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Full text of "Revue historique"

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Toronto 

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REVUE 


HISTORIQUE 


REVUE 

HISTORIQUE 

Fondée  en  1876  par  GABRIEL  MONOD 

directeurs  c 
Charles    BÉMONT    et    Christian    PFISTER. 


Ne  quid  falsi  audeat,  ? 

je  quid  veri  non  audeat  historia 
CicÉRON,  de  Orat.,  II,  IS. 

TRENTE-NEUVIÈME 

ANNÉE. 

TOME  CENT-DIX-SEPTIÈME 

Septembre-Décembre 

1914. 

PARIS 

v^' 

LIBRAIRIE  FÉLIX  ALGAN 

108,     BOULEVARD     SAINT 

-GERMAIN 

1914 

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^      I 


7 


A  NOS  LECTEURS 


L'Appel  des  Allemands  aux  nations  civilisées. 

Nos  lecteurs  excuseront  le  retard  de  la  Revue  historique 
et  la  dimension  réduite  de  la  présente  livraison.  Notre 
imprimeur  et  la  plupart  de  ses  ouvriers  ayant  été  appe- 
lés sous  les  drapeaux,  le  travail  a  d'abord  été  complète- 
ment interrompu;  il  reprend  lentement  et,  sans  doute, 
tant  que  durera  la  guerre,  nous  ne  pourrons  remplir  qu'en 
partie  nos  engagements  envers  nos  abonnés  et  nos  lecteurs, 
ris  voudront  bien  prendre  patience  et  nous  faire  crédit. 

Nous  n'en  dirions  pas  davantage  et,  fidèles  à  l'esprit 
d'impartialité  qui  n'a  jamais  cessé  d'animer  la  Direction 
de  la  Revue  historique,  nous  voudrions  éviter  de  nous 
engager  dans  des  polémiques  de  presse  sur  les  origines 
de  la  guerre  et  sur  la  manière  dont  elle  nous  est  faite, 
s'il  n'était  nécessaire  de  répondre  à  l'extraordinaire  Appel 
des  Allemands  aux  nations  civilisées.  Dans  ce  manifeste, 
on  ne  craint  pas  de  nier*  que  l'Allemagne  ait  «  provo- 
qué »  la  guerre;  qu'elle  ait  «  violé  criminellement  la 
neutralité  de  la  Belgique  »  ;  que  les  troupes  allemandes 
<ï  aient  porté  atteinte  à  la  vie  ou  aux  biens  d'un  seul 
citoyen  belge  sans  y  avoir  été  forcées  par  la  dure  néces- 
sité d'une  défense  légitime  »  ;  qu'elles  aient  «  brutalement 
détruit  Louvain  »  ;  qu'elles  «  fassent  la  guerre  au  mépris  du 
droit  des  gens  ».  On  laisse  entendre  que  les  déclarations 
faites  par  les  ambassadeurs  et  les  ministres  de  la  Triple- 

1.  Nous  empruntons  nos  citations  à  la  traduction  française  du  document 
original  qui  a  paru  dans  le  journal  le  Temps  à  la  date  du  13  octobre  1914.  Les 
noms  des  quatre-vingt-treize  ont  été  donnés  dans  le  numéro  du  16  octobre. 
ReV.    lilSTOR.    CXVII.    1"   FASC.  1 


A    NOS    LECTEURS. 


Entente  depuis  le  27  juillet  jusqu'au  4  août  sont  menson- 
gères; que  l'enquête  ordonnée  parle  gouvernement  belge 
sur  les  atrocités  commises   par  les  envahisseurs  est  un 
«  faux  témoignage  »,  et  l'on  traite  d'  «  hypocrites  »  ceux 
qui  ont  pris  les  armes  pour  la  défense  du  droit  des  gens  et 
pour  le  respect  de  la  foi  jurée.  Cet  Appel  est  signé  par 
quatre-vingt-treize  littérateurs,  savants,  artistes,  profes- 
seurs, la  plupart  renommés,  quelques-uns  même  illustres. 
C'est  avec  une  douloureuse  surprise  que  nous  avons 
trouvé  les  noms  de  MM.  Deissmann,  Albert  Ehrhard,  G. -A. 
von  Harnack,  Aloïs  Knœpfler  parmi  les  théologiens;  K. 
Vollmœller,  U.  von  Wilamowitz-Mœllendorf  parmi  les  phi- 
lologues; Lujo  Brentano,  W.  Sombart,  G.  von  Schmoller 
parmi  les  économistes  ;  Paul  Laband  parmi  les  juristes  ;  enfin 
H.  Finke,  K.  Lamprecht,  Max.  Lenz,  Ed.  Meyer,  M.  Spahn 
parmi  les  historiens.  Tous  sont  des  érudits  de  profession, 
rompus  à  la  critique  des  textes;  par  leur  méthode  rigou- 
reuse, ils  ont  renouvelé  des  parties  importantes  de  l'histoire 
ancienne,  médiévale  et  moderne.  Placés  en  face  d'un  très 
grave  problème  d'histoire  contemporaine,   ils  ont  oublié 
tout  à  coup,  et  comme  s'ils  obéissaient  à  une  consigne, 
les  principes  mêmes  de  leur  enseignement  et  de  leurs  livres. 
Ils  semblent  n'avoir  admis  dans  leurs  dossiers  que  des  docu- 
ments allemands;  ils  ignorent  ou  disqualifient  sans  cause 
les  dépositions  de  leurs  adversaires  et,  après  un  examen 
incomplet,  superficiel  et  partial,  ils  proclament  solennel- 
lement ce  qu'ils  disent  être  la  vérité  et  qui  n'en  est  que  le 
travestissement.  Tous  les  textes  connus  jusqu'ici,   qu'ils 
viennent  d'Angleterre,  de  Russie,  de  Belgique  ou  de  France, 
ou  qu'ils  émanent  des  représentants  officiels  du  gouver- 
nement impérial   lui-même,   tous,   du   moins   ceux  dont 
l'authenticité  ne  saurait  être  mise  en  doute,  ne  concordent- 
ils  pas  en  effet  pour  prouver  que  c'est  l'Allemagne   qui, 
pour  appuyer  la  politique  autrichienne  en  Orient,  a  déclaré 
la  guerre  à  la  Russie  et  à  la  France;  que  la  Belgique,  enva- 
hie dès  le  début  des  hostilités  contre  tout  droit,  ainsi  que 


A   NOS    LECTEURS.  3 

l'a  déclaré  le  chancelier  de  l'Empire  en  plein  Reichstag, 
a  demandé  l'appui  de  l'Angleterre  et  de  la  France,  garantes 
de  sa  neutralité,  contre  l'Allemagne  qui  la  violait  en  for- 
geant de  misérables  prétextes  ;  que  c'est  alors  enfin  et  seu- 
lement alors  que  l'Angleterre  a  pris  la  résolution  de  joindre 
toutes  ses  forces  à  celles  de  la  France  et  de  la  Russie  pour 
défendre  un  petit  pays  neutre  contre  l'injuste  et  brutale 
agression  d'un  grand  empire?  La  guerre  n'a  pas  été  impo- 
sée à  l'Allemagne  par  la  jalousie  de  ses  voisins,  comme 
on  le  répète  à  satiété  de  l'autre  côté  du  Rhin  ;  elle  a  été 
voulue  par  l'Allemagne,  préparée  par  elle  avec  une  persé- 
vérance et  une  absence  de  scrupules  vraiment  stupéfiantes, 
déclarée  par  elle  à  son  heure  ;  c'est  elle  qui  lui  a  imprimé 
ce  caractère  de  férocité  qui  étonne  ses  amis  et  excite  l'in- 
dignation du  monde  entier. 

Ceux  qui  ont  assisté  aux  événements  de  ce  qu'on  appe- 
lait hier  encore  l'Année  terrible  (comment  qualifiera-t-on 
celle-ci?)  ou  qui  ont  pu  s'en  faire  une  idée  exacte  d'après 
les  livres  ont  gardé  le  souvenir  ou  se  sont  formé  l'image 
d'une  guerre  menée  par  l'Allemagne  avec  une  rigueur 
scientifique,  une  dureté  inflexible,  mais  néanmoins  avec 
ce  reste  d'humanité  qu'on  devait  attendre  d'un  peuple 
cultivé,  qui  s'attribuait  le  mérite  d'une  moralité  supérieure 
à  celle  de  tous  les  autres.  Les  actes  de  violence  qu'on  lui 
a  justement  reprochés  pouvaient  passer  pour  être  les  con- 
séquences fatales  de  l'état  de  guerre;  toute  armée  a  ses 
pillards  et  ses  bandits.  Les  instincts  les  plus  sauvages  ont 
été  contenus  alors  par  une  discipline  qui  épargnait  d'ordi- 
naire les  innocents.  Aujourd'hui,  ce  sont  les  chefs  eux-mêmes 
qui  commandent  et  qui  dirigent  les  innombrables  atten- 
tats contre  la  vie  et  les  biens  des  populations  désarmées. 
En  1870,  les  Allemands,  après  avoir  détruit  la  biblio- 
thèque de  Strasbourg  et  brûlé  la  cathédrale,  ont  pu  pré- 
tendre que  les  obus  sont  aveugles  et  qu'ils  tombent  où  ils 
peuvent  S  tout  comme  il  y  a  quelques  semaines  ils  ont 

1.  Voir  la  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  1871,  p.  151  et  235. 


4  A    NOS   LECTEDRS. 

essayé  de  s'abriter  derrière  des  raisons  militaires  pour 
expliquer  le  bombardement  de  la  cathédrale  de  Reims; 
mais  à  Louvain,  ils  étaient  maîtres  de  la  place,  et  c'est  en 
vertu  d'ordres  précis  qu'ils  ont  détruit  méthodiquement 
la  bibliothèque,  la  cathédrale  et  les  plus  riches  parties  de 
la  ville.  Un  aviateur  allemand  est  venu  tranquillement  voler 
au-dessus  de  Paris  et  lancer  sur  Notre-Dame  une  bombe 
incendiaire.  Et  qu'a-t-on  fait  de  Termonde,  d'Arras,  de 
Lille,  d'Ypres,  de  tant  de  villes  ouvertes,  de  tant  de  villages, 
détruits  sans  motifs  et  sans  excuse?  Ces  crimes  contre  la 
civilisation  n'ont  pas  ému  les  quatre-vingt-treize.  «  Si  dans 
cette  guerre  terrible  »,  déclarent-ils,  «  des  œuvres  d'art 
ont  été  détruites  ou  l'étaient  un  jour,  voilà  ce  que  tout 
Allemand  déplorera  certainement,  mais  nous  refusons  éner- 
giquement  d'acheter  la  conservation  d'une  œuvre  d'art  au 
prix  d'une  défaite  de  nos  armes.  »  En  quoi  l'incendie  de 
Louvain  et  de  Reims  pouvait-il  empêcher  la  défaite  d'une 
armée  allemande  et  faut-il  que  la  voix  de  l'humaine  pitié 
soit  étouffée  dès  que  le  canon  tonne? 

Quel  changement  s'est  donc  opéré  dans  la  mentalité  du 
peuple  allemand?  Ses  sentiments  d'honneur  et  de  vertu 
n'ont-ils  pas  été  corrompus  par  l'excès  de  ce  «  milita- 
risme »  que  glorifie  l'Appel  aux  nations  civilisées,  et  sans 
lequel,  paraît-il,  a  la  civilisation  allemande  serait  anéantie 
depuis  longtemps  »?  Question  redoutable,  à  laquelle  il 
faudra  bien  que  les  Allemands  répondent  autrement  que 
par  des  dénégations  sans  preuve  ou  par  des  affirmations 
mensongères.  Car  un  jour  viendra  où  ils  devront  faire 
leur  examen  de  conscience  et  se  demander  s'ils  ne  sont 
pas  les  premières  victimes  de  ce  militarisme  avide  de 
domination,  de  rapine  et  de  sang,  s'ils  sont  demeurés,  ainsi 
qu'ils  le  prétendent,  «  un  peuple  auquel  l'héritage  d'un 
Gœthe,  d'un  Beethoven  et  d'un  Kant  est  aussi  sacré  que 
son  sol  et  son  foyer  » . 

Gh.  BÉMONT.       Ghr.  Pfister. 


LES 

ARTISANS  ET  LEUR  VIE  EN  GRÈCE 

DES 

TEMPS  HOMÉRIQUES  A  L'ÉPOQUE  CLASSIQUE 

LE  SIÈCLE  D'HÉSIODE. 


'H(jLàJv  yjexat  éxauxo;  oO  Tiâvu  ôp.oio; 
éxâffTtp,  àWoL  oiaçépwv  îr)v  çOciv,  aXXo? 
£71  '  à),Xo'j  epyoy  7ipà?iv. 

(Platon,  /?e>.,  II,  p.  370  a). 

Un  des  problèmes  les  plus  ardus,  mais  un  des  plus  importants 
à  résoudre,  que  soulève  l'histoire  de  la  civilisation  grecque  est 
celui  qui  concerne  l'institution  et  le  développement  de  la  divi- 
sion du  travail  social,  en  particulier  du  travail  industriel.  En 
effet,  la  division  du  travail  n'est  pas  seulement  un  fait  intéressant 
en  tant  que  facteur  du  progrès  économique  :  il  est  bien  évident, 

—  et  c'est  un  principe  déjà  posé  par  Platon  et  par  Xénophon', 

—  que  la  spécialisation  des  ouvriers  est  le  seul  moyen  d'obtenir 
à  plus  bas  prix  des  produits  de  meilleure  qualité  ;  mais  le  désir 
d'arriver  à  ce  résultat  ne  saurait  être  considéré  comme  le  point 
de  départ  de  la  spécialisation  ;  une  telle  théorie  donnerait  trop  de 
prise  à  l'objection  où  se  heurte  n'importe  quel  essai  d'explication 
finaliste,  en  supposant  à  priori  une  netteté  de  conception  que 
l'expérience  seule  peut  donner;  si  le  progrès  de  la  civilisation 

1.  «  Les  produits  se  font  mieux  et  plus  facilemeat  quand  chacun  fait...  la 
besogne  la  plus  conforme  à  ses  aptitudes,  sans  se  préoccuper  du  reste.  »  (Rép., 
II,  p.  370  c.)  Cf.  encore  Euthydème,  p.  279  et  suiv.,  etc.  —  Des  idées  analogues 
sont  exprimées  dans  la  Cyropédie,  VIII,  2,  5-6,  et  5,  1-6  :  «  Il  est  impossible, 
dit  notamment  Xénophon,  qu'un  homme  qui  exerce  à  la  fois  plusieurs 
métiers  les  fasse  tous  bien...  Un  homme  dont  le  travail  se  borne  à  un  ouvrage 
restreint  doit  nécessairement  y  exceller.  » 


b  PIERRE  WALTZ. 

est  une  conséquence  nécessaire  de  la  division  du  travail,  il  n'a 
pu,  —  du  moins  à  l'origine,  —  en  constituer  la  fin^.  C'est  ail- 
leurs que  dans  un  idéal  à  réaliser  qu'il  faut  chercher  la  condi- 
tion nécessaire  à  la  production  de  ce  phénomène  social  :  on  ne 
peut  la  trouver  que  dans  un  commencement  d'organisation  de 
la  société 2.  En  effet,  —  pour  négliger  le  côté  théorique  de  la  ques- 
tion'^, —  il  est  clair  qu'un  travailleur  ne  peut  se  spécialiser  qu'en 
raison  de  la  certitude  où  il  est  de  pouvoir  compter  sur  la  colla- 
boration d'autres  travailleurs  :  on  n'imagine  pas  un  forgeron  fabri- 
quant des  socs  sans  s'être  assuré  qu'un  autre  ouvrier  construit 
en  même  temps  des  corps  de  charrues  en  nombre  égal,  ni  même 
confectionnant  un  objet  quelconque  sans  être  certain  qu'il  pourra 
l'échanger  contre  d'autres  produits,  indispensables  à  son  exis- 
tence. Les  divers  métiers  ne  peuvent  donc  se  constituer  que  par 
une  sorte  d'entente  au  moins  implicite  entre  les  travailleurs  ;  et 
la  spécialisation,  qui  force  chacun  à  ne  produire  lui-même  qu'une 
infime  partie  de  ce  qui  lui  est  nécessaire,  ne  peut  s'établir  au 
sein  d'une  collectivité  que  dans  la  mesure  où  des  relations  cons- 
tantes existaient  déjà  entre  les  individus  qui  la  composent.  Si 
la  division  du  travail  est  la  cause  d'un  progrès  économique,  elle 
est  elle-même  le  résultat  d'un  progrès  social.  Par  conséquent, 
il  n'est  pas  de  méthode  plus  sûre,  pour  calculer  la  puissance 
du  lien  social  dans  un  milieu  quelconque,  que  de  déterminer  le 
degré  qu'il  a  pu  atteindre  dans  la  spécialisation  progressive  des 
travailleurs  et  dans  l'organisation  du  travail.  Si  l'on  veut  suivre 
pas  à  pas  l'évolution  de  la  société  grecque,  il  est  donc  indispen- 
sable d'étudier,  siècle  par  siècle,  la  constitution  des  divers 
métiers  et  la  situation  de  ceux  qui  les  exerçaient.  Or,  en  ce  qui 
concerne  les  temps  antérieurs  à  l'époque  classique,  l'histoire 
s'est  à  peu  près  bornée,  jusqu'à  présent,  à  constater  les  effets 
de  cette  évolution  à  de  longs  intervalles,  sans  chercher  à  en 
déterminer  avec  précision  les  phases  successives^  :  il  est  admis, 

1.  Suivant  M.  Durkheira  (De  la  division  du  travail  social,  1.  II,  ch.  ii,  §  4), 
«  le  besoin  de  produits  plus  abondants  et  de  meilleure  qualité  est  un  résultat 
de  la  cause  qui  nécessite  la  spécialisation,  non  la  cause  de  cette  dernière.  » 
Cf.  encore  ch.  v,  g  2. 

2.  «  La  division  du  travail  ne  se  produit  qu'au  sein  de  sociétés  constituées.  » 
(Durkheim,  loc.  cit.) 

3.  M.  Durkheim  [loc.  cit.)  trouve  la  cause  première  de  la  division  du  travail 
dans  l'accroissement  de  la  densité  et  du  volume  des  sociétés. 

4.  Cf.,  par  exemple,  P.  Guiraud,  la  Main-d'œuvre  industrielle  dans  l'an- 
cienne Grèce  {Université  de  Paris,  Bibl.  de  la  Faculté  des  lettres,  t.  XII, 


LES    ARTISANS    ET    LEUR   VIE    EN    GRECE.  7 

—  et  d'ailleurs  facile  à  vérifier  par  de  nombreux  exemples,  — 
qu'à  l'âge  homérique  se  trahit  encore  l'influence  d'un  état 
patriarcal  inorganique,  tandis  qu'au  v''  siècle  le  régime  de  la 
cité  est  définitivement  constitué  et  l'on  y  voit  fonctionner  nor- 
malement tous  les  rouages  d'une  société  organisée;  mais  par 
quelles  étapes  était  passé  le  monde  grec  pour  subir  dans  un 
temps  relativement  court  une  modification  aussi  profonde?  TeUe 
est  la  question  qui  reste  à  élucider,  dans  la  mesure  où  le  permet 
la  rareté  des  documents  précis  relatifs  à  l'histoire  des  viii^,  vu® 
et  VI®  siècles  ' . 

Pour  continuer  l'œuvre  des  historiens  qui  ont  déjà  entrepris 
cette  étude  sociale  en  ce  qui  concerne  les  temps  homériques'^, 
c'est  avec  l'époque  d'Hésiode  qu'il  convient,  en  premier  lieu, 
de  les  comparer.  Si  aucune  distinction  notable  ne  pouvait  s'éta- 
blir entre  le  milieu  où  Homère  place  l'action  de  ses  épopées  et 
celui  que  décrivent  les  Travaux  et  les  Jours,  l'analyse  de  ce 
poème  permettrait  du  moins  de  préciser  certains  points  que 
Y  Iliade  eïY  Odyssée  n'éclaircissaient  pas  suffisamment;  et  si, 

—  ce  que  l'examen  des  idées  d'Hésiode  rend  à  priori  plus  pro- 
bable'^, —  la  différence  est  sensible  entre  la  vie  tant  matérielle 
que  morale  des  deux  époques,  nous  pourrons  au  moins  entre- 
voir, par  l'étude  des  progrès  économiques,  le  progrès  social  qui 
les  a  rendus  possibles. 

Paris,  1900),  p.  51  :  «  Ulysse  se  vantait  jadis  d'avoir  fabriqué  son  lit  nuptial; 
s'il  eût  été  contemporain  de  Périclés,  il  serait  allé  tout  bonnement  l'acheter 
chez  un  marchand  de  meubles.  Homère  nous  représente  un  fils  de  Priam  occupé 
à  faire  son  char  de  guerre  avec  le  bois  qu'il  a  coupé  dans  la  forêt  ;  ultérieure- 
ment, c'eût  été  là  de  sa  part  une  excentricité...  «  La  vivacité  de  ces  antithèses 
et  d'autres  analogues  montre  bien  la  profonde  divergence  entre  ces  deux  états, 
mais  le  problème  est  moins  résolu  que  posé.  Guiraud  avoue  d'ailleurs  (p.  64) 
qu'il  est,  selon  lui,  «  impossible  de  suivre  cette  évolution  à  travers  les  âges  ». 

1.  Guiraud  touche  bien  à  cette  question  dans  son  chapitre  sur  l'Évolution 
de  l'industrie  en  Grèce;  mais  il  s'attache  plutôt  (p.  24-32)  à  montrer  l'essor 
économique  de  la  Grèce  et  la  diffusion  des  produits  de  son  industrie  qu'à  déter- 
miner les  conditions  de  leur  élaboration.  Ses  Études  économiques  sur  l'anti- 
quité (2°  éd.,  Paris,  1905)  n'apportent  aucun  élément  nouveau  à  la  solution  de 
cette  question  particulière.  Quant  au  livre  de  Francotte  sur  l'Industrie  dans 
la  Grèce  ancienne  (Bruxelles,  1900-1901),  bien  qu'il  fasse  une  large  part  à 
l'étude  de  l'industrie  au  point  de  vue  social,  il  ne  touche  qu'en  passant  (cf. 
surtout  t.  I,  p.  24-38)  au  problème  spécial  qui  nous  occupe. 

2.  Citons  en  première  ligne  Riedenauer,  Handwerkund  Handwerker  in  den 
homerischen  Zeiten  (1873);  Guiraud,  la  Main-d'œuvre...,  ch.  i-ii;  Études  eco' 
nooiiques...,  p.  27  et  suiv. 

3.  Voir  ma  thèse  sur  Hésiode  et  son  poème  moral,  p.  86  et  suiv. 


PIERRE   WALTZ. 


I. 

Les  artisans  à  l'époque  homérique. 

Le  régime  patriarcal  constitue  déjà  une  première  tentative  de 
groupement  humain  ;  mais  le  principe  essentiel  sur  lequel  il  est 
fondé,  celui  de  l'autonomie  familiale,  ne  favorise  guère  la  divi- 
sion du  travail  ;  car  s'il  n'est  pas  logiquement  incompatible  avec 
la  spécialisation,  il  ne  saurait,  en  tout  cas,  comporter  l'existence 
de  professionnels  travaillant  pour  le  public.  Or,  la  société  homé- 
rique n'est  pas  encore  bien  dégagée  de  cet  état  de  choses  primi- 
tif :  on  y  voit  souvent  les  membres  d'un  même  «  clan  »  habiter 
tous  sous  le  même  toit  et  chacun  d'eux  se  livrer  successivement 
à  toutes  sortes  de  travaux'.  En  matière  agricole,  par  exemple, 
non  seulement  les  plus  hauts  personnages  mettent  volontiers  la 
main  à  l'ouvrage^  ;  mais  même  les  ouvriers  embauchés  à  cet  effet 
ne  sont  pas  des  spécialistes  :  on  charge  le  premier  venu  non 
seulement  de  garder  un  troupeau  ou  de  balayer  une  étable^,  ce 
dont  n'importe  qui  est  capable,  mais  de  faire  une  hafe,  de  soi- 
gner des  arbres  ou  un  jardin,  de  construire  une  fontaine^;  et 
cela  sans  s'informer  de  ses  aptitudes  particulières  ^ 

Dans  les  maisons,  tous  les  travaux  domestiques  sont  faits  par 
les  femmes,  et  chacune  d'elles,  pour  être  une  épouse  ou  une  ser- 
vante accomplie,  doit  être  également  capable  non  seulement  de 

1.  Sur  l'organisation  primitive  du  yé^oî  en  Grèce,  voir  P.  Guiraud,  la  Pro- 
priété foncière  en  Grèce  jusqu'à  l'époque  romaine  (Paris,  1893),  ch.  i-ii,  iv, 
VII,  et  G.  Glotz,  la  Solidarité  de  la  famille  dans  le  droit  criminel  en  Grèce 
(Paris,  1904),  ch.  i. 

2.  Par  exemple  Laerte  cultivant  son  verger  {Odyssée,,  XV,  v.  139  et  suiv.; 
XXIV,  V.  226  et  suiv.)  ou  Lycaon,  fils  de  Priam,  travaillant  à  la  construction 
de  son  char  {Iliade,  XXI,  v.  36  et  suiv.).  Quand  Ulysse  provoque  Eurymaque 
(Od.,  XVIII,  V.  366  et  suiv.),  il  se  vante  de  savoir  faucher  et  labourer  mieux 
que  lui.  Le  roi  préside  lui-même  aux  moissons  [11.,  XVIII,  v.  550-560);  son 
premier  soin,  en  revenant  de  voyage,  est  de  visiter  ses  bergeries  [Od.,  XV, 
v.  503  et  ?,\x\\.;  —  Boucl.  Hér.,  v.  39);  enfin  ce  sont  parfois  ses  propres  enfants 
qui  gardent  ses  troupeaux  {IL,  XV,  v.  547  et  suiv.;  —  Od.,  XXII,  v.  222-223). 

3.  Tels  sont  les  travaux  que  proposent  à  Ulysse  Eumée  [Od.,  XVII,  v.  187) 
et  Mélanthios  {Ibid.,  v.  223  et  suiv.). 

4.  Cf.  Od.,  XVIII,  V.  359;  —  IL,  XXI,  v.  257  et  suiv.,  347. 

5.  Si  les  Cyclopes,  ces  fermiers  modèles,  ne  «  savent  ni  semer  ni  labourer  » 
[Od.,  IX,  V.  108),  il  faut  se  garder  de  voir  dans  ce  fait  l'indice  d'une  spéciali- 
sation; c'est  au  contraire  leur  barbarie  que  le  poète  veut  faire  ressortir  en 
citant  ce  trait  de  mœurs  :  ce  ne  sont  pas  des  avSpt;  k\^y\(sxa.\. 


LES   ARTISANS   ET   LEUR   VIE    EN   GRECE.  9 

bien  tenir  le  ménage  et  de  faire  la  cuisine  ^  mais  de  tisser,  de 
coudre,  de  laver  le  linge 2,  à  l'occasion  même  de  moudre  le  grain  ^ 
ou  de  soigner  les  chevaux^  :  Hélène,  Andromaque,  Arête,  Nau- 
sicaa,  Gircé  président  chez  elles  à  toutes  ces  tâches  et  n'y  sont 
pas  les  moins  habiles.  Les  hommes  non  plus  ne  restent  pas 
étrangers  à  la  tenue  de  la  maison  et  à  la  confection  des  vête- 
ments^. Sans  doute  quelques  captives,  originaires  de  pays  orien- 
taux où  l'art  et  l'industrie  sont  plus  avancés  que  dans  le  monde 
grec,  se  font  remarquer  par  quelque  talent  spécial*^;  mais, 
outre  que  ces  ouvrières  devaient  être  renommées  en  raison  même 
de  leur  rareté,  leur  présence  accidentelle  dans  les  gynécées  ne 
pouvait  avoir  une  action  sensible  sur  l'état  général  de  l'industrie 
et  de  la  civilisation  nationales'''. 

Mais  c'est  surtout  dans  la  construction  des  objets  mobiliers 
que  nous  frappe  la  facilité  avec  laquelle  on  se  passait  du  con- 
cours des  spécialistes  :  non  seulement  dans  l'île  de  Calypso, 
dont  il  est  le  seul  habitant  mâle,  Ulysse  n'éprouve  aucun  embar- 
ras à  construire  de  toutes  pièces  un  radeau  relativement  perfec- 
tionné, c'est-à-dire  à  se  faire  successivement  bûcheron,  menui- 
sier et  voilier^;  mais,  même  lorsqu'il  n'est  pas  pressé  par  une 
nécessité  de  ce  genre,  qu'il  est  dans  son  pays,  où  il  exerce  l'auto- 
rité royale  et  où  il  lui  serait  aisé  de  trouver  des  collaborateurs, 
c'est  de  ses  propres  mains  qu'il  fabrique  son  lit  nuptial  et  bâtit 

1.  Cf.  //.,  XXIV,  V.  613;  XVIII,  v.  560,  etc. 

2.  Des  allusions  continuelles  à  ces  travaux  sont  faites  dans  l'Iliade  (VI,  v.  289, 
m,  456,  490;  XXII,  v.  440;  XXIII,  v.  263,  760,  etc.)  et  dans  l'Odyssée  (II, 
V.  93  et  suiv.;  IV,  v.  121-136;  VI,  v.  26  et  suiv.,  305  et  suiv.;  X,  v.  222,  etc.). 

3.  C'est  ce  que  les  servantes  d'Ulysse  font  pour  les  prétendants  (Orf.,  XX, 
V.  105  et  suiv.). 

4.  C'est  ainsi  qu'Andromaque  prend  soin  des  chevaux  d'Hector  (IL,  VIII, 
V.  186  et  suiv.). 

5.  Cf.  Od.,  XV,  V.  319  et  suiv.  (Ulysse  s'occupe  du  ménage  d'Eumée);  VIV, 
V.  23  (Ulysse  trouve  Eumée  en  train  de  se  fabriquer  des  sandales),  etc. 

6.  Notamment  les  Cariennes,  les  Lydiennes,  les  Sidoniennes  {IL,  IV,  v.  141 
et  suiv.;  VI,  v.  289  et  suiv.;  —  Od.,  XV,  v.  417  et  suiv.,  etc.);  cf.  infra. 

7.  Les  artistes  ne  sont  pas  non  plus  des  spécialistes  :  les  héros  qui  veulent 
consacrer  une  statue  à  une  divinité  la  taillent  eux-mêmes;  d'où  l'emploi 
exclusif  du  bois,  plus  facile  à  travailler  que  la  pierre,  le  métal  ou  l'ivoire 
(Plutarque,  Mor.,  p.  762-763).  Selon  la  tradition,  le  plus  ancien  sculpteur  pro- 
fessionnel aurait  été  Dédale,  l'auteur  des  premiers  perfectionnements  tech- 
niques accomplis  par  la  statuaire  (notamment  l'idée  d'écarter  les  bras  et  les 
jambes)  ;  cf.  Diodore,  IV,  76. 

8.  Od.,  V,  V.  245-261. 


10  PIERRE   WÀLTZ. 

la  chambre  qui  doit  contenir  ce  meuble  précieux  :  il  construit 
les  murs,  le  toit,  les  portes,  rabote  et  aligne  le  bois  du  lit,  y  tend 
des  sangles  de  cuir,  l'orne  d'incrustations  d'or,  d'argent  et 
d'ivoire,  en  un  mot  s'acquitte  à  lui  seul  de  la  besogne  d'un  maçon, 
d'un  charpentier,  d'un  menuisier,  d'un  bourrelier  et  d'un  orfèvre, 
le  tout  avec  une  égale  compétence  ' .  Dans  V Iliade  aussi,  l'on  voit 
tantôt  les  soldats  d'Achille  tantôt  tous  les  habitants  de  Troie 
s'improviser  bûcherons,  maçons  et  charpentiers 2.  Les  marins 
même  ne  sont  pas  des  professionnels  :  quand  Télémaque  songe 
à  quitter  Ithaque  ou  qu'Alcinoos  veut  y  renvoyer  Ulysse,  c'est 
au  concours  de  volontaires  «  choisis  parmi  tout  le  peuple  »  qu'ils 
font  appel'';  leurs  matelots  sont  des  gens  du  commun,  qui  se 
seraient  embauchés  aussi  bien  pour  n'importe  quelle  autre  tâche  ^. 
Tous  ces  ouvriers  sont  des  «  maîtres  Jacques  »,  comme  Automé- 
don,  le  serviteur  d' Achille,  qui  non  seulement  cumule  les  fonc- 
tions de  cocher  et  de  cuisinier,  mais  remplit  encore  le  rôle  de 
messager,  de  palefrenier,  d'écuyer  tranchant  et  de  valet  de 
chambre''.  Pas  plus  dans  les  besognes  domestiques  que  dans  le 
travad  industriel  n'apparaît  le  moindre  souci  d'organisation 6. 

Cependant,  au  sein  même  de  cette  société  inorganique,  com- 
mence à  se  manifester  une  tendance  à  répartir  les  fonctions 
selon  les  aptitudes  individuelles.  Il  existe  déjà,  dans  un  certain 
nombre  de  métiers,  des  artisans  professionnels,  qui  travaillent 
pour  le  public,  des  «  démiurges  »~.  Cet  état  de  choses  devait 
être  le  terme  d'une  assez  longue  évolution  :  à  la  complète  auto- 

1.  Od.,  XXIII,  V.  189-201. 

2.  II.,  XXIII,  V.  114  et  suiv.  (érection  du  bûcher  de  Patrocle)  ;  XXIV,  v.  448 
et  suiv.,  791  et  suiv.  (construction  de  celui  d'Hector).  —  Sur  l'emploi  du  mot 
0Xot6|xo;  (XXIII,  v.  114,  123),  cf.  infra. 

3.  Od.,  III,  v.  363  et  suiv.;  IV,  v.  778  et  suiv.;  VIII,  v.  35  et  suiv. 

4.  Les  marins  de  VOclyssée  sont  des  thèles  (voir  plus  loin),  comme  ceux  de 
l'époque  classique  (cf.  Thucydide,  VI,  43).  Les  mêmes  hommes  sont  d'ailleurs 
à  la  fois  soldats  et  matelots,  aussi  bien  à  l'âge  homérique  que  pendant  la 
guerre  du  Péloponèse  (cf.  Thucydide,  I,  10,  4;  VI,  91,  4). 

5.  Voir  IL,  IX,  V.  209;  XVI,  v.  145  et  suiv.,  472;  XVII,  v.  429;  XIX,  v.  392; 
XXIII,  V.  563  et  suiv.;  XXIV,  v.  474,  574,  625.  Sa  situation  sociale  est  d'ail- 
leurs différente  de  celle  des  matelots,  puisqu'il  est  attaché  au  service  d'Achille 
et  probablement  son  esclave.  Sur  les  xi^puxeç  homériques  bons  à  tout  faire, 
voir  encore  Athénée,  X,  p.  425  d,  et  XIV,  p.  660  cd. 

C.  Autre  exemple  :  Myrtilos  est  à  la  fois  le  charron  (àpExaTonriyôi;)  et  le 
cocher  (i^vio/oç)  d'Oenomaos  (cf.  Phérécide,  fr.  93  Mûller). 

7.  Le  mot  ÔYiiAiÔEpyoç,  inconnu  à  V Iliade,  se  trouve  deux  fois  dans  V Odyssée 
(XVII,  V.  383,  et  XIX,  v.  135). 


LES   ARTISANS    ET   LEDll   VIE   EN    GRECE.  11 

nomie  familiale  avait  logiquement  succédé  un  nouveau  régime, 
où  chaque  «  clan  »  empruntait  à  d'autres,  par  voie  d'échanges, 
les  produits  qui  lui  manquaient  ;  cet  usage  s'était  étendu,  puisque 
les  poèmes  homériques  parlent  assez  fréquemment  à' étrangers 
avec  qui  les  Grecs  trafiquaient  ou  qu'ils  faisaient  venir  chez  eux 
pour  exercer  des  industries  plus  avancées  dans  leur  pays^  L'ha- 
bitude naissait  alors  tout  naturellement  de  s'adresser,  pour 
chaque  objet,  au  peuple,  au  groupement  ou  à  l'homme  le  plus 
habile  à  le  fabriquer  ;  de  sorte  qu'un  commencement  de  spéciali- 
sation pouvait  s'ébaucher  même  avant  l'institution  des  démiurges . 
Toutefois,  un  artisan  de  métier  ne  peut  être  supérieur  en  toute 
matière  à  un  «  amateur  »  comme  Ulysse  ;  or,  c'est  cette  supé- 
riorité seule  qui  peut  lui  attirer  la  clientèle  des  particuliers  ;  il 
n'a  donc  des  chances  de  succès  que  dans  le  domaine  où  il  aura 
acquis  une  compétence  spéciale  ;  si  bien  que  l'existence  d'ou- 
vriers professionnels,  résultat  d'une  première  et  rudimentaire 
tendance  à  la  division  du  travail,  favorisait  à  son  tour  l'exten- 
sion de  cette  spécialisation.  Il  était  naturel  qu'elle  commençât 
par  les  professions  qui  exigeaient  un  outillage  perfectionné,  une 
manipulation  délicate  ou  des  connaissances  trop  compliquées 
pour  la  majorité  des  intelligences.  Dans  une  courte  énumération 
des  principales  sortes  de  démiurges,  YOdyssée  cite  les  devins, 
les  médecins,  les  chanteurs  et  les  menuisiers  (xéxTcveç),  auxquels 
un  autre  passage  ajoute  les  hérauts  2.  Mais  il  ne  faut  pas  con- 
clure de  ce  texte  que  les  ouvriers  manuels  étaient  parmi  eux  en 
petite  minorité;  car  les  deux  poèmes  en  donnent  d'autres 
exemples,  en  assez  grand  nombre.  Le  terme  de  tsxtwv,  —  pour 
examiner  d'abord  ceux  que  nomme  le  passage  en  question,  — 
désigne  tous  les  gens  qui  travaillent  le  bois  et  qui  constituent 
pour  nous  plusieurs  corps  de  métiers  parfaitement  distincts  : 
les  TéxToveç  homériques  sont  soit  des  maçons ■^,  soit  des  construc- 


1.  L'Iliade  cite  les  teinturières  de  Carie  et  de  Lydie  (IV,  v.  141  et  suiv.),  les 
brodeuses  de  Sidon  (VI,  v.  289  et  suiv.),  les  armuriers  de  Chypre  (XI,  v.  19  et 
suiv.).  C'est  par  un  corroyeur  béotien  qu'Ajax  fait  recouvrir  son  bouclier  {IL, 
VII,  V.  220  et  suiv.;  —  Pline,  H.  N.,  VII,  57,  5);  suivant  Strabon  (XIII,  4,  6), 
il  s'agirait  même  d'un  Lydien  établi  en  Béotie.  L'Odyssée  (XVII,  v.  382,  386) 
fait  également  allusion  à  ces  ouvriers  qu'on  «  appelle  d'ailleurs  ». 

2.  XVII,  V.  383  et  suiv.;  XIX,  v.  135. 

3.  //.,  VI,  V.  315;  XXIII,  v.  712  et  suiv.;  Od.,  XVII,  v.  340;  XXI,  v.  43  et 
suiv. 


12  PIERRE   WALTZ. 

teurs  de  navires  ^  soit  des  charpentiers 2,  parfois  encore  des 
bûcherons^,  des  menuisiers  d'art^,  des  charrons ^  ou  des  fabri- 
cants d'arcs 6.  Rien  ne  fait  supposer  d'ailleurs  qu'ils  se  soient 
spécialisés  chacun  dans  une  seule  de  ces  branches^.  Il  en  est 
de  même  pour  les  métallurgistes  :  le  terme  de  '/akyi.tùç  désigne 
ordinairement,  dans  V Iliade,  un  armurier^;  mais  VOdyssée  fait 
aussi  des  yû^xr^z^  soit  des  forgerons,  soit  des  orfèvres 9.  Leur 
patron,  Héphaistos,  s'occupe  à  la  fois  de  chaudronnerie  et  de 
bijouterie '0;  nous  le  voyons  fabriquer  tour  à  tour  une  cuirasse, 
un  bouclier,  des  armes  offensives,  des  trépieds,  des  meubles  en 
métal^^  parfois  même  des  chambres  et  des  portiques  •2.  La  diffi- 
culté de  travailler  le  métal  exige  un  homme  expérimenté  ;  mais 
toutes  les  industries  où  s'emploie  cette  matière  sont  également 
de  sa  compétence  13. 

Il  est  naturel  que,  dans  V Iliade  surtout,  ces  deux  classes 
d'artisans  soient  le  plus  fréquemment  nommées  :  l'armurier  est 
le  principal  fournisseur  des  héros  belliqueux  ;  quant  au  bûche- 
ron, sa  besogne  est,  dans  les  récits  de  combats,  une  source  iné- 
puisable de  comparaisons.  Mais  la  société  homérique  connaît 
encore  d'autres  métiers  manuels,  entre  autres  ceux  de  corroyeur  ^^ 

1.  IL,  III,  V.  61  et  suiv.;  XIII,  v.  390;  XIV,  v.  410  et  suiv.,  etc. 

2.  Od.,  VIII,  V.  493;  IX,  v.  384  et  suiv. 

3.  //.,  XVI,  V.  483,  etc. 

4.  OcL,  XIX,  V.  55  et  suiv. 

5.  Hymne  à  Aphrodite,  v.  12.  Dans  l'Iliade  (IV,  v,  485  et  suiv.),  le  charron 
est  qualifié  d'âpixaxoTTrjYbs  àvyjp  ;  mais  cett«  épithète  peut  bien  s'appliquer  à  un 
TéxTwv  (cf.  p.  12,  n.  6). 

6.  IL,  IV,  v.  110.  Il  s'agit  d'ailleurs  d'un  arc  en  corne,  non  en  bois. 

7.  Cf.  Guiraud,  la  Main-d'œuvre...,  p.  19-20. 

8.  IV,  V.  187  et  216;  XII,  v.  285;  XV,  v.  309;  XXIII,  v.  743,  etc. 

9.  IX,  v.  391  et  suiv.,  etc.;  III,  v.  432  (le  même  personnage  est  appelé  xp'Jffo- 
xéoî,  V.  425),  etc. 

10.  Od.,  VIII,  V.  172  et  suiv.;  —  IL,  IV,  v.  615  et  suiv.;  VI,  v.  232  et  suiv.; 
VIT,  v.  91  et  suiv.;  XVIII,  v.  400  et  suiv. 

il.  IL,  II,  V.  101;  VIII,  195;  XVIII,  v.  373  et  suiv.,  478  et  suiv.,  609  et  suiv.; 
XIV,  V.  293  et  suiv. 

12.  IL,  XIV,  v.  106;  XX,  v.  12. 

13.  Selon  Hellanicos  (fr.  112  et  113  MûUer),  la  fabrication  des  armes  aurait 
été  inventée  à  Lemnos,  et  les  armuriers  lemniens  auraient  été  les  premiers 
démiurges  grecs.  La  tradition  populaire  attribuait  la  même  invention  aux 
Dactyles  de  l'Ida  (cf.  Strabon,  X,  3,  22,  etc.). 

14.  IL,  VII,  V.  220  et  suiv.  (Tychios  d'Hylè  en  Béotie,  qui  avait  garni  de  cuir 
le  bouclier  d'Ajax);  XVII,  v.  389  et  suiv.;  —  Od.,  VIII,  v.  373  (Polybos,  fabri- 


LES   ARTISANS    ET   LEUR   VIE    EN    GRÈCE.  13 

et  de  potier  1,  sans  compter  diverses  professions  libérales,  que 
nous  avons  vues  classées  par  YOdyssée  parmi  les  fonctions  des 
démiurges 2.  Les  exemples  en  sont  assez  fréquents  pour  que  nous 
puissions  conclure  de  là  que  l'artisanat'^  est  déjà  entré  dans  les 
mœurs  comme  une  institution  normale,  quoique  les  démiurges 
n'exercent  encore  qu'un  petit  nombre  de  métiers,  —  à  l'intérieur 
desquels  ne  se  manifeste  aucune  division*,  —  et  que  les  limites 
soient  mal  déterminées  entre  le  travail  professionnel  et  celui  que 
chacun  fait  chez  soi^. 


cant  (le  ballons  pour  les  enfants  d'Alcinoos).  Ils  sont  qualifiés  de  (Ty.uTOTÔ|i.cot, 
terme  qui,  à  l'âge  classique,  désignera  surtout  les  cordonniers  (cf.  Bliimner, 
Terminologie  der  Gewerbe  und  Kiinste  bei  Griechen  und  Rômcrn,  t.  I, 
p.  254  et  suiv.). 

1.  IL,  XVIII,  V.  599-601  (les  évolutions  d'un  chœur  de  danse  sont  comparées 
à  la  rotation  d'une  «  roue  de  potier  »).  Celte  industrie  était  une  des  plus 
avancées  à  cette  époque  (cf.  Blùmner,  Die  griechischen  PrivatalterUiUmer, 
p.  408). 

2.  Voici  les  principaux  exemples  qu'en  citent  l'Iliade  et  l'Odyssée  :  méde- 
cins, IL,  IV,  V.  190;  XI,  V.  514  et  suiv.,  833  et  suiv.;  XIII,  v.  223;  —  devins, 
IL,  I,  V.  65  et  suiv.;  VI,  v,  76;  XVI,  v.  234  et  suiv.;  XXIV,  v.  221,  etc.; 
Od.,  I,  V.  415  et  suiv.;  X,  v.  492;  XI,  passim;  XV,  v.  225  et  suiv.;  XX,  v.  350 
et  suiv.,  etc.;  —  sacrificateurs,  IL,  I,  v.  11  et  suiv.;  V,  v.  10,  etc.;  —  chantres 
et  musiciens,  Od.,  l,  v.  153  et  suiv.,  325-352;  III,  v.  267;  IV,  v.  17;  VIII, 
V.  43  et  suiv.,  479  et  suiv.;  XVII,  v.  518  et  suiv.;  XXII,  v.  347  et  suiv.; 
—  hérauts,  IL,  IV,  v.  679  et  suiv.,  etc.,  etc.;  Od.,  II,  v.  6,  38,  etc.  Dans 
quelques  cas,  par  exemple  quand  le  poète  parle  d'un  plongeur  {IL,  XVI, 
V.  750),  d'un  pilote  (XXIII,  v.  316),  d'un  cocher  {ibid.,  v.  318)  ou  d'un  athlète 
(Od.,  VIII,  V.  164),  il  est  assez  dilBcile  de  dire  s'il  s'agit  de  l'exercice  d'une 
profession  régulière  ou  dune  occupation  momentanée.  Guiraud  {la  Main- 
d'œuvre...,  p.  20)  rappelle,  en  la  critiquant,  la  théorie  suivant  laquelle  les 
noms  de  métiers  seraient  caractérisés  par  la  terminaison  -euç,  tandis  que  la 
terminaison  -oî  s'appliquerait  aux  termes  qui  désignent  une  occupation  acci- 
dentelle. En  fait,  bien  des  mots  échappent  à  ce  critérium  (téxtwv,  |jiâvTi;,  xvjpuÇ, 
et  surtout  les  noms  en  -ty]p  :  xuêto-roTv^p,  àeXïixïjp,  Iv)ttip,  etc.),  et  d'autre  part 
il  n'est  pas  toujours  exact  (àoi56ç,  axyTOTÔjjLo;,  etc.,  désignent  bien  des  métiers). 

3.  On  voudra  bien  me  pardonner  l'emploi  de  ce  néologisme  indisi»ensable, 
qui  est  d'ailleurs  d'usage  courant  dans  le  langage  des  économistes;  il  me 
semble  infiniment  préférable  au  vocable  artisanerie,  qu'avait  risqué  G.  Sand. 

4.  Encore  un  exemple  de  cette  confusion  des  fonctions  :  l'Hymne  à  Aphro- 
dite (v.  12-13)  parle  de  téxtovs;  qui  fabriquent  des  chars  damasquinés  d'ai- 
rain (uoixfXa  j^aXxôJ). 

5.  Un  exemple  curieux  de  cet  état  de  choses  est  donné  par  l'Iliade,  où  l'on 
voit  (VI,  V.  313-315)  Paris  bâtir  sa  maison  lui-même  (aÙTÔ;),  avec  l'aide  de 
charpentiers  de  profession  (téxtovei;). 


34  PIERRE   WALTZ. 

II. 

Les  corps  de  métiers  au  VHP  siècle. 

Ce  départ  entre  les  besognes  qu'effectuaient  les  gens  de  métier 
et  ceUes  dont  chaque  particulier  se  chargeait  lui-même  est  un 
des  points  que  l'étude  de  la  poésie  hésiodique  peut  le  mieux  con- 
tribuer à  élucider  1.  Cela  tient  en  partie  aux  conditions  dans  les- 
quelles a  été  écrit  le  poème  des  Travaux  et  à  l'intention  qui  en 
a  inspiré  la  composition.  Ce  code  de  la  vie  rurale  est  plus  exhor- 
tatif  que  proprement  didactique  ;  en  tout  cas,  ce  n'est  nullement 
un  ouvrage  ésotérique  ;  il  n'est  pas  destiné  aux  spécialistes  d'une 
profession  déterminée  ;  il  contient,  au  contraire,  l'exposé  de  toutes 
les  notions  nécessaires  à  la  vie  matérielle  et  morale  de  n'importe 
quel  habitant  de  la  campagne.  Il  s'ensuit  naturellement  que  le 
poète  insiste  longuement  sur  le  détail  des  travaux  que  chacun 
peut  être  appelé  à  faire  pour  son  propre  compte,  parce  que  dans 
ce  cas  l'occasion  se  présentait  constamment,  et  pour  tout  le 
monde,  de  mettre  ses  leçons  en  pratique;  tandis  qu'il  passe  très 
rapidement  sur  la  fabrication  des  instruments  que  les  particuliers 
devront  commander  aux  professionnels  ;  car  cette  dernière  ques- 
tion reste  étrangère  à  son  enseignement.  Le  poème  est,  dans  sa 
forme,  adressé  au  frère  du  poète  et  n'énonce  que  des  conseils 
qui  puissent  lui  être  directement  utiles 2;  or.  Perses  était  un 
petit  propriétaire  foncier,  et  rien  ne  peut  faire  supposer  qu'il 
ait  jamais  été  un  «  démiurge  »;  Hésiode  serait  sorti  de  son 
sujet  s'il  était  entré  dans  un  développement  technique  d'ordre 
spécial.  De  l'abondance  et  de  la  précision  des  préceptes  rela- 
tifs à  une  tâche  quelconque,  nous  pourrons  donc  inférer 
qu'elle  est  de  celles  qui  incombent  à  chaque  maître  de  maison  ; 
tandis  qu'une  omission,  un  manque  apparent  de  proportions, 
une  brièveté  qu'à  première  vue  on  jugerait  excessive  font  sup- 
poser à  bon  droit  que  des  prescriptions  plus  détaillées  seraient 

1.  La  plupart  des  exemples  qui  vont  suivre  sont  empruntés  aux  Travaux, 
les  poèmes  pseudo-hésiodiques  ne  fournissant,  sur  la  question  que  je  traite, 
que  très  peu  d'indications. 

2.  La  chose  a  été  contestée  pour  les  derniers  vers  du  poème  (v.  695-828),  où 
en  effet  Perses  n'est  pas  nommé;  mais  il  ne  semble  pas  qu'Hésiode  le  perde 
jamais  de  vue  (cf.  P.  Mazon,  la  Composition  des  Travaux  et  des  Jours,  Rev. 
Et.  Ane,  1912,  tirage  à  part,  p.  24  et  suiv.). 


LES   ARTISANS    ET   LEUR   VIE   EN    GRECE.  15 

restées,  pour  la  majorité  du  public,  sans  application  pratique 
et  par  conséquent  sans  intérêt  immédiat.  Quand  la  description 
de  l'hiver  amène  le  poète  à  parler  du  costume  qui  convient  à 
cette  saison,  il  est  évident  qu'il  n'en  énumérerait  pas  toutes  les 
pièces,  —  tunique,  manteau,  bottines,  bonnet,  —  et  n'insisterait 
pas  sur  la  qualité  de  la  laine  ou  des  fourrures,  sur  le  tissage,  la 
couture  et  le  feutrage  i,  s'il  ne  s'adressait  à  des  gens  qui  font 
eux-mêmes  leurs  vêtements.  Pour  une  femme  en  particulier,  — 
fût-elle,  comme  Pandore,  d'origine  divine,  —  le  premier  mérite 
est  de  savoir  tisser,  coudre,  faire  ses  habits  de  ses  propres 
mains;  et  ce  sont  les  dieux  qui  lui  apprennent  ces  arts  précieux 
pour  la  rendre  encore  plus  accomplie^.  En  ce  qui  concerne  les  ins- 
truments aratoires,  il  faut  non  seulement  avoir  k  soi  tout  le  maté- 
riel nécessaire,  mais  être  capable  de  le  fabriquer  soi-même  : 
Hésiode  le  dit  expressément 3.  Aussi  ne  craint- il  pas  de  s'attar- 
der aux  détails  les  plus  minutieux  :  la  saison  où  il  convient 
d'abattre  les  arbres,  les  avantages  ou  les  inconvénients  des 
diverses  essences,  les  dimensions  exactes  du  mortier,  du  pilon, 
du  maillet,  de  l'essieu  et  des  roues  du  chariot,  il  précise  tout 
avec  le  plus  grand  soin  4;  car  la  construction  des  charrues  et 
des  voitures  est  une  de  ces  besognes  que  chacun  doit  faire  pour 
soi  et  «  chez  soi  »-''. 

Ce  dernier  point  est  en  effet  capital  pour  Hésiode;  car  une 
des  premières  qualités  qu'il  exige  de  son  campagnard  modèle, 
c'est  qu'il  soit  en  état  de  se  suffire  à  lui-même  et  ne  soit  jamais 

1.  Tr.,  V.  536-546. 

2.  Tr.,  V.  63-64,  79;  —  Théogonie,  v.  571  et  suiv.  Un  fragment  du  Catalogue 
(fr.  94,  V.  11)  contient  une  allusion  analogue  aux  «  femmes  instruites  à  faire 
des  ouvrages  parfaits  )>.  Cf.  également  Tr.,  v.  779  :  c'est  le  30  du  mois  que  la 
femme  «  dressera  son  métier  et  mettra  son  ouvrage  en  train  ». 

3.  V.  43"2  :  Aocà  Se  Oiaûai  àpotpa,  TtovoiàjjLevoç  xaxà  oixov.  Cf.  v.  407, 
457,  etc. 

4.  V.  423-436. 

5.  Ka-cà  oTuov  (v.  432,  déjà  cité),  Èv  oîxw  (v.  407).  —  Quant  à  la  maison  elle- 
même,  il  serait  intéressant  de  savoir  si  chaque  propriétaire  la  bâtissait  de  ses 
propres  mains,  comme  Ulysse  à  Ithaque,  ou  si,  comme  Paris  à  Troie,  il  faisait 
appel  à  des  maçons  salariés;  mais  les  passages  où  Hésiode  fait  allusion  aux 
habitations  et  à  leur  construction  ne  permettent  pas  de  résoudre  la  question 
avec  certitude  :  otxov...  itotiiaaaOai  (v.  405  et  suiv.)  signifie  simplement  se  pro- 
curer une  maison,  sans  préciser  le  mode  d'acquisition;  — oTjcov...  tcokôv  (v.  704) 
peut  signifier  faisant  ou  faisant  faire  une  maison;  —  TioteîaÔe  xaXià;  (v.  503) 
signifie  plutôt,  vu  le  contexte  relatif  aux  provisions  (pioç)  pour  l'hiver  :  «  Faites 
des  réserves  »,  que  :  «  Construisez-vous  des  cabanes.  » 


16  PIERRE   WÀLTZ. 

dans  la  nécessité  d'implorer  l'aide  d'autrui.  Chaque  tâche  doit 
se  faire  en  son  temps  ;  Hésiode  ne  cesse  de  le  répéter,  et  c'est 
pour  cela  qu'il  a  inséré  dans  son  poème  moral  un  calendrier 
du  parfait  agriculteur,  où  il  insiste  moins  sur  le  détail  de  chaque 
besogne  que  sur  le  moment  qui  lui  convient  et  les  signes  natu- 
rels qui  en  indiquent  la  saison  i.  Or,  pour  être  sûr  de  pouvoir 
labourer,  moissonner  ou  vendanger  au  moment  voulu,  il  faut  ne 
dépendre  de  personne,  n'avoir  pas  à  compter  avec  la  négligence 
ou  la  mauvaise  volonté  d'un  voisin  qui  refuse  de  vous  prêter  sa 
charrue  ou  son  attelage  2;  le  seul  moyen  d'arriver  à  une  com- 
plète indépendance  est  donc  d'avoir  à  sa  disposition  tous  les 
outils  et  tous  les  auxiliaires  indispensables 3.  Sans  doute,  le 
poète  signale  en  passant  la  nécessité  de  vivre  en  bonnes  rela- 
tions avec  ses  semblables,  en  particulier  avec  les  gens  du  voi- 
sinage^ :  l'usage,  sinon  une  loi  formelle,  établissait  une  sorte  de 
solidarité  entre  les  habitants  d'un  même  bourg  s.  Mais  Hésiode 
cherche  précisément  à  réduire  au  minimun  la  nécessité  des 
services  mutuels  qu'ils  peuvent  être  appelés  à  se  rendre.  Le  but 
en  est  louable  :  le  poète  s'efforce  de  supprimer  ou  tout  au  moins 
de  restreindre  la  part  d'aléa  toujours  trop  considérable  dans  nos 
entreprises.  Mais  cet  individualisme  outré  n'est  pas  sans  entraî- 
ner des  conséquences  fâcheuses,  même  au  point  de  vue  matériel  : 
préconiser  un  genre  de  vie  où  chacun  ne  doit  compter  que  sur  lui- 
même,  c'est  entraver  la  division  du  travail,  donc  les  progrès  de 
l'industrie.  Ainsi  s'explique,  par  exemple,  la  persistance  de  la 
primitive  charrue  «  d'une  seule  pièce  »  à  côté  de  la  charrue 
«  ajustée  »,  plus  légère  et  plus  commode,  mais  de  facture  plus 
compliquée  •%  et  ceUe  du  moulin  rudimentaire,  composé  d'un 
mortier  et  d'un  pilon  en  bois,  à  une  époque  où  la  meule  était 


1.  Cf.  Hésiode  et  son  poème  moral,  p.  64  et  suiv.,  88  et  suiv. 

2.  Tr.,  V.  453  et  suiv. 

3.  Tr.,  V.  405  et  suiv.  :  «  Avant  tout,  il  faut  avoir  une  maison,  deux  bœufs 
de  labour...,  une  esclave...,  puis  il  faut  se  procurer  et  avoir  chez  soi  tous  les 
instruments  nécessaires...  » 

4.  Tr.,  v.  725  et  suiv.,  342  et  suiv. 

5.  Tr.,  V.  344-345.  Cf.  G.  Glotz,  op.  cit.,  1.  I,  ch.  vu  (en  particulier,  p.  197 
et  suiv.). 

6.  "ApoTpov  aÙTOYuov;  —  àpoTpov  itioxTÔv.  Hésiode  recommande  (v.  433  et 
suiv.)  d'en  avoir  deux,  une  de  chaque  type,  pour  ne  pas  être  pris  au  dépourvu; 
dans  la  seconde,  chaque  pièce  doit  être  faite  d'un  bois  différent  (v.  435  et  suiv.). 


LES   ARTISANS   ET    LECR   VIE    EN   GRECE.  17 

déjà  connue'.  Le  temps  n'est  pas  encore  oublié  où  Géa  fabri- 
quait elle-même  sa  propre  faux  2. 

Mais  si  les  principes  de  la  morale  hésiodique  tendent  à  retar- 
der la  division  du  travail,  n'est-ce  pas  que  pour  certaines  causes 
sociales  le  développement  en  était  alors  impossible?  De  ces 
causes,  le  poète  nous  en  fait  découvrir  une  qui  pourrait  bien  avoir 
été  la  plus  importante  :  son  but  essentiel  est  de  démontrer  la 
nécessité  du  travail  ;  tout  homme  est  tenu  de  peiner,  s'il  ne  veut 
être  réduit  à  mourir  de  faim  ou  à  vivre  d'expédients  douteux  ;  or, 
la  seule  besogne  qui  pût  assurer  à  un  Béotien  du  viii'*  siècle  une 
aisance  honnête  et  solide,  c'était  la  culture  des  champs;  aussi 
Hésiode  recommande-t-il  à  tous  ses  concitoyens  de  s'y  adonner, 
pour  puiser  dans  leur  propre  labeur  les  ressources  indispensables 
à  leur  subsistance  ;  car  le  profit  que  chacun  en  retire  est  le  cou- 
ronnement de  son  activité,  le  résultat  et  la  conséquence  néces- 
saire de  ses  efibrts  personnels.  Dans  la  civilisation  hésiodique, 
tout  le  monde  est  agriculteur  ;  seule,  la  tradition  légendaire  garde 
le  souvenir  lointain  des  ancêtres  qui  ne  cultivaient  pas  le  sol, 
les  uns  parce  que  la  faveur  des  dieux  les  avait  dispensés  de 
toute  peine 3,  les  autres  parce  que  leur  barbarie  ne  pouvait 
s'astreindre  à  cette  contrainte^. 

Mais  si  la  vie  agricole  est  la  vie  morale  par  excellence, 
puisque  nos  gains  ne  s'y  font  pas  aux  dépens  d'autrui,  elle  ne 
fortifie  guère  le  lien  social  entre  ceux  qui  la  pratiquent  :  le 
laboureur  n'a  de  relations  constantes  et  nécessaires  qu'avec  le 
sol  qu'il  cultive  et  qui  absorbe  son  activité  au  point  de  ne  lui 
laisser  guère  le  loisir  de  lever  la  tête  pour  étendre  son  regard 
sur  le  monde  qui  l'entoure.  De  nos  jours  encore,  les  sentiments 
de  solidarité  sont  beaucoup  moins  développés  dans  les  pays  agri- 
coles que  dans  les  régions  industrielles  :  les  divers  individus  ne 
s'y  considèrent  pas  comme  collaborant  à  une  même  œuvre,  ils 
ne  se  sentent  pas  nécessaires  les  uns  aux  autres.  On  comprend 
dès  lors  pourquoi  Hésiode  conseille  à  ses  disciples  de  connaître 
les  travaux  des  champs,  et,  dans  le  catalogue  qu'il  en  dresse, 

1.  Tr.,  V.  423.  La  meule  est  nommée  plusieurs  fois  dans  Y  Odyssée  (VII, 
V.  104;  XX,  V.  106,  etc.). 

2.  Théog.,  v.  161  et  suiv. 

3.  Ceux  de  l'âge  d'or  (v.  108-120). 

4.  Ceux  de  l'âge  d'airain  (v.  140  et  suiv.  :  où5é  ti  ctîtov  r'aOtov);  comparer  les 
Cyclopes  de  l'Odyssée. 

Rev.  IIistor.  CXVII.  !«■•  fasc.  2 


18  PIERRE   WALTZ. 

impose  à  chacun  les  besognes  les  plus  variées.  Au  cas  même  où 
son  paysan  a  besoin  de  quelques  auxiliaires,  un  toucheur  de 
bœufs,  un  enfant  pour  manier  le  hoyau,  etc.  ^  c'est  pour  l'assis- 
ter dans  une  tâche  collective  et  non  pour  effectuer  un  travail 
dont  il  serait  lui-même  incapable  ;  s'il  fait  appel  au  concours  de 
moissonneurs  ou  de  vendangeurs,  ce  sont,  comme  les  marins  de 
l'Odyssée,  des  tâcherons  qui  s'embauchent  suivant  le  hasard 
d'une  occasion,  mais  non  des  spécialistes  2.  L'agriculture  n'est 
pas,  à  proprement  parler,  une  profession;  elle  est  déjà,  comme 
elle  le  restera  toujours  chez  les  Grecs,  la  ressource  de  ceux  qui 
n'en  ont  pas  d'autre  :  «  Si  vous  n'avez  pas  appris  un  métier  », 
dit  le  continuateur  de  Phocylide,  «  creusez  la  terre  à  coups  de 
pioche  3.  » 

Ni  pour  cultiver  ses  champs,  ni  pour  fabriquer  ses  outils,  le 
laboureur  ne  recherche  le  concours  de  démiurges  :  Hésiode  lui 
enseigne,  tout  au  contraire,  les  moyens  de  se  passer  de  leur  col- 
laboration. Mais  par  là  même,  quand  nous  le  voyons  engager 
ses  concitoyens  à  recourir  à  leur  intervention,  nous  pouvons 
d'autant  mieux  juger  des  cas  où  elle  était  devenue  indispensable  : 
car  sans  cela  il  n'y  eût  pas  fait  allusion.  Certaines  branches  de 
l'industrie  avaient  assez  progressé,  la  fabrication  de  leurs  pro- 
duits était  devenue  assez  délicate  pour  que  l'on  ne  pût  renoncer 
à  l'aide  des  professionnels,  si  l'on  ne  voulait  se  condamner  à 
l'emploi  d'instruments  ou  d'objets  mobiliers  de  qualité  médiocre  ; 
quand  la  question  se  posait  aussi  nettement,  ce  n'était  évidem- 
ment pas  à  cette  dernière  alternative  qu'il  valait  le  mieux  s'ar- 
rêter. 

Quand  Hésiode  veut  citer  quelques  exemples  de  ces  gens  de 
métier,  les  deux  premiers  qui  lui  viennent  à  l'esprit  sont  deux 
ouvriers  manuels;  d'abord,  le  potier  (-/.spap-suç),  puis  le  menuisier 
(Té/,Ta)v)4;  au  cours  du  poème,  l'occasion  se  présente  encore  de 
nommer  le  forgeron-^  et  le  bûcheron  {\jko-:6\>.oq)^.  Ces  textes  sont 

1.  Tr.,  V.  441  et  suiv.,  469  et  suiv.,  502,  602,  etc.  Cf.  p.  38. 

2.  Cf.  Boucl.  Hér.,  v.  286  et  suiv.,  etc. 

3.  Pseudophoc,  v.  158  et  suiv.  (imité  de  Phocylide,  fr.  5  Crusius).  Solon 
(fr.  12  Crusius,  v.  47  et  suiv.)  oppose  de  même  les  agriculteurs  à  ceux  qui  ont 
appris  un  métier. 

4.  Tr.,  V.  25  :  Ka\  xspapLeù;  xspafjiEÎ  xotéei  xa\  xéxTovt  xéxtwv. 

5.  V.  430,  où  cet  artisan  est  désigné  par  la  périphrase  'AQï5vair)i;  ô|xàJoc,  ren- 
due très  claire  par  le  contexte.  Il  y  est  fait  également  allusion  au  vers  493  : 
nàp  Slot  )(àXxeiov  ÔôJxov  xtX. 

6.  V.  807. 


LES   ARTISANS   ET    LEDR   VIE    EN    GRECE.  19 

rares  et  courts  ;  ils  nous  laissent  pourtant  apercevoir  quel  genre 
de  travail  on  demandait  à  chacun  de  ces  artisans,  dans  quel  cas 
et  pourquoi  il  était  nécessaire  de  faire  appel  à  leur  compétence 
spéciale. 

Le  potier  (xepaixeuç)  est  proprement  l'ouvrier  qui  fabrique  des 
objets  en  terre  glaise  {v.épx\).oq)  ;  son  industrie  comprenait  donc 
la  confection  des  lampes  et  de  divers  autres  ustensiles  ménagers  ; 
mais  la  production  des  vases  de  toute  forme  et  de  toute  taille 
devint  bientôt  sa  principale  fonction'.  C'est  qu'à  la  campagne 
surtout  aucune  industrie  ne  se  développe  aussi  facilement  :  la 
matière  première  est  infiniment  plus  aisée  à  se  procurer  et  à 
manipuler  que  le  métal;  les  produits  en  sont  peu  coûteux  et 
ser^^ent,  dans  les  habitations  rustiques,  aux  usages  les  plus 
variés.  Aucune  nation,  si  ce  n'est  peut-être  l'Espagne^,  n'a 
d'ailleurs  jamais  fait,  dans  l'antiquité  conune  dans  les  temps 
modernes,  une  consommation  de  céramique  comparable  à  celle 
de  la  Grèce.  Pour  Hésiode  en  particulier,  l'art  du  potier,  auquel 
V Iliade  ne  fait  qu'une  fugitive  allusion  ^  est  de  toute  première 
importance.  Aussi  les  Travaux  en  citent-ils  souvent  les  produc- 
tions :  ce  sont  les  grandes  jarres  (•âîôc),  qui  servent,  comme  les 
amphores  de  l'âge  classique,  à  conserver  le  vin,  l'huile,  les 
grains 4;  les  pots  («Y^ea),  où  le  paysan  serre  également  ses 
récoltes  5;  les  «  pot-au-feu  »  (/uipiTroBsç),  où  l'on  fait  cuire  les 
aliments  ou  bouillir  de  l'eau  "^i  enfin  le  matériel  complet  des 
buveurs,  le  cratère,  où  se  fait  le  «  vin  rouge  » ,  et  la  carafe  (ohoyôri) 
avec  laquelle  on  le  verse  dans  les  coupes^.  Quelques-uns  de  ces 
instruments  eussent  été,  vu  leurs  dimensions,  assez  difficiles  à 
fabriquer  chez  des  particuliers;  mais  surtout,  une  certaine 
recherche  du  luxe  commençant  à  se  manifester,  chacun  désirait 


1.  A  l'époque  classique,  la  division  sera  complète;  ainsi,  dans  les  peintures 
céramiques  qui  représentent  des  ateliers  de  potiers,  tous  les  objets  que  les 
artisans  travaillent  ou  exposent  dans  leur  boutique  sont  des  vases;  cf.,  par 
exemple,  S.  Reinach,  Répertoire  des  vases  peints  grecs  et  étrusques  (Paris, 
1899-1900),  t.  I,  p.  336  et  34G. 

2.  Cf.  P.  Paris,  Essai  sur  l'art  et.Vindustrie  de  l'Espagne  primitive  (Paris, 
1903-1904),  t.  II,  p.  1  et  suiv. 

3.  //.,  XVIII,  V.  599-GOi  (déjà  cités). 

4.  Tr.,  V.  94  et  suiv.,  368  et  suiv.,  819. 

5.  V.  475,  600. 

6.  V.  748. 

7.  V.  744  et  suiv.  Le  «  vin  rouge  »  est  constitué  par  le  «  vin  noir  »  (=  pur) 
additionné  d'eau  en  quantité  variable. 


20  PIEllUE    WALTZ. 

avoir  à  sa  disposition  des  objets  faits  avec  plus  de  régularité  ou 
d'élégance  1  ;  or,  ce  travail  plus  perfectionné  exigeait  un  outillage 
plus  compliqué  :  un  tour"^,  un  polissoir  et  déjà  sans  doute  un 
four  spécial  ;  seul  un  démiurge  avait  l'occasion  de  fabriquer  des 
vases  en  assez  grand  nombre  pour  avoir  intérêt  à  posséder  tout 
cet  attirail'^. 

Des  raisons  analogues  expliquent  le  développement  de  la  chau- 
dronnerie. Cette  industrie  était  déjà  assez  avancée  pour  ne  plus 
se  contenter  d'un  matériel  simple  et  portatif,  comme  nous  en 
voyons  encore  chez  les  peuplades  africaines  ou  entre  les  mains 
de  nos  étameurs,  —  matériel  que  chacun  eût  pu  aisément  se  pro- 
curer et  installer  n'importe  où.  Le  forgeron  a  un  atelier  assez 
vaste  pour  servir  de  lieu  de  réunion  aux  oisifs  qui  venaient  s'y 
chauffer  en  hiver^.  Le  poète  ne  nous  donne  aucun  renseignement 
sur  le  détail  du  travail  qui  s'y  faisait,  ce  qui,  nous  l'avons  dit, 
sortirait  du  cadre  qu'il  s'est  fixé.  C'est  en  passant,  à  l'occa- 
sion, qu'il  cite  quelques-uns  des  objets  que  produisait  la  forge, 
entre  autres  les  trépieds  de  bronze,  qui  servaient  souvent  d'ex- 
voto,  mais  qu'on  employait  aussi  dans  les  maisons  coiimie  sup- 
ports pour  les  objets,  — les  vases  notamment,  — que  leur  forme 
ne  permettait  pas  de  poser  à  terres  Le  premier  venu  ne  pouvait 

1.  C'est  surtout  au  vu''  siècle  que  la  céramique  d'art  commença  à  se  déve- 
lopper; mais,  dès  le  vur,  les  fabriques  de  Corinthe  et  d'Athènes  produisaient 
des  vases  renommés. 

2.  Tpoxô;.  Cet  instrument  est  déjà  connu  d'Homère  {IL,  loc.  cit.),  qui  emploie 
fréquemment  aussi  l'adjectif  O'.vwtôç  (=  fait  au  tour).  Sur  ICTopvoç  (instrument 
analogue  en  usage  pour  le  travail  du  bois  et  des  métaux)  et  son  invention 
attribuée  à  Théodore  de  Samos,  cf.  p.  41,  n.  1. 

3.  Cf.  Blûmner,  Die  griechischen  Privatalterthumer,  p.  408.  Le  four  du 
potier,  le  tour,  le  polissoir  sont  souvent  représentés  soit  sur  des  vases  peinls 
(cf.  S.  Reinach,  Catalogue  des  vases  peints...,  t.  I,  p.  346  :  potier  maniant  un 
tour  et  un  polissoir,  ouvrier  devant  un  four  à  poterie;  —  0.  Rayet  et  M.  Colii- 
gnon,  Histoire  de  la  céramique  grecque,  lig.  7  :  polissage  d'un  vase),  soit  sur 
des  plaquettes  corinthiennes  (cf.  Rayet  et  Collignon,  lig.  4  :  potier  travaillant 
au  four;  5  :  vases  cuisant  dans  un  four;  66  :  polissage  des  vases,  etc.). 

4.  Tr.,  V.  493  et  suiv.,  et  scJiol.  :  Ta  -/aXxeîa  itapà  xoîç  izalaioiç  àOupa  f,v, 
xa\  ô  pou)v6(Ji.£vo;  elarjEt  xa\  èSEpîxaive-co,  xa\  ol  ttcvots;  èxeï  èxoifj.wvTo.  Cf.  Eus- 
tathe,  in  Od.,  XVIli,  v.  328.  —  Dans  une  forge  représentée  sur  un  vase  peint 
(Reinach,  t.  I,  p.  224),  on  voit,  entre  autres  personnages,  figurer  un  visiteur; 
cf.  p.  50. 

5.  Tr.,  V.  657;  —  Boucl.  Hér.,  v.  312,  etc.  Les  poèmes  homériques  font  de 
nombreuses  allusions  à  cet  ustensile,  qui  servait  surtout  aux  échanges  :  on 
évalue  volontiers  en  trépieds  la  valeur  marchande  d'un  objet.  Le  trépied  devait 
être  d'usage  très  courant,  car  on  le  trouve  figuré  dans  la  plupart  des  peintures 


LES   ARTISANS   ET   LEUR   VIE    EN    GRÈCE.  21 

être  en  état  de  les  fabriquer  :  outre  la  nécessité  d'un  outillage 
abondant,  encombrant  et  compliqué,  le  métal  était  une  matière 
assez  malaisée  à  manipuler  pour  que  ce  travail  exigeât  un  long 
apprentissage'.  Aussi  le  cultivateur  est-il  souvent  obligé  de  faire 
appel  aux  travailleurs  du  fer,  dont  les  services  ne  se  bornent 
pas  d'ailleurs  à  la  fourniture  d'ustensiles  tout  faits  :  leur  inter- 
vention s'impose  toutes  les  fois  qu'une  pièce  métallique  est 
nécessaire  dans  la  fabrication  d'un  meuble  en  bois.  Dans  la 
construction  des  charrues  «  ajustées  »,  c'est  l'affaire  de  chaque 
propriétaire  de  se  procurer  le  manche,  l'âge  et  le  timon,  en  choi- 
sissant soigneusement  des  ais  de  la  forme  et  de  la  qualité  vou- 
lues ;  mais  pour  que  l'assemblage  de  ces  éléments  divers  puisse 
offrir  une  solidité  suffisante  et  «  résister  à  la  traction  des  bœufs 
au  labour  »,  il  faut  qu'ils  soient  parfaitement  emboîtés  l'un  dans 
l'autre,  à  l'aide  de  fortes  chevilles  :  c'est  pour  cette  besogne  plus 
délicate  qu'on  a  recours  au  forgeron"^.  Plusieurs  industries  con- 
courent ici  à  l'élaboration  d'un  même  produit  ;  la  chose  est  très 
importante  à  observer;  car  la  fabrication  par  un  professionnel 
d'une  partie  d'objet  est  l'indice  d'un  progrès  considérable  dans 
la  division  du  travail.  C'est  devenu  un  lieu  commun,  depuis  la 
démonstration  lumineuse  qu'en  a  faite  A.  Smith^,  de  vanter  ce 
qu'y  gagnent  la  rapidité  de  la  production  et  la  qualité  des  pro- 
duits. Mais  ce  «  fait  nouveau  »^  montre  surtout  que  les  relations 
entre  les  individus  d'une  même  société  subissent  déjà  un  com- 
mencement de  réglementation  :  il  ne  s'agit  plus  d'échanges 
constituant  plutôt  une  commodité  pratique  qu'une  nécessité 
sociale,  mais  d'une  collaboration  supposant  une  entente  préa- 

qui  représentent  un  intérieur  (cf.  Reinach,  t.  I,  p.  8,  23,  42,  55,  74,  76,  79, 
97,  etc.,  etc.). 

1.  Ulysse,  dans  la  construction  de  son  radeau  {Od.,  V,  v.  245-261)  et  de  son 
lit  (XXin,  V.  189-201),  ne  fait  usage  d'aucune  pièce  en  métal,—  sauf  pour  les 
incrustations,  qui  ne  sont  pas  une  partie  essentielle  du  meuble. 

2.  Tr.,  V.  430.  Nous  reviendrons  sur  la  périphrase  'AOyivaîrj;  ô(xw;,  qui 
désigne  ici  le  forgeron. 

3.  Recherches  sur  la  nature  et  les  causes  de  la  richesse  des  nations  (1776), 
1.  I,  ch.  I  :  De  la  division  du  travail. 

4.  Le  fait  n'est  d'ailleurs  pas  absolument  sans  précédent  :  nous  avons  déjà 
vu  (//.,  VII,  V.  220  et  suiv.)  Ajax  faire  appel  à  un  corroyeur  en  renom  pour 
garnir  de  cuir  son  bouclier  :  il  y  a  là  une  collaboration  du  ■/jxlv.evç  et  du  (txutoto- 
(xoç.  Plus  tard,  la  cliose  deviendra  normale,  et  l'on  verra  couramment  un  objet 
mobilier  (table,  chaise,  lit,  etc.)  passer  par  les  mains  du  xa>>x£'jç,  qui  ne  l'aura 
pourtant  |>as  fait  de  toutes  pièces  (cf.  Bliimner,  op.  cit.,  p.  405). 


22  PIERRE   WALTZ. 

lable  plus  étroite,  sans  laquelle  le  travail  de  l'artisan  n'aurait 
pas  sa  raison  d'être.  Il  va  sans  dire  que  ce  progrès  est  dû  plutôt 
à  une  évolution  spontanée  qu'à  une  tentative  consciente  d'orga- 
nisation ;  quand  nous  discernons  dans  un  fait  aussi  minime  l'ori- 
gine d'un  phénomène  devenu  depuis  capital,  nous  lui  attribuons 
fatalement,  a  posteriori^  une  importance  qu'il  ne  pouvait  avoir 
aux  yeux  des  contemporains.  Il  s'en  fallait  tellement  que  la 
division  fût  devenue  la  règle  que,  dans  l'intérieur  de  chaque 
professsion,  on  n'en  soupçonnait  même  pas  la  possibilité  :  les 
forgerons  de  l'époque  hésiodique  tendent  bien  à  se  distinguer  de 
plus  en  plus  nettement  des  autres  démiurges,  puisqu'ils  ont  déjà 
leurs  traditions  corporatives  ^  ;  mais  chacun  d'eux  se  livre  aux 
besognes  les  plus  variées  :  comme  dans  l'épopée  homérique, 
leur  divin  patron  Héphaistos  n'est  pas  seulement  quincaillier 2, 
mais  encore  et  à  la  fois  armurier,  coroplaste,  orfèvre  et  graveur^; 
il  est  en  même  temps  ouvrier  et  artiste  ;  sa  compétence  s'étend 
à  tous  les  travaux  dont  un  métal  quelconque  fournit  la  matière. 

Il  en  était  de  même  pour  les  industries  du  bois  :  le  même 
-réxTwv  doit,  chez  Hésiode  comme  chez  Homère,  s'occuper  tour  à 
tour  de  menuiserie,  de  charpente,  de  charronnerie  peut-être,  et 
la  construction  des  bateaux  entre  également  dans  ses  attribu- 
tions. Cette  dernière  branche  de  la  Tsv.-oauvo^  prenait  une  impor- 
tance de  plus  en  plus  considérable,  au  sein  même  d'une  société 
où  la  navigation  n'était  pas  encore  très  développée  ;  car,  dès  qu'on 
avait  besoin  d'une  embarcation  de  dimensions  assez  fortes,  — 
et  Hésiode  conseille  expressément  de  n'employer  qu'un  bâtiment 
assez  grand  pour  contenir  une  cargaison  suffisante  s,  —  la  fabri- 
cation présentait  des  difficultés  insurmontables  pour  un  travail- 
leur isolé  ou  peu  exercé.  Aussi  Hésiode,  qui  formule  des  préceptes 
minutieux  sur  les  soins  que  chacun  peut  avoir  à  donner  aux 


1.  Par  exemple  celles  qui  se  rapportent  aux  inventeurs  légendaires  de  leur 
art,  les  Cyclopes  {Théog.,  v.  146)  ou  les  Dactyles  de  l'Ida  (fr.  176  Rzach). 

2.  Dans  l'espèce,  fabricant  de  trépieds  {Boucl.  Hér.,  v.  312). 

3.  C'est  lui  qui  forge  toutes  les  armes  d'Héraclès  {Boucl.  Hér.,  v.  122  et 
suiv.),  qui  façonne  Pandore  (rr.,v.  70et  suiv.;  Théog.,  v.  571  et  suiv.),  cisèle 
ses  bijoux  {Théog.,  v.  578  et  suiv.),  orne  de  gravures  et  d'incrustations  le 
bouclier  d'Héraclès  {Boucl.  Hér.,  passim). 

4.  Le  mot  est  homérique  (cf.  Od.,  V,  v.  250,  au  pluriel),  mais  non  hésiodique. 
Le  terme  classique,  textovixiq,  est  plus  récent. 

5.  Tr.,  M.  643  :  Nyj'  oHyr]^  atvEîv,  t^eyâ^Yi  ô'èvl  çopTÏa  Qéaôat. 


LES  ARTISANS   ET    LEUR   VIE   EN    GRECE.  23 

bateaux,  notamment  pendant  l'hivernage  ^  s'abstient-il  de  toute 
indication  relative  à  leur  construction 2;  mais  les  adjectifs  dont 
il  se  sert  pour  les  qualifier  insistent  précisément  sur  la  compli- 
cation de  ce  travail  :  ce  sont  les  navires  «  aux  chevilles  nom- 
breuses »  (i:oX6YO[A<poi),  «  aux  bancs  nombreux  »  (TioXuxXYjïSeç)^. 
Le  premier  de  ces  termes  fait  allusion  à  l'une  des  besognes  les 
plus  délicates,  à  laquelle  même  un  charpentier  de  profession 
ne  peut  suffire,  puisqu'elle  exige  l'intervention  d'un  forgeron^; 
l'autre  rappelle  que  le  vaisseau  doit  être  assez  vaste  pour  compor- 
ter un  équipage  considérable.  Le  temps  est  encore  loin  sans  doute 
où  les  galères  seront  entièrement  pontées  et  munies  de  voiles  à 
poulie^;  mais  telles  qu'elles  étaient  dès  l'âge  homérique,  avec 
leurs  deux  châteaux  d'arrière  et  d'avant,  entre  lesquels  se  pla- 
çaient une  vingtaine  de  rameurs"^,  elles  ne  pouvaient  déjà  pro- 
venir que  d'un  chantier,  comme  ceux  qui,  chez  les  Phéaciens, 
occupaient  les  deux  côtés  de  l'agora'^.  Sans  doute  Ulysse,  dans 
l'île  de  Calypso,  fabrique  lui-même  de  toutes  pièces  le  radeau 
sur  lequel  il  traversera  la  Méditerranée  ;  mais  rappelons-nous 
que  ce  radeau  était,  même  pour  l'époque,  d'une  simplicité  excep- 
tionnelle :  à  Ogygie,  Ulysse  est  un  Robinson,  privé  de  tout 
secours  humain  et  des  ressources  que  la  civilisation  lui  eût 

1.  V.  624-629  :  «  Tirez  votre  embarcation  sur  le  rivage,  assujettissez-la  de 
tous  côtés  avec  des  pierres,  qui  lui  permettent  de  résister  à  la  violence  des 
vents  humides;  enlevez  le  bondon,  pour  que  la  pluie  de  Zeus  ne  la  pourrisse 
pas;  rentrez  chez  vous  tous  les  agrès,  rangez-les,  pliez  soigneusement  les  ailes 
du  navire  qui  traverse  les  ilôts  ;  suspendez  à  la  fumée  de  votre  foyer  le  gou- 
vernail habilement  travaillé.  >>  Cf.  v.  45. 

2.  La  seule  allusion  qu'il  y  fasse  se  trouve  dans  le  calendrier  des  Jours 
(v.  809)  :  c  C'est  le  4  qu'il  faut  commencer  à  ajuster  (iiYiYvyffôat)  les  navires 
légers.  » 

3.  Tr.,  V.  688,  817.  Le  verbe  u^yvuaôai,  au  v.  809  (cf.  note  précédente),  pro- 
duit un  eifet  analogue. 

4.  C'est  ce  que  nous  avons  vu  à  propos  des  charrues  :  Em'  av  'AÔY^vaiY]; 
ô[jiMoç,...  YÔ|Ji?otffiv  TrsXàffaç,  xtX.  (v.  430-431). 

b.  Cf.  Thucydide,  I,  10,  etc. 

6.  Voir  dans  Helbig,  l'Épopée  homérique  (trad.  Trawinski),  p.  96-98  et  199- 
204,  et  surtout  dans  Y.  Bérard,  les  Phéniciens  et  l'Odyssée,  t.  I,  p.  155-172, 
des  détails  sur  la  construction  des  vaisseaux  homériques  (abstraction  faite  des 
théories  relatives  à  leur  parenté  possible  avec  ceux  d'autres  marines  méditer- 
ranéennes, la  solution  de  ce  problème  ayant  été  remise  en  question  par  les 
récentes  découvertes  égéennes). 

7.  Od.,  VI,  V.  268  et  suiv.  —  Nous  reviendrons  sur  le  passage  (IX,  v.  384- 
386)  où  le  poète  décrit  une  équipe  d'ouvriers  en  train  de  travailler  à  la  cons- 
truction d'un  navire. 


24  PIERRE   WALTZ. 

offertes  dans  son  pays  :  les  Grecs  avaient  déjà  une  architecture 
navale  bien  plus  perfectionnée,  même  s'ils  n'étaient  pas  encore 
en  état  de  rivaliser  avec  les  tlialassocrates  égéens  que  V  Odyssée 
décrit  sous  les  traits  des  Phéaciens.  Or,  à  en  juger  par  la  des- 
cription que  fait  Hésiode  ^  il  ne  semble  pas  que  le  bateau  de 
cabotage  où  son  père  naviguait  avec  toute  une  colonie  d'émi- 
grants  et  de  petits  commerçants  2,  ni  à  plus  forte  raison  la  barque 
qui,  suivant  la  tradition,  aurait  porté  le  poète  d'Aulis  à  Ghalcis, 
lors  de  son  unique  voyage  en  mer-^,  aient  été  d'une  structure 
plus  compliquée  ou  plus  savante  que  les  «  vaisseaux  creux  » 
d'Agamemnon.  Mais  n'oublions  pas  qu'Hésiode  est  loin  de 
représenter,  à  lui  seul,  tout  le  viii®  siècle,  et  que  le  même  art, 
rudimentaire  dans  sa  province,  pouvait  être  ailleurs  bien  plus 
développé  :  le  temps  était  proche  où  les  Milésiens  et  les  Chalci- 
diens  devaient  les  uns  s'aventurer  dans  les  brumes  du  Pont- 
Euxin  sans  îles  et  sans  ports,  les  autres  porter  la  civilisation 
grecque  par  delà  les  étendues  désertes  de  la  mer  Ionienne^.  Il 
est  évident  que,  pour  entreprendre  ces  voj'ages  au  long  cours,  il 
fallait  être  mieux  équipé  que  pour  la  traversée  de  la  mer  Egée, 
où  l'on  ne  perdait  presque  jamais  la  terre  de  vue  et  où  abondaient 
les  refuges  contre  la  tempête;  or,  les  progrès  de  la  navigation 
sont  forcément  en  raison  directe  du  perfectionnement  de  l'indus- 
trie maritime. 

La  dernière  partie  des  Travaux  nous  fournit  un  nouvel  indice 
de  ce  perfectionnement  en  nous  montrant  les  diverses  fonctions 
relatives  à  la  même  besogne  en  train  de  se  dissocier  :  alors  que 
dans  V Iliade  nou^  voyons  le  xéxTwv  abattre  lui-même  les  chênes, 
les  peupliers  ou  les  pins  dont  il  fera  les  agrès  de  son  navire  ^""j 

1.  Tr.,  V.  624  et  suiv.,  cités  p.  28,  n.  2. 

2.  Le  père  d'Hésiode  naviguait  en  qualité  d'é[X7ropoi;  (cf.  Tr.,  v.  643,  646), 
c'est-à-dire  qu'il  n'était  pas  le  propriétaire  du  bâtiment  sur  lequel  il  voyageait 
comme  passager  avec  sa  pacotille  (cf.  Schol.,  v.  646). 

3.  Tr.,  V.  650  et  suiv.  (contestés). 

4.  La  fondation  de  Cyzique,  bientôt  suivie  de  celle  de  Sinope  et  de  Trapé- 
zonte,  remonte  au  milieu  du  viii°  siècle.  Du  côté  de  l'Occident,  Naxos  fut  fon- 
dée probablement  en  735  ;  puis  vinrent  Syracuse  (734),  Mégara  (vers  725), 
Sybaris  (vers  720),  enfin  Crotone  et  Tarente  ;  sur  la  fondation  de  Cumes,  cf. 
Helbig-Trawinski,  p.  553-557,  et  Bérard,  t.  I,  p.  579,  586;  t.  II,  p.  114-118.— 
Pauly-Wissowa,  art.  Apoikia  (t.  I,  p.  2827-2836),  cite,  —  avec  des  dates  légè- 
rement diiférentes,  —  une  quinzaine  de  colonies  fondées  entre  750  et  700  (sans 
compter  celles  dont  la  date  précise  est  inconnue). 

5.  IL,  XIII,  v.  389-391.  Ailleurs  (IV,  v.  485-486),  ce  sont  les  ais  dont  il  fera 
les  jantes  des  roues  que  le  charron  (àpîxaTOTTïjyô;  àvi^p)  taille  lui-même. 


LES   ARTISANS   ET    LECR   VIE    EN    GRECE.  25 

c'est  un  bûcheron  de  profession  (uXo-:é[xo;)  que  l'armateur  du 
VIII''  siècle  charge  de  ce  travail  ;  c'est  lui  également  qui  taille 
les  planches  dont  le  charpentier  se  servira  pour  fabriquer  les 
planches  du  lit',  alors  qu'Ulysse  maniait  lui-même  la  cognée  et 
la  doloire'.  Voilà  un  nouA'el  exemple  de  collaboration  entre  plu- 
sieurs spécialistes.  Si  l'on  ne  faisait  pas  appel  au  bûcheron 
quand  il  s'agissait  de  tailler  un  mortier,  un  pilon,  un  maillet  ou 
les  diverses  pièces  dont  se  composent  la  charrue  et  le  chariot, 
c'est  qu'il  était  possible  de  les  trouver  toutes  faites,  «  en  cher- 
chant bien  sur  la  montagne  ou  dans  la  plaine  »^;  il  ne  restait 
qu'à  les  réduire  aux  dimensions  voulues.  Mais  la  tâche  était 
plus  délicate  quand  il  s'agissait  d'un  panneau  de  lit  :  il  fallait 
d'abord  s'}'  bien  connaître  pour  choisir  les  matériaux  avec  dis- 
cernement^; puis  une  main  experte  était  nécessaire  pour  donner 
aux  planches,  dès  le  moment  où  on  débitait  le  bois  abattu,  une 
torme  régulière  qui  permît  ensuite  de  les  ajuster  exactement. 
De  là  le  développement  d'une  industrie  nouvelle,  inconnue 
d'Homère,  celle  du  «  coupeur  de  bois  »^''. 

Plus  encore  que  les  occupations  manuelles,  les  arts  libéraux 
sont,  comme  déjà  chez  Homère,  exercés  par  des  «  démiurges  ». 
Les  aèdes  vivent  des  prix  qu'ils  obtiennent  dans  les  concours 
publics*^.  Dans  un  des  hymnes  aux  Muses,  leurs  «  patronnes  », 
par  lesquels  débute  la  Théogonie'' ,  sont  vantés  les  mérites  de 

1.  Tr.,  V.  807-808  : 

...   'T>.ot6(j.ov  oè  TajjLEÏv  6a).a|jnr,Va  SoOpa, 

vr/ià  Te  |u),a  Tx:o>,).à,  xà-r'  àp(i£va  yt\\)<!\  TréXovtat. 

2.  Od.,  XXIII,  V.  189--201  (déjà  cités). 

3.  Tr.,  V.  429. 

4.  Cf.  Blùmner,  Technologie,  t.  II,  p.  244  et  318  :  un  bûcheron  tant  soit  peu 
expérimenté  ne  confondait  pas  l'u^rj  oIxooojjuxt^  avec  1  uXt)  va'j7:ï)yr|ai(xoç. 

5.  Le  mot  ûXotôfxo;  est  employé  à  deux  reprises  au  XXIII"  chant  de  VlHade, 
une  fois  comme  adjectif  (v.  114  :  vXo-6[ioy;  TieXexÉaç),  une  fois  pour  désigner 
non  le  métier,  mais  une  occupation  momentanée  de  gens  (les  soldats  d'Achille 
préparant  le  bûcher  de  Patrocle,  v.  123)  qui  ne  sont  pas  des  bûcherons  de 
profession.  Chez  Hésiode,  le  texte  indique  au  contraire  qu'il  s'agit  d'une 
besogne  habituelle  :  «  C'est  le  17  du  mois  que  le  bûcheron  coupera  du  bois 
pour  fabriquer  un  lit...  etc.  » 

6.  Cf.  Tr.,  V.  654-662,  le  récit  du  prétendu  succès  d'Hésiode  aux  jeux  de 
Chalcis.  Même  si  le  passage  est  apocryphe,  l'interpolation  est  assez  ancienne 
])our  que  nous  puissions  en  faire  état  dans  une  étude  sur  la  civilisation  hésio- 
dique.  Cf.  encore  fr.  265  Rzach. 

7.  Théog.,  v.  1-115;  même  remarque  que  dans  la  note  précédente  pour  la 
question  d'authenticité.  Sur  la  composition  de  ces  hymnes,  cf.  M.  Croiset, 


26  PIERRE   WALTZ. 

l'homme  qu'inspirent  les  «  neuf  fiUes  du  grand  Zeus  »  :  ses 
paroles  nous  font  oublier  nos  chagrins;  de  sa  bouche,  elles 
coulent  «  douces  comme  le  miel  »  ;  «  devant  ses  discours 
s'apaisent  aussitôt  les  plus  vives  querelles  »  ;  on  l'honore,  à  son 
passage,  comme  un  dieu^  Sous  prétexte  de  célébrer  les  bienfaits 
des  Muses,  c'est  une  sorte  de  manifeste  professionnel  que  le 
poète  a  composé. 

A  côté  de  l'aède  figurent  tout  naturellement  le  devin  et  le 
musicien  :  l'un,  que  l'on  consulte  quand  il  faut  prendre,  pour  un 
avenir  douteux,  une  décision  importante^;  l'autre,  que  l'on  fait 
venir  pour  rehausser  l'éclat  d'un  festin  ou  d'une  autre  fête 3. 
Mais  on  est  surpris  de  voir  citer  par  Hésiode,  entre  les  noms  du 
potier,  du  menuisier  et  de  l'aède,  celui  du  mendiant  (tctw/cç)*  : 
comment  cette  situation  pouvait-elle  constituer,  aux  yeux  de  l'au- 
teur des  Travaux,  une  profession  régulière?  Etymologiquement, 
TTTwxiç  ne  signifie  pas  mendiant,  mais  réfugié^;  c'est  seulement 
par  une  déviation  de  sens,  d'ailleurs  facilement  explicable,  que 
ce  mot  a  désigné  un  homme  contraint,  pour  vivre,  à  demander 
sa  nourriture;  proprement,  il  s'appliquait  aux  exilés  sans  feu  ni 
lieu,  obligés  de  s'expatrier,  par  exemple,  à  la  suite  d'un  meurtre 
involontaire **,  —  aux  voyageurs  égarés  ou  aux  marins  naufra- 
gés^, —  aux  orphelins  dépouillés  de  leurs  biens  et  réduits  à  errer 
de  porte  en  porte,  implorant  la  pitié  de  gens  plus  fortunés^.  Ces 

Hist.  Litt.  Gr.,  t.  I,  p.  538  et  suiv.,  et  Rzach,  art.  'HstoSo;,  dans  la  Real- 
Encyclopadie  de  Pauly-Wissowa,  t.  VIII,  p.  1188-1189. 

1.  Théog.,  V.  75-103.  Cf.  fr.  197  Rzach. 

2.  Les  Travaux  n'y  font  que  des  allusions  rares  et  peu  précises  (v.  801  : 
oiwvoù;  xpt'vaç;  828  :  opvtôa;  xpîvwv).  Mais  cette  science  était  assez  importante 
pour  avoir  donné  naissance  à  deux  poèmes  pseudo-hésiodiques,  l'un  narratif, 
la  Mélampodie,  l'autre  didactique,  l'Ornithomancie. 

3.  Boucl.  Hér.,  \.  278-283. 

4.  Tr.,  V.  26  :  Kai  TtTwyo;  uTaj^w  cpOovseï  xal  àoiSàç  àoiSw. 

5.  Racine,  uxavc-  =  se  blottir;  cf.  les  divers  sens  de  iîtco(7<tw  =  se  blottir, 
craindre,  mendier. 

6.  Les  poèmes  homériques  font  de  fréquentes  allusions  à  cette  coutume  :  tel 
est,  par  exemple,  le  cas  de  Patrocle  [II.,  XXIII,  v.  85  et  suiv.;  cï.ll.,  II,  v.  662 
et  suiv.;  XIV,  v.  380;  XV,  v.  272;  XXIII,  v.  118  et  suiv.,  etc.).  Phénix,  pour 
avoir  outragé  son  père,  est  soumis  à  la  même  nécessité  {IL,  IX,  v.  448  et  suiv.). 
Le  coupable  n'était  pas  précisément  exilé  du  pays,  mais  exclu  du  yévoç;  c'est 
par  quelques-uns  de  ces  «  hommes  séparés  »  que  furent  fondées  les  premières 
colonies  grecques  (cf.  Guiraud,  la  Propriété  foncière...,  p.  82-83). 

7.  Cf.  OfZ.,  XIV,  V.  400;  XVII,  v.  415  et  suiv.,  etc. 

8.  Dans  Y  Iliade  (XXII,  v.  492-498),  Andromaque  fait  un  tableau  saisissant 
de  ce  que  sera  la  vie  d'Astyanax  privé  de  son  père.  Hésiode  {Tr.,  v.  330)  place 


LES  ARTISANS  ET  LEUR  VIE  EN  GRECE.  27 

cas  étaient  assez  fréquents  pour  que  la  mendicité  fût,  dans  l'état 
social  homérique,  un  fait  normal  :  les  vagabonds  constituaient 
sinon  une  classe,  du  moins  une  catégorie  nombreuse,  compre- 
nant des  individus  de  toute  origine,  et  parmi  eux  des  hommes 
de  la  noblesse  la  plus  authentique  ;  d'où  le  respect  qu'on  témoi- 
gnait d'ordinaire,  —  à  tout  hasard,  —  à  ces  inconnus'.  Mais  il 
est  certain  que  dès  lors  des  mendiants  de  profession  abusaient 
de  ces  dispositions  pour  essayer  de  se  faire  nourrir  sans  rien 
faire  :  «  On  est  sans  cesse  importuné  par  ces  vagabonds  »,  dit 
Antinoos-;  et  ceux  qui  voient  arriver  le  roi  d'Ithaque,  mécon- 
naissable sous  ses  haillons,  lui  adressent  aussitôt  le  même 
reproche  :  «  Ce  goinfre  aime  mieux  mendier  que  travailler!  »^. 
Cette  sévérité  semble  s'être  encore  accrue  à  l'époque  hésiodique  ; 
un  Perses,  par  exemple,  ne  pouvait  même  pas  bénéficier  d'une 
équivoque  sur  son  origine  et  sa  situation  :  tous  ceux  qu'il  solli- 
citait le  connaissaient  pour  un  paresseux  et  pour  un  débiteur 
insolvable^.  Quant  aux  «  chemineaux  »  de  passage,  les  particu- 
liers ne  se  chargeaient  plus  d'héberger  ces  hôtes  inconnus  : 
chaque  localité  possédait  un  asile  de  nuit  (Xsa^ï)),  bâtiment  public 
dont  les  murs  mettaient  les  mendiants  à  l'abri  des  intempéries 
et  les  habitants  à  l'abri  des  mendiants^^.  Mais,  en  dépit  de  cette 
défaveur  croissante,  la  mendicité  restait  une  institution  établie, 
voire  même  organisée;  quand  Iros  provoque  Ulysse,  c'est  une 
véritable  concurrence  professionnelle  qui  suscite  leur  différend  : 
Iros  était  «  le  mendiant  »  des  prétendants  et  entendait  conser- 
ver ce  privilège  exclusif;  c'est  un  vrai  monopole  que  les  jeunes 
gens  accorderont  au  vainqueur*^;  le  triomphe  d'Ulysse  fait  de 


parmi  les  crimes  domestiques  les  plus  graves  celui  de  ne  pas  respecter  les 
droits  des  orphelins. 

1.  Voir,  par  exemple,  au  ch.  xiv  de  l'Odyssée,  l'accueil  cordial  que  fait 
Eumée  à  Ulysse  travesti  en  mendiant. 

2.  Od.,  XVII,  V.  376-377. 

3.  Od.,  XVII,  V.  227-228;  XVIII,  v.  363-364. 

4.  Hésiode  fait  plusieurs  allusions  aux  dettes  de  son  frère  (Tr.,  v.  404,  647) 
et  aux  aumônes  qu'il  sollicitait  (v.  396  et  suiv.). 

5.  Le  même  usage  existe  encore  dans  certaines  de  nos  campagnes  :  en  Cha- 
rente, par  exemple,  quand  un  chemineau  demande  à  être  logé,  le  garde  cham- 
pêtre lui  ouvre  la  porte  de  l'asile  de  nuit...  et  la  referme  à  clef  sur  lui.  Cepen- 
dant, on  n'enfermait  pas  toujours  les  mendiants  dans  la  léc-/;f\,  puisque  Eustathe 
{in  Od„  XVIII,  V.  328)  définit  ce  hàtiment  8rj[AÔ(Ttov  àôûpwxov  oïx-o[ia. 

6.  Od.,  XVIII,  V.  48-49  :  «  Le  vainqueur,  dit  Antinoos,  sera  seul  reçu  dans 
la  salle  du  festin,  où  aucun  autre  vagabond  ne  sera  admis  à  venir  mendier.  » 


28  PIERRE   WALTZ. 

lui  le  «  maître  »  ^  de  son  rival,  et  une  hiérarchie  fort  précise  s'éta- 
blit entre  eux  :  l'un,  mendiant  en  titre,  sera  seul  admis  dans  la 
salle,  tandis  que  le  vaincu  sera  confiné  à  la  porte,  avec  la  mis- 
sion de  chasser  les  chiens  et  les  cochons'-.  Il  y  avait  donc  là  un 
usage  ancré  depuis  très  longtemps  ;  et  l'influence  de  la  tradition 
était  assez  forte  pour  dominer  ici,  chez  Hésiode,  les  préoccupa- 
tions morales  :  il  n'a  certes  pas  voulu  mettre  les  vagabonds  sur 
le  même  pied  que  les  ouvriers  manuels  ou  les  autres  travailleurs  ; 
mais  l'existence  de  leur  corporation  était  un  fait  social  dont  il 
était  impossible  de  ne  pas  tenir  compte. 

m. 

Situation  sociale  des  artisans  au  VHP  siècle. 

Ouvriers  et  vagabonds  appartiennent  d'ailleurs,  par  leur  situa- 
tion, à  la  même  classe  de  la  société  :  les  uns  et  les  autres  sont 
des  gens  libres  de  leur  personne,  mais  qui  ne  possèdent  aucun 
bien  stable,  notamment  aucune  propriété  foncière  d'où  ils 
puissent  tirer  leur  subsistance-^;  qu'ils  vivent  d'un  salaire,  prix 
convenu  de  leur  travails  ou  des  libéralités  que  leur  accordent 
ceux  qui  les  accueillent  et  les  emploient  à  l'occasion  S  leur  con- 
dition est  ceUe  des  nombreux  journaliers  sans  ressources  fixes, 
que  les  nécessités  de  l'existence  contraignent  à  aliéner  momen- 
tanément leur  liberté  moyennant  une  rétribution  :  ce  sont  des 
thètes^K  Ces  hommes  de  peine,  qui  se  louaient,  soit  pour  un 

1.  MviSè  au  -^z  ?eîvwv  xai  -K-ZM-f^MS  xoi'pavoç  elvat,  dit  Ulysse  à  Iros  [ibid., 
V.  106). 

2.  Ibid.,  V.  105. 

3.  Tel  est  le  cas  du  père  d'Hésiode  :  c'est  parce  que  rien  ne  l'attache  au  sol 
qu'il  s'embarque  comme  'é\nioçiQi;. 

4.  MiffÔM  Im  poTÔ)  [H.,  XXI,  V.  445),  [xtaÔèç...  sîp-onévo;  (ï>.,  v.  370).  Ce 
salaire  consistait  ordinairement  en  vêtements  et  en  aliments  (voir  Od.,  XVIII, 
V.  357  et  suiv.,  etc.);  cf.  la  définition  de  Suidas  citée  dans  la  note  suivante 
(xpoçric  Êvsxa). 

5.  Voir  dans  VOdtjssée  les  passages  déjà  cités  (XVII,  v.  227  et  suiv.;  XVIII, 
V.  363  et  suiv.)  où  Mélanthios  et  Eurymaque  proposent  à  Ulysse  de  l'embaucher. 

6.  Cf.  Suidas  :  ©ïjTeç,  o\  -rpoçTi;  êvexa  5oy>.e'jovc£; ;  —  Etym.  Magnum  :  @i\c, 
ô  èni  (j.ia6o.  ûouXe-jwv.  Le  scoliasle  de  VOdyssée  (IV,  v.  644)  définit  les  thètes  : 
01  èXeOeEpoi  nlv,  [j.ia6w  5k  SoyXsûovTEç ;  cf.  l'explication  d'Hésychios  :  @rixz\>ti 
ôouXeûet  [xiaôô). 


LES   ARTISANS    ET   LEUR    VIE    EN    GRÈCE.  29 

temps  déterminé  •,  soit  pour  une  tâche  à  forfait*,  n'étaient  ordi- 
nairement pas  des  spécialistes  et  assumaient,  suivant  les  circons- 
tances, les  besognes  les  plus  variées;  il  est  naturel  que  parmi 
eux  Hésiode  cite  surtout  les  ouvriers  agricoles  :  valet  et  fille  de 
ferme 3,  toucheur  de  bœufs ^,  laboureurs,  moissonneurs  et  van- 
neurs^; ce  devait  être  le  cas  le  plus  fréquent,  car  c'est  celui 
auquel  les  poèmes  homériques  font  le  plus  souvent  allusion  '^.  Mais 
c'était  la  seule  différence  qui  existât  entre  eux  et  la  plupart  des 
artisans",  car  ces  derniers,  en  dépit  de  leur  nom  de  démiurges, 
étaient  presque  toujours  à  la  solde  des  particuliers,  en  ce  sens 
qu'ils  n'avaient  ordinairement  pas  de  magasins,  où  ils  auraient 
tenu  à  la  disposition  des  acheteurs  des  produits  fabriqués  par 
avance  et  n'entreprenaient  un  ouvrage  que  sur  une  commande 
déterminée 8  ;  qu'Ajax  ait  un  bouclier  à  faire  couvrir  ou  Nestor 

1.  Ainsi  Poséidon  et  Apollon  se  mettent  au  service  de  Laoniédon  pour  un  an 
{IL,  XXI,  V.  444).  Mais  souvent  la  durée  du  contrat  était  beaucoup  plus  courte; 
c'était  surtout  le  cas  pour  les  moissonneurs  (epiâoi)  et  autres  journaliers  (épi6o; 
vient  peut-être  de  eptov  =  pensum,  tâche  préparée  pour  une  journée)  ;  cf.  Ebe- 
ling,  Lex.  Hom.,  s.  v.  ëptOo;  et  Qr\z  :  il  semble  bien  que  ce  dernier  mot  ail 
désigné  une  catégorie  plus  relevée  de  travailleurs.  En  tout  cas,,  les  thètes  ne 
sont  pas  des  journaliers,  comme  le  prouve  un  passage  d'Isocrate  (XIV,  48)  : 
...  rio),>,o-j?  [làv  [iixptov  ëvexa  au(jLêoXai'tov  ôouXeuovtaç,  àXkoxx;  inï  ÔyjTEiav  lovTaç, 
Toù;  ô'oTttoç  gxaffTot  ôyvavTai  to  xaô'  r||i£pav  7iopi^o|A£'vouç.  Quand  Hésiode  (Tr., 
V.  602)  oppose  erjxa  à  ïptOov,  c'est  surtout  en  raison  de  la  valeur  masculine  du 
premier  terme,  féminine  du  second;  cf.  W.  Aly,  Rhein.  Mus.,  1913,  p.  66. 

2.  Tel  est  le  cas  de  la  fileuse  dont  parle  Vlliade  (XII,  v.  433-43.5)  :  c'est  au 
poids  qu'elle  livre  son  ouvrage. 

3.  Tr.,  V.  602. 

4.  V.  441. 

5.  V.  459,  502,  573,  597.  Sur  le  terme  5\i.û)tz,  qui  les  désigne  dans  ces  der- 
niers exemples,  cf.  p.  45,  n.  3. 

6.  Les  thètes  homériques  sont  surtout  des  vanneurs  {IL,  V,  v.  500),  des  ter- 
rassiers {IL,  XXI,  V.  257  et  suiv.),  des  laboureurs  ou  des  bergers  (//.,  XXIII, 
V.  835;  —  Od.,  X,  v.  84;  XI,  v.  489  et  suiv.;  XVIII,  v.  357  et  suiv.,  etc.),  des 
moissonneurs  (//.,  XVIII,  v.  550  et  560),  parfois  encore  des  maçons  {IL,  XXI, 
V.  313-314),  des  marins  (Od.,  IV,  v.  644),  etc. 

7.  Sur  la  communauté  d'origine  entre  les  artisans  et  les  autres  thètes, 
cf.  Guiraud,  la  Main-d'œuvre...,  p.  22. 

8.  Gela  s'explique  surtout  pour  certaines  professions  comme  celle  d'orfèvre  : 
le  client  se  procurait  lui-même  les  métaux  précieux,  mandait  chez  lui  le 
XaXxsûç  et  faisait  e.\écuter  le  travail  sous  sa  surveillance  (cf.  Od.,  III,  v.  432  et 
suiv.).  De  même,  quand  une  ouvrière  au  service  d'un  fiaatXsj;  teint  de  pourpre 
un  ornement  d'ivoire,  cet  objet  de  prix  xEîxat  èv  OaXâjia)  (IL,  IV,  v.  142).  En 
revanche,  les  potiers  ont  dii  avoir  de  très  bonne  heure  des  fours  maçonnés  ; 
c'étaient  dès  l'origine  des  ouvriers  sédentaires. 


30  PIERRE    WALTZ. 

une  plaque  d'or  à  faire  ciseler,  ils  appellent  le  corrojeur  Tycliios 
ou  l'orfèvre  Laercès,  qui  exécutent  sur  place  la  besogne  précise 
qu'on  leur  demande  ;  c'est  encore  spécialement  pour  les  fils  d'Al- 
cinoos  que  travaille  le  fabricant  déballons  Polybos*  ;  et  ce  n'était 
pas  là  un  privilège  des  rois  ou  des  riches,  puisque  c'est  dans  des 
conditions  analogues  que  les  laboureurs  d'Ascra  ont  recours  au 
forgeron  du  village,  quand  ils  ont  besoin  de  faire  riverune  pièce 
de  leur  charrue  2, 

C'est  pourquoi  les  artisans  vivaient  dans  une  situation  assez 
précaire  et  voyaient  diminuer  graduellement  la  considération 
dont  les  Grecs  avaient  entouré  les  premiers  d'entre  eux.  A  l'ori- 
gine, l'ouvrier  manuel  était  pour  eux  un  «  homme  habile,  inspiré 
par  Héphaistos  et  par  Pallas  Athêna  »^;  s'il  réussissait  dans  son 
art,  sa  réputation  s'étendait  au  loin,  et  on  le  faisait  venir,  sur  la 
foi  de  sa  renommée,  pour  lui  confier  une  besogne  délicate^;  les 

1.  Od.,  VIII,  V.  373  :  (açaipav),  Tr,v  acpiv  ri6Xu6oi;  TroiViCre  xtX.  Il  ne  s'agit  pas 
d'un  objet  acheté  chez  un  trafiquant. 

2.  Tr.,  V.  430,  déjà  cité. 

3.  Od.,  VI,  V.  223  (=  XXIII,  v.  160)  : 

...  àvrip 
î'Spi;,  ôv  "HçatTTo;  oéôaev  xai  IlaXXàç  'AÔYJvr,. 

Cf.  II.,  V,  V.  59-61  : 

...  <ï>épexXov, 
...  0;  yzçah)  e7ti(TTaT0  ôai5aXa  Tvâvxa 
TE-j^eiv  •  l\oya.  yâp  [aiv  èçîXaxo  IlaXXà?  'Aôrjvr). 

XV,  V.  411  et  suiv.  : 

...  TÉxTovoç...  Sa'oiJ.ovoç,  3;  pà  it  TiaOY); 
e^  ei'Si^  (Toçt'ï];,  UTtoÔKifAoaiJVYjacv  'A8r|Vy)ç,  etc. 

Solon,  fr.  12  Cr.,  v.  49-50  : 

...    'AôrjvatYjç  te  xa"i  'Hcpa^dxoy  TZOkMikyyttù 
êpya  Saeîi;... 

D'où  l'expression  'AÔYivaCyiî  ô[a(oi;,  dont  Hésiode  se  sert  [Tr.,  v.  430)  pour  dési- 
gner le  forgeron.  Plus  tard,  les  artisans  se  vantèrent  même  de  descendre  de 
ces  deux  divinités  (cf.  Platon,  Lois,  XI,  p.  920  rf,  etc.).  C'est  là  l'origine  de  la 
fêle  professionnelle  des  ^aXxeîa,  en  l'honneur  d'Héphaistos  et  d'Athéna. 
Héphaistos  lui-même  était  un  artisan,  et  cela  ne  diminuait  en  rien  sa  situa- 
lion  dans  l'Olympe.  Myrtilos,  charron  d'Oenomaos,  est  un  fils  d'Hermès  (cf. 
Phérécyde,  fr.  93).  Nous  avons  vu  qu'Apollon  et  Poséidon  avaient  été  placés 
par  Zeus  au  service  de  Laomédon,  mais  nous  ignorons  dans  quelles  condi- 
tions ils  avaient  été  astreints  à  cette  nécessité. 

4.  Outre  les  passages  cités  précédemment,  cf.  Od.,  XVII,  v.  382-386  : 

Ti'î  yàp  5:^  ^eïvov  xaXeî... 


LES   ARTISANS    ET    LEUR   VIE    EN    GRECE.  31 

noms  des  meilleurs  artisans  étaient  célèbres  :  sans  remonter  jus- 
qu'aux mythiques  Dédale  et  Talos  i,  l'histoire  a  conservé,  à  côté 
des  personnages  purement  imaginaires  que  citent  V Iliade  et 
VOdyssée^,  le  souvenir  encore  à  moitié  légendaire  d'industriels 
fameux,  tels  qu'Ameinoclès  de  Corinthe,  le  grand  constructeur 
de  trières,  à  qui  l'on  venait  s'adresser  de  l'autre  bout  du  monde 
grec,  et  le  menuisier-orfèvre  Théodore  de  Samos,  fils  de  Téléclès, 
à  qui  les  Grecs  attribuaient  plusieurs  objets  d'art  célèbres  en 
même  temps  que  diverses  inventions  techniques 3.  Mais  les  dé- 
miurges eurent  fatalement  à  souffrir  du  préjugé  contre  le  travail 
que  l'établissement  de  l'oligarchie  tendait  à  répandre  dans  le 
monde  grec  :  Hésiode  est  sans  cesse  obligé  de  répéter  que  «  le 
travail  n'a  rien  de  honteux  »,  que  «  c'est  l'oisiveté  qui  est  hon- 
teuse »^\  mais  ses  exhortations  ne  pouvaient  empêcher  que 
toute  occupation  matérielle  passât  pour  inférieure  et  que  qui- 
conque était  vu  un  outil  à  la  main  fût  pris  pour  un  domestique  s. 
Non  que  le  travail  manuel  fût,  en  soi,  considéré  comme  désho- 
norant :  ce  n'est  pas  parce  que  les  nobles  le  méprisent  qu'ils 
l'abandonnent  aux  gens  du  commun,  c'est  plutôt  parce  que  les 
guerriers  ont  pris  l'habitude  d'en  laisser  la  charge  aux  thètes 
et  aux  esclaves  qu'ils  en  viennent  à  le  considérer  comme  une 

aXXov  y'i  et  l*-^  twv  ol  ôr)(xioEpYo\  ëaffiv; 


OuTot  yô'p  xXriTOt  ye  ppoTwv  en  àiteipova  -(aXixv. 

1.  Le  premier  est  bien  connu;  son  neveu  Talos  passait  pour  avoir  inventé  la 
roue  de  potier,  le  tour  et  la  scie  (Diodore,  IV,  76;  cf.  Pausanias,  1,  21,  4,  etc.). 

2.  Outre  Tychios,  Laercès,  Polybos,  déjà  cités,  signalons  encore  Harmonidès 
et  son  lils  Phéréclos  {//.,  V,  v.  59),  Épeios  {IL,  XXIII,  v.  85,  etc.),  Icmalios 
{OcL,  XIX,  V.  57).  Le  fait  seul  que  le  poète  ait  cru  devoir  les  désigner  parleur 
nom  est  très  significatif. 

3.  C'est  lui  qui  passait  pour  avoir  monté  et  gravé  la  fameuse  bague  de  Poly- 
crate  (Hérodote,  111,  41)  et  ciselé  un  cratère  d'argent  que  plus  tard  Crésus 
envoya  à  Delphes  {Ici.,  I,  51);  la  tradition  lui  attribuait  l'invention  de  l'art  de 
fondre  le  bronze  (Diog.  Laert.,  II,  103;  Diodore,  I,  98)  et  celle  de  divers  outils 
de  menuisier  (cf.  Pline,  H.  N.,  VII,  57,  7  :  «  Normam  autem  et  libellam  et  tor- 
num  et  clavem  [invenit]  Theodorus  Samius.  «)  Nous  reviendrons  sur  ce  person- 
nage dans  un  article  suivant.  —  Sur  Ameinoclès  de  Corinthe  (fin  du  viir  siècle), 
cf.  Thucydide,  I,  13.  Rappelons  que  le  premier  combat  naval  qui  nous  soit 
connu  a  eu  lieu  en  664  av.  J.-C,  entre  Corinthe  et  Corcyre. 

4.  Tr.,  V.  31i,  etc. 

5.  C'est  déjà  l'erreur  qu'Ulysse  commet,  —  ou  plutôt  feint  de  commettre,  — 
quand  il  voit  Laerte  bêcher  son  jardin.  Mais  cet  incident  se  place  dans  une 
des  parties  les  plus  récentes  de  l'Odyssée  (XXIV,  v.  251  et  suiv.j;  nulle  part 
une  idée  analogue  ne  se  fait  jour  dans  l'Iliade. 


32 


PIERRE    WALTZ. 


occupation  servile^  ;  et  ce  n'est  pas  la  nécessité  de  travailler  que 
l'on  regarde  comme  humiliante,  c'est  le  fait  de  se  mettre  au  ser- 
vice d'autrui  et  d'abdiquer,  pour  un  salaire,  sa  dignité  d'homme 
libre  2. 

Aussi  bien  les  conditions  de  leur  existence  maintenaient-elles 
les  ouvriers  dans  une  perpétuelle  dépendance,  et  cela  sans  leur 
donner  une  sécurité  complète.  La  vie  d'un  thète,  quel  qu'il  fût, 
était  toujours  fort  pénible  :  employé  par  un  pauvre,  il  gagne  à 
peine  de  quoi  manger^;  s'il  se  met  au  service  d'un  riche,  il  est 
à  la  merci  de  son  client  tout-puissant,  qui  peut  refuser  de  le 
payer,  et,  à  la  moindre  réclamation,  menace  de  le  vendre  comme 
esclave^;  et  nous  voyons  par  le  cas  d'Hésiode  qu'un  homme  peu 

1.  Cf.  Guiraud,  la  Propriété  foncière...,  p.  126  et  suiv.  C'est  ainsi  que, 
suivant  Plutarque  [Thésée,  XVI,  3,  Quaest.  Gr.,p.  298  f),  les  otages  athéniens 
exigés  par  Minos  auraient  été  employés  comme  thètes,  c'est-à-dire  comme 
manœuvres. 

2.  Telle  est  la  réserve  qu'il  convient  de  faire  à  la  théorie  ancienne,  —  déve- 
loppée notamment  par  Blûmner,  Die  griechischen  Privatalterlhiimer,  p.  389 
et  suiv.,  et  par  Caillemer,  art.  Artifices  dans  le  Dictionnaire  de  Daremberg  et 
Saglio,  —  suivant  laquelle  le  travail  manuel  aurait  été,  en  Grèce,  l'objet  d'un 
mépris  universel.  Dans  son  désir  de  réagir  contre  cette  opinion  excessive,  Gui- 
raud [la  Main-d'œuvre...,  ch.  iv)  a  peut-être  été  trop  affirmatif  en  sens  con- 
traire. A  examiner  les  textes  pour  et  contre  les  deux  théories  qu'il  a  recueillis 
et  mis  tous  également  en  lumière  avec  une  rare  loyauté  de  discussion,  il 
semble  bien  que,  si  le  mépris  pour  le  travail  n'a  pas  été  général  en  Grèce,  le 
préjugé  contre  lui  n'a  pas  existé  uniquement  parmi  les  aristocrates  et  les  phi- 
losophes ;  Socrate,  par  exemple,  était  obligé,  tout  comme  Hésiode,  de  le  com- 
battre parmi  ses  concitoyens  (Xénophon,  Mém.,  II,  7,  6  et  suiv.).  Guiraud 
reconnaît  lui-même  (p.  209-211)  qu'à  mesure  que  la  société  évoluait  de  l'état 
patriarcal  au  régime  oligarchique,  puis  de  l'oligarchie  à  la  démocratie,  le  tra- 
vail, à  chaque  étape,  «  descendait  pour  ainsi  dire  d'un  degré  dans  la  hiérar- 
chie sociale,  en  vertu  de  la  loi  qui  avait  toujours  régi  son  évolution  »  :  aban- 
donné d'abord  par  les  nobles  aux  roturiers,  puis  par  les  roturiers  aisés  aux 
citoyens  pauvres,  il  finit  par  être  dédaigné  d'eux  et  laissé  aux  étrangers  ou 
aux  esclaves.  Les  philosophes  qui  dénigrent  les  occupations  manuelles  se  font 
«  l'écho  d'une  opinion  très  ancienne,  qu'ils  essayent  de  justifier  par  des  raisons 
morales  »  (Guiraud,  Études  économiques,  p.  46).  Francotte  (1.  I,  ch.  viii) 
remarque  qu'une  différence  a  toujours  existé,  à  cet  égard,  entre  les  cités  démo- 
cratiques et  aristocratiques,  et  surtout  entre  les  milieux  industriels  et  agricoles 
(cf.  infra). 

3.  Od.,  XI,  V.  489  et  suiv.  :  Achille,  pour  montrer  à  Ulysse  combien  la  vie, 
quelle  qu'elle  soit,  est  préférable  à  la  mort,  lui  déclare  qu'il  «  aimerait  mieux 
être  laboureur  aux  gages  d'un  indigent  que  de  régner  sur  tous  les  morts  ». 

4.  C'est  ainsi  que  s'était  conduit  Laomédon  à  l'égard  d'Apollon  et  de  Poséi- 
don :  «  Quand  les  Heures  amenèrent  l'époque  où  il  devait  nous  payer,  dit  ce 
dernier  [II.,  XXI,  v.  450-454),  il  nous  refusa  tout  salaire  et  nous  chassa  en 
nous  menaçant  de  nous  attacher  les  pieds  et  les  mains  et  de  nous  vendre  dans 


LES  ARTISANS  ET  LEOR  VIE  EN  GRECE,  33 

fortuné  ne  pouvait  guère  compter  sur  l'appui  de  la  justice  ^  Les 
patrons  de  condition  plus  modeste  à  qui  s'adresse  Hésiode  étaient, 
toutes  proportions  gardées,  non  moins  durs  pour  les  ouvriers; 
on  abusait  souvent  de  leur  bonne  volonté  ou  de  la  nécessité  qui 
les  pressait  pour  leur  faire  accepter  un  salaire  insuffisant'^  ;  et  on 
n'admettait  pas  qu'une  préoccupation  quelconque  pût  à  aucun 
moment  les  détourner  de  leur  besogne  :  pour  valet  de  ferme,  dit 
Hésiode,  il  est  bon  de  n'embaucher  qu'un  garçon  sans  famille'^; 
pour  servante,  il  faut  prendre  une  fille  sans  enfants,  afin  d'évi- 
ter des  «  difficultés  »^.  Voilà  donc  ces  pauvres  gens  réduits  au 
célibat  ou  exposés  à  voir  toutes  les  portes  se  fermer  devant  eux. 
Ils  étaient  obligés  de  s'astreindre  aux  besognes  les  plus  serviles-J, 
sans  que  cette  servitude  temporaire  leur  assurât  pour  l'avenir, 
comme  aux  véritables  esclaves,  la  nourriture  et  l'abri '\ 

Les  mêmes  périls  menaçaient  les  artisans  :  ainsi  que  les  journa- 
liers, ils  avaient  sans  cesse  à  craindre  un  caprice  ou  la  mauvaise 
foi  des  gens  riches  qui  les  faisaient  travailler  et  les  tenaient  sous 
leur  coupe,  comme  n'importe  quels  thètes' ;  mais  c'était  surtout 

quelque  île  lointaine.  »  Les  patrons  et  les  clients  riches  n'ont  jamais  perdu, 
en  Grèce,  celte  fâcheuse  habitude  (voir  ce  que  dit  Guiraud,  p.  182,  à  propos 
des  ôîxai  [xcaôoO). 

1.  Outre  les  allusions  à  son  propre  procès  {Tr.,  v.  27-41),  voir  l'analhème 
que  le  poète  prononce  contre  les  juges  partiaux  et  prévaricateurs  (v.  238-273). 

2.  C'est  contre  cet  abus  qu'Hésiode  s'élève  quand  il  recommande  d'attribuer 
un  salaire  suffisant  même  à  un  ami  (v.  370). 

3.  Tr.,  V.  602  :  ô^-ca  ...âotxov  (qui  ne  soit  pas  établi,  comme  on  dit  dans  nos 
campagnes). 

4.  XaXenr]  Ô'ÛTcÔTtoprc;  IpiOo;  (v.  603). 

5.  Les  mots  SoùXo;,  5o\j),£Û£iv  figurent  dans  toutes  les  définitions  du  Ihète  que 
j'ai  citées;  cf.  Hésychios  :  0ri;  •  SoOXo;  [hctOwtôç  (je  .supprime  la  virgule  que  les 
éditions  placent  entre  ces  deux  derniers  mots).  Les  thètes  et  les  esclaves  font 
souvent  ensemble  la  même  besogne,  sans  qu'aucune  distinction  paraisse  établie 
entre  eux  :  tels  sont,  dans  ÏOdyssée,  les  marins  de  Télémaque  (IV,  v.  644  :  io\ 
aÙToO  ÔYiTé;  te  xaî  5jj.w£;)  ;  cf.  Guiraud,  p.  8  (pour  les  temps  primitifs)  et  152 
(pour  l'époque  classique). 

6.  «  Rien  n'est  pis  pour  les  hommes,  dit  Ulysse,  que  les  courses  vagabondes; 
le  fatal  estomac  leur  cause  de  cruels  soucis  quand  ils  sont  errants  »  {Od.,  VII, 
V.  216  et  suiv.).  Ajoutons  que  la  vie  des  esclaves  était  loin  d'être  toujours  mal- 
heureuse :  Eumée,  par  exemple,  n'est  ni  àotxo?,  ni  â-rexvoi;,  comme  le  théte 
hésiodique,  puisqu'il  est  propriétaire  {Od.,  XIV,  v.  62  et  suiv.)  et  marié  (XXI, 
V.  214  et  suiv.);  il  est  le  «  chef  »  des  porchers  (XIV,  v.  24  et  suiv.,  etc.)  et 
tenu  en  grande  considération  par  ses  maîtres  (XV,  v.  361  et  suiv.);  aussi  com- 
prend-on que,  tout  fils  de  roi  qu'il  est  (XV,  v.  413),  il  ne  tienne  pas  à  recou- 
vrer sa  liberté. 

