce une amertume qu'il ne chercha pas à dissimuler.
L'Académie et la Bibliothèque n'accaparèrent pas toute l'activité
de L. Delisle. Loin de là. Bien qu'il eût appris peu de choses à
l'Ecole des chartes, il lui fut toute sa vie reconnaissant de l'ensei-
gnement qu'il avait puisé auprès du plus savant des maîtres. Il entra
de bonne heure au Comité de publication de sa Bibliothèque; il y
fit paraître quelques-uns de ses meilleurs mémoires; il y prodigua
les comptes-rendus de livres sur les sujets les plus divers de paléo-
graphie, de diplomatique, de bibliographie. Ces écrits ont été pour
les élèves un enseignement fécond et qui comblait les lacunes de
certains cours par trop insuffisants. Quand il fut devenu président
du Conseil de perfectionnement de l'Ecole, il prit en outre une
grande part à sa vie intérieure, à la réorganisation des études sous
les fermes directions de J. Quicherat et de Paul Meyer. Grande fut
aussi son influence dans les réunions des Sociétés savantes, dans
les nombreux comités techniques dont il faisait partie, et dont il
suivait les délibérations avec une ponctualité exemplaire, en parti-
culier dans le Comité des travaux historiques, pour lequel il était
toujours prêt à rédiger des rapports, des instructions d'un caractère
à la fois scientifique et pratique1 . On ne saurait trop admirer l'impor-
tance des résultats obtenus par les jugements qu'il portait sur les
livres, par la méthode qu'il appliquait dans ses propres travaux et que
tant d'autres se proposaient pour modèle. Car il ne cessa de pro-
duire ; ses premiers travaux avaient pu faire espérer qu'on aurait en
lui un grand historien; n'allait-il pas nous donner une biographie
de Philippe-Auguste, une histoire de la littérature latine au moyen
âge? Mais il se défiait de lui-même, ou bien il hésitait à se risquer
dans le domaine des idées générales. Il préférait se cantonner dans
1. Instructions concernant les communications de textes (1875); Instruc-
tions... Littérature latine et histoire du moyen âge (1890). Ajouter les Ins-
tructions pour la rédaction d'un inventaire des Incunables conservés dans
les bibliothèques publiques (1886); Instructions pour la mise et le maintien
en ordre des livres d'une bibliothèque (1890; nouv. éd. en 1908), etc.
90 BULLETIN HISTORIQUE.
celui des faits, des documents, publier des textes et les mettre en
valeur, éditer par exemple une lettre adressée à la reine Blanche par
un habitant de La Rochelle avec un savoureux commentaire', tenter
la restitution d'un volume des Olim perdu depuis le xvie siècle2,
préparer des recueils d'actes ou de chroniques pour la Société de
l'histoire de Normandie3, pour la collection des Documents inédits4,
ou bien encore recueillir et faire photographier des chartes, des des-
sins, des manuscrits intéressants pour l'histoire de l'écriture, de la
calligraphie, de l'enluminure, de la littérature médiévale5 ; ou mieux
enfin rédiger des catalogues et des inventaires de livres imprimés ou
manuscrits.
L'année 1902 fut une année particulièrement mémorable pour
M. Delisle. Il y avait cinquante ans qu'il était entré à la Biblio-
thèque, qu'il était membre de la Société de l'histoire de France et de
la Société de l'École des chartes. Ce triple anniversaire fut célébré
avec l'éclat que méritaient tant de services rendus à la connaissance
des institutions, des hommes et des livres du moyen âge. L'hom-
mage qui dut le plus réjouir son cœur et flatter son légitime
orgueil fut la Bibliographie de ses travaux rédigée par M. Paul
Lacombe6, qui eut la délicate pensée d'y ajouter celle des publica-
tions de Mme Léopold Delisle, interprétant ainsi les sentiments
de M. Delisle, heureux de voir associer le nom de sa femme
au sien. Leur union dura quarante - sept ans dans la plus heu-
reuse et la plus complète des intimités7 que la mort vint rompre
le 11 mars 1905, le jour même où ils devaient quitter la Biblio-
thèque nationale. Ce double déchirement aurait abattu un homme
moins robuste. Il résista néanmoins et se remit au travail. II
reprit les chartes de Henri II qu'il avait copiées au sortir de
l'École et, quand il eut découvert un élément, insoupçonné jusqu'à
1. Bibl. de l'École des chartes, 4e série, t. II (185G).
2. Dans les Actes du Parlement de Paris, publ. par Boutaric, t. I (1863).
3. Actes normands de la Chambre des comptes sous Philippe de Valois
(1871); Chronique de Robert de Torigni, abbé du Mont-Saint-Michel (1871-73).
4. Mandements et actes divers de Charles V recueillis dans les collections
de la Bibliothèque nationale (1874).
5. Monasticon gallicanum, collection de 168 planches, de vues topogra-
phiques représentant les monastères de l'ordre de saint Benoit (1871), le tout
reproduit par les soins de M. Peigné-Delacourt, avec une préface par M. Léo-
pold Delisle; Mélanges de paléographie et de bibliographie, avec un atlas
(1880); Le premier registre de Philippe-Auguste (1883); l'Apocalypse en fran-
çais au XIII" siècle, par L. Delisle et P. Meyer; reproduction phototypique
(1901), etc.
6. Bibliographie des travaux de M. Léopold Delisle (1902).
7. « Six mois après le jour béni de notre union », écrit M. Delisle dans ses
Souvenirs de jeunesse.
NÉCROLOGIE. 91
lui, qui permettait d'apporter un commencement d'ordre dans la
chronologie trop souvent confuse des actes émanés de la chancellerie
anglaise sous ce grand règne, il se mit, avec une ardeur juvénile, à
en dresser le catalogue. Il n'a pu en donner que les prolégomènes1,
fort importants d'ailleurs pour l'histoire anglo-normande dans la
seconde moitié du xne siècle. Des signes trop visibles montraient
que le temps accomplissait sur lui son œuvre de destruction; les
épaules se voûtaient, la mémoire le trahissait quelquefois; mais
c'est seulement dans les toutes dernières semaines qu'on le vit et
qu'il se sentit sérieusement atteint2. Il mourut subitement le
22 juillet à Chantilly, dans ce beau domaine dont il était un des
conservateurs et où il avait retrouvé une précieuse bibliothèque3.
D'autres diront ce que fut M. Delisle dans le fond de sa nature,
dans l'intimité de son foyer; ils parleront de son désintéressement,
de l'ardeur avec laquelle il servait ses amis, ses fidèles, vieux et
jeunes. S'il eut des partis pris qui le rendirent parfois injuste,
le nombre de ceux qu'il aida de ses conseils est infini. Les erreurs
qu'on a pu lui reprocher s'oublieront; mais son nom demeurera
au même titre que celui des illustres savants du xvne et du
xvme siècle, non pas peut-être des plus grands, de ceux qui ont jeté
les fondements de la science historique, car il a dispersé dans trop
de directions différentes les trésors de son érudition ; mais il occu-
pera une place éminente parmi les plus laborieux, les plus intelli-
gents, les plus utiles continuateurs de dom Bouquet et de dom Rivet,
des Baluze et des Bréquigny.
Ch. Bémont.
1. Voir Rev. histor., t. CIV, p. 95.
2. La veille de sa mort, il écrivit du musée Condé au secrétaire de l'Acadé-
mie de Mâcon, président du comité pour les fêtes du millénaire de Cluny :
« ... dans ces dernières semaines, mes infirmités de vieillesse ont pris un
caractère tel que je dois renoncer aux occupations (fui ont fait le charme de
ma vie... Non seulement je suis matériellement hors d'état de voyager, mais
je suis incapable de rédiger un discours susceptible d'être lu à cette cérémo-
nie. Ces jours-ci, je me suis démis des fonctions que j'avais cru pouvoir con-
server dans plusieurs sociétés ou commissions de Paris et de province. Ma
vue s'est bien affaiblie, ma mémoire me trahit à chaque instant; souvent j'ai
grand'peine à rester debout ou à faire quelques pas... Je vous supplie de
prendre en pitié mes quatre-vingt-cinq années qui seront accomplies dans
quelques semaines. L'heure du repos a sonné pour moi et j'aurais dû m'en
apercevoir plus tôt... » {Le Temps, à la date du 27 juillet 1910).
Cette lettre est du 21 juillet au soir; le 22, à onze heures du matin, Léopold
Delisle s'éteignait en s'entretenant avec un visiteur de son édition des actes
de Henri II.
3. Voir Chantilly. Le Cabinet des livres. Imprimés antérieurs au XVl° siècle,
par L. Delisle. In-4°, 1905.
92 BULLETIN HISTORIQUE.
ANTIQUITE ROMAINE.
I. Généralités. — Il y a environ dix ans, M. Bouché-Leclercq
a publié un volume, intitulé Leçons d'histoire grecque, dans
lequel étaient réunies plusieurs leçons d'ouverture prononcées à la
Sorbonne entre 1880 et 1899. II a donné un pendant et un complé-
ment à ce premier volume en publiant l'an dernier ses Leçons
d'histoire romaine*. On y retrouve la même science puisée aux
meilleures sources; la même compréhension, pénétrante et sereine,
de la vie antique, de ses conditions et de ses vicissitudes; le même
souci, très haut et très noble, d'offrir au temps présent l'image fidèle
du passé pour le mettre en garde contre des fautes déjà commises,
des catastrophes jadis éprouvées. « Sans me faire illusion sur l'ef-
ficacité des enseignements de l'histoire, je crois plus opportun que
jamais de les rappeler à une démocratie entraînée par sa logique
interne à des expériences déjà faites autrefois à Athènes et à Rome. . . »
Mais, pour que ces leçons de l'histoire soient vraiment utiles, il faut
qu'elles se fondent sur des analogies réelles et non sur des ressem-
blances purement verbales. Ici encore, M. Bouché-Leclercq précise,
avec une clarté lumineuse, les conditions nécessaires de l'œuvre his-
torique telle qu'il la conçoit et l'exécute : « Les peuples sont des
organismes vivants : les vicissitudes de leur existence sont tou-
jours l'effet de causes multiples qui agissent toutes ensemble et ne
se laissent pas ramener à une impulsion unique. L'analyse doit
démêler, mais non pas séparer ces forces associées... On doit com-
mencer par enregistrer des faits aussi exacts et aussi nombreux que
possible; puis, au lieu de les isoler, sous prétexte de les mieux voir,
il faut s'attacher à en montrer l'enchaînement, la cohérence, l'ac-
tion réciproque, sans se préoccuper de satisfaire les esprits impa-
tients qui se hâtent pour leur compte et pressent les autres de con-
clure. » Il n'est aucune des dix études, réunies dans ces Leçons
d'histoire romaine, où ne se reflètent cette conception et cette
méthode. Qu'il s'agisse des institutions religieuses de Rome, des
rapports de Rome avec l'Orient hellénistique, de la fin de la Répu-
blique romaine, du principat d'Auguste, de l'empire romain aux
divers siècles de son existence ou de l'administration financière du
Bas-Empire, M. Bouché-Leclercq, après avoir reconstitué le passé
1. A. Bouché-Leclercq, Leçons d'histoire romaine. Paris, Hachette, 1909,
vm-294 p. in-12.
ANTIQUITÉ ROMAINE. 93
avec une scrupuleuse conscience et une exactitude qu'il serait bien
difficile de prendre en défaut, en tire toujours pour le présent une
leçon d'autant plus expressive qu'elle est sobre, discrète, dénuée de
toute érudition pédante. Et c'est encore un des caractères distinc-
tifs, en même temps qu'un des charmes de ce volume, que la science
profonde de l'auteur y soit comme dissimulée. Il n'a voulu présen-
ter à ses auditeurs d'abord, au grand public ensuite, que la conclu-
sion synthétique de ses vastes recherches. On comprend, à la lec-
ture d'un tel livre, tout ce que l'art de la composition ajoute de vie
interne et de force aux analyses minutieuses qui constituent la pre-
mière, mais non la seule tâche du véritable historien.
II. Biographies. — De ces analyses, qui conviennent à des sujets
restreints et dont la nécessité doit être démontrée h tous les étudiants
en histoire, M. G. Bloch a donné un modèle dans sa biographie de
M. Aemilius Scaurus1. Cette biographie, par laquelle s'ouvre le
XXVe volume de la bibliothèque de la Faculté des lettres de l'Uni-
versité de Paris, est surtout une œuvre de critique. M. Aemilius
Scaurus, consul, censeur et prince du Sénat à la fin du 11e et au
début du ier siècle av. J.-C, fut pendant près de trente ans le per-
sonnage politique le plus influent de Rome. Cicéron en fait un éloge
enthousiaste, sans restriction. Tacite, Sénèque, Valère-Maxime,
Juvénal lui-même s'associent à ces louanges. Seul Salluste émet
une autre opinion. Il ne conteste pas les qualités d'activité, d'éner-
gie, d'intelligence du personnage; mais il prétend que sous des appa-
rences austères son âme était cupide et vénale. La plupart des his-
toriens modernes ont adopté, avec plus ou moins de réserves, l'avis
de Salluste. M. G. Bloch pense qu'il est nécessaire de reviser le pro-
cès. Tel est le but de son étude. Mais, précisément parce que le rôle
de Scaurus a été capital à son époque, M. G. Bloch a été amené à
étudier en même temps l'histoire intérieure de la République pendant
près d'un demi-siècle. Il l'a fait avec une préoccupation constante
d'exactitude historique et d'équité morale qui donne à ses conclu-
sions une indéniable valeur. Il lui a été certes impossible de contes-
ter que Scaurus ait fait preuve de cupidité dans ses rapports avec
les sujets de Rome, ni qu'il ait pris envers Jugurtha une attitude
au moins inattendue, sinon suspecte. Mais il s'est efforcé de prou-
ver d'une part qu'il n'a été ni meilleur ni plus mauvais que les
hommes de son temps, Caton peut-être excepté, et qu'en tout cas
Salluste n'était guère qualifié pour s'ériger en censeur; d'autre part,
que la trahison reprochée à Scaurus à propos de la guerre de
1. G. Bloch, M. Aemilius Scaurus. Paris, F. Alcan, 1908 (1909), 80 p. in-8".
94 BULLETIN HISTORIQUE.
Jugurtha n'est pas démontrée. « Scaurus », écrit-il, « n'a pas été
le, héros pur et sans tache dont l'image idéalisée a passé à l'état de
type conventionnel dans la littérature impériale. Il n'a pas été non
plus le politicien sans conscience, le trafiquant sans scrupules que
nous représente Salluste. »
Le livre que M. René Waltz a consacré à la Vie de Sénèque*
est dédié à M. G. Bloch. On y retrouve le souci de porter sur un
grand personnage de l'histoire romaine un jugement exempt de
toute passion, fondé uniquement sur des faits certains. La tentative
est louable, mais, en ce qui concerne Sénèque, singulièrement ardue.
Car, quoi que prétende M. Waltz, il y a en Sénèque deux éléments
entre lesquels la conciliation logique et morale paraît bien peu vrai-
semblable : le philosophe et l'homme d'État. Pour juger le ministre
complaisant de Néron, M. Waltz a trop subi l'influence de la sym-
pathie et de l'admiration qu'il éprouve pour le philosophe. Sans
doute, il est fort mal à l'aise quand il lui faut apprécier la part que
Sénèque a prise, peut-être inconsciemment, au meurtre d'Agrip-
pine. Mais il s'efforce d'excuser l'attitude du philosophe; il ne le
blâme pas formellement d'avoir rédigé le message fameux dans
lequel Néron tentait de justifier son forfait devant le Sénat en rap-
pelant tous les crimes accomplis ou médités par sa mère. Il se borne
à juger le message inhabile et cynique. « Mieux eût valu », ajoute-
t-il, « proclamer résolument, au nom de l'intérêt politique, la légi-
timité du meurtre. Cette thèse, soutenable si l'on avait pris soin
de donner au meurtre les apparences d'un acte de justice et
de défense sociales..., eût causé moins d'indignation. » M. Waltz
n'est même pas éloigné d'approuver Sénèque, comme Burrhus,
d'avoir gardé pendant trois ans encore la situation qu'ils occupaient
auprès de l'empereur. Ce n'est là qu'un épisode. Mais est-il possible
de souscrire à ce jugement général porté sur la valeur politique de
Sénèque : « Continuateur lointain d'Auguste, précurseur lointain
des Antonins, liant le passé à l'avenir par-dessus l'abîme des tyran-
nies sanglantes et des révolutions militaires, Sénèque, en tant
qu'homme d'État, a donc bien mérité non seulement des hommes
de son époque, mais de la postérité civilisée tout entière... Son
influence de moraliste se fit sentir d'une manière aussi efficace sur
l'administration de la chose publique que sur la conduite privée de
quelques amis qui acceptaient sa discipline, et si jamais la Rome
impériale eut l'illusion de posséder réunis tous les avantages des
institutions libres, ce fut sous l'éphémère régence qu'il lui fut donné
1. René Waltz, Vie de Sénèque. Paris, Perrin et Cio, 1909, 462 p. in-8".
ANTIQUITÉ ROMAINE. 95
d'exercer. » Cette conclusion paraîtra plus paradoxale encore, si on
la rapproche des premières pages du livre où M. Waltz affirme que
pendant les huit premières années du règne de Néron Sénèque,
« toujours présent et presque toujours invisible », a été l'âme de
l'État romain, le véritable chef de l'empire, « s'évertuant à réparer
les fautes qu'il n'a pu empêcher, même quand ces fautes sont des
crimes ». Or, ces huit premières années du règne de Néron sont
marquées surtout par l'empoisonnement de Britannicus, le meurtre
d'Agrippine et celui de Domitia, tante du prince. M. Waltz croit
qu'il y eut alors une application heureuse du système de la dyarcbie,
système laissant au Sénat une part réelle dans l'administration de
l'État, une influence active sur le gouvernement. Mais on sait aujour-
d'hui que le système de la dyarchie n'a jamais existé en fait, qu'il
faut y voir uniquement une théorie philosophique et politique conçue
de nos jours par des historiens, mais non vraiment appliquée dans
l'empire romain. Le pouvoir de l'empereur n'a jamais été limité ni
contrebalancé sérieusement par l'initiative du Sénat; d'ailleurs
pouvait-il l'être sérieusement, puisqu'en réalité l'empereur était
maître à la fois du recrutement des sénateurs et de l'ordre même de
leurs délibérations? Il n'est d'ailleurs pas très malaisé de comprendre
par quelle méthode M. Waltz en est arrivé à sa conclusion. Que
l'on se reporte aux premières lignes de son livre. « J'ai scruté à fond
les documents et j'ai cru qu'il était d'une bonne méthode de les
interpréter à la seule lumière du bon sens, chaque fois que les éclair-
cissements proprement scientifiques faisaient défaut. Aussi ne me
suis-je interdit, en présence des incertitudes ou des lacunes de l'his-
toire, ni les inductions ni les hypothèses, à condition qu'elles fussent
conformes aux lois de la logique et de la psychologie, ou, pour
mieux dire, aux lois mêmes de la vie et de la nature humaine. » Il
ne faut chercher en histoire ni la logique ni l'unité psychologique ni
même le bon sens : il faut voir les faits, seulement les faits, et en
tirer, après un examen critique purement objectif, les conclusions
qu'ils comportent, quelles qu'elles soient.
III. Institutions, droit, religion. — M. Pallu de Lessert
s'est proposé de déterminer quelle avait été l'œuvre géographique
d' Agrippa et d'Auguste1. On sait que, dans son Histoire natu-
relle, Pline l'Ancien nomme souvent Agrippa et parfois Auguste
parmi les sources auxquelles il a puisé de nombreux renseignements
1. C. Pallu de Lessert, l'Œuvre géographique d' Agrippa et d'Auguste
(extrait des Mémoires de la Société nationale des Antiquaires de France,
t. LXVIII). Paris, 1909, 84 p. in-8°.
96 BULLETIN HISTORIQUE.
géographiques cl statistiques. D'autre part, l'on a attribué au pre-
mier empereur et à son gendre l'origine des données de même ordre
contenues dans plusieurs ouvrages de basse époque, la Dimensura-
tio ou Demonstratio provinciarium Hieronymi presbyteris,
l'écrit du moine irlandais Dicuil, la Divisio orbis terrarum, don-
nées dont quelques-unes offrent une ressemblance frappante avec
divers passages de Pline. Les documents à l'aide desquels on peut
examiner et résoudre la question posée par M. Pallu de Lessert ne
sont pas très nombreux ni d'une précision toujours satisfaisante.
Mais surtout l'étude du problème a été compliquée par les hypo-
Lbèses fragiles, sinon fantaisistes, qu'ont édifiées des savants alle-
mands, Mommsen, Petersen. Schweder, d'autres encore. Sans doute
dans ces dissertations tout n'est pas inutile : des remarques de
détail, des observations intéressantes y peuvent être glanées; mais
le plus clair résultat de ces travaux a été d'embrouiller encore cette
question par elle-même assez compliquée. M. Pallu de Lessert com-
mence par dégager la discussion de tous « les éléments parasitaires » ,
puis il présente des conclusions fondées uniquement sur l'examen
des documents antiques. Ces conclusions sont les suivantes :
« A Agrippa, l'on doit uniquement la carte du Portique de Polla ;
aucune preuve sérieuse ne justifie jusqu'ici l'existence de ses pré-
tendus Commentaires. Auguste ne fit qu'achever l'exécution de cette
carte préparée par son gendre et commencée par la sœur de celui-ci.
Pline, enfin, a dû trouver les documents statistiques qu'il utilise,
d'abord dans un recueil officiel des Forrnulae [provinciarum]
dont la rédaction se place approximativement entre l'an 27 et l'an 20
av. J.-C, et pour le surplus dans divers actes administratifs édictés
depuis cette époque, tant en vue de la réorganisation de l'Italie que
de l'organisation des nouvelles provinces. »
M. F. Desserteaux a entrepris une série d'Études sur la For-
mation historique de la Capitis deminutio. La première, qui
porte sur V Ancienneté respective des cas et des sources de la
Capitis deminutio*, ne se rattache pas moins à l'histoire propre-
ment dite qu'à la science du droit. La méthode de Fauteur est en
effet essentiellement historique. Après avoir rappelé les nombreux
travaux consacrés à cette institution, M. Desserteaux ajoute :
« Une théorie, qui, comme celle de la Capitis deminutio, remonte
aux origines et est encore vivante du temps de Justinien, constitue
nécessairement un ensemble complexe formé d'apports successifs sur-
1. F. Desserteaux, Études sur la formation historique de la Capitis demi-
nutio. Tome I : Ancienneté respective des cas et des sources de la Capitis
deminutio. Paris et Dijon, 1909, 387 p. in-8\
ANTIQUITÉ ROMAINE. 97
venus à des époques diverses et soumis à des transformations qui
peuvent être en désaccord avec la notion de l'institution primitive et
obéir à d'autres idées directrices... Je vais commencer par prendre
l'institution par le côté le plus facile à préciser, ses cas d'application ;
je les fixerai à l'aide des textes et abstraction faite de toute construc-
tion juridique a priori...; comme il est incontestable que ces cas n'ont
pas existé de tout temps, j'essaierai de remonter pour chacun d'eux
à son époque d'apparition et, procédant par élimination des plus
récents, d'arriver aux cas originaires qui, si on pouvait les entre-
voir, donneraient le point de départ et la notion de l'institution pri-
mitive... » En un mot, M. Desserteaux veut d'abord préciser les
faits concrets, en quoi ont consisté les divers cas de Capitis demi-
nutio; il tient le plus grand compte de l'évolution qui s'est pro-
duite à Rome comme partout dans les institutions; pour lui, les
textes des grands jurisconsultes sont non le point de départ, mais
au contraire le terme auquel ont abouti ces institutions. Par l'ap-
plication de cette méthode, M. Desserteaux a pu apporter beaucoup
de clarté dans une question jusque-là complexe et fort obscure. Il
a démontré, par une analyse minutieuse et critique des cas connus
de Capitis deminutio, que l'origine de cette institution est l'entrée
du civis en servitude ou sa mise in mancipio, c'est-à-dire la perte
de la civitas libertasque, de la qualité de citoyen romain et de la
liberté, considérées pendant longtemps comme inséparables. Il en
fut ainsi à peu près jusqu'à l'empire. Avec l'empire, avec l'extension
et l'organisation de plus en plus complexe du monde romain, la qua-
lité de citoyen romain et la liberté ne furent plus considérées à Rome
comme inséparables; on admit qu'il pût y avoir dans l'Etat romain
des êtres libres qui ne fussent pas cives romani; la personnalité
juridique se subdivisa en trois éléments essentiels, libertas, civi-
tas, familia, et la Capitis deminutio évolua conformément à ces
nouvelles conceptions. L'évolution générale de la Capitis deminu-
tio sera exposée par M. Desserteaux dans un autre travail.
Pour être une brève et sobre étude de trente-trois pages seule-
ment, le mémoire de M. Franz Cumont sur la Théologie solaire
du paganisme romain n'en est pas moins d'une réelle importance
et d'un vif intérêt ' . Le culte du soleil fut la dernière forme du paga-
nisme romain ; Aurélien et Julien l'Apostat furent des adorateurs
fervents de Sol Invictus ou d'Hélios. M. F. Cumont s'efforce
1. F. Cumont, la Théologie solaire du paganisme romain (extrait des
Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des inscriptions et
belles-lettres, t. XII, 2e partie). Paris, Klincksieck, 1909, 33 p. in-4°.
REV. HlSTOR. CV. 1er FA.SC. 7
98 BULLETIN HISTORIQUE.
d'expliquer « quelles raisons firent accorder au Soleil cette souve-
raineté et sur quel fondement théologique reposa l'idée de son hégé-
monie ». Il n'en était pas ainsi à l'origine. En Grèce, à l'époque
classique, Héllos ne tenait dans le panthéon qu'un rang secondaire ;
le Sol Incliges du Latium n'avait de même qu'un pouvoir restreint
et une situation modeste. Dans l'antique religion babylonienne, le
dieu lunaire Sin était plus important et plus puissant que le dieu du
soleil Shamash. C'est aux progrès mêmes de l'astronomie scienti-
fique et à l'influence de ces progrès sur l'astrologie que M. Cumont
attribue la prédominance finale du culte solaire. De plus en plus,
les astronomes antiques comprirent le rôle considérable que le soleil
joue dans la vie de l'univers ; c'est lui qui, avec la lumière et la cha-
leur, distribue partout la fécondité et la joie; il est « l'ordonnateur
de l'harmonie cosmique, le maître des quatre éléments et des quatre
saisons » ; c'est lui .qui lance les astres dans l'espace et qui les
ramène vers lui avec une sûreté infaillible; il est une lumière intel-
ligente, cpôç vcepév; il est la raison directrice du monde. « De ces
spéculations astronomiques, les Chaldéens avaient déduit toute une
dogmatique religieuse. Le soleil, placé au milieu des planètes super-
posées, règle leurs mouvements harmonieux ; sa chaleur les pous-
sant en avant, puis les ramenant en arrière, il modifie constamment
suivant ses divers aspects la direction de leur cours et leur action
sur la terre. Cœur ardent du monde, il vivifie tout ce grand orga-
nisme et, commandant aux étoiles, il règne sur l'univers. Le rayon-
nement de sa splendeur illumine l'immensité divine des deux, mais
en même temps clarté intelligible, il est l'origine de toute raison et
projette sans cesse ici-bas, semeur infatigable, la multitude des
âmes... Dans sa course rapide, rapprochant tour à tour et écartant
de lui les autres corps célestes, associant et dissociant les éléments,
ramenant l'alternance des saisons et des jours et provoquant à la
fois la naissance et la mort, ce foyer incandescent, source éternelle
de toute énergie, réunit en lui des forces contraires qui, balancées
suivant les lois du rythme cosmique, produisent la série indéfinie
des phénomènes matériels et moraux. » C'est vraisemblablement au
stoïcien Posidonius d'Apamée qu'il faut attribuer la première sys-
tématisation de cette théologie solaire. Il ne semble pas, quoi qu'af-
firme en terminant M. Cumont, que cette théologie ait vraiment
passé dans la religion populaire.
IV. Les provinces. — A. La Gaule. — Dans le troisième
volume de sa magistrale Histoire de la Gaule*, M. C. Jullian
1. C. Jullian, Histoire de la Gaule; t. III : la Conquête romaine et les
premières invasions germaniques. Paris, Hachette et Cie, 1909, G07 p. in-8°.
ANTIQUITÉ ROMAINE. 99
aborde le récit des événements qui ont amené Rome au delà des
Alpes. Il raconte la première intervention romaine en faveur de
Marseille et la création de la province de Gaule narbonnaise ; il montre
comment, à la même époque, la civilisation gauloise et la prospérité
de Marseille sont entrées en décadence. De 125 à 49 av. J.-C, les
vicissitudes par lesquelles toute la Gaule a passé; les invasions ger-
maniques qu'elle a subies et celles qui l'ont menacée ; les discordes
intérieures qui l'ont déchirée et livrée plus facilement aux convoi-
tises de Rome; les répercussions que l'histoire de la République
romaine a eues sur ses propres destinées; enfin la lutte suprême,
d'abord éparse et successive, puis concentrée et devenue vraiment
nationale, entre César et les chefs gaulois : tous ces événements sont
évoqués et retracés par M. C. Jullian avec une sûreté et une ampleur
qui attestent chez l'historien de la Gaule une égale maîtrise dans
les minutieux travaux de l'analyse et dans les reconstitutions à l'a
fois scientifiques et esthétiques de la synthèse. La narration se déve-
loppe, sous les yeux du lecteur, comme une vaste fresque, admira-
blement composée, dont les plans divers et les multiples person-
nages se superposent ou se succèdent sans se confondre jamais.
M. C. Jullian prouve par son exemple que les qualités littéraires
ajoutent non seulement un grand charme, mais une force véritable,
et d'ailleurs légitime, aux démonstrations scientifiques.
La majeure partie du tome III de l'Histoire de la Gaule est con-
sacrée à la conquête du pays par Jules César. C'est dans l'ensemble
un modèle d'exposé historique. Mais M. C. Jullian nous semble
trop sévère pour César. Le portrait qu'il en trace (p. 167-173) est-il
bien équitable? Il nous paraît difficile d'admettre que l'âme de César
n'ait même pas valu celle de Pompée, dont au fond les ambitions
n'ont été ni moins égoïstes ni moins coupables; elles ont été simple-
ment moins franches et se sont abritées hypocritement derrière les
formes surannées d'une constitution depuis longtemps abolie en fait.
Nous ne pouvons non plus souscrire à cette sentence finale : « Si
les circonstances l'avaient laissé à Rome, il eût ressemblé plus à
Catilina qu'aux Gracques. Placé par son proconsulat en face d'enne-
mis à combattre, il devint le plus meurtrier des conquérants qu'ait
produits le peuple romain. » M. C. Jullian n'accorde sans doute pas
grande importance à la double décision de reconstruire Carthage et
Corinthe. Il nous semble, au contraire, que c'est là peut-être l'acte
capital de la politique de César, celui par lequel son génie a le mieux
indiqué les voies nouvelles à suivre désormais. Qu'il ait envoyé à la
mort un grand nombre, un trop grand nombre d'individus, nous le
concédons (quoique à cet égard les noms de Scipion Emilien, de
100 BULLETIN HISTORIQUE.
Marius, de Sylla, nous paraissent beaucoup plus tachés de sang
humain que celui de César) ; mais il n'a point traité la Gaule ni
l'Egypte comme le second Africain a traité Numance et Carthage,
comme Mummius a traité Corinthe. Il a été le premier et le puis-
sant inspirateur de cette colonisation romaine qui a, pendant plu-
sieurs siècles, donné une incomparable prospérité à l'Afrique du
Nord et à la plus grande partie de l'Europe occidentale. M. C. Jul-
lian nous excusera d'avoir indiqué aussi nettement l'unique objec-
tion que nous croyons devoir formuler après avoir lu son troisième
volume; cette divergence d'opinion ne nous empêche pas d'admirer
la science solide, la dialectique vigoureuse et le beau talent d'écri-
vain qu'il consacre à cette histoire de nos origines.
L'ouvrage de M. de La Ville de Mirmont sur YAstrologie
chez les Gallo-Romains* et le volume de M. Paul Allard sur
SaÎ7it Sidoine Apollinaire2 nous transportent à la fin de la
période gallo-romaine. M. de La Ville de Mirmont établit, avec de
nombreuses preuves à l'appui, que l'astrologie n'a jamais fait partie
des disciplines du druidisme et que les pratiques astrologiques, deve-
nues chères aux Gallo-Romains, sont d'origine grecque. Ces pra-
tiques ont été introduites en Gaule quand la Gaule a subi l'influence
de Rome. Elles y sont venues de l'Orient. M. de La Ville de Mir-
mont passe ensuite en revue tous les écrivains gallo-romains, païens
ou chrétiens, du ive, du ve et du commencement du vie siècle,
Ausone, l'auteur du Querolus, Paulin de Noie, Sidoine Apollinaire,
Ennodius, Avitus, saint Césaire d'Arles; il relève toutes les allu-
sions que leurs œuvres contiennent à l'astrologie et à I'astrolàtrie,
toutes les attaques dirigées par eux contre ces superstitions et les
pratiques qui en dérivent. De cet examen, fait avec une connais-
sance étendue et précise de la littérature gallo-romaine, deux con-
clusions ressortent : d'une part l'astrologie a été en grande faveur
chez les Gallo-Romains ; les lettrés s'en occupaient, les petites gens
n'hésitaient pas à y recourir; les ignorants et les naïfs se lais-
saient facilement duper par les astrologues. D'autre part, il est
visible que beaucoup d'évêques et d'auteurs chrétiens se sont abste-
nus de combattre les superstitions astrologiques; saint Martin de
Tours, dont la propagande contre le paganisme a été si active, si
violente même, paraît ne s'être jamais élevé contre la croyance aux
1. H. de La Ville de Mirmont, l'Astrologie chez les Gallo-Romains (fasci-
cule VII de la Bibliothèque des Universités du Midi). Bordeaux et Paris, 1904
(paru seulement en 1909), 182 p. in-8°.
2. P. Allard, Saint Sidoine Apollinaire (431-489). Paris, V. Lecoffre, 1910,
xn-211 p. in-12.
ANTIQUITÉ ROMAINE. 101
influences sidérales : « La plupart des auteurs ecclésiastiques, con-
clut M. de La Ville de Mirmont, ont l'air de craindre de se hasar-
der sur un terrain brûlant où le feu se cache mal à l'abri d'une
couche de cendres perfides... Tous ces écrivains espèrent sans doute,
en ne disant rien de la superstition chère à leurs compatriotes, arri-
ver à en détourner l'attention... Peut-être veulent-ils ne pas consi-
dérer la superstition qui désole l'église catholique des Gaules et
essayer de l'étouffer par une sorte de conspiration du silence. »
La biographie de Sidoine Apollinaire par M. Paul Allard fait
partie de la Collection des Saints, que la librairie Victor Lecoffre
publie sous la direction de M. Henri Joly. M. P. Allard ne s'est
pourtant pas cru obligé de passer sous silence ou de reléguer au
second plan ce qui, dans la vie de Sidoine Apollinaire, précède son
épiscopat. Sans doute, c'est la vie de l'évêque et les vertus du saint
qu'il a « eu le plus de plaisir à mettre en lumière. Mais, pour com-
prendre tout à fait cette vie, il faut encore la placer dans son milieu
et autant que possible reconstituer ce milieu de révolutions et d'in-
vasions qui lui servit de cadre ». De plus, Sidoine Apollinaire fut,
en même temps qu'un fervent chrétien et un évêque, un des der-
niers et des plus ardents patriotes de la Gaule ; « il y eut du patrio-
tisme jusque dans son amour obstiné des lettres ; il défendit contre
les Barbares la langue latine avec autant d'énergie que sa province
d'adoption et sa ville épiscopale ». M. P. Allard montre que la vie
de Sidoine Apollinaire se divise en deux périodes séparées par un
intervalle de trois années : la période mondaine pendant laquelle il
joua un rôle politique brillant et devint préfet de Rome, et la période
ecclésiastique caractérisée par l'épiscopat de Clermont-Ferrand ;
entre ces deux périodes, et servant de transition de l'une à l'autre,
s'intercale une retraite de trois années. Par un souci d'impartialité
tout à fait méritoire, M. P. Allard a consacré autant de chapitres et
presque le même nombre de pages aux deux parties de la vie de
Sidoine Apollinaire. Le tableau qu'il trace de la haute société gallo-
romaine et romaine, dans laquelle son héros a d'abord vécu et tenu
un rang considérable, n'est pas moins complet ni moins brillant que
la description du petit monde arverne auquel il a consacré ses der-
nières années.
B. Les provinces africaines. — En Afrique, ce n'est plus seu-
lement du sol même, c'est aussi du fond de la mer que surgissent
les antiquités. En 1907, des Grecs pécheurs d'épongés découvrirent
à cinq kilomètres au nord-est de Mahedia, en mer, plusieurs statues
de bronze; informé de cette curieuse découverte, M. Merlin, le
savant directeur du Service des antiquités de la régence de Tunis,
[02 BDLLETIJ\ HISTORIQUE.
en comprit aussitôt l'intérêt. Après avoir assuré au musée du Bardo
la possession des bronzes ainsi retrouvés, il a entrepris des recherches
méthodiques à l'endroit même qu'un heureux hasard lui désignait
comme un gisement probable d'œuvres d'art naufragées. Ces espé-
rances n'ont pas été trompées. De nouveaux bronzes, des marbres,
même des inscriptions grecques ont été retirées de la vase marine.
Il est à souhaiter qu'un travail d'ensemble soit consacré à ces
recherches originales quand elles seront terminées. Mais M. Merlin
et son collaborateur M. Poinssot n'ont pas voulu attendre jusque-là
pour présenter au public, dans une étude documentée et scientifique,
les plus belles pièces de ce trésor sous-marin, en particulier un
Éros, œuvre de Praxitèle, un hermès de Dionysos, signé de Boethos
le Chalcédonien, deux corniches avec les bustes de Dionysos et
d'Ariane, deux statuettes d'Hermaphrodite et d'Éros lampado-
phores1. Le commentaire de MM. Merlin et Poinssot est d'une
sobriété élégante qui n'exclut ni l'érudition ni le sens esthétique. On
le lira avec agrément et profit.
.1. Tout ain.
HISTOIRE BYZANTINE.
PUBLICATIONS DES ANNEES 1907-1910.
I. Publications d'ensemble. — M. Paul Marc, un des nou-
veaux directeurs de la Byzantinische Zeitschrift, a entrepris de
continuer les travaux préparatoires à la publication du Corpus des
diplômes byzantins que la mort du regretté Krumbacher a laissés
inachevés. Dans un rapport présenté à l'assemblée de l'Association
internationale des Académies2, il a donné des renseignements sur le
travail accompli jusqu'ici et fourni des spécimens d'éditions de
diplômes ou de regestes. Six cents diplômes impériaux ont été
réunis, mais c'est à peine si l'on possède deux cents originaux, dont
la plus grande partie appartient aux derniers siècles de l'Empire.
En outre, il semble qu'il y aurait intérêt à comprendre dans le
1. A. Merlin et L. Poinssot, Bronzes trouvés en mer près de Mahdia ( Tuni-
sie) (extrait des Monuments et mémoires publiés par l'Académie des inscrip-
tions et belles-lettres (fondation Eugène Piot), t. XVII, 1" fasc). Paris,
E. Leroux, 1909, 31 p. in-4% 3 pi. hors texte et 5 fig. dans le texte.
2. Paul Marc, Corpus der griechischen Urkunden des Mittelallers und der
neueren Zeit. Bericht und Druckproben. Munich, 1910, 32 p. in-8°.
HISTOIRE BYZANTINE. 103
Corpus les novelles ou constitutions antérieures à l'an 1000 qui
tiennent le milieu entre les diplômes et les lois. Suivant le modèle
emprunté aux publications de diplômes occidentaux, chaque diplôme
sera précédé d'une date et d'une courte notice, indiquant, autant
que possible, le lieu de dépôt et les caractères extrinsèques. Pour les
regestes, on prendra modèle sur la publication d'Engelbert Miihl-
bacher : Die Regesten des Kaiserreichs unter den Karolin-
gern.
II. Histoires particulières. Ancien empire (ve-vme siècles).
— Les marches orientales de l'empire byzantin, sans la connaissance
desquelles l'histoire des rapports avec l'empire perse et les Arabes
demeure impossible, viennent d'être l'objet d'études topographiques
et archéologiques de premier ordre. M. Al. Musil, l'explorateur de
Kosseïr Amra, a publié un travail d'ensemble sur les pays de Moab
et d'Edom ' ; on y trouvera des renseignements sur les ruines d'églises
et de forteresses du commencement du moyen âge, ainsi que sur les
tribus arabes placées sous le protectorat de l'empire. Bien que l'ou-
vrage de M. Chapot sur la frontière de l'Euphrate2ait été ici même
l'objet d'un compte-rendu3, il est impossible de ne pas signaler l'in-
térêt de premier ordre qu'il présente pour l'histoire byzantine. Il
deviendra le manuel nécessaire de tous ceux qui voudront étudier
l'histoire des guerres contre les Perses et celle de la conquête arabe.
Les byzantinistes apprécieront en particulier l'étude sur l'organisa-
tion de l'armée au vie siècle et surtout la description topographique
et archéologique de la frontière, où les moindres forteresses ont été
relevées et situées.
M. Leuthold a examiné au point de vue critique les témoignages
relatifs aux négociations et aux événements qui ont précédé l'expé-
dition de Bélisaire contre les Ostrogoths4, de 535 à 537. Procope est
notre source principale ; l'auteur a analysé son récit et déterminé sa
méthode chronologique. Procope compte les années de Justinien non
depuis son avènement réel (1er août 527), mais depuis son associa-
tion au trône par Justin (1er avril 527).
Le pape Grégoire le Grand s'est trouvé en trois circonstances en
conflit avec l'empereur Maurice ou ses agents, d'abord à propos de
la paix avec les Lombards, puis à cause de la novelle défendant aux
1. Alois Musil, Arabia Petraca, 4 vol. in-8°. Vienne, Hôlder, 1907-1908.
2. Chapot, la Frontière de l'Euphrate, de Pompée à la conquête arabe.
Paris, Fontemoing, 1907, xv-408 p. in-8°.
3. Rev. hist., t. Cil, p. 360.
4. H. Leuthold. Cntersuchungen zur ostgolfiischen Geschichle derJahre 535-
537. Iéna, 1908, 55 p. in-8° (Inaug. Dissert, der phil. Fakultat der Univ. Jena).
104 BDLLETIH IIISTOKIQUE.
soldats cl aux curiales de devenir clercs ou moines, enfin sur la
question du titre d' « œcuménique » pris par le patriarche de Cons-
tantinople, Jean le Jeûneur, au synode de 587. Tels sont les trois
épisodes de l'histoire des rapports entre les papes et Constantinople
qu'a examinés M. Patrono1; son étude est un morceau détaché
d'un livre qu'il prépare sur l'histoire de Maurice et qui comblera
une lacune importante de l'érudition byzantine. Comme le fait
remarquer très justement l'auteur, la période qui s'étend entre la
mort de Justinien et l'avènement d'Héraclius a été, par un préjugé
fort répandu, considérée comme une époque sans intérêt, pendant
laquelle l'empire byzantin aurait dormi d'une sorte de sommeil
léthargique. En réalité, des empereurs comme Tibère et Maurice
ont déployé des qualités remarquables pour sauver l'héritage de Jus-
tinien et défendre l'immense superficie de territoires qu'il leur avait
léguée; il faut les admirer d'avoir pu mener à bien, sans succomber
sous l'effort des Barbares, une tâche aussi prodigieuse. Nous sommes
là-dessus pleinement d'accord avec M. Patrono, mais peut-être l'ad-
miration très légitime qu'il a pour Maurice l'a-t-il conduit à juger
avec quelque partialité les actes de Grégoire le Grand. Nous recon-
naissons cependant volontiers qu'il a détruit encore une légende, en
justifiant Maurice du reproche d'avoir abandonné l'Italie à son
malheureux sort. Le fait que Grégoire a demandé instamment des
secours ^voir par exemple sa lettre au cornes excubit. Constantin,
Gregor Epist., I, 31; éd. Ewald. I, 43-44; n'implique nullement
que l'Italie ait été laissée sans défense contre les Lombards; on voit
au contraire Maurice envoyer trente livres d'or au pape et des pré-
sents pour la milice de Rome. La question des rapports entre le
pape et l'exarque de Ravenne, Romain, est plus difficile à résoudre.
On sait que Romain rompit en 592 la paix que le pape avait conclue
de sa propre autorité avec les Lombards et attira ainsi sur Rome
des représailles qui auraient pu être funestes sans le courage déployé
par le pape et les habitants. M. Patrono explique cette attitude par
une opposition entre les intérêts particuliers de Rome et ceux
de la politique impériale. Le pape ne songeait qu'à délivrer Rome
d'un danger pressant; l'exarque trouvait le moment peu favo-
rable pour conclure un traité qui, étendu à toute l'Italie, aurait
contrarié l'action dissolvante exercée par la diplomatie byzantine sur
les ducs lombards. A cette époque, et M. Patrono le fait remarquer
1. C. Patrono, stiidi Bizantini. Bel conflitti Ira l'hnperatore Maurizio
Tiberio e il papa Gregorio Mngno. Padova, 1909, 39 p. in-8° (extr. de Rivista
di Storia Antica).
HISTOIRE BYZANTINE.
105
avec M. Diehl, la question de la domination en Italie était loin
d'être résolue et l'empire byzantin pouvait encore lutter avec l'espoir
du succès. Est-il vrai. que le pape soit venu s'opposer malencon-
treusement à cette politique savante? M. Patrono va jusqu'à parler
(p. 13) de sa fourberie et l'accuse (p. 12) d'avoir opposé à la fureur des
Lombards des lamentations plus que des actes. Ce sont là de bien gros
mots et des accusations injustes. Les preuves de l'activité et de l'es-
prit d'initiative du pape manquent si peu que M. Patrono est le pre-
mier à les lui reprocher. Ensuite les intérêts des Romains étaient-ils
si différents de ceux de l'empire et la nouvelle de la prise de la vieille
Rome par les Lombards n'eût-elle pas jeté la consternation à Cons-
tantinople et ruiné à tout jamais le prestige de l'empire en Occi-
dent? Enfin l'initiative du pape et son intervention incessante dans
les questions administratives n'est pas un fait qu'on puisse présenter
comme isolé à une époque où tous les évêques d'Occident et même
d'Orient exerçaient dans leur cité une autorité d'ordre temporel. Ne
voit-on pas les empereurs favoriser cette tendance et n'est-ce pas à
Grégoire lui-même que l'empereur adresse, pour qu'il la publie en
Occident, sa loi sur l'entrée dans les ordres religieux'?
Dans l'affaire de la novelle de 592 et dans celle du titre d'œcumé-
nique, le pape a défendu l'idée de la supériorité du pouvoir spirituel
de l'Église sur la société laïque et du pape sur toutes les églises.
Par là il a été un précurseur, mais on ne voit pas qu'il ait songé à
se séparer de l'empire; comme l'a montré M. Patrono, il paraît
avoir publié dès 592 (et non en 597) la loi même contre laquelle il
envoyait des protestations à l'empereur. Il ne pouvait admettre,
d'autre part, le titre équivoque d'œcuménique qui semblait accorder
au patriarche de Constantinople un pouvoir universel. Telles sont
les observations que suggère cette intéressante étude qui fait bien
augurer du travail d'ensemble dont elle est détachée.
Comment expliquer la rapidité foudroyante avec laquelle les
Arabes ont conquis les provinces orientales de l'empire byzantin?
En composant des « Annales de l'Islam », M. Leone Caetani di
Teano a essayé de répondre à cette question2. Le tableau qu'il trace
de la situation de l'empire byzantin est chargé de traits un peu noirs.
L'armée de mercenaires, formée de nations les plus diverses (p. 2),
est une tradition romaine dont le maintien a fort bien réussi aux
1. Cf. la mission confiée par Héraclius auprès des Arabes au patriarche
d'Alexandrie Cyrus en 641.
2. Leone Caetani di Teano, Bisanzio e la chiesa orientale alla vigilia délia
invasione araba. Florence, Biblioteca scientilico-religiosa, 1907, 43 p. in-8°.
106 BULLETIN BISTOU1QCE.
empereurs byzantins; c'est grâce à cet instrument qu'ils ont pu
assurer à l'empire mille ans de durée. De même l'auteur semble
sévère pour les successeurs de Justinien (p. 8). Il arrive enfin à
donner la véritable explication du succès des Arabes en exposant la
situation religieuse de l'Orient et la haine des Orientaux contre le
christianisme hellénique des conciles. Héraclius a exaspéré ces sen-
timents d'hostilité après sa victoire sur la Perse par une série d'actes
maladroits : tributs levés en Orient pour indemniser les églises qu'il
avait dépouillées de leurs trésors avant la guerre, tentative d'unifi-
cation religieuse (Ecthesis), persécution cruelle des Juifs regardés
comme des alliés des Perses. Dès que les Arabes se présentèrent, les
Orientaux les accueillirent comme des libérateurs. Le mot de Barhe-
brœus (p. 40) est significatif : « Deus ultionum per Ismaelitas e
manibus Graecorum nos liberavit. » On peut le rapprocher de celui
du chroniqueur copte Jean de Nikiou, qui attribue les malheurs de
l'empire et la conquête de l'Egypte à la diffusion du « dogme impie »
des deux natures (Notices et extraits des mss. , t. XXIV, i, p. 586 1.
Une autre circonstance paraît avoir favorisé le succès des Arabes,
du moins en Syrie, ce fut le grand nombre de compatriotes qu'ils y
trouvèrent déjà établis et qui s'étaient détachés du gouvernement
impérial dès qu'on avait cessé de leur verser des subsides1.
M. Caetani di Teano s'est posé la même question à propos de
l'empire perse, dont il a étudié la situation à la veille de l'invasion
arabe2. Après un résumé excellent de l'histoire de l'état sassanide
depuis les origines, l'auteur détermine les raisons qui ont amené la
disparition si rapide de cet empire devant l'invasion arabe : existence
d'une féodalité, reste du régime des Parthes, que les rois, depuis
Ardeschir, avaient été impuissants à détruire et dont ils avaient
sans cesse à réprimer les révoltes; clergé tout-puissant et oppres-
seur; administration rudimentaire etvexatoire; coutume déplorable
des transportations violentes de peuples ; enfin guerres incessantes
contre Byzance et les Turcs. Telles sont les causes qui ont amené
la chute de cet état d'aspect si brillant, mais M. L. 0. di Teano
remarque avec raison que les Arabes ne mirent que trois ans à
conquérir la Babylonie, tandis qu'ils durent lutter pendant dix-
sept ans pour soumettre le Farsistan, véritable cœur de la nationa-
lité persane.
1. Cf. Pernice, Eraclio, y. '246; Dussaud, les Arabes en Syrie avant f Islam.
Paris, 1907.
2. L. Caetani di Teano, Causa délia decadenza dell' impero sassanida alla
vigilia dell invasioue araba. Rome, Ferrari, 1907, 28 |>. in-8°.
HISTOIRE BYZANTINE. 107
III. Époque des iconoclastes et dynastie macédonienne. —
Le principal champion des images, le bienheureux Théodore de
Stoudion, n'en est plus à compter ses biographes. Après les travaux
de miss A. Gardner1 et de l'abbé Marin2, M. Nikolaj Grossit a
écrit un livre substantiel sur la vie et les œuvres de Théodore3. Les
écrits de Théodore, qui ne sont pas encore tous édités, sont l'objet
d'une étude critique et bibliographique des plus utiles.
La collection de monographies consacrées par des érudits de divers
pays aux règnes des empereurs byzantins vient de s'enrichir d'une
histoire de Basile Ier, due à M. A. Vogt4. Le fondateur de la dynas-
tie macédonienne n'avait guère donné lieu jusqu'ici qu'à des études
de détail; il manquait un ouvrage d'ensemble qui permît de déter-
miner son rôle exact dans l'histoire byzantine, et, si l'on peut adres-
ser un reproche à l'auteur, c'est peut-être d'avoir grossi ce rôle et
d'avoir considéré Basile comme une sorte de nouveau fondateur de
l'empire. D'ailleurs, pour apprécier ce qui, dans la réorganisation
de l'empire, convient à Basile, il faudrait connaître mieux les empe-
reurs iconoclastes et en particulier le règne de Théophile. Si l'on
étudiait l'histoire de ce prince, on verrait probablement qu'il faut
lui attribuer pas mal de réformes administratives et une grande
partie de la renaissance artistique, dont M. A. Vogt fait honneur à
Basile. Cette réserve faite, nous ne pouvons que nous féliciter de la
publication de cette excellente étude. Une introduction est consacrée
à l'étude critique des sources de l'histoire de Basile. L'auteur
divise les témoignages en deux catégories : ceux qui sont favorables
à Basile (surtout la Vita Basilii de Constantin Porphyrogénète,
version dynastique et officielle) et ceux qui lui sont hostiles (conti-
nuation de Georges le Moine, Léon le Grammairien, pseudo-
Siméon Magister). Aux œuvres historiographiques, il faut ajouter
les actes des conciles de Constantinople, la correspondance de Pho-
tius et la vie d'Ignace, que M. Vogt rend avec Vasiljevskij à Nicé-
tas, enfin le « Livre du Préfet » codifié sous Léon VI, mais valable
pour l'époque de Basile. L'ouvrage est divisé en quatre parties. Le
premier livre est une étude sur les origines de Basile et sur les cir-
constances au milieu desquelles il est arrivé au pouvoir. Etait-il
Slave ou Arménien? M. Vasiljev (Viz. Vrem., 1905, i) le fait des-
1. Voir Rev. histor., t. XCI, p. 333.
2. Ibid., t. XCIX, p. 382.
3. Nikolaj Grossu, le Bienheureux Théodore de Stoudion, son te?nj)s, sa
rie et ses œuvres (en russe). Kiev, 1907, xxn-312 p.
4. A. Vogt, Basile I", empereur de Bijzancc (867-886), et la civilisation
byzantine à la fin du IX' siècle. Paris, Picard, 1908, xxxn-447 p. in-8°.
108 BULLETIN HISTORIQUE.
cendre d'une famille d'Arméniens établis en Macédoine et alliée
peut-être à des Slaves. C'est la solution qu'adopte M. Vogt. En
réalité, l'origine arménienne semble la plus probable; l'alliance avec
des familles slaves n'est qu'une conjecture qui repose sur le témoi-
gnage d'historiens arabes pour lesquels le mot slave est synonyme
de macédonien. Le personnage même de Basile a été très bien étu-
dié par M. Vogt, qui montre toute la complexité et les contrastes de
son caractère. C'est un portrait bien vivant que celui de cet aventu-
rier arrivé au trône et devenant subitement le plus paisible, le plus
religieux des empereurs, soucieux de l'ordre social et de la bonne
administration. M. Vogt n'a pas dissimulé d'ailleurs les tares de
cette famille macédonienne, qui étaient la fable de Byzance, et les
discordes de la famille impériale. Cet empereur si bon pour ses
sujets, dont il cherche à améliorer le sort, est pour les siens un vrai
tyran domestique. Le bâtard de Michel III et d'Eudocie, qu'il avait
été contraint de reconnaître pour son fils, lui était odieux. Il songea
d'abord à assurer sa succession à Constantin, fils de sa première
femme, mais lorsque ce prince fut mort, à la douleur de Basile se
mêla une véritable rage qui faillit être funeste au futur Léon VI.
Après avoir voulu lui faire crever les yeux. Basile dut le reconnaître
comme successeur en lui adjoignant toutefois son frère Alexandre,
seul « porphyrogénète » né depuis son avènement. — Dans le
IIe livre, l'auteur examine l'œuvre administrative de Basile, ainsi que
sa politique religieuse. Une étude intéressante est consacrée à l'atti-
tude de Basile en face des grands propriétaires fonciers; il est loin
d'avoir eu à leur égard la politique hardie qui sera celle de ses suc-
cesseurs; bien plus, il a été lui-même un de ces grands propriétaires
en incorporant à chacun des palais impériaux plusieurs fonds de
terre avec leurs habitants. Son intervention n'en a pas moins été
bienfaisante dans la vie des classes rurales par les mesures qu'il a
prises pour assurer aux paysans des garanties contre les collecteurs
d'impôts. L'affaire de Photius tient dans l'ouvrage de M. Vogt une
place légitime, et il a très bien réussi à déterminer le point de vue
auquel s'est placé Basile. Son antipathie pour Photius est évidente,
mais le but auquel il aspire, c'est l'établissement solide et durable
de la paix religieuse. C'est en homme d'Etal qu'il agit en rétablis-
sant Ignace (867) et en cherchant à obtenir des légats pontificaux
venus à Constantinople un jugement régulier de Photius au lieu
d'une condamnation sans preuves. C'est après avoir échoué qu'il
rompt avec le pape, et c'est encore pour fonder une paix définitive
qu'il rétablit Photius en 877. La question des rapports entre l'église
grecque et Rome a été bien caractérisée par M. Vogt; il montre que
HISTOIRE BYZANTINE. 109
les Grecs ont toujours reconnu au pape une primauté d'honneur,
mais, sauf les Studites, ils ont refusé de reconnaître sa primauté de
juridiction. — Le IIIe livre est une étude sur les guerres et la diplo-
matie de Basile; la voie était déjà ouverte par les livres de
MM. Vasiljev (Byzance et les Arabes) et Gay [l'Italie méridio-
nale et l'empire byzantin). La description de l'armée qui termine
le livre a pour principale source les Tactica de Léon VI. — Enfin,
dans un IVe livre, M. Vogt a dressé un tableau de la civilisation
byzantine à la fin du ixe siècle, en étudiant la condition des terres, le
sort des paysans, le développement économique et artistique. Cette
enquête sur un des règnes les plus importants de l'histoire byzantine
apporte à cette histoire des éléments précieux. En rétablissant Tordre
dans les finances et l'administration, en cherchant à fonder la paix
religieuse, en se défendant contre les Barbares, Basile a accompli
une œuvre, moins brillante peut-être que celle que lui attribue
M. Vogt. mais qui devait permettre à ses successeurs de reprendre
l'offensive contre les ennemis de l'empire.
L'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg a entrepris de réunir
en volumes les publications, éparses dans un grand nombre de revues,
d'un des principaux représentants de l'érudition byzantine en Rus-
sie, de Vasiljevskj (1838-1899). Le tome I1 comprend une série
de travaux devenus classiques et consacrés à l'histoire byzantine des
xie-xne siècles : Byzance et les Petchénègues (1048-1094)2. — La
droujina varangue-russe et varangue-anglaise à Constantinople au
xie siècle3 ; on sait que cette étude a établi pour la première fois une
distinction entre les deux éléments différents dont se composait la
garde varange. A l'article de Vasiljevskj est jointe la réponse où
Plovaiskof discutait ses conclusions. Les byzantinistes ne peuvent
que remercier l'Académie de Saint-Pétersbourg d'une publication
qui leur sera si utile.
IV. Époque des Comnènes et des Anges. — Le 31 juillet 1201,
les habitants de Constantinople, qui avaient déjà en plusieurs occa-
sions manifesté leur mécontentement contre le régime établi par
l'usurpateur Alexis III l'Ange, se révoltèrent et proclamèrent empe-
reur un survivant de la dynastie déchue, Jean Comnène. Cette
affaire fut une simple échauffourée ; après avoir été maître du palais
impérial pendant quelques heures, Jean, qui semble avoir été un
1. Travaux de B. G. Vasiljevskj, publiés par l'Académie impériale des
sciences (en russe). Saint-Pétersbourg, 1908, v-401 p. in-8°.
2. Publié en 1872 dans le Journal du ministère de l'Instruction publique
de Russie.
3. Publié dans le même Journal en 1874-1875.
110 BULLETIN HISTORIQUE.
personnage des plus médiocres, fut abandonné de ses partisans el tué
par les gardes d'Alexis III. On connaissait les détails de cet épisode
par le récit de Nicétas Acominatos1 et par les panégyriques adressés
à Alexis IIP. M. Heisenberg a retrouvé dans le Cod. Ambrosia-
nus F 96 un discours d'un certain Nicolas Mesarites3 qui, non seu-
lement raconte les péripéties de cette journée, mais donne les détails
les plus précieux sur la topographie, encore si obscure, du Grand
Palais impérial. M. Heisenberg a publié le texte inédit du manuscrit
de Milan et l'a fait suivre d'un commentaire historique et archéolo-
gique. Cette publication n'est d'ailleurs qu'un spécimen de l'édition
des œuvres complètes de Nicolas Mesarites qu'il prépare. La décou-
verte de ces œuvres a enrichi l'histoire byzantine d'une source nou-
velle. Elles se trouvent dans deux manuscrits de Milan (F 96 sup.
= A et F 93 sup. = B), dont les feuillets sont malheureusement en
désordre; plusieurs des morceaux qu'ils contiennent existent sans
nom d'auteurs dans d'autres manuscrits4. Tous ces morceaux
forment un témoignage contemporain de premier ordre pour l'his-
toire d'Alexis III et des empereurs de Nicée. Après avoir en effet
occupé la charge importante d' « èiù tôv xpdrewv » de Sainte- Sophie
et de gardien des reliques du palais impérial. Nicolas Mesarites
devint métropolite d'Ephèse et fut un des évêques les plus influents
de l'empire de Nicée. On voit donc tous les services que rendra une
édition de ses œuvres.
V. Epoque de la quatrième croisade. Principautés franques.
— L'histoire des principautés franques du Levant, qui a été dans
ces dernières années l'objet de travaux si complets, a donné lieu à
un nouveau travail d'ensemble, celui de M. W. Miller5.
VI. Epoque des Paléologues. — Le deuxième volume de l'his-
toire de l'empire ottoman, par M. Jorga6, comprend l'histoire de la
formation de cet empire sous Mahomet II et celle de son affermisse-
1. T. III, p. 7, éd. de Bonn, 697-699.
2. Celui de Nicétas, éd. Sathas, Bibl. medii Mvi, t. I, p. 84-89, et celui de
Nicéphore Chrysoberge, éd. Treu. Breslau, 1892.
3. Aug. Heisenberg, Nikolaos Mesarites. Die Palastrevolution des Johannes
Komnenos. Wurzbourg, Stùrtz, 1907, 77 p., avec un fac-similé (Prog. Gymn.
Wùzbourg).
4. En particulier la controverse d'un métropolite d'Ephèse avec le cardinal
Pelage en 1213, publiée par Arsenij d'après un manuscrit de Moscou et utili-
sée par W. Norden, Das Pappstum und Byzanz.
5. W. Miller, The Latins in the Levant. A history of frankish Greece
(120b-1566). London, Murray, 1908, xx-676 p. in-8° (ne nous a pas été com-
muniqué).
6. Nie. Jorga, Geschichte des Osmanischen Reiches nach den Quellen dar-
(jestcllt; t. II : U53-1538. Gotha, Perthes, xvn-453 p. (coll. Heeren).
HISTOIRE BYZANTINE.
lit
ment territorial de Bajazet II à Soliman II. On retrouve dans ce
volume l'excellente information et les qualités d'exposition déjà
signalées dans le premier1. Les byzantinistes liront avec un intérêt
tout spécial le premier chapitre consacré au récit de la prise de
Oonstantinople. Grâce aux recherches faites par lui à Venise et à
Gênes, et résumées dans ses Notes et extraits pour servir à l'his-
toire des croisades au XVe siècle2, M. Jorga a pu élucider la
question des secours envoyés à l'empire byzantin par l'Occident. En
face des discordes chrétiennes et de l'esprit formaliste des Occiden-
taux du moyen âge, le jeune sultan, avide d'action, appuyé sur des
forces homogènes, dont l'auteur a tracé un portrait bien vivant,
avait la victoire assurée. Le chapitre suivant contient un tableau
intéressant et nouveau, grâce à la connaissance des sources ita-
liennes, de l'impression produite par cet événement en Occident, où
l'on s'agita beaucoup, où l'on écrivit plus encore, mais où l'on agit
fort peu. L'histoire officielle de l'empire byzantin se termine à la
prise de Oonstantinople ; il n'en est pas de même de l'histoire des
croisades, dont l'idée continue à vivre en Europe jusqu'au xvne siècle.
En décrivant les progrès de la conquête ottomane sous Mahomet II
et ses successeurs, M. Jorga a donné une place importante à la place
tenue dans la politique européenne par les projets de croisade, dont
quelques-uns ont été près de se réaliser. Enfin on lira avec intérêt
les chapitres qui terminent chacun de ces deux livres et qui pré-
sentent un tableau d'ensemble de la société et des institutions otto-
manes, d'abord sous le règne de Mahomet II, ensuite sous celui de
Soliman II.
VIL Histoire des institutions. — M. Ferrari a édité d'après
des papyrus égyptiens de la collection Vitelli (Florence) trois con-
trats privés3 : les deux premiers sont des fragments de location de
terre, dont une datée du 1er octobre 552; le troisième est une
reconnaissance de dette du 29 décembre 514. Les trois documents
proviennent du village d'Aphrodites, nome d'Antaioupolis.
Au cours de fouilles entreprises à Éphèse, la mission autri-
chienne a découvert deux inscriptions gravées sur un monument
d'une rue en bordure de l'agora. Ce sont deux fragments d'édits
impériaux, dont M. Diehl a proposé une explication4 : l'un peut
1. Rev. histor., t. XCIX, p. 389.
2. Revue de l'Orient latin, t. IV- VIII.
3. Giannino Ferrari, Tre papiri inediti dell' età bizanlina. Venise, Ferrari,
1908, 9 p. in-8°.
4. Charles Diehl, Note sur deux inscriptions byzantines d' Éphèse. Paris,
Picard, 1908, 7 p. in-8°.
112 BULLETIN HISTORIQUE.
être daté du 11 février 585 et attribué à Maurice; l'autre est peut-
être du même prince, et tous deux semblent se rapporter à une
prohibition de la vénalité des charges, déjà édictée par une novelle
de Justinien en 535. La situation même de ces inscriptions est un
exemple curieux des procédés employés pour assurer la publicité
aux ordonnances impériales.
M. Aussaresses, qui avait déjà consacré une notice au Strate-
gicon attribué à l'empereur Maurice1, s'est servi de ce texte pour
donner une description complète de l'organisation militaire dans
l'empire byzantin à la fin du vie siècle2. Il étudie successivement le
mode de recrutement, l'organisation des cadres, la hiérarchie, la dis-
cipline, l'armement, l'administration, les services auxiliaires, la tac-
tique. C'est là un tableau complet et intéressant; malheureusement,
la question est de savoir à quelle époque il faut l'attribuer. Les con-
clusions de M. Aussaresses sur l'époque du Strategicon sont en
contradiction avec les arguments très forts donnés par R. Vari
{Byz. Zeit., t. XV, p. 45 et suiv.) ; elles ont été de plus combattues
par M. Patrono3 qui, après avoir étudié aussi les manuscrits du
Strategicon, conclut que la version de ce traité conservée à Milan
est certainement postérieure aux Tactica de l'empereur Léon VI
(886-911). C'est donc tout au plus au xe siècle qu'il faut placer
l'étude mise sous le nom de l'empereur Maurice. Il se peut néan-
moins que le Strategicon ait été composé à l'aide d'éléments glanés
dans des écrivains antérieurs (et c'est ce que tendraient à prouver les
rapports signalés par M. Aussaresses entre ce texte et Théophylacte
de Simocatta) ; mais c'est là justement ce qu'il faudrait commencer
par établir, avant de s'en servir pour décrire les institutions mili-
taires du vie siècle.
M. Andreades a publié des études intéressantes sur les ques-
tions économiques (budget, armée, flotte), d'après le témoignage des
chroniques byzantines*.
Une question qui mériterait une monographie est celle de la per-
sistance du latin dans la terminologie officielle de Byzance. En
attendant que ce travail devienne possible, M. Renauld y a apporté
1. Voir Rev. histor., t. XCI, p. 32G.
2. Aussaresses, l'Armée byzanlive à la fin du VIe siècle, d'après le Strate-
gicon de l'empereur Maurice. Paris, Fontemoing, 1909, 115 p. in-8° (bibl. des
universités du Midi, fasc. XIV).
3. Rivista Abruzzese, t. XXI, p. 635 et suiv. C'est par erreur qu'en signa-
lant l'ouvrage de M. Patrono sur les Perses et les Byzantins (Rev. hist.,
t. XCIX, p. 381) je lui avais reproché d'ignorer l'étude de M. Aussaresses.
4. Andreades, « IIep\ tûv oîxovo|juxwv toO BuÇavnou. » Athènes, 1908 (extr. de
'EmOedopYidii; xcuvwvtxwv xoà vojitxwv È7rt(7Tï)(i(j)v, t. I, p. 22-46).
HISTOIRE BYZANTINE. 113
une utile contribution1 en dressant le lexique des mots latins
employés dans les ouvrages juridiques de Psellos2.
VIII. Histoire de l'Église. — M. Vogt a publié un texte hagio-
graphique du xe siècle resté jusqu'ici inédit3 et qui fournit des détails
intéressants sur les institutions et les mœurs monastiques, ainsi
que sur l'histoire des couvents du mont Olympe. C'est la vie de
saint Luc le Stylite, conservée dans un seul manuscrit de la Biblio-
thèque nationale (ms. grec 1458, fol. 113-132). Ce solitaire vécut
environ quarante-cinq ans sur une colonne de la région d'Eutrope,
située entre Chalcédoine et le palais d'Hieria. On trouvera dans sa
vie des renseignements intéressants sur la politique religieuse des
empereurs et des allusions au patriarche Théophylacte (933-956),, fils
de Romain Lécapène.
M. Millet a consacré une intéressante notice au culte de la croix
par les iconoclastes4 d'après une inscription trouvée près de Sinasos
en Cappadoce. L'inscription, où la croix est qualifiée de « force de
l'Eglise », se trouve dans une chapelle dont la décoration purement
linéaire répond bien à la conception artistique des iconoclastes;
c'est ce qui fait sa grande valeur. M. Millet a rassemblé les textes
qui montrent cette prédilection des iconoclastes pour l'image de la
croix dépouillée du crucifié. Il n'y avait là aucune contradiction; la
croix est un symbole mystique, tandis que le crucifix est une repré-
sentation matérielle. On retrouve la même pratique chez les Syriens
du vie siècle. Enfin un autre caractère curieux de la croix de Sina-
sos est d'être une reproduction . telle qu'on la figurait à Byzancc
depuis le ive siècle, de la croix vue par Constantin avant la bataille
du pont Milvius ; une croix de forme analogue, avec les bras pattes
et deux branchages partant du pied, avait été élevée par Constantin
sur le Forum.
On trouvera dans le volume écrit par dom Placide de Meester
après un voyage au mont Athos5 des renseignements complets sur
l'histoire des monastères de la sainte montagne et sur leur situation
actuelle (énumération des monastères, structure des couvents et des
1. E. Renaukl, les Mots latins dans la « Synopsis Legum » et te « De
legum nominibus » de Michel Psellos. Toulouse, Privât, 1908, 19 p. in-8°.
'2. Cf. le lexique analogue dressé par Triantaphyllidès ]>our Théophile et les
Novelles de Juslinien (Bibl. de l'École des hautes études, l'asc. 82).
3. A. Vogt, Vie de saint Luc le Stylite. Paris, Picard, 1909, 50 p. iii-8°.
4. Gabriel Millet, les Iconoclastes et la croix. Paris, Fontemoing, 1910,
13 p. in-8".
5. Dom Placide de Meester, Voyage de deux Bénédictins aux monastères
du mont Athos. Paris, Desclée, de Brouwer et G'\ 1908, vi-316 p. in-8°.
Rev. Histor. CV. 1er fasc. 8
114 BULLETIN HISTORIQUE.
églises, institutions monastiques, offices, cérémonial, discipline,
culture intellectuelle). Cet ouvrage n'a pas seulement la valeur d'un
simple guide, mais on est heureux d'y trouver des impressions per-
sonnelles et des descriptions vivantes; il eût gagné à être accompa-
gné d'une bibliographie, même sommaire.
M. Draeseke, dont nous avons déjà signalé les travaux sur le
patriarche Jean Veccos, étudie spécialement, d'après le traité de cet
auteur, « sur l'union et la paix entre les Eglises de l'ancienne et de
la nouvelle Rome » ' , les difficultés de langage qui contribuaient à
séparer les Grecs des Occidentaux. Des historiens animés d'un
esprit réaliste ont soutenu que ces querelles théologiques n'avaient
aucune importance en face des intérêts politiques ; la vérité est que
deux fois, au xmeet au xve siècle, ces questions, qualifiées de misé-
rables, ont empêché les politiques d'établir l'union qu'ils rêvaient.
On saura donc gré à M. Draeseke d'avoir dévoilé une des causes
secrètes qui rendaient stériles les discussions entre théologiens des
deux partis, à savoir la difficulté d'employer deux vocabulaires iden-
tiques et de rendre les termes grecs par des vocables latins corres-
pondants2.
On sait quelle fut l'importance des sectes manichéennes dans
l'empire byzantin et dans tout l'Orient. En publiant une analyse du
« Livre des Scholies » de Théodore bar Khôni, évèque nestorien de
Kachgar (vie-vne siècles), M. Oumont a donc rendu un grand ser-
vice aux études sur les hérésies orientales et celles du reste de l'Eu-
rope qui en sont dérivées3. Le traité de Théodore renferme en effet
« l'exposé le plus détaillé que nous possédions de la cosmogonie
manichéenne » . Le texte est écrit dans le dialecte syriaque de Baby-
lonie, voisin de celui même dont s'était servi Màni, « et il nous a
conservé notamment la forme originale des noms attribués par
celui-ci aux esprits célestes ou infernaux qui interviennent dans la
création ». On voit toute l'importance de cette nouvelle contribution
apportée par M. Cumont à l'étude des religions orientales.
IX. Histoire et topographie de Constantinople. — L'ou-
vrage de M. Gurlitt4 sur l'architecture de Constantinople sera après
son achèvement un des monuments les plus considérables qu'on ait
1. J. Draeseke, Analecta byzantina. Wandsbeck, Puvogel, 1909, 20 p. in-4°.
2. L'entente sur la procession du Saint-Bsprit dépendait de la traduction
des mots èxTtope'jEffôai (procedere), ôiâ (per), èx (a), etc..
3. F. Cumont, Recherches sur le manichéisme; I : la Cosmogonie mani-
chéenne d'après Théodore Bar Khoni. Bruxelles, Lamertin, 1908, 80 p. in-8°.
4. Cornélius Gurlitt, Die Baukunst Konstantinopels. Berlin, Wasmuth,
depuis 1907, 40 p. et atlas in-fol. (en cours de publication).
HISTOIRE BYZANTINE. 115
élevés à la mémoire de l'ancienne Byzance. Bien qu'il ne soit pas encore
entièrement terminé, on peut déjà juger de l'importance de ce livre qui
sera un répertoire précieux pour tout ce qui touche aux monuments
qui subsistent de la Constantinople du moyen âge et aux construc-
tions dues aux sultans. A côté de l'œuvre des architectes byzantins,
l'auteur a présenté celle des artistes italiens de la Renaissance au
service des sultans. Dans ses magnifiques planches, M. Gurlitt ne
s'est pas contenté de donner des reproductions photographiques des
monuments actuels, mais il a relevé les plans et les coupes d'un
grand nombre d'édifices, il a même proposé quelques restitutions
ingénieuses de monuments aujourd'hui ruinés. Un texte accompagne
ces vues; il est entremêlé de figures théoriques des plus utiles et il
donne des notices complètes sur les monuments reproduits. M. Gur-
litt a déjà étudié ainsi : la Porte d'or, la Grande Muraille, les
palais impériaux et l'hippodrome, les aqueducs, les colonnes triom-
phales, les églises Sainte-Irène, Saint-Serge et Saint-Bacchus,
Sainte-Sophie, les Saints-Apôtres et les églises de moindre impor-
tance. Ce bel ouvrage rendra les plus grands services aux travail-
leurs par la masse de documents qu'il leur apporte, ainsi que par la
méthode scientifique et le soin qui ont présidé à la reproduction des
monuments.
Le livre de Djelal Essad Bey sur Constantinople' est certaine-
ment la première contribution qu'un érudit ottoman ait apportée à
l'histoire byzantine. L'auteur s'est proposé de rassembler les témoi-
gnages les plus notoires relatifs à l'histoire et à la topographie de
Constantinople en profitant des travaux de ces dernières années. Il
a écrit un livre clair et dont les différentes parties sont bien dis-
tribuées. Il étudie successivement l'histoire de Byzance, des origines
à 1453, la topographie de la ville du moyen âge, les édifices byzan-
tins. Cette partie n'offre rien de nouveau, mais elle forme un résumé
très commode des principaux travaux des archéologues. La seconde
partie, au contraire, est une description, d'un caractère tout à fait
nouveau, de la ville turque et de ses édifices, mosquées, fontaines,
cimetières, bains, bazar, palais, etc. Cette étude est précédée d'un
historique de l'art ottoman, dont l'auteur cherche à démontrer l'ori-
ginalité. Une abondante illustration accompagne cet ouvrage qui se
termine par une bibliographie bien informée. Le livre de Djelal
Essad Bey sera un guide commode pour tout ce qui touche à la topo-
graphie et aux monuments de Byzance.
1. Djelal Essad, Constantinople. De Byzance à Stamboul, traduit du turc
par l'auteur. Paris, Laurens, 1909, iv-289 p. in-8" (préface de Ch. Diehl).
116 BULLETIN HISTORIQUE.
M. Jean Ebersolt a consacre au grand Palais impérial de Cons-
tantinople une étude1 qui, grâce à une méthode rigoureuse, renou-
velle dans une large mesure l'idée qu'on se faisait du théâtre
habituel de la vie des empereurs d'après les travaux de Laharte,
Paspatis ou Bjeljaev. En utilisant les textes déjà connus, dont les
plus importants sont ceux du Livre des cérémonies, et en mettant
à profit le discours de Nicolas Mesarites publié par Heisenberg (voy.
plus haut), M. Ebersolt est arrivé à dresser une chronologie exacte
des monuments du grand Palais depuis l'époque de Constantin jus-
qu'aux dernières constructions du xie siècle. Il montre comment le
centre de la vie palatine, d'abord concentrée autour de Daphné, de
Constantin au vic siècle, s'est déplacé vers l'est après la construc-
tion du Chrysotriclinium par Justinien II. II cherche, d'après les
renseignements fournis par les ruines de Spalato ou de Mschatta, à
reconstituer le plan et l'aspect du palais primitif de Constantin.
Grâce à des relevés topographiques exécutés par M. Ad. Thiers et
dont les résultats sont consignés sur le plan luxueux placé à la fin
du volume, M. Ebersolt a pu établir d'une manière plus exacte
qu'on ne l'avait fait jusqu'ici la situation réciproque de l'hippo-
drome et des diverses parties du grand Palais. Sans doute, dans la
restitution ainsi tentée, il demeure une part d'hypothèse; néan-
moins M. Ebersolt a su la réduire au minimum, et, par les nom-
breux textes qui y sont rassemblés et commentés, son livre est
appelé à devenir un répertoire indispensable à consulter pour qui-
conque voudra étudier avec précision la biographie des empereurs
qui habitèrent le grand Palais. Enfin après avoir ainsi déterminé
l'ordre chronologique des constructions, M. Ebersolt a essayé,
d'après ces résultats, une critique du Livre des cérémonies qui lui a
permis de fixer l'époque où ont été rédigés les morceaux disparates
dont il se compose.
A l'aide des mêmes sources, M. Ebersolt a essayé de reconstituer
la topographie de l'église Sainte-Sophie et de ses dépendances à
l'époque où fut rédigé le Livre des cérémonies2. En comparant ce
texte à la disposition actuelle des lieux il a pu déterminer la situa-
tion exacte de l'horologion, de la Belle Porte, du patriarcat, du baptis-
tère et du skenophylakion. Rien ne peut mieux contribuer que les
études de ce genre à donner une précision nouvelle au commentaire
des sources historiques.
1. Jean Ebersolt, le Grand Palais de Constantinople et le Livre des céré-
monies. Paris, Leroux, 1910, xv-237 p. in-8°.
2. Jean Ebersolt, Sainte-Sophie de Constantinople, étude de topographie
d après les Cérémonies. Paris, Leroux, 1910, iv-38 p. in-8°
HISTOIRE BYZANTINE. 117
Au cours d'une mission à Constantinople , M. J. Ebersolt a
étudié un certain nombre de monuments mal connus jusqu'ici'.
Par suite du grand incendie d'août 1908, il a pu examiner et pho-
tographier la base de la colonne de Marcien, dissimulée jusque-là
dans la cour d'une maison ; on n'en connaissait encore que le cha-
piteau et l'entablement orné d'aigles ; sur le soubassement en marbre
étaient sculptés des boucliers ornés de croix à six branches, entourés
d'une guirlande, ainsi que deux Victoires de style tout antique tenant
une couronne timbrée de la croix. Les églises étudiées vont du
ve au xivc siècle, et présentent les différentes variétés de l'art byzan-
tin. Ce sont : la basilique de Stoudion (Mir-Achor-Djami), en
ruines avec sa citerne intacte; l'église octogonale de Saint-Serge ou
petite Sainte-Sophie (Kutchuk-Aya-Sofla) , élevée par Justinien;
l'église Sainte-André (IIodja-Moustafa-pacha-djami), plan triconque
défiguré; l'église de la Vierge (Kalender-Djami) , coupole sur pen-
dentifs; l'église Sainte-Théodosie (Gul-Djami) , coupole centrale
flanquée de quatre voûtes en berceau; Sainte- Théodore- Tiron
(Kilisse-Djami) ; le Pammacanistos (Fétiyé-Djami), xme siècle; le
Pantocrator (Zeïrek-Djami). Les monuments étudiés par M. Eber-
solt ont été relevés aux frais de l'Académie des inscriptions par
M. A. Thiers, architecte. La publication de ces dessins, accompagnés
de notices historiques, jettera un jour nouveau sur la Constantinople
byzantine dont ces monuments sont les vestiges.
X. Histoire des provinces et peuples voisins de l'empire.
— L'histoire des provinces byzantines et des pays voisins se confond
en grande partie aveo celle des progrès ou du recul de l'hellénisme.
A ce point de vue, un cerlain nombre de découvertes récentes ont une
grande importance.
Une expédi tion allemande organisée à Francfort explore depuis 1 905
un des sanctuaires les plus importants de l'Egypte chrétienne, celui de
Saint-Ménas, la « Lourdes égyptienne », qui fut au ve siècle un des
principaux pèlerinages fréquentés par les Orientaux. Le directeur
des fouilles, M. C. Kaufmann, a présenté en un élégant petit volume
les principaux résultats de ses découvertes et l'ensemble des con-
naissances acquises sur les églises et les bâtiments à l'usage des
pèlerins dont elles étaient entourées2. Ce fut le 7 juillet 1905 que
l'emplacement de la ville de Saint-Ménas fut reconnu et les fouilles
ont continué jusqu'à la fin de 1907. En attendant le grand ouvrage
1. J. Ebersolt, Étude sur la topographie et les monuments de Constanti-
nople. Paris, Leroux, 1909, 41 p. in-8°.
2. Cari Kaufmann, Der Menastempel und die Heiligtumer von Karm Abu
Mina in der aegyptischen Mariûtwuste . Francfort, Baer, 1909, 88 p. in-12.
118 I.IILLETIN HISTORIQUE.
destiné à en exposer les résultats, ce guide, très bien rédigé, nous
donne une idée avantageuse des véritables richesses qui ont été
découvertes. Ce fut à la fin du ive siècle que le culte de Saint-Ménas
s'implanta dans le désert, à l'ouest d'Alexandrie; il devint bientôt
florissant et se répandit dans toute l'Egypte, puis dans le nord de
l'Afrique, à Chypre, à Salone, jusqu'à Arles. Ce fut à ce moment
que l'on commença à élever les constructions dont la mission Kauf-
mann a retrouvé les restes : une basilique sépulcrale; une basilique
plus grande élevée par ordre d' Arcadius au ve siècle avec trois nefs, un
transept et une abside en saillie; un baptistère que l'on a pu compa-
rer à celui des Orthodoxes de Ravenne; une autre basilique sépul-
crale avec abside en trèfle; des piscines, des citernes, des cryptes, un
grand nombre de chambres et de corridors appartenant à des xeno-
dochia destinés à abriter les pèlerins; des fours servant à la fabrica-
tion des « eulogies de Saint-Ménas », de ces petites ampoules en
verre sur lesquelles le saint est représenté entre deux chameaux
agenouillés et qu'on exportait dans le monde entier, après les avoir
remplies de l'eau de la source de Saint-Ménas. Les nombreux graffiti
retrouvés apportent des renseignements précieux sur l'origine des
pèlerins, qui viennent de toutes les parties du monde méditerranéen,
et sur les vertus miraculeuses qu'ils attribuaient à l'eau de Saint-
Ménas. Ce fut seulement en 849 que ces sanctuaires furent dévastés
et dépouillés de leurs colonnes qui allèrent enrichir les mosquées du
Caire. On voit quels éléments précieux ces belles découvertes ont
apporté à l'histoire religieuse de l'Egypte sous la domination byzan-
tine et à l'expansion des cultes orientaux en Occident.
M. Adonc a écrit une histoire de l'Arménie à l'époque de Justi-
nien1. M. Karolides a étudié la ville d'Amorium en Asie Mineure
dans l'histoire et la légende2. M. Cumont, qui avait déjà, en étudiant
les Actes de saint Dasius à Durostorum en Mésie, apporté une
contribution utile à l'histoire des progrès de l'hellénisme dans le
nord de la péninsule des Balkans3, vient de retrouver à Ancône le
tombeau de ce saint, conservé à la cathédrale *. Ce fut peut-être à la
suite du pillage de Durostorum par les Avars (579) qu'eut lieu cette
translation des reliques d'un saint grec en Italie.
M. Kugener a apporté par ses travaux des témoignages impor-
1. Adoné, l'Arménie à l'époque de Justinien (en russe). Saint-Pétersbourg,
1908, xiv-526 p. in-8°.
2. Karolides, 'n Ttôkç 'Afiôptov. Athènes, 1908, 30 p. in-8°.
3. Analecta Bollandiana, t. XVI, p. 11.
4. Cumont, le Tombeau de saint Dasius de Durostorum. Bruxelles, 1908,
4 p. in-8°.
HISTOIRE BYZANTINE. 119
tants sur le recul de l'hellénisme en Syrie avant l'invasion arabe.
L'étude d'une inscription trilingue découverte à Zébed dans le désert
entre Alep et l'Euphrate (aujourd'hui au musée du Cinquantenaire
de Bruxelles) nous montre qu'en 514, date de la consécration de
l'oratoire de saint Serge rapportée sur cette inscription, le grec était
la langue officielle de cette localité, tandis que le syriaque en était la
langue indigène1 . La double inscription en grec et en syriaque gravée
sur le linteau et indiquant la date de la fondation de l'oratoire est
suivie : 1° dune seconde inscription grecque; 2° d'une inscription
arabe, toutes deux du vie siècle. L'inscription arabe présente l'inté-
rêt d'être « le plus ancien monument de l'écriture arabe avant Maho-
met » et un témoignage de la vénération des Arabes chrétiens pour
saint Serge. Un traité d'astronomie syriaque mis sous le nom de
Denys l'Aéropagite et composé au vie siècle2, probablement par un
habitant d'Édesse, contient des attaques curieuses contre la science
hellénique et contre Aristote. C'est un des nombreux témoignages
de la décadence croissante de l'hellénisme en Orient dont l'expansion
arabe devait profiter.
M. Goetz, connu déjà par ses travaux sur l'histoire de l'Eglise russe3,
a écrit une étude d'ensemble sur l'histoire des rapports entre l'Eglise
naissante et les grands princes de Kiev4. L'histoire religieuse de la
Russie au moyen âge est liée intimement à celle de l'expansion de
l'hellénisme sous sa forme religieuse. Après une étude complète des
sources et des origines de l'église fondée par des Grecs et organisée
sur le modèle byzantin, l'auteur montre comment les grands princes
russes dans leurs rapports avec l'Église se sont inspirés du droit impé-
rial de Constantinople. Le fondateur de l'église russe, Vladimir, est
devenu un nouveau Constantin; le pouvoir a été donné par Dieu à
lui et à ses successeurs pour punir les méchants et récompenser les
bons. A son avènement, le grand prince est intronisé dans une céré-
monie religieuse qui ressemble à celle du sacre des empereurs. La
liturgie contient des prières pour le prince. Une union intime existe
entre l'Église et l'État, dont les domaines ne se distinguent pas. Les
princes donnent l'exemple de la piété, ajoutent un nom grec à leur
1. Kugener, Note sur l'inscription trilingue de Zebed. Paris, Impr. nat.,
20 p. in-8"; Nouvelle note sur l'inscription trilingue de Zebed. Rome, 1908,
10 p. in-8°.
2. Kugener, Un traité astronomique et météorologique syriaque attribué à
Denys l'Aréopagite. Paris, Leroux, 1907, 02 p. in-8°.
3. Voir Rev. hist., t. XCI, p. 342.
4. Gœtz, Staat und Kirche in Altrussland, Kiever Période, 988-1240. Ber-
lin, A. Duncker, 1908, vm-214 p. in-8°.
120 BULLETIN HISTORIQUE.
nom slave, bâtissent des églises et des monastères, prennent l'habit
monastique à leur lit de mort, correspondent avec les moines et les
évoques et discutent avec eux des questions de dogme, de discipline,
parfois même de politique. Les grands princes n'ont pas cependant
sur l'Église une autorité aussi considérable que les basileis. D'abord
ils ont reçu le dogme tout fait de Byzance. D'autre part, l'Église
russe est subordonnée à Constantinople; son chef, le métropolitain,
n'est pas élu, mais nommé par le patriarche de Constantinople; il
est presque toujours un grec et ses décisions sont soumises à l'appel
du patriarche. Depuis le xnc siècle, le haut clergé n'est plus recruté
exclusivement parmi les Grecs ; il n'en est pas de même du métro-
polite, qui a toujours été Grec et est devenu de plus en plus étranger
à l'église qu'il gouvernait. Enfin la division de la Russie en princi-
pautés indépendantes a favorisé la décentralisation ecclésiastique et
les évêques n'ont pas tardé à acquérir une véritable autonomie vis-
à-vis du métropolitain. Telle est l'originalité de l'histoire de l'Eglise
russe : cependant un fait domine toute cette histoire depuis son
origine, c'est le pouvoir ecclésiastique que le prince s'est arrogé à
l'imitation des empereurs byzantins.
XI. Histoire de la civilisation. — Aucun ouvrage ne nous fait
mieux pénétrer dans l'histoire intellectuelle des monastères grecs du
moyen âge que le monument élevé par Mme Marie Vogel et M. Gardt-
hausen aux copistes des manuscrits grecs1. Trois mille noms de
copistes ont été relevés sur les manuscrits grecs des bibliothèques
européennes; à chaque article, on trouve des détails biographiques,
la liste des manuscrits copiés et des références. A côté des moines
du haut moyen âge figurent les humanistes des xve-xvie siècles,
Lascaris, Palaeocappa, etc.
M. Schlumberger a apporté une nouvelle contribution à l'histoire
de la sigillographie et des petits monuments de l'art byzantin*2.
Comme toujours, les saints militaires, saint Georges, saint Théo-
dore Tiron, jouent un grand rôle sur ces plaques ou sur ces intailles.
Sur une croix processionnelle de bronze provenant de Homs (Syrie)
se trouve le nom de Théognis, général de Tibère (581). La série
ecclésiastique s'est augmentée de plusieurs sceaux de métropolitains
et de celui d'un patriarche de Jérusalem.
Le Manuel d'art byzantin de M. Diehl3 est une synthèse con-
1. Marie Vogel et Gardthausen, Die griechischen Schreiber des Mittelatters
und der Renaissance. Leipzig, 1909, 508 p. in-S° (Beiheft XXXIII zum Zen-
tralblatt fur Bibliothekwesen).
2. G. Schlumberger, Monuments byzantins inédits. Paris, Impr. nat., 1910,
13 p. in-8°.
3. Charles Diehl, Manuel d'art byzantin. Paris, Picard, 1910, xi-837 p. in-8°.
HISTOIRE BYZANTINE. 121
sidérable dans laquelle sont étudiés tous les monuments importants
qui ont été découverts ou remis en lumière au cours de ces dernières
années. Dans son illustration, en particulier, l'auteur, sans négliger
les reproductions classiques, a fait une large place aux monuments
peu connus qui n'avaient été reproduits que dans des publications
académiques ou dans des revues spéciales. Certaines parties de l'ou-
vrage, comme les chapitres sur les fresques des grottes de Cappa-
doce et des églises russes, et toute l'étude sur l'art byzantin à
l'époque des Paléologues seront pour le public de véritables révéla-
tions. Le mérite de la nouveauté est donc un des attraits de ce livre
et. grâce au répertoire complet qu'il présente et à l'abondante biblio-
graphie disposée dans un ordre méthodique, dont il est accompagné,
il est destiné à rendre les plus grands services. Mais, en outre, il est
autre chose et plus qu'un simple manuel. M. Diehl qui, par tous
ses travaux antérieurs, était admirablement préparé à composer cette
synthèse a voulu la présenter dans un ordre historique ; l'explica-
tion du développement de l'art byzantin tient dans son livre une
place aussi grande que la description des monuments. Bien plus,
comme il était inévitable, il a dû prendre parti dans la question si
controversée de l'originalité de l'art byzantin, et la thèse qu'il a adop-
tée d'une manière très nette, et au service de laquelle il a mis toutes
les ressources de son érudition et d'une exposition pleine de clarté,
ne constitue pas un des moindres intérêts de son livre.
Dans une première partie, consacrée à l'origine de l'art byzantin,
l'auteur abandonne la théorie de l'art impérial romain et rend pleine
justice aux études d'Aïnalov et de Strzygowski sur la domination
incontestable exercée par l'art hellénistique, imprégné d'éléments
orientaux, à la fin de l'antiquité. Il analyse les éléments que l'art
byzantin a reçus de la Syrie (décoration sculptée, iconographie), de
l'Egypte (goût de la polychromie, du dessin pittoresque et du por-
trait réaliste), de l'Asie Mineure (édifices à coupoles sur pendentifs,
églises à croix grecque, etc.). Peut-être une part plus importante
eût-elle pu être faite à la Perse et surtout à la Mésopotamie, dont
on commence à entrevoir l'activité créatrice. Il est incontestable que
ces éléments étrangers ont subi dans une certaine mesure l'influence
du milieu nouveau dans lequel ils se sont combinés. Il est impos-
sible d'expliquer le développement de l'art byzantin si l'on oublie
les carrières de Proconnèse qui lui ont fourni ses matériaux et le
programme que les exigences de la cour impériale ou les conditions
matérielles de la nouvelle capitale ont imposé aux artistes. Bien
plus, dès l'origine, l'art byzantin prend un caractère particulariste
en éliminant certains éléments orientaux (basilique voûtée, arcs
brisé et outrepassé, porche syrien entre deux tours) qui restèrent
122 BULLETIN HISTORIQUE.
inconnus à Constantinople ; en outre, tandis que la tradition hellé-
nistique s'affaiblissait de plus en plus en Orient, elle se maintint à
Byzance à travers les siècles. L'art byzantin est donc une importa-
tion orientale en Europe, mais il n'a pas tardé à former une pro-
vince autonome et il semble difficile de contester cette conclusion.
Où les divergences apparaissent, c'est lorsqu'il s'agit d'apprécier
le rôle historique de cet art. N'a-t-il été qu'une longue survivance,
et a-t-il fallu pour le renouveler de nouveaux apports étrangers, ou
bien a-t-il eu un développement organique indépendant des influences
extérieures? Son action a-t-elle été restreinte à l'empire byzantin,
ou bien est-ce par son intermédiaire que les peuples slaves et même
les Occidentaux ont subi l'influence de l'art oriental? De ces deux
thèses contradictoires, M. Diehl défend celle du développement ori-
ginal et de l'action toute puissante de l'art byzantin ; il cherche à en
montrer l'évolution régulière, dont les moments sont marqués par
trois grandes époques : vie siècle, époque des Macédoniens et des
Comnènes, époque des Paléologues.
Dans les monuments de la première époque, M. Diehl relève avec
raison les perfectionnements apportés aux procédés architecturaux
et qui ont rendu possible la construction de Sainte- Sophie; mais il
ne faut pas oublier que les seuls architectes dont les noms nous
soient parvenus étaient originaires d'Asie Mineure; Sainte-Sophie
est donc moins un point de départ (une école artistique ne débute
pas par des chefs-d'œuvre) que la création suprême des écoles artis-
tiques de l'Asie. L'architecture byzantine est donc à sa naissance
toute orientale et l'examen des autres arts amène à la même con-
clusion. La victoire de l'Orient s'affirme dans la sculpture sur
pierre ou sur ivoire, dans la technique de l'orfèvrerie, dans la déco-
ration des tissus empruntée à l'Egypte ou à la Perse, dans les icônes
qui ont gardé jusqu'au bout la tradition de la peinture égyptienne.
De même, c'est avec peine que M. Diehl résout exclusivement en
faveur de Byzance la question des mosaïques de Ravenne, où il
constate lui-même un certain archaïsme, et celle des miniatures dont
il est obligé d'admettre en partie la provenance syrienne ou alexan-
drine. Le fait même de la ressemblance entre le Christ barbu de
Ravenne et celui du Codex Rossanensis tendrait à prouver que
les mosaïques de Ravenne ne sont pas nécessairement byzantines.
Sans doute l'influence de Constantinople s'est exercée dès cette
époque, comme le prouve l'importation des chapiteaux en marbre
de Proconnèse, mais Byzance n'a fait que donner ce qu'elle avait
reçu elle-même d'ailleurs. La vérité, c'est qu'avant l'invasion arabe
il existe dans le monde méditerranéen une école d'art hellénistique-
BISTOIRE BYZANTINE.
123
oriental dont Constantinople n'est qu'un des centres principaux.
Si l'influence byzantine règne en Italie, et, en particulier, à Rome,
il est peut-être difficile de la trouver dans les églises arméniennes,
et on ne peut admettre qu'à l'époque carolingienne Byzance ait con-
servé en Europe « la direction générale de l'art » (p. 363).
Après la querelle des images, les conditions sont très différentes
et l'école byzantine est devenue la principale, mais non la seule
école d'art chrétien oriental. L'art byzantin se distingue alors par
des caractères qui lui sont propres et que M. Diehl a bien mis en
lumière : quelle que soit l'origine de l'église en croix grecque, elle
n'en est pas moins, à partir du xe siècle, le monument caractéris-
tique de l'architecture byzantine; de même, en admettant l'origine
antérieure de la plupart des motifs de l'iconographie byzantine, la
réunion systématique de ce cycle de figures et de scènes dans les
églises grecques n'en est pas moins une originalité ; enfin, si la plu-
part des manuscrits sont la reproduction de prototypes anciens, on
peut parfois constater dans les copies des variantes qui impliquent
des tendances nouvelles; l'existence d'une école byzantine à cette
époque est une réalité et il serait vain de vouloir chercher ailleurs
une persistance de la tradition hellénique comparable à celle qui
règne dans les mosaïques de Daphni. M. Diehl a d'ailleurs fait à
l'Orient la part qui lui revient dans l'origine des techniques usitées
dans l'art byzantin du xr siècle ; le seul reproche qu'on pourrait lui
adresser serait d'avoir voulu trop étendre l'influence de cette école
en revendiquant pour elle les églises à coupoles du Périgord.
Enfin reste la dernière période de l'art byzantin qui commence
après la restauration de l'Empire par Michel Paléologue. L'art nou-
veau, qui s'est développé à Constantinople, dans les provinces et les
pays slaves, présente un assez grand caractère d'unité. La recherche
du pittoresque, l'observation réaliste, le goût des types individuels
et même populaires, l'entente de la décoration, la science raffinée de
la couleur, qui produit une peinture toute impressionniste, tels en
sont les principaux caractères. Pour expliquer cette renaissance,
M. Diehl rejette l'hypothèse d'un retour à des prototypes syriens et
il faut avouer que les qualités originales d'exécution, qu'on trouve
dans ce nouvel art, lui donnent raison. Peut-être fait-il trop bon
marché de l'influence occidentale, contestable peut-être dans la pein-
ture, mais qui paraît très visible dans les églises de Mistra et de
Trébizonde. D'autre part, s'il y a eu une réelle transformation de
l'art byzantin au xive siècle, il ne faudrait pas trop insister sur son
caractère d'originalité. Les paysages pompéiens, qui forment les
fonds des mosaïques de Kahrié-Djami ou des fresques de Mistra, ne
124 BULLETIN HISTOIUQUE.
sont qu'un retour à l'antique; quelques portraits, comme celui de
Jean Cantacuzène, sont admirables de vérité, mais si l'observation
de la nature a tenté certains artistes, elle n'a pu les affranchir des
traditions étroites qui pesaient sur l'art byzantin depuis ses origines.
L'hellénisme n'a fourni à cet art que des motifs de décoration,
mais il a toujours gardé son caractère oriental; si l'on peut admettre
avec M. Diehl qu'il n'est pas toujours resté semblable à lui-même,
c'est à condition d'ajouter que ses transformations ont eu moins le
caractère d'un développement organique que celui de renaissances
suivies de périodes d'affaiblissement.
Nous avons insisté sur l'idée maîtresse qui donne à ce livre toute
son originalité; il nous semble que son principal mérite est d'avoir
dégagé par une analyse minutieuse les caractères que présente l'art
byzantin aux divers moments de son histoire; aussi, malgré les
réserves que nous avons cru devoir présenter, il serait injuste de ne
pas reconnaître le grand service que M. Diehl a rendu à l'histoire
de l'art byzantin en dissipant bien des obscurités et en déterminant,
d'une manière nette, les différences de style qui appartiennent à
chaque époque.
Les églises byzantines de Salonique transformées en mosquées ont
été l'objet dans ces derniers temps de restaurations intelligentes qui
ont fait réapparaître des mosaïques admirables dissimulées sous le
badigeon ou le papier. M. Letourneau a relevé les mosaïques de la
coupole et de l'abside de l'église Sainte-Sophie; après avoir étudié
de son côté ces mosaïques, M. Ch. Diehl a cherché à en détermi-
ner les dates1. Dans l'abside, on trouve des traces d'une décoration
des ve-vie siècles (la grande croix sur fond d'or), tandis que la
madone trônant au fond est un monument fort curieux de la pre-
mière restauration des images. On sait combien sont rares les œuvres
de cette époque. La date est donnée par les monogrammes de Cons-
tantin VI, d'Irène et de l'évèque Théophile. La coupole offre égale-
ment des figures de deux époques : tandis que le Pantocrator, à la
figure courte, à la main démesurée, appartient à un décor primitif
auquel se rapporte une inscription malheureusement incomplète, la
madone, les apôtres et les anges qui l'entourent ont été appliqués
plus tard sur ce fond d'or primitif. En comparant la figure du
Christ aux miniatures syriaques du vie siècle, M. Diehl conclut
que les restes de la première décoration datent du vne siècle, tandis
que les personnages qui entourent la coupole se rattachent à l'art
1. CU. Diehl et M. Letourneau, les Mosaïques de Sainte-Sophie de Salo-
nique. Paris, Leroux, 1908, 24 p. in-4°.
HISTOIRE BYZANTINE. 125
de Daphni, de Saint-Marc de Venise, de Vatopédi et appartiennent
à l'époque macédonienne (xe-xie siècles). On voit quelle est L'impor-
tance de ces constatations pour l'histoire de l'art byzantin.
L'église Saint-Démétrius de Salonique décrite par Papageorgiu
[Byz. Zeit., t. XVII, p. 321-381) a été étudiée par M. Uspensku
qui en a relevé les mosaïques'. Se fondant sur le témoignage d'un
manuscrit du xne siècle (Bibl. nat., ms. grec 1517), M. Tafrali
démontre, contrairement aux conclusions de M. Uspenskij, que l'in-
cendie qui ravagea cette église eut lieu entre 629-634, que la res-
tauration fut entreprise aussitôt après le sinistre et achevée assez
vite, que le personnage nommé Léon sur une inscription de la
mosaïque ne peut être identifié avec Léon III PIsaurien; il s'agit de
1' « éparque » Léon, dont parle le manuscrit2.
Le XIIe Bulletin de l'Institut archéologique de Russie de Cons-
tantinople est consacré à une œuvre importante de la miniature
byzantine, au précieux Octateuque de la bibliothèque du Sérail dont
l'étude avait été impossible jusqu'ici3. M. Uspenskij a pu, grâce à
un iradé spécial du sultan, examiner et photographier les miniatures
de ce précieux manuscrit. Dans l'album qui accompagne sa publi-
cation il a fait reproduire 195 miniatures auxquelles il a ajouté
d'autres miniatures provenant d'octateuques apparentés à celui du
Sérail, ceux du Vatican, du mont Athos, de Smyrne. Ces divers
manuscrits forment un groupe d'œuvres semblables inspirées pro-
bablement d'un même prototype plus ancien. On relève par exemple
des rapports intéressants entre quelques-unes de leurs miniatures
et celles du Rouleau de Josué du Vatican. Un autre intérêt de ce
manuscrit, c'est le témoignage qu'il nous apporte sur le mouvement
intellectuel à l'époque des Comnènes. Il a été écrit en effet pour
le prince Isaac, fils d'Alexis Comnène, qui en a composé le prologue
dans la première moitié du xne siècle. Ce prince peu connu, dont
M. Uspenskij a reconstitué la biographie, avait fondé le monastère
de la « Cosmosoteira » en Thrace, dont l'église subsiste encore
aujourd'hui.
M. Strzygowski a continuer à prouver par des exemples carac-
téristiques l'influence profonde exercée par l'art oriental de la fin
de l'antiquité sur le développement artistique de l'Europe. C'est
ainsi qu'il montre comment la tablette en forme de sigma employée
1. Bull, de l'Institut archéologique de Russie à Constanlinople, l. XIX.
2. Tafrali, Sur les réparations faites au VH° siècle à l'église de Saint-
Démétrius de Salonique. Paris, Leroux, 1909, 7 p. in-8°.
3. Th. Uspensky, l 'Octateuque de la bibliothèque du Sérail à Constanti-
nople. Sofia cl Leipzig, Harrassowitz, 1907, '255 p. in-4° el album de 47 pi.
I2G BULLETIN J11ST0RIQUE.
par les Coptes et les Arabes comme stèle funéraire a donné une des
formes de l'autel chrétien, puis celle du réfectoire monastique1
(Daphni, Lavra, etc.). Il suit de même le développement de la
coupole persane supportée par des trompes d'angles et qui, dans
l'architecture byzantine (Saint-Luc, Daphni), se substitue à la cou-
pole sur pendentifs2. Enfin, après Herman Thiersch. il recherche
dans l'antiquité classique et dans l'Orient antique la forme architec-
turale qui a donné naissance au minaret musulman3.
M. G. Millet a commencé à publier les relevés des monu-
ments de Mistra4. Nous reviendrons sur cet important travail qui
comblera les lacunes de nos connaissances sur l'art byzantin des
xive et xve siècles.
Louis Bréhier.
HISTOIRE DE FRANCE.
RÉVOLUTION ET EMPIRE.
(Suite et finb.)
Dans son livre la Grande Révolution6 , M. Pierre Kropotkine
retrace, une fois de plus, à son point de vue spécial (celui de l'anar-
chie révolutionnaire), le tableau d'ensemble du mouvement de 1789-
1795. Nous connaissons bien, selon lui, le courant de la pensée
d'alors, mais l'histoire de l'autre courant, celui de l'action popu-
laire, « n'a pas même été ébauchée » (p. 6). On pouvait croire
cependant que Michelet, Louis Blanc et M. Jaurès avaient consacré
des pages nombreuses et brillantes à ce personnage nouveau, le
1. Strzygowski, Der sigmafôrmige Tisch und der xlteste Typus des Refek-
toriums. Heidelberg, Winter, 1909, 10 p. in-4°.
2. Strzygowski, Die persische Trompen Kuppel. Heidelberg, Winter, 1909,
15 p. in-4\
3. Strzygowski, Antike, Islam und Occident. Leipzig, Teubner, 1909, 18 p.
in-8°.
4. G. Millet, Monuments byzantins de Mistra (matériaux pour l'étude de
l'architecture et de la peinture en Grèce aux xiv° et xve siècles), atlas de
152 pi. Paris, Leroux, 1910, in-fol. (Monuments de l'art byzantin publiés sous
les auspices du ministère de l'Instruction publique, II).
5. Voir Revue historique, t. CIV, p. 377.
6. Pierre Kropotkine, la Grande Révolution, 1789-1793, 2e éd. Paris, Stock,
1909, vn-749 p. in-8°. L'auteur donne plus que le titre ne promet, car il raconte
encore la fin de la Convention.
HISTOIRE DE FRANCE. 127
peuple, qui surgit aux alentours de 1789, fait succéder les émeutes
politiques aux émeutes de la famine, puis se lance dans les jacque-
ries rurales et le mouvement agraire jusqu'à ce que la réaction soit
définitivement vaincue en juin 1792. Encore la révolution du 10 août
n'a nullement suffi pour atteindre ce but. Il a fallu guillotiner le roi
et chasser les Girondins de la Convention1 pour amener celle-ci à
restituer aux paysans les terres enlevées jadis par les seigneurs et
les bourgeois (p. 275). Le livre est écrit avec une chaleur presque
persuasive et un enthousiasme humanitaire qui voit déjà la Russie,
l'Allemagne et l'Autriche prêtes à commencer également leurs révo-
lutions sociales. On reste persuadé que l'auteur est d'une entière
bonne foi, et c'est précisément ce qui attriste quelque peu quand on
rencontre chez lui l'apologie détaillée des massacres de septembre
(p. 374-391) ou le panégyrique de Marat (p. 579) a. Mais la lecture
de son livre est instructive ; en étudiant des écrits de ce genre, même
quand ils nous semblent un travestissement involontaire du passé,
ils permettent de mieux comprendre les passions politiques et
sociales de l'époque contemporaine et l'on peut profiter des lueurs
qu'ils projettent sur l'avenir3.
M. Hocquart de Turtot n'a raconté qu'un des premiers cha-
pitres du drame révolutionnaire dahs sa Conquête des Communes*;
il comprend, sous ce titre, l'histoire parlementaire des mois de mai,
juin, juillet 1789. Peut-être se trompe-t-il, croyant traiter « un
sujet nouveau », en nous racontant les débuts de la Constituante et
ce duel inégal entre la royauté inerte et mal conseillée et l'esprit
nouveau du tiers accourant à Versailles, impatient de réformes,
avide de libertés. On ne trouvera rien de bien neuf dans son volume,
ni pour les faits ni pour les idées5. L'auteur blâme sans doute dou-
cement la maladresse de Louis XVI, mais il accentue surtout, « avec
un sentiment de tristesse » , Yusurpation des députés avant et après
la séance du Jeu de Paume. Sans vouloir dissimuler l'ignorance de
1. Ces Girondins sont d'ailleurs « la Contre-Révolution ». « La Révolution
ne pouvait s'arrêter inachevée; elle dut passer outre sur leurs corps » (p. 462).
2. M. Kropotkine nous affirme qu'il ne fut « nullement sanguinaire », qu'il
aurait désapprouvé la Terreur et que c'est même le seul des hommes mar-
quants de la Révolution qui ait vu les choses en grand (p. 580).
3. Il y aurait plus d'une remarque de détail à faire, mais M. Kropotkine
n'a pas voulu écrire un livre d'érudition. C'est une œuvre de doctrine et de
propagande, et c'est comme telle seulement qu'il est équitable de la juger.
4. E. Hocquart de Turtot, la Conquête des Communes, mai-juillet 1789.
Paris, Perrin et Ci6, 1910, vn-279 p. in-18.
5. Le livre est fait avec le Moniteur et les Mémoires bien connus de Bailly,
Malouet, Ferrières, etc.
128 BULLETIN HISTORIQUE.
la reine ni l'insuffisance du roi, il ne s'est pas suffisamment rendu
compte de l'incapacité absolue du monarque. Il s'efforce sincèrement
d'être impartial, mais certaines affirmations témoignent d'une con-
fiance trop naïve aux assertions des contre-révolutionnaires1.
En parlant de l'influence supposée de la franc-maçonnerie à cette
époque, M. Hocquart de Turtot s'est laissé aller à dire que « la
chose lui paraissait peu sérieuse » (p. 226). Cet aveu vaudra sans
doute à l'auteur les reproches de M. Gustave Bord, l'auteur de la
Conspiration révolutionnaire de 11892; dans ce livre, il prétend
montrer, — thèse qui n'est pas nouvelle, puisque l'abbé Barruel la
développait il y a plus de cent ans déjà, — que toute la Révolution
jaillit des loges comme Minerve de la tête de Jupiter. M. Bord y a
mis beaucoup d'entrain, soutenu par une érudition très documentée
sur de nombreux points de l'histoire révolutionnaire. Il ne démontre
en définitive qu'une chose, dont aucun historien sérieux n'a jamais
douté, c'est que beaucoup des personnages marquants, surtout au
début du mouvement révolutionnaire, étaient affiliés aux loges et
même y avaient joué un rôle. On était alors d'une loge maçonnique
comme on est aujourd'hui d'un cercle ou d'une association savante
ou sportive. Les intelligences en éveil, les ambitions inquiètes
devaient s'y grouper tout naturellement. Mais conclure de ce fait à
l'existence d'une « conspiration » organisée en France par les loges
en faveur du duc d'Orléans me semble bien risqué, et plus encore
de nous montrer les agents de la maçonnerie travaillant fiévreuse-
ment à la dissolution de l'Etat3. Si l'auteur nous présente ainsi des
fantaisies plus ou moins historiques dans son chapitre des Com-
plices, ce sont des scènes d'un réalisme bien lugubre qu'il nous
dépeint dans celui des Victimes, où il raconte la fin lamentable de
Launey, Flesselles, Bertier et Foulon avec beaucoup de détails nou-
veaux4. Il y a autre chose pourtant dans le mouvement de 1789 que
des tyranneaux de village comme Gléron-Rappe ou des monstres
1. Comme lorsqu'il assure que les rassemblements de troupes en juillet ne
visaient nullement un coup de force (p. 179). — P. 5, lire 1588 pour 1688;
p. 182, lire Falckenhayn pour Fackenhein.
2. Gustave Bord, la Conspiration révolutionnaire de 1789. Les complices.
Les victimes. Paris, Bibliothèque d'histoire moderne, 1909, xxn-447 p. in-8°,
planches.
3. L'auteur semble ignorer que les révolutions ne réussissent jamais que
quand les temps sont venus, c'est-à-dire quand les gouvernants, quels qu'ils
soient, succombent sous le poids de leurs propres maladresses, de leurs fautes
ou de leurs crimes; l'histoire de notre pays est là pour le prouver; je ne parle
pas, bien entendu, des coups d'État faits par les gouvernements eux-mêmes.
4. 250 pages sont consacrées à Bertier, à Foulon et à leurs assassins.
HISTOIRE DE FRANCE.
129
comme le cuisinier Dénot. Puisque l'auteur reproche àprement aux
« historiens révolutionnaires » de faire tant d'efforts « aux dépens
de la vérité pour conserver intactes les légendes de 1789 » (p. 406),
il est permis de lui répondre qu'on fausse également l'histoire quand
on affirme que ce sont « des bandes soudoyées qui, pour le compte
d'ambitieux, ont joué le principal rôle » dans cette révolution et
qu'on nie de la sorte les aspirations légitimes de la nation tout
entière, sauf quelques milliers de privilégiés'.
M. Gaston Maugras a pu mettre autrefois la main sur une cor-
respondance adressée de Paris à ses parents par le fils d'un arma-
teur bordelais venu dans la capitale pour y poursuivre ses études. Il
l'a publiée sous le titre, qui n'est pas absolument exact, de Journal
d'un étudiant2 et vient d'en publier une seconde édition. Ces
lettres nous donnent les impressions très prime-sautières du jeune
Edmond Géraud exprimées, au courant de sa plume, avec un
entrain, je serais presque tenté de dire avec une outrecuidance
extrême3, car il entrait à peine dans son quinzième printemps quand
il entama cette correspondance sur les questions du jour avec « papa »
et « maman ». Évidemment, les opinions d'un jouvenceau, si peu
capable encore de juger les hommes et les choses, n'ont d'impor-
tance pour nous que parce qu'on y perçoit l'écho des bruits de la
foule, de cette foule changeante qui d'abord s'extasie sur les vertus
de Louis XVI, le nouveau « bien-aimé », sauf à le conspuer, douze
mois plus tard, comme le « bœuf couronné ». Géraud, lui aussi-,
brûlera plus tard avec entrain ce qu'il avait adoré d'abord4. Et il a
1. On à peine à comprendre comment M. Bord parle encore « de la légende
du complot de la cour » après tout ce que l'on sait aujourd'hui de l'attitude
de la famille royale pendant toute l'année 1789. — P. 21, il me semble bien
douteux que M. Jean de Turckheim, un des députés de Strasbourg, très con-
servateur et bientôt émigré, ait fait partie du club Breton.
2. Gaston Maugras, Journal d'un étudiant (Edmond Géraud) pendant la
Révolution, 1789-1793, nouv. éd. Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1910, vn-331 p.
in-18.
3. Le modèle du genre est la lettre (p. 300-303) : « Tu m'as demandé, papa,
mon sentiment sur chacun des députés de Paris, etc. », dans laquelle Edmond,
avec une aisance parfaite, juge et définit Robespierre, Marat, Danton, Camille
Desmoulins, Collot d'Herbois, Billaud-Varennes, etc.
4. Dès septembre 1791, Duport n'est plus qu'un « courtisan vil et abject »,
l'honnête Ramond de Carbonnières un « misérable d'une méchanceté réflé-
chie »; il gémit de l'indicible « duplicité du traître Lafayette ». Il avait écrit
d'abord : « Notre liberté ne peut s'assurer qu'autant qu'elle aura pour lit des
matelas de cadavres; je consens à devenir l'un de ces cadavres »; après trois
mois de service en 1793 dans l'armée des Pyrénées, il rentrait à Bordeaux, où
il « vécut paisible et ignoré » en faisant de la littérature.
Rev. Histor. CV. 1er FASC. 9
130 BULLETIN HISTORIQUE.
adoré bien des choses, Vestris et MUe Raucourt, le Lycée et le club
des Jacobins, Mirabeau et l'abbé Delille, les soldats de Châteauvieux
et « l'inestimable Pétion ». Il faut pourtant reprocher au volume de
M. Maugras un assez grave défaut. Au lieu de nous donner simple-
ment les lettres de l'étudiant, avec quelques notes nécessaires, il a
voulu présenter à ses lecteurs un tableau complet de Paris pendant
les premières années de la Révolution ; c'est pourquoi nous trou-
vons, au milieu des missives, parfois non datées, de l'étudiant, des
morceaux du Journal d'une bourgeoise publié par M. Lockroy,
de la Correspondance secrète de M. de Lescure, des fragments de
Mercier, etc. , si bien qu'on ne sait pas toujours qui parle ; ce n'est
pas là une bonne méthode pour faire apprécier un document histo-
rique par un public sérieux.
Depuis le retour de Varennes, le club des Cordeliers a été le
centre de l'agitation révolutionnaire dans la capitale, agitation qui,
se refusant à tenir compte ni de la Constituante ni de la Constitu-
tion, visait un bouleversement qui aboutirait à la disparition de la
monarchie. M. Mathiez a pensé avec raison qu'il serait intéressant
d'étudier de plus près l'activité du club du 20 juin au 7 août 1791 ;
il a reconstitué, dans la mesure du possible, ses délibérations et ses
actes d'après son journal officiel, ses placards et d'autres papiers
provenant de Momoro, de l'avocat Buirette de Verrières, un des
accusés dans l'affaire du Champ-de-Mars, de Bernard de Beauvoir,
l'accusateur public chargé des poursuites1. Ces pièces sont accom-
pagnées d'éclaircissements, dont le premier expose les origines du
club et son rôle avant la fuite du roi ; le second s'occupe du mas-
sacre du Champ-de-Mars, dont l'histoire reste, malgré toutes les
données nouvelles, bien contradictoire2 ; le troisième est consacré aux
poursuites judiciaires et précède l'information secrète, l'interroga-
toire des accusés, les conclusions du ministère public et l'ordonnance
du tribunal. Quelle que puisse être l'opinion des historiens futurs
sur ces « premiers martyrs de la cause démocratique » 3, tous remer-
1. Le Club des Cordeliers pendant la crise de Varennes et le massacre du
Champ-de-Mars, documents en grande partie inédits, publiés avec des éclair-
cissements, des notes et une planche par Albert Mathiez. Paris, H. Champion,
1910, iv-392 p. in-8°. — Malheureusement, plusieurs pages (p. 145 et 152) sont
presque illisibles, par suite d'un mauvais tirage.
2. Le chiffre des victimes varie de 13 à 400. Il semble admis que le pre-
mier blessé d'un coup de feu fut un dragon.
3. D'autres verront plutôt en eux des anarchistes rebelles à la loi, poussés
par des meneurs qui s'échappent prudemment de l'autre côté de la Manche ou
se terrent dans Paris même et ne retrouvent leur verve gouailleuse et accusa-
trice que lorsqu'ils ne craignent plus la prison.
HISTOIRE DE FRANCE. 131
cieront volontiers M. Mathiez d'avoir réuni avec un soin aussi scru-
puleux les documents nécessaires pour reprendre à fond cette ques-
tion si controversée dès lors et qui l'est restée jusqu'à ce jour1.
C'est une étape décisive dans la carrière de la Révolution que
nous franchissons avec M. de Vaissière, qui a consacré tout un
volume à la Mort du roi2. L'auteur a-t-il simplement voulu
refaire le récit de l'exécution de Louis XVI d'après tous les docu-
ments actuellement accessibles, ou bien n'aurait-il pas visé surtout
à apitoyer le grand public sur « la passion du Roi-Martyr »? C'est
dans ce but sans doute qu'il s'est abstenu de faire la moindre allu-
sion aux fautes du malheureux monarque, à ce qu'on devrait appe-
ler, à notre point de vue moderne, ses crimes, s'il n'était équitable
de lui tenir compte des tares de son éducation première, de son
incapacité mentale, des conseillers détestables dont il suivit docile-
ment les avis, se parjurant avant Varennes, mentant après, pour-
suivant jusqu'au 10 août les complots avec l'étranger-. C'est donc un
récit d'allures plutôt hagiographiques qu'on trouvera dans le volume
de M. de Vaissière, et je ne vois pas d'ailleurs qu'il ait apporté beau-
coup de matériaux nouveaux sur son sujet. Mais on sera d'accord
pour reconnaître qu'il les a bien groupés, qu'il élucide plusieurs
points douteux3 et que le ton de la narration cadre bien avec les épi-
sodes successifs de cette tragique journée. En suivant Louis XVI
depuis la dernière soirée passée dans l'enceinte du Temple jusqu'au
cimetière de la Madeleine, nous éprouvons un sentiment de commi-
sération profonde devant les duretés inutiles infligées au condamné
et devant la détresse mentale de ses heures ultimes. Si l'auteur a
fait justice de plusieurs des légendes que la Restauration fit éclore,
il nous semble pourtant admettre encore trop de mots ou de détails
contestables4 sur la foi de sources en partie peu sûres5.
1. P. 198, lire Seligmann pour Sélignan et, p. 208, Fleischmann pour
Fleichsmann.
2. Pierre de Vaissière, la Mort du roi (21 janvier 1793). Paris, Perrin et Cie,
1909, vn-225 p. in-18 illustré.
3. Pas tous cependant; pour ce qui est du mot de l'abbé Edgeworth : « Fils
de saint Louis... », il admet seulement qu'il n'y a pas de « raison absolue »
pour le rejeter. Sur la question de l'ordre donné aux tambours, il penche à
croire que quatre hommes (Berruyer, Santerre, etc.) « hurlèrent » à la fois
l'ordre d'étouffer la voix du condamné.
4. Par exemple le sérieux de la tentative de rescousse du baron de Batz, la
présence du duc d'Orléans au supplice, etc.
5. Souvenirs de George Duval, Mémoires de Pasquier, de Sanson, de
Touchard-Lafosse. Le récit est accompagné d'illustrations nombreuses (por-
traits, monuments, couperet de la guillotine, « chemise quittée par Louis XVI
le matin du '21 janvier », etc.).
132 BULLETIN HISTORIQUE.
Un volume que tout le monde parcourra avec plaisir et dont tous
ceux qui s'occupent de l'histoire de la Révolution seront reconnais-
sants à l'auteur, c'est celui de M. le lieutenant-colonel Hartmann
sur les Officiers de l'armée royale et la Révolution1 ; on y trou-
vera tout ce que promet le titre précis de l'ouvrage. Ce n'est pas une
histoire générale de l'armée française pendant la période révolution-
naire; l'auteur y expose les mutations professionnelles et les crises
politiques par lesquelles a passé le corps des officiers de l'armée
royale depuis l'année 1788 jusqu'au moment où l'armée royale cessa
d'exister, c'est-à-dire jusqu'au 10 août 1792. Un chapitre final résume
les dures épreuves par lesquelles eurent à passer les derniers repré-
sentants de l'ex-armée royale restés fidèles à la France républicaine,
du 10 août au 9 thermidor de l'an II2. M. Hartmann expose avec
une équité parfaite la situation pénible du corps d'officiers d'alors,
les motifs admissibles et d'autres, moins acceptables, qui ont déter-
miné l'émigration militaire. Sans cacher le moins du monde l'atti-
tude indisciplinée de certains régiments vis-à-vis de leurs officiers,
attitude qui a pu très légitimement dégoûter l'officier noble de ser-
vir plus longtemps, M. Hartmann a pourtant établi d'une façon non
douteuse que pour certaines périodes d'émigration plus intense « la
cause déterminante de l'exode ne fut pas l'attitude des soldats »
(p. 357) ; que la longanimité des ministres de la Guerre constitution-
nels, La Tour du Pin, de Grave, Duportail et même Narbonne, a
plutôt accentué la crise en ne débarrassant pas l'armée d'éléments
absolument indignes de confiance avant les préliminaires de
guerre; en gardant certains officiers nobles à la tête des régiments
patriotes, ils firent d'eux, au lieu de simples émigrés, de tristes
déserteurs (p. 241) ; on comptait sans doute que la majorité serait
plus française que royaliste (p. 440) ; c'est le contraire qui se pro-
duisit. Le colonel Hartmann a puisé de nombreux détails topiques
dans les écrits du temps, les Mémoires, les archives historiques de
la Guerre. Il aurait été désirable qu'il citât, d'une façon plus pré-
cise, les sources de cette dernière catégorie. Assurément, son tra-
vail inspire toute confiance, mais on voudrait pouvoir mettre, le cas
échéant, la main sur tel dossier qu'il utilise, mais dont il ne cite pas
la cote. Cela aurait peut-être un peu grossi le volume, mais le spé-
1. Lieutenant-colonel L. Hartmann, les Officiers de l'armée royale et la
Révolution. Paris, F. Alcan, 1910, iv-540 p. in-8".
2. Après la réaction de thermidor, en 1795, on retrouve environ 1,000 à
1,100 officiers de l'ancienne armée (sur 6 à 7,000 gentilshommes qu'elle comp-
tait) et qui ne sont plus des nobles ou des royalistes, mais seulement des
soldats « qui au culte du Roi ont substitué celui de la Patrie » (p. 528).
HISTOIRE DE FRANCE. 133
cialiste aurait été satisfait1. Les Nouvelles lettres du comte
Valentin Esterhazy2, que met au jour M. Ernest Daudet, nous
montrent, une fois de plus, l'incurable frivolité de cette noblesse
militaire qui fuyait la France et la Révolution, et plus encore son
manque total de perspicacité3. Dans le premier volume de cette
correspondance avec sa femme (1784-1792), le comte nous avait
initié à la vie mondaine avant la grande crise, puis au mouvement
de rémigration d'Allemagne ; ici nous le trouvons comme représen-
tant des princes à la cour de Catherine II ; mais ses descriptions de
la haute société de Saint-Pétersbourg et du monde russe en géné-
ral4 ne nous fournissent que bien peu de détails nouveaux sur un
sujet si souvent traité déjà5.
En fait de travaux relatifs à l'histoire départementale et locale de
cette période, nous avons d'abord à mentionner le volume de
M. Roger Doucet sur YEsprit public dans le département de
la Vienne6. Basée sur un dépouillement consciencieux des cartons
afférents des Archives nationales, c'est une étude détaillée des dif-
férents courants politiques qui ont agité ce département depuis la
convocation des États- Généraux jusqu'à la veille du 18 brumaire.
Ce n'est point du tout, — et l'auteur a soin de nous en avertir dès
la première ligne de sa thèse, — « une histoire générale de la Vienne
1. J'ai noté en passant quelques petits errata : p. 314, lire Bruchsal pour
Brucksal et Schoenbornlust pour Schoenburhist. — P. 354, Royal-Champagne
n'était pas en garnison à Strasbourg en 1791. — P. 445, lire Haesingen pour
Hoesingen. Le camp de Plobsheim, à quelques kilomètres de Strasbourg, ne
pouvait surveiller les passages du Haut-Rhin. — P. 467, lire Waldighoffen pour
Waltigothen.
2. Nouvelles lettres du comte Valentin Esterhazy à sa femme, 1792-1795,
publ. par Ernest Daudet. Paris, Pion, 1909, n-391 p. in-8°.
3. « Rien n'est plus aisé », écrit Esterhazy, « que de faire aller chacun à la
place où il était au 1er janvier 1789 » et de « rayer les quatre années de licence
et d'abomination des annales de la France » (p. 68). Encore en octobre 1792, il
voit la Convention « se retirer derrière la Loire » (p. 159) et c'est en novembre
seulement qu'il avoue que « le mal français gagne partout » (p. 187).
4. Le troisième appendice du volume donne une esquisse d'une trentaine de
pages, la Vie russe en 1791. — P. 192, lire Bischofswerder pour Bischoffsverde ;
p. 205, lire Langeron pour Langerou; p. 358, lire Laudon pour Landon.
5. Rien qu'il ne cesse de déclarer à sa « chatte minette » chérie (pie « le
bonheur n'est pour lui que dans ses bras » (p. 3, 4, 15, 17. 30. 96, 140), la
comtesse nourrit l'idée fixe que son époux est un des amants de la vieille
Catherine. « Je le jure d'honneur qu'il n'y a rien du tout entre l'impératrice
et moi », s'écrie-t-il, p. 188. Cependant, il avoue qu'elle « aimait à miauler »
(p. 146).
6. Roger Doucet, agrégé d'histoire, l'Esprit public dans le département de
la Vienne pendant la Révolution. Paris, H. Champion, 1910, 427 p. in-8°.
134 BULLETIN HISTORIQUE.
pendant la Révolution » ; l'exposition de M. Doucet se développe
infiniment plus dans la sphère des idées que dans celle des faits. De
là une certaine froideur, un peu de monotonie dans le récit; la pru-
dence très louable avec laquelle l'auteur formule ses hypothèses sur
la force relative des partis1, sur le véritable but de leurs efforts, sur
les résultats toujours passagers obtenus tantôt par l'un, tantôt par
l'autre, refroidira sans doute un peu le lecteur ordinaire, auquel cette
placidité d'idéologue au milieu de l'effervescence révolutionnaire
paraîtra peut-être d'un singulier effet. Mais c'est le tempérament du
département lui-même ; il n'y a eu probablement ni terroristes bien
féroces ni royalistes très enragés dans une région où, selon l'auteur,
« la masse de la population resta indifférente à tous les événements
politiques » (p. 410) 2. M. Charles Godard a entrepris un dépouille-
ment analogue des sources locales dans sa très vivante étude sur le
Conseil général de la Haute-Loire et l'administration dépar-
tementale de 1100 à 18003. Contrairement à M. Doucet, M. Godard
nous a peut-être un peu trop chichement fourni des aperçus généraux ;
il a trop exclusivement composé son livre de documents juxtaposés,
mais son récit est précieux par la foule de détails précis qu'il four-
nit, comme par le désir évident de l'auteur d'être toujours impar-
tial. C'est donc une contribution très utile à l'histoire de la transfor-
mation de la France d'autrefois en une France nouvelle. L'ancien
Velay, devenu le département de la Haute-Loire, fut un des nou-
veaux territoires où les conflits politiques et surtout religieux furent
le plus violents4, où modérés et radicaux se combattirent le plus
âprement, où, dès septembre 1794, la réaction royaliste et cléri-
cale se manifesta tantôt par des soulèvements en masse, tantôt par
des brigandages isolés. « les autorités fermant volontiers les yeux
sur les représailles exercées à l'égard des terroristes » (p. 141). Cette
alliance des prêtres et des conscrits réfractaires domina la majeure
partie du département jusqu'au Consulat, et le territoire perdit dans
1. Faire « la statistique des partis », avec les moyens que l'auteur avait à sa
disposition, me semble, à vrai dire, une tâche impossible; on y reste forcé-
ment dans le vague, les textes étant trop imprécis et les groupements trop
llottants.
2. Cela ne peut pas constituer une « originalité » pour les Viennois que « leur
opinion comme leur politique sont déterminées par leurs intérêts » ; il en a
toujours et partout été ainsi.
3. Le Conseil général de la Haute-Loire, le Directoire et l'administration
départementale de 1190 à 1800, par Charles Godard, docteur es lettres. Paris,
H. Champion, 1909, xvm-287 p. gr. in-8".
4. Il faut voir, p. 49, 50, 51, 206, l'attitude inouïe des femmes catholiques
vis-à-vis des curés assermentés.
HISTOIRE DE FRANCE.
135
ces années difficiles une notable partie de sa population ainsi qu'une
partie de ses vieilles industries 4 . Je regrette de ne pouvoir donner
aussi pleinement le même éloge d'impartialité sereine à une troisième
monographie du même genre, celle que M. Joseph Hamon, docteur
en droit, a consacrée à la Vie municipale dans les communes du
canton de Passais2. Il nous fait un bien sombre tableau de ce coin
de terre breton pendant la période révolutionnaire et l'on y voit s'en
aller « sous le régime de la liberté métaphysique les derniers restes
des libertés municipales » (p. 167); mais il ressort de son propre
récit que les citoyens du canton de Passais qui avaient volontiers
banqueté aux fêtes de la Fédération, qui n'avaient pas opposé « la
moindre résistance » (p. 70) à la constitution civile du clergé, répon-
dirent par « un effroyable tumulte » quand on leur demanda de
s'inscrire parmi les défenseurs de la patrie (p. 97). Ce n'est ni le
zèle religieux ni la ferveur royaliste qui les travaille quand ils pillent
et dévastent la contrée. Les autorités ont essayé de désarmer les
réfractaires, d'empêcher ces excès. M. Hamon appelle cela prendre
des « mesures terroristes » (p. 127). Là-dessus, les émeutiers « se
mettent à concevoir une haine terrible contre les officiers munici-
paux » (p. 195) et se « laissent aller facilement aux crimes privés »
(p. 213). Avec de pareils administrés, comment les administrateurs
ne seraient-ils pas devenus faibles, inertes, pusillanimes? En 1795,
« il n'y a plus dans tout le pays de municipalité en activité » (p. 226) .
Et l'auteur conclut : « L'ignorance, la pauvreté particulière, la
misère générale, la pleine désorganisation, voilà le résultat auquel
aboutit la Révolution dans les communes du canton de Passais »
(p. 268). A qui la faute, sinon à ces populations, passives sous la
main de quelques meneurs, qui les insurgent contre l'ordre de choses
nouveau qu'il serait de leur intérêt de soutenir? Sans doute la Cons-
tituante a eu tort de croire les Français plus intelligents qu'ils
n'étaient, créant un état « bon pour des hommes fictifs, parfaite-
ment bons et également libres », mais le crime de ceux qui ont
exploité cette bêtise n'en est pas moins grand et ils en restent res-
ponsables devant l'histoire. Ces observations générales ne nous
empêcheront pas de reconnaître la somme de travail considérable
représentée par la thèse de M. Hamon, le zèle consciencieux avec
1. Notamment l'industrie dentellière. La Haute-Loire perdit 37,000 habitants
de 1790 à l'an X.
2. Joseph Hamon, docteur en droit, la Vie municipale clans les communes
du canton de Passais pendant la Révolution. Rennes, impr. Oberthur, 1909,
316 p. gr. in-8°. — Passais est un canton de l'arrondissement de Domfront
(Orne) qui comptait 145,000 âmes en 1791 et 99,000 seulement en 1906.
136 BULLETIN HISTORIQUE.
lequel il a fouillé les archives de ces neuf communes dont il raconte
l'histoire. C'est par centaines que nous devrions compter de pareilles
monographies locales.
Nous avons parlé autrefois du premier volume de Y Histoire de
la guerre de la. Vendée* , rédigée par M. l'abbé Deniau, sous la
direction de dom Chamard, prieur de l'abbaye de Saint-Martin-de-
Ligugé2. La mort ayant enlevé successivement ces deux auteurs, on
nous annonce que M. l'abbé Uzureau assurera la publication des
derniers volumes de l'ouvrage (t. IV, p. 668). Il n'y a pas lieu de
revenir sur ce que nous disions alors des tendances d'un ouvrage où
les troupes françaises sont toujours « l'ennemi », où la lumière et
l'ombre sont très inégalement partagées entre les combattants et où
l'appréciation morale des faits semble varier selon qu'ils se passent
à l'abri de tel ou tel drapeau3. Nous voudrions recommander au
nouvel éditeur responsable de cette lugubre histoire de nos guerres
civiles, où l'on dressait jusqu'aux enfants de neuf ans à canarder
les bleus, où l'on voit aussi ces derniers massacrer des centaines
d'êtres sans défense, de n'accueillir tant de détails horribles, — il y
en a déjà suffisamment qui sont véridiques, — qu'après le contrôle
le plus sévère et sans invoquer si fréquemment les « assertions » de
témoins anonymes ou les « traditions du pays »4. Une autre His-
toire de la guerre de Vendée, celle d'un contemporain, Joseph
Clémanceau, juge au tribunal de Beaupréau, a été mise au jour par
M. l'abbé Uzureau5. Prisonnier des Vendéens, de mars à octobre
1793, puis libéré, négociant, fonctionnaire impérial, Clémanceau se
1. Histoire de la guerre de Vendée, par l'abbé Deniau, sous la direction de
dom Chamard. Angers, Siraudeau, s. d., t. II (774 p.), t. III (720 p.), t. IV
(681 p.), in-8'.
2. Voy. Rev. hist., t. XCII, p. 101.
3. C'est ainsi que l'on rencontrera l'éloge de la trahison de certains républi-
cains (t. IV, p. 64); que l'auteur trouvera (parlant du meurtre du petit Barra)
qu'on « fait bien du fracas pour un mince événement » (t. IV, p. 22). Quand
La Rochejacquelin, « le premier des héros de la Vendée », tire, comme des
moineaux, les inoffensifs curés assermentés qui essaient de fuir, ceux-ci sont
« victimes des lois de la guerre » (t. IV, p. 216), mais lorsqu'un prêtre réfrac-
taire est massacré par les colonnes mobiles, c'est un crime inexpiable. —
Certains détails coinplaisamment étalés (par exemple les oreilles grillées et
mangées à la vinaigrette, t. IV, p. 159) sont certainement des racontars pos-
thumes.
4. P. 568 (t. IV), le 9 thermidor (de l'an II) est placé en l'an XI. — P. 572,
on fait mourir le général Alexandre Dumas à l'armée des Pyrénées-Orientales,
alors qu'il est mort à Villers-Cotterets en 1806.
5. Joseph Clémanceau, Histoire de la guerre de la Vendée (1793-1815),
publ. par les soins de l'abbé F. Uzureau. Paris, Nouvelle Librairie nationale,
1909, xxxv-377 p. in-18.
HISTOIRE DE FRANCE. 137
fixa plus tard à Angers et y composa, de 1825 à 1829, différents
ouvrages restés inédits, dont le présent, qui « fait partie d'une col-
lection privée ». L'éditeur ignore où ni quand est mort Clémanceau
(p. xxxv). Les souvenirs de ce dernier ne pouvaient plus être très
précis1, puisqu'il les rédigeait trente-cinq ans après les événements;
mais on peut l'en croire quand il affirme que ce ne fut « point par
amour de la royauté, dont les Vendéens s'occupaient très peu dans
ce temps-là, encore moins pour soutenir la cause des ex-nobles, qu'ils
n'aimaient pas, que les habitants prirent les armes..., ce fut pour
défendre et garder leurs bons prêtres » (p. 12). Il reste prouvé aussi,
par son récit, que, dès les premiers jours de l'insurrection de mars
1793, les insurgés, avant toutes représailles, avaient commis des
égorgements collectifs à Mortagne, Tiffauge et Machecoul (p. 23-24).