7.  Cf.  Od.,  III,  v.  425  et  suiv.  (déjà  cités). 

REV.    IIISTOR.    CXVn.    1"  FASC.  3 


34  PIERRE   WALTZ. 

le  chômage  qu'ils  devaient  redouter,  s'il  prenait  fantaisie  aux 
clients  de  ne  pas  leur  confier  d'ouvrage  *  :  outre  que  certains 
d'entre  eux  n'avaient  pas  les  moyens  de  se  procurer  la  matière 
première  nécessaire  à  leur  travail 2,  ils  ne  pouvaient  espérer  de 
trouver  au  dehors  un  débouché  que  la  clientèle  locale  ne  leur 
aurait  pas  fourni 3.  La  concurrence  des  esclaves  n'était  pas 
encore  bien  dangereuse,  parce  qu'ils  n'étaient  pas  très  nom- 
breux^ et  que  la  plupart  d'entre  eux  n'avaient  pas  de  connais- 
sances assez  spéciales  pour  être,  comme  ils  le  furent  plus  tard, 
employés  dans  l'industrie.  Mais  c'est  au  sein  même  de  leur 
caste  que  la  nécessité  d'une  «  lutte  pour  la  vie  »  commençait  à 
créer  des  rivalités  :  à  l'époque  homérique,  le  nombre  des  arti- 
sans était  encore  assez  restreint  pour  que  chacun  d'eux  eût  sa 
place  marquée  et  son  rôle  nécessaire  dans  le  groupement  où  il 
vivait  ;  on  a  même  supposé  qu'il  ne  devait  y  avoir  dans  chaque 
localité  qu'un  seul  représentant  de  chaque  profession  manuelle -^ 
Pourtant,  on  voit  dès  lors  les  princes  choisir  leurs  fournisseurs, 
soit  en  les  distinguant  parmi  les  gens  compétents  de  leur  cité, 
soit  à  l'occasion  en  les  faisant  venir  du  dehors*^.  De  là  ne  pou- 

1.  C'est  ainsi  que  la  Vie  d'Homère  (gg  3-4)  représente  la  mère  du  poète, 
ouvrière  en  laine,  cherchant  de  l'ouvrage  pour  se  nourrir  ainsi  que  son  lils. 

2.  Cf.  p.  38,  n.  6. 

3.  Guiraud,  p.  23,  dit  que  «  la  Grèce  homérique...  était...  un  pays  de  très 
petite  industrie,  qu'elle  se  bornait  à  satisfaire  les  besoins  locaux  et  qu'elle  ne 
songeait  guère  à  écouler  au  dehors  les  produits  ouvrés  ».  Cf.  Helbig-Trawinski, 
p.  21. 

4.  Ils  coûtaient  fort  cher  (jusqu'à  cent  bœufs  dans  certains  cas  exception- 
nels), et  c'eût  été  un  mauvais  calcul  que  d'en  acheter  pour  les  faire  travailler 
dans  l'industrie.  Ulysse  et  Alcinoos  en  ont  chacun  une  cinquantaine  pour  le 
service  de  leur  palais  (Od.,  XXII,  v.  421  ;  VII,  v.  103).  Hésiode  ne  fait  à  l'es- 
clavage une  allusion  précise  que  dans  un  vers  très  contesté  {Tr.,  v.  406  : 
yuvaïxa  xty]t9iv,  oO  YafAETv^v...  ■Koir\a(X(!^a.C).  Les  Sixûsç  qu'il  cite  à  plusieurs 
reprises  étaient  sans  doute  des  thètes  :  le  sens  primitif  du  mot  n'est  pas  en 
effet  celui  de  prisonnier  de  guerre  (Saixà^œ),  mais  de  domestique  (S6|j.oç);  cf. 
M.  Bréal,  Mém.  Soc.  Ling.,  VII,  p.  449. 

5.  Guiraud,  p.  21  :  «  On  dirait  qu'un  artisan  de  chaque  espèce  suftisait  à 
chaque  groupe  de  population;  peut-être  y  avait-il  un  forgeron,  un  charpentier, 
un  potier  par  ville  ou  village...  »  Cette  hypothèse  n'est  fondée  sur  aucun  texte 
précis,  mais  seulement  sur  cette  assertion  qu'  «  on  n'aperçoit  nulle  part  dans 
l'épopée  la  moindre  trace  de  concurrence  ».  Mais  cette  affirmation  est  trop 
catégorique  (cf.  la  note  suivante),  et  l'auteur  reconnaît  lui-même  (p.  35)  que 
«  de  tout  temps  la  concurrence  avait  été  très  ardente  entre  les  villes  hellé- 
niques et  l'étranger,  entre  les  villes  helléniques  elles-mêmes,  et  dans  chacune 
d'elles  entre  les  particuliers  ».  De  plus,  l'auteur  a  le  tort  d'englober,  ici  encore, 
le  VIII'  siècle  dans  l'âge  homérique. 

6.  C'est  ainsi  que  Paris  {II,  VI,  v.  313-315)  fait  appel  aux  meilleurs  char- 


LES   ARTISANS    ET    LEDR    VIE    EN    GRÈCE.  35 

vait  manquer  de  naître,  entre  gens  du  même  métier,  une  con- 
currence qui  s'était  assez  accentuée  au  viii"  siècle  pour  qu'Hé- 
siode en  fît  la  loi  fondamentale  de  la  vie  économique  :  le  temps 
n'est  plus  où  «  la  terre  fertile  produisait  d'elle-même  des  fruits 
nombreux  et  abondants  »,  que  les  premiers  hommes  «  recueil- 
laient à  leur  gré,  tranquilles  dans  leur  prospérité  »  •  ;  désormais, 
«  les  dieux  ont  caché  aux  hommes  les  ressources  de  la  vie  »  -  ; 
il  ne  reste  que  deux  moyens  de  ne  pas  mourir  de  faim,  voler 
son  prochain  ou  travailler  mieux  que  lui  ;  si  l'on  écarte  le  pre- 
mier procédé,  la  salutaire  émulation  peut  seule  nous  assurer  une 
vie  libre  et  aisée  :  «  Le  fils  de  Cronos...  l'a  placée  aux  racines 
de  la  terre,  au  sein  de  l'humanité  ;  . . .  c'est  elle  qui  excite  au  tra- 
vail l'être  le  plus  nonchalant  s.  »  Et  par  une  application  parti- 
culière de  sa  théorie  aux  démiurges,  le  poète  conclut  qu'on  voit 
s'élever  partout  cette  rivalité  féconde  entre  potier  et  potier, 
entre  menuisier  et  menuisier,  entre  mendiant  et  mendiant,  entre 
chanteur  et  chanteur  i.  Le  nombre  des  artisans  était-il  devenu 
plus  considérable?  Les  progrès  de  la  civilisation  rendaient-ils  le 
pubhc  plus  difficile  et  plus  exigeant?  Toujours  est-il  qu'au  lieu 
de  devoir  à  son  expérience  professionnelle  une  situation  des 
plus  privilégiées,  chacun  était  tenu  à  des  efforts  incessants  pour 
n'être  pas  surpassé  par  ses  confrères  et  pour  arriver  simple- 
ment à  subsister.  Cette  fâcheuse  nécessité,  où  étaient  les  gens 
de  métier,  de  se  «  dévorer  entre  eux  »,  fut-elle  pour  quelque 
chose  dans  le  dédain  que  leurs  clients  fortunés  commençaient  à 
éprouver  pour  eux?  Contribua-t-elle  à  faire  naître  chez  les  aris- 
tocrates cette  impression  qu'ils  avaient  à  leur  discrétion,  comme 
leurs  esclaves,  des  fournisseurs  qu'ils  pouvaient  à  leur  gré  faire 
prospérer  ou  laisser  mourir  de  faim?  La  chose  est  possible,  non 


pentiers  de  Troie  pour  l'aider  à  construire  sa  maison  ;  sur  ceux  qu'on  faisait 
venir  de  l'étranger  (x),vitoî),  cf.  p.  40,  n.  1. 

1.  Tr.,  V.  117-119. 

2.  V.  42. 

3.  V.  17-20. 

4.  Guiraud,  qui  ne  croit  pas  à  une  évolution  sensible  des  conditions  du  tra- 
vail entre  le  x"  et  le  vu"  siècle  (p.  10),  considère  comme  interpolés  les  v.  25-2G 
des  Travaux  (p.  21).  Mais  les  raisons  logiques  qu'on  a  invoquées  contre  leur 
authenticité  n'ont  rien  de  décisif  (voir  la  note  de  mon  édition  des  Travaux, 
et  Mazon,  la  Composition  des  Travaux  et  des  Joiirs,  p.  7).  D'ailleurs,  sup- 
primàt-on  ces  deux  vers,  la  loi  de  la  concurrence  n'en  demeurerait  pas  moins 
expressément  posée  par  tout  le  début  du  poème,  notamment  par  le  mythe  des 
deux  Éris  (v.  11-24),  dont  je  viens  d'exposer  l'idée  essentielle. 


36  PIERRE    WALTZ. 

certaine.  Mais  ce  qui  est  évident,  c'est  que  cette  concurrence 
mutuelle  augmentait  pour  eux  la  difficulté  de  trouver  assez  de 
besogne  et  leur  rendait  l'avenir  encore  moins  assuré.  Voilà 
pourquoi  un  moraliste  pratique  tel  qu'Hésiode,  sans  éprouver 
aucun  préjugé  nobiliaire  contre  le  travail  manuel,  ne  considère 
pas  l'industrie  comme  un  moyen  normal  de  gagner  sa  vie  et 
n'estime  pas  l'artisan  à  l'égal  de  l'agriculteur  :  le  paysan  qui 
cultive  son  propre  champ  ne  dépend  de  personne,  il  n'a  pas  à 
compter  avec  les  sentiments  inconstants  de  la  clientèle  ou  avec 
la  faveur  imprévue  d'un  rival  qui  l'éclipsé.  Thésée  aussi  plaçait 
les  géomores,  —  si  peu  de  terres  qu'Qs  possédassent,  — 
au-dessus  des  démiurges  S  et  l'on  sait  que  les  Grecs  ont  toujours 
proclamé  la  supériorité  du  travail  agricole  sur  le  travail  indus- 
triel. 

Pour  ces  gens  sans  ressources  régulières  et  parfois  sans 
demeure  fixe,  quel  remède  s'offrait  aux  soucis  de  chaque  jour,  à 
l'incertitude  du  lendemain,  à  l'isolement  plus  particulièrement 
funeste  à  des  «  déracinés  »  dont  il  aggrave  la  faiblesse  ?  Le  seul 
qu'une  expérience  de  trente  siècles  nous  ait  fait  découvrir  est  le 
groupement  corporatif  :  beaucoup  de  faibles  valent  un  fort  et 
surtout  l'entente  entre  les  travailleurs  empêche  la  clientèle  de 
profiter  de  leur  concurrence  pour  avilir  la  main-d'œuvre  ;  une 
association  d'ouvriers  bien  organisée  retrouverait  presque  la 
situation  exceptionnellement  favorable  dont  pouvait  jouir  à 
l'origine,  dans  une  ville,  l'unique  représentant  d'une  profession. 
Mais  à  l'époque  où  vivait  Hésiode,  et  principalement  dans  un 
milieu  agricole  où  le  «  chacun  pour  soi  »  est  la  règle  univer- 
selle, une  pareille  conception,  même  confuse,  une  pareille  ten- 
dance, même  inconsciente,  ne  saurait  se  faire  jour.  Si  parfois 
des  ouvriers  collaboraient  à  un  travail  collectif,  —  ce  qui  est  la 
forme  de  groupement  la  plus  spontanée  et  la  plus  primitive,  — 
ce  n'était  pas  au  nom  d'une  théorie  sociale  qu'ils  unissaient 
leurs  efiorts,  c'était  simplement  une  nécessité  matérielle  qui  les 
y  contraignait.  Dès  l'âge  homérique,  la  construction  d'un  bateau 
ou  d'une  maison  tant  soit  peu  considérable  exige  une  collabo- 
ration de  ce  genre  ^  ;  la  manière  dont  Ulysse  bâtissait  sa  chambre 

1.  Cf.  Plutarque,  Thésée,  xxv,  2-3. 

2.  Cf.  Caillemer,  art.  cit.;  —  Guiraud,  la  Main-d'œuvre...,  p.  37  et  116. 
Dans  ce  dernier  passage,  l'historien,  citant  Xénophon  {Écon.,  VI,  10),  remarque 
que  «  c'est  là  une  sorte  de  lieu  commun  dans  toute  la  littérature  grecque  ». 

3.  C'est  le  cas,  nous  l'avons  vu,  pour  la  construction  de  la  maison  de  Paris 


LES   ARTISANS   ET   LEUR   VIE    EN    GRECE.  37 

nuptiale,  pour  éviter  qu'aucun  regard  étranger  pût  la  profaner, 
était  sans  doute  assez  extraordinaire,  car  il  s'en  vante  un  peu 
comme  d'un  tour  de  force  *  ;  mais  même  dans  des  travaux  de 
moindre  importance,  on  voit  souvent  un  chef  d'industrie  se  faire 
aider  par  plusieurs  compagnons^.  Au  viif  siècle,  le  progrès  est 
encore  plus  marqué  :  dans  les  ports  de  commerce,  la  construc- 
tion de  bâtiments  plus  vastes  exige  évidemment  un  personnel 
plus  nombreux;  mais,  sans  sortir  du  milieu  où  vivait  Hésiode, 
tandis  que  l'orfèvre  de  VOdyssée  se  rend  à  domicile  avec  son 
enclume,  son  marteau  et  ses  tenailles 3,  le  forgeron  d'Asera  est 
établi  dans  un  atelier  assez  spacieux  pour  servir  de  salle  de 
réunion^  :  ce  n'est  plus  un  thète,  mais  un  propriétaire  et  un 
travailleur  sédentaire;  ce  n'est  plus  un  artisan,  mais  un  entre- 
preneur ayant  lui-même  sous  ses  ordres  des  ouvriers  qu'il  sala- 
rie. Cependant,  il  y  a  loin  de  cet  essai  rudimentaire  d'organisa- 
tion du  travail  à  un  groupement  professionnel  entre  égaux  ;  il 
s'en  faut  même  de  beaucoup  que  l'un  soit  une  étape  vers  l'autre. 
Le  seul  résultat  auquel  peut  aboutir  l'établissement  d'entreprises 
industrielles  plus  considérables  est  en  effet  de  rendre  la  concur- 
rence plus  aiguë  et  plus  dangereuse  pour  les  artisans  qui 
restent  isolés  :  astreints  fatalement,  dans  l'exercice  de  leur 
besogne  professionnelle,  à  mener  de  front  plusieurs  tâches  sou- 
vent fort  différentes,  ils  se  trouvent  hors  d'état  de  rivaliser  avec 
une  équipe  d'ouvriers,  dont  chacun  peut,  sans  inconvénient 
pour  l'ensemble  du  travail,  se  spécialiser  dans  un  domaine 
d'autant  plus  restreint  qu'ils  sont  plus  nombreux.  A  mesure  que 

et  des  vaisseaux  phéaciens;  la  situation  d'Ulysse  chez  Calypso  est,  avons-nous 
dit,  exceptionnelle. 

1.  Peut-être  faut-il  voir  dans  cet  usage  le  souvenir  d'un  état  de  choses  qui, 
sans  avoir  complètement  disparu,  tendait  de  plus  en  plus  à  se  modifier;  il  n'y 
aurait  pas  lieu  de  s'en  étonner,  l'élaboration  de  \ Iliade  et  de  l'Odyssée  s'étant 
prolongée  pendant  plusieurs  générations. 

2.  IL,  XVII,  V.  389  et  suiv.  :  un  corroyeur  fait  tendre  une  peau  de  taureau 
par  plusieurs  ouvriers;  —  Od.,  IX,  v.  384  et  suiv.  :  un  menuisier,  pour  percer 
une  planche,  dirige  la  tarière,  tandis  que  ses  aides  la  font  tourner  rapidement 
au  moyen  d'une  courroie. 

3.  Od.,  III,  V.  433-434. 

4.  Cf.  p.  24.  Dans  VOdyssée  (XVII,  v.  328),  ou  voit  Mélantho  reprocher  à 
Ulysse  de  ne  pas  aller,  comme  les  autres  vagabonds,  coucher  ù  la  forge 
(yalY.r^ïov...86[ioy)  ou  à  l'asile  ()i(Txri)  ;  il  y  avait  donc  à  Ithaque  des  forgerons 
qui  n'étaient  déjà  plus  des  ouvriers  ambulants,  comme  d'autres  artisans  dont 
parlent  les  poèmes  homériques  :  nouvel  indice  d'une  transformation  en  train 
de  s'accomplir. 


38  PIERRE   WALTZ. 

ces  entreprises  s'étendent,  l'artisanat  recule  fatalement  devant 
elles,  en  vertu  de  cette  mênae  loi  de  la  division  du  travail  qui 
lui  a  donné  naissance.  Sans  doute,  la  Grèce  ne  verra  jamais  son 
écrasement  complet  par  la  «  grande  industrie  »,  telle  qu'elle  se 
développera  dans  les  sociétés  modernes,  grâce  à  l'extension  du 
machinisme  1.  La  rivalité  n'en  était  pas  moins  difficile  à  soute- 
nir, pour  l'ouvrier  établi  à  son  compte,  contre  un  patron  mieux 
outillé  et  mieux  secondé.  La  situation  empirera  encore  quand 
les  esclaves  seront  devenus  plus  nombreux,  que  le  prix  moyen 
en  aura  baissé-  et  que,  la  main-d'œuvre  pouvant  se  recruter 
avantageusement  parmi  eux,  il  sera  possible  à  un  industriel  de 
s'assurer  sans  trop  de  difficultés  pratiques  un  personnel  suffi- 
sant. La  concurrence  des  ateliers  serviles  ne  sera  nullement 
comparable  à  celle  qu'opposaient  primitivement  aux  artisans  les 
esclaves  des  particuliers;  car  ces  ateliers  auront  sur  eux  la 
même  supériorité  qu'ils  avaient  sur  le  reste  du  public  :  une  spé- 
cialisation plus  complète,  irréalisable  pour  des  travailleurs  iso- 
lés, normale  au  contraire  dans  la  fabrique  d'un  Lysias  ou  d'un 
Céramon  3.  L'institution  du  petit  patronat  n'était  d'ailleurs  qu'une 
première  étape  vers  la  réalisation  lointaine  de  cet  idéal  :  les  ate- 
liers se  réduisaient  en  effet,  à  l'époque  hésiodique,  à  un  nombre 
d'ouvriers  très  restreint  ;  le  patron  se  faisait  simplement  assister 
de  quelques  compagnons  S  plutôt  pour  manier  des  appareils  de 
fortes  dimensions  que  pour  répartir  entre  eux  les  diverses 
tâches^  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  le  groupement  en  vue 

1.  Cf.  Guiraud,  p.  86-87,  91;  —  Francotte,  t.  I,  p.  193  et  suiv.,  225  et  suiv. 
L'atelier  le  plus  considérable  qui  nous  soit  connu  est  celui  de  Lysias,  qui 
comptait  cent  vingt  esclaves  ouvriers. 

2.  La  valeur  d'un  esclave  a  toujours  fortement  varié  suivant  l'époque,  la  pro- 
venance, l'âge,  le  sexe,  l'instruction,  etc.  Guiraud  (p.  106-108)  en  donne,  pour 
les  V  et  IV'  siècles,  de  nombreux  exemples  oscillant  entre  cent  drachmes 
environ  et  vingt  mines. 

3.  Cf.  Lysias,  XII,  8,  12  et  19;  Xénophon,  Mém.,  II,  7,  3.  Dans  l'industrie 
textile,  à  l'époque  classique,  ce  sont  des  ouvriers  différents  qui  lavent  la  laine, 
l'épluchent,  la  peignent,  la  filent,  la  tissent,  la  foulent,  la  cardent  et  la  teignent 
(Guiraud,  p.  55-56,  d'après  Platon,  Politique,  p.  279  et  suiv.).  A  l'âge  hésio- 
dique, aucun  de  ces  travaux  n'était  encore  du  ressort  des  professionnels. 

4.  On  peut  en  voir  une  image  dans  les  boutiques  que  représentent  des  vases 
peints,  —  d'époque  d'ailleurs  plus  récente,  —  où  le  personnel  comprend,  outre 
le  patron,  deux  ouvriers  (S.  Reinach,  op.  cil.,  t.  I,  p.  224  :  forgerons  et  cor- 
donniers), parfois  quatre  {Ibid.,  p.  337  :  céramistes). 

5.  Dans  le  dernier  vase  cité,  chacun  des  quatre  ouvriers  est  employé  à  une 
besogne  identique  (peindre  des  vases)  ;   dans  les  autres,  ils  combinent  leurs 


LES   ARTISiNS    ET   LEUR   VIE   EN    GRÈCE.  39 

d'un  travail  collectif,  tout  en  constituant  un  progrès  sensible  au 
point  de  vue  économique,  contient  en  soi  les  germes  d'un  grave 
malaise  social  :  pour  un  artisan  qui  parviendra  à  fonder  un  ate- 
lier, combien  seront  réduits,  par  la  loi  de  la  concurrence,  soit 
à  gagner  péniblement  leur  vie  dans  leur  boutique,  soit  à  s'em- 
baucher comme  ouvriers  chez  un  confrère  plus  heureux,  c'est-à- 
dire  à  retomber  dans  une  situation  analogue  à  ceUe  qu'Homère 
estimait  la  pire  de  toutes,  être  thète  au  service  d'un  homme  du 
commun!  Péril  inévitable,  et  dont  l'origine  est  aussi  ancienne 
que  l'artisanat  lui-même,  puisqu'il  est  une  conséquence  néces- 
saire de  la  spécialisation,  qui  est  le  principe  constitutif  du 
régime  artisanal. 

IV. 

Conclusion. 

Il  est  aisé  maintenant  de  déterminer  la  place  qu'occupe  le 
viii®  siècle,  tel  qu'il  nous  apparaît  surtout  par  l'image  qu'en 
trace  Hésiode,  dans  l'évolution  de  l'artisanat  et  le  développe- 
ment de  la  division  du  travail.  Le  principe  était  déjà  posé  chez 
Homère,  puisque  l'existence  des  démiurges  n'est  plus  étrangère 
à  la  société  qu'il  décrit.  Les  progrès  matériels  qu'ils  avaient  pu 
réaliser  en  commençant  à  se  spécialiser  ne  semblent  guère  avoir 
été  dépassés  pendant  le  siècle  suivant  :  si  la  poterie,  par 
exemple,  paraît  tenir  dans  la  civilisation  hésiodique  une  place 
plus  considérable,  c'est  surtout  à  une  différence  de  milieu  qu'il 
faut  l'attribuer;  seule,  l'architecture  navale  devait  progresser  à 
ce  moment  d'une  manière  sensible  dans  les  cités  maritimes,  à 
en  juger  par  le  rapide  essor  de  la  navigation  et  de  la  colonisa- 
tion pendant  la  seconde  moitié  du  siècle.  Néanmoins,  les  exi- 
gences croissantes  de  la  vie,  un  goût  plus  vif  du  confort  ou 
même  du  luxe  rendent  plus  souvent  nécessaire  l'emploi  de  la 
main-d'œuvre  professionnelle  ;  son  domaine  s'étend,  et  l'on  voit 
même  se  constituer  des  métiers  nouveaux  ou  de  nouvelles  spé- 
cialités ;  par  suite,  des  lignes  de  démarcation  se  dessinent  avec 

efforts  en  vue  d'un  résultat  commun  (l'un  des  forgerons  manie  le  marteau, 
l'autre  lient  l'outil  à  forger,  etc.).  Au  contraire,  les  monuments  où  figure  un 
personnel  plus  nombreux  «  représentent...  des  ateliers  où  la  besogne  paraît 
excessivement  morcelée  »  (Guiraud,  p.  61,  citant  Baumeister,  Denkmaler  des 
Mass.  AlterUmines,  1,  p.  253,  506;  111,  p.  1582,  1803,  1992). 


40  PIERRE   WALTZ. 

plus  de  précision  entre  les  diverses  besognes  professionnelles, 
mais  surtout  entre  les  travaux  que  peuvent  effectuer  les  profanes 
et  ceux  qu'il  convient  de  réserver  aux  spécialistes  ;  la  distinc- 
tion devient  de  plus  en  plus  nette  entre  les  tâches  que  l'on  a 
intérêt  à  exécuter  chez  soi  et  celles  qu'il  faut  abandonner  aux 
travailleurs  attitrés  du  bois  ou  du  fer,  parce  qu'elles  exigent  un 
outillage  perfectionné  ou  des  connaissances  particulières.  Il 
arrive  même,  bien  que  ce  ne  soit  pas  encore  la  règle  générale, 
que  dans  la  construction  d'un  instrument  aratoire  ou  d'un  objet 
ménager  un  client  fasse  appel  à  un  professionnel  pour  la  fabri- 
cation d'une  pièce  plus  délicate  :  indice  d'une  division  plus 
profonde,  d'une  répartition  plus  précise  et  plus  raisonnée  des 
fonctions  économiques. 

Mais  c'est  surtout  en  ce  qui  concerne  les  conditions  du  tra- 
vail qu'un  changement  notable  se  manifeste  et  que  le  régime  de 
l'artisanat  se  dégage  de  plus  en  plus  nettement  de  la  société 
patriarcale  :  les  artisans  habiles  ne  sont  plus  des  êtres  d'excep- 
tion, favoris  des  dieux,  dont  la  présence  est  une  heureuse  aubaine 
et  dont  tous  sollicitent  les  services  ;  de  plus  en  plus  ils  tendent 
à  former,  sinon  encore  une  classe  constituée,  du  moins  une 
institution  normale.  Leur  nombre  augmente  naturellement  à 
mesure  que  deviennent  plus  fréquents  les  cas  où  l'on  a  recours 
à  leur  intervention,  et  de  cette  situation  nouvelle  naît  un  nou- 
veau facteur  de  la  division  du  travail,  la  rivalité  professionnelle. 
La  spécialisation  des  gens  de  métier  avait  d'abord  eu  pour  effet 
d'éliminer  une  concurrence  possible,  celle  des  particuliers;  un 
riche  surtout  ne  songe  à  commander  une  besogne  au  dehors  que 
si  ses  serviteurs  ne  sont  pas  capables  de  l'exécuter;  or,  com- 
ment un  artisan  pouvait-il  acquérir  sur  le  premier  venu  une 
supériorité  incontestable,  sinon  en  se  spécialisant?  La  société 
reconnaît  alors  l'artisanat  comme  un  de  ses  rouages  essentiels  et 
indispensables,  en  dépit  de  l'individualisme  agricole  qui  ris- 
quait d'en  retarder  le  développement,  et  les  relations  avec  les 
démiurges  s'imposent  au  public  comme  une  nécessité  quotidienne. 
Mais  si  une  nouvelle  concurrence  vient  à  s'établir,  à  l'intérieur 
cette  fois  d'un  même  corps  de  métier,  il  est  logique  qu'elle  com- 
porte des  conséquences  analogues  à  celles  de  la  crise  d'où  l'ar- 
tisanat s'était  dégagé,  c'est-à-dire  que  la  division  du  travail  s'ac- 
centue encore,  chacun  s'efforçant  d'acquérir  une  spécialité  qui 
lui  assure  un  avantage  sur  ses  rivaux;  et  il  est  naturel  que  cette 


LES   ARTISANS    ET    LEUR   VIE    EN    GRECE.  41 

seconde  étape  soit  plus  rapide,  puisque  c'est  dans  une  voie  déjà 
tracée  qu'elle  fait  avancer  la  société.  La  spécialisation  est  faci- 
litée en  même  temps  par  l'organisation  d'ateliers  où  il  sera  pos- 
sible de  répartir  la  besogne  entre  divers  ouvriers  suivant  leur 
compétence  ou  leurs  aptitudes  respectives,  ce  qui  améliore  sen- 
siblement les  conditions  du  travail,  tout  en  rendant  la  lutte  pour 
la  vie  infiniment  plus  pénible  à  la  masse  des  travailleurs  isolés. 
Ainsi  se  constitue  le  petit  patronat,  intermédiaire  entre  l'artisa- 
nat proprement  dit  et  la  grande  industrie,  et  qui  paraît  bien 
avoir  été,  en  Grèce,  la  forme  par  excellence  de  ce  qu'on  pour- 
rait appeler  1'  «  industrie  bourgeoise  ».  Encore  en  formation  à 
l'époque  hésiodique,  elle  devait  atteindre  son  apogée  au  vu''  et 
au  vi"  siècle,  sous  les  tyrans  qui  succédèrent  aux  gouverne- 
ments oligarchiques'.  Mais,  dès  le  début  du  viii"  siècle,  on  voit 
apparaître  nettement  trois  des  principaux  facteurs  de  la  division 
du  travail,  presque  complètement  étrangers  à  la  période  précé- 
dente :  la  nécessité  de  connaissances  techniques  plus  précises 
chez  les  ouvriers  manuels,  une  concurrence  professionnelle  plus 
intense,  enfin  le  développement  et  l'organisation  du  travail  col- 
lectif. 

Pierre  Waltz. 

1.  Sur  la  protection  que  les  tyrans  accordèrent  à  l'industrie,  cf.  Guiraud,    a 
Main-d'œuvre...,  p.  29  et  39-40;  —  Études  économiques...,  p.  51  et  suiv. 


MELANGES   ET  DOCUMENTS 


LETTRES    INÉDITES    DE    SISMONDI 

A  SIR  J.  MACKINTOSH  ET  A  LA  COMTESSE  DE  SAINTE -AUL AIRE. 


Nous  devons  à  l'obligeance  de  Miss  Julia  Wedgwood,  petite-fille 
de  Sir  James  Mackintosh,  le  célèbre  parlementaire  anglais,  la  commu- 
nication d'une  notable  partie  des  papiers  inédits  de  Sismondi^  dont 
deux  séries  de  lettres  adressées,  les  unes  à  sa  fiancée  et  à  sa  femme, 
—  elles  feront  l'objet  d'une  publication  ultérieure,  —  les  autres  à 
M™*  de  Sainte- Aulaire. 

Nous  allons  mettre  ces  dernières  sous  les  yeux  du  public. 

Nous  ne  croyons  pas  faire  œuvre  inutile  en  rompant  le  silence  qui 
s'est  fait,  un  peu  soudain,  autour  du  nom  de  Sismondi.  A  côté  de 
l'intérêt  ordinaire  qui  s'attache  à  la  plume  d'un  écrivain  de  mérite, 
hôte  assidu  des  cercles  littéraires,  témoin  curieux  et  juge  averti  d'une 
époque  féconde,  s'exerce  un  attrait  psychologique  dont  Scherer  a 
fort  nettement  défini  la  nature^  : 

On  peut,  écrit-il,  ne  pas  goûter  bien  vivement  ses  livres,  mais  on  ne 
saurait  feuilleter  ses  lettres  sans  éprouver  de  l'intérêt  et  de  l'affection 
pour  celui  qui  les  a  écrites...  Nous  sommes  mis  aujourd'hui  en  état  de 
considérer  Sismondi  de  cette  manière,  du  point  de  vue  intérieur,  et  il 
est  certain  qu'il  y  gagne  comme  une  seconde  et  meilleure  célébrité.  Il 
n'est  pas  jusqu'à  son  talent  dont  on  ne  prenne  ainsi  une  plus  haute 
opinion.  Dans  l'épanchement  d'une  correspondance  familière  et  expri- 
mant au  jour  le  jour  les  impressions  qu'il  reçoit  des  événements,  il 
devient  plus  naturel,  il  a  plus  d'imprévu  et  d'agrément. 

1.  En  dehors  des  manuscrits  conservés  dans  les  bibliothèques,  notamment  à 
la  bibliothèque  Fabre  de  Montpellier,  et  dont  M.  Saint-René  Taillandier  n'a 
pas  épuisé  la  matière,  nous  apprenons  du  représentant  de  la  famille  Désideri 
de  Pescia,  qu'il  est  toujours  en  possession  des  papiers  de  Sismondi,  dont 
M.  Villari  a  donné  l'énumération  dans  le  premier  volume  de  la  Bévue  histo- 
rique, p.  241. 

2.  Études  critiques,  t.  II,  p.  146. 


LETTRES   INÉDITES  DE   SISMONDI.  43 

La  restriction  même  qu'implique  la  première  phrase  passerait 
aujourd'hui  pour  un  aveu  d'incompétence,  car  il  semble  qu'on  soit 
plus  à  même  d'apprécier  maintenant  la  portée  de  son  œuvre  :  sans 
doute  la  partie  historique  est  encore  sous  le  coup  d'un  jugement 
sommaire  et  dont  il  serait  souhaitable  qu'on  entreprit  la  révision; 
mais  ses  ouvrages  économiques  ont  obtenu  une  réhabilitation  écla- 
tante. Blanqui,  dans  son  Histoire  de  l'économie  politique, 
déclare  :  «  Ce  sera  l'honneur  éternel  de  son  nom,  d'avoir  donné 
l'éveil  à  l'Europe  et  de  s'être  mis  à  la  tête  d'une  croisade  en  faveur 
des  classes  les  plus  injustement  disgraciées  de  notre  ordre  social.  » 
Un  économiste  contemporain  '  ne  craint  pas  d'affirmer  que  le  socia- 
lisme scientifique  lui  a  emprunté  «  l'esprit  de  critique  envers  l'orga- 
nisation moderne  et  les  grandes  lignes  de  sa  critique  elle-même  » , 
que  L.  Blanc,  Vidal,  Rodbertus,  K.  Marx  lui  prennent  ses  conclu- 
sions ou  sa  méthode,  qu'Elster  et  Eisenhart  enfin  reconnaissent  en 
lui  «  le  précurseur  remarquable  de  la  science  allemande  contempo- 
raine »  du  «  socialisme  de  la  chaire.  » 

Ce  sont  là,  nous  semble-t-il,  à  une  époque  où  la  critique  littéraire 
sollicite  notre  admiration  pour  les  moindres  talents,  des  titres  suf- 
fisants à  l'attention  de  ceux  qui  lisent  2. 

Nous  donnons  d'abord  une  lettre  isolée,  adressée  à  Sir  James 
Mackintosh^;  elle  forme  un  appendice  naturel  aux  lettres  écrites 
pendant  les  Cent-Jours  et  elle  illustre  très  heureusement  le  senti- 
ment des  classes  moyennes  au  moment  du  retour  de  Napoléon. 

Aussitôt  après  sa  chute,  un  revirement  se  fit  dans  les  esprits  :  le 
prestige  de  son  nom,  inséparable  de  la  gloire  militaire  qu'avaient 
conquise  les  trois  couleurs,  opéra  davantage  avec  l'éloignement  et 
l'on  ne  fut  plus  sensible  qu'aux  grandeurs  de  son  règne. 

Par  ailleurs,  les  excès  des  ultras  servaient  mal  la  cause  des  Bour- 

1.  Albert  Aftalion,  l'Œuvre  économique  de  Sismondi.  Paris,  1899. 

2.  Il  a  déjà  paru  de  la  correspondance  de  Sismondi  :  des  lettres  à  E.  de 
Sainte-Aulaire,  à  M"""  Noyon,  d&n?,  Fragments  du  journal  et  de  la  correspon- 
dance de  Sismondi,  par  J.-J.-C.  Cheneviére  (Genève,  1857);  des  lettres  à 
M""  d'Albany,  dans  Lettres  inédites  de  J.-C.-L.  de  Sismondi...  à  Ji°"  la  com- 
tesse d'Albamj,  par  Saint-René  Taillandier  (Paris,  1863)  ;  des  lettres  de  Sismondi 
à  sa  mère  pendant  les  Cent-Jours,  publiées  par  MM.  Villari  et  Monod  dans  la 
Revue  historique,  t.  III,  IV,  V,  VI  (1877-1878). 

3.  Les  relations  de  Sismondi  avec  Sir  J.  Mackintosh  dataient  de  1814.  Sis- 
mondi avait  publié  cette  année-là  un  libelle  :  De  l'intérêt  de  la  France  à 
Icgard  de  la  traite  des  nègres,  qui  l'avait  naturellement  rapproché  de  Sir  J. 
Mackintosh,  champion  avec  Wilberforce  de  la  cause  des  nègres  en  Angleterre. 
Sir  J.  Mackintosh,  qui  venait  d'entrer  à  la  Chambre  des  Communes  (1813), 
avait  fait  entre  temps  un  voyage  à  Genève,  au  cours  duquel  il  s'était  lié  d'ami- 
tié avec  Sismondi.  Ce  dernier  devait  épouser  en  1819  une  belle-sœur  du  pre- 
mier, Miss  Jessie  Allen. 


44  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

bons  :  «  Ce  n'est  nullement  à  ces  principes  » ,  —  aux  principes  d'ab- 
solutisme, écrivait  Sismondi  < ,  —  «  qu'en  veulent  ses  adversaires.  Au 
contraire,  c'est  peut-être  par  là  même  qu'il  a  le  plus  de  rapport 
avec  eux.  Son  arrogance  m'a  été  insupportable  pendant  de  longues 
années;  mais  l'arrogance  de  ceux  qui  ont  été  si  humbles  pendant 
ces  mêmes  années  me  révolte  peut-être  encore  plus...  »  Et  ailleurs  : 
«  Ce  reflux  si  violent  vers  le  despotisme  est  à  mes  yeux  le  présage  de 
nouvelles  révolutions.  » 

Et,  de  fait,  la  révolution  ne  tarda  pas.  Le  retour  de  l'île  d'Elbe 
se  fit  par  des  chemins  grands  ouverts,  tandis  que  l'on  poussait  à  la 
frontière  la  cour  désemparée.  Sismondi  ne  tarit  pas,  dans  ses  lettres 
à  sa  mère,  d'expressions  méprisantes  à  l'adresse  des  Bourbons.  Le 
duc  de  Berry  «  croit  se  rendre  populaire  en  jurant.  »  «  Monsieur,  à  son 
retour  de  Lyon,  avait  rempli  sa  voiture  d'antispasmodiques  ;  la  peur 
lui  donnait  des  attaques  de  nerfs  »  ;  à  part  lui,  «  aucun  des  Bourbons 
n'est  sorti  du  palais  que  pour  se  sauver,  l'on  assure  qu'ils  ont  pris 
huit  milUons,  toute  l'argenterie,  tout  ce  qui  pouvait  s'enlever,  jus- 
qu'aux rideaux  des  fenêtres  ».  Le  duc  d'Orléans  «  est  le  seul  des 
princes  qui  ait  des  sentiments  français  » .  Ce  qui  acheva  de  réconci- 
lier Sismondi  avec  l'Empire,  —  et  M.  Villari  ne  l'a  peut-être  pas 
suffisamment  indiqué,  —  ce  fut  l'acte  additionnel,  œuvre  de 
B.  Constant,  pour  la  plus  grande  partie,  et  que  l'on  appelait  pour 
cela  la  «  Benjamine  ».  Sismondi  écrivait  à  ce  sujet  dans  le  Moni- 
teur"^ :  «  De  toutes  les  constitutions  libres  que  j'ai  étudiées  pendant 
tant  d'années  3,  il  n'y  en  a  pas  une  seule  que  je  ne  regarde  comme 
inférieure  à  celle  qui  est  présentée  aujourd'hui  à  l'acceptation  du 
peuple  français.  »  Les  libertés  «  sont  bien  mieux  garanties  qu'elles 
ne  Font  été  en  France  sous  aucun  gouvernement  ou  monarchique, 
ou  républicain...  » 

L'Empereur  s'efforçait  d'ailleurs  de  confirmer  les  libéraux  dans 
leurs  espérances.  On  n'ignore  pas  qu'il  désira  voir  Sismondi  et,  dans 
l'entrevue  du  3  mai\  il  n'eut  garde  de  contredire  en  rien  les  asser- 
tions de  son  interlocuteur.  C'est  un  exemple  frappant  de  la  souplesse 
et  du  don  d'adaptation  du  caractère  de  Napoléon. 

Il  fallait  donc  à  tout  prix  affermir  sur  son  trône  le  garant  des 
libertés  reconquises,  et  Sismondi  pensa  que  l'opinion  de  Sir  J.  Mac- 

1.  Lettre  à  M"-"  d'Albany,  de  Pescia,  2  février  1814. 

2.  Moniteur  des  29  avril,  2,  6,  8  mai  1815.  La  lettre  à  Sir  J.  Mackintosh  est 
du  jour  même  où  parut  le  premier  article. 

3.  Il  publiera  en  1832  :  Histoire  de  la  renaissance  de  la  liberté  en  Italie; 
en  1836  :  Étude  sur  les  constitutions  des  peuples  libres. 

4.  Revue  historique,  t.  I,  p.  242  (par  M.  Villari). 


LETTRES    I.yEDITES   DE    SISMONDI.  4o 

kintosh  pourrait  être  de  quelque  poids  dans  le  conseil  des  princes 
assemblés  à  Vienne.  Il  n'hésita  pas  à  lui  adresser  celte  sorte  de 
plaidoyer  : 


To  Sir  James  Mackintosh  M.  P. 

J'ai  voulu  vous  écrire,  Monsieur,  il  y  a  longtemps  ;  la  très  grande 
difficulté  de  faire  parvenir  une  lettre  où  l'on  parle  du  fond  du  cœur, 
et  qu'on  ne  veut  par  conséquent  point  exposer  à  être  lue  aux  frontières, 
m'y  a  fait  renoncer;  les  exhortations  de  Mrs  Rich<  que  je  viens  de 
voir  me  tirent  de  nouveau  de  ma  nonchalance  ;  elle  assure  que  vous- 
même  vous  êtes  encore  dans  une  très  grande  ignorance  des  événe- 
ments de  France  et  de  la  disposition  des  esprits  ;  elle  assure  que  les 
déclarations  solennelles  d'un  homme  impartial,  d'un  homme  qui  cer- 
tainement ne  passe  pas  pour  courtisan,  peuvent  faire  impression  sur 
vous  et  vos  amis;  elle  assure  que  si  je  vous  dis  que  je  me  rallie  com- 
plètement au  gouvernement  de  Napoléon,  que  je  désire  sa  stabilité, 
que  je  désire  ses  victoires,  cette  opinion  individuelle  d'un  homme  qui 
a  montré  assez  ouvertement  son  opposition,  lorsqu'il  marchait  à  la 
tyrannie  universelle,  sera  pour  vous  une  indication  de  l'opinion  de  la 
France,  de  celle  de  tous  les  hommes  libres.  Au  nom  du  ciel,  arrêtez 
encore  sur  le  bord  de  l'abîme  vos  ministres  insensés,  avant  qu'ils  ral- 
lument une  guerre  qui  perdra  l'Europe,  qui  perdra  la  liberté,  qui  per- 
dra la  civilisation  et  qui  sera  bien  plus  fatale  encore  à  votre  patrie 
qu'à  la  France.  J'ai  la  ferme  confiance  que,  si  la  France  est  attaquée, 
elle  vaincra  les  étrangers,  mais  après  une  lutte  sanglante  et  dont  on 
ne  saurait  calculer  tous  les  désastres. 

Comment  est-il  possible  qu'on  ait  pu  persuader  à  l'Angleterre  que 
cette  révolution  était  l'ouvrage  de  l'armée  et  non  celui  du  peuple?  Les 
faits  ne  parlaient-ils  pas  assez  haut  pour  démentir  toutes  les  fables  du 
parti  royaliste,  n'avons-nous  pas  vu  qu'il  a  été  impossible  au  roi  de 
faire  marcher  des  gardes  nationales  contre  Bonaparte,  tandis  que  les 
gardes  nationales  seules  ont  forcé  la  duchesse  d'Angoulême  à  se  reti- 
rer et  ont  arrêté  le  duc?  Le  général  Clauzel  n'avait  pour  toutes 
troupes  de  ligne  que  trente-quatre  gendarmes,  lorsqu'il  a  marché 
contre  Bordeaux,  et  il  a  forcé  à  la  retraite  une  princesse  courageuse 
qui  avait  plusieurs  milliers  d'hommes,  parce  qu'entre  tous  ceux-là,  à 
la  réserve  de  quelques  gentilshommes,  il  n'y  en  avait  pas  un  qui  vou- 
lût combattre  contre  la  cause  nationale.  A  Montélimar,  la  garde  natio- 
nale seule  a  affronté  la  petite  armée  du  duc  d'Angoulême  et  a  décidé 
tous  les  régiments  à  passer  sous  les  drapeaux  de  la  patrie.  En  géné- 
ral, on  pourrait  dire  que  partout  les  paysans  ont  décidé  les  soldats  : 

1.  Fille  aînée  de  Sir  James;  elle  avait  éiiousé  en  1808,  à  Bombay,  Claudius 
James  Rich,  voyageur  et  orientaliste,  qui  mourut  âgé  seulement  de  trente-trois 
ans  en  1820. 


46  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

chaque  régiment  qu'où  envoyait  contre  Bonaparte  était,  au  moment  du 
départ,  encore  décidé  à  obéir,  mais  lorsqu'en  traversant  les  cam- 
pagnes il  entendait  les  cris  de  joie  des  paysans,  de  voir  revenir  celui 
qu'ils  regardaient  comme  leur  libérateur,  le  sentiment  français,  vaine- 
ment comprimé  dans  le  cœur  de  chaque  soldat,  se  réveillait  en  lui  et 
le  faisait  passer  aux  drapeaux  de  l'honneur  et  de  l'indépendance  natio- 
nale. On  assure  que  le  maréchal  Ney  lui-même,  qui  s'est  déshonoré 
par  une  trahison,  ne  l'avait  pas  méditée,  mais  qu'il  a  été  entraîné  par 
l'unanimité  des  sentiments  dont  il  entendait  de  toutes  parts  l'expres- 
sion. Il  n'y  a  aucun  pays  au  monde  où  l'armée  soit  plus  intimement 
liée  à  la  nation  que  la  France  et  soit  plus  animée  par  un  même  esprit, 
et  j'entends  par  la  nation,  essentiellement  tous  les  habitants  des  cam- 
pagnes, classe  qui  depuis  la  Révolution  a  acquis  beaucoup  d'impor- 
tance, parce  qu'elle  est  presque  en  entier  propriétaire  :  ce  sont  des 
hommes  qu'à  leurs  habits,  à  leur  nourriture  vous  confondriez  avec 
vos  cottagers;  ils  sont  du  moins  fort  inférieurs  à  vos  farmers  pour 
l'instruction  et  la  richesse,  mais  ils  sont  bien  plus  réellement  indépen- 
dants. C'est  parmi  eux  surtout  que  l'armée  se  recrute,  c'est  chez  eux 
que  les  soldats  reviennent  avec  une  retraite;  l'éducation  des  camps 
leur  donne  de  la  considération  dans  leurs  villages,  ceux  qui  n'ont 
point  servi  s'intéressent  à  la  gloire  de  l'armée  comme  s'ils  avaient  mar- 
ché sous  les  drapeaux.  La  honte  du  joug  étranger  que  la  France  avait 
subi  l'année  passée,  les  vexations,  les  humiliations  que  les  plus  braves 
soldats  ont  soufîertes  sous  le  règne  des  Bourbons  ont  été  senties  avec 
amertume  par  la  masse  entière  des  paysans  ;  à  leur  tour,  les  soldats 
étaient  irrités  pour  leurs  pères,  leurs  frères,  leurs  maîtresses,  de  la 
spoliation  prochaine  de  tous  les  acquéreurs  de  domaines  nationaux 
qu'on  avait  la  sottise  de  faire  entrevoir,  plus  encore  que  de  projeter. 
La  noblesse  de  province  et  les  prêtres,  par  leurs  prétentions  ridicules, 
avaient  porté  l'exaspération  au  plus  haut  degré.  La  révolution  était 
immanquable;  elle  se  serait  faite  sans  Bonaparte  comme  par  lui;  dix 
conspirations  se  tramaient  en  même  temps  ;  le  mouvement  du  comte 
d'Erlon^  et  celui  de  Lefebvre-Desnouettes  n'avaient  aucun  rapport  avec 
celui  de  Bonaparte.  Tous  deux  ne  se  sont  arrêtés  que  parce  qu'ils  ont 
appris  ce  mouvement  inattendu.  Je  ne  vous  dirai  point  que  cette  fer- 
mentation de  toute  la  France  soit  contenue  dans  les  bornes  de  la 
sagesse;  bien  au  contraire,  un  levain  de  jacobinisme  s'est  développé 
avec  fureur  dans  toutes  les  têtes.  Ce  levain  n'existait  plus  nulle  part, 
il  y  a  une  année;  ce  sont  les  sottises  de  la  cour  qui  l'ont  fait  renaître  ; 
elle  a  pris  à  tâche  d'humilier  une  nation  orgueilleuse  et  qui  a  le  droit 
de  l'être.  L'irritation  allait  croissant,  et  si  l'explosion  avait  tardé  six 

1.  La  conspiration  Fouché,  Drouet,  d'Erlon,  Lallemand  et  autres,  formée  déjà 
vers  la  fin  de  1814,  était  renouée  dès  le  début  de  février  1815,  et  ce  n'est  qu'en 
mars  que  Napoléon  débarqua.  Il  faut  ajouter  que  les  conjurés  ne  s'entendaient 
que  sur  un  point  :  leur  opposition  à  Louis  XVIIL  Fouché  penchait  pour  le  duc 
d'Orléans,  certains  désiraient  rappeler  Napoléon,  d'autres  demandaient  le  roi 
de  Rome. 


LETTRES   INÉDITES   DE   SISMONDI.  47 

mois  elle  aurait  été  bien  plus  terrible.  Lors  même  que  Bonaparte  aurait 
été  assassiné  à  l'île  d'Elbe*,  le  règne  de  Louis  XVIII  n'aurait  pas  été 
prolongé  de  six  mois  et  sa  chute  aurait  été  bien  plus  violente.  Aujour- 
d'hui, quand  les  alliés  réussiraient  à  ramener  ce  faible  monarque  en 
France,  ils  ne  lui  garantiraient  pas  un  an  de  vie  ou  de  règne  et  une 
nouvelle  révolution  éclaterait  par  un  massacre  effroyable  de  la  noblesse. 
Aussi  je  ne  comprends  pas  comment  il  aurait  le  courage  d'y  revenir, 
même  entouré  de  baïonnettes  étrangères,  lui  qui  a  montré  tant  de 
prudence  et  un  soin  si  pieux  de  conserver  sa  propre  vie,  même  contre 
l'ombre  du  danger,  et  qui  avec  une  fermeté  si  royale  a  résisté  aux  sol- 
licitations de  ses  amis  qui  voulaient  le  retenir  ou  à  Paris,  ou  du  moins 
à  Lille.  De  tels  princes  ne  régneront  jamais  sur  une  nation  dont  la 
bravoure  est  le  caractère  distinctif. 

C'est  au  contraire  le  courage  inouï  déployé  par  Bonaparte  pendant 
toute  sa  marche  de  Cannes  à  Paris,  se  présentant  toujours  seul,  toutes 
les  fois  qu'il  y  avait  de  la  résistance^,  c'est  le  courage  avec  lequel  il 
entra  à  la  tête  de  dix-sept  hommes  à  Paris,  avec  lequel  il  se  confia  aux 
Tuileries,  le  20  mars,  à  la  même  garde  nationale  qui  le  matin  avait 
gardé  le  roi,  avec  lequel  je  lui  ai  vu,  il  y  a  quinze  jours,  passer  une 
revue  3  de  douze  mille  hommes  de  la  garde  nationale  de  Paris,  qui  lui 
est  fort  peu  dévouée,  entrant  sans  un  seul  soldat,  entre  tous  les  rangs 
et  permettant  à  tous  ces  citoyens  armés  et  inconnus  de  lui  remettre  à 
la  main  des  pétitions;  c'est  le  courage  avec  lequel,  dans  une  revue  de 
troupes  de  ligne,  il  se  laissait  tirer  les  habits  par  derrière,  par  des  sol- 
dats qui  voulaient  avoir  un  de  ses  regards  et  le  serrer  dans  leurs  bras  ; 
c'est  cette  confiance  héroïque  dans  le  temps  même  où  sa  tête  était  à 
prix  qui  ont  captivé  l'imagination  des  Français  et  qui  séduisent  la 
mienne. 

Je  ne  vous  dirai  pas,  cependant,  qu'il  n'ait  contre  lui  un  parti  nom- 
breux, et  qui  surtout  fait  beaucoup  de  bruit.  Il  est  composé  d'abord  de 
toute  la  noblesse,  qui  attachait  au  roi  ses  espérances  et  qui  se  croyait 
bien  assurée  que  la  charte  constitutionnelle  ne  durerait  pas  longtemps 
et  qu'elle  ne  tarderait  pas  à  rentrer  dans  tous  ses  privilèges*.  Les  gen- 
tilshommes qui  s'étaient  précédemment  attachés  à  Bonaparte  sont 
peut-être  ceux  qui  aujourd'hui  se  montrent  les  plus  acharnés  contre 
lui.  Ensuite  la  grande  masse  des  gens  de  lettres  qui  l'a  tour  à  tour 
flatté  et  honni  se  croit  obligée  en  honneur  de  s'en  tenir  à  ce  dernier 
sentiment,  et  elle  est  en  général  très  acharnée  contre  lui.  Enfin  les 

1.  On  avait,  en  effet,  discuté  à  Vienne  divers  moyens  de  se  défaire  de  Napo- 
léon; il  fut  question  de  l'enlever  pour  le  mettre  en  lieu  sûr  et  même  de  le 
faire  disparaître  sans  retour  possible. 

2.  Allusion  probable  à  l'affaire  du  délilé  de  Laffray. 

3.  C'est  la  revue  du  16  avril,  où  étaient  réunis  15,000  hommes  environ.  «  Un 
grenadier  ayant  voulu  arrêter  un  soldat  qui  s'a])procliait  de  lui,  l'Empereur  a 
jeté  bas  le  bonnet  du  grenadier  et  tendu  la  main  au  soldat  »  (lettre  de  Sismondi 
à  sa  mère,  17  avril). 

4.  Chateaubriand  faisait  à  la  noblesse  le  même  reproche. 


48  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

plus  riches  marchands  dont  les  projets  ont  été  tout  à  coup  suspendus 
par  son  arrivée.  Ces  trois  classes  qui  sont  assez  riches  ont  une  grande 
masse  de  gens  qu'ils  font  vivre  et  auxquels  ils  communiquent  leurs 
sentiments.  C'est  surtout  à  Paris  qu'ils  se  concentrent,  aussi  l'on  peut 
dire  que  cette  ville  est  en  général  mécontente  du  gouvernement.  C'est 
celle  de  toutes  où  Bonaparte  a  le  moins  de  partisans  ;  cependant,  ce 
mécontentement  qui  s'exhale  dans  les  salons  et  qui  n'agit  jamais  lui 
donne  avec  raison  peu  d'inquiétude.  Il  en  a  davantage,  et  il  doit  en 
avoir,  d'un  autre  parti  qui  seul  aujourd'hui  est  puissant  en  France, 
qui,  en  général,  s'est  rallié  vivement  à  lui,  qui  l'a  secondé,  mais  qui 
depuis  quelques  jours  se  livre  à  la  défiance.  C'est  le  parti  républicain, 
et  l'on  pourrait  mieux  dire  encore,  jacobin.  La  constitution  qui  vient 
de  paraître,  et  qui  à  mes  yeux  est  la  meilleure  que  puisse  supporter  la 
France,  une  des  meilleures  qu'aucun  État  libre  ait  eu  effectivement  en 
activité,  n'a  point  réussi.  Des  idées  fort  absurdes  sur  la  division  abso- 
lue des  pouvoirs,  sur  l'appel  à  la  souveraineté  du  peuple,  dans  le  mode 
de  présentation,  sur  le  danger  des  anciennes  lois  confirmées ^  agitent 
aujourd'hui  tous  les  esprits.  Les  royalistes  excitent  de  tout  leur  pou- 
voir ce  mécontentement,  et  ils  sont  assez  insensés  pour  imaginer  que 
la  tendance  républicaine  qui  se  développe  leur  sera  favorable,  tandis 
qu'elle  est  bien  plus  contraire  encore  au  Roi  qu'à  l'Empereur,  et  que 
je  n'aie  pas  de  doute  que  celui-ci,  qui  connaît  son  siècle  et  la  nation, 
ne  proclamât  de  nouveau  la  République  et  ne  redescendît  au  grade  de 
général,  si  ce  changement  était  nécessaire  pour  réunir  tous  les  esprits. 
Quant  aux  forces  dont  la  France  peut  disposer  pour  soutenir  la  lutte 
où  l'on  veut  la  forcer,  je  crois  savoir  avec  assez  de  précision  qu'elle  a 
dans  ce  moment  250,000  hommes  sous  les  armes,  que  l'Empereur  se 
croit  assuré  d'en  avoir  encore  50,000  dans  quinze  jours  et  que  le  mois 
suivant  lui  en  donnera  100,0002.  Les  troupes  qui  sont  aujourd'hui  sur 
pied,  dont  une  grande  partie  était  il  y  a  un  an  dans  les  garnisons  assié- 
gées ou  dans  les  prisons  de  Russie,  sont  de  vieux  soldats  accoutumés 
aux  victoires,  remplis  d'ardeur  et  qui  peuvent  avec  assurance  se  mesu- 
rer partout  contre  un  nombre  double  du  leur.  L'armée  a  un  matériel 
sutïîsant,  une  fort  belle  artillerie  et  peut  entrer  immédiatement  en 
campagne.  Il  n'en  est  pas  de  même  des  gardes  nationales  qu'on  orga- 
nise. Dans  plusieurs  provinces,  on  manque  encore  d'armes.  Mais,  en 
joignant  l'activité  française  à  celle  de  l'Empereur,  on  n'en  manquera 
pas  longtemps.  Dans  le  seul  immense  atelier  qui  travaille  à  Paris,  on 
fait  par  des  procédés  nouveaux  quatre  mille  fusils  par  jour,  et  il  y  a 
déjà  quelque  temps  que  cela  dure.   La  même  activité  règne  dans 

1.  Sismondi  veut  parler  ici  du  rétablissement  dans  l'acte  additionnel  de  la 
confiscation  générale,  supprimée  dans  la  charte.  Napoléon  insista  pour  qu'elle 
fût  inscrite  à  nouveau  dans  la  constitution. 

2.  Ces  chififres  étaient  donnés  à  dessein  par  le  gouvernement.  En  réalité, 
Napoléon  avait  à  la  fin  de  mars  les  150,000  hommes  des  troupes  royales,  200,000 
au  plus  un  mois  après,  et  à  son  entrée  en  campagne,  au  début  de  juin,  il  ne 
mettra  en  ligne  que  275,000  hommes. 


LETTRES   INÉDITES   DE   SISMONDI.  49 

toutes  les  fabriques  des  provinces,  et  cette  nation  belliqueuse  une  fois 
complètement  armée,  cette  nation  unanime  dans  son  mépris  pour  l'inca- 
pacité et  la  pusillanimité  des  Bourbons,  dans  sa  haine  pour  la  noblesse  et 
le  clergé,  dans  son  culte  pour  l'honneur  national  et  l'indépendance,  ne 
sera  ni  vaincue  au  dehors  par  les  étrangers,  ni  asservie  au  dedans 
par  un  despote.  Le  commandement  d'une  grande  armée  ne  suffit  point 
pour  renverser  une  constitution,  lorsque  cette  armée  est  essentielle- 
ment nationale  et  que  la  nation  est  en  même  temps  éminemment  belli- 
queuse. D'ailleurs,  l'Empereur  connaît  bien  son  jeu;  il  sait  qu'il  ne 
peut  pas  espérer  un  allié  parmi  les  rois  de  l'Europe,  que  l'alliance 
seule  avec  les  peuples  peut  lui  donner  de  la  force,  et  quels  que  soient 
ses  goûts  ou  ses  dispositions  despotiques,  il  s'attachera,  n'en  doutez 
pas,  à  ce  qui  seul  peut  fonder  sa  puissance,  le  maintien,  le  progrès 
des  idées  nouvelles,  qu'il  dominera  quelquefois,  parce  qu'il  est  encore 
plus  fort  qu'elles,  mais  qu'il  ne  cherchera  pas  à  saper  et  à  détruire  par 
leur  base,  comme  faisait  l'ancienne  cour.  C'est  la  difîérence  entre  un 
despote  fort  et  un  despote  faible;  l'un  maîtrise  la  liberté,  l'autre 
l'étoufïe;  l'un  s'irrite  contre  l'obstacle  qui  gêne  souvent  ses  projets, 
l'autre  redoute  jusqu'à  l'esprit  de  vie  dont  il  ne  peut  jamais  être  animé 
lui-même. 

Pardonnez-moi,  Monsieur,  cette  si  longue  lettre.  Daignez  y  voir  la 
preuve  de  cette  profonde  estime  que  vous  m'avez  inspirée,  de  cette  con- 
fiance que  dans  tout  ce  qui  remue  profondément  le  cœur  nous  devons 
nous  entendre,  de  cette  croyance  à  la  puissance  de  vos  talents  dans  le  Con- 
seil auguste  d'une  nation  libre,  à  la  puissance  de  la  vérité,  lorsqu'elle 
est  exprimée  par  une  bouche  aussi  éloquente  que  la  vôtre.  C'est  beau- 
coup faire  que  de  retarder  la  guerre  de  quelques  semaines  ou  de 
quelques  mois.  Ceux  qui  la  veulent,  ce  sont  ces  souverains  et  ces 
ministres  qui  ont  joué  à  Vienne  un  rôle  si  ridicule,  qui  se  sentent 
profondément  humiliés  par  le  dénouement  de  leur  longue  parade  et 
qui  veulent  noyer  dans  le  sang  leur  confusion.  Mais  les  peuples  ne 
peuvent  pas  la  vouloir.  Elle  est  désastreuse  pour  tous  également,  elle 
n'offre  à  aucun  de  vraies  espérances.  Chaque  jour  une  vérité  perce  la 
barrière  qu'on  lui  oppose,  une  lettre,  un  journal  de  France  parvient 
en  Allemagne,  les  peuples  s'éclairent  lentement,  mais  enfin  ils 
s'éclairent,  et  dans  deux  mois  les  souverains  ne  réussiraient  plus  peut- 
être  à  entraîner  leurs  sujets  dans  la  croisade  aussi  injuste  qu'insensée 
qu'ils  veulent  entreprendre. 

Recevez  l'assurance  de  la  haute  considération  et  du  sincère  attache- 
ment avec  lesquels  j'ai  l'honneur  d'être.  Monsieur,  votre  très  humble 
et  très  obéissant  serviteur. 

J.-Ch.-L.  DE  SiSMONDI. 

Paris,  rue  Grenelle-Saint-Germain,  n»  26,  le  29  avril  1815. 

Quelque  part  de  vérité  qu'il  pût  y  avoir  dans  les  prévisions  de 
Rev.  Histor.  CXVII.  1«''  fasc.  4 


50  MÉLANGES    ET   DOCUMENTS. 

Sismondi,  il  faut  reconnaître  que  son  sens  historique  se  trouvait  en 
défaut  lorsqu'il  croyait  possible  un  empire  resserré  dans  les  limites 
de  la  monarchie,  et  surtout  un  empire  gouverné  par  un  prince  haï 
ou  redouté  de  tous  les  princes  européens  et  dont  la  gloire,  dont  la 
popularité,  dont  la  raison  d'être  étaient  dans  l'expansion. 

Les  lettres  que  l'on  va  lire  sont  d'un  caractère  tout  différent.  Elles 
offrent  l'agrément  particulier  d'une  correspondance  familière  où  l'on 
s'abandonne  sans  réserve  et  où  l'on  traite  des  choses  et  des  gens 
sans  autre  objet  que  de  livrer  sa  pensée. 

Ces  lettres  sont,  pour  la  plupart,  datées  de  Chênes,  village  à  trois 
kilomètres  et  demi  de  Genève,  où  le  grand-père  de  Sismondi  avait 
acquis  une  propriété.  Il  se  divise  en  deux  parties,  Chêne-Bourg  et 
Chêne-Bougeries,  séparées  par  la  Semiaz.  C'est  à  Chêne-Bougeries 
que  résidait  Sismondi  et  c'est  là  que  se  trouve  aujourd'hui  son 
tombeau. 

La  correspondante  de  Sismondi  est  M"^  du  Roure,  deuxième 
femme  du  comte  de  Sainte-Aulaire,  —  il  était  veuf  de  M"^  de  Soye- 
court.  —  Une  fille  du  premier  lit  avait  épousé  le  duc  Decazes, 
ministre  de  Louis  XVIIL  Monsieur  de  Sainte-Aulaire  occupa, 
durant  la  période  qui  nous  intéresse  (1830-1838),  les  ambassades  de 
Rome  (mars  1831-janvier  1833)  et  de  Vienne  (1833-septembre  1841). 

Cette  période  s'ouvre  au  moment  où  Charles  X  jouait  sa  dernière 
carte.  Les  25  et  26  mai  1830,  l'expédition  d'Alger  étant  décidée,  une 
flotte  de  11  vaisseaux  de  ligne,  24  frégates  et  près  de  500  transports 
portant  36,000  hommes  quittait  Toulon  sous  les  ordres  du  ministre 
de  la  guerre  Bourmont.  Le  gros  temps  la  contraignit  à  relâcher  aux 
Baléares  jusqu'au  10  juin. 

La  Chambre  avait  été  dissoute  le  16  mai  et  les  collèges  convoqués 
pour  les  3  et  20  juillet.  Le  ministère  escomptait  l'impression  que 
produirait  sur  le  corps  électoral  la  nouvelle  de  la  prise  d'Alger;  les 
libéraux,  au  contraire,  comptaient  terminer  les  élections  avant  l'ar- 
rivée des  bulletins  de  victoire.  Le  duc  de  Broglie,  chef  du  parti  à  la 
Chambre  des  pairs,  écrivait  à  sa  femme,  —  on  sait  qu'il  avait  épousé 
Albertine  de  Staël  en  1816,  —  lui  annonçant  son  arrivée  pour  le 
22  mai  et  lui  faisant  part  de  ses  espérances  '.  Il  resta  à  Coppet  jus- 
qu'au 20  juin,  et  c'est  durant  ce  séjour  que  Sismondi  lui  fît  la  visite 
dont  il  va  être  question.  Les  préoccupations  politiques  du  duc  nous 
donnent  la  raison  du  peu  d'empressement  dont  se  plaignait  son 
hôte. 

1.  Souvenirs  du  duc  de  Broglie,  t.  III,  p.  253-254. 


LETTRES   INÉDITES    DE    SISMONDI.  51 

II. 

Chênes,  13  juin  1830. 
Chère  amie,  vous  vous  moquerez  peut-être  de  moi,  si  je  vous  dis 
que  j'ai  interrompu  dix  fois  les  lettres  que  j'avais  commencé  à  écrire 
ce  matin  pour  aller  voir  rentrer  mes  foins.  Ce  même  vent  d'orage  qui 
donne  de  si  tristes  pressentiments  sur  toute  cette  belle  jeunesse  embar- 
quée sur  la  flotte  a  aussi  dérangé  toutes  les  fenaisons;  partout  de 
superbes  récoltes  sont  abattues;  elles  ont  été  toute  la  semaine  inon- 
dées de  pluies,  et  l'on  voudrait  les  dérober  à  un  nouveau  déluge  qui 
menace.  Pour  moi,  ma  ferme  est  bien  petite,  et  il  ne  vaut  pas  la  peine 
de  parler  de  mes  foins,  mais  les  sauver  est  une  petite  conquête  à  faire. 
Je  regarde  sans  cesse  les  nuages,  je  mesure  le  vent,  et  la  chance  que 
mes  chariots  rentrent  avant  que  la  pluie  les  atteigne,  comme  s'il 
s'agissait  de  notre  flotte,  ou  peut-être  parce  que  la  même  cause  agit 
sur  elle,  et  qu'après  avoir  si  souvent  songé  que  ce  vent  menace 
40,000  familles,  je  m'acharne  à  gagner  une  petite  victoire  sur  lui, 
comme  si  elle  me  rapprochait  de  l'objet  qui  m'occupe.  11  y  a  bien  long- 
temps, en  effet,  que  nous  les  savons  partis,  et  il  est  étrange  qu'on  n'ait 
encore  aucune  nouvelle.  Je  me  tourmente  rarement  de  pitié  pour  les 
soldats  quand  ils  font  leur  métier  ordinaire.  Presque  toujours  ils 
prennent  en  gaîté  ses  plus  grandes  privations,  même  ses  souffrances,  ils 
sont  soutenus  par  des  passions  dont  quelques-unes  n'excitent  point  en 
moi  de  sympathie.  Leur  égoïsme  s'exalte  au  milieu  du  danger,  la  pitié 
ne  les  atteint  plus,  et  le  mal  physique  est  si  prompt  qu'ils  n'en  sentent 
pas  eux-mêmes  la  gravité;  mais  de  pauvres  soldats  entassés  dans 
l'entre-pont,  malades,  mouillés,  sans  linge  pour  se  changer,  manquant 
d'air,  ne  respirant  qu'au  milieu  d'exhalaisons  empoisonnées,  forcés  au 
repos  et  à  la  réflexion,  courant  des  dangers  qui  ne  sont  pas  ceux  de 
leur  état,  je  ne  saurais  dire  à  quel  point  ils  me  font  pitié  et  combien  je 
languis  de  les  savoir  hors  de  leurs  cages  flottantes.  La  nouvelle  du  débar- 
quement arrivera  sans  doute  encore  avant  les  élections,  mais  non  celle 
d'une  victoire  décisive;  d'ailleurs,  si  le  ministère  compte  sur  l'enthou- 
siasme qu'elle  produira,  il  ne  fait  guère  attention  à  l'état  de  l'opinion. 
On  pourrait  bien  plutôt  s'étonner  qu'une  si  grande  entreprise  occupe 
si  peu,  qu'elle  demeure  si  étrangère  à  la  nation.  Avec  quelle  avidité 
j'attends  ce  résultat  des  élections,  quoique  je  le  croie  assuré,  et  puis  les 
déterminations  qui  viendront  après?  La  confiance  de  M.  de  Broglie, 
qu'en  général  j'avais  trouvé  disposé  à  voir  en  noir,  m'en  inspire  beau- 
coup. Je  les  ai  vus  plus  d'une  fois;  j'y  allai  mardi  encore  leur  deman- 
der à  déjeuner.  Mais,  chère  amie,  oserai-je  vous  le  dire;  non,  leur 
séjour  ne  m'est  pas  très  doux,  bien  au  contraire,  je  languis  qu'ils  s'en 
retournent.  Je  vois  fort  bien  qu'ils  ne  peuvent  trouver  ici  que  de  la 
tristesse.  Pour  se  distraire  du  chagrin,  ils  n'ont  que  l'ennui,  dès  qu'ils 
sentiront  leur  devoir  accompli  ;  je  suis  persuadé  qu'ils  éprouveront  une 


52 


MELANGES   ET    DOCUMENTS. 


g.rande  joie  de  repartir.  Pour  moi,  je  ne  puis  réellement  pas  en  profiter. 
Quand  j'y  arrivai  mardi,  par  le  bateau  à  vapeur,  je  m'y  trouvai  une 
heure  avant  leur  déjeuner;  je  vis  fort  bien  que  je  les  dérangeais.  Je 
restai  avec  eux  une  heure  après  leur  déjeuner  et  alors  je  les  dérangeais 
bien  davantage  encore  ;  ils  mettaient  toute  la  grâce  et  la  prévenance 
imaginables  à  le  cacher,  mais  d'abord  j'avais  le  sentiment  qu'occupé 
comme  eux,  j'aurais  été  fort  dérangé  à  leur  place;  ensuite  je  voyais 
du  moins  l'impatience  que  leur  causaient  d'autres  arrivants.  Presque 
personne  après  tout  n'aime  la  société,  si  ce  n'est  dans  les  heures 
sociales;  il  faut  être  ou  bien  voisin  pour  se  voir  à  ces  heures-là,  ou 
loger  les  uns  chez  les  autres.  Mais  à  la  distance  où  nous  sommes  il  ne 
peut  être  question  de  se  voir  le  soir...  Joignez  à  cela  l'impression  très 
douloureuse  que  me  fait  Coppet,  où  je  vois  partout  ceux  qui  ne  sont 
plus,  et  vous  comprendrez  que  j'aime  bien  mieux  les  savoir  à  Broglie. 
—  Mon  amie,  ces  réunions  de  ceux  qui  s'aiment  et  qui  ne  se  retrouvent 
plus  tout  entiers,  qui  se  deviennent  au  contraire  étrangers  les  uns  aux 
autres  sont  peut-être  la  seule  objection  fondée  à  ce  vœu  si  ardent  de 
votre  cœur  et  du  mien,  pour  une  réunion  dans  un  autre  monde.  M^^  de 
Broglie  se  retrouverait  donc  avec  sa  mère,  avec  son  grand-père,  elle 
doit  les  aimer,  mais  combien  peu  ces  trois  êtres  se  conviendraient, 
s'ils  étaient  rapprochés,  s'ils  se  pénétraient  l'un  l'autre.  La  mort  les 
aurait-elle  modifiés  de  telle  sorte  qu'ils  se  convinssent  mieux,  mais 
alors  que  resterait-il  de  leur  individualité,  s'ils  n'avaient  plus  ni  le 
même  corps,  ni  le  même  esprit,  ni  les  mêmes  sentiments?  Plus  on 
creuse  cette  pensée,  plus  elle  embarrasse  et  confond  l'imagination, 
mais  elle  ne  fait  après  tout  que  la  confondre,  elle  ne  présente  pas  de 
contradiction,  tandis  que  le  désir  si  ardent  de  réunion  qui  existe  en 
nous ,  que  la  croyance  à  l'éternité  des  affections  ne  peuvent  être 
trompés,  sans  impliquer  de  cruauté  le  Créateur  qui  nous  aurait  donné 
des  sentiments  si  vifs  en  se  refusant  à  jamais  les  satisfaire... 

La  révolution  de  1830  eut  une  répercussion  dans  toute  l'Europe. 
En  Suisse,  elle  provoqua  un  mouvement  libéral  et  démocratique 
qui  marque  surtout  la  période  de  1830  à  1840.  La  question  des 
réformes  se  posa  au  début  de  1832.  En  mars,  sept  cantons  avaient 
adopté  les  principes  libéraux.  Parmi  les  réfractaires,  Schwytz  et 
Bâle  se  trouvaient  dans  une  situation  spéciale.  Divisés  en  deux  popu- 
lations distinctes,  ils  furent  le  théâtre  de  guerres  civiles  entre  les 
factions  démocratiques  et  bourgeoises.  Le  6  avril,  Bâle- ville  livra 
bataille  à  Bâle-campagne.  La  séparation  en  deux  demi-cantons, 
devenue  inévitable,  fut  prononcée  par  la  Diète  fédérale  le  5  octobre 
1832. 

Sismondi,  membre  du  Conseil  de  Genève  depuis  1814,  était  des 
mieux  qualifiés  pour  juger  les  événements. 


LETTRES    INÉDITES   DE    SISMONDI.  53 

m. 

Chênes,  dimanche  11  août  1832. 
Ma  bonne  amie,  j'avais  compté  de  vous  écrire  avant-hier  d'Ouchy, 
de  notre  même  bord  du  lac,  avec  cette  même  vue  sous  les  yeux  qui 
m'est  devenue  si  fort  plus  chère,  depuis  que  je  vous  y  ai  vue,  qu'il  me 
semble  vous  y  voir  encore  avec  vos  trois  filles,  et  que  je  ne  puis  son- 
ger à  cela  sans  songer  avec  une  profonde  reconnaissance  à  mon  bon- 
heur d'aimer,  d'être  aimé  d'une  telle  famille.  Nous  devions  y  aller  le 
7  chez  M.  Galdimand,  à  cette  jolie  campagne  où  nous  passâmes 
presque  tout  le  jour  ensemble,  pour  nous  rendre  le  lendemain  avec 
lui  et  sa  famille  à  une  singulière  fête  payenne,  une  procession  de 
Bacchus,  Cérès,  Paies,  etc.,  qui  se  fait  tous  les  quinze  ans  à  Veveyet 
qu'on  nomme  la  fête  des  vignerons.  Une  bien  cruelle  attaque  de  rhu- 
matisme... me  força  d'y  renoncer.  La  fête  a  eu  lieu  malgré  le 
trouble  inattendu  dans  lequel  la  Suisse  a  été  jetée.  L'attitude  simul- 
tanée de  Schwitz  et  de  la  ville  de  Bâle  sur  leurs  deux  demi-États  se 
relie  à  un  plan  pour  opérer  une  contre-révolution  dans  toute  la  Suisse  ; 
des  mouvements  presqu'aussitôt  supprimés  dans  la  campagne  de 
Lucerne  et  de  Berne  y  correspondirent.  Le  rejet  de  l'acte  fédéral 
avait  fait  croire  aux  meneurs  des  anciennes  démocraties,  appelés  très 
absurdement  aristocrates  par  les  journaux  de  France,  que  le  peuple 
était  prêt  pour  une  réaction.  La  victoire  de  la  campagne  de  Bâle,  la 
vigueur  et  la  promptitude  de  la  Diète  et  la  contenance  des  milices  con- 
voquées ont  révélé  aux  meneurs  leur  erreur,  et  ils  voudraient  faire 
croire  aujourd'hui  que  cette  levée  de  bouchers  n'était  pas  préméditée, 
que  leur  attaque  n'était  même  qu'une  défense.  On  n'est  point  leur 
dupe  même  ici,  où  une  foule  de  Uens  nous  attachent  à  la  ville  de  Bâle 
et  où  la  campagne  était  vue  de  très  mauvais  œil  ;  aussi  on  exécute  avec 
empressement  et  énergie  les  ordres  de  la  Diète,  notre  contingent  au 
grand  complet  part  demain.  Nous  espérons  que  les  étourdis  qui  ont 
commencé  si  imprudemment  cette  attaque  ne  résisteront  pas  ;  l'ordre 
est  donné  d'occuper  de  gré  ou  de  force  les  deux  cantons  où  l'on  se  bat, 
et  si  l'on  laisse  entrer  les  bataillons  suisses,  certainement  jamais  armée 
n'arriva  avec  des  intentions  plus  bienveillantes,  plus  conciliantes.  Ce 
serait  un  grand  bonheur  et  pour  Bâle  et  pour  Schwitz,  autant  que 
pour  toute  la  Suisse,  de  finir  ainsi  une  querelle  qui  n'a  point  de  sens  ; 
mais  on  ne  peut  s'empêcher  de  s'alarmer  de  l'obstination  et  du  faux 
point  d'honneur  de  deux  populations  qui  n'ont  réellement  ni  passions, 
ni  intérêts  en  jeu,  mais  beaucoup  de  courage  et  beaucoup  d'ignorance. 
De  CandoUe^  avait  traversé  Schwitz  l'avant-veille  de  cette  malheu- 

t.  11  s'agit  ici  probablement  d'Alphonse  de  CandoUe  et  non  d'Augustin- 
Pyrame,  son  père,  le  grand  botaniste.  Le  journal  de  ce  dernier,  publié  en  186'2 
par  son  lils  {Mémoires  et  souvenirs  d'A.-P  de  CandoUe),  ne  mentionne  point 
de  voyage  à  cette  époque. 


54  MÉLANGES   ET    DOCUMENTS. 

reuse  entreprise,  et  son  observation  du  calme  parfait  du  pays,  de  son 
indifférence,  au  moment  où  on  allait  lui  faire  faire  une  si  haute  sottise, 
est  réellement  caractéristique.  D'autre  part,  nos  guerres  sans  soldats, 
nos  guerres  où  les  membres  les  plus  précieux  des  familles  donnent  et 
reçoivent  les  coups  sont  les  plus  douloureuses  de  toutes.  Il  y  a  grand 
trouble  aujourd'hui  pour  toutes  les  mères,  et  des  prières  touchantes 
dans  toutes  nos  églises  ;  et  cependant,  même  dùt-on  se  battre,  encore 
nous  estimerions-nous  heureux  si  nous  pouvons  finir  vite,  de  manière 
à  ne  pas  laisser  aux  étrangers  le  temps  de  s'en  mêler.  Entre  nous,  nous 
ne  nous  battons  que  pour  nous  embrasser  après... 

Bien  obligé,  chère  amie,  de  ce  que  vous  avez  voulu  me  tenir  en  garde 
contre  ce  que  disaient  les  Journaux,  mais  cela  n'était  nullement  néces- 
saire. Je  le  connais  lui  et  je  les  connais  eux,  la  moitié  aurait  suffi 
pour  me  fier  à  lui  ou  pour  me  défier  d'eux.  C'est  sans  doute  une  chose 
profondément  affligeante  que  l'abus  qu'on  fait  aujourd'hui  de  la  presse  ; 
il  s'en  faut  qu'on  trouve  souvent  des  gens  qui  aient  comme  vous  assez 
de  force  et  de  justesse  d'esprit  pour  y  reconnaître  encore  le  chemin 
indispensable  ;  je  m'afflige  de  leur  influence  politique,  littéraire,  morale  ; 
je  m'afflige  de  la  facilité  de  faire  un  petit  article  pour  arriver  à  une 
grande  publicité,  de  tous  ces  talents  mal  venus  qui  se  produisent  et 
qui  ne  mûriront  plus;  je  m'afflige  de  ce  que  la  vérité  est  une  chose 
dont  le  journalisme  enseigne  à  se  passer  comme  de  l'étude,  et  puis 
pourtant  je  crois  que  le  remède  arrivera  de  lui-même;  le  disinganno 
chez  les  lecteurs,  et  peut-être  celui-là  est  déjà  trop  venu,  le  besoin 
d'une  distinction  plus  solide,  d'un  succès  plus  durable  dans  les  hommes 
de  talent,  et  alors  tout  lendemain  ne  sera  plus  sacrifié  au  jour  pré- 
sent... 

Nous  ne  citons  qu'un  passage  de  la  lettre  suivante  où  il  est  ques- 
tion d'une  maladie  de  M°"=  de  Sismondi.  Il  nous  paraît  particulière- 
ment intéressant  en  ce  qu'il  montre  la  tendresse  de  sentiments,  l'ef- 
fusion du  cœur  dont  Sismondi  était  capable  et  aussi  parce  qu'il  nous 
met  au  fait  de  la  crise  religieuse  qu'il  subissait  à  cette  époque.  Vers 
1830,  il  se  dégage  de  ce  qu'il  appellera  plus  tard  «  les  habitudes  de 
l'esprit  de  M"'^  de  Staël  et  de  sa  société  »,  habitudes  de  scepticisme, 
d'indulgence  pour  toutes  les  faiblesses.  En  1817,  YAdolphe  de 
B.  Constant  lui  avait  paru  plein  de  vérité,  de  flne  analyse.  Ce  n'est 
que  quinze  ou  vingt  ans  après  qu'il  y  remarque  l'absence  de  tout 
«  sentiment  de  la  vertu  et  du  devoir  »,  autrement  dit  de  sens  moral. 
Il  semble  que  l'influence  de  M""^  de  Sismondi  se  soit  fait  sentir  peu 
après  son  mariage  et  qu'elle  ait  beaucoup  contribuée  détourner  son 
mari  des  principes  du  xviii*  siècle.  Il  écrira,  en  effet,  dans  son  jour- 
nal (1835)  :  «  Je  deviens  plus  religieux,  mais  c'est  d'une  religion 
toute  à  moi,  c'est  d'une  religion  qui  prend  le  christianisme  tel  que 


LETTRES    INÉDITES   DE    SISMONDI.  55 

les  hommes  l'ont  perfectionné  et  le  perfectionnent  encore,  non  tel 
que  l'esprit  sacerdotal  l'a  transmis.  Son  autorité  est  dans  la  raison 
et  l'amour.  » 

IV. 

Chênes,  1"  mai  1832. 

...  Votre  lettre  du  16  avril  qui  vient  de  m'arriver  décachetée  me  fait 
prendre  la  plume,  car  j'ai  besoin  de  vous  dire  que  je  vous  aime,  que 
dans  toutes  les  situations,  dans  toutes  les  douleurs,  votre  voix  trouve 
toujours  le  chemin  de  mon  cœur.  Vous  le  trouvez  toujours  aussi  avec 
certitude  par  l'expression  de  vos  sentiments  religieux,  quoique  nos 
opinions  ne  soient  point  les  mêmes,  que  je  n'admette  point  cette  pro- 
vidence dirigeant  chaque  action  et  détruisant  par  là,  dans  mon  opi- 
nion, la  liberté  et,  par  conséquent,  la  moralité  des  actions  humaines. 
J'y  perds  cette  confiance  qui  vous  anime  au  milieu  des  fléaux  quand 
vous  croyez  que  ce  qui  arrive  à  chacun  est  pour  le  bien  de  chacun  ;  j'y 
perds  aussi  cette  consolation  que  vous  trouvez  dans  la  prière,  puisque 
je  n'espère  point  que  des  prières  changent  un  ordre  sage,  qui  met  les 
créatures  à  portée  d'atteindre  leur  plus  grand  développement  moral; 
le  rôle  de  la  providence  est  seulement  à  mes  yeux  de  maintenir  cet 
ordre.  Mais,  quoique  je  ne  partage  par  votre  foi,  il  y  a  quelque  chose 
de  si  suave,  de  si  touchant  dans  votre  manière  de  l'exprimer  que  je 
voudrais  me  recommander  à  vos  prières,  tandis  que  moi-même  je  me 
soumets  sans  attendre  rien  des  miennes *... 

Je  ne  vous  ai  pas  dit  comment  j'avais  quitté  Paris  le  10,  jour  où  la 
maladie 2  était  arrivée  à  son  point  le  plus  terrible.  Paris  était  devenu 
plus  lugubre  que  je  n'en  aurais  conçu  la  possibilité.  Pas  un  visage 
dans  les  rues  sur  lequel  on  ne  vît  cette  préoccupation  douloureuse,  pas 
un  mot  qu'on  entendît  en  passant  qui  ne  se  rapportât  à  ces  désastres. 

1.  Ce  passage  est  à  rapprocher  d'une  lettre  adressée  à  Eulalie  de  Sainte- 
Auiaire  le  14  octobre  1832,  où  il  disait  à  propos  des  Prisons  de  Silvio  Pellico 
qui  venaient  de  paraître  :  «  Nous  ne  sommes  pas  de  même  religion,  eux  et 
moi;  je  ne  veux  pas  dire  seulement  qu'ils  sont  catholiques  et  moi  protestant, 
je  veux  dire  qu'ils  sont  de  la  religion  des  poètes,  des  cœurs  brûlants  d'amour 
et  d'enthousiasme,  des  imaginations  puissantes  qui,  se  créant  un  Dieu  à  leur 
image,  le  rapprochent  d'eux  et  en  font  leur  ami  et  leur  consolateur  habituel;  je 
suis  de  la  religion  des  logiciens,  plus  froids,  plus  raisonneurs,  je  m'élève  à 
Dieu  par  cet  univers  qu'il  a  créé,  par  les  lois  générales  qui  le  régissent;  la 
sagesse  et  la  bonté  sont  ceux  de  ses  attributs  qui  me  frappent  le  plus,  mais 
sans  anthropomorphisme,  sans  faire  son  intelligence  plus  ([ue  son  corps  à  l'image 
de  l'homme,  sans  lui  attribuer  par  conséquent  de  la  tendresse  à  mon  égard,  au 
lieu  de  la  bienfaisance  universelle...  » 

2.  L'épidémie  de  choléra  qui  éclata  à  Paris  le  26  mars  et  fit  prés  de 
20,000  victimes  en  trois  mois,  parmi  elles  Casimir  Perler,  qui  succomba  le 
16  mai  à  la  suite  d'une  visite  à  l'Hôtel-Dieu. 


56  MÉLANGES    ET   DOCUMENTS. 

M^e  du  Roure'  en  avait  certainement  eu  une  légère  atteinte,  mais  je 
la  quittai  rétablie... 


En  janvier  1833  fut  mis  en  vente  le  XVI'  volume  de  VHistoire 
des  Français,  et,  suivant  son  habitude,  Sismondi  en  avait  envoyé 
un  exemplaire  aux  Sainte-Aulaire.  Il  s'inquiétait  de  Topinion  qu'ils 
s'en  étaient  faite,  particulièrement  des  pages  consacrées  à  la  Réforme. 
Les  chapitres  v  et  vi  sont  relatifs  au  règne  de  François  I".  Il  est 
traité  dans  le  chapitre  v  des  causes  des  progrès  de  la  Réforme  en 
France.  Ce  sont,  pour  Sismondi,  d'abord  et  dans  toutes  les  classes, 
l'aversion  ressentie  pour  un  clergé  indigne  et  haïssable,  ensuite  chez 
les  lettrés  le  «  mépris  pour  l'ignorance  et  les  impostures  des 
moines  »,  la  croyance  en  la  raison. 

Le  chapitre  vi  contient  le  récit  des  persécutions  endurées  par  les 
protestants  en  1534-1535.  C'est  le  sacerdoce  que  l'historien  considère 
comme  responsable  de  l'abaissement  de  l'église  et  coupable  des 
guerres  de  religion.  Il  semble  bien  d'ailleurs  avoir  pensé  que  ces 
vices  étaient  inhérents  à  l'institution  même,  puisqu'il  écrivait  bien- 
tôt après,  à  propos  de  l'esprit  sacerdotal  :  «  Cette  année  de  ma  vie  me 
l'a  montré  hostile  à  la  raison  et  à  la  charité  chez  les  méthodistes, 
chez  les  calvinistes,  chez  les  anglicans-.  » 


Chesnes,  7  mars  1833. 
...  J'attens  la  critique  de  vos  filles  sur  mon  volume  et  je  trouve  un 
plaisir  extrême  à  cette  correspondance  de  confiance,  de  bonne  amitié 
entre  nous.  Je  comprends  bien  que  j'ai  pu  paraître  sévère  pour  le  sacer- 
doce d'une  certaine  église  et  dans  un  certain  sens,  et  je  ne  m'étonne- 
rai point  que  tous  ceux  qui  n'ont  pas  remonté  aux  originaux  me  croient 
partial.  Mais  je  ne  voudrais  pas  que  l'on  conclût  que  j'ai  contre  le 
culte,  ou  les  ministres  du  culte,  l'aversion  que  j'ai  peut-être  pronon- 
cée trop  fortement  contre  le  sacerdoce,  corps  politique  autant  que  reli- 
gieux, corps  corrompu  à  l'époque  dont  je  fais  l'histoire,  par  sa  richesse, 
son  pouvoir,  ses  relations  toutes  corruptrices  avec  l'autorité  civile.  A 
cette  même  époque  s'élevait  un  clergé  nouveau,  sans  biens,  sans  lien 
de  corps,  animé  par  la  foi  et  le  zèle,  marchant  entre  les  bûchers  et 
destiné  presque  en  entier  à  périr  par  d'afïreux  supplices,  ce  qui  n'em- 
pêchait pas  qu'il  ne  se  renouvelât  toujours,  et  que  ses  rangs  ne  res- 
tassent jamais  vides.  Ce  clergé  a  bien  eu  aussi  ses  vices,  son  intolé- 
rance, son  imprudence  en  guidant  les  chefs  de  parti  dans  les  guerres 

1.  Mère  de  M""'  de  Sainte-Aulaire. 

2.  Journal,  1835. 


LETTRES   INEDITES    DE    SISMONDI.  d7 

civiles;  mais  ses  erreurs,  celles  même  qui  méritent  un  nom  plus  grave, 
procédaient  d'un  sentiment  élevé,  d'un  sentiment  avec  lequel  je  sympa- 
thise si  fort  que  c'est  la  seule  chose  qui  m'attendrisse  quelquefois 
jusques  aux  larmes  en  écrivant  mon  histoire,  et  que  la  partialité  contre 
laquelle  j'ai  à  me  tenir  en  garde  est  celle  que  je  ressens  pour  Calvin  et  ses 
ministres  et  non  pas  contre  eux.  Je  n'ai  pas  eu,  il  est  vrai,  d'occasion  de 
donner  beaucoup  de  développement  à  ce  sentiment  dans  le  volume  que 
vous  avez  entre  les  mains  ;  je  crois  pourtant  qu'il  perce  bien  dans  les  cha- 
pitres V  et  VI.  Il  apparaîtra  davantage  dans  les  volumes  suivants,  dans 
celui  entr'autres  que  je  vais  envoyer  à  l'impression.  Un  journal  italien 
a  publié  il  y  a  peu  de  semaines  une  lettre  de  moi  où  se  trouvent  ces 
mots  :  «  Je  suis  sincèrement  attaché  à  la  religion  qu'on  professe  à 
Genève,  à  cette  église  qui  a  admis  le  droit  d'examen  dans  sa  plus 
grande  latitude,  à  ce  clergé  qui  ne  s'est  pas  une  seule  fois  présenté  en 
obstacle  au  mouvement  progressif  de  la  société...  La  religion  chrétienne 
épurée  par  le  rationalisme  présente  cependant  encore  aux  âmes  tendres 
et  confiantes  ce  que  vous  désirez  pour  elles  et  que  vous  ne  pouvez  leur 
ofïrir,  une  foi  fondée  sur  une  révélation,  une  espérance  qui  repose  sur 
la  parole  de  Dieu  même.  Cette  même  religion  considérée...  »  mais  je 
m'ennuie  de  me  copier... 

VI. 

Chesnes,  14  septembre  1834. 

J'appris  avant-hier  au  soir  seulement  que  les  Broglie  étaient  arrivés 
à  Coppet.  J'y  allai  hier  matin  pour  leur  demander  à  déjeuner.  A  leur 
porte,  j'appris  qu'ils  étaient  partis  pour  Genève.  La  route  est  char- 
mante, la  journée  était  délicieuse;  ces  quatre  heures  passées  sur  les 
grands  chemins  ne  devaient  pas  être  un  grand  mal;  mais  la  dernière 
demi-heure  passée  dans  l'atmosphère  de  Coppet,  où  j'entre  moins  sou- 
vent, était  si  pleine  des  souvenirs  de  trente-cinq  ans,  je  l'avais  passée, 
seul  dans  ma  voiture,  dans  une  rêverie  si  lugubre,  voyant  ressortir  l'un 
après  l'autre  du  tombeau  tant  de  gens  que  j'avais  aimés,  quelques-uns 
de  toute  mon  âme*,  mon  émotion  était  si  douloureuse  qu'en  ne  les 
trouvant  pas  j'en  éprouvai  un  indicible  chagrin.  Je  crus  d'abord  que 
je  ne  pourrais  voir  personne;  je  me  fis  conduire  par  Albert^  dans  le 
parc,  et  j'atteignis  d'abord  Louise,  dont  la  figure  est  ravissante  et  dont 
les  manières,  toute  timide  qu'elle  était,  furent  gracieuses  et  préve- 
nantes. Je  trouvai  ensuite  M'"^  Necker^  et  M.  Doudan^  et  nous  cau- 

1.  Sismondi  avait  eu  pour  M""°  de  Staël  une  très  profonde  aflection. 

2.  Albert  de  Broglie,  alors  âgé  de  treize  ans,  le  futur  président  du  Conseil 
dans  le  ministère  du  16  mai. 

3.  M"'  Necker  de  Saussure,  cousine  de  M""  de  Staël,  fille  du  naturaliste 
Saussure  et  auteur  de  divers  traités. 

4.  Xiraénès  Doudan,  chef  du  cabinet  politique  du  duc  de  Broglie  dans  ses 


58  MÉLANGES   ET    DOCUMENTS. 

sâmes  trois  quarts  d'heure...  Je  suis  pour  M'a^Necker  un  livre  qu'elle 
lit  avec  curiosité,  je  dirais  presque  avec  avidité,  mais  sans  aucun  inté- 
rêt pour  l'auteur.  Mon  esprit  est  amusé  d'une  conversation  si  nourrie, 
ma  vanité  est  peut-être  flattée  de  la  part  que  j'y  prens,  et  puis  ce  n'est 
qu'après  que  je  reconnais  à  une  certaine  fatigue  combien  le  cœur  y  a 
eu  peu  de  part,  que  je  suis  frappé  ou  d'une  absence  complète  de  sen- 
sibilité, ou  d'une  sensibilité  qui  n'est  faite  qu'avec  de  l'esprit;  on  est 
tenté  de  retourner  un  mot  connu,  «  Tamour  n'a  jamais  passé  par  là  », 
et  l'on  comprend  ce  que  M°>«  de  Staël  racontait  quelquefois  dans  l'in- 
timité, que  son  père,  qui  mettait  cependant  un  si  haut  prix  aux  bonnes 
mœurs,  avait  presque  du  dépit  de  ce  qu'elle  avait  toujours  été  fidèle  à 
son  nom  ;  car  avec  un  esprit  si  supérieur,  un  esprit  de  première  por- 
tée, elle  n'avait  jamais  pu  aimer  son  mari,  elle  n'avait  jamais  aimé 
personne  autre...  Voici  pour  l'amie  d'Eulalieun  billet  deM'^'^de  Staël 
qu'elle  m'a  demandé,  il  est  adressé  à  ma  femme  avant  son  mariage 
et  tout  à  fait  indifférent.  Je  sens  comme  vous  une  extrême  répugnance 
à  faire  passer  à  des  indifférents  ceux  qui  étaient  pour  moi,  surtout 
lorsqu'ils  contiennent  quelque  expression  d'affection,  et  pourtant  il  fau- 
dra bien  que  ceux-là  aillent  aussi  à  des  indifférents.  J'ai  presque  plus 
encore  le  même  sentiment  pour  ceux  de  Benjamin  Constant,  car  je 
suis  presque  le  seul  qui  garde  pour  lui  une  vraie  affection;  tous  les 
autres,  en  se  les  passant  de  main  en  main,  les  regarderont  plutôt  avec 
malveillance... 

Nous  relevons,  à  propos  de  la  lettre  suivante  et  de  celle  de  juin 
1835,  une  erreur  commise  par  Ohennevière,  —  et  répétée  par  M.  Saint- 
René  Taillandier,  —  qui  donne  Eulalie  de  Sainte- Aulaire  comme 
destinataire  de  ces  deux  lettres  adressées  en  réalité  à  sa  mère  ;  ceci 
nous  autorise  à  croire  que  Chennevière  n'a  pas  eu  en  main  les  origi- 
naux, mais  bien  des  fragments  copiés  par  quelque  membre  de  la 
famille. 

VIL 

Chesnes,  14  décembre  1834. 
Je  sens  bien,  bien  vivement  ce  que  vous  me  dites,  mon  amie;  vous 
êtes  une  heureuse  mère,  vous  avez  des  enfants  en  qui  vous  voyez  se 
développer  tous  les  charmes  de  l'esprit,  toutes  les  vertus  du  caractère  ; 
vous  les  voyez  les  uns  après  les  autres  entrer  honorablement  dans  la 
carrière  où  ils  seront  utiles  ;  vous  êtes  contente,  vous  êtes  reconnais- 
sante, et  pourtant  vous  ne  pouvez  pas  empêcher  que  l'absence  de  Vic- 
torine  ne  vous  serre  le  cœur  dix  fois  par  jour^.  Vous  me  disiez  qu'il 

divers  ministères.  Il  fut  plus  tard  son  secrétaire  intime.  Sa  réputation  date  de 
la  publication  par  d'Haussonville,  Sacy  et  Cuvillier-Fleury  de  sa  correspon- 
dance, en  4  volumes.  Mélanges  et  lettres  de  Doudan  (1876). 

1.  Victorine  de  Sainte-Aulaire  venait  d'épouser  M.  Langsdorff,  secrétaire  à 
l'ambassade  de  Rome. 


LETTRES    INÉDITES   DE    SISMONDI.  59 

commençait  à  devenir  probable  que  M.  de  Sainte-Aulaire  passerait  à 
Londres*.  C'était  peut-être  vous  donner  des  chances  de  semer  une 
autre  de  vos  filles  à  une  grande  distance  de  vous.  Vous  l'auriez  fait 
sans  hésiter,  car  vous  vous  oubliez  vous-même  dans  leur  établissement  ; 
pourtant  je  craindrais  à  la  fin  que  vous  ne  demeurassiez  bien  seule. 
Plus  tard  un  journal  disait  de  nouveau  que  ce  serait  M.  de  Broglie,  et 
je  crois  bien  que,  s'il  recherche  une  ambassade,  ce  serait  celle  qui  lui 
conviendrait.  Je  n'ai  rien  compris  à  votre  grande  lutte  ministérielle  2; 
une  grande  irritabilité  d'amour-propre,  bien  des  passions  peu  hono- 
rables, bien  des  défauts  qui  ne  vont  guère  aux  hommes  d'État  et  qui 
n'avancent  guère  les  afïaires  du  pays,  se  sont  révélés  à  cette  occasion, 
et  ce  ministère  qui  revient  à  ses  fauteuils  après  trois  jours  ne  peut  pas 
se  flatter  d'y  retrouver  la  considération  qu'il  aurait  eue  s'il  ne  les  avait 
pas  quittés.  La  Chambre  a  bien  pu  déclarer  qu'elle  se  trouvait  satis- 
faite des  explications  ministérielles,  mais  ce  n'est  pas  certes  qu'on  lui 
ait  rien  expliqué.  Les  adversaires  des  ministres  ne  se  sont  pas  mieux 
fait  comprendre.  Il  est  très  possible  qu'à  Paris  on  ait  été  charmé  du 
brillant  des  improvisations,  du  piquant  des  allusions,  mais  pour  le 
reste  de  l'Europe,  je  ne  vois  pas  ce  qui  reste  de  cette  grande  comédie, 
j'aperçois  à  peine  la  difiérence  entre  les  deux  systèmes  qu'on  a  pesés 
l'un  contre  l'autre,  et  si  c'est  sur  la  question  d'amnistie  que  porte  le 
dissentiment,  je  suis  bien  décidément,  et  toujours,  et  après  toutes  les 
discordes  civiles,  mais  plus  encore  dans  ce  cas  particulier,  pour  ceux  qui 
la  proclament.  —Je  serais  heureux  de  pouvoir  dire  de  Chesnes  ce  que 
M'^^de  Staël  disait  de  son  sallon  (sic),  que  c'était  l'hôpital  des  blessés  de 
de  tous  les  partis .  Mais  certes  du  moins  les  gens  à  amny stier  (s  ic)  s'y  ren- 
contrent souvent.  J'y  ai  vu  à  plusieurs  reprises  M.  Pététin  du  P.  de 
Lyon  qui  est  à  présent  en  cause;  M.  d'Haussez 3  et  M.  de  Saint-Marsan ■* 
s'y  rencontrèrent  l'autre  jour;  MM.  de  Rossi^*  et  A.  Potocki^  devaient 
s'y  trouver  en  même  temps,  quoique  légalement  ils  eussent  dû  laisser  leur 

1.  Il  ne  devait  quitter  Vienne  pour  Londres  qu'en  septembre  1841. 

2.  Il  est  question  des  remaniements^du  ministère  Soult.  C'est,  en  mars  1834 
la  démission  du  duc  de  Broglie,  ministre  des  Affaires  étrangères,  en  juillet 
celle  de  Soult,  son  remplacement  par  le  maréchal  Gérard,  sa  démission  le 
29  octobre,  celle  du  cabinet  tout  entier  le  4  novembre,  puis  le  ministère  de 
trois  jours,  et  enfin  le  18  novembre  le  retour  aux  affaires  de  l'ancien  cabinet, 
sous  la  présidence  du  maréchal  Mortier. 

3.  M.  d'Haussez,  ancien  ministre  de  la  Marine  du  cabinet  Polignac  et  l'un 
des  signataires  des  ordonnances;  il  s'exila  à  la  chute  de  Charles  X  et  fut  con- 
damné par  contumace  à  la  détention  perpétuelle. 

4.  Charles  de  Saint-Marsan,  fils  d'Antoine,  longtemps  ministre  du  roi  de 
Sardaigne,  élait  olficier  dans  l'armée  sarde.  Il  prit  part  au  mouvement  libérai 
de  1821  et,  après  l'échec  de  Novare,  passa  à  l'étranger. 

5.  Le  comte  Rossi,  ancien  commissaire  général  du  roi  Murai,  dut  s'enfuir 
d'Italie  en  1815  au  moment  de  l'entrée  des  troupes  autrichiennes  et  se  réfugia 
à  Genève  où  il  demeura  jusqu'en  1833. 

6.  Le  comte  A.  Potocki  prit  part  au  soulèvement  de  la  Pologne  en  1830-1831 
et  échappa  aux  massacres  de  Varsovie  (septembre  1831). 


60  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

tête,  le  premier  à  Paris,  le  second  en  Piémont,  le  troisième  à  Milan  et 
le  quatrième  à  Varsovie;  M.  d'Haussez  met  beaucoup  de  coquetterie  à 
plaire  à  la  société  genevoise  ;  c'est  le  seul  des  légitimistes  qui  l'ait  fort 
recherchée '... 

VIII. 

Chênes,  6  juin  1835. 
...  Notre  départ2  d'ici  est  fixé  au  25  d'août,  notre  retour  ici  au  15  juin 
de  l'année  prochaine.  Ces  dix  mois  ne  seront  pas  sans  jouissances, 
mais  combien  aussi  nous  allons  chercher  de  chagrins  sur  lesquels 
une  longue  absence  nous  avait  blasés!  J'espère  qu'ils  seront  sans 
danger.  Cependant  je  suis  fort  mal  vu  des  gouvernements  italiens. 
Aussi  j'ai  demandé  à  M.  de  Broglie,  qui  ne  m'a  pas  répondu,  je  vous 
demande  à  vous,  chère  amie,  de  me  faire  recommander  d'une  manière 
spéciale  aux  légations  françaises  de  Turin,  Florence,  Rome  et  Naples, 
afin  que  les  polices  ne  croient  pas  que  pour  éviter  le  bruit  il  suffit  de 
m'écraser  tout  doucement...  A  côté  de  ce  désir  si  ardent  que  j'aurais 
de  vous  voir  à  Chênes,  de  ce  ce  désir  qu'anime  la  plus  vive  ten- 
dresse, comme  je  le  voudrais  encore  pour  que  vous  fussiez  quitte 
alors,  bien  plus  tôt  encore,  de  ce  malheureux  procès  ^  !  Plus  il  avance  et 
plus  je  suis  confondu  que  des  hommes  de  bon  sens  aient  commis  une 
semblable  faute,  que  sur  le  théâtre  du  monde  ils  aient  mis  aux  prises 
une  assemblée  avec  une  autre  assemblée,  qu'ils  aient  fait  un  point 
d'honneur  à  des  prévenus,  en  présence  de  tout  leur  parti,  d'être  tou- 
jours plus  violents,  de  ne  pas  reculer.  On  rougit  en  lisant  les  premiers 
interrogatoires,  ces  scènes  de  police,  plus  encore  que  de  cours  d'as- 
sises, de  songer  que  c'est  là  le  procès  pour  lequel  on  rappelle  les  ambas- 
sadeurs de  toute  l'Europe  -♦ 

Les  trois  lettres  qui  suivent  sont  datées  de  Pescia  en  Toscane.  La 
famille  Sismondi  avait  aliéné  en  1794,  au  moment  de  la  Terreur,  le 
domaine  de  Châtelaine,  voisin  de  Genève,  —  Sismondi  l'appelle  son 
Paradis  perdu,  —  et  était  allée  s'établir  à  Valchiusa,  aux  environs 
de  Pescia,  dans  une  ferme  qui  devint  la  demeure  habituelle  de  Sis- 
mondi enfant  et  oîi  moururent  son  père,  sa  mère  et  sa  sœur  Sara. 
Celle-ci  avait  épousé  en  1794  Antonio  Cqsimo  Forti,  dont  elle  eut 

t.  La  deuxième  partie  de  cette  lettre,  qui  traite  des  opinions  religieuses,  se 
trouve  dans  Chennevière  (p.  176)  et  dans  Saint-René  Taillandier  (p.  51-52). 
Nous  croyons  inutile  d'en  donner  une  troisième  copie. 

2.  Sismondi  et  sa  femme  allaient  partir  pour  Valchiusa,  près  de  Pescia 
(voir  les  lettres  suivantes). 

3.  Les  fauteurs  des  émeutes  d'avril  1834  passaient  devant  la  cour  des  pairs 
érigée  en  haute  cour  de  justice. 

4.  On  trouvera  dans  Chennevière  (p.  181)  les  deux  dernières  pages  de  cette 
lettre. 


LETTRES    INe'dITES    DE    SISMONDI.  61 

six  enfants.  L'un  d'entre  eux,  Francesco  Forti,  mourut  au  début  de 
1838,  pendant  le  séjour  de  Sismondi  à  Pescia  ;  il  avait  fait  des  études 
de  droit  distinguées.  Sa  sœur  Henriette  épousa,  également  pendant 
la  visite  de  son  oncle,  le  docteur  Desideri. 


IX. 

Pescia  en  Toscane,  vendredi  18  mars  1836. 

Je  viens  de  recevoir,  il  y  a  deux  heures,  votre  lettre  du  28  février, 
mon  excellente  amie.  Elle  est  restée  bien  longtemps  en  route,  et  comme 
je  vois  que  vous  aviez  écrit  Brescia,  tandis  que  c'est  une  autre  main 
qui  y  a  substitué  le  nom  moins  connu  de  Pescia,  je  suppose  que  cette 
lettre,  que  je  devais  recevoir  avec  tant  de  plaisir,  aura  fait  d'abord  le 
tour  de  la  Lombardie,  avant  que  quelque  âme  charitable  l'ait  renvoyée  à 
sa  vraie  destination.  Pescia,  où  nous  sommes  établis,  est  une  petite  ville 
de  4  à  5,000  âmes,  sur  le  revers  des  Apennins,  à  dix  milles  de  Lucques, 
à  quatorze  de  Pistoia;  elle  n'a  aucun  renom  historique,  elle  ne  peut  se 
comparer  à  Brescia  ni  en  opulence,  ni  en  antiquité;  mais  de  Rome  aux 
Alpes,  on  trouverait  à  peine  un  site  plus  gracieux,  un  plus  doux 
mélange  de  la  végétation  du  midi  et  des  belles  formes  toscanes,  un 
séjour  où  l'on  fût  plus  tenté  de  se  fixer  pour  la  vie.  Nous  avons  tous 
senti  déjà,  chère  amie,  cette  douce  influence  du  climat  et  des  objets 
extérieurs.  Nous  partions  de  Genève,  il  est  vrai,  avec  un  profond  sen- 
timent de  tristesse  que  j'avais  peut-être  trop  laissé  percer  dans  ma 
lettre  à  Eulalie.  Tout  contribuait  à  l'accroître,  et  l'état  de  santé  de 
ceux  qui  me  sont  le  plus  chers  à  Genève,  et  les  adieux  que  je 
devais  dire  pour  longtemps  aux  objets  animés  et  inanimés  de  mes 
affections,  et  la  fatigue  que  me  causait  le  travail,  et  le  découragement 
que  m'inspirait  la  politique,  où  tout  me  semble  livré  au  hasard,  et  où 
de  grandes  révolutions  ministérielles  se  font  par  de  petites  causes, 
sans  donner  ni  espérances  dans  l'avenir,  ni  confiance  dans  aucun  sys- 
tème. 

Rien  de  tout  cela  n'est  changé;  bien  plus,  notre  arrivée  ici  a  été 
marquée  par  de  nouveaux  chagrins  et  de  nouveaux  sujets  d'inquiétude. 
Cependant  le  soleil  de  la  Toscane,  le  charme  de  ces  vues  ravissantes  qui 
se  renouvellent  et  varient  sans  cesse,  comme  nous  parcourons  les  sen- 
tiers en  terrasse  qui  traversent  toutes  nos  collines,  nous  ont  déjà  rendu 
à  tous  la  sérénité.  Ma  femme  n'entreprenait  ce  voyage  que  par  un  senti- 
ment de  devoir,  elle  n'en  attendait  de  plaisir  d'aucune  sorte,  et  au 
contraire  presque  chaque  pas  a  été  pour  elle  une  jouissance.  L'hiver 
siégeait  encore  dans  toute  sa  rigueur  sur  les  Alpes  quand  nous  avons 
passé  le  mont  Cenis,  mais  le  soleil  brillait  avec  éclat  sur  ces  hautes 
neiges;  les  arêtes  nues  des  montagnes  se  dessinaient  sur  elles  avec 
hardiesse;  jamais  le  mont  Cenis  ne  m'avait  paru  si  imposant,  si  splen- 
dide,  et  quoique  nous  y  ayons  été  versés,  comme  nous  n'avons  eu 


62  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

aucun  mal,  nous  ne  voudrions  pas  pour  beaucoup  avoir  passé  dans  une 
autre  saison...  Une  promenade  comme  celle  que  nous  fîmes  hier  à 
Chiari,  au  travers  des  bois  d'oliviers  ou  des  bosquets  d'arbousiers  et  de 
lauriers  thym  {sic),  nous  console  de  tous  nos  chagrins.  Ceux-ci  se  lient 
tous  à  l'état  de  santé  où  nous  avons  trouvé  la  famille  de  ma  sœur.  Sa 
fille  aînée  est  une  charmante  personne,  dont  l'éducation  et  la  présen- 
tation sont  fort  supérieures  à  ce  que  nous  osions  espérer,  mais  son 
teint  jaune,  sa  maigreur,  les  fréquents  accidents  de  santé  qu'elle 
éprouve  quand  on  devrait  le  moins  s'y  attendre,  nous  disent  assez 
quels  chagrins  nous  prépare  peut-être  un  attachement  qui  devient 
tous  les  jours  plus  vif... 

Je  suis  presque  depuis  mon  arrivée  sans  lettres  de  Paris,  sans  lettres 
de  Genève  et  j'ignorais  la  mort  de  M^^^  de  Rumford*.  Je  sens,  en  effet, 
qu'une  exclamation  :  pauvre  femme  !  est  la  seule  marque  d'émotion  que 
m'ait  causé  cette  nouvelle,  et  je  me  le  reproche,  car  je  lui  ai  dû  bien 
du  plaisir  dans  ma  vie.  Quel  nombre  d'hommes  distingués  j'ai  ren- 
contrés familièrement  chez  elle  à  ses  dîners  du  lundi  !  Quelle  musique 
ravissante  les  vendredis!...  Elle  avait  une  vraie  bonté,  elle  avait  une 
constante  fidélité  dans  ses  affections,  mais  elle  n'était  pas  femme,  et 
aucun  sentiment  durable  ne  peut  s'attacher  à  un  être  portant  jupe  qui 
n'a  rien  de  féminin.  Je  sais  bien  qui  est  la  femme  toujours  femme, 
même  lorsqu'elle  est  éloquente  comme  un  orateur,  ou  profonde  comme 
un  philosophe,  ou  inspirée  comme  un  prophète,  et  je  sais  bien  aussi 
comme  on  l'aime,  comme  on  l'aimera  toujours... 


Pescia  en  Toscane,  4  août  1837. 
Que  je  reçois  de  vous  une  bonne  et  jolie  lettre,  chère  amie!  que  j'ai 
de  joie  à  savoir  Victorine  heureusement  délivrée  I  et  que  mon  cœur 
est  prêt  à  aimer  ses  enfants  et  tout  ce  qui  vient  de  vous!...  Ma  femme 
prend  part  à  cette  joie  et  vous  prie  d'accepter  aussi  ses  félicitations. 
Elle  en  a  ressenti  une  bien  vive  en  apprenant  que  nous  nous  retrou- 
verons tous  à  Paris  ce  printemps  ;  elle  sait  à  présent  que  ce  voyage  est 
un  plaisir  vif  qui  m'attend  et  non  plus  un  sacrifice,  elle  sait  que  le 
bonheur  de  vous  retrouver  avec  vos  enfans,  de  revoir  aussi  M^^  de 
Dolomieu^  et  M°'«  de  Broglie  comblera  mes  vœux,  que  je  n'ai  nulle 

1.  La  comtesse  de  Rumford,  petite-nièce  du  fameux  abbé  Terray,  veuve  en 
1794  de  Lavoisier,  avait  épousé  en  1805  le  comte  de  Rumford,  physicien  anglais, 
dont  elle  ne  tarda  pas  à  se  séparer  (1809).  Elle  vécut  dès  lors  de  la  vie  de 
société,  recevant  à  ses  célèbres  dîners  du  lundi  les  personnages  marquants  de 
France  et  de  l'étranger.  Elle  tint,  —  et  elle  le  tint  jusqu'à  la  veille  de  sa  mort 
(1836),  —  un  des  derniers  salons  à  la  manière  du  xviii'  siècle. 

2.  M""  de  Dolomieu,  femme  du  marquis  de  Dolomieu  et  non  de  Déodat  de 


LETTRES    INÉDITES    DE    SISMONDI.  63 

part  d'affections  égales  à  celles  qui  m'appelleront  à  Paris.  Elle  aussi 
y  rencontrera  son  frère  qui  pour  la  voir  y  viendra  du  fond  du  pays  de 
Galles.  Comme  nous  avançons  dans  la  vie,  ces  rendez-vous  prennent 
quelque  chose  de  toujours  plus  solennel,  mais  ils  sont  chers  en  pro- 
portion de  ce  qu'ils  deviennent  plus  ditïiciles  et  plus  douteux;  ils 
semblent  en  quelque  sorte  résumer  toute  une  vie  d'affections  et  puis 
au  delà  on  se  refuse  à  rien  regarder  dans  ce  monde.  Oui,  chère  amie, 
il  me  semble  que  nous  causerons  sans  fin...  Combien  j'aurai  de  plaisir 
à  vous  entendre,  combien  je  me  figure  que  vous  rendrez  à  mon  esprit 
un  mouvement  qui  s'éteint  en  moi.  J'ai  trop  vécu  peut-être  à  présent 
en  dehors  de  tout  choc  d'idées,  de  toute  habitude  de  penser  pour  les 
autres  et  avec  les  autres,  et  non  pas  seulement  pour  soi.  A  présent,  je 
commence  à  me  troubler  de  l'idée  que  vous  me  trouverez  bien  vieilli, 
tandis  que  chez  vous  autres  qui  vivez  dans  le  monde,  l'esprit  ne  vieillit 
jamais.  Je  sens  cette  vieillesse  à  ce  que  ma  curiosité  pour  ce  que  les 
autres  peuvent  m'apprendre  ou  diminue,  ou  s'éteint  entièrement,  à  ce 
que  mon  espérance  de  les  persuader,  de  faire  impression  sur  eux  s'est 
évanouie.  Quand  on  ne  lutte  pas  de  toutes  ses  forces  contre  son 
influence,  quand  on  n'est  pas  secondé  par  ce  mouvement  du  monde 
qui  tient  en  exercice  toutes  les  facultés  mentales,  l'âge  isole,  il  habi- 
tue à  retourner  sans  cesse  ses  regards  en  dedans,  au  lieu  de  les  porter 
en  dehors,  et  ce  même  défaut  que  je  sens  croître  en  moi  fait  le  charme 
principal  de  la  solitude...  Ma  nièce,  que  nous  avons  mariée,  a  une 
tendre  affection  pour  nous  deux  :  c'est  une  personne  douée  d'une  forte 
tète  et  qui  a  beaucoup  réfléchi,  beaucoup  senti,  mais  elle  ne  sait  ce 
que  c'est  que  de  communiquer  ce  qui  se  passe  en  elle  ;  il  n'y  a  par 
conséquent  point  de  conversation  entre  nous,  et  peu  de  désir  de  se 
rencontrer...  J'avais  reçu  une  lettre  d'un  ami  nouveau,  mais  bien  ten- 
drement aimé,  et  que  j'espère  que  vous  aimerez  aussi;  c'est  J.  Bar- 
bieri*,  le  plus  grand  prédicateur  de  l'Italie  qu'il  remplit  de  sa  réputa- 
tion :  il  a  tant  de  sensibilité,  tant  d'âme  en  même  temps  et  de  sagesse 
dans  ses  sermons  qu'il  a  ramené  la  foule  dans  les  églises,  comme  on 
ne  l'y  avait  pas  vue  depuis  de  longues  années;  son  nom  doit  être 
connu  à  Vienne,  car  tout  nom  qui  s'élève  en  Italie,  dans  quelque  car- 
rière que  ce  soit,  est  toujours  un  objet  de  défiance.  Mais  je  vous  appor- 
terai son  quaresimale^  à  Paris,  et  je  pense  qu'il  vous  plaira.  Adieu, 
chère  amie... 

Doloraieu,  son  frère,  géologue  connu  autant  pour  ses  aventures  que  pour  ses 
traités  (f  1801).  Elle  est  très  souvent  citée  dans  les  lettres  de  Sismondi  à  sa 
mère  en  1815.  Ils  se  voyaient  tous  les  jours  et  souvent  deux  fois,  au  point  que 
le  mari  en  prit  ombrage. 

1.  L'abbé  J.  Barbieri,  professeur  de  littérature  à  l'Université  de  Padoue, 
auteur  d'un  Carême,  d'un  Avent  et  de  diverses  poésies,  renouvelait  alors  l'élo- 
quence de  la  cbaire  en  Italie  en  la  débarrassant  de  l'emphase  vide  et  des  con- 
cetti,  défauts  habituels  de  l'époque. 

2.  Italien,  pour  Carême. 


64  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

XI. 

Le  l"  janvier  1838. 

...  Votre  lettre,  qui  m'est  arrivée  il  y  a  trois  jours,  était  la  plus 
douce,  la  plus  flatteuse  étrenne  que  je  pusse  recevoir.  Chaque  année 
m'enlève  quelqu'un  de  ceux  qui  m'étaient  le  plus  chers.  J'en  perds  par 
la  mort,  hélas,  j'en  perds  aussi  par  la  vie.  De  nouveaux  intérêts,  de 
nouvelles  habitudes  se  forment  pour  eux,  et  un  vieux  ami  absent  est 
relégué  dans  le  coin  le  plus  obscur  de  leur  souvenir.  Comme  il  m'est 
doux  qu'il  y  ait  au  moins  une  personne,  la  plus  chère  à  mon  cœur, 
mais  aussi  la  plus  aimée,  la  plus  admirée  de  tous,  qui  reste  ce  qu'elle 
a  toujours  été  pour  moi;  non,  je  dis  mal,  que  j'aime  tous  les  jours 
davantage,  et  qui  le  sent,  qui  le  comprend,  qui  le  rend.  Votre  lettre 
est  la  seule  marque  de  vie  que  j'aie  reçue  à  l'occasion  de  mon  livre', 
d'aucun  de  ceux  auxquels  je  l'ai  envoyé,  et  votre  lettre  me  disait  pré- 
cisément ce  que  mon  cœur  a  besoin  d'en  entendre  dire.  Il  est  possible 
que  l'amour-propre  d'auteur  ait  part,  sans  que  je  m'en  rende  compte, 
à  cette  soif  extrême  que  je  ressens  de  l'attention  du  public  :  mais 
cette  soif  ne  me  semble  autre  chose  que  le  sentiment  d'immenses  dou- 
leurs pour  l'humanité,  de  douleurs  que  nous  contribuons  tous  sans  y 
songer  à  augmenter  par  une  conduite  de  détail  que  nous  nous  figu- 
rons être  indifîérente.  Je  crie  :  prenez  garde,  vous  froissez,  vous  écra- 
sez des  malheureux,  qui  ne  voient  pas  même  d'où  leur  vient  le  mal 
qu'ils  éprouvent,  mais  qui  restent  languissants,  mutilés  sur  la  route 
que  vous  avez  parcourue.  Je  crie  et  personne  ne  m'entend,  je  crie  et 
le  char  de  Jaggernant^  continue  à  rouler  en  faisant  de  nouvelles  vic- 
times. 

...  Chère  amie,  j'ai  souffert  comme  vous  du  grand  disinganno  poli- 
tique; et  je  dirai  même  que  cette  impression  de  mécontentement  ou 
de  dégoût  a  contribué  pour  beaucoup  à  me  faire  rechercher  la  solitude 
absolue  où  je  viens  de  passer  deux  ans.  Peut-être  cette  solitude 
m'a-t-elle  calmé,  m'a-t-elle  mieux  fait  sentir  ces  oscillations  inévi- 
tables dans  les  sentiments  nationaux,  surtout  aussi  longtemps  qu'on 
n'est  point  arrivé  à  la  vérité.  Parmi  les  hommes  que  nous  aimions  à 
cause  de  l'élan  vers  le  bien  que  nous  croyions  reconnaître  en  eux,  plu- 
sieurs sont  arrivés  au  pouvoir,  et  soit  qu'ils  l'aient  retenu  ou  qu'ils 
l'aient  perdu  ensuite,  le  pouvoir  a  eu  sur  eux  son  effet  inévitable,  il  les 
a  rendus  plus  personnels,  il  les  a  aigris  ;  leur  exemple  confirme  encore 
les  principes  que  nous  avons  toujours  chéris,  sur  le  besoin  de  garantie 
contre  ce  danger  même  ;  mais  ce  qui  me  causait  d'abord  plus  de  tris- 
tesse, c'était  le  changement  dans  l'opinion  publique,  l'abandon  parles 
masses  des  espérances  et  des  sentiments  généreux.  C'est  de  cette  lan- 

1.  Tome  II  des  Études  sur  l'économie  politique,  mis  en  vente  le  9  décembre 
1837. 

2.  Djaggernat,  dans  l'Inde. 


LETTRES    INÉDITES   DE    SISMONDI.  65 

gueur  nouvelle  qu'il  faut  nous  consoler  en  n'y  voyant  qu'une  oscilla- 
tion. Cette  grande  masse  d'hommes  qui  se  croyaient  libéraux,  se  figu- 
raient avoir  approfondi  toute  la  science  de  la  politique  ;  ils  l'avaient 
toute  réduite  à  trois  ou  quatre  axiomes  ;  nous  avions  ici  un  médecin 
qu'on  voulait  destituer  parce  que  tous  ses  malades  mouraient.  Il 
répondait  :  comment  donc,  je  les  ai  saignés,  purgés,  ventouses,  je  leur 
ai  donné  l'émétique  et  appliqué  les  vésicatoires,  que  voulez-vous  que 
je  le  leur  fisse  de  plus?  Je  ne  pense  pas  que  la  science  aille  plus  loin 
que  cela.  Nos  médecins  politiques  ont  besoin  d'apprendre  que  la 
science  va  plus  loin,  qu'elle  doit  étudier  les  cas  et  se  proportionner 
aux  patients.  Quand  ils  le  sauront,  quand  ils  comprendront  qu'il  faut 
étudier  de  nouveau,  je  l'espère,  ils  reviendront  aux  théories,  et  ils  ne 
vous  traîneront  plus  à  travers  la  boue  vers  les  intérêts  matériels... 

Au  début  de  1838  se  produisit  un  incident  diplomatique  qui  fail- 
lit mettre  aux  prises  la  France  et  la  Suisse  :  l'affaire  Louis-Napo- 
léon, Nous  rappelons  qu'installé  avec  sa  mère,  la  reine  Hortense,  à 
Arenenberg,  dans  le  canton  de  Thurgovie,  le  prince  s'était  fait 
nommer  en  1834  citoyen  du  canton  et  capitaine  d'artillerie  dans 
larmée  helvétique.  Après  l'échauffourée  de  Strasbourg  (octobre 
1836),  Napoléon,  embarqué  pour  l'Amérique,  revint  à  Arenenberg 
(été  de  1837)  et  reprit  sa  propagande  bonapartiste.  C'est  alors  que 
la  France  somma  la  Suisse  d'expulser  le  prétendant.  Ce  fut  le 
prétexte,  à  la  Diète,  de  déclamations  enflammées  sur  le  droit  d'asile 
et  l'honneur  national.  Les  députés  Monnard  et  Rigaud  poussaient 
à  la  résistance.  Sismondi,  se  plaçant  sur  le  terrain  juridique,  était 
partisan  de  l'expulsion  de  Napoléon.  «  J'ai  cherché,  écrivait-il  à 
M""*  ]\Iojon,  à  ramener  la  question  au  droit  international...  J'ai 
montré  que  par  nos  traités  nous  étions  obligés  de  ne  jamais  donner 
le  droit  de  cité  à  des  bannis  de  France...,  »  et,  en  effet,  les  traités  de 
1798  et  de  1803,  —  ce  dernier  confirmé  en  1821,  —  portent  que 
«  les  émigrés  et  déportés  » ,  les  individus  coupables  de  crimes  contre 
l'Etat  ne  pourront  trouver  asile  sur  le  territoire  de  la  Confédéra- 
tion. 

Néanmoins,  le  parti  de  la  résistance  l'emporta.  Au  cours  de  vio- 
lentes manifestations,  on  faillit  brûler  la  maison  de  Sismondi  avec 
son  propriétaire.  Les  troupes  se  portaient  aux  frontières  lorsque 
Napoléon  prit  le  parti  de  se  retirer.  II  s'embarqua  pour  l'Angleterre. 

XII. 