C'est sous Charles X que ce narrateur, très prudent, et qui recon-
naît impartialement le mérite de certains chefs vendéens, parle de
« tigres cruels et fanatiques » et qu'il raconte comment des prêtres
(qu'il nomme) criaient à leurs ouailles : « Exterminez les ennemis
de Dieu, c'est le moyen d'attirer sur vous les faveurs célestes »
(p. 110, 115). Cette lutte néfaste, où partout « on marche dans le
sang », il ne la raconte d'ailleurs, avec quelques détails, que jus-
qu'à la pacification de 1795; le reste, jusqu'aux mouvements de
1815, est relaté très en raccourci.
Avant de quitter l'époque révolutionnaire pour celle du Consulat
et de l'Empire, il nous reste à mentionner encore deux recueils for-
més d'articles de revues et de journaux, suites de séries depuis long-
temps commencées. C'est d'abord le sixième volume des Etudes et
leçons sur la Révolution française2, de M. Alphonse Aulard.
Nous y signalerons le travail sur les Premiers historiens de la
Révolution : Rabaut-Saint-Etienne, Montjoye, Pages, Fantin des
Odoards, Lacretelle, Toulongeon, etc. On nous y présente pour la
première fois, dans leur ensemble et d'une façon scientifique, ce
qu'on pourrait appeler les incunables de la Révolution, avec l'ana-
1. On voit bien, à certaines phrases un peu sentencieuses, que l'ex-percep-
teur de Saint-Florent-le-Vieil écrivait pour le bénéfice de « l'inexorable pos-
térité » (p. 352-368). M. Uzureau a montré, dans ses notes, que, s'il se trompe
parfois, on ne saurait l'accuser d'avoir caché intentionnellement la vérité. Il
ne faut pas oublier non plus qu'il composa son récit alors que déjà de nom-
breux écrits sur la matière avaient paru, tant sous l'Empire que sous la Res-
tauration. Il n'est vraiment une source pour nous que quand il raconte ses
impressions personnelles de captivité el ce qu'il a pu voir après sa mise en
liberté.
2. Études et leçons sur la Révolution française, par Alphonse Aulard,
professeur à l'Université de Paris, 6e série. Paris, F. Alcan, 1910, 307 p. in-18.
138 BULLETIN HISTORIQUE.
lyse de leurs idées et de leur méthode, ce qui fournit des points de
comparaison curieux avec l'état actuel de ces mêmes études. Men-
tionnons encore les Lettres de l'abbé Barbotin, député du clergé
du Ilainaut aux Etats Généraux, « sorte de Sancho Panc-a en sou-
tane », et la note sur YÉtat de l'enseignement primaire dans la
Haute-Garonne en l'an VI, qui nous fournit des renseignements
précis et lamentables sur l'absence presque complète d'une instruc-
tion populaire sérieuse, après tous les beaux discours et les belles
lois de nos assemblées1. Pour les vieilles maisons et les vieux papiers
du Paris révolutionnaire2, de M. Gustave Lenôtre, nous en
sommes à la quatrième série. Selon son habitude, M. Lenôtre nous
mène un peu partout, dans les vivants et pittoresques croquis qu'il
y a réunis. Tout n'est pas d'un intérêt égal dans ces glanes à tra-
vers l'histoire inconnue; le sort du mamelouk Roustan, de l'archi-
viste Berthelemy, du couple Tison, geôliers du Temple, de la cour-
tisane Catherine Thevenin, maîtresse d'un jour du comte d'Artois,
nous laisse assez indifférent. Les études sur Herman, le président du
tribunal révolutionnaire, guillotiné le 7 mai 1795 ; sur la prétendue
princesse Stéphanie-Louise de Bourbon-Conti, morte de froid ou de
faim en 1825, « au pied d'une borne, en face des Tuileries »; sur
les amours séniles de la « veuve de Jean-Jacques » avec un groom
de M. de Girardin, éveillent un intérêt plus vif, à cause de leur
nom, de leurs fonctions, de leur passé; mais les plus curieuses
parmi ces figures détachées sont celle de P. -F. Guillot, dit de Fol-
leville, recteur de N.-D. de Dol, qui, après avoir été jureur et soldat,
eut la malencontreuse idée de se faire passer pour évêque, siégea
dans les conseils de la Vendée, comme évêque d'Agra in partibus
infîdelium, et fut guillotiné comme contre - révolutionnaire à
Angers, en janvier 1794; celle aussi de Thomazeau, le fermier
fidèle et peut-être l'amant passionné mais muet de Marie-Adélaïde
de La Rochefoucauld, cette amazone intrépide qui fut une des maî-
tresses de Charette; ils furent fusillés ensemble sur la plage des
Sables, le 5 pluviôse de l'an IL
M. Gustave Hue nous raconte Un Complot de police sous le
Consulat3; c'est l'histoire de la conspiration, plus ou moins authen-
1. Nos lecteurs connaissent l'aventure quasi-tragique de François Robert, le
député montagnard de Paris, qui frisa la guillotine comme accapareur,
Robert-Rhum, ayant paru ici même.
2. Paris révolutionnaire. Vieilles maisons, vieux papiers, 4e série, par
G. Lenôtre. Paris, Perrin et Cie, 7e éd., 1910, xxxv-367 p. in-18, planches.
3. Gustave Hue, Un Complot de police sous le Consulat. La conspiration
de Ceracchi et Aréna (vendémiaire an IX). Paris, Hachette, 1909, 26'2 p. in-18.
HISTOIRE DE FRANCE. 139
tique, de Ceracchi et d'Aréna (en vendémiaire de l'an IX), dont le
vrai créateur fut un ex-capitaine Harel, qui, après avoir échangé
avec le sculpteur italien des propos violents et frondeurs chez un
tiers, alla dénoncer ses interlocuteurs à la police et fut chargé par
elle de continuer le rôle d'agent provocateur; les prétendus com-
plices furent des mouchards et c'est la préfecture de police qui
fournit pistolets et poignards. M. Hue nous raconte, d'après les
dossiers de cette préfecture, les menées ignobles et louches qui
aboutirent à la mise en accusation et à la condamnation de conspi-
rateurs qui ne s'étaient même jamais vus pour la plupart; l'attentat
royaliste, — très réel, celui-là, — du 3 nivôse, entraîna la mort
d'Aréna, Ceracchi, Demerville et Topino-Lebrun. Dans cette étude,
publiée d'abord par le Correspondant, l'auteur, romancier expert,
a cédé peut-être, çà et là, au penchant de romancer un peu son
sujet, mais l'ensemble paraît sérieux et fournit une preuve nouvelle,
effrayante, de ce qu'était la justice du premier Consul. C'est égale-
ment à cet endroit que l'on peut mentionner le troisième et dernier
volume de la Correspondance du duc d'Enghien, publiée par
M. le comte Boulay de la Meurthe1. Il contient une introduction
d'une quarantaine de pages sur les Sources, et puis, en une série
de chapitres, l'histoire des événements qui se rattachent à l'exécu-
tion du prince dans les fossés de Vincennes, le deuil de la famille
royale, les protestations du comte de Provence, l'agitation dans les
cours de l'Europe, les notes diplomatiques de la Russie à Ratis-
bonne et à Paris, la proclamation de l'Empire, les poursuites contre
les royalistes, le procès de Moreau et de Georges, l'abandon de
Louis XVIII par ses premiers défenseurs, sauf le roi de Suède, et
le pape venant à Notre-Dame consacrer de ses propres mains le
régime nouveau. Le dossier, que l'éditeur a réuni au prix de longs
efforts et qu'il a commenté d'une façon si suivie, semble désormais
complet. Une bonne table des noms de personnes et de lieux rend
facile les recherches dans l'ouvrage.
C'est de la même époque, à peu près, que s'occupe le livre de
M. C. Latreille, l'Opposition religieuse au Concordat2.
Auteur d'un intéressant travail sur Joseph de Maistre et la
Papauté, dont nous avons parlé récemment, il étudie dans ce nou-
veau volume l'opposition faite au Concordat de Bonaparte (signé
1. Correspondance du duc d'Enghien (1801-1804) et documents sur son
enlèvement et sa mort, publ. par le comte Boulay de la Meurthe. T. III.
Paris, A. Picard et fils, 1910, xlviii-639 p. in-8°, fac-similé.
2. C. Latreille, l'Opposition religieuse au Concordat de 1792 à 1803. Paris,
Hachette, 1910, xx-290 p. in-18.
140 BULLETIN niSTOUIQDE.
d'ailleurs par lui « par politique et non par conviction religieuse »)
dans certains milieux et par certaines personnalités ecclésiastiques.
Sur le Concordat lui-même, il ne nous apprend rien de très neuf,
puis il fournit des détails curieux sur l'attitude de l'ancien épiscopat
gallican, réfugié en Angleterre, en Allemagne, en Italie, etc., contre
l'action unilatérale du Saint-Siège et sur sa connivence avec le pou-
voir civil. Il est permis de croire que M. Latreille oublie un peu trop
les sentiments royalistes intransigeants de ces hauts dignitaires, en
admirant leur « sincérité absolue » dans cette protestation contre « la
faiblesse pontificale exploitée par un homme d'Etat sans scrupule ».
Ont-ils seulement refusé « d'obéir au successeur de saint Pierre pour
rester les champions de l'Eglise? » Mais, tout en différant d'opinion
à ce sujet, on suivra volontiers l'auteur dans le récit de cette lutte
inégale entre les évêques récalcitrants et la curie romaine ; il nous
annonce un second volume sur la Petite Église, qui fera suite à
celui-ci.
Les conférences de M. Frédéric Masson, de l'Académie française,
sur Napoléon1, rentrent dans le domaine de l'éloquence historique
plutôt que de l'histoire érudite. « Ici », dit l'auteur lui-même, « on
ne voit plus que Lui, et autour de Lui, comme dans l'histoire, tout
est comparse » (p. 95). Il est certain qu'on entrevoit à peine dans le
tableau brillant du conférencier les peuples misérables et foulés, la
France elle-même énervée par un surmenage insensé, et qu'on n'ap-
prend guère que tout cet éclat vertigineux, tout ce fracas mondial
aboutirent à une diminution de territoire et d'influence durables de
notre pays en Europe. L'auteur voudrait « incliner devant le
Héros », dont le palais est un « temple », l'univers entier, le pré-
cipiter, dans un élan d'ivresse enthousiaste, « aux pieds de l'Idole ».
« Tout ce que nous pouvons être, nous le sommes par lui », dit
M. Masson, mais il oublie trop tout ce que nous ne sommes plus,
grâce à Napoléon2. Il veut apitoyer son auditoire sur les tortures
subies par le prisonnier de Sainte-Hélène, mais il se tait, — à dessein,
— sur celles que le premier Consul, et plus encore l'empereur, a infli-
gées à la Liberté et à la Justice. Il va sans dire que, connaisseur
émérite de l'épopée impériale3, il a raconté des choses fort intéres-
1. Frédéric Masson, de l'Académie française, Sur Napoléon, huit confé-
rences. Paris, Ollendorf, 1909, x-289 p. in-18.
2. « Nul n'a plus contribué que Napoléon à modeler l'Europe contempo-
raine », dit très justement M. E. Driault dans l'ouvrage dont nous allons par-
ler (p. 336).
3. Quand M. Masson sort de sa spécialité, son érudition est moins sûre;
ainsi, p. 149, quand il cite les trois écrivains Cuspidien (lire Cuspinien),
HISTOIRE DE FRANCE.
141
santés et piquantes à son auditoire, en traitant des sujets aussi
variés [Jeunesse de Napoléon, Napoléon et les femmes, la
Malmaison et Joséphine, le Sacre*, le Pape et l'Empereur,
les Missionnaires de Sainte-Hélène, etc.), mais on ne peut s'em-
pêcher de constater que c'est en admirateur passionné, et non pas
en juge équitable, qu'il a parlé de « Lui ».
Plus simple d'allures, mais aussi plus conscient des devoirs de
l'historien, M. Driault continue ses études patientes et fruc-
tueuses sur la politique de Bonaparte consul et de Napoléon empe-
reur. Son nouveau volume, Napoléon et l'Europe, a pour sous-
titre : la Politique extérieure du premier Consul2; il nous y
donne un tableau d'ensemble de sa politique extérieure depuis le
18 Brumaire jusqu'à la rupture de la paix d'Amiens, paix qui ne
fut jamais qu'une trêve signée, de part et d'autre, sans grande con-
fiance réciproque. L'attitude du général Bonaparte dans les affaires
de Hollande, d'Allemagne et d'Italie autorisait assurément les
Anglais à douter de la sincérité du premier Consul, et M. Driault
a raison de parler de ses « provocations », de ses « usurpations » con-
tinuelles (p. 275). D'ailleurs, la lutte seule pour l'empire des mers
aurait suffi pour remettre aux deux antagonistes les armes à la
main. Sans doute, après la rupture de mai 1803, Bonaparte a par-
faitement joué l'indignation vertueuse contre la perfide Albion,
« calcul d'ailleurs fort habile, puisqu'il lui a réussi, non seulement
alors, mais depuis, dans l'opinion de beaucoup d'historiens »
(p. 406); « mais », comme ajoute l'auteur, « il est impossible que
l'histoire en reste dupe » (p. 413). Tout ce qu'on peut dire de plus
topique pour défendre la politique du premier Consul, c'est qu'étant
si merveilleusement doué pour la guerre, « il lui était difficile, sinon
impossible, d'être un pacifique » (p. 473) 3.
Krants (lire Krantz) et Mainbourg (lire Maimbourg) comme sources pour
l'histoire du moyen âge.
1. C'est là qu'il réclame une statue pour David, le grand artiste, mais le
triste personnage politique que l'on sait, et qu'il abhorrerait certainement
comme admirateur de Marat, si David, abandonnant ses amis, n'était devenu
l'admirateur de Bonaparte.
2. Edouard Driault, Napoléon et l'Europe. La politique extérieure du pre-
mier Consul, 1800-1803. Paris, Félix Alcan, 1910, vi-481 p. in-8\
3. Nous ne méconnaissons pas pour cela l'égoïsme calculateur de la politique
anglaise d'alors. — Quelques petits errata : p. 45, lire Wickham pour Wickam.
— P. 48, lire Anconne (Drôme) pour Ancône. — P. 245, lire Lenthe pour
leuthe. — P. 337. Il est injuste de dire que Sheridan fut un ennemi passionné
de la France, puisqu'il occupa une place dans le ministère de Fox. — P. 399.
Lombard n'était pas « ministre » prussien en 1803, mais « secrétaire intime du
cabinet royal ».
142 BULLETIN HISTORIQUE.
On a déjà publié bien des volumes sur les guerres de l'Empire
dans la péninsule ibérique, d'un côté comme de l'autre des Pyré-
nées. Il y a beaucoup à dire encore cependant sur cet épisode lamen-
table de l'histoire napoléonienne, et la lecture de l'ouvrage de
M. Pierre Conard, Napoléon et la Catalogne*, en fournit la
preuve convaincante. Nous n'en possédons encore que le premier
volume, qui porte le sous-titre : la Captivité de Barcelone, et qui
embrasse les événements de la région catalane, de février 1808 à
janvier 1810, c'est-à-dire depuis le début de l'occupation française jus-
qu'au renvoi du général Duhesme par Augereau. Le récit est pré-
cédé d'une longue introduction sur les sources, avec maint bon con-
seil sur leur emploi, dont les débutants dans le métier d'historien
feront leur profit. M. Conard nous présente moins un tableau des
faits militaires qu'une histoire de l'administration de la province ;
son récit est établi avec beaucoup de soin et de critique, d'après les
documents des archives espagnoles et françaises. C'est cette histoire
impartiale qui constitue surtout la nouveauté de son travail. On y
apprend comment des chefs sans scrupule, comme Duhesme, appli-
quaient le mot terrible de Napoléon : « La guerre justifie tout » ;
mais on en voit aussi les suites. Dès 1810, un témoin français,
Carrion-Nisas, écrivait : « Ruinés dans leur territoire, ruinés dans
leur commerce, les Catalans sont aujourd'hui les plus exaspérés de
tous les Espagnols » (p. 368). L'incendie des villes, les exécutions
en masse des insurgés, les voleries cyniques des fonctionnaires qua-
siment irresponsables2 faisaient oublier les quelques changements
favorables que le pouvoir impérial apportait aux abus administra-
tifs d'autrefois. Le style de M. Conard est fort sobre et ne vise
jamais à l'effet dramatique ; l'auteur est d'autant plus convaincant
quand il montre les conséquences de cette politique de forban, sans
profit pour la gloire impériale, sans profit surtout pour la France ni
pour l'Espagne, et qu'il conclut : « Le vrai responsable de la ruine
de Barcelone, de la misère et de l'exaspération des Catalans était
Napoléon » (p. 384). — Puisque nous parlons de l'Espagne, men-
tionnons tout de suite le quatrième volume de la Correspondance
du comte de La Forest3, ambassadeur de France à la cour du roi
Joseph, correspondance publiée par M. Geoffroy de Grandmaison.
1. Pierre Conard, Napoléon et la Catalogne, 1808-18H. T. I : la Captivité
de Barcelone. Paris, F. Alcan, 1910, xliv-473 p. in-8°, carte.
2. A côté de Duhesme, il faut signaler surtout le général Lechi et le com-
missaire général Casanova; mais, à côté des grands voleurs, il y avait la foule
des petits.
3. Correspondance du comte de La Forest, ambassadeur de France en
HISTOIRE DE FRANCE. 143
Ce nouveau tome contient les dépêches du comte, de juillet 1810 à
mars 1811. Sa situation devient de plus en plus embarrassée, à
cause du mécontentement croissant de Napoléon, des brouilles entre
les maréchaux, des bouderies de Joseph, effarouché par la mise à
pied du roi de Hollande1. Naturellement, le roi d'Espagne n'a guère
envie de causer avec le représentant officiel de son frère2, surtout
quand l'empereur a formulé son terrible ultimatum, que si Joseph
ne parvient pas à s'arranger avec les cortès de Cadix, il se dédom-
magera de tous ses débours en annexant les provinces de la rive
gauche de l'Èbre et n'agira plus qu'au gré des intérêts français,
sans se préoccuper du roi. Joseph songe à démissionner alors, lui
aussi; il déclare que « le roman tire à sa fin ». Il finit même par
consulter sur ce point délicat La Forest qui lui conseille amicale-
ment d'y bien réfléchir. Entre temps, la misère financière est deve-
nue telle que le roi vend secrètement les vases sacrés de sa propre
chapelle pour payer le pain de la garnison de Madrid (p. 521).
Parmi les mémoires militaires de l'époque, nous avons d'abord à
mentionner le second volume de ceux du général Griois, édités par
M. Arthur Chuquet3. Ce. second tome est beaucoup plus intéres-
sant que le premier, parce que les faits de guerre y sont plus
notables et qu'on y rencontre beaucoup moins de commérages
amoureux. Le drame effroyable de la campagne de Russie y tient
une grande place ; tant de fois déjà racontée par des témoins échap-
pés au cataclysme, cette retraite légendaire exerce toujours encore
sur nous une fascination singulière, et certains traits d'égoïsme
féroce, d'insensibilité monstrueuse racontés par Griois font frémir4.
On trouvera d'intéressants détails aussi sur la campagne de Saxe,
la bataille de Hanau, la campagne de France où Griois voit l'empe-
Espagnc, publ. par M. Geoffroy de Grandmaison. T. IV. Paris, A. Picard,
1910, 588 p. in-8°, portr.
1. Signalons en passant la dépêche du 26 septembre 1810, où l'on raconte
l'histoire des 50 tableaux dont Joseph devait faire cadeau, par ordre, à l'em-
pereur, alors qu'il voulait les garder (p. 153).
2. « Il juge les entretiens avec moi très superflus », écrivait l'ambassadeur
le 11 octobre 1810 (p. 173).
3. Mémoires du général Griois, 1792-1822, publ. par son petit-neveu, avec
introduction et notes par Arthur Chuquet, membre de l'Institut. T. II. Paris,
Plon-Nourrit et Cie, 1909, xxv-391 p. in-8°.
4. Je note, non pas en moraliste, mais plutôt en psychologue, que le colo-
nel Griois, échappé à une mort presque certaine, avec les cheveux « complète-
ment blancs », la face encore « cadavérique », n'a rien de plus pressé à faire, en
arrivant à Glogau, que de se ruer chez les pourvoyeuses pour avoir « des filles
dont nous étions affamés » (p. 214). C'est à une mentalité pareille que l'Em-
pire avait réduit les meilleurs!
144 BULLETIN HISTORIQUE.
reur de près à Montmirail (p. 295), etc. Détail caractéristique pour
l'armée d'alors, au moment de la capitulation de Paris, notre auteur
ignorait jusqu'au nom des membres de la famille royale qu'il allait
servir! Resté en fonctions jusqu'en 1822, le général quittait le ser-
vice pour se retirer à Paris; c'est là qu'il écrivit ses Mémoires.
M. le général Bonnal a mis au jour le premier volume d'une
Vie militaire du maréchal Ney'. N'y ayant pas joint un seul
mot de préface, qui nous orienterait sur ses sources2 et sur la façon
dont il entend traiter son sujet, il est assez difficile de prévoir s'il
aura deux, trois ou même quatre volumes. Vu l'extrême brièveté
des renseignements fournis sur le milieu dont est sorti Ney et sur
sa première jeunesse, il s'agit évidemment d'un travail plutôt tech-
nique, écrit pour les militaires3; l'histoire générale du temps, ce qui
constituerait, pour ainsi dire, le fond du tableau, fait à peu près
défaut dans le récit de M. Bonnal, qui s'étend, dans ce tome Ier,
jusqu'au départ de Suisse du général (janvier 1804). Dans les rares
excursions de l'auteur en dehors de son domaine spécial, il y aurait
à relever certaines inexactitudes, comme dans l'exposé du conflit
constitutionnel au sein des Cantons helvétiques, conflit que Ney fut
chargé de régler par la force des baïonnettes. Si les mérites profes-
sionnels du futur maréchal sont mis en pleine lumière par lui, il
nous fournit plus rarement l'occasion de juger l'homme4. L'ortho-
graphe des noms de personnes et de lieux a été malheureusement
trop superficiellement revisée et il faudrait un assez long erratum
pour redresser toutes les déformations qui déparent le texte3.
1. Général H. Bonnal, la Vie militaire du maréchal Ney, duc d'Elchingen,
prince de la Moskowa. T. I. Paris, R. Chapelot et Cie, 1910, 418 p. gr. in-8°,
portr. et cartes.
2. L'auteur a certainement établi sa biographie sur les archives de la Guerre ;
on s'en rend compte à la lecture, mais on aurait désiré quelques renseignements
préliminaires et des renvois précis aux dossiers consultés.
3. Le général, qui marque quelque dédain pour la « stupidité des plumitifs »
et se moque quelque part d'un « ingénieur doublé d'un intellectuel, » ne
semble pas avoir songé à un public de simples civils. Les militaires, au con-
traire, feront leur profit de mainte observation professionnelle, de maint con-
seil pratique donné par l'auteur au cours de son récit.
4. On peut lire pourtant, p. 398, cette indication : « L'évolution de son
esprit s'était faite sous l'empire des réalités, montrant l'inanité des systèmes
construits de toutes pièces par des idéologues affectés de sectarisme et trop
souvent malhonnêtes. » Ignorant les détails de cette conversion politique de
Ney, je ne veux pas mettre en doute sa sincérité. Mais, en tout état de cause,
c'était là une théorie commode, qui lui permettait de lâcher les opinions jaco-
bines de sa jeunesse pour faire (ainsi que l'écrivait un de ses amis) de Bona-
parte « la pierre angulaire de notre félicité commune ».
5. Ainsi, le diplomate Bonnier, la victime de l'attentat de Rastatt, devient
HISTOIRE DE FRANCE. 145
C'est avec un vif plaisir, mais non sans émotion, que nous avons
parcouru l'ouvrage posthume de Henri Lot sur les Deux généraux
Ordener*. Collaborateur, comme moi, de la Revue critique, dès ses
débuts, Lot y écrivait sur l'histoire de la Révolution et de l'Empire
des articles que nous jugions tous des plus remarquables et qui
promettaient à la France un historien d'élite. Dans cette étude, consa-
crée à la mémoire de son grand-père et de son oncle, il n'a pas seu-
lement élevé un monument de piété familiale2, mais fourni un vrai
modèle de biographie militaire par la simplicité du style, la sûreté
de la critique, l'annotation sobre et vraiment utile, qualités qui
n'y excluent nullement la chaleur patriotique, mais sans fausse
éloquence. Il appliquait simplement, comme il le dit dans son avant-
propos, « à l'étude historique des quatre-vingts dernières années
les procédés de la science » , mais c'était alors une qualité fort rare
et elle n'est pas encore devenue commune aujourd'hui. Il est bien
regrettable que cette double biographie, celle du père, Michel Orde-
ner, le paysan lorrain, mort à Compiègne, en 181 1, et celle du fds,
le colonel des dernières charges de cavalerie de Waterloo, mort
général, lui aussi, en 1862, n'ait pas été publiée trente ans plus tôt.
L'auteur a été partiellement frustré de la sorte du mérite de ses
longues recherches sur l'affaire du duc d'Enghien (à laquelle le géné-
ral Ordener fut mêlé) ; il avait réuni bien des pièces que nous avons
connues d'abord par le travail de M. le comte Boulay de la Meurthe3.
Un autre ouvrage posthume de biographies militaires, c'est la
troisième série des Grands cavaliers du premier Empire4 de
M. le général Thoumas. Si la publication du présent volume a tant
tardé, c'est que la dernière étude du volume, celle sur le général
Boursier, M. de Mullinen, Mxdhiren, Hompesch, Hompspech, Sandhofen,
Sanhofen, Kehl, Khel, Fùrfeld, Furseld, Moerlen, Merle, etc., etc.
1. Henri Lot, archiviste aux Archives nationales, les Deux généraux Orde-
ner, préface de Félix Rocquain, membre de l'Institut. Paris, Royer et Cher-
novitz, 1910, vn-392 p. gr. in-8", portr. et cartes. — M. H. Lot est mort en
1878.
2. Le livre est dédié à la mémoire de son frère, Camille Lot, officier de cui-
rassiers, qui périt dans une des charges folles et glorieuses de son régiment
à travers les houblonnières de Morsbronn.
3. Henri Lot, qui avait le respect des minuties comme des grandes règles
de la critique, aurait regretté certaines fautes d'impression qui déparent son
excellent travail. 11 faut lire Deutz, Saeckingen, Moesskirch, Vandeleur,
Ripert de Montclar, etc., pour Deust, Sackingen, Masskirch, Vaudeleur,
Repert de Montelar, etc.
4. Les Grands cavaliers du premier Empire. Notices biographiques par le
général Thoumas, 3e série. Paris et Nancy, Berger-Levrault, 1909, n-439 p.
in-8", portr.
Rev. Histor. CV. 1er FASC. 10
146 BULLETIN HISTORIQUE.
Espagne, était à peine commencée quand l'auteur mourut en 1893,
et elle n'a été terminée que récemment par M. le capitaine H. Chop-
pin. On connaît les deux premières séries de ces croquis animés que
le général Thoumas publia d'abord dans la Revue de cavalerie,
esquisses sans notes aucunes ni renvois aux sources, mais pour les-
quelles il utilisait pourtant des documents inédits ; il savait y faire
revivre, d'un crayon pittoresque, les grands sabreurs et manœu-
vriers de 1 épopée napoléonienne. La plus longue de ces nouvelles
études est consacrée à Grouchy et discute, une fois de plus, d'une
façon qui nous semble équitable, le problème de sa conduite à
Waterloo. Signalons encore les portraits de d'Hautpoul, Caulain-
court et Bessières, et quelques autres, moins connus. Vagnair de
Marisy, Espagne, Lefebvre-Desnoëttes, ou connus surtout comme
personnages politiques, tels Latour-Maubourg et Sébastiani1.
M. le prince Murât et M. Paul Le Brethon ont fait paraître,
depuis notre dernier bulletin, deux nouveaux volumes des Lettres
et documents pour servir à l'histoire de Joachim Murât-, le
troisième et le quatrième de cette importante collection. Le tome III
comprend la correspondance de Murât durant le temps qu'il fut
gouverneur de Paris (15 janvier 1804-12 août 1805). Sur les
938 pièces qu'il renferme, les deux tiers n'ont guère d'intérêt pour
l'historien ; ce sont des réponses à des solliciteurs , humbles ou
titrés, qui ne manquent jamais aux puissants du jour. Si l'on peut
y constater la bonhomie du général, accueillant d'ordinaire les
quémandeurs, qui lui demandent tout, depuis une bourse de lycée,
une place de juge, un permis de chasse, une chaire de professeur,
jusqu'à une plaque de grand'croix, ces correspondances ne donnent
pas une bien haute opinion de l'humanité d'alors, qui était un peu
celle de tous les temps. On doit attacher plus d'importance aux
pièces qui se rapportent au procès du duc d'Enghien. Il y eut vrai-
ment, semble-t-il, une velléité de révolte de la part du gouverneur
de Paris contre la volonté du premier Consul, qui entendait le
mêler plus étroitement à l'attentat de Vincennes, mais il ne faudrait
1. Quelques errata seraient nécessaires pour les noms de lieux. Lire, par
exemple, Poischwitz pour Plesswitz, Erlangen pour Erlang, etc. Une erreur
plus grave, c'est de faire nommer le père du général Espagne à Y École cen~
traie de la Creuse par le ministre Galonné. Il y a confusion avec le collège
d'Aubusson.
2. Lettres et documents pour servir à l'histoire de Joachim Murât, 1767-
1815, publ. par le prince Murât avec une introduction et des notes par Paul
Le Brethon. T. III. Paris, Plon-Nourrit et C", 1909, 490 p. in-8", portr.;
t. IV, 1910, 514 p. in-8% portr.
HISTOIRE DE FRANCE. I Ï7
pas s'exagérer la résistance de Murât à son impérieux beau-frère.
Il donna bien vite la signature, refusée d'abord. Le tome IV est,
dans sa première moitié, presque exclusivement consacré à la cam-
pagne d'Autriche ; dans la seconde, nous assistons à la prise de
possession et à l'organisation du grand-duché de Berg. Après le
livre si détaillé, si consciencieux de M. Charles Schmidt sur cette
matière, on n'y trouvera naturellement que peu de données nouvelles.
Le volume se termine par la campagne de Prusse ; nous citerons une
lettre curieuse à l'empereur, écrite par Murât à Varsovie (29 no-
vembre 1806) pour orienter Napoléon sur les dispositions des Polo-
nais1. Un autre travail relatif à la Dernière année du règne de
Joachim Murât2, celui de M. le commandant H. Weil, en est
arrivé à son cinquième volume. Rédigé, comme on sait, sous forme
d'annales, il suit, jour par jour, l'activité politique et militaire du
roi de Naples; les tomes III-V embrassent les quelques mois qui
s'étendent du 27 février au 12 août 1815. Nous l'y voyons se pré-
parer à rompre avec l'Autriche, au moment même où son représen-
tant à Vienne offre de signer la déclaration des alliés contre Bona-
parte, puis entamer une lutte sans issue, qui se termine par la
défaite et la fuite, en attendant les balles qui le frapperont au Pizzo,
sept semaines plus tard. Victime, à coup sûr, des intrigues de
Metternich. Murât le fut surtout de son incapacité absolue à se
rendre compte de l'état véritable de l'Italie, de son impuissance à y
jouer un rôle en dehors de l'influence napoléonienne3 et de son impé-
ritie militaire quand la dernière partie dut être engagée, au milieu
de l'indifférence absolue des populations de la péninsule.
M. de Lanzac de Laborie poursuit avec diligence et succès son
travail encyclopédique sur le Paris de Napoléon l"k. Son sixième
volume est consacré tout entier au monde des affaires et du travail.
L'auteur nous y entretient successivement du commerce parisien
depuis le 18 Brumaire et des crises fréquentes qui le tourmentent
après la rupture de la paix d'Amiens et la proclamation du blocus
continental. Il nous expose l'activité du Tribunal de commerce et de
1. T. III, p. 526, Shée est appelé préfet du Haut-Rhin; c'est Bas-Rhin qu'il
faut lire. — T. IV, p. 237, lire Horstmar pour Hortsmar et, p. 288, Preis-
werck pour Freisswerck.
2. Commandant H. Weil, Joachim Mural roi de Naples. La dernière année
de son règne (mai 181i-mai 1815). T. III-V. Paris, A. Fontemoing, 1909-1910,
646 p., 576 p., 647 p. in-8°, cartes.
3. Il n'a jamais vu l'absurdité qu'il y avait à vouloir jouer, lui, l'étranger
détesté, le rôle de protagoniste de la nationalité italienne.
4. L. de Lanzac de Laborie, Paris sous Napoléon. Le monde des affaires et
du travail. Paris, Plon-Nourrit et C!", 1910, iv-354 p. in-18.
148 BULLETIN niSTOIUQUE.
la Chambre de commerce de la capitale et nous décrit au prix de
quelles concessions et après quelles difficultés le gouvernement
impérial, — bien puissant pourtant, — obtint enfin l'introduction,
bien imparfaite encore, du système des poids et mesures et des
monnaies voté par les assemblées républicaines. Parmi tous ces cha-
pitres, ceux sur la création de la Banque de France, sur l'établisse-
ment de son monopole, sur les interventions continuelles de l'em-
pereur dans la fixation du cours de rente, sur l'activité des agents de
change sont les plus neufs et les plus intéressants. L'auteur s'est
acquis des droits à la reconnaissance spéciale des historiens qui s'oc-
cupent de cette époque, pour avoir exposé, d'une façon si lucide et
dans un langage aussi compréhensible, des questions techniques
fort négligées d'ordinaire par les essayistes de l'ère napoléonienne.
On trouvera moins de détails sur l'industrie; cependant, nous visi-
tons les fabriques de toiles peintes d'Oberkampf à Jouy et les sucre-
ries de Delessert à Passy. Le chapitre le plus court (ce serait cer-
tainement le plus long, s'il s'agissait de notre époque) est celui que
l'auteur consacre aux ouvriers. Il y en avait alors de 70,000 à
80,000 à Paris, pas dangereux au fond, parce que dégoûtés de la
politique, mais craints néanmoins plutôt qu'aimés par l'empereur,
auquel ses souvenirs de sous-lieutenant, durant la Terreur, conseil-
laient de ménager les faubouriens révolutionnaires d'autrefois.
Rod. Reuss.
HISTOIRE DE RUSSIE.
PUBLICATIONS DE l' ANNEE 1909.
Époque de Kiev, ixe-xme siècles. — Il y a longtemps que
lattention des historiens russes ne se fixe plus sur les premiers
siècles de l'histoire de Russie. Ce qui, il y a un demi-siècle, parais-
sait offrir un intérêt exclusif n'attire plus que de rares chercheurs,
tels, par exemple, que M. Pressniakov dans son livre sur le droit
princier1 et de M. Stchepkine dans son intéressant article sur la
succession au trône de Norvège du ixe au xme siècle2. Le livre de
M. Pressniakov est un exposé d'idées originales sur l'histoire de la
1. Kniajoïe pravo. Saint-Pétersbourg, 1909, in-8°, 305 p.
2. Poriadok prcstolonasledia ou drevnie-Norvejskikh konungov, dans le
recueil présenté au professeur Klutchevski par ses élèves et amis à l'occasion
du 30e anniversaire de professorat à l'Université de Moscou (5 décembre
HISTOIRE DE RUSSIE. 149
Russie aux ixe-xme siècles basées sur l'étude comparée des anti-
quités slaves et germaniques. Ces idées diffèrent sensiblement de
celles qui ont été généralement admises à présent sur l'origine et
l'histoire primitive de la Russie. Ainsi l'auteur pense que les
princes de la maison de Rurik, au lieu de succéder au trône à tour
de rôle, tiraient leur origine du droit de posséder ce qui avait
appartenu aux ascendants directs. C'est dans une société toute pri-
mitive que surgit le pouvoir princier; le prince et sa « droujina »,
troupe de guerriers à son service personnel, furent les premiers orga-
nisateurs de cette société et les fondateurs de l'Etat russe. Cepen-
dant, en plaçant au premier rang le pouvoir princier, l'auteur
semble oublier les « vétché » , — assemblées populaires, — si spéciales
à la vieille Russie et dont l'origine se perd dans la nuit des temps. Il
est du reste difficile de préciser les premières étapes historiques de
la Russie. Les sources précieuses que nous possédons pour l'his-
toire des ixe-xine siècles ont trop de lacunes pour qu'il soit possible
de bien expliquer les faits. L'historien qui tâche de faire revivre ce
que la mémoire des hommes n'a pas pu conserver est obligé de se
lancer dans des hypothèses ingénieuses peut-être, mais bien diffi-
ciles à prouver. C'est le cas pour notre auteur; il faut reconnaître
néanmoins que certaines de ses observations sur les débuts histo-
riques de la Russie augmenteront nos connaissances à ce sujet.
En retraçant les annales de la Norvège au temps des Inglings,
M. Stchepkine s'attache à prouver que la succession au trône de ce
pays était conforme au droit de succession des « odhals » ou terres
nobles. L'idée de 1' « odhal », importée en Russie par les princes
Scandinaves, s*est trouvée aux prises avec le droit de succession de
père à fils en usage chez les Slaves. Les deux influences ont abouti
à une combinaison très compliquée et propre à la Russie seule.
L'article de M. Stchepkine ainsi que le livre de M. Pressniakov
sont des études d'histoire comparée ; c'est, à notre avis, le seul et vrai
moyen d'accroître nos connaissances sur les premiers siècles de
l'histoire de Russie.
Moyen âge, xme-xve siècles. — Cette époque est tout aussi
peu représentée parmi les publications de l'année 1909 que la pré-
cédente. Comme pour la période primitive, il y a peu d'espoir
que la découverte de sources nouvelles vienne jeter la lumière sur
l'obscure histoire d'une série de petites principautés, domaines à
moitié indépendants, parmi lesquelles celle de Moscou faisait les
1879-5 décembre 1909. Moscou, 1909, in-8", 828 p.). Sur 41 articles, 30 se rap-
portent à l'histoire de Russie. Les plus importants sont mentionnés dans ce
Bulletin aux époques auxquelles ils se rapportent.
150 BULLETIN HISTORIQUE.
premiers pas vers sa grandeur future. Signalons tout d'abord la
seconde édition de l'intéressant ouvrage sur le patronat du regretté
M. Pavlov-Silvanski. dont la mort prématurée a privé l'histoire
de Russie d'un infatigable chercheur et d'un écrivain de talent1. Un
des plus grands mérites de l'œuvre historique de M. Pavlov-Silvanski
a été d'avoir soutenu et affirmé cette thèse que la Russie a connu, à
l'état embryonnaire du moins, toutes les grandes institutions féo-
dales propres à l'Europe occidentale. Un ouvrage sur le patronat,
paru il y a une dizaine d'années, était une des études préliminaires
qui devaient servir de base à un grand ouvrage sur la féodalité en
Russie resté inachevé.
M. Bahrouchine a publié un article très documenté sur l'admi-
nistration et l'économie des domaines princiers aux xve et xvie siècles2.
Une principauté russe du moyen âge n'est qu'une grande propriété
privée. Le prince est un gros fermier qui gère son domaine en
exploitant ses richesses naturelles. Le fait est connu ; mais l'article
de M. Bahrouchine en donne un tableau si vivant et si détaillé que
l'on ne saurait le passer sous silence. Cependant une lente évolution
économique fait péricliter l'ancien ordre des choses. Le capital fait
défaut; la circulation de l'argent se modifie; la valeur des produits
bruts diminue. Vers le milieu du xvie siècle, tous les anciens
domaines princiers qui subsistaient encore étaient criblés de dettes,
ce qui n'a pas peu contribué à l'écroulement des dernières principau-
tés indépendantes; elles n'eurent plus la force de lutter contre le
pouvoir et l'argent des grands princes de Moscou.
En fait de documents relatifs au moyen âge russe, il convient de
signaler deux publications: destinées aux étudiants des universités,
elles présentent néanmoins une importance plus grande. La Faculté
des lettres de l'Université de Moscou a fait paraître, rédigée par le
privat-docent Iakovlev, l'édition complète des chartes administra-
tives et judiciaires octroyées par les grands princes et tsars de Mos-
cou à différentes localités du pays aux xive-xvme siècles3. Les plus
anciennes de ces chartes déterminent les droits et le pouvoir des
1. Décédé le 16/29 septembre 1908. Les amis de l'auteur ont entrepris de
publier une nouvelle édition de ses œuvres les plus importantes. Deux
volumes ont paru jusqu'à présent. Le premier contient un article sur le patro-
nat [Lioudi kabalniyie i dohladnyie) et l'histoire de la noblesse (Po.sov-
darevy Slougilyie lioudi); le deuxième est un recueil d'articles sur l'histoire
des xvnr-xixc siècles. Saint-Pétersbourg, 1908. in-8°, 2 vol.
2. Kniageskme khozialstvo XVI i pervoï poloviny XVI véka. Dans le
« recueil » Klutchevski.
3. Namestnitchii goubnyia i zemskia oustatnyia gramoty Moskovskago
gosoudarslva. Moscou, 1909, in-8°, 208 p.
HISTOIRE DE RUSSIE. 151
lieutenants princiers (namestniki) , celles du xvie siècle introduisent
dans certaines provinces une autonomie locale qui subsista en partie
au siècle suivant. La découverte de nouvelles chartes a rendu les
anciennes éditions insuffisantes; l'édition présente étant complète
peut servir de manuel pour l'étude de l'administration locale de la
Moscovie. Les testaments et les traités des princes des xive-xvie siècles,
publiés dans le même but de faciliter l'étude des sources du moyen
âge russe, font partie d'une série de publications analogues rédigée
par les professeurs d'histoire de Russie à l'Université de Moscou1.
Russie occidentale et Lithuanie , xive-xvne siècles. —
Outre l'étude détaillée des droits de la petite noblesse du grand-
duché de Lithuanie par le professeur Leontovitch, parue dans le
Journal du ministère de l'Instruction publique dans le courant de
1908 et de 19093, il a paru sur l'histoire du grand-duché de
Lithuanie quelques articles qui méritent d'être signalés. Le profes-
seur Lubavski s'est arrêté à la question souvent débattue des droits
politiques des Grecs orthodoxes dans le grand-duché de Lithuanie,
en se basant sur des sources nouvellement découvertes3. C'est l'éphé-
mère union religieuse de Florence d'abord et la propagande du cal-
vinisme parmi l'aristocratie lithuanienne ensuite qui donnèrent aux
orthodoxes les droits politiques qui, depuis l'union de Jagellon,
avaient été le privilège des catholiques. M. Pitcheta expose le rôle
dominant que l'antagonisme entre l'aristocratie lithuanienne [pany]
et la petite noblesse rurale (chliakhta, orthographe polonaise
szlachta) de la Lithuanie et de la Russie occidentale a joué dans
l'histoire de la réunion définitive du grand-duché à la Pologne en
1569 4. Le professeur Lappo s'attache à des questions plus spéciales;
il étudie les droits et l'organisation des bourgeois chevaliers de
Vitebsk, dont le service militaire était pareil à celui des nobles, et
l'organisation des tribunaux municipaux selon les statuts du grand-
duché de Lithuanie de 1566 et de 1589 s.
Parmi les documents touchant l'histoire de la Russie occiden-
1. Doukhovnyia i dogovornyia gramoty kniaziei velikikh i oudielnykh,
dans la série des Documents pour servir à l'histoire de la Russie [Pamiatniky
rousskoi istorii). Autres livraisons importantes de la même série : Documents
pour servir à l'histoire de Novgorod (Pamiatniky istorii velikago Novgoroda)
et Documents pour servir à l'histoire des paysans du xiv" au xix" siècle
{Pamiatniki istorii krestian XIV-XIX vekov). Tous parus à Moscou, 1909.
2. Pravosposobnost litovsko-rousskoi chliakhty.
3. Kvoprossou ob ogranifchenti polititcheskikh prav pravoslavnykh kniaziei,
panovi chliakhty v vel. kn. Litovskom. Dans le « recueil Klutchevski », de
même que les deux articles suivants.
4. Litovsko polskiia ounii i otnochénié k nim Utovsko rousskoi chliakhty.
5. Konnyie mestchanié Vitebskie et Grodskii soud v velikom kniagestve
152 BULLETIN HISTORIQUE.
taie, citons le tome XXXV des Actes de la commission archéo-
gra/phique de Vilna*, qui contient des documents se rapportant
aux guerres contre la Moscovie de 1654 à 1669. Ces documents
donnent une idée très claire de la crise financière que traversait à
cette époque la Lithuanie, des opérations militaires contre les Mos-
covites et de la déplorable situation économique du pays dévasté
par la guerre.
Le professeur M. Grouchevski a contribué à l'étude de l'histoire
de la petite Russie, autrement dite Ukraine, en publiant le
tome VII de YHistoire de l'Ukraine, grand ouvrage en langue
petite russienne entrepris depuis plusieurs années2. Le volume paru
contient l'exposé de l'histoire de l'Ukraine depuis le milieu du
xve siècle. L'auteur étudie surtout l'origine des cosaques et les cir-
constances qui ont préparé le rôle prépondérant que ces derniers
furent appelés à jouer sous Bathory et ses successeurs.
La Moscovie, xvie-xvne siècles. — Les sources de l'histoire
de la Moscovie étant inépuisables et loin d'être suffisamment
étudiées, c'est de ce côté tout naturellement que se portent depuis
longtemps les études historiques en Russie. Parmi les publications
de l'année 1909, l'attention est tout d'abord attirée par le livre de
M. Bogoslovski3 sur l'autonomie dont jouissaient aux xvie et
xviie siècles les communes municipales et rurales du nord de la
Russie. Le tome Ier contient une étude importante sur la géographie
administrative de l'immense pays situé entre le lac Ladoga et les
monts Oural ; l'auteur s'arrête ensuite à l'histoire de la population
et de la propriété foncière; dans la dernière partie du livre, qui est
en même temps la plus importante, il décrit les institutions électives
et autonomes auxquelles furent confiées, dès le règne d'Ivan IV, la
justice et l'administration locales. Le tome II , impatiemment
attendu, traitera de l'histoire proprement dite de ces institutions
pour l'étude desquelles les documents du xvne siècle sont d'une
richesse inépuisable. L'ouvrage, richement documenté et très bien
écrit, idéalise peut-être un peu la vie sociale et les aptitudes poli-
tiques des paysans au xvne siècle ; il est à regretter aussi que l'auteur
Litovskom v XVII Sloletii. Ce dernier, dans le Journal du ministère de l'Ins-
truction publique, 1909, janvier.
1. Akti izdavalemyie Vilenskoî commissiei dla razbora drevnikh aktov,
t. XXXV. Vilna, 1909, in-4\
2. Istoria Oukraini-Roussi. T. VII : Kosatski tçhassi do rokou 1625. Kiev i
Lvov, 1909, in-8°.
3. Zemskoie samooupravlénié na siévérié v XVII véké. Moscou, 1909,
in-8°, vm-32 1-105 p.
HISTOIRE DE RUSSIE. 153
arrête ses recherches au milieu du xvne siècle; néanmoins, l'ouvrage
de M. Bogoslovski offre le plus haut intérêt et prendra sûrement la
place qui lui est due parmi les ouvrages classiques de la littérature
historique de la Russie. A l'ouvrage cité se rattache en quelque sorte
une belle étude de M. Storogev sur les domaines du clergé dans la
province de Vologda d'après les cadastres de 1627-1630'. M. Iakov-
lev a contribué à l'élude de l'histoire des troubles (1598-1613) par
un article sur les causes de ces troubles, expliquées par les contem-
porains russes. L'esprit religieux d'alors s'y montre dans toute sa
force. Ce sont les péchés de la nation qui sont considérés comme la
cause principale des calamités politiques; ils ont amené la colère
divine sous forme de famines, de faux tsars, de guerres civiles. Les
troubles se développant, une autre idée surgit : l'inertie générale,
l'esprit passif de la nation expliquent la persistance de la colère
divine ; l'union de tous pour libérer la patrie mourante doit appor-
ter le salut. C'est ainsi que les contemporains expliquaient le succès
de Minine et Porjarski2. Un travail spécial a été consacré par
M. Vesselovski aux impôts extraordinaires perçus sous le règne
du premier Romanov3. On trouve ici l'explication de certaines ques-
tions d'histoire financière restées obscures jusqu'à présent. Pen-
dant l'époque des troubles, le gouvernement, pour augmenter ses
ressources, avait recours aux emprunts, à l'altération des monnaies
et à la vente des terres de l'État. Le gouvernement provisoire de
Minine et Pojarski eut pour la première fois recours à l'emprunt forcé
qui devint depuis le moyen par excellence de remplir le trésor vide.
L'emprunt forcé était perçu de façon différente selon qu'il s'agissait
de paysans ou de bourgeois. En 1616, il fit place à un impôt perma-
nent de répartition. Signalons ici la 2e édition, revue et complétée,
des monuments historiques sur les temps des troubles qui forment
le tome XIII de la Bibliothèque historique russe4.
Le livre de M. Moulioukine sur l'arrivée des étrangers en Mos-
1. Monastyrskoïé zemlevladiénié na Vologdie po dannym 1627-1630 godov.
Dans le « recueil Klutchevski ».
2. Bézoumnoié moltchanié. Pritchiny smouty po vzgliadam rousskikh
sovriemennikov ieia. Dans le « recueil » Klutchevski.
3. Sem sborov zaprosnykh i piatinnykh dienieg v pervyie gody zarstvova-
nia Mikhaila Feodorovileha. Moscou, 1909, in-8", 233 p.
4. Pamiatniky drevniei rousskoi pismennosti otnossiastchiesiei v Smout-
nomou Vremeni. Saint-Pétersbourg, 1909, in-8°, 1472 p. Outre la bibliothèque
historique, la Commission impériale archéographique, qui a pour but de publier
les documents antérieurs à 1700, fait paraître les Annales de la Commission
(Lietopis ransatii; 21 vol. parus) et le Recueil complet des Annales russes
(Polaoie Sobranie rousskikh lietopissei; 20 vol. parus).
154 BULLETIN HISTORIQUE.
covie' a pour but d'analyser la situation et les droits des étrangers à
leur arrivée dans les états du tsar; en Moscovie, une autorisation
était nécessaire pour franchir la frontière. Cette autorisation était
facilement obtenue par les marchands; tous les autres immigrants
devaient obtenir une invitation spéciale du gouvernement. Le
16 novembre 1696, un oukase du tsar Pierre donna à tous les
étrangers le libre accès de la Russie. Les conclusions qu'on tire de
ce livre ne sont ni très riches ni très neuves ; mais l'ouvrage est
fortement documenté et s'appuie sur de minutieuses recherches
dans les archives.
Le professeur Kapterev a fait paraître le tome I d'un grand
ouvrage sur le patriarche Nicone et le tsar Alexis2. La thèse qu'il
soutient peut être résumée comme suit : les réformes ecclésias-
tiques de Nicone provenaient d'une confiance aveugle du patriarche
dans l'Église grecque, quoique cette dernière se fût fortement éloi-
gnée des traditions de l'Église primitive. Les pratiques de l'Eglise
nationale, auxquelles Nicone déclara une guerre acharnée, se rappro-
chaient au fond beaucoup plus de celle de l'Église primitive que
tout ce que le patriarche a emprunté à l'Église grecque du xvii6 siècle.
L'Église officielle et les réformateurs grécophiles qui étaient à sa
tête terrorisaient le peuple en éliminant brutalement ce que l'Eglise
russe avait fidèlement conservé pendant des siècles. La réforme
ecclésiastique n'était cependant considérée par son promoteur que
comme une partie secondaire de son œuvre. Le but auquel il visait
était la primauté de l'Église sur l'État, du patriarche sur le tsar.
C'est ce que l'auteur se propose de traiter dans le volume suivant.
La littérature russe possède des ouvrages classiques sur quelques-
uns des voyages d'Européens en Moscovie. Citons ceux de Zamy-
slovski sur Herberstein et de Seredonine sur Fletcher. Nous
devons à un savant allemand, M. Fr. Dukmeyer3, une étude
approfondie sur le Diarium de Korb, secrétaire de l'ambassade
impériale en 1697 et 1698, qui assista au retour de Pierre de son
premier voyage en Europe et au fameux procès des streltzi. La pre-
mière partie du livre contient l'histoire du Diarium et des persécu-
tions que l'auteur eut à subir de la part de Pierre le Grand, ainsi que
la biographie de Korb ; la seconde traite de la situation diploma-
tique internationale et de l'état dans lequel se trouvait la Russie à la
1. Priezd inostrantsev v Moskovskoie gosoudarstvo. Saint-Pétersbourg,
1909, in-12, 284 p.
2. Patriarkh Nikon i tsar Alexei Mikhallovitch. Serguiev Posad., 1909,
in-8°, 524 p.
3. Korbs Diarium if incris m Moscoviam und Quellen die es erganzen.
I Band. Berlin, 1909, in-8u, vm-4G2 p.
HISTOIRE DE RUSSIE. 155
fin du xviie siècle. Ecrit avec un soin consciencieux, le livre de
M. Dukmeyer éclaire amplement l'épisode historique quïl étudie.
L'histoire des paysans et les origines du servage ne cessent jamais
d'intéresser les historiens russes. Dans le recueil offert au profes-
seur Klutchevski, on trouve trois articles d'un grand intérêt se rap-
portant à l'histoire des paysans. Dans l'un, purement historique, le
professeur Rojdestvenski1, expose les efforts faits entre 1637 et
1648 par la petite noblesse rurale pour supprimer les droits des
paysans de passer d'un domaine à un autre; les deux autres, parles
professeurs Diakonov2 et Lappo-Danilevsky3, contiennent une
analyse juridique des actes instituant le servage.
La Commission impériale d'archéologie a fait paraître le
tome XXVI de la Bibliothèque historique russe contenant des
documents sur les relations du gouvernement des tsars et des
cosaques du Don de 1645 à 1649^ et le tome XXI des Annales de la
commission, où se trouve le catalogue des actes qui ont été trans-
férés à la commission de Koungour et de Solikamsk (gouvernement
de Perm). C'est une collection très précieuse pour l'histoire de
l'époque des troubles ainsi que pour celle de l'administration locale
pendant le xvne siècle et la première moitié du xvme (1605-1785) 3.
xvme siècle. — Le xvmc siècle est une époque à part dans l'his-
toire de Russie. C'est l'époque de transition par excellence où le
vieil esprit moscovite lutte contre les réformes utilitaires et tout
extérieures de Pierre le Grand. Le règne du réformateur attire tou-
jours l'attention des historiens ; c'est par lui que nous commence-
rons. La fin de l'année 1909 a vu paraître le tome IV du Cours
d'histoire de la Russie par le professeur Klutchevski. Tous
ceux qui s'occupent d'histoire russe savent ce que représente le nom
de l'éminent professeur aux yeux des historiens russes actuellement
vivants. Deux ou trois générations de travailleurs ont formé leurs
idées sur celles de l'auteur de ce fameux cours professé à l'Univer-
sité de Moscou à partir de 1879. Il y a quelques années, le profes-
seur Klutchevski a commencé à publier ce cours en volumes sépa-
rés, paraissant à des intervalles de un à deux ans. Le présent
1. Iz istorii otmieny ourotchnyk/i let dla syska beglykh krestian v Mosk.
gosoudarstve XVII v.
2. K voprossou o krestianskoi poriadnoi zapici i slougiloi kabale.
3. Slougilyia kabaly pozdnieichago tipa.
4. Rousskaïa IstorUcheskaïa bïblioteka. T. XXVI : Donskia diela. Saint-
Pétersbourg, 1909, in-8°.
5. Opissanie aktov kliraniastchikhsia v arkhive Imp. Arkh. Komissii.
Akty Koungourskaro i Solikamskago ouiezdn. souda. Saint-Pétersbourg, 1909,
in-8°.
156 BULLETIN HISTOHIQCE.
volume contient l'histoire de Pierre le Grand et de ses successeurs
jusqu'à l'avènement de Catherine IL II ne faut pas y chercher le
récit des faits et gestes du grand tsar et de ses peu remarquables
successeurs. C'est une suite de descriptions brillantes, d'apprécia-
tions fines et spirituelles et d'analyses profondes. A côté du portrait
de Pierre, qui n'a pas son égal dans la littérature russe, on voit défi-
ler ses collaborateurs et compagnons ; au fond du tableau se montre
le peuple, abasourdi de tout ce que fait son extraordinaire souve-
rain, croyant le trône occupé par l'antéchrist lui-même. Le tableau
de la société russe à la mort de Pierre est saisissant. Les pages con-
sacrées à l'époque de réaction qui a suivi les réformes ne le sont pas
moins. Le deuxième centenaire de la bataille de Poltava (27 juin-
10 juillet 1909) a ranimé l'intérêt pour l'étude de la guerre du Nord.
La Société impériale d'histoire militaire, récemment créée, a consa-
cré les quatre premiers volumes de ses travaux à la campagne de
1708-1709. Outre une collection de documents forts intéressants, on
y trouve un article très détaillé sur la bataille de Poltava par
M. Younakov1.
L'étude méthodique de l'époque qui a suivi le règne de Pierre le
Grand en est encore à ses débuts. Quelques ouvrages sur les insti-
tutions et sur l'histoire politique des successeurs de Pierre sont à
signaler tout d'abord. Le prince Viazemski s'est occupé du Con-
seil supérieur secret dans ses rapports avec l'histoire politique de
1726 à 17302. C'est l'histoire du Conseil au jour le jour et l'ana-
lyse détaillée de ses fonctions administratives et judiciaires. L'au-
teur se base sur les documents publiés dans le Recueil de la.
Société d'histoire russe et les étudie à fond. Il est à regretter
cependant qu'il semble ignorer des ouvrages sur le règne de Pierre,
récemment parus, tels par exemple que le livre de M. Bogoslovski
sur l'administration locale sous Pierre.
L'idée de refaire l'histoire du règne d'Anne et de passer au crible
de la critique les traditions qui ont laissé à cette époque une si
triste mémoire était sans contredit juste. Il est regrettable que son
exécution, telle que l'offre le livre de M. Stroiev3, laisse tant à dési-
rer. A côté de faits nouveaux et de pages d'une réelle valeur, on y
trouve des idées fort contestables ; notons par exemple une apologie
de l'impératrice Anne qui semble plutôt un réquisitoire. L'auteur a
voulu reviser la tradition : il l'a fait triompher malgré lui. C'est à
1. Troudy Imp. rous.sk. voienno-istoritclieskago obstchestva. Doeumenty
Sievernoï voiny. Poltavskii period. Saint-Pétersbourg, 1909, 4 vol. in-8°.
2. Verkhovnyi taïnyi sovet. Saint-Pétersbourg, 1909, in-8°, x-423 p.
3. Bironovslchina i kabinel ministrov, Saint-Pétersbourg, 1909, in-8", 205 p.
HISTOIRE DE RUSSIE. 157
cette même époque que se rapporte le tome X des documents rela-
tifs au Cabinet des ministres d'Anne1 et les « Procès-verbaux du
Sénat » de 1737, deux volumes rédigés parle professeur Filippov2.
La sécularisation des domaines du clergé est peut-être le plus
important des actes de Catherine II ; néanmoins, l'étude de cette
grande réforme est loin d'être terminée. Pierre le Grand s'empara
des revenus de l'Eglise sans pourtant les confisquer. Vers la fin de
son règne, il dut faire même un pas en arrière en restituant au
Synode récemment institué l'administration du temporel ecclésias-
tique. Ce fut le commencement d'une lutte opiniâtre engagée par
celui-ci pour la conservation de ses biens. Cette lutte est traitée
dans le livre de M. Verkhovski sur « les domaines du Synode, des
évèchés et des couvents sous les successeurs de Pierre le Grand »3.
L'auteur retrace l'histoire du « collège » composé de fonctionnaires
laïques qui, dès 17-26. dut gérer les intérêts économiques de l'Église
et l'histoire des domaines eux-mêmes. Il arrive à la conclusion que
l'état provisoire établi en 1726 ne pouvait durer longtemps. Les
émeutes des paysans amenèrent le gouvernement à des mesures
décisives qui reçurent un commencement d'exécution sous Pierre III.
Catherine II craignit d'abord d'insister; elle établit cependant une
commission spéciale pour élaborer un plan d'améliorations dans
l'administration des biens ecclésiastiques ; la réforme fiscale suivit
bientôt en 1764. Ecrit avec une certaine sécheresse, le livre de
M. Verkhovski est une importante contribution à l'étude du tempo-
rel des églises russes.
Celui de M. Kiesewetter sur la charte municipale de 1785 4
expose les origines du document et la part personnelle que Cathe-
rine II prit à sa rédaction. L'auteur montre qu'il a pour sources
d'abord la charte de la noblesse, qui fut publiée en même temps,
mais qui avait été rédigée antérieurement, ensuite le droit muni-
cipal allemand, qui avait déjà inspiré les règlements municipaux des
provinces baltiques et de la Suède. La dernière partie du livre con-
tient l'histoire de l'application de la charte, de 1785 à 1796, écrite
1. Sbornik rousskago istoritcheskago obstchestva, t. CXXX. Saint-Péters-
bourg, 1909, in-8°. Boumagui kabineta Ministrov imperatritzy Anny Ioannovny.
2. Journaly pravitelstvouioustchago Senata za 1131. Moscou, 1909, in-4°.
3. Nacielionnyia niedvigimyia imenia sv. sinoda, arkhiereiskikh domov i
monastyriei pri preiemnikakh Petra Velikago. Saint-Pétersbourg, 1909, in-8°,
x-345-185 p.
4. Gorodovo'ié pologénié Ekateriny H 1185 goda. Moscou, 1909, in-8°,
viii-473 p. — Nous ne parlons pas de l'ouvrage de M. Pissarevski sur la colo-
nisation étrangère en Bussie au xvin" siècle, parce qu'il a déjà fait ici l'objet
d'un compte-rendu spécial (t. CIV, p. 401).
158 BULLETIN HISTORIQUE.
surtout d'après les documents tirés des archives de la ville de Mos-
cou. Le travail est du plus haut intérêt; il serait à désirer que tous
les grands actes de la législation de Catherine II eussent leur histoire
aussi bien faite. Signalons en passant les tomes XII et XIII des
« Archives du Sénat » qui contiennent les procès-verbaux du Sénat
de 1762 à 1765 et les oukases impériaux des mêmes années1.
xixe siècle. — De tous les ouvrages sur l'histoire moderne de la
Russie, le plus intéressant peut-être qui ait paru dans ces dernières
années est celui que S. A. I. le grand-duc Nicolas Mikhailovitch a
consacré à la délicate figure de la femme d'Alexandre Ier2, figure très
effacée tant que vécut cette princesse, mais qui se révèle sous un
aspect inattendu aux yeux de l'histoire. L'ouvrage, publié en russe
et en français, contient une biographie de l'impératrice Elisabeth,
documentée et concise à la fois. Cette biographie sert d'introduction
aux lettres qu'Elisabeth adressait à sa mère, la princesse Amélie
de Bade. Cette dernière, qui survécut à sa fille, a soigneusement
gardé ces lettres, qui sont conservées maintenant aux archives du
grand-duché de Bade. Les lettres publiées sont au nombre de 909 ;
elles embrassent une période de trente -trois ans et forment un
document historique d'une valeur inestimable. La souveraine, relé-
guée au second rang par sa 'bruyante et orgueilleuse belle-mère,
unie à un empereur qui, pendant un certain temps, fut une des
personnalités les plus marquantes de l'Europe, se révèle comme une
observatrice fine et spirituelle et surtout comme la femme d'un
grand et noble cœur et d'une intelligence bien supérieure à son
entourage. On la voit traverser la vie : gentille fillette à la cour de
Catherine, jeune femme terrifiée par l'empereur Paul, radieuse sou-
veraine, ayant conquis par son courage et sa présence d'esprit au
moment de la mort de Paul l'estime et l'admiration univer-
selles. Puis c'est l'épouse délaissée, fière et aimante quand même,
la mère infortunée pleurant ses enfants, la bienfaitrice discrète, qui
paraissent tour à tour pour faire place à l'idylle des dernières années
où Elisabeth a vu « son empereur » revenir auprès d'elle en ami tendre
et dévoué. Les portraits qu'elle trace des personnes de la cour et de
la Société de Saint-Pétesbourg sont surtout remarquables. Le point
faible de cette source historique si précieuse, c'est quand le senti-
ment de l'impératrice s'en mêle. Toute sa vie elle se fit des illusions
sur Alexandre ; les invasions des Français dans le pays de Bade, sa
patrie, lui font garder contre la France et contre « Bonaparte » un
1. Senatskii arkhiv, t. XII et XIII. Saint-Pétersbourg, 1909, in-8°.
2. Imperatzitza Elisaveta Alexeïevna, souprouga imperatora Alexandra 1.
Saint-Pétersbourg, 1908-1909, 3 vol. in-8°.
HISTOIRE DE RUSSIE. 159
ressentiment qu'il lui est difficile de vaincre. Notons aussi le charme
captivant du style de l'impératrice ; détestant la France, elle s'ex-
prime en français avec une grâce et une pureté qui auraient pu faire
honneur à une Française.
Un très important article sur Spéransky, le fameux ministre
d'Alexandre Ier, par M. Sérédonine a paru dans le Dictionnaire bio-
graphique russe1. Notons surtout l'analyse détaillée et assez critique
des projets constitutionnels de Spéransky et l'exposé des sources
de ces projets; c'est surtout la constitution française de l'an VIII
qui fut mise par lui à contribution.
Le centenaire de 1812 approchant, la Société impériale d'histoire
de Russie a commencé la publication de documents touchant cette
époque. Le premier volume de cette collection contient des actes du
gouvernement provisoire des provinces russes occupées par l'armée
française en 18122. Dans l'introduction. M. Voïenski expose quelques
idées qui valent la peine d'être signalées. La légende patriotique de
1812 doit céder la place à l'étude impartiale. Les guerres contre
Napoléon ont été faites non par la Russie, mais par l'Angleterre.
1812 n'est qu'un épisode de la grande lutte de ces deux pays dans
laquelle la Russie fut entraînée parce qu'économiquement elle dépen-
dait de l'Angleterre. Le blocus continental frappait la noblesse ter-
rienne, hostile à la politique suivie par Alexandre après Tilsitt. La
haine de la noblesse russe pour Napoléon fut le grand levier du patrio-
tisme russe en 1812. L'ennemi hors du pays, l'orgueil national était
vengé et la Russie n'avait plus d'intérêt à continuer la guerre. Ce
furent les intérêts de la Prusse qui eurent alors le dessus. Les
guerres de 1813-1815 eurent pour résultat une Prusse plus forte et
le pouvoir mondial de l'Angleterre.
Certaines améliorations dans les conditions pour l'étude de l'his-
toire de Russie au xixe siècle, survenues depuis 1905, ont ranimé
l'intérêt pour l'histoire politique des règnes d'Alexandre Ier et de
Nicolas Ier. Les sociétés secrètes et la conjuration des décembristes
ont été depuis cette époque le sujet de travaux d'une réelle valeur.
Le nouvel ouvrage de M. Semevski sur « les idées politiques et
sociales des décembristes » appartient sans contredit au nombre de
ces derniers3. L'auteur a rassemblé dans ce gros volume les articles
1. Rousskii biographitscheskii slovar (2 vol. parus en 1909 : lettres P, R, S;
autres articles à noter : Pougatchev, Pouchkine, Razoumovski, Soloviov).
2. Sbornik. T. CXXVIII : Aktij, dokoumenty i materialy dla politicheskoï i
bytovol istorii 1812 goda. Saint-Pétersbourg, 1909.
3. PolUitcheskia i sotsialnyia idiei dekabristov. Saint-Pétersbourg, in-8",
xn-693 p.
160 BULLETIN HISTORIQUE.
qu'il avait publiés précédemment dans différentes revues. Les cha-
pitres où il est question de l'influence des idées occidentales et des
projets de constitution et de réformes élaborés par les membres des
sociétés secrètes sont particulièrement intéressants. Pestel, le plus
remarquable des conjurés de 1825, forme le sujet de deux essais par
M. SyromiatiNikov1 et feu M. Pavlov-Silvanski2.
La Revue historique a déjà signalé l'Histoire de la Russie au
xixe siècle3, publiée par la maison Granat et O et destinée au grand
public. L'édition a continué depuis et touche à sa fin. Cet ouvrage,
premier essai d'une histoire complète de la Russie au xixe siècle, est
un travail collectif. Les articles y sont sérieux et documentés ; aussi
les spécialistes eux-mêmes devront-ils consulter cet ouvrage pour
les questions touchant aux règnes d'Alexandre II, Alexandre III et
Nicolas IL Les chapitres sur les réformes municipales de 1870 et
de 1892, les réformes du zemstvo de 1863 et de 1890 sont d'un grand
intérêt. L'exposé de l'histoire politique du xixe siècle, par M. Po-
krovski, représente, en dehors du livre de M. Milioukov [Russia
and its crisis), dont il n'a jamais paru d'édition russe, et du manuel
bref et succinct de M. Kornilov4, tout ce que nous possédons sur
cette époque si curieuse et si mouvementée. Néanmoins, l'ouvrage
en question n'est pas de ceux auxquels on peut se fier les yeux fer-
més. Presque tous les collaborateurs sont les membres de partis
politiques de l'extrême gauche, et leur œuvre est plutôt un moyen
de propagande politique qu'un ouvrage d'histoire. Chose plus grave
encore, les chapitres consacrés aux pays annexés, Pologne, Cau-
case, provinces baltiques, sont animés d'un esprit nationaliste étroit
et contraire à l'impartialité scientifique.
G. Gautier.
1. Polilitsheskaia doclrina nakaza Pestela. Dans le « recueil » Klutchevski.
2. P. I. Pestel. Dans le 2e volume de l'édition posthume des œuvres conte-
nant les travaux sur l'histoire de Russie aux xviii" et xixe siècles. Saint-
Pétersbourg, 1909, in-8°, 401 p.
3. Istoria Rossii XlXvêka. 30 livraisons à 80 pages ont paru jusqu'à présent.
Cf. Rev. histor., t. XCIX, p. 374.
4. Obstchestvennoïe dvigénië pri Alexandrie II (1855-1881). Moscou, 1909,
263 p.
HISTOIRE DES PATS-BAS.
HISTOIRE DES PAYS-BAS.
161
Depuis 1885, le gouvernement hollandais a chargé successive-
ment plusieurs historiens de missions ayant pour but de rechercher
et d'inventorier les collections de documents intéressant l'histoire
des Pays-Bas qui se trouvent dans les archives et dans les biblio-
thèques étrangères. M. Kernkamp, qui, en 1903, a publié un rap-
port sur ses recherches dans les dépôts Scandinaves, s'est acquitté
d'une seconde mission vers la Baltique dont l'objet cette fois était
non seulement de compléter ses travaux antérieurs, mais d'exami-
ner aussi les dépôts des villes baltiques de l'Allemagne. Le volumi-
neux rapport sur cette mission1 contient les résultats de visites effec-
tuées dans onze villes, et bien que deux fois, à Wismar, où il manque
un inventaire, et à Stralsund, où les archives ne sont ouvertes au
public que deux jours par semaine, un examen sérieux ait été impos-
sible, ces résultats sont copieux pour l'histoire politique, écono-
mique, littéraire, ecclésiastique. C'est surtout dans les dépôts de
Copenhague et de Danzig que M. Kernkamp a puisé de précieux
renseignements et des documents intéressants, surtout pour le xvie
et le xviie siècle; il les a publiés dans son rapport, soit intégrale-
ment, soit par extraits. D'excellentes tables permettent d'utiliser
facilement cet important rapport.
Le travail que M. Brom poursuit à Rome est de la même sorte.
Comme nous avons déjà signalé ici même (Rev. hist., t. Cil et
CIV, p. 237) les deux parties de son Catalogue des archives Vati-
canes, nous n'y reviendrons pas, sinon pour ajouter que l'auteur a
publié en français un petit livre sur lequel je me permets d'appeler
l'attention; c'est le Guide aux archives du Vatican2.
Dans une thèse d'Utrecht sur la haute cour de justice en Zélande,
dite de hooge vierschaar, M. Lasonder a étudié en détail le carac-
tère, la composition, les fonctions de cette institution, surtout au xve
et au xvie siècle, et ensuite sous la République; il a mis en lumière
ce fait que, malgré les changements inévitables qu'amena la fonda-
tion de la République, les vieilles formes particulières ont persisté.
C'est de cette manière et en comparant aussi les institutions judi-
ciaires d'autres provinces avec celles de la Zélande que l'auteur
1. Rijks Geschiedkundige Publicatien. Kernkamp, Baltische Archivalia.
's Gravenhage, M. Nyhoff, 1909, in-8% xxn-363 p.
2. Gisbert Brom, Guide aux archives du Vatican. Rome, Lœscher et Cie,
1910, in-8% vn-96 p.
Rev. Histor. CV. 1er fasc. 11
162 BULLETIN HISTORIQUE.
arrive à la conclusion suivante : tandis qu'au moment où éclata le
soulèvement des Pays-Bas contre Philippe II, la centralisation
administrative des provinces était à peu près achevée, l'organisation
judiciaire était encore en voie de formation; la guerre de Quatre-
vingts ans ayant interrompu ce travail, l'unité dans la juridiction
et dans la législation continua de faire défaut tant que Ja Répu-
blique des Provinces-Unies a existé; elle ne fut réalisée que par la
domination de Napoléon Ier. A cette étude' bien faite, M. Lasonder
a ajouté un appendice contenant une douzaine de pièces justificatives.
Sur les relations entre Guillaume le Taciturne et son pays natal,
Nassau-Dillenbourg, M. Cari Donges a publié un volume de plus
de 200 pages2. Décidément, c'est un peu long, car l'auteur se com-
plaît à répéter trop de choses fort connues depuis longtemps dans un
style prolixe et çà et là boursouflé. Le livre n'est cependant pas
dénué d'intérêt. Dans le chapitre iv l'auteur, à l'aide de documents
inédits, a étudié les secours que le prince d'Orange a tirés des pays de
Dillenbourg; il a divisé ce chapitre en deux parties, l'une traitant du
château de Dillenbourg comme point d'appui militaire pendant les
années 1567-1572, l'autre exposant les secours en argent que le
comte Jean de Nassau-Dillenbourg a procurés à son frère Guillaume.
D'intéressants renseignements montrent l'importance de ces secours
pour les expéditions de 1568 et de 1572. Toutefois, l'auteur exagère
la part qu'ils ont eue sur le cours des événements. Au bout du
compte, ce ne sont pas les armées du prince qui ont décidé du suc-
cès, mais les villes hollandaises et zélandaises se soulevant conlie
le gouvernement du duc d'Albe. Pour la première partie de ce
chapitre, M. Donges ne paraît pas avoir connu la correspondance
du prince d'Orange avec Jacques de Wesembeke, publiée par M. van
Someren (1896) et surtout les études importantes de feu M. Fruin.
intitulées Prins Willem I in het jaar 4570 et Nederland
betrokken in de politiek der groote mogendheden (Verspreide
Geschriften, t. II). M. Donges a donné quelques portraits de Guil-
laume le Taciturne et de membres de sa famille et, dans un utile
appendice, il a publié une vingtaine de documents relatifs principa-
lement aux affaires financières, à l'engagement des objets précieux,
aux frais des expéditions, etc.
Il y a peu d'années, une société, appelée De Linschoten-Vereeni-
ging, s'est constituée dans le but de publier des narrations néerlan-
daises de voyages, soit inédites, soit devenues très rares. Elle a
1. L. W. A. M. Lasonder, Bijdrage tôt de geschiedenisvan dehooge vierschaar
in Zeeland. 's Gravenkage, M. Nyhofl', 1909, in-8°, xxi-152 p.
2. Cari Donges, Wilhelm der Schweiger und Nassau-Dillenburg. Dillen-
burg, M. Weidenbach, 1909, in-8°, n-226 p.
HISTOIRE DES PATS-BAS. 163
débuté par le voyage entrepris en 1611 par Jan Cornelisz May;
l'édition, due au savant archiviste d'Utrecht M. S. Muller, a paru
au moment où fut célébrée en Amérique la découverte trois fois
séculaire de Hudson '. M. Muller, qui, par des études antérieures
sur la Compagnie néerlandaise du nord, s'était beaucoup occupé de
l'histoire des voyages vers l'Océan arctique, a exposé, dans une intro-
duction d'un haut intérêt, les circonstances dans lesquelles s'accom-
plit l'expédition de Jan Cornelisz May. Sous l'impression des décep-
tions causées par les tentatives infructueuses faites au xvie siècle
pour trouver le passage des Indes par le nord-ouest, on sembla pen-
dant quelque temps se désintéresser des voyages d'exploration dans
ces contrées glaciales ; bientôt cependant les expéditions de Hudson
ravivèrent l'esprit d'entreprise. A Amsterdam, le pasteur Plancius,
animé d'une ardeur non moins grande pour les explorations géogra-
phiques que pour les dogmes calvinistes, puisa dans les récits des
voyagesde Hudson de nouveaux arguments en faveur de sa théorie per-
sonnelle ; il était convaincu qu'en se dirigeant hardiment vers le nord,
sans suivre timidement les côtes, on gagnerait une mer sans glaces;
ainsi on serait à même de venir tout près du pôle d'où, en se diri-
geant un peu vers l'est, on atteindrait aisément un détroit qui con-
duirait enfin au pays mystérieux de Cathay et aux Indes orientales.
Hudson, entré au service néerlandais, devait mettre en pratique les
idées de Plancius dans son troisième voyage ; on sait comment, forcé
d'abandonner son projet par l'insubordination de l'équipage, il se
tourna vers les côtes de l'Amérique et explora soigneusement la
rivière qui porte son nom. L'insuccès de cette expédition, par rap-
port au projet véritable, n'avait pas du tout démontré que les théo-
ries de Plancius étaient fausses, et celui-ci restait convaincu de leur
justesse. Lorsqu'en 1610 deux hommes s'offrirent à l'amirauté
d'Amsterdam pour tenter de nouveau le voyage, Plancius les soutint
de tout son crédit et, les États- Généraux ayant donné leur consen-
tement, deux navires furent équipés. Le commandement de l'expé-
dition fut confié à Jan Cornelisz May qui appartenait à une famille
dont plusieurs membres ont rendu de grands services à l'explora-
tion des régions polaires. Le départ du Texel eut lieu le 28 mars
1611 ; bientôt les espérances furent cruellement trompées. Pendant
plus de quatre mois, on fit d'inutiles efforts pour gagner la mer
sans glaces; partout on se heurta à d'infranchissables barrières de
glaces. May se dirigea alors vers les côtes du Canada, puis, navi-
1. Werken uitgegeven door de LinscJioten-Vereeniging. De rets van Jan
Cornelisz May, 1611-1612. Verzarneling van bescheiden uitgegeven door
Mr. S. Muller Fz. "s Gravenhage, M. Nyhoff, 1909, in-8», lvi-226 p.
164 BtILLETWi HISTORIQUE.
guantvers le sud, il explora les cotes jusqu'à 40° 30'. Vers la fin de
février 1612, May, avec un des navires, partit de nouveau pour
l'Océan glacial; cette nouvelle tentative n'eut pourtant pas plus de
succès que celle de l'année précédente et, le 3 octobre 1612, May et
son équipage étaient de retour dans la patrie. C'est le journal de ces
voyages tenu par Jan Cornelisz May lui-même que M. Muller a
publié très soigneusement avec tous les éclaircissements désirables et
avec un appendice fort important qui contient un recueil de docu-
ments relatifs au voyage lui-même et à sa préparation. Il y a lieu de
féliciter la Linschoten-Vereeniging de ce début.
Il y a déjà longtemps que Ranke a appelé l'attention sur l'impor-
tance des relations des ambassadeurs vénitiens, et depuis lors nombre
de publications en Italie, en Belgique, en Autriche, en Angleterre
ont été puisées à cette source. A son tour, M. Blok a recueilli celles
qui se rapportent aux Pay-Bas depuis 1600; il y a joint d'autres
pièces, des instructions, des avis, des récits de voyage surtout; c'est
un ensemble de dix-huit documents sur l'époque de 1 607 à 1 7 1 3 , dont
quatorze.sont inédits ; parmi les quatre pièces déjà publiées, le récit
du voyage de Giorgio Giorgi en 1626 par Francesco Belli est telle-
ment rare qu'on peut le ranger à peu près parmi les documents
inédits1. L'étude des relations ne laisse pas d'être fatigante tant y
abondent inévitablement les répétitions; sans doute les envoyés
étaient pour la plupart des observateurs attentifs et pénétrants; mais
ce qu'ils nous disent, les uns après les autres, sur l'organisation du
gouvernement, sur l'armée, la flotte, les compagnies des Indes occi-
dentales et orientales, le commerce, l'industrie n'ajoute en général
pas grand'chose à ce que nous savons par ailleurs tout aussi bien
ou mieux2. On y trouve néanmoins des observations remarquables
soit sur les hommes et les femmes de la cour stathoudérienne et les
hommes d'état, soit sur les finances, l'armée, les rapports de la
République avec les autres puissances, sur les mœurs et les cou-
tumes, la situation des catholiques, etc. Du reste, M. Blok a aug-
menté considérablement l'importance de sa publication par ses notes
et surtout par les introductions, placées à la tète de chaque docu-
1. Hijks Geschiedkundige Publicalien. P. J. Blok, Relazioni Venetiane.
Venetiaansche berichten over de Nederlanden, 1600-1795. 's Gravenhage,
M. Nyhoff, 1909, in-4°, xxix-420 p.
2. Le plus souvent, M. Blok a signalé les erreurs qui se trouvent dans les
relations, mais quelquefois il n'en dit rien; c'est un peu déroutant pour ceux
qui n'ont pas une connaissance suffisante des institutions de la Bépublique,
car ils s'imagineront que les informations sont correctes toutes les fois que
l'éditeur ne les avertit pas du contraire. Il aurait mieux valu soit n'en dire
rien du tout, soit signaler toujours les erreurs. La dernière méthode aurait été
sans doute la meilleure.
HISTOIRE DES PAYS-BAS. 165
ment, pour lesquelles il a puisé aussi dans les lettres des ambassa-
deurs. M. Blok y fait mieux comprendre et apprécier les documents
et en même temps il réussit à esquisser l'histoire des rapports entre
les deux Républiques d'après les sources vénitiennes; il complète
ainsi l'ouvrage intitulé Nederland en Venetie de feu M. de Jonge,
qui a étudié ces mêmes rapports à l'aide des documents néerlandais.
En appendice, M. Blok a publié une liste des recueils de lettres rela-
tives aux Pays-Bas qui se trouvent aux archives de l'Etat de Venise,
une liste des relations vénitiennes qui traitent des Pays-Bas et une
liste des sources pour l'histoire des rapports entre Venise et les Pro-
vinces-Unies que possèdent les archives de l'Etat à La Haye. Les
taltles des noms de personnes et de lieux n'ont pas été dressées par
M. Blok, mais par M"e Brons. J'ai eu le regret de constater qu'elles
laissent à désirer; dans soixante-treize pages du texte italien j'ai
remarqué une vingtaine d'omissions de noms propres; p. 68,
apparemment parce que MIle Brons n'a pas compris le texte ita-
lien, elle a pris Gravisenda (Gravesend) pour la place néerlandaise
's Gravensande; et quand elle enregistre le nom de Marco Polo,
elle y ajoute la qualification : gentilhomme vénitien, mais ne dit
pas qu'il s'agit du célèbre voyageur.
Dans la collection de VAllgemeine Staatengeschichte, publiée
à présent sous la direction de M. Lamprecht, a paru le tome IV de
['Histoire du peuple néerlandais par M. Blok, traduit en alle-
mand par M. Houtrouw'. Il n'y a pas lieu de rendre compte ici de
nouveau de ce volume qui se rapporte aux années 1609-1648 et
dont il a été fait mention dans cette Revue lorsqu'il a été publié en
néerlandais (1899). Notons cependant que M. Blok a mis à profit
cette occasion pour utiliser des publications postérieures à 1899;
elles sont signalées au bas des pages et rà et là elles ont donné lieu
à une petite rectification ou à l'insertion de quelques lignes qui pour-
tant n'amènent pas un changement essentiel dans le texte. En
feuilletant la traduction, je me suis convaincu qu'en général M. Hou-
trouw s'est bien acquitté de sa tâche, quoiqu'il n'ait pas toujours com-
pris tout à fait la valeur des expressions néerlandaises ; par exemple
p. 81, le mot néerlandais alvast est traduit inexactement par aufs
engste; p. 85, Und nicht weniger wichtig ne rend pas le néer-
landais : En weinig minder belangrijk; p. 263, la traduction du
néerlandais : Met het verzetten der regeeringen par Mit dem
Wechsel des Regierung Systems est décidément fausse, et l'expli-
1. Allgemeine Staatengeschichte. I Abteilung : Geschichte der europaischen
Staalen. Geschichte der Niederlande von P. J. Blok. Vierter Bancl. Gotha,
F. -A. Perthes, 1910, in-8°, 562 p.
1GG BULLETIN HISTORIQUE.
cation du mot néerlandais doocleter, donnée par M. Houtrouw
p. 439, donne une interprétation erronée des paroles prononcées par
l'amiral de With.
M. Knuttel poursuit la publication des actes des synodes particu-
liers de la Hollande méridionale, dont il a été rendu compte dans le
bulletin précédent [Rev. hist., t. OU). Le tome II comprend l'époque
de 1634 à 1645 1 ; de même que dans le tome Ier, on y trouve, outre
les affaires purement ecclésiastiques, beaucoup de renseignements
sur l'histoire des mœurs et de la vie sociale. Dans l'introduction,
M. Knuttel a donné un aperçu intéressant des rapports entre les
gouvernements et les autorités ecclésiastiques qui s'efforçaient en
vain de se soustraire à la surveillance et à l'ingérence des régences
provinciales et communales.
M. Japikse s'est chargé de poursuivre la publication des lettres
de Jean de Witt, dont le tome I, paru en 1906, était l'œuvre de
M. Kernkamp. Pour comprendre le caractère de cette publication, il
faut se rappeler que feu M. Fruin avait fait pour son usage per-
sonnel des copies et des extraits delà correspondance de Jean de Witt,
qui se trouve aux archives de l'Etat à La Haye, laissant de côté
toutes les lettres qui ont été recueillies dans l'édition de 17232, mais
reliant chacun de ces extraits par un commentaire qui les mettait en
pleine valeur. C'est la publication de ces dossiers formés par M. Fruin
que M. Japikse a entreprise après que M. Kernkamp eut prié d'en être
déchargé. Dans le tome II3, qui contient les lettres de 1658 à 1664,
M. Japikse s'est acquitté parfaitement bien de sa tâche; tous les
extraits ont été collationnés, annotés pour autant que les notes de
M. Fruin ne suffisaient pas, complétés et augmentés s'il était néces-
saire pour mettre mieux en lumière les méthodes de gouvernement
ou le caractère de Jean de Witt. Un inconvénient de la présente
publication c'est que, dans les premiers volumes, on ne trouve que les
lettres de Jean de Witt et que les lettres à lui adressées ne suivront
que plus tard4 ; mais si on avait cherché à corriger cet arrangement
1. Rijks Geschiedkundige Publicatien. Knuttel, Acta der particulière syno-
den van Zuid-Holland, tweede deel. 's Gravenhage, M. Nyhoff, 1909, in-8°,
xxvn-554 p.
2. Cette édition est intitulée Brieven geschreven ende gewisselt tusschen den
Heer Johan de Witt ende de Gcvolmachtigden van den Staedt der Vereenighde
Nederlanden (correspondance entre Jean de Witt et les envoyés de la Répu-
blique, de 1652 à 1669).
3. Brieven van Johan de Witt. Tweede deel (1657) 1658-1664, bewerkt door
Robert Fruin, uitgegeven door N. Japikse. Werken van het Historisch
Genootschap te Utrecht. Amsterdam, Joh. Mûller, 1909, in-8°, xix-651 p.
4. La lettre de J. de Witt à Tyman Tilvoren, mentionnée p. 227, note, est
une réponse à une lettre de Tyman Tilvoren du 18 septembre 1658.
HISTOIRE DES PAYS-BAS. 167
peu recommandable en soi, on aurait dû changer tout Tordre des
dossiers de M. Fruin et supprimer aussi les résumés qui lient
les extraits l'un à l'autre, et c'est ce qu'on n'a pas voulu faire, afin
de laisser intacte autant que possible l'œuvre du maître vénéré.
Ceux qui se mettent à l'étude des volumes publiés dans l'attente
d'y puiser beaucoup d'informations sur la politique générale de
l'époque seront vite déçus; certes les documents de cette sorte ne
manquent pas tout à fait1, mais ils sont peu nombreux auprès de
ceux qui concernent le caractère de Jean de Witt, ses relations avec les
régents des villes de Hollande, spécialement avec ceux d'Amsterdam
et de Dordrecht, ses négociations avec les Zélandais, avec la prin-
cesse royale (la veuve du stathouder Guillaume II) et avec la prin-
cesse douairière (la mère de Guillaume II), bref, les moyens qu'il
mettait en œuvre pour raffermir et fortifier son crédit et diriger ses
maîtres, les États de Hollande. C'est là le haut intérêt de cette
importante publication.
En 1653, Guillaume van der Goes dut s'enfuir de La Haye et de
la République à cause d'un duel; après avoir parcouru plusieurs
pays, il s'établit à Vienne, où il demeura jusqu'à ce qu'en 1673 il
obtînt des lettres de pardon. Pendant son exil, du moins depuis 1659,
il fut en correspondance régulière avec son frère Adrien qui résidait
à La Haye. En 1899, M. Gonnet a publié le tome I de cette correspon-
dance relative aux années 1659 à 1668; après un intervalle de dix ans,
il nous donne dans le tome II les lettres de 1669 à 16732. Bien que
l'importance de cette publication ne soit pas proportionnée à son
étendue, elle ne manque pas d'intérêt; elle contient beaucoup d'infor-
mations sur l'opinion publique, sur les impôts écrasants, sur le prix
des produits agricoles et des terres, çà et là aussi sur les événements
politiques (par exemple sur la catastrophe des frères de Witt). Il faut
regretter pourtant que M. Gonnet se soit acquitté trop discrètement
de ses devoirs d'éditeur; il s'est borné à faire imprimer le texte des
lettres, ajoutant quelquefois une note pour expliquer le sens de
mots ou d'expressions qui n'ont pas besoin d'explication ou qu'il
explique inexactement (p. 105), mais il s'est gardé soigneusement
de donner des renseignements sur les personnes et les affaires dont
il est fait mention dans les lettres, méthode qui n'est pas admissible
dans une édition scientifique.
En publiant le tome III, qui contient les années 1700 à 1702,
1. Je fais remarquer que les leltres des p. 46 à 59 ont été publiées par René
Dollot, les Origines de la neutralité de la Belgique, p. 541 et suiv.
2. Briefwissellïng tusschen de Gebroeders van der Goes (1659-1673), uitge-
geven door C. J. Gonnet. Tweede deel. Werkcn van het Historiscli Genoot-
schap te Utrecht. Amsterdam, Joli. Muller, 1909, in-8°, 588 p.
168 BULLETIN HISTORIQUE.
M. Kramer a achevé la troisième série des Archives ou Correspon-
dance inédile de la maison d'Orange-Nassau1. Grâce à celte publi-
catîon, les historiens peuvent maintenant étudier toute la correspon-
dance entre Guillaume III et le conseiller pensionnaire Heinsius de
1689 à 1702. Il est superflu d'appeler l'attention sur l'intérêt de
cette correspondance, qui constitue une source de la plus haute
importance pour l'histoire politique de l'Europe pendant cette époque.
Quoique plusieurs historiens y aient déjà puisé, cette publication nous
met pour la première fois à même d'étudier toute la suite des idées
de ces deux hommes d'état et les obstacles qu'ils eurent à vaincre
en Angleterre et dans la République pour faire triompher leur poli-
tique. Pour s'en convaincre, il suffît par exemple de comparer avec
cette publication les parties correspondantes de l'ouvrage de M. Le-
grelle sur la France et la succession d'Espagne; M. Legrelle avait
cependant, lui aussi, consulté les Archives royales de La Haye. Il
va de soi que les lettres offrent aussi des informations intéressantes
sur la part qui revient à Guillaume III et Heinsius dans l'œuvre
commune. On était enclin à représenter Heinsius comme un ser-
viteur docile qui recevait toutes les idées de Guillaume et subissait
profondément sa direction. Il n'en est rien. Très souvent, c'est
Heinsius qui prend l'initiative, émet des idées, donne des conseils
qui sont acceptés par Guillaume; plusieurs fois, c'est celui-ci qui
demande l'opinion du conseiller pensionnaire ; d'ailleurs, l'accord est
toujours facile parce qu'il y a entre eux cette communauté de vues
qui est la garantie sûre d'une collaboration parfaite.
Dans la quatrième série du même recueil, le tome III a été publié
par Fauteur du présent bulletin2, il contient des documents relatifs
aux affaires étrangères de 1749 à 1755 et aux affaires intérieures de
la République de 1751 à 1755; de même que pour le tome I, ce sont
surtout des papiers de W. Bentinck que les matériaux les plus impor-
tants de ce volume ont été tirés. On lira avec intérêt la correspon-
dance entre Guillaume IV et Bentinck pendant la mission de celui-ci
à Vienne; cette mission avait pour but d'engager le prince Louis de
Brunswick -Wolfenbùttel au service de la République. D'un intérêt
plus général sont les documents qui ont rapport aux tentatives
faites pour raffermir l'ancien système d'alliance entre les puissances
maritimes et l'Autriche; la correspondance de Bentinck avec le duc
1. Archives ou Correspondance inédite de la maison cl Orange-Nassau,
3" série, publiée par M. Kramer; t. III : 1700-1702. Leyde, A. W. Sythoff, 1909,
in-8°, xxxi-709 p.
2. Archives ou Correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau,
Y série, publiée par Th. Bussemaker; t. III : 17i9 (175V-1755. Leyde,
A. W. Sythoff, 1909, in-S", xli-671 p.
HISTOIRE DES PAYS-BAS.
169
de Newcastle et le comte de Kaunitz, celle de Marie-Thérèse et de
Brunswick et beaucoup d'autres documents nous font assister à
l'avortement de ces efforts ; nombre de pièces mettent en lumière la
part considérable que les négociations infructueuses sur l'exécution
du traité de la Barrière ont eue au renversement des alliances. De
même que sur la politique étrangère, ce volume contient beaucoup de
matériaux sur les affaires intérieures de la République pendant cette
époque ; il donne des informations très intéressantes sur une époque
assez mal connue jusqu'à présent, en particulier sur le caractère
de la princesse Anne qui exerça les fonctions stathoudériennes
pendant la minorité de son fils, sur ses méthodes de gouvernement,
sur les personnages et les partis qui se combattaient autour d'elle,
sur la conduite des bourgmestres d'Amsterdam, sur les délibérations
des États de Hollande, etc.
M. Oolenbrander a achevé la publication des documents relatifs
aux délibérations sur les constitutions néerlandaises; le tome II' a
un intérêt non moins grand pour les Belges que pour les Néerlandais,
parce qu'il s'agit dans ce volume de la loi fondamentale de 1815 qui
fut appliquée au beau royaume formé, en vertu des décisions
des grandes puissances et en conformité des vœux du roi, par
l'union des Pays-Bas du nord et du sud, union malheureuse,
brisée par la révolution de 1830, mais qui, malgré cette existence
éphémère, a eu des résultats importants pour les deux parties.
M. Oolenbrander s'est efforcé de rendre son recueil aussi complet
que possible. Il aurait voulu pouvoir utiliser les papiers conservés
dans les archives appartenant aux descendants des membres belges
de la commission chargée d'élaborer la loi fondamentale de 1815.
Bien que les résultats de ces recherches n'aient pas été très riches, il
a pu ajouter aux documents déjà publiés qu'il a recueillis dans ce
volume nombre de pièces inédites tirées des archives de l'Etat et de
plusieurs archives privées. Pour la première partie, qui contient des
documents relatifs à l'histoire diplomatique de l'union des provinces
belges au royaume des Pays-Bas, les documents inédits ont été
puisés principalement dans le Record Office à Londres. Dans une
ample introduction, où l'éditeur a rendu compte de ses recherches
et fait des observations sur les documents publiés, il a aussi donné
un exposé intéressant de ce qui s'est passé depuis 1789 jusqu'à 1815
par rapport à l'union des Pays-Bas du nord et du sud.
Th. BUSSEMAKER.
1. H. T. Colenbrander, Oiitstaan der grondwet. Bronnenverzamling. II deel,
1909. 's Gravenhage, Nyhoff.
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
R. W. Carlyle, C. I. E., et A. J. Carlyle, M. A. A history of
médiéval political Theory in the "West. Vol. II : The politi-
cal Theory of the Roman lawyers and the canonists, from
the tenth Century to the thirteenth Century, par A. J. Car-
lyle. Edimbourg et Londres, William Blackwood et fils, 1909.
In-8°, xix-274 pages.
C'est à l'étude des sources des théories politiques du moyeu âge que
se sont consacrés MM. R. W. et A. J. Carlyle. Dans un précédent
volume, après avoir porté leur attention sur les écrits des juriscon-
sultes romains et sur ceux des Pères de l'Eglise qui se sont succédé
du Ier au VIe siècle, ils ont examiné les théories qui furent mises en
circulation au ixc siècle, c'est-à-dire, à l'époque de la Renaissance
carolingienne. Ils sont arrivés à cette conclusion que, quelle que
puisse être la part originale de l'esprit germanique, dès que les hommes
du IXe siècle ont voulu donner une forme littéraire aux conceptions
politiques de leur temps, ces conceptions ont reproduit en grande par-
tie des notions qu'ils ont trouvées dans l'héritage de l'antiquité. Cet
héritage leur a été transmis par la littérature ecclésiastique ; c'est, en
général, aux ouvrages des Pères qu'ils ont emprunté le cadre de leurs
doctrines.
Le présent volume, qui porte la signature de M. A. J. Carlyle, traite
des théories politiques répandues en Occident du Xe siècle jusqu'au
milieu du xme ; l'auteur s'arrête intentionnellement à l'époque où se
réalise dans le monde des idées un changement considérable par le
triomphe définitif de l'influence aristotélicienne. C'est seulement sur
les écrits des légistes et des canonistes que portent les investigations
de M. Carlyle; la période qu'il étudie est d'ailleurs couronnée par
deux faits de grande importance : l'apparition de la grande glose
d'Accurse dans le domaine du droit romain et, dans le domaine cano-
nique, la promulgation des Décrétales de Grégoire IX. Le volume de
M. Carlyle est divisé en deux parties; la première traite des doc-
trines des légistes, la seconde est consacrée à celle des canonistes.
La première partie s'ouvre par une étude des notions fondamen-
tales sur lesquelles, selon les légistes, reposent le droit et la loi. L'au-
teur y examine le sens que prennent, dans les ouvrages des premiers
interprètes du droit romain, les expressions aequitas, justitia et jus
et le sort qu'ont fait ces jurisconsultes à la fameuse division tripar-
A. J. CARLYLE : THE P0LIT1CAL THEORY OF THE CANONISTS. 171
tite du droit en jus naturale, jus gentium et jus civile; en outre,
s' inspirant de l'ouvrage de M. S. Brie, il esquisse, d'après les légistes,
la théorie de la coutume. Il ne se borne pas à poser des principes
généraux, il suit l'application qu'en ont faite les légistes quand il s'est
agi de construire les théories du servage, de la propriété, de l'autorité
politique et des relations entre la puissance spirituelle et la puissance
temporelle.
La deuxième partie, consacrée aux canonistes, est composée d'après
un plan à peu près semblable. Après y avoir exposé les doctrines des
premiers canonistes sur les principes philosophiques du droit, ce qui
comporte l'analyse, à ce point de vue nouveau, des notions de droit
naturel, de droit des gens, de droit civil et de coutume, M. Carlyle
recherche, dans les œuvres des canonistes, leur manière de com-
prendre le servage, la propriété et les relations entre les deux pou-
voirs ; entre temps, il n'a pas négligé de préciser la notion de la loi
canonique, en tant qu'elle se distingue de la loi naturelle et des livres
saints, et de montrer la place que tient, dans la formation de cette loi,
l'autorité législative des papes.
Il est impossible d'analyser ce livre, fait lui-même d'une série de
résumés des théories que les anciens jurisconsultes avaient ample-
ment développées. Ce qui importe surtout, ce me semble, c'est de
faire . connaître l'idée générale d'après laquelle il a été conçu. L'au-
teur, très résolument, entend n'étudier que les doctrines des juristes
qui n'ont point quitté les templa serena pour se jeter dans le milieu
des idées et prendre part aux polémiques qui ont fait rage à certaines
époques du moyen âge. C'est à cette condition seulement, pense-t-il,
qu'on peut se rendre compte des doctrines reçues; même dans les
documents pontificaux, « il est extrêmement important de distinguer
les phrases représentant l'opinion, élaborée avec soin, des autorités
ecclésiastiques, d'expressions employées dans la ferveur de la con-
troverse », qui ont pu répondre à un sentiment momentané, mais qui
ne sauraient être considérées comme traduisant d'une manière adé-
quate le jugement de l'Eglise1. A plus forte raison, quand il s'agit
d'écrits privés, l'auteur n'entend retenir que les ouvrages composés de
sang-froid et aboutissant à des conclusions raisonnables et raison-
nées2. C'est ainsi qu'il ne fait jamais appel aux nombreux écrits de
polémique qu'a suscités la querelle des investitures; il ne cite pas les
Libelli de lite Imperatorum et Pontificum. Il va plus loin et s'at-
tache à n'employer que des extraits d'ouvrages techniques de droit
canonique ou civil ; il ne se sert pas des écrits du Xe au xne siècle qui
ne lui semblent pas porter ce caractère, par exemple de ceux d'Abbon
et d'Hugues de Fleury, de Jean de Salisbury ou d'Honorius d'Autun;
il ne consulte que les compilations canoniques d'Yves de Chartres et
1. P. 214.
2. P. 93.
172 COMPTES-RENDUS CKITIQCES.
non sos lettres. Visiblement, il tient à écarter avec une rigueur, peut-
être exagérée, les documents dont l'auteur a pu se laisser plus ou
moins influencer par les événements et les passions de son temps.
Grâce à cette méthode, que l'on n'accusera pas d'être téméraire,
M. Carlyle arrive à des résultats intéressants. Notamment, il fait
apparaître certains principes qui constituent comme le terrain com-
mun sur lequel peuvent évoluer légistes et canonistes. Comme les
canonistes, beaucoup de légistes s'accordent à reconnaître que la loi
positive dépend étroitement des principes éternels de justice, dont
elle n'est que l'application aux circonstances de la vie, si bien que
cette loi non seulement procède de la justice, mais ne saurait être en
désaccord avec elle. Comme les canonistes, les légistes, offusqués par
certaines institutions généralement admises, l'esclavage et, pour
quelques-uns d'entre eux, la propriété privée, se tirent de la difficulté
en s'attachant à l'idée d'une différence profonde entre la condition
actuelle de l'humanité et la condition primitive, pour laquelle fut
faite la loi naturelle. Au surplus, tous les légistes ne semblent pas à
M. Carlyle mériter la réputation de partisans déterminés et intransi-
geants de l'absolutisme qui leur a été faite depuis longtemps. Plu-
sieurs d'entre eux se refusent à admettre la doctrine d'après laquelle
le peuple romain aurait irrévocablement transféré sa souveraineté à
l'empereur. « Il est de grande importance », fait observer l'auteur,
« qu'un légiste illustre comme Azon reconnaisse au peuple la faculté
de reprendre un jour l'autorité qu'il a déléguée, comme d'ailleurs il
l'a fait antérieurement1. » Aussi M. Carlyle croit-il pouvoir affirmer
que l'opinion d'après laquelle la renaissance de l'étude du droit romain
fut défavorable au progrès de la liberté politique, si elle contient
quelques éléments de vérité, ne doit être acceptée que sous de très
graves réserves, au moins en ce qui concerne le XIIe siècle et le com-
mencement du xme2.
Quand il en vient aux relations entre les deux pouvoirs, l'auteur
fait encore apparaître des idées qui semblent communes aux légistes
et aux canonistes : ce sont celles qui sont énoncées dans la célèbre
décrétale du pape Gélase Ie1'3. On ne peut douter, dit-il, que les légistes
ne considèrent l'Église comme distincte de l'Etat et munie d'un carac-
tère et d'une autorité qui viennent de Dieu. De même les canonistes
se conforment à la tradition de Gélase en enseignant que les deux
autorités, la spirituelle et la temporelle, sont l'une et l'autre d'origine
divine; elles ont été distinguées par le Christ lui-même, qui était à la
fois roi et prêtre. Le principe de la loi canonique, toujours proclamé
à cette époque, est que le domaine de chacune d'elles est distinct et
1. P. 65.
2. P. 75.
3. Jaffé-Wattenbach, Regesta Pontificum Romanorum, n° 632.
A. .1. CARLYLE : THE POLÏTICAL THEORY OF THE CANONISTS. 173
que l'une et l'autre sont souveraines dans leur sphère1. Sans doute,
comme les deux autorités gouvernent les mêmes sujets, des conflits
peuvent s'élever contre elles, conflits dont la solution ne sera pas tou-
jours aisée. Pour les résoudre a été soutenue, entre autres systèmes,
une opinion qui donne en tout cas la décision dernière au pape, chef
de la hiérarchie ecclésiastique. M. Carlyle croit devoir faire remar-
quer que, quelles que soient les doctrines proposées dans le feu des
controverses, la loi canonique, au cours de la période qu'il étudie, n'a
pas admis cette solution radicale, répudiée d'ailleurs par les grands
papes de cette époque, en tant que leur enseignement a été incorporé
aux recueils de droit canon2. On en peut conclure qu'entre les deux
législations il n'y a pas de désaccord essentiel sur les principes géné-
raux ; la même conclusion se dégage d'ailleurs de l'examen de cer-
taines questions particulières. Ainsi, pour les légistes, « le clergé, en
tant que clergé, n'est soumis qu'à la juridiction de l'Église »3. D'autre
part, la loi canonique, encore au temps des Décrétales de Grégoire IX,
ne connaît rien des théories qui placeraient les membres du clergé
en dehors de la sphère de l'autorité séculière. Comme ecclésias-
tiques, ils peuvent être soustraits à cette autorité; mais, comme
hommes, ils lui sont, en tout cas, soumis jusqu'à un certain degré. Il
va de soi que de telles solutions ne sauraient supprimer tous les con-
flits; mais au moins sont-elles de nature à faciliter les transactions
par lesquelles, le plus souvent, ils se termineront.
Ainsi l'auteur montre sous divers aspects, dans ce volume, les con-
ceptions politiques, fondées sur la jurisprudence romaine et les écrits
des Pères, que développent à l'envi les légistes et les canonistes.
Ceux-là procèdent davantage des jurisconsultes romains; ceux-ci
font des emprunts plus nombreux à la littérature patristique. Parfois
ils s'inspirent de l'esprit chrétien pour modifier certaines règles juri-
diques, par exemple celles qui concernent le mariage des serfs; par-
fois ils s'efforcent de rattacher au cadre des idées antiques des notions,
telles que la coutume, qui prennent au moyen âge une importance
particulière; en tout cas, ils demeurent fidèles à la tradition qu'avait
renouée la Renaissance carolingienne et par là ils sont dans le droit
fil de l'antiquité. Quel sera le sort de ces constructions doctrinales à
la fin du xme siècle et au xive, c'est la question qui sera sans doute
traitée, dans le prochain volume. Souhaitons que MM. Carlyle puissent
sans tarder conduire à bonne fin leur intéressante entreprise !
Paul Fournier.
1. P. 233. Il est à remarquer qu'on retrouve une pensée analogue dans l'en-
cyclique Immortale Del de Léon XIII, du 1" novembre 1885.
2. P. 225.
3. P. 81.
174 COMPTES-REIN DUS CRITIQUES.
L. von Pastor. Geschichte der Pâpste seit dem Ausgang des
Mittelalters. Fûnfter Band : Paul III, 1534-1549. Fribourg-
en-Brisgau, Ilerder, 1909. In-8°, xliv-891 pages. Prix, broché :
12 m. 50; relié : 14 m. 50.
Dans ce volume, qui paraît deux ans seulement après celui qui trai-
tait de Clément VII, la méthode suivie par l'auteur n'a point changé1.
Les sources manuscrites les plus utilisées sont les brefs, les rapports
d'ambassadeurs conservés à Florence, Mantoue, Modène, Lucques,
Vienne, les diaires, les correspondances, en particulier celle du car-
dinal Ercole Gonzaga, témoin très bien placé, très bien renseigné, et
que sa malveillance pour les Farnèse mettait à l'affût des informa-
tions. A la fin de l'ouvrage, quatre-vingts documents inédits sont publiés
comme pièces justificatives.
L'histoire des relations de Paul III avec Charles-Quint et l'Alle-
magne ou de la question conciliaire et des premières sessions du Con-
cile de Trente occupe la plus grande partie du livre : chapitres i,
la Question du Concile dans les années 153k à 1539; m, Tenta-
tives du pape en faveur de la paix et de la croisade, prise de
Tunis et visite de Charles-Quint a Rome, conférences de Nice, la
Sainte-Ligue et la guerre contre les Turcs; v, la Question con-
ciliaire de 1539 à 15kl ; enfin les chapitres vin à xm, qui exposent
les faits d'une façon continue depuis 1541 jusqu'à la mort du pape.
Le récit de l'auteur se fonde principalement sur les deux grandes
séries de publications documentaires qu'il avait à sa disposition :
les tomes I-IV, VIII-X des Nuntiaturberichte aus Deutschland
(en outre le tome V communiqué en bonnes feuilles), d'autre part, les
matériaux pour l'histoire du Concile de Trente jusqu'à présent édités
sous la direction de Mgr Elises. En revanche, les papiers des nonces
en France restent toujours inédits. M. Pastor ne cite cette nonciature
que dans trois ou quatre notes sans importance : c'est là une lacune
dont il n'est nullement responsable et qu'il nous appartient particu-
lièrement, à nous Français, de déplorer, mais qui nous paraît grave
pour la connaissance de Paul III et de sa diplomatie.
Le chapitre n étudie les travaux des commissions romaines de
réforme ecclésiastique avant le Concile de Trente, la transfor-
mation du Sacré-Collège. On regrettera que M. Pastor n'ait pas
explicitement rapporté les décisions prises par les cardinaux réforma-
teurs, mais simplement renvoyé, p. 141, n. 1, p. 147, n. 2, à d'autres
ouvrages. Lui-même reconnaît qu'il est bien difficile de savoir ce qui
fut vraiment exécuté ; seules des monographies des différentes insti-
tutions : daterie, pénitencerie, chambre, pourront nous renseigner.
1. Cf. ce que nous en avons dit, à propos du tome IV, dans la Revue histo-
rique, t. XCVII, n (1908), p. 418-423.
L. VON PASTOR : GESCHICHTE DER PAPSTE. 175
Parmi les pièces justificatives, p. 823-827, un curieux édit de 1536
pour la réforme du clergé de la ville de Rome.
Dans le cours du chapitre iv, consacré à l'état de l'Église, à l'élé-
vation de la famille Farnèse jusqu'en 1538, se trouve une étude de
la vie de cour à Rome et des fêtes du Carnaval sous Paul III qui met
en valeur l'autre aspect, encore très païen, de ce pontificat à double
face. On remarquera cette cavalcade du carnaval de 1545 : des figu-
rations antiques accompagnées d'édifiantes inscriptions explicatives,
par exemple Androclès et le lion, symbolisant les hérétiques qui ont
recours au pape.
Sur l'évolution de l'esprit réformateur pendant le pontificat, il faut
se reporter d'abord à la fin du chapitre v, où l'auteur suit, jusqu'à la
mort de Contarini en 1542, l'action des tendances libérales que person-
nifiait ce cardinal, et la réaction des tendances conservatrices et répres-
sives. Les progrès de ce nouvel esprit, représenté par le cardinal
Caraffa, sont exposés au chapitre xiv. Là en effet, entre Y achèvement
de la révolution religieuse en Angleterre et en Scandinavie et la
propagation du christianisme hors d'Europe, l'examen de la pro-
pagande protestante en France, Pologne et Italie amène à la fon-
dation de l'inquisition romaine. A ce propos, on remarquera cette
note p. 712, n. 3 : « A la fin de 1901, je fis une première requête, qui
fut suivie de deux autres, pour être admis à consulter les archives de
l'inquisition romaine. Tout ce que j'ai pu, après quatorze mois de
démarches, apprendre de l'archiviste, le P. G. M. van Rossum, c'est
que pour l'époque de Paul III rien n'a subsisté des procès intentés
pour hérésie, tandis qu'en revanche les décréta de l'inquisition sont
conservés. Le droit d'examiner ces derniers documents m'a été, mal-
gré la recommandation la plus haute, absolument refusé. » Sur la dif-
fusion des idées protestantes en Italie, M. Pastor signale, p. 703, de
très importants documents nouveaux par lui trouvés soit au Vatican
(une lettre d'Aléandre), soit dans les archives générales de l'ordre des
Ermites de Saint- Augustin à Rome. Il doit les publier dans son recueil
d'Acta inedita. Souhaitons qu'il ne tarde point.
Toute cette partie du livre est, on le voit, un peu dispersée. La con-
version au protestantisme du capucin B.Ochino, qui a provoqué
dans les esprits une crise très grave, est racontée à trois reprises au
chapitre v, au chapitre xiv et au chapitre vi à propos de l'ordre des
Capucins.
Dans les chapitres vi et vu, M. Pastor expose en effet dans son
ensemble l'activité réformatrice, d'abord des Théatins, des Barnabites,
des Ursulines, des Capucins, puis d'Ignace de Loyola et de la Société
de Jésus. Le ton est presque hagiographique (cf. p. 363). Le long récit
de la vie d'Ignace, des progrès de ses compagnons en Europe, de leur
activité à Trente, l'analyse superficielle des exercices spirituels, celle
très détaillée des constitutions (qui sont cependant seulement de 1550)
sont loin d'avoir la pénétration des pages consacrées aux étapes de la
176 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
pensée du fondateur, aux circonstances qui ont progressivement
déterminé le caractère de la Compagnie, par M. II. Boehmer dans son
petit livre sur les Jésuites, récemment traduit par M. G. Monod. La
seconde édition allemande de ce livre est de 1907; cependant, dans sa
riche bibliographie, M. Pastor ne l'a pas cité.
Parmi les pièces justificatives, un relevé (p. 863-867) des brefs de
Paul III intéressant les réformes (uniquement des réformes de cou-
vents), des dépouillements analogues pour l'œuvre de certains prélats
réformateurs, Marcello Cervini, comme évèque de Reggio, le cardinal
Morone, légat à Bologne, sont commentés au début du chapitre vi.
Le chapitre xv, Paul III Mécène des lettres et des arts, se com-
pose d'une série de notices. Signalons notamment des extraits de
comptes sur la décoration de la voûte de la Sala Regia et de la cha-
pelle Pauline, les impressions produites sur les premiers spectateurs
par le Jugement dernier de la Sixtine, d'après le cardinal Gonzague.
C'est une décision de la congrégation du Concile du 20 janvier 1564,
un mois avant la mort de Michel-Ange, qui a ordonné de couvrir les
nudités de la fresque.
Comme les précédents, ce nouveau livre de l'historien catholique des
papes est un guide d'une surabondante richesse à travers les faits et
la bibliographie. Dans ce long exposé narratif, les discussions critiques
sont rares : de simples notes signalent et résolvent un peu vite, p. 35,
n. 5, la controverse soulevée par M. Friedensburg sur la sincérité de
Paul III lors de ses premières démarches pour la réunion du Concile;
p. 336 et 337, les discussions sur l'orthodoxie des idées de Contarini
et de ses amis. Pas de jugement final sur ce pontificat de transition ;
les pages de l'introduction, Charakteristik Pauls III, n'en tiennent
pas lieu suffisamment. Comme composition et comme forme, le
« Paul III » de M. Pastor nous semble inférieur à son « Léon X ».
Pierre Bourdon.
Rétif de la Bretonne. Aventures galantes des dames du
XVIIIe siècle, publiées par M. J. Grand -Carteret. Paris,
Louis Michaud, 1910. In-8°, 450 pages.
— Les Nuits révolutionnaires. Impressions et récits contempo-
rains publiés avec une introduction par P. Funck-Brentano et
illustrés d'après les documents du temps. Paris, A. Fayard,
1910. In-4°, 170 pages.
M. Funck-Brentano a extrait de l'énorme fatras des Nuits de Paris
de Rétif de La Bretonne ce qui, dans les XVe et XVIe parties parues
en 1790 et 1794, a le caractère de récits historiques ou de tableaux de
la vie parisienne. On se tromperait si l'on croyait trouver dans ces
récits beaucoup de choses nouvelles. On est même étonné qu'un
RÉTIF DE LA BRETONNE : LES NUITS RÉVOLUTIONNAIRES. 177
homme qui, comme Rétif, vivait dans la rue et se qualifiait lui-même
de « hibou » ou « spectateur nocturne » n'ait pas eu occasion de voir
plus de choses restées inconnues aux autres témoins contemporains.
Et, de plus, on ne peut se défendre d'une assez grande méfiance sur
l'exactitude de quelques détails de ces récits (par exemple l'étrange
histoire du Suisse et de la dame mystérieuse le soir de la fuite de
Varennes, p. 87), bien que Rétif ait pourtant le souci d'être vrai et
que l'un des principaux mérites de ses narrations soit dans les frag-
ments de conversations ou d'aventures inachevées dont elles sont par-
semées. Rétif, écrivain inculte, lourd et incorrect, est dépourvu de
tout talent narratif. Ce qui fait l'intérêt des pages extraites par
M. Funck-Brentano, c'est la tranquillité lente et l'espèce de candeur
avec laquelle il raconte ce qu'il a vu ou entendu depuis le pillage de
la maison Réveillon jusqu'à l'exécution de Marie-Antoinette, entre-
mêlant ses récits de réflexions politiques où se reflète exactement la
mentalité de la population parisienne. Nulle part, je pense, on ne
peut mieux se rendre compte du mélange de sentiments généreux et
brutaux, de raisonnements sensés et stupides, d'entraînements ins-
tinctifs qui a fait passer les masses des rêves de fraternité et de liberté
et de la foi monarchique des premiers jours de la Révolution à la sau-
vagerie tyrannique de la Terreur. Rétif, qui est une âme sensible
et qui se croit philosophe, tout en ressentant de l'horreur devant les
actes de cannibalisme dont la Révolution fut souillée dès les premiers
jours, suit aveuglément les instincts des foules et trouve toujours des
raisons d'approuver tout ce qu'elles font ou approuvent. Avec une
égale sincérité, il s'attendrit d'admiration sur les vertus et la bonté de
Louis XVI lorsqu'il rentre à Paris après les journées d'octobre 1789
et sur le triomphe de Marat acquitté par le tribunal révolutionnaire ;
il trouve des justifications ou des excuses pour toutes les violences,
pour les massacres de Septembre ou la proscription des Girondins,
comme il applaudira plus tard au 18 brumaire. C'est là ce qui fait le
prix de ces pages ternes, traînantes et pourtant vivantes ; elles sont
un miroir grossier, mais fidèle, où l'on saisit mieux qu'ailleurs l'état
d'agitation, de désordre, d'insécurité, d'inquiétude, d'oppression, de
tristesse et de peur qui a pesé sur Paris pendant les années 1789
à 1794 et le fatal enchaînement des actes, des pensées et des senti-
ments du peuple entraîné par le mouvement révolutionnaire. Mais,
quoi qu'en dise M. Funck-Brentano dans la très intéressante intro-
duction où il a admirablement retracé les vicissitudes de la carrière
de Rétif de La Bretonne et les misères de ses dernières années et ana-
lysé son état d'esprit pendant la Révolution, nous ne trouvons pas
trace, chez ce fatigant bavard, du « génie » que M. Funck y
découvre, et nous croyons que l'histoire ne tirera rien de très nouveau
des extraits des Nuits de Paris. Je ferai une exception pour les
pages consacrées aux massacres de Septembre, qui abondent en
détails d'une précision sinistre et donnent une idée très complète de
A:; Histor . CV. 1er fasc. 12
178 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
l'aspect do Paris pendant que se déroulaient ces scènes de sauvagerie
et de luxure, auxquelles Rétif bien entendu finit par trouver une expli-
cation dans la nécessité de se débarrasser des prêtres réfractaires.
Utilisons pour la connaissance du xvme siècle les verbeux et plats
ouvrages que Rétif a accumulés pendant sa longue vie ; mais ne
cédons pas à la tendance qui se manifeste depuis quelque temps d'en
faire un grand écrivain ou un peintre de mœurs très remarquable.
M. Grand-Carteret a récemment publié un volume <¥ Aventures
galantes des dames du XVIIIe siècle, extraites de l'immense fatras
des Contemporains. On les lira avec curiosité, parce que ce sont des
faits divers empruntés vraisemblablement, comme l'affirme Rétif, à
la vie réelle; mais on sera rebuté par leur platitude et la prolixité de
ces nouvelles qui font triste figure à côté des petits chefs-d'œuvre
laissés par les conteurs galants du xvme siècle, de Marmontel à
Laclos.
G. Monod.
Recherches sur la ville et sur l'église de Bayonne. Manuscrit
du chanoine René Veillet, publié pour la première fois avec des
notes et des gravures par M. l'abbé V. Dubarat et M. l'abbé
J.-B. Daranatz, chanoines honoraires de Bayonne. Tome I.
Bayonne, Lasserre; Pau, Lafon et Ribaut, 1910. In-4°, cvin-
579 pages. Prix : 50 fr.
L'auteur de ces Recherches, le chanoine René Veillet, naquit à
Bayonne en mai 1639 et mourut le 22 février 1714. Après avoir étudié
pendant quatorze ans à l'Université de Paris la philosophie et la théo-
logie (1658-1672), il entra au service du duc de Montausier, dont il
quitta la maison en 1686, avec une pension de 1,500 livres par an. Il
revint alors dans sa ville natale, où il avait su ne pas se faire oublier.
Il était déjà chanoine théologal à la cathédrale; il devint vicaire
général en 1693, officiai en 1700, vicaire capitulaire et officiai en 1708;
chacune de ces nominations paraît avoir été obtenue à la suite d'efforts
ou d'intrigues sur lesquels l'auteur de la préface, M. l'abbé Daranatz,
donne d'abondants renseignements.
C'est par l'archéologie que Veillet fut amené à l'histoire. « C'est
par pur hasard », dit-il lui-même (p. lxxiii), « que je me suis engagé
à la composition de cet ouvrage. En regardant un jour la haute voûte
de notre église cathédrale, j'y découvris de certaines armes qui, ne
m'étant pas inconnues, me firent conjecturer que cette partie de
l'église avait été bâtie durant ou à peu près la vie de celui qui avait
porté ces armes... et peu à peu j'ai poussé ma curiosité jusqu'à vouloir
découvrir en quel temps chaque partie de ce grand édifice avait été
construite » ; puis il poussa ses recherches « dans tout le corps de
l'église, refouillant dans les archives du chapitre, parcourant quelques
R. VEILLET : RECHERCHES SUR LA VILLE ET l'e'gLISE DE RAYONNE. 179
anciens registres de l'hôtel de ville, déchiffrant beaucoup de vieux titres
dans nos plus anciennes communautés et dans quelques maisons parti-
culières ». C'est ainsi qu'il connut et utilisa largement le Livre d'or de
Bayonne, dont on nous annonce comme très prochaine une édition
critique1. Il ne manquait pas de guides ou de modèles : Oihénart et
les frères de Sainte-Marthe, qui avaient établi la succession des évêques
depuis le légendaire saint Léon, Marca, qui avait publié tant de textes
précieux sur le Béarn et les pays voisins durant le haut moyen âge,
Lopès, l'historien de l'église Saint-André de Bordeaux, dont il paraît
s'être inspiré, du moins dans les lignes très générales2. A côté de ces
érudits que l'on n'a cessé de révérer, Veillet place en outre Com-
paigne, qui a perdu tout crédit auprès des historiens depuis qu'il a
été convaincu d'avoir falsifié des documents3. Les années de prépa-
ration furent longues : la seconde partie ne fut pas rédigée avant 1706
et son ouvrage était à peine terminé quand il mourut.
Il est resté manuscrit pendant deux siècles, mais non ignoré. La
plupart des historiens bayonnais l'on consulté. On en fit d'assez nom-
breuses copies partielles4. Après de nombreuses vicissitudes, l'original
parvint enfin aux archives municipales de Bayonne, où il se trouve
encore aujourd'hui5. Il n'est plus intact; des mains ignorantes l'ont
lacéré en 1858. A l'aide des copies qu'on en possède, on a pu recons-
tituer le texte intégral.
L'œuvre est divisée en cinq parties. Dans la première, Veillet parle
des « antiquitez » de la ville et de ses premiers évoques, jusqu'au
moment où la ville changea son nom de Labourd en celui de
Bayonne (xne siècle) ; dans la seconde, il donne la suite des évêques
proprement dits de Bayonne, depuis le xne siècle jusqu'à l'épiscopat
d'André Druillet (1707-1727), dont Veillet ne dit rien; dans la troi-
sième, il essaie de déterminer les époques où ont été construites les
différentes parties de la cathédrale; dans la quatrième, il fait, pour
1. Le Livre d'or est le cartulaire de la cathédrale de Bayonne; on y a trans-
crit 96 documents, dont le plus ancien est la charte d'Arsius (vers 980) et le
plus récent est de 1310. Il est aujourd'hui aux archives départementales des
Basses-Pyrénées. M. Dubarat en a donné une analyse détaillée dans ses Études
d'histoire locale et religieuse, t. I, p. 17; une édition, préparée par feu l'abbé
Bidache, est en cours d'impression [Recherches, p. 32, note 8; p. 38, note 2;
p. 100, note 2).
2. Voir Préface, p. lxxv.
3. Bertrand de Compaigne, avocat du roi au présidial de Dax, est l'auteur
d'un Catalogue des evesques d'Acqz et d'une Chronique de la ville et diocèse
de Bayonne. Il a inséré dans le premier de ces ouvrages une charte pour
l'abbaye de Divielle qui est un faux manifeste (voir les articles de MM. Duba-
rat et Degert dans les Études historiques et religieuses du diocèse de Bayonne,
en juin et juillet 1898). « La probité historique et professionnelle du magistrat
dacquois en sort fort amoindrie » [Recherches, p. 18, note 3).
4. Une liste de 18 de ces copies est donnée dans la Préface, p. lxxi-lxxii,
5. Il a été donné par M"° Julie Lesseps en 1864.
180 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
employer ses propres expressions (p. 3), « une petite histoire des cha-
noines des églises cathédrales en général; de leur origine, fonctions,
manière de vivre, noms, droits, dignitez, relachemens et réformes » ;
dans la cinquième enfin, il note les faits les plus importants con-
cernant le chapitre de Bayonne et ses rapports avec l'évèque, avec les
prébendiers et avec le « corps de ville ». Dans le tome I, que nous
annonçons aujourd'hui, figurent les trois premières parties; les
deux autres paraîtront dans le tome II qui contiendra en outre une
dissertation sur la célèbre inscription d'Hasparren communiquée par
Veillet aux Mémoires de Trévoux (1704). Nous posséderons donc
l'œuvre entière du docte chanoine. Elle nous est présentée avec la plus
scrupuleuse fidélité; on en a reproduit les ratures, les remaniements,
les additions, l'orthographe ; on la traite avec autant de piété et d'amour
que s'il s'agissait d'une grande œuvre.
Mérite-t-elle qu'on lui fasse tant d'honneur? Sans doute, Veillet fut
un chercheur consciencieux et, sur plus d'un point délicat, il fit preuve
de sagacité; mais il manque aussi trop souvent d'esprit critique,
par exemple, quand il accepte, sans réserve, les récits légendaires
concernant saint Léon, l'apôtre et le patron de l'église cathédrale1, ou
certains actes faux mis en circulation par Compaigne. Ce qu'il dit des
Wisigoths et des Normands prouve combien étaient incertaines ses
notions sur l'époque mérovingienne ou carlovingienne. Que nous
apprend-il aujourd'hui de nouveau, de vraiment important? Pour la
partie ancienne, sa principale source est le Livre d'or; qui consultera
Veillet quand nous aurons le texte même du cartulaire de la cathé-
drale? En vérité, son ouvrage aurait pu rester inédit sans grand dom-
mage pour nos connaissances, et l'on se prend à regretter la dépense
considérable de temps et de savoir qu'il en a coûté à MM. Dubarat et
Daranatz.
Ceux-ci en effet se sont acquittés de leurs devoirs d'éditeurs de la
manière la plus digne d'éloge. La préface contient des indications
très étendues sur René Veillet, sur son père, Jean Veillet, sur son
grand-père, Pierre Veillet, dont le nom paraît pour la première fois
à Bayonne en 1606, sur les nombreux frères et sœurs du chanoine
(Jean Veillet n'eut pas moins de dix-neuf enfants), sur les familles
1. La légende de saint Léon paraît avoir été fabriquée au xvne siècle. L'abbé
de Saint-Cyran est l'auteur de leçons sur l'office de ce saint que Veillet a eu le
tort de prendre au sérieux. Les auteurs des Recherches paraissent éprouver une
certaine satisfaction à dénoncer cette supercherie littéraire; mais ce qu'ils
reprochent surtout au « trop célèbre abbé », c'est son jansénisme (p. 56, note 5 ;
p. 58, note 4); de même, s'ils qualifient Le Nain de Tilleinont de « très célèbre
historien ecclésiastique », ils ne peuvent s'empêcher d'ajouter ce regret : « Il eut
le malheur de donner dans le jansénisme et en fut un des principaux adeptes »
(p. 30, note 1). Ce sont, d'ailleurs, avec quelques remarques sur la constitu-
tion civile du clergé, à peu près les seules traces de parti pris qu'on puisse
relever dans l'ouvrage. C'est bien innocent.
11. VEILLET : RECHERCHES SUIl LA VILLE ET l'ÉGLISE DE BAYONNE. 181
alliées : les Lahet, les Lesseps1. Quant au texte, il est annoté avec
une déférente sobriété, mais avec le souci de ne laisser rien passer qui
doive être repris. Or, les éditeurs sont des érudits qui connaissent à
fond l'histoire religieuse de leur ville et de leur diocèse. L'un d'eux,
M. Dubarat, est particulièrement connu par la sûreté et l'étendue de
son érudition. Dans une édition et commentaire du Missel de Bayonne
de 15k3, il avait déjà traité en détail la plupart des problèmes que pose
la lecture des Recherches et il a suffi le plus souvent d'y renvoyer.
L'annotation est donc aussi substantielle que bien informée; elle devra
être consultée par tous ceux qui auront à s'occuper de l'histoire reli-
gieuse de Bayonne.
Quant à l'histoire civile, elle n'apparaît que tout à fait à l'arrière-
plan2.
Veillet, on l'a déjà dit, n'a pas poussé l'histoire des évêques de
Bayonne plus loin que l'année 1707. Les éditeurs ont jugé utile de
continuer l'œuvre de leur confrère jusqu'à nos jours. Toute la fin de
la seconde partie (p. 255-329) est donc leur œuvre propre. On leur saura
gré de cette addition.
C'est affaire aux archéologues d'apprécier la valeur de la 3e partie,
où Veillet parle de l'époque où fut fondée l'église cathédrale de Bayonne,
des différentes époques de sa construction, de sa décoration, etc.; mais
il importe de signaler une suite de planches où sont reproduits diffé-
rents aspects de la cathédrale, des sculptures, quelques tableaux
anciens, tous les vitraux. Il faut d'ailleurs faire cette remarque que le
volume est illustré par un grand nombre de gravures, de cartes, de
plans3, de fac-similés4 généralement bien choisis et bien placés. La
partie artistique a été dirigée par des hommes de science et de goût.
Une assez grande place est donnée à la fin du volume aux documents
1. Voir, en regard de la p. xli, le tableau généalogique des Lahet depuis le
milieu du xve siècle et, pages xlii-xlvii, les notes sur la famille de Lesseps à
laquelle appartenait M11" Julie Lesseps, qui fut le dernier possesseur du manus-
crit de Veillet, et Ferdinand de Lesseps, le créateur du canal de Suez.
2. A noter cependant de très utiles remanpies sur les enceintes de Bayonne,
avec plusieurs plans de la ville, dont un a été gravé sur les indications mêmes
de Veillet. En dehors de la constitution donnée à la ville par la charte de Jean
Sans-Terre en 1215 (on aurait dû à propos rappeler au moins ce qu'en a dit
Giry dans ses Établissements de Rouen), Veillet ne dit presque rien des insti-
tutions municipales au temps de la domination anglaise, mais il s'étend lon-
guement sur la constitution de 1482.
3. Certaines gravures sont même répétées; ainsi une vue cavalière du cou-
vent des Jacobins (essai de restauration par Rohault de Fleury), p. 114 et 119;
le plan de la cathédrale au xvie siècle, p. 354 et 379.
4. On retrouve ici, en face de la p. 38, le fac-similé de la charte d'Arsius,
le premier évêque connu de Bayonne après saint Léon; cette charte, dont nous
n'avons d'ailleurs qu'une copie exécutée au xi° ou au xii" siècle, est fausse ou
interpolée, « car les signataires du document ne vivaient pas à la même
époque » [Recherches, p. 39, note 3). Une transcription en est donnée p. 401.
182 COMPTES- KEN DUS CRITIQUES.
et aux pièces justificatives (p. 395-542). On aurait pu sans dommage
en éliminer quelques-uns, par exemple la dissertation de Nicolas
Sanson sur le nom primitif de Bayonne et la Civitas Boatium; en
abréger certains autres, tels que les emprunts faits aux Annales
archéologiques de Didron; mais il est vrai qu'il est commode de trou-
ver réunis en un même volume l'ensemble des textes relatifs à un
même objet. Par contre, des textes comme les testaments de plusieurs
membres des familles de Lahet et de Castelnau, les fondations et
obits pour ces mêmes familles (xvie-xvnc siècles), les actes relatifs à
Jean Sossiondo, évêque de Bayonne, mort en 1578, et à la maison
qu'il possédait à Ascaim (avec de jolies reproductions photographiques),
etc., seront lus avec profit. On nous promet pour le tome II des tables
onomastiques très détaillées; elles sont indispensables, en effet, pour
qu'on puisse utiliser la masse vraiment imposante de renseignements
contenus dans cette publication si estimable et qui rendra de si réels
services'1.
Ch. BÉMONT.
Georges Bousquet. Histoire du peuple bulgare depuis les ori-
gines jusqu'à nos jours. Paris, Chaix. In-12, n-435 pages.
La nation bulgare présente un des phénomènes les plus curieux de
résurrection que l'on trouve dans l'histoire de la péninsule des Balkans.
Constituée au vne siècle par le mélange de conquérants d'origine
turque avec une population slave, entrée au ixe siècle dans le cercle
des nations civilisées, grâce à sa conversion au christianisme, elle
devint sous le tsar Siméon une des grandes puissances de la pénin-
sule et menaça Constantinople. Une première fois, à la suite de la
conquête byzantine, cette nation disparut de l'histoire et pendant près
de deux siècles son territoire devint un thème impérial. Cependant,
l'hellénisme ne put en venir à bout et elle se réveilla à la fin du
xiie siècle avec la dynastie des Asen. Ce second empire bulgare dis-
parut à son tour devant la conquête turque au XIVe siècle et cette fois
la nation bulgare semblait bien morte. Elle devait cependant ressus-
citer une seconde fois au xixe siècle, et aujourd'hui l'État bulgare,
après avoir conquis son indépendance, est redevenu comme au temps
des anciens tsars un des facteurs les plus importants de la politique
orientale.
Telle est l'histoire si attachante que M. Bousquet a racontée dans
1. Il y a, p. 565-566, une assez longue liste de corrections et d'additions. Si
l'on en donne une seconde au t. H, on pourra corriger la note vraiment trop
insuffisante sur Walsingham, p. 180, et les noms des éditeurs des Rôles gascons
(p. 402). Il faut, je crois, faire imprimer Francisque-Michel (avec un trait
d'union) et il faut certainement changer le prénom de Bémont (Charles au
lieu de Paul).
GEORGES BOUSQUET : HISTOIRE DU PEUPLE BULGARE. 183
un volume clair et agréable à lire, qui comble une des lacunes de
notre littérature historique. Ce qui donne à cette étude une valeur
spéciale, c'est que l'auteur, établi en Bulgarie depuis plusieurs années,
en a appris la langue, a parcouru le pays et a reçu des informations
directes sur une partie des événements qu'il raconte. Il a écrit son
livre avec une sympathie très vive pour cette démocratie de paysans,
d'extérieur un peu rude, mais pleine de vitalité et curieuse de la cul-
ture moderne ; il n'en a pas moins montré dans le récit des événe-
ments qui se sont passés sous nos yeux une véritable impartialité et
il n'a jamais quitté le ton objectif de l'histoire. Bien qu'il se défende
dans son avant-propos d'écrire une œuvre d'érudition, M. Bousquet
est bien informé des travaux dont la Bulgarie a été l'objet; c'est
cependant de ce côté que l'on peut faire quelques réserves et signaler
quelques améliorations possibles.
L'histoire bulgare du moyen âge ne comprend que le quart du
volume. Elle est exposée avec clarté et, avec un souci parfait de la
composition, l'auteur a su se restreindre à son sujet sans raconter
toute l'histoire de la péninsule des Balkans pendant cette période. A
propos des Bulgares primitifs, il est fâcheux qu'il n'ait tiré aucun
parti des belles fouilles exécutées par l'Institut archéologique russe de
Constantinople à Aboba-Pliska (voy. Rev. hist., t. XCVII, p. 207);
c'est un des témoignages les plus importants que l'on possède sur les
Bulgares au moment de leur conversion au christianisme. De même
la connaissance de l'histoire byzantine, si intimement liée à celle des
Bulgares, n'est pas toujours suffisante. Parler d'intrigues de harem
dans la Constantinople impériale (p. 11) est un anachronisme, au moins
dans la forme. L'entrevue de Romain Lécapène (p. 25) et du tsar
Siméon en 924 est racontée d'une manière inexacte et aucune allusion
n'est faite à l'attitude pleine de dignité de l'empereur, dont la fermeté
sauva Constantinople. Après la conquête byzantine, le patriarche
devint non pas évêque (p. 48), mais archevêque, et il est inexact de
dire que l'Eglise bulgare resta autocéphale : elle fut au contraire gou-
vernée par des évêques recrutés dans le clergé de Sainte-Sophie et
propagateurs fougueux de l'hellénisme. Enfin, ce ne sont pas les
Slaves (p. 4) qui ont détruit l'état des Avars, mais bien les Francs de
Charlemagne. Dans la bibliographie, on s'étonne de ne pas voir figu-
rer des ouvrages aussi importants que ceux de Gerland sur l'empire
latin, de Jorga sur l'empire ottoman, de Xénopol sur les Roumains.
M. Bousquet n'a tenu aucun compte des résultats des recherches de
Xénopol sur la formation du second empire bulgare, où l'élément
valaque joua, au début du moins, un rôle plus important qu'il ne l'in-
dique. Les fondateurs mêmes de la dynastie, les Asen, paraissent
bien avoir été des Valaques (Nicét. Chon., éd. de Bonn, p. 617)*.
Malgré ces imperfections, qu'il serait facile de faire disparaître,
1. M. Bousquet nous permettra. en outre de lui signaler un assez grand
nombre de fautes d'impression et une orthographe des noms propres décon-
184 COMPTES-HEMIUS CRITIQUES.
M. Bousquet a étudié avec beaucoup de précision les transformations
de la Bulgarie au moyen âge. Il a donné des détails curieux sur l'in-
fluence dissolvante de la doctrine nihiliste des Bogomils, et dans un
chapitre d'ensemble il a résumé tout ce que l'on sait sur l'état social
de la nation bulgare aux premiers siècles de son histoire.
L'histoire de la Bulgarie moderne est traitée avec plus de décails, et
dans cette partie l'information de l'auteur a un caractère tout person-
nel qui rend la lecture de son livre très attachante. Après avoir
montré ce qu'étaient devenus les Bulgares maltraités par les pachas
turcs et « dénationalisés » par les indignes pasteurs que leur envoyait
le Phanar, il étudie l'histoire du réveil de ce peuple qui semblait avoir
perdu toute conscience de lui-même. Le mouvement est parti d'abord
des érudits qui essayèrent de reconstituer la langue et la littérature
nationales. En 1762, l'higomnène Païci du monastère de Kilendar au
mont Athos écrivit une « Histoire slave-bulgare des peuples, des
tsars et des saints ». En 1800, le pope Stoïko Vladislavof publia le
premier livre imprimé en bulgare. Puis vint le réveil religieux qui
aboutit en 1872 à la création de l'exarchat et à la multiplication des
écoles bulgares. Le terrain était alors préparé pour l'action politique
qui fut entreprise avec un véritable héroïsme par une poignée
d'hommes au milieu des difficultés de tout genre et malgré les repré-
sailles sanguinaires des Turcs. Ce qui ressort du récit de M. Bous-
quet, c'est le patriotisme indomptable des Bulgares qui bravent les
supplices et ne veulent pas se résoudre à être de simples instruments
dans la main des puissances européennes. Comment la Bulgarie a pu
survivre à l'organisation défectueuse que l'Europe lui avait octroyée
de si mauvaise grâce en 1879, comment elle a pu se dégager de la
suzeraineté nominale de la Porte et de la suzeraineté de fait de la
Russie, c'est ce que M. Bousquet raconte dans la dernière partie de
son livre. Le caractère brouillon et impulsif du malheureux prince
Alexandre, le régime de terreur instauré par Stamboulof, la politique
sage et habile du tsar Ferdinand y sont appréciés en toute impartia-
lité. Dans un chapitre d'ensemble, l'auteur fait un tableau du déve-
loppement remarquable des forces intellectuelles et économiques de
la Bulgarie pendant ces vingt dernières années. Comme il le montre
en terminant, la nation bulgare, après avoir retrouvé ses titres et
reconquis sa place en Europe, a renoué désormais ses traditions et
elle est à un nouveau tournant d'une histoire qui s'annonce pour elle
pleine de promesses.
Louis Bréhier.
eertante pour le lecteur français ou même tout à fait inexacte : Ludovic le
Germain (p. 14-16); les Madgyars (p. 21); Romain Lacapène (p. 23); Nicolas
Mislik (p. 24); les Varings (p. 52); l'empereur Henrique, etc.
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
Histoire de l'Antiquité.
— B. Bouzeskoul. Histoire de la démocratie athénienne (en
russe) (Saint-Pétersbourg, Stasioulevitch, 1909, in-8°, vn-468 p.)- —
Dans ce volume, consacré à l'histoire d'Athènes des origines à l'époque
macédonienne, l'auteur étudie d'abord dans une courte introduction
les institutions primitives de la Grèce et leur évolution. L'hypothèse
d'un pouvoir monarchique très fort dans les cités grecques de l'âge
héroïque me paraît dénuée de fondement; il y a confusion entre la
Grèce égéenne et la Grèce homérique. En quatre parties très substan-
tielles, M. Bouzeskoul décrit successivement l'origine, l'épanouisse-
ment, les crises et la chute de la démocratie athénienne. Une bonne
bibliographie, où figurent les principaux travaux parus en Occident
et quelques ouvrages russes moins connus, accompagne ce volume.
L. B.
Histoire de France.
— Aldus Ledieu. A la mémoire de M. Ernest Prarond, 1821-
1909 (Abbeville, impr. A. Lafosse, 1910, in-8°, xxix-97 p.). — M. Pra-
rond, dont nous avons annoncé la mort l'an dernier, méritait qu'on
réunît les discours prononcés sur sa tombe, les principaux articles
publiés après son décès dans les journaux locaux. Ce qui le recom-
mandera davantage au souvenir de la postérité, ce sont ses œuvres, dont
on trouvera dans cette brochure une bibliographie complète. — Ch. B.
— Ex Guidonis de Bazochiis Cronosgraphie libro septimo.
Letzter Teil, bis zum Schluss, 1199. hgg. von Alexander Cartel-
lieri, bearbeitet von Wilhelm Fricke (Jéna, Kœmpfe, 1910, in-8°,
23 p.). — M. Cartellieri a fait transcrire par un de ses élèves et
imprimer avec quelques corrections le texte de Gui de Bazoches (1180-
1199), d'après le manuscrit de Paris, latin 4998. Le commentaire a été
donné par le professeur dans les exercices pratiques dirigés par lui.
Il n'en est rien passé dans la présente brochure.
— Henri Hauser. Études sur la Réforme française (Paris, A.
Picard et fils, 1909, in-12, xiv-308 p.). — Bien que formé d'une série
d'essais qu'aucun plan préconçu ne relie, sur l'Humanisme et la
Réforme, Aimé Maigret, la Réforme et les classes populaires, la
sédition de la « Rebeine » à Lyon en 1529, Nîmes, les consulats et la
186 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
Réforme, la Réforme en Auvergne, les petits livres du xvie siècle,
l'Histoire des persécutions et martyres d'Aristide Chandieu, le volume
de M. Hauser trouve une certaine unité dans les idées essentielles qui
s'en dégagent pour l'histoire de la Réforme française. Il montre tout
d'abord que cette réforme, celle du moins dont Lefèvre d'Étaples a été
le premier et le plus caractéristique représentant, a été en profond
accord et harmonie avec le mouvement de l'humanisme et a paru un
instant sur le point d'entraîner l'élite des intelligences françaises ; que
Calvin, humaniste lui aussi à ses débuts, a opéré la rupture entre
l'humanisme et la Réforme, et qu'alors les humanistes, tout en empê-
chant la pensée française d'être opprimée par Rome ou Genève, se
sont trouvés sans direction et sans doctrine. En second lieu, M. Hauser
réfute l'idée très répandue que la Réforme n'a eu en France de prise
réelle que sur les lettrés et la noblesse et n'a rien eu de populaire ni
de national. Il montre, au contraire, qu'à ses débuts la Réforme a
profondément remué les masses populaires, mais surtout les classes
ouvrières. Elle a eu peu d'action sur les paysans qui seuls auraient
pu lui donner une base solide. Dans son étude sur la sédition popu-
laire ou « Rebeine » de Lyon du 25 avril 1529, M. Hauser démontre
la justesse de l'affirmation de Symphorien Champier, qui a vu un
élément religieux et une influence du luthéranisme dans cette sédition.
Les études sur le rôle des Consulats dans la Réforme et sur la
Réforme en Auvergne amènent aussi l'auteur à conclure que les popu-
lations urbaines ont été plus contaminées par la Réforme qu'on
ne l'a cru et que la mollesse des consulats urbains à défendre le
catholicisme a beaucoup aidé la diffusion de la Réforme dans tout le
sud-ouest. Ces- quelques indications peuvent donner une idée de
l'originalité et de l'importance du petit livre de M. Hauser dont toutes
les parties reposent sur une étude directe et pénétrante des sources
manuscrites. G. M.
— Arthur Chuquet, membre de l'Institut. Épisodes et portraits,
2e série (Paris, Honoré Champion, 1910, in-18, 234 p.). — C'est une
nouvelle série d'études critiques que nous offre le savant académicien ;
elles s'étendent chronologiquement de Louis XIV à la guerre de 1870.
M. A. Chuquet, en rendant compte de publications historiques nou-
velles, sait toujours ajouter de son fond inépuisable des détails inédits
ou formuler sur les personnages qu'il étudie des jugements topiques;
c'est assez dire qu'on le lira donc toujours avec un vif intérêt, soit
qu'il résume les mémoires si curieux de Primi Visconti, soit qu'il
apprécie l'ouvrage de M. Duquet sur Frœschwiller. Nous ne mention-
nerons ici que celles de ces esquisses qui rentrent dans notre domaine
propre; celle sur Antoine Tortat, commis de la Convention après
thermidor, mort président de tribunal un demi-siècle plus tard, et qui
rédigea des souvenirs fragmentaires sur les luttes en Vendée (1794-
1795); celles sur les mémoires militaires du général Le Grand, qu'il
soumet à une critique écrasante, et sur le journal du Dromadaire
HISTOIRE DE FRANCE. 187
François, dont la campagne d'Egypte est copiée en partie dans
Victoires et Conquêtes; voici encore les Souvenirs du baron de
Cosneau, cet amusant, mais trop peu véridique personnage qui se
croyait l'émule de Napoléon; le tableau du séjour de l'empereur à
Finkenstein au printemps de 1807. D'autres études font connaître au
lecteur le sergent-major badois Steinmiiller, le garde d'honneur
genevois Cramer, l'officier d'état-major polonais Grabowski. M. Arthur
Chuquet a su donner chaque fois, en quelques pages, le suc et la
moelle de leurs récits. R.
— F. Uzureau. Andega.via.na, 9e série (Paris, A. Picard; Angers,
Siraudeau, 1910, gr. in-8°, 494p.). — Les Andegaviana de M. l'abbé Uzu-
reau sont une vieille connaissance de nos lecteurs. Ce 9e volume com-
prend de nouveau toute une série d'études, d'extraits de manuscrits ou
d'imprimés rares qui nous conduisent de saint Maurille, évêque d'An-
gers au Ve siècle, jusqu'à la duchesse de Berry, en 1828. Nous relevons
dans ce recueil un travail sur les Élections du tiers état dans la
sénéchaussée de Saumur, des recherches sur l'histoire religieuse de
différentes communes angevines (Anillé, La Jumellière, Maulevrier,
Louroux-Béconnais, Pin-en-Mauges, etc.) pendant la Révolution;
l'histoire des cantons de Maine-et-Loire de 1790 à 1909; la Police
secrète dans le Maine-et-Loire sous le premier Empire (180k-
1805); j'y ajouterais certaines fiches administratives assez curieuses
sur des personnages officiels d'Angers en 1843. — Nous avons reçu
en outre, du même auteur, deux plaquettes : le Clergé de Denée et
des Jubeaux (deux paroisses du diocèse d'Angers) pendant la Révo-
lution (Angers, impr. Grassin, 1909, in-8°, 17 p.) et V Assemblée pro-
vinciale d'Anjou et l'élection de La Flèche (Angers, Grassin, s. d.,
in-8°, 19 p.); M. l'abbé Uzureau nous y raconte la querelle prolongée
entre les deux assemblées provinciales du Maine et de l'Anjou (1788-
1790), au sujet de l'incorporation des soixante-treize paroisses de
l'élection de La Flèche à l'une ou à l'autre des deux régions. — R.
— J. Cart. Le 10 août 1192 à Paris et le régiment des gardes
suisses (Paris, Fischbacher, 1909, in-8°, 63 p.). — Cette étude, tirage
à part de la Revue des études historiques, n'est pas, à vrai dire, un
tableau général de la journée du 10 août. Elle ne la retrace que dans
la mesure on les bataillons de la garde royale participèrent aux péri-
péties de cette journée. Ce qu'il y a de plus particulièrement neuf
pour nous, ce n'est ni le combat lui-même ni les massacres qui le sui-
virent immédiatement, mais l'exposé de l'impression fâcheuse produite
en Suisse même par ces scènes lugubres, par le procès du major
Bachmann, par les boucheries subséquentes du 2 au 4 septembre.
Tandis qu'à Paris on parlait de la trahison des mercenaires étran-
gers, on s'emportait à Berne contre l'assassinai de compatriotes, et
les phrases sentimentales de l'appel de la Convention nationale aux
« frères et alliés », lancé le 9 octobre, n'offrirent qu'une médiocre
consolation aux parents et amis des sept à huit cents victimes. Quand
1|S|^ NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
l'auteur déclare que jusqu'au 10 août les régiments suisses au service
de France n'avaient été mêlés à aucun des incidents de la Révolution
(]). 7), il oublie Châteauvieux à Nancy, Ernst à Marseille, Vigier à
Strasbourg qui avaient figuré dans certains mouvements locaux, dans
les villes en question. R.
— Journal et souvenirs de Gaspard Schumacher, capitaine aux
Suisses de la garde royale (1108-1830), traduits avec introduction
par Pierre d'Hugues (Paris, A. Fayard, s. d. (1910), in-8°, 137 p., ill.).
— Un de ces journaux d'officiers subalternes qui sortent, innom-
brables, de tant de tiroirs, et qui auraient pu rester inédits, sans grand
dommage pour l'histoire. Ce brave Lucernois qui servit la France
pendant trente ans, sans jamais apprendre à écrire notre langue, est né
en 1776 et mourut à Orléans en 1847. Après avoir été d'abord soldat
dans son pays, il fut incorporé dans l'armée napoléonienne en 1807,
mais « jamais âme de soldat ne fut moins belliqueuse », comme le
déclare l'éditeur lui-même, et sa façon de raconter ses campagnes est
tout ce qu'il y a de plus prosaïque. Néanmoins, les récits de la capitu-
lation de Baylen, des atrocités des guérilleros espagnols et des pon-
tons de Cadix, des horreurs de la retraite de Moscou fournissent
quelques traits d'autant plus émouvants qu'ils sont dits avec une pla-
cidité que rien ne semble avoir pu ébranler. C'est sous la Restaura-
tion seulement que Schumacher devint capitaine ; il n'a pas figuré le
moins du monde dans les scènes de la Révolution de juillet, sur
laquelle on nous fournit une dizaine d'illustrations. — P. 108, lire
Canstatt pour Ranstatt; p. 79, Insterbug (qui est dans la Prusse
orientale) ne peut être une étape entre Munster et Osnabruck. — R.
— L'-colonel Sauzey. Les Allemands sous les aigles françaises.
Essai sur les troupes de la Confédération du Rhin. T. V : Nos
alliés les Bavarois, avec une préface de M. Arthur Chuquet (Paris,
R. Chapelot et Cie, 1910, in-8°, x-442 p., pi. coloriées). — Après
nous avoir parlé des Francfortois, des Badois, des Saxons et des con-
tingents des petits États de la Thuringe, M. le colonel Sauzey nous
entretient, dans ce nouveau volume, des soldats du roi Maximilien-
Joseph qui, de 1806 à 1812, combattirent aux côtés de nos soldats clans
les campagnes impériales. L'auteur, chaudement recommandé par
M. Arthur Chuquet, a utilisé, entre autres, les papiers du général
d'Albignac, qui fut chef d'état-major du corps bavarois en 1812. Il
nous raconte successivement les succès et les revers des campagnes
de Moravie (1805), Silésie (1806), Tyrol et Autriche (1809) et surtout
celle de Russie, qui causa des pertes énormes à la Bavière. Ils étaient
25,000 hommes en partant; ils reçurent deux fois de notables renforts
et, lors de leur retour à Bamberg, en avril 1813, ils ne comptaient plus
que 1,030 soldats! Ils combattirent encore à Bautzen et Vurschen,
aidèrent à défendre Thorn et Dantzig, mais l'armistice de Ried
(8 octobre) en fit des adversaires, et c'est comme ennemis que Napo-
léon les écrasait à Hanau. — P. 54, « Anhalt-PJœss », lire Pless;
HISTOIRE DE FRANCE. 189
p. 122, « la porte Sendlinger » (Sendlïnger Thor, il aurait fallu dire :
« La porte de Sendlingen) ; p. 125, lire Kolowrat, pour Collowrath;
p. 281, lire Clément de Ris, pour Clément de Dis, etc. R.
— Pierre Leguay. La Sorbonne contemporaine (Paris, B. Gras-
set, in-12, 180 p.). — On lira avec intérêt ce spirituel et malicieux
petit livre écrit par un homme bien informé en général, quoique son
information soit parfois trop influencée par les élucubrations de
Y Action française, qu'il est trop intelligent d'ailleurs pour accepter
les yeux fermés1. Pour M. Leguay, c'est dans la Sorbonne que se
concentre tout le mouvement universitaire de France, et, dans la Sor-
bonne, il n'y a que la Faculté des lettres qui ait une réelle importance
au point de vue de l'évolution de l'enseignement. Or, d'après lui,
toute cette évolution a pour objet d'adapter l'enseignement des lettres
à la démocratie, et, pour y arriver, de lui donner un caractère de plus
en plus scientifique, plus érudit, plus historique. S'il y a beaucoup de
traits justes et finement marqués dans la caractéristique donnée par
M. Leguay des divers enseignements de la Sorbonne littéraire, si sa
thèse générale peut sembler justifiée par des citations bien choisies de
M. Seignobos, elle n'en est pas moins un aimable paradoxe. Le carac-
tère de plus en plus historique, érudit et scientifique de l'enseigne-
ment supérieur des lettres tient à l'évolution intellectuelle de l'époque
contemporaine en général et n'a rien de démocratique. L'envahissement
démocratique de la Sorbonne par l'excès de préparation aux examens,
par l'abaissement de certaines études, par la transformation d'une
partie de l'activité de la Sorbonne en une préparation d'examens de
français pour les étrangers est un mal réel que M. Leguay n'a pas
signalé.
— Inventaire des sceaux de la collection des pièces originales
du Cabinet des titres de la Bibliothèque nationale, par J. Roman,
t. I (Paris, Impr. nationale, 1909, libr. E. Leroux, in-4°, 943 p.). —
La collection des pièces originales du Cabinet des titres renferme
environ 15,000 sceaux ou cachets; M. Roman en publie et décrit envi-
ron 11,000. C'est qu'il a systématiquement écarté tous ceux qui sont
postérieurs à l'an 1600 et aussi ceux qui ont été déjà décrits soit par
Douët d'Arcq, dans son Inventaire des sceaux conservés aux
Archives nationales, soit par Demay, dans son Inventaire des
sceaux de la collection Clairambault. Quant aux « pièces origi-
nales » elles-mêmes, elles proviennent de Gaignières, de Clairambault,
1. C'est à cette source frelatée que M. Leguay a sans doute puisé la prétendue
citation de M. Pariset p. 177 et ce qu'il dit p. 166 de M. Monod, « professeur en
Sorbonne, où il se fait perpétuellement suppléer ». M. Monod a été avec ses
collègues de l'École normale versé dans les cadres de la Sorbonne à un moment
où sa santé, puis la maladie et la mort d'un fils l'obligèrent à rester en congé.
Au bout d'une année (1905), il prenait sa retraite. M. Monod a assez enseigné,
de 1868 à 1904, sans mesurer son temps ni sa peine, pour n'être pas compté
parmi les professeurs qui se font perpétuellement suppléer.
190 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
de Beaumarchais (qui acheta en 1837 une énorme quantité de parche-
mins échappés à l'incendie de la Chamhre des Comptes de Paris) et
des généalogistes d'Hozier et Chérin. Elles forment aujourd'hui une
collection de 3,061 volumes rangés dans le fonds français de la Biblio-
thèque nationale (nos 26484 à 29545). Il n'est pas douteux que l'inven-
taire de M. Roman ne rende les mêmes services que ceux de Douët
d'Arcq et de Demay, si souvent consultés par les historiens.
Histoire d'Allemagne.
— Georg Schwarz. Die Vorgeschichte des Feldzuges von 1196
in Italien und die Gefechte vont 10-15 april (Bonn, 1910, 109 p.). —
Dans cette thèse, consacrée aux préparatifs et aux commencements de
la campagne d'Italie 1796 jusqu'à la bataille de Dego, M. Schwarz a
profité surtout des ouvrages de Gabriel Fabry et de Kuhl.
— Ludwig Schemann. Gobineaus Rassenvterk. Aktenstùcke. und
Betrachtung zur Geschichte und Kritik des Essai sur l'inégalité
des races humaines (Stuttgart, Fr. Frommann, 1910, xliv-544 p.,
10 m. 50). — M. Schemann, le chef des « gobinistes » allemands, en
préparant une biographie de Gobineau et une histoire de la théorie
des races, vient de publier un volume qui contient des matériaux des-
tinés à servir de base à ces deux grands travaux projetés. M. Schemann
tient à démontrer que l'Essai sur l'inégalité des races humaines
n'a pas été ignoré ou négligé par les contemporains, comme on l'a
souvent prétendu ; et il le prouve en reproduisant des extraits de livres
et de revues et des lettres adressées à Gobineau. Il prétend que Renan
a été fortement influencé par Gobineau, mais il faut avouer que les
différences d'opinions ont été bien plus grandes que les quelques res-
semblances, et les reproches dirigés par M. Schemann contre Renan
ne me paraissent nullement justifiés. Dans la seconde partie de son
livre, M. Schemann discute l'Essai sous des points de vue différents
et il publie quelques fragments inédits de Gobineau. Ce n'est pas ici
le lieu de critiquer la doctrine gobiniste qui est plutôt une matière de
foi qu'une théorie scientifique, mais « l'incrédule » conviendra que
M. Schemann, malgré son admiration extrême pour Gobineau, n'est
pas du tout aveugle envers les faiblesses et les erreurs de son héros.
P. D.
Histoire d'Angleterre.
— II. A. L. Fisher. Frederick William Maitland, Downing
prof essor of the laws of England. A biographical sketch (Cam-
bridge, at the University Press, 1910, in-8°, 179 p.). — Opuscule d'une
lecture aussi touchante qu'instructive. Maitland a été un admirable
professeur et ses œuvres ont renouvelé la conception de l'histoire des
institutions anglaises au moyen âge. Son enseignement par la parole
et par la plume est fort bien exposé par un homme qui a vécu dans
HISTOIRE D'AUTRICHE. 191
l'intimité de Maitlancl (celui-ci avait épousé la sœur aînée de M. Fisher)
et qui est un des maîtres de l'histoire. On lit avec un intérêt particu-
lier les lettres écrites par Maitland à M. Paul Vinogradofî et à Sir
Frederick Pollock, deux amis très chers, dont le nom peut être diffi-
cilement séparé du sien. Le récit est sobre, volontairement imper-
sonnel; mais l'homme dont M. Fisher a fixé les principaux traits était
si richement orné des dons de l'intelligence que le simple exposé de
ses idées le fait revivre tel qu'il doit rester dans le souvenir de la
postérité. Ch. B.
— Delavaud. Les origines norvégiennes des archipels écossais
(F. Alcan, 1910, in-8°, 206 p.). — Article tiré à part des Annales des
sciences politiques (15 mars 1910). L'auteur y résume les principales
étapes de l'occupation des Shetlands et des Orcades par les Scandi-
naves, en particulier les Norvégiens, depuis l'expédition victorieuse
de Harald aux Longs cheveux en 872 jusqu'au traité de 1489 par
lequel le roi de Norvège vendit à réméré ces archipels au roi d'Ecosse,
et jusqu'au traité de Breda par lequel le roi de Danemark abandonna,
non sans peine ni réserve, ses prétentions sur les Orcades (1667).
Juridiquement, on pourrait encore plaider aujourd'hui que la souve-
raineté du roi d'Angleterre sur ces îles n'est pas absolue.
— The great roll of the pipe for the twenty-seventh year of
the reign of king Henry the second, 1180-1181. Publ. de la Pipe
roll Society, n° 30 (1909, in-8°, xxx-201 p.). — Puisque ces rôles
contiennent les recettes et les dépenses des shériffs, c'est-à-dire le bud-
get même de la royauté, il importe de savoir quel degré de confiance
ils méritent. Or, M. Round constate dans la préface de grandes irrégu-
larités d'écritures, par exemple en ce qui concerne les terres du comte
Eustache de Boulogne, ce qu'on appelait alors « l'honneur de Bou-
logne »; le compte qui les concerne a été rendu en 1178, omis en
1180 et, dans le présent rôle, mentionné seulement pour une moitié de
l'année. A noter aussi les fréquentes mentions de Ranulf de Glanville,
qui, en sa qualité de « justiciarius » et pendant l'absence de Henri II,
était comme le vice-roi de l'Angleterre.
Histoire d'Autriche.
— Alfons Dopsch. Die altère Sozial- und Wirtschaftsverfassung
der Alpenslaven (Weimar, Hermann Bôhlau, 1909, vn-179 p.). —
Dans cette brochure très bien documentée, M. Dopsch réfute les
hypothèses soutenues par M. Peisker sur les institutions sociales et
économiques des Slaves de la Styrie et de la Carinthie. M. Peisker
avait prétendu qu'il existait parmi les Slaves des Alpes deux classes
sociales bien différentes, les « supani », les anciens seigneurs, réduits
par les conquérants germaniques, mais vivant comme leurs ancêtres
de l'élevage, et les « paysans », qui étaient des agriculteurs. M. Dopsch
prouve que cette hypothèse n'est pas fondée et que les « supani »
192 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
n'étaient en vérité que des agents seigneuriaux, ne se distinguant pas
des autres paysans par leur origine, mais seulement par leur fonction.
Par cette constatation, les autres hypothèses de M. Peisker sur les
institutions slaves existant avant la conquête germanique tombent
également. P. D.
— A. Fournier. Wie wir zu Bosnien ha.rn.en (Vienne, Chr.
Reiner's Sœhne, 1909, in-8°, 9G p.). — Cet opuscule de M. Fournier
donne un aperçu très complet et très précis des événements antérieurs
au Congrès de Berlin qui ont préparé l'annexion de la Bosnie et de
l'Herzégovine (avec raison, l'auteur ne consacre que vingt pages à la
période de 1878 à 1909, car quelque opinion qu'on ait sur la manière
à la fois perfide et brutale dont s'est opérée l'annexion définitive, tout
homme de bon sens a, dès 1878, considéré l'annexion comme faite).
Or, c'est des accords de l'Autriche avec la Russie qu'est sortie cette
annexion, désirée par le parti militaire autrichien depuis qu'en 18G6
l'Autriche avait dû reporter vers l'Orient ses vues d'avenir. Au prin-
temps de 1873, par l'arrangement de Schœnbrunn, Alexandre II et
François-Joseph s'étaient promis d'agir de concert dans les affaires
d'Orient. L'insurrection de la Bosnie et de l'Herzégovine et les hos-
tilités de la Serbie et du Monténégro avec la Turquie amenèrent la
convention de Reichstadt entre les deux empereurs, par laquelle, en
cas d'une guerre victorieuse de la Russie contre les Turcs, l'Autriche
occuperait la Bosnie et l'Herzégovine, tandis que la Russie annexe-
rait la Bessarabie. Ces conditions se trouvèrent répétées dans le traité
militaire secret de Budapest du 15 janvier 1877 et la convention de
Vienne du 18 mars. La Russie, au traité de San-Stefano, essaya de
jouer l'Autriche, qui avait pourtant observé tous ses engagements,
et favorisa l'autonomie de la Bosnie et de l'Herzégovine qui avait
toujours été réclamée par l'Angleterre; mais, tandis que la Russie
croyait lier l'Angleterre à sa politique par un traité secret, celle-ci,
avec une duplicité admirable, pour s'assurer l'appui de l'Autriche dans
son projet de conquête de Cypre, concluait avec elle un accord où
elle lui promettait d'appuyer ses projets bosniaques au futur congrès.
Tout ce qui a suivi depuis était la conséquence forcée de ces prélimi-
naires. Les Russes ont beau aujourd'hui renier leur responsabilité,
elle découle de leurs propres documents d'État utilisés par Tatitschew
dans son livre sur Alexandre II et par Gorjainow dans son ouvrage :
Der Bosporus und die Dardanellen. Faute de les avoir connus,
M. Ilanotaux a imparfaitement exposé dans son Histoire de la
France contemporaine ce qui touche à la question bosniaque.
L'inertie de la Russie lors de l'annexion trouve là son explication.
G. M.
Histoire du Brésil.
— Ricardo Rojas. La Restauraciôn nationalista. Informe sobre
Educaciôn (Buenos-Aires, Ministerio de justicia é instrucion pûblica,
HISTOIRE DES e'tATS-UNIS. 193
1909, in-8°, 513 p.). — Notre futur collaborateur pour l'histoire de
l'Amérique latine, M. Ricardo Hojas, chargé d'une mission du gou-
vernement brésilien en Europe pour y étudier les méthodes d'ensei-
gnement historique, vient de publier l'important rapport adressé par
lui en 1909 au ministre qui l'avait délégué. Ce rapport est à la fois
théorique et pratique. On y trouvera, sous une forme à la fois claire
et élégante, éloquente souvent, un exposé des théories sur la méthode
historique en général et sur l'histoire de l'histoire, des renseignements
très précis sur l'enseignement historique en Angleterre, en France, en
Allemagne, en Italie, en Espagne et aux États-Unis, enfin un tableau
de l'état et des lacunes de l'enseignement historique au Brésil et des
services que l'enseignement de l'histoire réformé peut rendre à la
régénération du pays, au développement de la conscience nationale.
M. Rojas nous parait avoir admirablement compris et montré com-
ment c'est en reconstituant le passé national, en faisant comprendre
les rapports de l'histoire avec le sol, en donnant au peuple conscience
de la manière dont son unité s'est formée d'éléments divers que l'his-
toire arrive, sans cesser d'être scientifique, à jouer un rôle moral,
civique, politique et presque religieux. M. Rojas indique les mesures
pratiques à prendre pour donner, au Brésil, à l'enseignement historique
les instruments dont il a besoin, et il termine en appliquant à l'his-
toire les paroles fameuses d'Ézéchiel : « Esprit, viens des quatre vents
de l'horizon et souffle sur ces morts, ils vivront. » G. M.
Histoire d'Espagne.
— Général Kirpatrick de Closeburn. Souvenirs de la dernière
guerre carliste, 1872-1876 (Paris, Alph. Picard, s. d., in-8°, 422 p.).
— L'ouvrage est précédé d'une introduction où sont établis les droits
de don Carlos avec cette curieuse formule au sujet de la renonciation
de Philippe V à la couronne de France, « qu'une renonciation d'une
couronne successorale n'est point valide pour la postérité de celui qui
renonce, quoiqu'elle soit valide pour lui-même ». A part cela, l'auteur
raconte quelques épisodes des opérations en Catalogne, la marche sur
Cuença au sud de l'Eure sur le chemin de Madrid, le commandement
de don Carlos en Navarre, le siège de Bilbao et la bataille de Somor-
rostro, la prise d'Estella par Martinez Campos. D'ailleurs, ce. général
ne prit pas une part très active à la guerre; il fut employé en mis-
sions diplomatiques, notamment à Londres, avec peu de succès, car
les catholiques d'Angleterre voulaient bien prier pour don Carlos,
mais ils continuaient d'envoyer leur argent à Rome. E. D.
Histoire des États-Unis.
— Kaskaskia Records, 1778-1790, avec une introduction et des
notes par Clarence Walworth Alvord (fait partie des Collections ol'
Rev. Histor. CV. 1er FASC. 13
194 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
the Illinois State historical library, t. V; t. II de la « Virginia
séries ». Springlleld, 4909, in-8°, L-681 p.). — Ces documents jettent
beaucoup de lumière sur les événements qui préparèrent l'annexion
de l'Illinois aux Etats-Unis et sur les hommes qui y prirent part.
Kaskaskia était le centre politique d'un territoire où dominait l'élément
français. La correspondance du P. Gibault nous fait en particulier
connaître la triste situation morale et sociale où se trouvèrent les
habitants pendant cette période troublée où, séparés de la France, ils
n'étaient pas encore rattachés à la Confédération commençante. Le
voisinage du Kentucky attira de bonne heure des pionniers améri-
cains, et au bout de peu d'années le rattachement devint inévitable.
Les documents publiés dans le présent volume nous permettent d'en
suivre les progrès. Ceux qui sont écrits en français sont accompagnés
d'une traduction en anglais. Plusieurs beaux portraits et des fac-simi-
lés ornent cet intéressant volume. B.
— Félix Klein. La séparation aux États-Unis : histoire, lois,
coutumes, documents (Paris, Bloud, 1908, in-16, 126 p.). — L'an-
cienne intolérance religieuse des premières colonies puritaines de
l'Amérique du Nord a été toute changée par la guerre de l'indépen-
dance où les catholiques se comportèrent bravement, où la cause des
insurgents fut d'ailleurs soutenue par des puissances catholiques, la
France et l'Espagne. C'est pourquoi, aux Etats-Unis, la séparation est
bienveillante, « l'Etat ne mettant de limite à la liberté religieuse des
citoyens que lorsqu'au nom de leur religion même ils entrent en
conflit évident et actuel avec une loi de la République » ; on ne sau-
rait mieux dire. Aux États-Unis, la séparation est libérale, et M. Klein
oppose les lois américaines aux lois françaises et aux rapports de
M. Briand. Aux Etats-Unis, la séparation est chrétienne, la coutume
veut que les gouvernements ne soient pas indifférents aux pratiques
religieuses. D'où il résulte que les États-Unis ne sont pas la France;
on peut le regretter, mais il faut en prendre son parti : on n'effacera
pas les différences qui séparent ces deux nations. Dans les documents,
on lira une lettre de Mgr Ireland sur les conditions légales de l'Église
dans le Minnesota, des extraits des lois américaines, le rapport de
M. Briand déposé le 4 mars 1905. E. D.
Histoire de Hongrie.
— Parmi les dernières publications historiques de la Hongrie, il
importe de signaler les suivantes : 1° Arpad et les Arpadiens
(Arpad es az Arpàdoh. Budapest, Franklin, s. d. [1908], in-i'ol.,
xvm-397 p., avec de nombreuses illustrations), ouvrage publié par un
groupe de savants et d'artistes sous la direction de D. Csânki. —
A l'occasion du millénaire de la mort d'Arpad (907), la Hongrie a
voulu payer son tribut de reconnaissance au conquérant du pays. Il
n'est guère possible de lui élever de statues, puisqu'on ne sait rien de
HISTOIRE DE HONGRIE. 195
sa physionomie ; on ne peut honorer son tombeau, puisqu'on ne sait
pas où il fut enterré. Le volume se compose d'une vingtaine d'études
qui donnent la quintessence des recherches sur l'époque arpadienne,
c'est-à-dire sur les quatre premiers siècles de l'histoire de Hongrie.
Les auteurs de ces études sont des érudits île premier ordre et les
meilleurs artistes les ont secondés pour faire de ce volume un petit
chef-d'œuvre. Nous nous bornons à indiquer le titre des travaux :
A. Domanovszky, Les sources historiques; J. Szinnyei, L'origine et
la langue des Hongrois, leur civilisation à l'époque d'Arpad; J. [liés,
L'organisation de la -société et de l'Etat; A. Màrki, Les lieux de séjour
des Hongrois. L'Europe à l'époque de la prise de possession de la
Hongrie; J. Rônai Horvàth, L'art guerrier des Hongrois. Les cam-
pagnes; J. Hampel, Les monuments archéologiques; M. Wertner,
La race d'Arpad (la généalogie); J. Karàcsonyi, Les possessions
d'Arpad; J. Szendrei, Le tombeau d'Arpad; J. Sebestyén, Arpad
dans la légende; Z. Beôthy, Arpad dans la poésie hongroise; A. Ber-
zeviczy, Arpad dans les arts ; D. Csànki, Caractère d'Arpad ; D. Angyal,
Les Arpadiens dans la politique de l'Europe; A. Kàrolyi, Les Arpa-
diens et la royauté nationale; R. Békefi, Les Arpadiens et l'Église;
J. Karàcsonyi, Les saints de la maison Arpad; E. Varju, L'icono-
graphie des Arpad; L. Fejérpataky, Les armoiries des Arpad:
L. Mangold, Bibliographie (p. 365-394, en 3 colonnes; il serait à sou-
haiter que nous eussions pour chaque époque de l'histoire de Hongrie
une bibliographie aussi complète). Les planches hors texte et les
reproductions de certaines pages de manuscrits sont fort belles et
font de ce volume le pendant de celui que l'érudition magyare a con-
sacré au roi Bêla III (cf. Rer. hist., sept.-oct. 1901). Les amateurs
d'ouvrages de luxe pourront le consulter à la Bibliothèque nationale
(Rés. gM25).
2° Une des plus anciennes familles nobles hongroises, dont les
ancêtres ont déjà joué un rôle à l'époque arpadienne, celle des Héder-
vàry, s'est décidée à publier les chartes et les documents de ses
archives. Le regretté baron B. Radvànszky avait pris l'initiative de
cette publication, dont il n'a pu voir le premier tome qui vient de
paraître sous le titre : Recueil des chartes de la famille Hédervàry
{A Hédervàry-csalàd oklevéltàra, t. I. Budapest, Académie, 1909,
in-8°, viii-604 p.), par les soins de M. Zâvodszky. Ce volume contient
418 documents tirés en grande partie des archives de Hédervâr et
complétés par ceux qui se trouvent dans les Archives royales et au
Musée national de Budapest. Tous ces documents, qui vont de 1231 à
l")-2lj. sont en latin. M. Zâvodszky y a ajouté, dans une brochure à
part, la reproduction en phototypie de cinq chartes particulièrement
intéressantes.
3° M. R. Békefi, l'historien de l'enseignement en Hongrie, nous
donne dans son étude sur l'Université de Pécs (A pécsi egyetem.
Budapest, Académie, 1909, 138 p. et 4 planches) des renseignements
196 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
très intéressants sur cette première Université hongroise. Elle fut
fondée par Louis le Grand, de la maison d'Anjou, en 1367, sur les
instances de Guillaume, évêque de Pécs (Cinq-Églises), ancien cha-
pelain et secrétaire du roi, pour retenir la jeunesse studieuse dans le
pays. Calquée sur le modèle de celles de Prague (1348), de Cracovie
(1364) et de Vienne (1365), elle fut confirmée par Urbain V. La bulle
est datée d'Avignon, le 1er septembre 1367, et se trouve presque iden-
tique à celles des trois universités mentionnées. La papauté, voulant
favoriser l'Université de Paris et peut-être aussi par crainte des doc-
teurs hérétiques, n'avait pas accordé à ces universités l'enseignement
de la théologie. Parmi les professeurs de l'Université de Pécs, il y
avait de nombreux Italiens, notamment Galvano, fils de Bettino de
Bologne, qui jouissait d'un traitement de G00 florins d'or, traitement
huit fois supérieur à celui des professeurs de Cracovie. On croyait
jusqu'ici que l'Université de Pécs périt entre 1543 et 1547, lorsque la
ville tomba entre les mains des Turcs. M. Békefi démontre, grâce à
une lettre adressée par le roi Mathias Corvin au pape Paul II en 1465,
que l'Université n'existait plus alors. Un passage du récit du voyageur
turc Evlia Cselebi, qui a visité la Hongrie entre 1660 et 1666, a per-
mis à M. Békefi de déterminer l'emplacement de l'Université, dont les
bâtiments servaient, au xvne siècle, de caserne. L'étude nous fait
encore connaître quelques discours sacrés prononcés à l'Université et
dont le texte est conservé dans un manuscrit latin de la bibliothèque
de Munich (lat. 22363 b); parmi ces discours, il y en a douze sur des
saints hongrois que nous trouvons reproduits ici. Le savant hongrois
cite souvent l'édition du Cartulaire de l'Université de Paris, mais il
ne mentionne comme éditeur que M. Denifle; or, M. Châtelain y a
collaboré et son nom figure aussi sur le titre.
4° M. S. Borovszky publie le premier volume de l'Histoire, du
Comitat de Borsod (Borsod vàrmegye tôrténete, t. I. Budapest,
1909, xvi-419 p., illustré). C'est une des meilleures monographies qu'on
ait consacrées à une contrée hongroise. Elle diffère des autres monogra-
phies dans ce sens que M. Borovszky s'est chargé tout seul d'étudier le
comitat sous tous les aspects depuis les temps les plus anciens jus-
qu'en 1711, c'est-à-dire la défaite de Râkôczi. Quand on parcourt la
liste des archives (p. xn-xiv) d'où l'auteur a tiré sa documentation, on
est saisi de respect devant un tel labeur. Le comitat, son chef-lieu
Miskolcz, la ville de Dios-Gyor et la forteresse Szendrô ont joué un
rôle assez important dans l'histoire de Hongrie. M. Borovszky suppose
que le premier chroniqueur hongrois, l'Anonyme du roi Bêla, était
originaire de cette contrée, car il ne décrit aucun comitat avec autant
d'exactitude que le comitat de Borsod. Le célèbre registre de Nagy-
Vàrad, dont M. Borovszky avec M. Karâcsonyi ont donné une édition
critique (cf. Rev. hist., juillet-août 1904), a fourni maints traits pour
retracer la vie sociale de cette contrée au moyen âge. Le tableau de
la situation des grands seigneurs, des nobles et des jobhagyones, du
niSTOIRE DE HONGRIE. 197
mouvement hussite, de l'occupation par les Turcs, les pages sur la
Réforme qui y trouva de nombreux adeptes, sur la vie scolaire, sur
l'organisation autonome du Comitat, sur les luttes pour la liberté de
conscience sous Bocskay et les Râkôczi sont très réussis. C'est
d'après des documents inédits que M. Borovszky donne la liste de
toutes les lettres de noblesse octroyées de 1512 à 1717. — Les illus-
trations ne sont pas nombreuses, mais elles sont fort bien exécutées
et les portraits ont une valeur iconographique.
5° L'étude de M. D. Szabô sur l'Histoire des diètes hongroises à
l'époque de Louis II {A magyar orszàggyùlések tôrténete II.
Lajos horàban. Budapest, Académie, 1909, in-8°, vm-282 p.) se
divise en deux parties. Dans les 110 premières pages, l'auteur expose,
d'après les documents, le triste état du pays entre 1516 et 1526, la
discorde de l'oligarchie qui avait amené la catastrophe de Mohàcs.
Dans la seconde partie, nous trouvons les documents se rapportant
aux différentes diètes, documents en partie déjà connus, en partie
inédits. Presque tous sont en latin, quelques-uns seulement en alle-
mand ou en italien.
6° Le nouveau volume des Monumenta Hungariae historica con-
tient la Correspondance et les Actes du général Georges Basta
{Basta Gyôrgy hadvezér levelezése es iratai; t. I : 1597-1602. Buda-
pest, Académie, 1909, in-8°, xliv-758 p.), édités par André Veress,
auquel nous devons déjà une bonne biographie de la reine Isabelle,
veuve de Jean Zâpolya, et les Lettres d'Alphonse Carrillo (cf. Rev. hist. ,
juillet-août 1907). Il a réuni dans ce volume 963 documents presque
tous en italien, en latin ou en allemand. Basta. d'origine italienne.
avait guerroyé d'abord dans les Pays-Bas; général hardi, mais cruel,
la cour de Vienne l'envoya en Transylvanie pour combattre d'abord
Bàthory, puis le woïwode Michel. Comme gouverneur, il y a laissé
les souvenirs les plus tristes. Le soulèvement de Bocskay a mis fin à
sa tyrannie. Les nombreuses lettres qu'il adressa à Mathias et à
Maximilien, aux comitats hongrois, éclairent plusieurs points de l'his-
toire de la Transylvanie et permettront de retracer le portrait moral
de ce général qui, tout en étant l'instrument de l'Autriche, demanda
l'organisation d'une armée hongroise, persuadé qu'elle rendrait plus
de service que les mercenaires autrichiens. M. Veress a tiré ces docu-
ments, en grande partie, des archives hongroises, mais Parme,
Modène et Rome ont également fourni bon nombre de missives.
7° La dernière publication du regretté Coloman Thaly intéressera
particulièrement les historiens français. C'est une édition d'une partie
des Mémoires de César de Saussure sur son séjour en Turquie, à
Constantinople d'abord, puis à Rodosto comme « gentilhomme des
commandements » du prince François Râkôczi, en 1734 et 1735. Le
manuscrit de ces Mémoires, que de Saussure composa entre 1740 et 1742,
n'était pas inconnu aux contemporains. Voltaire l'avait eu entre les
mains. De nos jours, M. van Muyden en a publié une partie sous le
198 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
titre : Lettres ei voyages de Monsieur César de Saussure en Alle-
magne, en Hollande et en Angleterre, 1725-1729 (Lausanne, 1903).
C'ost à Londres que Saussure lit la connaissance de Lord Kinnoul
qui, nommé ambassadeur auprès de la Porte ottomane, l'emmena à
Constantinople comme secrétaire. Là. quelques seigneurs hongrois
l'engagèrenl à venir les voir à Rodosto. Il s'y rendit et entra, en
173i, au service du prince donl il revit les manuscrits français. Il y
resta jusqu'après la mort de Râkôczi et donna dans ses Mémoires,
sous forme de lettres, non seulement des détails sur la vie et le rôle
de Râkôczi en Hongrie, mais aussi des notes intéressantes sur les
deux dernières années de sa vie. M. Thaly, ayant eu connaissance de
ces Mémoires, les fit copier à Lausanne et les édita avec une traduc-
tion hongroise et une introduction de 82 pages : Lettres de Turquie
(1730-1739): Notices (17k0) de César de Saussure (De Saussure
Czézàrnak torôhorszàgi lèvelei 1730-39-bôl es fôljegyzései I7k0-bôl.
Budapest, Académie, 1909, in-8°, 380 p.. avec le portrait de Saussure).
La partie des Lettres, qui n'est qu'un extrait de l'ouvrage de Râkôczi
(Histoire des révolutions de Hongrie. La Haye, 1739), n'offre
presque rien de nouveau; mais il y a deux longues lettres qui sont
importantes. D'abord celle où Saussure raconte la trahison de Bohn.
officier danois attaché comme secrétaire à Ràkôczi pendant dix ou
douze ans et qui, en réalité, n'était qu'un espion au service de l'Au-
triche et a trahi uon seulement son maître, mais aussi le pacha Bon-
neval et l'ambassadeur de France à Constantinople. le marquis de
Villeneuve. Démasqué lors de son voyage à Paris en 1734, il fut arrêté
et envoyé à la Bastille, où il resta jusqu'en 1738. Cette partie des
Mémoires peut être complétée et rectifiée parles documents conserves
aux archives des Affaires étrangères à Paris et par ceux de la Bas-
tille. M. Thaly n'en a pas eu connaissance et nous avons démontré en
les publiant (Revue de Hongrie, janv. et févr. 1910) que l'introduc-
tion de son ouvrage aurait pu gagner en exactitude s'il les avait con-
sultés. La seconde lettre importante est celle qui se rapporte à la mort
et à l'enterrement de Râkôczi dans le couvent des Jésuites à Constan-
tinople. Cette lettre complète les renseignements contenus dans les
Lettres de Turquie de Mikes. le fidèle gentilhomme de la Chambre
du prince. — M. Thaly a ajouté à son volume intéressant l'inventaire
du mobilier de Ràkôczi à Rodosto, inventaire dressé, en 1736, par
François Belin, premier secrétaire d'ambassade à Constantinople.
8° M. A. Hodinka, chargé par l'Académie hongroise d'écrire l'his-
toire des églises grecques en Hongrie, nous offre aujourd'hui un
volume compact sur VÉvêché grec-cal holique de Munhàcs{A mun-
kâcsi gôrôg-katholikus pûspôkség tôrténete. Budapest, Académie,
1910, in-8°, vin-856 p.), évêché qui, selon lui. résume toute, l'histoire
du peuple ruthène (petits Russiens). Les églises roumaines et serbes de
Hongrie viendront à leur tour. M. Hodinka a puisé dans toutes les
archives nationales, ecclésiastiques et privées de la Hongrie; il a
HISTOIRE DE HONGRIE. 199
étendu ses recherches jusqu'à Rome, et son volume fait honneur à la
jeune école historique magyare. Après un résumé rapide de l'histoire
des Ruthènes jusqu'en 1458, il expose, dans une première partie,
l'histoire extérieure de l'évêché de 1458 à 1800, et, dans une seconde
partie, son histoire intérieure; il donne des détails intéressants sur la
vie intellectuelle des Grecs unis, sur leur liturgie, sur le clergé des
campagnes et leur action. Un index très détaillé (p. 820-85?) facilite
les recherches.
9° M. Benjamin Kâllay s'est acquis une renommée européenne
comme gouverneur de la Bosnie et de l'Herzégovine. C'était un
homme d'État doublé d'un historien très bien informé. Sa carrière
politique le mit en contact avec les Slaves du Sud et, pour comprendre
leurs aspirations, il a étudié leur histoire et fouillé leurs archives.
Son Histoire des Serbes (1877), traduite en allemand, est devenue
classique et, selon Laveleye, à Belgrade même, on reconnaît que c'est
la meilleure qui existe. Malgré le labeur absorbant de son adminis-
tration, il avait continué ses recherches, mais la mort est venue le
surprendre au milieu de son travail. C'est un de ses amis, M. Louis
Thallôczy, l'homme de Hongrie qui connaît le mieux les Slaves du
Sud, qui vient de publier les parties achevées de son Histoire du
soulèvement serbe (A szerb felkelés torténete, 1807-1810. Budapest,
Académie, 1909, 2 vol. in-16, 405 et 415 p., avec le portrait de Kâllay).
Ces deux volumes forment la suite de l'ouvrage paru en 1877 et nous
donnent le récit du soulèvement d'après les recherches faites dans les
archives de Vienne, de Paris et dans les pays slaves et d'après les
dernières publications serbo-croates. Kâllay a encore pu utiliser la
thèse de M. Pisani sur la Dalmatie, mais les volumes récents de
MM. Driault (/a Politique orientale de Napoléon) et Yakschitch
(l'Europe et la résurrection de la Serbie) ont paru après sa mort.
Il nous donne un exposé large et abondamment documenté du soulè-
vement et des portraits des personnages qui y ont participé. M. Thal-
lôczy a ajouté le Journal de voyage de Kâllay en Serbie et en Bosnie
(1868 et 1871), puis l'éloge qu'il a prononcé sur lui à la séance solen-
nelle de l'Académie en 1909, enfin des notes biographiques sur les
Slaves qui figurent dans le texte. Les documents français reproduits
dans les notes sont d'une grande correction, ce qui est assez rare dans
les publications hongroises. I. Kont.
— Cte Joseph de Mailâth. La Hongrie rurale, sociale et poli-
tique, préface de M. René Henry (Paris. Alcan, in-8°, 348 p.). —
Comme le titre l'indique, il y a trois parties dans ce livre : un tableau
de la Hongrie rurale, étudiée surtout au point de vue des associations,
de la coopération, ce qui est pour l'auteur, grand propriétaire en Hon-
grie, l'occasion d'exposer son propre programme agraire, avec deux
discours prononcés par lui sur ce sujet à la Chambre des magnats en
1907 ; il y a ensuite une très courte étude et très vive critique du
200 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
socialisme et des socialistes eu Hongrie; enfin un exposé do la poli-
tique hongroise au commencement du x.v siècle E. D.
Histoire d'Italie.
— Albert Dauzat. L'Italie moderne (Paris, Charpentier, 1909, in-18,
XV-387 p.). — Dans ce livre de journalisme aimable, informé, sympa-
thique aux Italiens, ou ne trouvera rien, ou à peu près, sur l'évolution
intellectuelle et artistique de l'Italie, sur la question agraire et sur son
corollaire, la question de l'émigration; le mouvement ouvrier est traité
trop succinctement; le chapitre consacré à l'orientation politique et
sociale est au contraire bourré de trop de choses. Mais l'ensemble est
amusant, bien venu, et l'on trouve, à propos de l'analphabétisme, des
notes curieuses sur les tendances patriotiques de l'enseignement pri-
maire et des pages intéressantes sur l'influence de la langue française
en Italie. G. Bx.
— Dott. Luigi La Rocca. Istruzioni al Marchese Falletti di Casta-
gnola, vicerè di Sardegna dal 1831 al 1835 (sic) (Catania, Giannotta,
s. d., in-8°, 24 p.). — Les dates données par le titre de cet opuscule
sont fausses : il faut lire 1731-1735, et il s'agit des instructions don-
nées par Charles-Emmanuel II, roi de Sardaigne, le 30 octobre 1731, au
marquis Falletti di Castagnola, le premier gouverneur d'origine pié-
montaise en Sardaigne après la domination espagnole. Dans ces ins-
tructions, on recommande au gouverneur de suivre la tradition espa-
gnole, de réconcilier les partis, — Sardes dévoués aux Autrichiens, —
et d'employer la langue espagnole, et on lui donne la marche à suivre
en ce qui touche la perception des impôts, l'instruction des poursuites
criminelles, les rapports de l'État avec le clergé. G. Bn.
— Pietro Orsi. Ultalia moderna. Storia degli ultimi 150 anni.
Collezione storica Villari (Milano, U. Iloepli, 1910, in-16, xvi-496 p.).
— La première édition de l'excellent petit manuel de M. Orsi date de
1900, la seconde de 1902. La troisième, que nous avons sous les yeux,
a trente-huit pages de plus que la précédente, mais vingt chapitres au
lieu de vingt et un, car les chapitres xvi-xvm, où était naguère
racontée l'évolution de l'Italie entre 1861 et 1870, ont été réunis en un
seul, et l'on trouve eu revanche un chapitre sur le règne en cours de
Victor-Emmanuel IL Les pages consacrées par M. Orsi au mouvement
intellectuel et artistique ont à peine été retouebées: on regrettera,
d'autre part, île ne pas trouver dans cette édition plus que dans les
précédentes la moindre notion d'histoire économique et sociale. La
bibliographie sommaire qui termine l'ouvrage s'est, en revanche,
enrichie de nombreuses additions (51 pages au lieu de 43). — G. Bx.
— George Macaulay Trevelyax. Garibaldi e ?;) difesa délia
Repubblica romana (Bologna, Zanichelli, 1909, in-8°, xin-433 p.).—
J'ai signalé jadis l'ouvrage de M. Trevelyan sur Garibaldi en 184'.)
HISTOIRE D1ORIEIVT. 201
(t. XCVII,p. 404-405). De cet ouvrage, capital pour l'histoire de la Répu-
blique romaine, Mnin Emma Bice Dobelli a donné, d'après la quatrième
édition anglaise, une traduction italienne corrigée et augmentée par
l'auteur. Les adjonctions ne sont, pas nombreuses et portent essentiel-
lement sur les alentours d'U. Bassi (p. 347 et suiv.) et sur la bibliogra-
phie. D'autre part, on trouve dans cette tradition des appendices nou-
veaux sur le témoignage de Palmerston en ce qui touche les atrocités
autrichiennes, la carrière et le témoignage du Garibaldien anglais
Forbes, le débarquement des bragozzi garibaldiens, les témoignages de
Mini et Stocchi, enfin la mort d'Anita Garibaldi ; M. Trevelyan n'a pas
eu de peine à démontrer l'absurdité de la légende qui assure que la
femme de Garibaldi a été étranglée. G. Bn.
Histoire d'Orient.
— Joseph Hell. Die Kultur der Araber (Leipzig, Quelle et Meyer,
in-16, 144 p.; prix : 1 m. Collection intitulée : Wissenschaft und
Bildung). — Résumé très rapide et qui paraît bien informé sur la
civilisation arabe avant l'Islam, au temps de Mahomet, puis dans les
régions occupées par les Musulmans.
— Friedrich Groh. Der Zusammenbruch des Reiches Jérusalem,
1187-1189 (Iéna, B. Vopelius, 1909, in-8°, xxiv-79 p.). — M. F. Groh
a étudié, d'après le témoignage des sources occidentales et arabes, la
campagne de Saladin contre le royaume de Jérusalem en 1187, la
bataille de Hittin, le siège et la prise de Jérusalem et l'occupation de
toutes les places du royaume. La chronologie des événements est
discutée et établie avec soin. Une abondante bibliographie précède
l'ouvrage. Dans un appendice, l'auteur cherche à justifier Raimond de
Tripoli du reproche de trahison en soutenant que, s'il a pris des troupes
musulmanes à son service pour lutter contre Guy de Lusignan, il n'a
fait que suivre un usage courant; il n'en est pas moins vrai que,
d'après l'auteur de VEstoire d'Eracles (Histor. occid. Crois., t. II,
p. 36), il a livré au fils de Saladin, à contre-cœur il est vrai, le passage
du gué de Jacob et favorisé ainsi l'invasion du royaume. L. B.
— Archdeacon Dowlino, D. D. The patriarchate of Jérusalem
(London, Soc. forpromot. Christian Knowledge, 1909, in-12, xm-70p.).
— Cette élégante notice, illustrée de curieuses photogravures, est con-
sacrée à la situation présente du patriarcat orthodoxe de Jérusalem.
Après avoir rappelé quelques dates de l'histoire de cette institution et
donné la liste des patriarches au XIXe siècle, l'archidiacre Dowling
consacre un chapitre à la biographie du patriarche actuel Damianus,
originaire de Samos, et à celle du savant évêque du Jourdain Épipha-
nius. Il donne ensuite des renseignements sur l'état actuel de la hié-
rarchie ecclésiastique, sur l'archevêché autonome du Sinai, sur la
constitution du Saint-Synode de Jérusalem, sur la place occupée par
202 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
les Grecs dans l'église du Saint-Sépulcre et sur les établissements
principaux qui dépendent du patriarcat (monastère de Saint-Constan-
tin avec sa riche bibliothèque provenant de Saint-Sabas, imprimerie
patriarcale où s'édite depuis 1904 la revue intitulée .Ve;i Sion, les hôpi-
taux et hospices des pèlerins, le monastère de la Croix où est établi
un séminaire pour le recrutement du clergé, enfin des sanctuaires plus
anciens et toujours vénérés de Saint-Sabas et Saint-Théodose). Un
appendice donne quelques détails intéressants sur l'activité de la
Société impériale russe de Palestine et sur la célèbre mosaïque de
Mâdabà. On trouvera dans ce petit livre des renseignements précis sur
la situation actuelle de l'orthodoxie hellénique en Palestine. — L. B.
— Paul Imbert. La rénovation de l'empire ottoman. Affaires de
Turquie, avec 2 cartes hors texte (Paris, Perrin, 1909, in-12, xvi-
311 p.). — Annonçant par les événements récents et par ceux du der-
nier règne « le réveil de la race turque », M. Imbert a écrit ici quelques
chapitres très intéressants et sérieusement documentés sur la politique
des chemins de fer, le chemin de fer de Bagdad, les voies ferrées des
Balkans, la ligne de La Mecque. Les chapitres sur le protectorat français
d'Orient, sur les Réformes et le Tanzimat sont moins nouveaux. Celui
de la Turquie constitutionnelle est un des meilleurs tableaux que l'on
puisse lire sur les suites de la Révolution de 1908. Réserves faites sur
l'admiration qui s'exprime ici maintes fois au sujet de la politique du
sultan Abd-ul-Hamid II, on aura dans ce petit livre un guide très
précieux sur la situation actuelle de la question d'Orient. — E. D.
— Jean Rodes. La Chine nouvelle (Paris. Alcan, 1910, 329 p.).
— Bien renseigné par un voyage en Chine à l'occasion d'une mission
de la Société de Géographie, M. Jean Rodes en étudie le gouverne-
ment, la dernière succession au trône, la grande impératrice douai-
rière Tseu-IIsi, venue elle-même à la politique des réformes, puis le
parti des réformes et ses destinées très troublées, la grandeur et la
chute de son chef Yuan-Chi-Kaï. En effet, les fluctuations de la poli-
tique, les conspirations et les intrigues qui se croisent au palais impé-
rial, la mauvaise volonté des mandarins, mal préparés et très mal dis-
posés pour les institutions occidentales, tout cela compromet la réforme
nécessaire, et M. Rodes demeure sceptique à son égard. En effet, il
résulte de son enquête très patiente et très pénétrante que le travail
des réformes, auquel la Chine sembla d'abord se mettre fiévreuse-
ment, est cependant très peu avancé et sans doute peu sincère : il y
a encore peu de changement dans l'armée et la marine ; l'enseigne-
ment est toujours incliné vers la culture littéraire et morale plus que
vers les sciences modernes; l'interdiction de l'opium n'est peut-être
qu'un bluff ou une habileté ; la préparation des lois constitutionnelles
est très lente, peu loyale, l'échéance en est sans cesse reculée, et le
parti des mécontents s'accroît de nouveau ; en ce qui concerne les che-
mins de fer, les Chinois n'ont guère que la volonté d'en reprendre la
HISTOIRE DES PAYS-BAS. 203
propriété pour en arrêter peut-être ensuite la construction et l'exploi-
tation. M. Rodes termine son livre très utile par une étude intéres-
sante de la psychologie du peuple chinois, de son nouveau patriotisme,
qui est un mélange de modernisme et de xénophobie (comme au
Japon), de l'action révolutionnaire des étudiants, pour la plupart venus
du Japon. Il définit le Keming, ou « la Révolution », avec son chef
Seng-Weng ou le docteur Takano, en marche vers la régénération par
la République chinoise, par le concours insaisissable et toujours
redoutable des sociétés secrètes, élément dont il faut tenir grande-
ment compte dans ce pays mystérieux. E. D.
Histoire des Pays-Bas.
— N. Iapikse. Brieven van Johan de Witt; 2e partie : 1651 -166k
(Amsterdam, J. Millier, 1909. 1 vol. in-8°, xix-652 p.). — Nous n'avons
pas à revenir sur ce qui a été dit plus haut (p. 166) de ce tome II.
Mais nous avons le devoir d'ajouter une constatation très importante
faite par le savant éditeur, c'est que Combes, dans la Correspon-
dance française de Jean de Witt*, a souvent arrangé des mémoires
sans date pour leur donner la forme épistolaire, et qu'il a même
poussé l'inconscience jusqu'à les dater à sa guise. Voilà du coup la
publication de Combes discréditée et son auteur suspect d'avoir traité
ses documents avec la plus fâcheuse désinvolture, sans se gêner pour
les dénaturer. A. Waddington.
— Bijdragen en Mededeelingen van het Historisch Genoot-
schap te Utrecht (Amsterdam, J. Mùller, 1909, t. XXX, in-8°, cxi-
400 p.). — Le nouveau volume des « Bijdragen » de la Société histo-
rique d'Utrecht renferme, comme de coutume, à côté de rapports sans
valeur historique, quelques documents intéressants. Tels sont : les
pièces inédites concernant la capitulation trop prompte d'Amersfoort
en 1629, communiquées par M. van Dam van Isselt: une lettre de 1769,
en français, sur la vie à Utrecht. communiquée par M. Cramer; des
actes (résolutions de conseils municipaux, sentences et pièces notariéesl
relatifs à la Compagnie du Nord, qui jouit de 1614 à 1642 du mono-
pole de la pêche des baleines, commentés par M. van Brakel; enfin et
surtout un mémoire de 1728 sur la République des Provinces-Unies.
Ce mémoire, en français, rédigé par le marquis de Fénelon, ambassa-
deur de France, pour un remplaçant provisoire. M. de La Baune, a été
publié par M. Th. Bussemaker; il nous renseigne excellemment sur
la situation de la République à une époque mal connue, sur la déca-
dence qui s'annonce, le ralentissement du commerce et l'accroissement
du nombre des rentiers, les conséquences néfastes du système de la
Barrière. Les relations avec les différentes puissances européennes
sont bien expliquées et les principaux personnages politiques, notam-
1. Dans la collection des Documents inédits. Paris, 1873, in-4°.
204 MITES BIBLIOGKAPHIQUES.
ment le pensionnaire Slingeland et le greffier Fagel, heureusement
caractérisés. Feu M. Pynacker Hordyk avait recueilli douze chartes
inédites du XIIe siècle relatives aux Pays-Bas; après sa mort, M. S.
Muller s'est chargé d'éditer ces documents avec les notes qu'y avait
jointes M. P. A. Enfin une lettre sur les États de Hollande assemblés
le 17 novembre 1472 à Delft est publiée par M. Kesper.
A. Waddington.
— Comte Adolphe du Chastel. Les Hollandais avant, pendant et
après la Révolution de 1830 (Bruxelles, libr. Albert Dewit, 1908). —
Ce modeste petit livre, qui n'apprendra rien de bien neuf aux érudits,
a ce mérite, dit l'auteur, de « faire comprendre l'état d'âme des Belges
qui ont cru devoir rester fidèles à la maison de Nassau ». Cela est
vrai, du moins en ce qui concerne l'état d'âme du comte Fortuné du
Chastel, car c'est à l'aide de la correspondance de celui-ci que l'auteur
a composé son récit; on lira avec intérêt les informations qu'il donne
sur la campagne du 1er au 14 août 1831 et surtout sur le sort des Belges
restés fidèles au roi Guillaume Ier. Mais d'autre part l'auteur n'a pas
cherché à vérifier les faits « afin de ne pas faire perdre leur saveur »
aux mémoires et lettres dont il s'est servi ; cette saveur, le lecteur ne
la peut pas goûter parce que M. du Chastel ne nous offre pas les docu-
ments eux-mêmes, mais seulement le récit qu'il en a tiré; le plus sou-
vent on ne sait pas trop si c'est le comte Adolphe ou bien le comte
Fortuné qui parle. Th. B.
Histoire de Pologne.
— Dmowski. La question polonaise, traduit du polonais par V.
Gasztowtt, préface par Anatole Leroy-Beaulieu (Paris, Colin,
1909, in-12, xxiv-332 p.). — M. Dmowski, député de Varsovie à la
Douma, président du Kolo ou du club polonais à Saint-Pétersbourg,
s'efforce de détruire l'alliance russo-allemande persécutrice de la
Pologne ; il « offre aux Russes la main des Polonais » ; il voudrait
organiser le Polentum contre le Deutschtum, l'entente de tous les
frères slaves, et non l'écrasement des uns par les autres; la préface
de M. Anatole Leroy-Beaulieu, qui roule sur ce thème, est admirable.
Il y a en effet 20 millions de Polonais, dressés contre l'hégémonie
allemande, à l'avant-garde du monde slave; mais ils demeurent divisés
entre les trois pays co-partageants, et leur organisation nationale est
impossible. Dès lors les Allemands continuent leur poussée sur l'Europe
orientale, à travers les Slaves désunis, comme toujours depuis le
moyen âge. Cependant la nationalité polonaise s'est réveillée, par
l'instruction, par la culture, par la formation de la conscience natio-
nale chez le peuple qui autrefois n'avait souci que de ses querelles
avec la noblesse ; le temps est fini du romantisme révolutionnaire
antirusse de 1830 ou de 1863; il faut en venir au réalisme devant la
force des circonstances- actuelles; il faut éviter les illusions. Mais la
HISTOIRE DE SUISSE. 205
conclusion de M. Dmowski est mélancolique : la Russie prendra-t-elle
cette main tendue? Cela n'est pas vraisemblable sous le gouvernement
actuel. E. D.
Histoire de Roumanie.
— A.-D. Xénopol. Les Roumains. Histoire, état matériel et
intellectuel (Paris, Delagrave, in-12, 156 p.). — Ce petit volume, qui
contient les huit remarquables leçons faites par M. Xénopol au Col-
lège de France en 1908, résume les données essentielles de l'histoire
de la Roumanie. M. Xénopol expose et défend avec talent la thèse qui
considère les Roumains actuels comme les descendants des Daco-
Romains qui ont occupé la Dacie romaine du IV au me siècle de
notre ère. Cette occupation confère, à ses yeux, aux Roumains un
droit historique, éminent même, sur les territoires où aujourd'hui ils
subissent un joug étranger. On lira en France avec un intérêt parti-
culier les très beaux chapitres où M. Xénopol expose l'entrée de la
Roumanie dans la civilisation occidentale par l'influence de la
Renaissance d'abord, puis de la France, qui a agi sur la Roumanie
par son esprit et par sa politique. Et on trouvera dans les derniers
chapitres de sérieux avertissements sur l'urgence qu'il y a à ne pas
laisser des rivaux prendre notre place en Roumanie au point de vue
intellectuel comme au point de vue économique. Il y a là tout un
champ d'action qu'on ne doit pas négliger: G. M.
Histoire de Suisse.
— Charles Seitz. L'historien Niebuhr, citoyen de Genève
(Genève, Georg et Cie, 1909, in-8°, 20 p.). — Le travail de M. Seitz
est un des nombreux mémoires publiés à l'occasion du jubilé de
l'Université de Genève. Il nous y raconte comment l'illustre historien
critique des origines de Rome, qui fut aussi diplomate prussien, reçut
de la petite république le droit de bourgeoisie dans cette cité. Le gou-
vernement genevois voulait le récompenser de son intervention béné-
vole auprès du Saint-Siège (auprès duquel Niebuhr était accrédité par
Frédéric-Guillaume III) afin d'obtenir pour la république le transfert
de. ses sujets catholiques de l'obédience de l'évèque de Chambéry à
celle de l'évèque de Lausanne. Cette demande, appuyée par l'Au-
triche, l'Angleterre et la Russie, était contrecarrée par la Sardaigne;
notre historien finit cependant par obtenir de Pie VII, le 20 septembre
1819, le bref Inter multiplices qui ratifiait l'arrangement désiré. Le
conseil, enchanté, vota la remise à Niebuhr du diplôme de bourgeoi-
sie, d'une riche tabatière et d'une somme de huit" mille francs. Par
une lettre du 9 février 1820, celui-ci accepta diplôme et tabatière, mais
refusa l'argent.
— Un Genevois d'autrefois : Henri-Albert Gosse (1153-1816),
206
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
d'après des lettres el des documents inédits par Danielle Plan (Paris,
Fischbacher; Genève, Kûndig, 1909, in-8°, 522-CIX p., portraits et
fac-similés). — C'est un gros, bien gros volume que l'auteur consacre
à la biographie d'un modeste apothicaire genevois; mis en devoir de
le parcourir, on commence par soupirer de ce que lit piété de ses des-
cendants ait conservé avec tant de respect les papiers accumulés par
le botaniste émérite, le diplomate de rencontre que l'ut Henri-Albert
Gosse, le « solitaire de Mornex ». Mais le livre est écrit avec tant de
simplicité, si rempli de détails caractéristiques sur la Genève de la fin
du xvme et aux débuts du xixc siècle, qu'on finit par y prendre plai-
sir, même quand il s'agit d'un mémoire « sur les accidents résultant
de la liberté laissée aux cochons de se promener dans les rues »,
rédigé par M. Gosse, ou d'une « sauce genevoise pour accommoder les
truites du lac », inventée par Madame. De tous les chapitres de l'ou-
vrage, ceux qui intéresseront le plus un public français sont ceux que
Mlle Plan consacre à Gosse et ses amis Roland. Notre pharmacien
fut en effet très lié avec le futur ministre de Louis XVI et de la Con-
vention et avec sa femme. On y trouvera non seulement des lettres
de Mme Roland, mais la correspondance amoureuse inédite de Louis
Bosc avec sa fille, Eudoxie Roland. Signalons encore les missions de
Gosse auprès du Directoire, ses relations avec le « vertueux »
Larévellière-Lépeaux, avec le général Bonaparte, dont il vante
« l'affabilité et la bonté » et dont il espère un instant obtenir la con-
servation de l'indépendance genevoise. — P. 373, au lieu de Fruguet,
lire Truguet. R.
— Dr Joh. Mever. Die frûheren Besitzer von Arenenberg . Kôni-
gin Hortense und Prinz Ludwig Napoléon (Frauenfeld, Huber,
1908, in-8°, 437 p.). — Ce livre est écrit d'après les ouvrages de
Mmed'Arjuzon et de Fourmestreaux sur la reine Hortense, d'après les
mémoires du prince Eugène, les mémoires de Mlle Louise Cochelet, la
correspondance de Mme Campan. Il est illustré de quelques tableaux
et portraits tirés d'Arenenberg, dont quelques-uns sont intéressants.
Mais plus de la moitié du volume est occupé par le récit de la vie
d'Hortense et de son fils avant leur établissement à Arenenberg : l'en-
fance d'Hortense, Hortense en pension, chez Mme Campan, à Saint-
Germain, la vie à la Malmaison, un mariage forcé, une malheureuse
reine, l'enfance de Louis-Napoléon. Hortense acheta Arenenberg en
1817; sauf quelques courts séjours à Augsbourg, elle y vécut dès lors,
parmi les études et autres travaux de son fils; elle y mourut. Arenen-
berg, alors vendu à Karl Keller, fut plus tard racheté par Napoléon III.
E. D.
RECUEILS PÉRIODIQUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES.
France.
i. — Revue des études historiques. T. LXXVI , 1910, mars-
avril. —C. Stryienski. La vocation de Mme Louise, tille de Louis XV
(son entrée au Carmel de Saint-Denis en 1770; la mort du roi). —
C. Fauhe. Le règlement du collège de Vienne en 1550 (analyse et
longs extraits). — A. Auzous. La dernière campagne de l'amiral de
Linois, 1803-1806 (fin). = C. -rendu : A. Hastin. Le Luxembourg, son
histoire domaniale, architecturale, décorative et anecdotique (jusqu'en
1611; utile). = Mai-juin. P. de VaisSIÈre. M. de Lordat, page du
roi en la Petite-Écurie, cornette aux chevau-légers, 1725-1765 (d'après
sa correspondance avec son oncle, le comte de Lordat, brigadier des
armées du roi). — P. Morane. Alexandre Ier, Constantin et la
Pologne, 1815-1825 (utilise des documents d'archives surtout fran-
çaises). = C. -rendus : Rozet et Lembey. L'invasion de la France et
le siège de Saint-Dizier par Charles-Quint en 1544, d'après les dépêches
italiennes de Francesco d'Esté, de Hieronymo Feruffino, de Camillo
Capilupo et de Bernardo Navajes (important recueil d'actes). — Walis-
zewski. Souvenirs de la comtesse Golovine, née princesse Galitzine,
1766-1821. = Juill.-aoùt. Fromageot. Une cousine du Grand Condé :
Isabelle de Montmorency, duchesse de Châtillon. puis de Mecklem-
bourg (1er art.). — A. Pellerin. Une victime de la délation dans
l'armée en 1793 : le général Collier de La Marlière (dénoncé par
Lavalette, ci-devant comme lui, La Marlière, ancien chef d'état-major
o-énéral de l'armée du Nord et des Ardennes, fut arrêté le 31 août,
comparut devant le tribunal révolutionnaire le 25 novembre et exécuté
le 27).
2. _ Revue des questions historiques. T. XLIV, 1910, 1er avr.
— Hyrvoix de Landosle. L'enlèvement du grand prieur de Ven-
dôme. 1710 iler art., où l'auteur trace un portrait du duc de Vendôme
et du grand prieur son frère; puis il raconte quelques voies de l'ait
commises par l'ambassadeur de France en Suisse, avant celle dont fut
victime le grand prieur. Suite le 1er juill. : enlèvement du grand prieur
près de Coire, le 28 octobre 1710. Il obtint sa liberté en signant un
« revers » ignominieux qu'il était d'avance décidé à ne pas exécuter).
— Ch. Bournisien. Conséquences économiques et sociales de la vente
des biens nationaux (favorise l'émancipation des bourgeois et des fer-
miers riches et le bien-être des petits ruraux et bourgeois, mais ne
21)8 RECUEILS PKRIODIQDES.
modifie pas le régime économique de la propriété). — L. Kroger. La
o-uerre de la Chouannerie de janv. à juin 1795 (dans le Maine, d'après
des documents communiqués par le vicomte de Moutesson et notam-
ment la correspondance du général Duhesme). — P. Montarlot.
Louis Bonaparte, roi de Hollande, après son abdication (efforts vains
de Napoléon pour faire rentrer son frère en Krancc en 1810; Louis
Bonaparte se fixa à Gratz où il resta jusqu'en 1813). — Paul Allard.
Les philosophes scolastiques et l'esclavage (leur enseignement sur la
servitude; M. Allard essaie de montrer, en passant en revue les prin-
cipaux de ces philosophes, dans quelle mesure ils se sont séparés
d'Aristote). — Strowski. Sur Port-Royal et le jansénisme (art.
court, mais d'un haut intérêt; revue des ouvrages les plus récents
parus sur le jansénisme; M. Strowski conclut en disant qu'il a man-
qué au jansénisme un homme et une doctrine). — L'-colonel L. Picard.
Le siège de Dantzig il y a cent ans (1807; récit détaillé; suite et fin
en juillet). = C. -rendus : R.-L. Schuyler. The Transition in Illinois
from British to American government (récit clair). — J. Audouard.
Un drame passionnel à la fin du xvme s. Le crime du marquis d'En-
trecasteaux (très documenté). = 1er juill. M. Prévost. Autour
de la fête de la Kédération. La vie parisienne du 10 au 20 juill.
1739 — g. Saint-Yves. La lutte contre Napoléon dans l'Inde : la
chute de Tipou sultan (Tipou, fils d'Haïder Ali, vaincu par Wellesley,
le futur Wellington, en 1799). — M. Sepet. Jeanne d'Arc et ses plus
récents historiens. — A. Legris. Le graduel de l'église cathédrale de
Rouen à la fin du xne s. — J. de Ghellinck. Les œuvres de Jean de
Damas en Occident au xne s. Citations du De fide orthodoxa chez Pierre
Lombard. — G. Gautherot. Les cahiers de 1789. La rédaction arti-
ficielle des doléances révolutionnaires (ces doléances « ne représentent
point l'opinion profonde du peuple français ; elles ne sont que le pro-
duit artificiel des menées d'un parti, le parti philosophique »)• =
C. -rendus : E. Dupuy. Américains et Barbaresques, 1776-1824 (très
intéressant; mais pourquoi nul renvoi aux sources?). — P. Thomas.
La Santa Casa dans l'histoire (sans valeur). — Eschbach. La vérité sur
le fait de Lorette (échoue complètement dans ses efforts pour réfuter
ceux qui tiennent l'authenticité de la maison de Lorette comme insuf-
fisamment prouvée. Dépose par A. Fiérens des conclusions de. l'abbé
Chevalier). = Bulletin : Goldsilrer. Courrier allemand.
3. — Revue critique d'histoire et de littérature. 1910, 23 juin.
— Olmstead. Western Asia in the days of Sargon of Assyria, 722-
705 B. C. (utile et en partie nouveau). — Rocheblave. Agrippa d'Au-
bigné (bon). — Desbrière. La campagne du général Bourbaki dans
l'est (trois gros volumes bourrés de documents; remarquable). =
30 juin. Brownson. Xenophon's Hellenika (bonne édition de morceaux
choisis pour les classes). — Bratli. Kilip II af Spanien (étude très
approfondie sur le caractère de Philippe II; mais l'auteur s'est laissé
emporter trop loin par son désir de parler de ce roi avec impartialité :
RECUEILS PÉRIODIQUES. 209
il en fait un portrait trop flatté que les témoignages contemporains ne
justifient pas). = 7 juill. Arma.inga.ud. Montaigne pamphlétaire.
L'énigme du Contr'Un (le Contr'Un a été utilisé clans le Réveille-
matin des François, qui parut avant le 22 mars 1574; or, Charles IX
mourut le 3Q mai de la même année; le « tyran » du Contr'Un ne
peut donc être Henri III, mais hien Charles IX. Ainsi croule l'argu-
mentation du Dr Armaingaud. Discussion très serrée par H. Hauser).
— E. Picard. Hohenlinden (ouvrage de mérite où sont utilisés de
nombreux documents inédits. A. Chuquet y relève, avec une sévé-
rité qui semble excessive, des lacunes et des erreurs notables dans
la bibliographie, beaucoup de faits contestables dans le texte). =z
14 juill. F. Cumont. La théologie solaire du paganisme romain
(bon). — F. Hayem. Le maréchal d'Ancre et Léonora Galigaï (ce
travail posthume s'arrête à l'année 1613; intéressant). — D'Ph. Maré-
chal. Une cause célèbre au xvme s. Béatrix de Cusance, Charles IV
de Lorraine, Caroline d'Autriche (récit très piquant et qui apporte
beaucoup de faits nouveaux). — Mareschal de Bièvre. Le marquis
de Bièvre, sa vie, ses calembours, ses comédies, 1747-1789 (amu-
sant). — B. de La.com.be. La vie privée de Talleyrand (étudie, d'après
les papiers de Mgr Dupanloup, le mariage, la retraite et la mort de ce
personnage qui demeure toujours un peu mystérieux). = 21 juill.
A. Fribourg. Discours de Danton, édition critique (long article
d'A. Mathiez tendant à montrer de combien il s'en faut que cette édi-
tion soit vraiment critique). = 28 juill. -4 août, l'ngnad. Keilschrift-
texte der Gesetze Hammurapis (utile reproduction autographique du
code d'Hammourabi, auquel ont été joints plusieurs fragments assy-
riens ou néo-babyloniens qui le complètent). — Evans. Scripta Minoa
(t. I; très utile; remarques importantes sur les écritures; il reste à
déchiffrer les textes).
4. — Journal des savants. 1910, juin. — H. Cordier. Les fouilles
en Asie centrale (fin; à propos de celles que M. Pelliot a si heureuse-
ment conduites; résume l'histoire de l'Asie centrale aux temps du
moyen âge). — L. Hourticq. L'art religieux de la fin du moyen âge
en France (à propos de l'ouvrage de L. Mâle; fin en juill.). zz Juill.
G. DE Sanctis. La légende historique des premiers siècles de Rome
(3e article ; « les efforts qu'on a tentés pour démontrer en bloc la faus-
seté des documents antérieurs à l'an 390 ont été impuissants. Ce qui
est authentique, en premier lieu les Fastes, nous donne un cadre sûr
pour ordonner chronologiquement les éléments historiques de la
légende »).
5. — Feuilles d'histoire. Mars 1910. — F. Tastevin. Les colonies
françaises de la Basse-Volga (fin ; il y eut beaucoup de Français parmi
les 23,000 colons embauchés dans les 104 colonies de la Basse-Volga
de 1764 à 1768. Ils éprouvèrent bien des déboires. A partir de 1779,
l'élément français se perdit dans la masse des colons d'autres natio-
Rev. Histor. CV. Ier FA.SC. li
210 RECUEILS PÉRIODIQUES.
aalitéSj surtoul des Allemands). — E. Welvert. L'officier bonbonnier
du roi (Joseph-Pierre Martin qui, sous Louis XVI étail chargé d'in-
venter des bonbons pour la cour. On ne suit s'il émigra, mais en 1811
il était à Versailles et chercha sans succès à rentrer en fonction
auprès de Napoléon). — L. Hennet. L'ascension de Mllc Chasot à
Lubeck en 17!);! (avec Marchand). — E. Cazalas. La mission de Nar-
bonne à Vilna en 1812 (d'après les rapports de police publ. p.
M. Voensky dans la Rousskaïa Starina, 1907, t. (XXXI, Narbonne
séjourna à Vilna du 18 au 20 mai et son but n'était pas seulement de
détourner les Russes de l'offensive, mais aussi de se renseigner sur
l'état du pays et des esprits. On le sentit et on hâta son départ). —
G. Eberlé. Nice en 1814 (tableau de la ville après le départ des Fran-
çais). — Cte Forbix-Gardanne. Marseille en 1815 (il organisa un corps
de 7,000 hommes pour l'opposer aux « fureurs dévastatrices de Brune »).
— A. GrÙn. Cambon après la Révolution (il vécut dans la retraite,
s'occupant d'agriculture, après le 9 thermidor qu'il déplora. 11 repré-
senta l'Hérault à la chambre des Cent-Jours, protesta contre le rappel
des Bourbons et mourut en exil à Bruxelles le 15 févr. 1820). —
L' Brun. La compagnie des francs-tireurs de Blidah en 1870 (elle eut
une brillante conduite sur la Loire de fin novembre 1870 au 26 janv.
187 h. — Ch. Bastide. L'organisation actuelle de l'armée de l'Inde.
= Avril. P. Laborderie. La création des Conseils supérieurs (fin en
mai. Eloge justifié de la réforme tentée par Maupeou et qui ne dura
que quarante-deux mois. M. Laborderie dit que Maupeou comptait sur
les Jésuites pour le succès de son œuvre. Mais que pouvaient les
Jésuites en 1772?). — A. Chuquet. Les républicains en 1789 (les bro-
chures, De la République et de la Monarchie et la Captivité de
Babylone de 1789, et une foule de textes de 1790 prouvent que le
républicanisme existait en France dès 89). — Le lieutenant Houchard
en 1791 (neuf belles lettres écrites d'Ardres à sa femme). — Lettres de
Bonaparte de 1794 (suite en mai et juin. 124 billets de janv. à juill.
1794). — La légion de la Moselle en 1792. — F. Hausser. Notice sur
le général Morand (né en 1757, tué en avril 1813, et lettre de sa femme
du 10 mars 1795 réclamant pour lui un poste « analogue à son
grade »). — G. Devèze. Dix ans d'émigration (à propos des curieux
Souvenirs de Fr. de Cézac, publ. p. M. de Maricourt). — E. Cazal.
Talleyrand et Alexandre (trois curieuses lettres de Talleyrand à
Alexandre des 25 mars et 2G déc. 1808 et 15 sept. 1810 qui montrent
son désir ardent d'une alliance entre Alexandre et Napoléon). —
A. Biovès. La comtesse Bronlow à Paris, 1814-1815 (lin eu mai;
d'après ses Slight réminiscences of a Septuagenarian, from 1802
to 1815). — E. Dupuy. Le journal de la reine Victoria (d'après une
conférence de Lord Escher). — La guillotine trahie par Guillotin (le
fameux docteur envoyait aux prisonniers de la Terreur des pastilles
d'opium pour échapper à la guillotine). — La Terreur blanche à Péri-
gueux (d'après les notes de J.-B. Monteyrol, publ. p. M. Dujarric-
RECUEILS PERIODIQUES.
211
Descombes). =: Mai. A. G aux. Mme de Forcalquier (extrait des lettres
de cette belle dévote, ennemie de Choiseul, à Joly de Fleury au sujet
d'Helvetius, de Choiseul, de l'abbé de Broglie, etc.). — E. Welvert.
La dauphine Marie-Antoinette et sa tante Mme Adélaïde (Mercy-Argen-
teau, qui puisait ses renseignements à des sources souvent frelatées et
obéissait à ses préventions autrichiennes, a accusé sans doute à tort
Mme Adélaïde et Mme de Narbonne d'intrigues pour avoir voulu faire
comprendre à la dauphine ses nouveaux devoirs). — A. CHUQUET.
Buzot et Mme Roland (important et vivant article où l'auteur analyse
avec force et finesse l'amour de Buzot et de Mme Roland et fait ressor-
tir les rares qualités de Buzot, le plus clairvoyant et le plus énergique
des Girondins, qui contribua plus que tout autre a exciter contre eux
la haine et la vengeance des Jacobins). — F. Hausser. Tchernychev
et l'agence russe d'espionnage, 1810-1812 (le détail de l'espionnage
militaire auquel se livra Tchernychev grâce à Michel, attaché au
ministère de la Guerre, condamné et exécuté en 1812, et à ses complices
Saget, Salmon et Mosès, est aujourd'hui connu grâce à la publication
de sa correspondance avec le ministre russe Barclay de Tolly dans
l'ouvrage la Guerre nationale de 1812, traduit en français). — Une
conversation de Totleben avec Napoléon III (publ. p. Schilder dans la
Rouskaïa Starina, 1885). — La mort de Louis XVI (lettre de Miss Bur-
ney du 4 févr. 1793, écrite d'après les récits des émigrés qui entou-
raient Narbonne). = Juin. G. Picavet. La comète de 1664 (impres-
sions de Mme de Sévigné et de Guy Patin). — G. Devèze. La Compagnie
des Indes de François Martin (à propos du livre de C. Kaeppelin,
Étude sur l'histoire du commerce etdes établissements dans l'Inde
sous Louis XIV). — E. Welvert. Marie-Antoinette et Mme du Barry
(analyse minutieuse de l'attitude hostile observée par la dauphine,
malgré les conseils de Mercy-Argenteau, à l'égard de la favorite,
d'accord avec ses tantes qui faiblissent à la fin). — La trahison de
Dumouriez (récit de Bonnefont, le seul des sept volontaires de Saône-
et-Loire qui ait pu se sauver après avoir sommé le général de se sou-
mettre aux ordres de Paris). — La journée du 1er prairial (récit de
Thirus de Pautrizel, député de la Guadeloupe à la Convention, arrêté
le 6 prairial an II sur la dénonciation du général Morgan). — A. de
Tarlé. Menou et Daure en Egypte (correspondance de Menou avec
l'ordonnateur en chef Daure qu'il avait, malgré les autres généraux,
relevé, de ses fonctions). — L'arrestation du duc d'Enghien (lettres du
général Carrié du 13 sept. 1814 au ministre de la Guerre et du 4 nov.
au roi, pour attester que, s'il commanda comme colonel les 300 dra-
gons qui arrêtèrent le duc d'Enghien, il ignorait absolument la nature
de la mission qu'ils accomplissaient). — J. Durrieux. Le corsaire
Delattre (de Dunkerque qui, de 1793 à 1805, captura soixante-cinq
navires anglais). — J. Ramraud. L'abolition de la féodalité napolitaine
par Joseph et Murât (signale le beau livre de M. Trifone, Fundi e
domani, eversionc délia feudalità »/<■//<' provincie napoletane,
212 RECUEILS PÉRIODIQUES.
1909). — Les Alsaciens-Lorrains et la légion étrangère (très intéres-
sant article sur les services rendus dans .la légion étrangère par nos
compatriotes d'Alsace-Lorraine).
6. — La Révolution française. 1910, 14 mars. — René Baticle.
Le plébiscite sur la Constitution de 1793 (les amendements fédéra-
listes, politiques, administratifs, religieux, économiques; la suite le
14 avril). — Vialla. L'insurrection d'Arles et la première expédition
marseillaise (sept. 1791). — A. Aulard. Un arrêté du conventionnel
Siblot sur les prêtres (très rigoureux). — Un aéronaute patriote en
1791 (texte d'un document absurde sur l'utilisation des aérostats). =
C. -rendus. H. Sée et A. Lesort. Cahiers de doléances de la séné-
chaussée de Rennes pour les États-Généraux de 1789 (bon). —
P. Samuel. Du droit de pétition dans la Révolution (soigné, mais
incomplet). =r 14 avr. H. Labroue. La commune d'Angoisse (Dor-
dogne) pendant la Révolution, d'après les registres municipaux (ana-
lyse faite dans l'ordre chronologique). — J. Destrem. Quelques docu-
ments sur le 19 brumaire (trouvés dans les cartons de la Commission
intermédiaire du Conseil des Cinq-Cents). — Les écoles centrales
défendues par le philosophe Destutt de Tracy (lettre de ce philosophe
au citoyen Droz). =: C. -rendus : Letaconnoux. Les subsistances et le
commerce des grains en Bretagne au xvme s. (intéressant). —
G. Lechartier. Les services de la Grande Armée en 1806-1807 (utile).
7. — Revue des études anciennes. T. XII, n° 2, 1910. —
H. Lechat. Notes archéologiques, art grec (résumé par ordre de
matières d'articles parus dans des revues d'archéologie). — C. Jullian.
Notes gallo-romaines (suite : notes sur Lucain géographe). — G. Dot-
tin. Les études celtiques depuis 1900 (rapide aperçu). — E. Duprat.
La route d'Agrippa à Avignon (sa direction ; son histoire au moyen
âge). = C. -rendu : É. Bourciez. Éléments de linguistique romane (très
utile).
8. — Bulletin hispanique. T. XII, n° 2, 1910. — P. Paris. Pro-
menades archéologiques en Espagne (suite ; Tarragone). — L. Micheli.
Inventaire de la collection Edouard Favre (suite). — E. Pineyro. Blanco
White (suite). = Juill.-sept. A. Schulten. Les camps de Scipion à
Numance (3e rapport, 1908, avec des plans et des photographies). —
G. Daumet. Jean de Rye au siège d'Algésiras (publie deux lettres
adressées par Clément VI à Alphonse XI en faveur de cet aventurier,
1344, 1347). — L. Micheli. Inventaire de la collection d'Edouard
Favre (suite).
9. — Annales de géographie. T. XIX, 1910, 15 janv. — L. Gal-
lois. L'origine du nom de Faucilles (ce nom est dû à une inadvertance
d'Ortelius, géographe du XVIe s.; d'abord synonyme de Vosges, il a
fini par désigner une chaîne imaginaire). =: 15 mars. Ph. Arbos. La
plaine du Roussillon (deux paragraphes sont consacrés à l'évolution
RECUEILS PÉRIODIQUES. 213
de l'économie rurale et à la répartition de la population depuis la fin
du xvme s.). = 15 mai. A. Frirourg. La transhumance en Espagne
(avec trois croquis dans le texte et deux cartes en couleur hors texte).
— S. LÉvi. La mission Pelliot en Asie centrale. = 15 juill. Alf. Ury.
La crue de janv. 1677 à Paris (contributions à l'histoire du régime de
la Seine). — P. Girardin. Le dictionnaire géographique de la Suisse
(publié sous les auspices de la Société neuchâteloise de géographie en
six volumes, 1902-1910).
10. — Le bibliographe moderne. T. XII, 1909, janv.-févr. —
P. LaCûmbe. Un souvenir de l'entrée du roi Henri IV à Paris (22 mars
1594). Notice sur un document conservé au musée Condé. — M. Pri-
net. Portrait de Jean de Vienne, seigneur de Listenois, miniature de
la fin du xve s. — H. Patrv. Le bénédictin Claude-Cyrille Peuchot
(premier archiviste de la Haute-Marne, 1745-1817). = Mars-août.
L.-G. Pélissier. Un collaborateur de Montfaucon (lettres de l'archéo-
logue Bon de Saint-Hilaire à dom Bernard de Montfaucon, 1722-1740).
= C. -rendus : F. -M. Kircheisen. Bibliographie du temps de Napo-
léon (comprenant l'histoire des États-Unis; utile). — C. Couderc.
Album de portraits d'après les collections du département des manus-
crits il77 planches accompagnées de notices intéressantes).
11. — Romania. T. XXXIX, 1910, janv. — Paul Meyer. Les
enfances Gauvain ; fragment d'un poème perdu (texte et commentaire :
le poème ne paraît pas antérieur au xme s.; comparaison de ces frag-
ments avec une composition latine intitulée De ortu Walwanii
nepotis Arthuri). — Mario Roques. Fragments d'un ms. du Roman
de Renart (extraits du ms. 5237 des nouv. acq. fr. de la Bibl. nat.). —
Paul Meyer. Prière en quatrains à la Vierge (sermons; publication de
textes l. — A. Langfors. La vie de sainte Catherine par le peintre
Estienne Lanquelier itexte de cette vie; à la suite deux intéressantes
notes de MM. Durrieu et A. Thomas sur le peintre Etienne Lanque-
lier que M. Durrieu identifie au peintre en titre de Jean, duc de Berry ;
M. A. Thomas conteste cette identification). — H. Suchier. La fille
sans mains (suite; publication d'une nouvelle latine intitulée Ystorin
régis Franchorum et filie in qua adulterium comitere voluit). —
A. Parducci et Paul Meyer. Fragment d'un ancien chansonnier pro-
vençal trouvé à la bibl. Classense de Ravenne). — T.-Atkinson Jen-
kins. Melite (serait identique au nom de l'île de Malte). = C. -rendus :
J. Angla.de. Le troubadour Rigaut de Barbezieux (monographie
incomplète sur quelques points). — .4. Darmesteter. Les gloses fran-
çaises de Raschi dans la Bible (notes de Louis Brandin et introduction
de Julien Weill. Raschi est un rabbin du XIe s.).
12. — Revue archéologique. T. XV, 1910, janv. — A.-J. Reinach.
Le disque de Phaistos et les peuples de la mer (ce disque, trouvé en
Crète, daté du XVIIIe s. av. J.-C, paraît pouvoir être attribué aux
peuples de la mer). — Ch. Picard. Statuette archaïque de femme
214 RECUEILS PÉRIODIQUES.
assise, musée du Louvre (appartient au groupe crétois-péloponésien ;
peuf être datée des environs de 600).— G. Ferrero. La date de l'an-
nexion de la Gaule (celle de 5T-.r.li esl plus probable que celle de
51-50 proposée pur M. Jullian). — C. Jullian. Réponse à M. Ferrero
(critique de l'hypothèse de M. Ferrero). — L. Delaporte. Cylindres
royaux de l'époque de la première dynastie babylonienne (description
de cinq cylindres). — S. Reinach. Les têtes des médaillons de l'arc
de Constantin à Rome (les médaillons semldeni relut ils a Hadrien,
mais il y a eu des substitutions de têtes impériales a d'autres plus
anciennes). — J. Hatzfeld. Démétrius Poliorcète et la Victoire de
Samothrace (critique de l'opinion de Benndorf qui voit dans cette
statue un trophée élevé par Démétrius Poliorcète après la vic-
toire de Salamine; M. Hartzfeld y voit l'œuvre d'un artiste de
Rhodes). — G. Ancey. Sur deux épigrammes de Crinagoras. —
E. Mâle. Le groupe de la Visitation a la cathédrale de Reims (cri-
tique des dates proposées). — S. Reinach. Quinze siècles d'histoire
babylonienne, 3000-1500 av. J.-C. (intéressant résume d'un précis
d'Ed. Meyer). = C. -rendus : M. Hœrnes. Natur-und Urgeschichte der
Menschen (utile tableau des civilisations primitives). — Angelo Mosso.
Le origini délia civiltà mediterranea (intéressant, parce que l'auteur
est très versé dans les sciences naturelles!. — A. von Domaszewski.
Geschichte der romischen Kaiser (écrit par un savant pour le grand
public). — C. Boulanger. Le cimetière franco-mérovingien et caro-
lingien de Marchepelot, Somme (très documenté sur l'industrie des
Barbares). = Mai-juin. W. Deonna. Le Gaulois de Délos (ce prétendu
Gaulois n'est qu'un jeune géant pergaménien. Les Gaulois ne hurlent
pas d'une manière aussi désespérée). — Th. Reinach. Un nouveau
sous-préfet romain de Tarantaise (d'après une inscription trouvée sur
la colline de Saint-Sigismond, sur l'emplacement de l'ancienne Axima
Ceutronum). — F. de Mély. Les miniaturistes et leurs signatures (à
propos de l'exposition du Burlington-Club).
13. — Revue de l'histoire des religions. T. LXL 1910, n° 1. —
Goblet d'Alviella. L'animisme et sa place dans l'évolution religieuse
(c'est la croyance à l'existence des esprits ; il précède le fétichisme et
l'idolâtrie; il a pour corollaire la sorcellerie: il implique l'anthropo-
morphisme, mais on aurait tort d'y voir la dégénérescence d'un mono-
théisme primitif; article intéressant et fait avec logique, mais abstrait).
paul Monceaux. L'église donatiste au temps de saint Augustin
(histoire de la décadence du donatisme, 391-422, faite surtout à l'aide
des œuvres de saint Augustin). = C. -rendus ; Â. von Hoonacher. Les
douze petits prophètes traduits et commentés (ouvrage conçu dans un
esprit traditionnaliste, mais bon instrument de travail). — F.-C. Cony-
beare. Myth, Magic and Morals (intéressante étude sur les origines
chrétiennes). — Firmin Nicolarclot. Les procédés de rédaction des
trois premiers évangélistes (nouveau). = N° 2. P. Casanova. La
Malhamat dans l'Islam primitif (l'auteur essaie de démontrer que
RECUEILS PÉRIODIQUES. 215
« malhamat » signifie fin du monde). — Isidore Lévy. Sarapis (suite;
critique de la légende sinopique). — A.-J. Reinach. Itanos et 1' « in-
ventio scuti » (fin ; l'auteur montre comment on finit par considérer
Itanos le Samnite comme l'inventeur du bouclier). =: C. -rendu :
Ch. Guignebert. La primauté de Pierre et la venue de Pierre à Rome
(ouvrage clair et critique). = N° 3, mai-juin. Ph. Berger. Un nouveau
tarif des sacrifices à Cartilage. — R. Basset. Recherches sur la reli-
gion des Berbères. — L. Delaporte. Le premier fragment d'une nou-
velle version du déluge babylonien. = C. -rendus : Campbell. Two the-
ban queens : Nefert Ari and Ty-ti, and their tombs (bon). — Drews.
Die Christusmythe (livre inutile; il s'y trouve deux thèses : « l'une
n'était plus à prouver, l'autre reste à établir »).
14. — Revue d'histoire rédigée à l'État-major de l'armée.
1910, juin. — La manœuvre de Pultusk (suite en juillet). = Docu-
ments : Fragment des mémoires de Guy-Louis-Henri de Valory,
enseigne au régiment de Piémont (sur les campagnes de 1708 à 1709
en Flandre, en particulier sur Malplaquet. L'enseigne Valory fut plus
tard le marquis de Valory, ambassadeur de France à la cour prus-
sienne de 1739 à 1750; suite en juill.). — La correspondance inédite
de Napoléon aux archives de la Guerre (suite). =: Juill. La campagne
de 1813 (Ie1' art.). — La guerre de 1870. La défense nationale en pro-
vince (mesures générales d'organisation; suite).
15. — Annales des sciences politiques. 1909, 15 nov. — Angel
Marvaud. Le problème agraire, en Espagne (fin. En Galice; le morcel-
lement exagéré de la propriété ; les charges des colons ; remèdes pro-
posés. Clair, mais un peu rapide). — Edouard Payen. Les progrès
d'une région de France (les cultivateurs en Sologne ; leur progrès
depuis cinquante ans). =z 1910, 15 janv. A. Arnauné. Le système
commercial de Colbert (la fin dans le n° du 15 mars. Les principes de
ce système : diminuer les importations de marchandises et les sorties
d'argent, augmenter les exportations et les entrées d'argent; ses appli-
cations : les tarifs de 1664 et de 1667; la lutte avec l'Angleterre; les
traités de commerce). — O. Festy. L'insurrection de Lyon en 1831
(d'après des documents inédits et surtout des lettres du procureur géné-
ral près la cour de Lyon). ■=. 15 mars. Delavaud. Les origines norvé-
giennes des archipels écossais, 871-1667. Voir plus haut, p. 191.
16. — Le Correspondant. 10 févr. 1910. — E. de Budé. Souve-
nirs du général Bertrand (extraits des Souvenirs inédits d'Amédée
Massé qui fut secrétaire du général lors de son gouvernement des pro-
vinces illyriennes. On y trouve des détails intéressants sur l'activité
de Bertrand en Illyrie en 1812 et sur la campagne d'Allemagne de
1813). — Cte Daru. Associations et sociétés de provinciaux à Paris
(fin le 25 févr.; curieux chapitre d'histoire sociale). = 25 févr. R. Val-
lery-Radot. La jeunesse du duc d'Aumale (d'après sa correspondance
avec Cuvillier-Fleury). — Brémond. Un complot contre Fénelon. La
216 RECUEILS PÉRIODIQUES.
solitaire des Rochers (dans un style bien bizarre, M. Brémond met à
peu près hors de doute que les Lettres d'une solitaire inconnue,
répandues manuscrites en 1694-1698, publiées pour la première fois
en 1797 et louées par M. Gazier dans ses Mélanges de 1904, sont une
fabrication du P. Luc de Bray dirigée contre Fénelon et Mme Guyon).
— F. Roz. L'esprit américain et la littérature américaine, zr 10 mars.
G. Bord. Les crues de la Seine. — P. de Quirielle. Les sentiments
de l'Alsace (excellent article où le livre de Delahache, la Carte au
liseré vert, aurait dû être signalé). — Lanzac de Laborie. Dom
Guéranger et son œuvre (protestation motivée contre l'ouvrage ano-
nyme en 2 vol. sur D. Guéranger, publié récemment chez Pion.
D. Guéranger a rendu d'incontestables services en restaurant la con-
grégation bénédictine à Solesme, à Ligugé et à Marseille, en publiant
Y Année liturgique et en encourageant les études de liturgie et de
musique religieuse; mais il a apporté dans ses publications sur les
origines des églises de Gaule, sur l'Édit de Nantes et dans ses
polémiques contre les catholiques libéraux, Montalembert, Broglie,
d'Haussonville, etc., l'intolérance sectaire la plus violente et la plus
ignare). — Desjoyeaux. Les couleurs des drapeaux français (les trois
couleurs étaient les « couleurs du roi ». C'est le comte Henry de Virieu
qui, le 22 octobre 1790, les fit adopter par la Constituante pour la
marine. Le 30 juin 1791, le drapeau tricolore devient celui de toute
l'armée). = 25 mars. E. Gachot. Le mariage de Napoléon et de Marie-
Louise (d'après de nombreux documents inédits qui mettent en lumière
le zèle avec lequel Metternich a travaillé au mariage. Texte du rap-
port de MM. Cramayel, de Priéj et du Hamel sur le mariage fictif à
Vienne. M. Gachot confirme la tradition d'après laquelle « le plus mal
élevé des grands hommes » prit à Compiègne à la houzarde la fille
des Habsbourg avant les cérémonies régulières). — P. BosQ. La cons-
piration Charabot, 1803 (refait avec plus de détail le récit de ce com-
plot jacobino-royaliste qui devait livrer Toulon et Marseille aux Anglais,
que M. Gaffarel, non cité par M. Bosq, avait déjà raconté dans les
Annales de Provence). = 10 avril. E. Lamy. Le conventionnel André
Dumont (fin le 25 avril. D'après l'étude de M. E. de Rougé. Cet
obscur conventionnel, qui se qualifiait de maratiste, fut parmi les pre-
scripteurs des Girondins et fut commissaire dans la Somme, où il se
montra encore plus grossier en paroles que féroce dans ses actes,
se retourna avec violence contre les Jacobins après le 9 thermidor, se
vanta de sa modération, fut élu au Conseil des Cinq-Cents par onze
départements; mais, attaqué comme ancien terroriste, ne fut pas réélu
en 1796, fut sous l'Empire sous-préfet d'Abbeville et préfet du Pas-de-
Calais en 1815, fut exilé sous la Restauration et mourut en 1836.
M. Lamy construit sur cet obscur et médiocre personnage une psycho-
logie du Jacobin très contestable et qui vise surtout les Jacobins
de 1910). =25 avril. Faguet. Les ennemis de J.-J. Rousseau (montre
que Mme Frederika Macdonald a eu raison de démontrer que les
RECUEILS PÉRIODIQUES. 217
Mémoires de Mme d'Épinay ne méritent aucune créance et ont été tri-
patouillés par Mme d'Épinay elle-même, Diderot et Grimm, mais
qu'elle a tort de croire Rousseau innocent de toutes les vilenies dont
il a été accusé). — Lettres de Chateaubriand à Rosalie et à Charles de
Constant (écrites de 1826 à 1835. Quelques détails intéressants). =:
10 mai. Adrienne Cambry. Jeanne d'Arc à Paris. L'église où elle pria
(c'est l'église Saint-Denys-de-la-Chapelle au village de la Chapelle-
Saint-Denis qui contient encore des piliers existant lorsque Jeanne
d'Arc vint y prier les 6, 7 et 8 septembre 1429). = 25 mai. Mgr Cha-
pon. L'Église de France sous le pontificat de Léon XIII (vague). —
C. Lamy. Russes et Bulgares d'il y a trente ans (d'après l'ouvrage si
curieux d'E. Queillié : les Commencements de l'Indépendance
bulgare et le prince Alexandre, qui a tant grandi le prince). — Lan-
zac de Laborie. Quelques révolutionnaires (intéressantes analyses
des ouvrages de J. Charrier, Claude-Fauchet ; A. Dunoyer, Deux
jurés du tribunal révolutionnaire ; R. Arnaud, le Fils de Fréron;
baron Despatys, la Révolution, la Terreur et le Directoire d'après
les Mémoires de Gaillard; L. Pingaud, Jean de Bry). — 10 juin.
R. Vallery-Radot. Le premier exil du duc d'Aumale (d'après sa
correspondance). — Baron J. de Witte. Vingt-six ans de gouverne-
ment catholique en Belgique (M. de Witte attribue aux catholiques la
prospérité matérielle de la Belgique due au roi et à la nation entière ;
il attribue aux catholiques belges une modération et une tolérance qui
est démentie par tous leurs actes. La décadence graduelle de l'enseigne-
ment public est due à la tyrannie cléricale qui, représentée au ministère
des Sciences et Lettres par le chevalier Descamps-David, refuse de don-
ner à un savant comme M. Cumont la chaire à laquelle il a droit. Les
catholiques sont de plus les adversaires décidés de l'esprit français en
Belgique). — C. Jollivet. Les cercles mondains. — M. Dumoulin.
Le cabaretier du Trianon (Charles Langlois qui, après avoir mené des
jours heureux et prospères comme limonadier à Versailles, fut, mal-
gré son civisme, dénoncé en 1793, accusé de conspiration, emprisonné
quatre mois et enfin acquitté par le tribunal révolutionnaire l'avant-
veille de la chute de Robespierre. Sous le Consulat, il eut l'idée
géniale de louer le Petit-Trianon pour y établir un restaurant). ■=.
25 juin. Mgr Batiffol. La papauté vue d'Allemagne (apologie de la
papauté ingénieusement tirée du livre du professeur Krueger, de
Giessen, Das Papsttum, seine Idée und ihr Traeger). — La ques-
tion de la Crète. Les origines. Les rivalités. Les complications. L'ave-
nir. — H. Brémond. La jeunesse de Wesley (loue la thèse de M. A.
Léger sur ce sujet). — N. de Chazan. Paris au surlendemain de la
Terreur (annonce la réimpression par MM. Usteri et Ritter des précieux
Souvenirs de mon dernier voyage à Paris, 1795, d'H. Meister).
17. — La Revue. 15 mars. — Ly-Chao-pée. La littérature et la
presse chinoise. — Cte H artfeld. Les journaux satiriques en Chine. —
Marcel Laurent. Le siège de Paris (extraits curieux des pièces de l'en-
218 RECUEILS PÉRIODIQUES.
quête sur le gouvernement de la défense nationale et surtout des notes
du préfet de police Cresson. On voit la Commune se former jour
après jour). = 1er mai. Manuel Ugarte. Le prochain congrès franco-
américain (prouve que ce congrès ne peut que préparer une mainmise
des États-Unis sur* l'Amérique du Sud). — Faguet. Église et reli-
gion (forte critique des Lettres sur les études ecclésiastiques de
Mgr Mignot où ce prélat fait reposer la religion sur l'Église et non
l'Eglise sur la religion, ce qui est utile pour l'orthodoxie et dange-
reux pour la religion). =. 15 mai. Lettres du Comte de Paris à Régis
de Trobriand (de 1881 à 1890; très curieuses pour la psychologie du
prince au moment des lois d'exili. — FaGUET. Marie Stuart (à propos
du livre de Filon. Faguet dit avec raison que rien dans la vie de
Marie Stuart ne mérite la sympathie. Sa mort tragique lui a seule donné
l'auréole). — A. Maybon. Le bouddhisme hors d'Asie (en Angleterre,
Allemagne, Hongrie, Amérique. Le néo-bouddhisme. Curieux). —
Brada. Autour du roi Edouard VIL =z 1er juin. M. Lewandoyvski.
L'Argentine au XXe siècle (fin le 15 juin). — Marius-Ary Leblond. La
Pologne d'aujourd'hui. — A. Péreire. Trois filles d'opéra (Mlle Salle,
la vertueuse ballerine, d'après M. E. Dacier; MUe Duthé, la perversité
même, d'après ses Souvenirs publiés par Paul Ginisty; Fanny Essler,
la danseuse viennoise, d'après M. A. Christian). z= 15 juin. La crise
des partis politiques en France. — Gaubert. Un catholique russophobe
(A. de Lamothe, dont les romans sur la révolution polonaise de 1863,
les Faucheurs de la mort, les Martyrs de Sibérie, Marpha, eurent
beaucoup d'influence sur les catholiques). — H. de Gallier. Comment
on était servi autrefois (fin le lerjuill. Amusants détails sur la domes-
ticité sous l'ancien régime).
18. — La Revue de Paris. 1910, 15 mars. — J. Delavaud. L'édu-
cation d'un ministre (d'après les lettres de Colbert de Croissy à son
fils, le futur marquis de Torcy; intéressant). — Conseils à un futur
ministre (on publie ici vingt-deux lettres de Colbert de Croissy, 1684-
1688). = 1er avril. Aali-pacha. Testament politique (suite et fin le
1er mai; adressé à S. M. le sultan Abdul Aziz, empereur des Ottomans
et daté de Bébek. septembre 1871. Aali-pacha, qui avait été cinq fois
grand vizir et six fois ministre des Affaires étrangères, est mort en
1872). — E.-F. Gauthier. La conquête du Sahara touareg. — L. Batif-
fol. Louis XIII jeune homme (ses aptitudes, ses goûts, ses talents).
rr Ier mai. Fréd. MaSSON. Arthur Dillon, général en chef de l'armée
des Ardennes, 1750-1794 (suite le 1er juin, fin le 15 juin; biographie
minutieuse. Il y eut au moins trois Arthur Dillon vers la fin de l'an-
cien régime, sans compter Théobald Dillon qui fut massacré par ses
soldats en 1792. Le futur général en chef a été souvent surnommé
« le beau Dillon », sans doute par suite d'une méprise. Le « beau Dil-
lon » s'appelait Edouard. Arthur Dillon, propriétaire du régime irlan-
dais qui porte son nom, n'était pas un courtisan favori ; il servit la Répu-
blique avec autant de foi que de bravoure intelligente; c'est lui, non
RECUEILS PÉRIODIQUES. *-»°
Dumouriez, à qui il faudrait attribuer les succès de 1792; mais, vic-
time des factions, il fut traduit devant le tribunal révolutionnaire sous
la fausse inculpation d'avoir conspiré contre la liberté et la souverai-
neté du peuple, et décapité). = 1" juill. L. de ContÈNSON. Un agent
royaliste en 1814 (publie la correspondance échangée entre les agents
du comte de Provence et le baron de La Barthe de La Coustête qui
avait été envoyé en France en décembre 1813 pour y rappeler l'ancien
nom des Bourbons; fin le 15 juill.).
19. — Revue des Deux Mondes. 15 mars 1910. — Lettres du roi
Louis-Philippe et du prince de Talleyrand à Sébastiani. Guerre de la
Belgique contre la Hollande, 1831 (publiées sans soin par le Cle Horace
de Choiseul). — E. Daudet. Une vie d'impératrice (analyse des t. II
et III de la vie de l'impératrice Elisabeth, femme d'Alexandre Ier, par
le grand-duc Nicolas. Cette vie fut un morne martyre). = 1er avril.
A. Leroy-Beaulieu. La Russie nouvelle et la liberté religieuse; I : Les
catholiques; II : Les Israélites (fin le 15 avril : Les vieux croyants.
Le rétablissement du patriarcat. La convocation d'un concile. Les
vieux croyants ont seuls vraiment profité des promesses de liberté
religieuse faites en 1905. Ni le patriarcat ni le concile, d'ailleurs impro-
bable, ne donneront à l'Église orthodoxe la liberté et la réforme dont
elle a besoin). — G. Loisel. Les ménageries de Versailles et du Tria-
non. _ h. Welschinueu. La captivité de Napoléon III à Wilhelms-
hœhe (fin le 15 avril; d'après les notes du général de Monts, gouver-
neur de Cassel, et celles du journaliste A. Mels-Cohn. Très curieux
tant parles détails sur les occupations de Napoléon a Wilhemshcehe,
les visites qu'il y reçut et les intrigues qui l'entourèrent, que par l'ana-
lyse des brochures peu connues de Napoléon sur les relations de la
France, de l'Allemagne avec la France sous son règne et sur la guerre
,],> 1870). — Ch. de Lasteyrie. L'impôt sur le revenu sous l'Ancien
régime (cet. article, fondé en partie sur des documents inédits, a pour
objet de montrer que notre système fiscal actuel, qui est dû aux
réformes de l'Assemblée constituante, a été inspiré par la pensée de
mettre fin non seulement a l'inégalité des charges, mais aussi aux injus-
tices et à l'impopularité des taxes frappant le revenu). = 15 avril.
Vte d'Avenel. L'évolution des dépenses privées depuis sept siècles;
III : Le service de table et la cuisiue. — G. Govau. Bismarck et la
Papauté. La guerre 1870-1872; III : Les vieux catholiques. Leurs
premières victoires (excellente analyse du mouvement antiinfaillibi-
liste en Allemagne et en particulier en Bavière. Suppression de la
« division catholique » au ministère des Cultes de Berlin ; fondation de
l'Église des vieux catholiques après le. congrès de Munich en sep-
tembre 1871 sur lequel M. Goyau passe trop rapidement, bien qu'il
décrive très exactement le rôle de Dudlinger; enfin premières hostili-
tés de Bismarck et du Reichstag contre les ultramontains, à l'instiga-
tion de la Bavière). — P. Hazard. L'âme italienne de la Révolution
française au Risorgimento (à propos du livre de Julien Luchaire sur
220 RECUEILS PÉRIODIQUES.
l'Évolution intellectuelle de l'Italie de 1815 à 1830 où l'on voit l'Ita-
lie passer du nationalisme littéraire au nationalisme politique et la
renaissance catholique de Manzoni, aussi importante et plus sincère que
celle de Chateaubriand, s'opposer au pessimisme de Léopardi). — T. de
Wyzewa. L'aventure tragique de Jane Grey (à propos du livre de
R. Davey : The Nine days Queen, Lady Jane Grey and lier Urnes
(bonne psychologie de cette naïve victime de l'ambition de son beau-
père et de son mari et des humanistes protestants. Sans s'attendrir
autant que M. de Wyzewa sur l'humanité de Marie Tudor, on recon-
naîtra' avec lui qu'elle a sacrifié à regret Jane Grey. Qui sait si ce
« précédent » n'a pas été funeste à Marie Stuart?). = 1er mai. Vte E.
de Vogué. Ségur et ses Mémoires (dernières et brillantes pages de
l'écrivain, préface d'une édition nouvelle de la Campagne de Russie.
M. de Vogué fait observer que les Mémoires de Philippe de Ségur,
parus en 7 vol. en 1873 et si précieux, sont presque inconnus. L'his-
toire littéraire de Petit de Julleville les ignore. M. de Vogué aurait pu
ajouter que Vapereau les ignore aussi et que le nom même du général
Ph. de Ségur est absent du Dézobry corrigé (?) par Darsy). — G. Fer-
rero. Rome dans la culture moderne (très éloquent plaidoyer en
faveur de la tradition romaine considérée comme nécessaire au main-
tien de la vitalité et de l'équilibre des nations modernes, surtout des
nations latines. Nécessité de garder la connaissance et la conscience syn-
thétiques de l'histoire de la civilisation, de l'esprit et du droit romains.
M. Ferrero plaide en faveur de l'historicité d'un Romulus, fondateur
de Rome). — A. Filon. La Chambre des lords dans le passé et dans
l'avenir (M. Filon y voit la représentation de la propriété foncière et la
partie la plus ancienne et aussi la plus importante du Parlement.
Elle ne pourra être modifiée que par un référendum). — Rouire. La
transformation de la Chine. L'évolution des idées chinoises. = 15 mai.
G. Hanotaux. Jeanne d'Arc. I : La formation (suite les 1er et 15 juin.
M. Hanotaux croit avec raison qu'il y a encore beaucoup à faire, à
trouver et à dire pour qu'on possède une histoire critique de Jeanne
d'Arc. Lui-même, sans refaire l'histoire de l'héroïne, donne son senti-
ment ou plutôt ses impressions sur les mystères de sa formation, de
sa mission, de son abandon et de sa condamnation. Ses impressions,
qui sont d'un homme très intelligent et très instruit, donnent une idée
assez vive du caractère merveilleux de la vie de Jeanne et du milieu
où elle s'est développée, mais elles manquent trop de clarté et de pré-
cision pour permettre d'asseoir un jugement. Le mystère reste un
mystère). — A. Mézières. Les premières années du duc d'Aumale
(d'après le journal de la correspondance de Cuvillier-Fleury). = 1er juin.
A. Filon. Le caractère et l'œuvre politique d'Edouard VII (exposé
impartial et persuasif des raisons qui permettent de regarder Edouard VII
comme un grand roi). — A. Gazier. L'école primaire et les évêques
constitutionnels sous le Directoire (Grégoire et ses collègues, par une
encyclique de décembre 1795 (nivôse an IV) cherchèrent à reconstituer
RECUEILS PÉRIODIQUES. 221
dans toutes les paroisses des écoles primaires chrétiennes ; ils en
créèrent beaucoup, des curés se firent instituteurs et des presbytères
furent maisons d'école. Le Directoire s'en émut et chercha à oppo-
ser des écoles laïques à ces écoles chrétiennes. Le Concile national de
France adressa le 5 novembre 1797 une letfre synodique aux maîtres
chargés de l'instruction de la jeunesse. Ces efforts eurent des résultats
sérieux, jusqu'ici ignorés). =. 15 juin. V. du Bled. Les comédiens et
la société polie. — R. PiNON. Une confédération balkanique est-elle
possible? (l'histoire porte à croire que non, car il faudrait que la Tur-
quie en fît partie).
20. — Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes-
rendus des séances de l'année 1910. Bulletin d'avril-mai. — P. Dur-
rieu. L'enlumineur flamand Simon Bening (né en 1483 ou 1484, mort
à Bruges en 1561). — Fr. Novati. Rapports littéraires de l'Italie et de
la France au XIe siècle (résume ce qu'il doit exposer en détail dans le
6e chapitre de ses Origini délia letteratura italiana, qui vont bien-
tôt paraître).
21. — Séances et travaux de l'Académie des sciences morales
et politiques. Compte-rendu, 1910, juin. — E. Levasseur. Aperçu
de l'histoire des monnaies et du commerce d'argent en France au
moyen âge (la monnaie sous les premiers Valois ; Charles V et
N. Oresme; les changeurs et la lettre de change ; les Lombards et les
Juifs). — A. Chuquet. Buzot et Mme Roland (fort intéressant tableau
de leurs relations ; montre ce que l'amour de Marie Phlipon a fait
pour Buzot et combien cet amour est honorable pour ce dernier). z=
Juillet. E. Rodocanachi. Richesse des cardinaux romains au temps de
Jules II et de Léon X (plusieurs furent très riches, mais ils ne possé-
daient leurs biens qu'à titre précaire et souvent ceux-ci, après leur
mort, faisaient retour au Saint-Siège.)
22. — Société nationale des Antiquaires de France. 1910.
Séance du 1er juin. — M. Maurice Roy apporte quelques nouvelles
dates intéressantes pour la biographie des artistes italiens établis à
Paris au XVIe s., notamment de Luca Penni et de son frère Barto-
lomeo. =: 8 juin. M. Martroye cherche à établir que le siège épisco-
pal dit de Maximien conservé à Ravenne serait celui de Maximus,
évèque de Salone en Dalmatie vers 342. — M. Mirot donne lecture
de quelques lettres de Jean de Piles fort intéressantes pour la topo-
graphie de Rome au xvie s. — M. Serbat étudie quelques textes et
dessins relatifs à l'église de Saint-Jean-en-Grève à Paris. = 15 juin.
M. de Mély appelle l'attention sur plusieurs inscriptions qui donnent
des noms de miniaturistes dans un manuscrit de la Bibliothèque natio-
nale et dans un manuscrit de la bibliothèque de l'Arsenal. — M. Tou-
tain signale une dédicace à la grande mère des Dieux relevée par
M. Cagnat dans les ruines de Djemila (Afrique). = 22 juin. M. Joulin
étudie les fouilles entreprises depuis plusieurs années à Ampurias
222 RECUEILS PÉRIODIQUES.
(Espagne) el leur importance pour l'histoire de la civilisation hellé-
nique. = 29 juin. M. HÉRON DE VlLLEFOSSE communique divers
objets gallo-romains provenant de Mérouville (Eure-et-Loir). —
M. Brtjston prouve que l'inscription d'Autun dite de Pectorius est
entièrement en acrostiche et propose de nouvelles lectures pour les
derniers vers. — M. MaRTROYE étudie la manière dont sont signalés
certains événements au point de vue de leur date dans les chroniqueurs
hyzantins. = 6 juill. M. Maurice étudie les monnaies astrologiques
de I époque constantinienne. — M. le Dr Guebhard apporte le résul-
tat d'une découverte d'objets en bronze décorés faite à Clans (Alpes-
Maritimes) et en indique tout l'intérêt. =z 13 juill. M. Chapot signale
des tours antiques d'Aix -eu-Provence démolies à la fin du XVIIIe s.
et considérées généralement comme ayant été originairement des
mausolées ; il rapproche l'une d'elles d'un monument circulaire décou-
vert à Ephèse et qu'on interprète comme un édifice commémoratif
d'apparat. — M. Brustox recherche le sens de l'inscription d'Aber-
kios trouvée en Phrygie et en apporte une nouvelle interprétation. =z
■21 juill. M. Monceaux apporte quelques plombs hyzantins récemment
trouvés a Carthage par le R. P. Delattre.
23. — Mémoires de la Société éduenne. Nouv. série, t. XXXVII.
Autun, 1909. — Max Boirot. Notice sur un reliquaire attribué à
l'époque carolingienne et contenant une phalange d'un doigt de saint
Léger, évêque d'Autun (ce reliquaire est un barillet creusé dans un
morceau de bois dur, orné de deux pierres brillantes, avec une ins-
cription de trois lignes gravée en pointillé sur les douves du barillet).
— Ch. Boëll. Le passage du pape Pie VII à Autun en 1805. — A. de
Charmasse. Origine des paroisses rurales dans le département de
Saône-et-Loire. — P. Muguet. Le prieure du Val-Saim-Benoît
(suitei. — P. Montarlot. Les députés de Saône-et-Loire aux assem-
blées de la Révolution, 1789-1799 (suite; 4* partie : Conseil des Cinq-
Cents et Conseil des Anciens). — Eug. Fvot. Montvaltin (monogra-
phie d'un village qui, ainsi que le Creuzot, dépendait de la paroisse
du Breuil. C'est un fief qui appartient à la famille de Torcy. Chrono-
logie des seigneurs de Torcy de 1246 à 1780). — G. Valat. Un cas
de formariage au xve s. — R. Gadant. Note sur deux monnaies
romaines trouvées à Autun i frappées l'une en l'honneur de l'Hercule
romain, c'est-à-dire de Postumus. l'autre au nom de Carausius). —
Mélanges d'histoire et d'archéologie, de numismatique et de biblio-
graphie (à signaler : l°une nomenclature chronologique des médailles
romaines trouvées sur le sol éduen, où figure le nom des Gaules ;
2° une note sur une édition des coutumes générales du parlement de
Bourgogne datée de 1531).
24. — Revue de Gascogne. 1910. juin. — B. Duplanté-Marceil-
lac. Une source peu connue de l'histoire gasconne : les arrètistes du
parlement de Toulouse. — J. Lestrade. Le dernier évêque de Com-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 223
minges : Antoine-Eustache d'Osmond, 1754-1823 (en appendice
pièces relatives à l'incident soulevé par la nomination d'Eustache
d'Osmond à l'archevêché de Florence, 1811-1814. Ces documents
viennent s'ajouter à ceux qu'avait déjà utilisés M. Marmottan pour
l'étude publiée dans la Rev. hist, t. LXXXVI, p. 58; suite en juill.-
aout). _ P. GaBENT. Lettres d'un prêtre auxitain réfugié en Angle-
terre (fin; Darré n'obtint la permission de rentrer en France qu'en
1803; pendant ses dernières années d'exil, il fut professeur au collège
de Maynooth en Irlande). — C. -rendu : A. Chauliac. Histoire de
l'abbaye de Sainte-Croix de Bordeaux (très consciencieux, mais peu
de sens critique). = Juill.-août. P. Coste. Saint Vincent de Paul
a-t-il pris à Marseille les fers d'un forçat? (il y a dans cette histoire
tant d'invraisemblances accumulées qu'elle doit être tenue pour légen-
daire; cette légende avait d'ailleurs déjà cours du vivant même de
M. Vincent). — Duplanté-Marceillac. L'histoire gasconne et les
arrêtistes du parlement de Toulouse (suite ; cite les principaux arrêts
intéressant l'histoire gasconne en suivant l'ordre chronologique depuis
1340). _ J. Bonnet. Lettres inédites de Marca (fin; en tout, 31 lettres).
— Bacalerie. A propos d'un trésor trouvé à Auch (publie le dossier
de cette affaire, qui se produisit en 1690. Il y est question moins du
trésor que de l'emploi qu'on lui destinait).
25. — Revue de l'Agenais. 1910, mars-avril. — J. Dubois. Étude
sur la famille du physicien Jacques de Romas, 1550-181 1. — J. Mon-
méja. Huit douzaines de fiches chronologiques pour servir à l'histoire
de la vie et des travaux de J. de Romas. — R. Bonnat. Deux physi-
ciens du xvme s. : Romas et Vivens. — A. Durengues. Lettres du
général Ressayre (écrites la plupart du camp français sous Varna en
juillet-août 1854). — J.-R. Marboutin. Notes historiques sur Lafox.
— Vte du Motey. Une paroisse Saint-Caprais au diocèse de Séez (à
Aubry en Exmes). = Mai. Durengues. Lettres du général Ressayre
(suite). — R. Marboutin. Monluc au château de Laugnac, 1567.
Allemagne.
26. — Archiv fur Kulturgeschichte. T. VIII, n° 1, 1910. —
Heinrich Finke. Les goûts littéraires, scientifiques et artistiques des
rois d'Aragon du xme et du xive s. (la plupart de ces rois ont été
très cultivés ; plusieurs ont fait des vers ; Jayme Ier et Pedro IV ont
été historiens; ils ont eu le goût des livres et des œuvres d'art. Article
bref, mais intéressant). — E. A. Stùckelberg. Géographie hagiogra-
phique (l'auteur montre l'intérêt que présenteraient des cartes hagio-
graphiques où seraient indiqués les vocables des églises et des autels,
les patrons des confréries, les reliques, les statues, les noms de
baptême prédominants dans la région). — Heinrich Ritter VON Srbik.
Aventuriers à la cour de Léopold Ie'1 (notes historiques sur quelques
alchimistes : Jean-Baptiste Liefrinck, Schellenberg, etc.). — Wilhelm
224 RECUEILS PÉRIODIQUES.
Stieda. Compte d'un étudiant d'Iéna au xviiie s. = C. -rendus :
Joseph Se il:. Die Verehrung des hl. Joseph in ihrer geschichtlichen
Entwicklung bis zum Konzilvon Trient dargestellt (utile). — Friedrich
Noack. Deuisches Lehen in Rom 1700-1900 (bien documenté).
27. — Bonner Jahrbûcher. CXVIII (1909). — II. Schùene. La chi-
rurgie militaire dans l'antiquité (d'après Paulos d'Egine, sur la forme
des pointes de javelots). — Fr. REUSS. Alexandre le Grand chez les
Malli (Arrien, VI, 9-11, suit, pour le récit de cet épisode, le récit
ampoulé d'un historien postérieur, bien qu'il eût de meilleures
sources à sa disposition ; important pour le jugement à porter sur cet
auteur). — Aug. Fkickenhaus. Deux problèmes de topographie (topo-
graphie de deux villes construites à la manière des Grecs et qui
subirent plus tard l'influence romaine : 1° Emporion ou Ampurias en
Espagne : on apporte ici de nombreuses corrections au mémoire de
Schulten dans les Neue Jahrbûcher, XIX, 1907. 2° Arrettium ou
Arezzo en Étrurie). — W. Levison. Le développement de la légende
de Séverin de Cologne (Grégoire de Tours nous apprend seulement
que ce Séverin fut contemporain de saint Martin. Se référant au
travail de dom Henri Quentin, paru dans les Mélanges Couture
en 1902, l'auteur montre que les vies de saint Séverin de Cologne
ont tout simplement appliqué à celui-ci les récits concernant saint
Seurin de Bordeaux). — E. Fabricius. La description d'un camp par
Hygin (l'étude des vestiges qui nous restent des constructions mili-
taires permet maintenant de mieux comprendre le texte d'Hygin et de
corriger les erreurs qui s'y sont glissées). — A. von Salis. L'image
d'un Germain (d'après un petit buste en terre cuite conservé au musée
d'arts de Bonn). — Aug. OxÉ. La plus ancienne répartition des troupes
dans le camp des légionnaires de Neuss (étudie en outre le plan d'un
camp tracé par Polybe et par Tite-Live, puis l'emplacement assigné
aux légionnaires, à la cavalerie et aux auxiliaires dans le camp de
Neuss). — E. Sadée. L'invasion des Cimbres dans la vallée de l'Adige
en 102 av. J.-C. (quand on associe l'étude des lieux à l'examen des
maigres sources que nous avons sur cet événement, on peut aller plus
loin que Mûllenhof dans sa Deutsche Altertumshunde, II, 138. L'in-
vasion se produisit dans l'hiver de l'an 102; Catulus couvrit l'issue de
la voie du Brenner aux « Klausen » de Vérone. On peut encore recon-
naître les particularités tactiques de sa position sur l'Adige : il établit
son centre sur la rive droite du fleuve, sur le plateau de Rivoli. En
détruisant le pont, les Cimbres voulaient interdire à l'ennemi la pos-
sibilité de prendre l'offensive sur la rive gauche, puis franchir eux-
mêmes le fleuve sur une digue pour attaquer l'ennemi sur la rive
droite. Ces deux mesures furent couronnées par un résultat inattendu :
les Romains furent pris en panique. Catulus abandonna sa position
défensive, mais gagna résolument sa ligne de retraite déjà menacée
par l'ennemi. Avec une carte). — H. Lehner. Une tête romaine en
marbre trouvée à Schwarzrheindorf (des fouilles opérées en cet endroit
RECDEILS PÉRIODIQUES. "225
ont abouti à faire écarter l'hypothèse qu'il y eut là une tête de pont
établie sur la rive droite du fleuve, en face du camp de Bonn; on n'y
a trouvé aucune trace d'antiquités romaines). — M.-L. Strack. Aulus
Hirtius (il fut probablement chef de la chancellerie et auxiliaire de
J. César pour la publication de ses Commentaires; cette hypothèse
explique l'unité du Corpus Ca.esa.ria.num. Les notes du quartier
général et les rapports des chefs de détachements ont fourni la
substance; Hirtius développa les détails, les chiffres, les noms d'après
les actes; puis César intervint pour donner au récit la forme qui lui
appartenait. Sans doute Hirtius essayait-il d'imiter le style du maître.
Ainsi s'expliquent les ressemblances et les différences dans la langue
des parties controversées. A quoi ressemblaient les matériaux d'Hir-
tius? Nous le voyons par le Bellum Hispaniense et une partie du
Bellum africanum. Comparaison avec Bismarck et Lothar Bûcher).
— Al. Riese. L'inscription de Clematius et les martyrs de Cologne
(cette inscription est le seul témoignage que l'on possède pour les
martyrs de Cologne, les onze mille vierges martyrisées sous le règne
de Constance. Or, la première phrase appartient au ive siècle; la
seconde a éW composée après 852. L'inscription de l'église de sainte
Ursule à Cologne est une copie très habile de l'inscription originale
de Clematius, augmentée de la seconde phrase). — P. Steiner.
Marques de potier provenant de Vetera Castra (Xanten ; elles pro-
viennent de la 5e et de la 15e légion, plus un troisième type non encore
expliqué). — Rud. Schultze. Les portes de villes romaines (mémoire
très détaillé de 72 pages). = Appendice : la Commission provinciale
pour les monuments et les Sociétés pour les antiquités et. l'histoire
de la province rhénane, 1907-1908 (mémoire de 191 pages avec de
nombreux dessins).
28. — Byzantinische Zeitschrift. T. XIX. 1-2, mai 1910. —Jean
Maspero. Un papyrus littéraire d'Aphrodite (éloge adressé à Jean,
stratiarque de Thèbes, vie s.). — S. Pétridès. Épitaphe de Théodore
Kamateros (Cod. Paris., gr. 2925, fol. 5-6; due à Jean Tzetzès). —
M. Treu. Un discours de Tamerlan (texte grec de Manuel Moros,
écrivain du xvie s., Cod. Ambros., gr. 598; prononcé avant une expé-
dition contre le Kiptchak). — Graf. La vie arabe de saint Xénophon
et de sa famille (traduction allemande du Cod. Vat., arab. 71, écrit en
884 à Saint-Sabas de Jérusalem). — G. de Saraghian. Un fragment
grec d'histoire ecclésiastique de l'Arménie (Cod. Paris., gr. 900; doit
être d'Isaac d'Arménie chassé de son pays au xue s. à cause de ses
opinions religieuses favorables aux Grecs). — H. Grégoire. Géogra-
phie byzantine (Euchaïta identifiée à Avghat-Hadji-Keui sur la route
d'Amasia à Tchorum). — P. Orsi. Restes byzantins en Sicile (trésor
de Pantalica, nécropoles de Caltagirone et Magnisi, musée de Syra-
cuse). — Brandenrurg. Restes byzantins et seldjoucides dans le
Turkmen-Dagh. — J. Bury. Le cycle chronologique des Bulgares
Rev. Histor. CV. Ie1 fasc. 15
226 RECUEILS PÉRIODIQUES.
(restitution de la chronologie des Khans bulgares d'après les inscrip-
tions de Chatalar).
29 _ Historische Vierteljahrschrift. T. XIII, Q° 1, 1910. —
Wilhelm Busch. Les guerres anglaises pendant l'année 1513 : Gui-
negate et Flodden (la campagne de Henri VIII et de Maximilien contre
la France. Récit détaillé de cette campagne depuis l'alliance de Maxi-
milien avec l'Angleterre en mars 1513 jusqu'au traité de Londres du
7 août 1514. Important article dans lequel l'auteur décrit avec préci-
sion la politique de Henri VIII, de Louis XII, de Ferdinand d'Es-
pagne et de Maximilien). = C.-rendus : Sigefried Rietschel. Das
Burggrafenamt und die hohe Gerichtsbarkeit in den deutschen
Bischofsstàdten wâhrend des frûheren Mittelalters (important ouvrage
où l'auteur montre qu'il n'a jamais existé de « comtes des villes »
(Stadtgrafen) spéciaux possédant la haute justice dans l'enceinte des
villes ; cette hypothèse erronée provient de ce qu'on ignorait la fonc-
tion originelle des burgraves qui ont été primitivement des fonction-
naires militaires ayant le commandement de forteresses). — Cohen.
Die Verschuldung des baùerlichen Grundbesitzes in Bayern (ouvrage
intéressant pour l'histoire de l'économie rurale).
30. — Historisches Jahrbuch. T. XXXI, 1910, n° 1 . — M. Buchner.
Les taxes perçues sur les fiefs d'empire avant la publication de la
Bulle d'or (leur origine : l'auteur la trouve dans le « jus spolii » ; leur
partage entre les officiers de la cour impériale : ils sont considérés
progressivement comme une rémunération des services rendus par
ces officiers au moment de l'investiture). — A. Vàth. La question des
« faux » rédigés à Obermùnster et à Niedermiinster, à Ratisbonne
(l'auteur réfute l'accusation portée par Fr. Wilhelm contre les reli-
gieuses de ces deux couvents d'avoir falsifié le diplôme d'un légat du
pape, de 1246, qui aurait été défavorable à leur liberté). — J. Hefner.
Fragments d'un légendaire de Wùrzbourg du XIe s. (on y trouve les
deux derniers tiers du texte de la Vita S. Gaugerici episcoipi Came-
racensis et la moitié de celui du Martyrium S. Ariani). — P. Albert.
Qui est l'auteur du Chronicon Got\<; icense ? (Gottfried Bessel, abbé
de Gôttweih en 1732). — M. Grabmann. Un manuscrit nouvellement
découvert de Gandulphus (il s'agit d'un manuscrit ancien des sen-
tences de ce canoniste bolonais). = C. -rendu : Joh. Chrzonz. Kir-
chengeschichte Schlesiens (remarques intéressantes sur l'histoire reli-
gieuse de la Silésie). = N° 2. H. Grauert. Les écoles d'Erfurt avant
la fondation de l'Université (d'après un acte de 1282 contenant des
règlements scolaires). — Endres. L'année de la naissance et la chro-
nologie de la première moitié de la vie d'Albert le Grand (il serait né
vers 1207). — S. Merkle. Études critiques de sources sur l'histoire
du Concile de Trente (historique des discussions qui eurent lieu à la
fin de janvier 1546 au sujet de la priorité à accorder aux délibérations
relatives aux dogmes ou à celles qui concernaient la réforme; l'au-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 227
teur compare diverses versions contemporaines). — G. Morin. Une
lettre inédite de Montalembert (écrite le 20 décembre 1869 à l'occasion
de l'envoi d'une brochure sur le Concile du Vatican). — Sauerland.
La charte de fondation de la Chartreuse de Pavie (1394). = C. -rendu :
Grabmann. Die Geschichte der scolastischen Méthode (t. I : des ori-
gines au début du XIIe s. Très utile).
31. — Neues Archiv. T. XXXV, n° 2, 1910. — Wilhelm Levisûn.
A travers les bibliothèques d'Angleterre (suite : manuscrits anglais du
Liber pontifwalis. L'auteur en étudie très minutieusement deux
manuscrits; en appeudice, publication des Dicta Aelfredi régis et
d'une lettre de Pascal II à Robert, duc de Normandie). — Emil
Seckel. Études sur Benedictus Levita (suite; l'auteur recherche les
sources de la fin du second livre). — Adolf Pischek. Additions au
catalogue des actes de l'empereur Charles IV (analyse de 88 actes non
compris dans l'ouvrage de Bôhmer-IIuber et trouvés aux archives de
Stuttgart). — Marie Schulz. La méthode de travail de Sigebert de
Gembloux dans le Liber de scriptoribus ecclesiasticis (Sigebert a
utilisé les préfaces des auteurs dont il a parlé). — Gustav Sommer-
feldt. Remarques sur les biographies de Hildegarde de Bingen,
abbesse de Rupertsberg (morte le 17 septembre 1 179 ; le moine Dietrich
en composa une avant 1188 et Guibert de Gembloux en commença
une autre dont un fragment a été conservé). — F.-W.-E. Roth. Une
lettre de Gabriel Biel (1462; donne des détails intéressants pour l'his-
toire de Mayence).