Chênes,  30  septembre  1838. 
...  Vous  savez  que  nous  sommes  entourés  de  tous  les  pronostics  de 
la  guerre,  et  d'une  guerre  sans  honneur  et  sans  espoir,  puisque  dans 

REV.    HiSTOR.    CXVII.   le--  FASC.  5 


66  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

le  cours  de  trois  semaines  nous  pouvons  nous  attendre  à  de  rapides 
désastres  et  à  une  effroyable  catastrophe.  Lorsque  la  France  a  demandé 
que  nous  éloignions  de  ses  frontières  le  prince  Louis-Napoléon  et  que 
notre  Directoire  a  répondu  qu'il  était  Suisse,  je  me  suis  efforcé  de 
prouver  qu'il  ne  l'était  pas,  car  nos  traités  envers  la  France  nous  obli- 
geaient à  ne  point  naturaliser  des  bannis,  car  s'il  avait  dépendu  de  lui 
de  changer  de  nation  pour  se  faire  Suisse,  il  avait  pu  également  en 
changer  de  nouveau  quand  il  s'était  déclaré  Français  à  Strasbourg, 
car  enfin  un  prétendant  est  un  être  à  part,  qui  n'est  plus  regardé 
comme  appartenant  à  une  nation,  mais  que  le  droit  des  gens  régit  par 
des  lois  toutes  particulières.  J'ai  parlé  trois  fois  dans  nos  conseils,  une 
fois  dans  la  commission,  avec  toute  la  chaleur  de  la  persuasion  et 
d'une  étude  approfondie  de  la  question.  Je  n'ai  pu  entraîner  les  majo- 
rités. Cependant  notre  publicité,  si  imprudemment  admise  en  Suisse 
pour  les  questions  de  politique  extérieure,  a  engagé  nos  hommes  les 
plus  sages  à  faire  les  braves  dans  les  assemblées  populaires;  on  a 
enchéri  les  uns  sur  les  autres,  sans  avoir  une  pensée  d'avenir,  sans 
chercher  comment  on  ferait  face  aux  dangers  effroyables  où  l'on  se 
précipitait.  On  n'a  point  donné  encore  de  réponse  officielle,  mais  les 
journaux  ont  été  remplis  d'injures.  Les  orateurs  ont  été  souvent 
offensants,  les  réponses  de  plusieurs  conseils  ont  même  été  incon- 
venantes. Ces  provocations  ont  précédé  notre  réponse,  et  à  présent 
les  troupes  françaises  sont  en  marche  et  garnissent  les  frontières.  Le 
départ  du  prince  Louis-Napoléon,  qu'on  annonce  aujourd'hui  comme 
imminent,  n'est  pas  même  une  garantie... 

A  partir  de  1838,  Sismondi  vivra  retiré  à  Chênes,  travaillant 
encore  huit  à  dix  heures  par  jour.  Sa  femme  dépouille  avec  lui  les 
vieilles  chroniques  et  l'aide  à  rassembler  les  matériaux  de  son  His- 
toire des  Français.  Après  dîner,  tous  deux  montent  dans  un  char 
à  bancs  que  traînent  languissamment  deux  vieux  chevaux.  Brillant 
et  Cadet,  et  ils  se  font  «  secouer  »  à  travers  la  campagne. 

Le  soir,  fermant  leur  porte  aux  bruits  du  dehors  comme  ils  fer- 
maient les  yeux  sur  «  tout  ce  qui  pourrait  troubler  leur  vie  »,  ils 
font,  aux  chandelles,  quelque  lecture  édifiante  ou  instructive. 

C'est  ainsi  que  devait  s'achever  une  existence,  toute  d'un  labeur 
consciencieux,  de  droiture  et  de  simplicité.  Le  8  juin  1842,  Sismondi 
mettait  la  dernière  main  au  XXVIIP  volume  de  son  Histoire,  et  le 
25  au  soir  il  avait  cessé  de  vivre. 

P.-N.  DE  PUYBUSQUE. 


BULLETIN   HISTORIQUE 


HISTOIRE  BYZANTINE. 

PUBLICATIONS    DES    ANNEES    1912-1914. 

I.  Textes  et  sciences  auxiliaires.  —  M.  J.  Haury  continue 
la  publication  des  œuvres  de  Procope  par  l'édition  du  traité  De  JEdi- 
ficiis\  L'édition  de  Dindorf  dans  la  Byzantine  de  Bonn,  1838, 
n'était  qu'une  reproduction  de  celle  du  Louvre,  due  à  Claude  INIal- 
tret  (Paris,  1663),  et  reposait  sur  une  étude  insuffisante  des  manus- 
crits. M.  J.  Haury  a  établi  son  texte  d'après  les  manuscrits  les  plus 
corrects,  surtout  le  Vaticanus  gr.  1065,  xiii^  s.  (V),  le  Laurentia- 
nus  70,  5,  xv^  s.  (L),  l'Ambrosianus  182  sup.,  xiv^  s.  (A).  Il  a  en 
outre  consulté  plusieurs  manuscrits  de  moindre  importance.  Les 
archéologues  et  les  historiens  auront  ainsi  à  leur  disposition  une  édi- 
tion scientifique  du  traité  des  Edifices  dont  le  besoin  se  faisait  sentir. 
Un  excellent  index  historique  leur  rendra  les  plus  grands  services. 

M.  A.  Vasiljev  a  donné  une  traduction  en  russe  de  la  vie  arabe 
de  saint  Jean  Damascène  éditée  par  le  Père  Constantin  Bâcha ^ 
d'après  un  manuscrit  arabe  du  Vatican  daté  de  1223.  Dans  son 
introduction,  il  étudie  la  question  des  rapports  entre  ce  texte  et  celui 
de  la  vie  grecque  publiée  par  Lequien  en  1712  (voy.  Patrol.  Gr., 
t.  XCIV).  Celle-ci  attribuée  à  Jean,  patriarche  de  Jérusalem,  qui 
aurait  vécu  à  la  fin  du  x^  siècle,  est,  au  dire  de  son  auteur,  traduite 
sommairement  d'un  texte  arabe  plus  ancien.  Le  Père  Bâcha  n'a 
pas  hésité  à  voir  dans  le  texte  qu'il  a  publié  cette  vie  arabe  originale 
de  saint  Jean  Damascène.  Malheureusement,  la  préface  à  la  vie  arabe 
(absente  dans  le  Vaticanus,  mais  restituée  d'après  un  manuscrit  du 
xvii«  siècle  découvert  par  le  Père  Bâcha  en  Syrie,  à  Kapharb,  district 
de  Chamatia)  donne  comme  l'auteur  un  moine,  Michel,  du  monastère 

1.  Procopii  Caesariensis  opéra  omnia,  recognovit  lacobus  Haury,  v.  III,  2. 
Leipzig,  Teubner,  1913,  x-395  p.  in-12. 

2.  A.  Vasiljev,  Arubskaia  versiia  djitiia  Sv.  loanna  Damaskina  {Version 
arabe  de  In  vie  de  saint  Jean  Damascène).  Saint-Pélersbourg,  Merkouchev, 
1913,  22  p.  in-8°  (cf.  le  Père  Constantin  Bâcha,  Biographie  de  saint  Jean 
Damascène,  texte  original  arabe.  Harissa,  Liban,  1912). 


68  BULLETIN    HISTORIQUE. 

de  Saint-Siméon  d'Antioche,  qui  fut  emmené  en  captivité  en  Asie 
Mineure  par  le  sultan  seldjoucide  Suleiman  après  la  prise  d'Antioche 
par  les  Turcs  (  1 084) .  Cette  rédaction  daterait  donc  de  la  fin  du  xi'^  siècle. 
La  question  serait  ainsi  résolue  en  faveur  de  l'antériorité  de  la  ver- 
sion grecque,  si  l'on  n'avait  des  doutes  sérieux  sur  la  légitimité  de 
son  attribution  à  Jean,  patriarche  de  Jérusalem,  et  même  sur 
l'époque  à  laquelle  a  vécu  ce  personnage.  La  rédaction  grecque  a  été 
attribuée  quelquefois  à  Jean,  patriarche  d'Antioche,  et  dans  la  série 
des  patriarches  de  Jérusalem,  étudiée  par  Papadopoulos  Kerameus, 
on  trouve  deux  patriarches  Jean,  l'un  au  début  du  xi^  siècle,  l'autre 
dans  la  dernière  moitié  du  XII^  Mais,  d'autre  part,  Lambros  a 
signalé  [Byzantinische  Zeitschrift,  t.  V,  1896,  p.  566)  un  palimp- 
seste de  Vienne  sur  lequel  une  écriture  minuscule  du  xi*  siècle 
recouvre  une  vie  de  saint  Jean  Damascène,  identique  à  celle  qu'a 
éditée  Lequien.  La  question  ne  peut  donc  être  tranchée  que  par  une 
comparaison  attentive  des  deux  rédactions  et  la  traduction  de  la  vie 
arabe  donnée  par  M.  Vasiljev  contribuera  à  faciliter  ce  travail. 

Mgr  DucHESNE  a  rendu  un  grand  service  à  l'histoire  de  l'art 
byzantin  en  publiant  de  nouveau  la  lettre  des  trois  patriarches 
d'Orient  adressée  à  l'empereur  Théophile  en  836  ' .  Ce  morceau  capi- 
tal, édité  déjà  par  Sakkelion  daprès  deux  manuscrits  de  Patmos 
(Athènes,  1874),  était  passé  complètement  inaperçu.  La  lettre  est 
présentée  comme  un  acte  synodal  des  trois  patriarches;  mais 
Mgr  Duchesne  ne  croit  guère  à  la  réalité  de  ce  concile.  Le  ton 
employé  pour  parler  à  l'empereur  est  tout  à  fait  respectueux  et  rien 
ne  laisse  supposer  que  les  patriarches  s'adressent  au  prolecteur  des 
iconoclastes.  Leur  argumentation  est  surtout  historique.  Les  images 
peintes  «  avec  des  couleurs  »  s'autorisent  des  quatre  évangiles  qui 
ont  laissé  le  récit  de  l'Incarnation.  L'énumération  des  sujets  tirés  de 
ces  textes  (p.  274)  est  fort  intéressante,  parce  qu'elle  montre  ce 
qu'était  au  ix^  siècle  la  conception  officielle  de  l'iconographie  reli- 
gieuse. Enfin,  les  miracles  accomplis  par  les  images,  le  caractère 
surnaturel  de  certaines  d'entre  elles  (image  d'Édesse,  etc.)  sont 
invoqués  comme  des  arguments  décisifs.  On  trouve  dans  ces  récits 
de  miracles  des  anecdotes  intéressantes  :  on  y  voit  qu'une  grande 
mosaïque  de  l'Adoration  des  Mages  ornait  la  façade  de  l'église  de 
la  Nativité  à  Bethléem  et  que  ce  fut  grâce  à  cette  circonstance  que 
les  Perses,  ravis  de  retrouver  la  représentation  de  leurs  souverains 
en  costume  national,  épargnèrent  cet  édifice  en  614. 

1.  L.  Duchesne,  l'Iconographie  byzantine  dans  un  document  grec  du 
IX'  siècle.  Roma  e  l'Oriente,  Grottaferrata,  1913,  t.  III,  p.  222-239,  273-285, 
349-360. 


HISTOIRE    BYZANTINE.  69 

M.  Dragoumis  poursuit  la  publication  de  son  commentaire  histo- 
rique et  toponymique  de  la  Chronique  de  Morée'.  On  lira  avec 
intérêt  la  discussion  sur  l'identification  de  Sergiana,  Prinitsa,  Makri- 
plagi,  Mont-Escovée  (Corinthe),  Mountra  (Olympie),  des  Sapikou- 
Kampi,  de  Veligosti,  de  Makryplagi-Gardiki,  du  Chastel  Saint- 
Georges,  près  de  Lacédémone.  Des  études  de  ce  genre  ne  peuvent 
que  rendre  service  à  la  constitution  d'une  histoire  vraiment  scienti- 
fique de  la  Morée  française. 

II.  Ouvrages  d'ensemble.  —  M.  Th.  Ouspenski  vient  de  publier 
le  premier  volume  d'une  Histoire  de  l'Empire  byzantin^.  Nous 
nous  proposons  de  revenir  sur  cette  œuvre  importante. 

On  a  eu  l'heureuse  idée  de  réunir  en  un  volume  les  études  qu'Al- 
fred Rambaud  avait  publiées  dans  diverses  revues  sur  la  civilisation 
byzantine^.  Bien  que  quelques-uns  de  ces  articles  datent  de  plus  de 
quarante  ans  déjà,  ils  n'ont  nullement  vieilli  et,  sauf  sur  quelques 
points  de  détail,  l'érudition  contemporaine  n'a  guère  modifié  les  con- 
clusions de  Rambaud.  M.  Diehl  a  présenté  ce  livre  dans  une  pré- 
face et  a  joint  au  texte  des  notes  bibliographiques.  On  relira  avec 
plaisir  l'étude  sur  «  le  sport  et  l'hippodrome  à  Byzance  » ,  où  la  vie 
populaire  de  Constantinople  est  décrite  d'une  manière  si  pittoresque  ; 
Rambaud  n'avait  pas  déterminé  d'une  manière  assez  précise  le  carac- 
tère officiel  des  factions  qui  formaient,  ainsi  que  l'a  montré  Ous- 
penski, une  sorte  de  garde  civique;  on  a  découvert  aussi  depuis 
cette  époque  un  assez  grand  nombre  de  témoignages  nouveaux  sur 
l'activité  de  l'hippodrome  dans  les  trois  derniers  siècles  de  l'histoire 
byzantine.  On  retrouvera  dans  ce  volume  l'étude  sur  Digenis  Acri- 
tas,  celle  sur  Michel  Psellos  (publiée  dans  la  Revue  historique  en 
1877),  le  tableau  prestigieux  de  la  vie  des  «  empereurs  et  impéra- 
trices d'Orient  »,  enfin  une  étude  pénétrante  et  plus  actuelle  que 
jamais  sur  la  lutte  entre  «  Hellènes  et  Bulgares  »  au  moyen  âge. 
Rambaud  cherche  à  y  dresser  le  bilan  des  progrès  de  l'hellénisme  au 
cours  de  cette  période  et  montre  que,  sauf  Constantinople  et  la 
Thrace,  il  a  gagné  peu  de  chose  et  a  été,  au  contraire,  battu  en 
brèche  sur  son  propre  territoire.  Ce  livre  rendra  service  au  grand 
public  qui  voudra  s'initier  aux  choses  de  Byzance. 

M.  Sp.  Lambros,  qui  a  publié  à  plusieurs  reprises  dans  le  JVeos- 
hellenomnemon  des  renseignements  inédits  sur  l'iconographie  des 

1.  Dragoumis,  Xpovtxûv  Mopéa);  caTOpixà  xac  Toirwvûjxtxa.  Athènes, 
Sakellarios,  1912,  p.  52,  in-S";  1913,  p.  155-198  (extrait  des  'Aerjvai). 

2.  Th.  Ouspenski,  Istorjia  Vizanlijskoi  imperii,  t.  I.  Saint-Pétersbourg,  1913. 

3.  Alfred  Rambaud,  Études  sur  l'histoire  byzantine.  Préface  et  notes  de 
Ch.  Diehl.  Paris,  A.  Colin,  1912,  xxin-317  p.  in-12. 


70  BDLLETIN    HISTORIQUE. 

empereurs  byzantins,  a  rédigé  un  catalogue  des  portraits  impériaux 
réunis  à  l'Exposition  internationale  de  Rome  en  1911  (section  hellé- 
nique) ' .  En  attendant  l'apparition  du  travail  confié  par  le  Congrès 
archéologique  d'Athènes  (1905)  à  une  commission  internationale,  ce 
catalogue  provisoire,  qui  comprend  408  numéros  d'après  les  statues, 
miniatures,  ivoires,  etc.,  est  d'un  usage  très  commode.  Parmi  les 
omissions,  signalons  le  portrait  si  curieux  de  Constance  de  Hohen- 
staufen,  qui  épousa  Jean  III  Ducas  Vatatzès  en  1244  et  mourut  à 
Valence  (Espagne)  en  1313  au  monastère  de  Sainte-Barbe,  où  un 
tableau  du  xvii*  siècle  conserve  son  souvenir  (voy.  Schlumberger, 
le  Tombeau  d'une  impératrice  byzantine.  Paris,  1902).  La 
curieuse  sculpture  du  Campo  Angaran  à  Venise  que  M.  Schlum- 
berger (voy.  Byzantinische  Zeitschinft,  t.  II,  1893,  p.  192)  regar- 
dait comme  un  portrait  impérial  du  x*"  ou  du  xi"  siècle  représen- 
terait, d'après  M.  Lambros,  Alexis  Comnène. 

III.  Histoire  générale  par  périodes.  —  Le  premier  siècle  de 
rhistoire  de  Constantinople  a  été  étudié  par  M.  V.  Schultze  dans 
un  livre  d'une  lecture  agréable  et  en  général  bien  informé 2.  Cepen- 
dant le  plan  que  l'auteur  s'est  proposé  de  suivre  n'apparait  pas  tou- 
jours avec  une  netteté  suffisante.  Ce  n'est  pas  l'histoire  de  l'empire, 
mais  celle  de  Constantinople,  qu'il  a  voulu  écrire,  et,  comme  il  était 
facile  de  le  prévoir,  les  faits  qu'il  a  présentés  dépassent  souvent  les 
limites  de  son  programme.  C'est  ainsi  que  la  première  partie,  après 
un  récit  de  la  fondation  de  Constantinople,  offre  dans  un  ordre  chro- 
nologique un  tableau  de  la  politique  des  empereurs  qui  se  sont  suc- 
cédé depuis  Constantin  jusqu'à  Théodose  IL  Les  faits  ainsi  ras- 
semblés, par  exemple  l'histoire  des  luttes  religieuses,  intéressent 
beaucoup  plus  l'ensemble  de  l'empire  que  Constantinople  en  parti- 
culier. Il  en  résulte  une  composition  quelque  peu  fuyante,  malgré 
la  disposition  très  claire  et  le  récit  très  attachant  de  chacun  des 
chapitres.  Le  titre  du  livre  est  mieux  justifié  dans  la  deuxième 
partie  qui  offre  un  tableau  très  animé  de  la  vie  byzantine  aux  iv^  et 
V  siècles.  L'auteur  y  passe  en  revue  la  ville,  la  cour,  les  classes  de 
la  société,  les  spectacles,  le  développement  intellectuel  et  artistique, 
le  caractère  de  la  dévotion  populaire.  Les  sermons  et  les  lettres  de 
saint  Jean  Chrysostome,  de  saint  Grégoire  de  Nazianze,  etc.,  ont 
fourni  les  éléments  d'une  description  précise  et  parfois  pittoresque. 

Et  pourtant,  malgré  la  valeur  de  son  information,  malgré  le 

1.  Spyr.  P.  Lambros,  Empereurs   byzantins.   Catalogue   illustré.  Athènes, 
C.  Meissner  et  Cargadoudis,  1911,  61  p.  in-8°. 

2.  V.  Schultze,  Allchristliche  Stûdte  und  Landschafteti.  I.  Konstantinopel 
(32i-i50).  Leipzig,  Deichert,  1913,  vi-292  p.  in-8°. 


HISTOIRE   BYZANTINE.  71 

talent  d'exposition  qui  font  de  cette  étude  un  livre  des  plus  utiles,  on 
regrette  que  M.  V.  Schultze  n'ait  pas  tiré  un  plus  grand  parti  des 
recherches  archéologiques  qui  ont  apporté  dans  ces  dernières  années 
des  éléments  nouveaux  à  l'histoire  de  la  ville  de  Constantin.  Il  s'est 
du  moins  servi  des  sources  numismatiques  et  il  a  tenu  le  plus  grand 
compte  des  belles  études  de  M.  Maurice  sur  les  monnaies  constanti- 
niennes.  En  revanche,  pour  ses  descriptions  topographiques,  pour 
ses  études  de  monuments,  il  a  employé  surtout  des  textes.  Bien  que 
l'exploration  de  l'ancienne  Byzance  soit  encore  presque  à  ses  débuts, 
il  y  a  cependant  déjà  quelques  résultats  acquis.  C'est  ainsi  qu'il  est 
regrettable  que  le  palais  de  Constantin  ait  été  décrit  uniquement 
d'après  Eusèbe  (p.  18);  aucun  compte  n'a  été  tenu  des  études  cri- 
tiques qui  ont  permis  à  M.  Ebersolt  {le  Gî^and  Palais  de  Cons- 
tantinople,  1910)  d'en  proposer  une  restitution.  De  même,  les 
quelques  lignes  consacrées  à  la  construction  de  la  Grande  Muraille 
(p.  176)  manquent  totalement  de  précision  topographique.  On 
s'étonne,  du  reste,  que  dans  une  étude  sur  Constantinople  la  ques- 
tion de  la  défense  de  la  ville  et  de  sa  valeur  stratégique  ne  tienne  pas 
une  place  plus  importante.  La  construction  de  la  Grande  Muraille 
peut  cependant  passer  pour  l'événement  capital  de  l'histoire  byzan- 
tine. Il  n'est  pour  ainsi  dire  pas  un  seul  chapitre  qui  n'eût  gagné  en 
précision  si  les  sources  archéologiques  avaient  été  plus  souvent 
employées.  C'est  ainsi  que  le  témoignage  le  plus  complet  sur  l'im- 
portance de  Ihellénisme  à  Constantinople  se  trouve  dans  les  inscrip- 
tions rassemblées  au  Corjjus.  De  même,  il  semble  difficile  d'évoquer 
les  représentations  et  les  courses  de  l'hippodrome  sans  avoir  recours 
aux  documents  précis  que  nous  fournissent  les  bas-reliefs  de  la  base 
de  l'obélisque  de  Théodose,  sans  citer  même  les  sculptures  si 
curieuses  du  musée  de  Berlin'  ou  du  monument  de  Porphyrios  à 
Constantinople 2.  L'étude  de  ces  quelques  vestiges  éclaire  singuliè- 
rement les  textes. 

Enfin,  quelques  erreurs  inévitables  dans  un  sujet  aussi  complexe 
témoignent  parfois  d'une  méconnaissance  des  travaux  antérieurs.  II 
n'est  pas  rigoureusement  exact,  par  exemple,  que  le  titre  de  Bxti- 
Xeùç  ait  été  adopté  officiellement  par  les  empereurs  depuis  Constan- 
tin (p.  210)  ;  il  est  exact,  comme  nous  avons  essayé  de  le  montrer^, 


1.  Dalton,  Byzantine  Art,  p.  143. 

2.  Ebersolt,  A  propos  du  bas-relief  de  Porphyrios  {Revue  archéologique, 
1911,  t.  I,  p.  76-85). 

3.  L.  Bréhier,  l'Origine  des  titres  impériaux  à  Byzance  (Byzantinische 

Zeilschrift,  1906,  p.  168-172). 


72  BULLETIN    HISTORIQUE. 

qu'à  partir  du  iv*  siècle  l'emploi  de  ce  litre  devient  plus  fréquent 
dans  les  inscriptions  et  est  employé  par  les  empereurs  eux-mêmes, 
mais  il  ne  figure  pas  dans  le  protocole  de  leurs  constitutions.  Le  pre- 
mier édit  impérial  où  ce  titre  apparaît  d'une  manière  vraiment 
officielle  est,  à  ma  connaissance,  un  éditd'Héraclius  rédigé  en  629'. 
C'est  seulement  à  cette  époque  que  tous  les  anciens  titres,  aÙToxpaTcop, 
Kaïffap,  Au^ouoToç,  etc.,  disparaissent  devant  cette  nouvelle  expres- 
sion. De  même,  la  lettre  de  saint  Épiphane,  qui  est  citée  page  278 
et  où  l'évêque  raconte  qu'il  a  lacéré  une  tenture  parce  qu'elle  était 
ornée  de  l'image  du  Christ,  a  été  reconnue,  grâce  aux  recherches 
de  M.  Serruys,  comme  un  faux  des  théologiens  iconoclastes  du 
VIII®  siècle'.  M.  Schultze  voit  avec  raison  dans  la  période  qu'il  étu- 
die la  véritable  époque  de  transition  durant  laquelle  le  régime 
impérial  venu  de  Rome  a  pris  son  caractère  proprement  byzantin. 
Mais  est-il  exact  que  ce  soit  à  ce  moment,  comme  il  le  pré- 
tend (p.  214),  que  l'on  voit  s'accroître  l'influence  des  impératrices 
et  des  princesses  dans  la  marche  du  gouvernement?  N'en  était-il 
pas  ainsi  dès  les  premiers  siècles  de  la  monarchie  impériale?  Il 
suffit  pour  s'en  convaincre  de  se  rappeler  les  noms  de  Julie,  de 
Messaline,  d'Agrippine,  de  Julia  Domna,  etc.;  cette  influence  fémi- 
nine est  une  tradition  presque  aussi  ancienne  que  l'empire  lui- 
même.  Le  chapitre  sur  les  spectacles  (p.  253)  aurait  pu  être  plus 
complet  si  l'on  avait  tenu  compte  des  études  si  solides  de  Reich  sur 
le  mime^  et  des  renseignements  tout  à  fait  nouveaux  que  La  Piana 
a  rassemblés  sur  l'origine  des  homélies  dramatiques.  On  peut  voir 
d'après  ces  excellentes  études  la  place  considérable  que  les  spectacles 
profanes  et  sacrés  tenaient  dans  la  vie  byzantine. 

L'époque  des  Comnènes,  bien  connue  maintenant  grâce  aux 
excellents  travaux  de  M.  Chalandon^  a  fourni  la  matière  d'une  nou- 
velle étude.  M.  Francesco  Cognasso  a  raconté  l'histoire  de  la  période 
agitée  qui  suit  la  mort  de  Manuel  Comnène  et  comprend  la  régence 
de  Marie  d'Antioche,  les  règnes  d'Alexis  II  etd'Andronic'^.  Pendant 
ces  cinq  années  (1180-1185),  l'empire  a  subi  une  crise  redoutable 
qui  a  marqué  la  faillite  de  la  politique  des  Comnènes.  L'étude  de 
M.  Cognasso  a  été  composée  presque  en  même  temps  que  celle  de 

1.  Zachariae  von  Lingenthal,  lus  (jraeco.  7-o)n.,  t.  III,  p.  44  et  48. 

2.  Serruys,  dans  les  Séances  de  l'Académie  des  inscriptions,  1904,  p.  360-363. 

3.  Reich,  Der  Mimus.  Berlin,  1903. 

4.  Voy.  Revue  historique,  t.  CXI,  p.  326. 

5.  F.  Cognasso,  Partiti  politici  e  lotte  dinastiche  in  Bizansio  alla  morte  di 
Manuele  Comneno.  Torino,  Vincenzo  Bona,  1912,  105  p.  in-4''  (estr.  dalle 
Memorie  délia  R.  Accad.  d.  Scienze  di  Torino,  II,  lxii). 


HISTOIRE   BYZANTINE.  73 

M.  Chalandon  sur  Manuel  et  il  n'a  pu  utiliser  le  livre  français  que 
pour  ses  notes.  Malgré  le  nombre  relativement  important  de  sources 
grecques,  occidentales,  orientales  que  nous  avons  maintenant  à 
notre  disposition,  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  tout  soit  clair  dans 
cette  succession  d'intrigues  et  de  coups  de  force.  L'absence  à  peu 
près  complète  de  documents  officiels  rend  les  conclusions  incer- 
taines. Avec  un  véritable  sens  critique,  M.  Cognasso  est  arrivé  du 
moins  à  domier  une  explication  claire  de  la  suite  des  événements. 
Il  montre  d'abord  sur  quelle  base  juridique  reposaient  les  pouvoirs 
de  la  régente  Marie  d'Antioche  (acte  de  1171);  les  sources  orien- 
tales montrent  un  véritable  conseil  de  régence  organisé;  bien  que 
le  nom  d'Andronic  y  figure,  nous  avons  peine  à  croire  que  Manuel 
y  ait  fait  entrer  son  redoutable  cousin,  rentré  en  grâce  seulement 
trois  mois  avant  sa  mort  et  qui,  d'ailleurs,  ne  parait  pas  être 
venu  à  Constantinople  avant  le  coup  d'État  de  1182.  Comme  l'éta- 
blit M.  Cognasso  d'après  Guillaume  de  Tyr  (XXII,  xi,  1081), 
Andronic  était  gouverneur  de  Sinope  lorsqu'il  se  révolta  contre 
la  régente.  Sur  les  aventures  de  ce  personnage,  sur  les  événements 
de  l'histoire  de  la  régence  et  la  révolution  de  1182,  le  récit,  d'ail- 
leurs clair  et  intéressant,  de  M.  Cognasso  n'apporte  rien  de  bien 
neuf.  La  partie  vraiment  nouvelle  de  son  travail  est  le  tableau  qu'il 
trace  du  gouvernement  d'Andronic.  Il  se  trouve  que  ce  personnage 
d'une  cruauté  féroce,  allant  jusqu'au  cannibalisme,  que  l'on  a  pu 
comparer  à  César  Borgia',  a  été  en  même  temps  un  homme  d'Etal 
remarquable.  Comme  l'a  montré  M.  Cognasso,  Andronic  représen- 
tait une  politique  diamétralement  opposée  à  celle  des  Comnènes.  La 
puissance  de  cette  dynastie  avait  été  fondée  par  l'aristocratîe  des 
grands  propriétaires  fonciers  et  grâce  à  l'alliance  avec  les  Occiden- 
taux. Andronic  s'appuie  sur  le  peuple  et  la  bourgeoisie  de  Constan- 
tinople, qui  supportent  mal  la  prépondérance  commerciale  des  Latins 
et  repoussent  la  politique  d'union  religieuse  avec  Rome.  Maître  du 
pouvoir,  il  ne  se  contente  pas  de  décimer  cruellement  l'aristocratie 
orgueilleuse.  Il  entreprend  une  réforme  administrative  (suppression 
de  la  vénalité  des  charges,  régularité  dans  la  levée  de  l'impôt,  éta- 
blissement d'un  traitement  fixe  pour  les  gouverneurs).  Sur  cette 
œuvre,  indiquée  seulement  dans  ses  grandes  lignes  par  Nicetas, 
M.  Cognasso  a  trouvé  des  détails  fort  curieux  dans  les  discours  de 
Michel  Acominatos  (éd.  Lambros,  t.  I,  p.  142-157  et  suiv.)  et  dans 
les  lettres  du  même  prélat.  Mais  la  partie  la  plus  originale  de  son 

1.  Diehl,  les  Aventures  d'Andronic  Comnène  [Études  byzantines,  t.  II,  1908, 
p.  93). 


74  BULLETIN   HISTORIQUE. 

livre  est  sa  conclusion;  il  montre  que  la  chute  d'Andronic  a  été 
causée  par  l'impuissance  où  il  s'est  trouvé  de  suivre  jusqu'au 
bout  cette  politique.  Les  résistances  de  l'aristocratie  l'ont  exaspéré 
et  il  en  est  arrivé  à  établir  un  régime  de  terreur  qui  a  menacé  éga- 
lement tous  ses  sujets.  D'autre  part,  les  conditions  où  se  trouvait 
l'Europe  l'ont  obligé  à  reprendre  la  politique  latine  de  Manuel. 
Contre  l'assaut  que  les  Normands  de  Sicile  se  préparaient  à  donner 
à  l'empire,  il  est  revenu  à  l'alliance  vénitienne.  M.  Cognasso  établit, 
grâce  aux  documents  vénitiens,  qu'un  accord  avait  été  conclu  entre 
Andronic  et  Venise  avant  1185.  Bien  plus,  il  parait  même  avoir  eu 
des  velléités  de  se  rapprocher  de  la  cour  de  Rome  et  le  témoignage 
d'un  chroniqueur  anglais  étabUt  qu'il  dota  une  église  construite  à 
Constantinople  et  desservie  par  des  prêtres  latins  [Gesta  Henrici  II, 
éd.  Stubbs,  1. 1,  p.  257).  Ce  sont  sans  doute  ces  nouvelles  tendances 
qui  expliquent  la  désaffection  subite  de  la  population  de  Constanti- 
nople à  l'égard  d'Andronic  et  la  facilité  avec  laquelle  il  fut  renversé. 
Bien  des  points  restent  d'ailleurs  obscurs  dans  l'histoire  de  ce  per- 
sonnage extraordinaire  :  c'est  ainsi  qu'il  est  difficile  de  savoir  s'il 
conclut  avec  Saladin  le  traité  qui  lui  est  attribué  par  une  chronique 
occidentale. 

Les  événements  qui  se  sont  déroulés  à  Thessalonique  au  xiv^  siècle 
forment  un  des  épisodes  les  plus  curieux  de  l'histoire  de  l'empire 
sous  les  Paléologues  et  dévoilent  sous  leur  véritable  jour  les  causes 
intérieures  de  malaise  qui  ont  favorisé  la  conquête  ottomane.  Grâce 
à  la  découverte  de  nombreux  textes  inédits  dans  les  manuscrits 
grecs  de  la  Bibliothèque  nationale  et  aussi  dans  ceux  du  lycée  grec 
de  Salonique,  M.  Tafrali  a  pu  renouveler  entièrement  cette  his- 
toire' :  ce  sont,  en  particulier,  des  lettres  et  des  opuscules  de  Nicolas 
Cabasilas  et  de  Démétrius  Kydonis  (ms.  gr.  1213),  des  écrits  et  des 
sermons  de  Grégoire  Palamas  (mss.  gr.  1238-1239),  des  traités  de 
Cantacuzène,  de  Barlaam  et  un  discours  de  Thomas  Magistros  «  sur 
la  concorde  «  (ms.  gr.  2629). 

La  première  partie  du  livre  est  une  analyse  très  complète  des 
divers  éléments  dont  se  composait  la  population  de  Thessalonique. 
Une  classe,  celle  des  «  puissants  »  ou  «  archontes  »,  domine  toutes 
les  autres  ;  le  petit  nombre  de  familles  qui  la  composent  détient  la 
plus  grosse  partie  de  la  propriété  foncière,  cultivée  par  des  serfs  ou 
«  parèques  »  d'origine  slave  ou  Koutzovalaque,  et  aussi  de  la  richesse 
mobilière.  Ce  sont  les  «  puissants  »  qui  fournissent  les  grands  digni- 

1.  0.  Tafrali,  Thessalonique  au  XIV  siècle.  Paris,  Geutbner,  1913,  xxvi- 
312  p.  in-8°. 


HISTOIRE    BYZANTINE.  75 

taires  de  l'empire  et  du  haut  clergé,  en  particulier  les  higoumènes 
des  grands  monastères,  dont  les  domaines,  exempts  d'impôts,  s'ac- 
croissent sans  cesse.  C'est  à  leur  profit  que  sont  établies  les  fran- 
chises municipales;  c'est  parmi  eux  que  se  recrute  le  «  sénat  »  et 
qu'est  élu  l'  «  archonte  » ,  qui  exerce  le  pouvoir  exécutif  de  concert 
avec  le  gouverneur  impérial.  Le  tableau  de  ces  institutions  commu- 
nales, si  mal  connues  dans  l'empire  byzantin,  forme  un  des  cha- 
pitres les  plus  nouveaux  de  ce  livre.  On  trouve  même  à  Thessalo- 
nique  des  assemblées  du  peuple  convoquées  au  son  des  cloches  et 
toute  une  organisation  de  corps  de  métiers  dirigés  par  des  nobles. 
On  lira  aussi  avec  intérêt  l'étude  sur  l'organisation  administrative 
et  les  variations  des  limites  du  thème  de  Macédoine  qui  s'agrandit 
en  1332  de  la  Thessalie  et  en  1339  de  l'Épire;  enfin,  la  vie  si  intense 
de  Thessalonique  est  envisagée  sous  tous  ses  aspects,  économique, 
religieux,  intellectuel.  Thessalonique  n'est  pas  seulement  une  place 
de  guerre  de  premier  ordre,  elle  est  aussi  un  des  entrepôts  de  la 
Méditerranée,  elle  est  une  métropole  religieuse,  elle  est  enfin  un 
centre  intellectuel,  la  seconde  capitale  de  l'hellénisme  rajeuni. 
M.  Tafrali  a  montré  dans  un  chapitre  curieux  la  place  tenue  dans  la 
cité  par  le  culte  de  saint  Démétrius  ;  il  a  décrit  la  grande  foire  et  le 
pèlerinage  du  mois  d'octobre  qui  attiraient  des  pèlerins  et  des  com- 
merçants du  monde  entier  ;  il  a  enfin  rassemblé  sur  l'organisation 
de  l'enseignement  des  détails  qui  montrent  un  mouvement  remar- 
quable vers  l'étude  de  l'antiquité  classique.  C'est  une  contribution 
intéressante  à  l'histoire,  incomplètement  élaborée  encore,  de  l'ins- 
truction publique  et  de  l'humanisme  dans  l'empire  byzantin. 

La  deuxième  partie  de  l'ouvrage  est  consacrée  aux  deux  mouve- 
ments dont  cette  ville  fut  le  théâtre  au  xiv*  siècle.  L'un,  le  mouve- 
ment hésychasle,  a  un  caractère  religieux;  M.  Tafrali  l'a  étudié 
surtout  au  point  de  vue  de  Thessalonique  ;  mais,  grâce  aux  documents 
en  partie  inédits  dont  il  s'est  servi,  il  a  pu  en  renouveler  l'histoire. 
Il  a  très  bien  montré  surtout  comment  cette  querelle  entre  des 
humanistes  comme  Barlaam  et  des  mystiques  comme  Palamas  n'a 
pas  tardé  à  prendre  un  caractère  politique,  dès  que  le  chef  dos  nobles, 
Cantacuzène,  alhé  naturel  des  grands  monastères,  a  pris  parti  pour 
les  Hésychastes.  L'autre  mouvement,  celui  des  «  zélotes  »,  est  poli- 
tique et  social,  mais  il  dérive  en  une  certaine  mesure  du  premier. 
Lorsqu'en  1342  le  chef  des  nobles,  Jean  Cantacuzène,  a  usurpé  l'em- 
pire, les  habitants  d'Andrinople  et  de  Thessalonique  refusent  de  le 
reconnaître.  Des  émeutes  éclatent,  à  la  suite  desquelles  le  parti 
populaire  des  «  zélotes  »  chasse  les  nobles,  confisque  leurs  biens, 
s'empare  des  revenus  des  couvents,  organise  une  administration 


76  BULLETIN    HISTORIQUE. 

municipale,  distribue  des  secours  aux  indigents,  arme  les  citoyens, 
dirige  avec  succès  la  défense  de  la  ville  contre  Oantacuzène  et  ses 
alliés,  Turcs  ou  Serbes.  Pendant  sept  ans  (1342-1349),  Thessalo- 
nique  fut  ainsi  une  république  indépendante  tout  à  fait  analogue  aux 
grandes  cités  italiennes.  L'idée  du  salut  public  était  familière  aux 
zélotes,  et  pour  réduire  leurs  adversaires  ils  ne  reculèrent  même  pas 
devant  la  terreur,  comme  le  prouve  le  sanglant  massacre  des  nobles 
en  1345.  Toutefois  les  divisions  les  perdirent  et  permirent  à  Oantacu- 
zène de  ressaisir  le  pouvoir;  la  bourgeoisie  moyenne,  qui  les  avait 
d'abord  soutenus,  les  abandonna;  mais  ce  ne  dut  pas  être  un  spec- 
tacle banal  de  voir  l'empereur  Jean  VI  convoquer  l'assemblée  du 
peuple  et  faire  appel  à  l'opinion  publique  pour  justifier  sa  conduite 
et  flétrir  celle  de  ses  adversaires. 

Dans  le  dernier  chapitre,  M.  Tafrali  aborde  le  problème  assez 
compliqué  de  la  destinée  de  Thessalonique  après  1349.  La  plupart 
des  historiens  ont  adopté  des  dates  différentes  pour  sa  première  reddi- 
tion aux  Turcs.  D'après  la  vie  de  saint  Athanase  des  Météores  étu- 
diée par  Veïs,  elle  eut  lieu  en  1380,  tandis  qu'une  notice  d'un 
manuscrit  de  Venise  donne  la  date  de  1387.  M.  Tafrali  établit  que 
la  ville  fut  prise  une  première  fois  en  1380  par  Khaireddin-pacha, 
envoyé  par  Mourad  pour  punir  le  gouverneur  Manuel  Paléologue 
d'un  complot  contre  la  garnison  turque  de  Serrés.  Mais  Manuel  alla 
implorer  sa  grâce  et  recouvra  sa  ville.  Une  deuxième  fois,  en  1383, 
les  Turcs  revinrent  et  prirent  la  ville  après  un  siège  de  quatre  ans  ; 
Mourad  lui  laissa  une  assez  large  autonomie,  et  c'est  ce  qui  explique 
que  l'empereur  Jean  V,  considéré  par  le  sultan  comme  un  vassal,  y 
soit  mort  en  1391.  Au  contraire,  Bajazet  resserra  le  pouvoir  des 
Turcs,  changea  des  églises  en  mosquées  et  demanda  l'impôt  du  sang 
pour  recruter  ses  janissaires  (ces  détails  ont  été  fournis  par  de 
curieux  discours  inédits  del'archevêque  Isidore,  mss.  gr.  Paris.  1 192). 
Manuel  recouvra  Thessalonique  en  1402;  elle  fut  vendue  aux  Véni- 
tiens en  1423  et  reprise  une  troisième  fois  par  les  Turcs  en  1430. 

On  voit  par  cette  brève  analyse  quel  intérêt  de  premier  ordre  pré- 
sente le  travail  de  M.  Tafrah  aussi  bien  pour  l'histoire  des  institu- 
tions byzantines  que  pour  celle  des  monuments  religieux,  intellec- 
tuels, sociaux,  si  mal  connus  jusqu'ici,  qui  ont  agité  les  pays 
balkaniques  au  xiv*  siècle. 

M.  D.  MuRATORE  a  raconté  avec  beaucoup  de  charme  l'expédition 
romantique  du  comte  Vert  (Amédée  VI  de  Savoie)  en  Orient,  la 
prise  de  Gallipoli  par  les  Croisés  (1366),  son  expédition  contre  les 
places  bulgares  de  la  mer  Noire  afin  de  délivrer  l'empereur  Jean  V, 
empêché  par  Schischman  de  retourner  dans  ses  états,  enfin  la  con- 


HISTOIRE    BYZAiNTINE.  77 

clusion  négative  de  Tentreprise  et  le  retour  en  Europe'.  La  relation, 
établie  par  l'auteur  dans  un  précédent  travail-,  entre  la  croisade  et 
la  création  de  l'ordre  de  l'Annonciade,  n'est  pas  du  tout  certaine  ; 
d'après  certaines  chroniques,  ce  fut  en  1362  et  à  l'occasion  de  la 
guerre  contre  le  marquis  de  Saluées  qu'eut  lieu  cette  création  (voy. 
Revue  de  l'Orient  latin,  t.  XII,  p.  468).  D'autre  part,  les  prépa- 
ratifs laborieux  de  la  croisade,  tels  qu'ils  ont  été  décrits  dans  les 
ouvrages  de  Delaville-Le  Roulx  et  Jorga,  enlèvent  à  l'expédition  son 
caractère  épique.  Le  départ  fut  pénible  ;  il  n'est  même  pas  certain 
que  ce  soit  à  Avignon  que  le  comte  Vert  ait  pris  la  croix  ;  au  der- 
nier moment,  l'entreprise  faillit  échouer  et,  après  avoir  été  annoncée 
à  grand  fracas,  elle  n'aboutit  en  somme  qu'à  la  prise  d'une  bicoque 
mal  défendue  et  à  une  démonstration  dans  la  mer  Noire.  Rien  ne 
montre  mieux  que  cette  expédition  le  défaut  d'organisation  qui 
devait  rendre  stériles  toutes  les  tentatives  faites  par  les  Occidentaux 
pour  défendre  l'empire  byzantin. 

M.  Vasiljev  a  réussi  à  établir  d'une  manière  plus  précise  qu'on 
ne  l'avait  fait  jusqu'ici  les  diverses  circonstances  qui  ont  accompa- 
gné le  voyage  de  Manuel  II  en  Occident,  entrepris  pour  provoquer  l'en- 
voi de  secours  contre  les  Turcs  ^.  Depuis  la  publication  déjà  ancienne 
de  Berger  de  Xivrey  sur  Manuel  [Mém.  Acad.  inscript.,  1853), 
bien  des  sources  nouvelles  ont  vu  le  jour  et  plusieurs  monographies 
que  l'auteur  passe  en  revue  ont  apporté  des  éclaircissements,  quoique 
bien  des  points  demeurent  encore  obscurs.  L'intérêt  de  cette  étude, 
d'une  lecture  très  attachante,  est  d'avoir  fixé  aussi  exactement  que 
possible  la  chronologie  du  voyage  impérial  et  montré  à  l'aide  des 
sources  le  côté  pittoresque  de  cette  réception  d'un  empereur  byzan- 
tin à  la  cour  des  princes  italiens,  dans  le  Paris  du  temps  de  Charles  VI, 
à  Londres  auprès  du  fondateur  de  la  dynastie  des  Lancastre.  On 
voit,  par  tous  les  renseignements  ainsi  rassemblés,  le  prestige  que 
gardait  Constantinople  aux  yeux  des  Occidentaux,  mais  il  y  avait 
chez  eux  plus  de  courtoisie  que  d'enthousiasme  et  les  résultats  poli- 
tiques du  voyage  furent  presque  nuls.  Manuel  quitta  Constanti- 
nople le  10  décembre  1399;  la  date  est  donnée  par  des  notices  de 


1.  D.  Muratore,  Un  principe  Sabaudo  alla  presa  di  Gallipoli  Turca.  Rome, 
1912,  in-8%  p.  919-958  (extrait  de  la  Rivista  d'Italia). 

2.  La  Fondazione  delV  Ordine  del  Collare  délia  SS.  Annunziala.  Turin, 
1909. 

3.  A.  Vasiljev,  Pulechestbie  vizanljiskago  imperalora  Manuila  II  Paleologa 
po  zapadnoi  Evropje  [le  Voyage  de  l'empereur  byzantin  Manuel  11  PaléO' 
logue  en  Occident  (1399-1^82).  Saint-Pétersbourg,  imprimerie  du  Sénat,  1912, 
84  p.  in-8°  (extrait  du  Journal  du  ministère  de  l'Instruction  publique,  1912). 


78  BULLETIN    HISTORIQUE. 

trois  manuscrits  grecs  de  Paris,  dont  l'un  (Cod.  gr.  2622)  est  entiè- 
rement inédit.  Après  un  arrêt  à  Monemvasia  dans  les  états  de  son 
frère  Théodore,  despote  de  Morée  (février  1400),  Manuel  arriva  à 
Venise  au  mois  d'avril.  M.  Vasiljev  a  mis  à  profit  les  extraits  des 
archives  vénitiennes  rassemblés  par  M.  Jorga  [Notes  et  extraits 
pour  servir  à  l'histoire  des  Croisades  au  XV^  siècle.  Paris, 
1899).  Après  une  réception  brillante  à  Padoue  et  à  Milan,  l'empe- 
reur passe  en  France,  on  ignore  par  quelle  voie.  Le  3  juin  1400,  il 
est  reçu  à  Paris  par  le  roi  Charles  VI  et  les  princes  ses  oncles,  et  il 
est  l'hôte  de  la  cour  de  France  jusqu'en  octobre  ;  le  fait  que  Charles  VI 
était  devenu  seigneur  de  Gênes  en  1399  explique  l'intérêt  que  Manuel 
avait  à  gagner  son  alliance.  Aussi  la  France  paraît  avoir  été  le  prin- 
cipal centre  de  ses  opérations  diplomatiques.  Il  ne  séjourne  en 
Angleterre  que  de  décembre  1400  à  février  1401  ;  revenu  en  France, 
il  y  reste  près  de  deux  ans  (février  1401 -novembre  1402)  et  négocie 
de  Paris  avec  le  pape  d'Avignon,  Benoît  XIII,  et  avec  les  états  ita- 
liens. A  Gênes,  où  il  se  trouve  en  janvier  1403,  il  est  encore  dans 
les  états  du  roi  de  France  ;  enfin  il  s'embarque  à  Venise  (avril)  et 
revient  à  Constantinople  le  15  juin  1403.  La  question  la  plus  obs- 
cure, que  l'état  actuel  des  sources  ne  permet  pas  de  trancher,  est 
celle  des  rapports  de  Manuel  avec  les  deux  papes,  Boniface  IX  et 
Benoît  XIII.  A  son  premier  passage  en  Italie,  il  est  en  bons  termes 
avec  Boniface  IX,  qui  envoie  une  encyclique  à  tous  les  fidèles  pour 
prêcher  la  croisade  contre  les  Turcs  (27  mai  1400).  Après  son 
deuxième  séjour  à  Paris,  au  témoignage  des  Mémoires  de  Bouci- 
caut,  il  se  rendit  auprès  «  du  pape  »  ;  ce  serait  Boniface  IX,  d'après 
Berger  de  Xivrey,  mais  M.  Vasiljev  émet  un  doute  à  ce  sujet  et 
hésite  entre  une  entrevue  avec  Boniface  IX  à  Florence  ou  avec 
Benoît  XIII  à  Avignon;  l'ambassade  envoyée  précédemment  à  ce 
dernier  pape  par  Manuel  et  l'anecdote  rapportée  par  Martin  Cru- 
sius,  d'après  laquelle  l'empereur  se  serait  brouillé  avec  Boniface  IX 
à  propos  d'une  question  de  cérémonial,  rendent  cette  seconde  hypo- 
thèse plus  vraisemblable. 

IV.  Histoire  des  provinces  et  des  peuples  voisins  de  l'em- 
pire. —  M.  Jean  Maspero,  dont  les  belles  publications  papyrolo- 
giques  ont  rendu  tant  de  services  à  l'histoire  des  institutions  de 
l'Egypte  byzantine,  a  cherché,  en  contrôlant  par  ces  sources  nou- 
velles les  récits  annalistiques,  à  tracer  un  tableau  de  l'organisation 
militaire  de  l'Egypte  aux  vi^  et  vii^  siècles,  à  la  veille  de  la  con- 
quête arabe  ^  Comme  il  le  montre  avec  raison  dans  son  introduction, 

1.  Jean  Maspero,  Organisation  militaire  de  l'Egypte  byzantine.  Paris,  Cham- 
pion, 1912,  in-S",  p.  Ibl  {Bibliothèque  de  l'École  des  Hautes-Études,  fasc.  201). 


HISTOIRE   BYZANTINE.  79 

malgré  les  renseignements  nouveaux  apportés  par  les  papyrus,  les 
lacunes  de  notre  information  sont  encore  considérables,  et  plusieurs 
problèmes  restent  jusqu'à  nouvel  ordre  à  peu  près  insolubles.  Il  a 
pu  du  moins,  en  interprétant  les  données  éparses  dans  ces  docu- 
ments d'archives,  décrire  avec  une  précision  plus  grande  qu'on  ne 
l'avait  fait  jusqu'ici  l'organisation  d'une  armée  provinciale.  Ses  con- 
clusions ont  un  grand  intérêt  pour  l'histoire  des  institutions  byzan- 
tines, mais  surtout  elles  permettent  de  mieux  comprendre  un  des 
événements  les  plus  considérables  de  l'histoire  du  moyen  âge,  la 
conquête  de  l'Egypte  par  les  Arabes,  dont  la  rapidité  foudroyante 
avait  paru  jusqu'ici  difficile  à  expliquer. 

L'armée  d'Egypte  «  n'était  pas  faite  pour  la  guerre  »,  telle  est  la 
situation  paradoxale  que  révèle  l'étude  de  sa  constitution.  L'Egypte, 
à  cause  du  service  de  l'annone,  avait  une  telle  importance  pour  les 
empereurs  qu'ils  n'ont  jamais  consenti  à  y  établir  un  grand  com- 
mandement militaire.  Le  diocèse  d'Egypte  est  donc  scindé  en  cinq 
provinces,  dont  les  ducs  relèvent  tous  du  magister  militum  per 
Orientem.  Le  duc  d'Egypte  proprement  dite,  qui  conserve  le  vieux 
titre  d'Augustal,  avec  résidence  à  Alexandrie,  n'a  lui-même  sur  ses 
collègues  qu'une  prééminence  honorifique.  Ces  ducs  sont  d'ailleurs 
en  même  temps  des  magistrats  civils,  et  il  en  est  de  même  de  leurs 
subordonnés,  les  tribuns,  chefs  de  l'unité  tactique,  V oi.pi^\i.ô<;  {nume- 
rus),  qui  résident  dans  la  cité,  chef-lieu  de  la  pagarchie.  Le  recru- 
tement est  presque  exclusivement  régional.  Les  noms  ethniques  qui 
désignent  les  garnisons,  Maures  d'HermopoIis,  Daces  d'Arsinoé, 
Macédoniens,  etc.,  sont  des  appellations  traditionnelles  datant  du 
iv^  siècle  :  les  papyrus,  en  nous  fournissant  un  assez  grand  nombre 
de  noms  propres  de  soldats,  révèlent  leur  origine  grecque  et  même 
égyptienne.  Il  semble  même  que  les  soldats  servent  dans  leur  canton 
d'origine  ;  l'hérédité  est  une  des  principales  sources  de  recrutement. 
Des  soldats  sont  en  même  temps  propriétaires  et  vont  cultiver  leurs 
biens  ;  quelques-uns  exercent  d'autres  métiers  que  celui  des  armes 
et  sont  bateliers,  vauiat;  on  trouve  même  parmi  eux  un  boulanger. 

L'armée  égyptienne  présente  donc  au  vi''  siècle  l'aspect  d'une  sorte 
de  garde  nationale,  complètement  déshabituée  de  la  grande  guerre. 
Elle  ne  sort  jamais  d'Egypte  ;  là,  son  rôle  se  borne  à  la  police  et  à  la 
répression  du  brigandage  ;  elle  est  employée  aussi  à  faire  rentrer  les 
impôts.  Protégée  par  ses  déserts  et  par  plusieurs  hgnes  de  fortifica- 
tions (M.  J.  Maspero  établit  l'existence  d'un  limes  libyque  et  d'un 
limes  arabique),  délivrée  des  incursions  des  Blemmyes  anéantis  par 
les  Nobades  qui  se  sont  convertis  au  christianisme,  l'Egypte  n'a  pas 
subi  d'invasion  avant  l'arrivée  des  Perses  en  609.  Les  effectifs  n'y 


80  BULLETIN    HISTORIQUE. 

étaient  pas  d'ailleurs  considérables,  30,000  hommes  au  plus,  et  la 
disproportion  n'a  donc  pas  été  aussi  grande  que  le  laissent  sup- 
poser les  historiens  arabes  entre  ce  nombre  restreint  de  défenseurs 
et  les  16,000  hommes  dont  Amrou  a  pu  disposer  après  avoir  reçu 
des  renforts.  Si  l'on  ajoute  à  toutes  ces  causes  de  faiblesse  la  mésin- 
telligence entre  les  chefs,  leur  inaptitude  militaire,  leur  esprit  de 
lucre  et  de  rapine,  on  comprendra  comment  la  mauvaise  qualité  de 
son  armée  a  fait  perdre  l'Egypte  à  l'empire. 

Tels  sont  les  résultats  vraiment  nouveaux  de  cette  étude  dont  les 
conclusions  reposent  sur  une  analyse  très  délicate  des  sources.  Dans 
le  détail  même  des  institutions  militaires,  quelques  réserves  s'im- 
posent, et  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  les  textes  permettent  d'éta- 
blir d'une  manière  précise  le  statut  juridique  de  cette  armée  provin- 
ciale. M.  Jean  Maspero  distingue  dans  cette  armée  les  aipaxiioTai, 
comitatenses,  soldats  indigènes  issus  du  recrutement;  —  les  limi- 
tanei,  serfs  miUtaires  pourvus  par  l'état  d'un  domaine  à  charge  de 
défendre  le  limes;  —  les  çoiBepaxoi,  recrutés  chez  les  barbares, 
mais  commandés  par  des  officiers  romains;  —  les  au [jL[xaxot, 
peuples  vassaux  dont  les  contingents  sont  conduits  par  leurs  chefs 
nationaux;  —  et  enfin  les  bucellarii,  soldats  au  service  de  parti- 
culiers. Ce  sont  bien  là  les  divers  corps  de  troupes  de  l'empire,  mais 
leur  coexistence  en  Egypte  n'est  pas  aussi  nette  que  cherche  à  l'éta- 
blir M.  J.  Maspero.  Après  avoir  reconnu  que  leur  nom  ne  se  trouve 
dans  aucun  document  (cependant  des  xatripyjaiavoC  sont  mentionnés 
dans  le  limes  libyque),  M.  J.  Maspero  voit  cependant  des  limitanei 
dans  ces  hommes  des  àpi6iJLoi  de  Syène  et  d'Eléphantine  qui,  tout  en 
faisant  leur  service,  exercent  le  métier  de  bateliers.  Mais  des  faits 
analogues  sont  signalés  dans  le  reste  de  l'Egypte,  et  l'on  peut  se 
demander,  avec  M.  Gelzer  [\oy .  Byzantinische  Zeitschrift,  t.  XXII, 
p.  514),  si  les  liinitanei  ne  formaient  pas  la  totalité  des  garnisons 
égyptiennes,  alors  que  lessipaTiûiat,  comitatenses,  représentent 
exclusivement  les  armées  impériales  destinées  aux  expéditions. 
L'existence  des  çoiSepaToi  elle-même  ne  repose  que  sur  un  texte 
altéré  de  Jean  de  Nikiou  (p.  62).  Celle  des  aô\i.\Kay^ot.  et  des  bucellaires 
est  au  contraire  formellement  attestée.  L'Egypte,  province-frontière, 
est  donc  un  vaste  limes,  et,  comme  le  montre  l'auteur  lui-même 
(p.  17),  c'est  bien  là  le  sens  de  cette  expression  à  l'époque  de  Justi- 
nien.  Ainsi  s'expliquerait  naturellement  le  caractère  de  milices  bour- 
geoises qu'avaient  pris  les  corps  d'occupation  d'Egypte.  —  Enfin  on 
lira  avec  grand  intérêt  les  détails  curieux  qui  ont  été  rassemblés  sur 
la  défense  des  villes  de  l'intérieur,  sur  les  fortifications  d'Alexandrie 
et  surtout  sur  le  castron  de  Babylone,  à  la  pointe  du  delta,  dont  i'im- 


HISTOIRE    BYZANTINE. 


81 


portance  stratégique  est  bien  mise  en  lumière  ;  les  conditions  dans 
lesquelles  Amrou  a  entrepris  son  raid  audacieux  sont  déterminées 
avec  plus  de  précision  que  dans  l'ouvrage  de  Butler,  et  c'est  pour 
cette  raison  que  le  livre  de  M.  J.  Maspero,  utile  aux  spécialistes  des 
institutions  byzantines,  apporte  aussi  une  contribution  nouvelle  et 
importante  à  l'histoire  générale. 

Poursuivant  ses  études  sur  les  papyrus  de  la  période  byzantine, 
M.  Jean  Maspero  a  publié  avec  des  commentaires  historiques 
quelques  papyrus  de  la  collection  Beaugé,  aujourd'hui  au  musée  du 
Caire'.  La  requête  d'Apollos,  colon  du  comte  Phoibammon,  lui  a 
permis  d'apporter  des  éclaircissements  nouveaux  à  la  chronologie 
des  ducs  de  Thébaïde.  Ce  texte  jette  un  jour  curieux  sur  la  condi- 
tion d'un  riche  cultivateur,  sur  ses  démêlés  avec  ses  patrons  et  avec  le 
fisc  et  surtout  sur  les  étranges  pratiques  de  l'administration  byzan- 
tine :  Apollos  s'engage,  s'il  gagne  son  procès,  à  verser  le  tiers  de  la 
somme  aux  employés  du  duc  de  Thébaïde.  —  Le  contrat  entre  Aure- 
lios  Senouthes  et  son  beau-fils  montre  que  la  résidence  du  duc  de 
Thébaïde  était  bien  à  Antinoé  et  non  à  Ptolémaïs  (comme  on  l'a 
conclu  d'après  Hiérocles).  —  La  lettre  d'Apollonios  à  sa  mère 
(m''  siècle)  fournit  des  renseignements  malheureusement  obscurs 
sur  le  commerce  des  étoffes  à  Alexandrie.  —  Enfin  le  morceau  le  plus 
important,  conservé  dans  une  sorte  de  recueil  de  pièces,  choisies  à 
cause  de  leur  valeur  littéraire,  a  fourni  à  M.  J.  Maspero  l'occasion 
d'étudier  avec  des  éléments  nouveaux  l'histoire  de  la  disparition  du 
paganisme  en  Egypte  au  v"  siècle.  Cet  Horapollon,  professeur  de 
philosophie  à  Alexandrie,  qui  intente  à  sa  femme  un  procès  d'adul- 
tère, peut  être  identifié  avec  un  Horapollon  cité  par  Suidas  et  par 
Zacharie  le  Scolastique  dans  sa  Vie  du  patriarche  Sévère.  Il  se  rat- 
tache dès  lors  à  une  de  ces  familles  de  «  philosophes  »  dont  les  membres, 
formant  un  cercle  très  étroit,  se  mariaient  entre  eux  et  luttaient  encore, 
en  dépit  des  édits  impériaux,  pour  la  défense  du  vieux  paganisme 
national.  M.  J.  Maspero  a  réuni  des  textes  fort  curieux  qui  montrent 
toute  la  force  que  les  rites  d'époque  pharaonique  avaient  gardée 
encore  au  v*"  et  même  au  vi*  siècle  de  notre  ère.  Il  en  conclut 
qu'Amélineau  et  Leipoldt.ont  vu  à  tort  dans  le  christianisme  égyp- 
tien une  réaction  de  l'esprit  national  contre  l'hellénisme  païen.  Si 
ingénieuse  que  soit  son  argumentation,  elle  ne  parait  pas  pleinement 
satisfaisante  ;  bien  que  ces  philosophes  païens  parlent  sans  cesse  de 
leurs  traditions  nationales,  on  ne  voit  pas  qu'il  y  ait  entre  eux  et  le 

1.  Jean  Maspero,  les  Papyrus  Beaugé.  Horapollon  et  la  fin  du  paganisme 
égyptien.  Le  Caire  (extraits  du  Bulletin  de  l'Institut  français  d'archéologie 
orientale,  t.  X,  p.  1-29,  et  t.  XI,  p.  1G3-195). 

Rev.  Histor.  CXVII.  !«'■  fasc.  G 


82  BULLETIN   HISTORIQUE. 

gouvernement  de  Constantinople  une  opposition  irréductible  :  plu- 
sieurs acceptent  des  postes  officiels,  voire  même  celui  de  préfet 
d'Egypte;  il  y  avait  du  reste  des  païens  ailleurs  qu'en  Egypte.  En 
revanche,  des  moines  comme  Schenouti  paraissent  bien  représenter 
le  nationalisme  copte  et  s'opposer  nettement  au  christianisme  hellé- 
nisé, qui  était  la  religion  officielle  de  l'empire. 

Un  papyrus  d'époque  arabe  montre  le  maintien  en  Egypte,  après 
la  conquête  musulmane,  des  fonctions  et  des  titres  de  l'âge  byzan- 
tin'. M.  J.  Maspero  identifie  le  gustâl  à  l'augustal,  officier  inférieur 
des  bureaux  de  province,  et  Yal-gâistar^  cité  par  un  chroniqueur, 
au  logistarios,  chef  d'un  bureau  de  finances. 

Depuis  la  perte  des  provinces  d'Orient  et  de  l'Italie,  Salonique  fut, 
à  partir  du  ix*  siècle,  comme  la  seconde  capitale  de  l'empire  byzan- 
tin. Bien  que  son  enceinte  ait  été  violée  à  plusieurs  reprises,  en  904 
par  les  Sarrasins,  en  1185  par  les  Normands,  en  1204  par  les  che- 
valiers français  et  lombards,  elle  est  redevenue  byzantine  en  1246  et 
a  été,  pour  le  maintien  de  l'hellénisme  en  Macédoine,  un  centre  de 
premier  ordre.  L'étude  de  sa  topographie  offre  donc  un  grand  inté- 
rêt et  M.  Tafrali  a  rendu  service  à  la  science  en  entreprenant 
l'exploration  méthodique  de  ses  murailles  et  de  ses  monuments^. 
Malgré  les  recherches  dont  Salonique  avait  été  déjà  l'objet,  il  a 
renouvelé  entièrement  son  sujet  et  il  a  pu  étudier  dans  leur  ensemble 
des  fortifications  qui  sont  aujourd'hui  démohes.  Il  suffira  d'énumé- 
rer  les  résultats  les  plus  importants  de  son  étude  pour  en  montrer 
toute  la  nouveauté.  Le  port  de  guerre  créé  par  Constantin  en  329 
est  aujourd'hui  comblé  par  les  alluvions  du  Vardar,  mais  il  est  pos- 
sible d'en  déterminer  l'emplacement,  à  l'ouest  de  l'église  Saint- 
Ménas,  dans  le  quartier  de  Tophané.  Les  inscriptions  qui  permettent 
de  faire  l'histoire  des  diverses  parties  de  l'enceinte  byzantine  ont  été 
toutes  relevées.  La  plus  importante,  lue  par  M.  Papageorgiu,  attri- 
bue la  construction  des  murs  à  un  certain  Hormisdas,  dans  lequel 
on  a  voulu  reconnaître  à  tort  le  pape  Hormisdas  (514-523)  ;  M.  Tafrali 
montre  l'invraisemblance  de  cette  conjecture  et  voit  dans  le  person- 
nage mentionné  le  fils  d'un  prince  persan  immigré  dans  l'empire, 
qui  commanda  les  armées  impériales  sous  Théodose  et  apparaît  jus- 
tement dans  les  chroniques  en  380,  au  moment  du  séjour  de  cet 
empereur  à  Thessalonique,  pour  y  prendre  des  mesures  défensives 

1 .  Jean  Maspero,  Graeco-Ai-abica  (extrait  du  Bulletin  de  l'Inslitut  français 
d'archéologie  orientale,  t.  XI,  p.  155-161). 

2.  0.  Tafrali,  Topographie  de  Thessalonique.  Paris,  Geuthner,  1913,  xii- 
220  p.  in-8°,  14  fig.,  .32  planches  et  2  plans.  Sur  l'Histoire  de  Thessalotiique 
au  XIV  siècle,  cf.  supra,  p.  74. 


HISTOIRE   BYZANTINE.  83 

contre  les  barbares  du  Danube.  M.  Tafrali  suit  d'après  les  inscrip- 
tions l'histoire  des  remaniements  apportés  à  l'enceinte  et  montre  les 
caractères  techniques  de  la  construction  des  diverses  parties.  L'étude 
des  monuments  profanes  est  un  peu  plus  vague,  et  c'est  tout  au  plus 
si  l'on  peut  déterminer  l'emplacement  de  l'hippodrome,  de  l'agora, 
du  palais  impérial,  sur  lesquels  on  n'a  à  peu  près  aucune  donnée.  Il 
n'en  est  pas  de  même  des  églises  qui  ont  survécu,  transformées,  à 
l'exception  de  Saint-Ménas,  en  mosquées.  M.  Tafrali  n'a  pas  voulu 
les  considérer  au  point  de  vue  artistique  ;  il  apporte  cependant  à  leur 
étude  une  contribution  des  plus  précieuses.  On  sait  à  quelles  dis- 
cussions ont  donné  lieu  les  quatre  plus  importantes,  Saint-Georges, 
l'Eski-Djouma,  Sainte-Sophie  et  Saint-Démétrius.  Un  examen  de 
la  technique  de  ces  monuments  a  conduit  M.  Tafrali  à  cette  con- 
clusion qu'ils  sont  contemporains  de  l'enceinte  de  Théodose  et 
furent  élevés  dans  les  dernières  années  du  iv''  et  les  premières  du 
v''  siècle.  Les  briques  dont  elles  sont  construites  ont  les  mêmes 
dimensions  que  celles  de  l'enceinte,  sont  fabriquées  avec  les  mêmes 
matériaux  et  surtout  portent  les  mêmes  estampilles  ;  les  parois  inté- 
rieures d'Eski-Djouma  sont  analogues  aux  parements  des  murs.  La 
rotonde  de  Saint-Georges  n'a  jamais  été  qu'un  monument  chrétien, 
comme  le  prouvent  les  croix  dont  ses  briques  sont  estampées.  L'Eski- 
Djouma  est  enlevée  à  la  prétendue  Sainte-Paraskevi,  qui  n'a  jamais 
existé  que  dans  l'imagination  des  guides  et  restituée  à  la  Panagia 
Acheiropoietos  ;  sa  position  actuelle  correspond  exactement  à  celle  de 
cette  église,  qui  était  une  des  plus  célèbres  de  Thessalonique.  Les 
conclusions  sont  peut-être  plus  timides  pour  les  Saints-Apôtres,  men- 
tionnés dans  un  acte  de  1027  et  désignés  pourtant  par  une  inscrip- 
tion comme  l'œuvre  du  patriarche  Niphon  (1312-1315),  qui  prend  le 
titre  de  XT-Zjxwp;  il  semble  bien  cependant  que,  dans  son  ensemble, 
cette  église  soit  du  xiv'^  siècle,  comme  le  montrent  le  caractère 
élancé  de  ses  coupoles  et  son  ornementation  extérieure  de  briques, 
comparable  à  celle  des  églises  de  Mistra.  —  On  voit  toute  l'impor- 
tance des  renseignements  nouveaux  que  M.  Tafrali  a  pu  tirer  d'une 
exploration  bien  conduite.  Le  texte  est  suivi  d'une  belle  illustration 
photographique. 

Le  livre  de  M.  Risal  est  au  contraire  une  tentative  pour  présen- 
ter dans  un  tableau  d'ensemble  l'histoire  des  vicissitudes  que  Salo- 
nique  a  traversées  depuis  ses  origines  jusqu'aux  derniers  événe- 
nements  qui  l'ont  rendue  à  l'hellénisme'.  Une  série  de  chapitres  de 
style  très  coloré  rappelle  les  événements  essentiels  et  montre  la  suc- 

1.  P.  Risal,  la  Ville  convoitée.  Salonique.  Paris,  Perrin,  1914,  xvi-368  p. 
in-12. 


S4  BtLLETIN   ÈISTOftlQtË. 

cession  des  envahisseurs  qui  se  sont  disputé  «  la  ville  convoitée  ». 
La  période  byzantine  tient,  comme  il  est  naturel,  une  large  place 
dans  ce  récit;  aucun  fait  important  n'a  été  oublié;  on  voudrait,  en 
revanche,  plus  de  précision  dans  la  description  topographique  et  des 
détails  plus  abondants  sur  le  rôle  historique  du  culte  de  saint 
Démétrius.  Aucune  note  bibliographique,  aucune  référence  n'ac- 
compagne cet  ouvrage,  mais  il  est  facile  de  voir  qu'il  a  profité  des 
études  de  M.  Tafrali,  notamment  dans  les  chapitres  xi-xv  (adminis- 
tration de  la  ville,  souffrances  des  pauvres,  révolution  des  Zélotes, 
querelle  des  Hésychastes].  Malgré  une  exposition  très  claire  et  par- 
fois pittoresque,  le  travail  de  critique  n'est  pas  toujours  suffisant  : 
des  faits  dont  l'établissement  est  au  moins  douteux  sont  affirmés  sans 
restriction  et  quelques  erreurs  indiquent  une  certaine  inexpérience 
de  l'érudition  byzantine  :  p.  49.  M.  Risal  parle  encore  de  l'origine 
slave  de  Justinien.  —  P.  54.  Il  est  inexact  que  Léon  l'Isaurien  ait 
détaché  Thessalonique  de  Vohédience  papale  :  il  l'a  seulement  sous- 
traite, ainsi  que  l'Illyricum,  à  la  juridiction  du  patriarcat  romain.  — 
P.  60.  Ce  n'est  qu'indirectement  que  saint  Cyrille  et  saint  Méthode 
ont  exercé  une  action  sur  la  Pologne  :  ils  n'y  sont  pas  allés  eux- 
mêmes.  —  P.  76.  M.  Risal  semble  croire  que  l'organisation  indus- 
trielle décrite  dans  le  Livre  du  préfet  s'étendait  à  tout  l'empire; 
or,  il  s'agit  dans  cet  ouvrage  des  corporations  de  Constantinople. 
et  il  ne  peut  nous  fournir  aucun  renseignement  sur  Thessalonique. 
—  P.  87.  Les  Latins  ne  sont  pas  précisément  venus  à  Constanti- 
nople avec  les  croisades  :  les  chrétientés  de  Latins  et  en  particulier 
d'Amalfitains  étaient  déjà  importantes  au  moment  du  schisme  de 
1054.  —  P.  102.  Au  lieu  de  Jean  Batacès,  hre  Vatatzès,  et,  p.  121, 
monastère  Chortaïte  au  lieu  de  Corthaïte.  —  P.  103.  Les  brode- 
quins impériaux  «  à  talons  de  pourpre  »  doivent  être  corrigés  en 
brodequins  de  pourpre.  —  P.  148-150.  La  doctrine  hésychaste  est 
considérée  à  un  point  de  vue  un  peu  étroit  :  Ihésychasme,  qui  offre 
beaucoup  d'analogie  avec  le  quiétisme  du  xvii"^  siècle,  était  autre 
chose  qu'un  simple  exercice  de  fakir  et,  d'autre  part,  c'est  par  un 
véritable  anachronisme  que  le  mot  «  anticléricalisme  »  est  employé 
pour  caractériser  les  adversaires  de  cette  doctrine.  —  P.  159.  La 
date  de  1383  est  adoptée  arbitrairement  comme  celle  de  la  prise  de 
Thessalonique  parles  Turcs  (voy.  la  discussion  de  M.  Tafrali  résu- 
mée ci-dessus,  p.  76).  Les  derniers  chapitres  forment  un  résumé 
clair  et  intéressant  des  événements  récents  de  l'histoire  de  Salonique 
et  un  tableau  des  éléments  ethniques  qui  se  la  partagent. 

M.  JoRGA  a  rassemblé  plusieurs  faits  qui  dénotent  une  influence 
byzantine,  politique  et  religieuse  dans  les  pays  roumains  dès  le 


HISTOIRE   BTZANTL\E.  85 

XIV*  siècle'.  Après  la  conquête  turque,  cette  influence  a  survécu 
par  Fintermédiaire  des  patriarches  de  Constantinople  et  de  la  puis- 
sante famille  des  Cantacuzène  établie  en  Valachie  au  xvi"  siècle. 
Les  princes  roumains  comblaient  de  leurs  dons  les  églises  de  Cons- 
tantinople et  les  monastères  de  1"  Athos  :  sacrés  à  Constantinople  par 
les  patriarches,  suivant  les  rites  employés  pour  les  empereurs,  ils 
pouvaient  apparaître  aux  Grecs  comme  le  dernier  espoir  de  leurs 
revendications  nationales. 

V.  Histoire  des  institutions  et  du  droit.  —  Si  étonnant  que 
cela  puisse  paraître,  les  recueils  législatifs  auxquels  Justinien  a 
attaché  son  nom  n'avaient  guère  été  étudiés  jusqu'ici  au  point  de 
vue  de  l'histoire  byzantine.  Les  textes  du  Digeste  et  du  Code 
n'avaient  d'intérêt  aux  yeux  des  historiens  du  droit  qu'en  tant  qu'ils 
permettaient  de  reconstituer  l'œuvre  des  jurisconsultes  classiques. 
Toutes  les  additions,  tous  les  changements  apportés  par  Justinien 
et  ses  collaborateurs  au  droit  romain  du  iii^  siècle  passaient  pour 
de  fâcheuses  «  interpolations  « ,  et  on  n'avait  pas  assez  de  mots  pour 
flétrir  le  vandalisme  de  Tribonien  et  de  «  ses  complices  ».  La 
méthode  suivie  par  M.  P.  Collinet  dans  ses  Études  sur  le  droit  de 
Justinien 2  est  toute  différente  :  ces  interpolations,  négligées  ou  mal 
interprétées  jusquici,  ont  pour  lui  une  grande  valeur,  parce  qu'elles 
représentent  ce  qu'il  y  a  de  vraiment  vivant  dans  le  droit  du  vi''  siècle, 
et  c'est  à  rechercher  comment  ces  innovations  montrent  l'adaptation 
des  règles  classiques  aux  sujets  helléniques  et  orientaux  de  Justi- 
nien qu'il  a  consacré  cette  première  série  d'études. 

L'analyse  très  délicate  qu'il  a  faite  des  innovations  les  plus  impor- 
tantes du  droit  de  Justinien  a  conduit  M.  Qollinet  à  reconnaître 
l'influence  prépondérante  que  le  droit  hellénique  et  oriental  a  exer- 
cée sur  la  pensée  de  la  commission  impériale.  Les  circonstances 
dans  lesquelles  l'œuvre  législative  fut  élaborée  sont  d'ailleurs  signi- 
ficatives; en  534,  Justinien  ne  possède  pas  encore  de  territoires  en 
Occident,  ses  recueils  s'adressent  donc  surtout  à  des  Grecs  et  à  des 
Orientaux;  les  commissaires  sont  des  fonctionnaires,  des  profes- 
seurs de  Constantinople  et  de  Beyrouth  ou  des  avocats  près  ia  pré- 
fecture d'Orient  de  Constantinople;  il  n'est  donc  pas  étonnant  qu'ils 
aient  conçu  leur  travail,  non  comme  une  transcription  servile  des 

1.  N.  Jorga,  la  Survivance  byzanliyie  dans  les  pays  roumains.  Bucarest, 
ministère  de  l'Instruction  publique,  1913,  p.  23-49  (communication  au  Congrès 
international  d'études  historiques  de  Londres). 

2.  Paul  Collinet,  Études  historiques  sur  le  droit  de  Justinien.  T.  l  :  le 
Caractère  oriental  de  l'œuvre  de  Justinien  et  les  destinées  des  institutions 
'^lassiques  en  Occident.  Paris,  Larosc  et  Tenin,  1912,  xxxii-338  p.  in-8\ 


86  BULLETIN    HISTORIQUE. 

textes  anciens,  mais  comme  une  adaptation  du  droit  romain  aux 
exigences  du  milieu  oriental  :  ils  ont  ainsi  créé  le  droit  byzantin. 
Les  études  de  Mitteis  ont  déjà  montré  la  persistance  en  Orient  de 
règles  très  différentes  de  celles  du  droit  romain,  mais  il  ne  s'était 
occupé  que  du  droit  populaire  :  ce  qui  fait  la  nouveauté  du  travail 
de  M.  CoUinet,  c'est  de  découvrir  la  survivance  dans  les  innovations 
de  Justinien  d'un  droit  savant,  purement  hellénique  et  oriental. 
Comme  l'auteur  le  dit  lui-même,  la  question  «  Orient  ou  Rome?  » 
se  pose  en  même  temps  à  l'historien  du  droit  et  à  l'historien  de 
l'art.  Le  seul  reproche  qu'on  lui  fera  peut-être  plus  tard,  lorsque 
ces  études  à  peine  naissantes  seront  plus  avancées,  sera  de  n'avoir 
pas  envisagé  aussi  la  question  «  Orient  ou  Byzance?  »  et  d'avoir 
confondu  systématiquement  les  deux  termes  «  hellénique  »  et 
«  oriental  ». 

Il  est  certain  d'ailleurs  que  les  sources  dont  M.  Oollinet  disposait 
ne  permettent  guère  de  pousser  plus  loin  cette  analyse.  C'est  en  pre- 
mière ligne  la  série  des  papyrus  égyptiens,  destinée  encore  à  s'ac- 
croître; c'est  ensuite  le  Livre  syro-romain,  coutumier  à  l'usage 
de  la  cour  du  patriarche  d' Antioche,  dont  trois  manuscrits  syriaques 
découverts  au  Vatican  montrent  une  rédaction  antérieure  à  Justi- 
nien; ce  sont  enfin  les  recueils  de  droit  romain  occidental,  Bréviaire 
d'Alaric,  papyrus  de  Ravenne,  Papien,  chartes  lombardes,  dont  la 
comparaison  avec  le  droit  de  Justinien  est  si  instructive  :  on  y 
trouve  en  effet  le  maintien  d'un  certain  nombre  de  règles  du  droit 
classique  qui  ont  été  éliminées  dans  l'œuvre  de  la  commission  de 
Constantinople. 

A  l'aide  de  ces  éléments,  M.  Collinet  a  montré  que  linfluence 
étrangère  au  droit  romain  classique  s'est  exercée  sous  trois  formes  : 
emprunts  en  nombre  considérable  aux  coutumes  des  populations 
helléniques,  emprunt  au  droit  romain  particuher  à  l'Orient  et  déjà 
en  vigueur  avant  Justinien,  élimination  d'institutions  romaines  qui 
ne  s'étaient  jamais  implantées  en  Orient  ou  avaient  disparu.  Avant 
de  conclure,  comme  les  juristes  classiques,  à  la  désuétude  de  ces 
institutions,  il  faut  voir  si  elles  ont  jamais  été  admises;  leur  persis- 
tance dans  les  recueils  occidentaux  établit  nettement  le  motif  de  cette 
élimination  :  elles  répugnaient  à  l'esprit  hellénique  et  oriental.  L'in- 
fluence hellénique  se  trahit  dans  la  législation  justinienne  par  la 
simplification  des  formalités  du  vieux  droit  quiritaire  (formes  de 
l'adoption,  de  l'émancipation,  du  recei^tum  arbitri)  remplacées 
parfois  par  des  actes  écrits  ;  tandis  que  le  Bréviaire  d'Alaric  conserve 
les  formes  archaïques  de  l'émancipation,  le  Livre  syro-romain 
connaît  déjà  les  pratiques  adoptées  par  Justinien.  De  même  la  litte- 


HISTOIRE   BYZANTINE.  87 

rarum  obligatio  (Instit.  3,  21),  acceptée  clans  la  seule  matière  du 
prêt,  est  une  conciliation  entre  le  concept  grec  de  récrit  et  la  théorie 
romaine  de  la  querela.  La  fonction  pénitentielle  des  arrhes,  incon- 
nue au  droit  classique  et  au  droit  romain  d'Occident  (oîi  les  arrhes 
ne  sont  qu'un  moyen  de  preuve  du  contrat),  est  empruntée  aussi  à 
la  coutume  des  peuples  grecs.  La  même  origine  doit  être  assignée 
au  dépôt  irrégulier,  à  l'extension  du  bénéfice  de  division  aux  débi- 
teurs solidaires  [akXriKéy^uoCj ,  à  l'égalité  imposée  entre  la  dot  et  la 
donation  du  mari  propter  nuptias.  Au  droit  romain  usité  anté- 
rieurement en  Orient  et  élaboré  surtout  par  les  jurisconsultes  de 
Beyrouth  appartiennent  les  pactes  et  stipulations  constitutifs  de  ser- 
vitudes, la  résolution  de  la  propriété  à  l'aide  de  la  vindicatio  utilis 
et  surtout  les  constructions  doctrinales  telles  que  la  natura  actio- 
nis,  natura  contractus  et  les  actions  générales.  Ces  conceptions 
nouvelles  ne  sont  pas,  comme  on  l'avait  dit,  le  résultat  d'une  évolu- 
tion du  droit  romain;  elles  portent  au  contraire  l'empreinte  de  la 
philosophie  grecque  et  surtout  des  doctrines  plotiniennes,  dont  les 
professeurs  de  Beyrouth  devaient  être  imbus.  Telle  est  l'origine  de 
la  notion  de  raison  naturelle,  ^uaixbç  Xôfoç,  qui  s'oppose  à  la  raison 
civile,  TcoXitabç  Xé^oç;  l'opposition  entre  les  deux  termes,  iusnatu- 
rale  et  legum  subtilitas,  est  exprimée  dans  la  constitution  de  529 
sur  la  viiullcatio  utilis.  On  voit,  par  cet  exemple,  combien  les  con- 
clusions de  M.  CoUinet  dépassent  par  leur  portée  le  champ  de  l'his- 
toire du  droit.  Enfin,  certaines  institutions  du  droit  classique  sont 
éhminées  pour  la  raison  qu'elles  ne  s'étaient  jamais  acclimatées  en 
Orient  :  telle  est  la  mancipation  remplacée  par  la  tradition,  et  qui 
en  revanche  se  maintient  en  Occident  jusqu'au  ix^  siècle;  tels  sont  le 
receptuTïi  argentarii  et  la  dictio  dotis  remplacée  par  la  simple 
promissio  dotis.  Le  résultat  capital  de  cette  belle  étude  est  une  réha- 
bilitation vraiment  scientifique  de  l'œuvre  législative  de  Justinien, 
tour  à  tour  prônée  sans  mesure  et  rabaissée  injustement.  Les  inno- 
vations quelle  renferme  attestent  la  survivance  d'un  droit  hellé- 
nique, moins  formaliste  que  le  droit  romain  et  plus  pénétré  que  lui 
du  principe  philosophique  du  droit  naturel.  En  face  des  compi- 
lations serviles  des  jurisconsultes  occidentaux,  la  législation  justi- 
nienne  apparaît  donc  comme  la  manifestation  d'une  culture  vrai- 
ment supérieure. 

La  novelle  L  de  Léon  VI  supprime  la  nécessité  de  l'insinuation 
établie  par  le  droit  justinien  pour  toute  donation  supérieure  à 
500  aurei.  D'après  Zachariae  von  Lingenthal,  l'insinuation  avait  déjà 
disparu  à  l'époque  des  iconoclastes,  et  Léon  ne  fait  que  constater  sa 
désuétude.  Dans  une  dissertation  qui  apporte  une  contribution  des 


88  BULLETIN   HISTORIQUE. 

plus  curieuses  à  riiistoire  des  institutions  et  de  révolution  sociale  de 
l'empire  byzantin,  M.  Monnier  a  prouvé,  par  des  arguments  irréfu- 
tables, que  la  novelle  de  Léon  est  bien  une  innovation <.  En  effet, 
les  Basiliques,  inspirées  par  Basile  I"  et  rédigées  au  début  du  règne 
de  Léon  VI,  reproduisent  les  textes  de  Justinien  sur  l'insinuation: 
or,  la  préface  du  recueil  nous  avertit  qu'on  en  a  éliminé  tout  ce  qui 
était  hors  d'usage.  Le  silence  de  l'Ecloga  sur  ce  point  s'explique  par 
son  caractère  incomplet  et  de  circonstance;  celui  d'une  novelle 
d'Irène  sur  les  donations  est  dû  à  ce  qu'elle  établit  seulement  des 
règles  générales  qui  n'excluaient  pas  les  prescriptions  particulières. 
L'initiative  de  Léon  VI  s'explique  par  son  goût  de  la  logique  for- 
melle, par  son  désir  de  ménager  les  «  puissants  »  et  surtout  l'Eglise, 
défavorables  à  l'acte  public  qui,  en  sanctionnant  les  donations,  four- 
nissait au  fisc  des  éléments  précieux  d'information  pour  l'établisse- 
ment du  cadastre  et  des  impôts.  La  novelle  de  Léon  VI  est  donc  un 
témoignage  important  sur  les  progrès  de  la  puissance  féodale.  La 
date  est  fixée  par  M.  Monnier  entre  888  et  893  (elle  est  adressée  à 
Stylien  avant  son  élévation  au  rang  de  basileopator,  894,  et  elle  est 
postérieure  à  la  rédaction  des  Basiliques,  888-889).  Par  un  examen 
des  livres  de  droit  postérieur,  M.  Monnier  démontre  que  les  théori- 
ciens sont  restés  hostiles  à  la  novelle  de  Léon  et  n'ont  cessé  de 
reproduire  dans  leurs  manuels  les  lois  de  Justinien  et  des  Basiliques, 
relatives  à  l'insinuation.  D'autre  part,  les  renseignements  tirés  des 
livres  de  pratique,  comme  la  Praciica  ex  actis  Eustathii  Romani 
[xi^  siècle),  VArs  iiotaria  (xii^  siècle)  et  les  textes  des  actes  eux- 
mêmes  prouvent  qu'en  fait  la  loi  de  Léon  a  été  appliquée  et  que  les 
donateurs  se  sont  affranchis  de  la  déclaration  publique,  se  conten- 
tant de  s'adresser  aux  notaires  et  tabularii. 

M.  TcHERNOUsov  a  analysé  en  détail  la  novelle  de  Constantin 
Monomaque  (1045)  qui  réorganisait  l'école  de  droit  de  Constanti- 
nople  sous  la  direction  du  «  nomophylax  »  Jean  Xiphilin^.  Il  montre, 
ce  qui  ne  fait  plus  aucun  doute,  que  le  règne  de  Constantin  IX  n'a 
été  nullement  déshérité  au  point  de  vue  intellectuel  et  a  préparé  la 
Renaissance  qui  s'est  produite  sous  les  trois  premiers  Comnènes. 
Parmi  les  personnages  marquants  qu'il  cite  dans  l'entourage  impé- 
rial, il  oublie  un  des  plus  curieux,  le  patriarche  Michel  Keroularios. 

1.  H.  Monnier,  la  Novelle  L  de  Léon  le  Sage  et  l'insinuation  des  dona- 
tions. Paris,  A.  Rousseau,  1912,  53  p.  in-8°  (extrait  des  Mélanges  P.-F. 
Girard). 

2.  E.  Tchernousov,  Stranitsa  iz  KuUurnoi  istorji  Vizantji  XI  B.  (Pages 
de  l'histoire  de  la  culture  byzantine  au  XI'  siècle).  Kharkov,  Ziliberberg, 
1913,  16  p.  in-8». 


HISTOIRE    BYZANTINE.  89 

Il  me  permettra  d'ajouter  à  sa  bibliographie  la  petite  étude  que 
j'avais  publiée  sur  «  l'Enseignement  supérieur  à  Constantinople  dans 
la  dernière  moitié  du  xi^  siècle  »  {Revue  de  l'e7iseignement  supé- 
rieur, 1902),  où  j'avais  essayé  de  décrire  la  double  fondation  litté- 
raire et  juridique  de  Constantin  IX. 

VI.  Histoire  de  l'Église.  —  M.  Oarl  Gûterbock  a  rassemblé 
les  principaux  témoignages  sur  les  œuvres  apologétiques  composées 
dans  l'église  grecque  et  destinées  à  la  propagande  chrétienne  chez  les 
Musulmans'.  Ce  n'est  pas  à  Constantinople,  mais  en  territoire 
arabe,  avec  saint  Jean  Damascène  dans  son  traité  Ilept  aîpeaéwv,  que 
commence  cette  polémique.  M.  Gûterbock  la  suit  jusqu'au  xv^  siècle 
et  analyse  successivement  le  traité  de  saint  Jean  Damascène,  les 
dialogues  de  son  disciple  Théodore,  évèque  de  Karrhae  en  Mésopo- 
tamie, la  dispute  contre  un  Sarrasin  du  moine  Barthélémy  d'Edesse, 
qui  ne  parait  guère  antérieure  au  xi^  siècle.  A  Constantinople  même, 
c'est  avec  Basile  le  Macédonien,  au  moment  oi^i  la  propagande  chré- 
tienne reçoit  une  nouvelle  impulsion,  qu'apparaissent  les  traités  apo- 
logétiques dirigés  contre  les  Musulmans.  Les  traités  de  Nicétas 
(entre  875-886),  d'Euthymios  Zigabenos  (époque  d'Alexis  Comnène), 
de  Nicétas  Akominatos  (sous  Manuel  Comnène)  indiquent  une  con- 
naissance beaucoup  moins  complète  de  l'islam  que  celle  des  premiers 
polémistes  qui  avaient  lu  le  Coran  dans  le  texte.  Une  place  spéciale 
est  faite  à  l'œuvre  tout  à  fait  remarquable  du  frère  prêcheur  floren- 
tin Ricoldus  de  Monte  Crucis  (mort  en  1309),  qui  parcourut  la 
Terre  Sainte,  l'Arménie,  la  Mésopotamie  et  séjourna  à  Bagdad,  où 
il  eut  des  rapports  amicaux  avec  des  théologiens  musulmans  ;  les 
témoignages  qu'il  a  laissés  sur  eux  dans  le  récit  de  sa  «  Peregrina- 
tio  »  sont  fort  importants.  Il  avait  fait  le  projet  d'une  traduction 
latine  du  Coran.  Son  ouvrage  apologétique  n'est  connu  que  par  la 
traduction  grecque  de  Demetrios  Kydones  :  ainsi  que  ses  prédéces- 
seurs, il  considère  l'islam  comme  une  hérésie  du  christianisme.  On 
retrouve  l'influence  de  cet  ouvrage  dans  les  traités  postérieurs  dus 
aux  deux  empereurs  Jean  Cantacuzène  et  Manuel  Paléologue.  Celui 
de  Manuel  fournit  des  détails  intéressants  sur  son  séjour  comme 
otage  à  Ancyre  en  1390.  Sur  les  polémiques  suscitées  par  le  décret 
de  Manuel  Comnène  (p.  38),  M.  Gûterbock  eût  pu  renvoyer  à  l'ou- 
vrage de  M.  Chalandon  [les  Comnènes,  t.  II,  p.  660-663). 

M.  TcHERNOusov  a  étudié  la  figure  peu  connue  de  Jean  Apo- 
cauque,  métropolite  de  Naupacte,  au  début  du  xiii*  siècle,  sous  le 

1.  Cari  Gûterbock,  Der  Islam  im  Lichte  der  byzantinischen  PoiemiA.  Ber- 
lin, J.  Gutlenlag,  1912,  72  p.  in-8°. 


90  BULLETIN   HISTORIQUE. 

gouvernement  du  despote  d'Epire,  Théodore  Comnène,  qui,  après  la 
prise  de  Salonique  (1222),  songea  un  moment  à  reconstituer  à  son 
profit  l'empire  byzantin  ' .  Une  partie  de  la  volumineuse  correspon- 
dance de  ce  personnage  a  été  éditée  par  le  Père  S.  Pétridès  [Bulle- 
tin  de  l'Institut  d'archéologie  russe  de  Constantinople,  t.  XIV, 
1909,  p.  71-100).  Parmi  ses  correspondants,  on  trouve  le  despote 
Théodore  lui-même,  la  despoina,  des  membres  de  la  noblesse  épirote, 
l'archevêque  d'Athènes  Michel  Acominatos,  etc..  Jean  Apocauque 
apparaît  en  face  de  l'invasion  latine  comme  un  défenseur  de  l'hellé- 
nisme et  de  l'orthodoxie.  Ce  qui  donne  surtout  de  l'intérêt  à  ses 
lettres,  c'est  qu'elles  nous  révèlent  un  nouvel  exemplaire  de  ces 
évêques  humanistes  qui  n'étaient  pas  rares  encore  au  début  du 
XIII''  siècle  dans  les  rangs  du  haut  clergé  byzantin  :  les  citations 
des  auteurs  classiques,  Homère,  Euripide,  Thucydide  et  même 
Aristophane,  y  tiennent  autant  de  place  que  celles  de  la  Bible. 

VII.  Histoire  de  la  civilisation.  —  La  question  de  l'exis- 
tence d'un  art  dramatique  dans  l'empire  byzantin  a  été  reprise  d'une 
manière  très  originale  par  M.  G.  La  Piana^,  Rompant  résolument 
avec  les  rêveries  de  Sathas,  qui  avait  voulu  faire  considérer  comme 
des  pièces  de  théâtre  des  amplifications  oratoires  telles  que  le  Xpiaxcç 
TTûca^wv  ou  les  dialogues  d'Apollinaire  et  de  Méthodius,  M.  La  Piana 
établit  d'abord  que  le  théâtre  byzantin  n"a  aucun  lien  avec  le  théâtre 
classique.  Il  eut  deux  formes  également  populaires,  l'une  profane, 
les  mimes,  sortes  de  farces  ou  d'opérettes  dont  nous  ne  connaissons 
à  peu  près  rien,  l'autre  religieuse,  dont  il  n'est  pas  impossible  de 
retrouver  des  traces  assez  notables.  Il  faut  les  chercher  dans  une 
certaine  catégorie  d'homélies,  qui  présentent  un  aspect  dramatique 
analogue  à  celui  de  nos  mystères  occidentaux,  dont  la  forme  fut 
jusqu'à  la  fin  celle  d'un  sermon.  D'après  les  recherches  de  M.  La 
Piana,  ce  fut  au  v^  siècle  que  cet  élément  dramatique  s'introduisit 
dans  la  liturgie  byzantine.  Les  orateurs  prirent  l'habitude  de  para- 
phraser les  courts  dialogues  qui  se  trouvent  dans  le  récit  évangé- 
lique;  ils  puisèrent  sans  scrupule  dans  le  trésor  des  légendes  apo- 
cryphes qui  se  développent  à  cette  époque,  dans  l'évangile  de 
Nicodème  et  le  protévangile  de  Jacques;  ils  imitèrent  aussi  la 
«  sougitha  »  (cantique)  des  Syriens  qui  avait  pris,  avec  saint 
Ephrem  et  Narsés,  une  forme  dramatique.   Bientôt  ces  homé- 

1.  E.  Tchernousov,  Iz  vizantijskacjo  zakolustva  XIII  vyeka  {Un  coin  du 
monde  byzantin  au  XIII"  siècle).  Kharkov,  1914,  21  p.  in-8°. 

2.  G.  La  Piana,  le  Rappresentazioni  sacre  nella  liltcratura  bizantina  dalle 
orifjfiui  al  sec.  IX.  Grottaferrata,  tipog.  Italo-Orientale  «  S.  Nilo  »,  1912, 
xv-344  p.  in-S". 


HISTOIRE    BYZANTINE.  91 

lies  devinrent  de  purs  dialogues,  dont  chaque  partie  était  confiée  à 
un  personnage  différent.  Aujourd'liui,  il  n'est  pas  facile  de  reconsti- 
tuer ce  drame  religieux,  parce  que  les  fragments  qui  nous  sont  par- 
venus ont  été  insérés  par  des  compilateurs  d'une  époque  postérieure 
dans  des  homélies  destinées  à  servir  de  lectures  édifiantes.  Le  carac- 
tère et  la  forme  même  des  dialogues  mettent  cependant  hors  de  doute 
leur  destination  dramatique.  La  plupart  sont  écrits  en  prose  ryth- 
mée et  M.  La  Piana  a  pu  tenter  la  reconstruction  métrique  du  plus 
important,  l'Éloge  de  la  Vierge,  attribué  à  saint  Proclus.  Nous 
avons  ainsi  la  preuve  qu'une  poésie  populaire  de  forme  dramatique 
s'est  développée  dans  l'église  grecque  à  côté  de  l'hymnographie  des 
mélodes.  Les  textes  étudiés  par  M.  La  Piana  révèlent  l'existence  de 
deux  trilogies  dont  l'unité  d'inspiration  n'est  pas  sans  grandeur  :  il 
s'agit  de  la  lutte  du  démon  contre  le  Christ,  qui  se  termine  par  la 
descente  aux  Enfers  et  la  libération  des  patriarches.  Le  caractère 
populaire  de  ces  scènes  est  marqué  par  de  véritables  emprunts  de 
types  et  d'expressions  aux  mimes  profanes.  Certains  épisodes,  le 
dialogue  entre  Joseph  et  Marie,  la  conversation  entre  Satan  et 
Orcus,  ont  une  tournure  presque  comique.  Enfin,  dans  la  dernière 
partie  de  son  livre,  M.  La  Piana  retrouve  dans  ces  scènes  drama- 
tiques usitées  dans  l'égUse  grecque  l'origine  même  de  notre  théâtre 
occidental.  Les  premiers  monuments  du  drame  liturgique  d'Occi- 
dent, la  fameuse  Procession  des  prophètes,  qui  devait  devenir  un 
élément  traditionnel  du  mystère  de  la  Passion,  ont  une  origine 
grecque  incontestable.  On  voit  par  là  tout  ce  que  le  livre  renferme 
de  neuf  :  c'est  tout  un  aspect  de  la  culture  byzantine  qu'il  nous  res- 
titue. Bien  qu'il  y  ait  encore  beaucoup  d'obscurités  dans  cette  his- 
toire du  théâtre  rehgieux,  on  doit  reconnaître  du  moins  que  M.  La 
Piana  a  découvert  la  méthode  qui  permettra  peut-être  de  les  éclaircir. 
Plusieurs  poèmes  inédits  offrant  un  intérêt  historique  ont  été  édi- 
tés avec  une  introduction  critique  par  M.  N.  Banescu^  Une  pièce 
de  Makarios  Kalorites,  moine  au  Mont  Athos,  contient  un  récit 
curieux  des  persécutions  qu'il  a  endurées  de  la  part  des  Latins,  pro- 
bablement après  la  croisade  de  1204;  après  avoir  refusé  de  se  lais- 
ser convaincre  par  eux,  il  a  dû  comparaître  devant  un  de  leurs  supé- 
rieurs et  a  été  jeté  en  prison.  Deux  poèmes  contemporains  de 
Constantin  Anagnostes,  chef  des  notaires  en  Chypre,  sont,  l'un  en 
langue  savante,  l'autre  en  langue  vulgaire.  Enfin,  un  manuscrit 
d'Iviron  (Cod.  Athous.  4272,  xvi''  siècle)  renferme  un  poème  de 

1.  N.  Banescu,  Deux  poètes  byzantins  du  XIII'  siècle.  Bucarest,  F.  Grobl, 
r.)î3,  20  p.  in-8°.  —  Un  poème  grec  vulgaire  reUUif  à  Pierre  le  Boiteux  de 
Valachie.  Bucarest,  F.  Grobl,  1912,  29  i).  in-8». 


92  BULLETIN    HISTOIUQCE. 

Georges  l'Étolien  [f  1580)  qui  jette  un  jour  curieux  sur  la  dépen- 
dance dans  laquelle  les  grandes  familles  grecques  de  Constant] - 
nople,  bien  en  cour  auprès  des  sultans,  tenaient  les  princes  de 
Valachie. 

Après  MM.  Harvey,  Lethaby  et  Dalton,  M.  Weigand  a  plaidé 
pour  l'origine  constantinienne  de  l'église  actuelle  de  la  Nativité  à 
Bethléem'.  On  trouvera  dans  son  livre,  rassemblées  d'une  manière 
très  commode,  toutes  les  pièces  du  procès,  c'est-à-dire  la  réunion 
de  tous  les  témoignages  anciens  que  l'on  peut  recueillir  sur  cette 
basilique  et  l'étude  critique  de  tous  ses  détails  d'architecture.  Mais  la 
question  est  entrée  dans  une  nouvelle  phase  depuis  la  découverte 
récente  des  restes  de  l'abside  de  l'église  constantinienne  par  les  Pères 
Vincent  et  AbeP.  Cette  église  avait  le  plan  d'une  basilique  latine 
et  son  abside  fut  comme  emboîtée  sous  Justinien  dans  le  chœur 
actuel  à  plan  tréflé.  Cette  découverte  ne  contredit  d'ailleurs  en  rien 
l'origine  constantinienne  de  la  colonnade  et  des  chapiteaux  de  la  nef, 
mais  il  faut  attendre  pour  conclure  une  publication  qui  ne  saurait 
tarder.  Les  recherches  chronologiques  auxquelles  s'est  livré  M.  Wei- 
gand Font  amené  à  exposer  dans  des  chapitres  très  substantiels  l'his- 
toire des  origines  du  transept  et  des  salles  tréflées  dans  les  basiliques 
chrétiennes. 

L'exploration  archéologique  de  Constantinople  se  poursuit  avec 
beaucoup  de  lenteur.  L'Institut  archéologique  de  Russie  a  entrepris 
à  Mirachor-Djami  (ancienne  basilique  de  Stoudios)  des  fouilles  qui 
sont  malheureusement  interrompues  depuis  1909.  M.  Pantchenko 
a  découvert  au  cours  de  ces  fouilles  trois  curieux  fragments  de  bas- 
relief  en  calcaire  blanc  qui  représentent  le  Christ  enseignant  et  saint 
Pierre,  l'entrée  à  Jérusalem,  un  groupe  d'apôtres 3.  Après  une  ana- 
lyse très  détaillée  et  pleine  de  rapprochements  ingénieux  de  la 
technique  et  du  style  de  ces  monuments,  M.  Pantchenko  conclut 
qu'ils  faisaient  partie  d'un  même  ensemble,  sans  doute  d'un  tombeau 
monumental  qui  fut  ravagé  par  les  Latins  en  1204  et,  après  les  avoir 
comparés  aux  monuments  de  sculpture  copte  auxquels  ils  semblent 
apparentés,  il  les  attribue  à  la  fin  du  v^  ou  au  début  du  vi^  siècle. 
Cette  savante  dissertation  forme  une  contribution  des  plus  utiles  à 
l'histoire  des  origines  de  la  sculpture  byzantine. 

1.  E.  Weigand,  Die  Geburtskirche  von  Bethléem.  Eine  Untersuchung  zur 
christlichen  Antike.  Leipzig,  Dietrich,  1911,  xi-89  p.  in-8°. 

2.  Séances  de  l'Académie  des  inscriptions,  mai  1913. 

3.  B.-A.  Pantchenko,  Reliefs  de  la  basilique  de  Stoudios  à  Constantinople 
{Reliepkni  iz  Vasiliki  Studjia  ve  Konstantinopolje).  Sofia,  1912,  iii-359  p.  in-i° 
(extrait  du  Bulletin  de  l'Institut  archéologique  russe  à  Constantinople,  t.  XVI). 


BISTOIRE    BYZANTINE.  93 

Nous  avons  analysé  ici  même  le  livre  important  que  MM.  Eber- 
solt  et  A.  Thiers  ont  consacré  aux  églises  de  Constantinople,  ainsi 
que  l'ouvrage  d'A.  van  Millingen  relatif  au  même  sujet  (voy.  Rev. 
histor.,  t.  OXV,  p.  395-398).  Le  grand  incendie  de  1912,  qui  a 
consumé  tout  le  quartier  compris  entre  la  Petite-Sainte-Sophie,  les 
murs  du  Vieux  Sérail  et  l'At-Meïdan,  a  mis  à  jour  l'emplacement  du 
Grand  Palais,  jusque-là  invisible  sous  une  agglomération  de  mai- 
sons. MM.  Ebersolt  et  A.  Thiers  ont  pu  étudier  ainsi  un  groupe 
de  ruines  qui  représentent  les  substructions  de  l'habitation  impériale 
et  Tune  des  terrasses  construites  pour  racheter  la  pente  du  terrain 
vers  la  mer  de  Marmara  ' .  Un  des  fragments  les  plus  curieux  est  un 
pavillon  d'escalier  destiné  à  faire  communiquer  des  salles  voûtées 
en  berceaux  avec  d'autres  constructions;  il  est  couvert,  suivant 
l'usage  byzantin,  d'un  parement  de  briques  alternant  avec  des  moel- 
lons. De  son  côté,  M.  A.  Thiers  a  retrouvé,  au  nord-ouest  de  l'At-Meï- 
dan, des  traces  importantes  de  galeries  voûtées  qui  supportaient  les 
gradins  de  l'hippodrome,  et  après  des  mensurations  il  fixe  à  5'"50 
au-dessous  du  niveau  actuel  de  la  place  le  niveau  primitif  de  l'arène. 
On  voit  à  quels  résultats  féconds  des  fouilles,  entreprises  sur  cet 
emplacement,  pourraient  aboutir. 

La  Porte  d'Or  a  toujours  été  considérée  jusqu'ici  comme  l'œuvre 
de  Théodose  le  Grand.  On  a  admis  depuis  Du  Gange  [Constanti- 
nopolis  christiana,  p.  52)  que  la  victoire  sur  «  le  tyran  »  dont  il 
est  question  dans  l'inscription  fait  allusion  à  l'usurpation  de  Maxime 
(388).  M.  Weigand,  qui  a  examiné  de  nouveau  les  textes  et  renou- 
velé l'étude  archéologique  du  monument,  présente  des  conclusions 
très  différentes"'^.  Un  passage  de  Malalas  (éd.  de  Bonn,  p.  362)  nous 
apprend  que  la  Porte  d'Or  d'Antioche  avait  deux  vantaux  de  bronze, 
dorés  par  ordre  de  Théodose  II,  à  l'imitation  des  portes  qu'il  avait 
fait  dorer  à  Constantinople.  D'autre  part,  le  «  tyran  »  de  l'inscrip- 
tion est  sans  doute  l'usurpateur  Jean,  qui,  après  la  mort  d'Honorius 
en  425,  essaya  d'enlever  l'empire  d'Occident  à  Valentinien  III  et  fut 
renversé  par  les  généraux  de  Théodose  II,  Aspar  et  Ardabar.  On  ne 
s'explique  pas,  d'ailleurs,  l'érection  d'un  monument  comme  la  Porte 
d'Or  en  plein  champ,  à  une  époque  où  les  murs  de  la  ville  étaient 
de  beaucoup  en  deçà.  La  Porte  d'Or,  qui  n'a  pas  du  tout  l'aspect 
d'un  arc  de  triomphe,  avait  une  valeur  stratégique  et  se  reliait  inti- 

1.  J.  Ebersolt  et  Ad.  Thiers,  les  Ruines  et  les  substructions  du  Grand  Palais 
des  empereurs  byzantins.  Paris,  Alf.  Picard,  1913,  9  p.  in-8°  (extrait  des 
Séances  de  l'Académie  des  inscriptions). 

2.  E.  Weigand,  Neue  Untersuchungen  Uber  das  goldene  Tor  in  Konstanli- 
nopel  (extrait  des  Athenische  Mitteilungen,  1914,  6i  p.  in-S"). 


94  BULLETIN   HISTORIQUE. 

mement  à  la  Grande  Muraille,  commencée  en  413,  achevée  en  439, 
restaurée  après  le  tremblement  de  terre  de  447.  Il  paraît  donc  néces- 
saire d'admettre  désormais  que  la  Porte  d'Or,  ainsi  que  les  Propy- 
lées élevés  en  447,  est  l'œuvre  de  Théodose  II;  la  date  de  425  (usur- 
pation de  Jean)  forme  le  terminus  a  quo.  La  seconde  partie 
du  travail  est  consacrée  à  l'étude  archéologique  des  détails  de  la 
Porte  d'Or  et  de  ses  Propylées.  M.  Weigand  a  rendu  un  grand  ser- 
vice en  déterminant  à  l'aide  d'exemples  précis  l'évolution  du  chapi- 
teau à  feuilles  d'acanthe  depuis  la  fin  de  l'antiquité  jusqu'à  l'époque 
byzantine.  Dans  ses  conclusions,  il  cherche  à  apporter  un  correctif 
à  la  rigueur  intransigeante  de  la  théorie  «  Orient  ou  Rome?  »  Il  est 
entendu  que  lart  de  l'époque  impériale  est  venu  de  l'Orient  hellé- 
nique ;  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  sous  la  domination  romaine  il 
s'est  produit  un  mouvement  de  centralisation  qui  a  absorbé  les  écoles 
autonomes  et  donné  à  l'art  son  aspect  uniforme.  L'art  byzantin  ne 
serait,  d'après  M.  Weigand,  qu'un  développement  organique  et 
logique  des  tendances  de  cet  art  impérial.  L'étude  du  chapiteau  à 
feuilles  d'acanthe  lui  a  permis  d'en  donner  des  preuves  irrécusables. 
Ce  n'est  là  sans  doute  qu'un  aspect  très  restreint  du  développement 
artistique  ;  il  n'en  faut  pas  moins  reconnaître  ce  résultat  partiel  et 
souhaiter  que  cette  méthode  d'analyse  patiente  et  affranchie  de  toute 
idée  préconçue  soit  étendue  aux  autres  domaines  de  l'histoire  de  l'art 
byzantin. 

Plusieurs  monuments  inédits  de  sculpture  byzantine  du  musée  de 
Constantinople  ont  été  publiés  par  M.  Ebersolt  (Fragment  de 
sarcophage  de  Macri-Keui,  curieux  vases  liturgiques  à  reliefs, 
IV*- v*^  siècles)  ' .  J'ai  moi-même  poursuivi  mes  études  sur  ce  sujet 
au  cours  d'une  mission  qui  m'a  permis  d'étudier  la  sculpture  byzan- 
tine à  Parenzo,  à  Athènes,  dans  l'Italie  méridionale,  en  Sicile  et  à 
Mistra,  et  j'ai  essayé  de  constituer  un  classement  chronologique  des 
techniques  observées  dans  ces  divers  centres 2. 

Dans  ses  Mélanges  d'archéologie  et  d'épigraphie  byzantines, 
M.  0.  Tafrali  a  repris  l'étude  de  la  question  si  controversée  de  la 
date  de  Saint-Démétrius  de  Salonique^.  L'examen  d'un  manuscrit 
en  partie  inédit  des  Actes  de  saint  Démétrius  (Bibl.  nat.,  ms. 

1.  J.  Ebersolt,  Sculptures  chrétiennes  inédites.  Paris,  Leroux,  1913,  7  p. 
in-8°  (extrait  de  la  Revue  archéologique,  1913,  t.  I). 

2.  Louis  Bréhier,  Nouvelles  recherches  sur  l'histoire  de  la  sculpture  byzan- 
tine. Paris,  Impr.  nationale,  1913,  66  p.  in-S"  (extrait  des  Nouvelles  Archives 
des  Missions  scientifiques,  nouvelle  série,  fasc.  9). 

3.  0.  Tafrali,  Mélanges  d'archéologie  et  d'épigraphie  byzantines.  Paris, 
Geuthner,  1913,  95  p.  in-8°. 


HISTOIRE   BYZANTINE.  95 

gr.  1517)  lui  a  permis  d'établir  que  l'incendie,  qui  eut  lieu  sous 
Héraclius  dans  les  années  629  à  634,  ne  détruisit  pas  la  basi- 
lique, que  les  réparations  achevées  sous  Constant  II  furent 
entreprises  sous  un  certain  Léon,  dont  le  nom  figure  dans  la 
célèbre  inscription  en  mosaïque  et  qu'une  note  du  manuscrit  1517 
qualifie  d'  «  éparque  »  (préfet).  Il  ne  peut  donc  être  question  de 
l'empereur  Léon  l'Isaurien,  et  les  deux  médaillons  qui  accostent 
celui  de  saint  Démétrius  au-dessus  de  l'inscription  représentent,  l'un 
un  des  bienfaiteurs  dont  il  est  question  dans  les  Actes,  l'autre  l'ar- 
chevêque contemporain  de  Thessalonique.  Dans  son  ensemble, 
l'église  Saint-Démétrius  et  la  plupart  des  mosaïques  retrouvées  en 
1908  sont  donc  antérieures  à  l'incendie  du  vu*  siècle  et  datent  du 
V*  et  du  VI''  siècle.  Le  même  recueil  contient  une  explication  du 
mot  ipi^r}^o^  employé  par  les  Actes  pour  désigner  le  narthex  de 
Saint-Démétrius  (il  s'agit  de  portières  d'étoffe,  vêla,  tendues  entre 
les  colonnes),  une  étude  sur  l'histoire  de  l'architecture  religieuse  en 
Roumanie  et  la  publication  des  inscriptions  grecques  du  Sinaï  rele- 
vées par  M.  Couyat-Barthoux. 

M.  U.  MoNNERET  DE  ViLLARD  a  rccueilli  des  renseignements  sur 
quelques  églises  de  Grèce  peu  connues  et  intéressantes  par  leur  archi- 
tecture'. Le  Saint-Sauveur  de  Galaxidi,  avec  sa  nef  unique  couverte 
en  berceau  interrompu  au  quart  de  la  longueur  par  un  second  ber- 
ceau, perpendiculaire  et  surélevé,  rappelle  par  sa  disposition  cer- 
taines églises  Cretoises.  Les  autres  édifices  étudiés,  Saint-Jean  de 
Koroni  (Argolide),  les  Saints- Jason  et  Sasopiter  de  Corfou,  Gas- 
touni  (Elide),  etc.,  montrent  la  transition  entre  le  type  primitif  de 
croix  grecque,  encore  massif,  de  Skripiou  (874)  et  celui,  plus  léger, 
du  xi^  siècle,  avec  toutes  les  voûtes  portant  à  l'intérieur  sur  quatre 
piliers. 

Après  une  étude  iconographique  des  mosaïques  de  Saint-Luc  en 
Phocide,  M.  Th.  Schmitt  est  arrivé  à  cette  conclusion  que  la  date 
proposée  pour  leur  exécution  (début  du  xi"  siècle)  est  beaucoup  trop 
éloignée^.  En  les  comparant  à  des  monuments  bien  datés,  comme 
les  peintures  de  la  Nea-Moni  de  Ghio  (1054)  ou  les  mosaïques  sici- 
liennes (dernière  moitié  du  xii"  siècle),  il  démontre  que  la  disposi- 
tion des  figures  de  la  coupole,  où  les  prophètes  remplacent  les 
apôtres  autour  du  Pantocrator,  et  les  nouveautés  qu'on  remarque 
dans  les  autres  compositions  indiquent  la  fin  du  xi*  ou  le  début  du 

1.  u.  Monneret  de  Villard,  Incdita  Byzantina.  Milan,  tipog.  degli  Opérai, 
1912,  14  p.  in-8°. 

2.  Th.  Schmitt,  les  Mosaïques  du  monastère  de  Saint-Luc  {Mozaiki  monas- 
iuiria  prepodobnago  Luki).  Kharhov,  1914,  19  p.  iri-8°. 


96  BULLETIN    HISTORIQUE. 

xii^  siècle.  Les  mosaïques  de  Saint-Luc  seraient  donc  contempo- 
raines de  celles  de  Daphni. 

La  cathédrale  Sainte-Sophie  de  Kiev,  fondée  par  le  grand  prince 
laroslav  en  1037,  peut  passer  à  juste  titre  pour  le  plus  ancien 
monument  rehgieux  de  la  Russie.  Il  serait  intéressant  de  pouvoir  la 
comparer  à  des  églises  byzantines  bien  datées  et  de  vérifier  l'exacti- 
tude de  la  conjecture  de  Laskine  [Viz.  Vrem.,  t.  IV,  1897,  p.  529- 
530)  qui  voit  dans  cette  église  la  reproduction  fidèle  de  la  nouvelle 
basilique  de  Basile  P'.  Malheureusement,  cette  dernière  construction 
n'est  plus  connue  que  par  des  descriptions  trop  vagues  et  la  cathédrale 
de  Kiev  elle-même  est  loin  de  représenter  dans  son  état  actuel  l'édifice 
bâti  par  laroslav.  Pillée  et  dévastée  maintes  fois  au  cours  des  siècles 
par  les  grands  princes,  par  les  Mongols,  par  les  uniates,  qui  en  furent 
les  maîtres  de  1596  à  1633,  elle  était  à  moitié  ruinée  au  milieu  du 
XVII*  siècle  et  l'on  dut  reconstruire  toute  sa  partie  occidentale.  Bien 
que  décrite  déjà  dans  l'excellente  monographie  d'Ajnalov  et  Rjedin, 
l'église  Sainte-Sophie  attend  donc  une  investigation  archéologique 
qui  a  été  jusqu'ici  impossible.  C'est  à  montrer  l'intérêt  que  présen- 
terait une  pareille  investigation  que  s'est  attaché  M.  Th.  Schmitt 
dans  un  article  que  les  historiens  de  l'art  byzantin  consulteront 
avec  fruit,  car  il  contient  tous  les  renseignements  sur  les  données 
actuelles  du  problème  ^  A  vrai  dire,  on  ne  possède  actuellement 
aucune  donnée  chronologique  ni  sur  la  construction  (Sainte-Sophie 
est  un  conglomérat  d'éléments  hétérogènes  et  d'époques  diverses 
assemblés  autour  d'un  noyau  primitif),  ni  sur  les  mosaïques,  ni  sur 
les  fresques  découvertes  en  1843  et  malheureusement  très  restaurées. 
Les  reproductions  faites  jusqu'ici  de  ces  monuments  vénérables 
sont  insuffisantes;  M.  Schmitt  demande  qu'en  attendant  mieux  on 
profite  des  travaux  exécutés  sous  la  grande  coupole  pour  faire 
de  bonnes  photographies  qui  permettraient  une  étude  de  comparai- 
son avec  les  mosaïques  byzantines  bien  datées. 

Les  peintures  découvertes  dans  les  églises  rupestres  de  Cappa- 
doce,  dont  la  série  a  été  singulièrement  augmentée  par  la  fruc- 
tueuse campagne  du  Père  de  Jerphanion  en  1911,  feront  l'objet 
d'une  publication  dont  l'importance  sera  capitale  pour  l'histoire 
de  l'art  byzantin.  En  attendant,  le  Père  de  Jerphanion  a  présenté 
quelques-unes  de  ses  découvertes  ^  et  proposé  un  classement  que 
facilite  sa  publication  des  inscriptions  de  la  région  d'Urgub^.  Les 

1.  Th.  Schmitt,  la  Cathédrale  Sainte-Sophie  de  Kiev  {Kievshij  Sophijskij 
Sobor).  Moscou,  impr.  de  la  Société  russe,  1914,  24  p.  in-4°. 

1.  G.  de  Jerphanion,  Rapport  sur  une  mission  d'études  en  Cappadoce.  Paris, 
Leroux,  1913,  23  p.  in-8°. 

3.  G.  de  Jerphanion, /rtScnp<io»w  byzantines  de  la  région  d'Urgub  en  Cap- 


HISTOIRE   BYZANTINE.  97 

textes  épigraphiques  recueillis,  malheureusement  rendus  obscurs 
par  leur  mauvais  état,  vont  du  règne  de  Constantin  Porphyro- 
génète  (912-959)  à  1293.  Quelques-unes  de  ces  inscriptions,  en 
dehors  de  leur  intérêt  archéologique,  soulèvent  de  véritables  pro- 
blèmes historiques.  C'est  ainsi  que  deux  inscriptions  (n"'  71  et  112), 
datées  de  1212  et  1217,  indiquent  les  années  du  règne  de  Théodore 
Lascaris,  dont  l'autorité  n'était  certainement  pas  reconnue  dans  ces 
régions,  du  moins  en  fait;  peut-être  s'agit-il  d'une  manifestation  de 
loyalisme  qui  montre  en  tout  cas  le  prestige  qu'avait  encore  l'empe- 
reur qui  régnait  à  Nicée.  Sept  de  ces  inscriptions  permettent  de  dater 
les  peintures  qui  ornent  les  églises  et  d'établir  un  premier  groupe- 
ment chronologique.  M.  G.  Millet  a  indiqué  par  des  exemples  précis 
toute  la  distance  qui  sépare  cet  art  monastique  de  l'iconographie 
officielle  des  grandes  basiliques;  des  rapprochements  curieux  avec 
les  motifs  de  l'art  occidental  laissent  deviner  le  champ  nouveau  que 
ces  découvertes  offrent  aux  historiens  de  l'art ^ 

Ce  sera  sans  doute  l'étude  de  ces  monuments  qui  permettra  de 
répondre  à  la  question  posée  par  M.  Théodore  ScHMiTTau  Congrès 
d'Athènes^  et  d'expliquer  le  changement  profond  d'inspiration  et  de 
style  qui  correspond  à  ce  qu'on  appelle  la  «  renaissance  des  Paléo- 
logues  ».  M.  Schmitt  dislingue  dans  l'art  byzantin  un  courant  pro- 
fane de  tradition  hellénique  et  une  iconographie  religieuse  d'origine 
orientale;  ces  deux  tendances,  séparées  jusqu'au  xiii^  siècle,  se  sont 
mélangées  au  milieu  de  la  confusion  qui  a  suivi  la  restauration  de 
l'empire  après  la  catastrophe  de  1204.  De  là  vient  le  caractère  inco- 
hérent des  œuvres  du  xiv^  siècle,  dans  lesquelles  on  trouve  la  con- 
vention tout  orientale  de  la  perspective  inverse  employée  à  côté  de 
la  perspective  linéaire,  de  tradition  hellénique.  Il  semble  bien,  en 
effet,  que  l'art  byzantin,  depuis  ses  origines,  ait  toujours  présenté 
deux  tendances;  mais  l'une,  toute  hellénique,  inspire  aussi  bien  l'art 
profane  que  l'art  religieux  officiel  des  grandes  églises;  l'autre,  d'ori- 
gine orientale  et  monastique,  a  vécu  obscurément  jusqu'au  xiv*  siècle. 
A  cette  époque,  la  prédominance  du  monachisme  dans  l'Eglise 
comme  dans  l'État  et  le  besoin  de  mysticisme  qui  s'était  emparé  des 
âmes  ont  permis  le  triomphe  de  cet  art  monastique  et  populaire 

padoce  (extrait  des  Mélanges  de  la  Fucullé  orientale  de  Beyrouth,  t.  VI,  1913, 
p.  305-400,  in-8°). 

1.  G.  Millet,  Remarques  sur  l'iconographie  des  peintures  cappadociennes. 
Paris,  Picard,  1912,  9  p.  in-S"  (extrait  des  Séances  de  l'Académie  des  ins- 
criptions). 

2.  Th.  Schmitt,  la  Renaissance  de  la  peinture  byzatititie  au  XIV'  siècle. 
Paris,  Leroux,  1912,  16  p.  in-8°  (extrait  de  la  Revue  archéologique,  1912,  1. 11). 

Rev.  IIistor.  CXVII.  1<"  fasc.  7 


98  BULLETIN    HISTORIQUE. 

représenté  par  les  peintures  cappadociennes.  Entre  ces  peintures  et 
celles  de  Mistra  ou  les  mosaïques  de  Kahrié-Djami,  il  y  a  une  filia- 
tion évidente. 

^  M.  Omont  a  publié  les  peintures  d'un  précieux  Lectionnaire  des 
Evangiles  en  texte  syriaque  qui  est  entré  récemment  à  la  Biblio- 
thèque nationale^  ;  d'après  une  note,  elles  furent  exécutées  à  Méli- 
tène  par  le  diacre  Joseph  sous  l'épiscopat  de  Mar  Joannès  (1193- 
1220).  Ces  tableaux  d'un  grand  luxe  et  qui  ont  l'avantage  d'être 
datés  d'une  manière  précise  apportent  donc  un  élément  nouveau  à 
l'histoire  de  l'art  religieux. 

Dans  le  Catalogue  de  la  Collection  Stamoulis  (Antiquités  thraces 
provenant  de  Silivri,  ancienne  Selymbria,  et  d'Érégli,  ancienne 
Périnthe)  dressé  par  M.  G.  Seure^,  la  période  byzantine  est  repré- 
sentée par  un  certain  nombre  de  reliefs  et  d'inscriptions  intéressantes. 
Citons  l'inscription  d'une  tour  (n°  17)  aux  noms  de  Théophanes  et 
de  Théophylacte,  remarquable  par  son  caractère  décoratif,  et  la  plaque 
dédicatoire  d'une  construction  inconnue  (n°  18)  où  sont  nommés  les 
empereurs  Basile  II  et  Constantin,  «  l'archegetis  »  Basile  le  Goth  et  le 
«  taxiarque  »  Elpidios  Vrachamios,  dont  la  famille,  d'origine  armé- 
nienne, a  occupé  une  situation  importante  au  xi'^  siècle.  L'inscrip- 
tion fait  allusion  à  des  «  barbares  »  qui  ont  renversé  le  monument 
restauré  et  qui  ne  peuvent  être  que  les  Bulgares.  Signalons  aussi  un 
curieux  fragment  (n°  37)  qui  représente  les  apôtres  entre  des  pal- 
miers (cf.  les  sarcophages  de  Ravenne  du  vi*  siècle),  des  chapiteaux 
au  monogramme  de  Constantin  Ducas  (n"'  19-20)  et  plusieurs  ins- 
criptions funéraires. 

Louis  Bréhier. 

1.  Omont,  Peinhires  d'un  évangéliairc  syriaque  du  Xll"  ou  du  XIII"  siècle. 
Paris,  Leroux,  1912,  12  p.  in-4°  (extrait  des  Monuments  E.  Piot,  t.  XIX). 

2.  G.  Seure,  Collection  Stamoulis.  Antiquités  thraces  de  la  Propontide. 
Athènes,  Sakellarios,  1912,  109  p.  in-8°. 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


F. -G.   DE  Pachtère.   Paris  à  l'époque  gallo-romaine.    Paris, 
Impr.  nationale,  1912.  In-4°,  xlii-192  pages,  nombreuses  planches. 

C'était  une  bien  curieuse  figure  que  celle  de  Théodore  Vacquer, 
conservateur  adjoint  du  musée  Carnavalet.  De  1844  à  1899,  il  a  suivi 
toutes  les  fouilles  pour  les  travaux  qui  devaient  changer  la  face  de 
Paris  ;  il  a  noté  toutes  les  particularités  découvertes  dans  le  sous-sol, 
et  il  se  proposait  d'écrire  l'histoire  de  Paris  gallo-romain  ;  mais  quand, 
après  avoir  sans  cesse  différé,  il  voulut  résolument  se  mettre  à  l'ou- 
vrage, il  était  trop  tard.  Sa  main  tremblante  ne  pouvait  plus  exécuter 
les  dessins  ;  on  lui  offrit  comme  collaborateur  Hochereau  ;  il  n'en  vou- 
lut pas.  On  lui  proposa  alors  de  lui  acheter  ses  papiers;  mais,  devant 
une  telle  proposition,  il  tomba  comme  foudroyé.  «  Mes  papiers,  ils  ne 
les  auront  pas  »,  s'écria-t-il,  et  il  en  brûla  une  grande  partie.  Que  ren- 
fermaient ces  notes  si  rageusement  sacrifiées?  Il  donna  quelques  dos- 
siers à  un  ami  qui  les  conserve  précieusement.  Les  autres,  en  plus 
grand  nombre,  furent  achetés  après  sa  mort  par  la  Bibliothèque  histo- 
rique de  la  ville  de  Paris;  ils  les  ont  eus!  M.  de  Pachtère  les  a  con- 
sultés et  en  a  fait  comme  le  fondement  de  son  livre.  Il  y  a  trouvé, 
pêle-mêle,  une  infinité  de  détails  précieux;  il  a  classé  ces  renseigne- 
ments; il  les  a  contrôlés  avec  les  anciens  textes  et  les  inscriptions; 
et  il  a  écrit  un  très  bel  ouvrage  qui  lui  est  bien  personnel  et  que  jus- 
tement ont  couronné  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  et 
l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques. 

M.  de  Pachtère,  après  une  préface  assez  courte  où  il  montre  com- 
ment, peu  à  peu,  les  véritables  travaux  historiques  se  sont  substitués 
aux  légendes  et  traditions  sur  l'ancienne  ville  des  Parisii,  après 
une  excellente  bibliographie  où  il  cite  toutes  les  sources,  tous  les 
livres  et  articles  dont  il  s'est  servie  dépeint  le  site  parisien  avec  la 
précision  d'un  géologue  et  d'un  géographe  formé  à  bonne  école-;  il 

1.  M.  de  Pachtère  a  toutefois  omis  le  livre  de  S.  Dupain,  la  Bièvre,  Paris, 
1886,  et  le  livre  général  d'A.  Léger,  les  Travaux  publics,  les  mines  et  la 
métallurgie  au  temps  des  Romains,  Paris,  1875. 

1.  On  ne  peut  pas  partager  l'avis  de  M.  de  Pachtère  sur  certains  points.  Il 
écrit,  p.  17  :  «  L'île  de  Lulèce  était  bien  plus  petite  que  la  Cité  d'aujourd'hui, 
car  elle  était  escortée  d'îlots  qu'on  lui  a  rattachés.  A  l'est,  on  doit  retrancher 
de  son  territoire  le  terrain  sur  lequel  est  bâtie  la  Morgue;  au  sud,  le  quai  des 
Orfèvres  formait,  depuis  le  boulevard  du  Palais  jusqu'à  la  façade  du  Palais  de 


100  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

décrit  le  réseau  de  routes  anciennes  qui  aboutissaient  à  Lutèce.  Avec 
beaucoup  de  raison,  il  repousse  l'hypothèse  d'Ernest  Desjardins  qui 
voulut,  d'après  un  texte  mal  interprété  de  Strabon,  distinguer  deux 
cités  :  Lutèce  dans  l'île  et  Lucotèce  sur  la  montagne  Sainte-Gene- 
viève. Cette  ville  unique  de  Lutèce,  il  cherche  à  en  faire  la  descrip- 
tion, vers  le  milieu  du  11"=  siècle,  à  une  époque  où  sont  construits  ses 
grands  monuments  et  avant  les  premières  invasions  qui  datent  de 
la  fin  de  ce  siècle  ;  il  nous  conduit  successivement  sur  la  rive  droite, 
dans  l'ile  et  sur  la  rive  gauche.  Les  dernières  fouilles  permettent  de 
donner  de  cette  rive  gauche  à  l'époque  romaine  une  idée  toute  nou- 
velle ;  c'est  ici  que  se  sont  élevés  les  principaux  édifices  :  un  temple 
entre  notre  boulevard  Saint-Michel  et  notre  rue  Saint-Jacques,  dans 
l'axe  de  la  rue  Soufïlot;  un  théâtre  dont  les  fondations  ont  été  retrou- 
vées sous  le  lycée  Saint-Louis;  des  thermes  à  l'emplacement  du  Col- 
lège de  France;  les  arènes  jadis  aménagées  pour  servir  à  la  fois  de 
cirque  et  de  théâtre  ;  l'édifice  qu'on  a  appelé  tour  à  tour  de  façon  très 
inexacte  les  Thermes,  —  on  n'a  reconnu  dans  les  souterrains  nul 
hypocauste,  dans  les  salles  nul  tuyau  de  chaleur,  —  ou  le  palais  de 
Julien,  —  ce  palais  se  trouvait  dans  la  Cité,  —  et  dont  la  vraie  desti- 
nation demeure  inconnue.  Sur  tous  ces  monuments,  on  trouvera  ici 
pour  la  première  fois  les  détails  les  plus  précis,  avec  des  planches  et 
des  coupes  remarquables.  Après  la  description  de  la  ville,  M.  de 
Pachtère  groupe  les  renseignements  qu'on  peut  avoir  sur  la  popula- 
tion parisienne  du  haut  Empire,  à  l'aide  des  inscriptions,  des  stèles 
funéraires  et  religieuses  :  il  insiste  tout  particulièrement  sur  le  monu- 
ment des  Nautae  parisiaci  avec  son  cortège  de  pierres  sculptées,  et  il 
en  tire  de  curieuses  conclusions  sur  la  persistance,  dans  la  Lutèce 
romaine,  de  la  langue,  des  divinités  et  des  usages  gaulois.  Mais  nous 
voici  à  la  période  de  décadence;  les  barbares  s'avancent  vers  la  fin  du 
ii«  siècle  jusqu'aux  bords  de  la  Seine  ;  les  habitants  cachent  leurs 
monnaies  et  un  siècle  plus  tard,  avant  280,  les  constructions  de  la  rive 
gauche  sont  détruites  par  un  incendie.  Vers  cette  époque  aussi,  sans 
doute,  Paris  entendit  parler  pour  la  première  fois  de  la  religion  du 
Christ;  mais  sur  la  prédication  de  l'Evangile,  nous  n'avons  quo 
des  légendes  dont  M.  de  Pachtère  montre  l'inanité;  les  fouilles  ont 
permis  tout  au  plus  de  constater  qu'un  cimetière  chrétien  se  trouvait 

justice,  l'île  Galilée;  à  l'ouest  surtout,  sur  la  place  Daupliine,  un  petit  archi- 
pel prolongeait  l'île  principale.  C'était,  au  moyen  âge,  le  groupe  des  îles  de 
Bussy  ou  du  Pasteur,  du  Patriarche  ou  aux  Bureaux.  Tout  leur  sol  appartient 
aujourd'hui  à  l'île  principale.  »  L'île  Galilée  n'a  existé  que  dans  l'imagination 
de  Berty;  en  réalité,  ce  nom,  qui  signifie  un  porche,  s'appliquait  à  l'île  aux 
Treilles.  L'île  de  Bussy  n'a  jamais  été  à  la  pointe  de  l'île  de  la  Cité,  mais  en 
face  d'Issy.  En  revanche,  c'est  dans  un  îlot  voisin  de  la  Cité,  l'île  aux  Juifs, 
que  furent  brûlés  en  1314  le  grand  maître  du  Temple,  Jacques  de  Molai,  et  le 
précepteur  de  Normandie,  Geoffroi  de  Charnay.  M.  de  Pachtère  a  bien  raison 
quand  il  écrit  :  «  II  n'existe  pas  encore  de  bonne  étude  sur  ces  îlots.  » 


F. -G.    DE    PACHTÈRE    :    PARIS   A    l'ePOQCE    GALLO-ROMAINE.  101 

au  bourg  Saint-Marcel,  et  c'est  là  que  paraît  avoir  été  construite  la 
plus  ancienne  église  chrétienne  :  ce  bourg  fut  le  vicus  christiano- 
rum.  En  ce  iiP  siècle,  Lutèce  quitta  son  nom  pour  prendre  celui  du 
peuple  dont  elle  était  le  chef-lieu  :  elle  devint  Paris  ;  à  ce  moment 
aussi,  elle  changea  d'aspect.  Elle  est  confinée  dans  File,  réduite  à  la 
Cité,  entourée  d'un  rempart.  A  ce  moment,  encombrée  par  l'afflux, 
sur  un  espace  réduit,  d'une  population  nouvelle,  elle  est  entièrement 
reconstruite;  à  la  description  du  Paris  du  haut  Empire  s'oppose  celle 
du  Paris  du  bas  Empire,  et  le  contraste  est  saisissant.  La  ville,  où 
séjournent  Julien  et  Valentinien,  prend  le  caractère  d'une  ville  mili- 
taire'. Clovis,  après  avoir  soumis  les  Wisigoths,  et  achevé  ainsi,  — 
ou  à  peu  près,  —  la  conquête  de  la  Gaule,  en  fit  en  508  la  capitale  de 
son  royaume.  A  cette  date  s'arrête  le  livre  de  M.  de  Pachtère,  dont 
nous  venons  de  passer  en  revue  les  divers  chapitres.  Quatre  appen- 
dices se  rapportent  à  la  bataille  de  Paris  livrée  sous  Paris  par  Labié- 
nus  en  l'an  52  av.  J.-C.^;  au  prétendu  aqueduc  gallo-romain  de  Chail- 
lot,  —  il  s'agit  d'un  travail  e.xécuté  vers  1566  pour  amener  aux  Tuileries 
les  eaux  d'une  fontaine  de  Saint-Cloud-*;  —  aux  compagnons  de  saint 
Denis,  Rustique  et  Éleuthère;  enfin  à  la  vie  de  sainte  Geneviève, 
dont  la  rédaction  est  placée  à  la  fin  du  vii«  siècle.  L'ouvrage  est  fort 
bien  imprimé,  enrichi  de  planches  nombreuses.  Il  est  digne  de  la  ville 
de  Paris  qui  l'a  fait  figurer  dans  sa  «  collection  verte  »;  il  fait  honneur 

1.  Sur  la  Seine  se  trouvait  une  petite  flottille  que  la  Nolitia  dignitatum 
appelle  classis  Anderetianorum.  A  sa  tète  était  un  préfet  qui  résidait  à  Paris. 
MM.  Jullian,  de  Pachtère  et  Bonnard  [la  Navigation  intérieure  de  la  Gaule  à 
l'époque  gallo-romaine  ;  M.  de  Pachtère  ne  pouvait  encore  connaître  cet 
ouvrage)  ne  croient  pas  qu'il  faille  rapprocher  de  ce  nom  celui  d'Andrésy,  au 
confluent  de  la  Seine  et  de  l'Oise.  Pourtant,  il  faut  observer  que  dans  une 
charte  originale  aux  Archives  nationales  (S.  134b)  on  trouve  la  forme  :  Andere- 
siaci  vallis;  n'est-il  pas  permis  de  supposer  qu'il  faille  lire  :  Anderesiacl  clas- 
sis ?  Sur  toute  la  Seine,  il  devait  y  avoir  de  petites  stations  de  pécheurs  ; 
Audrésy  est  au  point  de  jonction  des  Véliocaces,  des  Carnutes  et  des  Parisii, 
et  à  cheval  le  préfet  de  la  Hotte  pouvait  s'y  rendre  de  Paris  en  deux  heures. 
Sur  les  milites  Anderetianorum  à  Vicus  Julius,\oh  De  Vit,  au  mot  Anderitum. 

1.  M.  de  Pachtère,  qui  suit  M.  Jullian,  fait  passer  la  Seine  au  gros  de  l'ar- 
mée romaine  à  quatre  milles  en  aval  de  la  Cité,  vers  Auteuil,  et  localise  la 
baladle  dans  la  plaine  de  Grenelle.  Cela  est  vraisemblable.  En  1292,  nous 
voyons  citer,  près  de  la  vanne  Popin,  la  «  grande  traverse  »  et  aussi  «  la  petite 
traverse  »,  un  peu  en  amont  de  l'île  de  Billancourt.  Tout  près  de  là,  un  autre 
endroit  est  nommé  le  «  pas  aux  chevaux  ».  Ces  traverses  et  ce  pas  étaient  de 
véritables  gués  et  c'est  là  sans  doute  que  passèrent  les  10,000  hommes  de 
Labiénus  en  quelques  heures  d'une  nuit  d'orage,  au  mois  de  juin. 

3.  Dans  le  Minutier  parisien  de  Caron,  il  est  question  de  la  petite  maison 
de  Catherine  de  Médicis  à  Saint-Cloud,  d'où  elle  faisait  venir  l'eau  aux  Tuile- 
ries au  moyen  de  tuyaux  fabriqués  par  Bernard  Palissy.  M.  Bloch,  dans  ïllis- 
toire  de  France  de  Lavisse,  t.  l,  2°  partie,  p.  370,  parle  à  tort  de  l'aqueduc  de 
Passy,  à  r<'']ioi[ue  romaine. 


102  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

au  jeune  savant,  que  son  ardeur  enthousiaste  pousse  à  aborder  les 
problèmes  les  plus  difficiles  de  l'histoire  et  dont  la  critique  éveillée 
évite  les  hypothèses  trop  osées  et  interprète  les  textes  et  les  monu- 
ments avec  une  grande  sagacité  ^ . 

Camille  Piton  et  Chr.  Pfister. 


Eduard  Fueter.  Geschichte  der  neuren  Historiographie. 
Munich  et  Berlin,  Oldenburg,  1911.  In-8%  xx-626  pages;  prix  : 
16  m.  (Collection  du  Handbuch  der  mittelalterlichen  und 
neueren  Geschichte.) 

Id.  Histoire  de  l'historiographie  moderne.  Traduit  de  l'allemand 
par  Emile  Jeanmaire  (avec  notes  et  additions  de  l'auteur).  Paris, 
Félix  Alcan,  1914.  In-8°,  vii-885  pages;  prix  :  18  fr. 

Voici,  je  pense,  l'histoire  de  l'historiographie  la  plus  intelligente,  la 
plus  exacte,  la  plus  agréable  à  lire  qui  ait  jamais  été  écrite;  le  sujet 
est  difficile  à  traiter  et  n'avait  donné  naissance  qu'à  des  ouvrages 
vagues  ou  superficiels  ou  indigestes  (comme  Wegele).  La  matière, 
très  abondante  et  très  dispersée,  se  prête  mal  à  un  classement;  il  s'est 
produit  depuis  les  débuts  de  l'historiographie  moderne  en  Italie  au 
xv«  siècle  jusqu'en  1870  (ce  sont  les  limites  de  temps  adoptées  par 
l'auteur)  tant  d'œuvres  historiques  dans  des  pays  différents  et  des 
genres  divers  !  Cette  énorme  production  consiste  pour  une  si  grande 
part  en  compilations  sans  aucune  originalité  !  Le  choix  et  l'ordre  ont 
ici  une  importance  capitale.  M.  Fueter,  qui  est  Suisse  et  qui  enseigne 
à  l'Université  de  Zurich,  a  eu  l'esprit  assez  clair  et  la  volonté  assez 
ferme  pour  ne  choisir  que  les  auteurs  et  les  ouvrages  intéressants  et 
pour  établir  et  appliquer  un  plan  de  classement  à  la  fois  rationnel  et 
souple.  Il  a  eu  soin  de  préciser  son  but  qui  a  été  d'exposer  la  forma- 
tion graduelle,  non  de  la  philosophie  de  l'histoire  ni  de  la  méthode 
historique,  mais  de  la  conception  de  l'histoire  réalisée  dans  les  œuvres 
écrites  par  les  historiens  pour  le  grand  public.  L'exposé  a  la  forme 
d'une  série  de  monographies,  de  longueur  inégale,  les  plus  longues  (jus- 
qu'à une  douzaine  de  pages)  réservées  aux  originaux  qui  ont  ouvert 
une  voie  nouvelle,  les  plus  courtes  (de  quelques  lignes)  pour  les 
«  Épigones  »  qui  ont  appliqué  à  une  matière  nouvelle  une  méthode 
créée  par  d'autres.  Chaque  étude  est  précédée  d'une  notice  (en  petit 
texte)  biographique  et  bibliographique  où  sont  condensés  sous  un 
petit  volume  tous  les  renseignements  nécessaires  ;  des  renvois  judi- 
cieux aux  recueils  antérieurs  allègent  cette  bibliographie. 

1.  P.  66,  n.  1  :  lire  Berty  au  lieu  de  Rerry ;  p.  175,  n.  :  Tesson  au  lieu  de 
Tessot. 


E.    FUETER    :    HISTOIRE    DE    l'hISTORIOGRAPHIE   MODERNE.  103 

«  Une  histoire  de  l'historiographie  doit  être  autre  chose  qu'un  lexique 
des  historiens  ».  Les  études  sont  reliées  par  des  paragraphes  généraux 
(d'ordinaire  sous  le  titre  .4i/gemei?ies),  où  sont  exposées  et  expliquées 
les  tendances  communes  aux  historiens  groupés  dans  le  chapitre  qui 
va  suivre.  C'est  dans  ces  explications  et  dans  l'arrangement  des  cha- 
pitres que  se  montrent  le  plus  nettement  les  idées  personnelles  de 
l'auteur. 

La  disposition  générale  est  chronologique,  les  subdivisions  sont  for- 
mées par  les  différents  pays  et  les  différents  genres.  Les  six  livres 
correspondent  à  de  larges  périodes  :  1°  l'histoire  écrite  par  les  humanistes 
italiens  (du  xiv«  au  xvi«  siècle).  Les  précurseurs,  Pétrarque,  Boccace. 
L'école  annalistique  de  Bruni  et  ses  représentants  à  Florence,  Venise, 
Naples,  Milan,  Rome.  L'histoire  politique  (Machiavel,  Guichardin  et 
leur  école).  Les  biographes  humanistes  ( Villani,  Vasari,  Éncas  Sylvius)  ; 
les  érudits  (Blondus),  les  critiques  (Valla)  ;  les  auteurs  de  mémoires, 
les  historiens  italiens  pendant  la  contre-réforme.  2°  L'histoire  huma- 
niste en  Europe  et  l'histoire  politique  nationale  (xvi^-xvif  siècles)  ;  en 
France,  les  annalistes  et  les  auteurs  de  mémoires  (depuis  Commines 
jusqu'à  Saint-Simon);  en  Angleterre  et  en  Prusse,  les  annalistes  et  la 
formation  de  l'histoire  de  parti  (Clarendon,  Burnet);  en  Allemagne, 
les  historiens  protestants,  les  histoires  locales,  les  histoires  d'Empire 
(Sleidan,  Pufendorf)  ;  en  Suisse,  l'histoire  nationale  (Tschudi)  et  les 
histoires  des  villes;  en  Espagne,  Thistoire  nationale  (Mariana)  et  les 
histoires  du  royaume,  les  chroniques  en  latin,  les  mémoires  et  mono- 
graphies militaires  (Avila,  Mendoza).  3°  L'histoire  dégagée  de  l'huma- 
nisme (xvF-xvii'^  siècles)  ;  l'histoire  de  l'Église,  les  centuries  de  Mag- 
debourg,  les  Anglais  (Foxe,  Knox),  les  Suisses;  l'histoire  catholique 
(Baronius,  Bossuet);  l'histoire  ecclésiastique  politique  (Sarpi,  Pallavi- 
cino),  les  Jésuites;  l'histoire  à  théorie  théologique  (Bossuet)  ;  l'histoire 
des  découvertes  et  «  la  tendance  ethnographique  »  (historiens  espa- 
gnols d'Amérique)  ;  création  de  l'histoire  érudite  (les  Bénédictins,  Leib- 
nitz,  Muratori,  Rapin  Thoyras,  Bayle,  Beaufort,  les  Bollandistes)  ; 
l'histoire  «  galante  ».  4°  L'histoire  de  la  période  des  philosophes  {Auf- 
klarung),  Voltaire  et  son  école  en  Angleterre  (Hume,  Robertson,  Gib- 
bon), en  Allemagne  (Schluzer,  Spittler);  l'école  de  Montesquieu  (Hee- 
ren);  les  originaux  allemands  (Winckelmann,  Môser);  l'influence  de 
Rousseau  (Schiller,  Mùller,  Herder,  Schlosser).  5°  L'histoire  dans  la 
période  du  romantisme  et  du  libéralisme  (depuis  la  Révolution  jus- 
qu'au milieu  du  xixo  siècle)  ;  la  politique  dans  l'histoire,  la  théorie 
romantique  (Eichhorn,  Savigny)  ;  la  «  théorie  des  idées  »  dans  l'histoire  ; 
la  littérature  considérée  comme  création  nationale  (M^°  de  Staël,  Cha- 
teaubriand); le  rationalisme  et  l'influence  de  Hegel  (Hegel,  Baur,  Zel- 
1er);  le  procédé  romantique  et  la  couleur  locale  :  l'école  narrative 
(Barante,  Thierry,  Léo);  l'école  lyrique  (Michelet,  Carlyle,  Fronde); 
la  combinaison  du  romantisme  avec  la  philologie  critique  (Niebuhr, 


i04  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

Ranke  et  son  école,  Waitz,  Giesebreclit,  Freeman);  Droysen  et  l'école 
prussienne;  la  tendance  géographique  (Ritter,  Curtius);  l'école  du 
libéralisme  (Raumer,  Guizot,  Thiers)  ;  le  libéralisme  systématique  :  les 
Anglais  (Macaulay,  Grote)  ;  les  Américains  (Prescott,  Bancroft,  Motley, 
Parkman);  les  Allemands  (Rotteck,  Gervinus,  Strauss).  6°  La  réac- 
tion réaliste  et  l'action  du  mouvement  social  (1850-1870)  ;  l'école  natio- 
nale libérale  allemande  (Sybel,  Hausser,  Treitschke,  Erdmannsdôrffer, 
Duncker,  Lorenz)  ;  l'union  de  l'histoire  politique  réaUste  avec  l'épigra- 
phie  (Mommsen);  transformation  de  l'histoire  constitutionnelle  en 
France  (Tocqueville,  Fustel);  l'histoire  delà  civilisation  en  Allemagne 
(Riehl,  Freytag,  Janssen);  l'action  des  théories  biologiques  et  socio- 
logiques du  comtisme  (Buckle,  Lecky,  L.  Stephen,  Taine);  l'histoire 
esthétique  :  les  dilettantes  (Renan,  Burckhardt,  Gregorovius)  ;  l'étude 
se  termine  à  la  guerre  de  1870  par  un  résumé  des  conséquences  de  la 
victoire  de  l'Allemagne  et  de  la  «  politique  mondiale  ». 

Cette  énumération  donne  un  aperçu  des  questions  traitées  et  du 
procédé  de  classement  qui  consiste  à  grouper  les  auteurs  (sans  s'arrê- 
ter trop  aux  différences  de  pays),  d'après  l'influence  dominante  qui  a 
déterminé  leur  orientation  générale.  Il  faudrait  un  long,  un  très  long 
article  pour  relever  tout  ce  que  cet  ouvrage  contient  d'idées  neuves 
et  justes,  exprimées  sous  une  forme  d'un  relief  et  d'une  précision  très 
rares  dans  les  livres  écrits  en  allemand.  Personne  n'avait  encore  su 
rendre  d'une  façon  si  vivante  en  quelques  pages  le  caractère  propre 
de  chaque  historien  et  le  rôle  qu'il  a  tenu  dans  la  formation  de  l'art 
et  de  la  science  historiques.  Le  hvre  I",  consacré  à  l'ItaUe,  est  d'une 
nouveauté  et  d'une  fraîcheur  d'impression  surprenantes. 

Ce  qui  fait  de  cette  lecture  si  agréable  un  travail  scientifique  de 
grande  portée,  c'est  la  vision  précise  des  conditions  générales  qui  à 
chaque  époque  ont  dominé  l'esprit  des  historiens  et  leur  ont  imposé 
leur  conception  de  l'histoire  et  leur  procédé  d'exposition  :  au  xv°  siècle, 
l'admiration  de  la  rhétorique  et  l'amour  de  la  gloire  antique;  au 
xvje  siècle,  les  préoccupations  politiques  et  théologiques  ;  au  xvii«  siècle, 
en  Angleterre,  les  luttes  des  partis;  au  xviiF  siècle,  l'élargissement  de 
l'horizon  sous  la  double  action  des  sciences  de  la  nature  et  de  l'entrée 
en  scène  de  la  bourgeoisie;  à  la  fin  du  xviii«  siècle,  la  Révolution 
française;  au  début  du  xix«  siècle,  les  mouvements  nationaux,  puis  la 
\  résistance  libérale  contre  la  réaction;  au  milieu  du  siècle,  la  Révolu- 

\  tion  de  1848  et  le  mouvement  socialiste. 

j  Un  autre  mérite  scientifique,  c'est  la  remarquable  indépendance  du 

\  jugement.  M.  Fueter  ne  se  laisse  influencer  par  aucune  opinion  reçue, 

par  aucune  préférence  nationale.  Il  rend  pleinement  justice  à  Voltaire, 
en  qui  il  reconnaît  un  des  plus  grands  réformateurs  de  l'histoire,  le 
créateur  de  l'histoire  moderne,  dégagé  de  tous  les  préjugés  nationaux 
et  politique,  le  premier  historien  qui  ait  su  dans  la  masse  des  faits 
dégager  les  traits  typiques  et  importants  ;  le  premier  qui  ait  soumis  la 


L.    HALPHEN    :    l'hISTOIRE   EN   FRANCE   DEPUIS   CENT   ANS.  105 

tradition  à  la  critique;  il  salue,  dans  l'Essai  sur  les  mœurs,  «  la  pre- 
mière véritable  histoire  universelle  ».  Par  contre,  il  ose  ramener  au 
second  plan  Montesquieu.  «  Il  n'avait  aucun  sens  critique,  il  lisait 
ses  auteurs  comme  les  juristes  leurs  codes,  occupé  seulement  de 
trouver  un  texte  qu'on  put  appliquer  au  cas...,  et  employait  ses  maté- 
riaux fragmentaires  à  des  conclusions  téméraires  et  des  générali- 
sations hâtives.  »  M.  Fueter  ne  se  laisse  pas  davantage  intimider  par 
les  noms  les  plus  célèbres,  Herder,  Hegel,  Aug.  Thierry,  Carlyle,  Nie- 
buhr,  Droysen,  Freeman,  Bancroft,  Sybel,  Treitschke,  Taine,  Renan, 
Mommsen  ;  pour  tous  il  montre  hardiment  le  point  faible. 

L'impression  qui  se  dégage  de  cette  revue  de  tous  les  historiens 
importants  à  travers  cinq  siècles,  c'est  l'extrême  lenteur  de  l'évolu- 
tion de  l'histoire  due  à  la  masse  des  préjugés  théologiques,  litté- 
raires, politiques,  nationaux  qui  empêchaient  les  historiens  de  donner 
un  but  rationnel  à  leurs  recherches. 

Cet  excellent  ouvrage  vient  d'être  fort  bien  traduit  en  français  sous 
la  surveillance  de  l'auteur,  avec  quelques  notes  et  additions  où  la 
bibliographie  est  mise  au  courant;  il  va  ainsi  être  présenté  au  public 
le  plus  capable  de  le  comprendre. 

Ch.  Seignobos. 


Louis  H.\LPHEN.  L'Histoire  en  France  depuis  cent  ans.  Paris, 

Armand  Colin,  1914.  In-1"2,  -216  pages. 

^L  Louis  Halphen  suit,  dans  ce  volume,  l'évolution  du  genre  his- 
toire en  France  depuis  le  premier  Empire  jusqu'à  nos  jours.  H  nous 
montre  qu'au  début  les  études  historiques  étaient  complètement 
abandonnées  :  les  médiocres  volumes  de  Velly  ou  d'Anquetil  con- 
tentaient la  curiosité  publique;  mais,  sous  l'influence  de  Chateau- 
briand et  de  Walter  Scot,  sous  celle  du  romantisme,  le  moyen  âge 
est  exalté  et  s'éveille  la  vocation  d'AugusLin  Thierry.  Les  publicistes 
cherchent  bientôt  dans  l'histoire  des  arguments  pour  leur  théorie 
politique,  tels  Thiers,  Mignet,  Augustin  Thierry  lui-même,  et  ainsi 
prend  naissance  l'histoire  «  philosophique  ».  A  elle  s'oppose  l'histoire 
pittoresque  qui  coud  les  uns  au  bout  des  autres  des  fragments  emprun- 
tés aux  anciennes  chroniques;  M.  de  Barante  est  le  chef  de  cette  école. 
Cependant,  en  1833,  sont  créés  le  Comité  des  travaux  historiques  et  la 
Société  de  l'histoire  de  France  ;  on  donne  dès  lors  la  chasse  aux  docu- 
ments; les  archives  sont  ouvertes  aux  travailleurs;  des  sociétés  d'his- 
toire locale  se  fondent.  Mais  bientôt  on  est  comme  submergé  par  la 
masse  des  pièces  inédites  ;  on  sent  le  besoin  de  venir  à  l'histoire  syn- 
thétique, à  la  construction  puissante,  et  cette  période  sera  marquée 
par  les  noms  de  Michelet,  de  Tocqueville,  de  Renan,  de  Fustel  de 
Coulanges  et  de  Taine.  Les  études  sur  l'histoire  ancienne  sont  remises 


106  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

en  honneur  et  nos  lecteurs  ont  lu  l'intéressant  chapitre  où  M.  Halphen 
fait  le  tableau  de  cette  renaissance  de  l'antiquité  (Rev.  hist.,  t.  CXVI, 
p.  47).  Que  manquait-il  pourtant  aux  historiens  du  second  Empire? 
Ils  acceptaient  trop  aisément  tous  les  documents,  ne  recherchaient  pas 
la  filiation  des  textes,  leur  donnaient  une  égale  valeur  parce  que  ces 
textes  étaient  anciens.  Aussi  à  cet  âge  succéda  le  règne  de  la  critique 
marquée  par  la  fondation  en  1866  de  la  Revue  critique  d'histoire  et 
de  littérature,  par  la  création  en  1868  de  l'École  des  Hautes-Études.  ,— < 

M.  Halphen  nous  montre  l'état  actuel  de  la  science  où,  d'une  part,  la  S 

spécialisation  du  travail  devient  extrême,  où  l'on  consacre  de  mas- 
sifs ouvrages  à  quelque  épisode  de  l'histoire,  où,  d'autre  part,  la  socio- 
logie s'applique  à  trouver,  par-dessus  les  contingences,  par-dessus 
les  limites  des  états,  les  lois  mêmes  du  développement  humain.  Le 
livre  de  M.  Halphen  est  fort  suggestif.  Sans  doute  les  périodes 
qu'il  distingue  ne  se  suivent  pas  chronologiquement  de  façon  aussi 
nette  et  elles  s'entre-croisent  parfois;  M.  Fustel  de  Coulanges  a  fait 
dans  la  Cité  antique  une  synthèse;  mais  il  a  prétendu  faire  une  ana- 
lyse complète  des  documents  dans  V Alleu  ou  le  Bénéfice;  sans 
doute  aussi,  dans  cette  revue  rapide,  bien  des  faits  ont  dû  être  laissés 
de  côté;  il  ne  semble  pas  que  M.  Halphen  ait  mis  en  lumière  le  rôle 
de  l'Académie  des  inscriptions  (suite  des  Historiens  de  la  France, 
collection  des  Historiens  des  croisades,  etc.),  ni  même  qu'il  ait  plei- 
nement rendu  justice  à  l'École  des  chartes;  il  n'a  pas  cité  le  nom  de 
Hauréau  (fin  du  Gallia  christiana),  ni  celui  de  Longnon  (études 
d'onomastique  géographique).  Il  n'a  pas  montré  l'influence  de  l'Alle- 
magne sur  les  études  médiévales  en  France  ou  sur  de  puissants 
esprits  comme  Renan.  Mais  son  livre  doit  être  considéré  comme  une 
esquisse,  non  comme  une  étude  complète,  détaillée,  ou,  s'il  préfère, 
comme  une  synthèse  où  les  faits,  d'ailleurs  très  bien  connus,  sont  vus 
d'un  peu  haut  et  doivent  entrer  dans  un  cadre  rigide  dont  ils  sont 
parfois  tentés  de  s'échapper. 

Chr.  Pfister. 


NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 


Histoire  générale. 


—  F.  S.  Marvin.  The  living  past.  A  sketch  of  western  progress 
(Oxford,  at  the  Clarendon  Press,  1913,  in-8°,  xvi-288  p.;  prix  : 
3  sh.  6  d.).  —  Esquisser  eu  moins  de  trois  cents  petites  pages  le  déve- 
loppement de  toute  la  civilisation  humaine  dans  le  monde  occidental 
depuis  les  plus  anciens  âges  géologiques  jusqu'à  la  dernière  guerre 
des  Balkans  est  une  entreprise  qui  demande  de  vastes  lectures,  de 
la  réflexion,  une  force  de  généralisation  peu  commune.  Je  n'affirme- 
rai pas  que  la  synthèse  présentée  par  M.  Marvin  apprenne  rien  de 
bien  nouveau  ni  témoigne  d'une  particulière  originahté  de  pensée. 
L'auteur  est  un  optimiste,  qui  voit  et  qui  montre  l'humanité,  surtout 
depuis  les  temps  modernes,  en  progrès  constant  vers  plus  de  justice 
et  de  bien-être.  Le  passé  vit  en  nous,  et  il  ne  cesse  de  grossir  l'héri- 
tage que  nos  enfants  recueilleront  à  leur  tour;  son  étude,  sous  toutes 
ses  formes,  «  accroît  démesurément  notre  confiance  dans  l'avenir  ». 
Tels  sont  à  peu  près  les  derniers  mots  de  cet  essai  qui  témoigne  au 
moins  de  généreux  sentiments;  ils  suffisent  pour  en  indiquer  le  ton, 
le  caractère  et  l'intérêt.  Ch.  B. 

—  Cecil  N.  Sidney  Woolf.  Bartolus  of  Sassoferrato ;  his  posi- 
tion in  the  history  of  médiéval  political  thought  (Cambridge,  at 
the  University  press,  1913,  in-8<»,  xxiv-414  p.;  prix  :  7  sh.  6  d.).  — 
Il  faut  féliciter  et  remercier  M.  Woolf,  élève  de  M.  Figgis,  de  nous 
présenter  avec  tant  d'intelligence  et  de  clarté  la  pensée  du  célèbre 
canoniste  Bartole,  le  compatriote,  le  contemporain  de  Dante  et  de 
Pétrarque,  sur  la  nature  du  pouvoir  impérial  ou  royal  et  sur  les  rap- 
ports de  ce  pouvoir,  soit  avec  la  papauté,  soit  avec  les  Etats  particu- 
liers. Son  livre  est  un  chapitre  très  instructif  de  l'histoire  des  idées 
politiques  au  moyen  âge  ;  l'œuvre  de  Bartole  a  pour  base  «  les  con- 
ceptions que  l'école  des  glossateurs  de  Bologne,  un  siècle  au  moins 
avant  saint  Thomas  d'Aquin  et  la.  Politique  retrouvée  d'Aristote,  avait 
dérivées  des  textes  du  droit  romain  interprétés  à  la  lettre  ».  Bartole 
n'a  pas  subi  l'influence  des  nouvelles  doctrines  aristotéliciennes;  il 
voulut  «  faire  sortir  des  textes  une  loi  pratiquement  acceptable  plutôt 
que  scientifiquement  correcte;  mais  c'est  des  glossateurs  qu'il  procéda, 
non  d'Aristote  ».  Pour  lui,  comme  pour  les  glossateurs,  l'empereur  est 
toujours  le  maître  du  monde.  C'est  la  conception  du  droit;  mais  en 
fait,  le  monde  est  divisé  en  états  indépendants  et  souverains.  Bartole 


108  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

s'incline  devant  le  fait  tout  en  respectant  le  droit  et,  par  un  tour  de 
force  de  raisonnement  logique,  il  devient  le  théoricien  du  nouveau 
droit  politique.  Ch.  B. 

—  John  Neville  FiGGis.  The  divine  right  of  hings,  2<=  édition 
(Cambridge,  at  the  University  Press,  1914,  in-8°,  xi-406  p.;  prix  : 
6  sh.).  —  Cette  seconde  édition,  qui  se  présente  sous  un  titre  légère- 
ment modifié,  diffère  de  la  première  (voir  Rev.  histor.,  t.  LXI.X, 
p.  156)  en  un  point  important  :  si  elle  reproduit  presque  sans  change- 
ment le  texte  et  les  notes  de  la  dissertation  parue  en  1896,  elle  con- 
tient trois  suppléments  nouveaux  :  1°  l'analyse  d'un  traité  publié  en 
1646  par  un  ministre  d'Edimbourg,  nommé  George  Gilles  fils,  sur  le 
fondement  divin  du  gouvernement  et  la  distinction  entre  l'autorité 
civile  et  l'autorité  ecclésiastique;  il  est  intitulé  :  Aaron's  Rod  blos- 
soming;  2»  une  biographie  du  théologien  suisse  Thomas  Lûber,  fon- 
dateur de  la  secte  érastienne,  et  un  exposé  de  sa  doctrine;  S»  une  cri- 
tique des  théories  politiques  répandues  en  Europe  au  xiif  siècle, 
surtout  sous  l'influence  du  grand  canoniste  Bartole.  Ces  additions 
donnent  au  livre  un  caractère  décousu  qu'il  n'avait  pas  à  l'origine. 
Évidemment,  il  eût  été  plus  méritoire  de  refaire  l'ouvrage  en  fondant 
la  matière  nouvelle  avec  l'ancienne;  M.  Figgis  a  préféré  lui  donner  la 
forme  d'un  recueil  d'essais  sur  la  question  du  droit  divin,  surtout  en 
tant  qu'elle  intéresse  l'histoire  d'Angleterre.  L'expression  est  d'ailleurs 
prise  dans  son  sens  le  plus  large,  puisqu'elle  sert  de  base  à  toutes  les 
formes  de  gouvernement  absolu,  que  celui-ci  soit  dirigé  par  un 
monarque,  par  une  Église  de  forme  presbytérienne  ou  par  le  chef  d'un 
parti  religieux  et  politique  comme  celui  des  Indépendants.  —  Ch.  B. 

Histoire  de  France. 

—  Au  temps  de  VÉpopée.  Lettres  de  Dupont  d'Herval,  chef 
d'état-major  à  la  Grande  Armée,^publiées  par  A.  Vaillant  (Paris, 
Chapelot,  in-8°,  154  p.;  prix  :  2  fr.  50).  —  Dupont  d'Herval  est  né 
en  Normandie  en  1758.  Lors  de  la  Révolution,  il  émigré  en  Amérique. 
Il  rentre  en  France  après  la  proclamation  de  l'Empire,  fait  partie  de 
la  Grande  Armée  en  quaUté  d'adjudant  général  à  l'État-major  et  est 
tué  le  7  septembre  1813  à  la  bataille  de  la  Moskova.  Les  quelques 
lettres  de  lui  ici  publiées  sont  adressées  à  sa  femme  et  à  ses  enfants. 
Elles  sont  remplies  de  bonne  humeur  et  sont  d'une  lecture  assez  amu- 
sante; mais  elles  ne  nous  apprennent  rien  sur  les  grands  événements 
de  l'histoire.  C.  Pf. 

—  Général  Percin.  Le  combat  (Paris,  Félix  Alcan,  1914,  in-18 
Jésus,  300  p.).  —  Le  but  de  l'excellent  ouvrage  du  général  Percin  est 
de  montrer  ce  qu'est  le  combat  aux  citoyens  qui  viendront  grossir  en 
cas  de  guerre  les  effectifs  de  l'armée  permanente.  L'auteur  estime  en 
outre  nécessaire  que  le  public  soit  instruit  des  choses  de  la  guerre. 
afin  de  pouvoir  influer  utilement  sur  le  législateur  chargé  d'élaborer 


i 


HISTOIRE    DE    FRANCE.  109 

les  lois  militaires.  «  Le  combat  est  un  conflit  de  forces  morales.  »  Il 
est  certain  qu'il  ne  s'agit  pas  tant  d'infliger  des  pertes  matérielles  à 
l'adversaire  que  de  le  déloger  de  la  position  qu'il  occupe  et  de  le 
désorganiser  ainsi  matériellement  et  moralement.  Comme  le  dit  jus- 
tement le  général  Percin,  le  feu  le  plus  violent  ne  peut  chasser  l'en- 
nemi de  la  position  qu'il  occupe,  il  faut  y  joindre  l'abordage  ou  tout 
au  moins  la  menace  de  l'abordage  ;  la  poursuite  enfin  est  un  des  actes 
qui  consacrent  le  plus  définitivement  le  triomphe  des  forces  morales. 
L'auteur  analyse  en  quoi  consiste  la  peur  et  examine  les  moyens  de 
la  dominer;  il  termine  ainsi  :  «  Les  procédés  de  combat  se  sont  modi- 
fiés, mais  le  cœur  humain  est  resté  le  même.  Le  meilleur  moyen  de 
se  faire  suivre  sera  toujours  de  se  faire  aimer.  »  L'ofïensive  seule,  dit 
le  général  Percin,  permet  d'obtenir  des  résultats  décisifs.  Il  ne  faut 
cependant  pas  confondre  le  domaine  politique  avec  le  domaine  mili- 
taire. La  France  a  une  politique  défensive,  mais  si  elle  est  amenée  à 
faire  la  guerre,  son  devoir  sera  de  prendre  le  plus  tôt  possible  l'ofïen- 
sive stratégique.  L'auteur  donne  ensuite,  pour  un  lecteur  non  initié, 
la  physionomie  générale  du  combat.  Et  pour  en  donner  une  idée 
claire,  il  fera  la  description  détaillée  d'un  épisode  de  la  bataille  de 
Coulmiers,  mais  en  s'occupant  surtout  de  l'exécutant.  Au  préalable, 
le  général  Percin  examine  les  notions  d'ordre  général  sur  l'emploi  des 
différentes  armes.  Chasser  l'ennemi  de  ses  positions  est  le  but  suprême 
et  ce  rôle  incombe  à  l'infanterie  :  l'infanterie  est  donc  l'arme  princi- 
pale du  combat.  Les  armes  accessoires  sont  la  cavalerie  et  l'artillerie. 
Le  rôle  de  la  cavalerie  se  résume  dans  le  service  de  l'exploration  et 
dans  celui  de  sûreté;  elle  doit  aussi  recueillir  les  fruits  de  la  victoire; 
le  rôle  de  l'artillerie  est  d'aider  l'infanterie  en  tirant  sur  ses  objectifs 
d'attaque  et  en  la  débarrassant  du  feu  de  l'artillerie  ennemie.  Dans 
un  dernier  chapitre,  le  général  Percin  examine  les  forces  qui  sont  en 
conflit.  Il  montre  que  les  forces  matérielles  ne  sont  pas  tout,  qu'il  faut 
y  joindre  les  qualités  intellectuelles  qui  permettent  l'emploi  judicieux 
des  forces  matérielles  et  les  forces  morales  qui  engendrent  la  victoire. 
En  résumé,  l'ouvrage  du  général  Percin,  écrit  dans  un  style  clair  et 
vibrant,  répond  admirablement  à  son  but  d'être  lu  par  tous.  —  A.  D. 

—  Les  régions  de  la  France.  T.  IX  :  U Ile-de-France  {les  pays 
autour  de  Pans),  par  Marc  Bloch  (Paris,  Léopold  Cerf,  1913, 
in-S",  135  p.;  prix  :  4  fr.  50.  Publications  de  la  Revue  de  synthèse 
historique).  —  On  connaît  ces  bibliographies,  où  sont  indiqués  les 
documents  et  les  ouvrages  historiques  publiés  sur  une  grande  région 
de  la  France  et  où  sont  signalées  les  questions  qu'il  resterait  à  traiter 
sur  cette  région.  Nous  rappelons  les  excellents  fascicules  de  MM.  Bar- 
rau  Dihigo  sur  la  Gascogne,  Charléty  sur  le  Lyonnais,  Kleinclausz 
sur  la  Bourgogne,  Febvre  sur  la  Franche  -  Comté,  etc.  Une  étude 
sur  l'Ile-de-France'  présentait  des  difficultés  spéciales.  Le  mot  Ile-de- 

1.  Au  début,  M.  Bloch  fait  un  excellent  historique  du  mot  France  et  explique 


!10  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

France  présente  dans  le  passé  comme  dans  le  présent  bien  des  sens 
différents.  Sous  l'ancien  régime,  les  limites  du  gouvernement  de  l'Ile- 
de-France  sont  tout  autres  que  celles  de  la  généralité  de  Paris,  dési- 
gnée aussi  parfois  sous  le  nom  d'Ile-de-France;  or,  quelles  limites 
adopter?  M.  Bloch  s'en  tient  de  façon  générale  aux  pays  autour  de 
Paris,  ainsi  que  le  porte  son  sous-titre,  et,  pour  être  plus  précis,  aux 
territoires  de  nos  départements  actuels  de  la  Seine,  Seine-et-Oise, 
Seine-et-Marne,  Eure-et-Loir  et  Loiret.  Il  exclut  de  son  étude  la  ville 
même  de  Paris  qui,  à  elle  seule,  forme  une  «  région  de  la  France  ». 
Des  territoires  ainsi  définis,  il  nous  dit,  en  termes  très  justes  et  très 
clairs,  les  caractères  géographiques,   nous  décrivant  de  façon  très 
heureuse  les  divers  pays  :  Beauce,  Gâtinais,  Brie,  «  France  »,  Hure- 
poix.  Il  mentionne  les  travaux  parus  sur  la  région  avant  le  xix"^  siècle, 
depuis  le  Recueil  des  antiquités  de  Poutoise  de  Noël  Taillepied  et 
VHistoire  de  Melun  de  Sébastien  Rouillard  jusqu'à  l'Histoire  de 
Chartres  de  Doyen,  en  passant  par  les  travaux  de  Dom  Félibien, 
de  Jacques  Doublet  et  de  Lebeuf  ;  les  appréciations  de  ces  ouvrages 
sont  très  exactes.  Il  signale  pour  les  xix*  et  xx^  siècles  les  sociétés 
historiques  qui  se  sont  fondées  dans  la  région  et  les  services  qu'elles 
ont  rendus  à  la  science;  il  énumère  les  instruments  que  des  érudits 
ont  mis  à  la  disposition  des  travailleurs  :  répertoires,  bibliographies, 
inventaires  d'archives,  etc.  Suit  l'indication  des  monographies  concer- 
nant les  villes  et  les  communes,  soit  une  période  déterminée;  et,  avec 
beaucoup  de  raison,  il  insiste  sur  les  livres  d'archéologie,  ceux  qui 
décrivent  l'abbaye  de  Saint-Denis  ou  la  cathédrale  de  Chartres,  les 
châteaux  de  Fontainebleau  ou  de  Versailles.  On  ne  s'étonnera  pas  que 
M.  Bloch,  qui  s'occupe  de  l'état  des  campagnes  de  la  région  parisienne 
au  moyen  âge,  ait  attiré  notre  attention  sur  les  ouvrages  concernant 
la  technique  agricole.  Nous  lui  savons  gré  d'avoir  tenté  un  essai  de 
bibUographie  des  usages  locaux,  dont  il  a  eu  sans  doute  beaucoup  de 
peine  à  réunir  les  éléments.  En  somme,  excellente  étude,  remplie  de 
vues  originales  et  écrite  avec  talent.  M.  Bloch  la  complétera  sans  doute, 
comme  il  l'a  déjà  fait  dans  ses  Additions  de  la  fin,  où  il  indique  les 
histoires  manuscrites  d'abbayes,  composées  par  des  bénédictins.  Nous 
souhaitons  que  bientôt  il  lui  soit  donné  de  faire  profiter  le  public  de 
ses  nouvelles  recherches  dans  une  seconde  édition.  C.  Pf. 

—  Paul  CouRTEAULT.  Pour  l'histoire  de  Bordeaux  et  du  sud- 
ouest.  Leçons,  conférences  et  discours  (Bordeaux,  Mounastre-Pica- 
milh;  Paris,  Aug.  Picard,  1914,  in-8",  viii-3o2  p.;  prix  :  5  fr.).  — 
Depuis  six  ans,  M.  Courteault,  professeur  d'histoire  de  Bordeaux  et 
du  sud-ouest  à  la  Faculté  des  lettres,  a  fait  de  nombreuses  conférences, 
prononcé  des  allocutions,  écrit  des  leçons  d'ouverture.  Il  a  réuni  en  un 
volume  celles  de  ces  productions  qui  lui  ont  paru  dignes  de  survivre  à 

comment  s'est  formée  l'expression  :  Ile-de-France,  pour  la  région  limitée  par 
la  Seine,  la  Marne  et  l'Oise  qui  faisait  figure  de  presqu'île. 


HISTOIRE    DES   ÉTATS-UNIS.  111 

l'occasion  (il  y  en  a  quatorze  en  tout)  et  l'ensemble  constitue  en  effet, 
outre  un  volume  d'une  lecture  fort  agréable,  un  recueil  utile  pour 
l'histoire  de  la  Gascogne  eu  général  et  de  Bordeaux  en  particulier.  Les 
conférences  sur  les  fouilles  du  cimetière  gallo-romain  de  Saint-Seu- 
rin,  sur  les  portes  de  Bordeaux,  sur  le  Château-Trompette,  sur  le 
port  de  Bordeaux  et  son  développement  économique,  nous  font  assis- 
ter à  l'évolution  si  attachante  de  cette  grande  ville  depuis  l'époque 
gallo-romaine  jusqu'au  moment  présent  où  l'on  se  préoccupe  des  con- 
séquences bienfaisantes  que  fait  espérer  le  percement  de  l'isthme  de 
Panama.  Une  étude  sur  les  châteaux  gascons  à  travers  l'histoire  per- 
met de  mesurer  les  conséquences  militaires  et  politiques  du  partage 
de  la  Gascogne  entre  les  rois  de  France  et  d'Angleterre  dans  le  qua- 
trième quart  du  xiii"  siècle  et  contribue  à  l'intelligence  des  opérations 
militaires  au  temps  de  la  guerre  de  Cent  ans.  Comme  le  xvi«  siècle 
est  particulièrement  familier  à  l'historien  de  Monluc,  M.  Courteault 
nous  a  dessiné  de  l'humaniste  Élie  Vinetun  portrait  finement  nuancé, 
et  ce  n'est  sans  doute  pas  sans  intention  qu'il  a  terminé  son  livre  par 
une  étude  sur  la  maison  d'Albret  qui  a  donné  à  la  France  le  plus 
illustre  des  cadets  de  Gascogne  authentiques  :  Henri  IV.  —  Ch.  B. 

Histoire  d'Alsace-Lorraine. 

—  Vie  latine  inédite  de  sainte  Odile  par  le  Père  prévaontré 
Hugues  Peltre,  avec  traduction  et  notes  de  dom  G.  de  Dartein 
(Paris,  Aug.  Picard,  1913,  in-8°,  Lxxxix-i43  p.;  prix  :  5fr.).  —  En  1699, 
le  P.  Hugues  de  Peltre,  prieur  des  prémontrés  qui  occupaient  alors  les 
bâtiments  de  l'ancien  couvent  de  Hohenbourg,  fit  imprimer  une  vie 
française  de  sainte  Odile,  fondatrice  de  ce  couvent.  Il  avait  écrit  précé- 
demment une  vie  latine  de  la  sainte  restée  inédite  et  dont  le  manuscrit 
périt  dans  l'incendie  de  la  bibliothèque  de  Strasbourg;  M.  de  Dartein 
a  pu  en  acquérir  une  copie  à  la  vente  de  la  bibliothèque  de  M.  Deger- 
mann,  de  Sainte-Marie-aux-Mines.  Il  publie  d'après  cette  copie  la 
biographie  latine  avec  une  traduction  et  des  notes  intéressantes  ;  il 
fait  précéder  l'édition  d'une  introduction,  comprenant  une  vie  du  P.  de 
Peltre  et  une  étude  sur  ses  sources.  Nous  aurions  été  heureux  de  trou- 
ver quelques  renseignements  nouveaux  sur  la  Vita  metrica  de  sainte 
Odile  que  nous  avons  cherchée  inutilement;  mais  M.  de  Dartein  n'a 
pas  été  plus  heureux  que  nous.  La  question  de  l'orthographe  véritable 
du  nom  de  la  sainte,  Odilia  ou  Ottilia,  nous  paraît  de  minime  impor- 
tance. L'œuvre  est  un  tirage  à  part  de  la  Revue  d'Alsace.  —  C.  Pf. 

Histoire  des  États-Unis. 

—  R.  W.  Emerson.  Autobiographie,  d'après  son  Journal  intime. 
Traduction,  introduction  et  notes  par  Régis  Michaud,  professeur  à 
l'Université  de  Princeton,  États-Unis  (Paris,  A.  Colin,  t.  I,  1914, 
in-12,  332  p.;  prix  :  3  fr.  50).  —  En  élaguant  du  Journal  intime,  qui, 


I  12  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

flans  l'édition  américaine,  ne  compte  pas  moins  de  dix  volumes,  tout 
ce  qui  ne  touche  pas  Emerson,  l'histoire  de  sa  vie  et  de  sa  pensée, 
M.  Michaud  compte  nous  donner  son  autobiographie  en  deux  volumes. 

II  faut  le  remercier  d'épargner  aux  lecteurs  français  beaucoup  d'inutile 
fatras;  nous  y  gagnons  de  pouvoir  aisément  pénétrer  dans  une  des 
âmes  les  plus  généreuses,  un  des  esprits  les  plus  élevés  qui  aient  fait 
honneur  à  l'humanité.  Le  tome  I,  qui  comprend  les  années  1820-i840, 
nous  fait  assister  à  la  formation  d'une  intelligence  ouverte  à  tous  les 
progrès  de  la  science  et  de  la  civilisation,  mais  restée  délibérément 
idéaliste,  optimiste  et  religieuse.  Ch.  B. 

Histoire  de  la  Grande-Bretagne. 

—  The  Great  roll  of  ihe  Pipe  for  the  31^^  year  of  the  reign  of  king 
Henry  II,  118ii-1185  (publ.  de  la  «  Pipe  roll  Society».  Londres,  1913, 
in-8°,  XL-299  p.).  —  Ce  rôle  est  d'une  grosseur  inusitée;  encore  est-il 
loin  d'épuiser  la  somme  des  documents  que  nous  possédons  sur  les 
revenus  du  roi  en  cette  année  financière  de  1185;  nous  possédons  en 
etïet  encore  le  rôle  des  recettes  de  l'Echiquier  pour  le  terme  de  la  Saint- 
Michel,  qui  a  été  reproduit  en  fac-similé  pour  l'École  d'économie  poli- 
tique de  Londres  en  1899  (cf.  Rev.  histor.,  t.  LXXVI,  p.  131),  et  un 
autre  d'un  intérêt  exceptionnel  :  Rotuli  de  dominabus  et  pueris  de 
donatione  régis.  Ce  dernier  texte,  actuellement  imprimé,  sera  distri- 
bué aux  souscripteurs  après  le  Rôle  de  la  Pipe  annoncé  plus  haut, 
mais  il  fait  partie  du  même  exercice.  L'introduction,  due  à  M.  Round, 
abonde  en  indications  précieuses.  Que  de  choses  on  y  trouve,  en  peu 
de  mots!  Ch.  B. 

—  Diocesis  Wyntoniensis.  Registrum  Johannis  de  Pontissara, 
pars  secunda  (The  Canterbury  and  York  Society.  Londres,  124  Chan- 
cery  lane).  —  C'est  le  37«  fascicule  publié  par  la  Société  des  provinces 
ecclésiastiques  de  Cantorbéry  et  d'York.  Il  contient  la  suite  du  registre 
de  Jean  de  Pontoise,  évêque  de  Winchester,  publié  par  le  chanoine 
Deedes.  On  y  peut  lire  (p.  182)  une  lettre  par  laquelle  le  prélat  fait 
remise  de  9,000  Hvres  sur  une  amende  de  10,000  qui  avait  été  pro- 
noncée «  en  présence  de  la  reine  de  France  Marguerite  pour  injustices 
commises  au  détriment  de  l'évêque  par  les  maire,  pair  et  communauté  » 
de  Pontoise  (Poissy,  2  avril  1288,  n.  st.).  La  note  de  l'éditeur  concer- 
nant le  mot  pares  doit  être  supprimée  et  la  date  corrigée.  Ailleurs 
(p.  207),  le  chanoine  Deedes  restitue  avec  raison  à  Jean  de  Pontoise 
des  «  Statuta  sinodalia  »  que  Spelman  et  Wilkins  avaient  publiés  en 
les  attribuant  à  H.  Woodloke,  successeur  de  Jean  de  Pontoise  sur  le 
siège  de  Winchester.  Ch.  B. 


RECUEILS  PÉRIODIQUES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES. 


France. 

1.  —  Annales  révolutionnaires.  1914,  juillet-sept.  —  H.  Lion. 
N.-A.  Boulanger,  1722-1759;  contribution  à  l'histoire  du  mouvement 
philosophique  au  xviii*  s.  (biographie  et  œuvres  d'un  littérateur  mort 
à  moins  de  trente-sept  ans,  qui  collabora  aux  premiers  volumes  de 
l'Encyclopédie  et  que  ses  contemporains,  le  considérant  comme  un 
homme  de  génie,  mettaient  sur  le  même  rang  que  Voltaire,  Diderot  et 
d'Alembert). — A.  Mathiez.  Hérault  de  Séchelles  était-il  dantoniste? 
(Hérault  ne  saurait  être  rangé  parmi  les  partisans  de  Danton.  Il  était 
plutôt  hébertiste,  moins  d'ailleurs  par  conviction  que  par  calcul  et 
par  peur;  c'est  comme  «  agent  de  l'étranger  »  et  non  comme  ami  de 
Danton  qu'il  fut  arrêté  avec  celui-ci).  —  G.  Vauthier.  Le  Directoire 
et  le  garde-meuble  (quand  les  directeurs  furent  installés  au  Luxem- 
bourg, leurs  appartements  furent  meublés  avec  à  peu  près  tout  ce  qui 
restait  du  garde-meuble,  puis  celui-ci  fut  fermé.  Il  devait  renaître  un 
peu  plus  tard,  sous  l'Empire).  —  Fr.  Vermale.  Acquéreurs  et  émi- 
grés au  début  du  Directoire  (étudie,  d'après  les  pièces  empruntées  aux 
émigrés  des  départements  du  Mont-Blanc  et  du  Léman,  quelques  épi- 
sodes judiciaires  qui  mirent  aux  prises  les  acquéreurs  des  biens  natio- 
naux et  les  émigrés  rentrés  provisoirement  en  l'an  IV  et  en  l'an  V). 
—  J.  Roux.  Le  manifeste  des  Enragés,  juin  1793  (publie  le  texte 
intégral  de  l'adresse  présentée  à  la  Convention  par  Jacques  Roux, 
«  officier  municipal  de  Paris,  électeur  du  département  et  membre 
du  club  des  Cordeliers  »).  =  C. -rendus  :  Madelin.  Danton  (compte- 
rendu  par  A.  Mathiez.  Élogieux  en  somme;  «  en  bonne  justice,  on 
ne  peut  être  plus  exigeant  pour  M.  Madelin  que  pour  les  autres 
historiens  de  la  Révolution.  Son  livre,  qui  sera  lu  et  qui  le  mérite, 
sera  un  stimulant  pour  nos  études  »).  —  H.  Jagoy.  Les  origines  de 
la  guerre  de  Vendée  (la  thèse  soutenue  par  l'auteur  est  inadmissible. 
On  ne  peut  lui  concéder  que  cette  guerre  eut  pour  cause  unique 
la  persécution  du  clergé  catholique  ;  que  les  Vendéens  fussent  dans  la 
main  des  prêtres,  ceci  s'explique  par  l'extrême  misère  où  ils  vivaient. 
Semblable  à  la  Fronde  et  à  la  Ligue,  la  révolte  de  la  Vendée  fut  en 
grande  partie  «  une  jacquerie  cléricale  de  meurt-de-faim  »). 

2.  —  Bibliothèque  de  TÉcole  des  chartes.  1914,  janv. -avril.  — 
Noël  Valois.  Projet  d'enlèvement  d'un  enfant  de  France  :  le  futur 
Henri  III,  en  1561  (en  octobre  1561,  le  duc  de  Nemours  tenta  de  déci- 

Rev.  Histor.  CXVII.  l^--  FASC.  8 


114  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

der  le  duc  d'Orléans,  alors  âgé  de  dix  ans,  à  quitter  subrepticement 
Saint-Germain,  où  résidait  la  cour,  pour  se  retirer  en  Lorraine  auprès 
des  Guise;  il  espérait  affaiblir  le  parti  des  Huguenots  en  séparant 
Catherine  de  Médicis  de  ses  enfants.  Il  n'y  eut  pas  de  complot,  pas 
d'entente  avec  l'Espagne.  Une  enquête  sévère  ordonnée  par  la  reine- 
mère  prouva  que,  si  Nemours  avait  voulu  faire  le  jeu  des  catholiques 
et  des  Guise,  il  n'avait  pas  sérieusement  eu  l'idée  d'un  guet-apens.  Fort 
émue  tout  d'abord  et  non  sans  cause,  Catherine  finit  par  permettre  à 
Nemours,  qui  d'abord  avait  pris  la  précaution  de  se  retirer  en  Savoie,  de 
rentrer  à  la  cour). —  L.  Levillain.  Le  diplôme  faux  de  Pépin  le  Bref 
pour  Notre-Dame  de  La  Règle  en  Limousin  (diplôme  fabriqué  au 
moyen  de  la  Chronique  d'Adhémar  de  Chabannes.  Texte  de  ce 
diplôme,  complété  à  l'aide  de  trois  copies  inconnues  de  l'éditeur  des 
Mon.  Germ.  hist.).  —  Robert  André-Michel.  Une  accusation  de 
meurtre  rituel  contre  les  Juifs  d'Uzès  en  1297.  —  Ch.-V.  Langlois. 
Les  suppressions  de  papiers  inutiles  aux  Archives  nationales  en  1913 
(liste  très  détaillée  et  très  précise  des  destructions  ordonnées,  dans  les 
formes  d'ailleurs  les  plus  régulières  et  après  un  examen  scrupuleux 
des  documents  ;  dressée  par  l'administration  des  archives,  elle  répond 
par  des  faits  aux  imputations  injustifiées  dont  cette  administration 
a  été  la  victime  dans  la  presse).  =  C. -rendus  :  L.  Bonnard.  La  navi- 
gation intérieure  de  la  Gaule  à  l'époque  gallo-romaine  (bon  résumé, 
qui  se  lit  avec  agrément,  mais  dont  les  références  manquent  de 
précision).  —  H.  Gœken.  Normannische  Ortsnamen  bei  Ordericus 
Vitalis  (bon).  —  E.  Champeaux.  Ordonnances  franc-comtoises  sur 
l'administration  de  la  justice,  1343-1477  (très  utile  et  soigné).  —  J.  Duf- 
foiir.  Fragments  d'un  ancien  sacramentaire  d'Auch  (bon). —  P.  Gra- 
tie7i.  Un  épisode  de  la  Réforme  catholique  avant  Luther.  La  fon- 
dation des  Clarisses  de  l'Avé-Maria  et  l'établissement  des  Frères 
Mineurs  de  l'Observance  à  Paris,  1478-1485  (bon).  —  Samanek.  Der 
Marschall  des  Kaisers  im  nachstaufischen  Reichs-Italien  (assez  inté- 
ressant). =:  Chronique  :  on  reproduit  ici  les  conclusions  adoptées  par 
la  Commission  supérieure  des  archives  chargée  «  d'examiner  la  valeur 
des  allégations  portées  contre  M.  Aulard  et  ses  copistes  »  ;  on  sait 
qu'après  en  avoir  pris  connaissance  le  ministre  de  l'Instruction 
publique  a  ordonné  de  «  supprimer  immédiatement  la  faculté  accor- 
dée aux  copistes  de  travailler  hors  de  la  salle  du  public  où  le  contrôle 
de  l'administration  peut  s'exercer  ».  —  Est  reproduite  également  la  loi 
(4  jan,vier  1914)  sur  les  monuments  historiques. 

3.  —  Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire  du  Protestantisme 
français.  1914,  janv.-févr.  —  Récit  de  l'assemblée  générale  tenue  à 
MontpelUer  du  8  au  10  novembre  1913  :  note  sur  les  pasteurs  Dubour- 
dieu.  —  G.  Mercier.  Etienne  Cambolive  (avocat  à  Montpellier,  con- 
damné aux  galères  en  1684).  —  Paul  Gachon.  L'œuvre  de  combat  de 
Bâville  en  Languedoc.  —  Ed.  Hugues.  Le  musée  du  Désert  (au  Mas- 
Soubeyran).  —  A.-B.  Henry.  Notes  sur  la  tour  de  Constance  à  Aiguës- 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  115 

Mortes.  =:  Mars-avril.  A.-B.  Henry.  L'assemblée  de  Montmars  et  ses 
conséquences  (14  novembre  1751).  —  F.  Puaux.  L'évolution  des  théories 
politiques  du  protestantisme  français  pendant  le  règne  de  Louis  XIV 
(Élie  Benoît;  les  pamphlets  publiés  en  Hollande  ;  Jurieu).  —  N.  Weiss. 
Calvin  en  Angleterre,  un  portrait  inédit  du  réformateur  (portrait  de 
Calvin  peint  en  1564  et  conservé  dans  la  Dulwich  Gallery;  notes  sur 
la  traduction  anglaise  de  l'Institution  chrétienne).  —  F.  Reverdin. 
Relevé  des  noms  des  prosélytes  et  réfugiés  figurant  aux  registres  du 
consistoire  de  Genève  à  partir  de  1660  (à  suivre).  —  P.-E.  NoyOn  et 
R.  Garreta.  Un  héritage  normand  réclamé  par  les  héritiers  protes- 
tants et  catholiques  en  1718  (avec  notes  intéressantes  sur  Basnage).  =r 
Mai-juin.  F.  Terrisse.  Théophile  Terrisse,  professeur  à  l'Académie  de 
Die,  1640-1674  (d'après  des  documents  de  la  bibliothèque  de  Genève 
et  des  archives  de  la  Drôme).  —  P.  Beuzart.  Pierre  Titelmans  et 
l'Inquisition  en  Flandre,  1554-1567  (document  extrait  des  archives  du 
Nord  :  «  Lettres  de  subdélégation  d'inquisiteurs  de  lafoy  pour  M'=^  Pierre 
Thilleman  et  Jehan  PoUet  son  assesseur,  le^  décembre  1555  »). —  F.  Re- 
verdin. Relevé  des  noms  des  prosélytes  et  réfugiés  figurant  aux 
registres  du  consistoire  de  Genève,  1660-1667;  suite.  —  Frank  Puaux. 
Une  lettre  de  Louvois,  8  janvier  1686  (pour  empêcher  le  retour  en 
France,  sous  déguisement,  des  ministres  exilés  après  la  Révocation). 

—  M™e  DE  Charnisay.  Les  chifîres  de  M.  l'abbé  Rouquette;  étude 
sur  les  fugitifs  du  Languedoc,  Uzès;  suite. 

4.  —  Feuilles  d'histoire  du  XVIIe  au  XX''  siècle.  1914,  l'='"juin. 

—  H.  Malo.  L'expédition  d'Ecosse  en  1708  (article  très  documenté). 

—  J.  d'Aubrives.  Les  relations  entre  Rome  et  la  France  sous 
Louis  XV  et  Louis  XVI  (d'après  le  tome  III  du  Recueil...  Rome,  par 

Jean  Hanoteau).  —  G.  Vauthier.  Les  cérémonies  des  écoles  centrales 
(lors  de  leur  inauguration).  —  F.  Baldensperger.  Deux  lettres  de 
M.  de  La  Tour  du  Pin  au  colonel  Hamilton  (lettres  datées  de  Londres 
en  1798;  elles  illustrent  les  Souvenirs  d'une  femme  de  cinquante 
ans).  —  Rod.  Reuss.  Une  dépêche  de  Rastatt,  frimaire  an  VII  (par 
laquelle  les  administrateurs  du  Bas-Rhin  annonçaient  la  prochaine 
signature  de  la  paix  ;  dans  le  même  temps,  il  est  vrai,  Debry  écrivait 
au  Directoire  que  «  la  conflagration  allait  devenir  générale  »).  — 
L.  Maurer.  Avant  léna.  Le  capitaine  Beaulieu  (publie  les  rapports  de 
ce  Beaulieu,  envoyé  pour  reconnaître  l'emplacement  des  forces  prus- 
siennes en  septembre  1806;  biographie  de  cet  officier  jusqu'à  sa 
retraite  en  1826).  —  J.  Durieux.  Le  général  d'Anglars  (biographie  : 
1756-1836).  —  A.  Chuquet.  Un  discours  de  Napoléon  aux  troupes 
saxonnes,  9  octobre  1813  (d'après  deux  témoignages  contemporains. 
Cette  allocution,  traduite  par  Caulaincourt  dans  un  jargon  incorrect, 
n'excita  aucun  enthousiasme.  Les  Saxons  restèrent  froids  ou  se  mirent 
à  rire).  —  P.  Holzhausen.  Le  maréchal  Davout  à  Hambourg,  1812- 
1813,  jugé  par  ses  contemporains  allemands;  chap.  vi  :  la  défense  de 
la  place;  fin  le  l"''  juillet  (excellente  élude,  très  documentée  et  impar- 


116  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

liale).  —  E.  Welvert.  Celui  qui  découvrit  Hoche  (Hoche  dut  sa 
nomination  de  généralissime  à  l'incapacité  de  Pichegru,  à  sa  victoire 
de  Frœschwiller,  mais  surtout  à  la  haine  que  Lacoste  et  Baudot  por- 
taient à  Saint-Just  et  à  Le  Bas.  Biographie  de  Marc-Antoine  Baudot). 

—  P.  Bart.  Le  poète  Pierre  Lebrun,  sénateur  (publie  quelques  pages 
où  Lebrun,  pour  se  justifier  aux  yeux  de  ses  amis  du  reproche  de 
palinodie,  raconte  comment  il  consentit  à  se  laisser  nommer  sénateur 
en  1853).  —  M.  Citoleux.  Vigny  et  l'Angleterre;  chap.  vi.  =  l^""  juil- 
let. Cl.  Perroud.  Une  famille  en  1793-1794,  Lettres  d'un  volontaire 
(le  chef  de  cette  famille  est  L.-A.  Donin  de  Rosière-Champagneux, 
ami  de  Roland,  et  qui,  en  1793,  était  employé  au  ministère  de  l'Inté- 
rieur, à  Paris.  Le  volontaire  est  le  fils  aîné  de  Champagneux,  Benoît- 
Anselme,  âgé  de  dix-huit  ans  et  engagé  volontaire  au  4«  bataillon  des 
Ardennes  en  avril  1793.  Publie  la  correspondance  échangée  entre  le 
père  et  le  fils).  —  L.  Humbert.  Lettres  de  la  comtesse  de  Balbi,  de 
son  fils  et  de  Louis  XVIH  (lettres  provenant  de  la  correspondance  du 
marquis  d'Autichamp;  en  1794-1795,  le  comte  de  Balbi,  fils  de  la  com- 
tesse, était  dans  l'armée  des  princes  sous  les  ordres  de  d'Autichamp). 

—  Eug.  Welvert.  Barras  après  Brumaire  (d'après  les  rapports  de. la 
police,  contrôlés  par  les  témoignages  des  contemporains  ;  on  s'est  bien 
gardé  d'utiliser  les  prétendus  Mémoires  de  Barras,  sinon  pour  en  réfu- 
ter les  erreurs).  —  P.  Holzhausen.  Le  maréchal  Davout  à  Ham- 
bourg, 1812-1813,  jugé  par  ses  contemporains  allemands;  chap.  vu  : 
la  fin  du  siège.  —  A.  Mazon.  Rapport  d'un  Russe  sur  l'instruction 
publique  en  France  en  1842.  —  P.  Bart.  Lettres  et  billets  de  M.  Thiers 
(à  Lebrun,  1825-1863).  — A.  Chuquet.  Les  francs-maçons  du  Mexique 
et  l'empereur  Maximilien. 

5.  —  Le  Moyen  âge.  T.  XVH,  1913,  nov.-déc.  —  E.  Lesne.  La 
lettre  interpolée  d'Hadrien  I«''  à  Tilpin  et  l'église  de  Reims  au  ix«  s. 
(fin.  Cette  lettre  renferme  un  important  passage  portant  concession 
aux  archevêques  de  Reims  d'une  série  de  privilèges  qui  les  rattachent 
directement  au  siège  de  Rome  et  interdisent  la  division  de  leur  pro- 
vince ecclésiastique  :  ce  passage  a  été  manifestement  fabriqué  en  un 
temps  où  les  Fausses  Décrétales  étaient  déjà  connues,  à  Reims  même, 
dans  l'entourage  d'Hincmar  et  vers  l'année  852).  —  K.  Voigt.  Le 
diplôme  de  Thierry  HT  et  le  privilège  de  847  pour  Corbie  (le  diplôme 
royal  serait  remanié).  =  C. -rendus  :  Bédier.  Les  légendes  épiques, 
t.  ni  et  IV  (G.  Huet  montre  à  quelles  difficultés  se  heurtent  encore, 
malgré  tout,  les  hypothèses  de  M.  Bédier).  —  W.  Golther.  Die 
deutsche  Dichtung  im  Mittelalter,  800  bis  1500.  =  T.  XVIII,  1914, 
janv.-févr.  L.  Levillain.  Sur  deux  documents  carolingiens  de  l'ab- 
baye de  Moissac  (1°  d'un  acte  de  Pépin  l""  d'Aquitaine  confirmant  à 
l'abbaye  le  privilège  d'immunité  concédé  par  Louis  le  Pieux,  il  existe 
une  version  authentique  de  l'an  818,  connue  seulement  par  extraits, 
et  une  autre  de  l'an  843  ou  844,  qui  est  un  faux  et  dont  nous  avons  le 
texte  complet;  2°  examen  d'une  charte  de  846-848  portant  cession  par 


RECUEILS   PERIODIQUES.  117 

Austoricus  à  un  abbé  Vittard  d'un  domaine  dit  castellum  Cerrucium  : 
rien  ne  prouve  qu'il  s'agisse  d'un  abbé  de  Moissac;  le  domaine  est 
peut-être  Castelferrus,  en  corrigeant  Fernicium).  —  G.  de  Beausse. 
Note  sur  un  mode  de  tradition  par  les  reliques  (d'après  un  dessin  du 
xiF  s.,  dans  le  cartulaire  du  Mont-Saint-Michel).  —  E.  Clouzot.  Les 
nombres  cardinaux  dans  la  toponymie  (suivant  M.  Leite  de  Vasconcel- 
los,  le  terme  septem  dans  des  expressions  comme  ad  septem  aras 
n'aurait  pas  la  signification  précise  de  sept  mais  seulement  celle  de 
plusieurs.  M.  Clouzot  indique  des  exemples  à  l'appui  de  cette  hypo- 
thèse). r=:  C. -rendus  :  Blanchet  et  Dieudonné.  Manuel  de  numisma- 
tique française,  t.  I  (important  article  de  M.  Prou).  —  J.  Burnam. 
Palaeographia  Iberica.  —  Pissard.  La  clameur  de  haro  dans  le  droit 
normand  (R.  de  Fréville  ajoute  quelques  exemples  à  ceux  qu'adonnés 
l'auteur).  =  Mars-avril.  M.  Wilmotte.  Observations  sur  le  roman 
de  Troie  (au  point  de  vue  du  style).  —  P.  Flament.  Le  premier  sei- 
gneur de  Bourbon  et  la  charte  de  fondation  de  Chantelle  (ce  premier 
seigneur  est  Aimon  au  milieu  du  x«  s.). 

6.  —  La  Révolution  française.  1914,  14  avril.  —  E.  Saulnier. 
Une  prison  révolutionnaire.  Les  otages  et  prisonniers  de  guerre  à 
rhôtel  du  Dreneuc,  en  1795;  suite  et  fin  (détails  intéressants).  — 
Docteur  R.  Laffon.  La  commune  de  Pazayac,  Dordogne,  pendant  la 
Révolution  (analyse  le  cahier  dressé  en  1789  et  le  registre  des  délibé- 
rations municipales).  —  Alph.  Méry.  La  fuite  à  Varennes  et  la  réu- 
nion des  assemblées  primaires  et  électorales,  juin  1791  (chap.  i  :  la 
convocation  des  assemblées  primaires  et  électorales;  chap.  ii  :  la  fuite 
à  Varennes  et  l'opinion);  suite  et  fin  le  14  mai  (chap.  m  et  iv  :  les 
assemblées  primaires  et  les  abstentions  ;  chap.  v  :  les  assemblées  élec- 
torales et  le  décret  de  suspension  du  24  juin  1791).  —  Commission  des 
archives  de  la  Marine.  Rapport  annuel  du  président.  —  Les  destruc- 
tions aux  Archives  nationales  (lettre  d'un  Archiviste  anonyme  qui 
déplore  la  destruction  de  pièces  concernant  l'histoire  universitaire  et 
surtout  «  l'absence  de  toute  méthode  dans  la  destruction  »).  =  14  mai. 
F.  Evrard.  L'esprit  public  dans  l'Eure;  suite  (chap.  ii  :  les  élections 
de  la  Convention;  chap.  m  :  l'élan  pour  la  défense  nationale);  fin  le 
14  juin  (l'hostilité  contre  les  émigrés  et  les  prêtres  réfractaires).  — 
L.  Gauthier.  L'organisation  des  municipalités  cantonales  dans  le 
département  de  la  Vienne.  — Notice  sur  M.  de  Lalande  (réimpression 
du  Courrier  français  du  19  avril  1807).  —  Les  destructions  aux 
Archives  nationales  (quelques  remarques  sur  l'utilité  des  «  situations 
morales  des  lycées  et  collèges  »  et  sur  les  «  états  numériques  et  nomi- 
natifs des  élèves  »).  =  14  juin.  J.  Pollio.  Casanova  et  la  Révolution 
française  (montre,  d'après  les  lettres  de  Casanova  publiées  par 
MM.  Khôl  et  Pick,  que  le  fameux  libertin  insultait  volontiers  la 
France  et  la  Révolution).  —  Aulard.  Thiers  historien  de  la  Révolu- 
tion française  (cette  histoire  fut  avant  tout  un  manifeste  de  l'opinion 
libérale,  ([ui  s'agitait  fort  en  1823;  elle  est  remarquable  surtout  par 


118  RECDEILS   PÉRIODIQUES. 

l'effort  que  l'auteur  a  fait  pour  comprendre  les  événements  racontés 
par  lui  et  les  juger  avec  équité  et  bon  sens.  Montre  l'accueil  qui  fut 
fait  aux  deux  premiers  volumes  dans  la  presse  et  dans  le  public).  ^ 
14  juillet.  A.  AULARD.  Thiers  historien  de  la  Révolution  française  (fin; 
Thiers  rendit  le  grand  service  de  faire  entrer  Thistoire  de  la  Révolu- 
tion dans  le  domaine  public  et  classique,  de  la  traiter  autrement  que 
comme  une  matière  à  pamphlet,  autrement  aussi  qu'un  thème  de 
morale  ou  oratoire;  il  élargit  cette  histoire  en  y  introduisant  les 
finances,  il  la  rendit  plus  réaliste;  enfin,  il  fut  un  défenseur  courageux 
de  cette  Révolution).  —  J.  Berland.  Mots  d'ordre  et  de  ralliement  à 
Châlons  pendant  la  Révolution  (intéressant  pour  l'histoire  militaire  et 
politique).  —  P.  Vinson.  Un  essai  de  représentation  professionnelle 
pendant  les  Uent-Jours  (à  propos  de  l'article  33  de  l'Acte  additionnel 
de  1815).  —  M.  Nesi.  La  résistance  au  coup  d'État  du  2  décembre 
dans  les  Deux-Sèvres  (sources  et  documents;  résistance  très  faible). 
=  Documents  :  1°  les  hésitations  d'un  prêtre  jureur  (procès-verbal 
de  Condé-sur-Huisne);  2°  un  mariage  civil  sous  la  Restauration 
(curieux  documents  extraits  du  greffe  du  tribunal  d'Auxerre).  = 
G. -rendu  :  A.  Espitalier.  Vers  Brumaire.  Bonaparte  à  Paris  (ce  livre 
suscitera  des  polémiques  intéressantes). 

7.  —  Revue  de  l'histoire  des  colonies  françaises.  1914, 
jer  trimestre.  —  H.  Malo.  Épisodes  de  navigation  aux  Antilles  (faits 
de  la  guerre  de  course,  à  la  fin  du  xyii^  s.  et  au  commencement  du 
xviii«  s.;  d'après  des  documents  des  Archives  nationales).  —  E.  Saul- 
NiER.  Les  Français  en  Casamance  et  dans  l'archipel  des  Bissagos 
(mission  Dangles,  1828  ;  d'après  les  archives  du  ministère  des  Colo- 
nies). —  H.  F.  L'histoire  des  colonies  françaises  à  l'Exposition  carto- 
graphique de  la  Bibliothèque  nationale  (notes  détaillées  et  intéres- 
santes). =  C. -rendu  :  F.-X.  Garneau.  Histoire  du  Canada,  5''  édition, 
t.  I  (quelques  observations  sur  les  retouches  faites  par  M.  Hector  Gar- 
neau; légères  rectifications;  au  reste,  travail  digne  des  plus  grands 
éloges).  —  Bulletin  historique  (bibliographie  des  travaux  de  Ch. 
Bréard). 

8.  —  Revue  des  études  anciennes.  1914,  juillet-sept.  —  Ph. 
Fabia  et  Germain  de  Montauzan.  Le  nouveau  diplôme  militaire  de 
Lyon  :  Commode  à  Sextus  Egnatius  Paulus  (texte  du  diplôme  et  dis- 
cussion d'une  théorie  de  Mispoulet).  —  B.  PiCK.  Une  monnaie  de  Nico- 
poUs  d'Arménie.  —  H.  DE  La  Ville  de  Mirmont.  C.  Calpurnius 
Piso  et  la  conspiration  de  l'an  818-65  (fin.  Les  principaux  conjurés  ;  le 
préfet  du  prétoire  Faenius  Rufus;  Pison,  chef  nominal  de  la  conjura- 
tion ;  le  rôle  de  Sénèque  ;  hésitations  et  mauvaise  volonté  de  Pison  ; 
le  meurtre  de  Néron  est  fixé  au  19  avril,  et  la  conspiration  découverte 
le  18  ;  aveux  et  dénonciations  des  conjurés  qui  sont  les  premiers  arrê- 
tés ;  inertie  de  Pison  qui  n'agit  pas  et  qui  se  tue  ;  sort  des  principaux 
conjurés  ;  le  fils  de  Pison).  —  C.  Jullian.  Notes  gallo-romaines  : 
LXIIL  De  l'origine  des  Francs-SaUens.  —  J.  Toutain.  Une  nouvelle 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  119 

inscription  d'Alésia.  —  H.  de  Gérin-Ricard.  Enceintes  et  habitats 
des  environs  de  Marseille  ({'•^  liste).  —  Voie  antique  de  Marseille  à 
Trets.  —  Inscriptions  rurales  de  la  colonie  d'Apt  (conservées  au  châ- 
teau deCoUongue,  Vaucluse).  —  C.  Jullian.  Chronique  gallo-romaine. 

—  P.  Roussel.  Une  inscription  funéraire  d'Egypte.  :=  C. -rendus  : 
.4.  Jeremias.  Manuel  de  l'ancienne  civilisation  orientale  (livre  à 
thèse,  où  sont  groupés  des  faits  très  nombreux;  rectifications  et  cri- 
tique par  L.  Legrain).  —  E.  Courbaud.  Horace  (un  peu  artificiel).  — 
P.  Gauckler.  Basiliques  chrétiennes  de  Tunisie  (remarquable;  addi- 
tions par  J.-A.  Brutails).  —  R.  Billiard.  La  vigne  dans  l'antiquité 
(sérieux  et  complet).  —  Ch.  Coffey.  L'âge  du  bronze  en  Irlande 
(résumé  solide  et  nourri).  —  Chronique  des  études  anciennes  (Corpus 
délien;  Pandora;  Ciris;  statuette  du  musée  de  Berlin;  l'argent  et  la 
république  romaine;  etc.). 

9.  —  Revue  des  études  historiques.  1914,  mai-juin.  —  G.  Gau- 
THEROT.  Un  démolisseur  jacobin  :  François  Daujon  (1792-1799; 
d'après  la  série  F  des  Archives  nationales).  —  A.  Auzoux.  Un  inci- 
dent diplomatique  entre  l'Espagne  et  le  Directoire,  1798-1799  (inci- 
dent de  personnel;  fond  assez  anodin;  récit  agréable  d'après  des 
documents  des  Affaires  étrangères  et  des  Archives  nationales).  — 
L.  PiNVERT.  Mérimée  et  le  combat  de  Schwardino.  Le  vrai  «  Enlève- 
ment de  la  Redoute  «  (Mérimée  ignoi'e  l'âme  du  soldat).  —  Vicomte 
DE  Reiset.  M™«  de  Genlis  et  ses  historiens  (travaux  de  MM.  Har- 
mand,  de  Maricourt,  Maugras,  de  Beaumont  et  Banos,  de  Parrel).  = 
C. -rendus  :  H.  Malo.  Les  corsaires  dunkerquois  et  Jean  Bart  (sujet 
intéressant;  livre  remarquable). — Ed.Guyot.  Le  socialisme  et  l'évo- 
lution de  l'Angleterre  contemporaine  (critique  vive  du  style  et  de 
X  l'esprit  universitaire  »  de  l'auteur). 

10.  —  Revue  des  études  napoléoniennes.  1914,  juillet-décembre. 

—  P.  Hazard.  Leopardi  et  Napoléon  (étudie  «  l'impression  que  fit,  sur 
l'âme  d'un  des  plus  grands  poètes  du  xix**  siècle,  le  grand  empereur  ». 
Parle  surtout  des  Dialoghetti,  brochure  publiée  en  1831  parle  père  de 
Leopardi,  qui  était  un  ennemi  acharné  de  Napoléon  et  de  toute  la 
France  révolutionnaire.  Leopardi,  qui  avait  d'abord  détesté,  lui  aussi, 
le  «  tyran  »,  était  passé  au  parti  libéral,  par  conséquent  à  celui  de  la 
Révolution.  Il  refusa  de  subir  la  paternité  du  livre  de  son  père,  que 
tout  le  monde  lui  attribuait;  mais  il  continua  de  ne  pas  aimer  Napo- 
léon). —  R.   GuYOT.  Pitt  et  Napoléon,  d'après  M.  J.  Holland  Rose. 

—  L.  Batcave.  La  bataille  d'Orthez,  27  février  1814.  —  G.  Vau- 
THiER.  La  Société  maternelle  sous  l'Empire  (société  privée  fondée 
par  la  reine  Marie-Antoinette  en  1788  pour  donner  des  secours  aux 
femmes  récemment  accouchées;  transformée  en  1811  en  une  sorte 
d'institution  d'État  sous  la  présidence  de  Marie-Louise.  Renseigne- 
ments tirés  des  registres  mêmes  de  cette  société.  Après  la  seconde 
Restauration,  elle  redevint  société  privée  sous  le  patronage  de  la 
duchesse  d'Angoulème  et  disparut  en  1819).  —  Id.  Médecins  français 


120  RECUEILS   PERIODIQUES. 

demandés  par  l'empereur  de  Russie  en  1809.  —  M.  Escoffier.  Les 
instructions  de  Lord  Castlereagh,  plénipotentiaire  britannique  au 
congrès  de  Châtillon,  1813.  —  A.  Mansuy.  Revue  des  revues  russes, 
1912-1914.  —  L.  Hautecoeur.  Études  sur  l'art  du  premier  Empire. 

11.  —  Revue  des  questions  historiques.  1914,  l^"^  avril.  — 
L.  MiROT.  L'enlèvement  du  Dauphin  et  le  premier  conflit  entre  Jean 
Sans-Peur  et  Louis  d'Orléans,  juillet-octobre  1405  (Louis  d'Orléans 
et  Jean  Sans-Peur;  exposé  de  leurs  forces,  de  leurs  ambitions  et  de 
leurs  politiques  ;  les  premiers  conflits  ;  l'enlèvement  du  Dauphin,  en 
août  1405,  avec  la  complicité  de  la  reine  Isabeau;  à  suivre).  — 
L.  Cristiani.  Luther  au  couvent  (suite;  le  commentaire  de  l'épitre 
aux  Romains,  1515-1517;  le  dogme  de  la  certitude  du  salut,  1518).  — 
P.  Bliard.  Loriquet  et  Saint-Acheul  (Loriquet  directeur  de  l'établis- 
sement de  Saint-Acheul  ;  «  l'épouvantail  et  le  cauchemar  des  libéraux 
impies  aux  jours  de  la  Restauration  »,  1814-1828;  sources  inédites).  — 
P.  Allard.  a  propos  de  l'arc  de  triomphe  de  Constantin  (combat  la 
thèse  du  professeur  Frothingham,  suivant  laquelle  cet  arc  serait  un 
ancien  arc  d'époque  très  antérieure,  remanié  pour  être  consacré  au 
nouveau  maître).  —  R.  de  Cisternes.  Louis  XV  et  le  comte  de  Cler- 
mont  à  la  bataille  de  Lawfeldt  (1747;  documents  des  archives  histo- 
riques de  la  Guerre).  —  R.  Buet.  Un  apôtre  français  en  Suède  à  la 
fin  du  XVIII*  s.  (l'abbé  Oster,  Lorrain;  d'après  le  livre  de  MM.  Fiel  et 
Serrière).  —  G.  Gautherot.  Les  destructions  d'archives  à  l'époque 
révolutionnaire  (d'après  les  pièces  des  Archives  nationales).  — 
P.  Ubald  d'Alençon.  Une  lettre  inédite  de  Félicité  de  La  Mennais 
adressée  à  Gerbet  (19  septembre  1833).  —  A.  d'Alès.  Le  cardinal 
Rampolla  historien  (à  propos  de  ses  travaux  sur  sainte  Mélanie  ;  une 
lettre  inédite  du  cardinal  à  l'auteur).  =  G. -rendus  :  L.  Garzend.  L'In- 
quisition et  l'hérésie,  à  propos  de  l'affaire  Galilée  (thèse  trop  subtile 
et  sans  preuves).  —  0.  Havard.  Histoire  de  la  Révolution  dans  les 
ports  de  guerre  (substantiel  et  curieux).  =  R.  Schneider.  Chronique 
d'histoire  de  l'art.  —  F.  Cabrol.  Chronique  d'archéologie  chrétienne 
et  de  liturgie.  —  E.-G.  Ledos  et  P.  Allard.  Chronique. 

12.  —  Revue  d'histoire  rédigée  à  l'État-major  de  l'armée. 
1914,  mars.  —  L'armée  du  roi,  1674  (I  :  le  recrutement;  suite  en  avril 
et  mai  :  les  soldats).  —  L'organisation  de  la  Grande  Armée  de  1813,  les 
levées  et  l'esprit  public,  !••'=  partie;  chap.  m  :  la  levée  de  la  conscrip- 
tion (suite;  fin  en  avril).  — La  guerre  de  1870-1871.  Le  siège  de  Paris; 
premiers  jours  du  siège,  du  20  au  30  septembre;  chap.  ii  :  premières 
dispositions  militaires;  chap.  m,  en  avril  :  l'action  diplomatique  du 
gouvernement  de  la  défense  nationale  pendant  le  mois  de  septembre. 
—  La  guerre  de  1870-1871.  La  première  armée  de  la  Loire.  III  : 
période  d'expectative  du  18  octobre  au  7  novembre;  chap.  v  :  projet 
d'offensive  de  la  délégation  du  gouvernement.  Conseils  de  guerre  de 
Salbris  et  de  Tours,  24  et  25  octobre.  =  Mai.  La  campagne  de  1807. 
La  manœuvre  d'Eylau  (suite;  le  plan  des  alliés).  —  La  guerre  de 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  121 

1870-1871.  Le  siège  de  Paris.  Premiers  jours  de  siège,  20-30  sep- 
tembre; chap.  IV  :  mesures  générales  d'ordre  administratif  et  mili- 
taire. —  La  première  armée  de  la  Loire;  III  (suite).  =  Juin.  Une 
opinion  allemande  sur  la  genèse  de  la  décision.  —  Suite  des  articles 
précédents. 

13.  —  Revue  historique  de  la  Révolution  française.  1914, 
avril-juin.  —  Baron  "de  Lïitzow.  Trois  lettres  inédites  à  Sir  Francis 
d'Ivernois  sur  la  guerre  d'Espagne,  1810-1812,  publiées  et  annotées 
par  0.  Karmin.  —  O.  Beuve.  Un  petit-fils  de  Montesquieu  soldat  de 
l'indépendance  américaine  (d'après  des  documents  inédits  conservés 
aux  archives  de  l'Aube  et  que  M.  Céleste  n'a  pas  connus.  Ce  sont 
des  lettres  écrites  par  Charles-Louis  de  Secondât  de  Montesquieu  au 
vicomte  de  Saint-Chamans-Rébénac,  son  ami,  1780-1782).  —  Favret. 
Quelques  documents  biographiques  sur  le  conventionnel  Courtois.  — 
Ch.  Vellay.  Les  vicaires  généraux  de  Paris  et  le  serment  constitu- 
tionnel en  janvier  1791.  —  R.  Vallentin  du  Cheylard.  Sanary  et 
le  siège  de  Toulon  ;  suite  et  fin.  —  Marie-Caroline,  reine  des  Deux- 
Siciles.  Lettres  inédites  au  marquis  de  Gallo,  publiées  et  annotées  par 
le  commandant  Weil;  suite  :  1802-1803.  —  H.  Duval.  Robespierre 
et  l'admission  des  femmes  dans  les  sociétés  littéraires  (compte-rendu 
d'un  discours  prononcé  à  l'Académie  d'Arras  le  18  avril  1787).  — 
Ch.  Vellay.  Un  rapport  inédit  de  Robespierre  à  l'Académie  d'Arras, 
1787.  _  Id.  Une  lettre  de  Delessart  au  ministre  de  France  à  Mayence 
sur  la  question  des  émigrés,  14  novembre  1791.  —  0.  Karmin.  Le 
Journal  de  Genève  comme  source  de  l'hisioire  de  la  Révolution 
française,  1789-1793.  —  R.  Brouillard.  Un  journal  bordelais  patronné 
par  Ysabeau,  an  III.  —  O.  Karmin.  Une  lettre  inédite  de  John  Adams 
à  Sir  Francis  d'Ivernois  (11  décembre  1795;  J.  Adams  répond  à  l'en- 
voi que  F.  d'Ivernois  lui  avait  fait  de  ses  Réflexions  sur  la.  guerre). 
—  Id.  Un  récit  oublié  de  la  prise  du  bois  de  Finges,  dans  le  Valais, 
par  les  Français,  28  mai  1799.  —  Commandant  Weil.  Une  singulière 
idée  d'un  Anglais,  partisan  et  défenseur  de  Napoléon,  en  1815  (copie 
analytique,  prise  par  la  police  de  Vienne,  d'une  lettre  où  un  certain 
Mac  Kenrot  propose  à  Marie-Louise  de  faire  parvenir  à  Napoléon  à 
Sainte-Hélène  des  journaux  et  des  livres,  et  conseille  aux  membres 
de  la  famille  impériale  de  former  à  Londres  «  un  établissement  de 
banque  et  de  commerce  sous  la  raison  sociale  Bonaparte  et  C'«  »,  ce 
qui  prouverait  «  la  confiance  de  la  famille  dans  l'honneur  national  du 
peuple  anglais  ».  Peut-être  ceci  pourrait-il  contribuer  à  mettre  fin 
à  «  l'exil  cruel  et  à  la  déportation  inconstitutionnelle  et  illégale  de 
S.  ]\i.  >,).  _  p.  Portevin.  Essai  d'une  bibliographie  de  J.-B.  Carrier; 
suite  et  fin. 


CHRONIQUE. 


France.  —  M.  Georges  Perrot,  qui  est  décédé  le  [""  juillet  dernier, 
était  né  à  Villeneuve-Saint-Georges  le  12  novembre  1832.  Après  de 
brillantes  études  au  lycée  Charlemagne,  il  entra  en  1852  à  l'École 
normale,  où  il  eut  pour  camarades  Fustel  de  Coulanges,  Goumy, 
Michel  Bréal.  Après  avoir  été  reçu  agrégé  des  lettres,  il  fut  nommé, 
le  20  octobre  1855,  membre  de  l'École  française  d'Athènes.  Il  explora 
la  Crète  où  il  découvrit  le  premier  fragment  de  la  loi  de  Gortyne,  l'île 
de  Thasos,  sur  laquelle  il  écrivit  un  mémoire  remarquable  {Archives 
des  Missions,  2«  série,  t.  I).  En  1861,  après  avoir  enseigné  aux 
lycées  d'Angoulème  et  d'Orléans,  il  retourna  en  Orient,  chargé  d'une 
importante  mission  par  Tempereur  Napoléon  III.  Accompagné  par 
Edmond  Guillaume  et  Jules  Delbet,  il  compléta  à  Ancyre  le  texte  grec 
du  Testament  politique  d'Auguste,  fixa  l'emplacement  exact  d'une  série 
d'anciennes  cités  de  la  Galatie  et  découvrit  le  champ  de  bataille  où 
César  battit  Pharnace.  Ce  voyage  nous  valut  deux  beaux  volumes  inti- 
tulés :  l'Exploration  archéologique  de  la  Galatie  et  de  la  Bithynie 
(Paris,  1862-1872,  in-4o,  1  vol.  de  planches).  Tout  en  rédigeant  cet 
ouvrage,  il  enseigna  la  rhétorique  au  lycée  Louis-le-Grand  et  prépara 
ses  deux  thèses  de  doctorat  qui  furent  soutenues  en  1867  ;  De  Gala- 
tia  provincia  romana  et  Essai  sur  le  droit  public  d'Athènes.  Il 
traduisit  aussi  divers  ouvrages  de  l'anglais,  dont  la  Science  du  lan- 
gage, de  Max  Mûller  (avec  M.  Harris).  Après  la  guerre,  il  fut  nommé 
maître  de  conférences  de  littérature  grecque  à  l'École  normale  supé- 
rieure, où  il  enseigna  pendant  sept  années  (1871-1878),  et  de  cet  ensei- 
gnement est  sorti  son  livre  sur  les  Précurseurs  de  Démosthène.  En 
1878,  était  créée  à  la  Faculté  des  lettres  une  chaire  d'archéologie,  pour 
laquelle  il  était  tout  désigné;  il  l'occupa  jusqu'en  1883  et  il  entreprit 
alors,  en  collaboration  avec  Chipiez,  ce  monument  d'érudition  qu'est 
l'Histoire  de  Vart  dans  l'antiquité.  Il  remonta,  par  delà  la  Grèce,  à 
l'Egypte,  à  l'Assyrie,  à  la  Phénicie,  à  la  Judée,  à  la  Perse.  On  a  pu 
dire  fort  justement  :  «  Cette  œuvre,  d'un  plan  clair  et  symétrique,  où 
les  ailes  s'ajoutent  régulièrement  aux  ailes,  est  pour  l'archéologie  con- 
temporaine ce  que  fut  l'Encyclopédie  du  xviii"  siècle  pour  les  diverses 
branche  du  savoir  humain  :  le  rayon  de  bibUothèque  où  se  déposa,  en 
lumineuses  assises,  l'état  actuel  de  nos  connaissances ^  »  Le  t.  I  sur 
l'Egypte  paraissait  en  1882,  le  t.  X  sur  la  céramique  de  la  Grèce 

1.  Georges  Radet,  l'Histoire  et  l'œuvre  de  l'École  française  d Athènes,  p.  338. 


CHRONIQUE.  123 

archaïque  était  donné  en  1914,  quelque  temps  avant  la  mort  de  l'au- 
teur. Se  trouvera-t-il  un  érudit  pour  poursuivre  cette  tâche,  sur  le 
même  plan,  si  étendu?  Le  labeur  effraiera  sans  doute  les  plus  vail- 
lants. On  peut  dire  que  presque  pas  un  jour  ne  s'est  écoulé  depuis 
1878  où  M.  Perrot  n'ait  médité  cette  œuvre.  Il  la  portait  sans  cesse 
avec  lui  en  sa  tête;  en  ses  excursions,  en  ses  courses  à  travers 
Paris,  on  le  voyait  souvent  s'arrêter,  pour  fixer  sur  le  papier  les  idées 
qui  se  présentaient  à  lui.  Il  l'avait  commencée  à  la  Faculté  des  lettres 
de  Paris;  il  la  poursuivit  en  dirigeant  de  1883  à  1904  l'École  normale 
supérieure,  où,  par  sa  droiture,  par  son  obligeance,  il  se  concilia,  en 
des  temps  qui  étaient  parfois  difficiles,  la  respectueuse  sympathie  des 
élèves.  Il  ne  cessa  d'y  travailler  quand,  en  1905,  il  fut  élu  secrétaire 
perpétuel  de  l'Académie  des  inscriptions,  à  laquelle  il  appartenait 
depuis  1874  ;  et  pourtant  chaque  année,  outre  son  rapport  annuel,  il 
donnait  lecture  d'une  notice  fouillée  sur  la  vie  et  les  œuvres  d'un  con- 
frère disparu  :  WaUon,  Delisle,  Longnon  par  exemple.  M.  Perrot  est 
mort  debout  à  sa  table  de  travail  à  l'âge  de  quatre-vingt-deux  ans.  Il 
laisse,  avec  l'exemple  d'une  vie  très  digne,  une  belle  œuvre  scien- 
tifique, et  ce  sera  l'étonnement  des  savants  de  l'avenir  qu'elle  ait  été 
exécutée  par  un  seul  homme.  C.  Pf. 

—  M.  André  Lavertujon,  ancien  ministre  plénipotentiaire  et  séna- 
teur, est  mort  en  septembre  dernier  à  l'âge  de  quatre-vingt-sept  ans. 
On  lui  doit  un  gros  livre,  très  érudit,  sur  la  Chronique  de  Septime 
Sévère,  texte  critique,  traduction  et  commentaire  (2  vol.,  1897,  1899). 

—  Dom  Marins  Férotin,  bénédictin  du  monastère  français  de  Saint- 
Michel  de  Farnborough,  mort  le  16  septembre  à  l'âge  de  cinquante-neuf 
ans,  est  l'auteur  d'une  Hi&toire  de  Silos,  abbaye  castillane  qui  possé- 
dait une  riche  bibliothèque  et  qui  occupe  une  place  fort  honorable  dans 
riiistoire  littéraire  de  l'Espagne  au  moyen  âge.  Il  y  a  joint  un  Recueil 
des  chartes  de  l'abbaye  (1897).  On  lui  doit  en  outre  une  étude  critique 
sur  le  Véritable  auteur  de  la  Peregrinatio  Silviae,  la  vierge  espa- 
gnole Etheria  (1903).  Dans  le  recueil  des  Monumenta  ecclesiae  litur- 
gica,  il  a  donné  deux  gros  et  importants  volumes  :  le  tome  V,  le 
Liber  ordinum  en  usage  dans  l'Église  wisigothique  et  mozara- 
bique  d'Espagne,  du  V^  au  X/«  siècle  (1904),  et  le  tome  VI,  le  Liber 
mozarabicus  sacramentorum  et  les  mayiuscrits  niozarabes  (1911). 

—  M.  Henri-Auguste  B.A.nCKHAUSEN  est  mort  le  10  octobre  à  Bor- 
deaux, sa  ville  natale,  dans  sa  quatre-vingt-unième  année.  Professent' 
de  droit  administratif  à  la  Faculté  de  droit,  il  ne  publia  qu'un  petit 
nombre  d'études  juridiques;  mais  il  se  fit  un  nom  des  plus  honorables 
comme  éditeur  de  textes  importants  relatifs  à  l'histoire,  aux  institu- 
tions, à  la  littérature  de  sa  province.  Membre  de  la  Société  des  biblio- 
philes de  la  Guyenne,  il  publia  pour  elle  les  Essais  de  Montaigne, 
texte  original  de  1580  avec  les  variantes  des  éditions  de  1582  et  de 
1587  (1871  et  1873).  Membre  de  la  Commission  chargée  d'éditer  les 


124  CHRONIQUE. 

archives  historiques  de  Bordeaux,  il  prit  pour  lui  la  plus  grosse  part, 
éditant  les  plus  anciens  Registres  de  la  Jurade  (2  vol.,  1873  et  1878), 
le  Livre  des  privilèges,  précédé  d'un  Essai  sur  l'administration 
de  Bordeaux  sous  l'ancien  régime  (1878),  le  Livre  des  coutumes, 
précédé  d'un  Essai  sur  le  régime  législatif  de  Bordeaux  au  moyen 
âge  (1890).  Ces  deux  derniers  volumes  (toute  réserve  faite  sur  le  plan 
adopté  pour  l'établissement  du  texte)  sont  exécutés  avec  un  soin  digne 
des  plus  grands  éloges.  Pour  la  Société  des  Archives  historiques  de 
la  Gironde,  il  publia  les  registres  des  Grands  Jours  de  Bordeaux  de 
1456  à  1459  (t.  IX,  1871)  et  le  Chartularium  Henrici  V  et  Hen- 
rici  y/,  regum  Angliae  (t.  XVI,  1878),  recueil  de  plus  de  250  chartes 
émanées  de  la  chancellerie  royale  d'Angleterre  qui  s'étend,  en  dépit  du 
titre,  de  1204  à  1453.  La  confiance  qu'il  sut  inspirer  aux  héritiers  de 
Montesquieu  lui  valut  l'inestimable  privilège  de  pénétrer  dans  les 
archives,  jalousement  fermées  jusque-là,  de  La  Brède,  et  c'est  au 
grand  historien  philosophe  bordelais  qu'il  consacra  l'activité  de  ses 
dernières  années.  Déjà,  en  1897,  il  donnait  une  édition  nouvelle  des 
Lettres  persanes,  qu'il  reprit  sous  une  forme  achevée  pour  la  Société 
des  textes  français  modernes  (2  vol.,  1913);  en  1900,  il  fut  chargé  de 
publier  les  Considératio7is  d'après  les  manuscrits  originaux  et,  en 
1907,  il  écrivit  un  très  intéressant  volume  sur  Montesquieu,  ses  idées 
et  ses  œuvres,  d'après  les  archives  de  La  Brède.  Il  y  montrait  qu'il 
pouvait  se  mouvoir  aussi  aisément  dans  le  monde  philosophique  du 
xviii«  siècle  que  dans  les  périodes  les  plus  obscures  du  moyen  âge. 
Resté  jeune  d'esprit  et  de  cœur,  malgré  de  cruelles  infirmités  («  le 
solitaire  du  cours  d'Aquitaine  »,  comme  il  se  qualifiait  volontiers, 
était  devenu  à  moitié  aveugle  et  sourd),  il  ne  cessa  de  s'intéresser 
au  travail  intellectuel  et  il  s'éteignit  doucement  après  trois  jours  de 
maladie.  Ch.  B. 

—  M.  Marcel  Reymond,  mort  le  13  octobre  à  Lyon,  à  l'âge  de 
soixante-cinq  ans,  était  un  historien  de  l'art  des  plus  distingués.  Outre 
de  nombreuses  biographies  d'artistes  italiens  :  les  Délia  Robbia 
(1897),  Donatello  (1898),  Verrochio  (1905),  Michel-Ange  (1906),  le 
Bernin  (1911),  Brunelleschi  (1912),  qui  sont  surtout  des  ouvrages 
de  vulgarisation,  on  lui  doit  une  étude  très  fouillée  et  originale  sur  la 
Sculpture  florentine,  qui  comprend  quatre  volumes  abondamment 
illustrés  :  les  Précurseurs  (1897),  le  XV^  siècle  (1898  et  1899),  le 
XVI^  siècle  et  les  successeurs  de  l'École  florentine  (1900).  Il  admi- 
rait l'art  italien  et  il  en  parlait  avec  autant  de  compétence  et  de  goût 
que  d'enthousiasme;  mais  il  professait  aussi  un  culte  passionné  pour 
l'art  français  :  un  de  ses  premiers  écrits  avait  eu  pour  objet  de  dénon- 
cer Vinfluence  néfaste  de  la  Renaissance  italienne  en  France  (1890). 
Il  vivait  d'ordinaire  à  Grenoble,  libre  de  toute  attache  officielle  et  pro- 
fessionnelle, assez  mal  en  cour  à  cause  de  ses  opinions  politiques  et 
religieuses.  Il  s'attacha  avec  d'autant  plus  d'ardeur  à  sa  petite  patrie, 
surtout  aux  trésors  artistiques  de  sa  province  dont  il  étendait  volon- 


CHRONIQDE.  125 

tiers  l'influence  loin  de  ses  limites  naturelles.  Une  étude  sur  le  Palais 
de  Justice  de  Grenoble,  en  collaboration  avec  M.  Charles  Giraud 
(1897),  lui  fournit  l'occasion  de  mettre  en  relief  l'école  grenobloise  de 
sculpture  au  xvF  siècle,  et  en  particulier  l'œuvre  de  Martin  Claustre. 
A  l'Université  de  Grenoble,  il  sut,  par  son  activité  complaisante,  sa 
chaleur  de  cœur,  attirer  et  retenir  une  nombreuse  clientèle  d'étudiants 
étrangers  dont  beaucoup  lui  sont  demeurés  reconnaissants.  —  Ch.  B. 

—  L'inexorable  guerre  que  nous  font  l'Allemagne  et  l'Autriche- 
Hongrie  frappe  si  cruellement  l'érudition  française  qu'il  faudra  men- 
tionner seulement  les  morts  les  plus  douloureuses.  Nous  annoncerons 
aujourd'hui  celles  de  MM.  Déchelette  et  R.  Michel. 

Joseph  DÉCHELETTE,  conscrvateur  du  musée  de  Roanne,  a  été  blessé 
mortellement  le  3  octobre  à  la  tête  d'un  bataillon  de  territoriale  à 
Vic-sur-Aisne,  à  l'âge  de  cinquante-trois  ans.  Neveu  de  BuUiot,  l'ar- 
chéologue autunois,  il  fut  initié  par  lui  à  l'étude  de  nos  antiquités 
nationales,  auxquelles  il  a  consacré  un  grand  nombre  d'articles;  rap- 
pelons seulement  son  rapport  sur  les  Fouilles  du  mont  Beuvray 
(1891-1900)  (1904).  Le  grand  ouvrage  de  Pic,  conservateur  du  musée 
de  Prague,  sur  le  Hradischt  de  Stradonitz  en  Bohême,  lui  fournit 
le  thème  d'une  instructive  comparaison  avec  les  fouilles  de  Bibracte 
(1901),  et  il  traduisit  en  français  l'ouvrage  du  savant  tchèque  (1906). 
Ses  yases  céramiques  ornés  de  la  Gaule  romaine  (2  vol.,  1904)  lui 
méritèrent  les  éloges  unanimes  de  l'Académie  des  inscriptions.  Enfin, 
il  s'est  acquis  une  renommée  qui  a  dépassé  de  fort  loin  les  limites 
de  notre  pays  en  publiant  son  Manuel  d'archéologie  préhistorique, 
celtique  et  gallo-romaine,  œuvre  considérable  dont  quatre  volumes 
ont  déjà  paru  (1910-1913),  mais  qui  reste  malheureusement  inachevée. 

Robert  Michel  était  le  fils  unique  de  M.  André  Michel,  le  savant  pro- 
fesseur d'histoire  de  l'art  à  l'École  du  Louvre;  il  avait  fait  de  solides 
études  à  l'École  des  chartes,  d'où  il  sortit  le  premier  de  sa  promotion 
en  1908,  et  à  l'École  des  Hautes-Études.  Sa  thèse  pour  le  diplôme 
d'archiviste-paléographe  :  l'Admiyiistration  royale  dans  la  séné- 
chaussée de  Beaucaire  au  temps  de  saint  Louis^  fut  remarquée. 
Publiée  sous  les  auspices  de  la  Société  de  l'École  des  chartes  (1910), 
elle  semblait  promettre  un  historien  sagace  à  l'étude  de  nos  institu- 
tions médiévales  ;  mais  l'influence  paternelle  et  le  fructueux  séjour 
qu'il  fit  à  l'École  française  de  Rome  l'engagèrent  dans  une  voie  diffé- 
rente. Ayant  trouvé  dans  les  archives  Vaticanes  de  nombreux  docu- 
ments sur  les  constructions  faites  par  les  papes  d'Avignon  en  France 
au  xive  siècle,  il  se  fit  archéologue  sans  cesser  d'être  historien;  les 
textes  lui  fournissaient  des  dates  précises,  des  noms  d'artistes  et  d'en- 
trepreneurs, des  mentions  d'œuvres  d'art,  une  riche  nomenclature;  il 
voulut  faire  de  cette  masse  de  matériaux  écrits  la  solide  base  d'une 
série  d'études  sur  l'histoire  de  l'architecture  civile,  militaire  et  reli- 
gieuse du  moyen  âge.  Il  se  proposait  d'en  tirer  d'abord  le  sujet  de 
thèses  pour  le  doctorat  es  lettres.  L'une,  sur  Vllistoire  des  remparts 


12G  CHRONIQUE. 

d'Avignon,  est  achevée;  l'autre,  sur  les  Villes  fortes  et  les  châteaux 
des  papes  d'Avignon,  n'est  encore  qu'en  préparation.  Chaque  nou- 
veau voyage  dans  le  Midi,  chaque  nouvelle  visite  dans  les  archives 
locales  lui  apportait  un  supplément  d'informations  qui  l'obligeait  à 
reprendre  son  travail  et  à  en  différer  l'accomplissement.  Érudit  scru- 
puleux, modeste  et  qui  n'était  jamais  satisfait  de  lui-même,  Robert 
Michel  était  en  outre  d'une  rare  distinction  morale.  Ceux  qui  ont  eu 
le  privilège  de  le  connaître  dans  l'intimité,  en  particulier  les  directeurs 
de  la  Revue  historique,  dont  il  fut  pendant  un  temps  le  secrétaire, 
garderont  de  lui  un  souvenir  ému  et  reconnaissant.  Il  a  été  tué  le 
13  octobre;  la  veille,  il  avait  eu  trente  ans.  Ch.  B. 

—  Parmi  nos  jeunes  historiens  déjà  tombés  pour  la  France  et  la 
noble  cause  de  l'humanité,  nous  mentionnons  Thierry  de  Lambel, 
un  des  premiers  frappés  et  mort  à  l'hôpital  du  Mans  des  suites  d'une 
grave  blessure.  Il  avait  été  reçu  licencié  es  lettres  à  la  Sorbonne  et  pré- 
parait son  diplôme  supérieur  d'histoire  et  de  géographie.  Appartenant 
à  une  illustre  famille  lorraine,  habitant  ce  beau  château  Renaissance 
de  Fléville  qu'Israël  Silvestre  a  gravé,  il  avait  demandé  à  l'histoire  de 
Lorraine  le  sujet  de  son  mémoire  et  il  devait  traiter  :  La  mission  de 
Dupuy,  de  Lebret  et  de  Delorme  en  Lorraine  en  1624  ;  une  première  ten- 
tative de  chambre  de  réunion.  Il  avait  déjà  réuni  pour  ce  travail  des  notes 
nombreuses  que  nous  tâcherons  sans  doute  un  jour  de  mettre  en  œuvre. 
—  L'Ecole  normale  supérieure  a  été  particulièrement  éprouvée.  A  elle 
appartenait  Jean  Roux,  qui  venait  de  terminer  sa  seconde  année.  Il  nous 
avait  présenté  un  excellent  mémoire  pour  le  diplôme  sur  le  concile  do 
Francfort  de  794.  Il  avait  traduit  de  la  façon  la  plus  précise  les  canons 
du  concile,  les  avait  commentés  article  par  article  et,  de  cette  étude 
minutieuse  de  détail,  il  avait  tiré  d'excellentes  considérations  géné- 
rales sur  la  politique  ecclésiastique  de  Charlemagne.  Sous-lieutenant 
au  82«  de  ligne,  il  a  été  tué  à  Vaubécourt  (Meuse)  le  6  septembre.  — 
Edmond  BOUCHÉ  faisait  partie  de  la  promotion  de  1910.  Il  s'était  par- 
ticulièrement consacré  à  l'histoire  religieuse  du  xvii<=  siècle  et,  pour 
son  diplôme,  il  avait  présenté  un  mémoire  sous  ce  titre  :  La  consul- 
tation des  évêques  de  France  en  1698  sur  la  conduite  à  tenir  à  l'égard 
des  Réunis.  Il  faisait  en  1913-1914  sa  seconde  année  de  service  mili- 
taire en  qualité  de  sous-lieutenant  au  72"  de  ligne  et  c'est  en  uniforme 
qu'il  vint  passer  les  épreuves  de  l'agrégation  au  dernier  concours,  que 
la  mobilisation  a  interrompu  de  façon  si  subite.  Il  fut  rappelé  bien 
vite  à  son  régiment  et  ne  put  faire  la  première  leçon  de  l'examen  oral. 
Dans  la  nuit  du  7  au  8  septembre,  il  était  frappé  sur  le  champ  de 
bataille  de  Pargny-sur-Saulx  (Marne).  —  Georges  Reverdy  était  son 
contemporain.  Il  avait  fait  de  très  bonnes  études  au  lycée  de  Montpel- 
lier, sous  la  direction  de  maîtres  qui  éveillèrent  sa  vocation  histo- 
rique. Son  mémoire  pour  le  diplôme  consista  en  une  traduction  et  un 
commentaire  d'un  recueil  de  lettres  de  l'époque  mérovingienne  con- 
servé à  la  Vaticane  dans  le  fonds  de  la  reine  Christine  et  connu  sous 
le  nom  de  :  Epistolae  Austriasicae.  Il  montra  combien  l'édition  de 


CHRONIQUE.  127 

Gundlach,  dans  les  Monumenta,  était  insuffisante,  proposa  des  con- 
jectures très  séduisantes  pour  corriger  le  texte,  expliqua  des  passages 
qui,  avant  lui,  étaient  incompréhensibles  et,  dans  sa  traduction,  sut  à 
la  fois  être  fidèle  et  élégant.  L'article  de  lui  que  nous  avons  publié 
dans  la  Revue  historique  (t.  CXIV,  p.  61)  :  les  Relations  de  Chil- 
debert  II  et  de  Byzance,  est  un  fragment  de  ce  travail;  et  le  Moyen 
âge  (2«  série,  t.  XVII,  p.  274)  accueillit  la  Note  sur  l'interprétation 
d'un  passage  d'Avitus,  où  le  jeune  historien  discuta  avec  beaucoup 
de  fermeté  la  question  du  baptême  de  Clovis.  Au  concours  de  1913, 
Reverdy  fut  reçu  agrégé  et  en  octobre  il  partait  pour  accomplir  son 
service  militaire.   Il  a  été  tué  le  30  août  à  Haudonville,  non  loin 
de  Gerbéviller,  que  les  Allemands  ont  ruiné  d'une  façon  si  barbare. 
—  Jules  Pascal  appartenait  à  une  promotion  plus  ancienne,  celle 
de  1906.  Il  avait  suivi  les  classes  du  lycée  de  Grenoble  où  son  père 
est  secrétaire  d'Académie;  à  l'Ecole  normale,  il  se  fit  inscrire  à  la 
section  d'histoire  et  étudia  dans  son  diplôme  la  condition  des  terres 
et  des  personnes  au  moyen  âge  dans  le  Dauphiné,  d'après  le  cartu- 
laire  de  l'église  de  Grenoble  et  les  autres  cartulaires  locaux.  Il  aimait 
ces  questions  difficiles  vers  lesquelles  le  portaient  ses  études  juri- 
diques, poussées  en  même  temps  que  ses  études  d'histoire,  et  aussi 
un  esprit  très  net  ayant,  avec  le.  sens  des  réalités,  le  besoin  de  géné- 
raliser,   et   volontiers   systématique.    Il    trouva    des    solutions    très 
curieuses  sur  la  condamine,  la  cahannaria,  le  mode  de  propriété 
des  vastes  forêts  ou  des  déserts  alpins.  Reçu  second  agrégé,  il  ensei- 
gna une  année  au  lycée  d'Annecy,  puis  passa  trois  ans  comme  pen- 
sionnaire à  la  fondation  Thiers.  Il  y  poursuivit  ses  études  de  droit 
et  rassembla  les  matériaux  pour  ses  deux  thèses  de  doctorat;  dans 
la   thèse  principale,    il   se   proposait   de  résumer   les    théories   des 
sociologues  sur  le  caractère  de  la  propriété  primitive;  dans  la  thèse 
complémentaire,  il  voulait  étudier  la  situation  des  classes  rurales  et 
l'état  des  terres  en  Dauphiné  au  cours  du  xviiie  siècle.  Le  travail  de 
recherche  était  déjà  fort  avancé.  En  juillet  dernier,  il  venait  d'être 
nommé  professeur  au  lycée  de  Marseille  quand  la  guerre  éclata.   Il 
rejoignit  aussitôt  son  poste  de  sous-lieutenant  au  356«  régiment  d'in- 
fanterie et,  le  22  septembre,  il  tomba  à  Lironville  (Meurthe-et-Mo- 
selle); il  fut  enterré  par  ses  soldats  au  cimetière  de  Noviant-aux-Prés. 
Aux  familles  si  cruellement  frappées,  nous  présentons  nos  condo- 
léances émues.  Ces  jeunes  gens  qui  se  destinaient  à  l'enseignement 
et  aux  paisibles  recherches  scientifiques  ont  été  de  vaillants  soldats  et 
sont  morts  en  héros.  Que  d'espérances,  que  de  belles  études  historiques 
ont  été  anéanties  en  un  clin  d'oeil  !  Mais  d'autres  reprendront  la  tâche 
interrompue  et  la  mèneront  à  bonne  fin  pour  la  plus  grande  gloire  de 
notre  chère  France  reconstituée.  Chr.  Pfister. 

Espagne.  —  L'Institut  d'estudis  catalans  de  Barcelone  s'apprête 
à  fêter  le  sixième  centenaire  de  la  mort  du  philosophe  Ramon  Lull  ; 
une  commission,  formée  pour  concentrer  les  travaux  des  érudits  cata- 
lans, publiera  une  série  d'études  biographiques  et  bibliographiques, 


128  CHRONIQUE. 

dont  cinq,  par  MM.  Gottron,  Duran-Rogent,  Aguilô,  Alôi  et  Rutrô, 
sont  déjà  prêtes  pour  l'impression.  Une  autre  commission,  dont  l'objet 
est  de  publier  à  Majorque  toutes  les  œuvres  de  R.  LuU,  fêtera  le  cen- 
tenaire en  éditant  le  Blanquerna  d'après  le  texte  du  manuscrit  de 
Munich,  dont  l'Institut  possède  une  reproduction  photographique: 

—  Aux  facultés  de  droit  et  de  littérature  de  Madrid  a  été  créée  une 
chaire  d'histoire  des  institutions  politiques  et  civiles  de  l'Amérique  ; 
elle  a  été  confiée,  à  la  suite  d'un  concours,  à  M.  Altamira. 

Grande-Bretagne.  —  Un  certain  nombre  de  professeurs  de  l'Uni- 
versité d'Oxford  se  sont  préoccupés  de  répandre  dans  le  public  les 
notions  qu'il  faut  posséder  sur  les  causes  de  la  guerre  actuelle  et 
sur  les  questions  de  politique  générale  qu'elle  soulève.  Dans  Why  we 
are  at  war,  six  d'entre  eux,  MM.  Barker,  Davis,  Fletcher,  Has- 
SALL,  Legg  et  Morgan,  ont  exposé  en  six  chapitres  les  origines  de  la 
neutralité  de  la  Belgique  et  du  Luxembourg,  la  course  aux  arme- 
ments depuis  1871,  le  développement  de  la  politique  russe,  la  crise 
d'où  est  sortie  la  guerre,  les  négociations  qui  l'ont  précédée,  enfin  les 
théories  nouvelles  sur  l'État  à  la  mode  prussienne,  sur  la  nécessité  et 
la  moralité  splendide  de  la  guerre,  qui  ont  été  enseignées  en  Alle- 
magne par  le  professeur  Treitschke  et  le  général  de  Bernhardi.  En 
appendice,  on  a  reproduit  les  principaux  documents  diplomatiques 
dont  la  lecture  est  indispensable  à  toute  personne  soucieuse  d'étudier 
honnêtement  les  origines  immédiates  de  la  guerre  et  de  déterminer  la 
part  de  responsabilité  qui  incombe  à  chacun  des  belligérants.  On  y 
trouvera  notamment  une  traduction  autorisée  en  anglais  des  pièces 
imprimées  dans  le  Livre  blanc  allemand  (Clarendon  Press;  prix  :  2  sh.; 
une  seconde  édition  augmentée  vient  de  paraître,  ainsi  qu'une  traduc- 
tion en  français  due  à  un  professeur  français  d'Oxford).  — A  la  même 
librairie  a  paru  une  série  d'  «  Oxford  Pamphlets  »  parmi  lesquels  nous 
mentionnerons  :  Serbia,  par  Sir  Valentine  Chirol;  Russia;  the  psy- 
chology  of  a  nation,  par  P.  Vinogradoff;  India  and  the  war,  par 
E.  Trevelyan;  The  Germans^  their  einpire,  par  C.  R.  L.  Flet- 
cher; The  value  of  small  states,  par  H.  Fisher;  Nietzsche  and 
Treitschke  ;  the  worship  of  povper  in  modem  Germany,  par  E.  Bar- 
rer. Chacune  de  ces  brochures  est  mise  en  vente  au  prix  de  2  pence 
(25  centimes).  —  Au  même  prix,  a  paru  à  Londres  chez  J.  Murray 
une  brochure  de  M,  G.  W.  Prothero  :  Our  duty  and  our  interest 
in  the  war  (publ.  par  le  «  Central  Committee  for  national  patriotic 
organisations  »).  C'est  la  première  d'une  série  destinée  surtout  à 
éclairer  la  religion  des  neutres. 


Le  gérant  :  R.  Lisbonne. 


Nogenl-le-Rotrou,  imprimerie  Daupeley-Godverneor. 


LA  RETRAITE 


DE 


POMPONNE   DE    BELLIÈVRE 

(Septembre  1588-Mai  1593). 


I. 

Le  renvoi  des  aticiens  ministres.  —  Les  premiers  temps 
de  la  disgrâce. 

Le  8  septembre  1588,  le  surintendant  des  finances  Pomponne 
de  Bellièvre^  recevait  à  Blois  du  roi  Henri  III,  son  maître, 
l'ordre  de  se  retirer  chez  lui.  Le  même  commandement  était 
fait  le  même  jour  au  chancelier  de  Cheverny,  aux  secrétaires 
d'État  Villeroy,  BrûlartetPinart.  La  lettre  était  correcte,  sèche 
et  vague  :  le  roi  daignait  seulement  indiquer  qu'il  voulait  désor- 
mais disposer  ses  affaires,  ainsi  que  sa  volonté  et  résolution  le 
mouvaient  pour  le  bien  de  son  État.  Bellièvre  remit  aussitôt  au 
porteur  Benoise  une  réponse  simple  et  digne  où  il  donnait  au  roi 

1.  Les  faits  de  celle  histoire  n'ont  jamais  été  exposés.  Les  biographes  de  Bel- 
lièvre  n'ont  pas  connu  ou  ils  ont  passé  sous  silence  ces  cinq  années  de  sa  car- 
rière. Nos  documents  essentiels  sont  pris  dans  les  papiers  de  Bellièvre,  qui 
forment  à  la  Bibliothèque  nationale,  dans  le  fonds  français,  une  riche  collec- 
tion de  lettres  encore  mal  connues,  intéressant  l'histoire  de  France  sous 
Charles  IX,  Henri  III  et  Henri  IV  (n°'  15890-15911).  Ce  sont  surtout  les  n<"  15892, 
15893,  15909  et  15910.  —  Sur  Bellièvre,  il  n'existe  aucune  étude  d'ensemble. 
On  a  deux  Oraisons  funèbres  datées  de  1007  (Paris,  in-S"),  l'une  de  Pierre 
Fenoillet,  l'autre  de  Jean  Tournet;  deux  Éloç/es,  l'un  de  René  le  Bossu,  l'autre 
de  Papyre  Masson  (Paris,  IG07,  in-4'').  Voir  aussi  Duchesne,  Histoire  des  chan- 
celiers... Paris,  1680,  in-fol.;  Scévole  de  Sainte-Marthe,  Éloges  des  hommes 
illustres...,  mis  en  français  par  CoUetet.  Paris,  in-fol.,  1644.  —  Les  mémoires 
ou  histoires  qui  fournissent  sur  Bellièvre  des  renseignements  sont  les  sources 
habituellement  consultées  pour  l'histoire  générale  de  l'époque.  Citons  les  prin- 
cipales :  Palraa-Cayet,  Mathieu,  de  Thou,  Nevers,  Duplessis-Mornay,  Sully, 
Rev.  Histor.  CXVII.  2«  fasc.  9 


130  J.    NOUAILLAC. 

l'assurance  qu'il  serait  fidèlement  obéi  ^  ;  et  il  se  retira  sans  bruit 
dans  ses  terres,  abandonnant,  pour  «  le  petit  ruisseau  de  Gri- 
gnon  »,  «  les  grandes  mers  de  la  cour  »'-. 

Quelles  réflexions  lui  inspira  cette  brutale  disgrâce?  Nous 
pouvons  aisément  les  pénétrer,  car  il  ne  se  fit  point  faute,  pen- 
dant les  premiers  mois  de  l'exil,  de  confier  à  ses  amis  ce  qu'il 
avait  sur  le  cœur. 

L'afi'ront  lui  parut  d'abord  absolument  immérité.  Bellièvre 
avait,  sans  fausse  vanité,  une  conscience  claire  des  services 
rendus  à  l'Etat  durant  une  vie  déjà  longue.  Il  était,  comme  les 
l'Aubespine,  les  Morvilliers,  les  Cheverny  et  les  Villeroy,  ses 
contemporains,  le  type  de  ces  «  bons  serviteurs  »  que  la  noblesse 
de  robe  donna  à  la  monarchie  et  qui,  sans  laisser  le  souvenir 
précis  d'une  œuvre  législative,  financière  ou  diplomatique  ori- 
ginale, s'acquittèrent  «  dignement  et  vertueusement  »,  comme 
dit  l'Estoile,  de  grandes  et  belles  charges.  BeUièvre  avait  été, 
dirions-nous,  une  de  ces  «  utilités  »,  un  de  ces  hommes  d'Etat 
intelligents  et  souples  employés  tour  à  tour  dans  les  hautes  fonc- 
tions judiciaires  ou  financières,  dans  l'administration  des  pro- 
vinces, dans  la  diplomatie. 

Sa  vie  avait  été  bien  remplie  :  de  vingt-cinq  à  vingt-neuf  ans, 
le  fils  de  Claude  de  Bellièvre,  premier  président  du  parlement 
de  Grenoble,  fut,  comme  il  convenait,  un  homme  de  robe,  con- 

d'Aubigné,  L'Estoile,  Villeroy.  Ajoutons  les  Hislorietles  de  Talleinant  des 
Réaux  et  les  Anecdotes  de  l'hisloire  de  France...  Urées  de  la  bouche  de  M... 
Du  Vair  et  autres  (Lalanne,  Paris,  1858).  Les  relations  et  dépèches  d'ambas- 
sadeurs ilorentins  et  vénitiens  sont  aussi  utiles  à  consulter.  —  Presque  tout, 
dans  les  lettres  et  écrits  divers  de  Bellièvre,  est  inédit;  certains  documents 
(surtout  pour  les  ambassades  en  Suisse  et  les  négociations  de  Vervins)  sont  en 
outre  dispersés,  hors  des  Papiers,  dans  les  fonds  Brienne  et  Dupuy  à  la  Biblio- 
thèque nationale,  aux  Affaires  étrangères,  à  l'Arsenal,  à  l'Institut.  On  ne  trouve 
d'imprimés  que  la  Harangue  à  la  reine  d'Angleterre  (1588),  XAdvis  aux  Fran- 
çais (1593)  et  diverses  pièces  contenues  dans  le  Mémoire  historique  concer- 
nant la  négociation  de  la  paix  traitée  à  Vervins,  l'an  1598  (Paris,  1667, 
2  vol.  in-12).  —  Signalons  enfin  les  ouvrages  modernes  où  l'on  trouve  des  ren- 
seignements pour  certaines  parties  de  la  vie  de  Bellièvre  :  E.  Rott,  Hem-i  IV, 
les  Suisses  et  la  Haute-Italie  (Paris,  1882)  ;  Histoire  de  la  représentation  diplo- 
matiqtie  de  la  France  auprès  des  Cantons  suisses  (Paris,  1902);  E.  Halphen, 
Lettres  inédites  du  roi  Henri  IVaii  chancelier  de  Bellièvre,  1581-1601  (Paris, 
1872). 