32. — Gœttingische gelehrte Anzeigen. 1910, juin. — Fr. Draun.
Die Entwicklung der spanischen Provinzialgrenzen in romischer Zeit
(bonne étude sur la géographie de l'Espagne dans l'antiquité). —
Fr. Hegi. Die ge;echteten Rsete des Erzherzogs Sigmund von (Ester-
reich und ihre Beziehungen zur Schweiz, 1487-1499 (plein de faits
nouveaux et bien présentés). — Fr. Eulenburg. Die Entwicklung der
Universiteet Leipzig in den letzten hundert Jahren (bon). — Friedrich,
Freiherr von Schrôtter. Beschreibung der neuzeitlichen Miinzendes
Erzstiftes und Stadt Magdeburg, 1400-1682.
33. — Forschungen zur Brandenburgischen und Preussischen
Geschichte. T. XXII, n° 2, 1909. — Schill. L'établissement de la
fonction de « Landrat >> dans les provinces de Clèves et de Mark
(1753; cet établissement eut pour but de contribuer au mouvement de
centralisation et de resserrer l'union de ces provinces avec le gouver-
nement prussien; la noblesse locale s'y opposa). — H. Drevhaus. Le
journal « der Preussische Correspondent » en 1813 et 1814 et la col-
laboration de ses fondateurs Niebuhr et Schleiermacher (intéressant
article où l'importance politique de ce journal est mise en lumière).
— A. Ernst. L'origine de la propriété (dominium) dans le Brande-
bourg (le droit de percevoir le cens et par suite la propriété a appar-
tenu aux chevaliers et non au margrave aussitôt après la colonisa-
228 RECUEILS PÉRIODIQUES.
tion). — M. IIass. La forme des actes et le style de la chancellerie
dans l'ancienne Prusse (depuis la seconde moitié duxvnes.; étude de
diplomatique). — H. Droysen. Extraits des lettres de la duchesse
Charlotte de Brunswick (1733-1797. Ces lettres sont conservées à
Charlottenhurg). = C. -rendus : Ilans Spangenberg. Ilof- und Zen-
tralverwaltung der Mark Brandenburg im Mittelalter (très scientifique).
— Briefwechsel Friedrichs des Grossen mit Voltaire. Herausgegeben
von R. Koser und II. Droysen (nouvelle édition accompagnée d'excel-
lentes notes). — //. Haupt. Voltaire in Frankfurt 1753 (l'auteur s'est
servi de documents qui n'avaient pas encore été utilisés). — K. Heidrich.
Preussen im Kampfe gegen die franzôsische Révolution (manque
d'idées d'ensemble).
Autriche.
34. — Jahreshefte des oesterreichischen archaeologischen
Instituts in Wien. Bd. XII, 1909. — W. HelbiG. Un bouclier rond
d'Homère avec une seule poignée (le bouclier homérique rond n'a pas,
comme celui des hoplites helléniques, deux attaches, mais une seule,
ce qui est conforme aux représentations assyriennes, phéniciennes,
syriennes et égyptiennes ; on le retrouve également en Grèce à l'époque
mycénienne, à la période du dipylon et jusqu'aux temps archaïques,
tandis que le bouclier rond à deux attaches ne se rencontre qu'à par-
tir du VIIe s.; même pour le milieu éolien où est née la poésie homé-
rique, on a constaté dans certaines fouilles le bouclier rond à une
seule poignée. Cette forme de bouclier convient parfaitement au mode
de combat usité aux temps homériques, tandis que le bouclier à double
attache correspond à la tactique plus récente du combat dans la for-
mation compacte de la phalange). — Ad. Wilhelm. Inscriptions
d'Erythrée et de Chios (I, d'Erythrée, de la fin du Ve s. ou du com-
mencement du IVe, concernant le droit de cité et l'administration de
la justice; II, de Chios : loi relative au marché public; III, de Pirée :
édit de l'empereur Julien sur les douanes et règlement du marché aux
poissons). — H. Hofmann. Pierres tombales de l'époque romaine
trouvées à Walbersdorf près d'Ôdenburg (tombes de vétérans du com-
mencement du Ier s. ap. J.-C). — R. Œhler. Recherches nouvelles
sur la bataille du Muthul (dans Salluste, Jugurtha, 48; études topo-
graphiques sur la campagne de Métellus en 109 av. J.-C). =Beiblatt.
M. Abramic et A. Colnago. Recherches dans la Dalmatie septentrio-
nale (1° le réseau des voies antiques; 3° Fouilles à Starigrad, l'antique
Argyruntum, à qui Tibère conféra le droit de cité en 34-35 ap. J.-C,
ainsi que le montrent de nouveaux fragments de l'inscription C. I. L.,
III, 14322). — Jul. Jung. Inscription d'Apulum (dédiée par les Cana-
benses en l'honneur d'un praefectus castrorum de la 13e légion). —
N. Vulic. Inscriptions antiques de Serbie (beaucoup de nouvelles
inscriptions latines).
RECUEILS PERIODIQUES. 229
35. — Mitteilungen der Instituts fur osterreichische Ge-
schichtsforschung. T. XXXI, 1910, n° 1. — R. Sternfeld. Le
conclave de 1280 et l'élection de Martin IV, 1281 (si, après la mort de
Nicolas III, les cardinaux ont élu non pas un Orsini, mais le Français
Martin IV, c'est que ceux qui étaient attachés au parti français et au
parti gibelin se sont unis dans leur haine contre les Orsini. A la suite
de cet article très intéressant, appendice consacré à l'historien Mala-
spina). — F. Kern. Mélanges d'histoire du xme et du xive s. (III. La
politique extérieure de Rodolphe de Habsbourg : cette politique a été
celle d'un commerçant prudent, notamment lorsque des intrigues
furent nouées en 1277 pour reconstituer le royaume d'Arles; IV. Di-
plômes inédits de Frédéric Ier et Frédéric II; V. La France et les Fri-
sons : échange de lettres entre Philippe VI et les Frisons, qui avait
pour objet de demander leur appui contre la coalition formée en 1337.
L'auteur a utilisé des documents des Arch. nationales). — F.-C. Wit-
tichen. Gentz et Metternich (leur jeunesse; comparaison de leurs
idées politiques ; l'auteur essaie de montrer les effets bienfaisants de
la politique de Metternich). — O. Freiherr von Mitis. Un diplôme
du comte Konrad von Raabs de 1175 (intéressant pour l'étude de la
diplomatique des actes privés). = O. -rendus : G. -M. Dreves. Hymno-
logische Studien zu Venantius Fortunatus und Rabanus Maurus
(méritoire). — R. Bemmann. Zur Geschichte des Reichstags im
xv Jahrhundert (documentation inédite). — Th. Schiemann. Ge-
schichte Russlands unter Kaiser Nikolaus I (t. I et II. Très important).
Grande-Bretagne.
36. — The english historicàl Review. 1910, juill. — Caspari.
La bataille du lac de Trasimène (les récits de Tite-Live et de Polybe
peuvent parfaitement se concilier; d'autre part, aucun emplacement
sur les bords du lac ne cadre exactement avec aucune des descriptions
que l'antiquité nous en a transmises; néanmoins, l'hypothèse que la
bataille se livra dans les environs de Sanguineto-Tuoro est la plus
vraisemblable). — Miss Dibben. Les secrétaires au xme et au xive s.
(de 1307 à 1367, presque tous les gardiens du sceau privé d'Angle-
terre sont en même temps secrétaires du roi ; il est donc probable que
la fonction essentielle du secrétaire était de garder le sceau privé, le
secretum régis). — Allen. L'évêque de Durham Shirwood et sa
bibliothèque (John Shirwood fut évèque de Durham de 1484 à 1494;
c'est à Rome qu'il acheta la plupart de ses mss. et livres grecs et
latins. Son successeur Foxe donna les livres latins au collège de Cor-
pus Christi, à Oxford; ils y sont encore, mais que sont devenus les
livres grecs?). — Schoolcraft. L'Angleterre et le Danemark, 1660-
1667. — Clapham. Les dernières années des actes de navigation (de
1821 à 1849). — Conybeare. Un récit du sac de Jérusalem en 614
(traduction anglaise d'un récit composé en grec par Antiochus Strate-
230 RECUEILS PÉRIODIQUES.
gos, mais dont on ne connaît qu'une traduction en géorgien faite pro-
bablement au Xe s.). — PEARSON. Un mythe relatif à Edouard le
Confesseur (rien ne prouve qu'il ait été un Albino). — Orton. Un
point de l'itinéraire de Henri IV, 1070-1077 (le lieu où Henri IV vint
négocier avec sa belle-mère, Adélaïde; de Turin, pour obtenir le pas-
sage des Alpes est appelé dans les mss. de Lambert de Hersfeld
Ciuis ou Cuus; c'est aujourd'hui Coise, où il y avait alors un prieuré
soumis à l'abbaye de Novalèse). — Norgate. Ultinerarium Pere-
grinorum et le poème d'Ambroise (G. Paris a prétendu à tort que l'au-
teur de Yltinerariiun est un plagiaire, qu'il s'est contenté de traduire,
en le démarquant, le poème en français d'Ambroise. En réalité,
Richard, chanoine de la Trinité de Londres, qui assista à la troisième
croisade, ainsi qu'Ambroise, écrivit Yltinerarium, dont une première
rédaction fut traduite en vers français par le trouvère Ambroise; puis
il reprit son récit et y apporta des additions, des altérations qui ont
modifié le caractère de l'œuvre. Il n'y a pas eu de plagiai ; Ambroise
a fait son métier en mettant en langue vulgaire les notes que lui avait
fournies le chanoine, son compagnon et peut-être son ami). —
Miss Scofield. Jean Malet, seigneur de Graville, et Edouard IV,
1475 (Jean Malet fut pris dans Holy Island en 1 402, lors d'une expé-
dition malheureuse tentée par Marguerite d'Anjou pour rétablir
Henri VI sur le trône. Fatigué de sa captivité, il prêta serment d'al-
légeance à Edouard IV au moment où celui-ci se préparait à envahir
la France et transféra tous ses biens en France à John Forster comme
représentant les 30,000 écus d'or de sa rançon. L'acte, ici publié, est
du 21 juin. Mais, ces biens, il fallait les conquérir et, l'expédition
anglaise ayant échoué, l'engagement devint lettre morte. Jean Malet
fut retenu en prison jusqu'en 1478, époque à laquelle son fils Louis
fournit l'argent de la rançon, d'ailleurs sous de bonnes cautions). —
Bayne. Le couronnement de la reine Elisabeth (publie un récit inédit
de la création des chevaliers du Bain, le 13 janv. 1559, cérémonie qui,
pendant au moins deux siècles, fit partie du couronnement). — Rose.
Le duc de Richmond et la conduite de la guerre en 1793 (adressées à
Pitt, le 3 et le 5 avril 1793). = ('.-rendus : Gwatkin. Early church
history to a. d. 313 (remarquable, mais l'auteur gâte son œuvre par
son parti pris d'hostilité envers le catholicisme). — Atchley. A his-
tory of the use of incense in divine worship (bon). — NeM'ett. Canon
Pietro Casola's pilgrimage to Jérusalem in the year 1494 (très intéres-
sant). — Kooperberg. Margaretha van Oostenrijk, landvoogdes der
Nederlanden, tôt den Vrede van Kamerijk (c'est le meilleur ouvrage
qui ait encore paru sur Marguerite d'Autriche; l'auteur y a publié une
longue série de lettres de Mercurio Gattinara à la régente). — Dunin-
Borkowski. Der junge Spinoza. Leben und Werrlegang im Lichte der
Weltphilosophie (on n'a encore rien publié d'aussi détaillé, ni de plus
substantiel sur Spinosa). — Mahaffy. Calendar of state papers. Ireland,
1666-1669. — Chance. George I and the Northern war (remarquable).
— Maxwell. A century of empire (très intéressant). — Bjôrkman.
RECUEILS PÉRIODIQUES. 231
Nordische Personennamen in England in alt-und frùhmittelenglischer
Zeit (méthode excellente ; l'auteur n'a pas épuisé toutes les sources
connues d'information). — Henderson. The norse influence on celtic
Scotland (important). — Clay. The médiéval hospitals of England
(bon). — Craster. A history of Northumberland (t. IX; bon). — Bra-
senose collège register, 1509-1909. — Brasenose collège Quatercente-
nary monographs (intéressant). — Dunn-Pattison. The Black Prince
(sans valeur). — Mrs. Green. Elisabeth, queen of Bohemia (nouvelle
édition améliorée de cette excellente biographie).
37. — The Athenœum. 1910, 4 juin. — H. S. R. Elliot. The let-
ters of John Stuart Mill. — Round. Peerage and pedigree (remar-
quable). =: 1 1 juin. Ch. J. Griffïths. A narrative of the siège of Delhi,
with an account of the mutiny at Ferozepore in 1857 (quoique l'auteur
ait pris une part personnelle à ces événements, son récit ajoute peu
de chose à ce que l'on savait déjà). — Frazer. Totemism and exo-
gamy (ouvrage de première importance, en 4 vol.; suite le 18 juin). =z
18 juin. Snead Cox. The life of cardinal Vaughan (cette biographie
est presque une autobiographie, trop longue, mais non dénuée d'inté-
rêt). — Ch. Oman. England before the Norman Conquest (résumé
intelligent, plein de vie, bien informé; la partie concernant la Bre-
tagne à l'époque romaine est remarquable. Traces nombreuses d'une
rédaction trop hâtive ; les considérations finales feraient tort au livre
si elles n'étaient pas si brèves). — R. M. Clay. The médiéval hos-
pitals of England (excellent; bibliographie très abondante; 78 belles
illustrations). = 25 juin. II. .V. Williams. The fascinating duke de
Richelieu, 1696-1788 (intéressant). — A. II. Mathew. The life and
times of Ilildebrand, pope Gregory VII (compilation sans valeur). —
L. W. King. A history of Sumer and Akkad (très savant livre, bien
illustré, avec des cartes et un index fort complet). — Chambers. A
constitutional history of England (bon manuel). — Medley. Original
illustrations of english constitutional history (bon choix de documents
bien commentés), rz: 9 juill. Ch. Cox. The parish registers of England
(utile. Les plus anciens registres paroissiaux remontent au temps de
Th. Cromwell). — Comey. The voyage of cap. don Felipe Gonzalez in
the ship of the line San Lorenzo to Easter Island in 1770-1771 (publie
deux textes sur la découverte de l'île de Pâques en 1722 et en 1770-7 1).
= 16 juillet. Hudson et Tingey. The records of the city of Nor-
wich; vol. II (important). — Aubrey. The history and antiquity of
Southampton, by John Speed (utile. Cette chronique fut écrite vers
1770). =23 juillet. .V. Halle. Life of Reginald Pôle (très intéressant).
= 6 août. Mary Hamilton. Greek saints and their festivals (l'auteur
a recueilli un très grand nombre d'observations sur les légendes reli-
gieuses et les fêtes des Grecs orthodoxes, dans l'intention de montrer
les survivances du passé païen dans les croyances et les usages
actuels; mais quel est le système religieux de la Grèce ancienne
qu'elle prend comme terme de comparaison?).
232 RECUEILS PÉRIODIQUES.
38. — The American historical Review. 1010, avril. — J. F.
BALDWIN. Le conseil du roi et la chancellerie; l«* art. (montre com-
ment la chancellerie, considérée comme cour de justice, se sépara
peu à peu du conseil, ou plutôt comment ce dernier se spécialisa dans
une sphère de son activité; comment, en second lieu, l'institution du
sceau privé amena peu à peu cette nouvelle distinction que le conseil
fût le tribunal supérieur en matière criminelle et la chancellerie en
matière civile. Cette double évolution s'opéra dans le cours du xive s.).
— G. S. Ford. Wôllner et l'édit de religion en Prusse en 1788 ; 2e art.
— J. W. FûSTER. Le conflit pour les Lois de réforme au Mexique
(ces lois réformatrices, votées par le parti libéral en 1861, édictaient
la séparation de l'Église et de l'Etat; les hiens de l'Église, non
employés pour le culte paroissial, furent confisqués; les maisons reli-
gieuses fermées, sauf les sœurs de charité, françaises pour la plupart,
qui restèrent jusqu'en 1873. La lutte menée par le parti libéral est
exposée par un homme qui a suivi de près les événements et qui eut
à intervenir en faveur des sœurs de charité. Le triomphe du parti
libéral est complet aujourd'hui, et du Mexique son influence s'est
propagée dans les autres pays de l'Amérique latine). — J. F. Rhodes.
La société secrète des Molly Maguires dans la région de l'anthracite
en Pensylvanie (société de mineurs, Irlandais pour la plupart et catho-
liques romains; son organisation, meurtres qu'elle décréta et qu'elle
sut faire exécuter de 1865 à 1875. La société disparut à la suite d'un
procès qui coûta la vie à dix-neuf membres, pendus de 1876 à 1878).
= Documents : 1° Lettre du major général Johann Kalh, 1777 (lettre
en français adressée à M. de Saint-Paul, « chef des bureaux de la
Guerre à la cour de France »; elle jette quelque lumière sur les rap-
ports entre Kalb et Lafayette). — 2° Lettre du marquis de Rocking-
ham concernant la défense organisée contre J. Paul Jones, 1770
(adressée le 28 sept. 1770 à Lord Weymouth, secrétaire d'État). —
3° Lettre de Quincy Adams (de Gand, le 18 juill. 1814). — 4° Lettre
de William Henry Trescot sur la « reconstruction » dans la Caroline du
Sud en 1867. = C. -rendus : W. J. Thomas. Source book for social
origins (résumé des œuvres relatives au sauvage et à l'homme préhis-
torique, en 47 chapitres, pourvus chacun d'une abondante bibliogra-
phie. Important). — Balch. The New Cyneas of Éméric Crucé (texte,
avec traduction en regard, d'un livre très rare, publié en 1623; l'au-
teur du Nouveau Cynéas y donne aux princes des conseils tendant à
établir la paix universelle et la liberté commerciale). — W. Sickel.
Sheridan. from new and original material; including a ms. diary by
Georgiana, duchess of Devonshire (beaucoup de documents nouveaux
sur l'époque de Georges III : le journal de la duchesse se rapporte aux
débats parlementaires sur la régence en 1788-1780. Mais la biogra-
phie de Sheridan laisse beaucoup à désirer ; il s'y trouve vraiment
trop de lacunes). — Garnett. The life of Dr W. J. Fox, public teacher
and social reformer, 1786-1864 (très intéressant, Fox journaliste,
député radical, fut un ardent avocat de la liberté religieuse, de l'en-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 233
seignement populaire, de la réforme électorale, du féminisme). —
Sir Herbert Maxwell. A century of empire, 1801-1900; vol. I. 1801-
1832 (c'est moins une histoire qu'un plaidoyer : l'auteur est résolu-
ment hostile aux whigs. Il se complaît surtout aux intrigues des
partis, où il se meut avec aisance et non sans perspicacité). — F:\ast.
The german élément on the United States (excellent). — Mathews.
The expansion of New England; the spread of New England seule-
ment and institutions to the Mississipi river, 1620-1865 (la première
partie, jusqu'en 1781, est instructive et faite avec beaucoup de soin;
la seconde mérite moins de créance ; les cartes ne sont pas établies
sur de solides bases). — Callender. Sélections from the économie
history of the United States, 1765-1860 (instructif). — Avery. A his-
tory of the United States and its people ; vol. VI, 1776-1787 (bon). —
V. H. Paltsits. Minutes of the commissioners for detecting and
defeating conspiracies in the state of New York. Albany country ses-
sions, 1778-1781. — Sutcliffe. Robert, Fulton and the « Clermont »
(excellente biographie, par la petite-fille de l'inventeur). — Garrison.
Diplomatie correspondence of the Republic of Texas (correspondance
avec les États-Unis jusqu'en 1842; important). — Munford. Virgi-
nia's attitude toward siavery and sécession (très incomplet). — Ale-
xander. A political history of the state of New York (intéressant et
assez bien informé. — Alonso de Léon et F. Sanche: de Zamora.
Ilistoria de Nuevo Léon, cou noticias sobre Coahuila, Tejas y Nuevo
Mexico (contient : 1° l'histoire de Nuevo Leôn jusqu'en 1649, par le
capitaine Alonso Léon de Cadereyta, mort en 1661 ; 2° une continua-
tion anonyme, capitale pour l'histoire ancienne du Texas, de 1650 à
1690; on y trouve de précieux renseignements sur Cavalier de La
Salle; 3° un récit de la découverte et île la colonisation de Rio Blanco
par Fernando Sânchez de Zamora. Important). — Krehbîel. The
Interdict; its history and its opération. 1198-1216 (intéressant). —
Whîtley. Minutes of the gênerai assembly of the gênerai Baptisl
churches in England, with kindred Records; vol. I. 1634-1728. — Day.
Calendar of the Sir William Johnson mss. in the New York State
library (6,550 pièces de 1733 à 1808; important pour l'histoire de l'étude
de New-York). = Juill. Teggart. Les circonstances ou la substance
de l'histoire. — LARSON. La politique de Cnut considéré comme roi
d'Angleterre (cette politique n'a pas été dirigée par un dessein continu
dès le début; elle a changé; elle n'a pas eu pour objet de faire de
l'Angleterre le centre des possessions du grand chef Scandinave. C'est
seulement après son retour de Norvège en 1027 qu'on peut lui attri-
buer une politique proprement anglaise. Ses lois paraissent dater de
cette époque). — Baldwin. Le conseil du roi et la chancellerie; 2e art.
(très intéressante étude sur les « cas » qui étaient déférés à la chan-
cellerie, d'après les archives mêmes de cette cour). — Ambler. La
rupture entre la Virginie orientale et la Virginie occidentale (avant la
guerre de la Sécession). — Du Bois. La « reconstruction » et ses avan-
tages (dans le grand effort accompli pour reconstruire la vie politique
234 RECUEILS PKRTODIQUES.
et sociale dans les états du Sud après la guerre, la question des noirs
affranchis a tenu une grande place. Montre comment ont pu s'établir
des gouvernements nègres et qu'il a pu en sortir quelque bien. Le
droit de vote accordé aux nègres n'a donc point été aussi malfaisant
qu'on le dit). = Documents : Fish. Documents relatifs aux mesures
prises pour ajuster l'organisation catholique romaine dans les États-
Unis aux conditions de l'indépendance nationale, 1783-1789. = C. -ren-
dus : Hartung. Die Geschichte des Framkischen Kreises, 1521-1559
(excellent tableau du Cercle de Franconie au xvie s.). — Welsford.
The strength of England (bon résumé de l'histoire politique et écono-
mique de l'Angleterre depuis l'époque saxonne jusqu'au règne de
Charles Ie'). — Lodge. The history of England from the Restaura-
tion lo the death of William III (c'est la meilleure histoire de la Res-
tauration qu'on ait écrite depuis Lingard. L'information est parfois
insuffisante et. par conséquent aussi, le jugement de l'auteur sur les
faits et sur les personnes). — Thompson. The Kulturkampf (super-
ficiel). — O'Donnell. A history of the Irish parliamentary party (l'au-
teur, député au Parlement anglais, raconte ses relations avec Parnell
et Biggar, chefs du parti irlandais qui, affirme-t-il, ne faisaient rien
sans son avis. Il a fait l'apologie de sa personne et de son parti). —
Okuma. Fifty years of New Japan (utile traduction d'un ouvrage capi-
tal pour l'histoire du Japon pendant les cinquante dernières années).
— Low. The american people (prétentieux, systématique et superfi-
ciel). — E. Abbott. Women in industry (importance de la femme
dans l'industrie en Amérique). — Paullin. Commodore J. Rodgers,
1773-1838 (excellent). — Commons, Philipps, Gilmore, Summer
et Andrews. A documentary history of american industrial society;
vol. III-IV : Labor conspiracy cases, 1806-1842 (important). — J. B.
Moore. The works of James Buchanan ; vol. X, 1856-1860; vol. XI,
1860-1868. — Dyer. A compendium of the Rébellion (beaucoup de
faits et de chiffres puisés aux sources olïicielles). — Fite. Social and
industrial conditions in the North during the Civil war (bon). —
Myers. History of the great american fortunes (ce livre, écrit
dans un esprit socialiste très ardent, serait mieux intitulé : les
Crimes des riches. Beaucoup de faits). — Flom. A history of Norwe-
gian immigration to the United States to the year 1848 (bon). — Coo-
lidge. Chinese immigration (utile statistique; bonne bibliographie).
— Wilson. The life and letters of James Wolfe (beaucoup de négli-
gences; l'auteur n'a nullement réussi, comme il le prétend, à rendre
clair le récit de la campagne de Québec). — Robertson. Francisco de
Miranda and the revolutionizing of spanish America (récit intéressant
et neuf des efforts tentés par Miranda pour intéresser les puissances
européennes, en particulier l'Angleterre, à l'indépendance des colo-
nies espagnoles). — Fortoul. Historia constitucional de Venezuela
(remarquable).
CHRONIQUE.
France. — Nous avons le regret d'apprendre la mort de M. le géné-
ral de Beylié, commandant de la 3e brigade d'Indo-Chine et corres-
pondant de l'Institut. Né à Strasbourg en 1849, M. le général de
Beylié avait mis à profit ses voyages aux colonies pour publier des
ouvrages très appréciés d'archéologie orientale. Nous avions signalé
ici même son travail d'ensemble sur l'Habitation byzantine (Paris,
1902). En 1907, il publia une étude sur l'Architecture hindoue en
Extrême-Orient, ainsi que le récit d'une exploration archéologique
des monuments de Samara qui apporta des éclaircissements nouveaux
sur l'origine mésopotamienne de l'architecture arabe. En 1909, son
travail sur la Kalaa des Beni-Hammad, capitale berbère de l'Afrique
du Nord au XIe siècle, révéla un des prototypes de l'architecture de
l'Alhambra. Doué d'un grand esprit d'initiative, M. le général de Beylié
avait entrepris d'assurer la conservation des monuments d'Angkor-
Vat. Il a péri, noyé dans les eaux du Mékong, au moment où il pré-
parait une étude complète sur ces édifices mystérieux. L. B.
— Nous apprenons, trop tard pour pouvoir leur consacrer une notice
détaillée, la mort de M. Armand d'Herbomez et celle de l'éminent
américaniste Henry Harrisse.
— L'Académie des inscriptions et belles-lettres a décerné le premier
prix Gobert à M. Louis Mâle (l'Art religieux en France à la fin du
moyen âge) et le second prix à M. Robert Michel (l'Administration
royale dans la sénéchaussée de Beaucaire). Elle a en outre récom-
pensé les ouvrages suivants : Lettres de Champollion. publiées par
Mlle IL Hartlebex; Catalogue sommaire des mss. sanscrits et
pâlis de la Bibliothèque nationale, par M. Cabaton ; Chronogra-
phie syriaque d'Elia bar Sinaya, par M. Delaporte.
— La Société centrale des architectes français, dans sa séance
du 25 juin, a décerné trois médailles d'archéologie. M. Paul Wallon,
dans un élégant rapport, a excellemment analysé les travaux des lau-
réats : M. Bizot, le conservateur octogénaire du musée de Vienne,
qui a réussi à reconstituer dans son entier le plan du cirque de Vienne,
le seul qui ait encore été dressé pour la Gaule; feu M. le général
de Beylié. qui avait pour ainsi dire créé le musée de Grenoble; enfin
MM. G. Fougères, notre collaborateur, et J. Hulot, qui ont con-
sacré un admirable ouvrage à la restauration de Sélinonte.
— Vient de paraître chez J. de Gigord (ancienne librairie Pous-
sielgue), dans le Corpus scriptorum christianorum orientalium
[Scriptores aethiopici, sér. II, t. XXIV, fasc. 1), un volume inti-
236 CHRONIQUE.
tulé : Vitae sanctorum indigenarum : Abakerazun et Tahla
Hawaryai, texte éthiopien et, traduction latine. Il a existé en Ethiopie,
au commencement du xvc siècle, une curieuse secte monacale dite
des « Stéphanistes » du nom de son fondateur, un certain Etienne;
considérée comme hérétique et rebelle à l'autorité royale, elle dispa-
rut promptement. La vie du moine Abakerazun est le seul des écrits
émanant de cette secte qui soit connu jusqu'ici. M. Conti-Rossini l'a
fait suivre d'une autre vie, celle de Takla llawaryat, contemporain
d'Abakerazun.
— La librairie Fontemoing a entrepris de rééditer le Sanctuarium
seu Vitae Sanctorum ex diversis codicibus collectae de Boninus
Momiîritius. Cette nouvelle édition, dirigée par un Bénédictin de
Solesmes, est la reproduction scrupuleuse de l'édition originale; les
abréviations sont résolues, mais la ponctuation est respectée, ainsi que
toutes les autres particularités du texte, à l'exception des fautes mani-
festement imputables aux typographes. Des variantes empruntées,
suivant les circonstances, soit aux manuscrits, soit aux meilleures édi-
tions des mômes textes, suppléent autant que possible aux insuffi-
sances des exemplaires utilisés par Mombritius. Les tables feront de
l'ouvrage ainsi rajeuni un utile instrument pour les études d'hagiogra-
phie comparée (2 vol. in-8°, 700 et 800 p. Prix : 90 fr.).
— M. Hubert Pernot a publié chez Champion le Siège de Malte
par les Turcs en 1565 par P. Gentil de Vendosme et Antoine
Achélis, en français et en grec, d'après les éditions de 1567 et 1571.
In-8°, xvi-200 p., avec 20 reproductions.
— La librairie Giard et Brière a publié une traduction française de
l'ouvrage du Dr Oscar Martens : Un grand État socialiste au
XVe siècle; constitution historique, sociale et politique du
royaume de Tahuan-tinsuyu, État des Incas sur le haut plateau
de l'Amérique du Sud, vin-93 p.
— La librairie Firmin-Didot a publié le t. I d'une Histoire poli-
tique et religieuse de l'Arménie par Fr. Tournebize; ce volume
s'arrête en l'année 1393. In-8°, 876 p., avec 3 cartes. Prix : 10 fr.
— La librairie Charles-Lavauzelle a entrepris une traduction de la
Guerre nationale de 1812, ouvrage publié par le Comité scientifique
du grand état-major russe. La 1re section qui comprend la correspon-
dance des personnages officiels et des services de l'État comprend
déjà 6 volumes consacrés à la préparation à la guerre en 1810 et en
1811. Le traducteur est le capitaine du génie breveté E. Cazalas.
— La librairie Jean Schemit a mis en vente un Index du Mercure
<tc France, 1672-1832, donnant l'indication, par ordre alphabétique,
de toutes les notices, mentions, annonces, planches, etc., concernant
les beaux-arts et l'archéologie. Il est précédé d'une Introduction his-
torique par M. Etienne Deville (in-8°, xl-268 p.; prix : 15 fr.).
— Le Département des imprimés de la Bibliothèque nationale a
CHRONIQUE. 237
publié, de 1882 à 1908, un Bulletin mensuel des livres imprimés en
France et entrés à la Bibliothèque. Dans chacun des fascicules de. ce
Bulletin, les ouvrages y ont été classés suivant l'ordre alphabétique des
noms des auteurs ou des titres pour les anonymes. A partir de 1909,
une double mesure a été appliquée : 1° ou classe les notices suivant
un ordre méthodique; 2° ces mêmes notices reçoivent une numérota-
tion continue en vue de faciliter l'usage îles tables pour chacun des
volumes que constitue la réunion des douze fascicules mensuels. Ces
tables sont au nombre de trois : une où sont mentionnés les noms des
auteurs, des éditeurs et des traducteurs; une seconde qui est la table
des matières proprement dite; une troisième où sont rappelés les
titres des périodiques nouveaux. Dans la table des matières, « on a
noté sous les mots les plus spéciaux les sujets traités dans chaque
ouvrage; on y a en outre inséré quelques articles synthétiques corres-
pondant aux divers sujets qui ont le plus sollicité l'activité des écri-
vains ». Ces lignes sont empruntées à l'avertissement placé en tête du
Bulletin mensuel des récentes publications françaises. Nouvelle
série, année 1909, qui est en vente chez Champion. Cet avertissement
est signé par M. A. Vidier.
Allemagne. — La 11e réunion des historiens allemands s'est tenue
à Strasbourg du 15 au 19 septembre 1909. Des lectures y ont été faites
sur les conciles du IVe siècle, par E. Schwartz ; Machiavel, Th. More
et la conception de l'Etat à l'époque de la Renaissance, par E. Bran-
denrurG; l'examen historique de l'art en Alsace, par G. DehîO; les
époques de l'histoire ancienne de Venise, par W. Lessel; Dante con-
sidéré comme historien, par H. Finke ; les Allemands dans la guerre
civile d'Amérique, par W. Kaufmann; Walpole premier ministre,
par W. Michael; Bennigsen et les époques du libéralisme parlemen-
taire en Allemagne et en Prusse, par H. Oncken; les diversions et les
erreurs des Croisades, par R. Sterxfeld. Ces lectures ont été résu-
mées dans le Bericht ùber die elfte Versammlung deutscher His-
toriker zu Strassburg , 15-19 septembre 1909 (Leipzig, Duncker et
Humblot, 1910. In-8°, 66 p.). Plusieurs ont paru en entier dans le
t. CIV de la Historische Zeitschrift.
— M. le professeur A. Heisenberg et M. le Dr Paul Marc ont suc-
cédé à Karl Krumbacher comme directeurs de la Byzantinische
Zeitschrift; dans la notice nécrologique qu'ils ont consacrée à leur
regretté prédécesseur (n° du 12 mai 1910}, ils affirment qu'ils feront
tous leurs efforts pour conserver à la Revue le caractère que lui avait
donné son fondateur. L. B.
Angleterre. — M. Goldwin Smith est mort en juin dernier à
l'âge de 87 ans. Après avoir été professeur royal d'histoire à Oxford
(1858-1866), il alla enseigner l'histoire d'Angleterre et des institutions
anglaises à l'Université Cornell (1866-1871), puis à Toronto, où il a
fini ses jours. Esprit brillant, d'idées très indépendantes en religion
comme en politique, il était plus homme de parole que de plume et il
238 CHRONIQUE.
n'écrivit que vers la fin de sa vie : Canada and the canadien ques-
tion (1891); the United Kingdom, a political history (2 vol., 1899).
— Le D1' Frederick James Furnivall vient de mourir à l'âge de
85 ans. Il était ué le 4 février 182ô. 11 entra au barreau en 1849 et prit
une part active aux questions sociales du jour ; puis il changea brus-
quement de carrière. Il devint un des secrétaires de la Philological
Society, qui s'était proposé de publier un dictionnaire complet de la
langue anglaise; il occupa ce poste pendant cinquante ans. En 1864,
il fonda la Early english text Society, à l'œuvre de laquelle il prit
une part très active, et il contribua à la fondation d'autres sociétés
savantes : la Chaucer Society (1868), la Ballad Society, la Wiclif
Society (1882), qui ont produit beaucoup d'éditions importantes pour
l'histoire littéraire et sociale de l'Angleterre de Chaucer à Shakespeare.
— Le 1er juillet est mort M. Martin André Sharp Hume. Il était né
à Londres le 8 décembre 1849. Comme il avait servi dans l'armée
anglaise, où il avait conquis le grade de major, on l'appelait couram-
ment le « Major Hume ». Il avait passé une partie de sa jeunesse à
Madrid, possédait à fond la langue espagnole, connaissait bien les
hommes et les choses de l'Espagne contemporaine, surtout l'époque et
les alentours de la révolution de 1868; aussi ses amis l'appelaient-ils
volontiers « don Martin ». Chargé de continuer pour la série de
Calendars of state papers le dépouillement des papiers espagnols com-
mencé par don Pasqual de Gayangos, il se prit de passion pour l'his-
toire de l'Espagne au xvie siècle et publia successivement : Philipp II
of Spain (série des Foreign statesmen), The courtships of Elisa-
beth (1896), The year of the Armada (1896; c'est une histoire de la
Contre-Armada), The great Lord Burghley (1898); Spam, i479-
1788 (assez bon résumé de l'histoire d'Espagne, 1898), Treason and
plot (histoire des complots contre la vie d'Elisabeth, 1901); enfin un
recueil de biographies ou d'anecdotes rédigé en langue espagnole :
Espanoles e Ingleses en el siglo XVI (1903). Ces œuvres sont
intéressantes, mais hâtives, et, malgré quelque emploi de documents
inédits, superficielles.
— La librairie Nisbet doit publier très prochainement un ouvrage
sur la pairie anglaise par un avocat, M. Geoffrey Ellis, auteur de l'ar-
ticle Peerage dans la 11e édition actuellement en préparation de
l' Encyclop&dia britannica.
— La Cambridge medieeval history a subi d'importants retards;
le t. I, annoncé d'abord pour le printemps dernier, ne paraîtra pas
avant la fin de cette année. Depuis plusieurs mois, néanmoins, l'en-
treprise a reçu une impulsion nouvelle qui ne peut manquer de don-
ner prochainement ses fruits.
Belgique. — L'Académie royale flamande vient de nommer une com-
mission chargée de rechercher et d'inventorier, dans toutes les biblio-
thèques publiques et privées du pays, les incunables en langue flamande.
CHRONIQUE. 239
Suisse. — La mort de Léopold Micheli, qu'un accident survenu
sur la côte de Bretagne le 23 juin dernier a brusquement enlevé à
l'affection de sa famille et de ses amis, laisse un grand vide dans le
petit groupe des historiens genevois. Élève de l'École des chartes, il
avait obtenu le diplôme d'archiviste-paléographe en 1903 en soutenant
une thèse, restée jusqu'ici inédite, sur les Institutions municipales
de Genève au XVe siècle. Membre du comité de la Société d'histoire
et d'archéologie de Genève depuis 1905 en qualité de secrétaire, puis
de vice-président, il participait activement aux travaux de la Société.
Il achevait précisément la publication du t. III des Registres du Con-
seil de Genève (Ik77-lb87), dont il était le principal collaborateur. Il
faisait aussi partie du comité de la Société du musée historique de la
Réformation et avait inséré dans la plaquette parue sous le titre de
Troisième centenaire de la mort de Bèze, novembre 1905 (Genève,
1906, p. 70-78), une bibliographie partielle des œuvres du réformateur.
Mais c'est à la Bibliothèque publique et universitaire de sa ville
natale que Micheli consacrait le meilleur de ses forces. Nommé en
janvier 1904 au poste nouvellement créé de conservateur des manus-
crits, il était devenu conservateur en titre deux ans plus tard. Pen-
dant ces quelques années, il a déployé une activité remarquable dans le
département plus spécialement confié à ses soins. On lui doit, en par-
ticulier, le classement de la « Correspondance ecclésiastique », cette
importante série dont la richesse est bien connue de tous les histo-
riens du protestantisme de langue française, et celui de la belle col-
lection de documents espagnols donnée à la bibliothèque par M. Edouard
Favre et dont l'Inventaire, heureusement terminé par les soins de
Micheli, est en cours d'impression dans le Bulletin hispanique
(t. XI et XII, 1909-1910).
Tous ceux qui ont connu Léopold Micheli savent avec quelle bonne
grâce et quelle modestie le jeune érudit mettait au service de qui
recourait à lui le trésor de sa culture et de son dévouement. Travail-
leur infatigable, à la conscience scrupuleuse, à l'intelligence ouverte
et au cœur chaud, il s'est tant dépensé pour les autres (non seulement
sur le terrain de l'histoire, mais aussi sur celui des œuvres sociales et
religieuses auxquelles il s'intéressait), qu'il n'est pas arrivé à donner
sa mesure par des publications scientifiques personnelles. Il n'en a pas
moins tracé un sillon fécond et lumineux dans une carrière trop tôt
brisée dont ses amis conservent avec reconnaissance le souvenir
vivifiant. V. v. B.
NOUVELLES PUBLICATIONS FRANÇAISES
RELATIVES A L'HISTOIRE DE FRANCE.
(Sauf indications contraires, les volumes sont in-8° et édités à Paris.)
Inventaires et catalogues. — L. Cetier. Catalogue des actes des évoques
du Mans jusqu'à la lin du xnr s. Champion, lxxvij-408 p. — Index alphabé-
240 CHRONIQUE.
tique des cinquante premiers volumes il»; la Revue des Éludes juives. Durla-
clicr, in-8" à '2 col., vn-430 p. Prix : 12 fr. 50.
Doci ments. — A. Lesort. Chronique et chartes de l'abbaye de Saint-Mihiel
(t. VI des Mettensià). Klincksieck, 116 p.
Histoire générale. — H. Fray. Histoire de la lèpre en France. I. Lépreux
el caigots du sud-ouest. Champion, xxvi-780 p. et 23grav. — Grasset. Malaga,
province française, 1811-1812. Charles-Lavauzelle, 607 p. Prix : 10 fr. — Jos.
Viaud. Les époques critiques du patriotisme français. I. L'émigration contre
la Révolution, 1789-1900. IJ, Les partis politiques contre Napoléon, 1814-1815.
Bloud. in-16, x-27ô p.
Histoire locale. — Cli. Aimond. Les relations de la France et du Verdu-
nois de 1270 à 1552. Champion, xvm-576 p. et 1 carte. — H. d'Alméras. La vie
parisienne sous la Restauration. A. Michel, 423 p., avec gravures, musique et
fac-similé. — Ch. de Beaurepaire. Derniers mélanges historiques et archéo-
logiques concernant le département de la Seine-Inférieure et plus spécialement
la ville de Rouen. 353 p. — L. Besnard. Un monastère de Clarisses à Beau-
mont-le-Vicomte, 1632-1657. Mamers, impr. Fleury, 341 p. — E. Chauvet. Nan-
tis. Recherches historiques. Provins, Louage, vi-157 p. — fi. Gadave. Les docu-
ments sur l'histoire de l'Université de Toulouse et spécialement de sa Faculté
de droit civil et canonique, 1299-1789. Toulouse, Privât, xm-381 p. — G. Bou-
dart. Les châteaux royaux de Saint-Germain-en-Laye, 1124-1789. Saint-Ger-
main, Mirvault (Archives du Pincerais, t. I). — F. Jacquemin. Recherches sur
la justice à Sedan, depuis la Révolution jusqu'à nos jours. Sedan, impr. Laroche,
108 p. — E. Labadie. La presse bordelaise pendant la Révolution. Biblio-
graphie historique. Bordeaux. Mollat, xxn-300 p. Prix : 15 fr. — A. Ledent.
Les invasions de 1814-1815 et 1870 à Montargis. Charles-Lavauzelle, 107 p. —
L. Monnier. Histoire de la ville de Vesoul, t. II. Vesoul. Bon, 448 p. — J. Pra-
jou.r. Roanne au xvir siècle. Lyon. Brun, in-16. 52 p. — P. Roussel. Histoire
du collège de Meaux, 1556-1909. Meaux, impr. Belle. — fi. fiumeuu. Notices
historiques sur les cantons de la Haute-Garonne. Toulouse, Privât. 48 p. —
Capitaine de Sandt. La défense de Nancy en 1792. Nancy, impr. Bertrand,
169 p.
Erratum du précédent numéro.
M. Robert Launat, dont nous avons annoncé, t. Cl V, p. 423. le livre Des journées
et des hommes, nous prie de dissiper une « fâcheuse équivoque ». En parlant
de l'écharpe nationale qu'il désigne, avec une nuance de mépris, par l'expres-
sion d' « étoffe tricolore », il ne songeait pas au drapeau français. « Il ne s'agis-
sait ici ». nous écrit-il, « que de l'insigne parlementaire. Beaucoup dès lors
excuseront mon manque de respect ».
L'un des propriétaires-gérants, G. Monod.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie Daupei.ey-Gouverxeur.
UNE
FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE
SOUS L'ANCIEN RÉGIME.
LES TRAITES DE LIES ET DE PASSERIES.
(Suite et fin1.)
Les lies et passeries ne sont pas seulement des traités écono-
miques. Elles sont aussi et surtout des « traités de surséance de
guerre ». C'est là, on l'a vu, leur caractère essentiel et leur
grande originalité. La crainte de la guerre les anime tous. Elle
paraît même dans les articles spécialement consacrés aux ques-
tions pastorales ou commerciales. C'est cet aspect des traités
qui doit, avant tout, retenir notre attention.
Deux siècles durant, la guerre a été la forme habituelle des
rapports entre la France et l'Espagne. Il y a eu sans doute des
trêves, mais elles ont été courtes. Pendant deux cents ans, la
France n'a pas fait une guerre qui n'ait été directement entre-
prise contre l'Espagne ou qui n'ait entraîné un conflit avec
elle. Or, la véritable frontière, celle qui fut permanente, c'est
celle des Pyrénées. Sans doute, elle ne fut presque jamais le
théâtre de très grandes opérations militaires. Elle ne vit aucune
de ces batailles rangées où, en d'autres lieux, la jeune infanterie
française affronta les bandes espagnoles et où se fondèrent les
grandes réputations militaires. Mais l'état de guerre y fut habi-
tuel. Chacun des deux territoires se sentit menacé par les armées
ennemies établies aux villes frontières, à Foix, Lourdes et
Bayonne, ou Saragosse et Pampelune. Et puis il se forma une
1. Voir ci-dessus, p. 1.
Rev. Histor. CV. 2e fasc. 16
242 H. CAVAILLÈS.
classe d'hommes recrutée parmi les violents, les déserteurs et les
désœuvrés, qui tinrent la campagne pour leur propre compte,
vécurent de rapines et de brigandages et ne reconnurent aucune
loi. Ce furent les miquelets abhorrés, terreur des pâtres, .des
marchands, des laboureurs, de tous les pacifiques de la mon-
tagne et de la vallée. Ce sont ces « vagabonds, coureurs de
grands chemins et autres malfaiteurs » dont parle la passerie du
plan d'Arrem. Voleurs de troupeaux, détrousseurs de marchands,
incendiaires et meurtriers, ils troublaient la vie pastorale, ren-
daient impossible toute transaction, menaçaient les habitations
isolées, les hameaux et même les villes. Pendant deux siècles,
on peut s'imaginer aisément que l'état accoutumé de ce pays a
été l'insécurité, l'ignorance du lendemain, la crainte de périls
toujours menaçants.
Ce qu'étaient ces hommes, il est facile de l'imaginer par la
terreur qu'ils inspirèrent et parles dégâts qu'ils commirent. Mais
nous avons contre eux le témoignage des officiers du roi. Les
généraux espagnols et français cherchèrent plus d'une fois à
utiliser les miquelets dans les opérations de la guerre en les
plaçant sous leurs ordres. Ainsi furent organisées des compa-
gnies franches composées de « fusiliers » ou « arquebusiers de
montagnes ». Ils furent très sévèrement jugés par nos officiers.
Voici ce que l'un d'eux écrivait en 1719, pendant la guerre de
la quadruple alliance, au maréchal de Berwick : « Je suys outré
contre nos miquelets qui n'ont jamais voullu mordre et qui ont
fait la plus mauvaise contenance du monde. Ce sont de franches
canailles qui ne songent qu'à voiler, piller, assassiner, dépouil-
ler les prisonniers ou qui les laissent échapper1. »
Les violences qu'ils ont commises sont incalculables. A toutes
les époques de guerre elles se renouvellent. En 1514 , les
Aragonais pillent plusieurs fois le monastère et les maisons de
Sainte-Christine, Peyrenère, Segoter et Gabas'2; en 1523, l'hô-
pital et le hameau de Gavarnie. En 1643, la vallée de Cauterets
est attaquée de nuit par huit cents miquelets. Ils sont d'ailleurs
1. Baron de Lassus, les Guerres du XVIIIe siècle sur les frontières du
Comminges, du Couserans et des Quatre-Vallées. Saint-Gaudens, Abadie,
1895, 3" éd., in-8% t. II, p. 264-268. — Les généraux du roi de France ne
firent qu'assez rarement usage des miquelets. Les Espagnols semblent les avoir
employés plus fréquemment.
2. Traité de 1514, art. 6.
UNE FÉDÉRATION PYRENEENNE SOUS L'ANCIEN Re'gIME. 243
victorieusement repoussés. Le traité rafraîchi de Barèges-Bielsa,
qui est de 1674, parle encore des troubles « qui à présent sont
en Espagne et sur les ports à l'occasion des miquelets »1. En
1707, l'archiduc Charles, ayant jeté des troupes en Bigorre par
Gavarnie, ces troupes furent repoussées parles Barégeois. « Il
en coûta plusieurs habitants, maisons avec les meubles et grains,
granges remplies de fourrage, qu'ils tuèrent, pillèrent et brû-
lèrent. On perdit encore quantité de troupeaux qui pâturaient
sur la montagne'2. » L'année suivante, huit cents miquelets,
passant par Bielsa, descendent dans la vallée de Héas, pillent
les maisons du hameau et poussent jusqu'à Gèdre, où ils tuent
plusieurs habitants, pillent et brûlent plusieurs maisons. En
1711, un fort parti de troupes régulières avec des bandes de
miquelets et d'Aranais incendièrent et pillèrent de fond en
comble Bagnères-de-Luchon. Ils repassèrent en Espagne en
poussant devant eux des troupeaux de bœufs et de vaches, toute
la fortune du pays dévasté. Et avant la fin de la guerre, il y eut
encore de nouvelles incursions de miquelets dans le Couserans
et le pays de Foix. La vallée d'Ustou et celle de Vicdessos
furent saccagées3. Longtemps le souvenir de ces dévastations
devait rester vivant au cœur des populations. Il n'est pas encore
complètement effacé.
Pour protéger les habitants des vallées contre des dangers
toujours renouvelés, la royauté ne faisait rien, ou pas grand'-
chose. Les garnisons étaient rares, car on réservait toutes les
forces pour d'autres usages et d'autres lieux. D'ailleurs, les mon-
tagnards étaient censés être les défenseurs de leurs frontières,
et l'on se croyait quitte envers eux en leur accordant quelques
exemptions d'impôts. Aussi les soldats du roi ne s'aventuraient
guère dans ces lieux « bossus » et « incommodes » qu'habitaient
les montagnards.. Enfin les gouvernements, des deux côtés de la
frontière, aggravèrent leurs torts en recourant à la détestable
pratique des lettres de marque, comme le vicomte de Béarn et
le roi d'Aragon au moment de la guerre de Navarre. Investis
d'une sorte de fonction officielle, assurés de l'impunité, attirés
parla certitude de profits abondants, les malfaiteurs pullulèrent.
A la guerre régulière, ils ajoutèrent les violences de soldats sans
1. Souvenir de la Bigorre, t. VIII, p. 61-66.
2. Bourdette, Annales du Labéda, t. III, p. 437.
3. Baron de Lassus, ouvr. cit., t. I.
244 H. CA VAILLES.
chefs et sans discipline qui mettaient leurs fonctions passagères
au service de leur cupidité ou de leurs rancunes. Les lettres de
marque finirent, il est vrai, par être supprimées, mais, même
alors, il arriva plus d'une fois aux gouvernements d'avoir
recours à ces auxiliaires de rencontre.
Les vallées n'avaient donc à compter que sur elles-mêmes
pour se défendre. Et c'est pourquoi elles convinrent les unes
avec les autres d'un certain nombre de précautions qui sont le
plus essentiel des traités de lies et de passeries. Parmi ces pré-
cautions, il faut distinguer celles qui ont pour objet de diminuer
les risques de la guerre officielle et celles qui visent les attaques
des irréguliers.
Tout d'abord, les alliés établissent, comme une sorte de prin-
cipe, que si la guerre éclate entre la France et l'Espagne, la
paix subsistera entre les vallées. « Les parties [contractantes]
des pays frontières, dit le traité du plan d'Arrem, ne s'attaque-
ront pas...; elles ne feront les unes contre les autres aucun
exercice de guerre... Il leur est défendu de se livrer à des voies
de fait..., sous peine d'être pendus et étranglés1. »
Les Béarnais allèrent plus loin. Leur vicomte, Jean d'Albret,
disputait à Ferdinand d'Aragon le royaume de Navarre. Devaient-
ils eux-mêmes épouser sa querelle et se laisser entraîner dans la
guerre? Les Etats ne le pensèrent pas. Ils s'efforcèrent de loca-
liser le conflit et de maintenir les rapports de bon voisinage
avec les Aragonais. Ils y réussirent. Le traité de 1514, qui fut
leur œuvre, déclare que la paix continuera comme par le passé
et que, ni d'une part ni de l'autre, il ne sera fait aucune attaque
contre les vallées adverses. Les habitants seront instruits de
cette résolution par cri public dans la ville de Canfranc, dans
les cités de Jaca et d'Oloron et dans les autres lieux des dites
vallées2. Le même traité ajoute que si quelque vallée n'avait
pas conclu d'accord préalablement à la guerre, elle aurait encore
le droit d'en négocier un, après le début des hostilités3.
Tous les traités affirment le même principe : l'état de guerre
entre les gouvernements ne changera rien aux relations entre
les frontaliers. Les anciens contrats resteront en vigueur. Cha-
1. Art. 1 et 13.
2. Art. 4.
3. 1514, art. 1 et 2.
UNE FÉDÉRATION TYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN RÉGIME. 245
cun pourra sans crainte se livrer à ses occupations accoutu-
mées, « faire paître, herbager, exploiter en toute sécurité ses
troupeaux de gros et de petit bétail en tous lieux, dans les
ports, limites et montagnes de chaque vallée »'. Il est interdit
d'enlever les animaux, d'attaquer les bergers, majoraux, pas-
teurs et chefs de ramades2... Ces dispositions intéressaient tout
le monde, ceux qui pâturaient sur leurs propres montagnes
comme ceux qui, en vertu des vieux droits d'usage, menaient
leurs bêtes pacager sur les montagnes étrangères, ainsi les Ara-
gonais de Broto dans les quartiers d'Ossoue; les Français du
Couserans et d'ailleurs qui conduisaient leurs milliers de bêtes
à laine, de vaches et de chevaux transhumer dans les magni-
fiques herbages du plâ de Béret3... Ce droit de pacager libre-
ment, même en guerre, les gouvernements le reconnaissaient.
En 1693, un habitant de Campan ayant, en vertu d'un arrêt du
parlement de Toulouse, enlevé 10,000 têtes de bétail à laine
appartenant à un prêtre de la vallée de Tena et qui paissaient
dans les montagnes de Gavarnie, la vallée de Barèges, craignant
des représailles, se plaignit à l'intendant de cette violation des
passeries. L'intendant lui donna raison, fit rendre les animaux,
emprisonner l'agresseur, puis renouvela la défense d'enlever les
troupeaux espagnols4.
Cependant il peut arriver que la paix soit effectivement rom-
pue par le fait des circonstances ou par la volonté des rois dont
les traités réservent expressément les droits. Dans ce cas, les
alliés, acceptant une situation à laquelle ils ne peuvent se sous-
traire, s'efforcent d'en limiter les dangers.
D'abord ils s'engagent à s'avertir mutuellement de la rupture.
Le traité de 1513 fixe à l'avance les lieux où l'avis devra être
porté de part et d'autre. Il spécifie que l'avertissement devra
être notifié par message exprès et au moyen de lettres signées
de l'un des personnages figurant au traité. A partir de la remise
de l'avis, la paix devra être respectée pendant trente jours
encore, délai pendant lequel les intéressés pourront ramener
leurs troupeaux, mettre en sécurité leurs marchandises et se
1. 1514, art. 3 et 4. — Traités de 1552 et de 1646.
2. Traité de 1513, art. 4; Barèges-Bielsa (1648); Azun-Tena (1719), art. 3.
3. H. Cabannes, les Chemins de transhumance dans le Couserans {Bull,
de géographie historique et descriptive, n° 2, 1899).
4. Bourdette, Annales du Labéda, t. III, p. 401-402.
246 H. CA VAILLES.
retirer eux-mêmes en lieu sur1. Le traité de 1514 fixe ce délai
à huit jours2.
Les précautions contre les irréguliers, les coureurs d'aven-
tures et autres batteurs d'estrade sont de beaucoup les plus
nombreuses, surtout dans les deux grands traités de 1513 et de
1514. Les alliés demandent et finissent par obtenir la suppres-
sion des lettres de marque3. Ils multiplient les précautions contre
les miquelets et s'engagent à s'avertir mutuellement de leur
approche. Toujours très précis, le traité aragonais-béarnais s'ex-
primait ainsi : « Si des personnes d'une vallée ou étrangères à
cette vallée se rassemblent et se retirent en quelque lieu de cette
vallée, et de là... font quelque entreprise de pillage (cavalgada)
dans l'autre vallée, que les « voisins » et habitants du lieu où
elles se rassembleront soient tenus et obligés de s'assurer de la
dite bande pendant six jours, afin que celui qui voudra rentrer
en possession de son bien le puisse faire. Ils devront avertir
ceux qui auront été volés. Et s'ils ne savent pas en quel endroit
ont été commises les déprédations, ils devront avertir les jurats
du premier lieu de la vallée voisine. On fera connaître le fait
par cri public à Urdos, à Arette ou Laruns en Béarn, Salhen,
Canfranc, Echo ou Anso en Aragon4. » Le traité de Barèges-
Bielsa dit que s'il s'assemble des gens à cinq lieues à la ronde de
juin à octobre, et si le nombre de ces gens excède cinquante,
les vallées s'en donneront avis dans la journée. Exception est
faite pour les soldats qui viennent et restent à Tarbes et à
Lourdes, places de guerre ou de garnison5.
Les vallées sont déclarées responsables, et des sanctions sont
prononcées contre celles qui ne se conformeraient pas à ces dis-
positions. « Les hommes de la vallée où les bestiaux ont été pris
seront tenus de les restituer ou de payer entièrement à l'estima-
tion des juges compétents6. » Le voleur devra restituer ou payer
ce qu'il aura pris, dit le traité béarnais, et il établit avec une
1. Art. 8.
2. Art. 12. — Mêmes précautions dans le traité Ossau-Tena de 1552. Elles
sont reproduites intégralement dans le traité de 1646, art. 1. — Cf. Azun-Tena
(1719), art. 4.
3. Traité du plan d'Arrem, art. 12; traité de 1514.
4. 1514, art. 5 et 9.
5. 1648.
6. 1513, art. 4.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN RÉGIME. 247
extrême netteté la responsabilité collective des vallées vis-à-vis
de leurs alliés J .
Tout semble donc prévu. Mais il faut compter encore avec
l'habileté des malfaiteurs qui, tout en respectant en apparence
la paix, peuvent user de beaucoup de prétextes pour la troubler.
Cette préoccupation inspire un grand nombre de prescriptions
dont l'objet est d'obtenir le règlement pacifique et légal des
conflits particuliers afin d'éviter tout prétexte de représailles.
Telles sont, pour préciser, les dispositions relatives aux dettes.
En vertu de l'ancien droit de représailles, tout créancier se
croyait fondé à se dédommager non seulement sur les biens de
son débiteur, mais encore sur ceux de ses concitoyens. Les
alliés s'entendent pour supprimer cette espèce de droit collectif
que chaque vallée pouvait prétendre avoir sur la vallée du débi-
teur. Ils établissent de façon précise les droits du créancier et
la forme suivant laquelle devra se faire la poursuite et le rem-
boursement de la dette. Le traité de Galhego prononce la peine
de neuf cents sous morlaas contre ceux qui prétendront exi-
ger le recouvrement d'une créance dans laquelle ils ne seront
ni créanciers, ni cautions, ni principaux intéressés2. C'est la
précaution essentielle, mais il y en a d'autres. « Le recouvre-
ment des dettes devra être fait suivant des formes régulières,
suivant les pratiques et les procédures des cours3. » — « Si le
créancier a un titre, il citera son débiteur devant la justice
ordinaire de la vallée ou devant les jurés en vertu du traité de
paix. S'il n'en a pas, il ne pourra s'adresser à la justice ordi-
naire, mais seulement aux jurés4. » — « Nul voisin ne pourra
saisir les bestiaux d'un voisin d'une autre vallée dans le temps
qu'ils seront aux pâturages des montagnes ou pendant qu'on les
y conduira ou qu'on les en ramènera..., sous peine de la perte
générale de ses biens en faveur de sa vallée et de poursuites
comme infracteur de la concorde5. » — « Les saisies ne pour-
1. 1514, art. 5.
2. 1646, art. 36 et 43. — Le for général de Béarn disait déjà : i Que per-
sonne ne saisisse ni n'arrête un autre homme par représailles sur le chemin, ni
dehors, ni dans le village, s'il n'est débiteur ou caution » (For général,
rubr. XXXIII, art. 74).
3. 1513, art. 12.
4. 1646, art. 20 et 23.
5. Azun-Tena (1719), art. 3, et 2, 4, 5.
248 n. CA VAILLES.
ront être faites du côté d'Ossau que par les majoraux ou les
gardes ; du côté de Tena que par les veneurs, gardes et chefs de
ramades nommés par l'une ou par l'autre vallée'. » D'autres
mesures sont destinées à garantir les intérêts du créancier, du
débiteur lui-même et de tous les hommes de la vallée'2.
Les alliés accumulent toutes les précautions capables de dimi-
nuer les chances de rupture. Le traité du Galhego décide que,
chaque fois qu'il se produira un différend entre des frontaliers,
la cause devra être soumise à l'examen de trois jurés au-dessus
de tout soupçon ou, à leur défaut, à l'examen de la junte3. C'est
aussi à trois « voisins », hommes de bien, que devront s'adresser
ceux que divise toute affaire que le traité n'aurait pas prévue.
Ces arbitres jureront sur la croix et sur les quatre évangiles de
juger bien et loyalement. Et leur sentence aura la même valeur
que si elle avait été rendue par les jurés eux-mêmes4. D'autres
articles prévoient et règlent les formes dans lesquelles se feront
les extraditions5. Enfin, si, en dépit de ces précautions multi-
pliées, il arrivait que la paix fût troublée quand même, les trai-
tés établissent que les attentats isolés et individuels ne pourront
rien contre la paix, qui durera en dépit de tout6.
Traités économiques, traités de « surséance de guerre », tels
sont les accords de lies et de passeries. Avant tout, ils proclament
la paix, qui est indispensable aux alliés. A la violence et à la
guerre, ils s'efforcent de substituer des arrangements réguliers,
convenus et adoptés à l'avance. Si la guerre ne peut être évitée,
du moins veulent-ils en limiter les souffrances, en distinguant
les belligérants et les coureurs d'aventures et en abolissant le
droit de représailles. Empêcher les frontaliers de se rendre jus-
tice à eux-mêmes, ce qui offrait de trop faciles prétextes aux
gens sans scrupules ; investir les magistrats des vallées de l'au-
torité nécessaire pour régler les conflits et poursuivre les mal-
faiteurs ; substituer enfin à l'action des individus la responsabi-
lité collective des vallées les unes vis-à-vis des autres, tel fut le
régime instauré par les passeries. On ne peut nier qu'avec ses
1. 1646, art. 16. L'art. 25 parle aussi d'un corredor, agent.
2. Traité du Galhego (1646), art. 20-30, 36-40. — Voir aussi Barèges-Bielsa
(1648).
3. Ibid., art. 31.
4. Ibid., art. 42.
5. Barèges-Bielsa (1648).
6. Traité du plan d'Arrem (1513), art. 3; traité de 1514, art. 10.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN RÉGIME. 249
imperfections il ne constituât un effort remarquable vers un état
de droit et de légalité.
§ 3. L'application des traités. La vie fêdêrative dans les
Pyrénées. — Les montagnards ne se contentèrent pas de con-
clure des traités de paix et d'alliance, de défendre la liberté de
leurs transactions et la sécurité de leurs vallées contre les entre-
prises des gens de la plaine. Ils voulurent assurer le respect des
engagements réciproques et la stricte exécution des mesures
prises en commun. Ils voulurent juger les conflits, punir les
infracteurs, aviser à toutes les mesures qu'il pouvait être utile
d'adopter en vue du bien général, enfin renouveler périodique-
ment les vieux pactes et les garantir contre toute interprétation,
toute déformation possible. Le régime des lies et passeries abou-
tit naturellement à des entrevues périodiques où se rencon-
trèrent les délégués des vallées contractantes. A ces entrevues,
chacun apporta les habitudes de libre discussion qu'il avait pui-
sées dans la pratique journalière des affaires, en une région où
les libertés locales étaient restées très vivantes. Avec elles se
développa ainsi un véritable régime de délibérations qui fut tout
particulièrement curieux et intéressant.
Les députés des vallées alliées se rencontraient à époques
régulières sur des points fixés à l'avance par la tradition ou par
le texte même des traités. Leurs entrevues, appelées bistes ou
juntes, furent à la fois des assemblées politiques et des tribu-
naux. Pendant plusieurs siècles, ces petits parlements populaires
vécurent, délibérèrent, rendirent des sentences et des jugements
avec la même régularité et le même succès.
Les Français de Vicdessos, les Catalans du val de Ferrera et
du comté de Paillas se réunissaient à Vicdessos. L'assemblée y
était suivie d'un repas en commun et d'un divertissement dont
la tradition imposait tous les frais aux Espagnols. Les députés
du Couserans, du Comminges, des Quatre-Vallées et du Nébou-
zan se rencontraient avec les Espagnols de Paillas, de Riba-
gorza et d'Aran au plan d'Arrem, étroite pelouse située sur ter-
ritoire français, mais tout près de la frontière, à quelques centaines
de mètres du Pont-du-Roi, sur la rive gauche de la Garonne.
Les entrevues entre les délégués de Barèges et ceux de Bielsa
avaient lieu alternativement à Pinède et à l'hôpital de Héas1.
1. Paxerie entre les vallées de Barège avec celle de Beausse (1648), dans
Souvenir de ta Bigorre, t. VIII, p. 61-6G.
250 B. CAVAILLÈS.
Entre Barèges et Broto, il était convenu que deux ou trois
députés de chaque vallée se rendraient annuellement à l'hôpital
de Gavarnie au jour de la fête de sainte Madeleine (22 juillet);
et là, sur l'autel de ladite sainte, confirmeraient la paix et juge-
raient souverainement toutes les questions intervenues dans
l'année1. On peut encore voir à Gavarnie, sur le chemin du
port, une haute maison aux murs nus et aux étroites fenêtres,
d'aspect espagnol, qui fut pendant longtemps le lieu de rendez-
vous des délégués.
Les députés de la Rivière de Saint-Savin se rencontraient
avec ceux du Quinon de Panticosa à la limite des deux vallées.
Ces réunions périodiques attiraient un grand nombre d'habi-
tants des deux pays. On y trafiquait de bétail, on y affermait les
herbages indivis. Le souvenir de ces antiques marchés s'est
conservé dans le nom du passage qui unit sur ce point les deux
versants. On l'appelle toujours le port de Marcadau2. Les entre-
vues des gens de Tena avec ceux de la vallée d'Azun avaient
lieu tous les cinq ans à la Pierre de Saint-Martin, sur la fron-
tière3.
Sur la montagne d'Arias avait lieu la plus singulière et, à
coup sûr, la plus célèbre de toutes ces rencontres. C'est là, sur
les confins du Béarn et de la Navarre espagnole, que les gens de
Barétous remettaient à ceux de Roncal le tribut annuel de trois
génisses auquel ils s'étaient obligés parle traité de 13754. Pierre
de Marca, qui écrivit au xvne siècle son Histoire de Béarn, la
décrit comme il suit d'après un auteur espagnol :
Le treiziesme du mois de juin, les jurats des sept communautés
de Roncal s'assemblent avec sept jurats et un notaire de la vallée de
Barétous, sur le coupeau des monts Pyrénées, à la frontière de
Bearn, en un lieu nommé Arnace, où il y a une pierre haute d'une
toise et demie, qui sert de borne et limite aux deux Royaumes. Les
députés estant chascun en sa terre, sans s'estre salués ni bienvei-
gnés auparavant, ceux de Roncal demandent aux Béarnois s'ils
1. Paix de 1390 entre le val de Broto et les vallées du Lavedan (Bourdette,
Annales du Labéda, t. II, p. 127).
2. A. Meillon, les Pierres de Saint-Martin, dans Bulletin pyrénéen,
XII» année, 1907, p. 37.
3. Paix de 1719 entre la vallée d'Azun et la vallée de Tena (Bourdette,
ouvr. cité, t. III, p. 469).
4. Voir plus haut, ch. n.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN RÉGIME. 251
veulent jurer à l'accoustumée les conditions de la paix ; lesquels y
consentans, les Roncalois répliquent et disent aux Béarnois qu'ils
estendent leur pique à terre, tout le long des limites, pour figurer
la Croix sur laquelle se doit faire le serment. Ce que les Béarnois
exécutant de leur part, les Roncalois abatent aussi leur pique et la
couchent sur celle des Béarnois, le fer traversant du costé de Béarn,
pour figurer la sommité de la Croix. Les Béarnois et Roncalois
agenouillés mettent conjointement leurs mains sur ces deux piques
entrelassées en forme de croix. Estans en cette posture, le notaire de
Barétous reçoit leur serment solennel, sur cette Croix et sur les
Evangiles, de garder et observer toutes les pactions et conditions
accoustumées, suivant les titres et documents qui ont esté expédiés
sur ce sujet. A quoi ils respondent, disant cinq fois à haute voix :
Paz absent, c'est-à-dire que leur paix continuera doresnavant. Ce
fait, les députés se lèvent, se saluent, parlent et communiquent
ensemble, comme bons amis et voisins. A mesme temps sortent
d'un bois trente hommes de Barélous, divisés en trois bandes, qui
conduisent trois vaches choisies et sans tare, qui sont de mesme
âge, de mesme poil et de mesme marque. Estans arrivés à la fron-
tière des Royaumes, les Béarnois font avancer l'une des vaches, en
telle sorte qu'elle a la moitié du corps sur la terre de Navarre et
l'autre sur la terre de Béarn, laquelle est reconnue par les Ronca-
lois pour savoir si elle est conditionnée selon les accords; ils la
retirent après devers eux et la tiennent sous bonne et seure garde,
d'autant que, si elle eschapoit et revenoit en Béarn, la vallée de Baré-
tous n'est point obligée de la rendre. Suivant le mesme ordre, on
fait la délivrance des deux autres vaches. Ensuite les Roncalois
traitent ceux de Barétous de pain, de vin et de jambons, et tout le
reste de la journée les Béarnois tiennent un marché ouvert de bétail,
dans une prairie qui est du costé de Béarn 1 .
Moins connues, mais à coup sûr plus actives, furent les entre-
vues des gens de Tena et d'Ossau. Elles eurent lieu d'abord dans
les villages les plus élevés de chaque vallée, alternativement à
Gabas et à Salhen, plus tard à la limite des deux pays, en un lieu
nommé la hon Galhego, c'est-à-dire la source du Galhego2. Il y
avait là, on l'a vu, une voie commerciale fréquentée. Mais
c'était surtout un lieu d'élection pour la vie pastorale. Sur le
revers méridional du col, dominés par de hauts escarpements
1. Marca, Histoire de Béarn. Paris, 1640, 1. VI, ch. xxvi, g VI, p. 554.
2. Le Galhego, affluent de l'Èbre.
252 H. CAVAILLÈS.
rocheux, se développaient d'amples pâturages1. Des pentes
douces, d'un accès facile, des herbes abondantes et parfumées,
les eaux claires de la source, un beau cadre de montagnes et,
par l'ouverture des vallées, l'horizon effacé des plaines loin-
taines, tel était le site, rendez-vous traditionnel des alliés. Tous
les trois ans au moins, plus souvent encore si besoin était, à la
date du 1er juillet2, les délégués se retrouvaient au même lieu.
Une suite à peu près ininterrompue de documents montre la
vitalité de ces assises régulières, la place qu'elles tinrent, des
siècles durant, dans la vie de ces populations pastorales.
Tout se passait comme la tradition le voulait. Le nom de Dieu
invoqué, on commençait par vérifier les pouvoirs des délégués.
Puis l'assemblée se constituait en tribunal pour juger les affaires
pendantes, civiles ou criminelles, connaître des attentats com-
mis au préjudice des individus ou des communautés, et, d'une
manière générale, réprimer toute infraction à la paix jurée.
Veut-on quelques exemples des affaires qui venaient devant ce
singulier tribunal?
Au mois d'août 1674, un Béarnais de Pontacq, étranger aux
deux vallées alliées, s'est transporté sur les montagnes d'Artouste,
en Ossau, où il a enlevé 2,000 têtes de bétail à laine et de
chèvres, propriété de la vallée de Tena. Par représailles, les gens
de Panticosa se portent en armes sur les montagnes de Laruns,
enlèvent des animaux de tout poil, vaches, moutons, brebis et
chevaux, d'une valeur très supérieure à celle du troupeau volé,
et les emmènent en Espagne au grand préjudice des Ossalois qui
n'étaient en rien responsables de l'attentat. Il en résulta de
grands désordres et un état d'hostilité des plus préjudiciables
aux relations des deux vallées. Finalement, l'affaire fut portée
devant une assemblée réunie à la lion Galhego le 2 août 1676
« en grande douceur et en bonne intelligence ». Les habitants
de Panticosa furent condamnés à payer 500 livres Jacques,
monnaie d'Espagne, la moitié à la Saint-Michel de septembre,
l'autre moitié l'année suivante, pour être réparties par les magis-
trats de la vallée entre les victimes des troubles3.
1. Le Roumiga.
2. Traité de 1646, art. 45.
3. Arch. de la vallée d'Ossau, DD 75. — Pour cette affaire et toutes les
affaires analogues, voir aussi le Registre des délibérations de la Jura.de,
BB 1 et suiv.. passim.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN RÉGIME. 253
Le Ie' juillet 1686, le tribunal rendit dix-neuf sentences; le
4 juillet 1689, seize. Ce jour-là, les assassins de Jean de Beig-
béder, tué sur la montagne de Saubiste, furent condamnés à
payer quarante-quatre livres Jacques, en deux annuités, à la
fille du mort. Parfois l'assemblée s'en remettait à la décision des
jurats de Laruns ou du seigneur juge de Tena1.
Parfois on était bien près de ne pas s'entendre, comme il
arriva le 4 juillet 1713. Des Ossalois avaient enlevé un certain
nombre d'animaux à des habitants de Tena. L'assemblée réunie,
les députés de la vallée espagnole firent savoir qu'ils rompraient
la paix si satisfaction ne leur était pas donnée, et qu'ils avaient
des pouvoirs spéciaux pour conclure dans ce sens. Les députés
d'Ossau, dont les pouvoirs étaient limités au règlement des
affaires courantes et à la confirmation de la paix, offrirent de
remettre le différent à des arbitres. Finalement, les Espagnols
quittèrent l'assemblée, se « mirent à part », et, revenant en
séance, déclarèrent la paix rompue. Sur quoi, les Français déga-
gèrent leur responsabilité des suites que pourrait avoir la rup-
ture et l'on se sépara. Toutefois, l'affaire fut réglée pacifiquement
deux ans plus tard. La vallée d'Ossau fut condamnée, en corps,
à payer 412 livres tournois, monnaie de France2.
Une fois les litiges tranchés, l'assemblée s'occupait de main-
tenir la paix traditionnelle. Le traité de paix, soumis à l'appro-
bation des députés, était une fois de plus confirmé, quelquefois
sans modification, quelquefois remanié ou amélioré, comme il
arriva le 6 août 16463. Puis le procès-verbal de la séance et,
s'il y avait lieu, le traité de paix modifié étaient transcrits de
la main des notaires toujours présents, et signés de tous les délé-
gués. Enfin, un repas en commun réunissait tous les assis-
tants.
Les assises de la hou Galhego se sont renouvelées périodi-
quement jusqu'à la fin de l'ancien régime. Elles ont toutes été
suivies de procès-verbaux réguliers et ont donné lieu à une cor-
respondance importante entre les jurats d'Ossau et les autorités
de la vallée de Tena, parfois aussi, vers la fin, avec les repré-
sentants de l'autorité monarchique. Ces documents étaient con-
1. Arch. de la vallée d'Ossau, DD78.
2. Ibid., DD 78.
3. Ibid., DD 74. — Il y eut aussi des modifications en 1676 (DD 75).
254 II. CAVA1LLÈS.
serves dans un coffre spécial déposé à l'église de Bielle. Ils
forment aujourd'hui un fonds particulier aux archives des Basses-
Pyrénées.
§ 4 . Portée du mouvement fédératif. — Il a été dit précé-
demment1 que deux groupes fédératifs distincts tendirent à
s'organiser au début du xvie siècle, l'un au centre, l'autre à
l'ouest de la région pyrénéenne, et qu'en dehors de ces deux
groupes, les anciennes associations plus restreintes se main-
tinrent de part et d'autre de la chaîne. De l'est à l'ouest,
presque toutes les vallées se trouvèrent unies par des rapports
réguliers et permanents. Et c'est ainsi que les traités de passe-
ries qui n'avaient été à l'origine que de simples conventions
pastorales, ayant pris, sous l'influence des événements, le carac-
tère de traités politiques, devinrent finalement le lien constitutif
d'une véritable fédération.
L'organisation fédérative de ce singulier État pyrénéen est
marquée avec une grande précision par le texte des passeries.
L'une des plus anciennes, la passerie de 1328 d'Ossau avec
Tena2, établissait déjà que, si un habitant condamné à payer une
amende à la vallée alliée se trouve dans l'impossibilité de s'ac-
quitter, ses « voisins », habitants d'un même lieu (locq), seront
solidairement responsables de sa dette. S'ils ne peuvent y suffire,
la charge sera partagée par tout le quartier (vicq ou quinhon),
et si ce dernier ne peut à son tour répondre, c'est le val tout
entier qui répondra. Le grand traité béarnais-aragonais de 1514
établit la même gradation, mais il ajoute que si la vallée ne peut
payer, les autres vallées béarnaises ou aragonaises seront soli-
dairement responsables3. Il y a là un terme de plus qui marque
parfaitement l'extension territoriale de la fédération au début
du xvie siècle. Du « voisin », simple citoyen de la communauté,
on passe, par une sorte de hiérarchie, au village, au quartier,
à la vallée et l'on aboutit finalement à la grande association fédé-
rative montagnarde. Si chaque vallée à sa loi propre, la passe-
rie est la loi commune qui l'unit aux autres vallées. Par elle, et
sur tout le territoire confédéré, les associés étaient assurés de
1. A la fin du ch. m.
2. Art. 8.
3. Art. 5.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN RÉGIME. 255
trouver un statut spécial et comme un droit de cité pyrénéen.
Enfin, cet Etat a des limites parfaitement nettes. Le même
traité de 1514 [ marque avec le plus grand soin les lieux où l'ac-
tion des passeries cesse de se faire sentir du côté de la plaine :
Bielle, dans la vallée d'Ossau; Bedous, dans la vallée d'Aspe;
Aramits, dans celle de Barétous. Du côté espagnol, elle s'étend
dans la vallée de Canfranc jusqu'à Castiello, et sur la totalité des
autres vallées alliées : Teïïa, Borau, Aysa, Aragues, Echo et
Anso. Le traité du plan d'Arrem de 1513 est beaucoup plus
compréhensif. Il cite du côté espagnol les vallées de Bielsa et de
Gistain jusqu'à Salino et Sacraviello, tout le comté de Ribagorça
jusqu'à la sierra de Monteil, tout le marquisat de Paillas et tout
le comté de Villemur. Du côté français, la région confédérée
s'étend jusqu'à une ligne qui unit Sarrancolin, Saint-Bertrand
de Comminges, Saint-Lizier, et enferme les vallées de Barousse,
du Louron, Larboust, Oueil, Luchon, la ville de Saint-Béat, la
seigneurie d'Aspet, la ville de Saint-Girons, le vicomte de Cou-
serans et la baron nie de Castillon2. Enfin, en dehors de ces
deux groupes principaux, la frontière était marquée pour chaque
association par la limite aval des vallées associées. La zone con-
fédérée formait donc, d'un bouta l'autre des Pyrénées, un vaste
territoire que des limites bien tracées séparaient des régions
étrangères. Ce territoire était la patzaria, le pays où régnait la
paix. Ses habitants étaient les patzers, les hommes unis par la
paix3.
Des territoires libres se gouvernant eux-mêmes par leurs
assemblées; entre ces territoires, des rapports nettement défi-
nis, des intérêts communs, une politique, des devoirs réciproques
vis-à-vis de l'étranger, il y avait bien là les linéaments d'une
vie fédérative très active. De fait, il y eut un moment, au début
du xvie siècle, où la région pyrénéenne présenta toutes les appa-
rences d'un futur Etat fédératif destiné à vivre entre la France
et l'Espagne. Mais ce moment fut très court. Et nous dirons
plus loin pourquoi la fédération pyrénéenne ne se forma jamais.
1. Art. 7.
2. Art. 2.
3. Traité de 1328, art. 21.
258 II. CAVAILLES.
V.
Les traités de lies et de passeries
dans l'histoire generale.
La conclusion des traités de lies et de passeries entre les val-
lées françaises et les vallées espagnoles; la formation, entre les
deux royaumes, d'une sorte de fédération très jalouse de ses
privilèges et très difficile à surveiller ne pouvait manquer d'avoir
une influence sur le cours de l'histoire générale. L'intervention
des populations dans cette histoire n'apparaît pas toujours dans
les documents avec la même netteté. A l'époque où elle se pro-
duisit, elle échappa même très souvent aux agents du roi, on
verra tout à l'heure pourquoi. Mais elle fut continuelle. Et elle
se révèle à nous par des actes qui ne laissent aucun doute sur
les effets qu'elle était capable de produire.
En matière économique, le régime des lies et passeries a per-
mis aux habitants des vallées de défendre efficacement contre
les entreprises de l'Etat le droit qu'ils avaient toujours eu de
commercer librement avec l'étranger. En veut-on quelques
preuves?
Lorsqu'il parut nécessaire à l'un ou à l'autre des deux gou-
vernements de limiter l'exportation des bestiaux de France en
Espagne, pour des raisons d'hygiène, pour des motifs d'ordre
militaire ou commercial, on se heurta toujours à de très vives
résistances. Voici ce que raconte à ce. sujet (1667) Louis de
Froidour, qui fut grand maître réformateur des eaux et forêts à
l'époque de Colbert :
Les habitants de la vallée [d'Aran] ne pouvant pendant les six
mois de l'hiver ny commercer ni communiquer avec les Catalans,
sont obligez d'avoir recours aux François pour leur subsistance, et
ce sont eux qui sans contredit sont le plus intéressez à l'observation
des lies et passeries ; ce sont aussi ces habitants et ceux de la vallée
de Saint-Béat qui en poursuivent ordinairement les traitez... et qui
les font confirmer par lettres pattentes des roys.
... Incontinent après que les Espagnols eurent fait déclarer la
guerre sur les frontières1, les habitants de cette vallée députèrent
1. Il s'agit de la guerre de Dévolution.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN RÉGIME. 257
deux consuls avec un sindic vers Barbasan et Despouy, capitaines
chastellains de Frontignes et de Saint-Béat, pour sçavoir comment
ils avoient dessein d'en user, protestant au nom de la communauté
de leur vallée et de leurs voisins qu'ils entretiendroient religieuse-
ment et exactement les traittez et accordz des passeries... Voul-
lurent mesme pour seureté plus grande s'y obliger par escript...
Suivant cela, j'ay veu plusieurs François qui passoient en Aran
et j'ay veu aussi plusieurs Aranois passer du costé de France et y
voiturer à charges de muletz et de chevaux des laynes et du sel1.
Les agents du roi qui connaissaient ces usages savaient qu'il
était impossible de n'en pas tenir compte. Ils ne cessèrent de
conseiller la modération et de réclamer du gouvernement une
large tolérance. En 1645, M. de Signian, capitaine des vallées
d'Oueil et de Luchon, adresse une requête au roi en laveur des
lies et passeries, montre les inconvénients qu'aurait leur suspen-
sion et fait valoir que, si le commerce est interrompu vers les
vallées d'Oueil et de Luchon, les Aragonais n'y perdront rien et
iront se pourvoir du côté d'Aure et de Béarn2. Le 5 juillet 1695,
de Bezons, intendant à Bordeaux, écrit au contrôleur général :
... J'ay eu l'honneur de vous mander qu'il y a un traité de lies
et passeries qui fait que les habitans des deux frontières se four-
nissent réciproquement les choses dont elles ont besoin... Je suis
demeuré ferme jusqu'à présent à ne laisser passer aucuns bestiaux
par la Bigorre... Mais j'ay cru devoir vous proposer [l'expédient]
de ... laisser passer ... ce qui seroit absolument nécessaire pour la
consommation des lieux voisins des vallées de Bigorre... Les habi-
tans de Bigorre demandent avec grande insistance que Ton permette
le passage des bestiaux, parce qu'ils disent que c'est l'unique moyen
qu'ils ont pour avoir de l'argent, et que le traité des lies et passeries
se rompra si l'on ne permet ce passage...3.
Pendant la guerre de la Succession d'Espagne, si l'on réussit
à suspendre momentanément l'exercice des franchises sur les
points où se produisirent des opérations militaires importantes,
1. Froidour, Lettres, III {Revue de Gascogne, 1898).
2. Mémoire pour obtenir la confirmation des lies et passeries entre les
volées de France et d'Espaigne (Arch. des Affaires étrangères, fonds de France,
n° 1634, p. 124-127).
3. A. de Boislisle, Correspondance..., t. I, n° 1445; cf. t. II, n° 516 (1703);
t. III, n° 965 (1711).
Rev. Histor. CV. 2e FASC. 17
258 H. CAVAILLÈS.
il fallut, pour les autres parties de la chaîne, fermer les yeux ou
laisser faire ouvertement au moins le commerce des bestiaux :
« C'est le principal commerce des Pyrénées, écrit le 22 août 1711
de Gourson, intendant à Bordeaux. Il n'a pu être interrompu
même dans les guerres les plus vives avec l'Espagne, les habi-
tants des frontières des deux royaumes n'ayant jamais violé le
traité de lies et de passeries qui est fait depuis longtemps entre
eux. » Le 23 janvier et le 13 février, il proteste de nouveau contre
les mesures de prohibition prises à la demande de M. le duc de
Vendôme et de ses officiers. Et le 10 mai 1712, Barrillon, inten-
dant en Béarn, demandait de permettre la sortie des bestiaux
pour la foire de Sainte-Christine en Aragon : « On prétend »,
dit-il, « que cela n'iroit pas à plus de 3 ou 400 têtes de bœufs, et
il est certain que ces montagnards, accoutumés à ce commerce,
ne se résoudroient jamais à amener leurs bestiaux dans la plaine
pour les y vendre, et je ne crois pas que, quelque rigoureuses
que fussent les défenses, on pût venir à bout de les empêcher
d'en mener à cette foire : tous les passages sont ouverts en cette
saison, il seroit impossible de les garder, et vous savez combien
il est difficile d'empêcher le peuple, surtout un peuple aussi
farouche que les montagnards, de suivre les anciens usages.
Vous n'ignorez pas non plus qu'à quelque prix que ce soit, les
habitants des montagnes de France et d'Espagne veulent con-
server leur union, que jamais les guerres les plus vives n'ont
pu interrompre. Outre l'argent qui en vient en ce pays-ci, ils
en retirent du grain, dont ils ont un besoin nécessaire... ».
C'est probablement à la suite de cette intervention que le con-
sistoire de la députation de Pampelune obtint permission d'ache-
ter pour cette ville quatre cents bœufs en Béarn et en Navarre1.
Dans les Pyrénées centrales, il était impossible d'user de la
même tolérance, parce qu'on se rapprochait de la Catalogne, où
l'archiduc tenait la campagne contre les troupes françaises.
Celles du prétendant avaient de nombreux fournisseurs dans la
vallée d'Aran, qui lui était presque tout entière dévouée. Ils
recevaient de France du bétail, des grains, des vivres de toute
espèce, des mules et des chevaux, fort utiles aux armées enne-
mies qui opéraient dans ces pays de faibles ressources. Aussi
le duc d'Orléans, qui commandait alors l'armée de Catalogne
avec le maréchal de Berwick, interdit-il de fournir aux Espa-
1. A. de Boislisle, Correspondance..., t. III, n° 1121.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS l' ANCIEN REGIME. 259
gnols du parti de l'archiduc des grains, vivres ou bestiaux
(1708). Cette ordonnance, affichée à Saint-Béat, y excita la
plus vive rumeur et fit beaucoup de mécontents des deux côtés
de la frontière, malgré la promesse de l'intendant que les traités
n'étaient pas supprimés, mais simplement suspendus. Le duc
d'Orléans n'en tint aucun compte, et l'intendant de Montauban,
Le Gendre, renouvela et maintint rigoureusement l'interdiction
de commercer. Cela n'empêcha pas d'incorrigibles contreban-
diers de fournir des grains, des bestiaux, moutons, chevaux et
mulets aux troupes de l'archiduc par les vallées d'Aran, de
Vénasque et de Paillas. Les fraudeurs étaient introuvables.
Tout le monde les protégeait et il n'est pas jusqu'aux commis
de la foraine de Saint-Béat, de Luchon et autres lieux qui ne
fussent leurs complices. La contrebande de guerre se pratiqua,
avec mille précautions et ruses, et mit le plus souvent en défaut
les mesures les plus habiles et la vigilance la plus assidue. Et il
en fut ainsi jusqu'au jour où la prise de Vénasque (16 septembre
1711) permit de surveiller plus efficacement les deux côtés de
la frontière et força les troupes de l'archiduc à s'éloigner vers
la basse Noguera. La vallée d'Aran rentra alors tout entière
sous l'autorité de Philippe V, et l'intendant Le Gendre put rap-
porter les ordonnances suspensives et remettre en vigueur les
traités de lies et de passeries. Le jour où la foire de Saint-Béat
se rouvrit, les Espagnols y accoururent en foule et il s'y débita
pour plus de 600,000 livres de marchandises1.
Ainsi l'attachement aux vieilles franchises commerciales était
si vif que la guerre elle-même n'en arrêtait pas l'effet. Ceux
qui vivaient en contact journalier avec les populations monta-
gnardes ne le dissimulaient pas, et ils conseillaient de céder. On
céda ; on laissa de larges libertés qui subsistèrent jusqu'en 1789.
Et quand le gouvernement voulut entreprendre sur elles, on se
passa de son autorisation, et la contrebande se fit ouvertement.
La nature montagneuse du pays, la difficulté des communica-
tions, mais surtout la complicité des populations frontières qui
toujours se donnaient l'éveil, tout cela rendait la surveillance
illusoire. En somme, jusqu'à la fin de l'ancien régime, les val-
lées continuèrent à jouir d'une situation privilégiée en matière
économique 2.
t. Baron de Lassus, ouvr. cité, I.
2. A l'exception de Bayonne el du Labour, pays « à l'instar de l'étranger
2G0 n. CAVAILLÈS.
C'est, en effet, le régime des lies et passeries qui a permis aux
petits cantons montagnards des Pyrénées de maintenir aussi long-
temps leurs avantages commerciaux. Entre eux, ils ont pu s'en-
tendre par-dessus les frontières et s'assurer les uns aux autres des
franchises que leurs gouvernements leur auraient certainement
refusées. Vis-à-vis du pouvoir central, les traités fournissaient
aux communautés un merveilleux élément de discussion. Chaque
fois que l'État a voulu porter une atteinte quelconque aux
anciens droits, elles ont protesté de leur loyalisme, mais elles
ont objecté l'obligation de garder la foi jurée et de respecter des
engagements séculaires. Elles ont plaidé, non leur seule cause,
mais aussi la cause de l'allié traditionnel. Les lies et passeries ont
ainsi été une machine de guerre contre les prétentions du fisc.
En matière de guerre, on conçoit combien l'engagement pris
par les alliés de s'avertir de l'approche de l'ennemi était de
nature à entraver les opérations militaires. Il est vrai que la
mesure visait les miquelets et les partisans plutôt que les
soldats du roi, mais on ne se faisait pas faute de l'étendre à
ceux-là. Nous sommes beaucoup moins renseignés sur l'usage
qui fut fait de cet article, — le plus singulier et le plus grave
de tous cependant, — que sur l'application des stipulations
commerciales. Et cela n'est pas étonnant, car la pratique en
était secrète. Par les sentiers des montagnes, par les forêts et
par les crêtes, échappant à toute surveillance, les émissaires
gagnaient le territoire étranger. Et leurs expéditions laissaient
peu de traces. D'ailleurs, les rencontres qui ne manquèrent
pas de se produire sur la frontière des Pyrénées pendant deux
siècles de guerre entre les armées du Roi Très Chrétien et celles
de Sa Majesté Catholique nous sont assez mal connues. Nous en
savons assez toutefois pour juger des embarras que les traités
de passeries suscitèrent à ceux qui dirigeaient les opérations.
Pendant toute la guerre de la Succession d'Espagne, sous cou-
vert de contrebande, on renseigna l'ennemi qui put se mettre à
l'abri du danger ou frapper lui-même à coup sûr. Ainsi fit-il en
septembre 1711 en pillant et en incendiant Luchon. Contre-
bande et espionnage allaient de pair.
L'histoire des révoltes populaires sous l'ancienne monarchie
effectif », la région pyrénéenne se rattachait tout entière aux provinces
« réputées étrangères ». On sait qu'en Espagne les provinces basques ont con-
servé des franchises très étendues. La véritable limite douanière de l'Espagne
est celle qui sépare ces pays de la Castille.
UNE FÉDÉRATION TTUÉNÉENNE SOCS i/ANCIEN REGIME. 261
nous fournit un exemple encore plus manifeste de la connivence
des populations frontières. L'épisode est connu, mais aucun de
ceux qui l'ont raconté n'a su y voir les curieuses complications
qu'y produisit l'intervention des traités. Voici l'histoire :
Audijos était un gentilhomme de Chalosse, ancien cavalier du
régiment de Créqui. En 1664, le roi ayant voulu imposer aux
Landes l'impôt de la gabelle, une insurrection éclata à Haget-
mau. Les villages s'armèrent et la révolte se répandit. Audijos,
roué vif en effigie pour complicité avec les rebelles, s'en déclara
le chef. A la fin de l'année, le Conseil du roi ayant prononcé la
réunion de la fontaine de Salies au Domaine, la révolte gagna
le Béarn et une partie de la Bigorre. Dans ces pays très acci-
dentés et en partie couverts de bois, au milieu de populations
déjà acquises aux ennemis de la gabelle, Audijos n'eut aucune
peine à échapper aux soldats du roi. Alors commença une
guerre de partisans qui, avec de longues accalmies et de sou-
daines reprises, dura une douzaine d'années. Au début de 1665,
Audijos se jeta dans le Lavedan où les montagnards se soule-
vèrent en sa faveur. Un certain Miguel Joan, gentilhomme espa-
gnol de Salhen, qui avait du bien et du crédit dans les vallées,
offrait de l'argent et des munitions aux insurgés. On put croire
un instant que le mouvement allait prendre une redoutable
extension grâce à la connivence des frontaliers espagnols. Il
n'en fut rien. Mais il ne semble pas douteux que les antiques
relations facilitèrent l'intervention des montagnards aragonais.
Cette intervention est d'ailleurs entourée d'un certain mystère.
Il est visible que l'intendant Pellot ne put obtenir aucun détail
précis de ceux qu'il interrogea. Personne ne voulut parler.
Revenu un peu plus tard en Béarn (avril-juillet 1665),
Audijos passa sans difficulté sur le territoire espagnol. Par la
vallée d'Ossau, il gagna Salhen et se réfugia chez Miguel Joan,
attendant une occasion favorable pour rentrer en France. Au
commencement du mois d'août, M. de Poudenx, syndic du pays
de Béarn, envoya un détachement de vingt dragons avec ordre
de pénétrer en Espagne et d'enlever Audijos à Salhen. L'officier
qui commandait le détachement revint sans avoir rien fait et
rapporta qu'il y avait cinq grandes lieues du dernier village de
France jusqu'à Salhen, que ce bourg comptait deux cents habi-
tants armés, au milieu desquels se trouvait la maison de Miguel
Joan, maison « forte de murailles », dans laquelle demeurait Audi-
jos. Il faudra se servir d'autres voies et recourir à l'intrigue.
262 H. CAVAILLES.
« Quelque précaution qu'on porte à cette affaire », ajoute-t-il, « et
quelque secret qu'on y garde, Audijos ne laisse pas d'être averty
de tout ce qui se passe, car la plus grande partie des peuples
de ce pays-ci sont des espions et on ne saurait rien faire
qu'il n'en ait aussitôt avis ». En effet, le fugitif continua à
entretenir une correspondance suivie avec la France. Il ne se
faisait rien, aucun mouvement de troupes, dont il ne fût immé-
diatement avisé.
L'intendant décida cependant de faire une nouvelle tentative.
Le 11 septembre, une troupe de dragons franchit la frontière et
s'avança jusqu'à une petite lieue de Salhen où elle s'installa
dans un bois. Elle y resta vingt-quatre heures et se retira sans
avoir rien obtenu. Miguel Joan, « ayant eu advis de cette mar-
che », avait fait sortir son hôte de sa maison et avait favorisé sa
fuite. Après ce nouvel échec, il fut décidé qu'Audijos étant
maintenant sur ses gardes, il était inutile de renouveler la ten-
tative. Il réussit à rentrer en France et reparut en Ghalosse à la
fin de l'année1.
Il est impossible de ne pas établir un rapport entre l'accueil
qu'Audijos trouva dans les vallées espagnoles, la sécurité avec
laquelle il put manœuvrer et le régime des lies et passeries. Le
traité du Galhego spécifie formellement que l'on s'avertira de
l'approche des gens de guerre. C'est en vertu de ces arrange-
ments, cela ne peut faire aucun doute, qu'Audijos a pu circuler
en toute sécurité dans les vallées, passer de France en Espagne
et d'Espagne en France sans être inquiété. C'est à eux qu'il
doit d'avoir échappé aux guets-apens d'août et de septembre
1665. Les Ossalois étaient d'accord avec les gens de Tena pour
garantir la sécurité d' Audijos.
Il est vrai que la jurade prit, sur l'invitation de M. de
Pouyanne, lieutenant général du roi, toutes mesures pour fer-
mer les passages. Elle informa les villages de la vallée de Tena
qu'Audijos ni ses complices ne devaient trouver en Ossau ni
munitions de guerre ni de bouche et les engagea à les traiter de
même. Elle fit garder les cols par des soldats fournis par les trois
vicqs de la vallée, à tour de rôle 2. Mais le zèle de la jurade était
1. A. Communay, Audijos. La gabelle en Gascogne (Arch. historiques de la
Gascogne, fasc. XXIV). Paris et Auch, 1893.
2. Arch. de la vallée d'Ossau. Registre des délibérations, BB 2 (7 mars,
17 et 29 juillet).
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS i/ANCIEN REGIME. 263
purement officiel. Elle ne pouvait se dispenser de prendre les
mesures qu'on lui imposait au nom du roi. Le soin qu'elle prit
d'informer les villages espagnols des sanctions prises contre
ceux qui protégeraient Audijos est lui-même suspect. Il est un
avertissement amical bien plus qu'une menace. Froidour qui a
vu très clair dans toute cette affaire des gabelles, parce qu'il
connaît bien les gens des montagnes, auxquels il inspire con-
fiance, déclare que « si l'on a obligé ces peuples à lui faire la
guerre, il faut convenir qu'ils n'en ont fait que le semblant,
regardant toujours cet homme comme leur libérateur » ' .
L'affaire d' Audijos montre la solidarité des vallées devant les
prétentions des deux États voisins.
VI.
décadence des lies et passeries. leur disparition.
Ce qu'il en reste.
Le régime presque fédératif qui s'établit à la faveur des traités
de lies et de passeries était une limitation des abus de la guerre
et comme une protestation de l'ancienne indépendance des val-
lées contre le despotisme monarchique. Nécessairement, il attira
l'attention des gouvernements qui s'efforcèrent de limiter cet
usage et d'en réglementer l'exercice. Et ainsi, à mesure que les
vallées sont moins isolées et moins libres, à mesure que l'action
du pouvoir central s'y fortifie, l'efficacité de ces ententes
devient moins certaine et l'on voit peu à peu s'affirmer leur
décadence.
Dès le début, le pouvoir seigneurial s'efforça d'intervenir
dans les conventions conclues avec des vallées étrangères. On
a vu qu'en 1293, le comte Roger Bernard avait reconnu à la
vallée de Vicdessos la faculté de commercer et de traiter libre-
ment avec les Catalans du val de Ferrera et avec les habitants
1. Froidour, Mémoire du pays et des États de Bigorre, éd. Bourdette,
p. 37-38. — Il n'est pas impossible que le même traité ait, en 1590, facilité la
fuite en Béarn d'Antonio Pérez, ministre de Philippe II. Il y a plus d'un point
commun entre l'insurrection gasconne et béarnaise de 1664-65 et l'insurrection
de l'Aragon en 1590. Le Justiza d'Aragon, chef de l'insurrection, s'appelait
don Juan de Lanuza. Ces Lanuza étaient les premiers personnages de la vallée
de Teiïa. Ils figurent dans tous les textes de la passerie du Galhego.
264 H. CAVAILLÈS.
du comté de Paillas ; qu'en 1315, le comte Bernard VII avait
accordé au Comminges l'autorisation formelle de commercer
avec les Espagnols, même en temps de guerre. Ce droit fut, par
la suite, confirmé par Charles VIII, par Louis XII et par leurs
successeurs. Cependant, à l'origine, l'intervention du pouvoir
central est, le plus souvent, toute formelle. Et si le seigneur
accorde son autorisation, c'est beaucoup moins pour concéder
à ses tenants une liberté nouvelle que pour confirmer un droit
préexistant, consacrer une entente conclue sans lui et empê-
cher, si l'on peut dire, la prescription de ses droits de souverai-
neté. En réalité, la royauté subissait ces usages et ne les
autorisait que malgré elle, car il est difficile d'admettre qu'elle
aurait consenti sans regrets, si elle avait pu l'empêcher, à laisser
conclure des arrangements qui limitaient sa prérogative et qui
pouvaient avoir plus d'un inconvénient pour ses rapports avec
le royaume voisin.
Mais bientôt la situation changea, et la royauté put agir
plus efficacement. Elle multiplia peu à peu les occasions d'inter-
venir. La vieille passerie du plan d'Arrem fut de nouveau
confirmée par Henri IV1, par Louis XIII2 et par Louis XIV3.
La réunion du Béarn à la France porta un coup très sensible à
la liberté de traiter. Désormais, les vallées béarnaises furent
tenues d'en demander l'autorisation. En 1646, le marquis de
Pouvanne, lieutenant général pour Sa Majesté en Navarre et en
Béarn, ratifia le traité du Galhego, mais ordonna « que lorsque
les 'suppliants voudront faire quelque assemblée avecque les
députés de la vallée de Tena, ils en demanderont la permission à
celuy qui commandera dans la province »4.
Pour fortifier ses prétentions, la royauté s'appliqua à démon-
trer que les lies et passeries étaient d'institution monarchique :
un mémoire rédigé au xvme siècle prétend même en faire
remonter l'origine à Fortien et à Sanche Garcias, rois de
Navarre5. Peu à peu, par la constance qu'elle mit à intervenir,
à confirmer ou à limiter, la royauté parvint à établir son droit
1. En 1594.
2. En 1634.
3. En 1664 et 1671. En 1664, le roi réussit même à limiter le droit de
commercer librement et imposa plusieurs droits sur diverses marchandises.
4. Arch. de la vallée d'Ossau, DD 74. Voir aussi ibid., DD 75.
5. Arch. des Hautes-Pyrénées, E 37.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOCS L'ANCIEN RÉGIME. 265
d'autoriser les traités ou d'en suspendre les effets. Et un jour,
l'habitude fut si bien prise que les intéressés en vinrent à récla-
mer spontanément l'autorisation qu'on leur imposait. Ainsi ont
fait, en 1709, les Barégeois pour leur traité avec Bielsa1, et, en
1719, les hommes d'Azun pour leur traité avec Teùa2. Nous
voyons même, en 1709, la vallée de Barèges demander au roi
la permission de continuer ses passeries. Cette permission lui
fut accordée3.
Ainsi les agents du roi tendent à considérer les traités de lies
et de passeries comme de simples actes administratifs, et les
libertés qu'ils affirment comme de simples tolérances dont on
interrompt ou rétablit les effets tour à tour suivant les nécessités
du moment. Nous avons vu interdire en 1708 et rétablir en 1713
tout commerce avec les Espagnols, et principalement les fourni-
tures de grains, de vivres et de bestiaux.
Il y a plus encore. La royauté procède, à l'endroit de ces
vieux traités, à une sorte d'enquête. Elle veut savoir s'ils sont
vraiment utiles ou si l'on peut s'en passer. C'est le droit même
qu'elle semble vouloir contester. Des deux côtés, Espagne et
France, les gouvernements s'informent. En 1613, le roi d'Es-
pagne Philippe III charge le docteur Gracia de Tolba d'une mis-
sion dans la vallée d'Aran. Ce personnage se prononce contre
l'utilité des passeries qui, dit-il, ont peu d'importance et occa-
sionnent de grands dommages à la vallée4. Vers la fin du siècle,
le gouvernement de Versailles adresse à son représentant dans
le pays de Foix un questionnaire sur les « privillèges des lies et
passeries ». Le roi veut savoir en quoi consistent ces privilèges
et « s'ils tournent plus à l'avantage des François que des Espa-
gnols ». Le mémoire rédigé en réponse à ce questionnaire
affirme que les lies et passeries « tournent plus à l'avantage des
François que des Espagnols, tant pour l'honoraire que pour
l'utille et [que] l'on ne sçauroit s'en passer ni tirer le même
avantage des provinces voisines sans rompre entièrement le
1. Souvenir de la Bigorre, t. VIII, p. 61-66.
2. Bourdette, Annales du Labéda, t. NI, p. 469.
3. Ibid., t. III, p. 443.
4. Relacion al Rey don Phelipe III del nombre, sitio... del valle de Aran;
de los... costumbres, leyes y govierno, por el doctor Juan-Francisco de Gra-
cia de Tolba. Huesca, ano 1613. Réédité à Bagnères-de-Bigorre par la Société
Raraond, 1889, p. 92.
266 II. CAVA II.I.KS.
coraerce et ruiner tous les habitants des frontières »'. En
1684, l'intendant de Montauban, du Bois du Baillet, écrit à
son tour : Sans « le traité des lies et passeries..., tout le com-
merce est mort sur toute la frontière des Pyrénées. M. de Chas-
teauneuf m'a fait l'honneur de m'écrire que S. M. trouvoit bon
que ces traités fussent entretenus, pourvu que les Espagnols le
demandassent... Il paroist que le vice-roy de Catalogne l'a
accordé aux frontaliers d'Espagne.
« ... Si ces traités ne sont bientost entretenus, la rupture du
commerce arrivant, les fermes de S. M. diminueront considéra-
blement et les habitans qui habitent (sic) les lieux situés dans
l'étendue des lies et passeries seront hors d'estat de payer leur
taille »2. Enfin, on a vu plus haut que l'intendant du Béarn,
Barrillon, affirmait en 1712 la nécessité de maintenir les privi-
lèges. Il est vrai que l'intendant Bàville soutenait en 1697 une
thèse contraire, affectant même de croire que les principales
dispositions des passeries étaient tombées en désuétude3. Mais
ce n'était pas l'opinion courante.
D'ailleurs, les agents du roi ne purent rien contre les vieux
usages. Si l'on put un moment, — très court, — limiter le trafic
dans les Pyrénées centrales, c'est que la guerre de la Succes-
sion d'Espagne avait rassemblé sur ce point des forces impor-
tantes et qu'il fut possible d'y exercer une surveillance effective.
Encore ne réussit-on qu'à moitié. Partout ailleurs, licite ou
illicite, le commerce continua à se faire librement, favorisé sou-
vent par l'inaction des intendants divisés sur l'opportunité des
mesures restrictives. Les lies et passeries restèrent en vigueur.
Comme par le passé, on continua à s'avertir des dangers de
guerre, à échanger librement, à se réunir sur les frontières sui-
vant les formes traditionnelles et à trancher les différents sans
recourir aux gens du roi.
Un jour vint cependant où les traités de lies et de passeries
perdirent leur ancienne faveur. Cette décadence ne fut pas le
résultat direct de la centralisation monarchique. La cause en
1. Mémoire concernant les privilèges des lies et passeries. Envoyé en no-
vembre 168... Archives de l'Ariège (sans cote).
2. A. de Boislisle, Correspondance..., t. I, n° 73. Cet argument avait été
déjà formulé en faveur des lies et passeries dès 1645 par M. de Signian, capi-
taine des vallées d'Oueil et de Luchon, dans le Mémoire cité plus haut.
3. Voir Bulletin de la Société ariégeoise, 2e vol., n" 4 (mars 1887), p. 141.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SODS L'ANCIEN RÉGIME. 267
est ailleurs : il faut la chercher dans la transformation qui s'ac-
complit au xvme siècle dans les relations de la France et de
l'Espagne. Après 1720, l'état de guerre cesse entre les deux
pays, et pendant trois quarts de siècle une paix profonde règne
des deux côtés de la frontière. Désormais, plus de craintes d'in-
vasion, plus de rassemblements armés, plus de coureurs de
montagnes et de voleurs de troupeaux. Les articles de « sur-
séance de guerre » deviennent inutiles. Les traités de passeries
avaient eu pour raison d'être l'état de guerre qui pendant plus
de deux cents ans avait partout compromis la sécurité des fron-
tières. La paix rétablie, ils tombèrent d'eux-mêmes en désuétude,
et ce que n'avait pu faire l'action persévérante des gouverne-
ments s'accomplit naturellement et sans effort. On oublia les
dangers anciens. On abandonna les précautions séculaires que
l'on avait prises contre eux. On cessa de traiter directement
avec les vallées voisines sans l'avis du pouvoir central. Seules
subsistèrent les anciennes libertés commerciales qui, bientôt, ne
se distinguèrent plus des innombrables franchises que l'ancien
régime avait maintenues dans les autres régions de France.
Ainsi les mœurs se transformèrent. On perdit peu à peu
l'habitude de traiter sans contrôle avec les vallées étrangères.
Et un jour, il se trouva que les habitants préférèrent, pour le
règlement de leurs litiges, avoir recours à l'Etat plutôt qu'à
leurs tribunaux populaires. On vit la vallée d'Aure, si jalouse
autrefois de ses franchises, renoncer aux avantages qu'elles lui
procuraient pour obtenir par la voie diplomatique le règlement
d'un procès avec celles de Bielsa, de Gistain et de Portolas1.
Dans le conflit qui se produisit en 1713 entre Ossau et Tena, au
sujet d'un vol de bétail, les députés de la vallée française, pour
éviter de restituer les animaux détournés, se retranchent der-
rière les ordres du roi et de l'intendant. Ils font valoir, fait
significatif, l'article 44 de la passerie suivant lequel le commerce
est permis entre les habitants des deux vallées sous la réserve
du bon plaisir du roi '2. Il est très intéressant de remarquer que
les populations françaises ont, les premières, consenti à laisser
diminuer leurs anciens privilèges, sans aucun doute parce
qu'elles avaient, par un contact prolongé avec les représentants
1. P. de Casléran, art. cité, p. 14.
2. Arch. de la vallée d'Ossau, DD 78.
268 H. CAVAILLKS.
du pouvoir central, perdu leurs anciennes méfiances, mais sur-
tout parce qu'elles comprenaient l'énorme avantage que leur
valait l'appui de cette force incomparable qu'étaient la diploma-
tie et la puissance militaire de la France. Au contraire, les
Espagnols, qui se sentaient moins soutenus par leur gouverne-
ment et qui avaient, semble-t-il, conservé plus d'attachement
aux libertés locales, en réclamèrent plus longtemps la stricte
exécution. Ils en tiraient d'ailleurs plus d'avantages en matière
de commerce et surtout de pâturage, leurs troupeaux pouvant
moins facilement se passer des herbages français que les nôtres
des montagnes espagnoles. Mais ils se soumirent à leur tour et
se résignèrent à l'abandon des anciens accords. Les assemblées
entre les habitants d'Ossau et les gens de Tena semblent avoir
disparu après 1771.
Les guerres de la Révolution et de l'Empire consommèrent
leur ruine, comme celle de tant d'autres vieilles choses. La
Révolution fit disparaître ce qui restait des franchises locales.
Surtout, elle éveilla le patriotisme. Les Français entreprirent
des guerres de propagande et de conquête ; et les populations
pyrénéennes, dont le parti était désormais celui de la France, se
joignirent aux envahisseurs. De part et d'autre, les frontaliers
violèrent les antiques contrats et favorisèrent l'invasion du
territoire étranger. En 1793, des troupes françaises occupèrent
la vallée d'Aran et en proclamèrent l'annexion 1 . En 1794, une
division de l'armée espagnole franchit la frontière et envahit la
vallée d'Aspe. Elle était secondée par 2,000 hommes de milice
et de nombreuses bandes de montagnards armés, de maraudeurs
et de pillards. Les agresseurs furent arrêtés par les gardes
nationales de la vallée qui livrèrent devant Lescun un combat
des plus glorieux et les forcèrent à repasser la frontière2.
Désormais, il n'est plus question de s'avertir en cas de danger.
Les guerres nationales ont fait, pour la première fois, de la
limite politique une frontière morale, de chaque côté de laquelle
il y a des Français et des Espagnols. Avec l'ancien régime, les
traités de lies et de passeries sont bien morts.
1. La vallée d'Aran fut rendue à l'Espagne par le traité de Bâle (1795). Elle
fut de nouveau annexée en 1812 et resta française jusqu'en 1815.
2. Voir lieutenant Schmuckel, la Guerre dans la vallée d'Aspe et la
bataille de Lesmn. Pau, 1900.
UNE FÉDÉRATION PYRENEENNE SOUS L'ANCIEN REGIME. 269
Les anciennes relations entre les vallées n'ont, toutefois, pas
disparu sans laisser des vestiges, et ces vestiges sont nombreux.
Tous les ans, le 12 juillet, les habitants de la vallée française
de Barétous remettent aux Navarrais de Roncal le tribut des
trois génisses auquel ils sont tenus par les usages et par les
traités. Le cérémonial s'est peu modifié depuis Marca. Ce sont
les mêmes gestes, les mêmes piques enrubannées, les mêmes
paroles sacramentelles qui scellent la foi jurée. Dans ses traits
essentiels, le rite est resté le même l.
Aux confins des vallées d'Ossau et de Tena, les pâturages du
Roumiga et de la hon GaDiego sont encore le lieu d'entrevues
périodiques, renouvelées tous les cinq ans, entre les représen-
tants du syndicat du Bas-Ossau2 et une délégation des munici-
palités espagnoles de Salhen et de Lanuza, présidée par les
alcades des deux communes. On renouvelle certains arrange-
ments adoptés en cas de pertes d'animaux, et l'on couronne
l'entrevue par un repas en commun.
A côté des coutumes, il est resté des droits historiques, droits
précis et positifs, fondés sur des accords écrits, des conventions
et des textes et consacrés par un usage séculaire. Ces droits,
le montagnard continue à les défendre avec une opiniâtreté
farouche- et un instinct obscur mais inébranlable de ce qui lui
est dû. Il a réussi à les maintenir à travers mille difficultés, et
s'il n'a pu les conserver tous, il a su en garder les plus utiles et
ne céder les autres que contre des compensations positives. En
1856, 1858, 1862, 1863, 1866 et 1899 ont été conclus entre
la France et l'Espagne une série de traités et de conventions
additionnelles, dont l'objet a été tout à la fois de fixer un tracé
définitif de la frontière et de liquider une fois pour toutes les
1. Un détail s'y est longtemps surajouté : les Navarrais déchargeaient leurs
armes dans la direction de la France. 11 y a une vingtaine d'années, à la suite
d'une petite campagne de presse, cette partie du cérémonial a été supprimée
comme attentatoire à la dignité de la France. Cf. Axel Duboul, le Béarn tri-
butaire de la Navarre en 1882. Toulouse, Montaubin, 1883; M[arque], Ron-
cal et Barétons. La Junte, dans le Glaneur dOloron (26 juin 1897).
2. Le Bas-Ossau, s'étant séparé du Haut-Ossau en 1855, a eu, dans sa part,
la montagne d'Anéou, qui confine au territoire espagnol.
"270 H. CAVAILLES.
anciennes contestations. Ces instruments diplomatiques con-
tiennent des dispositions qu'il n'est pas fréquent de rencontrer
dans les traités internationaux. L'un d'eux reconnaît aux habi-
tants de la vallée française de Baïgorry, moyennant une rente
annuelle de huit mille francs, la jouissance exclusive et perpé-
tuelle des pâturages du Pays Quint, avec le droit d'y construire
des cabanes en bois ou en branchages. Les vallées espagnoles
de qui dépend le territoire sont tenues de régler l'exploitation
des forêts de telle manière qu'elles puissent fournir en tout temps
aux besoins des Français. Elles s'obligent en outre à ne rien
changer à l'état où les pâturages se trouvaient au moment de la
signature du traité. Et les Français, de leur côté, s'interdisent
de défricher le sol, de faire des coupes de bois, de cultiver la
terre ou d'établir des constructions autres que celles précédem-
ment spécifiées '. Voilà donc un territoire dont la situation juri-
dique est des plus singulières. Si le « domaine éminent » y
appartient à l'Espagne, le « domaine utile » y dépend de la
France, qui n'a que le droit d'exploiter le fonds sans le modi-
fier, et, en fait, personne n'est le maître.
Un autre traité reconnaît à la vallée française de Barèges et
à la vallée espagnole de Broto la propriété commune des sept
quartiers d'Ossoue, situés sur le territoire français entre le
Vignemale et la Brèche de Roland jusqu'aux communaux de
Gavarnie. « Le pâturage de la montagne d'Ossoue s'affermera
aux enchères à Luz... en présence des délégués des vallées de
Barèges et de Broto, à des conditions absolument égales pour
les adjudicataires français et espagnols. Le fermage et les
charges de cette propriété seront partagés par moitié entre les
deux vallées »2. Les mêmes accords reconnaissent aux Espa-
gnols d'Aran et aux Français de Saint-Mamet la faculté d'user
en franchise des chemins qui traversent le territoire étranger
pour gagner avec leurs animaux ou leurs vivres les pâturages
ou les localités qu'ils ne pourraient atteindre directement3. Les
troupeaux des vallées de Cize et de Aezcoa pourront paître et
s'abreuver sur le territoire de chacune d'elles, à la condition de
ne demeurer sur le sol étranger que le jour, de « soleil à soleil »,
1. Traité de délimitation du 2 décembre 1856, art. 15-16.
2. Traité de délimitation du 14 avril 1862, art. 15.
3. Convention additionnelle du 27 février 1863, art. 8 et 10.
UNE FÉDÉRATION PYRÉNÉENNE SOUS L'ANCIEN RÉGIME. 271
et de rentrer dans leurs propres domaines pour y passer la nuit1 .
Ces arrangements, et beaucoup d'autres qui concernent
divers points de la frontière, ont résolu définitivement les
anciens litiges. Il semble bien que cette liquidation générale a
été plus favorable aux Espagnols qu'aux Français. En tout cas,
à l'époque où elle s'accomplit, elle souleva de ce côté-ci de la
frontière des réclamations véhémentes qui ne se sont pas tout
à fait apaisées. Mais, quoi qu'on en puisse penser, ces traités
ont, une fois pour toutes, fixé les droits respectifs des frontaliers
en leur donnant la consécration d'accords internationaux
complets et définitifs. Placés sous la garantie officielle des deux
Etats, ces vénérables droits d'usage, jadis propriétés particu-
lières d'obscures vallées pyrénéennes, sont désormais propriété
nationale de la France et de l'Espagne.
Les mêmes traités s'efforcent de prévoir et de régler les
conflits qui doivent nécessairement se produire au voisinage de
deux populations pastorales en contact journalier. L'un d'eux
contient un règlement pour la saisie des bestiaux. Il prévoit la
nomination de gardes assermentés, fixe les pénalités encourues
par les propriétaires de troupeaux surpris sur territoire étran-
ger « dans le cas où il n'y aura pas de convention particu-
lière », arrête la procédure à suivre par celui qui voudra
rentrer en possession de son bien, les indemnités à payer pour
la garde et la nourriture des animaux et le paiement des messa-
gers'2. Ce règlement s'inspire visiblement des anciens usages et
porte l'empreinte fidèle des pactes d'autrefois.
Il y a plus. Les traités reconnaissent aux frontaliers la
faculté « qu'ils ont toujours eue de faire entre eux les contrats
de pâturage ou autres qui leur paraîtront utiles ». Mais, à l'ave-
nir, l'approbation du préfet et du gouverneur civil sera indis-
pensable, et la durée du contrat ne pourra pas excéder cinq
années3. Les conventions perpétuelles sont interdites... Sous le
couvert de ce traité se sont maintenues, à notre époque, de
nombreuses conventions de pâturages. Ce sont les faceries du
pays basque4. Si ces vieux accords se sont conservés dans la
1. Convention additionnelle du 28 décembre 1858, annexe III.
2. Convention additionnelle du 28 décembre 1858, annexe IV.
3. Traité de délimitation du 14 avril 1862, art. 23.
4. Il n'y a, entre le terme de passerie et celui de facerie, qu'une différence
272 II. CAVAILLÈS.
partie occidentale des Pyrénées, c'est sans doute pour la raison
que les deux versants relevèrent très longtemps d'un Etat
unique, la Navarre, qui réunissait alors des vallées aujourd'hui
étrangères l'une à l'autre l. Il n'est pas impossible qu'ainsi les
anciennes habitudes y aient conservé, plus qu'ailleurs, de pro-
fondes racines. Mais il y a une autre raison. A l'ouest delà
chaîne, la frontière politique quitte la ligne de faîte. Elle
chevauche sur des contreforts latéraux au nord de la grande
chaîne. Elle sépare ainsi des populations qui, en fait, vivent
sur le même versant et ont des relations journalières. Par-dessus
les montagnes plus basses, les pâturages s'unissent d'un vallon
à l'autre, et les troupeaux vaguent librement en deçà et au delà
des limites arbitraires fixées par les conventions des hommes.
Les faceries modernes sont ainsi de simples règlements pasto-
raux destinés à prévenir ou à résoudre les conflits qui naissent de
cette situation particulière. Elles n'en sont pas moins intéres-
santes. Dépouillées de tout ce qui avait donné aux passeries de
la grande époque un caractère politique ou économique, elles
sont revenues, par un singulier retour, à l'antique simplicité
des primitives conventions pastorales2. Seulement elles ont pris
un aspect nouveau. Reconnues officiellement par les traités, les
faceries font aujourd'hui partie de notre droit public, en même
temps que de notre régime administratif. La sous-préfecture de
Bayonne a même rédigé un modèle uniforme de facerie qui,
moyennant quelques variantes, peut servir de type à toutes les
conventions du même genre.
D'autre part, et malgré l'interdiction de conclure des conven-
tions perpétuelles, deux des anciens traités ont subsisté. Ce
sont les « faceries perpétuelles qui existent, de droit et de fait,
entre la vallée de Gize et Saint-Jean-Pied-de-Port, en France,
et celle d'Aezcoa, en Espagne ; et entre les habitants de Baré-
decriture, imputable probablement aux scribes basques. La convention addi-
tionnelle du 28 décembre 1858 (annexe III) désigne sous le nom de facerie la
sentence de 1375 entre Barétous et Roncal. Or cette sentence était une pas-
serie et, on le sait, des plus caractérisées. Elle se désigne elle-même par le
nom de patserie. — Voir aussi W. Webster, Loisirs d'un étranger au pays
basque, p. 160-190.
1. C'est le cas du pays de Cize, aujourd'hui français, et de la vallée d'Aezcoa,
espagnole.
2. Abstraction faite, naturellement, des tarifs de composition et autres dis-
positions analogues.
UNE FEDERATION PYRENEENNE SOUS i/ANCIEN REGIME. 273
tous, en France, et de Roncal, en Espagne, en vertu des sen-
tences arbitrales de 1556 et de 1375 et des sentences confirma-
tives postérieures. Elles continueront, pour les motifs qui leur
sont particuliers, à être fidèlement exécutées de part et d'autre » 1 .
Ainsi la diplomatie moderne a fait siens les humbles pactes des
bergers pyrénéens, et les deux gouvernements de France et
d'Espagne ont apposé leur signature au bas de deux passeries
authentiques-. Le fameux tribut des trois génisses est ainsi
devenu une sorte d'obligation nationale3.
Enfin, — dernier contraste et dernière analogie, — le jour où
les traités particuliers qui unissaient les vallées ont été rempla-
cés par des traités généraux conclus entre les deux Etats, les
antiques assises pastorales ont abdiqué à leur tour au profit
d'un Conseil arbitral nommé parles deux pays. C'est la Commis-
sion des Pyrénées.
La Commission des Pyrénées est une institution assez
singulière, dans laquelle survit l'antique et excellente coutume
de régler à l'amiable ou de soumettre à l'arbitrage les différends
entre les frontaliers. Mais c'est une institution toute moderne.
Présidée de part et d'autre par des diplomates attitrés investis
d'une fonction permanente et rétribuée, composée d'hommes de
« la carrière » et de fonctionnaires désignés par leurs gouver-
nements, la Commission des Pyrénées a pour tâche de résoudre
les conflits, de trancher les menus litiges, de maintenir des
relations amicales entre habitants des vallées voisines, en un
mot d'assurer l'observation des traités. A Bayonne, où elle se
réunit d'ordinaire, elle convoque les représentants des commu-
nautés montagnardes, maires, alcades ou syndics. Elle se fait
exposer les causes, écoute les doléances des plaignants et les
explications de la partie adverse et s'efforce de mettre tout le
monde d'accord. La mission est souvent délicate, car les plai-
deurs sont gens de ressources et ne cèdent pas volontiers. Mais
elle est parfois imprévue et plaisante. D'ailleurs, les hauts
diplomates de la Commission scellent d'ordinaire leur œuvre
1. Traité de délimitation du 2 décembre 1856, art. 13.
2. Ces deux documents sont conservés aux archives des Basses-Pyrénées :
Cize-Aezcoa (1556), E 2321 ; Barétous-Roncal (1375), E 2186.
3. La convention additionnelle du 28 décembre 1858 (annexe III) l'établit
formellement.
Rev. Histor. CV. 2e fasc. 18
274 II. CAVAILLÈS.
par un déjeuner protocolaire. Et c'est ainsi, sans le savoir,
qu'ils sont jusqu'au bout fidèles à la tradition !
La Commission des Pyrénées est directement l'héritière des
anciens parlements pastoraux.
Conclusion.
L'histoire des traités de lies et de passeries qui, si longtemps,
unirent les vallées françaises aux vallées limitrophes de l'Es-
pagne, est loin d'être une question d'ordre exclusivement pyré-
néen. Elle présente à coup sûr, et pour plusieurs raisons, un
intérêt, beaucoup plus général et qui dépasse les limites mêmes
de la région où ils furent conclus.
Conventions pastorales et traités de commerce, les lies et
passeries sont un des aspects les plus curieux de la vie monta-
gnarde, et, en cela, ils forment un chapitre indispensable de
l'histoire économique et de la géographie humaine dans une
grande région de notre pays. Accords de surséance de guerre,
ils intéressent les rapports de la France et de l'Espagne et
montrent que les Pyrénées ne se sont imposées comme fron-
tière qu'après de séculaires hésitations et une longue résistance
des populations intéressées. Dans l'ordre politique enfin, cette
même histoire forme une des pages les plus curieuses et les
moins connues des progrès de la centralisation monarchique,
les plus utiles à connaître aussi, puisqu'elle nous enseigne
par quels procédés l'autorité s'est implantée dans une des par-
ties les plus lointaines et les plus indociles de tout le domaine
royal.
Il reste à se demander pourquoi les vallées se sont laissé
assujettir aux Etats de la plaine, ou, en d'autres termes, pour
quelles raisons le mouvement fédératif qui, dans les Alpes devait
aboutir à la formation d'un Etat montagnard indépendant, la
Suisse, n'a rien produit de durable dans les Pyrénées. Ce
contraste s'explique par des raisons géographiques et par des
raisons historiques.
Il existe, entre les vallées des Pyrénées et celles des Alpes,
d'assez profondes différences. Dans les Pyrénées, les vallées
sont courtes, raides de pente, fréquemment étranglées vers
l'aval et souvent isolées des plaines, mais trop limitées dans
leurs dimensions et dans leurs ressources pour s'affranchir
UNE FÉDÉIUTION PYRÉNÉENNE SOIS l'aNCIEN REGIME. 275
complètement de celles-ci. Les grands sillons des Alpes, régu-
lièrement développés, de fond plat et de pente douce, ne sont
guère représentés dans les Pyrénées, tout au moins sur le ver-
sant septentrional. Et l'on n'y rencontre pas plus souvent de
ces groupes de vallées convergentes, étroitement associées, que
la nature destinait à vivre d'une existence commune et à deve-
nir le cadre d'un organisme politique permanent et complet.
Presque toutes parallèles entre elles, elles se succèdent de
distance en distance tout le long de la chaîne, et sur chaque
versant. Chacune d'elles ne peut avoir de relations qu'avec un
petit nombre de ses voisines et subit directement l'attraction du
plat pays vers lequel elle s'ouvre.
Enfin les villes, installées à l'issue des vallées, simples lieux
d'échange et marchés temporaires des produits de la plaine et
de la montagne, ont d'autres sentiments et d'autres intérêts que
les gens des régions hautes. Jadis, les montagnards étaient pour
elles des voisins incommodes, des étrangers, parfois des ennemis.
Et, comme les agglomérations de l'intérieur n'étaient tout au
plus que de grosses bourgades, la vie urbaine était, dans les
Pyrénées, des moins actives et des moins agissantes. Rien,
dans leur passé, ne rappelle ces cités pastorales et forestières
qui, dans les Alpes, furent, au moment décisif, le centre de la
résistance à l'étranger et comme les points de cristallisation de
la nationalité suisse.
Les influences historiques n'ont pas été moins efficaces.
Tandis que les Alpes se dressent entre deux domaines qui, pen-
dant des siècles, ont été voués au morcellement territorial et à
l'impuissance politique, les Pyrénées sont comprises entre deux
régions où la tendance à l'unité s'est de très bonne heure affir-
mée. Au xvie siècle, alors que le principat triomphait en Alle-
magne et en Italie, le roi de France rattachait à la couronne
tous les domaines de la maison de Foix-Navarre et Philippe II
d'Espagne abattait ce qui restait encore des libertés aragonaises.
Et ainsi, tandis que les vallées alpestres, livrées à elles-mêmes,
se donnaient une organisation indépendante, les cantons mon-
tagnards des Pyrénées se trouvaient, d'une attraction irrésis-
tible, attirés vers le plat pays et bientôt soumis à l'autorité des
gens du roi ' .
1. L'Andorre, seule, a conservé son autonomie, humble vestige d'une époque
d'indépendance et de vie libre.
276 H. C A VAILLES. — UNE FÉDÉRATION PYRENEENNE SOUS l'àIVCIEN RÉGIME.
C'est alors, il est vrai, que se produisit le curieux effort
d'entente qui fait l'objet de notre étude, — alors que les
anciennes conventions pastorales devinrent les traités de passe-
ries et que l'on put croire à la formation prochaine d'une
manière de fédération pyrénéenne. Mais le mouvement venait
trop tard, trois siècles après la conjuration des premiers cantons
suisses. La monarchie avait grandi des deux côtés de la
frontière. Elle s'était armée de toutes pièces. Et, en face de la
puissante machine administrative qui la servait, cette grande
manifestation du particularisme pyrénéen était, dès l'origine,
vouée à la défaite.
La confédération pyrénéenne vécut cependant trois siècles.
Pendant trois cents ans, les traités de lies et depasseries furent
scrupuleusement observés. Ils permirent aux montagnards de
se protéger contre les dangers de la guerre et de défendre la
liberté de leurs transactions. Ils furent même, on l'a vu, une
gêne très sérieuse pour les gouvernements et, sinon de droit,
du moins de fait, une véritable limitation de la souveraineté
des rois. Mais quelle que fût leur action, il fut dès le début
évident que la Confédération dont ils étaient le lien ne vivrait
pas. Les traités de lies et de passeries ne pouvaient être et ne
furent qu'une suprême protestation du particularisme monta-
gnard contre la centralisation grandissante. Et le jour où ils
disparurent à leur tour fut la victoire des gens de la plaine sur
ceux des vallées, le triomphe de l'unité sur l'esprit d'indépen-
dance1.
H. Ca vailles.
1. Vers l'époque où s'achevait ce travail, les archives des Basses-Pyrénées
ont été en partie détruites par un incendie. Nous savons que plusieurs des
documents cités plus haut ont été atteints, sans pouvoir dire encore dans
quelle mesure ils ont souffert et si le classement des pièces doit se trouver
modifié. Nous avons conservé heureusement des copies complètes des traités et
des extraits des autres textes utilisés.
LA RUSSIE
ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLÉON III.
(Suite et fin1.)
Tant que les duchés ont été seuls en cause, Alexandre II et
Gortchakoff ne se sont pas départis de leur résignation chagrine,
mais calme. Lorsque, victorieuse sur ce point, la révolution
a entrepris de faire subir le même sort au royaume de Naples et
aux États du pape, ils n'ont plus jugé cette attitude compatible
avec leurs intérêts.
Le changement s'est fait sentir dès que la crise s'est dessinée
dans l'Italie méridionale.
Le gouvernement napolitain ayant dénoncé à Pétersbourg
les menées des révolutionnaires sur son territoire, avec la con-
nivence du Piémont, Gortchakoff répond par la promesse de
l'appui moral de la Russie et de son intervention officieuse à
Paris et à Turin. Appui moral, intervention officieuse sont
monnaie courante entre les cabinets et, à moins d'être bien pré-
somptueux, Alexandre II et Gortchakoff n'ont pas pu s'abuser
sur la valeur pratique de ces démonstrations. Le sort du roi de
Naples n'eût-il éveillé que peu d'intérêt de leur part qu'ils eussent
été tenus cependant à ne pas reconduire sans y mettre des
formes. A n'en juger que par les résultats, leur intérêt peut donc
paraître un intérêt de commande, leur émotion une émotion de
surface. Montebello a pris soin de mettre le gouvernement fran-
çais en garde contre cette erreur. « Il ne faudrait pas en con-
clure, » écrit-il à propos de la réponse de Gortchakoff au ministre
de Naples, « qu'on voit ici avec indifférence et sans inquiétude
le travail poursuivi par la révolution pour arriver à l'unification
de l'Italie, travail qui se fait avec une audacieuse assurance et
auquel le Piémont donne ouvertement son appui »'2.
1. Voir ci-dessus, p. 35.
2. Montebello, 24 avril 1860.
278 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
Tout autre est en effet la conclusion qui se dégage de l'attitude
d'Alexandre II et de Gortchakoff. Une suite ininterrompue d'in-
dices montre combien leur conscience a été troublée et leur sécu-
rité menacée par l'extension nouvelle de la révolution et les pro-
cédés du Piémont. Une proclamation de la société nationale ita-
lienne en vue de débaucher les soldats de François II et du pape
est accueillie à Pétersbourg avec indignation. Le ministre de
Russie à Turin est invité à appeler l'attention de Cavour « sur la
complaisance, pour ne pas dire la complicité du gouvernement
piémontais » . Le bruit s'étant répandu que Victor-Emmanuel allait
prendre le titre de roi d'Italie, Gortchakoff déclare que la Russie a
un représentant accrédité auprès du roi de Piémont et qu'elle n'en
accréditera certainement pas auprès du roi d'Italie. L'émotion
redouble à la nouvelle du départ de Garibaldi pour la Sicile.
Ordre immédiat est donné à Stackelberg, ministre de Russie à
Turin, de demander des explications catégoriques et de voir le
roi en personne. Un télégramme de Naples révèle, peu après, les
circonstances dans lesquelles se sont opérés le transport et le
débarquement des Garibaldiens. Elles remplissent Alexandre II
d'indignation. Il invite le gouvernement piémontais à lui faire
savoir si les autorités génoises qui ont laissé s'organiser et partir
l'expédition seront punies et si Garibaldi appartient encore à
l'armée sarde.
Dans leur violence, ces démonstrations restaient cependant
assez inoffensives et assez bénignes. Pour qu'elles fussent effi-
caces, il aurait fallu qu'elles fussent appuyées par la menace
d'une sanction. Cavour ne pouvait évidemment se flatter de
voir sa politique approuvée à Pétersbourg. Les semonces et les
blâmes de la Russie n'auraient pu l'émouvoir que si, des paroles,
il avait pu craindre de la voir passer aux actes. Or, elle n'était
ni en situation ni en humeur de le faire, et, à moins de donner
le change à Cavour, ce qui était au-dessus de leurs moyens,
Alexandre II et Gortchakoff devaient se résigner à gronder en
pure perte. Ils étaient trop avisés pour ne pas s'en rendre compte.
Plus le mal va s'aggravant, plus ils se convainquent de leur
impuissance; plus ils se sentent désarmés, plus ils pressent la
France d'intervenir.
Le gouvernement français s'était borné à signaler à Cavour
les préparatifs de l'expédition et à lui adresser ensuiteune note
de blâme. C'était encore trop peu, au vœu de Gortchakoff, qui
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLÉON III. 279
s'empressa de confier son impression à Montebello. « En pré-
sence d'un pareil acte de brigandage, je ne puis cacher à Votre
Excellence », écrit notre ambassadeur, « que l'expression d'un
blâme a paru au prince Gortchakoff un peu faible, même comme
démarche spontanée de notre ministre à Turin, et qu'il attend
de nous davantage » l .
Napoléon III prêche au Piémont la sagesse et la prudence, au
roi de Naples l'énergie dans la répression et la tolérance dans
le gouvernement, à tous deux l'esprit de conciliation. Sans doute
n'est-ce rien de tout cela que Gortchakoff a voulu entendre par
ce mot davantage; car, un mois après, il gourmande le gouver-
nement français sur son inaction et revient à la charge auprès
de lui pour obtenir qu'il en sorte : « Le prince Gortchakoff est
surpris », télégraphie Montebello, « de l'irrésolution de la France
en présence d'événements si contraires à ses intérêts. Il pense
que l'Europe se doit à elle-même de ne pas se borner à une action
morale et d'empêcher par des croisières le départ et le débarque-
ment de nouvelles bandes »2.
Cette fois-ci, Gortchakoff a renoncé à se faire entendre à
demi-mot et met, pour ainsi dire, les points sur les i. Ce qu'il
attend de la France, ce n'est plus une action morale qui a fait
son temps, ce ne sont plus des conseils dont l'inutilité a été
démontrée : ce sont des mesures matérielles. L'insurrection
vient précisément d'être mise en échec en Sicile ; Garibaldi est
en fuite, beaucoup de rebelles désarment. Le moment paraît
opportun à la Russie pour isoler le foyer de la Révolution et
l'empêcher de recevoir des secours de l'extérieur. Il suffit pour
cela de quelques croisières surveillant les ports du Piémont,
d'où peuvent partir les secours, et les côtes de la Sicile ou de la
Calabre, vers lesquels ils peuvent être dirigés. Pour convertir
la France à la nécessité de cette sorte de blocus, Gortchakoff
lui représente que son intérêt, sa sécurité, sa situation lui en
font un devoir : « L'unité de l'Italie ne peut vous convenir. Si
vous n'y prenez garde, la Sicile va être livrée à l'Angleterre.
Vous aviez là un seul mot à dire, et toute l'Europe aurait été de
votre côté »8.
Charger ne fût-ce qu'un seul navire de faire la police dans
1. Montebello, 13 mai 1860.
2. ld., 13 juin 1860.
3. Id., juin 1860.
280 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
les eaux italiennes et de s'opposer, le cas échéant, au passage
de volontaires, c'était coopérer par mer à la répression de l'in-
surrection, c'était intervenir. C'est là ce qu'Alexandre II et
Gortchakoff réclament de Napoléon III, en lui présentant sa
réponse comme une sorte de critérium auquel ils le jugeront.
Au degré de fermeté dont il se montrera capable en face de la
Révolution se mesurera la confiance dont il est digne.
Napoléon III n'était pas indifférent à la crainte de s'aliéner la
confiance d'Alexandre II et de Gortchakoff. Il était disposé à
souscrire, pour la conserver, à certaines concessions. Mais, de
ces concessions à la garantie réclamée de lui, il y avait loin, et
il ne se souciait pas de franchir cette distance.
Dans son for intérieur, son parti est pris de ne pas entraver
l'unification de l'Italie, sous la seule réserve de la souveraineté
temporelle du pape, et, plutôt que de recourir à la force pour
sauver le trône de Naples, il est résolu à laisser les Deux-Siciles
suivre le sort des duchés. Mais il ne lui convient pas de s'en
expliquer franchement avec Alexandre II et Gortchakoff. Il
aime mieux éluder leurs invites que les décliner, opposer à
leurs instances le silence et la force d'inertie qu'un refus net
et catégorique.