1.  L'ordre  de  Henri  HI  a  été  recopié  de  la  main  de  Bellièvre  :  f.  fr.  15892, 
fol.  174.  La  minute  de  la  réponse  nous  a  été  conservée,  Ibid.,  fol.  269. 

2.  Expression  plusieurs  fois  employée  par  lui,  notamment  dans  la  lettre  à 
la  reine-mère,  30  septembre  1588,  Ibid.,  fol.  191. 


LA    RETRAITE    DE   POMPONNE    DE   BELLIÈVRE.  131 

seiller  au  Parlement  français  de  Charabéry  (1554-1559)  lors  de 
l'occupation  du  Piémont,  puis  il  devint,  pendant  quatre  ans, 
lieutenant  général  au  bailliage  de  Vermandois,  fut  nommé,  en 
1564,  président  au  présidial  de  Lyon,  douze  ans  après  président 
au  Parlement  de  Paris.  Depuis  1570,  il  était  conseiller  d'Etat; 
depuis  1575,  surintendant  des  finances  :  c'étaient  ses  deux 
principaux  titres  au  maniement  des  affaires.  Il  avait  accompli 
d'importantes  missions  diplomatiques,  en  Pologne,  comme 
ambassadeur  de  Charles  IX  auprès  de  son  frère,  aux  Pays-Bas, 
auprès  du  duc  d'Anjou,  des  états  d'Anvers,  du  prince  de  Parme, 
en  Angleterre,  auprès  d'Elisabeth  pour  sauver  «  notre  pauvre 
reine  douairière,  la  reine  d'Ecosse  »,  en  Suisse  et  aux  Grisons 
où  il  avait  fait  six  longs  séjours,  où  il  était  certainement  le 
plus  populaire  des  Français,  le  meilleur  franco-helvète  du  siècle. 
Entre  temps,  comme  homme  de  confiance  de  la  reine-mère, 
il  avait  pris  part,  à  l'intérieur  du  royaume,  à  des  négociations 
aussi  délicates  et  graves  que  des  campagnes  diplomatiques, 
puisqu'on  était  en  pleins  troubles  civils  :  ainsi,  il  avait  traité 
avec  Condé  et  les  protestants  du  midi  en  1576,  aidé  à  conclure 
la  paix  de  Fleix  en  1580,  négocié  avec  le  roi  de  Navarre  de 
1581  à  1583.  Enfin,  tout  récemment,  en  avril  et  en  mai  1588, 
avant  la  journée  des  Barricades,  il  avait  servi  d'intermédiaire 
entre  une  cour  apeurée  et  les  Guises  à  demi  rebelles. 

Il  y  avait  en  somme  trente-cinq  ans  qu'il  avait  été  reçu  en 
cour  souveraine,  avec  la  faveur  de  Henri  II,  et  trente  ans  qu'il 
«  n'avait  point  abandonné  le  clocher  des  affaires  de  la  cour  »i. 
Il  pouvait  déclarer  sans  exagération  qu'il  n'y  avait  pas  d'homme 
de  sa  robe  qui  ait  eu  plus  de  charges  que  lui  en  France^,  Il  vou- 
lait dire  des  affaires  à  traiter,  des  missions  à  remplir,  car  pour 
les  charges  honorifiques  il  n'avait  point  été  gâté;  il  pouvait 
jurer  sur  son  honneur  qu'il  n'avait  demandé  un  seul  état,  si  ce 
n'est  l'état  de  président  au  Parlement  de  Paris. 

Ne  croyons  point  toutefois  que  le  surintendant  en  disgrâce 
ait  passé  son  temps  à  gémir  sur  l'inconstance  des  hommes  et  à 
rappeler  ses  services.  Il  le  fit  avec  une  certaine  discrétion  dans 
des  lettres  au  marquis  de  Pisani,  au  cardinal  de  Selve,  à  son 
cousin  d'Espeisses  pour  répondre  à  quelque  calomnie  colportée 
en  cour  ou  bien  pour  remémorer  à  Rome,  où  il  sollicitait  une 

1.  Lettre  au  cardinal  de  Selve,  sans  date,  fol.  2i8. 

2.  Lettre  à  d'Espeisses,  14  juillet  1590,  fol.  289. 


132  J.    NODAILLAC. 

faveur,  ce  qu'il  avait  fait  pour  la  religion.  Il  ne  composa  point, 
à  la  manière  de  Villeroy,  de  longues  Apologies  pour  conter 
les  choses  qui  lui  étaient  advenues  depuis  le  début  de  sa  car- 
rière ' . 

Le  premier  souci  de  Bellièvre  fut  de  rechercher  les  causes  du 
coup  d'État  antiministériel.  Sa  surprise  avait  été  profonde.  Sans 
doute,  il  y  avait  longtemps,  nous  assure-t-il,  qu'il  s'était  «  pro- 
posé toute  incertitude  aux  choses  à  venir  »  et  il  lui  semblait  être 
ordinairement  à  la  cour  «  comme  ceux  qui  marchent  sur  la 
corde  ».  Mais,  malgré  cette  philosophie,  il  ne  s'attendait  évi- 
demment à  rien.  Si  Villeroy  avait  observé  que  le  roi  était  plus 
réservé  à  son  égard  depuis  quelques  semaines,  Bellièvre,  lui, 
n'avait  rien  vu.  La  cour  et  le  public,  à  vrai  dire,  ne  furent  pas 
moins  stupéfaits  que  les  principaux  intéressés.  La  reine-mère 
n'avait  pas  été  prévenue  et,  comme  l'archevêque  de  Lyon, 
auquel  elle  en  avait  fait  la  confidence,  elle  avait  trouvé 
«  étrange  »  la  résolution  de  son  fils.  «  Etrange  »  et  «  soudain  » 
sont  les  qualificatifs  employés  par  les  correspondants  de  Bel- 
lièvre qui  affirment  leur  étonnement  et  leur  déplaisir  de  cette 
mesure.  Potier  de  Blancmesnil,  Gaspard  de  Schomberg,  Anne 
d'Esté,  La  Fin,  Gondi,  d'Aumont,  Perrot  et  autres"^. 

Bellièvre  ne  connut  sans  doute  pas  les  injures  dont  Henri  III 
gratifia  ses  ministres  d'hier  dans  un  entretien  avec  Catherine. 
Il  ne  sut  pas  qu'il  était  un  huguenot,  que  le  chancelier  s'enten- 
dait avec  les  fournisseurs,  que  Villeroy  était  un  glorieux,  Pinart 
une  canaille,  Brûlart  un  homme  de  rien.  Si  de  teUes  amertumes 
lui  furent  épargnées,  il  put  saisir  d'autres  rumeurs  qui  lui  furent 
particulièrement  désagréables.  On  répandit  sur  lui  des  calom- 

1.  Villeroy,  son  collègue  pendant  la  même  période,  écrivit  au  moins  trois 
récits  de  ses  actes  :  Y  Apologie  du  8  avril  1589,  «  contenant  les  causes  qui  le 
contraignirent  à  se  ranger  au  parti  de  la  Ligue  »;  le  Mémoire  adressé  à  Bel- 
lièvre pour  montrer  «  la  peine  qu'il  a  prise  de  faire  la  paix  entre  le  roi  et 
M.  de  Mayenne  et  sa  continuelle  poursuite  à  la  pacification  de  nos  misérables 
troubles  »  (1594);  la  Lettre  à  M.  Du  Vair  «  sur  le  sujet  d'un  livre  intitulé  la 
Satire  Ménippée  »,  10  août  1594.  —  La  grande  lettre  à  Jeannin  et  les  autres 
écrits  politiques  composés  plus  tard  par  Bellièvre  sont  très  sobres  de  rensei- 
gnements personnels  rétrospectifs.  Hâtons-nous  de  dire  que  son  attitude  après 
sa  disgrâce  fut  beaucoup  moins  discutée  que  celle  de  Villeroy  qui  s'était 
retiré  auprès  de  Mayenne. 

2.  Pasquier  écrit  :  «  Voici  le  temps  des  merveilles...  Ces  mutations  si  subites 
et  inopinées  du  haut  en  bas  et  du  bas  en  haut...  apprêtent  diversement  à  glo- 
ser »  {Œuvres,  in-fol.,  1723,  t.  II,  liv.  XIII,  p.  356). 


LA   BETRAITE    UE   POMPONNE    DE    BELLIÈVRE.  133 

nies;  il  en  parle  avec  indignation,  sans  en  préciser  la  nature  et 
sans  eu  nommer  les  auteurs  autrement  que  par  métaphore, 
«  comme  les  bêtes  venimeuses  que  la  terre  produit  »  ^ .  Il  semble 
qu'on  l'ait  accusé  de  malversations,  si  l'on  en  croit  une  allusion 
contenue  dans  une  lettre  à  Catherine  de  Médicis. 

Au  vrai,  ces  griefs  n'étaient  pas  sérieux.  Ce  n'étaient  pas  eux 
qui  avaient  fait  renvoyer  Bellièvre.  Le  nonce  du  pape  et  l'en- 
voyé florentin  voyaient  plus  juste  en  rapportant  à  leurs  gouver- 
nements les  bruits  qui  couraient  sur  l'attitude  politique  de  ces 
hommes.  On  disait,  en  effet,  pour  expliquer  la  décision  du  roi, 
que  les  ministres  trahissaient  leur  maître,  traversaient  ses  des- 
seins, s'entendaient  avec  les  factieux.  Cheverny  avait  aussi 
compris  la  vérité,  quand  il  affirmait  que  le  roi  éloignait  ses 
ministres  parce  qu'ils  avaient  été  trop  dévoués  à  sa  mère.  Vil- 
leroy  le  déclarait  également  et,  pour  sa  part,  il  ne  voyait  pas 
moins  juste  quand,  ayant  «  conféré  avec  un  chacun  pour  décou- 
vrir les  causes  »,  il  disait  qu'on  lui  reprochait  d'avoir  acquis 
trop  d'autorité  en  sa  charge  et  d'avoir  été  trop  favorable  aux 
Guises  dans  les  dernières  négociations.  Bellièvre  put  avoir  bien- 
tôt, lui  aussi,  des  nouvelles  précises  sur  la  cause  de  son  renvoi. 
Son  cousin,  Jacques  Faye  d'Espeisses,  venait  enfin,  «  la  face 
livide  et  sentant  la  maladie  »,  de  rejoindre  la  cour  où  son  dévoue- 
ment était  liautement  apprécié.  Ce  maître  des  requêtes  de  l'hô- 
tel, avocat  général  au  Parlement,  qui  allait  bientôt  présider  à 
Tours  une  cour  royaliste,  était  l'ami  le  plus  sûr  et  le  plus  ser- 
viable  de  Bellièvre.  On  comprend  qu'il  se  soit  fait  un  devoir  de 
renseigner  exactement  son  cousin.  Il  ne  pouvait,  à  cause  du 
danger  des  chemins,  lui  confier  certaines  particularités;  mais, 
dans  son  curieux  langage  émaillé  d'expressions  latines,  il  lui 
rapporta  que  la  cause  de  l'événement  était  «  le  propre  mouve- 
ment du  roi  ».  «  Addunt  qu'il  y  a  en  cela  un  peu  de  soudaineté 
et  de  décision  de  faire  omnia  nova,  j'entends  un  conseil  nou- 
veau. »  Le  roi  avait  été  surtout  irrité  contre  Villeroy  et  Bel- 
lièvre :  au  premier,  il  ne  pardonnait  pas  la  paix  de  Juillet  avec 
les  Guises,  les  articles  de  l'édit  de  réunion  qu'il  jugeait  trop 
avantageux  pour  ses  ennemis;  contre  le  second,  il  avait  un 
grief  connexe  :  «  Les  souffleurs  du  roi  lui  ont  dit  qu'ils  s'éton- 
naient de  quoi  ceux  qui  étaient  si  souvent  à  Chàlons  et  Soissons 

1.  Bellièvre  à  d'Espeisses,  sans  date,  fol.  278. 


134  J.    NOUAILLAC. 

n'avaient  pu  découvrir  l'entreprise  de  Paris  et  la  venue  de 
M.  de  Guise.  »  C'était  désigner  Bellièvre,  le  négociateur  de 
Soissons  ;  quant  à  ceux  qui  avaient  excité  Henri  III  contre  Bel- 
lièvre  et  ses  collègues,  d'Espeisses  les  connaît  et  les  nomme, 
mais  en  chiffre. 

La  cause  de  «  l'éloignement  des  anciens  serviteurs  »  nous 
paraît  aujourd'hui  bien  claire.  Elle  est,  comme  le  constatait  le 
cousin  de  Bellièvre,  dans  un  «  mouvement  »  de  l'âme  de  Henri  III, 
dans  un  revirement  secret  produit  par  la  défiance,  la  haine  et  la 
fureur.  Nous  la  trouvons  dans  tel  ou  tel  cri  de  rage  qui  s'exhale 
d'un  de  ces  billets  inédits  qui  nous  révèlent  le  véritable  carac- 
tère du  roi,  dans  celui-ci,  par  exemple,  écrit  à  Villeroy  à  la 
veille  des  Barricades  :  «  La  passion  à  la  fin  blessée  se  tourne  en 
fureur  :  qu'ils  ne  m'y  mettent  point  M  »  Or,  ils  l'y  mirent  et, 
après  les  Barricades,  après  le  honteux  traité  de  Juillet,  il  res- 
sentit si  vivement  son  humiliation  et  le  dégoût  de  sa  faiblesse 
passée  qu'il  résolut  tout  à  coup  de  faire  maison  nette.  A  la  veille 
de  prendre  de  nouvelles  décisions,  de  paraître  devant  les  États, 
de  chercher  secrètement  le  moyen  d'en  finir  avec  la  Ligue  et  les 
Guises,  il  renvoya  les  ministres  qui  représentaient  un  passé 
détesté,  la  politique  de  sa  mère  qui  avait  fait  faillite  aux  Barri- 
cades. 

Mais  cette  cause  était,  il  va  sans  dire,  moins  évidente  aux 
mois  de  septembre  et  d'octobre  1588.  «  Unde  ce  mouvement, 
disait  Paye.  Nulhim  verhura.  »  A  quoi  tendait-il?  On  ne  savait 
non  plus.  On  était  vaguement  inquiet  :  on  pensait  généralement 
que  «  le  maître  ne  tarderait  pas  à  se  repentir  de  ce  soudain 
changement  »-. 

En  tous  cas,  l'attitude  de  Bellièvre  à  l'égard  du  «  maître  » 
fut  d'une  correction  parfaite.  Il  a  beau  récriminer,  discuter,  se 
défendre,  se  consoler  et  philosopher,  il  ne  lui  échappe  jamais 
un  mot  de  rancune  à  l'adresse  de  Henri  III.  Parfois  il  proteste 
de  son  dévouement  pour  le  roi  et  déclare  qu'il  n'y  a  rien  de  plus 
«  infâme  que  d'être  ingrat  envers  son  prince  »3.  Ce  n'est  point 
par  peur  ou  par  servilité,  mais  par  sentiment  du  devoir.  Le  roi 
est  pour  lui  la  loi  vivante,  l'incarnation  de  la  patrie,  «  Il  n'y  a 

1.  Nouv.  acq.  franc.  1246,  fol.  27. 

2.  Gaspard  de  Schomberg  à  Bellièvre,    12  septembre    1588,   f.   fr.    15909, 
fol.  144. 

3.  Bellièvre  à  M.  de  Revol,  17  octobre  1588,  f.  fr.  15892,  fol.  201. 


LA   RETRAITE   DE   POMPOIVNE    DE    BELLIÈVRE.  135 

point  de  juste  querelle  contre  le  roi,  sa  patrie,  ni  contre  son 
père...  »i.  D'ailleurs,  comment  Bellièvre,  caractère  doux  et 
facile,  porté  par  le  tempérament  et  l'âge  à  l'indulgence,  aurait-il 
pu  manifester  de  l'antipathie  à  son  ancien  maître  et  se  venger 
de  lui  en  paroles?  Henri  III  était  réellement  bon  prince  et  pos- 
sédait l'art  de  se  faire  aimer  de  ses  serviteurs  et  amis.  Les  con- 
temporains, —  à  l'exception  des  pamphlétaires  huguenots  ou 
ligueurs,  —  reconnaissent  sa  nature  débonnaire  et  sont  bien 
près  d'excuser  les  malheurs  et  les  fautes  de  son  règne  en  les 
rejetant  sur  la  dureté  des  temps,  la  malice  de  ses  ennemis, 
l'indiscipline  générale,  la  jeunesse  et  le  caractère  faible  du 
prince. 

Bellièvre  n'était  point  de  ceux  auxquels  un  mauvais  procédé 
peut  faire  oublier  une  longue  série  de  bons  traitements.  D'ail- 
leurs, après  son  éloignement,  il  ne  reçut  de  la  cour  aucune  ava- 
nie. Il  se  montra  sensible  à  la  neutralité  bienveillante  du  roi  qui 
ne  permit  point  à  ses  troupes  de  lui  causer  le  moindre  dom- 
mage-. Il  semble  bien  aussi  qu'il  n'ait  point  désespéré  de  rentrer 
en  faveur.  Le  jour  viendrait  où  l'on  regretterait  les  hommes 
d'expérience.  «  Madame  »,  écrivait-il  à  Catherine  deux  jours 
après  sa  disgrâce,  «  un  grand  édifice  ne  peut  être  soutenu  par  des 
chenevottes,  il  y  faut  des  bons  piliers  et  de  fortes  colonnes  3.  » 

Il  n'avait  pas  rompu  avec  la  cour  et  même  il  avait  conservé 
de  bons  amis  dans  les  «  chenevottes  »  qui  soutenaient  tant  bien 
que  mal  l'édifice.  Henri  III  avait  appelé  auprès  de  lui  des  hommes 
nouveaux,  honnêtes,  mais  obscurs  :  un  avocat  au  Parlement, 
François  de  Montholon,  dont  il  fit  un  garde  des  sceaux;  un 
simple  secrétaire  des  finances,  Martin  Ruzé,  seigneur  de  Beau- 
lieu,  qu'il  promut  à  la  dignité  de  secrétaire  d'Etat;  ainsi  que  le 
Dauphinois  Louis  Revol,  protégé  du  duc  d'Epernon,  qui  l'avait 
employé  en  Provence  comme  intendant  de  son  armée.  Plus  tard, 
pour  rétablir  le  chiiïre  traditionnel  des  quatre  secrétaires  d'État, 
il  leur  adjoignit  Louis  Potier,  sieur  de  Gesvres,  qui  avait  tra- 
vaillé dans  les  bureaux  de  Villeroy,  et  Pierre  Forget,  sieur  de 
Fresnes,  qui  avait  été  dans  son  jeune  âge  secrétaire  du  roi  de 
Navarre.  La  nouvelle  constellation  n'était  pas  très  brillante  ;  au 
moins  ne  fit-eUe  pas  mal  parler  d'elle;  les  secrétaires  d'Etat 

1.  Lettre  sans  adresse  et  sans  date,  f.  fr.  15892,  fol.  235. 

2.  Bellièvre  à  d'Espeisses,  4  septembre  1589,  Ibid.,  fol.  285. 

3.  Bellièvre  à  la  reine-mère,  10  septembre  1588,  IbicL,  fol.  175. 


136  J.    NOTIAILLAC. 

furent  de  bons  commis,  fidèles,  désintéressés  et  volontairement 
effacés. 

Bellièvre  compta  parmi  eux  un  ami  particulièrement  obli- 
geant, M.  de  Revol,  qui  lui  offrit  ses  services  avec  un  tact  et 
une  modestie  exquise,  sans  se  prévaloir  le  moins  du  monde  de 
sa  nouvelle  faveur.  Jamais  il  ne  se  départit  d'un  ton  de  parfaite 
déférence  à  l'égard  d'un  glorieux  aîné  tombé  en  disgrâce.  Bel- 
lièvre  n'abusa  pas  de  sa  complaisance.  Il  s'interdisait,  dans  ses 
lettres,  toute  incursion  dans  le  domaine  de  la  politique  du  jour 
pour  ne  point  gêner  Revol.  Il  lui  demandait  seulement,  si  les 
circonstances  l'exigeaient,  d'assurer  le  roi  de  son  dévouement, 
de  veiUer  en  cour  à  ses  intérêts  particuliers,  à  ses  affaires  de 
famille. 

Bellièvre  trouva  un  autre  appui  en  Forget  de  Fresnes  qui 
intervint  utilement  dans  l'affaire  si  délicate  de  la  succession 
d'Espeisses.  Mais  leurs  relations  très  courtoises  n'eurent  point 
l'intimité  des  rapports  avec  Revol,  lequel,  au  dire  de  Faye  lui- 
même,  était  affectionné  à  Bellièvre  comme  un  parent. 

Celui  qui,  dans  les  premiers  temps  de  la  disgrâce,  lui  rendit 
ou  voulut  lui  rendre  les  plus  grands  services  fut  incontes- 
tablement son  cousin  d'Espeisses.  Il  connaissait  Bellièvre 
mieux  qu'aucun  homme  au  monde  et  presque  aussi  bien  que 
BeUièvre  lui-même.  Bellièvre  ne  lui  cachait  en  effet  aucune  de 
ses  pensées,  aucune  de  ses  intentions,  aucune  de  ses  irrésolu- 
tions. Il  avait  la  plus  grande  confiance  dans  sa  sagesse,  bien 
que  son  ami  eût  quinze  ans  de  moins  et  n'eût  point  l'habitude 
de  développer  dans  ses  lettres  des  sentences  de  philosophie. 
Ayant  su  qu'on  disait  à  Paris  que  le  roi  voulait  rappeler  ses 
anciens  ministres  et  trop  circonspect  pour  accepter  ou  pour 
rejeter  cette  nouvelle,  il  consulta  son  cousin;  il  n'osait  songer 
sérieusement  à  une  rentrée  en  cour  qui  eût  été  prématurée. 
Mais,  enfin,  qui  sait?  Il  n'était  ])as  mauvais  de  déblayer  le  ter- 
rain, quoi  qu'il  dût  advenir.  Il  fallait  dissiper  habilement  les 
préventions  du  maître,  lui  dire  que  «  plusieurs  princes  et  sei- 
gneurs »  avaient  offert  leur  appui  à  l'ancien  ministre  et  qu'il 
l'avait  refusé,  combattre  les  calomniateurs  qui  le  représentaient 
comme  «  un  faiseur  de  menées  ».  Il  comptait  sur  Faye  qui  trou- 
verait bien  «  quelque  demi-quart  d'heure  »  pour  faire  entendre 
au  roi  la  vérité^.  Nous  ignorons  quel  fut  le  résultat  de  l'entre- 

1.  Bellièvre  à  d'Espeisses,  sans  date,  f.  fr.  15892,  fol.  278. 


LA   RETRAITE   DE    POMPONNE    DE   BELLlÈYRE.  137 

vue.  En  tous  cas,  nous  l'avons  dit,  le  roi  ne  témoigna  pas  de 
rancune  à  Tégard  de  BeUièvre  et,  passant  près  de  ses  terres,  lui 
accorda  une  sauvegarde.  Mais  il  ne  fut  jamais  question,  semble- 
t-il,  du  rappel  de  l'ancien  ministre. 

Bellièvre  assista  donc  en  simple  témoin  aux  derniers  événe- 
ments du  règne.  Le  témoin  n'était  pas  mal  informé.  Sans  doute, 
il  lui  arrivait  de  se  plaindre  d'être  retiré  dans  la  solitude  des 
champs,  «  comme  s'il  était  déjà  au  nombre  des  morts  »,  ou 
encure  de  vivre  «  au  pays  d'ignorance  »'.  Il  ne  faut  pas  prendre 
ces  métaphores  à  la  lettre.  Il  écrivait  ainsi  quand  il  savait  que 
ses  paroles  seraient  répétées  chez  les  ligueurs,  demi-ligueurs, 
politiques  et  autres.  Il  désirait  écarter  les  sollicitations,  faire 
entendre  qu'il  ne  se  mêlait  de  rien.  Mais  il  recherchait  les  nou- 
velles et  il  en  recevait  de  toutes  parts'-. 

Il  apprit  la  tenue  des  Etats-Généraux,  approuva  sans  doute 
le  discours  énergique  du  roi,  à  l'exception  du  passage  où  il  frap- 
pait sur  les  absents  qu'il  chargeait,  lui  écrivait  ViUeroy,  «  de 
négligence  et  d'autres  défauts  »^.  Le  meurtre  des  Guises  lui 
causa  une  douloureuse  surprise  ;  sans  se  préoccuper  de  la  ques- 
tion de  justice  ou  de  légalité,  il  plaignait  «  le  mallieur  où  était 
tombé  le  roi  »^.  Moins  de  deux  semaines  après  lui  parvenait  la 
nouvelle  du  décès  de  la  reine-mère.  Il  la  regretta  profondément  : 
«  Comme  l'ayant  perdue,  nous  connaîtrons  de  plus  en  plus  la 
faute  qu'elle  nous  fera  ;  aussi  connaissait-elle  la  faute  que  nous 
faisions  à  son  service '\  »  La  révolte  de  Paris  fut  pour  BeUièvre 
une  nouvelle  calamité.  Commentant  les  premiers  désordres, 
l'épuration  du  Parlement  par  les  Seize,  il  confessait  qu'il  avait 
bien  vu  le  commencement  et  le  progrès  des  troubles,  mais  que 
rien  ne  l'avait  encore  tant  étonné  que  ce  qu'il  voyait  présente- 
ment 6.  Le  1^''  août,  il  apprit  qu'un  moine  fanatique  avait  frappé 
Henri  III  d'un  coup  de  couteau.  «  Il  ne  faut  plus  vivre  »,  écri- 

1.  Bellièvre  à  d'Espeisses,  12  août  1590,  Ibid.,  fol.  293;  à  Villeroy,  11  mars 
1589,  Ibid.,  fol.  329. 

2.  11  devait  être  fort  tourmenté  quand  les  lettres  tardaient  à  venir,  car  le 
20  janvier  {Ibid.,  fol.  316)  il  se  plaignait  de  n'avoir  reçu  qu'une  seule  dépêche 
de  la  cour  depuis  le  décès  de  la  reine  (qui  était  advenu  le  5). 

3.  Villeroy  à  Bellièvre,  26  octobre  1588,  f.  fr.  15909,  fol.  205. 

4.  Lettre  sans  adresse  et  sans  date,  f.  fr.  15892,  fol.  307.  —  Bellièvre  à  M.  de 
Uuccellai,  16  janvier  1589,  Ibid.,  fol.  314. 

5.  Lettre  sans  adresse,  20  janvier  1589,  Ibid.,  fol.  316. 

6.  Lettre  du  20  janvier  1589,  Ibid. 


138  J-    NOUAILLAC. 

vit-il  sur-le-chami3  à  un  ami,  «  quand  nous  voyons  ces  monstres 
et  le  pied  que  la  méchanceté  a  pris  chez  ces  peuples.  »  Il  expri- 
mait l'espoir  que  le  roi  guérirait,  mais  il  se  sentait  inquiet  à  la 
pensée  que  l'arme  pouvait  être  empoisonnée  i.  Le  roi  mourut  le 
soir  même  et  le  ministre,  oubliant  les  torts  de  son  «  pauvre 
maître  »,  pleura  sur  ce  crime  qui  allait  plonger  la  France  dans 
un  abîme  de  misères-. 

IL 

Affaires  de  famille. 

Dès  son  arrivée  à  Grignon,  Bellièvre  avait  avoué  à  la  reine- 
mère  ce  qui  allait  être  le  gros  souci  de  ses  années  de  retraite  : 
«  Je  me  trouve  le  plus  pauvre  de  tous  ceux  qui  se  trouvent  en 
son  Conseil  et  n'ai  que  bien  peu  de  moyens  pour  nourrir  ma 
femme  et  dix  pauvres  enfants  que  Dieu  m'a  donnés^...  » 

Nous  ne  savons  pas  exactement  ce  que  possédait  Bellièvre  ; 
il  est  certain  qu'il  ne  touchait  plus  aucune  pension  de  la  cour 
et  que,  s'il  avait  des  terres  en  Dauphiné  ou  en  Lyonnais,  il  ne 
pouvait  en  percevoir  les  revenus.  Jamais  les  propriétaires  fran- 
çais ne  connurent  autant  de  misères  qu'entre  1587  et  1595. 
Le  plus  clair  de  leurs  biens,  c'était  le  coin  de  terre  où  ils  rési- 
daient quand  la  guerre  l'épargnait.  Quel  fond  pouvait-on  faire 
sur  le  reste,  en  temps  de  guerre  et  d'anarchie  générale,  quand 
ceux  de  l'autre  parti  prenaient  soin  de  ne  point  laisser  les  biens 

1.  Lettre  sans  adresse,  1"  août  1589,  lUd.,  fol.  329. 

2.  Les  auteurs  d'articles  biographiques  ont  coutume  d'attribuer  à  Bellièvre, 
après  la  mort  de  Henri  III,  une  démarche  très  importante  faite  auprès  des 
Suisses  pour  les  engager  à  rester  fidèles  au  nouveau  roi.  Ce  serait  le  premier 
des  services  rendus  par  l'ancien  ministre  dans  sa  retraite.  Nous  croyons  que 
c'est  une  erreur  et  qu'il  faut  la  rectifier.  Dans  la  correspondance,  il  n'existe 
pas  le  moindre  indice  de  cette  démarche,  pas  une  lettre,  pas  une  allusion. 
Bellièvre  ne  quitta  pas  à  ce  moment  sa  résidence  de  Grignon.  On  ne  voit 
pas  pourquoi  il  aurait  fait  le  silence  sur  cet  acte,  pourquoi  aucun  de  ses 
nombreux  correspondants  ne  lui  en  parlerait,  alors  qu'il  aime  à  se  raconter 
dans  ses  lettres,  qu'il  cherche  à  se  faire  valoir  en  cour,  à  obtenir  la  bienveil- 
lance du  roi.  Ce  fut  à  Sancy  que  les  Suisses  promirent  de  servir  deux  mois 
sans  réclamer  de  solde.  —  Nous  pensons  qu'on  a  confondu  avec  une  démarche 
analogue  accomplie  par  Bellièvre,  sur  l'ordre  du  roi,  au  siège  de  La  Fère,  au 
mois  de  mai  1596,  alors  que  les  Suisses  ne  voulaient  pas  aller  à  Abbeville,  si 
l'on  refusait  de  les  payer.  Voir  Halphen,  Lettres  inédites  du  roi  Henri  IV  au 
chancelier  de  Bellièvre,  p.  199  et  suiv. 

3.  Bellièvre  à  la  reine-mère,  10  septembre  1588,  f.  fr.  15892,  fol.  175. 


LA    RETRAITE    DE    POMPONNE    DE    BELLIÈVRE.  139 

inoccupés?  C'est  ainsi  que  les  d'Espeisses,  parents  de  BeUièvre, 
qui  avaient  eu  jadis  «  d'assez  honnêtes  commodités  »,  étaient  à 
peu  près  ruinés  pour  être  demeurés  fermes  et  constants  au  ser- 
vice du  roi,  leurs  biens  du  Lyonnais  et  d'Auvergne  ayant  été 
séquestrés  par  les  ligueurs^. 

Au  mois  de  mars  1592,  Bellièvre  déclarait  à  Revol  que,  depuis 
quatre  ans,  il  n'avait  rien  reçu  de  ses  revenus^  Sans  aucun 
(ioiite,  —  à  moins  de  supposer  l'existence  d'économies  cachées, 
d'une  sorte  de  trésor  de  guerre,  —  il  vivait  de  ses  terres  de  Gri- 
gnon,  des  champs,  des  bois,  des  prés  de  ses  villages  et  des  rede- 
vances féodales  de  ses  paysans.  Grignon  n'était  pas  pour  lui  une 
retraite  de  luxe;  cet  asile  honorable  était  son  gagne-pain.  Il  ne 
le  dit  pas  en  termes  formels,  car  il  conserve  toujours  dans  ses 
plaintes  un  ton  de  dignité.  Mais  on  le  lit  à  travers  les  lignes  de 
sa  correspondance  de  cinq  années.  Après  sa  disgrâce,  il  avait 
eu  un  instant  la  résolution  de  se  retirer  à  Venise,  où  il  aurait  été 
fort  bien  accueilli.  Des  considérations  de  santé  et  de  famille  le 
retinrent.  Les  siens,  écrivait-il  à  Villeroy,  eussent  été  «  en 
grande  perplexité  »,  car  on  n'aurait  pas  laissé  vivre  en  paix 
ceux  qui  ne  veulent  que  la  paix^.  En  effet,  les  aurait-on  laissés 
jouir  tranquillement  des  revenus  de  Grignon  ?  La  présence  de  Bel- 
lièvre  y  était  nécessaire.  Il  fallait  qu'il  fût  là  pour  veiller  inlas- 
sablement à  ce  que  les  flots  des  misères  de  la  guerre  ne  vinssent 
pas  submerger  son  ile.  Nous  verrons  ses  efforts  pour  préserver 
ce  canton  de  l'Ile-de-France.  Une  taille  indûment  levée  sur  ses 
manants,  une  grange  brûlée,  ce  sont  des  malheurs  qui  non  seu- 
lement l'atteignent  dans  sa  sensibilité,  car  il  est  un  maître  plein 
de  cœur,  mais  dans  ses  moyens  de  vivre.  Un  jour  il  écrit  ces 
lignes  qui  nous  en  disent  long  sur  sa  situation  :  «  Il  vaudrait 
autant  que  je  fusse  paysan  que  de  vivre  comme  je  fais,  parmi 
les  paysans,  souffrant  en  mon  cœur  le  mal  qui  leur  est  fait  et 
participant  à  leurs  misères.  Je  cours  comme  eux  la  même  for- 
tune et  pour  la  plupart  le  mal  qui  est  fait  aux  miens  retombe 
sur  moi^.  » 

Bellièvre  pouvait  ajouter  que  sa  maison  était  «  plus  pleine 
d'enfants  que  de  biens  »  et  déclarer  qu'il  devait  faire  «  beaucoup 

1.  Bellièvre  à  Fresnes,  septembre  1590,  Ibid.,  fol.  296. 

2.  Bellièvre  à  Revol,  mars  1592,  f.  fr.  15893,  fol.  22. 

3.  Bellièvre  à  Villeroy,  sans  date  (1589?),  f.  fr.  15892,  fol.  349. 

4.  Bellièvre  à  M.  d'Alincourt,  14  mars  1592,  f.  fr.  15893,  fol.  13. 


140  3.    NOUAI LLAC. 

de  dépense  ».  Aucun  de  ses  amis  n'en  doutait.  Il  avait  fondé  une 
de  ces  belles  familles  d'ancienne  France  qui  provoquent  notre 
admiration.  Se  femme,  Jeanne  Prunier,  fille  aînée  de  Jean  Pru- 
nier, seigneur  de  Grigny  et  de  Cussieu,  et  de  Jeanne  Renouard, 
dame  de  Vernaj-,  lui  avait  donné  dix  enfants.  Sur  la  personna- 
lité de  M"*^  de  Bellièvre,  nous  manquons  de  renseignements.  Il 
n'est  question  d'elle,  dans  la  correspondance,  que  par  des  com- 
pliments et  des  politesses  que  lui  transmettent  les  amis  du 
ministre.  Elle  paraît  avoir  vécu  en  fort  bons  termes  avec  leurs 
femmes,  notamment  avec  M'"''  de  ViUeroy.  Mais  elle  n'était  sans 
doute  pas  une  personne  savante  et  lettrée  comme  cette  dernière 
qui  savait  le  latin,  avait  traduit  Ovide  et  composé  des  poèmes. 
Aussi  ni  Ronsard,  ni  Desportes,  ni  Bertaut  ne  la  célébrèrent.  En 
revanche,  P.  de  l'Estoile,  en  signalant  sa  mort,  le  20  mars  1610, 
écrit  qu'elle  était  «  dame  sage,  vertueuse,  humble  et  charitable  ». 
Nous  pouvons  donc  l'imaginer  comme  une  bonne  femme  d'inté- 
rieur et  une  bonne  mère  de  famille  ^ . 

Elle  n'aurait  guère  trouvé  le  temps  de  cultiver  les  Muses,  car 
eUe  avait  dix  enfants,  et  elle  ne  considérait  sans  doute  pas  sa 
tâche  comme  achevée  puisqu'après  1594,  elle  devait  donner 
encore  quatre  héritières  à  M.  de  Bellièvre.  L'aîné,  Albert,  le 
futur  archevêque  de  Lyon,  avait  alors  dix-huit  ans;  il  étudiait 
le  droit  à  Bourges  et  se  disposait  à  partir  pour  l'Italie  :  son 
père  le  préparait  aux  hautes  fonctions  ecclésiastiques.  Le 
second  des  fils,  Claude,  le  futur  conseiller  au  Parlement  qui 
devait  succéder  à  son  frère  sur  le  siège  archiépiscopal  de  Lyon, 
avait  douze  ans.  Le  troisième,  Nicolas,  en  avait  cinq.  Restaient 
sept  filles,  Hélène,  Louise,  Denise,  Marie,  Madeleine,  Margue- 
rite et  Catherine'-.  L'aînée,  Hélène,  était  mariée  à  Claude  Pré- 
vost, seigneur  de  Saint-Cyr,  d'abord  conseiller  à  la  Cour  des 
aides  de  Paris,  puis  maître  des  requêtes. 

Parmi  ces  dix  enfants,  le  sort  de  l'aîné  seul  préoccupait  Pom- 
ponne de  Bellièvre  au  moment  de  sa  disgrâce.  Il  voulait  lui  faire 

1.  P.  de  L'Estoile,  Mémoires- Journaux,  t.  X,  p.  171.  —  Si  M"'  de  Bellièvre 
n'adressait  pas  de  vers  à  ses  amies,  elle  leur  envoyait  des  primeurs  et  des 
recettes.  M"""  de  ViUeroy  recul  un  jour  d'elle  de  beaux  artichauts  et  de  l'eau 
impériale  et  se  montra  très  sensible  à  cet  envoi.  Elle  soigna  aussi  très  bien 
son  mari  pendant  ses  longues  périodes  de  maladie  à  Grignon.  Elle  possédait 
contre  le  mal  de  vieilles  et  excellentes  prescriptions  (Bellièvre  à  M.  de  la  Fay, 
15  novembre  1590,  f.  fr.  15892,  fol.  385). 

2.  Voir  Anselme,  Hist.  généal.  et  chronol.,  in-fol.,  t.  V. 


LA   RETRAITE   DE   POMPONNE   DE   BELLIÈVRE.  141 

obtenir  l'abbaye  de  Jouy,  en  Picardie.  Mais  les  formalités  étaient 
longues;  il  voulait  de  la  cour  romaine  une  dispense  d'âge  et,  ce 
qui  était  plus  difficile,  un  gratis  pour  l'expédition  des  bulles.  Il 
écrivit  directement  au  cardinal  de  Joyeuse,  au  cardinal  de  Selve  ; 
il  plaida  la  cause  de  son  fils,  montrant  qu'il  ne  tarderait  pas  à 
être  capable  de  bien  servir  l'Église  :  il  possédait  deux  langues, 
avait  fait  sa  philosophie  et  ses  mathématiques,  étudié  les  lois  sous 
M.  Cujas  et  il  se  disposait  à  partir  pour  Rome.  Il  plaida  aussi 
sa  propre  cause,  fit  ressortir  les  services  qu'il  avait  rendus  à  la 
religion  au  cours  de  sa  longue  carrière,  en  Suisse,  en  Angle- 
terre, en  France,  dans  ses  voyages  à  travers  les  provinces  où  il 
avait  fait  conclure  des  traités  défavorables  aux  huguenots  •.  Il 
fallait  qu'aucune  difficulté  ne  fût  soulevée  à  la  cour  de  France 
qui  aurait  pu,  d'un  mot,  tout  arrêter.  Heureusement,  Bellièvre 
avait  à  Blois  de  bons  fondés  de  pouvoir.  Faye,  Revol,  et  même 
le  secrétaire  Ruzé  de  Beaulieu,  travaillèrent  pour  lui.  Revol  put 
lui  annoncer  le  10  octobre  qu'on  envoyait  la  dépêche  pour  Rome 
touchant  l'abbaye  de  Jouy  «  afin  de  tenter  le  gratis  au  hasard 
d'un  refus  ».  Le  roi  l'avait  signée  très  volontiers ^  A  Rome,  les 
choses  se  passèrent  moins  aisément.  Le  dernier  jour  de  février 
1589,  Bellièvre  confessait  bien  avoir  reçu  de  la  Ville  Éternelle 
les  plus  aimables  lettres  qu'il  pût  désirer,  mais  les  buUes  n'étaient 
pas  encore  venues  3. 

Quand  tout  fut  réglé  à  Rome,  il  y  eut  encore  quelques  points 
à  discuter  à  la  cour  de  France.  D'Espeisses  et  le  bon  Revol  con- 
tinuèrent à  s'en  occuper*.  L'affaire  traîna,  mais  sans  soubre- 
sauts et  sans  causer  d'inquiétudes  particulières  à  Bellièvre. 
Celui-ci  cependant  veillait  sur  le  bénéfice  prorais  à  son  aîné, 
obtenait,  par  le  moyen  de  ViUeroy,  une  déclaration  de  Mayenne 
dûment  «  scellée  et  bouclée  »  pour  l'abbaye^,  faisait  surveiller 

1.  Bellièvre  au  cardinal  de  Joyeuse,  sans  date  (décembre  1588?),  f.  fr.  15892, 
fol.  244.  —  Bellièvre  au  cardinal  de  Selve,  sans  date,  Ib'uL,  fol.  248. 

2.  Revol  à  Bellièvre,  10  octobre  1588,  f.  fr.  15909,  fol.  201. 

3.  Lettre  sans  adresse,  du  dernier  de  février  1589,  f.  fr.  15892,  fol.  322.  — 
La  cour  romaine  n'accordait  pas  facilement  ces  gratis  dont  le  nombre  était  trop 
élevé.  D'Ossat,  dans  une  lettre  à  ViUeroy,  le  9  septembre  1597,  le  félicite 
d'avoir  apporté  quelque  modération  à  l'excès  de  tant  de  gralis  que  l'on  deman- 
dait quasi  pour  toutes  sortes  de  gens. 

4.  Faye  à  Bellièvre,  7  août  1590,  f.  fr.  15909,  fol.  313  :  «  Toute  votre  affaire 
touchant  Jouy  se  réduit  en  deux  ou  trois  points.  »  Voir  cbitc  lettre  pour  l'ex- 
posé juridique  que  nous  ne  pouvons  faire  ici. 

5.  ViUeroy  à  Bellièvre,  28  janvier  1591,  Ibid.,  fol.  356. 


142  J.    NOUAILLAC. 

le  temporel  par  des  voisins  dévoués  ou  des  amis  qui  passaient 
par  là'.  Albert  de  Bellièvre,  qui  était  revenu  d'Italie  et  avait 
achevé  ses  études,  devint  enfin  abbé  de  Jouy  en  1594. 

Après  son  fils,  Bellièvre  avait  à  s'occuper  de  la  situation  de 
M.  de  Saint-Cyr  qu'il  venait  de  choisir  pour  gendre,  qu'il  aimait 
beaucoup  et  désirait  voir  avancer.  Il  s'adressa  à  Catherine  de 
Médicis  et  la  supplia  de  recevoir  le  jeune  homme  «  au  nombre 
de  ses  fidèles  obéissants  serviteurs  » .  Après  la  mort  de  sa  vieille 
protectrice,  les  amis  de  l'ancien  ministre  furent  priés  de  veiller 
sur  lui  et  de  le  recommander  à  la  faveur  d'Henri  IV.  Mais  la 
mort  l'emporta  au  début  de  décembre  1590.  Bellièvre,  en  répon- 
dant aux  condoléances  de  ses  amis,  ne  manqua  pas  de  leur  signa- 
ler la  situation  de  la  jeune  veuve.  Il  demandait  pour  elle  la  con- 
servation de  l'état  de  maître  des  requêtes  qu'avait  possédé  M.  de 
Saint-Cyr  et  cherchait  à  éviter  «  la  rigueur  de  l'ordonnance 
des  parties  casueUes  ».  Il  avait  pris  la  précaution  d'envoyer 
directement  une  supplique  au  roi  pendant  la  courte  maladie  de 
son  gendre.  Il  sut  intéresser  à  sa  cause  des  personnages  influents, 
d'O,  du  Plessis,  Biron,  qui  se  chargèrent  de  remontrer  au  Con- 
seil que  Saint-Cyr  était  mort  au  service  de  S.  M.,  en  service 
commandé.  L'afiaire  fut  promptement  réglée  au  gré  de  Bellièvre -. 

La  vigilance  de  l'ancien  ministre  s'étendait  comme  celle  d'un 
patriarche  sur  toute  sa  famiUe.  Son  neveu  d'YUins  demandait  à 
être  employé  en  l'armée  du  Dauphiné.  Henri  III  avait  émis 
quelques  objections,  mais  le  complaisant  Revol  s'interposa, 
échoua  d'abord,  puis  réussit  sans  doute,  puisqu'il  se  faisait  un 
devoir,  deux  ans  après,  d'envoyer  à  l'oncle  des  nouvelles  du 
neveu  qu'il  avait  reçues  de  Romans  par  la  voie  officielle''. 

1.  Le  vicaire  de  Boussingault  à  Bellièvre,  Longueville,  14  mai,  8  juillet  1592, 
Ibid.,  fol.  457  et  467.  —  De  la  Faye  à  Bellièvre,  Gisors,  25  mai  1592,  Ihid., 
fol.  460. 

2.  Bellièvre  à  la  reine-mère,  sans  date,  f.  fr.  15892,  fol.  269;  au  chancelier, 
14  août  1590,  fol.  378.  —  Villeroy  à  Bellièvre,  12  décembre  1590,  f.  fr.  15909, 
fol.  431.  —  Bellièvre  au  roi  (copie),  sans  date,  décembre  1590,  Ihid.,  fol.  435. 
—  Bellièvre  à  Monseigneur  (?),  9  décembre  1590,  f.  fr.  15892,  fol.  300;  à  d'O, 
9  décembre,  foi.  301;  à  du  Plessis,  9  décembre,  fol.  302;  à  Biron,  13  janvier 
1591,  fol.  441.  —  Cheverny  à  Bellièvre,  14  janvier  1591,  f.  fr.  15909,  fol.  352. 
Cheverny,  de  Mantes,  mande  ce  jour-là  à  Bellièvre  qu'il  est  très  aise  que  l'af- 
faire ait  succédé  selon  son  désir. 

3.  Bellièvre  à  d'Y'râns,  sans  date,  f.  fr.  15892,  fol.  182.  —  Revol  à  Bellièvre, 
2  novembre  1588,  f.  fr.  15909,  fol.  208;  27  septembre  1590,  Ibid.,  fol.  328. 
Revol  avait  reçu  des  lettres  où  d'Yllins  rendait  compte  de  ses  actes  au  roi  et 


LA    RETRAITE   DE    POMPONNE   DE   BELLIÈVRE.  143 

Des  inquiétudes  plus  graves  furent  causées  à  Bellièvre,  dans 
les  premiers  temps  de  sa  retraite,  par  la  situation  d'une  parente, 
M"""  de  Fréluz.  C'était  la  belle-mère  de  Jacques  Faye  et  il  tenait 
à  l'obliger,  comme  son  cousin  l'obligeait  lui-même.  Elle  était 
demeurée  à  Paris  avec  sa  fîUe  et  ses  petites-filles  et  elle  y  était 
sérieusement  molestée  par  ceux  de  la  Ligue,  comme  les  autres 
parents  de  royalistes.  On  aidait  mis  une  garnison  dans  sa  mai- 
son :  on  l'avait  rançonnée  ;  on  avait  même  menacé  de  la  mettre 
à  la  Bastille  avec  ses  petites-fiUes.  Bellièvre,  prompt  à  s'effrayer 
pour  les  siens,  envoya  plusieurs  fois  des  serviteurs  à  Paris  pour 
avoir  des  nouvelles  de  cette  famille  en  détresse.  L'un  d'eux  fut 
même  injurié  à  une  porte  de  la  capitale  et  détroussé.  Les  Bel- 
lièvre auraient  voulu  donner  l'hospitalité  à  la  femme  de  Jacques 
Faye,  leur  cousine.  La  dame  de  Fréluz  les  remercia,  leur  assura 
que  c'était  impossible  :  cinq  hommes,  à  sa  prière,  avaient 
répondu  aux  Seize  de  la  présence  de  M"®  d'Espeisses  à  Paris  : 
si  elle  manquait  de  parole,  sa  maison  serait  pillée  et  sa  vie  en 
danger.  Bellièvre  donna  à  son  cousin  des  nouvelles  des  siens, 
essayant  de  le  rassurer.  Mais  lui-même  n'était  rien  moins  que 
tranquille;  puisqu'il  ne  pouvait  mettre  à  l'abri  cette  famille,  il 
sollicita  à  Paris  de  puissantes  interventions  en  sa  faveur.  Il 
s'adressa  aux  princesses  de  la  famille  de  Guise,  raconta  les  vexa- 
tions endurées  par  la  dame  de  Fréluz,  et,  pour  faire  ressortir 
l'injustice  du  procédé,  prononça  un  plaidoyer  d'avocat  oii  les 
ombres  et  les  couleurs  étaient  distribuées  fort  habilement  pour 
dépeindre,  selon  l'intérêt  présent,  la  situation  politique  de  ses 
protégés.  Il  présenta  un  d'Espeisses  de  fantaisie,  royaliste,  assu- 
rait-il, extrêmement  modéré,  auquel  on  ne  pouvait  en  vouloir. 
Il  affirmait  même,  —  ce  qui  était  très  contestable,  —  que  M™^  de 
Fréluz  n'avait  aucune  communauté  de  biens  avec  son  gendre  ^ 
Mais  bientôt  un  irréparable  malheur,  la  mort  de  Jacques  Faye, 
vint  faire  oublier  les  ennuis  de  M"**  de  Fréluz.  Cet  ardent  patriote, 
homme  de  devoir,  grave  et  intraitable  comme  un  ancien  Romain, 

demandait  à  Revol  d'écrire  de  ses  nouvelles  à  son  oncle,  s'excusant  de  ne  pou- 
voir le  faire  lui-même  à  cause  de  la  diflîculté  des  chemins. 

1.  Bellièvre  à  Madame  (?),  sans  date,  1589,  f.  fr.  15892,  fol.  343  :  «  Le  sort 
est  tombé  qu'il  est  employé  à  Tours...  Si  audit  Tours  est  advenu  quelque  chose 
qui  déplaise  à  Messieurs  de  Paris,  je  m'assure  que  les  plus  sages  feront  diffé- 
rence entre  ce  qui  se  doit  attribuer  à  la  nécessité  d'une  charge  ou  imputer  à 
animosité...  »  D'ailleurs,  si  d'Espeisses  «  n'eût  tenu  la  main  à  modérer  plu- 
sieurs choses,  les  aigreurs  eussent  passé  plus  avant  ».  —  Madeleine  de  l'Au- 


144  3.    NOUAILLAC. 

n'avait  pas  exercé  longtemps  la  charge  de  président  à  mortier  à 
laquelle  l'avait  élevé  à  Tours  la  confiance  du  Conseil.  Il  avait 
suivi  le  roi  au  second  siège  de  Paris,  abandonnant  momeDtané- 
ment  la  toge  pour  une  fonction  militaire  ;  pendant  les  chaleurs 
de  juillet,  U  contracta  une  fièvre  maligne  qui  l'enleva  le  22  sep- 
tembre 1590,  à  Sentis,  dans  toute  la  force  de  sa  maturité,  à  qua- 
rante-six ans'.  Ce  fut  pour  Bellièvre  une  perte  cruelle.  Dans  la 
belle  lettre  cln-étienne  de  condoléances  qu'il  adressait  à  sa  cou- 
sine, il  avouait  :  «  Ce  coup  me  touclie  si  avant  que  j'ai  plus 
besoin  de  consolation  que  je  n'ai  de  moj^en  de  consoler  les 
autres  2.  » 

Tout  de  suite,  U  travailla  à  sauvegarder  les  intérêts  matériels 
de  la  veuve  et  des  trois  enfants  du  j)résident.  Le  jour  même  de 
cette  mort,  il  envoyait  une  supplique  à  Henri  IV,  pour  que  l'état 
de  président  fût  conservé  à  sa  famille.  Il  écrivait  à  Revol,  à 
Fresnes  qu'il  fallait  ménager,  car  son  frère  Jean  Forget  ambi- 
tionnait la  place  ^.  Il  énumérait  les  calamités  survenues  à  une 
maison  «  très  misérable  et  très  désolée  »,  dont  tous  les  biens 
étaient  occupés  par  les  ennemis  du  roi,  et  il  insistait  sur  le  fait 
que  le  président  et  sa  femme  avaient  fait  ménage  commun  avec 
la  beUe-mère. 

Le  roi  montra  beaucoup  de  déplaisir  à  la  nouvelle  de  cette  mort 
d'un  excellent  serviteur  et  promit  de  faire  ce  qu'il  pourrait  pour 
les  siens.  Les  amis  de  Bellièvre  agirent  ;  le  chancelier  Cheverny 
les  appuya;  MM.  de  la  Cour  du  Parlement  eux-mêmes  firent 
instance  pour  que  l'office  fût  réservé.  Mais  dans  les  embarras 
d'argeîit  où  se  débattait  la  cour,  on  avait,  comme  disait  Révol, 
«  besoin  de  s'aider  des  commodités  présentes  ».  On  finit  par 
trouver  une  solution  moyenne  à  laquelle  se  résigna  la  famille  de 


bespine,  femme  de  Villeroy,  écrivit  à  Bellièvre,  de  Paris,  le  22  septembre, 
qu'elle  ne  croyait  pas  que  M°"  de  Fréluz  «  coure  fortune  de  la  vie  ni  rien  qui 
approche  de  cela...  Mais  que  l'on  veuille  mal  à  sa  bourse,  c'est  à  quoi  il  faut 
aviser,  car  c'est  aujourd'hui  un  crime  capital  que  d'être  riche  »  (f.  fr.  15909, 
fol.  326). 

1.  Sur  Jacques  Paye,  voir  les  Mémoires  de  J.-A.  de  Thou,  éd.  Michaud, 
t.  XI,  p.  337  et  suiv.;  Scévole  de  Sainte-Marthe,  Éloges...,  trad.  Colletet,  t.  IV, 
p.  384  et  suiv.  Voir  aussi  quelques  lettres  publiées  par  Halphen  et  les  lettres 
inédites  contenues  dans  le  fonds  français  15892. 

2.  Bellièvre  à  M™"  d'Espeisses,  sans  date  (1590),  Ibid.,  fol.  294. 

3.  Bellièvre  à  Henri  IV,  22  septembre  1590,  Ibid.,  fol.  295;  à  Fresnes,  sans 
date,  fol.  296;  à  Revol,  4  octobre  1590,  fol.  298. 


LA   RETRAITE   DE    POMPONNE    DE    BELLiÈVRE.  145 

Bellièvre.  L'office  valait  10,000  écus.  Le  roi  chargea  d'O  d'ac- 
corder à  la  veuve  une  récompense  de  5,000  écus  et  disposa  de 
la  charge  en  faveur  de  Jean  Forget^ 

m. 

Les  misères  de  la  guerre. 

Si  l'on  en  croyait  les  premières  lettres  de  Bellièvre,  on  devrait 
se  représenter  le  vieux  ministre  comme  un  philosophe  désabusé, 
patient  et  doux,  se  considérant  réellement  comme  en  retraite 
et  ne  cherchant  plus  qu'à  «  apprendre  à  bien  mourir  ».  Et  de 
fait,  les  maximes  de  sagesse  abondent  dans  sa  correspondance. 
Il  s'exhorte  lui-même  à  faire  provision  de  patience,  à  se  confor- 
mer aux  règles  de  la  raison 2;  il  se  console  en  pensant  qu'à  la 
cour  il  ne  s'appartenait  point,  qu'il  y  vivait  au  milieu  d'amis 
trompeurs  et  égoïstes  ;  il  songe  qu'il  vit  parmi  ses  serviteurs. 
«  C'est  une  fort  fidèle  compagnie  qui  ne  trompe  point,  ce  ne  sont 
pas  des  amis  de  cour^.  »  Il  aime  à  citer  des  maximes  latines  et 
même  il  en  risque  des  françaises  :  «  Il  y  a  deux  choses  où  autre 
que  nous  ne  peut  toucher,  le  cœur  et  l'honneur^.  »  Pour  le  sur- 
plus, en  bon  chrétien,  il  s'en  remet  à  Dieu. 

Pendant  cette  période,  il  reçut  un  grand  nombre  de  lettres  de 
consolation,  quelques-unes  banales,  d'autres  plus  sincères,  cer- 
taines vraiment  chaleureuses  et  touchantes"'.  Bellièvre  pouvait 
être  satisfait  de  tant  de  témoignages  de  sympathie.  A  vrai  dire, 
à  part  ceux  qui  avaient  conseillé  au  roi  le  coup  d'Etat,  il  n'avait 
point  d'ennemis.  Cet  esprit  prudent,  conciliant,  débonnaire,  ce 

1.  Revol  à  Bellièvre,  27  septembre  et  5  octobre  1590,  f.  fr.  15909,  fol.  328  et 
331.  —  Cheverny  à  Bellièvre,  27  septembre,  Ibid.,  fol.  330.  —  Forget  de 
Fresnes  à  Bellièvre,  9  février  1591,  Ibid.,  fol.  367. 

2.  Bellièvre  à  d'Espeisses,  sans  date  (1582?),  f.  fr,  15892,  fol.  238. 

3.  Bellièvre  au  cardinal  de  Joyeuse,  sans  date,  Ibid.,  fol.  244. 

4.  Bellièvre  au  marquis  de  Pisani,  sans  date,  fol.  252. 

5.  Pour  ne  point  citer  les  lettres  de  famille,  il  conserva  dans  sa  coUecUon 
les  missives  de  l'archevêque  de  Lyon,  de  Potier  de  Blancmesnil,  de  Gaspard 
de  Schouiberg,  de  La  Fin,  de  Charles  de  la  Mark,  de  Cheverny,  de  Villeroy,  do 
Gondi,  du  maréchal  d'Aumont,  de  Bassomi)ierro,  du  cardinal  de  Vendôme,  de 
Jeannin,  de  Mayenne,  de  Ludwig  Pfyft'er,  «  commandant  un  régiment  de 
Suisses  »,  de  la  reine-mère,  d'Anne  d'Esté,  de  Diane,  légitimée  do  France, 
duchesse  d'Angoulérae.  Nous  ne  nommons  que  les  principaux  personnages.  — 
Ces  lettres  se  trouvent  dans  le  fonds  français  15909,  fol.  140  et  suiv. 

llEV.    IIlSTOR.    CXVIl.   2«   FASC.  10 


146  J-    NOUAILLAC. 

parfait  courtisan  devait  avoir  un  cercle  très  étendu  de  relations, 
car  il  était,  comme  le  chancelier  Cheverny,  de  ceux  qui  s'étu- 
dient toujours  «  à  contenter,  satisfaire  et  obliger  tout  le 
monde ^  ». 

Cependant,  il  n'entendait  point  rester  dans  l'inaction  près  du 
ruisseau  de  Grignon  ni  passer  ses  journées  à  écrire  à  ses  amis  ou 
à  gémir  sur  le  malheur  des  temps.  En  attendant  que  les  circons- 
tances lui  permissent  d'agir  dans  l'intérêt  de  l'État,  il  était  résolu 
à  jouer  sérieusement  son  rôle  de  châtelain  de  Grignon,  à  défendre 
la  terre  où  vivaient  sa  famille  et  ses  paysans,  à  étendre  sa  pro- 
tection sur  tous  ses  voisins  et  amis.  Avec  les  petits  récits  de 
faits  contenus  dans  la  correspondance,  on  écrirait  un  curieux 
chapitre  des  misères  de  la  guerre  civile  dans  la  région  de  Poissy, 
Mantes,  Versailles.  Nous  nous  bornerons  à  indiquer  les  anec- 
dotes principales-. 

Dès  le  début,  il  s'était  procuré  de  bonnes  sauvegardes  du  roi 
Henri  III  et  de  Mayenne.  Malgré  tout,  au  mois  de  mars  1589, 
son  pays  était  couvert  de  gens  de  guerre,  et  l'on  voyait  en  son 
village  deux  fois  le  jour  des  compagnies  de  soldats  ligueurs  qui 
vivaient  «  sur  le  pauvre  ».  Bellièvre  avait  auprès  de  Mayenne 
un  ami  qui,  bien  qu'il  n'eût  pas  absolument  les  mêmes  idées 
politiques,  lui  était  très  dévoué  :  c'était  son  ancien  collaborateur 
Villeroy  qui  s'était  retiré  auprès  du  lieutenant  général  et  s'ap- 
prêtait à  servir  dans  son  camp,  malgré  les  ligueurs,  la  cause  de 
la  paix.  C'est  lui  qui  fut  chargé  de  faire  intervenir  Mayenne 
pour  empêcher  ces  désordres.  Il  s'employa  aussi  à  la  même  époque 
à  faire  délivrer  deux  prisonniers  qui  avaient  épousé  deux 
parentes  de  Bellièvre^. 

Le  pays  fut  tranquille  pendant  tout  le  reste  de  l'année.  Mais, 
au  début  de  janvier  1590,  devant  les  succès  du  Béarnais  en  Nor- 

1.  Cheverny,  Mémoires,  éd.  Michaud,  p.  504  et  suiv. 

2.  Nous  pouvons  sans  inconvénient  dissocier  ces  faits  de  la  vie  politique  de 
Bellièvre,  puisqu'ils  sont  sans  relation  directe  avec  elle.  Ils  contribuèrent  évi- 
demment à  lui  inspirer  l'horreur  de  la  guerre  et  le  désir  d'y  mettre  fin.  Mais 
il  n'y  a  pas  de  relation  de  cause  à  effet  entre  tel  ou  tel  de  ces  actes  de  pro- 
tection et  ceux  que  nous  étudierons  plus  loin. 

3.  Bellièvre  à  Villeroy,  11  mars  1589,  f.  fr.  15892,  fol.  325.  —  Le  duc  de 
Longueville  écrivait  à  Bellièvre,  le  27  juillet,  son  regret  de  ne  pouvoir  satis- 
faire à  sa  prière  d'exempter  sa  terre  de  logis  :  «  La  brisée  que  le  roi  me  com- 
mande prendre  tire  droit  à  vous,  tellement  que  demain  vous  nous  aurez  pour 
hôtes.  »  11  s'excusait  :  ce  n'était  que  pour  une  nuit;  et  il  lui  recommandait 
d'avertir  ses  sujets  de  retirer  chez  lui  le  plus  beau  et  le  meilleur  de  ce  qu'ils  ont. 


LA    RETRilTE    DE    POMPONNE    DE    BELLiÈVRE.  147 

mandie  et  les  inquiétudes  des  Parisiens,  Mayenne  se  décida  à 
faire  place  nette  autour  de  la  capitale  ;  il  prit  Vincennes  et  Pon- 
toise  et  vint  assiéger  Meulan,  non  loin  de  Grignon.  Il  y  resta 
du  9  janvier  au  27  février  :  il  ne  lâcha  pied  que  lorsque  Henri  IV, 
pour  le  déloger,  eut  emporté  d'assaut  Poissy.  Ce  furent  des 
semaines  d'inquiétudes  terribles  pour  Bellièvre. 

Il  s'adressa  d'abord  à  Mayenne  qui  voulut  bien  lui  épargner 
le  logement  de  ses  gens  de  guerre  ^  puis  à  Saint-Paul  qui  était 
venu  faire  ses  logis  à  Trappes  ^  En  remerciant  ce  dernier  des 
sauvegardes  envoyées  à  lui  et  à  ses  amis,  —  dont  il  avait  dressé 
la  liste,  —  il  le  suppliait  de  veiller  de  tout  son  pouvoir  à  ses 
lansquenets  allemands  que  «  peu  de  gens  désirent  en  leurs  mai- 
sons »,  car  ils  ne  portent  pas  «  tout  le  respect  du  monde  aux 
sauvegardes  qui  sont  écrites  en  français  »3. 

Bellièvre  avait  raison  d'appréhender  la  tourmente  ;  elle  sur- 
vint tout  à  coup.  Les  reîtres  du  comte  de  Mansfeld  allèrent 
d'abord  molester  deux  «  bons  voisins  et  amis  »  du  ministre, 
M.  de  La  Grange,  bailli  de  Montfort,  et  M.  de  Villiers,  ancien 
maître  d'hôtel  du  duc  d'Anjou.  Puis  ils  visitèrent  Bellièvre, 
«  ravagèrent  tout  ce  qu'ils  purent  en  son  village,  enfoncèrent  la 
porte  de  son  parc  où  ils  entrèrent  pour  forcer  sa  basse-cour  »^, 
Bellièvre  se  plaignit  auprès  de  Bassompierre  qui  venait  d'arri- 
ver en  ces  quartiers,  réclama  de  nouvelles  sauvegardes  pour  lui 
et  pour  ses  voisins.  Il  semble  bien  que  Bassompierre  lui  ait  donné 
satisfaction . 

Le  reste  de  l'année  1590  et  l'année  suivante,  Bellièvre  vécut 
dans  une  tranquillité  relative.  Il  intervint  surtout  pour  les  autres, 
défendant  des  amis  moins  favorisés,  cherchant  à  faire  réparer 
des  injustices,  recommandant  aux  autorités  militaires  des  gens 
qui  voulaient  vivre  ou  voyager  en  paix^.  Au  mois  de  juin,  il 

1.  Bellièvre  à  Mayenne,  21  janvier  1590  (lettre  de  remerciements),  f.  fr.  15892, 
fol.  361. 

2.  Bellièvre  à  M.  de  Saint-Paul,  26  janvier  1590,  Ibid.,  fol.  362  bis. 

3.  Bellièvre  à  Saint-Paul,  31  janvier  1590,  Ibid.,  fol.  363. 

4.  Bellièvre  à  Bassomi)ierre,  2  février  1590,  Ibid.,  fol.  364.  —  Remarquons 
que,  si  les  Allemands  ne  respectèrent  pas  la  consigne,  les  chefs  furent  aux 
petits  soins  auprès  de  Bellièvre.  Bellièvre  écrit  dans  cette  même  lettre  :  «  Le 
gentilhomme  que  vous  avez  envoyé  chez  M.  de  Videville  vint  me  trouver  et 
me  donna  un  des  pages  de  M.  le  comte  qu'il  mit  en  son  village.  Ce  gentil- 
homme a  remontré  aux  reîtres  tout  le  déplaisir  qu'ils  feraient...,  etc.  » 

5.  Nous  devons  constater  que  les  événements  de  1591  nous  sont  moins  con- 


148  J.    NODAILLAC. 

plaide  chaleureusement  auprès  de  M.  de  Buhy,  frère  de  Duples- 
sis-Mornajs  la  cause  d'un  certain  sergent  Guignard  capturé  par 
les  royalistes  au  mépris  de  tout  droit '.  En  octobre,  par  l'inter- 
médiaire de  ViUeroy,  il  demande  à  Mayenne  d'intervenir  en 
faveur  d'un  royaliste,  M.  des  Granges,  pour  qu'on  lui  fasse  «  un 
plus  gracieux  traitement  »  ;  ce  gentilhomme  qui  commandait 
dans  Corbeil  a  été  capturé  par  les  Espagnols  ou  les  Wallons  et 
«  fort  rudement  traité  »~.  A  M.  de  Gourdan,  il  recommande, 
en  juin  1591,  un  «  bonhomme  »,  M.  Ghouart,  munitionnaire  de 
Calais,  beau-père  d'un  de  ses  grands  amis,  M.  du  Tremblay, 
contraint  de  demeurer  en  la  ville  pour  ses  affaires  et  qui  ne  s'est 
jamais  mêlé  d'aucune  sédition'^.  Il  implore  M.  de  Sourdis  pour 
un  jeune  homme  d'environ  vingt-cinq  ans,  «  de  poil  sur  le  roux, 
de  moyenne  taille  »,  qui  passa  quatre  ans  à  son  service,  puis  se 
mit  au  service  du  roi  et  fut  fait  prisonnier^.  Il  sollicite  la  grâce 
d'un  jeune  homme  qui  a  commis  un  meurtre  «  fortuit  ».  C'est  le 
fils  de  la  femme  d'un  sien  «  bon  ami  et  voisin,  le  sergent  Fleury, 
qui  a  longuement  servi  aux  gardes  et  s'est  comporté  avec  hon- 
neur »5.  Au  mois  de  janvier  1592,  il  élève  de  nouveau  la  voix 
en  faveur  de  M.  de  La  Grange,  bailli  et  gouverneur  du  comté  de 
Montfort.  Ce  «  fort  honnête  gentilhomme  »,  âgé  et  malade,  qui 
s'est  toujours  «  contenu  dans  sa  maison  »  a  le  malheur  d'avoir  un 
second  fils  qui  est  allé  à  Dreux  dans  les  rangs  des  ligueurs.  Ce 
n'est  pas  sa  faute.  Le  jeune  homme  lui  a  désobéi.  On  ne  doit  pas 
condamner  les  pères  pour  les  fautes  des  enfants.  «  La  loi  de  Moïse 
est  expresse  •\  » 

L'année  1592  fut  plus  mauvaise  que  la  précédente,  bien 
que  les  grandes  opérations  de  guerre  fussent  alors  terminées 
dans  l'Ile-de-France  et  dans  le  centre  du  royaume.  De  sa  retraite, 
BeUièvre  surveillait  avec  anxiété  trois  points  de  l'horizon  d'où 
venait  le  danger  :  le  Paris  des  Seize,  Meulan  occupée  par  une 
garnison  royaliste  que  commandait  M.  de  Bellengreville,  et  la 
place  de  Pontoise  défendue  pour  la  Ligue  par  d'Alincourt,  le  fils 

nus  que  ceux  des  autres  années.  Pour  cette  année-là,  il  y  a  de  grosses  lacunes 
dans  la  correspondance. 

1.  BeUièvre  à  M.  de  Buhy,  21  juin  1580,  f.  fr.  15892,  fol.  369. 

2.  BeUièvre  à  ViUeroy,  20  octobre  1590,  f.  fr.  15892,  fol.  412. 

3.  BeUièvre  à  M.  de  Gourdan,  19  juin  1591,  IbicL,  fol.  464. 

4.  BeUièvre  à  M.  de  Sourdis,  Ibid.,  fol.  471. 

5.  Lettre  sans  adresse  et  sans  date,  f.  fr.  15893,  fol.  4. 

6.  Lettre  de  BeUièvre  sans  adresse,  le  29  janvier  1592,  f.  ir.  15893,  fol.  8. 


LA   RETRAITE   DE   rOMPON.\E    DE   BELLiÈVRE.  149 

de  Villeroy.  C'est  de  ce  côté  que  Bellièvre  avait  le  plus  à  se 
plaindre  :  Villero}^  d'ailleurs,  était  forcé  d'avouer  qu'il  vivait 
«  entre  les  brigands  »  quand  il  résidait  auprès  de  son  fils'. 

Le  14  mars,  le  seigneur  de  Grignon  écrivit  à  d'Alincourt  une 
lettre  éloquente  d'indignation  :  «  Il  vaudrait  autant  que  je  fusse 
paysan  que  de  vivre  comme  je  fais  parmi  les  paysans,  souffrant 
en  mon  cœur  le  mal  qui  leur  est  fait  et  participant  à  leurs 
misères...  Les  pauvres  gens  n'ont  plus  rien  à  la  terre  :  ce  qu'ils 
sèment,  autres  le  recueillent.  »  Le  gouverneur  de  Pontoise  levait 
la  taiUe  sur  eux,  mais  le  poids  en  était  trop  lourd  et  de  plus, 
quand  ils  allaient  à  Poissy  ou  aux  marchés  voisins  vendre  leur 
blé,  les 'Soldats  les  molestaient-.  A  la  même  époque,  un  capitaine 
de  la  garnison  de  Meulan  s'empara  d'un  «  bon  voisin  et  ami  » 
de  Bellièvre,  M.  de  Lessay.  Bellièvre  fit  appel  à  l'esprit  de  jus- 
tice de  M.  de  BellengreviUe^.  Celui-ci  s'excusa,  plaida  les  cir- 
constances atténuantes.  Il  avait  envoyé  le  prisonnier  au  roi, 
se  conformant  à  la  déclaration  royale  d'après  laquelle  ceux  qui 
n'étaient  point  allés  à  son  armée  étaient  de  bonne  prise^.  Bel- 
lièvre écrivit  à  M.  d'0\  Nous  ne  savons  ce  qui  advint  de  l'af- 
faire. 

Nous  n'énumérerons  point  les  passeports  et  les  sauvegardes  que 
Bellièvre  sollicitait  pour  les  uns  et  pour  les  autres  dans  son 
entourage.  Il  passait  son  temps  à  importuner  ses  amis  des  deux 

1.  Villeroy  à  Bellièvre,  le  7  janvier  1592,  f.  fr.  15909,  fol.  441.  —  Villeroy 
écrivait  aussi,  le  27  novembre  1591,  Ibid.,  fol.  427  :  «  J'ai  grande  envie  de 
vous  aller  voir...,  mais  je  crains  les  dangers  des  chemins  à  cause  des  garnisons 
de  Meulan.  » 

2.  Bellièvre  à  d'Alincourt,  14  mars  1592,  f.  fr.  15893,  fol.  13  :  «  Monsieur, 
vous  êtes  par-dessus  le  jugement  des  soldats  et  Dieu  qui  rétribue  à  un  chacun 
selon  les  faits  vous  prospérera  comme  il  vous  connaîtra...  Dieu  veut  être  mieux 
obéi  que  les  hommes  et  a  pouvoir  de  se  faire  mieux  obéir;  toute  la  justice  ne 
se  peut  pas  obtenir  en  fait  de  guerre;  toutefois,  il  faut  toujours  avoir  devant 
les  yeux  ce  que  saint  Jehan-Baptiste  dit  aux  soldats  qui  demandaient  com- 
ment ils  pourraient  être  sauvés  :  ne  faites,  dit-il,  aucune  extorsion...  Monsieur, 
l»arlant  i  vous,  j'ouvre  mon  cœur  comme  parlant  au  fils  de  celui  que  j'ai  tou- 
jours aimé  pour  sa  vertu.  » 

3.  Bellièvre  à  M.  de  Bellengreville,  21  mars  1592,  Ibid.,  fol.  14  ;  «  Les  néces- 
sités, dit-il,  ont  apporté  beaucoup  de  désordre  parmi  les  gens  de  guerre...  », 
mais,  encore  qu'il  ne  soit  pas  homme  de  guerre,  il  a  remarqué  en  M.  de  Bel- 
lengreville de  très  belles  et  fort  rares  parties.  Ses  actions  n'ont  pas  été  «  seu- 
lement accompagnées  de  force,  mais  aussi  de  justice  ». 

4.  Bellengreville  à  Bellièvre,  du  fort  de  Meulan,  Il  mars  1592,  f.  fr.  15909, 
fol.  452. 

5.  Bellièvre  à  d'O,  27  mars  1502,  f.  fr.  15S'.}3,  fol.  21. 


150 


J.   NOUAILLAC. 


camps  ^  Au  mois  de  mai,  nouA^elle  alerte  :  un  nouveau  fléau 
s'abat  sur  le  pays.  Des  gens  de  guerre,  venus  de  la  capitale, 
brûlent  une  basse-cour  et  un  village  appartenant  à  MM.  d'Auny 
et  de  Mailly,  la  basse-cour  de  Ponchartrain  et  le  village  de 
M.  de  Villiers.  Ils  pillent  La  Bretèche  et  brûlent  La  Bretechelle. 
La  fumée  des  feux  venait  jusqu'à  Grignon.  Bellièvre  fut  épar- 
gné, mais  il  tint  à  exprimer  à  M.  de  Belin,  gouverneur  de  la 
capitale,  la  douleur  que  lui  causait  la  ruine  de  ses  voisins  et  à 
le  supplier  de  faire  régner  plus  d'ordre  parmi  ses  troupes.  Deux 
mois  après,  retour  offensif  des  gens  de  guerre  et  principalement 
des  Espagnols.  Cette  fois,  Grignon  faillit  y  passer,  en  dépit  des 
sauvegardes  que  les  soldats  s'excusaient  d'ailleurs  de  ne  pas  res- 
pecter, en  disant  qu'ils  ne  savaient  pas  à  qui  ils  s'adressaient  et 
qu'ils  ne  portaient  point  de  carte  du  pays.  Bellièvre  fut  sauvé 
par  ses  paysans.  Plus  de  huit  cents  d'entre  eux  se  jetèrent  dans 
son  village  et  empêchèrent  une  bande  d'Espagnols  de  le  piller"^. 
Ce  fut  le  dernier  des  événements  graves  qui  formèrent  au 
temps  de  la  Ligue  la  chronique  de  Grignon.  Du  moins  la  corres- 
pondance est-elle  muette  sur  ce  qui  put  se  passer  au  début  de 
l'année  1593.  En  somme,  Bellièvre  s'en  était  tiré  à  fort  bon 
compte.  Il  avait  même  généreusement  aidé  les  habitants  de  son 
canton  et  quelques  gentilshommes  voisins  et  amis  à  vivre, 

IV. 

La  neutralité. 

Le  spectacle  des  misères  de  la  guerre  contribua  certainement 
à  fortifier  les  sentiments  politiques  de  BeUièvre.  Ces  sentiments 
sont  extrêmement  nets.  De  par  sa  naissance,  sa  profession,  son 
tempérament,  ses  intérêts,  il  est  passionnément  attaché  à  l'ordre, 
à  la  paix  publique,  à  l'autorité  royale'^  :  il  déteste  «  les  change- 

1.  Il  écrivait  à  Villeroy,  le  20  octobre  1590  (f.  fr.  15892,  fol.  412)  :  «  Il  semble 
que  je  suis  condamné  de  me  faire  condamner  pour  importun.  » 

2.  Bellièvre  à  M.  de  Belin,  26  juillet  1592,  Ihid.,  fol.  41.  —  Il  donne  dans 
cette  lettre  des  détails  intéressants  sur  les  tailles  que  payaient  des  paysans  du 
comté  de  Montfort  aux  autorités  de  Pontoise  :  «  Si  les  gens  de  guerre,  ajoute- 
t-il,  continueront  de  se  licencier  à  faire  de  telles  courses,  le  pauvre  peuple  sera 
contraint  d'abandonner  le  labourage  et  le  pays,  dont  il  vous  adviendra  et  à 
nous  beaucoup  de  déplaisir  et  d'incommodités.  » 

3.  Dans  la  lettre  à  Jeannin,  f.  fr.  15893,  fol.  51,  il  se  qualifie  lui-même 
de  «  vieil  serviteur  de  cette  couronne  qui  n'a  point  de  plus  forte  passion 


LA   RETRAITE    DE    POMPOiVNE    DE   BELLIÈVRE.  151 

ments  »,  les  «  nouveautés  »  dangereuses,  l'esprit  de  parti,  les 
factions  qui  déchirent  l'État  ;  il  est  «  homme  de  paix  »  ;  il  ne 
peut  s'entendre  qu'avec  les  «  gens  de  bien  »  qui  veulent  mettre 
fin  à  l'anarchie.  Il  a  reconnu  Henri  IV  dès  son  avènement 
comme  le  roi  légitime.  Il  n'a  jamais  pris  au  sérieux  la  royauté 
du  cardinal  de  Bourbon.  Il  connaît  bien  son  Béainiais  :  il  a  foi 
en  lui  ;  il  sait  que  lui  seul  est  le  sauveur,  qu'il  saura  «  faire 
régner  la  justice  parmi  ses  peuples,  faire  vivre  en  repos  et  tran- 
quillité les  trois  ordres  de  ce  royamne,  conservant  un  chacun  en 
ce  qui  lui  appartient  et  affectionnant...  le  soulagement  de  son 
pauvre  peuple  »i.  Henri  IV  est  protestant;  mais  la  différence 
de  foi  n'excuse  ni  la  rébellion  ni  l'abstention.  La  loi  divine  est 
formelle  :  il  faut  obéir  au  roi  légitime.  D'ailleurs,  dans  le  cas 
particulier  qui  préoccupe  et  divise  le  pays,  les  catholiques 
n'ont-ils  pas  intérêt  à  se  réunir  autour  de  leur  roi?  Ils  forment 
les  quatre  cinquièmes  de  la  nation.  Henri  IV  est  bien  disposé 
en  leur  faveur  ;  il  a  promis  formellement  de  se  faire  instruire  et 
de  leur  donner  satisfaction  ;  la  guerre  qu'on  lui  a  déclarée  et  les 
entreprises  des  ligueurs  ne  font  que  retarder  son  retour  à  la  foi 
catholique.  BeUièvre,  comme  tant  de  «  gens  de  bien  »,  est  mora- 
lement convaincu  que  Henri  IV  se  convertira. 

La  doctrine  du  vieux  ministre  est  donc  très  simple  et  très 
ferme.  Et  cependant  son  attitude  paraît  équivoque,  parce  qu'il 
ne  s'est  pas  retiré  auprès  du  roi.  La  Ligue  a  fait  au  début  de 
grands  efforts  pour  amener  BeUièvre  dans  son  camp.  Dès  le 
20  octobre  1588,  Mayenne  lui  envoyait  de  Lyon  ses  consola- 
tions et  ses  compliments  et  le  suppliait  de  le  reconnaître  comme 
«  le  meilleur  et  plus  certain  de  ses  amis  ».  Le  18  janvier  1589, 
il  lui  écrivait  encore  plus  aimablement  qu'il  l'estimait,  qu'il 
l'honorait  et  désirait  lui  témoigner  à  Paris  les  effets  de  son  ami- 
tié. BeUièvre  répondait  avec  politesse  et  prudence  et  ne  sortait 
des  assurances  vagues  de  respect  que  pour  solliciter  la  protec- 
tion de  Mayenne  pour  sa  famiUe,  ses  amis,  ses  terres-.  Jeannin, 
ami  intime  et  conseiller  du  lieutenant  général,  lui  fit  des  avances 
plus  directes,  lui  conseillant  «  de  se  mettre  en  lieu  où  il  puisse 

es  choses  de  ce  monde  que  de  voir  prospérer  la  couronne  sous  laquelle  il 
est  né  ». 

1.  F.  fr.  15893,  fol.  136. 

2.  Charles  de  Lorraine  à  BeUièvre,  20  octobre  1588,  de  Lyon,  f.  fr.  15909, 
fol.  195;  18  janvier  1589,  Ibkl.,  fol.  237.  —  BeUièvre  à  Mayenne,  19  mai  1589 
et  21  janvier  1590,  f.  fr.  15892,  fol.  335,  361. 


152  J.    NOCAILLAC. 

servir  à  amoindrir  le  mal  ou  à  établir  le  bien  »  '.  Bellièvre,  cour- 
toisement, remerciait,  louant  la  «  prudence  et  grande  vertu  » 
du  duc  et  le  «  sage  et  bon  conseil  »  de  Jeannin.  Mais  il  décla- 
rait qu'il  voulait  désormais  vivre  en  repos  et  ne  se  mêler  de 
rien^.  L'archevêque  de  Lyon  n'eut  pas  plus  de  succès  que  Jean- 
nin'^  Au  début  de  1590,  l'entourage  de  Mayenne  renouvela  ses 
instances.  La  guerre  avait  repris  en  Ile-de-France.  Jeannin 
écrivit  à  Bellièvre  :  «  Nous  n'aurions  que  très  bon  espoir  de 
vos  bons  et  sages  conseils  ».  Catherine  de  Clèves,  la  veuve  du 
duc  de  Guise,  lui  envoya  une  bonne  et  digne  lettre  qu'elle 
signait  :  «  Votre  plus  affectionnée  et  meilleure  amie.  »  —  «  L'on 
vous  désire  fort  en  cette  ville  »,  disait -elle,  «  et  moi  particuliè- 
rement qui  reconnais  combien  vous  y  êtes  nécessaire  pour  votre 
capacité^.  » 

On  ne  vit  point  Belliè\Te  à  Paris.  On  ne  le  vit  point  non  plus 
à  la  cour.  Il  resta  neutre  à  Grignon  pendant  plus  de  quatre  ans. 
Les  raisons  de  cette  attitude  se  laissent  plutôt  deviner  que  com- 
prendre explicitement  par  la  correspondance. 

Pour  revenir  à  la  cour,  il  fallait  qu'il  y  fût  rappelé  et,  par 
conséquent,  qu'on  y  eût  besoin  de  lui.  Henri  IV  était  bien  dis- 
posé en  sa  faveur.  Il  connaissait  le  loyalisme  de  BeUièvre,  non 
seulement  par  les  amis  que  celui-ci  avait  en  cour,  mais  encore 
par  les  propres  déclarations  de  l'ancien  ministre  qui  était  allé 
lui  baiser  les  mains  à  Besne.  Henri  IV  avait  donné  des  ordres 
pour  la  protection  de  BeUièvre  et  pour  la  défense  de  ses  intérêts 
de  famille.  Mais  il  semble  bien  que  dans  l'entourage  du  roi  on 
ne  fut  pas  très  pressé  de  revoir  l'ancien  ministre.  QueUe  grande 
charge,  quelle  importante  mission  aurait-on  pu  lui  ofïrir^'?  Aux 
finances  sa  place  était  prise.  Comme  ambassadeur  auprès  des 
puissances  protestantes,  il  eût  été  mal  choisi  à  ce  moment.  De 
délégation  extraordinaire  ou  intendance  dans  les  provinces 
(comme  il  en  eut  une,  en  1594,  en  Dauphiné),  il  n'était  point 

1.  Jeannin  à  Bellièvre,  15  mars  1589,  f.  fr.  15909,  fol.  243. 

2.  Bellièvre  à  Villeroy,  11  mars  1589,  f.  fr.  15892,  fol.  329.  —  Voir  aussi  la 
lettre  à  Jeannin,  7  mars,  Ihkl.,  fol.  327. 

3.  Bellièvre  à  M.  de  Lyon,  25  novembre  1589,  Ibid.,  fol.  347. 

4.  Catherine  de  Clèves  à  Bellièvre  (fin  1589  ou  janvier  1590),  f.  fr.  15909, 
fol.  280. 

5.  Cheverny,  rappelé  en  juillet  1590,  explique  très  bien  que  tout  était  en 
grande  confusion  depuis  deux  ans,  qu'il  n'y  avait  aucune  forme  ni  apparence 
de  conseil,  que  les  guerres  avaient  tout  déréglé,  etc.  {Mémoires,  p.  502). 


LA   RETRAITE    DE   POMPONNE   DE    BELLIÈVRE.  153 

question  en  ce  temps  d'opérations  militaires  (d'ailleurs,  l'état  de 
sa  santé  en  1590  et  en  1591  ne  lui  eût  pas  permis  ces  chevau- 
chées). Il  fut  sans  doute  question  de  le  faire  rentrer  au  Conseil, 
comme  il  appert  d'une  lettre  obscure,  pleine  de  sous-entendus, 
qu'il  écrit  à  Jacques  Fave  en  juillet  15901.  Malgré  ses  belles 
protestations  de  désintéressement,  on  a  l'impression  qu'il  refuse 
parce  qu'il  trouve  cet  honneur  un  peu  maigre.  Il  fait  l'apologie 
de  sa  vie  passée,  énumère  les  hautes  charges  et  missions  qui  lui 
ont  été  données  et  conclut  en  assurant  qu'il  sera  plus  heureux 
«  en  cette  solitude  des  champs  ».  Il  savait  d'ailleurs  qu'il  avait 
en  cour  quelques  ennemis,  dont  il  avait  éprouvé  autrefois  les 
«  impétuosités  »  et  qui  se  seraient  peut-être  opposés  à  son  retour-. 
On  devine  aussi  des  résistances  d'un  autre  genre,  quand  on  voit, 
d'après  le  témoignage  de  Faye,  Duplessis-Mornay,  jaloux  de 
son  autorité,  écarter  BeUièvre,  en  août  1590,  des  négociations 
avec  Villeroy^. 

Bellièvre,  dans  son  entrevue  avec  le  roi,  ne  lui  avait  fait 
d'autre  prière  que  de  vouloir  le  conserver  comme  son  «  fidèle 
sujet  et  serviteur  ».  Il  lui  avait  atfirmé  qu'il  ne  demandait  pas 
autre  chose  et,  dans  toutes  les  lettres  à  ses  amis,  il  répétait  le 
même  refrain  de  son  «  désir  d'un  honnête  repos  ».  Il  est  donc 
bien  vrai  que  lui  non  plus  ne  se  pressait  pas  de  retourner  en 
cour.  Nous  connaissons  déjà  la  principale  raison  de  ce  désir  de 
retraite.  Il  voulait  faire  vivre  sa  nombreuse  famille.  Aurait-il  pu 
la  traîner  à  sa  suite  dans  les  déplacements  incessants  de  la  cour 
et  dans  le  tumulte  de  la  guerre?  Aurait-il  trouvé  auprès  du  roi 
de  quoi  l'entretenir?  On  lui  aurait  sans  doute  donné  une  pen- 
sion, mais  aurait-elle  compensé  la  perte  de  Grignon  qui  serait 
certainement  tombé  entre  les  mains  des  ligueurs  parisiens 4? 
Ajoutons  que  Bellièvre,  très  réfléchi  et  très  lent,  n'éprouvait  nul 
besoin  de  brusquer  les  choses.  Il  avait  la  certitude  qu'il  ren- 
drait à  la  cause  royale  beaucoup  de  menus  services  dans  sa 

1.  Bellièvre  à  d'Espeisses,  14  juillet  1590,  f.  fr.  15892,  fol.  289;  12  août, 
Ibid.,  fol.  374. 

2.  Faye  d'Espeisses  à  Bellièvre,  (?)  août  1590,  f.  fr.  15909,  fol.  323. 

3.  Faye  d'Espeisses  à  Bellièvre,  17  août  1590,  Ibid.^  fol.  317.  Le  roi  aurait 
agréé  Bellièvre  comme  négociateur.  «  M.  du  Plessis,  qui  cuncta  ad  se  cupit 
traliefe...,  jaloux  de  ce,  non  seulement  a  fait  changer  au  roi  d'avis,  mais 
aussi  a  traité  fort  étroitement  avec  M.  de  Villeroy  le  père.  « 

4.  Notons  qu'aucune  de  ces  raisons  n'est  indiquée  expressément  dans  la  cor- 
respondance. 


154  j.    NOUAILLAC. 

retraite.  Il  savait  que  ces  services  seraient  appréciés  et  qu'il 
redeviendrait  de  plus  en  plus  pey^sona  grata.  Il  était  fier,  ne 
voulait  point  de  sollicitations  détournées,  de  démarches  humi- 
liantes :  il  mettait  son  point  d'honneur  à  rentrer,  sur  un  appel 
direct  du  roi,  quand  il  plairait  à  celui-ci  lui  faire  tant  d'honneur 
que  de  le  juger  digne  de  servir  i.  C'est  ainsi  qu'il  put  attendre  le 
moment  où,  les  grandes  opérations  de  guerre  terminées,  la  tour- 
mente touchant  à  sa  fin,  il  reprit  tout  doucement  sa  place  au 
gouvernement. 

V. 

Diplomatie  privée. 
Ecrits  politiqiœs  et  négociations  officielles. 

BeUièvre,  pendant  sa  retraite,  rendit  à  l'État  trois  sortes  de 
services  :  il  travailla  pour  l'ordre  et  pour  la  paix  par  lettres  ou 
par  conversations  dans  le  cercle  de  ses  relations  privées  ;  il 
composa  des  lettres  politiques,  à  la  manière  des  publicistes  de 
la  fin  du  XVI''  siècle;  il  prit  part  à  des  négociations  entre  le  parti 
du  roi  et  la  Ligue. 

L'action  privée  est  la  plus  difficile  à  saisir,  car  les  lettres 
authentiques  ou  minutées  qui  nous  restent  ne  forment  qu'un 
choix  dans  la  A^aste  correspondance  du  ministre.  Dans  la  grande 
lettre  à  Jeannin,  il  affirme  qu'en  1590,  pendant  le  siège  de 
Paris,  il  a  écrit  aux  grands  et  principaux  de  la  cour  pour  con- 
naître leurs  intentions,  savoir  comment  on  pourrait  réunir  les 
catholiques  des  deux  partis^.  Dans  le  parti  de  la  Ligue,  il  entre- 
tenait des  relations  suivies  avec  ViUeroy  qui  faisait  grand  cas 
de  ses  conseils,  tout  en  discutant  courtoisement  avec  lui,  lui 
dédiait  son  Apologie  et  lui  rendait  visite,  plus  rarement  qu'il 
n'eût  voulu,  quand  les  circonstances  le  permettaient  •''.  Il  reçut 
à  Grignon  des  personnages  importants  des  deux  partis.  Il  en 

1.  Bellièvre  à  d'Espeisses,  li  août  1590,  f.  fr.  15892,  fol.  1^74. 

2.  On  a  conservé  une  de  ces  lettres  adressées  à  Matignon,  le  16  juin  1590, 
f.  fr.  15892,  fol.  366.  Il  le  félicite  de  penser  à  finir  la  guerre.  «  Ce  pensement 
est  très  digne  de  votre  grande  prudence.  » 

3.  Voir  la  lettre  de  Villeroy  du  29  avril  1589  :  «  Il  n'est  heure  que  je  ne 
pense  à  vous  et  ne  regrette  votre  conversation,  comme  une  des  plus  grandes 
pertes  que  je  reçoive  en  ce  temps.  »  F.  fr.  15909,  fol.  252.  —  Villeroy,  au  début, 
vit  Bellièvre  au  mois  de  mai  1589.  Les  lettres  de  Villeroy  sont  assez  nom- 
breuses dans  le  f.  fr.  15909. 


LA   RETRAITE   DE   POMPONNE   DE    BELLiÈVRE.  155 

profita  pour  leur  parler  de  la  guerre  et  de  la  paix  et  leur  adres- 
ser des  exhortations.  Sa  maison  était  un  terrain  neutre,  un  lieu 
de  libre  discussion,  moins  fréquenté  toutefois  que  le  château 
d'Éclimont,  en  Beauce,  ouvert  à  tous  indifféremment  par  le 
chancelier  de  Chevernyi.  BeUièvre  put  ainsi  parler  à  Mayenne 
en  personne  et  s'empressa  de  le  faire  savoir  au  roi  par  son  ami 
Biron-.  Il  lui  arriva  même  un  jour  d'avoir  une  curieuse  entrevue 
avec  un  gentilliomme  espagnol  de  l'armée  du  duc  de  Parme  3.  Il 
cherchait  toutes  les  occasions  d'apprendre  et  de  répéter.  Quand 
Cheverny  eut  été  rappelé  à  la  cour,  BeUièvre  lui  écrivit  que,  si 
on  l'estimait  bon  à  servir  en  quelque  chose,  il  serait  à  même 
de  l'informer  de  ce  qui  se  passerait  en  cette  province  «  pouvant 
appartenir  au  bien  du  roi  »^. 

BeUièvre,  entre  temps,  dans  le  silence  du  cabinet,  employait 
une  partie  de  ses  loisirs  à  faire  œuvre  de  polémiste.  La  première 
des  grandes  lettres  qu'il  écrivit  fut  composée  dans  le  courant  de 
l'année  1591  et  adressée  au  pape  Grégoire  XIV  ^  Le  pontife, 
aussitôt  élu,  «  circonvenu  des  ministres  d'Espagne  et  des  agents 
de  l'Union  >>,  avait  déclaré  au  roi  une  guerre  en  règle;  il  avait 
commandé  aux  cardinaux,  évêques,  princes  et  nobles  de  quitter 
sans  retard  le  roi  et  envoyé  par  le  nonce  Landriano  des  buUes 
proclamant  la  déchéance  de  Henri  et  excommuniant  ses  fidèles  ; 
enfin,  U  avait  détaché  en  France  une  petite  armée  sous  les 
ordres  de  son  neveu.  Cette  attitude  beUiqueuse  d'un  pape  plus 
«  partial  que  père  »  souleva  une  tempête  d'indignation  chez  les 

1.  Cheverny,  Mémoires,  éd.  Michaiid,  t.  X,  p.  502  :  «  Ma  maison  ayant  été 
ouverte  à  tous  indifféremment,  sans  que  jamais,  grâce  à  Dieu,  la  différence 
des  assistances  particulières  y  ait  apporté  aucune  querelle,  se  réservant  de 
disputer  entre  eux  après  qu'ils  étaient  prêts  de  partir  chez  moi.  » 

2.  Revol  à  BeUièvre,  18  août  1590,  f.  fr.  15909,  fol.  318.  —  Henri  IV  se 
montra  assez  sceptique,  disant  que  le  langage  tenu  par  Mayenne  était  celui 
(jue  tous  ceux  qu'il  avait  «  vus  venant  de  sa  part  disent  qu'il  tient  ordinaire- 
ment ». 

3.  Lettre  à  Jeannin,  loc.  cit.  BeUièvre  lui  demanda  si  Philippe  II  envoyait 
son  armée  pour  droit  qu'il  prétendait  sur  la  couronne  ou  par  désir  d'ac- 
croître sa  domination.  L'Espagnol  répondit  :  ni  pour  l'un  ni  pour  l'autre 
motif,  mais  j^our  protéger  la  religion,  et  il  lui  lit  quelques  confidences  sur  les 
sentiments  conciliants  du  duc  de  Parme  et  même  du  roi  d'Espagne. 

4.  BeUièvre  au  chancelier,  sans  date,  juillet  1590,  f.  fr.  15890,  fol.  373. 

5.  Pomponii  Bellevrei  ad  Grecjorium  XIV  Epistola  snper  ejus  monilo- 
riaiibns  litteris  contra  Catliolicos  qui  régi  adharebant  per  Marsilium 
Landrianum  nuntium  publicatis  anno  1591,  scripta  in  villa  de  Grignon. 
F.  fr.  15892,  fol.  491-537. 


156  J.    NOUAILLAC. 

TOvaux  et  les  politiques.  Le  parlement  de  Tours  annula  et  fit 
lacérer  les  bulles  et  fulmina  contre  le  soi-disant  pape  et  le  soi- 
disant  nonce.  Une  assemblée  du  clergé  royaliste  prit  hautement 
la  défense  du  roi.  «  Des  plumes  bien  fendues  »'  de  parlemen- 
taires gallicans  et  royalistes  ou  de  politiques  travaillèrent  dans 
le  public  pour  la  bonne  cause. 

BeUièvre  rédigea  une  énorme  épître  latine,  dont  il  nous  a 
laissé  la  copie,  qui  couvre  quatre-vingt-cinq  grandes  pages.  Il 
démontrait  au  Saint-Père  tout  le  mal  qu'avait  fait  la  papauté  à 
la  France  en  prêtant  attention  aux  conseils  des  étrangers.  Il 
refaisait  l'histoire  du  règne  précédent  et  de  toutes  les  guerres  de 
religion.  Il  remontait  plus  haut  :  c'était,  à  l'usage  de  Rome,  un 
véritable  cours  d'histoire  de  France,  bien  plus,  un  sommaire  des 
rapports  du  pouvoir  spirituel  et  du  temporel  depuis  le  début  de 
l'Église.  Il  citait  saint  Jérôme,  Arius,  le  concile  de  Nicée,  Nicé- 
phore,  Synesius.  Il  affirmait  qu'on  devait  l'obéissance  au  roi 
légitime,  que  ce  roi  avait  l'intention  de  se  convertir,  et  il  décla- 
rait poliment,  mais  fermement,  au  pape  que  le  devoir  des  catho- 
liques était,  en  cette  matière,  de  lui  désobéir. 

La  lettre  était  écrite  en  beau  latin  cicéronien.  BeUièvre,  rap- 
pelons-le, était  un  esprit  cultivé  qui  avait  fait  de  sérieuses  études 
de  philosophie,  d'histoire,  de  belles-lettres  et  de  jurisprudence, 
et  qui,  pendant  toute  sa  vie,  employa  une  partie  de  ses  loisirs  à 
lire  et  à  étudier  les  auteurs-.  Pourtant,  il  faut  reconnaître  qu'on 
ne  trouve  pas  dans  cette  lettre  latine  les  qualités  de  composition 
des  œuvres  françaises.  Elle  semble  écrite  un  peu  sans  plan,  au 
courant  de  la  plume.  Fut-elle  envoyée  au  pape  Grégoire  XIV? 
Nous  ne  le  pensons  pas  :  la  lettre  avait  été  rédigée  en  septembre 
ou  octobre.  On  peut  supposer  que,  le  pape  étant  mort  le  15  oc- 
tobre, BeUièvre  la  conserva  dans  ses  papiers.  La  communiqua- 

1.  Expression  de  BeUièvre,  f.  Ir.  15893,  fol.  122.  On  connaît  en  partie  celte 
littérature  par  les  Mémoires  de  la  Ligue,  1758.  t.  IV  (deux  opuscules  publiés), 
par  l'Estoile,  Mémoires- Journaux,  t.  IV  et  VI.  Voir  aussi  la  Blhliolhèque 
historique  du  P.  Lelong.  Parmi  les  ouvrages  imprimés  contre  les  bulles,  on 
signale  ceux  de  Paye  d'Espeisses,  de  Claude  Fauchet,  président  de  la  Cour 
des  Monnaies,  de  Guy  Coquille,  jurisconsulte  et  historien. 

1.  Sainte-Marthe,  Éloge,  t.  V,  p.  537-546.  Notons  que  BeUièvre  est  placé 
parmi  «  les  hommes  illustres  qui,  depuis  un  siècle,  ont  fleuri  en  France  dans 
la  profession  des  lettres  ».  —  L'ambassadeur  d'Espagne,  en  envoyant  à  Phi- 
lippe II  la  liste  des  députés,  l'appelle  «  letrado,  que  hasta  aqui  avia  andado 
neutro  )>,  Pap.  Simanc.  K.  1413  (cité  dans  Bernard,  Procès-verbaux  des  états 
de  1593,  p.  703.  Doc.  inédits  sur  l'hist.  de  France). 


LA   RETRAITE   DE   POMPONNE   DE   BELLIEVRE.  157 

t-il  à  quelques  amis?  Aucun  indice  tiré  de  la  correspondance  ne 
nous  permet  de  le  dire.  Peut-être  n'était-ce  qu'un  exercice  de 
stj-le. 

Le  13  décembre  1592,  Bellièvre  écrivit  à  Jeannin  une  lettre 
qui,  par  son  ampleur  et  l'importance  de  son  sujet,  dépasse  le 
cadre  ordinaire  de  la  correspondance  ^  C'est  une  de  ces  lettres 
politiques  en  forme  d'avis,  de  remontrance,  d'exhortation  adres- 
sées à  un  parti  plutôt  qu'à  un  homme  et  destinées  à  une  demi-publi- 
cité dans  l'entourage  des  chefs  ou  des  conseillers  de  ce  parti. 
EUe  participe  à  la  fois  de  la  lettre  privée  et  de  la  remontrance 
oratoire.  Le  début  a  un  caractère  personnel,  puisque  l'auteur  y 
énumère  les  démarches  qu'il  a  tentées  pour  la  paix,  mais  il  ne 
verse  pas  dans  l'apologie,  comme  Villeroy;  après  deux  ou  trois 
pages,  il  cesse  de  se  raconter;  le  reste  est  d'un  intérêt  général, 
mais  toutefois  diffère  des  nombreux  discours  sur  l'état  présent 
de  la  France  qui  furent  alors  composés  ;  le  sujet  en  est  limité, 
précis,  et  appelle  une  réponse. 

On  était  à  une  époque  de  piétinement  sur  place  et  d'inquié- 
tude pour  les  «  honnêtes  gens  »  qui  voyaient  les  forces  militaires 
s'équilibrer  et  les  négociations  s'enliser.  Bellièvre  montre  d'abord 
à  son  ami  Jeannin  les  raisons  sérieuses  qu'ont  les  catholiques 
royaux  de  se  méfier  des  «  bonnes  volontés  »  de  l'autre  parti 
(entrée  des  forces  étrangères  ;  déclarations  belliqueuses  du  duc 
de  Mayenne  à  Paris;  intention  marquée  du  pape  d'appuyer 
l'élection  d'un  roi).  L'élection  est-elle  pour  le  bien  de  l'État? 
Donnera-t-elle  des  forces  à  la  Ligue?  Lui  fera-t-elle  gagner  la 
bataille?  Ne  diminuera-t-elle  pas  la  puissance  de  Mayenne'^? 
Ne  liera-t-elle  pas  davantage  au  roi  la  noblesse  qui  le  sert? 
L'intérêt  véritable  de  Mayenne  et  de  son  parti  n'est -il  pas 
dans  la  réconciliation  avec  le  roi?  Ne  savent-ils  pas  qu'il  est 
extrêmement  difficile  de  battre  ce  roi,  «  lequel,  à  mon  avis  », 
ajoute  Belhèvre,  «  ne  se  pourrait  abattre  sans  une  pareille  ruine 
desabatteurs  ».  A  quoi  ont  servi  jusqu'ici  les  secours  espagnols? 
La  guerre  civile  n'achèvera-t-elle  pas  de  ruiner  les  provinces  et 
Paris  ? 

1.  Bellièvre  à  Jeannin,  13  décembre  1592,  f.  fr.  15893,  fol.  47-62.  Nous 
avons  publié  cette  lettre  dans  Documents  d'histoire  {de  Henri  IV  à  nos  jours), 
4"  année,  1913,  p.  5-21. 

2.  «  Qui  appelle  le  plus  fort  à  son  aide  se  fait  serf  du  plus  fort.  »  ...  «  Nul 
ne  veut  être  coniinandé  absolument  par  celui  qu'il  a  vu  sou  compagnon.  »  Hel- 
lièvre  parle  volontiers  par  sentences. 


158  J.    NOUAILLAC. 

Quel  est  l'intérêt  du  pape?  N'est-il  pas  aussi  de  conclure  la 
paix?  Que  ferait-il  si  le  Turc,  riverain  de  l'Adriatique,  envahis- 
sait Naples  et  les  Etats  de  l'Eglise?  On  dit  qu'il  excommuniera 
le  roi  :  des  mesures  analogues  n'ont  eu  précédemment  aucun 
succès.  «  Il  pourrait  être  dommageable  au  Saint-Siège  d'offenser 
si  avant  la  nation  française  ». 

Quel  est  l'intérêt  du  roi  d'Espagne?  Veut-il  consumer  tous 
ses  moyens  et  mettre  au  hasard  tant  de  beaux  États  de  sa  cou- 
ronne? N'a-t-il  pas  vu  le  peu  de  fruit  de  ses  efforts  pour  abattre 
le  roi  de  France?  Il  est  vieux  ;  il  vaut  mieux  pour  lui  qu'il  traite 
à  l'amiable. 

Le  raisonnement  de  BeUièvre  est  serré  ;  le  style  ferme,  clair, 
concis,  très  différent  de  la  plupart  des  œuvres  analogues,  presque 
toujours  trop  abondantes  et  un  peu  diffuses  L  Deux  sentiments 
animent  et  résument  la  lettre  :  le  sens  de  l'intérêt  et  l'horreur  de 
la  guerre.  Le  premier  forme  la  trame  de  son  argumentation  ;  en 
vieil  homme  d'Etat  habitué  à  discuter  des  intérêts,  il  cherche 
surtout  à  démontrer  ce  que  veulent  les  intérêts  en  présence. 
Quant  à  son  patriotisme  pacifique,  il  lui  inspire  une  belle  péro- 
raison éloquente,  émue,  simple,  toute  dénuée  de  rhétorique, 
toute  remplie  de  faits.  C'est  un  tableau  sommaire  des  maux  de 
la  guerre  qui  «  abrutit  les  esprits  des  hommes,  les  remplit  de 
tous  vices  :  athéisme,  corruption  des  mœurs,  mépris  de  toutes 
lois  divines  et  humaines  ».  C'est  un  appel  à  la  pitié  pour  le 
«  pauvre  peuple  qui  souffre  tant  ». 

La  lettre  à  Jeannin  fut  bientôt  connue  dans  ce  que  nous  pour- 
rions appeler  les  milieux  politiques  du  temps.  Elle  fut  promue  à 
la  dignité  de  lettre  d'Etat  sur  les  affaires  de  ce  temps.  Le 
dernier  jour  de  l'an  1592,  un  ami  de  Pierre  de  l'Estoile  la  lui 
communiqua  ;  ce  grand  collectionneur  en  fît  faire  aussitôt  une 
copie,  en  déclarant  dans  son  journal  qu'on  la  trouverait  entre 
ses  papiers 2.  Revol  aussi  en  reçut  un  exemplaire  à  Chartres 
et  la  fît  lire  au  duc  de  Nevers'^. 

1.  Ni  Villeroy  dans  ses  Apologies  et  Avis,  ni  Du  Vair  dans  son  Exhortation 
à  la  paix  (1592)  et  sa  lettre  d'un  Bourgeois  de  Paris  n'échappent  à  ce  défaut 
de  prolixité.  Voir  Nouaillac,  Villeroy,  p.  172  et  suiv.,et  Radouant,  Guillauvie 
Du  Vair,  l'homme  et  l'orateur.  Paris,  1907,  in-S",  p.  276  et  suiv. 

2.  L'Estoile,  Mémoires-Journaux ,  t.  V,  p.  201.  —  «  Ladite  lettre  contient 
de  cinq  à  six  feuillets  et  y  a  dedans  beaucoup  de  particularités  remarquables. 
N'a  été  imprimée.  » 

3.  Revol  à  BeUièvre,  1"  janvier  1593,  f.  fr.  15910,  fol.  1.  —  Il  ne  nomme  pas 


I 


LA   RETRAITE   DE   POMPONNE   DE   BELLIÈVRE.  159 

Le  21  février  de  l'année  suivante,  après  la  convocation  des 
États  de  la  Ligue  et  l'appel  lancé  par  Mayenne  aux  catholiques 
royaux,  Bellièvre  achevait  une  longue  remontrance,  à  laquelle 
il  ne  donna  aucun  titre  rare  ou  sonore.  Ce  fut  un  simple  Écrit 
contre  la  convocation  des  prétendus  États  K 

Cet  écrit  n'est  dédié  à  personne.  Il  s'adresse  à  toute  la  Ligue. 
L'auteur  ne  parle  cette  fois  ni  de  ses  démarches,  ni  de  l'avis  de 
ses  amis.  Il  va  droit  au  but  et  soulage  sa  conscience.  Prenant 
prétexte  de  l'avis  imprimé  signé  de  Mayenne,  il  dit  nettement  : 
«  Pour  mieux  juger  de  cet  écrit,  je  dirai  simplement  mon  opi- 
nion, sans  fard  de  langage  ». 

Il  démontre  d'abord  que  les  catholiques  royaux,  dont  il  indique 
le  nombre,  la  force,  la  qualité,  sont  meilleurs  catholiques  et 
«  plus  utiles  que  les  autres  à  la  conservation  de  la  religion  ». 
Eux  seuls  aiment  leur  patrie,  en  défendent  l'honneur  et  obéissent 
à  la  loi  de  Dieu  en  restant  soumis  à  ce  prince  qui  n'est  pas  encore 
réconciMé  avec  l'Église,  mais  qui  certainement  le  sera  bientôt '^. 

Les  catholiques  de  l'autre  parti,  malgré  leurs  déclarations, 
n'ont  fait  qu'apporter  des  «  traverses  »  à  la  réconciliation  ;  ils 
ont  fait  le  plus  grand  mal  à  leur  religion  et  à  leur  pays.  Bellièvre 
dresse  impitoyablement  le  bilan  de  leurs  fautes,  de  leurs  contra- 
dictions, de  leurs  actes  néfastes. 

Dans  tout  ce  développement  qui  est  clair  et  sobre  apparaissent 
les  qualités  de  l'homme  d'État  versé  dans  l'étude  du  droit  et  dans 
l'histoire;  le  cas  du  cardinal  de  Bourbon  provoque  une  discus- 
sion juridique  serrée  ;  la  politique  pontificale  est  commentée  par 
ce  gallican  convaincu  au  moyen  d'exemples  historiques.  Le  ton 
est  énergique,  «  véhément  »,  —  Bellièvre  s'excuse  à  la  fin 
d'avoir  ainsi  parlé,  —  toujours  naturel  et  simple.  Pas  une  con- 
cession n'est  faite  à  la  rhétorique,  pas  même  dans  la  composi- 
tion, qui  n'est  pas  rigoureusement  ordonnée.  Bellièvre  parle  le 
langage  du  bon  sens,  qui  par  moments  se  colore  d'une  ironie 
savoureuse  3. 

la  lettre,  mais  il  parle  de  quel([ue  chose  dont  il  ne  peut  advenir  à  Bel- 
lièvre que  «  beaucoup  de  louange  et  d'honneur  de  tous  les  gens  de  bien  du 
royaume  ». 

1.  La  minute,  écrite  de  la  main  de  Bellièvre,  est  conservée  dans  le  f. 
fr.  15893,  fol.  68-96. 

2.  Nous  travaillons  tous  les  jours,  dit  Bellièvre,  pour  «  avancer  ce  saint 
u;uvre  ». 

3.  Surtout  lorsqu'il  parle  des  papes.  Il  rappelle  l'histoire  de  Boniface  VIII 


160 


.1.    NOUAILLAC. 


Il  répond  à  leurs  principaux  arguments.  1°  Le  «  fait  de  la  reli- 
gion »  n'est-il  pas  un  mauvais  prétexte?  Le  feu  roi  pouvait-il 
être  soupçonné  de  trahir  la  cause  catholique?  La  rébellion 
contre  un  souverain  légitime  n'est-elle  pas  un  péché  mortel? 

2°  La  royauté  du  cardinal  de  Bourbon  peut-elle  être  raison- 
nablement défendue?  Pourquoi  ses  prétendus  sujets  ont-ils 
attendu  du  2  août  au  21  novembre  pour  le  reconnaître,  puisque 
le  mort  saisit  le  vif?  Pourquoi  lui  ont -ils  si  mal  obéi?  Se 
sont-ils  souciés  de  lui  depuis  son  emprisonnement  jusqu'à  son 
décès  ? 

3"  Pourquoi  vouloir  élire  un  roi?  C'est  un  procédé  révolution- 
naire, carie  royaume  n'est  pas  électif;  n'y a-t-il  pas  des  princes 
de  sang  royal  appelés  à  la  couronne  par  la  loi  salique?  —  C'est 
«  bâtir  un  temple  à  la  discorde,  dresser  un  autel  à  la  continua- 
tion et  perpétuité  de  nos  misères  ».  N'a-t-on  pas  jugé  combien 
notre  roi  était  le  plus  fort  ? 

4°  La  Ligue  espère-t-eUe  avoir  pour  son  roi  l'appui  du  roi 
d'Espagne  et  du  pape?  Mais  le  premier  «  pour  ses  peines  » 
occupera  une  partie  du  royaume  ;  quant  au  second,  son  glaive 
spirituel,  si  l'on  s'en  rapporte  à  l'histoire  du  passé,  ne  leur 
sera  d'aucun  secours. 

La  péroraison  est  ceUe  de  tous  les  écrits,  de  toutes  les  lettres 
de  BeUièvre  :  la  paix  est  absolument  nécessaire.  «  Nous  avons 
tous  fait  l'extrême  effort  qui  se  peut  pour  nous  ruiner  les  uns 
les  autres...  Notre  maladie  est  très  grande,  très  dangereuse,  je 
dirai  mortelle,  mais  je  n'estime  point  qu'elle  soit  incurable  ». 
Il  compare  la  France  à  un  navire  agité  des  vents  et  des  vagues  et 
adjure  tous  les  catholiques  réunis  de  le  conduire  au  port  de  la 
paix. 

Nous  ne  pouvons  dire  quel  fut  l'écho  de  la  protestation  de 
BeUièvre.  Son  discours,  comme  le  précédent,  resta  inédit. 
Entraîna-t-il  des  conversions  parmi  ceux  de  l'Union  ?  Il  est  cer- 
tain qu'il  fortifia  la  situation  morale  de  son  auteur  dans  l'entou- 

qui  voulait  transférer  la  couronne  de  France  à  l'empereur  Albert,  «  dont  il 
disposait  comme  des  choux  de  son  jardin  »,  le  schisme  d'Angleterre,  au  sujet 
duquel  la  cour  romaine  dit  :  tant  pis  pour  les  Anglais,  c'est  à  leur  honte.  Or, 
«  ce  n'est  pas  l'honneur  du  berger  quand  le  troupeau  diminue  ».  A  la  fin,  il 
montre  malicieusement  l'inefficacité  de  l'arme  des  excommunications,  alors 
que  les  rois  ont  le  couteau  sur  nos  têtes.  «  Nous  supplierons  donc  N.  S. -P. 
de  ne  nous  réduire  à  cette  nécessité  de  lui  désobéir  ou  lui  obéissant  désobéir 
à  Dieu  et  à  notre  roi  ». 


â 


LA    RETRAITE    DE    POMPONNE    DE    BELLIEVRE.  161 

rage  du  roi  et  qu'il  lui  apporta  «  beaucoup  de  louange  et  d'hon- 
neur »  de  la  part  des  «  gens  de  bien  » . 

A  ce  moment,  Bellièvre  allait  se  signaler  au  roi  par  des  ser- 
vices diplomatiques  aux  conférences  de  Suresne.  Il  ne  s'était 
décidé  que  très  lentement  à  prendre  part  à  des  négociations. 
Dans  les  premiers  temps,  il  s'y  était  refusé  avec  énergie. 

Les  premiers  pourparlers  entre  la  Ligue  et  le  roi,  sous 
Henri  IV,  commencèrent  après  la  bataille  d'Ivry,  par  l'initiative 
de  Villeroy  qui,  sans  mission  spéciale,  eut  près  de  Mantes  une 
entrevue  avec  Duplessis-Mornay,  le  26  mars  15901.  La  tentative 
échoua,  Mornay  ayant  réclamé  à  Villeroy,  qui  en  fut  offensé,  la 
reddition  de  Pontoise  commandée  par  son  fils.  Villeroy  déclara 
dans  la  suite  que,  si  l'on  devait  entrer  de  nouveau  en  négocia- 
tion, il  préférait  traiter  avec  le  chancelier,  avec  Biron  ou  Bel- 
lièvre.  Ce  dernier  fut  très  mécontent  qu'on  eût  mis  son  nom  en 
avant.  Il  le  déclara  sans  ambages  à  son  cousin  Faye.  Il  écrivit 
ce  jour-là  une  des  rares  lettres  où  il  ait  manifesté  de  l'irritation 
contre  un  maladroit  ami.  Il  montre  vraiment  cette  fois  une  pru- 
dence excessive.  Il  eut  peur  de  se  compromettre,  d'être  mal  vu 
de  Duplessis  et  du  roi.  «  Si  l'on  m'a  calomnié  auparavant  que 
je  m'en  mêle,  que  serait-ce  quand  je  m'y  trouverais  embourbé? 
Il  me  semble  que  j'entends  déjà  un  tas  de  causeurs  qui  disent  : 
ha!  nous  le  disions  bien  qu'ils  s'entendent  ensemble.  Je  leur 
résigne  de  bon  cœur  ma  nomination-.  »  Il  s'était  proclamé 
neutre  ;  il  voulait  regagner  peu  à  peu  la  confiance  du  roi  et  de 
son  entourage  ;  il  avait  du  dépit  de  se  voir  proposé  par  un  homme 
d'Etat  au  service  de  Mayenne. 

Cette  attitude  n'est  pas  très  courageuse'^.  Elle  a  une  excuse  à  ce 
moment-là.  Bellièvre  est  sceptique  sur  le  résultat  de  négociations 
qu'il  juge  mal  engagées  et  prématurées.  Il  ne  s'en  désintéresse 
cependant  point.  Il  est  très  exactement  renseigné  par  Faye  et 
par  le  bon  Revol  qui  lui-même  avouait  ne  voir  aucune  lumière 
dans  cette  obscurité^.  Il  veut  continuera  ne  s'occuper  de  rien, 

1.  Voir  sur  ces  négociations  notre  livre  sur  Villeroy,  p.  179  et  suiv. 

2.  Bellièvre  à  d'Espeisses,  12  août  1590,  1'.  fr.  15892,  fol.  290. 

3.  Il  dit  dans  la  même  lettre  :  a  J'ai  renoncé  à  toutes  contentions.  Je  n'en 
veux  point  avec  ceux  qui  nie  sont  inférieurs,  estimant  que  c'est  chose  vile  et 
d'un  cœur  bas;  je  n'en  veux  point  avec  mes  pareils,  cela  ne  peut  être  que 
hasardeux  ;  moins  en  veux-je  avec  les  plus  puissants.  Ce  serait  à  faire  à  un 
furieux.  » 

4.  Revol  à  Bellièvre,  Mantes,  5  juillet  1590,  f.  fr.  15909,  fol.  296. 

Rev.  Histor.  CXVII.  2«  fasc.  Il 


162  J.    NOUAILLAC. 

à  se  tenir  dans  sa  peau  au  moins  mal  qu'il  peut*;  il  considère 
toujours  que  «  ceux  qui  ne  sont  pas  aux  affaires  se  rendent  bien 
souvent  ridicules  quand  ils  se  mêlent  d'en  parler  ». 

Les  négociations  reprirent  au  mois  d'octobre,  à  l'instigation 
du  cardinal  de  Gondi,  de  Cheverny  et  de  Fleury,  conseiller  à  la 
cour,  beau-frère  de  Villeroy.  Il  y  eut  des  conférences  à  Buhy, 
près  Alincourt,  à  Vaux,  près  Gisors,  à  Mantes,  entre  Villeroy, 
d'une  part,  Biron,  Duplessis-Mornay,  Cheverny,  de  l'autre. 
Bellièvre  ne  bougea  pas.  Il  avait  besoin  plus  que  jamais,  pour 
régler  avantageusement  la  succession  d'Espeisses,  que  son  atti- 
tude ne  suscitât  nulle  défiance  à  la  cour,  surtout  dans  le  groupe 
protestant.  Or,  les  négociations  à  la  fin  de  1590  et  dans  les  six 
premiers  mois  de  l'année  1591  furent  particulièrement  épineuses. 
Villeroy  cherchait  à  obtenir  la  liberté  du  labourage  et  du  com- 
merce, la  conclusion  d'une  trêve  et  les  passeports  pour  la  convo- 
cation des  États.  Mais,  de  part  et  d'autre,  on  soulevait  une  infi- 
nité de  chicanes,  et  les  discussions  traînèrent  sans  aboutir,  parce 
que  Henri  IV,  au  début  de  1591,  eut  l'impression  qu'on  le  trom- 
pait, qpi'on  voulait  lui  faire  accorder  des  passeports  pour  une 
réunion  de  députés  destinée  non  à  conclure  une  paix,  mais  à  éhre 
un  roi^.  BeUièvre  nous  semble  avoir  battu  froid  à  ViUeroy  dans 
les  derniers  mois  de  1590.  Leurs  lettres  sont  rares  et  vagues 3. 

Petit  à  petit,  pourtant,  l'attitude  de  BeUièvre  se  modifie,  et, 
lentement,  dans  le  cours  de  l'année  1591 ,  il  se  décide  à  sortir 
de  sa  réserve.  Le  nuage  qui  avait  troublé  son  amitié  avec  Ville- 
roy était  passé.  Villeroy  lui  faisait  des  avances,  lui  rappelait  le 
passé,  leur  ancienne  communion  d'idées,  lui  démontrait  qu'ils 
avaient  au  fond  le  même  but,  Bellièvre  «  avec  plus  de  modéra- 
tion »,  plus  de  circonspection.  Installé  à  Pontoise  auprès  de  son 
fils,  pendant  la  reprise  de  la  guerre  en  Normandie,  il  s'efforçait 
de  faire  accorder  à  Bellièvre  tout  ce  que  celui-ci  lui  demandait 
pour  la  protection  de  ses  terres.  Il  lui  rappelait  parfois  que  «  les 


1.  Bellièvre  à  Villeroy,  2  janvier  1590,  f.  fr.  15892,  fol.  359. 

2.  Voir  pour  le  détail  de  ces  négociations  notre  livre  sur  Villeroy,  p.  212 
et  suiv. 

3.  Villeroy  écrit  le  23  octobre  une  lettre  polie  et  insignifiante;  le  23  novembre, 
il  remercie  Bellièvre  de  continuer  à  avoir  bonne  opinion  de  lui  :  «  Qui  est 
celui  qui  ne  perd  ses  amis  et  dont  la  réputation  n'est  bien  ébranlée  en  cette 
saison?  »  Le  14  janvier,  il  écrit  une  lettre  extrêmement  cordiale  qui  semble 
marquer  la  réconciliation  (f.  fr.  15909,  fol.  338-354). 


LA   RETRAITE    DE    POMPONNE    DE    BELLiÈVRE.  163 

choses  allaient  de  mal  en  pis  »  et  sollicitait  ses  conseils^.  Bel- 
lièvre  ne  pouvait  se  dérober.  A  son  tour,  il  parla  en  toute  con- 
fiance et  franchise  à  son  ancien  collaborateur.  Il  n'était 
pas  tout  à  fait  du  même  avis  que  lui.  On  devait  employer 
les  remèdes  les  plus  prompts,  arriver  au  fait,  le  plus  sim- 
plement possible,  entre  Français,  éviter  de  convoquer  une 
assemblée  où  viendraient  les  ambassadeurs  du  pape  et  du  roi 
d'Espagne.  «  Nous  n'avons  pas  besoin  de  traiter  une  paix,  nous 
avons  besoin  de  la  résoudre  ».  Il  se  moquait  des  innombrables 
donneurs  de  conseils  qui  ne  font  qu'embrouiller  les  choses.  Il 
voulait  qu'on  laissât  de  côté  les  considérations  vagues  pour 
déterminer  tout  de  suite  l'intérêt  essentiel  des  parties  en 
présence ^ 

De  nouvelles  négociations  furent  entamées  au  mois  de  mars 
1592,  après  l'échec  du  roi  en  Normandie.  Les  catholiques  roya- 
listes pressaient  Henri  lY  plus  vivement  que  jamais  de  se  con- 
vertir. Un  peu  impatients,  nettement  favorables  à  un  rappro- 
chement, ils  surent  élever  la  voix,  et  le  roi  consentit  à  une 
reprise  des  pourparlers  «  par  impuissance  et  nécessité  »^. 
Remarquons  que  la  hardiesse  de  BeUièvre  s'accroît  à  mesure 
que  grandissent  la  force  et  l'autorité  des  grands  seigneurs  et 
conseillers  catholiques  de  Henri  IV.  Il  avait  d'ailleurs  moins  à 
craindre  maintenant  les  défiances  et  jalousies.  Il  avait  donné 
des  gages  de  sa  bonne  volonté.  Le  roi  l'avait  vu  et  lui 
avait  donné  des  preuves  de  son  estime.  Enfin,  il  était  alors 
moins  dangereux  de  négocier,  puisque  les  négociations  ten- 
daient à  devenir  officielles.  Villeroy  et  Duplessis-Mornay  furent 
autorisés  à  se  mettre  en  rapports.  Villeroy  voulut  en  même  temps 
entamer  une  négociation  parallèle  avec  les  catholiques  royaux, 
ce  que  ceux-ci  recherchaient  aussi  et  ce  que  permit  Henri  IV. 

BeUièvre  avait  favorisé  de  son  mieux  le  rapprochement.  Il 
avait  servi  d'intermédiaire  entre  le  duc  de  Nevers  et  le  négo- 
ciateur des  politiques.  Le  duc  était  resté  longtemps,  lui  aussi, 
un  neutre,  catholique  et  royaliste,  conservant  à  la  couronne  son 
gouvernement  de  Champagne,  mais  sans  vouloir  secourir  effec- 

1.  Voir  les  lettres  de  Villeroy  (19  et  28  janvier,  13  février,  12  mars,  25  juil- 
let, 14  août),  f.  fr.  15909,  fol.  355-405. 

2.  Lettre  sans  adresse  et  sans  date  (fin  1592?),  f.  fr.  15893,  fol.  G3. 

3.  Villeroy,  Mémoires  d'Estat,  éd.  Miciiaud,  p.  181.  Voir  pour  ces  négocia- 
tions notre  livre  sur  Villeroy,  p.  212  et  suiv. 


k 


164  J.    NOUÀILLAC. 

tivement  un  souverain  encore  protestant.  Il  s'était  récemment 
décidé  à  travailler  d'une  manière  plus  active  à  la  conversion  de 
Henri  IV.  Bellièvre  écrivit  à  ViUeroy,  le  26  mars,  que  Nevers 
devait  faire  ses  pâques  à  Mantes  et  lui  demandait  sa  volonté  et 
le  lieu  où  ils  devaient  se  rencontrer.  Bellièvre  voulait  bien,  lui 
aussi,  se  mettre  aux  champs,  mais  «  sans  hasard  »  avec  «  un 
bon  passeport  »  de  d'Alincourt  pour  une  durée  de  quinze 
jours.  C'est  la  première  fois  qu'il  se  risquait  à  sortir  de  Gri- 
gnon. 