Cette sorte de résistance passive ne ralentit pas tout d'abord
leur zèle. Napoléon III restant sourd à leurs appels, ils tentent
de l'entraîner à une action commune par un complet et loyal
échange de vues. Le 19 juin, Gortchakoff mande Montebello à
Tzarskoë et lui annonce qu'Alexandre II, désirant s'ouvrir sans
réserves avec nous, a chargé son ambassadeur à Paris d'expo-
ser sa pensée tout entière à Thouvenel et de demander une
audience à Napoléon III. Trois jours après, parvient à Péters-
bourg la nouvelle de la tentative désespérée de conciliation à
laquelle a recouru, sans illusion, le roi de Naples. Gortchakoff
y voit le principe éventuel de cette action commune à laquelle
il cherche à convertir la France. Il expose à Montebello que la
résolution prise par le gouvernement napolitain d'élaborer une
constitution libérale pour tout le royaume, d'accorder à la Sicile
une séparation administrative sous un prince de la famille
royale, enfin de conclure avec le Piémont une entente inspirée
des intérêts généraux de la péninsule, lui paraît offrir les bases
possibles d'un arrangement. Il invite la France à joindre ses
efforts à ceux de la Russie pour réconcilier François II avec ses
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLÉON III. 281
sujets siciliens et ses adversaires piémontais. Napoléon III ne
se refuse pas à cette concession, qui rouvre la voie à l'action
morale et exclut, pour quelque temps, l'éventualité redoutée de
l'action matérielle. Des instructions analogues sont données aux
représentants de France et de Russie à Turin, en vue d'appuyer
énergiquement la mission extraordinaire envoyée de Naples
pour négocier une alliance.
Pour que cette action pût être efficace, il eût fallu, simultané-
ment, imposer une trêve aux insurgés ou tout au moins les tenir
en respect. Garibaldi se préparait à franchir le détroit de Mes-
sine. Maîtresse de la Sicile, la Révolution allait dépouiller le roi
de Naples du semblant de pouvoir qu'il conservait encore sur
ses états de terre ferme. Prêcher l'apaisement à Turin et laisser
le détroit libre à Messine, c'était détruire d'une main ce qu'on
faisait de l'autre, désavouer tout bas ce qu'on disait tout haut.
Il fallait se hâter de fermer le passage ou se résigner à une
catastrophe.
Napoléon III reste encore impassible. Des sollicitations, Gort-
chakoff passe alors aux reproches et aux doléances. Il ne veut
pas récriminer, dit-il à Montebello, mais il ne veut pas non plus
taire au gouvernement français sa façon de penser : il n'estime
pas que « la France n'ait d'autre rôle à jouer en Italie que de
surveiller les événements sans y participer et ne voit pas sans
regret une abstention qui lui semble peu compatible avec la
solidarité que nous reconnaissons exister entre nous et le Pié-
mont »'.
L'inertie de Napoléon III a donc, à cette époque, ouvert les
yeux à Gortchakoff. A la longue, la tactique de l'empereur est,
en effet, devenue caduque. L'approche même du dénouement
l'accule fatalement à l'alternative, ou de se rendre aux avis des
Russes, ou de se démasquer à leurs yeux, ou d'intervenir, ou de
découvrir son jeu. Même alors, il a espéré se dérober à cette
alternative et amener la Russie à se payer de mots. Il à bien été
obligé de convenir qu'il n'interviendrait pas pour le moment.
Mais, afin de se justifier de son abstention, il en a rejeté la res-
ponsabilité sur l'Angleterre et sur les circonstances. Il avait
proposé à l'Angleterre d'empêcher Garibaldi de franchir le
détroit et elle avait refusé. La situation était maintenant trop
1. Montebello, 19 juillet 1860.
282 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
désespérée pour qu'il fût possible d'intervenir autrement qu'avec
des forces considérables, qu'il ne voulait pas y consacrer. Il
n'entendait pas d'ailleurs renoncer définitivement à intervenir :
mais il remettait cette intervention à un moment où elle aurait
chance d'être mieux accueillie par les populations.
Cet ajournement problématique n'a pas rendu à Alexandre II
et à Gortchakoff les illusions qu'ils avaient perdues. Pendant la
courte lutte qui livra le royaume de Naples aux troupes de Gari-
baldi, ils s'abstinrent d'importuner Napoléon III de sollicitations
qu'ils savaient inutiles. Mais l'agonie de cette monarchie leur a
inspiré des sentiments que Montebello a traduits en termes sai-
sissants :
Je n'ai pas besoin de vous dire avec quel douloureux intérêt le cabi-
net de Saint-Pétersbourg a suivi les phases de la décomposition rapide
qui a amené le roi François II à s'enfermer dans Gaëte, ni avec quelle
profonde compassion on a vu ce jeune souverain si honteusement
trahi ou abandonné par ceux-là même sur lesquels il devait le plus
compter. Tout parait fini... L'on a hâte de détourner les yeux de ce
triste spectacle et on les reporte avec inquiétude sur les conséquences
des événements qui viennent de s'accomplir1.
Cette phase de dissentiment coïncide avec le moment où
Alexandre II accepte de se rencontrer à Varsovie avec l'empe-
reur d'Autriche.
La conclusion de la paix n'avait pas fait disparaître l'intérêt
de l'Autriche à se rapprocher de la Russie. L'expérience lui
avait prouvé ce que pouvait lui coûter la mauvaise volonté de
cette puissance. La Révolution qui régnait en Italie menaçait la
Vénitie. Elle y trouvait un argument pour détacher Alexandre II
de l'amitié française. Avec une persévérance qui n'était pas
sans mérite de sa part après les événements de 1859, elle
reprend sa négociation à Pétersbourg et choisit, cette fois-ci,
son porte-parole dans la famille même d'Alexandre IL Le propre
beau-frère du tsar, le prince Alexandre de Hesse, général dans
l'armée autrichienne, est envoyé en mission à la cour de Russie
pour tenter un rapprochement. « Je ne vous le cacherai pas »,
déclare Gortchakoff au duc de Montebello, « l'Autriche, sous un
autre nom que celui de Sainte-Alliance, qui a fait son temps et
effaroucherait aujourd'hui, voudrait refaire l'alliance des trois
1. Montebello, 14 septembre 18G0.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLÉON III. 283
cours du Nord. Il y aurait là les éléments d'une coalition contre
la France. J'ai déclaré nettement et au nom de l'empereur que
la Russie ne se prêterait à rien de pareil » 1 .
L'échec du prince de Hesse ne décourage pas encore l'Au-
triche. Alexandre II s'étant rendu à Varsovie en octobre 1859,
François-Joseph lui délègue l'archiduc Albert et le baron de
Werner, sous-secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, avec
mission de travailler au rapprochement tant désiré. L'Autriche,
déclarent-ils, reconnaît avoir eu des torts et cherche à réparer le
mal qu'elle a fait. La Russie, répond Gortchakoff, ne demande
aucun service, et, au surplus, laisse entendre le chancelier, « la
confiance une ibis détruite renaît difficilement ».
L'Autriche s'est ingéniée à la faire renaître. Elle a mis en
œuvre la diplomatie la plus tenace, les plus hautes influences, le
crédit de l'archiduc Albert, l'ascendant de son jeune empereur.
A-t-elle jamais complètement réussi? A coup sûr non, en ce qui
concerne Gortchakoff. Avances, promesses ni repentir ne par-
vinrent jamais à triompher entièrement des préventions du chan-
celier. « La politique de l'Autriche », disait-il au duc de Mon-
tebello, « est une politique sans bonne foi. » La cour de Vienne
a été mieux récompensée de sa peine avec Alexandre II : ce
n'est pas à dire qu'elle ait réussi à effacer dans l'esprit du tsar
toutes les traces du passé. Assouvie par les défaites de l'Au-
triche, la rancune d'Alexandre II s'est apaisée ; sous l'empire,
d'autres circonstances, d'autres sentiments ont pris le dessus.
Il semble bien cependant qu'il ait subsisté quelque chose de son
impression première, trop peu pour l'empêcher de se prêter à la
reprise de relations amicales avec l'Autriche, assez pour lui
interdire une intimité plus étroite avec elle.
Ni les préventions de Gortchakoff ni, à plus forte raison, celles
d'Alexandre II n'étaient assez fortes pour opposer une digue au
courant qui tendait à rapprocher les deux cours. Les circons-
tances ont fait pour ce résultat plus que toute la persévérance et
la ténacité de la diplomatie autrichienne.
En ranimant en eux la crainte de la Révolution, les événe-
ments d'Italie firent sentir au tsar et à son ministre la nécessité
de soutenir l'Autriche, en même temps que de s'appuver sur
elle. Aussi une amélioration sensible de leurs rapports avec
1. Montebello, 16 septembre 1859.
284 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
Vienne coïncide-t-elle exactement avec les péripéties qui se
déroulent dans la péninsule. Un an ne s'est pas écoulé depuis
Villafranca que toute trace de mésintelligence et de froideur a
disparu des relations des deux cours. Un nouveau ministre
d'Autriche, le comte Thun, reçoit d'Alexandre II des assurances
et des témoignages auxquels ses prédécesseurs n'ont pas été
habitués. Une cordialité inaccoutumée vient marquer les mani-
festations extérieures par lesquelles la cour de Russie commé-
more ses liens traditionnels avec celle de Vienne : au dîner
offert par le tsar au comte de Thun pour l'anniversaire de la
naissance de François-Joseph assiste une délégation du régi-
ment autrichien Obreninski, dont la fête coïncide avec celle de
l'empereur. Il est vrai que Gortchakoff, dont la réserve ne s'as-
socie qu'à moitié à cette bienveillance de forme, est là pour
l'empêcher d'avoir un contre-coup sur le fond. Lorsque le comte
Thun tente de renouer la négociation où avaient échoué Karolvi
et le prince de Hesse, invoquant, à l'appui de son offre d'alliance,
la nécessité de lutter en Occident contre l'esprit révolutionnaire
et l'intérêt de s'entendre en Orient sur la succession du sultan,
Gortchakoff répond qu'il souhaite le maintien de l'empire otto-
man au moyen de réformes et de satisfactions accordées aux
légitimes griefs des chrétiens et met Montebello au courant de
cet entretien.
L'année 1860 ne se passe cependant pas sans qu'un fait écla-
tant vienne consacrer la réconciliation de l'Autriche et de la
Russie : les deux empereurs se rencontrent à Varsovie.
Alexandre II s'est prêté de bonne grâce à cette entrevue, dont
l'initiative appartient à François-Joseph, et rien n'autorise à
penser qu'il s'y est rendu à contre-cœur. Il semble au contraire
qu'il ait su gré à l'empereur d'Autriche de sa démarche et n'ait
pas vu sans satisfaction renaître une amitié dont la rupture lui
avait laissé des regrets. « A mes yeux », dit-il au duc de Mon-
tebello, « la visite que va me faire l'empereur d'Autriche à Var-
sovie m'était due ; il y couchera dans la chambre qu'il a occupée
autrefois auprès de mon père. » « J'ai vu dans ces paroles », ajou-
tait notre ambassadeur, « l'expression d'un sentiment intime
où se mêlaient la générosité qui pardonne et la piété filiale qui
se souvient » ' .
1. Montebello, 14 septembre 1860.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 285
De là à vouloir se jeter clans les bras de l'Autriche, il y avait
loin et Alexandre II n'y songeait pas. Il prévoyait que la cour
de Vienne s'efforcerait de le décider à renouer avec elle l'inti-
mité d'autrefois. Mais il était bien résolu à ne pas s'y prêter, à
résister à toute sollicitation, à ne se laisser entraîner à aucun
acte, à aucun engagement dont la France pût prendre ombrage.
Le soin qu'il prit de la rassurer d'avance sur cette hypothèse
démontre la fermeté et la sincérité de sa résolution .
On ne voyait jamais, à Paris, sans une certaine appréhension,
les deux empereurs du Nord se rencontrer et échanger leurs
vues; sous l'influence de ces craintes, on avait tôt fait de quali-
fier de volte-face ce qui n'était qu'une évolution. Alexandre II
n'a rien épargné pour réagir contre cette opinion. Aussitôt l'en-
trevue décidée, Gortchakoff mande Montebello pour lui annoncer
la nouvelle. Deux jours après, le tsar lui-même exprime le désir
de voir l'ambassadeur de France :
Vous savez que le prince régent de Prusse et l'empereur d'Autriche
viendront me voir à Varsovie. L'opinion s'est beaucoup préoccupée
de cette entrevue, même avant qu'elle fût décidée. On y a vu le germe
d'une coalition. J'ai voulu m'expliquer avec vous sur les dispositions
que j'y apporterai : je n'ai pas besoin de vous dire qu'elles seront ami-
cales pour la France. Ce n'est pas de la coalition que je vais faire à
Varsovie, mais de la conciliation, et je suis heureux de voir que le
prince régent est dans les mêmes sentiments. Quant à moi, je désire
y plaider votre cause, pour peu que vous m'en facilitiez les moyens.
Dites à l'empereur Napoléon qu'il peut mettre sa confiance en moi
et que je resterai fidèle à ce que nous nous sommes promis à Stuttgart1.
Le gouvernement russe ne s'en tient pas à ces déclarations :
il propose à la France de se faire représenter à Varsovie. Il
était fâcheux, dit Gortchakoff à Montebello, qu'elle fût absente
de l'entrevue. Thouvenel ne pourrait-il y venir pour quelques
jours? Montebello objecta que ce serait un congrès sans l'Angle-
terre et que, d'ailleurs, la visite de notre ministre des Affaires
étrangères aurait un air d'intrusion. Thouvenel fut du même
avis : « Je crois », répondit-il, « que, dans l'état des esprits en
Allemagne et en Angleterre, cette démarche ne serait bonne ni
pour la Russie ni pour nous. Mais je suis heureux que le prince
Gortchakoff en ait eu la pensée »'2. Au reste, il était persuadé
1. Montebello, 14 septembre 1860.
2. Tbouvenel, 25 septembre 1860.
28G FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
qu'il ne saurait résulter de l'entrevue de Varsovie aucun préju-
dice pour les deux gouvernements.
Sincère ou non, cette confiance était politique, et l'exprimer
sans restriction était le meilleur parti que pût prendre la
France. Il n'en est pas moins vrai que l'annonce de l'entrevue,
devançant à Paris les déclarations rassurantes d'Alexandre II
et de Gortchakoff, y avait causé une certaine émotion, et cette
émotion a pu ne pas être étrangère à une résolution qui vint,
à ce moment même, rendre l'essor aux espérances du tsar et de
son ministre.
Cavour ayant signifié au gouvernement pontifical que, s'il ne
licenciait pas les étrangers à son service, les Marches et l'Om-
brie seraient occupées, Napoléon III télégraphie à Victor-Emma-
nuel que la France s'y opposerait. Des ordres sont donnés
pour renforcer le corps d'occupation français à Rome. Notre
ministre à Turin est chargé de signifier à Cavour que, si l'assu-
rance ne lui est pas donnée que l'armée sarde n'attaquera pas
les troupes pontificales, les relations diplomatiques seront rom-
pues entre la France et le Piémont.
Depuis Villafranca, aucune nouvelle n'a été accueillie à
Pétersbourg avec autant de joie. Ce que n'ont pu obtenir ni les
appels, ni les doléances de la Russie, voici qu'une menace
imprudente du Piémont au pape permet de nouveau de n'en pas
désespérer. Pour s'expliquer leur satisfaction, il faut se rappe-
ler les alternatives d'espoir et de découragement par lesquelles
ont passé Alexandre II et Gortchakoff. « Le premier mouvement
du cabinet de Pétersbourg », expose Montebello, « avait été un
vif désir de nous voir profiter de la position que notre corps
d'occupation nous donne au centre de l'Italie pour couper le
mouvement unitaire. Il faut convenir que ce grand parti aurait
présenté des avantages incontestables »{. Ce beau rêve s'est
évanoui sous le coup des démentis répétés de la réalité. Et, tout
à coup, l'injonction catégorique de Napoléon III au Piémont et
sa menace de rupture diplomatique viennent ramener du
domaine des utopies dans celui des choses possibles l'hypothèse
de « ce grand parti » et de ses « avantages incontestables » :
fermer à la Révolution la route de la Vénétie, écarter le danger
d'une guerre européenne, permettre au Piémont de se ressaisir
1. Montebello, 14 septembre 1860.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLÉON III. 287
et de se reformer dans les limites des annexions accomplies,
consolider le royaume de Naples. On se reprit à espérer à Saint-
Pétersbourg que, « si telle n'avait pas été d'abord notre poli-
tique, la force des choses et les fautes du Piémont nous y amè-
neraient ».
Gortchakoff jugea prudent de ne pas s'en remettre exclusive-
ment à ces deux influences et entreprit immédiatement de les
seconder. Les dispositions actuelles de la France permettaient
d'escompter son assentiment à un accord préalable sur les déve-
loppements ultérieurs de la Révolution italienne. Une attaque
contre la Vénétie en était généralement considérée comme le
terme fatal. L'Autriche ne se laisserait pas dépouiller sans résis-
tance. Le Piémont ne laisserait pas écraser la Révolution sans
lui porter secours. La guerre en viendrait donc infailliblement à
se rallumer. Il y avait bien peu de chances pour qu'elle restai
limitée à l'Autriche et au Piémont. C'est à une conflagration
européenne qu'il fallait s'attendre si on ne prenait des mesures
immédiates pour y parer. « Le prince Gortchakoff pense »,
écrivait Montebello, « qu'il serait sage de chercher dès à pré-
sent à conjurer ce danger, en tombant d'accord sur la limite
dans laquelle se renfermeraient les puissances les plus directe-
ment engagées dans la question »'.
Ses ambitions ne se bornaient pas à écarter les menaces de
l'avenir ; elles tendaient encore à soumettre le passé à une revi-
sion et à un contrôle. Ce soin devait, selon lui, revenir à un
congrès, auquel l'attitude récente de la France semble lui avoir
rendu l'espoir de l'amener. La crainte d'un refus l'a empêché de
formuler sa pensée en termes exprès : mais il l'a clairement
donnée à entendre. En prévision de l'entrevue de Varsovie, il
définissait ainsi son programme à Montebello : « Maintien et
exécution du traité de Zurich, sauf les modifications que
pourra y apporter un congrès européen; neutralité de la
France, point de retour de la Lombardie à l'Autriche; maintien
et reconnaisance du traité de Turin. » Ainsi n'avaient un carac-
tère définitif et obligatoire à ses veux que les remaniements ter-
ritoriaux stipulés par des traités. Il ne se refusait pas à priori à
en envisager de nouveaux, mais à condition qu'il appartînt à
un congrès de les déterminer. Jusque-là, tout ce qui avait été
1. Montebello, 14 septembre 18G0.
288 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
accompli en Italie au delà du traité de Zurich n'avait que la
valeur d'un état de fait, révocable à tout moment.
Alexandre II n'étendait pas ses regards aussi loin et s'en
tenait au présent. Aussi ses sollicitations n'en étaient-elles que
plus difficiles à éluder. Dès qu'il avait connu l'injonction de
Napoléon III au Piémont, il avait fait mander Montebello. Notre
ambassadeur eut la bonne fortune de pouvoir lui apprendre que
notre rupture diplomatique avec le Piémont était un fait accom-
pli. Le tsar s'en montra très satisfait et lui déclara :
Je suis certainement le souverain le moins directement intéressé
dans les affaires d'Italie. Que l'Italie soit unitaire ou fédérative, peu
m'importe. Mais, ce qui m'importe beaucoup, c'est la manière dont les
événements s'y accomplissent. Ce sont les principes anarchiques que
l'on y proclame hautement et qui, croyez-moi, ne s'arrêteront pas à
la barrière des Alpes. Il me semble que la France ne peut voir tout
cela d'un œil indifférent. J'espère donc que vous persévérerez dans la
voie où vous êtes entrés. Vous avez déclaré au roi de Sardaigne que
s'il entrait dans les Marches ou dans l'Ombrie vous vous y opposeriez.
J'attends avec impatience les conséquences de cette déclaration. Votre
position en Europe dépend beaucoup de ce que vous allez faire1.
La France parut d'abord disposée à passer de la menace aux
actes. A l'invasion des États pontificaux par les troupes sardes,
elle répondit par le renforcement du corps d'occupation de
Rome, que l'adjonction d'une division porta à l'effectif de
15,000 hommes. On n'en fut que plus désappointé à Pétersbourg
lorsqu'on dut constater qu'elle n'était pas disposée à aller au
delà de l'intimidation. Les illusions n'opposèrent pas, cette fois,
une longue résistance aux faits. Dès la fin de septembre, on en
était venu à considérer la rupture entre Paris et Turin comme
« peu sérieuse ». Cette nouvelle déception fut suivie d'une recru-
descence d'inquiétude. Montebello ne put se défendre d'expri-
mer l'appréhension que lui causait ce sentiment croissant d'in-
sécurité : « En présence des défiances et des craintes qu'inspire
la politique de la France », écrit-il, « les souverains cherchent
à se rapprocher. Il nous serait bien facile de faire avorter ce tra-
vail. Mais, au train où vont les choses en Italie, le sentiment
d'un danger commun finira parles unir en dépit de tout »2.
1. Audience du 15 septembre 1860.
2. Montebello, 28 septembre 1860.
LA lil'SSIE ET LA POLITIQUE ITALIEN>E 1)E NAPOLÉON III. 289
L'approche de l'entrevue de Varsovie avait mis la France
sur ses gardes. Thouvenel jugeait ces alternatives d'espoir et de
déception plus propres à éloigner de nous la Russie qu'une cer-
titude positive de ce qu'elle pouvait attendre de nous. Au silence
équivoque et aux réticences du gouvernement impérial, il décida
Napoléon III à substituer une franche et catégorique explica-
tion. Le cadre en était tout tracé d'avance par les ouvertures
de Gortchakoff à Montebello. Thouvenel se l'appropria et consi-
gna les vues du gouvernement français dans un mémorandum
que Napoléon III paraphrasa dans une lettre autographe à
Alexandre IL Lettre et mémorandum furent adressés à Monte-
bello, avec ordre de communiquer l'un au chancelier et de
remettre l'autre au tsar. De la sorte, la Russie saurait à quelles
conditions la France pourrait adhérer à une entente entre les
puissances dont les souverains allaient se rencontrera Varsovie.
Tout le mémorandum reposait sur l'hypothèse d'une attaque
dirigée par le Piémont contre l'Autriche en Vénétie. Dans ce
cas, la France s'engageait à ne donner aucun appui au Piémont,
pourvu que, de leur côté, les puissances allemandes restassent
neutres. L'état de choses existant avant Villafranca et Zurich ne
saurait être rétabli : la cession de la Lombardie au Piémont ne
pouvait donc être remise en cause. L'Italie serait constituée en
système fédératif et national et toutes les questions relatives à
sa constitution politique et territoriale seraient discutées en con-
grès européen, « sous le double aspect des droits des souverains
actuellement dépossédés et des concessions nécessaires pour
assurer la stabilité du nouvel ordre de choses ». Lors même que
le Piémont viendrait à perdre les acquisitions qu'il avait faites
depuis Villafranca, la cession à la France de la Savoie et de
Nice ne serait pas remise en question.
De ce que disait le mémorandum, il était facile de déduire ce
qu'il sous-entendait. La France s'engageait à la neutralité, dans
le cas où l'Autriche serait attaquée en Vénétie. Mais si
c'était l'Autriche qui, prenant les devants, attaquait le Pié-
mont? Alors, la France ne s'engageait plus à rien, et, de son
silence, on devait conclure qu'elle se réservait d'intervenir.
Le Piémont prenant l'offensive, la France ne s'engageait qu'à
la neutralité. Mais si le Piémont n'attaquait pas l'Autriche,
quelle attitude observerait la France? Le mémorandum était
muet sur ce point. Mais le bon sens permettait de se passer de
Rev. IIistor. CV. 2e fasc. 19
290 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
sa réponse. A plus forte raison, la France ne recourrait-elle pas,
en l'absence d'une agression du Piémont contre l'Autriche, à
des mesures de coercition qu'elle ne voulait pas prévoir, même
dans ce cas. Le caractère négatif, en même temps que condi-
tionnel, de son engagement excluait donc implicitement l'hypo-
thèse d'une intervention matérielle de sa part dans les condi-
tions présentes.
Le Piémont ayant assumé la responsabilité d'une guerre avec
l'Autriche, la France ne refusait pas son adhésion à un congrès
chargé de reconstituer l'Italie, en respectant les stipulations de
Villafranca et de Zurich. Mais si la guerre n'éclatait pas, ou si
elle éclatait sur l'initiative de l'Autriche, quel accueil ferait la
France à une proposition de congrès? Elle s'abstenait de le dire ;
mais le mémorandum prenant pour point de départ l'hypothèse
d'une attaque du Piémont contre l'Autriche, il allait de soi que,
dans toute autre hypothèse, la France entendait réserver sa
décision.
Il y avait loin de ce programme à l'intervention pure et simple
qu'Alexandre II et Gortchakoff avaient espérée de la France.
Tout ce qu'on pouvait attendre d'eux c'était qu'ils fissent bonne
mine à mauvais jeu. Aussi Napoléon III et Thouvenel avaient-
ils pris soin d'introduire dans ce jeu une carte qui devait en
transformer singulièrement la valeur aux yeux du tsar et de son
ministre.
Dans une seconde partie, le mémorandum français traitait
des affaires d'Orient et prévoyait toute une gradation de mesures
à arrêter de concert, selon la gravité des hypothèses qui pou-
vaient se produire dans l'empire ottoman.
Parallèlement à la révolution italienne s'est développée en
Orient une crise qui a nécessité de constants échanges de vues
entre les cabinets d'Europe. La question des principautés n'était
pas encore réglée qu'avait surgi déjà celle du Monténégro. La
Russie, soutenue par la France, s'évertue encore à défendre
contre la Porte l'indépendance de ce petit pays, que des troubles
très graves éclatent en Bosnie et en Herzégovine. La répression
de ces troubles sert de prétexte aux Turcs à prétendre s'empa-
rer de Grahovo, occupé par les Monténégrins, et voilà la ques-
tion de suzeraineté compliquée d'une contestation de frontières
et d'une menace de conflit armé. L'incident aplani par la diplo-
matie européenne, la Roumélie s'agite et l'Albanie remue. L'Eu-
rope s'émeut, formule des plaintes, élève des revendications,
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 291
auxquelles le sultan s'empresse de couper court en chargeant le
grand vizir d'une enquête dans les provinces troublées. Mais
cette solution bâtarde ne procure aux puissances qu'un répit
très limité. Après la Turquie d'Europe, l'Asie est le théâtre
d'événements sanglants, et ce sont les massacres de Damas et
de Beyrouth, l'expédition de Syrie, l'occupation du Liban.
Chacune des phases de cette crise est, de la part du gouver-
nement russe, l'objet d'une extrême attention; il cherche à
tirer parti de chacune pour élargir le débat et introduire, à la
suite d'un incident particulier, la question d'Orient proprement
dite. Dès avril 1858, pendant la réunion à Paris de la confé-
rence chargée de statuer sur l'affaire des principautés, Gortcha-
koff suggère à la France de saisir les plénipotentiaires de la
question des chrétiens de Turquie. Peu de temps après, il
cherche à profiter, en vue du même but, des négociations pro-
voquées par le conflit turco- monténégrin et des désordres
survenus en Bosnie. Ses ouvertures sont froidement accueillies
par Walewski, qui décline poliment la proposition. Gortcha-
koff la renouvelle au printemps de 1860 et, cette fois, Thouve-
nel l'accueille mieux que Walewski : elle n'échoue que devant
le mauvais vouloir des autres puissances, notamment de
l'Angleterre, auprès de qui la France l'a appuyée. Dans l'été de
la même année, Gortchakoff propose encore d'en faire l'objet
d'un article secret inséré dans l'accord relatif à l'expédition de
Syrie, et cette inopportune suggestion réunit tout le monde
contre lui.
Ces initiatives répétées ne peuvent laisser au gouvernement
français aucun doute sur le désir qu'éprouve la Russie de
prendre en Orient une revanche partielle des graves déconve-
nues infligées à sa politique. Ce désir est, d'ailleurs, si naturel,
si logique, qu'il a été deviné par l'Autriche. Montebello a
signalé à Thouvenel l'affectation de complaisance de cette puis-
sance envers la Russie, dans la question des chrétiens de Tur-
quie. Des assurances de bonne volonté et de concours ont été
transmises par Thun et par Revertera1 à Gortchakoff, qui a
répondu que l'attitude de la cour de Vienne dans cette affaire
serait considérée à Pétersbourg comme la pierre de touche de
ses nouvelles dispositions.
Encouragée par cet accueil, l'Autriche pousse bientôt plus
1. Chargé d'affaires d'Autriche à Pétersbourg.
292 I IUNÇOIS-CIIARLES ROUX.
loin l'insinuation ; « elle cherche », écrit un peu plus tard
Montebello, « à prendre la Russie par son faible, en se montrant
très disposée à attacher le grelot pour l'abrogation des clauses
du traité de Paris qu'elle qualifie d'exorbitantes, seule chose à
laquelle le prince Gortchakoff déclare assez dédaigneusement
qu'elle est propre »l. Ces dispositions de l'Autriche prennent
assez de corps pour motiver une demande d'explications de
l'Angleterre à Vienne ; Rechberg 2 ne les nie pas et lord John
Russel reçoit cet aveu avec une pénible surprise.
En attirant son attention sur le rapprochement ébauché entre
Vienne et Pétersbourg, la prochaine entrevue de Varsovie ins-
pire à Thouvenel le désir de garantir la Russie contre la tenta-
tion de céder aux avances de l'Autriche. S'il ne dépend pas de
lui de le faire au moyen de concessions sérieuses en Italie, du
moins peut-il enlever à l'Autriche le monopole des complai-
sances pour la politique russe en Orient. Il sait qu'une entente
sur ces questions avec la France sourit bien plus à la Russie
qu'une entente avec la cour de Vienne et qu'un mot de lui
suffira à rendre Gortchakoff sourd à toutes les insinuations de
Rechberg. Telles sont les raisons pour lesquelles il se décide à
prendre l'initiative de propositions visant l'Orient.
La partie de son mémorandum traitant de ce sujet prévoit,
comme la première, diverses hypothèses.
Ou bien une catastrophe pourrait être prévenue par une
intervention européenne, dont la France admettait pleinement
qu'un accord préalable entre les grandes puissances réglât
d'ores et déjà les conditions; faute de quoi elle ne ferait aucune
objection à ce que l'Autriche et la Russie prissent les mesures
qu'elles jugeraient nécessaires pour protéger les populations
chrétiennes de Bosnie, d'Herzégovine et de Bulgarie. Ou bien
l'action collective des puissances ne réussirait pas à conjurer
une catastrophe; et alors, la France consentirait volontiers à
rechercher avec la Russie, puis à faire accepter par les autres
gouvernements, les bases d'une organisation nouvelle de la Tur-
quie d'Europe qui exclurait formellement toute acquisition ter-
ritoriale au profit d'un des États signataires du traité de Paris.
Ou bien enfin, la dissolution de l'empire ottoman entraînerait,
contrairement aux vues et aux efforts des deux gouvernements,
1. Montebello, 16 octobre 1860.
2. Premier ministre autricbien.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLÉON III. 293
l'annexion de quelqu'une de ses dépouilles à une ou plusieurs
des puissances signataires du traité de 1856 : la France et la
Russie s'entendraient alors pour empêcher que l'équilibre actuel
des forces entre les grands États de l'Europe fût altéré.
Sans doute est-ce à cette seconde partie du mémorandum que
la première doit d'avoir été aussi bien accueillie à Pétersbourg.
A îa communication du mémorandum, Alexandre II répondit en
faisant dire à Montebello qu'il avait été très sensible à cette
marque de confiance de Napoléon III, donnait son entière adhé-
sion aux principes posés par le gouvernement français et s'em-
ploierait volontiers à faire prévaloir, à Varsovie, ceux qui
concernaient l'Italie; car, pour les autres, il préférait qu'ils
restassent secrets entre la France et lui. Il renouvela de vive
voix ces mêmes assurances, en recevant des mains de Monte-
bello la lettre autographe de Napoléon III, envers qui il s'est
appliqué à ne pas demeurer en reste de cordialité et de confiance.
Il s'est plu à évoquer le souvenir de l'entrevue de Stuttgart,
comme pour atténuer et démentir d'avance les préventions de
la France contre l'entrevue de Varsovie. Il semble réellement
s'être excusé presque de l'avoir acceptée, tant il a mis de soin à
en expliquer minutieusement les circonstances initiales. Non
seulement enfin il a promis qu'il n'y serait rien dit dont la France
pût prendre ombrage, mais il a exprimé le désir de pouvoir y
être utile à Napoléon III, en faisant partager à d'autres la con-
fiance que lui-même éprouvait pour l'empereur :
Puisque l'entrevue de Varsovie, que je n'ai pas cherchée, je vous le
répète, doit avoir lieu, je pense, a-t-il dit, qu'on peut en tirer hon
parti. Depuis quelque temps, il s'est élevé en Europe des défiances
qui pourraient devenir dangereuses si on leur laissait prendre plus de
corps. Je voudrais contribuer à les dissiper1.
Arrivant ensuite à l'examen des bases mêmes du mémorandum,
Alexandre II s'est exprimé ainsi :
Je demande à l'empereur Napoléon de me faire savoir directement,
de lui à moi, si les bases d'entente confidentielles que vous avez été
autorisé à communiquer au prince Gortchakofî sont bien l'expression
exacte de sa pensée et s'il se les approprie. J'y adhère quant à moi
complètement et je suis prêt à vous donner mon concours pour les
faire prévaloir. Mais cette assurance m'est nécessaire pour que je
1. Audience du 11) octobre 1860.
294 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
finisse en faire à Varsovie l'usage que je désire. Je ne parle que de ce
qui a rapport à l'Italie.
Etre assuré que le mémorandum traduit bien fidèlement la
pensée même de Napoléon III, voilà la seule réserve que formule
Alexandre II avant de faire siennes des suggestions aussi dis-
tantes de la solution qu'il avait jusqu'alors poursuivie en Italie.
Quant à Gortchakoff, c'est sans même exprimer une réserve,
sans faire l'ombre d'une observation qu'il donne son assentiment.
Devant une adhésion aussi immédiate, aussi complète, on est
conduit à se demander s'ils n'avaient pas simulé des illusions,
des espérances qu'ils n'avaient pas, pour amener la France à
leur offrir, sur un autre terrain, une compensation à la décep-
tion qu'elle s'imaginerait leur infliger en Italie. L'hypothèse
n'est pas inadmissible. Toutefois, pour qu'elle fût vraie, il fau-
drait d'abord qu'Alexandre II et Gortchakoff eussent lu, depuis
le début de la partie, dans le jeu de Napoléon III ; ensuite,
qu'ils eussent joué leur rôle avec une persévérance, un art, un
accent de conviction et de sincérité capable de tromper, non
seulement à distance Walewski, Thouvenel et Napoléon III,
mais surplace un observateur aussi sagaceque Montebello ; enfin,
qu'ils eussent été beaucoup moins accessibles qu'ils n'en ont eu
l'air à la crainte de la révolution et du droit des peuples puisque,
de prime abord et de propos délibéré, ils auraient pris leur parti
du sacrifice de leurs principes et ne les auraient défendus que
pour s'en faire payer l'abandon.
C'est faire, à notre avis, la part bien large à l'hypothèse, dans
le seul intérêt de ramener à un principe unique la politique
d'Alexandre II et de Gortchakoff. Or, il ne nous semble pas que
leur politique puisse être subordonnée à une préoccupation
exclusive de toute autre, et c'est précisément cette opinion, fon-
dée sur les textes et sur les faits, qui nous met en garde contre
la tentation d'admettre les hypothèses précédentes. La poli-
tique d'Alexandre II et de Gortchakoff a été moins que toute
autre soumise à une influence unique, et il serait aussi abusif
de vouloir expliquer leur attitude en présence de l'unification
italienne par la seule crainte de la Révolution et du droit des
peuples que par la seule pensée de l'Orient. C'est dans une
combinaison de ces deux préoccupations qu'il faut chercher
l'explication de leurs fluctuations, de leurs contradictions et là,
comme en beaucoup d'autres circonstances, ils ont subi l'in-
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLÉON III. 295
fluence d'intérêts multiples, dont leur attitude a été en quelque
sorte la résultante.
Tout ce qu'on peut conclure de l'accueil fait par eux au mémo-
randum de Thouvenel, c'est que la perspective d'une entente
avec la France sur les affaires d'Orient compense, à leurs yeux,
le démenti infligé à leurs principes en Italie et les détermine à se
contenter, sur ce terrain, d'une satisfaction partielle et limitée.
Edifié à cet égard, Thouvenel n'hésite pas à compléter l'œuvre
commencée par le mémorandum et la lettre autographe de Napo-
léon III, à rompre définitivement avec la tactique du silence
énigmatique et des réticences et à faire pour ainsi dire sa confes-
sion. Une action matérielle immédiate en Italie est impossible,
fait-il dire à Pétersbourg. D'abord, le résultat même en serait
éphémère. Et puis, qui s'en chargerait? L'Autriche est trop
occupée chez elle. La Prusse et la Russie sont mises hors de
cause par leur situation géographique. L'Angleterre ne s'en sou-
cierait pas. Reste donc la France. Elle ne le fera pas :
La France ne pourrait recommencer sous Napoléon III en Italie ce
qu'elle a entrepris en Espagne sous Louis XVIII... La France impé-
riale n'est pas révolutionnaire. La haine qu'elle excite dans un cer-
tain camp démontre assez qu'on l'y regarde comme l'ennemie la plus
redoutable et la plus décidée de la démagogie. Mais il n'est ni dans
sa nature, ni dans sa puissance d'empêcher les chutes ou les transfor-
mations que le temps et les fautes des hommes ont préparées. La mal-
veillance et la calomnie peuvent seules prétendre que l'empereur n'ait
pas vu sans un profond regret se dérouler les événements dans les
États romains et le royaume de Naples... Nous n'approuvons pas ce
qui se passe en Italie, notre conscience désavoue les moyens employés
et notre raison, d'un autre côté, ne nous permet pas de nous y faire le
champion des régimes détruits. Que sortira-t-il de ce volcan en
éruption ? Nul ne le sait et il serait téméraire de se tracer d'avance une
conduite arrêtée. Consacrer tous ses efforts à prévenir une guerre
générale et désastreuse pour la civilisation; tâcher, si j'ose ainsi par-
ler, que les puissances bien portantes de l'Europe, grâce à une entente
intelligente et loyale, ne se laissent ni gagner par les terreurs des
puissances malades, ni dominer par leurs nécessités; préparer par
cette entente une solution à de redoutables problèmes : voilà, à mon
avis, le but que doivent se proposer les cabinets et l'œuvre à laquelle
nous sommes prêts à concourir1.
C'est bien la fin de l'équivoque par laquelle le gouvernement
impérial se dérobait depuis deux ans à l'alternative qui se posait
1. Thouvenel, 17 octobre 1860.
296 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
devant lui. Napoléon III lui-même a compris l'impossibilité de
se soustraire plus longtemps à cette alternative et a opté pour le
môme parti que son ministre : la franchise. Ayant mandé Kisse-
lef, il lui déclare qu'il approuve pleinement les bases posées
dans le mémorandum ; que la seule hypothèse dans laquelle ait
raisonné Thouvenel est celle d'une attaque du Piémont contre
la Vénétie ; que son but a été de faire connaître à la Russie les
conditions auxquelles, dans cette hypothèse, il serait possible à
la France : 1° de rester neutre ; 2° de travailler, dans un congrès,
au rétablissement d'un ordre normal et stable en Italie.
La franchise de Napoléon III et de Thouvenel ne provoque
aucune déception à Pétersbourg, où leurs explications ne dis-
sipent nullement la satisfaction produite parle mémorandum, et
c'est sous l'impression de cette satisfaction qu'Alexandre II et
Gortchakoff se mettent, quelques jours après, en route pour
Varsovie.
Leur attitude, au cours de l'entrevue, ne laisse aucun doute
sur la sincérité de leur adhésion aux vues de la France et de
leur renonciation à poursuivre en Italie une satisfaction moins
limitée que celle à laquelle Napoléon III s'est montré disposé.
L'Autriche est en effet venue à Varsovie avec l'intention bien
arrêtée de chercher à gagner la Russie par l'intérêt et par la
crainte : par l'intérêt, en se montrant favorable à l'abrogation
des clauses blessantes du traité de Paris ; par la crainte, en agi-
tant aux yeux des hommes d'état russes le spectre de la révolu-
tion. La Russie a écarté la première question, en déclarant
qu'elle ne voulait entraver par aucune considération person-
nelle l'œuvre de conciliation qu'elle avait entreprise. Sur la
seconde, elle a accepté la discussion et laissé Rechberg déve-
lopper ses arguments sur la Vénétie, la Hongrie, la Pologne, le
Rhin même et dévider l'écheveau de ses griefs contre la France.
A toutes ces sollicitations, Gortchakoff a opposé la même
réponse : « C'est une coalition que vous nous proposez et nous
n'en voulons pas, même sous la forme éventuelle sous laquelle
vous la présentez. » Et, retournant contre l'Autriche l'argument
sur lequel elle avait compté le plus pour détacher la Russie de
la France, il a continué : « Une coalition irait d'ailleurs contre
votre but ; elle jetterait l'empereur des Français dans les bras de
la révolution. L'Europe est malade, nous le voyons comme
vous ; mais nous croyons que votre remède hâterait la crise que
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 297
vous redoutez. Nous avons la profonde conviction que l'empe-
reur des Français est la seule individualité avec laquelle on
puisse espérer la sortir du chaos où elle menace de tomber » ' .
L'effet de ce langage sur Rechberg et François-Joseph a été
profond. Ils y ont vu le démenti le plus formel aux espérances
que leur avaient fait concevoir l'amélioration survenue dans les
dispositions d'Alexandre II, la facilité même avec laquelle il
avait accepté l'entrevue. Ils en ont éprouvé un vif désappointe-
ment. « Nous avons ôté à l'Autriche », disait Gortchakoff à
Montebello, « tout espoir d'un concours matériel de notre part,
et l'empereur a déclaré qu'il ne prendrait jamais les armes que
pour les intérêts de son Empire, dont il voulait être le juge. En
un mot, nous avons convaincu l'Autriche qu'elle devait déses-
pérer d'entraîner la Russie dans une coalition, et c'est là le
grand résultat de l'entrevue de Varsovie. Je n'espère pas que
nous ayons beaucoup modifié au fond les dispositions de cette
puissance, mais elle a emporté une cruelle déception »2. Et
Montebello définissait lui-même ainsi le résultat moral de l'en-
trevue : « Désormais, on saura qu'il faut renoncer à entraîner la
Russie dans une coalition contre la France. »
On pouvait en effet le savoir d'autant mieux qu'une entente
était apparue, entre la France et la Russie, sur la question qui
paraissait la plus susceptible de les diviser. Aussitôt après les
explications préliminaires, Alexandre II, non sans réclamer le
secret absolu, avait produit les idées contenues dans le mémo-
randum de Thouvenel. L'accueil fait par Rechberg et Hohen-
zollern3 à cette communication fut froid. Mieux vaudrait,
observa Rechberg, s'entendre sur les moyens de prévenir une
agression du Piémont contre la Vénétie que de s'en tenir à
raisonner sur cette hypothèse; les vues de Napoléon III pour-
raient servir de bases aux délibérations d'un congrès, sans
attendre l'éventualité prévue; en tout état de cause, au cas où
l'Autriche attaquée serait victorieuse , elle ne pouvait prendre
d'avance aucun engagement relativement à la Lombardie. Quelle
était, demanda Hohenzollern , la portée du mot abstention appli-
qué à l'Allemagne? Ce mot ne devait pas, à son avis, s'entendre
de mouvement de troupes à l'intérieur du territoire fédéral. En
tout cas, l'abstention de l'Allemagne cesserait si le territoire
1. Montebello, 3 novembre 1860.
2. Id., ibid.
3. Premier ministre prussien.
298 FRAiyçois-cnAiiLES roux.
fédéral était attaqué. Les réponses de Gortchakoff furent parfai-
tement conformes à l'esprit du document français. L'Autriche,
répliqua-t-il, était prévenue des conditions auxquelles la France
s'abstiendrait de soutenir le Piémont et il avait trop de confiance
en la sagesse de la cour de Vienne pour croire qu'elle franchi-
rait les limites au delà desquelles elle trouverait la France en
face d'elle. Quant à l'idée d'un congrès, il la jugeait préma-
turée, tout en se déclarant prêt à en accueillir la proposition,
si l'Autriche en prenait l'initiative. Il fut convenu que chacun
des deux ministres d'Autriche et de Prusse remettrait à Gort-
chakoff une lettre précisant sa pensée et celle de son souverain :
Pétersbourg serait l'intermédiaire des échanges de vues entre
Paris, Vienne et Berlin.
La mort de l'impératrice mère, en rappelant Alexandre II à
Pétersbourg, vint couper court à ces pourparlers. Le tsar reprit
le chemin de sa capitale sans s'être laissé entraîner au delà des
limites, encore très restreintes, qu'il avait fixées à son rappro-
chement avec Vienne. Son attitude, au dire de Montebello,
avait été réservée; celle de l'empereur d'Autriche, contrainte et
embarrassée. Entre le tsar et lui, François-Joseph avait senti
s'interposer des souvenirs que le temps n'avait pas complètement
effacés et surtout une tierce personne qu'Alexandre II tenait
beaucoup à ménager.
De retour à Pétersbourg, Gortchakoff communiqua à Monte-
bello les lettres des ministres de François-Joseph et de Frédéric-
Guillaume. Rechberg proposait de s'entendre pour prévenir une
attaque du Piémont contre la Vénétie et se déclarait prêt à par-
ticiper à toutes négociations ou congrès destinés à maintenir le
statu quo de Villafranca et de Zurich. Il refusait énergiquement
d'admettre pour l'Autriche, en cas de guerre, l'inégalité résul-
tant d'une garantie accordée au Piémont au sujet de la Lombar-
die et protestait non moins vigoureusement contre la prétention
d'imposer l'abstention à l'Allemagne. Plus conciliante de fond
et de forme, la lettre de Schleinitz ' reconnaissait que le mémo-
randum français renfermait les éléments d'une entente possible ;
demandait si la France prétendait interdire à l'Autriche de faire
de la Lombardie le théâtre d'opérations militaires; réclamait
pour l'Allemagne le droit d'assurer, par des mesures de précau-
tion, la sécurité du territoire fédéral; sollicitait des éclaircisse-
1, Ministre des Affaires étrangères de Prusse.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLÉON III. 299
ments sur le sort réservé, dans la reconstitution future de l'Italie
aux souverains dépossédés ; ergotait enfin sur la neutralisation
d'une partie de la Savoie.
De ces deux lettres, celle de Rechberg au moins faisait appa-
raître, entre les vues de l'Autriche et celles de la France, une
divergence initiale, une antinomie qui ne laissaient aucune
chance à une entente.
Entre Paris d'une part, Vienne et Berlin de l'autre, s'engage
cependant une négociation où la Russie joue le rôle d'intermé-
diaire, ou plutôt de personne interposée. Satisfaite, semble-t-il,
de l'importance et du prestige que lui donne ce rôle, elle s'y
renferme consciencieusement, sans rien faire pour entraîner
Napoléon au delà des limites qu'il a mises à ses propres conces-
sions. Le système préconisé par l'Autriche concorde pourtant
infiniment mieux que celui de la France avec les principes
qu'Alexandre II et Gortchakoff se sont efforcés de faire prévaloir,
avant la réception du mémorandum français. La convocation
immédiate d'un congrès destiné à prévenir une attaque du Pié-
mont contre la Vénétie et à évoquer sans délai toute la question
italienne devant l'Europe eût évidemment offert aux principes
conservateurs une revanche bien autrement éclatante et com-
plète que la garantie d'une neutralité et la perspective d'un con-
grès, subordonnés tous deux par la France à une condition
expresse : l'offensive du Piémont. Alexandre II et Gortchakoff ne
sont pas tellement inféodés à Napoléon III qu'ils ne s'en rendent
compte. Sans sortir de son rôle de personne interposée, Gortcha-
koff laisse cependant deviner sa préférence pour le système autri-
chien, en déclarant son adhésion acquise d'avance à toute pro-
position de congrès, d'où qu'elle émane. Mais à cette déclaration
se borne la manifestation de son sentiment, et encore l'atténue-
t-il en ajoutant qu'il ne prendra l'initiative d'aucune proposition
de ce genre.
Les observations de Rechberg et de Schleinitz provoquent
une réplique de Thouvenel, et cette réplique est pour lui l'occa-
sion d'accentuer son opposition à une intervention immédiate.
De cette opposition, il donne d'abord les raisons officielles : la
crainte de l'impression que produirait en Italie la convocation
d'un congrès impliquant une immixtion étrangère ; les difficul-
tés que rencontrerait l'accord des cabinets ; l'impossibilité pour
les puissances de se passer de l'adhésion de l'Angleterre et, pour
celle-ci, de revenir sur l'opinion émise. Mais à Montebello Thou-
300 FRANÇOIS-CHARLES ROUX.
venel donne aussi d'autres raisons et découvre le fond de sa
pensée :
La Krance est décidée à répudier toute solidarité dans les fautes de
l'Italie. D'un autre côté, il ne saurait lui convenir de s'aliéner les
sympathies d'une nation voisine en lui déniant d'une manière absolue
la faculté de se constituer à ses risques et périls sous une forme nou-
velle. L'Angleterre assurément n'adopterait jamais un pareil plan de
conduite et il ne serait conforme ni à nos intérêts ni même à ceux de
l'Europe d'abandonner la péninsule à une influence exclusive. Nous
ne saurions, enfin, dans nos déterminations ultérieures, faire abstrac-
tion des relations de commerce et de navigation que nous entretenons
avec la péninsule et les sacrifier à des principes qui ne seraient pas
suivis, dans une égale mesure, par toutes les puissances1.
Plus le langage de Thouvenel s'affranchit de réticences, plus
on aperçoit la divergence des mobiles auxquels obéit sa politique
avec les idées dont s'inspirait, au début de la crise italienne,
l'attitude d'Alexandre II et de Gortchakoff ; et plus cette diver-
gence s'affirme, plus on se rend compte de l'espèce de désiste-
ment auquel ont souscrit ces derniers.
La même conclusion se dégage de leur conduite en présence
de l'agonie de la monarchie napolitaine. En novembre 1860, le
gouvernement français leur communique les instructions don-
nées à l'amiral de Tinan, commandant l'escadre chargée de mettre
le blocus devant Gaëte. Bornant la mission de cette escadre
à empêcher l'attaque de la ville par mer, sans pouvoir inter-
venir contre les assaillants, ces instructions réduisent le rôle de
cette force navale à une démonstration platonique sans effi-
cacité possible. Aucune observation n'est faite, aucun vœu
n'est exprimé à Pétersbourg. Peu après arrive à la cour de
Russie le général Cutroflano, envoyé par le roi de Naples
auprès d'Alexandre II pour tenter une suprême démarche. Le
tsar le reçoit, malgré son grand deuil, lui prodigue les assu-
rances de sympathie, mais ne lui laisse aucune illusion quant à
l'espoir d'une assistance effective.
En même temps prend fin la négociation amorcée à Varsovie
sur les affaires d'Italie. La Prusse, la première, reconnaît l'im-
possibilité de réunir un congrès préventif. L'Autriche, après
une dernière tentative pour amener la France à séparer, en tout
cas, sa cause de celle du Piémont, abandonne aussi la partie et
1. Thouvenel, 3 décembre 1860.
LA RUSSIE ET LA POLITIQUE ITALIENNE DE NAPOLEON III. 301
le fait savoir à Paris. Au début de 1861, Thouvenel mande à
Pétersbourg qu'il considère comme épuisés pour le moment les
pourparlers engagés à A^arsovie.
Un revirement des plus sensibles s'est donc produit, dans
l'attitude d'Alexandre II et de Gortchakoff en présence de la
révolution italienne, à dater de la remise du mémorandum de
Thouvenel. Ce revirement prouve évidemment qu'ils ont subi, à
partir de ce moment, l'influence d'une considération étrangère
aux événements de la péninsule, et cette considération ne peut
être que l'intérêt d'une entente avec la France sur les affaires
d'Orient.
Doit-on en conclure que la crainte d'une révolution, ou bien
n'avait jamais exercé d'influence véritable sur leur esprit, ou
bien ne pouvait pas, à l'occasion, reprendre ascendant sur eux?
Montebello ne l'a pas pensé et s'est efforcé de mettre le gouver-
nement français en garde contre la fausseté et le danger d'une
telle conclusion. Rappelant ce que Gortchakoff avait ditàRech-
berg, que la Russie ne pourrait rester l'amie d'une France
révolutionnaire, il commentait ainsi cette déclaration :
Le prince Gortchakoff avait peut-être plus raison qu'il ne le pen-
sait lui-même ; car son esprit très libre, et que le culte des principes
n'enchaîne pas plus étroitement qu'il ne le faut, pourrait bien être
tenté de passer certaines bornes : mais la conscience de l'empereur
l'arrêterait sur la limite. C'est la résultante de ces deux forces, l'es-
prit libre du prince Gortchakoff et le cœur honnête de l'empereur
Alexandre, qui compose aujourd'hui la politique de la Russie1.
Cette politique subissait, d'ailleurs, l'empire de contingences
supérieures aux dispositions et aux tendances personnelles de
tel souverain ou de tel ministre, et ces contingences imposaient
aux complaisances de la Russie envers la Révolution une
limite au delà de laquelle Alexandre II et Gortchakoff devaient
nécessairement se retrouver d'accord. « L'Autriche », écrivait
Montebello, « a cherché à gagner la Russie par les intérêts et
par les principes : elle a échoué. Y réussira-t-elle? La réponse
à cette question est en Hongrie et en Pologne ».
François-Charles Roux.
1. Montebello, 17 novembre 1860.
MELANGES ET DOCUMENTS
LOUIS XIII ET SA MÈRE.
De divers recueils manuscrits de la Bibliothèque nationale, je me
propose de tirer prochainement une correspondance inédite de
Louis XIII avec sa mère Marie de Médicis et la reine Anne d'Au-
triche, à dater de l'époque où le meurtre de Concini lui fit prendre
en main la direction des affaires.
On me permettra ici de choisir, comme spécimens saillants et
plus importants pour l'histoire, quelques lettres écrites à Marie de
Médicis au temps où celle-ci, retirée à Angoulème après sa fuite de
Blois, obligea son fils à commencer la série de ses voyages à travers
le royaume qui favorisèrent son goût naturel pour le genre épisto-
laire. Deux périodes peuvent être distinguées dans cette correspon-
dance : 1° avant le traité d 'Angoulème (20 avril 1619) ratifié par
l'entrevue de Couzière et de Tours, septembre 16.19. C'est l'époque
des lettres de récriminations et de plaintes, des plaidoyers et des
réquisitoires, sauf, aux approches de la réconciliation, quelques billets
affectueux; 2° avant et après la paix des Ponts-de-Ce, qui suivit
(10 août 1620) la bataille livrée en ce lieu. Ici, ce sont des alterna-
tives de brouille et de réconciliation, les réclamations royales devenant
plus vives jusqu'à la rupture, après la lettre de plainte de la reine
mère, du 16 décembre 1619, sur les termes de la déclaration en faveur
du prince de Condé sorti de la Bastille, pour se changer, après
l'accord du 10 août 1620, en billets presque quotidiens écrits pendant
toute la durée de l'expédition de Béarn. En préface au texte de
Louis XIII, il convient de rappeler les dates et les phases princi-
pales des deux guerres engagées entre le roi et sa mère, guerres de
plume surtout et de manifestes, bien qu'il y ait eu aussi des escar-
mouches et du sang versé. Il faut aussi dire un mot du manuscrit
qui nous fournit ces lettres royales, longues rédactions bourrées
d'apologie et d'accablantes récriminations au temps de la brouille,
billets rapides et fréquents, d'une affectueuse insistance, un peu ten-
due et inquiète, après les traités de paix.
LOUIS XIII ET SA MERE.
303
Dans la nuit du 22 au 23 février 1619, Marie de Médicis quittait
Blois en fugitive et, aidée du duc d'Épernon, qui avait, malgré
le refus du roi, quitté son gouvernement de Metz pour favoriser
cette évasion, se retirait à Loches, puis à Angoulème.
De la première ville, elle écrivait, le 23 février, une lettre bientôt
imprimée et qui parut depuis au Mercure françois, pour déclarer
les raisons de sa retraite. Une seconde, que le Mercure n'a point
publiée, mais qui fut imprimée en 1673 dans une relation de la Négo-
ciation du comte de Béthune', fut écrite de Confolens, le 1er mars,
et le 10, d' Angoulème, une troisième que le Mercure appelle la
seconde lettre de la reine mère. La première réponse du roi ne partit
de Paris que le 12 mars, parue, elle aussi, au Mercure. Le comte
de Béthune et le P. de Bérulle avaient été envoyés pour négocier
un rapprochement, celui-là demeurant près de Marie de Médicis
jusqu'à la solution définitive, celui-ci faisant par trois fois la navette
entre le roi et sa mère. Le 8 avril, le cardinal de la Rochefoucauld
partait à son tour en ambassade avec des dispositions nouvelles et
les pourparlers duraient jusqu'au mois d'août. La paix d' Angoulème,
qui reconnaissait à la reine mère le gouvernement d'Angers, était
sanctionnée par l'entrevue à Oouzière et la réunion à Tours de la mère
et du fils après l'intervention de Richelieu, rappelé à cet effet de son
exil d'Avignon.
La paix une fois conclue, le roi revient à Paris, laissant sa mère
dans son nouvel apanage ; il ne cesse de la presser de reparaître à la
cour. Dans ses nombreux billets, l'affection se montre, mais aussi
l'inquiétude, car Marie de Médicis, qui se défie toujours de Luynes et
de Oondé, ne se hâte pas de céder à ces instances et un foyer d'in-
trigues rayonne autour de l'exilée volontaire. La déclaration pro-
mulguée en parlement pour réhabiliter Condé est l'occasion de
nouvelles plaintes et la série reprend des plaidoyers où le roi accuse
sa mère, ou mieux son entourage, déclarant que les agitations de la
Normandie, où Longueville a pris le parti de la reine mère, le forcent
de venir en armes. D'inutiles négociations conduites par le duc de
Bellegarde, l'archevêque de Sens, Du Perron et le président Jeannin
ne peuvent empêcher le conflit qui se dénoue aux Ponts-de-Oé, avec
intervention de Bérulle et de Richelieu. Après le traité, pendant
l'expédition de Béarn qui suit immédiatement le voyage du roi en
1. Négotiation commencée au mois de Mars de l'année M. DC XIX. arec
la reyne Marie de Médicis, Mère du Roy Louis XIII, qui avoit esté Régente
en France, Par Monsieur le comte de Béthune, Et continuée conjointement
avec Monsieur le cardinal de la Rochefoucault. A Paris, chez Antoine Vitré,
in-fol., 194 p., s. d., achevé d'imprimer le 29 nov. 1673.
304 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Bretagne, puis à Bordeaux, la correspondance redevient affectueuse
comme si la bonne entente n'avait été jamais obscurcie. Louis XIII
ne semble pouvoir passer un jour sans nouvelles de sa mère. Est-ce
affection pure ou souci trop naturel à un esprit soupçonneux, c'est
ce que permettra d'étudier le texte même des lettres royales.
Le recueil auquel nous les empruntons est le tome 98 des
Cinq Cents Colbert; c'est un registre relié après coup, où d'ailleurs
les dates se croisent et s'entremêlent; il a été écrit, d'un bout à
l'autre, de la main du même copiste qui a travaillé au registre de
Tronson (fr. 2127) que j'éditerai tout entier1. Mais les corrections et
additions nombreuses qui constellent les lettres les plus importantes
nous livrent le travail attentif du roi, par l'entremise d'un secrétaire
qu'il sera intéressant d'identifier2. Que Louis XIII ait dicté d'abord
1. La publication d'un manuscrit autographe de Tronson, conservé à la
bibliothèque Mazarine, combiné avec son quasi doublet, plus complet cepen-
dant en certaines parties, appartenant au fonds Béthune, de la Bibliothèque
nationale, figurera dans la collection de la Société des Bibliophiles françois
et est en ce moment en préparation. Cf. Documents d'histoire, juin 1910,
p. 196 à 208.
2. Ce pourrait bien être, sauf plus ample informé, Arnaud d'Andilly lui-
même qui aurait possédé cet étrange recueil, déconcertant en plus d'une de
ses parties, et dont une description sommaire n'est point ici superflue. Ce
volume in-folio, paginé, de 233 pages, est rempli, dans sa première partie jus-
qu'à la page 177, de 172 lettres, presque toutes adressées par Louis XIII à sa
mère, sauf la lettre de celle-ci contre la déclaration en faveur de Condé, plu-
sieurs du roi à ses sœurs Henriette et Chrétienne, une au moins à sa femme
Anne d'Autriche, une aussi à un particulier. Les annotations et corrections
sont d'une main certainement différente de celle du roi, bien qu'offrant une
grande similitude avec son écriture, et, qui plus est, son orthographe propre.
Quand même on n'en serait pas averti par l'annotation marginale qui figure à
côté d'une lettre où l'évêque de Luçon est nommé, note ainsi conçue : Cest
Euesque de luçon fust depuis ce grand cardinal de Richelieu renommé
dans son temps, il y en a une preuve plus décisive dans une des pages du
morceau qui suit les lettres. En effet, de la page 177 à la page 210 se trouve,
sans titre, le mémoire de Nicolas Vauquelin des Yveteaux, composé vers 1643,
peu de temps après la mort de Louis XIII. que Prosper Blanchemain avait
publié sur une copie, apparemment postérieure à la nôtre, laquelle offre des
divergences intéressantes. Or, une des phrases de ce mémoire est corrigée de
la main de notre collectionneur de lettres. Il est donc certain que l'annota-
teur, quel qu'il soit, a survécu à Louis XII 1. Par une conjecture qu'il ne m'est
pas loisible de développer maintenant, j'inclinerais à croire que Robert
Arnuuld d'Andilly, qui d'ailleurs à l'époque où furent rédigées ces lettres était
assez avant dans la confiance du souverain et nous a confié dans ses Mémoires
qu'il avait été à la veille de devenir secrétaire en titre, a eu en sa possession
ce recueil. Rien de surprenant d'ailleurs qu'il se soit procuré, s'il en a eu
communication, — et cela est vraisemblable, — le travail de Vauquelin, aussi
bien que le dernier mémoire qui clôt le manuscrit, lequel consiste dans les
LOUIS XIII ET SA MÈRE. 305
ou simplement indiqué dans les grandes lignes la teneur de la lettre,
dès qu'il s'agit surtout de ces plaidoyers par lesquels il veut réduire
sa mère et l'acculer dans ses torts, défendre surtout Luynes et ses
autres conseillers, mais plus encore revendiquer l'indépendance et
la responsabilité de ses actes contre la fiction qui le suppose pri-
sonnier de ses favoris, dans les corrections il insiste, modifie, atténue
ou renforce la pensée, ajoute, retranche, condamne les expressions
embarrassées ou emphatiques, bref, fait partout œuvre d'excellent
critique et, il le faut dire, de bon écrivain. La disposition typogra-
phique adoptée ici permettra de distinguer le texte primitif des
retouches et additions, les passages barrés étant enfermés entre
parenthèses et tous les mots ajoutés de la main royale imprimés en
italique'.
Les lettres, au manuscrit, sont assez souvent sans date; il a donc
fallu déterminer leur place, parfois par conjectures incertaines. Au
reste, notre but est ici surtout de fixer, grâce à des textes authen-
tiques, deux aspects de la physionomie de Louis XIII, son attitude
d'avocat passionné et militant lorsqu'il revendique, contre les
défiances de sa mère, la légitimité et l'entière responsabilité de sa
ligne de conduite et son rôle de fils respectueux et déférent. De toute
façon, il combat le grief capital de Marie de Médicis, qui déclare
l'esprit de son fils aliéné d'elle par « les personnes » auxquelles il a
donné sa confiance, lisez Luynes et ses frères. Révolté à l'idée qu'on
le puisse croire conduit et gouverné, lui si jaloux d'exercer par lui-
conseils adressés d'Amiens le 15 juin 1625 par Marie de Médicis à Henriette sa
fille, formellement attribués, dans le titre, au cardinal de Bérulle. Au reste,
l'intérêt des lettres du roi et de leurs corrections et compléments est indépen-
dant de l'hypothèse qui marquerait une part plus ou moins active prise par
Arnauld d'Andilly à ces missives. Même demeuré anonyme, l'auteur de cette
collection nous a conservé une série fort intéressante des lettres royales, dont
il est presque fâcheux de ne pouvoir présenter au public que des extraits et des
spécimens. Pour fournir quelque donnée au problème sur ce possesseur inconnu
du manuscrit, il faut noter que la dernière pièce annexée, de format différent,
est une lettre signée Étillard, curé d'Alluye, et adressée à M. de Ballesdens,
conseiller et aumônier du roi, prieur de Brie et de Saint-Germain d'Alluye,
demeurant rue du Collège des Chollets à Paris; c'est un billet d'affaires, daté
du 1er juillet 1634. Sur les plats du volume se lisent, de la main qui a fait les
corrections et additions : « Paul Cheurol, demeurant en la rue des Carmes »,
et, ailleurs : « Reg(?) del sig Marcello Vescovro de la bria a la coscia dritta. »
1. J'ai respecté strictement l'orthographe du correcteur; elle a ses particu-
larités très constantes, et il arrive qu'il modifie même à ce point de vue cer-
tains mots. Il écrit toujours : ausi, intherest, etc. Pour l'écriture du copiste,
tout en la reproduisant, j'ai transcrit ses i et u en j et v, pour éviter une
fatigue de lecture, et j'ai suppléé la ponctuation insuffisante.
Rev. Histor. CV. 2e fa.sc. 20
306 MELANGES ET DOCUMENTS.
même son métier de roi, Louis XIII défend les siens, mais, avec une
égale àprelé, il poursuit et accuse l'entourage de sa mère. Contre le
duc d'Epernon, que dans une instruction secrète, remise de sa
main, devant Luynes seul, au comte de Béthune, il a essayé de
« faire livrer », autorisant son envoyé à promettre les plus brillants
avantages à sa mère si elle veut l'abandonner et le désavouer, il
manifeste l'acharnement le plus passionné. Après la paix d'Angou-
lême, aux approches de la guerre des Ponts-de-Cé, ce seront d'autres
conseillers qui, par ambition, se serviront du nom de la reine, et
l'animosité sera la même. De part et d'autre, avec un système suivi,
les interlocuteurs se supposent mutuellement aveuglés ou captifs, et
ce n'est pas le moindre intérêt de ces débats que de surprendre leur
état d'esprit à cet égard.
Il faudrait, pour éclairer pleinement les « répliques » de
Louis XIII, reproduire non seulement les quatre lettres de Marie
de Médicis parues au Mercure françois (23 février, 10 mars, 4 et
11 avril 1619), mais encore celle des 1er et 28 mars1 et aussi le
manifeste sans date qui courut avec la signature de Marie de Médicis,
dont Béthune obtint le désaveu et que flétrit Louis XIII dans sa
lettre du 8 avril. Ces pièces ayant été imprimées dans la Négociation
de Béthune, on y peut renvoyer les historiens et je ne donnerai ici
que la lettre de la reine du 16 décembre 1619, d'autant qu'elle a été
corrigée dans notre manuscrit.
Aussi bien, suffit-il à notre dessein de mettre en regard, selon
leurs dates successives, les longs plaidoyers rédigés ou retouchés
par le roi au temps des brouilles et les courts billets quotidiens
envoyés par lui à sa mère après les réconciliations. Ces alternatives
sont éloquentes. Bornons-nous donc au texte, sobrement annoté,
des lettres inédites de Louis XIII à Marie de Médicis.
Notre manuscrit, ou du moins des recueils fort semblables, a été
connu d'un des meilleurs historiens de Louis XIII, le continuateur
du P. Daniel, le P. Grifîet. Quelques pages de son histoire, à cause
des références qu'on y trouve annexées, méritent dêtre signalées à
cet égard. Peut-être quelque doublet du registre même qui forme
aujourd'hui le tome 98 des Cinq Cents Colbert fut-il autrefois
laissé par Louis Tronson avec les manuscrits dont son fils, le supé-
rieur du séminaire de Saint-Sulpice, enrichit sa bibliothèque. Le
recueil autographe, aujourd'hui possédé par la bibliothèque Mazarine,
1. J'ai reproduit quelques-unes des lettres de Marie de Médicis dans un
article sur le P. Suffren, son confesseur. Voir Revue du monde ancien et
moderne, 15 mai 1910.
LODIS XIII ET SA MÈRE. 307
comprenant un choix de lettres du roi, parmi lesquelles un certain
nombre adressées à sa mère, n'explique qu'en partie les références
fournies par le P. Griffet dans son histoire de Louis XIII. On n'y
rencontre rien qui réponde au signalement donné dans cette note
marginale, placée en regard du récit des premiers pourparlers
engagés avec la fugitive de Blois réfugiée à Angoulème : Diverses
lettres du roi et de la, reine mère dans les manuscrits du sémi-
naire de Saint-Sulpice.
« Le fils et la mère » , dit l'historien, « s'écrivaient l'un à l'autre des
lettres pleines de reproches, dans lesquelles ils s'accusaient mutuel-
lement de suivre de mauvais conseils... Marie de Médicis présenta
un long mémoire où elle exposait ses griefs1; il contenait des
plaintes amères contre le gouvernement et des invectives contre
Luynes et ses frères aussi violentes et aussi peu mesurées que
toutes celles qu'on avait publiées contre le maréchal d'Ancre2. »
Griiïret renvoie également à la même source pour la période qui
suivit l'entrevue de Couzière. Après avoir mentionné la réception
solennelle de la reine mère au siège de son nouveau gouvernement,
le 16 octobre 1619, il poursuit : « Elle parut alors réconciliée avec
le roi qui lui écrivait souvent pour lui demander des nouvelles de sa
santé et pour lui donner des siennes. » Et la référence marginale est
ainsi conçue : « Diverses lettres du roi et de la reine mère dans les
manuscrits du séminaire de Saint-Sulpice3. »
Au reste, connue ou non, notre source n'a pas été exploitée comme
elle le mérite, et il convient de donner au public un bon nombre
des inédits qu'on y a laissés.
E. Griselle.
1. Le « mémoire » en question ici est-il une des lettres de la reine publiées
par le Mercure et par le récit de la mission diplomatique de Béthune, ou le
manifeste, qui courut sous la signature de Marie de Médicis, qu'elle désavoua,
et dont il sera question plus bas dans la lettre de Louis XIII du 8 mai? En
tout cas, il faut admettre que si les lettres de réconciliation et d'amitié se
retrouvent, à la rigueur, dans le recueil antographe de Tronson ou dans le
registre conservé à la Bibliothèque nationale (fr. 3722), il faut admettre, pour
les lettres de plaintes et les longues apologies du roi, qu'une autre source
assez conforme à notre 98 des Colbert était conservée à la bibliothèque de
Saint-Sulpice au temps où le continuateur du P. Daniel y préparait son
ouvrage.
2. Histoire de France, t. XIII (1610-1630). Paris, 1756, p. 247.
3. Ibid., p. 251. Les autres citations de Grifiet que nous aurons occasion de
faire, au commencement de la seconde partie, à propos des plaintes suscitées
par le manifeste en faveur de Condé, témoigneront que cet historien a tiré
bon parti de ses recherches dans la bibliothèque de Saint-Sulpice, certaine-
ment alors très riche en documents sur cette époque, grâce à Tronson.
308 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
I.
[Paris, vers le 27 mars 1619.]
M[adame],
Voz dernières lettres1 me tesmoignent comme les premières qu'il
n'est plus en vostre puissance de m'escrire les vrais sentimens de
vostre ame touchant le gouvernement de mon Estât. Vous sçavez
qu'on ne le peut accuser que le blasme n'en retombe principalement
sur moy. C'est pourquoy je ne doibs point croire que vous me vou-
lussiez oster la gloire de mon reigne en me donnant la réputation de
n'agir que par les mouvemens d'autruy. On ne s'est point contenté
d'avoir tasché de vous imprimer une mauvaise croyance de mes
affaires. On s'efforce mesme de vous donner des appréhensions de
mes armes, comme s'il estoit croyable que je les voulusse tourner
contre vous. Mais, bien que la qualité de roy me dispense de rendre
compte de mes actions à autre qu'à Dieu, je veux bien neantmoins
que tout le monde sçache que ma resolution est de ne les employer
que pour maintenir mon aucthorité et la tranquilité publique de mon
royaume et empescher tous les mouvemens qui la pourroient troubler
à la ruine et désolation de mon peuple, comme aussy pour m'oposer
aux pernicieux desseins de ceux qui soubs vostre nom ont levé des
gens de guerre tant dehors que dans le royaume ; ce que je n'eusse
jamais creu si je n'avois veu les lettres que l'on vous a faict escrire
tant sur ce subject que pour donner mauvaise impression de l'admi-
nistration de mes affaires à plusieurs princes et autres de mes subjeets
que estrangers2 qui n'y ont adjousté foy. La cognoissance que les
perturbateurs du repos public ont tousjours eue de l'affection et de
l'honneur que je vous porte leur faict espérer que ma clémence par-
donnera indifféremment tous les attentats qu'ils veullent faire soubz
vostre nom contre mon auctorité. Mais je sçauray tousjours distin-
guer vostre interrest d'avec le leur, n'ayant autre resolution que de
vous aymer et honorer comme ma mère et de les punir comme
subjeets rebelles et ennemys de mon Estât. La nature m'attache si
puissamment à tout ce qui regarde vostre bien et vostre mal que je
suis tenu d'employer pour vostre délivrance tout le pouvoir que Dieu
m'a donné. Ceux qui approchent de ma personne ont tant de tesmoi-
1. Celles du 1er mars ou du 20 probablement, car c'est sans doute à la lettre
du 23 février que répondait la lettre du 12 mars confiée par le roi à Béthune.
Celle-ci, quel qu'en soit le messager, semble avoir été remise vers le 27 mars ;
la reine y aurait répondu aussitôt par celle du 28 publiée au Mercure.
2. D'après une réponse de la reine au duc de Nemours, du 28 mars, il semble
bien avoir fait meilleur accueil que les autres aux sollicitations dont Béthune
a cité des spécimens dans sa Négociation. Cf. Marie de Médicis et le P. Siif"
fren en 1619.
LOUIS XIII ET SA MÈRE. 309
gnages du respect que j'ay tousjours eu en vostre endroict que vous
devez croire qu'ilz sont désireux de vostre bien et contentement par la
mesme raison qu'ilz sont affectionnez à tout ce qui est de mon ser-
vice. Ceux qu'ilz m'ont rendus et continuent de me rendre sont si
signalez qu'ilz m'obligent de les maintenir et protéger avec raison et
justice1. Asseurez vous, Madame, qu'il n'y a bomme si hardy que
d'entreprendre de me faire aucune proposition contre l'honneur et le
respect qui vous est deub. Si d'aventure vous pensez qu'il y ait quelque
chose à désirer en un royaume où la justice et la paix ont egallement
fleury depuis que j'en ay pris le soing, vous me pourrez dire quand
vous voudrez ce que vous en croyez en vostre ame sans en faire esclat-
ter les plainctes en public. Outre que cette forme seroit contre mon
intention, elle feroit sinistrement juger de la vostre, parce que ceste
voye n'a jamais esté pratiquée que par ceux qui ont le plus (sic)
désiré de descrier le gouvernement que d'en procurer la reformation.
Je vous ay mandé par mes dernières lettres2 et vous ay faict entendre
par le sieur de Bethune que vous pouviez choisir telle qu'il vous plaira
de voz maisons ou des miennes pour y vivre avec une entière liberté,
tellement qu'il ne tiendra qu'à vous que vous ne soyez heureuse.
Aydez seulement à mon bon naturel par une vraye correspondance de
volonté et me faictes parroistre des tesmoignages aussy dignes d'une
bonne mère que ceux que vous recepvrez de moy seront dignes d'un
bon filz. Je prie Dieu, Madame, qu'il vous en face la grâce et que vous
me croyez autant que je suis v[ostre], etc.3.
II.
[Saint-Germain-en-Laye, 8 avril 1619.]
Madame,
Je [mot barré illisible] serois touché d'une sensible douleur si je
croyois que voz deux dernières lettres4 fussent aussy bien parties de
1. Cette déclaration en faveur de Luynes est formelle et ne devait pas laisser
d'illusion à Marie de Médicis sur l'inefficacité de ses plaintes à cet égard.
2. Cf. au Mercure la lettre du 12 mars.
3. Cinq Cents Colbert 98, p. 5-8. Cette lettre est la seconde du manuscrit et
vient après celle du 12 mars, reproduite aussi sans rature et conforme au texte
du Mercure. Elle est numérotée 2. Cette numérotation n'est pas continuée
et les autres lettres sont mises bout à bout sans aucun chiffre. Celle qui
vient ensuite commençait par Madame, vous aymant et trouvant (fol. 8 v°
à 15). Celle du Mercure, p. 180-185, la seconde du roi à sa mère, porte au
manuscrit sa date du 23 avril 1619. Elle aussi est sans rature aucune. Au reste,
la place dans le manuscrit n'est pas toujours une garantie infaillible pour
les dates. Ainsi on y trouve, p. 40 et 41, la lettre écrite d'Amboise le 17 juil-
let, placée avant d'autres bien antérieures à cet instant des négociations.
4. Apparemment celles du 28 mars (publiée dans Négociation) et du 4 avril,
parue au Mercure.
310 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
vostre cœur comme de vostre main. Mais, cognoissant l'artiffice et le
dessein de ceux qui vous (possèdent)1 approchent et vostre facillité,
pardonnez moy, Madame, si je dis trop grande à vous laisser per-
suader (à ceux qui vous approchent) en recevant les impressions
qu'ils vous donnent, je reçois donc comme d'eulx et non comme de
vous ce qui (offense) blesse (si grandement) tellement esgallement
mon honneur, et le vostre par conséquent, sur le subjet dont il
s'agict. C'est, Madame, la meffiance dont toutes voz lettres sont
plaines, laquelle vous publiez par tout. C'est la craincte que vous
dictes que vous avez de mes armes qui estouffe?it votre voix et vous
empesche de remonstrer ce qui est du bien de mon Estât et de la gloire
de mon règne. Sy je vous ay donné juste subject de meffiance, je ne
veux point d'autre juge que (moy) vous. Je me déclare et devant
Dieu et devant les hommes grandement coupable. Si vous dictes que
ce sont d'autres qui sont auprès de moy qui le font contre mon gré.
vous me reprochez beaucoup de foiblesse de (ne les pouvoir empes-
cher) le pouvoir souffrir et à eux qui ne subsistent que par (ma
faveur) ma seule auctoritê beaucoup d'imprudence et de témérité
tout ensemble de faire une chose qui m'est désagréable et préjudi-
ciable en mesme temps à ma réputation. Si vous la prenez avec
fondement ou la feignez sans subject, Madame, vous me faictes (beau-
coup de) grand tort. Mais vous vous en faictes bien davantage, car
ceux qui en jugeront plus favorablement diminueront sans doute
(quelque chose) de l'estime qu'on a eu cidevant de vostre (prudence)
prudente et sage conduitte dans les affaires les plus importantes
de cest estât, et ceux qui en (jugent) jugeront plus librement (soub-
çonnent) soubçonneront que vous ayez quelque chose sur vostre cons-
cience qui vous empesche de vous confiez en moy comme vous devez
(en moy), ce que je sçay toutefois dans la miene n'estre (point; mais)
en aucune façon : car, Madame, depuis (que) le temps (qu'est né)
que le subject de ceste mesfiance a jiris naissance dans vostre
esprit, vous n'avez (esté) laissé, vingt deux mois (despuis vostre des-
part) (après) durant que vous estes partie de la court, de me (solli-
citant) solliciter continuellement avec presse (affin que je ne die point
davantage) et instance de trouver bon vostre retour près de moy et
de voz autres enfans2. Vous (ne trouviez) ne (pensies) croyez lors
rien de dur (en) en lestât de vostre fortune que vostre esloignement
de ma personne et je ne differois ausi vostre retour que pour vous le
rendre plus doux et plus utile au repos de mon Estât, quand le temps
auroit rendu les esprits de beaucoup de grandz de mon royaume qui
(crioient que vous aviez procurés leur ruyne) se plaignoient des mau-
1. Les mots enfermés entre parenthèses sont ceux qu'on déchiffre sous les
ratures au manuscrit. On a imprimé en italique les corrections et surcharges
qui les remplacent.
2. J'ai publié dans Documents iïhistoire [février 1910, p. 40-41) l'instruction
rédigée pour Cadenet, chargé d'opposer un refus à l'une de ces demandes.
LOUIS XIII ET SA MÈRE. 311
vais traittemens receus pendant l'authorité de votre gouverne-
ment, plus disposez à vous rendre l'honneur et le respect (qui se
doibvent et que je desirois) que justement ils (vous) doibvent à vostre
persone et à vostre qualité nonobstant tous les mescontentemens
qu'ils pourvoient alléguer. Quand le temps en est venu, Madame, que
toutes choses ont esté (bien) mieux disposées pour ce regard et que
je vous ay faict sçavoir que (j'allois vers vous) volontiers j'irois vous
trouver pour recevoir de vostre bouche les advis que vous aviés
à me donner, vous vous estes retirée et esloignée de moy. Je ne veux
point dire ni alléguer (comment) ny par (la souvenance) le souvenir
vous en augmenter le regret (Madame). Quel peut estre le subject de
vostre meffiance, Madame? Il y a près de six semaines1 que je tiens
le sieur comte de Bethune près de vous, persone de grande probité
que vous m'avés mandé vous estre fort agréable pour l'apprendre,
et vous n'avez jusqu'au jourd'huy en façon quelconque voulu m'en
esclaircir par lui comme vous me l'aviés fait espérer. Celuy qui ne
veut pas descouvrir sa playe n'en veut pas guérir. Ausi, Madame, plus
(anxieux) soigneus et jalous de vostre bien et de vostre repos que
vous mesme, je recherche ce que vous ne voulez pas (indiquer) me
faire cognoistre (mais je confesse que je ne le puis trouver) si vous
(devez) deviez avoir quelque defïiance et quelque craincte s'estoit
(quand) lorsque vous partîtes de la courf2que la mémoire des injures
que beaucoup de gens (vous) imputoient à vostre authorité estoit
(fraiche) encore récente et l'aversion, pour ne pas dire la haine,
quasi publique (telle que vous sçavez). Je couvrois tout cela de mon
auctorité et vous donné le choix de mes maisons pour avec tous les
grandz biens et commoditez que vous (aviez) aués y vivre en seureté
et en repos jusques à ce que les affaires de mon Estât me permissent
de vous revoir. Vous y avez demeuré avec tout pouvoir (et auctorité)
n'ayant autre, force auprès de (vous) vostre persone que vos propres
gardes. Je vous y faict (annuellement) très souvent visitter par les
principaux seigneurs et dames (qui estoient près de moy) de (ma) la
court et ay eu outre cela un soing particulier de vous faire traitter
favorablement en toutes vos affaires (particulier). J'ay dissimulé
beaucoup de choses faictes contre moy et mon Estât par plusieurs
personnes qui vouloient faire croire qu'ils le faisoient par vostre par-
ticipation et pour Vintherest de vostre service. Je vous en ay (tout
faict communiquer) faict tout le détail (des affaires) confidemment
et vous ay assuré que je n'avois jamais creu que vous eussiez pris
aucune part à leur mauvais desseins, ny mesme que vous en eussiez
rien sceu. Quoy donque? Quelle peut estre la cause qu'après avoir
1. Béthune, envoyé de Paris le 12 mars, arrivait à Angouléme dix jours après.
Ses dépêches au roi racontant sa première entrevue sont du 22 mars, voir
Négociation, p. 41.
2. Ainsi le correcteur, qui use de l'orthographe court et non cour, corrige
le texte du scribe, même dans ces détails.
312 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
tant désiré de me voir, quand je suis près d'aller vers vous, vous vous
esloignez de moy? Certainement je ne la puis comprendre ny seulle-
ment (veoir) de m'appercevoir que vostre retraicte se faict précisé-
ment lors {quelques) tous les malcontents (en) de mon royaume
publient qu'ilz y veulent mettre le feu, qu'ilz n'attendent qu'un chef
et que vous estiez retirée (avec des personnes) dans le gouvernement
d'une personne qui m'avoi(en)t (tout fraischement) tesmoigné (leur)
sa désobéissance et faisoi(en)t (agir) esclatter par tout (leur) son mes-
contentement1 [et particulièrement). Je vois bien que vous publiez
en vous retirant que c'est affin de pourveoir en liberté par l'advis des
grandz du royaume et (de dehors d'iceluy) des estrangers aus
desordres qui y sont et me remonstrer ce qui est du bien de mon
Estât (de la) pour sa reformation (d'iceluy) et (de) pour la gloire de
mon règne. Madame, n'avez vous point en vingt deux mois de sesjour
à Blois eu le loisir de me faire entendre ce qui m'est si nécessaire?
M'avez vous si longtemps (tu) voulu taire ce qui m'est si salutaire?
Suis je si mal (né) nai que je me deusse offenser de ce qu'une mère
m'eust remonstré pour mon bien et mon aventage (et vous, Madame,
avec vostre conseil, avez vous si peu de prudence et d'adresse de ne
pouvoir dire une chose si veue sans me donner subject d'offense). Je
vous presse (tout) tous les jours par le sieur comte de Bethunes de
me faire sçavoir ce qu'il vous plaist (de) que je sache par lui ou si
vous voulés vous résoudre (et) à me le dire vous mesme soit pour
le public soit pour (le) vostre particulier. Vous ne parlez point, et au
lieu de cela on ne voit que lettres et courriers qui vont (à) en vostre
nom par touttes mes provinces chercher (des) les malcontents, essayer
d'en faire de nouveaux et les reunyr avec vous pour porter voz
plainctes. Est ce de ces gens la que je doibs attendre de salutaires
conseilz? Madame, ne vous souvenez vous pas que ceste prétendue
reformation d'Estat a esté le toxain qui a excité deux fois la rébellion
et désolé mon royaume pendant vostre régence et ne sçavez vous pas
en vostre conscience que mon Estât ne fut jamais si heureux ny si
glorieux pour estre sorty fraîchement de tant de miserres qu'il estoit
au moment que vous estes sortie de Blois et que vostre retraitte en
un lieu suspect a commencé d'altérer les espris? Mais, Madame,
si vous avez quelque chose si salutaire à dire, parlez et ne me laissez
plus languir (et tout mon royaume faira de voz sages conseilz), je vous
asseure que j'aurai voz conseils très agréables s'ils se trouvent
bons et que je ferai) en m'en servant que tout mon royaume s'en
prévaudra (je vous asseure que je les auray très agréables). S'il y a
quelque chose meslé de la passion (d'autres) d'aufrui, je le dissimu-
leray et (du bon) tout de bon je ne vous en sçauray (le gré que je
1. Louis XIII tient à désigner clairement Épernon et à ne pas l'englober dans
la formule collective. La désobéissance qu'il avait fraîchement témoignée était
sa lettre du Pont-de-Vichy, 7 février 1619, rédigée par Balzac, et déclarant
que, malgré le refus royal, il quittait son gouvernement de Metz.
LOUIS XIII ET SA MÈRE. 313
doibs) point mauvais gré puis que je cognoistrai clairement que
vous agirés avec un esprit de preocupation, et que ce ne seront
point vos sentimens naturels. Je souffre bien sans m'offencer
(l'extrait de voz) vos plainctes (qui se publient) par escript en forme
de manifeste qui courent par tout, plaines (de faulsetez) d'inven-
tions et de calomnies et sur tout contre ceus qui m'approchent
(et veus bien me contenter de ce) il suffit, Madame, pour me con-
tenter à cest esgard, que vous auez dit pour me le faire savoir à
M. de Bethune ou autre que vous les desadvoue/A Je cognois bien
la desordonnée licence qui est en l'esprit de beaucoup de mes subjects
et, comme bon père et plus que comme roy, je m'y rends indulgent
(et laisse) et (attens) attendrai avec le plus [de] douceur et de bonté
leur changement et repentir, laissant meurir leurs mauvaises
humeurs, plustost que de venir (au) a un chastiment exemplaire.
Mais, Madame, je ne puis supporter daventage en vérité vostre
(lettre) manière d'agir que je vois servir de prétexte à tant de mau-
vais (et rebels) subjets (et [mots illisibles] calamité publique). Mes
armées, dictes vous, vous empeschent de pouvoir m'envoier en seu-
reté des advis importans à mon Estât et (vous ne parlez) que vous
ne parlerez point que je ne cesse mes levées. Et quoy, Madame, voilà
des (armées toutes entières) troupes considérables qui sortent d'au-
près de vous, comme si elles y avoient esté mises de longtemps en
reserve et (couler) mener le canon pour aller battre mes places
et opprimer mes plus fidelles serviteurs (par toutes) dans mes
provinces; on distribue des deniers, on erre (sic) (les) des hommes
jusques dans Paris en ma présence et vous me faictes vous mesme
entendre qu'il y en a bien d'autres qui se joindront avec vous. (Soubz
vostre nom), on donne des commissions soubs vostre nom (comme
reyne de France), on faict des ordonnances, on prenf mes deniers en
mes receptes, tout cela se fait en qualité de roine de France, ma
mère, quoique pour tant je sache bien que cette qualité ne donne
ni ces prérogatives ni ces aventages, et vous demandez, Madame,
que je desarme, affin que vous (parliez) puissiez parier en liberté
(Madame), ne permettez point qu'à l'injure qu'on me faict qu'on en
adjouste une seconde, que ceux qui (en temps) tout aultayit qu'ils
peuvent (me despouillent de) entreprenent sur mon Estât me (fassent
croire que je n'en sens rien) veulent persuader qu'ils ne le font
pas. Je leur feray bien (parroistre) que je ne sçai que trop le con-
traire. A Dieu ne plaise que jamais mes armes soient tournées contre
vous, je les tournerois plustost contre moy mesme, et quelque (mal)
préjudice que je puisse recepvoir de vous et d'autres mesmes à
vostre occasion, pour l'intherest de mon service, je ne perdray
jamais le respect que je vous doibs et la volonté de vous honorer
et servir. Mais je sçauray bien distinguer vostre personne de la leur
1. Ce Manifeste désavoué a été publié dans la Négociation de Béthune,
p. 112 à 116.
314 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
et séparer leur interrests (sic) des vostres. Hz se plaignent, c'est
a dire ilz vous font plaindre pour eux de ce qui est arrivé à Usarche
et à Boulogne1, et disent que cela est au préjudice de vostre seu-
reté. Je n'ay point encores apris que ces places là y ayent esté
destinées. Hz vous véullent donc faire prendre pour offence et rup-
ture de traicté de ce que les habitans d'Usarche, pour esviter l'op-
pression d'une garnison qui leur a esté donnée contre ma volonté, se
soient mis en defîence et, après avoir esté ofîencez par ceux de la gar-
nison, se soient jettez entre mes bras et du sieur comte de Schomberg,
a qui j'ay donné charge expresse de les protéger en mon nom. Ils
vous font faire ausi la. mesme plaincte (de mesme) de ce que les habi-
tans de Boulogne, voyans qu'on vouloit, sans (mes) mon commande-
ment, introduire des forces de dehors dans leur ville, se sont mis en
debvoir de l'empescher et ont remis leur ville entre mes mains. Je ne
sçay (de quelle condition ilz croyent que je sois devenu que je ne
puisse plus ny) pas s'ils ont peu s'imaginer que je manquois de
(pouvoir) puissance pour protéger mes subjects (ny) et pourveoir à
la seureté de mes villes, et qu'au contraire mes subjects et mes offi-
ciers puissent (user) se servir de mes forces et de mes places contre
(mon service) l'intherest de mon Estât à leur volonté. Je ne trouve
pas, Madame, si estrange qu'ilz en usent ainsy comme je fais que vous
l'approuviez et leur prestiez vostre nom et jugiez vostre seureté dimi-
nuée quand mes subjects les remettent en mon obéissance. Madame,
je vous conjure par vous mesme, par le nom de la reyne que vous
portez, par celuy de mère que vous prenez en m'escrivant, de revenir
un peu à vous, de songer à ce que vous faictes et considérer quel (sic)
en peut estre la fin. On veut se servir de vostre nom et emprunter
vostre main pour porter le flambeau (et embrazer tout ce royaume du
feu) d'une guerre civille dans (ce royaume) cest Estât. Sy une femme
le faisoit en un royaume estranger, encores seroist(ce) e^e blasmable.
Si une mère le fait au royaume2 et en l'héritage de ses enfans, quel
jugement en fera le siècle présent (et que la prospérité)3 et ceus de
l'advenir mesmes de vous qui avez desja veue par plusieurs fois avec
horreur et avec compassion les prodiges de calamitez et misères que
trainent avec soy les guerres civilles. Prenez donc conseil avec Dieu,
avec la nature, avec vostre honneur et prudence. Quel efïect sem-
blable à tant de belles parolles dont vos lettres sont plaines qui
1. Pour les incidents de la prise d'Usarche défendue pour le compte du duo
d'Épernon et par suite de Marie de Médicis et prise par le comte de Schom-
berg pour le roi, je renvoie à mon livre : Sous Louis XIII et Richelieu,
p. 351 et suiv. Quant à l'affaire de Boulogne remise en l'obéissance du roi,
malgré le lieutenant qui la voulait garder pour Épernon, la relation officielle
qu'envoya le roi à sa mère par l'entremise du cardinal de la Rochefoucault a
été publiée dans Négociation, p. 140.
2. Les mots au royaume sont fortement soulignés par le correcteur.
3. C'est probablement un lapsus du scribe recopiant ou prenant à la dictée
de travers les mots et la postérité mesmes.
LOUIS XIII ET SA MÈRE. 315
semblent ne (respirent) respire?' crue le bon heur de l'Estat et la gloire
de mon règne, mais il se trouve directement opposé aux actions de
ceux qui se servent de vostre nom et de vostre auctorité. Pour moy,
Madame, la guerre ne me faict point (peur) de peine et ne m'in-
quiette pas. L'exercice des armes est non seulement convenable à
mon aage, mais agréable à mon humeur. Quand je ne la trouveray
point près de moy je l'iray chercher au loing et croy fermement que
(la multitude) le grand nombre de mes ennemis ne (sera qu'accrois-
sement et matière) servira que de matière et d'accroissement à ma
gloire. Certainement il semble (davantage) de plus, Madame, que Dieu
veuille restablir l'auctorité royalle en mon Estât par la rébellion de mes
mauvais subjects {et je deverois (sic) dois plus) ne la pouvant (plus
estre) ni devant plus supporter que par le chastièment (sic) de ceux
qui ont perdu le respect et la foy qu'ilz doibvent à la Majesté de leur
prince, et toutesfois songeant que je suis autant leur père (comme)
que leur roy et que ceux qu'il me faut chastier sont autant mes
enfans que mes subjects, je prends ausi à regret la verge de fer à la
main et la leur veus montrer avant que de les frapper, afin de les
ramener doucement et charitablement à leur devoir et à mon obéis-
sance. Pour vous, Madame, je n'auray jamais d'armes pour vous mal
faire en quelque lieu, estât et condition que vous soyez, et, quelque
traictement que vous me faciez, mes armes ne serviront qu'à vous
asseurer et vous defîendre, et si jamais ils estoient employées (sic) en
sorte qu'on peust dire l'estre contre vous, ce sera seulement pour
vous empescher de vous perdre et vous délivrer de la malheureuse
servitude (d'autres) d'autruï ou vous estes malheureusement tom-
bée. Je vous (l'ay) ai faict dire, Madame. Je vous le répète encore
que je veux et entends que vous ayez plaine et entière seureté, tout
honneur, respect et auctorité en quelque lieu qu'il vous plaira d'aller
par tout mon royaume, sans nul excepter. Je vous la donne devant
Dieu, devant tous les roys de la terre, devant tous mes peuples que
j'appelle à tesmoing de l'office et protestation que je vous en fais,
que je ne pourrois violer sans me rendre coupable et odieux à
Dieu et aux hommes. Que sy, outre cela, pour guérir vostre esprit
malade de cette à la vérité misérable deffiance, vous desirez quelque
place pour vostre seureté, laquelle toutesfois vous ne trouverez
jamais ny honnorable pour vous ny qui vous satisface entièrement
qu'en mon amitié et filialle bien veillance, mon cousin le cardinal de
la Rochefoucault, que j'ai envoie de nouveau vous trouver, et le
sieur comte de Bethune, en l'affection et fidélité desquels j'ai entière
confiance, vous auront faictz entendre ce que j'accorde pour vostre
contentement. Ayméz moy, Madame, aussy chèrement que je vous
ayme et me croyez, je vous supplie, et vous esviterez (un goulfre de
misère et calamité) beaucoup de desplaisirs, de malheurs où ceux
qui font semblant de flatter vostre passion ont dessein de vous plonger1.
1. Cinq Cents Colbert 98, p. 21 à 33. Au tome 97, fol. 191 à 197, une copie
316 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
III.
[Après le 8 avril 1619.]
Madame,
Il seroit à désirer que vous fussiez autant esloignée du desseing de
vous plaindre de mes deportemens que je le suis de la volonté de vous
en donner aucun subject. Mais ce m'est une peine très grande que
(de Testât où vous estes vous rendez à présent) dans l'assiette ou
est apresent vostre esprit vous interprétez quasi toutes choses en
mauvaise(s) part. Je tesmoigne (à ce qui vient) à ceu.s qui mènent
de vostre part la douceur qui m'est possible.
Cependant, vous ne laissés de me faire voir (tousjours des) la con-
tinuation des impressions que l'on vous donne par le jugement que
vous faictes de mes actions. Vous dictes, Madame, crue je me tiens
importuné de voz lettres. Il semble en cela que l'on vous faict recher-
cher plutost ung prétexte de vous plaindre que (des) les considérations
véritables que vous avez de vous contenter de tout ce qui vient de
moy ainsy que particulièrement je me suis efforcé de faire par les
responces que j'ay rendues à (toutes) voz lettres, puis que donc vous
n'avez aucun subject de faire (les) ces plainctes, il faut que j'en accuse
(le lieu où vous estes) les persones qui vous approchent qui vous
(faict) font sans doute interpréter tout autremens ce que je fais pour
le mieux et changer mesme les resolutions que le sieur comte de
Bethune vous avoit fait prendre si sagement lors qu'il vous fist
entendre mes justes intentions avec la C07ifiance dont je m'estois
expliqué à lui en partant d'auprès de moi, comme je le recognois
par ce que vous (me dittes en) m'escrivés par vostre lettre que les
parolles que le sieur de Bethunes vous a portéss de ma part vous
avoient données beaucoup de satisfaction et de (la) confiance1. J'ay
creu l'augmenter (encore) davantage vous envoyant en suitte mon
cousin le cardinal de la Rochefoucault, que vous aurez maintenant
veu et recogneu par (le pouvoir) les ordres que je luy ay donnés qu'il
ne se peut rien adjouster au désir que j'ay de vostre contentement.
Vous voyez donc, Madame, que vous avez subject de vous louer de
raturée porte : « De Paris, ce 5e (?) d'avril 1619, » et la date barrée : « De
Saint-Germain-en-Laye, ce 3e d'avril 1619. » Dans Négociation, p. 142 à 149,
la lettre se trouve avec la date du 8 avril. Les divergences y sont intéres-
santes, par exemple cette clausule : « Ou ceux qui pour leurs intherest parti-
culiers font semblant de flater vostre passion ont dessein de vous engager pour
tascher d'en tirer advantage et de s'en prévaloir a vre préjudice. » 11 y a aussi
dans cet exemplaire des corrections de la même main qui seront à étudier
à part.
1. L'allusion semble porter sur la lettre du 20 mars qui commence par un
remerciement sur l'envoi du comte de Béthune et un éloge de cet ambassadeur.
LOUIS XIII ET SA MERE.
317
moy, non pas de vous en plaindre. Aussy, quand vous serez détrom-
pée, je m'asseure que vous approuverez ce que l'on a faict à Boulogne
et Usarche pour protéger l'obéissance que mes subjects m'y ont
voulu conserver contre la violance de ceux qui s'en vouloient rendre
maistres. C'est une protection si juste et naturelle que je croirois
devoir souffrir un jour quelque reproche si j'y avois manqué, que si
je (me) voulois (plaindre) encores à former des plaintes à mon
tour, je vous dirois, Madame, que je trouve (bien) assés estrange que
vous (appelés) appelliés ces lieux là les places de vostre seureté et
conservation particulière, comme si toutes les autres de mon Estât
ne vous estoient autant acquises et asseurées. Il n'y peut avoir de
distinction que par les désobéissances. Mais où elles seront je ne veux
pas croire que vous y voulussiez rechercher aucune sorte de seureté.
Vous n'en pouvez avoir ce me semble une meilleure qu'en la part
que vous avez si légitimement en mon affection. Cela (suffit) vous
doit suffire, Madame, pour me donner les advis que vous dictes
importer à mon service. Je vous ay tousjours offert de les recepvoir,
soit en les communiquant au sieur comte de Bethune ou en les disant
à (telz) tel autre(s) qu'il vous plaira choisir. Comme apresent vous
avez encor près de vous mon cousin le cardinal de la Rochefoucaut,
par lequel vous me pouvés fort librement assez faire entendre voz
intentions, je ne vous (reitereray) confirmerai point de nouveau les
offres que je vous ay faictes par luy pour vous mettre en repos. Je
les confirme seulement avec protestation que c'est pour vous les faire
jouir avec l'honneur qui vous est deub et sera tousjours rendu parti-
culièrement par ceux qui m'approchent et de qui je me sers con-
fidament. C'est donc à vous, Madame, à (quitter) banir de vostre
esprit touttes ses craintes et ombrages que j'ose dire imaginaires
affin de prendre les asseurances que vous offre un filz qui respire le
repos de sa mère autant que le sien propre. Si en vous offrant ce que
Dieu et la nature m'obligent vous desnier à tout les deus par les mau-
vais conseilz qui vous sont donnez, ce que la raison et vostre propre
bien et aventages de vous mesmes demandent, je proteste de mon
innocence (en) et contre tous les desplaisirs que vous jugés vous
mesmes, Madame, qui vous pourront arriver estant séparée de la
bonne intelligence qui doit estre entre nous. Ne souffrez pas donc
s'il vous plaist qu'elle reçoive altération, aymez moy plustost autant
que vous ayme celuy qui est, [etc.]1.
1. Ginq Cents Colbert 98, p. 15-18. Cette lettre paraît inédite. Elle semble
répliquer à la lettre écrite par Marie de Médicis le 2 avril 1619, dans laquelle
elle se plaint des armements du roi et surtout des incidents d'Usarche et de
Boulogne, et elle a dû être confiée au cardinal de la Rochefoucauld, dont les
instructions sont du 8 avril.
318 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
IV.
[Paris, 9 avril 1619.]
Madame,
Vous me donnez tousjours des espérances de rencontrer en voz
actions la correspondance qu'un bon fîlz demeurant dans les debvoirs
ausquelz la nature l'oblige peut attendre d'une mère qui n'a d'autres
interrestz que ceux que vous me représentez. Mais le temps ne me
fait 'veoir que des desguisemens avec des suittes fort contraires aux
bons desseins que vous (disposez) mescrivés par voz deus dernières
lettres avoir pour le bien commun de tous mes subjects1. Sy vérita-
blement touttes voz pensées, Madame (estoient), aboient2 à la reffor-
mation de mon Estât ainsy que vous allez par tout publiant3, un
(res)sentiment (tant) si louable se manifesteroit par des veritez qui
auroient-(de la convenance) beaucoup de rapport avec ce que vous
dictes et par quelque remarque particulière tousjours plus digne de con-
sidération que des termes généraux (communs en la bouche des subjectz
qui ne veulent mesprendre). Vous me feriez veoir qu'il y a du mal ou
je n'en (puis) ai pu encore descouvrir4. Vous voulez (vous), Madame,
que je sois en ombrage de (tous) la pluspart de ceux qui me servent,
que leur fidélité me soit (constamment) suspecte par l'inquiétude et
la confusion qu'apporte d'ordinaire une accusation générale (et quand
de meilleures intentions), j'ai (faict) peu faire peut estre pour vous
(plaire) comjilaire (des sinistres) de mauvais jugemens qui me ren-
draient coupables devant Dieu et tenu des hommes pour un roy
(indigne) peu digne d'avoir (de fidels subjects. Mais) des serviteurs
fidèles si (cela) ces soupçons* (estoit) estoient pris par tout de la
sorte (que vous les prenez) qu'ilz paroissent dans vostre esprit. Je
vous supplie de considérer quelle satisfactioii et quelle seureté vous
pourriez trouver vous mesme dans (mon) ime pareille manière de
gouvernement et quelle sorte d'affection (vous) y pourriez vous appor-
ter quand la raison jointe à la justice (destruira) destruiroii voz sen-
timens remplis de def fiances. Car toute auctorité souveraine qui ne
protège les bons ce rend odieuse mesme aus meschans. Quittez donc s'il
vous plaist ces termes si généraux qui ne peuvent suffisament (conten-
ter une ame désireuse de) un esprit fait comme le mien qui demande
1. Cinq Cents Colbert 98, p. 47-49; Négociation, p. 161. Le texte de la
Négociation adopte les corrections, mais contient en plus une phrase absente
de notre manuscrit : « ... mes subjects et que vous le protestez si souvent au
sieur comte de Béthune pour mè le confirmer de votre part » (p. 161).
2. Béthune : tendoient à...
3. Béthune : le publiant.
4. Béthune : où je n'en ay encores pu découvrir.
5. Béthune : si les soupçons...
LODIS XIII ET SA MÈRE. 319
et cherche la vérité, (elle) il n'y (parvient) sçauroit parvenir que par
des particulières et exactes cognoissances [:] où il vous plaira de m'en
donner, Madame, je les recevray très volontiers et si vos disposi-
tions et vos sentimens se rencontrent semblables aux (miennes)
miens ce ne sera pas inutillement je vous en asseure puisque vous
me trouverez tousjours dans le désir que tous ceux qui sont trompez
doibvent avoir de se pouvoir destromper. Vous ne le serez jamais en
me croyant avec la defference et la véritable affection que je suis,
[Madame ma mère, vostre très humble et obéissant fils,
Louis.
De Paris, ce 9e jour d'avril 1619] '.
Madame,
Bien que par le sieur comte de Bethune je vous aye desja faitsça-
voir mes bonnes intentions, je ne laisseray de vous envoyer mon cou-
sin le cardinal de la Rochefoucault pour vous (réitérer) les réitérer.
(Sa vertu et) son zeHe me (font) faict espérer un heureux succez de
son voyage luy ayant donné (le) un nouveau pouvoir (nécessaire)
tant pour vostre repos (et) que pour celuy de mon Estât. Je vous prie
de le croire comme moy mesme et de m'aymer comme je vous ayme.
C'est, M.
Du 13 avril 1619 2.
VI.
[Paris, vers le 27 avril 1619?]
Madame,
J'ay apris par le rapport (du R.) que ma faict le R. Père Berule et
par ce que m'a escript par lui le sieur comte de Bethune (par lui)
les demandes que vous faictes pour sortir de la captivité où voz enne-
mis et non pas vos serviteurs comme vous les qualifiés tel vous
ont portées. Elles me semblent si estranges qu'il paroist (qu'un) que
le mesme esprit qui vous a persuadé de sortir de Blois vous (invite)
excite encore maintenant à rechercher les moyens de me donner du
mescontentement, comme j'en reçois de très sensibles lors que l'on
me dit que vous demandez des places de seureté. Les instructions que
j'ay receues de vous, Madame, dans ma minorité s'opposent à cette
demande qui ne peut causer que de la douleur à tous mes bons subjects
et estre cause enfin d'un très mauvais exemple à la postérité. Si vous
aviez bien pensé à cette proposition (sans doute qu'elle vous seroit en
1. La clausule entre crochets avec la date n'est que dans Négociation.
2. Ibid., p. 49, lettre 13.
320 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
horreur), vous ne l'auriês pas faitte ou du moins vous y aunes eu
beaucoup de répugnance quand on vous l'a conseillée, prenant
tacitement les voyes qu'un divorce de religion a faict autrefois suivre
dans ce royaume à ceux qui s'estoient séparez de l'obéissance qu'ils
(doibvent) dévoient à mes prédécesseurs. Vous m'avez si souvent
blasmé ce que la nécessité (et le) et la considération du repos public
avoient (lors) dans ces temps la contrainct de faire1, (qu'estant) que
si vous estiés libre vous mesmes pour estre arbitre de voz demandes
vostre conscience condamnerait ce que vostre jugement a tousjours
trouvé très pernicieux à un Estât. Les roys sont protecteurs de tous
ceux qui vivent soubz leurs (sic) domination (et qui) mais quand ils
cherchent seureté ailleurs (qu'en sa) que dans leurs personne et
leurs bienveillances n'en (doibt) doivent point trouver dans les
royaumes. Touttes celles aussy que vous pourriez prétendre d'autre
manière seraient suspectes et scandaleuses au public et plaine de
deffiance(s). En les vous (octroyans) accordans je sçais que je péche-
rais contre les loix (divines et humaines) (de l'Estat et sa politique)
les plus politiques d'un Estât. Mais d'autant que vous faictes voir
aux yeux d'un chacun les conseilz (inconsiderez) imprudens et
mesmes violens qui vous sont donnez, je veux accroistre la gloire de
ceux qui m'aprochent le plus, faisant cognoistre par ma patience et
les resolutions que je prens avec eux la bonté et la douceur de leur
naturel et les sentimens qu'ilz me donnent à vous aymer uniquement2,
rechercher vostre repos et vous mettre en estât qu'ayez occasion de
vous louer de mes deportemens. A cet effect je vous offre encores tel
lieu et place que vous voudrez choisir pour y vivre avec auctorité et
entière liberté. Si ma cour vous est agréable, vous y pouvez venir, y
séjourner et changer de demeure selon voz volontez que je ne borne-
ray jamais que pour demeurer dans l'union irai doibt estre inséparable
de noz cœurs. Ne croyez point que je puisse concevoir autre desseing.
Ceux qui craignent le chastiment de leur démérites (sic) vous veullent
donner de l'ombrage de mes armes et vous faire opposer aux moyens
que j'ay de punir leurs faultes et maintenir mon auctorité qu'ilz
veullent opprimer soubz l'appuy de vostre nom. Vous ayans protesté
(de) et fait (déclarer) asseurer en mon nom diverses fois quelles
sont mes intentions sur ce particulier, vous ne devez plus tesmoigner
avoir de la craincte des trouppes que j'ay comandées, puisqu'elles ne
sont que pour vous tenir en seureté et vous et moy. L'expérience que
j'ay faicte qu'un estât desarmé est tousjours en mespris, souffre aisé-
ment les conspirations et donnent (sic) de la hardiesse mesmes aux
1. Nous avons ici un écho des conversations de Marie de Médicis avec
Louis XIII avant son émancipation, probablement à l'occasion des premières
guerres des princes et sur l'attitude à prendre avec les réformés.
2. Cette préoccupation d'innocenter Luynes et de faire tomber les préven-
tions, de Marie de Médicis est à noter.
LOUIS XIII ET SA MÈRE. 321
plus timides pour se porter aux entreprises téméraires, m'oblige de
continuer les levées que j'ay commancées et me tenir prest soit pour
assister mes voisins et amis ou m'opposer aux mouvementz de ceux
qui voudrout troubler la tranquilité publique. La paix universelle qui
estoit en ce royaume m'avoit ces jours passez faict congédier mes
troupes, espérant par cet espargne soulager d'autant mon peuple.
Aujourd'huy que je recognois que pour ce peu de bien et d'aventage
il en pourroit naistre beaucoup de maux, je suis résolu d'estre dores-
navant en estât de me pouvoir protéger et deffendre, non seulement
pour le présent, mais autant que Dieu me donnera de vie pour régner
sur (ce) mes peuples au repos (duquel) desquels j'establiray (tout) mon
principal contentement. Vous ne pouvez, Madame, légitimement
(reprouver) blasmer cette resolution, car Dieu (se servant) s'estant
servie (sic) de vous pour me faire naistre roy de (cet Estât) ce grand
royaume qui est plus obligé d'en conserver l'auctorité entière qui est
deue (à mes jours) à mon règne que vous, Madame, (de) qui (ils ont
reçeu leur origine) deués estre mère de l'Estat aussi bien que du
roy. Ne soyez donc plus susceptible d'aucun ombrage que l'on vou-
droit vous donner de mes armes, car n'ayant autre but que celuy
que doibt avoir un bon filz qui veut régner en roy, leur puissance ser-
vira à nous maintenir tout deux (sic) en Testât que nous devons estre
contre ceux qui se voudraient opposer soubs quelque prétexte que ce
soit (car je l'ay dict que de cause légitime il n'y en a point). Je me
promets que doresnavant vous contribuerez plustost à mon desseing
que de le contester et qu'estant une fois destrompée des mauvaises
impressions qui vous- ont esté données vous approuverez mes senti-
mens (que tout) qui sont tels qu'un bon prince les doibt avoir. (Je
les continueray) ausi les veusie continuer par ung soing non moins
charitable envers mes subjectz que juste et ra[is]onnable vers vous,
Madame, de qui je doibs chérir le repos et embrasser la protection.
C'est ce que je feray tousjours aussy puissamment que vous le sçau-
riez désirer justement de celuy qui est, [etc.]1.
1. Cinq Cents Colbert 98, p. 33-36, lettre 8. C'est par conjecture, d'après
le ton général, que l'on peut attribuer cette lettre à l'époque du second retour
de Bérulle. Il rapportait le 27 avril les propositions de la reine, jugées insou-
tenables. Peut-être avant de renvoyer le 4 mai la lettre qui va suivre, Louis XIII
écrivit-il, dès le 27, au reçu des demandes de sa mère, cette lettre où il motive
longuement son refus. Les dates sont malaisées à déterminer d'après l'état des
négociations. Ainsi peut-on contester la raison qui a fait refuser la date du
13 mai au fragment que M. Pavie a cité dans son excellent ouvrage : la Guerre
entre Louis XIII et Marie de Médicis (Angers, 1899). Voici cet extrait d'une
lettre absente de notre manuscrit : « La sollicitude pour votre repos et le
désir de vous complaire m'ont seuls incliné à souscrire à votre exorbitante
exigence; mais envisagez en conscience le péril d'un tel précèdent. A cet égard,
les souvenirs abhorrés des récentes gueres civiles ne justifient que trop l'in-
quiétude actuelle du royaume. Desabusez-vous des perlides conseils de rebelles
Rev. HlSTOR. CV. 2e FASG. 21
322 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
VII.
[Paris, vers le 4 mai 1619.]
Madame,
Vous sçaurez par le retour du père de Berulle la resolution que j'ay
prise sur les propositions qu'il m'a faictes. Je m'asseure qu'après qu'il
vous aura particulièrement informée de mes intentions et des raisons
sur lesquelles elles sont fondées, vous jugerez, Madame, que je n'ay
rien obmis de tout ce que j'ay estimé pouvoir faire pour le bien de
mon Estât et vostre contentement qui doibvent estre tousjours insé-
parables. Mais ce que je désire principalement est que vous croyez que
vous n'esprouverez jamais rien de plus véritable que les effects de
mon affection dont je rechercheray en toutes occasions de vous donner
tant de preuves que vous cognoistrez que l'une des choses du monde
que je passionne davantage est de nous veoir remis en une si parfaicte
amitié et si entière intelligence que nous n'ayons jamais autre diffé-
rend sinon à qui se rendra plus de debvoir, vous, Madame, d'une très
bonne mère, et moy d'un très affectionné filz, ce que je me prometz
avec la grâce de Dieu de veoir heureusement réussir, m'asseurant sur
vostre bon naturel et ayant ma conscience pour juge qu'il ne me
manque aucune condition de touttes celles qui me peuvent donner à
juste tiltre le nom de, [etc.]1.
VIII..
[Tours, après le 28 mai 1619.]
Madame,
La lettre qu'il vous a pieu de m'escrire ne m'a pas apporté le con-
tentement que je m'estois promis et que ma conduite vers vous meri-
redoutant mes châtiments, et par là intéressés, pour se déclarer contre mon
autorité sous votre nom, à me signaler comme votre agresseur. Vous me
voyez, au contraire, armé pour vous affranchir de l'accaparement des cabales.
Nul refuge pour vous ne vaudra le cœur d'un fds, et mes bras seront tou-
jours ouverts pour vos recevoir. » La date du 13 mai, donnée par l'Allegata
de l'ambassadeur vénitien, à qui on doit ce passage, traduit semble-t-il en
langue un peu moderne, a paru trop tardive à M. Pavie. Je crois au contraire
que, même après la date du 4 mai, époque du retour de Bérulle, à son second
voyage, Louis XIII pouvait encore tenir ce langage, et même plus lard, quel
que fût l'état des négociations. Voir Pavie, op. cit., p. 89.
1. Cinq Cents Colbert 98, p. 14-15. On ne trouve ni dans le Mercure ni
dans Négociation cette lettre sans date, qui fut probablement emportée le
4 mai par le P. de Bérulle, lors de son troisième voyage à Angoulême. Nous
savons en effet que, parti le 13 mars aussitôt après Béthune, « il revint le
cinq avril » et s'en retourna le 9. Cf. Journal d'Arnauld, p. 412 et 416 : « M. de
Berule repart en poste pour aller à Angoulesme. M. le cardinal de la Roche-
LODIS XIII ET SA MERE. 323
toit; car vous blasmez (les forces que j'ay mises) la resolution que
favois prise de mettre des troupes sur pied non contre vous, mais
contre ceux qui, abusans de vostre nom, faisoient des pratiques dedans
et dehors le royaume pour soulever mes subjects et eslever, s'ilz
eussent peu, les princes estrangers pour troubler la tranquillité de mon
Estât, lesquelles (forces) troupes ont à la vérité esté inutiles, non pour
la raison particulière contenue en vostre lettre, mais pour ce que au
lieu de les employer j'ay mieux aymé chercher les moyens de vous
reconcilier avec moy en vous asseurant de ma bonne volonté et
oubliant à vostre instante prière (les offences) la desobeissajice et les
services de tous ceux qui vous ont assistée1. Elles avoient toutes esté
levées avec juste subject ou plustost par nécessité et en suivant
l'exemple des roys qui sont bien conseillez comme j'ay esté jusques
icy par la grâce de Dieu, lesquelz n'attendeni pas qu'un mouvement
préparé contre leur auctorité et le salut de ceux que Dieu a soubmis à
leur domination soit fortitïié en sorte qu'il ne puissent (sic) mettre leurs
affaires en péril, mais vont au devant par prévoyance. Considérez
donc, Madame, comme j'en ay usé. Aussytost que je fus adverty de
vostre départ de Blois, j'envoyai vers vous le sieur coynte de Bethunes,
puis quelque temps après luy mon cousin le cardinal de la Roche-
foucaut avec des offres qui vous pouvoient asseurer que je ne desirois
rien avec plus d'ardeur que de vous (ayrner, honorer et respecter) tes-
moigner (comme) que je vous aymois, honorois et respectois
comme ma bonne mère, par tous les devoirs et offices qu'on peut
requérir d'un fils qui a tousjours eu emprainct (en l'ame) dans le
cœur tout ce à quoy la loy de Dieu et celle de la nature l'obligent. Il
semble neantmoins que l'on vous vueille faire rejetter sur moy, comme
une faulte commise envers vous, ce que j'ay faict avec si bonne inten-
tion et continué tousjours depuis, encore que (la foiblesse) l'artifice
de ceux qui vous ont conseillée de m'escrire en (cette sorte) cette
manière et les forces que j'avois assemblées m'ayent donné le (pou-
voir) moien et le (moyen) pouvoir de surmonter toutes ces diûicultez
en peu de jours et d'en vesr après (à rencontre d'eux comme) contre
eux avec tel chastiment qu'il m'eust pieu.
Ayant donc (au) dans le cœur ce que je veux croire avec plaisir de
foucaukl part pour aller à Angoulesme, où il arrive le vendrecly 19, avec pou-
voir d'offrir Angers, Chinon, Pont-de-Cé. Il revient le 15 juin. » De ce second
voyage, il revint le 27 avril pour rapporter la dernière prétention de la reine
mère, laquelle « demandoit Amboise, outre ce qui luy avoit esté accordé, ce
qui luy fut refusé. » C'est à ce retour à Angoulème, où il repartit le 4 mai,
qu'il porta la lettre ci-dessus, celle même qui, rédigée par Arnauld d'Andilly
à la prière de Déageant, arracha des larmes de tendresse à Marie de Médicis,
déclarant que c'était la première lettre affectueuse qu'elle recevait de son iils
(Mémoires d Arnauld d'Andilly, p. 388). Ibid., p. 419 : « Il repart le 4 may
pour retourner à Angoulesme. »
1. D'après cette phrase, à ce point des négociations, l'amnistie du duc d'Éper-
non et des autres complices de l'évasion de Blois était chose acquise.
324 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
vostre bon naturel, n'entrez plus en reproche des choses passées,
puisqu'on (y) ni sçauroit rien remarquer que (plain de cinserité) plein
de sincérité de ma part. Cherchez plustost vostre contentement en
l'asseurance que vous devez prendre de mon amitié, vous estes trop
interressée (en mon bien et en mon mal) au bon et au mauvais suc-
ces de mes affaires, mes subjects ne peuvent souffrir oppression ny
mon auctorité estre diminuée que vous ne vous en ressentiez. Il est
temps une fois pour touttes de finir ces desordres et n'est desja
que trop tard pour (le bien) l'aventage et le repos de mes bons subjects
et pour vostre (liberté) bien particulier, vous pouvant dire avec
vérité que vous ne (pourries) sçauriés recouvrer avec plus de seurété
(en commenecant par vous) et de satisfaction vostre première liberté
(que par) qu'en acceptant les offres que je vous ay faict et répétez si
souvent et faietz encore (à présent) de nouveau par le Père de Berulle,
dont la prudhommie et la sagesse (et sincérité) vous (estes) sont assez
cognùes et croyez que j'accompliray de bonne foy et avec une volonté
immuable tout ce que je vous ay promis et accordé par le traitté
fait en mon nom avec vous par le sieur de Dethune et mon cou-
sin le cardinal de la Rochefoucault. Il s'acquittera mieux de la
créance que je luy ay donnée que n'a faict le comte de Brayne de
celle qu'il a receu de vous qu'il a retenue à soy sans me l'exposer et
s'est conduit en ma cour comme s'il y estoit venu non de la part d'une
mère vers son filz et après l'accommodement conclud et arresté, mais
comme s'il eust esté de la part de quelque ennemi et (au temps de
l'hostilité) que l'on eust esté encore dans le tems des actes d'hos-
tilité*. J'attendray, Madame, d'apprendre par le retour du sieur «le
la Chesnaye qui vous rendra (cette) la présente de ma part2, Testât de
votre santé (vous faisant) voulant de plus en plus vous faire cognoistre
1. Notez cette allusion évidente à l'incident que raconte en ces termes
Arnauld d'Andilly dans son Journal : « M. le comte de Brenne vient trouver le
roy avec des lettres de la reyne mère; n'ayant point encore veu Sa Majesté, et
estant dans l'antichambre, teste nue comme tous les autres, M. de Luynes
passe le chapeau à la main, et jettant les yeux sur M. le comte de Brenne,
M. le comte de Brenne se tint ferme, et se recula plustôt que de s'avancer; et
M. d'Elbeuf passant après, il luy alla faire une très grande révérence, et ensuite
à quelques autres. Le roy, qui en fut fâché, ne receut pas trop bien le comte
de Brenne, lorsqu'il luy rendit sa lettre, laquelle, se trouvant estre en plus
fâcheux termes qu'aucune des précédentes..., on commençoit à entrer en
défiance... » {Journal inédit, éd. Halphen, 1857, p. 425).
2. Cette lettre, nous le savons par Arnauld d'Andilly, ne fut pas confiée au
comte de Brenne : « 30 [mai]. Le roy renvoyé M. le comte de Brenne sans
lettre (on en avoit fait une de quatre lignes, mais qu'il ne voulut pas que l'on
luy baillast), avec quelques paroles de compliment à la reyne, et chargé de luy
dire qu'il luy feroit réponce par un gentilhomme exprès » {Journal inédit,
p. 420). Elle fut portée à la reine par M. de la Chesnaye nommé, précisément
sur la fin, et qui partit de Tours pour Angoulème le 1er juin : « Samedy,
1" [juin]. M. de la Chesnaye part pour aller à Angoulesme » [Ibid.).
LODIS XIII ET SA MÈRE. 325
les véritables sentimens d'amitié que jai pour vostre persone et
quoi qu'on vous ait en divers temps voulu persuader, qu'il ne se
peut rien adjouter à (l'affection) celle que vous porte..., [etc.]'.
IX.
[Amboise, 17 juin, ou Tours, 19 juin.]
Madame,
Le plaisir que vous prenez à recevoir de mes nouvelles m'oblige de
vous en faire part souvent. Mais comme je n'aypas moins de conten-
tement lors que vous me faictes sçavoir des vostres, je me rends soi-
gneux de vous en demander. C'est avec un désir qu'elles soient très
bonnes. J'attendray d'en aprendre au retour du sieur de Marosan, qui
vous asseurera ce pendant du bon estât auquel il m'a laissé et pour
ce qu'il vous dira de ma part en présence de mon cousin le cardi-
nal de la Rochefoucault et du sieur comte de Bethune vous y aurez
(toutte) créance s'il vous plaist. Je vous supplie, Madame, de m'aymer
tousjours autant que je vous ayme, c'est ce que je souhaite le plus au
monde et que vous me croyez (ce que) comme il (vous) suis (c'est) de
cœur et d'affection.
17 juin L6192.
X.
Madame,
J'avois résolu de retirer mes canons qui sont ez villes que je vous
ay baillées pour le faire mettre en mes arsenaulx. Ayant apris que
vous desirez qu'ilz demeurent dans lesdictes places, j'ay commandé
de les y laisser pour vous tesmoigner en cela comme vous cognoistrez
par tout que je préfère vostre contentement a toutte aultre considéra-
tion. Cet advis m'est arrivé sur le départ du sieur de Marosan et après
vous avoir escrit par luy la lettre qu'il vous porte de moy. Vous rece-
vrez cette seconde d'une mesme main et eu mesme temps, qui vous
fera cognoistre mon affection en tout ce que vous désirerez. C'est...
17 juin 16193.
XI.
Madame,
Vous sçavez que ce que l'on désire est tousjours attendu avec impa-
tience : puis que mon contentement est de vous voir et que vostre
volonté y est toutte disposée, je vous supplie d'advancer au plustost
i. Cinq Cents Colbert 98, p. 19 à 21.
2. Ibid., p. 55 et 56, lettre 25.
3. Ibid., p. 5G, lettre 26.
326 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
vostre voyage. Le ciel favorise cette prière par la diminution des cha-
leurs et tous mes bons serviteurs y contribuent leurs vœux et leurs
prières. J'envoye le sieur de Brantes pour vous convier à cela, vous
asseurer que vous serez la très bien venue et pour vous tesmoigner
plus particulièrement mes affections qui seront tousjours telles que je
vous dois et que vous sçauriez désirer1.
XII.
Madame,
Ayant sçeu ■ vostre indisposition, je vous envoyé le Mayne affin
d'estre promptement asseuré de Testât de vostre santé qui combat par
l'incertitude que j'en ay le contentement que je reçois du désir que
mon cousin le duc de M[onbason] et le sieur comte de Bethune (m'a)
m'ont faict sçavoir que vous aviez de me voir et de la resolution que
vous en avez prise. Je vous prie de la continuer avec une ferme
créance que vous serez la très bien venue et cependant attendue
impatiemment de celuy qui est, [etc.]2.
XIII.
Madame,
Le sieur de Villiers vous fera sçavoir de quelle sorte je reçois ce
qui vient de vous et de la disposition qu'il a trouvée en moy très
promptes (sic) à favoriser vos demandes. J'ay commandé à mon con-
seil d'escrire ce dont vous m'avez requis afEn que vous en receviez
contentement. Ces tesmoignages de mon affection vous obligent à me
donner la vostre. Je la demande et la désire posséder entièrement.
C'est le plus juste dessein que peut avoir, [etc.]3.
XIV.
Madame,
Sur l'advis que j'ay eu que vous vous disposiez d'aller à Cougnac,
j'ay mandé au sieur comte de Bethune de vous faire entendre quelques
choses importantes à mon service. Vous y donnerez s'il vous plaist
toute créance et ferez (se) sur ce qu'il vous (plaira) dira de ma part la
considération que vous jugerez nécessaire pour le bien de mes affaires
et pour mon contentement. Comme j'ayme le vostre je sçay que vous
desirez le mien et d'une pareille affection que je suis, [etc.].
Au Plessis les Tours, le 22 juin 1619 ^
1. Cinq Cents Colbert 98, p. 53, lettre 21.
2. Ibid., p. 52 v°, lettre 19.
3. Ibid., lettre 20.
4. Ibid., p. 50, lettre 14.
LOUIS XIII ET SA MERE. 327
XV.
Madame,
Je voudrois faire plustost avancer les occasions qui vous peuvent
apporter du contentement que d'en retarder l'exécution, puisque
sçachant que vous aurez (bien) fort aggreable de veoir ma sœur la
princesse de Piedmont, je ne veux pas qu'elle diffère davantage à vous
aller rendre à Angoulesme ses treshumbles devoirs (d'une visite)
auparavant son partement pour Piedmont (en pouvoit allonger le
temps, mais noz affaires n'ont pas permis de différer plus longue-
ment). [Elle] desiroit (tresfort) il y a longtemps d'avoir l'honeur (elle
a esté très désireuse de vous veoir) et moy j'estois très content qu'elle
(en) fit (le) ce voyage. Je le seray encore (plus parfaictement) daven-
tage quand je sçauray à son retour que mes bonnes intentions ont eu
auprès de vous tout l'effect que je men prometz. Je souhaitte, Madame,
qu'elles (mesmes) vous soient entièrement cogneues. Ce bien regarde
(celuy) cet avantage que nous devons egallement rechercher. Vous ne
pouvez, ce me semble, Madame, recognoistre ces mesmes intentions
sans m'aymer tousjours de plus en plus et l'accroissement de (mon)
vostre affection sera tousjours l'augmentation du mien (amour). Je
ne puis me veoir aymé que je n'ayme encore davantage. C'est ce que
vous expérimenterez tousjours de celuy qui est parfaittement, [etc.] '.
XVI.
Madame,
Ma sœur, la princesse de Piedmont (ma sœur), a désiré de vous
veoir et (de) d'aller recevoir voz commandementz avant que de s'ache-
miner en Piedmont, ce que j'ay eu fort agréable, ayant creu que ce
voyage vers vous estoit non seulement de son debvoir (et) mais
(qu'il feroit vostre) que vous en recevriés un particulier contante-
ment. Son bon naturel me faict croire que pour changer de pays
qu'elle ne s'esloignera (point) jamais de l'affection et du respect
auquel sa naissance l'oblige, dont j'espère que vous et moy demeure-
rons tousjours (bien) très satisfaictz2.
XVII.
Madame,
J'ay (été) receu bien (desplaisant) du desplai'sir d'aprendre par
(voz) vostre lettre(s) le combat qui s'est faict entre le marquis de The-
1. Cinq Cents Colbert 98, p. 150, lettre 142.
2. Ibid., p. 151, lettre 143. En tète de la lettre, le scribe a écrit : autre sur
le mesme subjet.
328 MELANGES ET DOCUMENTS.
mines et le sieur de Richelieu, et que ce dernier y ait esté tué1.
Sachant combien ceste action vous aura esté désagréable et (la fasche-
rie que vous en aurez receue) vous aura causé de mescontentement.
Je vous accorde bien volontiers la confiscation qui en peut eschoir et
voudrois que ce mauvais subject ne se fust point présenté de vous faire
cette gratiffication, demeurant tousjours très disposé de vous tesmoi-
gner en meilleures occasions les asseurances que vous debvez prendre
de la parfaicte amitié et bienveillance de, [etc.]2.
XVIII.
Madame,
(La parfaicte) L'union que je recherche d'establir entre nous estant
l'un des plus dignes et louables effects qu'une (bonne volonté) affec-
tion mutuelle peut produire, je veux ausi de mon costé par tous
moyens dont je me pourray adviser et servir vous faire veoir combien
je la désire. Vous sçavez, Madame, les personnes de condition et
confiance que j'ay desja envoyées à cest effect qui y résident encore
et celle du sieur comte de Be thune que fay voulu qu'il ne bou-
geast d'auprès de vous, Madame, jusqu'à ce qu'il [ait] eu l'hon-
neur de vous accompagner auprès de moy. Je vous envoyé encores
mon cousin l[e] d[uc] de Montbason comme estant l'un de ceux de
ma court que je considère et (j')ayme autant. L'estime et la con-
fiance (en) dans laquelle vous et moy l'avons tousjours eu me fait
croire que vous adjousterez plus de foy à ce qu'il vous dira de ma
part qu'à tout autre que je pourrois envoyer. Il vous asseurera que
je ne demande pas seulement une bonne intelligence avec vous, mais
que je désire que vous veniez avec une entière confiance reprendre
vostre place (à) dans ma cour aussy bien que vous l'avez dans mon
cœur. Ce sera pour y séjourner tant qu'il vous plaira et n'en point
partir si vous l'avez agréable. C'est un moyen pour vivre ensemble en
(parfaicte) amitié. Puis donc, Madame, que vous sçavez mes intentions
et que vous les voyez entièrement disposées à tout ce que vous avez
désiré, acheminez vous par deçà, je vous (supplie) prie au plustost et
1. Le recueil autographe de Tronson contient cette lettre, mais avec son
ancien texte non corrigé. C'est là peut-être que le P. Griffet l'aura lue, car il y
fait allusion : « Comme il craignoit, écrit-il du futur cardinal, que si l'on fai-
soit le procès à la mémoire du marquis de Richelieu, son frère, en vertu des
edits portés contre les duels, tous ses biens ne fussent confisqués, il engagea
la reine mère à demander cette confiscation au roi, supposé qu'elle vînt à être
ordonnée par la justice dans le dessein de la remettre à l'évêque de Luçon. »
Et, en marge, Griffet ajoute cette référence : « Lettre du roi à la reine mère,
mss. du séminaire de Saint-Sulpice » (p. 249; cf. plus haut, p. 307, n. 3).
2. Cinq Cents Colbert 98, p. 50, lettre 15.
LOUIS XIII ET SA MÈRE. 329
me donnez ce contentement que nous (revenions) retournions ensemble
à Paris. Je quitterois cette province avec regret d'y avoir séjourné si
long temps à vostre occasion et d'en partir sans vous, j'attendray sur
ce vostre resolution et demeureray, etc. (Madame, etc.).
D'Amboise, ce 17 juillet 1619 *.
XIX.
Madame,
Je ne trouve rien de trop difficile quand il s'agit de vostre contente-
ment. Il me faut changer mes resolutions les plus déterminées (et
laisser en arrière des) n'avoir nul esgard aux puissantes considé-
rations (très) qui avoient fait de fortes (et puissantes) imjiressions
sur mon esprit. Vous le cognoistrez par la responce que vous porte
mon cousin le duc de Montbason (elle tire de mon affection) et qui
est une preuve signalée du pouvoir que vous avez sur moy. J'avois
absolument résolu de casser les deux compagnies (de) du Bour-
det et de Valence qui sont du régiment de mes gardes, ce que
je (faisois) pensois faire avec tant de justice que pour ne m'en
départir et m'y rendre plus obligé j'(ay) avois publié ceste mienne
resolution et protesté de la vouloir effectuer. Sur quoy les plus
(grands) considérables de ma cour m'incitant davantage à cela me
conseilloient (de faire veoir) de donner cet exemple pour apprendre
à ceux qui servent près de ma personne le respect et l'obéissance
qu'ilz me doibvent et soient obligez de garder plus religieusement que
tous autres la fidélité de ceux que les charges honorent de la garde
des roys doit estre si pure et innocente que les moindres faultes les
rend indignes à jamais de l'honneur de les approcher, que s'ilz contre-
viennent à ceste obligation tousjours importante à un estât le crime
n'en peut estre puny trop rigoureusement. Ceux pour qui vous me
parlez, Madame, ont failly. Mais je veux pour l'amour de vous oublier
leurs fautes ainsy que pour vostre considération je perds les ressenti -
mens qui m'en pouvoient rester, vous promettant de rechef de rece-
voir lesdits, etc., non comme coupables ou indifferends, mais de les
traicter (très) bien favorablement et comme s'ils ne se fussent jamais
esloignez de leur devoir [et] de mon service. Je veux et entendz de
plus que la déclaration que je vous en ay faicte soit suivie de point
en point et accomplie avec une entière satisfaction de vostre part. Si
je n'eusse eu ce desseing, l'on ne vous eust promis en mon nom ce
que l'on a faict. Ma parolle sera gardée inviolable envers tous (les
peuples) et plus exactement observée en vostre endroict qu'envers
tous autres, puisque oultre la qualité de roy, en laquelle chacun doibt
1. Cinq Cents Colbert 98, p. 40 et 41, lettre 10.
330 MELANGES ET DOCUMENTS.
prendre toutte asseurance, j'ay encores celle de filz (et d'un bon filz)
qui m'oblige à une plus exacte observation de mes promesses. Si l'on
vous veut donner de la deffiance pour ce regard, tenez telles per-
sonnes pour suspectes et dangereuses et croyez qu'ilz ont leurs inter-
restz plus en recommandation que vostre service. Mes intentions n'ont
qu'une face, l'extérieur fait veoir l'intérieur. (Pour) Au nom de Dieu,
Madame, que la (malice) malignité des (meschans) gens artificieus
et intheressés ne me face point paroistre autre que tel que je suis
devant luy qui voit mon cœur. Je sçay qu'on vous a voulu faire mal
interpréter (la poursuitte que j'ay faicte (cideuant) (pour) autrefois et
sitost après vostre retraitte à Angoulesme la proposition que je
vous fis faire par le sieur comte de Bethune de vous veoir en
quelque lieu et le véritable désir que je vous ay tesmoigné que j'en
avois pour entendre de vostre bouche ce que vous aviés à me dire
et à me représenter d'important à mon service. La suitte de mes
actions et vostre propre cognoissance ne condamnent pas moins les
soubçons ausquels l'on s'est efforcé de vous porter que ceux qui les
vous ont voulu donner. Cela ne m'empeschera de vous dire que je
souhaicte passionnément de vous voir avant que de quitter cette pro-
vince. L'assemblée de ceux de la religion me presse de partir pour
obvier que mon séjour en ce lieu ne les incite à demander une autre
ville que Loudun et ne les face entrer en quelque ombrage. Selon cela,
jugez si vostre commodité permet de vous acheminer si tost. Si ce
temps est trop précipité, différez et partez quand il vous plaira pour
me venir trouver. Séjournez en chemin où vous l'aurez agréable. Je
trouve tout bon, car j'ay pris une telle confiance en voz promesses
qu'il n'y a rien qui me puisse donner de l'ombrage de vous ny de voz
actions. Si j'ay à craindre quelque chose ce sera vostre long séjour
par delà ennuyeux à mon attente et à tous ceux qui souhaittent de
voir noz cœurs plus parfaictement uniz par la présence de l'un de
l'autre qu'ilz ne le peuvent pas estre dans l'esloignement. La craincte
que j'ay eu que (l'arrivée de) le voiage que ma sœur la princesse] de
Piedmont (auprès de vous) vouloit faire à Angoulesme pour vous
rendre ce qu'elle vous doit n'apportast quelque retardement (à vostre
voyage) au vostre vers mou m'a obligé de lui (faict) faire différer
(celuy qu'elle vouloit) le sien à un autre temps. Soudain que je
sçauray vostre resolution positive au jour de vostre partement pour
une entreveue elle vous attendra en ce lieu où (si vous ne venez)
elle s'acheminera où vous vous serez, et pour moy je vous iray attendre
à Fontainebleau ou par tout ailleurs qu'il vous plaira où vous serez
la très bien venue, lorsque vous me donnerez le contentement de vous y
veoir et asseurer de vive voix que vous ne sçauriez estre aymée plus
que vous ayme celuy qui est, [etc.]1.