Vers  le  10  avril,  Nevers  et  Luxembourg  vinrent  faire  à  Gri- 
gnon  «  un  assez  maigre  dîner  ».  Gondi  arriva  après,  ViUeroy 
pendant  la  nuit.  Le  lendemain,  les  négociateurs  se  rencontrèrent 
tout  près  de  là,  à  Montforti.  Les  négociateurs  se  mirent  vite 
d'accord  sur  le  point  de  la  conversion  «  faite  toutefois  digne- 
ment »,  sur  «  l'expédient  »,  c'est-à-dire  une  déclaration  du  roi, 
de  se  faire  instruire,  et  sur  l'envoi  d'une  ambassade  royaliste  à 
Rome.  Mais  leur  bonne  volonté  fut  inefficace;  Mayenne,  devenu 
plus  fort,  émit  tout  à  coup  des  prétentions  exorbitantes  sur 
le  mode  de  la  conversion,  sur  «  son  particulier  »  et  ses 
sûretés. 

L'ambassade  royaliste,  conduite  par  Gondi,  ne  fut  même 
pas  reçue  par  le  pape.  Mayenne,  poursuivant  une  politique 
toute  personnelle  et  tortueuse,  fit  admettre  l'idée  qu'on  devait 
attendre  la  réunion  des  États  dont  il  comptait  se  servir  dans 
l'intérêt  seul  de  son  parti. 

Les  États  de  la  Ligue  se  réunirent  à  la  fin  de  janvier  1593, 
après  la  déclaration  de  Mayenne  qui  servit  à  Bellièvre  de  pré- 
texte à  une  belle  dissertation  politique.  Se  doutait-il  qu'il  allait 
être  désigné  pour  assister  à  la  conférence  qui  devait  être  la  plus 
mémorable  du  temps  des  troubles?  La  conférence,  lancée 
comme  un  défi  par  les  catholiques  royaux  aux  ligueurs,  fut 
acceptée,  grâce  aux  instances  des  plus  modérés  parmi  les  dépu- 
tés. EUe  s'ouvrit  à  Suresne  au  début  du  mois  de  mai.  Douze 
délégués  élus  par  les  Etats  s'y  rencontraient  en  terrain  neutra- 
lisé avec  huit  députés  royalistes. 


1.  Bellièvre  à  ViUeroy,  26  mars  1592,  f.  fr.  15893,  fol.  20.  —  A  M.  de  ...  (?), 
12  avril,  fol.  24.  —  A  Nevers,  sans  date,  fol.  65.  —  Parmi  les  lettres  à  Bel- 
lièvre, très  peu  font  allusion  aux  négociations  en  1592,  excepté  celles  de 
Revol,  9,  13  et  20  juillet,  f.  fr.  15909,  fol.  469-472. 


LA   RETRAITE    DE    POMPONNE   DE   RELLlÈVRE.  165 

Bellièvre  venait  d'être  rappelé  quelques  jours  auparavant  • . 
Il  se  trouvait  en  conapagnie  d'amis  d'ancienne  date  :  Rambouil- 
let, Schomberg,  De  Thou,  Revol.  Dans  le  parti  adverse,  il  retrou- 
vait Villeroy,  Belin,  Jeannin,  Épinac.  Il  ne  joua,  comme  ses 
collègues,  qu'un  rôle  effacé.  La  conférence  avait  pris  le  carac- 
tère d'une  joute  oratoire  entre  l'archevêque  de  Bourges  et  l'ar- 
chevêque de  Lyon,  le  premier  défendant  les  droits  du  roi,  le 
second  l'intérêt  supérieur  de  la  religion.  Pahiia-Cayet  nous 
apprend  que  l'archevêque  de  Bourges  prenait  toujours  conseil 
de  sa  compagnie,  qu'après  son  premier  discours  il  invita  Bel- 
lièvre  à  présenter  quelques  autres  particularités,  à  démontrer 
qu'on  avait  raison  d'espérer  pour  bientôt  la  conversion  de 
Henri  IV.  Bellièvre  répondit  «  qu'il  ne  pouvait  rien  ajouter  au 
discours  du  sieur  de  Bourges  qui  avait  très  dignement  touché 
tout  ce  qui  se  pouvait  dire  sur  ce  sujet  »-.  C'est  la  seule  mention 
qui  soit  faite  d'une  intervention  de  BeUièvre  dans  les  débats. 
La  correspondance  ne  nous  fournit  à  ce  sujet  aucun  indice. 

Nous  retrouvons  Bellièvre  aux  conférences  qui  se  tinrent,  à 
partir  du  11  juin,  à  la  Villette,  et  où  les  députés  royaux  pro- 
posaient d'étendre  pour  trois  mois  à  toute  la  France  la  trêve 
conclue  en  mai  pour  les  environs  de  Paris.  Il  fallait  vaincre  les 
hésitations  des  chefs  ligueurs.  Nous  ne  connaissons  pas  mieux 
que  pour  les  précédentes  négociations  les  actes  et  les  paroles  de 
BeUièvre.  Il  signa  avec  l'archevêque  de  Bourges  et  les  autres 
députés  une  Déclaration  écrite  donnée  à  ceux  de  l'Union  qui 
était  un  dernier  et  éloquent  appel  à  la  concorde  de  tous  les 
Français '^  Aucun  document  ne  permet  d'affirmer  que  BeUièvre 
l'ait  composée  ou  ait  pris  une  part  prépondérante  à  sa  rédaction. 
Signalons,  cependant,  une  lettre  où  Perrot  déclare  à  BeUièvre 
que  chacun  estime  cet  écrit  sorti  de  sa  «  trempe  »  ;  lui-même, 
ajoute-t-il,  en  fit  semblable  jugement  «  pour  y  reconnaître  de 
queUe  modération,  avec  une  simplicité  ouverte  et  néanmoins 


1.  De  Thou,  Hist.,  1.  CVI. 

1.  Palina-Cayet,  Chronologie  novenaire,  M.  Michaud,  p.  452.  Voir  aussi  sur 
la  conférence  Bernard,  Procès-verbaux  des  États  de  1593  (où  le  nom  de  Bel- 
lièvre seul  est  mentionné,  p.  174).  —  II.  du  Laurens,  Discours  et  rapport 
véritable  de  la  conférence.  Paris,  1593.  —  Nouaillac,  Villeroy,  p.  239  et  suiv. 

3.  «  Lettre  au  nom  de  tous  les  députés  à  la  conférence  écrite  à  ceux  de  la 
Ligue  pour  les  exhorter  à  la  paix.  »  (Copie),  23  juin  1593,  f.  fr.  15893,  fol.  123- 
129. 


166  J.    NOCAILLAC. 

pressante  et  persuasive  »,  il  avait  accoutumé  de  traiter  les 
affaires  ^ . 

Il  est  probable  qu'en  dehors  des  séances  officielles,  Bellièvre 
conversa  beaucoup  en  particulier  comme  son  ami  Villeroy,  qui 
affectionnait  ce  genre  de  tactique.  Une  note  écrite  en  marge 
du  registre  du  tiers  état,  aux  Etats  de  1593,  fait  allusion  à  des 
entretiens  secrets  de  Villeroy  avec  Bellièvre,  Revol  et  Schom- 
berg,  à  Clignancourt,  à  la  fin  de  juin,  et  signale  que  l'on  en 
«  espérait  beaucoup  pour  le  bien  public  »-.  D'autre  part,  parmi 
les  très  rares  lettres  de  cette  époque,  nous  en  trouvons  une 
adressée  par  Bellièvre  à  M.  de  Belin  ;  il  lui  annonce  la  con- 
version assurée  du  roi  et  l'exhorte  éloquemment,  ainsi  que  les 
seigneurs  et  gens  de  son  parti,  à  vouloir  enfin  se  laisser  con- 
vertir eux-mêmes  à  l'obéissance  au  roi 3. 

Le  25  juillet  1593,  dans  la  basilique  de  Saint- Denis,  le  roi 
Henri  IV  fut  reçu  «  au  giron  de  l'Église  catholique,  apostolique 
et  romaine  ».  Bellièvre  assista  à  la  cérémonie  et  prit  part  à 
la  joie  générale^.  «  Il  n'y  eut  aucun  de  nous,  dit- il,  qui  ne  fût 
rempli  d'une  bonne  espérance  du  meilleur  succès  des  affaires  en 
ce  royaume  ».  Neutres,  royaux,  politiques  ou  ligueurs  qui 
«  n'avaient  point  d'Espagnol  au  ventre  »,  pensaient  comme 
lui  et  pouvaient  dire  aussi  comme  Villeroy  :  «  C'était  le  seul 
remède  à  nos  maux  qui  nous  restait  ». 

Tous  les  maux  ne  disparurent  pas  d'aiUeurs  comme  par 
enchantement.  La  Ligue  commença  à  se  désagréger,  mais  sa  fin 
fut  longue.  Bellièvre,  après  la  conversion,  voulut-il  encore  agir 
sur  le  public,  par  voie  de  presse?  On  trouve  dans  ses  papiers  un 
libelle  imprimé  de  trente-sept  pages  qui  s'intitule  :  Aclvis  aux 
Français  sur  la  déclaration  faite  par  le  roi  en  l'église 
Saint-Denis  le  25''  jour  de  juillet  1593.  C'est  une  exhortation 
à  la  soumission  adressée  aux  Français  encore  en  armes  par  un 
«  homme,  comme  vieil,  comme  vrai  Français,  nourri  de  longue 
main  et  du  tout  affectionné  au  service  de  la  couronne  »^.  Har- 
lay,  qui  l'a  jointe  à  sa  collection,  estime  qu'elle  est  du  style  de 

1.  Perrot  à  Bellièvre,  3  août  1593,  f.  fr.  15910,  fol.  41. 

2.  Voir  notre  Villeroy,  p.  242. 

3.  F.  fr.  15893,  fol.  129.  —  (Réponse  à  une  lettre,  —  non  conservée,  —  reçue 
de  Belin  par  Bellièvre  à  Saint-Denis,  le  11  juillet.) 

4.  Lettre  sans  adresse,  de  Poissy,  novembre  1593,  IbicL,  fol.  110. 

5.  F.  fr.  15893,  fol.  136.  La  feuille  de  corrections  contient  des  mots  à  ajou- 
ter avec  le  signalement  de  la  page  correspondante. 


LA   RETRAITE    DE   POMPONNE   DE   BELLIÈVRE.  167 

Bellièvre,  qui  a  ajouté  à  l'imprimé  sur  une  feuille  à  part  des  cor- 
rections de  sa  main. 

Il  avait,  depuis  trois  mois,  repris  sa  place  «  à  l'ombre  de  la 
couronne  »,  comme  il  aimait  à  dire.  Dans  quelles  circonstances 
précises  avait  eu  lieu  ce  rappel,  nous  l'ignorons  absolument. 
Mais  du  silence  des  documents  contemporains  et  de  la  corres- 
pondance, comme  du  récit  des  événements  précédents,  nous 
pouvons  sans  trop  nous  risquer  conclure  que  ce  retour  n'eut 
pas  d'  «  histoire  ».  11  était  prévu  depuis  longtemps  ;  à  travers  les 
négociations  de  1592  et  de  1593,  Bellièvre  s'y  était  acheminé 
doucement.  Le  chancelier  de  Cheverny,  son  chef,  qui  avait 
repris  les  sceaux  en  1592,  le  désirait;  il  n'avait  que  des  amis 
parmi  les  catholiques  royaux,  il  n'avait  plus  d'ennemi  parmi 
les  huguenots.  11  n'y  eut  donc  nulle  opposition. 

Dès  la  conversion,  il  reprit,  dirions-nous,  son  service  régulier 
et  bientôt  il  fut  appelé  là  où  il  fallait  négocier  ;  du  mois  d'août 
au  mois  d'octobre,  il  prit  part  aux  conférences  de  Milly  et  d"An- 
drésy  pour  la  prolongation  de  la  trêve;  en  décembre,  il  fut 
désigné  pour  conférer  avec  les  députés  des  églises  protestantes 
au  sujet  de  leurs  cahiers;  l'année  suivante,  il  partit  pour  le  pays 
de  Lyon  et  le  Dauphiné  comme  intendant  délégué  en  mission 
et  y  demeura  près  de  deux  années.  En  1597  et  en  1598,  il 
représente  le  roi  à  Yervins,  avec  Brûlart  de  Sillery,  et  négocie 
le  traité  de  paix  avec  l'Espagne.  L'année  suivante  prit  fin  cette 
carrière  de  «  chargé  de  mission  ».  Le  chancelier  de  Cheverny 
étant  mort,  le  roi  nomma  Bellièvre  à  la  charge  la  plus  haute 
qu'il  pût  donner  à  un  sujet.  Pas  une  voix  ne  s'éleva  pour  criti- 
quer ce  choix.  Ce  vieillard  de  soixante-dix  ans  était  l'homme 
de  robe  qui  possédait  les  plus  beaux  états  de  service  et  qui  pas- 
sait pour  un  des  plus  sages  et  des  plus  intègres  en  France.  Le 
roi  Henri  IV,  nous  dit  P.  Matliieu,  «  a  dit  plusieurs  fois  qu'il 
le  tenait  pour  le  plus  homme  de  bien  de  son  royaume  »  ' . 

J.  NOUAILLAC. 

1.  p.  Mathieu,  Histoire  de  Henri  IV...,  1G31,  t.  II,  p.  767.  —  Le  mot  de 
grand  homme  de  bien  revient  fréquemment  dans  les  jugements  portés  sur  lui. 
Voir,  dans  Albèri,  Le  relazioni  decjli  ambascialori  veneti...,  18G"2,  in-8°,  la 
relation  de  P.  Duodo,  en  1598,  append.,  p.  188-189.  Il  appelle  Bellièvre 
0  vecchio  e  aiilico  servitore  délia  corona,  sliinalo  per  grand'  uomo  da  bene.  » 


MELANGES  ET  DOCUMENTS 


LA  POLITIQUE  ESPAGNOLE 

DANS  LA  CRISE  DE  L'INDÉPENDANCE  BRETONNE 

(1488-1492). 


Sous  la  minorité  de  Charles  VIII,  la  question  du  Roussillon' 
avait  créé  entre  la  couronne  de  France  et  l'Espagne  nouvelle  un  état 
permanent  d'antagonisme 2.  Il  s'agissait,  pour  les  «  rois  catholiques  », 
de  susciter  à  la  régence  le  plus  d'embarras  possible  et  d'appuyer 
tous  ses  adversaires  du  dehors  comme  du  dedans  afin  d'obtenir  cette 
restitution  des  comtés  de  Roussillon  et  de  Cerdagne  que  Louis  XI 
mourant  avait  promise  et  qui  avait  été  refusée  ou  tout  au  moins 
systématiquement  différée  dès  le  lendemain  de  sa  disparition 3.  Par- 
tout où  la  maison  de  Valois,  au  cours  d'une  minorité  particulière- 
ment laborieuse,  rencontre  des  difficultés,  —  en  France  aussi  bien 
que  hors  de  France\  —  s'aperçoit  la  main  de  l'Espagne.  Il  est 
intéressant  de  suivre  la  politique  de  Ferdinand  et  d'Isabelle  dans  un 
épisode  où  l'intérêt  direct  de  l'Espagne  n'est  que  secondaire  et  où  l'on 

1.  Les  origines  de  ce  conilit  ont  été  étudiées  dans  notre  ouvrage  :  Louis  XI, 
Jean  II  et  la  révolution  catalane.  Toulouse,  Privât,  1903,  in-8°  {Bibliothèque 
méridionale,  2°  série,  t.  VIII). 

2.  J.  Calmette  et  P.  Vidal,  les  Régions  de  la  France;  t.  VI  :  le  Roussillon 
(publication  de  la  Revue  de  synthèse  historique).  Paris,  L.  Cerf,  1909,  p.  46, 
avec  bibliographie  de  la  question.  —  Cf.  Un  incident  franco-espagnol  en 
liSk,  dans  la  Revue  des  Pyrénées,  1"''  trimestre  1906. 

3.  Les  négociations  poursuivies  entre  les  deux  cours  à  ce  propos  ont  été 
retracées  dans  notre  mémoire  intitulé  la  Fin  de  la  domination  française  en 
Roussillon  au  XV  siècle,  étude  d'histoire  diplomatiqxie,  publiée  dans  le  Bul- 
letin de  la  Société  agricole,  scientifique  et  littéraire  des  Pyrénées-Orientales, 
1902,  t.  XLIIL  —  Cf.  P.  Vidal,  Histoire  de  la  ville  de  Perpignan,  p.  338  et 
suiv. 

4.  L'Espagne  a  contrecarré  en  particulier  la  France  en  Italie,  ainsi  que  nous 
l'avons  montré  successivement  pour  la  guerre  de  Ferrare  (Revue  historique, 
1906,  t.  XCII)  et  pour  l'atiaire  des  barons  napolitains  {Ibid.,  t.  CX,  1912). 


LA    CRISE   DE   l'iNDÉPENDANCE   BRETONNE.  169 

ne  s'attend  guère  à  la  voir  figurer  au  premier  plan  :  la  crise  de  l'in- 
dépendance bretonne  ' . 


I. 


La  «  Guerre  folle  » ,  qui  suivit  la  mort  du  duc  de  Bretagne  Fran- 
çois II  et  lança  les  adversaires  de  M™''  de  Beaujeu  dans  une  première 
équipée,  fournit  à  l'hostilité  espagnole  l'occasion  de  se  manifester  avec 
éclat.  Excités  par  l'habile  et  remuant  Alain  d'Albref^,  un  des  pré- 
tendants à  la  main  de  la  duchesse  Anne  3,  Ferdinand  et  Isabelle  s'im- 
miscent dans  les  affaires  intérieures  de  l'Etat  valois.  Un  pacte  s'éla- 
bore entre  les  féodaux  de  France  et  d'Espagne.  Alain  négocie  au  nom 
des  princes  coalisés  et  n'hésite  pas  à  engager  la  ligue,  en  faveur  des 
revendications  aragonaises,  sur  la  frontière  des  Pyrénées  orientales. 
Un  marché  est  formellement  conclu  à  Valence  (Espagne),  le  21  mars 
1488;  Alain  et  ses  alliés,  en  échange  de  secours  armés,  s'effor- 
ceront de  faire  rendre  au  fils  de  Jean  II  la  conquête  opérée  par 
Louis  XI-*.  Peut-être  était-ce  pour  éviter  cette  collusion  malencon- 
treuse que  la  cour  de  France  avait  dépêché  outre-monts  le  «  maître 
d'hôtel  Jean-François  »^.  De  fait,  à  la  fameuse  bataille  de  Saint- 
Aubin-du-Oormier,  livrée  le  28  juillet,  les  quelques  contingents 
biscayens  et  navarrais  qui  se  trouvaient  dans  l'armée  des  princes 
périrent,  et,  parmi  les  morts,  l'annaliste  Zurita  nomme  un  des 
principaux  dignitaires  de  la  cour  d'Aragon,  D.  Jaume  de  Hijar®. 

Ferdinand  et  Isabelle  comptaient  d'ailleurs  beaucoup  plus  sur  la 
diplomatie  que  sur  les  armes  et  ne  laissaient  partir  des  soldats  que 
dans  la  mesure  stricte  oîi  il  était  indispensable  de  faire  des  sacrifices 
à  l'effet  de  nouer  contre  la  couronne  de  France  un  solide  faisceau 


1.  L'intérêt  commercial  de  l'Espagne  castillane  et  aragonaise  sur  les  côtes 
bretonnes  est  néanmoins  considérable  et  les  archives  de  Nantes  en  témoignent 
hautement  pour  le  xv  siècle. 

2.  A.  Luchaire,  Alain  le  Grand,  sire  d'Albret,  p.  28-29. 

3.  En  1486,  il  avait  été  question  d'un  mariage  breton-napolitain.  Un  docu- 
ment (Arch.  de  la  couronne  d'Aragon,  Cancellaria,  n»  3609,  fol.  122)  fait  allu- 
sion à  une  combinaison  fugitive  qui  aurait  consisté  à  unir  Anne  de  Bretagne  à 
Frédéric  d'Aragon,  second  lils  de  Ferrand  I"  de  Naples. 

4.  Zurita,  Anales  de  la  corona  de  Aragon,  t.  IV,  p.  354  :  «  Pero  en  el  caso 
de  los  condados  de  Rossellon  yo  trebajare  con  mis  fuerças  e  poder,  como  aya 
effecta  e  se  cumple  lo  que  el  rey  Luis  dispuso  al  tiempo  de  su  lin,  cerca  de  la 
restitucion  que  a  sus  Altezas  se  avia  de  fazer  de  los  dichos  condados.  » 

5.  Bibliolhè([ue  nationale,  f.  fr.  15741,  fol.  24.  Il  s'agit  de  Jean-François  de 
Cardone. 

G.  Zurita,  Anales  de  la  corona  de  Arayon,  t.  IV,  p.  2  el  357. 


i70 


MELANGES    ET    DOCUMENTS. 


d'ennemis.  Or,  les  relations  du  couple  royal,  soit  avec  le  roi  d'An- 
gleterre, soit  avec  Maximilien  d'Autriche,  équivalaient  depuis  plu- 
sieurs années  à  une  sorte  de  triple  alliance  ^  tout  au  moins  implicite, 
dont  l'intimité  en  1488  se  resserre,  devient  particulièrement  agis- 
sante ^ .  Les  compétitions  suscitées  par  le  problème  toujours  pendant  de 
la  destinée  de  la  Bretagne  servaient  d'aliment  à  la  malveillance  crois- 
sante des  puissances  naguère  entamées  ou  menacées  par  la  politique 
envahissante  de  Louis  XL  L'Espagne,  pour  sa  part,  ne  pouvait  que 
se  prêter  avec  empressement  au  jeu  d'intervention  que  l'Angleterre  et 
même  le  roi  des  Romains  se  plaisaient  à  pratiquer  :  bref,  protéger 
la  fdle  de  François  II  contre  Charles  VIII,  tel  était  le  thème  que  la 
triple  alliance  inscrivait  nettement  à  son  programme. 

Le  11  décembre  1488,  Henri  VII  fait  appeler  l'ambassadeur  Ruy 
Gonzales  de  Puebla,  accrédité  auprès  de  lui^.  «  Si  je  secours  la 
duchesse  Anne,  lui  dit-il,  pouvez-vous  me  promettre  que  l'Espagne 
lui  enverra  des  secours  de  la  même  façon?  —  Il  est  fort  probable, 
réphqua  l'Espagnol  ;  toutefois,  je  ne  puis  préciser  dans  quelle  mesure 
ni  à  quel  moment''.  »  Or,  à  cette  heure  même,  deux  agents  des  rois 

1.  Au  lendemain  de  la  mort  de  Louis  XI,  l'alliance  traditionnelle  de  l'An- 
gleterre et  de  l'Espagne  avait  été  renouvelée  à  Westminster  le  30  août  1483, 
(Rymer,  Fœdera,  éd.  Holmes,  t.  V,  S-  partie,  p.  136).  Au  mois  de  septembre 
suivant,  le  sire  de  La  Force  apporte  en  Espagne  une  lettre  affectueuse  {Ibid., 
p.  137).  Un  projet  de  mariage  anglo-espagnol  est  activement  poussé  eu  1487  :  il 
s'agissait  de  marier  Arthur,  prince  de  Galles,  à  l'infante  Isabelle  que,  selon  Ber- 
genroth  {Calendar,  Spain,  introduction,  p.  lxii),  sa  mère  aurait  précédemment 
songé  à  fiancer  à  Charles  VIII,  ai)paremment  pour  obtenir  de  l'héritier  de  Louis  XI 
quelques  sacrifices.  Quant  à  Maximilien,  dès  la  catastrophe  de  Nancy,  il  a  été 
pour  la  maison  d'Espagne  le  champion  de  la  maison  de  Bourgogne,  et  l'entente 
austro-espagnole  n'était  pas  autre  chose  que  le  développement  de  la  «  fraternité 
d'armes  «  qui  avait  autrefois  uni  Jean  II  d'Aragon  avec  Charles  le  Téméraire 
(cf.  notre  étude  sur  l'Origine  bourguignonne  de  l'alliance  austro-espagnole, 
dans  le  Bulletin  de  la  Société  des  amis  de  l' Université  de  Dijon,  1905). 

2.  Le  10  mars  1488,  le  roi  d'Angleterre  envoie  une  ambassade  en  Espagne 
(Rymer,  Ibid.,  p.  189).  Le  20,  il  délivre  un  sauf-conduit  à  une  mission  qui 
lui  a  été  dépêchée  par  le  roi  des  Romains  [Ibid.].  Sur  ces  entrefaites, 
Maximilien  ayant  été  retenu  prisonnier  en  Flandre,  les  ambassadeurs  espa- 
gnols pressent  le  pape  d'intervenir  (Zurita,  loc.  cit.,  t.  IV,  p.  357,  juin  1488). 
Au  projet  de  mariage  anglo-espagnol  (cf.  la  note  précédente)  fait  pendant  un 
projet  de  mariages  austro-espagnols  :  Philippe  le  Beau  épousera  l'infante  Mar- 
guerite, la  fille  de  Maximilien  épousera  le  prince  des  Asturies  (Zurita,  t.  IV, 
p.  356).  Un  traité  d'alliance  et  de  mariage  sanctionne  cette  combinaison  le 
7  juillet  1488  (Bergenroth,  Calendar,  introduction,  p.  lxv). 

3.  Bergenroth,  Calendar,  t.  I,  p.  5  et  suiv.,  montre  dans  Puebla  un  des 
négociateurs  du  projet  de  mariage  anglo-espagnol. 

4.  Ibid.,  t.  I,  p.  16.  «  Henry.  If  he  should  succour  to  the  duchess,  can  De 
Puebla  promise  that  Spain  would  likerwise  send  succour? —  De  Puebla.  Ans- 
wered  that  it  was  most  probable,  but  he  dit  not  know  in  what  manner  or  at 


LA    CKISE    DE    l'iNDe'pENDAIVCE   BRETONNE.  171 

catholiques,  Francisco  de  Rojas  et  Nicolas  de  Dicastillo,  intriguaient 
en  Bretagne;  quand  ils  retournèrent  auprès  de  leurs  maîtres,  ils 
furent  accompagnés  de  diplomates  bretons  que  le  maréchal  de 
Rieux,  directeur  alors  incontesté  des  affaires  ducales,  leur  avait 
adjoints^ . 

Suffisamment  rassuré  par  la  réponse  de  Puebla,  peut-être  aussi 
par  les  nouvelles  du  continent,  Henri  VII  envoie  le  même  jour, 
11  décembre,  deux  représentants  en  Bretagne,  savoir  Richard  Edge- 
combe  et  Henry  de  Aynsworth^,  Le  même  jour  encore,  il  distribue 
toute  une  série  d'instructions  :  au  «  duc  de  Bourgogne  »,  Philippe  le 
Beau,  et  aux  États  de  Flandre  il  dépèche  John  Arundel  et  Richard 
Gough;  à  Maximilien,  John  Riseley  et  John  Balteswell;  à  Ferdi- 
nand et  Isabelle,  Thomas  Savage  et  Richard  Nanfan^.  Ces  ambas- 
sadeurs étaient  soigneusement  munis  de  pouvoirs  spéciaux  pour 
conclure  un  traité"*.  De  son  cùté,  conformément  à  sa  tactique  ordi- 
naire, à  laquelle  préside  un  art  consommé  de  ménager  les  efforts  et 
les  effets,  Ferdinand  répond  le  17  décembre  à  Puebla.  N'est-il  pas 
évident  que  l'Anglais,  étant  le  mieux  placé  pour  surveiller  les 
affaires  de  Bretagne,  est  par  là  même  le  mieux  qualifié  pour  agir 
efficacement  en  faveur  de  la  duchesse  menacée^?  Au  demeurant, 
Puebla  a  bien  manœuvré  en  promettant  au  roi  Henri  la  coopération 
de  l'Espagne  et  il  a  non  moins  sagement  agi  en  négociant,  comme  il 
la  fait,  avec  les  ambassadeurs  que  le  roi  des  Romains  a  fait  passer 
en  Angleterre  et  qui  doivent  de  là  se  rendre  ensuite  en  Espagne^. 
De  cet  échange  de  missions  et  de  lettres,  il  résulte  clairement  que  dans 
l'affaire  de  Bretagne  les  trois  puissances  marchent  de  concert.  Tou- 
tefois, comme  à  l'ordinaire,  chacun  s'efforce  d'arracher  à  autrui  la 
majeure  part  des  sacrifices.  A  la  vérité,  les  rois  catholiques  étaient 
passés  maîtres  dans  l'art  de  faire  travailler  en  toutes  circonstances 
leurs  alliés  pour  eux. 

Les  deux  ambassadeurs  de  la  maison  d'Autriche  auxquels  Ferdi- 
nand faisait  allusion  dans  sa  réponse  à  Puebla  étaient  Baudoin, 
bâtard  de  Bourgogne,  et  Petit-Salazar.  Ces  deux  personnages  furent 

what  finie.  »  La  date  du  11  décembre,  donnée  par  Bergenroth,  est-elle  exacte? 
Comment  Ferdinand  d'Aragon  aurait-il  pu  lui  répondre  déjà  le  17  décembre? 

1.  Ant.  Dupuy,  Histoire  de  la  réunion  de  la  Bretagne  à  la  France.  Paris, 
1880,  t.  II,  p.  163. 

2.  Rymer,  Ibid.,  p.  193. 

3.  Ibid.,  p.  194-195. 

4.  Bergenroth,  Calendar,  t.  I,  p.  21. 

5.  Ibid.,  t.  I,  p.  18. 

6.  Rymer,  Ibid.,  p.  19G.  Un  sauf-conduit  est  signé  pour  eux  le  14  dé- 
cembre :  nous  ignorons  ce  qui  avait  pu  être  dit  entre  les  agents  autrichiens 
et  le  représentant  des  rois  catholiques  en  Angleterre. 


172  MÉLANGES    ET   DOCUMEINTS. 

reçus  à  Valladolid*,  où  de  grandes  fêtes  furent  données  en  leur  hon- 
neur durant  les  premiers  jours  de  1489.  Ne  s'agissait-il  pas  de  célé- 
brer non  seulement  l'union  déflnitive  des  deux  familles,  mais  encore 
la  fondation  de  la  future  puissance  austro-espagnole^? 

Cependant,  le  roi  d'Angleterre  faisait  de  bruyants  préparatifs.  L'ac- 
tivité diplomatique,  dont  Henri  VII  avait  donné  le  signal  le  11  dé- 
cembre 1488,  s'accompagnait  d'une  activité  militaire^.  La  duchesse 
Anne,  toute  à  l'espoir  d'échapper  à  l'emprise  du  Valois,  attendait 
avec  impatience  le  retour  des  agents  qu'elle  avait  de  son  côté  expédiés 
dans  les  différentes  cours,  surtout  en  Angleterre  et  en  Espagne ■*. 

Ses  représentants  dans  ce  dernier  pays  se  rencontrèrent  sans 
doute  avec  la  mission  anglaise  reçue  à  Médina  del  Campo  le  7  fé- 
vrier^ et  vraisemblablement  aussi  avec  Puebla  lui-même,  qui  paraît 
avoir  fait  à  cette  époque  un  voyage  auprès  de  ses  maîtres^.  De  ce 
chassé-croisé  de  missions  résulte  une  série  d'instruments  diploma- 
tiques dont  la  régence  aux  aguets  ne  pouvait  guère  méconnaître  la 
gravité. 

Trois  traités  offensifs  contre  la  France  avaient  été  rédigés  en 
quelques  semaines  :  un  traité  d'alliance  anglo-bretonne  en  date  du 
8  février,  ratifié  le  1*""  avril  suivant  à  Westminster'^;  un  traité  dont 
les  signataires  étaient  Maximilien  et  Philippe  le  Beau,  en  date  du 
14  février^;  un  traité  anglo-espagnol,  en  date  du  '21  mars^.  Ce  der- 
nier document  était  assurément  le  plus  redoutable  pour  Anne  de 
Beaujeu.  Si  les  pièces  revêtues  de  la  signature  des  princes  autrichiens 
n'ajoutaient  rien  à  la  situation  créée  par  le  problème  de  la  succession 
de  Bourgogne,  il  semblait  en  revanche  que  seule  la  collaboration 
intime  des  Anglais  et  des  Espagnols  pouvait  donner  au  problème 
breton  assez  d'ampleur  pour  le  rendre  vraiment  dangereux.  Une 
clause  toutefois  y  était  glissée  qui  pouvait  en  atténuer  la  portée  et 
montrer  que  l'intervention  espagnole  en  Bretagne  ne  dépasserait  en 

1.  Zurita,  Anales,  t.  IV,  p.  357. 

2.  Zurita,  Anales,  t.  IV,  p.  359.  Au  cours  de  ces  réjouissances  fut  décidé  le 
mariage  de  l'un  des  ambassadeurs,  le  bâtard  de  Bourgogne,  avec  une  favorite 
de  la  reine  de  Castille,  doîïa  Marina  Manuel. 

3.  Rymer,  Fœdera,  t.  V,  3"  partie,  p.  196. 

4.  Archives  départementales  de  la  Loire -Inférieure,  Chancellerie,  lû89- 
li90,  fol.  51. 

5.  Zurita,  Anales,  t.  IV,  p.  358. 

6.  Zurita,  Anales,  t.  IV,  p.  359. 

7.  Dupuy,  op.  cit.,  t.  II,  p.  165;  Rymer,  Ibid.,  p.  199. 

8.  Rymer,  Ibid.,  p.  198. 

9.  On  ne  trouve  pas  dans  Rymer  le  texte  du  traité  du  27  mars  1489,  mais  il 
est  rappelé  explicitement  dans  le  traité  de  1490  donné  dans  les  Fœdera,  t.  V, 
4*  partie,  p.  17.  Sur  la  date  du  traité,  Bergenroth,  Calendar,  t.  I,  p.  21  et  suiv. 


LA    CRISE   DE    l'lNDE'pEISDANCE   BRETOINNE.  173 

aucun  cas  la  portée  d'une  diversion  :  le  traité  du  27  mars,  en  stipu- 
lant la  solidarité  des  deux  parties  contractantes  contre  la  France  et 
en  leur  interdisant  les  traités  séparés  avec  l'adversaire  commun, 
exceptait  expressément  l'éventualité  dans  laquelle  Charles  VIII 
consentirait  de  bon  gré  à  la  rétrocession  du  Roussillon  et  de  la  Ger- 
dagne  ^ . 

Quant  au  roi  d'Angleterre,  sans  attendre  la  signature  du  traité 
avec  l'Espagne,  il  était  allé,  le  19  mars,  passer  en  revue  un  corps 
de  1,200  hommes  destiné  à  débarquer  en  Bretagne  2.  Pour  former  le 
cercle  qui  se  dessinait  ainsi  autour  de  la  France,  l'alliance  entre 
Henri  VII  et  Maximilien  était  pareillement  adaptée  aux  circonstances 
grâce  à  un  nouvel  acte  conclu  à  Francfort  le  21  juillet^.  Ainsi,  en 
vue  du  débat  dont  le  sort  de  la  duchesse  Anne  était  l'occasion  ou  le 
prétexte,  une  grande  coahtionse  formait.  Or,  si  l'Espagne  s'y  enga- 
geait et  en  grande  partie  l'inspirait,  c'était  uniquement  pour  obtenir 
par  voie  d'intimidation  la  rétrocession  des  deux  comtés  pyrénéens. 
La  clause  par  laquelle  Ferdinand  et  Isabelle  se  réservaient  d'aban- 
donner la  ligue,  si  satisfaction  leur  était  donnée  sur  leur  frontière 
catalane,  découvre  les  mobiles  de  la  cour  d'Espagne  avec  la  plus  par- 
faite clarté. 

Cependant,  comme  la  sœur  de  Charles  VIII,  dépositaire  de  l'hé- 
ritage paternel,  se  gardait  bien  d'entrer  en  conversation  sur  la  ques- 
tion des  Pyrénées,  un  geste  plus  démonstratif  qu'une  simple  signature 
apparut  nécessaire.  A  la  fin  de  1489,  un  corps  espagnol  débarque  à 
Vannes.  Le  commandement  de  ces  renforts  appartient  au  comte  de 
Salinas^  Seulement,  les  contingents  infiniment  variés  qui  coopé- 

1.  Rymer,  Fœdera,  t.  V,  4"  partie,  p.  17.  «  Inter  quse  erat  concordalum,  conveu- 
tum  et  conclusuin  quod  neuter  dictorura  regain  a  bello  per  ipsos  seu  eorum  ali- 
([ueni  inceplo  sine  alterius  eorum  consensu  desislerc  valeat,  sed  ulerque  eorum 
contra  Carolum  ejusve  successorera  belluin  realiter  agere  debeat,  nisi  quod  ipse 
Galloruni  princeps  prœfatis  Castellœ,  Legionis,  Aragonum,  Sicilijc  principibus, 
eorum  lieredibus,  successoribusve  suis,  comitatus  Rocilionis  et  Saritaniœ  de 
sua  volunlate  restituât,  quo  casu  ab  hujusmodi  Ijello  ipsi  Castell»,  Legionis, 
Aragonum,  e(c.,  principes  sine  régis  Anglia^con.sensu  libère  desistere  valeant  ». 
11  est  vrai  que  le  roi  anglais  se  réservait  la  même  faculté  si  la  France  lui 
abandonnait  la  Normandie  et  la  Guyenne.  C'était  là  une  clause  de  pure  forme. 
Si  le  désir  de  s'assurer  plus  facilement  la  Bretagne  pouvait  faire  consentir  la 
France  à  l'abandon  du  Roussillon,  il  ne  pouvait  entrer  sérieusement  en  l'es- 
prit de  quiconque  qu'elle  se  résignât  en  cette  occasion  à  un  second  traité  de 
lirétigny. 

2.  Pélicier,  Essai  sur  le  rjouvernement  de  la  dnme  de  Beaujeu,  p.  154. 

3.  Ulmann,  Kaiser  Maximiiian,  t.  I,  p.  67  et  suiv. 

4.  Boissonnade,  Histoire  de  la  réunion  de  la  Navarre  à  la  Castille,  p.  77, 
note  1.  Salinas  avait  mille  cavaliers  et  trois  mille  fantassins,  d'après  le  chro- 
niqueur Hernandodel  Pulgar,  éd.  delà  Biblioteca  deaulores  espanoles,  p.  476, 


174  MÉLANGES  ET  DOCDMENTS. 

raient  alors  tant  bien  que  mal  à  la  sauvegarde  de  l'indépendance 
bretonne  étaient  paralysés  par  d'incessants  désaccords.  En  vain,  l'am- 
bassadeur Francisco  de  Rojas  s'évertuait-il  à  apaiser  les  difîérends 
sans  cesse  renaissants  ^  La  duchesse,  qui  aurait  à  solder  et  à  rapa- 
trier les  Espagnols^,  tirée  en  sens  contraire  par  ses  alliés  offi- 
cieux et  jaloux,  tant  français  qu'étrangers,  ne  savait  plus  auquel 
entendre. 

Du  moins,  à  travers  les  complications  de  cette  collaboration  inté- 
ressée et  médiocrement  sincère,  les  rois  catholiques  ne  perdaient 
point  de  vue  leur  objectif  personnel  et  plus  immédiat.  Il  y  parut  une 
fois  de  plus  lorsqu'un  diplomate  nouvellement  envoyé  d'Espagne, 
Luis  Margarit,  s'abouchant  avec  Alain  d'Albret,  demanda  que 
Nantes  fût  mis  «  en  tiers  »  dans  sa  main.  Il  s'agissait  pour  l'Ara- 
gonais  de  saisir  un  gage  que  l'on  pourrait  échanger  au  bon  moment 
contre  Perpignan  3.  Ce  beau  coup  échoua  par  suite  de  la  trahison 
d'Alain.  Celui-ci,  en  effet,  vendit  Nantes  aux  Français  le  2  janvier 
1490^. 

IL 

Le  pape  Innocent  VIII,  alors  en  conflit  avec  les  Aragonais  de 
Naples  et  fort  enclin  à  se  servir  contre  eux  de  la  France,  avait  ima- 
giné, précisément  à  celte  heure,  de  résoudre  à  sa  manière  le  conflit 
breton.  Il  espérait  rendre  libres  les  Valois  à  son  profit  en  dissolvant 
la  triple  alliance.  En  vue  d'obtenir  ce  résultat  sous  couleur  de  paci- 
fication 5,  le  Saint-Siège  avait  envoyé  en  mission  dans  le  duché  de 
Bretagne  un  légat,  l'évêque  de  Concordia,  et  les  négociations  dont 
ce  prélat  avait  pris  charge  paraissaient  en  bonne  voie,  au  lendemain 
de  la  livraison  de  Nantes,  plus  précisément  à  la  date  du  1 1  février 
1490®.  Mais  les  efforts  de  la  diplomatie  pontificale  se  heurtaient 
naturellement  à  l'opposition  des  rois  catholiques.  Ceux-ci  avaient 
pour  contrecarrer  les  menées  de  l'évêque  Concordia  les  plus  déter- 
minantes raisons.  Non  seulement,  en  effet,  ils  espéraient  tirer  parti 
sur  les  Pyrénées  des  difficultés  où  se  débattait  Charles  VIII,  mais 

1.  Zurita,  Anales,  t.  V,  p.  4. 

2.  Archives  nationales,  J  605,  n°  8''.  —  Ci-après,  pièce  justificative  n°  II. 

3.  Zurita,  Anales,  t.  V,  p.  4. 

4.  Dom  Morice,  Histoire  de  Bretagne,  t.  III,  p.  688. 

5.  Touchant  les  relations  d'Innocent  VIII  et  de  Ferdinand  à  cette  époque  et 
le  retentissement  des  affaires  d'Italie  sur  la  politique  générale,  cf.  notre  article 
cité  sur  la  Politique  espagnole  dans  l'affaire  des  barons  napolitains,  dans  la 
Revue  histoi-ique,  t.  CX,  1912. 

6.  Rawdon  Brown,  Calendar,  Venice,  t.  I,  p.  184  (Flores  à  Innocent  VIII). 


I 


LA   CRISE   DE    l'iNDe'pENDANCE    BRETONNE.  175 

encore  ils  savaient  bien  que,  si  le  pape  se  donnait  tant  de  mal  à  l'heure 
présente  en  faveur  du  roi  de  France,  c'était  surtout  afin  de  jouer  de 
lui  dans  la  partie  engagée  contrôleur  «  frère  et  confédéré  »,  Ferrand 
de  Naples^  dont  la  cause  leur  tenait  tout  particulièrement  à  cœur. 
Au  demeurant,  une  lettre  de  Ferdinand  et  d'Isabelle  à  Tévêque  de 
Badajoz,  leur  représentant  à  Rome,  est  caractéristique  à  cet  égard^. 
Les  souverains  espagnols  ont  appris  que  le  protonotaire  Flores  s'est 
Joint  au  légat  chargé  de  s'interposer  entre  la  France  et  l'Angleterre. 
Or,  Flores  est  un  ennemi  juré  de  l'Espagne.  Si  donc  il  travaille  à 
réconcilier  Charles  VIII  avec  Henri  VII,  ce  n'est  point  dans  l'inté- 
rêt de  la  paix,  mais  dans  la  pensée  de  nuire  à  la  puissance  espagnole 
en  Italie.  Sans  doute  l'intention  du  saint  Père  est  louable  dans  le 
fond.  Leurs  Majestés  souhaitent  également  de  leur  côté  le  rétablisse- 
ment de  la  paix  entre  chrétiens.  Encore  faut-il  considérer  ce  qui 
conduira  le  plus  sûrement  à  ce  but  pieux,  un  traité  entre  la  France 
et  l'Angleterre  ou  un  traité  entre  la  France  et  l'Espagne.  De  toute 
évidence,  l'accord  entre  la  France  et  l'Espagne  entraînerait  un 
accord  entre  l'Angleterre  et  la  France,  tandis  que  la  réciproque  n'est 
point  vraie.  Le  différend  entre  la  France  et  l'Espagne  ne  saurait 
prendre  fln  que  si  la  première  des  deux  puissances  renonce  à  détenir 
un  bien  qui  appartient  à  sa  voisine.  Ainsi  s'exprimaient  en  subs- 
tance les  rois  catholiques.  Par  là,  ils  marquaient  une  fois  de  plus  la 
pensée  maîtresse  qui  dirigeait  en  France  et  en  Europe  toute  leur 
conduite  :  la  question  du  Roussillon  dominait  leur  politique  exté- 
rieure, comme  la  conquête  de  Grenade  dominait  leur  politique  inté- 
rieure. Au  plan  d'Innocent  VIII,  c'est-à-dire  au  plan  d'une  inter- 
vention pontificale  en  Bretagne,  ils  tentaient  fort  subtilement  de 
substituer  le  plan  d'une  intervention  pontificale  sur  les  Pyrénées^. 
Cette  invite  échoua,  et  tandis  que  la  cour  d'Espagne,  sans  beaucoup 
d'espoir  sans  doute,  essayait  cette  élégante  manœuvre,  l'évêque  de 
Concordia  et  le  protonotaire  Flores  réussissaient,  sinon  à  résoudre 
la  crise,  du  moins  à  ménager  une  trêve  entre  le  gouvernement  valois 
et  le  gouvernement  breton  ^ 

1.  La  Politique  espagnole  dans  l'affaire  des  barons  napolilains,  dans  la 
Revue  historique,  t.  CX,  ldV2. 

2.  Bergenrolh,  Calendnr,  t.  I,  p.  31. 

3.  L'idée  d'une  médiation  pontificale  pour  régler  au  profit  de  l'Espagne  le 
problème  pyrénéen  n'était  d'ailleurs  pas  nouvelle.  On  |)Ouvait  d'autant  plus 
facilement  donner  une  couleur  religieuse  à  l'inspiration  de  la  rétrocession  qu'on 
en  attribuait  l'idée,  disait-on,  à  François  de  Paule  incitant  au  repentir  uu 
Louis  XI  vieilli. 

4.  D.  Morice,  Histoire  de  Bretagne,  t.  III,  p.  6G7  (mai). 


176  MÉLANGES   ET    DOCUMENTS. 


III. 


A  vrai  dire,  ce  n'était  là  qu'une  accalmie.  Redoutant  la  défection 
du  roi  d'Angleterre,  Maximilien  s'applique  à  réchauffer  son  zèle;  il 
appuie  les  représentations  de  l'Espagne  :  le  22  mai,  une  ambassade 
composée  du  chevalier  de  Ghevara  et  de  maître  Jacques  de  Gonde- 
bault  vient  trouver  Henri  VII  au  nom  du  roi  des  Romains  ^  Henri 
est  déjà  tout  décidé  à  agir;  le  30  mai,  la  duchesse  écrit  aux  «  capi- 
taines de  l'armée  d'Angleterre  »  une  lettre  close  fort  significative 2. 
En  juillet,  Henri  VII  mobilise  de  nouveau  des  forces  en  vue  de  la 
guerre  en  Bretagne 3,  et  la  crainte  d'une  paix  prématurée  provoqua 
aussi  un  geste  nouveau  de  la  part  des  lois  catholiques  :  l'Anglais 
reçoit,  le  17  juillet,  l'avis  que  les  forces  espagnoles  ont  ordre  de 
se  joindre  aux  siennes''. 

Ainsi,  après  un  succès  partiel  et  momentané,  la  diplomatie  ponti- 
ficale allait  échouer.  Flores  s'alarmait  de  l'activité  nouvelle  du  roi 
d'Angleterre ^  l'Espagne  se  rassurait.  Pour  bien  manifester  où 
était  le  point  sensible,  la  reine  Isabefie,  à  ce  moment  précis,  faisait 
personnellement  à  M"''  de  Beaujeu  par  l'organe  du  Navarrais, 
frère  Jean  de  Mauléon,  des  ouvertures  en  vue  d'un  règlement  des 
comptes,  et  même  il  était  vent  d'une  entrevue  prochaine  des  deux 
princesses  entre  Fontarabie  et  Bayonne^. 

L'éternelle  tactique  du  couple  royal  d'Espagne,  faite  d'intimida- 
tions et  avances  alternées,  se  heurta  cette  fois  encore  à  l'impassibilité 
de  la  régente,  bien  décidée  à  ne  pas  entendre  les  réclamations  rela- 
tives à  ces  comtés  de  Roussillon  et  de  Cerdagne,  si  inlassablement 
revendiqués.  Fidèle,  elle  aussi,  à  un  principe,  elle  se  refusait  avec 
persévérance  à  acheter  par  l'abandon  d'une  province  et  d'une  fron- 
tière la  rupture  du  cercle  diplomatique,  qui  pourtant  l'élreignait  de 
plus  en  plus,  et  la  liberté  de  ses  mouvements  en  Bretagne.  Elle  se 
rendait  compte,  évidemment,  que  l'Espagne,  dont  les  meilleures  res- 
sources étaient  alors  absorbées  par  la  guei-re  des  Maures,  n'irait  pas 
jusqu'à  se  lancer  dans  une  guerre  extérieure  et  se  bornerait  à  une 
démonstration.  La  mission  de  Jean  de  Mauléon  échoua  donc  et  avec 

1.  Rymer,  Fœdera,  t.  V,  4,  p.  10. 

2.  Archives  départementales  de  la  Loire-Inférieure,  E 123.  —  Pièce  justifi- 
cative n°  I. 

3.  Pélicier,  Essai  sur  le  gouvernement  de  la  daine  de  Beaujeu,  p.  172. 

4.  Bergenroth,  Calendar,  t.  I,  p.  32. 

5.  Rawdon  Brown,  Calendar,  Venice,  1. 1,  p.  191  (Spinoza  au  duc  de  Milan, 
juillet  1490). 

6.  Ibid.  (Flores  à  Innocent  VIII,  28  juillet).  Jean  de  Mauléon  était  de  retour 
au  début  de  1491,  d'après  Zurita,  Anales,  t.  V,  p.  6. 


LA    CRISE   DE   l'iNDÉPENDANCE   BRETONNE.  177 

elle  le  projet  séduisant  d'une  entrevue  entre  la  fille  de  Louis  XI  et  la 
reine  de  Oastille. 

Par  un  contre-coup  immédiat,  TEspagne  redouble  alors  d'activité 
diplomatique  auprès  des  ennemis  de  Charles  VIII.  Elle  pousse  plus 
vivement  que  jamais  ses  intrigues  avec  Henri  VII,  avec  Maximilien, 
avec  la  duchesse  Anne.  Le  7  septembre,  celle-ci  prend  rengagement 
solennel  de  payer  tous  les  frais  que  les  souverains  espagnols  vont 
avoir  à  faire  pour  sa  défense  ^  Le  8  septembre,  le  roi  des  Romains 
et  le  roi  d'Angleterre  se  lient  étroitement  par  un  traité  2.  Le  11  sep- 
tembre, un  autre  traité,  conclu  cette  fois  à  trois,  unit  l'Espagne, 
l'Angleterre  et  la  maison  d'Autriche  dans  une  triple  alliance  for- 
melle, «  super  bello  inferendo  contra  Carolum  Francise  w^.  La  rati- 
fication du  nouveau  pacte  anglo-espagnol  a  lieu  le  20  septembre^ 
et  la  duchesse  Anne  y  adhère  le  28  octobres  L'Angleterre  et  la 
Bretagne  sont  plus  amies  que  jamais  ^  Enfin  la  maison  d'Espagne, 
qui  n'a  pas  approuvé  la  proposition  de  marier  l'infante  Isabelle  à 
Maximilien,  fait  sienne  l'idée  de  réaliser  le  mariage  de  ce  même 
Maximilien  avec  la  duchesse  Anne.  Le  plan  d'une  vaste  combinai- 
son contre  Charles  VIII  se  précise  de  la  sorte  au  début  de  1491. 
Au  programme  valois,  qui  comporte  la  réunion  de  la  Bretagne  à  la 
France  par  une  combinaison  matrimoniale,  s'oppose,  tout  comme 
au  temps  de  la  crise  déterminée  par  la  disparition  de  Charles  le  Témé- 
raire, le  programme  des  puissances  rivales  élaboré  sous  la  forme  d'un 
projet  de  mariage  autrichien. 

Dans  ce  péril,  Anne  de  Beaujeu  parait  avoir  donné  l'une  des 
preuves  les  plus  tangibles  de  son  habileté.  Par  un  recul  apparent, 
elle  fait  mine  d'accepter  enfin  la  conversation  jusqu'ici  refusée  sur  la 
question  des  Pyrénées  et  accueille  avec  de  bonnes  paroles,  en  mars 
1491,  Juan  de  Albion,  qui  vient  renouveler  la  tentative  de  Jean  de 
Mauléon^.  En  même  temps,  spéculant  sur  la  détresse  financière  du 
roi  d'Angleterre  et  du  roi  des  Romains,  toujours  besogneux,  elle 
entre  en  coquetterie  avec  les  deux  alliés  de  l'Espagne^.  Enfin,  à  la 

1.  Pièce  justificative  n°  II. 

2.  Rymer,  Ibid.,  4"  partie,  p.  13. 

3.  Rymer,  Ibid.,  p.  12.  Cf.  Pélicier,  op.  cit.,  p.  173.  Pélicier  s'est  d'ailleurs 
trompé  en  donnant  à  ce  traité  la  date  du  U  novembre.  Les  deux  traités  du 
8  et  du  11  septembre  ont  été  conclus  «  apud  Oking  ».  C'est  aujourd'liui  Woking, 
au  comté  de  Surrey. 

4.  Bergenrolh,  Calendar,  t.  I,  p.  33. 

5.  Archives  départementales  de  la  Loire-Inférieure,  E  124. 

6.  Rymer,  Ibid.,  p.  27. 

7.  Zurita,  Anales,  l.  V,  p.  6. 

8.  Déjà,  au  mois  de  mai,  les  rapports  entre  la  France  et  l'Angleterre  paraissent 

Rev.  IIistor.  CXVII.  2«  fasc.  12 


178  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

faveur  de  celte  manœuvre,  elle  brusque  l'événement  et  marie  son 
frère  à  la  duchesse  dans  les  circonstances  que  l'on  sait  ^ 

IV. 

L'union  de  Charles  VIII  avec  Anne  de  Bretagne  ne  ravissait 
pourtant  pas  aux  souverains  espagnols  le  levier  principal  dont  ils 
avaient  prétendu  se  servir  pour  arracher  les  comtés  à  la  France. 
Sans  doute  la  duchesse  Anne,  devenue  reine  de  France,  ne  pouvait 
plus  être  dans  les  mains  des  rois  catholiques  l'instrument  d'une 
intrigue  pyrénéenne.  Mais  la  triple  alliance  ne  désarmait  en  aucune 
façon^  et  bientôt  la  prise  de  Grenade,  survenant  le  2  janvier  1492, 
donnait  à  la  menace  espagnole  une  valeur  nouvelle.  Un  grand  effort 
extérieur  de  la  part  de  l'Espagne  ne  pouvait  être  redouté  sérieuse- 
ment tant  que  les  derniers  Maures  tenaient  en  Andalousie  :  cet  effort 
maintenant  devenait  possible,  imminent.  Le  contre-coup  de  l'événe- 
ment du  2  janvier,  si  considérable  en  Italie,  se  fit  sentir  également 
en  Bretagne 3  et  la  coopération  armée  des  Anglais  et  des  Espagnols 
dans  le  duché  prit  rapidement  une  allure  inquiétante.  Il  devenait 
évident  que  l'Espagne  unifiée  et  libre  de  ses  mouvements  allait  être, 
dans  la  coalition  des  puissances  rivales  de  la  France,  une  parte- 
naire autrement  résolue  et  autrement  ardente  qu'elle  ne  l'avait  été 
jusqu'alors.  En  un  mot,  tout  annonçait  l'approche  d'une  conflagra- 
tion générale. 

Le  revirement  politique  qui  marque,  comme  on  sait,  l'as- 
cension de  Charles  VIII  au  gouvernement  personnel,  ménagea  à 
cette  aventure  une  tout  autre  solution.  Pour  obtenir  une  complicité 
qu'il  croyait  propre  à  lui  livrer  l'Italie,  Charles  VIII  traita  avec 
chacun  des  membres  de  la  triple  alliance  et  concéda  à  la  cour  d'Es- 
pagne ce  qu'elle  avait  toujours  proclamé  comme  la  condition  essen- 

se  détendre  sensiblement  (Rymer,  Fœdera,  t.  V,  4"  partie,  p.  30).  —  Sur  les 
rapports  entre  la  France  et  la  maison  d'Autriche  à  ce  moment,  voir  Buser,  Die 
Beziehungen  der  Mediceer  zu  Frankreich ,  t.  I,  p.  191. 

1.  Dora  Morice,  Histoire  de  Bretagne,  t.  III,  p.  711.  Le  contrat  ne  porte  que 
la  date  du  6  décembre. 

2.  Rymer,  Ihid.,  p.  37-38. 

3.  Bibliothèque  nationale,  Collection  Dupuy,  261,  fol.  192.  Guy  de  Laval 
écrit  de  Guingamp  au  roi  de  France,  le  24  juin  :  «  ...  Troys  prisonniers  de  ce 
pays,  estymés  gens  de  bien  et  créables,  ont  dit  qu'ilz  ont  trouvé  moyen  d'es- 
chapper  de  leur  dite  prison  en  Angleterre  et  qu'ilz  en  partirent  vendredi  der- 
renier,  où  le  lundy  paravant  ils  avait  veu  arriver  soixante  gros  navires  d'Es- 
pagne, chargés  de  gens  de  guerre  espaignolz  et  autre  nombre  de  Flandres, 
lesquelz  avecques  les  navires  anglois  povoient  bien  estre  trois  cens  voiles... 
et  disoit-on  communément  qu'ilz  avoient  entreprinse  de  descendre  en  deux 
lieux  de  vos  pays  sans  déclairer  où.  » 


LA    CRISE    DE    l'iNDÉPENDANCE    BRETONNE.  i79 

tielle  d'un  retour  aux  relations  normales,  la  restitution  des  comtés 
de  Roussillon  et  de  Cerdagne. 

Le  célèbre  traité  de  restitution  des  comtés  signé  à  Barcelone  s'ac- 
compagne d'une  pièce  curieuse  qui  souligne  d'étrange  façon  le  rôle 
joué  dans  l'ensemble  de  la  politique  espagnole  par  la  crise  de  l'indé- 
pendance bretonne.  C'est,  de  cet  épisode,  un  épilogue  bien  sugges- 
tif. La  duchesse  Anne  n'avait  point  acquitté,  en  dépit  de  ses  pro- 
messes, les  frais  du  secours  espagnol  dont  elle  avait  usé  naguère 
pour  tenir  tète  au  roi  de  France.  Celui-ci,  par  un  fréquent  retour 
des  choses,  n'allait-il  pas  être  tenu  maintenant  de  cette  dette  conju- 
gale et  n'allait-il  pas  se  trouver  obligé  de  rembourser  à  la  paix  le 
coût  de  la  guerre  dirigée  contre  lui  par  celle-là  même  qui  partageait 
désormais  son  trône?  Le  couple  royal  d'Espagne  entendit  épar- 
gner au  roi  très  chrétien  cette  fâcheuse  extrémité',  et  ce  n'est  point 
sans  une  certaine  ironie  que  les  heureux  bénéficiaires  du  traité  font 
remise  totale  à  leurs  nouveaux  amis  d'une  créance  qu'ils  auraient 
eu  vraiment  quelque  mauvaise  grâce  à  poursuivre. 

J.  Calmette. 


PIECES  JUSTIFICATIVES. 


I. 


Rennes,  30  mai  1490.  —  Lettre  de  la  duchesse  Anne  de  Bretagne 
aux  capitaines  anglais. 

(Archives  départementales  de  la  Loire-Inférieure,  E  123.) 

Très  chiers  et  grans  amys,  bien  cordiallement  nous  recommandons 
a  vous.  Pour  ce  que  avons  eu  quelques  nouvelles  de  vostre  descente 
en  nostre  pays  avecques  le  bon  et  grant  secours  que  mons»"  mon  bon 
père  le  roy  d'Angleterre  nous  a  envoyé,  nous  avons  expédié  le  cappi- 
taine  Lornay,  le  s^"  de  La  Moussaye  et  Thomas  de  Kerazet,  nostre  prevost 
de  mareschaulx,  noz  chambellan[s],  pour  vous  recuillir  et  faire  pour- 
veoir  des  choses  qui  vous  seront  neccessaires,  aussi  vous  dire  de  nostre 
désir  et  intencion,  lesquels  veillez  croyre  de  ce  qu'ilz  vous  en  diront  de 
nostre  part  et  nous  faire  amplement  savoir  de  voz  nouvelles  avecques 
se  chose  desirez  que  faire  pussons,  et  nous  le  ferons  de  très  bon  cueur 
comme  seoit  Nostre  Seigneur  qui,  très  chiers  et  gran[s]  amys,  vous 
ayt  en  sa  sainte  garde.  Escript  a  Rennes,  le  pénultième  jour  de  may. 

1.  Pièce  juslilicalive  n"  III. 


180 


MELANGES    ET    DOCUMENTS. 


La  royne  des  Romains,  duchesse  de  Bretagne,  etc.  Bien  vostre, 

Anne. 

De  Forest. 

(Au  dos  :)  A  très  chiers  et  grans  amis  les  capitaines  de  l'armée 
d'Angleterre  présentement  envoyée  a  nostre  secours  par  mons""  mon 
bon  père  le  roy  d'Angleterre. 


II. 

Rennes,  7  septembre  1490.  —  Obligation  contractée  par  Anne  de 
Bretagne  envers  l'Espagne. 

(Archives  nationales,  J605,  n°  8^.  Archives  départementales 
de  la  Loire-Inférieure,  B12,  fol.  165,  chancellerie  de  Bretagne i.) 

Anne  [par  la  grâce  de  Dieu,  duchesse  de  Bretaigne,  comtesse  de 
Montfort,  de  Richemont,  d'Etampes  et  de  Vertus],  a  tous  [ceulx  qui 
ces  présentes  lectres  verront],  salut.  Savoir  faisons  que  nous,  consi- 
derantz  la  grande,  entière  et  parfaicte  amour  que  par  vraye^  expé- 
rience très  haultz,  très  puissantz  et  très  excellantz  [princes  mes  très 
honorez]  seigneurs,  oncle  et  tante,  le  roy  et  la  royne 3  de  Castelle,  de 
Léon,  d'Arragon,  etc.,  ont  monstre  par  effect  avoir  a  nous  comme  de 
prandre  et  avoir  noz  matières  a  cueur,  ainsi  qu'ilz  pourroient  de  leur 
propre  fille  naturelle  et  legetime,  et  principalement^  de  la  grande 
armée  que  a  nostre  prière  et  requestre  ilz  nous  ont  envoyée  par  mer 
pour  nous  et  nostre  pays  subvenir  et  aider  contre  le  roy  de  France 
qui  nous  faisoit  [et  faict]  la  guerre,  tendent^  a  nous  mectre  en  ses 
mains  et  conquérir  nostre  pays^  et  duchié^,  a  l'occasion  duquel 
secours  et  aide  que  nouz  ont  faictz  mesditz  très  honnorez  seigneurs, 
oncle  et  tante,  et  de  la  declaracion  qu'ilz  ont  faitz  en  nostre  faveur 
avons  esté  grandement  consolée  et  nostre  dit  pays^  préservé  et  def- 
fendu.  De  quoy  nous  tenons  et  cognoessons,  nous  et  nostre  pays^, 
[estre]  grandement  obligez  a  mesditz  très  honnorez  seigneurs,  oncle 
et  tante,  lesquelz  ont  envoyé,  entretenu  et  entretiennent  icellui  secours 
a  leurs  propres  coustz  et  despens,  dont  sommes  ^^  tenuz  et  obligez 

1.  Les  deux  textes  de  cet  acte  difl'érent  en  quelques  points  et  l'on  a  distin- 
gué ici  les  leçons  de  la  façon  suivante  :  les  passages  supprimés  dans  le  registre 
de  Nantes  sont  ici  entre  crochets  ;  les  variantes  fournies  par  le  texte  de  Nantes 
sont  indiquées  en  notes. 

2.  Nantes  :  vroie. 


3.  Nantes  : 

4.  Nantes  : 

5.  Nantes  : 

6.  Nantes  : 

7.  Nantes  . 

8.  Nantes  : 

9.  Nantes  : 

10.  Nantes 


rayne. 

principallement. 

tendant. 

païs. 

duché. 

païs. 

païs. 

.•  suymes. 


LA    CRISE   DE   l'uVDe'pENDANCE   BRETONNE.  181 

satisfaire  a  mesdits  très  honnorez  [seigneurs],  oncle  et  tante,  de  leurs- 
dits  fraiz,  mises  et  coustaiges,  et  les  asseurer  de  leur  en  faire  pay- 
ment'  et  satisfacion.  Pour  lesdites  causes  et  autres  a  ce  nous  mou- 
vans,  et  que  nostre  très  cher  et  bien  amé  messire  Franscisco  de 
Rojas,  ambassadeur  de  mesdits  très  honnorez  seigneurs,  oncle  et 
tante,  nous  en  a  requis,  avons  promis,  promectons  et  obligeons  [nous] 
noz  hoirs  et  successeurs  et  tous  nos  biens  en  parolle  de  princesse  a 
mesdits  très  honnorez  seigneurs,  oncle  et  tante,  leurs  héritiers  et  suc- 
cesseurs, de  les  payera  et  satisfaire  entièrement  a  tout  leur  bon  plaisir 
toutes  et  chascunes  les  sommes  de  peccunes,  lesquelles  ilz  ont  exposé 
et  exposeront^  pour  ledit  secours  tant  au  payement''  de  leurs  gaiges 
que  en  s  la  conduite  ^  d'iceluy  jusques  a  la  mer,  en  venant  et  passant 
par  mer  en  nostre  pays,  et  entretenement  d'iceluy,  et  en  le  repassant 
en  Espagne  et  autrement.  Et  s'il  advenoit  par  cy  après  que  mesdits 
[très  honnorez]  seigneurs,  oncle  et  tante,  a  nostre  requeste  nous 
envoyant  autre  secours,  nous  obligeons  en  pareille  forme  payer''  et 
restituer  a  mesdits  très  honnorez  seigneurs,  oncle  et  tante,  leurs  héri- 
tiers et  successeurs,  toutes  les  sommes  de  peccunes  qu'ilz  exposeront 
a  cause  dudit  secours.  Et  desquelles  mises  et  despences  tant  faictes 
que  a  faire  pour  ledit  secours  qui  est  ycy  présent  ou  autre,  s'il  adve- 
noit qu'il  se  feist,  comme  dit  est,  promectons  comme  dessus  faire  le 
payement 8  en  une  ville  située  en  Espaigne  en  la  seigneurie  de  mesdits 
très  honnorez  seigneurs,  oncle  et  tante,  a  mes  dangiers  et  despens. 

Et  en  tesmoing  et  seureté  de  ce  avons,  en  la  présence  dudit  messire 
Francisco  de  Rojas,  promis  tenir  et  accomplir  toutes  les  choses  des- 
susdites. Et  avons  signé  ces  présentes  et  faict  sceller  de  nostre  scel. 
Donné  en  nostre  ville  de  Rennes,  le  [septiesme]  jour  de  [septembre] 
l'an  mil  CCCC  quatre  vingts  et  dix. 

[Par   la  duchesse,  de  son   commandement  et  pour  double    :   De 

FORESTZ.] 

III. 

Perpignan,  18  septembre  1493.  —  Remise  des  soinmes  dues 
par  Anne  de  Bretagne  aux  rois  catholiques. 

(Archives  nationales,  J605,    n°  8*.   Original,  parchemin  avec  sceau  de  cire 
rouge  pendant  sur  lacs  de  soie  jaune  et  rouge.) 

Nos  Ferdinandus  et  EUsabeth,  Dei  gratia  rex  et  regina  Castelle, 

1.  Nantes  :  poienient. 

2.  Nantes  :  paier. 


3. 

Nantes  . 

■  exposseront 

4. 

Nantes  . 

•  paiement. 

5. 

Nantes  . 

■  a. 

6. 

Nantes  . 

•  conduicte. 

7. 

Nantes  . 

•  paier. 

8,  Nantes  :  paiement. 


182  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

Legionis,  Aragonie,  Sicilie,  Granate,  etc.  Superioribus  annis,  cum, 
ob  amorem  quo  amplectimur  serenissimam  Annam,  tune  ducissam 
Britanie,  nunc  vero  reginam  Francie,  consobrinam  nostram  carissi- 
mam,  misimus  ad  ejus  et  terrarum  suarum  defensionem  ac  tutamen 
exercitum  stipendiatorum,  dicta  serenissima  regina  Majestatibus  nos- 
tris  promisit  solvere  et  restituere  expensas  et  sumptus  omnes  quos 
inde  per  nos  fieri  contingeret;  cumque  idem  amor  qui  eo  tempore  nos 
impellebat  ad  sumptus  ipsos  exponendos,  et  cum  hoc  plus  fraternitas, 
amicicia  ac  confederacio,  qua  nunc  astricti  sumus  cum  serenissimo 
Francorum  rege,  viro  suo,  fratre  et  confederato  nostro  carissimo, 
eciam  inpresenciarum  nos  impellat  ad  sumptus  ipsos  relaxandos, 
eapropter,  tenore  presencium  scienter  et  consulte  absolvimus  et  diffini- 
mus  et  perpetuo  relaxamus  dicte  serenissime  regine,  consobrine  nostre 
caris^ime,  omnem  actionem,  peticionem  et  demandam  nobis  compe- 
tentem  et  quam  movere  possemus  adversus  eandem  et  bona  sua 
racione  seu  ex  causa  obligacionis  preinserte.  Nos  enim  super  eisdem 
nobis  et  successoribus  nostris  scilencium  imponimus  sempiternum, 
promictentes  eciam  dicte  serenissime  regine  quod  duplum  dicte  obli- 
gacionis, quod  est  in  civitate  Cordube,  quodque  pênes  nos  adhuc  res- 
tât, cum  jam  aliud  simile  duplum  restituerimus,  récupérante  illud 
ejus  vice  et  nomine  reverendo  in  Christo  pâtre  Ludovico  de  Ambasia, 
episcopo  Albiensi',  prefati  serenissimi  Francorum  régis  oratore  et 
mandatario,  ad  nos  misso,  restituemus  eidem  regine,  vel  pro  ea  pre- 
fato  reverendo  episcopo  Albiensi,  oratori  predicto,  cicius  quo  poteri- 
mus,  omni  excepcione  remota.  Quam  quidem  obligacionem,  ad  ube- 
riorem  cautelam,  cancellamus,  anullamus  et  abolemus,  et  volumus 
omni  carere  efficacia  et  valore  ad  agendum  contra  dictam  serenissi- 
mam reginam,  consobrinam  nostram,  ita  quod  nullo  unquam  tempore 
in  judicio  nec  extra  judicium  nobis  prodesse  possit  nec  illi  obesse  seu 
nocere. 

In  cujus  testimonium  presentem  fieri  jussimus,  nostro  secreto  sigillo 
impendenti  munitam.  Datum  in  opido  nostro  Parpiniani,  die  x\u]° 
mensis  septembris  anno  a  nativitate  Domini  millesimo  quadringente- 
simo  nonagesimo  tercio. 

{Signatuï^es  autographes  :)  Yo  el  rey.  Yo  la  reyna. 

Domini  rex  et  regina  mandaverunt  michi,  Johanni  de  Coloma. 

{Sur  le  repli  :)  In  quitança  del  sellado  de  Bretaiîa. 

1.  Louis  d'Aniboise,  évêque  d'Albi,  qui,  avec  l'évéque  de  Lectoure,  avait  été 
plénipotentiaire  de  la  France  au  cours  des  négociations  destinées  à  préparer  le 
traité  franco-espagnol. 


BULLETIN   HISTORIQUE 


HISTOIRE  DE  GRANDE-BRETAGNE. 

Sources  et  critique  des  textes.  —  Il  nous  faut  signaler  une 
nouvelle  édition  ^la  neuvième)  des  Select  charters  de  Stubbs. 
Revisé  par  un  excellent  érudit,  M.  Davis',  ce  recueil  est  une  œuvre 
en  partie  nouvelle.  M.  Davis  a  pu  faire  de  sérieuses  économies  de 
place  en  donnant  seulement  les  extraits  les  plus  significatifs  de  deux 
traités  publiés  in  extenso  par  Stubbs  :  le  Dialogus  de  Scaccario, 
dont  nous  possédons  maintenant  une  bonne  édition ■^  et  le  Modus 
tenendi  parliamentum,  dont  l'autorité  est  fort  discutable.  D'autre 
part,  il  a  inséré  quelques  textes  nouveaux  tirés  des  Rectitudines 
singularum  personarum,  du  Domesday  book,  du  De  legibus 
Angliae  de  Bracton,  des  Coutumes  de  Londres  et  même  quelques 
lignes  d'une  chronique  inédite  d'Ely.  Tous  les  textes  ont  été  revus 
avec  soin  et  notamment  améliorés.  Des  notes  discrètes,  où  sont 
corrigées  certaines  théories  exposées  par  Stubbs  dans  sa  Consti- 
tutional  liistory  ou  des  appréciations  sur  la  valeur  de  certaines 
sources  (lois  d'Edouard  le  Confesseur,  chartes  de  Henri  P^  etc.), 
mettent  l'ouvrage  tout  à  fait  au  point. 

M.  Ballard,  qui  s'est  déjà  fait  connaître  par  une  étude  remar- 
quée sur  les  villes  qualifiées  «  bourgs  »  dans  le  Domesday  book,  a 
repris  le  sujet,  mais  en  lui  donnant  une  plus  grande  extension.  Il 
s'est  proposé  de  nous  donner  l'analyse  méthodique  des  chartes  (le 
nombre  dépasse  le  chiffre  de  trois  cents)  qui  ont  été  concédées  à  des 
bourgs  en  Angleterre,  en  Ecosse  et  en  Irlande,  de  1042  à  1216 '.  Les 
plus  anciennes  remontent  au  temps  d'Edouard  le  Confesseur  (celles 
qui  accordent  des  droits  de  justice  ou  «  soken  »  à  la  guilde  dite  des 
chevaliers  de  Londres,  1042-1044,  et  à  Chertsey,  1058-1066);  les 

1.  William  Stubbs,  Select  charters.  Ninth  édition,  revised  througbout  by 
H.  W.  C.  Davis.  Oxford,  at  Ihe  Clarendon  Press,  1913.  Iii-8%  xix-528  p.  Prix  : 
8  sh.  fj  d.  La  première  édition  a  paru  en  1870  et  la  huitième  en  1895. 

■2.  Cf.  Rev.  histor.,  t.  LX.XXIII,  p.  350. 

3.  Adolphus  Ballard,  British  Borouxjh  charters,  10i2-1216.  Cambridge,  at  the 
University  Press,  1913.  In-8%  cxlvu-266  p.  Prix  :  15  sh. 


i84  BULLETIN   HISTORIQUE. 

plus  récentes  ne  dépassent  pas  la  mort  de  Jean  Sans-Terre.  Par  le 
mot  «  chartes  »,  l'auteur  entend  non  seulement  les  actes  désignés 
par  l'expression  technique  de  «  chartae  »,  mais  aussi  les  «  brefs  » 
ou  «  writs  »,  qui  s'en  distinguent  au  point  de  vue  diplomatique,  et 
même  certains  coutumiers  semblables  à  ceux  dont  Miss  M.  Bateson 
avait  déjà  tiré  la  substance  d'une  si  remarquable  publication'. 
Enfin,  comme  il  est  fort  difficile  de  dire  exactement  quels  sont  les 
caractères  qui  distinguent  les  «  bourgs  »  des  autres  agglomérations 
rurales  et  urbaines,  M.  Ballard  déclare  qu'il  admet  à  figurer  dans 
son  «  code  »  tous  les  documents  émanant  de  la  chancellerie  royale 
ou  d'un  seigneur,  et  qui  ont  été  concédés  à  des  localités  qualifiées 
«  civitates  »  (c'est  à  des  villes  épiscopales)  ou  «  burgi  »,  à  des 
habitants  appelés  «  cives  »  ou  «  burgenses  ». 

De  ces  documents,  il  a  tiré  un  code  (le  mot  est  de  lui)  des  insti- 
tutions municipales.  Adoptant  en  gros  la  classification  proposée  par 
les  auteurs  de  la  History  of  english  law,  il  imagine  sept  sections 
principales  dans  lesquelles  il  fait  entrer,  quelquefois  par  une  opéra- 
tion un  peu  rigoureuse,  les  phrases  et  articles  découpés  dans  les 
chartes.  Les  textes  qu'il  donne  ont  été  édités  avec  soin,  d'après  les 
meilleures  éditions  et  parfois  après  examen  des  originaux  mêmes  ; 
chaque  extrait  (tous  les  textes  sont  en  latin)  est  suivi  dune  traduc- 
tion en  anglais.  Il  n'est  pas  trop  malaisé  de  reconstituer  les  chartes 
elles-mêmes  à  l'aide  de  leurs  membres  dispersés  et  de  leur  rendre  la 
vie  ;  l'auteur  a  su  atténuer  dans  la  mesure  du  possible  les  défauts 
dun  plan  trop  systématique  et  il  faut  le  louer  de  nous  avoir  donné 
un  recueil  des  plus  instructifs.  Il  a  fait  plus  :  dans  une  minu- 
tieuse et  inteUigente  introduction,  il  a  étudié  la  formation  des 
bourgs  anglais,  la  tenure  en  «  bourgage  »,  les  exemptions  et  charges 
des  bourgeois,  la  justice  municipale,  les  privilèges  concernant  les 
marchés  et  les  foires,  les  guildes  et  le  commerce,  les  finances,  enfin 
les  magistratures  municipales.  En  terminant,  M.  Ballard  s'efforce  de 
dégager  les  traits  caractéristiques  du  bourg,  de  montrer  comment  il 
a  fini  par  devenir  peu  à  peu,  sous  les  rois  angevins,  ce  qu'il  n'était 
pas  au  temps  du  Domesday  book,  une  personne  morale;  enfin 
il  compare  les  résultats  obtenus  par  la  longue  analyse  des  documents 
anglais  avec  ceux  de  France,  d'Allemagne,  du  royaume  latin  de 
Jérusalem,  enfin  avec  les  «  fueros  »  aragonais  de  Teruel  et  de 
Cuenca"^.  Cette  étude  parallèle  est  du  plus  haut  intérêt.  M.  Ballard 

1.  Borough  customs  (t.  XVIII  et  XXI  des  publications  de  la  Seldeii  Society, 
1904  et  1906);  cf.  Rev.  histor.,  t.  XCIII,  p.  387. 

2.  Pourquoi  M.  Ballard  n'a-t-il  étudié  pour  l'Espagne  que  ces  deux-là  seuls 


HISTOIRE   DE   GRANDE-BRETAGNE.  185 

a  pris  la  peine  de  résumer  lui-même  les  résultats  qui  lui  paraissent 
acquis  en  deux  conférences  dont  il  convient  de  recommander  la  lec- 
ture '  ;  encore  qu'il  n'ait  pas  réussi,  Je  le  crains,  à  trouver  les  for- 
mules les  plus  propres  à  bien  rendre  sa  pensée.  Elles  laissent  dans 
l'esprit  un  certain  vague  que  seules  la  lecture  et  la  méditation  des 
Borough  charters  peut  éclairer  ou  dissiper. 

Une  étude  minutieuse  des  manuscrits  qui  nous  ont  conservé  le 
cartulaire  et  l'histoire  du  monastère  d' Abingdon  a  permis  à  M.  Sten- 
ton2,  non  seulement  de  rectifier  certains  détails  concernant  l'origine 
et  les  débuts  de  ce  monastère  jusqu'à  sa  destruction  par  les  Danois, 
mais  aussi  de  mettre  en  lumière  certains  points  de  l'histoire  de  Mer- 
cie.  L'auteur  montre  combien  l'édition  donnée  par  Jos.  Stevenson 
dans  la  collection  du  Maître  des  rôles  (1858)  est  défectueuse  :  des 
trois  manuscrits  qu'il  avait  à  sa  disposition,  Stevenson  a  suivi  le  plus 
récent,  et  celui-ci  est  défiguré  par  des  interpolations  d'un  caractère 
légendaire  qui  ont  compromis  l'autorité  des  documents.  M.  Stenton 
la  leur  restitue  à  l'aide  d'une  rédaction  purifiée. 

La  Société  anglaise  d'études  franciscaines  a  publié  une  partie  de 
ïOpus  tertium  de  Roger  Bacon,  oi:i  se  trouve  un  fragment  inédit. 
Rappelons,  en  abrégeant  l'introduction  de  M.  LITTLE^  les  faits 
essentiels  qui  concernent  l'œuvre  maîtresse  du  célèbre  franciscain  :  à 
la  demande  du  pape  Clément  IV  (lettre  du  22  juin  1266),  Bacon  rédi- 
gea d'abord  le  traité  connu  sous  le  titre  d'Opits  majus;  puis,  pour 
remplacer  cet  ouvrage  s'il  venait  à  se  perdre,  pour  combler  certaines 
lacunes  qu'il  avait  constatées  après  coup,  pour  économiser  le  temps 
du  pape,  il  en  écrivit  un  abrégé,  VOpus  minus,  qui  fut  envoyé  à 
Rome  avec  VOpus  majus,  et  deux  autres  traités  de  moindre  éten- 
due. Reprenant  une  troisième  fois  le  sujet,  Bacon  écrivit  (1267) 
VOpus  tercium,  qui  est  un  nouvel  abrégé  de  l'œuvre  primitive. 
h'Opus  tercium  a  été  puijlié  depuis  longtemps  par  Bre\ver^  mais 
d'après  des  manuscrits  incomplets.  En  effet,  de  VOpus  majus  qui 


et  pourquoi  n'a-t-U   pas  cherché   de   parallèles  aussi   dans   les  chartes  ita- 
liennes? 

1.  The  enxjUsh  borough  in  the  twelfth  century.  Cambridge,  at  the  University 
Press,  1914.  In-8%  87  p.  Prix  :  3  sh.  6  d. 

2.  F.  M.  Stenton,  The  early  histonj  of  Ihe  abbey  of  Abingdon.  Reading, 
publ.  by  the  University  Collège,  1913.  ln-8%  iv-52  p. 

3.  A.  G.  Little,  Part  of  Ihe  Opus  tertium  of  Roger  Bacon,  including  a 
fragment  now  printed  for  the  first  time.  Aberdeen,  the  University  Press, 
191-2.  In-8%  xLviii-92  p.  Prix  :  10  sh.  6  d.  (T.  IV  de  la  British  Society  of  francis- 
can  studies.) 

4.  Rolls  séries,  n°  15,  1859. 


186  BULLETIN   HISTORIQUE. 

est  divisé  en  sept  parties,  le  texte  publié  par  Brewer  représente  seu- 
lement les  quatre  premières,  moins  trois  sections  de  la  quatrième 
partie.  Ce  qui  manque  a  été  retrouvé  dans  un  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris  et  publié  par  M.  Duhem,  professeur  à 
rUniversité  de  Bordeaux.  Dans  l'intervalle  entre  l'édition  Brewer 
et  celle  de  M.  Duhem,  avait  paru,  par  les  soins  de  M.  Bridges, 
le  texte  entier  de  l'Opiis  majus\  moins  les  sections  5  et  6  de  la 
septième  partie,  qu'on  retrouve  abrégées  dans  l'édition  Duhem. 
Cependant,  entre  la  partie  de  VOpus  tertiuin  publiée  par  l'édi- 
teur anglais  (Brewer)  et  celle  de  l'éditeur  français  (Duhem), 
il  y  avait  une  lacune  que  vient  combler  le  fragment  publié  par 
M.  Little  aux  pages  1-19  du  présent  volume.  Le  reste  de  ce 
volume  (p.  20-89)  ajoute  peu  de  chose,  pour  le  fond,  au  fragment 
déjà  publié  par  M.  Duhem.  Mais  désormais  nous  possédons  VOpiis 
tertium  en  entier  et,  par  contre-coup,  toute  la  substance  del'Opws 
majus.  La  publication  de  M.  Little,  très  soignée,  arrive  à  point 
pour  contribuer  à  célébrer  le  septième  centenaire  de  frère  Roger 
Bacon. 

Le  manuscrit  de  la  bibliothèque  Cottonienne  Cleopatra  A  xvi  con- 
tient une  chronique  allant  de  1299  à  1367,  qui  est  en  partie  l'œuvre 
d'un  moine  de  Westminster  appelé  Jean  de  Reading^.  De  cet  auteur, 
nous  savons  peu  de  chose  :  son  nom  apparaît  pour  la  première 
fois  sur  une  liste  des  moines  de  Westminster  en  1340;  il  chanta  sa 
première  messe  en  1342,  fut  «  infirmier  »  de  l'abbaye  en  1353  et 
mourut  sans  doute  en  1369.  C'est  vers  1366  quil  commença  d'écrire 
sa  chronique  et  celle-ci  sarrète  brusquement  en  1367.  Il  était  en  bon 
lieu  pour  recueillir  d'utiles  renseignements  historiques;  mais  la  lec- 
ture de  son  œuvre  montre  que  ce  fut  un  esprit  médiocre  :  crédule, 
superstitieux,  partial  et  borné,  il  emploie  une  langue  entortillée,  à 
peine  correcte,  souvent  peu  claire.  Quant  au  fond,  sa  chronique  se 
rattache  à  la  fameuse  compilation  des  Flores  historiariun,  si 
longtemps  attribuée  à  un  Mathieu  de  Westminster  qui  n'a  Jamais 
existé  ;  commencées  à  Saint- Alban  par  diverses  mains,  transportées 
à  Westminster  après  1265,  les  Flores  furent  continuées  dans  cette 
abbaye  par  diverses  mains  Jusqu'en  1307.  Sur  ce  tronc  premier  sont 
venues  se  greffer  de  nouvelles  compilations  :  par  Robert  de  Reading 
Jusqu'en  1325,  par  Adam  de  Murimuth  Jusqu'en  1338  (première  édi- 

1.  Voir  Rev.  histor.,  t.  LXVl,  p.  248;  LXIX,  p.  142;  LXXVII,  p.  460. 

2.  Chronica  Johantiis  de  Reading  et  Anonymi  Cantuarioisis,  13i6-1367, 
edited  with  introduction  and  notes  by  James  Tait.  Manchester,  at  the  Univer- 
sity  Press,  1914.  In-8%  x-394  p.,  2  fac-similés.  Prix  :  10  sli.  6  d.  (Forme  le 
t.  XX  des  publications  de  l'Université  de  Manchester,  série  historique.) 


HISTOIRE   DE   GRANDE-BRETAGNE.  187 

tion),  puis  jusqu'en  1346.  C'est  à  ce  point  que  commence  l'œuvre  de 
notre  chroniqueur.  Il  a  fait  d'abord  de  notables  emprunts  à  Robert 
d'Avesbury;  mais  pour  les  dix  années  qui  suivirent  celle  où  ce  der- 
nier s'arrête  (1356),  il  est  tout  à  fait  original.  Or,  c'est  une  période 
pour  laquelle  nous  n'avions  que  des  récits  fragmentaires  etécourtés, 
et  il  nous  faut  savoir  gré  au  médiocre  chroniqueur  qui  nous  apporte 
quelques  nouveaux  témoignages  sur  la  campagne  de  Poitiers,  sur 
la  peste  noire,  sur  le  relâchement  des  mœurs  qui  suivit  ce  fléau 
dévastateur,  sur  les  mouvements  insurrectionnels  dont  Londres  fut 
le  théâtre  en  1363-1366,  sur  les  conséquences  de  l'expédition  du 
Prince  Noir  en  Espagne  :  l'Angleterre,  dégarnie  de  troupes,  fut 
menacée  par  une  invasion  danoise  (1366),  par  une  alliance  plus 
étroite  de  la  France  avec  l'Ecosse,  etc.  Jean  de  Reading  fut  vite 
oublié;  sa  chronique,  copiée  par  les  continuateurs  du  Polychro- 
nicon  et  d'Adam  de  Murimuth ,  abrégée  par  le  Brut  anglais, 
fut  comme  noyée  dans  la  compilation  qui  servit  de  base  au 
Chronicon  Angliae,  de  1328  à  1388,  et  à  ÏHistoria  angli- 
cana  de  Thomas  de  Walsingham;  la  voici  maintenant,  grâce  à 
M.  Tait,  dégagée  de  cette  masse  d'œuvres  dont  Jean  de  Reading 
fut  tour  à  tour  le  débiteur  et,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  le  créditeur. 
Le  savant  professeur  de  Manchester  a  parfaitement  déterminé  les 
rapports  que  ces  sources  ont  entre  elles  et  porté  l'ordre  dans  un  des 
chapitres  les  plus  embrouillés  de  l'historiographie  anglaise  au 
xiv''  siècle. 

La  chronique  anonyme  de  Oanterbury,  qui  fait  suite  à  celle  de 
Jean  de  Reading,  est  la  seule  partie  originale  d'une  de  ces  compila- 
tions qui  remontent  jusqu'aux  origines  troyennes  de  l'Angleterre, 
jusqu'à  «  Brutus  »,  le  héros  éponyme  de  la  «  Britannia  ».  Comme 
celle  de  Reading,  elle  s'arrête  brusquement  en  1367  et,  quand  l'au- 
teur cessa  d'écrire,  le.  prince  de  Galles  était  encore  en  Espagne.  Son 
récit,  qui  couvre  exactement  la  période  racontée  par  Reading,  est 
beaucoup  plus  simple,  mais  aussi  plus  sec.  Henry  Wharton,  quand 
il  composa  son  Aiiglia  sacra,  connut  le  manuscrit  (Lambeth,  n°  99) 
qui  renferme  cette  chronique,  ainsi  que  plusieurs  autres  morceaux 
historiques,  et  il  crut  pouvoir  les  attribuer  tous  à  un  moine  de  Christ 
Church  à  Canterbury,  Etienne  de  Birchington;  mais,  comme  le 
prouve  M.  Tait,  un  homme  qui  devint  moine  seulement  en  1382 
ne  peut  être  l'auteur  de  chroniques  rédigées  quinze  ans  aupara- 
vant. 

L'introduction  de  M.  Tait  comprend  soixante-quinze  pages;  elle 
est  suivie  de  quelques  extraits  de  la  compilation  qui,  dans  le  manus- 
crit de  la  Cottonienne,  précède  la  chronique  de  Jean  de  Reading 


188  BULLETIN    HISTORIQUE. 

(p.  77-90).  Des  notes  nombreuses,  précises,  et  dont  plusieurs  cons- 
tituent autant  de  dissertations  fort  érudites  pour  l'histoire  des  années 
1346-1367,  complètent  le  volume  (p.  229-371),  dont  l'importance  ne 
saurait  être  exagérée. 

Après  que  la  principauté  de  Galles  eut  été  conquise  par  l'Angle- 
terre en  1282-1283,  le  sol  devint  la  proie  du  vainqueur.  Denbigh  et 
son  territoire,  limité  par  les  rivières  de  Conway  et  de  Chvyd,  formèrent 
une  seigneurie,  ou  mieux  un  ensemble  de  seigneuries  groupées 
sous  le  nom  d'  «  honneur  »,  qui,  après  avoir  passé  par  plusieurs 
mains,  fmit  par  échoir,  vers  le  milieu  du  xiv''  siècle,  à  la  maison  des 
Mortimer  de  Wigmore.  Après  la  mort  d'un  de  ces  seigneurs,  Guil- 
laume Montacute  (1 334) ,  il  en  fut  dressé  une  «  extenta  »  ou  terrier  dont 
le  texte,  pubhé  sous  la  direction  de  l'illustre  auteur  du  Villenage  of 
E?îg  ia?id ,  M.  ViNOGRADOFF ,  est  fort  important  1 .  Il  nous  fait  connaître 
en  effet  la  condition  sociale  et  économique  du  pays  avant  la  con- 
quête, alors  qu'y  régnaient  encore  les  coutumes  celtiques,  et  les  trans- 
formations qu'elles  subirent  sous  l'influence  de  la  féodalité  anglaise; 
nous  y  voyons  la  tribu  {progenies)  et  ses  subdivisions  [lecta, 
gavelle,  etc.),  formant  la  base  même  de  la  société,  possédant  et 
exploitant  le  sol  en  commun  ;  l'exploitation  en  est  encore  toute  primi- 
tive :  c'est  le  pâturage,  l'élevage  des  bètes  à  cornes,  à  toison  et  à  laine, 
si  favorable  au  communisme  agraire,  et  à  côté  fonctionne  déjà,  cin- 
quante ans  après  la  conquête,  le  régime  de  la  propriété  individuelle 
sous  forme  de  tenure  féodale,  qui  dominait  alors  dans  toute  l'An- 
gleterre ;  et  l'agriculteur  apparaît  à  côté  du  pâtre.  L'examen  appro- 
fondi de  ce  document  a  permis  de  compléter  et  de  corriger  sur  cer- 
tains points  les  belles  études  de  Seebohm  dans  son  Tribal  System 
in  Wales;  il  est  un  vivant  commentaire  des  anciennes  lois  gal- 
loises. Le  texte,  publié  avec  un  soin  minutieux,  est  précédé  d'études 
de  détail  pour  lesquelles  M.  Vinogradoff  a  fait  un  heureux  appel 
aux  élèves  de  son  «  séminaire  »^.  L'ensemble  est  remarquable  et 
méritait  d'être  placé  sous  le  haut  patronage  de  la  «  British  Academy  » . 

On  sait  combien  l'étude  attentive  des  Year-books,  ou  recueils 

1.  Survey  of  the  Honour  of  Denbigh,  133^,  edited  by  Paul  Vinogradoff  and 
Frank  Morgan.  Londres,  Huniphrey  Milford;  Oxford,  University  Press,  1914. 
ln-8°,  cxxiv-347  p.,  deux  tableaux  généalogiques  et  une  carte.  Prix  :  16  sh. 

2.  Pour  rendre  à  chacun  ce  qui  lui  appartient,  mentionnons  les  sections  sui- 
vantes :  «  bois  et  terres  incultes  »,  par  Miss  Lodge;  «  agriculture  »,  par 
M.  Todd;  «  fermages  et  services  »,  par  Miss  Neilson;  «  fonctionnaires  »,  par 
M.  Jones;  «  les  non-libres  »,  par  Miss  Lees;  «  tenures  féodales  »,  par  M.  Wea- 
ver;  «  population  urbaine  »,  par  M.  Whitwell.  Il  y  a  trois  tables  pour  les  noms 
de  lieu,  de  personne  et  de  matières.  La  langue  est  riche  en  termes  techniques 
qu'il  faudrait  recueillir  dans  une  nouvelle  édition  de  Du  Cange. 


HISTOIRE   DE    GRANDE-BRETAGXE.  189 

annuels  de  plaidoiries  devant  les  cours  supérieures  de  Justice  (cour 
du  Banc  du  roi  et  cour  des  Plaids  communs) ,  importée  l'histoire  du 
droit.  On  les  connaît  soit  par  d'anciennes  éditions  généralement  fau- 
tives et  où  les  recherches  sont  des  plus  pénibles,  soit  par  des  éditions 
récentes  dont  certaines  sont  des  modèles  de  science  et  de  critique, 
mais  qui  n'atteignent  encore  que  le  règne  d'Edouard  III.  Pour  celui 
de  Richard  II,  il  n'en  existe  aucun.  Cependant,  des  recherches  faites 
dans  une  vingtaine  de  manuscrits  ont  fait  découvrir  un  certain 
nombre  de  «  cas  »  plaides  et  jugés  entre  1379  et  1399.  Ceux  qui  se 
rapportent  à  la  douzième  année  du  règne  (1388-1389)  ont  été  publiés 
par  un  érudit  américain,  M.  G.  F.  Deiser  ^ ,  sur  le  modèle  des  Year- 
books  édités  pour  la  «  Selden  Society  »,  c'est-à-dire  qu'en  regard 
du  texte,  écrit  dans  cette  langue  spéciale  qu'est  l'anglo-français  usité 
dans  les  tribunaux  anglais  et  dans  les  officines  des  procureurs, 
M.  Deiser  donne  une  traduction  en  anglais  et  qu'il  ajoute  le  texte 
latin  des  plaidoii'ies  quand  elles  ont  été  consignées  sur  les  rôles  de 
la  cour.  Ce  travail,  exécuté  avec  soin,  rendra  de  sérieux  services  et 
il  faut  souhaiter  que  d'autres  volumes  viennent  bientôt  s'ajouter  à 
celui-ci  pour  combler  une  lacune  qu'on  pouvait  croire  sans  remède. 
Richard  Beauchamp  (1382-1439),  qui  succéda  dans  le  comté 
de  Warwick  à  son  père  Thomas,  quatrième  comte,  en  1401,  est 
un  grand  personnage  qui  visita  la  Terre  sainte,  l'Italie,  la  France, 
l'Europe  orientale  et  lAllemagne,  représenta  Henri  V  au  concile  de 
Constance  (1414),  prit  part  au  siège  de  Rouen  (1418),  contribua  à  la 
défaite  du  duc  de  Bourgogne  quand  celui-ci  essaya  de  reprendre  Calais 
(1436)  et  fut  en  1437  lieutenant  de  France  et  de  Normandie  pour  le 
roi  d'Angleterre.  Il  fut  le  beau -père  de  Warwick,  le  «  faiseur  de 
rois  » .  Les  principaux  événements  de  sa  vie  ont  été  représentés  en 
une  suite  de  cinquante-trois  beaux  dessins  conservés  dans  un  manus- 
crit de  la  bibliothèque  Cottonienne  (Julius  Eiv).  L'artiste  est 
inconnu;  mais  c'était  certainement  un  Anglais  qui  travaillait  entre 
1485  et  1490.  Ces  dessins  ne  donnent  donc  pas  l'image  fidèle  du 
comte  ni  de  son  temps;  ils  ne  pourraient  servir  à  illustrer  Frois- 
sait; mais  pour  l'époque  de  Henri  VII  ils  fournissent  une  incompa- 
rable variété  de  scènes  de  la  vie  civile  et  militaire.  La  reproduction 
qu'en  donnent  le  vicomte  Dillon  et  Sir  Saint-John  Hope^,  d'après 

1.  George  F.  Deiser,  Year-books  of  Richard  IL  12  Richard  II,  1388-1389. 
Harvard  Univcrsity  Press,  États-Unis;  Londres,  Huniplirey  Milford,  1914. 
ln-8°,  XXX,  p.  1-202  doubles-239,  4  fac-similés  (inutilisables,  tant  la  photogra- 
phie est  réduite).  Forme  le  t.  I  des  publications  entreprises  sous  les  auspices 
de  la  Fondation  J.-B.  Ames  fondée  en  1910  «  pour  aider  à  l'avancement  de  la 
science  du  droit  ». 

2.  Viscount  Dillon  et  Sir  W.  H.  S'  John  Hope,  Pagcanl  of  the  hirth,  life  and 


190  ^BULLETIN    HISTORIQUE. 

les  photogravures  exécutées  par  M.  Walker,  met  à  la  disposition  des 
amateurs  une  source  des  plus  précieuses  pour  l'histoire  des  mœurs 
et  du  costume. 

Un  excellent  livre  sur  les  sources  de  l'histoire  d'Angleterre  au 
xv^  siècle  est  dû  à  M.  Kingsford,  bien  connu  par  ses  savantes  édi- 
tions des  «  Chroniques  de  Londres  »,  du  «  Tableau  de  Londres  » 
par  John  Stow,  etc.^  Après  une  introduction  où  l'historiographie 
anglaise  est  caractérisée  en  traits  précis  et  sûrs,  il  étudie  Thomas  de 
Walsingham  et  ses  contemporains,  les  biographies  de  Henri  V,  les 
chroniques  dont  le  cadre  est  fourni  par  la  suite  chronologique  des 
maires  de  Londres  et  celles  qui  se  rattachent  à  la  légende  de  Brut^, 
dont  il  nous  montre  les  nombreuses  ramifications  et  l'importance, 
les  chroniques  de  second  ordre  qui  continuent  si  pauvrement  le  tra- 
vail historique  pendant  les  longues  années  sèches  du  xv^  siècle 
(1422-1469),  puis  celles  de  la  maison  d'York  (1470-1485),  les  corres- 
pondances, les  récits  et  vers  et  les  ballades.  Cet  exposé,  très  subs- 
tantiel, bien  distribué,  où  Fauteur  ne  s'est  pas  contenté  d'analyser 
les  œuvres  imprimées,  mais  où  il  a  signalé  nombre  de  faits  nouveaux 
directement  empruntés  aux  manuscrits,  se  termine  par  un  chapitre 
sur  Ihistoire  du  xv«  siècle  dans  les  chroniqueurs  du  xvi%  fort  inté- 
ressant à  coup  sûr,  mais  qui  surprend  tout  de  même  comme  un  hors- 
d'œuvre.  Vient  un  long  appendice  de  documents  en  grande  partie 
inédits^.  Pour  aucune  période  de  Thistoire  d'Angleterre  il  n'existait 

death  of  Richard  Beatichamp,  earl  of  Wai'wick,  1389-li39.  Pholo-engraved 
froin  the  original  ms.  in  the  British  Muséum  by  Emery  Walker.  Londres,  Long- 
maus,  1914.  ln-4%  ix-109  p.  Prix  :  21  sh.  —  Pourquoi  le  titre  porte-t-il  les 
dates  i589-1439,  puisque  Beauchainp  naquit,  comme  on  lit  sur  la  première 
planche,  «  the  .xxviii.  day  of  the  raoneth  of  Januar.,  the  yere  of  the  Incarna- 
cion  of  our  Lorde  Ihu  Criste  .M'.CCC.LXXXI.  »,  c'est-à-dire  le  28  janvier  1382 
(n.  st.)? 

1.  Charles  Lethbridge  Kingsford,  English  historical  literature  i7i  the  fîf- 
teenth  cenlury;  with  an  appendix  of  thronicles  and  historical  pièces  hitherto 
for  the  most  part  unprinted.  Oxford,  at  the  Clarendon  Press,  1913.  In-8°,  xvi- 
429  p.  Prix  :  15  sh. 

2.  L'étude  du  Brut  anglais  avait  déjà  été  poussée  très  loin  dans  l'excellente 
édition  de  M.  F.  W.  D.  Brie  :  The  Brut,  or  the  Chronides  of  England  (Early 
english  Text  Soc,  1906-1908).  M.  Kingsford  y  ajoute  des  textes  et  des  faits 
nouveaux  empruntés  au  Brut  latin. 

3.  Chronique  du  Midi  de  l'Angleterre  (1399-1422)  et  chronique  du  Nord  (1399- 
1435);  extraits  du  Brut  en  anglais  (d'après  une  rédaction  de  1430)  et  deux 
rédactions  du  Brut  en  latin  (1399-1437);  brève  chronique  des  années  1445- 
1555;  annales  de  Sherborne  (1437-1456),  de  Waltham  (1422-1477)  et  de  Glouces- 
ter  (1449-1469);  notes  recueillies  par  un  partisan  de  la  maison  d'York  (1447- 
1452);  chronique  de  l'abbaye  de  Tewkesbury  pour  l'année  1471;  procès-verbaux 


HISTOIRE    DE    GRANDE-BRETAGNE.  191 

jusqu'ici  de  guide  pareil;  il  serait  très  désirable  que  l'exemple  donné 
par  M.  Kingsford  fût  suivi.  On  ne  pourrait  imiter  un  meilleur 
modèle. 

Époque  anglo-saxonne.  —  De  quelle  partie  delà  Germanie  sont 
venus  les  barbares  qui  envahirent  et  occupèrent  la  Bretagne  celto- 
romaine?  Aux  témoignages  recueillis  par  les  historiens  et  les  philo- 
logues, M.  Leeds  ajoute  celui  de  l'archéologie'.  Il  fait  parler  les 
morts,  car  ce  sont  seulement  les  tombes  qui  nous  renseignent  sur 
l'origine  des  Saxons,  des  Angles  et  des  Jutes,  sur  le  degré  de  civili- 
sation auquel  ils  atteignirent  et  sur  les  origines  continentales  de  cette 
civilisation.  Les  tombes  qu'il  a  interrogées  sont  celles  de  l'époque 
païenne,  époque  relativement  longue,  puisqu'elle  s'étend  sur  deux 
siècles,  depuis  l'arrivée  des  Anglo-Saxons  jusqu'à  leur  conversion  au 
christianisme  (de  450  à  650  environ).  Les  Anglo-Saxons  païens  enter- 
raient leurs  morts  isolément,  près  de  leurs  demeures;  une  fois  con- 
vertis, ils  durent  les  inhumer  dans  les  cimetières,  près  des  églises, 
changement  qui  entraîna  des  modifications  dans  l'établissement  des 
sépultures  et  dans  le  mobilier  funéraire.  La  carte  où  M.  Leeds  a 
marqué  la  répartition  des  tombes  païennes  (p.  19)  est  fort  instruc- 
tive; elle  montre  que  les  envahisseurs,  guerriers  d'occasion,  étaient 
avant  tout  des  paysans,  des  agriculteurs;  ils  s'établirent  le  long  des 
cours  d'eau,  remontant  peu  à  peu  les  tleuves  et  les  rivières  qui 
furent  leur  principale  voie  de  pénétration,  loin  des  voies  romaines 
et  des  villes  fortifiées.  Maitzen  a  mis  en  pleine  lumière  deux 
modes  d'occupation  du  sol  par  les  tribus  de  la  Germanie  septen- 
trionale :  à  l'ouest  du  Weser,  les  familles  vivaient  dans  des  mai- 
sons isolées  qui  formaient  de  simples  hameaux  séparés  par  d'assez 
vastes  espaces  libres  ;  à  l'est  du  Weser  et  jusqu'au  Slesvig,  elles  se 
groupaient  en  villages  avec  un  noyau  central  de  maisons  et  les  champs 
rayonnant  à  l'entour.  Le  premier  système  prévalut  dans  les 
comtés  de  Wessex,  de  liants,  de  Dorset,  où  dominent  les  Saxons  ;  le 
second  au  nord,  dans  les  régions  occupées  par  les  Angles.  Quant  aux 
Jutes  du  Kent  et  de  l'île  de  Wight,  M.  Leeds  incline  à  croire  qu'ils 
venaient  de  la  vallée  inférieure  du  Rhin,  et  les  rapprochements  qu'il 
fait  entre  le  mobilier  funéraire  des  deux  régions,  entre  la  civilisation 
de  Kent  et  celle  de  la  basse  Allemagne  (Hollande  et  Prise),  donnent 
à  son  étude  sa  principale  originalité. 

d'un  héraut  d'aniies  dont  on  ne  connaît  que  le  nom  de  guerre  :  Bleu-Manteau, 
(1471-1472),  etc. 

1.   E.  Thurlow  Leeds,   The   archxology  of  llie  anglo-saxon  selllemenls 
Oxford,  at  the  Clarendon  Press,  1913.  In-8°,  144  p.  Prix  :  5  sh. 


192 


BULLETIN    HISTORIQUE. 


Comment  se  forma  le  royaume  de  Wessex?  Quelles  furent  les 
étapes  de  celle  longue  lutte  contre  les  Bretons  qui  rendit  les  rois  de 
Saxons  occidentaux  maîtres  du  pays  de  Somerset?  C'est  ce  que 
MM.  Major  et  Whistler  se  sont  proposé  de  montrer  ^  Ils  se  sont 
efforcés  de  préciser  les  avantages  lentement  obtenus  par  les  rois  Ken- 
wealh  (643-672),  Kentwine  (676-686),  Ine  (688-740);  leur  parfaite 
connaissance  des  anciens  ouvrages  de  défense,  des  camps  retranchés 
si  nombreux  dans  ce  pays,  à  la  double  ou  triple  enceinte  terrassée, 
leur  a  permis  de  présenter  les  faits  dans  un  ordre  logique.  Cepen- 
dant cette  combinaison  si  savante  ne  laisse  pas  que  d'inspirer  quelque 
défiance  :  si  encore  on  savait  quand  et  par  qui  ont  été  construits  ces 
camps  retranchés  !  Mais  Je  souscrirai  très  volontiers  à  cette  opinion 
que  la  longue  attaque  menée  par  les  rois  de  Wessex  contre  les  Celtes 
de  l'ouest  (Devon)  explique  la  longue  résistance  qu'ils  purent  oppo- 
ser à  leur  tour  aux  Danois  sous  le  roi  Alfred  et  la  suprématie  que 
le  Wessex  exerça  sur  les  autres  royaumes  anglo-saxons  au  temps 
d'Ecgberht.  La  partie  la  plus  solide  de  l'ouvrage  me  paraît  être  le 
livre  III,  concernant  les  campagnes  d" Alfred  contre  les  Danois  en 
876-878  ;  le  chapitre  relatif  à  la  victoire  d'Ethandun  et  au  traité  de 
paix  imposé  à  Gulhrun  est  pénétrant  et  lumineux.  Les  arguments 
mis  en  œuvre  pour  établir  que  la  bataille  eut  lieu  à  Edington  en 
Somerset,  colline  qui  s'élève  à  l'est  du  Parrett,  en  vue  d'Athelney, 
refuge   inexpugnable    d'Alfred    après  la  défaite  que  lui   infligea 
Guthrun  dans  sa  foudroyante  campagne  d'hiver,  sont  présentés 
avec  une  science  et  une  habileté  qui  s'imposent  à  l'attention.  Deux 
excellentes  cartes  permettent  de  suivre  le  détail  des  opérations  mili- 
taires. 

Moyen  âge.  —  Le  xiv'=  siècle  tout  entier  est  traité  dans  les  deux 
volumes  par  lesquels  Sir  James  Ramsay  termine  sa  monumen- 
tale histoire  de  l'Angleterre  au  moyen  âge^;  il  y  raconte,  en  effet, 
les  règnes  d'Edouard  II,  d'Edouard  III  et  de  Richard  II  (1307- 
1399).  On  retrouve  dans  ces  volumes  les  mêmes  caractères  et  les 
mêmes  qualités  que  dans  les  précédents  :  un  exposé  clair  et  facile, 
une  intelligence  remarquable  des  choses  militaires  et  financières,  un 

1.  Albany  F.  Major,  Earhj  irars  of  Wessex.  Edited  by  the  late  Chas.  W. 
Whistler.  Cambridge,  at  the  University  Press,  1913.  In-8%  xvi-238  p.  Prix  : 
10  sh.  6  d.  —  M.  Charles  Watt  Whistler  est  mort  le  10  juin  1913  quand  l'ou- 
vrage était  déjà  sous  presse. 

2.  Sir  James  H.  Ramsay  of  Bamff,  Genesis  of  Lancaster.  Or  the  three  reigns 
of  Edward  II,  Edward  III  and  Richard  II.  Oxford,  at  the  Clarendon  Press, 
1913.  2  vol.  in-8%  xxix-495  et  xiv-446  p.  Prix  :  30  sh.  —  Le  titre  de  l'ouvrage 
étonne.  Sir  James  aime  d'ailleurs  à  surprendre  son  lecteur;  les  titres  courants 
attirent  l'attention  par  des  effets  un  peu  gros. 


HISTOIRE    DE    GRANDE-BRETAGNE.  193 

jugement  éclairé  et  sans  peine  équitable.  Sir  James  a  visité  les 
champs  de  bataille  célèbres  et  il  faudra  tenir  compte  des  détails  qu'il 
fournit,  des  cartes  qu'il  donne  sur  ceux  de  Crécy,  de  Poitiers',  d'Ot- 
terburn(1388j2.llramèneàdes  proportions  raisonnables  les  chiffres 
que  les  choniqueurs  grossissent  si  facilement  :  celui  de  l'armée  du 
Prince  Noir  à  Poitiers,  celui  des  victimes  que  fit  la  révolte  des  pay- 
sans eu  1382  (au  plus  700  personnes  tuées  ou  exécutées;  Stubbs 
admettait  encore  le  chiffre  de  7,000),  etc.  Il  aligne  en  imposants 
tableaux  les  sommes  des  revenus  et  dépenses  de  la  royauté  et  il  les 
appuie  de  renvois  aux  archives  financières  ;  mais  quand  on  sait  avec 
quelle  négligence  et  quelle  confusion  étaient  tenues  ces  archives,  on 
demeure  un  peu  sceptique,  ce  qui  n'empêche  pas  d'ailleurs  qu'à  l'ave- 
nir on  renverra  en  toute  confiance  aux  tableaux  de  Sir  James.  Très 
attentif  à  ne  négliger  aucune  source  d'information  originale,  il  n'a 
pas  fait  un  heureux  choix  parmi  les  nombreux  travaux  qui  ont  pré- 
cédé le  sien  ;  il  fait  état  d'ouvrages  aujourd'hui  fort  démodés,  tels  que 
Sismondi  et  Henri  Martin;  il  cite  ÏHistoire  de  Finance  de  Lavisse, 
mais  il  omet  Déprez  et  Delachenal  ;  les  textes  auxquels  il  renvoie  ne 
sont  pas  toujours  cités  d'après  les  meilleures  éditions.  Pour  terminer 
par  une  observation  générale,  je  noterai  que  Sir  James  tient  le  règne 
d'Edouard  III  pour  une  période  de  transition  importante  dans  l'his- 
toire d'Angleterre  (t.  III,  p.  70)  ;  M.  Tout,  dans  un  livre  dont  il  sera 
parlé  plus  loin,  attribue  précisément  ce  caractère  à  celui  d'Edouad  II. 
En  réalité,  le  «  point  tournant  »  ne  doit-il  pas  être  placé  dans  ce  demi- 
siècle  (1330-1380)  où  s'opéra  définitivement  la  séparation  des  deux 
chambres  du  Parlement,  où  l'Angleterre  brisa  le  lien  féodal  qui  la 
mettait  dans  la  dépendance  de  la  France  et  refusa  de  payer  le  tribut 
que,  depuis  Jean  Sans-Terre,  elle  payait  au  pape,  où  se  fonda  une 
nouvelle  noblesse,  celle  des  princes  du  sang,  où  débuta  la  littéra- 
ture anglaise?  C'est  vraiment  au  temps  d'Edouard  III  que  l'An- 
gleterre rejeta  les  entraves  du  passé  pour  courir  à  de  nouvelles 
destinées. 

Le  centenaire  de  la  bataille  de  Bannockburn,  remportée  par  les 
Écossais  sur  les  Anglais  en  1314,  a  provoqué  plusieurs  travaux 
intéressants.  Dans  une  brochure  qui  doit  être  lue  avec  soin,  M.  Mac- 
KENSiE  ^  a  soumis  à  une  critique  minutieuse  les  auteurs  eontempo- 

1.  Sir  James,  qui  connaît  bien  la  France,  a  laissé  passer  néanmoins  des  noms 
de  lieu  tels  que  La  Marmande,  Millon  (pour  Meilhan?),  Roqucmadour,  Rovergue 
(pour  Rouergue). 

2.  Comment  se  fait-il  que  le  nom  ne  se  trouve  pas  à  l'index? 

3.  M.  Mackensie,  The  baille  of  Bannockburn.  A  sludy  of  mediaival  war- 
fare.  Glasf^ow,  James  Maclehose,  1913.  In-8°,  vr-114  p.  Prix  :  2  sh.  6  d. 

Rev.  Histor.  CXVII.  2«  fasc.  13 


194  BULLETIN    HISTORIQUE. 

rains,  parmi  lesquels  le  poème  de  Barbour  occupe  une  place  considé- 
rable, mal  aperçue  jusqu'ici;  une  étude  attentive  des  lieux  lui  a 
permis  en  outre  de  préciser  le  rôle  des  deux  armées  dans  les  deux 
engagements  successifs  qui  furent  livrés  le  23  et  le  24  juin.  Le  23, 
l'avanl-garde  anglaise  attaque  inconsidérément  les  Ecossais  rangés 
en  bon  ordre  sur  une  hauteur  et  en  partie  dissimulés  par  un  bois  ; 
elle  est  repoussée.  Le  gros  de  cette  armée  s'entasse  alors  dans  la  plaine, 
au  delà  du  ruisseau  de  Bannock  et  près  du  Forth  ;  il  y  est  attaqué 
le  24  par  les  piquiers  de  Bruce.  Ceux-ci  repoussent  une  charge  mal 
réglée  de  la  cavalerie  anglaise  qui,  attaquée  à  son  tour  de  flanc  par 
la  cavalerie  écossaise,  s'enfuit  en  désordre.  Ainsi  c'est  linfanterie 
qui.  combattant  à  découvert,  repousse  la  cavalerie  féodale,  et  cette 
victoire  remportée  par  les  gens  du  commun  marque  une  ère  nou- 
velle dans  l'histoire  militaire.  Le  sujet  a  été  repris  par  M.  Morris', 
bien  connu  par  une  excellente  étude  sur  la  composition  des  armées 
avec  lesquelles  Edouard  I"  conquit  la  principauté  de  Galles.  Dans 
sa  «  monographie  du  centenaire  »,  il  montre  sans  aucun  appareil 
d'érudition,  d'abord  les  éléments  qui  constituaient  l'armée  et  en  évalue 
le  nombre  probable  (le  chiffre  de  100,000  ou  même  de  60,000  hommes 
qu'on  lui  a  donné  est  ridiculement  exagéré  ;  puis,  pour  chaque  épi- 
sode de  la  bataille  où  il  suit  d'ordinaire  INI.  Mackensie,  il  reproduit 
les  uns  après  les  autres  les  témoignages  contemporains,  et  il  s'efforce 
de  prouver  que  celui  de  l'Écossais  Barbour  l'emporte  sur  tous  les 
autres  2.  Des  vues  photographiques  habilement  prises  et  une  bonne 
carte  permettent  de  contrôler  les  indications  assez  imprécises, 
disons-le,  et  parfois  contradictoires,  des  chroniqueurs. 

Après  avoir  consacré  quatre  volumes  au  règne  de  Henri  IV, 
M.  WvLiE  avait  abordé  celui  de  Henri  V'';  mais  il  est  mort  peu  de 
temps  après  l'apparition  du  tome  I  qui  s'arrête  au  moment  où  le  roi 
s'embarque  à  Southampton  pour  cette  expédition  que  devait  termi- 
ner la  bataille  d'Azincourt;  c'est  donc  seulement  l'histoire  dà  peu 
près  trente  mois  qu'on  trouvera  dans  ce  volume,  du  20  mars  1413  au 
24  juillet  1415;  mais  on  ne  saurait  trouver  récit  plus  rempli,  bibho- 
graphie  plus  abondante,  connaissance  plus  approfondie  des  sources 
imprimées  ou  manuscrites.  D'aucuns  estiment  que  les  notes  occupent 

1.  John  E.  Morris,  Bannockburn.  Cambridge,  at  the  University  Press,  1914. 
In-8°,  vi-107  p.,  1  carte  et  9  illustrations.  Prix  :  6  sh. 

2.  Joindre  un  article  de  M.  Th.  Miller  dans  la  Scotish  historical  Review 
(octobre  1914);  il  présente  une  solution  assez  différente  de  celle  où  aboutissent 
MM.  Mackensie  et  Morris. 

3.  James  Hamilton  Wylie,  The  reign  of  Henry  the  Fifth.  Vol.  I  :  lil3- 
U15.  Cambridge,  at  the  University  Press,  1914.  In-8%  589  p.  Prix  :  25  sh. 


HISTOIRE    DE    GRANDE-BRETAGNE.  195 

vraiment  trop  de  place  ;  pour  ma  part,  je  ne  vois  pas  que  leur  alwn- 
dance,  leur  condensation  massive  nuisent  à  la  clarté  ni  à  l'intérêt  du 
récit;  elles  sont  par  ailleurs  si  substantielles,  elles  fournissent  tant 
de  renseignements  précis  sur  les  faits,  les  hommes,  les  lieux,  les 
choses,  que  j'éprouve  un  vif  sentiment  d'admiration  et  de  reconnais- 
sance pour  un  tel  labeur.  Les  affaires  de  France  y  occupent  une  si 
grande  place  qu'il  sera  désormais  impossible  chez  nous  de  s'occuper 
de  cette  époque  de  notre  histoire  sans  se  reporter  à  l'ouvrage  de 
M.  Wylie  ' .  Sur  la  question  très  controversée  du  caractère  de  Henri  V 
et  de  sa  «  conversion  »  après  son  avènement,  on  lira  avec  un  intérêt 
particulier  le  chapitre  xiv;  M.  Wylie  montre  que,  si  le  fameux 
épisode  où  le  prince  adolescent  insulte  le  juge  Gascoigne  et  est 
gourmande  par  lui  ne  peut  s'appuyer  d'aucun  témoignage  digne  de 
foi,  des  contemporains  bien  informés  ont  fait  de  claires  allusions  à 
des  actes  d'une  truculence  shakespearienne  commis  par  Henri  et  par 
ses  trop  joyeux  compagnons.  La  mort  de  son  père  et  la  cérémonie  du 
sacre  transformèrent  le  jeune  écervelé  ;  âme  violente  dans  un  corps 
demeuré  chaste,  il  voulut  être  le  champion  de  l'Église  contre  les  héré- 
tiques et  contre  les  infidèles,  le  protagoniste  des  droits  de  sa  couronne 
contre  la  France. 

La  guerre  des  Deux-Roses  ou  mieux  les  guerres  entre  les  deux  mai- 
sons de  Lancastre  et  d'York  ont  été  fort  bien  présentées  au  point  de 
vue  politique  et  militaire  par  M.  Mowat^  ;  l'auteur  s'est  abstenu  de 
toucher  au  coté  économique  et  social. 

L'histoire  de  l'Angleterre  de  1272  à  1485  a  été  résumée  par 
M.  ViCKERS  en  un  volume  de  la  collection  que  dirige  le  professeur 
Charles  Oman^*.  Placé  entre  les  brillants  exposés  de  M.  Davis  (l'An- 
gleterre sous  les  rois  normands  et  angevins)  et  de  M.  Innés  (l'Angle- 

1.  Le  souci  de  tout  dire  est  si  fort  chez  M.  Wylie  qu'ayant  à  parler  des 
fonctions  charitables  de  Henri  V  il  demande  aux  comptes  de  l'IIôtel-Dieu  de 
Paris,  en  1414,  les  renseignements  que  les  documents  anglais  ne  sont  pas  en 
état  de  lui  fournir. 

2.  R.  B.  Mowat,  The  wars  of  Ihe  Roses,  1377-li71.  Londres,  Crosby  Lock- 
wood  et  lils,  1914.  In-8%  xii-288  p.,  avec  8  tableaux  généalogiques  et  1  carie 
montrant  la  répartition  des  domaines  possédés  par  les  deux  maisons  et  leurs 
partisans.  Prix  :  6  sh. 

3.  Kenneth  H.  Vickers,  England  in  ihe  later  middle  âges  (t.  III  de  la  His- 
lory  of  Emjland  in  seven  volumes,  edited  by  Ch.  Oman).  Londres,  Methuen, 
1913.  In-S",  xiii-542  p.,  4  cartes.  Prix  :  10  sh.  6  d.  Signalons  en  particulier 
la  carte  du  pays  de  Galles  et  de  la  Marche  galloise  sous  Edouard  I"''.  Un  examen 
même  superficiel  de  cette  carte  suffirait  pour  dissiper  les  confusions  ou  les 
erreurs  que  l'on  rencontre  trop  souvent  encore  sur  l'histoire  de  ce  pays  dans 
les  livres  français. 


196  BULLETIN   HISTORIQUE. 

terre  sous  les  Tudors),  il  souffre  un  peu  de  ce  voisinage  et  paraîtra 
moins  original.  C'est  néanmoins  une  mise  au  point  consciencieuse 
et  intelligente  des  travaux  les  plus  récents  qui  ont  paru  en  Angle- 
terre et  en  France;  l'auteur,  déjà  connu  par  une  bonne  biographie 
de  Honfroi,  duc  de  Glocester,  renvoie  le  plus  souvent  aux  sources 
elles-mêmes  qu'il  connaît  bien. 

Temps  modernes.  —  Les  entreprises  maritimes  depuis  l'avène- 
ment de  Henri  VII  jusqu'à  celui  d'Elisabeth  ont  été  exposées  avec 
succès  par  M.  Williamson  ;  dans  un  livre  d'une  unité  un  peu  fac- 
tice', il  étudie  la  politique  économique  de  Henri  VII,  l'organisation 
du  commerce  maritime  sous  les  premiers  Tudors,  son  expansion 
dans  la  mer  du  Nord  et  la  Baltique,  en  France  et  en  Espagne;  et 
encore  la  part  prise  par  le  gouvernement  anglais  aux  découvertes 
maritimes;  enfin,  les  opérations  navales  qui  mirent  les  Anglais  et 
les  Français  aux  prises  pendant  la  première  moitié  du  xvi"  siècle. 
Sans  doute  les  voyages  de  découverte,  les  tentatives  de  colonisation 
dans  le  nouveau  monde,  la  guerre  avec  la  France  importent  à  l'his- 
toire des  entreprises  commerciales  ;  malgré  tout,  les  quatorze  cha- 
pitres consacrés  à  ces  questions  à  la  fois  connexes  et  diverses  ne 
sont  pas  fortement  enchaînés.  Ajoutons  aussitôt  que  ce  défaut  de  plan 
est  racheté  par  de  sérieuses  qualités  :  M.  Williamson  connaît  bien 
les  textes  et  il  nous  apprend  nombre  de  faits  nouveaux  puisés 
directement  aux  sources;  il  a  beaucoup  utilisé  et  il  complète  l'ou- 
vrage de  Schanz,  toujours  si  précieux  à  consulter.  Il  donne  un  bon 
résumé  de  l'histoire  commerciale.  Revenant  sur  la  question  des  décou- 
vertes opérées  par  Jean  et  Sébastien  Cabot,  il  prend  jusqu'à  un  cer- 
tain point  la  défense  de  ce  dernier.  Il  s'efforce  de  prouver  que  tout  ce 
qu'a  raconté  Sébastien  n'est  pas  mensonge  ;  qu'après  les  deux  expé- 
ditions dirigées' par  son  père  (1497  et  1498),  Sébastien,  convaincu 
que  les  terres  nouvellement  aperçues  appartenaient  à  un  continent 
jusqu'alors  insoupçonné,  partit  à  son  tour  pour  chercher  une  route 
menant,  au  delà  de  ce  continent,  vers  les  îles  à  épices  de  l'Extrême- 
Orient;  qu'enfin  ce  voyage,  le  premier  qui  ait  été  fait  pour  trouver 
un  passage  du  nord-ouest,  fut  exécuté  en  1499  ou  en  1500.  Les  docu- 
ments qu'il  allègue,  la  suite  logique  où  il  les  range  méritent  d'attirer 
l'attention. 

Quand,  âgé  déjà  de  soixante-dix-huit  ans,  James  Gairdner  entre- 
prit de  refaire  sous  un  plus  vaste  plan  l'histoire  de  l'Eglise  d'Angle- 
terre au  XVI*  siècle,  dont  il  avait  été  chargé  pour  la  collection  de 
Hunt  et  Stephens,  il  se  proposait  de  la  mener  jusqu'en  1570,  c'est- 

1.  James  A.  Williamson,  Maritime,  entreprise,  li85-1558.  Oxford,  at  the 
Clarendoii  Press,  1913.  In-8°,  416  p.  et  illustrations.  Prix  :  14  sh. 


HISTOIRE    DE    GRANDE-BRETAGNE.  197 

à-dire  à  la  rupture  définitive  du  gouvernement  anglais  avec  Rome; 
mais  il  ne  put  en  donner  que  trois  volumes  allant  jusqu'à  la  mort 
d'Edouard  VI  '  ;  à  sa  mort,  il  laissait  en  manuscrit  un  tome  IV  qui 
continuait  le  récit  jusqu'après  le  mariage  de  Marie  Tudor  avec  Phi- 
lippe d'Espagne.  Ce  volume  vient  de  paraître  par  les  soins  de  M.  Wil- 
liam HuxT^.  Il  renferme  en  un  long  et  intéressant  récit  la  première 
année  du  règne  de  ]\Iarie.  Les  précédents  volumes  se  composaient 
de  dissertations  sur  les  principaux  épisodes  de  l'histoire  de  la 
Réforme;  celui-ci  est  plutôt  une  chronique  tracée  au  jour  le  jour 
d'après  les  documents  de  l'époque.  On  croirait  lire  parfois  un  cha- 
pitre des  Annales  de  Strype.  Mais  cette  chronique  est  si  honnête,  si 
substantielle,  qu'on  la  suit  avec  un  intérêt  constant.  Comme  dans 
ses  Letters  and  papers,  on  y  trouvera  l'analyse  précise  des  docu- 
ments et  en  plus  une  vivante  peinture  des  sentiments  qui  animaient 
les  principaux  acteurs  d'un  des  plus  beaux  drames  de  l'histoire. 

La  Réforme  fut  imposée  au  pays  par  Henri  VIII  et  par  ses 
ministres  et  l'on  sait  quelle  résistance  elle  rencontra  sur  certains 
points  du  territoire  :  en  1536,  c'est  le  «  Pèlerinage  de  grâce  »  qui  sévit 
dans  le  nord;  en  1549,  c'est  le  soulèvement  de  Ketten  Norfolk  et  en 
Suffolk  et  celui  des  paysans  en  Cornouailles  et  en  Devon.  Dans  les 
comtés  de  l'est,  ce  soulèvement  eut  le  caractère  très  nettement  mar- 
qué d'une  révolution  agraire;  les  paysans  recoururent  à  la  violence 
dans  l'espoir  d'adoucir  les  maux  causés  surtout  par  les  «  enclô- 
tures  ».  Dans  l'ouest,  c'est  pour  le  rétablissement  de  l'ancienne  foi 
que  l'on  prit  les  armes.  L'histoire  de  cette  sorte  de  «  Vendée  »  et  de 
son  principal  épisode,  le  siège  d'Exeter,  était  déjà  assez  bien  connue 
par  un  grand  nombre  de  témoignages;  elle  vient  d'être  refaite  par 
M™"  Rose-Troup^;  des  recherches  approfondies  dans  les  archives 
locales,  comme  au  P.  Record  Office  et  au  British  Muséum,  lui  ont 
fait  connaître  beaucoup  de  faits  nouveaux  et  de  documents  inédits 
dont  les  principaux  enrichissent  les  appendices  de  son  volume. 