1. Cinq Cents Colbert 98, p. 37-40, lettre 9.
LOUIS XIII ET SA MÈRE. 331
XX.
Madame,
Aussy tost que j'ay sçeu la maladie de mon frère, je vous en ay
voulu donner advis par la Borde que je vous envoyé. Je luy ay com-
mandé de passer par Sansevrier4 (sic) affin de voir Testât auquel il est
et vous en porter des nouvelles asseurées. Celles de vostre partement
que j'ay apris par le retour du sieur de Brantes me contentent bien
fort, m'ayant trouvé dans les mesmes désirs et impatiences de vous
voir que je vous l'ay tesmoigné. Je souhaitte que vostre voyage soit
heureux et qu'en bonne santé vous puissiez arriver à Tours, où je vais
vous attendre. Vous recevrez là de vive voix les asseurances d'une
tresparfaicte amité. Cependant, je vous supplie de croire que vous
aymant cordiallement comme je fais que je suis aussy de coeur et
d'affection.
[Vers le 29 août 1619 2.]
XXI.
Madame,
Vous ne pouviez me faire recevoir avant vostre arrivée un plus
grand contentement que de m'envoyer l'evesque de Lusson3 ayant
donné (sur) à la confiance que vous avez en luy plus de foy (et [mot
illisible]) de créance qu'à tout autre qui fut venu de vostre part. Il
retourne vers vous avec cognoissance de ma bonne volonté et (des)
de nmpatience(s) que j'ay de vous veoir et de vous embrasser me
remettant à ce qu'il vous en dira je vous reitereray seulement icy la
prière que je vous ay faicte de prendre soin sur les chemins de vostre
santé et de croire que je suis, Madame*.
[Vers le 4 septembre5.]
(Sera continué.)
1. Lire Champ-Chevrier. Gaston y tomba malade le 27 août. Cf. Journal
d'Arnauld d'Andilly, p. 444.
2. Cinq Cents Colbert 98, p. 54, lettre 22.
3. En marge la curieuse addition du correcteur : « Cest evesque de Luçon
fust depuis ce grand cardinal de Richelieu renommé dans son temps. »
4. Cinq Cents Colbert 98, p. 54 et 55, lettre 23.
5. La lettre a dû précéder de peu l'entrevue du 5 septembre que Richelieu
fut chargé de préparer.
332 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
UNE GRÈVE DE GAGNE-DENIERS EN 1786
A PARIS.
Au xvme siècle, la classe ouvrière, après une longue servitude
et une longue résignation inconsciente, arrive à la vie sociale. Trois
phénomènes arrachent à sa torpeur cette masse populaire, la
t'ouaillent, l'excitent, la conduisent à poser un redoutahle problème
que la pensée révolutionnaire ne résoudra pas, qui depuis s'est
affirmé, précisé, a poussé ses racines jusqu'au cœur même de la
société, mais est, en réalité, esquissé dès l'agonie de l'ancienne
monarchie. La pensée des philosophes, tout d'abord, ensemence
l'esprit de la classe dirigée d'idées de liberté, d'indépendance, de
dignité. Elle affirme l'égalité de la valeur sociale des hommes en
dépit des différences de rang et de fortune, elle libère les sujets de
la superstition des hiérarchies. Cette profonde révolution morale
survient au temps où les ouvriers, étouffés dans le carcan de fer
des corporations, écrasés de décrets, de lettres patentes, d'arrêts,
tous hostiles à leurs intérêts et à leurs désirs, découvrent dans leur
vieille organisation des abus dont le développement incessant arrive
à son apogée : la corporation qui, jadis, dans le principe, a été une
garantie et une protection, est devenue le patrimoine de quelques
maîtres qui se transmettent de père en fils, de beau-père à gendre,
maîtrises et privilèges, éloignant du premier rang, soit par la force
des choses, soit par des droits de réception prohibitifs, les compa-
gnons découragés. Enfin, la crise économique où se débat le royaume,
et que les intendants les plus optimistes des meilleures généralités
reconnaissent eux-mêmes, a son contre-coup dans le monde des
travailleurs et vient leur apporter l'enseignement de la misère, des
salaires de famine et du chômage.
Sous cette triple influence, l'agitation sourde, la verve vengeresse,
les chansons satiriques contre les patrons, contenues jusqu'ici dans
l'intimité des « confrairies » et le secret des compagnonnages, se
font jour, deviennent agressives, violentes, les aspirations ouvrières
s'y condensent, ou, si l'on veut, s'y épanouissent, et il semble vrai-
ment que telle parodie chargée de haine, comme la Farce du cru-
chon* , inventée devant la boutique d'un maître détesté, réponde,
t. Préfecture de police, fonds Lamoignon, vol. 33, note du fol. 557.
UNE GRÈVE DE GAGNE-DENIERS EN 1786. 333
tout en bas de Tordre social, aux sarcasmes d'un Voltaire, aux har-
diesses des encyclopédistes.
Mais les compagnons ne s'en tiendront pas à ce jeu ironique. On
s'énerve à railler en commun ses maîtres. Lorsque des causes plus
précises s'ajouteront aux injustices latentes, les railleurs se soulève-
ront. Les ouvriers vont préluder aux grandes journées de la Révo-
lution par de nombreux mouvements dans le cours du xvme siècle,
émeutes, soulèvements, grèves. Il serait long d'énumérer toutes ces
agitations partielles. Rappelons le mouvement des tisseurs en 1737
à propos de dispositions sur la maîtrise. Us protestaient en même
temps contre le travail des femmes et les inventions de Vaucanson * .
En 1724, les bonnetiers, fabricants de bas au métier, se mettent en
grève pour protester contre une diminution de salaire de 5 sols par
paire de bas de soie et de 2 sols 6 deniers sur les bas de laine fine2.
C'est une grève tout à fait bien organisée ; les chômeurs ont un tré-
sorier, — Michel, — qui leur distribue des secours prélevés sur une
caisse commune. Thoucinet, garçon imprimeur, tâche également de
déterminer une grève des ouvriers de sa corporation3. Même mou-
vement à Mazamet en 1788. C'est une question de salaire qui a
déterminé la grève*.
Ces mouvements répétés, fréquents, bien dirigés et exécutés avec
une remarquable discipline, ne frappent cependant pas outre-mesure
les contemporains, même les mieux avisés. Il ne semble pas qu'ils
aient compris l'importance de ces phénomènes sociaux et, de fait,
les documents sont rares, capables de nous renseigner exactement
sur la physionomie et la marche de ces premières grèves sérieuses.
Même Hardy, ce bourgeois curieux, ce libraire chroniqueur, amateur
d'anecdotes et de détails, ne note qu'en passant les symptômes pour-
tant si graves compris dans le cadre de son Journal.
Le vendredi 11 octobre 1776, éclate une grande grève chez les
maîtres relieurs et doreurs de livres. Toutes les corporations qui
touchent à cette industrie se sentent menacées. Aux syndics et
adjoints de la communauté des maîtres relieurs, colleurs, doreurs de
livres, papetiers se sont adjoints les libraires et imprimeurs, jurés
de l'Université, pour demander au magistrat de police d'employer la
rigueur. Depuis le lundi précédent, il n'y a plus dans les ateliers ni
un compagnon, ni un ouvrier, ni une plieuse, ni une couseuse.
Voici donc une grève générale d'une corporation méthodiquement,
1. Germain Martin, les Associations ouvrières au XVHl" siècle, p. 126.
2. Ibid.
3. Archives de la Bastille.
4. Germain Martin, Ibid.
334 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
sérieusement organisée et qui réussit avec un ensemble que les syn-
dicats modernes atteignent rarement. La cause en est des plus inté-
ressantes : les ouvriers demandent qu'on leur retranche deux heures
de travail par jour « en les assimilant aux ouvriers des maîtres
papetiers-coleurs qui venoient d'être réunis aux maîtres relieurs par
le nouvel Edit de rétablissement des corps et communautés d'arts
et métiers et dont ils soutenoient que les règlements à cet égard
dévoient être adoptés par préférence à ceux de la communauté des-
dits maîtres relieurs »'. Or, il semble que ces malheureux travail-
laient seize heures par jour, car lorsque, intimidés par des arresta-
tions, les compagnons relieurs reprennent le travail, Hardy ajoute :
on ne sait à quelles conditions, s'ils abandonnent leurs prétentions
« relativement à la continuité des seize heures de travail pour chaque
jour, ce qui paroissoit un peu exorbitant ». Le compagnonnage
était riche. Il put soutenir la lutte. Des apprentis accoururent de
province pour s'embaucher aux ateliers. On leur distribua 4 livres
à chacun et ils s'en retournèrent. On s'engagea à payer chez quelques
gargotiers du canton du Mont-Saint-Hylaire la pension des compa-
gnons les plus pauvres et qui auraient été tentés de reprendre l'ou-
vrage. Le mouvement ne prit pas une forme très violente. On se
contenta de parades injurieuses devant les boutiques des maîtres.
Trop longtemps, le monde ouvrier avait courbé la tête et reculé
devant les durs châtiments réservés à la révolte contre les mono-
poles. Il ne résista pas à l'intimidation. On arrêta six compagnons
relieurs et tout rentra dans l'ordre.
La grève des compagnons charpentiers de 1786 fut plus brutale.
Il y eut détournement par la force des compagnons restés au travail.
Hardy, peu habitué, — comme la généralité de ses contemporains,
— à s'intéresser aux phénomènes sociaux, ne fait pour ainsi dire que
citer le mouvement :
Soulèvement des compagnons charpentiers
contre leurs maîtres.
Du jeudi vingt-trois mars 1786.
Ce jour, dans la matinée, les compagnons charpentiers se soulèvent
contre leurs maîtres à l'occasion de ce que, par un nouveau règle-
ment, il avoit été stipulé que, moyennant cinq sols de plus ajoutés
par chaque journée à leur paye ordinaire, ils ne pouvoient plus
emporter à l'avenir chez eux un seul morceau de bois. Ils parcourent
t. Mes loisirs ou Journal d'evenemcns tels qu'ils parviennent à ma con-
noissance. Hardy, Bibl. nationale, f. fr. 6682, fol. 281.
UNE GRÈVE DE GAGNE-DENIERS EN 1786. 335
les divers atteliers de la ville et des fauxbourgs, forçant leurs cama-
rades par menaces et mauvais traitements d'y abandonner l'ouvrage
et de les suivre, pourquoi l'on en arrête cinq des plus mutins qui sont
conduits en prison en attendant qu'on leur fît subir une peine quel-
conque pour leur opiniâtreté, leur révolte et leur insubordination,
qu'il paroissoit d'autant plus important de réprimer qu'on voyoit
régner comme une espèce de fermentation parmi les compagnons de
différents métiers, tels que les maréchaux, les serruriers, les boulan-
gers, les maçons, etc., etc...'1.
L'affaire des gagne-deniers qui se produisit la même année retint
davantage l'attention du public et des chroniqueurs. C'est qu'aussi,
elle touchait à la tradition séculaire des monopoles fortement établie,
comme un dogme économique dans les cerveaux de l'ancien régime,
si fortement que l'Édit de Turgot qui supprimait les maîtrises et
les jurandes, solennellement enregistré le 12 mars 1776 dans un lit
de justice tenu par le roi, fut abrogé trois mois plus tard et que les
privilèges des corporations furent rétablis. Mais plus encore, la
grève des gagne-deniers mettait à nu les expédients auxquels les
finances du régime étaient réduites tant pour subsister que pour ali-
menter des favoris qui, par leur cortège de luxe, donnaient encore
une illusion de solidité au gouvernement du roi. Or, à la veille de
la Révolution et pour des esprits travaillés par une tendance d'oppo-
sition, pour des sujets accablés d'impôts et livrés à tous les hasards
d'une administration d'aventures, pour une foule qui savait que,
dans le désarroi de la fortune de la France, la fortune des familles
en faveur à la cour continuait à s'affermir, il n'en fallait pas tant
pour que la cause des gagne-deniers suscitât immédiatement de l'in-
térêt.
C'était un rouage humble, mais indispensable de la vie de la capi-
tale, que les gagne-deniers. Ils chargeaient et déchargeaient les voi-
tures d'approvisionnements sur les ports et aux halles, à l'exclusion
de la halle au blé, où des commis spéciaux appelés forts de la halle
au blé faisaient cet office. Ils s'occupaient aux déménagements, au
transport des colis et lettres des particuliers dans l'intérieur de
Paris, ils faisaient les commissions, ils aidaient au déplacement des
lourds objets. En face de l'arbitraire administratif, ils demeuraient
sans force, parce que pauvres et ne produisant rien, ils n'avaient pu
s'organiser en corporation régulière. Ils n'avaient pas la hiérarchie :
apprentis, compagnons, maîtres. Ils n'avaient pas les cadres : syn-
1. Mes loisirs ou Journal d'erenemens tels qu'ils parviennent à ma con-
naissance. Hardy, Bibl. nationale, f. fr. 6685, p. 315.
336 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
dics, adjoints. Ils s'étaient simplement groupés entre eux, réunis
par de communes occupations, une même misère et rapprochés plus
encore les uns des autres, comme il arrive à ceux qui sont au bas
de l'échelle sociale, par l'humilité où on les tenait. Mais, de fait, leur
existence légale avait implicitement été reconnue par nombre d'arrêts
de police. L'ordonnance du 9 avril 1746, par exemple, stipulait
qu'ils devaient être inscrits aux bureaux de la police, porter à la
boutonnière une plaque avec d'un côté la mention « fort de la halle »
et de l'autre un numéro, plaque qui leur était retirée sur-le-champ
« dans le cas où, par mauvaise humeur ou défaut d'attention, ils
feroient tort soit aux vendeurs, soit aux acheteurs »'. Il leur était
également défendu « d'injurier les marchands et autres particuliers,
de se mêler de la vente ny de l'achat d'aucunes marchandises..., ny
d'avoir aucune dispute entre eux » sous peine d'interdiction, de des-
titution, même de prison. Ce siècle fut poli à ce point qu'il voulut
exiger, même des plus humbles, les grandes manières ! Et les
amendes dont on les frappait en cas de contravention allaient jusqu'à
200 livres! Eux, les gagne-deniers, ils risquaient d'avoir à payer
cette forte somme et même d'être destitués définitivement de leur
état pour le simple fait de fumer ou d'avoir leur pipe allumée sur le
carreau et autres endroits où ils déchargeaient les marchandises !
La même ordonnance réglait leurs salaires en tant que forts de la
balle :
Charge, décharge et livraison du beurre de Gournay, pour chaque
panier 5 sols
Par panier de fruits 7 sols
Pour chaque panier de beurre de Chartres et Ferté ... 7 sols
— — de beurre d'Isigny 7 sols
Par panier d'un millier au plus d'œufs de Gournay, décharge. 1 sol
— — — livrage . 1 sol
Leurs salaires varient ainsi de 1 sol (œufs de Saint-Germain) ou
1 sol 6 deniers (au millier d'œufs brandis) jusqu'à 10 sols pour
décharge de voitures de quatre ou cinq paniers contenant vingt mil-
liers d'œufs de Picardie (ils touchaient en outre 8 sols par panier
pour livrage) et 13 sols pour décharge et livrage de quatre paniers
(de quatre milliers d'œufs chacun) d'œufs de Champagne2. On leur
payait 2 livres pour décharger une voiture d'artichauts.
1. Préfecture de police, fonds Lamoignon, vol. 37.
2. On ne comprend pas bien celte variation de tarifs suivant la provenance
du beurre ou des œufs.
UNE GRÈVE DE GAGNE-DENIERS EN 1786. 337
Bien que cette ordonnance de police réservât le cas où un mar-
chand voudrait, faire faire ces travaux par ses propres domestiques,
il semble bien qu'il y eût là une reconnaissance implicite de l'exis-
tence des gagne-deniers en tant que groupement affecté à un travail
réservé.
Cette reconnaissance est d'autant plus frappante que, dans les
ordonnances antérieures, — par exemple celle du 15 juillet 1724',
— on avait pris la peine de stipuler nettement qu'on ne la leur
accordait pas : « Que les gagne-deniers et autres travailleurs au lieu
desdits officiers supprimés se rendent maîtres des ouvrages et ôtent
aux bourgeois et marchands la liberté de se servir et d'employer qui
bon leur semble et sous prétexte de leur travail exigent des sommes
beaucoup plus fortes que les salaires ordinaires et raisonnables et
même emportent desdites marchandises... » Et, plus loin, il est fait
défense aux gagne-deniers de travailler aux marchandises sur les
ports s'ils n'en sont requis par les marchands, d'ôter aux bourgeois
la liberté de faire faire cette besogne par qui bon leur semble.
Nous avons vu que l'ordonnance de 1746 ne réservait plus qu'en
passant la faculté pour les bourgeois d'employer leurs domestiques
et conférait aux gagne-deniers une manière de privilège en leur
imposant une plaque, une réglementation précise et un tarif de
salaires.
Voici le cadre dans lequel vivent les gagne-deniers, la dure disci-
pline à laquelle ils sont soumis, quelques-uns des salaires qu'ils
reçoivent. Essayons de reconstituer un peu leur existence, leur
aspect, leurs agissements. Ils sont presque tous Savoyards ou
Auvergnats2. Le costume le plus commun parmi eux, c'est « le
gillet bleu et la veste brune », à laquelle est accrochée la plaque
réglementaire. Ils sont simples et gardent en eux beaucoup du
paysan. Quand ils se révoltent, c'est armés de bûches qu'ils attaquent
la troupe et la police : « Il y avait (à la porte du commissariat) plus
de deux cents Savoyards et Auvergnats, gagne-deniers armés de
bûches3. Ils sont paysans encore parce qu'ils ont gardé la ruse de
l'homme de la terre, sa façon de procéder, presque des habitudes de
marché de village. On est obligé de leur défendre « d'aller au-devant
« des acheteurs, de les contraindre d'acheter d'un marchand plutôt que
« d'un autre... » Ils sont frondeurs aussi et turbulents comme des
gens qui n'ont rien à perdre et qui, méprisés, exploités, malheureux,
1. Préfecture de police, fonds Lamoignon, 28* vol.
2. Arch. nationales, commissaire Dupuy, rue des Noyers, Y 1281G.
3. Ibid.
Rev. Histor. CV. 2e fasc. 22
338 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
demeurés très enfants, s'offrent la distraction gratuite et la satisfac-
tion haineuse de railler et d'insulter ceux dont ils dépendent :
Il se fait journellement des attroupemeus considérables et des
assemblées tumultueuses et scandaleuses dans le faux bourg Saint-
Antoine, composés d'un nombre infini d'ouvriers, gagne-deniers et
gens sans état ny profession qui insultent publiquement des mar-
chands du fauxbourg en chantant des chansons devant leurs portes et
boutiques... Il a été fait et imprimé plusieurs chansons, dont quelques-
unes sont contraires aux honnes mœurs, qui sont chantées et distri-
buées publiquement1.
Et il faut croire que, dans ces manifestations lyriques, les gagne-
deniers se distinguèrent, puisqu'on fit à leur usage « deffenses à
tous ouvriers, gagne-deniers et autres du fauxbourg Saint-Antoine
de s'attrouper dans ledit fauxbourg Saint-Antoine et d'y chanter des
chansons devant les portes des marchands... », sous peine d'empri-
sonnement, même de punitions corporelles.
Tels étaient les gagne-deniers, isolés, faibles, mal organisés, un
peu primitifs, rudes. Le gouvernement crut pouvoir, sans inconvé-
nients, les attaquer.
Le mercredi 28 décembre 1785, on vit pour la première fois dans
les rues de Paris circuler des petites voitures en forme de fourgon.
Elles étaient peintes en rouge et conduites par deux hommes du plus
pittoresque costume : veste verte à parements et collet rouges,
culotte de matelot, grise, chapeau ciré et rabattu; sur la poitrine,
ils portaient une plaque de métal aux armes du roi. Le même jour
parut une ordonnance, annexée au Journal de Pains, expliquant
que ces voitures étaient « destinées à transporter toutes sortes de
pacquets gros ou petits d'un quartier dans un autre, pourquoi elles
faisaient leur ronde quatre fois le jour dans chaque district »2.
Ce système de transport des paquets et objets divers, que les
inventeurs et le gouvernement avaient estimé devoir produire de gros
bénéfices parce qu'il correspondait à un besoin du public, n'était pas
original. Il était point par point imité de la petite poste mise à la
mode par M. de Chamousset, maître des comptes. Le bureau prin-
cipal de l'entreprise était situé à l'hôtel des Chiens, tenu par un sieur
Valanges, 43, rue du Mail, dans le quartier delà place des Victoires.
C'est là que résidait l'administration avec, à sa tête, comme direc-
teur général, M. Duvalon. D'autres bureaux secondaires étaient
1. Préfecture de police, fonds Lamoignon, vol. 33.
2. Journal de Hardy, Bibl. nationale, f. fr. 6685.
UNE GRÈVE DE GAGNE-DENIERS EN 1786. 339
disséminés dans divers endroits au nombre de neuf : rue Saint-
Honoré, vis-à-vis les écuries du roi ; rue de Bourbon-Villeneuve, à
l'hôtel de France; rue des deux Boules-Sainte-Opportune; rue de la
Verrerie, au coin de la rue de la Potterie; rue du Figuier, hôtel de
Sens ; rue de la Marche, vis-à-vis le Gagne-Petit: rue Saint- Victor,
vis-à-vis la rue du Paon ; rue des Fossés-Monsieur-le-Prince ; rue
du Vieux-Colombier, vis-à-vis la rue Cassette. Quelques jours plus
tard, le 18 janvier 1786, par un prospectus annexé à la feuille du
Journal de Paris, addition en deux pages d'impression format
in-4°, revêtu de la permission de M. Thivoux-Decrosne, lieutenant
général de police ' , « l'entreprise des transports intérieurs des pac-
quets et ballots créeait 200 dépôts nouveaux dans différentes rues
de Paris ». Quatre fois par jour, les objets déposés étaient recueillis
par les voitures rouges : à huit heures et à onze heures du matin, à
deux heures l'après-midi, à cinq heures le soir. Les tarifs avaient
été ainsi établis : pour les paquets d'une livre à dix (poids) le trans-
port coûtait 5 sols; de dix à vingt livres, 6 sols; de vingt à quarante
livres, 7 sols; de quarante à soixante livres, 8 sols; de soixante à
quatre-vingts livres, 9 sols; de quatre-vingts à cent livres, 10 sols;
un sol d'augmentation par chaque dix livres en plus.
Ce monopole était accordé à une puissante compagnie reconnue,
installée par le gouvernement et dans laquelle, on le devinait, de
grands personnages avaient des intérêts.
Telle était l'institution dont la cour aux abois espérait profits pour
elle et pour ses favoris et qui enlevait aux gagne-deniers une partie
importante de leur privilège ef de leur raison d'être. Et l'on avait
choisi pour dresser en face de ces humbles travailleurs une concur-
rence qui les devait tuer, une époque de quasi-chômage où la misère
déjà se faisait rude pour eux :
Sans chercher à vouloir justifier la conduite violente et très répré-
hensibje des gagne-deniers, bien des gens trouvoient assez extraordi-
naire qu'on eût pris, pour faire éclore une entreprise si propre à leur
donner de l'humeur et à jeter le trouble parmi eux, la saison de l'an-
née la plus rigoureuse, celle où l'on ne voyoit que trop souvent ces
malheureux se morfondre au coin des rues en y attendant des com-
missions ou des travaux qui ne venoient point, quoiqu'ils en eussent
indispensablement besoin pour vivre2.
Les gagne-deniers protestèrent immédiatement, causèrent quelques
troubles assez anodins encore et déclarèrent la grève. Ils cessèrent,
1. Journal de Hardy, Bibl. nat., f. fr. 6685.
2. Ibid.
340 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
ce qui était fort gênant pour l'alimentation de Paris, de charger et
décharger sur les ports et aux halles comme de livrer la marchandise.
Do plus, ils attaquèrent les conducteurs des voitures de la nouvelle
régie qui ne purent plus circuler qu'escortés de plusieurs soldats de
la garde de Paris.
Le public prit fait et cause pour eux. Il comprit immédiatement
que la malheureuse situation des gagne-deniers, c'était sa situation,
à lui, et que l'or drainé par la régie pour le transport des paquets
irait rejoindre l'or que lui-même versait sous forme de monopoles et
d'impôts dans les caisses des favoris. — C'était le but poursuivi,
bien plus que l'utilité commune, pensait toujours ce même public,
car enfin ces voitures rouges qu'on voulait lui imposer faisaient
double emploi avec la fonction des gagne-deniers, sans offrir d'avan-
tages nouveaux bien importants. De suite le bruit courut que le
gouvernement avait déjà touché sur l'entreprise 90,000 livres. On
citait tout haut les noms de ceux au profit de qui avait été institué
ce privilège : les Polignac, « qui jouissaient à la cour dans le moment
actuel du plus grand crédit, M. le baron de Breteuil, ministre du
département de Paris, etc., etc.. »'. M. le chevalier Dubois, com-
mandant du guet à pied et à cheval, — qui va être chargé de répri-
mer l'émeute, — était lui-même intéressé, assurait-on, dans l'en-
treprise.
Pour le surplus des bénéfices, on racontait que leur produit,
« lorsqu'il auroit cessé d'être imaginaire pour devenir réel et effectif
seroit appliqué à l'intéressant entretien des élèves de l'Opéra, dont
le gouvernement se trouveroit déchargé au moien d'une si heureuse
et si brillante invention »2.
L'opinion publique était si nettement hostile à la nouvelle régie,
qu'en dépit de leur collaboration à une œuvre impopulaire, on pre-
nait presque en pitié les employés de Duvalon, exploités, tenus,
bridés et dont chacun, disait-on, « fut obligé de consigner d'avance
150 livres par forme de cautionnement et de donner par jour deux
sols de retenue sur la paye de 30 sols pour contribuer à son habille-
ment... »3. Par un obscur sentiment de justice immanente, on pré-
disait déjà la faillite de la compagnie, dont on se réjouissait par
avance, on affirmait qu'elle ne durerait pas, obligée qu'elle était, —
indépendamment des avances déjà faites au gouvernement et aux
intéressés, — de payer ses locations 50,000 livres.
Le parti frondeur, toujours si nombreux à Paris, s'était emparé
1. Journal de Hardy, Bibl. nat., f. fr. 6685.
2. Ibid.
3. Ibid.
UNE GRÈVE DE GAGNE-DENIERS EN 1786. 341
du mot d'un particulier qui voyant, du café Manoury, près du Pont-
Neuf, passer les voitures rouges, conduites par les employés à la
veste verte, — couleur de la livrée du ministre du département de
Paris, — avait dit : voici les perroquets de Breteuil.
Enfin, le duc de Penthièvre, lui-même, prince du sang, se sou-
venant peut-être de la popularité lointaine du roi de la halle, ou
dépité de ne point avoir eu sa part d'intérêt, ou comprenant simple-
ment la force nouvelle de l'opinion, était parti en toute hâte, dès les
premiers troubles, plaider à Versailles pour les gagne-deniers.
Cependant, les petites voitures, sorties, suivant l'expression de
Hardy, « pour ainsi dire comme de dessous les pavés » , continuaient
leur office, munies d'un gros grelot destiné à avertir le public de
leur passage et escortées, chacune, de quatre ou cinq soldats du
guet à pied, la baïonnette au fusil. M. de Breteuil avait intérêt à
mettre sa puissance au service de la régie du transport des paquets
et ballots.
« Le juste mécontentement des gagne-deniers ne pouvoit se con-
tenir. » Et cependant les choses se seraient peut-être bornées à
quelques chansons, quelques parades et une désertion du travail
relativement calme, lorsqu'au matin du 2 janvier 1786, « à l'entrée
de la rue Gallande, près de la fontaine Saint-Séverin », un gagne-
denier nommé Maréchal fit, après boire, gageure avec un camarade
qu'il oserait avant lui dire violemment son fait au premier conduc-
teur de voiture de la nouvelle régie qu'ils rencontreraient. Ils sor-
tirent du cabaret. Bientôt paraît sur le pavé un homme en veste
verte tirant son rouge véhicule. Maréchal se porte à sa rencontre,
l'injurie et l'empoigne même. Deux particuliers qui passaient par là
prennent fait et cause pour le tireur de voiture, mettent l'épée à la
main ; des gagne-deniers accourent à la rescousse et voici la bagarre
engagée. Une des épées est brisée et les deux partisans des « perro-
quets de Breteuil » auraient peut-être regretté leur intervention
sans l'arrivée de deux escouades du guet et de la garde de Paris. La
force armée livre bataille et vers une heure et demie ils se rendent
maîtres de l'agresseur qui, sous bonne escorte, est conduit rue des
Noyers au commissariat de police de M. Dupuy. La bagarre avait
été assez sérieuse si l'on en juge par la déposition de Bonaventure
Depupetz, un des hommes attaqués, devant ce même commissaire
Dupuy1 :
Lundi dernier, passant rue Saint-Jacques, au coin de la rue Saint-
Séverin, et conduisant les dites voitures de transport avec ses cama-
1. Arch. nationales, Y 12816.
342 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
rades, il a été arresté par plusieurs crocheteurs et gagne-deniers qui
les ont maltraités à coups de pieds et à coups de poings, ont renversé
le déposant par terre, continuoient à le maltraiter...
On pouvait croire cependant, après l'arrestation de Maréchal, que
le mouvement était terminé, quand soudain vers trois heures, la rue
des Noyers, sur un mot d'ordre parti on ne sait d'où, est envahie
par une foule de gagne-deniers qui manifestent ouvertement leur
intention de tirer leur camarade des mains de la police. Us pénètrent
dans la cour du commissariat. C'est un tumulte véritablement
effrayant de chants violents, de cris exaspérés, de vociférations
menaçantes. Ils sont d'abord deux cents manifestants; une voiture
de bois passe, ils l'arrêtent, la pillent et à coups de bûches ils
attaquent le poste qui n'est pas en nombre. L'un d'eux même, armé
de ses crochets professionnels, frappe un soldat à la tête. Cependant,
le nombre des émeutiers s'augmente de tout un peuple descendu du
faubourg Saint-Marcel et qui presse de plus en plus la garde du
poste. Railleries et coups tombent à la fois sur les soldats qu'on
essaye de désarmer. Quelques fusils sont cassés à coups de bâton.
Une escouade de 200 hommes du guet, baïonnette au fusil, arrive
en courant et, maltraitant les grévistes, les repousse hors de la
rue des Noyers qu'elle occupe, ne laissant plus passer que les voi-
tures. Cinq des manifestants sont restés aux mains de la police.
M. le chevalier Dubois vient en personne sur le terrain de la mani-
festation et recommande aux officiers de charger à la baïonnette
ceux qui résisteront.
Il ne fait pas bon s'aventurer dans la zone dangereuse. Vers
quatre heures et demie du soir, Pierre Clément, âgé de trente-trois
ans, caissier du sieur Germain, receveur des impositions royales,
sort de son bureau, rue Saint- Jacques, et veut pénétrer dans la rue
des Noyers. Il est pris pour un commis de la nouvelle régie et immé-
diatement assailli par un groupe de gagne-deniers armés de bâtons.
L'un d'eux le frappe violemment d'un coup de poing à l'épaule, les
bâtons se lèvent sur le pseudo-commis, terrorisé par d'affreuses
menaces et des invectives épouvantables. « II auroit été vraisembla-
blement assassiné si une femme herboriste qui tient une petite bou-
tique au coin de la rue des Noyers ne luy eût donné retraite »4.
Vers six heures et demie, on décide d'écrouer les mutins au Châ-
telet. Il faut prendre de grandes précautions. On barre complète-
ment la rue des Noyers, on ne laisse plus passer que les personnes
1. Arch. du commissaire Dupuy.
UNE GRÈVE DE GAGNE-DENIERS EH 1786. 343
« bien vêtues », celles qui peuvent justifier qu'elles y demeurent ou
y ont des affaires. Puis les coupables sortent du commissariat, liés,
garrottés, escortés chacun de trois soldats de front, entourés d'une
brigade du guet à cheval, d'un fort piquet de soldats à pied, baïon-
nette au canon. Des cavaliers ouvrent le cortège et font arrêter les
voitures, des cavaliers, du guet à pied ferment la marche. Enfin, une
brigade du guet à cheval reste d'arrière-garde. Deux cents hommes
pour escorter ces quelques malheureux prisonniers !
Pendant que les grévistes arrêtés étaient conduits au Chàtelet
dans cet imposant appareil, cinq cents de leurs camarades se por-
taient vers le ^quai et le pont de la Tournelle. Ils pensaient que Ton
dirigerait les captifs sur la Force, ils étaient décidés à attaquer l'es-
corte sur la place aux Veaux. D'instant en instant, des ouvriers
descendus du faubourg Saint-Antoine venaient se mêler à la foule.
Quand ils connurent leur erreur, furieux, exaspérés, ils se dirigèrent
vers la rue des Noyers. Dupuy, reconnu, fut insulté. Un infernal
tapage, une tumultueuse manifestation se prolongea assez tard dans
la soirée.
En dépit de la sévérité de la justice que l'on pouvait redouter poul-
ies fauteurs de trouble, on apprit le 5 janvier que les arrêtés, « après
interrogatoire, venaient d'obtenir le préau, ce qui semblait annoncer
qu'ils ne seroient pas traités aussi rigoureusement qu'on l'avoit
appréhendé d'abord » i .
L'accalmie qui suivit cette nouvelle n'était que très superficielle.
Les gagne-deniers souffraient terriblement du nouvel état de choses,
ils étaient décidés à lutter encore pour leur existence. Seulement, ils
se concertaient. Le 10. dans la journée2, un indicateur de police
déguisé en maçon et qui flânait vers le marché Daguesseau, dans le
faubourg Saint-Honoré. entend un homme engager les gagne-
deniers à se réunir le lendemain de grand matin à l'endroit convenu
pour porter un mémoire à Versailles. L'indicateur suit cet homme
et l'entend faire la même recommandation en plusieurs lieux. Au
milieu du Pont-Neuf, la garde de Paris arrête l'excitateur. Interrogé
au commissariat de police, l'homme avoue qu'il organise pour le
lendemain une marche sur Versailles. Le commissaire hésite pour-
tant à l'incarcérer et en réfère au lieutenant général de police Thi-
roux-Decrosne. Ce dernier envoie le messager de révolte en prison.
1. Journal de Hardy, f. fr. 6685.
2. Récit d'un procureur au Chàtelet qui tenait ces détails de bonne source
(Hardy).
344 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
L'ordre est immédiatement donné au chevalier Dubois d'occuper de
grand matin la place Louis XV, de disperser tous les groupes,
d'empêcher la marche sur Versailles. Dès six heures, le lendemain,
toute la police de Paris est sur pied, assistée du guet à pied et à
cheval. Ces forces dispersent bien quelques rassemblements en route
vers le rendez-vous. Mais la foule devient de plus en plus dense, de
plus en plus puissante. Tous les faubourgs déversent leur peuple
de miséreux vers le centre. Les gagne-deniers tentent de détourner
les porteurs d'eau et de les entraîner à leur suite. Le chevalier
Dubois, ayant avec lui le jeune de Roquemont et suivi de vingt-
quatre cavaliers, se multiplie. Vers dix heures du matin, venant
du faubourg Saint-Marcel, il gagne le faubourg Saint-Germain par
la rue des Noyers et la rue Saint- Jacques. Les mouvements de
troupes continuent :
Vers l'heure de midi, on voit encore traverser de la rue des Mathu-
rins à la rue des Noyers environ cent hommes du guet à pied, précé-
dés d'un de leurs officiers à pied, d'un nombre de surnuméraires du
guet à cheval, aussi à pied, portant mousquetons, et d'un officier du
guet à cheval, qui revenoient du fauxbourg Saint-Germain et alloient,
disoit-on, faire leur ronde à la place Maubert, d'où ils dévoient passer
ensuite au fauxbourg Saint-Antoine1.
Cet impressionnant déploiement de forces ne servit à rien. Il eut
d'ailleurs beaucoup plus l'aspect d'une parade que d'une sérieuse
mesure. Malgré tout, Dubois était gêné, mal à son aise de mettre
ainsi sa recette et celle de ses associés sous la protection de la force
armée. Les gagne-deniers, au nombre de sept à huit cents, se mirent
en route pour Versailles.
C'est là un événement qui mérite attention. Pour la première
fois, peut-être, des êtres obscurs, infimes, qui, aux yeux des
nobles, comptaient moins que leur meute ou leur écurie, osent
s'adresser directement au roi ; mais surtout, ils en appellent au sou-
verain contre les privilégiés, ils vont à Versailles, pleins de confiance
dans le monarque, pleins d'espoir en sa justice, comme devant un
juge encore non informé du procès. Le coup qui nous a frappé,
semblent-ils dire, a été porté par les ministres, mais quand le roi
saura!... Sur le chemin de la résidence royale, d'autres vont les
suivre bientôt; le peuple a trouvé la route de Versailles et après
les gagne-deniers vont s'avancer les bandes révolutionnaires. Ceux
1. Journal de Hardy, f. fr. 6685.
UNE GRÈVE DE GAGNE-DENIERS EN 1786. 345
qui marcheront immédiatement derrière cette avant-garde de 86
auront conservé son esprit. C'est pour en appeler au roi comme à
un arbitre équitable et à un souverain tutélaire que le peuple de
Paris se mettra en marche vers l'autre capitale royale. Il faudra les
maladresses, les indécisions, les subterfuges de la royauté pour
transformer en carmagnole des appels de suppliants. Et Louis XVI,
lui aussi, prélude à sa future attitude : pris entre les âpres exigences
des Polignac et des autres et la juste cause des gagne-deniers, il
fera répondre qu'il est à la chasse!
A Sèvres, une brigade de maréchaussée est massée près de la
grille du parc de Saint-Cloud. Les premiers gagne-deniers arrivent,
emportés dans une course folle; ils courent à perdre haleine, comme
s'ils étaient poursuivis, stupéfaits, peut-être, de leur hardiesse,
comme des timides, qui se jettent tête baissée aux plus audacieuses
aventures. Une foule énorme marche assez loin derrière eux.
Les officiers de la maréchaussée s'avancent et parlementent avec
les premiers de la foule. Ils ont reçu des ordres précis leur recom-
mandant la douceur, la modération, de tout faire et tout supporter
pour éviter une effusion de sang. En fin de compte, ils décident les
gagne-deniers à députer douze d'entre eux à Versailles avec le placet
qu'ils veulent remettre au roi. Mais à peine cette première bande
calmée et convaincue a-t-elle repris le chemin de Paris qu'une seconde
colonne plus nombreuse et plus excitée se rue sur la maréchaussée
et la déborde. La troupe est forcée de se retirer et ouvre la route du
palais. Cependant, quelques cavaliers gagnent Versailles, ventre à
terre, et donnent l'alarme. Les gardes françaises et suisses prennent
immédiatement position dans les avenues, tandis que d'autres
troupes se tiennent prêtes à les appuyer. Les gagne-deniers arrivent.
On parlemente de nouveau ; les officiers. « du ton le plus imposant,
quoiqu'en même temps le plus modéré et le plus honnête, étoient
parvenus à leur persuader qu'ils ne pourroient voir le roi ni parler
à Sa Majesté qui étoit à la chasse, d'où elle ne reviendroit pas de
sitôt... ». Une étrange combinaison intervient. On décide d'un com-
mun accord que vingt-quatre gagne-deniers seront admis à la grille
du château, douze à la première cour, jusqu'à la deuxième grille, et
six seulement, porteurs d'un mémoire, seront admis dans la galerie.
Ces derniers attendent trois heures et, quand ils sont convaincus
que le roi est absent, ils se décident à laisser leur placet entre les
mains d'un officier des gardes du corps. Celui-ci le remettra au pre-
mier gentilhomme de la chambre, qui le fera passer sous les yeux
du roi.
346 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
La foule reprend la route de Paris en déclarant qu'elle reviendra
si satisfaction n'est pas obtenue le mercredi 18 du présent mois.
La police a opéré quelques arrestations.
Les pouvoirs publics n'osèrent pas se montrer impitoyables.
L'injustice était si manifeste qu'on ne distribua que pour la forme
des châtiments. Une première sentence qui comportait marque et
galère fut cassée, et si l'on se reporte aux peines qui, pour une
légère indépendance, frappaient les compagnons et les apprentis, on
a le droit de dire que l'épilogue judiciaire de cette grève prouve par
sa modération la justice de la cause défendue par les gagne-deniers.
Le jeudi 19 janvier 1786, vers midi, en vertu d'un arrêt rendu la
surveille en chambre criminelle du Parlement, sur les conclusions
du procureur général du roi. et en appel de la sentence du lieutenant
criminel du Chàtelet de Paris, Bachin de Villefort, Biaise Chancel,
gagne-denier de la place Cambrai, Jean Taillaud, brocanteur de la
Montagne-Sainte-Geneviève, « sont conduits avec la plus nombreuse
escorte de soldats de la compagnie de robe courte, soutenus de plu-
sieurs brigades du guet à cheval, le guet à pied et à cheval gardant
de plus les avenues et étant distribué de tous côtés sur leur passage,
des prisons du Chàtelet, par le Pont-au-Change, les rues de la
Barillerie, de la Vieille-Draperie, de la Juiverie, du Petit-Pont et
Gallande, à la place Maubert, ayant chacun un écriteau devant et
derrière portant ces mots : « Violent et rebelle envers la garde » ,
pour y être et demeurer attachés au carcan depuis midi jusqu'à deux
heures à des poteaux qu'on avait eu la précaution d'y faire planter
dès sept heures du matin1. Pendant l'exécution de cette sentence,
les condamnés étaient gardés par une brigade du guet à cheval et
une escouade du guet à pied.
Le vendredi, ils subirent une nouvelle exposition « dans la place
des haies » et le samedi place de Grève. Ils furent ensuite bannis
pour neuf ans de la ville, prévôté et vicomte de Paris, interdits de
séjour et condamnés chacun à 3 livres d'amende.
D'ailleurs, l'opinion publique ne les abandonna point : pendant
qu'ils étaient exposés au carcan, la foule, émue, fit une collecte en
leur faveur. Le premier jour, place Maubert, on recueillit 48 livres,
236 le troisième jour, sur la place de Grève.
Quant aux premiers auteurs du mouvement, Antoine Clément,
dit Maréchal, François Chassaint et Jacques Cissac, les gagne-
deniers qui avaient parié d'insulter les « suppôts de la nouvelle
1. Journal de Hardy, f. fr. 6685.
UNE GRÈVE DE GAGNE-DENIERS EN 1786. 347
régie », ils furent mandés dans la chambre pour y être admonestés,
« étant debout derrière le barreau » , et condamnés chacun à 3 livres
d'amende.
Les petites voitures rouges continuèrent à circuler, sous escorte,
pendant quelque temps.
Pratiquement, la grève des gagne-deniers n'avait eu aucun
résultat.
Elle ne fut cependant pas inutile. C'était un de ces mouvements
où le peuple essayait sa force et préludait à des actes mieux organi-
sés et mieux dirigés. Le fait même d'avoir osé protester si violem-
ment contre une décision du pouvoir, et d'avoir voulu en appeler au
roi contre ses favoris, indiquait à quelle maturité les idées semées
dans les esprits par un siècle de philosophie étaient arrivées. Ce
qu'il y a de plus impressionnant enfin, c'est l'unanimité de l'opinion
publique contre le gouvernement. Les gagne-deniers réalisèrent un
instant sur leur cause, dès 1786, l'unité, la coalition de toutes les
amertumes des Parisiens contre le régime. Sous forme de pitié ou
de railleries, dans les conversations comme dans les écrits, en famille
comme au café, l'opinion publique osa se montrer nettement favo-
rable aux révoltés et, tandis que la justice leur infligeait l'infamie
du carcan, elle leur décerna, sous forme de collecte, les palmes des
opprimés.
Marcel Rouff.
BULLETIN HISTORIQUE
NECROLOGIE.
Albert VANDAL.
La morl prématurée du comte Albert Vandal, enlevé le 1er sep-
tembre 1910, à l'âge de 57 ans, laisse d'inconsolables regrets, non
seulement aux amis qui ont eu le privilège de goûter le charme
d'une des natures les plus délicates, les plus droites, les plus atta-
chantes qu'on pût voir, mais à tous ceux qui, sans le connaître
personnellement, ont suivi depuis 1882, dans sa carrière d'historien,
ce chercheur scrupuleux et probe, qui unissait à la science une
grande richesse d'idées, des vues larges et pénétrantes, et un talent
d'écrivain qui prenait, avec chacune de ses œuvres, plus d'ampleur
et d'éclat. Il suit de près dans la tombe Albert Sorel, dont il fut
l'élève et l'ami, le collègue, puis le successeur à l'École des sciences
politiques. C'était un esprit de la même famille, un historien de la
même école, et, de même qu'il nous semblait avoir conservé en lui
quelque chose de Sorel, sa mort nous fait sentir doublement la
grandeur du vide laissé par celui-ci.
Esprit de moindre envergure ou tout au moins de moindre har-
diesse que Sorel, et plus soucieux aussi d'éviter toute généralisation
hasardée, tout entraînement d'imagination, Vandal a néanmoins
laissé une œuvre qui, bien que composée d'études détachées et cir-
conscrites, constitue cependant un ensemble par l'esprit et les préoc-
cupations qui l'animent. Ces études se ramènent à deux ou trois
questions d'histoire politique solidaires et convergentes et qui étaient
rattachées dans l'esprit de Vandal à une préoccupation constante :
éclairer l'histoire et la politique actuelles de la France par la con-
naissance des antécédents directs de cette histoire et de cette poli-
tique ; chercher dans le passé récent de notre pays des leçons pour
le présent et l'avenir. J'aimerais mieux dire des « lumières » que
des « levons » ; car si Vandal, à ses débuts, s'est laissé aller à des
déclarations un peu emphatiques qui pouvaient faire craindre qu'il
eût mis l'histoire au service de la politique, comme lorsqu'il écrivait :
« C'est le désir d'établir, au profit exclusif de la France, ces for-
NECROLOGIE.
349
ti fiantes leçons, c'est son passé seul, dégagé de toute autre préoccu-
pation, qui doit nous inspirer et nous guider dans l'étude de toutes
les parties de son histoire politique, de même que nos anciens
hommes d'armes, pour marcher à l'ennemi et s'animer au combat,
ne poussaient qu'un cri : France! », cette phrase, peu claire, signifie,
au fond, qu'on doit étudier le passé sans le déformer au gré des
passions contemporaines ' . En fait, bien que Vandal ait subi, comme
nous tous, dans ses vues historiques, l'influence de ses préférences
politiques2, il a fait constamment le plus loyal effort pour se docu-
menter d'une manière complète, pour soumettre ses documents à
une critique scrupuleuse, pour ne rien avancer dans ses récits qu'il
ne pût prouver, pour rester, autant que possible, l'observateur
impartial et, comme on aime à dire aujourd'hui, objectif du passé.
Mais Vandal estimait en même temps que, pour l'historien, le passé
n'est pas mort, mais vivant, et il apportait tout son effort, tout son
talent à lui rendre la vie. Pour cela, il mettait en œuvre toute sa
pénétration de psychologue et son art de narrateur. Pour lui, l'his-
toire était un drame, et ce n'était qu'en sachant faire vivre les per-
sonnages du drame, en donnant aux scènes de l'histoire la couleur
et le mouvement qu'on fait de l'histoire vraie. Dans ce travail d'évo-
cation, il s'attachait à laisser parler les témoignages contemporains,
à ne rien ajouter à ce que lui fournissaient les sources les plus
pures, mais il ne se dissimulait pas ce qu'il y a de personnel et de
subjectif dans l'art de l'historien évocateur du passé ; il en acceptait
les risques sans laisser jamais sa conscience de savant subir d'éclipsé,
de même qu'il apportait un double et louable scrupule à établir la
liaison des événements historiques, les conséquences inéluctables de
leur action réciproque et de leur marche, et en même temps le jeu des
individualités, le rôle des passions, des idées personnelles et des carac-
tères. Le talent si riche, si fin et si fort de Vandal était fait d'éléments
très divers. Il devait sans doute quelque chose aux maîtres qu'il
considérait comme des modèles, à Tocqueville, à Taine, à Sorel; il
1. Je me ferais scrupule d'insister sur le patriotisme de Vandal, si ardent
qu'il fût. Lui faire un mérite d'un sentiment si naturel chez un homme à l'es-
prit droit et au cœur bien placé, comme d'une vertu exceptionnelle, serait, me
semble-t-il, faire injure et à lui-même et à tous ses confrères en histoire. Certes,
Vandal était profondément patriote, mais il n'aurait pas souffert qu'on l'en louât,
car il n'était pas de ceux qui font du patriotisme une réclame et une carrière.
2. Notre collaborateur M. Reuss a indiqué ici même (t. LXXXIII, p. 11, et
t. XCIX, p. 111) les points sur lesquels le fils du directeur des postes du second
Empire avait pu être influencé par son éducation et ses tendances bonapar-
tistes; mais il a eu soin de faire remarquer que Vandal lui-même a regretté
que Bonaparte n'ait pas su, dans son œuvre réparatrice, sauver ce qui eût pu la
consolider, la liberté. « Cette œuvre, dit-il, était au-dessus de son caractère. »
350 BULLETIN HISTORIQUE.
avait aussi beaucoup appris dans la vie et dans le monde auquel il
aimait à se mêler et où il trouvait à exercer, avec la séduction de
son esprit et de sa distinction native, ses qualités d'observateur et
d'analyste; il avait pendant dix ans, de 1877 à 1887, au Conseil
d'Etat1, pris l'expérience des affaires publiques; mais ses rares qua-
lités me paraissent dues surtout à la conception très nette qu'il
s'était faite des devoirs de l'historien, et aux consciencieux efforts
par lesquels il s'est constamment rapproché de l'idéal qu'il s'était
formé : exactitude et précision d'une part, de l'autre création de la
vie, discernement du caractère des hommes et du sens des choses,
une philosophie de l'histoire faite d'observation, de logique et de
psychologie, et enfin recherche d'une forme expressive et simple,
qui arrive à l'effet, à la couleur et au relief à force de justesse et de
vérité vue et sentie. Ces qualités, qu'il n'a acquises dans leur pléni-
tude que peu à peu, surtout en ce qui concerne le style, ont fait de
lui un professeur incomparable. Il excitait chez ses élèves de l'École
des sciences politiques une admiration sans bornes. Il apportait à
ses leçons cet amour de la correction, de la perfection qu'il mettait
en toutes choses et qui lui donnait quelque chose d'accompli partout
où il se trouvait, dans les salons comme dans sa chaire, dans la vie
publique comme dans l'intimité; chacune d'elles était une œuvre
d'art et on s'émerveillait de ce qu'il pouvait donner d'attrait et de
vie aux plus arides négociations diplomatiques. Ce sont ces mêmes
qualités qui font de tous ses livres, construits de matériaux si solides
et si nouveaux, une lecture délicieuse.
Je n'ai pas à redire ici le sujet des ouvrages d'Albert Vandal et à
insister sur leur mérite. La Revue historique en a entretenu ses
lecteurs et leur a rendu la justice qui leur était due à mesure qu'ils
paraissaient2. Mais je rappellerai l'unité secrète qui les rattache
les uns aux autres. Vandal avait débuté dans les lettres par un
charmant petit livre d'impressions de voyage en Scandinavie : En
karriole à travers la Suède et la Norvège, et il est vraisem-
1. On doit déptorer sans doute, pour l'intérêt de la chose publique, que des
partis pris politiques aient empêché Vandal de continuer à servir le pays au
Conseil d'État; mais il l'a peut-être encore mieux servi, grâce à cet ostracisme,
par ses livres et son enseignement.
2. Voy. t. XIX, p. 114; XXXIII, p. 356; XL, p. 214; XL VI, p. 93; LU, p. 356;
LXXI, p. 110; XCIX, p. 110. Toutefois, la Revue doit faire son meâ culpâ
d'une très regrettable omission. Un seul des volumes de Vandal n'y a pas été
l'objet d'un compte-rendu; c'est le troisième et admirable volume qui clôt l'ou-
vrage sur Napoléon et Alexandre, celui qui est consacré à la Rupture, qui
met en présence les manœuvres ténébreuses des deux rivaux et conduit de 1811
au passage du Niémen.
NECROLOGIE.
351
blable que ce sont ses voyages en Orient et dans les pays du Nord
qui Font poussé à faire des rapports de la France avec la Turquie
et la Russie les premiers objets de ses études. Disons plutôt : le
premier objet, car la question d'Orient est depuis Pierre le Grand
jusqu'à Nicolas Ier mêlée à toutes nos relations avec la Russie et
l'obstacle permanent qui empêcha la France et la Russie de conclure
plus tôt une alliance souvent ébauchée et toujours abandonnée.
Le premier livre d'histoire de Vandal : Louis XV et Elisabeth
de Russie, imparfait au point de vue de la composition et du style,
est un des plus riches, des plus remarquables qu'il ait écrits au
point de vue des idées. Il révélait à la France une partie de son his-
toire politique qu'elle ignorait et lui indiquait nettement, dés 1882,
l'alliance russe comme une nécessité de l'avenir. Il montrait qu'au
xvme siècle la France s'était lourdement trompée en sacrifiant à sa
politique traditionnelle d'alliance avec la Suède, la Pologne et la
Turquie l'amitié de la Russie qui s'offrait à elle ; en prenant pour
règle d'ignorer la Russie, jusqu'au jour où elle accepta son alliance,
mais comme à contre-cœur, et uniquement parce qu'elle se mettait
à la remorque de l'Autriche. Cinq ans après, c'est à Constantinople
que M. Vandal se transportait pour étudier dans : Une ambassade
française en Orient, le rôle du marquis de Villeneuve qui réussit
à imposer aux Russes et aux Autrichiens le traité de Belgrade de
1739, triomphe de la Turquie soutenue par la France, qui ne devait
pas avoir de lendemain, et dont la France ne devait pas profiter. Le
talent d'écrivain de Vandal prit dans ce nouveau livre tout son
essor, et le récit des aventures du pacha Bonneval, à qui il avait
consacré déjà une notice en 1885, la peinture du monde turc, les
chapitres consacrés à notre commerce dans le Levant, à la succes-
sion de Pologne, montraient en lui un homme qui sait manier
les textes, voir simultanément les côtés les plus variés de l'his-
toire et faire revivre les hommes. Une fois en Orient, M. Van-
dal avait été amené, en étudiant les antécédents de la mission
de Villeneuve, à remonter jusqu'à Louis XIV, aux projets de Ool-
bert sur l'Egypte, et à la mission du marquis de Nointel qui réussit
en 1673 à obtenir le rétablissement des capitulations. Toutefois, ce
ne devait être qu'en 1900 que M. Vandal donna le résultat complet
de ses recherches sur la mission de Nointel. En 1889, il n'avait publié
qu'un mémoire communiqué à l'Académie des sciences morales et
politiques, sur Louis XIV et l'Egypte. Son Odyssée d'un ambas-
sadeur. Les voyages du marquis de Nointel, fut comme un
intermède au milieu de ses travaux d'histoire politique, car tout
en traitant avec un très grand soin la partie commerciale de son
352 BULLETIN HISTORIQUE.
sujet, il s'attache surtout à faire revivre le singulier ambassadeur,
touriste, curieux, collectionneur, qui éblouit les Orientaux de son
faste pour finir son ambassade dans la misère, et qui mérite surtout
la réputation d'un protecteur éclairé des arts. Entre temps, M. Van-
dal s'était attaché au grand ouvrage dont son Elisabeth n'était que
la préface : Napoléon Ier et Alexandre, dont les trois volumes
parurent de 1891 à 1897. L'ouvrage est comme un drame en trois
actes : VAlliance, le Déclin de l'alliance, la Rupture. Ici encore,
c'est la Pologne et la Turquie qui sont l'obstacle à l'accord entre la
France et la Russie, mais plus encore les ambitions opposées et
également démesurées des deux empereurs. Vandal a mené avec un
art consommé, en même temps qu'avec une connaissance admirable
de tout le détail de la diplomatie, ce triple récit et il a mis face à face
les deux inoubliables portraits du fourbe mystique et du conqué-
rant insatiable qui se proposaient le partage d'un monde qu'ils vou-
laient chacun se réserver pour soi seul. Rien de plus curieux que de
voir se succéder ces trois volumes, si différents de ton et de couleur :
le premier tout rempli des enivrements d'une amitié grandiose, sorte
d'épithalame héroïque d'une alliance où l'on rêve de refaire l'uni-
vers au milieu des fêtes; le second, série d'imbroglios comiques et
de négociations de mariages où l'on se dupe des deux côtés; le troi-
sième d'une grandeur sinistre et tragique, où l'on sent la main ter-
rible de la fatalité précipiter Napoléon à l'abime hors de ce monde
trop étroit pour les deux rivaux. — Quand on est aux prises avec
Napoléon, il ne vous lâche plus. Vandal l'avait vu courant à sa
ruine et entraînant avec lui la France au gouffre. Il voulut montrer
plus complètement qu'on n'avait fait jusqu'ici les causes et les résul-
tats de V Avènement de Bonaparte et justifier en quelque mesure
la France de s'être donnée à Napoléon, faire ressortir ce qu'elle dut
à son génie organisateur et pacificateur au sortir de l'anarchie révo-
lutionnaire. Les deux volumes consacrés par M. Vandal à décrire la
France du Directoire, le 18 Brumaire et la République consulaire
sont ce qui est sorti de plus parfait, de plus complet de sa plume,
au point de vue de la richesse de la documentation comme de la
perfection de la mise en œuvre. On lui reprochera d'avoir fait trop
grande la part des éloges accordés à Bonaparte, d'avoir trop atténué
les ombres du tableau. Ce n'en est pas moins une œuvre de tout
premier ordre. Vandal a bien rempli tout son mérite, mais nous
pleurons, avec l'homme que nous aimions, les beaux livres que nous
attendions encore de lui.
G. Monod.
HISTOIRE DE FRANCE. 353
HISTOIRE DE FRANCE.
FIN DU MOYEN AGE.
(1328-1498.)
Publications de documents. — Les historiens qui veulent étu-
dier les textes du xive et du xve siècle dans des éditions soigneuse-
ment établies sont redevables chaque année à la Société de l'Histoire
de France de nouveaux et excellents instruments de travail. La
Chronique des règnes de Jean II et de Charles V, dont cette
Société a confié la publication à M. Delachenal1, est connue
depuis longtemps; c'est la dernière partie des Grandes Chroniques
de France, attribuée au chancelier Pierre d'Orgemont, et nous
n'avons pas besoin de rappeler l'importance de ce document officiel,
où l'on trouve les événements exposés avec une extrême précision,
non point toujours tels qu'ils se sont passés, mais tels que Charles V
voulait qu'ils fussent connus de la postérité. Il a été imprimé plu-
sieurs fois avec le corps des Graiides Chroniques, notamment
dans l'édition de Paulin Paris. Mais Paulin Paris a cru devoir uti-
liser plusieurs manuscrits et a pris dans rétablissement du texte des
libertés fâcheuses; les fautes de son édition altèrent parfois grave-
ment la vérité historique. M. Delachenal s'est borné à reproduire le
manuscrit de Charles V (Bibl. nat.. ms. fr. 2813), ce qui était évi-
demment la seule méthode à suivre. Son édition comprendra trois
volumes, dont un album reproduisant les miniatures de ce beau
manuscrit. Le tome I, qui vient de paraître, est relatif au règne de
Jean le Bon. Il est annoté avec le soin, l'exactitude et la compétence
toute spéciale qu'on devait attendre du savant historien de Charles V.
Dans la même collection vient enfin de se terminer la publication
des Lettres de Louis XI, qui a été proposée par Mlle Dupont et
agréée par le Conseil de la Société de l'Histoire de France, sur un
rapport de Léopold Delisle, il y a quarante-deux ans. MIle Dupont,
Léopold Pannier, Etienne Charavay, Joseph Vaesen ont travaillé
tour à tour à cette édition et sont morts avant de l'avoir vue
s'achever. Le tome XI2, imprimé par les soins de M. Bernard
1. Chronique des règnes de Jean II et de Charles V, publ. par R. Delache-
nal. T. I : 1350-1364. Paris, librairie de la Société de I'Hist. de France, 1910,
346 p.
2. Lettres de Louis XI, roi de France. T. XI : Préface, Itinéraire et Tables,
Rev. Histor. CV. 2e fasc. 23
354 BULLETIN niSTORIQUE.
de Mandrot, contient une substantielle préface de ce savant, un
Itinéraire de Louis XI que Mlle Dupont et ses successeurs avaient
dressé pour parvenir à dater ses lettres, et enfin une Table géné-
rale. Ainsi se trouve définitivement ouvert au public un admirable
monument d'érudition, digne d'être connu, non seulement des histo-
riens professionnels, mais de tous les curieux que peut intéresser la
psychologie d'un grand conducteur d'hommes. De cette collection
de plus de deux mille lettres, quelques-unes, destinées à des puis-
sances étrangères, ont été écrites ou traduites en latin dans les
bureaux de la chancellerie ; presque toutes sont en français ; un bon
nombre ont été dictées « de mot à mot » par Louis XI, qui appelait
ses secrétaires à toute heure du jour et, par exemple, « le matin, à
son lever, en s'habillant ». Ces missives, « devisées » par le roi lui-
même, sont faciles à distinguer. Soit que Louis donne ses instruc-
tions aux généraux et aux diplomates qu'il emploie, soit qu'il écrive
affectueusement à ses amis François Sforza ou Laurent de Médicis,
ou à ses bonnes villes, ou qu'il s'adresse à sa femme, à sa sœur, à
ses compères, l'allure des billets qui lui appartiennent en propre est
bien personnelle et reconnaissable ; il a une manière à lui, alerte,
précise, tantôt enjôleuse, tantôt cinglante et sèche, parfois brutale
et terrible. Tel nous le montrent les Mémoires de Commynes et
les relations des ambassadeurs italiens, tel il se révèle lui-même
dans sa correspondance : vif, gouailleur, aimant la gauloiserie et
les gros mots, la chasse, le vin et les belles filles, curieux, fureteur,
soupçonneux, fourbe, cruel; mais aussi d'une activité et d'une lar-
geur d'esprit merveilleuses et doué en somme d'éminentes qualités
d'homme d'État, qu'il gâte par une certaine bassesse de caractère,
un positivisme cynique et parfois répugnant. Les Lettres de Louis XI
ne modifient pas essentiellement l'idée que nous nous faisions de
lui, parce que de bons observateurs nous l'avaient fidèlement
dépeint; mais elles nous donnent des certitudes et des précisions, et
beaucoup sont vraiment bien amusantes. L'édition de la Société de
l'Histoire de France pourra subir ça et là quelques corrections,
notamment pour les dates des lettres; mais elle est le fruit d'un
énorme effort de recherches et elle est, somme toute, un modèle.
Nous regrettons seulement qu'on n'ait pas reproduit les parties
chiffrées de certaines lettres1; peut-être auraient- elles tenté la
patience d'un cryptographe assez habile pour les mettre en clair.
par J. Vaesen et B. de Mandrot. Paris, librairie de la Société de l'Hist. de
France, 1909, ix-333 p.
1. Notamment la lettre écrite de Péronne au duc de Milan le 13 octobre 1468
(n» 396).
HISTOIRE DE FRANCE. 355
Le onzième volume des Documents concernant le Poitou, que
M. Paul Guérin extrait patiemment du Trésor des chartes 1 , apporte
une contribution d'autre genre à l'histoire du règne de Louis XI.
Comme les tomes précédents de cette belle publication, il est riche
surtout en documents d'histoire sociale. Sur un total de cent cin-
quante actes, quatre-vingl-dix-sept sont des lettres de rémission,
accordées notamment à des gens d'armes, des francs-archers, des
gens de métier, des paysans. Elles attestent l'extrême brutalité des
mœurs; le nombre relativement élevé des fratricides est caractéris-
tique. Elles attestent aussi la célérité de la justice royale, dont les
criminels ne peuvent plus faire fi; en contraste avec les lettres de
rémission du temps de Charles VII, elles donnent l'impression
qu'en somme le Poitou est sauvé de l'anarchie. Dans son Introduc-
tion, M. Guérin donne une sorte de complément à sa publication,
en exposant, d'après d'autres sources et surtout d'après les registres
du Parlement, les événements remarquables de l'histoire du Poitou
sur lesquels les registres du Trésor des chartes renseignent peu ou
point; il raconte l'installation à Poiliers, en 1469, du parlement qui
siégeait à Bordeaux et expose sommairement les rapports de Louis XI
et de la ville de Poitiers.
Comme les lettres missives et les lettres de rémission, les Comptes
sont des textes qui nous font pénétrer au vif de la réalité historique.
On a dit ici quel intérêt présente la publication des Comptes inédits
du roi René, par l'abbé Arnaud d'Agnel2, et quelle était la
méthode suivie par l'auteur3. Dans les tomes II et III qui la ter-
minent sont groupés, en des cadres artificiels qui ont, en somme,
plus d'avantages que d'inconvénients, les comptes relatifs au cos-
tume, aux meubles, aux mœurs. Un index très abondant, de plus
de cent soixante pages, permet de manier facilement les trois
volumes. L'annotation est suffisante. L'édition mérite en somme
des éloges, bien qu'on y puisse relever un certain nombre de fautes
d'impression que ne corrige aucun erratum. L'histoire du roi René,
en grande partie manquée par Lecoy de la Marche, est à refaire; la
publication de M. Arnaud d'Agnel sera, pour qui entreprendra cette
grosse besogne, d'un précieux secours.
Les Comptes du manoir archiépiscopal de Rouen*, pour
1. Paul Guérin, Recueil des documents concernant le Poitou contenus dans
les Registres de la chancellerie de France. T. XI : i4£5-i474 {Archives his-
toriques du Poitou, t. XXXVIII), 1909, xlv-539 p.
1. L'abbé G. Arnauld d'Agnel, les Comptes du roi René. Paris, Alph. Picard,
1909 (t. II, 491 p.) et 1910 (t. III, 511 p.). Chaque volume : 10 fr.
3. Voy. l'article de M. Lauer, Rev. hist., année 1908, t. III, p. 310-312.
4. Comptes, devis et inventaires du manoir archiépiscopal de Rouen, recueil-
356 BULLETIN HISTORIQUE.
n'avoir pas la même importance, seront cependant bien accueillis
des archéologues et des historiens. Obligé par la loi de séparation de
quitter ce manoir, qu'il avait travaillé à restaurer et à embellir.
Mgr Fuzet lui a consacré un livre luxueux. Aux documents d'ar-
chives'qu'il a fait recueillir par l'abbé Jouen, il a ajouté une impor-
tante introduction. L'histoire d'un monument, lorsqu'on veut non
seulement examiner les étapes de sa construction, mais rappeler les
institutions, les faits, les personnages dont il évoque le souvenir, ne
peut manquer d'être assez factice. Les deux cents pages écrites par
Mgr Fuzet, sans éviter ce défaut, constituent néanmoins une bonne
monographie, précise et intelligente, d'histoire ecclésiastique et
d'histoire provinciale. Quant aux documents, ils sont présentés par
M. l'abbé Jouen avec un appareil d'érudition qui, semble-t-il, aurait
pu être allégé sans dommage. Le lexique contient sept ou huit cents
mots prétendus rares ; en réalité, la plus légère différence avec
l'orthographe moderne (ung pour un, tuillé pour tuile, ytalien
pour italien, etc.) a suffi pour qu'un mot eût les honneurs d'une
traduction ou d'une explication. Et l'explication laisse parfois rêveur1 .
Plus sobre, et parfois trop sobre, est l'édition du Livre rouge de
Sainte-Marie d'Auch, dont nous avons reçu la seconde partie2.
On y trouve une foule de documents intéressants : tels, au point de
vue de la discipline ecclésiastique, les statuts synodaux de 1383, les
constitutions synodales de Philippe de Levis, les statuts de l'église
d'Auch, etc.; au point de vue de l'administration temporelle des
archevêques, les coutumes de Bassoues. L'ouvrage se termine par
une table alphabétique des noms et des matières, à laquelle il faut
reprocher, non pas une longueur excessive, mais au contraire des
lacunes3. Est-il donc difficile de faire un bon index? C'est affaire de
patience et de méthode, deux qualités que doivent posséder tous les
éditeurs de textes.
lis et annotés par M. le chanoine Jouen, publiés avec une introduction his-
torique par Mgr Fuzet. Paris, Alph. Picard, 1908, ccxliv-716 p. in-4°, avec
plans et fac-similés. Prix : 25 fr.
1. Le compte de 1437 contient la phrase suivante, p. 149 : « A Colin Amiot,
machon, pour avoir ... faist . . . une demie croysée de fenestres et m autres fenestres
sur rue et plusieurs hachis et en la chambres de ses clercs deux fenestres... »
Au glossaire, nous trouvons : « Hachis, p. 149 : viande hachée coupée très fin. »
2. Abbé J. Dufl'our, Livre rouge du chapitre métropolitain de Sainte-Marie
d'Auch, 2e partie, paginée de la p. 241 à la p. 519. Paris, Champion; Auch,
Cocharaux, 1908 (Arch. hist. de la Gascogne, 2° série, fasc. 12). M. Lauer a
donné ici un compte-rendu détaillé de la première partie (Rev. hist., 1908,
t. III, p. 312-313).
3. Au mot sorciers, par exemple, je ne trouve pas de référence à la page 314,
où se trouve une ordonnance contre les sorciers.
HISTOIRE DE FRANCE. 357
Histoire des institutions. — L'histoire des finances publiques
continue à s'éclaircir et à se débarrasser d'erreurs depuis longtemps
ressassées. Le tome III des Recherches du colonel Borrelli de
Serres, sans avoir peut-être autant d'importance que les deux
volumes précédemment parus, est riche d'informations nouvelles
et de rectifications, fondées sur les documents d'archives1. Sauf un
mémoire sur les Plus anciens présidents au Parlement, où il
est montré que ce titre a été donné d'abord à de grands personnages
sans compétence spéciale, puis, à partir du milieu du xive siècle, à
des juristes qui étaient depuis longtemps présidents de fait, — le
nouveau volume de M. Borrelli de Serres est presque exclusivement
consacré à l'histoire des services financiers et des gens de finances.
Il commence par un historique du Trésor royal, de Philippe IV à
Philippe VI. Au moment de la suppression de l'ordre des Templiers,
le Trésor, qui avait été installé au Louvre de 1295 à 1303, était de
nouveau au Temple, mais il était sous la surveillance de trésoriers
du roi ; après la suppression de l'ordre, les trésoriers remplacèrent
les Templiers comme banquiers du roi. Cette organisation man-
quait d'unité, il fallait nécessairement une direction supérieure
des finances. Le tout-puissant favori Enguerrand de Marigny s'en
saisit et se chargea seul de l'administration financière, sans s'attri-
buer ni titre, ni office, ni traitement correspondant. Il se contenta
de profits occultes, au moyen de pratiques irrégulières, et surtout
au moyen d'un dédoublement momentané du Trésor. Après lui, le
Trésor fonctionne régulièrement, sous la direction d'un « souverain
établi par-dessus les trésoriers ». Dans un autre mémoire, M. Bor-
relli de Serres rectifie sur plusieurs points la biographie de Marigny,
démontre qu'il n'a pas été créé comte de Longueville par Philippe
le Bel. Il donne aussi des notices sur le trésorier Pierre Remy, les
Montagu, les Varye et autres gens de finances. Il achève de ruiner
la légende de Jacques Cœur, « ministre des Finances » de Charles VII ,
et la légende de Jean Bureau, qui n'a pas été grand maître de l'artil-
lerie ni inventeur technique. Bien que M. Borrelli de Serres emploie
trop souvent son temps à réfuter des auteurs dont l'insuffisance
1. Recherches sur divers services publics, du XIIIe au XVII" siècle. T. III ;
Notices relatives aux XIVe et XVe siècles. Paris. Alph. Picard, 1910, 591 p.
Prix : 10 fr. Voici les litres des notices : I, le Trésor royal de Philippe IV à
Philippe VI. — II, Officiers des finances de Philippe IV à François I0' (liste des
trésoriers de France, clercs du Trésor, changeurs du Trésor, etc). — III, Les
plus anciens présidents au Parlement. — IV, Notes sur quelques-uns des gens
de finances. — V, les Feux dans le Languedoc. — VI, Trois hypothèses sur les
variations monétaires (réponse aux critiques de M. Dieudonné). — VII, la Date
de Y Estât des offices (ce petit traité est de 1450-1452).
358 BULLETIN HISTORIQUE.
scientifique n'est plus à démontrer, son livre, que nous regrettons
de ne pouvoir analyser tout entier, est de ceux qu'on ne peut pas
ignorer. Tous ceux qui étudient le développement des institutions
monarchiques à la fin du moyen âge ont contracté une dette envers
M. Borrelli de Serres. Il est de cesérudits qui, par leurs recherches
fécondes dans les documents inédits, et aussi par la précision de leur
intelligence, leur sincérité envers eux-mêmes et la vigueur de leur
esprit critique, renouvellent tous les sujets qu'ils traitent.
Les travaux de M. Borrelli de Serres sur les variations moné-
taires du xivc siècle ont, avec ceux de MM. Bridrey, Babelon, Dieu-
donné, etc., aidé M. Adolphe Landry à écrire un livre d'ensemble
sur les mutations de monnaies, de Philippe le Bel à Charles VII1.
Mais M. Landry s'est placé à un point de vue particulier. Il ne fait
pas l'histoire des mutations; il n'a pas recherché de documents iné-
dits et n'apporte pas de faits nouveaux. Il construit une théorie
économique des mutations, il nous donne « une étude systématique
des mutations au point de vue économique ». Tout en s'aidant des
découvertes de l'érudition moderne, il reprend les textes les plus
connus, tels que les Ordonnances royales, et s'applique à en donner
une interprétation cohérente, que ne choque ni le sens commun, ni
les données de l'histoire générale, ni ce que nous savons des idées
du moyen âge. Bref, il fait œuvre d'économiste, tout en espérant, et
à très juste titre, être utile aux historiens. Son livre, écrit avec soin
et avec le souci d'être à la fois clair et nuancé, aura, souhaitons-le,
assez de lecteurs pour que les erreurs ressassées à ce sujet dispa-
raissent des manuels et de l'enseignement historique. Après un pre-
mier chapitre sur le système monétaire de l'ancienne France, sont
définis les modes de mutation; il y a eu des réductions de titre,
quelquefois même des réductions de poids, mais il y a eu surtout
des « affaiblissements » de monnaie par augmentation arbitraire de
leur cours légal, exprimé en monnaie de compte ; de même les « enfor-
cissements », plus rares, se sont opérés surtout par l'abaissement
du cours légal. Pourquoi ces mutations? Il faut se ranger aux con-
clusions de M. Borrelli de Serres, repousser l'idée que les rois aient
usé alternativement des affaiblissements et des enforcissements pour
payer moins et recevoir plus. Les raisons pour lesquelles on muait
les monnaies sont tout autres, et M. Landry les énumère méthodi-
quement. Pour lui, la principale était le désir des rois de donner
1. Adolphe Landry, Essai économique sur les mutations de monnaies dans
l'ancienne France, de Philippe le Bel à Charles VU. Paris, Champion, 1910,
xvn-219 p. (Bibl. de l'École des Hautes-Études, 185e fascicule). Prix : 7 i'r.
HISTOIRE DE FRANCE. 359
plus de travail à leurs ateliers monétaires, d'augmenter la frappe et
par suite le bénéfice qu'ils tiraient de leur droit de monnayage. Et
en effet les mutations ont activé la frappe, mais, tant que les cens et
les autres revenus du domaine ont tenu grande place dans les
recettes royales, les affaiblissements de monnaie, qui ont constam-
ment fait décroître la valeur réelle de la livre, ont diminué les pro-
fits tirés du domaine : les redevances étant fixées une fois pour toutes
en monnaie de compte, la diminution des quantités de métal corres-
pondant à la livre était préjudiciable au roi; peut-être, au total,
a-t-il perdu plus que gagné aux variations monétaires. En tous cas,
la diminution de la valeur de la livre a causé un tort énorme aux
autres grands propriétaires. On a eu tort de dire que les mutations
ont eu peu de succès et de conséquences ; les prescriptions royales
passaient véritablement en pratique, jetaient momentanément le
trouble dans les transactions, changeaient les prix, et elles ont eu
pour effet durable un grand déplacement de la richesse, au détriment
de l'église et de la noblesse.
Les historiens que forment maintenant nos Facultés de droit con-
tinuent à nous donner d'excellents travaux sur les institutions du
moyen âge. M. Ernest Perrot a écrit un livre intéressant et neuf
sur les cas royaux * . Il y étudie successivement les différents cas
royaux, la théorie juridique, la procédure et termine par une com-
paraison avec les cas ducaux en Normandie. Selon lui, jusqu'à la
fin du xive siècle, la monarchie n'a point cherché, dans les « casus
ad dominum regem pertinentes », une arme de guerre contre les jus-
tices seigneuriales. Seuls, le cas d'infraction à la paix et le cas d'in-
fraction aux ordonnances royales paraissent dériver des devoirs du
roi comme chef de la nation et se sont établis aux xme et xive siècles
sur des principes étrangers et contraires au principe féodal ; tous les
autres cas ont une origine qui se perd dans la nuit des temps et
reposent sur cette idée de droit féodal que le seigneur ne peut pas
recevoir justice de la main d'un vassal : dans les affaires qui
touchent le roi, celui-ci est nécessairement juge et partie. La dynas-
tie capétienne s'est montrée en somme, à cet égard, beaucoup moins
envahissante que la dynastie anglo-normande. Ces conclusions ne
surprendront sans doute qu'à moitié les historiens familiers avec
les textes des xme et xive siècles, mais personne n'avait encore tiré
au clair cette question. Voilà une très utile contribution à l'histoire
du droit monarchique en France.
1. Les Cas royaux, origine et développement de la théorie aux XIIIe et
XIV siècles. Paris, Arthur Rousseau, 1910, 370 p.
360 BULLETIN HISTORIQUE.
Sans être d'une importance égale. l'Essai sur la connaissance
et la preuve des coutumes en justice, dans l'ancien droit
français et dans le système romano-canonique, par M. Hippo-
lyte Pissard\ est un livre solide, fortement documenté et bien
composé. Comment le juge acquérait-il la connaissance de la cou-
tume? Par qui la preuve de la coutume était-elle faite? L'auteur
étudie cette question depuis l'époque barbare jusqu'à la fin de l'an-
cien régime ; on lira avec un intérêt particulier les chapitres sur
l'origine, le développement et le déclin des enquêtes par lurbe qui,
après avoir été mises régulièrement en pratique par saint Louis
pour la preuve de la coutume, ont été rendues à peu près inutiles
par la rédaction des coutumes à partir du xve siècle et ont été abolies
par l'ordonnance d'avril 1667. Sans nier l'influence du droit nor-
mand. M. Pissard pense que l'enquête par turbe remonte à Yinqui-
sitio carolingienne, par l'intermédiaire des enquêtes faites, notam-
ment au temps de Philippe-Auguste, pour la sauvegarde des droits
royaux. Nous adoptons d'autant plus volontiers cette opinion que,
pour notre part, nous ne croyons pas que la monarchie ait jamais
pu cesser tout à fait d'avoir des missi et d'ordonner des enquêtes.
Les Recherches sur les maîtres des requêtes de V Hôtel, des
origines à 1350, de M. André Guillois, éclairent aussi la question
de la justice retenue par le roi, mais cette fois au point de vue des
relations entre les divers organes de justice royale2. Les maîtres des
requêtes de l'Hôtel, qui avaient pour mission de recevoir et exami-
ner les requêtes adressées au roi, jugeaient parfois sur le fond, sans
qu'on puisse établir une délimitation précise de compétence entre eux
et le Parlement. Adoptant l'opinion la plus répandue, M. Guillois
aperçoit l'origine de cette institution dans les Plaids de la Porte,
tels que les décrit Joinville. Malgré des recherches sérieuses aux
Archives nationales, l'auteur n'a pu apporter de textes nouveaux
antérieurs à l'année 1316. Mais, à partir de cette date, les documents
imprimés ou inédits abondent. On voit quel est le nombre, la qua-
lité, la carrière des maîtres des requêtes de l'Hôtel; quels actes ils
commandent en vertu de leurs fonctions (faveurs diverses et actes
administratifs d'une part, actes relatifs à l'exercice de la justice, de
l'autre) ; quel rôle ils jouent à la chancellerie ; quelle est leur juridic-
tion; quelle situation ils occupent au Parlement; quelles missions
le roi leur confie dans le royaume et au dehors. Le livre de
M. Guillois fera jusqu'à nouvel ordre autorité sur la matière. Il est
1. Paris, Arthur Rousseau, 1910, 223 p.
2. Paris, Larose et Tenin, 1909, 281 p.
HISTOIRE DE FRANCE. 361
écrit avec le sentiment de la réalité historique, de la souplesse et de
l'imprécision des institutions du moyen âge. L'auteur a d'ailleurs
fait aux Archives de véritables trouvailles ; je citerai surtout un
jugement (pièce justif., n° 6) rendu en 1325 par les maîtres des
requêtes de l'Hôtel au nom de la Cour du roi, texte probablement
unique en son genre jusqu'ici et qui prouve que la Curia conser-
vait encore ses pouvoirs judiciaires à côté du Parlement émané
d'elle.
Histoire provinciale et féodale. — Une Société des re-
cherches historiques du Vaucluse s'est fondée pour publier des
« Recherches historiques et documents sur Avignon, le Comtat-
Venaissin et la principauté d'Orange ». Des archivistes de la région
et des savants locaux. MM. Labande, Girard, Claude Faure,
Duhamel, l'abbé Requin, etc., nous promettent des travaux sur
les institutions, l'archéologie et les arts, la vie économique et sociale
du pays, depuis l'antiquité jusqu'aux temps modernes. Et à coup
sûr peu de provinces méritent mieux que celle-là le culte des gens
de goût et la dévotion des curieux du passé.
Les deux volumes que nous avons rerus de cette collection sont
des recherches de M. Joseph Girard, conservateur de la biblio-
thèque d'Avignon, et du Dr Pansier sur la Cour temporelle
d'Avignon aux XIVe et XVe siècles*, et une étude de M. Claude
Faure, archiviste delà Drôme, sur V Administration et l'Histoire
du Comtat-Venaissin du XIIIe au XVe siècle. (1229-1417)-.
La cour temporelle d'Avignon avait à la fois des attributions
judiciaires et des pouvoirs administratifs très étendus. Chargée de
faire crier à certaines dates les vieux statuts de 1246, elle y ajoutait,
pour les besoins du moment, des prescriptions nouvelles, et en
somme, nous disent MM. Girard et Pansier, tout ce qui concernait
la police de la cité, au sens le plus large du mot, était soumis à son
pouvoir général de réglementation. Les pièces justificatives, qui
occupent les trois quarts de ce livre, et le substantiel mémoire où
elles sont utilisées prouvent en effet l'importance de la cour tempo-
relle dans la vie avignonnaise. Les historiens d'Avignon et de la
société urbaine au moyen âge trouveront là une foule de détails pré-
cis et intéressants. Nous citerons notamment un acte d'accord conclu
en 1452 entre les maîtres chaudronniers et leurs ouvriers, que nos
deux auteurs qualifient à bon droit de « très curieux ».
Les éléments du livre de M. Claude Faure ont été puisés aux
1. Paris, Champion; Avignon, Roumanille, 1909. 22^ p.
2. Ibid., 1909, 230 p.
362 BULLETIN HISTORIQUE.
archives du Vatican et aux archives du département de l'Isère. Son
exposé est précis et bien ordonné et laisse une impression nette. On
y suit, à travers l'énumération des très nombreux petits faits que
fournissent les documents d'archives, la formation territoriale du
Comtat-Venaissin, cédé en 1229 par le comte de Toulouse à l'Église
et annexé définitivement à l'Etat romain, pour cinq siècles, en 1274;
le développement des institutions administratives, judiciaires et
financières, les réformes rendues nécessaires par les exactions des
recteurs, la concentration finale des pouvoirs entre les mains d'un
légat, l'appauvrissement dû aux épidémies et aux pillages des rou-
tiers. A vrai dire, les faits de la vie du Comtat de 1229 à 1417 ne
sont indiqués qu'autant qu'ils expliquent la formation et la déca-
dence de l'administration pontificale, et on ne trouve dans ce livre
qu'une partie de 1' « Histoire du Comtat-Venaissin » annoncée un
peu inexactement dans le titre. Mais la méthode suivie par l'auteur
pouvait seule donner de l'unité à son livre. La seule critique
sérieuse que nous ayons à lui faire est de n'avoir pas établi un rap-
prochement du même genre entre les institutions, dont l'étude était
le véritable objet de son travail, et l'histoire générale de la papauté.
Il ne fait pas remarquer à ses lecteurs que, depuis 1274, le Comtat
n'a été accru et diligemment administré que par les papes résidant
à Avignon durant la première moitié du xive siècle. Les autres,
résidant à Rome, ou possédés du désir d'y revenir, ou absorbés par
les luttes du grand schisme, n'ont guère cherché qu'à exploiter le
Comtat. C'est Grégoire XI qui, en 1372, a commencé à distribuer
les revenus du Comtat à ses parents et amis. C'est à la fin du
xive siècle que les impositions extraordinaires deviennent fréquentes
et lourdes et c'est au cours également de ce siècle que, dans l'exer-
cice de la justice, les fructueuses amendes se substituent aux châti-
ments corporels. Il faut reconnaître d'ailleurs que les malheurs du
temps faisaient aux gouvernements la tâche difficile. Dévastations
des gens de guerre, insécurité, anarchie, ce sont des phénomènes
qu'on constate alors en France ou en Bourgogne aussi bien que
dans le Comtat; de même, l'aggravation de la fiscalité, le dévelop-
pement simultané de la centralisation et de la consultation des Etats.
Et partout la misère populaire est la même.
Les deux ouvrages que nous venons d'examiner inaugurent
heureusement les publications de la Société des recherches histo-
riques du Vaucluse. Espérons que la Société aura assez de res-
sources pour tenir tout ce qu'elle promet et aussi pour éditer con-
venablement les travaux qui lui seront adressés. Le premier volume,
HISTOIRE DE FRANCE. 363
celui de MM. Girard et Pansier, est imprimé avec un soin suffisant.
Mais on n'en peut dire autant de celui de M. Claude Faure.
L'année 1 909-1 9 1 0 a vu paraître deux histoires de Philippe le Hardi ,
duc de Bourgogne, bien dissemblables de conception et d1 exécu-
tion. M. Otto Cartellieri, professeur à l'Université de Heidelberg,
a publié une courte monographie, d'ailleurs très bien informée, où
l'on trouvera en 114 pages tout l'essentiel sur le rôle politique du
premier des ducs de Bourgogne- Valois ' . M. Cartellieri connaît à
fond la bibliographie du sujet et a même fait suivre son petit livre
de quelques pièces inédites. Mais on voit que Philippe le Hardi ne
l'intéresse que comme l'ancêtre des grands ducs d'Occident du
xve siècle et il résume là les recherches qu'il a été amené à faire sur
les origines de la politique bourguignonne; ce volume, comme il le
déclare lui-même, n'est qu'une introduction à une Histoire de la
maison de Bourgogne, où Philippe le Bon et Charles le Téméraire
auront la large place qui leur est due. D'un tout autre genre est le
premier volume de l'Histoire de Philippe le Hardi de M. Ernest
Petit2, qui, on le sait, a publié une histoire très touffue des Ducs
de Bourgogne de la race capétienne. Le premier tome de la
série des Ducs de Bourgogne de la maison de Valois concerne
Philippe le Hardi et la Bourgogne de 1363 à 1380. Les principaux
chapitres sont consacrés à la lutte contre les compagnies et aux che-
vauchées du duc contre les Anglais. On lira avec intérêt l'appen-
dice I, les États de Bourgogne sous Philippe le Hardi, et
avec curiosité l'appendice II, Amendes de justice, coutumes et
usages singuliers. Dans le premier chapitre du livre sont groupés,
avec un défaut de méthode qui désarme par sa candeur même, des
renseignements sur la jeunesse de Philippe; des lettres missives
provenant de divers membres de la famille royale et relatives aux
sujets les plus divers; puis des textes concernant les constructions
et les résidences de Philippe le Hardi, les horloges, les sceaux. Au
reste, l'auteur, dans sa très modeste préface, nous déclare avec
bonhomie qu'il ne prétend pas faire l'histoire des ducs de Bourgogne,
mais mettre à la portée du public des documents d'archives et en
composer une sorte de chronique, un de ces ouvrages « que l'on con-
sulte quelquefois, mais que l'on ne lit que rarement ». L'ouvrage
1. Geschichte der Herzoge von Burgund. Band I : Philipp (1er Kiihne. Leip-
zig, 1910, xn-189 p.
2. Ducs de Bourgogne de la maison de Valois, d'après des documents iné-
dits. T. I : Philippe le Hardi; 1" partie : 1363-1380. Paris, Alph. Picard,
1909, xi-530 p.
364 BULLETIN HISTORIQUE.
de M. Erncsl Petit a en effet le décousu, les lacunes, les prétentions,
le ton anecdotique et naïf et aussi parfois la saveur d'une chronique,
j'entends d'une chronique bien informée, fondée sur des renseigne-
ments sûrs et dont l'auteur, comme pour donner plus de sécurité à
ses lecteurs, cite souvent en entier des documents d'archives qui
interrompent l'exposé. Prenons donc ce livre pour ce qu'il est et
pour ce que son auteur veut qu'il soit et, sans dissimuler notre pré-
férence pour les œuvres fortement composées et qui tendent à épui-
ser le sujet qu'elles traitent, remercions M. Petit des textes inédits
qu'il nous apporte et qu'utilisera le futur historien de Philippe le
Hardi.
Comment se ruinaient les vassaux de ces fastueux ducs de Bour-
gogne, c'est ce que nous montre très clairement l'histoire des sei-
gneurs de Pesmes, écrite par MM. de Beauséjour et Godard L La
deuxième partie de cet ouvrage a paru quatorze ans après la pre-
mière ; elle comprend la période où la seigneurie franc-comtoise de
Pesmes appartient à la maison vaudoise de Grandson. Les obliga-
tions d'ost, très fréquentes et lourdes, les guerres privées, les rançons,
la diminution des revenus due aux ravages des gens de guerre, la
participation aux fêtes luxueuses de la cour ducale, tout cela menait
aux emprunts, aux hypothèques et à la ruine. Malgré plusieurs
mariages qui redorèrent momentanément son blason, la maison de
Grandson se trouva finalement dépossédée de la seigneurie de Pesmes
en 1451. Jean de Grandson. réduit à une vie d'aventurier, participa
à des opérations de faux monnayage et fut condamné et exécuté
secrètement en 1455. Les habitants de Pesmes avaient durement
souffert de leur côté du malheur des temps, mais leur condition se
trouva finalement améliorée; dès 1416, pour repeupler sa seigneurie,
Guillaume de Grandson avait aboli la mainmorte.
La maison de Bourgogne, comme on le sait, a eu au xve siècle
une série d'historiographes. Au premier rang, nous devons placer
Georges Chastellain, bien que nous n'ayons conservé de son œuvre
principale que des fragments. Tout bien considéré, c'est, avec Com-
mynes, le plus remarquable des chroniqueurs français du xv° siècle.
Son œuvre présente d'ailleurs le plus intéressant contraste avec celle
du compère de Louis XL Elle n'est point desséchée par le cynisme
politique. Elle est traversée encore par un souffle chevaleresque,
1. Gaston de Beauséjour et Ch. Godard, Pesmes et ses seigneurs, du XII' au
XVIII" siècle. 2e partie : De 1327 à 1451. Maison de Grandson. Vesoul, impr.
Bon, sans date, 236 p. de texte, clxxxv p. de Preuves et de Tables, 15 planches
et ligures. Tirage à part du Bulletin de la Société d'agriculture de l« Hmde-
Saône, 1906, 1908-1909.
HISTOIRE DE FRANCE. 365
anoblie par un souci remarquable de moralité, par le mépris de la
fourberie et des petites combinaisons. La position ambiguë de la
maison de Bourgogne donne au loyalisme de Chastellain une tour-
nure très spéciale. Il se déclare « bon Françoys », et il Test en effet,
il admire et aime profondément la France, mais il est avant tout un
fidèle Bourguignon et il regarde son maître Philippe le Bon comme
une victime du soupçonneux Charles VII et du rusé Louis XL Ces
sentiments, qu'il exprime en un style boursouflé et grandiloquent,
mais souvent pathétique et fort, donnent à sa chronique et à ses
opuscules de circonstance un accent très personnel, beaucoup de vie
et d'intérêt. Il est surprenant que son œuvre n'ait pas encore fait
l'objet d'une monographie critique. La brochure que vient de publier
M. Gabriel Pérouse ne comble qu'en partie cette lacune1. Elle est
dépouillée de tout appareil critique et même de toute référence, et
les problèmes d'érudition ne sont pas abordés; à vrai dire, c'est un
« essai » où successivement l'homme et ses idées, l'historien, le
rhétoriqueur sont étudiés, tels que nous les fait connaître l'édition
fruste et vraiment trop rudimentaire de Kervyn de Lettenhove.
M. Pérouse n'apprend rien de bien nouveau à ceux qui ont lu
Chastellain; mais il dégage avec clairvoyance et précision les carac-
tères de ses écrits. Son livre, écrit en une langue un peu compli-
quée, mais souple et nuancée, se lit avec plaisir.
Ch. Petit-Dutaillis.
EPOQUE MODERNE.
I. Histoire générale. — LalRevue a déjà signalé2 le service
que M. Gabriel Monod a rendu à l'histoire impartiale en traduisant
en français le petit livre de M. Boehmer sur les Jésuites. Ce sujet
n'avait guère été traité que par des panégyristes ou des détracteurs,
et l'on sera heureux d'avoir ce précis rigoureusement objectif, clair,
bien ordonné, vivant. Suffisamment complet malgré sa brièveté, il
paraîtra un peu sec en ce qui concerne la France, très nourri au
contraire sur la Bavière et l'Autriche, théâtres de l'activité de Cani-
sius, sur les missions en Asie et dans l'Amérique du Sud. C'est le
« premier siècle de la Société » qui est étudié avec le plus d'ampleur.
1. Georges Chastellain, étude sur l'histoire politique et littéraire du
XV siècle. Paris, Champion, 1910, 161 p. Prix : 3 fr.
2. T. CIV, p. 167. A signaler, en phototypie, le portrait d'Ignace par San-
chez Coello.
366 BULLETIN fllSTOIUQUE.
Cet utile manuel reste un peu pauvre d'idées et de conclusions.
Aussi accueillera-t-on avec plaisir Yîntroduct ion, d'une exception-
nelle importance, de M. Gabriel Monod. Il y examine à la fois des
questions critiques et quelques points de l'histoire des Jésuites. Il
dépasse peut-être encore M. Bœhmer dans le souci de l'objectivité
absolue. Il considère la Société comme une force, — force qui a,
d'ailleurs, évolué dans le temps, — à laquelle on peut refuser sa
« sympathie », mais non son « admiration », car les Jésuites peuvent
« se glorifier d'avoir restauré au xvie siècle la puissance de l'Église
catholique, de lui avoir insufflé leur esprit ». — Je ne crois pas que
jamais personne, en pareil sujet, ait fait un tel effort, suivi d'un tel
succès, vers l'impartialité. Tout au plus peut-on se demander si,
« dans cet effort pour être juste », M. Monod n'a pas « péché par
excès d'indulgence ». C'est là un genre de péché assez rare, même
chez les historiens.
La Société elle-même a entrepris, on le sait, de nous donner
l'histoire de ses diverses « assistances » { en utilisant les recueils
de documents conservés dans diverses provinces et maisons de « la
Compagnie », c'est-à-dire ce que M. G. Monod appelle « ses
archives d'Etat », et dont il a pu écrire que « personne, en dehors de
la Société, ne sait même où elles se trouvent »2. Ce mystère ne va
pas sans inconvénients : ces documents, même ceux d'entre eux que
la Compagnie s'est décidée à publier, échappent actuellement à tout
contrôle3.
Dans l'entreprise collective, la France a été réservée au P. Fou-
queray4. Le t. I, qui va jusqu'en 1575, contient certaines parties
1. Ont déjà paru deux volumes du P. Astrain sur l'Espagne, 1902-1905
(voy. Revue hist., t. XCVII, p. 381), un du P. Duhr sur les pays allemands,
1907, deux du P. Hughes sur l'Amérique du Nord, 1907 {Revue hist., t. Cil,
p. 156, et t. CIII, p. 415), un du P. Venturi sur l'Italie, 1909.
2. Préface aux Jésuites de Bœhmer, p. vu.
3. Ibid., p. vm : « Les historiens n'éprouveront une sécurité parfaite
que lorsqu'ils pourront eux-mêmes être admis à travailler dans les archives
de la Société et à tout contrôler. » Il n'y a pas parité entre le Corpus refor-
matorum, dont tous les éléments se trouvent dans des dépôts publics ou d'ac-
cès facile, et les Monumenia historica Societatis Jesu. On nous dit bien (Fou-
queray, p. xvn) où l'on trouvera la liste des publications déjà parues, que les
lettres, par exemple, de saint François Xavier sont publiées ici « dans leur
vrai texte », tandis que les premiers éditeurs avaient pris « la liberté de
changer le style, de paraphraser le texte et de supprimer quelques passages ».
Mais ces affirmations demeurent invérifiables.
4. Histoire de la Compagnie de Jésus en France des origines à la suppres-
sion (1528-1762). T. I : les Origines et les premières luttes (1528-1575), par
le P. Henri Fouqueray, S. J. Paris, A. Picard, 1910. In-8°, xxv-673 p. Index.
Le travail avait d'abord été conlié au P. Mercier.
HISTOIRE DE FRANCE. 367
générales qui n'intéressent que très indirectement la France ' , comme
si le nouvel auteur avait voulu combler les lacunes d'une publication
antérieure2. Mais la part de la France reste assez belle pour qu'il
vaille la peine d'examiner de près l'information, la critique, la
méthode du P. Fouqueray, l'esprit dans lequel il écrit, les résultats
auxquels il arrive.
Les archives de la Compagnie lui ont fourni. — à côté de recueils
déjà publiés et trop peu connus des « laïques »3, — une masse
énorme de lettres de cardinaux, d'évêques, de princes et de Pères,
d'instructions et de documents, d' « histoires » même des diverses
« provinces » de la Société. A ces archives, l'auteur a joint nos
dépôts publics parisiens et ceux des départements où il a pu relever
les traces de l'action de la Compagnie antérieurement à 1575. Poul-
ies imprimés, malgré l'étendue de sa liste bibliographique, on cons-
tatera des lacunes4, des bizarreries5, on s'étonnera qu'il se serve
d'éditions vieillies6 et on sera parfois en droit de se demander s'il a
manié tous les ouvrages qu'il cite7.
On ne pouvait s'attendre à ce qu'une histoire quasi-ofhcielle des
Jésuites de France fût absolument objective. Mais on était en droit
1. Les ch. in-v sur la fondation de l'Institut, les Exercices, les Constitu-
tions, sujets insuffisamment développés par le P. Astrain.
2. M. Monod, loc. cit., signale que le plan adopté (monographies régionales)
« n'est pas sans inconvénients pour un ordre dont l'unité et la centralisation
sont les caractères essentiels ».
3. Les Epistolae P. P. Broeti, etc., les Epistolae P. Nadal, les Epistolae
mixtae (1539-1556), les Litterae quadrimestres (15Ï6-1556), les Monumenta
paedagogica.
4. Les deux volumes de M. Imbart de la Tour auraient dû être cités à pro-
pos du ch. i".
5. Les sources imprimées sont divisées en : « 1° Recueil de documents et
ouvrages contemporains; 2° Ouvrages non contemporains. » Pourquoi faire
ligurer dans cette seconde section les Documents publiés par Carayon et la
Bibliotheca de Possevin, tandis que les œuvres de Manare ou de Maldonat
sont dans la première? Pourquoi y mettre Gaufreteau, tandis qu'on n'y met
point de Lurbe? Pourquoi appeler « non contemporains » de Thou et le Marty-
rologe ? est-ce parce que le P. Fouqueray n'en connaît que les éditions de 1734
et de 1618V — Que veut dire cette note sur les Archives historiques de la
Gironde : « Cet ouvrage... est composé de documents d'un intérêt surtout
local... »? Le P. Fouqueray a-t-il vu cet « ouvrage »? — P. xxiv : « Rodoco-
nachi. » — L'auteur attaque vivement Pasquier, mais ignore Faugère.
6. L'Histoire ecclésiastique citée d'après l'édition de Lille, 1841-42, et, ce
qui est un comble, les Opéra Calvini, d'après celle d'Amsterdam, 1561-1511
{sic, je pense qu'il faut lire 1671). On se demande, vraiment, à quoi il sert que
l'on publie, à grands frais, des éditions critiques.
7. Nous eu verrons une preuve pour le Livre des martyrs de Crespin et
pour de Thou.
368 BULLETIN HISTORIQUE.
d'espérer que, riche comme elle est d'esprits distingués, la Compa-
gnie désignerait pour cette tâche un érudit rompu aux règles de la
critique historique. On pouvait croire que cet érudit hésiterait à se
servir de documents manifestement faux, de faux aussi grossiers
que la lettre de Calvin au marquis du Poët1 ; qu'il nous ferait grâce
des histoires stupides, des calomnies cent fois réfutées qui ont traîné
des pamphlets de Bolsec dans les livres d'Audin2; qu'il s'épargne-
rait la peine de faire mourir par miracle (ô miracle de charité chré-
tienne!) les adversaires de la Compagnie3. Mais non; pour le
P. Fouqueray, toute affirmation des amis de saint Ignace ou de ses
sectateurs est au-dessus de la discussion, même lorsqu'il s'agit d'un
texte assez tardif4. Les faits embarrassants pour la Compagnie sont
racontés avec mille précautions, atténués, presque passés sous
silence5. Un exemple typique de cette méthode trop prudente nous
1. Il suffisait d'ouvrir les Lettres françaises de Bonnet, t. II, p. 588, ou les
Opéra Calvini (l'édition de Brunswick), t. XX, col. 588-592, pour s'apercevoir
que ces lettres (elles sont deux) sont apocryphes. J'ajouterai qu'il suffit de les
lire pour être convaincu que ce sont des fabrications aussi maladroites que
grossières; elles puent le faux.
2. Quelques exemples. P. 62 : anecdote grotesque d'un pasteur bàlois qui se
déclare vaincu par les arguments des Jésuites et menace de les faire jeter en
prison. Mais c'est le P. Bodriguez qui parle, « une quarantaine d'années (Fou-
queray, p. xix) après l'accomplissement des faits ». — Sur Bèze (p. 252), on
ramasse, sous la date du Colloque de Poissy, cette phrase de Fleury : « Il
venait d'épouser la femme d'un maître tailleur de Paris. » Bèze était marié,
avec une jeune fille, depuis plus de douze ans! — Mais le plus joli, c'est le
sérieux avec lequel on nous conte (p. 333) comment Calvin voulut faire le
ressusciteur de morts, « fait, dit gravement l'auteur, que les historiens de la
secte ont eu bien soin de laisser dans l'oubli ». Pas du tout, et s'il avait
feuilleté l'art. Calvin de la France protestante, le P. Fouqueray aurait eu la
joie d'ajouter au témoignage unique sur lequel il s'appuie (une lettre du P. du
Coudret) le témoignage non moins imposant de Bolsec, qui rapporte la chose
en son ch. xm. — Viret, « cet apostat » qui « ne possédait pas les qualités
d'un réformateur, mais... toutes celles qui pouvaient servir à la propagande »,
nous est sérieusement présenté (p. 465) comme ordonnant à Lyon des prières
publiques pour obtenir que le ciel bénît, à Malte, les armes des infidèles.
L'affirmation du P. Perpinien paraît une caution suffisante. — On accepte les
exagérations les plus puériles. A Dieppe (p. 546), sur environ 6,000 huguenots,
Possevin en convertit 2,500, puis Manare 4,000 dans la seule année 1570. A ce
compte, comment pouvait-il rester des huguenots à Dieppe à la fin du
xvie siècle? — Marguerite d'Angoulème (p. 270) meurt « dans le repentir ».
Les réformés sont toujours « insolents » ou « hypocrites ».
3. P. 407 : « Trois semaines après avoir écrit cette lettre, Turnèbe compa-
raissait devant le Souverain juge... » Voy. aussi p. 485.
4. Voy. p. 25, n. 2 : « M. Quicherat se croit-il donc mieux renseigné que
Bibadeneira...? » Voy. p. 28, n. 1, un texte du milieu du xvne siècle.
5. P. 274, le P. Pelletier « ramène » Benée de France « au catholicisme »,
mais on néglige de nous dire par quels moyens. Noter (p. 154) la façon trop
HISTOIRE DE FRANCE. 369
est fourni par l'exposé du rôle du P. Edmond Auger à Bordeaux
après la Saint-Barthélémy1. Tout ce qui a trait, d'ailleurs, à la res-
ponsabilité qu'a pu encourir la Compagnie dans les événements de
1572 est traité dans le même goût, conformément aux règles de
« saine critique » posées par M. Ch. Merki2.
habile dont on explique le départ des prélats français et allemands lorsque le
concile fut transféré de Trente à Bologne.
1. Ceci vaut la peine d'être vu de près. Voici les faits : Simon Goulard, dans
ses Mémoires de Charles IX (recueil ignoré du P. Fouqueray), t. I, p. 380 el
suiv. (éd. de 1579), donne un récit du massacre de Bordeaux : la richesse des
détails précis, l'abondance des noms propres, etc., permettent de croire qu'il
émane d'un témoin oculaire. Or, ce récit met directement en cause le P. Auger,
dont les prédications furibondes auraient déchaîné la sédition. Le même Gou-
lard, en rééditant Crespin, y insère ce récit (éd. de Toulouse, 1889, t. III,
p. 727), où l'on relèvera un résumé, bien inventé s'il est inventé, du sermon
prononcé par Auger le 29 septembre. Enfin de Thon (éd. de 1734, t. VI,
p. 468) prend à son compte les affirmations de 'Goulard. — D'autre part, les
chroniqueurs bordelais, de Lurbe, de Syrueilh (non cités par Fouqueray), ne
parlent pas d'Auger à ce propos. Le cas de Gaufreteau est, à la vérité, un peu
plus compliqué. Ce chroniqueur se plaint que Goulard, dans son récit des
massacres, ait commis des exagérations. Mais lui-même reproduit un passage du
sermon de la Saint-Michel, non pas, assurément, celui qui réclame un mas-
sacre, mais le passage relatif au procureur général Mulet. Or, Goulard et de
Thou disent précisément que le P. Auger invectivait Mulet parce qu'il était
trop tiède. On est donc en droit de se demander si Gaufreteau, qui écrit après
1632, n'a pas voulu atténuer la vérité. Cela méritait examen, puisque Gaufre-
teau authentique au moins une partie du récit tle Goulard. — Ajoutons que,
d'après une communication que veut bien me faire M. P. Courteault, on ne
retrouve, dans les archives locales, « aucun document, ni aucune mention de
document perdu qui fasse allusion au rôle du P. Edmond Auger dans les mas-
sacres de 1572 ». Il y avait donc lieu ici à discussion intéressante, et rien ne
nous dit que cette discussion eût tourné contre Auger. Mais que fait le P. Fou-
queray? Il parle à trois reprises du séjour du P. Auger à Bordeaux : il le
montre d'abord prêchant les avent et carême de 1571-72 (p. 517) et s'occu-
pant de la fondation du collège. Il revient sur ces prédications (p. 540), sans
que rien permette de supposer qu'elles sont immédiatement antérieures aux
massacres. Il fait seulement allusion à une lettre du P. Nadal, vicaire général,
en date du 10 septembre 1571, lettre d'où il semble ressortir que le P. Auger
n'apportait pas toujours « une grande réserve dans la manière de réfuter l'er-
reur ». Enfin (p. 630, n. 2) le P. Fouqueray consent à nous apprendre qu'il n'a
c trouvé dans les papiers de la Compagnie aucun document sur le massacre à
Bordeaux », et il reproche à Gaullieur d'avoir, dans son Histoire du collège,
accusé l'éloquent jésuite « sans indiquer aucune source ». Les sources de
Gaullieur sont Goulard et de Thou, cités dans la propre bibliographie du
P. Fouqueray. Les affirmations de ces auteurs (classés à tort dans les impri-
més non contemporains) devaient être discutées. Et alors deux questions se
posent : Ou le P. Fouqueray ne les a pas lus : et que vaut son information?
Ou il les a lus : et que penser de sa critique?
2. P. 629 : « Durant ces heures pénibles, les Pères de la Compagnie de Jésus
Rev. Histor. CV. 2e fasc. 24
370 BULLETIN HISTORIQUE.
Pour écrire une histoire critique, une première chose est néces-
saire, c'est d'envisager les événements humains dans leur réalité
humaine. Pour le P. Fouqueray, au contraire, l'histoire de la Com
pagnie est l'histoire des interventions de Dieu en faveur de l'Ordre1.
II écrit un Discours sur l'histoire universelle, où le « peuple élu »
est représenté par les enfants d'Ignace. Il n'est donc pas étonnant
que le môme personnage, la même institution, le même corps orga-
nisé soit tour à tour par lui porté aux nues ou chargé d'anathèmes,
selon qu'il sert ou qu'il contrarie les projets de la Société2.
On devine, dans cette conception transcendantale de l'histoire, ce
que peut devenir l'idée de tolérance. Si la volonté de Dieu est que
la Société de Jésus règne sur la terre pour le bien de l'humanité, il
s'ensuit évidemment que toute restriction apportée à l'exécution des
plans de la Compagnie, du « plan divin », est une « persécution »3 ;
toute mesure de tolérance envers les adversaires est une « perfi-
die »4, quand elle n'est'pas un « sanglant outrage » à l'immuable
vérité5. L'esprit qui anime le P. Fouqueray, c'est toujours, en dépit
eurent un rôle tout charitable et apostolique. » Ce rôle consista d'abord à
empêcher de massacrer par erreur de « bons catholiques » anglais ou écossais.
A Lyon, Possevin poussa plus loin la « charité » : il rit une « démarche pour
sauver, au moins de la mort étemelle, deux cents calvinistes » condamnés à
mort. C'est-à-dire qu'il voulut profiter de la terreur inspirée à ces malheureux
pour les convertir. Et comme son « affectueuse » sollicitude échoua devant
leur « endurcissement », ils furent massacrés. Le même Possevin nous est
déjà représenté, à propos de la croisade qu'il poussa Emmanuel-Philibert à
faire contre les Vaudois, sous les plus fausses et les plus doucereuses couleurs.
Comme j'aime mieux (p. 355) la franchise du P. Maldonat, qui écrit du Poi-
tou, en 1570 : « Le peuple parait tout heureux qu'on le force à se convertir » !
1. P. 1 : « Dieu... n'inspira point d'un seul coup à Ignace... » P. 2 : « Sa
mission providentielle..., le développement du plan divin. » P. 5 : « La voie
où Dieu veut le faire entrer. » P. 302 : « Grâce au secours de Dieu..., à une
protection sensible du ciel... ».
2. La Faculté de théologie, objet de ses éloges quand elle instruit saint
Ignace, devient indigne de pardon quand elle s'oppose à l'établissement du
collège de Clermont. Le monopole de l'enseignement, intolérable aux mains
des villes ou des universités, devient saint quand il fonctionne pour les Jésuites
(p. 467).
3. P. 231-233 : nous sommes à une date (1559) où déjà fonctionne le collège
de Billom, et où l'on s'emploie pour ouvrir celui de Paris. On nous dit que
« Henri II n'avait jamais cessé » de favoriser la Compagnie. Cela n'empêche
pas le P. Cogordan de faire « plaider auprès du nouveau roi la cause de ses
frères persécutés ».
4. P. 250, à Poissy : « les intentions perfides du gouvernement ». Or, ces
intentions consistent à « poser les bases d'une tolérance générale et d'un accord
entre les partis religieux ». Cela, en vérité, .ne saurait se souffrir.
5. P. 264 : l'édit de janvier, « sous le titre dérisoire d'édit de tolérance », est
HISTOIRE DE FRANCE. 371
de l'apparente modération de la forme, celui de Claude de Saintes
ou d'Artus Désiré. Il faut donc avoir le courage de le dire, au risque
d'être soi-même traité de « sectaire » : cette Histoire n'est critique
à aucun degré. Elle ne donne jamais au lecteur le sentiment de la
sécurité.
Est-ce à dire qu'elle soit sans intérêt et qu'elle ne nous apprenne
rien de nouveau ? Si l'auteur a des connaissances historiques par-
fois douteuses ', il a eu à sa disposition une telle masse de docu-
ments précieux que, malgré les inquiétudes que nous inspire sa
méthode, nous retrouvons dans son livre des fragments importants
de la correspondance des Pères. En attendant que nous ayons obtenu
la clef des archives jésuitiques, nous devrons nous servir du
P. Fouqueray pour étudier la longue résistance opposée par Eus-
tache du Bellay à l'établissement des Pères. Il nous semble, d'ail-
leurs, qu'à s'en tenir aux lois du royaume, l'évêque et la Faculté
étaient dans leur rôle en s'opposant à cette innovation. Au reste, de
tout le livre ressort ce fait capital que la France (j'entends ses parle-
ments, son clergé2, ses Universités, ses villes de commune) a tout
fait pour ne pas recevoir les Jésuites ; qu'elle a été contrainte de les
accepter par l'obstination de quelques personnages, un cardinal de
Tournon. un cardinal de Lorraine, un Guillaume du Prat. Qua-
rante ans de concordat n'avaient pas déraciné le gallicanisme.
Mais il est un point plus important sur lequel les lettres des
Pères, — tant celles qui ont déjà été publiées, mais que personne
n'allait lire, que celles qui nous sont inaccessibles, — ont une
valeur révélatrice : c'est l'histoire de la Réforme dans les derniers
« un sanglant outrage à cette religion catholique... » P. 265 : « Préserver la
religion de l'outrage que lui préparait une aveugle tolérance. » — Cf. p. 33 :
« Mais ces manifestations de la foi [processions de 1528] eussent été sans effet
sur les sectaires si de justes châtiments ne les eussent terrifiés. »
1. P. 627 : « Moncontour, qui termina la guerre... » P. 198 : « Jean de
Moustiers de Froissac », c'est Jean des Monstiers de Fraisse. Le « Paceco »
de la p. 222 est un Pacheco; l'auteur n'a pas vu qu'il utilisait un texte italien.
Inversement, s'il lit un texte espagnol, il fait d'un cardinal de Naples (p. 230
et index) « le cardinal de Napolès ». Pérussel devient Pérosel. Ce qui est plus
grave, le Béarn est confondu avec le comté de Foix (p. 270), parce que tous
deux dépendent des Albret. — P. 151, le texte cité ne porte certainement pas
le solécisme « ez la conduite ». — 11 fallait dire que la princesse de la p. 559,
n. 3, était Françoise d'Orléans (voy. duc d'Aumale, t. II, p. 95-96), qui fut
toujours une assez tiède réformée, et dont la conversion ne dut pas coûter
beaucoup de peines à Maldonat.
2. P. 236, en juillet 1560, les curés de Paris « conclurent unanimement que
les privilèges de la Compagnie de Jésus étaient incompatibles avec les libertés
de l'Église gallicane ».
372 BULLETIN HISTORIQUE.
temps du règne de Henri II et les deux ou trois années qui suivirent
sa mort. On ne constatera pas sans surprise, dans les lettres du
P. Broet, à quel point « l'hérésie » était puissante en France, même
dans ce Paris où l'on voit trop facilement le champion-né du catho-
licisme. Les documents relatifs au P. Laynez1 montrent le rôle con-
sidérable joué par ce Père et par la Société tout entière dans le
retour définitif des Valois à la politique d'intolérance. C'est aux
Jésuites quest due l'œuvre de contre- réformation. Lorsqu'ils
ouvrent leurs collèges, les enfants arrivent en classe, comme à
Pamiers en 1560, « avec les psaumes de Marot ou un catéchisme de
Calvin ». Les Jésuites entreprennent d'arrêter ce mouvement, de
faire rebrousser chemin à la France. Avec une patience et une sou-
plesse vraiment admirables, ils s'insinuent partout, cachent leur
véritable caractère2, se dissimulent au besoin. La Société se fait
« toute à tous » , et emploie tous les moyens pour arriver à cette fin
sacrée : rattacher la nation gallicane à la communion romaine.
Il est à peine3 excessif de dire que c'est la Société de Jésus qui a,
dans ces années décisives, empêché la France de verser dans l'héré-
sie ou dans le schisme. Qu'on le regrette ou qu'on s'en réjouisse,
tel est le fait qui ressort, avec un aveuglant éclat, des matériaux
utilisés par le P. Fouqueray. Il est permis de regretter que la Com-
pagnie n'en ait pas confié la mise en œuvre à un ouvrier plus judi-
cieux.
II. xvie siècle. — M. Fleury Vindry continue ses précieux
dépouillements sur les Parlementaires français au XVIe siècle*.
1. Le plus important (mémoire à Catherine contre la tolérance) était déjà
dans Grisar, Jacobi Laynez disputationes Tridentinae; mais qui l'avait lu?
— Le P. Fouqueray fait avec raison de Laynez l'antithèse de l'Hospital.
2. P. 236, le P. Cogordan porte à l'évêque de Paris les bulles et les lettres
patentes, « mais, d'après le conseil d'un docteur de ses amis, il se garda bien
d'y joindre les constitutions de la Compagnie ». C'est sans doute ce qui per-
mit au P. Fouqueray de stigmatiser (p. 272) « les hypocrites manœuvres des
réformés ».
3. Je dis : « à peine », parce que les Jésuites ont pu se vanter quelque peu
et grossir les succès des réformés.
4. Fleury Vindry, les Parlementaires français au XVIe siècle. T. I (2* fasc.) :
Parlements d'Aix (réimpression), Rouen, Rennes, Turin. Paris, H. Cham-
pion, 1910. In-8°, 367 p. — L'auteur a réimprimé le chapitre sur Aix pour uti-
liser le travail, qu'il déclare « assez remarquable, mais à peu près dénué de
toute critique », paru à Aix en 1909 sous le titre de Chronologie des cours
souveraines de Provence. Pour le parlement de Rennes, la publication du
« merveilleux ouvrage » de M. Saulnier a permis à M. Fleury Vindry de se
borner à nous donner la liste des magistrats. Turin a fourni très peu de docu-
ments.
HISTOIRE DE FRANCE. 373
La partie la plus importante de son nouveau fascicule est relative
au parlement de Rouen.
Le signataire du présent Bulletin a réuni en un volume quelques
études relatives aux origines et à la propagation de la Réforme en
France1.
Nous lisions jusqu'à présent le Journal d'un bourgeois de
Paris, ce texte capital pour l'histoire de François Ier, dans une ver-
sion fort défectueuse établie par Ludovic Lalanne. M. V.-L. Bour-
rilly reproduit le manuscrit Dupuy 743 tel qu'il est, « avec son
désordre, ses répétitions, ses confusions et ses lacunes »2. Sous
cette forme, la seule qui ait une valeur critique, le texte nous appa-
raît non plus comme un « journal », mais comme une compilation,
plus ou moins analogue à la Cronique du roi François I". Cette
compilation se compose même de deux parties, dont l'une a dû être
écrite moitié en 1520-1521, moitié en 1536, et dont l'autre doit
avoir été établie d'un seul coup, vers 1535. Il est difficile d'en déter-
miner l'auteur ou les auteurs3. M. Bourrilly a éclairé ce document
par une annotation à la fois sobre et riche. C'est désormais d'après
son édition qu'il faudra citer le prétendu Journal. On y trouvera,
en appendice, des fragments d'une autre chronique manuscrite déjà
utilisée par Guiffrey.
Sur les soixante-quatre lettres de Charles-Quint qui sont conser-
vées aux archives de Monaco, quarante-trois avaient déjà été publiées
par Gustave Saige. Mais, grâce à la munificence du prince et au
zèle érudit de M. Labande*, nous possédons maintenant, dans une
luxueuse publication, la totalité de ces lettres3, adressées aux Gri-
maldi, à don Pedro de Tolède, à del Vasto, etc. Elles présentent
1. Henri Hauser, Éludes sur la Réforme française. Paris, A. Picard, 1909.
In-12, xiv-308 p. Voy. la note de M. G. Monod dans Revue hist., t. CV, p. 185.
2. Le Journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier (1515-
1536), nouv. éd., par V.-L. Bourrilly. Paris, A. Picard et fils (Collection de
textes pour servir à l'enseignement de l'histoire), 1910. In-8°, xxv-471 p.
Index. Un index chronologique rétablit l'ordre des faits.
3. La conjecture que j'avais risquée (p. v, n. 3) ne me paraît plus très
défendable.
4. Recueil des lettres de l'empereur Charles-Quint qui sont conservées
dans les archives du palais de Monaco..., par L.-H. Labande. Monaco, impr.
de Monaco, 1910. In-4°, xvm-135 p. Fac-similés. Index.
5. Il s'agit de 64 lettres représentées par des originaux ou des copies. A
l'appendice, 4 lettres contenues dans un imprimé (Liber inslrumentorum) con-
servé aux mêmes archives. Ces dernières (1529-1544) sont adressées au vice-
roi de Sicile et au président du même royaume et relatives au droit qu'avaient
les Grimaldi de tirer du blé de la Sardaigne et de la Sicile.
374 BULLETIN HISTORIQUE.
autre chose encore qu'un intérêt de curiosité : le prix que mettait
l'empereur à la fidélité de cet allié « que François Ier n'avait pas su
attacher à sa fortune », en fait un recueil des plus utiles pour l'his-
toire diplomatique des années 1524-1548.
Parmi les causes qui arrêtèrent, en 1544, l'invasion delà France
par l'empereur, il faut certainement citer la résistance opposée à ses
troupes par la ville de Saint-Dizier. MM. Rozet et Lembey ' , ani-
més par le patriotisme local, se sont peut-être exagéré l'importance
de cette page d'histoire militaire. Mais il ne faut pas nous en plaindre,
puisqu'aux documents flamands déjà utilisés par Paillard et Hérelle,
ils ont joint d'abondantes sources italiennes2. Ces sources, qu'il y
aurait eu avantage à publier sous une forme plus maniable3, mettent
en lumière le rôle du comte de Sancerre, du capitaine Lalande et de
l'ingénieur italien Girolamo Marini.
Une publication comme celle des Lettres de Catheinne de
Médicis, poursuivie pendant près de trente années, ne saurait se
concevoir sans un abondant supplément. Le nouvel éditeur,
M. Baguenault de Puchesse, a rassemblé dans le tome X4 le
fruit de ses propres recherches et aussi les lettres de Catherine qui
ont été publiées, en dehors de la collection éditée par Hector de
la Ferrière ou par lui-même, par divers érudits, en tout 900 lettres
qui manquaient aux tomes précédents et qui couvrent la période
1537-15875. Sur ces 900 lettres, 300 sont adressées au seul Bel-
lièvre, 150 à Villeroy, 82 à Mandelot : M. Baguenault de Puchesse
a donc constitué comme un dossier de ces trois personnages.
Sous sa forme nécessairement condensée, ce volume suffirait à
donner une idée de la prodigieuse activité de Catherine. Il n'est pour
ainsi dire pas d'affaire sur laquelle, à côté de la lettre officielle,
signée du roi, émanant de la chancellerie royale, il n'existe une autre
1. Albin Rozet et J.-F. Lembey. L'Invasion de la France et le siège de
Saint-Dizier par Charles-Quint en 15kk. Paris, Pion, 1910. In-8°, vn-758 p.
Index.
2. C'est-à-dire les correspondances des ambassadeurs italiens auprès de
Charles-Quint. La plus importante est celle du Mantouan Camillo Capilupi. Il
manque toujours la contre-partie française de ces sources.
3. Toutes les dépèches nous sont données d'abord en traduction française
(p. 205-508), puis en italien (p. 509-743), sans préjudice de l'analyse qui en est
faite dans le récit. Les lecteurs capables de critiquer ces documents savent en
général assez d'italien pour les lire, et d'ailleurs la traduction n'est pas tou-
jours d'une exactitude indiscutable. — P. 114, n. 2, lisez : CléTambault.
4. Lettres de Catherine de Médicis... T. X. Supplément : 1537-1587. Paris,
Impr. nationale (coll. des Doc. inéd.), 1909. In-4°, xv-662 p.
5. Plus un « supplément au supplément » portant sur les années 1554-1584.
HISTOIRE DE FRANCE. 375
lettre, et souvent plus importante, de la reine-mère'. Ces deux
séries parallèles s'éclairent et se complètent, et il faut reconnaître que
celles de Catherine (notamment celles de l'interrègne de 1574) font
souvent le plus grand honneur à son énergie et à son esprit de
décision.
La publication est soignée2, suffisamment accompagnée de notes3,
enrichie de pièces justificatives4. Quand aura paru la table générale
des dix volumes qui s'imprime en ce moment, les Lettres devien-
dront le plus précieux répertoire de faits relatifs à l'histoire de France
au xvie siècle.
A propos de la publication du regretté C.-P. Bricka, la Revue5
avait signalé tout l'intérêt qu'offrent les dépêches et la personnalité
de Charles de Danzay, qui représenta la France à Copenhague
durant trente-neuf années consécutives et qui fut une sorte d'agent
général du Très chrétien dans les pays du Nord. M. Alfred Richard6,
1. Signalons au passage les lettres sur la campagne de 1552, sur le siège de
Rouen, la remarquable lettre du 4 décembre à Villef rançon (François II res-
pire encore, et déjà Catherine saisit avec vigueur les rênes du gouvernement),
l'importante pièce (p. 59 a, n. 2) du 12 juin 1562 (promet aux huguenots la
retraite des triumvirs); les lettres sur la paix de 1563, sur le renvoi de Chan-
tonnay (méfiance à l'égard de l'Espagne, surtout de Granvelle, qui paie Cathe-
rine de retour), les préludes de Bayonne, la levée suisse de 1567, l'épée et le
chapeau offerts par Pie V au vainqueur de Jarnac (p. 254 b), l'instruction écrite
pour le roi de Pologne (p. 324 b). Signalons aussi sa correspondance avec
Renée de France.
2. P. 86, 1. 19, la lecture, évidemment fâcheuse : « Gens, ligueurs », pour
« gens de guerre », n'est pas le fait de l'éditeur; elle est prise au Bureau de
la Ville de Paris. P. 250, n. 2, un malencontreux « nipoto ». P. 403 b : « Jou-
ney. » L'ordre chronologique est bouleversé pour l'année 1573 (p. 322-327). La
même lettre est imprimée deux fois, p. 466 et 570, confusion d'autant plus
étrange qu'une note de la p. 466 renvoie à la p. 570.
3. Note extraordinaire sur des Adrets, p. 58, n. 1 : elle n'est pas à sa date,
et elle est rendue inintelligible par une coquille. — P. 79, cette lettre est évi-
demment un résumé ou une traduction, non un texte authentique. — Sur Fer-
ralz, il aurait fallu citer Gachard, Biblioth. nationale; sur Danzay, Bricka,
Indberetnincjer fra Charles de Danzais til det franske Hof, dont les nos 65,
66, 67 (et aussi 74) éclairent la lettre de la p. 313.
4. Notamment le rôle de la maison de Catherine et un itinéraire de la reine.
— J'ai souvenir qu'aux archives du palais de justice de Riom, M. B. de
Puchesse aurait trouvé un dossier sur Catherine de Médicis comme duchesse
d'Auvergne.
5. T. LXXX, p. 333 (l'article n'est pas, comme le dit M. Richard, p. 5, de
M. G. Monod, mais du signataire du présent Bulletin).
6. Alfred Richard, Un diplomate poitevin au XVIe siècle : Charles de Dan-
zay, ambassadeur de France en Danemark. Poitiers, Biais et Roy (extr. des
Mém. de la Soc. des Antiq. de l'Ouest, 3e série, t. III), 1910. In-8% 262 p. En
appendice, une lettre inédite de Danzay à Catherine, 25 déc. 1566.
376 BULLETIN HISTORIQUE.
Poitevin comme Danzay, retrace la biographie de cet habile diplo-
mate, à qui ses relations avec les lettrés et les réformés1 donnaient
une véritable autorité. Rétablir et maintenir l'union entre les États
Scandinaves, faire de la France une sorte de haute tutrice, de média-
trice de cette fédération nordique, employer ce faisceau d'alliances,
complété par l'alliance polonaise, pour peser sur la politique alle-
mande, telle est la conception à laquelle Danzay a voué sa vie et sa
fortune2. Ajoutez-y un plan de pénétration commerciale dans la
Baltique et l'ouverture au trafic français de cette Moscovie dont
l'Angleterre entendait se réserver le fructueux monopole3.
L'émotion provoquée dans le monde litLéraire par l'apparition des
articles et du livre de M. Armaingaud sur le Contr'un n'est pas
encore calmée4. Sans songer à reprendre ici une polémique à laquelle
nous avons déjà consacré beaucoup d'encre5, disons en deux mots
pourquoi la thèse de M. Armaingaud nous paraît insoutenable :
1° lorsque les huguenots font pour la première fois usage, dans les
premiers mois de 1574, des fragments du Contr'un, ils ne peuvent
songer à les appliquer, et en fait ils n'en font l'application qu'au
seul Charles IX. Quelque haine qu'ils aient pour le roi de Pologne,
c'est bien le roi de France, c'est le « chasseur déloyal » qui est pour
eux « le tyran » ; 2° transformé, par l'usage qu'ils en font, en un pam-
phlet révolutionnaire, le Discours de la Boétie est en soi l'œuvre
d'un rhétoricien, un centon de textes antiques. S'il n'est pas de 1546,
il n'est pas davantage de 1572 ou 1573, mais des environs de 1550.
Le seul résultat positif auquel arrive M. Armaingaud nous parait
être d'avoir attiré l'attention sur la façon dont Montaigne juge la
Saint-Barthélémy.
Signalons l'étude, malheureusement écrite en polonais, deM.Wa-
claw Sobieski6 sur l'effet produit en Pologne par le massacre de
1. Il s'emploie activement, d'accord avec Mornay, en faveur de l'union des
églises protestantes.
2. Les dernières années du malheureux ambassadeur illustrent douloureuse-
ment l'histoire de la carrière diplomatique sous les Valois : Danzay mourut
prisonnier pour dettes.
3. Je lirais (p. 137-138) de la façon suivante les initiales qui signent le traité
sur la Concorde : Carolus Quissarme Danzaeus Aquitanus.
4. Dr Armaingaud, Montaigne pamphlétaire. L'énigme du Contr'un. Paris,
Hachette, 1910. In-8°, xvi-341 p.
5. Voy. Revue critique, 7 juill. 1910, p. 1-10.
6. Waclaw Sobieski, Polska a hugonoci po nocy sw. Bartlomieja. Cracovie,
Académie, 1910. In-8°, 231 p. Mon collègue M. Eiseninann a bien voulu m'ai-
der à me reconnaître dans cet ouvrage. En app. (p. 128-228) : les poslulata
avec les notes des églises; exposé adressé aux ambassadeurs par les Français
réfugiés en Suisse et en Allemagne, etc.
HISTOIRE DE FRANCE. 377
Paris, l'influence de cet événement sur l'élection du duc d'An-
jou, les efforts tentés par les ambassadeurs polonais en faveur des
huguenots de France. Fait en partie avec des sources ignorées en
France, ce travail éclaire l'histoire des Postulata polonica, et aussi
le rôle de Jean de Monluc, rôle d'entremetteur et de conciliateur.
Les correspondances qui s'échangèrent entre Cracovie d'une part,
Genève et Zurich de l'autre nous font voir dans les ambassadeurs
polonais les porte-parole non seulement des huguenots de la Rochelle
et de Sancerre, mais de la Réforme européenne.
Il manquait au D'Aubigné de feu M. de Ruble une table des
matières. M. P. de Vaissière nous a rendu le service de munir les
neuf volumes de l'Histoire universelle de ce complément néces-
saire'. Une courte préface, due à M. Baguenault de Puchesse,
indique discrètement l'utilité que présenterait une étude critique sur
les sources de d'Aubigné2; il laisse entendre qu'Agrippa historien
en sortirait assez diminué. On s'apercevrait sans doute qu'il a traité
certaines sources avec une désinvolture vraiment incroyable, résu-
mant à la diable des pages qu'il ne se donnait pas même la peine de
lire. C'est là un point qui n'est pas touché dans le brillant volume
que lui consacre M. Rocheblave3. On y voit surtout le huguenot,
le fidèle et grincheux serviteur du Béarnais, le fougueux auteur des
Tragiques, « le dernier des paladins ». On y trouvera un peu de
la complaisance que tout biographe doit à son client. Mais eût-il
convenu de parler en un froid langage4 de ce grand passionné?
« Né au pied du même clocher que Diane de Châteaumorand »,
M. le chanoine O.-C. Reure5 a voulu écrire l'histoire de l'auteur de
VAstrée. Malgré son patient labeur6 et sa parfaite connaissance des
lieux, il n'a pas dissipé toutes les obscurités du sujet. Après comme
avant lui, la psychologie de Diane reste un problème, et problème
1. Histoire universelle... T. X : Table des matières. Paris, Laurens (Soc.
de l'hist. de Fr.), 1909. In-8", v-374 p.
2. C'est assez dire que Ruble ne l'a pas faite.
3. S. Rocheblave, Agrippa d'Aubigné. Paris, Hachette (les Grands écrivains
français), 1910. In-16, 202 p. Un portrait, dont l'auteur est appelé Sarburg
sur la planche et Sardruck p. 43.
4. Quelques néologismes peu heureux, p. 47 : le « vaillantisme huguenot ».
P. 169 : « D'Aubigné... a voulu avoir sa peau. » — Et aussi quelques calem-
bours, p. 149 : croisés et tranche. Je n'aime guère (p. 148) que d'Aubigné,
pour écrire Fœneste, « taille à l'envers sa plume des Tragiques ». — P. 127 :
<( Louis le Grand » pour « Henri le Grand ».
5. O.-C. Reure. La vie et les œuvres de Honoré d'Urf'é. Paris, Pion, 1910.
In-8", xi-394 p., 4 grav. Index. — P. 149 : Vaux, lisez Vaud.
6. Notamment aux archives de Châteaumorand et à celle du château de
Léran (Ariège). Nombreux documents cités ou analysés dans le texte.
378 BULLETIN HISTORIQUE.
aussi sa rupture1 avec Honoré d'Urfé. Trop souvent M. Retire pro-
cède, par voie de conjecture2 et rejette comme improbable tout ce
qui ne lui paraît pas d'accord avec l'idée qu'il se fait de son héros.
Mais son livre, et c'est en cela qu'il nous intéresse ici, est une utile
contribution à l'histoire de la ligue forézienne et à celle de la poli-
tique française en Savoie au début du xvne siècle3.
III. xviie siècle. — On éprouve quelque scrupule à parler en
toute liberté de l'œuvre inachevée d'un jeune écrivain, « enlevé pré-
maturément ». Œuvre distinguée, où revivent avec intensité les
figures de Concini et de Léonora Galigaï4. A tous deux, mais sur-
tout à la maréchale d'Ancre, Fernand Hayem apporte le témoignage
d'un esprit fin et ferme, qui va droit au document, qui le critique
avec précision et qui ramène à leur juste mesure les exagérations
romantiques d'un Michelet. Il est seulement fâcheux qu'il ait manqué
à Fernand Hayem l'apprentissage du métier d'historien ou que, par
un juvénile souci d'élégance, il ait délibérément ignoré ceux qui
avaient, avant lui, traité le même sujet5.
L'un de ceux-ci, M. Louis Batiffol, reste fidèle à l'époque de
Louis XIII. Sous ce titre un peu factice, Le Roi Louis XIII à
vingt ans6, il esquisse la psychologie du jeune roi entre la chute
1. P. 382, M. Reure se vante d'avoir détruit une « légende », celle de la sépa-
ration des deux époux. Mais il avoue qu'il y eut « séparation à l'amiable »,
une séparation qui dura la bagatelle de vingt-deux ans; et même après la récon-
ciliation, Céladon et Astrée font « ménage à part ».
2. Notez les « sans doute », les « nous ne croyons pas », les « probable-
ment ».
3. Voy., p. 143, le rôle assez compliqué joué par d'Urfé, comme seigneur de
Virieu. Au moment de la négociation des mariages espagnols, il a mission de
rompre la promesse qui liait Élisabetb à Victor-Amédée. M. Reure publie des
fragments de lettres inédites de Gueffier à Puiseux et de d'Urfé à Villeroy.
4. Fernand Hayem, le Maréchal d'Ancre et Léonora Galigaï. Pion, 1910.
In-8°, vi-312 p., 2 portr. Le volume s'ouvre par une notice biographique due à
M. Abel Lefranc. — Le livre s'arrêtait à 1614. Les notes laissées par l'auteur
ont permis de résumer les événements de 1614 à 1617.
5. M. Louis Batiffol avait déjà donné (La Vie intime d'une reine de France)
la description de l'hystérie de Léonora, et d'après les mêmes documents que
F. Hayem, croyant les avoir découverts, reproduit en annexes (p. 215 à la fin).
Il semble que Hayem aurait pu donner davantage sur les interrogatoires d'André
de Lizza (p. 297), le musicien italien qui exerça sur Léonora une si extraordi-
naire influence. — Hayem ne parle pas assez (p. 36-37) des singulières
intrigues de Léonora avec Henriette d'Enlraigues et du rôle que ces intrigues
eurent dans le mariage de Concini (Batillbl, p. 350). Rien (la lacune est
étrange) sur la vie intime du ménage, une vie que les documents nous dépeignent
comme infernale.
6. Louis Batiffol, Le Roi Louis XIII à vingt ans. Paris, Calmann-Lévy, s.
d. [1910]. In-8°, vn-698 p., 1 portr. Un appendice sur Louis XIII et Versailles.
HISTOIRE DE FRANCE. 379
de Concini et 1' « ascension » de Richelieu. Par un ingénieux et
judicieux emploi des correspondances, des mémoires, des plaquettes,
en complétant et contrôlant les unes par les autres, il arrive à nous
donner un Louis XIII sensiblement moins effacé, plus volontaire,
plus autoritaire même que ne Font vu la plupart des historiens.
Malgré plus d'un effort tenté en ce sens, on fait encore trop de
Louis XIII le pâle et docile instrument d'un grand homme. Une
sensibilité vive, des qualités militaires qui excitaient déjà l'admira-
tion de Saint-Simon, le sentiment de sa dignité et de ses devoirs de
roi, tels sont dès 1620 les traits de cette figure. Il est déjà Louis
le Juste, impitoyable aux duellistes ; déjà il sait, dans ses rapports
avec sa mère, distinguer en soi le fils et le souverain. Sur certains
points, M. Batiffol a fait d'heureuses trouvailles. Il nous montre
comment la religion sincère de Louis XIII et son désir non moins
sincère de respecter l'Edit de Nantes s'associent très bien avec une
sorte de manie convertisseuse ; pas de mesures de rigueur, mais des
places données aux nobles du parti, des pensions aux ministres,
bref, tout un assez vilain marchandage des âmes et, comme dit
quelqu'un, « la religion mise à l'encan ». La conscience du temps
souffrait cela. — Avec les deux derniers chapitres, sur Luynes1 et
sur Richelieu, M. Batiffol rentre dans la grande histoire. Il retrace
avec beaucoup d'exactitude les multiples tentatives de l'évèque de
Luçon2, l'ambitieuse impatience qui lui fait tant de fois manquer le
but à l'heure où il croit l'atteindre, la souplesse avec laquelle cette
nature nerveuse, après une crise de désespoir, retrouve un mer-
veilleux équilibre, la ténacité qui se cache sous cette apparente
faiblesse3.
Cette ténacité dans la poursuite de ses fins personnelles, Riche-
lieu en a-t-il constamment fait preuve dans sa politique étrangère?
On ne saurait exagérer l'importance que présente, pour l'intelli-
gence de cette question, le nouveau tome, — le quatrième, — du
grand ouvrage de M. Edouard Rott sur la Repi*ésentation diplo-
matique de la France en Suisse*. C'est toute l'affaire de la Val-
1. Celui-ci, de même que le chapitre sur la chute de Concini, sont déjà con-
nus des lecteurs de la Revue.
2. P. 603, M. Batiffol cite la lettre du roi demandant le chapeau, lettre que
les historiens de Richelieu ont ignorée.
3. P. 643, n. 2 : « Bâtons invisibles, » lisez invasibles. — L'imprimeur de
M. Batiffol répugne à mettre un accent sur les imparfaits du subjonctif. Est-ce
en manière de compensation que l'on nous gratifie, p. 444, de cette forme
inattendue : « acquérât » !