1.  Voir  Rev.  histor.,  t.  CI,  p.  150,  et  t.  CIX,  p.  116. 

•2.  James  Gairdner,  Lollarcbj  and  the  Refonnation  in  England.  An  histo- 
rical  sxirvey,  vol.  IV,  edited  by  William  Hunt.  Londres,  Macraillan,  1913. 
In-8°,  xiv-422  p.  Prix  :  10  sh.  6  d.  M.  Hunt  a  donné  dans  une  courte  préface 
la  biographie  du  défunt.  On  sait  que  M.  Gairdner  est  mort  le  4  novembre  1912 
âgé  de  quatre-vingt-quatre  ans. 

3.  Frances  Rose-Troup,  The  western  rébellion  of  15i9.  An  account  of  the 
insurrections  in  Devonshire  and  Cornwall  agninst  rcUgious  innovations  in 
the  reicjn  of  Edward  Vl.  Londres,  Smith  Elder  et  C'%  1913.  In-8°,  xvi-520  p. 
Prix  :  14  sh.  —  L'auteur  relève  non  sans  rudesse  un  certain  nombre  d'erreurs 
commises  par  M.  Pollard  et  dresse  une  longue  liste  de  fautes  de  lecture  dans 
certaines  pièces  publiées  par  Pocock. 


198  BULLETIN   HISTORIQUE. 

La  condition  de  plus  en  plus  misérable  où  tombèrent  les  paysans 
de  1350  à  1550  eut  cette  conséquence  déplorable  entre  autres  de  mul- 
tiplier, avec  les  sans-travail,  le  nombre  des  vagabonds,  des  coquins 
et  des  filous  de  tous  les  styles.  Au  xvi*  siècle,  ils  pullulent,  à  Londres 
principalement,  et  toute  une  littérature,  procédant  en  ligne  plus  ou 
moins  directe  de  Sébastien  Brand  et  de  Lazarillo  de  Tormes,  nous 
les  fait  connaître.  M.  Aydelotte  a  étudié  cette  littérature^;  il  a 
montré  qu'elle  n'était  pas  un  pur  jeu  d'esprit;  que  son  témoignage 
est  corroboré  par  nombre  de  documents  officiels  et  que  l'histoire 
peut  en  faire  son  profit.  Le  chapitre  iv  sur  les  pamphlets  concer- 
nant les  vagabonds  et  sur  leurs  sources  forme  un  curieux  chapitre 
d'histoire  littéraire.  Les  autres  sur  l'art  de  mendier  et  sur  les  lois 
contre  le  vagabondage,  sur  les  vingt-quatre  manières  de  tricher  au 
jeu  et  sur  la  législation  destinée  à  surprendre  et  à  punir  les  «  attra- 
peurs  de  lapins  «  («  Oonning-catching  »)  intéressent  tout  particuliè- 
rement l'histoire  picaresque  des  bas-fonds  de  la  société. 

M.  Bayne  nous  ramène  dans  un  monde  respectable  :  il  étudie  les 
rapports  de  l'Angleterre  avec  Rome  pendant  les  sept  premières  années 
du  règne  d'Elisabeth^.  Des  documents  nouveaux  trouvés  à  Londres, 
à  Paris,  à  Simancas,  à  Vienne  et  à  Bruxelles  ^  lui  ont  permis  de  les 
traiter  avec  plus  de  précision;  mais,  à  vrai  dire,  il  n'apporte  pas  de 
lumières  nouvelles  sur  le  fond  même  de  l'histoire.  On  savait  déjà 
que,  si  le  pape,  qu'il  fût  Paul  IV  ou  Pie  V,  n'entra  pas  en  lutte 
contre  la  reine  dès  que  celle-ci  eut  rétabli  le  protestantisme  comme 
religion  d'État,  c'est  parce  que  son  action  fut  paralysée  par  celle  de 
l'Espagne.  Maître  des  Pays-Bas,  Philippe  II  avait  besoin  de  vivre 
en  bons  termes  avec  le  souverain  qui  régnait  en  Angleterre  ;  il  crai- 
gnait, en  outre,  que,  si  le  pape  lançait  contre  Elisabeth  les  foudres 
d'excommunication  toujours  prêtes,  une  alliance  franco -anglaise 
aussitôt  conclue  vint  lui  faire  échec.  On  essaya  donc  de  négocier; 
mais  la  mission  de  Parpaglia,  de  Martinengo,  du  cardinal  de  Ferrare 
n'aboutirent  à  rien  ;  ces  envoyés  du  pape  ne  purent  même  pas  entrer 
en  Angleterre.  Les  années  passèrent,  et  quand  enfin  Pie  V  eut  pris 
résolument  l'offensive  en  excommuniant  Elisabeth  (1570),  il  était 

1.  Frank  Aydelotte,  EUzabethan  rognes  and  vagabonds  (t.  I  des  Oxford 
historical  and  lUerary  studies,  issued  under  the  direction  of  C.  H.  Firth  and 
W.  Raleigh).  Oxford,  at  tlie  Clarendon  Press,  1913.  In-8°,  xii-187  p.  Prix  : 
7  sh.  6  d. 

2.  C.  G.  Bayne,  Anglo-roman  relations,  1558-1565  (forme  le  t.  II  des 
Oxford  historical  and  literar y  studies).  Oxford,  al  the  Clarendon  Press,  1913. 
In-8%  335  p.  Prix  :  8  sh.  6  d. 

3.  M.  Bayne  publie  soixante-huit  documents  en  appendice. 


HISTOIRE    DE    GRANDE-BRETAGNE.  199 

trop  tard  :  la  reine,  affermie  sur  un  trône  longtemps  chancelant,  put 
supporter  le  coup  sans  en  être  ébranlée. 

Un  remarquable  exposé  de  Thistoire  d'Angleterre  au  temps  d'Eli- 
sabeth, depuis  la  défaite  de  l'Armada  Jusqu'à  la  mort  de  la  reine,  a 
été  donné  par  M.  Cheyney,  prol"esseur  d'histoire  européenne  à 
l'Université  de  Pennsylvanie'.  Il  comprendra  deux  volumes.  Le  pre- 
mier contient  un  tableau  de  l'administration  royale  :  la  reine  en  1588 
et  sa  maison,  ses  ministres  et  ses  principaux  serviteurs,  les  usages 
de  la  cour;  puis  les  grands  services  publics  qui  étaient  le  plus  direc- 
tement associés  à  la  politique  générale  :  le  Conseil  privé,  la  Chambre 
étoilée,  les  Cours  suprêmes  des  requêtes,  de  l'amirauté  et  de  la  chan- 
cellerie. C'est  peut-être  la  partie  la  plus  neuve  et  la  plus  instructive 
de  louvrage.  Viennent  ensuite  les  affaires  militaires  :  expédition  de 
1589  contre  l'Espagne  et  le  Portugal  ;  négociations  et  ententes  avec  les 
puissances  protestantes  du  continent;  expédition  deWilloughby,  de 
Norris  et  d'Essex  en  France;  campagnes  aux  Pays-Bas  (1589-1592). 
La  troisième  partie  traite  des  voyages  d'exploration  vers  le  nord-est  et 
le  nord-ouest,  des  expéditions  maritimes  des  Anglais  dans  la  Médi- 
terranée, sur  la  côte  d'Afrique,  aux  Indes  orientales.  Une  quatrième 
partie,  étroitement  rattachée  à  la  troisième,  est  consacrée  à  l'exercice 
du  droit  de  représailles  sur  mer,  à  la  course  et  à  la  piraterie,  enfin  à 
la  guerre  navale  contre  l'Espagne  (1589-1596).  C'est,  comme  on  le 
voit,  une  sorte  de  continuation  de  la  grande  œuvre  de  Fronde  que 
nous  donne  le  professeur  américain.  M.  Cheyney  nest  pas  aussi 
richement  documenté  que  Tétait  Froude.  Si  l'on  excepte  le  State 
papers  office,  il  n'a  pas  fouillé  les  archives  étrangères;  son  infor- 
mation est  puisée  surtout  dans  les  recueils  de  documents  déjà  impri- 
més. D'autre  part,  son  style,  simple,  clair,  précis,  n'a  pas  le  relief  et 
l'éclat  qui  donnent  tant  de  valeur  à  l'œuvre  de  son  prédécesseur. 
Mais  il  l'emporte  par  la  sérénité  et  l'équité  de  ses  jugements;  il  n'a 
pas  les  partis  pris  violents  de  Froude  ni  sa  foi  intolérante  dans  les 
destinées  nécessaires  du  peuple  anglais.  S'il  montre  que  les  violences 
sur  mer  étaient  pratiquées  au  xvi'^  siècle  par  toutes  les  nations  mari- 
times de  l'Europe,  il  ne  laisse  pas  ignorer  que  certains  excès  com- 
mis par  Hawkins  ou  Drake  ont  légitimement  contribué  à  donner 
aux  Anglais  le  renom  de  pirates  qu'on  leur  prodiguait  alors  sur  le 
continent.  Le  volume  s'arrête  sur  un  épisode  qui  caractérise  bien  les 

1.  Edward  P.  Cheyney,  A  hislory  of  England,  from  Ihe  defeat  of  Ihe  Armada 
to  the  dentli  of  Elizabeth;  wilh  an  account  of  english  institutions  during  the 
latcr  sixteentL  and  early  seventeenth  centuries,  t.  I.  Londres,  New-York,  Bom- 
bay, Longrnans,  1914.  In-8°,  x-560  p.  Prix  :  IG  sh. 


200  BULLETIN    HISTORIQUE. 

mœurs  internationales  du  moment  :  de  1589  à  1596,  la  guerre  mari- 
time n'a  cessé  de  sévir  entre  l'Angleterre  et  l'Espagne,  mais  sans 
mettre  directement  aux  prises  ces  deux  puissances.  Une  fois  de  plus, 
la  circonspection  de  Philippe  II  lui  fut  fatale  ;  il  laissa  l'Angleterre 
prendre  l'offensive  et  bientôt  le  désastre  de  Cadix  vint  lui  rappeler 
que  la  fortune  favorise  les  audacieux. 

Un  autre  érudit  américain,  M.  Usher^  professeur  à  l'Université 
Washington  de  Saint-Louis,  a  soumis  à  une  critique  approfondie 
l'histoire  de  la  cour  dite  de  Haute-Commission.  L'origine  de  ce  tri- 
bunal doit  être  cherchée  dans  les  commissions  temporaires  instituées 
après  que  Henri  VIII,  ayant  pris  le  titre  de  chef  suprême  de  l'Église 
en  Angleterre,  s'arrogea  un  droit  de  juridiction  suprême;  elles 
eurent  pour  objet  la  suppression  de  l'hérésie  et  le  maintien  de  l'or- 
ganisation ecclésiastique.  Leur  œuvre  commença  en  1535  et  on 
les  vit  servir  d'instruments  d'abord  à  Henri  VIII  pour  combattre 
l'hérésie  conformément  aux  canons  de  l'Église  romaine;  puis  à 
Edouard  VI  pour  dépouiller  le  clergé  séculier  et  imposer  l'observa- 
tion des  quarante-deux  articles  ;  à  Marie  I''^  pour  écarter  les  évêques 
nommés  par  Edouard  VI  ;  enfin  à  Elisabeth  pour  renverser  l'œuvre 
de  restauration  catholique  et  pour  rétablir  les  actes  de  suprématie  et 
d'uniformité^.  A  partir  de  1565,  quand  l'Église  anglicane  eut  été  défi- 
nitivement restaurée,  une  commission,  que  l'usage  tendit  de  plus  en 
plus  à  nommer  la  Haute- Commission  2,  commença  de  fonctionner 
d'une  façon  permanente  dans  la  province  de  Canterbury;  elle  devint 
une  cour  de  justice  à  laquelle  beaucoup  de  particuliers  s'adressèrent 
volontiers,  parce  que  sa  procédure  était  plus  expéditive  et  ses  pénali- 
tés moins  rigoureuses  que  devant  les  tribunaux  ordinaires.  A  la  fin 
du  siècle,  elle  était  complètement  organisée.  Mais  déjà  elle  était  en 
butte  à  l'animosité  des  Puritains,  qu'elle  persécutait  et  qui  refu- 
saient de  lui  reconnaître  le  caractère  légal  d'une  cour  de  justice.  Sous 
Jacques  P',  elle  rencontra  une  opposition  plus  redoutable  encore 
chez  les  juges  des  tribunaux  ordinaires,  ceux  qui  administraient  la 
«  Common  law  »,  en  particulier  chez  le  fougueux  Coke;  mais,  si  le 
chef-juge  pouvait  prétendre  que  l'existence  de  cette  cour  était  con- 
traire aux  statuts  du  royaume,  elle  trouvait  un  abri  sûr  derrière  les 
lettres  patentes  qui  l'avaient  instituée.  L'autorité  royale  était  alors 
trop  forte  pour  que  des  magistrats  pussent  l'ébranler.  La  cour  sub- 
sista donc,  toujours  très  appréciée  d'ailleurs  par  les  plaideurs  eux- 

1.  Roland  G.  Usher,  The  rise  and  fall  of  the  High  Commission.'  Oxford, 
at  the  Clarendon  Press,  1913.  Ia-8%  380  p.  Prix  :  15  sh. 

2.  Voir  p.  25-26. 

3.  L'histoire  du  mot  a  été  complètement  traitée  en  appendice  au  chapitre  i. 


HISTOIRE    I)E    GRANDE-BRETAGNE.  201 

mêmes  ;  sous  l'influence  de  Laud,  elle  rendit  de  réels  services,  que 
M.  Usher  met  hors  de  conteste  par  une  étude  minutieuse  de  ses 
actes  et  de  sa  procédure.  Mais  les  attaques  dirigées  contre  elle  par  les 
Puritains  l'avaient  déconsidérée  aux  yeux  de  Topinion  la  plus  avan- 
cée; de  plus,  comme  son  personnel  avait  avec  celui  de  la  Chambre 
étoilée  d'étroites  relations,  on  la  rendit  responsable  des  violences  com- 
mises par  cette  dernière  et  elle  fut  renversée  avec  elle  dès  que  le  Par- 
lement fut  assez  fort  pour  briser  les  instruments  de  règne  que  s'était 
forgés  la  tyrannie  des  Tudors. 

Voici  maintenant  les  Puritains  au  pouvoir.  Comment  ont-ils  réor- 
ganisé l'Église  et  les  Universités,  si  étroitement  unies  alors  à 
l'Église?  Comment  Tépiscopat  fut-il  supprimé?  Quel  fut  le  sort  des 
membres  du  clergé  pendant  les  dernières  années  de  la  République 
et  sous  le  protectorat  de  Cromwell?  Ces  divers  points  ont  été  traités 
avec  une  compétence  éclairée  par  un  des  élèves  de  M.  Firth,  M.  Tat- 
ham'.  Le  chapitre  vu,  qui  traite  de  la  hberté  religieuse  sous  les 
Puritains,  affligera  ceux  aux  yeux  de  qui  l'idée  de  liberté  est  insépa- 
rable de  ridée  de  tolérance. 

En  1656  parut,  sous  forme  de  roman,  un  traité  sur  les  principes 
de  l'organisation  qu'il  convenait  de  donner  à  l'Angleterre;  c'est 
YOceana.  de  James  Harrington.  «  Oceana  »,  c'est  la  fille  même  de 
l'Océan,  c'est  l'Angleterre;  mais  l'Angleterre  du  Protecteur,  au 
moment  précis  où  Cromwell  (désigné  sous  le  nom  d'Olphaus  Mega- 
leton  sentait  le  besoin  de  donner  des  institutions  définitives  à  l'Etat 
qu'il  dominait  de  toute  la  hauteur  de  son  génie.  La  solution  que  lui 
apportait  Harrington  a  été  étudiée  d'une  façon  fort  instructive  par 
M.  Smith  2,  Harrington  était  un  républicain  et  un  aristocrate.  Il 
avait  servi  fidèlement  Charles  P""  et  avait  su,  en  dépit  de  ses  opi- 
nions, se  concilier  les  bonnes  grâces  du  roi  prisonnier;  mais  c'était 
un  théoricien  pour  qui  la  science  de  la  politique  a  pour  base  la  supré- 
matie de  la  loi  et  non  d'un  homme.  Tout  pouvoir,  d'après  lui,  repose 
sur  la  propriété  foncière;  la  diversité  des  formes  politiques  est  en 
raison  de  la  distribution  différente  du  sol.  Si  une  seule  personne 
possède  tout  le  territoire  d'un  pays  le  gouvernement  est  monar- 
chique; il  est  démocratique  si  la  terre  appartient  au  peuple  seul;  il 
est  mixte  si  le  sol  appartient  au  roi  et  à  un  nombre  limité  de  pro- 

1.  G.  B.  Tatham,  The  Puritans  in  power.  A  study  in  the  history  of  tfie 
English  church  from  Î6i0  to  1660.  Cambridge,  at  the  University  Press,  1913. 
In-8%  282  p.  Prix  :  7  sh.  6  d. 

2.  H.  F.  Russell  Sinilli,  Harrington  and  his  Oceana.  A  study  ofthe  llth  cen- 
tury  Utopia  and  Us  influence  in  America.  Cambridge,  al  tlie  University  Press, 
1914.  In-8%  223  p.  Prix  :  6  sh.  6  d. 


202  BULLETIN    HISTORIQUE. 

priétaires.  Au  pays  d'Oceana,  le  système  de  tenure  féodale  introduit 
par  le  Conquérant  a  institué  un  régime  illogique  et  périssable.  Une 
nouvelle  loi  agraire  doit  donc  être  le  fondement  du  nouveau  régime 
établi  dans  un  rapport  exact  avec  le  nombre  et  la  qualité  des  pro- 
priétaires fonciers.  Voilà  un  premier  principe  ;  en  voici  un  second  : 
un  gouvernement  s'use  quand  il  est  toujours  manié  par  les  mêmes 
mains;  pour  qu'il  se  renouvelle,  il  faut  séparer  les  pouvoirs  et  en 
investir  les  citoyens  à  tour  de  rôle.  Ces  idées,  Harrington  les  a  pui- 
sées en  partie  dans  ses  lectures  :  Ja  Politique  d'Aristote,  le  Prince 
de  Machiavel,  qu'il  admire  plus  que  tous  les  autres,  les  œuvres  de 
Bacon  et  de  Grotius  ;  en  partie  dans  ses  voyages,  car  les  Pays-Bas 
et  Venise  qu'il  a  visités  lui  ont  fourni  ses  principaux  modèles.  Les 
lois  agraires  des  Romains,  et  mieux  encore  celles  qui  avaient 
réparti  et  qui  régissaient  les  terres  irlandaises  conquises  par  les 
soldats  de  Cromwell  lui  ont  servi  pour  ainsi  dire  de  champs  d'ex- 
périence. Tout  un  chapitre  (le  chapitre  m)  expose  en  détail  les 
idées  politiques  de  Harrington  sur  les  conséquences  sociales  de 
la  loi  agraire  et  sur  les  remèdes  qu'il  propose  pour  restaurer 
l'ordre  politique  au  pays  d'Oceana.  M.  Smith  montre  ensuite  que,  si 
ces  théories  et  ces  remèdes  ne  furent  pas  appliqués  en  Angleterre, 
ils  ont  exercé  une  réelle  influence  en  Amérique,  soit  au  moment  où 
certaines  colonies  telles  que  la  Caroline,  le  New- Jersey,  la  Pennsyl- 
vanie reçurent  leur  constitution  au  xvii*^  siècle,  soit  au  moment  de 
la  déclaration  de  l'indépendance,  en  1776.  John  Adams,  le  second 
président  des  Etats-Unis,  était  un  admirateur  de  Harrington.  En 
France,  Siéyès  le  connut  aussi  et  l'apprécia.  Si  M.  Smith  se  trompe 
en  croyant  que  la  division  de  la  France  en  départements  a  été  réel- 
lement opérée  d'après  un  tracé  géométrique  rigoureusement  observé, 
du  moins  a-t-il  eu  raison  de  signaler  les  emprunts  faits  par  Siéyès  à 
l'utopiste  anglais,  notamment  dans  son  projet  de  constitution  de 
l'an  VIII. 

Il  serait  sans  doute  malaisé  de  présenter  un  résumé  plus  clair  et 
plus  précis  de  l'histoire  d'Angleterre  au  xix''  siècle  que  dans  le 
volume  rédigé  par  M.  Marriott  pour  la  collection  Oman'.  A  vrai 

1.  J.  A.  K.  Marriott,  England  since  Waterloo.  Londres,  Methuen,  1913.  In-8°, 
xxi-558  p.  Prix  :  10  sh.  6  d.  Le  volume  forme  le  tome  Vil  et  dernier  de  la 
History  of  England  in  seven  volumes;  il  commence  au  lendemain  de  Water- 
loo et  se  termine  à  la  mort  de  la  reine  Victoria  (1815-1901).  Dix  cartes  le  com- 
plètent; on  appréciera  notamment  celles  qui  montrent  les  transformations  du 
pays  électoral  depuis  le  «  Reform  bill  »  de  1832.  L'histoire  de  cette  loi,  si 
importante  pour  la  transformation  sociale  de  l'Angleterre,  a  été  écrite  d'après 
des  documents  nouveaux  par  M.  J.  R.  M.  Butler  dans  un  livre  :  The  passing 
of  Ihe  Greut  reform  bill  (Longmans),  qui  ne  nous  est  point  parvenu. 


HISTOIRE    DE   GRA>DE-BaETAGNE.  203 

dire,  cet  ouvrage  eût  été  mieux  en  harmonie  avec  l'entreprise  concur- 
rente de  VHistoire  politique  publiée  parla  maison  Longmans,  car 
]M.  Marriott  omet  presque  complètement  tout  ce  qui  se  rapporte  au 
mouvement  intellectuel,  à  la  «  civilisation  »  si  Ton  veut.  Na-t-il  pas 
pu  ou  su  se  ménager  la  place  nécessaire  pour  esquisser  au  moins 
cette  face  de  Ihistoire?  Quoi  qu'il  en  soit,  le  tableau  qu'il  trace 
des  événements  politiques  et  parlementaires,  nourri  de  faits,  vivant 
et  judicieux,  termine  dignement  la  remarquable  collection  dirigée 
par  M.  Charles  Oman. 

Institutions.  —  Signalons  en  tout  premier  lieu  un  excellent 
manuel  d'histoire  constitutionnelle  par  M.  Hatschek,  professeur  à 
l'Université  de  Gœttingue'.  Il  est  divisé  en  quatre  parties  correspon- 
dant à  autant  de  périodes  historiques  :  la  première,  où  dominent  les 
conceptions  féodales  et  qui,  comprenant  toute  l'époque  anglo-saxonne, 
se  prolonge  jusqu'à  la  fin  du  xiir' siècle;  la  seconde,  caractérisée  par 
l'assemblée  des  États  du  royaume  ou  Parlement,  qui  occupe  tout  le 
xiv'^  et  le  xv*"  siècle;  la  troisième,  où  la  monarchie,  absolue  ou  cons- 
titutionnelle, lutte  pour  la  suprématie  politique  (1485-1714)  ;  la  qua- 
trième enfin,  où  le  pouvoir  est  exercé  par  le  roi  et  le  Parlement.  Le 
livre  s'arrête  à  l'avènement  de  la  reine  Victoria.  Chacune  des  quatre 
parties  est  divisée  en  un  nombre  à  peu  près  égal  de  chapitres  qui  se 
suivent  toujours  dans  le  même  ordre.  Ce  plan  un  peu  rigide  ne 
laisse  pas  d'être  monotone;  mais  le  Uvre  est  si  substantiel  que  ce 
défaut  ne  choque  pas.  Clair,  précis,  exempt  de  longueurs,  il  inspire 
toute  confiance  parce  qu'on  sent  que  l'auteur,  s'il  a  lu  beaucoup 
d'ouvrages,  n'appuie  son  opinion  que  sur  les  textes  et  qu'il  choisit 
les  plus  significatifs  pour  les  citer  et  les  analyser.  S'il  fournit  moins 
de  détails  techniques  que  le  traité  (ou  les  traités)  de  Gneist,  il  met  en 
meilleure  lumière  le  développement  des  institutions.  Il  se  place 
d'ailleurs  à  un  point  de  vue  différent.  Gneist  était  préoccupé  de  l'idée 
du  selfgovernment  et  il  s'ingéniait  à  en  montrer  les  rouages; 
mais  l'histoire  de  la  constitution  anglaise  ne  saurait  se  renfermer 
dans  celle  du  selfgovernment.  En  écrivant  sur  l'Angleterre, 
Gneist  pensait  surtout  à  la  Prusse;  M.  Hatschek  fait  mieux  com- 
prendre l'ancienne  constitution  par  des  rapprochements  fréquents 
avec  les  institutions  de  l'AUemagne  et  delà  France.  Il  était  d'autant 
plus  autorisé  à  refaire  l'œuvre  de  son  illustre  devancier  que,  depuis 
trente  ans,  nombre  de  documents  nouveaux  ont  été  produits  et  que 

l.  Julius  Hatschek,  Englische  VerfassungsgeschicfUe  bis  zum  Regierungs- 
(intrill  (1er  Kônlgin  Victoria.  Munich  et  Berlin,  Oldenbuif;,  1913.  In-8°,  x-761  p. 
Prix  :  18  m.  (Fait  partie  du  Handbuck  der  miUelaUerlichcn  und  neueren  Ge- 
schichle,  publ.  par  G.  von  lielow  et  F.  Meinecke.) 


20'l  BULLETIN    HISTORIQUE. 

les  idées  se  sont  modifiées  sur  plusieurs  points  importants.  Ce  n'est 
pas  manquer  de  respect  à  la  mémoire  de  Gneist  que  de  constater 
qu'il  a  vieilli.  N'en  peut-on  dire  autant  Jusqu'à  un  certain  point  de 
Stubbs  lui-même? 

Après  avoir  étudié  dans  des  volumes  qui  ont  fait  époque  l'organi- 
sation sociale  de  la  tribu  celtique  et  le  communisme  agraire  dans 
l'Angleterre  bretonne,  anglo-saxonne  et  anglo-normande,  M.  See- 
BOHM  a  fait  porter  ses  recherches  sur  un  point  particulier  de  sa  vaste 
enquête'  ;  il  a  constaté  que  la  mesure  de  superflcie  appelée,  suivant 
les  pays,  jugerum,  arpent,  acre,  forme  une  unité  d'une  importance 
capitale  dans  l'histoire  des  communautés  primitives.  Il  a  donc  entre- 
pris d'en  déterminer  les  dimensions  et  la  forme  géométrique;  il  a 
montré  que  ces  mots  représentent  des  parcelles  de  terrain  rectangu- 
laires, d'égale  superficie,  entre  lesquelles  était  divisé  le  territoire  d'une 
tribu,  plus  tard  d'un  manoir;  que  cette  division  du  sol,  peut-être 
déjà  existante  à  l'époque  où  les  tribus  étaient  encore  soumises  aux 
conditions  de  la  vie  pastorale,  s'est  généralisée  quand  la  culture  du 
blé  commença  de  se  développer  à  côté  du  pâturage.  Les  hommes 
hbres,  propriétaires  de  ces  parcelles  (acre,  bide  ou  arpent),  s'asso- 
ciaient pour  la  culture  en  commun,  les  champs  sans  clôtures  élant 
séparés  par  de  simples  bandes  de  terrain  que  la  charrue  n'entamait 
point.  C'est  Yopen  field  System,  avec  sa  rotation  biennale  ou 
triennale  si  bien  décrite  par  M.  Seebohm  dans  un  de  ses  premiers 
ouvrages.  Dans  cet  état  économique,  l'acre  est  l'unité  fondamentale; 
elle  paraît  représenter  la  quantité  de  sol  que  l'on  peut  cultiver  avec 
une  charrue  attelée  de  huit  bœufs;  c'est  aussi  une  unité  financière  en 
ce  sens  que  celui  qui  la  possède  doit  au  chef  de  la  tribu  des  rede- 
vances fixes  en  nature.  Elle  est  la  base  fondamentale  de  l'organisa- 
tion sociale  et  économique  de  la  tribu  ;  mais  elle  a  survécu  au  régime 
de  la  tribu,  car  on  la  retrouve  encore  à  la  base  de  l'organisation 
manoriale  avec  son  mode  de  culture  en  commun  et  ses  redevances 
féodales.  L'importance  historique  de  l'acre,  telle  que  l'avait  déter- 
minée la  coutume,  n'est  pas  cependant  l'objet  propre  du  présent 
livre  dans  l'état  d'achèvement  où  il  nous  est  parvenu^  ;  c'est  la  forme 
géométrique,  ce  sont  les  dimensions  de  l'acre  elle-même,  ce  sont  les 
mesures  linéaires  qui  ont  servi  à  en  tracer  les  contours  qu'étudie 

1.  Frédéric  Seebohm,  Cuslomary  acres  and  their  Iiistorical  importance. 
Being  a  séries  of  unfinished  essays.  Londres,  Longrnans,  1914.  In-8°,  xiii-274  p. 
Prix  :  12  sh.  6  d. 

2.  M.  Seebohm  est  mort  en  1912;  c'est  h  son  fils  Hugh  E.  Seebohm  que  l'on 
doit  cette  publication  qui  lui  vaudra  la  reconnaissance  des  érudits. 


HISTOIRE   DE   GRANDE-BRETAGNE.  205 

M.  Seebohm  dans  une  série  de  dissertations  sur  les  divisions  du  sol 
employées  dans  Tantiquilé  classique;  et  spécialement  chez  les  Celtes 
[Gallois,  Irlandais,  Bretons  armoricains),  en  Angleterre  et  dans  l'an- 
cienne France.  Dissertations  tout  à  fait  techniques,  accompagnées 
de  figures  géométriques,  de  cartes  et  de  chilîres  où  se  complairait 
sans  doute  un  Guilhiermoz  ou  un  Brutails'.  Tout  ce  que  j'oserai 
en  dire,  c'est  que  la  critique  de  l'auteur  parait  parfois  fort  subtile, 
qu'il  faut  lui  concéder  certains  postulats  dont  l'évidence  ne  semble 
pas  incontestable  et  que  les  résultats,  si  frappants  ou  brillants 
qu'ils  soient,  de  ses  opérations  arithmétiques  laissent  subsister  dans 
l'esprit  quelque  inquiétude. 

La  thèse  de  M.  Pasquet  sur  les  origines  de  la  Chambre  des  Com- 
munes^ est  une  étude  bien  conduite,  fondée  sur  une  connaissance 
étendue  des  textes,  écrite  avec  une  précision  simple  et  élégante,  très 
judicieuse  dans  ses  conclusions.  Les  Communes  étant  la  chambre 
des  représentants,  l'auteur  a  commencé  par  rechercher  les  origines 
du  système  de  la  représentation;  il  montre  que  ce  système  était 
constamment  suivi  dans  les  cours  du  comté  où  étaient,  à  chaque 
session,  appelés  des  chevaliers  et  même  des  délégués  des  communautés 
rurales  et  urbaines;  que,  peu  à  peu,  il  s'introduisit  au  Parlement  où, 

1.  Un  résumé  de  la  table  des  matières  peut  donner  une  idée  du  riche  con- 
tenu de  l'ouvrage.  1"  partie  :  Témoignages  bretons  et  irlandais  :  i,  les  unités 
de  tribut  et  de  contribution  en  nature  usitées  en  Galles  (le  tref,  le  milltyr 
ou  parasange  de  trois  lieues  gauloises,  Verw,  le  tref  et  le  manenol  des  codes 
gallois);  ii,  les  unités  de  tribut  et  de  contribution  en  nature  en  Irlande  (des 
mesures  mentionnées  dans  les  lois  des  Bretons,  le  tir-mmail  et  le  trlchaced); 
iir,  les  unités  de  tribut  dans  l'Ecosse  gaélique;  iv,  les  unités  de  tribut  dans  le 
Domesday  book  (\aijer  de  Cornwall,  la  carucata,  la  hida).  1"  partie  :  Le  vieux 
mille  breton.  3"  partie  :  Des  diiïérentes  acres  usitées  en  Bretagne,  en  Irlande 
et  en  Armorique  ;  Yopen  field  system  dans  la  Bretagne  armoricaine  et  les 
acres  usitées  dans  les  régions  agricoles  de  l'ancienne  France,  aux  bouches  du 
Pô  et  du  Danube.  4"  partie  :  Des  difTérentes  acres  usitées  dans  l'Europe  sep- 
tentrionale (la  slimde  ou  la  parasange)  et  orientale  (la  verste),  dans  les  Pays- 
Bas;  de  l'origine  orientale  des  jiarasanges  européennes.  5°  i)artie  :  Des  unités 
territoriales  dans  le  bassin  de  la  Méditerranée  :  la  charrue  homérique;  les  uni- 
tés territoriales  de  l'Egypte;  les  traces  de  colonisation  grecque  en  Grande- 
Grèce  et  en  Sicile;  les  unités  agraires  en  Italie;  le  rorsiis  latin  et  son  exten- 
sion dans  le  district  ligure  à  l'ouest  des  Alpes-Maritimes;  les  unités  agraires 
en  Espagne  et  dans  les  pays  compris  entre  la  Loire  et  la  Garonne.  6°  partie  : 
Le  problème  des  acres  usitées  chez  les  Celtes  bretons  et  armoricains. 

2.  D.  Pasquet,  Essai  sur  les  origines  de  la  Chambre  des  Communes.  Thèse 
compléiiienlairc  pour  le  doctorat  es  lettres.  Paris,  A.  Colin,  l'.)14.  In-S",  271  p. 
L'autre  thèse  de  M.  Pasquet  est  intitulée  :  Londres  el  les  ouvriers  de  Londres. 
11  en  sera  rendu  compte  prochainement. 


206  BULLETIN    niSTORIQUE. 

depuis  Jean  Sans-Terre,  la  royauté  crut  nécessaire  de  convoquer  de 
temps  à  autre  les  représentants  élus  de  la  petite  noblesse  et  des  villes 
pour  traiter  concurremment  avec  les  meml^res  du  haut  clergé  et  les 
barons  certaines  affaires  touchant  le  royaume.  Chacun  de  ces  cas 
particuliers  est  discuté  à  sa  place  et  mis  en  bonne  lumière  ' .  M.  Pas- 
quet  prouve  par  exemple,  contre  M.  G.  B.  Adams,  qu'avant  1264  la 
convocation  de  ces  délégués  avait  un  caractère  nettement  représen- 
tatif. Pour  le  règne  d'Edouard  P'',  il  fait  ressortir  l'importance  du 
précédent  de  1275,  que  nous  ont  révélé  les  brefs  de  convocation 
découverts  et  publiés  par  M.  Jenkinson  2.  Le  roi  y  appela  quatre 
chevaliers  pour  chaque  comté  et  quatre  ou  six  citoyens  ou  bourgeois 
des  «  cités,  bourgs  et  villes  de  marché  ».  C'était  un  parlement  com- 
plet, antérieur  de  vingt  ans  au  «  parlement  modèle  »  de  1295;  et  ici 
encore  on  montre  que  ce  parlement  de  1295  n'a  pas  été  le  modèle 
suivi  par  tous  les  autres  parlements  convoqués  pendant  les  douze 
dernières  années  du  règne.  Aussi  le  magistral  exposé  de  Stubbs 
doit-il  être  modifié  sur  certains  points.  Dernier  problème,  le  plus 
délicat  de  tous  :  pourquoi  Edouard  P''  a-t-il  convoqué  les  représen- 
tants des  Communes?  M.  Pasquet  soumet  à  une  critique  serrée  et 
fort  instructive  les  opinions  présentées  par  les  auteurs  les  plus  auto- 
risés et  il  se  rappi'oche  en  somme  beaucoup  de  celle  qu'a  présentée 
le  D""  Ludwig  Riess^,  mais  en  lui  donnant  plus  d'ampleur.  Tout 
d'abord,   il  faut  bien  se  pénétrer  de  cette  vérité  que  l'appel  des 
représentants  des  Communes  au  Parlement  a  été  un  acte  dû  à  l'ini- 
tiative royale.  Les  députés  sont  convoqués  au  Parlement  comme  les 
nobles  sont  convoqués  à  l'armée  ;  ils  sont  tenus  dy  venir  :  c'est  une 
obligation  de  caractère  féodal.  L'assistance  des  représentants  des 
villes  est  si  bien  une  fonction  obligatoire  qu'ils  doivent  fournir  des 
cautions,  dont  le  nom  est  soigneusement  consigné  sur  les  rôles  du 
Parlement  à  la  suite  du  nom  des  députés  élus.  Et  les  cas  ne  sont  pas 
rares  oîi  des  villes  essayèrent  d'échapper  à  l'obligation  parlementaire. 
On  ne  saurait  trop  insister  sur  ce  point,  car  rien  ne  montre  mieux 
combien  le  Parlement  du  xiii^  siècle  ressemble  peu  à  celui  des  temps 

1.  Ajouter  les  textes  fort  signiflcatifs  qui  ont  été  signalés  par  M.  Whitedans 
deux  articles  de  Y  American  historkal  Review;  le  premier  (octobre  1911;  cf. 
Pasquet,  p.  50)  intitulé  :  «  La  première  concentration  des  jurys  »  ;  le  second 
(juillet  1914)  intitulé  :  «  Quelques  exemples  de  la  concentration  des  représen- 
tants au  Parlement  d'Angleterre.  « 

2.  English  historical  Bevieiv,  avril  1910.  Cf.  Stubbs,  Sclecl  Charters,  9°  édi- 
tion, p.  440. 

3.  Der  Ursprung  des  englischen  Vnterhauses,  dans  Historische  Zeitschrifl, 
1888. 


HISTOIRE    DE   GRANDE-BRETAGNE.  207 

modernes.  Pourquoi  donc  le  roi  impose-t-il  cette  obligation?  Pour 
associer  tous  ses  sujets  à  son  œuvre  politique  et  législative"?  Qui 
pourrait  le  croire,  surtout  d'un  prince  comme  Edouard  P^  qui  ne 
concevait  guère  de  limites  à  son  autorité  souveraine?  Ce  n'était  pas 
pour  diminuer  son  pouvoir,  mais  pour  servir  ses  desseins  qu'il  con- 
voquait les  représentants  élus  de  la  nation  ;  il  voulait  par  ce  moyen 
faciliter  le  rendement  de  l'aide  féodale  demandée  aux  nobles  et 
de  la  taille  levée  sur  les  bourgeois,  assurer  la  bonne  administra- 
tion de  la  justice,  répondre  aux  pétitions  adressées  de  toutes  parts 
à  la  royauté.  A  cet  égard,  le  titre  de  la  publication  officielle  des  rôles 
du  Parlement  est  significatif  :  Rotull  parliamentorum,  ut  et 
2Detitiones  in  pa.rUamento.  M.  Pasquet  en  arrive  à  discerner  dans 
la  politique  d'Edouard  I"  une  conception  nouvelle  des  rapports 
entre  le  roi  et  ses  sujets.  «  Si  l'on  hésitait  »,  dit-il  avec  son  ordinaire 
prudence,  «  à  employer  des  termes  qui  sont  nécessairement  des 
anachronismes,  on  serait  tenté  de  dire  que  le  but  d'Edouard  P', 
pendant  tout  son  règne,  a  été  de  transformer  ses  vassaux  et  ses 
arrière-vassaux  en  sujets  et  les  aides  féodales  en  impôts,  et  que  la 
convocation  des  députés  des  Communes  a  été  un  des  moyens  les  plus 
efficaces  qu'il  ait  employés  pour  etîectuer  cette  transformation  » 
(p.  242).  Il  y  a,  je  crois,  une  grande  part  de  vérité  dans  cette  affir- 
mation; mais  la  preuve  en  est  difficile  à  donner.  D'autre  part,  je 
suis  en  plein  accord  avec  M.  Pasquet  quand  il  écrit  en  terminant  : 
<(  Lorsque  l'aristocratie  fut  écr.asée  à  la  fin  du  xv^  siècle  et  que  la 
royauté  parut  devenir  toute-puissante,  il  était,  en  réalité,  trop  tard 
pour  que  le  pouvoir  absolu  put  s'établir  en  Angleterre.  Les  anciennes 
formes,  consacrées  par  deux  siècles  de  pratique,  résistèrent  au  despo- 
tisme des  Tudors;  au  xvii^  siècle,  l'institution  dont  Edouard  P' 
avait  voulu  faire  un  des  soutiens  de  l'autorité  royale  se  retourna 
contre  le  roi.  » 

De  même  que  la  petite  noblesse  des  comtés  et  la  bourgeoisie  des 
villes  furent  sommées  d'envoyer  au  Parlement  des  députés  élus,  de 
même  aussi  le  fut  le  bas  clergé;  les  chapitres,  le  clergé  paroissial 
durent  envoyer  leurs  représentants,  avec  pleins  pouvoirs,  soit  à  cer- 
tains Parlements  du  royaume,  soit  dans  ces  assemblées  des  pro- 
vinces ecclésiastiques  de  Canterbury  et  d'York  désignées  plus  parti- 
culièrement par  le  nom  de  Convocations.  Les  origines  de  cette 
représentation  ont  été  étudiées  par  M.  Bauker^  Il  les  trouve  dans 

1.  Einest  Barker,  The  Dominican  order  and  Convocation.  Oxlord,  al  llio 
Clarendon  Press,  1914.  ln-8°,  83  p.  Prix  :  3  sh. 


208  BOLLETIN    niSTORIQDE. 

l'organisation  quasi  démocratique  des  Dominicains,  puis  des  Fran- 
ciscains, leurs  imitateurs,  et  c'est,  d'après  lui,  en  1226,  c'est-à-dire 
juste  après  l'arrivée  en  Angleterre  des  ordres  mendiants,  que  le  prin- 
cipe de  la  représentation  fut  appliqué  dans  les  assemblées  du  clergé. 
Sur  ce  point,  M.  Barker  émet  des  idées  ingénieuses  et  met  en  bonne 
lumière  des  faits  intéressants.  Mais  il  va  plus  loin  en  prétendant  que 
la  représentation  parlementaire  a  précisément  son  origine  dans  cette 
représentation  cléricale.  C'est  la  pratique  suivie  dans  l'Ordre  domi- 
nicain qui,  d'après  lui,  aurait  servi  d'exemple  à  celle  qu'on  a  vue 
fonctionner  dans  les  parlements  du  royaume.  M.  Pasquet  a  opposé 
à  cette  théorie  séduisante,  mais  paradoxale,  des  arguments  convain- 
cants et  je  ne  puis  qu'y  renvoyer. 

Ne  quittons  pas  l'hisloiredu  Parlement  sans  mentionner  une  inté- 
ressante étude  sur  la  Chambre  des  Lords  pendant  le  règne  de  Guil- 
laume III,  par  M.  Turberville'.  Le  plan  n'en  est  pas  heureux; 
l'auteur  décrit  d'abord  la  composition  de  cette  Chambre  et  les  chan- 
gements, somme  toute  peu  considérables  (sauf  en  ce  qui  regarde  les 
pairs  ecclésiastiques,  dont  elle  fut  lobjet,  la  situation  sociale  des 
pairs,  les  privilèges  dont  ils  jouissaient  au  Parlement,  les  pouvoirs 
judiciaires  dont  ils  étaient  armés;  puis  il  nous  parle  de  la  révolution 
de  1689  et  des  modifications  qu'elle  introduisit  dans  la  constitution. 
N'aurait-il  pas  été  plus  logique  de  suivre  Tordre  inverse?  Quoi 
qu'il  en  soit,  l'ouvrage  se  lit  avec  profit,  parfois  avec  agrément. 
L'auteur  montre  avec  justesse  que  la  révolution  de  1689  eut  un 
caractère  essentiellement  aristocratique,  qu'elle  opposa  non  pas  les 
deux  partis  historiques,  car  les  Whigs  ni  les  Tories  ne  comptaient 
pas  encore  comme  des  partis  organisés  (à  la  mort  de  la  reine  Anne, 
la  majorité  des  Lords  était  tory  et  non  whig),  mais  les  deux  chambres 
du  Parlement,  et  que  la  chambre  haute  l'emporta  sur  la  chambre 
basse  par  sa  puissance  territoriale,  la  solidarité  de  ses  membres,  sa 
supériorité  intellectuelle;  enfin,  que  le  pouvoir  royal  ne  sortit  pas 
diminué  de  la  révolution.  Etranger  aux  passions  des  partis  politiques 
et  des  sectes  religieuses,  Guillaume  III  ne  fut  le  prisonnier  de  per- 
sonne. Son  avènement  marque  seulement  la  défaite  du  pouvoir  absolu 
et  du  papisme. 

La  Chancellerie  et  l'Echiquier  sont,  comme  on  sait,  les  assises 
fondamentales  de  l'administration  royale  au  xiii^  et  au  xiv'^  siècle  :  le 
chancelier  fut  d'abord  comme  l'unique  secrétaire  d'État  du  souverain 

1.  A.  s.  Turberville,  The  Eouse  of  Lords  in  the  reign  of  William  III 
[Oxford  historical  and  literary  studies,  vol.  III).  Oxford,  at  the  Clarendon 
Press,  1913.  In-8%  vi-264  p.  Prix  :  8  sh.  6  d. 


HISTOIRE   DE    GRANDE-BRETAGNE.  209 

et  c'est  dans  ses  bureaux  qu'étaient  rédigés  tous  les  mandements 
royaux  scellés  du  grand  sceau;  à  l'Échiquier  se  concentraient  toutes 
les  affaires  financières  delà  royauté.  Mais  le  roi  vivait  entouré  d'une 
masse  considérable  de  serviteurs;  il  avait  des  intérêts  privés,  une 
fortune  particulière;  pour  entretenir  sa  maison,  diriger  son  person- 
nel, gérer  sa  fortune,  une  nouvelle  administration  aux  nombreux 
rouages  se  développa  peu  à  peu.  Les  services  de  l'hôtel  que  l'on  con- 
naît à  la  cour  des  rois  capétiens  se  retrouvent  à  celle  des  rois  anglais. 
Deux  d'entre  eux  ont  eu  une  importance  que  les  manuels  d'histoire 
administrative  ne  laissent  guère  soupçonner  :  celui  de  la  Chambre  (qui 
n'était  d'abord  que  le  service  de  la  chambre  à  coucher)  et  celui  de  la 
Garde-Robe  (où  s'entassaient  d'abord  les  vêtements  du  roi,  des  per- 
sonnes de  la  famille  royale  et  de  leurs  serviteurs,  les  étoffes  dont  ces 
vêtements  étaient  faits,  les  armes  et  les  bijoux  qui  en  étaient  insé- 
parables). Les  chefs  de  service  :  chambellans,  gardien  de  la  garde- 
robe  royale,  personnes  vivant  en  contact  permanent  avec  le  roi,  en 
arrivèrent  peu  à  peu  à  traiter  avec  leur  maître  même  des  affaires 
générales  du  royaume;  la  Chambre  et  la  Garde-Robe  devinrent  de 
véritables  départements  ministériels.  Dans  la  seconde  moitié  du 
xni''  siècle,  le  chef,  ou  «  gardien  »  («  keeper  »),  de  la  Garde-Robe 
prend  aussi  le  titre  de  trésorier  et  son  importance  est  telle  qu'on  le 
confond  parfois  avec  le  trésorier  de  l'Échiquier,  qui  était  un  des  grands 
officiers  delà  couronne;  sous  ses  ordres  est  placé  un  «  contrôleur  n, 
qui  est  en  même  temps  garde  du  sceau  privé  du  roi  ;  car  le  roi  possède 
une  chancellerie  privée  à  côté  de  la  grande  chancellerie  du  royaume. 
Au  temps  d'Edouard  I",  la  Garde-Robe  est  chargée  de  toutes 
les  dépenses  royales  ;  elle  administre  ce  qu'on  pourrait  appeler  les 
départements  de  la  guerre  et  de  la  marine;  elle  est  chargée  de  la 
correspondance  privée  du  roi  et  du  service  diplomatique.  En  étudiant 
de  près,  dans  ses  archives  mêmes,  l'histoire  et  l'organisation  de  la 
Garde-Robe,  M.  Tout  a  réuni  les  éléments  d'un  travail  d'ensemble 
qui  ne  tardera  sans  doute  pas  à  paraître  et  dont  nous  devons  beau- 
coup attendre.  Il  a  noté'  que  le  règne  d'Edouard  II  marque  une  date 
importante  dans  l'histoire  de  cette  institution;  puis,  élargissant  son 
horizon,  il  s'est  convaincu  que  ce  règne,  troublé  par  tant  de  factions 
et  de  révoltes,  terminé  d'une  façons!  tragique,  fut  à  plusieurs  égards 
un  véritable  point  tournant  dans  le  développement  politique,  admi- 

1.  T.  F.  Tout,   Tlie  place  of  Ihe  reign  of  Edward  11  in  encjlish  history. 
Based  upon  the  Ford  lectures  delivered  in  the  University  of  Oxford  in  1913. 
Manchester,  at  the  University  Press,  1914.  In-8°,  xiv-4il  p.  Prix  :  10  sh.  6  d. 
(Forme  le  n"  XXI  de  la  série  historique  des  publications  de  l'Université.) 
Kev.  IIistor.  UXVIL  2«  fasc.  14 


210  BULLETIN    HISTORIQUE. 

nistratif  et  social  de  FAnglelerre.  Il  exposa  ses  idées  dans  une  suite 
de  conférences  faites  à  Oxford  en  1913  («  Ford  lectures  «),  et  il  a  publié 
ces  conférences  en  un  volume  plein  de  faits,  nourri  d'idées  intéres- 
santes et  qui  Jettent  un  jour  en  partie  nouveau  sur  l'histoire  de  l'An- 
gleterre et  de  ses  institutions  au  moyen  âge. 

Parlant  de  la  Garde-Robe,  :M.  Tout  montre  que  les  ordonnances 
de  1318,  1323,  1326  organisèrent  la  maison  du  roi  telle  qu'elle  exista 
jusqu'à  la  fin  du  xv''  siècle  et  même,  jusqu'à  un  certain  point,  jus- 
qu'à la  réforme  de  1782;  en  particulier,  la  garde  du  sceau  privé  fut 
séparée  de  l'administration  générale  de  la  Garde-Robe  et  devint  un 
véritable  service  public  :  l'Office  du  «  Privy  seal  ».  Il  empiétait  sur  les 
attributions  de  la  Chancellerie.  Un  autre  empiétement,  moins  radi- 
cal, toucha  aussi  l'Échiquier.  En  1300,  l'Échiquier  avait  tenté  de 
s'assurer  le  contrôle  des  finances  privées  du  roi,  comme  il  contrôlait 
déjà  les  finances  publiques,  en  même  temps  qu'il  formulait  cette 
règle  que  le  roi  ne  devait  pour  ses  dépenses  personnelles  compter 
que  sur  ses  revenus  propres.  Mais  comment  distinguer  entre  les 
besoins  personnels  de  l'homme  et  du  souverain?  Et  d'ailleurs  le  sou- 
verain pouvait-il  se  résigner  au  contrôle  qu'on  prétendait  lui  impo- 
ser? Alors,  sous  Edouard  II,  la  Chambre,  dont  l'importance  s'était 
trouvée  très  diminuée  depuis  la  minorité  de  Henri  III,  prit  une 
importance  toute  nouvelle  au  détriment  de  la  Garde-Robe,  dont  plu- 
sieurs ordonnances  '  limitèrent  étroitement  l'autorité  et  les  privilèges. 
Elle  eut  son  sceau,  le  «  secret  seal  »,  sans  doute  imité  du  sceau  du 
secret  employé  à  la  cour  de  Philippe  le  Bel.  Aussi  peut-on  dire 
qu'au  milieu  du  xv"  siècle  l'administration  royale  comptait  quatre 
chancelleries  différentes  :  l°la  grande  chancellerie,  avec  le  grand  sceau; 
2°  le  «  Privy  seal  »  de  la  Garde-Robe  ;  3°  le  «  secret  seal  »  de  la 
Chambre;  4" le  sceau  de  l'Échiquier.  De  là  une  grande  complication 
dans  les  Archives  royales,  complication  telle  que  les  recherches  y 
sont  devenues  fort  difficiles  par  l'énormité  soit  des  rouleaux  de  la 
Chancellerie,  soit  des  liasses  de  l'Échiquier,  par  l'enchevêtrement 
d'administrations  semblables,  rivales  et  séparées,  enfin  par  la  déplo- 
rable pratique  très  longtemps  suivie  au  P.  Record  Office  où,  sous 
prétexte  d'établir  partout  un  ordre  logique,  on  a,  sans  établir  de 
minutieuses  tables  de  concordance,  bouleversé  les  anciens  fonds  et, 
dans  certaines  séries,  créé  un  désordre  presque  inextricable.  Et  nunc 
erudimini  ! 

Remarque  à  longue  portée  faite  par  M.  Tout  :  le  mouvement 

1.  Le  texte  français  de  l'Ordonnance  de  1318  a  été  publié  p.  270-318. 


HISTOIRE   DE   GRANDE-BRETAGNE.  211 

réformateur,  entrepris  par  les  adversaires  d'Edouard  II  et  de  ses 
courtisans,  continua  même  après  la  réaction  de  1322;  il  fut  dirigé 
par  les  courtisans  eux-mêmes,  c'est-à-dire  par  les  Despenser,  qu'il 
faut  considérer  comme  d'intelligents  serviteurs  de  la  couronne;  et 
leur  œuvre  a  survécu  à  leur  disgrâce.  Ainsi  un  mauvais  roi  et  des 
ministres  détestés  ont  contribué,  malgré  eux  peut-être,  mais  de  la 
façon  la  plus  efficace,  à  pousser  l'Angleterre  sur  le  chemin  du  pou- 
voir autocratique  et  centralisateur  qui  fut  la  loi  de  son  développe- 
ment pendant  tout  le  moyen  âge. 

Ce  n'est  pas  d'ailleurs  seulement  en  matière  d'institutions  adminis- 
tratives' que  M.  Tout  voit  ce  caractère  de  transition  féconde  qui 
distingue  pour  lui  le  règne  d'Edouard  II.  C'est  aussi  l'époque  où  déci- 
dément l'emporte  la  tendance  à  ne  considérer  comme  de  vrais  parle- 
ments que  ceux  où  figuraient  les  représentants  élus  des  Communes  ; 
où  l'art  de  la  guerre  se  transforme,  s'il  est  vrai  que  la  bataille  de 
Bannockburn  soit  la  victoire  de  l'infanterie  sur  la  chevalerie  féo- 
dale; où  se  forme  en  Angleterre  une  classe  de  capitalistes  rivale 
des  banquiers  italiens  :  les  Frescobaldi,  les  Bardi;  où  le  commerce 
extérieur,  affranchi  de  la  tutelle  que  faisait  peser  sur  eux  l'exploita- 
tion de  la  douane  affermée  à  ces  étrangers,  est  soumis  au  régime 
nouveau  de  l'Etape  et  impose  son  contrôle  national  aux  marchands 
étrangers  comme  aux  producteurs  indigènes  ;  où  le  pape  (Jean  XXII) 
s'arroge  le  droit  de  nomination  aux  évêchés  anglais.  Sans  doute, 
pour  fortifier  sa  thèse,  M.  Tout  exagère  parfois  l'importance  ou  la 
nouveauté  de  certains  faits  ;  mais  on  ne  lui  contestera  ni  l'origina- 
lité, ni  la  fécondité  de  ses  principaux  résultats.  Enfin,  il  a  ce  mérite 
de  signaler  le  premier  les  limites  de  ses  connaissances,  de  montrer 

1 .  Dans  le  second  appendice,  M.  Tout  a  dressé  la  liste  des  principaux  digni- 
taires de  la  Chancellerie  (chanceliers  et  gardes  du  sceau  royal),  de  l'Échiquier 
(trésoriers  et  barons,  chanceliers  et  «  Reinembranciers  »,  chambellans  de  la 
Recette),  de  la  Garde-Robe  et  de  l'Hôtel  du  roi;  en  outre,  la  liste  des  juges 
et  gardiens  de  la  Forêt;  celle  des  «  échoiteurs  »,  chargés  de  déterminer  les 
biens  qui  devaient  faire  retour  à  la  Couronne  par  suite  de  confiscation,  de  déshé- 
rence ou  autrement;  celle  des  gardiens  du  change  à  Londres  et  à  Canterbury, 
des  juges  des  cours  souveraines  de  justice,  des  administrateurs  de  la  prin- 
cipauté de  Galles  et  du  comté  de  Chester,  maintenant  réunis  à  la  Couronne 
(on  sait  qu'Edouard  II  fut  le  premier  héritier  présomptif  de  la  Couronne  qui 
reçut  le  litre  de  prince  de  Galles,  mais  ([u'Édouard  III  ne  le  i)orta  jamais); 
celle  des  agents  royaux  en  Irlande,  en  Ecosse,  en  Gascogne  et  en  Ponthieu. 
Ces  listes,  dressées  avec  le  plus  grand  soin  et  au  prix  d'un  labeur  considérable, 
sont  un  précieux  instrument  de  travail.  —  Inutile  de  dire  que  l'ouvrage  se 
termine  par  un  copieux  Index;  combien  de  livres  français,  même  parmi  les 
meilleurs,  en  sont  encore  dépourvus! 


212  BULLETIN    HISTORIQUE. 

les  voies  que  d'autres  devront  suivre  à  leur  tour.  Pendant  son  ensei- 
gnement déjà  long,  il  a  formé  des  élèves;  il  se  plaît  à  les  nommer, 
à  noter  les  études  où  ils  se  sont  déjà  engagés  ^  ;  excellente  méthode  de 
travail  en  commun  qui  ne  peut  manquer  de  donner  les  meilleurs 
fruits. 

L'étude  de  M.  Baldwin  sur  le  Conseil  du  roi  pendant  le  moyen 
âge  2  peut  être  considérée  comme  un  modèle  du  genre.  Des  recherches 
bien  dirigées  dans  les  archives  lui  ont  permis  de  montrer  le  dévelop- 
pement de  cette  institution  et  de  porter  la  lumière  sur  un  grand 
nombre  de  points  demeurés  très  obscurs  jusqu'à  ce  jour.  Issu  de  la 
Curia  régis,  dont  il  ne  se  distingue  pas  encore  au  xii''  siècle,  le 
Conseil  tendit  peu  à  peu  à  former  un  corps  de  conseillers  qu'un  ser- 
ment spécial  attachait  au  service  du  roi  et  dont  la  compétence  était 
pour  ainsi  dire  illimitée.  Les  épithètes  par  lesquelles  on  le  désigne 
au  xiii^  ou  au  xiv"  siècle,  de  Conseil  secret  ou  privé,  de  Grand  Con- 
seil, etc. ,  n'ont  aucune  valeur  distinctive  ;  c'est  toujours  le  Conseil  du 
roi,  assez  variable  et  souple  pour  se  plier  à  tous  les  besoins.  On  a 
dit  souvent  que  l'année  1386  marque  une  date  importante  dans  son 
histoire,  parce  qu'en  cette  année  commencent  les  procès-verbaux 
[Proceedings  and  ordinances)  publiés  par  Nicolas;  mais  Nicolas 
lui-même  avait  retrouvé  des  minutes  du  Conseil  pour  les  années 
1337  et  1341,  et  M.  Baldwin  a  mis  la  main  au  P.  Record  Office  sur 
nombre  de  pièces  plus  anciennes  encore^.  Il  montre  bien  comment  le 
Conseil  se  sépare  et  se  différencie  peu  à  peu  des  autres  cours  souve- 
raines sorties,  comme  lui-même,  de  la  Curia  régis  :  l'Echiquier, 

1.  Ainsi  Miss  Hilda  Johnstone  se  propose  de  donner  une  biographie  com- 
plète d'Edouard  II  (et  M.  Tout  propose  comme  modèle  de  ce  genre  l'Histoire 
de  Charles  F  par  Delachenal);  elle  a  déjà  terminé  ses  recherches  sur  l'alTaire 
de  Saint-Sardos  en  1324  et  sur  l'administration  du  Ponthieu  avant  l'avènement 
d'Edouard  II.  Miss  L.  B.  Dibben  terminera  prochainement  une  étude  détaillée 
sur  la  chancellerie  royale  avant  Richard  II.  Miss  Ethel  Hornby  a  fait  des 
recherches  sur  les  nominations  épiscopales  et  sur  l'action  décisive  du  pape 
Jean  XXII  à  cet  égard.  M.  Harold  Kay  étudie  l'histoire  des  seigneuries  de  la 
Marche  galloise  pendant  la  première  moitié  du  xiv  siècle.  M.  Arthur  Jones 
celle  de  la  principauté  de  Galles  à  la  même  époque.  A  tous  ces  érudits  qui  ont 
été  ses  élèves,  M.  Tout  a  fait  des  emprunts  qu'il  s'empresse  de  reconnaître. 
Notons  enfin  la  particulière  estime  qu'il  professe  pour  les  Études  de  diploma- 
tique anglaise  d'Eugène  Déprez. 

2.  James  Fosdick  Baldwin,  The  king's  Council  in  England  dnring  the 
middle  âges.  Oxford,  at  the  Clarendon  Press,  1913.  In-8°,  xv-559  p.  Plusieurs 
fac-similés.  Prix  :  18  sh. 

3.  Voir  le  chap.  xiv  :  «  Records  of  the  Council  »,  et  l'intéressant  choix  de 
pièces  publiées  dans  les  appendices.  On  y  trouvera  le  texte  d'un  registre  du 
Conseil  pour  les  années  15-16  de  Richard  II  qui  avait  été  ignoré  de  Nicolas. 


HISTOIRE   DE    GRANDE-BRETAGNE.  213 

la  Chancellerie  et  le  Parlement.  Depuis  l'avènement  d'Edouard  IV, 
l'activité  du  Conseil  se  ralentit  ;  son  rôle  devient  de  plus  en  plus  effacé 
jusque  vers  1540,  époque  où  le  roi  lui  rend  au  contraire  un  rôle  pré- 
pondérant à  la  tête  du  gouvernement.  Pendant  ces  quatre-vingts  ans 
d'existence  amoindrie,  les  archives  du  Conseil  disparaissent  en 
quelque  sorte.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  s'il  n'y  a  plus  de  procès- 
verbaux;  ils  ne  sont  pas  perdus,  comme  on  l'a  dit,  ils  n'ont  jamais 
existé. 

Pour  déterminer  aussi  exactement  que  possible  ce  qu'il  faut 
entendre  par  la  tenure  en  bourgage  telle  qu'on  la  rencontre  dans 
les  villes  ou  bourgs  jouissant  de  la  liberté  civile,  M.  Hemmeon'  a  ins- 
titué une  triple  enquête  sur  les  incidents  de  la  tenure  féodale  (aide 
aux  trois  cas,  garde  et  mariage,  relief,  forfaiture,  hommage  et  fidé- 
lité, service  militaire,  retrait  féodal,  service  de  cour,  etc.),  les 
taxes  foncières  dans  les  villes,  le  morcellement  et  l'aliénation  des 
terres.  Un  dépouillement  consciencieux  et  intelligent  d'un  grand 
nombre  de  chartes  et  de  coutumes  municipales  lui  a  fourni  des  faits 
qu'il  a  classés  dans  chacun  des  casiers  de  cette  enquête  et  il  en  a  tiré 
des  conclusions  intéressantes,  comme  d'une  statistique  bien  faite.  Un 
quatrième  chapitre  contient  de  bonnes  dissertations  sur  la  «  firma 
burgi  »,  sur  la  tenure  en  bourgage  dans  le  Domesday  book,  sur 
l'influence  exercée  par  la  «  loi  de  Breteuil  »  en  Angleterre  (M.  Hem- 
meon montre  ce  qu'a  d'original  et  en  même  temps  d'aventureux  la 
thèse  de  M'"  Bateson  sur  ce  sujet),  sur  la  tenure  urbaine  en  Nor- 
mandie, aux  Pays-Bas  et  en  Allemagne.  Enfin,  dans  un  appendice 
qui  aurait  aussi  bien  pu  être  fondu  avec  le  chapitre  iv,  fauteur 
examine  ce  que  les  chartes  municipales  d'Allemagne  nous  apprennent 
sur  les  trois  points  de  son  enquête  :  incidents  de  la  tenure  féo- 
dale, taxes  foncières  et  mobilité  de  la  propriété  foncière  dans  les 
villes.  Il  se  défend  de  toucher  à  la  question  des  origines  munici- 
pales ;  comme  analyse  des  institutions  en  vigueur  depuis  le  xii^  siècle 
environ,  son  ouvrage  sera  consulté  avec  fruit. 

M.  Salzmann  a  écrit  une  fort  bonne  introduction  à  l'histoire  de 
l'industrie  en  Angleterre^  en  une  dizaine  de  chapitres  où  il  décrit, 
en  se  serrant  de  près  les  textes,  les  débuts  et  le  développement  de 

1.  Morley  de  Wolf-Hemmeon,  Burgage  tenure  in  mediaeval  England.  Cam- 
bridge (Mass.),  Harvard  University  Press;  Londres,  H.  Milford,  1914  (//«/-«'«rrf 
hhtoriul  Sliidies,  vol.  XX).  In-8%  viii-233  p. 

2.  L.  F.  Salzinann,  English  industries  of  the  middle  âges.  Being  an  intro- 
duction to  the  induslrial  history  of  médiéval  England.  Londres,  Constable 
et  C'%  1913.  In-8°,  xi-260  p.  Prix  :  6  sU.  6  d. 


214  BULLETIN    HISTORIQUE. 

Findustrie  minière  (charbon,  fer,  plomb,  argent,  étain  ,  des  car- 
rières (pierre,  marbre,  plâtre  et  chaux),  de  la  fonderie,  de  la  poterie 
et  de  la  briqueterie,  du  tissage,  de  la  cordonnerie  et  de  la  brasserie. 
Il  s'arrête  au  xvi"  siècle,  le  règne  dÉlisabeth  marquant  la  transition 
entre  l'industrie  médiévale  et  celle  des  temps  modernes.  L'auteur 
s'est  imposé  la  loi  de  choisir  dans  l'immensité  des  faits  que  lui 
ont  fournis  les  documents  et  les  livres  les  plus  caractéristiques. 
Dans  son  élégante  sobriété,  ce  résumé  est  appelé  à  rendre  de  réels 
services. 

Les  impôts  d'Etat  qui  ont  été  étabhs  au  xvii*'  et  au  xviii''  siècle 
ont  été  étudiés  par  M.  Kennedy*  à  un  point  de  vue  fort  intéressant. 
L'auteur  n'a  pas  voulu  écrire  un  chapitre  sur  l'histoire  des  finances  ; 
il  a  recherché  les  principes  et  les  intentions  dont  se  sont  inspirés  les 
souverains  et  les  ministres  quand  ils  transformèrent  les  anciens 
impôts  et  qu'ils  en  créèrent  de  nouveaux,  et  les  opinions  qui  furent 
exprimées  dans  le  public  à  leur  endroit.  Il  a  pris  l'année  1640  comme 
point  de  départ,  car  les  impositions  levées  par  le  Parlement  pour 
subvenir  aux  frais  de  la  guerre  contre  la  royauté  ont  marqué  le 
début  d'une  ère  nouvelle,  et  il  s'arrête  à  l'année  1799,  où  fut  inau- 
gurée Ylncome  fax.  Un  des  principes  directeurs  qu'il  a  fait  ressor- 
tir est  celui-ci  :  le  xvii"  siècle,  continuant  en  ceci  le  xvi%  estimait  que 
l'impôt  devait  frapper  tout  le  monde,  les  pauvres  aussi  bien  que  les 
riches,  tandis  qu'au  xviii®  prévalut  cette  maxime  que  le  pauvre  doit 
en  être  autant  que  possible  déchargé.  Les  chapitres  sur  la  philoso- 
phie politique  au  xviii'*  siècle,  les  réformes  financières  de  Walpole, 
les  théories  d'Adam  Smith  concernant  la  distribution  des  richesses, 
enfin  sur  les  doctrines  sociales  du  xviii^  siècle  devront  être  lus  avec 
une  grande  attention. 

Ch.  BÉMONT. 

1.  William  Kennedy,  English  taxation,  Î6i0-1799.  An  essay  on  policy  and 
opinion.  Londres,  G.  Bell  a.  Sons,  1913.  In-8°,  ix-199  p.  Prix  :  7  sh.  6  d. 
(Publié  sous  le  patronage  de  la  «  London  school  of  économies  and  political 
science  ».) 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


Louis  Passy.  Un  ami  de  Machiavel  :  François  Vettori.  Sa  vie  et 
ses  œuvres.  Paris,  Plon-Nourdt,  1914.  2  vol.  in-8°,  iv-467  pages 
et  3  gravures,  et  393  pages  et  4  gravures. 

Ce  livre  a  été  écrit  con  amore.  Le  premier  volume  retrace  dans  le 
plus  grand  détail  l'existence  de  ce  «  vrai  Florentin  »,  qui  fut  de  bonne 
heure  un  pallesco,  un  admirateur  de  Laurent,  duc  d'Urbin,  mais  qui 
mourut  sans  doute  avec  la  douleur  (en  1539)  d'avoir  préparé  l'asser- 
vissement de  sa  patrie  à  Charles-Quint.  Vettori  intéresse  notre  his- 
toire non  pas  seulement  parce  qu'il  fut  envoyé  florentin  à  Constance 
en  1507  au  moment  où  Maximilien  essayait  de  détacher  Florence  de 
l'alliance  française,  puis  ambassadeur  à  Rome  en  1513-1515,  mais 
dans  l'automne  de  1515  et  jusqu'en  1518  il  fut  ambassadeur  en  France. 
M.  Passy  nous  donne  la  traduction  de  nombreuses  lettres  de  Vettori 
à  Machiavel,  et  aussi  un  grand  nombre  de  lettres  écrites  de  France, 
par  Vettori,  aux  Huit  de  Pratique;  sur  bien  des  points,  il  complète 
heureusement  l'insutUsante  publication  de  Desjardins,  et  cela  seul  don- 
jierait  à  son  livre  une  très  appréciable  valeur  documentaire.  Les  cha- 
pitres suivants  (vi-xv)  sont  surtout  intéressants  pour  l'histoire,  si 
riche  et  si  douloureuse,  de  la  République  florentine.  Vettori  apparaît 
comme  l'un  des  auteurs  de  la  révolution  de  1532,  qui  amena  au  pou- 
voir le  duc  Alexandre,  et  comme  l'un  des  inspirateurs  du  nouveau 
régime.  C'est  grâce  à  lui  et  à  Guichardin  qu'après  la  fuite  de  Loren- 
zaccio,  Cosme  prend  le  pouvoir. 

Moralement,  Vettori  est  bien  un  ami  de  Machiavel,  un  sceptique, 
un  fanfaron  de  paganisme  voluptueux  *,  un  raisonneur  es  sciences 
politiques.  Tout  cela  ne  laisse  pas  d'être  assez  fatigant.  Ce  qui  l'est 
surtout,  c'est  ce  soi-disant  Voyage  d'Allemagne  qui  forme  (t.  H, 
p.  45-218)  le  premier  appendice  de  M.  Passy  et  qui,  encadré  dans  un 
récit  de  voyage,  est  un  recueil  de  novelle  laborieusement  Hcencieuses. 
On  lira  avec  beaucoup  plus  d'intérêt  (app.  II,  p.  219-357)  la  traduction 
des  dépêches  de  la  légation  d'Allemagne.  M.  Passy  nous  traduit 
encore  (app.  III)  la  relation  de  Machiavel  sur  les  affaires  d'Allemagne, 
son  Ritratto  délie  cose  di  Alemarinia,  et  l'opinion  de  François  Vet- 
tori (app.  V)  sur  le  gouvernement  de  Florence  (1531),  complétée  par  sa 
lettre  à  l'archevêque  de  Capoue  (app.  VI).  Eniin  il  nous  donne 
(app.  IV)  le  texte  latin  du  traité  de  mariage  (1518)  entre  le  duc  d'Urbin  et 

1.  M.  Passy  (p.  55  et  n.  2)  n'a  pas  compris  dans  un  sens  assez  «  italien  » 
l'allusion  aux  mœurs  spéciales  de  Brancaccio  et  (p.  59)  de  Filippo  Casavecchia. 


216  COMPTES-RENDDS    CRITIQUES. 

Madeleine  de  La  Tour  d'Auvergne.  L'ensemble  des  deux  volumes  est 
donc  une  utile  et  agréable  contribution  à  l'histoire  de  Florence  et 
aussi  à  l'histoire  de  la  politique  européenne  pendant  les  quarante 
premières  années  du  XVF  siècle. 

Henri  Hauser. 


Urkunden  zur  Geschichte  der  W^aldenser-Gemeinde  Pragela, 

gesammelt  und  herausgegeben  von  Prof.  D.  Bonin.  Magdebourg, 
Heinrichshofen,  1911-1914.  3  vol.  in-8°,  xix-310,  viii-207  et 
xi-322  pages. 

L'association  huguenote  allemande,  —  Deutscher  Hugenotten- 
Verein,  —  publie  déjà  depuis  longtemps  des  Geschichtsblatter  où 
elle  raconte  l'histoire  des  communautés  protestantes  françaises  éta- 
blies en  Allemagne.  En  1909,  elle  a  décidé  de  réunir,  en  des  volumes 
plus  étendus,  tous  les  documents  qui  permettent  d'écrire  cette  his- 
toire, de  donner  des  Urhunden-Bûcher  des  deutschen  Huguenotten- 
Vereins.  Les  trois  présents  volumes  ouvrent  la  série.  Ils  sont  consa- 
crés à  la  communanté  vaudoise  de  Pragela  :  Pragela  est  le  nom  de  la 
vallée  supérieure  d'un  petit  affluent  du  Pô,  le  Chisone,  qui  arrose  Fénes- 
trelles  et  Pignerol.  Elle  se  compose  d'une  vingtaine  de  villages  ou 
écarts;  elle  a  été  française  jusqu'au  traité  d'Ulrecht  qui  la  céda  au 
Piémont;  les  habitants  étaient  de  langue  française. 

Les  documents  publiés  au  tome  I  se  rapportent  à  l'époque  où  ces 
Vaudois  habitaient  cette  vallée  des  Alpes.  Il  n'y  en  a  point  d'anté- 
rieur au  xvii«  siècle,  sinon  un  dénombrement  en  latin  des  revenus 
du  dauphin  dans  la  vallée  de  Cluzon  fait  en  mars  1265  et  connu  seu- 
lement par  une  copie  de  1755  aux  archives  de  l'Isère  à  Grenoble 
(M.  Bonin  écrit  Grenoble).  Pour  le  xviP  siècle,  nous  possédons  les 
registres  de  l'état  civil  de  la  communauté  de  Pragela  depuis  1674  jus- 
qu'à la  Révocation,  en  1685,  avec  une  lacune  de  janvier  1675  à  juin 
1678;  ils  sont  conservés  aux  archives  de  La  Rua,  le  centre  principal 
de  la  commune.  M.  Bonin  publie  ces  registres,  mais  en  rangeant  les 
indications  qu'ils  fournissent  par  ordre  alphabétique  des  noms  de 
famille,  soit  qu'il  s'agisse  de  naissances,  de  mariages  ou  de  décès. 
C'est  le  dépouillement  de  ces  registres  qui  remplit  le  premier  volume, 
où  nous  n'avons  plus  à  signaler  qu'une  enquête  sur  une  inondation 
qui,  en  1685,  causa  dans  la  vallée  les  plus  grands  ravages,  un  état  de 
la  consistance  et  valeur  des  biens  ayant  appartenu  aux  Vaudois,  du 
19  avril  1688,  et  un  ancien  mémoire  sur  les  usages  de  la  vallée. 

Après  la  Révocation  de  l'édit  de  Nantes,  les  Vaudois  furent  con- 
traints de  quitter  leur  vallée  et,  à  l'imitation  du  roi  de  France,  Victor- 
Amédée  expulsa  de  ses  états  les  Vaudois  qui  y  résidaient.  Les  gens 
de  Pragela  trouvèrent  d'abord  un  refuge  à  Genève  et  dans  les  envi- 
rons; mais  ils  furent  bientôt  appelés  en  Hesse-Darmstadt,  où  la 
régente  Elisabeth-Dorothée  mit  à  leur  disposition  des  terres  à  défri- 


,T.  LAW  DE  LAURISTON  :  QUELQUES  AFFAIRES  DE  l'EMPIRE  MOGOL.        217 

cher  à  Arheiligen  et  à  Nidda.  Le  séjour  fut  de  courte  durée,  car  le 
duc  de  Savoie  Victor-Amédée,  se  séparant  de  Louis  XIV  dans  la 
guerre  de  la  Ligue  d'Augsbourg,  appela  ces  réfugiés  dans  ses  états, 
et  les  Vaudois  de  Pragela  profitèrent  de  l'autorisation  de  séjourner  en 
Piémont;  ce  fut  la  «  glorieuse  rentrée  ».  Mais,  après  la  paix  de  Rys- 
wick,  Louis  XIV  contraignit  le  duc  d'expulser  les  anciens  sujets  fran- 
çais huguenots  ou  vaudois  installés  chez  lui,  et  les  gens  de  Pragela 
reprirent  le  chemin  de  l'exil  ;  cette  fois,  ils  se  fixèrent  définitive- 
ment^  en  liesse  où  ils  constituèrent  de  véritables  colonies  à  Rohrsbach, 
Wembach,  Hahn,  Kelsterbach,  Arheiligen,  etc.  Le  second  volume 
pourrait  s'appeler  VExode.  On  y  a  réuni  tous  les  documents  qui  nous 
permettent  de  suivre  les  Vaudois  depuis  1685  jusqu'à  leur  établisse- 
ment définitif  en  Hesse. 

Le  troisième  volume  contient  170  documents  sur  la  situation  des 
Vaudois  en  Allemagne  :  privilèges  que  leur  accorde  d'abord  le  grand- 
duc,  puis  redevances  qu'il  exige  d'eux,  émigration  des  Vaudois  en 
Amérique,  élection  de  pasteurs,  de  maîtres  d'école,  liste  des  chefs  de 
famille,  etc.  M.  D.  Bonin,  qui  descend  d'une  de  ces  familles  vaudoises, 
qui  a  déjà  exposé  l'histoire  de  ces  colonies  dans  une  série  d'articles, 
soit  dans  les  Geschichtsblatter,  soit  dans  d'autres  revues,  à  qui  nous 
devons  une  excellente  brochure  :  Die  Waldenser-Gemeinde  Pragela 
auf  ihrer  Wanderung  ins  Hesseland,  était  tout  désigné  pour  entre- 
prendre ce  recueil;  il  s'en  est  acquitté  avec  beaucoup  de  soin  et 
une  véritable  piété  filiale.  Les  Français  lui  doivent  être  reconnais- 
sants d'avoir  mis  à  leur  disposition  ces  documents,  dont  la  plupart 
sont  écrits  en  français,  et  qui  pourraient  donner  lieu  à  d'intéressantes 
observations  philologiques 2.  Et  ils  ne  sauraient  oublier  que  cette 
histoire  des  réfugiés  vaudois  est  comme  une  tranche  de  leur  propre 
histoire. 

Ch.  Pfister. 


Jean  Law  de  Lauriston.  Mémoire  sur  quelques  affaires  de  l'em- 
pire mogol  (1756-1761),  publié  par  Alfred  Martineau,  gouver- 
neur des  établissements  français  dans  l'Inde,  avec  deux  cartes 
hors  texte.  Paris,  1913.  In-S",  lvi-589  pages  (Édition  de  la 
Société  de  rHistoire  des  colonies  françaises). 

Ce  volume  est  le  second  de  la  série  des  textes  inédits  publiés  par  la 
Société  de  l'Histoire  des  colonies  françaises  à  côté  de  sa  revue  pério- 
dique. Jean  Law  de  Lauriston,  neveu  du  célèbre  financier,  se  trouvait 
en  1756  chef  de  la  loge  de  Cassimbazar  au  Bengale,  lorsque  éclatèrent 

1.  Sur  les  Vaudois  qui  s'établirent  en  Wurtemberg,  on  consultera  Mârkt, 
Die  Wurtemberg i.sche  Waldensergemeinde,  1699-1899.  Stult{?art,  1899. 

2.  Sans  doute  on  pourrait  relever  de-ci  de-là  quelques  petites  négligences 
attestant  une  connaissance  imparfaite  de  notre  langue;  mais  elles  peuvent  tou- 
jours être  aisément  corrigées. 


218  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

aux  Indes  les  premiers  effets  de  la  guerre  de  Sept  ans.  La  perte  de 
Chandernagor  et  la  défaite  de  Plassey  obligèrent  Law  à  évacuer 
sa  loge.  Il  parvint  à  échapper  aux  Anglais  avec  son  personnel  et  un 
petit  corps  de  troupes.  Pendant  quatre  ans,  il  erra  de  province  en  pro- 
vince et  de  prince  en  prince,  parmi  les  pièges  et  les  trahisons,  usant  de 
diplomatie  ou  donnant  la  parole  à  ses  huit  petits  canons  de  trois  et  de 
deux  livres,  qui  lançaient  des  projectiles  en  terre  cuite.  Il  s'employa  de 
son  mieux  à  seconder  la  politique  et  les  intérêts  français,  confondus  avec 
ceux  de  la  Compagnie.  Dans  les  moments  critiques,  il  comptait  passer 
dans  le  Decan  et  rejoindre  Bussy  ;  mais  il  lui  paraissait  le  plus  sou- 
vent préférable  de  demeurer  à  portée  du  Bengale  :  que  l'escadre  arri- 
vât et  agît  contre  les  Anglais  installés  dans  la  région  de  Calcutta  et  sur 
le  Gange,  Law  les  prenait  à  revers.  Hélas,  on  comptait  en  vain  sur 
l'escadre.  Les  vaisseaux  du  roi  venaient  bien  de  l'Ile-de-France,  se 
montraient  à  la  côte,  mais  s'empressaient  de  s'en  retourner  dès  la 
mauvaise  saison.  Il  leur  aurait  fallu  demeurer  aux  Indes  pour  obtenir 
des  résultats  décisifs  :  c'eût  été  trop  demander  aux  officiers  qui  les 
commandaient.  Suffren  manquera  périr  pour  les  y  avoir  contraints. 

Law  de  Lauriston ,  colonel  et  chevalier  de  Saint-Louis ,  grand 
maître  de  l'artillerie  du  grand  mogol  Shah-Alem,  fut  vaincu  avec  ce 
prince  à  la  bataille  d'Eisa,  le  15  janvier  1761,  et  fait  prisonnier.  Il 
rentra  en  France  en  1762;  après  la  paix,  il  revint  aux  Indes  en  qualité 
de  gouverneur.  Il  écrivit  le  mémoire  de  ses  aventures  pour  M.  Bertin, 
contrôleur  général  des  finances.  Il  le  compléta  par  la  suite,  et  l'annota 
prêt  pour  l'impression.  M.  Alfred  Martineau,  l'éditeur  actuel,  eut  peu 
de  notes  à  ajouter  à  ce  texte  qui  donne  des  renseignements  du  plus 
haut  intérêt  sur  l'état  matériel  et  moral  des  Indes  à  cette  époque,  et 
sur  les  événements  qui  s'y  déroulèrent.  C'est  un  tableau  coloré  de  la 
décomposition  de  l'empire  mogol.  Servis  par  leur  sens  politique  aigu, 
les  Anglais  en  profitèrent;  nos  fautes  leur  facilitèrent  la  tâche,  et  les 
exploits  individuels  furent  vains.  Les  Hollandais  firent  une  assez 
piètre  figure  dans  ces  événements;  la  suite  leur  donna  lieu  de  s'en 
repentir. 

Le  mémoire  de  Law  de  Lauriston  est  un  document  de  premier  ordre 
et  d'un  intérêt  capital  pour  l'histoire  de  la  mainmise  des  Anglais  sur  le 
Bengale.  Il  est  précédé  d'une  lettre  de  Law  à  M.  Bertin  et  suivi  d'une 
série  d'itinéraires  et  d'un  vocabulaire  explicatif.  L'introduction  de 
M.  Alfred  Martineau  situe  clairement  dans  leur  cadre  les  événements 
qui  forment  le  thème  du  récit  et  les  personnages  qui  y  jouent  un 
rôle;  elle  expose  l'état  politique  et  économique  de  la  Compagnie  à 
cette  époque.  M.  Martineau  a  dressé  utilement  un  tableau  comparatif 
des  graphies  française  et  anglaise  de  noms  hindous. 

Henri  Malo. 


A.    RAMBAUD    :    HISTOIRE    DE    LA    RUSSIE.  219 

Alfred  Rambaud.  Histoire  de  la  Russie,  depuis  les  origines  jus- 
qu'à nos  jours.  6«  édition,  revue  et  complétée  jusqu'en  1913 
par  Emile  Haumant.  Paris,  Hachette,  1914.  In-12,  963  pages. 
Prix  :  6  fr. 

M.  Haumant  vient  de  compléter  l'Histoire  de  la  Russie  par  Alfred 
Rambaud.  Celle-ci  s'arrêtait  à  la  date  de  1877.  M.  Haumant  a  rema- 
nié quelques  détails  sur  le  développement  économique  et  intellectuel  du 
règne  d'Alexandre  II,  repris  surtout  le  mouvement  d'expansion  en 
Asie.  Mais  sa  principale  contribution  est  l'exposé  des  dernières  années 
d'Alexandre  II  (1877-1881),  du  règne  d'Alexandre  III  (1881-1894)  et  de 
celui  de  Nicolas  II  jusqu'en  1900.  Un  sommaire  fort  bien  fait  termine 
le  volume  jusqu'à  l'année  1913.  Chacune  de  ces  divisions  naturelles 
garde  les  cadres  de  l'histoire  de  Rambaud  :  politique  intérieure,  poli- 
tique en  Asie,  politique  en  Europe.  Une  abondante  information  sup- 
porte cet  ensemble  de  près  de  250  pages.  C'est  l'équivalent  d'un 
volume  nourri  de  faits  précis,  sobrement  exposés  et  qui  met  en 
une  vive  lumière  les  transformations  radicales  que  la  Russie  a  subies 
à  la  fin  du  xix«  et  au  xx'=  siècle. 

Dans  cet  empire  autocratique,  composé  à  peu  près  uniquement  de 
nobles  et  de  serfs,  une  nation  s'est  éveillée  aussi  bien  sous  l'influence 
des  actes  du  pouvoir,  tels  que  l'affranchissement  des  serfs,  ou  des 
réformes  libérales  d'Alexandre  II,  que  sous  l'impression  des  pas- 
sions nationalistes  et  intellectuelles  ou  des  événements  extérieurs. 
Alexandre  II  mène  la  victorieuse  guerre  russo-turque,  revanche  des 
humiliations  de  la  guerre  de  Crimée.  Mais  elle  a  été  préparée  par  la 
propagande  des  slavophiles  autant  que  par  la  diplomatie  elle-même. 
Et  lorsque  après  le  triomphe  il  faut  subir  les  déconvenues  du  Congrès 
de  Berlin  et  l'établissement  de  l'Autriche  en  Bosnie-Herzégovine,  le 
mécontentement  devient  si  vif  que  les  nihilistes  recommencent  leurs 
attentats,  que  l'empereur  accorde  une  constitution  à  la  Russie,  le 
jour  même  où  il  périt  sous  leurs  bombes. 

Alexandre  III  s'enferme  dans  l'autocratie  pour  lutter  contre  le  nihi- 
lisme. Et,  à  force  de  surveillance,  d'exécutions,  d'exils,  il  réussit  à 
triompher  tant  bien  que  mal.  Mais,  tout  en  comprimant  le  mouvement, 
il  donne  satisfaction  aux  passions  nationales  :  il  s'attaque  aux  pays 
qui  ont  gardé  les  privilèges  d'une  langue  ou  d'un  régime  particulier  : 
provinces  baltiques  de  langue  allemande,  grand-duché  de  Finlande, 
gouvernement  de  Pologne;  il  refoule  les  Juifs  dans  les  limites  d'un 
territoire  défini.  Cependant  les  actes  décisifs  de  son  règne  ont  été 
l'avancée  en  Asie  et  l'évolution  capitale  de  la  politique  russe  en 
Europe. 

La  poussée  des  Russes  vers  la  Perse,  l'Afghanistan,  le  Pamir 
paraissait  si  résolue  que  la  guerre  faillit  un  moment  éclater  avec  les 
Anglais,  inquiets  pour  leur  possession  de  l'Inde.  Dans  l'état  bulgare, 
né  grâce  à  elle,  la  Russie  prétendait  se  réserver  une  tutelle  impérieuse 


'220  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

et  au  besoin  agressive.  L'émancipation,  commencée  par  le  prince 
Alexandre  de  Battenberg,  confirmée  par  l'habileté  de  Ferdinand  de 
Cobourg,  paraît  à  M.  Haumant  d'une  telle  importance  pour  l'ensemble 
de  la  politique  russe  qu'il  en  expose  l'histoire  en  détail.  En  fait,  ce 
n'est  pas  seulement  une  brouille  avec  un  protecteur  hautain,  et  que 
l'humeur  intraitable  d'Alexandre  III  risque  de  rendre  définitive,  c'est 
l'exemple  d'une  infidélité  qui  permit  à  l'Autriche  d'enlever  à  la  Rus- 
sie sa  clientèle  dans  la  presqu'île  des  Balkans  ou  de  la  tourner  contre 
elle.  C'est  aussi  le  coup  de  grâce  porté  à  l'alliance  qui  unissait  la 
Russie  à  l'Autriche  et  à  l'Allemagne.  Alors  se  dessine  l'évolution  vers 
la  France  et  l'alliance  française.  Voulue  par  le  tsar,  mûrie  par  une 
suite  de  démarches  qui  sont  soutenues  avec  plus  de  suite  du  côté  de 
la  Russie  que  du  côté  de  la  France,  cette  union  répond  si  bien  à  la 
situation  créée  en  Europe  par  la  politique  de  Bismarck  et  les  événe- 
ments balkaniques  que,  à  peine  révélée  par  l'apparition  d'Alexandre  III 
sur  le  pont  d'un  vaisseau  de  guerre  français  à  Cronstadt,  elle  entraîne 
l'assentiment  des  deux  nations  et  provoque  le  même  enthousiasme  à 
Moscou  qu'à  Paris. 

Nicolas  II  arriva  à  vingt-six  ans  au  pouvoir.  Il  annonça  bien  ses 
intentions  de  continuer  la  politique  de  son  père.  Mais,  en  dépit  de  ses 
déclarations,  dans  les  six  premières  années  de  son  règne  (1894-1900), 
ses  tendances  naturelles  l'inclinèrent  au  libéralisme  et  à  détendre  les 
procédés  de  russification  en  Pologne,  en  Finlande  et  dans  les  provinces 
baltiques.  Il  avait  proclamé  son  amour  sincère  de  la  paix  et  rien  ne  le 
prouva  mieux  que  l'initiative  qu'il  prit,  en  1898,  de  convoquer  un 
u  congrès  de  la  paix  »  à  La  Haye.  Aussi  ne  pensa-t-il  qu'à  maintenir 
le  statu  quo  en  Europe  pour  porter  tout  l'effort  de  sa  politique  en 
Asie.  Tandis  qu'il  se  réconciliait  avec  la  Bulgarie,  concluait  avec  l'Au- 
triche une  entente  pour  maintenir  l'état  de  choses  présent  dans  la 
presqu'île  des  Balkans,  fortifiait  l'alliance  avec  la  France  par  son 
voyage  inoubliable  à  Paris  et  à  Châlons,  il  se  donnait  les  mains  libres 
pour  agir  en  Asie  :  construction  du  transsibérien,  colonisation  de  la 
Sibérie  par  l'immigration  de  milliers  de  paysans,  prise  de  possession 
pacifique  d'une  partie  de  la  Mandchourie,  intrigues  pour  dominer  la 
Corée  et,  quand  les  victoires  inattendues  du  Japon  sur  la  Chine 
amènent  l'intervention  de  l'Europe,  participation  au  partage  de  la 
Chine  et  au  refoulement  du  Japon. 

La  Russie  ne  sut  pas  apprécier  la  valeur  du  rival  redoutable  qui 
venait  de  se  révéler  aux  portes  de  la  Chine;  la  guerre  russo-japonaise 
lui  ferma  la  Corée  et  lui  enleva  la  Mandchourie.  Surtout  elle  provoqua 
une  véritable  révolution  intérieure. 

L'opposition  à  l'autocratie  n'avait  jamais  cessé  de  se  manifester  par 
des  attentats,  en  dépit  des  rigueurs  de  la  surveillance  policière.  Mais 
le  mécontentement  était  descendu  profondément  dans  la  masse  des 
paysans.  Affranchis  depuis  1861,  ils  avaient  dû  payer  les  terres  qu'on 
leur  laissait  à  cultiver;  l'accroissement  énorme  de  la  population,  la 
propriété  collective,  les  distributions  continuelles  de  parcelles  morce- 


G.    SONGEON    :    HISTOIRE    DE    LA    BULGARIE.  221 

lées  ne  leur  laissaient  ni  des  récoltes  suffisantes,  ni  des  étendues  de 
champs  capables  de  nourrir  les  familles  incessamment  accrues.  Sous 
l'influence  des  désastres  de  la  guerre,  une  véritable  jacquerie  se 
déchaîna  dans  le  centre  et  le  nord  de  la  Russie,  compliquée  de  mas- 
sacres concertés  des  juifs  dans  une  partie  des  villes  du  sud. 

En  présence  de  ces  catastrophes,  Nicolas  II  a  accompli  deux  actes 
décisifs.  Il  a  donné  une  constitution  à  la  Russie  et  réuni  une  assem- 
blée élue,  la  Douma,  que  doit  contrôler  le  Conseil  de  l'Empire.  Comme 
la  première  Douma  n'avait  pas  remédié  à  la  crise  agraire,  l'empereur, 
par  un  acte  personnel,  a  décrété  que  les  paysans  pourraient  provoquer 
le  partage  des  terres  possédées  jusque-là  en  commun  et  fonder  ainsi 
des  propriétés  individuelles.  C'était  toute  une  révolution. 

Sans  doute,  il  a  fallu  modifier  à  plusieurs  reprises  la  composition  de 
la  Douma.  Ces  tâtonnements  étaient  inévitables  puisqu'il  faut  faire 
vivre  ensemble  une  assemblée  qui  contrôle  le  pouvoir  au  nom  de  la 
nation  et  un  pouvoir  qui  seul,  auparavant,  concentrait  toute  l'autorité 
et  la  décision  entre  ses  mains.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  la  liberté 
politique,  avec  ses  instruments  essentiels  et  l'influence  régularisée  de 
l'opinion,  a  fait  désormais  son  apparition  en  Russie.  D'autre  part,  la 
propriété  individuelle  se  multiplie  de  jour  en  jour;  elle  accroît  chaque 
année  les  récoltes  que  le  paysan  tire  de  sa  terre.  Cette  augmenta- 
tion de  la  production  agricole  complète  le  prodigieux  développement 
de  la  richesse  industrielle  et  de  toutes  les  forces  vives  du  pays. 

M.  Haumant,  comme  une  conclusion  à  son  bel  ouvrage,  aligne  une 
série  de  chiffres  qui  permettent  de  mesurer  les  énormes  progrès  maté- 
riels et  intellectuels  de  la  Russie.  Et,  sans  doute,  ces  chiffres  sont 
éloquents  à  leur  manière.  Cependant,  quoique  M.  Haumant  ne  nous 
donne  qu'un  tableau  sommaire  depuis  1900,  nous  sera-t-il  permis  de 
regretter  qu'il  n'ait  pas  indiqué  l'orientation  nouvelle  des  efïorts  indus- 
triels et  la  tendance  à  affranchir  le  travail  national  de  la  dépendance 
économique  de  l'Allemagne? 

Au  total,  c'est  un  ouvrage  où  l'exactitude  des  connaissances,  l'équi- 
libre des  développements,  la  fermeté  et  la  modération  des  apprécia- 
tions font  le  plus  grand  honneur  à  l'auteur. 

Gaston  Créhange. 


R.  P.  Guérin  Songeon.  Histoire  de  la  Bulgarie  depuis  les  ori- 
gines jusqu'à  nos  jours  (485-1913).  Paris,  Nouvelle  Librairie 
nationale,  1913.  In-12,  viii-480  pages. 

Cette  nouvelle  histoire  de  là  Bulgarie  est  plus  complète  et  mieux 
informée  pour  la  période  ancienne  que  celle  de  M.  G.  Bousquet,  analy- 
sée ici  même  (voyez  Rev.  histor.,t.  CV,  1910,  p.  182)  ;  cependantelle  est 
peut-être  moins  impartiale  et,  si  elle  témoigne  d'une  connaissance 
sérieuse  de  la  Bulgarie  actuelle,  elle  montre  parfois  une  méconnais- 
sance singulière  des  conditions  dans  lesquelles  s'est  développé   le 


222  C0MPTES-15ENDUS   CIUTIQUES. 

peuple  bulgare  au  moyen  âge  et  de  ses  relations  avec  l'empire  byzan- 
tin. Ces  inconvénients  sont  du  moins  rachetés  par  une  composition 
très  claire  et  une  exposition  agréable  et  intéressante.  Le  Père  Guérin 
Songeon  a  eu  connaissance  des  travaux  de  l'Institut  archéologique 
russe  à  Aboba-Pliska  ;  mais  au  lieu,  comme  il  eût  été  naturel,  d'en 
incorporer  les  résultats  à  son  texte,  il  leur  a  consacré  un  simple  appen- 
dice. Il  est  fâcheux  de  voir  les  historiens  du  moyen  âge  oriental  délais- 
ser ainsi  le  secours  réel  que  pourrait  leur  apporter  l'archéologie.  L'au- 
teur, qui  a  conçu  son  ouvrage  comme  une  histoire  de  la  Bulgarie  (point 
de  vue  contestable,  car  il  y  a  un  peuple  bulgare,  tandis  que  les  limites 
de  la  Bulgarie  ont  toujours  été  et  seront  longtemps  encore  incertaines), 
remonte  à  l'antiquité  la  plus  extrême.  Il  était  bien  inutile  de  parler 
des  Thraces  et  il  suffisait  de  montrer  l'état  de  la  Mésie  au  moment  de 
l'arrivée  des  Bulgares.  La  Dacie  colonisée  par  Trajan  n'est  pas  exclu- 
sivement la  Roumanie  (p.   15).   L'établissement  des  Serbes  et  des 
Croates  dans  la  péninsule  des  Balkans  par  Héraclius  (p.  28)  est  rien 
moins  que  certain  (voyez  la  discussion  de  Pernice,  Eraclio,  p.  19). 
Justin  et  Justinien  sont  encore  donnés  comme  des  Slaves  (p.  29)  :  ces 
légendes  ont  décidément  la  vie  dure.  On  ne  voit  pas  pourquoi  l'auteur 
accuse  le  clergé  de  Constantinople  de  s'être  refusé  à  convertir  les  Slaves  : 
tous  les  témoignages  montrent   au   contraire    que    les  nombreuses 
«  Sclavinies  »  éparses  dans  les  territoires  grecs  depuis  le  vi«  siècle  ont 
été  absorbées  grâce  à  la  propagande  religieuse  (voyez  les  textes  réu- 
nis par  Vasiliev,  les  Slaves  en  Grèce,  Vizant.  Vrem.,  1898).  On  ne 
peut  donner  le  titre  d'empereur  (p.  50)  au  grand  prince  russe  Vladi- 
mir. Les  migrations  des  Slaves  dans  la  péninsule  aux  ii«  et  iii«  siècles 
sont  très  incertaines  (p.  23)  :  à  vrai  dire,  on  n'a  guère  de  certitude 
avant  la  fin  du  v<'  siècle.  Les  chapitres  "sur  l'établissement  des  Bul- 
gares (la  date  de  659  d'après  l'inscription  de  Chatalar  commentée  par 
Bury  est  adoptée  avec  raison),  l'étude  sur  l'œuvre  monarchique  de 
Kroumn  et  surtout  celle  des  oscillations  des  tsars  du  ix«  siècle  sollici- 
tés à  la  fois  vers  l'ouest  (alliance  avec  les  Slaves  de  Moravie,  union 
religieuse  avec  Rome)  et  vers  l'est  (attrait  de  Constantinople)  sont 
bien  au  courant  des  travaux  récents  et  se  lisent  avec  intérêt.  L'ori- 
gine valaque  du  deuxième  empire  bulgare  à  la  fin  du  xiP  siècle  est 
signalée,  mais  peut-être  avec  trop  de  discrétion.  L'auteur  est  surtout 
injuste  pour  la  civilisation  byzantine  :  les  sarcasmes  dont  il  l'accable 
sont  en  contradiction  avec  le  très  beau  chapitre  qu'il  a  consacré  à 
l'œuvre  des  saints  Cyrille  et  Méthode.  La  part  faite  aux  Bulgares  est 
quelquefois  trop  belle.  Il  est  inexact,  par  exemple  (p.  64),  qu'en  718 
Constantinople  ait  été  sauvée  des  Arabes  grâce  aux  Bulgares  ;  les 
Arabes  décimés  par  les  maladies  avaient  déjà  commencé  à  battre  en 
retraite   quand   ils   furent  attaqués  par  un  corps   bulgare  en   Asie 
Mineure.  De  même  est-il  exact  de  dire  (p.  293)  que  la  littérature  bul- 
gare est  la  mère  des  littératures  slaves  et  russes? 
La  dernière  partie  de  l'ouvrage  présente  un  tableau  très  coloré  et 


A.    DE    LA    JONQIHÈRE    :    HISTOIRE    DE    l'eMPIRE    OTTOMAN.  223 

très  partial  aussi  de  la  renaissance  bulgare,  de  la  révolte  de  1876,  du 
régime  de  Stamboulof,  «  le  Richelieu  des  Balkans  »  (c'est  beaucoup 
dire),  du  gouvernement  réparateur  du  prince,  puis  tsar  Ferdinand, 
enfin  de  la  coalition  contre  la  Turquie  et  de  la  guerre  de  1912-1913.  Le 
dernier  chapitre,  fait  d'impressions  vécues,  offre  un  grand  intérêt 
d'actualité;  le  récit  des  événements  s'arrête  à  la  conférence  de  Londres 
(janvier  1913).  Depuis  le  moment  où  ce  livre  a  paru,  les  événements 
ont  marché,  et,  si  la  conclusion  était  écrite  aujourd'hui,  elle  serait  sans 
doute  un  peu  différente  et  moins  enthousiaste. 

Louis  Bréhier. 


Vicomte  A.  de  La  Jonquière.  Histoire  de  l'empire  ottoman 
depuis  les  origines  jusqu'à  nos  jours.  Nouvelle  édition.  Paris, 
Hachette,  1914.  2  vol.  in- 12,  ii-472  et  732  pages. 

L'histoire  de  l'empire  ottoman  de  La  Jonquière,  le  seul  ouvrage  d'en- 
semble écrit  en  français  sur  cette  question,  méritait  certainement 
une  réédition.  A  vrai  dire,  tout  le  deuxième  volume,  qui  commence  à 
Abdulaziz  (1861)  et  se  termine  au  traité  de  Londres  (20  mai  1913),  est 
entièrement  nouveau.  Des  chapitres  copieux  et  fort  intéressants  sont 
consacrés  au  régime  hamidien,  à  la  révolution  de  1908-1909,  au  gou- 
vernement des  Jeunes-Turcs,  à  la  guerre  de  1912-1913.  On  appréciera 
surtout  le  tableau  d'ensemble  de  l'empire  ottoman,  envisagé  au  point 
de  vue  ethnographique  et  administratif,  qui  termine  l'ouvrage.  Les 
problèmes  qui  se  posent  aujourd'hui  et  que  l'avenir  se  chargera  de 
résoudre  sont  nettement  indiqués  et  avec  une  assez  grande  impartia- 
lité. C'est  un  résumé  commode  et  bien  fait  de  toutes  les  questions  qui 
intéressent  la  politique  actuelle  des  Turcs  et  des  puissances  euro- 
péennes. Il  est  seulement  regrettable  que  le  premier  volume  n'ait  pas 
été  mis  davantage  au  courant  des  travaux  de  ces  trente  dernières 
années.  Çà  et  là  se  trouvent  encore  des  affirmations  vraiment  rétro- 
grades. La  lettre  de  Mahomet  aux  souverains  est  donnée  comme  cer- 
taine (p.  29).  Les  Scythes  sont  regardés  comme  les  ancêtres  des  Turcs 
(p.  40).  Alexis  Comnène  passe  toujours  pour  avoir  provoqué  la  pre- 
mière croisade,  et  la  «  perfidie  »  des  Grecs  est  encore  une  fois  flétrie. 
On  se  demande  comment  on  peut  aujourd'hui  réimprimer  le  jugement 
d'ensemble  sur  l'empire  byzantin  qui  figure  pages  65-66.  C'est  mécon- 
naître entièrement  l'œuvre  historique  d'un  demi-siècle;  si  l'on  n'en 
admet  pas  les  conclusions,  il  faudrait  au  moins  en  donner  des  rai- 
sons. Ces  jugements  tout  faits,  à  la  mode  avant  1870,  font  sourire 
aujourd'hui  et  déparent  singulièrement  une  œuvre  qui,  dans  son 
ensemble,  se  lit  avec  intérêt  et  peut  rendre  de  réels  services. 

Louis  Bréhier. 


NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 


Histoire  générale. 

—  Adolph  Wagner.  Les  fondements  de  l'économie  politique 
(t.  IV  traduit  par  K.  L.  et  t.  V  traduit  par  L.  Polack.  Paris,  Giard  et 
Brière,  1913-1914,  2  vol.  in-8°,  de  455  p.  chacun,  dans  la  Bibliothèque 
internationale  d'économie  politique).  —  Voici  les  deux  derniers  tomes 
du  magistral  ouvrage  du  professeur  de  l'Université  de  Berlin.  Ils 
forment  la  deuxième  partie  de  cette  œuvre  capitale  et  sont  consacrés  à 
l'étude  de  l'économie  et  du  droit.  L'auteur  y  étudie  la  liberté  indivi- 
duelle au  point  de  vue  de  l'économie  nationale,  l'organisation  de  la 
propriété  au  point  de  vue  économique.  On  sait  avec  quel  soin  Wagner 
établit  les  bibliographies  de  chacun  de  ses  chapitres  (voir  en  particu- 
lier le  chapitre  consacré  au  servage)  ;  on  sait  qu'il  a  sans  cesse  la 
préoccupation  de  l'évolution  et  qu'il  apporte,  dans  l'étude  des  idées, 
le  constant  souci  de  leurs  origines  et  de  leurs  transformations  :  c'est 
là  ce  qui  fait  l'intérêt  de  ces  deux  nouveaux  volumes  pour  les  histo- 
riens qui  essaient  de  systématiser  leurs  connaissances.       Ch.  S. 

—  LiNDNER.  Die  Weltlage  Europas  seit  den  Befreiungskriegen 
(Leipzig  et  Dresde,  B.-G.  Teubner,  1914,  in-8°,  27  p.;  prix  :  0  m.  80). 
—  Conférence  faite  le  14  mars  1914  à  la  Gehe-Stiftung  à  Dresde. 
Considérations  très  générales  sur  l'histoire  de  l'Europe  de  1814  à  1914 
et  qui  n'apprennent  rien.  L'auteur,  qui  ne  veut  «  souffler  ni  dans  le 
chalumeau  de  la  paix  ni  dans  la  trompette  de  la  guerre  »,  termine 
néanmoins  en  montrant  la  puissance  militaire  de  l'Allemagne,  où  l'im- 
pôt de  guerre  d'un  milliard  est  rentré,  dit-on,  si  aisément.  —  C.  Pf. 

Histoire  de  l'antiquité. 

—  Dictionnaire  des  antiquités  grecques  et  romaines.  Fasc.  49 
(Paris,  Hachette,  1914;  prix  :  5  fr.).  —  Notons  dans  ce  fascicule  les 
articles  triumphus,  tumultus,  turma,  urbanae  cohortes,  vacatio 
ynilitiae,  vallum,  par  R.  Cagnat;  tropœum.,  tuba,  umbo,  vagina, 
par  Ad.  Reinach;  tutela,  par  L.  Beauchet  et  P.  Collinet;  tyran- 
nus,  par  A.  HuMPERS;  ulna,  par  E.  Babelon;  universitas,  usura, 
usus,  par  E.  CuQ;  enfin  l'important  article  vasa,  traité  de  céramique 
grecque  et  romaine,  par  Ch.  Dugas  et  E.  Pottier.  Ch.  B. 

—  A.  Jardé.  La  Grèce  antique  et  la  vie  grecque  (Paris,  Charles 
Delagrave,  1914,  in-12,  295  p.).  —  Très  joli  petit  livre  par  la  netteté 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  "  225 

de  l'exposition  et  du  style,  par  l'impression  fort  soignée,  par  les 
quatre-vingt-quatre  illustrations  bien  choisies.  On  y  trouvera  en  sept 
parties  une  géographie  de  la  Grèce  et  de  ses  colonies,  avec  la  topo- 
graphie d'Athènes  ;  le  relevé  des  grands  faits  de  l'histoire  grecque  avec 
un  index  des  noms  célèbres;  un  précis  de  la  littérature  grecque; 
quelques  notions  sur  l'histoire  de  l'art  ;  puis  sont  passées  en  revue  la 
religion,  la  vie  publique  et  la  vie  privée  des  Grecs.  Le  livre  s'adresse 
aux  élèves  des  lycées  ;  mais  les  grandes  personnes  auront  plaisir  à  le 
feuilleter.  C.  Pf. 

—  Henri  Ferrand.  Recherches  pour  déterminer  le  col  des  Alpes 
franchi  par  Hannihal  (Lyon,  A.  Geneste,  1914,  in-8°,  15  p.  Extrait 
de  la  jReuue  alpine).  —  M.  C.  Jullian,  dans  son  admirable  Histoire 
de  la  Gaule  (t.  I,  p.  475,  n.  6),  énumère  toutes  les  opinions  émises 
sur  le  lieu  de  passage  des  Alpes  par  Hannihal  et  opte  pour  le  col  du 
Cenis.  M.  Ferrand,  qui  connaît  si  bien  le  massif  alpestre,  se  prononce 
après  Perrin,  Azan  et  Colin  pour  le  col  Clapier,  d'où  le  général  car- 
thaginois a  pu  montrer  à  ses  troupes  la  plaine  d'Italie.  H  souhaite 
que  des  fouilles  soient  entreprises  ;  elles  auraient  peut-être  pour  résul- 
tat de  faire  découvrir  des  traces  du  camp,  des  foyers,  des  ossements 
et  des  détritus.  C.  Pf. 

Histoire  de  France. 

—  René  Pétiet.  Contribution  à  l'histoire  de  l'ordre  de  Saint- 
Lazare  de  Jérusalem  en  France  (Paris,  Edouard  Champion,  1914, 
in-S»,  463  p.;  prix  :  10  fr.).  —  Le  livre  est  mal  composé;  on  y  trouve 
trop  de  digressions,  par  exemple  sur  les  origines  de  la  lèpre,  sur  les 
relations  de  l'Occident  avec  l'Orient  avant  les  croisades,  sur  les 
ordres  militaires  en  général,  sur  les  Templiers  en  particulier;  mais  il 
nous  donne  des  détails  intéressants  sur  l'ordre  de  Saint-Lazare,  sur 
sa  fondation  en  Palestine,  sur  les  établissements  qui  lui  furent  donnés 
en  Terre-Sainte,  en  France  (Saint-Lazare  de  Paris  n'a  jamais  appar- 
tenu à  l'ordre),  en  Angleterre,  en  Allemagne.  M.  Pétiet  s'est  aussi 
efforcé  d'établir  la  liste  des  grands-maîtres.  Le  28  mars  1489,  le  pape 
Innocent  VIII  supprima  l'ordre,  puisque  aussi  bien  les  lépreux,  que  les 
chevaliers  devaient  soigner  à  l'origine,  devenaient  rares  et  que  la  mala- 
die était  en  train  de  disparaître.  Mais  au  début  du  xvii«  siècle,  en 
1608,  l'ordre  renaît,  uni  à  celui  de  Notre-Dame-du-Mont-Carmel  ; 
il  est  protégé  par  les  rois  de  France  et  prend  un  caractère  militaire; 
les  vétérans  des  armées  y  sont  reçus  et,  avec  la  croix,  y  trouvent  une 
pension  et  une  honorable  retraite.  A  la  tête  de  l'ordre,  après  les  Néres- 
tang,  sont  Louvois,  le  marquis  de  Dangeau,  le  duc  d'Orléans,  le  duc  de 
Berry,  le  comte  de  Provence;  mais  ses  revenus  diminuent  sans  cesse 
et  le  clergé  s'oppose  énergiquement  à  l'union  de  Saint-Lazare  avec 
les  ordres  du  Saint-Esprit  de  Montpellier,  de  Saint-Antoine  de  Vien- 
nois, de  Saint- Ruf  dans  le  Vaucluse;  les  Lazaristes  étaient  en  pleine 

Rev.  Histor.  CXVII.  2«  fasc.  15 


226  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

décadence  quand  le  décret  de  la  Constituante  du  30  juillet  1791  pro- 
nonça la  dissolution  de  l'ordre.  Ces  événements  nous  sont  exposés  non 
sans  confusion  par  l'auteur,  qui  a  réuni  les  renseignements  trouvés 
par  lui  aux  Archives  nationales  et  dans  diverses  bibliothèques.  L'ordre 
de  Saint-Lazare  est  devenu  nobiliaire;  M.  Pétiet  se  propose  de  publier 
prochainement  la  liste  et  l'armoriai  des  chevaliers  aux  xvii^  et 
xviii"  siècles,  complétant  ainsi  le  travail  publié  en  1875  par  le  comte 
A.  de  Marsy.  Une  telle  publication  aura  certainement  du  succès  auprès 
des  nobles,  qui  y  trouveront  confirmation  de  leurs  titres.  —  C.  Pf. 

—  Maurice  Pellisson.  Les  comédies-ballets  de  Molière  (Paris, 
Hachette,  1914,  in-16,  x-234  p.;  prix  :  3  fr.  50).  —  Le  sous-titre 
indique  le  but  de  l'ouvrage  :  «  Originalité  du  genre  ;  la  poésie,  la  fan- 
taisie, la  satire  sociale  dans  les  comédies-ballets.  >>  D'une  plume  fine 
et  discrète,  l'auteur  montre  que  la  comédie-ballet,  destinée  à  récréer 
aussi  bien  la  cour  que  la  ville,  tient  dans  l'œuvre  de  Molière  une  place 
vraiment  honorable.  Elle  illustre  avec  une  fantaisie  charmante  une 
part,  ou  si  l'on  veut  une  parcelle,  de  la  vie  sociale  au  jeune  temps  du 
Grand  Roi.  Ch.  B. 

—  BOSSUET.  Correspondance.  T.  VII  :  janvier  1695-juin  1696, 
publiée  par  Ch.  Urbain  et  E.  Levesque  (Paris,  Hachette,  collection 
des  Grands  Écrivains,  1913,  in-8°,  537  p.).  —  Ce  tome  contient  surtout 
des  lettres  de  direction  à  M™«**  Cornuau,  d'Albert,  de  Béringhen,  de 
Luynes,  de  La  Maisonfort,  etc.  Pourtant,  Fénelon  et  M""  Guyon  (pen- 
dant sa  retraite  à  la  Visitation  de  Meaux)  y  figurent  encore.  A  l'ap- 
pendice III,  les  éditeurs  nous  donnent  les  divers  actes  de  soumission 
de  M™e  Guyon  d'après  le  registre  de  Bossuet,  ce  qui  nous  permet  de 
voir  les  corrections  apportées,  à  la  demande  de  la  pénitente,  au  texte 
primitivement  établi  (voy.  des  fac-similés,  p.  513  et  514).  L'appen- 
dice IV  contient  la  protestation  formulée  par  M">«  Guyon  au  sujet  de 
sa  soumission  du  15  avril  1G95.  H.  Hr. 

—  Saint-Simon.  Mémoires,  éd.  A.  de  Boislisle,  L.  Lecestre  et 
J.  DE  Boislisle.  T.  XXVI  (Paris,  Hachette,  collection  des  Grands 
Écrivains,  1914,  in-8°,  567  p.).  —  Ce  nouveau  volume  contient  la 
suite  de  1714  et  le  début  de  1715,  l'affaire  du  bonnet,  le  célèbre  mor- 
ceau sur  Fénelon,  la  chute  de  la  princesse  des  Ursins,  la  peinture  de 
la  cour  dans  les  derniers  temps  de  la  vie  de  Louis  XIV.  En  dehors 
des  Additions  à  Dangeau,  qui  sont  ici  particulièrement  importantes, 
on  notera  les  précieux  appendices  sur  l'extraordinaire  coup  de  théâtre 
de  Jadraque  (il  y  a  là  une  série  de  correspondances  qui  infirment 
certaines  parties  du  récit  de  Saint-Simon),  sur  le  cardinal  de  Bouillon, 
sur  Philippe  V  au  lendemain  de  son  mariage  et  sa  réconciliation  avec 
le  duc  d'Orléans.  —  L'annotation  est  parfois  d'une  richesse  excessive. 
Est-il  utile,  p.  298,  n.  2,  d'écrire  :  «  François  Rabelais,  d'abord  cor- 
delier,  puis  bénédictin,  enfin  médecin  et  pourvu  de  la  cure  de  Meudon, 
mourut  en  1553.  Son  roman  de  Pantagruel  parut  en  1532  «?  La  suite 


HISTOIRE    DE    FRANCE.  227 

de  la  note,  sur  l'édition  dont  se  servait  le  futur  Régent,  est  la  seule 
chose  qui  nous  intéresse.  Je  crois  aussi  (p.  307,  n.  10)  que  Ludovic  le 
More  est  un  personnage  assez  connu.  H.  Hr. 

—  Chanoine  V.  Dubarat.  Le  livre  des  fondations  de  la  cathé- 
drale de  Bayonne  au  XVI^  siècle  (Paris,  Champion;  Archives  his- 
toriques de  la  Gascogne,  2"  série,  fascicule  18,  1913,  124  p.).  —  Ce 
«  Livre  des  fondations  »  ou  OMtuaire  (où  ne  se  trouve  pas,  il  est  vrai, 
la  date  de  la  mort  des  fondateurs)  a  été  rédigé  en  1544  ou  1545;  il  est 
en  dialecte  gascon.  Le  texte,  intéressant  pour  l'histoire  du  culte  et 
aussi  pour  celle  des  familles  bayonnaises  au  XVF  siècle,  a  été  très 
exactement  reproduit  avec  des  sommaires  et  des  notes  fort  utiles.  Une 
excellente  introduction  fournit  toutes  les  indications  désirables  sur  le 
manuscrit,  aujourd'hui  conservé  aux  archives  départementales  des 
Basses-Pyrénées,  sur  son  importance  historique  et  linguistique,  sur  les 
services  religieux  ordonnés  par  les  actes  de  fondations  et  sur  le  person- 
nel qu'on  y  employait.  Le  chapitre  vi  doit  être  particulièrement  noté 
à  cause  des  détails  précis  qu'il  contient  sur  les  monnaies  usitées  à 
Bayonne  au  xvi«  siècle.  Plusieurs  fac-similés,  trois  plans  de  la  cathé- 
drale à  trois  époques  différentes,  des  reproductions  d'armoiries  et  de 
marques  de  libraires  illustrent  l'ouvrage.  Cette  publication,  qui  sera 
terminée  dans  un  prochain  fascicule,  est  digne  en  tout  point  de  l'éru- 
dit  à  qui  l'on  doit,  entre  autres  textes  importants,  le  Missel  de 
Bayonne  de  15k3  et  (avec  l'abbé  Daranatz)  les  Recherches  de  Veillet 
sur  la  cathédrale  de  cette  ville.  Trouvera-t-il  ensuite  le  temps  de  ter- 
miner la  réimpression  de  l'Histoire  de  Béarn  de  Marca?  —  Ch.  B. 

—  Maurice  Dieterlen.  Le  fonds  lorrain  aux  Ayxhives  impé- 
riales et  royales  de  Vieyine  (Nancy,  A.  Crépin-Leblond,  1913,  in-S", 
52  p.).  —  Les  traités  de  Vienne,  en  enlevant  la  Lorraine  au  duc 
François  III,  stipulaient  que  les  papiers  de  famille,  tels  que  contrats 
de  mariages,  testaments  et  autres,  leur  seraient  laissés.  Quel  fut  le 
sort  de  ces  archives  depuis  1737?  C'est  ce  que  nous  dit  M.  Dieterlen 
dans  la  présente  brochure,  extraite  des  Mémoires  de  la  Société  d'ar- 
chéologie lorraine.  Elles  furent  emportées  en  1737  à  Florence;  un 
archiviste,  Thierry,  classa  les  plus  anciennes  pièces  (série  D)  en  213  faux 
volumes,  et  divisa  la  série  moderne  en  trois  séries.  A,  B,  C,  dont 
il  rédigea  un  inventaire  (en  tout  364  faux  volumes  et  3  cartons).  De 
Florence,  ces  archives  émigrèrent  à  Vienne,  où  on  les  trouve  incor- 
porées en  1765  aux  archives  secrètes  de  la  maison,  de  la  cour  et  de 
l'état  d'Autriche.  Aucun  travail  d'inventaire  ou  d'analyse  important 
n'a  été  fait  à  Vienne.  M.  Dieterlen  a  rédigé  pour  son  usage  person- 
nel un  catalogue  des  originaux  antérieurs  au  xvii«  siècle ,  total 
640  pièces,  et  il  tient  ce  catalogue  à  la  disposition  des  érudits.  A  ces 
mêmes  archives  sont  un  certain  nombre  de  manuscrits  intéressant 
la  Lorraine  et  parmi  eux  doux  volumes  du  fameux  cartulaire  de 
Thierry  Alix  qui  sont  en  déficit  aux  archives  de  Meurthe-et-Moselle 


228  NOtES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

et  dont  M.  Dieterlen  nous  donne  la  description  exacte.  Nous  laissons 
de  côté  la  partie  de  son  travail  où,  d'après  les  mentions  hors  texte  des 
documents  qu'il  a  consultés  à  Vienne,  il  cherche  à  refaire  l'histoire 
du  trésor  des  chartes  de  Lorraine,  et  nous  signalons  seulement  les 
anciennes  chartes  qu'il  publie  en  appendice  :  l'une  de  Simon  II  en 
1179,  deux  de  Ferry  II  en  1206  et  1208.  M.  Dieterlen  a  prouvé  qu'il 
était  possible  de  faire  encore  de  nombreuses  découvertes  sur  l'histoire 
de  Lorraine  dans  le  dépôt  devienne.  C.  Pf. 

—  Henri  Carré.  Querelles  entre  gentilshommes  campagnards, 
petits  bourgeois  et  paysans  du  Poitou  au  XVIII"  siècle  (Paris, 
Hachette,  1914,  in-4°,  16  p.  Extrait  de  la  Revue  du  XVIII^  siècle). 
—  Charmant  article,  composé  avec  les  archives  du  grefÎB  criminel  du 
siège  présidial  à  Poitiers.  On  y  voit  les  méfaits  commis  par  un  cer- 
tain nombre  de  gentilshommes  ;  on  y  retrouve  le  fameux  Ysoré,  sei- 
gneur de  Pleumartin,  dont  George  Sand  s'est  souvenue  dans  son 
roman  de  Mauprat.  Les  petits  bourgeois  et  les  paysans  s'attaquent 
souvent  à  ces  gentilshommes  ruinés  et  criminels,  et  l'on  saisit  de  la 
sorte  les  origines  de  la  guerre  sociale  qui  éclatera  en  1789.  —  C.  Pf. 

—  M.-Z.  ISNARD.  État  documentaire  et  féodal  de  la  Haute- 
Provence.  Nom.enclature  de  toutes  les  seigneuries  de  cette  région 
et  de  leurs  i)ossesseurs  depuis  le  XII^  siècle  jusqu'à  l'abolition 
de  la  féodalité.  État  sommaire  des  documents  d'archives  commu- 
nales antérieures  à  Î790.  Bibliographies  et  armoiries  (Digne,  Vial, 
in-8°,  xx-496  p.).  —  La  Haute-Provence,  c'est  le  département  des 
Basses-Alpes  dont  M.  Isnard  est  archiviste  et  qui  d'abord  s'appela  le 
département  de  la  Haute-Provence.  Dans  cet  État  sommaire,  les 
localités  sont  transcrites  par  ordre  alphabétique;  pour  chaque  com- 
mune, on  indique  l'état  des  archives  par  séries  avec  la  date  initiale  de 
chacune  d'entre  elles;  s'il  y  a  lieu,  on  mentionne  les  travaux  qui  ont 
été  publiés  sur  la  commune;  suit  la  liste  des  seigneurs  qui  ont  possédé 
la  localité  ou  qui  y  ont  eu  des  biens  nobles  ;  l'article  se  termine  par 
la  description  des  armoiries  de  la  ville  ou  du  village.  L'auteur  s'oc- 
cupe des  seigneuries  à  propos  des  localités.  Il  nous  eût  semblé  pré- 
férable de  consacrer  des  articles  spéciaux  à  la  seigneurie  dans  son 
ensemble,  puis  aux  communes.  Ainsi  on  aurait  fait  un  article  géné- 
ral sur  la  baronnie  d'Allemagne;  puis  des  articles  spéciaux  sur  les 
communes  d'Allemagne,  d'Albiosc,  de  Saint-Martin-de-Brômes,  qui  la 
constituaient;  le  répertoire  eût  gagné  en  netteté  et  l'auteur  eût  évite 
des  redites.  Pourtant,  le  répertoire  rendra  service  aux  historiens 
locaux.  C.  Pf. 

—  Alfred  Martineau.  Inventaire  des  anciennes  archives  de 
l'Inde  française  (Pondichéry,  Société  de  l'Inde  française,  mars-avril 
1914,  in-8°,  38  p.).  —  M.  A.  Martineau,  ancien  élève  de  l'École  des 
chartes,  a  pris  le  plus  vif  intérêt  à  notre  histoire  coloniale;  il  est  le 
fondateur  de  la  Revue  de  l'histoire  des  colonies  françaises.  Nommé 


HisTOiBE  d'allemag.^e.  229 

gouverneur  de  nos  établissements  de  l'Inde,  il  a  classé  les  anciennes 
archives  de  la  colonie,  qui  comprennent  250  registres  et  333  liasses, 
et  il  publie  ici,  avec  grand  soin,  l'inventaire  des  105  registres  conte- 
nant les  documents  politiques  et  administratifs;  les  autres  registres 
renferment  les  documents  judiciaires.  Nous  espérons  qu'il  nous  don- 
nera aussi  l'inventaire  des  pièces  volantes  réunies  dans  les  liasses,  et 
que  son  exemple  sera  suivi  dans  les  autres  colonies.  C.  Pf. 

Histoire  d'Allemagne. 

—  D"'  A.  HiLSENBECK.  Registev  zu  den  Abhandlimgeyi,  Denk- 
schriften  iind  Reden  der  k.  Bayer.  Akademie  der  Wissenschaf- 
ten,  1801-1913  ^Munich,  J.  Roth,  1914,  in-8s  201  p.l.  —  On  trouve  la 
table  des  publications  de  l'ancienne  Académie  électorale  de  Bavière, 
de  1759  à  1805,  dans  le  livre  de  Lorenz  Westenrieder  :  Geschichte 
der  Bayer.  Akademie  der  Wissenschaften.  Le  présent  répertoire 
commence  avec  la  réorganisation  de  l'Académie  le  i^^  mai  1807  et  con- 
duit jusqu'à  la  fin  de  1913.  Il  contient  trois  tables  :  par  volumes,  par 
auteurs,  par  matières.  Sans  doute  les  dissertations  mathématiques  ou 
d'histoire  naturelle  présentent  pour  nos  lecteurs  un  moindre  intérêt; 
mais  les  dissertations  historiques  sont  nombreuses  et  elles  émanent 
d'hommes  comme  Andr.  Buchner,  Cornélius,  Krumbacher,  W.  Pre- 
ger,  S.  Riezler,  L.  Rockinger,  H.  Simonsfeld,  etc.  Tous  les  écrits 
émanés  de  l'Académie  sont  inventoriés,  à  l'exception  des  Sitzungs- 
berichte,  dont  les  tables  pour  1860  à  1910,  l'une  pour  la  classe  de 
philologie  et  d'histoire,  l'autre  pour  celle  de  mathématique  et  de 
physique,  ont  paru  l'année  précédente  par  les  soins  du  même  doc- 
teur A.  Hilsenbeck.  C.  Pf. 

—  Enrico  Rivari.  La  mente  e  il  carattere  di  Lutero.  Conside- 
razioni  j)sicologiche.,  avec  préface  du  professeur  Raiïaele  Brugia 
(Bologne,  Beltrami,  1914,  in-8°,  265  p.).  —  Luther  «  fut  un  dégénéré 
mental  et  moral,  atteint  de  paranoïa  mystique  et  religieuse  et  sujet 
à  des  attaques  épisodiques  de  psychasthéuie  ».  On  s'en  doutait.  C'est, 
appliquée  à  Luther,  la  méthode  que  M.  Binet- Sanglé,  chez  nous, 
applique  à  Jésus  ou  à  d'autres  créateurs  de  religion.  M.  Rivari 
croit-il  que,  parmi  les  moines  du  xvi«  siècle,  il  n'y  en  ait  pas  eu 
d'autres  atteints  d'orgueil,  de  logolatrie,  de  coprolalie,  même  d'éro- 
tisme  (au  moins  Luther  a-t-il  su  faire  à  l'érotisme  sa  part!),  de  mélan- 
colie; n'y  en  a-t-il  pas  eu  d'autres  qui  aient  eu  peur  du  diable,  qui 
aient  eu  des  hallucinations';'  Et,  cependant,  il  n'y  eut  qu'un  Luther. 
—  Quel  malheur  que  les  contemporains  n'aient  pu  parvenir  à  l'in- 
telligence intime  de  cet  esprit.  C'est  «  qu'avec  les  connaissances 
psychologiques  d'alors  ils  ne  pouvaient  démêler  en  lui  l'origine 
paranoïque  de  tant  d'observations  de  la  faculté  ratiocinante,  ni  appré- 
cier de  façon  adé([uate  la  valeur  des  perturbations  alïeclives  et  des 
idées  délirantes   jointes  à  des  erreurs   sensorielles    ».  Aujourd'hui, 


230  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

mieux  renseignés  sur  les  «  conditions  psychopatliiques  »  de  son 
action,  nous  savons  qu'il  a  réussi  parce  qu'il  «  prêchait  un  système 
de  vie  plus  joyeuse  »  que  le  catholicisme  et  «  qu'il  satisfaisait  la  ten- 
dance universelle  aux  plaisirs  ».  Luther  hédoniste!  La  science  des 
psychopathes  a  de  ces  surprises.  H.  Hr. 