4. Edouard Rott, Histoire de la représentation diplomatique de la France
auprès des cantons suisses, de leurs alliés et de leurs confédérés. T. IV : 1626-
380 BULLETIN HISTORIQUE.
teline dans sa deuxième période, c'est-à-dire à partir de la signature
du traité de Monçon. Les hauts passages des Alpes rhétiques, —
Bernina, Splugen, — jouent alors un rôle capital dans la politique
européenne, et des citadelles aujourd'hui bien déchues, — Chia-
venna, Sondrio, Tirano, Bormio, — sont des pièces maîtresses sur
l'échiquier où s'agitent un Tilly, un Wallenstein, un Gustave.
Mais il y a autre chose, dans ce volume, qu'un consciencieux
dépouillement des archives diplomatiques suisses, françaises, véni-
tiennes, etc. Il y a une conception, en partie nouvelle, de la poli-
tique de Richelieu, — nouvelle, si on laisse de côté quelques
phrases, généralement regardées comme chimériques, de Michelet1.
Richelieu a mis un tel art à rétablir, après coup, l'unité de sa poli-
tique, il a su dresser si bien la statue de l'homme qui d'une main
détruit La Rochelle et de l'autre combat la puissance des Habsbourg,
que la postérité l'a cru sur parole. — La thèse de M. Rott, c'est qu'en
somme la politique espagnole triomphe à Monçon et aussi dans les
négociations de 1629-1631, pour n'échouer, en définitive, qu'à
Rocroi; que Richelieu, incertain, hésitant, parfois moins ardent et
moins résolu que son roi, ne sait pas choisir entre la diplomatie de
Fancan et celle des capucins, qu'il se laisse « déborder » par les
intrigues des « espagnolisés » , de la reine-mère et de Bérulle ; qu'il
est joué, à diverses reprises, par du Fargis et quasi-dupé par Bru-
lart et le P. Joseph2; qu'en somme sa politique, à côté de « mani-
festations louables », offre aussi « des défaillances et des contra-
dictions... Disgracié au lendemain de la journée des Dupes et mort
dans la retraite, Richelieu n'eût sans doute pas laissé de son acti-
vité un souvenir plus durable qu'Olivarès de la sienne ». Assu-
rément, il y a lieu de tenir compte, plus largement que ne le fait
M. Rott, des difficultés au milieu desquelles se débattait le cardi-
nal3. Mais il n'y a pas lieu d'admirer béatement.
Battu à Monçon et encore après Monçon, il éprouve à Mantoue
un nouvel échec qui paraît plus directement imputable à ses hési-
tations. C'est seulement en 1629, après La Rochelle, qu'il lâche la
bride à Louis XIII; encore n'est-ce qu'un « feu de paille ». Il ne
1635; lro partie : l'Affaire de la Valteline; 2e partie : 1626-1633. Bumpliz,
BentPli, et Paris, F. Alcan, 1909. In-8°, vn-707 p.
1. Voy. Richelieu, ch. xxn et passim. Voy. aussi, plus récemment, les tra-
vaux de Kiïkelhaus et de Wiens sur Fancan.
2. Il faut faire cependant la part de la comédie dans les indignations du
cardinal. 11 peut, surtout après Ratisbonne, s'être montré plus irrité qu'il
ne l'était en réalité.
3. Michelet dit équitablement : « Richelieu doit être jugé relativement aux
difficultés de sa position. »
HISTOIRE DE FRANCE. 381
voit pas l'importance capitale de la question valteline, si bien qu'en
mai 1629 la Rhétie est aux mains des Habsbourg et l'ambassadeur
du Très chrétien à Coire est incarcéré parles Impériaux. L'échec de
Ratisbonne est quelque peu pallié par la victoire de Schomberg à
Casai, les astucieuses menées du cardinal en Piémont et la « comé-
die de Pignerol », ainsi que par la mission de Rohan à Coire. Mais
Richelieu a bien vite fait de craindre ses alliés, — Gustave et
Rohan, — autant que ses ennemis.
Enfin, contradiction suprême, démenti éclatant à cette politique
des Valois et de Henri IV, dont on nous le donne comme un fidèle
continuateur, le vainqueur des huguenots trame avec la catholique
Savoie l'écrasement de Genève. « Malgré le soin pris par Richelieu
d'effacer toutes les traces de cette défaillance », connue seulement
par quelques mémoires (ceux de La Force), passée sous silence par
les historiens, M. Rott en refait l'histoire d'après les dépèches
anglaises et celles du nonce. Ici, il s'agit d'une si grosse nouveauté
que les simples références qu'il nous donne sont insuffisantes; il
nous faudrait au moins des extraits. Même en laissant, pour l'ins-
tant, de côté cette dernière question, on voit que d'éléments M. Rott
apporte à l'étude critique du ministère de Richelieu avant les années
décisives 1635-1636.
C'est encore Richelieu, — et dans une de ses œuvres les plus
remarquables, — que l'on retrouve avec le tome IV de YHistoire
de la Marine de M. Ch. de La Roncière 1 . Mais, comme le pré-
cédent s'achevait avec Henri II2, celui-ci s'occupe d'abord de notre
marine pendant la période des guerres de religion et de Henri IV.
A beaucoup d'égards, c'est une période épique, c'est l'éveil de la
France à la politique mondiale. Sur tous les océans, et parfois sous
tous les pavillons, nos hardis gens de mer s'envont « en quête d'un
empire colonial ». Nouvelle-France, Frances antarctique, équi-
noxiale, arctique, orientale, Nouvelle-Guyenne, etc., ces créations
plus ou moins éphémères apparaissent sur les cartes. Ce problème
prend alors tant d'ampleur que le volume a souvent l'allure d'une his-
toire de la colonisation plus que d'une histoire de la marine3.
M. de La Roncière rend justice à ce qu'il y eut de vraiment génial
dans les vues de Coligny, lequel fut, autrement qu'en titre, amiral
1. Ch. de La Roncière, Histoire de la marine française. T. IV : En quête
d'un empire colonial. Richelieu. Paris, Pion, 1910. In-8", 739 p., grav.
2. Voy. Revue hist., t. XC1II, p. 339.
3. Au point de vue technique, signalons le chapitre (p. 608 et suiv.) sur les
navires à aubes, le chariot-canot automobile, les sous-inarins du P. Mersenne
et de Pradine.
382 BULLETIN HISTOIUQCE.
de France. Il ne fait pas assez voir le lien qui existait entre cette
politique maritime et coloniale et la question des Pays-Bas. Au
reste, les conceptions de nos hommes d'Etat et les admirables efïorts
de nos marins étaient voués à l'insuccès : la guerre civile absorbait
toutes les forces de la nation et nos dissensions intérieures sévis-
saient même aux antipodes '. La sauvage cruauté des Espagnols fit
le reste. Si Henri IV a eu le sentiment très net du rôle que la mer
devait jouer dans le commerce extérieur delà France, c'est avec Riche-
lieu seulement que s'élabore la reconstruction systématique de notre
marine. L'auteur montre quelles luttes, — contre les amiraux, le
général des galères, etc., — le grand maître de la navigation eut à
livrer pour unifier et centraliser l'administration navale. Si la prise
de La Rochelle est considérée, presque unanimement, comme une
victoire nationale, c'est parce que l'échec de la flotte anglaise est le
signal de notre émancipation maritime.
M. de La Roncière conte tout cela en un style ardent et imagé, un
vrai style de corsaire, où passent les vivifiantes senteurs des embruns
et le fracas des abordages2.
Nous n'avions des Mémoires de Turenne que des éditions faites
d'après celle de Ramsay. La Société de l'Histoire de France a
chargé M. P. Marichal de reproduire le manuscrit autographe3.
L'éditeur a joint à ce texte essentiel des notes empruntées surtout
aux Archives du quai d'Orsay4.
1. Pour Villegagnon, l'auteur suit de trop près le récit tendancieux de Heu-
lhard. Je ne vois pas (p. 16) que l'idée « généreuse » de Coligny : « exporter
au Brésil une religion qui n'avait point cours en France, » fût une idée
« absurde »; au contraire. C'est à cette idée que les colonies anglaises ont dû
leur essor, et il est très regrettable que Richelieu ait été, sur ce point, aveu-
glé par des préoccupations confessionnelles. — Voy. Eugène Guénin, Premiers
essais de colonisation. Les Français au Brésil et en Floride (1530-1568).
Paris, Eugène Bigot, 1910. Petit in-8°, 100 p. Fait trop exclusivement avec les
sources protestantes.
2. La documentation est toujours très soignée. Voy. notamment l'usage fait
des mémoires inédits de Beaulieu de Pairsac (voyage du Levant, 1608-1610).
— P. 55, n. 4, on signale une édition de le Challeux de Dieppe, 1566. Du Ver-
dier et Baudrier (t. IV, p. 341) disent Lyon, 1566. M. de La Roncière n'a-t-il
pas été trompé par ce fait que cette édition lyonnaise est datée de Dieppe,
22 mai?
3. Mémoires du maréchal de Turenne, publiés... par Paul Marichal. T. I :
1643-1653. Paris, H. Laurens {Soc. de l'hist. de Fr.), 1909. In-8°, 379 p. L'ou-
vrage sera complet en deux volumes. M. Marichal a reproduit, avec raison, la
graphie du ms. (qui appartient au marquis de Talhouët-Roy), mais pourquoi
ne pas donner en note la transcription des noms propres? — Il signale les
interpolations de Champollion.
4. Le premier volume a 48 pièces justificatives, dont 15 lettres de Mazarin
qui manquent à Chéruel.
HISTOIRE DE FRANCE. 383
L'une des dernières campagnes de Turenne, la glorieuse campagne
d'Alsace de 1674-1675, a tenté le général Legrand-Girarde1.
M. P. des Robert2 l'avait déjà étudiée, surtout d'après les archives
des Affaires étrangères. M. Legrand-Girarde s'est documenté aux
archives de la Guerre et il a vu de près les plus récents ouvrages
publiés en Allemagne sur ce sujet. Ses connaissances techniques et
sa familiarité avec le terrain des opérations lui ont permis de débar-
rasser l'histoire de Turenne d'un certain nombre de légendes roma-
nesques3. Ramené aux proportions d'un homme, Turenne reste un
très grand homme, et la marche d'hiver derrière les Vosges une
très grande chose. Ajoutons que M. Legrand-Girarde donne une
idée très juste des conditions de la guerre au xvne siècle'''.
Le Clergé de France n'est pas seulement, au xvne siècle, le premier
ordre de l'Etat; il n'est pas seulement un corps spirituel, capable de
donner son avis sur la répression de l'hérésie ou les rapports de la
couronne avec le Saint-Siège. Il est encore une organisation finan-
cière que M. Cans a raison de comparer avec celle des Etats provin-
ciaux5. Comme ces Etats, les assemblées du clergé sont un moyen
pour prélever, en bloc et d'un seul coup, sur une collectivité des
impôts que celle-ci répartira ensuite, et d'après ses règles propres,
entre ses membres. Nées, à l'origine, d'une opération financière,
d'un contrat entre une monarchie famélique et une église riche0,
les assemblées du clergé conserveront toujours ce caractère. Il ne
faut pas que les historiens se laissent aveugler par les incidents plus
ou moins dramatiques, tels que ceux de 1682; le rôle essentiel de
l'assemblée du clergé est d'être une machine à répartir des décimes et
1. Général Legrand-Girarde, Turenne en Alsace. Campagne de 1674-1675.
Paris et Nancy, Berger-Levrault, 1910. In-8°, xix-163 p., 7 cartes (dont 3 réduc-
tions de Beaurain), 3 médailles.
2. Inexactement cité, p. xvi. Voy. Revue hist., t. LXXXV, p. 339, et
t. LXXXVI, p. 138.
3. Excellente discussion, p. 112 et suiv., sur la façon même dont le plan de
campagne a germé chez Turenne. De même p. 150 (Turenne a gagné Turckheim
par Wintzenheim et n'a point fait la folie de franchir le Hohenlandsberg).
4. P. 158. Il faut notamment insister, pour expliquer le peu d'acharnement
de la poursuite, sur la nécessité qui s'imposait à Turenne de ménager les
populations alsaciennes. La guerre, alors, se compose de négociations tout
autant que de batailles. — P. vu : « États de Bourgogne » pour « Comté de
Bourgogne ».
5. Albert Cans, L'Organisation financière du clergé, de France à l'époque
de Louis XIV. Paris, A. Picard, 1910. In-8% ix-321 p. Index et carte. — Id.,
La Contribution du clergé de France à l'impôt pendant la seconde moitié du
règne de Louis XIV (1689-1715). Ibid. In-8°, xi-104 p. La thèse secondaire
est une illustration partielle de l'autre.
6. Voy. le livre de M. Serbal.
384 BULLETIN HISTORIQUE.
à consentir des dons gratuits. M. Cans étudie, d'après les sources1,
le fonctionnement de cette machine. Les officiers du clergé, le rece-
veur général constituent un véritable ministère des Finances de
l'Église. Ses attributions budgétaires confèrent à l'assemblée du
clergé une vague allure de parlement, avec brigue électorale, candi-
dature officielle, pression gouvernementale, etc. Ce qui complique la
question et donne aux thèses de M. Cans un intérêt plus puissant
encore, c'est que cette organisation financière est en même temps
une organisation de crédit. Le clergé ne donne pas seulement de l'ar-
gent au roi, il emprunte pour le roi, dont le crédit est déplorable; il
paie des rentes, et quoiqu'il prétende, en théorie, ne pas être obligé
à servir des intérêts à ses prêteurs, il n'en est pas moins, en fait,
le principal établissement de crédit du royaume. C'est donc, avec
l'histoire financière, celle des valeurs mobilières à qui M. Cans
apporte une solide, une excellente contribution.
Dans l'ouvrage compact qu'il a consacré à la dîme royale de Vau-
ban2, M. Maurice Vignes paraît avoir oscillé entre deux concep-
tions : étudier en lui-même, en le replaçant dans son milieu histo-
rique, le petit livre de Vauban; écrire un chapitre d' « histoire des
doctrines sur l'impôt ». La seconde conception l'emporte décidément
sur la première et Vauban est comme noyé au milieu de ces exposés
qui se poursuivent jusqu'à nos jours. M. Vignes démêle dans la
théorie de Vauban trois éléments : la perception de l'impôt en
nature, la préférence accordée à l'impôt de quotité, l'idée de l'univer-
salité de l'impôt. Au lieu d'envisager, comme l'eût fait un historien,
ces trois éléments dans leur unité synthétique, M. Vignes leur
applique les procédés de l'analyse juridique. Il recherche, dans cha-
cune de ces trois directions, les « origines » et les « destinées » des
principes posés par Vauban3. Par suite de cette division tripartite, le
lecteur n'a jamais le sentiment net de ce qu'a été Vauban, du moment
de l'évolution que représente son œuvre. Et c'est ainsi qu'un travail
des plus estimables, fruit d'une probité laborieuse4, très utile comme
répertoire de noms et de textes, ne saurait nous satisfaire complète-
1. Procès-verbaux des assemblées, rapports des agents généraux, mémoires
du clergé, séries G8 et G9 des Arcb. nationales, papiers de Le Tellier, de
Noailles, du P. Léonard, Nouvelles ecclésiastiques, etc.
2. J.-B. -Maurice Vignes, Histoire des doctrines sur l'impôt en France. Les
origines et les destinées de la Dixme royale de Vauban. Paris, Giard et
Brière, 1909. In-18, 525 p.
3. Certaines pages (82-86, 295, 309-311, 357-361, 437, 441, etc.) ne sont que
des listes d'ouvrages où l'on retrouve les traces de l'influence de Vauban. Notes
de cours plutôt que pages de livre.
4. M. Vignes ne s'est pas enfermé dans l'bistoire doctrinale française. Il
donne fréquemment des aperçus sur le sort des mêmes doctrines à l'étranger.
HISTOIRE DE FRANCE. 385
ment. — Dans la recherche des « origines », M. Vignes attache avec
raison une haute importance au Traitté de la 'politique de France
de Paul Hay du Chastellet, lequel n'est d'ailleurs pas, autant qu'il
le croit, « absolument inconnu des historiens et des érudits »'.
IV. xvme siècle. — Dans YHistoire de France racontée à tous,
dirigée par M. Funck-Brentano, le XVIIIe siècle'2 a été confié à
M. C. Stryienski. Livre aimable, qu'on lira sans ennui, mais qui
est beaucoup plus une histoire de la cour de France et de la famille
royale qu'une histoire de la nation française3. Mariages, naissances,
deuils, voyages princiers, révolutions de palais, anecdotes d'anti-
chambre ou d'alcôve y tiennent vraiment trop de place et il faut de
bons yeux pour aller découvrir, dans un chapitre dont le titre est
« Naissance de Madame Royale », le passage sur l'indépendance des
Etats-Unis. On s'étonnera aussi, en raison de la personnalité de
l'auteur, que le chapitre sur les arts et les sciences tourne souvent à
la simple énumération1. Le livre a été écrit rapidement : les juge-
ments hâtifs5, les légendes cent fois détruites6, les inexactitudes et
les négligences y surabondent7.
M. Stryienski nous doit, sur ce siècle qu'il connaît si intimement,
autre chose que ces pages remplies au courant de la plume.
1. Aux raisons que donne M. Vignes pour établir que Vauban a lu et utilisé
du Chastellet, on peut ajouter celle-ci : les idées si remarquables de Vauban
sur les eft'ets de la Révocation se rapprochent de celles qui sont exprimées au
cb. m du Traitté : « Des Huguenots, et s'il est du bien de l'Estat de les faire
sortir hors de France », quoique du Chastellet se déclare hostile aux hugue-
nots et partisan de l'unité de foi. Il expose tout un programme de destruction
progressive de l'Édit de Nantes par des procédés lénitifs. De même les idées
de Vauban sur les biens d'église et les religieux (ch. n de du Chastellet).
2. Casimir Stryienski, Le XVIIP siècle. Paris, Hachette, 1909. In-8°, 375 p.
3. La politique extérieure de 1715 à 1717 est traitée bien légèrement.
4. Que pensent les musiciens, et qu'eût pensé Rameau lui-même, de cette
phrase de la p. 335 : « Rameau, fidèle continuateur de Lulli : il enrichit cepen-
dant l'orchestration »? — P. 356, le mot de Voltaire est inexactement rapporté.
5. P. 34 : « Le Mississipi n'était qu'une chimère; » en réalité, la colonisa-
tion de la Louisiane était une affaire très sérieuse. P. 177 : « Magnifique
exemple, en somme, de ces belles libertés du royaume... » Il s'agit précisé-
ment de remontrances qui firent envoyer le Parlement à Pontoise ! Magnifique
exemple, en effet.
6. P. 41 : Dubois, « fils d'un apothicaire ». Pourtant la bibliographie cite
Bliard, si elle ne cite pas encore Le Secret du Régent de M. E. Bourgeois.
7. P. 3 : Tortone, en Espagne, pour Tortose. P. 127 : « Les électeurs... de
Dresde »; il s'agit pourtant d'une famille électorale que M. Stryienski connaît
bien. Qu'est-ce, p. 28, que « la communauté des arts et métiers »? P. 175 :
« Décréter la cure », il s'agit du curé. La « Dorimène » de la p. 179 ne serait-
elle pas une Dorine? P. 200 : Willinghausen, lisez l'illinghausen. P. 224, péna-
lité pour vénalité. P. 305 : < Place du Mai », c'est la cour du Mai. — Nous
Rev. Histor. CV. 2e fasc. 25
386 BULLETIN HISTORIQUE.
Le second volume de M. E. Bourgeois est consacré à l'entreprise
d' Albéroni'. La lecture en est plus captivante encore que celle du
premier; le sujet en a plus de dramatique unité; la forme en est à
la fois plus châtiée et plus vivante. Fidèle à son idée directrice, qui
est de rechercher dans les dessous de la diplomatie officielle l'action
persistante et efficace de la « diplomatie secrète », M. Bourgeois
voit dans la tragédie de la quadruple alliance un scénario parmesan.
C'est un protégé, une créature des Farnèse qui, au nom de Phi-
lippe V, règne à Madrid ; et la politique espagnole d'Alhéroni doit
avoir pour fin ultime la délivrance de l'Italie.
On pourra discuter cette thèse, qui s'appuie d'ailleurs sur la cor-
respondance des ducs de Parme avec leurs envoyés ; on pourra lui
opposer le sans-gêne avec lequel les Farnèse, leur coup manqué,
sacrifient leur ancien serviteur2. On ne pourra refuser à M. Bour-
geois le mérite de nous avoir retracé de façon saisissante l'œuvre
espagnole d'Elisabeth Farnèse et d'Alhéroni. Cet homme en qui l'on
ne voit parfois qu'un aventurier de has étage nous apparaît ici
comme un grand ministre, un véritable réformateur. Il a fait plus
que « galvaniser » l'Espagne, il l'a réveillée. Il lui a surtout rendu,
avec une marine, sa place dans la Méditerranée.
Ceci était l'instrument de sa politique. Mais sa politique italienne,
à laquelle il sacrifiait la succession de France, aurait eu besoin de
l'appui de la France et des puissances maritimes. Or, le duc d'Or-
léans et Dubois, préoccupés uniquement de la question de succes-
sion, ne font rien pour effacer, entre Versailles et Madrid, les anciens
malentendus. Leur envoyé, Saint-Aignan, est chargé de complo-
attendons, pour parler du t. IX de l'Histoire de M. Lavisse, l'apparition du
dernier fascicule.
1. Emile Bourgeois, La Diplomatie secrète au XVIIIe siècle : ses débuts.
T. II : Le Secret des Farnèse; Philippe V et la politique d'Alhéroni. Paris,
A. Colin, s. d. In-8°, iv-398 p. Le t. III sera consacré au Secret de Dubois.
2. M. Bourgeois aboutit (p. 253) à un véritable renversement des responsa-
bilités. C'est le duc de Parme qui devient une sorte de brouillon de génie;
Albéroni n'est plus qu'un docile instrument. La comparaison (p. 254) entre les
dépêches ostensibles et les dépêches secrètes des Farnèse nous révèle leurs
intentions belliqueuses. S'ils n'envoient pas tout à fait à Albéroni des « ordres »,
comme le dit M. Bourgeois, du moins ils lui écrivent : « Vous ne devez pas
abandonner l'Italie..., » et celui-ci répond : « J'obéirai à ce que V. A. S. m'or-
donne. » Il semble bien que le centre de la politique espagnole soit à Parme
et non plus à Madrid. Si, dans cette théorie, les Farnèse nous apparaissent
tout de même un peu plus grands que nature, M. Bourgeois ne dit pas assez
que cette circonstance, si elle excuse en un certain sens Albéroni, d'autre part
l'accable : ce ministre du roi catholique a, dans une crise décisive, sacrifié les
intérêts et presque l'existence de l'Espagne aux ambitions d'un prince italien.
— "Voy., sur cette grandeur occulte des Famése, p. 300.
HISTOIRE DE FRANCE. 387
ter, à la cour d'Espagne, la chute d'Albéroni. M. Bourgeois a raison
de dire que cette tentative est comme une justification anticipée de
la conspiration de Cellamare1. Ceci permet de ramener à leur
juste mesure les protestations du régent et de son ministre2.
Il manquait à Albéroni l'une des qualités qui font l'homme d'Etat :
c'était un mauvais calculateur ; il a cru qu'il pourrait triompher en
Sicile. Il a payé cette erreur de la perte de cette belle flotte qu'il
avait eu tant de peine à constituer. Il tombe, si nous acceptons la
thèse de son nouvel historien, « victime de l'entreprise prématuré-
ment imposée en 1718 à l'Espagne par les ambitions italiennes delà
maison de Parme ». Et, par un imprévu retour des choses, sa chute
va être le signal, entre les deux branches de la maison de Bourbon,
de cette réconciliation qu'il avait rêvé d'opérer3.
Les tomes II à IV de la Correspondance du maréchal de Bro-
glie avec le comte de Lusace couvrent la période qui va de juin
1760 à décembre 1761, c'est-à-dire les campagnes de Hesse et de
Thuringe contre Ferdinand et Charles de Brunswick4. Cette corres-
pondance, que les éditeurs, le duc de Broglie et M. J. Vernier,
ont enrichie de nombreux documents annexes9, est comme un com-
mentaire perpétuel du tome IV du monumental ouvrage de M. Wad-
1. Voy. surtout l'histoire de la mission de Louville.
2. Tout de même M. Bourgeois atténue à l'excès l'importance du complot.
L'affaire Pontcallec, qui est ici passée sous silence, prouve que le plan de sou-
lèvement de la Bretagne n'était pas (p. 342-343) absolument « sans portée ».
3. P. 169, lire Madrid pour Marly. P. 215-216, quelque confusion sur les
dates des négociations de 1716 : mars, mai ou février? — Signalons ici la
curieuse brochure de Stanislas Mnémon : la Conspiration du cardinal Albé-
roni. La franc-maçonnerie et Stanislas Poniatowski {fragment). Cracovie,
impr. de l'Université, 1909, 67 p., 1 portr. Brochure quelque peu apocalyp-
tique, où l'on met en lumière les rapports de la politique d'Albéroni avec les
questions nord-orientales, que M. Bourgeois a laissées de côté. Il s'agit, dans
l'épilogue, de démontrer que la franc-maçonnerie se relie à l'entreprise d'Albé-
roni : j'avoue que les arguments de Mnémon ne m'ont point convaincu. — Il
n'y a rien à prendre, ni sur la conspiration de Cellamare ni sur aucun autre
sujet, dans Une petite-fille du grand Gondé : la duchesse du Maine, reine de
Sceaux et conspiratrice (1676-1753), par le général de Piépape (Paris, Pion,
1910. In-8°, in-387 p., 2 portr. en héliogravure). Un exemple de la façon dont
M. de Piépape renvoie à ses sources (p. 154, n. 5) : « B. N., mss. (cote des
imprimés, p. 995-996) ». — C'est le type du livre d'histoire agréablement inutile.
4. Correspondance inédite de François- Victor, duc de Broglie, maréchal
de France, avec le prince Xavier de Saxe, comte de Lusace, pour servir à
l'histoire de la guerre de Sept ans (1759-1761), publ. par le duc de Broglie
et Jules Vernier. Paris, Albin Michel, s. d. In-8°; t. II (juin-oct. 1760), 648 p.,
1 portr.; t. III (oct. 1760-juin 1761), 664 p.; t. IV (juin-déc. 1761), 729 p.
Chaque vol. a un index. Les lettres sont numérotées par volume, ce qui rendra
les références compliquées. — Sur le t. I, voy. Revue hist., t. LXXXV, p. 340.
5. Récit de la bataille de Torgau, t. III, p. 90. Au t. IV, p. 651-662, une
388 BULLETIN HISTORIQUE.
dington et permet, pour presque toute l'année 1761, d'en attendre
le tome V. Le maréchal y apparaît comme un chef d'armée très
sérieux, préoccupé des subsistances et de la discipline autant que
des opérations militaires, trop souvent entravé par l'esprit d'indé-
pendance de ses sous-ordres et par les intrigues de cour. 11 est
curieux de le voir ici dans son rôle de mentor d'une altesse royale.
Ce n'était pas une mince besogne que d'avoir dans son armée, à la
tête d'un corps saxon, un prince frère de la dauphine. Dans les
termes d'une politesse raffinée, et en ayant l'air de solliciter des grâces
plutôt que de donner des ordres, le maréchal fait peu à peu l'éduca-
tion militaire du comte de Lusace ' . — Les éditeurs ne nous disent
pas si le tome IV, extrait comme les précédents du fonds de Saxe
des archives de l'Aube, sera le dernier2.
On a dit ici. il y a sept ans, tout le bien qu'il faut penser de la
Marine militaire sous Louis XV de M. Lacour-Gayet3. Nos
lecteurs ne seront donc pas étonnés d'apprendre que le légitime suc-
cès de cet ouvrage a obligé l'auteur à le rééditer4. Cette édition,
légèrement augmentée, a été revisée et mise au courant avec soin.
Le livre lui-même n'a rien perdu de son actualité. Aujourd'hui,
comme en 1901, « la puissance navale de la France demeure... une
condition essentielle de sa grandeur dans le monde »5.
Dans un petit volume sur Louis XVI, M. Marius Sepet a
repris et continué les études qu'il avait antérieurement consacrées
aux débuts de la Révolution, et que l'Académie française a couron-»
nées6. L'esprit du nouveau livre est donc celui des précédents7.
Après une très brève esquisse des premières années du règne8, c'est
une apologie du « roi martyr » et une attaque passionnée contre les
hommes de la Révolution9 et contre presque toutes les parties de
lettre de Guibert aux majors des régiments, véritable instruction sur le service
en campagne.
1. Si le prince Xavier accepte tout du maréchal, sa susceptibilité se réveille
à l'égard du comte de Broglie.
2. Signalons, comme complément à cette correspondance, celle de Turpin de
Crissé, récemment publiée ici même.
3. Revue hist., t. LXXIX, p. 360.
4. G. Lacour-Gayet, La Marine militaire de la France sous le règne de
Louis XV, 2e éd. Paris, Champion, 1910. In-8", x-580 p. La 1" éd. avait 561 p.
5. Peut-être même la Revue serait-elle, sur ce point, plus affirmative qu'en 1901.
6. Marius Sepet, Louis XVI, étude historique. Paris, P. Téqui, 1910. In-12,
494 p.
7. P. 4 : la religion catholique « représente chez nous la seule base générale,
solide et durable de la moralité privée et publique, et, par conséquent, de
l'ordre social ».
8. P. 63, à propos des lettres de Turgot, dire qu'elles sont apocryphes.
9. Passe pour cette esquisse de Desmoulins (p. 199) : « Un jeune vaurien de
HISTOIRE DE FRANCE. 389
leur œuvre', surtout contre leur œuvre religieuse2. L'auteur s'ex-
prime, d'ailleurs, avec une relative modération3, et il accorde que
Louis XVI et les siens eurent quelque part de responsabilité dans
leurs propres infortunes4.
Le mouvement de 1789 est si éminemment une révolution agraire
qu'on a fréquemment refusé de compter, au nombre de ses causes,
les questions industrielles. M. Roger Picard montre fort bien que
si les classes industrielles5 ont parlé moins souvent et moins haut,
dans la grande consultation nationale, que les classes rurales, c'est
parce qu'elles n'ont eu que très peu et très irrégulièrement l'occa-
sion de faire entendre leur voix. Mais, soit avec les trop rares cahiers
des corporations, soit avec le texte même des cahiers de paroisses,
soit encore avec ces documents extra-légaux qui, sans être des
cahiers au sens propre du mot, n'en expriment pas moins les
« doléances » d'une collectivité, il est possible de se faire une idée de
l'état de l'industrie et du commerce et des vœux des hommes qui
s'adonnaient à ces occupations. Dans l'intérieur de ces groupes, une
division se marque, fondée sur l'opposition des intérêts et l'inégalité
des droits ; déjà s'ébauche une « lutte de classes » ; déjà s'élabore la
la basoche... » Mais c'est dépasser les bornes que d'appeler Mme Roland (p. 370)
une « femme... de mœurs mauvaises ».
1. Quoiqu'il ait utilisé Sorel, M. Sepet n'indique point, parmi les causes de
la grande guerre, l'affaire des princes possessionnés en Alsace, qui pose si tra-
giquement le conflit de droit entre la Révolution et l'ancienne Europe. En ne
parlant que des émigrés, il est bien plus facile de faire de la Législative un
ramassis d'énergumènes.
2. Parler (p. 243) de « l'absurde autant que schismatique constitution civile »,
c'est oublier que le clergé français fut bien près de s'y rallier, et qu'elle ne
devint schismatique qu'à la suite d'une condamnation longtemps retardée.
3. Quoiqu'il use largement du livre d'Ad. Wahl, il donne une appréciation
assez correcte de la valeur des cahiers.
4. Il montre bien (p. 341) que le plan adopté par la cour l'oblige « à une
duplicité de parole et d'action continuelles ». Comment, une page plus loin,
peut-il écrire, à propos d'un « accord fictif et forcé », que celui-ci fut
« embrassé par Louis XVI dans les intentions les plus pures » et avec « une
part de sincérité »? Lui-même cite, p. 347 et suiv., des fragments de la cor-
respondance de Marie-Antoinette qui donnent la mesure de cette sincérité.
M. Sepet estime ne pas avoir d'avis à formuler sur la question de savoir si,
c à*un jour donné, l'introduction de la cause de canonisation du roi en cour
de Rome ne serait pas impossible ». Cette hypothèse nous paraît très vraisem-
blable. Attendons-nous à voir « saint Louis XVI ».
5. Roger Picard, Les Cahiers de 1789 et les classes ouvrières. Paris, Marcel
Rivière (coll. Systèmes et faits sociaux), 1910. In-8% 276 p. Un certain flotte-
ment dans la délimitation du sujet. P. 1 et 23, « classes laborieuses », ce qui
n'est pas l'équivalent de « classes ouvrières ». Au reste, le livre traite de
toutes les classes industrielles et commerçantes et ne les étudie pas seulement
dans leurs rapports avec la classe ouvrière.
390 BULLETIN HISTORIQUE.
théorie d'un « quatrième État », déjà même ce mot est prononcé, et
l'on trouve dans telle brochure une analyse déjà socialiste de la pro-
duction1.
Dans le domaine industriel et commercial, comme ailleurs, le
vœu essentiel, général, à peu près unanime, est l'abolition du pri-
vilège; ici, comme ailleurs, on retrouve une aspiration passionnée
vers l'unité nationale. Les questions industrielles ont donc été parmi
les facteurs de l'agitation révolutionnaire. Ainsi s'explique que les
classes ouvrières, relativement silencieuses pendant la période prépa-
ratoire, apparaissent brusquement sur le devant de la scène dès que la
Révolution est commencée. — Il n'y a qu'à louer dans la méthode
à la fois ingénieuse et prudente de M. Picard; elle est vraiment d'un
historien2. Son information est étendue et précise3.
MM. Funck-Brentano et Paul d'Estrée poursuivent leurs amu-
santes et vivantes études sur « les organes de l'opinion publique
dans l'aneienne France »4. Ils décrivent l'existence agitée, scanda-
leuse par certains côtés, par d'autres quasi-héroïque, des « ancêtres
de nos journalistes », et aussi de nos gazetières. Monde passable-
ment interlope, où l'on trouve de tout, des « chevaliers » authentiques
et non pas seulement des chevaliers d'industrie, des aventuriers et
des aventurières, des policiers plus ou moins brûlés. Singuliers
bureaux de rédaction, qui se tiennent tantôt dans des bouges, tantôt
dans des antichambres, tantôt même (et c'est encore le plus sûr) à
la Bastille. Les auteurs nous montrent quelle redoutable puissance
1. P. 45-46, le Cahier du 4e ordre. P. 111 (Ocqueville), c'est déjà du Sis-
mondi.
2. Bonne discussion (p. 2) de la valeur historique, très relative, des docu-
ments législatifs. — Sur la valeur et la portée des cahiers, l'auteur adopte,
contre les exagérations d'Ad. Wahl, des idées voisines de celles qui ont été
exprimées ici même par M. Sée. — Sa critique des sources (notamment des
Archives parlementaires) est à la fois ferme et modérée.
3. Une sorte de bibliographie des cahiers, qui peut rendre des services. —
On s'étonne de ne pas trouver Ylnventaire du Conseil de commerce de Bon-
nassieux et Lelong; il devrait être cité p. 60. — Quelques lapsus : p. 111,
1. 14, marchandises, lisez machines. P. 157, la 1. 14 est un double de la 1. 28.
P. 231, 1. 6 : lire sans doute « soumettre aux tribunaux ordinaires toutes les
affaires ». —Les cahiers de la p. 197 ne sont pas « peu instruits des principes
indispensables aux finances », mais imbus des principes physiocratiques que
l'on trouve (p. 196) dans celui de Nemours. — M. Picard aurait dû marquer
plus fortement, à propos de certains vœux (p. 55, 57, 106, etc.), qu'il s'agit
de réclamations séculaires.
4. Fr. Funck-Brentano, Figaro et ses devanciers, avec la collaboration de
M. Paul d'Estrée. Paris, Hachette, 1909. In-16, viii-338 p., 16 pi. (toutes d'ap.
des documents). Les limites chronologiques du volume sont flottantes, cepen-
dant il y est surtout question du xvme siècle. La documentation a été princi-
palement empruntée aux archives de la Bastille.
HISTOIRE DE FRANCE.
391
était dès lors la « presse », — si Ton peut donner ce nom à des jour-
naux qui, le plus souvent, étaient manuscrits1, — et comment cette
presse employait déjà, pour recruter ou retenir la clientèle, les
mêmes moyens qu'aujourd'hui : la fausse nouvelle, l'écho mondain,
l'indiscrétion plus ou moins canaille, la pornographie, le chantage.
Ces « nouvelles à la main », ces « gazetins » ont leur importance
politique. Il y a des feuilles qui sont vendues aux cabinets étrangers
et qui font en France de la politique « autrichienne » ou anglaise ;
d'autres, plus ou moins autorisées ou tolérées, défendent le ministère.
A l'étranger (et c'est un point sur lequel nous aurions aimé plus de
précision)2, nos ambassadeurs ont aussi leurs gazetiers à gages, qui
doivent façonner l'opinion publique. Quelques figures, les unes
burlesques, les autres épiques, quelques-unes même aimables, illus-
trent l'exposé : Cabaud de Rambaud, de Mouhy, Mme Doublet,
Chevrier, Fouilhoux. Tous semblent des épreuves partielles du type
immortel dont révocation donne au volume une unité un peu factice,
celui de Figaro. Le plus piquant, c'est de voir, parmi les abonnés
des gazetiers, les plus grands noms de l'Etat, parfois les mêmes
personnages qui sont chargés de saisir les libelles. Tant il est vrai
que la « presse » répondait, dès lors, à un vrai besoin public3.
V. Histoire provinciale. — Le tome II de Y Histoire de Nancy
de M. Pfister4 aura suivi de près le tome III; et l'on ne peut,
tout d'abord, qu'admirer une fois de plus la laborieuse énergie de
l'auteur. Le présent volume comprend la période 1508-1624. On a
déjà dit, ici même5, les avantages et les inconvénients de la méthode
adoptée par M. Pfister, disons mieux, de la méthode qui s'est
imposée à lui. Non seulement il devait relier l'histoire de Nancy à
l'histoire de la Lorraine, mais encore il lui était presque impossible
de ne pas mener de front l'histoire politique et l'histoire monumen-
tale de la ville, de ne pas pousser jusqu'au bout, jusqu'à nos jours,
l'histoire des monuments dont il signalait la fondation. Et ce qu'il
faisait pour les monuments ou les ensembles architecturaux, il était
1. Ou exceptionnellement gravés.
2. Deux mots seulement, p. 180-181.
3. Entraînés par leur sujet, M. Funck-Brentano et son collaborateur négligent
trop la presse non clandestine, qui avait bien aussi son importance. Le volume
est édité avec soin. Je n'y ai guère relevé qu'une ponctuation fautive (p. 193);
lire : « ... que la personne qu'il y veut mettre n'y soit. Au sujet de la D11" Ver-
rière, il est très sûr qu'il la voit... »
4. Gh. Pfister, Histoire de Nancy, t. II. Paris et Nancy, Berger-Levrault,
1909. Gr. in-8°, vm-1097 p., 186 grav., 45 grav. hors texte, 5 pi. (dont une en
couleur), 4 plans. L'exécution graphique et typographique fait de l'ouvrage un
véritable livre de luxe.
5. Voy. l'art, de M. G. Monod dans Revue hist., t. XCVII, p. 355 et suiv.
392 BULLETIN HISTORIQUE.
amené à le faire pour les institutions elles-mêmes. C'est ainsi que
nous trouvons dans ce volume une histoire du palais ducal et des
transformations qu'il a subies, du musée lorrain, dont la présence,
espérons-le, protégera cette charmante relique du passé contre le
vandalisme des démolisseurs et contre les entreprises, presque aussi
dangereuses, des restaurateurs; et comme la place delà Carrière est,
en quelque sorte, une extension du palais, l'histoire de cette place
est conduite jusqu'à l'heure présente'. De môme que le troisième
volume nous renseignait sur la communauté juive nancéenne, celui-ci
nous donne non seulement l'histoire de la Réforme, mais celle du
«protestantisme à Nancy ». Les « portes de Nancy » ont fourni un
chapitre qui est une contribution à la fois à l'histoire militaire, à l'his-
toire de l'art et... à l'histoire du béotisme des assemblées munici-
pales au xixe siècle. La création, au début du xvne siècle, d'un grand
nombre d'établissements religieux nous permet de passer en revue
l'histoire conventuelle, l'histoire charitable et, en partie, l'histoire
pédagogique de Nancy.
La période couverte par ce deuxième tome est riche d'événements
qui intéressent l'histoire générale de la France. C'est alors que des
cadets de la maison de Lorraine, les Guises, deviennent en France
les protagonistes du parti catholique; c'est alors qu'un duc de Lor-
raine, Charles III, nourrit plus ou moins sérieusement ces préten-
tions à la couronne de France dont nous a parlé M. Davillé, en
attendant qu'il fasse épouser à son fils la sœur du Béarnais.
Je n'ai pas besoin de dire aux lecteurs de cette Revue avec quelle
conscience, avec quelle sûreté prudente le livre de M. Pfister est
écrit. Je préfère attirer l'attention sur quelques points particulière-
ment importants.
L'histoire de la Réforme à Nancy est surtout l'histoire d'une
répression. Le duc Antoine, ce Simon de Montfort de la croisade
des Rustauds, peut être considéré comme le type parfait du souve-
rain papiste : les noms de Jean Chastelain, de Jean Leclerc, de
Wolfgang Schuch disent avec quelle vigueur sauvage il défend
l'orthodoxie lorraine contre les infiltrations qui peuvent venir des
Trois-Évêchés, de Strasbourg, des pays étrangers enclavés en Lor-
raine2, comment il sait éteindre les petits foyers allumés à Saint-
1. On la trouve au ch. i, g III et IV, et au ch. iv, g II.
2. M. Pfister donne (p. 97, n 4) un relevé des Lorrains réfugiés à Lausanne.
Il y joint, dit-il, les Lorrains « admis à la bourgeoisie de Genève ». Je crains
qu'il n'y ait là une légère confusion et que les noms qui lui ont été commu-
niqués par M. Dannreuther, d'après « les registres du Conseil », ne soient les
noms des Lorrains admis comme « habitants ». Car je retrouve, dans des notes
déjà anciennes, et assez incomplètes, que j'ai prises sur le Registre des fiabi-
HISTOIRE DE FRANCE. 393
Mihiel (le célèbre artiste Ligier Richier est l'un des fidèles de cette
minuscule communauté) ou à Saint-Nicolas-du-Port1. Il faudra le
mariage du duc de Bar avec Catherine de Bourbon pour donner
aux protestants nancéens, pendant quelques années, un peu d'air.
A côté de l'histoire religieuse, les chapitres les plus passionnants
sont ceux qui sont relatifs à la sorcellerie à Nancy. Les lecteurs de
cette Revue ont eu déjà la primeur de l'étude sur Nicolas Rémy,
cet étonnant « Marteau des sorcières » qui, en toute sûreté de cons-
cience, se vante d'avoir en quinze ans envoyé au supplice neuf cents
victimes, une soixantaine en moyenne par an ! On lira également le
chapitre, précis comme une analyse juridique, vibrant d'émotion
concentrée dans sa sobriété voulue, sur la procédure suivie à l'égard
des sorciers et sorcières. On verra comment l'accusation de sorcel-
lerie, mise au service de la politique, permettait de se débarrasser de
ses ennemis. Mais surtout on frissonnera d'horreur en lisant la
monstrueuse histoire de l'énergumène de Nancy, Elisabeth de Ran-
faing. Comment, au début du xvne siècle, les accusations d'une
hystérique pouvaient envoyer au bûcher un digne homme de méde-
cin, plus clairvoyant en matière de maladies nerveuses que la plu-
part de ses confrères, c'est ce que M. Pfister établit d'après des
documents en partie inconnus jusqu'à lui. Je répète que ce véridique
récit donne le frisson. Tantum relligio potuit suadere ma,lorum !
Nous devons signaler encore les chapitres sur l'industrie et les
corporations. Il est curieux d'y voir comment l'organisation sociale
du duché se modèle sur celle de la France voisine, comment les
mêmes causes y amènent les mêmes effets. L'Etat pousse, pour des
raisons de fiscalité et de police, à l'organisation des jurandes, sauf
quand la raréfaction des producteurs et, par suite, l'intérêt du con-
sommateur lui fait préférer, d'une façon plus ou moins durable, le
régime de la liberté du travail. A la même époque où Henri IV, en
France, constitue la politique mercantiliste et dirige le premier essor
de la grande industrie, Charles III introduit à Nancy des « manu-
factures » et plante des mûriers par toute la Lorraine. — L'installa-
tants, un certain nombre des noms relevés (et à peu près pour les mêmes
dates) par M. Dannreuther : le fourbisseur, le mercier et gantier, le salpêtrier
de Metz, le menuisier de « Gerbez ville en Lorraine », le cardeur de laine de
Charmay, l'émigré de Vézelise. Pour les admissions à bourgeoisie, il aurait
fallu se reporter au Livre des bourgeois de Covelle. Les appendices au en. n
nous donnent la liste des étudiants lorrains à Genève (le Nicolaus Eleuveus,
ans Antpuarpen (?) in Lotharingia est un Anversois, Lotharingia étant pris
ici dans son sens médiéval) et à Heidelberg.
1. Intéressants détails (p. 109 et suiv.) sur la composition du groupe de
Saint-Mihiel : deux nobles, des avocats, des marchands, puis « une série d'ar-
tisans, rangés par corps de métiers ».
394 BULLETIN niSTORIQDE.
tion des Jésuites à Pont-à-Mousson en 1572, en 1602 à Nancy, la
création de leur collège en 1616, le développement et la vie de leurs
institutions sont retracés dans le dernier détail.
De cette surabondance d'informations (je n'ai pu en donner ici
qu'une très lointaine idée)1 ressort avec évidence un fait essentiel :
entre le début du xvie siècle et le premier quart du xvne, la place
forte, à laquelle s'était heurté le Téméraire, s'est transformée en une
grande ville. Non seulement, par la création de la « ville neuve »,
elle a élargi sa superficie, juxtaposé à un dédale de rues tortueuses
une cité moderne et régulière, mais elle est devenue une ville d'art, un
centre intellectuel, religieux, politique, bref, une capitale. C'est pré-
cisément alors qu'elle va être, périodiquement, à la discrétion de son
trop puissant voisin. — Félicitons-la d'avoir rencontré, en l'ancien
professeur de sa jeune université, un digne et fidèle interprète de son
brillant passé2.
C'est une bien étrange histoire que celle de la belle Béatrix de
Cusance, veuve du prince de Cantecroix-Granvelle, qui épousa en
1637 le duc Charles IV de Lorraine, déjà marié à sa cousine Nicole.
C'est seulement en 1663 que celle que l'on appelait la « femme de
campagne » du duc fut « réépousée » in extremis par son volage
époux, alors occupé à consacrer une nouvelle union avec la fille d'un
apothicaire parisien, puis avec une chanoinesse. Mais plus étrange
encore est l'histoire du fils de Béatrix, conçu du vivant de son pre-
mier mari et probablement des œuvres du second; on l'appelait,
suivant les cas, le « posthume de Cantecroix » ou « monseigneur
François de Lorraine » , — sauf quand on voulait voir en lui un
enfant supposé, fils d'une « garce » d'Anvers. — M. Ph. Maréchal3
s'est plu, avec sa profonde connaissance des choses comtoises'', à
débrouiller pour nous l'écheveau compliqué de cet imbroglio politico-
judiciaire, où l'un de ses ancêtres, Pierre Mareschal, joua le rôle de
défenseur des intérêts de Caroline d'Autriche, grand'mère présumée
du « posthume » . Ce singulier procès en recherche de paternité se
termina, au moins provisoirement, en 1662 devant le grand conseil
1. Il faudrait mentionner encore les passages sur Pierre Gringore, sur le
voyage de Henri II de France, sur celui de Charles IX, sur les assemblées de
1580 et de 1584, etc.
2. M. Pfister annonce, pour une date indéterminée, un quatrième tome sur
les événements dont Nancy fut le théâtre de 1766 à nos jours.
3. Dr Philippe Maréchal, Une cause célèbre au XVIIe siècle. Béatrix de
Cusance. Caroline d'Autriche. Charles IV de Lorraine. Paris, H. Champion,
1910. In-8°, xv-477 p. Préface de M. A. Chuquet, 41 grav.
4. Mais moins profonde des choses lorraines. Il aurait fallu dire que M. Pfis-
ter parle de Béatrix, Histoire de Nancy, t. III, p. 92 et passim. M. Maréchal
ne cite que p. 240 l'étude de M. Pingaud sur Béatrix.
HISTOIRE DE FRANCE. 395
de Malines par un arrêt qui refusait au « posthume » le titre de
prince de Cantecroix. Quant à savoir qui était ce posthume, et ce
qu'il est devenu, c'est un point qui a échappé jusqu'ici à l'érudition
minutieuse de l'auteur1.
La série d'Études sur la Réforme et les guerres de religion
en Bourgogne, inaugurée en 1905 sous la direction de M. Klein-
clauz2, a été reprise sous celle de MM. Calmette et Hauser3. La
monographie de M. Belle, sur les débuts de la Réforme à Dijon,
prouve que, même dans cette ville où le catholicisme finit par triom-
pher, les idées nouvelles s'étaient fortement implantées ; elles s'étaient
répandues dans le clergé régulier, le monde parlementaire et sur-
tout dans la population artisane. Quelques-uns des documents
publiés par l'auteur font revivre, avec une précision dramatique, les
premiers conventicules. M. Gros étudie le Schisme parlementaire
qui, en face de la cour ligueuse et « mayenniste » de Dijon, dressa
le parlement royaliste de Flavigny, plus tard transféré à Semur.
Ici comme à Paris, le parlement « ligueur » est beaucoup moins
ligueur que les pouvoirs locaux, et il se montre assez disposé à un
rapprochement avec la section royaliste. C'est dans le milieu parle-
mentaire que se forment les complots qui vont préparer l'entrée de
Henri IV à Dijon4. Un de ces complots a fourni à M. Drouot un
travail élégant et solide, plein de promesses. Avec une sûreté de
méthode et une finesse d'analyse rares chez les débutants, le jeune
érudit s'est essayé à démêler les nuances multiples dont l'assemblage
formait la couleur ligueuse ; il nous a montré comment ce parti s'est
1. Voy. à l'annexe (p. 241 et suiv.) la correspondance inédite de Charles IV
et de Béatrix pendant la captivité du premier en Espagne (1654-59) et aux
pièces (p. 341 et suiv.) les documents judiciaires extraits de la collection Chif-
flet et des archives de Belgique. — P. 227, le bref d'Urbain VIII est de toute
évidence un faux, si l'on peut employer ce gros mot pour une pièce manifes-
tement ironique, — fabriquée par les adversaires de Béatrix. P. 100, pour « pro-
génitures », lisez « progéniteurs », et pour « Tyrag », lisez « Tyraq. », c'est-
à-dire Tiraqueau, l'ami de Babelais. P. 284, ponctuer ainsi : « désirer. De croire
que..., je ne suis pas assez sot... ». Notez que M. Maréchal écrit Cantecroy.
2. Voy. Revue fiisl., t. XCIV, p. 93-94.
3. Henri Drouot, Un épisode de la Ligue à Dijon. L'affaire la Verne (159b),
avec une préface de M. Calmette. Dijon (Revue bourguignonne, t. XX), 1909.
In-8°, xvi-239 p. — Louis Gros, le Parlement et la Ligue en Bourgogne {id.,
ibid.), 1910, 213 |>. — Edm. Belle, La Réforme à Dijon, des origines à la fin
de la lieutenance-générale de Saulx-Tava?ies 1 1535-1570), avant-propos de
M. Hauser [id., t. XXI), 1910, 288 p.
4. Voy. aux appendices des listes qui complètent et rectifient celles de
M. Fleury Vindry. 36 pièces justificatives. — Il y a bien des négligences :
à plusieurs reprises « duc de Lorraine » jiour « duc de Mayenne ». P. 13 :
« La fraction ligueuse, » lisez « non ligueuse ».
396 BULLETIN HISTORIQUE.
peu à peu désagrégé. Il y a là, comme le fait remarquer M. Cal-
mette, quelques constatations qui dépassent la portée d'une étude
sur un épisode d'histoire locale.
Parmi nos anciens parlements, celui de Bretagne a plus particu-
lièrement attiré l'attention des historiens. Le « contrat » qui liait la
province à la monarchie donne aux institutions bretonnes une saveur
spéciale; et, dans le sein même de la cour de Rennes, la présence,
jusqu'en 1789, de conseillers « originaires » et « non originaires »
est comme un témoignage persistant des conditions dans lesquelles
s'est opérée l'union. L'ouvrage monumental consacré à ce parlement
par M. Frédéric Saulnier' n'est pas, à proprement parler, une
histoire de la compagnie souveraine2. C'est surtout un répertoire
biographique, d'une richesse incomparable. Les 1,200 notices dont
il se compose fourmillent de renseignements précieux3. En raison
des échanges de personnel qui s'opéraient entre les divers parlements,
des alliances fréquentes entre des familles parlementaires de pro-
vinces différentes, enfin du droit qu'avaient les conseillers de Paris
de cumuler leur charge avec une charge de non originaire à Rennes,
ces notices embrassent beaucoup plus que l'horizon de la Bretagne.
C'est surtout au xvme siècle que ce parlement est entré en conflit
avec la royauté. L'histoire de cette crise constitutionnelle a tenté
M. Le Moy4. De consciencieux dépouillements aux Archives natio-
nales, à l'Arsenal, à la Nationale et dans les archives bretonnes lui
ont permis de reconstituer d'une façon à peu près complète la vie
du corps parlementaire, la condition sociale et économique de ses
membres : il y a là une esquisse qui n'avait encore été faite pour
1. Frédéric Saulnier, Le Parlement de Bretagne (155b-1790). Rennes, Plihon
et Hommay, 1909. Un tome en 2 parties in-4°, lxiii-892 p. (le 2e vol. com-
mence à la p. 477), 15 grav. dans la 1" partie, 9 dans la seconde, toutes
d'après des documents. Publication soignée et luxueuse.
2. Celle-ci n'est traitée que dans l'introduction. On y trouvera des données
sur les charges parlementaires et leurs prix.
3. Signalons les notices sur la famille bourguignonne des Alixant, sur Fran-
çois d'Amboise (qui fit le voyage de Pologne en 1574), Anjorrant (parent des
Anjorrant de Genève), sur les Caradeuc, qui occupent ici une place d'honneur,
sur Descartes le père, du Fail, du Ferrier, les Fouquet, Fumée, Garrault, le
père de Hay du Chaslellet, les La Noue, les Nully, les Sévigné, Vêtus, Viète, etc.
4. A. Le Moy, Le Parlement de Bretagne et le pouvoir royal au XVIII' s.
Paris, Champion, 1909. In-8°, xxm-605 p. — Id., Remontrances du parlement
de Bretagne au XVIIIe siècle, textes inédits précédés d'une introduction.
Ibid., 1909. In-8°, xcvn-164 p. Thèses présentées devant la Faculté des lettres
de Rennes. Nouvelle preuve, s'il en était encore besoin, que l'on peut être doc-
teur es lettres, et avec des thèses excellentes, ailleurs qu'à Paris. Il serait
même souhaitable que, pour les thèses d'histoire provinciale, les candidats
suivissent l'exemple de M. Le Moy.
HISTOIRE DE FRANCE. 397
aucun parlement et dont certains traits sont valables pour tous.
Ensuite, nous pénétrons dans l'esprit même des parlementaires.
Nous avons affaire à un parlement où sévit l'absentéisme, où la jus-
tice est à la fois lente et partiale, où la solidarité remplace l'équité,
à un parlement très entiché de ses prérogatives nobiliaires : en Bre-
tagne surtout, la « robe » voisine avec « l'épée ». En Bretagne aussi
vivent encore les souvenirs séparatistes de la Ligue, auxquels la
conspiration de Cellamare et l'affaire Pontcallec vont donner un
renouveau. Ce parlement était donc désigné, avant tout autre, pour
s'opposer aux tendances centralisatrices de la royauté. Mais ce n'est
pas à propos des questions religieuses ' que la lutte est le plus vio-
lente, c'est à propos des questions d'impôts, parce que les réformes
tentées par le contrôle général étaient plutôt égalitaires et frappaient
les parlementaires à la bourse. C'est de l'affaire des Vingtièmes que
sort, en définitive, l'affaire La Chalotais. Sans avoir pour les « pro-
cureurs-généraux » l'admiration quasi-dévote de certains historiens
bretons, M. Le Moy leur est plus favorable que MM. Marion et
Carré; il semble bien avoir établi que la politique de d'Aiguillon fut
trop souvent « mesquine et haineuse », puérilement et maladroite-
ment brutale, systématiquement ignorante du caractère breton.
L'affaire d'Aiguillon fut le signal d'une révolte de ces divers par-
lements qui se considéraient comme les « classes » d'une seule et
même cour souveraine. Dès lors, l'histoire du parlement de Bretagne
se confond avec l'histoire générale. Comme les autres parlements,
celui-ci perd sa popularité à mesure que la Révolution s'approche,
à mesure que l'on s'aperçoit mieux que l'opposition parlementaire a
pour principe, non pas le souci du bien public, mais la défense des
privilèges honorifiques et pécuniaires d'une caste. En somme, il
avait « contribué plus que toute autre cour, — et sans s'en être
rendu compte, — à l'ébranlement d'une monarchie qui ne devait
guère lui survivre ». C'est ce qui fait l'intérêt exceptionnel de l'étude
de M. Le Moy, étude bien préparée2, bien conçue, et dont l'auteur,
malgré une certaine tendresse pour les institutions bretonnes, a su
garder intactes la lucidité et l'indépendance de son jugement.
Henri Hauser.
1. Signalons le chapitre très nourri sur les Jésuites. — Il faudrait aussi,
pour être complet, citer les passages que M. Le Moy consacre aux conflits
entre le parlement et une autre institution bretonne, les États.
2. La thèse complémentaire débute par une bonne étude technique sur ce
qu'étaient les remontrances, leur rédaction, leur présentation, leurs suites.
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Antoine Thomas. Le comté de la Marche et le parlement de
Poitiers (1418-1436), recueil de documents inédits tirés des
Archives nationales. Paris, Champion, 1910. In-8°, 314 pages.
(Forme le 174e fascicule de la Bibliothèque de VÉcole des
Hautes-Études.)
La Bibliothèque de l'École des Hautes-Études vient de s'enrichir
d'un ouvrage nouveau qui présente le plus haut intérêt, non seule-
ment pour l'histoire provinciale, mais encore pour l'histoire générale
de la France à la fin du moyen âge. L'ouvrage du savant membre de
l'Institut comprend deux parties : dans une introduction excellente,
qui compte soixante-dix-neuf pages, il a su mettre en relief les prin-
cipaux renseignements qui se dégagent des actes qu'il publie. Il a fait
suivre cette introduction de la publication intégrale ou de l'analyse de
346 documents, annotés avec un soin extrême. On reconnaît dans ce
travail la science profonde, linguistique et historique d'un de nos
maîtres médiévistes.
Les documents publiés ou analysés par M. Thomas appartiennent
aux Archives du Parlement de Paris, transféré à Poitiers par le dau-
phin Charles, le futur Charles VII, en 1418, et maintenu au chef-lieu
de l'Aquitaine jusqu'en 1436. Ils sont tirés, pour une part, des registres
X'a 8604, 9190 à 9201 et X2* 18 à 21 conservés aux Archives natio-
nales ; pour l'autre part du registre spécial, dit des présentations ou
des inscriptions au rôle des affaires judiciaires, retrouvé, grâce à l'in-
telligente initiative de M. Omont, dans les collections de sir Thomas
Philipps et acheté par la Bibliothèque nationale, où il forme le manus-
crit 1968 des nouvelles acquisitions latines.
Grâce à cet ensemble de sources si précieux, il est possible de
reconstituer le tableau de la vie administrative et sociale d'une pro-
vince de la France centrale à l'époque de Charles VI et de Charles VII.
Avec une sagacité et une patience peu communes, M. Thomas a su
d'abord délimiter et décrire le cadre géographique dans lequel se sont
passés les événements qui font l'objet des actes judiciaires qu'il a
retrouvés. La tâche est d'autant plus méritoire qu'il n'est pas de ter-
rain plus mouvant et dont les frontières varient davantage que celui
de la géographie féodale. Il a condensé les résultats de cette étude
spéciale dans une carte en couleurs, la meilleure de celles qui aient
été jusqu'à présent dressées, d'où ressortent avec une clarté remar-
ANTOINE THOMAS : LE COMTE DE LA MARCHE. 399
quable les divisions territoriales, administratives, judiciaires, finan-
cières de la Marche, ainsi que la bizarre configuration de ce comté.
Au point de vue féodal sans doute, la Marche forme un tout, puisque
ses deux parties, Haute et Basse-Marche, ont été toujours réunies par
les princes de la même maison, celle de Bourbon d'abord, celle d'Ar-
magnac ensuite. On sait que ce pays, érigé en comté au Xe siècle, sous
la suzeraineté des comtes de Poitou, ducs d'Aquitaine, était passé aux
mains des Lusignan au xme siècle, pour devenir, à partir de 1314,
domaine apanage au profit des princes de la maison royale des Capé-
tiens, puis des Valois. Depuis 1317, la Marche appartenait à la mai-
son de Bourbon. A partir de 1357, elle passait à la branche cadette
de cette maison représentée successivement par Jacques Ier (mort à
Brignais en 1362), par Jean Ier et Jacques II de Bourbon, qui se fit
moine à Besançon en 1435 et qui y mourut en 1438, après avoir pos-
sédé le comté trente-deux ans. Anne de Bourbon, nièce de Jacques II
et femme en premières noces du duc de Montpensier, fils du duc de
Berry, puis en secondes noces de Louis le Barbu, duc de Bavière,
frère de la reine Isabeau (1402), avait reçu en dot la Basse-Marche.
Mais depuis 1424 le comte Jacques II administre cette partie du comté
sous prétexte de défendre les intérêts du fils d'Anne, Louis le Bossu.
Le gendre de Jacques II, Bernard d'Armagnac, hérite à la fois de la
Haute-Marche, lors de l'abdication de son beau-père, et de la Basse-
Marche. Il met la main sur cette dernière en 1438, et le duc de
Bavière se résigne à accepter le fait accompli par la convention de
Genève (1442), moyennant une indemnité de 11,000 florins d'or. Bien
que divisées un moment entre les deux branches de la maison de
Bourbon, les deux parties du comté n'avaient pas varié d'étendue
depuis 1325. Elles eurent, l'une la Basse-Marche, jusqu'en 1477, l'autre
la Haute-Marche, jusqu'en 1578, la même étendue.
Le comté demeurait dans la première moitié du xve siècle un des
Etats de la grande féodalité territoriale. Il s'étendait sur la majeure
part du département actuel de la Creuse, sur la partie septentrionale
de la Haute-Vienne, sur le sud de la Vienne (partie des arrondisse-
ments de Montmorillon et de Civrai), sur quelques communes de
l'Indre, de la Charente et de la Corrèze. Ses principaux centres de
population étaient Guéret et Aubusson, Felletin, Ahun et Chéne-
railles, Rançon et Champagnac, Bellac et le Dorât, Charroux et Lus-
sac-le-Château, Saint-Germain-sur- Vienne, Éguzon et Eygurande.
Par suite des hasards des successions, des achats, des ventes, des
partages, il manque, il est vrai, totalement d'homogénéité géogra-
phique. Sa configuration est étrange. Il se compose, dit M. Thomas,
« de lambeaulx tailladés, semés sur la surface des diocèses de Limoges
et de Poitiers, voire un peu de ceux de Bourges et de Clermont. Le
corps de son domaine s'étend sur les deux rives de la Creuse de sa
source au delà de son confluent avec la Petite Creuse »^. Mais que de
1. Introduction, p. xlviii et lvi.
400 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
fragments disséminés sur les bords de la Vienne, de la Gartempe et
de ses affluents! En latitude, le comte de la Marche comprend 105 kilo-
mètres depuis l'rissac (Indre) jusqu'à Bugeat (Corrèze); en longitude,
92 kilomètres depuis Beaumont jusqu'à Eygurande. Mais le « morcel-
lement est tel, ajoute M. Thomas, qu'on ne peut évaluer même
aijproximalivement la superficie ». Le territoire occupé par l'an-
cien comté compte en 1906 205,000 âmes. La division de la Marche
en deux régions n'existait que depuis la constitution du douaire
d'Anne de Bourbon. Le nom de Basse-Marche n'apparaît que dans
un acte du 15 septembre 1400. Depuis cette époque, on distingue la
Haute-Marche de l'autre fraction du comté.
La Haute-Marche est divisée, à l'époque où fonctionne le parlement
de Poitiers, en sept chàtellenies ou prévôtés, celles d'Ahun, d'Aubus-
son, de Crozant, du Dognon, de Drouilles, de Felletin et de Guéret,
qui formèrent jusqu'en 1790 le ressort de l'élection de Guéret. Elle
s'est agrandie depuis 1260 de la vicomte d'Aubusson, mais elle a perdu
depuis la fin du xme siècle ou le début du xive le territoire de la future
élection de Bourganeuf, devenue enclave du Poitou, après avoir figuré
dans l'apanage du dernier des Lusignan de la maison comtale d'An-
goulème, Gui, mort en 1309. Vers la même époque ont été détachées
de la Haute-Marche quelques menues enclaves en faveur du chapitre
Saint-Etienne de Limoges. En revanche, la Haute-Marche s'est annexé
la châtellenie du Doignon, à l'ouest de l'élection de Bourganeuf; cette
châtellenie, divisée en deux tronçons inégaux, contenait dans son ter-
ritoire la célèbre abbaye de Grandmont. La seigneurie, revendue par
Jacques de Bourbon au prévôt de Paris, Audoin Chauveron, et passée
par mariage à la maison d'Aubusson, resta vassale du comté de la
Marche. Jean de Bourbon a également agrandi la Haute-Marche de la
châtellenie de Rochefort en Bas-Limousin, annexion qui donna lieu à
un long procès avec la maison du Comborn ; celle-ci finit par obtenir
la rétrocession de ce domaine au milieu du XVe siècle. Plus durables
sont les acquisitions faites en Combrailles, où la Marche a trois
enclaves, dont la plus importante est la châtellenie de Montaigut.
Dans l'ensemble, les territoires qui composaient la Haute-Marche
ont actuellement une population de 165,000 âmes.
La Basse-Marche, dont le nom n'apparaît qu'au début du XVe siècle,
bien que composée de domaines moins incohérents, est tout aussi
dépourvue d'unité géographique que la Haute. « Elle est, dit M. Tho-
mas, jetée à l'aventure à travers le cours moyen de la Gartempe, de
la Vienne et de la Charente ». D'une superficie inférieure, elle est
aujourd'hui peuplée de 100,000 habitants. Elle se composait de sept
chàtellenies, celles de Bellac, de Rançon, de Champagnac, du Dorât,
de Calais, de Saint-Germain-sur- Vienne et de Charroux. Les trois
premières avaient été confisquées par Charles V sur la veuve d'Ai-
mar de Valence, de la maison de Lusignan, alliée des Anglais, et attri-
buées à la maison de Bourbon (1372). Il faut ajouter que le comté de
ANTOINE THOMAS : LE COMTÉ DE LA MARCHE. 401
la Marche possédait de ce côté en Poitou les châtellenies de Morthe-
mer, de Brillac et de Lussac-le-Château.
La carte que publie M. Thomas, vrai petit chef-d'œuvre de netteté
et de précision, rend plus saisissante cette incohérence territoriale
qui se retrouvait dans la plupart des États féodaux. La Haute et la
Basse-Marche y apparaissent complètement séparées l'une de l'autre
par des territoires qui dépendent' au nord du Poitou et au sud du
Haut-Limousin. Bien mieux, la châtellenie du Dognon, elle-même
divisée en deux tronçons inégaux, figure comme un îlot noyé dans le
territoire du Poitou. D'autres îlots sont les enclaves marchoises en
terre limousine et poitevine. Il y a plus. Le tracé des limites de la
Marche est d'une complexité telle que la science impeccable et la
patience méritoire d'un historien comme M. Thomas pouvaient seules
parvenir à le reconstituer. Il y est arrivé par une série de minutieuses
recherches d'où ressort la confusion parfois inextricable des frontières
féodales. Pour les châtellenies de la Basse-Marche, du côté de l'An-
goumois et du Poitou, il a pu réussir à reconstituer entièrement la
ligne des limites. Mais vers le Haut-Limousin, notamment du côté de
Châteauponsac et sur quelques points de la frontière poitevine ou de
la Basse-Marche, la délimitation est restée très douteuse; de même à
l'extrémité des châtellenies de Rançon et de Champagnac. Vers le
Berry, le Bourbonnais et le Combrailles, tantôt les limites coïncident
avec de véritables frontières géographiques (rivières, accidents de
terrain), tantôt elles suivent le tracé le plus capricieux; il en est
de même vers le Bas-Limousin.
C'est dans cet état féodal de composition hétérogène, de limites
indécises, pénétré d'une foule de côtés par les domaines du roi que
la maison de Bourbon-la-Marche prétendit jouer au xve siècle un
rôle fort au-dessus de ses forces. Avec Jacques II de Bourbon, la
dynastie marchoise court les aventures. Le comte ligure parmi les
combattants de Nicopolis, fait en 1415 une expédition en Italie méri-
dionale, en revient avec un titre de roi (1420). Il mène l'existence
d'un grand seigneur aventureux, épris de grandeurs et de faste, trop
à l'étroit dans le pauvre cadre du comté qu'il fit gouverner par procu-
ration. Allié aux maisons de Bourbon et d'Armagnac, il garde à
Charles VII une fidélité chancelante et lui accorde un appui capricieux.
Il est un des représentants de cette grande aristocratie finissante qui
va engager avec la royauté un dernier duel, d'où elle sortira écrasée
par le génie subtil et brutal d'un Louis XI. Le comte-roi tranche au
besoin du souverain. Il brave les gens du roi, refuse de s'incliner
devant les ordres de tribunaux royaux. On sait qu'en 1431, assigné à
la requête de la Trémoille, Jacques II ne laissa pas arriver jusqu'à
lui l'huissier chargé de l'assigner. Pas un notaire, pas un huissier royal
n'eut l'audace de le citer devant le Parlement tant on redoutait sa
violence. Avec les successeurs de Jacques II, la lutte était destinée à
devenir encore plus ouverte. La dynastie marchoise commence dès la
Rev. Histor. CV. 2e FASC. 26
402 COMPTES-RENDDS CR1TIQDES.
période qu'embrasse le recueil de documents publiés par M. Thomas
à s'engager dans la voie périlleuse où elle trouvera la chute finale.
Aussi fragile que la base territoriale sur laquelle les Bourbons-la-
Marche et les d'Armagnac s'appuient est le pouvoir politique dont ils
sont les détenteurs. Ils se trouvent retenus par une foule de liens
dans la dépendance du roi ; ils sont aux prises avec une multitude d'ad-
versaires, aussi bien dans leurs domaines qu'au dehors. Ils ne peuvent
se soustraire à la vassalité qui les lie au duc d'Aquitaine, comte de
Poitiers, c'est-à-dire au roi au point de vue féodal, ni aux devoirs de
subordination qui, au point de vue général, leur incombent comme
feudataires de la couronne de France. Ils gouvernent la Marche, sous
le contrôle du pouvoir royal, avec le seul secours des vieilles institu-
tions traditionnelles, sans cette forte organisation que le roi a pu don-
ner à ses domaines. Les comtes de la Marche administrent avec le
concours de sénéchaux dont M. Thomas a retrouvé les noms et
retracé sobrement les biographies. Il n'y a qu'une seule sénéchaus-
sée, ressort judiciaire et administratif, pourvue d'un seul sénéchal,
sauf à l'époque où Jean de Bourbon crut devoir instituer une séné-
chaussée particulière pour les sept châtellenies de Basse-Marche.
Mais cette division de la Marche en deux circonscriptions administra-
tives ne dure que six ans (1385-1391). Après 1391, la Basse-Marche
n'a plus de sénéchal particulier, mais un gouverneur investi d'ail-
leurs des mêmes pouvoirs jusqu'en 1430. Les sénéchaux, pris en géné-
ral dans la noblesse du pays, restent parfois de longues années en
fonctions : l'un d'eux a possédé le titre de sénéchal vingt-cinq ans,
entre 1428 et 1453. Leur autorité, qui se limite de plus en plus effec-
tivement aux affaires militaires et administratives, ne s'étend pas sur
la châtellenie de Montaigut en Combrailles, qui conserve son autono-
mie, avec son personnel administratif et judiciaire distincts. La plus
importante des anciennes attributions du sénéchal dans la Haute-
Marche, du gouverneur, son émule dans la Basse-Marche, est passée
à leurs lieutenants. Ce dernier office apparaît dans la Marche dès 1246 ;
ses attributions ont si bien grandi que le lieutenant, ne laissant plus
au sénéchal qu'une prééminence honorifique, exerce au XVe siècle au
nom du comte la plénitude des pouvoirs judiciaires; il porte le titre
de garde de la justice ou de garde de la Marche, et il reste long-
temps en fonctions. Sa justice est ambulatoire. Deux fois par an il va
tenir de grandes assises au centre des principales châtellenies : Ahun,
Aubusson, Crozant, Drouilles, Felletin, Guéret, etc. Avec le sénéchal
et le lieutenant ou garde, un autre personnage, le procureur du
comte ou procureur général, dont la charge apparaît dès 1323, forme
le tribunal permanent du comté. Il veille au maintien de la procédure
et des droits judiciaires du comte. Cette administration centrale est
complétée par la présence d'un chancelier ou garde du sceau, chef
des notaires du comté, juge des contestations relatives aux actes scel-
lés et auxiliaire de la justice dans l'administration générale. Il a rem-
ANTOINE THOMAS : LE COMTE DE LA MARCHE. 403
placé, dans la seconde moitié du xve siècle, les chancelleries par-
ticulières qui existaient auparavant. Cette fonction est exercée au
XVe siècle par un personnage qui eut sur l'administration marchoise
une influence considérable, Jean Barton, secrétaire et homme de con-
fiance des comtes. A cette époque, c'est-à-dire depuis 1430, ont dis-
paru les fonctionnaires, lieutenant, procureur général et les deux
gardes du sceau qui avaient assuré pendant près de quarante ans
le fonctionnement de la justice comtale en Basse-Marche. Mais la
châtellenie de Montaigut conserve son châtelain, son garde du sceau,
son capitaine, son bailli, juge d'appeaux, ressortant directement au
parlement, indépendants du sénéchal et du chancelier de la Marche. La
cour du sénéchal de la Marche est donc un tribunal, en principe fort
puissant, puisqu'il étend sa juridiction sur l'ensemble du comté. Elle
fonctionne comme cour d'appel. C'est d'elle que relèvent les juges
comtaux de première instance appelés châtelains, dont le ressort est
la châtellenie, et qui sont au nombre de neuf en Haute-Marche, de
sept en Basse-Marche. De sa justice dépendent encore les sentences
des tribunaux ou justices seigneuriales, fort nombreuses, répandues
dans l'étendue du comté. Toutefois, comme les autres grands vassaux,
les comtes de la Marche, en vue de soustraire leurs sujets à la tenta-
tion de recourir aux juridictions royales supérieures, ont essayé de
multiplier les degrés de juridiction. Ils ont créé par exemple des
enquêteurs ou commissaires extraordinaires, à l'imitation du roi,
pour renforcer l'action ordinaire de leur justice, découvrir et punir les
atteintes portées à leurs droits domaniaux ou à leur juridiction. Tel
est le cas des commissions créées en 1417, comme au siècle précédent,
en 1319, en 1325, en 1379, en 1447. Vaines tentatives! L'édifice judi-
ciaire des comtes de la Marche croule de tous côtés sous l'assaut de
leurs vassaux récalcitrants, d'une part, sous l'attaque, tantôt sournoise,
tantôt ouverte des fonctionnaires du roi, de l'autre.
Les documents recueillis par M. Thomas fournissent peu de rensei-
gnements sur d'autres causes du déclin de la puissance comtale, à
savoir l'insuffisance des ressources ou des pouvoirs financiers et mili-
taires des comtes de la Marche. La dilapidation de leurs domaines,
suite des aliénations qu'ils consentent ou des usurpations de leurs
vassaux, paraît n'être pas douteuse. Ils s'efforcent péniblement à maii#
tenir leurs droits, tailles, aides, francs-fiefs, nouveaux acquêts. Ils
vivent pour une bonne part des pensions et des dons du roi. La détresse
de leur trésor contribue à les mettre dans la dépendance étroite de la
royauté qui peut à volonté leur distribuer une part de ses faveurs pécu-
niaires ou lâcher contre eux la meute de leurs créanciers. Ce dernier
péril est si peu illusoire qu'on voit en 1420 le parlement de Poitiers
condamner le comte de la Marche à acquitter une dette de 400 écus et
en 1461 faire saisir le chancelier du comté qui s'est porté garant d'une
autre obligation de son maître. Quant aux pouvoirs militaires, ils ont
singulièrement été diminués par le progrès de la puissance royale, et
404 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
les difficultés que les comtes ou les seigneurs éprouvent à exercer
leur simple droit de guet indique assez le médiocre empressement
que mettent leurs sujets à les seconder. En fait, les comtes de la
Marche ne peuvent compter que sur les troupes qu'ils soldent, et la
pénurie de leurs ressources en argent a eu une répercussion naturelle
sur celle de leur force en hommes d'armes ou en soldats.
Des documents extraits des archives du parlement de Poitiers res-
sortent d'autres faits généraux utiles pour l'histoire des institutions.
Le spectacle des dernières manifestations de l'anarchie féodale, favo-
risée par la guerre de Cent ans, y apparaît clairement; de même que
celui de la puissance de résistance de l'autorité monarchique, dont ces
temps d'épreuve n'ont pu ébranler les fortes assises. A la faveur des
guerres anglaises et des discordes civiles, la petite féodalité provin-
ciale revient aux traditions de la pire époque du moyen âge. Les pro-
cès que le parlement de Poitiers est appelé à juger la montrent en
proie aux discordes familiales, aux rivalités fratricides. Les guerres
privées sont si fréquentes que les gens du roi sont continuellement
occupés à essayer de les enrayer au moyen des asseuremenls. La
noblesse se livre aux pires brigandages aux dépens des clercs, des bour-
geois et des paysans. Elle semble avoir trouvé parfois une coupable
complaisance jusque chez les olïiciers du comte de la Marche. Profon-
dément divisée, elle n'a qu'une aspiration commune, celle de l'indé-
pendance à l'égard de ce dernier suzerain. Toutes les fois que les vas-
saux se sentent assez forts pour tenter de s'émanciper avec quelque
chance de succès, ils se soustraient à la justice comtale. Les uns
organisent, à l'exemple du comte, une juridiction à deux degrés, avec
des châtelains au premier, un sénéchal au deuxième. Ainsi font les
seigneurs de Lussac, de Magnac-Laval, de Dognon, de la Borne, de
Villeneuve. Les autres s'efforcent d'esquiver la juridiction d'appel du
sénéchal ou des châtelains du comte et de porter leurs différends
directement au parlement, comme les seigneurs de Maleval et de Saint-
Marc. Une seule autorité, trop lointaine pour se faire sentir d'une
manière continue, est l'objet d'un respect relatif de la part des nobles
marchois. C'est celle du roi, auquel ils rendent volontiers le devoir
militaire dans la lutte contre les Anglais, soit par loyalisme, soit par
intérêt. Le clergé offre l'image d'un grand corps en proie aux divi-
sions et à la préoccupation des intérêts matériels. Abbayes, comman-
deries, prieurés, chapitres figurent au premier rang de l'immense
armée des plaideurs qui assiègent les avenues du parlement de Poi-
tiers. Les clercs sont en querelle à propos des bénéfices dont ils se
disputent âprement la possession, souvent à main armée ; les plus
infimes vicaires, aussi bien que les archiprêtres et que les cures, en
qui les bénéfices majeurs suscitent de violents appétits. La lutte est
non moins vive entre le clergé, d'une part, la petite noblesse et la
bourgeoisie, de l'autre. Les habitants de Saint-Savin, par exemple,
ont maille à partir avec le chapitre du Dorât et les bourgeois de Char-
ANTOINE THOMAS : LE COMTE DE Li MARCHE. 405
roux avec leur abbé. Mais les clercs ont l'alliance de la royauté, et le
pouvoir royal les soutient d'ordinaire contre les revendications de leurs
rivaux.
Le tiers état, de son côté, a grandi dans le comté de la Marche. Il
s'enrichit, semble-t-il, par le commerce. Guéret, Aubusson, Felletin,
Magnac-Laval paraissent, d'après les documents judiciaires, avoir été
au xve siècle des centres de trafic importants. Les dépôts d'argent se
font surtout dans deux de ces villes, Guéret et Felletin. La première
a été érigée en commune dès 1406. Les bourgeois des petites villes
marchoises, telles que Charroux, Bellac, Châteauponsac, sont éner-
giques et entreprenants. Ils résistent aux entreprises des gens de
guerre. Ils tiennent tète aux gens d'église. On les voit à Charroux
s'insurger contre l'abbé et tenter de relever leur château-fort de ses
ruines pour l'opposer à l'abbaye. Ils font appel à la royauté contre les
violences des nobles, et c'est leur appui, aussi bien que celui du clergé,
qui donne au roi des moyens d'influence les plus actifs contre les vel-
léités d'indépendance des comtes.
Déjà se fait au sein des classes populaires de la Marche elle-même,
fort en retard sur celles de la plus grande partie du royaume, un sourd
travail d'émancipation. Livrées aux extorsions des capitaines et des
gens de guerre, opprimées par des féodaux, elles s'agitent pour conqué-
rir la liberté. Les serfs d'ovine (d'origine), si nombreux et si malheu-
reux dans la Marche, cherchent à s'organiser contre leurs oppresseurs.
Le recueil dû à M. Thomas complète heureusement les études spé-
ciales d'Autorde sur le servage marchois. Les documents judiciaires
prouvent combien persistante fut l'aspiration des serfs vers l'affran-
chissement. Dans les régions de Dun-le-Palleteau, de Monteil-au-
Vicomte et de Prébenoît, une sorte d'entente fut alors conclue entre
les opprimés. Mais elle fut réprimée par la violence : les féodaux inté-
ressés firent appel à la force des armes. Les gens du roi eux-mêmes
se désintéressèrent du sort des serfs, et dans le grand procès engagé
à leur sujet devant le parlement de Poitiers, l'avocat des asservis
invoqua vainement le droit de franchise naturelle des habitants du
royaume. La royauté, en effet, se souciait bien davantage de ruiner
l'autorité politique de la féodalité que de porter atteinte aux privi-
lèges sociaux de ce grand corps. Sa principale préoccupation consiste
à soumettre la Marche à l'action administrative de ses agents, les
sénéchaux du Limousin et du Poitou, et à retirer de ses habitants les
ressources financières dont plus que jamais la politique royale ressent
le besoin. Aussi, dès le début du xive siècle, la sénéchaussée a-t-elle
formé une circonscription financière, comprenant toute la Haute-
Marche et la plus grande partie de la Basse. Depuis 1418, apparaît
l'élection de Guéret qui englobe toute la Haute-Marche, avec la châ-
tellenie de Montaigut en Combrailles, et qui est formée de 197 col-
lectes. Quant à la Basse-Marche, elle contribue aux aides, pour par-
tie avec le Haut-Limousin (chàtellenies de Bellac, de Rançon et de
'lf)6 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Champagnac), pour partie avec le Poitou (châtellenies de Charroux,
de Calais, de Saint-Germain et du Dorât). Cette pauvre région est
appelée à contribuer aux dépenses d'un gouvernement obéré à un tel
point, qu'en 1425, on voit le sénéchal delà Marche, Jean Barton, prê-
ter 2,000 livres à Charles VII.
Mais l'action la plus puissante est celle qu'exerce la justice royale
en un temps où les tribunaux interviennent avec une fréquence incon-
nue aujourd'hui jusque dans les détails de la vie de tous, et où ils sont
de véritables instruments de règne. A cet égard, la persistance de leur
intervention exerce une influence autrement profonde que les courts
séjours dans la Marche, au nombre de cinq, auxquels le roi se résigne
entre 1422 et 1443. L'indépendance judiciaire fait, en effet, défaut au
comté. En Basse-Marche, les trois châtellenies de Bellac, de Champa-
gnac et de Rançon relèvent en appel et pour les cas royaux du séné-
chal de Limousin, et les quatre autres châtellenies du sénéchal de
Poitou. Ces dernières sont même placées dans le ressort de Mont-
morillon, partie intégrante du comté de Poitiers, dont les comtes de
la Marche sont vassaux. Bien que le comte de la Marche prétende en
fait au privilège de pairie, c'est-à-dire à l'appel direct au parlement,
les officiers du roi interviennent à l'envi pour contrarier ou pour
annuler l'autorité du sénéchal marchois. Ainsi rivalisent d'ardeur
au profit de l'autorité judiciaire du roi, non seulement les séné-
chaux de Poitou et de Limousin, mais encore le bailli de Tours, juge
des exempts de Poitou, les baillis de Saint-Pierre-le-Moutier et de
Montferrand, ou même le garde du sceau royal de Limoges.
Le parlement veille de son côté avec un soin jaloux pour empêcher
les usurpations judiciaires du comte de la Marche ou pour diminuer
la puissance de ce vassal. Lorsque celui-ci s'arroge le pouvoir d'accor-
der des lettres de grâce, de rémission ou d'abolition, dont le roi reven-
dique seul l'octroi, le parlement rappelle à l'ordre l'usurpateur féodal.
S'il lui arrive de renvoyer au sénéchal du comte les plaideurs qui
essaient de se soustraire à la justice comtale, dans bien des cas, il
retient les affaires pour les juger à fond, soit que le procureur géné-
ral de la Marche ait négligé de revendiquer les droits de la justice féo-
dale, soit que les parties vaillent la peine d'être classées parmi les jus-
ticiables du roi. C'est ainsi qu'on accueille d'ordinaire les requêtes des
vassaux les plus puissants du comté, tels que les Rochechouart et les
Dun-le-Palleteau, ou des grands établissements religieux, comme
ceux de Charroux, du Dorât et de Grandmont, parfois même celles des
bénéficiers les plus modestes. Les plus humbles agents de la justice
royale, ces sergents royaux qui parfois ne savent ni lire ni écrire, se
font, en dépit des menaces des féodaux, les exécuteurs intrépides des sen-
tences des gens du roi. Dans cette lente conquête de l'ancienne France
« par l'écriture », suivant la formule célèbre de Michelet, le parlement
et la justice monarchique ont certainement tenu les premiers rôles.
Les documents extraits des archives du parlement de Poitiers sont
BOSSDET : CORRESPONDANCE. 407
une nouvelle et éclatante preuve de ce fait pour le comté de la
Marche. Ils démontrent enfin que l'idée de patrie a progressé, et que,
sous sa forme première, le dévouement dynastique, elle est déjà extrê-
mement puissante. En dépit des malheurs de cette sombre période, le
loyalisme des sujets du comte de la Marche à l'égard de Charles VII
s'affirme par l'octroi de subsides, par les prises d'armes à l'approche
des Anglais, à peine ébranlé quelquefois, comme à l'époque de la
sédition de Bellac en 1424, par les brutales exigences du fisc et par les
désordres des gens de guerre.
Aussi riche en renseignements sur l'administration générale de la
France au xve siècle que sur l'histoire particulière de la Marche, la
publication de M. Antoine Thomas se recommande donc en résumé
par des qualités et par un intérêt de premier ordre à l'attention des
historiens.
P. BOISSONNADE.
Bossuet. Correspondance. T. II : 1677-1683, et t. III : 1684-
1686. Paris, Hachette, 1909-1910. 2 vol. in-8°, 526 et 575 pages,
un index à chaque volume. (Collection les Grands Écrivains.)
Ces deux tomes de l'édition Ch. Urbain et E. Levesque intéres-
seront vivement les historiens. L'un tourne autour de l'assemblée
de 1682, sur laquelle on y trouvera, outre les lettres de et à Bossuet,
d'abondants documents. Notons-y également des données sur la façon
dont Bossuet entendait l'application de l'Édit « à la rigueur » (affaire
d'Hervart), les enlèvements d'enfants, etc. Comme curiosité, une lettre
de Marie-Thérèse (p. 57), où cette princesse n'apparaît pas du tout
avec la médiocrité d'intelligence qu'on lui prête. Le t. III, avec les
derniers échos de l'agitation gallicane, nous apporte surtout des pièces
sur la veille et le lendemain de la Révocation. Il faut avouer que le
grand évêque n'y paraît pas à son avantage : c'est une assez vilaine
chose que Bossuet dragonneur (p. 171) et proscripteur d'assemblées
(p. 321, voy. la note 2, où les éditeurs opposent l'âpre parole de Bos-
suet lui-même aux douceâtres peintures du cardinal de Bausset). Sa
lettre à l'évêque de Saintes (p. 333) sur l'assistance à la messe des
« nouveaux catholiques » est pleine de distinguos scabreux et assez
peu respectueuse des consciences; sur ce point, le Bossuet de 1687
vaut moins que ne vaudra celui de 1698; il vaut moins que le grand
Arnauld, dont plusieurs lettres sont données ici. Signalons, sur le ter-
rain de la controverse, la curieuse correspondance avec Pierre de
Vrillac, ou plutôt avec Jean Rou, qui prend la plume au nom d'une
des ouailles de M. de Meaux. Un grand nombre de lettres se rapportent
au travail de préparation de YHistoire des variations. Plusieurs
lettres inédites de Louvois et de la secrétairerie d'État, l'une interdi-
sant (p. 187) le chant des psaumes, même dans la version de Godeau,
408 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
les autres (p. 514 et suiv.) très importantes sur les suites de la Révo-
cation et les « remuements » des nouveaux catholiques. Il faut y faire
une place d'honneur à cette phrase vraiment lapidaire de Louvois (à
propos de poursuites contre une assemblée clandestine! : « Si M. de
Rieutort [capitaine des grenadiers à cheval] y avait fait jeter sur le
carreau une douzaine, cela les aurait plus corrigés que ne feront
toutes les poursuites qu'on fera contre eux. » — Les éditeurs, ici
comme dans le premier volume, donnent autant que possible tout,
recueillant des lettres qui semblaient perdues dans divers ouvrages,
publiant les lettres inédites, collationnant sur les manuscrits, quand
ils existent, les lettres déjà connues, enrichissant leur texte d'appen-
dices, sans parler des documents qu'ils glissent dans les notes. —
Quelques vétilles au t. III : p. 395, note 3, rappeler que Charles-
Louis est le propre père de la seconde Madame. P. 396, note 7, Gra-
lien, lire Gratien.
H. Hauser.
George E. Woodbine. Four thirteenth century law tracts.
New-Haven, Yale University press; Oxford. University press,
1910. In-12, 183 pages.
Ceci est une thèse présentée à la « Faculty of the graduate school »
de l'Université d'Yale pour le doctorat en philosophie. Elle contient le
texte de quatre traités de jurisprudence et de procédure anglaise com-
posés au temps d'Edouard Ier ou dans les toutes dernières années de
Henri III. Une rapide et précise introduction donne les indications
strictement nécessaires sur le caractère, l'importance, l'auteur pos-
sible de chacun d'eux et sur les manuscrits qui nous les ont conservés.
Ces manuscrits sont fort nombreux ; destinés à l'usage des juristes
de profession, on y trouve d'ordinaire le recueil des statuts qui sont
le fondement écrit de la loi anglaise, des manuels de droit, un formu-
laire, parfois aussi des extraits des Year boohs ou des Plea rolte. Les
manuels (nos quatre traités sont du nombre) sont des documents d'un
caractère exclusivement privé, mais d'une pratique constante, dignes
par conséquent d'attirer l'attention du juriste et de l'historien.
Le premier des quatre traités publiés par M. Woodbine (Fet asa-
ver) est un texte en anglo-français connu de tous ceux qui ont manié
l'édition de Fleta donnée par Selden; celui-ci l'a fait imprimer à la
suite du texte latin de Fleta sans s'apercevoir peut-être que, dans le
manuscrit utilisé par lui, le texte de Fet asaver était incomplet. Il
en manque environ la moitié; sans doute le copiste, après avoir com-
mencé par transcrire le traité en français à la suite du latin, comme
si Fet asaver était en effet une suite de Fleta, s'aperçut ensuite de
son erreur et interrompit le travail. La présente édition nous donne
pour la première fois le texte complet de ce traité.
G. E. WOODBINE : FOFR THIRTEENTB CENTURY LAW TRACTS. 409
M. Woodbine en connaît plus de cinquante manuscrits, la plupart
du commencement du XIVe siècle ; il a établi son texte, d'après quatorze
de ces manuscrits. Il pense et il donne de bons arguments pour faire
croire qu'il a été rédigé avant le premier statut de Westminster (1275),
peut-être même avant le statut de Marlborough (1267). Il note les rap-
ports étroits qui le rattachent au traité intitulé Magna summa et dont
l'auteur est Raoul de Hengham, qui était en 1270 un des principaux
juges de la couronne, et il suppose que Hengham est l'auteur commun
des deux traités. Ce sont d'ailleurs des œuvres médiocres; ce qui
assura le succès de Fet asaver, c'est que, sous une forme concise,
il contient beaucoup d'indications utiles.
Le second traité est intitulé Judicium essoniorum. Il a été com-
posé après Fet asaver, mais avant le premier statut de Westminster.
Un manuscrit au moins l'attribue à Raoul de Hengham et, en fait, il a
de nombreuses ressemblances avec la Summa magna de ce dernier.
Il complète Fet asaver par les règles minutieuses qu'il contient sur
la pratique des excuses et des défauts.
Le troisième traité : Modus componendi brevia (désigné aussi par
les trois mots de l'ineipit : Cum sit necessarium), a été compilé peu
après le second statut de Westminster (1285). Un bibliographe du
xvme siècle, Tanner, l'attribue aussi à Raoul de Hengham, mais sans
vraisemblance. Il est complété par un traité en anglo-français (le
quatrième de la présente publication) : Exceptiones ad cassandum
brevia. M. Woodbine en conclut que ces deux compilations sont du
même auteur. Sans doute, il n'est pas impossible que le même prati-
cien ait pu employer alternativement l'une et l'autre langue ; cepen-
dant, le fait impose une certaine circonspection. La question d'attri-
bution est d'ailleurs ici secondaire, tant est impersonnel le caractère
de ces compilations, et il faut dire que M. Woodbine n'y insiste pas
outre mesure.
Il s'est acquitté de sa tâche d'éditeur avec un grand soin ; les textes,
bien ponctués, munis des variantes fournies par les manuscrits, se
lisent aisément. Mais il n'y a aucun commentaire. C'est affaire à l'his-
torien du droit d'utiliser comme il l'entend les renseignements qu'ils
contiennent.
Ch. BÉMONT.
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
Histoire de l'Eglise.
— Edward B. Krehbiehl. The Interdict; its history and its ope-
ration, with spécial attention to the time of pope Innocent IV,
publié par YAmerican historical Association (Washington, 1909,
vm-184 p.). — Utile monographie sur l'Interdit ecclésiastique, ses
origines, son caractère juridique et ses conséquences jusque vers la
fin du xne siècle. Elle vaut surtout par une abondante bibliographie.
En appendice, l'auteur étudie un à un les cas où la cour de Rome a
prononcé ou menacé de prononcer l'interdit pendant les dix-huit
années du pontificat d'Innocent III. Il y en a quatre-vingt-dix. Le
plus célèbre au point de vue général, celui du grand interdit dont
l'Angleterre fut frappée de 1208 à 1214, a été seulement indiqué; il
eût exigé en effet des développements considérables qui auraient brisé
le cadre d'une simple dissertation. Ch. B.
Histoire de France.
— Essai sur la coutume poitevine- du mariage au début du
XVe siècle d'après le vieux « Coustumier du Poictou » (4447)
(Paris, Champion, 1910, xvn-580 p.). — Signalons, sans pouvoir nous
y arrêter, l'Essai de M. Maurice Lacombe, avocat à Poitiers, sur la
coutume poitevine du mariage. C'est un commentaire copieux du
Coustumier de Poictou de 1417. M. Lacombe est un laborieux, il a
bien étudié le texte de la coutume et mérite de n'être pas découragé.
Mais il est encore inexpérimenté, soit qu'il s'agisse de dresser sa
bibliographie, soit dans sa façon de conduire son exposé, qui est trop
touffu et souvent peu clair. Ces incertitudes et ces obscurités tiennent
surtout à ce que les idées générales sur la structure et l'évolution du
droit coutumier ne sont pas suffisamment familières à l'auteur. — P.-D.
— Histoire de la lèpre en France. I : Lépreux et cagots du sud-
ouest. Notes historiques, médicales, philologiques, suivies de
documents, avec une préface du prof. Gilbert Ballet (Paris, Cham-
pion, 1909, xxvi-784 p., 23 grav., dont 20 hors texte; prix : 18 fr.). —
Quelle est l'origine de la cagoterie, dont on trouve encore des spéci-
mens dans la région pyrénéenne? Ces cagots qui avaient dans les
églises du village les portes d'entrée réservées et les bénitiers spéciaux
que tous les touristes se rappellent avoir vus, faut-il les confondre
avec les crétins, ou bien était-ce un groupe ethnographique, une
IIISTOIRE DE FRANCE.
411
« race maudite » d'origine sarrasine ou espagnole? Aucune de ces
hypothèses n'est acceptable. Les cagots, que dans le sud-ouest on
laissait en liberté sous certaines conditions, étaient des lépreux; et
voilà pourquoi les léproseries étaient si rares au sud de la Garonne.
M. le Dr H.-M. Fay le démontre abondamment dans un beau livre,
enrichi de curieuses illustrations, et qu'un médecin très érudit pou-
vait seul écrire. Sa conclusion générale s'impose avec évidence. Les
historiens, les philologues, les médecins même contesteront sans doute
quelques-unes de ses conclusions particulières. Le Dr Fay estime
que la claustration des lépreux dans le nord de la France était une
barbarie inutile. Elle semble cependant avoir eu pour effet l'extinction
presque complète du mal. Au reste, l'auteur reviendra sans doute sur
cette question ; il nous annonce une série d'études sur l'Histoire de la
lèpre. Petit-Dutaillis.
— Genestal. Le Procès sur l'état de clerc aux XIIIe et
XIVe siècles. — Dans ce mémoire, qui figure en tête du Rapport
annuel de l'École pratique des hautes études, section des Sciences
religieuses (1909, 39 pages), l'auteur nous apporte une utile contri-
bution à l'histoire du privilège de for. On sait que, pour obtenir ce
privilège, beaucoup de gens se prétendaient clercs indûment. A qui
appartenait-il de décider de leur état? Une décrétale de Boni-
face VIII restreignit en 1298 la compétence des tribunaux séculiers à
ce sujet. M. Genestal montre comment ceux-ci, et particulièrement
le Parlement de Paris, résistèrent au cours du xive siècle et par-
vinrent à s'émanciper. Petit-Dutaillis.
— Le Bourreau de Jeanne d'Arc, d'après des documents iné-
dits (Rouen, Cagniard; Paris, Champion, 1910, in-8°, 82 p.). —
M. Albert Sarrazin a réuni quelques notes biographiques sur Geof-
froy Therage, bourreau du bailliage royal de Rouen, qui fut proba-
blement chargé de l'exécution de Jeanne d'Arc. Sa brochure, qui
n'apporte d'ailleurs aucun fait nouveau important, est luxueusement
illustrée. Petit-Dutaillis.
— Livre des fiefs alsaciens mouvants de l'Autriche sous Cathe-
rine de Bourgogne (Paris, Larose, 1910, 61 p.). — Sous ce titre,
M. Louis Stouff publie un catalogue d'une quinzaine de feuillets
(archives de la Côte-d'Or, B 1047) rédigé probablement vers 1423, sur
l'ordre de Catherine de Bourgogne, fille de Philippe le Hardi et femme
de Léopold le Superbe, duc d'Autriche. Ce registre de fiefs, qui semble
avoir eu surtout pour objet de fournir des renseignements d'intérêt
militaire, a été composé hâtivement, sans grand soin, et ne peut don-
ner une idée complète et exacte de la situation féodale de l'Alsace à
l'époque de sa rédaction. En appendice, M. Stouff a publié des textes
connexes, tirés de l'urbaire de 1303 et de l'état des fiefs de 1361, et
quelques actes concernant le gouvernement de Catherine de Bour-
gogne. Petit-Dutaillis.
412 NOTES BIBUOGIUPHIQUES.
— Henri Prentout. Les Le Prostré, maçons caen.na.is, et les
monuments de la Renaissance (Caen, 1906, in-8°, 23 p.). — Les
maîtres maçons de la Renaissance à Caen (Caen, 1910, in-8°, 28 p.,
10 fig.). — La monstrance de Notre-Dame-de-Froiderue (Caen,
1910, 11 p., 1 fig.; ces deux dernières brochures extraites du
LXXVe Congrès archéologique de France). — Dans les deux pre-
mières brochures, M. Prentout, s'appuyant sur des pièces d'archives,
rend à la famille protestante des Le Prestre son rôle dans l'épanouis-
sement de la renaissance caennaise. II. HR.
— Frédéric Lachèvre. Le livre d'amour d'Hercule de Lacger.
Vers pour Iris... (Paris, Sansot, 1910, in-12, 142 p., portrait et fac-
similé). — A la savoureuse biographie que M. Emile Magne avait con-
sacrée à Henriette de Coligny, comtesse de la Suze (voy. Rev. hist.,
t. XCIX, p. 192), M. Lachèvre ajoute un nouvel et piquant élément :
les vers que soupira pour la belle précieuse un de ses innombrables
amants, le Gascon Hercule de Lacger, seigneur de Massuguiès. La
chute de l'héritière des Chastillon eut lieu dans ce même château de
Lumigny où s'étaient tenues les fameuses conférences dans lesquelles
l'amiral, Charles IX et Louis de Nassau élaboraient, à la veille de la
Saint-Barthélémy, un plan de campagne aux Pays-Bas. Lacger fut
plus tard l'instigateur assez lâche du duel qui fit de Mme de Sévigné
une veuve. IL HR.
— Jean Plattard. L'œuvre de Rabelais (sources, invention et
composition) (Paris, Champion, 1910, in-8°, xxxi-374 p.). — L'au-
teur, qui s'inspire de la méthode de M. Lefranc, nous fournit des don-
nées précises sur nombre de sujets dont on parle souvent d'une façon
assez vague : l'enseignement et le « pays latin » dans l'œuvre de Rabe-
lais, le droit et les légistes, la médecine, l'humanisme. Il arrive ainsi
à démêler ce qui fait la véritable originalité de Rabelais. — H. HR.
— Emile Faguet. Madame de Sévigné (Paris, Nilsson, s. d., in-16,
201 p., 4 grav. Collection Les femmes illustres). — Le mot de petit
chef-d'œuvre n'est peut-être pas trop gros pour ces quelques pages
d'un charme exquis où M. Faguet a su renouveler le plus usé des
sujets. Il a fait de Marie de Rabutin une représentante et comme un
« extrait » de l'esprit de son temps. « Mme de Sévigné, sans la sur-
faire, est tout le xviie siècle », qualités et défauts aussi. — Quelques
malices, où la plus délicieuse ironie se mêle à quelques grains d'in-
justice : ne s'avise-t-on pas que l'idée de l'unité morale du pays était
prédominante chez Bossuet, « exactement comme, de nos jours, chez
un homme d'aussi grand esprit que M. Combes ou M. Ferdinand
Buisson » ? C'est nous qui soulignons et l'ironie et l'injustice.
H. HR.
— L. Delavaud. Documents inédits sur le duc de Saint-Simon
(169k-llk6) (La Rochelle, 1910, in-8°, 71 p., 1 portrait; celui de Pont-
chartrain). — Saint-Simon, depuis quelque temps, n'a pas de chance.
HISTOIRE DE FRANCE.
413
A tout moment (Chéruel, M. Bliard, M. Bourgeois) on le prend en
flagrant délit de camaraderie presque affectueuse ou de flagornerie
courtisanesque avec des hommes dont il a dit, dans ses terribles
Mémoires, pis que pendre. Quoique M. Delavaud n'ait guère retrouvé
que des lettres de Jérôme Phélypeaux de Pontchartrain à Saint-
Simon, ces lettres nous permettent de conjecturer quel était le ton
des réponses. Décidément, « cet Alceste avait été un Philinte... et l'a
oublié ». H- HR-
— Comte Gabriel Mareschal de Bièvre. Le marquis de Bièvre,
sa vie, ses calembours, ses comédies, 4747-4789 (Paris, Pion, 1910,
in-8°, v-430 p., 1 héliogravure et 5 grav.). — Plus de 400 pages sur
un diseur de bons mots, des appendices, un index, c'est vraiment
beaucoup d'honneur. Malgré d'assez piquantes anecdotes sur le monde
de la galanterie et du théâtre au xvme siècle, l'auteur (qui nous avait
donné autrefois une étude sur un autre de ses ancêtres, l'illustre
chirurgien) ne parvient pas à nous intéresser à un homme dont le
principal mérite fut de porter à la perfection ce genre que Chénier
appelait « l'hébété calembour ». H. HR.
— J. Fennebresque. Versailles royal (Paris, H. Champion, 1910,
in-8°, viii-282 p.). — L'auteur a voulu surtout considérer Versailles
comme « un champ d'expériences techniques », insister sur la valeur
« utilitaire » des travaux qui y ont été accomplis par la royauté. Nous
craignons que, par un sentiment de piété monarchique, il ne se soit
exagéré le rôle qu'a pu jouer la flottille du Grand Canal dans l'histoire
de la puissance maritime de la France ou celui du Potager dans les
progrès de la botanique et de l'horticulture, etc. Malgré de savantes
recherches dans les archives, il n'apporte, dans aucun de ces domaines
de l'histoire de la technique, rien de bien décisivement nouveau. On
goûtera davantage les quelques pages émues, sentimentales, discrète-
ment passionnées, qu'il consacre à Mme Elisabeth et où il encadre
trois lettres inédites de la princesse à son amie Mme des Monstiers-
Mérinville (6 novembre 1790, 7 avril et 2 juin 1791) : on y voit à quel
point la question religieuse a dominé la situation de la famille royale.
M. J. Fennebresque utilise aussi des mémoires de la comtesse Diane
de Polignac. — P. 83, n. 1, l'expression « Sa Majesté l'empereur et
roi » ne peut étonner que ceux qui oublient que Napoléon était roi
d'Italie. H. HR.
— Emile Rhodes. Les trompettes du roi (Paris, Picard, 1909,
in-8°, 70 + 4 p., 8 pi., airs de trompettes). — Étude sur les quatre
charges de trompettes de la chambre, des huit autres de la grande
écurie, des quatre trompettes « des Menus-Plaisirs ». Ces charges
confèrent la noblesse; elles sont transmissibles par survivance ou par
vénalité. A côté des trompettes de la grande écurie, il y a trompettes
des gardes du corps, des gendarmes, des chevau-légers, des mousque-
taires, etc., trompettes de la reine et des princes. Il est assez curieux
de constater que les trompettes du roi se recrutent dans un petit
414 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
nombre de familles, presque toutes originaires d'un coin de la Haute-
Auvergne (cantons de Riom-ès-Montagnes et de Condat). — Lire,
p. 25 : « Garde gardienne » ; p. 27 : « Si sur ce par nous ; pour raison
de ce que dessus; ils passent, souffrent et laissent... Contraignant à
ce faire... » ; p. 28 : « Gages, droits ». H. HR.
— Edmond Lamouzèle. Essai sur l'administration de la ville
de Toulouse h la fin de l'ancien régime (1783-1790) (Paris, Giard
et Brière, 1910, in-8°, 138 p.). — Ce dépouillement des procès-ver-
baux de divers conseils montre combien étendue et combien com-
plexe était l'activité d'une grande municipalité, même à la veille de
la Révolution. Toute la vie économique de la ville se concentre autour
du Capitule. H. HR.
— Ulysse Rouchon. Recherches sur les inondations de la Loire
supérieure et de ses affluents dans le département de la Haute-
Loire (Paris, Champion, 1910, in-8°, xxxi-59 p.). — Très conscien-
cieuse étude d'histoire météorologique, allant de 1374 à 1907. Bro-
chure à répandre en un pays où l'on a eu cet étrange spectacle d'une
commission dite des inondations qui a délibéré longuement, examiné
toutes les faces du problème et oublié (volontairement ou non) de se
poser une seule question : la question forestière. M. Rouchon, en
termes modérés, se prononce pour le reboisement. H. HR.
— Georges Cirot. Recherches sur les juifs espagnols et portu-
gais à Bordeaux, lre partie (Bordeaux, Féret, 1909, in-8°, 198 p.,
2 pi.}. — Notes d'un grand intérêt sur cette puissante communauté
dont les membres, considérés d'abord comme « nouveaux chrétiens »
et soumis aux rites catholiques du baptême et du mariage, arrivent
peu à peu (vers la fin du xvne siècle) à s'émanciper : le curé n'est plus
pour eux qu'un officier d'état civil, en attendant (xvme siècle) qu'ils
se passent complètement de son ministère. L'organisation centrale est
la Sedaca, association charitable qui, par une évolution analogue à
celle des confréries de métier, devient la représentante officielle de la
« nation » portugaise. Elle est, dans une certaine mesure, reconnue
par les pouvoirs publics, notamment par l'intendant; elle est investie
du droit de percevoir des cotisations et des amendes sur ses membres
et d'en poursuivre judiciairement le paiement. Elle exerce des pou-
voirs de police et en use pour écarter de la « nation », sorte d'aristo-
cratie juive, les Juifs de qualité inférieure. Elle paie au roi des
impôts, qu'elle répartit ensuite entre ses membres ; elle fait des dons
au roi, elle emprunte, elle acquiert ; elle finit par posséder ses cime-
tières, au sujet desquels M. Cirot a fait une enquête des plus fruc-
tueuses. Ces quelques pages sont d'une lecture très attrayante. — H . HR.
Histoire de Grande-Bretagne.
— The Rev. Edward Craig Trenholme. The story of Iona (Edim-
bourg, Douglas, in-8°, 1909, xv-173 p., avec des dessins et des pho-
HISTOIRE DE GRANDE-BRETAGNE. 415
tographies). — L'histoire d'Iona peut être contée en peu de pages.
C'est l'île où l'Irlandais saint Colomba alla en 563 fonder un monas-
tère qui fut célèbre du vie au vme siècle; de là partirent en effet les
missions qui convertirent au christianisme les populations encore
païennes du pays qui devait prendre plus tard le nom d'Ecosse. On y
voit encore aujourd'hui de curieux monuments, croix, pierres tom-
bales, etc., plus anciens que les invasions danoises, une église du
xive siècle * qu'on vient de restaurer. C'est un endroit que ne manquent
pas de visiter les touristes voyageant en Ecosse. Le volume que vient
de lui consacrer M. Trenholme, simplement écrit, bien documenté
sans en avoir l'air, illustré de gravures et de photographies bien choi-
sies, leur sera le meilleur des guides au point de vue archéologique et
historique. Ch. B.
— The great Roll of the Pipe for the twenty eighth year of the
reign of king Henry the second, A. D. 1Î81-1Î82 (Londres, publis-
hed by the Society, 1910, in-8°, xxviii-206 p.). — Dans la préface à
ce volume, M. Round attire l'attention sur les sommes assez considé-
rables dépensées par Henri II pour ses châteaux. A noter aussi un
cyrographe relatant un accord (finalis concordia) passé entre divers
particuliers devant la cour du roi à Westminster (p. 107). C'est peut-
être le plus ancien exemple d'une pratique qui deviendra de plus en
plus fréquente et qui consiste à faire transcrire sur des rôles d'une
incontestable autorité légale des actes réglant des intérêts privés. A
l'Index nominum est ajouté un Index rerum où l'on aimerait à
retrouver certaines expressions techniques commentées dans l'Intro-
duction. Ch. B.
— Else Gùtschow. Innocenz III und England (Munich et Ber-
lin, Oldenburg, 1904, x-198 p. Forme le tome XVIII de la Historische
Dibliothek). — Nous devons nous excuser de n'avoir pas annoncé
plus tôt cet ouvrage, où M. Gùtschow a exposé les conflits entre
l'Église et l'Etat en Angleterre depuis le début du règne de Henri II
jusqu'à la rupture des relations entre Innocent III et Jean sans Terre
et à la soumission de ce dernier aux conditions imposées par la cour
de Rome. L'auteur connaît bien les sources. On ne peut dire cepen-
dant qu'il ait beaucoup ajouté à ce que nous savions déjà par Stubbs,
par exemple, qui a traité la question de près, soit dans son Histoire
constitutionnelle, soit dans ses Litterae Cantuarienses (dont l'auteur
dénature le titre en Litterae Canterburienses). En appendice, il a
fait un examen critique du traité d'Avranches par lequel Henri en
1172 rentra en grâce auprès du Saint-Siège après le meurtre de Tho-
mas Becket. Ch. B.
— Chalfant Robinson. Was king Edward the second a degene-
1. M. Trenholme l'avait attribuée d'abord à la fin du xir siècle; il incline,
dans sa préface, à l'opinion mieux informée d'archéologues qui la rajeunissent
d'environ un siècle et demi.
416 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
rate? [20 p.] (tiré à part de Y American journal of insanity , t. LXVI,
n° 3, janvier 1910). — A cette question, l'auteur, qui est docteur en
philosophie, non en médecine, répond par l'affirmative. Il retrouve
dans Edouard II tous les traits que les aliénistes et particulièrement le
Dr Saury constatent chez les individus atteints de tares physiolo-
giques et moralement irresponsables. Edouard II était dément, et l'on
peut signaler chez lui de véritables accès de folie furieuse. La reine crai-
gnit à plusieurs reprises pour sa vie, et c'est cette terreur qui, jointe à
d'autres causes moins légitimes, lui fit abandonner son mari et cher-
cher asile en France auprès du roi son frère. Telle est la thèse pré-
sentée par M. Robinson ; elle peut se soutenir assurément et elle est
séduisante. Je ne puis dire cependant que les témoignages allégués
soient convaincants. Ch. B.
— Archivdirektor Prof. Dr Rudolf Jung. Die englische Flùchtlings-
Gemeinde in Franfurt-am-Main, 155b-1559 (Francfort, Jos. Baer,
1910, in-8°, 66 p. Forme le 3e fasc. des Frankfurter historische
Forschungen, publ. par le prof. G. Kiintzel). — On sait que la
réaction catholique sous le règne de Marie Tudor contraignit les prin-
cipaux chefs du parti protestant à s'enfuir à l'étranger. Une commu-
nauté se forma à Francfort, où un certain nombre d'entre eux trou-
vèrent un bienveillant asile. Ils se mêlèrent peu d'ailleurs avec le
reste de la population (un seul Anglais épousa une femme de Franc-
fort) et ils s'empressèrent de reprendre le chemin de leur patrie après
l'avènement d'Elisabeth. Leur existence ne fut pas toujours pai-
sible; il y eut d'aigres disputes entre le parti des exaltés, que pous-
sait Knox, et celui des modérés, à la tête duquel était Whittingham.
Knox dut céder la place; il se retira auprès de Calvin. — Cette his-
toire a été brièvement résumée par M. Jung. Il décrit en outre un
curieux monument, conservé aujourd'hui au musée archéologique de
Francfort : c'est une colonnette creuse, en argent doré, dont le socle
porte des inscriptions latines où les exilés expriment leur reconnais-
sance au Sénat et au peuple de Francfort. Mais l'objet propre de la
brochure consiste en une liste alphabétique des membres de la com-
munauté anglaise avec des détails biographiques sur chacun d'eux.
Pour cela, les archives de la ville ont été largement mises à profit.
Ch. B.
— Charles Harding Firth. The parallel between the english
and american civil wars (Cambridge, at the University Press, 1910,
in-12, 50 p.; prix : 1 sh. 6 d.). — Conférence lue dans la « chambre
du Sénat » à Cambridge le 14 juin 1910. L'auteur établit un instruc-
tif parallèle entre les deux nations, plus particulièrement entre
Cromwell et Lincoln. Il s'attache en terminant à déterminer les con-
séquences politiques et sociales des deux grandes guerres civiles, qui
n'ont pas encore porté tous leurs fruits. Ch. B.
RECUEILS PÉRIODIQUES ET SOCIETES SAVANTES.
France.
(Revues générales.
1. — Feuilles d'histoire. Juillet 1910. — Pol ArGant. Charles de
Lorraine et Béatrice de Cusance (d'après le livre récent du Dr Pli. Ma-
réchal). — Laborderie. Paoli homme d'État (le rôle de Paoli comme
chef du gouvernement en Corse vis-à-vis des Génois, puis des Fran-
çais, est celui d'un novateur de génie à qui il n'a manqué qu'un plus
grand cadre). — A. Chuquet. C. Desmoulins en juillet 1789 (minu-
tieuse reconstitution d'un intérêt biographique et historique capital). —
Vovard. La mort de l'amiral Villeneuve (il se suicida, mais on pré-
tendit qu'il avait été assassiné sur l'ordre de Napoléon par le capitaine
de vaisseau Magendie. Celui-ci se défendit avec indignation. La légende
de l'assassinat fut reproduite dans les prétendus Mémoires de Rob.
Guillemard parus en 1826, impudent roman fabriqué par un comptable
de la marine nommé Lardier). — R. Guyot. La duchesse de Dino
(courte et précise biographie. C'est au fond une Allemande calcula-
trice, non une Slave passionnée). — La défection de Ney (récit inédit
du général Jarry). — H. Déhérain. Le baron Dhanis (né à Londres
en 1862, mort à Bruxelles en 1909; il fut un des principaux fondateurs
de l'Etat belge du Congo par ses victoires sur les Arabes). — A. Chu-
quet. La revanche de Pozzo (le duel des deux Corses, Bonaparte et
Pozzo, datait de 1791-1792). — Lettre de Frénilly à Henri de Bonald
(au sujet des Pensées politiques et religieuses de celui-ci). = Août.
Chuquet. Le Carnet de Kléber (texte de ce curieux carnet contenant
des notes depuis le départ pour l'Egypte jusqu'au siège d'Acre ; suivi
de pensées diverses tirées d'un autre cahier, beaucoup plus intéres-
santes). — Durieux. Fénelon en 1709 (précise, d'après les documents
de la Guerre, son rôle bienfaisant et courageux). — H. Malo. Les
corsaires américains à Dunkerque (suite en sept, et oct. Reconstitue,
d'après les archives locales de Dunkerque et celles de la Marine, le
rôle brillant et presque inconnu joué de 1779 à 1783 par les corsaires
américains, dont Dowlin, Fall, Kenny, Moultson, Negus, Ripner, qui
devinrent lieutenants de frégates du roi). — G. Devèze. Un prêtre jaco-
bin (Jaques Robin qui, accusé d'incivisme, produisit les quatrains
composés par lui en l'honneur de Brutus, Rousseau, Le Peletier et
Marat). — Dardenne. La dotation de Bonaparte (proposée sans succès
Rev. Histor. CV. 2e fasc. 27
418 RECUEILS PÉRIODIQUES.
en 1797 par Malibran, député de l'Hérault). — A. Rauchoix. Le colo-
nel Espinassy (texte d'un mémoire de lui sur son rôle à la Conven-
tion). — A. de Tarlé. La mission du colonel Leclerc à Naples en
1810 (d'après les archives de la Guerre et des Affaires étrangères. Il
fut chargé d'examiner si l'état militaire du royaume permettait l'expé-
dition de Sicile et fut très mal vu de Murât, bien qu'il ne lui ait été
nullement hostile). — Mme de Staël et la princesse Koutouzov (lettres
de 1812 et 1813 où elle encourage Koutouzov dans sa lutte contre
Napoléon et pleure sa mort). — H. Moris. La réunion de Nice à la
France en 1860 (elle fut très populaire). — H. Barande. Martin des
Pallières et le prince de Joinville (des Pallières se fit héroïquement
blesser à Mogador en 1844 sous les ordres de Joinville qui le fit déco-
rer. En 1870, ce fut lui qui fut obligé de refuser à Joinville le privilège
de défendre la France sous un faux nom). — E. Denis. La culture
française en Russie (à propos du livre de M. Haumant). = Septembre.
G. Devèze. Un prisonnier de la Bastille (Constantin de Renneville,
prisonnier de 1702 à 1713. Ses Mémoires, V Inquisition française,
ne sont pas aussi peu dignes de créance qu'on le dit). — Tastevin.
Les calvinistes français en Russie (fin en octobre. Il y eut en Russie,
surtout à Moscou, des calvinistes français, suisses et hollandais, dès la
fin du xvie siècle. Ils furent, en 1645, relégués extra muros et souvent
molestés, mais, après la Révocation, ils furent très bien accueillis et
jouèrent un rôle assez important. M. Tastevin donne une liste d'offi-
ciers, de fonctionnaires, de professeurs, de médecins, d'industriels
d'origine française et calviniste). — R. Peyre. La France et l'Angle-
terre dans l'abolition de l'esclavage (analyse et citation d'une très belle
lettre du peintre R. Bowyer au Premier Consul pour l'inviter à pro-
fiter de la paix pour inscrire dans le traité des clauses tendant à la
suppression de l'esclavage. Bonaparte profita au contraire de la paix
pour rétablir, par le traité du 30 floréal, l'esclavage et la traite dans
toutes nos colonies). — Charles de Villers et Montalivet (lettres iné-
dites intéressantes pour le rôle joué par Villers à Brème). — Wel-
WERT. Lakanal en Amérique (fin en octobre. Curieux article plein de
choses nouvelles sur les aventures de Lakanal en Amérique, ses
déboires comme planteur au Kentucky, son projet de Confédération
7iapoléonienne pour faire de Joseph Bonaparte un roi du Mexique,
son passage à la Nouvelle-Orléans de 1823 à 1826 comme recteur de
l'Université, son établissement dans l'Alabama, d'où, une fois réin-
tégré à sa place de l'Institut en 1834, il revint en 1837 pour mourir
en 1845). = Octobre. G. Hardy. Un épisode de la jeunesse de Bos-
suet (c'est à tort que Gërin a prétendu que Bossuet fut ultramontain
dans sa jeunesse. Dans les débats relatifs à une thèse ultramontaine
de Drouet de Villeneuve en 1663, Bossuet eut un rôle habile, opposant
le gallicanisme des évèques au gallicanisme agressif des magistrats).
— Durieux. Les volontaires de la Bastille (Compagnie Hulin qui fut,
en 1790, préposée à la garde de l'hôtel de ville et de l'Assemblée natio-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 419
nale). — Lettres et apostilles de Murât (1789 à 1806). — A. de Tarlé.
La trahison de Caulaincourt (enguirlandé par les Russes et séduit par
Talleyrand, Caulaincourt, de 1809 à 1811, a trahi les intérêts de Napo-
léon). — Devèze. La fin du général Moreau (d'après E. Daudet). —
Laborderie. Royer Collard et ses opinions politiques. = Les Mélanges
et les Réponses aux Questions renferment une foule de menus faits
intéressants dont l'analyse est impossible.
2. — Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes-
rendus des séances de l'année 1910. Bulletin de juin. — Babelon.
Mission des P. P. Jaussen et Savignac en Arabie (Hedjaz). — Noël
Valois. Deux nouveaux témoignages sur le procès des Templiers (ils
servent « à mieux faire comprendre la mentalité des contemporains
qui, les uns applaudirent, les autres assistèrent avec une tristesse rési-
gnée à l'exécution des Templiers »). — Commandant d'Ollone.
Recherches archéologiques et linguistiques dans la Chine occidentale.
— Ad. Michaelis. Notice sur un nouveau plan d'Athènes, de l'an
1687. — Holleaux. Rapport sur les travaux exécutés dans l'île de
Délos par l'École française d'Athènes pendant l'année 1909 (avec plu-
sieurs reproductions photographiques).
3. — Séances et travaux de l'Académie des sciences morales
et politiques. Compte-rendu, 1910, août. — A. Chuquet. L'ar-
mée de Sambre-et-Meuse en 1796 (étudie le moral de l'armée que
Jourdan conduisit en Allemagne et l'impression qu'elle fit sur le peuple
allemand; d'après un petit livre publié en 1797 par Jules Soden, Die
Franzosen in Franken, im Jahr 1191. La peinture que le comte
Soden y fait du soldat français est repoussante). — G. Schelle. Tur-
got et le pacte de famine (opinion de Turgot sur la question du com-
merce des subsistances, de l'intervention du gouvernement, de la cor-
ruption de certains fonctionnaires ; mesures qu'il prit, une fois ministre,
pour sauvegarder l'honneur de son maître). — WelschinGer. La vic-
toire de Grùnwald, 15 juillet 1410 (à l'occasion du 5e centenaire de la
victoire remportée par les Polonais sur les chevaliers de l'Ordre teu-
tonique). = Septembre. A. Espinas. Notice sur la vie et les œuvres
de Gabriel de Tarde. — A. Esmein. La Chambre des lords et la démo-
cratie (le principe capital de la Révolution française, la souveraineté
du peuple, pénètre et se répand en Angleterre ; il semble que la vieille
formule, la souveraineté résidant dans le Parlement, soit devenue
presque une fiction légale).
4. — Annales des sciences politiques. 1910, 15 juill. — Emile
Levasseur. Les grandes compagnies de commerce sous le règne de
Louis XIV (créées à partir de 1664; leur insuccès doit être attribué
au manque de discipline et de patience des armateurs, à la guerre, à
l'opposition qui se manifesta en France et aux colonies). — G. Scelle.
La politique de l'indépendance bulgare (il semble que le programme
actuel soit l'indépendance à l'égard de l'Autriche et « l'entrée dans
420 RECUEILS PÉRIODIQUES.
l'orbe de la politique slave de Pétersbourg »). — Maurice Caudel. Le
souverain anglais (la nécessité de maintenir la puissance anglaise va
renforcer le pouvoir exécutif et rehausser l'importance de la Cou-
ronne).
5. — Revue d'histoire rédigée à l'État-major de l'armée. 1910,
août. — La campagne de 1908-1909 en Chouïa (suite en sept.). — La
manoeuvre de Pultusk (suite, continue en sept.). — L'armée de Wel-
lington avant Waterloo (d'après le livre du major général Robinson;
Wellington n'avait pas la certitude d'être soutenu le lendemain par les
Prussiens ; « il fit preuve d'un remarquable esprit de décision en pre-
nant, face à l'armée française, une position défensive plutôt que de se
retirer vers Bruxelles »). — La guerre de 1870-1871. La défense natio-
nale en province, organisation du train, des services administratifs,
du ravitaillement; suite, continue en sept.). = Sept. Zurich (le pas-
sage de la Limmat, 25-26 sept. 1799). — Campagne de 1813 (les préli-
minaires ; le commandement du prince Eugène ; réorganisation des
débris de la grande armée).
6. — Revue générale du droit. 1910, janv.-févr. — Sourdois.
Le mariage et le divorce sous la législation intermédiaire, 1789-1804
(suite : mars-avril et juillet-août). = Mars-avril. C. -rendu : G. May.
Le traité de Francfort ; étude d'histoire diplomatique et de droit inter-
national (excellent).
7. — Nouvelle Revue historique de droit français et étran-
ger. 1910, mai-juin. — Paul Fournier. Études critiques sur le décret
de Burchard de Worms. 2e étude : Comment Burchard présente les
textes canoniques (Burchard a jeté dans la circulation une centaine de
fausses décrétales, plusieurs centaines de faux canons, plus de soixante
textes pénitentiels apocryphes). — J. Vendeuvre. La « libertas »
royale des communautés religieuses au xie siècle. II : La « liberté »
vis-à-vis des évêques (cette « liberté » ne fut jamais absolue; la juri-
diction pure, exercée par l'évêque, subsista). = Juill.-août. E. CuQ.
Études sur les contrats de l'époque de la première dynastie babylo-
nienne (les opérations de crédit, les contrats par correspondance et le
mandat, le prêt, la commission d'achat ou de vente, le dépôt, les
sûretés personnelles ou réelles, la vente). — P. -F. Girard. Un second
manuscrit des extraits alphabétiques de Probus (il s'agit du ms.
latin 4841 conservé à Paris ; pour l'intelligence des abréviations juri-
diques de Valerius Probus, il complète le ms. d'Einsiedeln n° 326,
seul connu par Mommsen). — L. Debray. Le Vadimonium sur les
actions de la loi. — Paul Fournier. Études critiques sur le décret de
Burchard de Worms (Burchard altérait les textes canoniques qu'il
citait ; tantôt il essayait de les améliorer, tantôt il les complétait ; par-
fois il en modifiait le sens; le Décret, « à raison d'un bon nombre des
documents qu'il contient, forme un anneau, et non des moins considé-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 'l"2 1
rables, de la chaîne des apocryphes si nombreux dans l'histoire du
droit canonique depuis le vme siècle jusqu'au XIe » ; fin).
8. — Études des Pères de la Compagnie de Jésus. 1910. 20 mars.
— L. Roure. La psychologie de saint François d'Assise (suite : sa
sainteté). = 5 avril. M. Dubruel. M. Achille Luchaire et son dernier-
ouvrage : Innocent III (l'enseignement de Luchaire; critique de son
ouvrage sur Innocent III; fin le 20 avril). — A. d'Alès. Bulletin d'an-
cienne littérature chrétienne (intéressante critique d'ouvrages parus en
1909 et 1910). — A. Décisier. Bulletin de l'histoire du moyen âge
linsulfisant). = 20 avril. J. Berchois. Kepler et l'intolérance protes-
tante (vexations que les protestants firent subir à Kepler; le procès
de sorcellerie intenté contre sa mère). — P. Dudon. Lettres inédites
de Lamennais à Ventura, 1827-1829 (suite : attaques contre Saint-Sul-
pice; l'idée d'un parti catholique). =20 mai. L. Lebessou. La seconde
vie d'un sultan du Maroc (Mohammed-el-Abbas devenu jésuite sous le
nom de Balthazar Mendez de Loyola et mort en 1667). — G. de Jer-
phanion. Bulletin d'histoire byzantine. = 5 juin. B. Vaughan.
Quelques traits de la figure d'Edouard VIL — P. Dudon. Lettres iné-
dites de Lamennais à Ventura, 1830-1833 (éclairent la situation de
Lamennais et de son journal l'Avenir à l'égard des ultramontains et du
pape. Celui-ci répondit aux espoirs de ceux qui prétendaient allier le
catholicisme à la liberté en publiant l'encyclique Mirarivos. Ventura,
général des théatins, qui avait refusé de suivre Lamennais dans les
voies périlleuses ouvertes par l'Avenir, essaya plus tard, mais en
vain, de le ramener dans le sein de l'Église). — Eug. Griselle. La
correspondance de Bossuet et de Fénelon (fin; ajoute quelques com-
pléments à la correspondance publiée par MM. Levesque et Urbain).
= 20 juin. Aug. Hamon. La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, après
la bienheureuse Marguerite-Marie. 1690-1697. — Ch. Burdo. L'inva-
sion des Etats romains en 1867. Journal d'un officier de zouaves
pontificaux (souvenirs rédigés en 1868; suite le 5 juill.; fin le 20 juill.).
— F. Bliard. « La République n'a pas besoin de savants. » Cette
parole est-elle authentique? (« dans l'état actuel des recherches et mal-
gré les efforts des contradicteurs, la réponse de Colfinhal demeure
historiquement certaine »). = 5 juill. Jos. Brucker. Le Père Mathieu
Ricci, fondateur des missions de Chine, 1552-1610 (d'après ses
mémoires autographes et sa correspondance originale; suite le 20 juill.).
— Paul Bernard. Un prédicateur populaire aux approches de la
Réforme : Jean Geiler de Kaisersberg, 1447-1510 (fin le 20 juill.; Gei-
ler était né à Schaffouse, ville qui appartenait alors au duché d'Al-
sace, mais il fut élevé à Kaisersberg, dont il prit le nom). = 5 août.
L. Roure. Sainte Claire d'Assise. — Jos. Dutilleul. Convertis et
apostats, 1598-1660; étude de psychologie religieuse (recherche dans
les écrits des convertis au catholicisme et des catholiques passés au
protestantisme les motifs de leur conversion; suite le 20 août). =
422 RECUEILS PÉRIODIQUES.
20 août. Dom F. Cabrol. Le millénaire de Cluny. — Aug. DÉCISIER.
L'apologétique de Savonarole (analyse le Triumphus crucis, après
avoir montré comment le grand dominicain avait d'avance exécuté le
programme d'action que contient ce traité). — G. Sortais. Bulletin
d'histoire de l'art. — Yves de La Brière. La Jeanne d'Arc de
M. Hanotaux. = 5 sept. L'âge d'admission à la première communion
(texte latin et traduction française du décret de la sacrée congrégation
des sacrements). — Lucien Roure. Jacques Balmès (à l'occasion du
centenaire de sa naissance). — L. Laurand. Nos ancêtres gaulois,
d'après un ouvrage récent [Jullian]. — J. Burnichon. En Amérique
latine, quelques précisions (défend le rôle des Jésuites dans l'Amérique
du Sud). — P. Bliard. Un essai de tribunal populaire (1794) (le con-
ventionnel Lefiot fait juger, à Clamecy, des détenus par une assemblée
populaire). = 20 sept. Paul Dudon. Léon XIII et l'église de France
(1878-1894) (à propos du livre de Lecanuet). — J. Brucker. Le Père
Mathieu Ricci, fondateur des missions de Chine (1552-1610).
9. Bulletin de la Société de l'histoire du Protestantisme
français. T. LVIII, 1910, mars-avril. — Ch. Schnetzler. Neuveville
et le Refuge (Neuveville, entre Bienne et Neufchâtel ; fin en mai-juin).
— R. Fromage. Clément Marot (identification d'Anne : Anne de
Beauregard). — R. Garceta. Notes concernant l'histoire de la
Réforme dans le pays de Bray (Normandie). — F. P[uaux]. Une légi-
timation en 1788 (François Puaux, né en 1764). — D. Benoit. Colo-
gnac a-t-il tué Bagars? Réponse de M. Ch. Bost. = Mai-juin. Henri
Monod. Quelques pages d'Agrippa d'Aubigné. — G. Bonet-Maury.
Relations des frères de Bohème avec les protestants français (à propos
du jubilé de Calvin à Prague). — M. Rodriguez et A. Elkan. For-
mule d'élection d'un modérateur. — F. Puaux. Du Plessy-Mornay et
l'isthme de Suez (il en avait eu l'idée en 1584). — Ch. Bruston. La
caricature anticalviniste de Toulouse (une sculpture de Saint-Sernin
représentant un âne au-dessous duquel le mot Calvin). = Juill.-août.
P. Baer. Les protestants de Moulins en 1561-1562 (avec documents
inédits). — L. Delavau. Les nouveaux convertis dans la Saintonge et
l'Aunis, 1695-1700 (documents tirés des archives de la Marine). —
E. Griselle. Avant et après la Révocation de l'Édit de Nantes (chro-
nique des événements relatifs aux protestants de 1682 à 1687). —
C. -rendus : Sobieski. La Pologne et les Huguenots au lendemain de
la Saint-Barthélémy. — L. Guiraud. Le procès de Guillaume Pelli-
cier, évoque de Maguelone-Montpellier de 1522 à 1567. = Mélanges :
P. Fonbrune-Berbinau. Court de Gébelin à Paris (1763-1784) (d'après
le livre de Paul Schmidt).
10. — Revue des études anciennes. 1910, juill.-sept. — C. Jul-
lian. Notes gallo-romaines. XLVII : la jeunesse de saint Martin (à
propos du livre d'Ad. Régnier, 2e éd., 1907. La date de la naissance
du saint doit être placée sans doute, non pas vers 316-317, mais vers
RECUEILS PÉRIODIQUES. 423
335-336 ; il quitta le service militaire sous Julien en 356 à vingt et un
ans. Étude critique sur le témoignage de Sulpice-Sévère, qu'on ne peut
récuser sans de bonnes raisons). — G. Radet. La race de Cro-Magnon
en Espagne. — Espérandieu. A Alésia; le temple de Moritasgus. —
C. Jullian. Chronique gallo-romaine.
il. — Bulletin de correspondance hellénique. 1910, janv. -avril.
— Ch.DuGAS. La campagne d'Agésilas en Asie Mineure, 395. Xénophon
et l'Anonyme d'Oxyrynchos (comparaison du récit de Xénophon avec
celui de l'Anonyme. Ce dernier paraît avoir utilisé les notes d'un
homme qui a suivi la campagne de près, tandis que Xénophon écrivit
ses Helléniques assez longtemps après les événements. L'Anonyme
ne saurait d'ailleurs être identifié avec Théopompe). — G. Millet.
Les iconoclastes et la croix, à propos d'une inscription de Cappadoce.
— Dûrrbach et Schulhof. Fouilles de Délos. Inscriptions financières
(fin). = Mai-juill. Hatzfeld. Inscriptions de Rhodes. — A.-J. Rei-
nach. Delphes et les Bastarnes (commentaire très détaillé d'une ins-
cription de Delphes dont on donne ici une reproduction photogra-
phique, et, comme point de comparaison, avec le texte d'Appien. Des
événements dont la péninsule des Balkans fut le théâtre de 88 à 83).
— Vollgraff. Inscriptions d'Argos. — Roussel et Hatzfeld. Ins-
criptions de Délos.
12. — Revue d'histoire moderne et contemporaine. 1910, mars-
avril. — P. Raphaël. La loi du 31 mai 1850 (1er article; étude sur la
loi restreignant le suffrage universel; suite en mai-juin). — P. Muret.
Emile Ollivier et le duc de Gramont, les 12 et 13 juillet 1870 (1er article ;
examine « dans quelle mesure, le 12 juillet, Emile Ollivier a conformé
ses actes aux opinions sur la renonciation de la Prusse à la candidature
Hohenzollern et sur la demande de garanties qu'il s'attribue dans YEm -
pire libéral, jusqu'à quel point on peut considérer sa responsabilité
comme dégagée par une décision de l'empereur et de Gramont prise à
son insu »). — P. Conard. Napoléon et la Catalogne, 1808-1814. La
captivité de Barcelone, février 1808-janvier 1810 (c'est le compte-rendu,
fait par l'auteur lui-même, de la thèse que M. Conard a soutenue pour
le doctorat es lettres). = C. -rendus : Kleinclausz. Histoire de Bour-
gogne (louable résumé). — Vignes. Histoire des doctrines sur l'impôt
en France. Les origines et la destinée de la Dixme royale de Vau-
ban (c'est dans le Traité politique de la France publié en 1669 par
le marquis Hay du Cbastelet que Vauban a pris les principales idées
de sa Dixme ; ce dernier ouvrage, à son tour, est devenu le point de
départ de la plupart des ouvrages sur l'économie politique publiés au
xvme siècle). — Lachaze. L'Assemblée provinciale du Berry sous
Louis XV (compilation médiocre). — Dubreuil. Etude historique et
critique sur les Fareinistes ou Farinistes (étude plutôt juridique sur
la procédure criminelle usitée à la fin de l'ancien régime et au début
de l'organisation moderne, à propos de la secte des Fareinistes ; cette
424 RECUEILS PERIODIQUES.
secte, fondée à Fareins, non loin de Trévoux, parle curé Claude Bon-
jour aîné et par son frère cadet, François, se caractérisa par des phéno-
mènes de possession, de prophétisme et de convulsions que François
Bonjour déterminait chez ses ouailles, les femmes surtout. On peut
y voir un épisode de l'histoire du jansénisme lyonnais). = Mai-juin.
P. Caron. Les publications oiïicieuses du ministère de l'Intérieur en
1793 et 1794. — P. Muret. Les articles de M. Welschinger et de
M. J. Reinach sur la déclaration de guerre et sur les papiers de Cer-
çay (simple résumé des articles publiés par M. Welschinger dans les
Débats et par M. Reinach dans le Temps. Voir par contre la Rev.
hist., t. CIV, p. 389). = C. -rendus : Legrand-Girarde. Turenne en
Alsace. Campagne de 1674-1675 (ouvrage assez inutile). — Dehaut.
Prêtres victimes de la Révolution dans le diocèse de Cambrai, 1792-
1799 (beaucoup de travail et de l'esprit critique; la mise en œuvre
laisse à désirer). = Juill.-août. Ph. Sagnac. Les origines de la Révo-
lution. La décomposition de l'Ancien régime (1788-mai 1789) (la crise
politique s'aggrave d'une crise industrielle, agricole, financière; les
clubs, les sociétés maçonniques, les sociétés philanthropiques se fondent ;
apparition de nombreuses brochures ; « le sentiment très vif que la
nation avait de sa misère et de ses abus, plus encore que le progrès
des lumières, l'influence de la philosophie, de l'Amérique et de l'Angle-
terre, — si importants d'ailleurs, — fera éclater la Révolution de Juil-
let 1789 »). — Pierre Mur*et. Emile Ollivier et le duc de Gramont, les
12 et 13 juillet 1870 (le t. XV de l'Empire libéral est à la fois inexact
et incomplet; Emile Ollivier « n'eut pas l'autorité que lui aurait assurée
le concours régulièrement établi de ses collègues et il fut désarmé vis-
à-vis de Gramont qui ne cessa d'ailleurs de lui en imposer »). —
J. Letaconnoux. Bulletin d'histoire et de géographie économiques. =
C. -rendus : M. -A. Chiquet. La vie, les idées et l'œuvre de J.-A. de
Baïf. — Id. Les amours de J.-A. de Baïf (excellente monogra-
phie; bonne édition de texte). — S. Rocheblave. Agrippa d'Aubigné
(un des meilleurs volumes de la collection des Grands écrivains ; il y
manque une note de bibliographie critique). — J. Nouaillac. Villeroy
secrétaire d'Etat et ministre. — Id. Lettres inédites de F. d'Aus-
sen à Jacques Valette (l'auteur a un peu surfait son héros ; les lettres
de d'Aussen (1597-1603, conservées à La Haye, sont bien éditées). —
Ph. Maréchal. Une cause célèbre au xvne siècle. Béatrix de Cusance,
Caroline d'Autriche, Charles IV de Lorraine (sujet intéressant; mise
en œuvre parfois maladroite). — Ch. Gide et Ch. Rist. Histoire des
doctrines économiques depuis les physiocrates jusqu'à nos jours (le
livre répond à un besoin, il est bien documenté ; copieuse bibliogra-
phie).— Hocquart de Turtot. La conquête des communes (médiocre).
— J. Loridan. La terreur rouge à Valenciennes (partial). — F. Lennel.
L'instruction primaire dans le département du Nord pendant la Révo-
lution (excellent). — Lettres et papiers du comte de Nesselrode, t. VII
et VIII (le chancelier n'apparaît pas comme un esprit original).
RECUEILS PÉRIODIQUES. 425
13. — Revue Fénelon. 1910, juin. — A. Rébelliau. Fénelon et
le P. Quirini (texte authentique de huit lettres écrites par Fénelon de
1711 à 1714 au P. Quirini pour le prémunir contre ses faiblesses pour
le jansénisme, pour la science et les savants). — Griselle. Lettres
autographes de Fénelon à retrouver (notes précieuses recueillies dans
les catalogues d'autographes et ailleurs en vue de compléter la collec-
tion des lettres de Fénelon). — Le procès de Mme Guyon (liste des
pièces du dossier conservé dans les papiers de La Reynie). — Notre
collaborateur. M. Griselle, vient de fonder simultanément deux revues
trimestrielles documentaires, auxquelles nous souhaitons une cordiale
bienvenue, la Revue Fénelon (librairie H. Leclerc, 5 fr. par an) et
les Documents d'histoire (13, rue Lacépède, 10 fr. par an), revêtue
d'une couverture verte sur laquelle le sommaire est à peu près illisible.
14. — Documents d'histoire. 1910, mars. — Arrêts portés sous
Henri IV de 1603 à 1610 en faveur des Jésuites (tirés du t. XV des
portefeuilles Godefroy ; analyse d'autant plus précieuse que beaucoup
des actes ont disparu). — Le procès de la maréchale d'Ancre (suite
dans les nos suivants ; reproduction de la procédure conservée dans
les 500 de Colbert). — Balzac inconnu (2 pièces : protestation du duc
d'Epernon contre les accusations causées par la défection de son fils
le duc de Candale ; et attaque contre le prince de Condé ; suite dans les
nos suivants). — Instructions diplomatiques sous Louis XIII (suite
dans les nos suivants; tirées d'un recueil autographe de Tronson.
secrétaire de Louis XIII de 1617 à 1627, conservé à la Mazarine.
Négociations de 1623, 1624 pour la réunion des protestants). — L'op-
position contre Richelieu (suite dans les n°* suivants. Vers satiriques
tirés d'un volume venant de Versailles conservé à la Bibl. nationale).
— Un pamphlet de l'abbé de Bonneval contre Napoléon (manifeste de
1805 contre le Concordat). — Notes de Tronson (notes envoyées en
1624 et 1625 sur l'état du protestantisme en Dauphiné, Languedoc,
Vivarais, Cévennes. Guyenne, Rouergue). — Quatrième volume
manuscrit du P. Rapin (M. G. publiera tout ce 4e vol. contre le jan-
sénisme, resté inédit). — Autour d'un mandement (documents épisco-
p'aux pour et contre Quesnel à propos du mandement de l'évèque de
Gap, François Berger de Malissollesi. — Interrogatoires de Mme Guyon
(publiés d'après les papiers de La Reynie). — La politique enchaînée
(mémoire des prédications du P. Séguiran, jésuite, et d'autres en
faveur de Marie de Médicis). — Une trente-septième lettre de Bour-
daloue (documents relatifs aux protestants et à Condé). — Problèmes
sur Bossuet et Bourdaloue. = Juin. Lettres de la main de Louis XIII
(table du recueil autographe de Louis Tronson. secrétaire du roi, con-
servé à la Mazarine). — Le conspirateur Drevet (d'après les pièces
recueillies par Tronson, lettres de Du Fargis, ambassadeur d'Espagne,
de M. de Colisieux, etc. Don Carlo Daro, dit Drevet, fut exécuté à
Paris en 1625 pour crime d'espionnage). — Un pamphlet contre Bos-
suet (bibl. Mazarine. 1117; à propos de la condamnation par Bossuet
426 RECUEILS PÉRIODIQUES.
du livre de Marie d'Agreda). — Lettre du duc de Chaulnes à M. de
Forbin Janson, évèque de Beauvais (du 4 déc. 1689). — Trois lettres
d'Eusèbe Renaudot (nouvelles à la main relatives aux affaires d'An-
gleterre de mars et mai 1695). — Les héritiers de l'avocat Pageau et
la succession de Bossuet (mémoire de 1760 en faveur de la veuve du
petit-fils de René Pageau qui avait prêté à MUo de Mauléon 45,000 1.
sous la caution de Bossuet. Les héritiers de celui-ci s'arrangèrent pour
ne jamais les rendre. Aventure assez fâcheuse pour le prélat). — Lettres
de Bullion sur l'assemblée de Saumurdelôll (des portefeuilles Gode-
froy, curieuses). — La mission de Fénelon en Saintonge (documents
de 1683 et 1685 tirés des papiers de l'intendant Arnoul). — Un accu-
sateur de Bourdaloue, prisonnier à Cahors (Lupé de Maravat, gentil-
homme protestant, écrivait à M. de Châteauneuf des prisons de Cahors
le 10 mars 1689 pour dénoncer la conduite perfide de Bourdaloue). —
Essai de bibliographie quiétiste (à suivre). — Une apologie de
Mme Guyon annotée par Bossuet (3 vol. d'extraits des mystiques,
copiés par une des filles de Mme Guyon et conservés à la Bibl. natio-
nale). — Interrogatoires de François Davant (poète et quiétiste, 1698.
Procès-verbaux conservés à l'Arsenal; à suivre).
15. — La Révolution française. 1910, 14 juill. — P. Marichal.
Calendrier solaire, julien, grégorien et républicain (deux tableaux
accompagnés de brèves explications). — A. Aulard. Napoléon et l'ins-
truction publique. Les deux premières années du Consulat (1er art.).
— L. Dubreuil. Une tenure bretonne : le domaine congéable (fin;
ce qu'est devenu ce mode de tenure depuis la Révolution jusqu'à la
loi du 8 février 1897, « véritable charte du domaine congéable »). —
A. Fribourg. Le club des Jacobins en 1790, d'après de nouveaux
documents (suite). = 14 août. A. Aulard. Napoléon et l'instruction
publique : les deux premières années du Consulat (suite et fin ; résumé
de l'histoire des Écoles centrales; l'enseignement supérieur; le budget
de l'Instruction publique en 1802 ne dépasse pas cinq millions et
demi). — A. Houtin. Le Père Tyrrell et la Société de Jésus (extraits
du mémoire adressé en 1904 par Tyrrell au général des Jésuites et
publié par R. Goût dans l'Affaire Tyrrell). — A. Frirourg. Le club
des Jacobins en 1790 d'après de nouveaux documents (suite et fin;
septembre 1790-février 1791). — La question Louis XVII et les
archives russes (extrait d'un article de M. E. Daudet : il n'y a aucun
document sur cette question dans les archives russes). = 14 sept.
G. BuSSiÈRE. Drouet prisonnier de guerre et son parachute (raconte
à nouveau, en critiquant G. Lenôtre, la tentative d'évasion de Drouet,
prisonnier de guerre au Spielberg, en juillet 1794). — Marcel Rouff.
Un opéra politique de Beaumarchais (il s'agit de Tarare, achevé en
1784, opéra politique et social; habile publicité faite par Beaumar-
chais; Tarare est joué 31 fois en 1787-1788). — A. Aulard. Napoléon
et l'instruction publique : la loi du 11 floréal an X et son application
(rien n'est fait en faveur de l'enseignement primaire; la liberté de
RECUEILS PÉRIODIQUES. 427
l'enseignement secondaire est légalement supprimée; les lycées sont
créés). — Cl. Perroud. La famille de Mme Brissot. — P. Mautou-
Chet. Un trait de Carnot (il s'intéresse activement à un ancien mili-
taire pauvre). — A. Aulard. Proscription des pièces anticléricales et
du « Mariage de Figaro » en l'an II (à Marseille, par arrêté de la Com-
mission municipale).
16. — Commission de recherche et de publication des docu-
ments économiques de la Révolution. Bulletin, 1908, nos 3-4. —
C. Bloch. Notes sur la législation et l'administration de l'assistance
de 1789 à l'an VIII. — Id. Recueil des principaux textes législatifs et
administratifs concernant l'assistance de 1789 à l'an VIII. — Id. Note
sur les sources aux Archives nationales de l'histoire de l'assistance
publique de 1789 à l'an VIII. = 1909, nos 1-2. F. Evrard. Les sub-
sistances en céréales dans le département de l'Eure de 1788 à l'an V
(la pénurie commence en 1792; en l'an III et en l'an IV, la famine est
presque générale; la question des approvisionnements a exercé sur
l'évolution politique locale une influence très sensible). — R. Drouault.
Les routes, les relais et la poste aux lettres dans le district du Dorât
pendant la Révolution (les lettres parviennent en quatre jours de Paris
au Dorât; la nouvelle qui se transmit le plus rapidement, c'est celle de
la fuite du roi, connue au Dorât dès le 24 juin). — P. Caron. L'état
des récoltes et des approvisionnements dans la généralité d'Amiens en
août 1788 (permet de critiquer la manière dont Necker prépara l'arrêt
du 7 septembre 1788 qui suspendait l'exportation des grains; réponse
de l'intendant d'Amiens à la circulaire de Necker du 20 août : il se
prononçait contre toute entrave à l'exportation des grains ; les autres
réponses permettraient de savoir dans quelle mesure l'arrêt était con-
forme au vœu des autorités locales). — Documents de C. Bloch sur
l'assistance publique dans le Loiret (1792-an IV); de Ch. Schmidt sur
la Commission d'agriculture et des arts et sur l'agriculture en l'an III ;
de A. Sécheret sur Raucourt et Haraucourt (Ardennes). = Nos 3-4.
Ch. Schmidt. L'industrie de 1788 à l'an XI : instruction pour la publi-
cation des documents, notes sur la législation et l'administration,
recueil de textes (lois, arrêtés, circulaires), notes sur les sources de
l'histoire de l'industrie aux Archives nationales.
17. — Polybiblion. 1910, juill. — Froidevaux. Histoire coloniale
et colonisation. = C. -rendus : R. Génier. Vie de saint Euthyme le
Grand, 377-473. Les moines et l'Église en Palestine au ve s. (bon). —
Urseau. Cartulaire noir de la cathédrale d'Angers (excellent travail
de reconstitution). — Baron de Villebois-Mareuil. Histoire généalo-
gique de la maison de Villebois-Mareuil (intéressant). — L. Veuillot.
Derniers Mélanges. Pages d'histoire contemporaine, t. IV, 1877-1879
(ce volume termine la collection de ces Mélanges, qui ne compte pas
moins de 22 volumes). = Août. S. Ouvrages relatifs à l'histoire du
théâtre. — Cte de Sérignan. Histoire, art et sciences militaires. =
428 RECUEILS PÉRIODIQUES.
C. -rendus : Garcia Arista y Rivera. Documents rie l'armée française
qui assiégea Saragosse, 1808-1809 (publie le Journal des attaques du
corps impérial du génie qui bloquait Saragosse au second siège de la
ville). — Les Heures dites de Jean Pucelle, manuscrit de la collection
de M. le baron Maurice de Rothschild ; notice par L. Delisle.
18. — Revue critique d'histoire et de littérature. 1910, H août.
— Jastrow. Die Religion Babyloniens und Assyriens; livr. 12-14. —
Jeremias. Das Alter der babylonischen Astronomie ; 2e Aufl. (ne
réussit pas à prouver que les Babyloniens aient, déjà à une époque
très reculée, constitué un corps d'astronomie vraiment scientifique).
— Van Esveld. De balneis lavationibusque Graecorum (utile recueil
de documents). — Ilberg et Wellmann. Zwei Vortrsege zur Ge-
schichte der antiken Medizin (un de ces mémoires a pour but de réha-
biliter Asclépiade de Bithynie, assez mal jugé par Pline). = 18 août.
F. Delitzsch. Asurbanipal und die assyrische Kultur seiner Zeit
(excellent tableau de la civilisation assyrienne à l'époque des Sargo-
nides). — L.-J. Delaporte. Chronographie de Mar Elie Bar Shinaya,
métropolitain de Nisibe (traduction du texte syriaque et arabe de cet
ouvrage de chronologie; elle laisse fort à désirer). — K. Bûcher. Die
Frauenfrage im Mittelalter; 2e Aufl. (croit pouvoir démontrer que le
nombre des femmes en Allemagne au moyen âge était plus grand que
celui des hommes et tire de ce fait des conclusions intéressantes pour
la condition des femmes ; mais le fait est-il établi?). =. 25 août-ler sept.
Heitland. The roman republic (bonne mise au point, à l'usage du
public lettré). — 0. Schiff. Kœnig Sigmund's italienische Politik bis
zur Romfart, 1410-1431 (remarquable). — J. Schnitzer. Quellen und
Forschungen zur Geschichte Savonarolas ; IV (publie d'importants
fragments de la chronique rédigée par un riche négociant florentin,
Piero Parenti, qui est un témoin précieux pour les événements des
années 1492-1498). — Tsaeche. Chronik von Hunaweier (bonne mono-
graphie). — Fr. Arnheim. Luise Ulrike, die schewedische Schwester
Friedrich's des Grossen; II (suite de la correspondance échangée par
Louise-Ulrique avec la famille royale de Prusse, 1747-1758). = 8 sept.
F. Mourret. Histoire générale de l'Église (t. III : l'Église et le monde
barbare. L'auteur connaît bien les sources et les questions controver-
sées, mais il s'est proposé d'écrire un manuel pratique d'apologétique
historique plutôt qu'un livre d'histoire critique. Il se tient donc par-
tout, d'aussi près que possible, aux opinions traditionnelles). =
15 sept. J. François. L'Église et la sorcellerie (bon résumé de la
question, mais l'auteur semble mal connaître les livres en langue
étrangère publiés sur ce sujet). = 22 sept. Lieblein. Recherches sur
l'histoire et la civilisation de l'ancienne Egypte; 1er fasc. (bon abrégé,
qui a pour base le système de Manéthon). — Sourdille. La durée et
l'étendue du voyage d'Hérodote en Egypte (bonne dissertation. L'au-
teur pense qu'Hérodote ne resta pas plus de quatre mois en Egypte,
ce qui paraît trop court à M. Maspero). — Chauvin. Bibliographie
RECUEILS PÉRIODIQUES. 429
des ouvrages arabes ou relatifs aux Arabes publiés dans l'Europe chré-
tienne de 1810 à 1885 (t. VII-XI. Important pour le folklore oriental).
= 29 sept. Erman. Die segyptische Religion; 2e Aufl. (ouvrage qui
fait autorité). — Ph. Virey. La religion de l'ancienne Egypte (origi-
nal et contestable; part de cette idée impossible à démontrer que la
religion égyptienne a d'abord été monothéiste et cherche à expliquer
comment elle a passé au polythéisme). — Sourdille. Hérodote et la
religion de l'Egypte (t. I. Fort intéressant). — H. Peter. Die rômi-
schen sogen. Dreissig Tyrannen (bon). — J. Petersen. Das Rittertum
in der Darstellung des Johannes Rothe (Rothe est l'auteur d'un Miroir
de la chevalerie écrit vers 1412; l'auteur a fait de louables efforts pour
montrer ce qu'était la chevalerie pour cet écrivain et il contribue à
nous faire mieux comprendre ce que fut cette institution au xive et au
xve s.). = 6 oct. Junker. Die Stunden\v#chen in den Osirismysterien
nach den Inschriften von Denderà, Edfu und Philae (excellent com-
mentaire. Analyse par G. Maspero). — Breassed-Ranke. Geschichte
iEgyptens (traduction fortement remaniée de l'original anglais. Inté-
ressant). — A. Blanchet. Inventaire des mosaïques de la Gaule et de
l'Afrique; t. I. — Bouffet. Bredom, sa paroisse, sa seigneurie, son
prieuré et les paroisses affiliées (médiocre).
19. — Revue des Deux -Mondes. 1er juillet 1910. — G. Hano-
taux. Jeanne d'Arc. IV. L'abandon. La première étape (suite et fin
les 15 juillet et 1er août. V. La condamnation. Jeanne d'Arc à Rouen.
VI. Le jugement des juges. Le jugement de l'histoire. A une étude
critique pleine d'excellentes choses, par exemple sur l'abjuration de
Jeanne d'Arc, M. Hanotaux a joint des considérations de philosophie
historique d'une rhétorique semi-mystique qui obscurcissent le sujet
en voulant l'éclaircir et en font évanouir le sens réel à force de l'élar-
gir. Sur un seul point, M. Hanotaux a bien caractérisé la vraie gran-
deur de Jeanne, en montrant en elle une Française idéale, la repré-
sentante de ce qu'il y a de meilleur, il ne faut pas dire « dans notre
race », ce qui ne signifie rien, mais dans notre peuple). = 15 juillet.
H. Lorin. Cent ans d'indépendance. L'Amérique latine depuis 1810
(bon résumé). — Doumic. Récentes études sur Fénelon (à propos du
Fénelon de J. Lemaître et des Études critiques sur Fénelon
de Moïse Cagnac. Regarde Fénelon, avec Lemaître, comme un dan-
gereux et chimérique précurseur des philosophes du xvme siècle et
critique sévèrement Y Apologie de Fénelon par M. Brémond, si dur
pour Bossuet et les jansénistes). = 1er août. G. Goyau. Bismarck et
la papauté. La guerre, 1870-1872. IV. Les débats scolaires. L'incident
Hohenlohe. La loi contre les Jésuites (montre de quelle manière la
lutte contre le polonisme et la crainte de la prétendue force du cléri-
calisme français sont intervenus pour pousser Bismarck dans sa cam-
pagne de laïcisation sectaire et de persécution contre les Jésuites.
Excellents portraits de Falk, Windthorst, Mallincrodt, Reichensperger.
M. Goyau ne devrait pas dire qu'il n'y avait en Allemagne, en 1871, que
430 RECUEILS PÉRIODIQUES.
211 jésuites. Il sait très bien qu'il y en avait plusieurs milliers, mais
de catégories différentes, et que pour n'être pas jésuite « de plein exer-
cice », si je puis dire, on n'en est pas moins jésuite). = 15 août. Paul
Nève. Le Congo belge (complète et impartiale étude). — J. Lafe-
nestre. Saint François d'Assise et l'art italien. I. La basilique d'As-
sise et l'architecture gothique (met bien en lumière la figure de frère
Elie, général de 1228 à 1239, qui fut l'initiateur, mais non l'architecte
des constructions d'Assise. La basilique d'Assise n'a point la primauté
parmi les églises de style gothique en Italie, mais, une fois achevée
en 1253 dans ses deux parties que M. Lafenestre croit avoir été con-
çues simultanément, elle devint un modèle inspirateur pour l'art fran-
ciscain). — Th. de Wyzewa. Un journaliste bismarckien, M. Maxi-
milien Harden. = 1er sept. Albert Petit. Deux conceptions de
l'histoire de la Révolution. Taine et M. Aulard (reprend, avec des argu-
ments nouveaux, la défense de l'œuvre de Taine contre les critiques
d'Aulard faite par M. A. Cochin). — Fierens-Gevaert. La peinture
flamande au xvne siècle. — E. Cavaignac. L'apparition du capita-
lisme à Athènes au siècle de Périclès (étudie le développement de la
richesse de 480 à 431, le rôle de la production du blé, première base
de la richesse, puis des olives, le développement de la richesse mobi-
lière née des avances aux propriétaires et accrue rapidement par le
commerce maritime. Quarante ans après la première guerre médique,
des banquiers placent et font fructifier les capitaux). =z 15 sept. A. MÉ-
zières. Le premier exil du duc d'Aumale (d'après sa correspondance).
— Pichon. Le gouvernement de Sénèque (il fut un ministre philan-
thrope, ennemi des aventures, mais sachant défendre l'Empire, fut
coupable de complaisance lors des meurtres de Britannicus et d'Agrip-
pine, favorisa chez Néron, par faux calcul, l'orgueil et la sensualité).
— P. Khorat. Notes sur Madagascar (étudie l'œuvre de Galiéni et
d'Augagneur qui exige des millions pour être consolidée et déve-
loppée).
20. — La Revue de Paris. 1910, 1er août. — Larreguy de
Civrieux. Souvenirs d'un cadet en Espagne, 1812-1814 (fin le 15 août;
souvenirs d'un simple soldat rédigés assez longtemps après les événe-
ments. Intéressant). = 15 août. Lieutenant-colonel Picard. Sedan.
Les pourparlers de Donchery. — Gabillot. Le prieuré de Ronsard.
= 1er sept. Lieutenant-colonel Picard. Sedan. La capitulation. —
Jean Lemoine. Le marquis de Saint-Maurice (ambassadeur du duc de
Savoie auprès de Louis XIV, 1668-1675; introduction au recueil de
ses lettres écrites de France et conservées aujourd'hui aux archives
de Turin; suite dans les numéros des 15 sept, et 1er oct.). = 15 sept.
A. Beaunier. Les costumes de M. de Chateaubriand.
21. — Le Correspondant. 10 juill. 1910. — Cte Henry DE LarÈGle.
Napoléon III et le maréchal Randon (très intéressant article d'après
la correspondance inédite de Randon avec l'empereur; surtout impor-
RECUEILS PERIODIQUES. 431
tant pour l'expédition du Mexique que Randon aurait voulu réduire
le plus possible, pour la question romaine où l'on voit l'impératrice
correspondre par Randon avec Mme de Montebello, femme du général
commandant le corps expéditionnaire, qui négociait avec Pie IX,
enfin pour les affaires de 1866 où Randon jugeait parfaitement pos-
sible une mobilisation qui fut ordonnée, puis arrêtée sur l'interven-
tion du prince Napoléon et de MM. de Lavalette et Rouher). —
L. Bréhier. L'art français au moyen âge et l'iconographie religieuse
(d'après les travaux d'E. Mâle). =25 juill. R. P. Lagrange. Les reli-
gions orientales et les origines du christianisme (à propos du livre de
F. Cumont sur les Religions orientales dans le paganisme romain.
Tout en admettant des infiltrations païennes dans le culte chrétien,
le P. Lagrange nie toute influence doctrinale des religions orientales
sur le christianisme. Elles lui faisaient, au contraire, obstacle). =
10 août. P. de Quirielle. Sur les champs de bataille de 1870. —
Tavernier. Proudhon. L'homme et l'œuvre (M. Tavernier en fait un
pur bravache, fou de négation et de destruction. Il fait de Herzen un
anarchiste semblable à Bakounine. Il n'a sans doute jamais lu Her-
zen). — J. Tincey. Jacques de Linière, vice-roi de la Plata (récit des
héroïques aventures d'un gentilhomme du Poitou, né en 1753, entré
au service de l'Espagne en 1774, qui, gouverneur intérimaire du Para-
guay, reconquit, en 1806, Buenos-Ayres sur les Anglais et devint vice-
roi de l'Amérique espagnole ; un an après il chassait les Anglais de
Montevideo. Quand, en 1810, les Argentins proclamèrent leur indé-
pendance et offrirent le pouvoir à Linière, il resta fidèle à l'Espagne,
fut fait prisonnier et fusillé par ordre de l'Assemblée de la Plata). —
Lechannel. Les Boy Scouts (expose l'organisation de ces corps d'éclai-
reurs militaires par le colonel Baden-Powell, depuis 1898, parmi les
enfants des écoles, et qui comptent aujourd'hui 300,000 membres). =
25 août. L. de Contenson. Le millénaire de l'abbaye de Cluny. —
Vte de Lapérouse. Le général Brincourt (admirable histoire d'un des
plus héroïques généraux de notre armée, écrite d'après sa correspon-
dance. Né en 1823, sorti de Saint-Cyr en 1842, Brincourt servit avec
éclat en Afrique; en Crimée, où il fut, le 21 mars 1855, laissé pour
mort à Inkermann, percé de deux coups de feu et de onze coups de
baïonnette, et où il reçut encore un coup de biscaïen à la main le
7 juin; au Mexique; enfin pendant la guerre franco-allemande. En
1883, le général Thibaudin priva sans motif l'armée de ce chef sans
reproche). — Ch. Patrimonio. La formation de l'Etat monténégrin.
— Lanzac de Laborie. La femme d'Alexandre Ier. = 10 sept.
J. Brunhes. L'adaptation humaine aux conditions géographiques
(cette belle étude a le tort de débuter par une page emphatique sur le
rôle de Jeanne d'Arc qui serait indépendant de toute condition géo-
graphique, comme si le rôle de la fille des marches de Lorraine n'était
pas, au contraire, le produit direct de notre sol comme de toute notre
histoire). — M. Dumoulin. Le père d'Alfred de Musset (curieux article
432 RECUEILS PÉRIODIQUES.
très documenté sur Victor de Musset, sur sa carrière administrative
dans l'enregistrement et aux ministères de l'Intérieur et de la Guerre
et sur ses nombreuses œuvres historiques, très oubliées, mais dont
quelques-unes, la Relation des principaux sièges... depuis 1192,
la Suite au mémorial de Sainte-Hélène et les Nouveaux Mémoires
secrets, méritent d'être consultés, car ils contiennent des témoignages
et des documents originaux). — Abbé Constant. Le schisme d'Angle-
terre sous Henri VIII (excellente analyse des causes du schisme qui
se prépara de 1529 à 1535 et ne fut pas uniquement la suite du divorce,
mais une œuvre combinée du Parlement et du roi, qui prétendait à la
suprématie spirituelle). — H. Bordeaux. Saint François de Sales et
sa famille (d'après l'ouvrage de ce titre par Mgr Picard). — Des-
joyeaux. Notes et souvenirs sur A. Vantlal. — Griselle. L'abbé
Trubert (très précieuse relation inédite d'un évadé des massacres de
Septembre; accuse Manuel de perfidie, dont le rôle paraît, d'après son
récit même, avoir été humain). — H. Brémond. Le secret de Port-
Royal (ce secret ce serait, d'après les Mémoires de l'abbé Beurrier,
récemment mis en lumière par M. Jovy dans le deuxième volume de
son Pascal inédit, que Pascal n'était pas janséniste. Malheureuse-
ment le passage cité par M. Brémond ne prouve rien du tout). =
25 sept. Guy de CassaGnac et Gustave Hue. Les dernières années
de Dumouriez (avec dix lettres inédites). — Lanzac de Larorie. Les
Gaulois nos ancêtres (d'après Jullian).
22. — Le Mercure de France. 16 mars 1910. — E. Beaure-
paire. Le ruisseau de Ménilmontant et la Grange -Batelière (il
n'exista jamais de ruisseau de Ménilmontant, mais un marécage où
Hugues Aubriot fit creuser le grand égout. Histoire du fief de la
Grange-Batelière, c'est-à-dire de la grange où l'on battait le blé, qui
d'abord de peu d'importance devint une source de richesse au xvii0
et au xvme siècle par la construction de magnifiques hôtels. La rue
Vivienne tire son nom de Louis Vivien , seigneur de la Grange-
Batelière). = 16 juin. Marius-Ary Lerlond. La captivité d'une
langue (expose les résultats des efforts de russification et de germani-
sation en Pologne. La littérature polonaise en a été vivifiée, mais sauf
en Galicie, où le polonais est resté libre, la culture générale a décru).
— M. Fosseyeux. Julie d'Angennes en ménage (important pour le
coût de la vie au xvne siècle). = 1er juill. P. Bonnefon. Le chevalier
de Boufflers au Sénégal (lettres et documents inédits, 1785-1787).
23.— La Revue. 1er juill. 1910. — Faguet. Fénelon (fin le 15 juill.
Habile et profonde apologie de cet homme « à la fois plein de bon
sens et, qui avait beaucoup d'avenir dans l'esprit », notre contempo-
rain dans ses idées sur l'éducation des filles, précurseur de Montes-
quieu en politique, en morale et comme directeur, visant haut avec le
sens du juste milieu, enfin ramenant la religion à l'amour de Dieu,
rendant la religion aimable). — H. de Gallier. Comment on était
RECUEILS PÉRIODIQUES. 433
servi autrefois (fin). = 15 juill. G. Riou. Le bilan du modernisme
(n'aura été qu'une bonne volonté d'hommes savants et distingués,
mais incapables d'être vrais). — Stead. Le vrai roi George V (dément
la légende de son mariage avec la fille d'un amiral et celle de son
ivrognerie; le croit supérieur à son père). — Chuquet. L'armée de
Sambre-et-Meuse en 1796 (d'après le livre du comte Jules Soden,
paru à Nuremberg en 1797 : les Français en Franconie en 1796,
curieux et impartial, fait comprendre les maux et les haines qui
furent la suite de l'invasion). z= 15 août. Mgr Motjchegh. A la veille
des nouveaux massacres arméniens (révélations sur le regain de natio-
nalisme féroce parmi les Jeunes Turcs). — Marg. Poradowska.
L'aventure de Caroline Bauer (fin le 1er sept.; très amusant récit des
amours et du mariage morganatique de Léopold de Cobourg, le futur
roi des Belges, avec une actrice, nièce du baron Christian de Stock-
raar. Très curieux pour la psychologie de Léopold, qui y fait triste
ligure, et celle de Stockmar). — J. Troubat. Sainte-Beuve et le prince
Napoléon. = 15 sept. A. Droin. La tricoteuse folle (d'après des docu-
ments inédits des archives. Très curieuse histoire d'une jeune fille
folle qui, enfermée à la Salpêtrière en 1788, libérée par la Révolution,
arrêtée comme royaliste en 1792, essaya en vain d'obtenir de Fouquier-
Tinville d'être jugée et guillotinée, resta enfermée comme folle en 1793
et 1794, puis libérée prit part aux émeutes de 1795 causées par la
famine, fut le 1er prairial au nombre des meurtriers de Féraud et fut
enfin guillotinée le 18 mai 1796). — P. d'Enjoy. Le spiritisme en Chine.
— J. de Coussange. La princesse Marie d'Orléans (d'après le livre
de M. J. Hœck). — R. Radjel. Les tristesses et les gaietés du Maroc.
24. — Revue hebdomadaire. 19 févr. — J. Lemaître. Fénelon.
V. Télémaque (suite et fin les 26 févr., 5, 12, 19, 26 mars). VI et VII.
Mme Guyon. VIII. L'affaire du Quiétisme. IX. Lettres spirituelles. Théo-
ries politiques. X. La fin d'un rêve. Tout en ayant en lui de l'ambi-
tieux, du philosophe, de l'utopiste et de l'aristocrate, Fénelon est avant
tout un mystique et un mystique actif. C'est un précurseur du xviip
et du xixe siècle, et il reste obscur ; il ne se connaît pas et on a peine
à le connaître). — 26 févr. F. Masson. L'éducation de Napoléon III
(de toutes les influences, après celles de la tradition napoléonienne et
de sa mère, la plus forte fut celle de Le Bas, l'helléniste, iils du con-
ventionnel). == 12 mars. F. Funck-Brentano. La Bastille sous la
régence : Rose de Launay. — P. de Quirielle. Le centenaire de
Léon XIII (fin portrait de ce pape par quelqu'un qui l'a connu et
compris). = 26 mars. A. Michel. Les cathédrales de France. =
16 avril. A. Vandal. Le second Empire et la Russie (note les vel-
léités de rapprochement après la guerre de Crimée qui, malheureuse-
ment, échouèrent). — Duchesse de Dino. Chronique (fin : du 4 déc.
1851 au 25 févr. 1853). = 30 avril. H. Cochin. Anagni et les papes
de la campagne (fin le 7 mai. Boniface VIII est le représentant le
Rev. Histor. CV. 2e fasc. 28
434 RECUEILS PERIODIQUES.
plus éminent de la campagne romaine qui exerça une grande influence
sur la papauté au xne et au xmc siècle. Il a été calomnié; malgré son
favoritisme, sa fiscalité, ses violences, ses intentions ont été pures :
il a cru pouvoir être l'arbitre de la chrétienté à un moment où ce
n'était plus possible). — F. Funck-Brentano. L'Église de France et
la Révolution (éloge sans réserve de l'ouvrage de M. de la Gorce). —
R. Moulin. Force et faiblesse de la Jeune Turquie (fin le 7 mai). =
7 mai. L. Berthaud. Jeanne d'Arc chef de guerre (compare Jeanne
d'Arc à Skobeleff, Kellermann, Napoléon et Marlborough. Va pour
les deux premiers, des entraîneurs d'hommes, mais les autres ! A vou-
loir trop grandir Jeanne d'Arc, en lui donnant tous les talents, on
pousse à la rabaisser). = 14 mai. Hanotaux. La question des détroits
(n'a plus autant d'importance depuis le canal de Suez). — R. Henry.
Les Alsaciens. = 21 mai. G. Lefèvre-Pontalis. Le berceau du
Parlement d'Angleterre (rapide résumé des origines du Parlement). —
P. Ginisty. Un pamphlétaire. Martainville. — Lecanuet. L'apaise-
ment en 1890. Le toast d'Alger (récit intéressant et précis de la mani-
festation républicaine du 12 nov. 1890 faite par le cardinal Lavigerie,
à la demande de Léon XIII, qui favorisa alors l'esprit nouveau pré-
conisé par M. Spuller, mais reçut un accueil très mélangé dans l'épis-
copat. « Nos évêques sont des lièvres mitres », disait Lavigerie.
L'avenir l'a bien prouvé, au grand dam de l'Église). — 25 mai.
Vte de Reiset. La mort de Louis XVIII (d'après les Mémoires publiés
et d'après le journal inédit de Madame Adélaïde). =r 4 juin. L. Hu-
bert. Le développement industriel de l'Allemagne contemporaine. —
S. Rocheblave. Les amours d'un héros : Agrippa d'Aubigné et Diane
Salviati. = 11 juin. F. Dupin de Saint-André. Une fondatrice de
religion. Mary Baker Eddy (histoire de la fondation de la Christian
Science, un des plus curieux chapitres de l'histoire de la crédulité
religieuse; fin le 15 juin). = 25 juin. Général Cuny. Souvenir d'un
cavalier (suite et fin les 2, 9 et 16 juill. Ces souvenirs très remar-
quables se rapportent aux batailles devant Metz, au siège de Metz,
après lequel Cuny réussit à s'échapper pour servir dans l'armée du
Nord et à la bataille de Saint-Quentin). — H. Cordier. Le Thibet,
la Chine et l'Angleterre (aperçu de leurs relations). = 23 juill.
Montalembert et Villemain. Correspondance inédite (belle lettre
de Montalembert du 21 oct. 1839 sur la liberté d'enseignement, autre
du 6 mai 1846, où il traite Cuvillier-Fleury et Michelet de sophistes et
de cuistres, puis du 12 juillet et 10 août 1852, du 20 août 1853, enfin
six lettres importantes de 1856, 1857 et 1859 où l'on trouve un juge-
ment d'une sévérité prodigieuse sur l'Histoire de France d'Henri
Martin). — Jean d'Elbée. Le chevalier de Lévis (ami de Montcalm,
qui arriva trop tard pour prendre part à la bataille de Québec et
empêcher la prise de la ville; mais qui fit encore, en décembre 1757,
une victorieuse et impuissante campagne). = 30 juill. F. Funck-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 435
Brentano. Le duc de Broglie (à propos de ses discours). = 6 août.
M. Sabatier. Le centenaire du Code pénal. — L. Batiffol. Rois en
villégiature au château de Fontainebleau (Henri IV et Louis XIII). =
13 août. G. de Grandmaison. La Saint-Napoléon en Espagne (récit
piquant de la fête du 15 août 1810 en Espagne, parade où tout était
commandé). =z 20 août. E. Magne. Une station thermale au xvne s.
Forges-les-Eaux (fait revivre les visites royales dont Forges fut
honorée).
25. — Le Bibliographe moderne. 1909, sept.-déc. — C.-M. Bri-
quet. Les filigranes ont-ils un sens caché? (critique la théorie de
H. Bayley qui veut crue dès leur apparition, vers 1282, les filigranes
aient été des emblèmes où les sectes mystiques et puritaines du moyen
âge auraient caché leurs aspirations et leurs traditions ; c'est parmi les
Cathares surtout qu'ils auraient été employés et maintenus ; c'est en
Provence qu'il faudrait chercher le berceau de la Renaissance et de la
Réforme; pour M. Briquet, les filigranes continuent à n'être que de
simples marques de fabrique). — Henri Stein. Iter Helveticum; notes
d'un voyage d'archives en Suisse (analyse d'un certain nombre de
documents intéressant l'Histoire de France, de 1319 à 1850). —
Ch. Samaran. Un imprimeur et un libraire à Bourges à la fin du
XVe s. (Guyon Calabre, Jean Coffin). — Ch. Schmidt. A propos de
bâtiments d'archives (améliorations matérielles à introduire aux
Archives nationales de Paris).
France.
(Revues locales.)
26. — Revue historique de Bordeaux. 1910, mai-juin. —
Dr G. Martin. Etudes historiques sur la vinification (suite; le vin
« treuillis »). — H. Aimel. Le poids public à Bordeaux et ses anciennes
corporations. — G. Labadie. La topographie de Bordeaux (fin).
27. — Annales de Bretagne. T. XXV, n° 3, avril 1910. —
G. Guenin. Le menhir de Kernuz. — Franck Quessette. La fisca-
lité royale en Bretagne de 1689 à 1715 (en même temps que se déve-
loppe la tendance à l'autonomie administrative de la province, les
charges fiscales augmentent; les impôts nouveaux, en particulier la
capitation, pèsent presque complètement sur le paysan). — L. Caillet.
Don de la châtellenie de Toufîou à Jean II de Chalon, prince d'Orange,
d'après des lettres patentes inédites d'Anne de Bretagne, Rennes,
19 avril 1490. — Ferdinand Lot. Mélanges d'histoire bretonne : III.
Gildœ vita et translatio (suite et fin). = C. -rendus : Sée et Lesort.
Cahiers de doléances pour la sénéchaussée de Rennes (excellente
publication). — A. Le Moy. Le parlement de Bretagne et le pouvoir
royal au xviif siècle (remontrances du parlement de Bretagne au
Î36 RECUEILS PÉRIODIQUES.
XVIIIe siècle; bons travaux). =: T. XXV, n° 4, juill. 1910. G. Dot-
tin. Bibliographie bretonne de H. d'Arbois de Jubainville. — A. Le
Névanic. L'agriculture en Ille-et-Vilaine de 1825 à 1870 (de 1825 à
1848, progrès faibles; de 1848 à 1870, et surtout après 1860, grands
progrès). — A. Rébillon. Cahier de doléances de la paroisse de
Saint -Georges- de -Reintembault (Ille-et-Vilaine). — G. Mollat.
Études et documents sur l'histoire de Bretagne (1276-1404).
28. — Revue de Bretagne. T. XLIII, mars 1910. — Ll Binet.
La défense des côtes de Bretagne au xvme siècle (suite ; la ville et le
port d'Orient, 1666-1763). — Albert Travers. Armoricains et bretons
(suite; continue en avril). — F. Uzureau. La paroisse de Saint-Ger-
main-sur-Moine en 1683 (procès-verbal de visite conservé aux archives
de Nantes). — Notes d'un voyage en Bretagne effectué en 1780 par
Louis Desjobert (suite; continue en avril-mai-juin). — Abbé Gré-
goire. Les biens ecclésiastiques pendant la Révolution dans le dépar-
tement de la Loire-Inférieure (suite en mai, juin, juill., août, sept.). —
A. Orain. La chouannerie légendaire dans l'Ille-et-Vilaine (anecdote
sur la chouannerie, sans indication de sources). = Avril. Ll Binet.
La défense des côtes de Bretagne au xvme siècle (le Port-Louis; à
suivre). — Abbé L. Campion. Statuts synodaux de l'église de
Saint -Brieuc, 1480-1507 (suite; fin en mai -juin). = Mai -juin.
L' Binet. La défense des côtes de Bretagne au xvme siècle (Belle-
Isle en mer pendant la guerre de la Succession d'Autriche). —
Etienne Dupont. Une astrologue bretonne au Mont-Saint-Michel
(Tiphaine Raguenel, femme de Bertrand Duguesclin, séjourne au
Mont de 1365 à 1370). — F. Bourdais. Un économiste breton au
xvme siècle (François-Joseph, comte de Kersauzon, auteur de projets
sur la navigation de la Bretagne, 1748 et 1765). — Hervé du Hal-
GOUET. Les sentiments de dom Morice sur l'origine des armoiries, des
sceaux et des devises (d'après Arch. nat., MM 758). — J. Coupel.
Études documentaires de l'industrie en Ille-et-Vilaine (suite ; papete-
ries aujourd'hui disparues; imprimeries sans cesse en progrès). =
T. XLIV, juill. F. Saulnier. Souvenirs d'autrefois. J.-B. Deshayes-
Dondart, 1731-1803 (il était commissaire aux saisies réelles). —
J. Coupel. Un filleul de la ville de Rennes (Yves-Julien Rennes,
Ph. de Coatgourden de Troujolly, baptisé en 1788). — Dom Maturin
Blayo. Les derniers jours de l'abbaye de Saint-Melaine de Rennes
(brève histoire de l'abbaye; son état en 1789; inventaire des biens en
1790; suite en août et sept.). = Août. Vte de la Lande de Calan.
Mélanges historiques (suite ; dates de la biographie de Saint-Corentin,
de celle de Saint-Ronan, de celle de Sainte- Vinnoe). = Sept. F. Uzu-
reau. Les paroisses^angevines du diocèse de Nantes avant 1802 (liste).
— B. Pocquet. La rénovation religieuse en Bretagne après la ligue
(activité de Michel le Nobletz et du P. Maunoir).
29. — Recueil de la Commission des arts de la Charente-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 437
Inférieure. T. XVIII, 1908-1909, n° 2. — Ch. Dangibeaud. Le
médailler municipal à Saintes (suite du catalogue des monnaies
romaines). =z N°s 3-4. Voyage de Napoléon I" à Saintes, Rochefort
et La Rochelle (1808; récit de l'époque). — Pandin de LusSaudière.
Saint-Jean-d'Angély à l'époque de la Fronde, 1651 (deux documents
inédits). — G. Musset. Les tremblements de terre en Aunis et dans
les régions voisines (1568-1908).
30. — Revue d'histoire de Lyon. T. IX, 1910, n° 2. — Emile
Leroudier. Les agrandissements de Lyon à la fin du xvme siècle
(travaux de Perrache et de Morand). — F. Dutacq. L'élection de
Louis-Napoléon Bonaparte à Lyon (oct.-déc. 1848) (suite et fin; l'élec-
tion met fin à la crise industrielle ; la masse ouvrière vote pour Napo-
léon en haine de Cavaignac). — Eug. Vial. Présents d'honneurs et
gourmandises (énumère les présents faits par la ville aux person-
nages influents depuis le milieu du xive s. jusqu'à la Révolution ; suite
au n° 4). = N° 3. L. Lévy-Schneider. Le gouvernement insurrection-
nel de l'Hôtel-de-Ville en novembre 1831 et le rôle de L.-M. Pérenon
(l'émeute de novembre 1831 ne fut pas simplement ouvrière ; « le car-
lisme à son déclin et le républicanisme à son aurore, sans compter le
bonapartisme », essayèrent de capter le mouvement; rôle joué par
Pérenon, « fanatique adepte de la légitimité »). — M. Audin. Plans et
vues générales de Lyon des origines à la fin du xvne siècle (inven-
taire). = N° 4. L. Lévy-Schneider. Le gouvernement insurrection-
nel de l'Hôtel-de-Ville en novembre 1831 et le rôle de L.-M. Pérenon
(suite et fin; « le coup d'audace fortuit » de novembre a failli réussir;
l'attitude des ouvriers, uniquement préoccupés d'une augmentation de
salaire, le fait échouer). — L. Caillet. Note sur l'artillerie de siège
à Lyon en 1465.
31. — La Province du Maine. 1910. janv. — A. Ledru. Dom
Guéranger, abbé de Solesmes (à propos de sa récente biographie par
un moine de la Congrégation de France; suite dans les livr. de févr.-
aoùt). — Vte Men.iot d'Elbenne. Jean de Lys, sa descendance et la
prévôté de Vaucouleurs, 1456-1576 (fin). = Février. G. BusSON.
Remarques toponymiques | Vodebris = Voivres , Vobridis = Vou-
vray). = Avril. Busson. Remarques toponymiques (Seuviliacus =
Éguillé). =. Mai. Robveille et Froger. La communauté d'habitants
de Montfort-le-Rotrou (suite en juin-juill.-aoùtl. z= Juin. Bezard.
Remarques toponymiques (conteste plusieurs étymologies proposées
par G. Busson).
32. — Revue historique et archéologique du Maine. T. LXVII.
2e livr. — Trigeb. L'ancien évèché du Mans avant la Révolution (les
bâtiments de l'évèché, le mobilier, le personnel ; suite dans la 3e livrai-
son). — Mis de Beauchêne. Louis de Montecler, gouverneur de Laval
sous les règnes de Henri III et de Henri IV. — Roquet. Pontvallain
438 RECUEILS PERIODIQUES.
(suite dans la 3e livr. et au t. LXVIII; châtellenies de La Faigne et
de La CJornillère). — Calendini. Le clergé français à Munster, de
1796 à 1798 (dans l'émigration). = 3e livr. Ed. de Lorière. Note sur
une sépulture ancienne découverte à Chevillé et sur les seigneurs du
Rouleau et de Hardanges. = T. LXVIII, l,e livr. Ed. de Lorière.
Essai historique sur Verdelles. — Fleury et Triger. Les églises du
Mans.
33. — Revue du Midi. 1910, 15 mai. — G. Maurin. Études sur
le premier Empire (circulaire du Ministre de la police générale, du
10 juillet 1810,. sur la « statistique personnelle » des départements :
renseignements sur les sujets notables de l'Empire, sur leur vie pri-
vée, leurs aptitudes, leur fortune ; par une nouvelle circulaire, en date
du 10 juillet 1811, le Ministre demande l'état des « héritières » du
département; élaboration des réponses à ces circulaires dans le Gard).
— E. Mazel. Une visite à l'IIospitalet (pièces de céramique antiques
trouvées à l'IIospitalet sur le Larzac). — L. Gap. Un château du Bau-
cet au début du XVIIe s. = 15 juin. L. d'Albiousse. L'armoriai de la
ville d'Uzès (notices sur les ducs d'Uzès). — Yrondelle. Le tombeau
de Christophe de Dohna (il avait été gouverneur de la principauté
d'Orange de 1630 à 1637). = 15 juill. F. Bruneton. Quelques pages
d'un livre de raison (celui de Martin, filateur à Saint-Hippolyte-du-
Fort; notes de 1716 à 1722 : les effets du système de Law dans le
Midi; peste et disette de 1720-1722). = 15 août. P. Falgairolle. A
propos de Montcalm. Notes et documents inédits (à l'occasion de
l'inauguration de la statue de Montcalm). — Dr Laval. L'assassinat
du général Dours à Bollène (Vaucluse) (21 décembre 1795) (suite en
sept.). = 15 sept. M. Fabre. Les assemblées préparatoires aux élections
des députés aux États-Généraux de 1789 tenues à Uzès (suite en oct.).
— A. Robert. Les débuts de l'insurrection des Camisards (l'affaire
du Pont de Montvert, 24 juillet 1702; suite en oct.).
34. — Bulletins de la Société des Antiquaires de l'Ouest.
3e sér., t. I, 1909, n° 2. — Cte de Mondion. Mondion (Vienne : le châ-
teau et ses seigneurs, la paroisse et ses curés). — C* Deliquet. Un
gentilhomme poitevin au xvme s. : Laurens du Villars (d'après un
livre de raison).
35. — Bulletin de la Société d'histoire et d'archéologie du
VIIe arrondissement de Paris. 1908, déc. — Catalogue de la pre-
mière exposition de la Société. — Vacquier. Lieu de décapitation de
Bailly, ancien maire de Paris (son emplacement probable au Champ-
de-Mars).
36. — Revue des Pyrénées. T. XXII, 1910, n° 1. — F. Galabert.
Le cahier des doléances de Monteils près de Caussade (Tarn-et-
Garonne; 4 mars 1789 : publication de son texte). — A. Lamouzèle.
A propos de Sermet, évèque constitutionnel de la Haute-Garonne
RECUEILS PÉRIODIQUES. 439
(lettres et documents inédits : 1791-1800). — Fr. de Gélis. Autour de
Palaprat (fin). = N° 2. Edmond Galabert. Souvenirs sur Emile
Pouvillon (fin dans le n° 3). — A. Auriol. La psychologie de Botti-
celli à propos du quatrième centenaire de sa mort, 17 mai 1510. —
J. Adher. La Haute-Garonne pendant la Révolution (correspondance
inédite du curé constitutionnel Dejean, 1791-1793 (fin dans le n°3). —
U. Lala. L'enseignement supérieur de la physique à Toulouse (de
1832 à 1882). = N° 3. G. Desdevizes du Dézert. Quelques matinées
aux archives du Vatican (notes sur les documents relatifs à l'Espagne).
— Léopold Gros. Théodore Aubanel (1829-1886).
37. — Revue savoisienne 51e année, 1910, n° 1. — L. Caillet.
Cession de Châtillon et de Sallanches à Jean de Chalon, seigneur
d'Arles, par Humbert II,. ancien dauphin de Viennois (25 oct. 1552).
— F. Miquet. Recherches sur les familles des émigrants savoyards
fixés en France avant 1860 (suite; est continué dans le n° 2). —
A. Crolard. Annecy et les crues du lac (de 1570 à 1910). = N° 2.
F. Miquet. César Duval (sénateur de la Haute-Savoie, 1841-1910). —
J. Désormaux. Quelques chansons historiques (chanson du duc de
Savoie; Panavo, chanson satirique de 1750 contre les Espagnols;
chansons patoises de 1814 et 1815).
Alsace.
38. — Revue d'Alsace. T. LXI, 1910, janv.-févr. — C. Oberrei-
ner. Nicolas de Bollwiller d'après les State Papers de Londres (pour-
quoi l'auteur de cet article adopte-t-il la forme Jean Sturmius?). —
G. Gromer. Les béguinages à Haguenau d'après les notes inédites de
M. Hanauer (fin). — G. de Dartein. Le P. Hugues Peltre et sa vie
latine de sainte Odile (suite en mars-avril et juillet-août). — A. Dor-
lan. Les aspects de Sélestat (suite : la première enceinte de Sélestat,
1216; suite en mars-avril et mai-juin). — A. -M. -P. Ingold. Lettres
de la princesse de Talleyrand à un Alsacien (dans les papiers de l'Al-
sacien L. de Béer, gouverneur de Bénévent, — que va d'ailleurs publier
M. Ingold, — se trouvent ces quelques lettres sans grande impor-
tance). — Avec le présent numéro reprend, en appendice, la publica-
tion du journal du palais du Conseil souverain d'Alsace par A. Holdt
(année 1776). = Mars-avril. F. Zeyer. Cahier de doléances de la ville
de Riquewihr. — Ch. Hoffmann. La suppression de l'administra-
tion provinciale et le nouveau régime, 1790 (suite : l'impôt ne
rentre pas; mauvais état économique de l'Alsace). — C. Oberreiner.
César et Arioviste en Alsace d'après de nouveaux travaux (d'après
Gloeckler, Feldzug von Csesar gegen Ariovist, et Jullian, Hist. de
la Gaule). — Mai-juin. I. Beuchot. D'Aigrefeuille à Guebewiller
(l'abbé d'Aigrefeuille devenu membre du directoire du Haut-Rhin).
— Ch. Hoffmann. La suppression de l'administration provinciale et
440 RECUEILS PÉRIODIQUES.
le nouveau régime (suite : formation du directoire départemental et
des directoires de districts ; suppression de l'intendant et du Conseil
souverain; fin en juill.-août). — Suite du journal de Holdt (1776).
=: Juill.-août. A. Dorlan. Étude sur la seconde enceinte de Sélestat
(1280). — E. Baumgartner. Cahier de doléances de la ville de Neuf-
Brisach. — Th. Walter. La paroisse de Soulzmatt avant la grande
révolution (depuis 1184). — Suite du journal de Holdt, en appendice
(1776-1777). = Sept.-oct. G. Rémy. Jean-Henri Lambert, sa vie et
son œuvre (savant mulhousien né en 1728; suite en nov.-déc). —
C. Oberreiner. Expéditions de Nicolas de Bolhviller en 1557 (d'après
les archives de Venise).
Allemagne.
39. — Historische Vierteljahrschrift. T. XIII, n° 2, 1910. —
H. Ulmann. Sur une nouvelle manière de comprendre Stein (il s'agit
de l'opinion exprimée par Meinecke dans son livre récent Weltbùr-
gertum und Nationalstaat : Stein n'aurait pas encore eu nettement
la conception de l'autonomie nationale; l'auteur de l'article combat
cette opinion et montre Stein plus allemand que « weltbùrger »). =
Mélanges. Schmidler critique la méthode de publication des Annales
de l'empire allemand, à propos du t. VII de G. Meyer von Knonau,
1116-1125. — F. Stieve dégage de la légende la figure historique
d'Eccelino III le Féroce dont il a écrit en 1909 la biographie. —
E. Doenell résume les entreprises commerciales des Allemands en
Amérique au xvie s.; elles sont encore mal connues. — G. Sommer-
feldt expose, d'après un manuscrit conservé à Vienne (Cod.
lat. 8219), les conseils donnés à l'empereur, en 1560-1561, par un
officier de son entourage, pour une expédition contre les Russes et les
Turcs. — Pflugk-Harttung publie, d'après les archives de la famille
de Gneisenau, le décret du 6 juillet 1815 relatif au départ de Napoléon
et les lettres de Decrès le transmettant au préfet maritime de Roche-
fort et au général Becker. = C. -rendus : P. Hervé. Papstum und
Papstwahl im Zeitalter Philipps II (très solide). — A. Fournier. Histo-
rische studien und Skizzen (cette deuxième série est très importante).
— G. Droysen. J.-G. Droysen (bonne biographie; les lettres publiées
sont intéressantes). = T. XIII, n° 3, 1910. B. Hilliger. Le denier et
le schilling dans la loi salique I réponse aux critiques de Jàkel et de
Rietschel). — Wilhelm Busch. Les guerres de l'Angleterre en 1513 :
Guinegate et Flodden (l'Angleterre et l'Ecosse jusqu'à la rupture ; la
campagne et la bataille de Flodden, août-sept. 1513). = C-rendus :
K.-H. Jacob signale et analyse le premier volume publié par les deux
sociétés préhistoriques allemandes, la Pràhistorische Zeitschrift de
Schuchardt, etc., et le Mannus, Zeitschrift fur Vorgeschichte de
G. Kossinna. — R. Wackernagel. Geschichte der Stadt Basel (impor-
tant non seulement pour l'histoire locale, mais pour l'histoire urbaine
RECUEILS PERIODIQUES. 441
et celle de la civilisation médiévale). — Erich Caspar. Petrus diaco-
nus uud die Monte Cassineser Fàlschungen (très important). —
K. Henking. Johannes von Mûller, 1752-1809 (I : 1752-1780. L'auteur
s'est servi des papiers inédits de J. de M. conservés à Schafîhouse).
— Moritz Jaffé. Die Stadt Posen unter preussischer Herrschaft. —
Lily Braun. Im Schatten der Titanen. Ein Erinnerungsbuch an Baro-
nin Jenny v. Gustedt (née en 1811, morte en 1890; important). —
Adolphe de Circourt. Souvenirs d'une mission à Berlin en 1848,
publ. par G. Bourgin ; t. II (utile). — M. Philippson. Neueste
Geschichte des jùdischen Volkes; t. II (période contemporaine;
impartial).
40. — Historische Zeitschrift. 3e sér., t. VIII, 1910, n° 3. —
Heinrich Fincke. Dante historien (l'Enfer et le Purgatoire sont rem-
plis de jugements et de portraits qui prouvent chez Dante une con-
naissance parfaite de la politique de son temps). — Wolfgang Michael.
Walpole premier ministre (procédés employés par Walpole pour
arriver au pouvoir et s'y maintenir). — Adalbert Wahl. Contribution
à l'histoire des partis en Allemagne au xixe s. (étude de l'évolution
interne du parti libéral et du parti conservateur; contrairement à
Merkel (Fragmente der Sozialwissenschaft), l'auteur veut prouver
que le parti conservateur, lui aussi, est, en un certain sens, un parti
individualiste). = C. -rendus : R. Sohm. Wesen und Ursprung des
Katholizismus (l'auteur du c. -rendu expose et critique le système de
Sohm). — V. Betzold, E. Gothein, R. Koser. Staat und Gesellscbafi
der neueren zeit; 2e partie : die Kultur der Gegenwart (excellent
résumé). — Annie Mittelstœdt. Der Krieg von 1859 (bon). — G. von
Below. Landtagsakten von Jiilich-Berg, 1400-1610 (excellente publi-
cation). — .4. Stapylton-Barnes. The Man of the Mask (le « Masque
de fer » serait l'abbé Pregnani, envoyé par Louis XIV en Angleterre
en 1669; Pregnani serait, sous un autre nom, James de la Cloche, fils
naturel de Charles II d'Angleterre, disparu en 1669; l'hypothèse n'est
pas soutenable). — .4. Delplanque. Fénelon et la doctrine de l'amour
pur limportant). = T. IX, 1910. n° 1. F. von Bezold. Jean Bodin
considéré comme « occultiste » et sa Démonomanie (l'auteur place
Jean Bodin dans son milieu historique et recherche dans quelle mesure
la Démonomanie est inspirée par les événements contemporains). —
II. von Voltelini. Les principes du droit naturel et les réformes du
xvme s. (le mouvement de réformes et « le despotisme éclairé » sont
inspirés non par les idées venues de France, mais par les doctrines
sur le droit naturel qui étaient enseignées en Allemagne. Frédéric II
et Joseph II ont subi l'influence, non des auteurs français, mais de
Hille et Wolff en Allemagne, de Paul Riegger et d'Antoine Martini
en Autriche). — C. Varrentrapp. Lettres écrites à Ranke par des
historiens allemands et français (lettres de Niebuhr, Schlosser, F. v.
Raumer, Stenzel. Michelet et Mignet; intéressanl témoignage de
442 RECUEILS PÉRIODIQUES.
Ranke sur Michelet en 1850). = C. -rendus : K. von Amira. Le bâton
et sa signification symbolique dans le droit germanique (très impor-
tant). — Paul Bailleu. La reine Louise (excellente biographie). =
T. IX, 1910, n° 2. Ch. Reuter. Ebbon, archevêque de Reims, et
Ansgar (contribution à l'histoire des missions chrétiennes dans le nord
de l'Allemagne et en particulier à celle de l'évêché de Hambourg). —
F. Wiegand. La nomination d'Edouard Zeller à Marbourg et le rôle
de A. Vilmar (Zeller, qui enseignait la théologie à Berne, est nommé
en 1849 à Marbourg; Vilmar essaie d'empêcher sa nomination|. —
W. Stolze. Nouvelles études sur la guerre des paysans (revue des
travaux de Hofmann, Eitner, Kôchl, Paul Haustein). — R. Koser.
Le duché de Clève et les négociations pour la paix en 1759-1760. —
Paul Darmst^edter. Nouvelles sources pour l'histoire économique de
la Révolution française (résume les travaux de la commission créée
en 1903, à Paris, sur l'initiative de Jaurès; la masse de documents
publiés est déjà considérable). — G. Kaufmann. Les sources de l'his-
toire de la presse politique en Silésie (rapide revue des travaux déjà
publiés). =: C. -rendus : A. Vogt. Basile Ier, empereur de Byzance
(bon). — H. Gùnther. Die Habsburger Liga, 1625-1635 (bonne publi-
cation de documents). — F. Frensdorff. Von und ùber Schlœzer
(important pour l'historiographie). — J. Bauer. Schleirmacher als
patriotischer Prediger (excellent). — Veit Valentin. Frankfurt am
Main und die Révolution von 1848-1849 (bon). — G. Lûders. Die
demokratische Bewegung in Berlin im oktober 1848 (comble une
lacune). — H. v. Helmolt. Weltgeschichte ; t. V (Europe du sud-est
et Europe de l'est. Inégal).
41. — Deutsche Rundschau. 1910, avril. — P. Bailleu. La jeu-
nesse de Bismarck (d'après le livre de Marcks). — J. von Eckardt.
Souvenirs de ma vie (suite; continue jusqu'en sept. : 1867-1887). —
Lehmann-Haupt. Sémiramis et son temps. — F. Salomon. Les
relations anglo-allemandes depuis 1870. = Juin. G. Dickruth. Fré-
déric II et Napoléon Bonaparte dans leurs premières campagnes. =:
Juill. R. Garbe. Les éléments d'origine bouddhiste dans le christia-
nisme (on peut assurer qu'il n'y en a pas). — Prehn von Dewitz.
Contribution à l'histoire secrète des finances de l'Autriche pendant et
après la révolution du Brabant, 1789-1790 (d'après des documents iné-
dits conservés à Bruxelles qui montrent l'importance de la maison de
banque Bethmann). = Août. A. Fournier. Frédéric Gentz et la paix
de Schonbrunn (lettres de Gentz à Kolowrat, gouverneur de Bohême
à Prague, de juin à oct. 1809). = Sept. Félix Salomon. Un programme
de réformes russe au xvme s. (les instructions données par Cathe-
rine II, en 1767, à la commission chargée de préparer les réformes).
— Paolo Zendrini. L'influence de Luther sur l'Italie au xvie s. =
Oct. Adolf Lasson. Pour le centenaire de l'Université de Berlin. —
K. Stahlin. La direction des armées allemandes pendant la guerre
RECUEILS PERIODIQUES.
443
de 1870-1871 (la guerre lentement préparée par Moltke; pendant la
première phase de la guerre, l'organisation allemande est en face de
la routine française ; pendant la seconde phase, elle a devant elle le
simple enthousiasme). — W. Alter. L'unification de l'Allemagne et
la politique autrichienne (d'après des lettres du comte Beust, du
ministre bavarois Bray-Steinburg, du comte Vitzthum et des ambas-
sadeurs autrichiens R. Metternich et Chotek, 1867-1871).
42. — Zeitschrift fur Brûdergeschichte. 1909, n° 2. — Gottfried
Schmidt. Les « bandes » ou sociétés dans l'ancien Hernnhut (créées
en 1727, les petites sociétés ou « bandes », répandues dans les com-
munautés moraves, ont leurs statuts précis ; dès 1736, l'organisation
des bandes est moins rigide; elles disparaissent à la fin du xvme s.).
— J.-Th. Muller. Un discours de Zinzendorf là la consécration d'une
église à Marienborn, le 12 mai 1745). = 1910, n° 1. En souvenir du
9 mai 1760 (date de la mort de Zinzendorf). — G. Reichel et J.-Th.
Muller. Journal de Zinzendorf, 1716-1719 (suite; notes quotidiennes,
en latin, en allemand et en français, de Zinzendorf, alors étudiant,
suivies de lettres de et à Zinzendorf). — Id. Les portraits de Zinzen-
dorf. — Id. Note sur un journal, « der Parther ». publié, sans nom
d'auteur, par Zinzendorf, dès 1724.
Belgique.
43. — Analecta Bollandiana. 1910. nos 1-2. — A. Poncelet. Le
légendier de Pierre Calo (les légendiers ; les légendiers abrégés ; le
légendier de Pierre Calo, compilateur dominicain -j- après 1230). —
H. Delehaye. L'invention des reliques de saint Menas à Constanti-
nople (martyr qui remplissait en Egypte le rôle attribué à saint Pan-
crace chez les Latins). — P. Peeters. Saint Eleutherios-Guhistozad
(étude critique sur ce personnage, victime de la persécution de
Sapor II). = C. -rendus : E. Caspar. Petrus Diaconus und die Monte
Cassineser Fàlschungen (inventaire complet des travaux de ce célèbre
faussaire du xne s.). — H. Mertel. Die biographische Form der grie-
chischen Heiligenlegenden (montre l'influence de la rhétorique sur la
forme littéraire des vies des saints grecques). — P. Lindner. Monas-
ticon metropolis Salzburgensis antiquae (ouvrage de premier ordre).
— J. Wilpert. Die Papstgràber und die Caciliengruft in der kata-
kombe des H. Kallistus (complète les travaux de Rossil. — S. Beis-
sel. Geschichte der Verehung Marias in Deutschland wahrend des
Mittelalters (beaucoup de science, mais accumulation de détails et
absence de vues d'ensemble). — J. Susta. Die Rômische Curie und
das Concil von Trient unter Pius IV (formera un Corpus diploma-
ticum de toute première valeur). — P. lierre. Papsttum und Papst-
wahle im Zeitalter Philipps II (grande érudition; critique pénétrante;
n'apprécie pas exactement le rôle de Philippe II).
I I I RECUEILS PERIODIQUES.
44. — Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de la
Belgique. 1910, a" 1 . - II. Bosmans. Correspondance de J.-B. Mol-
donado de Mons (missionnaire belge au Siam et en Chine au xvne s.,
1683 f 1699. Lettres adressées au grand imprimeur Moretus d'An-
vers, au P. de la Chaize, aux généraux de l'ordre, au bollandiste
Henschen, etc.).
45. — Archives belges. 1910, n° 1. — C. -rendus : H. Sage. Le
prince Ferdinand de Rohan-Guéménée, archevêque de Cambrai,
régent de la nation liégeoise (éclaircit un épisode intéressant et peu
connu de l'histoire liégeoise). — A. Walther. Die burgundische Zen-
tralbehorden unter Maximilian I und Karl V (les institutions belges
sont la reproduction des institutions françaises, mais n'ont exercé
aucune iniluence sur les institutions allemandes). — K. Fribram.
Geschichte der ôsterreichischen Gewerbepolitik von 1740 bis 1850
(t. I, va de 1740 à 1798; retrace, d'après les documents des archives
et d'une manière très vivante, les effets du despotisme éclairé). —
H. Maillet. L'Eglise et la répression sanglante de l'hérésie (soutient
que, dans les temps anciens, l'Église était hostile à la peine de mort
pour cause d'hérésie; elle la toléra plus tard). z=. N° 2. E. Herbig.
Die Bebriebsart der Tuchindustrie Brùgges im Mittelalter (insuffisance
bibliographique et interprétation peu rigoureuse des textes). = N° 3.
F.-D.-J. Morrees. Histoire du protestantisme dans la principauté
épiscopale de Liège (manque d'originalité). = N° 4. V. Brents. La
Belgique au xvne s. Albert et Isabelle. Études d'histoire politique et
sociale (particulièrement important pour les questions économiques).
— C. Buffin. Documents inédits sur la Révolution belge (lettres de
Stœdler au prince d'Aremberg et relation du bombardement d'An-
vers d'après les papiers de Chazol, ancien ministre de la Guerre ;
beaucoup de détails très neufs). — A. Vandevelde. Les métiers des
charpentiers et des menuisiers à Bruges du xive au xixe s. (détails
intéressants, mais manque fâcheux de vues d'ensemble). — T. Mayer.
Der auswàrtige Handel der Herzogtums Ôsterreich in Mittelalter (con-
tient des indications nombreuses sur les relations commerciales de
l'Autriche avec les Pays-Bas au moyen âge). = N° 5. H. Pirenne.
Les anciennes démocraties des Pays-Bas (les démocraties urbaines
du moyen âge ne furent en somme que des démocraties de privilé-
giés ; fait ressortir les antinomies entre les cités antiques et les villes
médiévales des Pays-Bas). — De Bas et de t' Sercla.es. La campagne
de 1815 aux Pays-Bas (réfute les calomnies anglaises concernant le
rôle des troupes hollando-belges). — A. Elhan. Philippe de Marnix
de Sainte-Aldegonde (c'est la biographie la plus complète et la plus
objective du personnage).
46. — Bulletin de la classe des lettres de l'Académie royale
de Belgique. 1910, n°2. — E. Gossart. La révolution des Pays-Bas
au xvie s. dans l'ancien théâtre espagnol (étudie spécialement l'épi-
RECDEILS PÉRIODIQUES. 445
sode de Don Carlos). = N° 5. Baron de Borchgrave. La science
américaniste au début du XXe s. (histoire des études américanistes
et exposé des résultats acquis au congrès de Vienne de 1908). —
M. Vauthier. Machiavélisme et raison d'État (le machiavélisme n'a
pas disparu du domaine de la politique internationale, mais il est
jusqu'à un certain point neutralisé par l'idée d'une communauté entre
nations et l'idée d'humanité).
47. — Bulletin de la Commission royale d'histoire de Bel-
gique. 1909, n° 4. Compte-rendu de la séance royale du 8 novembre
1909. — Le 75e anniversaire de l'institution de la Commission fut
célébré par une séance solennelle que présida le roi Léopold II.
H. Pirenne retraça l'histoire des travaux de la Commission et
G. Kurth donna lecture d'une dissertation : Notre nom national (le
nom de Belgique est antérieur à l'ère chrétienne; aperçu de son his-
toire depuis César jusqu'au xixe s.). — J. Warichez. Une descrip-
tio villarum de l'époque carolingienne {descriptio des biens de l'ab-
baye de Lobbes, sur le modèle imposé par Charlemagne dans son
capitulaire de 810; elle date de 868-869 après les dilapidations de « l'im-
pie Hubert »). — 1910, n° 1. A. Pasture. Inventaire des fonds Bor-
ghèse des archives Vaticanes au point de vue de l'histoire des Pays-
Bas (xvie et xviie s.). = N° 2. V. Fris. Les archives de Saint-Omer
et de Lille (décrit plusieurs documents intéressant l'histoire des Pays-
Bas). — N. de Pauw. L'enquête sur les capitaines de Courtrai sous
Artevelde (prouve par des documents inédits la légalité du gouverne-
ment de Jacques van Artevelde). — V. Fris. Sur la valeur de la
Recherche des antiquitez et noblesse de Flandres de Philippe de
l'Espinoy (valeur documentaire quasi nulle. L'auteur a été l'un des
premiers à comprendre la valeur des registres scabinaux comme
source de l'histoire généalogique, mais il n'a pas réussi à utiliser ces
documents d'une manière judicieuse).
48. — Bulletin de la Société d'histoire et d'archéologie de
Gand. 1909, n° 8. — G. Hulin. Olivier de Gand, sculpteur en Portu-
gal (recherches sur cet artiste distingué du xvie s.). — V. Fris. Notes
pour servir à l'histoire du patriciat gantois (listes des échevins et patri-
ciens du xive et du xve s.). = 1919, nos 1-2. V. Fris. Tableau de la
Flandre au début du xvie siècle (d'après une description détaillée,
œuvre d'Antonio de Beotin, secrétaire de Louis d'Aragon, chargé, en
1517, d'une mission du pape auprès du jeune Charles-Quint).
49. — Bulletin de la Société royale belge de géographie.
1909. — Rahir. Biographies du major Cambier et du baron Dhanis
(deux des principaux collaborateurs de Léopold II dans son œuvre
coloniale).- = 1910, n° 1. A. Hutereau. Documents ethnographiques
congolais : les Manyanga (la vie familiale; la vie juridique). — J. L.
L'enseignement colonial à l'Université de Louvain.
446 RECUEILS PÉRIODIQUES.
50. — Bulletin de la Société scientifique et littéraire du Lim-
bourg. 1909. — J. Paquay. Les origines chrétiennes dans le diocèse
de Tongres (manque de méthode et de clarté).
51. — Leodium. 1909. — U. Berlière. Louis Sanctus de Beerin-
gen (contribution à la biographie de cet ami de Pétrarque). — E. School-
meesters. Les archiprètres de Liège (cette institution remonte pro-
bablement au ixe s.). =z 1910. J. Ceyssens. Val-Dieu et les derniers
comtes de Dalhem (rectifie des erreurs commises par plusieurs histo-
riens au sujet de la prise de Dalhem par le duc de Brabant au xme s.).
52. — Le Musée belge. 1909, n° 1. J. Kayser. La terminologie
de l'architecture grecque (d'après les inscriptions). — J. Van den
Gheyn. Le discours d'ouverture des leçons d'Adrien Amerot, deuxième
professeur de grec au collège des Trois-Langues à Louvain en 1545
(document inédit et intéressant pour l'histoire de l'humanisme en Bel-
gique). =z N° 2. J.-P. Waltzing. Nouvelle inscription du dieu Inta-
rabus (découverte à Trêves en 1907). = Nos 3-4. Th. Simar. Chris-
tophe de Longueil, humaniste (né à Malines en 1488, mort en 1522).
— A. Jornar. Sabazius et le judaïsme (étudie l'influence des doc-
trines juives sur le culte du Zeus phrygien et ne croit pas qu'elle ait
été particulièrement sensible). — L. Delaruelle. Nicole Bérault
(étude critique sur cet humaniste Orléanais du xvie s.). — J.-P. Walt-
zing. Inscription métrique des thermes romains trouvés à Arlon (inté-
ressantes conjectures). — H. Francotte. L'organisation de la cité
d'Argos (à propos des fouilles de W. Vollgraff). = 1910, n° 1. P. Grain-
dor. Fouilles et recherches à Tenos (description de monnaies et d'ins-
criptions découvertes en 1908). = C. -rendus : T. Mayer. Handel
Œsterreichs im Mittelalter (importante étude d'histoire économique;
l'auteur a utilisé les registres des tonlieux de Passau et de Presbourg).
— E. Hennig. Die pàpstliche Zehnten aus Deutschland wàhrend des
Grossen Schismas (établit que ces impôts furent très lourds). — Wol-
kan. Der Briefwechsel des Eneas Silvius Piccolomini (beaucoup de
pièces inédites).
53. — Publications de la section historique de l'Institut
grand-ducal de Luxembourg. 1909. — J. Grob. Recueil d'actes et
documents concernant les Frères Mineurs dans l'ancien duché de
Luxembourg et comté de Chiny, précédé d'une notice historique (con-
tribution très importante à l'histoire franciscaine dans les Pays-Bas
du xme s. au xixe. — Ch. Schoack. Les Luxembourgeois, soldats de
la France, 1792-1815 (biographies inédites et intéressantes).
54. — Revue de bibliographie et de bibliothéconomie (Tijd-
schrift voor boek en bibliotheekwezen). 1909. — J.-W. Enschedé.
Le commerce du papier dans les Pays-Bas au xvne s. (importante
étude d'histoire économique). — C.-P. Burger. L'ancien droit mari-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 447
time de la Hollande. — G. -A. Evers. Histoire de la bibliothèque de
l'Université d'Utrecht (c'est la plus ancienne bibliothèque de la Hol-
lande; elle fut fondée en 1584).
55. — Revue de l'instruction publique en Belgique. 1910, n° 1.
— C. -rendus : T. Lindner. Weltgeschichte seit der Vôlkerwande-
rung VI (XVIIe et xvme s. Clair et précis; n'a pas accordé assez d'im-
portance à l'histoire des Provinces-Unies). — E. Gossart. Charles-
Quint, roi d'Espagne (documentation sûre, grande probité scienti-
fique). = Nos 2-3. S. Feist. Europa im Lichte der Vorgeschichte
(excellente introduction à l'étude de la préhistoire). — 0. Cartellieri.
Philippe der Kùhne, Herzog von Burgund (bien documenté).
56. — Revue de l'Université de Bruxelles. 1910, n° 5. —
Cte Goblet d'Alviella. De la méthode comparative dans l'histoire
des religions (c'est un instrument très utile, mais aussi très délicat, et
il importe de ne pas en abuser). =N° 6. J. Ingenbleek. L'impôt sur
le revenu et la guerre de 1870. — E. Stocquart. La condition des
enfants, des célibataires et des prêtres au moyen âge en Espagne. =
C. -rendu : G. des Marez. Le compagnonnage des chapeliers bruxel-
lois (bien documenté, abonde en détails inédits).
57. — Revue d'histoire ecclésiastique de Louvain. 1910, n° 1.
— J. de Ghellinck. Le traité de Pierre Lombard sur les sept ordres
ecclésiastiques : ses sources, ses copistes (conclusion : les sources de
P. Lombard sont Yves de Chartres, Hugues de Saint-Victor et Gra-
tien). — F. Bliemetzrieder. Conclusions de Guillaume de Salvar-
villa, maître en théologie à Paris, sur la question du concile général
pendant le grand schisme d'Occident, 1381 (document inédit de la
bibl. de Bâle; réfute les objections qui s'étaient produites contre la
convocation d'un concile général). — P. Richard. Origines et déve-
loppement de la secrétairerie d'État apostolique, 1417-1823 (lre partie,
va jusqu'au pontificat de Léon X ; étude d'après les archives du Vati-
can). = C. -rendus : J. Lebon. Le monophysisme sévérien. Étude
historique, littéraire et théologique de la résistance monophysiste du
concile de Chalcédoine jusqu'à la constitution de l'église jacobite
(d'après des manuscrits syriaques inédits du British Muséum). —
P. Schmoll. Die Busslehre der Frùhscholastik (va du xne siècle jus-
qu'à saint Thomas d'Aquin; travail solide, mais trop bref). — G. Ber-
big. Spolatin und sein Verhâltnis zu Martin Luther auf Grundihres
Briefwechsels bis zum Jahre 1525 (rend bien compte des services con-
sidérables que Spolatin rendit à Luther, notamment à la cour de Fré-
déric le Sage). — J. Schmidlin. Die Kirchliche Zustànde in Deut-
schland vor dem dreisigjàhrigen Kriege (l'auteur a surtout utilisé les
documents des archives Vaticanes. lre partie : étude de la vie reli-
gieuse dans les douze diocèses autrichiens). — Kraemer. Correspon-
dance inédite de la maison d'Orange-Nassau (3e série, t. III. 245 lettres
448 RECUEILS PÉRIODIQUES.
échangées entre Guillaume III et le pensionnaire Heinsius pendant
les années 1700-1702). = N° 2. L. Laurand. Le « Cursus » dans la
légende de saint François par saint Bonaventure (il présente une cer-
taine variété, et la critique doit en tenir compte). — H. de Jongh. La
Faculté de théologie de l'Université de Louvain au xve siècle et au
commencement du xvie (étudie d'après les sources ses débuts, son
organisation et son enseignement). = C. -rendus : G. Gromer. Die
Laienbeicht im Mittelalter (esquisse l'histoire de cette institution
depuis ses origines jusqu'à sa disparition dans les temps modernes.
Documentation abondante). — Th. Gra.ndera.th. Histoire du concile
du Vatican (t. II ; révélations peu flatteuses pour certains prélats
adversaires de l'infaillibilité). — Khevenhûller et Schlitter. Aus der
zeit Maria Theresias. Tugebuch des Fursten Khevenhûller (beaucoup
de détails sur les intrigues de la cour). — M. de Wulf. Histoire de la
philosophie en Belgique (intéressant, mais insuffisant au point de vue
bibliographique). — A. Van de. Velde. Les anciennes corporations
des charpentiers et ébénistes de la ville de Bruges (d'après les docu-
ments contemporains).
58. — Revue générale de Belgique. 1910, n° 2. — J. Mélot.
Voltaire à Bruxelles (détails inédits). — C. Buffin. Le 23 septembre
1830, d'après les souvenirs du général Capiaumont (épisode de la
révolution belge raconté par un des acteurs). =z N° 4. C. Woeste. Le
prince de Bulow (cherche à démontrer que le chancelier a surtout pra-
tiqué une politique d'expédients). — Baron de Borchgrave. Le
Dr Cari Lueger (intéressante étude sur l'histoire des partis en Autriche
durant les trente dernières années et sur l'œuvre municipale du célèbre
bourgmestre de Vienne depuis 1897). = N° 6. B. de Franqueville.
Léon XIII et la Belgique pendant la lutte scolaire, 1878-80 (lre partie
d'un exposé de la diplomatie pontificale aux prises avec le cabinet
frère Orban).
Grande-Bretagne.
59. — The Athenseum. 1910, 13 août. — Rhodes. A descriptive
catalogue of the mss. in the library of Corpus Christi Collège, Cam-
bridge; 2e partie : nos 101-156. = 20 août. Rooseboom. The scottish
staple in the Netherlands (intéressant). — Calendar of the Close rolls
preserved in the P. Record Office. Edward III, vol. XI, 1360-1364. —
Hill. Historical roman coins (important). — Medallic illustrations of
the history of Great-Britain and Ireland (contient 120 reproductions
de médailles de 1695 à 1698; publié aux frais du Brit. Mus.). =
27 août. Bayley. The civil war in Dorset (admirable compilation, qui
se propose de dire tout ce qu'on peut savoir sur tout le détail de cette
guerre). — Broxnap. The great civil war in Lancashire (excellent;
l'auteur, qui connaît à fond les détails du sujet, sait choisir entre eux;
RECUEILS PÉRIODIQUES. 449
il ne dit que l'essentiel). — Winternitz. General index to the names
and subject-matter of the Sacred books of the East (ce vol., le 15e et
dernier de la série des Sacred books of the East. Très important pour
l'étude des religions non chrétiennes de l'Orient). =: 3 sept. A. Fr.
Steuart. News letters of 1715-1716 (lettres privées qui font connaître
quelques menus faits sur le soulèvement des Jacobites en 1715). —
F. L. Petre. Simon Bolivar, « El libertador » (compilation intéres-
sante, mais qui est fort loin d'épuiser le sujet). = 10 sept. Ch. Daw-
son. History of Hastings castle (bonne étude archéologique et histo-
rique. L'auteur a en outre recueilli, mis en bon ordre et bien
commenté les récits des chroniqueurs relatifs à la bataille de Has-
tings). — H. F. Berry. Statutes and ordinances and acts of the Par-
liament of Ireland. King John to Henry V. Statute rolls of the Par-
liament of Ireland. Henry VI (très important recueil de textes). =
24 sept. Ward et Waller. Cambridge history of english literature.
Vol. V-VI : the drama to 1642 (compilation remarquable, excellente
par endroits, avec une très utile bibliographie). — Houtsma, Arnold
et Schaade. The Encyclopedia of Islam, nos V-VI. — Hamel. An
eighteenth century marquise ; a study of Emilie du Châtelet und her
times (bon).
60. — The Nineteenth Century. 1910, août. — Duthie. Les
femmes d'après la correspondance des Paston (montre l'influence
exercée par la femme dans la bourgeoisie au xve s.). — Lady Paget.
A mariage royal (mariage du prince de Galles, le futur Edouard VII,
avec la fille du prince royal de Danemark; Lady Paget fut mêlée très
directement aux premiers pourparlers). — W. S. Lillv. Le cardinal
Vaughan (à propos de sa biographie récemment publiée par J. G.
Snead-Cox).
61. — Edinburgh Review. T. CCXI, janv. -avril 1910. — Lorenzo
de Medici (M. Horsburgh, le dernier biographe de Laurent de Médicis,
a écrit un ouvrage très complet, dont les détails sont admirables, mais
dont l'ensemble est un peu trop touffu. Le brillant livre de M. Arm-
strong, sur Laurent, pour la série des Heroes of the Nations, con-
dense tout l'essentiel du sujet. Et les deux gros volumes du colonel
Young, The Medici, sont un excellent résumé de l'histoire de cette
famille). — Pitt et la Triple Alliance, 1788-1791 (Angleterre, Hollande,
Prusse. D'après des documents inédits, notamment la Correspondance
de l'ambassadeur Ewart à Berlin, dont le frère était l'associé du père
de Gladstone. A la veille de la Révolution, la France paraissait tout
influente en Europe, et, la Prusse s'humiliant devant elle, un ministre
anglais écrivait ces lignes qui nous donnent fort à réfléchir aujour-
d'hui : « C'est une attitude lâche et dangereuse pour un grand pays
de vivre dans l'appréhension continue de froisser une puissance qui
ne sera jamais une alliée cordiale et n'inclinera jamais à rien accor-
Rev. Histor. CV. 2e fasc. 29
450 RECUEILS PÉRIODIQUES.
(1er en échange de cette soumission complaisante, n'ayant d'autre
objet que de maintenir le pays adverse dans la paix pour assurer son
propre avantage »). — Le Référendum (montre les difficultés énormes
de greffer le référendum sur la constitution anglaise; mais la plupart
des critiques dont il est ici l'objet se retournent contre la démocratie.
En tout cas, l'institution nouvelle ne se prête guère à l'impérialisme
et suppose le Home-Rule d'abord établi non seulement en Irlande,
mais en Ecosse et dans le pays de Galles). — La tyrannie du Nil
(dans un précédent article, l'auteur avait essayé de prouver que l'art
égyptien et aussi la religion, la science, la littérature du pays étaient
demeurés immuables, comme si l'intelligence du peuple s'était figée
brusquement. Il s'efforce de démontrer maintenant que cette fixité
tient en grande partie à l'action automatique du Nil, qui, pareillement
au Tigre et à l'Euphrate, donnant aux populations riveraines leur
provende assurée, les dispensait de tout effort d'esprit. « L'art du Nil
ou de l'Euphrate est l'art d'une époque enfantine ou primitive; non
pas d'un âge enfantin que le peuple traverse, mais d'un âge enfantin
où il le fixe »). — Le gouverneur Pitt (le fameux gouverneur de
Madras, grand-père de Lord Chatham, et qui apporta en Europe le
célèbre diamant le Régent. Détails curieux sur la Compagnie des
Indes). — L'Empire libéral (critique du dernier volume d'Emile Olli-
vier). — L'œuvre de réforme : Mary Wollstonecraft, Caroline Norton
(la femme de Godwin et l'amie de Lord Melbourne, qui ont travaillé,
toutes les deux, à l'amélioration du sort des femmes, malgré quantité
de péripéties dans leur existence intime). — Le paysan anglais (d'après
des études récentes, surtout l'excellente Histoire du travailleur agri-
cole en Angleterre, par le Dr Hasbach, de l'Université de Kiel. C'est
vers la fin du XIIe siècle que le régime agricole de l'Angleterre attei-
gnit sa forme la plus « harmonieuse » et la mieux équilibrée. Le sort
du travailleur journalier commença de décliner de 1200 à 1350, « sous
l'influence de causes à la fois économiques et politiques »; puis, aux
xvme-xixe siècles, sa situation devint lamentable. On s'efforce de
l'améliorer en se rapprochant du régime d'autrefois et en rendant à
l'ouvrier quelque attache personnelle avec le sol qu'il cultive. A noter
que, déjà au xive siècle, on s'effrayait du dépeuplement des campagnes
au profit des villes). — Un siècle de la vie écossaise (l'Ecosse, de la
fin du xvme siècle au milieu du xixe : réimpression des mémoires du
doyen Ramsay, de Lord Cockburn, etc. L'horreur causée par les
méfaits de la Révolution française avait amené en Angleterre une
violente réaction et en Ecosse une sorte de terreur blanche). — Oliver
Wendell Holmes (à l'occasion de son centenaire). — Histoires de la
Révolution française (le t. VIII de la grande Histoire moderne, de
Cambridge, et les monographies d'Hilaire Belloc sur Danton, Robes-
pierre, Marie- Antoinette. Estime que le mouvement révolutionnaire a
commencé bien avant la Révolution, qui représente seulement, dans
RECUEILS PÉRIODIQUES. 451
le cours des événements, ce qu'est la grande cataracte Victoria pour
le cours du Zambèse). — La Crète de Minos (les fouilles de M. Evans.
Résultats acquis pour l'histoire de la civilisation).
62. — Quarterly Review. T. CCXII, janv. -avril 1910. — Byron et
Bonaparte (malgré le titre de cet article, il y est à peine question de
Bonaparte, et seulement parce que l'ami de Byron, Hobhouse, lord
Broughton, dont on analyse ici les Mémoires au sujet du poète, fut
lui-même un fervent bonapartiste, qui publia, dès 1816, deux volumes
sur Napoléon, de l'île d'Elbe à Waterloo. Quant à ses Mémoires, fort
intéressants, on en avait, en 1865, imprimé cinq, volumes non mis
dans le commerce. Aujourd'hui, la fille de lord Byron, lady Dorches-
ter, vient d'extraire de cet ouvrage deux volumes à l'adresse du grand
public, et nous ne saurions trop souhaiter que le reste soit mis bien-
tôt à la disposition générale des lecteurs). — Les Archives nationales
(nécessité pour l'Angleterre d'une organisation des Archives et d'une
Ecole des chartes pareilles à celles qui existent en France, et qui ont,
du reste, exercé une si grande influence sur le monde savant dans le
reste de l'Europe). — Jacopone de Todi. Le poète du Stabat Mater
(d'après les ouvrages récents d'Alvi et de Brugnoli. Une petite erreur
liturgique dans cet article. Le Stabat ne se chante pas d'ordinaire à
la messe, chez les catholiques, mais seulement au salut, ou dans
quelques exercices pieux durant le temps de la Passion). — Burney.
La vieille Jérusalem (nombreux ouvrages nouveaux de Merrill, Paton,
Conder, Caldecott, Sanday, Wilson, Knutzon, Kittel, Mommert, et
surtout le très important et très complet livre du Dr George Adam
Smith. Maintient l'emplacement de Sion, de la vieille cité de David et
de Salomon, sur la colline d'Ophel, au sud du Haram actuel). — Sir
H. Johnston. Le réveil de l'indigène (difficultés que rencontreront les
Européens dans leurs relations présentes avec les peuples de races
étrangères.' L'auteur déclare que la victoire des Japonais « marque le
premier recul de la race caucasienne depuis l'époque néolithique, et
le premier échec des chrétiens depuis la délivrance de Vienne »,
double observation plutôt contradictoire, puisqu'elle reconnaît impli-
citement que dès avant le xvne siècle, les chrétiens de race blanche
avaient reculé devant les Arabes, les Mongols et les Turcs). — W.
Lilly. La démocratie en Suisse (l'histoire et la constitution présente
de la Confédération. Grand éloge de la Suisse démocratique, « en
somme, la plus heureuse démocratie du monde. » Mais, peut-être,
dans cet article, dissimule-t-on un peu trop le poids très lourd et par-
fois très dur dont elle pèse sur le citoyen. Il est vrai que, chaque
canton demeurant souverain, en principe, avec des lois différentes, on
peut, au besoin, changer de canton et chercher des conditions de vie
plus favorables sans cesser d'être Suisse, chose impossible en France.
Mais il est parfois à craindre aussi que cette diversité de législation
n'entraîne le dédain de la légalité, comme il arrive aux États-Unis).
iV2 RECUEILS PERIODIQUES.
— Sir Charles Dilke. Avant et après le retour de l'île d'Elbe (impor-
tant article. Avoue que l'Angleterre a subventionné les conspirations
contre Bonaparte et reconnaît que Fouché était en relations avec le
gouvernement anglais. « Le Cabinet britannique, qui aurait pu empê-
cher Napoléon de quitter l'île d'Elbe s'il l'avait voulu, croyait peut-
être, comme il l'a toujours affirmé, que Napoléon débarquerait en
Italie. Certains ministres n'étaient pas fâcbés qu'il en courût le risque,
qu'il ébranlât le trône des Bourbons et bouleversât la France même,
ainsi que le souhaitait Metternich. La police des Bourbons allait jus-
qu'à penser que Metternich était en relations directes avec l'île
d'Elbe, par l'intermédiaire de sa vieille amie, Caroline Murât. » Au
fond, chacun des alliés se flattait d'effrayer les autres, en les mena-
çant de Napoléon). — Angus (histoire et chroniques du comté de For-
far et du pays de Dundee). — La société et la politique au xixe siècle
(la correspondance de la comtesse de Westmoreland, les mémoires de
la duchesse de Dino, les souvenirs de lady Saint-IIélier. Les relations
du monde et de la politique ont subi de grands changements. Les seules
femmes qui prissent une part active à la politique des xvne et xvme s.
étaient les favorites de la cour, et leur puissance était reconnue.
Au xixe s., leur influence, sinon leur pouvoir, passe aux mains des
épouses et des sœurs des politiciens. Savoir si les femmes conserve-
ront cette influence est affaire d'appréciation ; mais il semble que leur
action tende plutôt à se développer »). — Miss Bell. Un palais dans
le désert de Syrie (les ruines de Kheidar). — Stanley Lane-Poole.
L'Inde au xvne siècle (les Mémoires de Manucci). — La Grèce et le
roi Georges (vive critique de la politique du roi de Grèce et de l'esprit
de son peuple : « Aujourd'hui, la Grèce a perdu sa caste dans le
monde des nations. Comme facteur politique, personne, ami ou
ennemi, ne tient plus compte de son existence »). — A. V. Dicey. Le
référendum et ses critiques (grande admiration pour le référendum tel
qu'il fonctionne en Suisse; demande son introduction en Angleterre.)
Grèce.
63. — Nécç 'E)vAY)vop.VYj[j,u>v (publ. par Spyr. P. Lambros). T. VI,
1909, n° 2. — L'anthologie du ms. de Paris, supp. gr. 134 (fragments
historiques anonymes relatifs à l'antiquité grecque, placés à la suite
d'extraits de Diogène Laerce). — Diplôme du patriarche de Constan-
tinople Nil en faveur du monastère de Leucousiade (Bibl. nat., supp.
gr. 1281. Daté de 1383. Le monastère est situé rap^ x^v BXaxîav, en Thes-
salie, et il est question dans le diplôme de Romains, Serbes et Alba-
nais). — A propos de Poliphant (localité citée par le Livre de la Con-
queste et identifiée à Polyphengos, l'ancienne Phlious). — Deux
discours sur Mazeppa (d'après un ms. du monastère de Panteleïmon
au mont Athos, simple exercice de rhétorique). — Nouveaux peintres
RECUEILS PERIODIQUES.
453
grecs antérieurs à la prise de Constantinople (voy. Neos Hellenomn.,
V, 270-289). — Note autographe de Marc Botzaris. — Léon (VI) et
Alexandre collègues à l'empire faux arguments déjà réunis, Byz. Zeit.,
IV, 92, Lambros ajoute le témoignage dé la date du Cod. Marcian. 808,
écrit en 905). = N° 3. L'Iliade de la cassette (Plut. Alex., 8. La cas-
sette où Alexandre enfermait sa précieuse édition de l'Iliade aurait
été une tige de férule, vàpOrjÇ, vidée préalablement et dont la forme
convenait aux rouleaux de papyrus). — Documents de l'histoire grecque
du moyen âge dans les archives espagnoles (contribution nouvelle à
l'histoire de Constance de Hohenstaufen, fille de Frédéric II et veuve
de l'empereur Jean Vatatzès, réfugiée en Aragon. Voy. Rev. hist.,
LXXXVII, 347). — Réponse à une question sur la chronique de Pana-
retos (voy. Neos Hellenomn., IV, 257-295. Ce chroniqueur de Tré-
bizonde ne vivait plus à la fin du XIVe s. et il est impossible de savoir
qui a achevé sa chronique). — Diplôme du patriarche Sophronios en
faveur du monastère des Taxiarques près d'vEgion (1775). — Maroulla
de Lemnos (c'est en 1477-78 qu'il faut placer l'épisode de la défense
de Lemnos contre, les Turcs par la jeune héroïne dont parlent les
sources vénitiennes et dont Lambros retrouve la trace dans un poème
latin du jésuite Dondini publié en 1669). — La Sainte-Montagne et
les Catalans (sauvegarde accordée aux moines de l'Athos d'après une
lettre de 1308 adressée, par ordre de Jacques II d'Aragon, au médecin
royal Arnaldo de Villanova ; les moines n'en eurent pas moins à souf-
frir des déprédations des Catalans, comme le prouve la biographie
anonyme de l'higoumène serbe de Chiliandariou).
Italie.
64. — Rivista di storia antica. T. XIII, n° 2, 1910. — Carlo-
Maria Patrono. Études byzantines : des conflits entre l'empereur
Maurice Tibère et le pape Grégoire le Grand (fin : les protestations du
pape contre le titre de patriarche œcuménique pris par l'évêque de
Constantinople). — P. Bonfante. Les affinités juridiques entre les
Grecs et les Romains (fin : le testamentum des Romains diffère radi-
calement de la ôiaô-rçxr) des Grecs. L'auteur termine son article en
affirmant contre De Sanctis qu'il y a de profondes divergences entre
les institutions grecques et les institutions romaines). — G. Pochet-
tino. La fondation de Sybaris (par les Achéens vers 720). — Giovanni
Costa. La chronologie romaine préflavienne (la liste consulaire et le
calendrier romain; les divergences chronologiques des listes consu-
laires. A suivre). = C. -rendu : Emilio Costa. Storia délie fonti del
diritto romano (utile).
65. — Archivio storico per le provincie napoletane. T. XXXIV,
1909, n° 1. — B. CROCE. Lettres inédites de Pietro Colletta à Giu-
seppe Poerio (suite aux nos 2 et 3). — F. Nicolini. Bibliographie de
454 RECUEILS PÉRIODIQUES.
Giannpne (historien napolitain, 1676-1748; suite 'aux n08 2 et 3). =
N° 2. R. Bevere. La seigneurie de Florence aux mains de Charles,
fils du roi Rohert, pendant les années 1326 et 1327; documents
angevins des archives de Naples (suite ici et au n° 3 : documents).
— E. Jallonghi. Les troupes de Bourbon et les Français du Mont-
Cassin, 1796-99 (épisode de la résistance de Ferdinand IV de Bour-
bon, roi de Naples, à l'invasion française). — P. Egidi. Charles Ier
d'Anjou et l'abbaye de S. Maria délia Vittoria près Scurcola. — M.
Schipa. Le peuple de Naples de 1495 à 1522. Curiosités historiques
(suite au n° 3. Étude des privilèges concédés le 28 juin 1496 par Fer-
dinand II de Naples au menu peuple de la cité auquel il était rede-
vable de la reprise de son royaume sur Charles VIII de France; pri-
vilèges concédés le 26 oct. 1496 par le roi Frédéric de Naples ; conflits
entre le peuple et le souverain, 1497-1498; privilèges royaux de 1498-
1499; capitulations de 1501 et 1503). = C. -rendu : Faraglia. Storia
délia lotta tra Alfonso V d'Aragona e Renato d'Angiô (très documenté,
mais l'auteur a peu utilisé les recherches des historiens modernes).
= N° 3. A. de Francesco. Origines et développement du régime féo-
dal dans le pays de Molise, jusqu'à la fin de la domination normande
(1° époque de la domination lombarde : formation du domaine du monas-
tère de S. Vicenzo al Volturno, 703-1071). — P. Fedele. L'étendard
de Lépante (est conservé aujourd'hui dans la cathédrale de Tolède). =
N° 4, 1909. R. Bevere. L'occupation de la seigneurie de Florence
par Charles, fils du roi Robert, pendant les années 1326 et 1327 (suite :
analyse de documents tirés des archives de Naples, datés de février
et mars 1327). — A. de Francesco. Origines et développement de la
féodalité dans le pays de Molise jusqu'à la chute de la domination
normande (suite : le comté lombard de Venafro, 954-1123; le comté
lombard d'Isernia, 964-1064); le comté lombard de Larino, 976-1060;
la terre de Borrello, 977-1109). — M. Schipa. Le peuple de Naples de
1495 à 1522 (fin). — R. Trifone. La famille napolitaine au temps du
duché (intéressante étude sur la condition juridique de la famille à
Naples jusqu'au xie siècle, faite à l'aide des documents recueillis par
Carpasso dans les Monumenta ad Neapolitani Ducatus historiam
pertinentia; à suivre). — P. Egidi. Charles Ier d'Anjou et l'abbaye
de Santa Maria délia Vittoria près de Scurcola (suite ; la fabrique de
l'abbaye; curieuses remarques sur les salaires des ouvriers). — F. Ni-
colini. Bibliographie de P. Giannone (suite). = C. -rendu : G. Celi-
donio. La diocesi di Valva e Sulmona; vol. I : Le origini cristiane
(contient de judicieuses études hagiographiques).
66. — Cultura Moderna. T. III, 1910, janv. —Résurrection (pro-
gramme de la revue : étude du mouvement scientifique religieux à
l'étranger). = Févr. Pia Cremonini. Adolphe Harnack (brève bio-
graphie).
RECUEILS PERIODIQUES.
455
67. — Brixia Sacra. T. I, n° 1, 1910, janv. — Notre programme
(étude de l'histoire ecclésiastique du diocèse de Brescia). — A. -M.
Casoli. Les missions des Pères P. Segneri et G. -P. Pinamonti dans
le diocèse de Brescia (1676; à suivre). — Paolo Guerrini. La cure et
les archiprètres de Corticelle (depuis les origines; à suivre). — A.
Besutti. La visite apostolique de saint Charles-Borromée à Asola
(1580; à suivre).
68. — Rivista storica benedettina. T. V, 1910, janv. -mars. —
G. Salvi. L' « Insula Liguriae » et l'abbaye de S. Eugenio (historique
de cette abbaye construite en 992 dans cette île, qui était située dans
le diocèse de Savone). — F. Savio. S. Calocère et l'abbaye de
S. Maria et S. Martino d'Albenga (réfutation de quelques légendes sur
ce saint et son culte). — I. Schuster. Glanures sur Farfa (fin).
69. — Bulletin italien. T. X, n° 2, 1910. — P. Duhem. La tradi-
tion de Buridan et la science italienne au xvie s. (suite). — C. Dejob.
Le politicien à Florence au xive et au xvc siècle (suite; les périls de
la fonction; les mœurs des politiciens : l'auteur essaie de les réha-
biliter).
CHRONIQUE.
France. — Henry Harrisse est mort, le 13 mai 1910, à Paris, où
il était né vers 1830. Il alla tout jeune aux États-Unis. Il fit ses études
au Collège de South Carolina, dans la ville de Columbia, où il prit le
grade de maître es arts, et à l'Université de la Caroline du Nord, où
il fit son droit. Établi à Chicago, il réussit peu dans la pratique du
barreau et se rendit à New-York, où il entra dans l'étude d'un des
principaux jurisconsultes de la ville. Vers 1864, il fit la connaissance
de M. S. L. Barlow, de New-York, riche collectionneur, et prit un vif
intérêt aux trésors bibliographiques qu'il possédait sur l'histoire pri-
mitive de l'Amérique, ce qui l'amena à publier sa monumentale
Bibliotheca americana vetustissima (New-York, 1866). Il y décri-
vait 304 rares et importants livres relatifs à l'Amérique qui ont été
publiés entre 1492 et 1551. Découragé de la froideur avec laquelle cet
ouvrage fut accueilli dans son pays, il revint dans la ville où il était
né, et il y passa le reste de sa vie. C'est à Paris qu'il publia un sup-
plément à la Bibliotheca (1872); c'est un recueil de notes et de com-
mentaires provenant de ses recherches dans les bibliothèques euro-
péennes.
Ayant fait fortune, paraît-il, comme avocat ou avoué de la colonie
américaine à Paris et comme conseiller du Consulat américain, il
commença par abandonner ses recherches sur l'Amérique et il con-
sacra même deux années à l'étude de l'égyptologie sous la direction
de Maspero. Puis, ramené, dit-on, à ses premières études par M. Bar-
low, il se proposa d'élucider les obscurs et troublants problèmes con-
cernant la vie et les voyages de Colomb, des Cabot, d'A. Vespuce,
des Cortereal. Sur ce terrain, il publia environ soixante-dix travaux,
depuis de simples brochures jusqu'à de gros livres, qui ont été signa-
lés chacun en son temps dans la présente Revue. Rappelons-en seu-
lement quelques-uns. Ses Notes pour servir à V 'histoire, à la biblio-
graphie et à la cartographie de la Nouvelle-France et des pays
adjacents (Paris, 1872) contiennent les titres de 187 publications
parues entre 1545 et 1700, de 76 cartes inédites, de 111 autres qui
avaient été gravées et de 460 documents. Ce volume est basé surtout
sur les collections de la Bibliothèque nationale et du Dépôt des cartes
de la Marine à Paris. Dans Jean et Sébastien Cabot (Paris, 1882), il
publia les textes les plus corrects qu'on put avoir des documents les
plus importants relatifs à ces deux navigateurs. Plus tard parut en
anglais un remaniement de ce livre, très développé pour la partie
CHRONIQUE. 457
narrative et critique, sous le titre : John Cabot the Discoverer of
North America, and Sébastian his son (Londres, 1896). En 1884,
Harrisse fit paraître son œuvre monumentale sur Colomb : Christophe
Colomb, son origine, sa uïe, ses voyages, sa famille et ses descen-
dants (Paris, 2 vol.), qui fut le travail le plus considérable sur le
sujet jusqu'à celui de M. Henri Vignaud, en cours de publication.
D'égale importance est son History of the discovery of North Ame-
rica qui parut pour le 4e centenaire de Colomb (Londres, 1892) et
dont on a dit que c'était « la plus importante contribution à l'histoire
de la géographie de l'Amérique depuis VExamen critique de Hura-
boldt ». En 1895, il publia son Americus Vespuccius (Londres), où
il établit au moins l'invraisemblance du voyage attribué à Vespuce
en 1497. La Diplomatie history of America, its first chapter,
Ik52-lk9k (Londres, 1897), est une. introduction à l'étude des relations
diplomatiques où la découverte de l'Amérique entraîna les puissances
européennes ; il contient un examen des donations faites par le pape
au Portugal en 1452, des bulles de démarcation et du traité de Torde-
sillas. La dernière grande œuvre de Harrisse fut la Découverte et
évolution cartographique de Terre-Neuve et des régions circon-
voisines (Paris, 1900).
Harrisse fut le collaborateur d'un grand nombre de revues françaises
et étrangères ; d'ailleurs, il ne se renferma pas dans le domaine de
l'Amérique au temps des découvertes. On lui doit des études d'histoire
économique, telles que son travail sur la Banque de Saint-Geo7'ges
à Gênes, et de bibliographie littéraire et artistique, tels que son His-
toire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut (Paris, 1877),
ses recherches sur de Thou et l'abbé Prévost, son livre sur Boilly,
peintre, dessinateur et lithographe.
L'œuvre de Harrisse vaut surtout par le côté critique. Son éduca-
tion et son expérience juridique lui avaient aiguisé l'esprit; il savait
trouver les points faibles dans l'argumentation de ses adversaires et
présenter habilement la sienne propre. Il avait un flair heureux dans
les recherches qu'il faisait ou qu'il dirigeait pour son compte dans les
archives et dans les bibliothèques. D'autre part, il faut bien dire que
son caractère n'était pas exempt d'aspérités, qu'à une jalousie natu-
relle il joignait une confiance dans son propre mérite qui le portait à
mépriser ceux qui travaillaient sur le même domaine que lui-même,
à considérer leurs travaux comme basés totalement sur les siens
propres, à manifester son aversion pour l'Amérique et les Américains,
qu'il accusait, bien à tort du reste, de ne pas apprécier suffisamment
ses œuvres. Il passa les dernières années de sa vie dans une retraite
qui ressemblait à de l'isolement et prit les plus grandes précautions
pour qu'on ignorât la date de sa mort et le jour de ses funérailles. Il
disparut en effet après une longue maladie, sans qu'on en sût rien. — L.
— L'abbé V. Ermoni, qui a été notre collaborateur, est mort à
Paris le 19 mars 1910. Il était né en 1858, à Omessa (Corse), et il était
158 CHRONIQUE.
entré dans la congrégation des Lazaristes en 1878. Il enseigna la phi-
losophie au grand séminaire de Saint-Flour de 4884 à 1887; puis il
devint professeur de théologie à la maison-mère des Lazaristes, rue
de Sèvres. C'est à partir de ce temps qu'il s'appliqua sérieusement à
l'étude des langues orientales, surtout de l'hébreu et du syriaque,
aussi à l'histoire des dogmes chrétiens et à l'histoire de l'Eglise. Son
livre, De Leontio Byzantino et de ejus doctrina theologica (1895),
est une thèse de doctorat présentée à la Faculté de théologie de l'Ins-
titut catholique de Paris. Son étude sur Saint Jean Damascène
(1904) mérite également d'être citée. L'érudition de l'abbé Ermoni
était très étendue et l'esprit critique s'était développé en lui à mesure
qu'il avait élargi le cercle de ses travaux et approfondi ses recherches
historiques. C'était un travailleur infatigable et pendant longtemps il
mena de front un enseignement très chargé et des études person-
nelles, avec des publications savantes. D'ailleurs théologien prudent,
qu'on savait très ouvert, mais dont l'orthodoxie n'était point suspecte.
Cependant il dut quitter sa congrégation en 1907, l'année de l'Ency-
clique Pascendi dominici gregis contre le modernisme. Il resta à
Paris, écrivant pour vivre. La société religieuse à laquelle il avait
donné le meilleur de son activité l'avait sans doute oublié. Il est mort
à la peine, recueilli dans ses derniers jours à l'hôpital Saint-Joseph.
A. L.
— On a eu une belle et heureuse idée en commémorant les 10, 11
et 12 septembre dernier le Millénaire de Cluny, la vénérable abbaye,
mère du plus puissant et du plus bienfaisant des ordres rattachés à la
règle de saint Benoît, qui a, du Xe au xme siècle, accompli dans la
société du moyen âge une œuvre plus considérable encore que celle
qu'accomplirent depuis le xme siècle les Franciscains et les Domini-
cains. Les guerres de religion avaient déjà dispersé une partie des
trésors d'art et de livres réunis à Cluny; la Révolution a amené la
dilapidation de tout ce qui était resté ou avait été reconstitué, et la
destruction de la plus grande et de la plus belle partie des magnifiques
édifices qui constituaient l'abbaye. C'est dans ce qu'il en reste que fut
tenu le congrès historique organisé par l'Académie de Mâcon et que
se célébrèrent les fêtes religieuses auxquelles prirent part quatre
archevêques, neuf évêques, dix abbés et deux prélats romains. C'est
là aussi que se déroula un magnifique cortège historique auquel
prirent part des représentants des premières familles du pays et repré-
sentant la réception à l'abbaye de Cluny par le pape Innocent IV de
Blanche de Castille et de Louis IX. L'Institut de France était large-
ment représenté à cette commémoration, à laquelle M. Léopold Delisle
avait pris un intérêt tout particulier et qui fut placée pour ainsi dire
sous l'invocation de sa mémoire. Un service solennel fut célébré par
l'évèque d'Autun en son honneur. Aux vêpres pontificales du dimanche
11 septembre, Mgr Baudrillart, le recteur de l'Institut catholique de
Paris, prononça un très long et remarquable discours sur « Cluny et
CHRONIQUE. 459
la papauté », où, tout en refusant à Cluny l'honneur d'avoir formé le
moine Hildebrand, il montra dans l'ordre de Cluny l'initiateur et l'ins-
trument le plus puissant de la réforme de l'Eglise aux XIe et XIIe siècles.
Il a éloquemment rappelé les scènes de Canossa où l'indulgente inter-
vention d'Hugues de Cluny obtint pour Henri IV un pardon qui devait
être funeste à Grégoire VII. Au congrès, M. Bazin au nom de l'Aca-
démie française, M. Babelon au nom de l'Académie des inscriptions,
M. Imbart de la Tour ont rappelé avec talent les services rendus par
Cluny à l'Eglise et à la civilisation. M. Babelon a surtout insisté sur
ce que l'art et les études savantes ont dû à Cluny; M. Imbart de la
Tour a caractérisé avec un rare bonheur le rôle catholique, national,
monacal et social de Cluny. Les passages de son discours sur la
manière dont les Clunisiens ont compris l'idéal monastique et sur le
caractère national de l'abbaye mère furent particulièrement remar-
quables. Dom Besse, qui représentait les Bénédictins, a rappelé que
l'histoire de Cluny, à partir du milieu du xme siècle, reste encore à
écrire. Parmi les communications savantes qui furent faites ensuite au
congrès, il faut signaler celles de l'abbé Terret sur l'art clunisien, du
chanoine Pottier sur les relations entre Cluny et Moissac, de
M. Lefèvre-Pontalis sur l'architecture clunisienne, de M. C. Jullian
sur les camps de César de la région, de M. Houdaye sur l'administra-
tion rurale des moines. Des excursions à Saint-Point, à Berzé-le-Châ-
tel, à Charlieu, à Paray-le-Monial ont contribué aussi à laisser à tous
les participants de ces belles fêtes d'inoubliables souvenirs. — G. M.
— La jeune et active Société française de bibliographie vient de
faire paraître un important travail de M. Henri Lemaître, sous-
bibliothécaire à la Bibliothèque nationale, consacré au dépôt légal en
France (Histoire du dépôt légal; lre partie : France. Paris, Picard,
liv-130 p. in-8°). Obligatoire sous l'ancien régime, effectué par le
libraire ou l'imprimeur et destiné à enrichir les collections royales, le
dépôt, dès la suppression des corporations en 1791, devint facultatif
et les auteurs furent simplement invités à remettre, dans un bureau
de l'Etat, les œuvres sur lesquelles ils voulaient faire établir leurs
droits. A ce régime libéral, les bibliothèques ne s'enrichirent pas. Le
décret du 5 février 1810, — provoqué d'ailleurs surtout par des préoc-
cupations de surveillance politique, — rétablit le dépôt obligatoire.
A peu près régulièrement effectué pendant une quinzaine d'années, le
dépôt légal fonctionna médiocrement après 1830; actuellement, il est
trop souvent encore fait sans méthode. Depuis 1850, surtout, plusieurs
projets de loi, — publiés dans l'étude de M. Lemaître, — ont pour
objet la réforme de la législation; les congrès, les sociétés savantes, et
en dernier lieu la Société française de bibliographie elle-même, ne
cessent d'émettre des vœux, de formuler des réclamations. Il faut
souhaiter que le présent volume, si documenté, ne soit pas simple-
ment un numéro ajouté à la bibliographie du sujet, mais qu'il contri-
bue à faire intervenir une solution depuis longtemps attendue.
460 CHRONIQUE.
— Académie des inscriptions et belles-lettres : le prix de Courcel
(2,400 fr.) a été partagé également entre MM. Ferdinand Lot et Louis
Halphen pour leur ouvrage le Règne de Charles le Chauve et
M. Van den Essen pour son ouvrage Études critiques et littéraires
sur les vitx des saints mérovingiens de l'ancienne Belgique.
— Voici les questions qui figurent au programme de l'agrégation
d'histoire pour le concours de 1911 : Histoire ancienne. I. La Chal-
dée et l'Assyrie, des origines à la prise de Babylone par Cyrus. —
II. La Grèce, des origines à la fin des guerres médiques (479). —
III. Histoire intérieure et extérieure de Rome, de la fin des guerres
puniques à la mort d'Auguste. — Histoire du moyen âge. I. La
papauté, depuis le commencement du ve siècle jusqu'à l'avènement
de Grégoire VIL Expansion du christianisme pendant la même
période. — IL Les Hohenstaufen. — III. Histoire intérieure et exté-
rieure de la France sous les Valois, de 1328 à 1515. — Histoire moderne
et contemporaine. I. Louis XIV. — IL La Prusse, histoire inté-
rieure et extérieure, de 1786 à 1871. — III. Histoire intérieure et exté-
rieure de la France, de 1789 à 1889.
Allemagne. — Adolf Michaelis, né à Kiel en 1835, était le
neveu du célèbre professeur Otto Jahn qui, de bonne heure, exerça
sur lui une profonde influence. Après des voyages d'études en Ita-
lie, en Grèce, en Angleterre, il enseigna à Kiel, à Greifswald et à
Tubingue, puis, de 1872 à 1907, à la nouvelle Université de Stras-
bourg, où il fonda un Séminaire archéologique et un excellent musée
de moulages. Michaelis a beaucoup écrit et secondé avec dévouement
et désintéressement un grand nombre d'archéologues, tant en Alle-
magne qu'à l'étranger. Son ouvrage capital est une monographie du
Parthénon (1871), à côté duquel se placent, par leur utilité et le savoir
dont ils témoignent, ses Ancient marbles in great Britain, sa
Geschichte der archaeologischen Entdeckungen im XlXJahrhun-
dert (aussi traduite en anglais) et les éditions successives qu'il donna
du tome Ier, relatif à l'art antique, du Handbuch der Kunstgeschichte
de Springer. Une précieuse série de mémoires concerne l'histoire des
collations archéologiques de l'Italie et les anciens albums de dessins
qui en fournissent les éléments. Michaelis publia aussi des textes,
notamment la description de l'Acropole par Pausanias, avec un abon-
dant commentaire, et le conte d'Éros et Psyché, conservé par Apulée.
Pendant de longues années, il fut un des directeurs de l'Institut archéo-
logique allemand; il était membre correspondant de l'Académie des
inscriptions, pour laquelle il rédigea en français son dernier mémoire,
sur un plan vénitien d'Athènes récemment découvert à Venise. Avec
lui disparaît un des représentants les plus autorisés de cette grande
école illustrée par Otfried Mùller et Otto Jahn, où la connaissance des
monuments et des textes originaux marchait de pair. S. R.
— Les fêtes du centenaire de l'Université de Berlin ont été célébrées
CHRONIQUE. 461
brillamment les 11 et 12 octobre. Le nombre des invitations avait été
strictement limité à une par Université, mais toutes les universités du
monde, y compris celle de Tokio, y étaient représentées. Ces fêtes, d'un
caractère surtout officiel et auxquelles l'Empereur a tenu à présider,
ont débuté par un vrai coup de théâtre, auquel applaudira tout le monde
savant. Dans le discours par lequel il a répondu au recteur M. Erich
Schmidt, Guillaume II, dans un très beau langage, a annoncé que de
généreux anonymes ont mis à sa disposition dix millions de marks
pour créer sous son patronage une société destinée à créer et à entre-
tenir des centres de recherches scientifiques purement désintéressées.
Ces libéralités ne sont pas les seules que le centenaire ait provoquées.
La municipalité de Berlin a donné à l'Université un fonds de
200,000 marks pour des bourses de voyages, et la veuve du poète von
Wildenbruch a fait don des droits d'auteur sur les œuvres de son
mari jusqu'à concurrence de 100,000 marks.
— M. Bruno Krusch, archiviste à Osnabriick, est nommé directeur
des archives d'Etat à Hanovre.
— M. A. Bruning, directeur du musée westphalien à Munster, est
nommé directeur du musée provincial à Hanovre.
— Sous la direction de MM. Schiemann, de Berlin, Gœtz, de Bonn,
O. Hôtzch, de Posen, H. Uebersberger, de Vienne, commence la
publication d'une nouvelle revue consacrée spécialement à l'histoire
de l'Europe orientale (Zeitschrift fur Osteuropaeische Geschichte).
Cette revue sera trimestrielle; les articles en français y seront reçus.
— On annonce la mort de Henri Sauerland, auteur d'importants
recueils de textes relatifs à la région du Rhin et à la Lorraine et tirés
des archives du Vatican.
Angleterre. — M. F. J. Amours est mort le 9 septembre, âgé de
69 ans, à Glasgow. On lui doit une remarquable édition de la chro-
nique écossaise de Wyntoun. Le t. V avait paru en 1908; le t. VI,
inachevé, doit contenir l'introduction et les notes. Il était un des
hommes qui connaissaient le mieux l'histoire et la littérature de
l'Ecosse au moyen âge.
Autriche. — M. Emile Reisch, professeur d'archéologie classique
à Vienne, a été nommé directeur de l'Institut archéologique autrichien.
— Julius Jung, professeur d'histoire ancienne, est mort à Prague.
On cite surtout parmi ses travaux : Fasten der provinz Dacien mit
Beitràgeii zur rômischen Verwaltungsgeschichte , Romer und
Romanen in den Donaulàudern.
Cuba. — Une « Académie de l'histoire de Cuba » a été créée à la
Havane par décret du 20 août 1910. Composée de 30 membres nommés
par le gouvernement cubain, cette Académie s'occupera d'histoire et
d'archéologie cubaines et publiera une revue.
462 CHRONIQUE.
Suisse. — L'historien zuricois Karl Daendliker est mort le 14 sep-
tembre 1910, dans sa soixante-deuxième année. Elève de Bùdinger et de
Giesebrecht, il enseignait à l'École normale de Kùssnacht depuis 1872
et était, depuis 1887, professeur extraordinaire d'histoire suisse à
l'Université de Zurich. Son Histoire de la Suisse, en 3 vol. illustrés
(Zurich, 1884-1887), est certainement la plus répandue et la plus popu-
laire (dans le meilleur sens du mot) des histoires nationales destinées
au public cultivé. Les mœurs et la civilisation y tiennent une grande
place à côté des événements politiques. Déjà auparavant, Daendli-
ker avait écrit, sous une forme plus abrégée, une Histoire du peuple
suisse que Mme Jules Favre a traduite en français en 1879. Daendli-
ker est encore l'auteur de travaux estimés sur l'histoire zuricoise.
Par son enseignement, il a su développer chez les jeunes régents
zuricois le goût des études historiques, et il a provoqué l'éclosion de
toute une série de bonnes monographies locales, en vue desquelles il
avait écrit un guide plein de conseils judicieux (Ortsgeschichte und
Heimatkunde in Wissenschaft und Schule. Zurich, 1897). Les
dernières années de sa vie ont été consacrées à cette Histoire de la
ville et du canton de Zurich, dont nous avons signalé le début
(1908) dans un récent Bulletin. Deux volumes ont paru, et l'on peut
espérer que la préparation du troisième, qui devait embrasser le xvme
et le xixe siècle, était suffisamment avancée pour que ce couronne-
ment d'une carrière toute de travail et de dévouement ne demeure
pas inachevé.
— Trois associations historiques de Suisse, la Société générale d'his-
toire, la Société des monuments historiques et la Société d'histoire
de la Suisse romande, se sont rencontrées à Lausanne le 5 et le 6 sep-
tembre. La Société des monuments, dont l'actif comité dispose en
fait des crédits que la Confédération destine chaque année à la conser-
vation des monuments historiques, a entendu deux rapports spéciaux.
M. O. Schultess l'a mise au courant de l'état actuel des recherches
relatives à la frontière de l'empire romain sur la rive suisse du Rhin,
et M. W. Cart, des travaux de la commission chargée de dresser la
statistique des bronzes romains trouvés en Suisse. Elle a appris avec
satisfaction que le gouvernement fédéral, en réponse à un vœu for-
mulé depuis longtemps, prendra sous peu l'initiative d'un concordat
intercantonal prévoyant des mesures communes pour la conservation
des monuments historiques de la Suisse. Enfin elle a visité la belle
cathédrale gothique de Lausanne, après avoir suivi l'exposé de M. l'ar-
chitecte cantonal Bron sur les restaurations successives dont cet édi-
fice a été l'objet, du moyen âge jusqu'à nos jours. On sait que Viollet-
le-Duc fut l'inspirateur des travaux importants exécutés pendant le
dernier tiers du xixe siècle.
Dans une première séance, la Société générale d'histoire a décidé
de se charger de la publication d'une seconde série, commençant en
CHRONIQUE.
463
1305, des Acta pontificum helvetica, tirés des archives du Vaticap,
à la suite d'une entente avec l'Association populaire catholique de la
Suisse, qui avait pris, il y a deux ans, l'initiative de cette entreprise.
Le château de Chillon, — dont la restauration strictement scienti-
fique, dirigée par M. A. Naef, archéologue cantonal vaudois, a fait un
monument d'histoire dans toute l'acception du terme, — a servi le
6 septembre de rendez-vous aux trois sociétés. Le rocher sur lequel
il est bâti était occupé dès l'époque préhistorique. Au moyen âge, la
forteresse des comtes de Savoie commandait la route qui, après avoir
franchi les Alpes au Grand-Saint-Bernard ou au Simplon, conduisait
les marchands italiens aux foires de Champagne, ou ramenait de
Rome dans leur pays natal, par Avenches et le plateau suisse, les
pèlerins allemands et Scandinaves. La visite de Chillon fut admira-
blement préparée par une conférence de M. A. Naef sur les étapes
successives de la construction du château. A la séance principale,
tenue dans la salle des chevaliers, M. Ch. Gilliard a retracé le sort
des « seigneurs et paysans dans la paroisse de Montreux », qui rele-
vait en partie du domaine savoyard de Chillon. Enfin, le banquet fut
servi dans la grande Salle de justice, où siégèrent jadis les baillis de
Savoie, puis les baillis de Berne.
A côté du but scientifique qu'elle poursuit, la Société générale d'his-
toire, qui vient d'accomplir la soixante-dixième année de son exis-
tence, devait avoir, dans la pensée des hommes qui l'ont fondée à une
époque où le particularisme cantonal était beaucoup plus fort qu'il ne
l'est aujourd'hui, la mission d'unir plus étroitement, sur le terrain de
l'histoire, les représentants des deux cultures principales qui se par-
tagent la Suisse, en leur apprenant à se mieux connaître. Fidèle à la
tradition pieusement conservée par son prédécesseur Georges de Wyss,
le président actuel de la Société, M. le professeur Meyer von Kno-
nau, n'a pas eu de peine à démontrer les avantages de ces liens per-
sonnels dans son discours d'ouverture, où il a fait revivre la figure
sympathique de l'historien vaudois Louis Vulliemin, l'un des fonda-
teurs de la Société et le continuateur, pour la Suisse romande, de
l'histoire nationale de Jean de Muller. V. v. B.
NOUVELLES PUBLICATIONS FRANÇAISES
RELATIVES A L'HISTOIRE DE FRANCE.
(Sauf indications contraires, les volumes sont in-8° et édités à Paris.)
Documents. — Abbé G. Arnaud d'Agnel. Les comptes du roi René publiés
d'après les originaux inédits. T. III. Picard, 517 p. — R. Delachenal. Chro-
nique des règnes de Jean II et de Charles V. T. I : 1350-1364. (Publ. de la
Soc. de l'IIist. de France.) Laurens, 352 p. — E. Déprez. Œuvres complètes
464 CHRONIQUE.
de Maximilien Robespierre. 1" partie : Robespierre à Arras. (Soc. des études
robespierristes.) Leroux, 68 p. — A. Fribourg. Discours de Danton. Préface de
G. Lanson. Hachette, xxxvni-274 p. — F. Japy. Lettres d'un soldat à sa mère
de 1849 à 1870. Champion, 296 p. — A. de Boislisle, L. Lecestre et /. de
Boislisle. Mémoires de Saint-Simon. T. XXII. Hachette, 557 p. — C. stryenski.
Mesdames de France, tilles de Louis XV. Documents inédits. Émile-Paul, vm-
354 p. — A. Tausserat-Radel. Papiers de Barthélémy, ambassadeur de France
en Suisse, 1792-1797. T. VI. Alcan, xxxvm-306 p.
Histoire locale. — Les franchises et la communauté d'Aiton (Savoie). Gre-
noble, J. Rey, 212 p. et plan. — G. Bourgeois. Un chirurgien ardennais au
xvir siècle : Jean Bienaise. Reims, Matot, 87 p. — L. Campion. Statuts syno-
daux de l'église de Saint-Brieuc (1480-1507). Champion, 59 p. — Abbé M.
Chaillan. Recherches historiques et archéologiques sur Gardane. Picard, 181 p.,
avec grav. — P. Delarue. Le clergé et le culte catholique en Bretagne pendant
la Révolution ; district de Dol. Rennes, Plihon et Hommay, 396 p. — /. Depot-
ter. Le pays de Lallœu. Arras, Baron-Demiantte, 324 p., avec plan et grav. —
J. Fennebresque. Versailles royal. Champion, vm-282 p., avec grav. — E. de
Gigord. Les jésuites d'Aubenas, 1601-1762. Picard, xx-504 p., avec grav.,
sceaux, fac-similé, carte et plan. —A. Grosse-Duperon. Le collège de Mayenne.
Mayenne, Poirier, 227 p., avec plan, grav., fac-similé, portr. — E. Longin.
Recueil de documents sur le Beaujolais à la fin du xvic siècle. Lyon, Brun,
xl-180 p.
Histoire générale. — A. Chuquet. Études d'histoire, 3e série. Fonteinoing,
283 p. — Crauffon. Les premières responsabilités de 1870. Tulle, Crauflbn,
107 p. — L. Duchesne. Les fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule. T. II :
Aquitaine et Lyonnaises, 26 éd. Fonteinoing, 494 p. — Dom Du Bourg. Une
extatique au xvne siècle. Jeanne-Marie Romne (1606-1670). Perrin, xiv-263 p.
— E. Fleischmann. Marat et sa maîtresse. (« Les publications modernes ».)
187 p., avec ill. — M. Krœll. L'immunité franque. Rousseau, xxm-363 p. —
S. Lami. Dictionnaire des sculpteurs de l'École française au xvnr siècle. T. I.
Champion, xn-441 p. — H. Poule/,. Les volontaires de la Meurthe aux armées
de la Révolution (levée de 1791). Berger-Levrault, 376 p. — L. Teste. Anatomie
de la République (1820-1910). Librairie du xx8 siècle, 488 p.
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va. Documenty Sievernoï voiny. Pol-
tavaskoi periody, 156.
Meyer (Dr Joh.). Die friiheren Besit-
zer von Arenenberg, 206.
Plan (Danielle). Un Genevois d'autre-
fois : Henri-Albert Gosse, 1753-
1816, 205.
Rott (Edottard). Histoire de la repré-
sentation diplomatique de la France
auprès des cantons suisses, t. IV,
379.
Seitz [Cliarles). L'historien Niebuhr,
citoyen de Genève, 205.
HISTOIRE DE L'ÉGLISE.
Allard (P.). Saint Sidoine Apolli-
naire, 101.
Bœhmer. Les Jésuites, avec une
introd. par G. Monod, 365.
Brom [Gisbert). Guide aux archives
du Vatican, 161.
Cans (Albert). L'organisation finan-
cière du clergé de France à l'époque
de Louis XIV, 383.
Carlyle [A. J.). The political theory
of the roman lawyers and the ca-
nonists, from the tenth to the thir-
teenth century, 170.
Fouqueray (le Père). Histoire de la
Compagnie de Jésus en France,
t. I, 366.
Girard (Jos.) et Dr Pansier. La cour
temporelle d'Avignon aux xive et
xv° s., 361.
Gutschow (Else). Innocenz III und
England, 415.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE.
471
Krehbiehl (Ediv. B.). The interdict,
with spécial attention to the time
of pape Innocent IV, 410.
Pastor (L. von). Geschichte der
Paepste seit dem Ausgang des Mit-
telalters, t. V, 174.
HISTOIRE GÉNÉRALE.
Bourgeois (Emile). La diplomatie
secrète au xvnr s., t. II : la poli-
tique d'Albéroni, 386.
Driault (Edouard). Napoléon et l'Eu-
rope, 1800-1803, 141.
Firth (Ch. H.). The parallel between
the english and american civil wars,
416.
Mnémon (Stanislas). La conspiration
du cardinal Albéroni, La franc-
maconnerie et Stanislas Ponia-
tovvski, 387.
Schemann (Ludvig). Gobineaus Ras-
senwerk, 190.
TABLE DES MATIERES.
ARTICLES DE FOND. Pages
Cavaillès (Henri). Une fédération pyrénéenne sous l'an-
cien régime. Les traités de lies et de passeries . . 1,241
Roux (François-Charles). La Russie et la politique italienne
de Napoléon III 35, 277
MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Griselle (E.). Louis XIII et sa mère (ire partie). ... 302
Nouaillac (J.). L'affaire de Mantoue en 1613. L'avis de
Villeroy à Marie de Médicis (8 novembre 1613). . 63
Rouff (Marcel). Une grève de gagne-deniers en 1786 à
Paris 332
BULLETIN HISTORIQUE.
Nécrologie : Léopold Delisle, par Ch. Bémont .... 84
— Albert Vandal, par G. Monod 348
Antiquité romaine, par J. Toutain 92
Histoire byzantine (publications des années 1907-1910),
par L. Bréhier 102
Histoire de France (fin du moyen âge), par Ch. Petit-
Dutaillis 353
— (époque moderne), par H. Hauser 365
— (Révolution et Empire, suite et fin), par Rod.
Reuss 126
Histoire des Pays-Bas, par Th. Bussemaker .... 161
Histoire de Russie (publications de l'année 1909), par
G. Gautier 148
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Bossuet. Correspondance. T. II et III (H. Hauser) . . 407
Bousquet (G.). Histoire du peuple bulgare (L. Bréhier) . 182
Carlyle (R. W. et A. J.). A history of médiéval political
Theory in the West. T. II (Paul Fournier) . . 170
Dubarat (abbé V.) et Daranatz (abbé B.). Recherches sur
la ville et sur l'église de Bayonne, manuscrit du
chanoine Ph. Veillet (Ch. Bémont) 178
[Supplément ad numéro de Novembre-Décembre 1910.]
TABLE DES MATIERES. 473
Pages
Pastor (L. von). Geschichte der Paepste. T. V (Pierre
Bourdon) 174
Rétif de la Bretonne. Aventures galantes des dames du
xvme siècle. — Les nuits révolutionnaires (G.
Monod) 176
Thomas (A.). Le comté de la Marche et le parlement de
Poitiers (P. Boissonnadei 398
Woodbine (G. E.). Four thirteenth century law tracts (Ch.
Bémont) 408
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
Histoire de l'Antiquité (Louis Bréhier) 185
Histoire de l'église (Ch. Bémont) 410
Histoire d'Allemagne (Paul Darmst^dter) 190
Histoire d'Autriche (P. Darmst^edter, G. Monod) ... 191
Histoire du Brésil (G. Monod) 192
Histoire d'Espagne (E. Driault) 193
Histoire des États-Unis (E. Driault) 193
Histoire de France (Ch. Bémont, H. Hauser, G. Monod,
Ch. Petit-Dutaillis, Rod. Reuss) 185,410
Histoire de Grande-Bretagne (Ch. Bémont) 190,414
Histoire de Hongrie (I. Kont, E. Driault) 194
Histoire d'Italie (G. Bourgin) 200
Histoire d'Orient (L. Bréhier, E. Driault) 201
Histoire des Pays-Bas (A. Waddington) 203
Histoire de Pologne (E. Driault) 204
Histoire de Roumanie (G. Monod) 205
Histoire de Suisse (E. Driault, Rod. Reuss) 205
RECUEILS PERIODIQUES ET SOCIETES SAVANTES.
(Liste alphabétique par noms de pays.)
ALLEMAGNE ET AUTRICHE.
1. Archiv fur Kulturgeschichte 223
2. Bonner Jahrbiicher 224
3. Byzantinische Zeitschrift 225
4. Deutsche Rundschau 442
5. Forschungen zur Brandenb. und Preuss. Gesch. . . 227
6. Gœttingische gelehrte Anzeigen 227
7. Historische Vierteljahrschrift 226,440
8. Historische Zeitschrift 441
9. Historisches Jahrbuch 226
10. Jahreshefted. œsterreich. archa?olog. Instituts in Wien. 228
474
TABLE DES MATIERES.
11. Mitteilungen des Inst. fur œster. Geschichtsforschung. 229
12. Neues Archiv 227
13. Zeitschrift fur Brùdergeschichte 443
BELGIQUE.
1. Analecta Bollandiana 443
2. Analectes pour servir à l'hist. eccl. de la Belgique . . 444
3. Archives belges 444
4. Bulletin de la classe des lettres de l'Acad. royale de
Belgique 444
5. Bulletin de la Commission royale d'hist. de Belgique . 445
6. Bulletin de la Soc. d'hist. et d'archéol. de Gand ... 445
7. Bulletin de la Société royale belge de géographie . . 445
8. Bulletin de la Soc. scient, et litt. du Limbourg ... 446
9. Leodium 446
10. Musée belge (le) 44G
11. Publications de la sect, hist. de l'Inst. grand-ducal de
Luxembourg 446
12. Revue de l'instruction publique en Belgique .... 447
13. Revue de l'Université de Bruxelles 447
14. Revue d'hist. eccl. de Louvain 447
15. Revue générale de Belgique 448
16. Tijclschrift voor bœk 446
ÉTATS-UNIS.
1. American historical review (the) 232
FRANCE.
1. Académie des inscriptions et belles-lettres 221,419
2. Académie des sciences morales et politiques .... 221,419
3. Annales de Bretagne 435
4. Annales de géographie 212
5. Annales des sciences politiques 215,419
6. Bibliographe moderne, (le) 213,435
7. Bulletin de Correspondance hellénique 423
8. Bulletin de la Soc. de l'histoire du protestantisme . . 422
9. Bulletin de la Soc. d'hist. et d'archéol. du VIIe arr. de
Paris 438
10. Bulletin de la Soc. des Antiquaires de l'Ouest . . . 438
11. Bulletin hispanique 212
12. Commission des doc. économiques de la Révolution . 427
13. Correspondant (le) 215,430
14. Documents d'histoire 425
15. Études des Pères de la Cie de Jésus 421
TABLE DES MATIÈRES. 4/5
Pages
16. Feuilles d'histoire 209, 417
17. Journal des Savants 209
18. Mémoire de la Société éduenne 222
19. Mercure de France (le) 432
20. Nouvelle Revue historique de droit français et étranger. 420
21. Polybiblion 427
22. Province du Maine (la) 437
23. Recueil de la Comm. des arts de la Charente-Inférieure. 436
24. Révolution française (la) 212,426
25. Revue (la) 217,432
26. Revue archéologique 213
27. Revue critique d'histoire et de littérature 208, 428
28. Revue d'Alsace 439
29. Revue de Bretagne 436
30. Revue de Gascogne 222
31. Revue de l'Agenais 223
32. Revue de l'histoire des religions 214
33. Revue de Paris (la) 218,430
34. Revue des Deux Mondes 219, 429
35. Revue des études anciennes 212,422
36. Revue des études historiques 207
37. Revue des Pyrénées 438
38. Revue des questions historiques 207
39. Revue d'histoire de Lyon 437
40. Revue d'hist. moderne et contemporaine 423
41. Revue d'histoire rédigée à l'Etat-maj or 215,420
42. Revue du Midi 438
43. Revue Fénelon 425
44. Revue générale du droit 420
45. Revue hebdomadaire 433
46. Revue historique de Bordeaux 435
47. Revue historique et archéologique du Maine .... 437
48. Revue savoisienne 439
49. Romania 213
50. Société nationale des Antiquaires de France .... 221
GRANDE-BRETAGNE.
1. Athenseum (the) 231,448
2. Edinburgh Review 449
3. English historical review (the) 229
4. Nineteenth Century (the) 449
5. Quarterly Review 451
GRÈCE.
1- Néoç 'EXXyivo;j.yj[j.u)v. 452
476 TABLE DES MATIERES.
ITALIE.
Pages
1. Archivio storico per le provincie napoletane .... 453
2. Brixia sacra 455
3. Bulletin italien 455
4. Cultura moderna 454
5. Rivista di Storia antica 453
6. Rivista storica benedettina 455
CHRONIQUE.
Allemagne (L. Bréhier, S. Reinach) 237, 460
Angleterre 237, 461
Autriche 461
Belgique 238
Cuba 461
France (L. Bréhier, A. Loisy) 235, 456
Suisse (Van Berchem) 239, 462
Nouvelles publications françaises 239, 463
Index bibliographique 465
L'un des propriétaires-gérants, G. Monod.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie Daupeley-Gouvernecr.
BINDING SECT. JUL 12 196/
D
1
R6
1. 105
Revue historique
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