Histoire  de  Grande-Bretagne. 

—  William  Sharp  Mackechnie.  Magna  Carta.  A  commentary  on 
the  Great  charter  of  king  John,  with  an  historical  introduction. 
Second  édition,  revised  and  in  part  re-written  (Glasgow,  James  Macle- 
hose,  1914,  in-8°,  xviii-530  p.).  —  Édition  revisée  et  remaniée,  dit  le 
titre;  c'est  l'exacte  vérité  :  tandis  que  la  première  édition  comprenait 
plus  de  600  pages,  celle-ci  n'en  compte  que  530;  tout  en  mettant  son 
livre  au  courant  des  travaux  les  plus  récents,  en  développant  davan- 
tages  certaines  parties  (celle  par  exemple  qui  se  rapporte  à  la  «  charte 
inconnue  »  des  hbertés  anglaises),  l'auteur  a  réussi,  par  une  heureuse 
condensation,  à  le  rendre  plus  court.  Il  a  soumis  plusieurs  chapitres 
de  son  commentaire  à  une  rédaction  nouvelle  et  plus  précise.  Signa- 
lons en  outre  deux  heureuses  modifications  apportées  aux  documents 
qui  figurent  dans  l'appendice  :  pour  la  charte  de  Henri  !<='■  (1100),  il  a 
donné  le  texte,  désormais  classique,  qu'a  établi  M.  Félix  Liebermann; 
pour  les  rééditions  de  la  Grande  Charte,  il  a  renoncé,  avec  toute  rai- 
son, au  texte  de  1217  et  reproduit  celui  de  1225  qui  seul  possède  une 
indiscutable  valeur  juridique.  On  ne  peut  qu'approuver  ces  change- 
ments qui  accroissent  encore  le  mérite  de  cet  excellent  instrument  de 
travail.  Ch.  B. 

—  Naval  and  military  Essays  (Cambridge,  at  the  University  press, 
1914,  in-8°,  viii-243  p.;  prix  :  7  sh.  6  d.).  —  Le  Congrès  international 
d'histoire  à  Londres  avait  créé  une  section  d'histoire  maritime  et  mili- 
taire. Les  mémoires  lus  dans  cette  section  forment  le  tome  I  d'une 
nouvelle  collection  commencée  par  1'  «  University  press  »  de  Cam- 
bridge. Ce  volume  comprend  deux  parties  dans  lesquelles  sont  répar- 
tis les  mémoires  suivants  :  L  Histoire  maritime  :  Sir  John  K.  Laugh- 
TON,  Des  historiens  qui  ont  traité  de  l'histoire  maritime  (il  est  curieux 
que  cette  histoire  ait  été  jusqu'ici  fort  médiocrement  traitée  en  Angle- 
terre); J.  Corbett,  Des  histoires  rédigées  par  les  états-majors;  capi- 
taine H.  W.  RiCHMOND,  l'Histoire  maritime  considérée  au  point  de 
vue  des  officiers  de  marine;  J.  R.  Tanner,  Samuel  Pepys  et  son  rôle 
comme  administrateur  (des  grands  services  qu'il  a  rendus  à  la  marine 
anglaise;  jusqu'à  quel  point  peut-on  parler  de  sa  corruption?);  lieute- 
nant Alfred  Dewar,  l'Histoire  maritime,  nécessité  d'un  catalogue  des 
sources  (avec  une  ébauche  de  bibliographie).  —  II.  Histoire  militaire  : 
colonel  Sir  Lonsdale  Hale,  Des  difficultés  que  présente  l'histoire 
militaire;  lieutenant-colonel  F.  Maurice,  De  l'utilité  de  l'histoire 
militaire  pour  préparer  au  commandement  à  la  guerre;  L.  J.  Amery, 


HISTOIRE   DE    GRANDE-BRETAGNE.  231 

De  l'influence  des  principes  de  tactique  sur  l'art  militaire  ;  J.  E.  NovÂK, 
le  Feld-maréchal  prince  Schwarzenberg  (très  intéressante  étude  sur 
le  caractère  de  Schwarzenberg,  sur  son  «  humanité  »,  d'après  sa  cor- 
respondance avec  sa  femme).  Les  communications  de  MM.  Rose  : 
Esquisse  des  plans  de  Napoléon  pour  la  campagne  d'automne  en  1813; 
Oman  :  Utilité  de  l'histoire  militaire,  et  Atkinson  :  Régiments  étran- 
gers au  service  de  l'Angleterre,  de  1793  à  1815,  ne  sont  ici  que  de 
brefs  résumés.  En  somme,  l'étude  de  M.  Novâk  est  le  morceau  de 
résistance  du  volume  et  son  principal  attrait.  Ch.  B. 

—  Lord  Macaulay.  Historical  essays  contributed  to  the  Edin- 
burgh  Review  (Oxford,  University  press,  in-S»,  821  p.);  Literary 
Essays  (Ibid.,  702  p.;  pri.x  :  1  sh.  6  d.  chaque).  —Voici  en  deux 
volumes  les  célèbres  Essais  qui,  insérés  dans  la  Revue  d'Edimbourg, 
classèrent  d'emblée  Macaulay  au  premier  rang  des  historiens  et  don- 
nèrent tant  d'éclat  à  la  revue  libérale.  Les  Essais  sont  reproduits  pure- 
ment et  simplement  :  ni  introduction  ni  notes  ;  mais  chaque  volume 
est  muni  d'un  index.  Il  est  intéressant  de  constater  la  faveur  nouvelle 
dont  jouit  Macaulay;  la  critique  s'est  acharnée  depuis  un  demi-siècle 
à  montrer  les  lacunes  de  son  information,  le  parti  pris  de  ses  juge- 
ments; mais  il  est  devenu  un  des  grands  classiques  de  la  littérature 
anglaise;  malgré  ses  taches,  il  est  immortel.  Ch.  B. 

—  Thomas  Carlyle.  Olivier  Cromwell,  sa  correspondance,  ses 
discours,  traduit  de  l'anglais  par  Edmond  Barthélémy,  t.  III 
(Paris,  Mercure  de  France,  collection  d'auteurs  étrangers,  1914,  in-12, 
558  p.;  prix  :  3  fr.  50).  —  Ce  tome  III  contient  les  parties  6  à  9  de 
l'œuvre  de  Carlyle  et  se  rapporte  à  la  guerre  d'Ecosse,  1650-1651,  au 
petit  Parlement,  1651-1653,  au  premier  Parlement  du  protectorat, 
1654,  aux  majors  généraux,  1655-1656.  La  traduction  se  lit  avec 
beaucoup  d'intérêt;  mais  les  historiens  ne  pourront  l'utiliser  en 
toute  sécurité  qu'à  condition  de  se  reporter  aussi  à  l'édition  Lomas 
(voir  Rev.  histor.,  t.  XCIV,  p.  117)  qui  contient  d'utiles  additions  et 
rectifications  au  texte  de  Carlyle.  M.  Barthélémy  ne  pouvait  se  les 
approprier.  Ch.  B. 

—  Jacques  Bardoux.  Croquis  d'outre-Manche  (Paris,  Hachette, 
1914,  in-16,  ix-229  p.;  prix  :  3  fr.  50).  —  Deux  parties  très  différentes 
dans  ce  volume  de  mélanges  :  1°  impressions  d'un  littérateur,  qui 
parcourt  les  plateaux  de  la  Cornouaille,  les  falaises  du  Devon,  les  val- 
lées du  Somerset;  2°  impressions  d'un  publiciste  quia  eu  le  privilège 
d'assister  en  bonne  place  aux  fêtes  du  couronnement  d'Edouard  VII 
et  de  Georges  V.  Aspects  variés  du  sol,  de  la  petite  vie  provinciale, 
de  l'art  gothique  (la  cathédrale  de  Wells)  et  italien  (le  château  de 
Long-Leat,  près  de  Bath)  ;  spectacles  prestigieux  de  la  procession 
royale  à  travers  les  rues  de  la  Cité  et  de  Westminster,  de  la  revue 
navale  à  Southampton.  Le  contraste  violent  entre  les  deux  parties 
surprend  le  lecteur,  qui,  le  livre  fermé,  se  console  aisément  en  pen- 


232  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

sant  qu'il  a  pris  une  utile  leçon  de  choses  avec  un  guide  aussi  bien 
informé.  Ch.  B. 

Histoire  de  Russie. 

—  Mélanges  Korsahoff.  Recueil  de  travaux  offert  à  Dmitry 
Korsakoff,  D""  et  prof,  émérite  de  VUniversité  de  Kazan,  à  loc- 
casion  du  LX«  anniversaire  de  son  professorat  et  de  ses  cin- 
quante années  d'activité  d'érudit  et  d'écrivain  (Kazan,  1913).  — 
Il  y  a,  dans  ce  recueil,  des  articles  d'histoire  politique  et  littéraire, 
d'archéologie,  de  linguistique,  de  pédagogie,  signés,  pour  la  plupart, 
par  des  professeurs  des  universités  russes.  Les  plus  intéressants, 
pour  nous,  sont  naturellement  ceux  qui  concernent  l'histoire  de  Rus- 
sie depuis  ses  origines  :  Liaskoronski,  les  Princes  de  Leversk  avant 
l'invasion  mongole;  Harlampovitch,  l'Influence  de  la  Russie  de 
l'ouest,  au  XVF  siècle,  sur  celle  de  l'est;  Ilinski,  Un  Russe  en  Occi- 
dent au  xvP  siècle;  Chusourlo,  l'Avènement  de  Catherine  I,  d'après 
les  archives  de  La  Haye  ;  Gautier,  l'Administration  provinciale  au 
xviii«  siècle;  Stchétchoulim,  Encore  un  mot  sur  les  sources  du 
Nakaz  de  Catherine  II;  Dovnar  Zapolski,  la  Guerre  de  1812  et  la 
société  russe;  Arkhangelski,  les  Origines  de  la  commune  agraire  en 
Russie,  etc.  Le  mémoire  de  M.  Dovnar  Zapolski,  en  particulier,  méri- 
terait une  longue  analyse.  L'auteur  y  a  étudié  les  dispositions,  en  1812, 
non  seulement  de  la  société,  mais  encore  de  ce  peuple,  au  sujet  duquel 
nous  nous  sommes  souvent  demandé  (voir  Alfred  Rambaud,  Fran- 
çais et  Russes,  p.  82,  et  mon  livre  sur  la  Culture  française  en 
Russie,  chap.  xxi)  si  Napoléon  aurait  pu  et  dû  recourir  à  l'arme 
qu'aurait  été  pour  lui  la  proclamation  de  la  liberté  des  serfs.  Les  docu- 
ments et  les  faits  cités  par  M.  Dovnar  Zapolski  sont  de  nature  à  faire 
croire  que,  s'il  l'avait  fait,  la  guerre  aurait  tourné  autrement. 

Emile  Haumant. 

—  Louis  Léger.  Nicolas  Gogol  (Paris,  Bloud,  in-16,  265  p.;  col- 
lection des  «  Grands  écrivains  étrangers  »  ;  prix  :  2  fr.  50).  —  Nous 
ne  pouvons  que  mentionner  cette  fort  agréable  biographie  du  grand 
romancier  russe.  Rappelons  cependant  que,  si  Gogol  fut  un  des 
peintres  les  plus  curieux  de  la  vie  russe,  s'il  a  tracé  une  image  célèbre 
du  fonctionnaire  (dans  sa  comédie  du  Revisor),  il  s'est  aussi  essayé 
dans  l'enseignement.  Il  fut  en  effet  professeur  d'histoire  du  moyen 
âge  à  l'Université  de  Saint-Pétersbourg.  Il  y  était  entré  sans  diplômes 
et  il  n'avait  sur  l'histoire  que  des  idées  dont  la  source  principale  était 
dans  son  imagination;  d'ailleurs,  il  professa  pendant  une  année  à 
peine  (1834-1835)  et  s'empressa  de  revenir  à  la  littérature,  qu'il  ne 
devait  plus  quitter.  Ch.  B. 


RECUEILS  PÉRIODIQUES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES. 


France. 

1.  —  Feuilles  d'histoire  du  XVIIe  au  XX«  siècle.  1914, 1"  août. 

—  M.-N.  SCHVEITZER.  Les  Chartreux  de  Vauvert  propriétaires  à  Paris, 
1753  (histoire  des  propriétés  marquées  dans  un  inventaire  de  1753).  — 
Cl.  Perroud.  Une  famille  en  1793-1794.  Lettres  d'un  volontaire 
(•2«  article  ;  détention  de  Champagneux  père,  d'après  les  Notices  qu'il 
écrivit  lui-même  durant  son  incarcération  à  La  Force.  Lettres  de  son 
fils,  Benoît- Anselme,  volontaire  à  l'armée  des  Ardennes,  puis  dans  le 
bataillon  de  Mayenne-et-Loire;  envoyé  ensuite  au  siège  de  Lyon; 
suite  en  aoùt-nov.  1793).  —  L.  Humbert.  Lettres  de  la  comtesse  de 
Balbi,  de  son  fils  et  de  Louis  XVIII  (suite  ;  Armand  de  Balbi,  fils  de 
la  comtesse,  était  en  1795  sous  les  ordres  du  marquis  d'Autichamp. 
Il  quitta  son  corps  sans  permission,  sous  prétexte  de  se  joindre  aux 
troupes  qui  devaient  débarquer  à  Quiberon  ;  cette  équipée  lui  valut 
d'être  rayé  du  régiment,  révocation  que  le  roi  confirma  purement  et 
simplement.  C'était  la  rupture  définitive  avec  la  comtesse  de  Balbi). 

—  G.  Vauthier.  Les  demandes  d'emploi  dans  la  maison  de  l'Empe- 
reur (en  1804).  — Fr.  Larcher.  Le  chapitre  impérial  d'éducation  pour 
les  filles  d'Austerlitz  (plan  d'éducation  proposé  par  M"""*  Campan  dans 
une  lettre  à  l'Empereur,  1804).  —  Eug.  Welvert.  Barras  après  Bru- 
maire (suite;  sous  la  première  Restauration,  Barras  eut  des  relations 
suspectes  avec  le  comte  de  Blacas  ;  on  se  rappela  alors  ses  intrigues 
avec  ou  pour  les  royalistes  au  18  fructidor.  La  plupart  de  ses  amis 
l'abandonnèrent  en  ce  moment.  Heureusement  pour  lui,  n'ayant  ni 
accepté  d'emploi  ni  signé  l'acte  additionnel  pendant  les  Cent-Jours,  il 
put  échapper  à  la  réaction  royaliste  de  1815  et  attendre,  tranquille  dans 
le  Midi,  l'amnistie  du  19  janvier  1816.  En  1818,  on  le  voit  solliciter 
le  duc  de  Berry,  et  sa  requête  est  accueillie  avec  bienveillance. 
Avait-il  donc  tenté  de  se  vendre  aux  Bourbons?).  —  A.  Marquiset. 
La  fin  de  Godoy  (mort  à  Paris,  rue  de  La  Michodière,  le  6  oct.  1851). 

2.  —  La  Révolution  française.  1914,  14  août.  —A.  Aulard.  Jean 
.laurès.  —  Alph.  Méry.  Les  élections  à  l'Assemblée  législative  de  1791 
et  les  assemblées  électorales  en  aoùt-sept.  1791.  —  M.  Préaux.  Un  gre- 
nadier du  18  brumaire  :  le  capitaine  Pourée  (Pourée,  un  des  «  sau- 
veurs »  de  Bonaparte  le  18  brumaire,  fut  libéralement  récompensé 
par  Joséphine  et  par  le  Premier  Consul  :  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur  en  1804,  il  parvint  au  grade  de  capitaine  en  1811.  Il  mou- 


234  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

rut  le  5  juin  1844).  — P.  Vinson.  Un  essai  de  représentation  profession- 
nelle pendant  les  Cent-Jours  (suite  et  fin).  =  Documents  :  Une  lettre 
du  conventionnel  Ritter  à  son  collègue  Laurent  (de  Paris,  3  messidor 
an  II  ;  détails  sur  l'affaire  de  Catherine  Théot).  —  Jugement  contre  les 
assassins  de  Hoche  (pièces  concernant  l'accusation  contre  ceux  qui 
avaient  comploté  d'assassiner  le  pacificateur  de  la  Vendée,  1796-1797; 
ils  appartenaient  au  parti  royaUste).  ■=.  Sept.-iiov.  A.  Aulard.  Le 
Recueil  des  actions  héroïques  (publié  par  les  soins  du  Comité  d'ins- 
truction publique  de  la  Convention  nationale  en  l'an  II;  les  rédacteurs 
en  furent  Léonard  Bourdon,  puis  Thibaudeau.  Il  n'eut  que  cinq  numé- 
ros). —  F.  Raymond.  Les  Constituants  de  Lyon  et  leurs  électeurs, 
juin  1789-sept.  1791.  —  F.  Uzureau.  Arrestation  des  fédéralistes  ange- 
vins. —  A.  MÉRY.  Les  élections  à  l'Assemblée  législative  de  1791  :  les 
assemblées  électorales  (suite).  =  Documents  :  1°  Manœuvres  des 
prêtres  dans  l'Ardèche  en  prairial  an  III;  2"  Lettres  de  Roux-Laborie 
à  Thibaudeau  en  l'an  VIII. 

3.  —  Revue  des  questions  historiques.  1914,  l»""  juill.  —  R.  de 
Launay.  Le  combat  de  Perrigny,  août  52  av.  J.-C.  (exposé  critique  du 
récit  des  Commentaires,  VII,  66).  —  Am.  Moulle.  Les  corporations 
drapières  de  la  Flandre  au  moyen  âge  (l^""  article).  —  Léon  Mirot. 
L'enlèvement  du  Dauphin  et  le  premier  conflit  entre  Jean  Sans-Peur 
et  Louis  d'Orléans,  juill. -oct.  1405  (suite;  les  manifestes  des  ducs  de 
Bourgogne  et  d'Orléans).  —  Henri  du  Bourg.  La  saisie  du  temporel 
ecclésiastique  du  diocèse  de  Saint-Papoul  en  1582  (détail  de  la  procé- 
dure suivie  pour  cette  saisie  ;  il  s'agissait  de  contraindre  le  très  pauvre 
diocèse  de  Saint-Papoul  à  s'acquitter  des  charges  pécuniaires  qui  lui 
avaient  été  imposées  par  le  roi  et  par  le  pape,  afin  d'alimenter  la  guerre 
contre  les  protestants).  —  R.  de  Cisternes.  Un  colonel  du  régiment 
de  Champagne  à  l'Académie  française  (Charles-Armand-René  de  La 
Trémoille  et  de  Thouars;  élu  en  1738,  il  mourut  de  la  petite  vérole  en 
1741  à  l'âge  de  trente-trois  ans).  —  Baron  André  de  Maricourt. 
Lettres  de  l'abbé  Le  Gouz  au  baron  de  Gémeaux,  1740-1764.  = 
C. -rendu  :  A.  Manaresi.  L'impero  romano  e  il  cristianesimo  (bonne 
histoire  de  l'empire  romain  et  du  christianisme  au  temps  des  persécu- 
tions). =  Bulletin  historique  :  Albe.  Chronique  du  INIidi  (analyse  des 
bulletins  et  recueils  des  Sociétés  savantes  de  dix-huit  départements  qui 
tous  ne  sont  pas  du  Midi).  —  M.  Besmer.  Chronique  d'histoire 
ancienne,  grecque  et  romaine.  —  L.  Didier.  Courrier  des  États-Unis. 
=  Bulletin  bibliographique  :  Tournebize.  Histoire  politique  et  reli- 
gieuse de  l'Arménie  depuis  les  origines  des  Arméniens  jusqu'à  la  mort 
de  leur  dernier  roi,  l'an  1393  (volume  fait  de  pièces  et  de  morceaux, 
où  l'auteur  ne  craint  pas  de  se  contredire  lui-même.  Il  s'y  trouve  de 
très  bonnes  parties,  mais  une  histoire  de  l'Arménie  reste  à  faire).  — 
Lefebvre  de  Montjoye.  Les  Ligures  et  les  premiers  habitants  de  l'Eu- 
rope occidentale;  leurs  termes  géographiques  (c'est  de  la  divagation 
pure).  —  K.  Six.  Das  Aposteldekret,  Act.  xv,  28-29  (savant  mémoire 


RECUEILS  pe'riodiqdes.  235 

sur  le  décret  édicté  par  le  concile  de  Jérusalem).  —  F.  Lenzi.  San 
Domnio,  vescovo  e  martire  di  Salona,  f  304  (bonne  mise  au  point 
d'une  question  qu'avait  embrouillée  la  vanité  d'une  «  tradition  d'apos- 
tolicité  »).  —  Palmarocci.  L'abbazia  di  Monte  Cassino  e  la  conquista 
normanna  (histoire  politique  et  économique  de  la  célèbre  abbaye  jus- 
qu'au milieu  du  xii^  siècle;  mais  l'auteur  donne  trop  de  place  aux 
conjectures,  pas  assez  aux  textes).  —  Longas  Bartibas.  La  represen- 
tacion  aragonese  en  la  junta  central  suprema  (1808-1810;  excellent). 

—  A.  Brou.  Saint  François-Xavier  (bon).  —  Herrera  y  Oria.  A  pro- 
posito  de  la  muerte  de  Escobedo  (tend  à  prouver  qu'Antonio  Ferez  a 
empoisonné  lui-même  le  prêtre  Pedro  de  La  Hera,  astrologue,  dont  il 
suivait  les  conseils  dans  la  conduite  de  sa  vie  et  dont  le  témoignage  pou- 
vait à  l'occasion  lui  être  funeste).  —  A.  Lombard.  L'abbé  du  Bos  (très 
intéressant).  =  1"  oct.  L.  MmOT.  L'enlèvement  du  Dauphin  et  le  pre- 
mier conflit  entre  Jean  Sans-Peur  et  Louis  d'Orléans,  juill.-oct.  1405 
(suite  et  fin;  neuf  documents  inédits  publiés  en  appendice).  —  M.  Se- 
PET.  Observations  critiques  sur  l'histoire  de  Jeanne  d'Arc.  La  relation 
officielle  du  procès  de  condamnation  et  la  diplomatie  de  l'Angleterre 
(cette  relation  officielle  est  le  document  publié  par  Quicherat,  Pi^ocès, 
t.  III,  p.  377,  sous  le  titre  à' Instrumentum  sententise;  c'est  un 
résumé  du  procès  composé  longtemps  avant  la  rédaction  officielle  in 
extenso  du  procès  de  condamnation.  Il  contient  l'exposé  de  la  cause 
faite  au  nom  et  sous  l'inspiration  de  Cauchon  ;  on  y  constate  les  esca- 
motages et  les  falsifications  sur  lesquels  s'appuya  la  condamnation.  Il 
eut  surtout  pour  objet  de  convaincre  les  juges.  Plusieurs  autres  pièces, 
celle  qu'on  appelle  V Information  posthume,  les  Lettres  de  garan- 
tie, ont  été  annexées  à  r7nsiri(me?iiMm  senfeniiae  afin  de  convaincre 
Rome  et  les  princes  de  la  chrétienté  de  la  légitimité  de  la  sentence). 

—  M.  Prévost.  L'assistance  aux  invalides  de  la  guerre  avant  1670. 

—  J.  Rambaud.  a  propos  des  martyrs  de  Lyon  (voici  un  point  de  droit 
significatif  :  un  des  accusés,  Attale,  originaire  de  Pergame,  allait  être 
mis  à  mort,  quand  on  apprit  qu'il  était  citoyen  romain;  aussitôt  il  fut 
reconduit  en  prison  et  l'on  écrivit  à  l'Empereur  pour  lui  demander  la 
conduite  à  tenir.  Cet  incident  judiciaire  n'a  pu  se  produire  qu'avant 
l'édit  de  Caracalla  ordonnant  que  tous  les  habitants  de  l'empire  fussent 
faits  cives  romani.  Il  est  donc  impossible,  comme  M.  Thompson  l'a 
cru,  que  le  martyre  ait  eu  lieu  seulement  au  iii^  siècle).  —  J.  Gui- 
RAUD.  Rome,  la  Renaissance  et  les  Farnèse  (d'après  l'ouvrage  de 
M.  Ferdinand  de  Navenne).  —  G.  de  La  Véronne.  Une  aliénation  de 
biens  ecclésiastiques  (contribution  à  l'étude  de  la  propriété  foncière 
sous  l'ancien  régime;  analyse  les  pièces  relatives  à  l'aliénation,  par 
l'évêque  de  Nevers,  d'une  partie  des  biens  qui  formaient  la  mense  de 
l'abbaye  do  Saint-Cyran  au  diocèse  de  Bourges,  1757-1768).  — 
C.  Daux.  État  du  diocèse  de  Montauban  à  la  fin  de  l'ancien  régime 
(d'après  le  répertoire-manuel  du  dernier  évoque  de  Montauban,  Le  Ton- 
nelier de  Breteuil,  qui  mourut  le  14  août  1794).  —  P.-R.  du  Magny. 


236  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

Une  supercherie  historique.  Le  pseudo-manuscrit  de  la  comtesse 
d'Apchier  (les  «  documents  inédits  »  sur  lesquels  M.  Jean  de  Bonne- 
fon  s'appuie  pour  établir  que  le  Dauphin,  échappé  du  Temple,  est  mort 
en  1854  sous  le  nom  de  baron  de  Richemont,  sont  des  faux;  il  est 
impossible  en  particulier  que  les  mémoires  rédigés  en  1833  et  1853  par 
la  comtesse  d'Apchier  soient  authentiques).  =:  C. -rendu  :  R.  Gleizes. 
Jean  Le  Vacher,  vicaire  apostolique  et  consul  à  Tunis  et  à  Alger, 
1619-1683  (excellente  biographie).  =  P.  Courteault.  Bulletin  du  sud- 
ouest,  1911-1913  (bibliographie  très  complète).  :=  Bulletin  bibliogra- 
phique :  F7\  Dutacq.  Histoire  politique  de  Lyon  pendant  la  Révolu- 
tion de  1848  (bon).  —  F.  de  Cardaillac.  Un  témoin  du  coup  d'État, 
1848-1852.  Bernard  Lacaze  (d'après  sa  correspondance).  —  Fr.  Rous- 
seau. Souvenirs  de  l'invasion  et  du  siège  de  Paris  (intéressant).  — 
V.  Cartier.  Le  général  Trochu  (1815-1896;  touchante  apologie).  — 
Gausseron.  Un  Français  au  Sénégal.  Abel  Jeandet  (importants  docu- 
ments). 

4.  —  Revue  d'histoire  moderne  et  contemporaine.  1914,  mars- 
juin.  —  M.  Marion.  Les  rôles  des  vingtièmes  et  les  statistiques  de  la 
propriété  territoriale  sous  l'ancien  régime  (ces  rôles  ne  sauraient  four- 
nir les  minutieux  détails  que  M.  Loutchitsky  s'ingénie  à  leur  demander, 
car  les  revenus  des  propriétaires  y  sont  évalués  au  hasard,  les  muta- 
tions n'y  sont  pas  consignées  exactement,  les  omissions  et  les  doubles 
emplois  y  sont  fréquents;  on  ne  peut  s'en  servir  qu'après  un  sévère 
examen  critique).  —  Ch.  Ballot.  La  politique  extérieure  du  Directoire 
d'après  des  ouvrages  récents  (si  la  paix  n'a  pas  été  conclue  à  Lille,  la 
faute  en  est  surtout  à  Reubell,  qu'inspirait  une  haine  irraisonnée 
contre  l'Angleterre;  après  le  18. fructidor,  c'est  lui  qui  dirige  la  poli- 
tique du  Directoire  dans  les  voies  de  Bonaparte).  —  P.  Muret. 
Alexandre  II  et  Napoléon  III,  d'après  un  ouvrage  récent  (celui  de 
M.  François  Charles-Roux;  ouvrage  remarquable,  mais  dont  la  docu- 
mentation offre  de  regrettables  lacunes).  ^=  C. -rendus  :  .4.  Schir)i- 
berg.  L'éducation  morale  dans  les  collèges  de  la  Compagnie  de  Jésus 
eu  France  sous  l'ancien  régime  (important).  —  0.  Schinid.  Der  Baron 
von  Besenval,  1721-1791  (bon).  — P.  Bordereau.  Bonaparte  à  Ancône 
(inutile). 

5.  —  Journal  des  savants.  1914,  mai.  —  L.  Le&er.  Les  sœurs 
de  Pierre  le  Grand.  —  R.  Gauthiot.  La  langue  étrusque  (l'étude  de 
M.  Martha  présente  de  tels  défauts  de  méthode  qu'elle  aboutit  à  des  con- 
clusions inacceptables  ;  elle  se  perd  dans  l'imprécision  et  dans  l'arbi- 
traire; «  l'étrusque  serait-il  vraiment  iînno-ougrien  que  M.  Martha 
n'aurait  contribué  en  rien  à  l'établir;  il  aurait  pu  rapprocher  de 
l'étrusque  une  autre  langue  quelconque,  avec  exactement  les  mêmes 
exemples  ».  — M.  Besnier.  Fouilles  et  découvertes  récentes  en  Tuni- 
sie. =z  Juin.  C.  Bellaigue.  L'opéra  itahen  en  France  avant  LuUi 
(d'après  le  livre  de  M.  H.  Prunières).  —  P.  Fabia.  L'irréligion  de 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  237 

Tacite  (d'après  M.  R.  von  Puhlmann).  —  F. -G.  de  Pachtère. 
L'Afrique  du  Nord  avant  l'iiistoire  et  au  début  de  l'iiistoire,  1"  art. 
(d'après  M.  S.  Gsell).  —  H.  Dehérain.  Lettres  de  William  Henry 
Waddington  sur  son  voyage  archéologique  en  Syrie  en  1861  et  1862. 

6.  —  Polybiblion.  1914,  mai.  —  L.  CluGnet.  Hagiographie  et 
biographie  ecclésiastiques  (bulletin  critique  des  ouvrages  récents).  = 
C. -rendus  :  A.  Bouché-Leclercq.  Histoire  des  Séleucides  (étendue 
de  l'information,  style  savoureux,  mais  quelques  partis  pris).  —  Le 
Douteiller.  Notes  sur  l'histoire  de  la  ville  et  du  pays  de  Fougères 
(intéressant,  mais  non  irréprochable).  —  H.  Malo.  Les  corsaires  dun- 
kerquois  et  Jean  Bart  (plume  alerte,  grande  érudition).  —  P.  Mon- 
tarlot  et  L.  Pingaud.  Le  congrès  de  Rastadt,  t.  III  (documents  bien 
pubhés,  lecture  attachante).  —  R.  Kerviler.  La  Bretagne  pendant  la 
Révolution  (ne  renouvelle  aucune  question).  —  A.  Baudrillart.  Vie 
de  Mgr  d'Hulst  (instructif  et  émouvant).  =  Juin.  M.  Lambert. 
Ouvrages  concernant  la  jurisprudence.  =  C. -rendus  :  J.  de  Dain- 
pierre.  Mémoires  dé  Barthélémy  (vive  critique  au  sujet  de  l'absence 
de  notes).  —  J.  Bryce.  La  République  américaine,  t.  III  et  IV  (dis- 
cute les  conclusions).  =  Juill.  A.  Froidevaux.  Histoire  coloniale  et 
colonisation.  =  C. -rendus  ;  D-"  F.  Roland.  Les  cartes  anciennes  de 
la  Franche-Comté;  étude  historique  et  descriptive.  Première  partie 
(très  utile).  —  Sakarai.  Niku-Dan.  Mitraille  humaine,  récit  du  siège 
de  Port-Arthur  (récit  vivant  et  angoissant).  —  A.-P.  Steer.  Le  «  Novik  », 
journal  posthume,  traduit  par  le  commandant  de  Balincourt  (récit 
très  émouvant  de  la  brève  campagne  maritime  du  «  Novik  »,  de  son 
naufrage  sur  la  côte  de  Sakhaline  et  de  la  retraite  de  l'équipage  jusqu'à 
Nicolaieff). 

7.  —  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature.  1914,  30  mai. 

—  Mélanges  de  la  Faculté  orientale  de  Beyrouth,  t.  VI  (contient  le  cata- 
logue raisonné  des  manuscrits  historiques  conservés  à  la  bildiothèque 
de  l'Université  Saint-Joseph,  un  recueil  d'inscriptions  byzantines  de 
la  région  d'Urgub,  la  fin  des  études  sur  le  califat  de  Jazid  I^"-,  par  le 
P.  Lamnens,  etc.).  —  Sadjak.  De  codicibus  graecis  in  Monte  Cassino 
(Ijon).  —  A.  von  Mess.  Ctesar  (vie  de  Jules  César  pleine  de  fautes  de  goût 
et  d'erreurs  de  jugement).  —  Samaravi.  J.  Casanova,  Vénitien  (savante 
et  agréable  étude  sur  divers  épisodes  des  Mémoires  de  Casanova).  — 
Vicomte  de  Reiset.  Joséphine  de  Savoie,  comtesse  de  Provence,  1753- 
1810  (gros  livre  sur  une  princesse  insignifiante;  ce  gros  livre  est  rem- 
pli avec  des  riens).  =  6  juin.  R.  Dussaud.  Introduction  à  l'histoire 
des  religions  (beaucoup  d'érudition;  mais  un  dogmatisme  trop  étroit). 

—  Wieland.  Altar  und  Altargrab  der  christlichen  Kirchen  im 
4  Jahrh.  (très  instructif).  =:  13  juin.  Guest.  The  governors  and  judges 
of  Egypt  (bonne  édition  critique  de  deux  ouvrages  composés  par  le 
fameux  philosophe  el-Kindî,  mort  en  961  :  c'est  une  histoire  des  gou- 
verneurs de  l'Egypte  et  une  autre  des  juges  du  même  pays.  Documents 


238  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

d'un  caractère  encore  plus  littéraire  qu'historique,  mais  qui  cepen- 
dant nous  renseignent  sur  l'établissement  des  Arabes  en  Egypte  pen- 
dant les  quatre  premiers  siècles  de  l'hégire).  —  Hœlscher.  Die  Pro- 
pheten  (remarquable;  au  début,  excellente  étude  de  psychologie  et 
d'histoire  sur  les  origines  de  la  prophétie).  —  P.  Thomsen.  Kompen- 
dium  der  palsestinischen  Altertumskunde  (bon).  —  L.  Gautier.  Intro- 
duction à  l'Ancien  Testament,  2^  édit.  (excellent).  —  P.  de  Labriolle. 
Les  sources  de  l'histoire  du  Montanisme.  La  crise  montaniste  (deux 
volumes  excellents).  —  0.  Procksch.  Die  Genesis  ûbersetzt  und 
erklàrt  (œuvre  de  critique  prudente  et  de  solide  érudition;  mais,  en 
matière  d'exégèse,  les  idées  de  l'auteur  sont  parfois  un  peu  enfan- 
tines). —  E.-C.  Quiggin.  Essays  and  studies  presented  to  William 
Ridgeway  (analyse  des  mémoires  contenus  dans  ce  volume;  ils  se 
rapportent  pour  la  plupart  à  l'archéologie  antique).  —  G.  Renard. 
Histoire  du  travail  à  Florence  (excellent  résumé).  :=  20  juin.  Mxrzâ 
Muhammad  Qazv^înî.  The  Tarikh-i-Jahan-Gusha.  Part  I  containing 
the  history  of  Chingiz  khân  and  his  successors  (bonne  édition  d'un 
texte  important  pour  l'histoire  de  l'Asie  centrale;  ce  texte  a  été  com- 
posé en  658-1260).  —  0.  Prock&ch.  Die  Vôlker  Altpal?estinas  (bref 
résumé;  l'auteur  est  beaucoup  trop  affirmatif).  —  Philarétos.  Péri- 
clès,  Aspasie  (intéressant).  —  Lûbker.  Reallexikon  des  klassischen 
Altertums,  8<=  édit.  (excellent).  —  G.  Landgraf.  Kommentar  zu  Cice- 
ro's  Rede  pro  Roscio  Amerino  (excellent).  =  27  juin.  Witkowski. 
Epistolae  privatae  graecae  quae  in  papyris  aetatis  Lagidarum  servan- 
tur  (nouvelle  édition  heureusement  remaniée).  —  Trendelenburg . 
Pausanias  in  Olympia  (instructif).  —  Fr.  Stolle.  Der  rômische  Legio- 
naer  und  sein  Gepseck  (travail  très  soigné).  —  H.  Prunières.  L'opéra 
italien  en  France  avant  Lulli  (fort  intéressant).  —  Couard.  L'adminis- 
tration départementale  de  Seine-et-Oise,  1790-1913  (important).  =z 
4  juill.  G.  Marsais.  Les  Arabes  en  Berbérie  du  xi<=  au  xiv^  s.  (bon). 
=  11  juill.  Pouget  de  Saint-Aiidré.  Le  général  Dumouriez,  1739- 
1823  («  il  y  a  quelques  bons  endroits  dans  ce  livre;  le  reste  est 
médiocre  et  mauvais  ».  Seize  pages  d'errata  et  de  critiques  par  A.  Chu- 
quet  à  l'appui  de  ce  jugement.  Cependant,  l'auteur  a  fait  quelques 
heureuses  trouvailles  dans  les  dépôts  publics  de  Paris).  =:  18  juill. 
G.  Kittel.  Die  Oden  Salomos  (prouve  que  ces  odes  sont  d'origine  chré- 
tienne, qu'elles  sont  imitées  des  psaumes  canoniques).  —  Linck.  De 
antiquissimis  veterum  quae  ad  Jesum  Nazarenum  spectant  testimoniis 
(bonne  critique  des  témoignages  de  Josèphe,  Pline,  Tacite  et  Suétone; 
on  ne  saurait  nier  «  que  Jésus  ait  existé  »). —  W.  Drandt.  Elchasaï, 
ein  Religionsstifter  und  sein  Werk  (bonne  étude  sur  un  personnage 
certainement  historique,  un  juif,  qui  vivait  dans  les  premières  années 
du  règne  de  Trajan).  —  Hoennicke.  Die  Apostelgeschichte  (tient  pour 
l'unité  et  l'authenticité  du  livre  des  Actes  considéré  comme  étant  de 
Luc,  disciple  de  Paul).  —  W.  Stuhlfath.  Gregor  I  der  Grosse  (biogra- 
phie critique  de  ce  pape  avant  son  élection;  l'auteur  utilise  unique- 


RECUEILS    PE'RIODIQUES.  ^39 

ment  les  documents  contemporains  de  Grégoire,  car  les  «  Vitae  » 
ont  été  écrites  dans  un  dessein  d'édification  et  ont  un  caractère  tout 
à  fait  légendaire).  —  E.  Millier.  Peter  von  Prezza,  ein  Publizist  der 
Zeit  des  Interregnums  (bonne  analyse  des  œuvres  d'un  pamphlétaire 
italien  du  xiip  s.).  —  R.  Teuffel.  Individuelle  Persônlichkeitsschil- 
derung  in  den  deutschen  Geschichtswerken  des  10  u.  11  Jahr  (bon). 
^  25  juill.  Susan  H.  Ballon.  The  ms.  tradition  of  the  Historia 
Augusta  (description  détaillée  du  ms.  qui  doit  servir  de  base  à  une 
nouvelle  édition  de  l'Histoire  auguste).  —  R.  Allier.  La  Compagnie 
du  Très-Saint-Sacrement  de  l'autel  à  Toulouse  (utilise  avec  sagacité 
des  documents  nouveaux  ;  mais  on  n'a  pas  encore  retrouvé  les  registres 
de  la  Compagnie;  sont-ils  perdus"?).  —  R.  Cruchet.  Les  Universités 
allemandes  au  xx^  s.  =  l^''  août.  J  Wellhausen.  Kritische  Analyse 
der  Apostelgeschichte  (les  Actes  des  apôtres,  tels  qu'ils  nous  sont 
parvenus,  ne  peuvent  être  l'œuvre  de  Luc  ;  les  pièces  de  remplissage 
y  occupent  une  place  trop  considérable).  —  W.  Bousset.  Kyrios 
Christos.  Geschichte  des  Christusglaubens  von  den  Anfsengen  des 
Christentums  bis  Irenaeus  («  beau  livre  qui  fait  entrer  dans  le  cadre 
général  de  l'histoire  des  religions  le  dogme  fondamental  du  christia- 
nisme )>).  —  Paget  Toynbee.  Dante  Alighieri;  his  life  and  work 
(4e  édition  ;  précieux  répertoire  de  renseignements,  présentés  le  plus 
souvent  sous  la  forme  même  où  les  sources  nous  les  fournissent). 

8.  —  Bulletin  hispanique.  1914,  avril-juin.  —  Alf.  Morel-Fatio. 
A  propos  de  la  correspondance  diplomatique  de  D.  Diego  Hurtado  de 
Mendoza  (observations  critiques  sur  les  divers  recueils  ;  en  appendice, 
six  lettres  de  Mendoza,  1540  et  1547).  —  C.  Pérez  Pastor.  Nouvelles 
données  sur  l'histrionisme  espagnol  aux  xvi«  et  xyii^  s.  (suite).  —  Con- 
grès d'art  chrétien  en  Catalogne.  —  L'œuvre  historique  de  M.  Carlos 
A.  Villanueva  (histoire  sud-américaine),  zz  Juillet-sept.  P.  Paris. 
Mérida  (promenade  archéologique).  —  G.  Cirot.  Florian  de  Ocampo, 
chroniste  de  Charles-Quint  (additions  importantes  au  livre  de  M.  Morel- 
Fatio  ;  étude  sur  la  façon  dont  Ocampo  s'est  renseigné  pour  son  tra- 
vail historique;  mss.  de  la  Bibl.  nat.  de  Madrid  et  de  l'Escurial).  — 
J.  Mathorez.  Notes  sur  les  Espagnols  en  France  depuis  le  xvi«  s. 
jusqu'au  règne  de  Louis  XIII  (surtout  dans  l'ouest).  —  U.  Kahrstedt. 
Les  Carthaginois  en  Espagne  (traduction  d'un  chapitre  de  l'ouvrage 
de  cet  auteur).  —  L'architecture  romane  en  Catalogne  avant  le  xii^  s. 
(compte-rendu  étendu  par  J.-A.  Brutails  du  deuxième  volume  de  l'ou- 
vrage de  Puig  y  Cadafalch,  Falguera  et  Goday).  —  Article  nécrologique 
sur  Boris  do  Taunenberg,  par  Alf.  Morel-Fatio. 

9.  —  Revue  des  bibliothèques.  1914,  janv.-mars.  —  A.  Rébel- 
LiAU.  Les  fonds  historiques  de  la  bibliothèque  Thiers.  —  J.  Paz. 
Archives  générales  de  Simancas.  Secrétairorie  d'État.  Catalogue  des 
documents  des  négociations  de  Flandres,  Hollande  et  Bruxelles,  1506- 
1795  (suite).  —  J.  Bonnerot.  Victor  Mortet  (notice  et  bibliographie). 


240  RECCEILS    PÉRIODIQDES. 

=:  C. -rendus  :  W.-P.  van  Stockum.  La  librairie,  l'imprimerie  et  la 
presse  en  Hollande  à  travers  quatre  siècles  (reproductions  d'impres- 
sions néerlandaises).  —  G.  Lépreux.  Gallia  typographica,  t.  III  et  IV 
(excellente  synthèse  de  renseignements).  —  J.-M.  Burnam.  Pahieo- 
graphia  iberica  (important  et  curieux). 

10.  —  Revue  des  sciences  politiques.  1914,  15  avril.  — M.  Cou- 
rant. Russes,  Kalmouks  et  Mandchous  (exposé  historique  d'après  les 
travaux  de  Gaston  Cahen).  =  C. -rendu  :  E.  Guyot.  Le  socialisme  et 
l'évolution  de  l'Angleterre  contemporaine  (travail  très  bien  fait  et  de 
haut  intérêt;  observations  importantes  par  Léon  Morel).  i=  15  juin. 
P.  C.  Journal  d'un  Français  à  Uskub  pendant  la  deuxième  guerre  bal- 
kanique, du  29  juin  au  6  août  1913  (quelques  détails  intéressants). 

11.  —  Revue  Mabillon.  1914,  mai.  —  A.  Chauliac.  Un  marty- 
rologe du  XIP  s.  de  l'abbaye  de  Saint-Émilion.  —  D.  L.  Guilloreau. 
L'obituaire  de  l'abbaye  de  Saint- Vincent  du  Mans  (fin).  —  D.  J.-M. 
Besse.  Les  correspondants  cisterciens  de  Luc  d'Achery  et  de  Mabil- 
lon (lettres  de  Lannoy,  1676-1677).  —  D.  P.  Monsabert.  Documents 
inédits  pour  servir  à  l'histoire  de  l'abbaye  Sainte-Croix  de  Poitiers 
(suite;  extrait  du  Coutumier).  —  D.  J.-M.  Besse.  Chronique  biblio- 
graphique. 

12.  —  Le  Correspondant.  1914,  10  juin.  —  M.  DuBOlS.  Géogra- 
phie et  géographes.  L'évolution  de.  la  géographie  contemporaine 
(depuis  Karl  Ritter,  disciple  plus  ou  moins  conscient  de  Kant;  de 
Kant  procède  aussi  d'ailleurs  Michelet  qui  fut,  en  géographie  et  avant 
Ritter,  un  novateur.  Des  progrès  de  l'enseignement  géographique 
en  France  ou  mieux  à  Paris,  à  la  Sorbonne  et  à  l'École  normale 
depuis  Vidal  de  La  Blache.  Ce  qu'il  faut  entendre  par  «  géogra- 
phie régionale  »  et  «  géographie  humaine  »).  —  M.  Vaussard.  Les 
nouvelles  tendances  du  nationalisme  italien.  —  Abbé  Augustin  Sicard. 
M.  Olier  et  Saint-Sulpice  (d'après  la  biographie  de  J.-J.  Olier  par  Fré- 
déric Monier).  —  A.  Chéradame.  L'Europe  et  l'Albanie.  z=  25  juin. 
H.  Bremond.  Walter  Scott  et  le  romantisme  conservateur.  —  H.  La- 
porte.  Les  emprunts  français  à  travers  l'histoire.  —  Fr.  Boucher. 
La  journée  de  Bouvines,  27  juillet  1214  (quelques  pages  d'histoire 
militaire,  sans  plus).  —  A.  Britsch.  Les  courses  de  chevaux  sous 
Louis  XVI.  Les  prix  du  roi  (utilise  quelques  documents  nouveaux). 
=  10  juillet.  A.  Chéradame.  La  nouvelle  Serbie  (avec  deux  cartes). 
—  A.  VoGT.  La  restauration  du  catholicisme  à  Genève  sous  la  domi- 
nation française;  à  l'occasion  des  fêtes  du  centenaire  genevois.  — 
P.  Leblanc.  L'archiduc  François-Ferdinand  d'Esté  et  la  duchesse  de 
Hohenberg.  Souvenirs  intimes  (l'auteur,  vicaire  général  de  Versailles, 
fut  appelé  auprès  d'eux  pour  leur  donner  son  avis  sur  l'éducation 
religieuse  de  leurs  enfants.  Il  les  a  donc  connus  dans  l'intimité.  Sou- 
venirs assez  brefs  d'ailleurs).  —  P.  de  Chadaleu.  Le  nouvel  héritier 
présomptif  d'Autriche.  L'archiduc  Charles.  Souvenirs  personnels. 


RECUEILS   rÉRIODIQDES.  241 

13.  —  La  Grande  Revue.  1914,  10  juin.  —  Ch.-M.  Couyba.  Le 
Parlement  sous  la  seconde  République.  =  25  juin.  Victor  Bérard. 
Finance  et  diplomatie  (depuis  1898  et  le  voyage  de  l'empereur  d'Al- 
lemagne en  Orient;  comparaison  avec  l'ancienne  diplomatie,  celle 
du  prestige,  de  la  magnificence  et  de  la  gloire,  celle  qui  «  a  pour  loi 
le  respect  du  droit,  de  tous  les  droits,  le  soin  des  intérêts  réguliers  et 
permanents  des  peuples  et  quelque  scrupule  comme  quelque  patience 
dans  l'emploi  des  moyens  »  ;  fin  le  5  juillet).  —  L.  Deries.  Policiers 
et  douaniers  contre  Victor  Hugo  (montre,  d'après  les  archives  de  la 
Manche,  la  terreur  causée  au  gouvernement  impérial  par  les  pam- 
phlets de  V.  Hugo  et  les  moyens  mis  en  œuvre  pour  en  empêcher  l'in- 
troduction clandestine  sur  le  sol  françaisl.  —  M.  Ligère.  Un  fief 
ecclésiastique  au  xx^  siècle  (c'est  la  Haute-Bretagne  où,  depuis  dix 
ans,  se  sont  formés  de  véritables  domaines  d'église).  =  5  juillet. 
G.  Aron.  Les  principes  de  la  Révolution  et  les  problèmes  politiques 
actuels.  —  H.  de  Montfort.  L'organisation  scientifique  de  la  repré- 
sentation nationale,  d'après  Condorcet.  —  Ch.  Guignebert.  Questions 
religieuses  contemporaines. 

14.  —  Mercure  de  France.  1914,  l<^i"  juin.  —  R.  Bl.a.nco-Fom- 
BONA.  Bolivar.  Aspects  de  son  génie.  =  le^  juillet.  H.  Malo.  Le 
vaincu  de  Bouvines  (biographie  et  portrait  de  Renaud  de  Boulogne, 
comte  de  Dammartin).  z=.  16  juillet.  A.  van  Genxep.  La  signification 
du  premier  Congrès  d'ethnographie  (qui  s'est  tenu  à  Neuchâtel  en  juin 
dernier.  Note  la  séparation  qui  s'est  opérée  entre  l'anthropologie,  la 
préhistoire,  l'ethnographie  et  montre  le  profit  que  la  science  peut 
tirer  de  cette  division  du  travail,  à  condition  que  des  jalousies  person- 
nelles ne  viennent  pas  troubler  l'œuvre  parallèle). 

15.  —  La  Revue.  1914,  l^r  juin.  —  A.  Cahuet.  Napoléon  délivré 
(exhumation  de  l'Empereur,  dans  la  nuit  du  14  au  15  octobre  1840; 
translation  du  corps  aux  Invalides,  le  15  décembre  suivant).  =:  15  juin. 
Ed.  Petit.  Jean  Macé,  professeur  de  demoiselles  (biographie  de  Jean 
Macé  jusqu'à  son  mariage  en  1850;  pour  faire  marcher  son  ménage, 
ce  «  fouriériste  impénitent  »  devint  professeur  à  Beblenheim,  près  de 
Colmar).  =  l^-^  juillet.  Frank  Hedgcock.  Victor  Hugo  et  le  Congrès 
de  la  paix  de  1849.  Documents  inédits.  —  Paul  Louis.  La  poussée  du 
socialisme  en  Europe. 

16.  —  La  Revue  de  Paris.  1914,  1«''  juin.  —  Jules  Ferry. 
Lettres;  2«  art.  :  1872-1877.  —  Comte  André  de  Fels.  L'organisation 
professionnelle  au  xyiip  s.;  fin  (influence  exercée  par  les  doctrines  des 
encyclopédistes;  agitation  croissante  des  associations  ouvrières;  le 
progrès  économique  rend  inutiles,  nuisibles  à  la  production,  le  mono- 
pole et  les  réglementations  imposés  par  les  corps  de  métier,  qui  sont 
supprimés  par  la  Constituante).  =  15  juin.  E.-F.  Gautier.  Une  visite 
aux  grottes  de  Dahra  (description  des  lieux  et  récit  de  l'opération 
militaire  qui  eut  pour  effet,  le  19  juin  1845,  d'anéantir,  par  le  feu  et 

Rev.  Histor.  CXVIL  2«  fasg.  16 


242 


RECUEILS    PERIODIQUES. 


l'asphyxie,  toute  la  population  rebelle  réfugiée  dans  ces  grottes.  Rôle 
joué  dans  cette  catastrophe  par  Pélissier  et  par  Saint-Arnaud).  — 
Colonel  E.  Picard.  Au  service  de  la  nation.  Lettres  de  volontaires  : 
1792-1798.  —  Edm.  Bruwaert.  Jacques  Callot  à  Florence.  — 
G.  Constant.  La  reine  de  neuf  jours  (Jane  Grey  ;  son  avènement,  sa 
chute  et  son  supplice.  Récit  rapide,  mais  substantiel,  et  puisé  aux 
sources  les  plus  pures).  =  l^^  juillet.  Chapuisat.  Comment  Genève 
devint  ville  suisse  (en  1814-1815).  —  M.  Chardon.  Le  jeu  à  la  cour 
de  Louis  XIV  (d'après  les  mémoires  du  temps).  =:  15  juillet.  Chapui- 
sat. Empereurs,  rois  et  ministres  au  Congrès  de  Vienne  (extraits 
instructifs  et  piquants  d'un  journal  que  tinrent  un  des  députés  genevois 
au  Congrès  de  Vienne,  Jean-Gabriel  Eynard,  et  sa  femme,  née  Lui- 
lin  de  Châteauvieux).  —  Martine  Rémusat.  Un  amoureux  de  Char- 
lotte-Amélie de  La  Trémoïlle  (biographie  du  comte  Pierre  de  Griffen- 
feld,  grand  chancelier  du  royaume  de  Danemark,  victime  de  son 
amour  pour  la  nièce  de  Turenne). 

17.  —  Revue  politique  et  littéraire.  1914,  13  juin.  —  Beau- 
marchais. Lettres  d'Espagne,  publ.  par  Louis  Thomas  (appelé  à 
Madrid,  où  vivent  deux  de  ses  sœurs,  Beaumarchais  veut  mettre  à 
profit  ce  voyage  pour  faire  des  affaires;  il  veut  devenir  fournisseur 
général  des  vivres  de  l'armée  espagnole  et  remue  ciel  et  terre  pour 
mettre  sur  pied  cette  entreprise  qui  finalement  échoue,  1764-1765.  Ses 
lettres  nous  en  font  suivre  toutes  les  péripéties)  ;  suite  le  20  juin  et  fin 
le  27  juin.  —  Dauphin-Meunier.  Une  lettre  inédite  de  Linguet  (à 
M'^^  de  Cabris,  sœur  aînée  de  Mirabeau.  Furieuse  contre  son  père, 
qui  l'avait  fait  enfermer,  elle  tenta  d'obtenir  l'aide  de  Linguet  pour 
un  pamphlet  où  elle  se  proposait  d'accommoder  à  sa  façon  et  son  père, 
le  marquis  de  Mirabeau,  et  son  oncle,  le  bailli.  Linguet,  qui  s'attendait 
à  être  mis  à  la  Bastille  pour  sa  querelle  avec  le  duc  de  Duras,  donne 
à  M™«  de  Cabris  le  conseil  de  se  soumettre  et  de  demander  son  par- 
don, 1780).  =  20  juin.  Questions  militaires.  A  propos  de  la  deuxième 
guerre  des  Balkans.  Bulgares  contre  Serbes,  ch.  vi  (état  matériel  et 
moral  des  deux  armées  à  la  veille  du  conflit;  causes  de  Tépuisement 
où  se  trouvait  l'armée  bulgare).  =  27  juin.  Hugues  Le  Roux.  L'héri- 
tier de  Ménélik  (détails  intéressants  et  de  première  main  sur  Méné- 
lik,  sur  la  formation  de  ses  idées  et  son  œuvre  politique,  sur  la 
manière  très  éthiopienne  dont  il  a  préparé  l'éducation  et  le  règne  de 
son  petit -fils).  ^  4  juillet.  Et.  Fournol.  Du  gouvernement  des 
Albanais  (à  suivre).  —  Maréchal  Vaillant.  Lettres  et  billets  iné- 
dits, publ.  par  Paul  Bonnefon  (adressés  pour  la  plupart  au  poète 
Pierre  Lebrun.  Notons  au  moins  ce  passage  :  «  Vous  avez  tort  de 
dire  que  je  me  raidis  contre  les  recommandations.  Non;  mais  je 
crains  de  faire  des  injustices.  Je  m'étudie  à  n'en  pas  faire.  En  agis- 
sant ainsi,  on  ne  se  fait  pas  de  clientèle,  je  le  sais,  mais  on  quitte  le 
pouvoir  la  conscience  en  repos.  »  Écrit  par  un  maréchal  du  second 
Empire,  le  20  juin  1855).  —  Edme  Champion.  L'Église  et  la  Révo- 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  243 

lution  (la  lutte  de  l'Église  contre  la  Révolution  a  commencé  bien 
avant  la  constitution  civile.  Ce  n'est  pas  celle-ci  qui  est  la  cause  de 
la  rupture,  mais  bien  l'incompatibilité  fondamentale  qu'il  y  avait, 
qu'il  y  a  peut-être  encore,  entre  les  deux  régimes).  i=  11  juillet. 
Jos.  Reinach.  La  France  et  l'Allemagne  devant  l'Histoire,  1814- 
1815  (suite;  expose  pourquoi  la  France,  vaincue  à  Waterloo,  fut 
obligée  de  subir,  sans  pouvoir  les  discuter  comme  elle  l'avait  fait 
avec  succès  en  1814,  les  conditions  des  vainqueurs  ;  elle  conserva  cepen- 
dant presque  intactes  les  limites  que  lui  avait  données  l'ancienne 
monarchie.  La  Prusse  voulait  lui  reprendre  l'Alsace  et  la  Lorraine 
pour  les  restituer  à  l'empire  ;  mais  une  Allemagne  démesurément 
agrandie  eût  été  une  menace  pour  le  reste  de  l'Europe,  et  c'est  pour- 
quoi le  projet  présenté  par  la  Prusse  fut  écarté.  On  conclut  une  «  nou- 
velle paix  d'Utrecht  »  qui,  sans  doute,  fortifiait  les  «  barrières  »  contre 
la  France,  mais  respectait,  du  moins  dans  ses  parties  essentielles,  son 
intégrité).  :=  18  juillet.  J.  Gautier.  Questions  universitaires.  Un  siècle 
d'enseignement  des  langues  vivantes.  —  M.  Lair.  Allemagne  et  Rus- 
sie (le  professeur  Th.  Schiemann  a  écrit  dans  la  Gazette  de  la  Croix  : 
«  Nous  avons  toujours  été  d'avis  que  le  jour  où  Paris  et  Saint-Péters- 
bourg auraient  la  certitude  d'être  appuyés  par  l'Angleterre,  une  guerre 
européenne  en  résulterait,  plus  que  probablement,  dans  un  avenir  très 
proche.  »  M.  Lair  estime  que  cette  prédiction  ne  saurait  être  accueillie 
sans  réserve;  mais  la  guerre,  si  elle  éclatait,  aurait  des  causes  surtout 
économiques  :  c'est  à  la  fin  de  1916  qu'il  faudra  reviser  le  traité  de 
commerce  germano-russe,  et  l'Allemagne  veut  pouvoir  à  cette  époque 
imposer  ses  volontés  à  la  Russie).  —  H.  Hauser.  Les  sources  de  l'his- 
toire du  règne  de  Henri  IV  (introduction  au  tome  IV  des  Sources; 
fin  le  25  juillet).  —  M.  Vernes.  Un  vieux  sanctuaire  chananéen  en 
Israël  :  Gabaon.  ==  l"^*"  août.  Et.  Fournol.  Questions  extérieures.  Du 
gouvernement  des  Albanais.  —  P.  Lebrun  et  A.  Martin.  Deux  amis 
sous  la  Restauration.  Correspondance  inédite,  pubhée  par  P.  Bonne- 
FON  (lettres  de  Martin  à  son  ami  Lebrun  ;  note  ses  impressions  de 
voyage  lorsqu'il  alla  rejoindre  son  poste  de  consul  de  France  àChris- 
tiansand,  1816-1817;  suite).  —  Gaulis.  Le  centenaire  de  Genève.  = 
14  aoùt-14  nov.  Vesnitch.  La  Serbie  et  la  guerre  européenne  (renais- 
sance serbe  au  xix«  siècle  ;  c'est  cette  renaissance  que  l'Autriche-Hon- 
grie  a  voulu  réprimer,  d'abord  seule,  puis  avec  l'appui  de  l'Allemagne). 
—  E.  Fournol.  Sur  les  origines  de  la  guerre  (l'Autriche  avait  besoin 
d'une  guerre  de  prestige,  et  c'est  le  comte  Tisza  qui  en  a  été  le  princi- 
pal promoteur). 

18.  —  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  Comptes- 
rendus  des  séances  de  l'année  1913.  Bulletin  de  décembre.  —  Cagnat. 
Un  temple  de  la  gens  Augusta  à  Carthage.  =  1914,  janv.  F.  Sar- 
tiaux.  Recherches  sur  le  site  de  l'ancienne  Phocée.  —  J.  Carcopino. 
Note  sur  un  fragment  épigraphique  récemment  découvert  à  Constan- 
tine.  —  L.  Châtelain.  Note  sur  les  dernières  fouilles  exécutées  à 


244  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

Mactar  (Tunisie).  —  A.  Boulanger.  Notes  sur  les  fouilles  exécutées 
à  Aphrodisias  en  1913.  —  M.  Dieulafoy.  Basilique  constantinienne 
de  Lugdunum  Convenarum.  ^  Févr.  G.  Darier.  Note  sur  l'idole  de 
bronze  du  Janicule.  —  F.  PréChac.  Le  dernier  ouvrage  de  Sénèque. 
—  J.  LOTH.  Les  noms  propres  d'hommes  et  de  lieux  de  la  plus 
ancienne  Vie  de  saint  Samson  de  Dol.  —  P.  Paris.  Antiquités  pré- 
romaines de  Mérida  (Estrémadure).  —  R.  Gagnât.  La  carrière  du  che- 
valier romain  Rossius  Vitulus.  =  Mars.  Fr.  Gumont.  La  dédicace 
d'un  temple  du  soleil  (station  de  Gôme).  —  Germain  de  Montauzan 
et  Ph.  Fabia.  Note  sur  les  fouilles  de  Fourvière  (décembre  1913-février 
1914).  —  E.  HÉBRARD.  Les  monuments  seldjoukides  de  Konia  (Asie 
Mineure).  —  M.  Dieulafoy.  La  ziggourat  de  Dour  Charroukin  (Chal- 
dée).  —  N.  Sloush.  Résultats  historiques  et  épigraphiques  d'un 
voyage  dans  le  Maroc  oriental  et  le  Grand  Atlas.  —  G.  de  Créqui- 
MONTFORT  et  P.  Rivet.  L'origine  des  aborigènes  du  Pérou  et  de  la 
Bolivie.  =  Avril-mai.  F.  Préchac.  Sénèque  et  la  Maison  d'Or 
(Sénèque,  qui  a  parlé  plusieurs  fois  de  ce  palais  construit  par  Néron, 
fournit  à  qui  sait  bien  le  lire  des  renseignements  inédits).  —  Note  sur 
les  récentes  découvertes  de  M.  Bonnel  de  Mézières  (entre  Oualata  et 
Goumbou,  dans  le  Sahara).  —  F.  Courby.  L'omphalos  delphique 
(l'auteur  croit  l'avoir  retrouvé  dans  les  ruines  du  temple  d'Apollon 
à  Delphes).  —  Ch.  Picard  et  Ch.  Avezou.  Les  fouilles  de  Thasos, 
1913.  —  j.  Maurice.  Les  capitales  impériales  de  Constantin  et  le 
meurtre  de  Crispus.  =  Dans  les  procès-verbaux  des  séances,  signa- 
lons une  note  de  M.  Carcopino  sur  une  mosaïque  tombale  où  est 
gravé  le  nom  d'un  évèque  de  Tipasa,  Renatus  ;  un  fragment  d'inscrip- 
tion grecque  trouvée  à  Narbonne  par  M.  Rouzaud.  =  Juin.  P.  Mon- 
ceaux. Notice  sur  la  vie  et  les  travaux  de  M.  Philippe  Berger  (avec 
la  liste  chronologique  de  ses  publications,  1873-1912).  —  Note  sur  les 
fouilles  pratiquées  à  Fourvière  en  oct.-nov.  1913  et  en  avr.-mai  1914 
par  M.  G.  Montauzan  et  M.  Ph.  Fabia.  —M.  Dieulafoy.  Le  temple 
de  Bel  à  Babylone,  note  complémentaire.  —  R.  Mesguich.  Un  palais 
de  Byzance  :  «  la  maison  de  Justinien  »  ;  premiers  travaux. 

19  —  Séances  et  travaux  de  l'Académie  des  sciences  morales 
et  politiques.  Compte-rendu.  1914,  avril.  —  A.  Liesse.  Notice  sur 
la  vie  et  les  travaux  de  M.  Emile  Levasseur.  —  Comte  d'Hausson- 
ville.  M-^e  de  Staël  et  M.  Necker,  d'après  leur  correspondance  iné- 
dite (suite).  =  Mai.  Ch.  Benoist.  Introduction  au  Rapport  sur  les 
causes  économiques,  morales  et  sociales  de  la  diminution  de  la  nata- 
lité. —  H.  Hauser.  Une  famine  il  y  a  quatre  cents  ans.  Organisation 
commune  de  la  défense  contre  la  disette  (d'après  les  archives  de  Dijon, 
1529).  p.  Meuriot.  La  question  des  grandes  villes  et  les  Econo- 
mistes auxviiP  s. = Juin.  Imbart  de  La  Tour.  Renaissance  et  Réforme. 
La  religion  des  humanistes.  =  Juillet.  Comte  d'Haussonville.  M"^«  de 
Staël  et  M.  Necker,  d'après  leur  correspondance  inédite  (suite  ;  les 
premières  impressions  de  M™"  de  Staël  sur  l'Allemagne). 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  245 

20.  —  L'Anjou  historique.   1914,  mai-juin.  —  La  noblesse  des 
maires  d'Angers.  —  "M"^"  Dubois  de  La  Ferté,  née  d'Andigné  de  May- 
neuf.  —  Tableau  de  la  province  d'Anjou  (1680-1689).  —  Le  «  Sacre 
d'Angers  »  avant  la  Révolution.  —  Angers  au  xviii«  siècle.  —  Le  dis- 
trict de  Segré  (1790-1795).  —  Bannissement  des  prêtres  angevins  en 
Espagne  (1792).  —  Le  général  Moulin  aîné  en  Vendée.  —  La  ville 
d'Angers  sous  le  Directoire.  —  État  du  canton  de  Pouancé  après  le 
18   Brumaire.  —  Le   général  Thiébault  et  Mgr  Bernier.  —  L'école 
ecclésiastique  de  M.  Forest  à  Saumur  (1806-1831).  —  Le  mariage  de 
l'Empereur  et  les  Angevins  (1810).  —  Manifestations  d'amour  pour 
les  gouvernements  à  Angers  (1813-1815).  =  Juillet-août.  Un  voyage 
en  Anjou  (1466).  —  Les  Récollets  de  La  Baumette-lès-Angers.  —  Les 
halles  d'Angers.  —  Les  monastères  bénédictins  en  Anjou  (1765).  — 
Le   présidial   d'Angers    en   1778.  —  Le  commerce    et  l'industrie  à 
Angers  (1787).  —  Le  district  de  Saint-FIorent-le-Vieil  en  1790-1791.  — 
Les  carriers  d'Angers  en  1790.  —  Le  clergé  constitutionnel  en  Maine- 
et-Loire.  —  En  Vendée  (juin-août  1793).  —  Un  rapport  sur  la  guerre 
de  Vendée  (octobre  1793-janvier  1794).   —  A  la  prison  du  château 
d'Angers  (avril-juin  1794).  —  L'instruction  publique  dans  l'arrondis- 
sement de  Segré  au  début  du  xix^  siècle.  —  Le  collège  de  Cholet 
(1806-1914).   —  La  naissance  du  roi  de  Rome  et  les  Angevins.  — 
Achille  Joubert,  sénateur  de  Maine-et-Loire  (1814-1883).  —  Le  duc 
d'Angoulème  en  Maine-et-Loire  (1817).  —  Le  troisième  abbé  de  la 
Trappe  de  Bellefontaine  (Augustin  de  La  Forest-Divonne,  1845-1849). 
^  Sept.-oct.  La  rédaction  de  la  coutume  d'Anjou,  1508  (liste  des  dépu- 
tés qui  composèrent  l'assemblée  chargée  d'approuver  cette  rédaction). 
—  Les  protestants  à  Saumur  et  à  Angers  (statistique  des  naissances  à 
Saumur  de  1613  à  1700;  quelques  notes  d'état  civil  à  Angers).  — A 
l'abbaye  de  Fontevrault,  1650  (notes  sur  les  religieuses  bénédictines  de 
la  FidéUté  réfugiées  à  l'abbaye,  en  avril   1650,   au  moment  de  la 
Fronde).  —  M.  de  Villeneuve,  vicaire  général  d'Angers,  1734-1809.  — 
Les  Angevins  et  l'attentat  de  Damiens,  1757  (relation  des  cérémonies 
religieuses  célébrées  à  cette  occasion  par  le  secrétaire  perpétuel  de 
l'Académie  d'Angers).  —  M.  Morin,  recteur  de  Freigné,  guillotiné  le 
5  mars  1794.  —  La  Terreur  en  Maine-et-Loire  (extraits  d'un  discours 
prononcé  le  20  octobre  1794  par  J.-A.  Vial,  maire  de  Châtonnes-sur- 
Loire,  qui  venait  d'être  acquitté  par  le  Tribunal  révolutionnaire).  — 
Le  musée  d'Angers,  1794.  —  Les  prêtres  insermentés  en  Maine-et- 
Loire  à  la  fm  de  la  Convention.  —  La  duchesse  d'Angoulème  en 
Maine-et-Loire  (récit,  tiré  du  Moniteur,   de  la  visite   qu'elle  fit  à 
Saint-Florent-le-Vieil  les  22-23   septembre  1823).  —  Obsèques  d'un 
adjoint  au  maire  d'Angers,  1824.  —  Le  monument  de  Cathelineau  au 
Pin-en-Mauges,  1826-1832.  —  Réunion  de  la  cure  de  la  cathédrale 
d'Angers  au  chapitre,  1850.  =  Nov.-déc.  R.  Lehoreau.  Description 
de  la  ville  d'Angers  au  début  du  xyill^  s.  (d'après  un  cérémonial  inédit 
de  l'église  d'Angers    composé    avant  1717).  —  La  dépréciation  du 


246  RECUEILS  pe'riodiqîies. 

papier-monnaie  en  Maine-et-Loire,  1791-1796.  —  Le  général  Dauican 
et  la  guerre  de  Vendée  (extrait  de  l'ouvrage  les  Brigands  déinasqués, 
publié  par  Danican  à  Londres,  où  il  s'était  réfugié  en  1796).  —  Les 
Angevins  au  Tribunal  révolutionnaire  de  Paris.  —  Marie  et  Renée 
Grillard,  de  Cholet,  fusillées  au  Champ-des-Martyrs.  —  La  police 
secrète  dans  l'arrondissement  de  Beaupréau,  1805.  —  La  bataille  d'Aus- 
terlitz  et  les  Angevins.  —  Quatre  prêtres  angevins  proposés  pour  l'épis- 
copat,  1856-1861. 

21.  — Annales  de  Bretagne.  1914,  avril.  —  J.  Trevet.  L'instruc- 
tion primaire  dans  l'arrondissement  de  Fougères  sous  le  régime  de  la 
loi  du  28  juin  1833.  —  H.  Baulig.  La  géographie  politique  de  l'ouest 
de  la  France  (d'après  l'ouvrage  d'André  Siegfried).  —  L.  GouGaud. 
Alexis-François  Rio  et  la  Bretagne  (l'auteur  de  la  Petite  chouanne- 
rie et  de  l'Art  chrétien;  d'après  des  documents  inédits,  correspon- 
dances, carnets  de  voyage,   etc.).   —  Nouveaux  documents  sur  La 
Mennais  (les  premiers  vers;  la  date  des  ordinations;  l'affaire  de  la 
vocation).  —  A.  Mousset.  Nicolas  Delvincourt  et  le   nobiliaire  de 
Bretagne  (pièces  inédites  et  curieuses  sur  le  généalogiste  faussaire).  — 
R.   Durand.   Le  prix  des  grains  à  Guingamp  sous   la  Révolution 
(extraits  du  registre  des  délibérations  du  Conseil  municipal  et  de 
l'Annuaire  diuanais).  —  E.   Sevestre.    Le  clergé  •  breton  en   1801 
(suite  et  fin;  enquêtes  préfectorales  des  Côtes-du-Nord,  du  Finistère 
et  du  Morbihan).  =  C. -rendus  :  E.  Gabory.  Napoléon  et  la  Vendée 
(lacunes  sur  certains  points).  —  C.  Maréchal.   La  jeunesse  de  La 
Mennais  (remarquable,  mais  d'une  inspiration  trop  antilibérale).  = 
Juin.  J.  Trevet.   L'instruction  primaire  dans  l'arrondissement  de 
Fougères  sous  le  régime  de  la  loi  du  28  juin  1833  (suite  et  fin).  — 
R.  Durand.  Le  port  du  Légué  sous  la  Restauration  (quelques  chiffres). 
—  F.  Quessette.  L'administration  financière  des  États  de  Bretagne 
de  1689  à  1715;  suite  (chap.  vi  :  le  Dixième).  3«  partie  en  nov.  :  les 
créations  d'ofQces  (chap.  i  :  les  offices  sur  les  fouages).  =  Nov.  Ori- 
gines bretonnes.  Etude  des  sources  (l''«  partie  :  questions  d'hagiographie 
à  propos  du  calendrier  de  saint  Jacut).  —  M.  Citoleux.   Chateau- 
briand et  Alfred  de  Vigny  (influence  exercée  sur  Vigny  par  Chateau- 
briand ;  le  poète  était  attiré  et  séduit  par  l'imagination  puissante  du 
romancier,  mais  en  même  temps  il  s'éloignait  de  lui  à  cause  de  ses 
tendances  religieuses  ;  «  il  le  pillait  et,  tout  en  le  pillant,  il  était  tou- 
jours prêt  à  le  désavouer  »).  —  A.  Botrel.  Le  général  Valleteau, 
1757-1811  (Valleteau  commandait  à  Lamballe  les  troupes  républicaines 
durant  les  troubles  de  la  chouannerie;  il  fut  député  de  cette  même 
ville  au  temps  du  Consulat;   ayant  ensuite  repris  du  service,  il  fut 
envoyé  en  Espagne.  Il  fut  tué  le  23  juin  1811  à  Quintanelle  del  Valle, 
non  loin  d'Astorga).  —  L.  Maître.  Études  sur  le  lac  de  Grandlieu  et 
ses  affluents  (fin  ;  analyse  les  projets  de  dessèchement  du  lac  qui  ont 
été  proposés  de  1784  à  1894;  organisation  des  syndicats  d'exploitation). 

22.  —  Annales  du  Midi.   1914,   avril.  —  E.   Duprat.   Un  faux 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  247 

évêque  d'Avignon  :  Pierre  (un  Pierre  de  Corbie,  imposé  aux  Avignon- 
nais  après  le  siège  de  1226,  a  été  inventé  par  Robert  Gaguin;  la 
source  à  laquelle  il  a  puisé  donnait  pourtant  le  vrai  nom,  celui  de 
Nicolas  de  Corbie.  Ce  dernier  succédait  à  Guillaume  de  Monteux, 
mort  le  18  novembre  1222.  Il  y  eut  donc  un  intervalle  de  quatre 
années  pendant  lesquelles  le  siège  demeura  vacant;  on  a  essayé  de 
combler  en  partie  cette  lacune  en  intercalant  le  faux  Pierre  de  Corbie 
entre  Guillaume  et  Nicolas;  mais  le  principal  document  invoqué  en 
faveur  de  cette  intercalation  est  un  diplôme  de  l'empereur  Frédéric  II, 
fabriqué  par  Polycarpe  de  La  Rivière,  professionnel  aussi  méprisable 
que  Jérôme  Vignier,  son  contemporain.  Pendant  la  longue  vacance  du 
siège,  Avignon  répudia  l'autorité  épiscopale  ;  mais  elle  dut  payer  cher 
ce  triomphe  d'un  moment  quand  elle  eut  été  conquise  parles  croisés). 

—  A.  Langfors.  Le  troubadour  Guilhem  de  Cabestanh  (avec  les  quatre 
rédactions  de  sa  biographie).  —  Babut.  Bérenger,  comte  de  Substan- 
tion  ou  de  Mauguio  en  898  (on  trouve  le  nom  de  ce  comte  dans  la 
notice,  mal  interprétée  jusqu'ici,  d'un  jugement  prononcé  en  avril-mai 
898).  —  A.  Thomas.  Dans  les  jardins  d'Arpaillargues,  en  1397.  Dernier 
écho  de  la  Touchinerie  du  Bas-Languedoc  (publie  deux  documents  de 
1390  et  de  1397  montrant  l'horreur  inspirée  par  le  mot  ou  injure  de 
tuchin  ou  mieux  touchin).  =  C. -rendus  :  Sabarthès.  Dictionnaire 
topographique  du  département  de  l'Aude  (excellent).  —  Régné.  Étude 
sur  la  condition  des  juifs  de  Narbonne  du  v«  au  xiv«  siècle  (remar- 
quable. Utiles  observations  présentées  par  R,  Caillemer).  —  M.  Lhé- 
ritier.  Histoire  des  rapports  de  la  Chambre  de  commerce  de  Guienne 
avec  les  intendants,  le  Parlement  et  les  jurats,  de  1705  à  1791  (très 
instructif).  —  Charbonnet  et  Dalleiime.  L'arrondissement  de  Saint- 
Yrieix  (bon).  —  A.  Bonis.  Historique  de  l'enseignement  primaire 
public  à  Bordeaux,  1414-1910  (la  partie  ancienne  est  trop  maigre,  mais 
il  y  a  de  nombreux  détails  pour  l'histoire  depuis  1791).  =  Juill. 
J.  MORIZE.  Aiguesmortes  au  xiii^  s.  (origine  du  port  et  création  de  la 
ville;  son  importance  maritime  et  coloniale;  sa  prompte  décadence). — 
A.  Langfors.  Le  troubadour  Guilhem  de  Cabestanh  (suite  et  fin;  ce 
que  les  documents  historiques  nous  apprennent  de  ce  personnage).  — 
Ch.  BÉMONT.  De  quelques  documents  mal  datés  dans  les  Chartes 
d'Agen  (montre  que  cinq  des  documents  publiés  dans  ce  recueil  sont 
du  temps  d'Edouard  II  ;  les  éditeurs  les  avaient  attribués  tous,  sauf  un, 
au  règne  d'Edouard  I").  —  P.  Dognon.  Pièces  relatives  aux  États  de 
Languedoc,  1423-1426.  —  E.  Delmas.  Chronique  d'Auvergne  :  Cantal. 

—  G.  Desdevises  du  Dézert.  Chronique  d'Auvergne  :  Puy-de- 
Dôme. 


CHRONIQUE. 


France.  —  Au  mois  de  juillet  dernier,  est  mort  M.  Jean  Zeller, 
ancien  professeur  suppléant  à  la  Faculté  des  lettres  de  Nancy,  inspec- 
teur d'Académie  de  l'Aisne,  puis  recteur  de  l'Académie  de  Chambéry 
et  de  l'Académie  de  Grenoble.  Il  avait  publié  en  1881  deux  thèses  de 
doctorat  consacrées  à  la  diplomatie  au  temps  de  François  !«■■  ;  Quae 
■prirasLe  fuerint  legationes  a  Francisco  I  in  Orientem  missae  (152k- 
1538);  La  diplomatie  française  vers  le  milieu  du  XVI'^  siècle, 
d'après  la  correspondance  de  Guillaume  Pellicier,  évêque  de  Mont- 
pellier, ambassadeur  de  François  /«■■  à  Venise  (1539-15^2). 

—  Paul  ViOLLET  est  mort  le  22  novembre,  âgé  de  soixante-quatorze 
ans.  Né  à  Tours,  le  24  octobre  1840,  il  fit  ses  études  classiques  au 
lycée  de  sa  ville  natale  ;  puis  il  vint  suivre  à  Paris  les  cours  de  l'École 
des  chartes.  Il  sortit  de  cette  Ecole  en  1862,  le  premier  de  sa  promo- 
tion ;  le  second  était  Gaston  Paris.  Sa  thèse  sur  la  cour  du  vicomte  ou 
juridiction  bourgeoise  en  Orient  au  temps  des  Croisades  n'a  pas  été 
publiée.  Après  quelques  années  passées  à  Tours  comme  secrétaire 
général  et  archiviste  de  la  ville,  il  fut  appelé  aux  Archives  nationales 
où  il  resta  dix  ans  (1866-1876).  Pendant  cette  période,  sa  curiosité 
scientifique  se  dispersa  sur  beaucoup  de  sujets,  ainsi  qu'en  témoignent 
les  articles  de  lui  qu'inséra  la  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes  : 
Élections  aux  États-Généraux  7'éunis  à  Tours  en  lk68  et  en  IkSk, 
d'après  des  documents  inédits  tirés  des  archives  de  Baydnne,  Senlis, 
Lyon,  Orléans  et  Tours  (1865);  Note  sur  le  véritable  texte  des  ins- 
tructions de  saint  Louis  à  sa  fille  Isabelle  et  à  son  fils  Philippe 
le  Hardi  (1869);  Examen  critique  d'un  ouvrage  de  M.  Gérin  sur  la 
Pragmatique  de  saint  Louis  (1870);  Caractère  collectif  des  pre- 
mières propriétés  immobilières  (1872;  article  qui  suscita  une  véhé- 
mente critique  de  Fustel  de  Coulanges  et  une  réplique  de  Viollet  dans 
la  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature  en  1886);  une  Gi^ande 
chronique  latine  de  Saint-Denis.  Observations  pour  servir  à  l'his- 
toire cintique  des  œuvres  de  Suger  (1873);  Registres  judiciaires  de 
quelques  établissements  religieux  du  Parisis  au  XIIP  et  au 
XI V^  siècle,  suivi  de  Notes  pour  servir  à  l'histoire  de  la  législa- 
tion sur  le  t!oi(1873);  les  Enseignements  de  saint  Louis  à  son  fils; 
réponse  à  M.  de  Wailly  et  observations  pour  servir  à  l'histoire 
critique  des  Grandes  Chroniques  de  France  et  du  texte  de  Join- 
ville  (1874;  il  est  encore  revenu  sur  la  question  des  Enseignements  de 
saint  Louis  dans  le  même  recueil  en  1912).  Nommé  en  1876  bibliothé- 


CHRONIQUE. 


249 


caire  de  la  Faculté   de  droit  de  Paris,  puis  archiviste  de  la  même 
Faculté  (1878),  fonctions  qu'il  ne  cessa  de  gérer  jusqu'à  sa  mort  avec 
une  ponctualité,  un  dévouement,  un  esprit  de  méthode  au-dessus  de  tout 
éloge,  il  concentra  ses  etïorts  sur  une  grande  œuvre  :  une  édition  de 
la  compilation  juridique  connue  sous  le  titre  d'Établissements  de 
saint  Louis.  Dans  un  mémoire  lu  en  1877  devant  l'Académie  des 
inscriptions  sur  les  sources  de  cette  compilation,  il  établit  qu'elle 
n'avait  aucun  caractère  officiel,  que  l'auteur  anonyme  se  contenta  de 
copier  un  règlement  relatif  à  la  prévôté  de  Paris  et  une  ordonnance 
royale,  qu'il  utilisa  ensuite  une  coutume  d'Anjou  et  une  coutume 
d'Orléanais  ;  l'œuvre  est  contemporaine  du  saint  roi  (elle  fut  achevée 
avant  le  19  juin  1273),  mais  ne  saurait  lui  être  attribuée.  Chargé  de 
publier  ce  coutumier  pour  la  Société  de  l'histoire  de  France,  il  donna 
en  quatre  volumes  successifs  (1881-1886),  outre  une  édition  critique 
des  Établissements  d'après  tous  les  manuscrits  connus,  les  documents 
qui  lui  servirent  de  base  et  ceux  qui  en  dérivèrent  immédiatement;  des 
éclaircissements  nombreux  et  variés  où  s'étale  l'érudition  infinie  de 
l'auteur;  enfin,  une  savante  introduction  où  sont  résumés,  sous  une 
forme  limpide  et  séduisante,  les  enseignements  les  plus  caractéris- 
tiques du  coutumier.  L'ouvrage  fut  accueilli  avec  toute  la  faveur  qu'il 
méritait  et  fut  récompensé  deux  fois  par  le  premier  prix  Gobert  (1882 
et  1884)  ;  aussi  Viollet  ne  tarda-t-il  pas  à  être  élu  membre  de  l'Acadé- 
mie des  inscriptions  (1887).  Cependant,  il  avait  abordé  de  plus  vastes 
sujets  en  écrivant  son  Précis  de  Vhistoire  du  droit  français  (2  vol., 
1884-1886;  seconde  édition  parue  en  1893  sous  le  titre  :  Droit  privé  et 
sources.  Histoire  du  droit  civil  français,  avec  des  notions  de  droit 
canonique  et  une  abondante  bibliographie).    Cet  excellent   ouvrage 
le  désigna  pour  recueillir  la  succession  d'Ad.  Tardif  et  il  fut  en  1890 
nommé  en  efîet  professeur  d'histoire  du  droit  civil  et  du  droit  cano- 
nique à  l'École  des  chartes.  Chose  singulière,  c'est  alors  qu'il  parut 
s'éloigner  du  droit  pur  et,  comme  s'il  avait  voulu  suppléer  au  cours 
un  peu  trop  impersonnel  de  son  collègue  .T.  Roy,  il  consacra  au  Droit 
public  trois  volumes  d'une  Histoire  des  institutions  politiques  et 
administratives  de  la  France  (1890-1903),  auxquels  est  venu  s'ajou- 
ter récemment  un  volume  d'une  série  nouvelle,  qui  restera  inache- 
vée :  le  Roi  et  ses  ministres  pendant  les  trois  derniers  siècles  de 
la  monarchie  (1912).  Si  son  cours  oral,  qui  n'était  parfois  qu'une  lec- 
ture ou  une  répétition  de  ses  livres,  a  produit  peu  d'impression  sur 
l'esprit  de  ses  élèves,  ses  ouvrages  leur  ont  rendu  d'inappréciables 
services  et  ils  en  rendront  longtemps  encore  à  tous  ceux  qui  voudront 
pénétrer  dans  le  passé  le  plus  obscur  de  l'ancienne  France.  Cependant, 
ses  devoirs  de  bibliothécaire  et  de  professeur  ne  lui  faisaient  pas  oublier 
ses  obligations  d'académicien  et,  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des 
inscriptions,  il  fit  insérer  plusieurs  travaux  :  Mémoire  sur  les  cités 
libres  et  fédérées  et  les  principales  insurrections  des  Gaulois 
contre  Rome  (1891);  Mémoire  sur  la  lanistry,  forme  de  droit  suc- 
Rev.  Histor.  CXVII.  2«  fasc.  16* 


250  CHRONIQDE. 

cessoral,  ordinairement  politique  (je  lui  emprunte  à  lui-même  cette  défi- 
nition) et  suivant  lequel  l'héritage  du  défunt  passe,  non  à  ses  enfants, 
mais  au  collatéral  le  plus  âgé  ou  aux  collatéraux  les  plus  âgés  (1891)  ;  la 
Question  de  la  légitimité  à  l'avènement  de  Hugues  Capet  (1892); 
Comment  les  femmes  ont  été  exclues  en  France  de  la  succession 
à  la  couronne  (1895);  les  États  de  Paris  en  février  1358  (1895);  les 
Communes  françaises  au  moyen  âge  (1901;  ce  dernier  mémoire  est 
devenu  le  ch.  iv  du  livre  IV  de  son  Histoire  des  institutions,  t.  III)  ; 
les  Interrogatoires  de  Jacques  Molai  (1909).  A  l'histoire  littéraire,  il 
donna  un  chapitre  du  tome  XXXIII  sur  les  Coutumiers  de  Norman- 
die. Encore  tous  ces  travaux  n'épuisèreut-ils  pas  son  activité.  Il  était 
un  de  ceux  qui  avaient  le  plus  contribué  à  fonder  en  1874  la  Société  de 
l'Histoire  de  Paris,  et  il  en  fut  pendant  trente-cinq  ans  le  zélé  secré- 
taire ;  il  fit  insérer,  dans  le  tome  IV  des  Mémoires  de  cette  Société, 
Quelques  textes  pour  set^ir  à  l'histoire  politique  des  Parisiens  au 
Xy«  siècle.  Ajoutez  les  Œuvres  chrétiennes  des  familles  royales 
de   France   (1870),   un   Examen  de    l'Histoire   des   Conciles   de 
Mgr  Hefele,  qu'il  a  donné  à  la  Revue  historique  (1876)  ;  les  Remem- 
hrances  de  la  Haute-Cour  de  Nicosie,  les  Usages  de  Naxos,  frag- 
ments publiés  dans  les  Archives  de  l'Orient  latin  (i^e  année);  une 
étude  sur  la  Communauté  des  fours  et  des  moulins  au  moyen  âge,  à 
l'occasion  d'un  récent  article  de  M.  Thévenin  (1886)  ;  puis,  comme 
un  divertissement  ou  une  diversion  à  de  plus  austères  travaux,  une 
réédition  des  Lettres  intimes  de  M"<=  de  Condé  à  M.  de  La  Gervai- 
sais,  1181-1188  (1878),  et  une  traduction  en  français  des  si  curieux 
tableaux  tracés  par  Ad.  Schmidt  sur  Paris  pendant  la  Révolution, 
d'après  les  rapports  de  la  police  secrète  (4  vol.;  1880-1894).  C'est 
qu'en  efîet  Paul  Viollet  n'était  pas  enfermé  dans  un  seul  genre  d'études 
ni  dans  une  seule  époque.  Sans  doute,  le  moyen  âge  avec  l'extrême 
complexité  de  ses  origines  ne  cessa  d'attirer  l'attention  d'un  esprit  à 
la  fois  préoccupé  de  l'infini  détail  des  faits  et  tendant  aux  généralisa- 
tions les  plus  rapides;  mais  il  n'en  fit  pas  son  domaine  exclusif.  Il 
suivit  avec  une  passion  réfléchie  le  mouvement  contemporain  et  il  en 
étudia  de  près  les  problèmes  politiques,  rehgieux  et  sociaux.  Catho- 
lique fervent,  il  garda  toujours  l'indépendance  de  son  jugement.   Il 
avait  loué  la  fermeté  de  saint  Louis  en  lutte  avec  certains  évêques 
et  avec  le  Saint-Siège  ;  il  estima  qu'il  restait  fidèle  à  la  doctrine  de 
l'Église  catholique  en  interprétant  dans  le  sens  de  la  liberté  l'Infail- 
libilité du  pape  et  le  Syllabus  (1904),  et,  dans  la  candeur  de  sa  foi,  il 
ne  parut  pas  s'émouvoir  des  protestations  que  cette  attitude  souleva 
dans  le  monde  religieux,  en  particulier  chez  les  Jésuites.  Les  entre- 
prises coloniales  des  peuples  qui  se  disent  civilisés  et  qui  prétendent, 
au  nom  de  leur  supériorité  intellectuelle,  asservir  les  indigènes  dans 
les  pays  occupés  par  eux,  offensaient  le  sens,  qui  était  si  déhcat  en 
lui,  de  la  justice  et  du  droit  et  il  fonda  une  Société  pour  la  protection 
des  indigènes  qui,  malgré  le  petit  nombre  de  ses  membres,  malgré 


I 


CHRONIQUE.  251 

l'opposition  sourde  ou  déclarée  qu'elle  ne  cessa  de  rencontrer  chez  les 
particuliers  et  dans  les  pouvoirs  publics,  a  réussi,  grâce  au  zèle  infa- 
tigable de  son  président,  à  produire  quelque  bien.  On  ne  peut  oublier, 
d'autre  part,  que  dans  l'affaire  Dreyfus,  qui  posait  une  question  de 
haute  moraUté,  P.  VioUet  fut  parmi  ceux  qui,  dès  l'origine,  prirent 
nettement  parti  pour  la  victime  d'une  lamentable  erreur  judiciaire. 

Une  existence  si  bien  remplie  se  termina  brusquement.  Le  poids  de 
l'âge,  des  chagrins  domestiques,  que  la  guerre  vint  encore  aggraver, 
l'invitaient  à  prendre  sa  retraite.  Il  y  était  préparé  et  songeait  à  se 
retirer  bientôt  dans  sa  petite  maison  de  Croissy  quand  il  s'éteignit 
brusquement,  laissant  aux  siens,  à  ses  élèves,  à  ses  amis,  l'exemple 
réconfortant  d'une  vie  consacrée  tout  entière  aux  devoirs  les  plus 
élevés  envers  la  famille,  la  science  et  l'humanité.  Ch.  B. 

—  L'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  a  jugé  comme  suit 
le  concours  des  Antiquités  nationales.  Quatre  médailles  ont  été  attri- 
buées à  MM.  L.  Stouff  :  Catherine  de  Bourgogne;  J.  M.^rx  : 
l'Inquisition  en  Dauphiné;  L.  Régnier  :  l'Église  Notre-Dame 
d'Écouis;  Ch.  M.a.rteaux  et  M.  Leroux  :  Boutac  (les  fuis  d'An- 
necy), vicus  gallo-romain  de  la  cité  de  Vienne.  Six  mentions  ont 
été  attribuées  à  MM.  E.  Audoin  :  Essai  sur  Varmée  royale  au 
temps  de  Philippe-Auguste;  Menjot  d'Elbenne  :  Cartulaire  de 
l'abbaye  Saint-Vincent  du  Maris;  le  chanoine  Durville  :  les 
Fouilles  de  l'évêché  de  Nantes;  Fr.  Gébelin  :  le  Gouvernement 
du  maréchal  Matignon  en  Guyenne;  L.  Bonnard  :  la  Navigation 
intérieure  de  la  Gaule  à  l'époque  romaine;  l'abbé  Touflet  :  le 
Millénaire  de  la  Normandie. 

—  L'Académie  française  a  récompensé  MM.  Faral  :  Recherches 
sur  les  sources  latines  des  contes  et  romans  courtois  du  moyen 
âge;  F.  Caussy  :  Voltaire,  seigneur  de  village.,  etVAUTHiER  :  Vil- 
lemain;  une  partie  du  prix  Bordin  a  été  attribuée  à  M.  M.  Maréchal  : 
/a  Famille  de  Lamennais  sous  l'ancien  régime  et  la  révolution, 
et  H.  Prunières  :  l'Opéra  italien  avant  Lulli.  Elle  a  réparti  le  prix 
Marcelin  Guérin  entre  MM.  Fabrègues  :  Histoire  de  Maguelone; 
AuDRiLLAN  :  l'Expansioyi  de  l'Allemagne;  Cornudet  :  Histoire 
de  la  paroisse  Saint-Thomas-d'Aquin;  Detruc  :  Montpensier ; 
Gautherot  :  l'Épopée  vendéenne;  de  Heidenstam  :  Marie- Antoi- 
nette, Fersen  et  Barnave;  Mellon  :  l'Académie  de  Sedan,  centre 
de  l'influence  française;  Poëte  :  la  Promenade  à  Paris  au 
XVIII^  siècle,  et  Fl^do-Justl\ni  :  l'Esprit  classique  et  la  précio- 
sité au  XV II"  siècle.  —  Sur  les  fonds  du  prix  Thérouanne,  elle  a 
récompensé  MM.  Vidal  de  La  Blache  :  l'Évacuation  de  l'Espagne 
et  l'invasion  dans  le  Midi,  2  vol.;  Emile  Gabory  :  Napoléon  et  la 
Vendée;  capitaine  Noël  :  M"""  de  Graffigny  (1695-1758);  Bernard 
DE  Serrigny  :  l'Évolution  de  l'empire  allemand  de  1811  à  nos 
jours;  Trésal  :  l'Annexion  de  la  Savoie  à  la  France  (18k8-1860); 


252  CHRONIQUE. 

sur    les    fonds  du  prix  Halphen,   MM.   Dolléans  :   le   Chartisme 
(1830-18i8),  2  vol.;  Noblemaire  :  Histoire  de  la  maison  des  Baux; 
TuRQUET  :  Souvenirs  d'un  brigadier  de  hussards  (1810-1811).  — 
Un  prix  spécial  créé  par  l'Académie  a  été  attribué  à  MM.  Victor 
GiRAUD  :  les  Maîtres  de  l'heure,  2  vol.,  et  Edmond  Esmonin  :  la  Taille 
en  Normandie  au  temps  de  Colbert  (1661-1683).  —  Parmi  les  nom- 
breux prix  Montyon,  nous  mentionnerons  :  l'Administration  dépar- 
tementale  de  Seine-et-Oise  (1190-1913),  par  M.  E.  Couard;  l'Infante 
Isabelle,  par  M"»^  de  Villermont,  2  vol.;  Souvenirs  d'une  femme 
sur  la  retraite  de  Russie.,  par  M™^  d'Arjuzon;  les  Provinces  au 
XVIII^  siècle  et  leur  division  en  départements,  par  M.  Charles 
Berlet;  les  Prisons  du  Mont-Saint-Michel  (lk'25-186k),  par  M.  Et. 
Dupont;  la  Défense  de  Besançon,  par  M^^^  Isabelle  Febvay;  René 
Benoist,  le  pape  des  Halles  (1521-1608),  par  l'abbé  Emile  Pasquier; 
Souvenirs  d'un  diploynate,  par  M.  Jules  Patenôtre,  2  vol.;  Louis 
Veuillot,  par  M.  Eugène  Tavernier.  —  Le  prix  Juteau-Duvigneaux 
a  été  partagé  entre  les  ouvrages  suivants  :  Saint  Césaire  (!il0-5ii3), 
par  l'abbé  Chaillan;  Gustave  III  et  la  rentrée  du  catholicisme  en 
Suède,  par  MM.  Fiel  et  Serrière;  les  Bienheureuses  domini- 
caines (1190-1511),  par  M.  G.  de  Ganay;  Chesnelong,  son  action 
catholique  et  parlementaire.,  par  Mgr  Laveille;  Claude-François 
Poullart  des  Places  (1619-1109),  par  le  R.   P.  Henri  Le  Floch; 
Luther  et  le  luthéranisme,  par  M.  J,  Paquier,  4  vol.;  Deux  mys- 
tiques normands  au  XVII"  siècle,  par  M.  Maurice  Souriau.  —  Une 
partie  du  prix  Furtado  a  été  attribuée  à  M.  Henry  Lee  pour  son  His- 
torique des  courses  de  chevaux,  de  l'antiquité  à  ce  jour.  —  Le  prix 
Charles  Blanc  a  été  partagé  entre  les  ouvrages  suivants  :  Alexandre 
Lenoir,  par  M.  Edouard  André  ;  Voyage  au  pays  des  sculpteurs 
romans,  par  M.  Alexis  Forel  ;  la  Peinture,  X  Vil"  et  X  VI 11^  siècles, 
par  M.  Louis  Gillet;  et  le  prix  de  Joest  entre  les  ouvrages  suivants  : 
Églises  de  chez  nous  (arrondissement  de  Château-Thierry ),  par 
M.  Etienne  Moreau-Nélaton  ;  Nos  églises  artistiques  et  histo- 
riques, par   M.    PÉLADAN.   —  Enfin    une    partie    du   prix    Davaine 
a  été  attribuée  à  M.  Guy  Chantepleure  pour  son  livre  :  la  Ville 
assiégée.  Cette  ville  est,  on  le  sait,  celle  de  Janina,  assiégée  et  con- 
quise par  les  Grecs.  L'auteur  n'est  autre  que  la  femme  du  consul  de 
France,  qui  résida  dans  la  place  pendant  toute  la  durée  du  siège. 

—  Un  comité  présidé  par  M.  Lavisse,  avec  M.  Durkheim  pour 
secrétaire,  s'est  constitué  en  vue  de  publier  une  série  d'études  rela- 
tives à  la  guerre.  Il  n'entend  pas  opposer  aux  pamphlets  ou  aux  pané- 
gyriques allemands  des  pamphlets  ou  des  panégyriques  en  sens  con- 
traire, n  veut  exposer  des  faits,  présenter  des  documents  choisis  et 
critiqués  et  mettre  ainsi  à  la  disposition  des  personnes  qui  veulent  se 
faire  une  opinion  éclairée  des  éléments  d'information.  Faire  connaître 
les  choses  telles  qu'elles  sont  est  le  meilleur  moyen  de  servir  la  cause 
de  la  France  et  de  ses  alliés.  —  Paraîtront  très  prochainement  à  la 


CHRONIQDE.  253 

librairie  A.  Colin  :  Qui  a  voulu  la  guerre?  par  MM.  Durkheim  et 
Denis;  Faits  de  guerre  racontés  par  des  soldats  allemayids,  par 
M.  Bédier;  la  Violation  de  la  neutralité  belge,  par  M.  Weiss. 

—  Le  ministère  de  l'Instruction  publique,  «  en  présence  des  événe- 
ments actuels,  »  vient  de  rapporter  (14  décembre)  l'arrêté  concernant 
le  53«  Congrès  des  délégués  des  Sociétés  savantes;  ce  Congrès,  qui 
devait  s'ouvrir  à  Marseille  le  6  avril  1915,  n'aura  pas  lieu. 

Espagne.  —  La  Liga  cervantina  universal,  qu'on  ne  peut  mieux 
comparer  qu'avec  l'Alliance  française,  vient  de  lancer  l'idée  d'un  Con- 
grès international  d'hispanisants  qui  aura  sa  réunion  à  Madrid  au  prin- 
temps de  1916;  la  présidence  en  a  été  confiée  à  notre  collaborateur 
M.  Altamira,  dont  le  nom  est  à  lui  seul  une  garantie.  Pour  tous  ren- 
seignements utiles,  il  faudra  s'adresser  au  secrétaire  de  la  Ligue,  apar- 
tado  (poste  restante),  486,  Madrid. 

Grande-Bretagne.  —  L'appel  des  quatre-vingt-treize  savants  alle- 
mands au  monde  civilisé  (An  die  Kulturwelt!)  a  suscité  de  nombreuses 
réponses.  Dans  ce  concert  de  réprobation,  les  Anglais  ne  pouvaient 
manquer  de  faire  entendre  leur  voix,  d'autant  moins  que  c'est  contre 
eux  maintenant  que  paraît  dirigée  toute  la  puissance  de  haine  et  de 
sarcasme  des  hommes  d'État  et  des  publicistes  allemands.  De  leur 
réponse,  qui  a  été  traduite  en  français,  nous  donnerons  seulement  les 
dernières  lignes,  d'un  ton  à  la  fois  si  ferme  et  si  élevé  :  «  Nous  avons 
une  admiration  réelle  et  profonde  pour  l'érudition  et  pour  la  science 
allemandes.  Nous  avons  de  nombreux  liens  avec  l'Allemagne,  liens  de 
camaraderie,  de  respect  et  d'affection.  Nous  regrettons  profondément 
que,  par  l'influence  néfaste  d'un  système  militaire  et  de  rêves  effrénés 
de  conquête,  le  pays  que  nous  honorions  jadis  se  révèle  maintenant  à 
nos  yeux  comme  l'ennemi  commun  de  l'Europe  et  de  tous  les  peuples 
qui  respectent  le  droit  des  nations.  »  Cette  réponse  a  été  contresignée 
par  une  centaine  d'  «  intellectuels  »,  non  moins  réputés  ou  illustres 
que  les  Allemands;  nous  y  relevons  seulement  les  noms  d'historiens 
tels  que  MM.  Firth,  Fisher,  Haverfield,  Hunt,  Kenyon,  Lee,  Margo- 
liouth,  G.  Murray,  Pétrie,  Pollard,  Pollock,  J.  Reid,  Rose,  Sayce, 
Tout,  etc. 

Les  réponses  individuelles  ne  manquent  pas.  Signalons  seulement 
les  brochures  suivantes  qui  ont  été  traduites  aussi  en  français  :  la 
Guerre  européenne,  discours  prononcé  par  David  Lloyd  George, 
chancelier  de  l'Échiquier,  au  Queen's  Hall  de  Londres  le  19  septembre 
1914;  les  Nations  neutres  et  la  guerre,  par  James  Bryce,  ancien 
ambassadeur  aux  États-Unis;  Comment  la  Grande-Bretagne  essaya 
de  -tnaintenir  la  paix,  exposé  des  négociations  anglo-allemandes, 
1898-1914,  d'après  les  documents  les  plus  authentiques,  par  Sir  Edward 
COOK.  Ces  brochures  (12  et  22  pages)  sont  en  vente  à  Londres,  chez 
Ilarrison  et  fils. 

—  La  Dritish  Academy  a  décidé  d'entreprendre  une  collection  de 


254  CHBONtQUE. 

textes  sur  l'histoire  sociale  et  économique  de  l'Angleterre  et  du  pays 
de  Galles.  Un  comité,  composé  du  vicomte  Bryce,  président  actuel  de 
l'Académie,  de  MM.  Cunningham,  Firth,  Gollancz,  Poole,  Prothero, 
Rhys,  Tout  et  de  Sir  George  Warner,  a  été  formé,  et  la  direction  des 
publications  a  été  confiée  à  M.  Vinogradofï.  Le  tome  I,  qui  contient  le 
terrier  de  1'  «  honneur  »  de  Denbigh  (1334),  a  été  annoncé  plus  haut 
(p.  188).  Viendront  ensuite  le  «  Livre  noir  »  de  l'abbaye  de  Saint- 
Augustin,  à  Canterbury;  un  registre  des  fiefs  des  Templiers  (1185);  un 
terrier  de  Flint,  comté  de  Lincoln;  des  documents  pour  servir  à 
l'histoire  économique  et  sociale  des  pays  soumis  à  la  loi  danoise 
(Danelaw);  un  livre  de  comptes  de  l'abbaye  de  Bolton,  comté  d'York. 
D'autres  volumes  seront  consacrés  plus  spécialement  à  l'industrie  et 
au  commerce.  Le  Parlement  a  ouvert  des  crédits  pour  cette  entreprise, 
à  laquelle  applaudira  le  monde  entier  de  l'érudition.  Ch.  B. 

Italie.  —  On  annonce  la  fondation  d'une  revue  italienne  consacrée 
spécialement  à  l'histoire  du  premier  Empire.  Intitulée  A'^apoieoiie,  elle 
sera  dirigée  par  M.  Antonio  Curti  et  éditée  à  Milan  chez  les  éditeurs 
Alfieri  et  Lacroix.  G.  Bn. 

—  On  publie  à  Caltanisetta,  depuis  le  mois  de  juillet  1913,  une  nou- 
velle revue  intitulée  :  Sicania,  rivista  siciliana  di  storia,  archeolo- 
gia  e  folklore. 

Pays-Bas.  —  Notre  collaborateur,  M.  C.-Th.  Bussemaker,  est 
mort  subitement  le  12  septembre,  âgé  de  cinquante  ans.  Une  thèse 
sur  l'Histoire  de  la  province  d'Overyssel  au  temps  où  il  n'y  eut  plus  de 
stathouder,  c'est-à-dire  de  Jean  de  Witt,  et  qui  devint  un  ouvrage  en 
deux  volumes  (1890),  lui  ouvrit  l'enseignement  des  universités.  Il  pro- 
fessa d'abord  à  Groningue,  puis  à  Leyde.  Dans  un  second  ouvrage 
sur  la  Scission  entre  les  provinces  du  Nord  et  celles  du  Sud  (2  vol., 
1895-1896),  il  mit  en  œuvre  un  grand  nombre  de  documents  sur 
l'époque  des  «  Malconteuts  »  et  de  la  Pacification  de  Gand.  Chargé 
ensuite  par  le  gouvernement  d'un  voyage  d'études,  il  visita  les  archives 
de  Lisbonne,  de  Séville,  de  Madrid,  de  l'Escurial,  de  Simancas  et  de 
Bruxelles  et  il  en  consigna  les  résultats  dans  un  instructif  rapport 
(Verslag,  1905).  Il  collabora  ensuite  au  monumental  recueil  de  la 
Correspondance  de  la  maison  d'Orange-Nassau,  où  il  publia  le  t.  III 
de  la  4^  série,  relatif  aux  années  1749-1755  (1909).  Il  donnait  de  temps 
en  temps  à  la  Revue  historique  un  bulletin  fort  apprécié  sur  les 
publications  historiques  parues  dans  les  Pays-Bas.  Sa  perte  est  un 
deuil  pour  nous,  ainsi  que  pour  l'Université  de  Leyde,  où  il  était  très 
estimé. 


INDEX   BIBLIOGRAPHIQUE 


HISTOIRE    GENERALE. 

Figgis  {John  Nerille). The  divine  right 

of  kings,  108. 
Fisher  {Herbert).  The  value  of  sniall 

States,  128. 
Fueter  {Ediiard).  Geschichte  der  neue- 

ren  Historiographie,  texte  et  trad. 

fr.  p.  E.  Jeanmaire,  102. 
Jeanmaire  [E.].  Voir  Fueter  {Ed.). 
Lindner.  Die  Weltlage  Europas  seit 

den  Befreiungskriegen,  224. 
Marvin    {F.  S.).  The   living  past.   A 

sketch  of  western  progress,  107. 
Seebohm  {Frédéric).  Custoinary  acres 

and     their    historical    importance, 

publ.  p.  Hugl)  E.  Seebohm,  204. 
Wagner  {Adolf).  Les  fondements  de 

l'économie  politique,  t.  IV  et  V,  224. 
Wootf  {Cecil  N.  Sidney).  Bartolus  of 

Sassoferrato,  107. 

HISTOIRE   DE   l'âNTIQUITÉ. 

Dictionnaire  des  antiquités  grecques 

et  romaines,  224. 
Ferrand    {Henri).    Recherches    pour 

déterminer  le  col  des  Alpes  franchi 

par  Hannibal,  225. 
Jardé{A.).  La  Grèce  antique  et  la  vie 

grecque,  224. 
Pachtère   {G.   de).   Paris    à   l'époque 

gallo-romaine,  99. 

HISTOIRE    D'ALLEMAGNE. 

Barker  {Ernest).  Nietzsche  and  Treit- 
schke  ;  the  worship  of  power  in  mo- 
dem Germany,  128. 

Fletcher  {C.  R.  L.).  The  Germans; 
their  empire,  128. 

Hilsenbeck  (D"'  .4.).  Register  zu  den 
Abhandlungen,  Denkschriften  und 
Reden  der  K.  Bayer.  Akademie  der 
Wissenschaflen,  229. 

Rivari  (Enrico).  La  mente  e  il  carat- 
tere  de  Lutero,  229. 

HISTOIRE  d'alsace-lgrrai.ni:. 

Dartein  (dom  G.  de).  Voir  Peltre  (le 

P.  Hugues). 
Peltre  (le  P.  Hugues).  Vie  latine  de 


sainte   Odile,  trad.  p.   dom    G.   de 

Dartein,  111. 

HISTOIRE    DES    ÉTATS-UNIS. 

Emerson    [R.    W.).    Autobiographie, 

trad.  p.  R.  Michaud,  111. 
Michaud  {Régis).  Voir  Emerson. 

HISTOIRE   DE   FRANCE. 

Bloch  {Marc).  L'Ile-de-France,  109. 
- Boislisle{Jean  rfe).  Voir  Saint-Simon. 

Bossuet.  Correspondance,  t.  Vil,  publ. 
p.  Ch.  Urbain  et  E.  LevesqHe,1'i&. 

Carré  {Henri).  Querelles  entre  gen- 
tilshommes campagnards,  petits 
bourgeois  et  paysans  du  Poitou  au 
xviir  siècle,  228. 

Courteault  {Paul).  Pour  l'histoire  de 
Bordeaux  et  du  sud-ouest.  Leçons, 
conférences  et  discours,  110. 

Dieterlen  {Maurice).  Le  fonds  lorrain 
aux  Archives  impériales  et  royales 
de  Vienne,  227. 

Dnbarat  (chanoine  V.).  Le  livre  des 
fondations  de  la  cathédrale  de  Ra- 
yonne au  XVI"  siècle,  227. 

Dupont  d'Herval,  chef  détat-major  à 
la  Grande  Armée.  Lettres,  publ.  p. 
A.  Vaillant.  108. 

Halphen  {Louis).  L'histoire  de  France 
depuis  cent  ans,  ,105. 

Isnard  (M.-Z.).  État  documentaire 
et  féodal  de  la  Haute-Provence,  228. 

Lecestre  (£.).  Voir  Saint-Simon. 

Lei-esque  {E.).  Voir  Bossuet. 

Martineau  {Alfred).  Inventaire  des 
anciennes  archives  de  l'Inde  fran- 
çaise, 228. 

Pellisson  {Maurice).  Les  comédies-bal- 
lets de  Molière,  226. 

Percin  (général).  Le  combat,  108. 

Péliet  {René).  Contribution  à  l'histoire 
de  Saint-Lazare  de  Jérusalem  en 
France,  225. 

Saint-Simon.  Mémoires,  t.  XXVI, publ. 
\).L.LecestreetJeandeBoislisle,2'iQ. 

Urbain  {Ch).  Voir  Bossuet. 

V(nllant{A.).\o\T  Dupont  d'Herval. 

HISTOIRE    DE    GRANDE-BRETAGNE. 

«  Anonymus  Cantuariensis  »,  1346- 
1367,  édit.  J.  Tait,  18G. 


256 


INDEX    BIBLIOGRAPHIQUE. 


Aydeloite  (Frank).  Elizabethan  rognes 

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Ballard  (Adolphus).  British  borough 

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—  The  english  borough  in  the  twelfth 
century,  185. 

Bardmtx  [Jacqves).  Croquis  d'outre- 
Manche,  231. 

Barker  [Ernest).  The  dominican  or- 
der  and  the  Convocation,  207. 

—  Davis,  Fletcher,  Hassall,  Legg  et 
Morgan.  Why  we  are  at  war,  128. 

Barthélémy  (Edmond).  Voir  Carlyle 

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Bayne  [C.-G.).  Anglo-roman  relations, 

1558-1565,  198. 
Brie  [F.    W.  D.).  The   Brut,  or  the 

chronicles  of  England,  190. 
Bntler  [J.  R.  M.).  The  passing  of  the 

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Canterbury  and  York  Society,  112. 
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trad.  p.  E.  Barthélémy,  231. 
Cheyney  [Edward  P.).  A  history  of 
England  from  the  defeat  of  Armada 
to  the  death  of  Elizabeth,  199. 
Davis  (H.  C.  W.).  Voir  Stubbs. 
Deiser   [George    F.).   Year-books   of 

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Dillon  (viscount)  et  Saint-John  Hope 
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and  death  of  Richard  Beauchamp, 
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hannis  de  Pontissara,  112. 
Gairdner  [James).  Lollardy  and  the 
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Ilatschek  (JuHus).  Englische  Verfas- 

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tion, 1640-1799,  214. 
Kingsford  [Ch.  Lethbridge).  English 
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century,  190. 
Leeds  [E.  Thurlow).  The  archœology 
of  the  anglo-saxon  settlements,  191. 
Litlle  {A.  G.).  Voir  Baco)i  [Roger). 
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ted  to  the  Edinburgh  Review,  231. 
Mackensie  [M.).  The  battle  of  Ban- 

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Mackechnie  [W.  Sharp).  Magna  Carta. 

A  commentary,  2°  édit.,  230. 
Major  [Albany   F.).   Early  wars   of 
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Marriott   [J.   A.   K.).    England   since 

Waterloo,  202. 
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honour  of  Denbigh. 
Morris  (John  E.).  Bannockburn,  194. 
Moivat  [R.  B.).  The  wars  of  the  Roses, 

195. 
Naval  and  military  Essays,  230. 
Pasquet  [D.).  Essai   sur  les  origines 
de  la  Chambre  des  Communes,  205. 
Pipe  roll  Society.  The  great  roll  for 
the  31*'  year  of  the  reign  of  Hen- 
ry H,  112. 
Prothero  [G.  W.).  Our  duty  and  our 

interest  in  the  war,  128. 
Ramsay  of  Bamff  (Sh  James).  Gene- 

sis  of  Lancaster,  192. 
Rose-Troup  [Frances).    The  western 

rébellion  of  1549,  197. 
Saint-John  Hope  [W.  H.).  Voir  Dil- 
lon (viscount). 
Salzmann  (L.  F.).  English  industries 

of  the  middle  âges,  213. 
Smith  [H.  F.  Russell).  Harrington  and 

bis  Oceana,  201. 
Stenton  [F.  M.).  The  early  history  of 

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Stnbbs.  Select  charters,  9°  édit.,  publ. 

p.  H.  W.  C.  Davis,  183. 
Survey   of   the  honour    of  Denbigh, 
1334,  édit.  P.  Vinogradoffet  Fr. Mor- 
gan, 188. 
Tait  [James).  Chronica  Johannis  de 
Reading  et  Anonymi  Cantuariensis, 
1346-1367,  186. 
Tatham  [G.  B.).  The  Puritans  in  Po- 
wer, 201. 
Tout  (T.  F.).  The  place  of  the  reign 
of  Edward  H  in  english  history,  209. 
Trevelyan  [E.).  India  and  the  war,  128. 
Turberville    (A.    S.).   The    House   of 
Lords  in  the  reign  of  William  111, 
208. 
l'sfier  (Roland  G.).  The  rise  and  fall 

of  the  High  Commission,  200. 
Vickers  [Kcnneth  H.).  England  in  the 

later  middle  âges,  195. 
Vinogradoff  [P.)    Survey  of  the  ho- 
nour of  Denbigh,  1334,  188. 
Whisller  [Ch.  W.).  \ou  Major  [Alba- 
ny F.). 
Milliamson  [James  A.).  Maritime  in- 
terprise, 1485-1558,  196. 
Wylie  [James  Hamillon).  The  reign 
of  Henry  V,  194. 

HISTOIRE     d'iïALIE. 

Bonin  (prof.  D.).  Urkunden  zur  Ge- 
schichte  der  Waldenser-Gemeinde 
Pragela,  216. 

Passy  [Louis).  Un  ami  de  Machiavel  : 
François  Vettori,  215. 


INDEX    BIBLIOGRAPHIQUE. 


257 


HISTOIRE    DE    RUSSIE. 

Haumant  (Emile).  Voir  Rambaud 
{Alfred). 

KorsaJioff.  Mélanges  Korsakofl",  232. 

Léger  {Louis).  Nicolas  Gogol,  232. 

Rambaud  [Alfred].  Histoire  de  la  Rus- 
sie, 6'  étlit.  Yt.Émife  Haumanl,  219. 

Vinogradoff  {Paul).  Russia,  the  psy- 
chology  of  a  nation,  128. 

HISTOIRE   d'orient. 

Bâcha  (le  P.  Conslanlin).  Biographie 
de  saint  Jean  Damascène,  67. 

Banescu  (N.].  Deux  poètes  byzantins 
du  xiii'  siècle,  91.  —  Un  poème  grec 
vulgaire  relatif  à  Pierre  le  Boiteux 
de  Valachie,  91. 

Bréhier  {Louis).  L'origine  des  titres 
impériaux  à  Byzance,  71. 

—  Nouvelles  recherches  sur  l'histoire 
de  la  sculpture  byzantine,  94. 

Chirol  (Sir  Valentine).  Serbia,  128. 

Collinet  {Paul).  Le  caractère  oriental 
de  l'œuvre  de  Justinien  et  les  des- 
tinées des  institutions  classiques  en 
Occident,  85. 

Cog)iasso  {Francesco).  Partit!  politici 
e  lotte  dinastiche  in  Bizanzio  alla 
morte  di  Manuele  Coinneno,  72. 

Diehl  [Ch.].  Voir  Rambaud  {Alfred). 

Dragoumis.  Xpovtxwv  MopéwçlffToptxà 
xa\  TOTtwvûpiixa,  69. 

Ducfiesne  (Mgr  L.).  L'iconographie 
byzantine  dans  un  document  grec 
du  ix°  siècle,  68. 

£'6er5o^<(/eaM).  Sculptures  chrétiennes 
inédites,  94. 

—  et  Thiers  (Ad.).  Les  ruines  et  les 
substructions  du  grand  palais  des 
empereurs  byzantins,  93. 

GUlcrbock  {Cari).  Der  Islam  im  Lichte 
der  byzantinischen  Polemik,  89. 

Haury  {lacobus).  Voir  Procopius. 

Jerphanion  {G.  de).  Rapport  sur  une 
mission  d'études  en  Cappadoce,  96. 

—  Inscriptions  byzantines  de  la  région 
d'Urgub  en  Cappadoce,  96. 

Jorga  (iV.).  La  survivance  byzantine 
dans  les  pays  roumains,  85. 

La  Jonquière  (V'°  A.  de).  Histoire  de 
l'empire  ottoman,  nouv.  édit.,  223. 

Lambros  (Sp.  P.).  Empereurs  byzan- 
tins, 70. 

La  Piana  (G.).  Rappresentazioni  sacre 
ncUa  litteratura  bizantina  dalle  ori- 
gini  al  sec.  xi,  90. 

Maspero  {Jean).  Organisation  mili- 
taire de  rÉgyi)te  byzantine,  80. 

—  Les  papyrus  Beaugé.  IlorapoUon  et 
la  tin  du  paganisme,  81. 

—  Graeco-Arabica,  82. 

Millet  {G.).  Remarques  sur  l'iconogra- 


phie des  peintures  cappadociennes, 

97. 
Monneret  de  Villard  (U.).  Inedita  by- 

zantina,  95. 
Monnier  {H.).  La  novelle  L  de  Léon 

le  Sage  et  l'insinuation  des  dona- 
tions, 88. 
Muratore  (D.).  Un  principe  Sabaudo 

alla  presa  di  Gallipoli  Turca,  77. 
Omonl  (Henri).  Peintures  d'un  évan- 

géliaire    syriaque    du    xir    ou    du 

xiii»  siècle,  98. 
Ouspenski  [Th.).  Istorjia  Vizantijskoi 

imperii,  69. 
Pantchenko  (B.  A.).  Reliephni  iz  vasi- 

liki  Studjia  veKonstantinopolje,  92. 
Procopius  Caesariensis.  Opéra  omnia, 

édit.  /.  Haury,  67. 
Rambaud{Alfred).Étudess,uvYhislohe 

byzantine,  publ.  p.  Ch.  Diehl,  69. 
Risal  (P.).  La  ville  convoitée  :  Salo- 

nique,  83. 
SchmUt(Th.).  Les  mosaïques  du  mo- 
nastère de  Saint-Luc,  95. 

—  La  cathédrale  Sainte- Sophie  de 
Kiev,  96. 

—  La  renaissance  de  la  peinture  by- 
zantine au  xiv^  siècle,  97. 

Schullze  (F.).  Altchristliche  Stœdte 
und  Landschaften.  I.  Constantino- 
pel,  324-450,  70. 

Seure  (G.).  Collection  Stamoulis.  An- 
tiquités thracesde  la  Propontide,98. 

Songeon  (R.  P.  Guérin).  Histoire  de 
la  Bulgarie,  221. 

Tafrali  [0.].  Thessalonique  au  xiV  s., 
74. 

—  Topographie  de  Thessalonique, 
82. 

—  Mélanges  d'archéologie  et  d'épigra- 
phie  byzantines,  94. 

Tchernousov  (E.).  Stranitsa  iz  kultur- 
noi  istorji  vizantji  xi  B.,  88. 

—  Iz  vizantijskago  zakolustva  xiii  vye- 
ka,  90. 

Thiers  {Ad.).  Voir  Ebersoll  (Jean). 
Vasiliev  (A.).  Arabskaia  versia  djtiia 
sv.  loanna  Damaskina,  67. 

—  Putechestbie  vizantjiskago  impe- 
ratora  Manuila  II  Paleologa  po  za- 
padnoi  Evropje,  1399-1403,  77. 

Weigand  [E.).  Die  Geburtskirche  von 
Bethléem,  92. 

—  Neue  Untersuchungen  ûber  das  gol- 
dene  Tor  in  Konstantinopel,  93. 

HISTOIRE  d'extrème-orient. 

Law  de  Lauriston  (Jean).  Mémoire 
sur  quelques  affaires  de  l'empire 
mogol,  1756-1761,  publ.  p.  A.  Mar- 

lineau,  217. 
Marlinvau  [A.).  Voir  Law  de  Lauris- 
ton (Jean). 


TABLE  DES   MATIERES. 


ARTICLES  DE  FOND.  Pag 

Ch.  BÉMONT  et  Chr.  Pfister.  L'appel  des  Allemands  aux 

nations  civilisées 1 

J.  NouAiLLAC.  La  retraite  de  Pomponne  de  Bellièvre  (sep- 
tembre 1588-mai  1593) 129 

Pierre  Waltz.  Les  artisans  et  leur  vie  en  Grèce  des  temps 
homériques  à  l'époque  classique.  Le  siècle  d'Hé- 
siode     5 

MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

J.  Calmette.  La  politique  espagnole  dans  la  crise  de  l'indé- 
pendance bretonne  (1488-1492) 168 

P.-N.  DE  PuYBUSQUE.  Lettres  inédites  de  Sismondi  à  Sir 
James  Mackintosh  et  à  la  comtesse  de  Sainte- 
Aulaire 42 

BULLETIN  HISTORIQUE. 

Histoire  byzantine,  par  Louis  Bréhier 67 

Histoire  de  Grande-Bretagne,  par  Ch.  Bémont  .     .     .       183 

COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

BoNiN  (D""  D.).  Urkunden  zur  Geschichte  der  Waldenser- 

Gemeinde  Pragela  (Chr.  Pfister) 216 

Fueter  (Ed.).  Geschichte  der  neueren  Historiographie.  — 
Histoire  de  l'historiographie  moderne,  trad.  fr.  par 
Jeanmaire  (Ch.  Seignobos) 102 

Halphen  (Louis).   L'histoire  en  France  depuis  cent  ans 

(Chr.  Pfister) 105 

La  Jonquière  (vicomte  A.  de).  Histoire  de  l'empire  otto- 
man; nouv.  édit.  (L.  Bréhier) 223 

Law  de  Lauriston  (Jean).  Mémoire  sur  quelques  affaires 
de  l'empire  mogol,  1756-1761,  publ.  par  A.  Mar- 
tineau  (H.  Malo) 217 

Pachtère    (F. -G.  de).    Paris    à   l'époque   gallo-romaine 

(C.  Piton  et  Chr.  Pfister) 99 

Passy  (Louis).  Un  ami  de  Machiavel  :  François  Vettori 

(H.  Hauser) 215 

[Supplément  au  numéro  de  novembre-décembre  1914.] 


TABLE    DES  MATIÈRES.  259 

Pages 

Rambaud  (Alfred).  Histoire  de  la  Russie.  6«  éd.  revue  par 

Emile  Haum.ant  (G.  Créhange) 219 

SONGEON  (R.  P.  Guérin).  Histoire  de  la  Bulgarie  (L.  Bré- 

hier) 221 

NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 

Histoiregénérale(Ch.BÉMONT,Chr.  PFiSTER.Ch.  Schmidt).  107,224 

Histoire  de  l'Antiquité  (Ch.  Bémont,  Chr.  Pfister)  ...  224 

Histoire  d'Allemagne  (H.  Hauser,  Chr.  Pfister).     ...  229 

Histoire  d'Alsace-Lorraine  (Chr.  Pfister) 111 

Histoire  des  États-Unis  (Ch.  Bémont) 111 

Histoire  de  France  (Ch.  Bémont,  H.  Hauser,  Chr.  Pfis- 
ter)       108,225 

Histoire  de  Grande-Bretagne  (Ch.  Bémont) 112,230 

Histoire  de  Russie  (Ch.  Bémont,  É.  Haumant)     ....  232 

RECUEILS  PÉRIODIQUES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES. 
France. 

1.  Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres    ....  243 

2.  Académie  des  sciences  morales  et  politiques    ....  244 

3.  Anjou  historique  (1') 245 

4.  Annales  de  Bretagne 246 

5.  Annales  du  Midi 246 

6.  Annales  révolutionnaires 113 

7.  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes 113 

8.  Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire  du  protestantisme 

français 114 

9.  Bulletin  hispanique 239 

10.  Correspondant  (le) 240 

11.  Feuilles  d'histoire  du  xvii«  au  xx«  siècle 115,233 

12.  Grande  Revue  (la) 241 

13.  Journal  des  savants 236 

14.  Mercure  de  France  (le) 241 

15.  Moyen  âge  (le) 116 

16.  Polybiblion 237 

17.  Révolution  française  (la) 117,233 

18.  Revue  (la) 241 

19.  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature 237 

20.  Revue  de  l'histoire  des  colonies  françaises 118 

21.  Revue  de  Paris  (la) 241 

22.  Revue  des  bibliothèques 239 

23.  Revue  des  études  anciennes 118 

24.  Revue  des  étudcîs  historirjucs 119 


260  TABLE    DES   MATIÈRES. 

Pages 

25.  Revue  des  études  napoléoniennes 119 

26.  Revue  des  questions  historiques 120,  234 

27.  Revue  des  sciences  politiques 240 

28.  Revue  d'histoire  moderne  et  contemporaine    ....  236 

29.  Revue  d'histoire,  rédigée  à  l'État-major 120 

30.  Revue  historique  de  la  Révolution  française  ....  121 

31.  Revue  Mabillon 240 

32.  Revue  poUtique  et  littéraire 242 

CHRONIQUE. 

Espagne 127,  253 

France    122,248 

Grande-Bretagne 128,253 

Italie 254 

Pays-Bas 254 

Index  bibliographique 255 


Le  gérant  :  R.  Lisbonne. 


Nogent-le-Rotrou,  imprimerie  Dadpeley-Gouverneor. 


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Revue  historique 


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